Les
mormons sont-ils polygames ?
Jean
Dressayre
Article
mis à jour le 1er janvier 2003
On
associe parfois la pratique de la polygamie au mormonisme, dans la
mesure où cette communauté chrétienne l'a
pratiquée un temps. En effet, de 1852 à 1890, soit
pendant une période de près de quarante ans, la
polygamie était une pratique de l'Église de
Jésus-Christ des saints des derniers jours.
Polygamie
(du grec polus : plusieurs, et gamos : mariage), union légitime
d'un homme avec plusieurs femmes ou d'une femme avec plusieurs
hommes. En fait, le terme « polygamie » est
passé dans le langage courant comme étant l'union
légitime d'un homme avec plusieurs femmes, alors qu'il
faudrait employer, en l'espèce, le terme « polygynie »
(du grec polus : plusieurs, et de gyné : femme, épouse).
La polyandrie étant l'inverse, l'union d'une femme avec
plusieurs hommes.
La
plupart des civilisations asiatiques et africaines d'aujourd'hui sont
polygames. Dans l'Afrique équatoriale, les femmes poussent
elles-mêmes à la polygamie et traitent d'avare un homme
qui, bien que riche, restreint le nombre de ses épouses. Les
Juifs l'étaient. La religion islamique l'a intégrée
dans sa doctrine. La polygamie a existé chez les Slaves sans
aucune loi restrictive jusqu'à l'introduction du
christianisme. Pendant longtemps, l'homme géniteur était
alors admiré en tant que seul détenteur de l'étincelle
vitale de la propagation. La polygamie était la référence
sociale.
Georges
Anquetil, avocat, journaliste et éditeur français du
début du 20è siècle a dit :
« La
plupart des grands hommes de l'histoire furent polygames. Même
ceux qui vécurent sous le régime hypocrite de la
monogamie ne se soumirent ni à son joug ni à ses lois ;
soit qu'ils fussent philosophes comme Platon, Aristote, Bacon ou
Auguste Comte ; soldats comme Alexandre, César, Napoléon
ou Nelson. Soit qu'ils fussent encore poètes comme Goëthe,
Burns, Byron, Hugo, Verlaine, Chateaubriand ou Catulle Mendès ;
hommes d'État comme Périclès, Auguste,
Buckingham, Mirabeau, Gambetta, et bien d'autres grands
contemporains.
« Et
quel fut, pour ces esprits sublimes, le résultat de ce système
hypocrite ? Ce fut qu'il les contraignit à la dissimulation
perpétuelle, au mensonge permanent, tant vis-à-vis de
leur propre femme que vis-à-vis du monde, qu'il les obligea à
cacher leurs enfants et à laisser déconsidérer
celles qui n'étaient que leurs irrégulières
maîtresses, au lieu de les faire respecter comme leurs épouses
! »
Dans
son ouvrage intitulé « Les mensonges conventionnels
de notre civilisation : le mensonge matrimonial », le
docteur Max Nordau écrit également : « Le
mariage, tel qu'il s'est développé chez les peuples
civilisés, repose en principe sur la reconnaissance exclusive
de la monogamie. Mais il semble que la monogamie n'est pas un état
naturel de l'homme et qu'il existe, dès l'origine, une
contradiction entre l'instinct individuel et l'organisation sociale.
Cette contradiction provoque sans cesse des conflits entre le
sentiment et la morale, et fait du mariage un incessant mensonge…
Dans les civilisations monogamiques, et en dépit de la loi,
l'homme vit bien souvent dans un état polygamique de fait,
chargé d'hypocrisie, dès lors qu'il convole en dehors
du mariage. »
Au-delà
de ces considérations mettant en cause le bien-fondé du
système monogamiste, les mormons pratiquent-ils la polygamie
aujourd'hui ? La réponse est sans appel : non ! En effet,
cette pratique fut abolie en 1890 par le président / prophète
de l'époque, Wilford Woodruff. Ceux qui persistèrent
dans cette pratique, malgré la position officielle de
l'Église, furent excommuniés. Néanmoins, aux
États-Unis, il existe encore certaines communautés
religieuses isolées, dissidentes de l'Église de
Jésus-Christ des saints des derniers jours, qui la pratiquent
en toute illégalité.
Après
une tentative d'explication du phénomène social
polygamique, il s'agira de comprendre pourquoi l'Église de
Jésus-Christ des saints des derniers jours enseigna et
pratiqua le mariage plural pendant près de quarante ans.
