Tragédie ou destin ?
Spencer
W. Kimball
Membre
du collège des Douze de 1943 à 1970
Président
suppléant du collège des Douze de 1970 à 1972
Président
du collège des Douze de 1972 à 1973
Président
de l’Église de 1973 à 1985
Dans
sa sagesse, Dieu n’empêche pas toujours les tragédies
Le
journal hebdomadaire affichait en gros titres : « 43 victimes
dans un accident d’avion. Aucun survivant de la tragédie
en montagne », et des milliers de voix ont demandé : «
Pourquoi le Seigneur a-t-il permis que cette horreur se produise ? »
Deux
voitures sont entrées en collision quand l’une d’elles
a brûlé un feu rouge et six personnes sont mortes.
Pourquoi Dieu n’empêche-t-il pas cela ? Pourquoi une
jeune mère doit-elle mourir du cancer et laisser ses huit
enfants orphelins ? Pourquoi le Seigneur ne l’a-t-il pas guérie
?
Un
petit enfant s’est noyé, un autre a été
écrasé. Pourquoi ? Un homme est mort subitement d’une
occlusion coronaire en montant l’escalier. On a trouvé
son corps effondré sur le sol. Sa femme a demandé en
pleurant : « Pourquoi ? Pourquoi le Seigneur
me
fait-il ça? Ne pouvait-il pas penser à mes trois petits
enfants qui ont encore besoin d’un père ? »
Un
jeune homme est mort en mission et les gens demandent, d’un ton
critique : « Pourquoi le Seigneur n’a-t-il pas protégé
ce jeune alors qu’il faisait du prosélytisme ? »
J’aimerais
pouvoir répondre à ces questions avec autorité,
mais je ne le peux pas. Je suis certain qu’un jour nous
comprendrons et accepterons. Mais pour le moment, nous devons
chercher
à comprendre du mieux que nous le pouvons à l’aide
des principes de l’Évangile.
Est-ce
le Seigneur qui a dirigé l’avion dans la montagne pour
mettre un terme à la vie de ses occupants ou bien est-ce dû
à des défaillances mécaniques ou des erreurs
humaines ?
Notre
Père céleste a-t-il provoqué la collision entre
les voitures qui a emmené six personnes dans l’éternité
ou était-ce dû à l’erreur du conducteur qui
n’a pas respecté les règles de sécurité
?
Le
Seigneur a-t-il pris la vie de la jeune mère, a-t-il amené
l’enfant à tomber dans le canal ou bien a-t-il guidé
l’autre enfant pour qu’il se trouve sur le chemin de la
voiture ?
Le
Seigneur a-t-il provoqué la crise cardiaque de l’homme ?
La mort du missionnaire était-elle prématurée?
Répondez à cela si vous le pouvez. Je ne le puis, car,
bien que je sache que Dieu joue un rôle primordial dans notre
vie, je ne sais pas dans quelle mesure il provoque les événements
ou permet simplement qu’ils se produisent. Quelle que soit la
réponse à cette question, il y a autre chose dont je
suis sûr.
Le
Seigneur aurait-il pu empêcher ces tragédies de se
produire ? La réponse est oui. Le Seigneur est tout puissant,
il a tout pouvoir pour contrôler notre vie, nous empêcher
de souffrir, prévenir tous les accidents, diriger les avions
et les voitures, nous nourrir, nous protéger, nous épargner
le travail, les efforts, la maladie, même la mort, s’il
le veut. Mais il ne le fait pas.
Nous
devrions pouvoir comprendre cela, parce que nous pouvons nous rendre
compte comme il serait peu sage que nous évitions à nos
enfants tout effort, toute déception, toute tentation, tout
chagrin et toute souffrance.
La
loi fondamentale de l’Évangile est le libre arbitre et
le développement éternel. Nous forcer à faire
attention ou à être justes annulerait cette loi
fondamentale et rendrait la progression impossible.
Grâce
à une perspective éternelle nous comprenons que
l’adversité est essentielle à notre progression
éternelle.
Si
nous considérons la condition mortelle comme la totalité
de notre existence, alors la douleur, le chagrin, les échecs
et une vie courte seraient des calamités. Mais si nous voyons
la vie comme quelque chose d’éternel s’étendant
loin dans le passé pré-mortel
et
loin dans l’éternité post-mortelle, alors tout ce
qui arrive peut être mis dans la perspective qui convient.
