Joseph Smith, le prophète



Richard L. Bushman et Dean C. Jessee


Article tiré de l'Encyclopédie du mormonisme
(Macmillan Publishing Company, 1992)
Traduction : Marcel Kahne
Source : www.idumea.org
avec autorisation


 
Joseph Smith, fils (1805-1844), souvent désigné sous le nom de Joseph Smith, le prophète, est le prophète fondateur de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Les saints des derniers jours l’appellent « le prophète » parce que, dans la tradition des prophètes de l’Ancien et du Nouveau Testament, ses enseignements dépendaient de la révélation de Dieu, pas de sa culture. Ils acceptent ses révélations, dont beaucoup ont été publiées sous les titres Doctrine et Alliances et Perle de grand prix, Écritures parallèles à la Bible. Dans sa jeunesse, Joseph Smith a également traduit un document sacré provenant de l’Amérique ancienne, appelé Livre de Mormon. Ces révélations et ces documents ont rétabli sur la terre l’Évangile pur du Christ. Le rôle de Joseph Smith dans l’histoire a été de fonder l’Église de Jésus-Christ basée sur cet Évangile rétabli en vue de la seconde venue du Christ.
 
Ses origines ne laissaient rien présager de cette vie hors normes. Les ancêtres de Joseph Smith étaient des fermiers ordinaires de la Nouvelle-Angleterre. Ses ancêtres Smith avaient émigré au dix-septième siècle d’Angleterre en Amérique et s’étaient installés à Topsfield (Massachusetts), où ils s’étaient fait un nom. Son grand-père, Asael Smith, incapable alors de payer les dettes de la ferme familiale, vendit la ferme, liquida les dettes et émigra en 1791 à Tunbridge (Vermont), où il acheta suffisamment de terres pour pourvoir aux besoins de ses fils. Les ancêtres Mack de Joseph Smith, venus d’Écosse, s’installèrent à Lyme (Connecticut), prospérèrent un certain temps, puis rencontrèrent des temps difficiles. Solomon Mack, grand-père de Joseph, tenta diverses entreprises en Nouvelle-Angleterre et à New-York avec peu de succès financier. L’un des fils Mack s’installa à Tunbridge, ce qui permit à Lucy Mack de rencontrer Joseph Smith, père, l’un des fils d’Asael. Le couple se maria en 1796. Il eut onze enfants dont neuf vécurent jusqu’à l’âge adulte. Joseph Smith, fils, né le 23 décembre 1805, à Sharon (Vermont), fut le troisième fils qui resta en vie et le quatrième enfant.
 
Le jeune Joseph eut peu de scolarité. En 1803, ses parents perdirent leur ferme de Tunbridge suite à l’échec d’une entreprise commerciale et, pendant les quatorze années qui suivirent, déménagèrent d’une ferme louée à l’autre. En 1816, ils émigrèrent à Palmyra (New-York), juste au nord des Finger Lakes, où ils achetèrent en 1817 une ferme à Farmington (plus tard Manchester), l’arrondissement directement au sud de Palmyra. La nécessité de défricher des terres et de produire de quoi vivre chichement laissait peu de temps pour l’école. « Comme il fallait bien les efforts de tous ceux qui étaient capables d’apporter la moindre aide pour l’entretien de la famille, écrit Joseph en 1832, nous avons été privés du bénéfice des études. Qu’il suffise de dire que j’ai simplement appris à lire, à écrire et les bases de l’arithmétique, ce qui a constitué tous mes acquis littéraires » (Jessee, 1989–, 1:5). Sa mère le décrit comme « beaucoup moins enclin à la lecture des livres que le reste des enfants, mais beaucoup plus adonné à la méditation et à l’étude approfondie » (Smith, p. 84). Sa connaissance de la Bible et sa façon biblique d’écrire donnent à penser qu’une grande partie de ses études primaires est venue de cette source.
 
L’un des sujets qu’il méditait était la religion. Ses parents avaient été élevés sous l’influence du Congrégationnalisme de la Nouvelle-Angleterre mais, mécontents des prédicateurs des environs, ils n’allaient pas régulièrement à l’église. Les deux parents eurent des expériences religieuses profondes et un désir ardent de salut sans avoir une manière satisfaisante de rendre le culte. Quelques années après leur installation à Palmyra, Lucy Smith et trois des enfants entrèrent chez les presbytériens ; Joseph, père, et les autres, notamment Joseph, fils, restèrent chez eux. Le jeune Joseph était profondément préoccupé par la question de savoir à quelle Église se joindre et la prédication des pasteurs lors des réveils dans la région augmentait son incertitude.
 
