Le but de la vie sur terre :
Perspective comparative


Daniel C. Peterson et Huston Smith


 
Les religions ont tendance à présenter la vie comme ayant un sens quand elle se conforme à un plan cosmique, un plan qui est soit intentionnellement institué par Dieu soit est le fait d’un cosmos qui est divin d’origine. Pour les saints des derniers jours, l’Écriture tout entière parle d’un cosmos dont l’ordre est voulu par Dieu. Dans ce contexte, les Écritures modernes soulignent les thèmes entremêlés de l’importance cruciale du corps physique, des épreuves, de l’expérience de l’opposition, du caractère éternel de la famille et de la vision de la joie et de la gloire à l’image de Dieu.
 
Les autres conceptions vont dans deux directions. Pour certains, s’il n’y a pas de Dieu et si le sort ultime de toute vie humaine est l’annihilation personnelle, la vie n’a pas de sens. C’est la position, par exemple, d’Arthur Schopenhauer. Les existentialistes, qui affirment, de manière générale, que les humains créent leur propre sens dans un univers athée et objectivement absurde, prennent une position semblable. D’autres, notamment certains naturalistes et humanistes, soutiennent que la vie est valable même si les prétentions des religions au surnaturel sont fausses. Les marxistes, par exemple, affirment qu’une société calculée, sinon un cosmos ayant un sens, émerge comme une entité objective sous l’action des processus inexorables de l’histoire.
 
Certains penseurs affirment que la vie a un sens même si ce sens est enveloppé de mystère. L’hédonisme affirme que l’on ne peut pas répondre aux questions sur le sens ultime des choses et que par conséquent il faut les ignorer et plutôt calculer un maximum de plaisir et un minimum de souffrance. Le confucianisme a tendance à ne pas aborder cette question. Il affirme l’existence d’un ordre spirituel qui est antérieur et supérieur à l’ordre social, mais se concentre sur les questions relatives aux choses de ce bas monde. Beaucoup de versions du judaïsme adoptent la même approche, croyant que la vie à venir est secondaire par rapport à la tâche de créer et de maintenir une communauté sanctifiée dans ce monde et d’envisager un jour où, pour employer les termes d’une prière hébraïque vénérable, « le monde sera rendu parfait sous le règne du Tout-Puissant ».
 
Les saints des derniers jours voient la vie comme un processus en trois étapes : une existence prémortelle, mortelle et postmortelle. Toutes les étapes sont essentielles à l’épanouissement et au perfectionnement de soi, ce qui est l’œuvre et la gloire de Dieu. On peut caractériser le processus comme étant à la fois de ce monde et hors du monde.
 
Le « mythe de la caverne » de Platon dépeint la condition humaine comme un asservissement à de fausses croyances et à des illusions que le vrai philosophe vise à dépasser. Dans le Phédon, Socrate dit que le philosophe « est sans cesse occupé à poursuivre la mort et à mourir ». Le sage aspire à la séparation de son âme et de son corps, à l’absence de maladie, de fatigue et des tromperies des sens et à sa libération dans un monde de contemplation intuitive. Le gnosticisme, un mouvement apparenté au platonisme, avait la notion de la chute et de l’ascension espérée d’une âme divine, mais niait fréquemment le caractère bon de l’univers physique et de la Divinité qui l’avait fait. Au XIIIe siècle, Thomas d’Aquin a proposé l’énoncé classique de la position catholique que le but le plus élevé de l’homme, même dans ce monde matériel, est « la vie contemplative », qui sera rendue parfaite après la mort. Le bonheur des saints consistera en une « vision » intellectuelle de l’essence divine, pas une vision des yeux, mais une vision de l’esprit. Les Écritures modernes affirment à la fois la vie de l’intelligence, définie comme la lumière et la vérité, et la rédemption de l’âme, définie comme étant l’esprit et le corps. Le but de la vie n’est pas l’évasion mais la transformation – de l’homme, de la communauté et du cosmos.
 