La polygamie de la nuit des
temps
Saint-Augustin
écrivait : « Si la polygamie est aujourd'hui
criminelle, c'est que l'usage en est aboli ; quel crime peut-on
reprocher à Jacob d'avoir eu plusieurs femmes ? Si vous
consultez la nature, il ne s'en est servi que pour avoir des enfants,
et non pour contenter sa passion. Si vous vous référiez
à la coutume, elle autoriserait la polygamie ; nulle loi
ne l'inetrdirait. Pourquoi est-elle un péché,
aujourd'hui ? C'est qu'elle est contraire à la loi et aux
coutumes. »
Avant
d'être « criminelle », dans le sens où
elle est punie par la loi sociale dans la plupart des pays
occidentaux, la polygamie trouve son origine et sa justification à
différents niveaux.
La
polygamie engendrée par le système divino-patriarcal
Selon la Bible, Dieu créa
l'homme duquel il tira une côte de laquelle il créa la
femme. L'homme était avant la femme et fut appelé par
Dieu pour être le Seigneur de la terre entière. Ève
fut sa compagne et la mère de tous les vivants. Ce concept
biblique est probablement à l'origine du système
patriarcal qui domine encore la plupart des rapports entre l'homme et
la femme. Selon ce concept, l'homme Adam est le Seigneur de la
terre ; la femme Ève est la génitrice de
l'humanité. Chacun semble avoir un rôle prédéfini
depuis la nuit des temps. Une interprétation sociologique plus
rationnelle montre la complémentarité de l'homme et de
la femme et, d'une certaine manière, l'égalité
des deux sexes puisque leurs tâches, différentes, est de
valeur égale.
Cette
différenciation et cette égalité sont basées
sur le principe suivant : « Les hommes font vibrer une
énergie qui est essentiellement dirigée vers le dehors,
une force centrifuge ayant besoin de s'exprimer dans une activité
exigeant une force physique comme le labourage, la chasse, la
construction… tandis que l'énergie produite par la
femme est centripète, allant de l'extérieur vers
l'intérieur. Elle trouve son utilisation dans tout ce qui
concerne les arts ménagers et joue un rôle essentiel
dans l'harmonisation des liens dans la communauté. Lorsque ces
deux énergies sont respectées, les hommes et les femmes
vivent en harmonie. » (Théorie de Malidoma,
intellectuel du Burkina-Fasso, source : Reutler Textline
Independent).
Selon la
théorie de droit divin, Dieu a commandé à
l'homme et à la femme de remplir la terre de leur postérité ;
c'est un devoir pour la femme que de donner des enfants à son
mari ; si elle n'y parvient pas, alors l'homme peut se tourner
vers une autre femme. Théorie qui mène tout
naturellement à la polygamie. Aux temps de l'Ancien Testament,
la pratique de la polygamie était intégrée dans
les moeurs et les lois. Il s'agissait pour les hommes et les femmes,
en tout premier lieu, de l'accroissement de la famille et toute autre
considération cédait à tel point devant celle-là
que, loin d'être jalouse, l'épouse saluait avec joie la
naissance de tout enfant, fût-il d'une autre femme.
Bien que l'Église
catholique (alors omnipotente dans les affaires religieuses) ait fixé
la monogamie comme seule forme de mariage, des princes et des grands
hommes du moyen âge, et ceux d'une époque plus récente
encore, se procurèrent sa bénédiction pour avoir
plusieurs femmes. Les rois mérovingiens Clotaire 1er,
Charibert 1er, Pépin 1er, et plusieurs Francs de haut rang
étaient polygames et l'Église ne leur en fit aucun
reproche. Luther, initiateur du protestantisme, déclarait :
« Je dois reconnaître que je ne puis défendre
à personne de prendre plusieurs femmes, puisque cela n'est pas
défendu dans les saintes Écritures. »
Conformément à cette règle, il donna même
à Philippe de Hesse, gouverneur du Land de Hesse,
l'autorisation de prendre une deuxième femme au moment où
son épouse accouchait de son neuvième enfant.
Plus
tard, des théologiens luthériens cherchèrent à
excuser cette mesure en faisant ressortir comme « circonstance
atténuante » la difficulté qu'il y avait de
prouver que la bigamie fût défendue par la Bible, vu que
l'Ancien Testament reconnaissait la polygamie et qu'elle ne fut pas
formellement interdite par le Nouveau Testament.
