Prendre soin des pauvres à la manière du Seigneur

 

 

Dallin H. Oaks

 

Président de l'université Brigham Young de 1971 à 1980

Juge à la cour suprême d’Utah de 1980 à 1984

Membre du collège des Douze depuis 1984 

 

 

 


      Un des exemples les plus frappants de la différence entre les voies du Seigneur et celles des hommes se trouve dans la façon dont l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours et ses membres cherchent à résoudre le problème des personnes âgées et à obéir au commandement éternel de prendre soin des pauvres.

 

 

Le commandement de prendre soin des pauvres

 

     Les Écritures anciennes et modernes sont explicites sur le devoir de prendre soin des pauvres et des nécessiteux. Les passages scripturaires qui s'y rapportent sont trop nombreux pour être tous cités et trop connus pour qu’il soit utile de le faire. Quelques exemples suffiront.

 

     Russell M. Nelson, du Collège des douze apôtres, a observé que « lorsque le Seigneur envoyait des prophètes pour sortir Israël de l'apostasie, dans presque chaque cas, un des premiers griefs qui lui était imputé était que les pauvres avaient été négligés ».1  Ainsi, le message de Jean Baptiste incluait : « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n'en a point, et que celui qui a de quoi manger agisse de même » (Luc 3:11).

 

     Les prophètes du Livre de Mormon enseignèrent que prendre soin des pauvres était la seule manière d'obtenir certaines bénédictions essentielles. Le roi-prophète Benjamin déclara que nous devons donner de notre substance aux pauvres, « de manière à nourrir ceux qui ont faim, vêtir ceux qui sont nus, visiter et soulager les malades tant spirituellement que temporellement » pour « [nous] conserver de jour en jour la rémission de [nos] péchés et pour marcher purs devant Dieu » (Mosiah 4:26).

 

     Après avoir enseigné les principes fondamentaux de l'Évangile (y compris l'Expiation et la nécessité de la foi, du repentir et de la prière), Amulek ajouta : « Et maintenant... ne pensez pas que ce soit là tout ; car, lorsque vous avez fait tout cela, si vous renvoyez les indigents et ceux qui sont nus ; si vous ne visitez pas les malades et les affligés ; si vous ne donnez pas de vos biens, si vous en avez, à ceux qui sont dans le besoin, je vous le dis, si vous ne faites aucune de ces choses, voici, votre prière est vaine et ne vous sert de rien, et vous êtes comme des hypocrites qui nient la foi » (Alma 34:28).

 

     Dans les temps modernes, le Seigneur a donné l'ordre à son peuple de « visiter les pauvres et les affligés et les soulager » (D&A 44:6), et a ajouté : « celui qui ne fait pas cela n'est pas mon disciple » (D&A 52:40). Le Seigneur commanda à ses saints d'apprendre « à donner les uns aux autres comme l'Évangile l'exige » (D&A 88:123). Marion G. Romney, ancien membre de la Première Présidence de l'Église, a expliqué l'importance de ces commandements en les rapprochant de la déclaration du Sauveur qui dit que quand il viendra dans sa gloire, il séparera son peuple « comme le berger sépare les brebis d'avec les boucs » (Matthieu 25:32). Il a dit : « Le fait que nous aurons ou non pris soin des pauvres et des nécessiteux [sera] le critère selon lequel cette séparation [s'effectuera] en ce grand jour ».2

 

     Aussi important soit-il, ce devoir à l'égard des pauvres ne vient qu'en seconde position après un autre devoir. Le plan du Seigneur pour prendre soin des pauvres et des nécessiteux requiert et présuppose que chacun d'entre nous subvienne à ses propres besoins et à ceux de sa famille, dans la mesure de ses possibilités. Ceci inclut de s'occuper des membres de notre propre famille - les parents s'occupant des enfants, et les enfants des parents.3  Après quoi, nous nous occupons des membres nécessiteux de l'Église, et ensuite nous apportons notre aide aux autres dans la mesure où nos moyens nous le permettent.4  Nous faisons ceci, premièrement, en payant notre dîme ; deuxièmement, en donnant libéralement aux fonds de jeûne ; et ensuite, en faisant d'autres dons sous forme de travail et d'argent dans la mesure de nos moyens.5  C'est la responsabilité que le Seigneur a placée sur chaque membre de son Église.

 

     Traditionnellement, les religions ont enseigné aux hommes d'adorer un Dieu qui leur donne le commandement de s'aimer et de se servir les uns les autres. Mais aujourd'hui il y a une foule d'Églises qui enseignent aux hommes de s'adorer eux-mêmes et de célébrer le culte d'eux-mêmes par des rites de complaisance. La vraie religion prêche le principe de la responsabilité, nous enseigne à donner. Les contrefaçons modernes de la vraie religion prêchent les droits plutôt que les devoirs, et nous enseignent à prendre plutôt qu'à donner. La vraie religion produit des citoyens formés à servir, ses contrefaçons modernes produisent des citoyens habitués à réclamer de l'aide.

 

 

Les mesures du gouvernement

 

     Il ne s'agit pas ici de donner une description complète ou d’évaluer les mesures de l’État en faveur des nécessiteux. Un bref résumé suffira pour comparer les voies des hommes à celles de Dieu.

 

     En ce qui concerne les programmes d'entraide gouvernementaux, on constate une insatisfaction générale. Les critiques viennent non seulement des contribuables qui financent l'aide et qui supportent mal le fait qu'elle semble ne pas atteindre ses buts, mais aussi des personnes qui ne sont pas satisfaites de l'étendue et de la nature de l'aide reçue ni des contrôles administratifs qui l'accompagnent. Certains experts et hommes politiques se joignent aux critiques.

 

     Les accusations les plus sévères affirment que les programmes d'entraide de l’État n’ont pas réussi à réduire la pauvreté, qu’ils l'ont probablement accrue en favorisant une série de problèmes sociaux connexes.6 John Goodman, président du National Center for Political Analysis, a dit : « Le système d'entraide des États-Unis est un désastre. Il crée la pauvreté au lieu de l'éliminer. Il subventionne le divorce, les grossesses juvéniles, l'abandon des parents âgés par leurs enfants, ainsi que la désagrégation générale de la famille. Pourquoi ? Nous donnons de l’argent aux gens pour qu’ils restent pauvres. Les associations caritatives ont toujours mieux répondu aux besoins là où ils sont réellement nécessaires ».7

 

     Que sont devenus les énormes fonds publics attribués au secours des pauvres ? Robert L. Woodson, président du National Center for Neighborhood Enterprise et président du Council for Black Economic Agenda, a écrit : « Depuis 1964, le gouvernement fédéral [des États-Unis] a engagé des milliards de dollars dans des programmes pour l'emploi, l'habitat, la solidarité et le développement économique conçus pour aider les nécessiteux. Le principal bénéficiaire de cet important effort est, à l’évidence, 'l'industrie du service social', parachutée dans la collectivité pour gérer les programmes d'aide, moyennant des salaires et des coûts de fonctionnement qui se taillent la part du lion dans les budgets alloués ».8

 

     Certains ne seront pas d'accord avec ces accusations sévères. Dans le cadre de notre propos, il suffit de souligner qu'il existe une insatisfaction générale en ce qui concerne l'aide apportée aux pauvres par l’État. Il convient également de remarquer que la gestion de cette aide nécessite la rémunération d’un personnel nombreux et des dépenses de fonctionnement qui font que l'aide aux pauvres est devenue un gros marché dont beaucoup de « non-pauvres » tirent un gain financier conséquent.

 

     L’arrangement qui permet d'obtenir des dégrèvements fiscaux en échange d’une aide financière apportée aux pauvres, ce que quelqu'un a appelé « se faire du bien en faisant du bien », est une formule bien connue. Au midi des temps, Judas se plaignit que le parfum utilisé pour oindre les pieds de Jésus n'ait pas été vendu au bénéfice des pauvres. L'évangile de Jean explique la motivation réelle de Judas : « Il disait cela, non qu'il se mit en peine des pauvres, mais parce qu'il était voleur, et que tenant la bourse, il prenait ce qu'on y mettait » (Jean 12:6).

 

     Dans la promotion et la gestion de l'aide de l’État aux nécessiteux on retrouve les mêmes motivations. Certains programmes contre la pauvreté ne sont pas conçus en faveur des pauvres mais parce que leurs promoteurs « tiennent la bourse », et que les programmes proposés favoriseront leur enrichissement personnel, leur renom ou leur pouvoir.

 

     Une autre caractéristique de la gestion actuelle de l'aide de l’État aux pauvres est critiquée par Robert L. Woodson : « Ces vastes empires bureaucratiques et professionnels, qui ont le monopole des services sociaux régis par l'État, exigeaient aussi un coût humain et social. Ceux qui reçoivent de l’aide perdent leur autonomie en tant qu'êtres humains en devenant des 'clients' (ce qui, dans la terminologie juridique latine, signifie un individu dépendant). Cette dépendance psychologique a perverti à la fois la moralité publique et la moralité individuelle, générant un climat d'impuissance, d'irresponsabilité et de ressentiment. En tant que 'clients' passifs, les pauvres et les démunis ont été conduits dans une impasse où une somme d'argent à peine suffisante entretient leur pauvreté et sape l'initiative individuelle, les rendant complètement dépendants ».9 En résumé, même si les intentions étaient probablement bonnes, les moyens employés étaient inefficaces.