N’est-il
pas sage que Dieu nous donne des épreuves afin que nous
puissions nous élever au-dessus d’elles, des
responsabilités pour que nous puissions avoir de
l’accomplissement, du travail pour endurcir nos muscles, des
chagrins pour éprouver notre
âme
? Ne sommes-nous pas exposés aux tentations afin de mettre
notre force à l’épreuve, à la maladie afin
d’apprendre la patience, à la mort pour que nous
devenions immortels et glorifiés ?
Si
tous les malades en faveur de qui nous prions étaient guéris,
si tous les justes étaient protégés et les
méchants détruits, tout le programme du Père
serait annulé et le principe
fondamental
de l’Évangile qu’est le libre arbitre cesserait.
Personne
ne vivrait par la foi
Si
la joie, la paix et les récompenses étaient données
instantanément aux gens qui font le bien, il ne pourrait y
avoir de mal : tout le monde agirait bien mais pas parce que c’est
juste de le faire. Notre force ne serait pas mise à l’épreuve,
notre caractère ne se développerait pas, nos pouvoirs
ne grandiraient pas, il n’y aurait pas de libre arbitre,
seulement un contrôle satanique.
Si
toutes nos prières étaient immédiatement
exaucées conformément à nos désirs
égoïstes et notre compréhension limitée,
alors il y aurait peu ou pas de souffrance, de chagrin, de déception
ou même de mort. Et si ces choses n’étaient pas il
n’y aurait
pas
non plus de joie, de succès, de résurrection, ni de vie
éternelle et de divinité.
«
Car il doit nécessairement y avoir une opposition en toutes
choses… la justice… la méchanceté…
la sainteté… la misère… le bien…
le mal… » (2 Néphi 2:11).
Comme
nous sommes humains, nous voudrions chasser de notre vie la douleur
physique et l’angoisse, et nous assurer d’une facilité
et d’un confort continuels ; mais si nous pouvions nous
épargner le chagrin et la détresse, peut-être que
nous chasserions nos plus grands amis et nos plus grands
bienfaiteurs. La souffrance peut prendre un sens pour les gens s’ils
apprennent la patience, la longanimité et la maîtrise
d’eux-mêmes…
J’aime
ce couplet :
Quand
tu passeras par la crainte et les maux
Tu
ne seras pas vaincu par leurs fardeaux
Car
pour te bénir, près de toi je serai
Et
dans ta détresse, je te soutiendrai. (Cantiques n° 42)
James
E. Talmage a écrit : « Toute douleur éprouvée
par un homme ou une femme sur terre connaîtra un effet
compensatoire… si elle est supportée avec patience. »
D’autre part, ces choses puissantes peuvent nous écraser
si nous nous laissons aller à la faiblesse, aux plaintes et à
la critique.
Orson
F. Whitney a déclaré : « Aucune des souffrances
que nous connaissons, aucune des épreuves que nous traversons
n’est vaine. La souffrance nous instruit, elle assure
l’acquisition de qualités telles que la patience, la
foi, la force d’âme et l’humilité. Tout ce
que nous subissons et tout ce que nous endurons, surtout lorsque nous
l’endurons patiemment, fortifie notre personnalité, nous
purifie le coeur, nous épanouit l’âme et nous rend
plus tendres et plus charitables, plus dignes d’êtres
appelés enfants de Dieu… et c’est par le chagrin
et la souffrance, le labeur et les épreuves que nous acquérons
l’éducation que nous sommes venus chercher ici et qui
nous permettra de ressembler davantage à notre Père et
notre Mère célestes. »
Certaines
personnes s’aigrissent quand elles voient des êtres chers
souffrir le martyre, éprouver des douleurs interminables et de
grandes souffrances physiques. Certains accusent le Seigneur de
méchanceté, d’indifférence et d’injustice.
Nous sommes si
mal
placés pour juger !
Le
pouvoir de la prêtrise est sans limite, mais Dieu, dans sa
sagesse, a fixé certaines limites à chacun de nous. Si
j’améliore ma vie, je peux acquérir du pouvoir
dans la prêtrise; cependant je suis reconnaissant que, même
par l’intermédiaire de la prêtrise, je ne puisse
pas guérir tous les malades. Je risquerais de guérir
des personnes qui doivent mourir. Je risquerais de soulager de leurs
souffrances des gens qui doivent souffrir. Je contrecarrerais les
desseins divins, j’en ai peur.
Si
j’avais des pouvoirs illimités, tout en possédant
cependant une vision et une compréhension limitées,
peut-être aurais-je sauvé Abinadi des flammes quand il a
été brûlé sur le bûcher. Et en
faisant cela, j’aurais pu lui causer un tort irréparable.
