La valeur de la religion





1. Le désir intérieur

2. Se construire grâce aux autres

3. L'interdépendance de la famille et de la foi

4. Le sel de la société

5. Le sol que nous foulons

6. Le mouvement humanitaire





1. Le désir intérieur


« La foi nous donne le pouvoir de voir ce qui n'est pas visible, de saisir l'insaisissable, d'espérer ce qui est incroyable. » (Le révérend Samuel Rodriguez, « Liberté religieuse et Christianité complaisante », The Christina Post du 10 septembre 2013)



Notre monde moderne offre plus de choix et de possibilités que jamais. La science et la technologie accroissent notre connaissance et la diversité de la vision religieuse du monde ne cesse de croître. Nos horizons semblent s’étendre de plus en plus et plus vite que nous ne sommes capables de le gérer. Mais en fin de compte nous sommes toujours les mêmes créatures spirituelles.Tout au long de notre voyage le désir intérieur persiste.


Les religions ont une vision commune : Nous sommes des personnages incomplets. Alors nous attendons avec impatience cette plénitude. Si chaque question avait une réponse toute prête, alors la prière serait inutile. Si chaque douleur avait un remède facile, nous ne chercherions pas avidement le salut. Si tout ce que nous avons perdu nous était rendu, il ne serait pas nécessaire de désirer aller aux cieux. Tant que ces besoins seront présents, la religion aussi sera là. C’est la partie naturelle de la vie. Être humain c’est faire l’expérience du doute, du chagrin et de la mort. Mais la religion est une école qui donne un sens au chaos, un hôpital qui guérit les blessures invisibles, une ligne de vie qui nous donne une seconde chance.


À ceci, le rabbin David Wolpe a ajouté que la religion « peut pénétrer un monde rempli de douleurs, de souffrances, de pertes et qui apporte un sens, un but et la paix. » (Conférence donnée à l’Université Emory le 21 octobre 2008)


Bien que la religion touche ces points, ce n'est pas eux qui l’ont créée. La religion n’est pas seulement une réponse humaine aux difficultés, elle transcende l’humain. Elle vient d'une source plus élevée. L’histoire nous montre qu’en toutes circonstances, les hommes et les femmes cherchent la vérité en eux et à l'extérieur d'eux-mêmes. Ils suivent les réponses qu’ils reçoivent.


En plus de cela, la religion est un rassemblement de personnes uniques en une confrérie de croyants. Mais si elle ne peut toucher le cœur d’une personne, alors elle ne peut soutenir la communauté. Les expériences spirituelles de chacun peuvent être aussi différentes que les individus eux-mêmes. Parce que nous « regardons à travers des verres sombres » (1 Corinthiens 13:12) la plupart des choses de la vie s’appuient sur la foi. Finalement, dans ces moments de recherche avec le divin, c’est l’individu qui filtre les détails, évalue les indices et prend les décisions sur des sujets de la plus haute signification. Cette bataille est un processus de foi. Ludwig Wittenstein a écrit : « Croire en Dieu signifie voir que les faits du monde ne sont pas la fin de l'affaire. » (Ludwig Wittgenstein, Journal personnel à la date du 8 juillet 1916, p 74)


Tout est une affaire de signification dans la vie de l’homme. Notre nature nous mène à une curiosité et une raison spirituelles. La religion ouvre un espace où l’on peut trouver et offrir des questions et des explications. Cette connexion entre religion et explication existe encore aujourd’hui.


Que ce soit dans une forme de vie saine, une confiance sociale, ou un acte charitable, la science atteste que la religion profite à chacun d'un nombre incalculable de manières. Par exemple, selon une étude récente, « ceux qui disent savoir que Dieu existe montrent un plus grand sens de détermination. » (Stephen Cranney, « Journal pour une étude scientifique de la religion », 4 septembre 2013)


Ceci est particulièrement pertinent aujourd’hui. Notre contact avec la vie moderne est souvent une succession d'images rapides qui brillent et disparaissent soudainement, si riches en surface et si négligées à la base. Mais la religion et la spiritualité qu’elle inspire creusent sous la surface et nous mettent en lien avec les fondations morales qui soutiennent le meilleur de ce que nous partageons en tant qu’êtres humains.


