Mercy Thompson et la révélation sur le mariage



par Jed Woodworth, le 2 janvier 2015




Robert Thompson était à l’aube de la vie lorsqu’il est décédé contre toute attente à l’automne de 1841, victime de la malaria qui a emporté tant de saints des derniers jours dans les marécages pleins de moustiques sur les rives du Mississippi. Secrétaire particulier de Joseph Smith et co-rédacteur du journal de l’Église, Times and Seasons, Robert Thompson semblait avoir un avenir brillant. Un jour, il était en bonne santé. Dix jours plus tard, il disparaissait, à l’âge de trente ans, laissant désormais seules sa femme et sa fille de trois ans.

Robert Thompson n’était pas un homme difficile à aimer. Ses amis se souvenaient de lui comme d’un « mari aimant, un père tendre et un ami loyal et fidèle » [1]. Sa femme, Mercy, admira son courage jusqu’à la fin. « Il a enduré ses souffrances avec beaucoup de patience, pas un murmure ne s’échappa de ses lèvres. » Il a passé ses derniers moments, dit-elle, témoignant qu’il n’avait pas suivi des fables astucieusement élaborées, mais qu’il avait été élevé du fumier pour s’asseoir parmi les princes. [2]

La mort prématurée d’un membre de la famille est un événement bien trop courant dans l’histoire humaine. Souvent, c’était la mort d’une femme à l’accouchement qui laissait ses petits sans la douce caresse de la main de leur mère. Ce n’est qu’au vingtième siècle que la plupart des familles du monde industrialisé pourront espérer ne pas perdre un nourrisson ou un jeune enfant suite à un accident ou une maladie. Depuis le début des temps, la mort était tapie comme un rappel de la fragilité de la vie et de notre aspiration à sa poursuite.

Sur et contre cette culture de la mort, une révélation reçue par Joseph Smith a promis que nos relations les plus chères peuvent persister dans l’au-delà. Les mères et les pères, les épouses et les maris, les parents et les enfants peuvent être réunis, nos liens de parenté et d’amitié peuvent durer pour l’éternité. Les termes remarquables de ces promesses se trouvent dans cette révélation, appelée aujourd’hui Doctrine et Alliances 132.

Le ciel et la terre

Deux conceptions principales du ciel ont prédominé au cours des deux mille ans de l’histoire chrétienne [3]. La plus commune imagine des anges seuls et solitaires, adorant et louant Dieu en union parfaite. Cette vision établit une forte distinction entre cette vie et la suivante et privilégie le rôle de l’intelligence dans l’au-delà. L’accent est mis sur la contemplation de Dieu et de sa grandeur, et non sur les relations humaines. Les liens terrestres sont temporels et ainsi destinés à prendre fin à la mort. [4]

L’autre conception principale met l’accent sur la présence des amis et de la famille dans l’au-delà. Le culte de Dieu persiste, mais la société de nos êtres chers devient essentielle au bonheur éternel. Les mondes matériels et éternels se chevauchent et la vie ordinaire devient une partie de l’œuvre sainte de Dieu. L’idée d’un ciel social a grandi en popularité pendant le XIXe siècle. L'écrivaine américain Elizabeth Stuart Phelps a capturé le grand attrait de ce point de vue d’une génération qui avait perdu des membres de sa famille prématurément dans la guerre de sécession. Le roman d’Elizabeth Stuart Phelps The Gates Ajar demande : « Serait-ce comme de permettre à deux âmes de progresser ensemble ici, afin qu’un seul jour de séparation provoque une souffrance, puis de les séparer pour l’éternité ? » [5]

La révélation sur le mariage, écrite en juillet 1843 par Joseph Smith, n’essaye pas de modeler la vie après la mort sur la vie sentimentale victorienne comme le fait Elizabeth Stuart Phelps. La révélation a confirmé que les relations humaines continueront, mais seulement sous conditions. Tous les engagements sociaux sont destinés à prendre fin à la mort, sauf s’ils sont faits en vue de l’éternité et accomplis par une personne ayant l’autorité de la prêtrise de sceller sur la terre comme au ciel. La section 132 dit que les mariages qui persistent après la mort sont contractés « pour le temps et pour toute l’éternité » et sont « scellés par le Saint-Esprit de promesse, de la main de celui qui est oint . . . que [Dieu a désigné] sur la terre pour détenir ce pouvoir ». Les gens qui n’entrent pas dans ces alliances, avant la résurrection des morts, deviendront des « anges dans les cieux », désignés pour rester « séparés et seuls. » [6]

