La longue nuit de l'apostasie


James E. Talmage (1862-1933)



 
      Pendant plus de dix-sept cents ans dans l'ancien monde et pendant plus de quatorze siècles sur le continent américain, il semble y avoir eu un silence entre les cieux et la terre [1]. Nous n'avons aucun rapport authentique d'une révélation directe de Dieu à l'homme pendant ce long intervalle. Comme nous l'avons déjà montré, la durée du ministère apostolique dans l'ancien monde prit probablement fin avant l'aube du deuxième siècle de l'ère chrétienne. La disparition des apôtres fut suivie, comme cela avait été prévu et prédit, du développement rapide d'une apostasie universelle. [2]
 
      Des causes externes et internes concoururent à l'installation de cette grande apostasie. Parmi les forces de désintégration qui agirent de l'extérieur, la plus efficace fut la persécution persistante à laquelle les saints furent soumis, persécution provoquée aussi bien par l'opposition juive que par l'opposition païenne. Un très grand nombre de personnes qui avaient professé être membres et beaucoup de celles qui avaient été officiers dans le ministère désertèrent l'Église, tandis qu'un petit nombre était porté à un zèle plus grand par le fléau de la persécution. L'effet général de l'opposition venant de l'extérieur - des causes externes du déclin de la foi et des œuvres prises dans l'ensemble - fut le reniement d'individus, provenant de l'apostasie très répandue au sein de l'Église. Mais infiniment plus grave fut la conséquence de la discorde interne, du schisme et de la perturbation, lesquels ont déterminé l'apostasie totale de l'Église de la voie et de la parole de Dieu.
 
      Le judaïsme fut le premier oppresseur du christianisme et devint l'instigateur et le provocateur des atrocités successives qui accompagnèrent les persécutions païennes. L'hostilité ouverte et active des pouvoirs romains contre l'Église chrétienne se généralisa sous le règne de Néron (vers 64 ap. J.-C.) et se poursuivit avec des répits occasionnels de quelques mois ou même de plusieurs années à la fois jusqu'à la fin du règne de Dioclétien (vers 30 ap. J.-C.). La cruauté inhumaine et la barbarie qui s'exercèrent contre ceux qui osaient professer le nom du Christ au cours de ces siècles de domination païenne sont des faits reconnus par l'histoire [3]. Lorsque Constantin le Grand monta sur le trône, dans le premier quart du quatrième siècle, un changement radical s'instaura dans l'attitude de l'État vis-à-vis de l'Église. L'empereur fit sur-le-champ de ce que l'on appelait le christianisme de l'époque la religion de son royaume, et la recommandation la plus sûre pour obtenir la faveur impériale était de faire preuve d'un dévouement plein de zèle pour l'Église. Mais celle-ci était déjà dans une grande mesure une institution apostate et, même dans les grands traits de l'organisation et du service, ne présentait qu'une ressemblance lointaine avec l'Église de Jésus-Christ, fondée par le Sauveur et édifiée par l'entremise des apôtres. Les quelques vestiges du christianisme authentique qui avaient pu survivre jusque là dans l'Église furent ensevelis hors de la vue de l'homme par les excès qui s'ensuivirent, lorsque l'organisation ecclésiastique entra dans les faveurs du domaine séculier, du fait du décret de Constantin. L'empereur, bien que non baptisé, se déclara chef de l'Église, et on rechercha davantage les offices ecclésiastiques que les rangs militaires ou les postes dans l'État. L'esprit d'apostasie dont l'Église s'était imprégnée avant que Constantin ne l'entourât du manteau de la protection impériale et la blasonnât des insignes de l'État, fut excité à une activité croissante tandis que le levain de Satan prospérait dans des conditions extrêmement favorables à cette croissance phénoménale.
 
      L'évêque de Rome avait déjà affirmé sa suprématie sur ses collègues dans l'épiscopat ; mais quand l'empereur fit de Byzance sa capitale, et la renomma en son propre honneur Constantinople, l'évêque de cette ville se proclama égal au pontife romain. Cette prétention fut contestée ; la dissension qui s'ensuivit divisa l'Église, et le schisme s'est prolongé jusqu'à notre époque, comme le prouve la distinction qui existe entre les Églises catholique romaine et grecque orthodoxe.
 