Il est
mort
en martyre et est allé vers la récompense des martyres
: l’exaltation.
J’aurais
probablement protégé Paul de ses malheurs si mes
pouvoirs étaient sans limites. Je l’aurais certainement
guéri de son « écharde dans la chair » (2
Corinthiens 12:7). Et si je l’avais fait j’aurais pu
faire échouer le programme du Seigneur. Il a prié trois
fois pour demander au Seigneur de retirer son « écharde
», mais le Seigneur n’a pas exaucé ses prières
(voir 2 Corinthiens 12:7-10).
Bien
des fois, Paul aurait pu se perdre s’il avait été
éloquent, en bonne santé, beau et délivré
des choses qui l’ont rendu humble.
Je
crains que si j’avais été à Carthage le 27
juin 1844, j’eusse détourné les balles qui ont
percé les corps du prophète et du patriarche. J’aurais
pu leur éviter les souffrances et l’agonie, mais je les
aurais privés de la mort et de la récompense promises
aux martyres. Je suis content de ne pas avoir eu à prendre
cette décision.
Ayant
un tel pouvoir incontrôlé, j’aurais certainement
voulu protéger le Christ de la souffrance à Gethsémané,
des insultes, de la couronne d’épines, des affronts du
tribunal, des blessures physiques. J’aurais pansé ses
blessures et l’aurais guéri, lui aurais donné de
l’eau fraîche, non du vinaigre. Je lui aurais évité
les souffrances et la mort, et aurais privé le monde de son
sacrifice expiatoire.
Je
n’oserais pas prendre la responsabilité de ramener ceux
qui me sont chers à la vie. Le Christ lui-même a reconnu
la différence entre sa volonté et celle de son Père
quand il a prié pour que la coupe de souffrance lui soit
épargnée. Cependant il a ajouté : «
Toutefois, que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne. »
(Luc 22:42).
La
mort peut être la porte à des possibilités sublimes
La
vie de celui qui meurt continue ainsi que son libre arbitre, et la
mort, qui semble une telle calamité, pourrait bien être
une bénédiction déguisée.
Si
nous disons que la mort prématurée est une calamité,
un désastre ou une tragédie, cela n’équivaudrait-il
pas à dire que la condition mortelle est préférable
à une entrée précoce dans le monde des esprits,
au salut et à l’exaltation finales ? Si la condition
mortelle était un état parfait, alors la mort serait
une frustration, mais l’Évangile nous enseigne que la
tragédie n’est pas dans la mort mais seulement dans le
péché. « Bénis sont ceux qui meurent dans
le Seigneur » (voir D&A 63:49).
Nous
savons si peu de choses. Notre jugement est si limité. Nous
jugeons les voies du Seigneur à partir de notre compréhension
étroite des choses.
J’ai
prononcé un discours lors des funérailles d’un
jeune étudiant de l’université Brigham Young qui
est mort pendant la Deuxième Guerre mondiale. Des centaines de
milliers de jeunes hommes ont été précipités
prématurément dans l’éternité à
cause des ravages de cette guerre. J’ai déclaré
que je croyais que ce jeune homme avait été appelé
dans le monde des esprits pour prêcher l’Évangile
à ces âmes privées des bénédictions
de
l’Évangile.
Cela peut ne pas s’appliquer à tous les gens qui
meurent, mais j’ai ressenti qu’il en était ainsi
pour lui.
Dans
sa vision de la rédemption des morts, Joseph F. Smith a vu
exactement cela. Il écrit :
«
Je vis que le Seigneur ne se rendait pas en personne, pour les
instruire, parmi les méchants et ceux qui avaient désobéi…
qui avaient rejeté la vérité… Mais voici,
parmi les justes, il organisa ses forces… et les chargea
d’aller porter la lumière de l’Évangile…
«
Notre Rédempteur passa son temps… dans le monde des
esprits, à instruire et à préparer les esprits
fidèles… qui avaient témoigné de lui dans
la chair, afin qu’ils portassent le message de la rédemption
à tous les morts auprès desquels il ne pouvait
aller
personnellement à cause de leur rébellion et de leur
transgression…
«
Je vis que, quand ils quittent la vie mortelle, les anciens fidèles
de notre dispensation continuent leurs labeurs de prédication
de l’Évangile de repentir et de rédemption »
(voir D&A 138:29-30, 36-37, 57).
Ainsi,
la mort peut être l’ouverture de la porte qui mène
à des possibilités, y compris celle d’enseigner
l’Évangile du Christ.
