JÉSUS 
LE CHRIST

 
 
James E. Talmage (1862-1933)
 
Président de l'université d'Utah de 1894 à 1897
Membre du Collège des Douze de 1911 à 1933

 
 
 
 
Note de la Rédaction : L'ouvrage de James E. Talmage, JÉSUS LE CHRIST, a été édité pour la première fois 1915. L'édition que nous vous présentons est une révision de l'édition de 1965 traduite par Marcel et Paulette Kahne. Lorsque l'auteur cite les Écritures modernes, nous en donnons autant que possible la traduction de 1998.
 
Page de titre
Préface
Avertissement des traducteurs
Table des matières
 
 
 
JÉSUS LE CHRIST
 
Étude sur le Messie et sa mission selon les saintes Écritures anciennes et modernes
 
par James E. Talmage, membre du Collège des douze apôtres de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours
 
 
 
PRÉFACE
 
La page de titre exprime l'envergure du sujet présenté dans cet ouvrage. Le lecteur pourra constater sans peine que l'auteur s'est éloigné de la méthode ordinairement suivie par les écrivains qui traitent de la vie de Jésus-Christ, méthode qui consiste généralement à commencer par la naissance de l'enfant de Marie et à terminer au moment où le Seigneur mis à mort et ressuscité monte au ciel depuis le mont des Oliviers. Outre l'histoire de la vie du Seigneur dans la chair, le traité développé dans ces pages comprend l'existence et les activités pré-mortelles du Rédempteur du monde, les révélations et les manifestations en personne du Fils de Dieu, glorifié et exalté, au cours de la période apostolique de jadis et dans les temps modernes ; cette histoire nous assure que le second avènement du Seigneur est proche et nous rapporte les événements prédits au-delà - tout cela dans la mesure où les saintes Écritures le révèlent.
 
Il est particulièrement opportun que l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours - la seule Église qui se réclame d'une autorité fondée sur des révélations bien déterminées et se prétende habilitée à utiliser le saint nom du Seigneur dans son intitulé - expose ses enseignements concernant le Messie et sa mission.
 
L'auteur de cet ouvrage a entrepris, avec grand plaisir, son travail à la demande des autorités présidentes de l'Église ; l'œuvre terminée a été lue à la Première Présidence et au Conseil des Douze et approuvée par eux. Elle représente cependant la foi personnelle et la plus profonde conviction de l'auteur quant à la vérité de ce qu'il a écrit. Le livre est publié par l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours.
 
Un trait caractéristique de l'ouvrage, ce sont les directives qui ont été fournies par les Écritures modernes et l'explication de l'Écriture sainte des temps anciens à la lumière de la révélation moderne, qui, comme un rayon puissant et bien dirigé, illumine beaucoup de passages ténébreux de composition ancienne.
 
L'esprit de sainteté inhérent au sujet a été le compagnon constant de l'auteur pendant toute la durée de son agréable travail, et il l'invoque respectueusement pour servir les lecteurs de cet ouvrage.
 
Salt Lake City, Utah 
Septembre 1915
James E. Talmage
 
 
PRÉFACE À LA SIXIÈME ÉDITION ANGLAISE
 
La deuxième édition de cet ouvrage a paru en décembre 1915, et la troisième en mars 1916. La troisième édition présentait plusieurs corrections mineures de formule et contenait des notes et des références supplémentaires. Les éditions suivantes, y compris la cinquième qui a été imprimée sur papier bible, et l'édition actuelle sont pratiquement semblables à la troisième.
 
Salt Lake City, Utah 
Octobre 1922 
James E. Talmage
 
 
AVERTISSEMENT DES TRADUCTEURS
 
Dans la traduction nous avons employé la nouvelle version Segond révisée de la Bible (Bible à la Colombe, 1978). Cependant quand le sens de la version du roi Jacques, utilisée par l'auteur, diffère de la version française, nous avons traduit le texte anglais littéralement. Pour les citations des Articles de Foi, nous avons utilisé l'édition de 1962.
 
 
TABLE DES MATIÈRES
 
1. INTRODUCTION 
Historicité de Jésus le Christ. - Étendue et objectif du présent traité.
 
2. PRÉEXISTENCE ET PRÉORDINATION DU CHRIST
Existence pré-mortelle des esprits. - Le conseil primitif des cieux. - Révolte de Lucifer. - Sa défaite et son expulsion. - Le libre arbitre de l'homme est assuré. - Le Fils bien-aimé choisi comme Sauveur et Rédempteur de l'humanité.
 
3. BESOIN D'UN RÉDEMPTEUR
Esprits de capacités diverses. - L'introduction du péché dans le monde est prédite. - La prescience de Dieu n'est pas une cause déterminante. - Création de l'homme dans la chair. - Chute de l'homme. - L'Expiation est nécessaire. - Jésus-Christ, seul Être éligible comme Rédempteur et Sauveur. - La résurrection universelle est prévue.
 
4. DIVINITÉ PRÉMORTELLE DU CHRIST
La Divinité - Jésus-Christ, Parole de la puissance. - Jésus-Christ, le Créateur. - Jéhovah. - L'Éternel, Je Suis. - Proclamations sur Jésus-Christ par le Père.
 
5. PRÉDICTION DE L'AVÈNEMENT TERRESTRE DU CHRIST
Prophéties bibliques. - Révélation à Énoch. - Prédiction du prophète par Moïse. - Les sacrifices sont des préfigurations. Prédictions du Livre de Mormon.
 
6. LE MIDI DES TEMPS
Signification de cette expression. - Sommaire de l'histoire d'Israël. - Les juifs, vassaux de Rome. -Scribes et rabbis. - Pharisiens et Sadducéens. - Autres confessions et partis.
 
7. GABRIEL ANNONCE JEAN ET JÉSUS
Visitation angélique à Zacharie. - Naissance de Jean le précurseur. - Annonciation à Marie la Vierge. - Marie et Joseph. - Leurs généalogies. - Jésus-Christ héritier du trône de David.
 
8. L'ENFANT DE BETHLÉHEM
Naissance de Jésus-Christ. - Sa présentation au temple. - Visite des mages. - Les desseins mauvais d'Hérode. - L'Enfant emmené en Égypte. - La naissance du Christ révélée aux Néphites. - Date de la naissance.
 
9. LE JEUNE GARÇON DE NAZARETH
Jésus sera appelé Nazaréen. - Au temple à l'âge de douze ans. - Jésus et les docteurs de la loi. - Jésus de Nazareth.
 
10. DANS LE DÉSERT DE JUDÉE
Jean-Baptiste. - La voix dans le désert. - Baptême de Jésus. - Proclamation du Père. - Descente du Saint-Esprit. - Le signe de la colombe. - Tentation du Christ.
 
11. DE JUDÉE EN GALILÉE
Témoignage de Jean-Baptiste sur le Christ. - Premiers disciples. - Le Fils de l'homme, signification du titre. - Le miracle de la transformation de l'eau en vin. - Les miracles en général.
 
12. PREMIERS INCIDENTS DU MINISTÈRE PUBLIC DE NOTRE SEIGNEUR
Première purification du temple. - Jésus et Nicodème. - Les disciples de Jean-Baptiste en conflit. - Jean fait l'éloge du Christ et répète son témoignage à son sujet.
 
13. HONORÉ DES ÉTRANGERS, REJETÉ DES SIENS
Jésus et la Samaritaine. - Parmi les Samaritains. - Pendant qu'il est à Cana, le Christ guérit le fils d'un noble à Capernaüm. - À Nazareth, le Christ prêche à la synagogue. - Les Nazaréens essaient de le tuer. - Démons soumis à Capernaüm. - Possession par les démons.
 
14. SUITE DU MINISTÈRE DE NOTRE SEIGNEUR EN GALILÉE
Guérison d'un lépreux. - La lèpre. - Un paralytique guéri et pardonné. - Accusation de blasphème. - Les publicains et les pécheurs. - Les vieux vêtements, les vieilles outres et les nouvelles. - Appel préliminaire de disciples. - Pêcheurs d'hommes.
 
15. SEIGNEUR DU SABBAT
Le sabbat tout particulièrement sacré pour Israël. - Un invalide guéri le jour du sabbat. - Accusation des Juifs et réponse du Seigneur. - Des disciples accusés d'enfreindre le sabbat. - Guérison d'un homme à la main sèche le jour du sabbat.
 
16. LE CHOIX DES DOUZE
Leur appel et leur ordination. - Les Douze examinés l'un après l'autre. - Leurs caractéristiques en général. - Disciples et apôtres.
 
17. LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Les béatitudes. - Dignité et responsabilité dans le ministère. - La loi mosaïque remplacée par L'Évangile du Christ. - La sincérité d'intentions. - L'oraison dominicale. - La véritable richesse. - Promesse et nouvelle assurance. - Écouter et agir.
 
18. AVEC AUTORITÉ
Guérison du serviteur du centurion. - Résurrection du jeune homme de Naïn. - Message de Jean-Baptiste à Jésus. - Commentaires du Seigneur à ce sujet. - Mort de Jean-Baptiste. - Jésus dans la maison de Simon le Pharisien. - Une femme pénitente pardonnée. - L'autorité du Christ attribuée à Béelzébul. - Le péché contre le Saint-Esprit. - Ceux qui cherchent un signe.
 
19. « IL LEUR PARLA EN PARABOLES SUR BEAUCOUP DE CHOSES »
Le semeur. - Le blé et l'ivraie. - La semence qui grandit en secret. - Le grain de sénevé. - Le levain - Le trésor caché. - La perle de grand prix. - Le filet de l'Évangile. - La raison pour laquelle le Seigneur enseigne par paraboles. - Les paraboles en général.
 
20. « SILENCE ! TAIS-TOI ! »
Candidats disciples. - Jésus calme la tempête. - Il apaise les démons dans la région de Gadara. - Résurrection de la fille de Jaïrus. - Rendre à la vie et ressusciter. - Une femme guérie au milieu de la foule. - Les aveugles voient et les muets parlent.
 
21. LA MISSION APOSTOLIQUE ET LES ÉVÉNEMENTS QUI S'Y RAPPORTENT
Jésus retourne à Nazareth. Les Douze chargés de mission et envoyés. - Leur retour. - Première multiplication des pains. - Le miracle de la marche sur l'eau. - Les gens cherchent le Christ pour avoir encore du pain et des poissons. - Le Christ, pain de vie. - Beaucoup de disciples se détournent de lui.
 
22. UNE PÉRIODE D'OPPOSITION CROISSANTE
Ablutions cérémonielles. - Les Pharisiens réprimandés. - Jésus sur le territoire de Tyr et de Sidon. - Guérison de la fille d'une Syro-phénicienne. - Miracles accomplis sur les côtes de la Décapole. - Deuxième multiplication des pains. - Encore des chercheurs de signes. - Le levain des Pharisiens, des Sadducéens et des Hérodiens. - La grande confession de Pierre : « Tu es le Christ ».
 
23. LA TRANSFIGURATION
Visitation de Moïse et d'Élie. - Le Père proclame de nouveau le Fils. - Les apôtres reçoivent temporairement l'interdiction de témoigner au sujet de la Transfiguration. - Élias et Élie. - La moindre prêtrise et la prêtrise supérieure.
 
24. DU SOLEIL À L'OMBRE
Un jeune démoniaque guéri. - Autre prédiction de la mort et de la résurrection du Christ. - L'argent du tribut fourni par un miracle. - L'humilité illustrée par un petit enfant. - Parabole de la brebis perdue. - Au nom du Christ. - Mon frère et moi. - Parabole du serviteur impitoyable.
 
25. JÉSUS DE RETOUR À JÉRUSALEM
Départ de Galilée. - À la fête des Huttes. - Autre accusation de profanation du sabbat. - L'eau vive pour ceux qui ont spirituellement soif. - Plans pour arrêter Jésus. - Nicodème proteste. - Une femme prise en flagrant délit d'adultère. - Le Christ, lumière du monde. - La vérité affranchira les hommes. - Le Christ plus ancien qu'Abraham. - La vue rendue un jour de sabbat. - La cécité physique et spirituelle. - Berger et gardien de troupeaux. Le Christ, le bon berger. - Son pouvoir inhérent sur la vie et la mort. - Des brebis d'une autre bergerie.
 
26. LE MINISTÈRE DE NOTRE SEIGNEUR EN PÉRÉE ET EN JUDÉE
Jésus rejeté en Samarie. - Jacques et Jean réprimandés pour leur désir de vengeance. - Les soixante-dix chargés de mission et envoyés. - Leur retour. - Question d'un docteur de la loi. - Parabole du bon Samaritain. - Marthe et Marie. - Demandez et vous recevrez. - Parabole de l'ami à minuit. - Critique contre les Pharisiens et les docteurs de la loi. - Parabole du mauvais riche. - Ceux qui ne se repentent pas périront. - Parabole du figuier stérile. Une femme guérie le jour du sabbat. - Y en aura-t-il beaucoup ou peu qui seront sauvés ? - Jésus averti du dessein d'Hérode.
 
27. SUITE DU MINISTÈRE PÉRÉEN ET JUDÉEN
Chez l'un des principaux Pharisiens. - Parabole du grand banquet. - Le calcul des frais. - Le salut même pour les publicains et les pécheurs. - Répétition de la parabole de la brebis perdue. - De la drachme perdue. - Du fils prodigue. - Du serviteur paresseux. - Du riche et de Lazare. - Des serviteurs inutiles. - Guérison de dix lépreux. - Parabole du Pharisien et du publicain. - Sur le mariage et le divorce. - Jésus et les petits enfants. - Le jeune homme riche. - Les premiers peuvent être les derniers et les derniers les premiers. - Parabole des ouvriers de la vigne.
 
28. LE DERNIER HIVER
À la fête de la Dédicace. - Les brebis connaissent la voix du berger. - Le Seigneur se retire en Pérée. - Lazare ressuscité des morts. - La hiérarchie juive agitée par le miracle. - Prophétie de Caïphe, le souverain sacrificateur. - Jésus se retire en Éphraïm.
 
29. EN ROUTE POUR JÉRUSALEM
Jésus prédit de nouveau sa mort et sa résurrection. - Demande ambitieuse de Jacques et de Jean. - Un aveugle retrouve la vue près de Jéricho. - Zachée, chef des péagers. - Parabole des mines. - Le souper dans la maison de Simon le lépreux. - Hommage de Marie oignant Jésus. - Protestation de l'Iscariot. - L'entrée triomphale du Christ à Jérusalem. - Certains Grecs cherchent un entretien avec Jésus. - La voix du ciel.
 
30. JÉSUS RETOURNE QUOTIDIENNEMENT AU TEMPLE
Malédiction d'un figuier feuillu mais stérile. - Deuxième purification du temple. - Des enfants crient Hosanna. - L'autorité du Christ mise en question par les dirigeants. - Parabole des deux fils. - De mauvais vignerons. - La pierre rejetée sera la principale de l'angle. - Parabole des noces royales. - L'habit de noce manque.
 
31. FIN DU MINISTÈRE PUBLIC DE NOTRE SEIGNEUR
Conspiration des Pharisiens et des Hérodiens. - César doit recevoir son dû. - L'image sur la pièce de monnaie. - Les Sadducéens et la résurrection. - Mariages, lévirat. - Le grand commandement. - Jésus se fait questionneur. - Dénonciation flétrissante des scribes et des Pharisiens hypocrites. - Lamentation sur Jérusalem. - L'obole de la veuve. - Le Christ quitte le temple pour la dernière fois. - Prédiction de la destruction du temple.
 
32. AUTRES ENSEIGNEMENTS AUX APÔTRES
Prophéties relatives à la destruction de Jérusalem et à l'avènement futur du Seigneur. - Veillez ! - Parabole des dix vierges. - Des talents. - Le jugement inévitable. - Autre prédiction précise de la mort imminente du Seigneur.
 
33. LA DERNIÈRE CÈNE ET LA TRAHISON
Judas Iscariot conspire avec les Juifs. - Préparation pour la dernière Pâque du Seigneur. - La dernière cène de Jésus avec les Douze. - Le traître est désigné. - L'ordonnance du lavement des pieds. - Le sacrement de la Cène du Seigneur. - Le traître sort dans la nuit. - Un discours après la Cène. - La prière sacerdotale. - L'agonie du Seigneur à Gethsémané. - La trahison et l'arrestation.
 
34. LE PROCÈS ET LA CONDAMNATION
Le procès juif. - Le Christ devant Anne et Caïphe. - Le jugement illégal pendant la nuit. - La session du matin. - Faux témoins et condamnation injuste. - Pierre renie son Seigneur. - Le Christ amené pour la première fois devant Pilate. - Devant Hérode. Deuxième comparution devant Pilate. - Pilate cède aux clameurs juives. - La sentence de la crucifixion. - Suicide de Judas Iscariot.
 
35. LA MORT ET L'ENSEVELISSEMENT
Sur le chemin du Calvaire. - Le Seigneur s'adresse aux filles de Jérusalem. - La crucifixion. - Événements qui se déroulent entre la mort et l'ensevelissement du Seigneur. - L'ensevelissement. - Le sépulcre gardé.
 
36. DANS LE ROYAUME DES ESPRITS DÉSINCARNÉS
Réalité de la mort du Seigneur. - État des esprits entre la mort et la résurrection. - Le Sauveur parmi les morts. - L'Évangile prêché aux esprits en prison.
 
37. LA RÉSURRECTION ET L'ASCENSION
Le Christ ressuscité. - Les femmes au sépulcre. - Communications angéliques. - Le Seigneur ressuscité vu par Marie-Madeleine. - Et par les autres femmes. - La conspiration du mensonge par les prêtres. - Le Seigneur et deux disciples sur la route d'Emmaüs. - Il apparaît à des disciples à Jérusalem et il mange en leur présence. - Thomas l'incrédule. - Le Seigneur apparaît aux apôtres au lac de Tibériade. - Autres manifestations en Galilée. - La dernière directive aux apôtres. - L'ascension.
 
38. LE MINISTÈRE APOSTOLIQUE
Ordination de Matthias à l'apostolat. - Le Saint-Esprit est donné à la Pentecôte. - La prédication des apôtres. - Emprisonnés et mis en liberté. - Recommandation de Gamaliel au conseil. - Étienne, son martyre. - Saul de Tarse, sa conversion. - Il devient Paul l'apôtre. - Le livre de Jean le Révélateur. - Fin du ministère apostolique.
 
39. LE MINISTÈRE DU CHRIST RESSUSCITÉ SUR LE CONTINENT AMÉRICAIN
La mort du Seigneur signalée par de grandes calamités sur le continent américain. - On entend la voix du Seigneur Jésus-Christ. - Ses visites aux Néphites. - Les douze Néphites. - Le baptême parmi les Néphites. - Accomplissement de la loi de Moïse. - Le discours aux Néphites comparé au sermon sur la montagne. - Le sacrement du pain et du vin institué parmi les Néphites. - Nom de l'Église du Christ. - Les trois Néphites. - Croissance de l'Église. - Apostasie finale de la nation néphite.
 
40. LA LONGUE NUIT DE L'APOSTASIE
La grande apostasie prédite. - Apostasie individuelle depuis l'Église. - Apostasie de l'Église. - Constantin fait du christianisme la religion d'État. - Prétentions papales à l'autorité séculière. - La tyrannie de l'Église. - L'âge des ténèbres. - La révolte inévitable. - La Réforme. - Naissance de l'Église anglicane. - Le catholicisme et le protestantisme. - Affirmation de l'apostasie. - La mission de Colomb et des Pères Pèlerins prédite dans les Écritures anciennes. - Accomplissement des prophéties. - L'établissement de la nation américaine prévu.
 
41. MANIFESTATIONS PERSONNELLES DE DIEU, LE PÈRE ÉTERNEL, ET DE SON FILS, JÉSUS-CHRIST, DANS LES TEMPS MODERNES
Une nouvelle dispensation de l'Évangile. - La perplexité de Joseph Smith à propos des luttes des Églises. - Le Père éternel et son Fils Jésus-Christ apparaissent à Joseph Smith et l'instruisent personnellement. - Les apparitions de Moroni. - Le Livre de Mormon. - Rétablissement de la Prêtrise d'Aaron par Jean-Baptiste, - Rétablissement de la Prêtrise de Melchisédek par Pierre, Jacques et Jean. - L'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. - Manifestations divines dans le temple de Kirtland. - Apparition du Seigneur Jésus-Christ. - L'autorité appropriée des anciennes dispensations de l'Évangile conférée par Moïse, Élias et Élie. - La sainte prêtrise opère maintenant sur la terre.
 
42. JÉSUS LE CHRIST REVIENDRA
Prédictions anciennes du second avènement du Seigneur. - La révélation moderne affirme la même chose. - Aujourd'hui et demain. - Le jour grand et redoutable est proche. - Le royaume de Dieu et le royaume des cieux. - Le millénium. - La fin céleste.
 
 
CHAPITRE 1 : INTRODUCTION
 
C'est un fait historique que, au commencement ou vers le commencement de ce que l'on a appelé, depuis, l'ère chrétienne, l'homme Jésus, surnommé le Christ, naquit à Bethléhem en Judée [1]. Les données principales de sa naissance, de sa vie et de sa mort sont tellement bien attestées qu'il serait déraisonnable de les mettre en doute ; ce sont des faits consignés par écrit, que le monde civilisé en général accepte comme essentiellement authentiques. Il y a, il est vrai, des diversités d'interprétation provenant de ce que l'on a découvert de prétendues divergences dans les documents du passé sur des détails secondaires ; mais ces différences sont d'une importance strictement mineure, car aucune d'elles ni leur ensemble ne jette la moindre ombre de doute rationnel sur l'historicité de l'existence terrestre de l'homme que l'on appelle dans la littérature Jésus de Nazareth.
 
Quant au point de savoir qui et ce qu'il était, des dissensions profondes et importantes séparent les opinions des hommes ; et ces divergences de conception et de foi sont les plus prononcées dans les domaines les plus importants. Les témoignages solennels de millions de morts et de millions de vivants s'accordent pour le proclamer divin, Fils du Dieu vivant, Rédempteur et Sauveur du genre humain, juge éternel des âmes des hommes, l'Élu et l'Oint du Père - bref, le Christ. Il en est d'autres qui nient sa divinité tout en exaltant ses qualités humaines sans pareilles.
 
Pour l'historien, cet homme d'entre les hommes se tient premier, sublime et seul : personnalité directrice dans le progrès du monde. Jamais l'humanité n'a produit de chef de son envergure. Si on le considère exclusivement comme personnage historique, il est unique. Estimé à l'étalon du jugement humain, Jésus de Nazareth est suprême parmi les hommes en raison de l'excellence de sa personnalité, de la simplicité, de la beauté et de la valeur réelle de ses préceptes, ainsi que de l'influence de son exemple et de ses enseignements sur le progrès du genre humain. À ces caractéristiques distinctives d'une grandeur sublime, l'âme chrétienne pieuse ajoute un attribut qui surpasse de loin la somme de tous les autres : la divinité de l'origine du Christ et la réalité éternelle de son état de Seigneur et de Dieu.
 
L'incroyant et le chrétien reconnaissent sa suprématie comme homme et respectent l'importance historique de sa naissance. Le Christ naquit au midi des temps [2] et sa vie sur la terre marqua immédiatement le point culminant du passé et l'inauguration d'une ère qui allait se distinguer par l'espoir, l'effort et les réalisations humaines. Son avènement détermina un nouvel ordre dans le calcul des années ; et par consentement commun, les siècles qui ont précédé sa naissance ont été comptés en rétrogradant à partir de l'événement pivot et sont désignés en conséquence. L'accession des dynasties au pouvoir et leur chute, la naissance et la dissolution des nations, tous les cycles de l'histoire : guerres et paix, prospérité et adversité, santé et épidémies, périodes d'abondance et de famine, tremblements de terre et tempêtes terribles, triomphes de l'invention et de la découverte, les importantes périodes où l'homme a progressé vers le divin et les longues périodes où il est tombé dans l'incroyance - tous les événements qui font l'histoire - sont enregistrés dans toute la chrétienté par rapport à l'année précédant ou suivant la naissance de Jésus-Christ.
 
Sa vie terrestre couvrit une période de trente-trois ans ; et il n'en passa que trois comme maître reconnu ouvertement engagé dans les activités du ministère public. Il subit une mort violente avant de parvenir à ce que nous considérons maintenant comme la force de l'âge. Peu le connurent personnellement, et sa célébrité de personnage mondial ne devint générale qu'après sa mort.
 
Un bref récit de quelques-unes de ses paroles et de ses oeuvres nous a été conservé ; et ce document, quelque fragmentaire et incomplet qu'il soit, est estimé à bon droit comme le plus grand trésor du monde. L'histoire la plus ancienne et la plus étendue de son existence mortelle se trouve dans la compilation des Écritures que l'on appelle le Nouveau Testament ; en effet les historiens laïques de son temps ne disent pas grand-chose de lui. Mais si peu nombreuses et si brèves que soient les allusions que font sur lui les écrivains non scripturaires de l'époque qui suivit immédiatement celle de son ministère, on en trouve suffisamment pour confirmer le document sacré en ce qui concerne la réalité et la période de l'existence terrestre du Christ.
 
Aucune biographie adéquate de Jésus enfant ou homme n'a été ni ne peut être écrite, pour la bonne raison que nous n'avons pas toutes les données. Néanmoins il n'a jamais vécu d'homme à propos duquel on ait parlé et chanté davantage, à qui une plus grande proportion de la littérature du monde ait été consacrée. Il est exalté par les chrétiens, les musulmans et les juifs, par les sceptiques et les infidèles, par les plus grands poètes, philosophes, hommes d'État, savants et historiens du monde. Même le pécheur impie acclame, dans le sacrilège misérable de son juron, la suprématie divine de celui dont il profane le nom.
 
Le but du présent traité est d'examiner la vie et la mission de Jésus en sa qualité de Christ. Dans cette entreprise nous serons guidés par la lumière des Écritures anciennes et modernes ; et ainsi conduits, nous découvrirons, dès les premiers stades de notre itinéraire, que la parole de Dieu révélée à notre époque éclaire d'une manière efficace les Écritures saintes des temps anciens, et ce, dans beaucoup de domaines du plus profond intérêt [3].
 
Au lieu de commencer notre étude par la naissance terrestre du saint Enfant de Bethléhem, nous allons examiner le rôle que joua le Premier-Né de Dieu dans les conseils primitifs des cieux, à l'époque où il fut élu et ordonné Sauveur de la race à naître des mortels, Rédempteur d'un monde qui était alors dans les stades formatifs de son développement. Nous allons l'étudier en ses qualités de Créateur du monde, Parole de la Puissance par l'intermédiaire de laquelle les objectifs du Père éternel furent réalisés dans la préparation de la terre pour servir de demeure à ses myriades d'enfants spirituels au cours de la période désignée pour l'épreuve mortelle. Jésus-Christ était et est Jéhovah, le Dieu d'Adam et de Noé, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu d'Israël, le Dieu au nom duquel les prophètes de tous les temps ont parlé, le Dieu de toutes les nations et celui qui régnera sur la terre comme Roi des rois et Seigneur des seigneurs.
 
Sa naissance étonnante, et cependant naturelle, sa vie immaculée dans la chair et sa mort volontaire, sacrifice consacré pour les péchés de l'humanité, réclameront notre respectueuse attention, de même que le service rédempteur qu'il a rendu au monde des esprits désincarnés, sa résurrection littérale de la mort corporelle à l'immortalité, ses diverses apparitions aux hommes sur deux continents et son ministère constant en tant que Seigneur ressuscité, le rétablissement de son Église grâce à sa présence personnelle et à celle du Père éternel dans les derniers jours (« les derniers jours », expression scripturale ; voir Actes 2:17 ; 2 Tim. 3:1 ; 2 P. 3:3, ndlr), et son apparition dans son temple à notre époque. Tous ces événements du ministère du Christ sont déjà du passé. Les recherches que nous nous proposons de faire nous conduiront encore plus loin, dans l'avenir sur lequel les écrits nous donnent la parole de la révélation divine. Nous examinerons les conditions qui régneront lors du retour du Seigneur en puissance et en gloire pour inaugurer la domination du royaume des cieux sur la terre, et pour introduire le millénium de paix et de justice qui a été prédit. Et nous le suivrons plus loin encore, à travers le conflit post-millénaire entre les puissances du ciel et les puissances de l'enfer, jusqu'à la fin de sa victoire sur Satan, le péché et la mort, au moment où il présentera la terre glorifiée et ses armées sanctifiées, sans tache et célestialisées au Père.
 
L'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours affirme qu'elle possède l'autorité divine d'utiliser le nom sacré, Jésus-Christ, comme partie essentielle de son intitulé. Étant donné cette prétention sublime, il est pertinent de demander quel message spécial ou particulier l'Église a pour le monde à propos du Rédempteur et du Sauveur du genre humain, et ce qu'elle peut dire pour justifier son affirmation solennelle, ou pour prouver son nom et son titre. À mesure que nous progresserons dans notre étude, nous verrons que l'on trouve, parmi les enseignements particuliers de l'Église concernant le Christ, ce qui suit :
 
1) Sa mission est constante et identique à toutes les époques : cela implique nécessairement sa préexistence et sa préordination ; 2) il était Dieu dans sa vie prémortelle ; 3) sa naissance dans la chair fut le résultat naturel de l'union d'un être divin et d'un être mortel ; 4) il mourut et ressuscita littéralement, événement dont le résultat est que le pouvoir de la mort sera finalement vaincu ; 5) l'expiation qu'il accomplit fut littérale et indique que si l'individu veut parvenir au salut, il est absolument nécessaire qu'il se soumette aux lois et aux ordonnances de son Évangile ; 6) sa prêtrise a été rétablie ainsi que son Église à notre époque ; 7) il reviendra assurément sur la terre dans un proche avenir, en puissance et avec grande gloire, régner en personne dans son corps comme Seigneur et Roi.
 
 [1] Pour l'année où le Christ est né, voir chapitre 8.
 [2] Voir chapitre 6.
 [3] La sainte Bible, le Livre de Mormon, Doctrine et Alliances et la Perle de grand prix constituent les ouvrages canoniques de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Nous les citerons au même titre comme Écritures dans les pages suivantes, car c'est ce qu'ils sont. 
 
 
 
CHAPITRE 2 : PRÉ-EXISTENCE ET PRÉ-ORDINATION DU CHRIST
 
Nous affirmons, en vertu des saintes Écritures, que l'être qui est connu parmi les hommes sous le nom de Jésus de Nazareth, et par tous ceux qui reconnaissent sa divinité comme Jésus-Christ, existait avec le Père avant sa naissance dans la chair ; et que dans l'état pré-existant il fut choisi et ordonné pour être le seul et unique Sauveur et Rédempteur du genre humain. Pour qu'il y ait pré-ordination, la condition essentielle est qu'il y ait préexistence ; c'est pourquoi les Écritures qui se rapportent à l'une se rapportent également à l'autre ; en conséquence, dans notre présentation nous n'essayerons pas de séparer les preuves qui s'appliquent à la préexistence du Christ ou à sa pré-ordination.
 
Jean, le Révélateur, contempla en vision certaines des scènes qui s'étaient produites dans le monde spirituel avant le commencement de l'histoire humaine. Il vit des luttes et des querelles entre la loyauté et la révolte, les armées qui défendaient la première conduites par Michel, l'archange, et les forces rebelles gouvernées par Satan, que l'on appelle également le diable, le serpent et le dragon. Nous lisons : « Il y eut une guerre dans le ciel. Michel et ses anges combattirent le dragon. Le dragon combattit, lui et ses anges. » [1]
 
Dans ce combat entre armées non incarnées, les forces étaient inégalement réparties ; Satan n'attira sous sa bannière que le tiers des enfants de Dieu, qui sont symbolisés par le titre les « étoiles du ciel » [2] ; la majorité combattit avec Michel, ou du moins s'abstint de toute opposition active, accomplissant ainsi l'objectif de leur « premier état » ; tandis que les anges qui se rangeaient aux côtés de Satan « ne gardèrent pas leur premier état » [3] et se disqualifièrent ainsi pour obtenir des possibilités glorieuses d'un état avancé ou « second état » [4]. La victoire sourit à Michel et à ses anges ; et Satan ou Lucifer, qui était jusqu'alors un « fils du matin », fut chassé du ciel, oui, « il fut précipité sur la terre, et ses anges furent précipités avec lui » [5]. Le prophète Ésaïe, à qui ces événements capitaux avaient été révélés quelque huit siècles avant l'époque des écrits de Jean, se lamente en une douleur inspirée sur la chute d'un être si grand et indique que la cause en fut l'ambition égoïste : « Quoi donc ! tu es tombé du ciel, (Astre) brillant, fils de l'aurore ! Tu es abattu à terre, toi le dompteur des nations ! Tu disais en ton cœur : je monterai au ciel, j'élèverai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu, je siégerai sur la montagne de la Rencontre (des dieux) au plus profond du nord ; je monterai sur le sommet des nues, je serai semblable au Très-Haut. Mais tu as été précipité dans le séjour des morts au plus profond d'une fosse [6] »
 
On verra pourquoi nous citons ces Écritures dans le cadre de notre présente étude, si l'on examine la cause de cette grande lutte : la situation qui amena cette guerre dans les cieux. D'après les paroles d'Ésaïe, il est clair que Lucifer, qui possédait déjà un rang exalté, chercha à s'agrandir sans tenir compte des droits et de la liberté des autres. Le problème est présenté, en des termes sur lesquels nul ne peut se méprendre, dans une révélation donnée à Moïse et répétée par l'intermédiaire du premier prophète de notre époque : « Et moi, le Seigneur Dieu, je parlai à Moïse, disant : Ce Satan que tu as commandé au nom de mon Fils unique, est celui-là même qui était dès le commencement, et il vint devant moi disant : Me voici, envoie-moi, je serai ton fils et je rachèterai toute l'humanité, de sorte que pas une âme ne sera perdue, et je le ferai certainement ; c'est pourquoi donne-moi ton honneur. Mais, voici, mon Fils bien-aimé, qui était mon Bien-aimé et mon Élu depuis le commencement, me dit : Père, que ta volonté soit faite, et que la gloire t'appartienne à jamais. C'est pourquoi, parce que Satan s'était révolté contre moi, qu'il avait cherché à détruire le libre arbitre de l'homme, que moi, le Seigneur Dieu, je lui avais donné, et aussi parce qu'il voulait que je lui donne mon pouvoir, par le pouvoir de mon Fils unique, je le fis précipiter du ciel ; et il devint Satan, oui, à savoir le diable, le père de tous les mensonges, pour tromper et aveugler les hommes, et mener captifs à sa volonté tous ceux qui ne voudraient pas écouter ma voix. » [7]
 
Nous voyons ainsi qu'avant que l'homme ne soit placé sur la terre, combien de temps avant, nous ne le savons pas, le Christ et Satan, en même temps que les armées des enfants spirituels de Dieu, existaient en tant qu'individus intelligents [8], possédant la faculté et le pouvoir de choisir la voie qu'ils poursuivraient et les dirigeants qu'ils se donneraient et auxquels ils obéiraient [9]. Il ne fait pas de doute que, dans cette grande assemblée d'intelligences spirituelles, on discuta du plan du Père selon lequel ses enfants devaient être avancés à leur deuxième état. La possibilité qui fut ainsi placée à la portée des esprits qui devaient avoir l'avantage de prendre un corps sur la terre était si transcendantalement glorieuse que ces multitudes célestes éclatèrent en chants d'allégresse et poussèrent des cris de joie [10].
 
Le plan dictatorial de Satan, aux termes duquel tous seraient amenés sains et saufs à travers la vallée de la mortalité, privés de la liberté d'agir et du libre arbitre de choisir, tellement limités qu'ils seraient obligés de faire le bien - qu'aucune âme ne serait perdue - fut rejeté ; et l'humble offre de Jésus, le Premier-Né, d'assumer la mortalité et de vivre parmi les hommes pour être leur Exemple et leur Maître, respectant la sainteté du libre arbitre de l'homme mais enseignant aux hommes à utiliser correctement cet héritage divin, fut accepté. Cette décision amena la guerre, qui eut pour résultat la défaite de Satan et de ses anges, lesquels furent chassés et privés des avantages sans limites afférents à l'état mortel ou deuxième état.
 
L'être qui naquit plus tard dans la chair, Fils de Marie, Jésus, joua un rôle important dans cet auguste conseil des anges et des Dieux, et c'est là qu'il fut ordonné par le Père pour être le Sauveur de l'humanité. Du point de vue du temps, le terme étant utilisé dans le sens de toute la durée du passé, c'est la première mention que nous ayons de la présence du Premier-Né parmi les fils de Dieu ; pour nous qui lisons, cela marque le début de l'histoire écrite de Jésus le Christ [11].
 
Bien que les Écritures de l'Ancien Testament abondent en promesses que le Christ viendra réellement dans la chair, elles sont moins claires au sujet de son existence pré-mortelle. Vivant encore sous la loi et n'étant pas encore prêts à recevoir l'Évangile, les enfants d'Israël considéraient le Messie comme quelqu'un qui naîtrait dans le lignage d'Abraham et de David, ayant le pouvoir de les libérer de leurs fardeaux personnels et nationaux et de vaincre leurs ennemis. En général le peuple ne se rendait que très vaguement compte, à supposer qu'il pût même le concevoir, que le Messie était bel et bien le Fils élu de Dieu, qui était avec le Père depuis le commencement. Être déjà revêtu de puissance et de gloire dans son existence pré-mortelle ; et bien que la grande vérité fût révélée [12] à des prophètes spécialement commissionnés dans les responsabilités et les droits de la sainte prêtrise, ceux-ci la transmettaient au peuple plutôt dans le langage de l'image et de la parabole qu'en des paroles claires et directes. Néanmoins les témoignages des évangélistes et des apôtres, l'attestation du Christ lui-même tandis qu'il était dans la chair et les révélations données à notre époque nous fournissent des preuves scripturaires en suffisance.
 
Dans les lignes introductrices de l'évangile de Jean, l'apôtre, nous lisons : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Tout a été fait par elle, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle... La Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du Père. » [13]
 
Ce passage est simple, précis et sans équivoque. Nous pouvons raisonnablement donner à l'expression « Au commencement » la même signification qui y est attachée dans la première ligne de la Genèse ; et pareil sens doit indiquer une époque antérieure aux stades les plus reculés de l'existence humaine sur la terre. Le passage affirme clairement que la Parole est Jésus-Christ, qui était avec le Père dans ce commencement et qui était revêtu lui-même du pouvoir et du rang de la Divinité, qu'il vint dans le monde et demeura parmi les hommes. Ces déclarations sont confirmées par une révélation donnée à Moïse dans laquelle il lui fut permis de voir un grand nombre d'entre les créations de Dieu et d'entendre la voix de Dieu commenter les choses qui avaient été faites : « Et je les ai créées par la parole de mon pouvoir, qui est mon fils unique, lequel est plein de grâce et de vérité. » [14]
 
Jean l'apôtre affirme à plusieurs reprises la préexistence du Christ et son autorité et sa puissance dans l'état prémortel [15]. Le témoignage de Paul [16] et celui de Pierre sont formulés dans le même sens. Instruisant les saints du fondement de leur foi, le dernier apôtre nommé souligna qu'ils n'assureraient pas leur rédemption par des choses corruptibles ni par l'observance extérieure de rites prescrits par la tradition, « mais par le sang pré cieux de Christ, comme d'un agneau sans défaut et sans tache ; il a été désigné d'avance, avant la fondation du monde, et manifesté à la fin des temps, à cause de vous » [17].
 
Il y a quelque chose de plus impressionnant et d'encore plus concluant : les témoignages personnels du Sauveur sur sa vie pré-mortelle et la mission dont il avait été chargé parmi les hommes. Nul ne peut accepter que Jésus est le Messie et rejeter logiquement ces preuves de sa nature éternelle. Un jour que les Juifs se disputaient entre eux dans la synagogue et murmuraient parce qu'ils ne parvenaient pas à comprendre correctement ce qu'il disait sur lui-même, et en particulier ce qui touchait sa parenté avec le Père, Jésus leur dit : « car je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé. » Poursuivant ensuite la leçon qu'il basait sur le contraste entre la manne avec laquelle leurs pères avaient été nourris dans le désert et le pain de vie qu'il avait à offrir, il ajouta : « Moi, je suis le pain vivant descendu du ciel », et il déclara encore : « Le Père qui est vivant m'a envoyé. » Un grand nombre de ses disciples furent incapables de comprendre ses enseignements, et leurs plaintes lui arrachèrent les paroles : « Cela vous scandalise ? Et si vous voyiez le Fils de l'homme monter où il était auparavant ? » [18]
 
À certains Juifs corrompus, enveloppés du manteau de l'orgueil racial, qui se vantaient de descendre d'Abraham et qui cherchaient à excuser leurs péchés en se servant mal à propos du nom du grand patriarche, notre Seigneur proclama ainsi sa propre prééminence : « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham fût, moi, je suis » [19]. Nous traiterons plus loin du sens profond de cette remarque. Qu'il nous suffise pour les besoins présents de considérer que cette Écriture est une affirmation claire et nette de l'antériorité et de la suprématie du Seigneur par rapport à Abraham. Mais comme la naissance d'Abraham avait précédé celle du Christ de plus de dix-neuf siècles, cette antériorité devait se rapporter à un état d'existence précédant celui de la mortalité.
 
Lorsque le moment approcha où il devait être trahi, dans le dernier entretien qu'il eut avec les apôtres avant son expérience déchirante de Gethsémané, Jésus les consola en disant : « Car le Père lui-même vous aime, parce que vous m'avez aimé, et que vous avez cru que je suis sorti d'auprès de Dieu. Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde ; maintenant, je quitte le monde et je vais vers le Père » [20]. En outre, lorsqu'il déversa son cœur en prières pour ceux qui avaient été fidèles à leur témoignage de sa mission messianique, il fit au Père une invocation solennelle : « Or, la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. Je t'ai glorifié sur la terre ; j'ai achevé l'œuvre que tu m'as donnée à faire. Et maintenant, toi, Père, glorifie-moi auprès de toi-même de la gloire que j'avais auprès de toi, avant que le monde fût. » [21]
 
Les Écritures du Livre de Mormon prouvent en termes tout aussi clairs que le Christ eut une existence pré-mortelle et qu'il fut pré-ordonné à sa mission. Nous ne citerons ici qu'une des nombreuses preuves que l'on y trouve. Un ancien prophète, que le document appelle le frère de Jared [22], implora un jour le Seigneur en une supplication ardente : « Et le Seigneur lui dit : Crois-tu aux paroles que je dirai ? Et il répondit : Oui, Seigneur, je sais que tu dis la vérité, car tu es un Dieu de vérité, et tu ne peux mentir. Et quand il eut dit ces mots, voici, le Seigneur se montra à lui et dit : Parce que tu sais ces choses, tu es racheté de la chute ; c'est pourquoi tu es ramené en ma présence ; c'est pourquoi, je me montre à toi. Voici, je suis celui qui fut préparé depuis la fondation du monde pour racheter mon peuple. Voici, je suis Jésus-Christ. Je suis le Père et le Fils. En moi, toute l'humanité aura la lumière, et cela éternellement, même ceux qui croiront en mon nom ; et ils deviendront mes fils et mes filles. Et je ne me suis jamais montré à l'homme que j'ai créé, car jamais l'homme n'a cru en moi comme toi. Vois-tu que tu es créé à mon image ? Oui, même tous les hommes furent créés au commencement à ma propre image. Voici, ce corps, que tu vois maintenant, est le corps de mon esprit ; et j'ai créé l'homme selon le corps de mon esprit ; et j'apparaîtrai à mon peuple dans la chair exactement comme je t'apparais dans l'esprit » [23]. Les faits principaux que cette Écriture atteste et qui portent directement sur notre sujet actuel sont que le Christ se manifesta tandis qu'il se trouvait encore dans son état prémortel et qu'il déclara avoir été choisi pour être le Rédempteur, avant la fondation du monde.
 
La révélation qui nous a été transmise par les prophètes de Dieu à notre époque abonde en passages prouvant que le Christ fut désigné et ordonné dans le monde originel ; et le contenu tout entier de Doctrine et Alliances peut être cité comme témoin. Les exemples suivants sont particulièrement opportuns. Dans une révélation qu'il fit à Joseph Smith, le prophète, en mai 1833, le Seigneur déclara qu'il était celui qui était venu précédemment dans le monde venant du Père, et dont Jean avait témoigné qu'il était la Parole ; et il répète la vérité solennelle que lui, Jésus-Christ, « était au commencement, avant que le monde fût », et en outre qu'il était le Rédempteur qui était « venu dans le monde, parce que le monde avait été fait par lui », et qu'en lui étaient la vie et la lumière des hommes. On l'appelle encore le « Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité, savoir l'Esprit de vérité qui vint demeurer dans la chair ». Au cours de la même révélation, le Seigneur dit : « Et maintenant, en vérité, je vous le dis, j'étais au commencement avec le Père et je suis le Premier-né » [24]. Selon ce qu'atteste le prophète moderne, lors d'une précédente occasion, l'un de ses compagnons et lui furent éclairés par l'Esprit de telle sorte qu'ils furent à même de voir et de comprendre les choses de Dieu. Il précise : « À savoir ce qui était dès le commencement avant que le monde fût, qui fut institué par le Père, par l'intermédiaire de son Fils unique, qui était dès le commencement dans le sein du Père, de qui nous rendons témoignage ; et le témoignage que nous rendons est la plénitude de l'Évangile de Jésus-Christ, qui est le Fils, que nous avons vu et avec qui nous avons conversé dans la vision céleste » [25].
 
Le témoignage d'Écritures composées dans les deux hémisphères, celui des documents anciens et modernes, les paroles inspirées de prophètes et d'apôtres et les paroles du Seigneur lui-même proclament d'une seule voix la préexistence du Christ et son ordination comme Sauveur et Rédempteur de l'humanité choisi au commencement, oui, avant même la fondation du monde.
 
 [1] Ap 12:7, voir aussi versets 8 et 9.
 [2] Ap 12:4, voir aussi D&A 29:36-38 et 76:25-27.
 [3] Jude 6 (version du roi Jacques).
 [4] PGP, Abr 3:26.
 [5] Ap 12:9.
 [6] Es 14:12-15, comparer avec D&A 29:36-38 et 76:23-27.
 [7] PGP, Moïse 4:1-4, voir aussi Abr 3:27,28.
 [8] On trouvera une étude plus approfondie de la préexistence des esprits dans les Articles de Foi, de l'auteur, p. 234-238.
 [9] Note 1, fin du chapitre.
 [10] Jb 38:7 (version du roi Jacques).
 [11] Note 2, fin du chapitre.
 [12] Ps 25:14 ; Am 3:7.
 [13] Jn 1:1-3,14 ; voir aussi 1 Jn 1:1, 5:7 ; Ap 19:13 ; cf. D&A 93:1-17,21.
 [14] PGP, Moïse 1:32,33 ; voir aussi 2:5.
 [15] 1 Jn 1:1-3, 2:13,14, 4:9 ; Ap 3:14.
 [16] 2 Tm 1:9,10, Rm 16:25 ; Ep 1:4,3:9,11 ; Tt 1:2. Voir surtout Rm 3:25.
 [17] 1 P 1: 19,20.
 [18] Jn 6:38, 51, 57, 61, 62.
 [19] Jn 8:58 ; voir aussi 17:5,24 et comparer avec Ex 3:14.
 [20] Jn 16:27,28 ; voir aussi 13:3.
 [21] Jn 17:3-5 ; voir aussi versets 24,25.
 [22] Note 3, fin du chapitre.
 [23] LM, Eth 3:11-16. Voir aussi 1 Né 17:30, 19:7 ; 2 Né 9:5, 11:7, 25:12, 26:12 ; Mos 3:5, 4:2, 7:27, 13:34, 15: 1 ; AI 11: 40 ; HéI 14:12 ; 3 Né 9:15.
 [24] D&A 93:1-17,21.
 [25] D&A 76:13,14.
 
NOTES DU CHAPITRE 2
 
1. Intelligences hiérarchisées dans l'état prémortel : Une révélation divine à Abraham montre très clairement que les esprits des hommes existaient sous forme d'intelligences personnelles, à divers degrés de capacité et de force, avant l'inauguration de l'état mortel sur cette terre et même avant la création du monde comme demeure pouvant convenir aux êtres humains : « Or, le Seigneur m'avait montré, à moi, Abraham, les intelligences qui furent organisées avant que le monde fût ; et parmi toutes celles-là, il y en avait beaucoup de nobles et de grandes ; et Dieu vit ces âmes, il vit qu'elles étaient bonnes, et il se tint au milieu d'elles et dit : De ceux-ci je ferai mes gouverneurs. Car il se tint parmi ceux qui étaient esprits et il vit qu'ils étaient bons ; et il me dit : Abraham, tu es l'un d'eux ; tu fus choisi avant ta naissance » (PGP, Abraham 3:22,23).
 
Les passages de la révélation qui suivent immédiatement celui que nous venons de citer montrent que le Christ et Satan se trouvaient parmi les intelligences exaltées, et que le Christ fut choisi tandis que Satan fut rejeté, comme futur Sauveur de l'humanité : « Il y en avait un parmi eux qui était semblable à Dieu, et il dit à ceux qui étaient avec lui : Nous descendrons, car il y a de l'espace là-bas, nous prendrons de ces matériaux, et nous ferons une terre sur laquelle ceux-ci pourront habiter ; nous les mettrons ainsi à l'épreuve, pour voir s'ils feront tout ce que le Seigneur, leur Dieu, leur commandera ; ceux qui gardent leur premier état recevront davantage ; ceux qui ne gardent pas leur premier état n'auront point de gloire dans le même royaume que ceux qui gardent leur premier état ; et ceux qui gardent leur second état recevront plus de gloire sur leur tête pour toujours et à jamais. Le Seigneur dit : Qui enverrai-je ? Un, qui était semblable au Fils de l'Homme, répondit : Me voici, envoie-moi. Et un autre répondit et dit : Me voici, envoie-moi. Le Seigneur dit : J'enverrai le premier. Le second fut irrité, et il ne conserva pas son premier état ; et ce jour-là beaucoup d'autres le suivirent » (versets 24-28).
 
2. Le conseil primitif des cieux : « Le Livre de la Genèse dit clairement que Dieu déclara : « Faisons l'homme à notre image selon notre ressemblance » ; une autre fois encore, lorsque Adam eut pris le fruit défendu, le Seigneur dit : « Maintenant [ ... ] l'homme est devenu comme l'un de nous » ; et on peut en conclure directement que dans tout ce qui avait rapport à l'œuvre de la création du monde il y a eu consultation ; et bien que ce soit Dieu qui ait parlé comme la Bible le rapporte, il est cependant évident qu'il consultait d'autres personnages. Les Écritures nous disent qu'il y a « beaucoup de dieux et beaucoup de seigneurs, néanmoins pour nous, il n'y a qu'un seul Dieu, le Père » (1 Co 8:5). Et pour cette raison, bien que d'autres personnes aient été impliquées dans la création des mondes, celle-ci nous est rapportée dans la Bible sous la forme où elle se trouve ; car la plénitude de ces vérités n'est révélée qu'à des personnes hautement favorisées pour certaines raisons que Dieu connaît ; comme les Écritures nous le disent : « La pensée secrète de l'Éternel est pour ceux qui le craignent, et (cela) pour leur faire connaître son alliance » (Psaumes 25:14).
 
« Il est logique de croire que dans ce conseil des cieux on examina comme il se devait le plan qui devait être adopté à propos des fils de Dieu qui étaient alors esprits et n'avaient pas encore obtenu de tabernacles. Car à ce moment-là, nous dit-on, à la perspective de la création du monde et de son peuplement par des hommes pour leur permettre d'obtenir des tabernacles, d'obéir dans ces tabernacles aux lois de la vie, et d'être avec eux à nouveau exaltés parmi les Dieux, « Ies étoiles du matin éclataient en chants de triomphe, et [...] tous les fils de Dieu lançaient des acclamations ». La question se posa alors de savoir comment et selon quel principe le salut, l'exaltation et la gloire éternelle des fils de Dieu seraient réalisés. Il est évident que certains plans avaient été proposés et discutés à ce conseil, et qu'après une discussion complète de ces principes et la déclaration de la volonté du Père relativement à son dessein, Lucifer se présenta au Père avec un plan à lui, disant : « Me voici, envoie-moi, je serai ton fils et je rachèterai toute l'humanité, de sorte que pas une âme ne sera perdue, et je le ferai certainement ; c'est pourquoi donne-moi ton honneur. » Mais quand Jésus entendit cette déclaration de Lucifer, il dit : « Père, que ta volonté soit faite, et que la gloire t'appartienne à jamais. » Nous déduisons naturellement, à partir des remarques faites par le Fils bien-aimé, que dans la discussion de ce sujet, le Père avait révélé sa volonté et exposé son plan et son dessein, et tout ce que son Fils bien-aimé voulait faire c'était mettre à exécution la volonté de son Père, laquelle, semble-t-il, avait été exprimée précédemment. Il voulait aussi que la gloire en fût donnée à son Père qui, en sa qualité de Dieu le Père et d'auteur et de créateur du plan, avait droit à tout l'honneur et à toute la gloire. Lucifer voulait introduire un plan contraire à la volonté de son Père, et voulait ensuite son honneur et dit : « Je rachèterai toute l'humanité, de sorte que pas une âme ne sera perdue, c'est pourquoi donne-moi ton honneur. » Il voulait s'opposer à la volonté de son Père et chercha présomptueusement à priver l'homme de son libre arbitre, faisant de lui un serf, et le mettant ainsi dans une position dans laquelle il lui serait impossible d'obtenir l'exaltation que Dieu prévoyait pour l'homme, par l'obéissance à la loi qu'il avait proposée ; en outre Lucifer voulait l'honneur et la puissance de son Père, pour mettre à exécution des principes qui étaient contraires au désir du Père. » - John Taylor - Mediation and Atonement, p. 93, 94.
 
3. Les Jarédites : « Des deux nations dont l'histoire constitue le Livre de Mormon, la première, dans l'ordre chronologique, est le peuple de Jared, qui suivit son chef depuis la tour de Babel à l'époque de la confusion des langues. Son histoire fut écrite sur vingt-quatre plaques d'or par Éther, le dernier de ses prophètes qui, prévoyant la destruction de son peuple à cause de ses iniquités, cacha les annales historiques. Celles-ci furent retrouvées, [ultérieurement], vers 123 avant Jésus-Christ, par une expédition envoyée par le roi Limhi, un souverain néphite. Les annales gravées sur ces plaques furent abrégées [par la suite] par Moroni, et ce dernier annexa ensuite le récit condensé aux annales du Livre de Mormon ; il apparaît dans la traduction moderne sous le nom de Livre d'Éther.
 
« Le premier et principal prophète des Jarédites n'est pas mentionné par son nom dans les annales telles qu'elles ont été transmises ; il est connu seulement sous le nom de frère de Jared. Au sujet de son peuple, nous apprenons que, au milieu de la confusion de Babel, Jared et son frère [prièrent avec insistance] le Seigneur pour qu'il leur épargnât, à eux, à leurs parents et à leurs amis, la dislocation imminente. Leur prière fut entendue et le Seigneur les conduisit avec un groupe important de personnes qui, comme eux, [n'étaient pas touchées par la] corruption de l'idolâtrie, loin de chez eux, promettant de les guider dans un pays de choix, supérieur à tous les autres pays. Leur itinéraire n'est pas donné avec exactitude, nous apprenons seulement qu'ils atteignirent l'océan et qu'ils y construisirent huit navires appelés barques, dans lesquels ils s'engagèrent sur les eaux. Ces navires étaient petits et sombres à l'intérieur ; mais le Seigneur rendit certaines pierres lumineuses et celles-ci donnèrent de la lumière aux voyageurs emprisonnés. Après une navigation de trois cent quarante-quatre jours, la colonie débarqua sur les rivages de l'Amérique du Nord, probablement à un endroit situé au sud du golfe de Californie et au nord de l'isthme de Panama.
 
« [Et ils] devinrent une nation florissante ; mais cédant, avec le temps, à des dissensions [intestines], ils se divisèrent en factions, qui se firent la guerre entre elles jusqu'à leur destruction totale. Cette destruction, qui eut lieu près de la colline de Ramah, appelée plus tard Cumorah par les Néphites, eut probablement lieu à l'époque du débarquement de Léhi, vers 590 av. J.-C. » - L'auteur, Articles de Foi, p. 322-323.
 
 
CHAPITRE 3 : LE BESOIN D'UN RÉDEMPTEUR
 
Jusqu'à présent nous avons montré que le genre humain tout entier existait sous forme d'êtres d'esprit dans le monde primitif, et que cette terre fut créée afin de leur permettre de connaître les expériences de la mortalité. Alors qu'ils n'étaient que des esprits, ils étaient dotés des facultés du libre arbitre ou du choix ; et le plan divin prévoyait qu'ils naîtraient libres dans la chair, héritiers du droit inaliénable par la naissance de la liberté de choisir par eux-mêmes dans la mortalité. Il est indéniable qu'il est essentiel à la progression éternelle des enfants de Dieu qu'ils soient soumis aux influences du bien et du mal, qu'ils soient mis à l'épreuve, « pour voir s'ils feront tout ce que le Seigneur, leur Dieu, leur commandera » [1]. Le libre arbitre est un élément indispensable de cette mise à l'épreuve.
 
Le Père éternel comprenait très bien les natures diverses et les capacités variées de ses enfants d'esprit. Sa prescience infinie lui montrait clairement, dès le début, que dans l'école de la vie certains de ses enfants réussiraient et d'autres échoueraient ; les uns seraient fidèles, les autres trahiraient ; les uns choisiraient le bien, les autres le mal, les uns chercheraient le chemin de la vie tandis que les autres décideraient de suivre le chemin de la destruction. Il prévit en outre que la mort entrerait dans le monde et que ses enfants ne posséderaient leur corps personnel que pendant un temps très réduit. Il vit que l'on désobéirait à ses commandements et que l'on violerait sa loi ; et que les hommes, exclus de sa présence et laissés à eux-mêmes, s'enfonceraient plutôt qu'ils ne s'élèveraient, reculeraient plutôt qu'ils n'avanceraient et seraient perdus pour les cieux. Il était nécessaire qu'un moyen de rédemption fût prévu, rédemption qui permettrait à l'homme pécheur de faire amende honorable et de parvenir, en se soumettant à la foi établie, au salut et finalement à l'exaltation dans les mondes éternels. Le pouvoir de la mort devait être vaincu, de sorte que, même si les hommes devaient nécessairement mourir, ils vivraient de nouveau, leur esprit revêtu d'un corps immortel sur lequel la mort ne pourrait plus prévaloir.
 
Ne permettons pas à l'ignorance et au manque de réflexion de nous faire supposer erronément que la prescience du Père de ce qui serait, dans des conditions données, allait déterminer que ces choses devaient être. Il ne rentrait pas dans ses desseins que les âmes des hommes fussent perdues ; au contraire son oeuvre et sa gloire étaient de « réaliser l'immortalité et la vie éternelle de l'homme » [2]. Néanmoins il vit le mal dans lequel ses enfants tomberaient assurément ; et avec un amour et une miséricorde éternels, il prévit les moyens de détourner les effets terribles, à condition que le transgresseur décide d'en profiter [3]. L'offre du Premier-Né d'établir l'Évangile de salut par son ministère parmi les hommes et de se sacrifier, par le travail, l'humiliation et la souffrance jusqu'à la mort, fut acceptée et devint le plan pré-ordonné grâce auquel l'homme serait racheté de la mort, serait finalement sauvé des effets du péché et pourrait être exalté par une vie d'activité et de justice.
 
Conformément au plan adopté dans le conseil des Dieux, l'homme fut créé sous forme d'esprit incarné ; son tabernacle de chair fut composé des éléments de la terre [4]. Il reçut des commandements et des lois et fut libre d'obéir ou de désobéir avec la stipulation juste et inévitable qu'il bénéficierait ou souffrirait des résultats naturels de son choix [5]. Adam, le premier homme [6] placé sur la terre en exécution du plan établi, et Ève, qui lui fut donnée comme épouse et partenaire indispensable pour pouvoir s'acquitter de la mission dont il avait été chargé, peupler la terre, désobéirent aux commandements formels de Dieu et réalisèrent ainsi la « chute de l'homme », par laquelle l'état mortel, dont la mort est un élément essentiel, commença [7]. Nous n'avons pas l'intention d'examiner ici dans les détails la doctrine de la chute ; pour nos besoins il nous suffit d'établir cet événement capital et ses importantes conséquences [8]. La femme fut trompée et, en violation directe du commandement, prit de la nourriture qui avait été interdite ; il résulta de cet acte que son corps dégénéra et devint sujet à la mort. Adam se rendit compte de la différence qui était intervenue entre sa femme et lui, et sachant dans une certaine mesure ce qu'il faisait, la suivit, devenant ainsi dégénéré comme elle. Remarquez à ce propos les paroles de Paul l'apôtre : « Ce n'est pas Adam qui a été séduit, c'est la femme qui, séduite, s'est rendue coupable de transgression. » [9]
 
L'homme et la femme étaient maintenant devenus mortels ; en absorbant une nourriture qui ne convenait pas à leur nature et à leur état et contre laquelle ils avaient été clairement avertis, et comme résultat inévitable de leur désobéissance à la loi et aux commandements divins, ils devinrent sujets aux maladies physiques et aux faiblesses corporelles dont l'humanité hérite naturellement depuis ce temps-là [10]. Ces corps étaient maintenant sujets à la dissolution finale ou à la mort. Le maître tentateur qui trompa Ève par ses sophismes, ses demi-vérités et ses mensonges infâmes, n'était autre que Satan, ou Lucifer, ce « fils du matin » rebelle et déchu, dont la proposition, qui impliquait la destruction de la liberté de l'homme, avait été rejetée dans le conseil des cieux et qui avait été « chassé sur la terre » avec tous ses anges, sous la forme d'esprits non incarnés, destinés à ne jamais recevoir de corps à eux [11]. Rejeté du conseil, battu par Michel et les armées célestes, expulsé ignominieusement du ciel, Satan, par un acte de représailles diabolique, se fixa pour but de détruire les corps dans lesquels les esprits fidèles - ceux qui avaient conservé leur premier état - naîtraient ; et la manœuvre de tromperie à laquelle il se livra sur la personne d'Ève n'était que le début de ce plan infernal.
 
La mort est devenue l'héritage universel ; elle peut venir chercher sa victime dans la tendre enfance ou la jeunesse, dans la force de l'âge, ou son appel peut être différé jusqu'à ce que les cheveux soient blanchis par les ans ; elle peut se produire à la suite d'un accident ou d'une maladie, par la violence ou, comme nous disons, à la suite de causes naturelles ; mais elle doit venir, comme Satan le sait bien ; et c'est cette connaissance qui fait son triomphe actuel et temporaire. Mais les objectifs de Dieu sont, comme ils l'ont toujours été et comme ils le seront toujours, infiniment supérieurs aux desseins les plus profonds des hommes ou des démons ; et les machinations sataniques pour rendre la mort inévitable, perpétuelle et suprême avaient été contrecarrées avant même que le premier homme eût été créé dans la chair. L'expiation qui devait être faite par Jésus-Christ fut prévue pour vaincre la mort et fournir un moyen de payer la rançon qui libérerait les hommes du pouvoir de Satan.
 
Comme le châtiment de la chute s'abattit sur le genre humain à la suite de l'acte d'une seule personne, il serait manifestement injuste et par conséquent impossible dans le cadre du plan divin d'en faire subir les résultats à tous les hommes sans prévoir leur délivrance [12]. En outre, puisque le péché était entré dans le monde et que la mort était devenue le lot de tous par la transgression d'un seul homme, il est conforme à la raison que l'expiation ainsi rendue nécessaire fût accomplie par un seul homme [13]. « C'est pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu'ainsi la mort a passé sur tous les hommes, parce que tous ont péché... Ainsi donc, comme par une seule faute la condamnation s'étend à tous les hommes, de même par un seul acte de justice, la justification qui donne la vie s'étend à tous les hommes [14]. » C'est ce qu'enseignait Paul, qui ajoutait : « Car, puisque la mort est venue par un homme, c'est aussi par un homme qu'est venue la résurrection des morts. Et comme tous meurent en Adam, de même aussi tous revivront en Christ. » [15]
 
Il est clair que l'Expiation devait être un sacrifice par procuration, volontaire et inspiré par l'amour chez le Sauveur, universel dans son application à l'humanité dans la mesure où les hommes accepteraient le moyen de délivrance ainsi placé à leur portée. Seul quelqu'un qui était sans péché pouvait être éligible pour une telle mission. Même les victimes de l'autel dans l'ancien Israël offertes à titre de propitiation provisoire pour les offenses du peuple sous la loi de Moïse devaient être pures et exemptes de défauts ou de taches ; sinon elles étaient inacceptables, et essayer de les offrir constituait un sacrilège [16]. Jésus-Christ était le seul Être qui répondait aux exigences du grand sacrifice :
 
1. Étant le seul et unique homme sans péché ;
2. Étant le Fils unique du Père et par conséquent le seul être né sur la terre possédant dans leur plénitude les attributs de la Divinité et du genre humain ;
3. Étant celui qui avait été choisi dans les cieux et pré-ordonné à ce service.
 
Quel autre homme a été sans péché, et par conséquent pleinement exempt de la domination de Satan, et à qui la mort, salaire du péché, n'est pas naturellement due ? Si Jésus-Christ avait trouvé la mort comme les autres hommes - à la suite du pouvoir que Satan a acquis sur eux par leurs péchés - sa mort n'aurait été qu'une expérience individuelle, qui n'expierait absolument aucune autre faute ou offense que les siennes. L'innocence absolue du Christ le rendait éligible, son humilité et sa bonne volonté le rendaient acceptable au Père, pour être le sacrifice expiatoire par lequel la propitiation pourrait être faite pour les péchés de tous les hommes.
 
Quel autre homme a vécu avec le pouvoir de résister à la mort, sur lequel la mort ne pouvait pas prévaloir s'il ne s'y soumettait lui-même ? Et pourtant il était impossible de tuer Jésus-Christ avant que son « heure soit venue », à savoir, l'heure à laquelle il abandonnerait volontairement sa vie et permettrait sa propre mort par un acte de volonté. Né d'une mère mortelle, il héritait de la capacité de mourir ; engendré par un Seigneur immortel, il possédait en héritage le pouvoir de résister indéfiniment à la mort. Il donna littéralement sa vie ; c'est ce qu'il affirme lui-même : « Le Père m'aime, parce que je donne ma vie, afin de la reprendre. Personne ne me l'ôte, mais je la donne de moi-même ; j'ai le pouvoir de la donner et j'ai le pouvoir de la reprendre » [17]. Et encore : « En effet comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même » [18]. Seul un Être comme celui-là pouvait vaincre la mort ; ce n'est qu'en Jésus le Christ qu'était réalisée la condition nécessaire pour être Rédempteur du monde.
 
Quel autre homme est venu sur la terre avec une telle mission, revêtu de l'autorité d'une telle pré-ordination ? Jésus-Christ ne prit pas sur lui d'expier pour les hommes. Il s'était offert, il est vrai, lorsque l'appel fut fait dans les cieux ; il avait été accepté, cela est également vrai, et vint en son temps sur la terre pour mettre à exécution les termes de cette acceptation ; mais il fut choisi par quelqu'un de plus grand que lui. Lorsqu'il affirmait son autorité, la teneur de ses déclarations était toujours qu'il agissait sous la direction du Père, comme en témoignent les paroles suivantes : « Car je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé » [19]. « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son oeuvre » [20]. « Moi, je ne peux rien faire par moi-même : selon ce que j'entends, je juge ; et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé. » [21]
 
Grâce au sacrifice expiatoire accompli par Jésus-Christ - un service rédempteur, rendu par procuration en faveur des hommes qui se sont tous éloignés de Dieu par les effets du péché tant hérités que commis individuellement - le chemin d'une réconciliation est ouvert, réconciliation qui permettra à l'homme de rentrer en communion avec Dieu et d'être rendu apte à demeurer de nouveau et éternellement dans la présence de son Père éternel. D'une manière pratique, on peut considérer que l'effet de l'Expiation est double :
 
1. La rédemption universelle du genre humain de la mort provoquée par la chute de nos premiers parents ; et
 
2. Le salut, qui fournit le moyen de nous libérer des résultats de nos péchés personnels.
 
La victoire sur la mort se manifesta dans la résurrection du Christ crucifié ; il fut le premier à passer de la mort à l'immortalité, et c'est pourquoi il est connu à juste titre comme « Ies prémices de ceux qui sont décédés » [22].
 
Les preuves scripturaires abondent pour montrer que la résurrection des morts ainsi inaugurée doit s'étendre à tous ceux qui ont vécu ou auront vécu. À la suite de la résurrection du Seigneur, d'autres qui avaient dormi dans la tombe se levèrent et beaucoup les virent, non pas comme des apparitions d'esprits mais comme des êtres ressuscités possédant des corps immortalisés : « Les tombeaux s'ouvrirent, et les corps de plusieurs saints qui étaient décédés ressuscitèrent. Ils sortirent des tombeaux, entrèrent dans la ville sainte, après la résurrection (de Jésus) et apparurent à un grand nombre de personnes » [23].
 
Ceux qui ressuscitèrent ainsi dès le début sont appelés « les saints » ; et d'autres Écritures confirment le fait que seuls les justes seront ressuscités dans les premiers stades de la résurrection qui n'a pas encore eu lieu ; mais la parole révélée fait disparaître tous les doutes quant au fait que tous les morts reprendront, quand leur tour viendra, leur corps de chair et d'os. L'affirmation directe du Sauveur devrait être concluante : « En vérité, en vérité, je vous le dis, l'heure vient - et c'est maintenant - où les morts entendront la voix du Fils de Dieu ; et ceux qui l'auront entendue vivront... Ne vous en étonnez pas ; car l'heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix. Ceux qui auront fait le bien en sortiront pour la résurrection et la vie, ceux qui auront pratiqué le mal pour la résurrection et le jugement » [24]. Les apôtres d'autrefois [25], ainsi que les prophètes néphites [26] enseignèrent la doctrine de la résurrection universelle ; et celle-ci est confirmée par la révélation moderne [27]. Même les païens qui n'ont pas connu Dieu seront ressuscités de leur tombe ; et étant donné qu'ils ont vécu et sont morts dans l'ignorance de la loi salvatrice, un moyen est prévu pour leur faire connaître le plan de salut. « Alors les nations païennes seront rachetées et ceux qui n'ont pas connu de loi auront part à la première résurrection » [28].
 
Jacob, prophète néphite, enseigna que la résurrection serait universelle et expliqua pourquoi un rédempteur était absolument nécessaire, car sans lui les desseins poursuivis par Dieu en créant l'homme seraient rendus futiles. Ses paroles constituent un résumé concis et puissant de la vérité révélée portant directement sur notre sujet actuel :
 
« De même que la mort a passé sur tous les hommes pour accomplir le dessein miséricordieux du grand Créateur, il est nécessaire qu'il y ait un pouvoir de résurrection ; et la résurrection doit venir aux hommes par suite de la chute ; et la chute est venue de la transgression, et parce que l'homme est tombé, il a été retranché de la présence du Seigneur. C'est pourquoi il faut qu'il y ait une expiation infinie ; et si l'expiation n'était pas infinie, cette corruption ne pourrait pas revêtir l'incorruptibilité, et le premier jugement qui a frappé l'homme aurait eu nécessairement une durée éternelle. Et s'il en avait été ainsi, notre chair serait rendue à la terre pour y pourrir et y tomber en poussière sans jamais se relever. O la sagesse de Dieu, sa miséricorde et sa grâce ! Car voici, si la chair ne devait plus se relever, notre esprit serait devenu esclave de cet ange qui est tombé de la présence du Dieu éternel, et qui est devenu le diable, pour ne jamais se relever. Notre esprit serait devenu semblable à lui, et nous serions devenus des diables, des anges du diable, pour être retranchés de la présence de notre Dieu, et pour demeurer avec le père du mensonge dans la misère, comme lui ! oui comme cet être qui trompa nos premiers parents, qui se transforme presque en un ange de lumière, qui porte les enfants des hommes à des combinaisons secrètes pour commettre des meurtres et toute espèce d'œuvres secrètes de ténèbres. O, combien grande est la bonté de notre Dieu, qui prépare une voie pour nous soustraire aux griffes de ce monstre horrible ; oui de ce monstre, la mort et l'enfer, que j'appelle la mort du corps et aussi la mort de l'esprit. Et à cause du moyen de délivrance de notre Dieu, le Très-Saint d'Israël, cette mort dont j'ai parlé, qui est la mort temporelle, rendra ses morts ; laquelle mort est le tombeau. Et cette mort dont j'ai parlé, qui est la mort spirituelle, rendra ses morts ; et cette mort spirituelle est l'enfer. Ainsi, la mort et l'enfer doivent rendre leurs morts ; l'enfer doit rendre ses esprits captifs ; et le tombeau doit rendre ses corps captifs ; et le corps et l'esprit des hommes seront rendus l'un à l'autre ; et cela se fera par le pouvoir de la résurrection du Très-Saint d'Israël. O, que le plan de notre Dieu est grand ! Car, d'un autre côté, le paradis de Dieu doit rendre les esprits des justes, et le tombeau les corps des justes ; et l'esprit et le corps sont rendus l'un à l'autre ; et tous les hommes deviennent incorruptibles et immortels, et ils sont des âmes vivantes, ayant une connaissance parfaite comme nous dans la chair, seulement avec cette différence que notre connaissance sera parfaite » [29].
 
Les Écritures attestent d'une manière concluante que l'Expiation s'applique aux transgressions de chaque individu, permettant aux pécheurs d'obtenir l'absolution à condition qu'ils se conforment aux lois et aux ordonnances de l'Évangile de Jésus-Christ. Comme il est impossible d'obtenir le pardon des péchés d'une autre façon, étant donné qu'il n'y a dans le ciel ni sur la terre d'autre nom que celui de Jésus-Christ par lequel le salut puisse être apporté aux enfants des hommes [30], toutes les âmes ont besoin de la médiation du Sauveur, puisque toutes sont pécheresses. « Car il n'y a pas de distinction : tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu », disait Paul autrefois [31] et Jean l'apôtre ajouta son témoignage en ces termes : « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est pas en nous » [32].
 
Qui doutera de la justice de Dieu, qui refuse le salut à tous ceux qui ne se conformeront pas aux conditions prescrites auxquelles il est affirmé que l'on peut l'obtenir ? Le Christ est « pour tous ceux qui lui obéissent l'auteur d'un salut éternel » [33], et Dieu « rendra à chacun selon ses œuvres : la vie éternelle à ceux qui, par la persévérance à bien faire, cherchent la gloire, l'honneur et l'incorruptibilité ; mais la colère et la fureur à ceux qui, par esprit de dispute, désobéissent à la vérité et obéissent à l'injustice. Tribulation et angoisse pour toute âme humaine qui pratique le mal » [34] !
 
Tel est donc le besoin d'un Rédempteur, car sans lui l'humanité resterait éternellement dans un état déchu et aurait inévitablement perdu toute possibilité de progresser éternellement [35]. L'épreuve mortelle nous est donnée comme une occasion d'avancement ; mais les difficultés et les dangers sont tels, l'influence du diable est tellement forte dans le monde, et l'homme est si faible à y résister que, sans l'aide d'une puissance supérieure à celle de l'homme, aucune âme ne pourrait retourner à Dieu dont elle vient. Le besoin d'un Rédempteur réside dans l'incapacité de l'homme à s'élever du plan temporel au plan spirituel, du royaume inférieur au royaume supérieur. Dans cette conception les analogies ne manquent pas dans le monde naturel. Nous reconnaissons une distinction fondamentale entre la matière inanimée et la matière vivante, entre l'inorganique et l'organique, entre le minéral sans vie d'une part et la plante ou l'animal vivant d'autre part. Le minéral mort grandit, dans les limites de son ordre, par l'acquisition de substances et peut parvenir à un état relativement parfait de structure et de forme, comme on peut le constater pour le cristal. Mais la matière minérale, même si les forces de la nature - la lumière, la chaleur, l'énergie électrique et autres - agissent favorablement sur elle, ne peut jamais devenir un organisme vivant ; et il est impossible aux éléments morts de s'introduire, par un processus quelconque de combinaison chimique dissocié de la vie, dans les tissus de la plante pour en devenir des parties essentielles. Mais la plante, qui appartient à un ordre supérieur, plonge ses racines dans la terre, étend ses feuilles dans l'atmosphère et absorbe par ses organes les solutions du sol, aspire les gaz de l'air, et à partir de cette matière sans vie fabrique le tissu de sa merveilleuse structure. Aucune particule minérale, aucune substance chimique morte n'est jamais devenue partie constituante d'un tissu organique autrement que par l'action de la vie. Nous pouvons peut-être pousser avec profit l'analogie une étape plus loin. Il est impossible à la plante de faire progresser son tissu jusqu'au niveau animal. Bien que l'ordre reconnu de la nature soit que le « règne animal » dépend du « règne végétal » pour se nourrir, la substance de la plante ne peut devenir partie intégrante de l'organisme de l'animal que lorsque ce dernier descend de son plan supérieur et incorpore, par son action vitale propre, les éléments végétaux aux siens. À son tour, la matière animale ne peut jamais devenir, même temporairement, partie intégrante d'un corps humain, sans que l'homme vivant ne l'assimile et élève provisoirement, par les processus vitaux de son être, la substance de l'animal qui lui a donné la nourriture au plan supérieur de sa propre existence. La comparaison employée ici, nous le reconnaissons, est faible si on la porte au-delà des limites raisonnables de son application ; car l'élévation de la matière minérale au niveau de la plante, du tissu végétal au niveau de l'animal, et l'élévation de l'un ou de l'autre au plan humain, n'est qu'un changement temporaire ; avec la dissolution des tissus supérieurs, la matière qui les constitue retombe au niveau de l'inanimé et de ce qui est mort. Mais l'analogie peut ne pas être entièrement sans valeur pour servir d'illustration.
 
Ainsi donc, pour permettre à l'homme de passer de son état déchu et relativement dégénéré actuel à l'état supérieur de la vie spirituelle, il a besoin de la coopération d'un pouvoir supérieur au sien. L’homme peut être touché et élevé par l'opération des lois qui règnent dans le royaume supérieur ; il ne peut se sauver par son seul effort sans aide [36]. Un Rédempteur et Sauveur de l'humanité est indubitablement essentiel à l'accomplissement du plan du Père éternel, « réaliser l'immortalité et la vie éternelle de l'homme » [37] ; et ce Rédempteur et Sauveur est Jésus le Christ, en dehors de qui il n'y a et il ne peut y avoir personne d'autre.
 
 [1] PGP, Abr 3:25. On trouvera une étude plus approfondie du libre arbitre de l'homme dans les Articles de Foi, de l'auteur, p. 71-74 et les nombreuses références qui y sont données.
 [2] PGP, Moïse 1:39, cf. 6:59. Note 1, fin du chapitre.
 [3] Note 2, fin du chapitre.
 [4] Gn 1:26,27 ; cf. PGP, Moise 2:26,27 ; 3:7, Abr 4:26-28, 5:7.
 [5] Gn 1:28-31, 2:16,17 ; cf. PGP, Moise 2:28-31, 3:16,17 ; Abr 4:28-31, 5:12,13.
 [6] Gn 2:8 ; cf. le passage du verset 5, disant qu'avant ce moment-là il n'y avait « point d'homme pour cultiver le sol ». Voir aussi PGP, Moïse 3:7 ; Abr 1:3 ; LM, 1 Né 5:11.
 [7] Gn, chapitre 3 ; cf. PGP, Moïse, chap 4.
 [8] Voir Articles de Foi, p. 83-90. 1 Tm 2:14 ; voir aussi 2 Co 11:3. Note 3, fin du chapitre.
 [9] 1 Tm 2:14 ; voir aussi 2 Co 11:3.
 [10] Note 3, fin du chapitre.
 [11] Voir chap. 2.
 [12] Note 4, fin du chapitre.
 [13] Note 5, fin du chapitre.
 [14] Rm 5:12,18.
 [15] 1 Co 15:21,22.
 [16] Lv 22:20 ; Dt 15:21,17:1 ; M 1:8,14 ; cf. Hé 9:14 ; 1 P 1:19.
 [17] Jn 10:17,18.
 [18] Jn 5:26.
 [19] Jn 6:38.
 [20] Jn 4:34.
 [21] Jn 5:30 ; voir aussi verset 19 ; aussi Mt 26:42 ; cf. D&A 19:2, 20:24.
 [22] 1 Co 15:20 ; voir aussi Ac 26:23 ; Co 1:18 ; Ap 1:5.
 [23] Mt 27:52,53.
 [24] Jn 5:25,28,29. Une Écriture moderne, qui atteste la même vérité, dit : « Ceux qui ont fait le bien pour la résurrection des justes et ceux qui ont fait le mal pour la résurrection des injustes. » - D&A 76:17.
 [25] Exemples, voir Ac 24:15, Ap 20:12,13.
 [26] Exemples, voir LM, 2 Né 9:6, 12, 13, 21, 22, Hél 14:15-17 ; Mos 15:20-24 ; AI 40:2-16 ; Morm 9:13,14.
 [27] Exemples, voir D&A 18:11,12 ; 45:44,45 ; 88:95-98.
 [28] D&A 45:54.
 [29] LM, 2 Né 9:6-13 ; lire tout Ie chapitre.
 [30] PGP, Moise 6:52 ; cf. LM, 2 Né 25:20 ; Mos 3:17, 5:8 ; D&A 76: 1. f Rm 3:23 ; voir aussi verset 9 ; Ga 3:22.
 [31] 1 Jn 1:8.
 [32] Hé 5:9.
 [33] Rm 2:6-9
 [34] Rm 2:6-9
 [35] Nous n'avons pas essayé ni eu l'intention d'essayer d'étudier spécialement, dans ce chapitre, la Chute, l'Expiation ou la Résurrection. Le lecteur qui désire trouver pareille étude est prié de se reporter aux ouvrages de doctrine qui traitent de ces sujets. Voir « Articles de Foi » de l'auteur, chap. 3, 4, et 21.
 [36] Dans sa dissertation « Biogenesis », que le lecteur pourra étudier avec profit, Henry Drummond traite en détail une comparaison semblable à celle que nous donnons dans le texte.
 [37] PGP, Moïse 1:39.
 
NOTES DU CHAPITRE 3
 
1. La prescience de Dieu n'est pas une cause déterminante : « Quant à la prescience de Dieu, qu'il ne soit pas dit que cette omniscience divine est en soi une cause déterminante qui amène inévitablement le déroulement des événements. Un père mortel qui connaît les faiblesses et les défauts de son fils peut, en raison de cette connaissance, voir à l'avance avec tristesse les calamités et les souffrances qui attendent son enfant égaré. Il peut prévoir, dans la vie future de ce fils, la perte de bénédictions qu'il aurait pu gagner, la perte de son état, de son respect de soi, de sa réputation et de son honneur ; même les recoins sombres de la cellule d'un criminel et les ténèbres de la tombe d'un ivrogne peuvent apparaître en visions attristantes à l'âme aimante de ce père ; néanmoins, convaincu par expérience de l'impossibilité d'amener ce fils à se réformer, il prévoit les conséquences redoutées et ne [tire] que chagrin et angoisse [de] sa connaissance. Peut-on dire que la prescience du père est la cause de la vie pécheresse du fils ? Le fils, [quand il atteint l'âge adulte, est] maître de sa destinée ; il dispose librement de lui-même. Le père est impuissant à contrôler par la force ou à diriger par une discipline arbitraire ; et, tandis qu'il serait heureux de faire n'importe quel effort ou sacrifice pour sauver son fils du destin qui l'attend, il craint ce qui semble être une terrible certitude. Mais certainement, ce père attentionné, adonné à la prière et aimant, ne contribue pas à l'égarement de son fils par sa connaissance. Tenir un autre raisonnement consisterait à dire qu'un père négligent, qui ne prend pas la peine d'étudier la nature et le caractère de son fils, qui ferme les yeux sur ses tendances pécheresses et qui reste d'une indifférence négligente quant à l'avenir probable, aura, par son manque de cœur même, un effet bienfaisant sur son enfant, parce que son manque de prévision ne peut pas intervenir comme élément concourant à la déchéance.
 
« Notre Père céleste est pleinement conscient de la nature et des dispositions de chacun de ses enfants, conscience acquise à la suite d'une longue observation [et d'une longue] expérience dans l'éternité passée de notre première enfance ; [conscience, comparée à laquelle, celle que des parents terrestres acquièrent par l'expérience terrestre, est infime]. En raison de cette connaissance supérieure, Dieu lit dans l'avenir de chacun de ses enfants, des hommes au niveau individuel ou au niveau collectif en tant que communautés et nations ; il sait ce que chacun fera dans des conditions données et voit la fin dès le début. Sa prescience est basée sur l'intelligence et sur la raison ; il voit l'avenir comme un état qui arrivera naturellement et sûrement ; non pas comme un état qui doit arriver parce qu'il en a arbitrairement décidé ainsi » (La Grande apostasie, de l'auteur, p. 20-22).
 
2. L'homme libre de choisir par lui-même : « Le Père des âmes a doté ses enfants de l'héritage divin du libre arbitre ; il ne veut pas exercer et n'exerce pas de contrôle sur eux par la force arbitraire ; il ne pousse aucun homme dans le sens du péché ; il ne contraint aucun à la justice. L'homme a reçu la liberté d'agir pour lui-même ; et, associé à cette indépendance, est le fait de la responsabilité stricte et l'assurance de la responsabilité individuelle. Dans le jugement que nous subirons, toutes les conditions et circonstances de notre vie seront prises en considération. Les tendances innées dues à l'hérédité, l'effet de l'environnement, faste ou néfaste, les enseignements sains de la jeunesse ou l'absence d'une bonne [éducation], ces éléments et tous les éléments [qui interviennent] doivent être pris en considération pour rendre un verdict juste quant à la culpabilité ou à l'innocence de l'âme. Néanmoins, la sagesse divine explique clairement le résultat, étant donné les conditions affectant la nature et les dispositions connues des hommes ; alors que chacun est libre de choisir le bien ou le mal dans les limites des nombreuses conditions qui existent et qui influent » (La Grande apostasie, p. 22 ; voir également Articles de Foi, p. 71-76).
 
3. La Chute, processus de dégénérescence physique : Une révélation moderne donnée à l'Église en 1833 (D&A section 89) prescrit les règles de vie correcte, en particulier en ce qui concerne l'usage de stimulants, de produits toxiques et d'aliments qui ne conviennent pas au corps. En ce qui concerne les causes physiques qui provoquèrent la chute et les rapports étroits entre ces causes et les violations actuelles de la Parole de sagesse contenues dans la révélation mentionnée ci-dessus, il convient de citer la déclaration suivante. « Cette révélation [la Parole de sagesse], comme les autres qui ont été données à notre époque, n'est pas entièrement nouvelle. Elle est aussi vieille que le genre humain. Le principe de la Parole de sagesse fut révélé à Adam. Tous les éléments essentiels de la Parole de sagesse lui furent révélés dans son état immortel, avant qu'il eût absorbé les aliments qui en firent une chose de la terre. Il fut mis en garde contre cette pratique même. On ne lui dit pas de traiter son corps comme quelque chose que l'on devait torturer. On ne lui dit pas de le considérer comme le fakir des Indes considère son corps, ou professe le considérer, comme une chose à mépriser entièrement ; mais on lui dit qu'il ne devait pas lui faire ingérer certaines choses qu'il avait sous la main. Il fut averti que, s'il le faisait, son corps perdrait la force qu'il avait de vivre éternellement, et qu'il serait assujetti à la mort. On lui fit remarquer, comme on vous l'a fait remarquer, qu'il y a beaucoup de bons fruits à cueillir, à manger, à savourer. Nous croyons que nous devons savourer la bonne nourriture. Pensons que ces bonnes choses nous sont données par Dieu. Nous croyons que nous devons tirer de la nourriture tout le plaisir que nous pouvons ; c'est pourquoi, nous devons éviter la gloutonnerie, et nous devons éviter des extrêmes dans le manger ; et ce qui a été dit à Adam nous est dit également : Ne touche pas à ces choses ; car le jour où tu en mangeras, ta vie sera raccourcie et tu mourras.
 