 

     À l'opposé, le président Spencer W. Kimball a observé : « Enseignez-leur la vérité, donnez-leur l'Évangile et l'ambition est née, la fierté est entretenue, l'indépendance remplace la paresse, les hommes apprennent comment construire leur foyer, l'équiper et le peindre, et ensuite comment construire pour les autres ».10

 

 

L'entraide à la manière du Seigneur

 

     La révélation suivante tirée de Doctrine et Alliances constitue une Écriture-clé sur la manière du Seigneur de répondre aux besoins des pauvres et des nécessiteux  :

 

     « Et j'ai l'intention de pourvoir aux besoins de mes saints, car tout est à moi. Mais il faut que cela se fasse à ma façon, et voici quelle est la façon que moi, le Seigneur, j'ai décidé d'employer afin de pourvoir aux besoins de mes saints : les pauvres seront élevés en ce que les riches seront abaissés.

 

     « Car la terre est pleine, et il y a assez, et même en réserve ; oui, j'ai tout préparé et j'ai donné aux enfants des hommes d’agir par eux-mêmes. C'est pourquoi, si quelqu'un prend de l'abondance que j'ai faite et ne donne pas sa part, selon la loi de mon Évangile, aux pauvres et aux nécessiteux, il lèvera avec les méchants les yeux en enfer, en proie aux tourments » (D&A 104:15-18).

 

     Pour résumer : (1) Le Seigneur désire répondre aux besoins temporels aussi bien qu'aux besoins spirituels de ses saints. (2) Néanmoins, cela doit être fait à sa manière. (3) Sa manière de faire exaltera le pauvre (ce qui signifie, aider les pauvres spirituellement aussi bien que temporellement et ainsi les faire avancer vers l'exaltation). (4) Sa manière de faire abaissera le riche (c'est à dire, les riches s'humilieront et ainsi s'approcheront aussi d'une plus grande spiritualité et de l'exaltation). (5) La terre contient plus que le nécessaire pour le soutien de chacun. (6) Les hommes sont moralement responsables d'utiliser de leur abondance pour pourvoir aux besoins des pauvres et des nécessiteux. (7) Ceux qui ne le font pas iront avec les méchants en enfer.

 

     La manière du Seigneur de pourvoir aux besoins des pauvres et des nécessiteux a été révélée à Adam et à sa postérité, en même temps que les autres principes de l'Évangile. Ces principes furent enseignés et illustrés par les prophètes du temps de l'Ancien Testament et du Livre de Mormon et par le Sauveur et ses apôtres à leur époque. Ils furent révélés au prophète Joseph Smith dans les premiers temps de l'Église rétablie.

 

     La manière du Seigneur de prendre soin des pauvres fut mise en pratique lors de la traversée des plaines. Dans une révélation donnée au prophète Brigham Young, le Seigneur commanda : « Que chaque compagnie prenne en charge, en proportion de sa part de biens, les pauvres, les veuves et les orphelins et les familles de ceux qui sont partis à l'armée, afin que les cris de la veuve et des orphelins ne montent pas aux oreilles du Seigneur contre ce peuple » (D&A 136:8). Ces mêmes principes furent appliqués dans le peuplement des montagnes de l'Ouest par les saints. Ensuite, au fur et à mesure que les conditions changèrent, quelques-uns des moyens de mise en oeuvre de ces principes tombèrent en désuétude et on en oublia ou négligea même les raisons profondes.

 

     Pour répondre aux cruels défis économiques de la Grande Dépression, les dirigeants de l'Église mirent de nouveau l'accent sur les principes fondamentaux du devoir de prendre soin des pauvres et des nécessiteux et établirent ce que certains considérèrent comme de nouveaux moyens pour les mettre en action. Certains, et surtout des gens qui n'étaient pas membres de l'Église, pensèrent même que ce que nous appelons maintenant le programme d'entraide de l'Église fut fondé en 1936. Mais il s'agissait seulement de la manifestation la plus récente d’un principe aussi vieux que l'Évangile lui-même.

 

     L'explication de la Première Présidence sur la raison pour laquelle ils établirent le programme d'entraide moderne contient deux buts : l'un est décrit comme « l'objectif annoncé » et l'autre est identifié comme « notre but principal ».

 

     « L'objectif annoncé, fixé à l'Église dans le cadre de ce programme, était de fournir pour le 1er octobre 1936, par un système entièrement bénévole de dons en argent ou en nature, suffisamment de nourriture, de combustible, de vêtements et de literie pour répondre aux besoins, tout au long de l'hiver à venir, de chaque famille nécessiteuse et digne, membre de l'Église, incapable de se procurer cela par elle-même, de façon à ce qu’aucun membre de l'Église ne souffre dans ces temps d'agitation et de crise.

 

     Dans la mesure du possible, nous avons eu comme but principal l’établissement d’un système grâce auquel on se débarrasserait de la malédiction de l’oisiveté, on abolirait les maux des indemnités de chômage, et où l’indépendance, le travail, l’épargne et le respect de soi seraient rétablis parmi notre peuple. L’Église entend aider ses membres à s’aider eux-mêmes. Le travail doit être remis à l’honneur en tant que principe directeur de la vie des membres de l’Église ».11

 

     L'objectif annoncé était de pourvoir aux besoins des pauvres pour qu'ils ne souffrent pas du manque de nourriture, de vêtements et d'un abri. Mais le but principal, qui est une expression du principe éternel de prendre soin des pauvres, était de fournir l'assistance nécessaire de la manière qui permet de corriger les déficiences spirituelles : chasser l'oisiveté et les maux de l'allocation chômage et aider les membres de l'Église en leur donnant l'occasion de travailler afin qu'ils jouissent de l'indépendance et du respect de soi.

 

     Pour expliquer la raison de ce programme lancé en 1936, la Première Présidence a déclaré que « le véritable but du plan [d'entraide] de l'Église est d'aider chaque individu à acquérir son indépendance, à l'aider à subvenir à ses propres besoins, à remplacer l'oisiveté par l'épargne et la productivité ».12 De même, il y a presque cent ans, le président Joseph F. Smith a dit : « C'est l’objectif de Dieu dans le rétablissement de l'Évangile et de la Sainte Prêtrise, non seulement pour le bénéfice spirituel de l'humanité, mais aussi pour son bénéfice temporel ».13

 

     Utilisés dans ce contexte, les termes temporel et spirituel nécessitent une clarification. Temporel qualifie tout ce qui appartient à la vie mortelle, y compris la nourriture, l'abri, l'emploi et la propriété. Spirituel qualifie tout ce qui appartient à l'éternité, y compris la foi, le repentir, la sanctification, les alliances et les sacrements. Étant donné que les choix temporels ont des conséquences spirituelles et vice versa, le temporel et le spirituel sont étroitement liés à long terme. Pour Dieu toute chose est spirituelle et aucun de ses commandements n'est temporel (D&A 29:34-35). Toutefois, dans le court passage de la condition mortelle, il est quelquefois utile d'identifier les choses temporaires ou terrestres comme temporelles et les choses moins terrestres et plus célestes (les choses de l'éternité) comme spirituelles. C'est le sens dans lequel Joseph F. Smith utilisa ces termes, et c'est le sens dans lequel nous l’utiliserons ici.

 

     Dans le plan du Seigneur, les objectifs temporels et spirituels vont toujours de pair, mais le spirituel doit toujours avoir la priorité dans les programmes gérés par l'Église. Les actes charitables individuels et les diverses organisations caritatives peuvent répondre aux besoins temporels des pauvres, mais seules les activités d'entraide parrainées par l'Église ou dirigées par la Prêtrise peuvent répondre aux besoins spirituels de ceux qui reçoivent et de ceux qui apportent l’aide. Marion G. Romney enseigna ce principe succinctement quand il dit : « Le devoir fondamental de l'Église d'aider les pauvres n'est pas d'apporter un secours temporel à leurs besoins, mais de sauver leur âme ».14

 

     Le Sauveur enseigna la supériorité du spirituel sur le temporel. Quand Marie eut oint les pieds de Jésus avec un parfum coûteux, Judas demanda : « Pourquoi n'a-t-on pas vendu ce parfum trois cents deniers pour les donner aux pauvres ? » La réponse de Jésus révéla un grand principe à ses disciples : « Laisse-la garder ce parfum pour ma sépulture. Vous avez toujours les pauvres avec vous, mais moi, vous ne m'avez pas toujours » (Jean 12:5,7-8). Ainsi, bien que le devoir de prendre soin des pauvres soit essentiel, son importance devait être vue dans un contexte spirituel. Dans cet exemple, il y avait quelque chose de plus important à faire de ce parfum que de donner sa valeur aux pauvres. Ce qui concernait l'éternité, y compris ce que Jésus pouvait enseigner à ses disciples pour le salut de leur âme et ce qu'il pourrait faire pour eux par sa mort et sa résurrection, était plus important que le souci temporel en faveur des pauvres. En vérité, une des raisons pour lesquelles nous avons « toujours les pauvres avec [nous] » est que ceux qui ne le sont pas subissent l’épreuve et reçoivent la croissance spirituelle qui sont liées à notre réponse à leurs besoins.

