Qu’est-ce que le mormonisme ?

 

Analogie avec l'avènement du christianisme primitif

 

 

Louis Bertrand (1808-1875)

 

 

 

      Qu’est-ce que le mormonisme ? Question à laquelle nul jusqu’ici en Europe n’a bien répondu. Je pose en principe qu’il est impossible à tout autre qu’à un mormon de juger correctement, ni même de comprendre le but et la portée de cette œuvre. Tâchons d’expliquer notre pensée.

 

      Quand Jésus-Christ vint sur la terre, il trouva les Juifs, la nation élue, divisés en plusieurs sectes. On sait qu’il y avait à Jérusalem des scribes et des pharisiens, des sadducéens, des hérodiens, des esséniens, etc. Tout en admettant la divinité des livres de Moïse et des prophètes, ces sectes différaient entre elles sur l’interprétation de certains passages des Écritures. Mais aveuglées par les fausses traditions de leurs pères, elles n’attendaient le Messie que comme un principe temporel, qui devait exalter la maison d’Israël et la mettre à la tête des nations. Or Jésus, l’humble fils du charpentier, ne répondait nullement à un tel idéal : il fut généralement considéré par ces sectes comme un vil imposteur, digne du dernier supplice. Il fut crucifié par les marchands du Temple, par les prêtres de Jérusalem.


      Pourquoi les plus savants docteurs de la loi ne purent-ils comprendre la divine mission de Jésus-Christ ? C’est parce qu’ils interprétaient faussement les Écritures. Après sa résurrection, pourquoi l’immense majorité des Israélites rejeta-t-elle le témoignage des apôtres ? Pour la même raison, parce qu’elle ne comprenait pas le véritable sens des écrits des prophètes. Or, ce qu’on appelle le « mormonisme » étant purement et simplement la restauration et le complément du christianisme, le rétablissement de l’autorité divine sur la terre par une nouvelle révélation, son fondateur, lui non plus, n’a pas été compris par les innombrables sectes chrétiennes de l’Amérique du Nord. Les ministres protestants le persécutèrent sans relâche et finirent par le faire mourir, précisément pour la même raison que les prêtres de Jérusalem ont rejeté et crucifié le Christ. Ces derniers ne purent comprendre Jésus, bien que tous crussent à la divinité des prophéties. Le Fils de l’homme parlait aux docteurs de la loi une langue divine qu’ils étaient incapables d’entendre. De même les ministres américains, croyant tous à la Bible, mais l’interprétant chacun à sa manière, n’ont pu comprendre la mission de Joseph Smith.

 

      Poursuivons notre comparaison. Le jour de la Pentecôte, lorsque les apôtres eurent été visités par l’Esprit-Saint, Pierre, ayant pris la parole, déclara solennellement que Dieu avait ressuscité Christ des morts, et qu’ils en étaient les témoins. Il cita dans son discours les prophètes David et Joël à l’appui de sa déclaration. Ce discours nous initie complètement au système de prosélytisme adopté dès ce jour, et constamment pratiqué depuis par les témoins de Jésus. Le christianisme s’établit sur l’ancien continent par la voie du témoignage. Le mormonisme, qui est la restauration virtuelle du christianisme primitif, s’est établi dans le Nouveau Monde précisément par la même voie.

 

      Cette analogie est de la plus haute importance. Saint Pierre, tout en invoquant des textes de l’Ancien Testament, possédait une autorité bien autrement puissante que celle de la parole écrite : il était l’instrument dont Dieu se servait pour inaugurer solennellement son Évangile sur l’hémisphère oriental. Prophète et révélateur, il parlait à la maison d’Israël au nom de Jéhovah. Le Nouveau Testament n’existait pas encore, quand le christianisme s’établit par l’unique autorité de la parole, c’est-à-dire par la puissance de la révélation directe. Or, les docteurs de la loi, et ceux qui avaient une foi sincère, mais aveugle, dans les livres de l’Ancien Testament, ne pouvant comprendre cette langue divine de l’inspiration directe, rejetèrent presque tous le témoignage des apôtres. Et voilà pourquoi les chrétiens modernes, qui ont une foi sincère, mais aveugle dans la Bible, ne peuvent comprendre davantage les apôtres de la nouvelle Église. Pour toutes les Églises chrétiennes, la révélation, c’est la Bible, et chacun l’explique à sa manière : de là le babélisme du monde chrétien contemporain, et principalement des innombrables sectes protestantes. Leur situation vis-à-vis du mormonisme est identiquement la même que celle des sectes juives de Jérusalem vis-à-vis de l’Église primitive apostolique. Nous recommandons ces prémisses à l’attention des hommes sérieux qui méritent encore en Europe le nom de chrétiens.