« Qu'il me soit permis de dire ici que c'est en cela qu'a consisté la chute : le fait de manger des choses qui ne convenaient pas, l'ingestion de choses qui ont fait de ce corps une chose de la terre ; et je profite de l'occasion pour élever la voix contre la fausse interprétation de l'Écriture, que certaines personnes ont adoptée, et qui est courante dans leur esprit, et dont on parle à mi-voix et d'une manière à moitié secrète, que la chute de l'homme a consisté en quelque offense contre les lois de la chasteté et de la vertu. Pareille doctrine est une abomination. Quel droit avons-nous de détourner les Écritures de leur sens et de leur signification propres ? Quel droit avons-nous de déclarer que Dieu ne voulait pas dire ce qu'il a dit ? Cela a été un processus naturel, résultant de l'incorporation dans le corps de nos premiers parents des choses qui venaient d'une nourriture qui ne leur convenait pas, par la violation du commandement de Dieu concernant ce qu'ils devaient manger. N'allez pas chuchoter partout que la chute consiste en ce que la mère du genre humain a perdu sa chasteté et sa vertu. Ce n'est pas vrai ; le genre humain n'est pas né de la fornication. Ces corps qui nous sont donnés le sont de la manière que Dieu a prévue. Qu'on ne nous dise pas que le patriarche du genre humain, s'il se tenait auprès des dieux avant de venir sur cette terre, et son épouse tout aussi royale, se sont rendus coupables d'une infraction vile de cette sorte. L'adoption de cette croyance a amené beaucoup de gens à excuser leurs écarts de conduite qui les éloignent du sentier de la chasteté et de la vertu, en disant que c'est le péché du genre humain, qu'il est aussi vieux qu'Adam. Il n'a pas été introduit par Adam. Il n'a pas été commis par Ève. C'est le démon qui l'a introduit, et ce afin de semer les germes d'une mort précoce dans le corps des hommes et des femmes, afin que le genre humain dégénère comme il a dégénéré toutes les fois que les lois de la vertu et de la chasteté ont été transgressées.
 
« Nos premiers parents étaient purs et nobles, et quand nous passerons derrière le voile, nous apprendrons peut-être quelque chose de leur situation élevée, plus que nous n'en savons maintenant. Mais que l'on sache qu'ils étaient purs ; ils étaient nobles. Il est vrai qu'ils ont désobéi à la loi de Dieu en mangeant des choses qu'on leur avait dit de ne pas manger ; mais qui parmi vous peut se lever et condamner ? » (Tiré d'un discours de l'auteur à la 84e conférence générale d'octobre de l'Église, le 6 octobre 1913 ; publié dans le procès-verbal de la conférence, p. 118,119).
 
4. Le Christ nous a rachetés de la chute : « Le Sauveur devient ainsi maître de la situation - la dette est payée, la Rédemption accomplie, l'alliance remplie, la justice satisfaite, la volonté de Dieu faite, et tout pouvoir est maintenant remis entre les mains du Fils de Dieu - le pouvoir de la résurrection, le pouvoir de la rédemption, le pouvoir du salut, le pouvoir de décréter des lois pour exécuter et accomplir son dessein. Par conséquent la vie et l'immortalité sont révélées, l'Évangile est introduit et il devient l'auteur de la vie éternelle et de l'exaltation. Il est le Rédempteur, le Ressusciteur, le Sauveur de l'homme et du monde ; et il a désigné la loi de l'Évangile comme moyen auquel il faut se soumettre en ce monde ou dans l'au-delà, comme il s'est soumis à la loi de son Père ; en conséquence « celui qui croira sera sauvé et celui qui ne croira pas sera damné ». Le plan, l'arrangement, l'accord, l'alliance ont été faits, contractés et acceptés avant la fondation du monde ; ils ont été préfigurés par des sacrifices et ont été mis à exécution et consommés sur la croix. C'est pourquoi, étant le médiateur entre Dieu et l'homme, il devient de plein droit le dictateur et le gouverneur sur la terre et dans le ciel pour les vivants et pour les morts, pour le passé, le présent et l'avenir, en ce qui concerne l'homme associé avec cette terre ou les cieux, dans le temps ou l'éternité, Capitaine de notre salut, Apôtre et Grand prêtre que nous professons, Seigneur et Donneur de vie » (John Taylor Mediation and Atonement, p. 171).
 
5. La rédemption des effets de la chute : « Le ‘mormonisme’ accepte la doctrine de la chute et l'histoire de la chute en Eden racontée par la Genèse ; mais il affirme que nul autre qu'Adam n'est ou ne sera responsable de la désobéissance d'Adam ; que l'humanité en général est absolument absoute de toute responsabilité pour ce « péché originel » et que chacun rendra compte de ses transgressions personnelles uniquement ; que la chute était connue de Dieu à l'avance, qu'elle fut transformée en une source de bien puisqu'elle introduisait la condition nécessaire de la mortalité, et qu'un Rédempteur était prévu avant que le monde ne fût, que le salut général, dans le sens de rachat des effets de la chute, est apporté à tous sans qu'ils le demandent ; mais que chacun doit rechercher lui-même le salut individuel ou la libération des effets des péchés personnels par la foi et les bonnes œuvres grâce à la rédemption accomplie par Jésus-Christ » (Tiré de The Story and Philosophy of « Mormonism », de l'auteur, p. 111).
 
 
CHAPITRE 4 : DIVINITÉ PRÉMORTELLE DU CHRIST
 
Notre but sera maintenant de nous informer de la place et de la situation de Jésus, le Christ, dans le monde prémortel, depuis la période du conseil solennel dans les cieux, pendant lequel il fut choisi pour être le futur Sauveur et Rédempteur de l'humanité, jusqu'au moment où il naquit dans la chair.
 
Nous nous reposons sur l'autorité des Écritures lorsque nous affirmons que Jésus-Christ fut et est Dieu le Créateur, le Dieu qui se révéla à Adam, à Énoch, et à tous les patriarches et prophètes antédiluviens jusqu'à Noé, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu d'Israël lorsqu'il était un peuple uni, et le Dieu d'Éphraïm et de Juda après le démembrement de la nation hébraïque, le Dieu qui se révéla aux prophètes, de Moïse à Malachie, le Dieu de l'Ancien Testament et le Dieu des Néphites. Nous affirmons que Jésus-Christ était et est Jéhovah, l'Éternel.
 
Les Écritures distinguent trois personnages dans la Divinité : (1) Dieu, le Père éternel, (2) son Fils, Jésus-Christ, et (3) le Saint-Esprit. Ils constituent la Sainte Trinité, qui comporte trois individus physiquement séparés et distincts, qui composent à eux trois le conseil président des cieux [1]. Deux d'entre eux, au moins, apparaissent comme participant à l'œuvre de la création ; ce fait est démontré par la pluralité exprimée dans la Genèse : « Dieu dit : Faisons l'homme à notre image selon notre ressemblance » ; et plus loin, au cours d'une consultation concernant la transgression d'Adam : « L'Éternel Dieu dit : Maintenant [...] l'homme est devenu comme l'un de nous » [2]. Les paroles de Moïse, révélées de nouveau à notre époque, nous instruisent d'une manière plus complète sur les Dieux qui s'occupaient activement de la création de cette terre : « Et moi, Dieu, je dis à mon Fils unique, qui était avec moi depuis le commencement : Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance. » Puis, plus loin, à propos de l'état d'Adam après la chute : « Et moi, le Seigneur Dieu, je dis à mon Fils unique : Voici, l'homme est devenu comme l'un de nous » [3]. Dans le récit de la création écrit par Abraham, « les Dieux » sont mentionnés de multiples fois [4].
 
Comme nous l'avons montré jusqu'ici dans un autre ordre d'idées, le Père a agi dans l'œuvre de la création par l'intermédiaire du Fils, qui est devenu ainsi l'exécutif par l'intermédiaire duquel la volonté, le commandement ou la parole du Père étaient mis en vigueur. C'est donc avec beaucoup d'exactitude que l'apôtre Jean pouvait dire du Fils, Jésus-Christ, qu'il était la Parole ; c'est-à-dire, « la Parole de mon pouvoir » [5]. Le rôle que Jésus-Christ joua dans la création, un rôle si important que c'est à juste titre que nous l'appelons le Créateur, est exposé dans un grand nombre d'Écritures. L'auteur de l'épître aux Hébreux fait ainsi une nette distinction entre le Père et le Fils, les traitant comme des êtres séparés bien qu'associés : « Après avoir autrefois, à plusieurs reprises et de plusieurs manières, parlé à nos pères par les prophètes, Dieu nous a parlé par le Fils en ces jours qui sont les derniers. Il l'a établi héritier de toutes choses, et c'est par lui qu'il a fait les mondes » [6]. Paul est encore plus explicite dans sa lettre aux Colossiens, où, parlant de Jésus, le Fils, il dit : « Car en lui tout a été créé dans les cieux et sur la terre, ce qui est visible et ce qui est invisible, trônes, souverainetés, principautés, pouvoirs. Tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toutes choses, et tout subsiste en lui » [7]. Et il convient d'ailleurs de répéter ici le témoignage de Jean, que toutes les choses ont été faites par la Parole qui était avec Dieu, et qui était Dieu dès le commencement ; « et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle » [8].
 
Le fait que le Christ qui devait venir était en réalité Dieu le Créateur fut clairement révélé aux prophètes du continent américain. Samuel, le Lamanite converti, prêchant aux Néphites incrédules, justifia son témoignage comme suit : « Et afin que vous soyez au courant de la venue de Jésus-Christ, le Fils de Dieu, le Père du ciel et de la terre, le Créateur de toutes choses depuis le commencement ; et afin que vous connaissiez les signes de sa venue pour que vous croyiez en son nom » [9].
 
À ces citations des Écritures anciennes, il convient tout particulièrement d'ajouter le témoignage personnel du Seigneur Jésus lorsqu'il fut devenu un être ressuscité. Dans sa visitation aux Néphites, il proclama : « Voici, je suis Jésus-Christ le Fils de Dieu. J'ai créé les cieux et la terre, et toutes les choses qu'ils contiennent. J'étais avec le Père dès le commencement. Je suis dans le Père et le Père est en moi ; et en moi, le Père a glorifié son nom » [10]. Aux Néphites qui ne comprenaient pas le rapport entre l'Évangile que le Seigneur ressuscité leur annonçait et la loi mosaïque qu'ils considéraient par tradition être en vigueur, et qui s'étonnaient de ce qu'il disait que les choses anciennes étaient passées, il expliqua de la manière suivante : « Voici, je vous dis que la loi qui fut donnée à Moïse est accomplie. Voici, c'est moi qui ai donné la loi et c'est moi qui ai fait alliance avec mon peuple, Israël ; c'est pourquoi, la loi est accomplie en moi, parce que je suis venu pour accomplir la loi ; c'est pourquoi, elle est finie » [11].
 
La voix de Jésus-Christ, Créateur du ciel et de la terre, s'est fait entendre de nouveau par la révélation à notre époque qui est dernière : « Prête l'oreille, ô peuple de mon Église, à qui le royaume a été donné ; écoute et prête l'oreille à celui qui a posé les fondations de la terre, qui a fait les cieux et toutes leurs armées et par qui fut fait tout ce qui a la vie, le mouvement et l'être » [12]. Et encore : « Voici, je suis Jésus-Christ, le Fils du Dieu vivant, qui a créé les cieux et la terre ; une lumière qui ne peut être cachée dans les ténèbres » [13].
 
La divinité de Jésus-Christ est indiquée par les noms et les titres précis qui lui ont été appliqués par l'autorité. D'après le jugement de l'homme, on ne peut attacher de grande importance aux noms ; mais dans la nomenclature des Dieux, tout nom est un titre de puissance ou de position. Dieu a un zèle juste pour la sainteté de son nom [14] et des noms donnés sur son ordre. Dans le cas des enfants de promesse, des noms ont été prescrits avant leur naissance ; cela est vrai de notre Seigneur Jésus et du Baptiste, Jean, qui fut envoyé préparer la voie au Christ. Des noms de personnes ont été changés sur commandement divin, lorsqu'ils ne constituaient pas des titres suffisamment définis pour dénoter les services particuliers auxquels leurs porteurs étaient appelés, ou les bénédictions particulières qui leur étaient conférées [15].
 
Jésus est le nom personnel du Sauveur, et, tel qu'on l'écrit, vient du grec ; son équivalent hébreu était Yehoshua ou Yeshua ou, comme nous le rendons en français, Josué. Dans l'original on comprenait parfaitement bien que le nom voulait dire « auxiliaire de Jéhovah », ou « Sauveur ». Bien que le nom fût aussi courant que Jean, Henri ou Charles aujourd'hui, il fut, comme nous l'avons déjà dit, divinement prescrit. C'est ainsi que l'ange dit à Joseph, le fiancé de la Vierge : « Et tu lui donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » [16].
 
Christ est un titre sacré, non pas une appellation ordinaire ou un nom quelconque ; il vient du grec et il a le même sens que son équivalent hébreu Messiah ou Messias, signifiant l'Oint [17]. On trouve dans les Écritures d'autres titres possédant chacun une signification précise, comme Emmanuel, Sauveur, Rédempteur, Fils unique, Seigneur, Fils de l'Homme ; mais la chose la plus importante pour nous actuellement est que ces divers titres expriment l'origine et la nature divine de notre Sauveur, Comme on le voit, les noms ou titres essentiels de Jésus, le Christ, furent communiqués avant sa naissance et furent révélés à des prophètes qui le précédèrent dans l'état mortel [18].
 
Jéhovah est la forme anglicisée de l'hébreu Yahveh ou Jahveh, signifiant Celui qui existe par lui-même ou l'Éternel. La version anglaise de l'Ancien Testament traduit généralement ce nom par LORD (Seigneur) [19]. L'hébreu Ehyeh signifiant Je suis, a un sens apparenté au terme Yahveh ou Jéhovah dont il est dérivé ; voici en quoi réside la signification de ce nom sous lequel le Seigneur se révéla à Moïse quand ce dernier reçut la mission d'aller en Égypte délivrer les enfants d'Israël de l'esclavage : « Moïse dit à Dieu : J'irai donc vers les Israélites, et je leur dirai : le Dieu de vos pères m'a envoyé vers vous. Mais s'ils me demandent quel est son nom, que leur répondrai-je ? Dieu dit à Moïse : je suis celui qui suis. Et il ajouta : c'est ainsi que tu répondras aux Israélites : (Celui qui s'appelle) ‘Je suis’ m'a envoyé vers vous » [20]. Dans le verset suivant, le Seigneur déclare qu'il est « le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob ». Pendant que Moïse était en Égypte, le Seigneur se révéla encore davantage, disant : « Je suis l'Éternel (le SEIGNEUR dans la version anglaise, ndt) Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob, comme le Dieu Tout-Puissant ; mais je n'ai pas été reconnu par eux sous mon nom : l'Éternel (JEHOVAH dans la version anglaise, ndt) » [21]. Le fait central indiqué par ce nom, le Suis, ou Jéhovah, les deux ayant essentiellement la même signification, c'est l'idée d'une existence ou d'une durée qui n'aura pas de fin, et qui, jugée suivant tous les critères de jugement humain, peut ne pas avoir eu de commencement ; ce nom est apparenté à d'autres titres tels que Alpha et Oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin [22].
 
Un jour, alors que certains Juifs, qui considéraient que, du fait qu'ils descendaient d'Abraham, ils étaient certains d'être préférés de Dieu, assaillaient Jésus de questions et de critiques, il répondit à leurs insultes par la déclaration : « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham fût, moi, je suis » [23]. Le vrai sens de cette parole serait exprimé plus clairement si la phrase était tournée comme suit : « En vérité, en vérité, je vous le dis : Avant Abraham, était Je suis » [24]. C'est comme s'il avait dit : Avant Abraham, j'étais, moi, Jéhovah. Les juifs chicaneurs furent si grandement offensés de l'entendre utiliser un nom que, par une interprétation erronée d'une Écriture plus ancienne [25], ils considéraient ne pas devoir être prononcé sous peine de mort, qu'ils saisirent immédiatement des pierres dans l'intention de le tuer. Les juifs considéraient Jéhovah comme un nom ineffable, qui ne devait pas être prononcé ; ils l'avaient remplacé par le nom sacré bien que non interdit pour eux d'Adonaï, qui veut dire le Seigneur. L'original des termes Éternel et Dieu tels qu'ils apparaissent dans l'Ancien Testament était soit Yahveh soit Adonaï ; et comme le montrent les Écritures citées, l'Être divin désigné par ces noms sacrés était Jésus, le Christ. Jean, évangéliste et apôtre, identifie formellement Jésus-Christ avec Adonaï, ou le Seigneur qui parla par la voix d'Ésaïe [26], et avec Jéhovah qui parla par Zacharie [27].
 
Le nom Élohim se rencontre fréquemment dans les textes hébreux de l'Ancien Testament, bien qu'on ne le trouve pas dans les versions anglaises. La forme du mot est celle d'un nom hébreu au pluriel [28] ; mais il représente un pluriel de majesté ou d'intensité plutôt que la pluralité numérique. Il exprime l'exaltation et la puissance absolues. Élohim, tel qu'on le comprend et qu'on l'utilise dans l'Église rétablie de Jésus-Christ, est le nom titre de Dieu, le Père éternel, dont le Premier-Né dans l'esprit est Jéhovah : le Fils unique dans la chair, Jésus-Christ.
 
Jésus de Nazareth, qui en un témoignage solennel déclara être le Je suis ou Jéhovah, qui était Dieu avant qu'Abraham vécût sur la terre, était ce même Être qu'on proclame à maintes reprises comme le Dieu qui fit alliance avec Abraham, Isaac et Jacob, le Dieu qui fit sortir Israël de l'esclavage d'Égypte dans la liberté de la terre promise, le seul et unique Dieu que les prophètes hébreux en général connaissaient par la révélation directe.
 
Les prophètes néphites savaient que Jésus-Christ était identique au Jéhovah des Israélites, et la véracité de leurs enseignements fut confirmée par le Seigneur ressuscité lorsqu'il se manifesta à eux peu après son ascension d'entre les apôtres à Jérusalem. Voici le passage : « Et le Seigneur leur parla, disant : Levez-vous et venez à moi afin de mettre les mains dans mon côté, et aussi toucher la marque des clous dans mes mains et mes pieds, afin que vous sachiez que je suis le Dieu d'Israël et le Dieu de toute la terre, et que j'ai été mis à mort pour les péchés du monde » [29].
 
Il ne nous paraît pas nécessaire de présenter davantage de citations pour étayer notre affirmation que Jésus-Christ était Dieu avant même de prendre un corps de chair. Au cours de cette période prémortelle, il y avait une différence essentielle entre le Père et le Fils en ce que le premier avait déjà traversé les expériences de la vie mortelle, y compris la mort et la résurrection, et était de ce fait un être doté d'un corps parfait et immortalisé de chair et d'os, tandis que le Fils n'était pas encore incarné. Par sa mort et sa résurrection, Jésus, le Christ, est actuellement un être semblable au Père dans toutes les caractéristiques essentielles.
 
Un examen général des données scripturaires nous amène à la conclusion que Dieu le Père éternel s'est manifesté en très peu d'occasions aux prophètes ou révélateurs terrestres, et quand il l'a fait, c'était surtout pour attester l'autorité divine de son Fils, Jésus-Christ. Comme nous l'avons montré précédemment, le Fils était l'exécuteur actif de l'œuvre de la création ; dans toutes les scènes de la création le Père apparaît surtout comme celui qui dirige ou que l'on consulte. Le Père se révéla à Adam, à Énoch, à Noé, à Abraham et à Moïse, attestant la divinité du Christ, et le fait que le Fils était le Sauveur élu de l'humanité [30]. Lors du baptême de Jésus, on entendit la voix du Père dire : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection » [31] ; et lors de la transfiguration le Père donna un témoignage semblable [32]. Plus tard encore, tandis que Jésus priait, l'âme pleine d'angoisse, se soumettant pour que les desseins du Père s'accomplissent et que le nom du Père soit glorifié, « une voix vint alors du ciel : je l'ai glorifié, et je le glorifierai de nouveau » [33]. Le Père annonça le Christ ressuscité et glorifié aux Néphites sur le continent américain en ces termes : « Voici mon Fils bien-aimé, en qui je me complais, en qui j'ai glorifié mon nom - écoutez-le [34] » À partir du dernier événement cité, la voix du Père ne s'est plus fait entendre parmi les hommes, du moins d'après les Écritures, jusqu'au printemps de 1820, date à laquelle le Père et le Fils apparurent au prophète Joseph Smith, le Père disant : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoute-le [35] ! » Tels sont les cas enregistrés où le Père éternel s'est manifesté à l'homme séparément du Fils, soit en s'exprimant personnellement, soit par une autre révélation. Dieu le Créateur, le Jéhovah d'Israël, le Sauveur et Rédempteur de toutes les nations, tribus et langues, ne font qu'une seule personne, qui est Jésus, le Christ.
 
 [1] Voir « Dieu et la Divinité », dans les Articles de Foi, de l'auteur, chap. 2.
 [2] Gn 1:26 et 3:22.
 [3] PGP, Moïse 2:26 et 4:28.
 [4] PGP, Abraham, chapitres 4 et 5.
 [5] Voir chap. 2 du présent ouvrage ; Jean 1:1 ; PGP, Moïse 1:32.
 [6] Hé 1:1, 2, version du roi Jacques, ndt ; voir aussi 1 Co 8:6. 9
 [7] Col 1: 16, 17.
 [8] Jean 1: 1-3.
 [9] LM, Hélaman 14:12 ; voir aussi Mosiah 3:8, 4:2 ; Alma 11:39.
 [10] LM, 3 Néphi 9:15.
 [11] LM, 3 Néphi 15:4, 5.
 [12] D&A 45:1.
 [13] D&A 14:9 ; voir aussi 29:1,31 ; 76:24.
 [14] Ex 20:7 ; Lv 19:12 ; Dt 5: 11.
 [15] Note 1, fin du chapitre.
 [16] Mt 1:21 ; voir aussi versets 23, 25 ; Luc 1:31.
 [17] Jean 1:41, 4:25.
 [18] Luc 1:31, 2:21 ; Mt 1:21, 25 ; voir aussi verset 23 et cf. Es 7:14 ; Luc 2:11. Voir en outre PGP, Moïse 6:51, 57, 7:20, 8:24. LM, 1 Néphi 10:4, 2 Néphi 10:3, Mosiah 3:8.
 [19] Ce nom apparaît ainsi dans Gn 2:5 ; voir aussi Ex 6:2-4 et lire à titre de comparaison Gn 17:1, 35: 11.
 [20] Ex 3:13, 14 ; cf. à propos de la durée éternelle exprimée par ce nom, Es 44:6, Jean 8:58, Col 1:17 ; Hé 13:8, Ap 1:4 ; voir aussi PGP, Moïse 1:3 et les références qui y sont données.
 [21] Ex 6:2, 3. Note 2, fin du chapitre.
 [22] Ap 1:11, 17, 2:8, 22:13 ; cf. Es 41:4, 44:6, 48:12.
 [23] Jean 8:58.
 [24] Dans le texte anglais, la nuance réside uniquement dans une question de ponctuation. La Version du roi Jacques dit : « Before Abraham was, I am. » L'auteur supprime la ponctuation de cette phrase : « Before Abraham was I am » (ndt).
 [25] Lv 24:16. Note 3, fin du chapitre.
 [26] Es 6:8-11 ; cf. Jean 12:40, 41.
 [27] Za 12: 10 ; cf. Jean 19:37.
 [28] Le singulier « Eloah » n'est employé qu'en poésie.
 [29] LM, 3 Néphi 11: 13, 14 ; 1 Néphi 17:40 également et notez - verset 30 - que le Rédempteur est appelé le Dieu qui a racheté Israël. Voir en outre Mosiah 7:19. Chapitre 39, infra.
 [30] PGP, Moïse 1:6, 31-33, 2:1, 4:2, 3, 6:57 ; cf. 7:35, 39, 47, 53-59, 8:16, 19, 23, 24 ; Abraham 3:22-28. Voir chapitre 5, infra.
 [31] Mt 3:17 ainsi que Marc 1:11 et Luc 3:22.
 [32] Mt 17:5, Luc 9:35.
 [33] Jean 12:28.
 [34] LM, 3 Néphi 11:7.
 [35] PGP, Joseph Smith 2:17.
 
NOTES DU CHAPITRE 4
 
1. Noms donnés par Dieu : L'importance des noms quand ils sont donnés par Dieu trouve son illustration dans beaucoup d'exemples scripturaires. Voici quelques exemples : « Jésus » signifiant Sauveur (Mt 1:21 ; Luc 1:31) ; « Jean », signifiant don de Jéhovah, appliqué expressément au Baptiste, qui fut envoyé sur la terre préparer la voie pour la venue de Jéhovah dans la chair (Luc 1: 13) ; « Ismaël », signifiant Dieu l'entendra (Gn 16: 11) ; « Isaac », signifiant rire (Gn 17:19, comparer avec 18:10-15). Voici quelques exemples de noms changés par l'autorité divine pour exprimer un surcroît de bénédictions ou des appels particuliers : « Abram », qui voulait dire noblesse ou exaltation et, comme on le traduit habituellement, Père d'élévation, fut changé en « Abraham », Père d'une multitude, qui exprimait la raison du changement apporté à l'époque : « Car je te rends père d'une foule de nations » (Gn 17:5). « Saraï », le nom de la femme d'Abraham, dont le sens précis est incertain, fut remplacé par « Sara » qui signifiait la princesse (Gn 17:15). « Jacob », nom donné au fils d'Isaac et faisant allusion à un événement qui se produisit lors de sa naissance, et signifiant celui qui supplante, fut remplacé par « Israël » voulant dire un soldat de Dieu, un prince de Dieu ; comme l'expriment les mots qui effectuèrent le changement : « Jacob ne sera plus le nom qu'on te donnera, mais tu seras appelé Israël ; car tu as lutté avec Dieu et avec des hommes, et tu as été vainqueur » (Gn 32:28 ; comparer avec 35:9, 10). « Simon », signifiant celui qui écoute, nom de l'homme qui devint l'apôtre principal de Jésus-Christ, fut changé par le Seigneur en « Céphas » (araméen) ou « Pierre » (grec) signifiant un roc (Jean 1:42 ; Mt 16:18 ; Luc 6:14). À Jacques et à Jean, les fils de Zébédée, le Seigneur conféra le nom ou titre « Boanergès » signifiant fils du tonnerre (Marc 3:17).
 
L'extrait suivant est instructif : « Le nom, dans les Écritures, n'est pas seulement ce par quoi on désigne une personne, mais souvent tout ce que l'on sait appartenir à la personne ainsi désignée, et la personne elle-même. Ainsi de nom de Dieu » ou « de Jéhovah », etc. indique son autorité (Dt 18:20 ; Mt 21:9, etc.), sa dignité et sa gloire (Ésaïe 48:9, etc.), sa protection et sa faveur (Pr 18:10, etc.), sa personnalité (Ex 34:5, 14, comparer avec 6, 7, etc.), ses attributs divins en général (Mt 6:9, etc.), etc. On dit que le Seigneur pose son nom là où la révélation ou la manifestation de ses perfections est donnée (Dt 12:5, 14:24, etc.). Croire au nom du Christ c'est le recevoir et le traiter conformément à la révélation que les Écritures donnent de lui (Jean 1:12 ; 2:23), etc. » - Comprehensive Dictionary of the Bible, Smith, article « Name ».
 
2. Jésus-Christ, Dieu d'Israël : « Tous les écrits inspirés, et la Bible plus que tous, montrent que Jésus-Christ était ce même être qui fit sortir Abraham de son pays natal, qui conduisit Israël hors d'Egypte avec des miracles et des prodiges puissants, qui lui révéla sa loi au milieu du tonnerre du Sinaï, qui le délivra de ses ennemis, qui le châtia de sa désobéissance, qui inspira ses prophètes, et dont la gloire remplit le temple de Salomon. »
 
Ses lamentations sur Jérusalem prouvent que, dans son humanité, il n'avait pas oublié sa position exaltée antérieure : « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants... et vous ne l'avez pas voulu ! » (Mt 23:37). C'est ce Créateur du monde, ce Gouverneur puissant, ce Régulateur des destinées de la famille humaine qui, dans ses derniers moments, s'écria dans l'agonie de son âme : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » (Marc 15:34.) - tiré de Compendium of the Doctrines of the Gospel, Franklin D. Richards et James A. Little.
 
3. « Jéhovah », nom que les juifs ne prononçaient pas : Longtemps avant le temps du Christ, certaines écoles parmi les Juifs, infatigablement zélées à observer la lettre de la loi, sans toutefois en mépriser l'esprit, avaient enseigné que le simple fait de prononcer le nom de Dieu était blasphématoire, et que le péché de celui qui le faisait constituait un crime capital. Cette conception extrême naquit de l'interprétation acceptée quoique non inspirée de Lv 24:16: « Celui qui blasphémera le nom de l'Éternel sera puni de mort : toute la communauté le lapidera. Qu'il soit immigrant ou autochtone, il mourra, pour avoir blasphémé le Nom (de Dieu). » Le Comprehensive Dictionary of the Bible, de Smith, indique à l'article « Jéhovah » : « La vraie prononciation de ce nom [Yehovah], par lequel Dieu était connu des Hébreux, a été entièrement perdue, les juifs eux-mêmes évitant scrupuleusement de jamais le mentionner et le remplaçant par l'un ou l'autre des mots avec les points-voyelles avec lesquels il peut s'écrire [Adonaï, Seigneur, ou Élohim, Dieu]... Selon la tradition juive, il n'était prononcé qu'une fois par an par le grand prêtre, le jour des expiations, lorsqu'il entrait dans le saint des saints ; mais il règne un certain doute à ce sujet. »
 
 
CHAPITRE 5 : PREDICTION DE L'AVÈNEMENT TERRESTRE DU CHRIST
 
La venue du Christ sur la terre pour entrer dans un tabernacle de chair n'était ni inattendue ni imprévue. Des siècles avant le grand événement, les juifs professaient attendre l'avènement de leur Roi ; et dans les rites prescrits du culte comme dans les dévotions privées, la venue du Messie promis était l'un des sujets principaux des supplications d'Israël à Jéhovah. Il y avait, il est vrai, beaucoup de divergences dans les opinions laïques et dans les exposés rabbiniques quant au temps et à la manière dont il apparaîtrait ; mais la certitude du fait était profondément enracinée dans les croyances et les espoirs de la nation hébraïque.
 
Les documents que nous appelons les livres de l'Ancien Testament, de même que d'autres écrits inspirés considérés autrefois comme authentiques mais exclus des compilations ultérieures comme n'étant pas strictement canoniques, étaient courants parmi les Hébreux à l'époque de la naissance du Christ et longtemps avant. Ces Écritures tirent leur origine de la proclamation de la loi par Moïse [1], qui écrivit celle-ci et remit le texte écrit à la garde officielle des prêtres avec le commandement formel de le lire dans les assemblées du peuple à des époques prescrites. Au cours des siècles, on ajouta à ces premiers écrits les déclarations de prophètes divinement nommés, les notes d'historiens officiels et les cantiques de poètes inspirés ; de sorte qu'à l'époque du ministère de notre Seigneur, les Juifs possédaient une grande accumulation d'écrits qu'ils acceptaient et respectaient comme faisant autorité [2]. Ces documents sont riches en prédictions et en promesses relatives à l'avènement terrestre du Messie, comme le sont d'autres Écritures auxquelles l'Israël d'autrefois n'avait pas accès.
 
Adam, le patriarche du genre humain, se réjouit lorsqu'il fut mis au courant du ministère dont le Sauveur avait été chargé, assuré qu'il était que s'il l'acceptait, il pourrait, lui, le transgresseur, obtenir la rédemption. Une brève mention du plan de salut, dont l'auteur est Jésus-Christ, apparaît dans la promesse donnée par Dieu après la chute : certes le diable, représenté par le serpent en Eden, aurait le pouvoir de blesser le talon de la postérité d'Adam, mais par la postérité de la femme viendrait la puissance qui écraserait la tête de l'adversaire [3]. Il est significatif que cette assurance de la victoire finale sur le péché et son effet inévitable, la mort, qui furent tous deux introduits sur la terre par l'intermédiaire de Satan, l'ennemi juré de l'humanité, devait être assurée par la postérité de la femme ; la promesse ne fut pas faite formellement à l'homme, ni au couple. Le seul cas où la postérité de la femme est dissociée de la paternité mortelle est la naissance de Jésus, le Christ, qui était le fils terrestre d'une mère mortelle, engendré par un Père immortel. Il est le seul engendré du Père éternel dans la chair et naquit d'une femme.
 
Des Écritures autres que celles qui se trouvent dans l'Ancien Testament nous informent d'une manière plus complète de la révélation de Dieu à Adam concernant la venue du Rédempteur. Conséquence naturelle et inévitable de sa désobéissance, Adam avait perdu la grande bénédiction dont il bénéficiait précédemment : celle d'être en rapport direct et personnel avec son Dieu ; néanmoins dans son état déchu il reçut la visite d'un ange du Seigneur, qui lui révéla le plan de la rédemption : « Et après de nombreux jours, un ange du Seigneur apparut à Adam, et lui dit : Pourquoi offres-tu des sacrifices au Seigneur ? Et Adam lui dit : je ne le sais, si ce n'est que le Seigneur me l'a commandé. Alors l'ange parla, disant : C'est une similitude du sacrifice du Fils unique du Père, qui est plein de grâce et de vérité. C'est pourquoi tu feras tout ce que tu fais au nom du Fils, tu te repentiras, et invoqueras dorénavant Dieu au nom du Fils. Ce jour-là, le Saint-Esprit, qui rend témoignage du Père et du Fils, tomba sur Adam, disant : je suis le Fils unique du Père, depuis le commencement, dorénavant et à jamais, afin que de même que tu es tombé, tu puisses être racheté, ainsi que toute l'humanité, à savoir tous ceux qui le veulent » [4].
 
La révélation du Seigneur à Adam communiquant le plan officiel selon lequel le Fils de Dieu devait se munir de chair au midi des temps, et devenir le Rédempteur du monde, fut attestée par Énoch, fils de Jéred et père de Metuschélah. Les paroles d'Énoch nous apprennent que le nom par lequel le Sauveur serait connu parmi les hommes lui fut révélé aussi bien qu'à son grand ancêtre, Adam, en ces termes : « Jésus-Christ, le seul nom qui sera donné sous les cieux par lequel le salut viendra aux enfants des hommes » [5]. L'alliance écrite de Dieu avec Abraham, et sa répétition et sa confirmation avec Isaac et ensuite avec Jacob - que par leur postérité toutes les nations de la terre seraient bénies - présageait la naissance du Rédempteur par ce lignage élu [6]. Son accomplissement est l'héritage béni des siècles.
 
En donnant sa bénédiction patriarcale à Juda, Jacob prophétisa : « Le bâton (de commandement) ne s'écartera pas de Juda, ni l'insigne du législateur d'entre ses pieds, jusqu'à ce que vienne le Chilo et que les peuples lui obéissent [et c'est auprès de lui que le peuple se rassemblera - Version du roi Jacques, ndt] » [7]. On a la preuve que Chilo désignait le Christ parce que la stipulation décrite dans la prédiction s'accomplit dans l'État de la nation juive à l'époque de la naissance de notre Seigneur [8].
 
Moïse proclama la venue d'un grand prophète en Israël, dont le ministère devait être tellement important que tous les hommes qui ne l'accepteraient pas seraient sous la condamnation ; et des Écritures ultérieures prouvent d'une manière concluante que cette prédiction ne pouvait se rapporter qu'à Jésus-Christ. Ainsi parla le Seigneur à Moïse : « Je leur susciterai du milieu de leurs frères un prophète comme toi, je mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que je lui commanderai. Et si quelqu'un n'écoute pas mes paroles qu'il dira en mon nom, c'est moi qui lui en demanderai compte » [9]. Le système de sacrifices formellement imposé dans le code mosaïque était essentiellement un prototype de la mort sacrificatoire que le Sauveur devait accomplir sur le Calvaire. Le sang d'innombrables victimes sur l'autel, tuées par les prêtres d'Israël au cours des rituels prescrits, coula pendant tous les siècles qui séparèrent Moïse du Christ comme un flot prophétique à la ressemblance du sang du Fils de Dieu qui devait être versé comme sacrifice expiatoire pour la rédemption du genre humain. Mais, comme nous l'avons déjà montré, l'institution du sacrifice sanglant pour représenter la mort future de Jésus-Christ remonte au commencement de l'histoire humaine, depuis que l'offrande de sacrifices d'animaux par l'effusion de sang fut requise d'Adam, à qui l'importance de l'ordonnance, « une similitude du sacrifice du Fils unique du Père », fut expressément définie [10].
 
L'agneau pascal, tué pour chaque foyer israélite lors de la fête annuelle de la Pâque, était un type particulier de l'Agneau de Dieu qui serait sacrifié en son temps pour les péchés du monde. La crucifixion du Christ se produisit à l'époque de la Pâque ; et la consommation du Sacrifice suprême, dont les agneaux de la Pâque n'avaient été que des prototypes secondaires, amena Paul l'apôtre à affirmer plus tard : « Car Christ, notre Pâque, a été immolé » [11].
 
À l'époque de ses cruelles afflictions, Job se réjouit du témoignage qu'il pouvait rendre du futur Messie et déclara avec une conviction prophétique : « Je sais que mon Rédempteur est vivant, et qu'il se lèvera le dernier sur la terre. » « [Je sais que mon Rédempteur vit, et qu'il se tiendra sur la terre au dernier jour - Version du roi Jacques, ndt] » [12]. Les cantiques de David, le psalmiste, abondent en allusions répétées à la vie terrestre du Christ, dont beaucoup de circonstances sont décrites en détails et sont confirmées dans les Écritures du Nouveau Testament [13].
 
Ésaïe, dont l'office prophétique fut honoré du témoignage personnel du Christ et des apôtres, manifesta en de nombreux passages sa conviction que le Sauveur viendrait exercer son ministère sur la terre. Avec la force de la révélation directe, il parla de la maternité divine de la Vierge, de qui naîtrait Emmanuel, et sa prédiction fut répétée par l'ange du Seigneur, plus de sept siècles plus tard [14]. Contemplant les siècles futurs, le prophète vit l'accomplissement des desseins divins comme si c'était déjà fait et chanta triomphalement : « Car un enfant nous est né, un fils nous est donné, et la souveraineté (reposera) sur son épaule ; on l'appellera Admirable, Conseiller, Dieu puissant, Père éternel, Prince de la paix. Renforcer la souveraineté et donner une paix sans fin au trône de David et à son royaume, l'affermir et le soutenir par le droit et par la justice dès maintenant et à toujours » [15].
 
Immédiatement avant sa réalisation, la promesse bénie fut répétée par Gabriel, envoyé de la présence de Dieu à la Vierge élue de Nazareth [16]. Comme cela avait été révélé au prophète et proclamé par lui, le Seigneur futur était le Rameau vivant qui jaillirait de la racine immortelle représentée par la famille d'Isaï [17], la Pierre de fondement assurant la stabilité de Sion [18], le Berger de la maison d'Israël [19], la Lumière du monde [20], pour le Gentil aussi bien que pour le Juif ; le Chef et Dominateur de son peuple [21]. La même voix inspirée prédit l'avènement du précurseur qui crierait dans le désert : « Ouvrez le chemin de l'Éternel, nivelez dans la steppe une route pour notre Dieu » [22].
 
Il fut permis à Ésaïe de lire dans le parchemin de l'avenir les nombreuses conditions spéciales qui accompagneraient l'humble vie et la mort expiatoire du Messie. Le prophète vit en lui quelqu'un qui serait méprisé et rejeté des hommes, un Homme de douleur, accoutumé à la souffrance, quelqu'un qui serait blessé et meurtri pour les transgressions du genre humain, sur qui serait placée notre iniquité à tous : un sacrifice patient et volontaire, silencieux dans l'affliction, comme un agneau amené à l'abattoir. La mort du Seigneur, avec des pécheurs, et son ensevelissement dans le tombeau du riche furent annoncés de même avec une certitude prophétique [23].
 
Jérémie reçut clairement la parole du Seigneur, déclarant la venue certaine du Roi qui assurerait la sécurité de Juda et d'Israël [24] ; le Prince de la Maison de David, par l'intermédiaire duquel la promesse divine faite au fils d'Isaï serait réalisée [25]. Ézéchiel [26], Osée [27] et Michée [28] prophétisèrent dans le même esprit. Zacharie s'arrêta au milieu d'une prédiction sinistre pour chanter le cantique joyeux d'actions de grâce et de louange en contemplant en vision la procession toute simple de l'entrée triomphale du Roi dans la ville de David [29]. Puis le prophète se lamenta sur la douleur de la nation frappée par sa conscience, par qui, comme il avait été prévu, le Sauveur de l'humanité serait percé, jusqu'à en mourir [30] ; il montra que, une fois soumis par la contrition, son propre peuple demanderait : « Qu'est-ce que ces blessures que tu as aux mains ? », le Seigneur répondrait : « C'est dans la maison de ceux qui m'aimaient que j'ai été frappé » [31]. Même le prix qui serait payé pour trahir le Christ et le livrer à la mort fut prédit comme dans une parabole [32].
 
Il ne fait aucun doute que ces prédictions des prophètes de l'Ancien Testament concernaient Jésus-Christ et lui seul : le Seigneur ressuscité l'affirme lui-même. Il dit aux apôtres assemblés : « C'est là ce que je vous disais lorsque j'étais encore avec vous ; il fallait que s'accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes. Alors il leur ouvrit l'intelligence pour comprendre les Écritures. Et il leur dit : Ainsi il est écrit que le Christ souffrirait, qu'il ressusciterait d'entre les morts le troisième jour » [33].
 
Jean-Baptiste, dont le ministère précéda immédiatement celui du Christ, proclama la venue de Quelqu'un qui serait plus puissant que lui, de Quelqu'un qui baptiserait du Saint-Esprit, et reconnut formellement Jésus de Nazareth comme étant ce Quelqu'un, le Fils de Dieu, l'Agneau qui prendrait sur lui le fardeau des péchés du monde [34].
 
Les prédictions que nous avons citées jusqu'à présent et qui ont trait à la vie, au ministère et à la mort du Seigneur Jésus sont les paroles prononcées par des prophètes qui, à l'exception d'Adam et d'Énoch, vécurent et moururent au Moyen-Orient. À l'exception de Jean-Baptiste, ils appartiennent tous à l'Ancien Testament, et Jean-Baptiste, contemporain du Christ dans la mortalité, apparaît dans les premiers chapitres des évangiles. Il est important de savoir que les Écritures des Amériques déclarent d'une manière tout aussi explicite la grande vérité que le Fils de Dieu naîtrait dans la chair. Le Livre de Mormon contient l'histoire d'une colonie d'Israélites, de la tribu de Joseph, qui quitta Jérusalem en 600 av. J.-C. durant le règne de Sédécias, roi de Juda, à la veille de la conquête de Juda par Nebucadnetsar et de la captivité babylonienne. Cette colonie fut conduite par la direction divine vers les Amériques, où elle s'accrut pour former un peuple nombreux et puissant ; toutefois, divisé par la dissension, celui-ci donna naissance à deux nations opposées, les Néphites et les Lamanites. Ceux-là cultivèrent les arts de l'industrie et du raffinement et conservèrent un document écrit contenant à la fois de l'histoire et des Écritures, tandis que ceux-ci dégénérèrent et s'avilirent. L'extinction des Néphites se produisit vers 400 ap. J.-C., mais les Lamanites continuèrent à exister dans leur état dégénéré. Leurs descendants sont aujourd'hui les Amérindiens [35].
 
Dès leur début, et jusqu'à l'époque de la naissance de notre Seigneur, les annales néphites prédisent et promettent abondamment la venue du Christ ; et cette chronique est suivie d'un récit rapportant la visite en personne du Sauveur ressuscité aux Néphites et l'établissement de son Église parmi eux. Le Seigneur révéla à Léhi, chef de la colonie, l'époque, le lieu et la manière dont se produirait l'avènement alors futur du Christ, en même temps que beaucoup de faits importants de son ministère et l'œuvre préparatoire de Jean le Précurseur. Cette révélation fut donnée tandis que le groupe voyageait dans le désert d'Arabie avant de traverser les grandes eaux.
 
Voici comment Néphi, fils de Léhi et son successeur à l'appel prophétique, formule la prophétie : « Et aussi, que six cents ans après le départ de mon père de Jérusalem, le Seigneur Dieu susciterait un prophète parmi les juifs, même un Messie, ou, en d'autres termes, un Sauveur du monde. Et il leur parla aussi des prophètes, leur montrant combien était considérable le nombre de ceux qui avaient rendu témoignage de ce Messie, ou de ce Rédempteur du monde dont il avait parlé. Et que tout le genre humain était dans un état de chute et de perdition et le serait toujours, à moins qu'il n'ait recours à ce Rédempteur. Et il parla aussi d'un prophète qui devait précéder le Messie afin de préparer la voie du Seigneur. Et qui irait, criant dans le désert : Préparez la voie du Seigneur ; aplanissez ses sentiers, car il y en a un parmi vous que vous ne connaissez point ; et il est plus puissant que moi ; et je ne suis pas digne de délier la courroie de ses chaussures. Et mon père parla beaucoup de cela. Mon père dit que celui-là baptiserait à Béthabara, au-delà du Jourdain ; et il dit aussi qu'il baptiserait d'eau ; et même qu'il baptiserait d'eau le Messie. Et que lorsqu'il aurait baptisé d'eau le Messie, il verrait et rendrait témoignage d'avoir baptisé l'Agneau de Dieu, qui allait effacer les péchés du monde. Et lorsque mon père eut dit ces paroles, il parla à mes frères de l'Évangile qui serait prêché parmi les Juifs, et aussi de l'incrédulité dans laquelle les Juifs tomberaient. Et qu'ils tueraient le Messie qui devait venir, et qu'après avoir été tué, il ressusciterait d'entre les morts et se manifesterait par le Saint-Esprit aux Gentils » [36].
 
Néphi écrit encore plus tard, n'agissant plus en qualité de scribe de son père mais comme prophète et révélateur, héraut de la parole de Dieu qui lui a été révélée. Il lui permit d'avoir une vision et d'exposer à son peuple les circonstances de la naissance du Messie, son baptême par Jean et le ministère du Saint-Esprit avec le signe de la colombe qui l'accompagnerait ; il vit notre Seigneur parmi le peuple, comme un Maître de justice, guérissant les affligés et réprimandant les esprits du mal ; il vit et rapporta les scènes terribles du Calvaire ; il vit et prédit l'appel des douze élus, les apôtres de l'Agneau, car c'est ainsi que les nommait Celui qui lui accordait cette vision. Il parla en outre de l'iniquité des Juifs, qu'il vit en conflit avec les apôtres ; et ainsi prend fin cette importante prophétie : « Et l'ange du Seigneur me parla de nouveau, disant : C'est ainsi que seront détruites toutes les nations, toutes les familles, langues et peuples qui combattront les douze apôtres de l'Agneau » [37]. Peu après la défection qui établit la distinction entre les Néphites et les Lamanites, Jacob, frère de Néphi, poursuivit la lignée prophétique en assurant que le Messie viendrait, précisant que son ministère se situerait à Jérusalem et affirmant que sa mort expiatoire était nécessaire, c'était le moyen prévu pour racheter les hommes [38]. Le prophète Abinadi, dénonçant hardiment les péchés du méchant roi Noé, prêcha à propos du Christ qui devait venir [39] ; et Benjamin, le juste, qui était à la fois prophète et roi, proclama la même vérité à son peuple vers 125 av. J.-C. C'est ce qu'enseigna encore Alma [40] dans son exhortation inspirée à son fils dépravé, Corianton ; et c'est ce que fit également Amulek [41] dans sa querelle avec Zeezrom. Le prophète lamanite, Samuel, proclama la même chose, cinq ans seulement avant que l'événement même ne se produisît ; en outre, il précisa les signes qui révéleraient aux peuples des Amériques la naissance de Jésus en Judée. Il dit : « Voici, je vous donne un signe ; encore cinq ans, et voici, le Fils de Dieu vient racheter tous ceux qui croiront à son nom. Et voici, je vous donnerai ceci comme signe au moment de sa venue ; car voici, il y aura de grandes lumières dans les cieux, au point que la nuit qui précédera sa venue, il n'y aura pas de ténèbres, en sorte qu'il semblera à l'homme qu'il fait jour. C'est pourquoi, il y aura un jour, une nuit et un jour, comme si c'était un jour sans nuit ; et ce sera pour vous un signe ; car vous verrez le lever du soleil et son coucher ; c'est pourquoi, on saura avec certitude qu'il y aura deux jours et une nuit ; néanmoins, la nuit ne sera pas assombrie ; et ce sera la nuit qui précédera sa naissance. Et voici, une nouvelle étoile se lèvera, telle que vous n'en avez jamais vue, et cela aussi vous sera un signe. Et voici, ce n'est pas tout, il y aura beaucoup de signes et de prodiges dans le ciel » [42].
 
Ainsi donc les Écritures de l'Ancien et du Nouveau monde et à toutes les époques pré-chrétiennes témoignèrent solennellement que l'avènement du Messie était certain ; c'est ainsi que les saints prophètes de jadis proclamèrent la parole de la révélation prédisant la venue du Roi et du Seigneur du monde, par qui seul la révélation est donnée, et la rédemption de la mort assurée. Il est caractéristique des prophètes envoyés de Dieu qu'ils possèdent et proclament l'assurance personnelle concernant le Christ, car de témoignage de Jésus est l'esprit de la prophétie » [43]. Jamais aucune parole de la prophétie inspirée relative au grand événement ne s'est avérée vaine. L'accomplissement littéral des prédictions atteste amplement que leur origine se trouve dans la révélation divine et prouve de manière concluante la divinité de celui dont la venue fut prédite si abondamment.
 
 [1] Dt 31:9, 24-26 ; cf. 17:18-20.
 [2] Articles de Foi, p. 298-301.
 [3] Gn 3:15 ; cf. Hé 2:14, Ap 12:9, 20:3.
 [4] PGP, Moïse 5:6-9. Note 1, fin du chapitre.
 [5] PGP, Moïse 6:52, étudier les versets 50-56 ; voir aussi Gn 5:18, 21-24, Jude 14. Note 4, fin du chapitre.
 [6] Gn 12:3, 18:18, 22:18, 26:4, 28:14 ; cf. Actes 3:25, Ga 3:8.
 [7] Gn 49:10.
 [8] Note 2, fin du chapitre.
 [9] Dt 18:15-19 ; cf. Jean 1:45, Actes 3:22, 7:37 ; voir aussi la confirmation formelle de notre Seigneur après sa résurrection, 3 Néphi 20:23.
 [10] Note 1, fin du chapitre.
 [11] 1 Co 5:7. On trouvera le Christ qualifié d'Agneau de Dieu dans Jean 1:29, 36, 1 Pierre 1:19, Ap chap. 5, 6, 7, 12, 13, 14, 15, 17, 19, 21, 22 ; en outre LM, 1 Néphi 10:10, et les chap. 11, 12, 13, 14 ; 2 Néphi 31:4, 5, 6 ; 33:14, Alma 7:14, Mormon 9:2, 3, D&A 58:11, 132:19.
 [12] Job 19:25 ; voir aussi versets 26-27.
 [13] Exemples : Ps 2:7 ; cf. Actes 13:33, Hé 1:5, 5:5. Ps 16:10 ; cf. Actes 13:34-37. Ps 22:18 ; cf. Mt 27:35, Marc 15:24, Luc 23:34, Jean 19:24. Ps 41:9 ; cf. Jean 13:18. Ps 69:9 et 21 ; cf. Mt 27:34, 48, Marc 15:23, Jean 19:29 et Jean 2:17. Ps 110:1 et 4 ; cf. Mt 22:44, Marc 12:35-37, Luc 20:41-44 et Hé 5:6. Ps 118:22, 23 ; cf. Mt 21:42, Marc 12:10, Luc 20:17, Actes 4:11, Ep 2:20, 1 Pierre 2:4, 7. Les psaumes suivants sont considérés comme psaumes messianiques : 2,  21, 22, 45, 67, 69, 89, 96, 110, 132 ; le psalmiste y exalte poétiquement les excellences du Messie et la certitude de sa venue.
 [14] Es 7:14 ; cf. Mt 1:21-23.
 [15] Es 9:5, 6.
 [16] Luc 1:26-33.
 [17] Es 11:1 et 10 ; cf, Rm 15:12, Ap 5:5,22:16 ; aussi Jr 23:5,6.
 [18] Es 28:16 ; cf. Ps 118:22, Mt 21:42, Actes 4:11, Rm 9:33, 10:11, Ep 2:20, 1 Pierre 2:6-8.
 [19] Es 40:9-11 ; cf. jean 10: 11, 14, Hé 13:20, 1 Pierre 2:25, 5:4 ; voir aussi Ez 34:23.
 [20] Es 42:1 ; voir aussi 9:2, 49:6, 60:3 ; cf. Mt 4:14-16, Luc 2:32, Actes 13:47 ; 26:18, Ep 5:8,14.
 [21] Es 55:4 ; cf. Jean 18:37.
 [22] Es 40:3 ; cf. Mt 3:3, Marc 1:3, Luc 3:4, Jean 1:23.
 [23] Es 53 ; étudier le chapitre entier ; cf. Actes 8:32-35.
 [24] Jr 23:5, 6 ; voir aussi 33:14-16.
 [25] Jr 30:9.
 [26] Ez 34:23, 37:24, 25.
 [27] Os 11:11 ; cf. Mt 2:15
 [28] Mi 5:2 ; cf. Mt 2:6, Jean 7:42.
 [29] Za 9:9 ; cf. Mt 21:4-9.
 [30] Za 12:10 ; cf. Jean 19:37.
 [31] Za 13:6.
 [32] Za 11: 12,13 ; cf. Mt 26:15, 27:3-10.
 [33] Luc 24:44, 46 ; voir aussi versets 25:27.
 [34] Mt 3:11, Marc 1:8, Luc 3:16, Jean 1:15, 26,27, 29-36 ; voir aussi Actes 1:5, 8, 11:16,19:4.
 [35] Note 3, fin du chapitre.
 [36] LM, 1 Néphi 10:4-11.
 [37] LM, 1 Néphi chapitres 11 et 12 ; voir aussi 19:10.
 [38] LM, 2 Néphi 9:5, 6 ; 10:3. Voir aussi la prophétie de Néphi 25:12-14 ; et chap.26.
 [39] LM, Mosiah 13:33-35 ; 15:1-13.
 [40] LM, Alma 39:15, 40:1-3.
 [41] LM, Alma 11:31-44.
 [42] LM, Hélaman 14:1-6 ; cf. 3 Néphi 1:4-21.
 [43] Ap 19: 10.
 
NOTES DU CHAPITRE 5
 
1. Le sacrifice, prototype de la mort expiatoire du Christ, est très ancien : Bien que le texte biblique atteste expressément que des sacrifices étaient offerts longtemps avant l'exode d'Israël hors d'Égypte - par exemple par Abel et par Caïn (Gn 4:3,4), par Noé après le déluge (Gn 8:20), par Abraham (Gn 22:2, 13), par Jacob (Gn 31:54, 46: 1) - il garde le silence sur l'origine divine du sacrifice, exigence propitiatoire qui préfigurait la mort expiatoire de Jésus-Christ. Tous les chercheurs, à part ceux qui reconnaissent la validité de la révélation moderne, reconnaissent leur difficulté à déterminer l'époque et les circonstances dans lesquelles l'offrande de sacrifices symboliques prit naissance parmi les hommes. Beaucoup de savants spécialistes de la Bible ont affirmé la nécessité de supposer que Dieu donna très tôt des instructions à l'homme à ce sujet. C'est ainsi que l'auteur de l'article « Sacrifice », dans le Bible Dictionary, de Cassel dit : « L'idée de sacrifice est dominante dans toutes les Écritures ; c'est l'un des rites les plus anciens et les plus généralement reconnus de la religion dans le monde entier. Il existe aussi une similarité remarquable dans le développement et les applications de cette idée. Pour cette raison et pour d'autres encore on a conclu que le sacrifice faisait partie intégrante du culte originel de l'homme, et que son universalité n'est pas uniquement un argument indirect en faveur de l'unité du genre humain, mais également une illustration et une confirmation des premières pages inspirées de l'histoire du monde. On ne peut guère considérer l'idée de sacrifice comme le produit de la nature humaine livrée à elle-même, et on doit par conséquent la faire remonter à une source plus élevée et la considérer comme une révélation divine à l'homme primitif. »
 
Le Dictionary of the Bible, de Smith, déclare ce qui suit : « Lorsque nous retraçons l'histoire du sacrifice de son origine à son développement parfait dans le rituel mosaïque, nous nous trouvons immédiatement face à la question longuement controversée de l'origine du sacrifice, le point étant de savoir s'il naquit d'un instinct naturel de l'homme, sanctionné et guidé par Dieu, ou s'il fut le sujet d'une révélation originelle distincte. Il est indubitable que le sacrifice a été sanctionné par la Loi de Dieu, dans le sens particulier et typique du sacrifice expiatoire du Christ ; le fait qu'on le retrouve partout, indépendamment des raisonnements naturels de l'homme sur ses rapports avec Dieu et souvent en opposition à ceux-ci, montre qu'il est très ancien et était profondément enraciné dans les instincts de l'humanité. Quant à savoir s'il fut imposé au début par un commandement externe ou fut basé sur le sentiment de péché et de perte de la communion avec Dieu que sa main a gravé dans le cœur de l'homme - cela est une question historique, peut-être insoluble. »
 
La difficulté disparaît, et la « question historique » quant à l'origine du sacrifice est définitivement résolue par les révélations de Dieu à notre époque, grâce auxquelles des parties du Livre de Moïse qui ne se trouvent pas dans la Bible - ont été rendues à la connaissance humaine. L'Écriture citée dans le texte (p. 51, 52) montre clairement qu'après sa transgression, Adam reçut l'ordre d'offrir des sacrifices et que le sens de ce rite divinement établi fut pleinement expliqué au patriarche du genre humain. L'effusion du sang d'animaux en sacrifice à Dieu comme préfiguration « du sacrifice du Fils unique du Père » remonte à l'époque qui suivit immédiatement la chute. Son origine se base sur une révélation précise faite à Adam. Voir PGP, Moïse 5:5-8.
 
2. Prophétie de Jacob concernant le « Chilo » [ou Silo] : La prédiction du patriarche Jacob - que le sceptre ne s'éloignerait point de Juda avant la venue du Chilo - a donné lieu à beaucoup de discussions parmi les spécialistes de la Bible. Certains prétendent que « Silo » est un nom de lieu et pas un nom de personne. Il ne fait aucun doute qu'il existait un lieu de ce nom (voir Josué 18:1, 19:51, 21:2, 22:9, 1 S 1:3, Jr 7:12) ; mais le nom qui apparaît dans Gn 49:10 est clairement un nom de personne. On doit savoir que l'utilisation du mot dans la version du roi Jacques ou version autorisée de la Bible est considérée comme correcte par beaucoup d'autorités éminentes. Nous lisons ainsi, dans le Commentary on the Holy Bible, par Dummelow : « Juifs et chrétiens ont toujours considéré ce verset comme une prophétie remarquable de la venue du Messie... Selon la définition donnée plus haut, le verset tout entier prédit que Juda conserverait l'autorité jusqu'à l'avènement du souverain légitime, le Messie, auprès de qui tous les peuples se rassembleraient. Et on peut dire d'une manière générale que les dernières traces de pouvoir législatif juif (qui reposait sur le sanhédrin) ne disparurent pas avant la venue du Christ et la destruction de Jérusalem, date à partir de laquelle son royaume a été établi parmi les hommes. »
 
Adam Clarke, dans l'ouvrage très approfondi qu'est son Commentaire de la Bible, analyse brièvement les objections élevées par ceux qui considèrent que l'on ne peut pas admettre que ce passage s'applique à l'avènement du Messie, et les rejette en affirmant qu'elles n'ont aucun fondement. Voici ce qu'il conclut concernant la signification du passage : « Juda continuera d'exister comme une tribu distincte jusqu'à l'avènement du Messie, et c'est ce qui est arrivé ; et après sa venue il fut confondu avec les autres, de sorte que toute distinction a été perdue depuis lors. »
 
Le professeur Douglas, cité dans le Dictionnaire de Smith, « affirme que quelque chose est resté du sceptre de Juda - une éclipse totale ne prouvant pas que le jour est terminé - que l'accomplissement proprement dit de la prophétie ne commença qu'à l'époque de David et fut consommée dans le Christ selon Luc 1:32, 33 ».
 
Le sens accepté du mot par dérivation est « paisible », et cela peut s'appliquer aux attributs du Christ qui, dans Es 9:5, est appelé le Prince de la paix.
 
Eusèbe, qui vécut entre 260 et 339 ap. J.-C., et que l'on connaît dans l'histoire ecclésiastique comme l'évêque de Césarée, écrivit : « À l'époque du règne d'Hérode, qui fut le premier étranger à gouverner le peuple juif, la prophétie rapportée par Moïse reçut son accomplissement, à savoir qu'un prince ne manquerait jamais en Juda, ni un souverain de ses reins, jusqu'à ce que vienne Celui pour lequel cela est réservé. Celui que les nations attendent. » (Le passage que nous venons de citer se trouve dans la version des Septante de la Gn 49:10.)
 
Certains critiques ont prétendu qu'en se servant du mot « Chilo » Jacob n'avait pas du tout l'intention de l'utiliser comme nom propre. L'auteur de l'article « Chilo » dans le Bible Dictionary, de Cassell, dit : « La majorité des preuves est en faveur de l'interprétation messianique, mais les opinions sont très divergentes quand il s'agit de considérer le mot « Chilo » comme nom propre... En dépit de toutes les objections que l'on soulève contre l'idée de le considérer ainsi, nous sommes d'avis que c'est à bon droit qu'on le considère comme nom propre, et que la version anglaise représente le sens véritable de ce passage. Nous recommandons à ceux qui désirent approfondir davantage une question que l'on ne peut guère discuter sans la critique hébraïque les excellentes notes sur Gn 49:10 dans le « Commentary on the Pentateuch », par Keil & Delizsch. Le texte y est rendu de la manière suivante : « Le sceptre ne s'éloignera point de Juda, ni le bâton du souverain d'entre ses pieds, jusqu'à ce que vienne le Chilo, et que les nations lui rendent volontairement obéissance. »
 
« En dépit de l'objection de certains auteurs, même de la part de ceux de qui on ne l'attendrait pas, contre l'interprétation messianique, nous voyons que les événements de l'histoire confirment cette explication au lieu de l'affaiblir. Le texte n'est pas pris dans le sens que Juda ne serait jamais privé d'un souverain à lui, mais que le pouvoir royal ne disparaîtrait finalement de Juda que lorsque le Chilo serait venu. Les objections basées sur la captivité babylonienne et autres interruptions de ce genre n'ont aucun fondement, parce que c'est de la fin définitive qu'il est question, et celle-ci ne se produisit qu'après l'époque du Christ. » Voir en outre The Book of Prophecy, par G. Smith LL.D. ; p. 320. Voir aussi Compendium of the Doctrines of the Gospel, par Franklin D. Richards et James A. Little, article « Christ's First Coming ».
 
3. Néphites et Lamanites : Les ancêtres de la nation néphite furent emmenés de Jérusalem, en 600 av. J.-C., par Léhi, prophète juif de la tribu de Manassé. Sa famille immédiate, à l'époque de leur départ de Jérusalem, comprenait sa femme, Sariah, et leurs fils, Laman, Lémuel, Sam et Néphi ; à un stade ultérieur de leur histoire des filles sont mentionnées, mais on ne nous dit pas s'il y en eut parmi elles qui naquirent avant l'exode de la famille. Outre sa propre maison, la colonie de Léhi comprenait Zoram et Ismaël, ce dernier étant Israélite de la tribu d'Éphraïm ; Ismaël et sa famille se joignirent au groupe de Léhi dans le désert, et ses descendants furent comptés avec la nation dont nous parlons. Il apparaît qu'ils voyagèrent plus ou moins vers le sud-est, en restant à proximité du rivage de la mer Rouge ; ensuite, changeant leur orientation vers l'est, ils traversèrent la péninsule arabique, et là, sur les rives de la mer d'Oman, ils construisirent un navire, qu'ils chargèrent de provisions et dans lequel ils s'en remirent à la providence divine sur les flots. Leur navigation les emmena vers l'est, à travers l'océan Indien, puis à travers le Pacifique jusqu'à la côte occidentale de l'Amérique, où ils débarquèrent (590 av. J.-C.)... Le peuple s'établit sur ce qui était pour lui la Terre Promise ; de nombreux enfants naquirent et, après quelques générations, le pays fut occupé par une postérité nombreuse. Après la mort de Léhi, le peuple se divisa, une partie reconnaissant comme chef Néphi, qui avait été dûment désigné à l'office de prophète, tandis que l'autre partie proclamait Laman, le fils aîné de Léhi, comme son chef. Dès lors les deux groupes de ce peuple maintenant divisé prirent respectivement le nom de Néphites et de Lamanites. Par intervalles, ils observaient entre eux un semblant de relations amicales ; mais généralement, ils furent ennemis, les Lamanites manifestant une hostilité et une haine implacables envers leurs frères Néphites. Les Néphites se développèrent dans les arts de la civilisation, bâtirent de grandes villes et des royaumes prospères. Cependant ils tombaient souvent en transgression, et le Seigneur les châtiait en permettant à leurs ennemis héréditaires de les vaincre. Ils se répandirent vers le nord pour occuper un territoire considérable en Amérique Centrale et s'étendirent ensuite vers l'est et vers le nord sur une partie de ce qui est maintenant les États-Unis d'Amérique. Les Lamanites, tout en croissant en nombre, subirent la malédiction du courroux divin ; ils devinrent sombres de peau et enténébrés d'esprit, oublièrent le Dieu de leurs pères, menèrent une vie nomade, sauvage et dégénérée pour en arriver à l'état déchu dans lequel les Amérindiens - leurs descendants en ligne directe - furent trouvés par ceux qui redécouvrirent les Amériques beaucoup plus tard (voir les Articles de Foi, de l'auteur, p. 320-322).
 
4. La première dispensation de l'Évangile : L'Évangile de Jésus-Christ fut révélé à Adam. La foi en Dieu le Père éternel, et en son Fils, le Sauveur d'Adam et de toute sa postérité, le repentir du péché, le baptême d'eau par immersion et le don divin du Saint-Esprit furent proclamés au commencement de l'histoire humaine comme étant les éléments essentiels du salut. Les Écritures suivantes attestent ce fait. « Et ainsi l'Évangile commença à être prêché dès le commencement, étant proclamé par des saints anges envoyés de la présence de Dieu, par sa propre voix et par le don du Saint-Esprit » (Moïse 5:58). Le prophète Énoch témoigna de la manière suivante : « Mais Dieu a fait savoir à nos pères que tous les hommes doivent se repentir. Et il appela notre père Adam de sa propre voix, disant : « Je suis Dieu ; j'ai fait le monde, et les hommes avant qu'ils ne fussent dans la chair. Et il lui dit également : Si tu veux te tourner vers moi, écouter ma voix, croire, te repentir de toutes tes transgressions et être baptisé, même dans l'eau, au nom du Fils unique, qui est plein de grâce et de vérité, lequel est Jésus-Christ, le seul nom qui sera donné sous les cieux par lequel le salut viendra aux enfants des hommes, tu recevras le don du Saint-Esprit, et tu demanderas tout en son nom, et tout ce que tu demanderas te sera donné » (Moïse 6:50-52 ; lire également 53-61). « Et maintenant, voici, je vous le dis, tel est le plan de salut pour tous les hommes par le sang de mon Fils unique qui viendra au midi des temps (62). » « Lorsque le Seigneur eut parlé avec Adam, notre père, Adam invoqua le Seigneur, fut enlevé par l'Esprit du Seigneur, emporté dans l'eau, immergé sous l'eau et sorti de l'eau. C'est ainsi qu'il fut baptisé, et l'Esprit du Seigneur descendit sur lui et c'est ainsi qu'il naquit de l'Esprit, et il fut vivifié dans l'homme intérieur. Et il entendit une voix venant des cieux, disant : Tu es baptisé de feu et du Saint-Esprit. C'est là le témoignage du Père et du Fils, dorénavant et à jamais » (64-66). Comparez D&A 29:42.
 
 
CHAPITRE 6 : LE MIDI DES TEMPS
 
L'histoire du genre humain, passée et future par rapport à son époque, fut révélée à Moïse, à qui le Seigneur parla « face à face, comme un homme parle à son ami » [1]. Et Moïse reconnut que l'avènement du Rédempteur était l'événement le plus important parmi tous ceux dont la terre et ses habitants seraient témoins. La malédiction de Dieu était déjà tombée sur les méchants, et sur la terre à cause d'eux, « car ils ne voulaient pas écouter sa voix ni croire en son Fils unique, à savoir celui qu'il avait déclaré devoir venir au midi des temps, et qui était préparé dès avant la fondation du monde » [2]. C'est dans cette Écriture très ancienne qu'apparaît pour la première fois le nom expressif et profondément significatif qui devait désigner la période à laquelle le Christ apparaîtrait - le midi des temps. Si l'on considère l'expression comme figurée, que l'on se souvienne que l'image provient du Seigneur.
 
Le terme « midi » tel qu'on l'utilise habituellement, exprime l'idée d'une division majeure du temps [3] ; c'est ainsi que nous parlons du matin (avant midi) et de l'après-midi. De même les années et les siècles de l'histoire humaine sont divisés par le grand événement de la naissance de Jésus-Christ. Les années précédant cet événement central sont maintenant désignées comme ayant eu lieu avant Jésus-Christ (av. J.-C.) ; et les années qui le suivent, par l'expression après Jésus-Christ (ap. J.-C.). C'est ainsi que la chronologie du monde a été adaptée et calculée systématiquement par rapport au moment de la naissance du Sauveur, et cette méthode de calcul est utilisée parmi toutes les nations chrétiennes. Il est instructif de remarquer qu'un système semblable fut adopté par la branche isolée de la Maison d'Israël qui avait été amenée de la Palestine au continent américain ; car à partir de l'apparition du signe promis parmi le peuple, indiquant la naissance de Celui qui avait été si abondamment prédit par ses prophètes, le calcul néphite des années, qui commençait avec le départ de Léhi et de sa colonie de Jérusalem, fut remplacé par les annales de la nouvelle ère [4].
 
L'époque de l'avènement du Sauveur avait été choisie à l'avance, et elle avait été exactement révélée par l'intermédiaire de prophètes autorisés dans chacun des deux mondes. La longue histoire de la nation israélite s'était déroulée en une succession d'événements qui trouvèrent un point culminant relatif dans la mission terrestre du Messie. Afin de mieux comprendre le sens véritable de la vie et du ministère du Seigneur tandis qu'il était dans la chair, nous devons étudier un peu la situation politique, sociale et religieuse du peuple parmi lequel il apparut, vécut et mourut. Cette étude exige que nous fassions au moins une brève révision de l'histoire antérieure de la nation hébraïque. La postérité d'Abraham par Isaac et Jacob avait pris très tôt le titre dont elle devait tirer une fierté immortelle et où elle devait trouver une promesse édifiante : Israélites ou enfants d'Israël [5]. C'est ainsi qu'on les désignait collectivement pendant les jours sombres de leur esclavage en Égypte [6] ; c'est ainsi qu'on les appela pendant les quatre décennies de l'exode et le retour à la terre de promission [7] ; et on continua à les appeler ainsi pendant toute la période de leur prospérité, lorsqu'ils étaient un peuple puissant sous l'administration des Juges, et une monarchie unie pendant les règnes successifs de Saül, David et Salomon [8].
 
Immédiatement après la mort de Salomon, vers 975 av. J.-C. selon la chronologie la plus généralement acceptée, la nation fut démembrée par la révolte. La tribu de Juda, une partie de la tribu de Benjamin et de petits restants de quelques autres tribus restèrent fidèles à la succession royale et acceptèrent Roboam, fils de Salomon, pour roi ; tandis que le reste, que l'on appelle ordinairement les dix tribus, rompirent leur serment de fidélité à la maison de David et firent de Jéroboam, un Éphraïmite, leur roi. Les dix tribus conservèrent le titre de Royaume d'Israël bien qu'on les ait également appelées Éphraïm [9]. Pour les distinguer, on appela Roboam et ses adhérents le Royaume de Juda. Pendant deux cent cinquante ans environ, les deux royaumes conservèrent leur autonomie séparée ; puis, vers 722 ou 721 av. J.-C., l'indépendance du Royaume d'Israël fut détruite, et le peuple captif fut déporté en Assyrie par Salmanasar et d'autres. Par la suite il disparut si complètement qu'on l'appela les Tribus Perdues. Le Royaume de Juda fut reconnu comme nation pendant cent trente ans encore ; puis, vers 588 av. J.-C., il fut asservi par Nebucadnetsar, qui inaugura la captivité babylonienne. À la suite de sa transgression, Juda fut maintenu en exil et en esclavage virtuels pendant soixante-dix ans comme cela avait été prédit par l'intermédiaire de Jérémie [10]. Puis le Seigneur adoucit le cœur de ses vainqueurs, et son rétablissement fut commencé sous le décret de Cyrus le Perse, qui avait vaincu le royaume babylonien. Le peuple hébreu reçut la permission de retourner en Juda et d'entreprendre le travail de reconstruction du temple à Jérusalem [11].
 
Une grande compagnie des Hébreux exilés profitèrent de cette occasion de retourner sur les terres de leurs pères, mais beaucoup choisirent de demeurer dans le pays de leur captivité, préférant Babylone à Israël. « L'assemblée tout entière » des Juifs qui retournèrent de l'exil de Babylone ne se composait que de « quarante-deux mille trois cent soixante personnes, sans compter leurs serviteurs et leurs servantes, au nombre de sept mille trois cent trente-sept ». L'importance numérique relativement réduite de la nation émigrante est encore montrée par la nomenclature de leurs animaux de bât [12]. Bien que ceux qui retournèrent s'efforçassent vaillamment de se reformer en Maison de David et de regagner une certaine mesure de leur prestige et de leur gloire passés, les Juifs ne furent plus jamais un peuple vraiment indépendant. La Grèce, l'Égypte et l'Assyrie en firent tour à tour leur proie ; mais vers 164-163 av. J.-C., le peuple rejeta, du moins en partie, le joug étranger, à la suite de la révolte patriotique conduite par les Maccabées, dont le plus important était Judas Maccabée. Le service du temple, qui avait été pratiquement aboli par la proscription des ennemis victorieux, fut rétabli [13]. En 163 av. J.-C., le bâtiment sacré fut redédié, et cette joyeuse occasion fut célébrée dès lors dans une fête annuelle appelée fête de la Dédicace [14]. Mais pendant le règne des Maccabées le temple tomba en ruines, plus à cause de l'incapacité du peuple réduit et appauvri de l'entretenir que par déclin du zèle religieux. Dans l'espoir d'assurer une plus grande protection nationale, les Juifs firent alliance avec les Romains et finirent par devenir leurs tributaires. La nation juive continua d'exister dans cet état pendant toute la période du ministère de notre Seigneur. Au midi des temps, Rome était virtuellement la maîtresse du monde. Lorsque le Christ naquit, César Auguste [15] était empereur de Rome, et Hérode l'Iduméen, surnommé le Grand, était le roi vassal de Judée.
 
Les Juifs conservèrent un semblant d'autonomie nationale sous la domination romaine, et leur cérémonial religieux ne fut pas sérieusement entravé. Les ordres établis de la prêtrise étaient reconnus, et les actes officiels du conseil national ou sanhédrin [16] étaient considérés par les Romains comme faisant force de loi ; toutefois les pouvoirs judiciaires de cette assemblée ne lui permettaient pas d'infliger de peine capitale sans la sanction de l'exécutif impérial. La politique traditionnelle de Rome était d'accorder à ses peuples tributaires et vassaux la liberté de culte tant que les divinités mythologiques, chères aux Romains, n'étaient pas maltraitées ni leurs autels profanés [17].
 
Il n'est pas besoin de dire que les Juifs n'acceptèrent pas de bon gré la domination étrangère, quoiqu'ils eussent été formés à cette expérience pendant de nombreuses générations, leur état d'asservissement ayant oscillé entre la vassalité de nom et l'esclavage réel. Ils étaient déjà en grande partie un peuple dispersé. Tous les Juifs de Palestine à l'époque de la naissance du Christ ne constituaient qu'un petit reste de la grande nation davidique. Les dix tribus, qui constituaient l'ancien royaume d'Israël, étaient perdues depuis longtemps pour l'histoire, et le peuple de Juda avait été éparpillé au loin parmi les nations.
 
Dans leurs rapports avec les autres peuples, les Juifs s'efforçaient généralement de rester une société hautainement renfermée, ce qui les fit ridiculiser par les Gentils. Sous la loi mosaïque, Israël avait reçu l'ordre de se tenir à part des autres nations ; les Juifs attachaient une importance suprême à leur lignage abrahamique qui faisait d'eux les enfants de l'alliance, « un peuple saint pour l'Éternel », qu'il avait choisi pour qu'il fût « un peuple qui lui appartienne en propre parmi tous les peuples qui sont à la surface de la terre » [18]. Juda avait fait l'expérience des effets désastreux du badinage avec les nations païennes, et à l'époque que nous considérons pour le moment, un Juif qui se permettait des relations inutiles avec un Gentil devenait un être impur qui avait besoin d'être purifié cérémoniellement pour être délivré de sa souillure. Ce n'est que dans un isolement strict que les dirigeants trouvaient l'espoir d'assurer la perpétuité de la nation.
 
Il n'est pas exagéré de dire que les Juifs haïssaient tous les autres peuples et étaient réciproquement méprisés par tous les autres. Ils manifestaient une haine toute spéciale pour les Samaritains, peut-être parce que ce peuple persistait dans ses efforts pour établir une prétention à une parenté raciale. Ces Samaritains étaient un peuple mêlé, et les juifs les considéraient comme des bâtards indignes d'un respect vrai. Quand les dix tribus furent emmenées en captivité par le roi d'Assyrie, des étrangers furent envoyés peupler la Samarie [19]. Ceux-ci se marièrent avec les Israélites qui avaient échappé à la captivité, et des modifications de la religion d'Israël, comprenant au moins la profession du culte de Jéhovah, survécurent en Samarie. Les Juifs considéraient les rituels samaritains comme peu orthodoxes, et le peuple comme des réprouvés. À l'époque du Christ, l'inimitié entre Juif et Samaritain était si intense que les voyageurs qui allaient de Judée en Galilée faisaient de longs détours pour ne pas traverser la province de Samarie qui se trouvait entre les deux. Les Juifs ne voulaient rien avoir de commun avec les Samaritains [20].
 
Le fier sentiment d'indépendance, l'obsession du repli sur soi-même et de l'isolement - traits si caractéristiquement juifs à l'époque - étaient inculqués dès l'enfance et soulignés à la synagogue et à l'école. Le Talmud [21] qui, sous sa forme codifiée, est ultérieur à l'époque du ministère du Christ, interdisait à tous les Juifs la lecture des livres de nations étrangères, déclarant qu'aucun de ceux qui commettaient pareille faute ne pouvait logiquement espérer la faveur de Jéhovah [22]. Josèphe approuve ce commandement et écrit que la sagesse pour les Juifs signifiait uniquement : bien connaître la loi et être capable d'en discuter [23]. La connaissance approfondie de la loi était exigée aussi formellement que les autres études étaient interdites. C'est ainsi que la limite entre les savants et les ignorants devint rigidement fixée ; et il s'ensuivit inévitablement que ceux que l'on estimait savants, ou qui se considéraient comme tels, regardaient leurs congénères non cultivés comme une classe distincte et inférieure [24].
 
Longtemps avant la naissance du Christ, les Juifs avaient cessé d'être un peuple uni, même en matière de loi, bien qu'ils se reposassent principalement sur la loi pour conserver leur solidarité nationale. Soixante ans après le retour de l'exil babylonien déjà, et nous ne savons pas exactement combien de temps auparavant, on avait commencé à reconnaître, en tant qu'hommes ayant l'autorité, certains savants que l'on appela plus tard scribes et que l'on nomma rabbis [25] ou docteurs. À l'époque d'Esdras et de Néhémie, ces spécialistes de la loi constituaient une classe noble, à qui on rendait respect et honneur. On appelle Esdras « sacrificateur et scribe, qui transcrivait les paroles commandées et prescrites par l'Éternel au sujet d'Israël » [26]. Les scribes de l'époque rendirent des services précieux sous la direction d'Esdras, et plus tard sous la direction de Néhémie, à compiler les écrits sacrés qui existaient à l'époque ; et dans l'usage juif, ceux qui étaient chargés d'être les gardiens et les interprètes de la loi prirent le nom de membres de la Grande Synagogue ou Grande Assemblée, au sujet desquels les voies canoniques nous donnent peu de renseignements. Selon le Talmud, l'organisation se composait de cent vingt savants éminents. L'ampleur de leurs travaux, selon l'exhortation qu'ils perpétuaient traditionnellement eux-mêmes, est définie de la manière suivante : Soyez prudents dans le jugement, établissez de nombreux savants et dressez une clôture autour de la loi. Ils suivaient ce commandement en étudiant attentivement et en examinant soigneusement tous les détails traditionnels de l'administration, en multipliant les scribes et les rabbis, et, selon l'interprétation que certains d'entre eux donnaient à leurs devoirs d'établir de nombreux savants, en écrivant beaucoup de livres et de traités ; en outre, ils établirent une clôture autour de la loi en ajoutant de nombreuses règles qui prescrivaient avec une grande précision les conventions officielles pour chaque occasion.
 
Le peuple tenait les scribes et les rabbis en très haute estime, supérieure encore à celle qu'ils manifestaient pour l'ordre des lévites ou des prêtres ; et les décrets rabbiniques prenaient le pas sur les paroles des prophètes, puisqu'on ne considérait ces derniers que comme des messagers ou des porte-parole, tandis que les savants vivants étaient d'eux-mêmes des sources de sagesse et d'autorité. Les pouvoirs séculiers que la société romaine permettait aux juges de conserver reposaient sur la hiérarchie dont les membres étaient capables de s'octroyer pratiquement tous les honneurs officiels et professionnels. Le résultat naturel de cette situation fut qu'il n'y avait pratiquement aucune distinction entre la loi civile et la loi ecclésiastique, que ce fût quant au code ou quant à l'administration. Un élément essentiel du rabbinisme était la doctrine selon laquelle la tradition rabbinique orale avait une autorité égale à la parole écrite de la loi. L'exaltation que provoquait l'application du titre « rabbi » et l'orgueil manifesté par ceux qui recevaient ce genre d'adulation étaient particulièrement interdits par le Seigneur, qui se proclamait lui-même le seul Maître ; et, pour ce qui est de l'interprétation du titre de « père » que certains détenaient, Jésus proclama qu'il n'y avait qu'un seul Père et qu'il se trouvait au ciel : « Mais vous, ne vous faites pas appeler Rabbi ; car un seul est votre Maître, et vous êtes tous frères. Et n'appelez personne sur la terre père, car un seul est votre Père, celui qui est dans les cieux. Ne vous faites pas appeler directeurs, car un seul est votre Directeur, le Christ » [27].
 
Les scribes, qu'ils aient été nommés de la sorte ou par l'appellation plus distinguée de rabbi, furent dénoncés de multiples fois par Jésus, parce que leurs enseignements n'étaient que lettre morte, et que l'esprit de justice et de moralité viriles en était absent ; et dans ses dénonciations, les Pharisiens sont souvent accolés aux scribes. Le jugement que le Christ portait sur eux est suffisamment exprimé par son imprécation flétrissante : « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites [28] ! »
 
L'époque ou les circonstances de l'origine des Pharisiens ne sont pas fixées par une autorité indiscutable ; bien qu'il soit probable que cette confession ou ce parti naquit lors du retour des Juifs de la captivité babylonienne. Les Juifs qui s'étaient imprégnés de l'esprit de Babylone promulguèrent de nouvelles idées et des conceptions supplémentaires quant à la signification de la loi, et les innovations qui en résultèrent furent acceptées par les uns et rejetées par les autres. Le nom « Pharisien » n'apparaît pas dans l'Ancien Testament ni dans les apocryphes, bien qu'il soit probable que les Assidéens mentionnés dans les livres des Maccabées [29] aient été les Pharisiens originels. Par dérivation le nom exprime l'idée de séparatisme ; le Pharisien, comme l'estimait sa classe, était tout spécialement mis à part du commun, auquel il se considérait aussi véritablement supérieur que les Juifs se considéraient eux-mêmes par rapport aux autres nations. Les Pharisiens et les scribes étaient unis dans tous les points essentiels de ce qu'ils professaient, et le rabbinisme était leur doctrine officielle.
 
Dans le Nouveau Testament, les Pharisiens sont souvent mentionnés en opposition aux Sadducéens ; et les rapports entre les deux partis étaient tels qu'il est plus facile de les opposer les uns aux autres que de les étudier séparément. Les Sadducéens naquirent sous forme d'organisation réactionnaire au cours du deuxième siècle avant Jésus-Christ, lors d'un mouvement d'insurrection contre le parti maccabéen. Leur programme consistait en une campagne d'opposition à la masse sans cesse croissante de pratiques traditionnelles, qui non seulement entouraient la loi d'une clôture pour la protéger, mais sous lesquelles elle était également ensevelie. Les Sadducéens étaient partisans de la sainteté de la loi telle qu'elle avait été écrite et conservée, et rejetaient toute la masse des préceptes rabbiniques, tant ceux qui avaient été transmis oralement que ceux qui avaient été collationnés et codifiés dans les écrits des scribes. Les Pharisiens constituaient le parti le plus populaire, les Sadducéens représentaient une minorité aristocratique. À l'époque de la naissance du Christ, les Pharisiens constituaient un corps organisé au nombre de plus de six mille hommes, les femmes juives étant sympathisantes et collaborant généralement avec eux [30] tandis que les Sadducéens étaient une faction tellement réduite et au pouvoir si limité que, lorsqu'on les plaçait dans des postes officiels, ils suivaient généralement la politique des Pharisiens parce que c'était plus profitable. Les Pharisiens étaient les Puritains de l'époque, exigeant d'une manière inflexible que l'on se conformât aux règles traditionnelles aussi bien qu'à la loi originelle de Moïse. Notez à ce propos la profession de foi et de pratique de Paul lorsqu'il fut mis en accusation devant Agrippa : « J'ai vécu en Pharisien, selon le parti le plus rigide de notre religion » [31]. Les Sadducéens se targuaient de se conformer strictement à la loi, telle qu'ils la comprenaient, en dépit de tous les scribes ou rabbis. Les Sadducéens étaient partisans du temple et de ses ordonnances prescrites, les Pharisiens, de la synagogue et de ses enseignements rabbiniques. Il est difficile de décider lesquels étaient les plus techniques si nous jugeons chaque parti par le critère de sa propre profession. Voici une illustration : les Sadducéens étaient pour l'application littérale et complète du châtiment mosaïque : oeil pour oeil, dent pour dent [32], tandis que les Pharisiens disaient, en vertu des décrets rabbiniques, que cette formule devait être comprise au sens figuré, et que, par conséquent, le châtiment pouvait consister en une amende d'argent ou de biens.
 
Pharisiens et Sadducéens différaient sur beaucoup de sujets importants sinon fondamentaux de croyance et de pratique, y compris la préexistence des esprits, la réalité d'un état futur impliquant la récompense et la punition, la nécessité de l'abnégation personnelle, l'immortalité de l'âme et la résurrection d'entre les morts, points sur lesquels les Pharisiens étaient affirmatifs tandis que les Sadducéens optaient pour la négative [33]. Josèphe déclare que la doctrine des Sadducéens est que l'âme et le corps périssent ensemble ; la loi est tout ce qu'ils se soucient d'observer [34]. Ils étaient « une école sceptique de traditionalistes aristocratiques, n'adhérant qu'à la loi mosaïque » [35].
 
Parmi les nombreux autres partis et confessions établis à la suite de différences religieuses ou politiques ou des deux, il faut compter les Esséniens, les naziréens, les Hérodiens et les Galiléens. Les Esséniens se caractérisaient par des professions d'une extrême piété ; ils considéraient que même la profession stricte des Pharisiens était faible et insuffisante ; pour devenir membre de leur ordre, il fallait se soumettre à des exigences sévères s'étendant tout au long d'un premier et d'un second noviciat ; il leur était même interdit de toucher de la nourriture préparée par des étrangers ; ils pratiquaient une tempérance stricte et une abnégation rigide, se livraient à un travail dur - de préférence à l'agriculture, et il leur était interdit de faire du commerce comme marchands, de participer à la guerre ou de posséder ou d'employer des esclaves [36]. Les naziréens ne sont pas cités dans le Nouveau Testament, bien qu'ils soient mentionnés officiellement dans les Écritures plus anciennes [37] ; et dans des sources autres que scripturaires nous apprenons leur existence à l'époque du Christ et après. Le naziréen pouvait être de sexe masculin ou féminin ; il était astreint à l'abstinence et au sacrifice par un vœu volontaire de servir spécialement Dieu ; la durée du vœu pouvait être limitée ou à vie. Alors que les Esséniens cultivaient une fraternité ascétique, les naziréens étaient consacrés à une discipline solitaire.
 