 

     La supériorité du spirituel sur le temporel, que Jésus enseigna, a beaucoup d'applications de nos jours. Par exemple, elle explique pourquoi l'Église dépense de grosses sommes d'argent dans la prédication de l'Évangile rétabli et dans la construction de temples pour accomplir les sacrements de l’éternité plutôt que (comme quelques-uns le recommandent) de dévouer ces mêmes ressources aux problèmes temporels dont d'autres s'occupent déjà, tels que la protection de l'environnement, la recherche de traitements contre les maladies, ou la réponse à d'autres besoins physiques qui peut être apportée sans le pouvoir ni la direction de la prêtrise.

 

     Tous les prophètes modernes qui ont eu la responsabilité principale d'expliquer les voies du Seigneur dans le secours aux pauvres ont mis l'accent sur la priorité des buts spirituels sur les buts temporels. On compte parmi eux David O. McKay, Spencer W. Kimball, Ezra Taft Benson, J. Reuben Clark, Henry D. Moyle, Marion G. Romney, Gordon B. Hinckley et Thomas S. Monson. Tous ont mis l'accent sur l'importance des méthodes qui permettent d’édifier l'esprit aussi bien que de nourrir le corps.

 

     En tant que président de l'Église, Spencer W. Kimball, dans un message important sur l'entraide, a dressé la liste des six « principes spécifiques qui sont la fondation de cette oeuvre ». Il déclara : « Nous pouvons approcher l'idéal de Sion seulement en appliquant ces vérités... Cet ordre le plus élevé de la société de la prêtrise est fondé sur les doctrines [1] de l'amour, [2] du service, [3] du travail, [4] de l'autonomie, [5] de l'intendance, qui sont tous couverts par [6] l'alliance de la consécration ».15 Il est à noter que la plupart de ces principes sont d'ordre spirituel et que leur signification matérielle ou temporelle est implicite. D'autres enseignements mettent l'accent sur le fait que la manière du Seigneur de se prendre soin des pauvres et des nécessiteux sanctifie ceux qui donnent parce qu'ils agissent volontairement, et exalte ceux qui reçoivent dans la mesure où il leur est enseigné qu’ils ont l’honneur de participer à une entreprise céleste en y contribuant selon leurs capacités (D&A 104:16). Le président Kimball expliqua : « La voie du Seigneur édifie l'estime de soi, redonne et accroît la dignité des individus, tandis que la voie du monde déprécie l’image de soi et provoque un profond mécontentement »16.  « Vu sous cet angle, nous pouvons constater que les services d'entraide ne sont pas un programme, mais l'essence même de l’Évangile. C'est l'Évangile en action. C'est le principe suprême d'une vie chrétienne ».17

 

     Quand la Première Présidence institua ce que nous appelons le programme d'entraide de l'Église dans les années 1930, elle mit l'accent sur trois principes de gestion.

 

     1. Le plan est fondé sur des principes religieux. Ces principes sont ceux présentés plus haut, ainsi que celui de l'autonomie, développé plus loin.

 

     2. Le plan est mené à bien entièrement par les agences de l'Église et principalement par des bénévoles qui n'ont pas d'intérêt personnel dans la gestion de l'aide.

 

     L'officier de l'Église le plus important dans le programme du Seigneur pour prendre soin des pauvres est l'évêque. Dans la révélation moderne cette responsabilité lui est confiée (voir par exemple, D&A 38:34-36 ; 42:30-31 ; 72:9-10,12). Sa responsabilité a été réaffirmée lorsque le programme d'entraide a été de nouveau institué. La Première Présidence a dit : « La responsabilité de s'assurer que personne n'est affamé ou a froid ou est insuffisamment vêtu repose sur les épaules des évêques, chacun pour les membres de sa propre paroisse ».18

 

     Les évêques accomplissent la tâche de « cherch[er] les pauvres pour subvenir à leurs besoins en rendant humbles les riches et les orgueilleux » (D&A 84:112). J. Reuben Clark fils, ancien membre de la Première Présidence, a décrit cette responsabilité : « Selon la parole du Seigneur, le seul mandat pour prendre soin des pauvres de l'Église et la seule autorité pour s'occuper d'eux sont placés sur l'évêque... À lui seul revient le devoir de déterminer qui, quand, comment et combien sera donné à tout membre de sa paroisse sur les fonds de l'Église au titre de l’aide de la paroisse ».19

 

     Les collèges de la prêtrise ont une responsabilité importante mais différente dans la gestion de l'entraide de l’Église. Leur tâche est de mettre les membres du collège dans la situation où ils deviennent autonomes. Dans un discours remarquable donné lors du lancement du programme d’entraide, J. Reuben Clark expliqua cette responsabilité : « Cette aide peut se concrétiser sous la forme d'une assistance pour le frère nécessiteux, dans ses besoins ou son problème proprement dit, pour construire sa maison ou à se lancer dans une petite entreprise, ou, si c'est un artisan, lui procurer un jeu d'outils ou, si c'est un fermier, lui procurer des semences, l'aider à planter ou à moissonner, ou à satisfaire un besoin urgent de crédit ».20

 

     La Société de Secours joue aussi un rôle essentiel dans la gestion de l'entraide. J. Reuben Clark l'a décrit comme suit :

 

     « La Société de Secours des femmes porte la charge de tout ce qui est lié à la fourniture de vêtements, à la préparation et à la conservation de nourriture, aux soins apportés aux malades, aux funérailles, tout ce qui est lié à l'infinité des petites attentions et à la gentillesse, tout ce qui est lié, même de loin, à l'amour et au rituel de la maternité. L'évêque est le père de la paroisse, la Société de Secours en est la mère. Le plan d'entraide de l'Église ne peut être mené à bien sans les femmes de l'Église. C’est là où elles sont les plus actives qu’il est le plus efficace. Elles créent des ateliers de couture et de cuisine, elles aident à établir des budgets, elles encouragent les personnes particulièrement éprouvées et découragées, elles redonnent courage aux timorés, elles chassent le désespoir des coeurs affligés ; elles sèment l'espoir, la foi et la droiture dans chaque foyer. La féminité, épanouie dans une maternité légitime, est la démarche la plus proche de la divinité que des mortels puissent connaître. Les mères sont les membres éminents de la Société de Secours ».21

 

     Comme les collèges de la prêtrise, la Société de Secours participe à la gestion de l'entraide en aidant ses membres à acquérir la connaissance et les techniques nécessaires pour remplir leurs responsabilités familiales et sociales. La connaissance et les techniques dont ses membres ont besoin peuvent varier selon l'époque et l'endroit. Ainsi, le savoir-faire des femmes dans les arts ménagers il y a cinquante ans doit aujourd'hui faire l'objet d'un enseignement spécifique. Pour citer un autre exemple, le plus grand besoin de formation de certains membres de l'Église à travers le monde est l'alphabétisation. La Société de Secours peut aider dans ce domaine ainsi que dans de nombreux autres.

 

     3. Les mesures du plan visent à accorder une aide temporaire, telle que de la nourriture, un abri et des vêtements pour subvenir aux besoins vitaux et au bien-être, plutôt que de remédier aux désordres financiers et sociaux qui sont la cause des besoins de l'individu.22

 

     Le but premier de l'aide de l'Église aux pauvres et aux nécessiteux a toujours été de soulager la détresse de façon temporaire. En accord avec cette mission, l'aide apportée à chaque bénéficiaire est adaptée à ses besoins. À la différence de la plupart des programmes d'assistance publique, il n'y a pas de montant ou de droit fixes ni de durée déterminée à l'aide.

 

     En résumé, en accord avec les principes de l'Évangile, l'évêque accorde une aide adaptée à l'individu pour ses besoins physiques immédiats, tels que de la nourriture, des vêtements et du chauffage. La Société de Secours aide de multiples façons par des services et de la compassion. Quant aux collèges de la prêtrise, ils répondent aux besoins permanents, tels que l'instruction ou d'autres besoins nécessaires pour aider les membres du collège à devenir autonomes.

 

 

Le principe de l'autonomie et sa mise en pratique

 

     Afin d'atteindre ses buts spirituels, l'aide temporelle donnée par l'intermédiaire de l'entraide de l'Église doit être soumise au principe fondamental de l'Évangile qu'est l'autonomie. Aucune idée ne peut mieux exprimer la différence entre le gouvernement et l'Église dans l'aide apportée aux nécessiteux que les mots travail et autonomie.

 

     L'autonomie signifie de travailler pour soi-même au maximum de ses capacités. « C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain » (Genèse 3:19). Notre responsabilité de subvenir à nos propres besoins et à ceux de notre famille est un principe vital dans notre relation à Dieu, aux autres et à la société. Les saints des derniers jours s'attendent à devoir travailler pour ce qu'ils reçoivent, que ce soit pour leur salut ou pour leur nourriture. La seule aide qu'ils attendent est l'occasion de travailler.