      Le pontife romain exerça l'autorité séculière aussi bien que spirituelle et s'arrogea au onzième siècle le titre de pape, signifiant père, en ce sens qu'il était le gouverneur paternel en toutes choses. Pendant les douzième et treizième siècles, l'autorité temporelle du pape fut supérieure à celle des rois et des empereurs, et l'Église romaine devint le potentat despotique des nations et une autocrate placée au-dessus de tous les États séculiers. Cependant cette Église, exhalant l'odeur infecte de l'ambition profane et du goût de la domination, prétendait audacieusement être l'Église rétablie par Celui qui affirmait : « Mon royaume n'est pas de ce monde. » Les prétentions arrogantes de l'Église de Rome n'étaient pas moins extravagantes dans l'administration spirituelle que dans l'administration séculière. Dans le contrôle qu'elle proclamait à haute voix avoir sur les destinées spirituelles des âmes des hommes, elle prétendait blasphématoirement pardonner ou retenir les péchés des individus et infliger ou remettre les châtiments tant sur la terre qu'au delà du tombeau. Elle vendit la permission de commettre le péché et troqua pour de l'or des chartes permettant de pardonner avec indulgence des péchés déjà commis. Son pape, se proclamant le vicaire de Dieu, trônait en grand apparat pour juger comme Dieu lui-même et accomplit, par ce blasphème, la prophétie que Paul prononça après avoir donné son avertissement relatif aux conditions terribles qui précéderaient la seconde venue du Christ : « Que personne ne vous séduise d'aucune manière ; car il faut qu'auparavant l'apostasie soit arrivée, et que se révèle l'homme impie, le fils de perdition, l'adversaire qui s'élève au-dessus de tout ce qu'on appelle Dieu ou qu'on adore, et qui va jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu et se faire passer lui-même pour Dieu. » [4] 
 
      Dans son abandon effréné à la licence que lui permettait l'autorité qu'elle s'était arrogée, l'Église de Rome n'hésita pas à transgresser la loi de Dieu, à changer les ordonnances essentielles au salut et à rompre impudemment l'alliance éternelle, souillant ainsi la terre, tout comme Ésaïe l'avait prédit [5]. Elle changea l'ordonnance du baptême, détruisant son symbolisme et y associant des imitations, des rites païens ; elle corrompit le sacrement du repas du Seigneur en en souillant la doctrine par les divagations de la transsubstantiation [6] ; elle prit sur elle d'utiliser les mérites des justes pour pardonner le pécheur en vertu du dogme non scripturaire et absolument répugnant de la surérogation ; elle favorisa l'idolâtrie sous des formes extrêmement séduisantes et pernicieuses ; elle interdit au public, sous peine de châtiment, d'étudier les saintes Écritures ; elle imposa à son clergé un célibat contre nature ; elle se délecta dans une union impie avec les théories et les sophismes des hommes et déforma les enseignements simples de l'Évangile du Christ au point de produire un Credo bourré de superstitions et d'hérésies ; elle promulgua une doctrine à ce point pervertie à propos du corps humain qu'elle faisait passer le tabernacle de chair formé par Dieu pour une chose qui n'était bonne qu'à être torturée et méprisée ; elle proclama que c'était un acte vertueux qui assurerait de riches récompenses que de mentir et de tromper si cela servait ses propres intérêts, et elle s'éloigna si complètement du plan original de l'organisation de l'Église qu'elle se donna en spectacle dans un déploiement d'ornements fabriqués par le caprice de l'homme. [7]
 
      Les causes internes les plus importantes qui provoquèrent l'apostasie de l'Église primitive peuvent être résumées comme suit : (1) La corruption des principes simples de l'Évangile du Christ par l'adjonction des prétendus systèmes philosophiques de l'époque. (2) Des ajouts non autorisés aux cérémonies de l'Église et l'introduction de changements essentiels dans des ordonnances. (3) Des changements dans l'organisation et le gouvernement de l'Église. [8]
 
      Sous la répression tyrannique qui découla de la domination usurpée et injuste de l'Église romaine, la civilisation fut retardée pendant des siècles et fut pratiquement arrêtée dans son cours. Cette période de recul a pris dans l'histoire le nom d'âge des ténèbres. Le quinzième siècle assista au mouvement appelé la Renaissance ou renouveau des sciences ; il y eut un réveil général et caractéristiquement rapide parmi les hommes, et un effort net pour s'arracher à l'engourdissement de l'indolence et de l'ignorance se manifesta dans tout le monde civilisé. Les historiens et les philosophes ont considéré le renouveau comme une pression inconsciente et spontanée de « l'esprit des temps » ; ce fut une évolution déterminée à l'avance dans l'esprit de Dieu pour illuminer les esprits enténébrés des hommes en vue de préparer le rétablissement de l'Évangile de Jésus-Christ dont l'accomplissement était prévu pour quelques siècles plus tard. [9]
 
