Histoire
de l'Église en Belgique
Jean
Lemblé
Les
débuts
Louis
Bertrand envoya en 1861 en mission à Bruxelles un converti
belge de la branche de Paris : Gustave Chapuis
(Millennial Star, XXIII, du 15 juin 1861, p.
380). II espérait ainsi ouvrir in nouveau pays à
l'oeuvre missionnaire des saints des derniers jours. Mais, ce premier
essai échoue et aujourd'hui on ne retrouve plus nulle part
mention ni de Chapuis ni de sa mission.
Nouvelle
tentative en 1868, un Suisse, Octave Ursenbach, est envoyé en
Belgique pour y établir une branche de l'Église. Il
passe un certain temps dans les villes d'Anvers et de Liège
mais il ressent si fort que les Belges ne présentent aucune
disposition pour être convertis qu'il demande Ia permission de
retourner dans son pays. (Journal History of the French Mission,
9 octobre 1868; Ursenbach's diary, Bureau de l'historien de
l'Église, Salt Lake City)
Misha
Markow sera le premier missionnaire à faire du travail
effectif chez les Belges. Markow est Serbe, il a été
converti à Constantinople en 1887. Après sa conversion,
il est envoyé en 1888 dans la région d'Anvers, où
il inaugure le prosélytisme parmi la population de langue
allemande (Journal History of the Netherlands Mission, 1891).
Quelques baptêmes ont lieu et quand frère Markow quitte
le pays, son oeuvre est continuée par plusieurs missionnaires
de langue germanique envoyés par la Mission suisse-allemande.
Rapidement
plusieurs branches de l'Église sont établies à
Liège, Bruxelles et Anvers, et, vers 1889, dix personnes
acceptent le baptême. (Journal History of the
Swiss-German Mission, 1891)
L'année
suivante, les missionnaires frappent chez les Wiart. La mère
ayant une petite fille de neuf ans, Marie, à ses côtes,
et un bébé de dix-huit mois dans les bras. L'un des
missionnaires demande :
– De
quoi souffre le petit ?
– C'est
de la suite d'une pneumonie.
– Savez-vous,
Madame, que de son temps, Dieu guérissait les affligés ?
– Oui,
mais maintenant cela ne se fait plus, Jésus est mort.
– Il
a donné le pouvoir à ses missionnaires et nous sommes
missionnaires de Jésus.
– Je
voudrais bien voir cela !
– Vous
le pourrez, j'en suis sûr, si vous nous donnez l'autorisation
de le faire.
Le
missionnaire qui vient de parler prend alors le bébé,
le bénit puis le rend à sa mère complément
guéri.
La
petite fille qui a assisté à la guérison de son
petit frère a reçu ce jour-là un fort témoignage
de la véracité de l'Évangile prêché
par la nouvelle Église et a gardé cette foi le long
d'une vie de plus de quatre-vingt-dix ans. Son cousin, Alexandre
Secretin, fut plus tard président de la branche de Liège.
(Lettre de Marie Antoinette Wiart Dieu datée du 4 septembre
1970 adressée à l'auteur)
Ces
premiers efforts de prosélytisme en Belgique sont faits par
des missionnaires parlant allemand, et il devient bien vite évident
que ces derniers ont des problèmes de communication avec Ia
population en grande majorité de langue franc;aise et
flamande.
Aussi,
en 1891, l'Église décide-t-elle de placer l'oeuvre de
la prédication en Belgique sous la direction de la Mission
néerlandaise. (Journal History of the Netherlands Mission,
1891)
Les
frères Ripplinger et Pieper font du bon travail dans la région
de Liège en l'année 1896. L'assemblée baptiste
les reçoit si bien que, alarmés, les dirigeants de
cette Église envoient un prédicateur a Liège
pour ramener dans son giron les brebis égarées dans les
pâturages mormons (Millennial Star, LVlll, du 20
février 1896, p. 123). Une réunion est programmée
dans la maison d'un baptiste dans le but d'établir une
confrontation entre ce prédicateur et les missionnaires
mormons, un même temps de prêche étant accordé
à chacun des protagonistes.