 

     Dans notre relation à Dieu, ce principe est exprimé dans le dicton : « Aide-toi et le ciel t'aidera ». Knute Rockne appliqua ce principe au football américain quand il dit : « Les prières sont plus efficaces quand les joueurs sont costauds ».23 La biographie de Lincoln par Carl Sandburg donne un exemple de cette attitude au dix-neuvième siècle quand il parle d'un fermier de la Nouvelle-Angleterre qui demanda à son pasteur de prier pour que sa ferme produise de meilleures récoltes. Après avoir regardé le sol pierreux et inculte, le pasteur dit : « Cette ferme n'a pas besoin de prières mais de fumier ! »24

 

     Certains peuvent trouver cette attitude sacrilège ; d'autres la considéreront comme dépassée. Pour les saints des derniers jours, elle est l'illustration d'une loi de la vie. Elle montre également la bonté de Dieu qui attend de nous non seulement d'avoir foi en lui mais aussi d'avoir foi en nous-mêmes et de montrer notre foi et notre reconnaissance par une action personnelle soutenue pour faire fructifier les talents et les occasions qu'il nous a donnés. En résumé, nous cherchons à appliquer le vieux proverbe : prier comme si tout dépendait de Dieu et ensuite travailler comme si tout dépendait de nous.

 

     Le travail et l'autonomie sont des principes anciens dans la foi chrétienne. L'apôtre Paul enseigna : « Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus » (2 Thessaloniciens 3:10). Il a écrit également : « Si quelqu'un n'a pas soin des siens, et principalement de ceux de sa famille, il a renié la foi, et il est pire qu'un infidèle » (1 Timothée 5:8).

 

     Ces mêmes principes furent réaffirmés par la révélation dans la dernière dispensation : « Tu ne seras pas paresseux, car le paresseux ne mangera pas et ne portera pas les vêtements du travailleur » (D&A 42:42). « Tout homme qui est obligé de pourvoir aux besoins de sa famille, qu'il le fasse, et il ne perdra aucunement sa couronne ; et qu'il travaille dans l'Église. Que chacun soit diligent en tout. Le paresseux n'aura pas de place dans l'Église, à moins qu'il ne se repente et ne s'amende » (D&A 75:28,29).

 

     Le président Brigham Young a expliqué : « L'expérience m'a enseigné, et c'est devenu un principe pour moi, qu'il n'y a pas d'avantage à donner continuellement, à un homme ou à une femme, de l'argent, de la nourriture, des vêtements ou quoi que ce soit d'autre, s'ils sont aptes physiquement et peuvent travailler et gagner ce dont ils ont besoin... C'est mon principe, et j'essaie d'agir en conséquence. Suivre un chemin contraire conduirait à la ruine de toute société dans le monde et rendrait ses membres paresseux ».25

 

     Le président Joseph F. Smith enseigna le même principe pour l'appliquer à l'individu : « Les hommes et les femmes ne devraient pas chercher à recevoir la charité à moins qu'ils n'y soient obligés pour éviter de souffrir. Chaque homme et chaque femme devrait posséder l'esprit d'indépendance et d'autonomie qui les inciterait à dire, quand ils sont dans le besoin, 'je veux donner mon travail en échange de ce que vous me donnez'. Aucun homme ne devrait être heureux de recevoir et de ne rien faire en contrepartie ».26

 

     Bien sûr, la doctrine de l'autonomie n'impose aucune obligation de travail aux personnes âgées, aux handicapés, aux malades ou à tous ceux qui sont incapables de travailler pour subvenir à leur besoins.27

 

     Le travail et l'autonomie ont une importance évidente dans notre relation avec l'État. Par exemple, le travail et l'autonomie furent inhérents à la distribution des terres la plus importante effectuée par le gouvernement des États-Unis au dix-neuvième siècle. En accord avec le Homestead Act de 1862, le gouvernement des États-Unis offrait un titre de propriété pour 65 hectares de terre publique au « chef de famille, ou [tout autre personne] atteignant l'âge de vingt et un ans » qui améliorerait cette terre en y résidant et en la cultivant pendant une période de cinq ans.28 Les colons qui obtinrent les titres de propriété par ce moyen, y compris de nombreux pionniers mormons, travaillèrent pour ce qu'ils reçurent. Leur gouvernement leur offrait une occasion et non pas la charité. Ils fortifièrent la nation en affermissant ses frontières, en colonisant ses terres, en payant ses impôts, et en produisant de la nourriture pour son peuple.

 

     Un exemple plus récent est le G.I. bill, par lequel le gouvernement reconnaissant a offert une formation aux militaires qui avaient interrompu leurs activités pour servir leur pays.

 

     À l'opposé de l'idéal traditionnel de l'autonomie, les programmes d'entraide du gouvernement de ce siècle ont rarement inclus l'obligation que le bénéficiaire travaille pour ce qu'il ou elle reçoit.

 

     L'adoption du Social Security Act en 1935 a marqué un tournant dans le développement de l'entraide sociale moderne aux États-Unis. Les avantages sociaux acquis grâce à cette loi n'avaient que peu ou pas de rapport avec les cotisations que les bénéficiaires avaient versées à ce qu'on appelait le fonds d'assurance. Quant aux travailleurs, ils n'étaient pas intéressés par un fonds à part.

 

     Ceci est toujours vrai après plus d'un demi siècle. Les sommes colossales que les bénéficiaires potentiels et leurs employeurs paient en cotisations sociales sont à peine dissociées des impôts sur le revenu et les remboursements versés par la sécurité sociale n'ont que peu de rapport avec le montant des cotisations versées. Certains paient beaucoup plus qu'ils ne reçoivent en retour, d'autres paient beaucoup moins. En conséquence, on peut dire que pour l'État les sommes déboursées par la sécurité sociale sont difficiles à différencier des sommes versées au titre de l'aide sociale.29

 

     Quoi qu'il en soit, il y a une grande différence en terme de motivation. Etant donné que tous les bénéficiaires de l'aide sociale ont cotisé pour l'aide qu'ils reçoivent (et certains ont payé plus qu'ils ne recevront), pour des raisons de motivation du bénéficiaire il est possible de comparer la sécurité sociale à l'achat d'une rente viagère. De toute façon, il est virtuellement impossible aux employés et aux employeurs d'éviter les impôts destinés au soutien des bénéficiaires de l'aide sociale. Dans ces conditions, les membres de l'Église et les sociétés appartenant à l'Église (en tant qu'employeurs) n'ont pas d'autre alternative que de participer au système de sécurité sociale, même s'il laisse beaucoup à désirer quand on le compare au principe de l'autonomie.

 

     Aucun dirigeant n'a autant parlé de l'importance de l'autonomie que Marion G. Romney. Son discours lors de la conférence d'octobre 1982 est caractéristique de son plaidoyer à ce propos :

 

     « Des gens bien intentionnés ont créé de nombreux programmes pour aider ceux qui sont dans le besoin. Cependant, un grand nombre de ces programmes sont motivés par l'objectif à court terme 'd'aider les gens', en opposition à 'aider les gens à s'en sortir'. Notre action doit toujours être inspirée par l'objectif de rendre indépendants les gens qui en sont capables physiquement...

 

     L'habitude d'aspirer à des avantages non mérités et de les recevoir est maintenant tellement établie dans notre société que même les riches ayant les moyens de produire davantage de richesses attendent de l'État la garantie d'un bénéfice...

 

     Tous nos actes dans le cadre de l'Église et de la famille doivent avoir pour but de rendre indépendants nos enfants et nos membres. Nous ne pouvons pas toujours contrôler les programmes de l'État, mais nous pouvons avoir le contrôle de nos propres foyers et de nos assemblées. En enseignant ces principes et en les vivant, nous ferons beaucoup pour contrer les effets pervers des programmes gouvernementaux de tout pays ».30

 

     Beaucoup de spécialistes, de législateurs et d'administrateurs de l'aide de l'État ont plaidé pour imposer le travail en compensation de l'aide publique. La théorie est appréciée, mais dans la pratique, le but est souvent irréalisable. Un programme de travail compensatoire est sans doute plus coûteux à administrer que d'y renoncer. Comme le coût total est le critère le plus important appliqué à l'aide publique, les obligations de travail n'ont pas abouti ou ont été de courte durée.

 

     Le président Ezra Taft Benson a défini le mal que l'autonomie permet d'éviter. Il a expliqué pourquoi l'Église a persisté dans l'obligation d'un travail compensatoire alors que les programmes de l'État y ont renoncé en considérant qu'ils étaient impossibles à mettre en pratique ou inutiles : « Les bénéficiaires de l'entraide doivent travailler dans la mesure de leurs capacités à gagner les denrées ou l'aide du don de jeûne. Si on ne fournit pas de travail compensatoire utile, si on n'encourage pas les gens à travailler, on créera une déprimante 'allocation chômage' de l'Église et le but dans lequel le programme d'entraide a été établi sera manqué. Il est une loi céleste, une loi que nous n'avons pas pleinement apprise ici-bas, qui fait qu'on ne peut pas aider en permanence les autres en faisant pour eux ce qu'ils peuvent faire eux-mêmes ».31

 

     Il y a un vieux conflit entre, d’un côté, l'autonomie individuelle et, de l’autre, la responsabilité et les actions collectives pour prendre soin des pauvres. Comment améliorer un côté sans desservir l'autre ?