Au printemps de 1820, alors qu’il venait d’avoir quatorze ans, Joseph demanda directement à Dieu de le guider. La réponse fut étonnante. Tandis qu’il priait dans les bois près de chez lui, le Père et le Fils lui apparurent. L’assurant que ses péchés lui étaient pardonnés, le Seigneur lui dit qu’aucune des Églises n’était la bonne et qu’il ne devait se joindre à aucune. Les saints des derniers jours appellent cela la Première Vision de Joseph Smith, l’événement qui a été à l’origine du rétablissement de l’Évangile. À l’époque, cela fit peu d’impression sur les contemporains de Joseph Smith. Il parla de la vision à un pasteur et se fit rabrouer. Croyant que la Bible suffisait, les pasteurs étaient sceptiques vis-à-vis de la révélation directe. Le dédain affiché irrita Joseph, qui avait seulement essayé de raconter ce qui lui était arrivé, et l’éloigna encore plus des Églises.
 
Au bout de trois ans sans autres révélations, Joseph se demanda s’il avait toujours la faveur de Dieu et pria de nouveau pour être dirigé et pardonné. La vision qu’il reçut le 21 septembre 1823 allait orienter le cours de sa vie pendant les sept années suivantes. Un ange lui apparut et lui parla d’annales sacrées d’un peuple antique. Cet ange, Moroni, dit à Joseph qu’il allait recevoir ces annales, écrites sur des plaques d’or, et les traduire. Il lui dit aussi que l’alliance faite autrefois par Dieu avec Israël était sur le point de s’accomplir, que la préparation de la seconde venue du Christ était sur le point de débuter et que l’Évangile devait être prêché à toutes les nations pour préparer les hommes pour le règne millénaire du Christ. Dans une vision, Joseph vit la colline près de sa maison où les plaques étaient enterrées. Quand il s’y rendit le lendemain pour prendre possession des plaques, l’ange l’arrêta. Il lui dit qu’il devait attendre quatre ans pour obtenir les plaques et qu’entre-temps, il devait retourner tous les ans pour recevoir des instructions. Le 22 septembre 1827, il obtint les plaques à partir desquelles il traduisit le Livre de Mormon.
 
La découverte des plaques d’or à flanc de coteau faisait étrangement écho à d’autres expériences de la famille Smith. Comme beaucoup d’autres habitants de la Nouvelle-Angleterre, elle connaissait bien la pratique de la recherche de trésors perdus à l’aide de moyens surnaturels. Le père de Joseph Smith passait pour être l’un de ces chercheurs de trésors et Joseph Smith lui-même avait trouvé une pierre, appelée pierre de voyant, qui était censée lui permettre de trouver les objets perdus. Les chercheurs de trésors voulaient l’utiliser pour les aider dans leurs recherches. L’un d’eux, un nommé Josiah Stowell (parfois écrit Stoal), engagea Joseph et son père en 1825 pour faire des fouilles pour trouver un trésor espagnol supposé se trouver près d’Harmony (Pennsylvanie). L’entreprise n’aboutit pas et les Smith rentrèrent chez eux, mais les voisins continuèrent à voir dans les Smith des membres des chercheurs de trésors. Joseph Smith dut apprendre, pendant ses quatre années d’attente, à apprécier les plaques uniquement pour leur valeur religieuse, pas pour leur valeur monétaire. L’ange interdit à Joseph de prendre les plaques lorsqu’il les vit pour la première fois parce que des pensées concernant leur valeur commerciale lui avaient traversé l’esprit. Joseph dut apprendre à se concentrer sur le but religieux des plaques et à laisser de côté toute considération sur leur valeur en or.
 
En 1825, pendant qu’il travaillait à Harmony, Joseph Smith rencontra Emma Hale chez celle-ci où son père et lui avaient pris pension. Il continua de la voir au cours de l’année suivante tout en faisant d’autres travaux dans la région et, le 18 janvier 1827, ils se marièrent. Elle était grande, droite et mince et avait les cheveux noirs ; lui avait plus d’un mètre quatre-vingts, était solidement bâti et avait les cheveux châtain clair et les yeux bleus. Après le mariage, ils allèrent vivre avec la famille Smith à Manchester, près de la colline Cumorah, où les plaques étaient toujours enterrées.
 
