Joseph
Smith, le
prophète
Richard L. Bushman et
Dean C. Jessee
Article
tiré de l'Encyclopédie
du mormonisme
(Macmillan
Publishing Company, 1992)
Traduction : Marcel
Kahne
Source :
www.idumea.org
avec
autorisation
Joseph Smith, fils
(1805-1844), souvent désigné sous le nom de Joseph
Smith, le prophète, est le prophète fondateur de
l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers
jours. Les saints des derniers jours l’appellent « le
prophète » parce que, dans la tradition des
prophètes de l’Ancien et du Nouveau Testament, ses
enseignements dépendaient de la révélation de
Dieu, pas de sa culture. Ils acceptent ses révélations,
dont beaucoup ont été publiées sous les titres
Doctrine et Alliances et Perle de grand prix, Écritures
parallèles à la Bible. Dans sa jeunesse, Joseph Smith a
également traduit un document sacré provenant de
l’Amérique ancienne, appelé Livre de Mormon. Ces
révélations et ces documents ont rétabli sur la
terre l’Évangile pur du Christ. Le rôle de Joseph
Smith dans l’histoire a été de fonder l’Église
de Jésus-Christ basée sur cet Évangile rétabli
en vue de la seconde venue du Christ.
Ses origines ne
laissaient rien présager de cette vie hors normes. Les
ancêtres de Joseph Smith étaient des fermiers ordinaires
de la Nouvelle-Angleterre. Ses ancêtres Smith avaient émigré
au dix-septième siècle d’Angleterre en Amérique
et s’étaient installés à Topsfield
(Massachusetts), où ils s’étaient fait un nom.
Son grand-père, Asael Smith, incapable alors de payer les
dettes de la ferme familiale, vendit la ferme, liquida les dettes et
émigra en 1791 à Tunbridge (Vermont), où il
acheta suffisamment de terres pour pourvoir aux besoins de ses fils.
Les ancêtres Mack de Joseph Smith, venus d’Écosse,
s’installèrent à Lyme (Connecticut), prospérèrent
un certain temps, puis rencontrèrent des temps difficiles.
Solomon Mack, grand-père de Joseph, tenta diverses entreprises
en Nouvelle-Angleterre et à New-York avec peu de succès
financier. L’un des fils Mack s’installa à
Tunbridge, ce qui permit à Lucy Mack de rencontrer Joseph
Smith, père, l’un des fils d’Asael. Le couple se
maria en 1796. Il eut onze enfants dont neuf vécurent jusqu’à
l’âge adulte. Joseph Smith, fils, né le 23
décembre 1805, à Sharon (Vermont), fut le troisième
fils qui resta en vie et le quatrième enfant.
Le jeune Joseph eut peu
de scolarité. En 1803, ses parents perdirent leur ferme de
Tunbridge suite à l’échec d’une entreprise
commerciale et, pendant les quatorze années qui suivirent,
déménagèrent d’une ferme louée à
l’autre. En 1816, ils émigrèrent à Palmyra
(New-York), juste au nord des Finger Lakes, où ils achetèrent
en 1817 une ferme à Farmington (plus tard Manchester),
l’arrondissement directement au sud de Palmyra. La nécessité
de défricher des terres et de produire de quoi vivre
chichement laissait peu de temps pour l’école. « Comme
il fallait bien les efforts de tous ceux qui étaient capables
d’apporter la moindre aide pour l’entretien de la
famille, écrit Joseph en 1832, nous avons été
privés du bénéfice des études. Qu’il
suffise de dire que j’ai simplement appris à lire, à
écrire et les bases de l’arithmétique, ce qui a
constitué tous mes acquis littéraires »
(Jessee, 1989–, 1:5). Sa mère le décrit comme
« beaucoup moins enclin à la lecture des livres que
le reste des enfants, mais beaucoup plus adonné à la
méditation et à l’étude approfondie »
(Smith, p. 84). Sa connaissance de la Bible et sa façon
biblique d’écrire donnent à penser qu’une
grande partie de ses études primaires est venue de cette
source.
L’un des sujets
qu’il méditait était la religion. Ses parents
avaient été élevés sous l’influence
du Congrégationnalisme de la Nouvelle-Angleterre mais,
mécontents des prédicateurs des environs, ils
n’allaient pas régulièrement à l’église.
