Le massacre de Mountain Meadows

 

 

Joseph Fielding Smith (1876-1972)

 

Membre du collège des Douze de 1910 à 1950

Président suppléant du collège des Douze de 1950 à 1951

Président du collège des Douze de 1951 à 1965

Membre de la Première Présidence de 1965 à 1970

Historien de l'Église de 1921 à 1970

Président de l’Église de 1970 à 1972

 

     

 

 

Un crime épouvantable

 

      Pendant que le capitaine Van Vliet était en entretien avec le président Brigham Young, se produisait dans le coin sud-ouest de l'Utah - à environ quatre cents kilomètres de Salt Lake City - le crime le plus horrible et le plus épouvantable jamais perpétré sur le territoire de l'État. Ce fut le massacre à Mountain Meadows d'une compagnie d'émigrants en route pour la Californie du sud. Cet acte sanglant et diabolique commença à l'aube du 7 septembre 1857 et continua jusqu'au 11 lorsque les émigrants assiégés qui survécurent aux attaques furent odieusement assassinés après s'être entendu promettre qu'ils seraient protégés.

 

   Ce fut l'acte d'Indiens en colère aidés par un certain nombre de Blancs qui se vengèrent de mauvaises actions commises par un petit nombre d'entre les émigrants, ennemis déclarés tant des Blancs que des Indiens.

 

      C'était un crime pour lequel il ne peut y avoir d'excuse, un acte traître et condamnable à l'extrême. Mais pour les mormons, il était particulièrement regrettable que cela arrivât justement à ce moment-là. De faux rapports étaient en circulation dans tout le pays concernant les saints des derniers jours. Tous les délits et meurtres qui se produisaient à moins de 1500 kilomètres de l'Utah leur étaient imputés. Même le président des États-Unis et d'autres dirigeants importants cautionnaient ces rapports et aidaient à leur diffusion. L'armée était dans les plaines en route pour l'Utah pour écraser une prétendue violation de la loi et une rébellion ; et maintenant, pour ajouter à l'horreur de la situation, on racontait partout que les mormons avaient attaqué et tué une compagnie de gens innocents qui traversaient paisiblement leur pays. C'est ainsi qu'un semblant de confirmation était donné au mensonge selon lequel la vie et les biens des gens n'étaient pas en sécurité dans le territoire d'Utah.

 

      Il doit être bien entendu dès le départ que ce crime horrible imputé si souvent et avec tant de persistance à l'Église et à ses dirigeants a été le crime d'un seul individu, le crime d'un fanatique, qui était membre de l'Église, mais dont les intentions étaient ignorées de l'Église et dont les actes sanglants sont considérés par les membres de l'Église, grands et petits, avec autant d'horreur que par n'importe qui d'autre en dehors de l'Église. En fait, la fraternité reçut ce coup avec une force et un dommage décuplés. Il y avait sa cruauté, qui lui déchirait le cœur, et il y avait la force qu'elle donnait à ses ennemis pour continuer à la calomnier et à la molester. Les mormons dénoncent le massacre de Mountain Meadows et tout ce qui s'y rattache avec autant de ferveur et d'honnêteté que tous ceux du monde extérieur. Ceci est abondamment prouvé et peut être accepté comme un fait historique (Bancroft, History of Utah, p. 544).

 

   On peut dire sans craindre d'être contredit qu'il y eut moins de délits commis en Utah pendant les temps de la vie pionnière que dans n'importe quelle autre partie du pays placée dans la même situation. La Californie avait ses comités de surveillance qui exerçaient une prompte vengeance sans procès légal. Telle était aussi la situation dans d'autres États et territoires frontaliers et malheur à celui qui encourait la colère des pouvoirs dominants. Il avait été enseigné dès le début au peuple mormon : « Tu ne tueras point » (Exode 20 :13). Selon leur enseignement, le meurtre commis par perversité était un péché contre lequel il n'y avait pas de pardon dans cette vie ni dans la vie à venir. Après lui, et au même niveau, il y avait l'immoralité sexuelle. Ces deux grands péchés étaient formellement dénoncés par les saints.

 

 

Délits faussement imputés aux autorités de l'Église

 

Une des choses les plus éprouvantes pour les membres de l'Église, ce fut la tentative de leurs ennemis d'imputer à Brigham Young et aux dirigeants de l'Église toutes les mauvaises actions commises dans l'Ouest. Ces tentatives amenèrent Jacob Fomey, agent aux affaires indiennes en 1859, à écrire à Washington en disant :

 

« Je crains, et je regrette d'avoir à le dire, qu'il y a ici dans certains cercles un plus grand empressement à rattacher Brigham Young et les autres dignitaires de l'Église à tous les délits criminels que d'efforts diligents pour punir les auteurs réels des crimes ».