Le 22 septembre 1827, Joseph Smith se rendit pour la cinquième fois à la colline. Cette fois-ci, l’ange lui permit de prendre les plaques, avec pour ordre strict de ne les montrer à personne. Mais il y eut des complots pour les lui enlever et on ne le laissa pas commencer la traduction en paix. Finalement, Emma et lui durent déménager, pour leur sécurité, et s’installer à Harmony, près de la famille d’Emma.

Pendant les trois années qui suivirent, l’œuvre de Joseph dépendit de l’appui d’un petit nombre d’amis fidèles qui vinrent à son aide et le protégèrent des curieux. Son attitude ouverte inspirait confiance et la franchise avec laquelle il relatait tout simplement ce qui lui était arrivé désarmait les sceptiques. Son frère écrivit plus tard que la jeunesse de Joseph, son manque d’instruction et « sa personnalité et sa manière d’être » convainquirent la famille qu’il était incapable de « dire autre chose que la vérité » (William Smith on Mormonism, Lamoni, Iowa, 1883, p. 9-10). Le temps que la traduction fût terminée et le Livre de Mormon publié, une quarantaine ou une cinquantaine de personnes avaient cru en sa mission et en ses dons divins.
 
Martin Harris, un fermier prospère de Palmyra, fut l’un de ces amis. Il aida Joseph à aller s’installer à Harmony avant de s’y installer lui-même pour aider à la traduction. Avec les plaques, Joseph avait reçu, pour lui permettre de traduire, un instrument spécial appelé interprètes ou urim et thummim. Martin Harris écrivait sous la dictée. Au printemps de 1828, après trois mois de travail, Martin Harris reprit chez lui les 116 pages de traduction pour les montrer à sa femme et elles furent perdues ou volées. Ceci interrompit la traduction et plongea Joseph dans la détresse. Peu après, il se faisait vertement réprimander dans une révélation (D&A 3). C’est vers ce moment-là, le 15 juin 1828, que le fils aîné de Joseph et d’Emma mourut le jour de sa naissance, ce qui fut un déchirement supplémentaire pour Joseph.
 
La traduction reprit à l’automne de 1828, continuant par intermittence jusqu’au printemps de 1829. C’est alors qu’Oliver Cowdery, un instituteur qui avait appris l’existence des plaques par les parents de Joseph, crut en celui-ci et accepta d’écrire sous la dictée. Ils travaillèrent ensemble d’avril à juin 1829. Quand les deux amis prièrent, le 15 mai, pour comprendre le baptême, un messager, qui se présenta comme étant Jean-Baptiste apparut, leur conféra l’autorité dans la prêtrise et leur commanda de se baptiser mutuellement. Oliver écrivit plus tard : « Ce furent là des jours inoubliables ! Cela éveillait en mon sein la gratitude la plus profonde que de pouvoir être là à écouter le son d'une voix parlant sous l'inspiration du ciel » (JS–H 1:71 n).
 
Oliver ne fut pas le seul témoin supplémentaire des révélations. Quand l’opposition commença à monter à Harmony, Oliver et Joseph partirent en juin 1829 à Fayette, New York, pour la maison familiale de David Whitmer, ami d’Oliver. Ici encore, Joseph reçut le soutien nécessaire de personnes qui croyaient en lui. Une fois la traduction terminée, il fut dit à Joseph que d’autres seraient autorisés à voir les plaques, qu’il avait été jusqu’alors le seul à voir. L’ange Moroni apparut à Martin Harris, à Oliver Cowdery et à David Whitmer et leur montra les plaques d’or tandis qu’une voix venue du ciel déclarait que la traduction avait été faite par le pouvoir de Dieu et était vraie. La mère de Joseph écrit que Joseph rentra à la maison après cette révélation et se laissa tomber sur un siège près d’elle en s’exclamant qu’enfin quelqu’un d’autre avait vu les plaques. « Maintenant ils savent par eux-mêmes que je ne passe pas mon temps à tromper les gens » (Smith, p. 139). Des mots qui en disent long sur la tension qu’il avait en lui de savoir qu’il était le seul témoin de ses expériences remarquables.
 
En mars 1830, le Livre de Mormon fut publié, ce qui mit fin à une phase de la vie de Joseph mais pas de sa mission divine. En 1829, des révélations lui commandèrent d’organiser une Église. Le 6 avril 1830, chez les Whitmer à Fayette, l’Église du Christ fut organisée avec Joseph Smith et Oliver Cowdery comme premier et deuxième anciens.
 