Tout au long de sa vie, Will Durant, historien des idées et des cultures, s'est émerveillé du pouvoir de la foi. Mais cependant, lui-même n'avait aucune croyance précise en Dieu. À la fin d’une vie d’apprentissage et d’observations, il commença à chercher à connaître l’Église. Dans ses réflexions, il montra que même une personne agnostique peut voir l'appel permanent de la religion face à l'inconnu.


« Partout ces clochers tournés vers le ciel, ignorant le désespoir et soulevant l'espoir, ces flèches élevées ou ces simples chapelles dans les collines qui montent à chaque pas vers le ciel ; dans chaque village de tous les pays ils défient le doute et invitent les cœurs à la consolation. Est-ce une vaine illusion ? N’y a-t-il rien au-delà de la vie que la mort, et rien au-delà de la mort que la décomposition ? Nous ne pouvons savoir. Mais tant que l'homme souffrira, ces clochers resteront. » (Will et Ariel Durant, Double autobiographie, New York, Simon & Schuster, 1977)


Les institutions et les idées fleurissent tant qu'elles servent des besoins réels et durables. Autrement elles ont tendance à mourir de mort naturelle. Mais la religion n’est pas morte. En 1830, à travers ses écrits, Alexis de Tocqueville, alors que son pays, la France, délaissait la religion, fit observer que « l'âme a des besoins qui doivent être satisfaits » (Alexis de Tocqueville, La Démocratie en Amérique, Chicago, Illinois, Presses Universitaires de Chicago, 2000, p. 510). Tout a démontré qu’il avait raison. Au cours des siècles, les tentatives pour étouffer ces besoins ont échoué. La religion donne la structure pour ce désir et les églises sont le foyer de la foi.


Même si elles ne sont construites qu’en bois, en pierre ou en acier, ces églises représentent quelque chose de profond dans l'âme humaine, quelque chose que nous nous languissons de découvrir. Plus que tout ce que l’homme ait pu fabriquer, la religion donne la direction et la forme à la recherche d'une signification.



2. Se construire grâce aux autres


« Ensemble c'est plus difficile, mais ensemble c'est mieux. » (Le rabbin David Wolpe, The Limitations of Being "Spiritual but Not Religious", Time Magazine, 21 mars 2013)



Pourquoi des gens appartiennent-ils à une religion ? Certains héritent d'une religion à la naissance, d'autres se convertissent. Mais à un moment ou un autre les gens prennent consciemment la décision de participer ou non à la vie de leur communauté religieuse. En fait, l’origine latine du mot religion est « religare », qui signifie renouer ou lier. À une époque qui glorifie la liberté personnelle, que peut-il y avoir de moins attrayant que de « se lier » aux excentricités et aux idiosyncrasies d'un large groupe de personnes ?


Et pourtant, un principe commun à de nombreuses religions, est que peu de choses nous séparent des gens qui nous entourent. Jésus-Christ l’a énoncé très simplement dans le commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Marc 12:31). En d’autres termes, notre bien-être est bien plus que la liberté individuelle à l’écart des autres, il est aussi lié au bien-être de notre prochain. Donc, les institutions religieuses peuvent être des conjonctures utiles, là où deux impulsions qui coopèrent se rencontrent, l’aspiration individuelle à avoir un objectif et l’aspiration à appartenir à une communauté. Comme tous les biens humains, ces impulsions satisfont un équilibre.


Les institutions religieuses ne sont certainement pas la seule source de bonté dans le monde. Les gens peuvent avoir des vies enrichissantes en vivant leurs croyances tranquillement de leur côté. Mais, à travers les âges, rien n’a rivalisé avec une religion organisée et sa capacité d'encourager des personnes réelles, qui vivent dans des endroits réels, à prendre des engagements (voir Jonathan Sacks, The Moral Animal, New York Times, 23 Décembre 2012). C’est dans cet engagement prolongé envers son prochain que la religion apporte sa contribution durable.


Faire partie d’une Église signifie bien plus que simplement aller à l’église. Cela peut apporter une identité personnelle, des possibilités, l’aspiration, la connaissance et beaucoup d'autres bienfaits personnels. Mais cela arrive aux personnes dans la mesure où elles regardent vers les autres, au-delà d’elles-mêmes. La religion inculque la responsabilité sociale et nous apprend à contracter des alliances, non pour notre propre intérêt, mais comme une promesse à Dieu. Cette action de se « lier » est l’une des rares choses dans l'histoire qui forge les obligations sociales au-delà de la famille ou de la tribu. Les coreligionnaires sont souvent les mieux placés pour prendre soin d’un malade, réparer la maison d’un voisin ou combler les innombrables autres lacunes que nous ne pouvons combler nous-mêmes. Il y a peu d'organisations, voire aucune, qui puissent se substituer à une communauté religieuse.


