Louisa Barnes Pratt nourrit les polynésiens



par Brittany Chapman, le 30 juin 2012




Louisa Barnes Pratt, une des premières sœurs missionnaires de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours en Polynésie française, a servi avec son mari et ses quatre filles sur l’île de Tubuai de 1851 à 1852. Le 11 mai 1843, Addison Pratt, le mari de Louisa, avait été appelé par Joseph Smith à prêcher l’Évangile en Océanie. Addison et trois collègues missionnaires arrivèrent à Tubuai le 30 avril 1844 et commencèrent à enseigner l’Évangile, faisant des centaines de convertis.

Peu de temps après son retour en 1848, Addison fut rappelé en mission dans les îles de la Société. Louisa et ses enfants quittèrent la vallée du lac Salé en 1850 pour le rejoindre [1]. En 1879, âgée de soixante-dix-sept ans, Louisa relata ses expériences missionnaires dans ses « Mémoires », que l’on peut aujourd’hui trouver à la Bibliothèque d’histoire de l’Église. Elle commence par le jour de son appel :

Au cours de la conférence [au printemps de 1850], Thomkins Thomas fut appelé à partir en mission aux îles pour y conduire la famille de frère Pratt. Ce fut un grand choc pour moi qui étais présente. Je n’entendis guère les discours qui suivirent. Un voyage de mille kilomètres par voie terrestre suivi d’une traversée de 5 000 kilomètres. Devant habiller convenablement mes quatre filles pour les présenter à l’ami de leur père à San Francisco, je ne pouvais m’empêcher d’appréhender les responsabilités que j’allais devoir assumer. Grâce à l’aide de personnes très gentilles et généreuses, je fus finalement prête et, le 7 mai 1850, nous dîmes adieu aux saints de Salt Lake et commençâmes notre long voyage. Le président Brigham Young me donna une bénédiction, dans laquelle il me dit que je partirais et reviendrais en paix, au temps fixé par le Seigneur, que je serais capable de faire beaucoup de bien, que j’aurais du pouvoir sur le destructeur pour le chasser de ma maison, qu’aucun de mes enfants ne me serait enlevé tandis que je me trouvais loin de l’Église. La promesse s’accomplit et, à un moment où la mort semblait inévitable, j’ai réclamé son accomplissement et je l’ai reçu. À San Francisco, nous rencontrâmes nos amis qui nous accueillirent avec une grande bonté et prirent soin de nous à tous les égards. Le 15 septembre, nous embarquâmes pour les îles du Pacifique Sud. Notre voyage de trente-cinq jours, à bord du Jane A Hersey, commandé par le capitaine Salmon, fut agréable. Je souffris beaucoup du mal de mer, tout comme ma sœur C[aroline] Crosby, le mal le plus affaiblissant au monde ! Mes filles semblèrent ne pas souffrir du tout et elles pouvaient marcher sur le pont lorsque le navire tanguait. Je ne me déplaçais que lorsque j’entendais quelqu’un crier : requin, bonite ou albatros ! Je pouvais alors me précipiter sur la rambarde du navire, à laquelle je m’accrochais, tandis que je regardais les merveilles dont j’avais souvent entendu parler, mais que je n’avais jamais vues auparavant. Le voyage prit fin et nous débarquâmes sur Tubuai, à 300 kilomètres au sud de Tahiti, où nous nous attendions à trouver « Frère Pratt » mais, à notre grande surprise, il ne s’y trouvait pas.

Nous apprîmes bientôt qu’il était emprisonné sur Tahiti, sur l’ordre de son excellence, le gouverneur français, qui avait appris que d’autres missionnaires se rendaient dans les îles et qui ordonna que M. Pratt fût contraint de rester sur l’île jusqu’à l’arrivée des autres… Après trois mois d’attente, nous le vîmes arriver à bord d’un navire anglais, commandé par le capitaine Johnson. Ce fut un grand jour pour les indigènes et pour nos filles. Tandis que nous attendions avec une grande inquiétude la nouvelle de sa libération, les indigènes firent preuve d’une gentillesse et d’une attention illimitées à notre égard. Le roi se souciait de notre confort et ordonna que l’on prît soin de nous. Si seulement tous les rois étaient aussi bons et généreux que ce bon vieux Tama toa, car c’est ainsi qu’il s’appelait…

