Elizabeth McCune ouvre la voie pour les soeurs missionnaires



par Matthew S. McBride, le 10 juillet 2012




Le 11 mars 1898, la Première Présidence de l’Église tint une de ses réunions habituelles, mais celle-ci allait se révéler avoir une grande portée . Le président Woodruff et ses conseillers, Joseph F. Smith et George Q. Cannon, avaient récemment reçu plusieurs lettres provenant de présidents de mission à travers le monde, dans lesquelles ils demandaient à avoir des sœurs missionnaires [1]. Une de ces lettres provenait de Joseph W. McMurrin, de la présidence de la Mission européenne, donnant des « exemples où les sœurs avaient attiré l’attention en Angleterre, là où les frères étaient à peine écoutés ». Il croyait, ajoutait-il : « que si quelques femmes brillantes et intelligentes étaient appelées en mission en Angleterre, les résultats seraient excellents » [2].

Après en avoir discuté, la présidence décida d’appeler et de mettre à part des sœurs missionnaires célibataires et de leur délivrer, pour la première fois dans l’histoire de l’Église, un certificat les autorisant à prêcher l’Évangile. Cela ouvrit une ère nouvelle, tant dans l’œuvre missionnaire que pour les femmes dans l’Église.

Et sans Elizabeth McCune, frère McMurrin n’aurait jamais écrit cette lettre.

Née Elizabeth Claridge en Angleterre en 1852, Elizabeth grandit à la campagne, à Néphi en Utah. Lorsqu’elle avait seize ans, son père, Samuel, répondit à l’appel de Brigham Young d’aller coloniser la mission « lugubre et boueuse » [3] qui allait devenir le désert du sud du Nevada. Quand elle revint dans le nord quelques années plus tard, elle épousa son ami d’enfance, un jeune homme d’affaires prometteur, Alfred W. McCune. Le succès de leur entreprise fit bientôt d’Alfred et d’Elizabeth l’une des plus riches familles d’Utah.

Mais cette abondance matérielle coûta cher à Elizabeth. De plus en plus préoccupé par son travail, Alfred s’écarta de l’Église. Très affectée par la tournure que prenaient les événements, Elizabeth resta néanmoins une épouse fidèle, priant pour qu’il retrouve un jour la foi. De son côté, elle voyait dans ses richesses un moyen de faire du bien en faisant des dons généreux aux œuvres de l’Église, ou en aidant des amis et des membres de la famille dans le besoin. Elle consacrait également une partie de son temps à servir dans la société d’amélioration mutuelle des jeunes filles de sa paroisse et devint une excellente généalogiste.

Un Tour d’Europe

En février 1897, les McCune se préparèrent à embarquer pour un long tour d'Europe. Leur voyage les emmena dans la patrie d’Elizabeth, l’Angleterre, ainsi qu’en France et en Italie. La famille avait prévu de faire beaucoup de visites touristiques, toutefois Elizabeth, elle, voyait dans son voyage une occasion de poursuivre ses recherches généalogiques.

Considérant cette recherche comme une véritable entreprise spirituelle, elle rendit visite au président Snow dans le but de recevoir une bénédiction de la prêtrise avant son voyage. Ses paroles lui suggérèrent un autre but spirituel : « Parmi les merveilleuses promesses prononcées il dit : 'ton esprit sera aussi clair que celui d’un ange lorsque tu expliqueras les principes de l’Évangile' » [4]. Ces paroles prirent tout leur sens pour Elizabeth au cours des événements qui allaient se produire lors de son voyage en Europe.

Au moment de leur voyage, Elizabeth avait quarante-cinq ans et était mère de sept enfants. Ses quatre plus jeunes enfants [5] l’accompagnaient dans ce voyage et elle attendait avec impatience de pouvoir retrouver son fils de dix-neuf ans, Raymond, qui était alors en mission en Grande Bretagne. À leur arrivée en Angleterre, les McCune louèrent une maison à Eastbourne, station balnéaire à la mode. La maison « était grande et spacieuse, les jardins vastes et splendides » [6]. Elle invita Raymond et quelques autres missionnaires du secteur à habiter quelque temps chez sa famille.

Elizabeth et sa fille Fay accompagnaient régulièrement les missionnaires à leurs réunions de rue le long de la promenade de la plage, à Eastbourne. Elles chantaient des cantiques pour attirer l’attention de la foule et tenaient les livres et les chapeaux des missionnaires tandis qu’ils prêchaient [7]. Après ces réunions, les missionnaires invitaient les personnes intéressées à venir les voir au 4 Grange Gardens, la résidence temporaire des McCune. Cela a bien évidemment suscité de l’étonnement. Après tout, les missionnaires mormons vivaient en général dans des conditions bien plus humbles.