Les deux parents eurent des expériences religieuses profondes
et un désir ardent de salut sans avoir une manière
satisfaisante de rendre le culte. Quelques années après
leur installation à Palmyra, Lucy Smith et trois des enfants
entrèrent chez les presbytériens ; Joseph, père,
et les autres, notamment Joseph, fils, restèrent chez eux. Le
jeune Joseph était profondément préoccupé
par la question de savoir à quelle Église se joindre et
la prédication des pasteurs lors des réveils dans la
région augmentait son incertitude.
Au printemps de 1820,
alors qu’il venait d’avoir quatorze ans, Joseph demanda
directement à Dieu de le guider. La réponse fut
étonnante. Tandis qu’il priait dans les bois près
de chez lui, le Père et le Fils lui apparurent. L’assurant
que ses péchés lui étaient pardonnés, le
Seigneur lui dit qu’aucune des Églises n’était
la bonne et qu’il ne devait se joindre à aucune. Les
saints des derniers jours appellent cela la Première Vision de
Joseph Smith, l’événement qui a été
à l’origine du rétablissement de l’Évangile.
À l’époque, cela fit peu d’impression sur
les contemporains de Joseph Smith. Il parla de la vision à un
pasteur et se fit rabrouer. Croyant que la Bible suffisait, les
pasteurs étaient sceptiques vis-à-vis de la révélation
directe. Le dédain affiché irrita Joseph, qui avait
seulement essayé de raconter ce qui lui était arrivé,
et l’éloigna encore plus des Églises.
Au bout de trois ans sans
autres révélations, Joseph se demanda s’il avait
toujours la faveur de Dieu et pria de nouveau pour être dirigé
et pardonné. La vision qu’il reçut le 21
septembre 1823 allait orienter le cours de sa vie pendant les sept
années suivantes. Un ange lui apparut et lui parla d’annales
sacrées d’un peuple antique. Cet ange, Moroni, dit à
Joseph qu’il allait recevoir ces annales, écrites sur
des plaques d’or, et les traduire. Il lui dit aussi que
l’alliance faite autrefois par Dieu avec Israël était
sur le point de s’accomplir, que la préparation de la
seconde venue du Christ était sur le point de débuter
et que l’Évangile devait être prêché
à toutes les nations pour préparer les hommes pour le
règne millénaire du Christ. Dans une vision, Joseph vit
la colline près de sa maison où les plaques étaient
enterrées. Quand il s’y rendit le lendemain pour prendre
possession des plaques, l’ange l’arrêta. Il lui dit
qu’il devait attendre quatre ans pour obtenir les plaques et
qu’entre-temps, il devait retourner tous les ans pour recevoir
des instructions. Le 22 septembre 1827, il obtint les plaques à
partir desquelles il traduisit le Livre de Mormon.
La découverte des
plaques d’or à flanc de coteau faisait étrangement
écho à d’autres expériences de la famille
Smith. Comme beaucoup d’autres habitants de la
Nouvelle-Angleterre, elle connaissait bien la pratique de la
recherche de trésors perdus à l’aide de moyens
surnaturels. Le père de Joseph Smith passait pour être
l’un de ces chercheurs de trésors et Joseph Smith
lui-même avait trouvé une pierre, appelée pierre
de voyant, qui était censée lui permettre de trouver
les objets perdus. Les chercheurs de trésors voulaient
l’utiliser pour les aider dans leurs recherches. L’un
d’eux, un nommé Josiah Stowell (parfois écrit
Stoal), engagea Joseph et son père en 1825 pour faire des
fouilles pour trouver un trésor espagnol supposé se
trouver près d’Harmony (Pennsylvanie). L’entreprise
n’aboutit pas et les Smith rentrèrent chez eux, mais les
voisins continuèrent à voir dans les Smith des membres
des chercheurs de trésors. Joseph Smith dut apprendre, pendant
ses quatre années d’attente, à apprécier
les plaques uniquement pour leur valeur religieuse, pas pour leur
valeur monétaire. L’ange interdit à Joseph de
prendre les plaques lorsqu’il les vit pour la première
fois parce que des pensées concernant leur valeur commerciale
lui avaient traversé l’esprit. Joseph dut apprendre à
se concentrer sur le but religieux des plaques et à laisser de
côté toute considération sur leur valeur en or.