      Avec le renouveau de l'activité intellectuelle et de l'effort en vue de l'amélioration matérielle, il y eut, accompagnement naturel et inévitable, une protestation et une révolte contre la tyrannie ecclésiastique de l'époque. Les Albigeois, en France, étaient entrés en insurrection contre le despotisme religieux au treizième siècle, et au quatorzième, John Wyclif, de l'université d'Oxford, avait hardiment dénoncé la corruption de l'Église et du clergé romain, et en particulier les restrictions que la hiérarchie papale imposait à l'étude des Écritures par le peuple. Wyclif donna au monde une version de la sainte Bible en anglais. Ces manifestations d'indépendance de croyance et d'action, l'Église papale essaya de les réprimer et de les châtier par la force. Les Albigeois subirent des cruautés inhumaines et un massacre impitoyable. Wyclif fut la cible d'une persécution violente et constante ; il mourut dans son lit, mais la vindicte de l'Église romaine ne s'apaisa que lorsqu'elle eut fait exhumer son corps, l'eut fait brûler et fait disperser ses cendres. Jean Huss et Jérôme de Prague se distinguèrent sur le continent européen dans l'agitation contre le despotisme papal, et tous deux moururent martyrs pour la cause. Bien que l'Église fût devenue complètement apostate, il ne manqua pas d'hommes braves de cœur et à l'âme juste, prêts à donner leur vie pour l'émancipation spirituelle.
 
      Une révolte notable contre la papauté, la Réforme, se produisit au seizième siècle. Ce mouvement entrepris en 1517 par Martin Luther, moine allemand, se répandit si rapidement qu'il gagna bientôt le domaine tout entier de la papauté. Les représentants de certaines principautés allemandes et d'autres délégués formulèrent des protestations officielles contre le despotisme de l'Église papale à une diète ou conseil général qui se tint à Spire en 1529, et dorénavant les réformateurs furent appelés protestants. Jean, électeur de Saxe, proposa une Église indépendante, et, sur ses instances, Luther et son collègue Mélanchthon en élaborèrent la constitution. Les protestants ne s'accordaient pas. Dépourvus d'autorité divine pour les guider en matière d'organisation et de doctrine religieuse, ils suivirent les voies diverses des hommes et furent déchirés à l'intérieur tandis qu'ils étaient assaillis de l'extérieur. L'Église romaine, se trouvant face à des adversaires décidés, ne recula devant aucune cruauté. Le tribunal de l'Inquisition, qui avait été établi vers la fin du quinzième siècle sous le nom sacrilège infâme de « Saint Office », s'enivra de la volupté d'une cruauté barbare au siècle de la Réforme et infligea des tortures indescriptibles à des personnes secrètement accusées d'hérésie.
 
      Dans les premiers stades de la Réforme provoquée par Luther, le roi d'Angleterre, Henri VIII, se déclara partisan du pape, et celui ci le récompensa en lui conférant, en guise de distinction, le titre de « Défenseur de la Foi ». Quelques années plus tard, ce même souverain britannique était excommunié de l'Église romaine pour avoir impatiemment dédaigné l'autorité du pape lorsque Henri voulut divorcer de la reine Catherine pour pouvoir épouser l'une de ses dames de compagnie. Le parlement britannique passa, en 1534, l'Act of Supremacy, en vertu duquel la nation était déclarée affranchie de toute allégeance à l'autorité papale. Par une loi, le roi fut nommé chef de l'Église sur son propre territoire. C'est ainsi que naquit l'Église d'Angleterre, résultat direct des amours licencieuses d'un roi débauché et infâme. Avec une indifférence blasphématoire pour l'absence d'autorité divine, sans aucune apparence de succession sacerdotale, un souverain adultère créa une Église, y établit une « prêtrise » à lui et se proclama administrateur suprême de toutes les affaires spirituelles.
 
