Semaine de la passion du Christ

racontée en termes simples et chronologiques, un jour à la fois


Adaptation du récit des événements tels que les rapporte James E. Talmage (1862-1933) dans son livre intitulé Jésus le Christ (1915),
sur le fondement des quatre évangiles. Le récit se poursuit jusqu'à l'ascension du Christ.



INTRODUCTION

Lors de son dernier hiver, Jésus évite toute apparition publique et lorsqu'arrive le printemps il déclare aux Douze : « Voici : nous montons à Jérusalem ; et tout ce qui a été écrit par les prophètes au sujet du Fils de l'homme s'accomplira. Car il sera livré aux païens ; on se moquera de lui, on le maltraitera, on crachera sur lui et, après l'avoir flagellé on le fera mourir ; et le troisième jour il ressuscitera. »

Les Douze ne comprennent pas ce qu'il veut dire. Luc rapporte : « Mais ils n'y comprirent rien ; ces paroles leur restaient cachées ; ils ne savaient pas ce que cela voulait dire. » C'est la troisième fois que le Seigneur annonce aux Douze sa mort proche et sa résurrection ; mais ils ne peuvent se résoudre à l'accepter.

DIMANCHE

L'entrée triomphale à Jérusalem

Alors qu'il se trouve à Béthanie ou dans le village voisin de Bethphagé, ses disciples amènent à Jésus, à sa demande, un ânon, étendent leurs manteaux sur le dos de l'animal et y font asseoir le Maître. Et le groupe se met en route pour Jérusalem.

Comme c'est l'habitude, un grand nombre de personnes se rendent à la ville plusieurs jours avant le commencement des rites de la Pâque, pour régler les questions de purification personnelle et payer leurs arriérés dans l'offrande des sacrifices prescrits. Le grand moment où la fête doit commencer n'est que quatre jours plus tard, mais la ville est déjà bondée de pèlerins ; parmi eux on discute beaucoup pour savoir si Jésus s'aventurera à paraître publiquement à Jérusalem au cours de la fête, étant donné les plans bien connus des dirigeants de le faire arrêter.

Le commun du peuple s'intéresse à toutes les actions et à tous les mouvements du Maître, et la nouvelle qu'il a quitté Béthanie le devance, de sorte que lorsqu'il se met à descendre la partie la plus élevée de la route, au flanc du mont des Oliviers, de grandes foules sont autour de lui. Le peuple se réjouit de voir Jésus se diriger vers la ville sainte ; les gens étendent leurs vêtements et jettent des feuilles de palmiers et d'autres feuillages sur son chemin, tout comme pour le passage d'un roi. Ils crient : « Béni soit le roi, celui qui vient au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel, et gloire dans les lieux très hauts ! » Et encore : « Hosanna au Fils de David ! ».

Mais lorsqu'il arrive en vue de la ville, Jésus pleure à cause de la méchanceté de son peuple ; il voit par avance la destruction prochaine de la ville et du temple et déplore : « Il viendra sur toi des jours où tes ennemis t'environneront de palissades, t'encercleront et te presseront de toutes parts ; ils t'écraseront, toi et tes enfants au milieu de toi, et ne laisseront pas en toi pierre sur pierre. »

Le Seigneur traverse le portail et entre dans la ville. Les Pharisiens sont jaloux des honneurs donnés à quelqu'un dont ils complotent la mort depuis longtemps. Certains des Pharisiens se frayent un chemin dans la foule jusqu'à Jésus, et lui disent : « Maître, reprends tes disciples. » Mais le Seigneur répond : « Je vous le dis, s'ils se taisent, les pierres crieront ! » Les principaux sacrificateurs, les scribes et les Pharisiens, les représentants officiels de la théocratie, la hiérarchie du judaïsme, enrage ; le peuple rend les honneurs à ce Nazaréen, et cela dans l'enceinte même du temple.

Des Grecs lui rendent visite

Parmi les multitudes qui se rendent à Jérusalem à l'époque de la Pâque annuelle, il y a des gens de nombreuses nations. Certains d'entre eux, bien que n'étant pas d'ascendance juive, ont été convertis au judaïsme ; certains Grecs, qui comptent de toute évidence parmi les convertis, demandent un entretien avec Jésus. Ces Grecs désirent vivement voir et entendre le Maître dont la réputation est parvenue jusqu'à leur pays et dont les enseignements les ont frappés. Comme nous pouvons le déduire du contexte, Jésus les reçoit favorablement, les enseigne et leur atteste que l'heure de sa mort est proche.

Voici comment se termine le récit du premier jour de ce qui plus tard prendra le nom de Semaine de la passion du Seigneur : « Quand il eut tout regardé, vu l'heure tardive, il s'en alla à Béthanie avec les douze ».

LUNDI

Le figuier stérile

Le lendemain lundi, deuxième jour de la semaine de la Passion, Jésus et les Douze retournent à Jérusalem et passent la plus grande partie de la journée au temple. Sur la route, lorsque Jésus et son groupe parviennent à un figuier dont ils s'attendent à ce qu'il donne du fruit en abondance, ils n'y trouvent que des feuilles ; c'est un arbre stérile. Il n'a même pas de vieilles figues, celles de la saison précédente, qu'on trouve souvent au printemps sur les arbres fertiles. Jésus prononce sur cet arbre la sentence de la stérilité perpétuelle : « Que jamais personne ne mange plus de ton fruit ! Qu'aucun fruit ne naisse jamais plus de toi ! » Et à l'instant le figuier sèche.

Pour les apôtres, cet acte est une preuve du pouvoir que le Seigneur possède sur la nature, de son contrôle sur les forces naturelles et toutes les choses matérielles, de son autorité sur la vie et sur la mort. Il a guéri des multitudes ; le vent et les vagues ont obéi à ses paroles ; en trois occasions il a rendu les morts à la vie. Il convient qu'il montre aussi son pouvoir de frapper et de détruire. Il a relevé une jeune fille du lit sur lequel elle était morte, un jeune homme de la bière sur laquelle on le portait au tombeau, un autre du sépulcre dans lequel son cadavre avait été déposé ; mais pour prouver son pouvoir de détruire d'un mot, il choisit pour sujet un arbre stérile et sans valeur. Sa stérilité totale à laquelle s'ajoute son abondance de feuillage en fait un type de l'hypocrisie humaine.

Deuxième purification du temple

Arrivé au temple, Jésus expulse des cours du temple tous ceux qui vendent et achètent dans le temple. Il renverse les tables des changeurs et les sièges des vendeurs de pigeons, et il ne permet à personne de passer ses seaux et ses paniers à l'intérieur de l'enceinte, comme beaucoup ont l'habitude de le faire, comme dans une rue ordinaire. « Il est écrit », leur dit-il : « Ma maison sera appelée une maison de prière. Mais vous, vous en faites une caverne de voleurs. » Personne ne peut résister à son autorité.

Son indignation est pourtant suivie d'actes de guérisons : dans les cours du temple, les aveugles et les invalides s'approchent de lui comme ils peuvent et il les guérit, ce qui suscite la colère des principaux sacrificateurs et des scribes, mais ils sont impuissants. Ils ont décrété sa mort et ont tenté plusieurs fois de se saisir de lui, et voilà qu'il est là à l'endroit même sur lequel ils prétendent avoir autorité, et ils ont peur de le toucher à cause des gens du commun qu'ils craignent, car tout le peuple est suspendu aux lèvres de Jésus.

La rage des dirigeants est encore accrue par un incident : Des enfants voient ce qu'il fait, ils reconnaissent en lui le Christ et chantent : « Hosanna au Fils de David. » Les officiers du temple lui demandent : « Entends-tu ce qu'ils disent ? » Ils s'attendent probablement à ce qu'il refuse le titre ou espèrent peut-être qu'il réaffirme ses prétentions d'une manière qui leur donnerait une excuse pour intenter une action légale contre lui, car pour la plupart d'entre eux le Fils de David est le Messie, le Roi promis. Jésus répond : « Oui. N'avez-vous jamais lu ces paroles : Tu as tiré des louanges de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle ? »

C'est lundi soir ; Jésus quitte la ville et se retire de nouveau à Béthanie, où il loge. Cette action est prudente, étant donnée la détermination des dirigeants à le faire tomber en leur pouvoir s'ils peuvent le faire sans exciter le peuple. Cela, il leur est impossible de le faire le jour, car partout où il apparait il est le centre d'intérêt de la multitude ; mais s'il reste la nuit à Jérusalem, ils pourront réussir à se saisir de lui, sauf s'il leur résiste par quelque action miraculeuse.

MARDI

Son autorité mise au défi par les dirigeants

Le lendemain, c'est-à-dire le mardi, Jésus retourne au temple avec les Douze. Dans le temple, il prêche l'Évangile à tous ceux qui veulent l'entendre. Les principaux sacrificateurs et un certain nombre de scribes et d'anciens se dirigent en groupe vers lui. Ils ont discuté à son sujet pendant la nuit et se sont décidés à faire au moins un pas ; ils vont contester son autorité pour ce qu'il a fait la veille en disant : « Par quelle autorité fais-tu cela, et qui t'a donné cette autorité ? » Ils ont connaissance de son ministère de trois années de miracles et d'enseignements ; la veille, des aveugles et des boiteux ont été guéris à l'intérieur des murs du temple ; et Lazare, témoignage vivant de la puissance que le Seigneur a sur la mort, se trouvait devant eux.

Jésus ne trouve pas utile de donner une réponse dans laquelle ils pourraient trouver une autre occasion de s'opposer à lui ; mais il profite d'une méthode très commune parmi eux : celle de répondre à une question par une autre. « Jésus leur répondit : je vous poserai moi aussi une seule question, et si vous m'y répondez je vous dirai par quelle autorité je fais cela. Le baptême de Jean, d'où venait-il ? Du ciel, ou des hommes ? »

Ils se consultent pour savoir quelle serait la meilleure réponse pour se sortir de cette situation embarrassante ; s'ils répondent que le baptême de Jean était de Dieu, Jésus leur demandera pourquoi ils n'ont pas cru au Baptiste et pourquoi ils n'acceptent pas le témoignage que Jean a rendu de lui. D'autre part, s'ils affirment que Jean n'avait pas l'autorité divine de prêcher et de baptiser, le peuple se tournera contre eux, car le Baptiste martyrisé est révéré comme un prophète par les masses. Malgré l'érudition dont ils se vantent, ils sont embarrassés et préfèrent botter en touche en répondant : « Nous ne savons pas ». Alors Jésus leur dit : « Moi non plus, je ne vous dirai pas par quelle autorité je fais cela. »

Les principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple sont battus en finesse et humiliés, et la multitude observe avec intérêt. Le Maître poursuit en leur racontant une série de trois paraboles dont ils sentent que chacune s'applique à eux : la parabole des deux fils, la parabole des vignerons et la parabole des noces. À chaque fois ils se reconnaissent dans le mauvais rôle. Lorsqu'ils se rendent compte de leur défaite et qu'ils sont humiliés aux yeux du peuple, ils en conçoivent une colère sans mesure et vont jusqu'à essayer de se saisir de lui à l'intérieur même du temple ; mais la sympathie de la multitude étant en sa faveur, les ecclésiastiques s'abstiennent.

Conspiration des Pharisiens et des Hérodiens

Les autorités juives persistent dans leurs efforts pour tenter ou entraîner Jésus à commettre un acte ou à prononcer une parole sur lesquels elles pourraient baser l'accusation qu'il a commis un délit, soit en vertu de leur loi, soit en vertu de la loi romaine. Les Pharisiens se consultent « sur les moyens de prendre Jésus au piège de ses propres paroles ».

Ils envoient une délégation lui poser une question : Est-il permis, ou non, de payer le tribut à César ? » Si Jésus répond « oui », les Pharisiens peuvent monter la multitude contre lui en faisant de lui un fils déloyal d'Abraham ; s'il répond « non », les Hérodiens le dénonceront comme fomenteur de troubles contre le gouvernement romain. Mais Jésus qui connaît leur malice répond : « Pourquoi me mettez-vous à l'épreuve, hypocrites ? Montrez-moi la monnaie avec laquelle on paie le tribut », commande-t-il, et ils lui présentent un denier romain portant l'effigie et le nom de Tibère, empereur de Rome. « De qui sont cette effigie et cette inscription ? » demande-t-il. Ils répondent : « De César. » Alors il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ».

Cette réponse est magistrale ; elle fixe la base des rapports entre les devoirs spirituels et séculiers, entre l'Église et l'État. Pharisiens et Hérodiens sont réduits au silence par la sagesse de la réponse. Quoi qu'ils fassent, ils ne peuvent « le prendre à l'une de ses paroles » et sont humiliés devant le peuple qui est témoin. Sur ce, ils s'en vont.

Questions des Sadducéens

Ensuite les Sadducéens essaient de désarçonner Jésus en posant ce qu'ils considèrent comme une question compliquée sinon très difficile. Les Sadducéens ont pour croyance qu'il ne peut y avoir de résurrection du corps, doctrine sur laquelle ils s'opposent aux Pharisiens. La question posée par les Sadducéens en cette occasion a directement trait à la résurrection et est formulée de manière à discréditer cette doctrine en lui donnant une application extrêmement peu favorable et grossièrement exagérée. « Maître », dit le porte-parole du groupe, « Moïse a dit : Si quelqu'un meurt sans enfants, son frère épousera la veuve et suscitera une descendance à son frère. Or, il y avait parmi nous sept frères. Le premier se maria et mourut, et comme il n'avait pas d'enfants, il laissa sa femme à son frère. Il en fut de même du deuxième, puis du troisième, jusqu'au septième. Après eux tous, la femme mourut. À la résurrection, duquel des sept frères sera-t-elle donc la femme ? Car tous l'ont eue. »

La loi mosaïque autorise alors et exige que le frère vivant d'un mari décédé et sans enfants épouse sa veuve dans le but d'élever des enfants au nom du mort, dont la lignée familiale sera légalement continuée. Un état de choses tel que celui que présentent les Sadducéens dans lequel sept frères, l'un après l'autre, ont eu pour épouse et laissée veuve sans enfants la même femme, est possible en vertu du code mosaïque relatif au lévirat, mais c'est un exemple extrêmement improbable.

Jésus ne perd pas de temps à discuter des éléments du problème qui lui est présenté ; que le cas soit théorique ou réel n'a pas d'importance, puisque la question : « De qui sera-t-elle donc la femme ? » est fondée sur une fausse conception. Jésus leur répond : « Vous êtes dans l'erreur, parce que vous ne comprenez ni les Écritures, ni la puissance de Dieu. Car à la résurrection, les hommes ne prendront pas de femmes, ni les femmes de maris, mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel. »

L'intention du Seigneur est claire : dans l'état ressuscité, il n'y a aucun doute sur le point de savoir duquel des sept frères la femme sera l'épouse pour l'éternité, puisque tous, sauf le premier, ne l'a épousée que pour la durée de la vie ici-bas et avant tout dans le but de perpétuer dans la mortalité le nom et la famille du frère qui est mort le premier. Voici une partie des paroles du Seigneur telles que Luc les rapporte : « Mais ceux qui seront trouvés dignes d'avoir part au siècle à venir et à la résurrection d'entre les morts ne prendront ni femmes ni maris. Ils ne pourront pas non plus mourir, parce qu'ils seront semblables aux anges et qu'ils seront fils de Dieu, étant fils de la résurrection. » Dans la résurrection, on ne se mariera pas ni ne donnera en mariage, car toutes les questions relatives à l'état matrimonial doivent être réglées avant ce moment-là, selon l'autorité du saint sacerdoce, qui détient le pouvoir d'unir en mariage pour le temps et l'éternité.

Ensuite Jésus passe du cas présenté par ses interlocuteurs à la réalité de la résurrection, qui est impliquée par la question. « Pour ce qui est de la résurrection des morts, n'avez-vous pas lu ce que Dieu vous a dit : Moi, je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob ? Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants. » C'est une attaque directe contre la doctrine sadducéenne qui nie la résurrection littérale des morts. Les Sadducéens se distinguent comme défenseurs zélés de la loi, dans laquelle l'Éternel affirme lui-même être le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ; et cependant ils nient qu'il soit possible à ces patriarches de ressusciter et rendent le titre, sous lequel le Seigneur s'est révélé à Moïse, valide seulement au cours de la brève existence mortelle des ancêtres de la nation israélite. En déclarant que l'Éternel n'est pas le Dieu des morts mais des vivants, Jésus dénonce de manière irréfutable la déformation des Écritures par les Sadducéens ; et le Seigneur ajoute : « Votre erreur est grande. » Certains des scribes présents sont frappés par cette démonstration et s'exclament avec approbation : « Maître, tu as bien parlé. » Les Sadducéens sont convaincus d'erreur et réduits au silence. « Et ils n'osaient plus lui poser aucune question. »

Question des Pharisiens

Les Pharisiens, se réjouissant sous cape de la déconfiture de leurs rivaux, réunissent maintenant suffisamment de courage pour préparer une autre attaque à leur propre compte. L'un d'entre eux, docteur de la loi, titre sous lequel nous pouvons entendre l'un des scribes, qui était également professeur des lois ecclésiastiques, demande : « Quel est le premier de tous les commandements ? » ou, comme Matthieu rapporte la question : « Maître, quel est le grand commandement de la loi ? » La réponse est prompte, tranchante et universelle au point de couvrir dans leur intégralité les exigences de la loi. Jésus répond : « Voici le premier : Écoute Israël, le Seigneur, notre Dieu, le Seigneur est un, et tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a pas d'autre commandement plus grand que ceux-là. » Matthieu formule la fin de cette déclaration comme suit : « De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes. »

Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit, c'est le servir et garder tous ses commandements. Aimer son prochain comme soi-même, c'est être un frère dans le sens à la fois le plus large et le plus exigeant du terme. C'est pourquoi le commandement d'aimer Dieu et l'homme est le plus grand, étant donné que le tout est plus grand que l'une quelconque de ses parties. Quel besoin aurait-on du décalogue si l'humanité obéissait à ce premier grand commandement universel ? La réponse que le Seigneur fait à la question est convaincante même pour le savant scribe qui s'est présenté comme porte parole de ses collègues pharisiens. L'homme est suffisamment honnête pour admettre la droiture et la sagesse sur lesquelles la réponse repose et exprime son accord en disant : « Bien, maître, tu as dit avec vérité que Dieu est unique et qu'il n'y en a pas d'autre que lui, et que l'aimer de tout son cœur, de toute son intelligence et de toute sa force, ainsi qu'aimer son prochain comme soi même, c'est plus que tous les holocaustes et tous les sacrifices. » Jésus n'est pas moins prompt que le scribe en reconnaissant le mérite des paroles d'un adversaire ; et il encourage l'homme en lui assurant : « Tu n'es pas loin du royaume de Dieu. »

Il se fait questionneur

Sadducéens, Hérodiens, Pharisiens, docteurs de la loi et scribes ont tour à tour subi la déconfiture et la défaite dans leurs efforts pour embrouiller Jésus dans des questions de doctrine ou de pratique et ont complètement échoué dans leurs tentatives pour l'amener à commettre un acte ou prononcer une parole qui leur permettrait de l'accuser légalement de délit.

Dénonciation des scribes et des Pharisiens

Jésus s'adresse à ses interlocuteurs déjà décontenancés et en colère contre lui et leur déclare huit fois de suite : « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites ! Parce que vous… » suivi à chaque fois d'une accusation sévère.