En 1825, pendant qu’il
travaillait à Harmony, Joseph Smith rencontra Emma Hale chez
celle-ci où son père et lui avaient pris pension. Il
continua de la voir au cours de l’année suivante tout en
faisant d’autres travaux dans la région et, le 18
janvier 1827, ils se marièrent. Elle était grande,
droite et mince et avait les cheveux noirs ; lui avait plus d’un
mètre quatre-vingts, était solidement bâti et
avait les cheveux châtain clair et les yeux bleus. Après
le mariage, ils allèrent vivre avec la famille Smith à
Manchester, près de la colline Cumorah, où les plaques
étaient toujours enterrées.
Le 22 septembre 1827,
Joseph Smith se rendit pour la cinquième fois à la
colline. Cette fois-ci, l’ange lui permit de prendre les
plaques, avec pour ordre strict de ne les montrer à personne.
Mais il y eut des complots pour les lui enlever et on ne le laissa
pas commencer la traduction en paix. Finalement, Emma et lui durent
déménager, pour leur sécurité, et
s’installer à Harmony, près de la famille d’Emma.
Pendant les trois années
qui suivirent, l’œuvre de Joseph dépendit de
l’appui d’un petit nombre d’amis fidèles qui
vinrent à son aide et le protégèrent des
curieux. Son attitude ouverte inspirait confiance et la franchise
avec laquelle il relatait tout simplement ce qui lui était
arrivé désarmait les sceptiques. Son frère
écrivit plus tard que la jeunesse de Joseph, son manque
d’instruction et « sa personnalité et sa
manière d’être » convainquirent la
famille qu’il était incapable de « dire autre
chose que la vérité » (William Smith on
Mormonism, Lamoni, Iowa, 1883, p. 9-10). Le temps que la traduction
fût terminée et le Livre de Mormon publié, une
quarantaine ou une cinquantaine de personnes avaient cru en sa
mission et en ses dons divins.
Martin Harris, un fermier
prospère de Palmyra, fut l’un de ces amis. Il aida
Joseph à aller s’installer à Harmony avant de s’y
installer lui-même pour aider à la traduction. Avec les
plaques, Joseph avait reçu, pour lui permettre de traduire, un
instrument spécial appelé interprètes ou urim et
thummim. Martin Harris écrivait sous la dictée. Au
printemps de 1828, après trois mois de travail, Martin Harris
reprit chez lui les 116 pages de traduction pour les montrer à
sa femme et elles furent perdues ou volées. Ceci interrompit
la traduction et plongea Joseph dans la détresse. Peu après,
il se faisait vertement réprimander dans une révélation
(D&A 3). C’est vers ce moment-là, le 15 juin 1828,
que le fils aîné de Joseph et d’Emma mourut le
jour de sa naissance, ce qui fut un déchirement supplémentaire
pour Joseph.
La traduction reprit à
l’automne de 1828, continuant par intermittence jusqu’au
printemps de 1829. C’est alors qu’Oliver Cowdery, un
instituteur qui avait appris l’existence des plaques par les
parents de Joseph, crut en celui-ci et accepta d’écrire
sous la dictée. Ils travaillèrent ensemble d’avril
à juin 1829. Quand les deux amis prièrent, le 15 mai,
pour comprendre le baptême, un messager, qui se présenta
comme étant Jean-Baptiste apparut, leur conféra
l’autorité dans la prêtrise et leur commanda de se
baptiser mutuellement. Oliver écrivit plus tard : « Ce
furent là des jours inoubliables ! Cela éveillait
en mon sein la gratitude la plus profonde que de pouvoir être
là à écouter le son d'une voix parlant sous
l'inspiration du ciel » (JS–H 1:71 n).
Oliver ne fut pas le seul
témoin supplémentaire des révélations.
Quand l’opposition commença à monter à
Harmony, Oliver et Joseph partirent en juin 1829 à Fayette,
New York, pour la maison familiale de David Whitmer, ami d’Oliver.
Ici encore, Joseph reçut le soutien nécessaire de
personnes qui croyaient en lui. Une fois la traduction terminée,
il fut dit à Joseph que d’autres seraient autorisés
à voir les plaques, qu’il avait été
jusqu’alors le seul à voir. L’ange Moroni apparut
à Martin Harris, à Oliver Cowdery et à David
Whitmer et leur montra les plaques d’or tandis qu’une
voix venue du ciel déclarait que la traduction avait été
faite par le pouvoir de Dieu et était vraie. La mère de
Joseph écrit que Joseph rentra à la maison après
cette révélation et se laissa tomber sur un siège
près d’elle en s’exclamant qu’enfin
quelqu’un d’autre avait vu les plaques. « Maintenant
ils savent par eux-mêmes que je ne passe pas mon temps à
tromper les gens » (Smith, p. 139). Des mots qui en disent
long sur la tension qu’il avait en lui de savoir qu’il
était le seul témoin de ses expériences
remarquables.