      Celui qui étudie l'histoire connaît bien le conflit qui fit rage entre le catholicisme et le protestantisme en Grande-Bretagne. Qu'il nous suffise de dire ici que la haine mutuelle entre les deux partis en conflit, le zèle de leurs adhérents respectifs, leur amour prétendu de Dieu et leur dévouement au service du Christ, se signalaient surtout par l'épée, la hache et le bûcher. Enivrés de la conscience d'être au moins partiellement émancipés de la tyrannie ecclésiastique, les hommes et les nations prostituèrent leur liberté de pensée, de parole et d'action nouvellement acquise en des excès atroces. L'Age de Raison, comme on l'a appelé à tort, et les abominations athées, dont le point culminant fut la Révolution française, sont le témoignage ineffaçable de ce que l'homme peut devenir lorsqu'il se glorifie de renier Dieu.
 
      Est-il étonnant qu'à partir du seizième siècle les Églises inventées par l'homme se soient multipliées avec une rapidité phénoménale ? Les Églises et les organisations religieuses professant le christianisme pour credo peuvent se compter par centaines. De toutes parts on entend aujourd'hui : « Voici, le Christ est ici » ou « Voici, il est là ». Il y a des Églises qui tirent leur nom des circonstances de leur origine - comme l'Église d'Angleterre ; d'autres portent le nom de leurs fondateurs ou créateurs célèbres : luthérienne, calviniste, wesleyenne ; certaines sont connues par des points particuliers de doctrine ou de leur système d'administration : méthodiste, presbytérienne, baptiste, congrégationaliste ; mais jusqu'à la troisième décennie du dix-neuvième siècle, il n'y avait pas sur terre d'Église affirmant porter le nom ou le titre d'Église de Jésus-Christ. La seule organisation appelée Église qui existait à l'époque et qui s'aventurait à prétendre à l'autorité par succession était l'Église catholique, qui était apostate depuis des siècles et entièrement privée d'autorité ou d'acceptation divine. Si « I'Église-mère » était sans prêtrise valide et dépourvue de puissance spirituelle, comment ses rejetons pouvaient-ils retirer d'elle le droit d'officier dans les choses de Dieu ? Qui oserait affirmer que l'homme peut créer une prêtrise que Dieu soit obligé d'honorer et de reconnaître ? En admettant que les hommes puissent créer et créent entre eux des sociétés, des associations, des confessions religieuses et même des « Églises », s'ils décident de donner ce nom à leurs organisations, en admettant qu'ils puissent prescrire des règles, formuler des lois et concevoir des plans d'action, de discipline et de gouvernement et que toutes ces lois, règlements et plans d'administration soient imposables à ceux qui s'en prétendent membres - en admettant tous ces droits et ces prérogatives - d'où ces institutions humaines peuvent-elles tirer l'autorité de la sainte prêtrise sans laquelle il ne peut y avoir d'autorité d'Église du Christ ? [10]
 
      La situation apostate du christianisme a été franchement reconnue par beaucoup de représentants éminents et consciencieux des diverses Églises ainsi que par des institutions religieuses. Même l'Église d'Angleterre reconnaît ce fait terrible dans la déclaration officielle de sa dégénérescence, comme cela est exposé dans la « Homily Against Peril of IdoIatry » (Homélie contre les dangers de l'idolâtrie) en ces termes :
 
      « De sorte que les laïcs et le clergé, les savants et les ignorants, les gens de tout âge, de toutes confessions, et tous les genres d'hommes, de femmes et d'enfants de tout le christianisme - chose horrible et atroce à penser - ont été à la fois noyés dans une idolâtrie abominable ; de tous les autres vices, le plus détesté de Dieu et le plus condamnable pour l'homme ; et ce dans l'espace de huit cents ans et davantage. » [11]
 