L’expérience acquise au cours de ces réunions de rue et en faisant du porte-à-porte avec les missionnaires [8] avait convaincu Elizabeth qu’elle pourrait sans crainte résister aux éventuels regards méprisants. Mais elle espérait jouer un rôle plus actif encore dans la prédication de l’Évangile. Elle disait qu’elle avait : « parfois le désir fervent de parler elle-même, estimant qu’en tant que femme elle pourrait attirer davantage l’attention que les jeunes frères et faire beaucoup de bien », toutefois, elle craignait qu’en ayant « ce privilège, elle puisse échouer, bien qu’elle ait sincèrement le désir de réussir. » Cette occasion allait se présenter, et bien plus tôt qu’elle ne l’avait imaginé.

« Le célèbre Jarman »

Au cours des années 1880 et 1890, un ancien membre du nom de William Jarman voyageait à travers l’Angleterre, faisant la promotion de son livre anti-mormon récemment publié. Ses attaques sans concessions contrer l’Église et ses affirmations scandaleuses sur la vie en Utah, provoquaient des remous, non seulement de par leur sensationnalisme, mais aussi parce qu’elles étaient renforcées et rendues crédibles du fait de son statut d’« initié » lié à son passé de membre. En bref, il a constituait un problème majeur pour les relations publiques de l’Église [9]. Ses affirmations sur les femmes de l’Église et leurs rôles au sein de celle-ci étaient particulièrement désobligeantes et les dirigeants de mission les trouvaient difficiles à démentir avec une armée de jeunes missionnaires de sexe masculin.

L’année 1897 touchait à sa fin et le jour de la conférence biannuelle de Londres approchait. Les membres de la région de Londres se rassemblèrent dans l’hôtel de ville de Clerkenwell le 28 octobre afin de recevoir les enseignements de leurs dirigeants locaux. Elizabeth McCune assista à la session de l’après-midi. La salle était « remplie des saints et d’étrangers ; dont certains étaient particulièrement distingués ». Le président, Rulon S. Wells, et son conseiller, Joseph W. McMurrin, s’adressèrent à l’assemblée. Elizabeth fut tellement touchée par leurs discours qu’elle sentait que « l’assemblée tout entière allait être convertie par le pouvoir ainsi manifesté ».

Frère McMurrin parla « des mensonges que propageaient si assidûment Jarman et ses filles sur les femmes de l’Église à propos desquelles ils disaient qu’elles étaient confinées chez elles en Utah dans l’ignorance et dans des conditions déplorables ». Il dit alors, à la surprise d’Elizabeth : « Nous avons justement avec nous en ce moment une dame d’Utah qui a voyagé partout en Europe avec son mari et sa famille, et qui, ayant appris que nous tenions notre conférence, s'est jointe à nous. Nous allons demander à Sœur McCune de prendre la parole ce soir et de vous parler de son expérience en Utah. » [10]

Elle raconta plus tard que cette annonce l’avait « effrayée à en mourir ». Le président McMurrin invita toutes les personnes présentes à inviter leurs amis à la réunion ce soir là afin d’écouter « la Dame d’Utah ». Elizabeth raconta : « Les frères m’avaient assuré qu’ils m’accorderaient leur foi et leurs prières, auxquelles j’ajoutais mes suppliques ferventes à mon Père céleste pour recevoir de l’aide et du soutien. » Elle ajouta modestement : « Je me suis dit en moi-même, Ô, si seulement l’une de nos belles oratrices d’Utah était présente pour saisir cette magnifique occasion, quel grand bien cela pourrait faire ! » [11]

« La Dame d’Utah »

L’heure de la réunion approchait et la salle commençait à se remplir. Le greffier de la Conférence remarqua que « bien que des sièges supplémentaires aient été placés dans le couloir et la galerie laissée grande ouverte, beaucoup durent rester loin de la porte » [12]. La nouvelle s’était répandue et une foule de curieux s’était rassemblée pour entendre cette femme venue d’Utah.

« Avec une dernière prière, dit-elle , je me levai pour m’adresser à l’assemblée… Je leur ditsque j’avais été élevée en Utah, que j’en connaissais presque chaque recoin et la plupart des habitants. Je parlai de mes nombreux voyages en Amérique et en Europe et expliquai que nulle part je n’avais trouvé de femmes aussi estimées que parmi les Mormons d’Utah. »

Elle poursuivit : « Nos maris sont fiers de leurs épouses et de leurs filles ; ils ne considèrent pas qu’elles ont été créées seulement pour laver la vaisselle et s’occuper des bébés ; mais ils font en sorte qu’elles puissent assister aux réunions et aux conférences afin qu’elles s’instruisent et s’épanouissent. Notre religion nous enseigne que la femme et le mari se tiennent au même niveau, coude à coude. » [13]