Mercy et Robert

Mercy Rachel Fielding est née en 1807 de parents méthodistes pieux qui louaient une ferme dans un petit village rural à 100 kilomètres au nord de Londres. À vingt-quatre ans, elle immigre à York (maintenant Toronto), au Canada, avec son frère aîné Joseph. Bientôt rejoints par leur sœur, Mary, les trois Fielding commencent à assister aux réunions d’un groupe de chercheurs méthodistes qui croyaient que toutes les Églises qu’ils connaissaient avaient perdu leur voie. Quand le missionnaire Parley P. Pratt arrive à York au printemps 1836, les Fielding trouvent la réponse à leur problème. Mercy, Mary et Joseph sont baptisés dans un ruisseau local et déménagent au siège de l’Église à Kirtland (Ohio), au printemps suivant. [7]

Au Canada, Mercy a rencontré Robert Blashel Thompson, dont le parcours était l’exact reflet du sien à bien des égards. Née en 1811 dans le Yorkshire en Angleterre, il s’était joint, jeune homme, à un groupe de dissidents appelé la société méthodiste primitive, qui recherchaient un retour des dons spirituels. Il avait déménagé au Canada en 1834, avait entendu le message de Parley P. Pratt et s’était fait baptiser le même mois que les Fielding. Robert Thompson et Mercy Fielding étaient des âmes sœurs, et ils se marièrent en juin 1837, peu après leur arrivée à Kirtland. [8]

Après le mariage, la sœur de Mercy, Mary commença a fréquenter des cousins de Joseph et Hyrum Smith et de cette façon fit plus ample connaissance avec ces frères, qu’elle a rapidement appris à aimer. Son cœur fut pris de sympathie pour Hyrum quand sa femme, Jerusha, mourut à l’automne de 1837, après un accouchement difficile qui laissa leurs cinq enfants de moins de dix ans sans mère. Joseph interrogea le Seigneur au sujet de ce qu’Hyrum devait faire. La réponse fut qu’il devait épouser Mary Fielding tout de suite. Faisant confiance à l’inspiration de Joseph, Mary épousa Hyrum la veille de Noël 1837. [9]

Par la suite, la vie de Mercy et Robert s'entremêla à celle de Mary et Hyrum. Hyrum dirigea la famille Thompson au cours de leur voyage de 1 600 kilomètres de l’Ohio au Missouri, où les Saints retournèrent en 1838. Plus tard, lorsqu’Hyrum et Joseph étaient incarcérés dans la prison de Liberty, Mercy et Mary ont rendu visite aux prisonniers par une froide soirée de février, apportant avec elles le fils nouveau-né d’Hyrum, le petit Joseph F., le futur prophète. Ayant récemment accouché elle-même, Mercy allaitait Joseph F. quand Mary était trop malade pour le faire. Mercy et Robert gardaient les enfants de Mary et d'Hyrum pendant l’incarcération d’Hyrum, et à Nauvoo, les deux familles avaient construit des maisons côte à côte. [10]

Les familles Smith et Thompson sont devenues encore plus proches après la mort de Robert. Un soir, au printemps 1843, Mercy dormait chez Mary, tenant compagnie à sa sœur pendant qu’Hyrum était loin de Nauvoo pour affaires. Mercy rêva qu’elle se tenait dans un jardin avec Robert. Elle entendit quelqu’un répéter leurs vœux de mariage, bien qu’elle ne pouvait pas distinguer qui parlait. Ayant fait connaissance de la diversité des manières dont Dieu parle, Mercy avait compris que le rêve était un message de Dieu. « Je me suis réveillée le matin profondément impressionnée par ce rêve, que je ne pouvais pas interpréter. » [11]

Plus tard ce soir-là, Hyrum de retour au foyer rapporta avoir eu « un rêve tout à fait remarquable », alors qu’il était loin de chez lui. Il avait vu sa femme décédée Jerusha et leurs deux enfants morts prématurément [12]. Pour Hyrum aussi la signification de son rêve n’était pas plus clair que celui de Mercy. Cependant, la période concordante des rêves était troublante. À son arrivée à la maison, Hyrum trouva un message de son frère Joseph lui demandant de venir chez lui. « À son étonnement », rapporte Mercy, Hyrum découvrit que Joseph avait reçu une révélation déclarant que les mariages contractés pour le temps ne duraient que pour le temps et n’avaient plus lieu d’être jusqu’à ce qu’un nouveau contrat soit fait, pour toute l’éternité » [13]. Cette révélation serait enregistrée par la suite et mise au canon des Écritures comme Doctrine et Alliances 132. [14]