 

      Si, laissant de côté les idées purement religieuses, nous abordons le domaine de la science moderne, nous retrouvons la même similitude entre ce qui s’est passé à l’avènement du christianisme primitif et à celui du mormonisme. Lorsque Paul, le grand apôtre des gentils, alla prêcher l’Évangile à l’aréopage, quel accueil reçut-il des lettrés d’Athènes ? « Les uns se moquèrent de lui ouvertement, les autres lui dirent : Nous t’entendrons une autre fois là-dessus. » Sauf un petit nombre d’adeptes, les savants d’Alexandrie, d’Athènes et de Rome, rejetèrent avec mépris le christianisme apostolique. Pourquoi cela ? Parce que la science humaine ne saurait comprendre les choses de Dieu. La philosophie n’a su que fabriquer des livres, entasser systèmes sur systèmes, sans pouvoir créer une formule populaire et commune pour définir Dieu. De là son impuissance radicale. En dehors du Christ, il est impossible de connaître Dieu. La mission providentielle de la philosophie n’est qu’une œuvre de démolition : elle ne saura jamais que détruire, sans pouvoir fonder rien de viable. Je ne crois plus à l’homme.

 

      Depuis un demi-siècle, la science a fait des progrès vraiment gigantesques. Mais, malgré ces brillantes découvertes, il est certains problèmes insolubles à jamais pour l’érudition et la sagacité purement humaines. L’Amérique, par exemple, demeure un mystère impénétrable pour les plus savants de l’Europe. Quel Bossuet vivant pourrait nous dire pourquoi Jésus-Christ n’a jamais mentionné l’existence de l’hémisphère occidental ? Faut-il en conclure qu’il avait besoin lui-même, comme ses adorateurs européens, de la découverte de Christophe Colomb pour être introduit à la connaissance de ce Nouveau Monde ? Quel théologien catholique ou protestant se chargera de nous dire pourquoi les quatre évangélistes et saint Paul n’ont pas écrit le plus petit mot là-dessus dans leurs livres sacrés ? Quel Hérodote moderne pourrait nous apprendre quand et comment ce vaste continent a été primitivement colonisé ? Quel écrivain pourra jamais nous initier à l’histoire des puissantes nations qui ont laissé ces innombrables tumuli qu’on trouve à chaque pas dans la vallée du Mississipi, et tant de cités désolées, enfouies dans les solitudes des Amériques ? Qui nous dira le nom, le nom seulement, des constructeurs de ces gigantesques monuments ? Quel savant pourrait écrire une seule page authentique sur l’origine mystérieuse de l’homme rouge ? Quel Œdipe, quel Champollion saura déchiffrer ces monuments glyphiques du Nouveau Monde, dont la tradition était déjà perdue lors de l’invasion espagnole ? Après une exploration scientifique de cinq ans en Amérique, l’illustre Humboldt lui-même n’a pu nous fournir sur cette énigme du passé que de simples hypothèses. Réduit à son propre savoir, l’homme moderne le plus éclairé ne connaît rien du passé de cet immense continent, peu de chose de son présent, et absolument rien de son avenir.

 

      Or, depuis 1830, l’humanité possède un livre qui répond pleinement à toutes les questions que nous avons posées, et à bien d’autres encore. Il est déjà traduit en sept langues. Nous voulons parler du Livre de Mormon. Ses récits éclairent les profondes ténèbres qui couvrent encore l’histoire du passé de l’Amérique, et le rattachent à la grande source primordiale, - la distributrice des nations, des tribus et des langues, - la Tour de Babel. La vision prophétique de ce livre, se détachant de sa partie historique au point que ses écrivains pouvaient appeler le présent, découvre les événements futurs et fait un tableau des choses à venir, qui a toute la clarté de l’histoire. Nous y voyons figurer les dix tribus d’Israël, les Juifs, les blancs européens, les tribus rouges de l’Amérique, même les fiers États de l’Union américaine. Le sort des nations ; la chute des Églises et des institutions religieuses corrompues ; la fin de la superstition et de la tyrannie des Gentils ; le règne universel de la paix, de la vérité, de la lumière et de la science ; les guerres et les afflictions qui précèderont ces temps heureux ; la venue glorieuse de Jésus-Christ comme roi de toute la terre ; la résurrection des saints pour régner ici-bas avec lui, toutes ces choses se trouvent dans ce livre. Le temps et le mode de leur établissement y sont clairement marqués, et nous présagent, pour l’époque où nous sommes, des merveilles supérieures à toutes celles des temps écoulés.