      Il ne faut pas en conclure que pendant toute la nuit de l'apostasie universelle, si longue et ténébreuse qu'elle ait été, Dieu avait oublié le monde. L'humanité n'avait pas été entièrement abandonnée à elle-même. L'Esprit de Dieu opérait dans la mesure où l'incrédulité des hommes le permettait. Jean l'apôtre et les trois disciples néphites [12] œuvraient parmi les hommes sans qu'on le sût. Mais pendant les siècles de ténèbres spirituelles, les hommes vécurent et moururent sans le ministère d'un apôtre, prophète, ancien, évêque, prêtre, instructeur ou diacre contemporain. Le peu de piété qui existait dans les Églises établies par l'homme était dépourvu d'autorité divine. L'époque prévue par l'apôtre inspiré était pleinement arrivée - l'humanité en général refusait de supporter la saine doctrine, mais ayant la démangeaison d'entendre des choses agréables, elle se donnait une foule de docteurs, selon ses propres désirs, et avait en fait détourné l'oreille de la vérité pour se tourner vers les fables [13]. Le premier quart du dix-neuvième siècle assista à l'accumulation des conditions à remplir qui avaient été prédites par l'intermédiaire du prophète Amos : « Voici : les jours viennent, - oracle du Seigneur, l'Éternel - où j'enverrai une famine dans le pays, non pas une disette de pain ni une soif d'eau, mais (la faim et la soif) d'entendre les paroles de l'Éternel. Ils seront alors errants d'une mer à l'autre, du nord à l'est ; ils tituberont à la recherche de la parole de l'Éternel, et ils ne la trouveront pas. » [14] 
 
      Pendant toute la durée de l'apostasie, les écluses des cieux avaient été fermées au monde de manière à exclure toute révélation directe de Dieu et en particulier tout ministère personnel, ou théophanie, du Christ. L'humanité avait cessé de connaître Dieu et avait entouré les paroles des prophètes et des apôtres d'autrefois, qui l'avait connu, d'un manteau de mystère et d'imagination, de sorte que l'on ne croyait plus en l'existence du Dieu vrai et vivant ; à sa place les Églises avaient essayé de concevoir un être incompréhensible, dépourvu de « corps, parties ou passions », un néant immatériel. [15]
 
      Mais il avait été décidé dans le Conseil des Cieux qu'après un grand nombre de siècles d'ignorance et de ténèbres le monde serait de nouveau éclairé par la lumière de la vérité. Par le fonctionnement du génie de l'intelligence, qui est l'esprit de vérité, l'âme du genre humain avait subi une préparation semblable au labourage profond d'un champ pour que l'Évangile pût de nouveau être semé. Le principe du compas du marin fut révélé par l'Esprit ; son incarnation matérielle fut inventée par l'homme, et, avec son aide, les océans inconnus furent explorés. Vers la fin du quinzième siècle, Colomb fut conduit par l'inspiration de Dieu à découvrir le Nouveau Monde, sur lequel demeurait la postérité dégénérée de Léhi, survivante à la peau sombre de la maison d'Israël : les Indiens américains. En temps voulu, les navires Mayflower et Speedwell amenèrent les Pères Pèlerins dans le Nouveau Monde, avant-garde d'une armée de gens fuyant l'exil et cherchant un nouveau foyer où ils pourraient adorer suivant leur conscience. L'arrivée de Colomb et l'émigration ultérieure des Pères Pèlerins avaient été prédites près de six cents ans avant le Christ ; leur mission respective leur avait été aussi réellement confiée que l'envoi de tout prophète avec un message à remettre et une œuvre à accomplir. [16]
 
      La guerre entre les colonies américaines et la métropole et l'issue victorieuse qu'elle eut pour la nation américaine, émancipée une fois pour toutes du gouvernement monarchique, avaient été annoncées comme une étape supplémentaire de la préparation au rétablissement de l'Évangile. Du temps fut laissé pour qu'un gouvernement stable fut établi, pour que des hommes choisis fussent suscités et inspirés à élaborer et à promulguer la Constitution des États-Unis, qui promet à tout homme l'entière liberté politique et religieuse. Il ne convenait pas que la semence précieuse de l'Évangile rétabli fût lancée sur un sol non labouré, endurci par l'intolérance et capable de ne produire que les ronces du fanatisme et les mauvaises herbes abondantes du servage mental et spirituel. L'Évangile de Jésus-Christ est l'incarnation de la liberté ; il est la vérité qui affranchira tous les hommes et toutes les nations qui accepteront ses préceptes et y obéiront.
 
      Lorsque le moment fut venu, le Père éternel et son Fils, Jésus le Christ, apparurent à l'homme sur la terre et ouvrirent une dispensation de l'Évangile, la dispensation de la plénitude des temps (expression tirée de Éphésiens 1:10 dans la version du roi Jacques, ndlr).