Les Hérodiens constituent un parti politique ou religieux qui favorisait les plans des Hérode tout en professant croire que ce n'était que par cette dynastie que les statuts du peuple juif devaient être maintenus et que le rétablissement de la nation pouvait être assuré. Nous voyons les Hérodiens laisser de côté leurs antipathies partisanes et agir de concert avec les Pharisiens pour essayer de condamner le Seigneur Jésus et le conduire à la mort [38]. Les Galiléens ou peuple de Galilée se distinguaient de leurs compatriotes de Judée par une simplicité plus grande et une dévotion moins criarde en matière de loi. Ils étaient opposés aux innovations, et cependant ils étaient généralement plus libéraux ou plus larges d'esprit que certains des Judéens qui se disaient dévots. Ils étaient bien connus comme défenseurs capables dans les guerres du peuple et s'étaient acquis une réputation de bravoure et de patriotisme. On parle d'eux à propos de certains événements tragiques qui se produisirent du vivant de notre Seigneur [39].
 
Les juifs reconnaissaient extérieurement l'autorité de la prêtrise à l'époque du Christ, et l'ordre des services requis pour les prêtres et les lévites était dignement observé. Pendant le règne de David, les descendants d'Aaron, qui étaient les prêtres héréditaires d'Israël, avaient été répartis en vingt-quatre classes [40], et chaque classe assurait tour à tour les travaux du sanctuaire. Les représentants de quatre classes seulement revinrent de captivité, mais on reconstitua de parmi ceux-ci les ordres suivant le plan originel. Du temps d'Hérode le Grand, les cérémonies du temple se déroulaient avec un grand déploiement de fastes extérieurs, cela étant essentiel pour assurer la conformité avec la splendeur de l'édifice, qui surpassait en magnificence tous les sanctuaires précédents [41]. C'est pourquoi on avait constamment besoin de prêtres et de lévites, bien que les individus fussent changés à de brefs intervalles selon le système établi. Aux yeux du peuple, les prêtres étaient inférieurs aux rabbis, et on attribuait plus d'honneur à l'érudition du scribe qu'à l'ordination à la prêtrise. La religion de l'époque était une question de cérémonies et de conventions, de rituels et d'actions ; elle avait perdu l'esprit même du culte, et la vraie conception des rapports entre Israël et le Dieu d'Israël n'était plus qu'un rêve du passé.
 
Tels étaient en bref les traits principaux de l'état du monde, en particulier en ce qui concerne le peuple juif, lorsque Jésus, le Christ, naquit au midi des temps.
 
 [1] Ex 33:11 ; voir aussi Nb 12:8, Dt 34:10 ; cf. PGP, Moïse 1:2, 11, 31.
 [2] PGP, Moïse 5:57 ; on trouvera mention ultérieure du « midi des temps » 6:56-62 et 7:46 ; et cf. D&A 20:26 et 39:3.
 [3] « Méridien (ou midi) : . . . au figuré, le point le plus haut ou point culminant de tout le zénith ; comme : le méridien (midi) de la vie. » - New Stand. Dict.
 [4] LM, 3 Néphi 2:8 ; cf. 4 Néphi 1:1, 21 ; Mormon 8:6, Moroni 10:1.
 [5] Gn 32:28 ; 35:10.
 [6] Ex 1:1, 7, 9:6, 7, 12:3, etc.
 [7] Ex 12:35, 40, 13:19, 15: 1, Nb 20:1, 19, 24, etc.
 [8] Voir mentions partout dans les livres des Juges, 1 et 2 Samuel, 1 et 2 Rois et les références qui y sont données.
 [9] Es 11: 13, 17:3, Ez 37:16-22, Os 4:17.
 [10] Jr 25:11,12 ; voir aussi 29:10.
 [11] Esd 1:1-4 ; l'auteur, La Maison du Seigneur, p. 46-50 ; aussi, Articles de Foi, chap. 17.
  [12] Esd 2:64-67.
 [13] La Maison du Seigneur, p. 50, 51.
 [14] Josèphe, Ant. XII :6 et 7, 2 Maccabées 2:19, 10:1-8, ainsi que Jean 10:22.
 [15] Luc 2: 1.
 [16] Note 1, fin du chapitre.
 [17] Note 6, fin du chapitre.
 [18] Dt 7:6 ; voir aussi 10: 15, Ex 19:5,6, Ps 135:4, Es 41:8, 45:4 ; cf. 1 Pierre 2:9.
 [19] 2 Rois 17:24.
 [20] Jean 4:9, Luc 9:51-53. Chap. 13 du présent ouvrage.
 [21] Note 2, fin du chapitre.
 [22] Talmud Bab., Sanhédrin, 90.
 [23] Josèphe, Antiquités XX, 11:2.
 [24] Notez combien cette distinction est soulignée dans Jean 7:45-49 ; voir aussi 9:34.
 [25] Note 3, fin du chapitre.
 [26] Esd 7:11 ; voir aussi versets 6, 10, 12.
 [27] Mt 23:8-10 ; voir aussi Jean 1:38, 3:2.
 [28] Mt 23:13, 14, 15, 23, etc. lire tout le chapitre ; cf. Marc 12:38-40, Luc 20:46 ; voir aussi les exemples de dénonciation spéciale des Pharisiens dans Luc 11:37-44. Remarquez aussi que les docteurs de la loi qui étaient professionnellement associés aux scribes sont inclus dans cette critique sévère : versets 45-54.Voir chap. 31 du présent ouvrage.
 [29] Maccabées 2:42, 7:13-17, 2 Maccabées 14:6.
 [30] Josèphe, Antiquités XVII, 2:4.
 [31] Actes 26:5 ; voir aussi 23:6, Ph 3:5.
 [32] Ex 21:23-35, Lv 24:20, Dt 19:21 ; contraster Mt 5:38-44.
 [33] Note 4, fin du chapitre.
 [34] Josèphe, Antiquités XVIII, 1:4.
 [35] New Stand. Dict., sous « Sadducees ».
 [36] Josèphe, Antiquités XVIII, 1:5.
 [37] Nb 6:2-21, Juges 13:5, 7, 16:17, Amos 2:11, 12. Chap. 7 du présent ouvrage, notes.
 [38] Mt 22:15, 16, Marc 12:13.
 [39] Luc 13:1, 2 ; voir aussi Jean 4:45, Marc 14:70, Actes 2:7.
 [40] 1 Ch 24:1-18.
 [41] Note 5, fin du chapitre.
 
NOTES DU CHAPITRE 6
 
1. Le sanhédrin : Cette institution, tribunal suprême ou grand conseil des Juifs, tire son nom du grec sunedrion, signifiant « conseil ». Le Talmud fait remonter l'origine de cette assemblée à l'appel des soixante-dix anciens que Moïse prit avec lui, faisant soixante et onze en tout, pour administrer Israël en tant que juges (Nb Il : 16,17). À l'époque du Christ, comme déjà longtemps auparavant, le sanhédrin se composait de soixante et onze membres, y compris le grand prêtre qui dirigeait l'assemblée. Il semble avoir été appelé, dans sa période la plus ancienne, « Sénat », et à l'occasion c'est ainsi qu'on l'appela après la mort du Christ (Josèphe, Antiquités XII 3:3 ; comparer avec Actes 5:21) ; le nom sanhédrin entra dans l'usage au cours du règne d'Hérode le Grand.
 
L'extrait suivant du Standard Bible Dictionary est instructif : « Ceux qui étaient qualifiés pour être membres appartenaient généralement à la caste des prêtres et tout particulièrement à la noblesse sadducéenne. Mais à partir de l'époque de la reine Alexandra (69-68 av. J.-C.), il s'y trouva également, outre ces prêtres principaux, beaucoup de Pharisiens sous les noms de scribes et d'anciens. Ces trois classes sont combinées dans Mt 27:41, Marc 11:27,14:43, 53, 15: 1. Nous ne savons pas bien comment on nommait ces membres. Le caractère aristocratique de cette assemblée et l'histoire de son origine nous interdisent de croire que cela se faisait par élections. Son noyau se composait probablement des membres de certaines familles anciennes auxquelles les gouverneurs séculiers en ajoutaient cependant d'autres de temps en temps. L'officier président était le souverain sacrificateur, qui exerça tout d'abord plus que l'autorité d'un membre, réclamant une voix égale à celle du reste de l'assemblée. Mais lorsque la haute prêtrise fut réduite, de l'office héréditaire qu'elle était, à un office conféré par le gouverneur politique selon son plaisir, et après les changements fréquents dans l'office introduits par le nouveau système, le souverain sacrificateur perdit naturellement son prestige. Au lieu de tenir entre ses mains le « gouvernement de la nation », il finit par ne plus être que l'un de ceux, et ils étaient nombreux, qui se partageaient ce pouvoir ; ceux qui avaient été souverains sacrificateurs étaient toujours estimés par la nation, et, ayant perdu leur office pour une raison que le sentiment religieux de la communauté ne pouvait considérer comme valide, exerçaient une profonde influence sur les décisions de l'assemblée. Dans le Nouveau Testament, on les considère comme les souverains (Mt 26:59, 27:41, Actes 4:5,8, Luc 23:13,35, Jean 7:26), et le témoignage de Josèphe confirme ce point de vue. Les fonctions du sanhédrin étaient religieuses et morales, et aussi politiques. En cette dernière qualité, il exerçait en outre des fonctions administratives aussi bien que judiciaires. Tribunal religieux, le sanhédrin exerçait une influence puissante sur le monde juif tout entier (Actes 9:2) ; mais en qualité de tribunal, après la division du pays à la mort d'Hérode, sa juridiction fut limitée à la Judée. Mais là son pouvoir était absolu au point même de prononcer la sentence de mort (Josèphe, Ant. XIV, 9:3, 4 Mt 26:3, Actes 4:5, 6:12, 22:30), bien qu'il n'eût pas l'autorité d'exécuter la sentence tant que celle-ci n'était pas approuvée et commandée par le représentant du gouvernement romain. La loi selon laquelle le sanhédrin gouvernait était naturellement la loi juive, et pour l'appliquer ce tribunal avait une police à lui et procédait à des arrestations à sa discrétion (Mt 26:47)... Bien que l'autorité générale du sanhédrin s'étendit sur toute la Judée, les villes du pays avaient des conseils locaux à elles (Mt 5:22, 10:17, Marc 13:9, Josèphe, B. J. 11, 14: 1), pour l'administration des affaires locales. Ceux-ci se composaient d'anciens (Luc 7:3), au nombre de sept au moins (Josèphe, Ant. IV, 8:14, B. J. 11, 20:5), pouvant aller jusqu'à vingt-trois dans les grandes villes. On ne connaît pas exactement les rapports qu'ils entretenaient avec le conseil central de Jérusalem... Ils se reconnaissaient mutuellement dans une certaine mesure, car lorsque les juges du tribunal local ne pouvaient pas se mettre d'accord, il semble qu'ils avaient l'habitude de soumettre leur cas au sanhédrin de Jérusalem (Josèphe, Ant. IV, 8:14, Michna, Sanh. 11:2). »
 
2. Talmud : « Ensemble des lois civiles et religieuses juives (et les discussions qui s'y rapportent directement ou de loin) qui ne sont pas contenues dans le Pentateuque, comprenant communément la Michna et la Guémara, mais limitées parfois à cette dernière ; écrit en araméen. Il existe en deux grandes collections, le Talmud palestinien, ou Talmud du pays d'Israël, ou Talmud de l'Ouest, ou, plus populairement, le Talmud de Jérusalem, comprenant les discussions de la Michna des docteurs palestiniens du deuxième jusqu'au milieu du cinquième siècle ; et le babylonien comprenant les docteurs juifs de Babylonie, de 190 environ jusqu'au 7e siècle. » - New Standard Dict. La Michna comprend les parties les plus anciennes du Talmud ; la Guémara est composée d'écrits ultérieurs et consiste surtout en une explication de la Michna. À elle seule une édition du Talmud babylonien (publiée à Vienne en 1682) comprenait vingt-quatre tomes (Geikie).
 
3. Rabbis : Le titre « rabbi » est équivalent à nos appellations « docteur » ou « maître ». Par dérivation, il signifie « maître » ou « mon maître », comportant ainsi une idée de dignité et de rang associée à une manière polie de s'adresser à l'intéressé. Jean (1:38) explique clairement le terme, et il faut lui donner le même sens dans l'usage qu'en fait Matthieu (23:8). Il fut appliqué en plusieurs occasions comme titre de respect à Jésus (Mt 23:7,8 ; 26:25, 49 ; Marc 9:5, 11:21, 14:45, Jean 1:38, 49 ; 3:2, 26 ; 4:31 ; 6:25 ; 9:2 ; 11:8). À l'époque du Christ, le titre était d'un usage relativement récent, car il semble n'être entré dans l'usage que durant le règne d'Hérode le Grand, bien que les docteurs antérieurs, qui étaient de la classe des rabbis, sans en porter le nom, fussent universellement respectés ; c'est plus tard que l'usage leur décerna ce titre. Rab était un titre inférieur à celui de « rabbi », et « rabban » lui était supérieur. Rabbouni exprimait le respect, l'amour et l'honneur les plus profonds (voir Jean 20:16). À l'époque du ministère de notre Seigneur, les rabbis étaient tenus en haute estime et se réjouissaient de la précédence et des honneurs que les hommes leur accordaient. Ils appartenaient presque exclusivement au puissant parti pharisien.
 
Ce qui suit est tiré de Life and Words of Christ, de Geikie, vol. 1, chap. 6: « Si les personnages les plus importants de la société à l'époque du Christ étaient les Pharisiens, c'est parce qu'ils étaient des rabbis ou docteurs de la Loi. Comme tels on les honorait superstitieusement, ce qui était en fait pour beaucoup la grande raison pour laquelle ils courtisaient le titre ou se joignaient au parti. Les rabbis étaient classés avec Moïse, les patriarches et les prophètes, et prétendaient être respectés autant qu'eux. On disait que Jacob et Joseph avaient été rabbis tous les deux. Le Targum de Jonathan substitue rabbis ou scribes au mot « prophètes » là où ce dernier apparaît. Josèphe appelle les prophètes de l'époque de Saül des rabbis. Dans le Targum de Jérusalem, tous les patriarches sont des rabbis savants... Ils devaient être plus chers à Israël que leurs père et mère - parce que les parents ne servent que dans ce monde [comme on l'enseignait alors], mais le rabbi était pour l'éternité. On les plaçait au-dessus des rois, car n'est-il pas écrit : « À travers moi règnent les rois » ? Leur apparition dans une maison apportait une bénédiction ; vivre ou manger avec eux était la plus grande des bonnes fortunes... Les rabbis allaient encore plus loin pour exalter leur ordre. La Michna déclare que c'est un crime plus grand de dire quoi que ce soit en leur défaveur que de parler contre les paroles de la Loi... Cependant, selon les apparences extérieures, la Loi était l'objet d'honneurs sans limite. Toutes les paroles des rabbis devaient être basées sur des paroles de la Loi, lesquelles étaient cependant expliquées à leur manière. L'esprit des temps, le fanatisme farouche du peuple et leur propre parti pris les poussaient à n'accorder d'importance qu'à des cérémonies et à des formalités extérieures sans valeur, négligeant absolument l'esprit des écrits sacrés. Cependant on considérait que la Loi n'avait pas besoin d'être confirmée, tandis que les paroles des rabbis devaient l'être. Dans la mesure où l'autorité romaine sous laquelle ils vivaient les laissait libres, les Juifs mettaient de bon cœur tous pouvoirs entre les mains des rabbis. Eux ou ceux qu'ils nommaient remplissaient tous les offices, des plus élevés dans la prêtrise jusqu'aux plus bas dans la communauté. Ils étaient les casuistes, les instructeurs, les prêtres, les juges, les magistrats et les médecins de la nation... La caractéristique centrale et dominante de l'enseignement des rabbis était la certitude de l'avènement d'un grand Libérateur national - le Messie ou Oint de Dieu ou, dans la traduction grecque du titre, le Christ. Chez aucune nation autre que les Juifs, pareille conception n'a jamais pris racine à ce point ou n'a montré autant de vitalité... Les rabbis s'accordaient pour dire que le lieu de sa naissance devait être Bethléhem et qu'il devait sortir de la tribu de Juda. »
 
Des rabbis isolés réunissaient des disciples autour d'eux, et inévitablement des rivalités s'ensuivaient. Des écoles et des académies rabbiniques furent établies, la popularité de chacune dépendant de la grandeur de quelque rabbi. Les plus célèbres de ces institutions à l'époque d'Hérode 1er furent l'école de Hillel et celle de son rival Chammaï. Plus tard, la tradition leur conféra le titre « Ies anciens pères ». À en juger par les points insignifiants sur lesquels les disciples de ces deux rabbis se disputaient, ce n'était que grâce à l'opposition que l'un et l'autre pouvaient conserver un statut distinct. Hillel est considéré comme le grand-père de Gamaliel, le rabbi et docteur de la loi aux pieds duquel Saül de Tarse, plus tard Paul l'apôtre, reçut sa première formation (Actes 22:3). Dans la mesure où les documents historiques des points de vue, principes ou croyances défendus par les écoles rivales de Hillel et Chammaï nous permettent d'en juger, il semble que le premier ait été partisan d'une plus grande mesure de libéralité et de tolérance, tandis que le dernier insistait sur une interprétation stricte et probablement étroite de la loi et des traditions qui lui étaient associées. Le fait que les écoles rabbiniques dépendaient de l'autorité de la tradition est illustré par un incident rapporté par des documents montrant que même le prestige du grand Hillel ne le protégea pas contre une émeute un jour qu'il parlait sans citer de précédent ; ce n'est que quand il eut ajouté que ses maîtres Abtalion et Chemajah avaient parlé de même que le tumulte s'apaisa.
 
4. Les Sadducéens nient la résurrection : Comme le texte le déclare les Sadducéens formaient une association dont l'importance numérique était réduite par comparaison avec les Pharisiens plus populaires et plus influents. Dans les évangiles, les Pharisiens sont souvent cités et sont très communément associés aux scribes, tandis que les Sadducéens sont nommés moins fréquemment. Dans les Actes des Apôtres, les Sadducéens apparaissent souvent comme adversaires de l'Église. Cette situation provenait certainement de l'insistance que les thèmes de la prédication apostolique apportait à la résurrection des morts, les Douze témoignant constamment de la réalité de la résurrection du Christ. La doctrine des Sadducéens niait la réalité et la possibilité d'une résurrection corporelle, leurs prétentions reposant principalement sur le fait que Moïse, qui était considéré comme le législateur mortel suprême d'Israël, et le porte-parole principal de Jéhovah, n'avait rien écrit sur la vie après la mort. Ce qui suit est tiré du Dictionary of the Bible, de Smith, article « Sadducees », à ce propos : « L'idée que la résurrection de l'homme après la mort était impossible était, dans la conception des Sadducéens, la conclusion logique de leur refus d'admettre que Moïse avait révélé la loi orale aux Israélites. Car sur un sujet aussi capital qu'une deuxième vie au-delà de la tombe, aucun parti religieux parmi les Juifs ne se serait considéré obligé d'accepter une doctrine quelconque comme article de foi, si elle n'avait été proclamée par Moïse, leur grand législateur ; et il est certain que dans la loi écrite du Pentateuque, Moïse ne dit absolument rien sur la résurrection des morts. Le fait est présenté aux chrétiens d'une manière frappante par les paroles bien connues du Pentateuque que cite le Christ lorsqu'il discute avec les Sadducéens à ce sujet (Ex 3:6, 16 ; Marc 12:26,27 ; Mt 22:31,32 ; Luc 20:37). Il est indubitable qu'en pareil cas le Christ citerait à ses puissants adversaires le texte le plus applicable de la Loi ; et cependant le texte qu'il cite ne fait guère plus que suggérer une allusion à cette grande doctrine. Il est vrai que des passages en d'autres parties de l'Ancien Testament expriment une croyance en la résurrection (Es 26:19, Dn 12:2, Job 19:26, et dans certains des Psaumes) ; et il peut paraître surprenant, à première vue, que les Sadducéens n'aient pas été convaincus par l'autorité de ces passages. Mais bien que les Sadducéens considérassent les livres qui contenaient ces passages comme sacrés, il est plus que douteux qu'aucun des Juifs les ait considérés comme sacrés dans exactement le même sens que la loi écrite. Pour les Juifs, Moïse était et est une figure colossale dont l'autorité surpasse celle de tous les prophètes ultérieurs. »
 
5. Le temple d'Hérode : « Le but que poursuivait Hérode en entreprenant cette grande oeuvre était de se grandir lui-même et de grandir la nation, plutôt que de rendre hommage à Jéhovah. Sa proposition de reconstruire ou de restaurer le temple sur une échelle plus grande et plus magnifique fut considérée comme suspecte et accueillie avec méfiance par les Juifs : quand l'ancien édifice serait démoli, ce monarque arbitraire était bien capable d'abandonner son projet et de laisser le peuple dépourvu de temple. Pour dissiper ces craintes, le roi se mit en devoir de reconstruire et de restaurer le vieil édifice, partie par partie, en dirigeant le travail de telle manière qu'à aucun moment le service du temple ne fût sérieusement perturbé. On ne conserva cependant que si peu de l'ancienne construction, que le temple d'Hérode doit être regardé comme une création nouvelle. L'œuvre fut entreprise environ seize ans avant la naissance du Christ ; et, alors que la maison sainte proprement dite était pratiquement achevée en un an et demi - cette partie de l'ouvrage ayant été exécutée par un millier de prêtres spécialement entraînés dans ce but - l'emplacement du temple fut témoin de travaux ininterrompus de construction jusqu'en 63 après J.-C. Nous apprenons qu'à l'époque du ministère du Christ, le temple était en reconstruction depuis quarante-six ans ; et à ce moment il n'était pas encore achevé.
 
« Le texte biblique ne nous donne guère de renseignements concernant ce dernier temple, le plus grand de l'antiquité ; ce que nous en savons, nous le devons principalement à Josèphe, avec à l'appui quelques témoignages trouvés dans le Talmud. Dans tous ses traits essentiels, la maison sainte, ou temple proprement dit, était semblable aux deux maisons ou sanctuaires antérieurs, quoiqu'il fût, extérieurement, bien plus compliqué et plus imposant qu'eux ; le temple d'Hérode, en effet, les surclassait de loin sur le chapitre des cours d'enceinte et des bâtiments annexes... Et pourtant, sa beauté, sa grandeur, résidaient plutôt dans sa perfection architecturale que dans la sainteté du culte ou dans la manifestation de la présence divine à l'intérieur de ses murs. Le rituel, les cérémonies étaient surtout d'inspiration humaine, car, tandis que l'on se targuait d'observer la lettre de la loi de Moïse, cette loi avait été complétée et sur de nombreux points remplacée par la tradition et les prescriptions sacerdotales. Les Juifs affectaient de le considérer comme saint, et ce sont eux qui le proclamaient « maison du Seigneur ». Quoiqu'il fût dépourvu des manifestations divines qui avaient accompagné les autres sanctuaires acceptés par Dieu, et quoiqu'il fût souillé par l'arrogance des prêtres usurpateurs aussi bien que par des intérêts mercenaires égoïstes, il fut cependant reconnu, même par notre Seigneur Jésus-Christ, comme la maison de son Père (Mt 21:12 ; comparer avec Marc 11:15 et Luc 19:45)... Pendant encore trente ans ou davantage après la mort du Christ, les Juifs continuèrent d'aménager et d'embellir les bâtiments du temple. Le plan complexe conçu et projeté par Hérode avait été pratiquement mené à bien ; le temple était pour ainsi dire achevé et, comme il apparut bientôt après, il était prêt pour la destruction. Son destin avait été nettement prédit par le Sauveur lui-même. » - (La Maison du Seigneur, de l'auteur, p. 43-49.)
 
6. État du monde à l'époque de la naissance du Sauveur : Au commencement de l'ère chrétienne, les Juifs, comme la plupart des autres nations, étaient sujets de l'empire romain. On leur accordait une mesure considérable de liberté dans la préservation de leurs observances religieuses et de leurs coutumes nationales en général, mais leur statut était loin d'être celui d'un peuple libre et indépendant. L'époque était une période de paix relative, un temps marqué par moins de guerres et moins de dissensions que l'empire n'en connaissait depuis de nombreuses années. Cette situation était favorable à la mission du Christ et à la fondation de son Église sur la terre. Les systèmes religieux qui existaient à l'époque du ministère terrestre du Christ peuvent être classifiés d'une manière générale sous les rubriques Juif et Païen, avec un système mineur - le Samaritain - qui était essentiellement un mélange des deux autres. Seuls les enfants d'Israël proclamaient l'existence du Dieu vrai et vivant ; eux seuls espéraient et attendaient l'avènement du Messie qu'ils considéraient erronément comme un futur conquérant qui viendrait écraser les ennemis de leur nation. Toutes les autres nations, langues et peuples se prosternaient devant les divinités païennes, et leur culte ne se composait de rien d'autre que des rites sensuels de l'idolâtrie païenne. Le paganisme était une religion de formes et de cérémonies, basée sur le polythéisme - croyance en l'existence d'une multitude de dieux, divinités sujettes à tous les vices et à toutes les passions de l'humanité et se distinguant par leur immunité à la mort. La morale et la vertu étaient étrangères au service païen ; et l'idée dominante du culte païen était de se rendre les dieux favorables dans l'espoir d'écarter leur colère et d'acheter leurs faveurs. (Voir La grande apostasie, de l'auteur, 1:2-4, et les notes suivant le chapitre cité.)
 
 
CHAPITRE 7 : GABRIEL ANNONCE JEAN ET JÉSUS
 
JEAN, LE PRÉCURSEUR
 
Parallèlement aux prophéties sur la naissance du Christ, on trouve des prédictions concernant un homme qui le précéderait, allant devant lui pour préparer la voie. Il n'est pas surprenant que l'annonciation de l'avènement du Précurseur ait été rapidement suivie par celle du Messie, ni que les proclamations aient été faites par le même ambassadeur céleste, Gabriel, envoyé de la présence de Dieu [1].
 
Quelque quinze mois avant la naissance du Sauveur, Zacharie, prêtre de l'ordre aaronique, officiait selon les fonctions de son office au temple de Jérusalem. Sa femme, Elisabeth, était également d'une famille de prêtres, puisqu'elle comptait parmi les descendants d'Aaron. Elizabeth et Zacharie n'avaient jamais eu la bénédiction d'avoir des enfants, et à l'époque dont nous parlons, ils étaient tous deux avancés en âge et avaient tristement abandonné l'espoir d'avoir une postérité. Zacharie appartenait à la classe de prêtres nommés selon Abija et connus plus tard sous le nom de classe d'Abia. C'était la huitième dans l'ordre des vingt-quatre classes établies par David, le roi, chaque classe étant chargée de servir tour à tour pendant une semaine au sanctuaire [2].
 
On se souviendra que lorsque le peuple revint de Babylone, quatre seulement des classes étaient représentées, mais que chacune de ces quatre classes comptait en moyenne plus de mille quatre cents hommes [3].
 
Au cours de sa semaine de service, il était requis de chaque prêtre qu'il conservât scrupuleusement un état de pureté cérémonielle de sa personne ; il devait s'abstenir de tout autre vin et de toute autre nourriture que ceux qui étaient spécialement prescrits ; il devait se baigner fréquemment ; il vivait dans l'enceinte du temple et était ainsi séparé de sa famille ; il ne lui était pas permis de s'approcher des morts ni de prendre le deuil officiel si la mort le privait même de sa parenté la plus proche et la plus chère. Nous apprenons que la sélection quotidienne du prêtre qui devait entrer dans le Saint et y brûler de l'encens sur l'autel doré était déterminée par le sort [4] ; l'histoire non scripturaire nous apprend en outre qu'à cause du grand nombre des prêtres, l'honneur de remplir pareil office tombait rarement deux fois sur la même personne.
 
Ce jour-là, le sort était tombé sur Zacharie. C'était une occasion très solennelle dans la vie de l'humble prêtre judéen - ce jour unique de sa vie pendant lequel ce service spécial et particulièrement sacré était requis de lui. Dans le Saint, seul le voile du temple le séparait de l'Oracle ou Saint des Saints - le sanctuaire intérieur dans lequel nul autre que le grand prêtre ne pouvait entrer, et ce uniquement le jour des expiations, après une longue préparation cérémonielle [5]. Le lieu et le moment portaient aux sentiments les plus élevés et les plus respectueux. Pendant que Zacharie remplissait ses fonctions dans le Saint, le peuple qui se trouvait à l'extérieur se prosternait en prières, attendant que les nuages d'encens apparussent au-dessus de la grande cloison qui formait la barrière entre le lieu de l'assemblée générale et le Saint, et que le prêtre réapparût et prononçât sa bénédiction.
 
Devant le regard étonné de Zacharie, à cet instant suprême de son service religieux, un ange du Seigneur apparut, debout, à droite de l'autel des parfums. De nombreuses générations s'étaient écoulées parmi les Juifs depuis qu'une présence visible autre que mortelle s'était manifestée dans le temple, soit dans le Saint soit dans le Saint des Saints ; le peuple considérait les visites personnelles d'êtres célestes comme des événements du passé ; il en était presque arrivé à croire qu'il n'y avait plus de prophètes en Israël. Néanmoins, il y avait toujours un sentiment de fièvre, proche de celui d'une attente troublée, toutes les fois qu'un prêtre s'approchait du sanctuaire intérieur, qui était considéré comme la demeure particulière de Jéhovah, s'il devait jamais condescendre de nouveau à rendre visite à son peuple. Étant donné cette situation, c'est sans surprise que nous lisons que cette présence angélique troubla Zacharie et le remplit de crainte. Cependant le visiteur céleste prononça des paroles réconfortantes bien que surprenantes, puisqu'il l'assurait formellement que ses prières avaient été entendues et que sa femme lui engendrerait un fils, qui devrait être nommé Jean [6]. La promesse allait plus loin encore, spécifiant que l'enfant qui naîtrait d'Elisabeth serait une bénédiction pour le peuple, que beaucoup se réjouiraient de sa naissance, qu'il serait grand aux yeux du Seigneur et ne devrait pas boire de vin et de boissons fortes [7] ; il serait rempli du Saint-Esprit, serait l'agent qui tournerait beaucoup d'âmes vers Dieu et préparerait le peuple à recevoir le Messie.
 
Il ne fait aucun doute que Zacharie reconnut, dans cette prédiction concernant l'avenir de l'enfant qui allait naître, le grand précurseur dont les prophètes avaient parlé et que le psalmiste avait chanté ; mais qu'un tel personnage pût être leur enfant à lui et à sa femme âgée lui semblait impossible en dépit de la promesse de l'ange. L'homme douta et demanda comment il saurait que ce que son visiteur avait dit était vrai : « L'ange lui répondit : Moi, je suis Gabriel, celui qui se tient devant Dieu ; j'ai été envoyé pour te parler et t'annoncer cette bonne nouvelle. Voici tu seras muet, et tu ne pourras parler jusqu'au jour où cela se produira, parce que tu n'as pas cru à mes paroles qui s'accompliront en leur temps » [8]. Quand ce prêtre hautement béni bien que cruellement frappé sortit finalement et apparut devant l'assistance qui l'attendait, déjà rendue anxieuse par son retard, il ne put que renvoyer silencieusement l'assemblée et indiquer par signes qu'il avait eu une vision. Le châtiment du doute était déjà appliqué : Zacharie était muet.
 
En son temps, l'enfant naquit dans la région montagneuse de la Judée [9] où Zacharie et Elisabeth avaient leur demeure, et, le huitième jour après la naissance, la famille s'assembla conformément à la coutume et aux exigences mosaïques pour donner au bébé un nom lors du rite de la circoncision [10]. Zacharie rejeta toutes les suggestions visant à lui donner le nom de son père, et écrivit avec une décision irrévocable : « Jean est son nom. » Immédiatement la langue du prêtre muet [11] fut déliée, et, rempli du Saint-Esprit, il éclata en prophéties, louanges et chants ; ses paroles inspirées ont été mises en musique et sont chantées par beaucoup d'assemblées chrétiennes dans leur culte :
 
« Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël,
De ce qu'il a visité et racheté son peuple,
Et nous a procuré une pleine délivrance
Dans la maison de David, son serviteur,
Comme il en avait parlé par la bouche de ses saints prophètes depuis des siècles,
La délivrance de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent.
Ainsi fait-il miséricorde à nos pères
Et se souvient-il de sa sainte alliance,
Selon le serment qu'il a juré à Abraham, notre père,
Ainsi nous accorde-t-il, après avoir été délivrés de la main de nos ennemis, de pouvoir sans crainte
Lui rendre un culte dans la sainteté et la justice, en sa présence, tout au long de nos jours.
Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut ;
Car tu marcheras devant le Seigneur pour préparer ses voies,
Pour donner à son peuple la connaissance du salut par le pardon de ses péchés,
Grâce à l'ardente miséricorde de notre Dieu.
C'est par elle que le soleil levant nous visitera d'en haut
Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort
Et pour diriger nos pas dans le chemin de la paix. » [12]
 
Les derniers mots que Zacharie avait prononcés avant d'être puni de mutisme étaient des paroles de doute et d'incrédulité, des paroles dans lesquelles il avait demandé un signe comme preuve de l'autorité de quelqu'un qui venait de la présence du Tout-Puissant ; les paroles par lesquelles il rompit son long silence étaient des paroles de louanges à Dieu, en qui il avait toute assurance, des paroles qui étaient comme un signe pour tous ceux qui l'entendirent, et dont le bruit se répandit dans toute la région.
 
Les circonstances extraordinaires qui accompagnèrent la naissance de Jean, et surtout les mois que son père passa dans le mutisme et sa guérison lorsqu'il donna à son enfant le nom qui lui avait été désigné d'avance, firent que beaucoup s'étonnèrent et que certains craignirent, demandant : « Que sera donc ce petit enfant ? » Lorsque, devenu adulte, jean éleva la voix dans le désert, de nouveau en accomplissement de la prophétie, le peuple se demanda s'il n'était pas le Messie [13]. Sur sa vie entre sa tendre enfance et le commencement de son ministère public, période d'environ trente ans, nous n'avons qu'un seul renseignement : « Or, le petit enfant grandissait et se fortifiait en esprit. Il demeurait dans les déserts, jusqu'au jour où il se présenta devant Israël. » [14]
 
L'ANNONCIATION À LA VIERGE
 
Six mois après la visite de Gabriel à Zacharie, et trois mois avant la naissance de Jean, le même messager céleste fut envoyé à une jeune fille du nom de Marie, qui vivait à Nazareth, ville de Galilée. Elle était du lignage de David et, quoique célibataire, était fiancée à un homme appelé Joseph, qui était également de descendance royale par la ligne davidique. La salutation de l'ange, bien que l'honorant et la bénissant, fit que Marie s'étonna et se sentit troublée. « Je te salue toi à qui une grâce a été faite ; le Seigneur est avec toi » [15], c'est ainsi que Gabriel salua la Vierge.
 
Comme les autres filles d'Israël, et surtout celles de la tribu de Juda et que l'on savait descendre de David, Marie avait pensé sans aucun doute, avec une joie et une extase saintes, à la venue du Messie par la ligne royale ; elle savait qu'une vierge juive allait devenir la mère du Christ. Était-il possible que les paroles que l'ange lui adressait se rapportent à cette attente et à cet espoir suprêmes de la nation ? Elle eut peu de temps pour méditer ces pensées dans son esprit, car l'ange poursuivit : « Sois sans crainte Marie ; car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici : tu deviendras enceinte, tu enfanteras un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père. Il régnera sur la maison de Jacob éternellement et son règne n'aura pas de fin. » [16]
 
Elle ne comprit néanmoins alors qu'en partie la portée de cette visite importante. Marie, consciente de son état de célibataire et certaine de sa virginité demanda, non pas dans l'esprit de doute, qui avait poussé Zacharie à demander un signe, mais par un désir sincère d'être informée et de recevoir des explications : « Comment cela se produira-t-il, puisque je ne connais pas d'homme ? » En réponse à sa question toute naturelle et toute simple, l'ange annonça un miracle tel que le monde n'en avait jamais connu - pas un miracle dans le sens d'un événement contraire aux lois de la nature, mais néanmoins un miracle opéré par l'intervention d'une loi supérieure, une de ces lois que l'esprit humain ne peut ordinairement comprendre ou considérer comme possibles. Marie fut informée qu'elle concevrait et enfanterait le moment venu un Fils dont aucun mortel ne serait le père : « L'ange lui répondit : Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C'est pourquoi le saint (enfant) qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. » [17]
 
Puis l'ange lui parla de l'état béni de sa cousine Elisabeth, qui jusque-là avait été stérile ; et il ajouta cette explication finale et suffisante : « Car rien n'est impossible à Dieu. » Se soumettant avec douceur et acceptant sa mission avec humilité, la pure jeune vierge répliqua : « Voici la servante du Seigneur ; qu'il me soit fait selon ta parole. »
 
Son message remis, Gabriel partit, laissant la Vierge élue de Nazareth réfléchir à sa merveilleuse expérience. Le Fils promis de Marie devait être « le Seul-Engendré » du Père dans la chair ; c'est ce qui avait été clairement et abondamment prédit. L'événement, il est vrai, était sans précédent ; il n'avait jamais eu non plus d'égal, cela est vrai aussi ; et le caractère unique de la naissance virginale était aussi essentiel à l'accomplissement de la prophétie que la réalisation de l'événement lui-même. Cet Enfant qui devait naître de Marie fut engendré par Élohim, le Père éternel, non pas en violation des lois naturelles, mais conformément à une manifestation supérieure de celles-ci ; et le fruit de cette union suprêmement sainte, de cette parenté céleste, pur en dépit de sa mère mortelle, avait le droit d'être appelé le « Fils du Très-Haut ». Dans sa nature seraient combinés les pouvoirs de la Divinité avec la qualité et les possibilités de la mortalité ; et ceci en vertu du fonctionnement ordinaire de la loi fondamentale de l'hérédité, décrétée par Dieu, démontrée par la science et admise par la philosophie, que les êtres vivants se multiplieront selon leur espèce. L'Enfant Jésus allait hériter des traits, des tendances et des facultés physiques, mentales et spirituelles qui caractérisaient ses parents - l'un immortel et glorifié - Dieu, l'autre humain - la femme.
 
Jésus-Christ allait naître d'une femme mortelle, mais n'était pas directement l'enfant d'un homme mortel, si ce n'est dans la mesure où sa mère était la fille à la fois d'un homme et d'une femme. Ce n'est qu'en notre Seigneur et en lui seul que s'est accomplie la parole de Dieu prononcée lors de la chute d'Adam, selon laquelle la postérité de la femme aurait le pouvoir de vaincre Satan en écrasant la tête du serpent [18].
 
Pour ce qui concerne le lieu, les conditions et le contexte général, l'annonce de Gabriel à Zacharie contraste fortement avec la remise de son message à Marie. Le futur précurseur du Seigneur fut annoncé à son père dans le magnifique temple et dans le lieu le plus exclusivement sacré à l'exception d'un seul autre dans la maison sainte, sous la lumière déversée par le chandelier d'or, et illuminé en outre par l'éclat des charbons ardents sur l'autel d'or ; le Messie fut annoncé à sa mère dans une petite ville, loin de la capitale et du temple, très probablement entre les murs d'une maisonnette galiléenne toute simple.
 
VISITE DE MARIE À SA COUSINE ÉLISABETH
 
Il n'était que naturel que Marie, laissée maintenant à elle-même avec un secret dans l'âme, plus saint, plus grand et plus émouvant que jamais aucun autre gardé avant ou depuis, recherchât de la compagnie, et que cette compagnie fût celle de quelqu'un de son propre sexe à qui elle pourrait se confier, de qui elle pourrait espérer recevoir du réconfort et du soutien et à qui il ne serait pas mal de dire ce qui, à l'époque, n'était probablement connu d'aucun mortel qu'elle-même. Son visiteur céleste avait en effet suggéré tout cela lorsqu'il parla d'Elisabeth, la cousine de Marie, elle-même objet d'une bénédiction extraordinaire, femme en qui un autre miracle de Dieu avait été accompli. Marie quitta Nazareth en hâte pour se rendre dans les collines de Judée, voyage de cent cinquante kilomètres environ, si la tradition dit vrai lorsqu'elle situe la demeure de Zacharie dans la petite ville de Juttah. La joie fut partagée dans la réunion entre Marie, la jeune Vierge, et Elisabeth déjà d'un âge bien avancé. D'après ce que son mari lui avait communiqué des paroles de Gabriel, Elisabeth devait savoir que la naissance proche de son fils serait bientôt suivie de celle du Messie, et que par conséquent le jour qu'Israël avait attendu et pour lequel il avait prié pendant les longs siècles de ténèbres était sur le point de se lever. Lorsque la salutation de Marie parvint aux oreilles d'Elisabeth, le Saint-Esprit lui rendit témoignage que la mère élue du Seigneur se tenait devant elle en la personne de sa cousine ; et, sentant son propre enfant tressaillir en son sein, elle rendit respectueusement le salut de sa visiteuse : « Tu es bénie entre les femmes, et le fruit de ton sein est béni. Comment m'est-il accordé que la mère de mon Seigneur vienne chez moi ? » [19]. Marie répondit par ce merveilleux cantique de louanges adopté depuis dans le rituel musical des Églises sous le nom de Magnificat :
 
« Mon âme exalte le Seigneur
Et mon esprit a de l'allégresse en Dieu, mon Sauveur,
Parce qu'il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante.
Car voici : désormais toutes les générations me diront bienheureuse.
Parce que le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses.
Son nom est saint,
Et sa miséricorde s'étend d'âge en âge
Sur ceux qui le craignent.
Il a déployé la force de son bras ;
Il a dispersé ceux qui avaient dans le cœur des pensées orgueilleuses,
Il a fait descendre les puissants de leurs trônes,
Élevé les humbles.
Rassasié de biens les affamés.
Renvoyé à vide les riches.
Il a secouru Israël, son serviteur,
Et s'est souvenu de sa miséricorde,
- Comme il l'avait dit à nos pères –
Envers Abraham et sa descendance pour toujours. » [20]
 
MARIE ET JOSEPH
 
La visite dura environ trois mois, après quoi Marie retourna à Nazareth. Elle allait maintenant devoir faire face à l'embarras réel de sa situation. Chez sa cousine on l'avait comprise, son état avait servi à confirmer le témoignage de Zacharie et d'Elisabeth ; mais comment recevrait-on sa parole chez elle ? Et surtout que penserait d'elle son fiancé [21] ? Les fiançailles, à cette époque, étaient à certains points de vue aussi définitives que le vœu de mariage et ne pouvaient être rompues que par une séparation cérémonielle voisine du divorce ; cependant des fiançailles n'étaient qu'un engagement à se marier, pas un mariage. Lorsque Joseph retrouva sa future épouse après l'absence de trois mois, il fut profondément désemparé lorsqu'il s'aperçut qu'elle allait être mère. Or la loi juive prévoyait deux modalités d'annulation des fiançailles : par un jugement public, ou par un accord privé attesté par un document écrit et signé en la présence de témoins. Joseph était un juste, strict observateur de la loi, sans être toutefois extrémiste ; en outre il aimait Marie et voulait lui épargner toute humiliation inutile, quels que pussent être son propre chagrin et ses propres souffrances. Par amour pour Marie, il craignait que la chose ne fût rendue publique et décida pour cette raison de faire annuler les fiançailles d'une manière aussi privée que la loi le permettait. Il était troublé et pensait beaucoup à son devoir en cette occasion, lorsque « voici qu'un ange du Seigneur lui apparut en songe et dit : Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ta femme, car l'enfant qu'elle a conçu vient du Saint-Esprit, elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » [22].
 
Grand fut le soulagement de Joseph, et grande sa joie de se rendre compte que la venue depuis longtemps prédite du Messie était proche ; les paroles du prophète s'accompliraient ; une vierge, et ce serait celle qui lui était la plus chère au monde, avait conçu et enfanterait, le moment venu, ce Fils béni, Emmanuel, nom qui signifie par interprétation « Dieu avec nous » [23]. La salutation de l'ange fut significative, il l'appela : « Joseph, fils de David » ; et l'emploi de ce titre royal dut signifier pour Joseph que, bien qu'il fût de lignage royal, son mariage avec Marie ne jetterait aucune ombre sur sa situation familiale. Joseph n'attendit pas ; pour assurer à Marie toute la protection possible et établir pleinement ses droits légaux au titre de tuteur légitime, il hâta la célébration du mariage et « fit ce que l'ange du Seigneur lui avait ordonné, et il prit sa femme chez lui. Mais il ne la connut point jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus » [24].
 
L'espoir national d'un Messie, basé sur la promesse divine et les prophéties, était devenu confus dans l'esprit juif à cause de l'influence du rabbinisme avec ses nombreuses divagations, et son « interprétation personnelle » [25] qui retirait un semblant d'autorité du prestige artificiellement entretenu des interprètes. Pourtant les rabbins eux-mêmes avaient souligné que certaines conditions étaient essentielles, et que c'étaient ces éléments essentiels qui permettraient de juger les prétentions de tout Juif qui pourrait se déclarer être celui que l'on attendait depuis si longtemps. Il ne faisait aucun doute que le Messie devait naître dans la tribu de Juda et dans la lignée de David, et, étant de David, il devait nécessairement être du lignage d'Abraham, à travers la postérité duquel toutes les nations de la terre devaient être bénies, conformément à l'alliance [26].
 
On trouve dans le Nouveau Testament deux documents généalogiques qui affirment donner le lignage de Jésus, l'un au premier chapitre de Matthieu, l'autre au troisième chapitre de Luc. Ce document présente en apparence plusieurs divergences, mais elles ont été expliquées de manière satisfaisante par les recherches de spécialistes de la généalogie juive. Nous n'essayerons pas de faire une analyse détaillée de la question ici ; mais il faut se rappeler que les chercheurs s'accordent à dire que le document de Matthieu est celui du lignage royal, établissant l'ordre de succession parmi les héritiers légaux au trône de David, tandis que le document donné par Luc est un arbre généalogique personnel, démontrant l'appartenance à la lignée de David sans s'occuper de la ligne de succession légale au trône par primogéniture ou apparentée [27]. Cependant beaucoup considèrent le document de Luc comme l'arbre généalogique de Marie, tandis que l'on accepte celui de Matthieu comme celui de Joseph. Le fait capital dont il faut se souvenir est que l'Enfant promis par Gabriel à Marie, l'épouse virginale de Joseph, devait naître de la lignée royale. La généalogie personnelle de Joseph serait essentiellement celle de Marie, car ils étaient cousins. Joseph est appelé fils de Jacob par Matthieu, et fils d'Héli par Luc ; Jacob et Héli étaient frères, et il semble que l'un des deux ait été le père de Joseph et l'autre le père de Marie et par conséquent le beau-père de Joseph. Beaucoup d'Écritures déclarent clairement que Marie était de descendance davidique ; car puisque Jésus devait naître de Marie, sans avoir été engendré par Joseph, qui était le père putatif, et selon la loi des Juifs, le père légal, le sang de la postérité de David fut donné au corps de Jésus par Marie seule. Notre Seigneur, quoique appelé à de multiples reprises Fils de David, ne rejeta jamais le titre et l'accepta comme s'appliquant à lui à bon droit [28]. Le témoignage des apôtres affirme formellement que le Christ est héritier royal par son lignage terrestre, comme en témoigne l'affirmation de Paul, le savant Pharisien : « Il concerne son Fils, né de la descendance de David selon la chair », et encore : « Souviens-toi de Jésus-Christ, ressuscité d'entre les morts, issu de la descendance de David » [29].
 
Dans toutes les persécutions que lui infligèrent ses ennemis implacables, dans toutes les accusations fausses relevées contre lui, dans les accusations formelles de sacrilège et de blasphème formulées contre lui parce qu'il affirmait être le Messie, nous ne trouvons même pas la moindre insinuation qu'il pût ne pas être le Christ parce qu'inéligible à cause de son lignage. Les Juifs prirent grand soin de la généalogie avant, pendant et après le temps du Christ ; en fait leur histoire nationale était en grande partie un document généalogique ; et s'il y avait eu la moindre possibilité de nier le Christ parce que sa lignée n'était pas confirmée, ce fait aurait été exploité au maximum par le Pharisien importun, le scribe érudit, le rabbi hautain et le Sadducéen aristocrate.
 
À l'époque de la naissance du Messie, Israël était gouverné par des monarques étrangers. Les droits de la famille royale de David n'étaient pas reconnus, et le gouverneur des Juifs était un fonctionnaire de Rome. Si Juda avait été une nation libre et indépendante, gouvernée par son souverain légitime, Joseph le charpentier aurait été son roi couronné, et son successeur légal au trône aurait été Jésus de Nazareth, roi des Juifs.
 
L'annonce de Gabriel à Marie fut celle du Fils de David, sur la venue duquel Israël reposait tous ses espoirs comme sur une fondation sûre. Celui qui fut ainsi annoncé fut Emmanuel, Dieu lui-même qui allait demeurer dans la chair parmi son peuple [30], le Rédempteur du monde, Jésus, le Christ.
 
 [1] Luc 1:19,26 ; voir aussi Dn 8:16, 9:21-23.
 [2] Luc 1:5 ; cf. 1 Ch 24:10
 [3] Esd 2:36-39.
 [4] Luc 1:8,9 ; lire tout le chapitre.
 [5] Lv chap. 16 ; Hé 9:1-7 ; voir aussi La Maison du Seigneur, p. 47, et cf. p. 24 et 39. Note 6, fin du chapitre.
 [6] Chap. 5. Autres exemples d'enfants promis malgré une stérilité due aux ans ou à d'autres causes : Isaac (Gn 17:16,17 et 21:1-3), Samson (Juges, chap. 13), Samuel (1 S chap. 1), le fils de la Sunamite (2 Rois 4:14-17).
 [7] Note 1, fin du chapitre.
 [8] Luc 1:19,20.
 [9] Luc 1:57 ; cf. verset 39.
 [10] Note 2, fin du chapitre.
 [11] Note 3, fin du chapitre.
 [12] Luc 1:68-79.
 [13] Luc 1:65,66 ; voir aussi 3:15.
 [14] Luc 1:80.
 [15] Luc 1:28.
 [16] Luc 1:30-33.
 [17] Luc 1:35 ; voir aussi les versets précédents, 31-33.
 [18] Chap. 5 du présent ouvrage et Gn 3:15.
 [19] Luc 1:42 ; lire les versets 39-56.
 [20] Luc 1:46-55.
 [21] Note 4, fin du chapitre.
 [22] Mt 1:20,21 ; lire 18-25.
 [23] Mt 1:22,23 ; cf. Es 7:14 ; voir aussi 9:6.
 [24] Mt 1:24,25.
 [25] 2 Pierre 1:20.
 [26] Gn 12:3,18:18, 22:18, 26:4 ; cf. Actes 3:25, Ga 3:8.
 [27] Note 5, fin du chapitre.
 [28] Exemples dans Mt 9:27, 15:22, 21:9, 20:30, 31 ; y comparer avec Luc 18:38, 39.
 [29] Rm 1:3 ; 2 Tm 2:8 ; voir aussi Actes 2:30, 13:23 ; cf. Ps 132:11 ; voir aussi Luc 1:32.
 [30] Mt 1:23.
 
NOTES DU CHAPITRE 7
 
1. Jean-Baptiste considéré comme naziréen : L'ordre de l'ange Gabriel à Zacharie, selon lequel le fils promis, Jean, ne devait boire « ni vin, ni boisson enivrante », et la vie adulte de Jean dans le désert, outre son habitude de porter des vêtements grossiers, ont amené les commentateurs et les spécialistes de la Bible à supposer qu'il était « naziréen à vie ». Il faut toutefois se rappeler que Jean-Baptiste n'est formellement appelé naziréen en aucun endroit des Écritures existantes. Un naziréen, le nom signifiant consacré ou séparé, était un homme qui, suite à un vœu personnel ou à celui fait pour lui par ses parents, était mis à part pour une œuvre particulière ou une vie exigeant du renoncement (voir chap. 6 du présent ouvrage, note 5). Le Comp. Dict. of the Bible, de Smith, dit : « Le Pentateuque ne parle nulle part de naziréens à vie, mais les règlements pour le vœu d'un naziréen de plusieurs jours sont donnés (Nb 6:1,2). Pendant la durée de sa consécration, le naziréen était sous l'obligation de s'abstenir de vin, de raisins et de tous produits de la vigne, ainsi que de toutes espèces de boissons alcoolisées. Il lui était interdit de se couper les cheveux ou de s'approcher d'un cadavre quelconque, même celui de son parent le plus proche. » Le seul exemple d'un naziréen à vie nommé dans les Écritures est celui de Samson, dont la mère reçut l'ordre de se mettre sous les lois naziréennes avant sa naissance, et l'enfant devait être naziréen consacré à Dieu dès sa naissance (juges 13:3-7, 14). Dans l'ascétisme de sa vie, il faut reconnaître à Jean-Baptiste toute la discipline personnelle requise des naziréens, qu'il fût tenu par des vœux volontaires ou des vœux de ses parents ou ne fût pas lié de cette manière.
 
2. La circoncision : La circoncision n'était pas une pratique exclusivement hébraïque ou israélite, mais dans ses révélations à Abraham, Dieu en fit une exigence bien précise, disant que c'était le signe de l'alliance entre Jéhovah et le patriarche (Gn 17:9-14). Aux termes de cette alliance, la postérité d'Abraham deviendrait une grande nation, et à travers sa postérité toutes les nations de la terre seraient bénies (Gn 22:18) - promesse qui s'est avérée signifier que c'est dans ce lignage que le Messie naîtrait. La circoncision était obligatoire ; c'est pourquoi sa pratique devint une caractéristique nationale. Tous les enfants masculins devaient être circoncis huit jours après leur naissance (Gn 17:12, Lv 12:3). L'âge requis pour cette cérémonie finit par être imposé d'une manière si rigide que même si le huitième jour tombait un sabbat, le rite devait être accompli ce jour-là (Jean 7:22,23). Tous les esclaves masculins devaient être circoncis (Gn 17:12,13), et même les étrangers qui séjournaient parmi les Hébreux et désiraient prendre part à la Pâque avec eux devaient se soumettre à cette condition (Ex 12:48). Nous tirons ce qui suit du Standard Bible Dictionary : « La cérémonie signifiait que l'intéressé se débarrassait de ses impuretés, préparation nécessaire pour être introduit dans les droits de ceux qui faisaient partie d'Israël. Dans le Nouveau Testament, qui faisait passer l'accent de l'aspect externe et formel sur le côté intérieur et spirituel des choses, il fut déclaré pour la première fois inutile que le Gentil converti à l'Évangile fût circoncis (Actes 15:28), et par la suite, même les chrétiens juifs abandonnèrent ce rite. » On prit l'habitude de donner un nom à l'enfant au moment de la circoncision, comme c'est le cas pour Jean, fils de Zacharie (Luc 1:59).
 
3. L'affliction de Zacharie : Le signe que Zacharie demandait fut donné comme suit par l'ange : « Voici : tu seras muet, et tu ne pourras parler jusqu'au jour où cela se produira, parce que tu n'as pas cru à mes paroles, qui s'accompliront en leur temps » (Luc 1:20). Se basant sur le récit de la circoncision où l'enfant reçut son nom, Jean, certains avancent que le père affligé était également sourd, puisque les personnes qui étaient présentes lui « firent des signes » pour lui demander quel nom il voulait donner à son fils (verset 62).
 
4. Les fiançailles juives : Le vœu de fiançailles a toujours été considéré comme sacré et liant les parties dans la loi juive. Dans un sens, il engageait autant que la cérémonie du mariage, bien que n'entraînant aucun des droits particuliers du mariage. Les déclarations succinctes qui suivent sont tirées de Life and Words of Christ, de Geikie, vol. 1, p. 99: « Parmi les Juifs de l'époque de Marie c'était un engagement encore bien plus réel [qu'il ne devint plus tard]. Les fiançailles se faisaient officiellement avec des réjouissances dans la maison de la fiancée sous une tente ou un baldaquin léger dressé dans ce but. On appelait cela « rendre sacré », car dorénavant la fiancée était sacrée pour son mari dans le sens le plus strict. Pour rendre les choses légales, le fiancé donnait à sa fiancée une pièce d'argent, ou sa valeur, devant témoins, avec les paroles : « Voici, tu es fiancée à moi » ou rédigeait un écrit officiel dans lequel des mots semblables et le nom de la jeune fille étaient donnés, et celui-ci lui était remis de la même manière devant témoins. »
 
5. Généalogies de Joseph et Marie : « Il est maintenant presque certain que les généalogies des deux évangiles sont des généalogies de Joseph, qui, si nous pouvons nous reposer sur des traditions anciennes quant à leur consanguinité, sont également des généalogies de Marie. La descendance davidique de Marie est impliquée dans Actes 2:30, 13:23, Rm 1:3, Luc 1-32, etc. Matthieu donne la descendance légale de Joseph par la ligne aînée et royale, comme héritier du trône de David. Luc donne la descendance naturelle. Ainsi donc, le père réel de Salathiel était héritier de la maison de Nathan, mais Jéconia, qui était sans enfant (Jr 22:30), était le dernier représentant en droite ligne de la lignée aînée royale. L'omission de certains noms obscurs et l'arrangement symétrique en périodes de quarante ans étaient des coutumes juives communes. Il n'est pas exagéré de dire qu'après les travaux de Mill (On the Mythical Interpretation of the Gospels, p. 147-217) et Lord A. C. Hervey (On the Genealogies of our Lord, 1853), il ne reste plus aucune difficulté à justifier des divergences apparentes. Et c'est ainsi que, dans ce cas comme dans d'autres, les divergences même qui semblent les plus contradictoires et les plus fatales à l'exactitude historique des quatre évangélistes, s'avèrent, lorsqu'on les examine de plus près et avec plus de patience, être des preuves nouvelles de ce qu'elles sont non seulement entièrement indépendantes, mais également parfaitement dignes de confiance. » - Farrar, Life of Christ, p. 27, note.
 
L'auteur de l'article « Genealogy of Jesus-Christ » dans le Bible Dict., de Smith, dit : « Le Nouveau Testament nous donne la généalogie d'une personne seulement, notre Sauveur (Mt 1 ; Luc 3)... Les éléments suivants expliqueront la construction véritable de ces généalogies (selon Lord A. C. Hervey) : 1. Toutes deux sont les généalogies de Joseph, c'est-à-dire de Jésus-Christ, fils putatif et légal de Joseph et Marie. 2. La généalogie de Matthieu est, comme Grotius l'a affirmé, la généalogie de Joseph en tant que successeur légal au trône de David. Celle de Luc est la généalogie privée de Joseph, indiquant sa naissance réelle, comme Fils de David, et montrant ainsi pourquoi il était héritier de la couronne de Salomon. Le principe simple selon lequel l'un des évangélistes présente la généalogie qui contenait les héritiers successifs au trône de David et de Salomon, tandis que l'autre présente la branche paternelle de celui qui était l'héritier, explique toutes les anomalies des deux arbres généalogiques, leurs accords aussi bien que leurs divergences, et le fait qu'il y en a deux. 3. Marie, mère de Jésus, était probablement fille de Jacob, et cousine au premier degré de Joseph, son mari. »
 
Un apport précieux aux traités relatifs à ce sujet apparaît dans le journal of the Transactions of the Victoria Institute, or Philosophical Society of Great Britain, 1912, vol. 44, p. 9-36, sous forme d'un article : « The Genealogies of our Lord », par Mrs. A. S. Lewis et une discussion de celles-ci par beaucoup d'érudits aux compétences reconnues. L'auteur, Mrs. Lewis, est une autorité en manuscrits syriaques ; elle est l'une des deux femmes qui découvrirent, en 1892, dans la bibliothèque du monastère de Ste Catherine du mont Sinaï, le Palimpseste syriaque des quatre évangiles. Cet auteur talentueux affirme que le récit de Matthieu témoigne de l'arbre généalogique royal de Joseph, et que le tableau généalogique de Luc prouve la descendance également royale de Marie. Mrs. Lewis dit : « Le Palimpseste du Sinaï nous dit également que Joseph et Marie se rendirent à Bethléhem pour y être recensés, parce qu'ils étaient tous deux de la maison et du lignage de David. »
 
Le chanoine Girdlestone, en discutant cet article, dit, soulignant pertinemment le fait que Marie était princesse de sang royal par sa descendance de David : « Quand l'ange prédit à Marie la naissance du saint Enfant, il dit : « Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père. » Or, si Joseph, son fiancé, avait été, lui seul, descendant de David, Marie aurait répondu : « Je ne suis pas encore la femme de Joseph », alors qu'elle répondit tout simplement : « Je ne connais point d'homme », ce qui signifie clairement : Si j'étais mariée, puisque je suis descendante de David, je pourrais infuser mon sang royal à un fils, mais comment puis-je avoir un fils royal puisque je suis vierge ? »
 
Après avoir brièvement parlé de la loi juive relative à l'adoption, qui prévoit (selon le code d'Hammourabi, section 188) que si un homme enseigne un métier au fils qu'il a adopté, le fils est par là même confirmé dans tous les droits à l'héritage, le chanoine Girdlestone ajoute : « Si la couronne de David avait été donnée à son successeur du temps d'Hérode, elle aurait été placée sur la tête de Joseph. Et qui aurait été le successeur légal de Joseph ? Jésus de Nazareth aurait alors été le Roi des Juifs, et le titre placé sur la croix disait la vérité. Dieu l'avait suscité à la maison de David. »
 
6. Le sanctuaire intérieur du temple : Le Saint des Saints conservait sa forme et ses dimensions originales qui en faisaient un cube de vingt coudées dans tous les sens. Entre celui-ci et le Saint était suspendu un double voile d'un tissu très fin, orné d'une broderie compliquée. Le voile extérieur s'ouvrait du côté nord, le voile intérieur s'ouvrait du côté sud, de sorte que le grand prêtre qui y pénétrait une fois l'an pouvait passer entre les voiles sans exposer le Saint des Saints. Le local sacré était vide à l'exception d'une grande pierre que le grand prêtre aspergeait du sang du sacrifice le jour de l'expiation : cette pierre occupait la place de l'arche et de son propitiatoire. À l'extérieur du voile, dans le Saint, se trouvaient l'autel de l'encens, le chandelier à sept branches et la table des pains de proposition. - La Maison du Seigneur, p. 47.
 
 
CHAPITRE 8 : L'ENFANT DE BETHLÉHEM
 
LA NAISSANCE DE JÉSUS
 
Les prédictions qui déterminent le lieu de sa naissance à Bethléhem, petite ville de Judée, sont aussi catégoriques que les prophéties qui déclarent que le Messie naîtrait de la lignée de David. Il semble qu'il n'y ait pas eu de divergences d'opinion parmi les prêtres, les scribes ou les rabbis à ce sujet, que ce soit avant ou depuis le grand événement. Bethléhem, quoique petite et de peu d'importance pour le commerce, était doublement chère au cœur juif, étant le lieu de naissance de David et celui du futur Messie. Marie et Joseph vivaient à Nazareth de Galilée, loin de Bethléhem de Judée ; et, à l'époque dont nous parlons, la maternité de la Vierge approchait rapidement.
 
En ce temps-là, Rome émit un édit ordonnant le recensement des habitants de tous les royaumes et provinces tributaires de l'empire ; le décret était de nature générale, il prévoyait un « recensement de toute la terre » [1]. Ce recensement des sujets romains, une fois obtenu, permettrait de déterminer l'impôt à prélever sur les divers peuples intéressés. Le recensement en question était le deuxième des trois recensements que les historiens déclarent s'être produits à des intervalles de vingt ans environ. Si le recensement avait été fait suivant la méthode romaine habituelle, chaque personne aurait été enregistrée dans sa ville de résidence ; mais la coutume juive, que la loi romaine respectait, exigeait que le recensement fût fait dans les villes que les familles respectives considéraient comme celles de leurs ancêtres. Il ne nous importe pas spécialement de savoir s'il était absolument requis de chaque famille de se faire ainsi recenser dans la ville de ses ancêtres ; mais il est certain que Joseph et Marie se rendirent à Bethléhem, ville de David, pour y être recensés suivant le décret impérial [2].
 
À ce moment, la petite ville était bondée de monde, très vraisemblablement par la multitude qui s'y était rendue conformément au même édit ; Joseph et Marie ne purent donc trouver à se loger convenablement et durent se contenter d'un camp improvisé, comme d'innombrables voyageurs l'avaient fait avant eux, et comme beaucoup d'autres l'ont fait depuis, dans cet endroit-là comme ailleurs. Il ne serait pas raisonnable de considérer que la situation dans laquelle ils se trouvaient prouvait qu'ils étaient extrêmement pauvres ; elle manquait certainement de confort mais ne nous prouve absolument pas qu'ils se trouvaient dans une grande détresse ou dans la misère [3]. C'est alors qu'elle se trouvait dans cette situation que Marie, la Vierge, donna naissance à son premier-né, le Fils du Très-Haut, le Seul-Engendré du Père éternel, Jésus, le Christ.
 
Nous n'avons que peu de détails sur ce qui se passa. On ne nous dit pas combien de temps après l'arrivée de Marie et de son mari à Bethléhem la naissance se produisit. Il se peut que le but de l'évangéliste qui composa le document ait été de ne mentionner les questions d'intérêt purement humain que dans la mesure où cela était nécessaire pour la narration des faits, afin que la vérité centrale ne fût ni cachée, ni réduite au second plan par des incidents sans importance. Dans les Écritures saintes nous ne lisons que ceci sur la naissance proprement dite : « Pendant qu'ils étaient là, le temps où Marie devait accoucher arriva, et elle enfanta son fils premier-né. Elle l'emmaillota et le coucha dans une crèche, parce qu'il n'y avait pas de place pour eux dans l'hôtellerie » [4].
 
Contraste frappant avec la simplicité et la brièveté du récit scripturaire et son peu de détails secondaires, l'imagination des hommes a ajouté tout un fatras de circonstances dont une grande partie ne se fonde sur aucun document autorisé et qui sont, à beaucoup de points de vue, manifestement illogiques et faux. Vis-à-vis d'un sujet aussi important, il est prudent et sage de séparer et de marquer nettement la distinction entre les faits dont l'authenticité est vérifiée et les commentaires imaginés d'historiens, de théologiens et de romanciers, aussi bien que les rhapsodies émotives de poètes et les extravagances artistiques créées par le ciseau ou le pinceau.
 
Dès son origine, Bethléhem avait été la résidence de gens occupés, la plupart du temps, à des activités pastorales et agricoles. À l'époque de la naissance du Messie, qui se produisit au printemps de l'année, les troupeaux se trouvaient nuit et jour dans les champs sous la garde de leurs bergers ; cela est tout à fait en accord avec ce que nous connaissons de la ville et de ses environs. C'est à certains de ces humbles bergers que fut proclamée pour la première fois la naissance du Sauveur. Voici ce que dit ce récit tout simple : « Il y avait, dans cette même contrée des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux. Un ange du Seigneur leur apparut, et la gloire du Seigneur resplendit autour d'eux. Ils furent saisis d'une grande crainte. Mais l'ange leur dit : Soyez sans crainte, car je vous annonce la bonne nouvelle d'une grande joie qui sera pour tout le peuple : aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Et ceci sera pour vous un signe : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une crèche. Et soudain il se joignit à l'ange une multitude de l'armée céleste, qui louait Dieu et disait : « Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, Et paix sur la terre parmi les hommes qu'il agrée [5] ! »
 
Jamais nouvelle aussi importante n'avait été annoncée par un ange ou reçue par l'homme - une bonne nouvelle qui serait le sujet d'une grande joie, donnée à un petit nombre seulement, et ce, parmi les plus humbles de la terre, mais destinée à se répandre à tous les hommes. La scène est d'une grandeur sublime, car l'auteur du message est divin, et l'apothéose est telle que l'esprit de l'homme n'aurait jamais pu le concevoir : l'apparition soudaine d'une multitude de l'armée céleste chantant, de manière que les oreilles humaines puissent les entendre, le plus court, le plus logique et le plus réellement complet de tous les cantiques de paix jamais entonnés par un chœur mortel ou spirituel. Quel idéal désirable : la paix sur la terre ! Mais comment peut-elle nous être donnée s'il n'y a pas de bonne volonté parmi les hommes ? Et de quelle manière pourrait-on rendre plus efficacement gloire à Dieu dans les lieux très hauts ?
 
Les bergers confiants et simples n'avaient pas demandé de signe ou de confirmation ; leur foi était à l'unisson de la communication céleste ; néanmoins l'ange leur avait donné ce qu'il appelait un signe pour les guider dans leurs recherches. Ils n'attendirent pas mais se mirent en route en hâte, car, dans leur cœur, ils croyaient, oui, ils faisaient plus que croire, ils savaient, et voici quelle était la teneur de leur résolution : « Allons donc jusqu'à Bethléhem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître » [6]. Ils trouvèrent l'Enfant dans la crèche, sa mère et Joseph près de lui ; et ayant vu, ils s'en allèrent et témoignèrent de la vérité concernant l'Enfant. Ils retournèrent à leurs troupeaux, glorifiant et louant Dieu de tout ce qu'ils avaient entendu et vu.
 
La remarque que Luc fait, apparemment au passage, est d'un sens aussi profond que l'émotion qu'elle doit faire éprouver à tous ceux qui la lisent. « Marie conservait toutes ces choses, et les repassait dans son coeur » [7]. Il est évident que la grande vérité relative à la personnalité et à la mission de son Fils divin ne s'était pas dévoilée pleinement à son esprit. Tous les événements qui se déroulèrent depuis la salutation de Gabriel jusqu'au témoignage pieux des bergers concernant l'ange annonciateur et les armées célestes, étaient en grande partie un mystère pour cette mère et épouse sans tache.
 
LES EXIGENCES DE LA LOI SONT STRICTEMENT OBSERVÉES
 
L'Enfant naquit juif ; la mère était juive et le père putatif et légal, Joseph, était juif. Seules quelques personnes savaient qui était le vrai père de l'Enfant ; seuls peut-être à l'époque Marie, Joseph et probablement Elisabeth et Zacharie ; lorsqu'il grandit, le peuple le considéra comme le fils de Joseph [8]. Les exigences de la loi furent soigneusement respectées dans tout ce qui concernait l'Enfant. Lorsqu'il eut huit jours, il fut circoncis, comme cela était requis de tous les enfants de sexe masculin nés en Israël [9] ; et en même temps il reçut comme nom terrestre le nom qui avait été prescrit lors de l'annonciation. On l'appela JÉSUS, ce qui, par interprétation, signifie Sauveur ; ce nom lui appartenait à bon droit, car il venait sauver le peuple de ses péchés [10].
 
Une partie de la loi donnée par l'intermédiaire de Moïse aux Israélites dans le désert et appliquée au cours des siècles avait trait à la procédure prescrite pour les femmes après la naissance des enfants [11]. Conformément à celle-ci, Marie resta isolée pendant quarante jours après la naissance de son Fils ; puis son mari et elle présentèrent le Garçon devant le Seigneur comme cela était prescrit pour le premier-né masculin de toute famille. Il est manifestement impossible que toutes les présentations de ce genre aient pu avoir lieu au temple, car beaucoup de Juifs vivaient à de grandes distances de Jérusalem ; il était cependant de règle que les parents présentent leurs enfants au temple quand c'était possible. Jésus naquit à huit ou neuf kilomètres de Jérusalem ; il fut donc emmené au temple pour la cérémonie qui devait satisfaire à la loi relative aux premiers-nés de tous les Israélites, à l'exception des Lévites. On se souviendra que les enfants d'Israël avaient été délivrés de l'esclavage d'Égypte avec accompagnement de signes et de miracles. Pharaon ayant refusé à plusieurs reprises de laisser partir le peuple, il s'était abattu sur les Égyptiens des fléaux dont l'un fut la mort des premiers-nés dans tout le pays, à l'exception de ceux d'Israël. En souvenir de cette manifestation de puissance, il fut exigé des Israélites qu'ils consacrent leurs fils premiers-nés au service du sanctuaire [12]. Par la suite, le Seigneur ordonna qu'au lieu des premiers-nés de toutes les tribus, tous les enfants masculins appartenant à la tribu de Lévi fussent consacrés à cette tâche particulière ; néanmoins le fils aîné était toujours considéré comme appartenant particulièrement au Seigneur et devait être exempté officiellement du service requis antérieurement, par le paiement d'une rançon [13].
 
Lors de la purification, toutes les mères devaient fournir un agneau d'un an à immoler en sacrifice, et un jeune pigeon ou une jeune colombe en guise d'offrande pour les péchés ; mais dans le cas d'une femme qui n'était pas à même de fournir un agneau, un couple de colombes ou de pigeons pouvait être offert. Nous apprenons que Joseph et Marie étaient de situation modeste du fait qu'ils apportèrent l'offrande la moins coûteuse, deux colombes ou pigeons, au lieu d'un oiseau et d'un agneau.
 
Parmi les Israélites justes et dévots il y en avait qui, en dépit du traditionalisme, du rabbinisme et de la corruption des prêtres, vivaient toujours dans cette attente du juste dont la confiance est inspirée, espérant patiemment la consolation d'Israël [14]. L'un de ceux-ci était Siméon, qui vivait à l'époque à Jérusalem. Il avait reçu par la puissance du Saint-Esprit la promesse qu'il ne mourrait que lorsqu'il aurait vu le Christ du Seigneur dans la chair. Poussé par l'Esprit, il se rendit au temple le jour de la présentation de Jésus et reconnut dans l'Enfant le Messie promis. Dès qu'il se rendit compte que l'espoir de sa vie s'était magnifiquement réalisé, Siméon éleva respectueusement l'Enfant dans ses bras, et, avec l'éloquence simple mais immortelle qui vient de Dieu, exprima une supplication splendide, dans laquelle l'action de grâce, la résignation et la louange se mêlent si magnifiquement :
 
« Maintenant, Maître, tu laisses ton serviteur
« S'en aller en paix selon ta parole.
« Car mes yeux ont vu ton salut,
« Que tu as préparé devant tous les peuples,
« Lumière pour éclairer les nations
« Et gloire de ton peuple, Israël. » [15]
 
Puis, animé de l'esprit de prophétie, Siméon parla de la grandeur de la mission de l'Enfant et de la souffrance que sa mère serait appelée à endurer à cause de lui, souffrance qui serait semblable à celle provoquée par une épée qui lui percerait l'âme. Le témoignage de l'Esprit quant à la divinité de Jésus n'allait pas se limiter à un homme. Il y avait, à l'époque, dans le temple, une sainte femme d'un âge très avancé, Anne, prophétesse qui se consacrait exclusivement au service du temple ; inspirée de Dieu, elle reconnut son Rédempteur et témoigna de lui à tous ceux qui se trouvaient autour d'elle. Joseph et Marie s'étonnèrent des choses qui étaient dites de l'Enfant ; ils n'étaient apparemment pas encore à même de comprendre la majesté de celui qui leur avait été donné par une conception aussi miraculeuse et une naissance aussi merveilleuse.
 
DES MAGES À LA RECHERCHE DU ROI
 
Quelque temps après la présentation de Jésus au temple, bien que la durée de ce temps ne nous soit pas connue, quelques jours, ou peut-être des semaines, ou même des mois, Hérode, roi de Judée, fut profondément troublé, comme le fut le peuple de Jérusalem en général, à la nouvelle de la naissance d'un Enfant de la Prophétie, d'un enfant destiné à devenir Roi des Juifs. Hérode professait la religion de Juda, bien qu'étant Iduméen de naissance, de descendance édomite, c'est-à-dire faisant partie de la postérité d'Ésaü, tous personnages que les Juifs haïssaient ; et de tous les Édomites, il n'en était pas un qui fût aussi profondément détesté qu'Hérode, le roi. Il était tyrannique et impitoyable, n'épargnant personne, ami ou ennemi, qu'il venait à soupçonner de constituer un obstacle à ses desseins ambitieux. Il avait fait cruellement massacrer sa femme et plusieurs de ses enfants, ainsi que d'autres de sa famille par le sang ; il mit également à mort presque tous les membres du grand conseil national, le sanhédrin. Son règne fut rempli de cruautés révoltantes et d'oppressions sans frein. Ce n'est que quand il courait le danger de provoquer une révolte nationale ou lorsqu'il avait peur d'encourir le déplaisir de son maître, l'empereur romain, qu'il s'arrêtait dans une entreprise quelconque [16].
 
La nouvelle de la naissance du Christ parvint aux oreilles d'Hérode de la manière suivante. Certains hommes, des mages comme on les appelait, vinrent à Jérusalem d'un pays lointain et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus pour l'adorer » [17]. Hérode convoqua « tous les principaux sacrificateurs et les scribes du peuple », et leur demanda où, d'après les prophètes, le Christ devait naître. Ils lui répondirent : « À Bethléhem en Judée, car voici ce qui a été écrit par le prophète :
 
Et toi, Bethléhem, terre de Juda
Tu n'es certes pas la moindre parmi les principales villes de Juda ;
Car de toi sortira un prince,
Qui fera paître Israël, mon peuple [18].
 
Hérode fit venir les mages en secret et les interrogea sur les sources de leurs renseignements, et en particulier sur l'époque à laquelle l'étoile, à laquelle ils accordaient tant d'importance, était apparue. Puis il les dirigea vers Bethléhem, disant : « Allez, et prenez des informations précises sur le petit enfant ; quand vous l'aurez trouvé, faites-le moi savoir, afin que j'aille moi aussi l'adorer. » Lorsque les hommes se mirent en route de Jérusalem pour la dernière étape de leur voyage d'enquête et de recherche, ils se réjouirent à l'extrême, car la nouvelle étoile qu'ils avaient vue à l'orient était de nouveau visible. Ils trouvèrent la maison dans laquelle Marie vivait avec son mari et l'Enfant, et, en reconnaissant l'Enfant royal, ils « se prosternèrent et l'adorèrent ; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe » [19]. Ayant ainsi merveilleusement réalisé le but de leur pèlerinage, ces voyageurs pieux et savants se préparèrent à rentrer chez eux et se seraient arrêtés à Jérusalem pour faire rapport au roi comme il l'avait demandé, mais « divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin » [20].
 
On a écrit beaucoup de choses, que ne justifie absolument rien dans les Écritures, concernant la visite des mages, ou des sages, qui cherchaient et trouvèrent ainsi le Christ enfant. En fait, nous ne savons rien de leur pays, de leur nation ou de leur tribu ; on ne nous dit même pas combien il y en avait, bien qu'une tradition fausse les ait appelés « Ies trois rois mages » et leur ait même donné des noms ; les Écritures, le seul document véritable existant à leur sujet, ne donne pas leurs noms ; il se peut qu'ils n'aient été que deux seulement ou qu'ils aient été plus nombreux. On a essayé d'identifier l'étoile dont l'apparition dans le ciel oriental avait assuré les mages que le Roi était né ; mais l'astronomie ne fournit aucune confirmation satisfaisante. L'apparition de l'étoile que l'on rapporte a été associée, tant par les interprètes anciens que modernes, à la prophétie de Balaam qui, quoique n'étant pas Israélite, avait béni Israël et avait prédit, poussé par l'inspiration divine : « Un astre sort de Jacob, un sceptre s'élève d'Israël » [21]. En outre, comme nous l'avons déjà montré, l'apparition d'une étoile nouvelle était un signe prédit, reconnu et admis parmi les habitants des Amériques comme témoin de la naissance du Messie [22].
 
LA FUITE EN ÉGYPTE
 
La perfidie d'Hérode, lorsqu'il commanda aux sages de revenir l'informer du lieu où l'Enfant royal se trouvait, professant hypocritement qu'il désirait l'adorer également, tandis que dans son cœur il se proposait d'ôter la vie à l'Enfant, fut contrecarrée par l'avertissement divin, donné, comme nous l'avons déjà noté, aux mages. Après leur départ, l'ange du Seigneur apparut à Joseph, disant : « Lève-toi, prends le petit enfant et sa mère, fuis en Égypte et restes-y jusqu'à ce que je te parle ; car Hérode va rechercher le petit enfant pour le faire périr » [23]. Obéissant à ce commandement, Joseph prit Marie et son Enfant et se mit en route de nuit vers l'Égypte ; et la famille y resta jusqu'à ce qu'elle reçût de Dieu l'ordre de revenir. Lorsque le roi s'aperçut que les mages avaient ignoré ses ordres, il entra dans une violente colère ; et calculant la date la plus reculée à laquelle la naissance pouvait s'être produite d'après la date de l'apparition de l'étoile que lui avaient fournie les mages, il ordonna impitoyablement le massacre de « tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléhem et dans son territoire » [24]. Dans ce massacre des innocents, l'évangéliste trouva l'accomplissement de la parole du Seigneur prononcée par Jérémie six siècles auparavant et exprimée avec force au passé comme si elle avait déjà été accomplie :
 
« Une voix s'est fait entendre à Rama,
« Des pleurs et beaucoup de lamentations :
« C'est Rachel qui pleure ses enfants ;
« Elle n'a pas voulu être consolée,
« parce qu'ils ne sont plus. » [25]
 
LA NAISSANCE DE JÉSUS RÉVÉLÉE AUX NÉPHITES
 
Comme nous l'avons montré jusqu'à présent, les prophètes des Amériques avaient clairement prédit l'avènement terrestre du Seigneur et avaient indiqué exactement le temps, le lieu et les circonstances de sa naissance [26]. Lorsque le temps fut proche, le peuple fut divisé par des opinions contradictoires quant à la véracité de ces prophéties ; des incrédules intolérants persécutèrent cruellement ceux qui, comme Zacharie, Siméon, Anne et d'autres justes de Palestine, conservaient avec foi et confiance l'espoir inébranlable que le Seigneur viendrait. Samuel, Lamanite juste qui, à cause de sa fidélité et de son dévouement désintéressé avait reçu l'esprit et la faculté de prophétiser, proclama intrépidement que la naissance du Christ était proche : « Voici, je vous donne un signe ; encore cinq ans, et voici, le Fils de Dieu vient racheter tous ceux qui croiront à son nom » [27]. Le prophète dit que beaucoup de signes et de miracles marqueraient le grand événement. À mesure que les cinq années s'écoulaient, les croyants devenaient de plus en plus fermes, les incroyants de plus en plus violents, jusqu'à l'aube du dernier jour de la période spécifiée ; et c'était là le jour fixé par les incrédules « où tous ceux qui croyaient en ces traditions seraient mis à mort, si le signe donné par Samuel, le prophète, ne se montrait pas » [28].
 
Néphi, prophète de l'époque, invoqua le Seigneur dans l'angoisse de son âme à cause des persécutions dont son peuple était la victime ; « et voici, la voix de Dieu vint à lui, disant : Lève la tête et prends courage ; car voici, le temps est proche, et cette nuit le signe sera donné, et demain je viendrai au monde pour montrer aux hommes que j'accomplirai tout ce que j'ai fait annoncer par la bouche de mes saints prophètes. Voici, je viens parmi les miens pour accomplir toutes les choses que j'ai fait connaître aux enfants des hommes depuis la fondation du monde et pour faire la volonté du Père et du Fils - du Père à cause de moi, et du Fils à cause de ma chair. Et voici, le temps est proche, et cette nuit le signe sera donné. » [29]
 
Les paroles du prophète s'accomplirent cette nuit-là ; car si le soleil se coucha dans son cours habituel, il n'y eut pas de ténèbres, et le lendemain le soleil se leva sur un pays déjà illuminé ; un jour et une nuit et un autre jour s'étaient passés comme un seul jour, et ce n'était là qu'un seul des signes. Une nouvelle étoile apparut dans le firmament à l'ouest, comme celle que les mages de l'orient avaient vue ; et il y eut beaucoup d'autres manifestations merveilleuses comme les prophètes l'avaient prédit. Tout cela se produisit sur ce que l'on appelle maintenant le continent américain, six cents ans après que Léhi et sa petite compagnie eurent quitté Jérusalem pour se rendre là-bas.
 
ÉPOQUE DE LA NAISSANCE DE JÉSUS
 
L'époque de la naissance du Messie est un sujet sur lequel les spécialistes de la théologie et de l'histoire, et ceux que l'on appelle « les savants » ne s'accordent pas. Des recherches ont été faites, suivant de nombreux procédés, pour n'arriver qu'à des conclusions divergentes, tant en ce qui concerne l'année qu'en ce qui concerne le mois et le jour de l'année où « l'ère chrétienne » a réellement commencé. Le premier à choisir la date de la naissance du Christ comme l'événement à partir duquel on devrait calculer tous les événements chronologiques ultérieurs fut Dionysius Exiguus, en 532 ap. J.-C. ; cette méthode de calcul du temps a pris le nom de système dionysien et prend pour date de base A. U. C. 753, c'est-à-dire 753 ans après la fondation de Rome, comme année de la naissance de notre Seigneur. Les érudits ultérieurs qui ont examiné le sujet ne s'accordent que pour dire que le calcul dionysien est erroné, en ce qu'il situe la naissance du Christ de trois à quatre ans trop tard ; et que, par conséquent, notre Seigneur est né dans la troisième ou la quatrième année avant le commencement de ce que les savants d'Oxford et de Cambridge appellent l'ère vulgaire, calculée en ans de grâce.
 
Sans essayer d'analyser la masse des données relatives à ce sujet, nous acceptons la méthode dionysienne comme correcte en ce qui concerne l'année, c'est-à-dire que nous croyons que le Christ est né au cours de l'année que nous appelons l'an 1 av. J.-C., et, comme nous le montrerons, au cours d'un des premiers mois de cette année. Nous citons, en confirmation de cette croyance, le document inspiré appelé la « Révélation sur le gouvernement de l'Église, donnée par l'intermédiaire de Joseph le Prophète, en avril 1830 », qui commence par les paroles : « Naissance de l'Église du Christ en ces derniers jours, mille huit cent trente ans depuis l'avènement de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ dans la chair. » [30]
 
Une autre preuve que la chronologie que nous acceptons communément est correcte est fournie par le Livre de Mormon. Nous y lisons que « au commencement de la première année du règne de Sédécias, roi de Juda », le Seigneur adressa la parole à Léhi, à Jérusalem, lui ordonnant de prendre sa famille et de partir dans le désert [31]. Dans les premières étapes de leur voyage vers la mer, Léhi prophétisa, comme le Seigneur le lui avait montré, la destruction imminente de Jérusalem et la captivité des Juifs. En outre, il prédit le retour final du peuple de Juda de son exil à Babylone, et la naissance du Messie, déclarant clairement que ce dernier événement se produirait six cents ans après la date à laquelle son peuple et lui avaient quitté Jérusalem [32]. Cette précision quant au temps fut répétée par des prophéties ultérieures [33], et le Livre rapporte que quand les signes de l'accomplissement réel se produisirent, « il y avait six cents ans que Léhi avait quitté Jérusalem » [34]. Ces Écritures fixent l'époque du commencement du règne de Sédécias à six cents ans avant la naissance du Christ. Selon le calcul communément accepté, Sédécias fut couronné roi en 597 avant Jésus-Christ [35]. Cela montre un désaccord d'environ trois ans entre la date communément acceptée de l'inauguration de Sédécias comme roi et celle donnée par le Livre de Mormon ; et comme nous l'avons déjà vu, il y a une différence d'environ trois à quatre ans entre le calcul dionysien et la première possibilité d'accord entre les savants à propos du commencement de l'ère vulgaire. C'est pourquoi la chronologie du Livre de Mormon confirme d'une manière générale que le système dionysien ou commun est correct.
 
Quant à l'époque de l'année où le Christ naquit, il existe parmi les savants une diversité d'opinions aussi grande que pour l'année elle-même. Beaucoup de savants bibliques prétendent que le 25 décembre, jour célébré par la chrétienté sous le nom de Noël, ne peut être la date correcte. Nous croyons que le 6 avril est la date de naissance de Jésus-Christ, comme l'indique une révélation moderne déjà citée [36] dans laquelle ce jour correspond exactement à la fin de la mille huit cent trentième année depuis l'avènement du Seigneur dans la chair. Nous admettons naturellement que notre position est basée sur notre foi en la révélation moderne et ne provient en aucune façon de recherches ou d'analyses chronologiques. Nous croyons que Jésus-Christ naquit à Bethléem de Judée, le 6 avril de l'an 1 av. J.-C.
 
 [1] Lc 2:1 ; voir versets 2-4. Note 1, fin du chapitre.
 [2] Note 1, fin du chapitre.
 [3] Note 2, fin du chapitre.
 [4] Lc 2:6,7.
 [5] Lc 2:8-14.
 [6] Lc 2:15.
 [7] Lc 2:19.
 [8] Lc 4:22, Mt 13:55, Mc 6:3.
 [9] Gn 17:12,13, Lv 12:3 ; cf. Jn 7:22. Chap. 7 du présent ouvrage, note 2.
 [10] Lc 2:21 ; cf. 1:31, Mt 1:21, 25.
 [11] Lv chap. 12.
 [12] Ex 12:29, 13:2, 12, 22:29,30.
 [13] Nb 8:15-18, 18:15,16.
 [14] Lc 2:25 ; voir aussi verset 38 ; Mc 15:43 ; cf. Ps 40.1.
 [15] Lc 2:29-32. Dans les cantiques chrétiens, ces versets sont appelés le Nunc dimittis ; ils doivent leur nom aux deux premiers mots de la version latine.
 [16] Note 3, fin du chapitre.
 [17] Mt 2:2 ; lire 1-10.
 [18] Mt 2:5,6 ; cf. Mi 5:2, Jn 7:42.
 [19] Note 4, fin du chapitre.
 [20] Note 5, fin du chapitre.
 [21] Nb 24:17.
 [22] LM, HéI 14:5 ; 3 Né 1:21. Chap. 5, 8 et 39 du présent ouvrage.
 [23] Mt 2:13.
 [24] Mt 2:16.
 [25] Mt 2:17,18 ; cf. Jr 31:15.
 [26] Chap. 5.
 [27] LM, Hél 14:2 ; lire 1-9.
 [28] LM, 3 Né 1:9 ; lire versets 4-21.
 [29] LM, 3 Né 1:12-21.
 [30] D&A 20:1 ; cf. 21:3. Note 6, fin du chapitre.
 [31] LM, 1 Né 1:4 ; 2:2-4.
 [32] LM, 1 Né 10:4.
 [33] LM, 1 Né 19:8 ; 2 Né 25:19.
 [34] LM, 3 Né 1:1.
 [35] Standard Bible Dictionary ; édité par Jacobus, Nourse et Zenos, pub. par Funk et Wagnalls Co., New York et Londres, 1909, p. 915, articIe « Zedekiah ».
 [36] D&A 20:1 ; cf. 21:3.
 