 

      Notre conversion, fruit d’une conviction sincère et persistante, exprime mieux que tout ce que nous pourrions dire, notre opinion sur l’authenticité, l’importance sociale et religieuse de ce livre. Aucun autre, depuis le Coran, n’a donné naissance à un peuple. Nous avons lu attentivement presque tous les écrits qui ont été publiés contre le Livre de Mormon. Tout ce que nous avons lu peut se résumer dans l’argument que voici : Ce livre est une imposture, parce que c’est une imposture.

 

      Sans chercher à établir ici l’authenticité divine du Livre de Mormon, voici des preuves externes qu’on pourrait invoquer en sa faveur. En 1830, sa publication excita un concert unanime de sarcasmes. Les savants en général se récrièrent contre cette hypothèse que les Indiens de l’Amérique descendaient des enfants d’Israël, et l’ouvrage fut même considéré comme peu propre à faire des dupes, tant l’imposture semblait grossière. Tel est le sort de toutes les vérités qui parviennent à se faire jour çà et là à travers le chaos des productions de l’esprit humain. Accueillies d’abord par l’incrédulité et le mépris, elles finissent par ébranler les certitudes acquises ; quelques esprits droits veulent voir le fond des choses, s’assurer si l’invraisemblable ne serait pas par hasard la vérité ; ils se mettent à l’œuvre. C’est ce qui arriva, non pas en vue de vérifier les données du Livre de Mormon, mais par suite d’investigations scientifiques sur l’histoire de ces intéressantes contrées.

 

      Dès l’année 1833, M. C. Colton publiait à Londres un ouvrage dans lequel on lit au sujet des Indiens : « Ils affirment qu’ils possédaient autrefois un livre, et ils savent par tradition que le Grand-Esprit prédisait habituellement à leurs pères les événements, et qu’il dirigeait la nature en leur faveur ; qu’à une certaine époque, les anges leur parlaient ; que toutes les tribus indiennes descendaient d’un seul homme qui avait eu douze fils ; que cet homme était un prince célèbre, possesseur de vastes contrées, et que les Indiens, qui sont sa postérité, recouvreront un jour le même pouvoir et la même influence. Ils croient, par tradition, que l’esprit de prophétie et le privilége d’intervention dont leurs ancêtres ont joui leur sera rendu, et qu’ils retrouveront le livre perdu depuis si longtemps. » Il y a dans ce passage, ce me semble, des analogies assez frappantes avec l’apparition du Livre de Mormon et avec les faits qu’il rapporte. Mais poursuivons.

 

      L’ouvrage de M. Boudinot sur l’origine des aborigènes de l’Amérique confirme pleinement tout ce qui précède. Les principales tribus indiennes ont pieusement conservé ces traditions de leurs nobles ancêtres. Parmi ces tribus, celle des Stockbridges se distingue par la pureté de ses souvenirs. Une tradition existe encore parmi ces Indiens, que « leurs pères avaient autrefois en leur possession un livre sacré, qui leur était transmis de génération en génération ; qu’à la fin ce livre fut caché dans la terre, et que depuis cette époque, ils sont foulés aux pieds de leurs ennemis. Mais ces divins oracles doivent revenir encore dans leurs mains, et alors ils triompheront de leurs ennemis en reconquérant tous leurs droits et privilèges. »

 

      Dans son docte ouvrage, M. Boudinot fait cette remarque sur la langue des Indiens : « Leur langue, en ses racines, idiomes et construction particulière, paraît avoir tout le génie de l’hébreu ; et, chose remarquable et bien digne d’attirer la sérieuse attention des savants, elle a la plupart des particularités de cette langue, et spécialement celles par lesquelles elle diffère de presque toutes les langues. »

 