En mars 1830, le Livre de
Mormon fut publié, ce qui mit fin à une phase de la vie
de Joseph mais pas de sa mission divine. En 1829, des révélations
lui commandèrent d’organiser une Église. Le 6
avril 1830, chez les Whitmer à Fayette, l’Église
du Christ fut organisée avec Joseph Smith et Oliver Cowdery
comme premier et deuxième anciens.
Le fait de devoir diriger
l’Église donna à la vie de Joseph Smith une
orientation nouvelle. Jusqu’alors il avait été un
jeune homme avec un don divin et la mission de traduire le Livre de
Mormon ; maintenant, sans aucune expérience antérieure
comme organisateur, il se retrouvait responsable d’organiser
une Église et de diriger un peuple. Il dut s’appuyer sur
la révélation. Au cours des six années qui
suivirent, il reçut beaucoup de révélations,
dont 90 remplissent 190 pages des Doctrine et Alliances. Elles vont
d’instructions portant sur de menus détails
d’administration à des descriptions sublimes de la vie
dans l’au-delà. Habituellement, quand il y avait des
problèmes à résoudre, qu’ils soient
administratifs ou doctrinaux, le prophète recherchait l’aide
divine et, grâce à elle, dirigeait l’Église.
La voie tracée à
la nouvelle Église par les révélations était
extraordinairement difficile. Le prophète reçut pour
instructions de se lancer dans des projets qui s’étendaient
sur la moitié du continent et qui impliquaient une
réorganisation de la société. Le grand objectif
était l’établissement de Sion. Les enseignements
du Livre de Mormon sur le Christ parlaient d’une nouvelle
Jérusalem, une ville de Sion qui serait fondée en
Amérique (3 Né. 20:22). Des révélations
ultérieures décrivaient la nature du nouvel ordre. Le
concept central était le rassemblement des gens purs et
honnêtes d’entre les nations dans des communautés
où ils pourraient apprendre à vivre dans l’unité
et l’amour sous la direction divine et où des temples
pourraient être construits pour administrer les ordonnances
sacrées du salut.
En septembre-octobre
1830, des missionnaires furent appelés pour instruire les
Amérindiens qui vivaient près de la frontière
occidentale du Missouri (voir Mission lamanite de 1830-1831). Il fut
dit à ces missionnaires que la ville de Sion serait située
quelque part dans cette région. Plus tard, des révélations
portèrent sur un rassemblement au Missouri pour organiser Sion
et un nouvel ordre économique conçu pour permettre aux
saints de vivre ensemble dans l’unité. Joseph et
d’autres dirigeants de l’Église se rendirent au
comté de Jackson (Missouri) pendant l’été
de 1831, et là apprirent par révélation que la
ville devait être construite et un temple érigé
près d’Independence (Missouri). Le rassemblement devait
commencer immédiatement.
Quand on se rappelle que
Joseph Smith n’avait pas encore vingt-six ans et que cinq ans
plus tôt il n’était qu’un paysan sans
instruction connu seulement pour ses dons spirituels, il est
difficile de comprendre l’audace de ces plans. L’ampleur
de ses conceptions ne le dérangea jamais. « J’ai
l’intention de poser des fondements qui révolutionneront
le monde entier », devait-il dire plus tard (HC 6:365). Il
agissait avec la certitude que ses directives venaient de Dieu et que
l’Église triompherait en dépit de tout.
Au printemps de 1831,
pratiquement tous les saints des derniers jours quittèrent
l’État de New York pour l’Ohio. Joseph et Emma
s’installèrent à Kirtland (Ohio), près
d’un groupe de nouveaux convertis et, pendant les six années
suivantes, ce fut le siège de l’Église. L’autre
point focal de la vie de l’Église jusqu’en 1838
fut le Missouri, d’abord Independence, emplacement de la future
ville de Sion, puis le nord du Missouri. À mesure que les
saints des derniers jours émigraient au Missouri, les tensions
avec les vieux colons augmentèrent. Au comté de
Jackson, en 1831-1833, et de nouveau au comté de Caldwell, en
1836-1838, les efforts pour établir Sion suscitèrent
une opposition violente contre ce que les non-mormons percevaient
comme une menace contre leur mode de vie.
