Semaine
de la passion du Christ
racontée en
termes simples et chronologiques, un jour à la fois
Adaptation du récit
des événements tels que les rapporte James E. Talmage
(1862-1933) dans son livre intitulé Jésus le Christ
(1915),
sur le fondement des quatre évangiles. Le récit
se poursuit jusqu'à l'ascension du Christ.
INTRODUCTION
Lors
de son dernier hiver, Jésus évite toute apparition
publique et lorsqu'arrive le printemps il déclare aux Douze :
« Voici : nous montons à Jérusalem ; et tout ce
qui a été écrit par les prophètes au
sujet du Fils de l'homme s'accomplira. Car il sera livré aux
païens ; on se moquera de lui, on le maltraitera, on crachera
sur lui et, après l'avoir flagellé on le fera mourir ;
et le troisième jour il ressuscitera. »
Les
Douze ne comprennent pas ce qu'il veut dire. Luc rapporte : «
Mais ils n'y comprirent rien ; ces paroles leur restaient cachées
; ils ne savaient pas ce que cela voulait dire. »
C'est
la troisième fois que le Seigneur annonce aux Douze sa mort
proche et sa résurrection ; mais ils ne peuvent se résoudre
à l'accepter.
DIMANCHE
L'entrée
triomphale à Jérusalem
Alors
qu'il se trouve à Béthanie ou dans le village voisin de
Bethphagé, ses disciples amènent à Jésus,
à sa demande, un ânon, étendent leurs manteaux
sur le dos de l'animal et y font asseoir le Maître. Et le
groupe se met en route pour Jérusalem.
Comme
c'est l'habitude, un grand nombre de personnes se rendent à la
ville plusieurs jours avant le commencement des rites de la Pâque,
pour régler les questions de purification personnelle et payer
leurs arriérés dans l'offrande des sacrifices
prescrits. Le grand moment où la fête doit commencer
n'est que quatre jours plus tard, mais la ville est déjà
bondée de pèlerins ; parmi eux on discute beaucoup pour
savoir si Jésus s'aventurera à paraître
publiquement à Jérusalem au cours de la fête,
étant donné les plans bien connus des dirigeants de le
faire arrêter.
Le
commun du peuple s'intéresse à toutes les actions et à
tous les mouvements du Maître, et la nouvelle qu'il a quitté
Béthanie le devance, de sorte que lorsqu'il se met à
descendre la partie la plus élevée de la route, au
flanc du mont des Oliviers, de grandes foules sont autour de lui. Le
peuple se réjouit de voir Jésus se diriger vers la
ville sainte ; les gens étendent leurs vêtements et
jettent des feuilles de palmiers et d'autres feuillages sur son
chemin, tout comme pour le passage d'un roi. Ils crient : «
Béni soit le roi, celui qui vient au nom du Seigneur ! Paix
dans le ciel, et gloire dans les lieux très hauts ! » Et
encore : « Hosanna au Fils de David ! ».
Mais
lorsqu'il arrive en vue de la ville, Jésus pleure à
cause de la méchanceté de son peuple ; il voit par
avance la destruction prochaine de la ville et du temple et déplore
: « Il viendra sur toi des jours où tes ennemis
t'environneront de palissades, t'encercleront et te presseront de
toutes parts ; ils t'écraseront, toi et tes enfants au milieu
de toi, et ne laisseront pas en toi pierre sur pierre. »
Le
Seigneur traverse le portail et entre dans la ville. Les Pharisiens
sont jaloux des honneurs donnés à quelqu'un dont ils
complotent la mort depuis longtemps. Certains des Pharisiens se
frayent un chemin dans la foule jusqu'à Jésus, et lui
disent : « Maître, reprends tes disciples. » Mais
le Seigneur répond : « Je vous le dis, s'ils se taisent,
les pierres crieront ! » Les principaux sacrificateurs, les
scribes et les Pharisiens, les représentants officiels de la
théocratie, la hiérarchie du judaïsme, enrage ; le
peuple rend les honneurs à ce Nazaréen, et cela dans
l'enceinte même du temple.
Des
Grecs lui rendent visite
Parmi
les multitudes qui se rendent à Jérusalem à
l'époque de la Pâque annuelle, il y a des gens de
nombreuses nations. Certains d'entre eux, bien que n'étant pas
d'ascendance juive, ont été convertis au judaïsme
; certains Grecs, qui comptent de toute évidence parmi les
convertis, demandent un entretien avec Jésus. Ces Grecs
désirent vivement voir et entendre le Maître dont la
réputation est parvenue jusqu'à leur pays et dont les
enseignements les ont frappés. Comme nous pouvons le déduire
du contexte, Jésus les reçoit favorablement, les
enseigne et leur atteste que l'heure de sa mort est proche.
Voici
comment se termine le récit du premier jour de ce qui plus
tard prendra le nom de Semaine de la passion du Seigneur : «
Quand il eut tout regardé, vu l'heure tardive, il s'en alla à
Béthanie avec les douze ».
LUNDI
Le figuier stérile
Le
lendemain lundi, deuxième jour de la semaine de la Passion,
Jésus et les Douze retournent à Jérusalem et
passent la plus grande partie de la journée au temple. Sur la
route, lorsque Jésus et son groupe parviennent à un
figuier dont ils s'attendent à ce qu'il donne du fruit en
abondance, ils n'y trouvent que des feuilles ; c'est un arbre
stérile. Il n'a même pas de vieilles figues, celles de
la saison précédente, qu'on trouve souvent au printemps
sur les arbres fertiles. Jésus prononce sur cet arbre la
sentence de la stérilité perpétuelle : «
Que jamais personne ne mange plus de ton fruit ! Qu'aucun fruit ne
naisse jamais plus de toi ! » Et à l'instant le figuier
sèche.
Pour
les apôtres, cet acte est une preuve du pouvoir que le Seigneur
possède sur la nature, de son contrôle sur les forces
naturelles et toutes les choses matérielles, de son autorité
sur la vie et sur la mort. Il a guéri des multitudes ; le vent
et les vagues ont obéi à ses paroles ; en trois
occasions il a rendu les morts à la vie. Il convient qu'il
montre aussi son pouvoir de frapper et de détruire. Il a
relevé une jeune fille du lit sur lequel elle était
morte, un jeune homme de la bière sur laquelle on le portait
au tombeau, un autre du sépulcre dans lequel son cadavre avait
été déposé ; mais pour prouver son
pouvoir de détruire d'un mot, il choisit pour sujet un arbre
stérile et sans valeur. Sa stérilité totale à
laquelle s'ajoute son abondance de feuillage en fait un type de
l'hypocrisie humaine.
Deuxième
purification du temple
Arrivé
au temple, Jésus expulse des cours du temple tous ceux qui
vendent et achètent dans le temple. Il renverse les tables des
changeurs et les sièges des vendeurs de pigeons, et il ne
permet à personne de passer ses seaux et ses paniers à
l'intérieur de l'enceinte, comme beaucoup ont l'habitude de le
faire, comme dans une rue ordinaire. « Il est écrit »,
leur dit-il : « Ma maison sera appelée une maison de
prière. Mais vous, vous en faites une caverne de voleurs. »
Personne ne peut résister à son autorité.
Son
indignation est pourtant suivie d'actes de guérisons : dans
les cours du temple, les aveugles et les invalides s'approchent de
lui comme ils peuvent et il les guérit, ce qui suscite la
colère des principaux sacrificateurs et des scribes, mais ils
sont impuissants. Ils ont décrété sa mort et ont
tenté plusieurs fois de se saisir de lui, et voilà
qu'il est là à l'endroit même sur lequel ils
prétendent avoir autorité, et ils ont peur de le
toucher à cause des gens du commun qu'ils craignent, car tout
le peuple est suspendu aux lèvres de Jésus.
La
rage des dirigeants est encore accrue par un incident : Des enfants
voient ce qu'il fait, ils reconnaissent en lui le Christ et chantent
: « Hosanna au Fils de David. » Les officiers du temple
lui demandent : « Entends-tu ce qu'ils disent ? » Ils
s'attendent probablement à ce qu'il refuse le titre ou
espèrent peut-être qu'il réaffirme ses
prétentions d'une manière qui leur donnerait une excuse
pour intenter une action légale contre lui, car pour la
plupart d'entre eux le Fils de David est le Messie, le Roi promis.
Jésus répond : « Oui. N'avez-vous jamais lu ces
paroles : Tu as tiré des louanges de la bouche des enfants et
de ceux qui sont à la mamelle ? »
C'est
lundi soir ; Jésus quitte la ville et se retire de nouveau à
Béthanie, où il loge. Cette action est prudente, étant
donnée la détermination des dirigeants à le
faire tomber en leur pouvoir s'ils peuvent le faire sans exciter le
peuple. Cela, il leur est impossible de le faire le jour, car partout
où il apparait il est le centre d'intérêt de la
multitude ; mais s'il reste la nuit à Jérusalem, ils
pourront réussir à se saisir de lui, sauf s'il leur
résiste par quelque action miraculeuse.
MARDI
Son autorité
mise au défi par les dirigeants
Le
lendemain, c'est-à-dire le mardi, Jésus retourne au
temple avec les Douze. Dans le temple, il prêche l'Évangile
à tous ceux qui veulent l'entendre. Les principaux
sacrificateurs et un certain nombre de scribes et d'anciens se
dirigent en groupe vers lui. Ils ont discuté à son
sujet pendant la nuit et se sont décidés à faire
au moins un pas ; ils vont contester son autorité pour ce
qu'il a fait la veille en disant : « Par quelle autorité
fais-tu cela, et qui t'a donné cette autorité ? »
Ils ont connaissance de son ministère de trois années
de miracles et d'enseignements ; la veille, des aveugles et des
boiteux ont été guéris à l'intérieur
des murs du temple ; et Lazare, témoignage vivant de la
puissance que le Seigneur a sur la mort, se trouvait devant eux.
Jésus
ne trouve pas utile de donner une réponse dans laquelle ils
pourraient trouver une autre occasion de s'opposer à lui ;
mais il profite d'une méthode très commune parmi eux :
celle de répondre à une question par une autre. «
Jésus leur répondit : je vous poserai moi aussi une
seule question, et si vous m'y répondez je vous dirai par
quelle autorité je fais cela. Le baptême de Jean, d'où
venait-il ? Du ciel, ou des hommes ? »
Ils
se consultent pour savoir quelle serait la meilleure réponse
pour se sortir de cette situation embarrassante ; s'ils répondent
que le baptême de Jean était de Dieu, Jésus leur
demandera pourquoi ils n'ont pas cru au Baptiste et pourquoi ils
n'acceptent pas le témoignage que Jean a rendu de lui. D'autre
part, s'ils affirment que Jean n'avait pas l'autorité divine
de prêcher et de baptiser, le peuple se tournera contre eux,
car le Baptiste martyrisé est révéré
comme un prophète par les masses. Malgré l'érudition
dont ils se vantent, ils sont embarrassés et préfèrent
botter en touche en répondant : « Nous ne savons pas ».
Alors Jésus leur dit : « Moi non plus, je ne vous dirai
pas par quelle autorité je fais cela. »
Les
principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple sont
battus en finesse et humiliés, et la multitude observe avec
intérêt. Le Maître poursuit en leur racontant une
série de trois paraboles dont ils sentent que chacune
s'applique à eux : la parabole des deux fils, la parabole des
vignerons et la parabole des noces. À chaque fois ils se
reconnaissent dans le mauvais rôle. Lorsqu'ils se rendent
compte de leur défaite et qu'ils sont humiliés aux yeux
du peuple, ils en conçoivent une colère sans mesure et
vont jusqu'à essayer de se saisir de lui à l'intérieur
même du temple ; mais la sympathie de la multitude étant
en sa faveur, les ecclésiastiques s'abstiennent.
Conspiration
des Pharisiens et des Hérodiens
Les
autorités juives persistent dans leurs efforts pour tenter ou
entraîner Jésus à commettre un acte ou à
prononcer une parole sur lesquels elles pourraient baser l'accusation
qu'il a commis un délit, soit en vertu de leur loi, soit en
vertu de la loi romaine. Les Pharisiens se consultent « sur les
moyens de prendre Jésus au piège de ses propres paroles
».
Ils
envoient une délégation lui poser une question : Est-il
permis, ou non, de payer le tribut à César ? » Si
Jésus répond « oui », les Pharisiens
peuvent monter la multitude contre lui en faisant de lui un fils
déloyal d'Abraham ; s'il répond « non »,
les Hérodiens le dénonceront comme fomenteur de
troubles contre le gouvernement romain. Mais Jésus qui connaît
leur malice répond : « Pourquoi me mettez-vous à
l'épreuve, hypocrites ? Montrez-moi la monnaie avec laquelle
on paie le tribut », commande-t-il, et ils lui présentent
un denier romain portant l'effigie et le nom de Tibère,
empereur de Rome. « De qui sont cette effigie et cette
inscription ? » demande-t-il. Ils répondent : « De
César. » Alors il leur dit : « Rendez donc à
César ce qui est à César, et à Dieu ce
qui est à Dieu ».
Cette
réponse est magistrale ; elle fixe la base des rapports entre
les devoirs spirituels et séculiers, entre l'Église et
l'État. Pharisiens et Hérodiens sont réduits au
silence par la sagesse de la réponse. Quoi qu'ils fassent, ils
ne peuvent « le prendre à l'une de ses paroles »
et sont humiliés devant le peuple qui est témoin. Sur
ce, ils s'en vont.
Questions
des Sadducéens
Ensuite
les Sadducéens essaient de désarçonner Jésus
en posant ce qu'ils considèrent comme une question compliquée
sinon très difficile. Les Sadducéens ont pour croyance
qu'il ne peut y avoir de résurrection du corps, doctrine sur
laquelle ils s'opposent aux Pharisiens. La question posée par
les Sadducéens en cette occasion a directement trait à
la résurrection et est formulée de manière à
discréditer cette doctrine en lui donnant une application
extrêmement peu favorable et grossièrement exagérée.
« Maître », dit le porte-parole du groupe, «
Moïse a dit : Si quelqu'un meurt sans enfants, son frère
épousera la veuve et suscitera une descendance à son
frère. Or, il y avait parmi nous sept frères. Le
premier se maria et mourut, et comme il n'avait pas d'enfants, il
laissa sa femme à son frère. Il en fut de même du
deuxième, puis du troisième, jusqu'au septième.
Après eux tous, la femme mourut. À la résurrection,
duquel des sept frères sera-t-elle donc la femme ? Car tous
l'ont eue. »
La
loi mosaïque autorise alors et exige que le frère vivant
d'un mari décédé et sans enfants épouse
sa veuve dans le but d'élever des enfants au nom du mort, dont
la lignée familiale sera légalement continuée.
Un état de choses tel que celui que présentent les
Sadducéens dans lequel sept frères, l'un après
l'autre, ont eu pour épouse et laissée veuve sans
enfants la même femme, est possible en vertu du code mosaïque
relatif au lévirat, mais c'est un exemple extrêmement
improbable.
Jésus
ne perd pas de temps à discuter des éléments du
problème qui lui est présenté ; que le cas soit
théorique ou réel n'a pas d'importance, puisque la
question : « De qui sera-t-elle donc la femme ? » est
fondée sur une fausse conception. Jésus leur répond
: « Vous êtes dans l'erreur, parce que vous ne comprenez
ni les Écritures, ni la puissance de Dieu. Car à la
résurrection, les hommes ne prendront pas de femmes, ni les
femmes de maris, mais ils seront comme les anges de Dieu dans le
ciel. »
L'intention
du Seigneur est claire : dans l'état ressuscité, il n'y
a aucun doute sur le point de savoir duquel des sept frères la
femme sera l'épouse pour l'éternité, puisque
tous, sauf le premier, ne l'a épousée que pour la durée
de la vie ici-bas et avant tout dans le but de perpétuer dans
la mortalité le nom et la famille du frère qui est mort
le premier. Voici une partie des paroles du Seigneur telles que Luc
les rapporte : « Mais ceux qui seront trouvés dignes
d'avoir part au siècle à venir et à la
résurrection d'entre les morts ne prendront ni femmes ni
maris. Ils ne pourront pas non plus mourir, parce qu'ils seront
semblables aux anges et qu'ils seront fils de Dieu, étant fils
de la résurrection. » Dans la résurrection, on ne
se mariera pas ni ne donnera en mariage, car toutes les questions
relatives à l'état matrimonial doivent être
réglées avant ce moment-là, selon l'autorité
du saint sacerdoce, qui détient le pouvoir d'unir en mariage
pour le temps et l'éternité.
Ensuite
Jésus passe du cas présenté par ses
interlocuteurs à la réalité de la résurrection,
qui est impliquée par la question. « Pour ce qui est de
la résurrection des morts, n'avez-vous pas lu ce que Dieu vous
a dit : Moi, je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu
de Jacob ? Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants. »
C'est une attaque directe contre la doctrine sadducéenne qui
nie la résurrection littérale des morts. Les Sadducéens
se distinguent comme défenseurs zélés de la loi,
dans laquelle l'Éternel affirme lui-même être le
Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ; et cependant ils nient qu'il
soit possible à ces patriarches de ressusciter et rendent le
titre, sous lequel le Seigneur s'est révélé à
Moïse, valide seulement au cours de la brève existence
mortelle des ancêtres de la nation israélite. En
déclarant que l'Éternel n'est pas le Dieu des morts
mais des vivants, Jésus dénonce de manière
irréfutable la déformation des Écritures par les
Sadducéens ; et le Seigneur ajoute : « Votre erreur est
grande. » Certains des scribes présents sont frappés
par cette démonstration et s'exclament avec approbation : «
Maître, tu as bien parlé. » Les Sadducéens
sont convaincus d'erreur et réduits au silence. « Et ils
n'osaient plus lui poser aucune question. »
Question
des Pharisiens
Les
Pharisiens, se réjouissant sous cape de la déconfiture
de leurs rivaux, réunissent maintenant suffisamment de courage
pour préparer une autre attaque à leur propre compte.
L'un d'entre eux, docteur de la loi, titre sous lequel nous pouvons
entendre l'un des scribes, qui était également
professeur des lois ecclésiastiques, demande : « Quel
est le premier de tous les commandements ? » ou, comme Matthieu
rapporte la question : « Maître, quel est le grand
commandement de la loi ? » La réponse est prompte,
tranchante et universelle au point de couvrir dans leur intégralité
les exigences de la loi. Jésus répond : « Voici
le premier : Écoute Israël, le Seigneur, notre Dieu, le
Seigneur est un, et tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton
cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de
toute ta force. Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme
toi-même. Il n'y a pas d'autre commandement plus grand que
ceux-là. » Matthieu formule la fin de cette déclaration
comme suit : « De ces deux commandements dépendent toute
la loi et les prophètes. »
Aimer
Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son
esprit, c'est le servir et garder tous ses commandements. Aimer son
prochain comme soi-même, c'est être un frère dans
le sens à la fois le plus large et le plus exigeant du terme.
C'est pourquoi le commandement d'aimer Dieu et l'homme est le plus
grand, étant donné que le tout est plus grand que l'une
quelconque de ses parties. Quel besoin aurait-on du décalogue
si l'humanité obéissait à ce premier grand
commandement universel ? La réponse que le Seigneur fait à
la question est convaincante même pour le savant scribe qui
s'est présenté comme porte parole de ses collègues
pharisiens. L'homme est suffisamment honnête pour admettre la
droiture et la sagesse sur lesquelles la réponse repose et
exprime son accord en disant : « Bien, maître, tu as dit
avec vérité que Dieu est unique et qu'il n'y en a pas
d'autre que lui, et que l'aimer de tout son cœur, de toute son
intelligence et de toute sa force, ainsi qu'aimer son prochain comme
soi même, c'est plus que tous les holocaustes et tous les
sacrifices. » Jésus n'est pas moins prompt que le scribe
en reconnaissant le mérite des paroles d'un adversaire ; et il
encourage l'homme en lui assurant : « Tu n'es pas loin du
royaume de Dieu. »
Il
se fait questionneur
Sadducéens,
Hérodiens, Pharisiens, docteurs de la loi et scribes ont tour
à tour subi la déconfiture et la défaite dans
leurs efforts pour embrouiller Jésus dans des questions de
doctrine ou de pratique et ont complètement échoué
dans leurs tentatives pour l'amener à commettre un acte ou
prononcer une parole qui leur permettrait de l'accuser légalement
de délit.
Dénonciation
des scribes et des Pharisiens
Jésus
s'adresse à ses interlocuteurs déjà
décontenancés et en colère contre lui et leur
déclare huit fois de suite : « Malheur à vous,
scribes et Pharisiens hypocrites ! Parce que vous… »
suivi à chaque fois d'une accusation sévère.
Lamentation
ur Jérusalem
Puis,
des hauteurs du temple, il contemple la ville qui va bientôt
être détruite, éprouve un profond chagrin et se
lamente : « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les
prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés,
combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule
rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l'avez pas voulu !
Voici : votre maison vous est laissée déserte, car je
vous le dis, vous ne me verrez plus désormais jusqu'à
ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du
Seigneur ! »
L'offrande
de la veuve
Jésus
quitte la cour ouverte, se dirige vers le trésor du temple et
là, il s'assoit, pensif. Il y a dans ce lieu treize coffres,
chacun muni d'un réceptacle en forme de trompette ; et c'est
là que le peuple dépose ses contributions pour les
divers objectifs indiqués par les inscriptions des boîtes.