NOTES DU CHAPITRE 8
 
1. Le recensement : À propos de la présence de Joseph et de Marie à Bethléem, loin de leur demeure de Galilée et du décret impérial en vertu duquel ils avaient été amenés à se trouver là, les notes suivantes méritent considération. Farrar (Life of Christ, p. 24, note), dit : « On ne sait pas avec certitude si le voyage de Marie avec son mari était obligatoire ou volontaire... si ce recensement entraînait également une taxe, cela veut dire que les femmes étaient passibles d'un impôt par tête. Mais, en dehors de toute nécessité légale, on peut aisément imaginer qu'en un pareil moment Marie ait désiré ne pas rester seule. Les soupçons cruels dont elle avait été l'objet et qui avaient presque provoqué la rupture de ses fiançailles (Mt 1:19) la feraient s'attacher d'autant plus à la protection de son mari. » L’extrait suivant est tiré de Life and Words of Christ, de Geikie, vol. 1, chap. 9, p. 108: « La nation juive payait tribut à Rome, par l'intermédiaire de ses gouverneurs, depuis le temps de Pompée ; et Auguste, le méthodique, qui régnait maintenant et devait rétablir l'ordre dans les finances de l'empire et les assainir après la confusion et l'épuisement des guerres civiles, prit grand soin que cette obligation ne fût ni oubliée ni évitée. Il avait coutume d'exiger un recensement qui devait être fait périodiquement dans toutes les provinces de ses vastes conquêtes, afin de connaître le nombre de soldats qu'il pouvait lever dans chacune d'elles et le montant des impôts dus au trésor... Dans un empire qui embrassait le monde connu à l'époque, il était impossible de faire un recensement pareil simultanément partout, en une période de temps brève ou fixée ; il est plus probable que c'était un travail qui durait des années et qui était effectué dans les provinces ou les royaumes successivement. Mais tôt ou tard, même les domaines de rois vassaux comme Hérode devaient fournir les statistiques requises par leur maître. Lorsqu'il avait reçu son royaume, il était resté sujet de l'empereur et dépendait de plus en plus d'Auguste à mesure que les années passaient et qu'il lui demandait de sanctionner à chaque instant les mesures qu'il se proposait de prendre. Il ne serait donc que trop prêt à satisfaire ses désirs, en se procurant les statistiques qu'il désirait comme on peut en juger par le fait qu'au cours d'une des dernières années de sa vie, juste avant la naissance du Christ, il obligea la nation juive tout entière à faire un serment solennel d'obéissance à l'empereur ainsi qu'à lui-même.
 
« Il est tout à fait probable que la méthode pour obtenir les statistiques requises fut laissée en grande partie à Hérode, à la fois pour lui montrer du respect devant son peuple et parce qu'on savait que les Juifs étaient déjà opposés à tout ce qui ressemblait à un recensement général, abstraction faite de l'imposition à laquelle il devait mener. À l'époque où se situe le récit, il semble qu'on ait procédé à un simple enregistrement, suivant le vieux système hébraïque qui consistait à s'inscrire par famille dans son district ancestral, naturellement à usage futur ; et c'est ainsi que les choses se passèrent en bon ordre... La proclamation ayant été faite dans tout le pays, Joseph n'avait que le choix d'aller à Bethlehem, ville de David, lieu où ses origines familiales, de la maison et du lignage de David, exigeaient qu'il fût inscrit. »
 
2. Jésus né dans un entourage pauvre : Il ne fait aucun doute que le lieu où Jésus naquit n'était pas très confortable. Mais ces conditions, quand on les examine à la lumière des coutumes du pays et du temps, étaient loin de l'état de dénuement profond que l'on pourrait imaginer en les comparant à nos coutumes modernes et occidentales. Loger à la belle étoile n'était pas quelque chose d'extraordinaire pour les voyageurs de la Palestine à l'époque de la naissance de notre Seigneur ; et ce ne l'est pas non plus aujourd'hui. Mais il ne fait cependant aucun doute que Jésus naquit dans une famille relativement pauvre, dans des conditions modestes liées à l'inconfort provenant du voyage. Cunningham Geikie, Life and Words of Christ, chap. 9, p. 112, 113, dit : « Joseph et Marie se rendaient à Bethlehem, ville de Ruth et de Booz, et ancienne résidence de leur propre grand ancêtre David. En s'en approchant, après avoir quitté Jérusalem, ils devaient passer, dans le dernier kilomètre, devant un endroit sacré pour des Juifs, où le soleil de la vie de Jacob s'éteignit, lorsque son premier amour, Rachel, mourut et fut enterrée comme sa tombe le montre encore, « sur le chemin d'Éphrata, qui est Bethléhem » (Gn 35:19). Voyager en Orient a toujours été très différent des conceptions occidentales. Comme dans tous les pays peu peuplés, l'hospitalité privée obviait, dans les temps anciens, au manque d'auberges, mais ce qui est particulier à l'Orient, c'est que cette coutume amicale se poursuivit pendant une longue série d'époques. Sur les grandes routes qui traversaient des régions désertiques ou inhabitées, le besoin d'abri mena, très tôt, à la construction de bâtiments grossiers et simples, de grandeur variée, appelés khans, qui offraient aux voyageurs la protection de murs et d'un toit, et de l'eau, mais pas grand-chose de plus. Les bâtiments les plus petits ne se composaient parfois que d'une seule pièce vide, sur le sol de laquelle le voyageur pouvait étendre son tapis pour dormir ; les plus grands, toujours construits dans un carré creux, entouraient une cour pour les animaux, contenant de l'eau pour eux et leurs maîtres. Depuis des temps immémoriaux cela a été un mode favori de bienveillance que d'édifier de tels abris, comme nous le voyons dès l'époque de David, quand Chinham construisit un grand khan près de Bethléhem, sur la route caravanière d'Égypte. »
 
Le chanoine Farrar (Life of Christ, chap. 1) accepte la croyance traditionnelle que l'abri dans lequel Jésus naquit était une des nombreuses grottes calcaires qui abondent dans la région et que les voyageurs utilisent encore comme lieu de repos. Il dit : « Il n'est pas rare, en Palestine, que le khan tout entier, ou tout au moins la partie de celui-ci où sont logés les animaux, soit une de ces cavernes innombrables qui abondent dans les rochers calcaires de ces collines centrales. Tel semble avoir été le cas dans la petite ville de Bethléhem-Ephrata, dans le pays de Juda. Justin, apologiste et martyr, qui, étant donné sa naissance à Sichem, connaissait bien la Palestine et qui vivait moins d'un siècle après l'époque de notre Seigneur, situe la scène de la nativité dans une grotte. C'est là, en effet, la tradition ancienne et constante des Églises d'Orient et d'Occident, et c'est une des rares que nous puissions considérer comme raisonnablement probable, bien qu'elle ne soit pas rapportée dans l'histoire évangélique. »
 
3. Hérode le Grand : L'histoire d'Hérode 1er, également appelé Hérode le Grand, doit être recherchée dans des ouvrages spéciaux, dans lesquels le sujet est traité en détail. Certains des faits principaux doivent être examinés dans notre étude présente et, pour aider l'étudiant, nous présentons ci-après quelques extraits tirés d'ouvrages considérés comme dignes de foi.
 
Condensé d'une partie d'un article du Standard Bible Dictionary, édité par Jacobus Nourse et Zenos, publié par Funk and Wagnalls Co., 1909: - Hérode 1er, fils d'Antipater, reçut très tôt un office important de son père, qui avait été nommé procurateur de Judée. Le premier office qu'Hérode détint fut celui de gouverneur de la Galilée. C'était alors un jeune homme de vingt-cinq ans environ, énergique et athlétique. Il se mit immédiatement en devoir de supprimer les bandes de pillards qui infestaient son district et réussit bientôt à exécuter le chef pillard Hézékiah et plusieurs de ses lieutenants. Pour cela il fut convoqué à Jérusalem par le Sanhédrin, jugé et condamné mais, de connivence avec Hyrcan II (grand prêtre ethnarque), il prit la fuite pendant la nuit. - Il se rendit à Rome où il fut nommé roi de Judée par Antoine et Octave. - Pendant les deux années suivantes il s'employa à lutter contre les forces d'Antigone, qu'il finit par vaincre, et prit possession de Jérusalem en 37 av. J.-C. - Une fois roi, Hérode dut faire face à de graves difficultés. Les Juifs lui étaient opposés à cause de sa naissance et de sa réputation. La famille des Asmonéens le considérait comme un usurpateur, en dépit du fait qu'il avait épousé Mariamne. Les Pharisiens étaient choqués de ses sympathies hellénistiques ainsi que de ses méthodes sévères de gouvernement. D'autre part les Romains le considéraient comme responsable de l'ordre de son royaume et de la protection de la frontière orientale de la République. Hérode fit face à ces difficultés diverses avec une énergie et même une cruauté caractéristiques, et généralement avec une sagacité froide. Bien qu'il taxât le peuple sévèrement, il lui remettait ses dettes en temps de famine et vendait même sa vaisselle pour obtenir le moyen de lui acheter de la nourriture. Bien qu'il n'eût jamais de relations vraiment amicales avec les Pharisiens, ils profitaient de son hostilité envers le parti des Asmonéens, ce qui conduisit au commencement de son règne à l'exécution d'un certain nombre de Sadducéens qui étaient membres du sanhédrin.
 
Tiré du Comprehensive Dictionary of the Bible, de Smith : La dernière partie « du règne d'Hérode ne souffrit pas de troubles externes, mais sa vie domestique fut gâchée par une série presque ininterrompue de blessures et d'actes cruels de vengeance. Les terribles effusions de sang qu'Hérode commit sur sa famille furent accompagnées par d'autres tout aussi terribles parmi ses sujets, si on pense au nombre de personnes qui en furent les victimes. Selon l'histoire bien connue, il ordonna que les nobles qu'il avait fait venir auprès de lui à ses derniers moments fussent exécutés immédiatement après son décès, afin qu'ainsi au moins sa mort s'accompagnât d'un deuil universel. C'est à l'époque de sa maladie fatale qu'il dut ordonner le massacre des petits enfants de Bethléhem » (Mt 2:16-18).
 
La fin mortelle du tyran et massacreur est traitée de la manière suivante par Farrar dans sa Life of Christ, p. 54,55: - « Hérode dut mourir très peu après l'assassinat des innocents. Cinq jours seulement avant sa mort, il avait frénétiquement essayé de se suicider et avait ordonné l'exécution de son fils aîné, Antipater. Son agonie, qui nous rappelle une fois de plus Henri VIII, s'accompagna de circonstances particulièrement horribles ; on a affirmé qu'il mourut d'une maladie répugnante, qui n'est pour ainsi dire jamais mentionnée dans l'histoire sinon dans le cas d'hommes qui ont été rendus infâmes par les atrocités qu'ils ont commises dans leur zèle à persécuter. Sur son lit de douleurs intolérables dans ce palais splendide et luxueux qu'il s'était construit, sous les palmiers de Jéricho, enflé par la maladie et brûlant de soif, ulcéré extérieurement et consommé intérieurement par un « feu brûlant lentement », entouré de fils qui complotaient et d'esclaves qui pillaient, haïssant tout le monde et haï de tous, aspirant au moment où la mort le délivrerait de ses tortures et pourtant la craignant parce qu'elle serait le commencement de terreurs pires encore, rongé par le remords et pourtant pas encore rassasié de meurtre, horrible pour tous ceux qui l'entouraient et pourtant plus terrifiant à lui-même dans sa conscience coupable, dévoré par la corruption prématurée d'une tombe qui l'attendait, mangé de vers comme s'il était frappé visiblement par le doigt de la colère de Dieu, après soixante-dix ans de scélératesse prospère, le misérable vieillard, que les hommes appelaient le Grand, était étendu dans une frénésie sauvage attendant sa dernière heure. Sachant que personne ne verserait une larme sur lui, il décréta aux principales familles du royaume et aux chefs des tribus, sous peine de mort, de se rendre à Jéricho. Ils vinrent. Après les avoir fait enfermer dans l'hippodrome, il commanda secrètement à sa sœur Salomé de les faire tous massacrer au moment de sa mort. Et c'est ainsi que, étouffant pour ainsi dire de sang, imaginant des massacres dans son délire même, l'âme d'Hérode entra dans la nuit. »
 
On trouvera le temple d'Hérode mentionné à la note 5, après le chapitre 6.
 
4. Dons des mages à l'Enfant Jésus : Le récit scripturaire de la visite des mages à Jésus et à sa mère déclare qu'ils « se prosternèrent et l'adorèrent », et en outre qu'« ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe ». La présentation de dons à un personnage de rang supérieur, que ce soit par sa situation dans le monde ou par ses capacités spirituelles reconnues, était une coutume des temps anciens et est encore largement répandue dans beaucoup de pays orientaux. Il est à noter que nous n'avons aucun document qui montre que ces hommes d'Orient aient offert des dons à Hérode dans son palais ; mais ils donnèrent une partie de leurs trésors à l'humble Enfant en qui ils reconnaissaient le Roi à la recherche duquel ils étaient partis. La tendance à attribuer une signification occulte à des détails même minuscules mentionnés dans les Écritures, en particulier en ce qui concerne la vie du Christ, a conduit à beaucoup de suggestions imaginaires concernant l'or, l'encens et la myrrhe mentionnés dans cet incident. Certains y ont vu un symbolisme à moitié caché : l'or, tribut à sa royauté, l'encens comme offrande reconnaissant sa prêtrise, et la myrrhe pour son ensevelissement. Le livre sacré n'offre aucune base à de pareilles suppositions. La myrrhe et l'encens sont des résines aromatiques dérivées de plantes originaires des pays d'Orient, et on les utilise depuis des temps extrêmement reculés en médecine et dans la préparation de parfums et de mélanges aromatiques. Ils comptaient probablement parmi les produits naturels des pays dont les mages venaient, bien qu'il soit probable que, même là, ils étaient chers et très estimés. Avec l'or, qui est un métal précieux dans toutes les nations, ils constituaient des dons tout à fait appropriés pour un roi. Quiconque désire attribuer une signification mystique à ces présents doit se souvenir qu'elle ne sera rien de plus que ses propres suppositions ou sa propre imagination et n'est pas garantie par l'Écriture.
 
5. Les témoignages des bergers et des mages : La note instructive suivante sur les témoignages qui ont trait à la naissance du Messie est tirée du Young Men's Mutual Improvement Association Manual, de 1897 - 8 : « On observera que les témoignages relatifs à la naissance du Messie proviennent de deux extrêmes, les humbles bergers des champs de Judée, et les mages érudits de l'Extrême-Orient. Nous ne pouvons pas penser que c'est là le résultat d'un simple hasard, mais que l'on peut y discerner le dessein et la sagesse de Dieu. Israël tout entier espérait la venue du Messie, et, dans la naissance de Jésus à Bethléhem, l'espoir d'Israël bien qu'à l'insu de celui-ci - se réalise. Le Messie dont leurs prophètes parlaient est né. Mais il doit y en avoir qui témoignent de cette vérité, c'est pourquoi un ange fut envoyé aux bergers qui gardaient leurs troupeaux de nuit, pour dire : ‘Soyez sans crainte, car je vous annonce la bonne nouvelle d'une grande joie qui sera pour tout le peuple : aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur.' Et comme signe de la véracité du message, ils devaient trouver l'Enfant enveloppé de langes, couché dans une crèche à Bethléhem. Et ils allèrent en hâte et trouvèrent Marie et Joseph, et le bébé couché dans une crèche ; et lorsqu'ils l'eurent vu, ils révélèrent à tout le monde ce qu'on leur avait dit concernant cet enfant. Dieu s'était suscité des témoins parmi le peuple pour témoigner que le Messie était né, que l'espoir d'Israël s'était réalisé. Mais il y avait parmi les Juifs des classes de gens que ces humbles témoignages des bergers ne pouvaient atteindre, et qui, si on avait pu les atteindre, auraient sans aucun doute considéré l'histoire de la visite de l'ange et le concours d'anges chantant le cantique magnifique de ‘Paix sur la terre parmi les hommes qu'il agrée’, comme des contes futiles de gens superstitieux, trompés par leur imagination exagérée ou leurs songes vains. Dieu suscita donc une autre classe de témoins - des mages de l'Orient - témoins qui pouvaient entrer dans le palais royal du fier roi Hérode et demander hardiment : ‘Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l'adorer’ ; témoignage qui surprit Hérode et troubla Jérusalem tout entière. De sorte que Dieu se suscita, en effet, des témoins pour satisfaire toutes les classes et tous les états des hommes : le témoignage d'anges pour les pauvres et les humbles ; le témoignage d'hommes sages pour le roi hautain et les prêtres orgueilleux de la Judée. De sorte que ses disciples pouvaient dire, en parlant des choses relatives à la naissance du Messie, tout autant que des choses relatives à sa mort et à sa résurrection d'entre les morts : ‘Ce n'est pas en cachette qu'elles se sont passées.’
 
6. L'année de la naissance du Christ : En traitant ce sujet, le Dr Charles F. Deems (The Light of the Nations, p. 28), après avoir soigneusement examiné les estimations, les calculs et les suppositions d'hommes qui ont employé de nombreux moyens dans leurs recherches pour ne parvenir qu'à des résultats discordants, dit : « Il est ennuyeux de voir des savants utiliser le même attirail à calculer pour arriver aux résultats les plus divergents. C'est une chose étourdissante que d'essayer de trouver un accord parmi ces calculs divers. » Dans une note en appendice, le même auteur déclare : « Par exemple : la naissance de notre Seigneur est située en l'an 1 av. J.-C. par Pearson et Hug, l'an 2av. J.-C. par Scalinger, 3 av. J.-C. par Baronius et Paulus, 4 av. J.-C. par Bengel, Wieseler et Greswell, 5 av. J.-C. par Usher et Petavius, 6 av. J.-C. par Strong, Luvin et Clark, 7 av. J.-C. par Ideler et Sanclemente. »
 
 
CHAPITRE 9 : LE JEUNE GARÇON DE NAZARETH
 
Joseph, Marie et son Fils demeurèrent en Egypte jusqu'après la mort d'Hérode le Grand, événement qui fut révélé par une autre visitation angélique. Leur séjour à l'étranger fut probablement bref, car Hérode ne survécut pas longtemps aux bébés qu'il avait massacrés à Bethléhem. Dans le retour d'Égypte de la famille, l'évangéliste voit l'accomplissement de la vision prophétique d'Osée de ce qui serait : « J'ai appelé mon fils hors d'Égypte » [1]. 
 
Il semble avoir été dans l'intention de Joseph d'établir la demeure de la famille en Judée, peut-être à Bethléhem - ville de ses ancêtres et lieu encore plus cher pour lui maintenant qu'il était le lieu de naissance de l'Enfant de Marie - mais, apprenant en route que le fils d'Hérode, Archélaüs, régnait à la place de son méchant père, Joseph changea d'avis et, « divinement averti en songe, il se retira dans le territoire de la Galilée, et vint demeurer dans une ville appelée Nazareth, afin que s'accomplisse ce qui avait été annoncé par les prophètes : Il sera appelé Nazaréen » [2].
 
Tandis qu'Archélaüs, qui semble avoir hérité naturellement de la méchanceté et de la cruauté de son infâme père, régnait en roi pendant une brève période en Judée [3], ensuite avec le titre moins élevé d'ethnarque, qui lui avait été conféré par décret par l'empereur, son frère Antipas gouvernait comme tétrarque en Galilée. Hérode Antipas était aussi vicieux et réprouvé que les autres membres de son immorale famille, mais il était moins vindicatif, et, à cette époque de son règne, relativement tolérant [4].
 
Les Écritures ne parlent que brièvement de la vie de foyer de Joseph et de sa famille à Nazareth. Le silence dans lequel les historiens inspirés maintiennent la jeunesse de Jésus est impressionnant, alors que les récits fantaisistes écrits dans les années ultérieures par des mains non autorisées sont remplis de détails fictifs, dont une grande partie est tout à fait révoltante dans son manque de logique puéril. Nul autre que Joseph, Marie et les autres membres de la famille immédiate ou les intimes du ménage n'aurait pu décrire la vie quotidienne de l'humble demeure de Nazareth ; et c'est de ces informateurs qualifiés que Matthieu et Luc détenaient probablement la connaissance de ce qu'ils écrivaient. Le récit fait par ceux qui savaient est marqué par une brièveté impressionnante. C'est dans cette absence de détails que nous pouvons voir des preuves de l'authenticité du récit scripturaire. Des écrivains imaginatifs auraient fourni, comme d'autres le firent plus tard, ce que nous cherchons en vain dans les chapitres des évangiles. Les écrivains inspirés honorent l'enfance de leur Seigneur d'un silence sacré ; celui qui cherche à inventer des détails et à charger la vie du Christ d'additions inventées, le déshonore. Lisez attentivement la vérité prouvée relativement à l'enfance du Christ : « Or le petit enfant grandissait et se fortifiait ; il était rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui. » [5]
 
C'est avec cette simplicité que le développement normal et naturel du jeune Jésus est révélé. Il vint parmi les hommes pour faire l'expérience de toutes les situations naturelles de la condition mortelle ; quand il naquit, c'était un bébé aussi impuissant et aussi dépendant de ses parents que n'importe quel autre ; sa tendre enfance fut en tous points semblable à l'enfance des autres, son enfance fut une enfance réelle, son développement fut aussi nécessaire et aussi réel que celui de tous les enfants. Sur son esprit était tombé le voile de l'oubli commun à tous ceux qui sont nés sur la terre, à cause duquel le souvenir de l'existence précédente est exclu. L'Enfant grandit, et avec les ans son esprit s'étendit, ses facultés se développèrent, et sa force et son intelligence progressèrent. Il passa d'une grâce à l'autre et non pas du manque de grâce à la grâce ; du bien à un bien plus grand, et non pas du mal au bien ; de la faveur de Dieu à une faveur plus grande, et non pas de la rupture à cause du péché à la réconciliation par le repentir et l'expiation [6].
 
Ce que nous savons de la vie juive à l'époque justifie notre supposition que le jeune garçon reçut un bon enseignement de la loi et des Écritures, car telle était la règle. Il accumula de la connaissance par l'étude et acquit de la sagesse par la prière, la réflexion et l'effort. Il ne fait aucun doute qu'il fut formé au travail, car la paresse était considérée avec horreur à l'époque comme elle l'est maintenant, et tout jeune Juif, qu'il fût fils de charpentier, enfant de paysan ou héritier de rabbi, était dans l'obligation d'apprendre et d'exercer un métier pratique et productif. Jésus était tout ce qu'un garçon devait être, car son développement n'était pas retardé par le poids mort du péché ; il aimait la vérité et y obéissait, et de ce fait il était libre [7].
 
Joseph et Marie, dévots et fidèles à toutes les observances de la loi, se rendaient chaque année à Jérusalem lors de la fête de la Pâque. Cette fête religieuse, faut-il le rappeler, était l'une des plus solennelles et des plus sacrées d'entre les nombreuses commémorations cérémonielles des Juifs ; elle avait été établie à l'époque de l'exode du peuple hors d'Égypte, pour commémorer le fait que Dieu avait étendu le bras de sa puissance pour délivrer Israël après que l'ange de la destruction eut mis à mort le premier-né de toutes les familles égyptiennes et eut miséricordieusement épargné les maisons des enfants de Jacob [8]. Elle était tellement importante qu'on la choisit pour commencer l'année nouvelle. La loi exigeait que tous les hommes se présentassent devant le Seigneur à la fête. Il était de rigueur que les femmes fussent également présentes, si elles n'en étaient pas empêchées par une raison légitime ; et il semble que Marie ait suivi à la fois l'esprit de la loi et la lettre de la règle, car elle accompagnait habituellement son mari à l'assemblée annuelle de Jérusalem.
 
Lorsque Jésus fut parvenu à l'âge de douze ans, sa mère et Joseph l'emmenèrent à la fête, comme la loi l'exigeait ; on ne nous dit pas si le jeune garçon avait déjà assisté précédemment à pareil événement. À l'âge de douze ans, le jeune Juif était reconnu membre de sa communauté d'origine ; on exigeait alors de lui qu'il se lançât définitivement dans le métier qu'il avait choisi ; il parvenait à une situation personnelle avancée en ce sens que dorénavant ses parents ne pouvaient plus disposer de lui arbitrairement comme d'un esclave ; on lui faisait faire des études plus poussées à l'école et au foyer, et, quand les prêtres l'acceptaient, il devenait « fils de la loi ». Le désir commun et très naturel des parents était que leurs fils assistassent à la fête de la Pâque et fussent présents aux cérémonies du temple en qualité de membres reconnus de l'assemblée, lorsqu'ils avaient l'âge prescrit. C'est ainsi que le jeune Jésus se rendit au temple.
 
La fête proprement dite durait sept jours, et, à l'époque du Christ, de grandes foules de Juifs y assistaient annuellement ; Josèphe dit d'une assemblée de ce genre, lors de la Pâque, que c'était « une multitude innombrable » [9]. Les gens venaient de provinces éloignées en grandes compagnies et en longues caravanes, cela étant plus pratique et constituant un moyen de protection commune contre les bandes de pillards que l'on sait avoir infesté le pays. C'est dans une compagnie de ce genre que Joseph et sa famille voyagèrent.
 
Lorsque, après la fin de la Pâque, la compagnie galiléenne eut accompli une journée du voyage de retour, Joseph et Marie découvrirent, à leur surprise et à leur profonde inquiétude, que Jésus n'était pas dans leur compagnie. Après avoir vainement cherché parmi leurs amis et leurs connaissances, ils retournèrent vers Jérusalem à la recherche du jeune garçon. Leurs recherches ne leur apportèrent ni réconfort ni aide pendant trois jours ; puis, « ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les questionnant » [10]. Il n'était pas extraordinaire qu'un jeune garçon de douze ans fût interrogé par des prêtres, des scribes ou des rabbis, ni qu'il lui fût permis de poser des questions à ces interprètes professionnels de la loi, car cette procédure faisait partie de la formation des jeunes Juifs ; il n'y avait rien de surprenant non plus à ce que pareille réunion d'étudiants et d'instructeurs se tînt dans les cours du temple, car les rabbis de l'époque avaient coutume d'y enseigner ; et les gens, jeunes et vieux, s'assemblaient autour d'eux, assis à leurs pieds pour apprendre ; mais il y avait beaucoup d'extraordinaire dans cette entrevue, comme le montrait le comportement des savants docteurs, car on n'avait encore jamais trouvé d'étudiant pareil, puisque « ceux qui l'entendaient étaient surpris de son intelligence et de ses réponses ». L'incident nous donne la preuve que l'enfance de Jésus avait été bien employée et qu'il était extraordinairement accompli [11].
 
L'étonnement de Marie et de son mari de découvrir le jeune garçon en une compagnie si distinguée, et de le voir être si clairement un objet de déférence et de respect, et la joie de revoir le Bien-Aimé qui avait été perdu pour eux, ne bannirent pas complètement le souvenir de l'angoisse que son absence leur avait causée. Sur un ton de reproche doux mais indubitable, sa mère dit : « Enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Voici que ton père et moi nous te cherchons avec angoisse. » La réponse du jeune garçon les étonna, car elle révélait, dans une mesure dont jusqu'à présent ils ne s'étaient pas encore rendu compte, ses capacités rapidement mûrissantes de jugement et de compréhension. Il dit : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu'il faut que je m'occupe des affaires de mon Père ? »
 
Nous ne pouvons pas dire que dans la réponse que ce fils extrêmement respectueux fit à sa mère, il y avait une réplique méchante ou un reproche insolent. Sa réponse rappelait à Marie ce qu'elle semblait avoir temporairement oublié : les faits relatifs au Père de son Fils. Elle avait utilisé les mots « ton père et moi » ; et la réponse de son Fils lui avait rappelé à l'esprit la vérité que Joseph n'était pas le père du jeune garçon. Elle semble avoir été étonnée que quelqu'un de si jeune ait pu comprendre si parfaitement sa position vis-à-vis d'elle. Il lui avait fait remarquer l'inexactitude accidentelle de ses paroles ; ce n'était pas son Père qui le cherchait : n'était-il pas en ce moment même dans la maison de son Père, et ne s'occupait-il pas en particulier des affaires de son Père, de l'œuvre même dont celui-ci l'avait chargé ?
 
Il n'avait pas exprimé le moindre doute que Marie fût sa mère, mais il avait montré d'une manière indiscutable qu'il reconnaissait pour son Père, non pas Joseph de Nazareth, mais le Dieu des cieux. Marie et Joseph furent incapables de comprendre tout le sens de ses paroles. Bien qu'il comprît que le fait d'être le Fils de Dieu l'obligeait à rendre ses devoirs avant tout à son Père céleste, et qu'il eût montré à Marie que son autorité de mère terrestre était subordonnée à celle de son Père immortel et divin, il lui obéit. Aussi intéressés que fussent les docteurs à ce garçon remarquable, autant qu'il leur eût donné à réfléchir par ses questions profondes et ses réponses sages, ils ne pouvaient le retenir, car la loi même qu'ils professaient soutenir exigeait une obéissance stricte à l'autorité des parents. « Puis il descendit avec eux pour aller à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère conservait toutes ces choses dans son cœur. »
 
Quels secrets merveilleux et sacrés étaient précieusement gardés dans ce cœur de mère, et quelles surprises nouvelles, quels graves problèmes se dressaient devant elle de jour en jour à mesure que son Fils plus que mortel manifestait sa sagesse grandissante ! Bien qu'elle n'eût jamais pu l'oublier entièrement, apparemment elle perdait parfois de vue la personnalité supérieure de son Fils. Il était peut-être de la volonté divine qu'il en fût ainsi. Les rapports entre Jésus et sa mère, ou entre lui et Joseph n'auraient jamais pu constituer une expérience vraiment et pleinement humaine, si sa divinité avait toujours été dominante ou même nettement apparente. Il semble que Marie n'ait jamais pleinement compris son Fils ; à chaque nouvelle preuve du caractère exceptionnel de sa personnalité, elle recommençait à s'étonner et à méditer. Il lui appartenait, et cependant d'une manière très réelle, il ne lui appartenait pas pleinement. Il y avait, dans leurs rapports mutuels, un mystère, terrible et pourtant sublime, un secret sacré que cette mère élue et bénie hésitait même à se répéter. La crainte a dû lutter avec la joie dans son âme à cause de lui. Le souvenir des promesses merveilleuses de Gabriel, le témoignage des bergers en liesse et l'adoration des mages ont dû lutter avec celui de l'importante prophétie de Siméon, qui s'adressait à elle-même personnellement : « Et toi-même, une épée te transpercera l'âme » [12].
 
Pour ce qui est des événements des dix-huit années qui suivirent le retour de Jésus de Jérusalem à Nazareth, les Écritures sont silencieuses à l'exception d'une phrase d'une importance capitale : « Et Jésus croissait en sagesse, en stature et en grâce, devant Dieu et devant les hommes » [13]. Il est clair que ce Fils du Très-Haut ne possédait pas, dès le berceau, une plénitude de connaissance ni une sagesse parfaite [14]. Ce n'est que lentement que se développait en son âme l'assurance que sa mission était d'être le Messie, dont il avait lu, dans la loi, les prophètes et les psaumes, qu'il viendrait ; et c'est en se préparant avec ferveur au ministère qui devait culminer sur la croix qu'il passa ses années d'adolescent et de jeune homme. Les chroniques des années ultérieures nous apprennent qu'on le tenait sans aucun doute pour le Fils de Joseph et de Marie et qu'on le considérait comme le frère des autres enfants plus jeunes de la famille. On l'appelait charpentier et fils de charpentier, mais, jusqu'au commencement de son ministère public, il semble ne pas avoir joué de rôle important, même dans sa petite communauté natale [15].
 
Il mena une vie simple, en paix avec ses semblables, en communion avec son Père, croissant ainsi en faveur auprès de Dieu et des hommes. Comme le montrent ses paroles publiques, lorsqu'il fut devenu homme, ces années d'isolement se passèrent en efforts actifs, tant physiques que mentaux. Jésus observait attentivement la nature et les hommes. Il était capable de souligner ses enseignements par des illustrations tirées des divers métiers et des diverses professions ; les voies du docteur de la loi et du médecin, les manières du scribe, du Pharisien et du rabbi, les habitudes du pauvre, les coutumes du riche, la vie du berger, du fermier, du vigneron et du pêcheur, tout cela lui était connu. Il considérait les lis des champs, et l'herbe dans les prés et sur les coteaux, les oiseaux qui ne semaient ni ne moissonnaient mais vivaient de l'abondance de leur Créateur, les renards dans leurs tanières, le chien domestique gâté et le roquet vagabond, la poule abritant sa couvée sous ses ailes protectrices, tous avaient contribué à la sagesse qu'il avait acquise en grandissant, aussi bien que les humeurs du temps, la répétition des saisons et tous les phénomènes des changements et de l'ordre de la nature.
 
Nazareth fut la demeure de Jésus jusqu'à ce qu'il eut environ trente ans ; et conformément à la coutume qui désignait les individus par le nom de leur ville d'origine, en plus de leur nom personnel [16], notre Seigneur commença à être généralement connu sous le nom de Jésus de Nazareth [17]. On l'appelle aussi Nazaréen, ou originaire de Nazareth, et Matthieu cite le fait, disant que c'est là l'accomplissement d'une prophétie antérieure, bien que la compilation d'Écritures que nous possédons actuellement dans l'Ancien Testament ne contienne aucune allusion à pareille prophétie. Il est pratiquement certain que cette prédiction se trouvait dans l'une des nombreuses Écritures qui existaient dans les temps anciens mais qui ont été perdues depuis [18]. On verra que Nazareth était un village obscur, peu honoré et peu renommé, dans la question presque méprisante de Nathanaël, qui, lorsqu'on lui apprit qu'on avait trouvé le Messie en la personne de Jésus de Nazareth, demanda : « Peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon ? [19] » Cette question incrédule est devenue un proverbe, et celui-ci a encore cours aujourd'hui même pour exprimer une source de bien impopulaire ou peu prometteuse. Nathanaël habitait Cana, qui n'était qu'à quelques kilomètres de Nazareth, et la surprise qu'il manifesta à la nouvelle que lui apporta Philippe à propos du Messie est une preuve indirecte de l'isolement dans lequel Jésus avait vécu.
 
C'est ainsi que se passèrent l'enfance, la jeunesse et les premières années adultes du Sauveur de l'humanité.
 
 [1] Mt 2:15 ; cf. Os 11:1.
 [2] Mt 2:19-23. Note 5, fin du chapitre.
 [3] Note 1, fin du chapitre.
 [4] Note 2, fin du chapitre.
 [5] Lc 2:40.
 [6] Note 3, fin du chapitre.
 [7] Comparer avec ses enseignements quand il sera arrivé à l'âge mûr, p. ex. Jn 8:32.
 [8] Dt 16:1-6 ; cf. Ex 12:2.
 [9] Josèphe, Guerres des Juifs, 11, 1:3.
 [10] Lc 2:46 ; lire 41-52.
 [11] Comparer avec Mt 7:28,29, 13:54, Mc 6:2, Lc 4:22.
 [12] Lc 2:35.
 [13] Lc 2:52.
 [14] Note 3, fin du chapitre.
 [15] Mt 13:55, 56, Mc 6:3, Lc 4:22 ; cf. Mt 12-46, 47, Ga 1:19.
 [16] Illustrations : Joseph d'Arimathée (Marc 15:43), Marie-Madeleine appelée ainsi à cause de sa ville natale, Magdala (Mt 27:56), Judas Iscariot, peut-être appelé ainsi parce qu'il venait de Kérioth (Mt 10:4, voir chap. 18 du présent ouvrage).
 [17] Mt 21:11, Jn 18:5,19:9, Ac 2:22,3:6 ; voir aussi Lc 4:16.
 [18] Note 4, fin du chapitre.
 [19] Jn 1:45,46.
 
NOTES DU CHAPITRE 9
 
1. Archélaüs régna à la place d'Hérode : « À sa mort, Hérode [le Grand] laissa un testament selon lequel son royaume devait être partagé entre ses trois fils. Archélaüs devait avoir la Judée, l'Idumée et la Samarie avec le titre de roi (Mt 2:22). Hérode Antipas devait recevoir la Galilée et la Pérée, avec le titre de tétrarque, Philippe devait prendre possession du territoire transjordanien avec le titre de tétrarque (Lc 3:1). Ce testament fut ratifié par Auguste à l'exception du titre donné à Archélaüs. Après la ratification par Auguste du testament d'Hérode, Archélaüs accéda au gouvernement de la Judée, de la Samarie et de l'Idumée, avec le titre d'ethnarque la promesse que, s'il gouvernait bien, il deviendrait roi. Cependant il était très impopulaire, et son règne fut marqué par des troubles et des actes d'oppression. Finalement, la situation devint si intolérable que les Juifs en appelèrent à Auguste, et Archélaüs fut déposé et envoyé en exil. Cela explique la déclaration qui se trouve dans Mt 2:22, et peut avoir suggéré l'idée de la parabole (Lc 19:12, etc.). » - Standard Bible Dictionary, Funk and Wagnalls Co., article « Hérode ». Dès le début de son règne, il exerça une vengeance sommaire sur ceux qui s'aventuraient à protester contre la poursuite des violences de son père, en en massacrant trois mille ou davantage ; et cet ignoble carnage se produisit en partie dans l'enceinte du temple (Josèphe, Antiquités XVII, 9:1-3).
 
2. Hérode Antipas : Fils d'Hérode I (le Grand) et d'une Samaritaine, et frère d'Archélaüs. Selon le testament de son père, il devenait tétrarque de Galilée et de Pérée (Mt 14: 1 ; Lc 3:19, 9:7, Ac 13: 1, comparez avec Lc 3:1). Il répudia sa femme, fille d'Aretas, roi d'Arabie Pétrée, et contracta une union illégale avec Hérodiade, femme de son demi-frère Hérode Philippe 1 (pas le tétrarque Philippe). Jean-Baptiste fut mis en prison et finalement mis à mort suite à la colère d'Hérodiade, furieuse de ce qu'il dénonçait son union avec Hérode. Hérodiade exhorta Antipas à aller à Rome et à demander à César le titre de roi (comparez avec Mc 6:14, etc.). Antipas est le Hérode le plus souvent cité dans le Nouveau Testament (Mc 6:17 ; 8:15, Lc 3:1, 9:7, 13:31, Ac 4:27, 13:1). Il était le Hérode à qui Pilate envoya Jésus pour qu'il l'examinât, profitant de ce que l'on connaissait le Christ pour un Galiléen et d'une coïncidence qui voulait que Hérode fût à Jérusalem à l'époque, pour assister à la Pâque (Lc 23:6, etc.). On trouvera d'autres détails dans le Dictionnaire de Smith, celui de Cassel ou dans le Standard Bible Dictionary.
 
3. Témoignage de Jean l'apôtre concernant la croissance du Christ en connaissance et en grâce : Dans une révélation moderne, Jésus le Christ a confirmé le témoignage de Jean l'apôtre, témoignage qui n'apparaît que partiellement dans notre compilation d'Écritures anciennes. Jean atteste de la manière suivante qu'il se produisit réellement un développement naturel dans la croissance de Jésus de l'enfance à la maturité : « Et moi, Jean, je vis qu'il ne recevait pas la plénitude dès l'abord, mais qu'il reçut grâce sur grâce ; et il ne reçut pas la plénitude dès l'abord, mais continua de grâce en grâce, jusqu'à ce qu'il reçût une plénitude ; c'est ainsi qu'il fut appelé le Fils de Dieu, parce qu'il n'avait pas reçu la plénitude dès l'abord » (D&A 93:12-14). En dépit de cette croissance et du développement graduels après sa naissance dans la chair, on a associé Jésus-Christ avec le Père dès le début, comme l'explique la révélation citée. Nous y lisons : « Et il [Jean] rendit témoignage, disant : Je vis sa gloire, je vis qu'il était au commencement, avant que le monde fût ; c'est pourquoi, au commencement était la Parole, à savoir le messager du salut - la lumière et le Rédempteur du monde ; l'Esprit de vérité, qui est venu dans le monde, parce que le monde avait été fait par lui, et en lui étaient la vie et la lumière des hommes. Les mondes furent faits par lui, les hommes furent faits par lui, tout fut fait par lui, par son intermédiaire et de lui. Et moi, Jean, je rends témoignage que je vis sa gloire, la gloire du Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité, savoir l'Esprit de vérité qui vint demeurer dans la chair et demeura parmi nous » (versets 7-11).
 
4. Écritures manquantes : Le commentaire de Matthieu sur la demeure de Joseph, de Marie et de Jésus à Nazareth, « et [il] vint demeurer dans une ville appelée Nazareth, afin que s'accomplisse ce qui avait été annoncé par les prophètes : Il sera appelé Nazaréen » (2:23), et le fait que l'on ne trouve aucune parole de ce genre chez les prophètes dans aucun des livres contenus dans la Bible, font ressortir la certitude que des Écritures ont été perdues. Ceux qui sont opposés à la doctrine de la révélation continue entre Dieu et son Église, sous prétexte que la Bible est une collection complète d'Écritures sacrées, et que les prétendues révélations que l'on n'y trouve pas doivent par conséquent être inauthentiques, peuvent avoir avantage à noter les nombreux livres qui ne se trouvent pas dans la Bible, et qui pourtant y sont mentionnés, généralement de manière à ne laisser aucun doute quant au fait qu'on les considérait autrefois comme authentiques. Parmi ces Écritures extra-bibliques, on peut citer les suivantes, dont certaines existent aujourd'hui et sont classées parmi les Apocryphes, mais dont la plus grande partie est inconnue. Nous lisons qu'il est question du livre de l'alliance (Ex 24:7), du livre des Guerres de l'Éternel (Nb 21:14), du livre du juste (Jos 10:13), du livre des Statuts (1 S 10:25), du livre d'Énoch (Jude 14), du livre des actes de Salomon (1 R 11:41), du livre de Nathan le prophète et de celui de Gad le Voyant (1 Ch 29:29), du livre d'Ahiya de Silo et des visions de Yéedo (2 Ch 9:29), du livre de Chemaeya (2 Ch 12:15), du commentaire du prophète Iddo (2 Ch 13:22), des Actes de Jéhu (2 Ch 20:34), des actes d'Ozias, par Ésaïe, fils d'Amots (2 Ch 26:22), du livre de Hozaï (2 Ch 33:19), d'une épître manquante de Paul aux Corinthiens (1 Co 5:9), d'une épître manquante aux Éphésiens (Ep 3:3), d'une épître manquante aux Colossiens, écrite de Laodicée (Co 4:16), d'une épître manquante de Jude (Jude 3).
 
5. Nazareth : Ville de Galilée que la Bible ne mentionne que dans le Nouveau Testament. Josèphe ne dit rien de cet endroit. Le nom du village existant, ou la Nazareth d'aujourd'hui, est En-Nazirah. Celui-ci occupe une colline sur le plan méridional du Liban, et « on a de là une vue splendide de la plaine d'Esdraelon et du mont Carmel, et, d'une manière générale, l'endroit est très pittoresque » (Zenos). L'auteur de l'article « Nazareth » du Bible Dict., de Smith, identifie En-Nazirah moderne avec la Nazareth d'autrefois pour les raisons suivantes : « Elle se trouve sur les pentes inférieures d'une colline ou montagne (Lc 4:29) ; elle se trouve dans les limites de la province de Galilée (Mc 1:9) ; elle se trouve près de Cana (Jn 2:1, 2, 11), un précipice existe dans le voisinage (Lc 4:29), et une série d'attestations remontant jusqu'à Eusèbe assurent que l'endroit a occupé la même place. » Le même auteur ajoute : « Elle a une population de trois ou quatre mille habitants ; il y a quelques mahométans, le reste se compose de chrétiens, latins et grecs. La plupart des maisons sont bien construites et en pierre, et semblent propres et confortables. Les rues ou plutôt les ruelles sont étroites et tortueuses, et lorsqu'il a plu, elles sont si remplies de boue et de fange qu'il est presque impossible de les traverser. » Du vivant du Christ, la ville n'était pas seulement considérée comme sans importance par les Judéens qui n'avaient que peu de respect pour la Galilée ou les Galiléens, mais comme une ville sans aucun honneur par les Galiléens eux-mêmes, comme on peut en déduire du fait que la question apparemment méprisante, « peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon ? » fut prononcée par Nathanaël (Jn 1:46), qui était Galiléen et originaire de Cana, ville voisine de Nazareth (Jn 21:2). Nazareth doit sa célébrité au fait que des événements de la vie de Jésus-Christ s'y déroulèrent (Mt 2.23, 13:54, Mc 1: 9, 6:1, Le 1:26, 2:4, 4:23, 34, Jn 1:45, 46, 19:19 ; Ac 2:22).
 
 
CHAPITRE 10 : DANS LE DÉSERT DE JUDÉE
 
LA VOIX DANS LE DÉSERT
 
À l'époque précisée comme étant la quinzième année du règne de Tibère, empereur de Rome, le peuple de Judée fut fortement ému des prédications étranges d'un homme jusqu'alors inconnu. Il était de descendance sacerdotale mais n'avait pas été formé par les écoles, et, sans autorisation des rabbis ni permission des principaux sacrificateurs, il se proclamait envoyé de Dieu avec un message pour Israël. Il apparaissait non dans les synagogues ni dans les cours du temple, où les scribes et les docteurs enseignaient, mais criait à haute voix dans le désert. Les populations de Jérusalem et des régions avoisinantes allaient l'écouter en grandes multitudes. Il dédaignait les vêtements doux et les robes amples et confortables et prêchait dans son rude vêtement du désert, qui se composait d'une tunique en poil de chameau maintenue par une ceinture de cuir. La grossièreté de son habillement était considérée comme significative. Élie, le Tichbite, ce prophète intrépide dont le désert avait été la demeure, était connu de son temps comme « un homme avec un vêtement de poil ; il avait une ceinture de cuir autour des reins » [1], et on en était venu à considérer que les vêtements primitifs étaient une caractéristique distinctive des prophètes [2]. En outre, cet étrange prédicateur ne mangeait pas la nourriture du luxe et de l'aisance mais se nourrissait de ce que le désert offrait, des sauterelles et du miel sauvage [3].
 
Il avait étudié sous la tutelle d'instructeurs divins, et c'est là, dans le désert de Judée, que la parole du Seigneur lui parvenait [4], comme elle était parvenue autrefois à Moïse [5] et à Élie [6] dans un cadre semblable. C'est alors que l'on entendit « la voix de celui qui crie dans le désert : préparez le chemin du Seigneur, rendez droit ses sentiers » [7]. C'était la voix du héraut, du messager qui, comme les prophètes l'avaient dit, irait devant le Seigneur pour lui préparer la voie [8]. La teneur de son message était « Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche ». Et ceux qui avaient foi en ses paroles et professaient se repentir, confessant leurs péchés, il leur administrait le baptême par immersion dans l'eau - proclamant en même temps : « Moi, je vous baptise dans l'eau, en vue de la repentance, mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi, et je ne mérite pas de porter ses sandales. Lui vous baptisera d'Esprit Saint et de feu. » [9]
 
On ne pouvait ignorer ni l'homme, ni son message ; sa prédication offrait des promesses bien précises à l'âme repentante et dénonçait d'une manière cinglante l'hypocrite et le pécheur endurci. Quand des Pharisiens et des Sadducéens venaient à son baptême, jacassant sur la loi, dont ils ne cessaient de transgresser l'esprit, et sur les prophètes, qu'ils déshonoraient, il les traitait de races de vipères et leur demandait : « Qui vous a appris à fuir la colère à venir ? » Il balayait leurs vantardises répétées, dans lesquelles ils se disaient les enfants d'Abraham, en disant : « Produisez donc du fruit digne de la repentance ; et n'imaginez pas pouvoir dire : Nous avons Abraham pour père ! Car je vous déclare que de ces pierres-ci Dieu peut susciter des enfants à Abraham » [10]. Sa façon d'ignorer leurs prétentions à être préférés en qualité d'enfants d'Abraham était une violente rebuffade et blessait profondément tant les Sadducéens aristocratiques que les Pharisiens pointilleux sur le code. Le judaïsme affirmait que la postérité d'Abraham avait une place assurée dans le royaume du Messie attendu et qu'aucun converti d'entre les Gentils ne pouvait espérer atteindre le rang et la distinction dont les « enfants » étaient assurés. L'affirmation énergique de Jean que Dieu pouvait susciter des enfants à Abraham à partir des pierres des berges du fleuve, signifiait pour ceux qui l'écoutaient que même les plus humbles de la famille humaine pouvaient être préférés à eux s'ils ne se repentaient pas et ne se réformaient pas [11]. Le temps de leur profession verbeuse était passé ; ce qu'on demandait, c'était des fruits et non pas une profusion stérile quoique feuillue ; la cognée était prête, oui, à la racine même de l'arbre ; et tous les arbres qui ne produisaient pas de bons fruits seraient abattus et jetés au feu.
 
Les gens étaient étonnés, et beaucoup, se voyant dans leur état réel d'abandon et de péché, tandis que Jean exposait leurs fautes en termes brûlants, s'écrièrent : « Que ferons-nous donc [12] ? » Dans sa réponse, il attaqua le goût du cérémoniel qui avait desséché la spiritualité dans le cœur des gens, presque jusqu'à la tuer. Il exigeait une charité désintéressée : « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n'en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même. » Les péagers ou percepteurs d'impôts, sous les exactions injustes et illégales desquels le peuple souffrait depuis si longtemps, vinrent, demandant : « Maître, que ferons-nous ? Il leur dit : N'exigez rien au-delà de ce qui vous a été ordonné. » Aux soldats qui demandaient ce qu'ils devaient faire, il répliqua : « Ne faites violence à personne, et ne dénoncez personne à tort, mais contentez-vous de votre solde. » [13]
 
L'esprit de ses exigences était celui d'une religion pratique, la seule qui puisse avoir une valeur quelconque : la religion d'une vie droite. En dépit de toute sa vigueur, malgré sa brusquerie, nonobstant ses attaques vigoureuses contre les coutumes dégénérées du temps, ce Jean n'était pas un agitateur excité qui s'en prenait aux institutions établies, ni un provocateur d'émeutes, ni un partisan de la révolte, ni un fomentateur de rébellions. Il ne s'attaquait pas au système des impôts mais aux extorsions des péagers corrompus et cupides ; il ne dénonçait pas l'armée, mais les iniquités des soldats, dont beaucoup avaient profité de leur position pour rendre de faux témoignages afin d'obtenir du gain et de s'enrichir par des saisies de force. Il prêchait ce que nous appelons les premiers principes fondamentaux de l'Évangile, le « commencement de l'Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu » [14], comprenant la foi, qui est une croyance vivante en Dieu, le repentir sincère, qui implique la contrition pour les offenses passées et la décision ferme de se détourner du péché, le baptême par immersion dans l'eau sous ses mains, étant les mains de quelqu'un qui avait l'autorité, et le baptême supérieur du feu ou l'octroi du Saint-Esprit par une autorité supérieure à celle qu'il possédait lui-même. Son enseignement était positif et opposé, à de nombreux points de vue, aux conventions du temps ; il n'essayait pas d'attirer le peuple par des manifestations miraculeuses [15] ; et si beaucoup de ses auditeurs devinrent ses disciples [16], il ne créa aucune organisation officielle et n'essaya pas non plus de former une secte. Il demandait à chacun personnellement de se repentir et administrait personnellement à chaque candidat acceptable le rite du baptême.
 
Pour les Juifs qui vivaient dans un état d'expectative, attendant le Messie prédit depuis si longtemps, les paroles de cet étrange prophète du désert étaient lourdes de présages. Se pouvait-il qu'il fût le Christ ? Il parlait de quelqu'un plus puissant que lui, qui devait encore venir, dont il n'était pas digne de défier les chaussures [17], Quelqu'un qui séparerait le peuple comme le batteur, van à la main, séparait la balle du grain ; et, ajoutait-il, cette personne toute puissante « amassera le blé dans son grenier, mais brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteint pas » [18].
 
C'est ainsi que le héraut, prédit du Seigneur, remit son message. Il ne s'exaltait pas personnellement ; mais son office lui était sacré, il ne tolérait aucune intervention dans ses fonctions, que ce fût de la part d'un prêtre, d'un Lévite ou d'un rabbi. Il ne faisait point acception de personnes ; à dénonçait le péché, écorchait les pécheurs, qu'ils fussent revêtus de vêtements sacerdotaux, d'habits paysans ou de robes royales. Tout ce que le Baptiste avait déclaré de lui-même et de sa mission fut confirmé plus tard par le témoignage formel du Christ [19]. Jean était l'annonciateur, non seulement du Royaume, mais également du Roi ; c'est à lui que vint le Roi en personne.
 
LE BAPTÊME DE JÉSUS - POUR ACCOMPLIR TOUT CE QUI EST JUSTE
 
Quand Jésus eut environ trente ans [20], il se rendit de sa demeure de Galilée « au Jourdain vers Jean, pour être baptisé par lui. Mais Jean s'y opposait en disant : C'est moi qui ai besoin d'être baptisé par toi et c'est toi qui viens à moi ! Jésus lui répondit : Laisse faire maintenant, car il est convenable que nous accomplissions ainsi toute justice. Alors Jean le laissa faire » [21].
 
Jean et Jésus étaient cousins au deuxième degré ; on ne nous dit pas s'ils avaient eu des relations étroites lorsqu'ils étaient enfants ou lorsqu'ils devinrent adultes. Mais ce qui est certain, c'est que quand Jésus se présenta pour être baptisé, Jean reconnut en lui un homme sans péché qui n'avait aucun besoin de repentir ; et, comme le Baptiste était chargé de baptiser pour la rémission des péchés, il ne voyait pas la nécessité d'administrer cette ordonnance à Jésus. Lui qui avait reçu les confessions des multitudes, se confessait maintenant avec respect à quelqu'un qu'il savait être plus juste que lui. À la lumière d'événements ultérieurs, il semble qu'à cette époque Jean ne savait pas que Jésus était le Christ, la Personne plus puissante qu'il attendait et dont il se savait être le précurseur. Quand Jean exprima sa conviction que Jésus n'avait pas besoin d'être purifié par le baptême, notre Seigneur, connaissant sa propre innocence, ne nia pas l'affirmation du Baptiste mais insista néanmoins pour être baptisé, en donnant cette explication significative : « Car il est convenable que nous accomplissions ainsi toute justice. » Si Jean était à même de comprendre le sens profond de cette phrase, il dut y découvrir la vérité que le baptême d'eau n'est pas seulement le moyen prévu pour obtenir la rémission des péchés mais est également une ordonnance indispensable établie en justice et requise de tous les hommes comme condition essentielle pour être membre du royaume de Dieu [22].
 
Jésus-Christ se conforma ainsi humblement à la volonté du Père et fut baptisé de Jean par immersion dans l'eau. Ce qui s'ensuivit immédiatement atteste que son baptême fut accepté comme un acte de soumission agréable et nécessaire : « Aussitôt baptisé, Jésus sortit de l'eau. Et voici : les cieux s'ouvrirent, il vit l'Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et voici qu'une voix fit entendre des cieux ces paroles : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection » [23]. Alors Jean reconnut son Rédempteur.
 
Les quatre évangélistes rapportent que la descente du Saint-Esprit sur Jésus baptisé s'accompagna d'une manifestation visible « comme une colombe » ; et il avait été révélé à Jean que ce signe était le moyen prévu qui lui révélerait le Messie ; et voilà qu'à ce signe préalablement spécifié, le Père ajoutait son témoignage suprême que Jésus était littéralement son Fils. Matthieu rapporte les paroles du Père à la troisième personne : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé », tandis que Marc et Luc donnent la forme plus directe : « Tu es mon Fils bien-aimé. » Cette variante, si minime et essentiellement secondaire qu'elle soit, bien que portant sur un sujet aussi capital, donne une preuve que les auteurs écrivaient indépendamment les uns des autres et réfute toute insinuation qu'il y aurait eu collusion entre les écrivains.
 
Les incidents qui se produisirent lorsque Jésus sortit de la tombe baptismale démontrent que les trois personnages de la Divinité ont une individualité distincte. En cette occasion solennelle, Jésus le Fils était présent dans la chair, la présence du Saint-Esprit se manifesta par le signe accompagnateur de la colombe, et la voix du Père éternel se fit entendre des cieux. Si nous n'avions aucune autre preuve de ce que chaque membre de la sainte Trinité a une personnalité séparée, cet exemple serait concluant ; mais d'autres Écritures confirment cette grande vérité [24].
 
LES TENTATIONS DU CHRIST
 
Peu après son baptême, immédiatement après, selon Marc, Jésus fut poussé, par les incitations de l'Esprit, à s'éloigner des hommes et des distractions de la vie communautaire, en se retirant dans le désert où il serait libre de communier avec son Dieu. L'influence de la force qui le mouvait était si puissante qu'elle le conduisit, ou pour employer les termes de l'évangéliste, le poussa, à une retraite solitaire, où il demeura pendant quarante jours, « avec les bêtes sauvages » du désert. Trois des évangiles décrivent cet épisode de la vie de notre Seigneur, bien que de manière inégale [25] ; Jean le passe sous silence.
 
Les circonstances qui accompagnèrent cette période d'exil et d'épreuve ont dû être relatées par Jésus lui-même, car il n'y avait pas d'autres témoins humains. Les textes traitent surtout d'événements qui marquèrent la fin de la période de quarante jours, mais considérés dans leur ensemble, ils ne laissent subsister aucun doute quant au fait que ce fut une période de jeûne et de prière. Ce n'est que graduellement que le Christ se rendit compte qu'il était le Messie choisi et pré-ordonné. Comme le montrent les paroles qu'il adressa à sa mère le jour de ce mémorable entretien avec les docteurs dans les cours du temple, il savait, alors qu'il n'avait que douze ans, qu'il était Fils de Dieu dans un sens tout particulier et personnel ; mais il est cependant clair que la compréhension de l'objectif tout entier de sa mission terrestre ne se développa en lui qu'à mesure qu'il grandissait, étape par étape, en sagesse. Le fait que son Père le reconnut et qu'il reçut la compagnie constante du Saint-Esprit ouvrit son âme à la conscience glorieuse de sa divinité. Il devait réfléchir à beaucoup de choses, beaucoup de choses qui demandaient la prière et la communion avec Dieu que seule la prière peut assurer. Pendant tout le temps de sa retraite, il ne mangea point mais décida de jeûner afin que son corps mortel en fût plus assujetti à son esprit divin.
 
Puis, lorsqu'il fut affamé et physiquement faible, le Tentateur vint lui proposer sournoisement d'utiliser ses pouvoirs extraordinaires pour se procurer de la nourriture. Satan avait choisi le moment le plus propice pour ses desseins mauvais. Que ne font pas les mortels, jusqu'où les hommes ne sont-ils pas allés, pour apaiser les tortures de la faim ? Ésaü troqua son droit d'aînesse pour un repas. Des hommes se sont battus comme des brutes pour de la nourriture. Des femmes ont tué et mangé leur propre bébé plutôt que d'endurer les affres de la faim. Satan savait tout cela lorsqu'il s'approcha du Christ à l'heure où il se trouvait dans un besoin physique extrême et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Pendant les longues semaines d'isolement, notre Seigneur avait été soutenu par l'exaltation d'esprit qui accompagne normalement une concentration mentale aussi absorbante que celle que produisirent indubitablement sa méditation et sa communion prolongées avec les cieux ; dans une dévotion aussi profonde, les appétits corporels étaient étouffés et assujettis, mais la réaction de la chair était inévitable. Aussi affamé que fût Jésus, il y avait dans les paroles de Satan des tentations plus grandes encore que celles que déguisaient ses paroles lorsqu'il lui dit qu'il devrait fournir de la nourriture à son corps affamé : la tentation de mettre à l'épreuve le doute possible qu'impliquait le « si » du Tentateur. Le Père éternel avait proclamé que Jésus était son Fils ; le diable essayait de faire douter le Fils de cette parenté divine. Pourquoi ne pas mettre à l'épreuve l'intérêt du Père pour son Fils à ce moment de besoin pressant ? Était-il convenable que le Fils de Dieu restât affamé ? Le Père avait-il oublié si rapidement, qu'il laissait son Fils bien-aimé souffrir de la sorte ? N'était-il pas raisonnable que Jésus, rendu faible par sa longue abstinence, pourvût à ses besoins, d'autant plus qu'il pouvait le faire, et ce en donnant un simple ordre, si la voix entendue à son baptême était celle du Père éternel. Si tu es en réalité le Fils de Dieu, montre ton pouvoir, et satisfais en même temps ta faim : tel était l'objectif du conseil diabolique. S'il avait cédé, il aurait montré qu'il doutait des paroles du Père.
 
En outre, le pouvoir supérieur que Jésus possédait ne lui avait pas été donné pour sa satisfaction personnelle mais pour servir les autres. Il devait faire l'expérience de toutes les épreuves de la mortalité ; un autre homme, qui aurait été aussi affamé que lui, n'aurait pas pu pourvoir à ses besoins par un miracle ; et bien que l'on pût nourrir pareil homme par un miracle, la nourriture miraculeuse devrait lui être donnée, il ne pourrait la fournir. C'était un résultat nécessaire de la nature double de notre Seigneur, participant aux attributs de Dieu et de l'homme à la fois, de devoir endurer et souffrir comme un mortel alors qu'il possédait à tout moment la capacité d'invoquer la puissance de cette Divinité qui pourrait satisfaire ou surmonter tous les besoins corporels. Sa réponse au tentateur fut sublime et sans réplique : « Il est écrit : l'homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » [26]. La parole qui était sortie de la bouche de Dieu et sur laquelle Satan voulait jeter le doute, était que Jésus était le Fils bien-aimé en qui le Père avait mis toute son affection. Le diable était défait, le Christ triomphait.
 
Se rendant compte qu'il avait échoué dans sa tentative de convaincre Jésus d'utiliser sa puissance personnelle à son propre service, et d'avoir confiance en lui-même plutôt que de se reposer sur la providence du Père, Satan passa à l'autre extrême et tenta Jésus d'obliger, sans motif, le Père à le protéger [27]. Jésus se tenait sur une des parties élevées du temple, une tour ou un rempart, dominant les vastes cours, quand le diable lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit : Il donnera des ordres à ses anges à ton sujet : Et ils te porteront sur les mains, de peur que ton pied ne heurte contre une pierre. » De nouveau apparaît le doute sous-entendu [28]. Si Jésus était en fait le Fils de Dieu, ne serait-il pas assuré que son Père le sauverait, d'autant plus qu'il était écrit [29] que des anges le garderaient et le porteraient ? La réponse du Christ au Tentateur dans le désert contenait une citation scripturaire, et il avait introduit celle-ci par la formule impressionnante commune aux interprètes de l'Écriture sainte : Il est écrit. » Dans la deuxième tentative, le diable essaya de soutenir son conseil par ses Écritures et employa une expression semblable : « Car il est écrit. » Notre Seigneur répondit à la citation du diable par une autre, disant : « D'autre part il est écrit : Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu » [30]. Dans sa tentation, le diable voulait inciter le Seigneur à pécher, soit en se mettant sans raison en danger afin d'obliger son Père à manifester son amour en le sauvant miraculeusement, soit en refusant d'obliger le Père à intervenir de la sorte, ce qui démontrerait qu'il doutait être le Fils bien-aimé. En outre, dans cette tentation, se cachait un appel à l'aspect humain de la nature du Christ, puisqu'elle devait également l'amener à penser à la célébrité que lui apporterait l'exploit stupéfiant de sauter d'une hauteur aussi vertigineuse que celle à laquelle une tourelle du temple se trouvait et d'atterrir sain et sauf. Bien que nous n'ayons pas le droit de dire qu'une idée de ce genre ait pu, même momentanément, se glisser dans l'esprit du Sauveur, nous ne pouvons nous empêcher de penser que le fait de suivre les conseils de Satan, à condition naturellement que le résultat fût celui qu'il avait indiqué, aurait eu pour résultat de faire admettre au public que Jésus était un être supérieur aux mortels. Ç'aurait été en effet un signe et un miracle dont la renommée se serait répandue comme une traînée de poudre ; et toute la communauté juive aurait été enflammée d'émotion et d'intérêt pour le Christ.
 
La sophistique criarde de la citation scripturaire de Satan ne méritait pas une réponse catégorique, sa doctrine ne méritait ni logique ni argument, son application erronée de l'Écriture était réduite à néant par une Écriture apparentée, les vers du psalmiste étaient compensés par le commandement formel du prophète de l'Exode, dans lequel il avait interdit à Israël d'inciter ou de tenter le Seigneur à faire des miracles parmi eux. Satan tenta Jésus de tenter le Père. Imposer des limites ou fixer le temps ou le lieu où la puissance divine se manifestera est une ingérence aussi blasphématoire dans les prérogatives de la Divinité que la tentative d'usurper cette puissance. C'est Dieu seul qui doit décider quand et comment ces prodiges se produiront. Une fois de plus les desseins de Satan étaient contrecarrés, et le Christ était de nouveau vainqueur.
 
Dans la troisième tentation, le diable s'abstint d'essayer encore d'amener Jésus à mettre soit son propre pouvoir, soit celui du Père à l'épreuve. Complètement battu à deux reprises, le tentateur abandonna ce plan d'attaque ; et, décidant de jouer cartes sur table, fit une proposition précise. Du haut d'une montagne élevée, Jésus contemplait le pays avec ses richesses : villes et champs, vignobles et vergers, troupeaux de petit et gros bétail, et en vision, il vit les royaumes du monde et en contempla la richesse, la splendeur et la gloire terrestre. Puis Satan lui dit : « Je te donnerai tout cela, si tu te prosternes et m'adores. » C'est ce qu'écrivait Matthieu ; voici la version plus détaillée de Luc : « Le diable... lui dit : je te donnerai tout ce pouvoir, et la gloire de ces royaumes ; car elle m'a été remise, et je la donne à qui je veux. Si donc tu te prosternes devant moi elle sera toute à toi. » Nous n'avons pas besoin de nous demander si Satan aurait pu réaliser sa promesse au cas où le Christ lui aurait rendu hommage ; il est certain que le Christ aurait pu tendre la main et s'amasser la richesse et la gloire du monde s'il avait voulu le faire, et aurait par là échoué dans sa mission messianique. Cela, Satan le savait très bien. Beaucoup d'hommes se sont vendus au diable pour un royaume et pour moins, pour quelques misérables sous.
 
L'impudence de son offre était diabolique en elle-même. Le Christ, Créateur du Ciel et de la terre, revêtu comme il l'était alors de chair mortelle, ne se rappelait peut-être pas son état préexistant, ni le rôle qu'il avait joué dans le grand conseil des Dieux [31], tandis que Satan, esprit non incarné - lui, le déshérité, le fils rebelle et rejeté - cherchant à tenter l'être par lequel le monde avait été créé en lui promettant une partie de ce qui appartenait entièrement à ce dernier, pouvait encore avoir à cette époque, comme il peut d'ailleurs encore l'avoir maintenant, le souvenir de ces scènes des premiers temps. Dans ce passé lointain, antérieur à la création de la terre, Satan, qui était alors Lucifer, fils du matin, avait été rejeté ; et c'était le Premier Né qui avait été choisi. Maintenant que l'Élu était soumis aux épreuves incidentes de la mortalité, Satan pensait contrecarrer les objectifs divins en assujettissant le Fils de Dieu. Lui qui avait été vaincu par Michel et ses armées et rejeté comme un rebelle battu, demandait au Jéhovah incarné de l'adorer. « Jésus lui dit : Retire-toi, Satan ! Car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et à lui seul, tu rendras un culte. Alors le diable le laissa. Et voici que des anges s'approchèrent de Jésus pour le servir. » [32]
 
Il ne faut pas penser que le fait que le Christ sortit victorieux des nuées ténébreuses des trois tentations dont nous avons parlé le mettait à l'abri d'attaques futures de la part de Satan ou le dispenserait de faire face à des épreuves ultérieures de sa foi, de sa confiance et de son endurance. Luc termine son récit des tentations qui suivirent le jeûne de quarante jours, comme suit : « Après avoir achevé de le tenter, le diable s'éloigna de lui jusqu'à une autre occasion » [33]. Cette victoire sur le diable et ses ruses, ce triomphe sur les aspirations de la chair, les doutes lancinants de l'esprit, le conseil de rechercher la célébrité et la richesse matérielles, furent des succès grands mais non pas définitifs dans la lutte entre Jésus, le Dieu incarné, et Satan, l'ange de lumière déchu. Le Christ affirma expressément qu'il était sujet aux tentations pendant la période où il vécut en compagnie des apôtres [34]. Nous verrons, en poursuivant cette étude, que ses tentations durèrent jusqu'à l'agonie même de Gethsémané. Il ne nous est pas donné de rencontrer l'adversaire, de nous battre contre lui et de le vaincre en une seule rencontre, une fois pour toutes ; et cela ne fut pas donné à Jésus non plus. La lutte entre l'esprit immortel et la chair, entre l'enfant de Dieu d'une part, et le monde et le diable d'autre part, dure pendant toute la vie. Peu d'événements de l'histoire évangélique de Jésus de Nazareth ont donné naissance à plus de discussions, de théories fantaisistes et de spéculations stériles que les tentations. Nous pouvons sans crainte ignorer toutes ces théories. Pour toute personne qui croit aux saintes Écritures, le récit des tentations qui s'y trouvent est suffisamment explicite pour mettre les faits essentiels hors de doute ; pour celui qui ne croit pas, ni le Christ, ni son triomphe n'ont d'attrait. À quoi cela nous profitera-t-il de spéculer sur le point de savoir si Satan apparut à Jésus sous une forme visible, ou n'était là que comme un esprit invisible, s'il parlait d'une voix audible ou éveillait à l'esprit de celui dont il voulait faire sa victime les pensées exprimées plus tard dans le texte, si les trois tentations se succédèrent immédiatement ou se produisirent à des intervalles plus longs ? Nous pouvons rejeter en toute sécurité toutes les théories qui veulent faire du récit scripturaire un mythe ou une parabole et accepter le document tel qu'il est, et nous pouvons affirmer avec une égale assurance que les tentations furent réelles, et que les épreuves auxquelles le Seigneur fut soumis furent réelles et cruciales. Pour croire autrement, on doit considérer les Écritures comme n'étant que de la fiction.
 
Dans cet ordre d'idées, une question qui mérite une certaine attention est celle de savoir si le Seigneur était capable de pécher. S'il n'avait pas eu la possibilité de céder aux pièges de Satan, il n'y aurait pas eu d'épreuve réelle dans les tentations, pas de victoire réelle dans le résultat. Notre Seigneur était sans péché, tout en étant susceptible de pécher ; il avait la capacité de pécher s'il avait voulu le faire. S'il avait été privé de la faculté de pécher, il aurait été dépouillé de son libre arbitre ; et c'était pour sauvegarder et assurer la liberté de l'homme qu'il s'était offert avant que le monde fût, comme sacrifice rédempteur. Dire qu'il ne pouvait pas pécher, parce qu'il était l'incarnation de la justice, ne veut pas dire nier qu'il eut la possibilité de choisir entre le bien et le mal. Un homme absolument sincère ne peut pas mentir volontairement ; néanmoins le fait qu'il est assuré contre la duplicité n'est pas le résultat d'une compulsion externe, mais d'une retenue intense due au fait qu'il a cultivé la compagnie de l'esprit de vérité. Un homme vraiment honnête ne prendra ni ne convoitera le bien de son prochain ; on pourra même dire qu'il ne peut pas voler ; et cependant il est capable de voler s'il choisit de le faire. Son honnêteté est une armure contre la tentation, mais la cotte de mailles, le casque, le pectoral et les jambières ne sont qu'une couverture extérieure ; l'homme qui se trouve à l'intérieur peut être vulnérable, si on peut le toucher.
 
Mais pourquoi poursuivre un raisonnement fastidieux, qui ne peut mener qu'à une seule conclusion, lorsque les propres paroles de notre Seigneur et d'autres Écritures confirment le fait ? Peu avant d'être trahi, alors qu'il exhortait les Douze à l'humilité, il dit : « Vous, vous êtes ceux qui avez persévéré avec moi dans mes épreuves » [35]. Bien qu'ici on ne fasse pas allusion en particulier aux tentations qui ont suivi immédiatement son baptême, il est clair, d'après la citation, qu'il a subi des tentations, et on peut en déduire qu'il en a eues pendant tout son ministère. L'auteur de l'épître aux Hébreux enseigna expressément que le Christ était capable de pécher, en ce qu'il fut tenté « en toutes choses » comme le reste de l'humanité. Considérez cette déclaration sans ambiguïté : « Puisque nous avons un grand souverain sacrificateur qui a traversé les cieux, Jésus le Fils de Dieu, tenons fermement la confession (de notre foi). Car nous n'avons pas un souverain sacrificateur incapable de compatir à nos faiblesses ; mais il a été tenté comme nous à tous égards, sans (commettre de) péché » [36]. Et en outre : « il a appris, bien qu'il fût le Fils, l'obéissance par ce qu'il a souffert. » [37]
 
 [1] 2 R 1:8.
 [2] Note 1, fin du chapitre.
 [3] Mt 3:1-5 ; cf. Lv 11:22, voir aussi Mc 1:1-8. Note 2, fin du chapitre.
 [4] Lc 3:2.
 [5] Ex 3:1,2.
 [6] 1 R 17:2-7.
 [7] Mc 1:3.
 [8] Mc 1:2 ; cf. Es 40:3, Ml 3:1, Mt 11:10, Lc 7:27.
 [9] Mt 3:11.
 [10] Mt 3:7-10 ; voir aussi Lc 3:3-9.
 [11] Comparer avec une occasion ultérieure où le Christ enseigna pareillement (Jn 8:33-59).
 [12] 1 Lc 3: 10 ; cf. Ac 2:37.
 [13] Lc 3:10-15.
 [14] Mc 1:1.
 [15] Jn 10:41.
 [16] Jn 1:35, 37, Mt 11:2, Lc 7:18.
 [17] Note 3, fin du chapitre.
 [18] Lc 3:17, voir aussi Mt 3:12, cf. Ml 3:2.
 [19] Mt 11:11-14, 17:12, Lc 7:24-30.
 [20] Lc 3:23.
 [21] Mt 3:13-15.
 [22] On trouvera une étude montrant que le baptême est une loi universelle dans les Articles de Foi, de l'auteur, p. 161-168. Note 6, fin du chapitre.
 [23] Mt 3:16,17 ; cf. Mc 1:9-11, Lc 3:21,22.
 [24] Peu avant sa mort, le Sauveur promit aux apôtres que le Père leur enverrait le Consolateur, qui est le Saint-Esprit (Jn 14:26 et 15:26). Voir les Articles de Foi, de l'auteur, p. 47.
 [25] Mt 4: 1-11, Mc 1:12,13, Lc 4:1-13.
 [26] Mt 4:4 ; cf. Dt 8:3.
 [27] Note 4, fin du chapitre.
 [28] Note 5, fin du chapitre. Chap. 35.
 [29] Mt 4:6, Ps 91:11,12.
 [30] Mt 4:5-7 ; cf. Dt 6:16.
 [31] Chap. 2.
 [32] Mt 4: 10, 11 ; cf. Ex 20:3, Dt 6:13, 10:20, Jos 24:14, 1 S 7:3.
 [33] Lc 4:13.
 [34] Lc 22:28.
 [35] Lc 22:28.
 [36] Hé 4:14,15.
 [37] Hé 5:8.
 
NOTES DU CHAPITRE 10
 
1. Vêtement en poil de chameau : Par l'intermédiaire du prophète Zacharie (13:4) il fut prédit un temps où ceux qui professaient être prophètes « ne revêtiront plus un manteau de poil afin de tromper ». À propos du vêtement en poil de chameau porté par Jean-Baptiste, les notes marginales d'Oxford et autres rendent l'expression « un vêtement de poil » comme plus littérale que le texte biblique. Deems (Light of the Nations, p. 74, note) dit : « Le vêtement en poil de chameau n'était pas la peau du chameau avec les poils, qui serait trop lourde à porter, mais un vêtement tissé avec des poils de chameau, comme ceux dont parle Josèphe (B. J. I. 24:3). »
 
2. Sauterelles et miel sauvage : Les insectes de l'espèce sauterelle ou criquet étaient officiellement déclarés purs et bons à manger dans la loi donnée à Israël dans le désert. « Mais, parmi tous les reptiles qui volent et qui marchent sur quatre pieds, vous mangerez celles qui ont des jambes au-dessus de leurs pieds, pour sauter sur la terre. Voici celles que vous mangerez : la sauterelle, le solam [sauterelle chauve], le hargol [scarabée] et le hagab [criquet], selon leurs espèces » (Lv 11:21,22).
 
Actuellement beaucoup de peuples orientaux, ordinairement les classes pauvres seulement, utilisent les sauterelles comme nourriture. À propos du du passage qui dit que les sauterelles faisaient partie de la nourriture du Baptiste tandis qu'il vivait en reclus dans le désert, Farrar (Life of Christ, p. 97, note), dit : « L'impression qu'il s'agit là des gousses du caroubier [Locust tree ou arbre à sauterelles en anglais] est une erreur. On vend des sauterelles dans des magasins d'alimentation spécialisés à Médine ; on les plonge dans de l'eau salée bouillante, on les sèche au soleil, et on les mange avec du beurre, mais seuls les mendiants les plus pauvres en usent. » Geikie (Life and Words of Christ, vol. 1, p. 354, 355) applique ce qui suit à la vie du Baptiste : « Sa seule nourriture était les sauterelles qui sautaient ou volaient sur les collines dénudées, et le miel d'abeilles sauvages qu'il trouvait çà et là, dans les fentes des rochers, et sa seule boisson était une gorgée d'eau de quelque creux de rocher. Les sauterelles sont toujours la nourriture des pauvres dans beaucoup de régions de l'orient. ‘Tous les Bédouins, et les habitants de certaines villes du Nedj et du Hedjaz, ont coutume de les manger', dit Burckhardt. À Médine et à Ta'if, j'ai vu des magasins de sauterelles, où on les vend au poids. En Égypte et en Libye, seuls les mendiants les plus pauvres les mangent. Les Arabes, quand ils les préparent pour la consommation, les jettent vivantes dans de l'eau bouillante, à laquelle une bonne quantité de sel a été mélangée, les sortent au bout de quelques minutes et les font sécher au soleil. La tête, les pattes et les ailes sont alors arrachées, les corps débarrassés du sel et parfaitement séchés. Parfois on les mange bouillies dans du beurre, ou étendues sur du pain sans levain mélangé à du beurre. » En Palestine, seuls les Arabes les mangent sur les frontières extrêmes ; ailleurs on les considère avec dégoût, et seuls les gens les plus pauvres en usent. Cependant, Tristram dit qu'elles sont ‘très bonnes au goût'. ‘Je les ai trouvées très bonnes', dit-il, ‘quand on les mange à la manière arabe, étuvées dans du beurre. Elles avaient un peu le goût de crevettes, mais plus fade.’ Dans le désert de Judée, différentes espèces abondent en toutes saisons, et à chaque pas que l'on fait, on les voit sauter avec un bourdonnement, étendant soudain leurs brillantes ailes postérieures, écarlates, pourpres, bleues, jaunes, blanches, vertes ou brunes selon les espèces. Elles étaient ‘pures’, sous la Loi mosaïque, et Jean pouvait par conséquent les manger sans commettre de péché. »
 
Pour ce qui est du miel sauvage mentionné dans la nourriture utilisée par Jean, l'auteur cité en dernier lieu dit dans la suite du même paragraphe : « Les abeilles sauvages de Palestine sont beaucoup plus nombreuses que celles que l'on garde dans les ruches, et la plus grande partie du miel vendu dans les régions du sud provient d'essaims sauvages. En fait, peu de pays sont mieux adaptés pour les abeilles. Le climat sec et la flore rabougrie mais variée, se composant en grande partie de thym aromatique, de menthe et autres plantes semblables, avec des crocus au printemps, leur sont très favorables, tandis que les recoins secs des rochers calcaires que l'on trouve partout leur fournissent abri et protection pour leurs rayons. Dans le désert de Judée, les abeilles sont beaucoup plus nombreuses que dans n'importe quel autre lieu de Palestine, et le miel fait partie, de nos jours encore, de l'ordinaire des Bédouins, qui l'extraient des rayons et le conservent dans des peaux. »
 
3. L'infériorité de Jean au plus puissant que lui qu'il proclamait : « Il vient, celui qui est plus puissant que moi, et je ne mérite pas de délier la courroie de ses sandales » (Lc 3:16), ou « je ne mérite pas de porter ses sandales » (Mt 3:11) ; c'est ainsi que le Baptiste déclara son infériorité au plus puissant qui devait lui succéder et le remplacer ; et il serait difficile de trouver une illustration plus efficace. Détacher le lacet du soulier ou la courroie de la sandale, ou porter les souliers d'un autre, « était un travail servile indiquant une grande infériorité chez la personne qui l'accomplissait » (Dict. of the Bible, de Smith). Un passage du Talmud (Tract. Kidduschin XXII :2) exige qu'un disciple fasse pour son instructeur tout ce qu'on pourrait exiger qu'un serviteur fasse pour son maître, sauf détacher la courroie de sa sandale. Certains instructeurs recommandaient que les disciples poussent l'humilité jusqu'à l'extrême et portent les souliers de leurs maîtres. Quand on pense au grand intérêt que son appel éveillait, l'humilité du Baptiste est impressionnante.
 
4. L'ordre dans lequel les tentations furent présentées : Deux des évangélistes seulement précisent les tentations auxquelles le Christ fut soumis immédiatement après son baptême ; Marc se contente de mentionner le fait que Jésus fut tenté. Matthieu et Luc placent en premier lieu la tentation cherchant à convaincre Jésus de se nourrir en créant miraculeusement du pain ; la séquence des épreuves ultérieures n'est pas la même dans les deux documents. L'ordre que nous avons suivi dans notre texte est celui de Matthieu.
 
5. Le « si » du diable : Notez l'utilisation méprisante ultérieure de ce ‘si’ diabolique lorsque le Christ fut sur la croix. Les gouverneurs des Juifs, se moquant de Jésus crucifié, dans son agonie, dirent : « Qu'il se sauve lui-même, s'il est le Christ. » Et le soldat, lisant l'inscription au sommet de la croix, railla le Dieu mourant disant : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » Et encore, le malfaiteur non repentant, qui était à son côté, s'écria : « N'es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et sauve-nous » (Lc 23:35-39). Ces railleurs et ces moqueurs citaient littéralement les paroles même de leur père, le diable (voir Jn 8:44) ! Voir plus loin, chap. 35 du présent ouvrage.
 
6. Le baptême est requis de tous : Le baptême est requis de toutes les personnes qui parviennent à l'âge de responsabilité dans la chair. Nul n'est exempté. Jésus-Christ, qui fut un homme sans péché au sein d'un monde pécheur, fut baptisé « afin d'accomplir toute justice ». Six siècles avant cet événement, Néphi, prophétisant au peuple des Amériques, prédit le baptême du Sauveur, et en conclut, de la manière suivante, que le baptême était nécessaire, parce que c'était une condition universelle : « Et maintenant, si l'Agneau de Dieu, qui est saint, a besoin d'être baptisé d'eau, pour accomplir toute justice, ô alors, combien plus, nous, qui ne sommes pas saints, n'avons-nous pas besoin d'être baptisés, oui, même d'eau !... Ne savez-vous point qu'il était saint ? Mais, bien que saint, il montre aux enfants des hommes que, selon la chair, il s'humilie devant le Père, et témoigne au Père qu'il lui sera obéissant à garder ses commandements » (LM, 2 Né 31:5,7). Voir les Articles de Foi, p. 161-168.
 
 
CHAPITRE 11 : DE JUDÉE EN GALILÉE
 
LE BAPTISTE TÉMOIGNE DE JÉSUS
 
Pendant la retraite de notre Seigneur dans le désert, le Baptiste poursuivit son ministère, appelant au repentir tous ceux qui voulaient s'arrêter pour l'entendre, et administrant le baptême à ceux qui venaient dûment préparés et le demandaient avec une intention réelle. Le peuple en général s'inquiétait beaucoup de l'identité de Jean ; et à mesure que la signification réelle de la voix [1] s'imposait à son esprit, son souci s'approfondissait pour se transformer en crainte. La question constamment reposée était : Qui est ce nouveau prophète ? Puis les Juifs, expression par laquelle nous pouvons entendre les gouverneurs du peuple, envoyèrent une délégation de prêtres et de Lévites du parti pharisien pour le questionner personnellement. Il répondit sans détours : « Je ne suis pas le Christ » ; il nia d'une manière tout aussi décisive être Élias, ou, plus exactement, Élie, le prophète qui, disaient les rabbis, par une interprétation erronée de la prédiction de Malachie, devait revenir sur la terre pour être le précurseur immédiat du Messie [2]. En outre, il déclarait qu'il n'était pas « ce prophète », voulant dire par là le prophète dont Moïse avait prédit la venue [3], et que tous les juifs n'identifiaient pas universellement avec le Messie attendu. « Ils lui dirent alors : Qui es-tu ? afin que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés ; que dis-tu de toi-même ? Il dit : Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Rendez droit le chemin du Seigneur, comme a dit le prophète Ésaïe » [4]. Les envoyés des Pharisiens lui demandèrent alors quelle autorité il avait pour baptiser. En réponse, il affirma que la validité de ce baptême serait attestée par quelqu'un qui était à ce moment même parmi eux, bien qu'ils ne le connussent point, et déclara : « Il en est un... qui vient après moi ; je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale. » [5] 
 
Le témoignage de Jean, que Jésus était le Rédempteur du monde, fut déclaré aussi hardiment que l'avait été son message de la venue imminente du Seigneur. « Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde », proclama-t-il ; et, pour que tous comprissent bien qu'il parlait du Christ, il ajouta : « C'est celui dont j'ai dit : Après moi vient un homme qui m'a précédé, car il était avant moi. Et moi, je ne le connaissais pas, mais, afin qu'il soit manifesté à Israël, je suis venu baptiser d'eau [6] Le témoignage ultérieur de Jean fut convaincu de la présence du Saint-Esprit par le témoignage de l'apparition matérielle « comme une colombe » : « Jean rendit ce témoignage : J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui ; et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser d'eau m'a dit : Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et demeurer, c'est lui qui baptise d'Esprit Saint. Et moi, j'ai vu et j'ai rendu témoignage que c'est lui le Fils de Dieu » [7]. Le lendemain du jour où il prononça les paroles citées en dernier lieu, Jean répéta son témoignage à deux de ses disciples, au moment où Jésus passait, répétant : « Voici l'Agneau de Dieu » [8].
 
LES PREMIERS DISCIPLES DE JÉSUS [9]
 
Deux des adeptes du Baptiste, appelés plus précisément disciples, étaient avec lui lorsqu'il désigna expressément, et pour la deuxième fois, Jésus comme l'Agneau de Dieu. C'étaient André et Jean. Ce dernier fut connu dans les années ultérieures comme l'auteur du quatrième évangile. Le premier est mentionné par son nom, tandis que le narrateur ne donne pas le nom du deuxième disciple, qui est le sien. André et Jean furent si impressionnés par le témoignage du Baptiste qu'ils suivirent immédiatement Jésus ; et lui, se retournant sur eux, demanda : « Que cherchez-vous ? » Peut-être quelque peu embarrassés par cette question, ou ayant le désir d'apprendre où ils pourraient le trouver plus tard, ils répondirent par une autre question : « Rabbi, où demeures-tu ? » Le titre rabbi était un signe d'honneur et de respect, devant lequel Jésus ne fit aucune difficulté. Sa réponse courtoise à leur question les assura que leur présence n'était pas importune. « Il leur dit : Venez et vous verrez » [10]. Les deux jeunes gens l'accompagnèrent et demeurèrent avec lui pour en apprendre davantage. André, rempli d'étonnement et de joie à propos de l'entrevue si gracieusement accordée, et touché de l'esprit de témoignage qui avait été allumé en son âme, se hâta d'aller trouver son frère Simon, à qui il dit : « Nous avons trouvé le Messie. » Il amena Simon pour qu'il vit et entendît par lui-même ; et Jésus posa les yeux sur le frère d’André, l'appela par son nom et y ajouta une appellation distinctive, par laquelle il était destiné à être connu à travers toute l'histoire ultérieure : « Tu es Simon, fils de Jonas ; tu seras appelé Céphas. » Le nouveau nom ainsi conféré est l'équivalent araméen ou syro-chaldéen du grec « Petros », et du nom actuel « Pierre » [11].
 