Robert Thompson était mort tout comme Jerusha Smith. Comment un nouveau contrat de mariage pouvait-il être fait lorsqu’un seul des conjoints était vivant ? La réponse de Joseph Smith a été qu’une personne vivante peut se tenir en comme représentante de la personne décédée. Depuis l’automne 1840, les saints avaient accompli des baptêmes par procuration pour des ancêtres décédés avant d’entendre parler de l’Évangile rétabli. Or, le même principe allait s’étendre au mariage. Mari et femme pourraient être « scellés » l’un à l’autre, lié dans les cieux, comme ils avaient été liés sur la terre [15]. Un mariage qui prenait fin avec le temps, « jusqu’à ce que la mort vous sépare », pouvait être accompli de nouveau « pour le temps et pour toute l’éternité », scellé par l’autorité de la prêtrise. De cette façon, le mariage pourrait durer dans l’éternité. [16]

La perspective émerveilla Mercy. Il n'y avait aucun doute que, si elle en avait la possibilité, elle choisirait de passer l’éternité avec Robert. Il lui manquait et elle voulait être près de lui. Il était le genre d’homme qui l’inspirait à devenir la personne qu’elle voulait être, un disciple du Seigneur Jésus-Christ. Elle dit de Robert : « Dans la douceur, l’humilité et l’intégrité il ne pouvait être facilement dépassé si ce n’est égalé. » [17]

Un lundi matin, à la fin mai 1843, Mercy Thompson et sa sœur, Mary, ainsi qu’Hyrum et Joseph Smith, se sont réunis dans une chambre à l’étage de la maison de Joseph. Joseph a scellé Mercy et Robert pour le temps et l’éternité, avec Hyrum représentant Robert. [18] Après cette cérémonie, Joseph scella Hyrum et Mary pour le temps et l’éternité. L’exubérance de Mercy était sans limites. Elle a dit : « Certains pourraient penser que j’envie la Reine Victoria dans certains aspects de sa gloire. » « Mais pas tant que mon nom figure en premier sur la liste des femmes de cette dispensation scellées à un mari mort, grâce à la révélation divine. » [19]

Pluralité

Le scellement de Mercy Thompson à son mari décédé lui a offert un profond réconfort au milieu de la solitude et de l’incertitude. Mais les promesses s’appliqueraient en un lieu éloigné, pour un temps indéterminé où les époux Thompson seraient réunis. Jusque-là, Mercy avait eu une vie à diriger et devait prendre soin d’un enfant. Qui allait subvenir à leurs besoins ? À l’époque où vivait Mercy, peu de professions étaient ouvertes aux femmes. Après la mort de Robert, elle a fait ce que les veuves faisaient depuis des siècles : elle a accueilli des pensionnaires. Elle raconte : « Avec diligence et la bénédiction du Seigneur nous subvenions à nos besoins. » [20]

Cependant, « c’était une vie solitaire » et « être privé de la compagnie d’un tel mari m’a amenée à me lamenter si profondément que ma santé était réellement en danger ». Dans la croyance des saints des derniers jours, la terre est vivante et communique avec les cieux, les anges sont investis dans l’allègement des fardeaux des personnes en deuil. Pendant cet été-là, un ange est apparu à Joseph Smith. C’était Robert Thompson, son ancien greffier. Mercy a raconté qu’il est apparu à [Joseph] à plusieurs reprises lui disant qu’il ne voulait pas vivre une vie de solitude. Mercy se souvint que l’ange a proposé une solution choquante : Hyrum devait lui être scellé pour le temps [21]. En d’autres termes, Robert Thompson a demandé qu’Hyrum prennent Mercy pour épouse pour cette vie, « pour le temps ». Mercy et Robert, en attendant, resteraient scellés dans les éternités.

Au moment de l’apparition ce Robert Thompson, Joseph Smith était engagé dans l’écriture de la section 132, dictant la révélation à son secrétaire William Clayton dans le petit bureau à l’arrière du magasin de briques rouges de Joseph [22]. Joseph connaissait des parties de la révélation depuis longtemps, probablement dès 1831 pendant qu’il travaillait sur sa révision inspirée de l’ancien Testament [23]. Pourquoi, Joseph a-t-il demandé à Dieu, s’il avait justifié Abraham, Isaac, Jacob et les autres personnes qui avaient eu « beaucoup d’épouses et de concubines » ? La réponse n’était pas visible immédiatement parce que l’éducation et la culture de Joseph rejetait le mariage plural. La révélation a répondu simplement et directement : Dieu avait « commandé » le mariage plural, et parce que les patriarches bibliques « n’avaient rien fait d’autre que ce qui leur avait été commandé, ils sont entrés dans leur exaltation. » [24]

La section 132 répond ainsi à une question longtemps débattue dans la culture occidentale. D’un côté il y avait ceux qui soutenaient que Dieu avait approuvé le mariage plural parmi les anciens. Saint Augustin pensait que le mariage plural de l’ancien Testament était un « sacrement » qui symbolisait le jour où les Églises dans tous les pays seraient soumises au Christ [25]. Martin Luther s’accordait à dire qu’Abraham était un homme chaste dont le mariage avec Agar avait accomplit des promesses sacrées de Dieu envers le patriarche [26]. Luther avait émis l’hypothèse que Dieu pourrait approuver le mariage plural dans les temps modernes dans des circonstances limitées. Il a fait remarquer qu’il « n’est plus commandé », « mais n’est pas non plus interdit » [27].