Joseph Smith fit
également des efforts pour réaliser sa vision de Sion
pendant les sept années que les saints des derniers jours
furent en Ohio. Il organisa les premiers pieux et installa la
structure de la présidence de la prêtrise de l’Église.
Le prophète créa une banque, un journal et une
imprimerie ; il supervisa la construction du premier temple de
l’Église et lança une œuvre missionnaire
considérable aux États-Unis, au Canada et en
Angleterre. Ses révélations, notamment une loi de
santé, orientèrent les saints dans la gestion de leur
vie quotidienne. Il fit une traduction de la Bible. Il instaura un
système scolaire pour préparer les saints pour les
rôles de direction et de mission et étudia lui-même
l’hébreu à l’école. L’apogée
des années de Kirtland fut la consécration du temple.
Bien qu’ayant reçu l’autorité dans la
prêtrise plusieurs années plus tôt, en 1836, dans
le temple de Kirtland, Joseph Smith reçut des clefs d’autorité
supplémentaires importantes de Moïse, d’Élias
et d’Élie relatives au rassemblement d’Israël
et au scellement éternel des familles.
L’opposition avait
harcelé le prophète depuis le moment où il avait
parlé pour la première fois de ses visions. En 1832, il
fut enduit de goudron et de plumes et battu par des émeutiers
qui s’introduisirent dans la maison où il logeait à
Hiram (Ohio), intrusion qui fut à l’origine de la mort
d’un enfant. À Kirtland, des querelles se produisirent
dans l’Église concernant la nature de la nouvelle
société et de l’implication du prophète
dans le domaine économique et la politique ; certains
l’accusèrent d’essayer de s’immiscer dans
leur vie privée et le qualifièrent de prophète
déchu. Au début de 1838, l’opposition,
particulièrement parmi les dirigeants en Ohio, s’intensifia
à tel point que le prophète et les membres fidèles
partirent au Missouri.
Joseph Smith arriva avec
sa famille à Far West (comté de Caldwell, Missouri) en
mars 1838, et là il chercha de nouveau à créer
un lieu de rassemblement pour les saints et à construire un
temple (voir Missouri : Localités de saints dans les
comtés de Caldwell et de Daviess). Mais, comme précédemment,
l’afflux d’étrangers ayant des pratiques sociales,
religieuses et économiques différentes fut inacceptable
pour les vieux colons. L’opposition dégénéra
en violence, le 6 août 1838, à Gallatin (comté de
Daviess) quand les ennemis de l’Église essayèrent
d’empêcher les saints des derniers jours de voter. La
bagarre qui s’ensuivit fit des blessés des deux côtés.
Un malentendu qui se produisit ensuite avec un juge de paix local
donna lieu à des accusations contre le prophète. Les
rumeurs se répandant, les citoyens de plusieurs comtés,
puis des milices se mobilisèrent pour expulser les saints des
derniers jours.
La crise atteignit son
paroxysme le 31 octobre 1838, quand Joseph Smith et plusieurs autres,
pensant pouvoir négocier des manières de désamorcer
la situation volatile existante, furent arrêtés. Ce fut
le début de cinq mois d’emprisonnement. Une commission
d’enquête, en novembre, à Richmond (comté
de Ray), accusa le prophète et d’autres d’actes de
trahison liés au conflit et les fit emprisonner à la
prison de Liberty en attendant leur procès. Entre-temps, les
saints étaient chassés de l’état.
Cet emprisonnement dans
des conditions pénibles aggravées par le fait qu’il
était séparé de force de sa famille et de
l’Église, laissa à Joseph le temps de réfléchir
à la signification de la souffrance humaine. Les écrits
rédigés en prison contiennent certains des passages les
plus sublimes de son ministère. Des extraits de ses lettres
furent ajoutés au recueil de ses révélations.
Reconnaissant tout ce par quoi il était passé, l’une
des révélations lui rappelait qu’aussi grandes
que fussent ses souffrances, elles ne dépassaient pas celles
du Sauveur : « Le Fils de l’Homme est descendu
plus bas que tout cela. Es-tu plus grand que lui ? »
(D&A 122:8).