Jésus observe les files de donateurs, de tous rangs et de tous
niveaux de richesse et de pauvreté. Certains déposent
leurs dons avec dévotion et sincérité, d'autres
y jettent ostensiblement de grandes sommes d'argent et d'or surtout
pour être vus des hommes. Parmi la foule se trouve une veuve
pauvre qui, faisant probablement un effort pour échapper à
l'attention, laisse tomber dans l'un des coffres du trésor
deux petites pièces de bronze appelées oboles. Le
Seigneur appelle ses disciples autour de lui, attire leur attention
sur la veuve et dit : « En vérité, je vous le
dis, cette pauvre veuve a mis plus qu'aucun de ceux qui ont mis dans
le tronc ; car tous ont mis de leur superflu, mais elle a mis de son
nécessaire, tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle
avait pour vivre. »
Départ
définitif du temple
Les
discours publics du Seigneur et les discussions ouvertes auxquelles
il participe avec des officiels ecclésiastiques au cours de
ses visites quotidiennes au temple pendant la première moitié
de la semaine de la Passion, pousse un grand nombre d'entre les
principaux dirigeants, ainsi que d'autres, à en venir à
croire qu'il véritablement le Fils de Dieu ; mais la peur
d'être persécutés par les Pharisiens et la
crainte d'être excommuniés de la synagogue les empêche
de confesser la loyauté qu'ils éprouvent et d'accepter
le moyen de salut qui leur est offert.
Il
se peut que ce soit au moment où Jésus se dirige pour
la dernière fois vers ce grand portail de sortie du temple
qu'il prononce le témoignage solennel de sa divinité
rapporté par Jean. Il crie d'une voix forte aux dirigeants
sacerdotaux et à la multitude en général : «
Celui qui croit en moi, croit, non pas en moi, mais en celui qui m'a
envoyé ; et celui qui me contemple, contemple celui qui m'a
envoyé. » Il proclame de nouveau être la lumière
du monde et ajoute : « Mes paroles ne viennent pas de moi ;
mais le Père, qui m'a envoyé, m'a commandé
lui-même ce que je dois dire et ce dont je dois parler. Et je
sais que son commandement est la vie éternelle. Ainsi ce dont
je parle, j'en parle comme le Père me l'a dit. »
Prédiction
de la destruction du temple
Comme
Jésus quitte l'enceinte du temple, un disciple ou davantage
attirent son attention sur le magnifique bâtiment. Le
commentaire que le Seigneur fait en réponse est une prophétie
de la destruction totale du temple et de tout ce qui y a trait. «
En vérité je vous le dis, il ne restera pas ici pierre
sur pierre qui ne soit renversée. » Telle est la
prédiction. Ceux qui l'entendent sont abasourdis ; ils
n'essaient pas d'en savoir plus en posant des questions ou par
d'autres réactions. L'accomplissement littéral de cette
menace ne sera qu'un incident dans la destruction de la ville moins
de quarante ans plus tard.
Après
le départ définitif du Seigneur hors du temple, qui se
produit probablement l'après-midi du mardi de cette dernière
semaine, son ministère public prend fin. Quels que soient les
discours, les paraboles ou les sacrements qui vont suivre, ils ne
serviront plus qu'à instruire et à investir davantage
les apôtres.
MARDI
Prophéties sur
la destruction de Jérusalem et la Seconde Venue
Au
cours de son dernier voyage de retour de Jérusalem à la
maison de Béthanie, Jésus se repose en un endroit
favorable du mont des Oliviers d'où l'on peut voir la grande
ville et le temple magnifique, illuminés par le soleil
déclinant vers la fin de l'après-midi de ce jour
mouvementé d'avril. Tandis qu'il est assis, perdu dans ses
pensées, Pierre, Jacques, Jean et André s'approchent de
lui, et il donne, certainement à eux bien que probablement
aussi à tous les apôtres, des enseignements contenant
d'autres prophéties relatives à l'avenir de Jérusalem,
d'Israël et du monde entier. Sa prédiction que des
bâtiments du temple il ne restera pas pierre sur pierre a
étonné et effrayé les apôtres ; ils
viennent donc en privé lui demander des explications. «
Dis-nous, dirent-ils, quand cela arrivera et quel sera le signe de
ton avènement et de la fin du monde ? » D'après
la manière dont ils formulent leur question, les apôtres
doivent penser que les événements se suivront de près.
Leur
question porte sur le temps : Quand ces choses se produiront-elles ?
La réponse ne parle pas de dates mais d'événements
; et l'esprit du discours qui suit est un avertissement contre les
malentendus et une exhortation à veiller sans cesse.
L'ordre
chronologique des événements prédits dans ce
discours sur les choses à venir est le suivant : tout d'abord
il doit y avoir une période de persécutions violentes
contre les apôtres et l'Église dont ils auront la charge
; puis la destruction de Jérusalem, avec toutes les horreurs
d'une guerre ; à cela succédera une longue période
d'apostasie avec de violentes dissensions confessionnelles et de
cruelles persécutions des justes.
Paraboles
pour illustrer la nécessité de la vigilence et de la
diligence
Jésus
décrit en paraboles l'état futur de l'humanité
dans les derniers temps. La première de ces descriptions est
la parabole des dix vierges.
Puis,
tandis que les ombres du soir s'intensifient autour du mont des
Oliviers, le Seigneur s'adresse aux apôtres et donne la
dernière des paraboles qui nous soient rapportées : la
parabole des talents. Dans cette parabole, le Seigneur est sur le
point de partir et ne reviendra que « longtemps après »
; l'importance de ce dernier détail est la même que
celle que nous trouvons dans la parabole des dix vierges lorsqu'il y
est déclaré que l'époux tarde.
Autre
prédiction de sa mort
Après
avoir instruit les apôtres à l'endroit où ils se
reposent au mont des Oliviers et probablement pendant la suite du
trajet vers Béthanie ce soir-là, Jésus rappelle
aux Douze le sort qui l'attend et précise l'époque où
il sera trahi et la manière dont il mourra. « Vous savez
», dit-il, « que la Pâque a lieu dans deux jours,
et que le fils de l'homme sera livré pour être crucifié
».
MERCREDI
Les
conspirateurs ecclésiastiques et le traître
À
l'approche de la fête annuelle de la Pâque, et en
particulier au cours des deux jours qui précèdent
immédiatement le commencement de la fête, les principaux
sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple, bref, le
sanhédrin et le parti ecclésiastique tout entier, se
consulte constamment pour déterminer la meilleure façon
d'arrêter Jésus et de le mettre à mort. À
l'une de ces assemblées, qui se tient au palais du souverain
sacrificateur, Caïphe, on décide de se saisir de Jésus
d'une manière subtile si possible, car une arrestation ouverte
aurait probablement pour effet de soulever le peuple. Les dirigeants
craignent tout particulièrement un éclat des Galiléens,
qui manifestent une fierté de provinciaux devant l'importance
de Jésus, un des leurs, et dont un grand nombre se trouve
alors à Jérusalem. On conclut en outre, et pour les
mêmes raisons, que la coutume juive de faire des exemples
frappants des transgresseurs notoires en leur infligeant un châtiment
public aux époques des grandes assemblées générales
doit être mise de côté dans le cas de Jésus
; les conspirateurs disent donc : « Pas en pleine fête,
afin qu'il n'y ait pas de tumulte parmi le peuple. »
Ils
ont déjà vainement essayé en d'autres occasions
de se saisir de Jésus, et ils doutent naturellement du
résultat de leurs machinations ultérieures. À ce
moment ils sont encouragés et réjouis dans leur complot
par l'apparition d'un allié inattendu. Judas Iscariot, l'un
des Douze, demande audience auprès de ces dirigeants des
Juifs, et se propose pour trahir son Seigneur et le livrer entre
leurs mains. Mû par la cupidité qui n'est probablement
qu'un élément secondaire dans la cause réelle de
sa trahison, il offre de vendre son Maître pour de l'argent et
marchande avec les acheteurs ecclésiastiques sur le prix du
sang du Sauveur. « Que voulez-vous me donner ? »
demande-t-il. « Et ils lui payèrent trente pièces
d'argent ». Ce montant est le prix fixé par la loi pour
la vente d'un esclave. Les événements ultérieurs
montrent que l'argent est bien payé à Judas, soit lors
de cette première entrevue, soit au cours d'une rencontre
ultérieure du traître et des prêtres.
Juda
s'est engagé dans l'acte de trahison le pire dont l'homme soit
capable, et, dès lors, il cherche l'occasion de pousser sa
promesse jusqu'à son accomplissement. Nous serons encore
affligés plus loin par d'autres aperçus de l'Iscariot
dans le déroulement de ce récit ; disons pour le moment
qu'avant que Judas ne vende le Christ aux Juifs, il s'est vendu au
diable, s'est mis à son service et obéit à ses
ordres.
JEUDI
La
dernière cène
La
veille du moment où l'on mange l'agneau pascal est pour les
Juifs le premier jour de la fête des pains sans levain. Pendant
le premier des jours des pains sans levain, qui semble être
tombé un jeudi l'année de la mort du Seigneur, Jésus
ordonne à Pierre et à Jean de retourner à
Jérusalem et ajoute : « Voici : quand vous serez entrés
dans la ville, un homme portant une cruche d'eau vous rencontrera ;
suivez-le dans la maison où il entrera… il vous
montrera une grande chambre haute, aménagée : c'est là
que vous préparerez la Pâque. Ils partirent, trouvèrent
les choses comme il le leur avait dit et préparèrent la
Pâque. »
Le
soir, jeudi soir selon notre calcul du temps, mais le début de
vendredi selon le calendrier juif, Jésus vient avec les Douze,
et ils s'installent ensemble pour le dernier repas que le Seigneur
prendra avant sa mort.
Le
repas se déroule dans une atmosphère de tristesse
tendue. Alors qu'ils mangent, le Seigneur annonce tristement : «
En vérité, je vous le dis, l'un de vous qui mange avec
moi me livrera. » La plupart des apôtres se mettent à
s'examiner et s'exclament l'un après l'autre : « Est-ce
moi, Seigneur ? » Jésus répond que c'est l'un des
Douze qui mange avec lui et poursuit par cette déclaration : «
Le Fils de l'homme s'en va, selon ce qui est écrit de lui.
Mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l'homme
est livré ! Mieux vaudrait pour cet homme n'être jamais
né. » Alors Judas Iscariot, qui a déjà
convenu de vendre son Maître pour de l'argent, et qui craint
probablement à ce moment-là que son silence n'éveille
les soupçons contre lui, demande avec audace : « Est-ce
moi, Rabbi ? » Le Seigneur répond : « Tu l'as dit
».
Lavement
des pieds
Ensuite
le Seigneur lave les pieds des douze apôtres. Revenus à
table, il dit : « En vérité, en vérité,
je vous le dis, le serviteur n'est pas plus grand que son seigneur,
ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a envoyé. Si vous
savez cela, vous êtes heureux, pourvu que vous le mettiez en
pratique ».
Sacrement
du repas du Seigneur
Tandis
que Jésus est encore assis avec les Douze à table, il
institue ce qui prendra le nom de sacrement de la Cène du
Seigneur. Le pain et le vin, dûment consacrés par la
prière, deviennent des emblèmes du corps et du sang du
Seigneur, que l'on doit manger et boire en souvenir de lui.
Le
traître sort dans la nuit
Jésus
fait part de nouveau de sa connaissance de la duplicité du
cœur de Judas. « Ce n'est pas de vous tous que je le dis
; je connais ceux que j'ai choisis. Mais il faut que l'Écriture
s'accomplisse : Celui qui mange avec moi le pain, a levé son
talon contre moi ». Le Seigneur veut qu'ils se rendent
pleinement compte qu'il sait d'avance ce qui va se produire, de sorte
que lorsque les terribles événements seront un fait
accompli, les apôtres se rendent compte qu'ainsi les Écritures
ont été accomplies. Troublé en esprit, il répète
l'affirmation que l'un de ceux qui est là le trahira. Pierre
fait des signes à Jean qui occupe le siège à
côté de Jésus, de demander au Maître lequel
d'entre eux est le traître. À la question chuchotée
de Jean, le Seigneur réplique : « C'est celui pour qui
je tremperai le morceau et à qui je le donnerai. »
Il
n'y a rien d'extraordinaire pour une personne qui se trouve à
table, en particulier l'hôte, de tremper un morceau de pain
dans le plat, et de le donner à quelqu'un d'autre. Pareil acte
de la part de Jésus n'attire pas l'attention de tout le monde.
Il trempe le morceau de pain et le donne à Judas Iscariot, en
disant : « Ce que tu fais, fais-le vite. » Les autres
comprennent que ce que le Seigneur dit est un ordre de s'acquitter de
quelque devoir ordinaire, peut-être d'acheter quelque chose de
plus pour la célébration de la Pâque ou de porter
des dons à des pauvres, car Judas est le trésorier du
groupe. Mais Judas comprend. Son cœur s'endurcit encore
davantage lorsqu'il découvre que Jésus est au courant
de ses plans, et l'humiliation qu'il éprouve en présence
du Maître le rend furieux. Judas ouvre la bouche, reçoit
le morceau de pain trempé de la main du Seigneur, et sort
immédiatement, abandonnant pour toujours la compagnie de ses
frères et du Seigneur. Jean précise : « Il
faisait nuit. »
Discours
après le repas
Puis
Jésus s'adresse aux Onze en ces termes : « Petits
enfants, je suis encore pour peu de temps avec vous. »
L'allusion
faite par le Seigneur à la séparation imminente qui va
l'éloigner d'eux trouble les frères. Pierre pose la
question : « Seigneur, ou vas-tu ? » Jésus répond
: « Là où je vais, tu ne peux pas maintenant me
suivre, mais tu me suivras plus tard. Seigneur, lui dit Pierre,
pourquoi ne puis-je pas te suivre maintenant ? Je donnerai ma vie
pour toi. » Pierre semble se rendre compte que son Maître
va à la mort ; cependant, sans se laisser effrayer, il se
déclare prêt à suivre cette voie plutôt que
d'être séparé de son Seigneur.
Jésus,
qui connait Pierre mieux que l'homme ne se connait lui-même,
réprimande tendrement comme suit son excès de confiance
: « Simon, Simon, Satan vous a réclamés pour vous
passer au crible comme le blé. Mais j'ai prié pour toi,
afin que ta foi ne défaille pas, et toi, quand tu seras
convertis, affermis tes frères. » Le premier des apôtres
devait encore être converti, ou pour le traduire avec plus de
précision, « revenir au Christ » ; car, comme le
Seigneur le prévoit, Pierre sera bientôt vaincu au point
de nier connaître le Christ. Lorsque Pierre se déclare
de nouveau et avec fermeté prêt à accompagner
Jésus, jusqu'en prison ou à la mort, le Seigneur le
réduit au silence par la réflexion : « Pierre, je
te le dis, le coq ne chantera pas aujourd'hui, que tu n'aies nié
trois fois de me connaître. »
Les
renseignements que nous avons concernant le dernier discours que
Jésus fait aux apôtres avant sa crucifixion, nous les
devons à Jean.
À
propos de la question de son départ qui est à ce
moment-là si proche qu'on peut en compter les heures, le
Seigneur dit, sous une forme plus ample, ce qu'il a affirmé
précédemment : « Encore un peu de temps, et vous
ne me verrez plus ; et puis encore un peu de temps, et vous me verrez
de nouveau ».
Il
leur dit qu'avant que la nuit ne soit passée, il sera pour
chacun d'eux une occasion de chute. Puis il continue d'affirmer qu'il
ressuscitera littéralement et promet aux apôtres que
lorsqu'il se relèvera du tombeau il ira avant eux en Galilée.
La
prière finale
Ce
discours aux apôtres est suivi d'une prière qu'on
appelle la prière sacerdotale. Jésus y révèle
la nature de l'unité qui existe entre lui et son Père
en priant pour que cette même unité existe entre lui et
ses apôtres et les disciples que ses apôtres feront : «
…afin que tous soient un ; comme toi, Père, tu es en
moi, et moi en toi, qu'eux aussi soient un en nous… afin
qu'ils soient un comme nous sommes un – moi en eux, et toi en
moi – afin qu'ils soient parfaitement un… afin que
l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, et que moi, je sois en
eux. » Il s'agit entre le Père et le Fils d'une unité
absolue d'intentions et d'actions, de cœur et de volonté,
unité telle que le fait de connaître l'un ou l'autre
revient à connaître les deux ; néanmoins on ne
peut parvenir au Père que par le Fils.
Au
cours de la soirée, le Maître évoque fréquemment
son Père : « Mon Père est glorifié en ceci
: que vous portiez beaucoup de fruit. » « Je vous ai
appelés amis, parce que tout ce que j'ai appris de mon Père,
je vous l'ai fait connaître. » « Je suis sorti du
Père et je suis venu dans le monde ; maintenant, je quitte le
monde et je vais vers le Père. »
À
Gethsémané
Après
avoir chanté un cantique, Jésus et les Onze sortent
pour se rendre au mont des Oliviers. Ils franchissent la porte de la
ville qui reste ordinairement ouverte le soir pendant les fêtes
publiques, traversent le ravin du Cédron, ou plus exactement
Kidron, un ruisseau, et entrent dans une oliveraie appelée
Gethsémané, sur le flanc du mont des Oliviers. Il
laisse huit d'entre les apôtres à l'entrée ou
près de celle-ci, avec l'ordre : « Asseyez-vous ici,
pendant que je m'éloignerai pour prier », et avec
l'injonction : « Priez, afin de ne pas entrer en tentation. »
Accompagné de Pierre, Jacques et Jean, il s'en va plus loin et
est bientôt envahi par une profonde tristesse, qui semble
l'avoir, dans une certaine mesure, surpris lui-même, car nous
lisons qu'il « commença à être cruellement
surpris et à être très triste ». Il est
poussé à refuser la compagnie même des trois
disciples choisis et « il leur dit alors : Mon âme est
triste jusqu'à la mort, restez ici et veillez avec moi. Puis
il s'avança un peu, se jeta la face contre terre et pria ainsi
: Mon Père, s'il est possible, que cette coupe s'éloigne
de moi ! Toutefois, non pas comme je veux, mais comme tu veux. »
La version que Marc donne de la prière est celle-ci : «
Abba, Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de
moi cette coupe. Toutefois non pas ce que je veux, mais ce que tu
veux. »
Un
au moins des trois apôtres qui l'attendent entendent cette
partie de sa supplication ; mais tous cèdent bientôt à
la fatigue et cessent de veiller. Comme ils l'ont fait sur le mont de
la Transfiguration, lorsque le Seigneur est apparu en gloire, de même
maintenant à l'heure de sa plus profonde humiliation, ces
trois apôtres s'assoupissent. Jésus retourne vers eux
dans l'angoisse de son âme et les trouve endormis ; il
s'adresse à Pierre qui, si peu de temps auparavant, a proclamé
bien haut qu'il était prêt à suivre le Seigneur
jusqu'en prison et dans la mort, et dit : « Vous n'avez donc
pas été capables de veiller une heure avec moi !
Veillez et priez, afin de ne pas entrer en tentation » ; puis
il ajoute : « L'esprit est bien disposé, mais la chair
est faible. » Cette exhortation qu'il donne aux apôtres
de prier à ce moment-là de peur qu'ils ne tombent en
tentation peut être dictée par les circonstances du
moment dans lesquelles ils peuvent être tentés
d'abandonner prématurément leur Seigneur.
Tirés
de leur sommeil, les trois apôtres voient le Seigneur
s'éloigner de nouveau et l'entendent supplier dans son
angoisse : « Mon Père, s'il n'est pas possible que cette
coupe s'éloigne sans que je la boive, que ta volonté
soit faite ! » Il revient une deuxième fois, voit que
ceux à qui il a demandé de veiller avec lui dorment de
nouveau, « car leurs yeux étaient appesantis » ;
et lorsqu'ils sont éveillés, ils sont embarrassés
et honteux, au point de ne savoir que dire. Une troisième
fois, il retourne à sa veille solitaire et à sa lutte
personnelle, et on l'entend implorer le Père en employant les
mêmes paroles empreintes de supplication. Luc nous dit : «
Alors un ange lui apparut du ciel, pour le fortifier » ; mais
même la présence de ce visiteur supra-terrestre ne peut
dissiper l'angoisse de son âme. « En proie à
l'angoisse, il priait plus instamment, et sa sueur devint comme des
grumeaux de sang, qui tombaient à terre ».
Pierre
a un aperçu de la route qu'il s'est déclaré si
prêt à suivre ; et les frères Jacques et Jean
savent maintenant mieux que jamais combien ils sont peu prêts à
boire à la coupe que le Seigneur videra jusqu'à la lie.
Lorsque
pour la dernière fois Jésus revient trouver les
disciples auxquels il a demandé de veiller, il dit : «
Vous dormez maintenant et vous vous reposez. C'en est fait. L'heure
est venue ; voici que le Fils de l'homme est livré aux mains
des pécheurs. » Il ne sert à rien de continuer à
veiller ; déjà les torches de la bande conduite par
Judas, qui se rapproche, sont visibles dans le lointain. Jésus
s'exclame : « Levez-vous, allons ; celui qui me livre
s'approche. » Debout avec les Onze, le Seigneur attend
calmement la venue du traître.