De l’autre côté du débat se tenait ceux qui pensaient que les patriarches de l’Ancien Testament s’étaient égarés dans la pratique du mariage plural. Jean Calvin, contemporain de Luther du XVIe siècle, croyait que le mariage plural pervertissait « l’ordre de la création » établie par le mariage monogame d’Adam et Ève dans le jardin d’Éden [28]. Calvin a eu une influence profonde sur les premières attitudes religieuses américaines. Tous les américains ne convenaient pas que les patriarches bibliques avaient commis une erreur, mais les contemporains de Joseph Smith suivaient massivement Calvin dans la conviction que le mariage pluriel dans les temps modernes était mauvais en toutes circonstances [29].

La section 132 se tenait au-dessus de ce débat, approuvant les actions des patriarches par la voix de Dieu lui-même. Le mariage plural, disait la révélation, avait aidé à accomplir la promesse que Dieu avait faite à Abraham que sa postérité continuerait aussi innombrables que les étoiles [30]. Néanmoins, la révélation poursuit de manière beaucoup plus audacieuse que la justification des patriarches. En tant que postérité d’Abraham, les saints des derniers jours avaient reçu le commandement pendant un certain temps de pratiquer le mariage plural. « C’est pourquoi va, et fais les œuvres d’Abraham. » [31]

Au début Joseph Smith était réticent à contracter le mariage plural, pleinement conscient de la persécution, qu’il apporterait à l’Église. La monogamie était alors la seule forme de mariage légalement accepté aux États-Unis, et l’opposition était sûre d’être ardente. Joseph lui-même devait être convaincu de la pertinence du mariage plural. Trois fois un ange lui est apparu, lui demandant d’agir comme il lui était demandé [32]. Par la suite, il contracta le mariage plural et introduisit le principe à d’autres disciples de Nauvoo, dès 1841. S’engageant dans l’écriture de la révélation lui a permis de répandre plus facilement le message de ce nouveau commandement, qui a été présenté prudemment et progressivement [33].

Mercy et Hyrum

Le mariage éternel avait touché Mercy Thompson beaucoup plus favorablement que le mariage plural. De par sa formation et ses dispositions, elle s’opposait à épouser un homme déjà marié. L’idée de vivre sous le même toit que sa sœur et amie la plus proche, Mary, n’a rien fait pour diminuer son malaise. Joseph envoya Mary discuter du sujet avec Mercy, pensant que ce serait mieux reçu. Le choix d’émissaire n’eut aucun effet. Mercy raconte : « Ce sujet quand on m’en a parlé pour la première fois m’a éprouvé au plus profond même de toutes mes anciennes traditions et toutes les fibres naturelles de mon cœur se dressaient en opposition. » [34]

Puis Hyrum s’adressa à elle. Il comprenait les sentiments de Mercy, il s’était lui-même opposé au mariage plural. Joseph avait cherché à évaluer les sentiments de son frère, retenant cet enseignement difficile et controversé jusqu’à ce qu’Hyrum soit ouvert à la persuasion. Hyrum s’est finalement converti au principe quand il s’est rendu compte qu’il avait épousé sur la terre deux femmes qu’il ne pouvait pas supporter de perdre dans l’éternité. Le même jour, il était scellé à Mary pour le temps et l’éternité, Mary se tenait en tant que représentante lorsqu’il a été scellé à Jerusha, scellant ainsi Hyrum à deux de ses épouses pour l’éternité [35].

On ne demandait pas à Mercy de devenir la femme d’Hyrum Smith pour l’éternité. Le message de Robert Thompson était qu’Hyrum devait épouser Mercy pour le temps ; ou, dans les termes de Mercy, jusqu’à ce qu’Hyrum la délivre le matin du jour de la résurrection à son mari, Robert Blashel Thompson [36]. Le mariage avec Hyrum était comme les mariages lévirat de l’Ancien Testament dans lequel l’homme recevait le commandement d’épouser la femme de son frère décédé [37]. Cette combinaison de pratique patriarcale et d’apparence angélique avaient un sens pour un restaurateur biblique comme Hyrum Smith. Il a dit à Mercy que lorsqu’il avait tout d’abord appris la demande de Robert Thompson, l’Esprit-Saint s’était reposé sur lui [Hyrum] de la couronne de sa tête à la plante de ses pieds [38].