Le lendemain, Jésus se mit en route pour la Galilée, accompagné probablement de certains de ses nouveaux disciples ou de tous ; et, en chemin, il rencontra un homme nommé Philippe, en qui il reconnut un autre fils remarquable d'Israël. Il dit à Philippe : « Suis-moi. » Il était de coutume pour les rabbis et les autres maîtres de l'époque de rechercher la popularité, afin que beaucoup de personnes fussent attirées à eux, prissent place à leurs pieds et fussent connues comme leurs disciples. Jésus, lui, choisit ses compagnons immédiats ; et lorsqu'il les trouvait et discernait en eux les esprits qui, dans leur état préexistant, avaient été choisis pour la mission terrestre de l'apostolat, il les appelait. Ils étaient les serviteurs, il était le Maître [12].
 
Philippe trouva bientôt son ami Nathanaël, à qui il témoigna que Celui sur lequel Moïse et les prophètes avaient écrit avait enfin été trouvé et qu'il n'était nul autre que Jésus de Nazareth. Nathanaël, comme son histoire ultérieure le montre, était un juste, espérant et attendant avec ferveur le Messie, et cependant apparemment imbu de la croyance commune chez tous les Juifs - que le Christ devait venir dans la splendeur royale comme cela paraissait convenable pour le Fils de David. Le fait de dire que pareille Personne pût venir de Nazareth, être connu comme étant le fils d'un humble charpentier, provoqua l'étonnement sinon l'incrédulité dans l'esprit sans fraude de Nathanaël, et il s'exclama : « Peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon ? » Philippe répondit en répétant les paroles du Christ à André et à Jean : « Viens et vois. » Nathanaël quitta sa place en dessous du figuier où Philippe l'avait trouvé et alla voir par lui-même. Comme il approchait, Jésus dit : « Voici vraiment un Israélite dans lequel il n'y a pas de fraude. » Nathanaël vit que Jésus pouvait lire dans son âme et demanda, surpris : « D'où me connais-tu ? » Dans sa réponse, Jésus montra une puissance de pénétration et de perception encore plus grande dans des conditions qui rendaient l'observation ordinaire peu vraisemblable sinon impossible : « Avant que Philippe t'ait appelé, quand tu étais sous le figuier, je t'avais vu. » Nathanaël répliqua avec conviction : « Rabbi, toi tu es le Fils de Dieu, toi tu es le roi d'Israël. » Aussi sérieux que fût le témoignage de cet homme, il reposait principalement sur le fait qu'il reconnaissait ce qu'il considérait comme un pouvoir surnaturel en Jésus. Notre Seigneur l'assura qu'il verrait des choses plus grandes encore : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l'homme. »
 
« LE FILS DE L'HOMME »
 
Dans la promesse et la prédiction faite par le Christ à Nathanaël, nous voyons l'important titre - le Fils de l'homme - apparaître pour la première fois, chronologiquement parlant, dans le Nouveau Testament. On le retrouve cependant quelque quarante fois, en excluant les répétitions que l'on trouve dans les récits parallèles des différents évangiles. Dans chacun de ces passages, il est utilisé tout spécialement par le Sauveur pour se désigner. En trois autres cas, le titre apparaît dans le Nouveau Testament, en dehors des évangiles ; et dans chacun il est appliqué au Christ avec référence toute particulière à ses attributs exaltés de Seigneur et Dieu [13].
 
Dans l'Ancien Testament, l'expression « fils de l'homme » apparaît dans l'usage courant, dénotant un fils humain quelconque [14], et elle apparaît plus de quatre-vingt-dix fois comme une appellation dont Jéhovah se servit pour s'adresser à Ézéchiel, bien qu'elle ne soit jamais appliquée par le prophète à lui-même [15]. Le contexte des passages dans lesquels Dieu s'adresse à Ézéchiel par le titre « fils de l'homme » indique l'intention divine de souligner la condition humaine du prophète par contraste avec la divinité de Jéhovah.
 
Le titre est utilisé dans l'histoire de la vision de Daniel [16], dans laquelle fut révélée la consommation encore future, lorsque Adam - l'Ancien des Jours - siégera pour juger sa postérité [17], occasion au cours de laquelle le Fils de l'homme doit paraître et recevoir un royaume qui sera éternel, supérieur par essence à celui de l'Ancien des Jours et embrassant tous les peuples et toutes les nations, tous ceux qui serviront le Seigneur, Jésus-Christ, le Fils de l'homme [18].
 
En s'appliquant le titre, le Seigneur utilise invariablement l'article défini. « Le Fils de l'homme » était et est expressément et exclusivement Jésus-Christ. Bien qu'il soit absolument certain qu'il fut le seul être humain masculin depuis Adam qui ne fût pas le fils d'un mortel, il utilisa le titre pour démontrer de manière probante qu'il était tout spécialement et uniquement le sien. Il est parfaitement clair que l'expression est chargée d'un sens qui dépasse celui que les mots ont dans l'usage courant. Beaucoup ont vu dans cette appellation toute particulière une indication de l'humble position de notre Seigneur comme mortel, et l'idée qu'il représentait l'humanité type, bénéficiant d'une parenté particulière et unique par rapport à la famille humaine tout entière. Cependant un sens plus profond est attaché à ce titre de « Le Fils de l'homme » que le Seigneur utilise ; celui-ci réside dans le fait qu'il savait que son Père était le seul et unique homme suprêmement exalté [19] dont Jésus était le Fils tant dans l'esprit que dans le corps - le Premier-Né parmi tous les enfants spirituels du Père, le Seul-Engendré dans la chair - et pour cette raison, il était et est le Fils de « l'Homme de Sainteté », Élohim [20], le Père éternel. Dans les titres particuliers qu'il s'attribue comme Fils, Jésus exprimait sa descendance spirituelle et corporelle de ce Père exalté et la soumission filiale qu'il lui vouait.
 
Comme cela fut révélé à Énoch le Voyant, « Homme de Sainteté », est l'un des noms sous lesquels Dieu, le Père éternel, est connu « et le nom de son Seul-Engendré est le Fils de l'homme, à savoir Jésus-Christ ». Nous apprenons en outre que le Père de Jésus-Christ se proclama à Énoch de la manière suivante : « Voici, je suis Dieu ; mon nom est Homme de Sainteté, Homme de Conseil ; et aussi Infini et Éternel » [21]. « Le Fils de l'Homme » est dans une grande mesure synonyme de « Le Fils de Dieu », étant un titre qui dénote la divinité, la gloire et l'exaltation,- car d'Homme de Sainteté », dont Jésus-Christ se reconnaît respectueusement être le Fils, est Dieu, le Père éternel.
 
LE MIRACLE DE CANA EN GALILÉE
 
Peu après l'arrivée de Jésus en Galilée, nous le voyons, avec son petit groupe de disciples, à une noce à Cana, ville voisine de Nazareth. La mère de Jésus était à la fête ; et pour une raison que le récit de Jean n'explique pas [22], elle manifestait du souci et se sentait une responsabilité personnelle dans le service des invités. De toute évidence, sa position n'était pas celle d'une personne présente sur invitation ordinaire. Ce détail indique-t-il que le mariage était celui d'un membre de sa famille immédiate, ou d'un parent plus éloigné ? On ne nous le dit pas.
 
Il était de coutume de fournir, lors des repas de noces, une quantité suffisante de vin, produit pur quoique faible des vignobles locaux, qui constituait la boisson de table ordinaire de l'époque. À cette occasion la réserve de vin était épuisée, et Marie parla à Jésus de cette déficience. « Femme, dit-il, qu'y a-t-il entre moi et toi ? Mon heure n'est pas encore venue. » L'interjection « Femme », appliquée par un fils à sa mère peut paraître assez dure sinon irrespectueuse à nos oreilles, mais le fait de l'utiliser exprimait en réalité une intention tout à fait opposée [23]. Pour tout fils, sa mère devait être avant tout la femme par excellence ; elle est la seule femme au monde à qui le fils doive son existence terrestre, et, bien que le titre de « Mère » appartienne à toutes les femmes qui ont acquis les honneurs de la maternité, cependant il n'y a pour aucun enfant plus d'une femme qu'il puisse, à bon droit, appeler de ce titre. Lorsque, dans les dernières terribles scènes de son expérience dans la mortalité, le Christ agonisait sur la croix, il baissa les yeux sur Marie, sa mère, qui était en pleurs, et la confia à l'apôtre bien-aimé, Jean, en ces termes : « Femme, voici ton fils [24] ! » Peut-on penser qu'en cet instant suprême, le souci de notre Seigneur pour la mère dont il était sur le point d'être séparé par la mort, pût être inspiré par d'autres sentiments que le respect, la tendresse et l'amour [25] ?
 
Néanmoins, il a pu parler ainsi à Marie lors des noces, pour lui rappeler avec douceur quelle était sa situation de mère d'un Être supérieur à elle ; ceci répétait ce qui s'était passé lors de la précédente occasion où, lorsqu'elle avait trouvé son Fils, Jésus, dans le temple, il lui avait remis en mémoire le fait que sa juridiction sur lui n'était pas suprême. Le ton sur lequel elle lui avait dit qu'il manquait du vin, laissait probablement sous-entendre qu'il devait utiliser son pouvoir surhumain et satisfaire ainsi le besoin. Il ne lui appartenait pas de lui recommander l'exercice du pouvoir qui lui était inhérent en tant que Fils de Dieu, pouvoir qu'il n'avait pas hérité d'elle. « Qu'y a-t-il entre moi et toi ? » demanda-t-il, et il ajouta : « Mon heure n'est pas encore venue. » Cela ne veut pas dire qu'il se considérait incapable de faire ce qu'elle semble avoir voulu qu'il fît, mais il laissait entendre clairement qu'il n'agirait qu'en temps opportun, et que c'était à lui, et non à elle, de décider quand le moment serait venu. Elle comprit ce qu'il voulait dire, du moins en partie, et se contenta d'ordonner aux serviteurs de faire ce qu'il commanderait. De nouveau nous avons la preuve que, lors de ces noces, elle avait une position qui lui donnait des responsabilités et de l'autorité domestique.
 
Le moment de son intervention arriva bientôt. Il y avait, dans la maison, six vases à eau [26] ; il ordonna aux serviteurs de les remplir d'eau. Ensuite, il fit, pour autant que nous le sachions, sans aucun ordre ou formule d'invocation audible, se produire une transmutation dans les vases, et lorsque les serviteurs les soutirèrent, ce fut du vin, et non de l'eau qui en sortit. Lors d'une réunion juive, comme ces noces, quelqu'un, ordinairement un parent de l'hôte ou de l'hôtesse, ou une autre personne digne de cet honneur, était nommé ordonnateur du repas, ou, comme nous l'appellerions maintenant, maître de cérémonie. C'est à cette personne que le nouveau vin fut servi en premier : celle-ci, à son tour, appelant l'époux, qui était l'hôte véritable, lui demanda pourquoi il avait réservé son meilleur vin pour la fin, alors que la coutume était de servir le meilleur au commencement, et le plus ordinaire plus tard. Le résultat immédiat de ce prodige, qui est le premier miracle de notre Seigneur à être rapporté, l'évangéliste inspiré le formule de la manière brève qui suit : « Tel fut à Cana, en Galilée, le commencement des miracles que fit Jésus. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui » [27].
 
Il est instructif d'examiner les circonstances qui entourèrent cet acte miraculeux. Le fait que Jésus était présent au mariage et qu'il contribua à la réussite de la fête démontre qu'il approuvait l'union de l'homme et de la femme par les liens du mariage ainsi que les amusements en société. Il n'était ni reclus, ni ascète ; il fréquentait les gens, mangeant et buvant, comme un être naturel et normal [28]. Lors de la fête il reconnut les exigences de l'hospitalité libérale du temps, s'y soumit et agit en conséquence. Lui qui, quelques jours auparavant à peine, s'était révolté contre la suggestion du tentateur de donner du pain à son corps affaibli, utilisait maintenant ce pouvoir pour procurer un luxe aux autres. Un effet de ce miracle fut de confirmer la confiance de ceux dont la foi qu'il était le Messie était encore naissante et n'avait pas encore été mise à l'épreuve. « Ses disciples crurent en lui » ; il est certain qu'ils croyaient déjà en lui dans une certaine mesure, sinon ils ne l'auraient pas suivi ; mais leur foi était maintenant fortifiée et, si elle n'y parvenait pas, elle approchait de la qualité d'une foi durable en leur Seigneur. L'intimité relative qui accompagnait la manifestation est frappante ; l'effet moral et spirituel fut réservé à un petit nombre, le début du ministère du Seigneur ne devait pas être marqué par un éclat public.
 
MIRACLES EN GÉNÉRAL
 
Il est clair que l'acte de transmutation par lequel l'eau devint du vin était un miracle, phénomène qui ne peut être expliqué, et encore moins démontré, par ce que nous considérons comme le fonctionnement ordinaire de la loi naturelle. Ce fut le commencement de ses miracles, ou, comme l'exprime la version révisée anglaise du Nouveau Testament, « de ses signes ». Dans beaucoup d'Écritures, les miracles sont appelés signes, ainsi que prodiges, pouvoirs, œuvres, œuvres merveilleuses, œuvres puissantes [29], etc. L'effet spirituel des miracles ne serait pas atteint si les témoins n'étaient pas poussés à s'étonner, à s'émerveiller, à méditer et à s'interroger intérieurement ; l'étonnement ou la surprise simples peuvent être produits par la tromperie et la prestidigitation. Les manifestations miraculeuses de la puissance divine seraient des moyens futiles de produire des effets spirituels s'ils ne frappaient pas. En outre, tout miracle est un signe de la puissance de Dieu ; et on a demandé des signes dans ce sens des prophètes qui professaient parler par l'autorité divine, bien que ces signes n'aient pas été donnés dans tous les cas. On n'attribua aucun miracle au Baptiste, bien que le Christ le déclara être plus qu'un prophète [30] ; et les chroniques de certains prophètes antérieurs [31] ne mentionnent absolument aucun miracle. D'autre part, Moïse, lorsqu'il fut chargé de délivrer Israël d'Égypte, fut informé que les Égyptiens demanderaient le témoignage de miracles, et il reçut des pouvoirs en abondance en prévision de cela [32].
 
Les miracles ne peuvent être en contradiction avec la loi naturelle, ils s'accomplissent en vertu du fonctionnement de lois qui ne sont pas universellement ou communément reconnues. La gravitation opère partout, mais l'application locale et spéciale d'autres agents peut sembler l'annuler - par exemple lorsque par un effort musculaire ou une impulsion mécanique une pierre est soulevée du sol, maintenue en l'air ou projetée dans l'espace. Néanmoins la gravité exerce son action pendant toutes les étapes de l'événement en cours, bien que son effet soit modifié par celui d'une autre énergie localement supérieure. L'impression que les hommes ont du miraculeux disparaît à mesure qu'ils comprennent mieux les processus qui interviennent. Les réalisations qui permettent l'invention moderne du télégraphe et du téléphone, avec ou sans fil, la transformation de la force mécanique en électricité avec ses multiples applications actuelles et ses possibilités encore futures, l'invention du moteur à explosion, les réalisations actuelles de la navigation aérienne - toutes ces découvertes ne sont plus considérées comme des miracles dans le jugement de l'homme, parce qu'on les comprend toutes dans une certaine mesure, parce que les hommes les contrôlent, et en outre, parce qu'elles opèrent de manière continue et non de manière phénoménale. Arbitrairement, nous ne classons comme miracles que les phénomènes qui sont extraordinaires, particuliers, passagers et provoqués par une force que ne peut contrôler le pouvoir de l'homme.
 
Dans un sens plus général, toute la nature est un miracle. L'homme a appris qu'en plantant la semence du raisin dans un terrain favorable et en cultivant convenablement, il pourra faire pousser ce qui sera une vigne mûre et fertile ; mais n'y a-t-il pas, dans ce développement, un miracle, en ce sens même que des processus inscrutables interviennent ? Le cours que nous disons naturel du développement des plantes - la croissance de la racine, de la tige, des feuilles et du fruit, avec l'élaboration finale du savoureux nectar de la vigne - est-il moins miraculeux que la transmutation apparemment surnaturelle de l'eau en vin à Cana ?
 
Quand nous contemplons les miracles accomplis par le Christ, nous devons nécessairement y voir l'intervention d'une puissance qui transcende notre intelligence humaine actuelle. Dans ce domaine, la science n'a pas encore fait suffisamment de progrès pour pouvoir analyser et expliquer. Affirmer que les miracles n'existent pas sous prétexte que, étant donné que nous ne pouvons comprendre les moyens employés, ceux que l'on rapporte doivent être imaginaires, c'est prétendre que l'esprit humain est omniscient, en impliquant que ce que l'homme ne peut comprendre ne peut être, et que, par conséquent, il est capable de comprendre tout ce qui est. Les miracles rapportés dans les évangiles sont aussi parfaitement prouvés que beaucoup d'événements historiques que nul ne conteste et pour lesquels nul n'exige de preuves. Pour qui croit en la divinité du Christ, les miracles sont suffisamment attestés ; pour qui ne croit pas, ils n'apparaissent que comme des mythes et des fables [33].
 
Pour comprendre les œuvres du Christ, on doit savoir qu'il est le Fils de Dieu ; l'invitation est là, pour l'homme qui n'a pas encore appris à savoir, pour l'âme honnête qui désire s'informer du Seigneur ; à celui-là nous disons : « Venez et vous verrez. »
 
 [1] Lc 3:4.
 [2] Jn 1:21 ; cf. Ml 4:5. Note 1, fin du chapitre.
 [3] Dt 18:15,18, voir chap. 5 du présent ouvrage.
 [4] Jn 1:22,23 ; cf. Es 40:3.
 [5] Jn 1:25-27.
 [6] Jn 1:29-31.
 [7] Jn 1:32,34 et versets 35,36. Note 2, fin du chapitre.
 [8] Note 3, fin du chapitre.
 [9] Jn 1:35-51.
 [10] Note 4, fin du chapitre.
 [11] Le nom ainsi donné fut confirmé plus tard, avec accompagnement de promesses, Mt 16:18
 [12] Le Seigneur dit plus tard aux apôtres : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais moi, je vous ai choisis » (Jn 15:16 ; voir aussi 6:70).
 [13] Ac 7:56, Ap 1: 13, 14:14.
 [14] Jb 25:6, Ps 144:3, 146:3, voir aussi 8:4 et cf. Hé 2:6-9.
 [15] Ez 2:1,3,6,8 ; 3:1,3,4 ; 4: 1, etc.
 [16] Dn 7:13.
 [17] D&A 27:11, 78:15,16, 107:54-57 ; 116.
 [18] D&A 49:6, 58:65, 65:5, 122:8. Remarquez que dans la révélation moderne le titre n'est utilisé que pour désigner le Christ dans son état ressuscité et glorifié.
 [19] Note 5, fin du chapitre.
 [20] Chap. 4.
 [21] PGP, Moïse 6:57, 7:35 ; voir aussi 7:24, 47, 54, 59, 65. Remarquez que Satan appelle Moïse « fils de l'homme » dans une tentative blasphématoire de le forcer à l'adorer en soulignant la faiblesse mortelle et l'infériorité de l'homme par contraste avec ses propres prétentions injustifiées à la divinité (Moïse 1:12).
 [22] Jn 2:1-11.
 [23] « L'appellation ‘Femme’ était aussi respectueuse que possible et s'adressait à la plus grande des reines. » - (Farrar, The Life of Christ, p. 134.)
 [24] Jn 19:26.
 [25] En quelques occasions Jésus utilisa le titre « Femme » dans un sens général. Mt 15:28, Lc 13:12, Jn 4:21, 8:10, etc.
 [26] Note 6, fin du chapitre.
 [27] Jn 2: 11.
 [28] L'absence de toute austérité fausse et d'étalage d'abstinence anormale dans sa vie donna à ses ennemis une excuse imaginaire pour l'accuser sans raison de commettre des excès, à savoir d'être un mangeur et un buveur (Mt 11:19, Lc 7:34).
 [29] Mt 7:22, 11:20, 12:38, 16:1, 24:24, Mc 6:14, Lc 10: 13, Jn 2:18, 7:21, 10:25, 14:11, Ac 6:8,8:6,14:3,19:11, Rm 15:19, Ap 13:13, etc.
 [30] Jn 10:41, Mt 11:9.
 [31] Par exemple Zacharie et Malachie.
 [32] Ex 3:20, 4:1-9. Note 8, fin du chapitre.
 [33] Note 7, fin du chapitre.
 [34] On trouvera la distinction à faire entre Élijah et Élias au chapitre 23, ndt.
 
NOTES DU CHAPITRE 11
 
1. Malentendus sur la prédiction de Malachie : Dans le dernier chapitre de la collection d'Écritures que nous appelons l'Ancien Testament, le prophète Malachie décrit comme suit une situation qui existera dans les derniers jours, immédiatement avant la seconde venue du Christ : « Car voici le jour : il vient, ardent comme une fournaise. Tous les présomptueux et ceux qui pratiquent la méchanceté seront (comme) du chaume ; ce jour qui vient les embrasera, dit l'Éternel des armées, il ne leur laissera ni racine ni rameau. Mais pour vous qui craignez mon nom se lèvera le soleil de justice, et la guérison sera sous ses ailes. » La prophétie se termine par cette magnifique promesse à longue portée : « Voici : moi-même je vous enverrai le prophète Élie avant la venue du jour de l'Éternel, (jour) grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères à leurs fils et le cœur des fils à leurs pères, de peur que je ne vienne frapper le pays d'interdit » (Ml 3:19, 23, 24). Des théologiens et des commentateurs de la Bible ont prétendu que cette prédiction avait trait à la naissance et au ministère de Jean-Baptiste (comparer avec Mt 2:14, 17:11, Mc 9:11, Lc 1:17), sur lequel reposaient l'esprit et la puissance d'Élie [Élias dans la version anglaise]. Cependant, nous n'avons aucun document disant qu'Élie [Elijah dans la version anglaise] [34] ait instruit le Baptiste, et en outre le ministère de ce dernier, quelque glorieux qu'il ait été, ne nous permet pas de conclure que la prophétie trouva sa pleine réalisation en lui. Il faut se souvenir, en outre, que la déclaration que le Seigneur fit par l'intermédiaire de Malachie à propos du jour ardent comme une fournaise où les méchants seraient détruits comme du chaume, attend encore son accomplissement. Il est par conséquent clair que l'interprétation communément acceptée est erronée et que nous devons chercher l'accomplissement de la prédiction de Malachie à une époque ultérieure à celle de Jean. Ce dernier événement s'est produit ; il appartient à l'époque actuelle et marque l'inauguration d'une oeuvre réservée tout spécialement à l'Église dans les derniers jours. Au cours d'une merveilleuse manifestation accordée à Joseph Smith et à Oliver Cowdery, au temple de Kirtland, le 3 avril 1836, Élie [Elijah dans le texte anglais], le prophète des temps anciens, qui avait été enlevé de la terre tandis qu'il était encore dans son corps, leur apparut. Il leur déclara : « Voici, le temps est pleinement arrivé, ce temps dont a parlé Malachie, lorsqu'il a témoigné qu'il [Élie] serait envoyé avant que le jour de l'Éternel arrive, ce jour grand et redoutable, pour tourner le cœur des pères vers les enfants, et le cœur des enfants vers les pères, de peur que la terre tout entière ne soit frappée de malédiction. C'est pourquoi les clefs de cette dispensation sont remises entre vos mains, et vous saurez par là que le jour de l'Éternel, ce jour grand et redoutable, est proche, et même à la porte » (D&A 110:14-16). Voir également La Maison du Seigneur, p. 66,67.
 
2. Le signe de la colombe : « Jean-Baptiste... eut la bénédiction de voir le Saint-Esprit descendre sous la forme d'une colombe, ou plutôt sous le signe de la colombe, en témoignage du ministère. Le signe de la colombe fut institué avant la création du monde, pour être témoin du Saint-Esprit, et le diable ne peut pas venir sous le signe d'une colombe. Le Saint-Esprit est un personnage, et il a la forme d'un personnage. Il ne se limite pas à la forme de la colombe, mais au signe de la colombe. Le Saint-Esprit ne peut pas être transformé en colombe ; mais le signe de la colombe fut donné à Jean pour lui signifier que l'acte était authentique, car la colombe est emblème ou signe de vérité et d'innocence. » - Tiré d'un sermon de Joseph Smith, History of the Church, vol. 5, p. 260,261.
 
3. Le témoignage de Jean-Baptiste : Observez que, selon les Écritures, le Baptiste rendit son témoignage de la divinité de la mission du Christ après la période de jeûne et de tentation de quarante jours subie par notre Seigneur, et, par conséquent, six semaines environ après le baptême de Jésus. Lorsque la députation de prêtres et de lévites du parti pharisien vint lui rendre visite sur ordre du gouverneur, et probablement envoyée par le Sanhédrin, Jean, après avoir nié être le Christ ou l'un quelconque des prophètes cités dans la question de la délégation, leur dit : « Au milieu de vous, il en est un que vous ne connaissez pas et qui vient après moi. » Le lendemain et les jours suivants encore, il rendit publiquement son témoignage que Jésus était l'Agneau de Dieu ; et le troisième jour après la visite que les prêtres et les Lévites firent à Jean, Jésus se mit en route pour la Galilée (Jn 1:19-43).
 
Le fait que Jean utilise l'expression « Agneau de Dieu » implique qu'il savait que le Messie était quelqu'un destiné à être sacrifié, et c'est lui qui est le premier à employer ce terme dans la Bible. On trouvera des applications bibliques ultérieures, directes ou sous-entendues dans Actes 8:32 ; 1 Pierre 1:19 ; Ap 5:6,8,12,13 ; 6:1,16 ; 7:9,10,17, etc.
 
4. « Venez et vous verrez » : L'esprit dans lequel le Seigneur invita les jeunes chercheurs de vérité, André et Jean, se manifeste dans une possibilité semblable donnée à tous. L'homme qui veut connaître le Christ doit venir à lui, pour voir et entendre, pour sentir et connaître. Les missionnaires peuvent porter la bonne nouvelle, le message de l'Évangile, mais la réaction doit être personnelle. Doutez-vous de ce que ce message signifie aujourd'hui ? Alors venez et voyez par vous-même. Voulez-vous savoir où l'on trouve le Christ ? Venez et vous verrez.
 
5. Le Père éternel, Être ressuscité et exalté : « Comme le Père a le pouvoir en lui-même, de même le Fils a le pouvoir en lui-même de donner sa vie et de la reprendre, et ainsi donc il a, lui aussi, un corps. Le Fils fait ce qu'il a vu le Père faire : par conséquent le Père a donné un jour sa vie et l'a reprise ; donc, il a lui aussi, un corps ; chacun sera dans son propre corps. » - Joseph Smith ; voir Hist. of the Church, vol. 5, p. 426. « Dieu lui-même qui fut autrefois ce que nous sommes maintenant, est un Homme exalté et trône dans les cieux là-bas ! voilà le grand secret. Si le voile était déchiré aujourd'hui, et si le grand Dieu qui maintient ce monde dans son orbite et soutient tous les mondes et toutes les choses par sa puissance devait se rendre visible - si vous deviez, dis-je, le voir aujourd'hui, vous le verriez sous la forme d'un homme - semblable à vous dans toute la personne, l'image et la forme d'un homme ; car Adam fut créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, reçut des instructions de lui, et marcha, parla et conversa avec lui, comme un homme parle et communie avec un autre. » - Joseph Smith ; voir Compendium, p. 190.
 
6. Vases à eau pour les purifications cérémonielles : Dans la maison de Cana se trouvaient, en un lieu spécialement réservé dans ce but, six vases à eau en pierre « destinés aux purifications des Juifs ». Les demeures juives devaient obligatoirement posséder des vases à eau, pour faciliter les ablutions cérémonielles imposées par la loi. On retirait de ces vases ou jarres de l'eau selon les besoins ; ils contenaient la réserve d'eau mais n'étaient pas les vases utilisés dans l'ablution elle-même.
 
7. « L'attitude de la science vis-à-vis des miracles » : tel est le sujet d'un article très intéressant du professeur H. L. Orchard, publié dans le Journal of the Transactions of the Victoria Institute, or Philosophical Society of Great Britain, 1910, vol. 42, p. 81-122. Cet article fut la dissertation qui reçut le Prix Gunning pour 1909. Après un long traitement analytique de son sujet, l'auteur présente le résumé suivant, avec lequel agréèrent tous ceux qui prirent part aux discussions qui s'ensuivirent : « Nous terminons ici notre étude scientifique des miracles bibliques. Elle a embrassé (1) la nature du phénomène, (2) les conditions dans lesquelles on affirme qu'il s'est produit, (3) la valeur des témoignages qui attestent qu'il s'est produit. Quant à la question de savoir si les miracles de la Bible sont probables, la science répond par l'affirmative. Pour ce qui est de la question suivante. se sont-ils réellement produits, la réponse de la science est de nouveau et formellement affirmative. Si nous les comparons à de l'or, elle l'a vérifié et dit que l'or est pur. On peut encore comparer les miracles bibliques à un collier de perles. Si la science cherche à savoir si les perles sont authentiques, elle peut les soumettre à des épreuves chimiques et autres pour examiner leur valeur ; elle peut examiner les conditions et les circonstances dans lesquelles les prétendues perles furent trouvées. Les a-t-on d'abord trouvées dans une huître, ou dans un laboratoire d'usine ? Et elle peut examiner les témoignages des experts. Si les résultats de l'un de ces examens affirment l'authenticité des perles, la science sera réticente à croire qu'elles sont fausses ; si tous les résultats déclarent leur authenticité, la science n'hésitera pas à dire que ce sont de vraies perles. Tel est le cas, comme nous l'avons vu, des miracles bibliques. Par conséquent, la science affirme qu'ils se sont réellement produits. »
 
8. Le témoignage des miracles : La promesse du Sauveur à une époque antérieure (Mc 16:17,18), comme à l'époque actuelle (D&A 84:65-73), est bien claire : les dons de l'Esprit spécifiés doivent suivre le croyant en signe d'approbation divine. La possession de tels dons peut ainsi être considérée comme un trait essentiel de l'Église de Jésus-Christ. Néanmoins, nous ne sommes pas justifiés si nous considérons la présence de miracles comme une preuve d'autorité divine ; d'autre part, les Écritures affirment que des pouvoirs spirituels d'un genre plus vil ont accompli des miracles et continueront à en faire pour séduire beaucoup de gens qui manquent de discernement. Si l'on accepte les miracles comme preuves infaillibles de la présence de la puissance de Dieu, les magiciens d'Égypte ont, du fait des prodiges qu'ils ont accompli en vue de s'opposer au plan voulu pour la délivrance d'Israël, autant de droit à notre respect que Moïse (Ex 7: 11). Jean le Révélateur eut la vision d'une puissance maligne accomplissant des miracles, et séduisant par là beaucoup de gens, faisant de grands prodiges et attirant même le feu du ciel (Ap 13:11-18). Il vit aussi trois esprits impurs, qu'il savait être « des esprits de démons, qui opèrent des signes » (Ap 16:13,14). À ce propos, considérez la prédiction faite par le Seigneur : « Car il s'élèvera de faux Christs et de faux prophètes ; ils opéreront de grands signes et des prodiges, au point de séduire si possible, même les élus » (Mt 24:24). Le Christ a déclaré, à propos des événements relatifs au grand jugement, que les miracles n'ont aucune valeur pour prouver qu'un ministère a été autorisé par Dieu : « Beaucoup me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur ! N'est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons chassé des démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ? Alors je leur déclarerai : Je ne vous ai jamais connus retirez-vous de moi, vous qui commettez l'iniquité » (Mt 7:22,23). Les Juifs, à qui ces enseignements s'adressaient, savaient fort bien que des prodiges pouvaient être accomplis par les puissances du mal, car ils accusèrent le Christ de faire des miracles par l'autorité de Béelzébul, prince des démons (Mt 12:22-30 ; Mc 3:22 ; Lc 11:15) tiré de Les Articles de Foi, de l'auteur, p. 281,282.
  
 
CHAPITRE 12 : PREMIERS INCIDENTS DU MINISTÈRE PUBLIC DE NOTRE SEIGNEUR
 
PREMIÈRE PURIFICATION DU TEMPLE
 
Peu après les festivités du mariage de Cana, Jésus, accompagné de ses disciples, ainsi que de sa mère et d'autres membres de la famille, se rendit à Capernaüm, ville agréablement située près de l'extrémité septentrionale du lac de Galilée ou de Génésareth [1] et théâtre d'un grand nombre des œuvres miraculeuses de notre Seigneur ; en effet on finit par la considérer comme sa propre ville [2]. À cause de l'incrédulité de ses habitants, elle devint un sujet de lamentation pour Jésus lorsque, plein de tristesse, il prédit le jugement qui tomberait sur ce lieu [3]. L'emplacement exact de la ville est actuellement inconnu. Cette fois-là, Jésus ne demeura que quelques jours à Capernaüm, car l'époque de la Pâque était proche, et, conformément à la coutume juive, il se rendit à Jérusalem.
 
Les évangiles synoptiques [4], qui sont avant tout consacrés à ce qu'a fait le Christ en Galilée, ne disent rien de sa présence à la fête pascale entre sa douzième année et l'époque de sa mort ; c'est à Jean uniquement que nous devons le récit de cette visite au commencement du ministère public du Christ. Il n'est pas improbable que Jésus ait assisté à d'autres Pâques au cours des dix-huit années que les évangélistes passent sous un silence complet et respectueux ; mais, n'ayant pas trente ans, il n'aurait pu, lors d'aucune de ses visites précédentes, avoir assumé le droit ou les prérogatives d'enseigner sans contrevenir aux coutumes établies [5]. Il est à noter que lors de cette apparition de Jésus au temple, la première qui nous est rapportée après sa visite lorsqu'il était jeune garçon, il a repris en main les affaires de son Père dont il s'était occupé précédemment. C'est au service de son Père qu'on l'avait trouvé en discussion avec les docteurs de la loi [6], et c'est dans la cause de son Père qu'il fut poussé à agir lors de cette occasion ultérieure.
 
Nous avons déjà parlé, en passant, des foules nombreuses et mélangées qui assistaient à la fête de la Pâque [7] ; il faut se rappeler certaines des coutumes répréhensibles qui régnaient. La loi de Moïse avait été complétée par tout un fatras de règles, et les exigences rigidement imposées au sujet des sacrifices et du tribut avaient donné naissance à un système de ventes et de trocs à l'intérieur de l'enceinte sacrée de la maison du Seigneur. Dans les cours extérieures se trouvaient des étables contenant des bœufs, des enclos de moutons, des cages de colombes et de pigeons ; les vendeurs criaient tout haut la valeur cérémonielle de ces victimes sacrificatoires et faisaient payer en conséquence. Il était aussi de coutume de payer à cette époque le tribut annuel du sanctuaire - rançon requise de chaque personne de sexe masculin d'Israël et se montant à un demi-sicle [8] par personne, quelle que fût sa pauvreté ou sa richesse. Cela devait être payé « selon le sicle du sanctuaire », limitation qui, avaient décrété les rabbis, signifiait que l'on devait payer selon la monnaie du temple. L'argent ordinaire, dont les variétés portaient des effigies et des inscriptions d'importation païenne, n'était pas acceptable, et il en résulta que les changeurs exerçaient un métier prospère dans l'enceinte du temple.
 
Animé d'une juste indignation par ce qu'il voyait, plein de zèle pour la sainteté de la maison de son Père, Jésus se mit en devoir de nettoyer l'endroit [9] ; et, ne s'arrêtant pas pour discuter, il appliqua promptement la force physique, presque la violence : seule force de langage figuré que ces troqueurs corrompus et cupides pouvaient comprendre. Improvisant rapidement un fouet de petites cordes, il frappa de tous les côtés, libérant et chassant moutons, bœufs et trafiquants humains, renversant les tables des changeurs et répandant leurs accumulations hétéroclites de monnaies. Avec une considération tendre pour les oiseaux emprisonnés et impuissants, il s'abstint d'attaquer leurs cages ; mais il dit à leurs propriétaires : « Ôtez cela d'ici » ; et à tous les marchands cupides, il commanda d'une voix tonnante qui les fit trembler : « Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. » Ses disciples virent dans cet incident l'accomplissement du verset du psalmiste : « Le zèle de ta maison me dévore » [10].
 
Les Juifs, terme par lequel nous entendons les fonctionnaires ecclésiastiques et les gouverneurs du peuple, n'osèrent pas protester contre cette action vigoureuse en la taxant d'impie ; connaissant la loi, ils se savaient coupables de corruption et de cupidité et se rendaient compte qu'ils étaient personnellement responsables de la profanation du temple. Tous savaient que les lieux sacrés avaient grand besoin d'être purifiés ; le seul point sur lequel ils osèrent questionner le Purificateur était celui de savoir pourquoi il prenait ainsi sur lui de faire ce qui était leur devoir. Ils se soumirent pratiquement à son irrésistible intervention, se disant qu'ils pourraient encore bien être obligés de reconnaître l'autorité de cet homme. Leur soumission provisoire était basée sur la crainte, et celle-ci, quant à elle, provenait de ce que leur conscience les accusait de péché. Le Christ l'emporta sur ces Juifs marchandeurs en vertu du principe éternel que le bien est plus puissant que le mal, et à cause de ce fait psychologique que la conscience qu'il a de sa culpabilité prive le coupable de courage lorsque l'imminence d'un juste châtiment apparaît à son âme [11]. Cependant, craignant qu'il ne se révèle être un prophète puissant, tel qu'aucun prêtre ou rabbi vivant ne professait l'être, ils lui demandèrent timidement les preuves de son autorité : « Quel miracle nous montres-tu pour agir de la sorte ? » Jésus répliqua sèchement, faisant à peine attention à cette demande, si commune chez les méchants et les adultères [12] : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai » [13].
 
Aveuglés par leur propre ruse, refusant de reconnaître l'autorité du Seigneur, mais craignant la possibilité qu'ils fussent occupés à s'opposer à quelqu'un qui avait le droit d'agir, les fonctionnaires, troublés, virent dans les paroles de Jésus une allusion au temple imposant de maçonnerie dans les murs duquel ils se tenaient. Ils prirent courage ; cet étrange Galiléen, qui faisait ouvertement fi de leur autorité, parlait irrespectueusement de leur temple, expression visible de la prétention qu'ils étalaient si orgueilleusement dans leurs paroles - qu'ils étaient enfants de l'alliance, adorateurs du Dieu vrai et vivant, et par conséquent supérieurs à tous les peuples païens. Avec une apparente indignation, ils répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce temple, et toi, en trois jours, tu le relèveras [14] ! » Bien que déçus dans leur désir d'éveiller, à ce moment-là, l'indignation populaire contre Jésus, les Juifs refusèrent d'oublier ou de pardonner ces paroles. Lorsque Jésus se présenta plus tard comme un prisonnier sans défense, pour subir une parodie illégale de jugement devant un tribunal pécheur, le parjure le plus noir qui fut exprimé contre lui fut celui des faux témoins qui attestèrent : « Nous l'avons entendu dire : je détruirai ce temple fait par la main de l'homme et en trois jours j'en bâtirai un autre qui ne sera pas fait par la main de l'homme » [15]. Et tandis qu'il agonisait, les railleurs qui passaient devant la croix secouaient la tête et insultaient le Christ mourant, en ces termes : « Hé ! toi qui détruis le temple et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même et descends de la croix [16] ! » Et pourtant cette réponse de Jésus aux Juifs qui lui avaient demandé un miracle comme preuve n'avait rien à voir avec le temple colossal d'Hérode mais faisait allusion au sanctuaire de son propre corps, dans lequel demeurait, plus véritablement que dans le Saint des Saints bâti par les hommes, l'Esprit éternellement vivant du Dieu éternel. « Le Père est en moi », telle était sa doctrine [17].
 
« Mais il parlait du temple de son corps », le tabernacle réel du Très-Haut [18]. Cette allusion à la destruction du temple de son corps et à son renouvellement après trois jours, est sa première prédiction de sa mort et de sa résurrection dont nous possédions une trace écrite. Les disciples eux-mêmes ne comprirent le sens profond de ces paroles qu'après sa résurrection d'entre les morts ; alors ils se souvinrent et comprirent. Les religieux juifs n'étaient pas aussi obtus qu'ils semblaient l'être, car nous les voyons aller trouver Pilate tandis que le corps du Christ crucifié se trouvait dans la tombe, disant : « Seigneur, nous nous souvenons que cet imposteur a dit, quand il vivait encore : ‘Après trois jours je ressusciterai’ » [19]. Bien que nous possédions de nombreux passages où le Christ déclara qu'il mourrait et ressusciterait le troisième jour, les plus claires de ces déclarations furent faites aux apôtres plutôt qu'ouvertement au public. Les Juifs qui allèrent trouver Pilate avaient certainement à l'esprit les paroles que Jésus prononça tandis qu'ils se trouvaient confondus devant lui lors de la purification des cours du temple [20].
 
Une action d'éclat telle que celle de défier les usages religieux et de purifier par la force l'enceinte du temple ne pouvait manquer de frapper, avec des effets divers, le peuple qui assistait à la fête ; celui-ci, rentrant dans ses foyers, dans des provinces éloignées et extrêmement disséminées, répandit certainement la célébrité du courageux prophète galiléen. Beaucoup d'habitants de Jérusalem crurent en lui à ce moment-là, surtout parce qu'ils étaient attirés par les miracles qu'il opérait ; mais il « ne se fiait point à eux », conscient que leur profession de foi était fondée sur des bases incertaines. L'adulation du peuple n'était pas ce qu'il recherchait ; il ne désirait pas être suivi d'une foule hétérogène mais préférait s'entourer de ceux qui recevaient du Père le témoignage de son appel messianique. « Il les connaissait tous, et... il n'avait pas besoin qu'on lui rende témoignage de quelqu'un ; il savait lui-même ce qui était dans l'homme » [21].
 
L'incident au cours duquel le Christ purifia de force le temple est en contradiction avec la conception que l'on a traditionnellement de lui et qui fait de lui une personne d'un comportement si doux et si réservé qu'il semble manquer de virilité. Aussi doux qu'il fût et patient dans les afflictions, miséricordieux et longanime envers les pécheurs contrits, il était sévère et inflexible en présence de l'hypocrisie et dénonçait impitoyablement les pécheurs endurcis. Son humeur était adaptée aux situations auxquelles il avait à faire ; ses lèvres exprimaient aussi facilement des paroles douces d'encouragement que des expressions brûlantes de juste indignation. Sa nature n'était pas la douceur constante de chérubin imaginée par les poètes mais celle d'un homme, avec les émotions et les passions caractéristiques de la virilité. Lui qui pleurait souvent de compassion, manifestait, à d'autres moments, en paroles et en actions, la juste colère d'un Dieu. Mais il fut toujours maître de toute cette passion, quelque doucement ou quelque violemment qu'elle s'exprimât. Comparez le doux Jésus poussé, par les besoins d'une fête à Cana, à rendre un service au nom de l'hospitalité, au Christ indigné maniant son fouet et chassant devant lui, au milieu de l'émoi et de la confusion qu'il avait créée, le bétail et les hommes comme un troupeau impur.
 
JÉSUS ET NICODÈME [22]
 
Les actions étonnantes accomplies par le Christ à l'époque ou aux environs de cette Pâque mémorable amenèrent, outre un grand nombre de gens du commun, certains érudits à croire en lui ; nous en avons la preuve par le fait que Nicodème, qui professait être Pharisien et occupait un haut rang, étant l'un des gouverneurs des Juifs, vint le trouver pour le questionner. Il est significatif que cette visite se fit de nuit. Apparemment cet homme était poussé par le désir sincère d'en savoir plus sur le Galiléen dont on ne pouvait ignorer les œuvres ; cependant, l'orgueil de son office et la peur qu'il pourrait être soupçonné de s'être attaché au nouveau prophète l'amenèrent à entourer son entreprise du plus grand secret [23]. Décernant à Jésus le titre qu'il portait lui-même, et qu'il considérait lui-même comme une expression d'honneur et de respect, il dit : « Rabbi, nous savons que tu es un docteur venu de la part de Dieu ; car personne ne peut faire ces miracles que tu fais, si Dieu n'est avec lui » [24]. Peu importe que le pronom pluriel « nous » qu'il utilisa indique qu'il était envoyé par le sanhédrin ou par la société des Pharisiens dont les membres avaient coutume de parler de la sorte en leur qualité de représentants de l'ordre - ou qu'il ait employé un pluriel de majesté n'ayant trait qu'à lui seul. Il reconnaissait Jésus comme un « docteur venu de la part de Dieu » et donna les raisons pour lesquelles il le considérait comme tel. Quelque faible qu'ait été la foi qui fut éveillée dans le cœur de cet homme, celle-ci était fondée sur les preuves fournies par les miracles, soutenue par l'effet psychologique des signes et des prodiges. Nous devons lui reconnaître qu'il était sincère et honnête dans ses intentions.
 
Sans attendre des questions particulières, « Jésus lui répondit : En vérité, en vérité je te le dis, si un homme ne naît de nouveau il ne peut voir le royaume de Dieu ». Il semble que Nicodème fut embarrassé ; il demanda comment pareil rajeunissement était possible. « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître ? » Ce n'est pas être injuste envers Nicodème que de considérer qu'en sa qualité de rabbi, homme instruit dans les Écritures, il aurait dû savoir que les paroles de Jésus avaient une autre signification que celle de la naissance mortelle et littérale. En outre, s'il était possible qu'un homme naquît littéralement une seconde fois et dans la chair, comment pareille naissance pourrait-elle lui profiter dans sa croissance spirituelle ? Ce ne serait qu'une rentrée sur la scène de l'existence physique, pas un avancement. Cet homme savait que l'image d'une nouvelle naissance était commune dans les enseignements de son temps. On appelait nouveau-nés tous les Juifs au moment de leur conversion.
 
La surprise manifestée par Nicodème fut probablement due, du moins en partie, au fait que l'exigence annoncée par le Christ était universelle. Les enfants d'Abraham y étaient-ils compris ? Le traditionalisme des siècles s'opposait à toute idée de ce genre. Les païens devaient renaître en acceptant officiellement le judaïsme, s'ils voulaient avoir ne serait-ce qu'une petite part des bénédictions qui appartenaient par héritage à la maison d'Israël ; mais Jésus semblait traiter tout le monde sur le même pied, Juifs et Gentils, idolâtres païens et le peuple qui, du bout des lèvres du moins, appelait Jéhovah Dieu.
 
Jésus répéta sa déclaration avec précision, soulignant par l'impressionnant « en vérité, en vérité » la plus grande leçon qui fût jamais parvenue aux oreilles de ce gouverneur d'Israël : « En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît d'eau et d'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. » Cette nouvelle naissance, que le Christ déclarait ainsi être une condition absolument essentielle pour entrer dans le royaume de Dieu, applicable à tous les hommes, sans limite ni modification, était une régénérescence spirituelle ; c'est ce qui fut expliqué ensuite au rabbi étonné : « Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est esprit. Ne t'étonne pas que je t'aie dit : il faut que vous naissiez de nouveau. » Malgré tout, le savant juif méditait et pourtant ne comprenait pas. Il se peut que le bruit de la brise nocturne se fit entendre à ce moment ; s'il en fut ainsi, Jésus ne fit que se servir de cet incident comme le ferait un maître habile pour enseigner une leçon d'une manière frappante, lorsqu'il poursuivit : « Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit ; mais tu ne sais d'où il vient, ni où il va. Il en est ainsi de quiconque est né de l'Esprit. » En termes clairs, il laissait entendre à Nicodème que sa science profane et son poste officiel ne lui servaient à rien pour comprendre les choses de Dieu ; son sens de l'ouïe lui permettait de savoir que le vent soufflait ; sa vue pouvait l'informer de son passage ; et cependant que savait-il de la cause ultime ne fût-ce que de ce phénomène tout simple ? Si Nicodème désirait réellement s'instruire des choses de l'esprit, il devait se débarrasser de la déformation due à sa connaissance de choses moins importantes.
 
Bien que rabbi et sanhédriste éminent, il se trouvait, dans l'humble logis du Maître de Galilée, en présence de quelqu'un de plus fort que lui. Dans la confusion de son ignorance il demanda : « Comment cela peut-il se faire ? » La réponse dut sinon l'humilier du moins le rendre humble : « Tu es le docteur d'Israël, et tu ne sais pas cela ! » Il est clair qu'il aurait déjà pu prendre connaissance antérieurement de certains des principes fondamentaux de l'Évangile ; Jésus reprochait d'autant plus à Nicodème son manque de connaissance que celui-ci instruisait le peuple. Alors notre Seigneur expliqua avec plus de détails, attestant qu'il parlait de choses qu'il connaissait avec certitude, parce qu'il les avait vues, tandis que Nicodème et ses congénères refusaient d'accepter le témoignage de ses paroles. En outre, Jésus affirma que sa mission était celle du Messie et prédit explicitement sa mort et la manière dont elle se produirait : qu'il devrait, lui, le Fils de l'Homme, être élevé, de même que Moïse avait élevé le serpent dans le désert comme prototype afin qu'Israël échappât au fléau fatal [25].
 
L'objectif de la mort prévue du Fils de l'homme était : « Afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle » ; car c'est à cela, dans son amour sans limite pour l'homme, que le Père avait voué son Fils unique. Et en outre, il était vrai que dans son avènement mortel le Fils n'était pas venu pour juger mais pour enseigner, persuader et sauver ; néanmoins la condamnation s'abattrait sûrement sur ceux qui rejetteraient ce Sauveur, car la lumière était venue, et les hommes méchants évitaient la lumière, la haïssant parce qu'ils préféraient les ténèbres dans lesquelles ils espéraient cacher leurs actions mauvaises. Il se peut qu'ici, encore une fois, Nicodème ait éprouvé du remords : en effet, n'avait-il pas craint de venir en plein jour, et n'avait-il pas choisi les heures nocturnes pour sa visite ? Les dernières paroles du Seigneur contenaient à la fois un enseignement et un reproche : « Mais celui qui pratique la vérité vient à la lumière, afin qu'il soit manifeste que ses œuvres sont faites en Dieu. »
 
Le récit de cet entretien entre Nicodème et le Christ constitue une des Écritures les plus instructives et les plus précieuses au sujet de la nécessité absolue d'obéir sans réserve aux lois et aux ordonnances de l'Évangile, moyens indispensables du salut. La foi que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, par l'intermédiaire duquel seul les hommes peuvent acquérir la vie éternelle, l'abandon du péché en se détournant résolument des ténèbres grossières du mal pour se diriger vers la lumière salvatrice de la justice, la nécessité inconditionnelle d'une nouvelle naissance par le baptême dans l'eau, et ce, par l'immersion exclusivement, puisque autrement l'image de la naissance n'aurait aucun sens, et l'achèvement de la naissance nouvelle dans le baptême par l'Esprit - tous ces principes sont ici enseignés d'une manière si simple et si claire que nul ne peut offrir d'excuse plausible de leur ignorance.
 
Si Jésus et Nicodème étaient les seules personnes présentes à l'entretien, Jean, l'auteur, doit avoir été mis au courant de celui-ci par l'un d'eux. Comme Jean était l'un des premiers disciples, et par la suite l'un des apôtres, et comme il se distinguait du groupe apostolique par ses rapports étroits avec le Seigneur, il est plus que probable qu'il entendit le récit des lèvres de Jésus. Le but de Jean était de toute évidence de rapporter la grande leçon que cet événement comportait plutôt que de raconter l'histoire en détail. Le récit se termine aussi brusquement qu'il a commencé ; les incidents sans importance sont omis ; chaque ligne est importante ; l'auteur était pleinement conscient de la profonde importance de son sujet et le traita en conséquence. Les allusions ultérieures à Nicodème tendent à confirmer l'opinion que nous nous sommes formée de l'homme au moment où il apparaît dans cette réunion avec Jésus - à savoir que c'était un homme qui était conscient d'éprouver une certaine croyance au Christ, mais dont la croyance ne se transforma jamais en cette foi sincère et virile qui pousse l'homme à accepter et à se soumettre quels qu'en soient le prix ou les conséquences [26].
 
DE LA VILLE À LA CAMPAGNE
 
Quittant Jérusalem, Jésus et ses disciples se rendirent dans les régions rurales de la Judée et y demeurèrent, prêchant sans aucun doute quand ils en trouvaient ou en créaient l'occasion ; et ceux qui croyaient en lui étaient baptisés [27]. La note dominante de ses premières paroles publiques était celle de son précurseur du désert : « Repentez-vous car le royaume des cieux est proche » [28].  Le Baptiste poursuivait ses travaux ; il est cependant certain que, depuis qu'il avait reconnu ce Plus Grand que lui dont il avait été envoyé préparer la venue, il considérait que le baptême qu'il administrait avait un sens quelque peu différent. Il avait tout d'abord baptisé pour préparer à Celui qui devait venir ; maintenant il baptisait les croyants repentants en Celui qui était venu.
 
Des discussions s'étaient élevées parmi certains des adhérents zélés de Jean concernant la doctrine de la purification. Le contexte [29] ne nous permet guère de douter qu'il était question des mérites relatifs du baptême de Jean et de celui qui était administré par les disciples de Jésus. Avec une ardeur excusable et un zèle bien intentionné pour leur maître, les disciples de Jean, qui s'étaient mêlés à la controverse, vinrent le trouver disant : « Rabbi, celui qui était avec toi au-delà du Jourdain et à qui tu as rendu témoignage, voici qu'il baptise et que tous vont à lui. » Les partisans de Jean se souciaient du succès de quelqu'un qu'ils considéraient dans une certaine mesure comme un rival de leur maître bien-aimé. Jean n'avait-il pas donné à Jésus le premier témoignage que celui-ci possédait ? « Celui à qui tu as rendu témoignage », dirent-ils, ne daignant même pas appeler Jésus par son nom. Suivant l'exemple d'André et de Jean, le futur apôtre, le peuple quittait le Baptiste pour s'assembler autour du Christ. La réponse de Jean à ses ardents disciples constitue un exemple sublime d'abnégation. Il dit en substance : L'homme ne reçoit que ce que Dieu lui donne. Il ne m'est pas donné d'accomplir l'œuvre du Christ. Vous êtes vous-mêmes témoins de ce que j'ai nié être le Christ et que j'ai dit avoir été envoyé devant lui. Il est comme l'époux. Je ne suis que comme l'ami de l'époux [30], son serviteur ; et je me réjouis profondément d'être ainsi près de lui ; sa voix me donne du bonheur, et ainsi ma joie est complète. Celui dont vous parlez se trouve au début de son ministère ; j'approche de la fin du mien. Il doit croître mais je dois diminuer. Il est venu du ciel, et pour cette raison il est supérieur à toutes les choses de la terre ; néanmoins les hommes refusent d'accepter son témoignage. L'Esprit de Dieu ne lui est pas compté. Il en a la plénitude. Le Père l'aime, lui, le Fils, et a tout remis entre ses mains, et : « Celui qui croit au Fils a la vie éternelle ; celui qui ne se confie pas au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui » [31]. 
 
C'est dans une telle réponse, donnée dans ces conditions, que l'on doit trouver l'esprit de la véritable grandeur et d'une humilité qui ne pouvait reposer que sur le fait que le Baptiste avait reçu l'assurance divine de ce qu'il était et de ce que le Christ était. C'est à plus d'un égard que Jean fut grand parmi tous ceux qui sont nés de femmes [32]. Il avait entrepris son œuvre lorsque Dieu l'avait envoyé le faire [33]. Il se rendait compte que son oeuvre était dans une certaine mesure dépassée, et il attendait patiemment d'être déchargé, continuant entre-temps dans le ministère, dirigeant des âmes vers son Maître. Le commencement de la fin était proche. Il fut bientôt saisi et jeté dans un cachot, où, comme nous allons le montrer, il fut décapité pour assouvir la vengeance d'une femme corrompue dont il avait dénoncé hardiment les péchés [34].
 
Les Pharisiens observaient avec une appréhension croissante la popularité grandissante de Jésus, comme le prouvait le fait que plus de personnes encore le suivaient et acceptaient le baptême des mains de ses disciples qu'il n'y en avait eu pour répondre à l'appel du Baptiste. On menaça d'exercer une opposition ouverte, et comme Jésus désirait éviter que son oeuvre subît les retards que pareille persécution causerait à ce moment-là, il s'éloigna de la Judée et se retira dans la Galilée, en passant par la Samarie. Ce retour dans la province du nord se produisit lorsque le Baptiste eut été jeté en prison [35].
 
 [1] Note 1, fin du chapitre.
 [2] Jn 2:12 ; cf. Mt 4:13 ; 9:1.
 [3] Mt 11:23 ; Lc 10: 15.
 [4] Note 2, fin du chapitre.
 [5] Note 3, fin du chapitre.
 [6] Chap. 9 du présent ouvrage ; Lc 2:46-49.
 [7] Chap. 9. Note 4, fin du présent chapitre.
 [8] Ex 30:11-16. Note 11, fin du chapitre.
 [9] Jn 2:14-17.
 [10] Comparer avec Ps 69:9.
 [11] Note 5, fin du chapitre.
 [12] Mt 12:38,39 ; cf. 16:1 ; Mc 8:11 ; Jn 6:30 ; 1 Co 1:22.
 [13] Jn 2:19 ; lire versets 18-22.
 [14] Note 6, fin du chapitre.
 [15] Mc 14:58. Chap. 34 du présent ouvrage.
 [16] Mc 15:29,30.
 [17] Jn 10:38, 17:21.
 [18] Jn 2:19-22 ; cf. 1 Co 3:16,17, 6:19 ; 2 Co 6:16 ; voir en outre Col 2:9 ; Hé 8:2.
 [19] Mt 27:63. Chap. 35 du présent ouvrage.
 [20] Comme l'a écrit brièvement le chanoine Farrar : « À moins que le ‘nous nous souvenons’ ait été un mensonge pur et simple, ils ne pouvaient faire allusion qu'à cet événement » (Life of Christ, p. 155).
 [21] Jn 2:23-25.
 [22] Jn 3:1-21.
 [23] Note 7, fin du chapitre.
 [24] Jn 3:2 ; lire versets 1-21.
 [25] Nb 21:7-9.
 [26] Note 8, fin du chapitre. Voir Articles de Foi, p. 123-127.
 [27] Jn 3:22 ; cf. 4:2.
 [28] Mt 4:17, cf. Mc 1: 15.
 [29] Jn 3:25-36.
 [30] Note 10, fin du chapitre.
 [31] Jn 3:27-36.
 [32] Mt 11:11.
 [33] Lc 3:2,3.
 [34] Mt 14:3-12.
 [35] Mt 4:12.
 
NOTES DU CHAPITRE 12
 
1. Le lac de Galilée : Ce lac, la plus grande masse d'eau douce de Palestine, a plus ou moins la forme d'une poire et mesure environ vingt et un kilomètres dans sa plus grande longueur qui va approximativement du nord vers le sud et entre dix et douze kilomètres de largeur maximum. Le Jourdain s'y jette dans son extrémité nord-est et en sort au sud-ouest ; on peut, par conséquent, considérer le lac comme une grande extension du fleuve, bien que cette dépression remplie d'eau ait environ 60 mètres de profondeur. Le Jourdain, une fois sorti du lac de Galilée, le relie à la mer Morte, cette dernière étant une masse d'eau extrêmement saline qui, à cause de l'abondance de sel dissous qu'elle contient et, par conséquent, de la densité de son eau est comparable au grand lac Salé d'Utah, bien que la composition chimique des eaux soit substantiellement différente. Luc appelle la mer de Galilée un lac, ce qui est une appellation plus appropriée (Lc 5:1,2, 8:22,23,33). Au nord-ouest du lac se trouve une plaine, qui était extrêmement cultivée dans les temps anciens : on l'appelait le pays de Génésareth (Mt 14:34, Mc 6:53) ; et la masse d'eau prit le nom de mer ou lac de Génésareth (Lc 5:1). Du fait qu'une des villes qui se trouvaient sur ses rives occidentales était importante, on l'appelait également le lac de Tibériade (Jn 6:1,23 ; 21: 1). Dans l'Ancien Testament on l'appelle la mer de Kinnéreth (Nb 34: 11, Jos 12:3) du nom d'une ville riveraine (Jos 19:35). La surface du lac ou de la mer se trouve à plusieurs centaines de mètres en dessous du niveau de la mer, deux cent quatre mètres plus bas que la Méditerranée selon Zénos, ou deux cent dix mètres selon d'autres. Cette situation extrêmement basse donne à la région un climat semi-tropical. Zénos dit dans le Standard Bible Dictionary : « Les eaux du lac sont connues pour être très poissonneuses. L'industrie de la pêche était par conséquent l'une des ressources les plus stables du pays environnant... Une autre caractéristique de la mer de Galilée est qu'elle est sujette à des tempêtes soudaines. Celles-ci proviennent en partie du fait qu'elle se trouve tellement plus bas que les plateaux avoisinants (fait qui crée une différence de température et par conséquent des perturbations dans l'atmosphère), et en partie du fait que des bourrasques se précipitent dans la vallée du Jourdain depuis les hauteurs du Hermon. L'événement rapporté dans Mt 8:24 n'est pas un cas extraordinaire. Ceux qui manœuvrent des bateaux sur le lac sont obligés d'être très prudents pour éviter les dangers occasionnés par ces tempêtes. Les rives de la mer de Galilée, de même que le lac lui-même, furent le théâtre d'un grand nombre des événements les plus remarquables rapportés dans les évangiles. »
 
2. Les quatre évangiles : Tous ceux qui ont soigneusement étudié le Nouveau Testament doivent avoir observé que les livres de Matthieu, Marc et Luc traitent d'une manière plus détaillée des événements, des paroles et des actions du Sauveur en Galilée qu'ils ne le font de son œuvre en Judée ; d'autre part, le livre ou évangile de Jean traite en particulier des incidents du ministère judéen de notre Seigneur, sans toutefois exclure les événements importants qui se produisirent en Galilée. Au point de vue du style de l'écriture et de la méthode utilisée pour leur sujet, les auteurs des premiers évangiles (les évangélistes, comme la littérature théologique les appelle collectivement, eux et Jean) diffèrent d'une manière plus marquante de l'auteur du quatrième évangile qu'entre eux. Les événements que les trois premiers rapportent peuvent être facilement classés, comparés ou arrangés et, par conséquent, on appelle maintenant communément les évangiles écrits par Matthieu, Marc et Luc les Synoptiques ou évangiles synoptiques.
 
3. Âgé de trente ans : Selon Luc (3:23), Jésus avait environ trente ans à l'époque de son baptême, et nous voyons que peu après, il entreprit publiquement l'œuvre de son ministère. La loi prévoyait que c'était à l'âge de trente ans que les Lévites devaient entreprendre leur service spécial (Nb 4:3). Clarke, Bible Commentary, traitant du passage qui se trouve dans Luc 3:23, dit : « C'était l'âge légal auquel les prêtres devaient parvenir avant de pouvoir être installés dans leur office. » Il se peut que Jésus ait tenu compte de ce qui était devenu une coutume de l'époque, lorsqu'il attendit d'avoir atteint cet âge pour entreprendre publiquement les travaux de Maître parmi le peuple. N'étant pas de descendance lévitique, il n'était pas éligible pour être ordonné à la prêtrise selon l'ordre d'Aaron et, pour cette raison, n'attendit certainement pas celle-ci pour commencer son ministère. Avoir enseigné en public à un âge plus jeune aurait provoqué des critiques et des objections qui auraient pu avoir pour résultat de freiner gravement ou d'empêcher son œuvre dès le début.
 
4. Les multitudes et la confusion lors de la fête de la Pâque : Bien qu'il soit, on l'admettra aisément, impossible qu'une fraction même raisonnablement importante du peuple juif ait pu être présente aux assemblées annuelles de la Pâque à Jérusalem et qu'on ait, par conséquent, prévu la possibilité d'observer la fête localement, il est indubitable que le nombre de personnes qui assistaient ordinairement aux célébrations du temple à l'époque de Jésus était énorme. Josèphe dit des foules de la Pâque qu'elles constituaient « une multitude innombrable » (Guerres 11, 1:3), et en un autre lieu (Guerres, VI, 9:3) déclare que l'assistance atteignit le chiffre énorme de trois millions d'âmes ; c'est ce qu'il dit, bien que beaucoup d'écrivains modernes considèrent ce passage comme une exagération. Josèphe dit que pour donner à l'empereur Néron des renseignements sur la force numérique du peuple juif, en particulier en Palestine, Cestius demanda aux principaux sacrificateurs de compter le nombre d'agneaux qui avaient été immolés à la fête, et le nombre qu'on lui rapporta fut de 256 500, ce qui, en comptant de dix à onze personnes par table pascale, indiquerait la présence, dit-il, d'au moins 2700200 personnes, les visiteurs non Juifs non compris, non plus que ceux d'Israël à qui était refusée toute participation au repas pascal parce qu'ils n'étaient pas cérémoniellement aptes.
 
Les scènes de confusion inévitables dans les conditions qui existaient à l'époque sont admirablement résumées par Geikie (Life and Words of Christ, chap. 30), qui cite un grand nombre d'autorités anciennes pour justifier ses déclarations : « Les rues étaient bloquées par les foules qui venaient de partout, qui devaient se diriger vers le temple, passant devant des troupeaux de brebis et de bœufs, lesquels se hâtaient dans la partie en contrebas de chaque rue réservée pour eux, pour empêcher qu'il y ait contact et souillure. Des colporteurs de toutes les marchandises possibles assaillaient les pèlerins, car les grandes fêtes étaient, comme nous l'avons dit, le temps de la moisson pour tous les commerces de Jérusalem, de même que, à la Mecque, aujourd'hui encore, l'époque de la grande affluence des fidèles à la tombe du Prophète est celle où le commerce est le plus affairé parmi les pèlerins marchands qui forment les caravanes en provenance de toutes les parties du monde mahométan.
 
« À l'intérieur de l'espace réservé au temple, le bruit et la cohue étaient encore pis, si cela était possible. On avait planté des poteaux indicateurs demandant de garder sa droite ou sa gauche, comme dans les artères les plus denses de Londres. La cour extérieure, dans laquelle d'autres que des Juifs pouvaient entrer, et qui était, par conséquent, appelée la cour des Païens, était partiellement couverte d'enclos pour les brebis, les chèvres et le bétail, pour la fête et les actions de grâce. Les vendeurs criaient les mérites de leurs animaux, les brebis bêlaient et les bœufs mugissaient. C'était en réalité la grande foire annuelle de Jérusalem, et les foules augmentaient le vacarme et le tumulte au point que les services des cours voisines étaient affreusement troublés. Les marchands de colombes, pour les femmes pauvres qui venaient de toutes les parties du pays pour être purifiées, et pour les autres, avaient un espace réservé. En effet, la vente des colombes était, dans une grande mesure en secret, entre les mains des prêtres eux-mêmes : Anne, le souverain sacrificateur, se faisait particulièrement de grands bénéfices grâce à ses colombiers du mont des Oliviers. La location des enclos pour brebis et pour bétail et les bénéfices qu'ils se faisaient sur les colombes, avaient amené les prêtres à approuver ce non-sens de transformer le temple lui-même en un marché bruyant. Et ce n'est pas tout : les potiers essayaient de vendre aux pèlerins leurs plats et leurs fours de terre cuite pour l'agneau pascal, des centaines de marchands faisaient, en hurlant, la réclame de leurs marchandises, des magasins de vin, d'huile, de sel et de tout ce dont on avait encore besoin pour les sacrifices, invitaient les clients, et en outre, des personnes traversant la ville avec toutes sortes de fardeaux, raccourcissaient leur chemin en traversant les jardins du temple. Ce qui ajoutait encore à la folie générale était le fait qu'il fallait payer le tribut, imposé à tous, pour entretenir le temple. Des deux côtés de la porte est du temple, on permettait, depuis des générations, l'existence de boutiques pour changer l'argent étranger. Depuis le quinze du mois précédent, on permettait aux changeurs d'argent de mettre leurs tables dans la ville, et à partir du 21 - ou 20 jours avant la Pâque - d'exercer leur commerce dans le temple lui-même. Ceux qui achetaient le matériel nécessaire pour des sacrifices payaient leur dû à des boutiques spéciales, à un officier du temple, et recevaient un chèque de plomb pour la valeur duquel ils obtenaient du marchand ce qu'ils achetaient. En outre, on changeait de grosses sommes qui devaient être lancées, comme offrandes volontaires, dans l'un des treize coffres qui formaient le trésor du temple. Tous les Juifs, quelque pauvres qu'ils fussent, devaient, en outre, payer un demi-sicle - 18 pence environ - annuel comme rançon d'expiation pour leur âme, et pour l'entretien du temple. Comme celui-ci n'était acceptable qu'en une monnaie du pays, appelée le sicle du temple, qui n'avait pas généralement cours, les étrangers devaient changer leur argent romain, grec ou oriental aux boutiques des changeurs pour obtenir la monnaie requise. Ce commerce permettait aisément le vol, lequel n'était que trop courant. On faisait payer un taux de change de 5 % qui était augmenté à l'infini par des trucs et des chicaneries, à cause desquels cette classe s'était acquis partout une si mauvais réputation que son témoignage, comme celui des publicains, n'était pas reçu devant un tribunal. »
 
En ce qui concerne la pollution à laquelle les cours du temple avaient été soumises par des trafiquants agissant avec la permission des prêtres, Farrar (Life of Christ, p. 152) nous dit ce qui suit : « Et c'était la cour d'entrée du temple du Très-Haut ! La cour qui était témoin que cette maison devait être une maison de prière pour toutes les nations, avait été souillée et était devenue un lieu qui, par sa saleté, ressemblait plus à un abattoir et, par son commerce bourdonnant, ressemblait davantage à un marché bourré de monde ; pendant que le mugissement des bœufs, le bêlement des brebis, la Babel aux nombreuses langues, les marchandages, les querelles et le tintement de l'argent et des balances (peut-être pas toujours justes), étaient audibles dans les cours voisines, troublant les chants des Lévites et les prières des prêtres ! »
 
5. La servilité des Juifs en présence de Jésus : Le texte qui nous rapporte l'exploit de Jésus débarrassant les cours du temple de ceux qui avaient fait de la maison du Seigneur un marché, ne contient rien qui nous permette de penser qu'il fit preuve d'une force surhumaine ou d'une force plus que virile. Il utilisa un fouet qu'il avait fait lui-même, chassa bêtes et gens devant lui. Ils s'enfuirent pêle-mêle. D'après le texte, personne n'a émis d'objections avant la fin de l'expulsion. Pourquoi personne dans la multitude ne s'opposa-t-il ? La soumission semble avoir été abjecte et servile à l'extrême. Farrar (Life of Christ, p. 151,152) pose la question et y répond par un raisonnement excellent et plein d'éloquence : « Pourquoi cette multitude de pèlerins ignorants ne résista-t-elle pas ? Pourquoi ces marchandeurs cupides se contentèrent-ils de lui lancer des regards sombres et de marmonner des malédictions, tandis qu'ils laissaient chasser leurs bœufs et leurs brebis dans les rues et se faisaient eux-mêmes expulser, tandis que leur argent était lancé sur le sol par quelqu'un qui était alors jeune et inconnu et vêtu comme les Galiléens méprisés ? Pourquoi, pourrions-nous demander de la même manière, Saül permit-il à Samuel de le réprimander en présence même de son armée ? Pourquoi David obéit-il abjectement aux ordres de Joab ? Pourquoi Achab n'osa-t-il pas arrêter Élie à la porte de la vigne de Naboth ? Parce que le péché c'est de la faiblesse, parce qu'il n'y a rien d'aussi abject au monde qu'une conscience coupable, rien d'aussi invincible que la marée balayante d'une indignation divine contre tout ce qui est vil et mauvais. Comment ces misérables acheteurs et vendeurs, conscients de faire le mal, pouvaient-ils s'opposer à cette réprimande ardente ou faire face aux éclairs de ces yeux qu'allumait une sainteté outragée ? Lorsque Phineas, le prêtre, plein de zèle pour l'Éternel des armées, transperça le prince de Siméon et la Madianite d'un coup glorieux de sa lance indignée, pourquoi Israël coupable ne vengea-t-il pas ce meurtre splendide ? Pourquoi tous les hommes de la tribu de Siméon ne devinrent-ils pas un Goël pour cet assassin intrépide ? Parce que le vice ne peut résister un seul instant devant le bras levé de la vertu. Vils et rampants comme ils l'étaient, ces Juifs faiseurs d'argent sentaient, dans tout ce qui en leur âme n'était pas encore rongé par l'infidélité et la cupidité, que le Fils de l'Homme avait raison.
 
« Oui, même les prêtres et les Pharisiens, les scribes et les Lévites, dévorés qu'ils étaient par l'orgueil et le formalisme, ne pouvaient condamner un acte qui aurait pu être accompli par un Néhémie ou un Judas Maccabée et qui était conforme à tout ce qui était pur et excellent dans leurs traditions. Mais lorsqu'ils entendirent parler de cet acte ou en furent témoins, et eurent le temps de se ressaisir du mélange d'admiration, de dégoût et d'étonnement qu'il inspirait, ils s'approchèrent de Jésus, et bien que n'osant pas condamner ce qu'il avait fait, ils demandèrent cependant, à moitié indignés, un signe montrant qu'il avait le droit d'agir ainsi. »
 
6. Le respect des Juifs pour le temple : Les Juifs professaient un grand respect pour le temple. « Une déclaration du Sauveur, que les esprits obtus interprétèrent comme une menace contre le temple, fut utilisée contre lui comme l'un des principaux chefs d'accusation pour lesquels on exigeait sa condamnation à mort. Quand les Juifs réclamaient une preuve de son autorité, il prédit sa propre mort et sa résurrection par ces mots : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai » (Jn 2:19-22 ; voir aussi Mt 26:61 ; 27:40 ; Mc 14:58: 15:29). Dans leur aveuglement, ils considérèrent cette remarque comme une allusion irrespectueuse à leur temple, un bâtiment construit de main d'homme, et ils se refusèrent à l'oublier ou à la pardonner. Cette vénération se poursuivit après la crucifixion de notre Seigneur ; cela ressort avec évidence des accusations portées contre Étienne, et plus tard contre Paul. Dans leur rage meurtrière, ces gens accusèrent Étienne de manque de respect pour le temple et produisirent de faux témoins qui se parjurèrent en déclarant : « Cet homme ne cesse de proférer des paroles contre le lieu saint et contre la loi » (Ac 6:13). Là-dessus, Étienne fut rangé au nombre des martyrs. Quand on proclama que Paul avait introduit avec lui un Gentil dans les locaux du temple, toute la ville fut ameutée, et une population furieuse arracha Paul de ce lieu et chercha à le tuer (Ac 21:26-40). » L'auteur, La Maison du Seigneur, p. 48,49.
 
7. Plusieurs des « chefs » crurent : Nicodème n'était pas le seul dans les classes dirigeantes qui crut en Jésus ; mais nous ne savons rien de celles-ci qui nous indique qu'elles ont eu assez de courage pour venir même de nuit s'informer indépendamment et personnellement. Elles craignaient de perdre, à la suite de cela, leur popularité et leur position. Dans Jean 12:42,43, nous lisons : « Cependant, même parmi les chefs, plusieurs crurent en lui ; mais à cause des Pharisiens, ils ne le confessaient pas, pour ne pas être exclus de la synagogue. Car ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu. » Notez également l'épisode du scribe qui offrit de devenir officiellement disciple mais qui, probablement parce qu'il manquait dans une certaine mesure de sincérité ou n'en était pas capable, fut découragé plutôt qu'approuvé par Jésus (Mt 8:19,20).
 
8. Nicodème : Le comportement de cet homme montre immédiatement qu'il croyait réellement que Jésus était envoyé de Dieu et que sa croyance ne put se transformer en foi véritable qui, s'il avait pu l'obtenir, aurait pu l'amener à une vie de service dévoué à la cause du Maître. Quand, à une époque ultérieure à son entretien avec le Christ, les chefs des prêtres et les Pharisiens réprimandèrent les huissiers qu'ils avaient envoyés arrêter Jésus et qui revenaient rapporter leur échec, Nicodème, membre du Conseil, se hasarda à s'opposer timidement à la détermination meurtrière des gouvernants, en formulant une proposition générale sous la forme interrogative : « Notre loi juge-t-elle un homme avant qu'on l'ait entendu et qu'on sache ce qu'il a fait ? » Ses collègues lui répondirent avec mépris, et il semble avoir abandonné son effort bien intentionné (Jn 7:50-53, lisez les versets précédents 30-49). Nous le voyons ensuite apporter une contribution coûteuse en myrrhe et en aloès, cent livres environ, à utiliser pour l'ensevelissement du corps alors crucifié du Christ ; mais même dans cet acte de générosité et de dévotion, dans lequel on ne peut douter de sa sincérité et de ses intentions, il avait été précédé par Joseph d'Arimathée, homme de haut rang, qui avait hardiment demandé et obtenu le corps pour l'ensevelir respectueusement (Jn 19:38-42). Néanmoins Nicodème fit plus que la plupart de ses collègues croyants parmi les nobles et les grands ; qu'on lui en laisse le crédit ; il ne perdra pas sa récompense.
 
9. L'ami de l'époux : La coutume matrimoniale judéenne du temps du Christ exigeait que l'on nommât un garçon d'honneur principal, qui s'occupait de tous les préliminaires et prenait toutes les dispositions pour le festin des noces au nom de l'époux. On l'appelait officiellement l'ami de l'époux. Lorsque les formalités cérémonielles étaient accomplies et que l'épouse avait été donnée légalement et officiellement à son époux, la joie de l'ami de l'époux était pleine en ce sens que les devoirs dont il était chargé avaient bien été exécutés (Jn 3:29). Selon Edersheim (Life and Times of Jesus the Messiah, vol. 1 p. 148), en vertu des coutumes plus simples qui régnaient en Galilée, on ne choisissait pas souvent un « ami de l'époux », et (p. 663-4) l'expression « enfant de la chambre de l'épouse » (Mt 9:15, Mc 2:19, Lc 5:34 [dans la version anglaise, ndt] toutes citations dans lesquelles l'expression est utilisée par Jésus) s'appliquait collectivement à tous les invités d'un festin de noces. Il dit : « Comme l'institution des ‘amis de l'époux’ était courante en Judée, mais pas en Galilée, cette distinction marquée de ‘l'ami de l'époux’ dans la bouche du judéen Jean et fils (enfants) de la chambre de l'épouse) dans celle du Galiléen Jésus, est en elle-même une preuve d'exactitude historique. »
 
10. L'argent de l'expiation : Au cours de l'exode, le Seigneur requit de toute personne masculine en Israël qui avait vingt ans ou plus au moment d'un recensement, le paiement d'une rançon se montant à un demi-sicle (Ex 30:12-16). Voir p. 419 et 433 infra. Quant à l'usage auquel l'argent était consacré, le Seigneur donna le commandement suivant à Moïse : « Tu recevras des Israélites l'argent de la rançon, et tu l'emploieras au travail de la tente de la Rencontre ; ce sera pour les fils d'Israël un souvenir devant l'Éternel pour la rançon de leurs personnes » (Ex 30:16, voir aussi 38:25-31). Avec le temps, cet impôt d'un demi-sicle fut levé annuellement, bien que cette exaction ne repose sur aucune autorité scripturaire. Cet impôt ne doit pas être confondu avec l'argent du rachat, qui se montait à 5 sicles pour chaque premier-né masculin, dont le paiement exemptait l'individu du service du sanctuaire. Au lieu des fils premiers-nés de toutes les tribus, le Seigneur désigna les Lévites pour ce ministère spécial ; néanmoins il continua à considérer les premiers-nés masculins comme lui appartenant tout particulièrement et exigea le paiement d'une rançon comme signe de leur rachat des devoirs du service sacré. Voir Ex 13:2, 13-15 ; Nb 3:13, 40-51, 8:15-18, 18:15,16, ainsi que le chap. 8 du présent ouvrage.
  
 
CHAPITRE 13 : HONORÉ DES ÉTRANGERS, REJETÉ DES SIENS
 
JÉSUS ET LA SAMARITAINE
 
La route directe reliant la Judée à la Galilée passait par la Samarie ; mais beaucoup de Juifs, et surtout les Galiléens, préféraient prendre une route indirecte et plus longue plutôt que de traverser le pays d'un peuple aussi méprisé d'eux que l'étaient les Samaritains. Le ressentiment entre Juifs et Samaritains avait grandi pendant des siècles, et à l'époque du ministère terrestre de notre Seigneur s'était transformé en une haine extrêmement intense [1]. Les habitants de la Samarie étaient un peuple hétérogène, chez qui le sang d'Israël était mêlé à celui des Assyriens et d'autres nations ; et l'une des raisons de l'animosité qui existait entre eux et leurs voisins tant au nord qu'au sud était que les Samaritains prétendaient être reconnus pour Israélites ; ils se vantaient que Jacob était leur père, mais cela, les Juifs le niaient. Les Samaritains avaient une version du Pentateuque qu'ils révéraient comme étant la loi, mais ils rejetaient tous les écrits prophétiques de ce qui est maintenant l'Ancien Testament, parce qu'ils s'y considéraient traités avec insuffisamment de respect.
 
Pour les Juifs orthodoxes de l'époque, un Samaritain était plus impur qu'un Gentil d'une autre nationalité. Il est intéressant de remarquer les restrictions extrêmes et absurdes qui étaient imposées à l'époque dans la réglementation des rapports inévitables entre les deux peuples. Le témoignage d'un Samaritain ne pouvait être entendu devant un tribunal juif. Le fait pour un Juif de manger de la nourriture préparée par un Samaritain fut à un certain moment considéré par l'autorité rabbinique comme une offense aussi grande que celle de manger la chair du porc. On admettait que les produits d'un champ de Samarie n'étaient pas impurs parce qu'ils sortaient directement du sol, mais ces produits devenaient impurs s'ils étaient soumis à un traitement quelconque entre les mains des Samaritains. C'est ainsi que l'on pouvait acheter des raisins et du grain aux Samaritains, mais on ne pouvait consommer ni le vin, ni la farine fabriqués par des ouvriers samaritains à partir de ces produits. Un jour on lança le qualificatif de « Samaritain » à l'adresse du Christ dans l'intention de l'insulter. « N'avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain et que tu as en toi un démon [2] ? » La conception samaritaine de la mission du Messie attendu était relativement mieux fondée que celle des Juifs, car les Samaritains accordaient plus d'importance au royaume spirituel que le Messie établirait et étaient moins exclusifs dans leurs conceptions de ceux à qui les bénédictions messianiques seraient accordées.
 
Dans son voyage en Galilée, Jésus prit le chemin le plus court, qui traversait la Samarie ; et il ne fait aucun doute que son choix fut guidé par un dessein, car nous lisons qu'il « fallait qu'il traverse la Samarie » [3]. La route passait par ou près de la ville appelée Sychard « près du champ que Jacob avait donné à Joseph, son fils » [4]. Là se trouvait le puits de Jacob, qui était tenu en haute estime, non seulement pour sa valeur intrinsèque comme source d'eau intarissable, mais aussi parce qu'il était lié à la vie du grand patriarche. Jésus, las de son long voyage, se reposa au puits, tandis que ses disciples se rendaient à la ville pour acheter de la nourriture. Une femme vint remplir sa jarre à eau, et Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. » En vertu des lois de l'hospitalité orientale qui régnaient alors, demander de l'eau était une requête qui ne devait jamais être refusée s'il était possible de l'accorder ; cependant la femme hésita, car elle était étonnée qu'un Juif demandât une faveur à une Samaritaine, quelque grand que fût le besoin. Elle exprima sa surprise par la question : « Comment toi qui es Juif, me demandes-tu à boire, à moi qui suis une Samaritaine ? Les Juifs, en effet, n'ont pas de relations avec les Samaritains. » Jésus, semblant oublier sa soif dans son désir d'enseigner, lui répondit en disant : « Si tu connaissais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire ! C'est toi qui lui aurais demandé (à boire), et il t'aurait donné de l'eau vive. » La femme lui rappela qu'il n'avait pas de seau, ni de corde pour la retirer du puits profond et l'interrogea en outre sur ce qu'il voulait dire, ajoutant : « Es-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et qui en a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses troupeaux ? »
 
Jésus découvrit dans les paroles de la femme un esprit semblable à celui avec lequel le savant Nicodème avait reçu ses enseignements ; il leur était impossible à l'un comme à l'autre de saisir la leçon spirituelle qu'il voulait donner. Il lui expliqua que l'eau du puits n'aurait qu'un avantage temporaire ; celui qui en buvait aurait de nouveau soif ; « mais, ajouta-t-il, celui qui boira de l'eau que je lui donnerai, n'aura jamais soif, et l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d'eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle ». L'intérêt de la femme fut vivement éveillé, que ce fût par curiosité ou par une émotion plus profonde, car c'est elle maintenant qui lui fit la demande, et, lui donnant un titre de respect, dit : « Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n'aie plus soif et que je ne vienne plus puiser ici. » Elle ne pouvait rien voir au-delà des avantages matériels que pourrait donner une eau qui apaiserait la soif une fois pour toutes. Le résultat de la boisson qu'elle avait à l'esprit serait de lui donner une immunité contre un besoin corporel et de lui épargner le travail de venir tirer de l'eau du puits.
 
Le sujet de la conversation fut brusquement changé lorsque Jésus lui dit d'aller appeler son mari et de revenir. Quand elle lui répondit qu'elle n'avait pas de mari, Jésus lui révéla son pouvoir surhumain de discernement en disant qu'elle avait dit la vérité, étant donné qu'elle avait eu cinq maris, tandis que l'homme avec lequel elle vivait alors n'était pas son mari. Il est certain qu'aucun être ordinaire n'aurait pu lire ainsi l'histoire déplaisante de sa vie ; elle confessa impulsivement sa conviction, disant : « Seigneur, je vois que tu es prophète. » Elle voulait détourner la conversation et, indiquant le mont Guérizim, sur lequel le prêtre sacrilège Manassé avait érigé un temple samaritain, elle fit une réflexion qui avait peu de rapport avec ce qui avait été dit précédemment : « Nos pères ont adoré sur cette montagne ; et vous dites, vous, que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. » Jésus répliqua dans une veine encore plus profonde, lui disant que le moment était proche où ce ne serait ni cette montagne, ni Jérusalem qui seraient le lieu du culte par excellence ; et il lui reprocha clairement de penser que les croyances traditionnelles des Samaritains étaient aussi bonnes que celles des Juifs ; car, dit-il : « Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. » Aussi changée et corrompue que la religion juive fût devenue, elle était meilleure que celle des Samaritains ; car les Juifs acceptaient les prophètes, et c'était de Juda que le Messie était venu. Mais, comme Jésus le lui expliqua, le lieu du culte était moins important que l'esprit de l'adorateur. « Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité. »
 
Ne pouvant pas ou ne voulant pas comprendre ce que le Christ voulait dire, la femme chercha à mettre fin à la leçon par une réflexion qui, pour elle, n'était probablement que faite en passant : « Je sais que le Messie vient - celui qu'on appelle Christ. Quand il sera venu, il nous annoncera tout. » Alors, à son profond étonnement, Jésus lui répondit par la déclaration terrible : « Je le suis, moi qui te parle. » Le langage était sans équivoque, l'affirmation ne demandait aucune interprétation. La femme devait le considérer dorénavant soit comme un imposteur, soit comme le Messie. Elle laissa sa cruche au puits et, se hâtant de retourner à la ville, parla de son expérience, disant : « Venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait ; ne serait-ce pas le Christ ? »
 
Vers la fin de l'entretien entre Jésus et la femme, les disciples arrivèrent avec les provisions qu'ils étaient allés chercher. Ils s'étonnèrent de trouver le Maître en conversation avec une femme, et une Samaritaine qui plus est ; et cependant aucun d'eux ne lui demanda d'explications. Son attitude dut leur faire sentir que l'événement était grave et solennel, Lorsqu'ils l'exhortèrent à manger, il dit : « J'ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas. » Pour eux, ces paroles n'avaient aucun sens au-delà du sens littéral, et ils se demandèrent entre eux si quelqu'un lui avait apporté de la nourriture au cours de leur absence ; mais il les éclaira de cette manière : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son oeuvre. »
 
Une foule de Samaritains apparut venant de la ville. Levant les yeux sur eux et sur les champs de blé voisins, Jésus poursuivit : « Ne dites-vous pas qu'il y a encore quatre mois jusqu'à la moisson ? Eh bien ! je vous le dis, levez les yeux et regardez les champs qui sont déjà blancs pour la moisson. » La portée de cette parole semble être que bien que des mois dussent se passer avant que le blé et le seigle ne fussent prêts pour la faucille, la moisson des âmes, représentées par la foule qui s'approchait, était alors même prête, et que les disciples pouvaient récolter ce qu'il avait semé, pour leur profit inestimable, puisqu'ils auraient un salaire pour leur travail et rassembleraient les fruits d'un travail fait par quelqu'un d'autre qu'eux.
 