Lamentation ur Jérusalem

Puis, des hauteurs du temple, il contemple la ville qui va bientôt être détruite, éprouve un profond chagrin et se lamente : « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l'avez pas voulu ! Voici : votre maison vous est laissée déserte, car je vous le dis, vous ne me verrez plus désormais jusqu'à ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! »

L'offrande de la veuve

Jésus quitte la cour ouverte, se dirige vers le trésor du temple et là, il s'assoit, pensif. Il y a dans ce lieu treize coffres, chacun muni d'un réceptacle en forme de trompette ; et c'est là que le peuple dépose ses contributions pour les divers objectifs indiqués par les inscriptions des boîtes. Jésus observe les files de donateurs, de tous rangs et de tous niveaux de richesse et de pauvreté. Certains déposent leurs dons avec dévotion et sincérité, d'autres y jettent ostensiblement de grandes sommes d'argent et d'or surtout pour être vus des hommes. Parmi la foule se trouve une veuve pauvre qui, faisant probablement un effort pour échapper à l'attention, laisse tomber dans l'un des coffres du trésor deux petites pièces de bronze appelées oboles. Le Seigneur appelle ses disciples autour de lui, attire leur attention sur la veuve et dit : « En vérité, je vous le dis, cette pauvre veuve a mis plus qu'aucun de ceux qui ont mis dans le tronc ; car tous ont mis de leur superflu, mais elle a mis de son nécessaire, tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre. »

Départ définitif du temple

Les discours publics du Seigneur et les discussions ouvertes auxquelles il participe avec des officiels ecclésiastiques au cours de ses visites quotidiennes au temple pendant la première moitié de la semaine de la Passion, pousse un grand nombre d'entre les principaux dirigeants, ainsi que d'autres, à en venir à croire qu'il véritablement le Fils de Dieu ; mais la peur d'être persécutés par les Pharisiens et la crainte d'être excommuniés de la synagogue les empêche de confesser la loyauté qu'ils éprouvent et d'accepter le moyen de salut qui leur est offert.

Il se peut que ce soit au moment où Jésus se dirige pour la dernière fois vers ce grand portail de sortie du temple qu'il prononce le témoignage solennel de sa divinité rapporté par Jean. Il crie d'une voix forte aux dirigeants sacerdotaux et à la multitude en général : « Celui qui croit en moi, croit, non pas en moi, mais en celui qui m'a envoyé ; et celui qui me contemple, contemple celui qui m'a envoyé. » Il proclame de nouveau être la lumière du monde et ajoute : « Mes paroles ne viennent pas de moi ; mais le Père, qui m'a envoyé, m'a commandé lui-même ce que je dois dire et ce dont je dois parler. Et je sais que son commandement est la vie éternelle. Ainsi ce dont je parle, j'en parle comme le Père me l'a dit. »

Prédiction de la destruction du temple

Comme Jésus quitte l'enceinte du temple, un disciple ou davantage attirent son attention sur le magnifique bâtiment. Le commentaire que le Seigneur fait en réponse est une prophétie de la destruction totale du temple et de tout ce qui y a trait. « En vérité je vous le dis, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit renversée. » Telle est la prédiction. Ceux qui l'entendent sont abasourdis ; ils n'essaient pas d'en savoir plus en posant des questions ou par d'autres réactions. L'accomplissement littéral de cette menace ne sera qu'un incident dans la destruction de la ville moins de quarante ans plus tard.

Après le départ définitif du Seigneur hors du temple, qui se produit probablement l'après-midi du mardi de cette dernière semaine, son ministère public prend fin. Quels que soient les discours, les paraboles ou les sacrements qui vont suivre, ils ne serviront plus qu'à instruire et à investir davantage les apôtres.

MARDI

Prophéties sur la destruction de Jérusalem et la Seconde Venue

Au cours de son dernier voyage de retour de Jérusalem à la maison de Béthanie, Jésus se repose en un endroit favorable du mont des Oliviers d'où l'on peut voir la grande ville et le temple magnifique, illuminés par le soleil déclinant vers la fin de l'après-midi de ce jour mouvementé d'avril. Tandis qu'il est assis, perdu dans ses pensées, Pierre, Jacques, Jean et André s'approchent de lui, et il donne, certainement à eux bien que probablement aussi à tous les apôtres, des enseignements contenant d'autres prophéties relatives à l'avenir de Jérusalem, d'Israël et du monde entier. Sa prédiction que des bâtiments du temple il ne restera pas pierre sur pierre a étonné et effrayé les apôtres ; ils viennent donc en privé lui demander des explications. « Dis-nous, dirent-ils, quand cela arrivera et quel sera le signe de ton avènement et de la fin du monde ? » D'après la manière dont ils formulent leur question, les apôtres doivent penser que les événements se suivront de près.

Leur question porte sur le temps : Quand ces choses se produiront-elles ? La réponse ne parle pas de dates mais d'événements ; et l'esprit du discours qui suit est un avertissement contre les malentendus et une exhortation à veiller sans cesse.

L'ordre chronologique des événements prédits dans ce discours sur les choses à venir est le suivant : tout d'abord il doit y avoir une période de persécutions violentes contre les apôtres et l'Église dont ils auront la charge ; puis la destruction de Jérusalem, avec toutes les horreurs d'une guerre ; à cela succédera une longue période d'apostasie avec de violentes dissensions confessionnelles et de cruelles persécutions des justes.

Paraboles pour illustrer la nécessité de la vigilence et de la diligence

Jésus décrit en paraboles l'état futur de l'humanité dans les derniers temps. La première de ces descriptions est la parabole des dix vierges.

Puis, tandis que les ombres du soir s'intensifient autour du mont des Oliviers, le Seigneur s'adresse aux apôtres et donne la dernière des paraboles qui nous soient rapportées : la parabole des talents. Dans cette parabole, le Seigneur est sur le point de partir et ne reviendra que « longtemps après » ; l'importance de ce dernier détail est la même que celle que nous trouvons dans la parabole des dix vierges lorsqu'il y est déclaré que l'époux tarde.

Autre prédiction de sa mort

Après avoir instruit les apôtres à l'endroit où ils se reposent au mont des Oliviers et probablement pendant la suite du trajet vers Béthanie ce soir-là, Jésus rappelle aux Douze le sort qui l'attend et précise l'époque où il sera trahi et la manière dont il mourra. « Vous savez », dit-il, « que la Pâque a lieu dans deux jours, et que le fils de l'homme sera livré pour être crucifié ».

MERCREDI

Les conspirateurs ecclésiastiques et le traître

À l'approche de la fête annuelle de la Pâque, et en particulier au cours des deux jours qui précèdent immédiatement le commencement de la fête, les principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple, bref, le sanhédrin et le parti ecclésiastique tout entier, se consulte constamment pour déterminer la meilleure façon d'arrêter Jésus et de le mettre à mort. À l'une de ces assemblées, qui se tient au palais du souverain sacrificateur, Caïphe, on décide de se saisir de Jésus d'une manière subtile si possible, car une arrestation ouverte aurait probablement pour effet de soulever le peuple. Les dirigeants craignent tout particulièrement un éclat des Galiléens, qui manifestent une fierté de provinciaux devant l'importance de Jésus, un des leurs, et dont un grand nombre se trouve alors à Jérusalem. On conclut en outre, et pour les mêmes raisons, que la coutume juive de faire des exemples frappants des transgresseurs notoires en leur infligeant un châtiment public aux époques des grandes assemblées générales doit être mise de côté dans le cas de Jésus ; les conspirateurs disent donc : « Pas en pleine fête, afin qu'il n'y ait pas de tumulte parmi le peuple. »

Ils ont déjà vainement essayé en d'autres occasions de se saisir de Jésus, et ils doutent naturellement du résultat de leurs machinations ultérieures. À ce moment ils sont encouragés et réjouis dans leur complot par l'apparition d'un allié inattendu. Judas Iscariot, l'un des Douze, demande audience auprès de ces dirigeants des Juifs, et se propose pour trahir son Seigneur et le livrer entre leurs mains. Mû par la cupidité qui n'est probablement qu'un élément secondaire dans la cause réelle de sa trahison, il offre de vendre son Maître pour de l'argent et marchande avec les acheteurs ecclésiastiques sur le prix du sang du Sauveur. « Que voulez-vous me donner ? » demande-t-il. « Et ils lui payèrent trente pièces d'argent ». Ce montant est le prix fixé par la loi pour la vente d'un esclave. Les événements ultérieurs montrent que l'argent est bien payé à Judas, soit lors de cette première entrevue, soit au cours d'une rencontre ultérieure du traître et des prêtres.

Juda s'est engagé dans l'acte de trahison le pire dont l'homme soit capable, et, dès lors, il cherche l'occasion de pousser sa promesse jusqu'à son accomplissement. Nous serons encore affligés plus loin par d'autres aperçus de l'Iscariot dans le déroulement de ce récit ; disons pour le moment qu'avant que Judas ne vende le Christ aux Juifs, il s'est vendu au diable, s'est mis à son service et obéit à ses ordres.

JEUDI

La dernière cène

La veille du moment où l'on mange l'agneau pascal est pour les Juifs le premier jour de la fête des pains sans levain. Pendant le premier des jours des pains sans levain, qui semble être tombé un jeudi l'année de la mort du Seigneur, Jésus ordonne à Pierre et à Jean de retourner à Jérusalem et ajoute : « Voici : quand vous serez entrés dans la ville, un homme portant une cruche d'eau vous rencontrera ; suivez-le dans la maison où il entrera… il vous montrera une grande chambre haute, aménagée : c'est là que vous préparerez la Pâque. Ils partirent, trouvèrent les choses comme il le leur avait dit et préparèrent la Pâque. »

Le soir, jeudi soir selon notre calcul du temps, mais le début de vendredi selon le calendrier juif, Jésus vient avec les Douze, et ils s'installent ensemble pour le dernier repas que le Seigneur prendra avant sa mort.

Le repas se déroule dans une atmosphère de tristesse tendue. Alors qu'ils mangent, le Seigneur annonce tristement : « En vérité, je vous le dis, l'un de vous qui mange avec moi me livrera. » La plupart des apôtres se mettent à s'examiner et s'exclament l'un après l'autre : « Est-ce moi, Seigneur ? » Jésus répond que c'est l'un des Douze qui mange avec lui et poursuit par cette déclaration : « Le Fils de l'homme s'en va, selon ce qui est écrit de lui. Mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l'homme est livré ! Mieux vaudrait pour cet homme n'être jamais né. » Alors Judas Iscariot, qui a déjà convenu de vendre son Maître pour de l'argent, et qui craint probablement à ce moment-là que son silence n'éveille les soupçons contre lui, demande avec audace : « Est-ce moi, Rabbi ? » Le Seigneur répond : « Tu l'as dit ».

Lavement des pieds

Ensuite le Seigneur lave les pieds des douze apôtres. Revenus à table, il dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n'est pas plus grand que son seigneur, ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a envoyé. Si vous savez cela, vous êtes heureux, pourvu que vous le mettiez en pratique ».

Sacrement du repas du Seigneur

Tandis que Jésus est encore assis avec les Douze à table, il institue ce qui prendra le nom de sacrement de la Cène du Seigneur. Le pain et le vin, dûment consacrés par la prière, deviennent des emblèmes du corps et du sang du Seigneur, que l'on doit manger et boire en souvenir de lui.

Le traître sort dans la nuit

Jésus fait part de nouveau de sa connaissance de la duplicité du cœur de Judas. « Ce n'est pas de vous tous que je le dis ; je connais ceux que j'ai choisis. Mais il faut que l'Écriture s'accomplisse : Celui qui mange avec moi le pain, a levé son talon contre moi ». Le Seigneur veut qu'ils se rendent pleinement compte qu'il sait d'avance ce qui va se produire, de sorte que lorsque les terribles événements seront un fait accompli, les apôtres se rendent compte qu'ainsi les Écritures ont été accomplies. Troublé en esprit, il répète l'affirmation que l'un de ceux qui est là le trahira. Pierre fait des signes à Jean qui occupe le siège à côté de Jésus, de demander au Maître lequel d'entre eux est le traître. À la question chuchotée de Jean, le Seigneur réplique : « C'est celui pour qui je tremperai le morceau et à qui je le donnerai. »

Il n'y a rien d'extraordinaire pour une personne qui se trouve à table, en particulier l'hôte, de tremper un morceau de pain dans le plat, et de le donner à quelqu'un d'autre. Pareil acte de la part de Jésus n'attire pas l'attention de tout le monde. Il trempe le morceau de pain et le donne à Judas Iscariot, en disant : « Ce que tu fais, fais-le vite. » Les autres comprennent que ce que le Seigneur dit est un ordre de s'acquitter de quelque devoir ordinaire, peut-être d'acheter quelque chose de plus pour la célébration de la Pâque ou de porter des dons à des pauvres, car Judas est le trésorier du groupe. Mais Judas comprend. Son cœur s'endurcit encore davantage lorsqu'il découvre que Jésus est au courant de ses plans, et l'humiliation qu'il éprouve en présence du Maître le rend furieux. Judas ouvre la bouche, reçoit le morceau de pain trempé de la main du Seigneur, et sort immédiatement, abandonnant pour toujours la compagnie de ses frères et du Seigneur. Jean précise : « Il faisait nuit. »

Discours après le repas

Puis Jésus s'adresse aux Onze en ces termes : « Petits enfants, je suis encore pour peu de temps avec vous. »

L'allusion faite par le Seigneur à la séparation imminente qui va l'éloigner d'eux trouble les frères. Pierre pose la question : « Seigneur, ou vas-tu ? » Jésus répond : « Là où je vais, tu ne peux pas maintenant me suivre, mais tu me suivras plus tard. Seigneur, lui dit Pierre, pourquoi ne puis-je pas te suivre maintenant ? Je donnerai ma vie pour toi. » Pierre semble se rendre compte que son Maître va à la mort ; cependant, sans se laisser effrayer, il se déclare prêt à suivre cette voie plutôt que d'être séparé de son Seigneur.
Jésus, qui connait Pierre mieux que l'homme ne se connait lui-même, réprimande tendrement comme suit son excès de confiance : « Simon, Simon, Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le blé. Mais j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas, et toi, quand tu seras convertis, affermis tes frères. » Le premier des apôtres devait encore être converti, ou pour le traduire avec plus de précision, « revenir au Christ » ; car, comme le Seigneur le prévoit, Pierre sera bientôt vaincu au point de nier connaître le Christ. Lorsque Pierre se déclare de nouveau et avec fermeté prêt à accompagner Jésus, jusqu'en prison ou à la mort, le Seigneur le réduit au silence par la réflexion : « Pierre, je te le dis, le coq ne chantera pas aujourd'hui, que tu n'aies nié trois fois de me connaître. »
Les renseignements que nous avons concernant le dernier discours que Jésus fait aux apôtres avant sa crucifixion, nous les devons à Jean.

À propos de la question de son départ qui est à ce moment-là si proche qu'on peut en compter les heures, le Seigneur dit, sous une forme plus ample, ce qu'il a affirmé précédemment : « Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus ; et puis encore un peu de temps, et vous me verrez de nouveau ».

Il leur dit qu'avant que la nuit ne soit passée, il sera pour chacun d'eux une occasion de chute. Puis il continue d'affirmer qu'il ressuscitera littéralement et promet aux apôtres que lorsqu'il se relèvera du tombeau il ira avant eux en Galilée.

La prière finale

Ce discours aux apôtres est suivi d'une prière qu'on appelle la prière sacerdotale. Jésus y révèle la nature de l'unité qui existe entre lui et son Père en priant pour que cette même unité existe entre lui et ses apôtres et les disciples que ses apôtres feront : « …afin que tous soient un ; comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, qu'eux aussi soient un en nous… afin qu'ils soient un comme nous sommes un – moi en eux, et toi en moi – afin qu'ils soient parfaitement un… afin que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, et que moi, je sois en eux. » Il s'agit entre le Père et le Fils d'une unité absolue d'intentions et d'actions, de cœur et de volonté, unité telle que le fait de connaître l'un ou l'autre revient à connaître les deux ; néanmoins on ne peut parvenir au Père que par le Fils.

Au cours de la soirée, le Maître évoque fréquemment son Père : « Mon Père est glorifié en ceci : que vous portiez beaucoup de fruit. » « Je vous ai appelés amis, parce que tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître. » « Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde ; maintenant, je quitte le monde et je vais vers le Père. »

À Gethsémané

Après avoir chanté un cantique, Jésus et les Onze sortent pour se rendre au mont des Oliviers. Ils franchissent la porte de la ville qui reste ordinairement ouverte le soir pendant les fêtes publiques, traversent le ravin du Cédron, ou plus exactement Kidron, un ruisseau, et entrent dans une oliveraie appelée Gethsémané, sur le flanc du mont des Oliviers. Il laisse huit d'entre les apôtres à l'entrée ou près de celle-ci, avec l'ordre : « Asseyez-vous ici, pendant que je m'éloignerai pour prier », et avec l'injonction : « Priez, afin de ne pas entrer en tentation. » Accompagné de Pierre, Jacques et Jean, il s'en va plus loin et est bientôt envahi par une profonde tristesse, qui semble l'avoir, dans une certaine mesure, surpris lui-même, car nous lisons qu'il « commença à être cruellement surpris et à être très triste ». Il est poussé à refuser la compagnie même des trois disciples choisis et « il leur dit alors : Mon âme est triste jusqu'à la mort, restez ici et veillez avec moi. Puis il s'avança un peu, se jeta la face contre terre et pria ainsi : Mon Père, s'il est possible, que cette coupe s'éloigne de moi ! Toutefois, non pas comme je veux, mais comme tu veux. » La version que Marc donne de la prière est celle-ci : « Abba, Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe. Toutefois non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. »

Un au moins des trois apôtres qui l'attendent entendent cette partie de sa supplication ; mais tous cèdent bientôt à la fatigue et cessent de veiller. Comme ils l'ont fait sur le mont de la Transfiguration, lorsque le Seigneur est apparu en gloire, de même maintenant à l'heure de sa plus profonde humiliation, ces trois apôtres s'assoupissent. Jésus retourne vers eux dans l'angoisse de son âme et les trouve endormis ; il s'adresse à Pierre qui, si peu de temps auparavant, a proclamé bien haut qu'il était prêt à suivre le Seigneur jusqu'en prison et dans la mort, et dit : « Vous n'avez donc pas été capables de veiller une heure avec moi ! Veillez et priez, afin de ne pas entrer en tentation » ; puis il ajoute : « L'esprit est bien disposé, mais la chair est faible. » Cette exhortation qu'il donne aux apôtres de prier à ce moment-là de peur qu'ils ne tombent en tentation peut être dictée par les circonstances du moment dans lesquelles ils peuvent être tentés d'abandonner prématurément leur Seigneur.

Tirés de leur sommeil, les trois apôtres voient le Seigneur s'éloigner de nouveau et l'entendent supplier dans son angoisse : « Mon Père, s'il n'est pas possible que cette coupe s'éloigne sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! » Il revient une deuxième fois, voit que ceux à qui il a demandé de veiller avec lui dorment de nouveau, « car leurs yeux étaient appesantis » ; et lorsqu'ils sont éveillés, ils sont embarrassés et honteux, au point de ne savoir que dire. Une troisième fois, il retourne à sa veille solitaire et à sa lutte personnelle, et on l'entend implorer le Père en employant les mêmes paroles empreintes de supplication. Luc nous dit : « Alors un ange lui apparut du ciel, pour le fortifier » ; mais même la présence de ce visiteur supra-terrestre ne peut dissiper l'angoisse de son âme. « En proie à l'angoisse, il priait plus instamment, et sa sueur devint comme des grumeaux de sang, qui tombaient à terre ».

Pierre a un aperçu de la route qu'il s'est déclaré si prêt à suivre ; et les frères Jacques et Jean savent maintenant mieux que jamais combien ils sont peu prêts à boire à la coupe que le Seigneur videra jusqu'à la lie.

Lorsque pour la dernière fois Jésus revient trouver les disciples auxquels il a demandé de veiller, il dit : « Vous dormez maintenant et vous vous reposez. C'en est fait. L'heure est venue ; voici que le Fils de l'homme est livré aux mains des pécheurs. » Il ne sert à rien de continuer à veiller ; déjà les torches de la bande conduite par Judas, qui se rapproche, sont visibles dans le lointain. Jésus s'exclame : « Levez-vous, allons ; celui qui me livre s'approche. » Debout avec les Onze, le Seigneur attend calmement la venue du traître.

