Une grande tragédie

 

 

William E. Berrett

 

Historien

 

  

 

 

Caravanes d'émigrants en Utah

 

      Pendant que l'armée des États-Unis s'approchait du territoire d'Utah, un courrier se rendait à toute allure à Salt Lake City. Il avait parcouru cinq cents kilomètres en trois jours depuis Cedar City. Parvenu devant le président Young, James Haslam raconta une histoire et remit un message qui causa de graves soucis à ce dirigeant bien-aimé et le poussa à une action énergique.

 

      Pendant cette période de l'histoire d'Utah, un flot constant de caravanes d'émigrants traversait le territoire, en route pour la Californie. Les sentiments entre ces émigrants et les saints n'étaient pas toujours cordiaux. Les émigrants entraient souvent dans le territoire avec un préjugé profondément enraciné contre les mormons. Souvent ces compagnies contenaient des Missouriens qui avaient participé à chasser les saints du Missouri. Certains mormons ne pouvaient s'empêcher d'éprouver à l'égard de ceux-ci de la rancune et de la suspicion.

 

      Ces caravanes d'émigrants contribuèrent beaucoup à susciter l'antagonisme des Indiens dans tout le territoire. Les gens de l'Est, en général, ne partageaient pas le sentiment de fraternité qu'avaient manifesté les mormons vis-à-vis des Peaux-Rouges. Ils les considéraient comme étant à peine supérieurs au niveau des animaux et tiraient souvent sur eux sans provocation. Les Indiens qui entraient dans leurs camps pour faire un commerce pacifique étaient souvent maltraités et quelques-uns furent tués par simple méchanceté. Ceci suscita la colère des tribus indiennes. C'était spécialement vrai dans les colonies du sud. La colère des colons blancs s'éveilla, elle aussi. Précédemment, il avait été difficile de contenir les Indiens, mais maintenant cela devenait impossible.

 

      Une crise se produisit au moment où une grosse compagnie d'émigrants venus de l'Arkansas était en route vers la Californie, par le sud de l'Utah en 1857. Cette compagnie contenait un groupe de Missouriens qui se donnait le nom de « Missouri Wildcats » (Chats sauvages du Missouri). Leur esprit semblait dominer la caravane. Ils se vantaient ouvertement d'avoir contribué à chasser les mormons du Missouri et de l'Illinois, de ce qu'ils allaient revenir aider l'armée qui approchait d'Utah à exterminer les saints.

 

      Les récits concernant leur comportement pendant qu'ils traversaient les colonies du sud sont si contradictoires qu'il est difficile de déterminer l'entière vérité. Parmi les accusations portées contre eux, il y avait l'affirmation qu'ils avaient empoisonné un bœuf mort, ce qui produisit la mort de plusieurs indiens Piutes qui les mangèrent. On affirma aussi qu'ils avaient empoisonné les sources, ce qui produisit la mort de plusieurs bestiaux et rendit malades les colons qui tentèrent de sauver la graisse des animaux.

 

      Les Indiens étaient terriblement excités. Toutes les insultes accumulées par les nombreuses caravanes les incitèrent à chercher vengeance. Dans l'esprit des Indiens, tous les blancs, à part les mormons, appartenaient à une seule tribu, les « Mericats ». Leur loi exigeait une vengeance sanglante contre tous ceux qui appartenaient à la tribu coupable.

 

      Ordinairement les colons exerçaient leur influence pour maintenir la paix et empêcher à tout prix que les caravanes d'émigrants fussent attaquées. Il semble que cette fois-ci on ne tenta pas de les arrêter. Beaucoup de blancs avaient été irrités au maximum par les provocations des « Missouri Wildcats » et par leurs déprédations.

 

      Le 6 septembre, pendant que la caravane d'émigrants avait installé un camp prolongé à « Mountain Meadows », à soixante-cinq kilomètres au sud-ouest de Cedar City, un conseil des principaux saints se tint dans cette ville. On décida d'envoyer un messager à Brigham Young, pour l’informer de la situation. James Haslam, de Cedar City, était ce messager.