Un grand nombre de Samaritains crurent au Christ, d'abord par la force du témoignage de la femme, puis à cause de leur propre conviction ; et ils dirent à la femme à l'instigation de qui ils étaient tout d'abord allés le trouver : « Ce n'est plus à cause de tes dires que nous croyons ; car nous l'avons entendu nous-mêmes, et nous savons que c'est vraiment lui le Sauveur du monde. » Il accéda gracieusement à leur désir de le voir rester et demeura deux jours avec eux. Il ne fait aucun doute que Jésus n'éprouvait pas le préjugé national que les Juifs avaient pour les Samaritains ; une âme honnête était acceptable pour lui d'où qu'elle vint. Il est probable que la semence qui fut plantée au cours de ce bref séjour de notre Seigneur parmi le peuple méprisé de Samarie fut celle dont une moisson si riche fut récoltée par les apôtres dans les années ultérieur [5].
 
JÉSUS RETOURNE EN GALILÉE : À CANA ET À NAZARETH
 
Après les deux jours de séjour parmi les Samaritains, Jésus, accompagné des disciples qui avaient voyagé avec lui depuis la Judée, reprit le voyage en direction du nord, en Galilée, province qu'il avait quittée depuis plusieurs mois. Se rendant compte que le peuple de Nazareth, ville dans laquelle il avait été élevé, aurait probablement mauvais gré à le reconnaître comme quelque chose d'autre que le charpentier, ou, comme il le déclara, sachant qu'un « prophète n'est pas honoré dans sa propre patrie » [6], il se rendit tout d'abord à Cana. Le peuple de cette région, et de fait, les Galiléens en général, le reçurent avec plaisir ; en effet beaucoup d'entre eux avaient assisté à la dernière Pâque et avaient probablement été personnellement témoins des miracles qu'il avait accomplis en Judée. Tandis qu'il était à Cana, il reçut la visite d'un noble, probablement un fonctionnaire important de la province, qui le supplia de se rendre à Capernaüm et de guérir son fils, qui était sur le point de mourir. Voulant probablement montrer à l'homme l'état véritable de son esprit, car nous ne pouvons douter que Jésus pouvait lire ses pensées, notre Seigneur lui dit : « Si vous ne voyez des miracles et des prodiges, vous ne croirez donc point [7] ! » Comme nous l'avons déjà remarqué dans des exemples antérieurs, en particulier lorsque Jésus refusa de se confier à ceux qui se prétendaient croyants à Jérusalem et dont la foi reposait uniquement sur leur étonnement des choses qu'il faisait [8], notre Seigneur ne voulait pas considérer les miracles, même ceux qu'il accomplissait, comme un fondement suffisant et sûr de la foi. Le noble suppliant, angoissé de l'état précaire de son fils, ne se vexa nullement de la réprimande qu'un esprit chicaneur aurait pu déceler dans la réponse du Seigneur ; avec une humilité sincère qui montrait sa foi que Jésus pouvait guérir l'enfant, il renouvela sa supplique avec insistance : « Seigneur, descends avant que mon petit enfant ne meure. »
 
Il est probable que l'homme n'avait jamais réfléchi aux moyens ou aux processus directs par lesquels les paroles d'un être quelconque pouvaient détourner la mort et assurer la guérison ; mais dans son cœur il croyait à la puissance du Christ et supplia notre Seigneur avec une ferveur pathétique d'intervenir en faveur de son fils mourant. Il semblait considérer comme nécessaire que le Guérisseur fût présent, et sa grande crainte était que le garçon ne vécût point jusqu'à ce que Jésus fût arrivé. « Va, ton fils vit. Cet homme crut à la parole que Jésus lui avait dite et il s'en alla. » La sincérité de la confiance de l'homme se révèle dans le fait qu'il accepta avec reconnaissance l'assurance du Seigneur et dans le contentement qu'il manifesta immédiatement. Capernaüm, où son fils se trouvait, était à environ trente kilomètres de là ; s'il avait encore été soucieux et sceptique, il aurait probablement essayé de retourner chez lui le jour même, car il était une heure de l'après-midi lorsque Jésus prononça les paroles qui lui avaient procuré un tel soulagement ; mais il retourna à l'aise, car le lendemain il était encore en route et rencontra certains de ses serviteurs qui avaient été envoyés pour le réjouir de la bonne nouvelle que son fils était guéri. Il demanda quand le garçon avait commencé à se sentir mieux, et on lui répondit que la fièvre l'avait quitté à la septième heure de la veille. C'était le moment où le Christ avait dit : « Ton fils vit. » La croyance de l'homme mûrit rapidement, et lui et sa maison acceptèrent l'Évangile [9]. C'est le deuxième miracle que Jésus accomplit à Cana, bien que dans ce cas, le sujet béni se trouvât à Capernaüm.
 
La réputation de notre Seigneur se répandit dans toute la région alentour. Pendant une période qui n'est pas précisée, il enseigna dans les synagogues des villes et fut reçu avec faveur, étant « glorifié par tous » [10]. Il retourna ensuite à Nazareth, son ancienne demeure et, comme c'était sa coutume, assista au service de la synagogue le jour du sabbat. Enfant et jeune homme, il s'était assis de nombreuses fois dans cette maison de culte, écoutant la lecture de la loi et des prophètes et les commentaires ou targoums [11] qui s'y rapportaient, prononcés par des lecteurs désignés ; mais maintenant, instructeur reconnu d'âge légal, il avait le droit de prendre la place du lecteur. En cette occasion, il se leva pour lire, lorsque le service fut parvenu au stade auquel des extraits des livres prophétiques devaient être lus à l'assemblée. L'officiant lui donna le rouleau ou livre d'Ésaïe ; il l'ouvrit à la partie que nous connaissons comme le début du soixante et unième chapitre et lut : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a oint [pour guérir ceux qui ont le cœur brisé ;] pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres ; il m'a envoyé pour proclamer aux captifs la délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue, pour renvoyer libres les opprimés, pour proclamer une année de grâce du Seigneur » [12]. Tendant le livre à l'officiant, il s'assit. Il était permis au lecteur, lors du service de la synagogue juive, de faire des commentaires pour expliquer ce qui avait été lu ; mais pour ce faire il devait s'asseoir. Lorsque Jésus s'assit, le peuple sut qu'il était sur le point d'expliquer le texte, et « Les yeux de tous, dans la synagogue, étaient fixés sur lui ». L'Écriture qu'il avait citée, toutes les classes reconnaissaient qu'elle faisait tout particulièrement allusion au Messie dont la nation attendait la venue. La première phrase du commentaire de notre Seigneur fut stupéfiante ; elle ne contenait aucune analyse laborieuse, aucune interprétation scolastique, mais une application directe et sans ambiguïté : « Aujourd'hui cette (parole de l')Écriture que vous venez d'entendre, est accomplie. » Il y avait une telle grâce dans ses paroles que tous s'étonnèrent, et dirent : « N'est-ce pas le fils de Joseph [13] ? »
 
Jésus connaissait leurs pensées, même s'il n'entendait pas leurs paroles et, prévenant leurs critiques, il dit : « Certainement, vous me citerez ce proverbe : Médecin, guéris-toi toi-même ; tout ce qui s'est produit à Capernaüm et que nous avons appris, fais-le ici dans ta patrie. Il leur dit encore : En vérité, en vérité, je vous le dis, aucun prophète n'est bien reçu dans sa patrie. » Dans son cœur, le peuple était vivement désireux de voir un signe, un prodige, un miracle. Il savait que Jésus en avait accompli à Cana et qu'un garçon de Capernaüm avait été guéri par sa parole ; à Jérusalem également, il avait étonné le peuple de ses œuvres puissantes. Allaient-ils, eux, ses concitoyens, être négligés ? Pourquoi ne leur faisait-il pas une démonstration amusante de ses pouvoirs ? Il poursuivit son discours, leur rappelant que du temps d'Élie où, pendant trois ans et demi, il n'avait pas plu et où la famine avait régné, le prophète avait été envoyé à une seulement des nombreuses veuves, et ce, à une femme de Sarepta, à Sidon, une Gentile qui n'était pas une fille d'Israël. Et encore, bien qu'il y eût beaucoup de lépreux en Israël du temps d'Élisée, un seul lépreux, et ce, un Syrien, pas un Israélite, avait été purifié par le ministère du prophète, car Naaman seul avait manifesté la foi requise.
 
Alors leur colère fut grande. Osait-il les classer parmi les Gentils et les lépreux ? Allaient-ils se laisser comparer à des infidèles méprisés, et cela par le fils du charpentier du village, qui avait grandi depuis son enfance dans leur communauté ? En proie à une rage diabolique, ils saisirent le Seigneur et l'emmenèrent au sommet de la colline sur le versant de laquelle la ville était construite, décidés à venger leur amour-propre blessé en le précipitant du haut des falaises rocheuses. C'est ainsi que dès le début de son ministère, les forces de l'opposition atteignirent une intensité meurtrière. Mais le moment n'était pas encore venu pour le Seigneur de mourir. La foule furieuse fut impuissante à faire un pas de plus que leur victime ne voulait lui permettre. « Mais lui, passant au milieu d'eux, s'en alla. » Nous ne savons pas s'ils furent paralysés par la grâce de sa présence, réduits au silence par la puissance de ses paroles ou arrêtés par une intervention encore plus effrayante. Il quitta les Nazaréens incrédules, et dorénavant Nazareth ne fut plus sa demeure.
 
À CAPERNAÜM
 
Jésus se dirigea vers Capernaüm [14], qui devint presque son lieu de résidence en Galilée. C'est là qu'il enseigna, surtout le jour du sabbat ; et le peuple était étonné de sa doctrine, car il parlait avec autorité et puissance [15]. Dans la synagogue, lors d'une de ces occasions, il y avait un homme qui était possédé et sujet aux ravages de l'esprit mauvais ou, comme le texte le déclare d'une manière si frappante, qui « avait un esprit de démon impur ». Il est significatif que cet esprit mauvais, qui avait acquis un tel pouvoir sur cet homme, qui contrôlait ses actions et ses paroles, fut terrifié devant notre Seigneur et s'écria d'une voix forte, quoique suppliante : « Hé ! que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Tu es venu nous perdre. Je sais qui tu es : le Saint de Dieu. » Jésus réprimanda l'esprit impur, lui commandant de se taire et de quitter l'homme ; le démon obéit au Maître, et après avoir jeté sa victime dans un paroxysme violent bien qu'inoffensif, il le quitta. Devant ce miracle, les témoins s'étonnèrent encore plus et s'exclamèrent : « Quelle est cette parole ? Il commande avec autorité et puissance aux esprits impurs, et ils sortent ! Et sa renommée se répandait dans toute la région » [16]. Le soir du même jour, lorsque le soleil se fut couché, et par conséquent lorsque le sabbat fut terminé [17] le peuple s'attroupa autour de lui, amenant amis et parents affligés ; Jésus les guérit de leurs maladies diverses, corporelles et mentales. Parmi ceux qui étaient ainsi soulagés il y en avait beaucoup qui avaient été possédés de démons, et ceux-ci s'écrièrent, forcés de témoigner de l'autorité divine du Maître : « Tu es le Fils de Dieu » [18]. 
 
En ces occasions comme en d'autres, nous voyons des esprits mauvais exprimer par la bouche de leurs victimes leur connaissance que Jésus était le Christ ; et dans tous ces cas le Seigneur, d'un mot, leur imposa silence ; car il ne voulait pas qu'un témoignage tel que le leur attestât de sa divinité. Ces esprits faisaient partie de la suite du diable, membres des armées rebelles et battues qui avaient été précipitées par la puissance de l'être même dont ils reconnaissaient maintenant l'autorité et la puissance dans leur frénésie démoniaque. Avec Satan lui-même, leur chef vaincu, ils restaient désincarnés, car les droits du deuxième état ou état mortel leur avaient été refusés à tous [19] ; leur souvenir des événements qui avaient culminé dans leur expulsion du ciel était ravivé par la présence du Christ, bien qu'il se trouvât dans un corps de chair.
 
Beaucoup d'auteurs modernes ont essayé d'expliquer le phénomène de la possession par les démons ; outre ceux-ci il ne manque pas de gens pour nier la possibilité qu'une victime puisse être véritablement dominée par des personnages d'esprit. Cependant les Écritures montrent clairement le contraire. Notre Seigneur fit la distinction entre cette forme d'affliction et la maladie corporelle simple dans ses instructions aux Douze : « Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons » [20]. Dans le récit des incidents que nous examinons maintenant, Marc l'évangéliste fait la même distinction, comme suit : « On lui amena tous les malades et les démoniaques. » Dans plusieurs cas, le Christ, en réprimandant des démons, leur parla comme à des individus distincts de l'être humain affligé [21], et à l'une de ces occasions, il commanda au démon : « Sors de cet enfant et n'y rentre plus » [22].
 
Dans ce domaine comme dans les autres, l'explication la plus simple est la vérité qui s'y rapporte ; les théories basées sur des fondations autres que scripturaires sont instables. Le Christ associait clairement les démons avec Satan. Il le fit surtout dans son commentaire sur le rapport des soixante-dix à qui il donna autorité et qu'il envoya, et qui témoignèrent avec joie lors de leur retour que même les démons leur avaient été soumis en son nom. À ces serviteurs fidèles, il dit : « Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair » [23]. Les démons qui prennent possession des hommes, paralysant leur libre arbitre et les forçant à obéir aux ordres sataniques, sont les anges non incarnés du diable, dont le triomphe est d'affliger les mortels, et si possible de les obliger à pécher. Pour s'acquérir le plaisir transitoire de posséder un corps de chair, ces démons sont avides d'entrer même dans les corps d'animaux [24].
 
Il se peut que ce soit dans l'intervalle entre la réprimande de l'esprit mauvais de la synagogue et les miracles de guérison et d'exorcisation le soir de ce jour de sabbat, que Jésus se rendit à la maison de Simon, qu'il avait nommé précédemment Pierre, et trouva la belle-mère de son disciple, malade de la fièvre. Accédant à la requête de la foi, il réprimanda la maladie ; la femme fut immédiatement guérie, se leva de son lit et offrit l'hospitalité de son foyer à Jésus et à ceux qui étaient avec lui [25].
 
 [1] Note 1, fin du chapitre.
 [2] Jn 8:48.
 [3] Jn 4:4 ; on trouvera les incidents qui suivent aux versets 5-43.
 [4] Note 2, fin du chapitre.
 [5] Ac 8:5, 9:31,15:3.
 [6] Jn 4:44 ; cf. Mt 13:57 ; Mc 6:4 ; Lc 4:24.
 [7] Jn 4:48 ; lire versets 46-54.
 [8] Jn 2:23,24.
 [9] Note 3, fin du chapitre.
 [10] Lc 4:14,15 ; lire versets 16-32.
 [11] Note 4, fin du chapitre.
 [12] Lc 4:18,19 ; cf. Es 61:1,2.
 [13] Lc 4:22 ; cf. Mt 13:55-57 ; Mc 6:3 ; Jn 6:42.
 [14] Note 5, fin du chapitre.
 [15] Lc 4:32 ; cf. Mt 7:28,29, 13:54 ; Mc 1:22.
 [16] Lc 4:33-37 et Mc 1:23-28. Note 6, fin du chapitre.
 [17] Le sabbat des Juifs commençait le vendredi au coucher du soleil et prenait fin au crépuscule du samedi.
 [18] Lc 4-41 ; cf. Mc 1:34, 3:11,12, 5:1-18 ; Mt 8:28-34.
 [19] Chap. 2.
 [20] Mt 10:8 ; voir verset 1 ; cf. 4:24 ; Mc 1:32,16:17,18 ; Lc 9:1.
 [21] Mt 8:32 ; Mc 1:25 ; Lc 4:35.
 [22] Mc 9:25.
 [23] Lc 10:17,18 ; cf. Ap 12:7-9.
 [24] Mt 8:29-33 ; Mc 5:11-14 ; Lc 8:32-34.
 [25] Mt 8:14,15 ; Mc 1:29-31 ; Lc 4:38,39.
 
NOTES DU CHAPITRE 13
 
1. Animosité entre Juifs et Samaritains : Lorsque l'on étudie les Samaritains, on doit se rappeler qu'une certaine ville et la région ou province dans laquelle elle se trouvait s'appelaient toutes deux Samarie. Les faits principaux relatifs à l'origine des Samaritains et à l'explication de l'animosité mutuelle qui existait entre ce peuple et les Juifs à l'époque du Christ ont été admirablement résumés par Geikie (Life and Words of Christ, vol. 1, p. 495,6). Omettant les autorités auxquelles il se réfère, nous le citons : « Après la déportation des dix tribus en Assyrie, la Samarie avait été repeuplée par des colons païens provenant de diverses provinces de l'empire assyrien, par des gens qui avaient fui les autorités de la Judée, et par les retardataires de l'une ou l'autre des dix tribus, qui retournèrent chez eux. Les premiers colons païens, terrifiés de la prolifération des animaux sauvages, surtout des lions, et attribuant ce fait à ce qu'ils ne connaissaient pas le culte véritable du Dieu de la région, se firent envoyer l'un des prêtres exilés et, suivant ses instructions, ajoutèrent le culte de Jéhovah à celui de leurs idoles - incident de leur histoire dont les juifs allaient se servir plus tard dans leur haine et leur dérision lorsqu'ils voulaient les railler, les traitant de « prosélytes des lions », à cause de leur origine assyrienne, en les appelant Cuthites. Mais en fin de compte, ils devinrent encore plus rigidement attachés à la loi de Moïse que les Juifs eux-mêmes. Vivement désireux d'être reconnus comme Israélites, ils mirent tous leurs efforts à s'unir aux deux tribus, lorsque celles-ci revinrent de captivité, mais le puritanisme sévère d'Esdras et de Néhémie n'admettait aucune alliance entre le sang pur de Jérusalem et la race ternie du nord. Il était naturel que cet affront provoquât du ressentiment et que celui-ci en retour excitât de la rancune, au point que, à l'époque du Christ, des siècles de lutte et d'offenses mutuelles, intensifiées par la haine théologique des deux partis, en eussent fait des ennemis implacables. Les Samaritains avaient construit un temple sur le mont Guérizim pour rivaliser avec celui de Jérusalem, mais il avait été détruit par Jean Hyrcan, qui avait également rasé Samarie. Ils prétendaient que leur montagne était plus sainte que le mont Moriah, accusaient les Juifs d'ajouter à la parole de Dieu en recevant les écrits des prophètes et s'enorgueillissaient de ne reconnaître que le Pentateuque comme inspiré, favorisaient Hérode parce que les Juifs le haïssaient, et lui étaient loyaux ainsi qu'aux Romains également haïs, avaient allumé des lumières sur les collines pour tromper le calcul juif des nouvelles lunes et mettre ainsi la confusion dans leurs fêtes, et, dans la prime jeunesse de Jésus, étaient allés jusqu'à souiller le temple lui-même, en y semant des ossements humains lors de la Pâque.
 
« Les Juifs leur vouaient une haine égale. Pour eux les Samaritains n'étaient que des Cuthites, ou païens de Cuth. ‘La race que je hais n'est pas une race’, dit le fils de Sirach. On prétendait qu'un peuple qui avait adoré autrefois cinq dieux ne pouvait rien avoir de commun avec Jéhovah. On se moquait avec mépris de la prétention des Samaritains que Moïse aurait enseveli le Tabernacle et ses vases au sommet de Guérizim. On disait que sous Antiochus Epiphane, ils avaient consacré leur temple au Jupiter grec. On ne niait pas qu'ils gardaient les commandements de Moïse plus strictement encore que les Juifs, afin de paraître être réellement d'Israël ; mais leur paganisme, disait-on, avait été prouvé par la découverte d'une colombe d'airain, qu'ils adoraient, au sommet de Guérizim. En outre ils se vantaient de ce que Hérode était leur bon roi qui avait épousé une fille de leur peuple ; que, dans leur pays, il avait pu librement suivre ses goûts romains, tant haïs en Judée ; ils étaient restés tranquilles après sa mort, lorsque la Judée et la Galilée étaient en révolte, et à cause de leur pacifisme, le quart de leurs taxes leur avait été remis et ajouté aux fardeaux de la Judée. Leur amitié vis-à-vis des Romains était une provocation supplémentaire. Alors que les Juifs ne se tenaient tranquilles que sous l'effet de la sévérité la plus rigoureuse et s'efforçaient par tous les moyens de s'opposer à l'introduction de tout ce qui était étranger, les Samaritains se réjouissaient de l'importance nouvelle que leur loyauté à l'empire leur avait donnée. Sichem était florissante : c'était tout près, à Césarée, que le procurateur avait sa cour. Une division de cavalerie, dans une caserne à Sébaste - la vieille Samarie - avait été levée dans le territoire. Les étrangers romains étaient plus que bienvenus à passer l'été dans leurs vallées ombragées.
 
« La haine sans bornes qui venait de tant de sources trouvait son expression dans la tradition selon laquelle une malédiction spéciale avait été prononcée contre les Samaritains par Esdras, Zorobabel et Josué. On disait que ces grands personnages avaient réuni toute l'assemblée d'Israël dans le temple, et que trois cents prêtres, avec trois cents trompettes et trois cents livres de la Loi, et trois cents docteurs de la Loi avaient été employés à répéter, au milieu du cérémonial le plus solennel, toutes les malédictions de la Loi contre les Samaritains. Ils avaient été soumis à toutes les formes d'excommunication, par le nom incommunicable de Jéhovah, par les tables de la Loi, et par les synagogues célestes et terrestres. Le nom même devint un reproche. « Nous savons que tu es un Samaritain et que tu as un démon », dirent les Juifs à Jésus à Jérusalem... Un oeuf samaritain, tel que la poule le pondait, ne pouvait être impur, mais un oeuf bouilli ? Cependant quand l'intérêt et la convenance étaient en cause, on s'efforçait, par une casuistique subtile, d'inventer des excuses pour les relations qui étaient inévitables. Le pays des Cuthites était pur, de sorte qu'un Juif pouvait, sans scrupule, en récolter et en manger le produit. Les eaux de Samarie étaient pures, de sorte qu'un Juif pouvait les boire et s'y laver. Leurs demeures étaient pures, de sorte qu'ils pouvaient y entrer et manger ou y loger. Leurs routes étaient pures, de sorte que la poussière qui s'en élevait ne souillait pas les pieds des Juifs. Dans leurs paroles contradictoires, les rabbis allaient jusqu'à dire que les aliments des Cuthites étaient permis si on n'y mêlait aucun de leurs vins ou de leurs vinaigres, et même leur pain sans levain était considéré comme pouvant être utilisé à la Pâque. Les opinions étaient ainsi incertaines, mais en règle générale, des sentiments assez durs régnaient. »
 
Frankl et d'autres affirment que le sentiment d'hostilité s'est poursuivi jusqu'aujourd'hui, du moins de la part des Juifs. Ainsi, comme le cite Farrar (p. 166 notes) : « Êtes-vous Juif ? » demanda Salameh Cohen, le grand prêtre samaritain, au Dr Frankl ; « Et vous venez nous trouver, nous, des Samaritains, qui sommes méprisés des Juifs ? » (Jews in the East, 11, 329). Il ajouta qu'ils étaient disposés à vivre en amitié avec les Juifs, mais que les Juifs évitaient toutes relations avec eux. Peu après, visitant des Juifs Sépharadiques de Nablus, le Dr Frankl demanda à un membre de cette confession, « s'il avait eu des rapports quelconques avec les Samaritains ? » Les femmes reculèrent avec un cri d'horreur, et l'une d'entre elles dit : « Avez-vous été parmi les adorateurs des pigeons ? » Je dis que oui. Les femmes reculèrent de nouveau avec la même expression de répugnance, et l'une d'entre elles dit : « Prenez un bain purificateur ! » (Idem, p. 334). Le chanoine Farrar ajoute : « J'eus le plaisir de passer un jour parmi les Samaritains campés sur le mont Guérizim, pendant leur Pâque annuelle, et je ne pus voir dans leurs habitudes, ni dans leur caractère apparent, aucune cause justifiant toute cette horreur et toute cette haine. »
 
2. Sychar : La ville où demeurait la Samaritaine avec qui Jésus conversa au puits de Jacob est appelée Sychar dans Jean 4:5 ; ce nom ne se retrouve nulle part ailleurs dans la Bible. On a essayé d'identifier ce lieu avec Sichem, ville chère au cœur juif à cause de son rôle important dans la vie des anciens patriarches. Toutefois, actuellement, on admet en général que Sychar était un petit village situé sur l'emplacement de l'Askar actuelle, qui est, dit Zénos, « un village avec une source et quelques tombes antiques taillées dans le roc, situé à un kilomètre environ au nord du puits de Jacob ».
 
3. Le noble de Capemaüm : Le nom du noble dont le fils fut guéri par la parole de Jésus n'est pas donné. On a essayé de l'identifier avec Chuza, intendant d'Hérode Antipas, mais cette théorie se base sur une tradition incertaine. La famille du noble accepta les enseignements du Christ, « Jeanne, femme de Chuza, intendant d'Hérode » (Lc 8:3) se trouvait parmi les femmes reconnaissantes et honorables qui avaient reçu le ministère guérisseur de notre Seigneur et qui donnèrent de leurs biens pour l'avancement de son oeuvre. Il ne faut pas confondre une tradition non confirmée avec l'histoire authentique.
 
4. Les targoums : Les targoums sont d'antiques paraphrases juives sur les Écritures, qui étaient données dans les synagogues dans la langue du commun. Du temps du Christ, la langue parlée par les Juifs n'était pas l'hébreu mais un dialecte araméen. Edersheim déclare que l'hébreu pur était la langue des savants et de la synagogue, et que les lectures de passages de l'Écriture faites au public, devaient être données par un interprète. « En effet, dit-il, dans les temps les plus reculés, il était interdit au methourgeman [interprète] de lire sa traduction ou d'écrire un targoum, de peur que la paraphrase n'en soit considérée comme ayant une autorité égale à l'original. » L'usage de targoums écrits était « sanctionné par l'autorité avant la fin du deuxième siècle après Jésus-Christ. C'est l'origine de nos deux plus anciens targoumim existants - celui d'Onkelos (comme on l'appelle) sur le Pentateuque et celui des Prophètes, attribué à Jonathan, le fils d'Uzziel. Bien sûr ces noms ne représentent pas exactement les auteurs des targoumim les plus anciens, que l'on peut à bon droit considérer comme des révisions ultérieures et autorisées de ce qui avait existé précédemment sous une forme ou sous une autre. Mais bien que ces œuvres aient leur origine en Palestine, il est à remarquer que dans la forme sous laquelle nous les possédons actuellement, ils sont le produit des écoles de Babylone » (Life and Times of Jesus the Messiah, vol. 1, p. 10,11).
 
5. Capernaüm : « Le nom Capernaüm signifie, selon certaines autorités, ‘le village de Nahum’, et selon d'autres, ‘le village de la Consolation’. En suivant l'histoire de Jésus, nous allons découvrir que beaucoup de ses grandes oeuvres furent accomplies, et beaucoup de ses paroles les plus importantes prononcées à Capernaüm. L'infidélité des habitants, après tous les discours et toutes les oeuvres merveilleuses qu'il avait faites parmi eux, poussa Jésus à dire : « Et toi, Capernaüm, seras-tu élevée jusqu'au ciel ! non, tu seras abaissée jusqu'au séjour des morts » (Mt 11:23). Cette prédiction s'est accomplie si totalement qu'il ne reste aucune trace de la ville, et que l'emplacement même qu'elle occupe est maintenant matière à discussion, car il n'y a même aucune tradition ecclésiastique sur ce lieu. Actuellement, deux endroits s'en réclament, chacun avançant des arguments de probabilité tels que cela fait de la question tout entière le point le plus difficile de la topographie sacrée... Nous ne pourrons probablement jamais connaître le fait exact. Jésus la condamna à entrer dans l'oubli, et elle y repose. Nous nous contenterons des allusions qu'y fait le Nouveau Testament en parlant de l'œuvre de Jésus.
 
« Nous apprenons que c'est quelque part sur le territoire de Zabulon et de Nephtali, sur la rive occidentale de la mer de Galilée (comparer Mt 4:13 avec Jn 6:24). C'est près ou dans ‘le pays de Génésareth’ (comparer Mt 14:34 avec Jn 6:17,20,24), plaine de cinq kilomètres de long sur un kilomètre et demi de large environ, dont Josèphe nous a dit que c'était l'une des régions les plus prospères et les plus populeuses de Palestine. Il se trouvait probablement sur la grand-route menant de Damas vers le sud, par ‘la contrée voisine de la mer’ (Mt 4:15). C'était grande sagesse que de choisir ce lieu pour commencer un grand ministère public. Il s'y pressait une population affairée. La richesse extrême de la magnifique plaine de Génésareth nourrissait la masse des habitants qu'elle attirait. Josèphe (B. J., III, 10:8) donne une description enthousiaste de ce pays » - Deems, Light of the Nations, p. 167,168.
 
6. La connaissance n'assure pas le salut : « Jacques autrefois réprimanda ses frères pour certaines professions creuses (Jacques 2:19). Il dit en substance : Vous tirez de l'orgueil et de la satisfaction à déclarer votre foi en Dieu ; vous vous vantez de vous distinguer des idolâtres et des païens parce que vous acceptez un seul Dieu ; vous faites bien de professer cela, et de le croire ; mais souvenez-vous que d'autres font de même : les démons eux-mêmes croient, et, pouvons-nous ajouter, si fermement qu'ils tremblent à la pensée du sort que cette foi rend certaine. Ces confessions des démons que le Christ était le Fils de Dieu étaient fondées sur la connaissance ; cependant leur connaissance de la grande vérité ne changeait pas leur nature mauvaise. Combien différent était leur témoignage du Sauveur de celui de Pierre qui, à la question du Maître : ‘Qui dites-vous que je suis ?’ répondit, utilisant pratiquement les termes employés par les esprits impurs cités plus haut : (Tu es le Christ, le Fils de Dieu vivant) (Mt 16:15,16, voir aussi Mc 8:29, Lc 9:20). La foi de Pierre avait déjà montré sa force vivante. Elle l'avait poussé à abandonner beaucoup de choses qui lui étaient chères, à suivre le Seigneur dans les persécutions et les souffrances et à abandonner la profanité avec toutes ses fascinations pour la sainteté désintéressée que sa foi rendait si désirable. Il ne savait probablement pas plus que les esprits impurs que Dieu était le Père ou que le Fils était le Rédempteur, mais alors que cette connaissance n'était pour eux qu'une cause supplémentaire de condamnation, pour lui, c'était un moyen de salut » (Abrégé des Articles de Foi, p. 123-127).
 
 
CHAPITRE 14 : SUITE DU MINISTÈRE DE NOTRE SEIGNEUR EN GALILÉE
 
UN LÉPREUX PURIFIÉ
 
Le lendemain de ce sabbat mouvementé à Capernaüm, notre Seigneur se leva « dès que le jour parut » et partit en quête de solitude au-delà de la ville. Dans un lieu solitaire il se livra à la prière, démontrant ainsi que, bien qu'il fût le Messie, il était profondément conscient qu'il dépendait du Père dont il était venu accomplir l'œuvre. Simon Pierre et d'autres disciples trouvèrent le lieu où il s'était retiré et lui dirent que des foules impatientes le cherchaient. Bientôt les gens s'assemblèrent autour de lui et le supplièrent de rester avec eux ; mais « il faut aussi que j'annonce aux autres villes la bonne nouvelle du royaume de Dieu ; car c'est pour cela que j'ai été envoyé » [1]. Et aux disciples il dit : « Allons ailleurs, dans les bourgades voisines, afin que j'y prêche aussi ; car c'est pour cela que je suis sorti [2] ». Il partit de là, accompagné de quelques-uns qu'il s'était déjà étroitement associés, et exerça son ministère dans un grand nombre de villes de Galilée, prêchant dans les synagogues, guérissant les malades et chassant les démons.
 
Parmi les affligés qui cherchaient l'aide que lui seul pouvait donner, se présenta un lépreux [3], qui s'agenouilla devant lui ou se prosterna le visage contre terre et professa humblement sa foi, disant : « Si tu le veux, tu peux me rendre pur. » La prière exprimée par les paroles de ce pauvre homme était pathétique ; la confiance qu'il manifesta est édifiante. La question qu'il se posait n'était pas : Jésus peut-il me guérir ? mais : Voudra-t-il me guérir ? Avec une miséricorde compatissante, Jésus posa la main sur le malade, si impur qu'il fût cérémoniellement et physiquement, car la lèpre est une affliction répugnante, et nous savons que chez cet homme, la maladie était à un stade avancé, car on nous dit qu'il était « couvert de lèpre ». Le Seigneur dit alors : « Je le veux, sois pur. » Le lépreux fut immédiatement guéri. Jésus lui ordonna de se montrer au sacrificateur et de faire les offrandes prescrites par la loi de Moïse pour des cas comme le sien [4].
 
Dans cette instruction nous voyons que le Christ n'était pas venu détruire la loi, mais, comme il l'affirma à une autre époque, pour l'accomplir [5] ; et à ce stade de son oeuvre, l'accomplissement ne s'était pas encore tout à fait réalisé. En outre, si les exigences légales avaient été négligées dans une question aussi grave que la réintégration d'un paria lépreux dans la société de la communauté dont il avait été exclu, l'opposition sacerdotale, qui grandissait déjà et menaçait Jésus, en aurait été augmentée et il aurait pu en résulter des entraves supplémentaires à l'œuvre du Seigneur. L'homme devait obéir aux instructions du Maître sans aucun retard ; Jésus « le renvoya aussitôt avec de sévères recommandations ». En outre il ordonna explicitement à l'homme de ne parler à personne de la manière dont il avait été guéri. Il y avait peut-être de bonnes raisons de lui commander ainsi de se taire, en plus de l'attitude très générale de notre Seigneur qui était de refuser toute célébrité indésirable ; en effet, si la nouvelle du miracle avait précédé l'apparition de l'homme devant le prêtre, on aurait pu dresser des obstacles pour empêcher qu'il ne soit reconnu par les Lévites comme quelqu'un de pur. Cependant l'homme ne put garder la bonne parole pour lui-même mais s'en alla et « se mit à publier hautement la nouvelle et à la colporter, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville. Il se tenait dehors, dans les lieux déserts, et l'on venait à lui de toutes parts » [6].
 
GUÉRISON ET PARDON D'UN PARALYTIQUE
 
Il faut se souvenir qu'aucun des évangélistes n'essaie de donner l'histoire détaillée de tous les actes de Jésus et qu'ils ne relatent pas tous dans le même ordre les incidents auxquels ils associent les grandes leçons de l'enseignement du Maître. L'enchaînement réel des événements est très incertain.
 
« Quelques jours » après la guérison du lépreux, Jésus se trouvait de nouveau à Capernaüm. Les détails de ses préoccupations entre-temps au cours de cet intervalle ne sont pas donnés, mais nous pouvons être certains que son oeuvre se poursuivit, car son occupation caractéristique était d'aller partout faisant le bien [7]. Le lieu où il demeurait à Capernaüm était bien connu, et la rumeur se répandit bientôt qu'il était dans la maison [8]. Il se réunit une si grande foule qu'il n'y avait pas de place pour la recevoir ; même l'entrée était bondée de monde, et les retardataires ne pouvaient s'approcher du Maître. Jésus prêcha l'Évangile à tous ceux qui étaient à portée de voix. Un petit groupe de quatre personnes s'approcha de la maison, portant une civière ou un lit sur lequel était couché un homme affligé d'une sorte de paralysie qui privait le sujet de la capacité de se mouvoir volontairement, et ordinairement de parler ; l'homme était totalement désemparé. Ses amis, déçus de se voir incapables de parvenir jusqu'à Jésus à cause de la foule, eurent recours à un moyen peu ordinaire, qui prouvait d'une manière indubitable leur foi que le Seigneur pouvait réprimander et arrêter la maladie, et leur détermination d'obtenir de ses mains la bénédiction désirée.
 
Par un moyen quelconque, ils portèrent l'homme affligé jusqu'au toit plat de la maison, probablement par un escalier extérieur ou en se servant d'une échelle, peut-être en entrant dans une maison voisine, en montant l'escalier jusqu'à son toit et en passant de là sur la maison dans laquelle Jésus enseignait. Ils défoncèrent une partie du toit, pratiquant une ouverture ou agrandissant celle de la trappe dont étaient ordinairement pourvues les maisons de cet endroit et de cette époque ; et, à la surprise de la foule assemblée, ils descendirent alors le lit portatif sur lequel le paralytique était couché. Jésus fut profondément frappé de la foi et des œuvres [9] de ceux qui avaient ainsi travaillé pour placer devant lui un paralytique incapable de se mouvoir ; il connaissait indubitablement aussi la foi confiante qui habitait le patient ; et, regardant l'homme avec compassion, il dit : « Mon enfant, tes péchés te sont pardonnés. »
 
Parmi les gens qui étaient assemblés là, il y avait des scribes, des Pharisiens et des docteurs de la loi, non seulement des représentants de la synagogue locale mais également des gens qui étaient venus de villes éloignées de Galilée, et certains de Judée et même de Jérusalem. Les notables s'étaient opposés à notre Seigneur et à ses oeuvres précédemment, et leur présence dans la maison à ce moment-là annonçait de nouvelles critiques hostiles et peut-être de l'obstruction. Ils entendirent les paroles qui furent dites au paralytique et cela les mit en colère. Dans leur cœur, ils accusèrent Jésus de la terrible offense qu'est le blasphème, qui consiste essentiellement à attribuer à un pouvoir humain ou démoniaque les prérogatives de Dieu ou à déshonorer Dieu en lui supposant des qualités inférieures à celles de la perfection [10]. Ces savants incrédules, qui écrivaient et parlaient sans cesse sur la venue du Messie et le rejetaient cependant lorsqu'il était là, murmurèrent intérieurement, disant : « Qui peut pardonner les péchés, si ce n'est Dieu seul ? » Jésus connaissait leurs pensées les plus intimes [11] et y répondit en disant : « Pourquoi faites-vous de tels raisonnements dans vos cœurs ? Qu'est-ce qui est plus facile, de dire au paralytique : Tes péchés te sont pardonnés, ou de dire : Lève-toi, prends ton lit et marche ? » Et puis pour souligner et pour mettre hors de question le fait qu'il avait l'autorité divine, il ajouta : « Or, afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés : Je te l'ordonne, dit-il au paralytique, lève-toi, prends ton lit et va dans ta maison. » L'homme se leva, parfaitement guéri et, prenant le matelas sur lequel on l'avait apporté, sortit en leur présence. L'étonnement du peuple était mêlé de respect, et beaucoup glorifièrent Dieu de la puissance duquel ils étaient témoins.
 
Cet incident réclame une étude plus approfondie de notre part. Selon l'un des récits, les premières paroles du Seigneur au patient furent : « Prends courage mon enfant », suivies immédiatement de l'assurance réconfortante et pleine d'autorité : « Tes péchés te sont pardonnés » [12]. L'homme était probablement apeuré ; peut-être savait-il que sa maladie était le résultat des péchés auxquels il s'était livré ; néanmoins, en dépit du fait qu'il ait pu penser à la possibilité de n'entendre que condamner sa transgression, il eut la foi de se faire amener. Dans la situation de cet homme, il y avait clairement un lien étroit entre ses péchés passés et son affliction présente ; et à ce point de vue, son cas n'est pas unique, car nous lisons que le Christ en exhorta un autre, qu'il guérit, à ne plus pécher de peur que quelque chose de pire ne s'abattît sur lui [13]. Nous n'avons cependant pas le droit de supposer que toutes les infirmités corporelles sont le résultat du péché ; à pareille conception s'opposent les instructions et la réprimande que le Seigneur donna tout à la fois à ceux qui, dans le cas de l'aveugle-né, demandaient qui avait péché, de l'homme ou de ses parents, pour qu'une affliction aussi terrible s'abattît sur lui. À cette question, notre Seigneur répondit que la cécité de l'homme n'était due ni à ses propres péchés ni à ceux de ses parents [14].
 
Mais dans beaucoup de cas, la maladie est le résultat direct des péchés que l'intéressé a commis. Quelque grands qu'aient pu être les péchés passés de l'homme qui souffrait de paralysie, le Christ reconnut son repentir ainsi que la foi qui l'accompagnait, et le Seigneur avait à bon droit la prérogative de décider si l'homme était digne de recevoir la rémission de ses péchés et d'être soulagé de son affliction corporelle. La réponse interrogative de Jésus à la critique muette des scribes, des Pharisiens et des docteurs a été interprétée de nombreuses manières. Il demanda ce qui était le plus facile, de dire : « Tes péchés te sont pardonnés », ou de dire : « Lève-toi, prends ton lit et marche. » N'est-il pas raisonnable de dire que, étant prononcées avec autorité par lui, les deux expressions avaient un sens apparenté ? L'événement aurait dû être une démonstration suffisante pour tous ceux qui entendaient, que lui, le Fils de l'homme, prétendait au droit et à l'autorité de remettre les châtiments tant physiques que spirituels, de guérir le corps de maladies visibles et de purger l'esprit de la maladie non moins réelle du péché, et que ce droit, il l'avait. En présence de gens de toutes classes, Jésus affirmait ainsi ouvertement sa divinité et confirmait celle-ci par une manifestation miraculeuse de puissance.
 
L'accusation de blasphème que les critiques rabbiniques formulèrent dans leur esprit contre le Christ ne devait pas prendre fin comme une conception mentale à eux, ni ne devait être rendue nulle par les paroles ultérieures de notre Seigneur. C'est par le parjure qu'on finit par le condamner injustement et par l'envoyer à la mort [15]. Déjà, dans cette maison de Capernaüm, l'ombre de la croix s'était placée en travers du cours de sa vie.
 
PÉAGERS ET GENS DE MAUVAISE VIE
 
Quittant la maison, Jésus se rendit au bord de la mer, où le peuple le suivit ; là il l'instruisit de nouveau. À la fin de son discours il continua à avancer et vit un homme du nom de Lévi, l'un des péagers [16] ou collecteurs officiels d'impôts, assis au lieu des péages où l'on devait payer l'impôt levé en vertu de la loi romaine. Cet homme s'appelait aussi Matthieu, nom moins typiquement juif que Lévi [17]. Il devint par la suite l'un des Douze et l'auteur du premier des évangiles. Jésus lui dit : « Suis-moi. » Matthieu quitta sa place et suivit le Seigneur. Quelque temps plus tard le nouveau disciple fit une grande fête chez lui, en l'honneur du Maître, et à laquelle d'autres disciples assistèrent. Pour les Juifs, le pouvoir de Rome, auquel ils étaient assujettis, était tellement intolérable qu'ils avaient de l'aversion pour tous les fonctionnaires employés par les Romains. Ce qui était particulièrement humiliant pour eux, c'était le système de l'impôt obligatoire, selon lequel le peuple d'Israël devait payer tribut à une nation étrangère qui, à leur avis, était totalement païenne.
 
Naturellement, les collecteurs de ces taxes étaient détestés ; et ceux-ci, que l'on appelait péagers, éprouvaient probablement du ressentiment pour le traitement grossier qui leur était infligé et traduisaient ce sentiment en appliquant exagérément les exigences de l'impôt, et, comme les historiens l'affirment, pratiquaient souvent des extorsions illégales sur le peuple. Si les péagers en général étaient détestés, nous pouvons comprendre aisément la violence du mépris que les Juifs éprouvaient pour quelqu'un de leur propre nation qui avait accepté d'être nommé à de pareilles fonctions. C'est dans cette situation peu enviable que se trouvait Matthieu lorsque Jésus l'appela. Les péagers formaient une classe sociale distincte, car ils étaient pratiquement exclus de la communauté en général. Tous ceux qui avaient des rapports avec eux partageaient la haine populaire, et il était d'usage d'appeler cette caste dégradée « péagers, et gens de mauvaise vie ». Beaucoup des amis de Matthieu et certains de ses collègues furent invités à sa fête, de sorte que l'assemblée était constituée en grande partie de ces « péagers et gens de mauvaise vie » méprisés. Et c'est à une telle assemblée que Jésus se rendit avec ses disciples.
 
Les scribes et les Pharisiens ne pouvaient laisser passer pareille occasion de le critiquer et d'être sarcastiques. Ils hésitèrent à s'adresser directement à Jésus ; mais ils demandèrent avec dédain aux disciples : « Pourquoi votre maître mange-t-il avec les péagers et les pécheurs ? » Le Maître entendit et répliqua sur un ton tranchant révélateur mêlé d'une ironie splendide, citant l'un des aphorismes communs de l'époque : « Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. » À cela il ajouta : « Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. » Il laissa les Pharisiens hypercritiques tirer leurs conclusions de cette réponse, dont certains peuvent avoir compris qu'elle signifiait que le Christ attaquait leur hypocrisie et raillait leur prétention à la supériorité. Contre le sarcasme voilé des paroles du Maître, ils auraient dû percevoir la sagesse contenue dans sa réponse et en faire leur profit. La place du médecin n'est-elle pas parmi ceux qui sont affligés ? Serait-il justifié s'il se tenait à l'écart des malades et de ceux qui souffrent ? Sa profession est de combattre la maladie, de l'empêcher lorsque c'est possible, de la guérir lorsque c'est nécessaire, dans la pleine mesure de ses possibilités. Si la fête chez Matthieu comprenait réellement un certain nombre de pécheurs, cet événement ne constituait-il pas une occasion rare pour le Médecin des âmes d'exercer son ministère ? Les justes n'ont pas besoin d'être appelés au repentir, mais les pécheurs doivent-ils être laissés dans leurs péchés, parce que ceux qui professent être des maîtres spirituels ne veulent pas condescendre à leur prêter une main secourable ?
 
L'ANCIEN ET LE NOUVEAU
 
Peu après la fête offerte par Matthieu, les Pharisiens allaient exprimer une autre critique, et en cela ils furent secondés par certains des disciples du Baptiste. Jean était en prison, mais beaucoup de ceux qui avaient été attirés à son baptême et avaient professé être ses disciples restaient toujours attachés à ses enseignements et ne pouvaient voir que le Personnage plus grand dont il avait témoigné exerçait alors son ministère au milieu d'eux. Le Baptiste avait observé scrupuleusement la loi ; son ascétisme strict rivalisait avec la rigueur des pratiques pharisaïques. Ses disciples bornés, maintenant sans chef, s'unirent naturellement aux Pharisiens. Certains des disciples de Jean vinrent trouver Jésus et l'interrogèrent concernant son indifférence apparente à propos du jeûne. Ils lui posèrent une question nette : « Pourquoi nous et les Pharisiens jeûnons-nous, tandis que tes disciples ne jeûnent pas [18] ? » La réponse de notre Seigneur dut raviver dans l'esprit des disciples du Baptiste maintenant emprisonné la mémoire des paroles de leur chef bien-aimé, lorsqu'il s'était comparé à l'ami de l'Epoux, et leur avait dit clairement qui était le véritable Epoux [19]. « Et Jésus leur répondit : Les amis de l'époux peuvent-ils jeûner pendant que l'époux est avec eux ? Aussi longtemps qu'ils ont l'époux avec eux, ils ne peuvent jeûner. Les jours viendront où l'époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront en ce jour-là » [20]. 
 
Si ceux qui l'interrogeaient ne purent comprendre la portée réelle de cette réponse, ils ne pouvaient s'empêcher d'y voir l'intention du Christ d'abroger les observances purement cérémonielles prévues par le code de lois rabbinique et les nombreuses traditions associées à la loi. Mais pour rendre le sujet plus clair à leur esprit perverti, Jésus leur donna des exemples que l'on peut placer parmi les paraboles. « Personne, dit-il, ne coud une pièce de drap neuf à un vieil habit ; autrement le morceau neuf emporterait le tout et la déchirure serait pire. Et personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement le vin fait rompre les outres, et le vin et les outres sont perdus ; mais il faut mettre le vin nouveau dans des outres neuves » [21]. 
 
Notre Seigneur proclama ainsi la nouveauté et la plénitude de son Évangile. Ce n'était nullement un rapiéçage du judaïsme. Il n'était pas venu réparer des vêtements vieux et déchirés ; la toile qu'il donnait était nouvelle, et la coudre sur l'ancienne n'aurait fait que déchirer de nouveau le tissu complètement usé et laisser une déchirure encore plus vilaine que précédemment. Ou pour prendre un autre exemple, il n'était pas prudent de confier du vin nouveau à de vieilles bouteilles. Les bouteilles auxquelles il est fait allusion ici étaient en réalité des outres faites de peaux d'animaux et qui se détérioraient évidemment avec l'âge. Tout comme le vieux cuir se fend ou se déchire sous une pression, même légère, de même les vieilles peaux des bouteilles éclateraient sous la pression du jus en fermentation, et le bon vin serait perdu. L'Évangile enseigné par le Christ était une révélation nouvelle qui remplaçait une révélation passée et marquait l'accomplissement de la loi ; ce n'était pas un simple ajout ni une répétition de commandements passés ; elle comportait une nouvelle alliance éternelle. Les efforts pour rapiécer les vêtements du traditionalisme juif avec la nouvelle étoffe de l'alliance ne pouvaient avoir de plus beau résultat qu'une déchirure de l'étoffe. Le vin nouveau de l'Évangile ne pouvait être contenu dans les vieux récipients des libations mosaïques usés par le temps. Le judaïsme serait diminué et le christianisme perverti par tout mélange incongru de ce genre [22].
 
PÉCHEURS D'HOMMES
 
Il est improbable que les disciples qui suivirent Jésus au cours des premiers mois de son ministère étaient restés constamment avec lui jusqu'à l'époque que nous examinons maintenant. Nous voyons que certains de ceux qui furent appelés plus tard à l'apostolat poursuivaient leur métier de pêcheurs alors même que Jésus enseignait activement dans leur région. Un jour que le Seigneur se trouvait près du lac ou de la mer de Galilée, le peuple se pressa en grand nombre autour de lui, avide d'entendre davantage des paroles merveilleuses qu'il avait l'habitude de prononcer [23]. Près de cet endroit se trouvaient deux bateaux de pêche qui avaient été tirés sur la plage ; les propriétaires en étaient tout près, occupés à laver et à réparer leurs filets. L'un des bateaux appartenait à Simon Pierre, qui s'était déjà engagé dans l'œuvre du Maître ; Jésus monta dans ce bateau, puis demanda à Simon de s'éloigner un peu de la terre. S'asseyant, comme les instructeurs de l'époque le faisaient lorsqu'ils prononçaient leurs discours, le Seigneur prêcha de cette chaire flottante à la multitude qui se trouvait sur la rive. Le sujet du discours ne nous est pas donné.
 
Lorsque le sermon fut terminé, Jésus commanda à Simon d'avancer en pleine eau et de jeter ses filets pour pêcher. André était probablement avec son frère, et il se peut qu'il y ait eu d'autres aides dans le bateau. Simon répondit à Jésus : « Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre, mais, sur ta parole, je jetterai les filets. » Il fut bientôt rempli de poissons, et la prise fut si grande que le filet commença à rompre, et les pêcheurs affolés firent signe à ceux qui se trouvaient dans l'autre bateau de venir à leur rescousse. La prise remplit les deux bateaux à tel point qu'ils paraissaient être prêts à couler. Simon Pierre fut rempli d'étonnement de cette preuve nouvelle de la puissance du Maître, et, tombant aux pieds de Jésus, il s'exclama : « Seigneur, éloigne-toi de moi parce que je suis un homme pécheur. » Jésus lui répondit doucement par cette promesse : « Sois sans crainte ; désormais tu seras pêcheur d'hommes » [24]. Les occupants du deuxième bateau étaient Zébédée et ses deux fils, Jacques et Jean, ce dernier étant celui qui, avec André, avait quitté le Baptiste pour suivre Jésus au Jourdain [25]. Zébédée et ses fils étaient les associés de Simon dans le commerce du poisson. Lorsque les deux bateaux furent amenés à terre, les frères Simon et André et les deux fils de Zébédée, Jacques et Jean, quittèrent leurs bateaux et accompagnèrent Jésus.
 
La description ci-dessus est basée sur le texte de Luc ; les récits plus courts et moins détaillés donnés par Matthieu et Marc omettent l'incident de la pêche miraculeuse et insistent sur l'appel des pêcheurs. Jésus dit à Simon et à André : « Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d'hommes. » Le contraste ainsi présenté entre leur métier précédent et leur nouvel appel est d'une puissance frappante. Jusqu'alors ils avaient attrapé du poisson, et le sort du poisson était la mort ; dorénavant ils allaient attirer des hommes - vers la vie éternelle. Pour Jacques et Jean l'appel ne fut pas moins net, et ils quittèrent, eux aussi, tout ce qu'ils possédaient pour suivre le Maître.
 
 [1] Lc 4:42-44.
 [2] Mc 1:38.
 [3] Mc 1:40-45, Mt 8:2-4, Lc 5:12-15.
 [4] Lv 14:2-10. Note 1, fin du chapitre.
 [5] Mt 5:17.
 [6] Mc 1:45.
 [7] Ac 10:38.
 [8] Mc 2:1-12 ; cf. Mt 9:2-8, Lc 5:17-24.
 [9] Cf. Jc 2:14-18.
 [10] Note 2, fin du chapitre.
 [11] Voir un autre cas où notre Seigneur lut des pensées, Lc 7:39-50.
 [12] Mt 9:2. Note 5, fin du chapitre.
 [13] Jn 5:14. Chap. 15 du présent ouvrage.
 [14] Jn 9:1-3.
 [15] Cf. Jn 10:33 et 5:18, Mt 26:65,66.
 [16] Note 3, fin du chapitre.
 [17] Mt 9:9-13, Mc 2:13-17, Lc 5:27-32.
 [18] Mc 2:18-22, Mt 9:14-17, Le 5:33-39.
 [19] Chap. 12.
 [20] Mc 2:19,20.
 [21] Mc 2:21,22.
 [22] Voir La Grande apostasie, 7:5.
 [23] Lc 5:1-11 ; cf. Mt 4:18-22, Mc 1:16-20.
 [24] Note 4, fin du chapitre.
 [25] Chap. 11.
 
NOTES DU CHAPITRE 14
 
1. La lèpre : Dans l'usage biblique, ce nom s'applique à plusieurs maladies ayant cependant toutes certains symptômes en commun, tout au moins dans les premiers stades de la maladie. La véritable lèpre est un fléau dans beaucoup de pays orientaux d'aujourd'hui. Zénos dans le Stand. Bible Dict., dit : « La vraie lèpre, telle que nous la connaissons dans les temps modernes, est une affection qui se caractérise par l'apparition de nodules dans les sourcils, les joues, le nez et les lobes des oreilles, ainsi que dans les mains et les pieds, où la maladie ronge les articulations, provoquant la chute des doigts et des orteils. Si les nodules n'apparaissent pas, ils sont remplacés par des taches blanches ou décolorées sur la peau (lèpre masculaire). Ces deux formes sont dues à la dégénérescence fonctionnelle des nerfs de la peau. Hansen découvrit en 1871 le bacille qui en était la cause. Cependant un régime alimentaire défectueux semble constituer un état favorable à la culture du bacille. La lèpre était l'un des rares états anormaux du corps que la loi lévitique déclarait impurs. On prévoyait par conséquent des formalités compliquées pour détecter son existence et pour la purification de ceux qui en étaient guéris. »
 
Deems, Light of the Nations, p. 185, résumant la description des stades avancés de cette terrible maladie, écrit : « Les symptômes et les effets de cette maladie sont horribles. Il se produit une enflure blanche ou dartre, et la couleur des cheveux de la partie atteinte passe de sa couleur naturelle au jaune ; puis c'est l'apparition d'une infection qui va plus profondément que la peau, ou de la chair dénudée apparaissant dans l'enflure. Puis elle s'étend et attaque les parties cartilagineuses du corps. Les ongles se détachent et tombent, les gencives sont absorbées, et les dents se gâtent et tombent ; l'haleine est une puanteur, le nez se décompose, les doigts, les mains, les pieds peuvent être perdus ou les yeux rongés. La beauté humaine passe en corruption, et le patient a le sentiment d'être mangé comme par un démon qui le consume lentement en un long repas sans remords qui ne prendra fin que lorsqu'il sera détruit. Il est exclu de ses semblables. Quand ils approchent de lui, il doit crier : « Impur ! Impur ! » pour que toute l'humanité se détourne de lui. Il doit abandonner femme et enfants. Il doit aller vivre avec d'autres lépreux, dans le spectacle décourageant de misères semblables à la sienne. Il doit demeurer dans des maisons abandonnées ou dans les tombes. Il est, comme le dit Trench, une parabole terrible de la mort. En vertu des lois de Moïse (Lv 13:45, Nb 6:9, Ez 24:17) il était obligé de porter sur lui, comme s'il portait le deuil de son propre décès, les emblèmes de la mort, les vêtements déchirés ; il devait garder la tête nue et la lèvre couverte, comme c'était la coutume de ceux qui étaient en communion avec les morts. Quand les Croisés apportèrent la lèpre de l'Orient, on revêtait habituellement le lépreux d'un linceul, et on disait pour lui les messes des morts... À toutes les époques cette maladie d'une horreur indescriptible a été considérée comme incurable ; les Juifs croyaient qu'elle était infligée directement par Jéhovah en punition d'une perversité extraordinaire ou d'un acte coupable odieux, et que Dieu seul pouvait la guérir. Lorsque Naaman fut guéri, et que sa chair lui revint comme celle d'un petit enfant, il dit : ‘Voici : je reconnais qu'il n'y a point de Dieu sur toute la terre, si ce n'est en Israël’ (2 R 5:14,15). »
 
Trench, dans ses Notes on the Miracles, p. 165-168, souligne le fait que la lèpre ne se communique ordinairement pas par simple contact extérieur, et il considère que l'isolement des lépreux requis par la loi mosaïque est une leçon de choses pour illustrer l'impureté spirituelle. Il dit : « Je parle de la théorie erronée que la lèpre était contagieuse d'une personne à l'autre, et que les lépreux étaient si soigneusement séparés de leurs semblables de peur qu'ils ne communiquent la maladie à d'autres, de même que les vêtements déchirés, la lèvre couverte, le cri : « Impur, impur » (Lv 13:45) étaient des avertissements à tous qu'on devait se tenir à distance, de peur qu'en touchant involontairement un lépreux ou en s'approchant trop, on soit atteint par cette maladie. Pour ce qui est de savoir s'il existe un danger quelconque de ce genre, pratiquement tous ceux qui ont étudié la question de près s'accordent pour dire que la maladie ne se communiquait pas par contact ordinaire d'une personne à une autre. Un lépreux pouvait la transmettre à ses enfants, ou la mère des enfants d'un lépreux pouvait la recevoir de lui ; mais elle ne se communiquait pas par contact ordinaire d'une personne à l'autre. Toutes les indications de l'Ancien Testament, de même que d'autres livres juifs, confirment la thèse selon laquelle nous avons à faire ici à quelque chose de beaucoup plus élevé qu'une simple règle d'hygiène. C'est ainsi que là où la loi de Moïse n'était pas observée, on n'excluait pas nécessairement les personnes atteintes ; Naaman, le lépreux, commandait les armées de Syrie (2 R 5:1) ; Guéhazi, avec sa lèpre qui ne devait jamais être purifiée (2 R 5:27), parlait familièrement avec le roi de l'Israël apostat (2 R 8:5)... D'ailleurs, si la maladie avait été aussi contagieuse, comment les prêtres lévitiques y auraient-ils jamais échappé eux-mêmes, obligés qu'ils étaient de par leur office même de soumettre le lépreux à une manipulation réelle et à l'examen le plus soigneux ?...
 
La lèpre n'était rien moins qu'une mort vivante, qu'une corruption de toutes les humeurs, qu'un empoisonnement des sources mêmes de la vie, une dissolution graduelle du corps tout entier, de telle sorte qu'un membre après l'autre se décomposait réellement et tombait. Aaron décrit avec précision l'aspect que le lépreux présentait aux yeux des spectateurs, lorsque, plaidant pour Miryam, il dit : « Qu'elle ne soit pas comme (l'enfant) mort-né, dont la chair est à moitié consumée quand il sort du sein de sa mère ! » (Nb 12:12). En outre la maladie était incurable par l'art et le savoir-faire de l'homme ; non que le lépreux ne pût pas recouvrer la santé, car, quoique rares, de tels cas sont prévus par la loi lévitique... le lépreux, portant d'une manière si terrible sur le corps les signes extérieurs et visibles du péché de l'âme, était traité entièrement comme un pécheur, comme quelqu'un en qui le péché avait atteint son paroxysme, comme quelqu'un de mort dans ses infractions et ses péchés. Il était une parabole terrible de la mort. Il portait sur lui les emblèmes de la mort (Lv 13:45), les vêtements déchirés, portant le deuil pour lui-même comme pour quelqu'un de mort, la tête nue comme avaient l'habitude de la porter ceux qui étaient souillés par la communion avec les morts (Nb 6:9, Ez 24:27) et la lèvre couverte (Ez 24:17)... mais le lépreux était comme quelqu'un de mort, et, comme tel, était exclu du camp (Lv 13:46, Nb 5:2-4) et de la ville (2 R 7:3), cette loi étant si strictement imposée que même la sœur de Moïse ne pouvait en être exemptée (Nb 12:14,15) et que des rois, comme Ozias (2 Ch 26:21, 2 Rois 15:5), devaient s'y soumettre ; cette exclusion enseignait aux hommes que ce qui se produisait figurativement ici se produirait réellement en état de péché mortel. »
 
On trouvera dans Lv chap. 14 les cérémonies complexes exigées pour la purification d'un lépreux guéri.
 
2. Le blasphème : L'essence du péché terrible du blasphème ne réside pas, comme beaucoup le pensent, dans l'impiété seulement, mais comme le Dr Kelso, Stand. Bible Dict., le résume : « Tout emploi incorrect du nom divin (Lv 24:11), toute conversation défavorable à la Majesté de Dieu (Mt 26:65), et les péchés arbitraires, c'est-à-dire les transgressions préméditées des principes fondamentaux de la théocratie (Nb 9:13, 15:30, Ex 31:14), étaient considérés comme blasphèmes ; le châtiment en était la mort par lapidation (Lv 24:16). » Le Smith's Bible Dict., déclare : « Le blasphème, dans le sens technique du mot, signifie dire du mal de Dieu, et on le trouve dans ce sens dans Ps 74:18, Es 52:5, Rm 2:24, etc. C'est sur cette accusation que notre Seigneur et Étienne furent condamnés à mort par les Juifs. Lorsqu'une personne entendait un blasphème, elle posait la main sur la tête de l'offenseur pour indiquer qu'il était seul responsable du péché et, se levant, déchirait son vêtement, lequel ne pouvait plus jamais être réparé » (voir Mt 26:65.)
 
3. Péager : « Mot appliqué tard aux Romains qui achetaient au gouvernement le droit de lever des impôts dans un territoire donné. Ces acheteurs, toujours des chevaliers (les sénateurs étaient exclus en vertu de leur rang), devenaient des capitalistes et formaient de puissantes compagnies d'actionnaires dont les membres recevaient un pourcentage sur le capital investi. Les capitalistes provinciaux ne pouvaient acheter les impôts, qui étaient vendus à Rome aux plus offrants, lesquels, pour se dédommager, sous-louaient leurs territoires (contre une grosse avance sur le prix payé au gouvernement) aux péagers locaux ; ceux-ci, à leur tour, devaient prendre un bénéfice sur l'argent payé pour le rachat. Étant contrôleurs des biens fonciers aussi bien que collecteurs d'impôts, ils avaient abondamment l'occasion d'opprimer le peuple, qui les haïssait tant pour cette raison que parce que l'impôt lui-même était le signe de sa sujétion à des étrangers » (J. R. Sterrett dans Stand. Bible Dict.).
 
4. Pêcheurs d'hommes : « Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d'hommes », dit Jésus à des pêcheurs qui devinrent plus tard ses apôtres (Mt 4:19). La version de Marc est presque la même (1:17), tandis que celle de Luc (5: 10) dit : « Désormais tu seras pêcheur d'hommes. » La version correcte est, comme les commentateurs s'accordent pratiquement pour le dire : « Dorénavant tu prendras des hommes vivants. » Cette traduction souligne le contraste donné dans le texte - celui qui existe entre la capture des poissons pour les tuer, et de se gagner des hommes pour les sauver. Examinez, dans cet ordre d'idées, la prédiction que le Seigneur fit par l'intermédiaire de Jérémie (16:16), que, pour toucher Israël dispersé il enverrait : « Une multitude de pêcheurs, et ils les pêcheront », etc.
 
5. « Tes péchés te sont pardonnés. » : Le commentaire suivant d'Edersheim (Life and Times of Jesus the Messiah, vol. 1, p. 505,506) relatif à l'incident étudié est instructif : « Dans ce pardon des péchés, il présenta sa personne et son autorité comme divines, et les prouva telles par la guérison miraculeuse qui suivit immédiatement. Si les deux avaient été intervertis [c'est-à-dire si le Christ avait tout d'abord guéri l'homme et lui avait dit après que ses péchés étaient pardonnés], cela aurait évidemment prouvé son pouvoir, mais pas sa personnalité divine, ni le fait qu'il avait l'autorité de pardonner les péchés ; et c'est cela, et non le fait qu'il accomplissait des miracles, qui était l'objet de son enseignement et de sa mission, dont les miracles n'étaient que des preuves secondaires. C'est ainsi que le raisonnement intérieur des scribes, qui était clair et connu de celui qui lit toutes les pensées, eut pour résultat exactement l'opposé de ce qu'ils auraient pu attendre. Bien injustifié était le sentiment de mépris que nous découvrons dans leurs paroles silencieuses, que nous les lisions comme disant ‘Pourquoi celui-ci dit-il des blasphèmes ?’ ou, selon une transcription plus correcte : ‘Pourquoi celui-ci parle-t-il ainsi ? Il blasphème !’ Cependant, selon leur point de vue, ils avaient raison, car Dieu seul peut pardonner les péchés ; et ce pouvoir n'a jamais été donné ou délégué à l'homme. Mais était-il simplement un homme, comme l'était même le plus honoré des serviteurs de Dieu ? Homme, il l'était ; mais ‘le Fils de l'Homme’... Il semblait facile de dire : ‘Tes péchés ont été pardonnés.’ Mais pour lui, qui avait l'autorité de le faire sur terre, ce n'était ni plus facile ni plus difficile de dire : ‘Lève-toi, prends ton lit et marche.’ Cependant ce dernier prouvait assurément le premier, et lui donnait aux yeux de tous les hommes une réalité indubitable. Et c'est ainsi que ce furent les pensées de ces scribes qui, appliquées au Christ étaient ‘mauvaises’ - puisqu'ils l'accusaient de blasphème - qui fournirent l'occasion de donner une preuve réelle de ce qu'ils auraient accusé et nié. L'objectif tant des miracles que de ce miracle particulier n'aurait pu être atteint d'aucune autre manière que par les « pensées mauvaises » de ses scribes lorsque, mises miraculeusement en lumière, elles exprimaient le doute le plus intime et montraient du doigt la question la plus importante concernant le Christ. Et ce fut donc, une fois de plus, la colère de l'homme qui fit l'éloge du Christ. »
 
 
CHAPITRE 15 : SEIGNEUR DU SABBAT
 
LE SABBAT, PARTICULIÈREMENT SACRÉ POUR ISRAËL
 
La sanctification du jour du sabbat était l'un des commandements les plus importants que le Seigneur donna à Israël, son peuple, dès une époque très reculée de l'histoire de cette nation. En fait le respect du jour du sabbat, jour où l'on cessait le travail ordinaire, était une caractéristique nationale qui distinguait les Israélites des peuples païens, et ce, à juste titre, car la sainteté du sabbat devint le signe de l'alliance entre le peuple élu et son Dieu. La sainteté du sabbat avait été préfigurée dans le récit de la création, avant que l'homme ne fût placé sur la terre, comme le montre le fait que Dieu se reposa après les six périodes ou jours d'œuvre créatrice, et bénit le septième jour et le sanctifia [1]. Au cours de l'exode d'Israël, le septième jour fut mis à part comme jour de repos, pendant lequel il n'était pas permis de rôtir, bouillir ou cuire de la nourriture. On devait rassembler une ration double de manne le sixième jour, tandis que les autres jours il était expressément interdit de mettre de côté un surplus de ce pain quotidien envoyé du ciel. Le Seigneur observait la sainteté du jour sacré en ne donnant pas de manne ce jour-là [2].
 
Le commandement de célébrer le sabbat d'une manière stricte fut précisé de manière explicite dans le décalogue écrit de la main de Dieu au milieu de la gloire terrible du Sinaï ; et cette injonction fut rappelée au peuple par des proclamations fréquentes [3]. Il n'était pas permis d'allumer de feu ce jour-là, et il est rapporté qu'un homme fut mis à mort pour avoir rassemblé des morceaux de bois le septième jour [4]. Sous l'administration de prophètes ultérieurs, la sainteté du sabbat, les bénédictions promises à ceux qui sanctifiaient le jour, et le péché de profanation du sabbat furent réitérés en des termes d'une force inspirée [5]. Néhémie fit des exhortations et des réprimandes à ce sujet et attribua l'affliction de la nation au fait qu'elle avait perdu la faveur de Jéhovah en violant le sabbat [6]. Le Seigneur affirma par la bouche d'Ézéchiel que l'institution du sabbat était le signe de l'alliance entre lui et le peuple d'Israël ; et il réprimanda sévèrement ceux qui ne respectaient pas ce jour-là [7]. Le respect de la sainteté du sabbat était une exigence aussi impérieuse pour la branche séparée de la nation israélite qui avait colonisé le continent américain [8].
 
L'observance requise était cependant l'opposé même de l'affliction et du fardeau ; le sabbat était consacré au repos et à un juste agrément, et devait être un jour de fête spirituelle devant le Seigneur. Il n'avait pas été établi comme jour d'abstinence ; on pouvait manger, mais la maîtresse comme la servante devaient être soulagées de la tâche de préparer la nourriture ; ni maître ni serviteur ne devaient labourer, bêcher ou travailler ; et le jour de repos hebdomadaire était tout autant l'aubaine du bétail que celui de ses propriétaires.
 
Outre le sabbat hebdomadaire, le Seigneur, dans sa miséricorde, prescrivit également une année sabbatique. Tous les sept ans la terre devait se reposer, ce qui augmentait sa fertilité [9]. Lorsque sept fois sept ans s'étaient écoulés, la cinquantième année devait être célébrée du commencement à la fin comme une année de jubilé, au cours de laquelle le peuple devait vivre sur l'accroissement accumulé des saisons de prospérité précédentes et se réjouir de cette libéralité en se relevant l'un l'autre des hypothèques et des contrats, en accordant la remise des dettes et un soulagement général des fardeaux - toutes choses qui devaient être faites avec miséricorde et en justice [10]. Les sabbats établis par le Seigneur, que ce fussent des jours, des semaines ou des années, devaient être des périodes de délassement, de soulagement, de bénédiction, de générosité et d'adoration.
 
Pour ceux, nombreux, qui professent considérer que la nécessité du travail fait partie de la malédiction causée par la chute d'Adam, le sabbat doit être comme un jour de répit temporaire, une période d'exemption de travail et comme l'occasion bénie de s'approcher davantage de la Présence dont le genre humain a été exclu par le péché. Pour ceux qui adoptent une conception plus élevée de la vie et trouvent dans le travail tant le bonheur que les bénédictions matérielles, ce soulagement périodique apporte du délassement et donne un enthousiasme renouvelé pour les jours qui suivent.
 
Mais longtemps avant l'avènement du Christ, le but originel du sabbat avait cessé d'être connu par la majorité d'Israël, et l'esprit de son observance avait été étouffé sous le poids des injonctions rabbiniques et sous le formalisme des restrictions. À l'époque du ministère du Seigneur, les précisions techniques prescrites comme règles annexées à la loi étaient presque innombrables, et le fardeau ainsi imposé au peuple était devenu quasi insupportable. Parmi les nombreuses exigences saines de la loi mosaïque, que les instructeurs et les gouverneurs spirituels des Juifs avaient rendues ainsi lourdes à supporter, celle de l'observance du sabbat avait une place particulièrement importante. La « haie », qu'en vertu d'une théorie que rien ne justifiait, ils professaient placer autour de la loi [11], était particulièrement épineuse dans les sections consacrées au sabbat juif. Même des infractions minimes aux règles traditionnelles étaient sévèrement punies, et on maintenait devant les yeux du peuple la menace suprême de la peine capitale en cas de profanation extrême [12].
 
GUÉRISON D'UN INVALIDE LE JOUR DU SABBAT
 
Étant donné cette situation, nous ne sommes pas surpris de voir notre Seigneur accusé assez rapidement dans le cours de son oeuvre publique d'enfreindre le sabbat. Un exemple qui eut beaucoup de suites importantes est rapporté par Jean [13], dont le récit relate un miracle très impressionnant. Jésus était de nouveau à Jérusalem, à l'époque de l'une des fêtes juives [14]. Il y avait, près du marché aux brebis de la ville, une piscine appelée Béthesda. D'après la description que nous avons, nous pouvons conclure que c'était une piscine naturelle ; il se peut que l'eau ait été riche en solides ou en gaz dissous, ou des deux, ce qui en faisait ce que nous appellerions aujourd'hui une source minérale ; car nous voyons que l'eau avait la réputation de posséder des vertus curatives et que beaucoup de gens affligés venaient s'y baigner. La source était du genre périodique ; à certains moments ses eaux s'élevaient avec un bouillonnement, puis redescendaient au niveau normal. On connaît des sources minérales de ce genre dans beaucoup de parties du monde. Certains croyaient que le gonflement périodique des eaux de Béthesda provenait d'une action surnaturelle, et on disait que « celui qui y descendait le premier après que l'eau avait été agitée, était guéri, quelle qu'ait été sa maladie ». La piscine de Béthesda était entièrement ou partiellement fermée ; et cinq portiques avaient été construits pour abriter ceux qui attendaient à la source le bouillonnement intermittent de l'eau.
 
Un jour de sabbat, Jésus se rendit à la piscine et y vit beaucoup de personnes affligées qui attendaient. Parmi elles se trouvait un homme qui était cruellement affligé depuis trente-huit ans. Nous pouvons déduire de la manière dont l'homme décrivit son impuissance que sa maladie était la paralysie, ou peut-être une forme extrême de rhumatisme ; quelle que fût son affliction, elle le rendait à ce point impotent qu'il avait peu de chance d'arriver à la piscine au moment critique, car d'autres moins invalides le précédaient ; or, selon les légendes qui couraient sur les propriétés curatives de la source, seul le premier à entrer dans la piscine après l'agitation de l'eau pouvait s'attendre à guérir.
 
Jésus reconnut dans l'homme quelqu'un qui était digne d'être béni et lui dit : « Veux-tu retrouver la santé ? » La question était si simple qu'elle pouvait presque paraître superflue. Il est évident que l'homme voulait être guéri, et il attendait patiemment, quoique avidement, la petite chance qu'il avait de pouvoir arriver à l'eau au bon moment. Il y avait cependant une intention dans les paroles du Maître comme dans toutes ses autres paroles. L'attention de l'homme était attirée sur lui, fixée sur lui ; la question plantée dans le cœur du malade renouvelait son désir d'avoir la santé et la force dont il était privé depuis le temps de sa jeunesse. Sa réponse fut pitoyable et révéla l'état presque désespéré de son esprit ; il ne pensait qu'aux vertus célèbres de la piscine de Béthesda, disant : « Seigneur, je n'ai personne pour me jeter dans la piscine quand l'eau est agitée, et pendant que j'y vais, un autre descend avant moi. » Alors Jésus lui dit : « Lève-toi ;... prends ton lit et marche. » Immédiatement la force fut rendue à l'homme, qui, pendant près de quatre décennies, avait été un grand invalide ; il obéit au Maître, et, prenant le petit matelas ou grabat sur lequel il reposait, s'en alla.
 
Il n'était pas allé loin que les Juifs, c'est-à-dire certains de la classe gouvernante, car c'est dans ce sens que l'évangéliste Jean emploie le terme, le virent porter son lit ; or c'était le jour de sabbat. À leurs réprimandes péremptoires, il répliqua, dans la gratitude et la simplicité honnête de son cœur, que celui qui l'avait guéri lui avait dit de prendre son lit et de marcher. L'intérêt des enquêteurs passa immédiatement de l'homme à celui qui avait accompli le miracle ; mais l'ancien invalide ne pouvait nommer son Bienfaiteur, ayant perdu Jésus de vue dans la foule avant d'avoir eu l'occasion de l'interroger ou de le remercier. L'homme qui avait été guéri s'en alla au temple, probablement poussé par le désir d'exprimer sa gratitude et sa joie dans la prière. C'est là que Jésus le trouva et lui dit : « Voici, tu as retrouvé la santé, ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de pire. [15] » Cet homme s'était probablement attiré son affliction par ses habitudes pécheresses. Le Seigneur décida qu'il avait souffert suffisamment dans son corps et mit fin à sa souffrance physique en l'exhortant ensuite à ne plus pécher.
 
L'homme s'en alla dire aux dirigeants quelle était la personne qui l'avait guéri. Peut-être fit-il cela avec le désir d'honorer et de glorifier celui qui lui avait donné sa bénédiction ; rien ne permet de dire qu'il le fit dans un but indigne même si, par son acte, il contribua à augmenter la persécution de son Seigneur. Si intense était la haine de la faction sacerdotale que les gouverneurs cherchèrent le moyen de mettre Jésus à mort, sous le prétexte spécieux qu'il enfreignait le sabbat. On pourrait se demander pour quel acte ils auraient bien pu espérer le condamner, même dans l'application la plus stricte de leurs règles. Il n'était pas interdit de parler le jour du sabbat, et Jésus n'avait fait que parler pour guérir. Il n'avait pas porté le lit de l'homme et n'avait même pas essayé de faire le plus léger travail physique. Leur propre interprétation de la loi ne leur permettait pas de lui intenter de procès.
 
LA RÉPONSE DE NOTRE SEIGNEUR AUX JUIFS ACCUSATEURS
 
Néanmoins, les fonctionnaires juifs lancèrent des accusations contre Jésus. Que l'entrevue se soit produite à l'intérieur des murs du temple ou en pleine rue, sur la place du marché ou dans la salle du jugement, cela n'a aucune importance. Sa réponse à leurs accusations ne se limite pas à la question de l'observance du sabbat ; elle représente le sermon le plus complet des Écritures sur le sujet capital des rapports entre le Père éternel et son Fils Jésus-Christ.
 
Sa première phrase augmenta la colère déjà intense des Juifs. À propos de l'œuvre qu'il avait accomplie pendant le saint jour, il dit : « Mon Père travaille jusqu'à présent. Moi aussi, je travaille. » Ces paroles, ils les interprétèrent comme un blasphème [16]. « À cause de cela, les Juifs cherchaient encore plus à le faire mourir, non seulement parce qu'il violait le sabbat, mais parce qu'il disait que Dieu était son propre Père, se faisant lui-même égal à Dieu. » À leurs protestations orales ou inexprimées, Jésus répondit que lui, le Fils, n'agissait pas indépendamment, et ne pouvait en fait rien faire que ce qui était conforme à la volonté du Père, et ce qu'il avait vu le Père faire, que le Père aimait tellement le Fils qu'il lui montrait les oeuvres du Père.
 
Remarquons que Jésus n'essaya nullement de réfuter leur interprétation de ses paroles ; au contraire il confirma que leurs déductions étaient correctes. Il s'associa avec le Père en un rapport encore plus étroit et plus exalté qu'ils ne l'avaient conçu. L'autorité que le Père lui avait donnée ne se limitait pas à la guérison des infirmités corporelles ; il avait même le pouvoir de ressusciter les morts - « En effet, comme le Père ressuscite les morts et les fait vivre, de même aussi le Fils fait vivre qui il veut. » En outre, le jugement des hommes lui avait été confié ; et nul ne pouvait honorer le Père autrement qu'en honorant le Fils. Venait ensuite cette déclaration tranchante : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et qui croit à celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle et ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie. »
 
Le royaume du Christ n'était pas limité par le tombeau ; même le salut des morts dépendait entièrement de lui ; et il proclama, aux oreilles terrifiées de ses accusateurs abasourdis, la vérité solennelle qu'à ce moment-là même, l'heure était proche où les morts entendraient la voix du Fils de Dieu. Réfléchissez à sa profonde affirmation : « En vérité, en vérité, je vous le dis, l'heure vient - et c'est maintenant - où les morts entendront la voix du Fils de Dieu ; et ceux qui l'auront entendue vivront. » Il confondit les Juifs pleins de rage meurtrière en déclarant qu'ils ne pouvaient pas lui ôter la vie sans qu'il s'y soumît : « En effet comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même. » Il prononça une autre parole tout aussi importante : « Et il lui a donné le pouvoir d'exercer le jugement, parce qu'il est le Fils de l'homme. » Lui, le Fils de l'Homme de Sainteté exalté et glorifié et maintenant lui-même homme mortel [17], allait être le juge des hommes.
 
Il n'est pas étonnant qu'ils aient été stupéfaits ; jamais auparavant ils n'avaient entendu ni lu pareille doctrine ; elle n'était ni des scribes ni des rabbis, pas plus que des écoles pharisaïques ou sadducéennes. Mais il les réprimanda pour leur étonnement, disant : « Ne vous en étonnez pas ; car l'heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix. Ceux qui auront fait le bien en sortiront pour la résurrection et la vie, ceux qui auront pratiqué le mal pour la résurrection et le jugement. [18] »
 
Cette énonciation de la résurrection, faite si clairement que les plus illettrés pouvaient la comprendre, dut offenser les Sadducéens qui étaient là, car ils niaient formellement la résurrection. Le Christ affirme ici d'une manière absolument certaine que la résurrection est universelle ; ce ne sont pas seulement les justes, mais même ceux qui méritent la condamnation qui doivent ressusciter de leur tombe dans leur corps de chair et d'os [19].
 
Puis, affirmant solennellement une fois de plus l'unité de la volonté de son Père et de la sienne, le Christ parla de la question des témoins de son œuvre. Il admit ce qui était une doctrine reconnue de l'époque, à savoir que le témoignage qu'un homme seul rendait de lui-même ne suffisait pas ; mais il ajouta : « C'est un autre qui rend témoignage de moi, et je sais que le témoignage qu'il rend de moi est vrai. » Il cita Jean-Baptiste et leur rappela qu'ils lui avaient envoyé une délégation et que Jean avait répondu en rendant témoignage du Messie ; et Jean avait été une lumière brûlante et brillante, et beaucoup s'étaient temporairement réjouis de son ministère. Il laissa les Juifs voir par eux-mêmes que le témoignage de Jean était valide selon leur interprétation la plus stricte des lois de la preuve. « Pour moi, poursuivit-il, ce n'est pas d'un homme que je reçois le témoignage... Moi, j'ai un témoignage plus grand que celui de Jean ; car les œuvres que le Père m'a donné d'accomplir, ces oeuvres mêmes que je fais témoignent de moi que le Père m'a envoyé. Et le Père qui m'a envoyé a lui-même rendu témoignage de moi. »
 
Puis, en des termes qui les condamnaient catégoriquement, il leur dit qu'ils étaient privés de la parole du Père parce qu'ils refusaient de l'accepter, lui, que le Père avait envoyé. Sur un ton direct et humiliant, il exhorta ces savants de la loi, ces interprètes des prophètes, ces traducteurs professionnels des Écritures saintes à se mettre à lire et à étudier. « Vous sondez les Écritures, dit-il, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle : ce sont elles qui rendent témoignage de moi. » Il ajouta sur un ton accusateur qu'eux, qui reconnaissaient et enseignaient que c'est dans les Écritures que se trouve le chemin de la vie éternelle, refusaient de venir à lui de qui ces mêmes Écritures témoignaient, alors qu'en venant ils pouvaient obtenir la vie éternelle. « Je ne reçois pas de gloire des hommes, ajouta-t-il, Mais je vous connais : vous n'avez pas en vous l'amour de Dieu. » Ils savaient qu'ils recherchaient les honneurs des hommes, recevaient les honneurs les uns des autres, étaient nommés rabbis et docteurs, scribes et instructeurs, par la réception de titres et de grades tous d'hommes ; mais ils rejetaient celui qui venait au nom de quelqu'un d'infiniment plus grand que toutes leurs écoles ou sociétés - il venait au nom suprême du Père. La cause de leur ignorance spirituelle fut relevée : ils se reposaient sur les honneurs des hommes et ne recherchaient pas l'honneur de servir réellement la cause de Dieu.
 
Il avait parlé de l'autorité de juger qui lui avait été confiée ; maintenant il expliquait qu'ils ne devaient pas penser qu'il les accuserait devant le Père ; quelqu'un d'inférieur à lui les accuserait, à savoir Moïse, un autre de ses témoins en qui ils professaient avoir tellement confiance, Moïse en qui ils disaient tous croire et, leur jetant à la face tous les faits de sa puissante accusation, le Seigneur poursuivit : « Car, si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, parce qu'il a écrit à mon sujet. Mais si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles ? » Tels étaient les enseignements lumineux combinés à une dénonciation ardente que ces hommes avaient provoqués par leur tentative futile de condamner Jésus en l'accusant d'avoir profané le sabbat. Ce n'était qu'une des nombreuses machinations perverses par lesquelles ils complotaient avec tant de détermination et s'efforçaient de stigmatiser et d'invoquer le châtiment de l'infraction du sabbat sur celui-là même qui avait ordonné le sabbat et en était, en vérité, le seul et unique Seigneur.
 
LES DISCIPLES ACCUSÉS D'ENFREINDRE LE SABBAT
 
Il peut être profitable d'examiner, à ce propos, d'autres exemples de bonnes œuvres accomplies par notre Seigneur le jour du sabbat ; et ceci, nous pouvons le faire sans nous préoccuper inutilement de l'ordre chronologique des événements. Nous retrouvons Jésus en Galilée, que ce soit avant ou après sa visite à Jérusalem à l'époque de la fête inconnue, occasion au cours de laquelle il accomplit le miracle de la guérison à la piscine de Béthesda, cela n'a aucune importance. Un certain jour de sabbat, ses disciples et lui traversaient un champ de blé [20], et, ayant faim, les disciples se mirent à cueillir quelques-uns des épis mûrissants ; frottant les grains entre leurs mains, ils mangèrent. Il n'y avait pas de vol dans ce qu'ils faisaient, car la loi mosaïque prévoyait qu'en traversant la vigne ou le champ de blé d'un autre on pouvait cueillir des raisins ou du blé pour soulager sa faim ; mais il était interdit d'utiliser une faucille dans le champ, ou d'emporter des raisins dans un récipient [21]. La permission ne valait que pour soulager le besoin du moment. Lorsque les disciples de Jésus profitèrent de cet avantage légal, des Pharisiens observaient la scène, et ceux-ci s'approchèrent immédiatement du Maître et dirent : « Voici que tes disciples font ce qu'il n'est pas permis de faire pendant le sabbat. » Les accusateurs pensaient sans aucun doute au dogme rabbinique qui voulait que frotter un épi de blé entre les mains était une espèce de battage, que souffler la balle était du vannage, et qu'il était illégal de battre ou de vanner le jour du sabbat. En fait certains rabbis savants avaient considéré que c'était un péché de marcher sur l'herbe pendant le sabbat, étant donné que l'herbe pouvait être en semence, et que piétiner la semence reviendrait à battre le grain.
 
Jésus défendit les disciples en citant un précédent applicable à ce cas, et beaucoup plus important. Cet exemple était celui de David, qui avec une petite compagnie d'hommes avait demandé du pain au sacrificateur Ahimélek, car ils avaient faim et étaient pressés. Le sacrificateur n'avait que du pain consacré, les pains de proposition qui étaient placés périodiquement dans le sanctuaire, et que nul autre que les sacrificateurs n'avait la permission de manger. Étant donné l'état de besoin urgent, le sacrificateur avait donné le pain de proposition aux hommes affamés [22]. Jésus rappela également aux Pharisiens critiques que les sacrificateurs du temple travaillaient régulièrement beaucoup le jour du sabbat lorsqu'ils immolaient les victimes sacrificatoires, et en général dans le service de l'autel, et étaient pourtant tenus pour innocents à cause des exigences supérieures du culte qui rendaient ce genre de travail nécessaire ; et il ajouta avec une insistance solennelle : « Or, je vous le dis, il y a ici plus grand que le temple. » Il cita la parole de Dieu exprimée par Osée : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice » [23] et les réprimanda à la fois pour leur ignorance et pour leur zèle pervers en leur disant que s'ils avaient su ce que cette Écriture voulait dire, ils n'auraient pas condamné des innocents. Que l'on s'en souvienne, « le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat » [24].
 