La
réunion a lieu, le pasteur baptiste après un échange
de vue préliminaire avec les missionnaires de la nouvelle
Église prononce une allocution et décide brusquement de
s'en aller ! Mais la maîtresse de maison ne l'entend pas
de cette oreille ! Fâchée que le pasteur veuille
les quitter avant d'avoir laissé l'occasion aux deux mormons
de s'exprimer à leur tour pour réfuter ses assertions,
elle se lève, retient de force le prédicateur et
l'oblige à rester pour écouter ses opposants.
À
la fin de la réunion, plusieurs baptistes de l'auditoire
manifestent leur mécontentement à l'égard de
leur Église et l'un d'eux s'adressant au
pasteur lui dit :
–
Vous
avez essayé ce soir de présenter le peuple mormon
comme les gens les plus mauvais de la terre. Par
ailleurs, il a été suffisamment
prouvé par les Écritures et par d'autres
faits que les Églises et les sectes sont dans l'erreur et ne
viennent aucunement de Dieu. Nous ne voulons plus
appartenir à l'une d'elles. (Millennial Star, LVlll, du
30 avril 1896, p. 228)
En
entendant cette remarque, le pasteur tourne les talons et
quitte la maison salué par les cris :
–
Vive
les mormons !
Dans
les jours qui suivent, une centaine de personnes sont
intéressées par l'Église, et des réunions
sont tenues à Saint-Nicolas, Ougrée, Jehais et
plusieurs autres villes des environs de Liège. (Journal History
of the Netherlands Mission, 31 mai 1896)
Les
missionnaires ne concentrent pas uniquement leurs efforts sur les
baptistes, leur prédication intéresse aussi un certain
nombre de familles catholiques, ainsi en novembre 1896, frère
Frederick Pieper baptise Bartholomeus Creuiwel, sa femme et sa fille
(Ibid., 11 novembre 1896 ; Millennial Star,
LVIII, du 26 novembre 1896). Mais Bartholomeus est un commerçant
éminent et influent de Liège, un laïc fervent et
important de l'Église catholique. Sa conversion au mormonisme
fait sensation dans la ville et l'onde de choc est ressentie jusqu'à
Bruxelles. Un journal de la capitale présente un article
exprimant le regret qu'une aussi respectable famille que celle des
Creuiwel se soit laissée leurrer par le mormonisme ! La
publicité faite autour de cette conversion crée
beaucoup d 'agitation parmi la population, et si elle amène
bien des gens a s'intéresser aux assemblées des mormons
à Liège, elle accentue considérablement les
sentiments d'animosité contre eux.
Le
30 du même mois, une foule évaluée à
plusieurs centaines de personnes se masse devant le domicile familial
des Creuiwel ou frère Ripplinger tient une réunion. La
populace lui demande de sortir mais il n'a pas du tout l'intention de
faire face à cette masse hostile et refuse de se plier aux
voeux de la foule qui se met à lancer des pierres contre la
maison ; les projectiles s'écrasent contre le mur causant
heureusement peu de dégâts. Là-dessus la police
arrive à point pour empêcher les événements
de se gâter et disperse la foule. (Journal History of the
Netherlands Mission, 30 novembre 1896)
Malgré
les accès de manifestation antimormone à Liège,
les missionnaires enregistrent beaucoup de succès. En 1897,
ils obtiennent une salle en ville pour y tenir leurs assemblées
publiques. Le local peut contenir cent vingt-cinq personnes à
la fois, mais le public est si nombreux à vouloir assister aux
réunions que les missionnaires sont obligés de donner
des tickets de réservation : comme pour un spectacle, il
faut faire la queue ! (Millennial Star, LIX, du 9 septembre
1897, p.571)
II
est intéressant de noter que la Belgique est un des rares pays
catholiques à ne pas imposer de loi restrictive vis-à-vis
de I'Église de Jésus-Christ des saints des derniers
jours. Un des dirigeants de la nouvelle Église, le président
Joseph M. Mc Murrin, note à ce propos lors d'un voyage en
Belgique :
«
Il est satisfaisant de voir qu'en Belgique , la liberté de
religion I'emporte, que les missionnaires ne sont ni contrecarrés
ni restreints d'aucune façon dans leurs travaux et ceci bien
que la grande majorité de la population belge soit catholique.