L'agonie que le Christ éprouve dans le jardin, l'esprit limité ne peut en sonder ni l'intensité ni la cause. La pensée qu'il a souffert par crainte de la mort ne tient pas. Pour lui, la mort est préliminaire à la résurrection, au retour triomphal auprès du Père d'où il est venu et à un état de gloire qui transcende même celui qu'il possédait précédemment ; en outre, il est dans son pouvoir de donner volontairement sa vie. Il lutte et gémit sous un fardeau dont aucun autre être qui a vécu sur la terre ne pourrait même concevoir la possibilité. Ce n'est pas uniquement une douleur physique ni une angoisse mentale qui lui infligent une torture telle qu'elle produit un suintement de sang de chaque pore, mais une angoisse spirituelle comme seul Dieu est capable d'en ressentir. Aucun autre homme, si grande que puisse être son endurance physique ou mentale, ne pourrait souffrir ainsi ; son organisme humain succomberait et la syncope produirait une perte de conscience bienvenue. Dans cette heure d'angoisse, le Christ rencontre et vainc toutes les horreurs que le diable peut infliger. La lutte que le Seigneur a dû livrer dans les tentations qui l'ont assailli immédiatement après son baptême est dépassée par cette lutte suprême avec les forces du mal.

D'une certaine manière, terriblement réelle bien qu'incompréhensible à l'homme, le Sauveur prend sur lui le fardeau des péchés de l'humanité depuis Adam jusqu'à la fin du monde.

Le Christ sort victorieux du conflit de Gethsémané. Bien que dans les sombres tribulations de cette heure terrible il ait supplié que la coupe amère soit éloignée de ses lèvres, cette demande, même répétée, a toujours été conditionnelle ; le Fils n'a jamais perdu de vue son désir suprême qui est d'accomplir la volonté du Père. Le reste de la tragédie de cette nuit-là et le traitement cruel qui l'attend le lendemain et prendra fin avec les tortures de la croix, ne peuvent dépasser l'angoisse qu'il a réussi à surmonter.

La trahison et l'arrestation

Pendant ce temps, Judas s'est occupé de sa conspiration avec les autorités ecclésiastiques. Il est probable que la décision a été prise d'opérer l'arrestation cette nuit-là, lorsque Judas a annoncé que Jésus se trouvait dans les murs de la ville et qu'il pourra être facile de l'appréhender. Les dirigeants juifs réunissent un groupe de gardes ou de policiers du temple et obtiennent une cohorte de soldats romains sous le commandement d'un tribun ; cette cohorte est probablement un détachement de la garnison d'Antonia chargé des travaux de nuit sur requête des principaux sacrificateurs. Cette compagnie d'hommes et d'officiers, qui représente un mélange d'autorités ecclésiastiques et militaires, se met en route pendant la nuit avec Judas à sa tête, avec l'intention d'arrêter Jésus. Ils sont équipés de lanternes, de torches et d'armes. Il est probable qu'ils sont tout d'abord conduits à la maison dans laquelle Judas a laissé les autres apôtres et le Seigneur, lorsque le traître a été renvoyé, et qu'en s'apercevant que le petit groupe est sorti, Judas a conduit la multitude à Gethsémané, car il connaît l'endroit et sait aussi que « Jésus et ses disciples s'y étaient souvent réunis ».

Alors que Jésus s'adresse encore aux Onze qu'il a éveillés et leur annonce que le traître arrive, Judas et la multitude approchent. L'Iscariot donne le signe par lequel il a été convenu d'identifier Jésus et, avec duplicité, s'approche et fait une démonstration hypocrite d'affection en disant : « Salut, Rabbi ! » et en profanant le visage sacré de son Seigneur par un baiser. On peut voir à son reproche condamnateur que Jésus comprend la signification de cet acte : « Judas, c'est par un baiser que tu livres le Fils de l'homme ! » Puis il lui applique le titre dont il a honoré les autres apôtres en disant : « Ami, ce que tu es venu faire, fais-le. » Il répète ainsi le commandement qu'il a donné à la table du repas : « Ce que tu fais, fais-le vite. »

La bande armée hésite, bien que leur guide lui ait donné le signal convenu. Jésus se dirige vers les officiers avec lesquels se tient Judas et demande : « Qui cherchez-vous ? » À leur réponse, « Jésus de Nazareth », le Seigneur réplique : « C'est moi. » Au lieu de s'avancer pour se saisir de lui, la foule recule, et un grand nombre tombent sur le sol, frappés d'effroi. La dignité simple et la force irrésistible de la réponse du Christ se révèlent plus puissantes que les bras armés. De nouveau, il pose la question : « Qui cherchez-vous ? » et de nouveau ils répondent : « Jésus de Nazareth. » Alors Jésus dit : « je vous ai dit que c'est moi. Si donc c'est moi que vous cherchez, laissez partir ceux-ci. » Cette dernière parole se rapporte aux apôtres, qui courent le danger d'être arrêtés ; et dans cette preuve de la sollicitude du Christ pour leur sécurité personnelle, Jean voit l'accomplissement de ce que le Seigneur a dit récemment dans sa prière : « Je n'ai perdu aucun de ceux que tu m'as donnés ». Il est possible que si l'un des Onze avait été appréhendé avec Jésus et obligé de partager les souffrances et les humiliations des heures qui suivent, sa foi aurait pu lui manquer, car elle manquait à ce moment-là de maturité ; de même qu'au cours des années qui suivront, un grand nombre de ceux qui ont pris sur eux le nom du Christ céderont à la persécution et tomberont dans l'apostasie.

Lorsque les officiers s'approchent et saisissent Jésus, certains des apôtres, prêts à combattre et à mourir pour leur Maître bien-aimé, demandent : « Seigneur, frapperons-nous de l'épée ? » Pierre, qui n'attend pas de réponse, tire l'épée et porte un coup mal assuré à la tête d'un des hommes de la foule qui se trouve le plus près, et la lame coupe l'oreille de celui-ci. L'homme ainsi blessé est Malchus, serviteur du souverain sacrificateur. Jésus demande à ses gardes la liberté par cette simple phrase : « Tenez-vous en là ! », s'avance et guérit l'homme blessé en le touchant. Puis il s'adresse à Pierre, le réprimande son acte impulsif, lui commande de remettre son épée au fourreau et lui rappelle que « ceux qui prendront l'épée périront par l'épée ». Puis pour montrer combien il est inutile d'opposer une résistance armée et pour souligner le fait qu'il se soumet volontairement et conformément à des événements prévus et prédits, le Seigneur poursuit : « Penses-tu que je ne puisse pas invoquer mon Père qui me donnerait à l'instant plus de douze légions d'anges ? Comment donc s'accompliraient les Écritures, d'après lesquelles il doit en être ainsi ? » Et en outre : « Ne boirai-je pas la coupe que le Père m'a donnée ? »

Mais, bien qu'il se rende sans résister, Jésus n'oublie pas ses droits ; il proteste contre cette arrestation nocturne illégale, demande aux officiels ecclésiastiques, principaux sacrificateurs, capitaine de la garde du temple et anciens du peuple qui sont là : « Vous êtes venus, comme après un brigand, avec des épées et des bâtons, pour vous emparer de moi. J'étais tous les jours assis dans le temple, j'enseignais, et vous ne vous êtes pas saisis de moi. Mais tout cela est arrivé afin que les écrits des prophètes soient accomplis. » Luc rapporte comme suit les paroles finales du Seigneur : « Mais c'est ici votre heure et le pouvoir des ténèbres. » Sans faire attention à sa question et sans aucune déférence pour son comportement soumis, le capitaine et les officiers des Juifs lient Jésus de cordes et l'emmènent prisonnier à la merci de ses ennemis.

Les onze apôtres, voyant que toute résistance est inutile, non seulement à cause de la différence numérique et de la quantité des armes, mais surtout parce que le Christ est décidé à se soumettre, font demi-tour et s'enfuient. Le fait qu'ils sont réellement en danger est montré par un incident que seul Marc rapporte. Un jeune homme dont le nom n'est pas donné, éveillé par le tumulte de la bande en marche, s'est avancé avec pour tout vêtement un drap de lit. L'intérêt qu'il manifeste pour l'arrestation de Jésus et le fait qu'il vient tout près incitent quelques-uns des gardes ou des soldats à se saisir de lui ; mais il se dégage et s'échappe, laissant le drap de lit entre leurs mains.

Le procès juif

De Gethsémané le Christ ligoté et captif est traîné devant les dirigeants juifs. Jean est seul à nous apprendre que le Seigneur est emmené tout d'abord devant Anne, qui l'envoie, toujours lié, à Caïphe, le souverain sacrificateur ; Nous n'avons aucun détail sur l'entretien avec Anne ; et il est aussi irrégulier et illégal, selon la loi hébraïque, de faire comparaître Jésus devant lui que le seront les autres actes de procédure de cette nuit-là. Anne, qui est le beau-père de Caïphe, a été déposé de ses fonctions de souverain sacrificateur plus de vingt ans auparavant, mais pendant toute cette période il a exercé une puissante influence dans toutes les affaires de la hiérarchie. Caïphe, comme Jean prend bien soin de nous le rappeler, « était celui qui avait donné aux Juifs le conseil : Il est préférable qu'un seul homme meure pour le peuple. »

Au palais de Caïphe sont assemblés les principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple en réunion du sanhédrin, non officielle, tous attendant impatiemment le résultat de l'expédition menée par Judas. Lorsque Jésus, objet de leur haine violente et leur future victime, est introduit, prisonnier ligoté, on le fait immédiatement passer en jugement, contrairement à la loi, tant écrite que traditionnelle, dont ces dirigeants des Juifs rassemblés professent être les champions si zélés. On ne peut procéder légalement à un interrogatoire pour un crime capital que dans la salle de tribunal officielle du sanhédrin. Le récit que nous donne le quatrième évangile nous permet de conclure que le prisonnier est tout d'abord soumis à un interrogatoire de la part du souverain sacrificateur en personne.

Ce fonctionnaire, il n'est pas dit si c'est Anne ou Caïphe, interroge Jésus sur ses disciples et ses enseignements. Cette enquête préliminaire est tout à fait illégale, car le code hébreu prévoit que les témoins de l'accusation dans une cause quelconque devant la cour doivent formuler leur accusation contre l'accusé, et que ce dernier doit être protégé contre toute tentative de le pousser à témoigner contre lui-même. La réponse du Seigneur devrait être une protestation suffisante devant le souverain sacrificateur pour l'empêcher de se livrer à d'autres procédés illégaux. « J'ai parlé ouvertement au monde ; j'ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, où tous les Juifs s'assemblent, et je n'ai parlé de rien en secret. Pourquoi m'interroges-tu ? Demande à ceux qui m'ont entendu de quoi je leur ai parlé ; voici qu'ils savent, eux, ce que moi j'ai dit. »

C'est une objection légale contre ce procédé illégal de refuser à un prisonnier qui passe en jugement son droit d'être confronté à ses accusateurs. Elle est reçue avec dédain, et l'un des huissiers qui se trouve tout près, espérant peut-être obtenir ainsi la faveur de ses supérieurs, va jusqu'à frapper violemment Jésus, en lui posant la question : « Est-ce ainsi que tu réponds au souverain sacrificateur ? » À cette attaque le Seigneur répond : « Si j'ai mal parlé, prouve ce qu'il y a de mal ; et si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » À cette soumission se mêle cependant ici un autre appel aux principes de la justice ; si ce que Jésus a dit est mal, pourquoi celui qui l'a assailli ne l'accuse-t-il pas, et s'il a bien parlé, de quel droit un officier de police ou un juge condamne-t-il et punit-il, et ce, en présence du souverain sacrificateur ? La loi et la justice sont bafouées cette nuit-là.

« Les principaux sacrificateurs et tout le sanhédrin cherchent quelque faux témoignage contre Jésus, pour le faire mourir ». Que « tout le sanhédrin » signifie un quota légal, ce qui ferait 23 ou davantage ou l'assemblée complète des soixante-douze sanhédristes, cela n'a que peu d'importance. Toute session nocturne du sanhédrin, et plus particulièrement pour l'examen d'une accusation de crime, est alors une violation de la loi juive. De même, il est illégal de la part du sanhédrin d'examiner pareille accusation un jour de sabbat, un jour férié ou la veille d'un jour de ce genre.

Au sanhédrin, tous les membres sont juges ; le groupe des juges doit entendre le témoignage et, selon ce témoignage et rien d'autre, rendre une décision dans tous les cas dûment présentés. Il est requis des accusateurs qu'ils comparaissent en personne, et on doit tout d'abord les avertir contre tout faux témoignage. Tous les accusés doivent être considérés et traités comme innocents jusqu'à ce qu'ils soient dûment condamnés. Mais dans le prétendu jugement de Jésus, les juges non seulement cherchent des témoins mais essaient tout particulièrement de trouver de faux témoins. Beaucoup de faux témoins viennent, mais cependant il n'y a aucun témoignage contre le prisonnier, parce que les parjures subornés ne sont pas d'accord entre eux, et même les sanhédristes sans loi hésitent à enfreindre ouvertement la règle fondamentale qui veut que deux témoins concordants au moins témoignent contre un accusé, faute de quoi l'affaire doit être rejetée.

Les juges ecclésiastiques ont déjà décidé que Jésus doit être condamné sur une accusation ou une autre et être mis à mort ; leur incapacité à trouver des témoins contre lui menace de retarder l'exécution de leur projet. La haine et la précipitation caractérisèrent de bout en bout leur façon de procéder ; ils font arrêter illégalement Jésus le soir ; ils procèdent illégalement à un semblant de jugement la nuit ; leur but est de condamner le prisonnier suffisamment à temps pour l'amener devant les autorités romaines aussitôt que possible dans la matinée, comme criminel dûment jugé et considéré digne de mourir. L'absence de deux témoins qui diraient les mêmes mensonges est un obstacle grave.

Mais « enfin il en vint deux qui dirent : Celui-là a dit : je puis détruire le temple de Dieu, et le rebâtir en trois jours. » D'autres attestent : « Nous l'avons entendu dire : Je détruirai ce temple fait par la main de l'homme et en trois jours j'en bâtirai un autre qui ne sera pas fait par la main de l'homme ». Et ainsi, comme l'observe Marc même dans ce détail leurs témoignages ne concordent pas. Il est certain que dans une affaire portée devant un tribunal, une différence comme celle qui apparaît entre « je puis » et « je détruirai » dans des paroles attribuées à l'accusé est d'importance capitale. Cependant ce semblant d'accusation officielle est la seule base de l'accusation portée contre le Christ à ce stade du jugement.

On se souviendra que lors de la première purification du temple, vers le début du ministère du Christ, celui-ci a répondu aux Juifs qui ont demandé à cor et à cri un signe de son autorité : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. » Il n'a pas du tout dit que c'est lui qui allait détruire ; c'était les Juifs qui détruiraient, et lui qui relèverait. Mais l'auteur prend le soin d'expliquer que Jésus « parlait du temple de son corps », et pas du tout des bâtiments élevés par l'homme.

On peut se demander quelle portée sérieuse on peut attacher à une déclaration comme celle que les témoins parjures prétendent avoir entendue des lèvres du Christ. La vénération que les Juifs professent pour la sainte maison donne une réponse partielle mais insuffisante. Dans leur conspiration contre le Christ, il semble que les dirigeants aient pour plan de le condamner pour sédition, de le faire passer pour un fauteur de troubles dangereux qui met en péril la paix de la nation, attaque les institutions établies et incite par conséquent à l'opposition contre l'autonomie vassale de la nation juive et la domination suprême de Rome.

L'ombre vaguement définie d'une accusation légale produite par le témoignage sans consistance des faux témoins suffit à enhardir le tribunal. Caïphe, se levant de son siège pour souligner sa question d'une manière dramatique, demande à Jésus : « Ne réponds-tu rien ? De quoi témoignent-ils contre toi ? » Il n'y a rien à répondre. Le témoignage qui a été porté contre lui n'est ni logique ni valable ; par conséquent il garde un silence digne.

Alors Caïphe enfreignant l'interdiction légale de demander à quiconque de témoigner dans sa propre affaire si ce n'est volontairement et de sa propre initiative, ne se contente pas d'exiger une réponse de la part du prisonnier mais exerce la puissante prérogative de l'office du souverain sacrificateur de placer l'accusé sous serment, comme témoin devant le tribunal sacerdotal. « Et le souverain sacrificateur », prenant la parole, « lui dit : je t'adjure par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu ». Le fait qu'il sépare les deux qualificatifs « le Christ » et le « Fils de Dieu » est significatif en ce qu'il indique que les Juifs attendent un Messie mais ne reconnaissaient pas qu'il doit être d'origine divine. Rien de ce qui a été dit avant ne peut justifier pareille question. L'accusation de sédition est sur le point d'être remplacée par une accusation plus énorme encore : celle de blasphème.

Jésus répond à cette adjuration absolument injuste et pourtant officielle du souverain sacrificateur : « Tu l'as dit. De plus je vous le déclare, vous verrez désormais le Fils de l'homme assis à la droite du Tout-Puissant et venant sur les nuées du ciel. » Cette expression : « Tu l'as dit » est équivalente à « Je suis ce que tu as dit ». C'est un aveu sans restriction de sa filiation divine et de sa divinité. « Alors le souverain sacrificateur déchire ses vêtements et dit : Il a blasphémé. Qu'avons-nous encore besoin de témoins ? Vous venez d'entendre son blasphème. Qu'en pensez-vous ? Ils répondirent : Il est passible de mort ».

C'est ainsi que les juges d'Israël, y compris le souverain sacrificateur, les principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple, le grand sanhédrin, illégalement assemblés, décrètent que le Fils de Dieu mérite la mort sans autre preuve que sa propre affirmation d'identité. Le code juif interdit expressément de condamner, spécialement lors d'une accusation de crime, toute personne sur son propre aveu, si celui-ci n'est confirmé par la déposition de témoins dignes de confiance. De même que dans le jardin de Gethsémané Jésus s'est rendu volontairement, ainsi donne-t-il personnellement et volontairement devant les juges les preuves sur lesquelles ils déclarent injustement qu'il mérite la mort. Il ne peut y avoir d'autre crime dans la prétention à être Messie ou à une filiation divine que la fausseté de cette prétention.

C'est en vain que nous examinons les documents pour y trouver ne serait-ce qu'un sous-entendu pour nous informer qu'une enquête est faite ou proposée quant aux raisons sur lesquelles Jésus base ses prétentions. En déchirant ses vêtements, le souverain sacrificateur affecte d'une manière spectaculaire son horreur devant le blasphème dont ses oreilles ont été agressées. La loi interdit expressément au souverain sacrificateur de déchirer ses vêtements, mais les écrits extra-scripturaires nous apprennent que les lois traditionnelles permettent de déchirer ses vêtements pour attester un crime extrêmement grave comme celui de blasphème. Nous n'avons aucune indication nous informant si le vote des juges est demandé et enregistré de la manière requise par la loi.

Jésus est donc condamné pour la transgression la plus abominable connue des juifs. Bien qu'injustement, il est jugé coupable de blasphème par le tribunal suprême du pays. Pour être précis, nous ne pouvons pas dire que les sanhédristes condamnent le Christ à mort, étant donné que le pouvoir de prononcer des sentences de mort a été retiré au tribunal juif par décret romain. Le tribunal des souverains sacrificateurs décide cependant que Jésus mérite de mourir, et c'est ce qu'ils attestent lorsqu'ils le livrent à Pilate. Débordant de haine et de méchanceté, les juges d'Israël abandonnent leur Seigneur aux caprices des valets, qui lui font subir toutes les indignités que leurs instincts brutaux peuvent leur inspirer. Ils lui lancent leurs crachats au visage ; ensuite, lui ayant bandé les yeux, ils s'amusent à le frapper sans arrêt, en disant : « Christ, devine, dis-nous qui t'a frappé. » La foule des mécréants le couvre de moqueries et de sarcasmes, et en réalité se fait blasphématrice.

La loi et les coutumes de l'époque requièrent qu'une personne jugée coupable d'un crime capital soit soumise, après avoir été dûment jugée devant un tribunal juif, à un deuxième jugement le lendemain ; lors de cette seconde séance, l'un des juges, ou l'ensemble de ceux-ci, qui a précédemment voté pour la culpabilité, peut changer d'avis ; mais quiconque a demandé l'acquittement ne peut changer son vote. La majorité simple suffit pour l'acquittement, mais il faut plus qu'une majorité qualifiée pour condamner. En vertu d'un article qui nous semble extraordinaire, si tous les juges votent pour la condamnation dans un crime capital, le verdict est invalidé et l'accusé doit être mis en liberté ; en effet, dit-on, si l'on votait unanimement contre un prisonnier, cela voudrait dire qu'il n'a ni ami ni défenseur au tribunal et que les juges pourraient avoir préparé une conspiration contre lui. En vertu de cette loi de la jurisprudence hébraïque, le verdict prononcé contre Jésus et qui est rendu lors de la session nocturne illégale des sanhédristes, est sans valeur, car il nous est dit que « tous le condamnèrent comme passible de mort ».