Sa réprimande fut suivie de l'affirmation de sa suprématie personnelle : « Car le Fils de l'homme est maître du sabbat. » Que pouvons-nous déduire de cette déclaration si ce n'est que lui, Jésus, qui était présent, là dans la chair, était l'être par l'intermédiaire duquel le sabbat avait été ordonné, que c'était lui qui avait donné et écrit sur la pierre le décalogue, y compris « Souviens-toi du jour du sabbat, pour le sanctifier », et, « le septième jour est le sabbat de l'Éternel, ton Dieu » ?
 
UN COMPLOT PHARISIEN
 
De nouveau, un jour de sabbat, Jésus entra dans une synagogue et vit dans l'assemblée un homme dont la main droite était sèche [25]. Des Pharisiens étaient là, et ils regardèrent pour voir si Jésus guérirait l'homme, leur but étant de l'accuser, s'il le faisait. Les Pharisiens demandèrent : « Est-il permis de faire une guérison les jours de sabbat ? » Notre Seigneur rétorqua à leur dessein si mal voilé en demandant : « Est-il permis, le jour du sabbat, de faire du bien ou de faire du mal, de sauver une personne ou de la tuer ? » Ils se turent, car c'était une question à double tranchant. Répliquer par l'affirmative, ç'aurait été justifier les guérisons ; répondre par la négative ç'aurait été se rendre ridicules. Il posa une autre question : « Lequel d'entre vous, s'il n'a qu'une brebis et qu'elle tombe dans une fosse le jour du sabbat, ne la saisira pour l'en retirer ? Combien un homme ne vaut-il pas plus qu'une brebis ! »
 
Comme les Pharisiens ne pouvaient ou ne voulaient pas répondre, il résuma toute la question de la manière suivante : « Il est donc permis de faire du bien les jours de sabbat. » Il demanda à l'homme à la main sèche de se tenir devant l'assemblée. La douleur et la colère se mêlaient dans son regard pénétrant qui balayait la foule ; mais, se tournant avec compassion vers l'affligé, il lui commanda d'étendre la main ; l'homme obéit, et voici que la main « redevint saine comme l'autre ».
 
Les Pharisiens déconfits étaient furieux ; « remplis de fureur », dit Luc ; et ils s'en allèrent comploter de nouveau contre le Seigneur. Leur haine était tellement violente qu'ils s'allièrent aux Hérodiens, parti politique généralement impopulaire chez les Juifs [26]. Les gouverneurs du peuple étaient prêts à se lancer dans n'importe quelle intrigue ou n'importe quelle alliance pour parvenir à leurs fins, dont ils ne se cachaient d'ailleurs pas, à savoir de faire mettre le Seigneur Jésus à mort. Conscient des desseins pervers qui se tramaient contre lui, Jésus se retira de la localité. Nous examinerons plus loin [27] d'autres accusations de violation du sabbat que formulèrent des casuistes juifs contre le Christ.
 
 [1] Gn 2:3.
 [2] Ex 16:16-31.
 [3] Ex 20:8-11, 23:12, 31:13-15, 34:21 ; Lv 19:3, 23:3 ; Dt 5:12-14.
 [4] Ex 35:3, Nb 15:32-36.
 [5] Es 56:2, 58:13 ; Jr 17:21-24.
 [6] Né 8:9-12,13:15-22.
 [7] Ez 20:12-24.
 [8] LM, Jarom 1:5 ; Mosiah 13:16-19,18:23.
 [9] Lv 25:1-8 ; cf. 26:34, 35.
 [10] Lv 25:10-55.
 [11] Chap. 6.
 [12] Note 1, fin du chapitre.
 [13] Jn, chapitre 5.
 [14] Note 2, fin du chapitre.
 [15] Voir un autre cas, chap. 14 du présent ouvrage.
 [16] Chap. 14 et note 2. On trouvera une autre justification de cet acte de guérison le jour du sabbat dans Jean 7:21-24.
 [17] Chap. 11.
 [18] Cf. D&A 76:16,17. Voir chap. 3 du présent ouvrage.
 [19] Chap. 3.
 [20] Mt 12:1-8 ; cf. Mc 2:23-28 ; Lc 6:1-5.
 [21] Dt 23:24,25.
 [22] Note 3, fin du chapitre.
 [23] Os 6:6 ; cf. Mi 6:6-9.
 [24] Mc 2:27. Note 4, fin du chapitre.
 [25] Mt 12:10-13 ; Mc 3:1-6 ; Lc 6:6-8.
 [26] Chap. 6.
 [27] Exemples : Lc 13:14-16, 14:3-6 ; Jn 9:14-16.
 
NOTES DU CHAPITRE 15
 
1. Législations rabbiniques concernant l'observance du sabbat : « Aucun trait du système juif n'était aussi marqué que son extraordinaire sévérité dans l'observance extérieure du sabbat, lequel devait être un jour de repos total. Les scribes avaient élaboré, à partir du commandement de Moïse, toute une foule de prohibitions et d'injonctions, couvrant l'ensemble de la vie sociale, individuelle et publique, et la portaient à l'extrême du ridicule et de la caricature. Des règles sans fin étaient prescrites quant au genre de nœuds que l'on pouvait légalement faire le jour du sabbat. Le nœud du chamelier et du marin étaient illégaux, et il était tout aussi illégal de les défaire que de les faire. Un nœud que l'on pouvait faire d'une main pouvait être défait. On pouvait attacher un soulier ou une sandale, une coupe de femme, une outre à vin ou à huile, un pot à viande. Lorsqu'on était à une source, on pouvait attacher une cruche à l'écharpe que l'on portait, mais non à une corde... Allumer ou éteindre un feu le jour du sabbat constituait une grande profanation du jour, et il n'était même pas permis à la maladie d'enfreindre les règlements rabbiniques. Il était interdit de donner un émétique le jour du sabbat - de placer des attelles à un os cassé ou de remettre en place une jointure disloquée, quoique certains rabbis plus libéraux affirmassent que tout ce qui mettait la vie en danger annulait la loi du sabbat. » Car les commandements n'étaient donnés à Israël que pour qu'il puisse les vivre. Si quelqu'un était enseveli sous des ruines le jour du sabbat, on pouvait faire des fouilles pour aller le retrouver et l'en sortir, s'il était vivant, mais, s'il était mort, on devait le laisser où il était jusqu'à ce que le sabbat fût terminé » (Giekie, Life and Words of Christ, chap. 38).
 
2. La fête dont le nom n'est pas donné : On a beaucoup discuté pour savoir de quelle fête il s'agissait dans Jean 5:1, à l'époque de laquelle Jésus guérit le paralytique à la piscine de Béthesda. Beaucoup d'auteurs affirment que c'était la Pâque, d'autres que c'était la fête de Pourim ou quelqu'autre célébration juive. Le seul semblant d'importance qui pourrait s'attacher à la question, c'est la possibilité d'apprendre grâce à ce fait, si on pouvait prouver celui-ci, quelque chose sur l'ordre chronologique des événements à cette période de la vie de notre Seigneur. On ne nous dit pas de quelle fête il s'agit, pas plus que l'année ni l'époque de l'année où elle se produisit. La valeur du miracle qui fut accompli à cette occasion et du discours sur la doctrine qui fut prononcé à la suite de cela, ne dépend en aucune façon de la date à laquelle ils se situent.
 
3. Les pains de proposition : Le nom signifie « pains de la présence », signifiant qu'on les plaçait en la présence de Jéhovah. Le pain ainsi sanctifié consistait en douze pains faits sans levain. Ils devaient être posés dans le Saint en deux colonnes de six pains chacune. Zenos, dans le Stand. Bible Dict. écrit : « On les y laissait une semaine entière, à la fin de laquelle le prêtre les retirait et les mangeait sur un sol saint, c'est-à-dire dans l'enceinte du sanctuaire. Le fait pour d'autres personnes que des prêtres de manger du pain de proposition était considéré comme sacrilège, car il était « saint » (voir Ex 25:30, Lv 24:5-9, 1 S 21:1-6).
 
4. Le sabbat fut fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat : Edersheim (vol. 1, p. 57,58) dit : « Lorsque, au cours de sa fuite devant Saül, David, ‘lorsqu'il eut faim’, mangea du pain de proposition et en donna à ceux qui l'accompagnaient, bien que, selon la lettre de la loi lévitique, seuls les prêtres pouvaient en manger, la tradition juive défendit son comportement en prétendant que ‘lorsque la vie est en danger, la loi du sabbat est suspendue’, et, par conséquent, toutes les lois qui s'y rapportent... En vérité, la raison pour laquelle David était exempt de tout reproche lorsqu'il mangea le pain de proposition était la même que celle qui rendait légal le travail des prêtres le jour du sabbat. La loi du sabbat n'était pas une loi qui imposait simplement le repos, mais le repos en vue du culte. L'objet que l'on avait en vue était le service du Seigneur. Les prêtres travaillaient le sabbat, parce que ce service était l'objet du sabbat ; et David eut la permission de manger du pain de proposition, non pas ‘uniquement’ parce qu'il courait le danger de mourir de faim, mais parce qu'il argua qu'il était au service du Seigneur et avait besoin de cette nourriture. Les disciples, tandis qu'ils suivaient le Seigneur, étaient de même à son service ; le servir, c'était plus que servir au temple, car il était plus grand que le temple. Si les Pharisiens avaient cru cela, ils n'auraient pas mis leur conduite en doute et n'auraient pas, ce faisant, enfreint cette loi supérieure qui commande la miséricorde, non pas le sacrifice. »
  
 
CHAPITRE 16 : LE CHOIX DES DOUZE
 
LEUR APPEL ET LEUR ORDINATION [1]
 
La nuit précédant le matin où les douze apôtres furent appelés et ordonnés, le Seigneur la passa dans une retraite solitaire ; il « passa toute la nuit dans la prière à Dieu » [2]. Puis, le jour venu, et tandis que beaucoup de gens s'assemblaient pour en apprendre davantage sur le nouvel et magnifique Évangile du royaume, il demanda à certaines personnes qui, jusqu'alors, l'avaient accompagné avec dévouement comme disciples, de s'approcher, et, parmi eux, il en choisit douze qu'il ordonna et nomma apôtres [3]. Avant cette époque, aucun n'avait reçu d'autorité ou de charge qui le distinguait des autres ; ils avaient été comptés avec les disciples en général, bien que, comme nous l'avons vu, sept d'entre eux eussent reçu un appel préliminaire et y eussent promptement répondu en abandonnant entièrement ou partiellement leurs affaires pour suivre le Maître. C'étaient André, Jean, Simon, Pierre, Philippe, Nathanaël, Jacques et Lévi Matthieu. Mais avant ce jour important, aucun des Douze n'avait été ordonné ou mis à part pour son office sacré.
 
Les trois évangélistes qui rapportent l'organisation des Douze placent Simon Pierre en tête et Judas Iscariot en dernier dans la catégorie ; ils s'accordent également sur la place relative de certains d'entre eux mais non de tous les autres. En suivant l'ordre donné par Marc, et ceci est peut-être le plus pratique puisque les trois premiers qu'il nomme sont ceux qui devinrent plus tard les plus importants, nous avons la liste suivante : Simon Pierre, Jacques (fils de Zébédée), Jean (frère du dernier cité), André (frère de Simon Pierre), Philippe, Barthélemy (ou Nathanaël), Matthieu, Thomas, Jacques (fils d'Alphée), Jude (également appelé Lebbée ou Thaddée), Simon (qui se distingue par son surnom de Zélote, appelé aussi le Cananite) et Judas Iscariot.
 
ÉTUDE SÉPARÉE DES DOUZE
 
Simon, le premier apôtre cité, est connu plus communément sous le nom de Pierre - le nom que lui donna le Seigneur lors de leur première rencontre, et qu'il confirma plus tard [4]. Il était fils de Jona, ou Jonas, et était pêcheur de métier. Son frère André et lui étaient associés avec Jacques et Jean, fils de Zébédée ; et selon toute apparence, leur affaire de pêche était prospère, car ils possédaient leurs bateaux et employaient d'autres hommes [5]. Pierre habita d'abord dans la petite ville de pêche de Bethsaïda [6], sur la rive occidentale du lac de Galilée ; mais vers l'époque où il rencontra Jésus pour la première fois, ou peu après, il alla s'installer avec d'autres membres de sa famille à Capernaüm, où il semble être devenu propriétaire indépendant [7]. Simon Pierre était marié avant son appel au ministère. Matériellement parlant, il était aisé ; et lorsqu'il dit un jour qu'il avait tout quitté pour suivre Jésus, le Seigneur ne nia pas que le sacrifice que Pierre avait fait de ses biens matériels fût aussi grand qu'il l'avait laissé entendre. Rien ne permet de penser qu'il était illettré ou ignorant. Jean et lui, il est vrai, furent appelés « des hommes du peuple sans instruction » [8] par le conseil des dirigeants, mais quand ils disaient cela, ils voulaient dire par là qu'ils n'avaient pas été formés dans les écoles des rabbis ; et il convient de remarquer que les membres de ce même conseil furent étonnés de la sagesse et de l'autorité manifestées par les douze apôtres qu'ils professaient mépriser.
 
Par tempérament, Pierre était impulsif et sévère et, jusqu'à ce qu'il eût été formé par de dures expériences, manquait de fermeté. Il avait beaucoup de faiblesses humaines, et cependant en dépit d'elles toutes, il surmonta finalement les tentations de Satan et les faiblesses de la chair et servit son Seigneur comme chef désigné et reconnu des Douze. Les Écritures ne parlent pas du moment ni du lieu de sa mort ; mais la manière dont il mourrait fut préfigurée par le Seigneur ressuscité [9] et fut prévue en partie par Pierre lui-même [10]. La tradition, qui trouve son origine dans les écrits des premiers historiens chrétiens autres que les apôtres, déclare que Pierre trouva la mort par crucifixion comme martyr au cours de la persécution qui se produisit sous le règne de Néron, probablement entre 64 et 68 après J.-C. Origène déclare que l'apôtre fut crucifié la tête en bas. Pierre, avec Jacques et Jean, ses compagnons dans la présidence des Douze, apparut, ressuscité, à notre époque, lorsqu'il rétablit sur la terre la Prêtrise de Melchisédek, y compris le saint apostolat, qui avaient été enlevés à cause de l'apostasie et de l'incrédulité des hommes [11].
 
Jacques et Jean, frères de naissance, associés dans les affaires comme pêcheurs, frères dans le ministère, furent partenaires avec Pierre dans l'appel apostolique. Le Seigneur conféra à tous deux un titre commun - Boanergès ou fils du tonnerre [12] - pensant peut-être au zèle qu'ils montrèrent à son service, lequel dut en effet être freiné à certains moments, comme lorsqu'ils auraient voulu appeler le feu du ciel pour détruire les villageois samaritains qui avaient refusé leur hospitalité au Maître [13]. Leur mère et eux aspiraient aux honneurs les plus hauts du Royaume, et ils demandèrent à recevoir tous deux une place, l'un à la droite et l'autre à la gauche du Christ dans sa gloire. Cette ambition fut doucement réprimandée par le Seigneur, et cette demande offensa les autres apôtres [14]. Avec Pierre, ces deux frères furent témoins de beaucoup des événements les plus importants de la vie de Jésus ; c'est ainsi qu'ils furent tous les trois les seuls apôtres admis à être témoins de la résurrection de la fille de Jairus [15] ; ils furent les seuls membres des Douze qui assistèrent à la transfiguration du Christ [16] ; ils étaient les plus proches du Seigneur pendant son agonie mortelle à Gethsémané [17] ; et, comme nous l'avons déjà dit, ils participèrent dans nos temps modernes au rétablissement du saint apostolat avec toute son ancienne autorité et son pouvoir de bénir [18]. Jacques est désigné communément dans la littérature théologique comme Jacques 1er, pour le distinguer de l'autre apôtre qui porte le même nom. Jacques, le fils de Zébédée, était le premier des apôtres qui trouva la mort violente du martyr ; il fut décapité sur ordre du roi Hérode Agrippas [19]. Jean avait été disciple du Baptiste et avait prouvé sa confiance dans le témoignage que ce dernier rendit de Jésus en se détournant promptement du précurseur pour suivre le Seigneur [20]. Il devint un serviteur dévoué et se qualifia à plusieurs reprises le disciple « que Jésus aimait » [21]. À la dernière Cène, Jean était assis à côté de Jésus, reposant la tête sur la poitrine du Maître [22] ; et le lendemain, tandis qu'il se tenait en dessous de la croix, il reçut du Christ mourant la mission de prendre soin de la mère du Seigneur [23] ; et il répondit promptement à cette invitation en emmenant Marie en larmes chez lui. Il fut le premier à reconnaître le Seigneur ressuscité sur les rives de Galilée, et les lèvres immortelles encouragèrent son espoir que sa vie se poursuivrait afin qu'il pût servir parmi les hommes jusqu'à ce que le Christ vienne dans sa gloire [24]. La révélation à l'époque moderne a attesté que cet espoir fut réalisé [25].
 
André, fils de Jona et frère de Simon Pierre, est mentionné moins fréquemment que les trois apôtres déjà examinés. Il avait été l'un des disciples du Baptiste, et, avec Jean, le fils de Zébédée, il quitta le Baptiste pour s'instruire auprès de Jésus ; et ayant appris, il partit à la recherche de Pierre, lui affirma solennellement que le Messie avait été trouvé et amena son frère aux pieds du Sauveur [26]. Il partagea avec Pierre l'honneur d'être appelé par le Seigneur au bord de la mer et la promesse « je vous ferai pêcheurs d'hommes » [27]. Nous lisons qu'à une occasion André était présent avec Pierre, Jacques et Jean dans un entretien privé avec le Seigneur [28] ; et il est cité lors de la première multiplication des pains [29] et avec Philippe lorsqu'une entrevue fut arrangée entre certains Grecs questionneurs et Jésus [30]. Il est cité avec d'autres au moment de l'ascension de notre Seigneur [31]. La tradition est pleine d'histoires au sujet de cet homme, mais nous n'avons aucun document authentique sur l'étendue de son ministère, la durée de sa vie ni les circonstances de sa mort.
 
Philippe a peut-être été le premier à recevoir l'appel péremptoire « Suis-moi » des lèvres de Jésus, et nous le voyons témoigner immédiatement que Jésus était le Messie tant attendu. Il habitait Bethsaïda, la ville de Pierre, d'André, de Jacques et de Jean. On dit que Jésus le trouva [32] tandis que les autres premiers disciples semblent être venus séparément, d'eux-mêmes, au Christ. Il est mentionné brièvement lors de la première multiplication des pains, moment où Jésus lui demanda : « Où achèterons-nous des pains pour que ces gens aient à manger ? » Cela fut fait pour le mettre à l'épreuve, car Jésus savait ce que l'on ferait. Philippe basa sa réponse sur le peu d'argent dont ils disposaient et montra qu'il ne s'attendait nullement à une intervention miraculeuse [33]. C'est à lui que les Grecs s'adressèrent lorsqu'ils cherchèrent à rencontrer Jésus comme nous l'avons remarqué en parlant d'André. Il fut réprimandé avec douceur pour son manque de compréhension lorsqu'il demanda à Jésus de leur montrer le Père, à lui et aux autres : « il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne m'as pas connu, Philippe [34] ! » Les Écritures parlent au passage de sa présence parmi les Onze après la résurrection, mais, à part cela, elles ne disent rien d'autres à son sujet.
 
Barthélemy n'est appelé de ce nom dans les Écritures que lors de son ordination à l'apostolat, et comme l'un des Onze après l'ascension. Le nom veut dire fils de Tolmai. Il est cependant à peu près certain qu'il est l'homme qui est appelé Nathanaël dans l'évangile de Jean, celui que le Christ appela « un Israélite dans lequel il n'y a point de fraude » [35]. Il est de nouveau cité parmi ceux qui allèrent pêcher avec Pierre après la résurrection du Christ [36]. Il demeurait à Cana en Galilée. Les raisons pour lesquelles on pense que Barthélemy et Nathanaël étaient la même personne sont les suivantes : Barthélemy est cité comme apôtre dans chacun des trois évangiles synoptiques, et Nathanaël n'est pas cité. Nathanaël est deux fois dans l'évangile de Jean, et Barthélemy ne l'est pas du tout ; Barthélemy et Philippe, ou Nathanaël et Philippe, sont cités ensemble.
 
Matthieu ou Lévi, fils d'Alphée, était l'un des sept qui reçurent un appel à suivre le Christ avant l'ordination des Douze. C'est lui qui donna une fête qui valut à Jésus et aux disciples d'être violemment critiqués par les Pharisiens pour y avoir assisté [37], ceux-ci trouvant qu'il n'était pas convenable qu'il mangeât avec des péagers et des gens de mauvaise vie. Matthieu était péager ; c'est ainsi qu'il se désigne dans l'évangile qu'il écrivit [38] ; mais les autres évangélistes n'en parlent pas lorsqu'ils le comptent parmi les Douze. Son nom hébreu, Lévi, est considéré par beaucoup comme une indication de son lignage sacerdotal. Nous n'avons aucun récit détaillé de son ministère ; bien qu'il soit l'auteur du premier évangile, il s'abstient de se mentionner en dehors de l'occasion où il fut appelé et ordonné. Des écrivains autres que scripturaires disent qu'il fut l'un des apôtres les plus actifs après la mort du Christ et qu'il œuvra dans des pays éloignés de Palestine.
 
Thomas, également appelé Didyme, équivalent grec de son nom hébreu, qui veut dire « un jumeau », est mentionné comme témoin de la résurrection de Lazare. Son dévouement à Jésus se révèle dans son désir d'accompagner le Seigneur à Béthanie, bien qu'il fût presque certain d'être persécuté dans cette région. Thomas dit aux autres apôtres : « Allons, nous aussi, afin de mourir avec lui » [39]. Même à une période aussi avancée de son expérience que la nuit précédant la crucifixion, Thomas n'avait pu comprendre la nécessité imminente du sacrifice du Sauveur ; et lorsque Jésus parla de s'en aller et de laisser les autres suivre, Thomas demanda comment ils connaîtraient le chemin. Il fut réprimandé de son manque de compréhension. Il était absent lorsque le Christ ressuscité apparut aux disciples assemblés le soir du jour de sa résurrection ; et lorsqu'il fut informé par les autres qu'ils avaient vu le Seigneur, il exprima ses doutes avec force et déclara qu'il ne croirait que s'il pouvait voir et sentir par lui-même les blessures du corps crucifié. Huit jours plus tard, le Seigneur rendit de nouveau visite aux apôtres alors que, comme lors de la première occasion, ils étaient enfermés ; et le Seigneur dit à Thomas : « Avance ici ton doigt, regarde mes mains, avance aussi ta main et mets-la dans mon côté. » Alors Thomas, ne doutant plus, mais l'âme remplie d'amour et de respect, s'exclama : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Le Seigneur lui dit : « Parce que tu m'as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru [40] ! » Aucun autre passage du Nouveau Testament ne parle de Thomas, si ce n'est de sa présence avec ses compagnons après l'ascension.
 
Jacques, fils d'Alphée, n'est mentionné dans les évangiles que lors de son ordination à l'apostolat ; et une seule fois encore par le Nouveau Testament sous le nom « fils d'Alphée » [41]. Dans les récits autres que scripturaires, on l'appelle parfois Jacques II pour éviter de le confondre avec Jacques, le fils de Zébédée. Il est reconnu que l'on ne sait pas si Jacques, le fils d'Alphée, est le Jacques ou l'un des Jacques dont on parle dans les Actes et dans les épîtres [42]. Et il existe un grand nombre de textes de controverse à ce sujet [43].
 
Jude est appelé Lebbée Thaddée par Matthieu, Thaddée par Marc et Jude, fils de Jacques par Luc. La seule autre allusion directe à cet apôtre est faite par Jean et se situe au moment du dernier long entretien entre Jésus et les apôtres, quand ce Jude, « non pas l'Iscariot », demanda comment ou pourquoi Jésus se manifesterait aux serviteurs qu'il avait choisis et non au monde en général. La question de cet homme montre qu'il ne comprenait pas pleinement le caractère vraiment distinctif de l'apostolat.
 
Simon le zélote, ainsi nommé dans les Actes [44], et nommé Simon appelé le zélote dans l'évangile de Luc, est qualifié tant par Matthieu que par Marc de cananite. La dernière désignation n'avait rien à voir avec la ville de Cana ni avec le pays de Canaan, elle n'a aucune signification géographique ; c'est l'équivalent syro-chaldéen du mot grec que l'on rend dans le texte français par « zélote ». C'est pourquoi les deux mots ont le même sens fondamental et se rapportent chacun aux zélotes, confession ou faction juive connue pour son zèle à entretenir le rituel mosaïque. Il ne fait aucun doute que Simon avait appris la modération et la tolérance des enseignements du Christ ; sinon il n'aurait guère convenu au ministère apostolique. Convenablement dirigée, son ardeur zélée peut s'être transformée en un trait de caractère très utile. Cet apôtre n'est cité nulle part dans les Écritures séparément de ses compagnons.
 
Judas Iscariot est le seul judéen cité parmi les Douze ; tous les autres étaient Galiléens. On croit généralement qu'il avait habité Kérioth, petite ville dans le sud de la Judée, mais à quelques kilomètres à l'ouest de la mer Morte, bien que nous n'ayons aucune autorité directe pour cette tradition, pas plus que pour la signification de son surnom. De même, nous ne savons rien de sa lignée, si ce n'est que le nom de son père était Simon [45]. Il fut trésorier ou agent du groupe apostolique, recevant et déboursant les offrandes qui étaient faites par des disciples et des amis, et achetant ce dont on avait besoin [46]. Jean atteste qu'il s'acquittait de cette fonction sans scrupules et avec malhonnêteté. Sa nature cupide et plaintive se révéla lorsqu'il murmura contre ce qu'il appelait le gaspillage d'un parfum coûteux, quand Marie oignit le Seigneur, quelques jours seulement avant la crucifixion ; il suggéra hypocritement que le précieux parfum aurait pu être vendu et le bénéfice donné aux pauvres [47]. Le pire acte de perfidie de la carrière d'Iscariot fut qu'il trahit délibérément son Maître et le livra à la mort ; et cela, cette créature infâme le fit pour de l'argent et accomplit le méfait avec un baiser. Il mit fin à sa vie coupable par un suicide révoltant, et son esprit s'en alla au destin terrible réservé aux fils de perdition [48].
 
CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DES DOUZE
 
L'examen des caractéristiques et des qualités de ce groupe de douze hommes révèle quelques faits intéressants. Avant d'être choisis comme apôtres, ils étaient tous devenus disciples intimes du Seigneur ; ils croyaient en lui ; plusieurs d'entre eux, et peut-être tous, avaient confessé ouvertement qu'il était le Fils de Dieu, et cependant il est douteux qu'aucun d'eux ait compris pleinement le sens réel de l'œuvre du Sauveur. À en juger par les remarques ultérieures que beaucoup d'entre eux firent et les instructions et les réprimandes qu'ils s'attirèrent de la part du Maître, il est évident que l'attente commune chez les Juifs d'un Messie qui régnerait en splendeur comme roi terrestre après avoir soumis toutes les autres nations, avait une place même dans le cœur de ces élus. Après une longue expérience, le souci de Pierre était encore : « Voici que nous avons tout quitté et que nous t'avons suivi, qu'en sera-t-il pour nous [49] ? » Ils étaient comme des enfants qui devaient être formés et instruits ; mais ils étaient pour la plupart des élèves dociles, à l'âme réceptive et remplie du désir sincère de servir. Pour Jésus, ils étaient ses petits, ses enfants, ses serviteurs et ses amis, selon leurs mérites [50]. Ils étaient tous du commun, ce n'étaient ni des rabbis, ni des savants, ni des fonctionnaires sacerdotaux. C'est de leur nature intime et non de leurs réalisations extérieures que le Seigneur tint compte avant tout dans son choix. Le Maître les choisit ; ils ne se choisirent pas eux-mêmes ; c'est par lui qu'ils furent ordonnés [51], et en conséquence ils pouvaient s'en remettre d'autant plus implicitement à sa direction et à son soutien. Beaucoup leur fut donné, beaucoup fut requis d'eux. À une noire exception près, ils devinrent tous des lumières brillantes dans le royaume de Dieu et confirmèrent le choix du Maître. Il reconnut en chacun les caractéristiques de capacités qu'ils avaient cultivées dans le monde lointain des esprits [52].
 
DISCIPLES ET APÔTRES
 
La qualité de disciple est quelque chose de général ; quiconque suit un homme ou est dévoué à un principe peut être appelé disciple. Le saint apostolat est un office et un appel qui appartient à la prêtrise supérieure ou de Melchisédek, à la fois exalté et déterminé, comprenant comme fonction distinctive celle d'être témoin personnel et spécial de la divinité de Jésus-Christ, Rédempteur et Sauveur unique de l'humanité [53]. L'apostolat est un don individuel, et comme tel n'est conféré que par l'ordination. Le fait que les Douze constituaient un conseil ou « collège » ayant l'autorité dans l'Église établie par Jésus-Christ, est révélé par leur administration après la résurrection et l'ascension du Seigneur. Leur premier acte officiel fut de remplir la vacance produite dans leur organisation par l'apostasie et la mort de Judas Iscariot. À propos de cette procédure, l'apôtre président, Pierre, exposa les qualités essentielles de celui qui serait choisi et ordonné, qui impliquaient une connaissance telle de Jésus, de sa vie, de sa mort et de sa résurrection qu'elle unirait le nouvel apôtre aux Onze comme témoin spécial de l'œuvre du Seigneur [54].
 
L'ordination des douze apôtres marqua l'inauguration d'une période avancée dans le ministère terrestre de Jésus, période caractérisée par l'organisation d'un groupe d'hommes investis de l'autorité de la sainte prêtrise, sur qui reposeraient, particulièrement après le départ du Seigneur, le devoir et la responsabilité de continuer l'œuvre qu'il avait commencée et d'édifier l'Église établie par lui.
 
Le mot « apôtre » est la forme francisée du grec apostolos, signifiant littéralement « quelqu'un qui est envoyé », et indiquant un envoyé ou un messager officiel, qui parle et agit par l'autorité de quelqu'un de supérieur à lui. C'est dans ce sens que Paul appliqua plus tard le titre au Christ comme quelqu'un de spécialement envoyé et commissionné par le Père [55].
 
Le but du Seigneur, en choisissant et en ordonnant les Douze, est énoncé comme suit par Marc : « Il en établit douze pour les avoir avec lui et pour les envoyer prêcher avec le pouvoir de chasser les démons » [56]. Pendant un certain temps après leur ordination, les apôtres demeurèrent avec Jésus, étant spécialement formés et instruits par lui pour l'œuvre qu'ils avaient alors à accomplir ; après quoi ils furent officiellement chargés de prêcher et d'administrer avec l'autorité de leur prêtrise et envoyés le faire, comme nous allons le voir plus loin [57].
 
 [1] Mt 10:1-4, Mc 3:13-19 ; Le 6:12-16.
 [2] Lc 6:12.
 [3] Lc 3:13 ; cf. Jn 15:16 ; voir aussi Ac 1:22.
 [4] Jn 1:42 ; cf. Mt 16:18.
 [5] Mc 1: 16-20 ; Lc 5: 10.
 [6] Jn 1:44, 12:21.
 [7] Mt 8:14 ; Mc 1:29 ; Lc 4:38.
 [8] Ac 4:13.
 [9] Jn 21:18, 19.
 [10] 2 P 1:14.
 [11] D&A 27:12. Chap. 41 du présent ouvrage.
 [12] Mc 3:17.
 [13] Lc 9:54. Voir aussi Mc 9:38, un exemple du zèle impulsif de Jean.
 [14] Mc 10:35-41 ; cf. Mt 20:20-24.
 [15] Mc 5:37 ; Lc 8:51.
 [16] Mt 17:1,2 ; Lc 9:28,29.
 [17] Mt 26:36,37.
 [18] D&A 27:12 (chap. 41 du présent ouvrage).
 [19] Ac 12:1,2.
 [20] Jn 1:35-40 ; voir chap. 11 du présent ouvrage.
 [21] Jn 13:23, 19:26, 20:2.
 [22] Jn 13:23,25.
 [23] Jn 19:25-27.
 [24] Jn 21:7, 21-23.
 [25] D&A section 7 ; cf. LM, 3 Né 28:1-12.
 [26] Jn 1:35-40.
 [27] Mt 4:18,19.
 [28] Mc 13:3.
 [29] Jn 6:8.
 [30] Jn 12:20-22.
 [31] Ac 1:13.
 [32] Jn 1:43-45.
 [33] Jn 6:5-7.
 [34] Jn 14:8,9.
 [35] Jn 1: 14-51 (voir chap. 11 du présent ouvrage).
 [36] Jn 21:2,3.
 [37] Chap. 14.
 [38] Mt 10:3.
 [39] Jn 11:16.
 [40] Jn 20:24-29. Chap. 37 du présent ouvrage.
 [41] Ac 1:13. Note 3, fin du chapitre.
 [42] Ac 12:17, 15:13-21, 21:18, 1 Co 15:7, Ga 1:19, 2:9,12 et l'épître de Jacques.
 [43] Pour ce qui est des Jacques cités dans le Nouveau Testament, les spécialistes de la Bible sont en désaccord, le problème étant de savoir s'il s'agit de deux ou de trois personnes. Ceux qui prétendent qu'il y avait trois hommes de ce nom les distinguent comme suit : (1) Jacques, fils de Zébédée et frère de Jean, l'apôtre ; toutes les références scripturaires à son sujet sont explicites ; (2) Jacques, fils d'Alphée, et (3) Jacques, frère du Seigneur (Mt 13-55, Mc 6:3, Ga 1:19). Si nous acceptons cette classification, la référence donnée deux notes plus haut s'applique à Jacques, frère du Seigneur. Les « Auxiliaires » de la Bible d'Oxford et de la Bible Bagster traitent Jacques, fils d'Alphée, et Jacques, frère du Seigneur, comme une seule personne, prenant l'expression « fils de » seulement au sens général (voir chap. 18 du présent ouvrage, note 13). L'appellation de Bagster est : « Jacques II : fils d'Alphée, frère ou cousin de Jésus » (voir note 3, fin du chapitre). La Nave « Student's Bible » déclare (page 1327) que le point de savoir si Jacques, frère du Seigneur, « est identique à Jacques, fils d'Alphée, est l'une des questions les plus difficiles de l'histoire biographique des évangiles ». Fausset (dans sa « Cyclopedia Critical and Expository ») soutient qu'il ne s'agit que d'un seul Jacques, et d'autres autorités reconnues les traitent tous deux comme ne formant qu'une seule personne. Le lecteur trouvera dans des ouvrages spéciaux des études détaillées du sujet.
 [44] Note 1, fin du chapitre.
 [45] Ac 1:13 ; cf. Lc 6:15.
 [46] Jn 6:71, 12:4, 13:26.
 [47] Jn 12:6, 13:29.
 [48] Jn 12:1-7 ; cf. Mt 26:6-13 ; Mc 14:3-9.
 [49] Mt 27:5 ; cf. Ac 1:18 ; voir aussi Jn 17:12 ; D&A 76:31-48, 132:27.
 [50] Mt 19:27.
 [51] Mt 10: 42 ; Jn 21:5, 13:16 ; cf. verset 13, 15:14,15.
 [52] Jn 15:16.
 [53] Chap. 2 et 3.
 [54] D&A 18:27-33, 20:38-44, 107:1-9, 23, 24, 39.
 [55] Ac 1:15-26.
 [56] Hé 3:1 ; voir note 2, fin du chapitre.
 [57] Mc 3:14,15.
 
NOTES DU CHAPITRE 16
 
1. Jude Lebbée Thaddée : Ce Jude (pas l'Iscariot) est appelé Jude fils de Jacques dans la version Segond de Lc 6:16 et d'Ac 1:13. Le texte originel dit « Jude de Jacques ». Nous ne savons pas de quel Jacques il s'agit, ni si ce Jude était le fils, le frère ou quelque autre parent du Jacques inconnu.
 
2. La signification de « apôtre » : « Le titre « apôtre » est également un titre d'une signification et d'une sainteté particulières ; il a été donné de Dieu et n'appartient qu'à ceux qui ont été appelés et ordonnés comme « témoins spéciaux du nom du Christ dans le monde entier, différant ainsi des autres officiers de l'Église dans les devoirs de leur appel » (D&A 107:23). Par dérivation, le mot « apôtre » est l'équivalent français du grec « apostolos » indiquant un messager, un ambassadeur ou littéralement « quelqu'un qui est envoyé ». Il signifie que celui qui est appelé ainsi à bon droit parle et agit, non de lui-même, mais comme représentant d'une puissance supérieure qui lui a donné sa mission ; et dans ce sens le titre est celui d'un serviteur plutôt que d'un supérieur. Cependant, même le Christ est appelé apôtre quand il est question de son ministère dans la chair (Hé 3: 1), et cette appellation est justifiée par sa déclaration répétée qu'il vint sur la terre non pour faire sa volonté mais celle de son Père par qui il fut envoyé.
 
« Bien que, comme on le voit, un apôtre soit essentiellement un envoyé ou un ambassadeur, son autorité est grande, comme l'est aussi la responsabilité qui y est associée, car il parle au nom d'une puissance plus grande que la sienne : le nom de celui dont il est le témoin spécial. Lorsque l'un des Douze est envoyé exercer son ministère dans un pieu, une mission ou une autre division de l'Église, ou travailler dans les régions où l'Église n'a pas été organisée, il agit comme représentant de la Première Présidence et a le droit d'utiliser son autorité pour faire tout ce qui est requis pour l'avancement de l'œuvre de Dieu. Il a le devoir de prêcher l'Évangile, d'en administrer les ordonnances et de mettre en ordre les affaires de l'Église partout où il est envoyé. Si grande est la sainteté de cet appel spécial que le titre « apôtre » ne doit pas être utilisé à la légère ni servir comme forme commune ou ordinaire de titre quand on l'applique aux hommes vivants appelés à cet office. Le Collège ou Conseil des douze apôtres, tel qu'il existe dans l'Église d'aujourd'hui devrait plutôt être appelé le « Collège des Douze », le « Conseil des Douze », ou simplement les « Douze », plutôt que les « douze apôtres », sauf lorsque des occasions particulières justifient l'emploi du terme plus sacré. Nous recommandons que le titre « apôtre » ne soit pas appliqué comme préfixe au nom d'un membre du Collège des Douze ; mais que l'on s'adresse à lui ou que l'on parle de lui en lui appliquant le titre de « Frère untel », et quand c'est nécessaire ou désirable, comme quand on annonce sa présence dans une assemblée publique, on peut ajouter l'explication : « Frère untel, membre du Collège des Douze » (tiré de « The Honor and Dignity of Priesthood », par l'auteur, Improvement Era, vol. 17, numéro 5, p. 409-410).
 
3. « D'Alphée », ou « Fils d'Alphée » : Dans tous les passages bibliques qui spécifient « Jacques, fils d'Alphée » (Mt 10:3 ; Mc 3:18 ; Lc 6:15 ; Ac 1: 13) le mot fils a été ajouté par les traducteurs, et c'est pourquoi, dans la version anglaise, on l'imprime en italique. L'expression grecque dit « Jacques d'Alphée ». Il ne faut pas souligner ce fait pour soutenir l'idée que le Jacques dont il est parlé n'était pas le fils d'Alphée, car le mot fils a été ajouté de même dans la traduction d'autres passages, dans lesquels des italiques sont utilisés pour indiquer les mots ajoutés, par exemple : « Jacques, fils de Zébédée »  (Mt 10:2, voir Mc 3:17). Lisez à ce propos la note ci-dessus.
 
 
CHAPITRE 17 : LE SERMON SUR LA MONTAGNE
 
À une époque très proche de celle de l'ordination des Douze, Jésus fit un discours remarquable qui, à cause du lieu où il fut donné, a pris le nom de sermon sur la montagne. Matthieu présente un récit étendu qui remplit trois chapitres du premier évangile ; Luc en donne un résumé plus bref [1].
 
Les différences de détail qui apparaissent dans les deux textes sont d'importance mineure [2]. C'est au sermon lui-même que nous pouvons consacrer notre attention avec profit. Luc introduit dans différentes parties de ses écrits un grand nombre des préceptes précieux donnés dans le cadre du sermon rapporté comme un discours ininterrompu dans l'évangile écrit par Matthieu. Dans notre étude actuelle, nous nous laisserons guider principalement par le récit de Matthieu. Certaines portions de ce vaste discours s'adressaient expressément aux disciples, qui avaient été ou seraient appelés à l'apostolat et devraient en conséquence renoncer à tous leurs intérêts du monde pour l'œuvre du ministère ; d'autres parties étaient et sont d'application générale. Jésus était monté sur le flanc de la montagne, probablement pour échapper aux foules qui le pressaient dans ou près des villes [3]. Les disciples s'assemblèrent autour de lui, et c'est là qu'il s'assit et les instruisit [4].
 
LES BÉATITUDES [5]
 
Les premières phrases sont riches en bénédictions, et la première partie du discours est consacrée à une explication de ce qui constitue la véritable béatitude ; en outre, la leçon est rendue simple et dépourvue d'ambiguïté par des applications déterminées, chacun des êtres bénis étant assuré d'une récompense en ce sens qu'il bénéficierait d'une situation directement opposée à celle dont il avait souffert. Les bénédictions que le Seigneur fait ressortir en cette occasion ont été désignées dans la littérature ultérieure comme les béatitudes. Les pauvres en esprit doivent être rendus riches comme héritiers légaux du royaume des cieux ; celui qui pleure sera consolé car il verra le but divin de sa souffrance et retrouvera les êtres aimés dont il a été privé ; les humbles, qui se laissent spolier plutôt que de mettre leur âme en danger dans les querelles, hériteront la terre ; ceux qui ont faim et soif de vérité seront nourris d'une grande abondance ; ceux qui font preuve de miséricorde seront jugés avec miséricorde ; ceux qui ont le cœur pur seront admis dans la présence même de Dieu ; les pacifiques, qui essaient de se préserver, eux et leurs semblables, des luttes, seront comptés parmi les enfants de Dieu ; ceux qui souffrent la persécution pour l'amour de la justice hériteront les richesses du royaume éternel. Le Seigneur parla directement aux disciples, disant : « Heureux serez-vous, lorsque l'on vous insultera, qu'on vous persécutera et qu'on répandra sur vous toute sorte de mal, à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux, car c'est ainsi qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. [6] » Il est évident que les bénédictions indiquées et le bonheur qui y est contenu ne doivent être réalisés dans leur plénitude qu'au-delà du tombeau, bien que la joie que donne la conscience de mener une vie juste apporte, déjà ici-bas, une belle récompense. Un élément important de cet exposé splendide de l'état vraiment béni est la distinction qu'il implique entre le plaisir et le bonheur [7]. Le simple plaisir est tout au mieux passager ; le bonheur est durable, car dans le souvenir de celui-ci réside une joie renouvelée. Le bonheur suprême n'est pas une réalisation terrestre ; la « plénitude de joie » promise réside au-delà de la mort et de la résurrection [8]. Tant que l'homme se trouve dans cet état mortel, il a besoin de certaines des choses du monde ; il doit avoir de la nourriture et des vêtements et de quoi s'abriter ; et outre ces besoins essentiels, il peut désirer en justice les facilités de l'instruction, les avantages du progrès et les choses qui conduisent au raffinement et à la culture ; cependant toutes ces choses ne sont que des moyens vers une fin, et non le but à atteindre, pour lequel l'homme a été rendu mortel.
 
Les béatitudes se rapportent aux devoirs de la vie mortelle, qui doivent préparer à une existence plus grande, encore future. Dans le royaume des cieux, nommé deux fois dans cette partie du discours du Seigneur, on trouve la vraie richesse et un bonheur certain. Le royaume des cieux constitue tout le sujet de ce merveilleux sermon ; les moyens de parvenir au royaume et aux gloires qui appartiennent à ceux qui en sont les citoyens éternels sont les divisions principales de ce traité.
 
DIGNITÉ ET RESPONSABILITÉ DANS LE MINISTÈRE
 
Le Maître continua ensuite à instruire d'une manière particulièrement directe ceux sur qui reposerait la responsabilité du ministère, en qualité de représentants envoyés par lui. « C'est vous qui êtes le sel de la terre », dit-il. Le sel est le grand conservateur ; c'est comme tel qu'on l'utilise depuis des temps très reculés. La loi mosaïque prescrivait qu'il était essentiel d'ajouter le sel à toute offrande de chair [9]. Longtemps avant l'époque du Christ, le fait d'employer du sel était symbole de fidélité, d'hospitalité et d'alliance [10]. Pour être utile, le sel devait être pur ; pour avoir une vertu salvatrice en tant que sel, il fallait que ce fût du vrai sel et non le produit d'une altération chimique ou d'un mélange terreux, qui lui ferait perdre sa salinité ou sa « saveur » [11] et, produit sans valeur, il ne serait bon qu'à être jeté. C'est contre pareil changement de foi, contre pareil mélange de sophismes, de prétendues philosophies et d'hérésies de ce temps-là que les disciples étaient spécialement prévenus. Puis, changeant de comparaison, Jésus les compara à la lumière du monde et leur imposa le devoir de tenir leur lumière devant le peuple, d'une manière aussi visible qu'une ville qui est bâtie sur une colline, pour qu'on la voie de toutes parts, une ville que l'on ne peut cacher. À quoi servirait une lumière allumée, si on la cachait en dessous d'une boîte ? « Que votre lumière brille ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos oeuvres bonnes, et glorifient votre Père qui est dans les cieux. »
 
Afin qu'ils ne commissent aucune erreur quant aux rapports devant exister entre la loi ancienne et l'Évangile du royaume qu'il exposait, Jésus leur assura qu'il n'était pas venu détruire la loi ni rendre nuls les enseignements et les prédictions des prophètes, mais les accomplir et établir ce que les événements des siècles passés n'avaient fait que préparer. On peut dire que l'Évangile ne détruisit la loi mosaïque que dans la mesure où la semence est détruite dans la croissance de la nouvelle plante, que dans la mesure où le bourgeon est détruit par le jaillissement des fleurs riches, pleines et odorantes, dans la mesure où la tendre enfance et la jeunesse passent pour toujours lorsque la maturité des années se développe. Il ne se perdrait ni un iota, ni un trait de lettre de la loi. On ne pourrait concevoir d'analogie plus efficace que cette dernière ; l'iota ou yod et le trait de lettre étaient de petits signes de l'écriture hébraïque ; pour le but qui nous occupe nous pouvons les considérer comme équivalents du point d'un « i » ou du trait que l'on trace en travers d'un « t » ; notre mot français « iota », signifiant une très petite chose, est apparenté au premier. Pas même le moindre commandement ne pouvait être enfreint sans punition ; mais les disciples furent exhortés à faire attention à ne pas garder les commandements à la manière des scribes et des Pharisiens, dont l'observance était extérieure et cérémonielle, dépourvue des éléments essentiels de la dévotion sincère ; car ils étaient assurés que par une méthode aussi peu sincère, ils ne pourraient entrer « dans le royaume des cieux ».
 
LA LOI REMPLACÉE PAR L'ÉVANGILE [12]
 
La partie suivante du sermon traite de la supériorité de l'Évangile du Christ sur la loi de Moïse et compare les exigences des deux dans des cas particuliers. Tandis que la loi interdisait le meurtre mais prévoyait un châtiment juste pour le crime, le Christ enseigna que se livrer à la colère, qui pouvait amener à la violence ou même au meurtre, était en soi un péché. User méchamment d'une épithète offensante comme « Raca » rendait le sujet passible de punition en vertu du décret du sanhédrin, et appeler un autre insensé mettait le sujet en danger « du feu de la géhenne ». Ces termes répréhensibles étaient considérés à l'époque comme particulièrement violents et exprimaient par conséquent une intention haineuse. La main du meurtrier est poussée par la haine de son cœur. La loi prévoyait un châtiment de l'acte, l'Évangile réprimandait la passion mauvaise à son stade primaire. Soulignant ce principe, le Maître montra que la haine ne devait pas être expiée par un sacrifice matériel ; et que si, en venant faire une offrande à l'autel, on se souvenait qu'on avait quelque chose contre son frère, on devait d'abord aller trouver ce frère et se réconcilier avec lui, même si cela entraînait une interruption du cérémoniel, incident qui était particulièrement grave selon les prêtres. Les différends et les querelles devaient être réglés sans délai.
 
La loi interdisait le terrible péché d'adultère ; le Christ dit que le péché commençait dans le regard convoiteur, la pensée sensuelle ; et il ajouta qu'il valait mieux devenir aveugle que regarder avec un oeil mauvais, qu'il valait mieux perdre une main que de commettre une iniquité avec elle. À propos de la question du divorce, dans laquelle existait un grand relâchement à l'époque, Jésus déclara qu'à part l'infraction extrêmement grave que constituait l'infidélité aux vœux du mariage, nul ne pouvait divorcer de sa femme sans devenir offenseur lui-même, en ce sens qu'en se remariant, alors qu'elle n'était encore qu'une épouse injustement divorcée, elle serait coupable de péché de même que l'homme avec qui elle se marierait ainsi.
 
On avait interdit anciennement de jurer ou de faire serment sauf lorsqu'on faisait alliance solennelle devant le Seigneur ; mais le Seigneur interdit aux hommes de jurer ; et la laideur des jurons non motivés fut exposée. C'était et c'est un péché grave que de jurer par le ciel, qui est la demeure de Dieu, ou par la terre, qui est sa création et qu'il appela son marchepied, ou par Jérusalem, qui était considérée par ceux qui juraient comme la ville du grand Roi, ou par sa propre tête, qui fait partie du corps que Dieu a créé. Il recommanda la modération dans les paroles, la décision et la simplicité, à l'exclusion des mots inutiles, de la grossièreté et des jurons.
 
Autrefois, on tolérait le principe des représailles, en vertu duquel quelqu'un qui avait subi une offense pouvait exiger ou infliger un châtiment de même nature que l'offense. C'est ainsi qu'on réclamait un oeil pour un oeil, une dent pour une dent, une vie pour une vie". Le Christ, lui, enseigna que les hommes devaient souffrir plutôt que faire le mal, jusqu'à se soumettre sans résistance à certaines situations. Ces illustrations puissantes - que si l'on était frappé sur une joue, il fallait tendre l'autre à celui qui frappait, que si un homme prenait la tunique d'un autre en vertu de la loi, le perdant devait permettre qu'on lui prenne également son manteau, que si l'on obligeait quelqu'un à porter le fardeau d'un autre pendant un mille, il devrait être disposé à en faire deux, que l'on devait être prêt à donner ou à prêter quand on y était invité - ne doivent pas être comprises comme si elles commandaient de se soumettre servilement à des exigences injustes, ni comme une suppression du principe de la protection de soi. Ces instructions s'adressaient surtout aux apôtres, qui seraient officiellement consacrés à l'œuvre du royaume à l'exclusion de tous autres intérêts. Dans leur ministère, il vaudrait mieux pour eux souffrir, subir des pertes matérielles ou être maltraités personnellement par des oppresseurs corrompus que perdre de leur efficacité et empêcher l'œuvre par la résistance et les querelles. C'est à des gens comme ceux-là que les béatitudes s'appliquaient tout particulièrement : heureux ceux qui sont doux, ceux qui procurent la paix et ceux qui sont persécutés à cause de la justice.
 
Il avait été dit autrefois : « Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi [13] » ; mais maintenant le Seigneur enseignait : « Aimez vos ennemis, [bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent], et priez pour ceux [qui vous maltraitent et] qui vous persécutent. » C'était une doctrine nouvelle. Jamais encore il n'avait été commandé à Israël d'aimer ses ennemis. Il n'y avait aucune place pour l'amitié à l'égard des ennemis dans le code mosaïque : en effet, le peuple avait appris à considérer les ennemis d'Israël comme les ennemis de Dieu ; et maintenant Jésus exigeait que l'on fit preuve de tolérance, de miséricorde et même d'amour pour ceux-là ! Il compléta son exigence par une explication : grâce au moyen qu'il indiquait, les hommes peuvent devenir enfants de Dieu, semblables à leur Père céleste dans la mesure de leur obéissance ; car le Père est bon, longanime et tolérant, faisant briller son soleil sur les méchants et sur les bons, et envoyant la pluie satisfaire les besoins des justes et des injustes [14]. En outre, en quoi excelle l'homme qui ne donne que lorsqu'il reçoit, ne reconnaît que ceux qui le saluent avec respect, n'aime que lorsqu'il est aimé ? Même les péagers [15] en faisaient autant. Il était attendu beaucoup plus des disciples du Christ. L'exhortation qui conclut cette partie du discours constitue un résumé efficace et complet de tout ce qui avait précédé : « Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait » [16]. 
 
LA SINCÉRITÉ D'INTENTION [17]
 
À propos des aumônes, le Maître prévint contre l'ostentation et les démonstrations hypocrites, et les dénonça implicitement. Donner aux nécessiteux est digne d'éloge ; mais donner dans le but de gagner l'éloge des hommes c'est de l'hypocrisie pure. Jeter des aumônes à un mendiant, verser des offrandes dans les caisses du trésor du temple, pour être vu des hommes [18], et les démonstrations similaires d'une générosité affectée, étaient à la mode dans certaines classes à l'époque du Christ ; le même esprit se manifeste aujourd'hui. Il y en a maintenant qui font sonner la trompette, parfois dans les colonnes de la presse ou par d'autres moyens de publicité, pour attirer l'attention sur ce qu'ils donnent, afin de recevoir la gloire des hommes : pour gagner de la faveur politique, pour augmenter leur volume d'affaires ou leur influence, pour obtenir ce qui, dans leur esprit, vaut plus que ce dont ils se séparent. D'une manière tranchante et logique, le Maître démontra que pareils donateurs ont leur récompense. Ils auront reçu ce qu'ils demandent ; qu'est-ce que de tels hommes peuvent demander de plus, à quoi peuvent-ils logiquement s'attendre encore ? « Mais », dit le Seigneur, « quand tu fais l'aumône, que ta (main) gauche ne sache pas ce que fait ta (main) droite, afin que ton aumône se fasse en secret, et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. »
 
Dans le même esprit le Prédicateur dénonça les prières hypocrites : dire des prières au lieu de prier. Il y en avait beaucoup qui recherchaient les lieux publics dans les synagogues et même aux coins des rues, afin d'être vus et entendus des hommes tandis qu'ils disaient leurs prières. Ils obtenaient la publicité qu'ils recherchaient ; que pouvaient-ils demander de plus ? « En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. » Celui qui veut vraiment prier - prier, autant que possible, comme le Christ priait, prier en communion réelle avec Dieu, à qui la prière s'adresse - recherchera la solitude, l'isolement, la retraite ; s'il en a l'occasion, il se retirera dans sa chambre, en fermera la porte, afin que nul ne puisse entrer ; là il pourra prier, en effet, si l'esprit de prière est dans son cœur ; et c'est ce procédé-là que le Seigneur recommandait. Les suppliques verbeuses, composées surtout de répétitions comme celles des païens, pensant que leurs idoles seront heureuses de tant de paroles, étaient interdites.
 
Il est bon de savoir que la prière ne se compose pas de mots, de mots qui peuvent ne pas exprimer ce que l'on veut dire, de mots qui recouvrent souvent des inconséquences, de mots qui peuvent ne pas avoir de source plus profonde que les organes physiques de la parole, de mots qui peuvent être dits pour impressionner des oreilles mortelles. Les muets peuvent parler, et ce avec l'éloquence qui règne dans les cieux. La prière se compose de battements de cœur et des aspirations justes de l'âme, des suppliques basées sur la conscience du besoin, de la contrition et du désir pur. Si un homme n'a jamais réellement prié, il est séparé de l'ordre du divin dans la nature humaine, étranger dans la famille des enfants de Dieu. La prière sert à élever celui qui prie. Sans nos prières, Dieu serait Dieu, mais nous, sans la prière, nous ne pouvons être admis dans le royaume de Dieu. C'est pourquoi le Christ enseigna : « Votre père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. »
 
Puis il donna à ceux qui cherchaient la sagesse à ses pieds une prière modèle, disant : « Voici donc comment vous devez prier : Notre Père qui es aux cieux ! Que ton nom soit sanctifié. » Ici, nous reconnaissons les rapports qui existent entre notre Père céleste et nous, et tout en respectant son grand et noble nom, nous profitons de l'avantage inestimable de nous approcher de lui, moins en pensant à sa gloire infinie, en tant que Créateur de tout ce qui est, Être suprême planant au-dessus de toute création, qu'en nous rendant compte avec amour qu'il est Père et que nous sommes ses enfants. C'est l'écriture biblique la plus ancienne qui donne des instructions, la permission ou l'autorité de parler directement à Dieu comme à « Notre Père ». C'est ici qu'est exprimée la réconciliation que la famille humaine, éloignée par le péché, peut obtenir, grâce aux moyens fournis par le Fils bien-aimé. Cette instruction démontre d'une manière également claire la fraternité entre le Christ et l'humanité. Comme il pria, de même nous prions le Père, nous comme frères, et le Christ comme notre frère aîné.
 
« Que ton règne vienne ; que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Le royaume de Dieu doit être un royaume d'ordre, dans lequel la tolérance et la reconnaissance des droits individuels régneront. Celui qui prie réellement pour que ce règne vienne s'efforcera de hâter sa venue en vivant conformément à la loi de Dieu. Il s'efforcera de rester en harmonie avec l'ordre du royaume, de soumettre la chair à l'esprit, l'égoïsme à l'altruisme et d'apprendre à aimer les choses que Dieu aime. Rendre la volonté de Dieu suprême sur la terre, comme elle l'est au ciel, c'est s'allier avec Dieu dans les affaires de la vie. Il y en a beaucoup qui professent croire que Dieu étant omnipotent, tout ce qui est, est conformément à sa volonté. Pareille supposition n'est pas scripturaire, est déraisonnable et fausse [19]. La méchanceté n'est pas conforme à sa volonté ; le mensonge, l'hypocrisie, le vice et le crime ne sont pas les dons de Dieu à l'homme. Ces monstruosités qui se sont développées comme des malformations hideuses dans la nature et la vie humaines seront abolies par sa volonté, et cette fin bénie viendra lorsque, de leur propre choix, sans abandonner ni supprimer leur libre arbitre, les hommes feront la volonté de Dieu.
 
« Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien. » La nourriture est indispensable à la vie. Nous devons la demander quand nous en avons besoin. Notre Père sait ce dont nous avons besoin avant que nous le demandions, cela est vrai, mais en demandant nous le reconnaissons comme étant le Donateur, et cette demande nous incite à être humbles, reconnaissants, contrits et confiants. Bien que le soleil brille et que la pluie tombe également sur les justes et les injustes, celui qui est juste est reconnaissant de ces bénédictions ; l'impie reçoit les bienfaits comme quelque chose de naturel, d'une âme qui est incapable d'avoir de la reconnaissance. La capacité d'être reconnaissant est une bénédiction, et nous devrions être plus reconnaissants de la posséder. On nous enseigne à prier jour après jour pour la nourriture dont nous avons besoin, non pour obtenir une grande quantité à mettre de côté pour l'avenir lointain. Israël dans le désert recevait quotidiennement de la manne [20] et cela lui rappelait qu'il dépendait de Celui qui donnait. L'homme qui a beaucoup a plus de facilité à oublier sa dépendance que celui qui est dans le besoin et qui doit demander jour après jour.
 
« Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » [21].  Celui qui peut ainsi prier avec une pleine intention et un but sans mélange mérite le pardon. Dans cette condition requise de la supplication personnelle, il nous est enseigné de n'attendre que ce que nous méritons. Les égoïstes et les pécheurs se réjouiraient d'être exemptés de leurs dettes légales, mais être égoïste et pécheur serait exiger le dernier sou de ceux qui sont endettés [22]. Le pardon est une perle trop précieuse pour qu'on la jette aux pieds de ceux qui ne pardonnent pas [23] ; et, sans la sincérité qui jaillit d'un cœur contrit, nul ne peut demander en justice la miséricorde. Si d'autres doivent quelque chose, que ce soit en argent ou en biens, ou en vertu d'une infraction à nos droits, la manière dont nous agissons envers eux sera prise en compte dans le jugement de nos propres offenses.
 
« Ne nous laisse pas entrer dans la tentation, mais délivre-nous du Malin ». La première partie de cette demande a provoqué des commentaires et des questions. Nous ne devons pas entendre par là que Dieu induirait jamais un homme en tentation, si ce n'est peut-être comme une permission sage, pour le mettre à l'épreuve, lui donnant par là l'occasion de vaincre et d'acquérir ainsi la force spirituelle, qui est le seul avancement véritable dans le progrès éternel de l'homme. Le seul but pour lequel des corps ont été donnés pour les esprits préexistants du genre humain et pour les avancer à l'état mortel était : « Nous les mettrons ainsi à l'épreuve, pour voir s'ils feront tout ce que le Seigneur, leur Dieu, leur commandera » [24]. Le plan de la mortalité entraînait la certitude de la tentation. L'intention de la supplication semble être que nous soyons préservés de toute tentation située au-delà de nos faibles capacités de résistance ; que nous ne soyons pas abandonnés à la tentation sans le soutien divin qui sera une mesure de protection aussi complète que le permettra le choix que nous ferons.
 
Comme il est donc illogique d'aller, comme beaucoup le font, en des lieux où les tentations auxquelles ils sont le plus sensibles sont les plus fortes ; pour l'homme affligé d'une passion pour la boisson forte, de prier ainsi et puis de se rendre au bistrot ; pour l'homme dont les désirs sont voluptueux, d'exprimer pareille prière et puis d'aller là où la volupté est attisée ; pour l'homme malhonnête, de dire la prière, puis de se placer où il sait qu'il aura l'occasion de voler ! Pareilles âmes peuvent-elles ne pas être hypocrites lorsqu'elles demandent à Dieu de les délivrer des maux qu'elles ont recherchés ? La tentation se mettra sur notre chemin sans que nous la recherchions, et le mal se présentera même lorsque nous avons le plus grand désir de faire le bien ; c'est pour être délivrés de cela que nous pouvons prier en nous attendant à bon droit et avec assurance à être exaucés.
 
« Car c'est à toi qu'appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire. Amen ! » Ici nous reconnaissons la suprématie de l'Être que nous avons appelé au commencement le Père. Il est le Tout-Puissant, en qui et par la volonté de qui nous avons la vie, le mouvement et l'être [25]. Se prétendre indépendant de Dieu est à la fois un sacrilège et un blasphème ; le reconnaître est un devoir filial et une confession juste de sa majesté et de sa domination. Le Notre Père se termine par un « Amen » solennel, placé comme sceau sur le document de la supplique, attestant sa sincérité et l'expression véritable de l'âme du suppliant ; réunissant en un mot le sens de tout ce qui a été prononcé ou pensé. Le sens littéral d'Amen est Ainsi soit-il.
 
Après le sujet de la prière, le Maître aborda celui du jeûne et souligna la vérité importante que pour servir à quelque chose le jeûne doit être une affaire entre l'homme et son Dieu, et non entre l'homme et ses semblables. Il était d'usage courant, à l'époque du Maître, de voir des hommes afficher leur abstinence pour faire voir à tout le monde leur prétendue piété [26]. Afin d'apparaître hagards et faibles, ces hypocrites se défiguraient le visage, sortaient non coiffés et lançaient des regards tristes. Le Seigneur dit de ceux-là aussi : « En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. » Les croyants furent exhortés à jeûner en secret, sans démonstration extérieure, et à jeûner en Dieu, qui pouvait voir dans le secret et entendrait leur sacrifice et leur prière.
 
LES TRÉSORS DE LA TERRE ET DU CIEL [27]
 
Le caractère transitoire de la richesse matérielle fut mis ensuite en contraste avec la richesse durable de l'éternité. Il y en avait et il y en a beaucoup dont l'effort principal dans la vie vise à amasser les trésors de la terre, dont la simple possession entraîne des responsabilités, des soucis et des ennuis. Certaines espèces de richesses comme la soie et le velours, le satin et les fourrures, sont mises en danger par les ravages de la teigne, certaines l'argent, le cuivre et l'acier - sont détruites par la corrosion et la rouille - en outre, il n'est pas rare que celles-ci deviennent le butin des voleurs. Infiniment plus précieux sont les trésors d'une vie bien vécue, la richesse de bonnes actions, dont il est tenu compte dans le ciel, où la richesse des œuvres de justice est à l'abri de la teigne, de la rouille et des voleurs. Puis vint la leçon pénétrante : « Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. »
 
Elle montre que la lumière spirituelle est plus grande qu'aucun luminaire physique. À quoi sert la lumière la plus brillante à l'homme qui est aveugle ? C'est l'œil physique qui discerne la lumière de la bougie, de la lampe ou du soleil ; et l'œil spirituel voit par la lumière spirituelle ; si donc l'œil spirituel de l'homme est en bon état, c'est-à-dire pur et non terni par le péché, il est rempli de la lumière qui lui montrera le chemin vers Dieu ; tandis que si l'œil de son âme est mauvais, il sera comme un oeil rempli de ténèbres. Le résumé exprime un avertissement solennel : « Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, combien seront grandes les ténèbres ! » Ceux à qui le Maître s'adressait avaient reçu la lumière de Dieu ; le degré de foi qu'ils avaient déjà professé en était la preuve. S'ils devaient se détourner de la grande entreprise dans laquelle ils s'étaient embarqués, la lumière serait perdue et les ténèbres qui s'ensuivraient seraient plus denses que celles dont ils avaient été libérés [28]. Il ne devait y avoir aucune indécision chez les disciples. Aucun d'entre eux ne pouvait servir deux maîtres, celui qui professait faire cela serait un serviteur infidèle pour l'un ou pour l'autre. Ensuite vint une autre généralisation profonde : « Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon » [29]. 
 
Il leur fut dit de se fier au Père pour leurs besoins, ne se souciant ni de nourriture ni de boisson, ni de vêtements, ni même de la vie elle-même, car tout cela serait donné par des moyens supérieurs à leurs pouvoirs de contrôle. Avec la sagesse d'un Maître entre les maîtres, le Seigneur fit appel à leur cœur et à leur intelligence en citant les leçons de la nature dans un langage d'une éloquence si simple et pourtant si puissante que l'amplifier ou le condenser ne ferait que le ternir :
 
« Regardez les oiseaux du ciel : Ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n'amassent rien dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu'eux ? Qui de vous, par ses inquiétudes, peut ajouter une seule coudée à la durée de sa vie ? Et pourquoi vous inquiéter au sujet du vêtement ? Observez comment croissent les lis des champs : Ils ne travaillent, ni ne filent ; cependant je vous dis que Salomon même, dans toute sa gloire, n'a pas été vêtu comme l'un d'eux. »
 
Il réprimanda la faiblesse de la foi en rappelant que le Père, qui se souciait même de l'herbe des champs, qui pousse un jour et est rassemblée le lendemain pour être brûlée, ne manquerait pas de se souvenir des siens. C'est pourquoi le Maître ajouta : « Cherchez premièrement son royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus. »
 
NOUVELLE CONDAMNATION DE L'HYPOCRISIE [30]
 
Les hommes ont tendance à juger leurs semblables et à faire leur éloge ou leur critique sans considérer suffisamment les faits ou les circonstances. Le Maître exprima sa désapprobation des jugements tendancieux ou non fondés. « Ne jugez pas, afin de ne pas être jugés », exhorta-t-il ; c'est selon la manière dont on a jugé les autres que l'on sera jugé soi-même. L'homme qui est toujours prêt à corriger les erreurs de son frère, à enlever la paille de l'œil de son prochain, afin que ce prochain voie les choses comme l'ami intéressé et importun voudrait qu'il les voie, fut dénoncé comme hypocrite. Qu'était la poussière dans la vision de son prochain en comparaison de la poutre de son propre oeil ? Les siècles qui se sont écoulés entre le temps du Christ et notre propre époque nous ont-ils rendus moins ardents à guérir la mauvaise vue de ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas se ranger à notre point de vue et voir les choses comme nous les voyons ?
 
Ces disciples, dont certains allaient bientôt agir avec l'autorité du saint apostolat, furent mis en garde contre la dissémination inconsidérée et aveugle des vérités et des préceptes sacrés qui leur étaient confiés. Ils auraient pour devoir de discerner l'esprit de ceux qu'ils essayaient d'instruire et de leur donner avec sagesse. Les paroles du Maître furent fortes : « Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds et ne se retournent pour vous déchirer » [31]. 
 
PROMESSE ET ASSURANCE NOUVELLE [32]
 
Il leur fit ensuite la belle promesse que leurs supplications seraient entendues et exaucées. Ils devaient demander, et ils recevraient ; ils devaient frapper, et la porte s'ouvrirait. Leur Père céleste n'aurait certainement pas moins de considération qu'un père humain ; et quel est le père qui, si son fils lui demandait du pain, lui répondrait en lui donnant une pierre ou qui lui donnerait un serpent s'il demandait un poisson ? Il n'en serait que d'autant plus certain que Dieu accorderait de bonnes choses à ceux qui demandaient selon leurs besoins, avec foi. « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, aussi, faites-le de même pour eux, car c'est la loi et les prophètes. »
 
La voie droite et étroite que l'homme peut suivre dans la sainteté fut comparée avec la voie large qui mène à la perdition. Il fallait éviter les faux prophètes, tels qu'il y en avait parmi le peuple, qui, dans leurs prétentions, étaient comparables à des brebis mais étaient en réalité des loups dévorants. Ceux-ci, ils les reconnaîtraient à leurs oeuvres et aux résultats de celles-ci, tout comme on jugera qu'un arbre est bon ou mauvais selon son fruit. Les épines ne produisent pas de raisin, et les chardons ne peuvent porter de figues. De même, il est tout aussi impossible à un bon arbre de produire du mauvais fruit qu'à un arbre inutile et pourri de porter du bon fruit.
 
La religion, c'est plus que confesser et professer du bout des lèvres. Jésus affirma que le jour du jugement beaucoup prétendraient être ses disciples, disant : « Seigneur, Seigneur ! N'est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons chassé des démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ? Alors je leur déclarerai : Je ne vous ai jamais connus retirez-vous de moi, vous qui commettez l'iniquité. » Ce n'est qu'en faisant la volonté du Père que l'on peut obtenir la grâce salvatrice du Fils. Vouloir parler et agir au nom du Seigneur sans en avoir reçu l'autorité que seul le Seigneur peut donner, c'est ajouter le sacrilège à l'hypocrisie. Même les miracles qui seront accomplis ne prouveront pas les prétentions de ceux qui professent administrer les ordonnances de l'Évangile, s'ils n'ont pas l'autorité de la sainte prêtrise [33].
 
ENTENDRE ET FAIRE [34]
 
Le sermon sur la montagne a traversé toutes les années qui se sont écoulées depuis qu'il a été prononcé sans qu'aucun autre ait pu rivaliser avec lui. Aucun mortel n'a jamais prêché de discours de ce genre depuis ce temps-là. L'esprit du discours est du début à la fin celui de la sincérité et de l'action, par opposition aux professions vides et à la négligence. Dans les dernières phrases, le Seigneur montra l'inutilité de se borner à entendre, par comparaison avec l'efficacité de l'action. L'homme qui entend et agit est comme le constructeur sage qui posa les fondations de sa maison sur du roc ; et en dépit de la pluie, des torrents et des vents, la maison résista. Celui qui entend et n'obéit pas est comparé à l'insensé qui construisit sa maison sur le sable ; et lorsque la pluie est tombée ou que les vents ont soufflé ou que les torrents sont venus, voici, elle est tombée, et sa ruine a été grande.
 
Pareils enseignements étonnèrent le peuple. Le Prédicateur n'avait cité pour ses enseignements originaux aucune autorité autre que la sienne. Son discours ne présentait aucun cortège de précédents rabbiniques ; la loi était remplacée par l'Évangile : « Car il les enseignait comme quelqu'un qui a de l'autorité et non pas comme leurs scribes. »
 
 [1] Mt chap. 5, 6, 7 ; Lc 6:20-49 (voir aussi la version du sermon prononcé par Jésus-Christ après sa résurrection, aux Néphites du continent américain : LM, 3 Né, chap. 12, 13, 14. Voir aussi chapitre 39 du présent ouvrage).
 [2] Note 1, fin du chapitre.
 [3] Mt 4:23-25 ; lire ces versets avec 5:1 ; voir aussi Lc 6:17-19.
 [4] Note 1, fin du chapitre.
 [5] Mt 5:3-12 ; cf. Lc 6:20-26 et LM, 3 Né 12:1-12.
 [6] Mt 5:11, 12 ; cf. Lc 6:26 ; LM, 3 Né 12:11,12.
 [7] Note 2, fin du chapitre.
 [8] D&A 93:33.
 [9] Lv 2:13 ; cf. Esd 6:9 ; Ez 43:24.
 [10] Notez l'expression « alliance du sel » [version du roi Jacques, ndt] désignant l'alliance entre Jéhovah et Israël, Lv 2:13, Nb 18:19 ; cf. 2 Ch 13:5.
 [11] Note 3, fin du chapitre.
 [12] Mt 5:21-48, Lc 6:27-36 ; cf. LM, 3 Né 12:21-48.
 [13] Cf. Lv 19:18 ; Dt 23:6 et Ps 41:10.
 [14] Comparer avec la leçon donnée dans la parabole de l'ivraie, Mt 13:24-30.
 [15] Note 4, fin du chapitre ; voir aussi chap. 14, notes.
 [16] Note 5, fin du chapitre.
 [17] Mt 6:1-18 ; cf. Lc 11:2-4 ; LM, 3 Né 13:1-18.
 [18] Examiner l'incident du don du riche et de l'obole de la veuve, Mc 12:41-44 ; Lc 21:1-4.
 [19] Chap. 3.
 [20] Ex 16:16-21.
 [21] Version anglaise : « Pardonne-nous nos dettes, comme nous pardonnons nos débiteurs », ndt.
 [22] Notez la leçon de la parabole du serviteur impitoyable, Mt 18:23-25.
 [23] Cf. Mt 7:6.
 [24] PGP, Abr 3:25 ; voir chap. 2 du présent ouvrage, notes.
 [25] Ac 17:28.
 [26] Comparer avec l'exemple donné à propos de la parabole du Pharisien et du péager, Lc 18:10-14.
 [27] Mt 6:19-34 ; cf. Lc 12:24-34,16:13,18:22 ; LM, 3 Né 13:19-34.
 [28] Lc 11:34-36.
 [29] Cf. Ga 1:10 ; 1 Tm 6:17 ; Jc 4:4 ; 1 Jn 2:15.
 [30] Mt 7:1-5 ; Luc 6:37, 38, 41, 42 ; cf. LM, 3 Né 14:1-5.
 [31] Mt 7:6 ; cf. LM, 3 Né 14:6.
 [32] Mt 7:7-23 ; Lc 6:43-44,46, 11:9-13, 13:24-30 ; cf. LM, 3 Né 14:7-23.
 [33] Articles de Foi, p. 222-233, 281-283.
 [34] Mt 7:24-29 ; Lc 6:46-49 ; cf. LM, 3 Né 14:24-27.
 
NOTES DU CHAPITRE 17
 
1. Époque et lieu du sermon sur la montagne : Matthieu cite très rapidement le discours, le plaçant même avant d'indiquer son appel de la maison du péage - appel qui précéda certainement l'ordination du groupe des Douze - et avant de raconter un grand nombre de paroles et d'actions du Seigneur déjà examinées dans ces pages. Luc place son sommaire partiel du sermon après l'ordination des apôtres. Matthieu nous dit que Jésus était monté sur la montagne et qu'il était assis tandis qu'il parlait ; le récit de Luc fait penser que Jésus et les Douze descendirent tout d'abord des hauteurs de la montagne dans une plaine, où la foule les rencontra, et que Jésus leur prêcha debout. Les critiques qui s'amusent de petits détails, négligeant souvent des choses plus importantes, ont essayé de tirer le plus grand parti de ces divergences apparentes. N'est-il pas probable que Jésus parla en détail à ses disciples qui étaient alors présents, sur le flanc de la montagne, et parmi lesquels il avait choisi les Douze, et qu'après avoir terminé le discours qu'il leur avait fait, il descendit avec eux dans la plaine où une multitude s'était assemblée, et qu'il lui répéta certaines parties de ce qu'il avait déjà dit ? L'abondance relative du récit de Matthieu peut être due au fait que, étant l'un des Douze, il assista au premier discours plus étendu.
 
2. Le plaisir et le bonheur : « Le temps présent est une période de recherche du plaisir, et les hommes perdent le sens dans la folle course aux sensations qui ne font qu'exciter et décevoir. À notre époque de contrefaçon, de déformation et d'imitation viles, le démon est plus occupé qu'il ne l'a jamais été au cours de l'histoire humaine à fabriquer des plaisirs, tant vieux que nouveaux ; et ceux-ci, il les met en vente d'une manière extrêmement attrayante, portant faussement l'étiquette : Bonheur. Il n'a pas son égal dans cet art destructeur d'âmes ; il a des siècles d'expérience et de pratique, et par son habileté, il contrôle le marché. Il a appris les ficelles du métier et sait comment attirer l'œil et éveiller le désir de ses clients. Il emballe sa marchandise dans des paquets aux couleurs vives, fermés par des fils de clinquant et des pompons ; et les foules affluent aux comptoirs de ses magasins, se bousculant et s'écrasant mutuellement dans leur frénésie d'achat.
 
« Suivez l'un des acheteurs tandis qu'il s'en va avec une satisfaction méchante, son paquet criard sous le bras, et regardez-le l'ouvrir. Que trouve-t-il à l'intérieur de l'emballage doré ? Il s'était attendu à un bonheur parfumé, mais il ne découvre qu'une forme inférieure de plaisir dont la puanteur est écœurante.
 
« Le bonheur comprend tout ce qui est réellement désirable et de valeur réelle dans le plaisir et beaucoup d'autres choses en plus. Le bonheur est de l'or véritable, le plaisir n'est que de l'airain doré, qui se corrode dans la main et se transforme bientôt en vert-de-gris empoisonné. Le bonheur est comme le diamant véritable qui, brut ou poli, brille de son lustre inimitable ; le plaisir est comme l'imitation en toc qui ne brille que lorsqu'on l'embellit artificiellement. Le bonheur est comme le rubis, rouge comme le sang du cœur, dur et durable ; le plaisir comme du verre de couleur, fragile, cassant et de beauté passagère.
 
« Le bonheur, c'est la nourriture véritable, saine, nutritive et douce ; elle édifie le corps et apporte de l'énergie pour l'action, physique, mentale et spirituelle ; le plaisir n'est qu'un stimulant trompeur qui, comme les spiritueux, fait croire qu'on est fort alors qu'en réalité on est affaibli, fait imaginer qu'on est en bonne santé alors qu'on est en fait frappé d'une maladie mortelle.
 
« Le bonheur ne laisse pas de mauvais arrière-goût, il n'est suivi d'aucune réaction déprimante ; il ne demande aucun repentir, n'apporte aucun regret, n'implique aucun remords ; le plaisir rend trop souvent le repentir, la contrition et la souffrance nécessaires ; et, si on s'y livre à l'extrême, il apporte la dégradation et la destruction.
 
« Le vrai bonheur se revit constamment en mémoire, toujours avec un renouveau du bien originel ; un moment de plaisir impie peut laisser un aiguillon barbelé qui, comme une épine dans la chair, est une source éternellement présente d'angoisse.
 
« Le bonheur n'est pas apparenté à la légèreté ni à la gaieté frivole. Il jaillit des sources profondes de l'âme, et il n'est pas rare qu'il s'accompagne de larmes. N'avez-vous jamais été heureux au point d'en pleurer ? Moi si. » (Tiré d'un article de l'auteur, Improvement Era, vol. 17, numero 2, p. 172, 173).
 
3. Le sel de la terre : Le Commentary on the Holy Bible, de Dummelow, sur Matthieu 5:13, dit : « En Palestine, le sel, étant recueilli dans un état impur, subit souvent des changements chimiques qui détruisent sa saveur tandis que son aspect subsiste. » Nous pourrons peut-être suggérer une interprétation raisonnable de l'expression « Si le sel perd sa saveur » en disant que le sel mêlé à des impuretés insolubles peut être dissous par l'humidité, ne laissant le résidu insoluble que légèrement salé. La leçon de l'illustration du Seigneur est que le sel gâté est incapable de conserver. Le passage correspondant dans le sermon que Jésus fit aux Néphites après sa résurrection dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis : Je vous donne d'être le sel de la terre ; mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la terre sera-t-elle salée ? Le sel désormais ne serait plus bon à rien qu'à être jeté et foulé aux pieds des hommes » (3 Né 12:13).
 
4. Allusion aux péagers : Observez que Matthieu, qui avait été péager, rapporte franchement cette allusion (5:46,47) faite à la classe méprisée, à laquelle il appartenait. Luc écrit « pécheurs » au lieu de « péagers » (6:32-34). Naturellement, si les récits des deux auteurs font allusion à des discours séparés (voir note 1 ci-dessus), ils peuvent avoir raison tous les deux. Mais nous trouvons que Matthieu se donne à lui-même le nom de péager lorsqu'il fait la liste des apôtres (10:3) et que les autres évangélistes omettent avec tact ce titre peu enviable (Mc 3:18, Lc 6:15).
 
5. La perfection relative : On ne peut interpréter raisonnablement l'exhortation que notre Seigneur fit aux hommes de devenir parfaits comme le Père est parfait (Mt 5:48) que comme sous-entendant la possibilité de pareilles réalisations. Il est cependant clair que l'homme ne peut devenir parfait dans la mortalité dans le sens dans lequel Dieu est parfait en tant qu'Être suprêmement glorifié. Il est cependant possible à l'homme d'être parfait dans sa sphère dans un sens analogue à celui dans lequel les intelligences supérieures sont parfaites dans leurs sphères respectives ; cependant la perfection relative de celles qui sont plus bas est infiniment inférieure à celle de ceux qui sont plus haut. Un universitaire de première ou de deuxième année peut être parfait en tant qu'étudiant de première ou de deuxième année ; il peut avoir 100% d'efficacité et de réalisations ; cependant les honneurs de l'étudiant de troisième ou de quatrième années sont au-delà de sa portée, et le diplôme de licence est éloigné pour lui mais constitue une possibilité certaine, s'il reste fidèle et dévoué jusqu'à la fin.
  
 
CHAPITRE 18 : COMME AYANT AUTORITÉ
 
Le récit que Matthieu fait du merveilleux discours que nous appelons le sermon sur la montagne prend fin par une phrase puissante dans laquelle il décrit l'effet des paroles du Maître sur le peuple : « Car il les enseignait comme quelqu'un qui a de l'autorité et non pas comme leurs scribes » [1]. Une caractéristique frappante du ministère du Christ était l'absence totale de toute tentative de fonder ses paroles ou ses actes sur une autorisation humaine quelconque ; l'autorité qu'il professait avoir était celle du Père qui l'avait envoyé. Ses discours, qu'ils fussent donnés à des multitudes ou prononcés d'une manière relativement intime pour quelques-uns, étaient dépourvus des citations travaillées dans lesquelles les docteurs de l'époque se complaisaient. Son « je vous le dis » péremptoire prenait la place de l'appel à l'autorité et surpassait tout déploiement possible de précédents sous forme de commandements ou de déductions. En cela ses paroles différaient essentiellement des formules érudites des scribes, des Pharisiens et des rabbis. Pendant tout son ministère, il manifesta une puissance et une autorité inhérentes sur la matière et les forces de la nature, sur les hommes et les démons, sur la vie et la mort. Il est maintenant de notre intention d'examiner un certain nombre de cas dans lesquels la puissance du Seigneur se manifesta en diverses œuvres puissantes.
 
GUÉRISON DU SERVITEUR DU CENTURION [2]
 
Du mont des béatitudes, Jésus retourna à Capernaüm. Il importe peu de savoir si ce fut directement ou par un chemin plus long marqué par d'autres oeuvres puissantes et miséricordieuses. Il y avait à l'époque une garnison romaine dans la ville. Un officier, centurion [centenier dans la version Segond, ndt] ou capitaine de cent hommes, y était stationné. À la maison de cet officier était attaché un serviteur pour lequel il avait beaucoup d'estime et qui était malade, « sur le point de mourir ». Le centurion avait la foi que le Christ pouvait guérir son serviteur et invoqua l'intercession des anciens Juifs pour demander au Maître la bénédiction désirée. Ces anciens implorèrent Jésus avec la plus grande ferveur et firent valoir la valeur de l'homme qui, bien que Gentil, aimait le peuple d'Israël et, de ses richesses, avait construit une synagogue pour eux dans la ville. Jésus alla avec les anciens, mais le centurion, ayant probablement appris l'approche de la petite compagnie, envoya en hâte d'autres envoyés dire qu'il ne se considérait pas digne de faire entrer Jésus chez lui, sentiment d'indignité qui lui avait interdit d'oser faire sa requête en personne [3]. « Mais », disait la supplique, « dis un mot, et mon serviteur sera guéri. » Nous pouvons comparer la conception que cet homme avait de la puissance du Christ à celle du noble de la même ville, qui avait demandé à Jésus de se hâter en personne aux côtés de son fils mourant [4].
 
Le centurion semble avoir raisonné de la manière suivante : il était lui-même un homme d'autorité, bien que sous la direction d'officiers supérieurs. À ses subordonnés il donnait des ordres auxquels ceux-ci obéissaient. Il n'estimait pas nécessaire d'assister personnellement à l'exécution de ses ordres. Il était certain que quelqu'un qui avait un pouvoir tel que celui que Jésus possédait pouvait commander et être obéi. En outre, il se peut que l'homme ait entendu parler de la guérison merveilleuse du fils mourant du noble, que le Seigneur accomplit en prononçant la parole guérisseuse alors qu'il se trouvait à des kilomètres du lit du patient. Nous ne pouvons douter que la confiance et la foi du centurion aient été sincères puisque Jésus les loua expressément. L'homme affligé fut guéri. On nous dit que Jésus admira [5] la manifestation de foi du centurion et dit, se tournant vers les gens qui le suivaient : « Je vous le dis, même en Israël je n'ai pas trouvé une aussi grande foi. » Cette réflexion peut avoir provoqué l'étonnement de certains auditeurs ; les Juifs n'avaient pas l'habitude d'entendre exalter ainsi la foi d'un Gentil car, selon le traditionalisme du temps, un Gentil, même converti ardent au judaïsme, était considéré comme essentiellement inférieur, même au plus indigne du peuple choisi. Le commentaire de notre Seigneur montrait clairement que les Gentils seraient préférés dans le royaume de Dieu, s'ils excellaient en dignité. En prenant le récit de Matthieu, nous trouvons cet enseignement supplémentaire introduit comme d'habitude par « Je vous le dis » - Que « plusieurs viendront de l'Orient et de l'Occident, et se mettront à table avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux. Mais les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents » [6]. 
 
Cette leçon, qu'Israël ne peut parvenir à la suprématie qu'en excellant en justice est, comme nous le verrons, répétée et soulignée dans les enseignements du Seigneur.
 
RÉSURRECTION D'UN JEUNE HOMME DE NAÏN [7]
 
Le lendemain du miracle que nous venons d'examiner, Jésus se rendit dans la petite ville de Naïn et, comme d'habitude, beaucoup de personnes l'accompagnèrent. Ce jour-là se produisit ce qui, dans l'estimation des hommes, fut un miracle plus grand que tous ceux qu'il avait accomplis auparavant. Il en avait déjà guéri beaucoup, parfois d'un mot prononcé en présence des affligés, et aussi alors qu'il était loin du bénéficiaire de sa puissance bienfaitrice ; des maladies corporelles avaient été vaincues et des démons avaient été réprimandés sur son ordre ; mais, bien que des malades qui étaient près de mourir eussent été sauvés de la tombe, nous n'avons pas de récit plus ancien où notre Seigneur ait commandé à la mort terrible, elle-même, de rendre quelqu'un qu'elle avait emporté [8]. Comme Jésus et ses disciples approchaient de la ville, un cortège funèbre d'un grand nombre de personnes vint à sa rencontre ; on transportait au tombeau le fils unique d'une veuve ; le corps était porté, selon la coutume du temps, sur une bière ouverte. Notre Seigneur contempla avec compassion la mère endeuillée, maintenant privée d'époux et de fils ; et ressentant en lui-même [9] la douleur de sa souffrance, il dit d'un ton doux : « Ne pleure pas ! » Il toucha le brancard sur lequel le mort était étendu, et les porteurs s'arrêtèrent. Puis en s'adressant au cadavre, il dit : « Jeune homme, je te le dis, lève-toi ! » Et le mort entendit la voix de celui qui est le Seigneur de tous [10], et se leva immédiatement et parla. Gracieusement Jésus remit le jeune homme à sa mère. Nous lisons sans étonnement que la crainte envahit tous ceux qui étaient là et qu'ils glorifièrent Dieu, attestant qu'un grand prophète se trouvait parmi eux et que Dieu avait visité son peuple. La nouvelle de ce miracle parcourut tout le pays et parvint même aux oreilles de Jean-Baptiste, qui se trouvait dans la prison d'Hérode. L'effet que fit sur Jean la nouvelle de ce miracle et d'autres miracles puissants du Christ réclame maintenant notre attention.
 