 

      Après avoir lu le message que Haslam apportait, le gouverneur Young lui demanda s'il pouvait supporter le voyage de retour. Il répondit par l'affirmative. Après plusieurs heures de sommeil, il monta à cheval pour le voyage de retour. En lui remettant une réponse non scellée, le président dit : « Allez le plus vite que vous pouvez ; n'épargnez pas votre cheval. Il ne faut pas gêner les émigrants, même s'il faut l’Iron County pour l’empêcher. Ils doivent passer librement sans être molestés » (Rapport du procès Lee, Deseret News, 10 septembre 1876 ; voir également Penrose, Mountain Meadows Massacre, p. 94-95).

 

      Dans les instructions que Haslam ramenait à Isaac C. Haight de Cedar City, nous lisons : « En ce qui concerne les caravanes d'émigrants traversant nos colonies, nous ne devons pas les gêner tant qu'elles n'auront pas été averties de ne plus passer par ici. Vous ne devez pas vous en mêler. Nous nous doutons bien que les Indiens feront ce qui leur plaît, mais vous devez essayer de garder de bonnes relations avec eux » (Church Business Letter Book, n° 3. Voir Roberts, Comprehensive History of the Church, vol. 4, p. 150-151).

 

      Haslam arriva le 13 septembre à Cedar City, ayant fait ce remarquable voyage de plus de mille kilomètres en six jours. En lisant le message, Isaac C. Haight éclata en sanglots et dit : « Trop tard, trop tard ». « Le massacre, ajouta Haslam, était terminé avant que je ne fusse rentré chez moi » (Témoignage de Haslam, Penrose, Mountain Meadows Massacre, supplément p. 95).

 

 

Le massacre de Mountain Meadows

 

      Mountain Meadows était une étroite vallée de huit kilomètres de long, située à cinq cent dix kilomètres au sud et un peu à l'ouest de Salt Lake City. Elle se trouve sur un plateau qui constitue le bord sud du Grand Bassin. La première semaine de septembre 1857, les émigrants d'Arkansas et du Missouri allèrent camper à l'extrémité sud de la vallée, près d'une source.

 

      Plusieurs centaines d'Indiens se rassemblèrent dans le voisinage et, à l'aube du 8 ou du 9 septembre, lancèrent une attaque contre les émigrants. Cette attaque fut repoussée et les émigrants se préparèrent à un siège.

 

      Entre-temps les Indiens envoyèrent des coureurs dans les tribus voisines pour rassembler des guerriers. Un nombre d'hommes blancs arrivèrent aussi sur la scène du conflit.

 

      Ce fut un massacre délibérément préparé, traîtreusement mis à exécution. Le matin du 11 septembre, un drapeau blanc fut envoyé au camp émigrant et on proposa les termes de la reddition.

 

      Les émigrants devaient rendre leurs armes. Les blessés devaient être chargés dans les chariots, suivis par les femmes et les enfants, et les hommes devaient fermer la marche en file unique. Ils devaient être ainsi amenés par les blancs à Cedar City. Ceci fut accepté, et la marche commença.

 

      À une courte distance du camp, les hommes blancs, à un signal donné, tombèrent sur les émigrants désarmés. En même temps, des centaines d'Indiens, qui étaient restés en embuscade, se précipitèrent sur la malheureuse compagnie. En cinq minutes, la terrible tragédie était terminée. Trois hommes seulement échappèrent au premier assaut mortel. Ils furent poursuivis par les Indiens et tués. Seuls les tout petits enfants furent épargnés. Ceux-ci furent emmenés chez les colons qui s'occupèrent d'eux. Plus tard, le gouvernement des États-Unis créa un fonds pour prendre soin des enfants et les transporter chez des parents en Arkansas et au Missouri et dans un orphelinat de St-Louis.