» (Ibid.)
Mais
I'agitation créée dans certains quartiers de Liège
contre les mormons incite le gouvernement belge à s'informer
sur leurs activités missionnaires. Frère Ripplinger est
convoqué à Bruxelles par le ministre de la Religion et
de l'instruction publique. Tout se passe bien car il s'avère
que ce dernier désire uniquement connaître le travail
que font les missionnaires parmi les Belges. À la fin de
l'entretien, l'homme du gouvernement autorise les mormons à
continuer leur oeuvre sous condition bien sûr de ne pas
enfreindre une loi du pays. (Journal History of the Netherlands
Mission, 6 février 1897)
Après
1897, à la fin de la mission des frères Ripplinger et
Pieper, I'oeuvre de I'Église languit dans le Sud de la
Belgique, faute de missionnaires parlant français. Plusieurs
années passent ainsi. En 1903, le travail de prosélytisme
reprend dans les villes d'expression française de Liège,
Charleroi et Namur avec la venue d'un Suisse-français, Serge
F. Ballif. (Journal History of the French Mission, 22 mai 1903 ;
Gary Chard, Thèse de maîtrise en histoire, 1965, p. 63 à
69)
Durant
la Deuxième Guerre mondiale
Le
15 septembre 1939, William Ashby et Rulon A. Hendrickson sont les
deux derniers missionnaires à quitter Bruxelles, siège
de la Mission française. Ils s'en vont après avoir
assisté à une dernière réunion de
l'Église. Le président de mission, Joseph Evans,
reste encore quelque temps mais part à son tour, le 22 octobre
1939. Les membres locaux prennent alors en mains Ia direction de
l'Église. Ils sont tout à fait préparés à
cette responsabilité, grâce à leurs bons
dirigeants. De tous les pays francophones, c'est la Belgique qui
compte le plus de saints des derniers jours : leur nombre s'élève
à plus de quatre cents.
Après
le départ des missionnaires, un membre de la branche de Liège,
Paul Devignez, président de district, réorganise les
réunions à Bruxelles. Chaque mois, il envoie un frère
de Liège détenant Ia prêtrise tenir dans Ia
capitale une assemblée de Sainte-Cène, et ce, jusqu'en
avril 1940 où les membres de cette ville sont livrés à
eux-mêmes pour diriger les réunions.
Il
y a à l'époque sept branches en Belgique : Liège,
Seraing, Herstal, Verviers, Namur, Bruxelles et Charleroi. À
leur tête, le président de district assisté de
ses deux conseillers, Auguste Roubinet et Wladislas Jelinek. (Paul
Devignez, L'histoire du district belge, 1936-46, manuscrit non
publié, Bureau de l'historien de l'Église, Salt Lake
City)
Bien
que la Belgique se soit déclarée pays neutre au début
du conflit, les membres de l'Église se sont préparés
à toute éventualité. Ils ont des réserves
importantes de blé et de pommes de terre. Les aliments
devenant de plus en plus rares, on sert souvent des soupes gratuites
à la fin des réunions. Chaque membre pratique
l'entraide pour que tout le monde mange à sa faim.
À
Verviers, après le départ des missionnaires, la branche
est placée sous la direction d'un comité de membres
composé de Pierre Browers, Emile Villars et quelques autres.
Peu de temps après, le 10 décembre 1939, Paul Devignez
appelle à la tête de la branche, Jacques Demal. Sous
leur direction, l'Église à Verviers continue à
progresser et à jouer un rôle important dans Ia vie des
membres.