L'agonie
que le Christ éprouve dans le jardin, l'esprit limité
ne peut en sonder ni l'intensité ni la cause. La pensée
qu'il a souffert par crainte de la mort ne tient pas. Pour lui, la
mort est préliminaire à la résurrection, au
retour triomphal auprès du Père d'où il est venu
et à un état de gloire qui transcende même celui
qu'il possédait précédemment ; en outre, il est
dans son pouvoir de donner volontairement sa vie. Il lutte et gémit
sous un fardeau dont aucun autre être qui a vécu sur la
terre ne pourrait même concevoir la possibilité. Ce
n'est pas uniquement une douleur physique ni une angoisse mentale qui
lui infligent une torture telle qu'elle produit un suintement de sang
de chaque pore, mais une angoisse spirituelle comme seul Dieu est
capable d'en ressentir. Aucun autre homme, si grande que puisse être
son endurance physique ou mentale, ne pourrait souffrir ainsi ; son
organisme humain succomberait et la syncope produirait une perte de
conscience bienvenue. Dans cette heure d'angoisse, le Christ
rencontre et vainc toutes les horreurs que le diable peut infliger.
La lutte que le Seigneur a dû livrer dans les tentations qui
l'ont assailli immédiatement après son baptême
est dépassée par cette lutte suprême avec les
forces du mal.
D'une
certaine manière, terriblement réelle bien
qu'incompréhensible à l'homme, le Sauveur prend sur lui
le fardeau des péchés de l'humanité depuis Adam
jusqu'à la fin du monde.
Le
Christ sort victorieux du conflit de Gethsémané. Bien
que dans les sombres tribulations de cette heure terrible il ait
supplié que la coupe amère soit éloignée
de ses lèvres, cette demande, même répétée,
a toujours été conditionnelle ; le Fils n'a jamais
perdu de vue son désir suprême qui est d'accomplir la
volonté du Père. Le reste de la tragédie de
cette nuit-là et le traitement cruel qui l'attend le lendemain
et prendra fin avec les tortures de la croix, ne peuvent dépasser
l'angoisse qu'il a réussi à surmonter.
La
trahison et l'arrestation
Pendant
ce temps, Judas s'est occupé de sa conspiration avec les
autorités ecclésiastiques. Il est probable que la
décision a été prise d'opérer
l'arrestation cette nuit-là, lorsque Judas a annoncé
que Jésus se trouvait dans les murs de la ville et qu'il
pourra être facile de l'appréhender. Les dirigeants
juifs réunissent un groupe de gardes ou de policiers du temple
et obtiennent une cohorte de soldats romains sous le commandement
d'un tribun ; cette cohorte est probablement un détachement de
la garnison d'Antonia chargé des travaux de nuit sur requête
des principaux sacrificateurs. Cette compagnie d'hommes et
d'officiers, qui représente un mélange d'autorités
ecclésiastiques et militaires, se met en route pendant la nuit
avec Judas à sa tête, avec l'intention d'arrêter
Jésus. Ils sont équipés de lanternes, de torches
et d'armes. Il est probable qu'ils sont tout d'abord conduits à
la maison dans laquelle Judas a laissé les autres apôtres
et le Seigneur, lorsque le traître a été renvoyé,
et qu'en s'apercevant que le petit groupe est sorti, Judas a conduit
la multitude à Gethsémané, car il connaît
l'endroit et sait aussi que « Jésus et ses disciples s'y
étaient souvent réunis ».
Alors
que Jésus s'adresse encore aux Onze qu'il a éveillés
et leur annonce que le traître arrive, Judas et la multitude
approchent. L'Iscariot donne le signe par lequel il a été
convenu d'identifier Jésus et, avec duplicité,
s'approche et fait une démonstration hypocrite d'affection en
disant : « Salut, Rabbi ! » et en profanant le visage
sacré de son Seigneur par un baiser. On peut voir à son
reproche condamnateur que Jésus comprend la signification de
cet acte : « Judas, c'est par un baiser que tu livres le Fils
de l'homme ! » Puis il lui applique le titre dont il a honoré
les autres apôtres en disant : « Ami, ce que tu es venu
faire, fais-le. » Il répète ainsi le commandement
qu'il a donné à la table du repas : « Ce que tu
fais, fais-le vite. »
La
bande armée hésite, bien que leur guide lui ait donné
le signal convenu. Jésus se dirige vers les officiers avec
lesquels se tient Judas et demande : « Qui cherchez-vous ? »
À leur réponse, « Jésus de Nazareth »,
le Seigneur réplique : « C'est moi. » Au lieu de
s'avancer pour se saisir de lui, la foule recule, et un grand nombre
tombent sur le sol, frappés d'effroi. La dignité simple
et la force irrésistible de la réponse du Christ se
révèlent plus puissantes que les bras armés. De
nouveau, il pose la question : « Qui cherchez-vous ? » et
de nouveau ils répondent : « Jésus de Nazareth. »
Alors Jésus dit : « je vous ai dit que c'est moi. Si
donc c'est moi que vous cherchez, laissez partir ceux-ci. »
Cette dernière parole se rapporte aux apôtres, qui
courent le danger d'être arrêtés ; et dans cette
preuve de la sollicitude du Christ pour leur sécurité
personnelle, Jean voit l'accomplissement de ce que le Seigneur a dit
récemment dans sa prière : « Je n'ai perdu aucun
de ceux que tu m'as donnés ». Il est possible que si
l'un des Onze avait été appréhendé avec
Jésus et obligé de partager les souffrances et les
humiliations des heures qui suivent, sa foi aurait pu lui manquer,
car elle manquait à ce moment-là de maturité ;
de même qu'au cours des années qui suivront, un grand
nombre de ceux qui ont pris sur eux le nom du Christ céderont
à la persécution et tomberont dans l'apostasie.
Lorsque
les officiers s'approchent et saisissent Jésus, certains des
apôtres, prêts à combattre et à mourir pour
leur Maître bien-aimé, demandent : « Seigneur,
frapperons-nous de l'épée ? » Pierre, qui
n'attend pas de réponse, tire l'épée et porte un
coup mal assuré à la tête d'un des hommes de la
foule qui se trouve le plus près, et la lame coupe l'oreille
de celui-ci. L'homme ainsi blessé est Malchus, serviteur du
souverain sacrificateur. Jésus demande à ses gardes la
liberté par cette simple phrase : « Tenez-vous en là
! », s'avance et guérit l'homme blessé en le
touchant. Puis il s'adresse à Pierre, le réprimande son
acte impulsif, lui commande de remettre son épée au
fourreau et lui rappelle que « ceux qui prendront l'épée
périront par l'épée ». Puis pour montrer
combien il est inutile d'opposer une résistance armée
et pour souligner le fait qu'il se soumet volontairement et
conformément à des événements prévus
et prédits, le Seigneur poursuit : « Penses-tu que je ne
puisse pas invoquer mon Père qui me donnerait à
l'instant plus de douze légions d'anges ? Comment donc
s'accompliraient les Écritures, d'après lesquelles il
doit en être ainsi ? » Et en outre : « Ne boirai-je
pas la coupe que le Père m'a donnée ? »
Mais,
bien qu'il se rende sans résister, Jésus n'oublie pas
ses droits ; il proteste contre cette arrestation nocturne illégale,
demande aux officiels ecclésiastiques, principaux
sacrificateurs, capitaine de la garde du temple et anciens du peuple
qui sont là : « Vous êtes venus, comme après
un brigand, avec des épées et des bâtons, pour
vous emparer de moi. J'étais tous les jours assis dans le
temple, j'enseignais, et vous ne vous êtes pas saisis de moi.
Mais tout cela est arrivé afin que les écrits des
prophètes soient accomplis. » Luc rapporte comme suit
les paroles finales du Seigneur : « Mais c'est ici votre heure
et le pouvoir des ténèbres. » Sans faire
attention à sa question et sans aucune déférence
pour son comportement soumis, le capitaine et les officiers des Juifs
lient Jésus de cordes et l'emmènent prisonnier à
la merci de ses ennemis.
Les
onze apôtres, voyant que toute résistance est inutile,
non seulement à cause de la différence numérique
et de la quantité des armes, mais surtout parce que le Christ
est décidé à se soumettre, font demi-tour et
s'enfuient. Le fait qu'ils sont réellement en danger est
montré par un incident que seul Marc rapporte. Un jeune homme
dont le nom n'est pas donné, éveillé par le
tumulte de la bande en marche, s'est avancé avec pour tout
vêtement un drap de lit. L'intérêt qu'il manifeste
pour l'arrestation de Jésus et le fait qu'il vient tout près
incitent quelques-uns des gardes ou des soldats à se saisir de
lui ; mais il se dégage et s'échappe, laissant le drap
de lit entre leurs mains.
Le
procès juif
De
Gethsémané le Christ ligoté et captif est traîné
devant les dirigeants juifs. Jean est seul à nous apprendre
que le Seigneur est emmené tout d'abord devant Anne, qui
l'envoie, toujours lié, à Caïphe, le souverain
sacrificateur ; Nous n'avons aucun détail sur l'entretien avec
Anne ; et il est aussi irrégulier et illégal, selon la
loi hébraïque, de faire comparaître Jésus
devant lui que le seront les autres actes de procédure de
cette nuit-là. Anne, qui est le beau-père de Caïphe,
a été déposé de ses fonctions de
souverain sacrificateur plus de vingt ans auparavant, mais pendant
toute cette période il a exercé une puissante influence
dans toutes les affaires de la hiérarchie. Caïphe, comme
Jean prend bien soin de nous le rappeler, « était celui
qui avait donné aux Juifs le conseil : Il est préférable
qu'un seul homme meure pour le peuple. »
Au
palais de Caïphe sont assemblés les principaux
sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple en réunion
du sanhédrin, non officielle, tous attendant impatiemment le
résultat de l'expédition menée par Judas.
Lorsque Jésus, objet de leur haine violente et leur future
victime, est introduit, prisonnier ligoté, on le fait
immédiatement passer en jugement, contrairement à la
loi, tant écrite que traditionnelle, dont ces dirigeants des
Juifs rassemblés professent être les champions si zélés.
On ne peut procéder légalement à un
interrogatoire pour un crime capital que dans la salle de tribunal
officielle du sanhédrin. Le récit que nous donne le
quatrième évangile nous permet de conclure que le
prisonnier est tout d'abord soumis à un interrogatoire de la
part du souverain sacrificateur en personne.
Ce
fonctionnaire, il n'est pas dit si c'est Anne ou Caïphe,
interroge Jésus sur ses disciples et ses enseignements. Cette
enquête préliminaire est tout à fait illégale,
car le code hébreu prévoit que les témoins de
l'accusation dans une cause quelconque devant la cour doivent
formuler leur accusation contre l'accusé, et que ce dernier
doit être protégé contre toute tentative de le
pousser à témoigner contre lui-même. La réponse
du Seigneur devrait être une protestation suffisante devant le
souverain sacrificateur pour l'empêcher de se livrer à
d'autres procédés illégaux. « J'ai parlé
ouvertement au monde ; j'ai toujours enseigné dans la
synagogue et dans le temple, où tous les Juifs s'assemblent,
et je n'ai parlé de rien en secret. Pourquoi m'interroges-tu ?
Demande à ceux qui m'ont entendu de quoi je leur ai parlé
; voici qu'ils savent, eux, ce que moi j'ai dit. »
C'est
une objection légale contre ce procédé illégal
de refuser à un prisonnier qui passe en jugement son droit
d'être confronté à ses accusateurs. Elle est
reçue avec dédain, et l'un des huissiers qui se trouve
tout près, espérant peut-être obtenir ainsi la
faveur de ses supérieurs, va jusqu'à frapper violemment
Jésus, en lui posant la question : « Est-ce ainsi que tu
réponds au souverain sacrificateur ? » À cette
attaque le Seigneur répond : « Si j'ai mal parlé,
prouve ce qu'il y a de mal ; et si j'ai bien parlé, pourquoi
me frappes-tu ? » À cette soumission se mêle
cependant ici un autre appel aux principes de la justice ; si ce que
Jésus a dit est mal, pourquoi celui qui l'a assailli ne
l'accuse-t-il pas, et s'il a bien parlé, de quel droit un
officier de police ou un juge condamne-t-il et punit-il, et ce, en
présence du souverain sacrificateur ? La loi et la justice
sont bafouées cette nuit-là.
«
Les principaux sacrificateurs et tout le sanhédrin cherchent
quelque faux témoignage contre Jésus, pour le faire
mourir ». Que « tout le sanhédrin » signifie
un quota légal, ce qui ferait 23 ou davantage ou l'assemblée
complète des soixante-douze sanhédristes, cela n'a que
peu d'importance. Toute session nocturne du sanhédrin, et plus
particulièrement pour l'examen d'une accusation de crime, est
alors une violation de la loi juive. De même, il est illégal
de la part du sanhédrin d'examiner pareille accusation un jour
de sabbat, un jour férié ou la veille d'un jour de ce
genre.
Au
sanhédrin, tous les membres sont juges ; le groupe des juges
doit entendre le témoignage et, selon ce témoignage et
rien d'autre, rendre une décision dans tous les cas dûment
présentés. Il est requis des accusateurs qu'ils
comparaissent en personne, et on doit tout d'abord les avertir contre
tout faux témoignage. Tous les accusés doivent être
considérés et traités comme innocents jusqu'à
ce qu'ils soient dûment condamnés. Mais dans le prétendu
jugement de Jésus, les juges non seulement cherchent des
témoins mais essaient tout particulièrement de trouver
de faux témoins. Beaucoup de faux témoins viennent,
mais cependant il n'y a aucun témoignage contre le prisonnier,
parce que les parjures subornés ne sont pas d'accord entre
eux, et même les sanhédristes sans loi hésitent à
enfreindre ouvertement la règle fondamentale qui veut que deux
témoins concordants au moins témoignent contre un
accusé, faute de quoi l'affaire doit être rejetée.
Les
juges ecclésiastiques ont déjà décidé
que Jésus doit être condamné sur une accusation
ou une autre et être mis à mort ; leur incapacité
à trouver des témoins contre lui menace de retarder
l'exécution de leur projet. La haine et la précipitation
caractérisèrent de bout en bout leur façon de
procéder ; ils font arrêter illégalement Jésus
le soir ; ils procèdent illégalement à un
semblant de jugement la nuit ; leur but est de condamner le
prisonnier suffisamment à temps pour l'amener devant les
autorités romaines aussitôt que possible dans la
matinée, comme criminel dûment jugé et considéré
digne de mourir. L'absence de deux témoins qui diraient les
mêmes mensonges est un obstacle grave.
Mais
« enfin il en vint deux qui dirent : Celui-là a dit : je
puis détruire le temple de Dieu, et le rebâtir en trois
jours. » D'autres attestent : « Nous l'avons entendu dire
: Je détruirai ce temple fait par la main de l'homme et en
trois jours j'en bâtirai un autre qui ne sera pas fait par la
main de l'homme ». Et ainsi, comme l'observe Marc même
dans ce détail leurs témoignages ne concordent pas. Il
est certain que dans une affaire portée devant un tribunal,
une différence comme celle qui apparaît entre « je
puis » et « je détruirai » dans des paroles
attribuées à l'accusé est d'importance capitale.
Cependant ce semblant d'accusation officielle est la seule base de
l'accusation portée contre le Christ à ce stade du
jugement.
On
se souviendra que lors de la première purification du temple,
vers le début du ministère du Christ, celui-ci a
répondu aux Juifs qui ont demandé à cor et à
cri un signe de son autorité : « Détruisez ce
temple, et en trois jours je le relèverai. » Il n'a pas
du tout dit que c'est lui qui allait détruire ; c'était
les Juifs qui détruiraient, et lui qui relèverait. Mais
l'auteur prend le soin d'expliquer que Jésus « parlait
du temple de son corps », et pas du tout des bâtiments
élevés par l'homme.
On
peut se demander quelle portée sérieuse on peut
attacher à une déclaration comme celle que les témoins
parjures prétendent avoir entendue des lèvres du
Christ. La vénération que les Juifs professent pour la
sainte maison donne une réponse partielle mais insuffisante.
Dans leur conspiration contre le Christ, il semble que les dirigeants
aient pour plan de le condamner pour sédition, de le faire
passer pour un fauteur de troubles dangereux qui met en péril
la paix de la nation, attaque les institutions établies et
incite par conséquent à l'opposition contre l'autonomie
vassale de la nation juive et la domination suprême de Rome.
L'ombre
vaguement définie d'une accusation légale produite par
le témoignage sans consistance des faux témoins suffit
à enhardir le tribunal. Caïphe, se levant de son siège
pour souligner sa question d'une manière dramatique, demande à
Jésus : « Ne réponds-tu rien ? De quoi
témoignent-ils contre toi ? » Il n'y a rien à
répondre. Le témoignage qui a été porté
contre lui n'est ni logique ni valable ; par conséquent il
garde un silence digne.
Alors
Caïphe enfreignant l'interdiction légale de demander à
quiconque de témoigner dans sa propre affaire si ce n'est
volontairement et de sa propre initiative, ne se contente pas
d'exiger une réponse de la part du prisonnier mais exerce la
puissante prérogative de l'office du souverain sacrificateur
de placer l'accusé sous serment, comme témoin devant le
tribunal sacerdotal. « Et le souverain sacrificateur »,
prenant la parole, « lui dit : je t'adjure par le Dieu vivant,
de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu ». Le fait
qu'il sépare les deux qualificatifs « le Christ »
et le « Fils de Dieu » est significatif en ce qu'il
indique que les Juifs attendent un Messie mais ne reconnaissaient pas
qu'il doit être d'origine divine. Rien de ce qui a été
dit avant ne peut justifier pareille question. L'accusation de
sédition est sur le point d'être remplacée par
une accusation plus énorme encore : celle de blasphème.
Jésus
répond à cette adjuration absolument injuste et
pourtant officielle du souverain sacrificateur : « Tu l'as dit.
De plus je vous le déclare, vous verrez désormais le
Fils de l'homme assis à la droite du Tout-Puissant et venant
sur les nuées du ciel. » Cette expression : « Tu
l'as dit » est équivalente à « Je suis ce
que tu as dit ». C'est un aveu sans restriction de sa filiation
divine et de sa divinité. « Alors le souverain
sacrificateur déchire ses vêtements et dit : Il a
blasphémé. Qu'avons-nous encore besoin de témoins
? Vous venez d'entendre son blasphème. Qu'en pensez-vous ? Ils
répondirent : Il est passible de mort ».
C'est
ainsi que les juges d'Israël, y compris le souverain
sacrificateur, les principaux sacrificateurs, les scribes et les
anciens du peuple, le grand sanhédrin, illégalement
assemblés, décrètent que le Fils de Dieu mérite
la mort sans autre preuve que sa propre affirmation d'identité.
Le code juif interdit expressément de condamner, spécialement
lors d'une accusation de crime, toute personne sur son propre aveu,
si celui-ci n'est confirmé par la déposition de témoins
dignes de confiance. De même que dans le jardin de Gethsémané
Jésus s'est rendu volontairement, ainsi donne-t-il
personnellement et volontairement devant les juges les preuves sur
lesquelles ils déclarent injustement qu'il mérite la
mort. Il ne peut y avoir d'autre crime dans la prétention à
être Messie ou à une filiation divine que la fausseté
de cette prétention.
C'est
en vain que nous examinons les documents pour y trouver ne serait-ce
qu'un sous-entendu pour nous informer qu'une enquête est faite
ou proposée quant aux raisons sur lesquelles Jésus base
ses prétentions. En déchirant ses vêtements, le
souverain sacrificateur affecte d'une manière spectaculaire
son horreur devant le blasphème dont ses oreilles ont été
agressées. La loi interdit expressément au souverain
sacrificateur de déchirer ses vêtements, mais les écrits
extra-scripturaires nous apprennent que les lois traditionnelles
permettent de déchirer ses vêtements pour attester un
crime extrêmement grave comme celui de blasphème. Nous
n'avons aucune indication nous informant si le vote des juges est
demandé et enregistré de la manière requise par
la loi.
Jésus
est donc condamné pour la transgression la plus abominable
connue des juifs. Bien qu'injustement, il est jugé coupable de
blasphème par le tribunal suprême du pays. Pour être
précis, nous ne pouvons pas dire que les sanhédristes
condamnent le Christ à mort, étant donné que le
pouvoir de prononcer des sentences de mort a été retiré
au tribunal juif par décret romain. Le tribunal des souverains
sacrificateurs décide cependant que Jésus mérite
de mourir, et c'est ce qu'ils attestent lorsqu'ils le livrent à
Pilate. Débordant de haine et de méchanceté, les
juges d'Israël abandonnent leur Seigneur aux caprices des
valets, qui lui font subir toutes les indignités que leurs
instincts brutaux peuvent leur inspirer. Ils lui lancent leurs
crachats au visage ; ensuite, lui ayant bandé les yeux, ils
s'amusent à le frapper sans arrêt, en disant : «
Christ, devine, dis-nous qui t'a frappé. » La foule des
mécréants le couvre de moqueries et de sarcasmes, et en
réalité se fait blasphématrice.