L’effet de la présence et des paroles d’Elizabeth fut saisissant. Ce sermon simple donné par une femme mormone avait fait davantage pour dissiper les préjugés engendrés par Jarman que les meilleurs efforts des frères missionnaires. Après la réunion, plusieurs étrangers l’abordèrent. L’un d’entre eux déclara : « Si davantage de vos femmes venaient ici, cela ferait un grand bien. » Un autre dit : « J’avais toujours eu, au fond de moi, le désir de voir et d’entendre parler une femme mormone. Madame, vos paroles sont porteuses de vérité. » [14] Elizabeth conclut : « cet événement m’ouvrit les yeux sur la grande œuvre que nos sœurs pouvaient accomplir. »

Le président McMurrin, en prenant soin de noter les fruits de cette réunion, invita Elizabeth à l’accompagner à la conférence de Nottingham le dimanche suivant. Elle prit donc la parole à Nottingham avec son fils Raymond. Son thème fut : « la situation des gens en Utah » [15]. Elle raconta qu’après cela, toutes les branches lui demandaient de venir à leurs réunions pour prendre la parole. « Ils disaient que leurs salles seraient pleines si j’acceptais. » [16]

Son départ imminent pour l’Italie l’empêcha de prendre à nouveau la parole, mais la semence avait été plantée. Le président McMurrin était convaincu que ses efforts avaient permis « de dissiper de nombreux préjugés ». Il écrivit sa lettre à la Première Présidence peu de temps après le départ des McCune. D’autres lettres privées en provenance de Grande-Bretagne, adressées aux autorités de l’Église en Utah, firent écho à cette requête, se référant au « grand impact des témoignages rendus par des femmes d’Utah dans ce pays » et à la façon dont elles aidaient à vaincre les « vieilles idées erronées », grâce à leur vision plus équilibrée. [17]

Mettre le plan en action

Dans les semaines qui suivirent la décision de la Première Présidence du 11 mars 1898, d’appeler des sœurs missionnaires, la nouvelle commença à se répandre. Lors d’une réception organisée par les conseils de la société d’amélioration mutuelle des Jeunes Gens et des Jeunes Filles,George Q. Cannon, de la Première Présidence, annonça qu’il avait été décidé d’appeler certaines des femmes, parmi les plus sages et les plus prudentes, dans le champ missionnaire [18] et évoqua les contributions d’Elizabeth et d’autres femmes. Joseph F. Smith parla également aux dirigeantes des Jeunes Filles « de la grande œuvre qui s’ouvrait aux filles de Sion » [19].

Au cours de la conférence d’avril 1898 , le président Cannon annonça à une plus large assemblée de l’Église la décision d’appeler régulièrement des sœurs missionnaires. Il parla d’une femme qui avait été si heureuse de rencontrer l’une des sœurs — une femme intelligente et qui ne ressemblait pas du tout à une pauvre esclave opprimée — qu’elle s’était jointe à l’Église. Il ajouta « Sans aucun doute, cela était dû au fait qu’elle avait trouvé que les femmes étaient aussi intelligentes, aussi présentables et aussi distinguées dans leur milieu que les hommes l’étaient dans le leur ». Frère Cannon fit remarquer que bien que ces sœurs ne puissent pas administrer les ordonnances, « elles pouvaient rendre témoignage ; elles pouvaient enseigner ; elles pouvaient distribuer des brochures et elles pouvaient faire beaucoup de grandes choses qui contribueraient à la propagation de l’Évangile du Seigneur Jésus-Christ. » [20]

Le 1er avril 1898, Amanda Inez Knight et Lucy Jane Brimhall furent mises à part, devenant ainsi les premières femmes officiellement appelées comme missionnaires de prosélytisme dans l’histoire de l’Église. Elles furent toutes les deux affectées à la Mission européenne et, dans les trois jours qui suivirent leur arrivée le 21 avril, elles commencèrent à prendre la parole lors de réunions de branche , dans la rue et au cours de conférences, acclamées comme de « véritables femmes mormones ». Elles mirent un soin particulier à s’acquitter de leur tâche de rendre visite aux étrangers ayant des opinions étranges sur les mormons [21]. Sœur Knight et Sœur Brimhall furent les premières dde milliers de femmes à partir en mission, initiant une tradition qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui.