Apparemment pour créer un vague prétexte de légalité dans leur procédure, les sanhédristes ajournent la séance pour se réunir de nouveau au petit matin. Ils se conforment ainsi techniquement à la loi selon laquelle, dans tous les cas où l'on a décrété la peine de mort, le tribunal doit entendre et juger une deuxième fois dans une session ultérieure, mais ils ignorent complètement la règle absolument formelle qui veut que le deuxième jugement ait lieu le lendemain de la première séance. Entre les deux sessions séparées d'un jour les juges devaient jeûner et prier, et examiner calmement et sérieusement l'affaire à juger.

Le reniement de Pierre

Revenons en arrière sur l'arrestation de Jésus. Lorsque Jésus est arrêté dans le jardin de Gethsémané, les Onze l'abandonnent tous et s'enfuient. Il ne faut pas considérer ce fait comme une preuve de lâcheté, car le Seigneur a voulu qu'ils partent. Pierre et un autre disciple au moins suivent de loin ; lorsque les gardes armés sont entrés au palais du souverain sacrificateur avec leur prisonnier, Pierre « entra et s'assit avec les gardes pour voir comment cela finirait ». Le disciple dont le nom n'est pas donné et qui connaît le souverain sacrificateur l'aide à s'introduire. Cet autre disciple est probablement Jean, du moins c'est ce que nous pouvons penser puisqu'il n'est mentionné que dans le quatrième évangile, dont l'auteur, et cela est caractéristique chez lui, ne se désigne jamais par son propre nom.

Tandis que Jésus se trouve devant les sanhédristes, Pierre demeure en bas avec les serviteurs. La porte est gardée par une jeune femme ; ses soupçons ont été éveillés lorsqu'elle a reçu Pierre, et tandis qu'il est assis avec d'autres dans la cour du palais, elle s'approche de lui et, l'ayant observé attentivement, dit : « Toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen. » Mais Pierre nie, il affirme qu'il ne connaît pas Jésus. Pierre est agité ; sa conscience et la peur d'être reconnu comme disciple du Seigneur le troublent. Il quitte la foule et cherche une solitude partielle sous le porche ; mais là, une autre servante le découvre et dit à ceux qui se trouvent tout près : « Celui-ci était avec Jésus de Nazareth » ; accusation à laquelle Pierre répond avec serment : « Je ne connais pas cet homme. »

On est en avril et la nuit est froide ; on a fait un feu dans le hall ou la cour du palais. Pierre s'assoit près du feu avec d'autres, pensant peut-être qu'il vaut sans doute mieux, pour ne pas être repéré, se découvrir avec audace que chercher à se cacher. Une heure environ après ses deux premiers reniements, quelques-uns des hommes qui se trouvent autour du feu l'accusent d'être disciple de Jésus et se servent de son dialecte galiléen pour prouver qu'il est au moins compatriote du prisonnier du souverain sacrificateur ; menace plus grande encore, un parent de Malchus, dont Pierre a coupé l'oreille de son épée, demande péremptoirement : « Ne t'ai-je pas vu avec lui dans le jardin ? » Dans la série de mensonges où il s'est lancé, Pierre va jusqu'à proférer des imprécations, à jurer et à déclarer avec véhémence pour la troisième fois : « Je ne connais pas cet homme. »

Comme le dernier mensonge quitte ses lèvres, les notes claires du chant d'un coq lui frappent les oreilles, et dans son esprit jaillit le souvenir de ce que son Seigneur a prédit. Tremblant et conscient de sa lâcheté, le malheureux se détourne de l'attroupement et rencontre le regard du Christ qui, du milieu de la foule, regarde dans les yeux son apôtre. Pierre quitte précipitamment le palais, sort dans la nuit et pleure amèrement. Comme l'atteste sa vie ultérieure, ses larmes sont celles d'une contrition réelle et d'un véritable repentir.

VENDREDI

Luc, qui ne donne aucun détail sur le procès nocturne de Jésus, est le seul évangéliste à faire un récit détaillé de la session du matin. Il dit : « Quand il fit jour, le collège des anciens du peuple, les principaux sacrificateurs et les scribes s'assemblèrent et firent amener Jésus devant leur sanhédrin ». Certains savants bibliques ont compris l'expression « amener Jésus devant leur sanhédrin », dans le sens que Jésus serait condamné par le sanhédrin dans la salle officielle du tribunal, c'est-à-dire la gazith ou salle des pierres taillées, comme le voulait la loi de l'époque ; mais c'est une position qui est contredite par Jean qui dit qu'ils emmenèrent Jésus directement de Caïphe au tribunal romain.

Il est probable qu'à cette session du petit matin on a approuvé la procédure irrégulière de la nuit et que l'on a décidé des détails de la procédure ultérieure à suivre. Ils « se consultèrent sur les moyens de le faire périr », lit-on ; néanmoins ils remplissent les formalités d'un deuxième procès, dont les conclusions sont grandement facilitées par les déclarations volontaires du prisonnier. Absolument rien ne permet aux juges de demander à l'accusé de témoigner ; ils devraient examiner de nouveau les témoins à charge. La première question qui lui est posée est : « Si tu es le Christ, dis-le nous. » Le Seigneur répond avec dignité : « Si je vous le dis, vous ne le croirez point ; et si je vous interroge vous ne répondrez point. Désormais le Fils de l'homme sera assis à la droite de la Puissance de Dieu. »

Ni la question, ni la réponse n'entraînent la condamnation. Le pays tout entier attend le Messie ; si Jésus prétend l'être, la seule action judiciaire appropriée est de s'informer des mérites de cette prétention. La question cruciale suit immédiatement : « Tu es donc le Fils de Dieu ? » Et il leur répond : « Vous le dites, je le suis ». Alors ils disent : « Qu'avons-nous encore besoin de témoignage ? Nous l'avons entendu nous-mêmes de sa bouche. »

Jésus est donc déclaré coupable de blasphème. Le seul mortel à qui il est impossible d'imputer ce crime qu'est le blasphème en prétendant avoir des attributs et des pouvoirs divins est condamné comme blasphémateur devant les juges d'Israël. « Tout le sanhédrin », expression qui peut vouloir dire un quota légal, est impliqué dans l'action finale. C'est ainsi que prend fin le prétendu « jugement » de Jésus devant le souverain sacrificateur et les anciens de son peuple. « Le matin venu, tous les principaux sacrificateurs et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus, pour le faire mourir. Après l'avoir lié, ils l'emmenèrent et le livrèrent à Pilate le gouverneur ». Pendant les quelques heures qui lui restent à vivre sur terre, il sera entre les mains des Gentils, trahi et livré par les siens.

Première comparution devant Pilate

Comme nous l'avons déjà appris, aucun tribunal juif n'a l'autorité d'infliger la peine de mort ; la Rome impériale s'est réservé cette prérogative. Il serait inutile au sanhédrin de prétendre à l'unisson que Jésus mérite la mort tant que cela n'est pas sanctionné par le représentant de l'empereur, qui est à l'époque Ponce Pilate, gouverneur, ou plus exactement procurateur de Judée, de Samarie et d'Idumée. Pilate a sa résidence officielle à Césarée, au bord de la Méditerranée ; mais il a coutume d'être à Jérusalem à l'époque des grandes fêtes hébraïques, voulant probablement préserver l'ordre ou étouffer promptement tous les troubles qui peuvent naître parmi les vastes multitudes hétérogènes qui se pressent dans la ville pendant ces fêtes. Lors de cette Pâque importante, le gouverneur est à Jérusalem avec ses lieutenants. Au petit matin du vendredi, tous les membres du sanhédrin mènent Jésus, lié, au tribunal de Ponce Pilate ; mais ils évitent scrupuleusement d'entrer dans le bâtiment de crainte de se souiller ; en effet le lieu du jugement fait partie de la maison d'un Gentil, et il peut s'y trouver quelque part du pain avec du levain, et le fait même de s'en approcher les rendrait cérémoniellement impurs. Chacun pourra qualifier lui-même le genre d'hommes qui ont peur ne serait-ce que d'être près du levain alors même qu'ils sont assoiffés de sang innocent.

Par déférence pour leurs scrupules, Pilate sort du palais ; lorsqu'ils lui remettent leur prisonnier, il demande : « Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » La question, quoique strictement de circonstance et judiciairement nécessaire, surprend et déçoit les gouverneurs ecclésiastiques, qui s'attendent évidemment à ce que le gouverneur approuve tout simplement leur verdict par pure formalité et prononce la sentence en conséquence ; mais au lieu de cela, Pilate est apparemment décidé à exercer son autorité de juger seul. Avec une contrariété mal cachée, leur porte-parole, probablement Caïphe, répond : « Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas livré. » C'est maintenant au tour de Pilate de prendre ou du moins de feindre de prendre ombrage, et il dit en substance : Oh, très bien ; si vous ne voulez pas énoncer l'accusation selon les formes, prenez-le et jugez-le selon vos lois ; ne m'ennuyez plus avec cette affaire. Mais les Juifs répondent : « Il ne nous est pas permis de mettre quelqu'un à mort. »

Jean l'apôtre voit dans cette dernière réflexion la détermination des Juifs de faire mettre Jésus à mort non seulement par une sanction romaine mais aussi par des bourreaux romains ; en effet, comme nous pourrons le voir rapidement, si Pilate approuve la sentence de mort et remet le prisonnier aux Juifs pour qu'ils l'infligent, Jésus sera lapidé conformément au châtiment hébreu pour le blasphème ; le Seigneur, lui, a prédit que sa mort sera par crucifixion, ce qui est une méthode d'exécution romaine que ne pratiquent jamais les Juifs. En outre, si Jésus était mis à mort par les dirigeants Juifs, même avec la sanction gouvernementale, il pourrait en résulter une insurrection parmi le peuple, car il y en a beaucoup qui croient en lui. Les chefs rusés sont décidés à obtenir sa mort par condamnation romaine.

Ils se mettent à l'accuser, en disant : « Nous avons trouvé celui-ci qui incitait notre nation à la révolte, empêchait de payer l'impôt à César, et se disait lui-même Christ, roi ». Il est important de remarquer qu'on ne formule aucune accusation de blasphème devant Pilate ; si pareille accusation était présentée, le gouverneur dont le cœur et l'esprit sont totalement païens, laisserait probablement tomber l'accusation, la considérant comme absolument indigne d'être entendue ; en effet, Rome, avec ses dieux multiples, dont le nombre grandit constamment du fait que les païens déifient continuellement des mortels, n'a pas connaissance d'une violation de la loi telle que le blasphème dans le sens juif. Les sanhédristes accusateurs n'hésitent pas à substituer au blasphème, qui est le plus grand crime connu dans le code hébraïque, l'accusation de haute trahison, qui est la violation de la loi la plus grave dans la catégorie des crimes romains. Le Christ, calme et digne, ne daigne pas répondre aux accusations des principaux sacrificateurs et des anciens. Il leur a parlé pour la dernière fois.

Pilate est surpris du comportement soumis et cependant majestueux de Jésus ; il y a certainement, chez cet homme, beaucoup de caractère royal ; jamais quelqu'un comme celui-ci ne s'est tenu devant lui. Néanmoins, l'accusation est grave. Les hommes qui prétendent au titre de roi peuvent se révéler dangereux pour Rome, et cependant l'accusé ne répond rien à cette accusation. Pilate entre au tribunal et fait appeler Jésus. Le récit détaillé des événements que nous trouvons dans le quatrième évangile montre que certains des disciples, et parmi eux presque certainement Jean, entrent également. N'importe qui peut entrer, car une caractéristique célèbre des procès romains est qu'ils sont publics.

Pilate qui n'éprouve aucune animosité ni aucun préjugé contre Jésus, demande : « Es-tu le roi des Juifs ? Jésus répondit : Est-ce de toi-même que tu dis cela, ou d'autres te l'ont-ils dit de moi ? » La question du Seigneur signifie, c'est ainsi que le comprend Pilate, comme le montre sa réplique et comme nous pouvons la formuler : Demandes-tu cela dans le sens romain et littéral – à savoir si je suis un roi dont le royaume est terrestre – ou dans le sens juif et plus spirituel ? S'il répondait directement « oui », il dirait vrai dans le sens messianique, mais mentirait dans le sens profane ; et « non » serait inversement vrai ou faux. « Pilate répondit : Moi, suis-je donc juif ? Ta nation et les principaux sacrificateurs t'ont livré à moi : qu'as-tu fait ? Jésus répondit : Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi, afin que je ne sois pas livré aux Juifs ; mais maintenant, mon royaume n'est pas d'ici-bas. Pilate lui dit : « Tu es donc roi ? » Jésus répond : « Tu le dis : je suis roi. Voici pourquoi je suis né et voici pourquoi je suis venu dans le monde : pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. »

Il est clair pour le gouverneur romain que cet homme admirable, avec sa mission d'un royaume qui ne serait pas de ce monde et d'un empire de vérité dans lequel il doit régner, n'est pas un révolté politique ; et que le considérer comme une menace pour les institutions romaines est absurde. Ses dernières paroles au sujet de la vérité sont les plus embarrassantes de toutes ; Pilate est agité, et peut-être un peu effrayé de leur importance. « Qu'est-ce que la vérité ? » s'exclame-t-il plutôt avec appréhension qu'il ne le demande en s'attendant à une réponse, au moment où il s'apprête à quitter la salle. Il annonce officiellement aux Juifs qui se trouvent à l'extérieur que le prisonnier est acquitté. « Moi, je ne trouve aucun motif de condamnation en lui », tel est son verdict.

Mais les principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple ne se laissent pas démonter. Ils sont tellement assoiffés du sang du Christ que cette soif s'est transformée en folie. Ils hurlent sauvagement : « Il soulève le peuple, en enseignant dans toute la Judée, depuis la Galilée où il a commencé, jusqu'ici. » Lorsqu'il est parlé de la Galilée, cela donne à Pilate l'idée d'employer une nouvelle procédure. S'étant assuré par une enquête que Jésus est Galiléen, il décide d'envoyer le prisonnier à Hérode, gouverneur vassal de cette province, qui se trouve à Jérusalem à l'époque. Pilate espère ainsi se débarrasser de toute responsabilité dans l'affaire, et en outre, Hérode, avec lequel il a de mauvais rapports, pourra ainsi être apaisé.

Comparution devant Hérode

Hérode Antipas, fils d'Hérode le Grand, est à ce moment-là tétrarque de Galilée et de Pérée, et selon l'usage populaire, que ne justifie cependant pas la sanction impériale, se fait flatteusement appeler roi. C'est lui qui, accomplissant un vœu inspiré par les flatteries d'une femme, a ordonné le meurtre de Jean-Baptiste. Il gouverne comme vassal romain et professe être orthodoxe dans les observances du judaïsme. Il est venu en grande pompe à Jérusalem pour célébrer la fête de la Pâque. Hérode est heureux de se voir envoyer Jésus par Pilate, car cette action n'est pas seulement gracieuse de la part du procurateur, constituant comme le prouvent les événements ultérieurs, le préliminaire d'une réconciliation entre les deux gouverneurs, mais c'est aussi un moyen de satisfaire la curiosité qu'éprouve Hérode à voir Jésus dont il a tant entendu parler, dont la réputation l'a terrifié et grâce auquel il espère maintenant voir accomplir quelque miracle intéressant.

Si effrayé qu'Hérode ait pu être jadis devant Jésus, qu'il a superstitieusement cru être la réincarnation de sa victime assassinée, Jean-Baptiste, ce sentiment est maintenant remplacé par un intérêt amusé lorsqu'il voit, lié devant lui, le célèbre prophète de Galilée, accompagné d'une garde romaine et de fonctionnaires ecclésiastiques. Hérode commence à questionner le prisonnier, mais Jésus reste silencieux. Les principaux sacrificateurs et les scribes expriment avec véhémence leurs accusations, mais le Seigneur ne prononce pas un mot. Hérode est le seul personnage de l'histoire à qui Jésus, pour autant qu'on le sache, a appliqué personnellement un qualificatif méprisant. « Allez dire à ce renard », a-t-il dit un jour à certains Pharisiens qui étaient venus le trouver pour lui dire qu'Hérode avait l'intention de le tuer. Pour les pécheurs repentants, les femmes en pleurs, les enfants, pour les scribes, les Pharisiens, les Sadducéens, les rabbis, pour le souverain sacrificateur parjure et pour Pilate le païen, le Christ a eu des paroles – de réconfort ou d'enseignement, d'avertissement ou de réprimande, de protestation ou de dénonciation – et cependant pour Hérode, le renard, il n'a qu'un silence dédaigneux et royal. Piqué au vif, Hérode passe des questions à des actes de dérision. Lui et ses soldats se moquent des souffrances du Christ et le traitent « avec mépris », puis, après l'avoir, pour se moquer de lui, revêtu d'un habit éclatant, il le renvoie à Pilate. Hérode n'a rien trouvé en Jésus qui justifie une condamnation.

Deuxième comparution devant Pilate

Le procurateur romain, voyant qu'il ne peut éviter l'examen du cas, assemble « Ies principaux sacrificateurs, les chefs et le peuple, et leur dit : Vous m'avez amené cet homme comme entraînant le peuple à la révolte. Voici : je l'ai interrogé devant vous et je ne l'ai trouvé coupable d'aucune des fautes dont vous l'accusez : Hérode non plus, car il nous l'a renvoyé, et voici : cet homme n'a rien fait qui soit digne de mort. Je le relâcherai donc après l'avoir fait châtier ». Pilate désire sincèrement sauver Jésus de la mort, mais il fait une concession aux préjugés juifs en décidant de faire flageller le prisonnier, dont il a affirmé et répété l'innocence. Il sait que l'accusation de sédition et de trahison n'est pas fondée, et qu'il est parfaitement ridicule de la part de la hiérarchie juive, dont la loyauté feinte à César n'est que le manteau dont elle couvre une haine inextinguible, de formuler pareille accusation ; et il est parfaitement conscient que les dirigeants ecclésiastiques ont livré Jésus entre ses mains par méchanceté.

Il est de coutume qu'au moment de la Pâque le gouverneur amnistie et remette en liberté tout prisonnier condamné que le peuple choisit. Ce jour-là, il y a en suspens, en attendant son exécution, « un nommé Barabbas... en prison avec des émeutiers pour avoir, lors d'une émeute, commis un meurtre ». Cet homme est condamné du délit même dont Jésus a été prononcé innocent, explicitement par Pilate et implicitement par Hérode, et en plus de cela, Barabbas est un assassin. Pilate essaie d'apaiser les prêtres et le peuple en libérant Jésus. Le faire bénéficier de l'amnistie de la Pâque, c'est reconnaître tacitement la condamnation du Christ devant le tribunal ecclésiastique et pratiquement confirmer la sentence de mort, remplacée par le pardon officiel. C'est pourquoi il leur demande : « Lequel voulez-vous que je vous relâche, Barabbas, ou Jésus appelé le Christ ? » Il semble qu'il y ait un bref intervalle entre la question de Pilate et la réponse du peuple, intervalle au cours duquel les principaux sacrificateurs et les anciens s'activent parmi la multitude à l'exhorter à demander la libération du révolté et assassin. Aussi, lorsque Pilate répète la question : « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? » Israël assemblé crie : « Barabbas. » Pilate, surpris, déçu et irrité, demanda alors : « Que ferai-je donc de Jésus, appelé le Christ ? » Tous répondent : «↓Qu'il soit crucifié ! » Le gouverneur dit : « Mais quel mal a-t-il fait ? » Et ils crient encore plus fort : « Qu'il soit crucifié ! »

Le gouverneur romain est profondément troublé et intérieurement effrayé. Pour augmenter sa perplexité, il reçoit un message de sa femme, alors même qu'il est assis sur le siège du jugement : « Ne te mêle pas de l'affaire de ce juste, car aujourd'hui j'ai beaucoup souffert en songe à cause de lui. » Pilate a peur de penser à la menace dont le songe de sa femme peut être le présage. Mais voyant qu'il ne peut l'emporter et prévoyant un tumulte parmi le peuple s'il persiste à défendre le Christ, il se fait apporter de l'eau et se lave les mains devant la multitude – acte symbolique par lequel on rejette toute responsabilité, et que tous comprennent – en même temps qu'il proclame : « Je suis innocent du sang de ce juste. Cela vous regarde. » C'est alors que s'élève le cri par lequel le peuple de l'alliance se condamne lui-même : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! » Pilate libère Barabbas et remet Jésus à la garde des soldats pour qu'ils le flagellent.