La
loi et les coutumes de l'époque requièrent qu'une
personne jugée coupable d'un crime capital soit soumise, après
avoir été dûment jugée devant un tribunal
juif, à un deuxième jugement le lendemain ; lors de
cette seconde séance, l'un des juges, ou l'ensemble de
ceux-ci, qui a précédemment voté pour la
culpabilité, peut changer d'avis ; mais quiconque a demandé
l'acquittement ne peut changer son vote. La majorité simple
suffit pour l'acquittement, mais il faut plus qu'une majorité
qualifiée pour condamner. En vertu d'un article qui nous
semble extraordinaire, si tous les juges votent pour la condamnation
dans un crime capital, le verdict est invalidé et l'accusé
doit être mis en liberté ; en effet, dit-on, si l'on
votait unanimement contre un prisonnier, cela voudrait dire qu'il n'a
ni ami ni défenseur au tribunal et que les juges pourraient
avoir préparé une conspiration contre lui. En vertu de
cette loi de la jurisprudence hébraïque, le verdict
prononcé contre Jésus et qui est rendu lors de la
session nocturne illégale des sanhédristes, est sans
valeur, car il nous est dit que « tous le condamnèrent
comme passible de mort ».
Apparemment
pour créer un vague prétexte de légalité
dans leur procédure, les sanhédristes ajournent la
séance pour se réunir de nouveau au petit matin. Ils se
conforment ainsi techniquement à la loi selon laquelle, dans
tous les cas où l'on a décrété la peine
de mort, le tribunal doit entendre et juger une deuxième fois
dans une session ultérieure, mais ils ignorent complètement
la règle absolument formelle qui veut que le deuxième
jugement ait lieu le lendemain de la première séance.
Entre les deux sessions séparées d'un jour les juges
devaient jeûner et prier, et examiner calmement et sérieusement
l'affaire à juger.
Le
reniement de Pierre
Revenons
en arrière sur l'arrestation de Jésus. Lorsque Jésus
est arrêté dans le jardin de Gethsémané,
les Onze l'abandonnent tous et s'enfuient. Il ne faut pas considérer
ce fait comme une preuve de lâcheté, car le Seigneur a
voulu qu'ils partent. Pierre et un autre disciple au moins suivent de
loin ; lorsque les gardes armés sont entrés au palais
du souverain sacrificateur avec leur prisonnier, Pierre « entra
et s'assit avec les gardes pour voir comment cela finirait ».
Le disciple dont le nom n'est pas donné et qui connaît
le souverain sacrificateur l'aide à s'introduire. Cet autre
disciple est probablement Jean, du moins c'est ce que nous pouvons
penser puisqu'il n'est mentionné que dans le quatrième
évangile, dont l'auteur, et cela est caractéristique
chez lui, ne se désigne jamais par son propre nom.
Tandis
que Jésus se trouve devant les sanhédristes, Pierre
demeure en bas avec les serviteurs. La porte est gardée par
une jeune femme ; ses soupçons ont été éveillés
lorsqu'elle a reçu Pierre, et tandis qu'il est assis avec
d'autres dans la cour du palais, elle s'approche de lui et, l'ayant
observé attentivement, dit : « Toi aussi, tu étais
avec Jésus le Galiléen. » Mais Pierre nie, il
affirme qu'il ne connaît pas Jésus. Pierre est agité
; sa conscience et la peur d'être reconnu comme disciple du
Seigneur le troublent. Il quitte la foule et cherche une solitude
partielle sous le porche ; mais là, une autre servante le
découvre et dit à ceux qui se trouvent tout près
: « Celui-ci était avec Jésus de Nazareth »
; accusation à laquelle Pierre répond avec serment : «
Je ne connais pas cet homme. »
On
est en avril et la nuit est froide ; on a fait un feu dans le hall ou
la cour du palais. Pierre s'assoit près du feu avec d'autres,
pensant peut-être qu'il vaut sans doute mieux, pour ne pas être
repéré, se découvrir avec audace que chercher à
se cacher. Une heure environ après ses deux premiers
reniements, quelques-uns des hommes qui se trouvent autour du feu
l'accusent d'être disciple de Jésus et se servent de son
dialecte galiléen pour prouver qu'il est au moins compatriote
du prisonnier du souverain sacrificateur ; menace plus grande encore,
un parent de Malchus, dont Pierre a coupé l'oreille de son
épée, demande péremptoirement : « Ne
t'ai-je pas vu avec lui dans le jardin ? » Dans la série
de mensonges où il s'est lancé, Pierre va jusqu'à
proférer des imprécations, à jurer et à
déclarer avec véhémence pour la troisième
fois : « Je ne connais pas cet homme. »
Comme
le dernier mensonge quitte ses lèvres, les notes claires du
chant d'un coq lui frappent les oreilles, et dans son esprit jaillit
le souvenir de ce que son Seigneur a prédit. Tremblant
et conscient de sa lâcheté, le malheureux se détourne
de l'attroupement et rencontre le regard du Christ qui, du milieu de
la foule, regarde dans les yeux son apôtre. Pierre quitte
précipitamment le palais, sort dans la nuit et pleure
amèrement. Comme l'atteste sa vie ultérieure, ses
larmes sont celles d'une contrition réelle et d'un véritable
repentir.
VENDREDI
Luc,
qui ne donne aucun détail sur le procès nocturne de
Jésus, est le seul évangéliste à faire un
récit détaillé de la session du matin. Il dit :
« Quand il fit jour, le collège des anciens du peuple,
les principaux sacrificateurs et les scribes s'assemblèrent et
firent amener Jésus devant leur sanhédrin ».
Certains savants bibliques ont compris l'expression « amener
Jésus devant leur sanhédrin », dans le sens que
Jésus serait condamné par le sanhédrin dans la
salle officielle du tribunal, c'est-à-dire la gazith ou salle
des pierres taillées, comme le voulait la loi de l'époque
; mais c'est une position qui est contredite par Jean qui dit qu'ils
emmenèrent Jésus directement de Caïphe au tribunal
romain.
Il
est probable qu'à cette session du petit matin on a approuvé
la procédure irrégulière de la nuit et que l'on
a décidé des détails de la procédure
ultérieure à suivre. Ils « se consultèrent
sur les moyens de le faire périr », lit-on ; néanmoins
ils remplissent les formalités d'un deuxième procès,
dont les conclusions sont grandement facilitées par les
déclarations volontaires du prisonnier. Absolument rien ne
permet aux juges de demander à l'accusé de témoigner
; ils devraient examiner de nouveau les témoins à
charge. La première question qui lui est posée est : «
Si tu es le Christ, dis-le nous. » Le Seigneur répond
avec dignité : « Si je vous le dis, vous ne le croirez
point ; et si je vous interroge vous ne répondrez point.
Désormais le Fils de l'homme sera assis à la droite de
la Puissance de Dieu. »
Ni
la question, ni la réponse n'entraînent la condamnation.
Le pays tout entier attend le Messie ; si Jésus prétend
l'être, la seule action judiciaire appropriée est de
s'informer des mérites de cette prétention. La question
cruciale suit immédiatement : « Tu es donc le Fils de
Dieu ? » Et il leur répond : « Vous le dites, je
le suis ». Alors ils disent : « Qu'avons-nous encore
besoin de témoignage ? Nous l'avons entendu nous-mêmes
de sa bouche. »
Jésus
est donc déclaré coupable de blasphème. Le seul
mortel à qui il est impossible d'imputer ce crime qu'est le
blasphème en prétendant avoir des attributs et des
pouvoirs divins est condamné comme blasphémateur devant
les juges d'Israël. « Tout le sanhédrin »,
expression qui peut vouloir dire un quota légal, est impliqué
dans l'action finale. C'est ainsi que prend fin le prétendu «
jugement » de Jésus devant le souverain sacrificateur et
les anciens de son peuple. « Le matin venu, tous les principaux
sacrificateurs et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus,
pour le faire mourir. Après l'avoir lié, ils
l'emmenèrent et le livrèrent à Pilate le
gouverneur ». Pendant les quelques heures qui lui restent à
vivre sur terre, il sera entre les mains des Gentils, trahi et livré
par les siens.
Première
comparution devant Pilate
Comme
nous l'avons déjà appris, aucun tribunal juif n'a
l'autorité d'infliger la peine de mort ; la Rome impériale
s'est réservé cette prérogative. Il serait
inutile au sanhédrin de prétendre à l'unisson
que Jésus mérite la mort tant que cela n'est pas
sanctionné par le représentant de l'empereur, qui est à
l'époque Ponce Pilate, gouverneur, ou plus exactement
procurateur de Judée, de Samarie et d'Idumée. Pilate a
sa résidence officielle à Césarée, au
bord de la Méditerranée ; mais il a coutume d'être
à Jérusalem à l'époque des grandes fêtes
hébraïques, voulant probablement préserver l'ordre
ou étouffer promptement tous les troubles qui peuvent naître
parmi les vastes multitudes hétérogènes qui se
pressent dans la ville pendant ces fêtes. Lors de cette Pâque
importante, le gouverneur est à Jérusalem avec ses
lieutenants. Au petit matin du vendredi, tous les membres du
sanhédrin mènent Jésus, lié, au tribunal
de Ponce Pilate ; mais ils évitent scrupuleusement d'entrer
dans le bâtiment de crainte de se souiller ; en effet le lieu
du jugement fait partie de la maison d'un Gentil, et il peut s'y
trouver quelque part du pain avec du levain, et le fait même de
s'en approcher les rendrait cérémoniellement impurs.
Chacun pourra qualifier lui-même le genre d'hommes qui ont peur
ne serait-ce que d'être près du levain alors même
qu'ils sont assoiffés de sang innocent.
Par
déférence pour leurs scrupules, Pilate sort du palais ;
lorsqu'ils lui remettent leur prisonnier, il demande : « Quelle
accusation portez-vous contre cet homme ? » La question,
quoique strictement de circonstance et judiciairement nécessaire,
surprend et déçoit les gouverneurs ecclésiastiques,
qui s'attendent évidemment à ce que le gouverneur
approuve tout simplement leur verdict par pure formalité et
prononce la sentence en conséquence ; mais au lieu de cela,
Pilate est apparemment décidé à exercer son
autorité de juger seul. Avec une contrariété mal
cachée, leur porte-parole, probablement Caïphe, répond
: « Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te
l'aurions pas livré. » C'est maintenant au tour de
Pilate de prendre ou du moins de feindre de prendre ombrage, et il
dit en substance : Oh, très bien ; si vous ne voulez pas
énoncer l'accusation selon les formes, prenez-le et jugez-le
selon vos lois ; ne m'ennuyez plus avec cette affaire. Mais les Juifs
répondent : « Il ne nous est pas permis de mettre
quelqu'un à mort. »
Jean
l'apôtre voit dans cette dernière réflexion la
détermination des Juifs de faire mettre Jésus à
mort non seulement par une sanction romaine mais aussi par des
bourreaux romains ; en effet, comme nous pourrons le voir rapidement,
si Pilate approuve la sentence de mort et remet le prisonnier aux
Juifs pour qu'ils l'infligent, Jésus sera lapidé
conformément au châtiment hébreu pour le
blasphème ; le Seigneur, lui, a prédit que sa mort sera
par crucifixion, ce qui est une méthode d'exécution
romaine que ne pratiquent jamais les Juifs. En outre, si Jésus
était mis à mort par les dirigeants Juifs, même
avec la sanction gouvernementale, il pourrait en résulter une
insurrection parmi le peuple, car il y en a beaucoup qui croient en
lui. Les chefs rusés sont décidés à
obtenir sa mort par condamnation romaine.
Ils
se mettent à l'accuser, en disant : « Nous avons trouvé
celui-ci qui incitait notre nation à la révolte,
empêchait de payer l'impôt à César, et se
disait lui-même Christ, roi ». Il est important de
remarquer qu'on ne formule aucune accusation de blasphème
devant Pilate ; si pareille accusation était présentée,
le gouverneur dont le cœur et l'esprit sont totalement païens,
laisserait probablement tomber l'accusation, la considérant
comme absolument indigne d'être entendue ; en effet, Rome, avec
ses dieux multiples, dont le nombre grandit constamment du fait que
les païens déifient continuellement des mortels, n'a pas
connaissance d'une violation de la loi telle que le blasphème
dans le sens juif. Les sanhédristes accusateurs n'hésitent
pas à substituer au blasphème, qui est le plus grand
crime connu dans le code hébraïque, l'accusation de haute
trahison, qui est la violation de la loi la plus grave dans la
catégorie des crimes romains. Le Christ, calme et digne, ne
daigne pas répondre aux accusations des principaux
sacrificateurs et des anciens. Il leur a parlé pour la
dernière fois.
Pilate
est surpris du comportement soumis et cependant majestueux de Jésus
; il y a certainement, chez cet homme, beaucoup de caractère
royal ; jamais quelqu'un comme celui-ci ne s'est tenu devant lui.
Néanmoins, l'accusation est grave. Les hommes qui prétendent
au titre de roi peuvent se révéler dangereux pour Rome,
et cependant l'accusé ne répond rien à cette
accusation. Pilate entre au tribunal et fait appeler Jésus. Le
récit détaillé des événements que
nous trouvons dans le quatrième évangile montre que
certains des disciples, et parmi eux presque certainement Jean,
entrent également. N'importe qui peut entrer, car une
caractéristique célèbre des procès
romains est qu'ils sont publics.
Pilate
qui n'éprouve aucune animosité ni aucun préjugé
contre Jésus, demande : « Es-tu le roi des Juifs ? Jésus
répondit : Est-ce de toi-même que tu dis cela, ou
d'autres te l'ont-ils dit de moi ? » La question du Seigneur
signifie, c'est ainsi que le comprend Pilate, comme le montre sa
réplique et comme nous pouvons la formuler : Demandes-tu cela
dans le sens romain et littéral – à savoir si je
suis un roi dont le royaume est terrestre – ou dans le sens
juif et plus spirituel ? S'il répondait directement «
oui », il dirait vrai dans le sens messianique, mais mentirait
dans le sens profane ; et « non » serait inversement vrai
ou faux. « Pilate répondit : Moi, suis-je donc juif ? Ta
nation et les principaux sacrificateurs t'ont livré à
moi : qu'as-tu fait ? Jésus répondit : Mon royaume
n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes
serviteurs auraient combattu pour moi, afin que je ne sois pas livré
aux Juifs ; mais maintenant, mon royaume n'est pas d'ici-bas. Pilate
lui dit : « Tu es donc roi ? » Jésus répond
: « Tu le dis : je suis roi. Voici pourquoi je suis né
et voici pourquoi je suis venu dans le monde : pour rendre témoignage
à la vérité. Quiconque est de la vérité
écoute ma voix. »
Il
est clair pour le gouverneur romain que cet homme admirable, avec sa
mission d'un royaume qui ne serait pas de ce monde et d'un empire de
vérité dans lequel il doit régner, n'est pas un
révolté politique ; et que le considérer comme
une menace pour les institutions romaines est absurde. Ses dernières
paroles au sujet de la vérité sont les plus
embarrassantes de toutes ; Pilate est agité, et peut-être
un peu effrayé de leur importance. « Qu'est-ce que la
vérité ? » s'exclame-t-il plutôt avec
appréhension qu'il ne le demande en s'attendant à une
réponse, au moment où il s'apprête à
quitter la salle. Il annonce officiellement aux Juifs qui se trouvent
à l'extérieur que le prisonnier est acquitté. «
Moi, je ne trouve aucun motif de condamnation en lui », tel est
son verdict.
Mais
les principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple
ne se laissent pas démonter. Ils sont tellement assoiffés
du sang du Christ que cette soif s'est transformée en folie.
Ils hurlent sauvagement : « Il soulève le peuple, en
enseignant dans toute la Judée, depuis la Galilée où
il a commencé, jusqu'ici. » Lorsqu'il est parlé
de la Galilée, cela donne à Pilate l'idée
d'employer une nouvelle procédure. S'étant assuré
par une enquête que Jésus est Galiléen, il décide
d'envoyer le prisonnier à Hérode, gouverneur vassal de
cette province, qui se trouve à Jérusalem à
l'époque. Pilate espère ainsi se débarrasser de
toute responsabilité dans l'affaire, et en outre, Hérode,
avec lequel il a de mauvais rapports, pourra ainsi être apaisé.
Comparution
devant Hérode
Hérode
Antipas, fils d'Hérode le Grand, est à ce moment-là
tétrarque de Galilée et de Pérée, et
selon l'usage populaire, que ne justifie cependant pas la sanction
impériale, se fait flatteusement appeler roi. C'est lui qui,
accomplissant un vœu inspiré par les flatteries d'une
femme, a ordonné le meurtre de Jean-Baptiste. Il gouverne
comme vassal romain et professe être orthodoxe dans les
observances du judaïsme. Il est venu en grande pompe à
Jérusalem pour célébrer la fête de la
Pâque. Hérode est heureux de se voir envoyer Jésus
par Pilate, car cette action n'est pas seulement gracieuse de la part
du procurateur, constituant comme le prouvent les événements
ultérieurs, le préliminaire d'une réconciliation
entre les deux gouverneurs, mais c'est aussi un moyen de satisfaire
la curiosité qu'éprouve Hérode à voir
Jésus dont il a tant entendu parler, dont la réputation
l'a terrifié et grâce auquel il espère maintenant
voir accomplir quelque miracle intéressant.
Si
effrayé qu'Hérode ait pu être jadis devant Jésus,
qu'il a superstitieusement cru être la réincarnation de
sa victime assassinée, Jean-Baptiste, ce sentiment est
maintenant remplacé par un intérêt amusé
lorsqu'il voit, lié devant lui, le célèbre
prophète de Galilée, accompagné d'une garde
romaine et de fonctionnaires ecclésiastiques. Hérode
commence à questionner le prisonnier, mais Jésus reste
silencieux. Les principaux sacrificateurs et les scribes expriment
avec véhémence leurs accusations, mais le Seigneur ne
prononce pas un mot. Hérode est le seul personnage de
l'histoire à qui Jésus, pour autant qu'on le sache, a
appliqué personnellement un qualificatif méprisant. «
Allez dire à ce renard », a-t-il dit un jour à
certains Pharisiens qui étaient venus le trouver pour lui dire
qu'Hérode avait l'intention de le tuer. Pour les pécheurs
repentants, les femmes en pleurs, les enfants, pour les scribes, les
Pharisiens, les Sadducéens, les rabbis, pour le souverain
sacrificateur parjure et pour Pilate le païen, le Christ a eu
des paroles – de réconfort ou d'enseignement,
d'avertissement ou de réprimande, de protestation ou de
dénonciation – et cependant pour Hérode, le
renard, il n'a qu'un silence dédaigneux et royal. Piqué
au vif, Hérode passe des questions à des actes de
dérision. Lui et ses soldats se moquent des souffrances du
Christ et le traitent « avec mépris », puis, après
l'avoir, pour se moquer de lui, revêtu d'un habit éclatant,
il le renvoie à Pilate. Hérode n'a rien trouvé
en Jésus qui justifie une condamnation.
Deuxième
comparution devant Pilate
Le
procurateur romain, voyant qu'il ne peut éviter l'examen du
cas, assemble « Ies principaux sacrificateurs, les chefs et le
peuple, et leur dit : Vous m'avez amené cet homme comme
entraînant le peuple à la révolte. Voici : je
l'ai interrogé devant vous et je ne l'ai trouvé
coupable d'aucune des fautes dont vous l'accusez : Hérode non
plus, car il nous l'a renvoyé, et voici : cet homme n'a rien
fait qui soit digne de mort. Je le relâcherai donc après
l'avoir fait châtier ». Pilate désire sincèrement
sauver Jésus de la mort, mais il fait une concession aux
préjugés juifs en décidant de faire flageller le
prisonnier, dont il a affirmé et répété
l'innocence. Il sait que l'accusation de sédition et de
trahison n'est pas fondée, et qu'il est parfaitement ridicule
de la part de la hiérarchie juive, dont la loyauté
feinte à César n'est que le manteau dont elle couvre
une haine inextinguible, de formuler pareille accusation ; et il est
parfaitement conscient que les dirigeants ecclésiastiques ont
livré Jésus entre ses mains par méchanceté.
Il
est de coutume qu'au moment de la Pâque le gouverneur amnistie
et remette en liberté tout prisonnier condamné que le
peuple choisit. Ce jour-là, il y a en suspens, en attendant
son exécution, « un nommé Barabbas... en prison
avec des émeutiers pour avoir, lors d'une émeute,
commis un meurtre ». Cet homme est condamné du délit
même dont Jésus a été prononcé
innocent, explicitement par Pilate et implicitement par Hérode,
et en plus de cela, Barabbas est un assassin. Pilate essaie d'apaiser
les prêtres et le peuple en libérant Jésus. Le
faire bénéficier de l'amnistie de la Pâque, c'est
reconnaître tacitement la condamnation du Christ devant le
tribunal ecclésiastique et pratiquement confirmer la sentence
de mort, remplacée par le pardon officiel. C'est pourquoi il
leur demande : « Lequel voulez-vous que je vous relâche,
Barabbas, ou Jésus appelé le Christ ? » Il semble
qu'il y ait un bref intervalle entre la question de Pilate et la
réponse du peuple, intervalle au cours duquel les principaux
sacrificateurs et les anciens s'activent parmi la multitude à
l'exhorter à demander la libération du révolté
et assassin. Aussi, lorsque Pilate répète la question :
« Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? »
Israël assemblé crie : « Barabbas. » Pilate,
surpris, déçu et irrité, demanda alors : « Que
ferai-je donc de Jésus, appelé le Christ ? »
Tous répondent : «↓Qu'il soit crucifié ! »
Le gouverneur dit : « Mais quel mal a-t-il fait ? »
Et ils crient encore plus fort : « Qu'il soit crucifié
! »
Le
gouverneur romain est profondément troublé et
intérieurement effrayé. Pour augmenter sa perplexité,
il reçoit un message de sa femme, alors même qu'il est
assis sur le siège du jugement : « Ne te mêle pas
de l'affaire de ce juste, car aujourd'hui j'ai beaucoup souffert en
songe à cause de lui. » Pilate a peur de penser à
la menace dont le songe de sa femme peut être le présage.
