Les saints des derniers jours sont-ils opposés à l'égalité des sexes ?
Marc-Olivier R.
L'égalité
des sexes aux États-Unis
Pour nous,
le sujet n'était jusqu'à récemment d'aucun
intérêt : Il nous a toujours été très
clair que l'Église
de Jésus-Christ des saints des derniers jours
était favorable à l'égalité des sexes, et
que les élucubrations émanant des milieux anti-mormons
américains n'étaient que des contrevérités
visant à nuire, une fois de plus, à une organisation
religieuse qu'ils ont en horreur. Cependant, ayant remarqué
que cette désinformation passait l'Atlantique pour venir
s'inscrire dans les sites Internet francophones, nous avons décidé
qu'il était temps de nous documenter un peu plus sur cette
question. Notre démarche nous a amenés à
constater à quel point ce sujet était mal documenté
et traité. L'UNADFI, par exemple, se contente simplement de
cette phrase :
« L’Église
s'est opposée à une modification de la Constitution
américaine en faveur des droits des femmes, l'ERA (Equal
Rights Amendment) et c'est l'actuel président, G. Hinckley,
alors apôtre, qui a coordonné la campagne
d'opposition. »
Une telle phrase, dénuée d'explications sous-entend que
l'Église
de Jésus-Christ des saints des derniers jours
est opposée à l'égalité des sexes. Comme
nous allons le voir ci-dessous, rien n'est plus faux, et on peut une
fois de plus s'étonner que l'UNADFI, louée pour son
sérieux et subventionnée par l'État français,
se fasse l'écho d'une telle désinformation.
La toute première chose qu'il est important de noter, c'est
qu'aux États-Unis, le quatorzième amendement, renforcé
par des jurisprudences de différentes Cours de justice du
pays, garantit déjà l'égalité civique et
civile, quelle que soit la religion, le sexe ou l'origine ethnique :
« Aucun
État (...) ne niera à aucune personne à
l'intérieur de sa juridiction la protection égale des
lois. »
Le dix-neuvième amendement garantit, quant à lui, le
droit aux femmes de voter, et ce dès 1920 :
« Le
droit de vote des citoyens des États-Unis d'Amérique ne
sera pas nié ou diminué par les États-Unis ou
par un quelconque État sur la base du sexe. »
Sur ces assises constitutionnelles, la majorité des cas liés
à des discriminations sexistes ou raciales portées
devant la justice depuis quelques décennies ont permis de
rendre justice aux femmes lésées. Avant ce fameux
projet d'amendement sur l'égalité des droits (appelé
Equal
Rights Amendment
[abrév. ERA]),
proposé dès 1921, il y avait déjà un
fondement constitutionnel légal sur lequel le principe
d'égalité
des hommes et des femmes
pouvait s'appuyer. Il suffisait alors de le renforcer par une
législation adéquate, adoptée dans chaque État
de manière séparée. Aussi, avant de sauter trop
vite aux conclusions, il serait intéressant de savoir pourquoi
l'Église
de Jésus-Christ des saints des derniers jours
s'est opposée à ce fameux projet de vingt-septième
amendement (dans les années 1980), dit de « l'égalité
des droits ».
Ce
qui se cache derrière le nom d'une loi
Le nom
d'une loi ou d'un amendement n'est pas forcément fidèle
à ce qu'il contient, ni n'est nécessairement efficace
pour atteindre l'objectif visé. Aussi, en fait d'amendement
visant à une meilleure égalité des droits,
l'ERA pouvait potentiellement créer des incertitudes sur
des sujets sensibles et susciter des ambiguïtés. Le
projet d'amendement s'articule de la manière suivante :
« Section
1. L'égalité des droits devant la loi ne sera pas niée
ou diminuée par les États-Unis ou par un quelconque
État sur la base du sexe.
« Section 2. Le Congrès aura le pouvoir de
forcer, par une législation appropriée, l'application
de cet article.
« Section 3. Cet amendement prendra effet deux ans
après la date de sa ratification. »
A
priori,
il n'y aurait rien à opposer à cet article qui semble
être une affirmation pure et simple de l'égalité
des sexes. Là où il y a danger, cependant, c'est dans
l'interprétation
du texte et dans les déviances susceptibles d'en découler.
C'est à cause de cela que l'Église est en désaccord
avec cet article, et non en raison du
principe
qui le motive.