Les saintes des derniers jours qui furent converties au principe du mariage plural à Nauvoo ont souvent rapporté des expériences spirituelles qui confirmaient leur décision. Elles ont vu une lumière, ressenti la paix ou, dans un cas, vu un ange. Mercy Thompson n’a laissé aucune trace de ce genre d’expérience. Elle a dit plus tard, qu’elle croyait en ce principe parce qu’elle pouvait le lire elle-même dans la bible et voir ce qui était pratiqué dans ces jours-là, et le Seigneur l’avait approuvé [39].

Mais la seule logique biblique ne suffisait pas à Mercy. Par la suite Joseph lui-même s’est entretenu avec elle et c’est son témoignage qui l’a conquit. Robert Thompson lui était apparu plusieurs fois, a-t-il expliqué et la dernière fois « avec une telle puissance qu’il trembla ». Joseph n’était pas enclin à agir à la demande au début. C’est seulement après avoir prié le Seigneur et appris qu’il devait faire ce que le serviteur du Seigneur avait requis, qu’il parla de la vision à Hyrum [40].

Croyant aux dons spirituels, Mercy Thompson eu confiance que son mari décédé avait communiqué [41]. Et, après des années à observer attentivement Joseph Smith, elle croyait qu’il était « trop sage pour tromper et trop bon pour être désagréable » [42]. Elle conclut que la demande de se marier à Hyrum, était « la voix du Seigneur parlant par la bouche du prophète Joseph Smith. » [43]

Joseph Smith prenait au sérieux les protestations de femmes comme Mercy Thompson. Personne, ni homme ni femme, ne trouvait le mariage plural facile à accepter à la première écoute [44]. Joseph n’a pas obligé les femmes à accepter le mariage plural par la force de son propre commandement, pas plus qu’il l’a fait pour les hommes [45]. Les hommes et les femmes étaient encouragés à réfléchir et à prier et prenaient leur propre décision. Mercy réclama l’exemplaire manuscrit de la révélation écrite sur du papier et le garda dans sa maison pendant quatre ou cinq jours, étudiant son contenu dans son esprit [46]. Ce n’est qu’après beaucoup de prières et de méditation qu’elle donna son consentement. Le 11 août 1843, Joseph Smith maria Hyrum et Mercy chez Mary et Hyrum au coin de Water et Bain Streets à Nauvoo. Sur la recommandation de Joseph, Hyrum construisit une pièce supplémentaire à la maison et Mercy y emménagea.

Temps et éternité

Pendant leur courte vie ensemble, les projets d’Hyrum devinrent les projets de Mercy et vice versa. Mercy aida à rédiger les paroles inspirées qui émanait de la bouche d’Hyrum, comme il bénissait les membres de l’Église dans son rôle de patriarche de l’Église. Le grand projet qui consuma les cœurs et les esprits était le temple de Nauvoo. À un moment donné, après avoir demandé avec ferveur au Seigneur ce qu’elle pouvait faire pour accélérer l’achèvement du temple, Mercy entendit ces paroles entrer dans son esprit : « Essaie d’obtenir des sœurs de s’abonner pour un cent par semaine aux fins d’acheter du verre et des clous ». Elle a dit qu’Hyrum s’est réjoui de cette révélation et a fait tout son possible pour la réaliser en proposant des audiences publiques pour s’abonner comme Mercy l’avait demandé [47]. Avec l’aide d’Hyrum, elle et Mary ont recueilli plus de 1 000 dollars, ce qui n’était pas une modique somme en ces jours-là, pour défendre la cause. [48]

Mercy et Hyrum étaient mariés depuis dix mois seulement quand une balle tirée par un émeutier a pris la vie d’Hyrum à Carthage. Mercy avait perdu un autre mari à l’aube de la vie. Elle s’affligeait de la perte d’Hyrum, qu’elle a décrit comme étant « un mari affectueux, un père aimant, un ami fidèle et un bienfaiteur au cœur chaleureux » [49]. Mais son lien avec Mary serait toujours une source de force. Mercy et sa fille, Mary Jane, âgée de six ans, restèrent pour tenir la maison avec Mary et les deux enfants d’Hyrum, ainsi que les cinq enfants d’Hyrum et de Jerusha, dont Mary était devenue la belle-mère.

En 1846, Mercy et Mary, ainsi que leur frère Joseph, partirent de nouveau pour un voyage. Ils se joignirent à des milliers de leurs compagnons d’infortune sur une piste de 2 250 kilomètres vers une nouvelle Sion qui était au-delà des frontières des États-Unis de l’époque. Ils arrivèrent dans la vallée du lac salé l’année suivante. Mary mourut de pneumonie en 1852. Mercy vécut les quatre décennies suivantes à Salt Lake City, fidèle jusqu’à la fin, servant dans l’Église partout où elle le pouvait et aidant à l'éducation des enfants que Mary et Hyrum avait laissés derrière eux.