 [1] Voir Note 1, plus bas
 [2] Il nous est impossible de tenter de donner un récit étendu de l'apostasie de l'Église primitive ; le lecteur voudra bien se reporter à des ouvrages traitant de cet important sujet. Voir « La Grande apostasie considérée à la lumière de l'histoire scripturaire et profane », de l'auteur, ouvrage de 176 pages.
 [3] Voir La Grande apostasie, chap. 4 et 5.
 [4] 2 Th 2:3, 4.
 [5] Es 24:5.
 [6] La doctrine erronée de la « transsubstantiation » affirme que le pain et le vin administrés comme emblèmes de la chair et du sang du Christ dans le sacrement du repas du Seigneur sont transformés par la consécration sacerdotale en véritables chair et sang de Jésus-Christ. Voir La Grande apostasie, p. 122. Pour ce qui est de la « surérogation », voir chap. 32 du présent ouvrage, notes.
 [7] La Grande apostasie, chap. 6, 7, 8.
 [8] La Grande apostasie, p. 92, 93 ; le sujet est traité dans son ensemble aux chapitres 6 à 9 inclus.
 [9] Note 2, fin du chapitre.
 [10] Ce paragraphe est partiellement une paraphrase de La Grande apostasie, 10:21, 22.
 [11] Note 3, fin du chapitre.
 [12] Chap. 37 et 39.
 [13] Voir 2 Th 4:1-4 et La Grande apostasie, 2:30.
 [14] Amos 8:11, 12.
 [15] Voir le « Book of Common Prayer », de l'Église anglicane, « Articles of Religion », 1. Note 4, fin du chapitre.
 [16] Voir LM, 1 Né 13:10-13. Note 5, fin du chapitre.


NOTES
 
1. Cessation de la révélation sur le continent américain : « Le monde oriental avait perdu sa connaissance du Seigneur avant le monde occidental. En Amérique du Nord, quatre cents ans après la naissance de notre Sauveur et Maître, il y avait un homme au moins qui savait que le Seigneur Dieu Tout-Puissant était une personnalité distincte, un être capable de se faire connaître à l'homme. Cet homme était Moroni, fils de Mormon, dont le témoignage reste maintenant et doit rester à tous les âges à venir » - (Georges Q. Cannon, Life of Joseph Smith, p. 21. Voir LM, Moro 10:27-34).
 
2. Les résultats de la grande apostasie divinement annulés pour donner finalement du bien : L'étudiant consciencieux ne peut manquer de voir dans la progression de la grande apostasie et dans ses résultats l'existence d'une puissance supérieure, qui, quoique ses voies soient impénétrables, vise un bien ultérieur. Les persécutions navrantes infligées aux saints dans les premiers siècles de notre ère, l'angoisse, la torture, l'effusion de sang subies pour défendre le témoignage du Christ, l'essor d'une Église apostate, obnubilant l'intelligence et menant les âmes des hommes captives, toutes ces scènes terribles étaient connues d'avance par le Seigneur. Bien que nous ne puissions ni dire ni croire que ces signes de dépravation et de blasphème humains fussent en accord avec la volonté divine, il est certain que Dieu voulut accorder le libre arbitre à l'homme, ce qui permit à certains de remporter la couronne du martyre et à d'autres de remplir toute la mesure de leur iniquité. La permission divine n'est pas moins évidente dans les révoltes et dans les réformes qui se développèrent en opposition à l'influence de l'Église apostate qui allait en empirant. Wycliff et Huss, Luther et Mélanchton, Zwingli et Calvin, Henri VIII dans son arrogante prétention à l'autorité sacerdotale, John Knox en Écosse, Roger Williams en Amérique, tous et une foule d'autres construisaient mieux qu'ils ne le pensaient en ceci que leurs efforts posaient en partie les fondations de la liberté religieuse et de la liberté de conscience, en préparation au rétablissement de l'Évangile comme cela avait été divinement prédit (La Grande apostasie, 10:19, 20).
 
3. La déclaration d'une apostasie générale par l'Église anglicane : Le Livre des Homélies, dont est tirée la citation donnée dans le texte, fut publié vers le milieu du seizième siècle. Cette proclamation officielle de l'apostasie universelle fut rendue éminemment publique, car les homélies étaient « destinées à être lues dans les églises », dans certains cas, au lieu du sermon. Dans la déclaration que nous avons citée, l'Église anglicane affirme solennellement qu'un état d'apostasie affectant tous les âges, tous les groupes religieux et tous les niveaux dans l'ensemble du christianisme avait régné pendant huit cents ans avant l'établissement de l'Église qui faisait cette déclaration. Cette affirmation garde toute sa valeur aujourd'hui, tant comme confession que comme profession de l'Église anglicane, car l'homélie « Contre le péril de l'idolâtrie » et certaines autres homélies sont spécialement ratifiées et approuvées, et il est d'ailleurs prescrit qu'elles sont « à lire diligemment et distinctement par les ministres dans les églises afin qu'elles soient comprises du peuple ». Voir « Articles of Religion » XXXV, dans les éditions courantes de l'Église anglicane, Book of common Prayer.
 
