La bibliothèque géante d'Utah



Henri Caillavet

Ancien secrétaire d’État et parlementaire français



 
      J'étais rapporteur spécial de la Commission Nationale Informatique et Liberté. C'est à dire le rapporteur des problèmes sensibles, des fichiers sensibles politiques, religieux, syndicaux. Bref, l'enquête se déroule sur deux plans : Français et étranger (États-Unis). En France je peux en effet obtenir des renseignements qui sont convenables au plan du droit, et aussitôt je me rends aux États-Unis et qu'est-ce que j'ai constaté ? C'est qu'il y a plusieurs milliards de fiches, d'ailleurs eux-mêmes m'ont dit, et nous sommes en 1989, plus de 14 milliards venant de 40 pays différents. En ce qui concerne les Français : 500 millions de fiches. Depuis, il doit y en avoir davantage puisque le microfilmage a continué. Nous sommes donc en présence d'une bibliothèque géante, la plus impressionnante qui soit.
 
      Alors je me suis bien évidemment intéressé à la finalité. Deux finalités : une finalité religieuse incontestable. Il faut baptiser les ancêtres, c'est pourquoi les mormons vivants recherchent leur arbre généalogique et leurs ascendants parce que les âmes errent dans l'infini du temps, donc il faut pouvoir les sauver. Et une autre finalité qui est évidemment plus propre à une situation moderne, savoir : des recherches sur des fiches particulières, sur des générations particulières, notamment pour des recherches sur le cancer ou des recherches sociologiques. D'où la création d'une commission de contrôle. Parce que pour la première, la finalité religieuse, comme ce sont des pièces qui ont plus de cent ans, n'importe qui peut les consulter. Pour l’autre il s'agit au contraire des pièces d'une époque actuelle, donc il fallait une autorisation spéciale. Je constate que tout cela a été régulier, tout cela est conforme à la législation française. Alors c'est vrai que la commission m'a approuvé.
 
      J'ai quand même une conception personnelle en tant que rapporteur, en tant qu'homme : J'ai trouvé de la part des personnes que j'ai interrogées une très grande sincérité, et je pense qu'il n'y a pas de duplicité. Ce sont des personnes loyales qui entendent au contraire prouver par cette probité extrême qu'elles détiennent la vérité. En tant qu'enquêteur je la cherchais. Mais là je dois dire qu'elles sont assurées de leur vérité. C'est un credo, c'est une foi, mais non sectaire. C'est-à-dire qu'elles acceptent le dialogue avec autrui alors que trop souvent le dogme est éliminatoire, il rejette, et le dogme est agressif, là non. Nous sommes en présence d'une communauté qui a le souci de sa personnalité et de son identité, la certitude de ses choix avec la volonté de convaincre mais non d'imposer. Et c'est là que je dois dire que les mormons, de ce côté là, m'ont particulièrement séduit. Pour autant, je n'ai pas le souci de devenir mormon.

 
Source : Reportage Les microfilms de l'éternité de Bernard Mounier diffusé sur la chaîne télévisée ARTE le 19 novembre 1995