Le lien entre Mercy et Hyrum serait toujours une source d’une profonde reconnaissance. Mais elle a vécu dans l’attente d’une réunion avec Robert, son mari « bien-aimé » qu'elle avait choisi dans sa jeunesse. Jusqu’à son décès en 1893, elle a conservé le nom de Mercy R. Thompson, le nom qu’elle avait pris à son mariage avec Robert. Doctrine et Alliances 132 avait promis que Robert et elle un jour, s’ils étaient fidèles, hériteraient des trônes, des royaumes, des principautés et des pouvoirs ». Ils se réjouiraient avec « une continuation des postérités pour toujours et à jamais » [50]. Elle croyait en ces promesses et elle a vécu sa vie afin de pouvoir un jour les réaliser.

NOTES

[1] « Mort du colonel Robert B. Thompson », Times and Seasons, 1er septembre 1841, p. 519.

[2] Mercy Fielding Thompson, biographie de Robert B. Thompson par Mercy R. Thompson, novembre 1854, Bibliothèque d’histoire de l’Église, Salt Lake City. Le langage de Mercy R. Thompson vient de Psaumes 113:7–8.

[3] Colleen McDannell et Bernard Lang, Heaven : A History (New Haven, Connecticut : Yale Nota Bene, 2001).

[4] Jan Swango Emerson et Hugh Feiss, dir. de publ., Imagining Heaven in the Middle Ages (New York : Garland, 2000) ; Jeffrey Burton Russell, A History of Heaven : The Singing of Silence (Princeton, New Jersey : Princeton University Press, 1997). Shakespeare a comparé le mariage à la nourriture, quelque chose a savourer et a aimer tant qu’il dure, jusqu’à ce qu'il finisse par pourrir. Voir Lisa Hopkins, The Shakespearean Marriage : Merry Wives and Heavy Husbands (Londres : Macmillan, 1998), p. 70-71.

[5] Elizabeth Stuart Phelps, The Gates Ajar, 4e éd. (Londres : Sampson, Low, fils et Marston, 1870), p. 54. Sur la popularité d’Elizabeth Stuart Phelps, voir McDannell et Lang, Heaven, p. 265-266. On trouve des arguments semblables dans les poèmes d’Emily Dickinson. Voir Barton Lévi St. Armand, « Paradise Deferred : The Image of Heaven in the Work of Emily Dickinson and Elizabeth Stuart Phelps », American Quarterly, vol. 29 (printemps 1977), p. 55–78.

[6] Doctrine et Alliances 132:7, 15-18. En outre, la révélation est allée bien au-delà des conceptions sociales standards de la vie après la mort en faisant de la procréation, « une continuation des postérités » (D&A 132:19), une partie du plan de Dieu pour les êtres humains dans la vie à venir.

[7] Leonard J. Arrington, Susan Arrington Madsen et Emily Madsen Jones, Mothers of the Prophets, éd. rév. (Salt Lake City : Deseret Book, 2009), p. 88–95 ; Parley P. Pratt, The Autobiography of Parley Parker Pratt (New York : Russell Brothers, 1874), p. 146–154.

[8] Thompson, biographie de Robert B. Thompson par Mercy R. Thompson

[9] Arrington Madsen et Jones, Mothers of the Prophets, p. 96–98 ; Jeffrey S. O’Driscoll, Hyrum Smith: A Life of Integrity (Salt Lake City : Deseret Book, 2003), p. 163–164.

[10] Jennifer Reeder, « ‘The Blessing of the Lord Has Attended Me’ : Mercy Rachel Fielding Thompson (1807-1893) », Richard E. Turley fils et Brittany A. Chapman, dir. de publ., Women of Faith in the Latter Days : Volume One, 1775–1820 (Salt Lake City : Deseret Book, 2013), p. 424–425. La famille Smith occupait la parcelle 3 du bloc 149, la famille Thompson la parcelle 1 du même bloc, les jardins des propriétés se touchaient.

[11] Mercy Rachel Fielding Thompson, Reminiscence, dans Carol Cornwall Madsen, éd., In Their Own Words: Women and the Story of Nauvoo (Salt Lake City : Deseret Book, 1994), p. 194–195.

[12] Ces enfants étaient Mary Smith (1829-1832) et Hyrum Smith (1834–1841).

[13] Thompson, Reminiscence, p. 195 ; orthographe modernisée.

[14] La révélation sur le mariage a été tout d’abord publiée comme annexe au numéro du Deseret News du 14 septembre 1852. Elle est devenu la section 132 de l’édition de 1876 des Doctrine et Alliances.