La flagellation est un préliminaire à la mort sur la croix. L'instrument du châtiment est un fouet fait de nombreuses lanières, armées de métal et terminées par des morceaux d'os dont les extrémités sont déchiquetées. Les documents rapportent certains cas dans lesquels le condamné meurt sous le fouet et échappe ainsi aux horreurs d'être crucifié vif. Conformément aux coutumes brutales de l'époque, Jésus, affaibli et sanglant après la flagellation qu'il a subie, est livré aux soldats pour leur amusement. Ce n'est pas une victime ordinaire, et par conséquent toute la soldatesque s'attroupe dans le prétoire, ou grande salle du palais, pour participer à cet amusement. Ils enlèvent à Jésus son vêtement supérieur et le couvrent d'un manteau de pourpre. Puis ils tressent une couronne d'épines et la placent sur le front du martyr ; on lui met un roseau dans la main droite en guise de sceptre royal et, en s'inclinant devant lui en un hommage feint, ils le saluent des mots : « Salut, roi des Juifs ! » Puis ils lui arrachent le roseau ou la baguette, ils l'en frappent brutalement sur la tête, ce qui enfonce les épines dans la chair ; ils le giflent et crachent sur lui.

Pilate a probablement observé cette scène en silence. Il l'arrête et décide d'essayer encore une fois de faire appel à la pitié des juifs. Il sort et dit à la multitude : « Voici, je vous l'amène dehors, afin que vous sachiez que je ne trouve aucun motif de condamnation. » C'est la troisième fois que le gouverneur proclame l'innocence du prisonnier. Jésus sort donc, portant la couronne d'épines et le manteau de pourpre. Et Pilate leur dit : Voici l'homme ! Pilate semble compter que l'aspect pitoyable du Christ fouetté et sanglant adoucira le cœur des Juifs en colère. Mais il ne réussit pas son effet. Réfléchissons à ceci : un païen qui ne connaît pas Dieu, supplie les prêtres et le peuple d'Israël de laisser la vie à leur Seigneur et Roi ! Lorsque, sans se laisser émouvoir par ce spectacle, les principaux sacrificateurs et les officiers s'écrient sur un ton de plus en plus vindicatif : « Crucifie ! crucifie ! », Pilate prononce la sentence fatale : « Prenez-le vous-mêmes et crucifiez-le », mais il ajoute avec irritation : « Car moi, je ne trouve pas de motif de condamnation en lui. »

On se souvient que la seule accusation proférée contre le Christ devant le gouverneur romain est celle de sédition ; les persécuteurs juifs ont soigneusement évité la moindre mention du blasphème qui est l'offense pour laquelle ils ont estimé que Jésus mérite de mourir. Maintenant qu'ils ont arraché à Pilate la peine de la crucifixion, ils essaient impudemment de faire croire que l'autorisation du gouverneur n'est qu'une ratification de leur propre condamnation à mort ; ils disent donc : « Nous avons une loi, et selon la loi, il doit mourir, parce qu'il s'est fait Fils de Dieu. »

Ce titre intimidant, Fils de Dieu, touche plus profondément la conscience troublée de Pilate. Une fois de plus il emmène Jésus devant le tribunal et lui demande en tremblant : « D'où es-tu ? » Il veut savoir si Jésus est humain ou surhumain. Si le Seigneur reconnaît directement sa divinité il effraiera le gouverneur païen sans l'éclairer ; c'est pourquoi Jésus ne lui répond pas. Pilate est encore plus surpris et peut-être quelque peu offensé de ce mépris apparent de son autorité. Il demande une explication, disant : « À moi, tu ne parles pas ? Ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir de te relâcher, et que j'ai le pouvoir de te crucifier ? » Alors Jésus répond : « Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir s'il ne t'avait été donné d'en-haut. C'est pourquoi celui qui me livre à toi est coupable d'un plus grand péché. » Les situations sont renversées ; le Christ est le juge et Pilate le sujet de la décision de ce dernier. Sans être considéré innocent, le Romain est jugé moins coupable que celui ou ceux qui ont remis Jésus de force en son pouvoir et ont exigé de lui une exécution injuste.

Le gouverneur, quoique ayant prononcé sa sentence, cherche encore le moyen de libérer le patient soumis. Dès qu'il montre aux Juifs qu'il hésite, ceux-ci s'écrient : « Si tu le relâches, tu n'es pas ami de César. Quiconque se fait roi, se déclare contre César. » Pilate s'assoit au tribunal, qui est érigé au lieu appelé le Pavé ou Gabbatha, en dehors de la salle. Il en veut à ces Juifs qui ont osé laisser entendre qu'il n'est pas l'ami de César et dont l'insinuation peut provoquer l'envoi d'une ambassade à Rome pour se plaindre et le faire apparaître autrement qu'il n'est par une accusation exagérée. En désignant Jésus, il s'exclame avec un sarcasme non voilé : « Voici votre roi ! » Mais les Juifs répondent avec des cris menaçants : « À mort ! À mort ! crucifie-le ! » Leur rappelant leur assujettissement, Pilate demande avec ironie : « Crucifierai-je votre roi ? » Et les principaux sacrificateurs crient d'une voix forte : « Nous n'avons de roi que César. »


Pilate est le représentant de l'empereur, le procurateur impérial qui a le pouvoir de crucifier ou de sauver ; officiellement c'est un autocrate. Il ne fait aucun doute qu'il est convaincu de l'innocence du Christ et qu'il désire le sauver de la croix. Pourquoi donc Pilate hésite-t-il, vacille-t-il, et finalement cède-t-il contrairement à sa conscience et à sa volonté ? Parce qu'au fond, il est plus esclave qu'homme libre. Il est asservi à son passé. Il sait que si on se plaint de lui à Rome, sa corruption et ses cruautés, ses extorsions et le massacre qu'il a provoqué seront tous relevés contre lui. Il est le gouverneur romain, mais le peuple qu'il domine officiellement se réjouit de le voir se replier sur lui-même lorsqu'il manie la menace d'un rapport sur lui à son maître impérial, Tibère.

Remords et suicide de Judas Iscariot

Lorsque Judas Iscariot voit les conséquences terribles de sa trahison, il est saisi d'un remords frénétique. Au cours du procès du Christ devant les autorités juives, qui s'est accompagné d'humiliations et de cruautés, le traître a vu la gravité de son acte ; et lorsque le Martyr s'est laissé livrer aux Romains sans résister, et que l'issue fatale est devenue certaine, l'énormité de son crime remplit Judas d'une horreur sans nom. Il se précipite auprès des principaux sacrificateurs et des anciens qui font les derniers préparatifs pour la crucifixion du Seigneur, et implore les gouverneurs ecclésiastiques de reprendre le salaire qu'ils lui ont payé en s'écriant dans son désespoir terrible : « J'ai péché, en livrant le sang innocent. » Il se peut qu'il espère vaguement une parole de sympathie de la part des conspirateurs entre les mains desquels il a été un instrument aussi empressé et utile. Il espère peut-être que son aveu pourra freiner le cours de leur méchanceté et qu'ils demanderont une réforme du jugement. Mais les gouverneurs d'Israël le repoussent avec dégoût. « Que nous importe ? », raillent-ils, « cela te regarde. » Il les a servis, ils lui ont payé son salaire, ils ne veulent plus jamais le voir ; et ils le rejettent impitoyablement dans les ténèbres de sa conscience. Il serre encore le sac d'argent, souvenir trop réel de son péché, quand il se précipite dans le temple, pénètre même dans les locaux réservés aux prêtres, et lance les pièces d'argent sur le sol du sanctuaire. Puis il sort et s'en va se pendre.

Les principaux sacrificateurs rassemblent les pièces d'argent et tiennent une réunion solennelle pour décider de ce qu'ils feront du « prix du sang ». Comme ils estiment illégal d'ajouter les pièces au trésor sacré, ils s'en servent pour acheter un certain champ d'argile, qui a autrefois été la propriété d'un potier et qui est l'endroit même où Judas s'est suicidé ; ce morceau de terre, ils le réservent comme lieu d'enterrement pour les étrangers et les païens. Le corps de Judas, qui a trahi le Christ, est probablement le premier à y être enterré. Et ce champ est appelé « Hakeldamah, c'est-à-dire, champ du sang ».

Sur le chemin du Calvaire

Ponce Pilate, se rendant à contrecœur aux exigences des Juifs, décrète l'ordre fatal ; et Jésus, dévêtu de la robe pourpre et habillé de ses propres vêtements, est emmené pour être crucifié. Un groupe de soldats romains a la charge du Christ condamné ; et tandis que la procession s'éloigne du palais du gouverneur, une foule comprenant des fonctionnaires sacerdotaux, des gouverneurs des Juifs et des gens de nombreuses nationalités suit. Deux criminels, qui ont été condamnés à la croix pour vol, sont conduits en même temps à la mort ; il y aura une triple exécution, et la perspective de cette scène attire les gens qui ont l'esprit morbide. Dans la foule, il y a aussi, comme nous le montrerons, des gens qui s'affligent sincèrement. Les Romains ont coutume de rendre l'exécution des condamnés à mort aussi publique que possible, en vertu de l'idée fausse et peu psychologique que le spectacle d'un châtiment terrible exercera un effet préventif.

La peine de mort par crucifixion exige que le condamné porte la croix sur laquelle il doit souffrir. Jésus se mit en route, portant sa croix. L'effort terrible des heures précédentes, les douleurs atroces de Gethsémané, le traitement barbare qu'il a subi dans le palais du souverain sacrificateur, l'humiliation et les mauvais traitements auxquels il a été soumis devant Hérode, la flagellation qui lui a été infligée sous les ordres de Pilate, le traitement brutal de la soldatesque, auxquels viennent s'ajouter l'humiliation et l'angoisse mentale, tout cela a tellement affaibli son organisme qu'il n'avance que lentement sous le fardeau de la croix.

Les soldats, agacés par ce retard, obligent un homme venant de la campagne à Jérusalem qu'ils rencontrent à prêter ses services, et le forcent à porter la croix de Jésus. Aucun Romain, aucun Juif n'accepterait volontairement de porter un fardeau aussi horrible ; car tous les détails relatifs à l'exécution d'une sentence de crucifixion sont considérés comme dégradants. L'homme ainsi obligé de marcher sur les traces de Jésus, portant la croix sur laquelle le Sauveur du monde doit consommer sa mission glorieuse, est Simon, originaire de Cyrène. Marc nous dit que Simon est le père d'Alexandre et de Rufus ; nous pouvons conclure que les deux fils sont connus des lecteurs de l'Évangile comme membres de la jeune Église, et nous avons lieu de croire que la maison de Simon de Cyrène se range plus tard parmi les croyants.

Parmi ceux qui suivent ou regardent passer la procession, il y a des gens, en particulier des femmes, qui pleurent et se lamentent sur le sort qui attend Jésus. Nous ne voyons aucun homme s'aventurer à élever la voix pour protester ou exprimer sa pitié ; mais en cette occasion comme en d'autres, les femmes ne craignent pas d'exprimer leur commisération ou leurs éloges. Jésus, qui est resté silencieux pendant l'inquisition des prêtres, silencieux sous les moqueries d'Hérode et de ses valets, silencieux tandis qu'il était tourmenté et battu par les légionnaires de Pilate, se tourne vers les femmes dont les lamentations pleines de sympathie sont parvenues à ses oreilles et leur lance une exhortation et un avertissement : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ; mais pleurez sur vous et sur vos enfants. Car voici : des jours viendront où l'on dira : Heureuses les stériles, heureuses celles qui n'ont pas enfanté, et qui n'ont pas allaité ! Alors on se mettra à dire aux montagnes : Tombez sur nous ! Et aux collines : Couvrez-nous ! Car, si l'on fait cela au bois vert, qu'arrivera-t-il au bois sec ? »

C'est le dernier témoignage que le Seigneur rend de la destruction imminente qui doit s'ensuivre parce que la nation a rejeté son roi. Bien que la maternité soit le couronnement de la vie de toute Juive, cependant dans les événements terribles que verront un grand nombre de celles qui pleurent là, la stérilité sera considérée comme une bénédiction ; car celles qui n'ont pas eu d'enfants auront moins de personnes sur qui pleurer et se verront du moins épargner l'horreur de voir leurs enfants mourir de faim ou par la violence ; car ce jour-là sera si terrible que le peuple verra avec joie les montagnes tomber sur lui pour mettre fin à ses souffrances.

Le cortège avance le long des rues de la ville, sort par la porte du mur massif et se dirige ensuite vers un endroit qui se trouve au-delà mais est cependant proche de Jérusalem. Sa destination est un lieu appelé Golgotha ou Calvaire, signifiant « lieu du Crâne ».

La crucifixion

Au Calvaire, les bourreaux officiels se mettent sans délai en devoir de mettre à exécution la terrible sentence prononcée contre Jésus et les deux criminels. Avant d'attacher les condamnés à la croix, il est de coutume d'offrir à chacun d'eux une gorgée de vinaigre mélangée de myrrhe et contenant peut-être d'autres ingrédients stupéfiants, dans l'intention miséricordieuse d'engourdir la sensibilité de la victime. Ce n'est pas une pratique romaine mais une concession à la sensibilité juive. Lorsque la coupe contenant la drogue est présentée à Jésus, il la porte à ses lèvres, mais s'étant rendu compte de la nature de son contenu, refuse de boire et manifeste ainsi sa détermination d'aller à la rencontre de la mort dans la possession de toutes ses facultés et l'esprit clair.

Ils le crucifient alors sur la croix centrale et placent l'un des malfaiteurs condamnés à sa droite et l'autre à sa gauche. Ainsi est réalisée la vision d'Ésaïe prophétisant que le Messie sera mis au nombre des malfaiteurs. Nous n'avons que peu de détails sur la crucifixion proprement dite. Nous savons cependant que le Seigneur est cloué à la croix par des pointes qu'on lui enfonce dans les mains et les pieds, méthode romaine, au lieu d'être seulement lié de cordes comme c'est la coutume d'infliger cette forme de châtiment parmi les autres nations.

La mort par crucifixion est, de toutes les formes d'exécution, à la fois celle qui dure le plus longtemps et qui est la plus douloureuse. La victime continue à vivre tandis que sa torture augmente constamment, généralement pendant de longues heures, parfois pendant des jours. Les pointes enfoncées dans les mains et les pieds pénètrent et écrasent des nerfs sensibles et des tendons sans infliger de blessures mortelles. La victime souffre jusqu'à ce que survienne la mort, soulagement auquel elle aspire, provoquée soit par l'épuisement que cause la douleur intense et ininterrompue ou par l'inflammation et la congestion localisées d'organes provenant du fait que le corps se trouve dans une position tendue et anormale.

Tandis que les bourreaux s'acquittent de leur tâche, vraisemblablement avec une rudesse accompagnée de railleries, car tuer est leur métier et ils se sont endurcis au spectacle de la souffrance par une longue habitude, le martyr torturé, qui n'éprouve aucune rancune et est plein de pitié pour leur endurcissement et leur cruauté, prononce la première des sept paroles dites sur la croix. Dans un esprit de miséricorde divine, il prie : « Père pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. »

N'essayons pas de fixer les limites de la miséricorde du Seigneur ; il doit être admis qu'elle s'étend à tous ceux qui d'une manière quelconque peuvent, à juste titre, tomber sous sa juridiction. La manière dont le Seigneur exprime cette bénédiction miséricordieuse est importante. S'il disait : « Je vous pardonne », on pourrait croire que son pardon n'est qu'une rémission de l'offense commise contre lui en le torturant en vertu d'une condamnation injuste ; mais cette invocation faite au Père de pardonner est une supplication pour ceux qui ont causé la souffrance et la mort au Fils bien-aimé du Père, Sauveur et Rédempteur du monde.

Il semble qu'en vertu de la loi humaine, les vêtements portés par un condamné au moment de l'exécution deviennent la propriété des bourreaux. Les quatre soldats responsables de la croix sur laquelle le Seigneur souffre se distribuent des parties de son vêtement ; il reste sa tunique, qui est un bon vêtement tissé d'une seule pièce, sans couture. La déchirer, ce serait l'abîmer ; aussi les soldats tirent-ils au sort pour voir qui la possédera ; dans cet événement, les évangélistes voient l'accomplissement de la prévision du psalmiste : « Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont tiré au sort ma tunique ».

On attache à la croix, au-dessus de la tête de Jésus, un titre ou inscription, rédigé sur ordre de Pilate conformément à la coutume qui veut que l'on indique le nom du crucifié et la nature de l'infraction pour laquelle il a été condamné à mort. Dans ce cas, le titre est écrit en trois langues, en grec, en latin et en hébreu, langues dont tous les spectateurs qui peuvent lire comprendront une ou plusieurs. Le titre ainsi affiché dit : « Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs » ou selon la version plus étendue donnée par Jean : « Jésus de Nazareth, le roi des Juifs ». Beaucoup de personnes lisent l'inscription, car le Calvaire est proche du chemin public et en ce jour férié les passants sont certainement nombreux. Cela suscite des commentaires. En effet, si on l'interprète littéralement, l'inscription constitue une déclaration officielle que Jésus crucifié est réellement roi des Juifs.

Lorsque ce détail est porté à l'attention des principaux sacrificateurs, ils font appel au gouverneur, disant : « N'écris pas : Le roi des Juifs ; mais il a dit : je suis le roi des Juifs. » Pilate répond : Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit. » En formulant ainsi le titre et en refusant purement et simplement de permettre toute altération, Pilate veut peut-être infliger une rebuffade aux fonctionnaires juifs qui l'ont forcé à condamner Jésus contre son jugement et sa volonté ; mais il se peut cependant que le comportement soumis du prisonnier et son affirmation qu'il détient une royauté surpassant toutes les royautés de la terre aient frappé l'esprit sinon le cœur du gouverneur romain et lui aient donné la conviction de la supériorité unique du Christ et du droit inhérent qu'il a à la domination. Quel que puisse être le but poursuivi par Pilate dans son écrit, cette inscription a traversé l'histoire pour témoigner de la considération manifestée par un païen par contraste avec l'attitude d'Israël qui a rejeté brutalement son Roi.

Les soldats, dont le devoir est de garder les croix jusqu'à ce que la mort lente soulage les crucifiés de leur torture croissante, plaisantent entre eux et se gaussent du Christ, boivent à sa santé. En voyant le titre affiché au-dessus de la tête du Martyr, ils hurlent : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » La multitude et les passants blasphèment contre lui et secouent la tête, en disant : « Eh ! toi qui détruis le temple et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même – et descends de la croix ! » Le comble, c'est que les principaux sacrificateurs et les scribes, les anciens du peuple, les peu respectables sanhédristes, deviennent les meneurs de la populace, se réjouissant avec satisfaction et s'écriant : « Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même ! Il est roi d'Israël, qu'il descende de la croix ; et nous croirons en lui. Il s'est confié en Dieu ; que Dieu le délivre maintenant, s'il l'aime. Car il a dit : Je suis Fils de Dieu ».