La
polygamie engendrée par la nécessité
démographique
Au
sortir de la Grande Guerre (1914-1918), Georges Anquetil publia en
1922 un essai sur le mariage polygamique qu'il dédia « aux
parlements de tous les pays, mais principalement aux parlements
européens, pour attirer leur attention à la fois sur
l'ampleur du problème sexuel et sur les dix-huit millions
d'Européennes que le surnombre des femmes, le massacre des
hommes et l'égoïsme de la monogamie condamnent aux
misères physiologiques et morales du célibat. »
À cette même époque, le sénateur français
Hugues Le Roux disait : « D'après les résultats
du dernier recensement publiés à l'Officiel, nous
comptons, en France, quatre demoiselles à marier pour un homme
en âge de les épouser dans les conditions
d'avant-guerre. » Il réclama l'abrogation de
l'article 340 du Code Pénal (actuel 433-20) interdisant et
punissant la bigamie et, à fortiori, la polygamie : à
situation exceptionnelle, proposition exceptionnelle. Georges
Anquetil, qui pensait alors à la solution polygamique comme
remède aux maux sociaux de l'après-guerre, s'adressant
aux parlementaires français de l'après Grande-Guerre,
dit ceci : « Dès lors, allez-vous, Messieurs
les Gouvernants, qui avez voulu assumer la lourde responsabilité
d'être les dirigeants, allez-vous exposer à cet état
obligatoire des millions de jeunes femmes, ainsi condamnées à
la stérilité ou à la maternité
illégitime, que votre morale réprouve ? Jadis, les
Anciens élevèrent des statues à Hymen (divinité
grecque qui présidait au mariage) avec cette inscription sur
le piédestal : « À Hymen, qui retarde la
vieillesse ». Aujourd'hui allez-vous laisser le mariage
impossible à ces millions d'innocentes qui, elles aussi, ont
droit à l'amour légitime. »
Quand,
à la suite des guerres du Péloponèse, Athènes
souffrit d'une pénurie d'hommes avec un surcroît de
femmes, le Sénat institua la polygamie pour refaire la race.
Athènes, qui eût sans doute disparu sans la loi de
bigamie, retrouva ainsi sa force et sa splendeur. Un autre exemple
historique illustre la pratique de la polygamie : Bien que le
code des lois de l'empereur Charles Quint punît la bigamie de
la peine de mort, elle n'en fut pas moins non seulement légalement
autorisée, mais même formellement réintroduite
cent ans plus tard en Allemagne. La cause doit en être cherchée
dans l'immense diminution de la population masculine qui suivit la
guerre de trente ans, lorsque de 16 à 17 millions d'habitants,
ce chiffre descendit à quatre millions. La diète
franque de Nuremberg prit, le 3 février 1650, la décision
suivante : « Puisque le besoin du Saint-Empire romain
exigeait le remplacement de la population masculine détruite
par l'épée, la maladie et la faim, il serait permis à
chaque homme, pendant les dix années suivantes, de se marier
avec deux femmes. Il convient cependant de rappeler que tout citoyen
honorable à qui il est donné de prendre deux épouses
doit non seulement pourvoir à leur entretien d'une façon
convenable, mais aussi empêcher tout sentiment d'hostilité
entre elles. »
Louis
Forest, journaliste français du début du 20è
siècle, a dit : « Si l'on examine les faits dans
l'histoire, on constate que les peuples à civilisations
brillantes ont eu recours à la polygamie à la suite des
guerres pour combler les vides et donner des familles aux femmes
seules. »
La
polygamie au secours du droit patrimonial d'héritage
Le Pape Grégoire II,
dans une décrétale en 726, reconnaît dans
certains cas la nécessité de la polygamie quand il dit
: « Quand un homme a une épouse infirme, incapable
de fonctions conjugales, il peut en prendre une seconde, pourvu qu'il
ait soin de la première. » À ce propos,
Voltaire (écrivain et philisophe français du 18è
siècle) écrivit : « C'est la loi de
n'avoir qu'une femme, loi positive sur laquelle paraît fondé
le repos des États et des familles dans toute la chrétienté.
Mais loi quelquefois funeste et qui peut avoir besoin d'exception
comme tant d'autres lois. Il est des cas où l'intérêt
des familles et même de l'État demande qu'on épouse
une seconde femme du vivant de la première, quand cette
première ne peut donner un héritier nécessaire.
La loi naturelle se joint au bien public, le but du mariage étant
d'avoir des enfants. »
La
polygamie engendrée par les nécessités
politiques
La loi
promulguée le 29 septembre 1916 fut l'une des plus
extraordinaires que le Parlement français ait jamais votées.
Elle tient en quatre lignes : « Les natifs des communes de
plein exercice du Sénégal et leurs descendants sont et
demeurent des citoyens français soumis aux obligations
militaires prévues par la loi du 19 octobre 1915 ».
C'était alors sans penser que la plupart des citoyens
sénégalais visés par cette loi étaient
polygames, aussi, pour régler ce problème, le
gouvernement français publia un décret d'application.