Au mois d’avril
suivant, pendant qu’on les emmenait au comté de Boone
(Missouri), pour un changement de juridiction, on laissa le prophète
et ses codétenus s’échapper. Dans le mois qui
suivit son retour auprès de sa famille et de ses amis à
Quincy (Illinois), Joseph Smith avait autorisé l’achat
de terres sur le fleuve Mississippi près de Commerce (comté
de Hancock, Illinois) et avait installé sa famille dans une
cabane de rondins de deux pièces. Pendant l’été
de 1839, les saints commencèrent à s’installer
dans leur nouveau lieu de rassemblement, qu’ils appelèrent
Nauvoo.
Comme beaucoup de
terrains longeant les fleuves, Nauvoo fut au départ mal
drainée et infestée par la maladie. Pendant une
épidémie de malaria, le prophète abandonna sa
maison aux malades et vécut sous une tente. Des témoins
rapportèrent des guérisons miraculeuses sous son
administration. « Il y avait beaucoup de malades parmi les
saints des deux côtés du fleuve et Joseph est passé
parmi eux, les prenant par la main et leur commandant d’une
voix forte, au nom du Jésus-Christ, de se lever de leur lit et
d’être guéris » (Journal intime de
Wilford Woodruff, 22 juillet 1839, manuscrit, archives de l’Église).
Les décès étaient si fréquents que des
obsèques collectives furent organisées.
Vers la fin de 1839, le
prophète se rendit à Washington, D.C, pour obtenir, de
la part du gouvernement fédéral, réparation pour
les pertes subies par son peuple au Missouri. Tandis qu’il
était là, il obtint des entretiens avec le président
Martin Van Buren et des membres éminents du Congrès,
mais en sortit déçu et les mains vides.
Nauvoo fut rapidement
légalisée en vertu de la charte de Nauvoo autorisée
par l’état. Dans les quelques années qui
suivirent, la ville grandit au point de rivaliser avec Chicago comme
étant la plus grande de l’Illinois. Joseph fit partie du
conseil municipal et devint maire par la suite. En sa qualité
de maire, il remplit aussi les fonctions de juge président du
tribunal municipal et comme receveur de l’enregistrement. Avec
le rang de lieutenant-général, il dirigea la Légion
de Nauvoo, la milice municipale. Il était également
propriétaire d’un magasin de marchandises et devint
rédacteur et éditeur du périodique Times and
Seasons.
La sécurité
relative de Nauvoo donna à Joseph Smith la possibilité
de faire avancer, avec une vigueur renouvelée, l’œuvre
du royaume. Il envoya le Collège des douze apôtres en
Grande-Bretagne, où ils augmentèrent l’œuvre
missionnaire et lancèrent un programme d’émigration
qui amena un flot d’immigrés dans le nouveau lieu de
rassemblement. À Nauvoo, le prophète organisa les
premières paroisses. Il étendit l’autorité
ecclésiastique des Douze pour y inclure une juridiction dans
les pieux, les plaçant pour la première fois dans une
situation d’autorité universelle sur l’Église
sous la Première Présidence. Il supervisa la
construction du temple de Nauvoo et créa la Société
de secours des femmes de Nauvoo.
Le prophète
rencontra un dilemme pendant qu’il commençait à
rétablir des principes divins perdus depuis longtemps. Poussé
par le pressentiment que son temps était compté, il
souhaita accélérer ses efforts, mais parce que beaucoup
ne comprenaient pas sa mission et s’opposaient à lui, il
devait avancer lentement. « Je pourrais en expliquer cent
fois plus que je ne l’ai jamais fait sur les gloires des
royaumes qui m’ont été manifestées…
si le peuple était prêt à le recevoir »,
écrivit-il en 1843 (HC 5:402). Pour résoudre ce
dilemme, le prophète présenta quelques principes en
privé à un nombre restreint de membres fidèles
dans l’intention de planter les semences avant sa mort. Dès
1841, il introduisit le mariage plural, une partie nécessaire
du rétablissement de l’ordre ancien des choses, aux
membres des Douze et à quelques autres. Bien que comprenant le
principe depuis 1831 et s’étant apparemment marié
avec une femme plurale plusieurs années plus tôt, ce fut
en 1841 qu’il épousa Louisa Beaman, la première
femme plurale pour laquelle nous ayons un écrit. Pendant les
années qui lui restaient, il en épousa au moins
vingt-sept autres.
En mai 1842, le prophète
introduisit la Dotation complète, des ordonnances religieuses
pratiquées par la suite dans tous les temples des saints, à
un petit groupe dans la salle à l’étage de son
magasin de Nauvoo. Un an plus tard, il accomplit les premiers
scellements de couples mariés pour le temps et l’éternité.