Néanmoins, notre époque se caractérise par une méfiance croissante envers les institutions, notamment les institutions religieuses. Il en résulte que les gens sont de plus en plus isolés de leur famille, de leur collectivité et de la société en général. Il est tellement facile de s’éparpiller, de se séparer en îlots d’individus indépendants de plus grands groupes. L’écrivain David Brooks a regretté que les gens ne vivent pas intégrés dans des systèmes sociaux forts, mais dans des mondes tampons de choix personnels. (voir David Brooks, The Secular Society, New York Times, 8 Juillet 2013)


Les sociétés qui encouragent le matérialisme, l’individualisme et le relativisme moral encouragent ce que l’on appelle « l’auto-souveraineté » (Jean Bethke Elshtain, Sovereignty: God, State, and Self, New York City, New York, Basic Books, 2008), mais elles affaiblissent les autres valeurs. Le penseur social Michael Walzer appelle à la prudence : « Cette liberté, aussi stimulante et passionnante soit-elle, est aussi profondément destructrice, car elle rend très difficile de trouver un soutien communautaire, et très difficile pour les collectivités de compter sur la participation responsable de leurs membres. » (Michael Walzer, Citizenship and Civil Society, Rutgers, New Jersey Committee for the Humanities Series on the Culture of Community, 13 octobre 1992, partie 1, pages 11-12)


L’individualisme contribue à la tendance qui existe dans la société à être « spirituel mais pas religieux ». Cela implique souvent que la religion est vue comme une affaire personnelle qui ne regarde pas les autres. Mais il n’y a pas nécessairement de contradiction entre les deux. On peut être à la fois spirituel et religieux. En fait, les deux sont interdépendants dans une vie religieuse active.


Comme le dit l’auteure Lillian Daniel, « tout le monde peut trouver Dieu tout seul dans un coucher de soleil. Cela prend une certaine maturité pour trouver Dieu dans la personne assise à vos côtés qui a des opinions politiques différentes des vôtres, ou quand un bébé pleure pendant que vous essayez d’écouter le sermon » (Lillian Daniel, Spiritual but not religious? Path may still lead to Church, Winnipeg Free Press, 5 octobre 2013). Pourtant ces désagréments causés par les gens donnent de la substance à notre foi, enrichissent notre empathie et renforcent nos principes civiques.


En ces temps de perte de confiance et de désintégration sociale, un retour aux engagements sacrés d’assemblées de fidèles rendra nos collectivités plus unies. Quand le tissu social commence à s’effilocher, la religion avec sa trame solide qui forme notre capital social peut aider à le retisser.

 

 

3. L'interdépendance de la famille et de la foi


« Les congrégations érigent un auvent sacré de significations au-dessus des grands chapitres de la vie familiale tels que la naissance, l'éducation des enfants et le mariage. » (W. Bradford Wilcox, As the Families Goes, First Things, mai 2007)



Malgré tous les progrès et les possibilités que nous offre le monde moderne, il a des difficultés à aller au-delà. Chaque époque doit se battre contre ses angles morts. Dans la Rome antique, par exemple, le domaine d’influence d’une personne était vu sur une centaine d’années. Dans cette perspective, on pouvait se souvenir sur deux générations et voir pour deux générations à venir. Puis, selon les événements, cette influence prenait fin et une nouvelle ère avec des personnes et de idées nouvelles remettait tout à zéro (voir Remi Brague, The Impossibility of Secular Society, First Things, octobre 2013). Mais les sociétés qui perdurent ont besoin d’une vision plus large.


L'attraction du présent est forte, mais les tiraillements vers le passé et le futur le sont aussi. La famille et la foi – ces deux grands ponts qui vont bien au-delà du court terme - s'étendent bien au-delà de 100 ans, dans les deux directions, et élargissent le sens et le but de notre vie.