 

     Un hommage a été rendu aux saints des derniers jours pour leur façon de résoudre ce conflit. William Rees-Mogg, rédacteur en chef du London Times, a observé :

 

     « Quelquefois, aux États-Unis, on sent que l'attitude politique conservatrice est poussée à un point extrême, là où l'individualisme devient antisocial...

 

     Les résultats de l'individualisme extrême qui a permis l'enlaidissement de quelques États américains, n'existent pas en Utah. Je pense que c'est parce que l'Utah équilibre les principes pionniers de l'indépendance et de l'autonomie avec ceux de la responsabilité sociale volontaire inspirés à la fois des enseignements et de l'histoire des mormons. Comme tous les pionniers, les mormons ont dû compter sur eux-mêmes ; comme tous les pionniers ils ont dû aussi dépendre les uns des autres. Brigham Young, un des plus grands dirigeants pionniers américains, a choisi la ruche comme symbole du nouvel État, la ruche étant un symbole à la fois de travail et de coopération...

 

     L'Utah connaît, par conséquent, un conservatisme dans lequel la liberté individuelle est équilibrée avec la coopération sociale et la stabilité qui provient d'une foi religieuse majoritaire et d'une vie familiale solide ».32

 

 

Le but du don et la manière de donner

 

     Le président Marion G. Romney expliqua le but éternel du commandement d'aider les pauvres et les nécessiteux : « Dans ce monde moderne, empoisonné de contrefaçons du plan du Seigneur, nous ne devons pas nous égarer en supposant que nous pouvons nous décharger de notre obligation envers les pauvres et les nécessiteux en laissant cette responsabilité à la charge de quelque organisme public ou gouvernemental. C'est seulement en donnant en abondance de l'amour à notre prochain que nous pouvons développer cette charité caractérisée par Mormon comme étant 'l'amour pur du Christ' (Moroni 7:47). Nous devons développer cette qualité si nous voulons obtenir la vie éternelle ».33

 

     L'obligation individuelle de prendre soin des pauvres inclut-elle l'obligation d'aider ceux qui peuvent subvenir à leurs besoins mais qui refusent ou négligent de le faire ? C'est un vieux problème parmi les chrétiens.

 

     Comment concilier l'obligation individuelle de subvenir à ses propres besoins avec celle (individuelle et collective) de prendre soin des pauvres ? Alfred P. Doolittle, la canaille adorable de My Fair Lady, parle de ce problème quand il déclare : « Je fais partie des pauvres peu méritants. Cela veut dire que je me heurte à la moralité de la bourgeoisie tous les jours de ma vie ». 34  L'aspect de la moralité des classes moyennes dont Doolittle se plaint est la réticence des gens qui travaillent à aider les personnes physiquement capables qui pourraient travailler pour subvenir à leurs propres besoins.

 

     Dans le plan du Seigneur pour secourir les pauvres et les nécessiteux, les saints des derniers jours évitent ce dilemme en faisant des dons à l'Église. Ils paient leurs offrandes de jeûne, et le Seigneur, par l'intermédiaire de son serviteur l'évêque, décide qui devrait les recevoir et à quelles conditions.

 

 

La mise en pratique des principes d'entraide

 

     Ceux qui agissent conformément au principe selon lequel le secours aux pauvres et aux nécessiteux devrait être apporté à la manière du Seigneur rencontrent de nombreuses difficultés. Les philosophies contraires et les méthodes de nombreux programmes d'entraide de l'État sont persuasives et très connues et elles exercent une influence constante sur les employés de l'Église qui accordent de l'aide et sur les attentes des nécessiteux qui la reçoivent.

 

     Sur un plan doctrinal et théorique, il est fort probable qu'il régnera de la confusion sur le principe de l'autonomie. Par exemple, certains n'ont pas compris clairement la manière dont le principe de l'autonomie s'applique au double but du bien-être temporel et du salut spirituel. Le principe véritable est l'autonomie pour ce qui relève du temporel et la dépendance finale et totale envers notre Sauveur, Jésus-Christ, pour ce qui est du spirituel. Comme Néphi l'enseigna : « C'est par la grâce que nous sommes sauvés après tout ce que nous pouvons faire » (2 Néphi 25:32).

 

     Comme C. S. Lewis, auteur éclairé de The Screwtape Letters, je crois qu'une des techniques les plus efficaces de Satan est de faire semblant d'accepter un principe vrai puis d'agir en le corrompant. Ainsi, Satan aimerait certainement corrompre la pratique de l'autonomie afin de nous rendre autonomes dans les choses spirituelles (en nous laissant penser que nous pouvons « résoudre le problème de notre salut ») et largement dépendants des autres dans les choses temporelles. Il souhaite cette corruption car l'incompréhension d'un des deux rôles de l'autonomie entrave une part importante de la progression personnelle que le plan du Père prévoit pour nous. L'incompréhension de ces deux rôles a un effet doublement dévastateur.

 

     Il existe des forces puissantes qui travaillent pour nous duper en ce qui concerne l'autonomie spirituelle et pour nous attirer vers la dépendance temporelle. Il est facile aux saints des derniers jours de devenir la proie de ces forces.

 

     Par exemple, puisque la plupart des programmes de l'État n'ont pas de contrepartie similaire à l'obligation de travail compensatoire à laquelle ceux qui reçoivent l'aide de l'Église sont soumis dans la mesure de leurs possibilités, il est facile pour les bénéficiaires et tentant pour les évêques de considérer cette obligation comme malvenue. En répondant aux besoins des membres, les dirigeants de l'Église sont peut-être plus efficaces dans l'apport de l'aide nécessaire pour pourvoir aux besoins temporels que dans la gestion de l'obligation de travail qui est nécessaire pour répondre aux besoins spirituels. Il est quelquefois peu commode pour un évêque ou un autre dirigeant qui sont très occupés, d'imposer ou de gérer l'obligation de travail dans un environnement urbain où il y a moins d'occasions de travail manuel que dans une société rurale. Mais si un évêque n'accorde pas suffisamment d'importance au fait de donner un travail compensatoire, il se peut que l'aide temporaire qu'il accorde encourage le bénéficiaire à une dépendance permanente.

 

     L'expérience a montré que plus une organisation est importante, plus il est difficile de gérer le travail compensatoire et de l'adapter à chaque personne. Ainsi, il est souvent beaucoup plus facile de produire un sac de pommes de terre et de le livrer à chacune des nombreuses personnes nécessiteuses qu'il ne l'est de définir et de gérer un programme de travail individualisé pour chaque bénéficiaire. C'est une des raisons pour lesquelles l'aide de l'État s'effectue généralement en espèces, à partir de formules de calcul imposées, sans obligation de travail individuel en contrepartie.

 

     Une autre difficulté pour gérer l'aide à la manière du Seigneur plutôt qu'à la manière de l'État, réside dans le choix de la nature et de l'étendue de l'aide apportée. En matière d'entraide, l'Église a toujours préféré la distribution de denrées produites par d'autres membres sur les propriétés agricoles du programme d'entraide de l'Église. Mais cette méthode est évidemment beaucoup plus exigeante et parfois même plus coûteuse que la méthode adoptée par l'État qui consiste à distribuer de l'argent en espèces. De plus, beaucoup de bénéficiaires préfèrent recevoir de l'argent.

 

     Enfin, l'aide de l'Église est prévue pour assurer le nécessaire plutôt que de permettre au bénéficiaire de conserver son niveau de vie. Ces restrictions peuvent être très difficiles à gérer dans la mesure où elles exigent de l'évêque qu'il étudie attentivement les besoins d'un membre précédemment autonome et souffrant des conséquences de la réduction de son niveau de vie.

 

     Les gens de passage qui cherchent à récupérer autant d'aide que possible avant de partir pour une nouvelle destination représentent également une difficulté dans ce programme fondé sur la confiance et destiné à aider les nécessiteux tout en protégeant des profiteurs les ressources dont il dispose.

 

     Quel que soit le pays où vivent les saints des derniers jours, s'ils ne sont pas correctement enseignés et dirigés, ils peuvent lentement devenir dépendants de l'Église pour leurs besoins temporels. Cette dépendance peut être bien plus que le besoin temporaire de nourriture ou d'un abri. La plupart des autorités générales ont reçu des lettres de saints de divers endroits leur demandant : « Pourquoi l'Église ne fait-elle rien pour...? » Selon les régions du monde, cette question peut porter sur le chômage ou sur d'autres conditions économiques, sur les possibilités éducatives locales, ou même sur la politique du pays.