Bien que prononcée avec moquerie, la déclaration des gouverneurs d'Israël n'en reste pas moins une attestation que le Christ en a sauvé d'autres et une proclamation faite dans une intention ironique mais néanmoins littéralement vraie qu'il est le Roi d'Israël. Les deux malfaiteurs, chacun sur sa croix, se joignent à la dérision générale, et l'insultent de la même manière. L'un d'eux, dans le désespoir qu'il éprouve à voir la mort approcher, fait écho aux provocations des prêtres et du peuple : « Sauve-toi toi-même, et sauve-nous ! »

La note dominante dans toutes ces railleries et toutes ces injures, dans ce langage ordurier et ces moqueries, dont le Christ est assailli tandis qu'il est sur la croix, « élevé » comme il l'a prédit de lui même, est ce terrible « Si » qu'on lui lance au visage au moment de son agonie ; de la même manière le diable lui-même le lui a fait sentir très insidieusement lorsqu'il l'a tenté immédiatement après son baptême. Ce « si » est le dernier trait du diable, soigneusement barbelé et doublement empoisonné, et il file comme avec le sifflement d'une vipère.


Est-il possible, à ce stade final et effroyable de la mission du Christ, de lui faire douter de sa filiation divine, ou, à défaut, d'accabler de sarcasmes ou d'irriter le Sauveur mourant, afin qu'il utilise ses pouvoirs surhumains pour soulager sa propre douleur ou commettre un acte de vengeance contre ses tortionnaires ? Obtenir pareille victoire, tel est le dessein désespéré du diable. Le trait manque son but. Le Christ torturé reste silencieux durant les provocations et la dérision, les défis et les incitations.

Alors l'un des voleurs crucifiés, adouci par le courage patient du Sauveur, et voyant dans le comportement du martyr divin quelque chose de surhumain, réprimande son compère railleur, en disant : « Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation ? Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos actes ; mais celui-ci n'a rien fait de mal. » Ayant confessé sa culpabilité et reconnu la justice de sa propre condamnation, il est amené à un début de repentir, et à la foi au Seigneur Jésus, son compagnon d'agonie. Et il dit : « Jésus, souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton règne ». À cet appel du repentir, le Seigneur répond par une promesse telle que lui seul peut en faire : « En vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis ».

Parmi les spectateurs de cette tragédie, la plus grande de l'histoire, il y a des personnes qui éprouvent de la sympathie et de la douleur. On ne nous dit pas qu'un des Douze est présent à l'exception d'un seul, à savoir le disciple « que Jésus aimait », Jean l'apôtre, évangéliste et révélateur ; mais il est fait explicitement mention de certaines femmes qui, tout d'abord à distance, puis tout près de la croix, pleurent dans l'angoisse de leur amour et de leur douleur. Près de la croix de Jésus, se tiennent sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie-Madeleine.

Outre les femmes citées il y en a beaucoup d'autres, dont certaines ont servi Jésus dans le courant de ses travaux en Galilée et qui se trouvent parmi celles qui sont venues avec lui à Jérusalem. Mais revenons à Marie, mère de Jésus. Son âme a été transpercée par l'épée, comme Simon le juste l'a prophétisé. Jésus, contemplant avec compassion sa mère en larmes qui se trouve avec Jean au pied de la croix, la recommande aux soins et à la protection du disciple bien-aimé, en disant : « Femme, voici ton fils. » Et à Jean : « Voici ta mère. » Le disciple emmène Marie, pleine de douleur, loin de son Fils mourant et la prend chez lui, se chargeant ainsi immédiatement des nouvelles relations établies par son Maître.

Jésus est cloué sur la croix pendant la matinée de ce vendredi, probablement entre neuf et dix heures. À midi le soleil s'obscurcit et les ténèbres s'étendent sur tout le pays. Cette obscurité dure trois heures. Ce phénomène, la science ne l'a pas expliqué de manière satisfaisante. Il ne peut être dû à une éclipse du soleil, car on se trouve à l'époque de la pleine lune ; en effet le moment de la Pâque est déterminé par la première pleine lune après l'équinoxe de printemps. Des ténèbres sont provoquées par un fonctionnement miraculeux des lois naturelles dirigé par la puissance divine. C'est un signe approprié du deuil profond de la terre causé par la mort imminente de son Créateur. Les évangélistes gardent un silence respectueux sur l'agonie du Seigneur sur la croix.

À la neuvième heure, soit à environ trois heures de l'après-midi, une voix forte, dépassant le cri de souffrance physique le plus angoissé, se fait entendre de la croix centrale, déchirant les ténèbres. C'est la voix du Christ : « Eli, Eli, lama sabachthani ? c'est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » Quel esprit humain peut sonder la signification de ce cri affreux ? Il semble qu'en plus des souffrances terribles causées par la crucifixion, l'angoisse de Gethsémané soit revenue, intensifiée au point qu'il est au-delà des forces humaines de la supporter.

En cette heure extrêmement cruelle, le Christ mourant est seul, seul d'une manière réelle et terrible. Pour que le sacrifice suprême du Fils puisse être consommé dans toute sa plénitude, il semble que le Père ait retiré le soutien de sa Présence immédiate, laissant au Sauveur des hommes la gloire d'une victoire complète sur les forces du péché et de la mort. Le cri poussé sur la croix, tous ceux qui sont tout près l'entendent, mais peu le comprennent. Quand on entend sa première exclamation, Eli, signifiant Mon Dieu, on croit qu'il appelle Élie.

Le moment de faiblesse, le sentiment d'abandon total passe bientôt, et les besoins naturels du corps se font de nouveau sentir. La soif insoutenable, qui constitue l'une des douleurs les plus atroces de la crucifixion, arrache des lèvres du Sauveur la seule parole qui nous soit rapportée exprimant sa souffrance physique. « J'ai soif », dit-il. L'un de ceux qui sont tout près, on ne nous dit pas s'il est Romain ou Juif, disciple ou sceptique, imprègne rapidement une éponge de vinaigre, dont un récipient se trouve tout près, et ayant attaché l'éponge à l'extrémité d'un roseau ou d'une tige d'hysope, l'appuie sur les lèvres du Seigneur. D'autres disent : « Laisse, voyons si Élie viendra le sauver. » Jean affirme que le Christ ne s'exclame : « J'ai soif » que lorsqu'il sait que tout est déjà accompli, et l'apôtre voit dans cet incident l'accomplissement d'une prophétie.

Se rendant pleinement compte qu'il n'est plus abandonné, mais que son sacrifice expiatoire a été accepté par le Père et que sa mission dans la chair a été menée à une fin glorieuse, il s'exclame d'une voix forte avec triomphe : « Tout est accompli. » Il s'adresse au Père avec respect, résignation et soulagement, disant : « Père, je remets mon esprit entre tes mains ». Il incline la tête et donne volontairement sa vie.

Jésus le Christ est mort. Sa vie ne lui a été enlevée que parce qu'il l'a permis. Aussi doux et bienvenu qu'aurait été le soulagement procuré par la mort à chacune des étapes précédentes de sa souffrance, de Gethsémané à la croix, il a vécu jusqu'à ce que tout soit accompli comme prévu.

Entre la mort et l'ensevelissement

La mort du Christ s'accompagne de phénomènes terrifiants. Il y a un violent tremblement de terre, les rochers des montagnes se détachent, et beaucoup de tombes s'ouvrent. Mais, chose la plus terrible de toutes dans l'esprit juif, le voile du temple qui pend entre le Saint et le Saint des Saints se déchire du haut en bas, et l'intérieur, que nul autre que le souverain sacrificateur n'a pu voir jusque là, est exposé aux regards de tous. C'est le démembrement du judaïsme, la consommation de l'ère mosaïque et l'inauguration du christianisme sous l'administration apostolique.

Le centurion romain et les soldats qui sont sous ses ordres à l'endroit de l'exécution sont étonnés et extrêmement effrayés. Ils ont probablement été témoins de nombreuses morts sur la croix, mais jamais encore ils n'ont vu d'homme mourir visiblement de sa propre volonté et capable de crier d'une voix forte au moment de périr.

Ce mode d'exécution barbare et inhumain provoque un épuisement lent et progressif. Tous ceux qui sont là considèrent la mort de Jésus comme un miracle, ce qu'elle est en effet. Ce prodige, auquel vient s'ajouter le tremblement de terre et les horreurs qui l'accompagnent, frappe tellement le centurion qu'il prie Dieu et déclare solennellement : « Réellement, cet homme était juste. » D'autres se joignent à lui pour prononcer cette affirmation effrayante : « Il était vraiment Fils de Dieu. » Les gens terrifiés qui parlent et ceux qui entendent quittent cet endroit pleins de crainte, se frappant la poitrine et se lamentant sur ce qui semble être une destruction imminente. Cependant quelques femmes aimantes observent de loin et voient tout ce qui se passe jusqu'au moment où le corps est enseveli.

C'est maintenant la fin de l'après-midi ; le sabbat commence au coucher du soleil. Ce sabbat qui s'approche est considéré comme plus qu'ordinairement sacré, car c'est un grand jour, en ce qu'en plus d'être le sabbat hebdomadaire, c'est un jour pascal. Les dirigeants juifs, qui n'ont pas hésité à mettre leur Seigneur à mort, sont horrifiés à la pensée que des hommes restent en croix en un tel jour, ce qui souillerait la terre ; par conséquent, ces dirigeants scrupuleux vont trouver Pilate pour lui demander de liquider sommairement les crucifiés par la méthode brutale romaine qui consiste à leur rompre les jambes, car on sait que le choc de ce traitement violent provoque la mort rapide des crucifiés. Le gouverneur donne son consentement, et les soldats brisent avec des gourdins les membres des deux voleurs. Cependant, s'apercevant que Jésus est déjà mort, ils ne lui rompent pas les os.

Le Christ, le grand sacrifice de la Pâque dont toutes les victimes de l'autel, au cours des siècles précédents, n'ont été que des prototypes pour le rappeler au souvenir des hommes, meurt de manière violente mais cependant sans qu'un seul os de son corps soit brisé, condition prescrite pour les agneaux pascaux immolés. L'un des soldats, voulant s'assurer que Jésus est réellement mort, ou pour être certain de le tuer s'il vit encore, lui enfonce une lance dans le côté, faisant une blessure suffisamment grande pour permettre à un homme d'y introduire la main. Lorsqu'il retira la lance, du sang et de l'eau coulent, événement si surprenant que Jean, qui témoin oculaire, en rend lui-même formellement témoignage et cite les Écritures qui sont par là accomplies.

L'ensevelissement

Un homme appelé Joseph d'Arimathée, qui de cœur est disciple du Christ, mais qui a hésité à confesser ouvertement sa conversion par peur des Juifs, veut donner au corps du Christ des funérailles décentes et honorables. Sans cette intervention divinement inspirée, le corps de Jésus serait probablement jeté dans la fosse commune des criminels exécutés. Cet homme, Joseph, est « membre du conseil... homme bon et juste ». Il est expressément dit de lui qu'il « n'a point participé à la décision et aux actes des autres », déclaration qui nous permet de conclure que c'est un sanhédriste et qu'il s'est opposé à la mesure prise par ses collègues lorsqu'ils ont condamné Jésus à mort, ou du moins s'est abstenu de voter avec les autres. Joseph est un homme riche, important et influent. Il va trouver Pilate et lui demande le corps du Christ. Le gouverneur est surpris d'apprendre que Jésus est déjà mort ; il fait venir le centurion et lui demande combien de temps Jésus a vécu sur la croix. Ce détail peu ordinaire semble augmenter le trouble et les préoccupations de Pilate. Il donna ses ordres et le corps du Christ est remis à Joseph.

Le corps est descendu de la croix, et dans la préparation pour le tombeau, Joseph est aidé de Nicodème, autre membre du sanhédrin, celui-là même qui, trois ans auparavant, est allé trouver Jésus de nuit et a protesté, lors d'une des réunions de conspiration du sanhédrin, contre le projet de condamner Jésus illégalement sans interrogatoire. Nicodème apporte une grande quantité de myrrhe et d'aloès, cent livres environ. Ce mélange est hautement estimé pour les onctions et les embaumements, mais son prix en limite l'usage aux riches. Ces deux disciples enveloppent le corps du Seigneur dans du linge propre, « avec les aromates, comme c'est la coutume d'ensevelir chez les Juifs », puis le posent dans un sépulcre neuf, taillé dans le roc. Le tombeau se trouve dans un jardin, non loin du Calvaire, et appartient à Joseph.

À cause de la proximité du sabbat, l'ensevelissement doit se faire en hâte ; l'entrée du sépulcre est fermée, une grande pierre est roulée contre elle, et ainsi mis à l'abri, le corps est laissé à son repos. Quelques-unes des femmes, en particulier Marie-Madeleine et « l'autre Marie », qui est la mère de Jacques et de Jude, ont regardé de loin la mise au tombeau ; lorsqu'elle est terminée, elles « s'en retournent pour préparer des aromates et des parfums. Puis pendant le sabbat, elles observent le repos, selon le commandement ».

SAMEDI

Le sépulcre gardé

Le lendemain de la « préparation », c'est-à-dire le samedi, jour du sabbat et « le grand jour », les principaux sacrificateurs et les Pharisiens viennent en bloc trouver Pilate et lui disent : « Seigneur, nous nous souvenons que cet imposteur a dit, quand il vivait encore : Après trois jours je ressusciterai. Ordonne donc qu'on s'assure du sépulcre jusqu'au troisième jour, afin que ses disciples ne viennent pas dérober le corps et dire au peuple : Il est ressuscité des morts. Cette dernière imposture serait pire que la première. » Il est évident que les ennemis les plus invétérés du Christ se souviennent de ses prédictions dans lesquelles il a assuré qu'il ressusciterait le troisième jour après sa mort. Pilate répond par un consentement bref : « Vous avez une garde ; allez, assurez-vous de lui comme vous l'entendrez. » C'est ainsi que les principaux sacrificateurs et les Pharisiens s'assurent que le sépulcre est bien protégé en veillant à ce que le sceau officiel soit apposé au point de jonction de la grande pierre et de l'entrée et qu'une garde armée en soit responsable.

DIMANCHE

La résurrection

Samedi, le sabbat juif, est passé, et la nuit précédant l'aube du dimanche le plus mémorable de l'histoire est presque terminée, tandis que les soldats romains montent la garde devant le sépulcre où git le corps du Seigneur Jésus. Tandis qu'il fait encore noir, la terre commence à trembler ; un ange du Seigneur descend, roule la pierre massive de devant l'entrée du tombeau et s'assit dessus. Son aspect est aussi brillant que l'éclair et son vêtement est blanc comme la neige fraîche. Les soldats, paralysés de peur, tombent comme morts sur le sol. Lorsqu'ils se sont partiellement ressaisis de leur effroi, ils s'enfuient terrorisés. Même la rigueur de la discipline romaine, qui décrète l'exécution sommaire de tout soldat désertant son poste, ne peut les arrêter. En outre, il ne leur reste plus rien à garder ; le sceau de l'autorité a été brisé, le sépulcre est ouvert et vide.

Dès les premières lueurs de l'aube, la dévouée Marie-Madeleine et d'autres femmes fidèles se mettent en route pour la tombe en apportant des épices et des onguents qu'elles ont préparés pour achever d'oindre le corps de Jésus. Certaines d'entre elles ont assisté à l'ensevelissement et se rendent compte de la nécessité dans laquelle Joseph et Nicodème se sont trouvés d'envelopper hâtivement le corps d'épices et de le mettre au tombeau, juste avant le commencement du sabbat ; et maintenant ces adoratrices viennent au petit matin servir leur Seigneur en oignant et en embaumant de façon plus complète l'extérieur du corps.

C'est en cours de route et tandis qu'elles conversent tristement qu'elles pensent, apparemment pour la première fois, à la difficulté d'entrer au tombeau. « Qui nous roulera la pierre de l'entrée du tombeau ? » se demandent-elles les unes aux autres. De toute évidence, elles ne savent rien du sceau ni de la garde. Au tombeau, elles voient l'ange et ont peur ; mais il leur dit : « Pour vous, n'ayez pas peur, car je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié. Il n'est pas ici ; en effet il est ressuscité, comme il l'avait dit. Venez, voyez l'endroit où il était couché, et allez promptement dire à ses disciples qu'il est ressuscité des morts. Il vous précède en Galilée ; c'est là que vous le verrez. »

Les femmes, quoique ayant reçu la faveur d'une visitation et d'une assurance angéliques, quittent le lieu étonnées et effrayées. Il semble que Marie-Madeleine soit la première à apporter aux disciples la nouvelle que le tombeau est vide. Elle est incapable de comprendre le sens joyeux de la proclamation de l'ange : « Il est ressuscité, comme il l'avait dit » ; dans son amour et sa douleur, elle ne se souvient que des mots : « Il n'est pas ici », dont la vérité lui a été si formellement confirmée par le regard qu'elle a hâtivement jeté à la tombe ouverte et sans occupant. Elle court trouver Simon Pierre et l'autre disciple que Jésus aimait, et leur dit : « On a enlevé du tombeau le Seigneur, et nous ne savons pas où on l'a mis. »

Pierre, et « l'autre disciple » qui est certainement Jean, se mettent hâtivement en route et courent ensemble vers le sépulcre. Jean dépasse son compagnon et, en arrivant au tombeau, se penche pour regarder à l'intérieur et entrevoit ainsi le linceul posé sur le sol ; mais Pierre, hardi et impétueux, se précipite dans le sépulcre, et le jeune apôtre le suit. Ils voient tous deux le vêtement funéraire et, gisant à part, la serviette qui a été placée autour de la tête du cadavre. Jean explique, en parlant de lui et des autres apôtres : « Car ils n'avaient pas encore compris l'Écriture, selon laquelle Jésus devait ressusciter d'entre les morts ».

Madeleine, frappée par le chagrin, retourne à la suite des apôtres au jardin où le Seigneur a été enseveli. Il semble que dans son cœur accablé de douleur la pensée que le Seigneur ait pu reprendre vie n'ait pas trouvé place ; elle sait seulement que le corps de son Maître bien-aimé a disparu. Tandis que Pierre et Jean se trouvent à l'intérieur du sépulcre, elle se tient au-dehors, en pleurs. Lorsque les hommes sont partis, elle se penche et regarde dans la caverne creusée dans le roc. Elle y voit deux personnages, des anges en blanc, « assis à la place où avait été couché le corps de Jésus, l'un à la tête, l'autre aux pieds ». Ils lui demandent avec tendresse : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Pour toute réponse elle ne peut qu'exprimer de nouveau le chagrin qui l'accable : « Parce qu'on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais où on l'a mis. » L'absence du corps, qu'elle pense être tout ce qui reste sur terre de celui qu'elle a aimé si profondément, constitue un deuil personnel. Il y a énormément de pathétique et d'affection dans ces mots : « On a enlevé mon Seigneur. »

Elle se détourne du tombeau qui, quoiqu'à ce moment-là illuminé par la présence des anges, est pour elle vide et désolé, et s'avise de la présence toute proche d'un autre personnage. Elle entend sa question : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Elle lève à peine son visage baigné de larmes pour regarder celui qui la questionne, et pensant vaguement qu'il est le jardinier et qu'il sait peut-être ce qu'on a fait du corps de son Seigneur, elle s'exclame : « Seigneur, si c'est toi qui l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis, et je le prendrai. » Elle sait que Jésus a été enterré dans une tombe empruntée ; et si le corps a été dépossédé de ce lieu de repos, elle est prête à lui en donner un autre. « Dis-moi où tu l'as mis », supplie-t-elle.

C'est à Jésus, son Seigneur bien-aimé, qu'elle parle, bien qu'elle ne le sache pas. Un mot des lèvres du Seigneur transforme sa douleur profonde en une joie pleine d'extase. « Jésus lui dit : Marie ! » La voix, le ton, l'accent plein de tendresse qu'elle a entendus et aimés dans le passé la font sortir des profondeurs du désespoir dans lesquelles elle est plongée. Elle se retourne et voit le Seigneur. Dans un transport de joie, elle tend les bras pour l'étreindre, ne prononçant que le mot plein d'affection et d'adoration : « Rabbouni », signifiant mon Maître bien-aimé. Jésus arrête cette manifestation d'amour respectueux, en disant : « Ne me touche pas ; car je ne suis pas encore monté vers mon Père », et en ajoutant : « Mais va vers mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu, et votre Dieu ».