Aucun d’entre nous n’est qu'un simple individu à la naissance. Nous venons dans le monde chargé d’un réseau de liens, de relations et d'obligations préexistants. Ces relations familiales façonnent notre vision du monde, instillent nos valeurs, et forment ce que nous sommes. Et des familles de toutes sortes s'épanouissent en se joignant à une communauté de croyants. Le bénéfice est double : les Églises fortifient les familles et les familles fortifient les églises. En œuvrant ensemble, la famille et la foi renforcent les normes du bien et du mal, nous enseigne comment aimer notre prochain et donne aux enfants et aux parents une base de soutien pour affronter les défis de la vie. En d’autres termes, la famille et la foi nous empêchent d’être seuls. Elles élargissent notre cercle de responsabilités au-delà de nous-même et nous aident à changer les étrangers en amis. Les familles transmettent alors ce capital spirituel et social de génération en génération.


L’auteure Mary Eberstadt, qui dirige des recherches approfondies en sciences sociales, démontre combien ces forces sont étroitement imbriquées. Elle écrit : « La famille et la foi sont l'hélice double et invisible de la société. Ce sont deux spirales qui, lorsqu'elles sont associées, peuvent effectivement se reproduire, mais dont la force et l'élan dépendent l'une de l'autre. » (Mary Eberstadt, How the West Really Lost God, 2013, p. 22)


Ce partenariat se voit le dimanche après-midi, à l’église. Eberstadt souligne cet accord sociologique étendu qui veut que les rites familiaux tels que « se marier et avoir des enfants est lié au plus haut point à l’assistance à l'église et à d'autres types de pratiques religieuses » (Mary Eberstadt, How the West Really Lost God, 2013, p. 93). Un autre facteur est l’effet que peuvent avoir les enfants sur la vie religieuse des parents. Le sociologue W. Bradford Wilcox l’explique simplement : « Les enfants entraînent les parents à l'église » (W. Bradford Wilcox, As the Families Goes, First Things, mai 2007). C’est l’histoire banale des enfants qui grandissent dans une Église, quittent leur foyer pour faire des études et s’écartent de la religion pour y revenir quand ils se marient et ont des enfants. Comment expliquer ce phénomène ? Les décisions que nous prenons au sujet de nos croyances les plus profondes et de nos relations les plus intimes ne sont jamais simples. Mais Wilcox ajoute une idée importante : « L’arrivée d’un enfant peut éveiller des réserves d’amour jusqu’alors inexploitées, une reconnaissance de la transcendance et le souci de mener une vie saine » (W. Bradford Wilcox, As the Families Goes, First Things, mai 2007). Ces éléments sont importants parce que la famille et la religion sont parmi les institutions humaines les plus fondamentales. Lorsqu’elles coexistent, elles cimentent la société ; lorsqu'elles sont séparées, la société s'affaiblit.


Les relations sacrées entre la parenté et l'église, et entre l'église et la parenté, nous lient au passé, au présent et au futur. Pareille continuité nous aide à nous situer dans cet immense univers. Nous découvrons qui nous sommes. Le poète Wendell Berry exprime ces aspirations comme suit : « Le mariage qui unit deux êtres qui s’aiment, les joint l'un à l'autre, à leurs ancêtres, à leurs descendants, à la collectivité, aux cieux et à la terre. Sans ce lien fondamental, rien ne tient. » (Wendell Berry, Sex, Economy, Freedom, and Community, 1992)


Les hasards de la famille et de la foi continueront à fluctuer, tout comme elles l'ont fait au cours des diverses périodes de l'histoire, mais l'expérience montre qu’elles le feront en se donnant la main. Si l’un tombe ou se relève, l’autre le fera aussi. Le cours de l’histoire n’est pas prédéterminé, il est choisi. Et ces choix ont de longues trajectoires, bien trop longues en fait pour s’inclure dans une période de cent ans.


Le sort de la famille et de la foi continuera à fluctuer comme il l'a fait au cours des diverses périodes de l'histoire, mais l'expérience montre qu'elles le feront en se donnant la main. Si l’une tombe ou se relève, l’autre le fera aussi. Le cours de l'histoire n'est pas prédéterminé; il est choisi. Et ces choix ont de longues trajectoires – bien trop longues, en fait, pour s'appliquer en 100 ans.