Mais voyant qu'il ne peut l'emporter et prévoyant un tumulte
parmi le peuple s'il persiste à défendre le Christ, il
se fait apporter de l'eau et se lave les mains devant la multitude –
acte symbolique par lequel on rejette toute responsabilité, et
que tous comprennent – en même temps qu'il proclame : «
Je suis innocent du sang de ce juste. Cela vous regarde. »
C'est alors que s'élève le cri par lequel le peuple de
l'alliance se condamne lui-même : « Que son sang retombe
sur nous et sur nos enfants ! » Pilate libère Barabbas
et remet Jésus à la garde des soldats pour qu'ils le
flagellent.
La
flagellation est un préliminaire à la mort sur la
croix. L'instrument du châtiment est un fouet fait de
nombreuses lanières, armées de métal et
terminées par des morceaux d'os dont les extrémités
sont déchiquetées. Les documents rapportent certains
cas dans lesquels le condamné meurt sous le fouet et échappe
ainsi aux horreurs d'être crucifié vif. Conformément
aux coutumes brutales de l'époque, Jésus, affaibli et
sanglant après la flagellation qu'il a subie, est livré
aux soldats pour leur amusement. Ce n'est pas une victime ordinaire,
et par conséquent toute la soldatesque s'attroupe dans le
prétoire, ou grande salle du palais, pour participer à
cet amusement. Ils enlèvent à Jésus son vêtement
supérieur et le couvrent d'un manteau de pourpre. Puis ils
tressent une couronne d'épines et la placent sur le front du
martyr ; on lui met un roseau dans la main droite en guise de sceptre
royal et, en s'inclinant devant lui en un hommage feint, ils le
saluent des mots : « Salut, roi des Juifs ! » Puis ils
lui arrachent le roseau ou la baguette, ils l'en frappent brutalement
sur la tête, ce qui enfonce les épines dans la chair ;
ils le giflent et crachent sur lui.
Pilate
a probablement observé cette scène en silence. Il
l'arrête et décide d'essayer encore une fois de faire
appel à la pitié des juifs. Il sort et dit à la
multitude : « Voici, je vous l'amène dehors, afin que
vous sachiez que je ne trouve aucun motif de condamnation. »
C'est la troisième fois que le gouverneur proclame l'innocence
du prisonnier. Jésus sort donc, portant la couronne d'épines
et le manteau de pourpre. Et Pilate leur dit : Voici l'homme ! Pilate
semble compter que l'aspect pitoyable du Christ fouetté et
sanglant adoucira le cœur des Juifs en colère. Mais il
ne réussit pas son effet.
Réfléchissons
à ceci : un païen qui ne connaît pas Dieu, supplie
les prêtres et le peuple d'Israël de laisser la vie à
leur Seigneur et Roi ! Lorsque, sans se laisser émouvoir par
ce spectacle, les principaux sacrificateurs et les officiers
s'écrient sur un ton de plus en plus vindicatif : «
Crucifie ! crucifie ! », Pilate prononce la sentence fatale : «
Prenez-le vous-mêmes et crucifiez-le », mais il ajoute
avec irritation : « Car moi, je ne trouve pas de motif de
condamnation en lui. »
On
se souvient que la seule accusation proférée contre le
Christ devant le gouverneur romain est celle de sédition ; les
persécuteurs juifs ont soigneusement évité la
moindre mention du blasphème qui est l'offense pour laquelle
ils ont estimé que Jésus mérite de mourir.
Maintenant qu'ils ont arraché à Pilate la peine de la
crucifixion, ils essaient impudemment de faire croire que
l'autorisation du gouverneur n'est qu'une ratification de leur propre
condamnation à mort ; ils disent donc : « Nous avons une
loi, et selon la loi, il doit mourir, parce qu'il s'est fait Fils de
Dieu. »
Ce
titre intimidant, Fils de Dieu, touche plus profondément la
conscience troublée de Pilate. Une fois de plus il emmène
Jésus devant le tribunal et lui demande en tremblant : «
D'où es-tu ? » Il veut savoir si Jésus est humain
ou surhumain. Si le Seigneur reconnaît directement sa divinité
il effraiera le gouverneur païen sans l'éclairer ; c'est
pourquoi Jésus ne lui répond pas. Pilate est encore
plus surpris et peut-être quelque peu offensé de ce
mépris apparent de son autorité. Il demande une
explication, disant : « À moi, tu ne parles pas ? Ne
sais-tu pas que j'ai le pouvoir de te relâcher, et que j'ai le
pouvoir de te crucifier ? » Alors Jésus répond :
« Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir s'il ne t'avait été
donné d'en-haut. C'est pourquoi celui qui me livre à
toi est coupable d'un plus grand péché. » Les
situations sont renversées ; le Christ est le juge et Pilate
le sujet de la décision de ce dernier. Sans être
considéré innocent, le Romain est jugé moins
coupable que celui ou ceux qui ont remis Jésus de force en son
pouvoir et ont exigé de lui une exécution injuste.
Le
gouverneur, quoique ayant prononcé sa sentence, cherche encore
le moyen de libérer le patient soumis. Dès qu'il montre
aux Juifs qu'il hésite, ceux-ci s'écrient : « Si
tu le relâches, tu n'es pas ami de César. Quiconque se
fait roi, se déclare contre César. » Pilate
s'assoit au tribunal, qui est érigé au lieu appelé
le Pavé ou Gabbatha, en dehors de la salle. Il en veut à
ces Juifs qui ont osé laisser entendre qu'il n'est pas l'ami
de César et dont l'insinuation peut provoquer l'envoi d'une
ambassade à Rome pour se plaindre et le faire apparaître
autrement qu'il n'est par une accusation exagérée. En
désignant Jésus, il s'exclame avec un sarcasme non
voilé : « Voici votre roi ! » Mais les Juifs
répondent avec des cris menaçants : « À
mort ! À mort ! crucifie-le ! » Leur rappelant leur
assujettissement, Pilate demande avec ironie : « Crucifierai-je
votre roi ? » Et les principaux sacrificateurs crient d'une
voix forte : « Nous n'avons de roi que César. »
Pilate
est le représentant de l'empereur, le procurateur impérial
qui a le pouvoir de crucifier ou de sauver ; officiellement c'est un
autocrate. Il ne fait aucun doute qu'il est convaincu de l'innocence
du Christ et qu'il désire le sauver de la croix. Pourquoi donc
Pilate hésite-t-il, vacille-t-il, et finalement cède-t-il
contrairement à sa conscience et à sa volonté ?
Parce qu'au fond, il est plus esclave qu'homme libre. Il est asservi
à son passé. Il sait que si on se plaint de lui à
Rome, sa corruption et ses cruautés, ses extorsions et le
massacre qu'il a provoqué seront tous relevés contre
lui. Il est le gouverneur romain, mais le peuple qu'il domine
officiellement se réjouit de le voir se replier sur lui-même
lorsqu'il manie la menace d'un rapport sur lui à son maître
impérial, Tibère.
Remords
et suicide de Judas Iscariot
Lorsque
Judas Iscariot voit les conséquences terribles de sa trahison,
il est saisi d'un remords frénétique. Au cours du
procès du Christ devant les autorités juives, qui s'est
accompagné d'humiliations et de cruautés, le traître
a vu la gravité de son acte ; et lorsque le Martyr s'est
laissé livrer aux Romains sans résister, et que l'issue
fatale est devenue certaine, l'énormité de son crime
remplit Judas d'une horreur sans nom. Il se précipite auprès
des principaux sacrificateurs et des anciens qui font les derniers
préparatifs pour la crucifixion du Seigneur, et implore les
gouverneurs ecclésiastiques de reprendre le salaire qu'ils lui
ont payé en s'écriant dans son désespoir
terrible : « J'ai péché, en livrant le sang
innocent. » Il se peut qu'il espère vaguement une parole
de sympathie de la part des conspirateurs entre les mains desquels il
a été un instrument aussi empressé et utile. Il
espère peut-être que son aveu pourra freiner le cours de
leur méchanceté et qu'ils demanderont une réforme
du jugement. Mais les gouverneurs d'Israël le repoussent avec
dégoût. « Que nous importe ? »,
raillent-ils, « cela te regarde. » Il les a servis, ils
lui ont payé son salaire, ils ne veulent plus jamais le voir ;
et ils le rejettent impitoyablement dans les ténèbres
de sa conscience. Il serre encore le sac d'argent, souvenir trop réel
de son péché, quand il se précipite dans le
temple, pénètre même dans les locaux réservés
aux prêtres, et lance les pièces d'argent sur le sol du
sanctuaire. Puis il sort et s'en va se pendre.
Les
principaux sacrificateurs rassemblent les pièces d'argent et
tiennent une réunion solennelle pour décider de ce
qu'ils feront du « prix du sang ». Comme ils estiment
illégal d'ajouter les pièces au trésor sacré,
ils s'en servent pour acheter un certain champ d'argile, qui a
autrefois été la propriété d'un potier et
qui est l'endroit même où Judas s'est suicidé ;
ce morceau de terre, ils le réservent comme lieu d'enterrement
pour les étrangers et les païens. Le corps de Judas, qui
a trahi le Christ, est probablement le premier à y être
enterré. Et ce champ est appelé « Hakeldamah,
c'est-à-dire, champ du sang ».
Sur
le chemin du Calvaire
Ponce
Pilate, se rendant à contrecœur aux exigences des Juifs,
décrète l'ordre fatal ; et Jésus, dévêtu
de la robe pourpre et habillé de ses propres vêtements,
est emmené pour être crucifié. Un groupe de
soldats romains a la charge du Christ condamné ; et tandis que
la procession s'éloigne du palais du gouverneur, une foule
comprenant des fonctionnaires sacerdotaux, des gouverneurs des Juifs
et des gens de nombreuses nationalités suit. Deux criminels,
qui ont été condamnés à la croix pour
vol, sont conduits en même temps à la mort ; il y aura
une triple exécution, et la perspective de cette scène
attire les gens qui ont l'esprit morbide. Dans la foule, il y a
aussi, comme nous le montrerons, des gens qui s'affligent
sincèrement. Les Romains ont coutume de rendre l'exécution
des condamnés à mort aussi publique que possible, en
vertu de l'idée fausse et peu psychologique que le spectacle
d'un châtiment terrible exercera un effet préventif.
La
peine de mort par crucifixion exige que le condamné porte la
croix sur laquelle il doit souffrir. Jésus se mit en route,
portant sa croix. L'effort terrible des heures précédentes,
les douleurs atroces de Gethsémané, le traitement
barbare qu'il a subi dans le palais du souverain sacrificateur,
l'humiliation et les mauvais traitements auxquels il a été
soumis devant Hérode, la flagellation qui lui a été
infligée sous les ordres de Pilate, le traitement brutal de la
soldatesque, auxquels viennent s'ajouter l'humiliation et l'angoisse
mentale, tout cela a tellement affaibli son organisme qu'il n'avance
que lentement sous le fardeau de la croix.
Les
soldats, agacés par ce retard, obligent un homme venant de la
campagne à Jérusalem qu'ils rencontrent à prêter
ses services, et le forcent à porter la croix de Jésus.
Aucun Romain, aucun Juif n'accepterait volontairement de porter un
fardeau aussi horrible ; car tous les détails relatifs à
l'exécution d'une sentence de crucifixion sont considérés
comme dégradants. L'homme ainsi obligé de marcher sur
les traces de Jésus, portant la croix sur laquelle le Sauveur
du monde doit consommer sa mission glorieuse, est Simon, originaire
de Cyrène. Marc nous dit que Simon est le père
d'Alexandre et de Rufus ; nous pouvons conclure que les deux fils
sont connus des lecteurs de l'Évangile comme membres de la
jeune Église, et nous avons lieu de croire que la maison de
Simon de Cyrène se range plus tard parmi les croyants.
Parmi
ceux qui suivent ou regardent passer la procession, il y a des gens,
en particulier des femmes, qui pleurent et se lamentent sur le sort
qui attend Jésus. Nous ne voyons aucun homme s'aventurer à
élever la voix pour protester ou exprimer sa pitié ;
mais en cette occasion comme en d'autres, les femmes ne craignent pas
d'exprimer leur commisération ou leurs éloges. Jésus,
qui est resté silencieux pendant l'inquisition des prêtres,
silencieux sous les moqueries d'Hérode et de ses valets,
silencieux tandis qu'il était tourmenté et battu par
les légionnaires de Pilate, se tourne vers les femmes dont les
lamentations pleines de sympathie sont parvenues à ses
oreilles et leur lance une exhortation et un avertissement : «
Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ; mais pleurez sur
vous et sur vos enfants. Car voici : des jours viendront où
l'on dira : Heureuses les stériles, heureuses celles qui n'ont
pas enfanté, et qui n'ont pas allaité ! Alors on se
mettra à dire aux montagnes : Tombez sur nous ! Et aux
collines : Couvrez-nous ! Car, si l'on fait cela au bois vert,
qu'arrivera-t-il au bois sec ? »
C'est
le dernier témoignage que le Seigneur rend de la destruction
imminente qui doit s'ensuivre parce que la nation a rejeté son
roi. Bien que la maternité soit le couronnement de la vie de
toute Juive, cependant dans les événements terribles
que verront un grand nombre de celles qui pleurent là, la
stérilité sera considérée comme une
bénédiction ; car celles qui n'ont pas eu d'enfants
auront moins de personnes sur qui pleurer et se verront du moins
épargner l'horreur de voir leurs enfants mourir de faim ou par
la violence ; car ce jour-là sera si terrible que le peuple
verra avec joie les montagnes tomber sur lui pour mettre fin à
ses souffrances.
Le
cortège avance le long des rues de la ville, sort par la porte
du mur massif et se dirige ensuite vers un endroit qui se trouve
au-delà mais est cependant proche de Jérusalem. Sa
destination est un lieu appelé Golgotha ou Calvaire,
signifiant « lieu du Crâne ».
La
crucifixion
Au
Calvaire, les bourreaux officiels se mettent sans délai en
devoir de mettre à exécution la terrible sentence
prononcée contre Jésus et les deux criminels. Avant
d'attacher les condamnés à la croix, il est de coutume
d'offrir à chacun d'eux une gorgée de vinaigre mélangée
de myrrhe et contenant peut-être d'autres ingrédients
stupéfiants, dans l'intention miséricordieuse
d'engourdir la sensibilité de la victime. Ce n'est pas une
pratique romaine mais une concession à la sensibilité
juive. Lorsque la coupe contenant la drogue est présentée
à Jésus, il la porte à ses lèvres, mais
s'étant rendu compte de la nature de son contenu, refuse de
boire et manifeste ainsi sa détermination d'aller à la
rencontre de la mort dans la possession de toutes ses facultés
et l'esprit clair.
Ils
le crucifient alors sur la croix centrale et placent l'un des
malfaiteurs condamnés à sa droite et l'autre à
sa gauche. Ainsi est réalisée la vision d'Ésaïe
prophétisant que le Messie sera mis au nombre des malfaiteurs.
Nous n'avons que peu de détails sur la crucifixion proprement
dite. Nous savons cependant que le Seigneur est cloué à
la croix par des pointes qu'on lui enfonce dans les mains et les
pieds, méthode romaine, au lieu d'être seulement lié
de cordes comme c'est la coutume d'infliger cette forme de châtiment
parmi les autres nations.
La
mort par crucifixion est, de toutes les formes d'exécution, à
la fois celle qui dure le plus longtemps et qui est la plus
douloureuse. La victime continue à vivre tandis que sa torture
augmente constamment, généralement pendant de longues
heures, parfois pendant des jours. Les pointes enfoncées dans
les mains et les pieds pénètrent et écrasent des
nerfs sensibles et des tendons sans infliger de blessures mortelles.
La victime souffre jusqu'à ce que survienne la mort,
soulagement auquel elle aspire, provoquée soit par
l'épuisement que cause la douleur intense et ininterrompue ou
par l'inflammation et la congestion localisées d'organes
provenant du fait que le corps se trouve dans une position tendue et
anormale.
Tandis
que les bourreaux s'acquittent de leur tâche, vraisemblablement
avec une rudesse accompagnée de railleries, car tuer est leur
métier et ils se sont endurcis au spectacle de la souffrance
par une longue habitude, le martyr torturé, qui n'éprouve
aucune rancune et est plein de pitié pour leur endurcissement
et leur cruauté, prononce la première des sept paroles
dites sur la croix. Dans un esprit de miséricorde divine, il
prie : « Père pardonne-leur, car ils ne savent pas ce
qu'ils font. »
N'essayons
pas de fixer les limites de la miséricorde du Seigneur ; il
doit être admis qu'elle s'étend à tous ceux qui
d'une manière quelconque peuvent, à juste titre, tomber
sous sa juridiction. La manière dont le Seigneur exprime cette
bénédiction miséricordieuse est importante. S'il
disait : « Je vous pardonne », on pourrait croire que son
pardon n'est qu'une rémission de l'offense commise contre lui
en le torturant en vertu d'une condamnation injuste ; mais cette
invocation faite au Père de pardonner est une supplication
pour ceux qui ont causé la souffrance et la mort au Fils
bien-aimé du Père, Sauveur et Rédempteur du
monde.
Il
semble qu'en vertu de la loi humaine, les vêtements portés
par un condamné au moment de l'exécution deviennent la
propriété des bourreaux. Les quatre soldats
responsables de la croix sur laquelle le Seigneur souffre se
distribuent des parties de son vêtement ; il reste sa tunique,
qui est un bon vêtement tissé d'une seule pièce,
sans couture. La déchirer, ce serait l'abîmer ; aussi
les soldats tirent-ils au sort pour voir qui la possédera ;
dans cet événement, les évangélistes
voient l'accomplissement de la prévision du psalmiste : «
Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont tiré
au sort ma tunique ».
On
attache à la croix, au-dessus de la tête de Jésus,
un titre ou inscription, rédigé sur ordre de Pilate
conformément à la coutume qui veut que l'on indique le
nom du crucifié et la nature de l'infraction pour laquelle il
a été condamné à mort. Dans ce cas, le
titre est écrit en trois langues, en grec, en latin et en
hébreu, langues dont tous les spectateurs qui peuvent lire
comprendront une ou plusieurs. Le titre ainsi affiché dit : «
Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs » ou selon la
version plus étendue donnée par Jean : « Jésus
de Nazareth, le roi des Juifs ». Beaucoup de personnes lisent
l'inscription, car le Calvaire est proche du chemin public et en ce
jour férié les passants sont certainement nombreux.
Cela suscite des commentaires. En effet, si on l'interprète
littéralement, l'inscription constitue une déclaration
officielle que Jésus crucifié est réellement roi
des Juifs.
Lorsque
ce détail est porté à l'attention des principaux
sacrificateurs, ils font appel au gouverneur, disant : «
N'écris pas : Le roi des Juifs ; mais il a dit : je suis le
roi des Juifs. » Pilate répond : Ce que j'ai écrit,
je l'ai écrit. » En formulant ainsi le titre et en
refusant purement et simplement de permettre toute altération,
Pilate veut peut-être infliger une rebuffade aux fonctionnaires
juifs qui l'ont forcé à condamner Jésus contre
son jugement et sa volonté ; mais il se peut cependant que le
comportement soumis du prisonnier et son affirmation qu'il détient
une royauté surpassant toutes les royautés de la terre
aient frappé l'esprit sinon le cœur du gouverneur romain
et lui aient donné la conviction de la supériorité
unique du Christ et du droit inhérent qu'il a à la
domination. Quel que puisse être le but poursuivi par Pilate
dans son écrit, cette inscription a traversé l'histoire
pour témoigner de la considération manifestée
par un païen par contraste avec l'attitude d'Israël qui a
rejeté brutalement son Roi.
Les
soldats, dont le devoir est de garder les croix jusqu'à ce que
la mort lente soulage les crucifiés de leur torture
croissante, plaisantent entre eux et se gaussent du Christ, boivent à
sa santé. En voyant le titre affiché au-dessus de la
tête du Martyr, ils hurlent : « Si tu es le roi des
Juifs, sauve-toi toi-même ! » La multitude et les
passants blasphèment contre lui et secouent la tête, en
disant : « Eh ! toi qui détruis le temple et le rebâtis
en trois jours, sauve-toi toi-même – et descends de la
croix ! » Le comble, c'est que les principaux sacrificateurs et
les scribes, les anciens du peuple, les peu respectables
sanhédristes, deviennent les meneurs de la populace, se
réjouissant avec satisfaction et s'écriant : « Il
a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même ! Il
est roi d'Israël, qu'il descende de la croix ; et nous croirons
en lui. Il s'est confié en Dieu ; que Dieu le délivre
maintenant, s'il l'aime. Car il a dit : Je suis Fils de Dieu ».
Bien
que prononcée avec moquerie, la déclaration des
gouverneurs d'Israël n'en reste pas moins une attestation que le
Christ en a sauvé d'autres et une proclamation faite dans une
intention ironique mais néanmoins littéralement vraie
qu'il est le Roi d'Israël. Les deux malfaiteurs, chacun sur sa
croix, se joignent à la dérision générale,
et l'insultent de la même manière. L'un d'eux, dans le
désespoir qu'il éprouve à voir la mort
approcher, fait écho aux provocations des prêtres et du
peuple : « Sauve-toi toi-même, et sauve-nous ! »
La
note dominante dans toutes ces railleries et toutes ces injures, dans
ce langage ordurier et ces moqueries, dont le Christ est assailli
tandis qu'il est sur la croix, « élevé »
comme il l'a prédit de lui même, est ce terrible «
Si » qu'on lui lance au visage au moment de son agonie ; de la
même manière le diable lui-même le lui a fait
sentir très insidieusement lorsqu'il l'a tenté
immédiatement après son baptême. Ce « si »
est le dernier trait du diable, soigneusement barbelé et
doublement empoisonné, et il file comme avec le sifflement
d'une vipère.