[15] Doctrine et Alliances 132:46.

[16] Doctrine et Alliances 132:7. Les chrétiens avaient compris depuis longtemps Matthieu 22:23–30 pour justifier la fin du mariage dans l’au-delà. Doctrine et Alliances 132:15–17 a réinterprété le passage pour dire que certains mariages finiraient tandis que d’autres continueraient.

[17] Mercy Fielding Thompson, Autobiographical sketch, Bibliothèque d’histoire de l’Église, Salt Lake City ; signes de ponctuation ajoutés.

[18] Thompson, Reminiscence, p. 195. Plusieurs autres couples se sont mariés pour l’éternité à cette même occasion : Brigham Young et sa femme Mary Ann Angell ; Brigham Young et son épouse décédée, Miriam Works (avec Mary Ann Angell comme représentante) ; et Willard Richards et sa femme, Jennetta Richards. Journal de Joseph Smith, 29 mai 1843, Joseph Smith Collection, Bibliothèque d’histoire de l’Église, Salt Lake City ; Lyndon W. Cook, Nauvoo Marriages, Proxy Sealings, 1843–1846 (Provo, Utah : Grandin Book, 2004), p. 5.

[19] Thompson, Reminiscence, p. 195 ; orthographe modernisée.

[20] Thompson, Autobiographical sketch. La famille Thompson accueillait des pensionnaires avant même la mort de Robert. Mercy poursuivit la pratique.

[21] Mercy Fielding Thompson letter to Joseph Smith III, 5 septembre 1883, Joseph F. Smith Papers 1854–1918, Bibliothèque d’histoire de l’Église, Salt Lake City.

[22] Brian C. Hales, Joseph Smith’s Polygamy, 3 vols., Salt Lake City, Greg Kofford Books, 2013, 2:64-65. Plus tard, William Clayton a rapporté que Joseph Smith s’était engagé dans l’écriture de la révélation, sur le conseil d’Hyrum Smith, pour persuader la femme de Joseph, Emma Smith, de cesser de s’opposer au mariage plural. Emma avait accepté le mariage plural pendant un certain temps mais s’opposait encore au principe le 12 juillet 1843, quand la révélation fut écrite. Déclaration de William Clayton, 16 février 1874, Andrew Jenson, « Plural Marriage », Historical Record, mai 1887, p. 225-226.

[23] Danel W. Bachman, « New Light on an Old Hypothesis: The Ohio Origins of the Revelation on Eternal Marriage » Journal of Mormon History, vol. 5,1978, p. 19–32.

[24] Doctrine et Alliances 132:1, 37.

[25] Saint Augustin, « L'excellence du mariage » [ca. 401], traduction Ray Kearney, dans Les œuvres de Saint-Augustin : le mariage et la virginité, éd. John E. Rotelle, vol. 9 (Hyde Park, New York : nouvelle ville Press, 1999), p. 49, 51.

[26] Martin Luther, « Genèse : chapitre seize », dans Les œuvres de Luther, 54 vols., 03:45–46 (ce vol. éd. Jaroslav Pelikan, traduction George Schick) (St. Louis, Missouri : Concordia maison d’édition, 1961).

[27] Martin Luther, « L’état du mariage » [1522], dans Les œuvres de Luther, 45:24 (ce vol. éd. et traduction Walther I. Brandt) (Philadelphie : Muhlenberg Press, 1962). Luther a recommandé que le roi d’Angleterre Henry VIII contracte le mariage plural avant de divorcer de Catherine d’Aragon. Luther à Robert Barnes, 3 septembre 1531, dans Les œuvres de Luther, 54 vols., 50:33 (ce vol. éd. et traduction Gottfried G. Krodel) (Philadelphie : Fortress Press, 1975).

[28] John Witte fils et Robert M. Kingdon, Sex, Marriage, and Family in John Calvin’s Geneva : Volume 1 : Courtship, Engagement, and Marriage (Grand Rapids, MI : Eerdmans, 2005), p. 223 ; John L. Thompson, « The Immoralities of the Patriarchs in the History of Exegesis : A Reappraisal of Calvin’s Position », Calvin Journal théologique, vol. 26, 1991, p. 9–46.

[29] L'opposition de Calvin, bien sûr, reflète une opposition bien plus vieille de la part de l’Église catholique, qui interdisait la polygamie dès le quatrième siècle et à la fin du Moyen Age avait inscrit cette interdiction dans le droit canonique (John Witte, From Sacrament to Contract: Marriage, Religion, and Law in the Western Tradition [Louisville, Kentucky : Westminster University Press, 2012], p. 61, 99-100). Beaucoup d’américains voyaient le comportement des patriarches en termes relativistes et progressistes : comme convenable dans son propre temps et en son propre lieu mais démodé pour les personnes vivants en des temps éclairés. Sur l’association de lutte contre la polygamie avec le rationalisme des lumières, voir Nancy F. Cott, Public Vows : A History of Marriage and the Nation (Cambridge, MA : Harvard University Press, 2000), p. 18-23.