      Tout le monde, jusqu’à ces derniers temps, considérait les Indiens comme une race sauvage restée en dehors du mouvement civilisateur, et qui avait traversé les siècles sans jamais avoir connu les sciences ni les arts, sans avoir eu d’autre moyen que la tradition pour transmettre à la postérité son histoire. Quand le Livre de Mormon vint révéler au monde que ces peuplades errantes étaient un reste d’Israël, que ces sauvages avaient été jadis une nation civilisée, qu’ils avaient connu le vrai Dieu, bâti de grandes villes, qu’ils avaient l’habitude de graver leurs annales sur des tablettes d’or ou de cuivre pour les léguer à la postérité, et que la langue dans laquelle ils écrivaient s’appelait l’égyptien réformé, les sages rirent beaucoup de ces absurdités, s’étonnant qu’il y eût des gens assez stupides pour y croire. Et tout d’un coup, en 1839 M. Stephens surprit le monde (Incidents of Travel in Central America, Chiapas and Yucatan, 2 vol., in-8°) en annonçant qu’il avait découvert les ruines de quarante-quatre puissantes cités, de temples magnifiques, de monuments gigantesques, de statues couvertes de caractères glyphiques, et cela dans les lieux mêmes où le Livre de Mormon, publié huit années auparavant, avait indiqué que s’élevaient jadis de grandes et superbes villes. Depuis cette époque, d’autres importantes découvertes ont été faites sur divers points du territoire des États-Unis. Mais il s’en faut de beaucoup que les ruines de ces cités antiques, qui sont généralement ensevelies dans des forêts impénétrables, et disséminées sur un si vaste continent, soient aujourd’hui toutes connues. L’avenir nous garde de très importantes révélations du même genre.

 

      M. Garnay, explorateur français, a présenté récemment à l'empereur Napoléon, et ensuite à la Société de géographie de Paris, cinquante épreuves photographiques d'une grande valeur sur les antiquités de l'Amérique centrale. Il serait à désirer que le gouvernement français le chargeât officiellement d'une nouvelle exploration dans cette intéressante région.

 

      Parmi les dernières découvertes, nous devons mentionner celles que fit un voyageur américain, il y a onze ans, vers le confluent du Gila et du Colorado dans le Nouveau-Mexique, découvertes de la plus haute importance, mais qui, faute de publicité, sont presque inconnues en Europe. Publiée dans le New York Herald et traduite par nous en partie dans l’Étoile du Deseret (cette feuille a été publiée à Paris, par John Taylor, de mai 1851 à avril 1852. Sa collection forme un volume de 192 pages), la relation de l’explorateur place les ruines en question parmi les plus remarquables antiquités américaines. Pyramides colossales, temples, obélisques, colonnes, tablettes de marbre, etc., monuments précieux, tous plus ou moins couverts de caractères glyphiques, il y a là de quoi fournir aux recherches des antiquaires de l’Europe un champ d’étude presque inépuisable. La grande pyramide de Chéops ne serait, à côté du principal monument de la vallée Nahago, qu’un véritable jouet d’enfant (a boy's toy). Le vandalisme des conquérants espagnols a détruit dans le Mexique et dans le Pérou des trésors archéologiques d’une richesse inappréciable. Les forêts encore inexplorées du Brésil nous révèleront tôt ou tard des antiquités non moins importantes. Ces découvertes, au fur et à mesure qu’elles se produiront, seront autant de nouveaux témoignages muets, mais très éloquents, en faveur de l’authenticité divine du Livre de Mormon.

 

      Une considération que nous avons déjà indiquée plus haut nous semble capitale, et l’on nous pardonnera d’y insister. Depuis le Coran, aucun livre profane ou sacré n’a servi de base à une nationalité nouvelle sur l’ancien continent. Le Livre de Mormon, au milieu des éclatantes lumières du XIXe siècle, a servi de fondement à un peuple en Amérique. Qui nous expliquera cet étrange phénomène social d’un roman religieux pouvant, en présence des progrès inouïs de notre âge, accomplir un tel prodige ? L’enfantement d’un peuple n’est pas chose si commune. Depuis Luther, les interprètes de la Bible dans les deux mondes n’ont su créer que des sectes, et les philosophes des écoles ; Joseph Smith est le seul qui ait jeté les bases d’une société nouvelle. Au milieu de l’anarchie des opinions, les hommes sérieux de tous les partis ne devront juger son œuvre que par ses résultats. En dehors des lumières historiques et apocalyptiques du Livre de Mormon, l’Amérique a été, est et restera un problème insoluble pour les savants de l’Europe.

 

 

Source : Mémoires d’un mormon, Collection Hetzel, chez Dentu, Paris, 1862