Les manuscrits de la mer Morte :

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Frank Moore Cross




 
Le gros des rouleaux de la mer Morte, environ 600 manuscrits, date de v. 250 av. J.-C. à 68 av. J.-C. Les autres ouvrages du Rift du sud de la Jordanie, principalement du Nahal Hever et du Nahal Seelim, datent de 131 à 135 av. J.-C. Massada a donné des documents du premier siècle av. J.-C. à 73 apr. J.-C.
 
Les manuscrits contiennent des extraits de toutes les Écritures hébraïques (excepté Esther), et plus d'une variante d’un grand nombre d’entre elles. Par exemple, les trois manuscrits de Samuel trouvés à Qumran sont des textes beaucoup plus complets que ceux de la Bible massorétique (le texte traditionnel). On a aussi trouvé des fragments de livres apocryphes et pseudépigraphiques, ainsi que des manuscrits d’ouvrages religieux précédemment inconnus, notamment un rouleau du temple, un manuel de discipline et un rouleau d'actions de grâces.
 
Les rouleaux ont nécessité une réévaluation des connaissances dans trois catégories : (1) le développement des Écritures hébraïques avant la formation du canon ; (2) la datation et l'influence dominante de la pensée apocalyptique et (3) le milieu religieux du Nouveau Testament.

1. La bibliothèque « biblique » de Qumran représente une étape fluide du texte biblique. Ces documents ne montrent aucune influence de la révision rabbinique du canon, l'ancêtre direct de la bible hébraïque traditionnelle. Les rouleaux permettent de situer le texte et le canon pharisaïques à l’époque de Hillel, en gros, le temps de Jésus. Dans leur choix de livres canoniques, les rabbins ont exclu ceux attribués aux prophètes ou aux patriarches d’avant Moïse (par exemple, la littérature sur Hénoc, les ouvrages écrits au nom d'Abraham et d'autres patriarches). Ils ont suivi la succession des prophètes de Moïse aux personnalités de la période perse. Les œuvres tardives ont été exclues, excepté Daniel, que les rabbins ont vraisemblablement attribué à la période perse.
 
2. La littérature de Qumran comprend des apocalypses et des œuvres teintées d’apocalyptique. Les auteurs voyaient l'histoire du monde aux prises avec une guerre finale entre l'esprit de vérité et l'esprit du mal ; ce conflit est à la fois cosmique et terrestre. Ils se considéraient comme les héritiers légitimes d'Israël et contractèrent une nouvelle alliance, comme Fils de Lumière, d’affronter les Fils des Ténèbres. Ils avaient une lecture stricte de la loi, vivaient dans le renoncement quotidien, pratiquaient des ablutions et avaient des repas cérémoniels. Leur Manuel de Discipline reflète leur espoir de voir la venue immédiate du royaume céleste. Un « Maître de justice » était apparemment le chef sacerdotal de la communauté terrestre de Dieu ; les forces du bien étaient également menées par une puissance cosmique ou Saint-Esprit appelé le « Prince de Lumière ». Les auteurs considéraient leur époque comme celle de la fin. Le Messie était sur le point d'apparaître, « apportant l'épée ». L'effondrement des autres structures sociales était imminent avant la nouvelle ère. Les habitants de Qumran, probablement des Esséniens, s’attendaient à ce que le Messie davidique ou royal apparaisse pour battre les puissances terrestres et cosmiques de la méchanceté. Les commentaires sur les textes bibliques, trouvés dans la même région, traitent des prophéties traditionnelles dans ce contexte eschatologique. Leur Église était une Église d'anticipation.
 
Le Rouleau du Temple montre que ces prêtres juifs étaient des séparatistes qui prétendaient que le culte du temple était périmé. Ils avaient remplacé le calendrier lunaire par un calendrier solaire pour les fêtes et avaient introduit des fêtes d'huile et de vin mentionnées nulle part dans le Pentateuque. Se considérant comme des guerriers dans la dernière guerre sainte, combattant aux côtés de saints anges, ils interdisaient toute impureté (ce qui, à leurs yeux comprenait les boiteux, les aveugles et les malades) dans le temple espéré et dans la ville du temple. Au moins pour la durée de la guerre, ils étaient célibataires.
 
Il faut maintenant se rendre compte que l’apocalypticisme doit dorénavant être considéré comme un élément majeur de la matrice complexe qui a constitué la base du développement du judaïsme tannaïque et du christianisme primitif. Guershom Scholem a choqué les savants de cette génération en démontrant l'existence et l'importance du mysticisme apocalyptique à l’époque de Rabbi Akiba. Il est maintenant nécessaire de faire remonter la pensée apocalyptique plus tôt que les savants ne le pensaient jusqu’alors, peut-être dès le quatrième siècle av. J.-C. et qu’elle a duré la moitié d’un millénaire.
 
3. Le Nouveau Testament reflète ces tendances théologiques apocalyptiques que les savants ont jusqu'ici traitées à la légère. Par exemple, il s'avère maintenant que la pensée et les enseignements de Jean-Baptiste et de Jésus de Nazareth sont plus apocalyptiques que prophétiques dans leur caractère essentiel. Le cadre dualiste, apocalyptique et eschatologique marque Jean comme étant le plus juif des quatre Évangiles. Dans l'Évangile de Jean, l'esprit de vérité est appelé Paraclet ou Avocat. Il est le Saint-Esprit, mais, comme à Qumran, il n'est pas tout à fait identique à l’esprit de Dieu, ce qui explique pourquoi il ne parle pas de sa propre autorité (Jn. 16:13). L'accent mis sur la lumière et les ténèbres, l’unité, la communauté et l’amour est réitéré et étendu. Le thème du savoir religieux dans un sens eschatologique est comparable aux déclarations que l’on trouve dans les épîtres de Paul et l'Évangile de Matthieu. L'évangile de Luc cite presque mot à mot une apocalypse pré-chrétienne de Daniel, trouvée dans la grotte 4, qui parle d’un roi eschatologique, que nous pensons être le Messie royal d’après les titres « Fils de Dieu » et « Fils du Très-Haut ». Dans la parabole du festin dans Luc 14:15-24, Jésus condamne ceux qui cherchent des places d’honneur dans son royaume, peut-être en réponse polémique à la pratique des Esséniens d’exclure tout le monde de leur banquet sauf l'élite du désert qui partageait ses marchandises et était des « hommes de renom ».

Pour les Esséniens, l’Âge Nouveau était encore à venir. Pour les premiers chrétiens, Jésus avait été ressuscité pour être le Messie qui apportait l’Âge Nouveau. Les deux communautés vivaient dans l’attente du plein avènement de la rédemption ou de la consommation du royaume de Dieu. Les Esséniens constituaient une communauté d’apocalyptiques sacerdotaux. Le mouvement chrétien primitif était constitué en grande partie d’apocalyptiques laïques, un peu comme le parti des pharisiens. Les uns et les autres sondaient les prophètes pour trouver chez eux des allusions aux événements de leur temps, qu'ils considéraient comme étant les « derniers temps » et les uns et les autres parlaient une langue imprégnée de la terminologie de l'apocalyptique juive.