Est-il
possible, à ce stade final et effroyable de la mission du
Christ, de lui faire douter de sa filiation divine, ou, à
défaut, d'accabler de sarcasmes ou d'irriter le Sauveur
mourant, afin qu'il utilise ses pouvoirs surhumains pour soulager sa
propre douleur ou commettre un acte de vengeance contre ses
tortionnaires ? Obtenir pareille victoire, tel est le dessein
désespéré du diable. Le trait manque son but. Le
Christ torturé reste silencieux durant les provocations et la
dérision, les défis et les incitations.
Alors
l'un des voleurs crucifiés, adouci par le courage patient du
Sauveur, et voyant dans le comportement du martyr divin quelque chose
de surhumain, réprimande son compère railleur, en
disant : « Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même
condamnation ? Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce qu'ont
mérité nos actes ; mais celui-ci n'a rien fait de mal.
» Ayant confessé sa culpabilité et reconnu la
justice de sa propre condamnation, il est amené à un
début de repentir, et à la foi au Seigneur Jésus,
son compagnon d'agonie. Et il dit : « Jésus,
souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton règne ».
À cet appel du repentir, le Seigneur répond par une
promesse telle que lui seul peut en faire : « En vérité,
je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis ».
Parmi
les spectateurs de cette tragédie, la plus grande de
l'histoire, il y a des personnes qui éprouvent de la sympathie
et de la douleur. On ne nous dit pas qu'un des Douze est présent
à l'exception d'un seul, à savoir le disciple «
que Jésus aimait », Jean l'apôtre, évangéliste
et révélateur ; mais il est fait explicitement mention
de certaines femmes qui, tout d'abord à distance, puis tout
près de la croix, pleurent dans l'angoisse de leur amour et de
leur douleur. Près de la croix de Jésus, se tiennent sa
mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de
Clopas, et Marie-Madeleine.
Outre
les femmes citées il y en a beaucoup d'autres, dont certaines
ont servi Jésus dans le courant de ses travaux en Galilée
et qui se trouvent parmi celles qui sont venues avec lui à
Jérusalem. Mais revenons à Marie, mère de Jésus.
Son âme a été transpercée par l'épée,
comme Simon le juste l'a prophétisé. Jésus,
contemplant avec compassion sa mère en larmes qui se trouve
avec Jean au pied de la croix, la recommande aux soins et à la
protection du disciple bien-aimé, en disant : « Femme,
voici ton fils. » Et à Jean : « Voici ta mère.
» Le disciple emmène Marie, pleine de douleur, loin de
son Fils mourant et la prend chez lui, se chargeant ainsi
immédiatement des nouvelles relations établies par son
Maître.
Jésus
est cloué sur la croix pendant la matinée de ce
vendredi, probablement entre neuf et dix heures. À midi le
soleil s'obscurcit et les ténèbres s'étendent
sur tout le pays. Cette obscurité dure trois heures. Ce
phénomène, la science ne l'a pas expliqué de
manière satisfaisante. Il ne peut être dû à
une éclipse du soleil, car on se trouve à l'époque
de la pleine lune ; en effet le moment de la Pâque est
déterminé par la première pleine lune après
l'équinoxe de printemps. Des ténèbres sont
provoquées par un fonctionnement miraculeux des lois
naturelles dirigé par la puissance divine. C'est un signe
approprié du deuil profond de la terre causé par la
mort imminente de son Créateur. Les évangélistes
gardent un silence respectueux sur l'agonie du Seigneur sur la croix.
À
la neuvième heure, soit à environ trois heures de
l'après-midi, une voix forte, dépassant le cri de
souffrance physique le plus angoissé, se fait entendre de la
croix centrale, déchirant les ténèbres. C'est la
voix du Christ : « Eli, Eli, lama sabachthani ? c'est-à-dire
: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? »
Quel esprit humain peut sonder la signification de ce cri affreux ?
Il semble qu'en plus des souffrances terribles causées par la
crucifixion, l'angoisse de Gethsémané soit revenue,
intensifiée au point qu'il est au-delà des forces
humaines de la supporter.
En
cette heure extrêmement cruelle, le Christ mourant est seul,
seul d'une manière réelle et terrible. Pour que le
sacrifice suprême du Fils puisse être consommé
dans toute sa plénitude, il semble que le Père ait
retiré le soutien de sa Présence immédiate,
laissant au Sauveur des hommes la gloire d'une victoire complète
sur les forces du péché et de la mort. Le cri poussé
sur la croix, tous ceux qui sont tout près l'entendent, mais
peu le comprennent. Quand on entend sa première exclamation,
Eli, signifiant Mon Dieu, on croit qu'il appelle Élie.
Le
moment de faiblesse, le sentiment d'abandon total passe bientôt,
et les besoins naturels du corps se font de nouveau sentir. La soif
insoutenable, qui constitue l'une des douleurs les plus atroces de la
crucifixion, arrache des lèvres du Sauveur la seule parole qui
nous soit rapportée exprimant sa souffrance physique. «
J'ai soif », dit-il. L'un de ceux qui sont tout près, on
ne nous dit pas s'il est Romain ou Juif, disciple ou sceptique,
imprègne rapidement une éponge de vinaigre, dont un
récipient se trouve tout près, et ayant attaché
l'éponge à l'extrémité d'un roseau ou
d'une tige d'hysope, l'appuie sur les lèvres du Seigneur.
D'autres disent : « Laisse, voyons si Élie viendra le
sauver. » Jean affirme que le Christ ne s'exclame : «
J'ai soif » que lorsqu'il sait que tout est déjà
accompli, et l'apôtre voit dans cet incident l'accomplissement
d'une prophétie.
Se
rendant pleinement compte qu'il n'est plus abandonné, mais que
son sacrifice expiatoire a été accepté par le
Père et que sa mission dans la chair a été menée
à une fin glorieuse, il s'exclame d'une voix forte avec
triomphe : « Tout est accompli. » Il s'adresse au Père
avec respect, résignation et soulagement, disant : «
Père, je remets mon esprit entre tes mains ». Il incline
la tête et donne volontairement sa vie.
Jésus
le Christ est mort. Sa vie ne lui a été enlevée
que parce qu'il l'a permis. Aussi doux et bienvenu qu'aurait été
le soulagement procuré par la mort à chacune des étapes
précédentes de sa souffrance, de Gethsémané
à la croix, il a vécu jusqu'à ce que tout soit
accompli comme prévu.
Entre
la mort et l'ensevelissement
La
mort du Christ s'accompagne de phénomènes terrifiants.
Il y a un violent tremblement de terre, les rochers des montagnes se
détachent, et beaucoup de tombes s'ouvrent. Mais, chose la
plus terrible de toutes dans l'esprit juif, le voile du temple qui
pend entre le Saint et le Saint des Saints se déchire du haut
en bas, et l'intérieur, que nul autre que le souverain
sacrificateur n'a pu voir jusque là, est exposé aux
regards de tous. C'est le démembrement du judaïsme, la
consommation de l'ère mosaïque et l'inauguration du
christianisme sous l'administration apostolique.
Le
centurion romain et les soldats qui sont sous ses ordres à
l'endroit de l'exécution sont étonnés et
extrêmement effrayés. Ils ont probablement été
témoins de nombreuses morts sur la croix, mais jamais encore
ils n'ont vu d'homme mourir visiblement de sa propre volonté
et capable de crier d'une voix forte au moment de périr.
Ce
mode d'exécution barbare et inhumain provoque un épuisement
lent et progressif. Tous ceux qui sont là considèrent
la mort de Jésus comme un miracle, ce qu'elle est en effet. Ce
prodige, auquel vient s'ajouter le tremblement de terre et les
horreurs qui l'accompagnent, frappe tellement le centurion qu'il prie
Dieu et déclare solennellement : « Réellement,
cet homme était juste. » D'autres se joignent à
lui pour prononcer cette affirmation effrayante : « Il était
vraiment Fils de Dieu. » Les gens terrifiés qui parlent
et ceux qui entendent quittent cet endroit pleins de crainte, se
frappant la poitrine et se lamentant sur ce qui semble être une
destruction imminente. Cependant quelques femmes aimantes observent
de loin et voient tout ce qui se passe jusqu'au moment où le
corps est enseveli.
C'est
maintenant la fin de l'après-midi ; le sabbat commence au
coucher du soleil. Ce sabbat qui s'approche est considéré
comme plus qu'ordinairement sacré, car c'est un grand jour, en
ce qu'en plus d'être le sabbat hebdomadaire, c'est un jour
pascal. Les dirigeants juifs, qui n'ont pas hésité à
mettre leur Seigneur à mort, sont horrifiés à la
pensée que des hommes restent en croix en un tel jour, ce qui
souillerait la terre ; par conséquent, ces dirigeants
scrupuleux vont trouver Pilate pour lui demander de liquider
sommairement les crucifiés par la méthode brutale
romaine qui consiste à leur rompre les jambes, car on sait que
le choc de ce traitement violent provoque la mort rapide des
crucifiés. Le gouverneur donne son consentement, et les
soldats brisent avec des gourdins les membres des deux voleurs.
Cependant, s'apercevant que Jésus est déjà mort,
ils ne lui rompent pas les os.
Le
Christ, le grand sacrifice de la Pâque dont toutes les victimes
de l'autel, au cours des siècles précédents,
n'ont été que des prototypes pour le rappeler au
souvenir des hommes, meurt de manière violente mais cependant
sans qu'un seul os de son corps soit brisé, condition
prescrite pour les agneaux pascaux immolés. L'un des soldats,
voulant s'assurer que Jésus est réellement mort, ou
pour être certain de le tuer s'il vit encore, lui enfonce une
lance dans le côté, faisant une blessure suffisamment
grande pour permettre à un homme d'y introduire la main.
Lorsqu'il retira la lance, du sang et de l'eau coulent, événement
si surprenant que Jean, qui témoin oculaire, en rend lui-même
formellement témoignage et cite les Écritures qui sont
par là accomplies.
L'ensevelissement
Un
homme appelé Joseph d'Arimathée, qui de cœur est
disciple du Christ, mais qui a hésité à
confesser ouvertement sa conversion par peur des Juifs, veut donner
au corps du Christ des funérailles décentes et
honorables. Sans cette intervention divinement inspirée, le
corps de Jésus serait probablement jeté dans la fosse
commune des criminels exécutés. Cet homme, Joseph, est
« membre du conseil... homme bon et juste ». Il est
expressément dit de lui qu'il « n'a point participé
à la décision et aux actes des autres »,
déclaration qui nous permet de conclure que c'est un
sanhédriste et qu'il s'est opposé à la mesure
prise par ses collègues lorsqu'ils ont condamné Jésus
à mort, ou du moins s'est abstenu de voter avec les autres.
Joseph est un homme riche, important et influent. Il va trouver
Pilate et lui demande le corps du Christ. Le gouverneur est surpris
d'apprendre que Jésus est déjà mort ; il fait
venir le centurion et lui demande combien de temps Jésus a
vécu sur la croix. Ce détail peu ordinaire semble
augmenter le trouble et les préoccupations de Pilate. Il donna
ses ordres et le corps du Christ est remis à Joseph.
Le
corps est descendu de la croix, et dans la préparation pour le
tombeau, Joseph est aidé de Nicodème, autre membre du
sanhédrin, celui-là même qui, trois ans
auparavant, est allé trouver Jésus de nuit et a
protesté, lors d'une des réunions de conspiration du
sanhédrin, contre le projet de condamner Jésus
illégalement sans interrogatoire.
Nicodème
apporte une grande quantité de myrrhe et d'aloès, cent
livres environ. Ce mélange est hautement estimé pour
les onctions et les embaumements, mais son prix en limite l'usage aux
riches. Ces deux disciples enveloppent le corps du Seigneur dans du
linge propre, « avec les aromates, comme c'est la coutume
d'ensevelir chez les Juifs », puis le posent dans un sépulcre
neuf, taillé dans le roc. Le tombeau se trouve dans un jardin,
non loin du Calvaire, et appartient à Joseph.
À
cause de la proximité du sabbat, l'ensevelissement doit se
faire en hâte ; l'entrée du sépulcre est fermée,
une grande pierre est roulée contre elle, et ainsi mis à
l'abri, le corps est laissé à son repos. Quelques-unes
des femmes, en particulier Marie-Madeleine et « l'autre Marie
», qui est la mère de Jacques et de Jude, ont regardé
de loin la mise au tombeau ; lorsqu'elle est terminée, elles «
s'en retournent pour préparer des aromates et des parfums.
Puis pendant le sabbat, elles observent le repos, selon le
commandement ».
SAMEDI
Le
sépulcre gardé
Le
lendemain de la « préparation », c'est-à-dire
le samedi, jour du sabbat et « le grand jour », les
principaux sacrificateurs et les Pharisiens viennent en bloc trouver
Pilate et lui disent : « Seigneur, nous nous souvenons que cet
imposteur a dit, quand il vivait encore : Après trois jours je
ressusciterai. Ordonne donc qu'on s'assure du sépulcre
jusqu'au troisième jour, afin que ses disciples ne viennent
pas dérober le corps et dire au peuple : Il est ressuscité
des morts. Cette dernière imposture serait pire que la
première. » Il est évident que les ennemis les
plus invétérés du Christ se souviennent de ses
prédictions dans lesquelles il a assuré qu'il
ressusciterait le troisième jour après sa mort. Pilate
répond par un consentement bref : « Vous avez une garde
; allez, assurez-vous de lui comme vous l'entendrez. » C'est
ainsi que les principaux sacrificateurs et les Pharisiens s'assurent
que le sépulcre est bien protégé en veillant à
ce que le sceau officiel soit apposé au point de jonction de
la grande pierre et de l'entrée et qu'une garde armée
en soit responsable.
DIMANCHE
La
résurrection
Samedi,
le sabbat juif, est passé, et la nuit précédant
l'aube du dimanche le plus mémorable de l'histoire est presque
terminée, tandis que les soldats romains montent la garde
devant le sépulcre où git le corps du Seigneur Jésus.
Tandis qu'il fait encore noir, la terre commence à trembler ;
un ange du Seigneur descend, roule la pierre massive de devant
l'entrée du tombeau et s'assit dessus. Son aspect est aussi
brillant que l'éclair et son vêtement est blanc comme la
neige fraîche. Les soldats, paralysés de peur, tombent
comme morts sur le sol. Lorsqu'ils se sont partiellement ressaisis de
leur effroi, ils s'enfuient terrorisés. Même la rigueur
de la discipline romaine, qui décrète l'exécution
sommaire de tout soldat désertant son poste, ne peut les
arrêter. En outre, il ne leur reste plus rien à garder ;
le sceau de l'autorité a été brisé, le
sépulcre est ouvert et vide.
Dès
les premières lueurs de l'aube, la dévouée
Marie-Madeleine et d'autres femmes fidèles se mettent en route
pour la tombe en apportant des épices et des onguents qu'elles
ont préparés pour achever d'oindre le corps de Jésus.
Certaines d'entre elles ont assisté à l'ensevelissement
et se rendent compte de la nécessité dans laquelle
Joseph et Nicodème se sont trouvés d'envelopper
hâtivement le corps d'épices et de le mettre au tombeau,
juste avant le commencement du sabbat ; et maintenant ces adoratrices
viennent au petit matin servir leur Seigneur en oignant et en
embaumant de façon plus complète l'extérieur du
corps.
C'est
en cours de route et tandis qu'elles conversent tristement qu'elles
pensent, apparemment pour la première fois, à la
difficulté d'entrer au tombeau. « Qui nous roulera la
pierre de l'entrée du tombeau ? » se demandent-elles les
unes aux autres. De toute évidence, elles ne savent rien du
sceau ni de la garde. Au tombeau, elles voient l'ange et ont peur ;
mais il leur dit : « Pour vous, n'ayez pas peur, car je sais
que vous cherchez Jésus, le crucifié. Il n'est pas ici
; en effet il est ressuscité, comme il l'avait dit. Venez,
voyez l'endroit où il était couché, et allez
promptement dire à ses disciples qu'il est ressuscité
des morts. Il vous précède en Galilée ; c'est là
que vous le verrez. »
Les
femmes, quoique ayant reçu la faveur d'une visitation et d'une
assurance angéliques, quittent le lieu étonnées
et effrayées. Il semble que Marie-Madeleine soit la première
à apporter aux disciples la nouvelle que le tombeau est vide.
Elle est incapable de comprendre le sens joyeux de la proclamation de
l'ange : « Il est ressuscité, comme il l'avait dit »
; dans son amour et sa douleur, elle ne se souvient que des mots : «
Il n'est pas ici », dont la vérité lui a été
si formellement confirmée par le regard qu'elle a hâtivement
jeté à la tombe ouverte et sans occupant. Elle court
trouver Simon Pierre et l'autre disciple que Jésus aimait, et
leur dit : « On a enlevé du tombeau le Seigneur, et nous
ne savons pas où on l'a mis. »
Pierre,
et « l'autre disciple » qui est certainement Jean, se
mettent hâtivement en route et courent ensemble vers le
sépulcre. Jean dépasse son compagnon et, en arrivant au
tombeau, se penche pour regarder à l'intérieur et
entrevoit ainsi le linceul posé sur le sol ; mais Pierre,
hardi et impétueux, se précipite dans le sépulcre,
et le jeune apôtre le suit. Ils voient tous deux le vêtement
funéraire et, gisant à part, la serviette qui a été
placée autour de la tête du cadavre. Jean explique, en
parlant de lui et des autres apôtres : « Car ils
n'avaient pas encore compris l'Écriture, selon laquelle Jésus
devait ressusciter d'entre les morts ».
Madeleine,
frappée par le chagrin, retourne à la suite des apôtres
au jardin où le Seigneur a été enseveli. Il
semble que dans son cœur accablé de douleur la pensée
que le Seigneur ait pu reprendre vie n'ait pas trouvé place ;
elle sait seulement que le corps de son Maître bien-aimé
a disparu. Tandis que Pierre et Jean se trouvent à l'intérieur
du sépulcre, elle se tient au-dehors, en pleurs. Lorsque les
hommes sont partis, elle se penche et regarde dans la caverne creusée
dans le roc. Elle y voit deux personnages, des anges en blanc, «
assis à la place où avait été couché
le corps de Jésus, l'un à la tête, l'autre aux
pieds ». Ils lui demandent avec tendresse : « Femme,
pourquoi pleures-tu ? »
Pour
toute réponse elle ne peut qu'exprimer de nouveau le chagrin
qui l'accable : « Parce qu'on a enlevé mon Seigneur, et
je ne sais où on l'a mis. » L'absence du corps, qu'elle
pense être tout ce qui reste sur terre de celui qu'elle a aimé
si profondément, constitue un deuil personnel. Il y a
énormément de pathétique et d'affection dans ces
mots : « On a enlevé mon Seigneur. »
Elle
se détourne du tombeau qui, quoiqu'à ce moment-là
illuminé par la présence des anges, est pour elle vide
et désolé, et s'avise de la présence toute
proche d'un autre personnage. Elle entend sa question : «
Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Elle lève
à peine son visage baigné de larmes pour regarder celui
qui la questionne, et pensant vaguement qu'il est le jardinier et
qu'il sait peut-être ce qu'on a fait du corps de son Seigneur,
elle s'exclame : « Seigneur, si c'est toi qui l'as emporté,
dis-moi où tu l'as mis, et je le prendrai. » Elle sait
que Jésus a été enterré dans une tombe
empruntée ; et si le corps a été dépossédé
de ce lieu de repos, elle est prête à lui en donner un
autre. « Dis-moi où tu l'as mis », supplie-t-elle.
C'est
à Jésus, son Seigneur bien-aimé, qu'elle parle,
bien qu'elle ne le sache pas. Un mot des lèvres du Seigneur
transforme sa douleur profonde en une joie pleine d'extase. «
Jésus lui dit : Marie ! » La voix, le ton, l'accent
plein de tendresse qu'elle a entendus et aimés dans le passé
la font sortir des profondeurs du désespoir dans lesquelles
elle est plongée. Elle se retourne et voit le Seigneur. Dans
un transport de joie, elle tend les bras pour l'étreindre, ne
prononçant que le mot plein d'affection et d'adoration : «
Rabbouni », signifiant mon Maître bien-aimé. Jésus
arrête cette manifestation d'amour respectueux, en disant : «
Ne me touche pas ; car je ne suis pas encore monté vers mon
Père », et en ajoutant : « Mais va vers mes frères
et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père,
vers mon Dieu, et votre Dieu ».
C'est
à une femme, à Marie-Madeleine, qu'est fait l'honneur
d'être le premier mortel à voir une âme
ressuscitée, et cette âme est le Seigneur Jésus.