A
Bruxelles, aucune réunion n'est tenue de mars 1941 à
novembre 1942 à cause de l'état de siège. Le
siège levé, les membres se rassemblent chaque mois sous
la direction de frère Willy Bloemen. En février 1943,
cet homme doit subir une intervention chirurgicale compliquée
qui le force à rester à l'hôpital jusqu'au mois
de juillet. Condamné par les médecins, il reste en vie
grâce aux prières et à la foi des saints et peut
continuer à faire du bon travail dans la branche. Les réunions
sont reprises en octobre 1943 et tenues régulièrement
au domicile de frère Bloemen. De telles réunions sont
interdites dans un lieu public.
À
Seraing, plusieurs membres de lIa branche sont déportés
dans les usines allemandes. Trois personnes ont réussi a
prendre contact avec l'Église en Allemagne dans les villes ou
ils travaillent et ont été reçues chaudement par
les membres allemands.
À
côte du travail normal pour faire fonctionner l'Église
durant Ia guerre, les membres belges ont organisé des
activités de prosélytisme et ont converti cinquante
personnes à l'Église. Beaucoup de ces nouveaux membres
sont touchés par la fraternité et l'entraide qui
existent parmi les mormons.
Malgré
la dureté de l'occupation et la haine de Belges envers
l'oppresseur allemand, il y eut des contacts entre les mormons des
forces d'occupation et leurs frères et soeurs belges.
Notamment le secrétaire d'un général allemand à
Liège, membre de l'Église, assistait fréquemment
aux réunions de la branche de cette ville.
Vers
la fin de la guerre, les mormons suisses ont envoyés aux
branches belges quelques denrées qui, quoique très
limitées, les ont aidées temporairement. Un essai fut
aussi entrepris pour protéger les enfants mormons belges en
les envoyant en Suisse jusqu'à la fin de la guerre, mais ce
plan n'a jamais pu être mis à exécution à
cause de l'opposition des autorités allemandes et belges.
(Deseret News, 23 décembre 1944, p. 1 ; Gary Chard,
Thèse de maîtrise en histoire, p. 88 à 91 ;
Rapports historiques de la Mission française)
À
Bruxelles, en novembre 1944, un ancien missionnaire, David Homer, de
l'armée de Libération, vient assister aux réunions
du dimanche. Robert Bloemen, de I'Armée américaine,
vient aussi quand il peut. Dès le début de l'année
1945, beaucoup de soldats américains ainsi que de jeunes
Anglaises et Américaines viennent aux réunions,
fortifiant ainsi considérablement l'esprit des membres qui ont
souffert si longtemps sous Ia domination ennemie.
La
maison de soeur Bloemen a été bombardée, mais il
n 'y a eu heureusement que des dégâts matériels.
Aucune autre calamité n'est tombée sur les membres de
la branche de Bruxelles qui, avec le soutien de tous, malgré
le petit nombre de saints, a continué à grandir et à
se fortifier.
À
Herstal, il faut noter un événement exceptionnel. Lors
de la réunion du 5 mars 1939, quelques mois avant le début
de la Seconde Guerre mondiale, Kerkaert, président de la
branche, demande à tous les dirigeants et membres assemblés
de lui apporter leur soutien pour les choses qui « vont arriver
» dans les mois à venir. Le président Joseph
Evans était présent, ainsi que quatre missionnaires et
le président de district, Paul Devignez. Qu'étaient
donc ces choses qui « vont arriver », la Belgique
n'ayant nullement l'intention de déclarer la guerre à
quiconque ?
Le
2 mai 1945, leur église est bombardée par les
Allemands et l'un des projectiles pénètre dans le
bâtiment, causant un dommage s'élevant à cinq
mille francs belges. Continuellement des jeûnes et des prières
sont faits pour demander à Dieu le rétablissement de
parents blessés ou hospitalisés en France.
À
Verviers, après la cessation des hostilités, la paix et
les missionnaires reviennent. Durant ces longues années
de guerre, sous la direction des frères Demal, Browers et
lsmael Cypers, bien des gens ont entendu le message de Ia vérité,
accepté l'Église et reçu le baptême, et
l'oeuvre du Seigneur continue à progresser.
Source
: Jean Lemblé, Dieu
et les Français, éditions Liahona, 1986