4. Le « credo d'Athanase » : Au concile de Nicée, convoqué par l'empereur Constantin, en 325 ap. J.-C., on adopta une déclaration officielle de foi concernant la Divinité. Plus tard, on en publia une modification, appelée le « credo d'Athanase », et bien que l'identité de son auteur fasse l'objet de doutes, le credo a sa place dans le rituel de certaines Églises protestantes. Il n'est pas nécessaire d'apporter de preuve plus concluante que le credo d'Athanase du fait que les hommes avaient cessé de connaître Dieu. « Le credo de saint Athanase », tel que l'Église anglicane le confesse aujourd'hui, et tel qu'il est publié dans le rituel officiel (voir Prayer Book) déclare : « Nous adorons un seul Dieu dans la Trinité et la Trinité en Unité, sans confondre les personnes ni diviser la substance, car il y a une personne pour le Père, une autre pour le Fils, et une autre pour le Saint-Esprit. Mais la Divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit est tout une ; la gloire égale, la majesté coéternelle. Tel que le Père est, tel est le Fils et tel est le Saint-Esprit. Le Père incréé, le Fils incréé et le Saint-Esprit incréé. Le Père incompréhensible, le Fils incompréhensible et le Saint-Esprit incompréhensible. Le Père éternel, le Fils éternel et le Saint-Esprit éternel, mais un seul éternel. Et il n'y a pas non plus trois incompréhensibles, ni trois incréés, mais un seul incréé et un seul incompréhensible. De même, le Père est Tout-Puissant, le Fils Tout-Puissant et le Saint-Esprit Tout-Puissant ; et cependant il n'y a pas trois Tout-Puissants, il n'y a qu'un seul Tout-Puissant. De même, le Père est Dieu, le Fils est Dieu, et le Saint-Esprit est Dieu, mais cependant il n'y a pas trois Dieux mais un seul Dieu. »
 
Vient ensuite une confession étrange de ce qui est à la fois exigé par « Ia vérité chrétienne », et interdit par « la religion catholique » : « Car de même que nous sommes obligés par la vérité chrétienne : de reconnaître chaque Personne en elle même être Dieu et Seigneur, de même il nous est interdit par la religion catholique : de dire, il y a trois Dieux, ou trois Seigneurs. »
 
5. La mission de Colomb et ses résultats : À Néphi, fils de Léhi, fut montré l'avenir de son peuple, y compris la dégénérescence d'une de ses branches, appelée plus tard Lamanites et, dans les temps modernes, amérindiens. La venue d'un homme d'entre les Gentils au travers des eaux profondes fut révélée avec une telle clarté qu'on peut identifier formellement cet homme comme étant Colomb ; et l'arrivée en Amérique d'autre Gentils, sortis de captivité, est tout aussi explicite. Néphi, à qui la révélation fut donnée, la rapporte comme suit : « Et je regardai et vis beaucoup d'eaux ; et elles séparaient les Gentils de la postérité de mes frères. Et l'ange me dit : Voici, la colère de Dieu est sur la postérité de tes frères. Et je regardai, et je vis un homme parmi les Gentils ; il était séparé de la postérité de mes frères par les grandes eaux ; et je vis l'Esprit de Dieu descendre sur cet homme et agir en lui ; et il s'en alla sur les grandes eaux, et se rendit auprès de la postérité de mes frères qui vivait dans la terre promise. Et je vis l'Esprit de Dieu agir sur d'autres Gentils ; et ils sortirent de captivité et s'en allèrent sur les grandes eaux » (1 Né 13:10-13). Le même chapitre expose avec une clarté tout aussi grande l'établissement d'une grande nation de gentils sur le continent américain, la subjugation des Lamanites ou Indiens, la guerre entre la nation nouvellement créée et la Grande-Bretagne, ou « Ies Gentils dont ils étaient originaires », et le résultat victorieux de cette lutte pour l'indépendance.

Source : James E. Talmage, Jésus le Christ, chapitre 40