 


4. Le sel de la société


« La religion est la grande créatrice des communautés. » (Le rabbin Jonathan Sacks, « Charles Taylor and Jonathan Sacks on the Future of Religion », YouTube, événement organisé par l’Université McGill)



Dans les cultures à travers le monde ancien, le sel était un symbole d'amitié, de compassion et de générosité. Le peuple d'Israël le révérait comme un signe d'alliance. Les Perses le considéraient comme un emblème de vertu et de grâce. La culture arabe le chérissait en tant que geste de bonne volonté. Jésus a comparé ses disciples au « sel de la terre » (Matthieu 5:13) et leur a dit : « soyez en paix les uns avec les autres » (Marc 9:51). Les chrétiens comprenaient ces paroles comme un appel à soutenir les sociétés dans lesquelles ils vivaient. Nous avons toujours été des créatures dotées de compétences relationnelles et aujourd'hui cette métaphore a encore une résonance spirituelle. La religion, tout comme le sel, agrémente les interactions entre les étrangers, ajoute de la saveur à nos relations civiques et préserve les choses chères de notre existence commune. Être le sel de la société signifie savourer son succès.


Les sociétés sont des organismes complexes avec des couches, des dimensions, des facettes et des sensibilités innombrables. Le gouvernement, le commerce, les arts, les familles et les écoles jouent tous un rôle dans la dynamisation du corps politique. La religion peut contribuer à animer ces associations, à leur instiller une direction morale, un engagement charitable et la force de la dignité.


Le réservoir moral


Nous héritons de la religion comme d'un réservoir dans lequel toute la société peut puiser. Le langage juridique et politique adopte d’ailleurs toujours une grammaire morale. Notre compréhension des droits et des devoirs emprunte à nos idéaux religieux. Nos fêtes et nos célébrations collectives les plus chères ont encore une connotation religieuse. Derrière bon nombre de nos engagements communautaires se trouve la dévotion d'une assemblée. Quoique la religion n'ait pas le monopole de la moralité, elle conditionne cependant notre environnement commun et façonne notre notion du bien et du mal. En réfléchissant à ce qu'ils appellent « les leçons de l'histoire », les érudits Will et Ariel Durant ont affirmé : « Il n'y a pas d'exemple significatif dans l'histoire, avant notre époque, d'une société maintenant avec succès une vie morale sans l'aide de la religion » (Will et Ariel Durant, The Lessons of History, 1996, p. 51). À n’en pas douter, le réservoir d'idées de la religion déborde afin que chacun y boive.


Mais le goût de cette eau peut ne pas toujours être doux. La religion est une source de sagesse qui défie, confronte et conteste. Sa voix transcende souvent les modes d'une époque particulière. Les valeurs religieuses résistent aux tendances de la vie moderne qui donnent libre cours aux goûts de consommation de la masse. Le rabbin Jonathan Sacks déclare que la religion « agit comme une voix à contrecourant d'une culture qui parfois semble estimer le soi plutôt que les autres, les droits plutôt que les responsabilités, le gain plutôt que le don, la consommation plutôt que la contribution, et le succès plutôt que le service aux autres. » (« Chief Rabbi Lord Sacks on the Role of Religion in Society », YouTube, discours de la Chambre des Lords britannique)


La charité et le capital social


La valeur de la religion s’exprime avec autant de puissance dans les soupes populaires, les hôpitaux, les écoles et d'autres œuvres humanitaires innombrables que dans les sermons et les cantiques. Autrement dit, la religion bâtit un capital social. Les recherches démontrent que plus de 90 pour cent de ceux qui assistent chaque semaine à des offices religieux donnent à des œuvres de bienfaisance et que près de 70 pour cent se portent volontaires pour des œuvres caritatives (voir Arthur C. Brooks, « Religious Faith and Charitable Giving », Policy Review, octobre 2003 ; des statistiques similaires se trouvent dans « Faith Matters Survey 2006 », telles que rapportées dans American Grace: How Religion Divides and Unites Us). L'implication religieuse encourage à donner et ce don revient comme un boomerang pour bénéficier au donateur. Des chercheurs de l'Université Yeshiva (New York) ont examiné les pratiques religieuses de près de 100 000 femmes et ont découvert « un lien étroit entre le fait de fréquenter une église, une synagogue ou tout autre lieu de culte et une perspective positive sur la vie » (Eliezer Schnall, « Women's Health Initiative observational study », Journal of Religion and Health, novembre 2011 ; voir aussi Gabe LaMonica, « Study Links Regular Religious Service Attendance, Outlook on Life », CNN Belief Blog, 10 novembre 2011). Une étude d’un groupe juif israélien démontre également que la participation aux services religieux et à la prière est associée à un plus grand bonheur, à la satisfaction dans la vie et au bien-être (voir Jeff Levin, « Religious Behaviour, Health, and Well-Being Among Israeli Jews: Findings From the European Social Survey », Psychology of Religion and Spirituality, novembre 2013).