 

 

Responsabilité de la tragédie

 

      La nouvelle du massacre de Mountain Meadows fut un choc pour les dirigeants de l'Église et suscita une tristesse profonde et sincère dans le territoire tout entier. Malheureusement, ce ne fut que vingt ans plus tard que l'on fit une enquête approfondie pour faire comparaître les coupables devant la justice. Dès qu’il apprit le drame, Brigham Young envoya George A. Smith faire une enquête sur l'affaire. Celui-ci fit un rapport officiel à Brigham Young en 1858. À ce moment-là, Brigham Young avait laissé toute autorité civile à son successeur, le gouverneur Cumming. John D. Lee, l'agent pour les affaires indiennes, dans son rapport au gouvernement, donna sa propre version de la tragédie, mais le gouvernement n'ordonna pas d'enquête.

 

      Brigham Young insista auprès du gouverneur Cumming pour qu'il fît une enquête sur l'accusation de participation d'hommes blancs au massacre. En 1876, Brigham Young dit à la barre des témoins : « Peu après l'arrivée du gouverneur Cumming, je lui demandai d'emmener le juge Gradlebough, qui appartenait au district du sud, et lui dis que je les accompagnerais avec une aide suffisante pour faire une enquête en la matière et faire comparaître les coupables devant la justice » (Court Report, deuxième procès de Lee, 1876. Voir Roberts, Comprehensive History of the Church, vol. 4, p. 168).

 

      Le gouverneur Cumming, devant les difficultés de la « guerre d'Utah » et le pardon de ceux qui s'étaient rendus coupables contre le gouvernement des États-Unis, ne fit rien pour poursuivre ceux qui avaient participé au massacre.

 

      Les non mormons tentèrent de rendre Brigham Young responsable de la tragédie. Le juge Cradlebough prit la tête de cette attaque et tenta en 1859 d'étudier l'affaire. Forney, l'agent pour les affaires indiennes, dit à propos de cette tentative : « Je crains, et je regrette de devoir le dire, qu'il y ait chez certaines personnes un plus grand empressement à impliquer Brigham Young et les autres dignitaires de l'Église dans toutes les offenses criminelles qu'un effort diligent pour punir les coupables réels des délits » (Senate Documents, 36e Congrès, 1re session, n° 2, p. 86. Voir aussi Bancroft, History of Utah, p. 561).

 

      Rien n'excuse le massacre de Mountain Meadows. Les coupables ne furent jamais tenus pour innocents par l'Église et on ne doit pas condamner l'Église à cause des actes vils d'un petit nombre de ses membres. La loi de l'Église a été proclamée dès le début par le Fils de Dieu : « Et maintenant, voici, je parle à l'Église. Tu ne tueras pas ; celui qui tue n'aura pas de pardon dans ce monde ni dans le monde à venir. De plus, je le dis, tu ne tueras pas ; mais celui qui tue mourra… Et il arrivera que si quelqu’un parmi vous tue, il sera livré et traité selon les lois du pays ; car souvenez-vous qu'il n'y a pas de pardon pour lui ; et les preuves seront établies selon les lois du pays » (Doctrine et Alliances, section 42:18-19, 79). 

 

 

Bibliographie

 

Gates and Widtsoe, Life Story of Brigham Young, p. 142-145.

 

Cowley, Wilford Woodruff, p. 387-389 (le 29 septembre 1857, John D. Lee, en la présence de Wilford Woodruff, fait un rapport à Brigham Young sur le massacre de Mountain Meadows. Wilford Woodruff écrivit ce soir-là dans son journal ses souvenirs et ses impressions à propos du rapport. Ce passage est ce qu'il a écrit dans son journal).

 

Smith, Essentials in Church History, p. 511-517 (bref récit de l'affaire).

 

Penrose, Mountain Meadows' Massacre (brochure).

 

Roberts, A Comprehensive History of the Church, vol. 4, p. 139-159.

 

 

Source : William E. Berrett, The Restored Church, Deseret Book, Salt Lake City, 1961, chapitre 37