Passons en revue quelques
sujets sur lesquels le projet d'amendement pouvait éventuellement
amener des controverses :
L'avortement
L'ERA sous-entend qu'une femme peut avorter à n'importe
quel moment, sans nécessité quelconque et sans avoir à
se justifier. L’Église
de Jésus-Christ des saints des derniers jours admet
que
dans certaines conditions précises, l'avortement peut
constituer une alternative nécessaire, mais elle est opposée
à l'avortement volontaire, parce que l'enfant est non
désiré
ou qu'il n'entre pas dans les perspectives familiales ou
individuelles des personnes concernées.
Le
mariage homosexuel
L’Église
de Jésus-Christ des saints des derniers jours
est
opposée à toute action visant à nuire,
moralement ou physiquement, aux homosexuels. Elle condamne toute
incitation à la haine ou à la violence envers ceux qui
vivent leur homosexualité. En revanche, elle ne peut être
d'accord avec les projets de loi proposant une accessibilité
au mariage pour les couples homosexuels, sachant que le mariage est
une telle institution ordonnée de Dieu pour l'homme et la
femme, en tant qu'êtres complémentaires et égaux.
Il est parfaitement envisageable qu'au nom de l'ERA, des mariages
homosexuels soient effectués par des instances civiles et que
des adoptions soient considérées comme légales
pour les couples homosexuels.
De manière
générale, il est à craindre que l'ERA
encourage les États à adopter des lois qui inciteraient
les couples rencontrant certaines difficultés à régler
leurs différends par le moyen de la justice, sans privilégier
au préalable les institutions de réconciliation.
Égalité
des sexes : oui – société unisexe : non
Comme déjà mentionné, l’Église
n'est pas opposée au principe
de l'égalité des sexes – au contraire ! –
mais elle est opposée aux déviances possibles créées
par certaines lois censées encourager une telle égalité.
Par exemple, l'ERA peut, selon certains commentateurs, servir de
base légale pour ceux qui aimeraient voir les femmes servir à
l'armée, dans des conditions identiques à celles des
hommes : Il serait alors possible qu'il soit attendu des femmes
qu'elles s'astreignent au service militaire de manière
formellement identique aux hommes, qu'il soit attendu d'elles
qu'elles combattent sur le front, et même qu'elles partagent
des dortoirs communs avec leurs collègues masculins. À
l'instar du sénateur Hiram Fong de Hawaï, certains se
sont interrogés sur l'impact de cet amendement sur le service
armé :
« Si
les femmes sont considérées comme physiquement
qualifiées (...) il sera requis d'elles de servir au combat.
Les unités séparées pour les femmes seront
abolies tout comme l'ont été les unités
ethniques et raciales dans les forces armées. Les hommes et
les femmes serviront dans les mêmes unités. L'intimité
à laquelle les femmes ont droit est menacée. »
(Senate
Report
92-689, p. 24-25)
L’Église
de Jésus-Christ des saints des derniers jours
n'est
pas du tout opposée à l'égalité des
sexes. Elle est opposée à une société
unisexe,
c'est-à-dire une société qui ne reconnaît
pas les différences naturelles entres les hommes et les
femmes. Or, l'ERA encourage potentiellement encourager de telles
déviances.
La Déclaration sur la famille affirme : « Le sexe masculin ou féminin est une caractéristique essentielle de l’identité et de la raison d’être individuelle, pré mortelle, mortelle et éternelle. »
Pourtant, certains États seraient en droit d'adopter des lois
qui forceraient
une pseudo égalité au mépris de différences
naturelles (biologiques, voire psychologiques) alors que
certaines
circonstances nécessitent une différence de traitement.
Ce projet d'amendement pourrait ouvrir les portes à certains
abus : un père de famille serait en droit d'exiger
de son épouse, au nom de la loi, qu'elle ait un emploi pour
subvenir à ses propres besoins.
Mentionnons encore un ou deux points à propos de l'ERA :
Tout d'abord, du fait qu'il s'agit d'un projet d'amendement de la constitution des États-Unis, son action aurait une incidence purement juridique. Or, ce qu'il faut changer en matière d'égalité des droits, c'est les mentalités, pas seulement les lois.
Ensuite, le fait qu'un tel amendement soit accepté par le Congrès ne constitue nullement une garantie supplémentaire que les États des États-Unis changeront ou élimineront leurs lois sexistes. Au nom du 14ème amendement, la Cour fédérale a déjà pu, à plusieurs reprises, obliger des États à réviser leur législation, notamment en matière de biens immobiliers, domaine où les hommes étaient parfois avantagés au détriment des femmes.
Enfin, l'ERA est un projet fédéral, et n'est qu'un élargissement des 14e et 19e amendements. Chaque État pourrait l'interpréter à sa manière et permettre certains anomalies (plus difficiles à justifier sous la législature fédérale actuelle).