Ensuite le Seigneur ressuscité se manifeste à d'autres
femmes favorisées, entre autres Marie, mère de Jude, à
Jeanne, et à Salomé, mère des apôtres
Jacques et Jean. Celles-ci et les autres femmes qui les accompagnent
ont été effrayées de la présence de
l'ange au tombeau et se sont éloignées avec une crainte
mêlée de joie. Elles n'étaient pas là
lorsque Pierre et Jean sont entrés dans le caveau, ni plus
tard lorsque le Seigneur s'est fait connaître à
Marie-Madeleine. Il se peut qu'elles y retournent plus tard, car
certaines d'entre elles semblent entrer dans le sépulcre et
voir que le corps du Seigneur n'y est pas.
Tandis
qu'elles sont là, perplexes, elles s'aperçoivent
soudain de la présence de deux hommes en habits
resplendissants ; elles baissent le visage vers la terre, mais les
anges leur disent : « Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi
les morts ? Il n'est pas ici, mais il est ressuscité.
Souvenez-vous de quelle manière il vous a parlé,
lorsqu'il était encore en Galilée et qu'il disait : Il
faut que le Fils de l'homme soit livré entre les mains des
pécheurs, qu'il soit crucifié et qu'il ressuscite le
troisième jour. » Alors elles se souviennent des paroles
de Jésus ». Tandis qu'elles retournent à la ville
pour remettre le message aux disciples, Jésus vient à
leur rencontre et dit : « Je vous salue. » Elles
s'approchent pour saisir ses pieds et elles l'adorent. Alors Jésus
leur dit : « Soyez sans crainte ; allez dire à mes
frères de se rendre en Galilée : C'est là qu'ils
me verront ».
On
peut se demander pourquoi Jésus a interdit à
Marie-Madeleine de le toucher pour permettre ensuite si rapidement à
d'autres femmes de lui tenir les pieds en se prosternant devant lui
pour l'adorer. Nous pouvons supposer que l'attitude émotionnelle
de Marie était provoquée plus par un sentiment
d'affection personnelle quoique sacrée que par l'impulsion
d'une adoration pieuse comme celle dont font preuve les autres
femmes. Bien que le Christ ressuscité manifeste la même
considération amicale et intime qu'il a montrée dans
son état mortel envers ceux dont il a partagé
étroitement la compagnie, il ne fait plus partie d'eux dans le
sens littéral du terme. Il y a chez lui une dignité
divine qui interdit toute familiarité intime de la part de qui
que ce fût.
Le
Christ a dit à Marie-Madeleine : « Ne me touche pas ;
car je ne suis pas encore monté vers mon Père. »
Si la deuxième proposition a été ajoutée
pour expliquer la première, nous devons en déduire
qu'il ne doit être permis à aucune main humaine de
toucher le corps ressuscité et immortalisé du Seigneur
tant qu'il ne s'est pas présenté au Père. Il
semble raisonnable et probable qu'entre la tentative impulsive de
Marie de toucher le Seigneur et l'action des autres femmes qui le
tiennent par les pieds tout en se prosternant devant lui avec un
respect adorateur, le Christ est monté vers le Père, et
revenu plus tard sur terre poursuivre son ministère dans son
état ressuscité.
Marie-Madeleine
et les autres femmes racontent aux disciples l'histoire merveilleuse
de leurs expériences respectives, mais les frères ne
peuvent ajouter foi à leurs paroles ; ces paroles leur
apparaissent comme une niaiserie et ils ne croient pas ces femmes ».
Malgré tout ce que le Christ a enseigné concernant sa
résurrection des morts le troisième jour, les apôtres
sont incapables d'accepter la réalité de l'événement
; dans leur esprit, la résurrection est un événement
mystérieux et lointain et non une possibilité présente.
Il
n'y a ni précédent ni analogie pour appuyer les
histoires que ces femmes racontent – d'un mort qui serait
revenu à la vie, ayant un corps de chair et d'os que l'on peut
voir et toucher – à part les cas du jeune homme de Naïn,
de la fille de Jaïrus et du bien-aimé Lazare de Béthanie
; mais ils voient les différences essentielles qui existent
entre ces cas de restitution à un renouveau de vie mortelle et
la nouvelle de la résurrection de Jésus. La douleur et
le sentiment de perte irréparable qui ont caractérisé
le sabbat de la veille est remplacés, en ce premier jour de la
semaine, par une perplexité profonde et des doutes en conflit.
Mais alors que les apôtres hésitent à croire que
le Christ soit réellement ressuscité, les femmes moins
sceptiques, plus confiantes, savent, car elles l'ont vu et ont
entendu sa voix, et certaines d'entre elles lui ont touché les
pieds.
Conspiration
des chefs religieux
Lorsque
les gardes romains se sont suffisamment remis de leur effroi pour
quitter précipitamment le tombeau, ils vont trouver les
principaux sacrificateurs sous les ordres desquels Pilate les a
placés et racontent les événements surnaturels
dont ils ont été témoins. Les principaux
sacrificateurs sont des Sadducéens, confession ou parti dont
un trait caractéristique est qu'ils nient qu'il puisse y avoir
une résurrection. On convoque une session du sanhédrin
et on examine le rapport troublant des gardes. Dans le même
esprit dans lequel ils ont essayé de tuer Lazare dans le
dessein d'étouffer l'intérêt populaire pour le
miracle de sa résurrection, ces chefs conspirent maintenant
pour discréditer la vérité de la résurrection
du Christ en corrompant les soldats pour qu'ils mentent.
Ils
leur ordonnent de dire : « Ses disciples sont venus de nuit le
dérober, pendant que nous dormions » ; et pour ce
mensonge, ils leur offrent de grosses sommes d'argent. Les soldats
acceptent le pot-de-vin tentant et font ce qui leur est commandé
; cette attitude leur semble, en effet, être le meilleur moyen
de sortir d'une situation critique. Si on prouve qu'ils sont
coupables d'avoir dormi à leur poste, ils seront condamnés
à une mort immédiate ; mais les Juifs les encouragent
par la promesse : « Si le gouverneur l'apprend, nous userons de
persuasion et nous vous tirerons d'ennui. » Il faut se souvenir
que les soldats ont été mis à la disposition des
principaux sacrificateurs, et il est par conséquent probable
qu'ils ne sont pas obligés de rapporter les détails de
leurs faits et gestes aux autorités romaines.
L'historien
ajoute qu'à la date où il écrit, l'histoire
fausse que le corps du Christ a été volé de la
tombe par les disciples est courante parmi les Juifs. Il est clair
que cette histoire mensongère est absolument intenable. Si
tous les soldats se sont endormis – événement
extrêmement improbable, étant donné que pareille
négligence est un crime capital – comment leur serait-il
été possible de savoir que quelqu'un s'est approché
du tombeau ? Et plus particulièrement, comment peuvent-ils
prouver leur déclaration, même si elle était
vraie, que le corps a été volé et que ce sont
les disciples qui sont les pilleurs de tombe ?
Ce
récit mensonger a été inventé par les
principaux sacrificateurs et les anciens du peuple. Cependant le
cercle ecclésiastique tout entier n'est pas impliqué.
Certains d'entre eux, qui ont peut-être compté parmi les
disciples secrets de Jésus avant sa mort, ne craindront pas de
s'allier ouvertement à la jeune Église lorsque, grâce
aux preuves de la résurrection du Seigneur, ils seront
complètement convertis. Nous lisons que peu de mois après
seulement, « une grande foule de sacrificateurs obéissait
à la foi ».
Il
marche et parle avec deux disciples
Au
cours de l'après-midi de ce même dimanche, deux
disciples, qui ne font pas partie des apôtres, quittent le
petit groupe de croyants de Jérusalem et se mettent en route
pour Emmaüs, village situé à douze ou treize
kilomètres de la ville. Il ne peut y avoir qu'un seul sujet de
conversation entre eux, et en ce jour-là, ils conversent tout
en marchant, citant des incidents de la vie du Seigneur, s'étendant
tout particulièrement sur sa mort qui a si tristement détruit
leur espoir d'un règne messianique et s'étonnent
profondément du témoignage incompréhensible des
femmes concernant sa réapparition sous la forme d'une âme
vivante.
Tandis
qu'ils marchent, absorbés dans une conversation triste et
profonde, un autre voyageur se joint à eux ; c'est le Seigneur
Jésus, mais leurs yeux sont empêchés de le
reconnaître. Avec un intérêt courtois, il demande
: « Quels sont ces propos que vous échangez en marchant
? » Et ils s'arrêtent, l'air attristé. L'un des
disciples, nommé Cléopas, répond avec surprise
pour l'ignorance apparente de l'étranger : « Es-tu le
seul qui séjourne à Jérusalem et ne sache pas ce
qui s'y est produit ces jours-ci ? » Voulant obtenir des hommes
un énoncé complet de l'affaire qui les agite, le
Christ, qui n'a pas été reconnu, demande : « Quoi
? » « Ce qui s'est produit au sujet de Jésus de
Nazareth », expliquent-ils, « qui était un
prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et
devant tout le peuple, et comment nos principaux sacrificateurs et
nos chefs l'ont livré pour être condamné à
mort et l'ont crucifié. »
Avec
tristesse ils continuent à lui raconter comment ils ont espéré
que Jésus maintenant crucifié se soit révélé
être le Messie envoyé pour racheter Israël ; mais
hélas ! Il y a trois jours qu'il a été mis à
mort. Puis, malgré leur perplexité, leur visage
s'éclaire quand ils parlent de certaines femmes de leur groupe
qui les ont étonnés ce matin en disant qu'elles se sont
rendues au sépulcre au petit matin et ont découvert que
le corps du Seigneur n'y était pas ; des anges leur sont
apparus et leur ont annoncé qu'il est vivant. En outre,
d'autres que les femmes sont allés au tombeau et ont constaté
que le corps était absent, mais n'ont pas vu le Seigneur.
Alors
Jésus réprimande doucement ses compagnons de voyage,
les traite d'hommes sans intelligence et lents de cœur, parce
qu'ils hésitent à accepter ce que les prophètes
ont dit, et demande : « Le Christ ne devait-il pas souffrir de
la sorte et entrer dans sa gloire ? » En commençant par
les prédictions inspirées de Moïse, il leur
explique les Écritures, s'attachant à toutes les
paroles prophétiques relatives à la mission du Sauveur.
Ayant continué la route avec les deux hommes jusqu'à
leur destination, Jésus paraît vouloir aller plus loin
», mais ils l'exhortent à demeurer avec eux, car le jour
est déjà avancé. Il accepte leur invitation
hospitalière ; il entre même dans la maison et s'assoit
avec eux à table, dès que leur simple repas est
préparé.
Étant
l'invité d'honneur, il prend le pain, dit la bénédiction
; puis il le rompt et le leur donne. Peut-être y a-t-il quelque
chose dans la ferveur de la bénédiction ou dans la
manière de rompre et de distribuer le pain qui ravive le
souvenir des jours passés, ou peut-être aperçoivent-ils
les mains percées ; mais quelle que puisse en être la
cause immédiate, ils regardent intensément leur invité,
leurs yeux s'ouvrent et ils le reconnaissent ; mais il disparaît
de devant eux.
Pleins
d'un étonnement joyeux, ils se lèvent de table, surpris
de ne pas l'avoir reconnu plus tôt. L'un dit à l'autre :
« Notre cœur ne brûlait-il pas au-dedans de nous,
lorsqu'il nous parlait en chemin et nous expliquait les Écritures
? » Sur-le-champ ils reviennent sur leurs pas et se hâtent
de rentrer à Jérusalem pour confirmer par leur
témoignage ce que les frères ont été
auparavant lents à croire.
Il
apparaît aux disciples à Jérusalem
Lorsque
Cléopas et son compagnon parviennent à Jérusalem
cette nuit-là, ils trouvent les apôtres et les autres
croyants dévots assemblés en conversation solennelle et
pieuse derrière des portes fermées. On a pris la
précaution de faire tout en secret à cause de la
crainte qu'on a des Juifs. Même les apôtres ont été
dispersés par l'arrestation, le procès et le meurtre
judiciaire de leur Maître ; cependant les disciples et eux se
réunissent de nouveau à la nouvelle de sa résurrection,
eux, noyau d'une armée qui allait bientôt balayer le
monde. À leur retour, les deux disciples sont reçus par
la joyeuse nouvelle : « Le Seigneur est réellement
ressuscité, et il est apparu à Simon. » C'est la
seule allusion à l'apparition personnelle que le Christ a
accordée ce jour-là à Simon Pierre.
La
pénitence pleine de remords que Pierre a manifestée
pour son reniement du Christ dans le palais du souverain
sacrificateur a été profonde et pitoyable ; peut-être
doute-t-il que le Maître puisse jamais l'appeler encore son
serviteur ; mais le message du tombeau que les femmes apportent dans
lequel le Seigneur envoie ses salutations aux apôtres qu'il
désigne pour la première fois comme ses frères,
titre honorable et affectueux dont Pierre n'a pas été
exclu, a dû faire naître de l'espoir en lui ; en outre,
dans la mission dont ils a chargé les femmes, les anges ont
mis Pierre en avant en le citant tout particulièrement. Le
Seigneur va trouver Pierre pour lui apporter, nous n'en doutons pas,
le pardon et le rassurer avec amour. L'apôtre lui-même
conserve un silence respectueux au sujet de cette visite. Toutefois
Paul en parlera lorsqu'il citera les preuves incontestables de la
résurrection du Seigneur.
Après
le témoignage des croyants assemblés, Cléopas et
son compagnon de voyage racontent qu'ils ont voyagé en
compagnie du Seigneur sur la route d'Emmaüs et parlent de ce
qu'il leur a enseigné et de la manière dont il s'est
révélé à eux lorsqu'il a rompu le pain.
Tandis que le petit groupe converse, lui-même se présenta
au milieu d'eux et leur dit : « Que la paix soit avec vous ! »
Ils sont terrifiés, pensant avec une crainte superstitieuse
qu'un esprit s'est introduit parmi eux. Mais le Seigneur les rassure,
disant : « Pourquoi êtes-vous troublés et pourquoi
ces raisonnements s'élèvent-ils dans vos cœurs ?
Voyez mes mains et mes pieds, c'est bien moi ; touchez-moi et voyez ;
un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai. »
Puis
il leur montre les blessures de ses mains, de ses pieds et de son
côté. « Dans leur joie, ils ne croyaient pas
encore », ce qui veut dire qu'ils pensent que la réalité,
dont ils sont tous témoins, est trop belle, trop merveilleuse
pour être vraie. Pour leur assurer encore davantage qu'il n'est
pas une ombre ni un être immatériel d'une substance
intangible, mais une personne vivante avec des organes corporels
internes aussi bien qu'externes, il demande : « Avez-vous ici
quelque chose à manger ? » Ils lui présentent un
morceau de poisson grillé et d'autres aliments, qu'il prend et
mange devant eux. Ces preuves indubitables de la matérialité
de leur visiteur calme et ramène à la raison les
disciples.
Maintenant
qu'ils se sont repris et sont réceptifs, le Seigneur leur
rappelle que tout ce qui lui est arrivé est conforme à
ce qu'il leur a dit quand il vivait parmi eux. En sa présence
divine, leur compréhension est vivifiée et augmentée,
et ils comprennent les Écritures – la loi de Moïse,
les livres des prophètes et les psaumes – comme jamais
auparavant. Il atteste aussi pleinement qu'il l'a prédit et
affirmé précédemment, que sa mort maintenant
accomplie, était nécessaire. Puis il leur dit : «
Ainsi il est écrit que le Christ souffrirait, qu'il
ressusciterait d'entre les morts le troisième jour et que la
repentance en vue du pardon des péchés serait prêchée
en son nom à toutes les nations à commencer par
Jérusalem. Vous en êtes témoins. »
Alors
les disciples se réjouissent. Comme il est sur le point de
s'en aller, le Seigneur leur donne sa bénédiction : «
Que la paix soit avec vous ! Comme le Père m'a envoyé,
moi aussi, je vous envoie. »
Thomas incrédule
Lorsque
le Seigneur Jésus apparaît au milieu des disciples le
soir du dimanche de la résurrection, l'un des apôtres,
Thomas, est absent. Il est informé de ce dont les autres ont
été témoins mais n'est pas convaincu ; même
leur témoignage solennel : « Nous avons vu le Seigneur
», ne peut éveiller le moindre écho de foi en son
cœur. Dans son scepticisme il s'exclame : « Si je ne vois
dans ses mains la marque des clous, si je ne mets mon doigt à
la place des clous, et si je ne mets ma main dans son côté,
je ne croirai point. »
Notre
jugement doit être tempéré de prudence et de
charité dans toute conclusion que nous pourrions tirer quant à
l'attitude incrédule de cet homme. Il ne peut guère
douter du fait bien prouvé que le sépulcre est vide, ni
de la sincérité de Marie-Madeleine et des autres femmes
à propos de la présence d'anges et de l'apparition du
Seigneur, ni du témoignage de Pierre, ni de celui du groupe
assemblé ; mais il se peut qu'il considère les
manifestations qui lui sont rapportées comme une série
de visions subjectives ; peut-être considère-t-il
l'absence du corps du Seigneur comme un résultat de la
résurrection surnaturelle du Christ suivie d'un départ
corporel et final de la terre. Sa conception de la résurrection
n'est pas définie au point de lui permettre d'accepter
littéralement le témoignage de ses frères et
sœurs qui ont vu, entendu et touché.
Une
semaine plus tard, car c'est ainsi qu'il faut comprendre le terme
juif « huit jours après », par conséquent
le dimanche suivant, jour de la semaine que l'on appellera plus tard
dans l'Église le « jour du Seigneur » et qu'elle
observa comme jour du sabbat au lieu du samedi, sabbat mosaïque,
les disciples sont de nouveau assemblés et Thomas se trouve
avec eux. La réunion se tient derrière des portes
fermées et probablement gardées, car il y a risque
d'immixtion des policiers juifs. « Jésus vint, les
portes étant fermées, et debout au milieu d'eux, il
leur dit : Que la paix soit avec vous ! Puis il dit à Thomas :
Avance ici ton doigt, regarde mes mains, avance aussi ta main et
mets-la dans mon côté ; et ne sois pas incrédule,
mais crois ! »
L'esprit
sceptique de Thomas est instantanément libéré,
son cœur libéré du doute, et la conviction de la
vérité glorieuse envahit son âme. Avec un respect
empreint de contrition, il se prosterne devant son Sauveur en
s'exclamant en des termes qui reconnaissent avec adoration la
Divinité du Christ : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Son adoration est acceptée, et le Sauveur dit : « Parce
que tu m'as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n'ont pas vu et ont cru !
»
SEMAINES SUIVANTES
Près
de la mer de Tibériade
L'ange
du tombeau et le Christ ressuscité ont chacun fait savoir aux
apôtres qu'ils doivent aller en Galilée, où le
Seigneur les rencontrera comme il l'a dit avant sa mort. Ils
retardent leur départ jusqu'après la semaine qui suit
la résurrection, et une fois de retour dans leur province
natale, ils attendent la suite des événements.
L'après-midi d'une de ces journées d'attente, Pierre
dit à six des apôtres : « Je vais pêcher »
; et les autres répondent : « Nous allons, nous aussi,
avec toi. » Ils embarquent sans retard dans un bateau de pêche.
Ils travaillent toute la nuit, mais, après chaque lancer, ils
remontent le filet vide à bord.
Comme
le matin approche, ils se dirigent vers la rive, déçus
et découragés.
Dans
les premières lueurs de l'aube, ils sont interpellés du
rivage par quelqu'un qui demande : « Enfants, n'avez-vous rien
à manger ? » Ils répondent : « Non. »
C'est Jésus qui pose la question, mais aucun de ceux qui sont
dans le bateau ne le reconnaît. Il s'adresse de nouveau à
eux, disant : « Jetez le filet du côté droit de la
barque, et vous trouverez. » Ils le jettent donc ; et ils ne
sont plus capables de le retirer, à cause de la grande
quantité de poissons. Ils font comme il leur est demandé
et le résultat, surprenant, leur paraît miraculeux ;
cela doit éveiller en eux le souvenir de cette autre pêche
remarquable où leur adresse de pêcheurs a été
dépassée ; et au minimum trois témoins de
l'autre miracle se trouvent maintenant dans le bateau.
Jean,
dont le discernement est rapide, dit à Pierre : « C'est
le Seigneur ! » et Pierre, impulsif comme toujours, noue
hâtivement son vêtement de pêcheur autour de lui et
se jette dans la mer, pour parvenir plus rapidement à terre et
se prosterner aux pieds de son Maître. Les autres quittent le
bateau et entrent dans une petite barque qu'ils ramènent
jusqu'au rivage en tirant le filet lourdement chargé. À
terre, ils voient un feu sur lequel cuisent des poissons et, à
côté, des pains. Jésus leur dit d'amener
quelques-uns des poissons qu'ils viennent de prendre. Pierre obéit
en se précipitant dans l'eau peu profonde et en tirant le
filet sur la terre ferme. Après avoir compté, on
s'aperçoit que la prise se compose de cent cinquante-trois
grands poissons, et le narrateur prend soin de noter que «
quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se déchira pas ».
Alors
Jésus dit : « Venez mangez » ; étant l'hôte
du repas, il rompt et distribue le pain et les poissons. On ne nous
dit pas qu'il mange avec ses invités. Chacun sait que c'est le
Seigneur qui sert avec tant d'hospitalité ; cependant, en
cette occasion, comme en toutes les autres occasions où il
apparaît dans son état ressuscité, il y a chez
lui quelque chose d'impressionnant et d'intimidant. Ils aimeraient le
questionner mais ne l'osent pas. Jean nous dit que c'est Ia troisième
fois que Jésus se manifeste à ses disciples depuis
qu'il est ressuscité d'entre les morts ; nous devons
comprendre par là que c'est la troisième fois que le
Christ se manifeste aux apôtres assemblés au complet ou
en partie ; en effet, si l'on compte également l'apparition à
Marie-Madeleine, aux autres femmes, à Pierre et aux disciples
sur le chemin de campagne, c'était la septième
apparition du Seigneur ressuscité qui nous soit rapportée.