Les croyants contribuent beaucoup à la vitalité et à la cohésion de la société. L'importante étude American Grace démontre que les croyants sont « des voisins plus généreux et des citoyens plus consciencieux que leurs concitoyens laïques » (Robert A. Putnam et David E. Campbell, American Grace: How Religion Divides and Unites Us, 2010, p. 444). Cette attitude charitable s'exprime dans ce qui semble être de petits gestes. Par exemple, ceux qui vont fréquemment à l'église sont plus enclins à donner de l'argent à un itinérant, à laisser leur excès de petite monnaie à un commis de magasin, à faire don de sang, à offrir leur siège à un étranger, à aider quelqu'un à trouver un emploi, etc. (voir American Grace, p. 451).


Dignité et civilité


Aller à l'église et partager la vie et les intérêts des autres nous met dans une disposition d'esprit civique. La même étude démontre que les croyants sont plus enclins à faire partie d’organismes communautaires, à dynamiser la résolution de problèmes communautaires, à prendre part à la vie locale civique et politique, et à exercer des pressions pour obtenir des réformes sociales ou politiques (voir American Grace, p. 454-456). Les personnes qui ont la foi font de leur entourage, de leurs villes et de leurs nations de meilleurs endroits où vivre.


Mais faire partie d'une société et jouir de ses avantages est une voie à double sens – c’est autant un devoir envers les autres qu'un droit pour soi-même. Cette bribe de sagesse ancienne, que l'on retrouve à travers le temps et les cultures, s'appelle la règle d’or pour une bonne raison. « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux » est la base morale de la civilité. Les croyants, de même que les laïques, s’accordent à dire que cette obligation mutuelle révèle une vérité à propos de la dignité inhérente de chaque personne et de la conscience morale qui guide nos choix. Aussi longtemps que des êtres humains vont continuer de s'organiser en sociétés, de travailler sur leurs différences et de se fier à la bonne volonté des autres, le sel de la religion jouera un rôle important dans la préservation du bien commun.



5. Le sol que nous foulons


« Notre moralité a des racines religieuses. » (Theo Hobson, The Return of God: Atheism’s Crisis of Faith, The Spectator du 19 avril 2014)



Que signifie prendre quelque chose pour acquis ? Chaque jour, nous foulons un sol que nous remarquons rarement. Il est simplement là, sous nos pieds, leur servant de support tandis que nous passons nos journées à apprendre, à travailler et à prier. Bien que passant souvent inaperçu, le sol de notre vie abonde de signification religieuse. Beaucoup de questions importantes sont généralement spirituelles. Comment atteignons-nous nos désirs les plus profonds ? Qu’est-ce qui détermine ce qui est bien ou ce qui est mal ? Qui devons-nous aimer ? Comment surmonter la souffrance ? Les réponses que nous recevons façonnent notre réalité. Mais la religion est toujours contestée. Certains imaginent même un monde sans aucune foi. Alors, qu’avons-nous à perdre ?


Les rigueurs de la science et de la technologie nous ouvrent aux nombreuses merveilles et vérités mais, comme l’explique un écrivain, ne peuvent « nous mettre en contact avec la motivation, l’intimité, l’émotion – tout ce qui importe le plus dans la vie quotidienne de chacun » (Alasdair Craig, God Is Dead — What Next?, Prospect, 1er mai, 2014). Les plus grandes choses accomplies par les hommes s’expliquent souvent par l’inspiration religieuse. La plupart des œuvres artistiques, architecturales, musicales et littéraires sont revêtues de la beauté du désir spirituel. Les écrits sacrés apportent des cadres éthiques qui suscitent des actes de sacrifice de soi, d’intégrité et d’amour. La religion donne à la société une aspiration morale commune, instille un engagement social sans compulsion sociale, encourage le respect volontaire de la loi et nous rappelle notre dignité inhérente. La croyance en la divinité motive les gens à surmonter le désespoir de la mort et fait de la souffrance un bien.