En outre, il enseigna aux saints des points de doctrine importants
concernant la nature de Dieu et l’homme. En mars 1844, il
organisa le conseil des cinquante, bras politique du royaume de Dieu.
Lorsqu’il mourut, trois mois plus tard, il avait accompli tout
ce qu’il estimait être essentiel pour la continuation du
royaume. Entre-temps, il avait transféré aux Douze les
clefs de l’autorité, assuré que le programme
qu’il avait lancé allait maintenant continuer quoi qu’il
lui arrive.
L’enseignement de
ces principes en privé à un petit cercle permit à
Joseph Smith d’accomplir sa mission mais compliqua la situation
à Nauvoo et déclencha des forces qui finirent par
causer sa mort. Certains saints eurent du mal à accepter ces
enseignements peu communs. Brigham Young dit que quand on lui
enseigna le mariage plural, ce fut la première fois de sa vie
qu’il aurait préféré mourir. À un
moment donné, Emma, la femme de Joseph, devint « très
hostile et pleine du ressentiment » (« déclaration
de William Clayton », Woman’s Exponent 15, 1er juin
1886, p. 2). Lorsque les informations sur ces enseignements privés
filtrèrent dans la collectivité, les suppositions et
les rumeurs déformées proliférèrent.
Tandis que le prophète
poursuivait ses objectifs, les forces extérieures à
l’Église s’organisèrent contre lui. Les
autorités du Missouri essayèrent trois fois de
l’extrader de l’Illinois, ce qui déboucha sur de
longues périodes de harcèlement judiciaire. À
cause de la perte de propriétés lors des persécutions
précédentes, il ne pouvait pas payer ses dettes et dut
éluder ses créanciers. Quand les dirigeants politiques
de l’Illinois se tournèrent contre les saints des
derniers jours et qu’aucun des dirigeants nationaux ne voulut
soutenir leur cause, le prophète annonça sa candidature
au poste de président des États-Unis, ce qui lui donna
accès à une plate-forme lui permettant de traiter des
droits de son peuple.
En avril 1844, les
dissidents défièrent ouvertement la direction de Joseph
Smith en organisant une Église de réforme et en éditant
un journal, le Nauvoo Expositor, afin de le dénoncer. Voyant
dans l’Expositor une menace à la paix de la communauté,
le conseil municipal de Nauvoo, que Joseph Smith présidait
comme maire, l’autorisa à commander la destruction de la
presse – une mesure qui fit flamber l’opposition. Le 12
juin, le prophète fut accusé d’émeute pour
avoir détruit la presse. Après une série de
manœuvres judiciaires, Joseph se laissa arrêter à
Carthage, le siège du comté, située dans le
voisinage, avec la promesse du gouverneur qu’il serait protégé.
Joseph ne se sentait pas en sécurité et les menaces
verbales des excités des localités voisines
confirmaient ses appréhensions. Le 27 juin 1844, alors qu’ils
étaient en prison à Carthage, en attendant une
comparution au tribunal, Joseph Smith et son frère Hyrum
furent tués au cours d’un assaut donné à
la prison par des émeutiers au visage noirci. Le lendemain,
les corps des frères furent ramenés à Nauvoo où
dix mille saints des derniers jours se rassemblèrent pour
pleurer la perte de leur prophète.
En dépit de
l’adversité qui le poursuivit de sa jeunesse jusqu’à
sa mort, Joseph Smith n’était pas le genre de personnage
austère et rébarbatif que ses contemporains imaginaient
généralement chez un prophète. Un converti
anglais écrit que Joseph « n’était pas
un type au visage renfrogné et dégageant un air de
sainteté, bien au contraire » (John Needham à
Thomas Ward, 7 juillet 1843, Latter-Day Saints’ Millennial Star
4, oct. 1843, p. 89). Il n’était pas rare de le voir se
livrer à des activités sportives avec les hommes jeunes
et vigoureux d’une localité. On sait qu’il faisait
de la lutte, de la traction au bâton, des combats de boules de
neige, qu’il jouait au ballon, glissait sur la glace avec ses
enfants, jouait aux billes, tirait sur une cible et allait à
la pêche. Grand et bien bâti, Joseph Smith n’hésitait
pas à utiliser sa force. Une fois, dans sa jeunesse, il rossa
un homme qui battait sa femme. En 1839, tandis qu’il était
en route pour Washington, D.C, en diligence, les chevaux
s’emballèrent en l’absence du cocher. Le prophète
ouvrit la portière du véhicule en marche, grimpa
jusqu’au siège du conducteur, s’empara des rênes
et arrêta les chevaux.