Lorsque
le repas est terminé, « Jésus dit à Simon
Pierre : Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu plus que ne le font ceux-ci
? » Cette question, si tendrement qu'elle soit posée,
doit percer le cœur de Pierre, puisqu'elle suscite le souvenir
de sa protestation hardie mais indigne de confiance : « Quand
tu serais pour tous une occasion de chute, tu ne le seras jamais pour
moi », après laquelle il a nié avoir jamais connu
cet homme. À la question du Seigneur, Pierre répond
humblement : « Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. »
Jésus lui dit : « Prends soin de mes agneaux ! »
La question est répétée, et Pierre réplique
en employant des termes identiques, à quoi le Seigneur répond
: « Sois le berger de mes brebis. » Une troisième
fois Jésus demande : « Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu
? » Pierre est peiné et attristé de cette
répétition, pensant peut-être que le Seigneur n'a
pas confiance en lui ; mais de même qu'il a renié trois
fois, de même il a maintenant l'occasion de faire une triple
confession. À la question répétée trois
fois, Pierre répond : « Seigneur, tu sais toutes choses,
tu sais que je t'aime. » Jésus lui dit : « Prends
soin de mes brebis. »
Le
commandement « Prends soin de mes brebis » l'assure que
le Seigneur a confiance en lui et qu'il est le président des
apôtres. Il s'est formellement déclaré prêt
à suivre son Maître jusqu'en prison et dans la mort.
Maintenant, le Seigneur lui dit : « En vérité, en
vérité, je te le dis, quand tu étais plus jeune,
tu attachais toi-même ton vêtement et tu allais où
tu voulais ; mais quand tu seras vieux, tu étendras tes mains,
et un autre te l'attachera et te mènera où tu ne
voudras pas. » Jean nous informe que le Seigneur parle ainsi de
la mort par laquelle Pierre prendra place parmi les martyrs ;
l'analogie indique la crucifixion, et l'histoire traditionnelle
affirme sans aucune contradiction que c'est la mort par laquelle
Pierre scellera son témoignage du Christ.
Le
Seigneur dit alors à Pierre : « Suis-moi. » Ce
commandement a un sens à la fois immédiat et futur.
L'homme suit Jésus sur la rive tandis qu'il s'éloigne
des autres ; dans quelques années, Pierre suivra son Seigneur
sur la croix. Il ne fait aucun doute que Pierre comprend l'allusion à
son martyre, comme le montrent ses écrits, des années
plus tard. Tandis que le Christ et Pierre marchent ensemble, ce
dernier, regardant derrière lui, voit que Jean suit, et
demande : « Et celui-ci, Seigneur, que lui arrivera-t-il ? »
Pierre veut avoir un aperçu du sort de son compagnon : Jean
allait-il mourir, lui aussi, pour la foi ? Le Seigneur réplique
: « Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne,
que t'importe ? Toi, suis-moi. » C'est un avertissement à
Pierre qu'il doit s'occuper de son propre devoir et suivre le maître
où que la route le conduise.
Autres
manifestations en Galilée
Jésus
a désigné une montagne de Galilée sur laquelle
il rencontrera les apôtres ; c'est là que les Onze se
rendent. Lorsqu'ils le voient à l'endroit fixé, ils
l'adorent. Le document ajoute que quelques-uns ont des doutes, ce qui
peut sous-entendre qu'il y a là d'autres personnes que les
apôtres, parmi lesquelles s'en trouvent quelques-unes qui ne
sont pas convaincues que le Christ ressuscité a vraiment un
corps. Il se peut que ce soit de cette occasion que Paul parlera un
quart de siècle plus tard, au sujet de laquelle il affirme que
le Christ « a été vu par plus de cinq cents
frères à la fois », dont certains, à
l'époque où Paul écrira, seront morts, mais dont
la majorité sera encore en vie, témoins vivants de son
témoignage.
Aux
personnes qui sont assemblées sur la montagne, Jésus
déclare : « Tout pouvoir m'a été donné
dans le ciel et sur la terre. » C'est rien moins que
l'affirmation de sa divinité absolue. Son autorité est
suprême, et ceux qui sont chargés de mission par lui
doivent agir en son nom et en vertu de son pouvoir.
Le
dernier appel et l'ascension
Pendant
les quarante jours qui suivent sa résurrection, le Seigneur se
manifeste aux apôtres à intervalles, parfois à
certains isolément, d'autres fois à tous en même
temps, et les instruit « de ce qui concerne le royaume de Dieu
». Le récit ne précise pas toujours le moment et
le lieu des événements ; mais il n'y a aucune
possibilité de douter de l'importance des enseignements que le
Seigneur donne pendant cette période. Une grande partie des
choses qu'il dit et fait n'est pas écrite, mais celles qui
sont écrites, assure Jean à ses lecteurs « l'ont
été afin que vous croyiez que Jésus est le
Christ, le Fils de Dieu, et qu'en croyant, vous ayez la vie en son
nom ».
Comme
le moment de son ascension approche, le Seigneur dit aux apôtres
: « Allez dans le monde entier et prêchez la bonne
nouvelle à toute la création. Celui qui croira et qui
sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas
sera condamné. Voici les signes qui accompagneront ceux qui
auront cru : En mon nom, ils chasseront les démons ; ils
parleront de nouvelles langues ; ils saisiront des serpents ; s'ils
boivent quelque breuvage mortel, il ne leur fera point de mal ; ils
imposeront les mains aux malades et ceux-ci seront guéris ».
En
contraste avec leur mission précédente, dans laquelle
ils étaient envoyés uniquement « vers les brebis
perdues de la maison d'Israël », ils doivent maintenant
aller vers le Juif et le Gentil, l'esclave et l'homme libre,
l'humanité en général, quels que soient la
nation, le pays ou la langue. Le salut par la foi au Seigneur
Jésus-Christ suivie du repentir et du baptême doit être
offert librement à tous ; dorénavant quiconque rejette
l'offre tombera sous la condamnation. Il promet que des signes et des
miracles « accompagneront ceux qui auront cru », ce qui
confirmera leur foi en la puissance divine, mais rien ne leur permet
de croire que ces manifestations doivent précéder la
foi pour appâter le chercheur de miracles crédule.
Le
Seigneur répète aux apôtres que la promesse du
Père se réalisera par la venue du Saint-Esprit. Il leur
ordonne de rester à Jérusalem, où ils sont
maintenant retournés de Galilée, jusqu'à ce
qu'ils soient « revêtus de la puissance d'en haut »
; et il ajoute : « Car Jean a baptisé d'eau, mais vous,
dans peu de jours, vous serez baptisés d'Esprit Saint ».
Dans
cette entrevue solennelle, probablement alors que le Sauveur
ressuscité conduit les Onze de la ville vers leur endroit
favori sur le mont des Oliviers, les frères, encore imprégnés
de leur conception que le royaume de Dieu doit être
l'établissement d'un pouvoir et d'une domination terrestres,
lui demandent : « Seigneur, est-ce en ce temps que tu
rétabliras le royaume pour Israël ? » Jésus
répond : « Ce n'est pas à vous de connaître
les temps ou les moments que le Père a fixés de sa
propre autorité. Mais vous recevrez une puissance, celle du
Saint-Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins à
Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie et
jusqu'aux extrémités de la terre ». Leur devoir
est défini et souligné de la manière suivante :
« Allez, faites de toutes les nations des disciples,
baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et
enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et
voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du
monde ».
Lorsque
le Christ et les disciples parviennent aux alentours de Béthanie,
le Seigneur lève les mains et les bénit ; et tandis
qu'il parle encore, il s'élève du milieu d'eux, et ils
le regardent tandis qu'il monte jusqu'à ce qu'une nuée
le dérobe à leur vue. Tandis que les apôtres ont
les regards fixés vers le ciel, deux personnages vêtus
de blanc apparaissent à leur côté ; ils
s'adressent aux Onze en disant : « Vous Galiléens,
pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? Ce
Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu
de vous, reviendra de la même manière dont vous l'avez
vu aller au ciel ».
Pleins
d'adoration et animés d'une grande joie, les apôtres
retournent à Jérusalem pour y attendre la venue du
Consolateur. L'ascension du Seigneur est chose accomplie ; son départ
a été le départ littéral d'un être
matériel, aussi réellement que sa résurrection a
été le retour véritable de son esprit dans son
corps de chair, jusqu'alors mort. Le monde a reçu et a encore
la promesse merveilleuse que Jésus le Christ, l'être qui
s'est élevé du mont des Oliviers dans son corps
immortalisé de chair et d'os reviendra en descendant des cieux
dans une forme et une substance matérielles semblables.
DANS LE ROYAUME DES ESPRITS DÉSINCARNÉS
Revenons
à l'intervalle qui a séparé la mort de Jésus
de sa résurrection. Il est mort dans le sens littéral
dans lequel tous les hommes meurent. Il a subi une dissolution
physique en vertu de laquelle son esprit immortel a été
séparé de son corps de chair et d'os, et ce corps est
bel et bien mort. Tandis que le cadavre git dans le tombeau de Joseph
creusé dans le roc, le Christ vivant existe comme esprit
désincarné. Nous pouvons nous demander où il est
et quelles sont ses activités au cours de l'intervalle qui
s'étend entre sa mort sur la croix et sa sortie du sépulcre
lorsque son esprit et son corps sont réunis de nouveau et
qu'il devient une âme ressuscitée. La théorie qui
vient tout naturellement à l'esprit, c'est qu'il s'est rendu
là où les esprits des morts vont ordinairement ; et
que, puisque dans la chair il a été Homme parmi les
hommes, il est dans l'état désincarné, Esprit
parmi les esprits. Les Écritures confirment cette conception,
car d'après elles c'est un fait réel.
Jésus-Christ
est le Rédempteur et Sauveur élu et ordonné de
l'humanité ; il a été mis à part pour
cette mission sublime au commencement, avant même que la terre
fût préparée pour être la résidence
du genre humain. Des multitudes innombrables qui n'ont jamais entendu
l'Évangile ont vécu et sont mortes sur la terre avant
la naissance de Jésus. De ces morts innombrables, beaucoup ont
passé l'épreuve mortelle en observant la loi de Dieu à
des degrés divers, dans la mesure où elle leur avait
été révélée, mais sont morts dans
une ignorance de l'Évangile dont on ne peut les blâmer ;
tandis que d'autres multitudes ont vécu et sont mortes
coupables de transgressions envers cette portion de la loi de Dieu
aux hommes qui leur a été enseignée et à
laquelle elles ont professé obéir. La mort les a tous
enlevés, aussi bien les justes que les injustes.
C'est
eux que le Christ va trouver, leur apportant la nouvelle sublime
qu'ils sont rachetés des liens de la mort et qu'il leur est
possible d'être sauvés des effets des péchés
qu'ils ont commis personnellement. Cette oeuvre fait partie du
service prédéterminé et unique que le Sauveur
doit rendre à la famille humaine. Le cri de joie divine poussé
sur la croix : « Tout est accompli » signifie la fin de
la mission du Seigneur dans la mortalité ; mais il lui reste
cependant un autre ministère à remplir avant de
retourner auprès du Père.
Quand
le transgresseur repentant, crucifié à son côté,
demande au Seigneur de se
souvenir
de lui lorsqu'il viendra dans son règne, le Christ le rassure
par des paroles de réconfort : « En vérité,
je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis. »
L'esprit de Jésus et l'esprit du voleur repentant quittent
leur corps crucifié et se rendent au même endroit dans
le royaume des défunts. Le troisième jour, Jésus,
alors ressuscité, affirme à Marie-Madeleine en pleurs :
« Je ne suis pas encore monté vers mon Père. »
Il est allé au paradis mais non pas à l'endroit où
Dieu demeure. Le paradis n'est donc pas le ciel, si par ce dernier
terme nous entendons la demeure du Père éternel et de
ses enfants célestialisés. Le paradis est le lieu où
demeurent les esprits justes et repentants entre la mort et la
résurrection corporelle. Une autre section du monde des
esprits est réservée aux êtres désincarnés
qui ont mené une vie de méchanceté et qui ne se
repentent pas, même après la mort.
Tandis
qu'il est privé de son corps, le Christ instruit les morts,
tant au paradis que
dans
le royaume de la prison où demeurent dans un état
d'attente les esprits des désobéissants.
C'est ce dont témoigne Pierre près de trois décennies
après ce grand
événement
: « Christ aussi est mort une seule fois pour les péchés,
lui juste pour les
injustes,
afin de vous amener à Dieu. Mis à mort selon la chair,
il a été rendu vivant selon
l'Esprit.
Par cet Esprit, il est aussi allé prêcher aux esprits en
prison, qui avaient été
rebelles
autrefois, lorsque la patience de Dieu se prolongeait, aux jours où
Noé
construisait
l'arche dans laquelle un petit nombre de personnes, c'est-à-dire
huit, furent
sauvées
à travers l'eau ».
Les
désobéissants qui ont vécu sur la terre à
l'époque de Noé sont tout particulièrement cités
parmi les bénéficiaires du ministère du Seigneur
dans le monde des esprits. Pendant leur séjour terrestre, ils
se sont rendus coupables de transgressions graves et ont délibérément
rejeté les enseignements et les exhortations de Noé,
ministre terrestre de l'Éternel. À cause de leurs
péchés flagrants ils ont été détruits
dans la chair, et leur esprit a vécu en prison sans espoir, du
moment de leur mort jusqu'à l'avènement du Christ dont
l'esprit
vient parmi eux.
Nous
ne devons pas supposer, parce que Pierre, pour illustrer, parle des
antédiluviens qui ont désobéi, qu'eux seuls sont
compris dans les merveilleuses possibilités qu'offre le
ministère du Christ dans le royaume des esprits ; au
contraire, la raison et la logique nous font conclure que tous ceux
dont la méchanceté dans la chair a conduit leur esprit
en prison, ont eu part aux possibilités de l'Expiation, du
repentir et de la libération. La justice exige que l'Évangile
soit prêché parmi les morts comme il l'a été
et doit l'être encore plus parmi les vivants. Voyons ce que
Pierre dit encore dans son exhortation pastorale aux membres de
l'Église primitive : « Ils en rendront compte à
celui qui est prêt à juger les vivants et les morts.
C'est pour cela, en effet, que les morts aussi ont été
évangélisés, afin qu'après avoir été
jugés selon les hommes quant à la chair, ils vivent
selon Dieu quant à l'Esprit ».
Le
fait que Jésus sait, alors qu'il est encore dans la chair, que
sa mission de Rédempteur et Sauveur universel du genre humain
ne prendra pas fin lorsqu'il mourra est suffisamment démontré
par ce qu'il dit aux casuistes juifs après la guérison,
le jour du sabbat, à Béthesda : « En vérité,
en vérité, je vous le dis, l'heure vient, – et
c'est maintenant – où les morts entendront la voix du
Fils de Dieu ; et ceux qui l'auront entendue vivront. En effet, comme
le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au
Fils d'avoir la vie en lui-même, et il lui a donné le
pouvoir d'exercer le jugement, parce qu'il est Fils de l'homme. Ne
vous en étonnez pas ; car l'heure vient où tous ceux
qui sont dans les tombeaux entendront sa voix. Ceux qui auront fait
le bien en sortiront pour la résurrection et la vie, ceux qui
auront pratiqué le mal pour la résurrection et le
jugement ».
Cette
vérité solennelle que le salut sera accessible aux
morts aussi bien qu'aux vivants grâce à l'expiation du
Christ a été révélée aux
prophètes, des siècles avant l'époque du
ministère du Sauveur. Il est permis à Ésaïe
de voir le destin des impies et l'état préparé
pour les transgresseurs hautains et rebelles de la justice ; mais la
terrible vision est partiellement adoucie par la délivrance
qui a été prévue. « En ce jour-là,
l'Éternel châtiera là-haut l'armée
d'en-haut, et sur la terre les rois de la terre. On les ramassera
comme une masse de détenus dans une fosse, ils seront
emprisonnés dans une prison, et, après un grand nombre
de jours, ils seront châtiés ».
À
ce même grand prophète est montrée l'universalité
de la victoire expiatrice du Sauveur, comprenant la rédemption
du Juif et du Gentil, vivants et morts ; il dit, porte-parole
convaincant de la révélation : « Et ainsi parle
Dieu, l'Éternel, qui a créé les cieux et qui les
déploie, qui étend la terre et ses productions, qui
donne la respiration à ceux qui la peuplent et le souffle à
ceux qui la parcourent. Moi, l'Éternel, je t'ai appelé
pour la justice et je te prends par la main, je te protège et
je t'établis pour faire alliance avec le peuple, pour être
la lumière des nations, pour ouvrir les yeux des aveugles,
pour faire sortir de prison le captif et de leur cachot les habitants
des ténèbres ».
David,
chantant les louanges du Rédempteur dont la domination doit
s'étendre jusqu'aux âmes en enfer, pousse des cris de
joie à la perspective de la délivrance : « Aussi
mon coeur est dans la joie, mon esprit dans l'allégresse, même
mon corps repose en sécurité. Car tu n'abandonneras pas
mon âme au séjour des morts, tu ne permettras pas que
ton bien-aimé voie le gouffre. Tu me feras connaître le
sentier de la vie ; il y a abondance de joies devant ta face, des
délices éternelles à ta droite ».
Ces
Écritures et d'autres encore montrent que le ministère
du Christ parmi les désincarnés était prévu,
prédit et a été accompli. Le fait que l'Évangile
a été prêché aux morts implique
nécessairement que les morts ont la possibilité de
l'accepter et de bénéficier du salut qu'il offre. Dans
la providence miséricordieuse du Tout-Puissant, il a été
prévu que les vivants agiront par procuration pour les morts
dans les sacrements essentiels au salut, de sorte que tous ceux qui,
dans le monde des esprits, acceptent la parole de Dieu qui leur aura
été prêchée, acquièrent la foi
véritable que Jésus-Christ est le seul et unique
Sauveur et se repentent avec contrition de leurs transgressions,
bénéficieront de l'effet salvateur du baptême
d'eau pour la rémission des péchés et recevront
le baptême de l'Esprit ou le don du Saint-Esprit.
Paul
cite le principe et la pratique du baptême des vivants pour les
morts pour prouver la réalité de la résurrection
: « Autrement, que feraient ceux qui se font baptiser pour les
morts ? Si les morts ne ressuscitent absolument pas, pourquoi se
font-ils baptiser pour eux ? » Le libre arbitre, droit divin de
toute âme humaine, ne sera pas annulé par la mort. Ce
n'est que lorsque les esprits des morts deviendront pénitents
et fidèles qu'ils profiteront de l'oeuvre qui est accomplie
par procuration en leur faveur sur la terre.
C'est
le Christ qui a commencé l'oeuvre missionnaire parmi les morts
; qui de nous peut
douter
qu'elle a été poursuivie par ses serviteurs autorisés,
les désincarnés, qui ont reçu, tandis qu'ils
étaient dans la chair, par ordination au sainr sacerdoce, la
mission de prêcher l'Évangile et d'en administrer les
sacrements ? Qui peut en douter alors que l'Écriture implique
si abondamment que les apôtres fidèles qui restèrent
pour édifier l'Église sur la terre après le
départ de son Fondateur divin, ainsi que d'autres ministres de
la parole de Dieu ordonnés au sacerdoce par l'autorité
dans l'Église primitive, sont passés du service du
ministère parmi les mortels à la continuation de cette
oeuvre parmi les désincarnés ? Ils sont appelés
à suivre les traces du Maître, oeuvrant ici-bas parmi
les vivants et dans l'au-delà parmi les morts.
La
victoire du Christ sur la mort et le péché serait
incomplète si ses effets étaient limités à
la petite minorité qui a entendu, accepté et respecté
l'Évangile de salut dans la chair. Pour être sauvé,
il est essentiel de se conformer aux lois et aux ordonnances de
l'Évangile. Nulle part les Écritures ne font, sous ce
rapport, de distinction entre les vivants et les morts. Les morts
sont ceux qui ont vécu dans la mortalité sur la terre ;
les vivants sont des mortels qui doivent encore passer par le
changement prévu que nous appelons la mort. Tous sont enfants
du même Père, tous doivent être jugés et
récompensés ou punis par la même justice qui ne
se trompe pas, avec la même intervention d'une douce
miséricorde.
Le
sacrifice expiatoire du Christ a été offert, non
seulement pour ceux qui vivaient sur la terre tandis qu'il était
dans la chair, et pour ceux qui devaient naître dans la
mortalité après sa mort, mais pour tous les habitants
de la terre alors passés, présents et à venir.
Le Père l'ordonna juge tant des vivants que des morts ; il est
aussi bien le Seigneur des vivants que des morts, pour employer la
terminologie des hommes qui parlent des morts et des vivants, bien
que tous doivent être mis sur le même pied devant lui ;
il n'y aura qu'une seule classe, car tous sont vivants en lui. Tandis
que son corps reposait dans le tombeau, le Christ s'occupait
activement à continuer d'accomplir les desseins du Père,
en offrant les bienfaits du salut aux morts, tant au paradis qu'en
enfer.