 

 

Comment le massacre se produisit

 

      Vers le moment où parvint à Salt Lake City la nouvelle de l'arrivée de l'armée, une compagnie d'émigrants venus de l'Arkansas et du Missouri traversait la ville sous le commandement du capitaine Fancher. Cette compagnie se composait d'environ trente familles comptant cent trente-sept personnes. Les émigrants d'Arkansas semblaient respectables et aisés. Avec eux voyageait un groupe de téméraires brutes qui se donnaient le nom de « Chats sauvages du Missouri » et qui se conduisaient de manière à faire honneur à ce nom. Un des dirigeants de l'Église, Charles C. Rich, conseilla à la compagnie de prendre la route du nord. S'ils l'avaient fait, ils auraient eu la vie sauve. Ils allèrent jusqu'à la Bear River puis revinrent, décidant de se diriger vers le sud. On prétend qu'en chemin les mauvais éléments du groupe insultèrent les gens des colonies du sud qu'ils traversèrent. Ils arrachèrent des clôtures, détruisirent des propriétés, insultèrent des femmes et se rendirent odieux d'autres façons encore. On dit de source autorisée qu'à Fillmore ils menacèrent de détruire le village « et se vantèrent d'avoir participé aux meurtres et aux autres outrages qui furent infligés aux mormons au Missouri et en Illinois ». À Corn Creek, à vingt-quatre kilomètres plus au sud, ils empoisonnèrent, rapporta-t-on, les sources ainsi que le cadavre d'un bœuf. La carcasse fut mangée par une bande d'Indiens Piutes, et dix d'entre eux moururent. Certaines bêtes des colons moururent d'avoir bu aux sources empoisonnées. Comme le bétail était gras, les propriétaires les « essayèrent » pour avoir le suif, et un certain nombre de Blancs furent empoisonnés d'avoir manipulé la viande. Ces « Chats sauvages » exprimèrent leur plaisir de savoir que l'armée allait venir et menacèrent de s'arrêter à un endroit convenable, de laisser leurs femmes et leurs enfants et de retourner aider les troupes à tuer tous les mormons qui se trouvaient dans les montagnes.

 

Il est impossible de savoir quelle foi il faut ajouter à ces accusations. Mais le fait reste qu'ils exprimèrent leur haine pour les mormons, lancèrent beaucoup de menaces et malmenèrent les Indiens en chemin.

 

 

Achat de provisions

 

   On a dit qu'il ne fut pas permis à ces émigrants d'acheter des provisions à Salt Lake City et dans les autres colonies des saints et que le président Young leur avait ordonné de quitter Salt Lake City. Ce n'est pas le cas. Le président Young ne savait pas qu'ils étaient dans la ville et entendit parler d'eux pour la première fois quand ils furent partis. En chemin ils obtinrent des provisions comme ils le désiraient et dans la mesure où les saints pouvaient les leur donner, ce qui est abondamment prouvé. Ils furent bien traités par la plupart des colons, et ce ne fut que lorsque leurs propres actes leur attirèrent la mauvaise volonté des colonies du sud que cette attitude changea.

 

 

Brigham Young mis au courant

 

      Les sentiments devinrent si intenses, tant de la part des Indiens que de la population blanche des colonies du sud, que l'on estima nécessaire d'envoyer un messager au gouverneur Brigham Young pour savoir ce qu'il fallait faire. Certaines personnes exprimèrent le sentiment que puisque les émigrants s'étaient déclarés être des ennemis, ils devaient être traités comme tels, mais des gens plus réfléchis prétendirent qu'il fallait leur permettre de continuer leur voyage sur la côte sans les molester. James H. Haslam porta un message du colonel Isaac C. Haight de la milice, à Salt Lake City, pour avoir l'avis du gouverneur Young. Entre-temps il fut convenu que tous les efforts seraient faits pour pacifier les Indiens et les empêcher de lancer une attaque. Haslam quitta Cedar City l'après-midi du lundi 7 septembre et voyagea à toute allure à cheval, arrivant à Salt Lake City le matin du 10. Il remit immédiatement son message et le gouverneur Young lui demanda s'il pouvait entreprendre le voyage de retour sans délai. Il dit que oui. « Allez à toute vitesse, n'épargnez pas vos chevaux. Il ne faut pas que l'on touche aux émigrants, même s'il faut tout l'Iron County pour l'empêcher. Ils doivent partir libres et sans être molestés ». Telle fut la réponse qu'il reçut. Haslam, bien qu'ayant juste terminé un dur voyage, retourna immédiatement, arrivant à Cedar City le 13 avec un message écrit du gouverneur Young au colonel Haight.