Les
mormons en avance sur leur temps
Les sites Internet francophones, qui laissent entendre que l'Église
de
Jésus-Christ des saints des derniers jours
est opposée aux droits des femmes, soit sont mal informés,
soit mentent délibérément. Comme nous l'avons
mentionné, le dix-neuvième amendement des États-Unis
garantit, depuis 1920, le droit de vote aux femmes. Quand on sait
qu'en Suisse, ce droit n'a été accordé dans
certains cantons que très récemment, on peut penser que
les États-Unis étaient assez en avance sur leur temps.
Qu'en est-il des mormons
? La plupart des gens ignorent qu'en 1870 déjà, alors
que l'Utah n'était qu'un territoire (administré alors
par Brigham Young, le président de l’Église de
l'époque), les mormons ont donné le droit de vote aux
femmes, soit un demi-siècle avant que ce droit soit reconnu
par la Constitution américaine et qu'il soit appliqué
sur l'ensemble des États. À la lumière de cette
information, il serait injuste de dire que les mormons sont opposés
à l'égalité des droits pour les femmes. Ils
étaient, au contraire, en avance sur leur temps !
En outre, en 1842, alors que les sociétés pour femmes
étaient peu nombreuses, Joseph Smith, premier président
de l'Église, crée la Société
de secours,
qui est une organisation de femmes, créée en priorité
pour
les
femmes et dirigée par
des femmes. Aujourd'hui, outre la Société de secours,
les sœurs de l’Église ont des postes à
responsabilité dans diverses organisations de l'Église,
comme la direction des Jeunes
Filles et de la Primaire (instruction religieuse des enfants). Au niveau régional et local, des organisations auxiliaires de
l’Église sont aussi complètement ou partiellement
dirigées par des femmes, dont celles des
Jeunes
adultes, des Adultes seuls, etc.
John A. Widtsoe (1872-1952), apôtre de l’Église de
1921 à sa mort, a dit :
« La
place de la femme dans l’Église est de marcher à
côté de l'homme, pas devant lui, ni derrière lui.
Dans l’Église, il y a une égalité complète
entre l'homme et la femme. » (Improvement
Era,
mars 1942, p. 161)
Une telle déclaration a été maintes et maintes
fois affirmée avant et après lui, notamment dans la
Déclaration au monde sur la famille :
« Le
père et la mère ont l’obligation de s’aider
en qualité de partenaires égaux. »
Les saints des derniers jours n'ont jamais été opposés
à l'égalité des droits des femmes. Ils ont au
contraire rapidement fait preuve de figure de proue dans bien des
domaines comme celui-ci, là où la société
civile était à la traîne.
Encore
un sujet de désinformation
Mais
voilà, il se trouve que certaines personnes et organisations
ne l'entendent pas de cette oreille. Du fait que l’Église
se soit opposée à un projet d'amendement dans les
années 1980, elles s'autorisent à affirmer que les
mormons sont opposés au principe
qui le motive ce projet – alors qu'il n'y a certainement
rien de plus maladroit que de confondre le principe avec son
application telle qu'elle est proposée. En l’occurrence,
il l’Église encourage toute initiative allant dans le
sens d'une meilleure égalité et harmonie des sexes.
Elle critique et condamne tout abus ou prétention de
supériorité d'un genre par rapport à l'autre.
Aussi, elle a le droit de se montrer suspicieuse à partir du
moment où certains projets législatifs proposent
d'aller au-delà du simple et légitime principe
d'égalité, amenant des incertitudes dans des domaines
où des mesures unisexe seraient inadaptées.
Bien que le projet de l'ERA soit parti d'une bonne intention et
même si les craintes de l’Église ne sont pas
justifiées, la prudence est de mise pour éviter des
problèmes potentiels, quand une application plus stricte des
14e et 19e amendements suffiraient. Notons que l'Église a
informé ses membres de son rejet de l'ERA pour des raisons
purement morales et que chacun des membres a ensuite suivi ses
convictions intimes.
Qu'en
est-il de l'ERA aujourd'hui ?
Le projet d'amendement, depuis 1921 (année de sa rédaction) jusqu'à nos jours (en 2003), a connu de très nombreuses discussions au sein du Congrès et n'a toujours pas été adopté au niveau fédéral : À l'heure actuelle, dix-sept États s'opposent encore à sa ratification. Une des raisons invoquées est l'ingérence du pouvoir fédéral dans les affaires des États.
Article mis à jour le 20/08/2003
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