Le fait de devoir diriger l’Église donna à la vie de Joseph Smith une orientation nouvelle. Jusqu’alors il avait été un jeune homme avec un don divin et la mission de traduire le Livre de Mormon ; maintenant, sans aucune expérience antérieure comme organisateur, il se retrouvait responsable d’organiser une Église et de diriger un peuple. Il dut s’appuyer sur la révélation. Au cours des six années qui suivirent, il reçut beaucoup de révélations, dont 90 remplissent 190 pages des Doctrine et Alliances. Elles vont d’instructions portant sur de menus détails d’administration à des descriptions sublimes de la vie dans l’au-delà. Habituellement, quand il y avait des problèmes à résoudre, qu’ils soient administratifs ou doctrinaux, le prophète recherchait l’aide divine et, grâce à elle, dirigeait l’Église.
 
La voie tracée à la nouvelle Église par les révélations était extraordinairement difficile. Le prophète reçut pour instructions de se lancer dans des projets qui s’étendaient sur la moitié du continent et qui impliquaient une réorganisation de la société. Le grand objectif était l’établissement de Sion. Les enseignements du Livre de Mormon sur le Christ parlaient d’une nouvelle Jérusalem, une ville de Sion qui serait fondée en Amérique (3 Né. 20:22). Des révélations ultérieures décrivaient la nature du nouvel ordre. Le concept central était le rassemblement des gens purs et honnêtes d’entre les nations dans des communautés où ils pourraient apprendre à vivre dans l’unité et l’amour sous la direction divine et où des temples pourraient être construits pour administrer les ordonnances sacrées du salut.
 
En septembre-octobre 1830, des missionnaires furent appelés pour instruire les Amérindiens qui vivaient près de la frontière occidentale du Missouri (voir Mission lamanite de 1830-1831). Il fut dit à ces missionnaires que la ville de Sion serait située quelque part dans cette région. Plus tard, des révélations portèrent sur un rassemblement au Missouri pour organiser Sion et un nouvel ordre économique conçu pour permettre aux saints de vivre ensemble dans l’unité. Joseph et d’autres dirigeants de l’Église se rendirent au comté de Jackson (Missouri) pendant l’été de 1831, et là apprirent par révélation que la ville devait être construite et un temple érigé près d’Independence (Missouri). Le rassemblement devait commencer immédiatement.
 
Quand on se rappelle que Joseph Smith n’avait pas encore vingt-six ans et que cinq ans plus tôt il n’était qu’un paysan sans instruction connu seulement pour ses dons spirituels, il est difficile de comprendre l’audace de ces plans. L’ampleur de ses conceptions ne le dérangea jamais. « J’ai l’intention de poser des fondements qui révolutionneront le monde entier », devait-il dire plus tard (HC 6:365). Il agissait avec la certitude que ses directives venaient de Dieu et que l’Église triompherait en dépit de tout.
 
Au printemps de 1831, pratiquement tous les saints des derniers jours quittèrent l’État de New York pour l’Ohio. Joseph et Emma s’installèrent à Kirtland (Ohio), près d’un groupe de nouveaux convertis et, pendant les six années suivantes, ce fut le siège de l’Église. L’autre point focal de la vie de l’Église jusqu’en 1838 fut le Missouri, d’abord Independence, emplacement de la future ville de Sion, puis le nord du Missouri. À mesure que les saints des derniers jours émigraient au Missouri, les tensions avec les vieux colons augmentèrent. Au comté de Jackson, en 1831-1833, et de nouveau au comté de Caldwell, en 1836-1838, les efforts pour établir Sion suscitèrent une opposition violente contre ce que les non-mormons percevaient comme une menace contre leur mode de vie.
 
Joseph Smith fit également des efforts pour réaliser sa vision de Sion pendant les sept années que les saints des derniers jours furent en Ohio. Il organisa les premiers pieux et installa la structure de la présidence de la prêtrise de l’Église. Le prophète créa une banque, un journal et une imprimerie ; il supervisa la construction du premier temple de l’Église et lança une œuvre missionnaire considérable aux États-Unis, au Canada et en Angleterre. Ses révélations, notamment une loi de santé, orientèrent les saints dans la gestion de leur vie quotidienne. Il fit une traduction de la Bible. Il instaura un système scolaire pour préparer les saints pour les rôles de direction et de mission et étudia lui-même l’hébreu à l’école. L’apogée des années de Kirtland fut la consécration du temple. Bien qu’ayant reçu l’autorité dans la prêtrise plusieurs années plus tôt, en 1836, dans le temple de Kirtland, Joseph Smith reçut des clefs d’autorité supplémentaires importantes de Moïse, d’Élias et d’Élie relatives au rassemblement d’Israël et au scellement éternel des familles.
 