Les valeurs de la société prennent racine dans le sol de la religion. Nos aspirations modernes pour les droits de l’Homme, l’altruisme et l’aide humanitaire, par exemple, ont des origines religieuses. Derrière des initiatives telle que nourrir les pauvres, fournir un toit aux sans-abris et soigner les malades, il y a probablement une Église (voir Robert A. Putnam et David E. Campbell, American Grace: How Religion Divides and Unites Us, 2010). La confiance en notre fondement civil repose sur les disciplines spirituelles que sont l’honnêteté, l’empathie et la réciprocité. Chacun y trouve son compte lorsque l’on vit selon ces idéaux. Le journaliste laïque Will Saletan a écrit : « La religion est le véhicule par lequel le plus grand nombre de personnes apprennent la moralité et la mettent en pratique. Au bout du compte, c’est notre amie. » (Will Saletan, “When Churches Do the Right Thing,” Slate, 8 mai 2014)


Viennent alors toutes les choses précieuses et indescriptibles. Alexis de Tocqueville a écrit que les hommes sont nés avec « Le goût de l’infini » et « l’amour de ce qui est immortel » (Alexis de Tocqueville, Democracy in America, 2000, p. 510). Les individus ont médité et recherché ces intangibles. L’identité, la compréhension, le salut, l’appartenance — les choses de l’âme  — ne se trouvent jamais bien loin de notre cœur. L’écrivain agnostique Julian Barnes en est arrivé à une réflexion profonde lorsqu’il a dit : « Je ne crois pas en Dieu, mais il me manque » (Julian Barnes, Nothing to Be Frightened Of, 2009, p. 1). « Un monde sans religion semble plus uniforme, plus vide et plus simple mais implore pourtant le Dieu qu’il a connu jadis. »


De nos jours, des habitants du monde entier trouvent refuge en leur Dieu et au sein de leurs groupes confessionnels. Quatre-vingt-quatre pour cent de la population mondiale s’identifient à un groupe religieux (voir Pew Research Religion & Public Life Project, “The Global Religious Landscape”, 18 décembre 2012). Le monde ne sombre pas dans l’incrédulité, mais cette croyance devient plus riche, pluraliste et complexe. Nous sommes tous les intendants de la société, et nos choix déterminent qui nous sommes. Les fondements de la religion, tout comme le sol, ont besoin qu’on les cultive et qu’on les nourrisse. Un jardin ne peut prendre soin de lui-même.



6. Le mouvement humanitaire


« La plupart des grandes religions du monde – et peut-être toutes – enseignent à leurs membres l’importance de faire des sacrifices pour le bien d’autrui. Ce don de soi se traduit par des actes de charité, l’hospitalité, la visite des malades, l’aide aux nécessiteux et le réconfort apporté à ceux qui traversent des crises, créant ainsi des moments de douce générosité dans ce qui serait autrement des vies rudes et solitaires. » (Le rabbin Jonathan Sacks, Role of Religion in Society in the United Kingdom, www.rabbisacks.org, 22 novembre 2012)



Il serait difficile d’énumérer les domaines dans lesquels la religion profite à la société. Ce que la foi produit de mieux est intangible. Les Églises vivifient les communautés grâce à des associations locales de soutien. Les différences entre les visions religieuses du monde enrichissent notre existence commune. Les voix de la conscience morale nous arriment à nos idéaux les plus élevés. Et la dignité de nos relations les uns envers les autres est soutenue par les droits de la personne et la liberté de religion.

 

Derrière tout cela réside la responsabilité unique du croyant. Les gens de foi contribuent à la société de par leur obligation envers Dieu et leur conscience, et non pas par privilège, par esprit de supériorité ou dans l’attente de récompenses.


La profondeur de la conviction religieuse se mesure à la façon dont les gens réagissent à la souffrance. Les êtres humains ont l’impulsion naturelle d’aider ceux qui sont dans le besoin. Et que ce soit un problème de pauvreté, de faim ou de maladie, les gens de foi ressentent un appel particulier à servir. L’engagement envers Dieu pousse à se tourner vers l’extérieur, vers autrui. L’ « ingrédient secret » qui alimente les actes de bienfaisance parmi les personnes religieuses, a dit un érudit, repose sur « les réseaux sociaux tissés au sein des congrégations religieuses. » (David E. Campbell, « It’s Social Ties – Not Religion – That Makes the Faithful Give to Charity », Time, 26 novembre 2013)