Elizabeth McCune eut d’autres occasions de s’impliquer dans l’œuvre missionnaire dans les années qui suivirent [22]. Elle exprima plus tard ce point de vue concernant son expérience de précurseur [23] : « Lorsque j’étais à l’étranger j’avais toujours le vibrant désir d’offrir aux enfants de notre Père ce que je savais être la vérité. Où que j'aille, je saisissais toutes les occasions qui m’étaient données de discuter avec les gens et les amenais à aborder le sujet. qui me préoccupait le plus J’ai souvent eu le privilège de proclamer l’Évangile à des gens qui n’en avaient jamais entendu parlé auparavant. À certains moments, il m’arrivait de me demander pourquoi j'éprouvais cela alors que je n’étais pas missionnaire. Un jour, j’ai dit à ma fille que j’avais le sentiment que le temps où des femmes seraient appelées en mission n’était pas très éloigné. J’ai souvent pensé que si j’avais été appelée de Dieu comme l’étaient les jeunes hommes, j’aurais pu me rendre dans toutes les maisons et avoir des conversations calmes sur la religion avec les gens, leurdonnant à tous mon témoignage le plus sincère. » [24]

NOTES

[1] Joseph W. McMurrin, « Dames missionnaires », Young Woman’s Journal 15 (décembre 1904) : 539-540.

[2] Journal historique de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, 11 mars 1898

[3] Susa Young Gates, « Biographical Sketches, Elizabeth Claridge McCune », Young Woman’s Journal 9 (août 1898) : 339. Frère Gates a interviewé Soeur McCune pour cet article et a inclus de longs extraits dans la maquette.

[4] Sarah Fay, dix-sept ans ; Lottie Jacketta, douze-treize ans ; Matthew Marcus, huit ans ; Elizabeth Claridge, cinq-six ans.

[5] Gates, « Biographical Sketches, Elizabeth Claridge McCune » 340.

[6] Gates, « Biographical Sketches, Elizabeth Claridge McCune » 340.

[7] “Golden Wedding of Mr. and Mrs. A. W. McCune,” Relief Society Magazine 9 (August 1922): 405.

[8] Voir « From Various Missionary Fields » Millennial Star 58 No. 35 (August 27, 1896): 555.; “Editorials,” Millennial Star 59 No. 47 (November 25, 1897): 745-746. Ces articles décrivent « le célèbre Jarman » et ses « séances » anti-mormones à Nottingham et à Douvres en 1896 et 1897. Jarman faisait la promotion de son « exposé » épouvantable sur l’Utah et le Mormonisme intitulé « L’abcès de l’Oncle Sam ou l’enfer sur Terre (Exeter, en Angleterre, 1884).

[9] Gates, « Biographical Sketches, Elizabeth Claridge McCune » 342.

[10] Gates, « Biographical Sketches, Elizabeth Claridge McCune » 342.

[11] « London Conference » Millennial Star 59, No. 43 (October 28, 1897): 684.

[12] Gates, « Biographical Sketches, Elizabeth Claridge McCune » 342.

[13] Gates, « Biographical Sketches, Elizabeth Claridge McCune » 343.

[14] “Nottingham Conference,” Millennial Star 59, No. 45 (November 11, 1897): 714-715. Raymond servait dans la Conférence de Nottingham, mais fut relevé à l’issue de cette réunion et affecté à Londres.

[15] Gates, « Biographical Sketches, Elizabeth Claridge McCune » 343.

[16] « Our First Lady Missionaries » Millennial Star 60 No. 30 (July 28, 1898): 472.

[17] « Biographical Sketches, Jennie Brimhall et Inez Knight », Young Woman’s Journal 9 (juin 1898) : 245.

[18] « Our First Lady Missionaries » 473.

[19] George Q. Cannon, Address, Official Report of the Sixty-Eighth Annual Conference of The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints, April 6, 7, 8 and 10, 1898 (Salt Lake City: The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints, 1898), 6-8.

[20] “A Letter from Bristol,” Millennial Star 60 No. 30 (July 28, 1898): 476.

[21] Elizabeth McCune retourna en Angleterre avec Emmeline B. Wells, Susa Young Gates et d’autres femmes éminentes d’Utah en 1899 pour assister au Congrès internationale de la femme à Londres. Elles en profitèrent pour visiter quelques branches (dont Nottingham et Douvres), prenant la parole pour parler du rôle, de la situation et du potentiel des femmes. Voir « Abstract of Correspondence » Millennial Star 61 No. 30 (July 27, 1899): 474; « Abstract of Correspondence » Millennial Star 61 No. 31 [August 3, 1899]: 489; « Two Weeks with the Sisters » 61 No. 32 (August 10, 1899): 509-512. Millennial Star

[22] Orson F. Whitney, History of Utah Vol. 4 (Salt Lake City: George Q. Cannon & Sons Co., 1904), 609.

[23] Susa Young Gates, « Biographical Sketches, Elizabeth Claridge McCune », Journal du jeune fille 9 (août 1898) : 339-343.