La critique sera dithyrambique


Robert R. Mullen

Directeur de l'information pour le plan Marshall (il fait un long séjour à Paris à partir de 1945, en particulier à l'époque du Plan Marshall où il va souvent travailler au quartier général installé à l'hôtel Talleyrand), attaché de presse de campagne pour Dwight D. Eisenhower, ami de l'Église et auteur de « Les saints des derniers jours », éd. Mame, Tours, 1970



Au cours d'un week-end, en 1955, je reçois un coup de téléphone. Le choeur du Tabernacle va s'embarquer pour une tournée en Europe, et les autorités religieuses craignent qu'il ne chante dans des salles à moitié vides, car il y est inconnu. Il faut lui faire de la publicité. Et comme j'ai travaillé là-bas pendant un certain nombre d'années, on m'a désigné pour ce travail.

Le lendemain, je m'envole pour Salt Lake City afin d'y rencontrer, pour la première fois, les plus hauts dignitaires de l'Église mormone – et ce sera le début d'une collaboration sympathique et d'une expérience mémorable. Il serait immodeste et parfaitement injuste de ma part de m'attribuer un succès qui sera, en réalité, le résultat des nombreuses heures de travail assidu que les membres du choeur et d'autres collaborateurs consacreront à la préparation de cette tournée, mais mes amis mormons sont assez bons pour dire que si elle remporta un succès si complet ce fut en partie au moins grâce à mes efforts.

Le choeur fait salle comble au Kelvin Hall de Glasgow, au Free Trade Hall de Manchester, à l'Albert Hall de Londres, à l'Odd Fellows Hall de Copenhague, au Concertgebow d'Amsterdam, de même qu'à Berlin, Berne et même Paris. Nous pensons qu'il va être difficile de vendre des billets à Paris. Dans cette ville de sceptiques intellectuels et sophistiqués, il nous semble inimaginable que beaucoup de monde veuille payer des places pour entendre un concert de musique religieuse donné par une chorale américaine ! En outre, nous avons une grande salle à remplir, celle du Palais de Chaillot, au Trocadéro, près de la Tour Eiffel.

Notre appréhension redouble lorsque, en venant voir la salle pour la première fois, nous rencontrons un représentant de l'Orchestre de Philadelphie qui donne souvent des concerts dans ce théâtre. Il nous déclare être ravi de ce que le célèbre orchestre ait joué devant une salle à moitié pleine ! Évidemment, nous espérions mieux. Mais comme toujours, mes amis mormons ne se laissent pas abattre. Ils luttent à leur manière... en allant dire des prières.

Je me souviens avoir lu un épisode de la vie de William Bradford, le premier gouverneur de la colonie de Plymouth. La pluie n'était pas tombée depuis longtemps, les moissons étaient compromises. Bradford réunit tout le monde afin de prier pour la pluie et il pria absolument comme s'il était certain du résultat, qui ne tarda guère. Une pluie fine et pénétrante se mit à tomber. Souvent, pendant la tournée européenne et au cours des relations que j'ai gardées depuis avec mes amis mormons, j'ai observé la même chose : quand ils prient, ils sont persuadés du résultat.

Mais ils admettent aussi que ne reçoit de l'aide que celui qui s'aide soi-même. Quoi qu'il en soit, nous commençons notre campagne de publicité. Et bientôt les kiosques de Paris resplendissent d'affiches colorées représentant les mormons traversant les Grandes Plaines en chantant.

Une loge est réservée pour C. Douglas Dillon, alors ambassadeur américain en France et, par la suite, sous-secrétaire d'État dans le gouvernement d'Eisenhower, puis ministre des Finances sous les présidents Kennedy et Johnson. Quand l'ambassadeur et sa suite arrivent, ils nous racontent qu'ils ont eu besoin de l'intervention de la police pour traverser la foule qui se tient aux abords du Palais de Chaillot, puis bientôt le bruit court qu'un escroc a été arrêté pour avoir vendu des billets au double du prix officiel, tous les billets ayant été vendus dans tous les points de vente ! En vérité, l'intérêt suscité dans le public est si grand que, dans l'enthousiasme du moment, la Radiodiffusion française décide d'inscrire à son programme le concert de deux heures donné ce soir-là. La critique, à Paris et ailleurs, sera dithyrambique.

À Berlin, je comprends un instant le sentiment que les mormons portent à leur Église. C'est un incident émouvant. Il semble qu'avant la guerre, la plus grande partie des Allemands mormons résidaient dans ce qui est maintenant l'Allemagne de l'Est. Les communistes ont évidemment ralenti autant qu'ils ont pu toute activité religieuse et en particulier limité les influences religieuses venant de l'extérieur. Par contre, avant l'édification du mur de Berlin, les Allemands de l'Est se rendaient très facilement à Berlin Ouest.

Mais il leur fallait être rentrés en zone Est avant 21 heures, heure d'arrêt du métro. Un concert spécial est donc organisé en fin d'après-midi, afin que les habitants de la zone Est puissent y assister, et on le fait savoir. Les Allemands de l'Est sont facilement reconnaissables à leur arrivée. Ils portent des vêtements souvent élimés, des chaussures hors d'usage, et ont le visage émacié. Mais quelques-uns tiennent, serré dans la main, un petit bouquet de fleurs, seul cadeau qui leur est permis d'apporter aux choristes.

Au moment où résonnent dans la salle les vieux cantiques les plus populaires, des sanglots se font entendre et bientôt des yeux se mouillèrent de larmes, même parmi les membres du choeur. Il y a soudain communion de sentiments par-dessus la rampe et, un instant, le rideau de solitude et de peur se relève. Peu parmi nous ont déjà ressenti pareille émotion.

Grâce à ce voyage, je comprends que tous les mormons ne résident pas en Utah et qu'en réalité, l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours est très répandue. Dix ans après, en 1965, je me rends à nouveau dans nombre des villes où le choeur a donné un concert. En parlant à de vieux amis, je m'aperçois que ces dix années ont été une période de croissance sans précédent pour l'Église des mormons.


(Robert Mullen, Les saints des derniers jours, éditions Mame, Tours, 1970, p. 17-20)