 

     Dans de nombreux pays, l'attitude de dépendance des saints des derniers jours vis à vis des initiatives ou de l'aide financière de l'Église à leur égard est difficile à combattre parce qu'elle est courante dans l'environnement politique et social du pays où ils vivent. Mais la dépendance vis à vis de l'Église pour ce qui est temporel ne doit pas être encouragée ni admise car elle est contraire aux voies du Seigneur qui nous enseignent à soutenir son Église, et non pas à attendre d'elle qu'elle nous soutienne. Le Seigneur nous enseigne à considérer l'Évangile comme une invitation à aider les autres, et non pas comme le commandement adressé aux autres de nous aider.

 

 

Les méthodes changent

 

     Les principes que Dieu a révélés sur le devoir de prendre soin des pauvres sont éternels et ne changent pas. Les méthodes utilisées pour mettre ces principes en action diffèrent de temps en temps et même selon les nations.

 

     Le président Spencer W. Kimball a mis l'accent sur la différence entre les principes et les méthodes dans un discours magistral intitulé : « Les services d'entraide : l'Évangile en action ». Dans ce discours, il passa d'abord en revue ce qu'il appelait les « vérités fondamentales » ou les « principes d'entraide » caractéristiques de la manière du Seigneur de prendre soin des pauvres : l'amour, le service, le travail, l'autonomie, la consécration et l'intendance. Ensuite, il présenta ce qu'il appelait « quelques activités et programmes qui sont représentatifs de la façon de vivre ces principes ».35 Cette distinction faite entre les principes et les méthodes nous rappelle que lorsque les lois et les conditions sociales d'un pays changent, les dirigeants de l'Église sont inspirés à modifier les activités et les programmes d'entraide. La révélation est nécessaire non seulement dans l'enseignement des principes éternels, mais également pour faire appliquer ces principes où et quand cela est requis.

 

 

Les magasins

 

     Quand la manière du Seigneur de prendre soin des pauvres et des nécessiteux fut révélée lors du rétablissement de l'Évangile, ces révélations aboutirent à l'établissement d'un magasin (D&A 51:13 ; 72:10,12 ; 78:3). Dans la plupart des premières révélations, le magasin et la loi de consécration étaient étroitement liés. Les membres fidèles consacraient et apportaient tous leurs biens à l'Église. Ils recevaient en retour suffisamment pour couvrir leurs propres besoins et le reste était entreposé dans le magasin pour que l'évêque le distribue aux pauvres et aux nécessiteux (D&A 43:33,34 ; 51:1-13 ; 78:1-14 ; 83:5,6).

 

     Quelques années plus tard, lorsque les dons de tous les biens des membres à l'Église cessèrent, le magasin de l'évêque continua à remplir sa fonction essentielle dans la collecte des dîmes (la loi financière du Seigneur qui a suivi la loi de consécration - D&A 119) et le soin apporté aux pauvres. Le magasin était nécessaire dans la gestion de la dîme à l'époque où la plupart des dîmes étaient payées en nature. Lorsque l'utilisation de l'argent se généralisa dans les régions où la plupart des membres vivaient et que la dîme fut de moins en moins payée en nature, les magasins de l'évêque tombèrent en désuétude.

 

     Quand les coopératives qui sont connues maintenant sous le nom de programme d'entraide de l'Église furent mises en place pendant la Grande Dépression des années 30, l'Église rétablit l'ancien système des magasins de l'évêque. Ils servaient pour la collecte, le stockage et la distribution de nourriture, de combustible et de vêtements produits et donnés par les membres pour venir en aide aux pauvres et aux nécessiteux.36

 

 

Les projets d'entraide

 

     En accord avec le principe fondamental de l'autonomie, le plan d'entraide qui fut remis à l'ordre du jour prévoyait que les personnes aidées travailleraient en compensation de ce qu'elles recevaient. En fait, le travail des bénéficiaires était étroitement lié à la nature de l'aide fournie. Les unités locales de l'Église étaient encouragées à développer des projets de travail qui avaient deux buts : « produire des marchandises et fournir du travail aux sans emploi ».37 Pour atteindre les principaux buts spirituels du programme d'entraide, ces projets fournissaient aussi des occasions à tous les membres de travailler ensemble pour aider les autres.

 

     Dans une société où la plupart des membres de l’Église vivaient dans des fermes ou dans des zones urbaines assez proches de la campagne, ce programme fonctionnait bien. Une personne dans le besoin pouvait être nourrie avec des denrées provenant de la ferme où elle travaillait. Différents projets permettaient de produire diverses marchandises et le magasin pouvait être utilisé comme entrepôt et lieu d’échange. Ce programme fut expérimenté à Welfare Square à Salt Lake City, un complexe dont le bâtiment principal avait été construit en grande partie grâce au travail des saints des derniers jours en échange de marchandises qui y étaient entreposées et mises en conserve.38

 

 

Les projets de production et le fonctionnement des magasins

 

     Immédiatement après la seconde guerre mondiale, les projets de production et les magasins bien remplis rendirent possible l'action remarquable de l’Église pour soulager la souffrance de ses membres européens. Dans un délai relativement court, un convoi de 133 camions remplis de denrées et de produits de première nécessité fut envoyé en Europe. La bénédiction matérielle qu’a représenté ce secours opportun fut significative, mais les bénédictions spirituelles que reçurent à la fois les donateurs et les bénéficiaires furent tout aussi importantes.39

 

     La nature et l’étendue de cette opération d’entraide, fondée sur le programme des magasins et de la production de marchandises, apparaissent dans les rapports publiés pour l’année 1955. Il y eut 689 projets de production (la plupart étaient des projets agricoles, mais quelques-uns étaient industriels) et 140 magasins de l’évêque. Environ 50.000 personnes furent aidées financièrement ou en nature et plus de 92.000 personnes offrirent environ 790.000 heures de travail aux projets d’entraide.40 Les membres de l’Église travaillaient gratuitement à des projets tels que l’élevage de bovins, la production de lait ou la culture d’agrumes pour que les membres nécessiteux puissent recevoir par exemple de la viande de bœuf, du lait et des oranges. Vingt ans plus tard, en 1975, 73 pour cent des paroisses et des pieux américains et canadiens de l'Église étaient engagés dans des projets de production, et il était toujours vivement conseillé aux autres de faire de même.41

 

 

Les changements récents

 

     Alors que le cinquantième anniversaire du rétablissement du plan d'entraide approchait, il était évident que les conditions changeaient et que les coopératives de l'Église qui prenaient soin des pauvres et des nécessiteux devaient évoluer. La population de l'Église n'était plus concentrée dans quelques États de l'Ouest américain mais dans les villes de tous les États-Unis ainsi que dans de nombreuses parties du monde. En 1935, l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours comptait 746.000 membres, dont les deux tiers vivaient en Utah, en Idaho et en Arizona. En 1983, on comptait 5,3 millions de membres, dont un peu moins d'un tiers vivaient dans ces trois États et 1,6 millions en-dehors des États-Unis.

 

     Dans les années 80 on trouvait des saints des derniers jours dans des pays sous différents régimes politiques. Même aux États-Unis, les lois de ce qui était appelé « l'État providence » et son environnement affectaient les projets d'entraide privés (comme les écoles, les hôpitaux et l'aide aux nécessiteux), et les lois fiscales des comtés, des États et de la nation créaient des problèmes importants aux coopératives et aux projets de production de l'Église.

 

     Lors d'une réunion tenue pendant la conférence générale d'avril 1983, l'Église annonça ce que ses dirigeants appelèrent les modifications « les plus significatives et les plus lourdes de conséquences » en matière d'entraide depuis que le président Grant en avait annoncé les objectifs en 1936.42 Gordon B. Hinckley, au nom de la Première Présidence, réaffirma les principes fondamentaux du programme d'entraide et assura qu'il n'y aurait pas de divergence par rapport à ces principes.43

 

     Lors de cette même réunion, Thomas S. Monson, alors membre du Collège des douze apôtres, mit l'accent sur la différence entre le principe immuable de prendre soin des pauvres et les méthodes susceptibles d'évoluer par lesquelles cela s'accomplit. Il cita la déclaration du président Harold B. Lee que « personne ne change les principes et les doctrines de l'Église si ce n'est le Seigneur par la révélation. Mais les méthodes changent lorsque la direction inspirée vient à ceux qui président à un moment donné ».44  Alors qu'il rappelait l'historique du programme d'entraide, Thomas S. Monson observa que « les procédures avaient été révélées pour convenir à une certaine époque » et il affirma que les changements nouvellement annoncés étaient « dans la droite ligne d'une série de changements ».45

 

     Thomas S. Monson donna un aperçu de l'évolution de la société qui nécessitait les modifications annoncées des méthodes du programme d'entraide de l'Église :

 

     « Aujourd'hui, nous sommes devenus une société urbaine. Le recensement de fin 1980 montre que la population rurale est tombée à 2,5 pour cent aux États-Unis. Avec 97,5 pour cent de la population vivant dans les villes, il est devenu de plus en plus difficile d'avoir des projets de production qui répondent aux objectifs pour lesquels ils sont mis en place. Les membres habitent de plus en plus loin des fermes de l'Église. De plus, grâce à une technologie moderne, l'agriculture est devenue une question d'investissement financier, et non plus une question de travail manuel intensif. Aussi, la croissance mondiale de l'Église nous a amenés à beaucoup réfléchir sur la manière dont le programme d'entraide devait être modifié pour répondre aux demandes du monde entier. Ceci pour ne citer que quelques-unes des conditions actuelles qui ont été prises en considération ».46