L’opposition avait harcelé le prophète depuis le moment où il avait parlé pour la première fois de ses visions. En 1832, il fut enduit de goudron et de plumes et battu par des émeutiers qui s’introduisirent dans la maison où il logeait à Hiram (Ohio), intrusion qui fut à l’origine de la mort d’un enfant. À Kirtland, des querelles se produisirent dans l’Église concernant la nature de la nouvelle société et de l’implication du prophète dans le domaine économique et la politique ; certains l’accusèrent d’essayer de s’immiscer dans leur vie privée et le qualifièrent de prophète déchu. Au début de 1838, l’opposition, particulièrement parmi les dirigeants en Ohio, s’intensifia à tel point que le prophète et les membres fidèles partirent au Missouri.
 
Joseph Smith arriva avec sa famille à Far West (comté de Caldwell, Missouri) en mars 1838, et là il chercha de nouveau à créer un lieu de rassemblement pour les saints et à construire un temple (voir Missouri : Localités de saints dans les comtés de Caldwell et de Daviess). Mais, comme précédemment, l’afflux d’étrangers ayant des pratiques sociales, religieuses et économiques différentes fut inacceptable pour les vieux colons. L’opposition dégénéra en violence, le 6 août 1838, à Gallatin (comté de Daviess) quand les ennemis de l’Église essayèrent d’empêcher les saints des derniers jours de voter. La bagarre qui s’ensuivit fit des blessés des deux côtés. Un malentendu qui se produisit ensuite avec un juge de paix local donna lieu à des accusations contre le prophète. Les rumeurs se répandant, les citoyens de plusieurs comtés, puis des milices se mobilisèrent pour expulser les saints des derniers jours.
 
La crise atteignit son paroxysme le 31 octobre 1838, quand Joseph Smith et plusieurs autres, pensant pouvoir négocier des manières de désamorcer la situation volatile existante, furent arrêtés. Ce fut le début de cinq mois d’emprisonnement. Une commission d’enquête, en novembre, à Richmond (comté de Ray), accusa le prophète et d’autres d’actes de trahison liés au conflit et les fit emprisonner à la prison de Liberty en attendant leur procès. Entre-temps, les saints étaient chassés de l’état.
 
Cet emprisonnement dans des conditions pénibles aggravées par le fait qu’il était séparé de force de sa famille et de l’Église, laissa à Joseph le temps de réfléchir à la signification de la souffrance humaine. Les écrits rédigés en prison contiennent certains des passages les plus sublimes de son ministère. Des extraits de ses lettres furent ajoutés au recueil de ses révélations. Reconnaissant tout ce par quoi il était passé, l’une des révélations lui rappelait qu’aussi grandes que fussent ses souffrances, elles ne dépassaient pas celles du Sauveur : « Le Fils de l’Homme est descendu plus bas que tout cela. Es-tu plus grand que lui ? » (D&A 122:8).

Au mois d’avril suivant, pendant qu’on les emmenait au comté de Boone (Missouri), pour un changement de juridiction, on laissa le prophète et ses codétenus s’échapper. Dans le mois qui suivit son retour auprès de sa famille et de ses amis à Quincy (Illinois), Joseph Smith avait autorisé l’achat de terres sur le fleuve Mississippi près de Commerce (comté de Hancock, Illinois) et avait installé sa famille dans une cabane de rondins de deux pièces. Pendant l’été de 1839, les saints commencèrent à s’installer dans leur nouveau lieu de rassemblement, qu’ils appelèrent Nauvoo.
 
Comme beaucoup de terrains longeant les fleuves, Nauvoo fut au départ mal drainée et infestée par la maladie. Pendant une épidémie de malaria, le prophète abandonna sa maison aux malades et vécut sous une tente. Des témoins rapportèrent des guérisons miraculeuses sous son administration. « Il y avait beaucoup de malades parmi les saints des deux côtés du fleuve et Joseph est passé parmi eux, les prenant par la main et leur commandant d’une voix forte, au nom du Jésus-Christ, de se lever de leur lit et d’être guéris » (Journal intime de Wilford Woodruff, 22 juillet 1839, manuscrit, archives de l’Église). Les décès étaient si fréquents que des obsèques collectives furent organisées.
 