[30] Doctrine et Alliances 132:30, 37. Pour un lexique sur ce thème, voir [Belinda Marden Pratt,] Defense of Polygamy, by a Lady of Utah, in a Letter to Her Sister in New Hampshire (1854), p. 7-8.

[31] Doctrine et Alliances 132:32.

[32] Brian C. Hales, « Encouraging Joseph Smith to Practice Plural Marriage : The Accounts of the Angel with a Drawn Sword », Mormon Historical Studies volume 11, n°2 (automne 2010), p. 55–71.

[33] Au moment où les Saints entrèrent dans la vallée du lac salé, près de 196 hommes et 521 femmes avaient commencé à pratiquer le mariage plural. Voir Hales, Joseph Smith’s Polygamy, 1:3, 2:165.

[34] Thompson, Autobiographical sketch.

[35] Cook, Nauvoo Marriages, Proxy Sealings, p. 3. La conversion d’Hyrum Smith au mariage plural est diversement datée de 1842 ou 1843. Discours de Brigham Young, 8 octobre 1866, les rapports des discours du bureau de l’historien, Salt Lake City ; Andrew F. Ehat, A Holy Order : Joseph Smith, the Temple, and the 1844 Mormon Succession Question (imprimé par l’auteur, 1990), p. 28-32 ; Ruth Vose Sayers, déclaration sous serment, 1er mai 1869, livres sous serment de Joseph F. Smith, 5:9, Bibliothèque d’histoire de l’Église, Salt Lake City.

[36] Mercy Thompson, témoignage, l’Église du Christ dans le Missouri v. l’Église réorganisée de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, 70 F. 179 (8e Cir. 1895), dans United States testimony 1892, typescript, p. 247, Bibliothèque d’histoire de l’Église, Salt Lake City.

[37] Deutéronome 25:5-10.

[38] Thompson pour Smith, 5 septembre 1883.

[39] Thompson, Testimony, p. 239.

[40] Thompson pour Smith, 5 septembre 1883 ; Voir aussi Thompson, Testimony, p. 263.

[41] Un des dons spirituels était de croire au témoignage de quelqu’un d’autre. Doctrine et Alliances 46:14.

[42] Thompson, Autobiographical sketch. Pour la période de ces observations, voir Mercy Fielding Thompson, « Recollections of the Prophet Joseph Smith », Juvenile Instructor, 1er juillet 1892, p. 398–400.

[43] Thompson, Testimony, p. 248.

[44] Pour obtenir des exemples, voir les sujets de l’Évangile « Le mariage Plural à Kirtland et Nauvoo » ; lds.org/topics.

[45] En conversation privée, par exemple, Joseph Smith lançait souvent des propositions de mariage plural en s’adressant à la première personne du singulier (« J’ai reçu le commandement ») puis enseignait et raisonnait avec les épouses potentielles au lieu de se reposer exclusivement sur une demande d’autorisation. Voir, par exemple, Lucy Walker Kimball Smith, « A Brief Biographical Sketch of the Life and Labors of Lucy Walker Kimball Smith », Bibliothèque d’histoire de l’Église, Salt Lake City ; Emily Dow Partridge Young, Diary and reminiscences, Bibliothèque d’histoire de l’Église, Salt Lake City. Des exemples de femmes qui ont rejeté les propositions de Joseph Smith et sont néanmoins restées dans l’Église sans conséquences négatives évidentes, voir Brian C. Hales, Joseph Smith’s Polygamy, 1:274-75 ; 2:31, 120 ; Patricia H. Stoker, « ‘The Lord Has Been My Guide’ » : Cordelia Calista Morley Cox (1823–1915),« Richard E. Turley fils et Brittany A. Chapman, dir. de publ., Women of Faith in the Latter Days: Volume 2, 1821–1845 (Salt Lake City : Deseret Book, 2012), p. 53-54.

[46] Thompson, Testimony, p. 250–251. Sur l’appel sacerdotale du mariage plural pour les femmes, voir Kathleen Flake, « The Emotional and Priestly Logic of Plural Marriage », 2009, The Arrington Lecture, n° 15.

[47] Thompson, Autobiographical sketch.

[48] « Notice » Times and Seasons, 15 mars 1845, p. 847. Ce chiffre était probablement plus important au moment de la consécration du temple de Nauvoo en décembre 1845.

[49] Thompson, Autobiographical sketch ; signes de ponctuation ajoutés.

[50] Doctrine et Alliances 132:19.