 

     Les modifications apportées au programme ou à la méthode furent importantes. Les évaluations annuelles du budget des marchandises du magasin (payées par chaque pieu grâce à des projets de production ou en espèces) furent abandonnées. Les programmes pour les marchandises seraient maintenant financés par les contributions volontaires au fonds de jeûne (en espèces). Le financement des magasins et des projets de production serait pris en charge dorénavant par le fonds général de l'Église, sans contribution locale. Les projets de production existants seraient évalués en vue de les regrouper, de les revendre ou de les transformer afin qu'ils deviennent plus efficaces. Seules les propriétés qui produiraient des biens nécessaires au système d'entraide seraient retenues en tant que projets de production. Les autres seraient vendues ou gérées en fermage.47

 

     À l'occasion de ce changement de méthode, le nombre des projets de production fut réduit de manière significative, en particulier dans les régions où il n'y avait pas de grandes concentrations de membres de l'Église. De nombreux projets de production et la plupart des magasins demeurèrent, mais leurs fonctions étaient ramenées au but initial de produire et de distribuer des marchandises directement pour secourir les pauvres et de fournir des occasions de travail aux personnes aidées et à un nombre important de membres. Quand on ne pouvait pas atteindre ces objectifs par un projet de production, l'aide aux pauvres et aux nécessiteux devait être gérée avec des liquidités.

 

     Ces changements réduisirent ou éliminèrent la concurrence entre les projets de production et les fermiers ou les hommes d'affaires qui gagnaient leur vie en produisant des produits comparables. Ils éliminaient aussi de nombreuses controverses sur les exemptions d'impôts fonciers et d'impôts sur le revenu pour les propriétés qui servaient aux projets de production de l'entraide.

 

     En 1989 l'Église publia un livret intitulé Basic Self Reliance (Principes d’autonomie). Dans une lettre aux dirigeants de l'Église datée du 16 novembre 1989, Howard W. Hunter, alors président du Collège des douze apôtres,  expliquait que ce livret était destiné à être utilisé « comme une aide pour l'amélioration de la santé et du bien-être des membres de l'Église dans les régions en voie de développement ». Ce livret contient une formation de base sur la prévention des maladies, la nutrition, l'hygiène et les installations sanitaires, les soins au foyer et le jardinage. Ces sujets doivent être enseignés sous la direction du comité d'entraide de paroisse, selon les besoins des membres. Les présidences inter-régionales ont reçu la responsabilité « de gérer la formation sur l'autonomie de base ».

 

     Les conséquences des changements annoncés en 1983 sont mis en évidence dans un rapport rendu public tout juste quatre ans après. Devant le House Ways and Means Subcommittee on Public Assistance, Keith B. McMullin, directeur général des Services d'Entraide de l'Église, a donné une description complète du programme de l'Église et a à peine fait état des projets de production. Quelques projets de production demeurent, mais ils sont l'exception plutôt que la règle.

 

     Après avoir passé en revue les principes religieux qui sous-tendent le programme d'entraide de l'Église, Keith B. McMullin parla des méthodes : « Nous cherchons premièrement, et avant tout, à encourager l'autonomie et la prévoyance », à acquérir des connaissances et un bon métier, à vivre selon ses moyens et à éviter les dettes inutiles. Les saints des derniers jours sont encouragés à faire « des réserves en nourriture [et en] vêtements », à avoir de « bonnes habitudes d'hygiène », et à cultiver « des principes qui assurent le bien-être social, émotionnel et spirituel ». Il expliqua que quand les individus ont fait tout ce qu'ils ont pu pour subvenir à leurs propres besoins, la famille proche ou éloignée est supposée venir en aide tout d'abord, et lorsque les ressources familiales ne sont pas suffisantes, l'Église apporte alors l'aide nécessaire. Cette aide « peut consister en de la nourriture ou des vêtements, des conseils, une formation professionnelle, des paiements de factures ou des services compatissants de voisins ou d'amis ».48

 

     En résumé, dans les années 80, les principes de l'entraide de l'Église perdurèrent, mais les méthodes avaient subi des changements significatifs. L'accent était mis à nouveau sur la prévention, comme on peut le voir dans le livret Basic Self-Reliance. L'attention portée à l'aide temporaire continuait, mais l'étendue de l'aide apportée allait dorénavant bien au-delà de la fourniture de nourriture, de chauffage, de vêtements et de literie des années 1930. Les projets de production furent réduits et les évêques reçurent la possibilité d'apporter une aide plus variée que celle qui consistait à distribuer des produits entreposés dans leur magasin. La liste des produits du magasin fut élargie et on y ajouta la gamme complète des produits alimentaires, des vêtements, des talents, et autres ressources fournies par des membres de l'Église. Cette définition modifiée apparaît dans Pourvoir aux besoins à la façon du Seigneur, Guide d'entraide pour les dirigeants, publié en 1990 :

 

     « Le magasin reçoit, garde en dépôt et distribue les offrandes faites par les saints. Dans sa forme et son fonctionnement, le magasin est aussi simple ou aussi complexe que l'exigent les circonstances. Ce peut être une liste de services disponibles, de l'argent sur un compte, de la nourriture dans un garde-manger ou des denrées entreposées. Un magasin est fondé dès l'instant où des membres fidèles donnent à l'évêque leur temps, leurs talents, leur savoir-faire et leur compassion, du matériel et des moyens financiers pour prendre soin des pauvres et édifier le royaume de Dieu sur la terre ».49

 

     Bien entendu, ces nouvelles méthodes répondaient mieux aux lois et aux modes de vie actuels, aux États-Unis et dans les autres parties du monde.

 

 

L'aide de l'État

 

     En même temps qu'évoluaient les méthodes de l'Église pour administrer son aide aux pauvres et aux nécessiteux, d'autres changements survenaient pour ceux qui recevaient de l'aide de l'État.

 

     À ses débuts, l'entraide de l'Église était une alternative à l'entraide de l'État et les membres de l'Église avaient reçu le conseil d'éviter de recevoir toute aide sociale. Cette méthode était réalisable aux États-Unis dans les années 30 et 40, mais elle était difficilement applicable dans les pays socialistes où le nombre des membres a augmenté de façon conséquente dans les années 50, ou même dans l'environnement social de l'entraide aux États-Unis des années 70.

 

     En 1977, le président Ezra Taft Benson expliqua les principes fondamentaux pour aider les saints des derniers jours à savoir s'ils devaient accepter ou non l'aide de l'État : « On nous demande parfois s'il est convenable que les membres de l'Église reçoivent l'aide de l'État plutôt que celle de l'Église. Je tiens à répéter ce qui est un principe fondamental. Dans toute la mesure du possible chacun doit pourvoir à ses propres besoins. Quand une personne n'est pas capable de prendre soin d'elle-même, c'est sa famille qui doit l'aider. Lorsque la famille n'est pas capable de pourvoir au nécessaire, c'est l'Église qui doit aider, pas le gouvernement. Nous acceptons le principe fondamental que 'bien que le peuple soutienne l'État, l'État ne doit pas soutenir le peuple' ».50

 

     Ensuite il parla de la différence entre l'aide « méritée » et l'aide « non méritée », en expliquant son importance en terme d'impact spirituel sur le bénéficiaire : « Les saints des derniers jours ne doivent pas recevoir de la part d'organisations locales ou nationales une aide qu'ils n'ont pas méritée. Ceci s'applique aussi aux bons alimentaires. Les dirigeants de la prêtrise et de la Société de Secours doivent vivement conseiller aux membres de l'Église d'accepter le programme d'entraide et de gagner ce dont ils ont besoin grâce à ce programme, même s'ils reçoivent moins d'argent et de nourriture. Ce faisant, les membres seront fortifiés spirituellement et conserveront leur dignité et le respect d'eux-mêmes ».51

 

     Dans les années 80, les saints des derniers jours, dans le monde entier, payaient des impôts pour soutenir quantité de services sociaux dont les pauvres n'étaient pas les seuls bénéficiaires : des repas chauds gratuits dans les écoles primaires, des cours de rattrapage dans les collèges et des services d'orientation, pour n'en citer que quelques-uns. Devaient-ils se refuser l'accès à des programmes sociaux pour lesquels ils cotisaient et se tourner seulement vers l'Église pour obtenir de l'aide ?

 

     Comme dans le message du président Benson cité plus haut, l'Église a continué à conseiller à ses membres de ne pas accepter le soutien traditionnel de l'État aux pauvres, tel que les bons alimentaires. Mais lorsqu'un programme subventionné par le gouvernement est accessible à tous les citoyens de façon générale et dans la mesure où il est en accord avec le principe de l'autonomie et les autres principes de l'entraide de l'Église, les dirigeants de l'Église ne s'opposent pas de nos jours à ce que ses membres en bénéficient. Par exemple, il n'y a pas d'objection à ce qu'un membre fasse une contribution personnelle importante pour bénéficier d'un programme (par exemple un étudiant qui doit étudier afin de réaliser le bénéfice de la subvention d'impôt dans un collège proposant un droit d'instruction à tarif réduit).