Vers la fin de 1839, le prophète se rendit à Washington, D.C, pour obtenir, de la part du gouvernement fédéral, réparation pour les pertes subies par son peuple au Missouri. Tandis qu’il était là, il obtint des entretiens avec le président Martin Van Buren et des membres éminents du Congrès, mais en sortit déçu et les mains vides.
 
Nauvoo fut rapidement légalisée en vertu de la charte de Nauvoo autorisée par l’état. Dans les quelques années qui suivirent, la ville grandit au point de rivaliser avec Chicago comme étant la plus grande de l’Illinois. Joseph fit partie du conseil municipal et devint maire par la suite. En sa qualité de maire, il remplit aussi les fonctions de juge président du tribunal municipal et comme receveur de l’enregistrement. Avec le rang de lieutenant-général, il dirigea la Légion de Nauvoo, la milice municipale. Il était également propriétaire d’un magasin de marchandises et devint rédacteur et éditeur du périodique Times and Seasons.
 
La sécurité relative de Nauvoo donna à Joseph Smith la possibilité de faire avancer, avec une vigueur renouvelée, l’œuvre du royaume. Il envoya le Collège des douze apôtres en Grande-Bretagne, où ils augmentèrent l’œuvre missionnaire et lancèrent un programme d’émigration qui amena un flot d’immigrés dans le nouveau lieu de rassemblement. À Nauvoo, le prophète organisa les premières paroisses. Il étendit l’autorité ecclésiastique des Douze pour y inclure une juridiction dans les pieux, les plaçant pour la première fois dans une situation d’autorité universelle sur l’Église sous la Première Présidence. Il supervisa la construction du temple de Nauvoo et créa la Société de secours des femmes de Nauvoo.
 
Le prophète rencontra un dilemme pendant qu’il commençait à rétablir des principes divins perdus depuis longtemps. Poussé par le pressentiment que son temps était compté, il souhaita accélérer ses efforts, mais parce que beaucoup ne comprenaient pas sa mission et s’opposaient à lui, il devait avancer lentement. « Je pourrais en expliquer cent fois plus que je ne l’ai jamais fait sur les gloires des royaumes qui m’ont été manifestées… si le peuple était prêt à le recevoir », écrivit-il en 1843 (HC 5:402). Pour résoudre ce dilemme, le prophète présenta quelques principes en privé à un nombre restreint de membres fidèles dans l’intention de planter les semences avant sa mort. Dès 1841, il introduisit le mariage plural, une partie nécessaire du rétablissement de l’ordre ancien des choses, aux membres des Douze et à quelques autres. Bien que comprenant le principe depuis 1831 et s’étant apparemment marié avec une femme plurale plusieurs années plus tôt, ce fut en 1841 qu’il épousa Louisa Beaman, la première femme plurale pour laquelle nous ayons un écrit. Pendant les années qui lui restaient, il en épousa au moins vingt-sept autres.
 
En mai 1842, le prophète introduisit la Dotation complète, des ordonnances religieuses pratiquées par la suite dans tous les temples des saints, à un petit groupe dans la salle à l’étage de son magasin de Nauvoo. Un an plus tard, il accomplit les premiers scellements de couples mariés pour le temps et l’éternité. En outre, il enseigna aux saints des points de doctrine importants concernant la nature de Dieu et l’homme. En mars 1844, il organisa le conseil des cinquante, bras politique du royaume de Dieu. Lorsqu’il mourut, trois mois plus tard, il avait accompli tout ce qu’il estimait être essentiel pour la continuation du royaume. Entre-temps, il avait transféré aux Douze les clefs de l’autorité, assuré que le programme qu’il avait lancé allait maintenant continuer quoi qu’il lui arrive.
 
L’enseignement de ces principes en privé à un petit cercle permit à Joseph Smith d’accomplir sa mission mais compliqua la situation à Nauvoo et déclencha des forces qui finirent par causer sa mort. Certains saints eurent du mal à accepter ces enseignements peu communs. Brigham Young dit que quand on lui enseigna le mariage plural, ce fut la première fois de sa vie qu’il aurait préféré mourir. À un moment donné, Emma, la femme de Joseph, devint « très hostile et pleine du ressentiment » (« déclaration de William Clayton », Woman’s Exponent 15, 1er juin 1886, p. 2). Lorsque les informations sur ces enseignements privés filtrèrent dans la collectivité, les suppositions et les rumeurs déformées proliférèrent.
 