 

Une vie de foi ne se contente pas d’être stagnante ou centrée sur l’individu. Nous pouvons lire des versions multiples du document « Pourvoir aux besoins des pauvres et des nécessiteux » (publié par l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours) dans la plupart des Écritures et les entendre du haut de la plupart des chaires. Le prophète mormon Joseph Smith a très bien saisi ce sentiment : « Un homme rempli de l’amour de Dieu ne se contente pas de bénir sa famille seulement, mais il parcourt le monde entier, désireux de bénir toute la race humaine » (History of the Church, vol. 4, p. 227). Les croyants ont en commun une visée universelle.


Notre monde a besoin de toute l’aide qu’il peut recevoir, et l’important n’est pas de savoir qui donne le plus : l’œuvre humanitaire n’est pas une compétition. Les désastres naturels, la guerre, la dégradation de l’environnement et le manque d’éducation ont toujours fait partie de l’expérience humaine. Dans de telles circonstances, les personnes ne sont pas à même de satisfaire leurs propres besoins. Les gouvernements, les organisations à buts non lucratifs, les entreprises, les organismes de bienfaisance et les philanthropes apportent ainsi une immense contribution. Mais ils ne peuvent pas tout faire.


Dans plusieurs endroits, des organisations religieuses sont déjà sur le terrain, fournissant des structures de communication et des modes d’acheminement tout prêts. Elles sont intégrées dans les communautés locales. En outre, des congrégations d’une partie du monde peuvent entrer en contact avec des congrégations d’ailleurs dans le monde et s’unir pour une cause commune. Ce qui peut leur manquer en ampleur et en financement est compensé par leur capital humain et par leurs rapports humains. Les Églises offrent aussi fréquemment leur appui avant l’arrivée des organisations d’aide internationale et après leur départ.


Un professionnel de l’aide humanitaire a dit que « les groupes religieux apportent une contribution disproportionnellement considérable » à l’œuvre humanitaire (Fiona Fox, « Aid Would Survive Without Religion », The Guardian, 20 septembre 2010). Il en existe plusieurs exemples. L’Église catholique met fortement l’accent sur l’éducation, exploitant l’un des plus vastes systèmes scolaires non gouvernementaux dans le monde (voir Roy Gardner, Denis Lawton et Jo Cairns, Faith Schools, 2005, p. 148). Vision Mondiale Internationale favorise pour sa part le développement durable dans les soins de santé, la production agricole, les projets d’approvisionnement en eau, l’alphabétisation et le microcrédit (www.wvi.org). L’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours offre une vaccination aux enfants et des traitements de la vue, et elle veille à la distribution de chaises roulantes, à la production de nourriture et à des projets en matière de nutrition dans les pays du monde entier (voir Mormon Newsroom, Humanitarian Aid and Welfare Services Basics: How Donations and Resources Are Used).


Les travailleurs humanitaires membres de groupes confessionnels apportent une dimension spirituelle supplémentaire à leur travail. Ils créent un environnement propice à la solidarité et à l’empathie qui survivent à toute entraide. Ces efforts sauvent des vies et soulagent la souffrance, mais ils rassemblent aussi les gens et accroissent la confiance sociale.

 

En plus du travail effectué par les organisations, certaines personnes agissent selon leur foi en faisant du bénévolat. La technologie moderne leur permet de faire une différence dans la vie de gens qui vivent au loin. Dans la foulée du typhon Haiyan, par exemple, un groupe de jeunes des États-Unis a organisé des efforts de secours par l’intermédiaire des médias sociaux. Ils ont rassemblé des fonds, se sont rendus aux Philippines et ont commencé à distribuer des biens et des fournitures nécessaires avec la collaboration des églises locales. Ces lieux de culte se sont transformés en refuges pour les communautés. Compte tenu de la dévastation croissante à laquelle ils étaient confrontés, ces bénévoles se sont appuyés sur la prière et la foi pour les guider. Quoique maigres, leurs efforts ont fait une différence.


Que ce soit par des contributions individuelles ou celles d’organisations, la mission d’assurer la dignité humaine ne connaît pas de frontières. Là où la foi et la souffrance se rencontrent, le mouvement humanitaire se manifeste, et « des vies rudes et solitaires » se transforment en « moments de douce générosité ».



Source : http://www.presse-mormons.ca