Benjamin F. Grouard, le collègue missionnaire de M. Pratt, était là avec une indigène qui était sa femme. Il y avait aussi deux autres anciens, des blancs, qui avaient accepté l’Évangile dans ces îles et qui avaient été ordonnés par « Pratt et Grouard ». C’étaient des hommes bons et fidèles qui firent tout ce qui était en leur pouvoir pour nous réconforter après que nous eûmes découvert que frère Pratt ne se trouvait pas sur l’île. Les indigènes préparèrent la maison de la mission selon leur conception du confort, et nous ne pouvions nous empêcher d’admirer leur ingéniosité. Tout était si nouveau et étonnant. Notre esprit était forcément occupé et amusé. Les beaux arbres et les belles fleurs, les fruits délicieux, les poissons magnifiques aux écailles rouges et vertes, comme nous n’en avions jamais vu. Chaque aliment était nouveau pour nous, sauf les poissons et les oiseaux. Mais même ceux-là étaient préparés d’une façon complètement différente de nos habitudes, ce qui nous donnait l’impression de manger une autre sorte de nourriture, qui était tout aussi savoureuse. Le premier repas fut plaisant pour moi et je crois que tout le groupe l’apprécia. Nous avons tout de suite commencé à étudier le tahitien. Les frères et sœurs indigènes nous instruisaient avec beaucoup d’empressement et manifestaient une certaine inquiétude quand nous prenions du retard dans nos études. Ils nous disaient : « ha pe pe, te ha piu, te parau tahiti », ce qui signifie : Dépêchez-vous d’apprendre le tahiti. Mes filles ont rapidement appris à parler avec les enfants. Au bout de trois mois, l’aînée pouvait me servir d’interprète lorsque je voulais m’adresser aux sœurs indigènes au cours d’une réunion. Cela m’a pris presque un an avant de pouvoir parler seule dans une réunion publique. J’ai alors pu traduire facilement et écrire des lettres en tahitien. Les sœurs indigènes ont exprimé leur grande joie lorsque j’ai essayé pour la première fois. Dans cette tentative, j’ai dépassé leurs attentes et les miennes. Cela prendrait trop de place de parler de la grande foi de ce peuple inoffensif qui a gardé une âme d’enfant, de son hospitalité et de la beauté de ses îles (un grain de sable dans l’océan) où la nature a déversé ses splendeurs et demeure dans une majesté isolée. Au mieux, on le trouvera pour l’instant dans mon récit complet, que j’espère avoir publié.

Pendant un an et demi, le sabbat et les jours de la semaine, j’ai enseigné dans le « pere hur » (la maison de culte). J’ai appris aux femmes à tricoter. Certains hommes âgés voulaient aussi apprendre. Je leur ai donc appris à tricoter des bretelles avec la laine que j’avais apportée de Californie. En guise d’aiguilles, nous utilisions les tiges de la feuille du cocotier, qui s’est avérée très utile. Les femmes étaient très désireuses d’apprendre tout ce que j’essayais de leur enseigner…

Ce fut triste de quitter ces âmes aimantes, particulièrement les enfants que nous avions hébergés chez nous. Nous pensions qu’il était plus sage de partir, car l’île était sous le protectorat de la France et le gouverneur avait renvoyé les missionnaires anglais, et nous ne savions pas quand ce serait notre tour. Nous sommes restés trois mois sur Tahiti après avoir quitté Tubuai. Les missionnaires construisirent une maison pour les marchands afin d’obtenir de l’argent pour payer notre voyage en bateau. Cette grande île centrale est un verger et un jardin fleuri ! Je n’avais jamais vu de paysages aussi magnifiques auparavant et je n’en ai jamais vu de semblable depuis. [2]

En raison de restrictions légales édictées par l’administration française, la mission de Polynésie française a été fermée en mai 1852. Addison, Louisa et leurs enfants partirent pour les États-Unis et arrivèrent à San Francisco le 30 juin 1852. Ils vécurent dans une communauté mormone de San Bernardino (Californie), de décembre 1852 à janvier 1858. Écoutant l’appel de Brigham Young de se joindre aux saints en Utah, Louisa et sa fille se rendirent à Salt Lake City en 1858 (ses autres enfants les y devancèrent en 1857). Addison resta en Californie, et pendant les quinze dernières années de sa vie, Louisa et lui vécurent séparés la plupart du temps. De 1858 jusqu’à sa mort en 1880, Louisa vécut à Beaver (Utah).

NOTES

[1] Caroline Barnes Crosby et sa famille se sont joints à Louisa pour aller en mission dans les îles de la Société.

[2] Louisa Barnes Pratt, Reminiscences, p. 78-80, 81-82, Archives de l’Église.