Tandis que le prophète poursuivait ses objectifs, les forces extérieures à l’Église s’organisèrent contre lui. Les autorités du Missouri essayèrent trois fois de l’extrader de l’Illinois, ce qui déboucha sur de longues périodes de harcèlement judiciaire. À cause de la perte de propriétés lors des persécutions précédentes, il ne pouvait pas payer ses dettes et dut éluder ses créanciers. Quand les dirigeants politiques de l’Illinois se tournèrent contre les saints des derniers jours et qu’aucun des dirigeants nationaux ne voulut soutenir leur cause, le prophète annonça sa candidature au poste de président des États-Unis, ce qui lui donna accès à une plate-forme lui permettant de traiter des droits de son peuple.
 
En avril 1844, les dissidents défièrent ouvertement la direction de Joseph Smith en organisant une Église de réforme et en éditant un journal, le Nauvoo Expositor, afin de le dénoncer. Voyant dans l’Expositor une menace à la paix de la communauté, le conseil municipal de Nauvoo, que Joseph Smith présidait comme maire, l’autorisa à commander la destruction de la presse – une mesure qui fit flamber l’opposition. Le 12 juin, le prophète fut accusé d’émeute pour avoir détruit la presse. Après une série de manœuvres judiciaires, Joseph se laissa arrêter à Carthage, le siège du comté, située dans le voisinage, avec la promesse du gouverneur qu’il serait protégé. Joseph ne se sentait pas en sécurité et les menaces verbales des excités des localités voisines confirmaient ses appréhensions. Le 27 juin 1844, alors qu’ils étaient en prison à Carthage, en attendant une comparution au tribunal, Joseph Smith et son frère Hyrum furent tués au cours d’un assaut donné à la prison par des émeutiers au visage noirci. Le lendemain, les corps des frères furent ramenés à Nauvoo où dix mille saints des derniers jours se rassemblèrent pour pleurer la perte de leur prophète.
 
En dépit de l’adversité qui le poursuivit de sa jeunesse jusqu’à sa mort, Joseph Smith n’était pas le genre de personnage austère et rébarbatif que ses contemporains imaginaient généralement chez un prophète. Un converti anglais écrit que Joseph « n’était pas un type au visage renfrogné et dégageant un air de sainteté, bien au contraire » (John Needham à Thomas Ward, 7 juillet 1843, Latter-Day Saints’ Millennial Star 4, oct. 1843, p. 89). Il n’était pas rare de le voir se livrer à des activités sportives avec les hommes jeunes et vigoureux d’une localité. On sait qu’il faisait de la lutte, de la traction au bâton, des combats de boules de neige, qu’il jouait au ballon, glissait sur la glace avec ses enfants, jouait aux billes, tirait sur une cible et allait à la pêche. Grand et bien bâti, Joseph Smith n’hésitait pas à utiliser sa force. Une fois, dans sa jeunesse, il rossa un homme qui battait sa femme. En 1839, tandis qu’il était en route pour Washington, D.C, en diligence, les chevaux s’emballèrent en l’absence du cocher. Le prophète ouvrit la portière du véhicule en marche, grimpa jusqu’au siège du conducteur, s’empara des rênes et arrêta les chevaux.
 
Joseph était également profondément spirituel. Sa mère dit de lui que dans sa jeunesse, il « semblait réfléchir plus profondément que les personnes ordinaires de son âge sur tout ce qui avait un caractère religieux » (Lucy Smith, Biographical Sketches of Joseph Smith, manuscrit préliminaire, p. 46, Archives de l’Église). Il venait d’avoir douze ans, écrivit-il plus tard, quand son esprit « commença à se préoccuper sérieusement des questions importantes relatives au bien-être de mon âme immortelle » (PJS 1:5). Des années après avoir commencé à recevoir des révélations, il continua à rechercher du réconfort spirituel. En 1832, tandis qu’il était en voyage, écrit-il : « Je me rendais presque tous les jours dans un bosquet juste derrière la ville où je pouvais échapper aux regards de tout mortel et y exprimer tous les sentiments de mon cœur dans la méditation et la prière » (PWJS, p. 238). C’est clair qu’il parlait du fond du cœur quand il dit que « les choses de Dieu ont une profonde importance ; il n’y a que le temps, l’expérience et des pensées soigneuses, réfléchies et solennelles qui peuvent les trouver » (HC 3:295).
 
