Dieu, un Homme divin

 

 

Serge B.

 

 

 

 

      L'affirmation que le Dieu biblique est un Homme divin a de quoi surprendre. Pourtant, après sérieuse investigation, voici ce que l’on peut découvrir d’une manière non moins surprenante :

 

Jésus enseignait que Dieu est « notre Père » (Mat. 6:9) : donc un être à la fois parfait et personnel (aimant et anthropomorphe), de genre masculin !


Alors que les évangiles montrent que Jésus est le Fils de Dieu (Mat. 1:18-25 ; Luc 2:1-21), le Christ, lui, s’appelait plus volontiers « le Fils de l’Homme » (Mat. 8:20 ; 9:6…) ! Cela paraît paradoxal, voire contradictoire, à moins qu’on ne reconnaisse l’identité des termes « Dieu » et « Homme », ce qui contraint à déduire, fort logiquement, que Dieu est un Homme divin.

 

Cette idée est encore moins choquante si on la replace dans son contexte doctrinal juif (prolongé par celui des premiers chrétiens) concernant un Dieu corporel et semblable à un être humain.

 

Une telle doctrine est, d’ailleurs, corroborée par d’autres Écritures, dont voici sans doute la plus importante. Dans l’évangile de Jean, Jésus dit ceci : « Personne n’est monté au ciel, si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’Homme qui est dans le ciel » (Jean 3:13). L’exégèse voit habituellement, dans l’expression « le Fils de l’Homme qui est dans le ciel », une allusion à la préexistence du Christ. Mais cette idée ne semble pas très bien cadrer avec la phrase, pour plusieurs raisons :


1) après avoir affirmé sa descente du ciel, Jésus est donc sur terre, pas « dans le ciel » ;


2) l’expression « le Fils de l’Homme » est un titre qui désigne le Christ pendant son ministère mortel et que Jésus s’attribue dans ce sens, non pour désigner son statut ou son rôle dans la préexistence ;


3) de toute façon, si cette expression avait vraiment visé la préexistence du Sauveur, le contexte immédiat de la phrase aurait exigé un verbe « être » à l’imparfait (au lieu du présent) et la phrase aurait été ainsi formulée : Nul n’est monté au ciel, si ce n’est celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’Homme qui était dans le ciel (avant de descendre !)


Le sens mystérieux de cette phrase s’évapore si, au lieu d’appliquer l’expression tout entière au Christ, on discerne le fait qu’elle désigne Jésus comme « le Fils » « de l’Homme qui est dans le ciel ». Et ainsi cet « Homme qui est dans le ciel » est le même Être que Jésus appelle aussi « notre Père qui es au ciel » (Mat. 6:9).

 

Se fondant sur ce genre de remarques élémentaires, certains spécialistes bibliques ont tiré la conclusion suivante : au temps du Sauveur, les juifs avaient coutume de désigner Dieu sous le nom d’Homme (M. Ford), et, en particulier (épisode de la condamnation et de la crucifixion de Jésus pour blasphème), il semble clair que les juifs comprenaient le terme « Homme » comme un nom de Dieu et « Fils de l’Homme » comme le nom-titre de son Fils (E. Freed). Ford, Massyngberbde, « ‘The Son of Man’ – A Euphemism ? », Journal of Biblical Literature 87:257-66 ; Freed, Edwin, « The Son of Man and the Fourth Gospel », Journal of Biblical Literature 86:402-29.

 

Cette doctrine a été conservée par une branche gnostique du christianisme dont les textes ont été découverts à Khénoboskion, près de Nag Hammadi, non loin de Louqsor, en 1945 (2 ans avant la découverte des manuscrits de la Mer Morte, à Qumran) (Gibbons, Joseph, « The Second treatise of the Great Seth », The Nag-Hammadi Library, New-York, Harper & Row, 1977, p. 331 ; Parrott, Douglas, « Eugnostos the Blessed and the Sophia of Jesus-Christ », The Nag-Hammadi Library, New-York, Harper & Row, 1977, p. 214-16, 219, 221-24). Dans certains de ces textes, on découvre que :


1) le Dieu Très-Haut est appelé « l’Homme » (Second Traité du Grand Seth 52:36 ; L’Épître d’Eugnoste le Bienheureux 8:32 ; La Sophia de Jésus 104:1) ;


2) le Père du Fils de l’Homme avait reçu le titre d’« Homme Immortel » (L’Épître d’Eugnoste le Bienheureux 76:4-5, 11 ; La Sophia de Jésus 101:10-11, 21) et même celui de « Premier Homme », probablement en tant qu’archétype de l’homme terrestre qu’il a créé à son image (L’Épître d’Eugnoste le Bienheureux 78:3 ; La Sophia de Jésus 102:21 ; 103:22 – 104:9 ; 105:5 ; 109:5 ; 112:7, etc.) ;


3) trois autres titres venaient compléter tout cela : « le Père de Vérité », « l’Homme de Vérité » et « l’Homme de la Grandeur » (Second Traité du Grand Seth 53:3-5, 17 ; 54:9).


Simone Pétrement explique ainsi l’origine et l’importance de cette doctrine gnostique : « Il est naturel que certains gnostiques, considérant le Christ comme le Fils de Dieu et lisant dans les évangiles qu’il s’appelle lui-même Fils de l’homme, en aient conclu que le nom véritable de Dieu, selon le Christ, est « l’Homme ». (…) [L]e nom que se donne le Christ semble impliquer immédiatement, sans qu’il soit besoin d’un raisonnement abstrait sur le divin et sur l’humain, que le Christ appelait son Père du nom d’Homme et qu’il a voulu lui-même nous enseigner à l’appeler ainsi. » (Pétrement, Simone, Le Dieu séparé, les origines du gnosticisme, Paris, Cerf, 1984, p. 154-55)