 

     Le principe de l'autonomie et sa relation avec l'aide de l'État sont décrits dans ce passage clé du Guide de l'entraide pour les dirigeants :

 

     « Les saints des derniers jours ont la responsabilité de pourvoir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Toutefois certains membres peuvent nécessiter une aide plus importante que celle que la famille peut apporter et dans ce cas, ils peuvent demander l'aide de l'Église. Dans certains cas, des membres peuvent décider de recevoir de l'aide en provenance d'autres sources, y compris de l'État. Dans tous ces cas, ils doivent éviter de devenir dépendants de ces sources et s'efforcer de devenir autonomes. Dans la mesure du possible ils devraient travailler en échange de l'aide reçue ».52

 

     Devant la Chambre des Représentants des États-Unis, Keith B. McMullin, directeur général de l'entraide de l'Église, s'est exprimé publiquement sur cette nouvelle conception : « Lorsque les ressources disponibles de la collectivité sont compatibles avec nos principes, nous les utilisons volontiers. Cependant, notre objectif premier sera toujours d'aider les gens à s'aider eux-mêmes ».53

 

     Il existe un fossé, qui va peut-être en s'élargissant, entre la manière de l'État et la manière de l'Église de prendre soin des pauvres et des nécessiteux. Ce fossé est inévitable dans la mesure où les objectifs de l'Église, dictés par les commandements divins, sont spirituels aussi bien que temporels.

 

     Le développement de l'urbanisation et la diversité des situations rencontrées dans une Église mondiale présentent de nombreux défis à ceux qui ont la responsabilité d'utiliser les ressources du Seigneur au bénéfice des pauvres et des nécessiteux. Les changements récents dans l'organisation et les procédures de l'Église facilitent cette mission sacrée, mais les paramètres variables les plus importants demeurent l'attitude du bénéficiaire potentiel et l'inspiration de l'évêque. Aucun de ces critères n'a changé. Les voies du Seigneur en matière d'entraide ne changeront pas tant que les membres seront déterminés à pourvoir à leurs propres besoins du mieux qu'ils le pourront et à participer ensuite à l'aide apportée aux moins favorisés, et tant que les évêques continueront à gérer l'entraide à la manière du Seigneur.

 

 

NOTES

 

1 Russel M. Nelson, À la façon du Seigneur, l’Étoile, juillet 1986, p. 22.

2 Marion G. Romney, Caring for the Poor and the Needy, Ensign 3, janvier 1973, p. 97.

3 Russel M. Nelson, À la façon du Seigneur, l’Étoile, juillet 1986, p. 24.

4 Joseph F. Smith, Doctrine de l’Évangile, chapitre 13.

5 Marion G. Romney, Caring for the Poor and the Needy, Ensign 3, janvier 1973, p. 99.

6 Voir, par exemple, Charles Murray, Losing Ground (New York City Basic Books Inc., 1984).

7 Cité dans Thomas S. Monson, Un plan prévoyant, une promesse précieuse, L'Étoile, juillet 1986, p. 65.

8 Robert L. Woodson, Race and Economic Opportunity, Vanderbilt Law Review 42 (mai 1989), p. 1025.

9 Idem, p. 1026.

10 Teachings of Spencer W. Kimball, éd. Edward L. Kimball (Salt Lake City, Bookcraft, 1982), p. 370.

11 L’Étoile, octobre 1980, p. 141

12 Greetings of the First Presidency, Improvement Era 41, janvier 1938, p. 7.

13 Joseph F Smith, Doctrine de l'Évangile, p. 172.

14 Marion G. Romney, Le rôle des évêques dans les services d'entraide, L'Étoile, avril 1978, p. 124.

15 Spencer W. Kimball, Les services d'entraide : l'Évangile en action, L’Étoile, avril 1978, pp. 115-120.

16 Teachings of Spencer W. Kimball, éd Edward L. Kimball (Salt Lake City, Bookcraft, 1982), p. 369.

17 Idem, p. 365.

18 The First Presidency Speaks on Church Security, Improvement Era 40, janvier 1937, p. 3 ; réimprimé dans Messages of the First Presidency, James R. Clark, comp. 6 (Salt Lake City, Bookcraft, 1975), pp. 22, 24.

19 Cité par Marion G. Romney dans Church Welfare - Some Fundamentals, Ensign 4, janvier 1974, pp. 91,92.

20 James R. Clark, Messages of the First Presidency, 676 ; voir aussi Gordon B. Hinckley, Responsabilités des collèges de la prêtrise en matière d'entraide, L'Étoile, avril 1978, p. 131.

21 James R. Clark, Messages of the First Presidency, (Salt Lake City, Bookcraft, 1975), 6:77.

22 Voir The Message of the First Presidency to the Church, Conference Report, octobre 1936, 2-6 ; J. Reuben Clark, fils, Church Welfare Plan, dans Messages of the First Presidency, 6-63-88 (discours donné lors d'une conférence à Estes Park, Colorado, 1939).

23 Andrew J. Malkovich, éd., Sport Quotations (Jefferson, N.C., McFarland & Co., 1984), p. 90.

24 CarI Sandburg, Abraham Lincoln : The Prairie Years, 1 (New York, Harcourt, Brace 1 World, 1926), p. 125.

25 Cité par Marion G. Romney dans Church Welfare - Some Fundamentals, Ensign 4, janvier 1974, p. 89.

26 Joseph F. Smith, Doctrine de l'Évangile, p. 195.

27 Marion G Romney, La nature céleste de l'indépendance, L'Étoile, avril 1983, pp. 183-188.

28 United State Statute at Large 12 (1862), p. 392.

29 Louis Kohlmeier, Social Security and Welfare on an Historic Convergence Course, Financier 1, septembre 1977, p. 6.

30 Marion G. Romney, La nature céleste de l'indépendance, L'Étoile, avril 1983, pp. 184, 185.

31 Ezra Taft Benson, Pourvoir aux besoins grâce au système des magasins du Seigneur, L'Étoile, octobre 1977, p. 95.

32 William Rees-Mogg, Conservatism Shines Its Brightness in Utah, Deseret News, 31 mars 1980, pp. A1, A3.

33 Marion G Romney, Caring for the Poor and the Needy, Ensign 3, janvier 1973, p. 98.

34 My Fair Lady, acte 1, scène 5.

35 Spencer W. Kimball, Les services d'entraide : l'Évangile en action, L'Étoile, avril 1978, pp. 115-120.

36 James R. Clark, Messages of the First Presidency, (Salt Lake City, Bookcraft, 1975), 6:74.

37 Priesthood and Church Welfare, (Salt Lake City, Deseret Book, 1938), p. 33.

38 Henry D. Taylor, The Church Welfare Plan, 1984, manuscrit relié dans History Library-Archives, The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints, Salt Lake City, Utah, p. 57.

39 Voir, en général, Ezra Taft Benson, Conference Report, avril 1947, p. 152 ; AJfred W. Uhrhan, Welfare in the Church, lmprovement Era 59, novembre 1956, p. 852 ; Henry D. Taylor, The Church Welfare Plan, pp. 58, 59 ; Ezra Taft Benson, Labor of Love (Salt Lake City, Deseret Book, 1989).

40 Henry D. Taylor, The Church Welfare Plan, p. 59.

41 Marion G. Romney, Welfare Services, Ensign 5, novembre 1975, p. 127.

42 News of the Church, Ensign 13, mai 1983, p. 84.

43 Cité dans Henry D. Taylor, The Church Welfare Plan, 1984, p. 122.

44 Harold B. Lee, God's Kingdom - A Kingdom or Order, Ensign 1, janvier 1971, p. 10.

45 Thomas S. Monson, cité dans Henry D. Taylor, The Church Welfare Plan, pp. 124, 125.

46 Idem, p. 125.

47 News of the Church, Ensign 13, maj 1983, p. 83 ; Henry D. Taylor, The Church Welfare Plan, pp. 124, 125.

48 Keith B. McMuIlin, témoignage lu devant le House Ways and Means Subcommittee on Public Assistance, tel que cité dans un communiqué de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours à la presse, 11 mars 1987.

49 Pourvoir aux besoins à la façon du Seigneur, Guide de l'entraide pour les dirigeants (Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, Torcy, France, 1990), p. 11.

50 Ezra Taft Benson, Pourvoir aux besoins grâce au système des magasins du Seigneur, L'Étoile, octobre 1977, pp. 95, 96.

51 Ezra Taft Benson, Pourvoir aux besoins grâce au système des magasins du Seigneur, L'Étoile, octobre 1977, p. 96.

52 Pourvoir aux besoins à la façon du Seigneur, Guide de l'entraide pour les dirigeants (Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, Torcy, France, 1990), p. 15.

53 Keith B. McMullin, communiqué à la presse, 11 mars 1987

 

 

Source : The Lord's Way, Deseret Book, 1991.