En
temps d’épreuves, faisons confiance au
Seigneur
Bien
que la mort ouvre de nouvelles portes, nous ne la recherchons pas. On
nous commande de prier pour les malades et d’utiliser le
pouvoir de notre prêtrise pour les guérir.
Dans
les Doctrine et Alliance, nous lisons :
«
Et les anciens de l’Église, deux ou plus, seront
appelés, prieront pour eux et poseront les mains sur eux en
mon nom. S’ils meurent, ils mourront pour moi, et s’ils
vivent, ils vivront pour moi. Vous vivrez ensemble dans l’amour, de sorte que vous pleurerez
la perte de ceux qui meurent, et plus particulièrement de ceux
qui n’ont pas l’espérance d’une glorieuse
résurrection. Et il arrivera que ceux qui meurent en moi ne goûteront pas la
mort, car elle leur sera douce. Et ceux qui ne meurent pas en moi, malheur à eux, car leur
mort est amère. De plus, il arrivera que celui qui a foi en moi pour être
guéri, et dont la mort n’est pas arrêtée,
sera guéri. » (D&A 42:44-48)
Le
Seigneur nous assure qu’il guérira les malades si
l’ordonnance est accomplie, si la foi est suffisante et si «
la mort du malade n’est pas arrêtée. » Mais
il y a trois conditions et toutes doivent être satisfaites.
Beaucoup ne se soumettent pas aux ordonnances et beaucoup ne sont pas
disposés à exercer une foi suffisante ou n’en
sont pas capables. Mais l’autre facteur est également
important : si la mort n’est pas arrêtée.
Tout
le monde doit mourir. La mort est une partie importante de la vie.
Bien sûr, nous ne sommes jamais vraiment prêts à
ce changement. Ne sachant pas quand elle devrait venir, nous luttons
de notre mieux pour conserver notre vie. Cependant, la mort ne doit
pas nous effrayer. Nous prions pour les malades, nous bénissons
les affligés, nous implorons le Seigneur de guérir, de
réduire les souffrances, de sauver la vie et de différer
la mort, et c’est bien ainsi, mais pas parce que l’éternité
est si effrayante.
Je
suis sûr que, comme le dit l’Ecclésiaste (3:2), il
y a un temps pour mourir, mais je crois aussi que beaucoup de gens
meurent « avant l’heure » parce qu’ils sont
imprudents, qu’ils malmènent leur corps, prennent des
risques inutiles ou s’exposent aux dangers, aux accidents et à
la maladie.
Dieu
contrôle notre vie, il nous guide et nous bénit, mais il
nous laisse notre libre arbitre. Nous pouvons mener notre vie
conformément à son plan pour nous, ou bien nous pouvons
l’abréger stupidement.
Je
suis certain que le Seigneur a planifié notre destin. Un jour
nous comprendrons pleinement et, lorsque nous regarderons en arrière,
avec la perspective du temps, nous serons contents de bien des
événements de cette vie qu’il nous est si
difficile de comprendre.
Parfois,
nous pensons que nous aimerions savoir ce qui nous attend, mais la
sagesse nous apprend à accepter la vie un jour à la
fois et à magnifier et glorifier ce jour.
Nous
savions avant de naître que nous venions sur terre pour avoir
un corps et de l’expérience et que nous aurions des
joies et des peines, de la facilité et de la douleur, de la
consolation et des épreuves, la santé et la maladie,
des succès et des déceptions, et nous savions aussi
qu’au bout d’un certain temps nous mourrions. Nous avons
accepté toutes ces conditions, le coeur joyeux, désireux
d’accepter le positif et le négatif. Nous avons accepté
avec empressement la chance de venir sur terre bien que ce puisse
être seulement pour un jour ou un an. Peut être
n’étions-nous pas tellement préoccupés de
savoir si nous mourrions de maladie, d’accident ou de
vieillesse. Nous étions disposés
à
prendre la vie comme elle viendrait et comme nous pourrions
l’organiser et la contrôler et cela sans murmurer, nous
plaindre et exiger des choses déraisonnables.
Face
à des tragédies apparentes, nous devons mettre notre
confiance en Dieu, sachant qu’en dépit de notre vision
limitée, ses desseins n’échoueront pas. Malgré
toutes ces difficultés, la vie nous offre l’immense
bénédiction de croître en connaissance et en
sagesse, en foi et en oeuvres, nous préparant ainsi à
retourner partager la gloire de Dieu.
(Spencer W. Kimball, Faith Precedes the Miracle, 1972, p. 95-106)