Décret qui porte les signatures du président de la
République, de monsieur Georges Clémenceau, président
du Conseil, de monsieur Henry Simon, ministre des colonies et de
monsieur Nail, Garde des Sceaux. Décret qui, dans son article
V, reconnaît expressément le droit à la polygamie
: « L'indigène qui désire acquérir la
qualité de citoyen français doit se présenter
devant l'administration du cercle où il réside pour
former sa demande. Il indique s'il désire faire bénéficier
ses femmes et ses enfants de la faveur qu'il sollicite pour
lui-même ». Loi et décret établis pour
une cause, certes, exceptionnelle, mais qui n'en fut pas moins une
reconnaissance de la polygamie par les pouvoirs publics français.
Les drames de la pratique
polygamique
Au-delà
des multiples « avantages » qui viennent d'être
évoqués, engendrés par de réels besoins
sociaux, il est clair que le système polygamique a des
conséquences souvent dramatiques.
On
sait que la femme occidentale des siècles passés était
une femme soumise qui ne vivait que par et pour son époux.
Elle n'avait absolument aucun rôle dans la société.
Les institutions religieuses étaient un moyen d'inculquer aux
femmes cette infériorité d'esprit. Jules Ferry écrit,
dans son « Discours sur l'égalité
d'éducation » de 1870, que la femme doit se libérer
de l'Église pour s'affranchir de cet esclavage de la société
patriarcale. Il nous dit que « les évêques le
savent bien : celui qui tient la femme, celui-là tient
tout, d'abord parce qu'il tient l'enfant, ensuite parce qu'il tient
le mari… C'est pour cela que l'Église veut retenir la
femme, et c'est pour cela qu'il faut que la démocratie la lui
enlève. » L'Église a joué un rôle
important dans l'établissement du rôle subordonné
de la femme dans la société de son temps. Dans ce sens,
la polygamie aggrave considérablement la situation de la
femme.
Théoriquement,
un homme polygame doit traiter ses femmes de manière égale.
Elles sont supposées partager le même homme, de manière
équitable, quel que soit leur âge. Elles sont supposées
recevoir le même apport financier et leurs enfants devraient
tous avoir droit à une éducation. Malheureusement cette
« loi » (ni loi religieuse ni loi sociale
puisque le système légal des pays qui l'autorisent ne
la met pas en application) est ignorée par la plupart des
hommes polygames. Il arrive donc qu'une co-épouse obtienne
plus de faveurs qu'une autre. À ce moment-là, jalousie
et compétition entrent en jeu et les femmes délaissées
par leur mari sont condamnées à rester passives car il
est trop tard pour elles de refaire leur vie. Il arrive également
que les enfants soient touchés par cette inégalité
de traitement quand l'apport financier du mari est insuffisant pour
que tous ses enfants aillent à l'école. Il y a alors du
favoritisme et la tension s'accroit entre les membres d'une même
famille. Il est évident que dans ce cas-là, la
polygamie est esclavagiste car la mauvaise condition de la femme est
causée par son époux qui préfère
satisfaire son besoin sexuel plutôt que d'améliorer la
condition de celle-ci.
Cette
négativité est exprimée par Robert, un Kenyan,
dont le père épousa quatre femmes dont il eut trente et
un enfants. Malheureusement pour Robert, son père fut
incapable de subvenir aux besoins de toute sa famille. Il nous dit à
ce propos : « Dans les moments où la
nourriture se faisait rare, chacune des co-épouses ne
s'occupait que de ses propres enfants au lieu de partager avec les
autres, pendant que mon père avait tendance à
disparaître jusqu'à ce que le pire de la situation soit
enfin passé. » (Plural Marriage For Our Times, 113)
Enfin, quel sens donner à
la polygamie dès lors que la stérilité touche
l'homme. La théorie majeure qui la justifie, celle de son rôle
procréateur, est alors anéantie.
Bonne
ou mauvaise conception de la vie familiale, la polygamie ne fait en
tous cas pas l'unanimité, pourtant elle fut l'une des
pratiques des saints des derniers jours, peuple dont on sait qu'il
est aujourd'hui l'un des modèles de la réussite
familiale, sociale et économique.
La
polygamie mormone
Dès
1831, Joseph Smith eu une révélation à propos du
mariage plural et n'en parla qu'à un petit nombre. En 1840, la
doctrine fut enseignée à quelques dirigeants de
l'Église mais resta encore secrète car elle paraissait
difficile à comprendre pour les mormons eux-mêmes qui
avaient une culture monogamique. Le 12 juillet 1843, le prophète
fit mettre par écrit cette révélation et la fit
lire à un plus grand nombre. Cela causa de grandes dissensions
internes et de nombreuses critiques à l'extérieur. La
frange anglo-saxonne de l'Église, alors très nombreuse,
s'opposa au mariage plural, quoique celui-ci n'eût jamais été
interdit ni par l'État ni par la Constitution fédérale.