Joseph était
également profondément spirituel. Sa mère dit de
lui que dans sa jeunesse, il « semblait réfléchir
plus profondément que les personnes ordinaires de son âge
sur tout ce qui avait un caractère religieux »
(Lucy Smith, Biographical Sketches of Joseph Smith, manuscrit
préliminaire, p. 46, Archives de l’Église). Il
venait d’avoir douze ans, écrivit-il plus tard, quand
son esprit « commença à se préoccuper
sérieusement des questions importantes relatives au bien-être
de mon âme immortelle » (PJS 1:5). Des années
après avoir commencé à recevoir des révélations,
il continua à rechercher du réconfort spirituel. En
1832, tandis qu’il était en voyage, écrit-il :
« Je me rendais presque tous les jours dans un bosquet
juste derrière la ville où je pouvais échapper
aux regards de tout mortel et y exprimer tous les sentiments de mon
cœur dans la méditation et la prière »
(PWJS, p. 238). C’est clair qu’il parlait du fond du cœur
quand il dit que « les choses de Dieu ont une profonde
importance ; il n’y a que le temps, l’expérience
et des pensées soigneuses, réfléchies et
solennelles qui peuvent les trouver » (HC 3:295).
Joseph Smith aimait
profondément sa famille et ses écrits personnels sont
remplis d’épanchements de tendresse et de sollicitude
accompagnés de prières. « Ô Seigneur,
bénis mes petits enfants en leur donnant la santé et
une longue vie pour faire du bien dans cette génération
pour l’amour du Christ amen » (PWJS, p. 28). Sa
famille comptait onze enfants, dont des jumeaux adoptés. Cinq
d’entre eux, quatre fils et une fille, moururent peu près
leur naissance ou dans leur prime enfance ; cinq vivaient quand
leur père fut tué et un sixième, un fils, naquit
quatre mois après sa mort. Les aperçus occasionnels que
nous avons de sa vie de famille le montrent glissant sur la glace
avec son fils Frederick, faisant faire à ses enfants un tour
en carriole sur un traîneau et allant au cirque.
Il était également
un ami fidèle et se souciait profondément des autres.
Il tendit à plusieurs reprises la main du pardon à des
prodigues, dont certains lui avaient causé des souffrances et
du malheur. « Je me sens tenu d’être l’ami
de tous… qu’ils soient justes ou injustes ; ils ont
une part de ma compassion et de ma sympathie » (PWJS, p.
548). Un observateur a noté que le prophète n’allait
jamais au lit s’il savait qu’il y avait une personne
malade qui avait besoin d’aide. Il enseignait que « l’amour
est l’une des principales caractéristiques de la
Divinité et doit être manifesté par ceux qui
aspirent à être les fils de Dieu. Un homme qui est
rempli de l’amour de Dieu ne se contente pas de faire du bien à
sa famille seulement, mais parcourt le monde, vivement désireux
de faire du bien à la totalité de la famille humaine »
(PWJS, p. 481). Un membre de l’Église qui avait logé
chez les Smith et avait assisté aux « prières
ferventes et humbles [du prophète]… nourrissant,
calmant et réconfortant sa famille, ses voisins et ses amis »
considéra que c’était un plus grand témoignage
de la divinité de l’appel de Joseph Smith d’observer
sa vie privée que d’observer ses actions publiques (JD
7:176-77).
Joseph Smith consacra sa
vie à introduire une nouvelle dispensation de connaissances
religieuses et ce, à un coût personnel élevé.
Il écrivit que « l’envie et la colère
de l’homme » avaient été son sort
ordinaire et que « l’eau profonde » était
ce en quoi il avait l’habitude de nager (D&A 127:2). Un peu
plus d’un an avant sa mort, il dit à un auditoire à
Nauvoo : « Si je n’avais pas vraiment entrepris
cette œuvre et été appelé de Dieu, je me
retirerais. Mais je ne peux pas me retirer : je n’ai aucun
doute sur sa véracité » (HC 5:336). Il vécut
dans l’espoir de donner vie à cette vérité
dans une société de saints et mourut victime d’ennemis
qui ne comprenaient pas sa vision.
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