Évolution
historique et sociologique du
rôle de la femme dans l'Église
Martha
Nibley Beck
Article
tiré de l'Encyclopédie
du mormonisme
(Macmillan
Publishing Company, 1992)
Traduction : Marcel
Kahne
Source :
www.idumea.org
avec
autorisation
Les
croyances des saints créent une identité féminine
très particulière qui encourage les femmes à
développer leurs capacités d’individus
potentiellement divins, tout en affirmant que les activités
les plus importantes pour les hommes et les femmes sont centrées
sur la création et l’entretien de relations familiales.
Le
potentiel éternel des femmes a toujours été basé
sur le canon doctrinal, qui est resté essentiellement inchangé
depuis que l’Église a été organisée.
Cependant, le rôle temporel des femmes a pris différentes
formes selon les situations auxquelles l’Église a dû
faire face à divers moments de son histoire. À travers
toutes les périodes historiques, l’application aux
circonstances pragmatiques de la perspective théologique à
l’égard des femmes a signifié que les membres
féminins de l’Église ont toujours joué un
rôle central qui a assuré le succès du mormonisme
comme religion et comme société.
RÔLE
DE LA FEMME DANS LA PÉRIODE FORMATRICE DE L’ÉGLISE (1830-1847)
Comme le font typiquement la plupart
des adhérents des religions nouvellement créées qui cherchent leur place, les
premiers saints des derniers jours réagissaient aux tensions en donnant à la vie
de tous les jours une orientation intensément spirituelle. Bien que l’autorité
pour administrer la plupart des ordonnances et pour présider la plupart des
assemblées ait été limitée à une prêtrise masculine, les dons de l’Esprit
n’étaient pas considérés comme appartenant aux hommes uniquement. Les femmes
recevaient la révélation personnelle, guérissaient les malades, prophétisaient
les événements futurs et accomplissaient diverses autres actions qui
nécessitaient des dons spirituels. La foi de ces femmes et leur capacité de
développer des qualités spirituelles furent essentielles pour maintenir l’Église
en vie pendant ses premières années difficiles. Elles votaient sur les affaires
de l’Église, aidaient aux cérémonies du temple et contribuaient aux activités
d’entraide. En tant que groupe, les femmes obtinrent une identité ecclésiastique
par la création de la Société de secours, que le prophète Joseph Smith
considérait comme partie intégrante et essentielle de l’Église. De plus, les
femmes fournissaient une grande partie du travail physique, soignaient les
malades et les blessés, aidèrent à la création d’une succession de nouvelles
communautés et s’occupaient des besoins des membres dont les familles avaient
affronté des difficultés.
RÔLE
DE LA FEMME DANS LA PÉRIODE DE CONSOLIDATION (1847-1920)
L’émigration à grande échelle des
saints des derniers jours hors du Midwest des États-Unis vers la région peu
peuplée du Grand Bassin de l’Ouest marqua le commencement de la consolidation de
la religion mormone. Séparés de la civilisation anglo-américaine dominante par
des centaines de kilomètres de territoire hostile et non colonisé, les saints
des derniers jours pouvaient créer leur communauté selon les directives dictées
par leur religion. Parmi les pratiques sociales qui devinrent importantes après
la migration vers l’Ouest et qui eurent un impact important sur la vie des
femmes, il y eut le mariage plural et l’affectation des hommes adultes à de
longues tournées comme missionnaires de l’Église. Une femme dont le mari
divisait son temps entre des épouses multiples et/ou le service missionnaire
était souvent obligée de pourvoir toute seule au soutien matériel et émotionnel
de ses enfants et d’elle-même.