Dans les grandes traditions religieuses de l’Asie orientale et méridionale, Dieu (ou les dieux) a parfois un rôle marginal. L’hindouisme enseigne que le désir humain le plus profond est l’infinité, l’existence, la connaissance et la joie sans fin. On doit donc rechercher le « mukti », la libération d’avec la finitude et les limitations qui semblent être l’état normal de l’humanité. Le mot « semblent » est crucial parce que l’hindouisme insiste sur le fait que derrière les personnalités individuelles et finies se trouve l’Atman-Brahman, la Divinité elle-même. Les hommes et les femmes sont déjà infinis ; la libération consiste simplement – bien que ce ne soit pas aussi simple ! – à reconnaître ce fait. Le bouddhisme, sorti du terreau hindou et souvent considéré comme une sorte de réforme de la religion plus ancienne, confirme essentiellement ce diagnostic de la condition humaine, bien que ses formes non théistes diffèrent dans la manière dont il explique la nature humaine. Le Bouddha (le titre vient d’un mot signifiant en gros « être illuminé ») disait que le problème humain fondamental est le désir d’être séparé et que le but de la vie est l’extinction de ce désir, permettant ainsi aux hommes et aux femmes de surmonter, dans cette vie ou une série de vies, les désirs égoïstes qui sont la source principale de leurs souffrances et de leur misère. La pensée mormone rejette et la réincarnation et la théorie de la souffrance humaine comme illusoires.
 
La notion que le but de la vie est la libération de l’âme n’est pas étrangère aux religions de la tradition abrahamique, notamment celle des saints des derniers jours, bien qu’elle ne soit pour ainsi dire jamais devenue le paradigme dominant. L’affirmation des Écritures hébraïques que Dieu a déclaré le cosmos matériel « bon » est restée la norme. Pour cette raison, entre autres, les pensées chrétienne, musulmane et juive traditionnelles s’accordent pour considérer que le Dieu infiniment bon est directement responsable de la situation générale dans laquelle les êtres humains se trouvent. Mais aucune tradition ne souligne plus que celle des saints que chaque être humain s’est « soumis volontairement » aux conditions de la vie ici-bas (EPJS, p. 262 ; cf. D&A 93:30-31). Les saints des derniers jours s’accordent de même pour dire que l’union finale avec Dieu n’implique aucune perte de l’identité individuelle finie, mais plutôt une relation avec lui.
 
L’opinion chrétienne généralement acceptée est exprimée par le Westminster Shorter Catechism de 1647, qui déclare que « le but principal de l’homme est de glorifier Dieu et de jouir de lui pour toujours ». Dieu nous a créés pour acquérir de la gloire, ce qui n’était pas de la vanité de sa part puisqu’il mérite entièrement cette gloire au contraire des êtres humains – et récompensera ceux qu’il sauve en les faisant jouir de sa présence. On peut comparer ceci à la position de la tradition islamique qui attribue à Dieu les mots : « J’étais un trésor caché mais je souhaitais être connu, c’est pourquoi j’ai créé le monde. » Le but des êtres humains dans l’islam est donc de se soumettre (aslama) à la volonté de Dieu et de le glorifier par leurs actes. Le judaïsme et l’islam sont étroitement apparentés dans l’accent qu’ils mettent sur la loi et la bonne conduite et dans leur déclaration que l’obéissance aux commandements de Dieu est le but de la vie. Toutefois le judaïsme diffère de l’islam dans sa croyance que la gamme complète des commandements divins (mitzvoth) n’incombe qu’aux juifs, les non-juifs n’étant soumis qu’aux quelques « préceptes noachiques » de base. Par contre, l’islam insiste sur le fait que les exigences de Dieu sont identiques pour tous les êtres humains. « Je n’ai créé les djinns et les hommes, dit Allah dans le Coran, que pour m’adorer. »
 
Certains penseurs protestants ont affirmé que les êtres humains existent pour manifester les attributs divins, pour incarner dans leur propre vie imparfaite quelque chose de la gloire de Dieu. On trouve une idée semblable dans la déclaration du catéchisme catholique de Baltimore que « Dieu nous a faits pour montrer sa bonté et pour partager avec nous son bonheur éternel au ciel ». Les Écritures modernes affirment que Dieu partagera non seulement ses dons et son état béni mais aussi sa nature divine. Mais les formes catholiques et protestantes de christianisme s’éloignent l’une de l’autre ; pour la première, les objectifs de Dieu pour l’humanité se réalisent idéalement dans une vie de culte sacramentel et liturgique, tandis que la dernière met l’accent sur l’acceptation de la grâce gratuite du Christ. Les saints des derniers jours affirment qu’une vie de sainteté est impossible sans accès à la grâce du Christ, l’obéissance librement consentie aux alliances, lois et ordonnances divinement données dans lesquelles l’expiation et la grâce du Christ se manifestent et ensuite le don de soi par une consécration totale comme disciple.


Bibliographie

Palmer, Spencer J. et Roger R. Keller. Religions of the World : A Latter-day Saint View. Provo, Utah, 1989.
Romney, Thomas C. World Religions in the Light of Mormonism. Independence, Mo., 1946.

Article tiré de l'Encyclopédie du mormonisme, Macmillan Publishing Company, 1992, traduction Marcel Kahne, source www.idumea.org, avec autorisation