 

 

La réponse arrive trop tard

 

   Le message du gouverneur Young au colonel Haight de la milice disait ceci : « En ce qui concerne les convois d'émigrants traversant nos colonies, nous ne devons pas y toucher tant qu'il ne leur a pas tout d'abord été notifié de rester à l'écart. Vous ne devez pas les toucher. Il n'y a pas d'autres convois à ma connaissance. Si ceux qui sont là veulent partir, qu'ils aillent en paix ».

 

   Le colonel Isaac C. Haight lut la lettre et, en larmes, répondit : « Trop tard, trop tard ». Le matin (7 septembre) où Haslam était parti pour avoir l'avis du gouverneur Young, l'œuvre de mort parmi les malheureuses victimes avait commencé.

 

 

Attaque contre le convoi d'émigrants

 

      Au début de septembre, le convoi d'émigrants des compagnies d'Arkansas et du Missouri campa dans la petite vallée appelée mountain Meadows. Ils envisageaient d'y rester plusieurs jours. Entre-temps leur conduite avait excité les tribus indiennes qui entouraient maintenant leur camp dans une attitude hostile. Autant qu'on puisse le déterminer, le matin du 7 septembre à l'aube, l'attaque contre les émigrants commença. À la première volée, sept hommes furent tués et seize blessés. Les victimes furent prises à l'improviste, mais, étant bien armées, combattirent bravement et réussirent à repousser l'attaque. Plusieurs Indiens furent tués y compris deux de leurs chefs. Les Indiens envoyèrent des coureurs dans tout le pays avoisinant pour demander des renforts d'entre leurs tribus et appelèrent John D. Lee, qui avait été en contact étroit avec les affaires indiennes, étant leur fermier, de venir les conduire à la victoire. Lee se hâta de sa résidence à Harmony jusqu'au théâtre des opérations et sembla partager la frénésie des peaux-rouges. Plus tard d'autres Blancs apparurent sur la scène, ayant été attirés vers les prairies, leurs services ayant été requis pour ensevelir les morts. Certains restèrent, volontairement ou de force, pour participer au massacre qui s'ensuivit.

 

 

Reddition et traîtrise

 

      Pendant l'accalmie qui suivit l'attaque, les émigrants mirent leurs chariots en cercle et dressèrent des barricades pour se protéger, attendant l'attaque, qui, ils en étaient sûrs, allait se produire. Les Indiens et leurs alliés blancs passèrent quelque temps à discuter du sort des malheureux émigrants. Les victimes découvrirent que des Blancs étaient ligués avec les Indiens et cette connaissance scella leur destin. Ceux qui lancèrent l'attaque décidèrent de ne laisser en vie aucun émigrant susceptible de raconter l'histoire.

 

   Le matin du vendredi 11, Lee persuada les émigrants de se rendre, leur promettant protection et transport en un lieu sûr. Ils furent conduits à un endroit où les Indiens étaient en embuscade et, à un signal donné, une volée de coups de feu résonna, Indiens et Blancs participant à l'outrage. Dix-sept enfants âgés de quelques mois à sept ans furent les seuls à être épargnés. Les colons s'occupèrent de ces enfants jusqu'à ce que le gouvernement, en vertu d'un acte du Congrès, les renvoyât à leurs amis en Arkansas.

 

 

Un serment sanglant

 

      Les Blancs qui étaient engagés dans cet horrible massacre contractèrent une alliance, scellée par un serment terrible, qu'ils ne révéleraient jamais le rôle qu'ils avaient joué dans cette épouvantable tragédie. Un faux rapport fut envoyé au gouverneur Young. Lee fit aussi rapport en personne, imputant la responsabilité aux seuls Indiens. Le gouverneur Young versa des larmes amères et fut horrifié d'entendre ce récit.

 

 

Exécution de Lee

 

      Pendant plusieurs années, les faits relatifs à la tragédie restèrent inconnus, mais peu à peu la vérité se fit jour et une enquête fut menée sur l'affaire. John D. Lee fut excommunié de l'Église, le président Young donnant l'ordre de ne plus jamais l'admettre comme membre en aucune circonstance. Quand la vérité fut révélée, des mesures furent également prises contre les autres protagonistes. Des années plus tard Lee fut condamné pour le crime et le paya de sa vie. Son exécution eut lieu sur l'emplacement de la tragédie. D'autres hommes impliqués s'enfuirent du territoire et moururent fugitifs. Ils échappèrent ainsi à la justice que les tribunaux terrestres peuvent infliger, mais ils attendent toujours la condamnation pour leurs crimes devant un plus haut tribunal où la justice ne périt jamais.

 

 

Source : Joseph Fielding Smith, Essentials in Church History, Salt Lake City, 1922, 1950, chapitre 44