Joseph Smith aimait profondément sa famille et ses écrits personnels sont remplis d’épanchements de tendresse et de sollicitude accompagnés de prières. « Ô Seigneur, bénis mes petits enfants en leur donnant la santé et une longue vie pour faire du bien dans cette génération pour l’amour du Christ amen » (PWJS, p. 28). Sa famille comptait onze enfants, dont des jumeaux adoptés. Cinq d’entre eux, quatre fils et une fille, moururent peu près leur naissance ou dans leur prime enfance ; cinq vivaient quand leur père fut tué et un sixième, un fils, naquit quatre mois après sa mort. Les aperçus occasionnels que nous avons de sa vie de famille le montrent glissant sur la glace avec son fils Frederick, faisant faire à ses enfants un tour en carriole sur un traîneau et allant au cirque.
 
Il était également un ami fidèle et se souciait profondément des autres. Il tendit à plusieurs reprises la main du pardon à des prodigues, dont certains lui avaient causé des souffrances et du malheur. « Je me sens tenu d’être l’ami de tous… qu’ils soient justes ou injustes ; ils ont une part de ma compassion et de ma sympathie » (PWJS, p. 548). Un observateur a noté que le prophète n’allait jamais au lit s’il savait qu’il y avait une personne malade qui avait besoin d’aide. Il enseignait que « l’amour est l’une des principales caractéristiques de la Divinité et doit être manifesté par ceux qui aspirent à être les fils de Dieu. Un homme qui est rempli de l’amour de Dieu ne se contente pas de faire du bien à sa famille seulement, mais parcourt le monde, vivement désireux de faire du bien à la totalité de la famille humaine » (PWJS, p. 481). Un membre de l’Église qui avait logé chez les Smith et avait assisté aux « prières ferventes et humbles [du prophète]… nourrissant, calmant et réconfortant sa famille, ses voisins et ses amis » considéra que c’était un plus grand témoignage de la divinité de l’appel de Joseph Smith d’observer sa vie privée que d’observer ses actions publiques (JD 7:176-77).
 
Joseph Smith consacra sa vie à introduire une nouvelle dispensation de connaissances religieuses et ce, à un coût personnel élevé. Il écrivit que « l’envie et la colère de l’homme » avaient été son sort ordinaire et que « l’eau profonde » était ce en quoi il avait l’habitude de nager (D&A 127:2). Un peu plus d’un an avant sa mort, il dit à un auditoire à Nauvoo : « Si je n’avais pas vraiment entrepris cette œuvre et été appelé de Dieu, je me retirerais. Mais je ne peux pas me retirer : je n’ai aucun doute sur sa véracité » (HC 5:336). Il vécut dans l’espoir de donner vie à cette vérité dans une société de saints et mourut victime d’ennemis qui ne comprenaient pas sa vision.


Bibliographie

• Anderson, Richard L. Joseph Smith’s New England Heritage. Salt Lake City, 1971.
• Brodie, Fawn M. No Man Knows My History. New York, 1946.
• Bushman, Richard L. Joseph Smith and the Beginnings of Mormonism. Urbana, Ill., 1984.

• Ehat, Andrew F., et Lyndon W. Cook. The Words ofJoseph Smith : The Contemporary Accounts of the Nauvoo Discourses of the Prophet Joseph. Provo, Utah, 1980.

• Gibbons, Francis M. Joseph Smith : Martyr, Prophet of God. Salt Lake City, 1982.

• Hill, Donna. Joseph Smith, The First Mormon. Garden City, New York, 1977.

• Jessee, Dean C., dir. de publ. The Personal Writings of Joseph Smith. Salt Lake City, 1984.

• Id. The Papers of Joseph Smith. Salt Lake City, 1989-.

• Millet, Robert L., dir. de publ., Joseph Smith : Selected Sermons and Writings. New York, 1989.

• Porter, Larry C., et Susan Easton Black, dir. de publ.. The Prophet Joseph : Essays on the Life and Mission of Joseph Smith. Salt Lake City , 1988.

• Smith, Lucy. Biographical Sketches of Joseph Smith the Prophet. Liverpool, 1853.