Dans l'Église, un
grand nombre d'hommes parmi les plus fermes s'opposèrent au
prophète à cause de cette révélation et
nombreux quittèrent l'Église. Aucun des enseignements
de l'Église ne se heurtait d'une manière aussi directe
à l'ordre social de l'époque et ne suscitait une
hostilité aussi violente. Devant tant d'opposition, cette
révélation, dont bon nombre de fidèles avaient
déjà pris connaissance, ne fit pas, à ce moment
là, l'objet d'une déclaration officielle. Ce n'est que
lors d'une conférence qui se tint les 28 et 29 août 1852
à Salt Lake City, que la doctrine du « mariage
plural » fut annoncée pour la première fois
en public. La révélation faite à Joseph Smith
sur ce sujet fut lue, et les limites et restrictions de cette loi
furent expliquées.
Le
rôle de l'homme et de la femme selon la Bible
De
retour aux sources bibliques, la doctrine mormone privilégie
l'épanouissement des individus, hommes et femmes, s'éloignant
ainsi des interprétations machistes du rôle primaire de
la femme, rôle entretenu notamment par les Églises.
Hommes et femmes sont les éléments majeurs d'une même
famille, la leur. Chacun a des responsabilités différentes
et complémentaires, égales en valeur.
Le
but premier de l'existence est le développement de la
personnalité humaine à sa capacité maximale de
bonheur, aussi cet accomplissement passe généralement
par l'expérience de la paternité et de la maternité
dans le cadre du mariage. Le plus grand développement du genre
humain s'accomplirait là où tous les hommes et toutes
les femmes, mentalement et physiquement aptes, se marieraient et
deviendraient parents. Dans cet état d'esprit, et dans la
mesure où le nombre d'hommes et de femmes est sensiblement
identique, la loi de la monogamie s'impose. C'est ce genre de loi que
donna le Seigneur aux Néphites : « ...car tout
homme parmi vous n'aura qu'une femme ; et de concubine il n'en
aura aucune » (Livre de Mormon, Jacob 2:27). Par contre,
si le nombre de femmes est supérieur, alors la polygamie
serait une des solutions sociales à ce propos.
Pour
la plupart des mormons de cette époque, le seul souci était
l'accomplissement maternel et paternel. Aussi, le mariage plural se
trouvait-il être la solution tant que persistait un grand
déséquilibre entre le nombre des femmes et celui des
hommes. En effet, dans les premiers temps de l'Église, un
nombre plus important de femmes s'était joint à
l'Église. De plus, les mormons étaient complètement
isolés des autres confessions dans la mesure où ils
disaient détenir une « autre Bible » (Le
Livre de Mormon). Dans ces conditions-là, trouver un bon mari,
dans les liens du mariage, était une chose quasi-impossible.
Par ailleurs, afin d'éviter tout débordement de type
immoral, le mariage plural ne fut à aucun moment donné
comme loi générale pour l'Église entière ;
il ne fut pratiqué que par une minorité de la
population masculine. L'autorisation de le pratiquer était
donnée par le président de l'Église à
ceux qui étaient connus pour être capables de vivre la
loi en toute bonne moralité. Il est un fait historique
indéniable que, grâce au mariage plural, la plupart des
femmes, destinées à mourir célibataires, furent
intégrées dans une cellule familiale, avec le
consentement de la première épouse, et eurent, pour la
plupart d'entre elles, la joie de connaître la maternité.
Les atteintes à
l'ordre social établi
La
pratique du mariage plural produisit des remous considérables
dans la presse et devint le centre des attaques des ennemis de
l'Église. Comme l'Utah était un territoire des
États-Unis et que les lois des territoires étaient
déterminées par le Congrès, la discussion de la
polygamie fut portée devant cette institution et devint
l'argument principal contre l'admission de l'Utah comme État.
Les attaques contre l'Église devinrent si violentes que le
Congrès, sous l'influence de dirigeants politiques hostiles à
l'Église et de la presse, vota une loi contre la bigamie dont
le but était de supprimer la polygamie chez les mormons. Loi
du 2 juillet 1862 à partir de laquelle le président
Lincoln signa, le 8 juillet suivant, un décret (avec effet
rétroactif de 3 ans) interdisant, sur le champ, la pratique de
la polygamie sous peine d'amende de 500 dollars et de 5 ans de
prison. Mais comme les mormons gardaient secrets les registres d'État
civil tenus par eux depuis leur installation en Utah, ce décret
fut inapplicable car on ne put jamais prouver qu'une union
polygamique avait été célébrée
depuis moins de 3 ans. Aussi la polygamie continua comme par le
passé.