La
croissance de la population et sa socialisation dans l’Église
furent des facteurs importants de la consolidation et du renforcement
de l’organisation de l’Église et une grande partie
de cette responsabilité incomba aux femmes. À cause de
l’absence de leurs maris, les femmes étendirent leur
rôle en tant que « mères en Sion »
dans des domaines qui n’étaient généralement
pas liés à la domesticité féminine du
XIXe siècle. Le président Brigham Young encouragea
l’éducation des filles et des garçons dans « les
us et coutumes des royaumes et des nations éloignés,
avec leurs lois, leur religion, leur localisation géographique…
leur climat, leurs productions naturelles, l’ampleur de leur
commerce et la nature de leur organisation politique » (JD
9:188-89 ; Widtsoe, p. 211). Il proposa également que les
femmes « tiennent des registres et vendent des
marchandises » (JD 12:374-75 ; Widtsoe, p. 218), et
les exhorta « à voter… parce que les femmes
sont les personnalités qui dominent l’urne électorale »
(JD 1:218 ; Widtsoe, p. 367). Certaines femmes de l’Église
participèrent à des actions politiques relatives à
leur sexe, comme le montre le fait qu’elles furent la deuxième
population féminine, après celle du Wyoming, à
voter lors d’une élection nationale.
Les
exhortations du président Young montrent une conception de la
responsabilité féminine tirée aussi bien de la
croyance que les femmes et les hommes sont éligibles pour la
même « progression éternelle » que
de la dépendance de l’Église d’Utah de
l’époque vis-à-vis du maintien d’une
population féminine capable et inventive. La réponse
des femmes à la nécessité de développer
de larges capacités pratiques et à un dévouement
intense à la famille forgea une image des femmes mormones qui
résultait de facteurs pratiques aussi bien que religieux au
cours de cette période.
RÔLE
DE LA FEMME DANS LA PÉRIODE D’EXPANSION (1920 à nos jours)
Pendant tout le début des années 1900,
l’idéal des convertis s’assemblant en Utah de tous les coins du globe pour
édifier une « Sion » isolée se transforma graduellement en la volonté d’établir
l’Église dans beaucoup de différents pays et cultures. Ce changement, accompagné
de l’intrusion de colons non membres en « pays mormon », obligea l’Église à
affronter le problème social de l’intégration de ses membres à des sociétés non
mormones. L’un de ces problèmes fut la délimitation et la formulation de la
position des femmes de l’Église ; cependant, le rôle des femmes n’était pas un
sujet qui suscitait beaucoup de polémique.
La
place centrale de la famille dans la culture et la doctrine des
saints s’adaptait facilement à l’idéal
victorien populaire du XIXe siècle du rôle hautement,
pour ne pas dire exclusivement, domestique des femmes. La nécessité
de consolider l’Église en tant que communauté et
en tant qu’organisation fut remplacée par le désir
de former une population stable qui pourrait s’adapter
confortablement dans les cultures ambiantes, en particulier la
culture des États-Unis.
Jusqu’à
la dernière moitié du XXe siècle, le rôle
traditionnel des femmes opposa peu d’obstacles à la
réalisation de ce but. Comme l’industrialisation
poussait progressivement la sphère des hommes américains
hors de la maison, et celle des femmes de plus en plus dedans, la
plupart des saints des derniers jours suivirent simplement le modèle
de la société profane. Conformément à sa
doctrine centrée sur la famille, l’Église soutint
aisément l’idéal des femmes ménagères,
épouses et mères. Le succès du féminisme
dans les années 1970 présenta aux femmes de l’Église
un ensemble complexe d’attentes et de priorités qui se
faisaient concurrence. Les analyses profanes opposaient la
réalisation des buts personnels ou l’avancement de la
personne au dévouement à la famille ; les
croyances des saints définissent les deux comme
inextricablement entrelacés.
Le
décalage entre les croyances religieuses des saints et la base
théorique de la société profane met les femmes
de l’Église d’aujourd’hui devant un ensemble
de dilemmes en ce qui concerne leur rôle. D’une part, la
doctrine de l’Église et les exemples historiques
d’autres femmes de l’Église leur ont inculqué
la double croyance qu’elles doivent développer leurs
capacités personnelles et qu’elles doivent centrer leur
vie sur leur famille. D’autre part, comme toutes les femmes,
elles agissent dans le contexte social général de
systèmes juridiques, politiques et économiques dans
lesquels ces deux idéaux sont parfois considérés
comme s’excluant mutuellement.
Bibliographie
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Leonard J., et Davis Bitton. "Marriage and Family Patterns."
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