C'est à une femme, à Marie-Madeleine, qu'est fait l'honneur d'être le premier mortel à voir une âme ressuscitée, et cette âme est le Seigneur Jésus. Ensuite le Seigneur ressuscité se manifeste à d'autres femmes favorisées, entre autres Marie, mère de Jude, à Jeanne, et à Salomé, mère des apôtres Jacques et Jean. Celles-ci et les autres femmes qui les accompagnent ont été effrayées de la présence de l'ange au tombeau et se sont éloignées avec une crainte mêlée de joie. Elles n'étaient pas là lorsque Pierre et Jean sont entrés dans le caveau, ni plus tard lorsque le Seigneur s'est fait connaître à Marie-Madeleine. Il se peut qu'elles y retournent plus tard, car certaines d'entre elles semblent entrer dans le sépulcre et voir que le corps du Seigneur n'y est pas.

Tandis qu'elles sont là, perplexes, elles s'aperçoivent soudain de la présence de deux hommes en habits resplendissants ; elles baissent le visage vers la terre, mais les anges leur disent : « Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? Il n'est pas ici, mais il est ressuscité. Souvenez-vous de quelle manière il vous a parlé, lorsqu'il était encore en Galilée et qu'il disait : Il faut que le Fils de l'homme soit livré entre les mains des pécheurs, qu'il soit crucifié et qu'il ressuscite le troisième jour. » Alors elles se souviennent des paroles de Jésus ». Tandis qu'elles retournent à la ville pour remettre le message aux disciples, Jésus vient à leur rencontre et dit : « Je vous salue. » Elles s'approchent pour saisir ses pieds et elles l'adorent. Alors Jésus leur dit : « Soyez sans crainte ; allez dire à mes frères de se rendre en Galilée : C'est là qu'ils me verront ».

On peut se demander pourquoi Jésus a interdit à Marie-Madeleine de le toucher pour permettre ensuite si rapidement à d'autres femmes de lui tenir les pieds en se prosternant devant lui pour l'adorer. Nous pouvons supposer que l'attitude émotionnelle de Marie était provoquée plus par un sentiment d'affection personnelle quoique sacrée que par l'impulsion d'une adoration pieuse comme celle dont font preuve les autres femmes. Bien que le Christ ressuscité manifeste la même considération amicale et intime qu'il a montrée dans son état mortel envers ceux dont il a partagé étroitement la compagnie, il ne fait plus partie d'eux dans le sens littéral du terme. Il y a chez lui une dignité divine qui interdit toute familiarité intime de la part de qui que ce fût.

Le Christ a dit à Marie-Madeleine : « Ne me touche pas ; car je ne suis pas encore monté vers mon Père. » Si la deuxième proposition a été ajoutée pour expliquer la première, nous devons en déduire qu'il ne doit être permis à aucune main humaine de toucher le corps ressuscité et immortalisé du Seigneur tant qu'il ne s'est pas présenté au Père. Il semble raisonnable et probable qu'entre la tentative impulsive de Marie de toucher le Seigneur et l'action des autres femmes qui le tiennent par les pieds tout en se prosternant devant lui avec un respect adorateur, le Christ est monté vers le Père, et revenu plus tard sur terre poursuivre son ministère dans son état ressuscité.

Marie-Madeleine et les autres femmes racontent aux disciples l'histoire merveilleuse de leurs expériences respectives, mais les frères ne peuvent ajouter foi à leurs paroles ; ces paroles leur apparaissent comme une niaiserie et ils ne croient pas ces femmes ». Malgré tout ce que le Christ a enseigné concernant sa résurrection des morts le troisième jour, les apôtres sont incapables d'accepter la réalité de l'événement ; dans leur esprit, la résurrection est un événement mystérieux et lointain et non une possibilité présente.

Il n'y a ni précédent ni analogie pour appuyer les histoires que ces femmes racontent – d'un mort qui serait revenu à la vie, ayant un corps de chair et d'os que l'on peut voir et toucher – à part les cas du jeune homme de Naïn, de la fille de Jaïrus et du bien-aimé Lazare de Béthanie ; mais ils voient les différences essentielles qui existent entre ces cas de restitution à un renouveau de vie mortelle et la nouvelle de la résurrection de Jésus. La douleur et le sentiment de perte irréparable qui ont caractérisé le sabbat de la veille est remplacés, en ce premier jour de la semaine, par une perplexité profonde et des doutes en conflit. Mais alors que les apôtres hésitent à croire que le Christ soit réellement ressuscité, les femmes moins sceptiques, plus confiantes, savent, car elles l'ont vu et ont entendu sa voix, et certaines d'entre elles lui ont touché les pieds.


Conspiration des chefs religieux

Lorsque les gardes romains se sont suffisamment remis de leur effroi pour quitter précipitamment le tombeau, ils vont trouver les principaux sacrificateurs sous les ordres desquels Pilate les a placés et racontent les événements surnaturels dont ils ont été témoins. Les principaux sacrificateurs sont des Sadducéens, confession ou parti dont un trait caractéristique est qu'ils nient qu'il puisse y avoir une résurrection. On convoque une session du sanhédrin et on examine le rapport troublant des gardes. Dans le même esprit dans lequel ils ont essayé de tuer Lazare dans le dessein d'étouffer l'intérêt populaire pour le miracle de sa résurrection, ces chefs conspirent maintenant pour discréditer la vérité de la résurrection du Christ en corrompant les soldats pour qu'ils mentent.

Ils leur ordonnent de dire : « Ses disciples sont venus de nuit le dérober, pendant que nous dormions » ; et pour ce mensonge, ils leur offrent de grosses sommes d'argent. Les soldats acceptent le pot-de-vin tentant et font ce qui leur est commandé ; cette attitude leur semble, en effet, être le meilleur moyen de sortir d'une situation critique. Si on prouve qu'ils sont coupables d'avoir dormi à leur poste, ils seront condamnés à une mort immédiate ; mais les Juifs les encouragent par la promesse : « Si le gouverneur l'apprend, nous userons de persuasion et nous vous tirerons d'ennui. » Il faut se souvenir que les soldats ont été mis à la disposition des principaux sacrificateurs, et il est par conséquent probable qu'ils ne sont pas obligés de rapporter les détails de leurs faits et gestes aux autorités romaines.

L'historien ajoute qu'à la date où il écrit, l'histoire fausse que le corps du Christ a été volé de la tombe par les disciples est courante parmi les Juifs. Il est clair que cette histoire mensongère est absolument intenable. Si tous les soldats se sont endormis – événement extrêmement improbable, étant donné que pareille négligence est un crime capital – comment leur serait-il été possible de savoir que quelqu'un s'est approché du tombeau ? Et plus particulièrement, comment peuvent-ils prouver leur déclaration, même si elle était vraie, que le corps a été volé et que ce sont les disciples qui sont les pilleurs de tombe ?

Ce récit mensonger a été inventé par les principaux sacrificateurs et les anciens du peuple. Cependant le cercle ecclésiastique tout entier n'est pas impliqué. Certains d'entre eux, qui ont peut-être compté parmi les disciples secrets de Jésus avant sa mort, ne craindront pas de s'allier ouvertement à la jeune Église lorsque, grâce aux preuves de la résurrection du Seigneur, ils seront complètement convertis. Nous lisons que peu de mois après seulement, « une grande foule de sacrificateurs obéissait à la foi ».


Il marche et parle avec deux disciples

Au cours de l'après-midi de ce même dimanche, deux disciples, qui ne font pas partie des apôtres, quittent le petit groupe de croyants de Jérusalem et se mettent en route pour Emmaüs, village situé à douze ou treize kilomètres de la ville. Il ne peut y avoir qu'un seul sujet de conversation entre eux, et en ce jour-là, ils conversent tout en marchant, citant des incidents de la vie du Seigneur, s'étendant tout particulièrement sur sa mort qui a si tristement détruit leur espoir d'un règne messianique et s'étonnent profondément du témoignage incompréhensible des femmes concernant sa réapparition sous la forme d'une âme vivante.

Tandis qu'ils marchent, absorbés dans une conversation triste et profonde, un autre voyageur se joint à eux ; c'est le Seigneur Jésus, mais leurs yeux sont empêchés de le reconnaître. Avec un intérêt courtois, il demande : « Quels sont ces propos que vous échangez en marchant ? » Et ils s'arrêtent, l'air attristé. L'un des disciples, nommé Cléopas, répond avec surprise pour l'ignorance apparente de l'étranger : « Es-tu le seul qui séjourne à Jérusalem et ne sache pas ce qui s'y est produit ces jours-ci ? » Voulant obtenir des hommes un énoncé complet de l'affaire qui les agite, le Christ, qui n'a pas été reconnu, demande : « Quoi ? » « Ce qui s'est produit au sujet de Jésus de Nazareth », expliquent-ils, « qui était un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple, et comment nos principaux sacrificateurs et nos chefs l'ont livré pour être condamné à mort et l'ont crucifié. »

Avec tristesse ils continuent à lui raconter comment ils ont espéré que Jésus maintenant crucifié se soit révélé être le Messie envoyé pour racheter Israël ; mais hélas ! Il y a trois jours qu'il a été mis à mort. Puis, malgré leur perplexité, leur visage s'éclaire quand ils parlent de certaines femmes de leur groupe qui les ont étonnés ce matin en disant qu'elles se sont rendues au sépulcre au petit matin et ont découvert que le corps du Seigneur n'y était pas ; des anges leur sont apparus et leur ont annoncé qu'il est vivant. En outre, d'autres que les femmes sont allés au tombeau et ont constaté que le corps était absent, mais n'ont pas vu le Seigneur.

Alors Jésus réprimande doucement ses compagnons de voyage, les traite d'hommes sans intelligence et lents de cœur, parce qu'ils hésitent à accepter ce que les prophètes ont dit, et demande : « Le Christ ne devait-il pas souffrir de la sorte et entrer dans sa gloire ? » En commençant par les prédictions inspirées de Moïse, il leur explique les Écritures, s'attachant à toutes les paroles prophétiques relatives à la mission du Sauveur. Ayant continué la route avec les deux hommes jusqu'à leur destination, Jésus paraît vouloir aller plus loin », mais ils l'exhortent à demeurer avec eux, car le jour est déjà avancé. Il accepte leur invitation hospitalière ; il entre même dans la maison et s'assoit avec eux à table, dès que leur simple repas est préparé.

Étant l'invité d'honneur, il prend le pain, dit la bénédiction ; puis il le rompt et le leur donne. Peut-être y a-t-il quelque chose dans la ferveur de la bénédiction ou dans la manière de rompre et de distribuer le pain qui ravive le souvenir des jours passés, ou peut-être aperçoivent-ils les mains percées ; mais quelle que puisse en être la cause immédiate, ils regardent intensément leur invité, leurs yeux s'ouvrent et ils le reconnaissent ; mais il disparaît de devant eux.

Pleins d'un étonnement joyeux, ils se lèvent de table, surpris de ne pas l'avoir reconnu plus tôt. L'un dit à l'autre : « Notre cœur ne brûlait-il pas au-dedans de nous, lorsqu'il nous parlait en chemin et nous expliquait les Écritures ? » Sur-le-champ ils reviennent sur leurs pas et se hâtent de rentrer à Jérusalem pour confirmer par leur témoignage ce que les frères ont été auparavant lents à croire.

Il apparaît aux disciples à Jérusalem

Lorsque Cléopas et son compagnon parviennent à Jérusalem cette nuit-là, ils trouvent les apôtres et les autres croyants dévots assemblés en conversation solennelle et pieuse derrière des portes fermées. On a pris la précaution de faire tout en secret à cause de la crainte qu'on a des Juifs. Même les apôtres ont été dispersés par l'arrestation, le procès et le meurtre judiciaire de leur Maître ; cependant les disciples et eux se réunissent de nouveau à la nouvelle de sa résurrection, eux, noyau d'une armée qui allait bientôt balayer le monde. À leur retour, les deux disciples sont reçus par la joyeuse nouvelle : « Le Seigneur est réellement ressuscité, et il est apparu à Simon. » C'est la seule allusion à l'apparition personnelle que le Christ a accordée ce jour-là à Simon Pierre.

La pénitence pleine de remords que Pierre a manifestée pour son reniement du Christ dans le palais du souverain sacrificateur a été profonde et pitoyable ; peut-être doute-t-il que le Maître puisse jamais l'appeler encore son serviteur ; mais le message du tombeau que les femmes apportent dans lequel le Seigneur envoie ses salutations aux apôtres qu'il désigne pour la première fois comme ses frères, titre honorable et affectueux dont Pierre n'a pas été exclu, a dû faire naître de l'espoir en lui ; en outre, dans la mission dont ils a chargé les femmes, les anges ont mis Pierre en avant en le citant tout particulièrement. Le Seigneur va trouver Pierre pour lui apporter, nous n'en doutons pas, le pardon et le rassurer avec amour. L'apôtre lui-même conserve un silence respectueux au sujet de cette visite. Toutefois Paul en parlera lorsqu'il citera les preuves incontestables de la résurrection du Seigneur.

Après le témoignage des croyants assemblés, Cléopas et son compagnon de voyage racontent qu'ils ont voyagé en compagnie du Seigneur sur la route d'Emmaüs et parlent de ce qu'il leur a enseigné et de la manière dont il s'est révélé à eux lorsqu'il a rompu le pain. Tandis que le petit groupe converse, lui-même se présenta au milieu d'eux et leur dit : « Que la paix soit avec vous ! » Ils sont terrifiés, pensant avec une crainte superstitieuse qu'un esprit s'est introduit parmi eux. Mais le Seigneur les rassure, disant : « Pourquoi êtes-vous troublés et pourquoi ces raisonnements s'élèvent-ils dans vos cœurs ? Voyez mes mains et mes pieds, c'est bien moi ; touchez-moi et voyez ; un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai. »

Puis il leur montre les blessures de ses mains, de ses pieds et de son côté. « Dans leur joie, ils ne croyaient pas encore », ce qui veut dire qu'ils pensent que la réalité, dont ils sont tous témoins, est trop belle, trop merveilleuse pour être vraie. Pour leur assurer encore davantage qu'il n'est pas une ombre ni un être immatériel d'une substance intangible, mais une personne vivante avec des organes corporels internes aussi bien qu'externes, il demande : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? » Ils lui présentent un morceau de poisson grillé et d'autres aliments, qu'il prend et mange devant eux. Ces preuves indubitables de la matérialité de leur visiteur calme et ramène à la raison les disciples.

Maintenant qu'ils se sont repris et sont réceptifs, le Seigneur leur rappelle que tout ce qui lui est arrivé est conforme à ce qu'il leur a dit quand il vivait parmi eux. En sa présence divine, leur compréhension est vivifiée et augmentée, et ils comprennent les Écritures – la loi de Moïse, les livres des prophètes et les psaumes – comme jamais auparavant. Il atteste aussi pleinement qu'il l'a prédit et affirmé précédemment, que sa mort maintenant accomplie, était nécessaire. Puis il leur dit : « Ainsi il est écrit que le Christ souffrirait, qu'il ressusciterait d'entre les morts le troisième jour et que la repentance en vue du pardon des péchés serait prêchée en son nom à toutes les nations à commencer par Jérusalem. Vous en êtes témoins. »

Alors les disciples se réjouissent. Comme il est sur le point de s'en aller, le Seigneur leur donne sa bénédiction : « Que la paix soit avec vous ! Comme le Père m'a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »

Thomas incrédule

Lorsque le Seigneur Jésus apparaît au milieu des disciples le soir du dimanche de la résurrection, l'un des apôtres, Thomas, est absent. Il est informé de ce dont les autres ont été témoins mais n'est pas convaincu ; même leur témoignage solennel : « Nous avons vu le Seigneur », ne peut éveiller le moindre écho de foi en son cœur. Dans son scepticisme il s'exclame : « Si je ne vois dans ses mains la marque des clous, si je ne mets mon doigt à la place des clous, et si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai point. »

Notre jugement doit être tempéré de prudence et de charité dans toute conclusion que nous pourrions tirer quant à l'attitude incrédule de cet homme. Il ne peut guère douter du fait bien prouvé que le sépulcre est vide, ni de la sincérité de Marie-Madeleine et des autres femmes à propos de la présence d'anges et de l'apparition du Seigneur, ni du témoignage de Pierre, ni de celui du groupe assemblé ; mais il se peut qu'il considère les manifestations qui lui sont rapportées comme une série de visions subjectives ; peut-être considère-t-il l'absence du corps du Seigneur comme un résultat de la résurrection surnaturelle du Christ suivie d'un départ corporel et final de la terre. Sa conception de la résurrection n'est pas définie au point de lui permettre d'accepter littéralement le témoignage de ses frères et sœurs qui ont vu, entendu et touché.

Une semaine plus tard, car c'est ainsi qu'il faut comprendre le terme juif « huit jours après », par conséquent le dimanche suivant, jour de la semaine que l'on appellera plus tard dans l'Église le « jour du Seigneur » et qu'elle observa comme jour du sabbat au lieu du samedi, sabbat mosaïque, les disciples sont de nouveau assemblés et Thomas se trouve avec eux. La réunion se tient derrière des portes fermées et probablement gardées, car il y a risque d'immixtion des policiers juifs. « Jésus vint, les portes étant fermées, et debout au milieu d'eux, il leur dit : Que la paix soit avec vous ! Puis il dit à Thomas : Avance ici ton doigt, regarde mes mains, avance aussi ta main et mets-la dans mon côté ; et ne sois pas incrédule, mais crois ! »

L'esprit sceptique de Thomas est instantanément libéré, son cœur libéré du doute, et la conviction de la vérité glorieuse envahit son âme. Avec un respect empreint de contrition, il se prosterne devant son Sauveur en s'exclamant en des termes qui reconnaissent avec adoration la Divinité du Christ : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Son adoration est acceptée, et le Sauveur dit : « Parce que tu m'as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n'ont pas vu et ont cru ! »

SEMAINES SUIVANTES

Près de la mer de Tibériade


L'ange du tombeau et le Christ ressuscité ont chacun fait savoir aux apôtres qu'ils doivent aller en Galilée, où le Seigneur les rencontrera comme il l'a dit avant sa mort. Ils retardent leur départ jusqu'après la semaine qui suit la résurrection, et une fois de retour dans leur province natale, ils attendent la suite des événements. L'après-midi d'une de ces journées d'attente, Pierre dit à six des apôtres : « Je vais pêcher » ; et les autres répondent : « Nous allons, nous aussi, avec toi. » Ils embarquent sans retard dans un bateau de pêche. Ils travaillent toute la nuit, mais, après chaque lancer, ils remontent le filet vide à bord.
Comme le matin approche, ils se dirigent vers la rive, déçus et découragés.

Dans les premières lueurs de l'aube, ils sont interpellés du rivage par quelqu'un qui demande : « Enfants, n'avez-vous rien à manger ? » Ils répondent : « Non. » C'est Jésus qui pose la question, mais aucun de ceux qui sont dans le bateau ne le reconnaît. Il s'adresse de nouveau à eux, disant : « Jetez le filet du côté droit de la barque, et vous trouverez. » Ils le jettent donc ; et ils ne sont plus capables de le retirer, à cause de la grande quantité de poissons. Ils font comme il leur est demandé et le résultat, surprenant, leur paraît miraculeux ; cela doit éveiller en eux le souvenir de cette autre pêche remarquable où leur adresse de pêcheurs a été dépassée ; et au minimum trois témoins de l'autre miracle se trouvent maintenant dans le bateau.

Jean, dont le discernement est rapide, dit à Pierre : « C'est le Seigneur ! » et Pierre, impulsif comme toujours, noue hâtivement son vêtement de pêcheur autour de lui et se jette dans la mer, pour parvenir plus rapidement à terre et se prosterner aux pieds de son Maître. Les autres quittent le bateau et entrent dans une petite barque qu'ils ramènent jusqu'au rivage en tirant le filet lourdement chargé. À terre, ils voient un feu sur lequel cuisent des poissons et, à côté, des pains. Jésus leur dit d'amener quelques-uns des poissons qu'ils viennent de prendre. Pierre obéit en se précipitant dans l'eau peu profonde et en tirant le filet sur la terre ferme. Après avoir compté, on s'aperçoit que la prise se compose de cent cinquante-trois grands poissons, et le narrateur prend soin de noter que « quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se déchira pas ».