L'opposition
à l'Église et à la polygamie continua malgré
tout et en 1882 celle-ci prit une telle dimension qu'elle déboucha
sur des persécutions telles qu'on les désigna, par la
suite, sous le nom de persécutions dioclétiennes. Comme
on ne pouvait toujours pas faire la preuve des unions polygamiques,
une loi spéciale contre la cohabitation fut votée le 22
mars 1882 (loi Edmunds' Bill), d'après laquelle celui qui
cohabitait avec plus d'une femme était passible de six mois de
prison, de la perte du droit de vote et de certains droits civils. La
chasse aux cohabs (cohabitants) devint l'occupation principale des
anti-mormons et des fonctionnaires. L'Utah fut alors le théâtre
de scènes dramatiques : il y eut des assassinats de cohabs,
des emprisonnements de femmes qui, voulant sauver leur mari et rester
fidèles à leur religion, observaient un mutisme absolu
devant les tribunaux, ou se parjuraient sans hésitation. Telle
jeune femme, son bébé dans les bras, affirmait ignorer
le père de son enfant quand celui-ci, le plus souvent, était
à quelques pas sur le banc des accusés. Tel enfant
déclarait ignorer son père ; telle mère
jurait ne pas connaître le père de l'enfant de sa fille.
Un peu plus tard, en mars
1887, le Congrès passa une mesure encore plus draconienne pour
supprimer la polygamie, mesure appelée la « loi
Edmunds-Tuker ». Cette loi prévoyait la dissolution
de l'Église et la confiscation de tous ses biens si celle-ci
persistait à autoriser la polygamie. Conséquence fatale
pour la survie de l'Église. La constitutionnalité de la
loi fut mise en doute, mais la Cour suprême des États-Unis
la confirma constitutionnelle dans une décision du 3 février
1890. Au milieu de ces difficultés éprouvantes, Wilford
Woodruff, qui venait d'être soutenu comme nouveau président
de l'Église l'année précédente (le 7
avril 1889), invoqua le Seigneur en prière. Il reçut en
réponse une révélation suspendant le mariage
plural.
Les lois contre
la polygamie avaient imposé aux fidèles de l'Église
un grand dilemme : soit ils obéissaient la loi divine, soit à
la loi civile. La révélation fut pour eux un grand
soulagement. Le 25 septembre 1890, le président Woodruff
proclamait un « Manifeste » qui mettait fin à
la célébration des mariages pluraux dans l'Église
et demandait aux fidèles d'obéir désormais à
la loi du pays.
Le
résultat du Manifeste provoqua immédiatement un
changement notable dans l'attitude de l'opinion publique à
l'égard de l'Église. Le 4 janvier 1893, le président
des États-Unis, Benjamin Harrison, lança une
proclamation d'amnistie en faveur de ceux qui avaient contracté
des mariages pluraux avant le 1er novembre 1890. Trois ans plus tard,
lorsque l'Utah obtint le statut d'État, les biens fonciers de
l'Église qui avaient été confisqués par
le gouvernement lui furent restitués.
Ainsi,
pendant près de quarante ans, les mormons pratiquèrent
la polygamie pour essentiellement trois raisons. La première
était d'ordre spirituel, la paternité et la maternité
dans le mariage devant Dieu sont des dons divins qui ennoblissent
l'âme et la préparent à devenir éternelle
dans les cieux. La deuxième raison était favorisée
par le déséquilibre qui existait alors entre le nombre
de femmes et celui des hommes. Enfin, l'isolement social des premiers
mormons était tel que trouver un mari en dehors de l'Église,
avec de surcroît des idées religieuses similaires, était
quasiment impossible et, de plus, fort déconseillé.
Il semble qu'on ne puisse pas
comparer la pratique de la polygamie chez les pionniers mormons du
19e siècle avec celle des autres civilisations la pratiquant.
La polygamie ne semble être une possibilité heureuse que
chez les peuples très saints. Sa loi vaut ce que valent les
hommes qui l'appliquent.
D'autre
part, et parce qu'elle a un but bien déterminé chez ces
peuples : celui de subvenir aux besoins matériels,
affectifs, psychologiques et physiologiques des femmes seules, la
polygamie ne peut être pratiquée que par des hommes
capables de faire face à ce type de besoins. C'est d'une
évidence arithmétique. Évidence qui rend les
hommes inégaux dans la mesure où tous ne sont pas
capables de vivre une telle loi. C'est la considération élevée
que le mormon a de la femme qui fait la différence. Pour s'en
rendre compte il suffit de lire le témoignage d'une femme
mormone des années 1860, témoignage certes subjectif,
mais néanmoins très significatif du type de polygamie
pratiquée chez les mormons à cette époque-là.
C'est le professeur Jules Rémy qui écrivait en 1860 à
propos de la polygamie pratiquée à ce moment-là
chez le peuple mormon :
« J'ai
eu l'occasion de m'entretenir sur ce sujet délicat avec une
femme distinguée parmi les mormons qui, avec un air sincère
et une conviction assurée, défendait la doctrine
nouvelle et relevait les objections qu'on lui faisait.
« Pourquoi donc, me
disait-elle, rougirais-je d'accepter le dogme de notre foi que la
majorité des chrétiens rejette avec tant de mépris
et de hauteur ? N'ai-je pas la Bible pour moi ? Cette Bible, que je
suis habituée à considérer comme sacrée
depuis mon enfance, n'est-elle pas polygamiste ? J'y vois, dans
cette Bible, qu'un saint homme, assurément un ami de Dieu, un
homme fidèle en toutes choses, un homme qui observa toujours
les commandements de Dieu, qui est appelé dans le Nouveau
Testament le père des fidèles, Abraham, en un mot,
était polygame. Que quelques-unes de ses femmes fussent
appelées concubines, qu'importe, elles n'en étaient pas
moins ses femmes, et la différence du nom ne fait rien à
la chose. Et Jacob, son petit-fils, n'était-il pas aussi un
homme selon Dieu ? Le Seigneur ne le bénit-il pas ? Ne lui
commanda-t-il pas de se multiplier ? Or Jacob, si je ne me trompe,
posséda quatre femmes, dont il eut douze fils et une fille.
Qui oserait dire que Dieu condamna ces alliances multiples et les
fruits qui en provinrent ?
« Les
douze fils que Jacob eut de ses quatre femmes devinrent princes,
chefs de tribus, patriarches, et leurs noms sont conservés
dans la mémoire de toutes les générations. Voyez
encore : Dieu s'entretint mainte fois avec Abraham, Isaac et Jacob ;
ses anges aussi les visitèrent, s'entretinrent avec eux et les
bénirent, eux, leurs femmes et leurs enfants. Faisaient-ils le
mal ? Dieu leur reprocha leur péché quand ils eurent
vendu par haine Joseph leur frère ; il ne les épargna
pas non plus quand il s'agit de l'adultère. Mais dans ses
communications avec eux, il ne lui est jamais arrivé de
condamner l'organisation de la famille telle qu'elle existait parmi
eux. Au contraire, il l'approuve en toute occasion, et ne lui refuse
jamais ses bénédictions. Il dit même à
Abraham qu'il le rendrait père d'une multitude de nations, et
qu'en lui et en sa postérité toutes les nations de la
terre seraient bénies. Plus tard, je vois la pluralité
des femmes perpétuée, règlementée dans la
loi de Moïse, et tout arrangé en conséquence.
« David, le
psalmiste, non seulement avait plusieurs femmes, mais le Seigneur
lui-même lui parla par la bouche du prophète Nathan, et
lui dit que, puisqu'il avait commis l'adultère avec la femme
d'Urie et qu'il avait fait commettre un meurtre, il lui reprendrait
toutes les femmes qu'il lui avait données et les donnerait à
un de ses voisins. Cela ne se lit-il pas en toutes lettres dans le
12e chapitre du 2e livre des Rois, versets 7 à 11 ? Ainsi nous
avons ici la parole de Dieu qui ne sanctionne nullement la polygamie.
De plus, nous le voyons agir de la sorte : il donna à David
les femmes de son maître Saül, puis les lui enleva et les
donna à un autre homme. Voyez si le fait n'est pas concluant :
dans cet exemple, Dieu blâme et punit l'adultère et le
meurtre, tandis qu'il autorise et approuve la polygamie. Si l'on
croit à la Bible, il faut pourtant, ce me semble, tenir compte
de cela. Quel est donc le but
du mariage ? C'est sans doute de multiplier l'espèce, d'élever
et d'éduquer des enfants. Dans cette alliance, la femme n'est
pas qu'un instrument de plaisir et de désir charnel, elle est
vouée à un objectif plus noble.
« La
moralité de la nature apprend à la mère que dans
la phase du développement de l'enfant qu'elle porte dans son
sein, son coeur doit rester pur, ses pensées et ses affections
chastes, son esprit calme et tranquille ; tandis que son corps
doit se livrer à toutes sortes d'exercices propres à
entretenir la santé et les forces, et se soustraire à
tout ce qui pourrait troubler, irriter, affaiblir ou épuiser
les fonctions de l'organisme.