Alors Jésus dit : « Venez mangez » ; étant l'hôte du repas, il rompt et distribue le pain et les poissons. On ne nous dit pas qu'il mange avec ses invités. Chacun sait que c'est le Seigneur qui sert avec tant d'hospitalité ; cependant, en cette occasion, comme en toutes les autres occasions où il apparaît dans son état ressuscité, il y a chez lui quelque chose d'impressionnant et d'intimidant. Ils aimeraient le questionner mais ne l'osent pas. Jean nous dit que c'est Ia troisième fois que Jésus se manifeste à ses disciples depuis qu'il est ressuscité d'entre les morts ; nous devons comprendre par là que c'est la troisième fois que le Christ se manifeste aux apôtres assemblés au complet ou en partie ; en effet, si l'on compte également l'apparition à Marie-Madeleine, aux autres femmes, à Pierre et aux disciples sur le chemin de campagne, c'était la septième apparition du Seigneur ressuscité qui nous soit rapportée.

Lorsque le repas est terminé, « Jésus dit à Simon Pierre : Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu plus que ne le font ceux-ci ? » Cette question, si tendrement qu'elle soit posée, doit percer le cœur de Pierre, puisqu'elle suscite le souvenir de sa protestation hardie mais indigne de confiance : « Quand tu serais pour tous une occasion de chute, tu ne le seras jamais pour moi », après laquelle il a nié avoir jamais connu cet homme. À la question du Seigneur, Pierre répond humblement : « Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. » Jésus lui dit : « Prends soin de mes agneaux ! » La question est répétée, et Pierre réplique en employant des termes identiques, à quoi le Seigneur répond : « Sois le berger de mes brebis. » Une troisième fois Jésus demande : « Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu ? » Pierre est peiné et attristé de cette répétition, pensant peut-être que le Seigneur n'a pas confiance en lui ; mais de même qu'il a renié trois fois, de même il a maintenant l'occasion de faire une triple confession. À la question répétée trois fois, Pierre répond : « Seigneur, tu sais toutes choses, tu sais que je t'aime. » Jésus lui dit : « Prends soin de mes brebis. »

Le commandement « Prends soin de mes brebis » l'assure que le Seigneur a confiance en lui et qu'il est le président des apôtres. Il s'est formellement déclaré prêt à suivre son Maître jusqu'en prison et dans la mort. Maintenant, le Seigneur lui dit : « En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais plus jeune, tu attachais toi-même ton vêtement et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, tu étendras tes mains, et un autre te l'attachera et te mènera où tu ne voudras pas. » Jean nous informe que le Seigneur parle ainsi de la mort par laquelle Pierre prendra place parmi les martyrs ; l'analogie indique la crucifixion, et l'histoire traditionnelle affirme sans aucune contradiction que c'est la mort par laquelle Pierre scellera son témoignage du Christ.

Le Seigneur dit alors à Pierre : « Suis-moi. » Ce commandement a un sens à la fois immédiat et futur. L'homme suit Jésus sur la rive tandis qu'il s'éloigne des autres ; dans quelques années, Pierre suivra son Seigneur sur la croix. Il ne fait aucun doute que Pierre comprend l'allusion à son martyre, comme le montrent ses écrits, des années plus tard. Tandis que le Christ et Pierre marchent ensemble, ce dernier, regardant derrière lui, voit que Jean suit, et demande : « Et celui-ci, Seigneur, que lui arrivera-t-il ? » Pierre veut avoir un aperçu du sort de son compagnon : Jean allait-il mourir, lui aussi, pour la foi ? Le Seigneur réplique : « Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? Toi, suis-moi. » C'est un avertissement à Pierre qu'il doit s'occuper de son propre devoir et suivre le maître où que la route le conduise.

Autres manifestations en Galilée

Jésus a désigné une montagne de Galilée sur laquelle il rencontrera les apôtres ; c'est là que les Onze se rendent. Lorsqu'ils le voient à l'endroit fixé, ils l'adorent. Le document ajoute que quelques-uns ont des doutes, ce qui peut sous-entendre qu'il y a là d'autres personnes que les apôtres, parmi lesquelles s'en trouvent quelques-unes qui ne sont pas convaincues que le Christ ressuscité a vraiment un corps. Il se peut que ce soit de cette occasion que Paul parlera un quart de siècle plus tard, au sujet de laquelle il affirme que le Christ « a été vu par plus de cinq cents frères à la fois », dont certains, à l'époque où Paul écrira, seront morts, mais dont la majorité sera encore en vie, témoins vivants de son témoignage.

Aux personnes qui sont assemblées sur la montagne, Jésus déclare : « Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre. » C'est rien moins que l'affirmation de sa divinité absolue. Son autorité est suprême, et ceux qui sont chargés de mission par lui doivent agir en son nom et en vertu de son pouvoir.

Le dernier appel et l'ascension

Pendant les quarante jours qui suivent sa résurrection, le Seigneur se manifeste aux apôtres à intervalles, parfois à certains isolément, d'autres fois à tous en même temps, et les instruit « de ce qui concerne le royaume de Dieu ». Le récit ne précise pas toujours le moment et le lieu des événements ; mais il n'y a aucune possibilité de douter de l'importance des enseignements que le Seigneur donne pendant cette période. Une grande partie des choses qu'il dit et fait n'est pas écrite, mais celles qui sont écrites, assure Jean à ses lecteurs « l'ont été afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu'en croyant, vous ayez la vie en son nom ».

Comme le moment de son ascension approche, le Seigneur dit aux apôtres : « Allez dans le monde entier et prêchez la bonne nouvelle à toute la création. Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné. Voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru : En mon nom, ils chasseront les démons ; ils parleront de nouvelles langues ; ils saisiront des serpents ; s'ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur fera point de mal ; ils imposeront les mains aux malades et ceux-ci seront guéris ».

En contraste avec leur mission précédente, dans laquelle ils étaient envoyés uniquement « vers les brebis perdues de la maison d'Israël », ils doivent maintenant aller vers le Juif et le Gentil, l'esclave et l'homme libre, l'humanité en général, quels que soient la nation, le pays ou la langue. Le salut par la foi au Seigneur Jésus-Christ suivie du repentir et du baptême doit être offert librement à tous ; dorénavant quiconque rejette l'offre tombera sous la condamnation. Il promet que des signes et des miracles « accompagneront ceux qui auront cru », ce qui confirmera leur foi en la puissance divine, mais rien ne leur permet de croire que ces manifestations doivent précéder la foi pour appâter le chercheur de miracles crédule.

Le Seigneur répète aux apôtres que la promesse du Père se réalisera par la venue du Saint-Esprit. Il leur ordonne de rester à Jérusalem, où ils sont maintenant retournés de Galilée, jusqu'à ce qu'ils soient « revêtus de la puissance d'en haut » ; et il ajoute : « Car Jean a baptisé d'eau, mais vous, dans peu de jours, vous serez baptisés d'Esprit Saint ».

Dans cette entrevue solennelle, probablement alors que le Sauveur ressuscité conduit les Onze de la ville vers leur endroit favori sur le mont des Oliviers, les frères, encore imprégnés de leur conception que le royaume de Dieu doit être l'établissement d'un pouvoir et d'une domination terrestres, lui demandent : « Seigneur, est-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume pour Israël ? » Jésus répond : « Ce n'est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous recevrez une puissance, celle du Saint-Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie et jusqu'aux extrémités de la terre ». Leur devoir est défini et souligné de la manière suivante : « Allez, faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde ».

Lorsque le Christ et les disciples parviennent aux alentours de Béthanie, le Seigneur lève les mains et les bénit ; et tandis qu'il parle encore, il s'élève du milieu d'eux, et ils le regardent tandis qu'il monte jusqu'à ce qu'une nuée le dérobe à leur vue. Tandis que les apôtres ont les regards fixés vers le ciel, deux personnages vêtus de blanc apparaissent à leur côté ; ils s'adressent aux Onze en disant : « Vous Galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, reviendra de la même manière dont vous l'avez vu aller au ciel ».

Pleins d'adoration et animés d'une grande joie, les apôtres retournent à Jérusalem pour y attendre la venue du Consolateur. L'ascension du Seigneur est chose accomplie ; son départ a été le départ littéral d'un être matériel, aussi réellement que sa résurrection a été le retour véritable de son esprit dans son corps de chair, jusqu'alors mort. Le monde a reçu et a encore la promesse merveilleuse que Jésus le Christ, l'être qui s'est élevé du mont des Oliviers dans son corps immortalisé de chair et d'os reviendra en descendant des cieux dans une forme et une substance matérielles semblables.

DANS LE ROYAUME DES ESPRITS DÉSINCARNÉS


Revenons à l'intervalle qui a séparé la mort de Jésus de sa résurrection. Il est mort dans le sens littéral dans lequel tous les hommes meurent. Il a subi une dissolution physique en vertu de laquelle son esprit immortel a été séparé de son corps de chair et d'os, et ce corps est bel et bien mort. Tandis que le cadavre git dans le tombeau de Joseph creusé dans le roc, le Christ vivant existe comme esprit désincarné. Nous pouvons nous demander où il est et quelles sont ses activités au cours de l'intervalle qui s'étend entre sa mort sur la croix et sa sortie du sépulcre lorsque son esprit et son corps sont réunis de nouveau et qu'il devient une âme ressuscitée. La théorie qui vient tout naturellement à l'esprit, c'est qu'il s'est rendu là où les esprits des morts vont ordinairement ; et que, puisque dans la chair il a été Homme parmi les hommes, il est dans l'état désincarné, Esprit parmi les esprits. Les Écritures confirment cette conception, car d'après elles c'est un fait réel.

Jésus-Christ est le Rédempteur et Sauveur élu et ordonné de l'humanité ; il a été mis à part pour cette mission sublime au commencement, avant même que la terre fût préparée pour être la résidence du genre humain. Des multitudes innombrables qui n'ont jamais entendu l'Évangile ont vécu et sont mortes sur la terre avant la naissance de Jésus. De ces morts innombrables, beaucoup ont passé l'épreuve mortelle en observant la loi de Dieu à des degrés divers, dans la mesure où elle leur avait été révélée, mais sont morts dans une ignorance de l'Évangile dont on ne peut les blâmer ; tandis que d'autres multitudes ont vécu et sont mortes coupables de transgressions envers cette portion de la loi de Dieu aux hommes qui leur a été enseignée et à laquelle elles ont professé obéir. La mort les a tous enlevés, aussi bien les justes que les injustes.

C'est eux que le Christ va trouver, leur apportant la nouvelle sublime qu'ils sont rachetés des liens de la mort et qu'il leur est possible d'être sauvés des effets des péchés qu'ils ont commis personnellement. Cette oeuvre fait partie du service prédéterminé et unique que le Sauveur doit rendre à la famille humaine. Le cri de joie divine poussé sur la croix : « Tout est accompli » signifie la fin de la mission du Seigneur dans la mortalité ; mais il lui reste cependant un autre ministère à remplir avant de retourner auprès du Père.

Quand le transgresseur repentant, crucifié à son côté, demande au Seigneur de se
souvenir de lui lorsqu'il viendra dans son règne, le Christ le rassure par des paroles de réconfort : « En vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis. » L'esprit de Jésus et l'esprit du voleur repentant quittent leur corps crucifié et se rendent au même endroit dans le royaume des défunts. Le troisième jour, Jésus, alors ressuscité, affirme à Marie-Madeleine en pleurs : « Je ne suis pas encore monté vers mon Père. » Il est allé au paradis mais non pas à l'endroit où Dieu demeure. Le paradis n'est donc pas le ciel, si par ce dernier terme nous entendons la demeure du Père éternel et de ses enfants célestialisés. Le paradis est le lieu où demeurent les esprits justes et repentants entre la mort et la résurrection corporelle. Une autre section du monde des esprits est réservée aux êtres désincarnés qui ont mené une vie de méchanceté et qui ne se repentent pas, même après la mort.

Tandis qu'il est privé de son corps, le Christ instruit les morts, tant au paradis que dans le royaume de la prison où demeurent dans un état d'attente les esprits des  désobéissants. C'est ce dont témoigne Pierre près de trois décennies après ce grand événement : « Christ aussi est mort une seule fois pour les péchés, lui juste pour les
injustes, afin de vous amener à Dieu. Mis à mort selon la chair, il a été rendu vivant selon l'Esprit. Par cet Esprit, il est aussi allé prêcher aux esprits en prison, qui avaient été rebelles autrefois, lorsque la patience de Dieu se prolongeait, aux jours où Noé construisait l'arche dans laquelle un petit nombre de personnes, c'est-à-dire huit, furent
sauvées à travers l'eau ».

Les désobéissants qui ont vécu sur la terre à l'époque de Noé sont tout particulièrement cités parmi les bénéficiaires du ministère du Seigneur dans le monde des esprits. Pendant leur séjour terrestre, ils se sont rendus coupables de transgressions graves et ont délibérément rejeté les enseignements et les exhortations de Noé, ministre terrestre de l'Éternel. À cause de leurs péchés flagrants ils ont été détruits dans la chair, et leur esprit a vécu en prison sans espoir, du moment de leur mort jusqu'à l'avènement du Christ dont l'esprit vient parmi eux.

Nous ne devons pas supposer, parce que Pierre, pour illustrer, parle des antédiluviens qui ont désobéi, qu'eux seuls sont compris dans les merveilleuses possibilités qu'offre le ministère du Christ dans le royaume des esprits ; au contraire, la raison et la logique nous font conclure que tous ceux dont la méchanceté dans la chair a conduit leur esprit en prison, ont eu part aux possibilités de l'Expiation, du repentir et de la libération. La justice exige que l'Évangile soit prêché parmi les morts comme il l'a été et doit l'être encore plus parmi les vivants. Voyons ce que Pierre dit encore dans son exhortation pastorale aux membres de l'Église primitive : « Ils en rendront compte à celui qui est prêt à juger les vivants et les morts. C'est pour cela, en effet, que les morts aussi ont été évangélisés, afin qu'après avoir été jugés selon les hommes quant à la chair, ils vivent selon Dieu quant à l'Esprit ».

Le fait que Jésus sait, alors qu'il est encore dans la chair, que sa mission de Rédempteur et Sauveur universel du genre humain ne prendra pas fin lorsqu'il mourra est suffisamment démontré par ce qu'il dit aux casuistes juifs après la guérison, le jour du sabbat, à Béthesda : « En vérité, en vérité, je vous le dis, l'heure vient, – et c'est maintenant – où les morts entendront la voix du Fils de Dieu ; et ceux qui l'auront entendue vivront. En effet, comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même, et il lui a donné le pouvoir d'exercer le jugement, parce qu'il est Fils de l'homme. Ne vous en étonnez pas ; car l'heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix. Ceux qui auront fait le bien en sortiront pour la résurrection et la vie, ceux qui auront pratiqué le mal pour la résurrection et le jugement ».

Cette vérité solennelle que le salut sera accessible aux morts aussi bien qu'aux vivants grâce à l'expiation du Christ a été révélée aux prophètes, des siècles avant l'époque du ministère du Sauveur. Il est permis à Ésaïe de voir le destin des impies et l'état préparé pour les transgresseurs hautains et rebelles de la justice ; mais la terrible vision est partiellement adoucie par la délivrance qui a été prévue. « En ce jour-là, l'Éternel châtiera là-haut l'armée d'en-haut, et sur la terre les rois de la terre. On les ramassera comme une masse de détenus dans une fosse, ils seront emprisonnés dans une prison, et, après un grand nombre de jours, ils seront châtiés ».

À ce même grand prophète est montrée l'universalité de la victoire expiatrice du Sauveur, comprenant la rédemption du Juif et du Gentil, vivants et morts ; il dit, porte-parole convaincant de la révélation : « Et ainsi parle Dieu, l'Éternel, qui a créé les cieux et qui les déploie, qui étend la terre et ses productions, qui donne la respiration à ceux qui la peuplent et le souffle à ceux qui la parcourent. Moi, l'Éternel, je t'ai appelé pour la justice et je te prends par la main, je te protège et je t'établis pour faire alliance avec le peuple, pour être la lumière des nations, pour ouvrir les yeux des aveugles, pour faire sortir de prison le captif et de leur cachot les habitants des ténèbres ».

David, chantant les louanges du Rédempteur dont la domination doit s'étendre jusqu'aux âmes en enfer, pousse des cris de joie à la perspective de la délivrance : « Aussi mon coeur est dans la joie, mon esprit dans l'allégresse, même mon corps repose en sécurité. Car tu n'abandonneras pas mon âme au séjour des morts, tu ne permettras pas que ton bien-aimé voie le gouffre. Tu me feras connaître le sentier de la vie ; il y a abondance de joies devant ta face, des délices éternelles à ta droite ».

Ces Écritures et d'autres encore montrent que le ministère du Christ parmi les désincarnés était prévu, prédit et a été accompli. Le fait que l'Évangile a été prêché aux morts implique nécessairement que les morts ont la possibilité de l'accepter et de bénéficier du salut qu'il offre. Dans la providence miséricordieuse du Tout-Puissant, il a été prévu que les vivants agiront par procuration pour les morts dans les sacrements essentiels au salut, de sorte que tous ceux qui, dans le monde des esprits, acceptent la parole de Dieu qui leur aura été prêchée, acquièrent la foi véritable que Jésus-Christ est le seul et unique Sauveur et se repentent avec contrition de leurs transgressions, bénéficieront de l'effet salvateur du baptême d'eau pour la rémission des péchés et recevront le baptême de l'Esprit ou le don du Saint-Esprit.

Paul cite le principe et la pratique du baptême des vivants pour les morts pour prouver la réalité de la résurrection : « Autrement, que feraient ceux qui se font baptiser pour les morts ? Si les morts ne ressuscitent absolument pas, pourquoi se font-ils baptiser pour eux ? » Le libre arbitre, droit divin de toute âme humaine, ne sera pas annulé par la mort. Ce n'est que lorsque les esprits des morts deviendront pénitents et fidèles qu'ils profiteront de l'oeuvre qui est accomplie par procuration en leur faveur sur la terre.

C'est le Christ qui a commencé l'oeuvre missionnaire parmi les morts ; qui de nous peut douter qu'elle a été poursuivie par ses serviteurs autorisés, les désincarnés, qui ont reçu, tandis qu'ils étaient dans la chair, par ordination au sainr sacerdoce, la mission de prêcher l'Évangile et d'en administrer les sacrements ? Qui peut en douter alors que l'Écriture implique si abondamment que les apôtres fidèles qui restèrent pour édifier l'Église sur la terre après le départ de son Fondateur divin, ainsi que d'autres ministres de la parole de Dieu ordonnés au sacerdoce par l'autorité dans l'Église primitive, sont passés du service du ministère parmi les mortels à la continuation de cette oeuvre parmi les désincarnés ? Ils sont appelés à suivre les traces du Maître, oeuvrant ici-bas parmi les vivants et dans l'au-delà parmi les morts.

La victoire du Christ sur la mort et le péché serait incomplète si ses effets étaient limités à la petite minorité qui a entendu, accepté et respecté l'Évangile de salut dans la chair. Pour être sauvé, il est essentiel de se conformer aux lois et aux ordonnances de l'Évangile. Nulle part les Écritures ne font, sous ce rapport, de distinction entre les vivants et les morts. Les morts sont ceux qui ont vécu dans la mortalité sur la terre ; les vivants sont des mortels qui doivent encore passer par le changement prévu que nous appelons la mort. Tous sont enfants du même Père, tous doivent être jugés et récompensés ou punis par la même justice qui ne se trompe pas, avec la même intervention d'une douce miséricorde.

Le sacrifice expiatoire du Christ a été offert, non seulement pour ceux qui vivaient sur la terre tandis qu'il était dans la chair, et pour ceux qui devaient naître dans la mortalité après sa mort, mais pour tous les habitants de la terre alors passés, présents et à venir. Le Père l'ordonna juge tant des vivants que des morts ; il est aussi bien le Seigneur des vivants que des morts, pour employer la terminologie des hommes qui parlent des morts et des vivants, bien que tous doivent être mis sur le même pied devant lui ; il n'y aura qu'une seule classe, car tous sont vivants en lui. Tandis que son corps reposait dans le tombeau, le Christ s'occupait activement à continuer d'accomplir les desseins du Père, en offrant les bienfaits du salut aux morts, tant au paradis qu'en enfer.