« Quant
au mari, lorsqu'il est bon, il doit nourrir, soutenir, consoler la
femme de son coeur, par toutes les bontés, par toutes les
attentions que lui permet sa position, et tout cela avec toute
l'affection de la tendresse. Il doit également s'abstenir de
toute relation physique avec sa femme le temps de sa période
de grossesse et quelque temps même après l'accouchement,
cela conformément aux lois physiologiques féminines,
lois que nous rencontrons aussi dans presque tout le monde animal.
Malheureusement, il n'y a que l'espèce humaine qui enfreigne
encore ces lois.
« La
polygamie, quoique vous puissiez penser, place la femme de notre
société dans une situation plus morale que celle qui
lui est faite par la plupart des sociétés chrétiennes,
où l'homme, riche de ses moyens, est tenté de les
dépenser en secret avec une maîtresse, de façon
illégitime, tandis que la loi de Dieu la lui aurait donnée
comme une honorable épouse. Tout cela engendre le meurtre,
l'infanticide, le suicide, les remords, le désespoir, la
misère, la mort prématurée, en même temps
qu'un cortège de jalousies, de déchirements de coeur,
de défiances au sein de la famille, de maladies contagieuses,
etc. Enfin, cela conduit à cet horrible système de
tolérance légale dans lequel les gouvernements
prétendus chrétiens délivrent des patentes à
leurs filles de joie pour les autoriser, je ne dirai pas à
imiter les bêtes, mais à se dégrader bien
au-dessous, car tous les êtres de la création, à
l'exception de l'homme, s'abstiennent de ces abominables excès
et observent dans leur reproduction les sages lois de la nature.
« Chez les mormons,
dans l'ordre patriarcal du gouvernement de la famille, l'épouse
honore son mari. Elle porte toutes ses affections vers son Dieu, son
mari et ses enfants. Le mari doit garder les commandements de Dieu et
observer sa loi. Il ne doit point commettre l'adultère ni
prendre de libertés avec d'autres femmes que celles qui
deviennent les siennes par l'institution sacrée du mariage. Il
s'ensuit que la loi d'Abraham et des patriarches ne tolère ni
la licence, ni l'adultère, ni la fornication, ni les maisons
infâmes où s'organise le trafic de la femme.
« Dans
cette société, ni l'argent ni le plaisir ne peuvent
tenter la femme parce qu'elle trouve toujours une porte ouverte à
des relations honorables de mère et d'épouse, au sein
de quelque famille vertueuse, où elle rencontre l'amour, la
paix et le bien-être. J'ai pour mari un homme bon et vertueux
que j'aime de toute mon âme et avec qui j'ai quatre petits
enfants, qui nous sont chers au-delà de toute expression. En
outre, mon mari a sept autres femmes vivantes et une qui est allée
vers un meilleur monde ; et avec cela il n'a pas moins de
vingt-cinq enfants. Toutes ces mères et tous ces enfants me
sont attachés par de doux liens, par une mutuelle affection,
par nos rapports et notre association. Les mères me sont
devenues particulièrement chères à cause de leur
tendresse fraternelle pour moi et des fatigues et souffrances que
nous avons partagées en commun. Nous avons chacune nos petits
défauts dans cette vie, mais je sais qu'elles sont de bonnes
et dignes femmes, et que mon mari est un bon et digne homme, qui
gouverne sa famille comme un Abraham. Il cherche à nous rendre
toutes heureuses. Il nous enseigne la loi du Christ ; et soir et
matin, il nous rassemble autour de lui pour faire la prière en
famille. Quant à celles
qui sont mariées et qui n'ont pas d'enfants pour des raisons
que seul Dieu connait, la polygamie est encore un bénéfice
pour elles puisqu'elles sont étroitement associées à
notre maternité et nos enfants sont un peu les leurs grâce
à l'amour et au respect qui nous unissent. »
Conclusion
Les premiers rois francs
étaient polygames. D'après les historiens, Clotaire
possédaient six femmes et le populaire Dagobert en épousa
trois en deux ans. Ces derniers avaient-ils le noble souci du bien
être de leurs épouses où le seul souci de leur
plaisir personnel ? Là se résume l'esprit de la
polygamie et son contraire : la considération de la femme.
Polygame ou monogame, ce n'est
pas le système marital qui fait le bonheur ou le malheur d'une
femme, mais la façon dont son mari, polygame ou monogame, se
comporte avec elle. Les mormons du 19e siècle ont su appliquer ce principe.
Loi
divine, nécessité sociale, nécessité
politique ou égoïsme masculin, la polygamie reste
néanmoins une pratique conjugale marginale. Cette pratique semble ne
produire le bonheur de ses protagonistes qu'à la seule
condition que ces derniers vivent selon des principes moraux élevés.
N'est-ce pas aujourd'hui ce dont manquent cruellement nos sociétés
?