LE MESSAGE DE JEAN-BAPTISTE À JÉSUS
 
Avant même le retour de Jésus en Galilée après son baptême, et les quarante jours de solitude dans le désert, Jean-Baptiste avait été emprisonné sur ordre d'Hérode Antipas, tétrarque de Galilée et de Pérée [11]. Au cours des mois suivants, pendant lesquels notre Seigneur prêcha activement l'Évangile, enseignant le sens véritable du Royaume, réprouvant le péché, guérissant les affligés, réprimandant les esprits mauvais et ressuscitant même les morts, son précurseur, le pieux et courageux Jean, était prisonnier dans les cachots de Machaerus, l'une des plus puissantes citadelles d'Hérode [12].
 
Le tétrarque avait un certain respect pour Jean, ayant constaté que c'était un saint homme ; et Hérode avait fait beaucoup de choses sur le conseil direct du Baptiste ou à cause de l'influence de l'enseignement général de ce dernier. En fait, Hérode avait écouté Jean avec plaisir et ne l'avait emprisonné qu'en cédant à contrecœur aux importunités d'Hérodiade, qu'Hérode avait déclarée être sa femme sous couvert d'un mariage illégal. Hérodiade avait été et était encore légalement la femme de Philippe, frère d'Hérode, dont elle n'avait jamais été légalement divorcée ; son prétendu mariage avec Hérode Antipas était à la fois adultère et incestueux en vertu de la loi juive. Le Baptiste avait dénoncé hardiment cette union pécheresse ; il avait dit à Hérode : « Il ne t'est pas permis d'avoir la femme de ton frère. » Bien qu'Hérode ait pu ignorer cette sévère réprimande, ou ait pu du moins permettre de la laisser passer sans châtiment, Hérodiade ne voulut pas être indulgente. C'est elle, et non le tétrarque, qui haïssait Jean le plus ; elle « avait du ressentiment contre » Jean et réussit à amener Hérode à faire saisir et incarcérer le Baptiste, ce qui était une étape dans la consommation de son plan vengeur de le faire mettre à mort [13]. En outre, Hérode craignait que le peuple ne se révoltât au cas où Jean serait tué sur son ordre [14]. Au cours de son long emprisonnement, Jean avait beaucoup entendu parler de la prédication et de l'œuvre merveilleuse du Christ ; ces choses avaient dû lui être rapportées par certains de ses disciples et de ses amis qui avaient la permission de lui rendre visite [15]. Il fut, en particulier, informé de la résurrection miraculeuse du jeune homme à Naïn [16] ; et il chargea sur le champ deux de ses disciples de porter un message dans lequel il demandait à interroger Jésus [17]. Ceux-ci allèrent trouver le Christ et lui expliquèrent le but de leur visite comme suit : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Les messagers trouvèrent Jésus occupé à des oeuvres bienveillantes ; et au lieu de répondre immédiatement en paroles, il continua sa tâche, soulageant à cette même heure un plus grand nombre de personnes qui étaient affligées de cécité ou d'infirmités, ou qui étaient troublées par des esprits mauvais. Puis, se tournant vers les deux personnes qui avaient communiqué la question du Baptiste, Jésus dit : « Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles recouvrent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute ! »
 
La question des disciples de Jean reçut la réponse d'actes merveilleux de bienveillance et de miséricorde. Lorsque la réponse fut rapportée à Jean, le prophète emprisonné ne pouvait guère manquer de se rappeler les prédictions d'Ésaïe, qui disaient que c'était par ces signes de miracles et de bénédictions mêmes que le Messie serait connu [18] ; et le reproche dut être convaincant et accusateur lorsqu'il se rappela les citations qu'il avait faites lui-même des prophéties d'Ésaïe, lorsqu'il avait proclamé avec une éloquence ardente et flétrissante l'accomplissement de cette prédiction ancienne dans sa propre mission et dans celle du personnage tout-puissant dont il avait rendu personnellement témoignage [19].
 
La dernière phrase de la réponse de notre Seigneur à Jean était l'apogée de ce qui avait précédé, et une réprimande supplémentaire quoique douce du manque de compréhension que le Baptiste montrait pour la mission du Messie. « Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute », dit le Seigneur. Le manque de compréhension est le prélude de la chute. Mesurée selon le critère de la conception alors courante de ce que le Messie serait, l'œuvre du Christ dut apparaître à beaucoup comme un échec ; et ceux qui cherchaient quelque manifestation soudaine de sa puissance dans la conquête des oppresseurs d'Israël et le rétablissement de la maison de David en splendeur profane, s'impatientaient, puis devinrent sceptiques ; ensuite ils y trouvèrent une occasion de chute et menacèrent de se rebeller ouvertement contre leur Seigneur. Le Christ a été une occasion de chute pour un grand nombre de personnes qui, n'étant pas en harmonie avec ses paroles et ses oeuvres, y ont trouvé une occasion de chute [20].
 
La situation de Jean doit être considérée avec justice par tous ceux qui prennent sur eux de juger le but qu'il poursuivait en faisant demander au Christ : « Es-tu celui qui doit venir ? » Jean comprenait parfaitement que son oeuvre était un travail de préparation ; il en avait témoigné et avait ouvertement rendu témoignage que Jésus était celui pour lequel il avait été envoyé préparer la voie. Avec le commencement du ministère du Christ, l'influence de Jean avait diminué, et pendant de nombreux mois il avait été enfermé dans une cellule, s'énervant dans son inactivité, aspirant sans aucun doute à la liberté, et aux sauterelles et au miel sauvage du désert. Jésus croissait tandis qu'il diminuait en popularité, en influence et en possibilités ; et il avait affirmé que cette situation était inévitable [21].
 
Mais, laissé en prison, peut-être souffrant de dépression, s'est-il laissé à se demander si ce personnage tout-puissant l'avait oublié. Il savait que si Jésus en donnait le commandement, la prison de Machaerus ne pourrait plus le retenir ; néanmoins Jésus semblait l'avoir abandonné à son sort, qui n'impliquait pas seulement l'emprisonnement mais d'autres indignités, et la torture physique [22]. Peut-être a-t-il été dans les intentions de Jean d'attirer l'attention du Christ sur sa situation pitoyable ; et à cet égard son message était plutôt un rappel qu'une simple question basée sur un doute réel. En effet, nous avons de bonnes raisons de conclure que le but de Jean en envoyant des disciples interroger le Christ était en partie, et peut-être en grande partie, de confirmer chez ces disciples une foi durable au Christ. La commission dont ils étaient chargés les mit en contact direct avec le Seigneur, dont ils ne pouvaient manquer de comprendre la suprématie. Ils furent témoins personnels de sa puissance et de son autorité.
 
Le commentaire de notre Seigneur sur le message de Jean indiquait que le Baptiste n'avait pas pleinement compris ce que le royaume spirituel de Dieu contenait. Lorsque les envoyés furent partis, Jésus s'adressa au peuple qui avait été témoin de l'entretien. Il ne voulait pas qu'il sous-estimât l'importance du service du Baptiste [23]. Il lui rappela le temps de la popularité de Jean, où certaines des personnes alors présentes et des multitudes d'autres étaient allées dans le désert écouter les exhortations sévères du prophète, et où elles avaient vu qu'il n'était pas un roseau agité par le vent mais un chêne ferme et inflexible. Elles n'étaient pas allées voir un homme habillé à la mode ; ceux qui portaient des vêtements doux devaient être recherchés à la cour du roi, et non dans le désert, ni dans le cachot où Jean se trouvait maintenant. Elles avaient trouvé en Jean un prophète, oui, plus qu'un prophète : « Je vous le dis, affirma le Seigneur, parmi ceux qui sont nés de femmes, il n'y en a pas de plus grand que Jean. Cependant, le plus petit dans le royaume de Dieu est plus grand que lui » [24]. Quel témoignage plus fort de l'intégrité du Baptiste nous faut-il ? D'autres prophètes avaient parlé de la venue du Messie, mais Jean l'avait vu, l'avait baptisé et avait été pour Jésus ce qu'un page est pour son maître. Néanmoins depuis le jour où Jean prêcha jusqu'à l'époque à laquelle le Christ parlait alors, le royaume des cieux avait été rejeté avec violence, et ce alors que tous les prophètes et même la loi fondamentale avaient parlé de sa venue, et bien que Jean et le Christ eussent été abondamment prédits.
 
À propos de Jean, le Seigneur continua : « Et, si vous voulez l'admettre, c'est lui qui est l'Élie qui devait venir. Que celui qui a des oreilles, entende » [25]. Il est important de savoir que le terme Élie, appliqué ici par Jésus au Baptiste, est un titre plutôt qu'un nom personnel, et qu'il n'a rien à voir avec Élie, l'ancien prophète que l'on appelait le Tichbite [26]. Beaucoup de ceux qui entendirent l'éloge du Baptiste par le Seigneur se réjouirent, car ils avaient accepté Jean et s'étaient détournés de lui pour aller à Jésus, passant du plus petit au plus grand, du prêtre au grand prêtre, du héros au roi. Mais des Pharisiens et des docteurs étaient présents, ceux de la classe que Jean avait dénoncée avec tant de véhémence comme une génération de vipères, et ceux qui avaient rejeté l'avis de Dieu en refusant d'écouter l'appel du Baptiste au repentir [27].
 
À ce moment-là, le Maître eut recours à une analogie pour exprimer clairement ce qu'il voulait dire. Il compara la génération incrédule et insatisfaite à des enfants inconstants qui jouent et se disputent. Certains voulaient jouer à la cérémonie de mariage, mais pendant qu'ils jouaient de la flûte, les autres ne voulaient pas danser. Ensuite, ils jouèrent à la procession funèbre et essayèrent le rôle des pleureuses, mais les autres ne voulaient pas pleurer comme les règles du jeu le demandaient. Toujours critiques, toujours sceptiques, médisants et diffamateurs de nature, durs d'oreille et de cœur, ils grognaient. Jean-Baptiste était venu parmi eux comme les prophètes ermites d'autrefois, aussi strict que le plus strict des naziréens, refusant de manger avec les festoyeurs ou de boire avec les bons convives, et ils avaient dit : « Il a un démon. » Maintenant venait le Fils de l'homme, sans austérité, sans manières d'ermite, mangeant et buvant comme le ferait un homme normal, invité dans les maisons des gens, participant aux festivités d'un mariage, se mêlant aussi bien aux péagers qu'aux Pharisiens - et ils se plaignaient de nouveau disant : « C'est un homme qui fait bonne chère et un buveur de vin, un ami des péagers et des pécheurs ! » Le Maître expliqua que ce manque de logique, ce méchant galvaudage de choses extrêmement sacrées, cette opposition décidée à la vérité seraient certainement révélés dans leur vraie lumière, et que l'inutilité d'une érudition vantarde apparaîtrait. « Mais, dit-il, la sagesse a été justifiée par tous ses enfants. »
 
Laissant les reproches aux individus incrédules, il se tourna vers les communautés insensibles et réprimanda les villes dans lesquelles il avait accompli tant d'œuvres puissantes et où les gens ne se repentaient pas : « Malheur à toi, Chorazin ! Malheur à toi, Bethsaïda ! Car, si les miracles faits au milieu de vous avaient été faits à Tyr et à Sidon, il y a longtemps qu'elles se seraient repenties avec le sac et la cendre. C'est pourquoi je vous le dis : au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous. Et toi, Carpernaüm, seras-tu élevée jusqu'au ciel ? (Non), tu seras abaissée jusqu'au séjour des morts, car, si les miracles faits au milieu de toi avaient été faits dans Sodome, elle subsisterait encore aujourd'hui. C'est pourquoi je vous le dis : Au jour du jugement, le pays de Sodome sera traité moins rigoureusement que toi » [28]. 
 
Apparemment découragé par l'incrédulité du peuple, Jésus rechercha de la force en priant [29]. Avec l'éloquence de l'âme que l'on recherche en vain ailleurs que dans la communion chargée d'angoisse du Christ avec son Père, il exprima avec respect sa reconnaissance de ce que Dieu avait donné un témoignage de la vérité aux humbles et aux simples plutôt qu'aux savants et aux grands ; bien que les hommes ne le comprissent point, le Père le connaissait pour ce qu'il était réellement. Se tournant de nouveau vers le peuple, il l'exhorta encore à l'accepter, lui et son Évangile, et son invitation est l'un des épanchements les plus grandioses d'émotion spirituelle connus de l'homme : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. Prenez mon joug sur vous et recevez mes instructions, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez du repos pour vos âmes. Car mon joug est aisé, et mon fardeau léger » [30]. Il les invitait à passer du travail pénible à un service agréable ; des fardeaux presque insupportables des exactions ecclésiastiques et du formalisme traditionnel, à la liberté du culte vraiment spirituel, de l'esclavage à la liberté, mais ils ne le voulaient point. L'Évangile qu'il leur offrait était l'incarnation de la liberté, mais pas de la licence ; il imposait l'obéissance et la soumission ; mais même si on pouvait comparer cela à un joug, qu'était son fardeau en comparaison du fardeau sous lequel ils gémissaient ?
 
MORT DE JEAN-BAPTISTE
 
Revenant à Jean-Baptiste dans la solitude de son cachot, nous n'avons aucun renseignement quant à la manière dont il reçut et comprit la réponse à sa question que lui rapportèrent ses messagers. Sa captivité était destinée à prendre bientôt fin, mais pas par une mise en liberté terrestre. La haine qu'Hérodiade éprouvait pour lui augmenta. L'occasion de mettre à exécution les complots démoniaques qu'elle ourdissait contre sa vie se présenta bientôt [31]. Le roi célébrait son anniversaire par une grande fête, à laquelle ses seigneurs, ses hauts capitaines et les principaux fonctionnaires de Galilée étaient invités. Pour honorer l'événement, Salomé, fille d'Hérodiade, mais non d'Hérode, entra et dansa devant le groupe. Hérode et ses invités en furent tellement enchantés que le roi invita la jeune fille à demander ce qu'elle voulait et jura qu'il le lui donnerait, même si c'était la moitié de son royaume.
 
Elle se retira pour consulter sa mère sur ce qu'elle devait demander, et, sur les instructions de celle-ci, revint avec cette terrible demande : « Je veux que tu me donnes tout de suite, sur un plat, la tête de Jean-Baptiste. » Le roi fut stupéfait ; son étonnement fut suivi de chagrin et de regret ; néanmoins, il craignait l'humiliation qui s'ensuivrait s'il enfreignait le serment qu'il avait fait en présence de sa cour ; et ainsi, appelant un bourreau, il donna immédiatement l'ordre fatal ; et Jean fut décapité sur-le-champ dans le cachot. Le bourreau revint, portant un plat sur lequel était posé le trophée atroce de la vengeance de la reine dépravée. Le cadeau sanglant fut donné à Salomé, qui le porta avec un triomphe inhumain à sa mère. Des disciples de Jean vinrent, se firent remettre le corps, le déposèrent dans un tombeau et allèrent porter la nouvelle de sa mort à Jésus. Hérode fut profondément troublé du meurtre qu'il avait ordonné ; et lorsque les prodiges accomplis par Jésus lui furent rapportés plus tard, il eut peur et dit : « Jean-Baptiste est ressuscité d'entre les morts et c'est pour cela qu'il a le pouvoir de faire des miracles. » À ceux qui n'étaient pas d'accord avec lui, le roi terrifié répliquait : « Ce Jean que j'ai fait décapiter, c'est lui qui est ressuscité » [32]. 
 
Ainsi prit fin la vie du prophète-prêtre, précurseur immédiat du Christ ; ainsi fut réduite au silence la voix mortelle de celui qui avait crié si puissamment dans le désert : « Préparez le chemin du Seigneur. » Après de nombreux siècles, sa voix s'est de nouveau fait entendre, voix d'un personnage racheté et ressuscité ; et sa main s'est de nouveau fait sentir en notre époque, époque de rétablissement et de plénitude. En mai 1829, un personnage ressuscité apparut à Joseph Smith et à Oliver Cowdery, s'annonçant comme étant Jean, que l'on appelait autrefois le Baptiste, posa les mains sur les deux jeunes gens, et leur conféra la Prêtrise d'Aaron, qui comprend l'autorité de prêcher et d'administrer l'Évangile de repentir et le baptême par immersion pour la rémission des péchés [33].
 
DANS LA MAISON DE SIMON LE PHARISIEN
 
« Un des Pharisiens pria Jésus de manger avec lui. Jésus entra dans la maison du Pharisien et se mit à table » [34]. 
 
D'après la place que prend cet incident dans le récit des événements fait par Luc, il semble qu'il a pu se produire le jour où il reçut la visite des messagers de Jean. Jésus accepta l'invitation du Pharisien, comme il avait accepté les invitations d'autres personnes, y compris même des péagers, et ceux que les rabbis appelaient les gens de mauvaise vie. Sa réception chez Simon semble avoir manqué quelque peu de chaleur, d'hospitalité et de respect. Le récit fait penser que l'hôte avait une attitude de condescendance. Il était de coutume à l'époque de traiter un hôte distingué avec une attention marquée, de le recevoir par un baiser d'accueil, de lui donner de l'eau pour laver la poussière de ses pieds et de l'huile pour oindre les cheveux et la barbe. Toutes ces attentions courtoises furent omises par Simon. Jésus prit sa place, probablement sur l'un des divans ou sofas sur lesquels il était habituel d'être partiellement assis, partiellement incliné tandis qu'on mangeait [35]. Cette position plaçait les pieds de la personne à l'extérieur de la table. Outre ces faits relatifs aux usages de l'époque, il faut se souvenir que les demeures de ce temps-là n'étaient pas protégées contre les intrusions par les dispositions que nous avons maintenant. En Palestine, il n'était pas extraordinaire de voir des visiteurs et même des étrangers, cependant à l'ordinaire des hommes, entrer dans une maison au moment du repas, regarder ce qui s'y passait et même parler aux hôtes, tout cela sans y être invités.
 
Parmi ceux qui entrèrent dans la maison de Simon, tandis que le repas était en cours, il y avait une femme ; et la présence d'une femme, bien que quelque peu inhabituelle, n'était pas à strictement parler un manque de convenance sociale et ne pouvait guère être interdite en pareille occasion. Mais cette femme faisait partie de la classe déchue, c'était une femme qui n'avait pas été vertueuse et qui devait supporter, comme châtiment de ses péchés, le mépris extérieur et la mise en quarantaine virtuelle de la part de ceux qui professaient lui être moralement supérieurs. Elle s'approcha de Jésus par derrière et se prosterna pour lui baiser les pieds en signe d'humilité de sa part et d'hommage respectueux à son égard. Peut-être était-elle l'une des personnes qui entendirent ses paroles pleines de grâce, peut-être prononcées ce jour-là : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. » Quelle qu'ait été sa raison de venir, elle était certainement arrivée dans un état d'esprit repentant et profondément contrit. Tandis qu'elle se penchait sur les pieds de Jésus, ses larmes tombèrent sur eux. Oubliant apparemment tout ce qui l'entourait et les yeux désapprobateurs qui observaient ses mouvements, elle sortit ses tresses et essuya de ses cheveux les pieds du Seigneur. Et, ouvrant un vase d'albâtre contenant un parfum, elle les oignit, comme un esclave pourrait le faire pour son maître. Jésus laissa gracieusement faire la femme sans la réprimander et sans l'interrompre dans son humble service inspiré par la contrition et l'amour respectueux.
 
Simon avait observé toute la scène ; d'une façon ou d'une autre, il connaissait la classe à laquelle cette femme appartenait ; et bien que ne parlant pas à haute voix, il se dit : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est la femme qui le touche et ce qu'elle est : une pécheresse. » Jésus lut dans les pensées de l'homme et dit : « Simon, j'ai quelque chose à te dire », à quoi le Pharisien répondit : « Maître, parle. » Jésus poursuivit : « Un créancier avait deux débiteurs ; l'un devait cinq cents deniers et l'autre cinquante. Comme ils n'avaient pas de quoi payer, il leur fit grâce de leur dette à tous les deux. Lequel l'aimera le plus ? » Une seule réponse pouvait être raisonnablement donnée, et Simon la donna bien que, apparemment avec une certaine hésitation ou réserve. Il craignait peut-être de se compromettre. « Celui, je suppose », risqua-t-il, « auquel il a fait grâce de la plus grosse somme. » Jésus dit : « Tu as bien jugé », et il poursuivit : « Vois-tu cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m'as pas donné d'eau pour mes pieds ; mais elle, elle a mouillé mes pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m'as pas donné de baiser, mais elle, depuis que je suis entré, elle n'a pas cessé de me baiser les pieds. Tu n'as pas répandu d'huile sur ma tête ; mais elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds. »
 
Le Pharisien ne pouvait manquer de noter un rappel si direct de ce qu'il avait omis les rites ordinaires de respect envers un invité spécialement convié. La leçon de l'histoire avait trouvé son application en lui, tout comme la parabole de Nathan avait tiré du roi David une réponse qui le condamnait lui-même [36]. « C'est pourquoi, poursuivit Jésus, je te le dis, ses nombreux péchés sont pardonnés, puisqu'elle a beaucoup aimé. Mais celui à qui l'on pardonne peu aime peu. » Puis il dit à la femme les paroles qui lui donnaient le soulagement auquel elle aspirait : « Tes péchés sont pardonnés. » Simon et les autres personnes qui étaient à table murmurèrent en eux-mêmes : « Qui est celui-ci, qui pardonne même les péchés. » Comprenant leur protestation muette, le Christ s'adressa de nouveau à la femme, disant : « Ta foi t'a sauvée, va en paix. »
 
La dernière partie du récit rappelle une autre occasion où le Christ accorda la rémission des péchés, et où, à cause de l'opposition qui existait dans l'esprit de certains auditeurs, opposition qui, pour être muette n'en était pas moins réelle, il avait ajouté à sa parole péremptoire une autre déclaration [37].
 
Le nom de la femme qui vint ainsi trouver le Christ et dont le repentir était si sincère qu'il apporta à son âme reconnaissante et contrite l'assurance de la rémission n'est pas rapporté. Rien ne prouve qu'elle figure dans un autre incident rapporté par les Écritures. Certains écrivains prétendent qu'elle est la Marie de Béthanie qui, peu avant que le Christ ne fût trahi, oignit la tête de Jésus de parfums [38]. Mais la supposition qu'il s'agit là d'une seule et même personne n'est pas du tout fondée [39] et constitue une critique injustifiable de la vie passée de Marie, sœur dévouée et aimante de Marthe et de Lazare. La tentative que d'autres font d'identifier cette pécheresse repentante et pardonnée avec Marie-Madeleine est également fausse, aucune période de la vie de celle-ci n'ayant été marquée par le péché d'impureté, du moins s'il faut en croire les Écritures. Le fait qu'il est important de se garder de commettre des erreurs dans l'identité de ces femmes fait estimer sage d'ajouter ce qui suit à l'étude ci-dessus.
 
Dans le chapitre qui suit, celui où sont rapportés les incidents que nous venons d'étudier, Luc [40] déclare que Jésus traversa la région, visitant toutes les villes et tous les villages, prêchant l'Évangile et annonçant la bonne nouvelle. Les Douze l'accompagnaient ainsi que « quelques femmes qui avaient été guéries d'esprits mauvais et de maladies : Marie, appelée Madeleine, de qui étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Chuza, intendant d'Hérode, Suzanne, et plusieurs autres, qui les assistaient de leurs biens. » Les Écritures parlent encore de certaines de ces femmes honorables ou d'elles toutes à propos de la mort, de l'ensevelissement et de la résurrection de notre Seigneur, et il est particulièrement fait mention de Marie-Madeleine [41]. Marie-Madeleine dont le deuxième prénom est probablement dérivé de sa ville natale, Magdala, avait été guérie, par une administration de Jésus, de maladies physiques et mentales, ces dernières s'accompagnant de possession par des esprits mauvais.
 
On nous dit que le Christ avait chassé d'elle sept démons [42], mais même une affliction aussi terrible ne permet nullement d'affirmer que cette femme était sans vertu ou sans chasteté.
 
Marie-Madeleine devint l'une des amies les plus intimes que le Christ avait parmi les femmes ; la dévotion qu'elle avait pour son guérisseur et celui qu'elle adorait comme le Christ était inébranlable ; elle se tint près de la croix tandis que les autres femmes restaient à distance au moment de son agonie mortelle. Elle fut parmi les premières au sépulcre de la résurrection et fut la première mortelle à contempler et à reconnaître un Être ressuscité : le Seigneur qu'elle avait aimé de toute la ferveur d'une adoration spirituelle. Dire que cette femme, élue d'entre les femmes pour mériter des honneurs aussi éminents, était autrefois une créature déchue, l'âme flétrie par le feu d'une volupté impie, c'est contribuer à la perpétuation d'une erreur pour laquelle il n'y a aucune excuse. Néanmoins la fausse tradition, née d'une théorie ancienne et injustifiable, selon laquelle cette femme noble qui était tout particulièrement une amie du Seigneur, est la même qui, reconnue pécheresse, lava et oignit les pieds du Sauveur dans la maison de Simon le Pharisien et gagna la récompense du pardon par sa contrition, a gardé avec tant de ténacité sa place dans l'esprit populaire au cours des siècles, que le nom Madeleine est devenu le terme générique désignant les femmes qui perdent leur vertu et se repentent par la suite. Nous n'examinons pas si la miséricorde du Christ aurait pu être accordée à la pécheresse que l'on fait à tort de Marie de Magdala ; l'on ne peut pas mesurer les limites ni sonder les profondeurs du pardon divin ; mais s'il était exact que cette Marie et la pécheresse repentante qui servit Jésus assis à la table du Pharisien fussent une seule et même personne, nous aurions reconnu que la réponse affirmative à cette question était correcte, car cette femme qui avait été pécheresse était pardonnée. Nous traitons ici du document scripturaire comme d'un document historique, et rien de ce qui s'y trouve ne justifie l'accusation réellement répugnante, bien que commune, que l'âme dévouée de Marie-Madeleine ne fût pas chaste.
 
L'AUTORITÉ DU CHRIST ATTRIBUÉE À BEELZÉBUL [43]
 
À l'époque du ministère terrestre de notre Seigneur, la guérison des aveugles, des sourds ou des muets était considérée comme l'une des réalisations les plus grandes qui fussent possibles à la science médicale ou au traitement spirituel ; et assujettir ou chasser les démons était rangé parmi les prouesses impossibles à l'exorcisme rabbinique. Lorsque le Seigneur montra son pouvoir de guérir et de rétablir, même dans des cas considérés universellement comme incurables, cela eut pour effet d'intensifier l'hostilité des classes sacerdotales ; et celles-ci, représentées par le parti pharisien, formulèrent la théorie absolument illogique et ridicule que Jésus accomplissait ses miracles par le pouvoir du prince des démons, avec qui il était ligué [44].
 
Tandis que le Seigneur faisait sa deuxième tournée missionnaire de la Galilée, traversant « toutes les villes et les villages, [enseignant] dans leurs synagogues, [prêchant] l'Évangile du royaume et [guérissant] toute maladie et toute infirmité [45] », la théorie absurde que le Christ était lui-même victime de possession démoniaque et qu'il agissait par le pouvoir du démon fut avancée et amplifiée jusqu'à devenir l'explication généralement acceptée parmi les Pharisiens et ceux de leur espèce. Jésus s'était retiré pendant un certain temps des centres populeux, où il était constamment observé par des émissaires que les classes dirigeantes avaient envoyés de Jérusalem en Galilée, car les Pharisiens conspiraient contre lui, cherchant une excuse et une occasion pour lui ôter la vie ; mais même dans les très petites villes et les régions rurales, il était suivi et assiégé par de grandes multitudes qu'il guérissait de leurs maux tant physiques que spirituels [46].
 
Il recommandait au peuple de s'abstenir de répandre sa célébrité. Peut-être le faisait-il pour la bonne raison qu'à ce stade de son oeuvre une rupture ouverte avec la hiérarchie juive aurait été une sérieuse entrave ; peut-être encore désirait-il laisser aux dirigeants qui complotaient contre lui, le temps et l'occasion de laisser fermenter leur violente inimitié et de remplir à ras bord les vases de leur iniquité consciente. Dans les injonctions du Seigneur, demandant qu'aucune publicité ne soit faite, Matthieu voit l'accomplissement de la prophétie d'Ésaïe, disant que le Messie élu ne ferait aucun effort, ni ne crierait dans les rues pour attirer l'attention, ni n'utiliserait son pouvoir pour briser le roseau cassé, ni pour éteindre le lumignon qui fume ; il n'échouerait ni ne serait découragé mais établirait victorieusement la justice sur la terre pour les Gentils aussi bien, par déduction, que pour Israël [47]. L'image du roseau cassé et du lumignon qui fume exprime d'une manière frappante la tendresse avec laquelle le Christ traitait la manifestation même la plus faible de foi et de désir sincère d'apprendre la vérité, qu'elle fût manifestée par un Juif ou par un Gentil.
 
Peu après son retour de la tournée missionnaire dont nous avons parlé, les Pharisiens trouvèrent une excuse pour l'attaquer, lorsqu'il guérit un homme qui se trouvait sous l'influence d'un démon, à la fois aveugle et muet. Cette combinaison d'afflictions cruelles, affectant le corps et l'esprit, fut réprimandée, et le démoniaque aveugle et muet fut soulagé de son triple fardeau [48]. Devant ce triomphe sur les puissances du mal, le peuple fut d'autant plus étonné et dit : « N'est-ce pas là le Fils de David ? » En d'autres termes : celui-ci peut-il être quelqu'un d'autre que le Christ que nous attendons depuis si longtemps ? Le jugement populaire ainsi exprimé mit les Pharisiens en colère, et ils dirent au peuple qui était presque en adoration : « Cet homme ne chasse les démons que par Béelzébul, prince des démons. » Jésus releva cette accusation maligne et y répondit, non pas avec colère mais dans les termes d'une raison calme et d'une logique saine. Il posa les bases de sa défense en formulant la vérité évidente qu'un royaume divisé contre lui-même ne peut subsister mais doit subir la destruction. Si leur théorie était fondée aussi peu que ce fût sur la vérité, Satan serait occupé à s'opposer à Satan par l'intermédiaire de Jésus. Puis, faisant allusion aux pratiques superstitieuses et aux exorcismes de l'époque, par lesquels on obtenait certains des effets que nous classons aujourd'hui parmi les guérisons mentales, il demanda : « Si moi, je chasse les démons par Béelzébul, vos fils par qui les chassent-ils ? C'est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges. » Et pour rendre la démonstration plus claire par contraste, il poursuivit : « Mais, si c'est par l'Esprit de Dieu, que moi, je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc parvenu jusqu'à vous. » Qu'ils acceptassent l'une ou l'autre de ces deux propositions, et il était certain que l'une des deux était vraie, car le fait que Jésus chassait bien les démons était connu dans tout le pays et reconnu par les termes mêmes de l'accusation qui était maintenant portée contre lui, les Pharisiens accusateurs étaient battus et condamnés.
 
Mais l'illustration allait plus loin. Jésus poursuivit : « Ou, comment quelqu'un peut-il entrer dans la maison d'un homme fort et piller ses biens sans avoir auparavant lié cet homme fort ? Alors seulement il pillera sa maison. » Le Christ avait attaqué le bastion de Satan, avait chassé ses esprits mauvais du tabernacle humain dont ils avaient pris possession sans aucun droit ; comment le Christ aurait-il pu faire cela, s'il n'avait tout d'abord soumis « l'homme fort », le maître des démons, Satan lui-même ? Et cependant ces savants ignorants osaient dire, face à une réfutation aussi évidente de leurs propres théories, que les pouvoirs de Satan étaient soumis par un pouvoir satanique. Il ne pouvait y avoir ni accord, ni trêve, ni armistice entre les pouvoirs en conflit du Christ et de Satan. Proposant à ses accusateurs de juger eux-mêmes, afin de décider chacun pour soi du côté sur lequel ils s'alignaient, Jésus ajouta : « Celui qui n'est pas avec moi est contre moi et celui qui n'assemble pas avec moi, disperse. »
 
Alors, la démonstration étant terminée, et l'absurdité de la théorie de ses adversaires prouvée, le Christ dirigea leurs pensées vers le péché horrible qui consiste à condamner le pouvoir et l'autorité par lesquels Satan avait été vaincu. Il leur avait prouvé, en se servant de leurs propres propositions, qu'ayant soumis Satan, il était l'incarnation de l'Esprit de Dieu, et que c'était par lui que le royaume de Dieu leur était apporté. Ils rejetaient l'Esprit de Dieu et cherchaient à détruire le Christ par lequel cet Esprit était manifesté. Quel blasphème pouvait être plus grand ? Parlant avec autorité, avec l'affirmation solennelle « Je vous dis », il poursuivit : « Tout péché et tout blasphème sera pardonné aux hommes, mais le blasphème contre l'Esprit ne sera point pardonné. Quiconque parlera contre le Fils de l'homme, il lui sera pardonné, mais quiconque parlera contre le Saint-Esprit, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle, ni dans le siècle à venir. »
 
Qui d'entre les hommes peut formuler un avertissement plus solennel et plus terrible contre le danger de commettre ce terrible péché impardonnable [49] ? Jésus fut miséricordieux en assurant que les paroles prononcées contre lui, Homme, pouvaient être pardonnées, mais que parler contre l'autorité qu'il possédait, et en particulier attribuer ce pouvoir et cette autorité à Satan, c'était pratiquement blasphémer contre le Saint-Esprit, péché pour lequel il ne pouvait y avoir de pardon. Puis, en des termes plus forts, qui se transformaient en une invective coupante, il leur dit d'être logiques - s'ils admettaient que le résultat de ses oeuvres était bon, comme l'était certainement l'expulsion des démons, et comparable à du bon fruit - pourquoi ne reconnaissaient-ils pas que le pouvoir par lequel pareil résultat était obtenu, en d'autres termes que l'arbre lui-même, était bon ? « Dites que l'arbre est bon et que son fruit est bon, ou dites que l'arbre est mauvais et que son fruit est mauvais, car on connaît l'arbre à son fruit. » En des termes enflammés qui condamnaient ouvertement, il poursuivit : « Races de vipères, comment pourriez-vous dire de bonnes choses, mauvais comme vous l'êtes ? Car c'est de l'abondance du cœur que la bouche parle. » Les vérités qu'il avait exprimées si clairement montraient nettement que les paroles accusatrices sortaient de cœurs remplis de trésors mauvais. En outre, il leur montra que leurs paroles n'étaient pas seulement méchantes mais également insensées, creuses et vaines, et par conséquent doublement pécheresses. Une autre déclaration péremptoire suivit : « Je vous le dis : au jour du jugement, les hommes rendront compte de toute parole vaine, qu'ils auront proférée. »
 
LES CHERCHEURS DE MIRACLES [50]
 
La leçon du Maître, bien que renforcée par des illustrations et des analogies, par une application directe et par un aveu péremptoire, tomba dans des oreilles qui étaient pratiquement sourdes à la vérité spirituelle ; elle ne trouva aucune place dans des cœurs déjà remplis de mal. À la profonde sagesse et à l'enseignement sauveur de la parole de Dieu qu'ils avaient entendues, ils répondirent par une question désinvolte : « Maître, nous voudrions voir un signe de ta part. » N'avaient-ils pas déjà vu des signes en abondance ? Les aveugles et les sourds, les muets et les infirmes, les paralysés et les hydropiques et des gens affligés de toutes sortes de maladies n'avaient-ils pas été guéris dans leurs maisons, dans leurs rues et dans leurs synagogues ? Les démons n'avaient-ils pas été chassés et leurs paroles perverses réduites au silence par sa parole ? Et les morts n'avaient-ils pas été ressuscités, et tout cela par celui qu'ils importunaient pour qu'il leur donnât un miracle ? Ils voulaient faire accomplir un prodige étonnant pour satisfaire la curiosité ou peut-être pour leur donner une autre excuse d'agir contre lui : ils voulaient des miracles pour repaître leurs désirs [51]. Il n'est guère étonnant qu'il soupirât « profondément en son esprit » lorsqu'on lui adressait pareilles demandes [52]. Il répondit aux scribes et aux Pharisiens qui avaient montré si peu d'attention à ses paroles : « Une génération mauvaise et adultère [53] recherche un signe ; il ne lui sera donné d'autre signe que celui du prophète Jonas. »
 
Le signe du prophète Jonas fut que pendant trois jours il avait été dans le ventre du poisson et que la liberté lui avait été ensuite rendue ; c'est ainsi que le Fils de l'Homme serait emmuré dans la tombe, après quoi il ressusciterait. Ce serait le seul signe qu'il leur donnerait, et c'est celui-là qui les condamnerait. Les hommes de Ninive se dresseraient pour les juger, eux et leur génération, car, aussi méchants qu'ils eussent été, ils s'étaient repentis lorsque Jonas leur prêcha ; et voici, il y avait parmi eux quelqu'un de plus grand que Jonas [54]. La reine de Saba se dresserait pour les juger, car elle avait fait un long voyage pour profiter de la sagesse de Salomon ; et voici, quelqu'un de plus grand que Salomon se trouvait parmi eux [55].
 
Puis, revenant sur la question des esprits impurs et mauvais, à propos desquels ils avaient répandu l'accusation qu'il était l'un de ceux qui appartenaient au diable, il leur dit que lorsqu'un démon est chassé, il essaie, après une période de solitude, de rentrer dans la maison ou dans le corps dont il a été expulsé ; et, voyant que cette maison est en ordre, belle et pure depuis que sa malpropre personne a été forcée de l'évacuer, il appelle d'autres esprits plus méchants que lui, et ils prennent possession de l'homme, et rendent son état pire qu'il n'était au commencement [56]. Cet exemple singulier décrit l'état de ceux qui ont reçu la vérité et ont été, grâce à elle, libérés des influences impures de l'erreur et du péché, de sorte qu'ils sont, en esprit et en corps, comme une maison balayée, ornée et mise proprement en ordre mais qui renoncent par la suite au bien, ouvrent leur âme aux démons du mensonge et de la tromperie et deviennent plus corrompus qu'auparavant. « Il en sera de même, dit le Seigneur, pour cette génération mauvaise. »
 
Bien que la plupart des scribes et les Pharisiens ne fussent pas convaincus, et peut-être même pas vraiment impressionnés par ses enseignements, le Seigneur ne manquait pas entièrement d'auditeurs qui l'appréciaient. Une femme du groupe éleva la voix, invoquant des bénédictions sur la mère qui avait donné naissance à pareil Fils, et sur les mamelles qui l'avaient allaité. Sans rejeter cet éloge déférent qui s'appliquait tant à la mère qu'au Fils, Jésus répondit : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent [57] ! »
 
LA MÈRE ET LES FRÈRES DU CHRIST VIENNENT LE VOIR [58]
 
Tandis que Jésus était engagé avec les scribes et les Pharisiens, et un grand nombre d'autres personnes, peut-être à la fin ou vers la fin des enseignements que nous venons d'examiner, on lui fit passer la nouvelle que sa mère et ses frères étaient présents et désiraient lui parler. C'était à cause de la foule qu'il leur avait été impossible de parvenir à son côté. Se servant de cet événement pour faire comprendre à tous que son œuvre avait priorité sur les exigences de la famille et de la parenté, et expliquant par là qu'il ne pouvait rencontrer sa famille à ce moment-là, il demanda : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? » Répondant à sa propre question et exprimant dans la réponse sa pensée profonde, il dit montrant ses disciples : « Voici ma mère et mes frères. En effet, quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux, celui-là est mon frère et ma sœur et ma mère. »
 
Cet incident rappelle la réponse qu'il fit à sa mère, lorsque Joseph et elle le découvrirent au temple après leurs longues recherches angoissées : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu'il faut que je m'occupe des affaires de mon Père [59] ? » C'est de ces affaires qu'il s'occupait lorsque sa mère et ses frères voulurent lui parler tandis qu'il était assis au milieu de la foule. Les exigences supérieures de l'œuvre de son Père l'obligeaient à différer toutes les questions secondaires. Rien ne justifie qu'on interprète ces remarques comme une preuve de manque de respect, et encore moins de déloyauté filiale et familiale. Il exigeait une dévotion semblable, du moins du même genre, des apôtres qui étaient appelés à consacrer sans réserve leur temps et leurs talents au ministère [60]. Le but dans lequel les parents de Jésus étaient venus le voir ne nous est pas révélé ; nous pouvons par conséquent en déduire qu'il n'avait pas grande importance au-delà du cercle familial [61].
 
 [1] Mt 7:29 ; cf. Lc 4:32, Jn 7:46.
 [2] Lc 7:11 ; cf. Mt 8:5-13.
 [3] Note 1, fin du chapitre.
 [4] Jn 4:46-53, voir chap. 13 du présent ouvrage.
 [5] Note 2, fin du chapitre.
 [6] Mt 8:11,12 ; voir aussi Lc 13:28,29 ; cf. Ac 10:45.
 [7] Lc 7:11-17.
 [8] Note 3, fin du chapitre.
 [9] Mt 8:17 ; cf. Es 53:4.
 [10] Lc 20:36, 38 ; cf. Ac 10:42, 2 Tm 4:1 ; 1 P 4:5 ; Rm 14:9.
 [11] Mt 4:12 ; Mc 1:14 ; Lc 3:19,20 ; voir note 2, chap. 9 du présent ouvrage, et note 4, fin de ce chapitre.
 [12] Note 5, fin du chapitre.
 [13] Mc 6:17-20.
 [14] Mt 14:5.
 [15] Mt 11:2. Noter qu'une liberté semblable fut accordée à Paul en prison, Ac 24:23.
 [16] Lc 7:18 ; Mt 11:2.
 [17] Mt 11: 2-6 ; Lc 7:18-23.
 [18] Es 35:5,6.
 [19] Mt 3:3 ; cf. Es 40:3, Mt 3:7 ; cf. Es 59:5 ; Lc 3:6 ; cf. Es 52:10.
 [20] Mt 13:57, 24:10, 26:31 ; Mc 6:3, 14:27 ; jn 6:61. Note 6, fin du chapitre.
 [21] Jn 3:30.
 [22] Noter que Jésus décrit les souffrances de Jean en prison comme partiellement comparables à celles qu'il devrait endurer lui-même, en ce qu'ils traitèrent Jean « comme ils l'ont voulu » (Mt 17:12 ; Mc 9:13).
 [23] Luc 7:24-30 ; voir aussi Mt 11:7-14 ; comparer le témoignage que le Christ rendit de Jean-Baptiste à Jérusalem, Jn 5:33-35.
 [24] Lc 7:28 ; voir note 7, fin du chapitre.
 [25] Mt 11:12-15 ; cf. 17:12 ; Lc 1:17.
 [26] Note 8, fin du chapitre.
 [27] Mt 3:7 ; Lc 7:30.
 [28] Mt 11:20-24 ; cf. Lc 10:13-15.
 [29] Mt 11:25-27 ; cf. Lc 10:21,22.
 [30] Mt 11: 28-30.
 [31] Mc 6:21-29.
 [32] Mc 6:14-16.
 [33] Articles de Foi, p. 232-233 et le chapitre 41, infra.
 [34] Lc 7:36 ; voir en outre versets 37-50.
 [35] Note 9, fin du chapitre.
 [36] 2 S 12:1-7.
 [37] Mt 9:2-6 ; Mc 2:5-7 ; Chap. 14 du présent ouvrage.
 [38] Mt 26:6, 7 ; Mc 14:3 ; Jn 11:2.
 [39] Note 10, fin du chapitre.
 [40] Lc 8:1-3.
 [41] Mt 27:55, 56, 61 ; 28:1,5 ; Mc 15:40, 47 ; 16:1,9 ; Lc 23:49, 55 ; 24:10,22 ; Jn 19:25, 20:1, 13, 18.
 [42] Mc 16:9 ; Lc 8:2.
 [43] Mt 12:24, 25 ; cf. 9:33, 34 ; voir aussi Mc 3:22-30 ; Lc 11:14-26.
 [44] Mt 9:34.
 [45] Mt 9:35.
 [46] Mt 12:14-15.
 [47] Mt 12:17-20 ; cf. Es 42:1.
 [48] Mt 12:22,23.
 [49] Note 11, fin du chapitre.
 [50] Mt 12:38-45 ; cf. 16:1 ; Mc 8:11 ; Lc 11:16,29 ; Jn 2:18 ; 1 Co 1:22.
 [51] D&A 46:9 ; cf. 63:7-12.
 [52] Marc 8:12.
 [53] Note 12, fin du chapitre.
 [54] Jn chap. 1-4.
 [55] 1 R 10:1, 2 Ch 9:1 ; cf. Lc 11:31.
 [56] Mt 12:43-45 ; Lc 11:24-26.
 [57] Lc 11:27,28.
 [58] Mt 12:46-50 ; Mc 3:31-35 ; Lc 8:19-21.
 [59] Lc 2:49. Chap. 9 du présent ouvrage.
 [60] Mt 10:37 ; cf. Lc 14:26.
 [61] Note 13, fin du chapitre.
 
NOTES DU CHAPITRE 18
 
1. Les deux récits du miracle : Dans le commentaire sur la guérison miraculeuse du serviteur du centurion donné dans le texte, nous avons suivi en grande partie le récit plus détaillé de Luc. Dans le bref récit que Matthieu fait de la demande de l'officier et de la réponse gracieuse du Seigneur, nous voyons l'homme s'adresser en personne à Jésus ; tandis que Luc dit que c'étaient les anciens de la synagogue locale qui présentaient la requête. Il n'y a pas ici de divergence réelle. Il était permis alors, comme ce l'est aujourd'hui, de parler de quelqu'un qui fait faire quelque chose comme s'il faisait cette chose lui-même. Il est correct de dire que l'on avertit quelqu'un d'autre, alors qu'on envoie l'avertissement par un tiers. Un homme peut dire qu'il s'est construit une maison, alors qu'en réalité ce sont d'autres qui ont accompli le travail de construction à sa demande. Un architecte peut dire à juste titre qu'il a construit un bâtiment alors qu'en réalité il en a fait les plans et a dirigé d'autres personnes qui ont, elles, élevé l'édifice.
 
2. Jésus s'étonna : Matthieu et Luc disent tous deux que Jésus s'étonna de la foi montrée par le centurion, qui pria pour que son serviteur bien-aimé fût guéri (Mt 8:10, Lc 7:9). Certains ont demandé comment le Christ, qu'ils considèrent avoir été omniscient au cours de sa vie dans la chair, a pu s'étonner de quoi que ce soit. Le sens du passage est évident : lorsque la foi du centurion fut soumise à son attention, il réfléchit et le contempla, probablement parce qu'il formait un contraste agréable avec l'absence de foi qu'il rencontrait si généralement. D'une manière similaire, bien qu'il se soit agi là de chagrin au lieu de joie, on dit qu'il s'étonna de l'incrédulité du peuple (Mc 6:6).
 
3. Ordre des résurrections miraculeuses : Comme nous l'avons déclaré et répété dans le texte, la chronologie des événements du ministère de notre Seigneur tels que les rapportent les évangélistes est incertaine. Les livres écrits à ce propos contiennent beaucoup de controverses et montrent que les savants bibliques sont loin d'être d'accord. Trois cas de résurrection miraculeuse sur un mot de Jésus nous sont rapportés : la résurrection du fils de la veuve de Naïn, la résurrection de la fille de Jaïrus et la résurrection de Lazare ; et l'on n'est pas d'accord quant à la succession de deux d'entre eux. Le fait qu'on a placé la résurrection de Lazare en dernière position est naturellement basé sur une certitude. Le Dr Richard C. Trench, dans ses savantes et très précieuses Notes on the Miracles of our Lord, affirme nettement que la résurrection de la fille de Jaïrus est la première des trois oeuvres de résurrection. Le Dr John Laidlaw, dans The Miracles of our Lord, traite ce miracle, qui est le premier de son espèce, sans affirmer s'il vient chronologiquement en premier lieu ; beaucoup d'autres écrivains en font le deuxième des trois. La raison pour laquelle on a arrangé les trois miracles de ce groupe dans l'ordre indiqué peut résider dans le désir de les présenter dans l'ordre croissant de grandeur apparente : la résurrection de la jeune fille étant un exemple dans lequel était rappelée à la vie une personne qui venait de mourir (« à peine décédée » suivant la description que font certains, à tort, de son état), la résurrection du jeune homme de Naïn étant le rétablissement de quelqu'un qui était sur le chemin du tombeau, et la résurrection de Lazare un exemple du rappel à la vie de quelqu'un qui avait séjourné quatre jours au sépulcre. Nous ne pouvons concevoir logiquement que ces cas offraient des degrés de difficulté plus ou moins grande à la puissance du Christ ; dans chaque cas la parole de son autorité suffit pour réunir l'esprit et le corps du mort. Luc, le seul qui rapporte le miracle de Naïn, place cet événement avant celui de la résurrection de la fille de Jaïrus et intercale un grand nombre d'incidents entre les deux événements. La grande majorité des preuves est en faveur de l'ordre que nous avons suivi dans ce livre pour les trois miracles : 1) La résurrection du jeune homme de Naïn, 2) celle de la jeune fille de Jaïrus et 3) celle de Lazare.
 
4. Tétrarque : Ce titre, par dérivation du terme et tel qu'il était utilisé originellement, était appliqué au gouverneur d'un quart, ou d'une des quatre divisions d'une région qui avait été précédemment un seul pays. Il désigna plus tard tout gouverneur d'une partie d'un pays divisé, quel que fût le nombre ou l'étendue des fractions. Hérode Antipas est appelé explicitement le tétrarque dans Mt 14: 1, Lc 3:1, 19, 9:7, et Ac 13:1, et est appelé roi dans Mt 14:9, Mc 6:14, 22, 25, 26.
 
5. Machaerus : Selon l'historien Josèphe (Antiquités XVIII, 5:2), la prison dans laquelle Jean-Baptiste fut enfermé par Hérode Antipas était la puissante forteresse de Machaerus.
 
6. Le Christ, pierre d'achoppement pour beaucoup : La dernière partie du message que notre Seigneur adressa au Baptiste emprisonné en réponse à la question de ce dernier, était : « Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute ! » Il peut être bon d'observer en passant que quels qu'aient été le reproche ou la réprimande impliqués par ces paroles, la leçon fut donnée de la manière la plus douce et sous la forme la plus aisée à comprendre. Comme Deems l'écrit : « Au lieu de dire ‘Malheur à celui pour qui je serai une occasion de chute’, il exprima sa pensée d'une manière plus douce ‘Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute.’ » Dans notre version anglaise de la Sainte Bible [qui rend les paroles du Christ comme suit : « Béni celui qui n'est pas offensé en moi », ndt] le mot « offensé » et les mots qui lui sont apparentés sont utilisés en lieu et place de plusieurs expressions différentes que l'on trouve dans le grec original. C'est ainsi que les infractions ouvertes à la loi, le péché et la méchanceté en général sont appelés offenses, et ceux qui s'en rendent coupables sont des offenseurs qui méritent d'être châtiés. Dans d'autres cas, même les oeuvres de justice constituent des causes d'offenses pour les méchants ; mais il en est ainsi, non pas parce que les bonnes œuvres étaient d'une manière quelconque des offenses contre la loi ou la justice, mais parce que celui qui enfreint la loi s'en offense. L'homme malhonnête condamné, s'il ne se repent pas et a toujours l'esprit mauvais, s'offense et se fâche contre la loi qui l'a fait comparaître : pour lui la loi est une cause d'offense. Dans un sens très réel, Jésus-Christ est le plus grand offenseur de l'histoire ; car tous ceux qui rejettent son Évangile s'en offensent. La nuit où il fut trahi, Jésus dit aux apôtres qu'ils seraient offensés à cause de lui [« Je serai pour vous tous, cette nuit, une occasion de chute », dans la version Segond, ndt] (Mt 26:31, voir aussi verset 33). Le ministère personnel du Seigneur offensa non seulement les Pharisiens et les adversaires ecclésiastiques, mais un grand nombre de personnes qui avaient professé croire en lui (Jn 6:61, comparez 16:1). Pierre dit de l'Évangile de Jésus-Christ que c'est « une pierre d'achoppement et un rocher de scandale. Ils s'y achoppent en désobéissant à la parole » (1 P 2:8, comparez les paroles de Paul, Rm 9:33). Béni en effet est celui auprès de qui l'Évangile est le bienvenu et qui n'y trouve aucune raison de s'offenser.
 
7. La grandeur de la mission du Baptiste : Jésus attesta comme suit la nature exaltée de la mission de Jean-Baptiste : « En vérité je vous le dis, parmi ceux qui sont nés de femmes, il ne s'en est pas levé de plus grand que Jean-Baptiste. Cependant le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui » (Mt 11: 11, comparez Lc 7:28). Expliquant la première partie de ce témoignage, le prophète Joseph Smith dit, lors d'un sermon qu'il fit le 24 mai 1843 (Hist. of the Church, sous la date citée) : « Ce ne pouvait être à cause des miracles que Jean accomplit, car il n'accomplit aucun miracle, mais c'était - premièrement, parce qu'il avait reçu la mission divine de préparer la voie devant la face du Seigneur. À qui fut confiée pareille mission avant ou après ? À aucun homme. Deuxièmement, il lui fut confié, et cela fut requis de lui, de baptiser le Fils de l'Homme. Qui fit jamais chose pareille ? Qui eut jamais un privilège ou une gloire si grande ? Qui conduisit jamais le Fils de Dieu dans les eaux du baptême, voyant le Saint-Esprit descendre sur lui sous le signe d'une colombe ? Personne. Troisièmement, à l'époque, Jean était le seul administrateur légal sur terre à détenir les clefs de l'autorité. Les clefs, le royaume, l'autorité, la gloire avaient quitté les juifs ; et jean, fils de Zacharie, en vertu de la sainte onction et du décret du ciel, détenait les clefs de l'autorité à cette époque. »
 
La dernière partie de la déclaration de notre Seigneur : « Cependant, le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui » (Jean) a provoqué des interprétations et des commentaires divers. Le vrai sens pourrait être que quelque éminente qu'ait pu être la distinction de Jean parmi les prophètes, il n'avait pas appris, à l'époque de l'incident que nous étudions, tout l'objet de la mission du Messie, et cela il devrait sûrement l'apprendre avant de pouvoir être admis dans le royaume des cieux ; c'est pourquoi, le plus petit de ceux qui, par la connaissance acquise et l'obéissance manifestée, se seraient préparés à une place dans le royaume que Jésus enseignait, était plus grand que ne l'était Jean-Baptiste à l'époque. Par l'inspiration moderne nous apprenons qu'« il est impossible à un homme d'être sauvé dans l'ignorance » (D&A 131:6) et que « la gloire de Dieu c'est l'intelligence ou, en d'autres termes, la lumière et la vérité » (D&A 93:36). La question du Baptiste montrait qu'il manquait alors de connaissance, était imparfaitement éclairé et incapable de comprendre la vérité tout entière sur la mort à laquelle le Sauveur était destiné et sa résurrection en tant que Rédempteur du monde. Mais nous ne devons pas perdre de vue le fait que Jésus ne laissa aucunement entendre que Jean resterait inférieur au plus petit dans le royaume des cieux. En acquérant davantage de connaissance sur les vérités capitales du royaume et en s'y soumettant, il avancerait certainement et deviendrait grand dans le royaume des cieux comme il était grand parmi les prophètes de la terre.
 
8. Jean-Baptiste, l'Élie qui devait venir : Du temps du Christ le peuple était attaché à la croyance traditionnelle que l'ancien prophète Élie devait revenir en personne. Concernant cette tradition, le Commentary, de Dummelow, dit, à propos de Matthieu 11:14: « On supposait que son activité particulière [Élie] consisterait à régler les questions, les doutes et les difficultés cérémonielles et rituelles et qu'il rendrait à Israël 1) le vase d'or de la manne, 2) le vase contenant l'huile pour les onctions, 3) le vase contenant les eaux de la purification, 4) la verge d'Aaron qui bourgeonna et porta des fruits. » Cette croyance ne se basait sur aucune affirmation scripturaire. Que Jean devait aller devant le Messie dans l'esprit et avec la puissance d'Élias, c'est ce que déclara l'ange Gabriel dans son annonciation à Zacharie (Lc 1:17) ; et notre Seigneur expliqua clairement que Jean était l'Élias prédit. « Élias » est à la foi un nom et le titre d'un office. La révélation moderne nous apprend qu'Élias et Élie sont des individus séparés, dont chacun apparut en personne et remit à des prophètes modernes les pouvoirs particuliers appartenant à leur office respectif (D&A 110:12,13). Nous apprenons que l'office d'Élias est celui du rétablissement (D&A 27:6,7, 76: 100 ; 77:9,14). En date du 10 mars 1844, le témoignage suivant du prophète Joseph Smith est rapporté (Hist. of the Church) :
 
« L'esprit d'Élias a pour but de préparer la voie à une révélation plus grande de Dieu, c'est la prêtrise d'Élias, ou la prêtrise à laquelle Aaron fut ordonné. Et lorsque Dieu envoie un homme dans le monde pour préparer une oeuvre plus grande, détenant les clefs du pouvoir d'Élias, c'est ce qui a été appelé la doctrine d'Élias dès les premiers temps du monde.
 
« La mission de Jean se limitait à prêcher et à baptiser ; mais ce qu'il faisait était légitime ; lorsque Jésus-Christ rencontrait les disciples de Jean, il les baptisait de feu et du Saint-Esprit.
 
« Nous trouvons les apôtres dotés d'une puissance plus grande que Jean. Leur office se trouvait davantage dans l'esprit et la puissance d'Élie que d'Élias.
 
« Dans le cas de Philippe, lorsqu'il descendit en Samarie, alors qu'il était sous l'esprit d'Élias, il baptisa les hommes aussi bien que les femmes. Lorsque Pierre et Jean apprirent cette nouvelle, ils descendirent tous deux et leur imposèrent les mains, et ils reçurent le Saint-Esprit. Cela montre la distinction entre les deux puissances.
 
« Lorsque Paul rencontra certains disciples, il demanda s'ils avaient reçu le Saint-Esprit ? Ils dirent : Non. Qui vous a baptisés alors ? Nous fûmes baptisés du baptême de Jean. Non, vous n'avez pas été baptisés du baptême de Jean, sinon vous auriez été baptisés par Jean. C'est pourquoi Paul alla les baptiser, car il savait ce qu'était la doctrine vraie, et il savait que Jean ne les avait pas baptisés. Et il me semble étrange que des hommes qui ont lu les Écritures du Nouveau Testament en soient si éloignés.
 
 
« Ce que je veux vous faire saisir est la différence de puissance qui existe dans les différentes parties de la prêtrise, de sorte que lorsqu'un homme viendra parmi vous en disant : ‘J'ai l'esprit d'Élias’, vous sachiez s'il dit la vérité ou non ; car si un homme quelconque vient avec l'esprit et la puissance d'Élias, il ne dépassera pas les limites qui lui sont fixées.
 
« Jean ne dépassa pas les limites qui lui étaient fixées mais accomplit fidèlement le rôle qui incombait à son office ; et toute partie du grand bâtiment doit être préparée convenablement et placée à l'endroit qui convient ; et il est nécessaire de savoir qui détient les clefs de la puissance et qui ne les détient pas, sinon il est vraisemblable que l'on nous trompera.
 
« La personne qui détient les clefs d'Élias a une oeuvre préparatoire.
 
« Tel est l'Élias dont il est parlé dans les derniers jours, et telle est la pierre sur laquelle beaucoup trébuchent, pensant que ce temps était passé à l'époque de Jean et du Christ et ne devait plus être. Mais l'esprit d'Élias m'a été révélé, et je sais qu'il est vrai ; c'est pourquoi je parle avec hardiesse, car je sais en vérité que ma doctrine est vraie. »
 
9. À la table du Pharisien : L'expression « se mit à table » comme dans Lc 7:36 et dans d'autres exemples est considérée par de bonnes autorités comme un contresens ; on devrait la rendre par « se coucha » ou « s'étendit » (voir le Comp. Dict. of the Bible, de Smith, article « Meals »). Nous ne mettons pas en doute le fait que la position assise ait été la position des anciens Hébreux (Gn 27:19, Jude 19:6, 1 S 16:11, 20:5, 18, 24 ; 1 R 13:20) ; mais la coutume de s'étendre sur des lits placés autour des tables semble remonter à une époque très antérieure à Jésus (Am 3:12, 6:4). L'usage romain, qui consistait à arranger les tables et les lits contigus sur trois côtés d'un carré, laissant le quatrième côté ouvert pour laisser passer les domestiques qui servaient les repas, était commun en Palestine. Les tables et les lits placés de cette manière constituaient le triclinium. À propos du cérémonial des Pharisiens prescrivant que les articles utilisés pour le repas devaient être lavés, Mc (7:4) spécifie des « tables » [dans la version anglaise, ndt ] ; on considère ce terme comme un contresens, car l'expression grecque indique des couches ou littéralement des lits (voir lecture marginale, « beds » dans la Bible d'Oxford et d'autres). Une personne couchée à table aurait les pieds dirigés vers l'extérieur. Il était donc facile à la femme contrite de s'approcher de Jésus par derrière et d'oindre ses pieds sans déranger les autres à table.
 
10. L'identité de la femme n'est pas donnée : Le fait d'essayer d'identifier la pécheresse contrite qui oignit les pieds de Jésus dans la maison de Simon le Pharisien avec Marie de Béthanie est fortement condamné par Farrar, de la manière suivante (p. 228, note) : « Ceux qui identifient cette fête de la maison de Simon le Pharisien, en Galilée, avec la fête qui se déroula beaucoup plus tard dans la maison de Simon le lépreux, à Béthanie, et l'onction des pieds par une pécheresse de la ville, avec l'onction de la tête par Marie, sœur de Marthe, adoptent des principes de critique tellement osés et arbitraires que les accepter d'une manière générale enlèverait aux évangiles toute crédibilité et ne les rendrait guère dignes d'être étudiés comme des récits authentiques. Pour ce qui est des noms de Simon et de Judas, qui ont conduit à identifier tant de personnes différentes et d'incidents différents, ils étaient au moins aussi communs parmi les Juifs de l'époque que Dupont et Durand parmi nous. Il y a cinq ou six Jude [ou Judas, ndt] et neuf Simon dans le Nouveau Testament, et deux Jude [ou Judas, ndt] et deux Simon rien que parmi les apôtres. Josèphe parle d'une dizaine de Jude et de vingt Simon dans ses écrits, et il doit par conséquent y avoir eu des milliers d'autres hommes qui portaient à l'époque l'un de ces deux noms. L'incident (de l'onction avec du parfum) est tout à fait conforme aux coutumes de l'époque et de ce pays, et il n'est pas du tout improbable qu'il ait pu se répéter en des circonstances différentes (Ec 9:8, Ct 4:10, Am 6:6). La coutume existe encore. »
 
Le savant chanoine est pleinement justifié dans sa vigoureuse critique ; néanmoins il confirme l'identification communément acceptée de la femme mentionnée à propos du repas chez Simon le Pharisien avec Marie-Madeleine, tout en admettant que la base de cette identification supposée est « une tradition antique - régnant surtout dans l'Église d'occident, et suivie par la traduction de notre version anglaise » (p. 233). Comme le rapporte notre texte, nous ne possédons absolument aucun élément digne de confiance laissant croire que Marie-Madeleine ait jamais été souillée du péché dont la femme repentante chez le Pharisien fut si gracieusement pardonnée par notre Seigneur.
 
11. Le péché impardonnable : La nature du terrible péché contre le Saint-Esprit, contre lequel le Seigneur avertit les accusateurs pharisaïques qui cherchaient à attribuer sa puissance divine à Satan, est expliquée d'une manière plus complète et ses résultats effroyables sont exposés d'une manière plus explicite dans la révélation moderne. Le Tout-Puissant a dit à leur sujet et au sujet de leur sort terrible : « Je déclare qu'il aurait mieux valu pour eux qu'ils ne fussent jamais nés ; car ils sont des vases de colère, condamnés à subir la colère de Dieu dans l'éternité avec le diable et ses anges ; à propos desquels j'ai dit qu'il n'y a pas de pardon dans ce monde ni dans le monde à venir... Ils s'en iront au châtiment perpétuel, qui est le châtiment sans fin, qui est le châtiment éternel, pour régner avec le diable et ses anges pour l'éternité, là où leur ver ne meurt pas, là où le feu ne s'éteint pas, ce qui est leur tourment - et nul n'en connaît la fin, ni le lieu, ni leur tourment. Et cela n'a pas été révélé à l'homme, ne l'est pas et ne le sera jamais, si ce n'est à ceux qui y sont condamnés. Néanmoins, moi, le Seigneur, je le montre en vision à beaucoup, mais je la referme immédiatement ; c'est pourquoi, ils n'en comprennent pas la fin, la largeur, la hauteur, la profondeur et la misère, ni personne, si ce n'est ceux qui sont destinés à cette condamnation » (D&A 76:32-48 ; voir aussi Hé 6:4-6 ; LM, Al 39:6.)
 
12. Une génération adultère cherchant des miracles : La réponse de notre Seigneur à ceux qui réclamaient à grands cris un miracle, qu'« une génération mauvaise et adultère recherche un signe » (Mt 12:39 ; voir aussi 16:4, Mc 8:38) ne pouvait être interprétée par les Juifs que comme un reproche suprême. Ils savaient tous que le terme descriptif « adultère » s'appliquait littéralement à l'immoralité généralisée de l'époque. Adam Clarke, dans son commentaire sur Mt 12:39, dit de cet aspect de notre sujet : « Leurs écrits [des Juifs] prouvent formellement qu'à l'époque de notre Seigneur, ils étaient d'une manière absolument littérale une race de gens adultères ; car à ce moment même, Rabbi Jachanan ben Zacchi abrogeait l'épreuve par les eaux amères de la jalousie, parce que de cette manière on en trouvait tant qui étaient coupables de ce genre de crime. » On trouvera dans Nb 5:11-31 les renseignements sur l'épreuve des accusés par les eaux amères. Bien que Jésus appelât adultère la génération dans laquelle il vivait, il n'est écrit nulle part que les dirigeants juifs qui, en demandant un miracle, avaient fourni l'occasion de cette accusation, se soient aventurés à nier ou se soient efforcés de réfuter cette accusation. Le péché d'adultère comptait parmi les péchés capitaux (Dt 22:22-25). La sévérité de l'accusation appliquée par Jésus fut cependant intensifiée par le fait que les Écritures anciennes représentent l'alliance entre Jéhovah et Israël comme un serment de mariage (Es 54:5-7, Jr 3:14,31:32 ; Os 2:19,20) ; de même que les Écritures ultérieures comparent l'Église à une épouse, et le Christ à l'époux (2 Co 11:2, comparez Ap 21:2). Être spirituellement adultère, ainsi que les rabbis comprenaient les paroles des prophètes, c'était trahir l'alliance par laquelle les nations juives prétendaient se distinguer comme adoratrices de Jéhovah, et être entièrement apostat et réprouvé. Condamnés par une pareille accusation, ces Pharisiens et ces scribes qui cherchaient des miracles comprirent que Jésus les considérait comme pires que les païens idolâtres. Les mots « adultère » et « idolâtrie » sont d'origine apparentée, chacun exprimant l'acte d'infidélité et le fait de s'éloigner pour suivre de faux objets d'affection ou de culte.
 
13. La mère et les frères de Jésus : Par la tentative de Marie et de quelques membres de sa famille de converser avec Jésus lors de l'événement dont nous avons parlé dans le texte, certains écrivains comprennent qu'elle voulait dire que la mère et les fils étaient venus protester contre l'énergie et le zèle avec lesquels Jésus accomplissait son œuvre. En fait, certains sont allés jusqu'à dire que les membres de la famille qui venaient lui rendre visite étaient venus pour le refréner et arrêter, s'ils le pouvaient, la marée de l'intérêt, de la critique et des offenses populaires qui montait autour de lui. Le récit scripturaire ne permet même pas de suggérer la moindre conception de ce genre. L'objectif de l'entretien demandé n'est pas donné. Comme nous le montrerons plus loin, il est de fait que certains membres de la maison de Marie avaient été incapables de comprendre la grande importance de l'œuvre que Jésus poursuivait avec tant d'assiduité ; et on nous dit que certains des membres de sa famille se mirent un jour en route dans le but de mettre la main sur lui et de faire cesser de force ses activités publiques, car disaient-ils « il a perdu le sens » (Mc 3:21) ; en outre nous apprenons que ses frères ne croyaient pas en lui (Jn 7:5). Cependant ces faits ne nous autorisent guère à penser que le désir de Marie et de ses fils de converser avec lui lors de l'événement dont nous avons parlé ait été autre que pacifique. Et penser que Marie, sa mère, ait oublié les scènes merveilleuses de l'annonciation angélique, la conception miraculeuse, les événements célestes dont s'accompagna la naissance, la sagesse et la puissance surhumaines qu'il montra dans sa jeunesse et son âge adulte, au point de croire que son Fils divin était un enthousiaste déséquilibré qu'elle devrait refréner, c'est prendre la responsabilité de commettre une injustice envers la personne que l'ange Gabriel avait déclarée bénie entre les femmes et hautement favorisée du Seigneur.
 
La déclaration que les frères de Jésus ne croyaient pas en lui à l'époque dont parle l'écrivain (Jn 7:5) ne prouve pas que certains de ces mêmes frères ou même tous ne crurent pas plus tard en leur Frère divin. Immédiatement après l'ascension du Seigneur, Marie, mère de Jésus, et ses frères étaient occupés à adorer et à supplier avec les Onze et d'autres disciples (Ac 1: 14). Le fait attesté que le Christ était ressuscité convertit beaucoup de personnes qui avaient jusqu'alors refusé de l'accepter comme le Fils de Dieu. Paul rapporte une manifestation particulière du Christ ressuscité à Jacques (1 Co 15:7), et le Jacques dont il est question ici peut avoir été la même personne qui est appelée ailleurs « le frère du Seigneur » (Ga 1:19 ; comparez Mt 13:55, Mc 6:3). Il semble que « les frères du Seigneur » étaient occupés aux travaux du ministère à l'époque du service actif de Paul (1 Co 9:5). On a jeté le doute sur les rapports familiaux particuliers de notre Seigneur avec Jacques, Joseph, Simon, Jude et les sœurs mentionnées par Mt (13:55, 56) et Mc (6:3) ; et on a inventé plusieurs théories pour défendre des vues divergentes. C'est ainsi que l'hypothèse orientale ou épiphanique prétend, en ne se basant sur rien d'autre qu'une théorie, que les frères de Jésus étaient enfants de Joseph de Nazareth et d'une autre femme, et non les enfants de Marie, mère du Seigneur. La théorie du lévirat suppose que Joseph de Nazareth et Clopas (ce dernier nom, il est intéressant de le noter, est considéré comme l'équivalent d'Alphée, voir note chap. 16) étaient frères ; et que, après la mort de Clopas ou Alphée, Joseph épousa la veuve de son frère selon la loi du lévirat (chap. 31). L'hypothèse hiéronymique est basée sur la croyance que les personnes appelées frères et sœurs de Jésus étaient enfants de Clopas (Alphée) et Marie, sœur de la mère du Seigneur, et par conséquent cousins de Jésus (voir Mt 27:56 ; Mc 15:40 ; Jn 19:25). Il est raisonnablement hors de doute que Jésus était considéré par ceux qui connaissaient la famille de Joseph et de Marie comme proche parent par le sang des autres fils et filles appartenant au ménage. Si ces autres étaient enfants de Joseph et de Marie, ils étaient tous cadets de Jésus, car il était indubitablement le premier-né de sa mère. L'acceptation de cette parenté entre Jésus et ses « frères » et « sœurs » cités par les synoptiques constitue ce que l'on appelle en théologie le point de vue helvidien.
 
 
CHAPITRE 19 : « IL LEUR PARLA EN PARABOLES SUR BEAUCOUP DE CHOSES »
 
Pendant toute la période du ministère du Christ que nous avons traitée jusqu'à présent, sa réputation s'était constamment accrue à cause de l'autorité avec laquelle il parlait et des nombreuses œuvres puissantes qu'il accomplissait. Sa popularité était devenue telle que toutes les fois qu'il se déplaçait, de grandes multitudes le suivaient. À certains moments le peuple s'attroupait à tel point qu'il l'empêchait de se mouvoir, certains animés du désir d'en apprendre davantage sur la nouvelle doctrine, d'autres pour le supplier de leur accorder le soulagement de maux physiques ou autres ; et il y en avait beaucoup qui avaient foi que s'ils pouvaient seulement l'atteindre, ou même toucher le bord de sa robe, ils seraient guéris [1]. L'un des effets de l'ardeur du peuple, qui le poussait à se presser et à s'attrouper autour de lui, fut qu'à certains moments elle rendait tout discours difficile sinon impossible. Son lieu habituel pour enseigner en plein air tandis qu'il restait dans le voisinage de la mer ou lac de Galilée était la rive ; et c'est là que s'attroupaient les foules pour l'entendre. Sur sa demande les disciples avaient amené une « petite barque » qui était tenue prête sur le rivage [2], et il avait l'habitude de s'asseoir dans le bateau à une courte distance du rivage et de prêcher au peuple comme il l'avait fait lorsque, dans les premiers jours, il appela les pêcheurs élus à quitter leurs filets et à le suivre [3].
 
Lors d'une occasion de ce genre il employa un moyen d'instruction qui, jusque là, n'avait pas caractérisé son enseignement ; celui-ci consistait à utiliser des paraboles [4] ou des histoires simples pour illustrer ses enseignements. Nous allons maintenant examiner brièvement quelques-unes d'entre elles, dans l'ordre le plus avantageux pour les traiter, et, pour autant que nous le sachions, dans ce qui a pu être l'ordre dans lequel elles furent données.
 
« UN SEMEUR SORTIT POUR SEMER »
 
La première dans l'ordre est la parabole du semeur. C'est un exemple splendide des paraboles de notre Seigneur en général ; elle est particulièrement précieuse pour sa grande valeur intrinsèque et parce que nous en possédons l'interprétation complète par l'Auteur divin. Voici l'histoire :
 
« Le semeur sortit pour semer. Comme il semait, quelques (grains) tombèrent le long du chemin ; les oiseaux vinrent et les mangèrent. D'autres tombèrent dans les endroits pierreux, où ils n'avaient pas beaucoup de terre : ils levèrent aussitôt, parce qu'ils ne trouvèrent pas une terre profonde ; mais, quand le soleil se leva, ils furent brûlés et séchèrent faute de racines. D'autres tombèrent parmi les épines : les épines montèrent et les étouffèrent. D'autres tombèrent dans la bonne terre : ils donnèrent du fruit, un (grain) cent, un autre soixante, un autre trente. Que celui qui a des oreilles entende [5] ! »
 
Cette nouvelle méthode d'enseignement, cet abandon de la première méthode du Maître qui était de faire des exposés de doctrine, poussa même les plus dévoués des disciples à s'étonner. Les Douze et quelques autres vinrent trouver Jésus lorsqu'il était isolé de la multitude et lui demandèrent pourquoi il avait parlé de cette manière au peuple, et quel était le sens de cette parabole en particulier. Nous allons examiner maintenant la réponse de notre Seigneur à la première partie de la question ; pour ce qui est de la seconde, il demande : « Vous ne comprenez pas cette parabole ; comment donc comprendrez-vous toutes les (autres) paraboles [6] ? » Il indiquait ainsi la simplicité de cette première parabole, en même temps que son caractère typique et fondamental, et fit comprendre en même temps que d'autres paraboles suivraient dans le cours de son enseignement. Puis il en donna l'interprétation :
 
« Vous donc, écoutez (ce que signifie) la parabole du semeur. Lorsqu'un homme écoute la parole du royaume et ne la comprend pas, le Malin vient et enlève ce qui a été semé dans son cœur : c'est celui qui a reçu la semence le long du chemin. Celui qui a reçu la semence dans les endroits pierreux, c'est celui qui entend la parole et la reçoit aussitôt avec joie, mais il n'a pas de racine en lui-même, il est l'homme d'un moment et, dès que survient une tribulation ou une persécution à cause de la parole, il y trouve une occasion de chute. Celui qui a reçu la semence parmi les épines, c'est celui qui entend la parole mais en qui les soucis du monde et la séduction des richesses étouffent la parole et la rendent infructueuse. Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c'est celui qui entend la parole et la comprend ; il porte du fruit et un (grain) en donne cent, un autre soixante et un autre trente » [7]. 
 
Il peut paraître superflu de donner davantage d'explications ; cependant il peut être à propos de donner quelques indications quant à l'application individuelle des leçons qui y sont contenues. Remarquez que le trait saillant de l'histoire, c'est l'état préparé ou non préparé du terrain. La semence était la même, qu'elle tombât sur du bon terrain ou du mauvais, sur une argile friable ou parmi les pierres et les ronces. La méthode primitive des semis, qui fut encore poursuivie de nombreux siècles plus tard, consistait en ce que le semeur lançait le grain à poignées, face au vent, ce qui assurait un grand éparpillement. Les champs galiléens étaient traversés de sentiers battus par les pieds des hommes et des animaux. Bien que le grain pût tomber sur ces chemins, il ne pouvait pousser ; les oiseaux picoraient les graines vivantes posées sans racines et non couvertes, et certaines d'entre elles étaient écrasées et foulées aux pieds. Il en va de même pour la semence de la vérité tombant sur le cœur endurci ; ordinairement elle ne peut pas prendre racine, et Satan, comme un corbeau maraudeur, l'emporte de crainte que par hasard une graine ne trouve une fente dans le sol piétiné, n'envoie sa petite racine et ne puisse éventuellement se développer.
 
La semence tombant dans une terre plus profonde reposant sur une couche de pierres non brisées ou une carapace calcaire peut prendre racine et prospérer pendant un court laps de temps ; mais lorsque, en descendant, les petites racines atteignent la couche impénétrable, elles se recroquevillent et la plante se fane et meurt, car les sucs nutritifs sont insuffisants lorsque la terre n'est pas profonde [8]. Il en est de même pour l'homme dont l'ardeur n'est que superficielle, dont l'énergie cesse lorsqu'il rencontre des obstacles ou lorsqu'il doit affronter une opposition ; bien qu'il manifeste de l'enthousiasme pendant un certain temps, la persécution le détourne ; il est offensé et n'endure pas. La graine semée où les ronces et les épines abondent est bientôt tuée par leur croissance qui les étouffe ; il en est de même dans un cœur humain tourné vers les richesses et les attraits du plaisir : même s'il reçoit la semence vivante de l'Évangile, il ne produira pas de moisson de bon grain, mais au lieu de cela, un mélange prolifique de mauvaises herbes. La production abondante de ronces épineuses démontre que le terrain est capable de produire une meilleure moisson, à condition d'être débarrassé des mauvaises plantes qui l'encombrent. La semence qui tombe dans une terre bonne et profonde, sans de mauvaises herbes et prête à l'ensemencement prend racine et grandit ; la chaleur du soleil ne la brûle pas, car celle-ci l'emmagasine ; elle mûrit et produit pour le moissonneur selon la richesse de la terre, certains champs produisant trente, d'autres soixante et quelques-uns jusqu'à cent fois autant de grain qu'il en a été semé.
 
Selon les canons littéraires eux-mêmes, et en la jugeant par les principes reconnus de la construction rhétorique et de l'arrangement logique de ses parties, cette parabole prend la première place parmi les productions de son espèce. Bien que nous l'appelions communément la parabole du semeur, on pourrait donner à l'histoire le titre expressif de parabole des quatre espèces de terre. C'est sur le terrain où l'on sème que l'histoire attire le plus notre attention ; il symbolise d'une manière frappante le cœur endurci ou adouci, la terre envahie ou non de ronces. Remarquez les qualités de terre données dans l'ordre croissant de leur fertilité : (1) la route battue, le sentier latéral sur lequel, sauf par une combinaison de circonstances fortuites constituant pratiquement un miracle, il est impossible à aucune semence de prendre racine ou de grandir, (2) la mince couche de terre couvrant un fond rocheux impénétrable, dans laquelle la semence peut germer mais ne pourra jamais venir à maturité, (3) le champ encombré de mauvaises herbes, qui pourrait produire une riche récolte s'il n'y avait pas la forêt vierge de ronces et d'épines, et (4) l'humus riche et propre, réceptif et fertile. Cependant même les terres considérées comme bonnes ont divers degrés de productivité, produisant un accroissement de trente, soixante ou même cent fois avec beaucoup de gradations intermédiaires.
 
Certains exégètes de la Bible ont professé trouver dans cette splendide parabole la preuve d'un net fatalisme dans la vie des individus, de sorte que ceux dont l'état spirituel est comparable au sentier battu ou au terrain au bord des routes, à la terre peu profonde sur un soubassement pierreux ou au lopin de terre négligé et envahi par les ronces, sont désespérément et irrévocablement mauvais ; tandis que les âmes que l'on peut comparer à de la bonne terre sont à l'abri de toute détérioration et produiront inévitablement de bons fruits. Il ne faut pas oublier qu'une parabole n'est qu'une esquisse, et non une image finie dans le détail ; et que l'on ne peut logiquement donner à la similitude exprimée ou sous-entendue dans l'enseignement par paraboles une valeur dépassant les limites de l'illustration. Dans la parabole que nous examinons, le Maître décrivait les divers degrés de réceptivité spirituelle qui existaient parmi les hommes et caractérisa avec une brièveté tranchante chacun des degrés spécifiés. Il ne dit ni ne laissa entendre que la terre durcie du bord de la route ne pouvait être labourée, hersée, fertilisée et rendue ainsi productive, ni que l'obstacle à la croissance constitué par les pierres ne pouvait être détruit et enlevé, ou que l'on ne pouvait augmenter la bonne terre en y ajoutant, ou que les ronces ne pouvaient jamais être déracinées et leur ancien habitat rendu capable de supporter de bonnes plantes. La parabole doit être étudiée à la lumière du but pour lequel elle a été donnée, et les déductions ou les prolongements forcés ne sont pas justifiés. Une métaphore puissante, une comparaison frappante ou tout autre figure de rhétorique expressive n'est utile que lorsqu'on l'applique raisonnablement ; si on les pousse au-delà des limites d'une intention raisonnable, les meilleures d'entre elles peuvent perdre tout sens ou même devenir absurdes.
 
LE BLÉ ET L'IVRAIE
 
Le Maître proposa une autre parabole, assez bien apparentée à la précédente pour ce qui est de l'histoire, parlant de nouveau de semences et de semailles, et accompagnée, comme la première, d'une interprétation :
 
« Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé de la bonne semence dans son champ. Mais, pendant que les gens dormaient, son ennemi vint, sema de l'ivraie au milieu du blé et s'en alla. Lorsque le blé eut poussé en herbe et donné du fruit, l'ivraie parut aussi. Les serviteurs du maître de la maison vinrent lui dire : Seigneur, n'as-tu pas semé de la bonne semence dans ton champ ? D'où vient donc qu'il y ait de l'ivraie ? Il leur répondit : C'est un ennemi qui a fait cela. Et les serviteurs lui dirent : Veux-tu que nous allions l'arracher ? Non, dit-il, de peur qu'en arrachant l'ivraie, vous ne déraciniez en même temps le blé. Laissez croître ensemble l'un et l'autre jusqu'à la moisson, et, à l'époque de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Arrachez d'abord l'ivraie, et liez-la en gerbes pour la brûler, mais amassez le blé dans mon grenier » [9]. 
 
Lorsque Jésus se fut retiré dans la maison où il logeait, les disciples vinrent le trouver, disant : « Explique-nous la parabole de l'ivraie du champ. »
 
« Il leur répondit : Celui qui sème la bonne semence, c'est le Fils de l'homme ; le champ, c'est le monde, la bonne semence, ce sont les fils du royaume ; l'ivraie, ce sont les fils du Malin ; l'ennemi qui l'a semée, c'est le diable ; la moisson, c'est la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges. Or comme on arrache l'ivraie pour la jeter au feu, il en sera de même à la fin du monde. Le Fils de l'homme enverra ses anges, qui arracheront de son royaume tous les scandales et ceux qui commettent l'iniquité et ils les jetteront dans la fournaise de feu, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Que celui qui a des oreilles entende » [10]. 
 
Selon l'explication de l'Auteur, le semeur, c'était lui-même, le Fils de l'homme ; comme la situation du blé et de l'ivraie croissant ensemble devait se poursuivre jusqu'à « la fin du monde », ceux qui étaient ordonnés pour poursuivre le ministère après lui sont, nous pouvons le déduire immédiatement, également des semeurs. La semence représentée ici n'est pas, comme dans la dernière parabole, l'Évangile lui-même, mais les enfants des hommes, la bonne semence représentant ceux qui ont le cœur pur, les enfants à l'esprit droit du Royaume ; tandis que l'ivraie, ce sont les âmes qui se sont livrées au mal et sont comptées parmi les enfants du Malin. Inspirés par le zèle au profit de leur Maître, les serviteurs voulaient déraciner les mauvaises herbes de force mais furent arrêtés, car leur procédé insensé, bien que partant d'une bonne intention, aurait mis en danger le blé tandis qu'il était encore tendre. En effet, dans les premiers stades de la croissance, il aurait été difficile de distinguer l'un de l'autre, et l'entrelacement des racines aurait provoqué une grande destruction du précieux grain.
 
Outre qu'elle décrit la situation présente et future du monde, la parabole enseigne une leçon capitale, à savoir celle de la patience, de la longanimité et de la tolérance : chacune étant un attribut de la Divinité et un trait de caractère que tous les hommes doivent cultiver. L'ivraie mentionnée dans l'histoire peut être considérée comme une espèce quelconque d'herbe nocive, en particulier ce genre d'herbe qui, au début de la croissance, ressemble au bon grain [11]. Le fait de semer de mauvaises herbes dans un champ déjà ensemencé de bon grain est une espèce d'acte de mauvaise foi qui n'est pas inconnu même aujourd'hui encore [12]. Dans son exposé, le Seigneur lui-même met hors de doute le fait qu'il viendra un temps de séparation, où le blé sera rassemblé dans le grenier du Seigneur et l'ivraie brûlée, afin que ses semences vénéneuses ne se reproduisent plus.
 
La leçon contenue dans cette parabole est si importante et l'accomplissement littéral des prédictions qu'elle contient est tellement assuré que le Seigneur nous en a donné une autre explication par révélation à notre époque, époque où son application est directe et immédiate. Par l'intermédiaire de Joseph Smith le prophète, en 1832, Jésus-Christ déclara :
 
« Mais voici, dans les derniers jours, à savoir maintenant que le Seigneur commence à répandre la parole et que la pousse croît et est encore tendre - voici, en vérité, je vous le dis, les anges qui sont prêts et attendent d'être envoyés moissonner les champs, invoquent le Seigneur jour et nuit, mais le Seigneur leur dit : N'arrachez pas l'ivraie alors que les pousses sont encore tendres (car en vérité votre foi est faible), de peur de détruire le bon grain aussi. Que le bon grain et l'ivraie croissent donc ensemble jusqu'à ce que la moisson soit tout à fait mûre ; alors vous rassemblerez d'abord le bon grain d'entre l'ivraie, et lorsque le bon grain aura été rassemblé, voici, l'ivraie sera liée en tas et le champ restera pour être brûlé » [13]. 
 
LA SEMENCE QUI POUSSE EN SECRET
 
Matthieu rapporte la parabole de l'ivraie immédiatement après celle du semeur ; Marc place dans le même ordre une parabole que l'on ne trouve que dans ses écrits. Elle est présentée dans les grandes lignes, et les exégètes bibliques la classeraient plutôt comme une simple analogie qu'une parabole typique. Lisez-la :
 
« Il dit encore : Il en est du royaume de Dieu comme d'un homme qui jette de la semence en terre ; qu'il dorme ou qu'il veille, nuit et jour, la semence germe et croit sans qu'il sache comment. La terre produit d'elle-même, premièrement l'herbe, puis l'épi, enfin le blé bien formé dans l'épi ; et dès que le fruit est mûr, on y met la faucille, car la moisson est là » [14]. 
 
Aucun document ne nous indique que les disciples aient demandé ou que le Maître ait donné une interprétation de cette parabole ni d'aucune autre parabole ultérieure [15]. Dans cette histoire nous trouvons une belle illustration de la vitalité de la semence de vérité, bien que les processus secrets de sa croissance constituent un mystère pour tous sauf Dieu seul. Un homme, lorsqu'il a lancé la semence, doit la laisser à elle-même. Il peut cultiver le champ, arrachant les mauvaises herbes, protégeant les plantes du mieux qu'il peut, mais la croissance elle-même dépend de conditions et de forces qu'il n'est pas en son pouvoir de contrôler. Paul planta, Apollos arrosa, mais Dieu seul pouvait assurer la croissance [16]. Celui qui a semé peut s'occuper de ses autres affaires, car le champ ne réclame pas une attention constante ou exclusive ; néanmoins, sous l'influence du soleil et de la pluie, de la brise et de la rosée, la pousse se développe, puis l'épi et en son temps le blé complet dans l'épi. Lorsque le grain est mûr, l'homme est heureux de moissonner sa récolte.
 
Le semeur de cette histoire est le prédicateur de la parole de Dieu doté d'autorité ; il plante la semence de l'Évangile dans le cœur des hommes, ne sachant pas quel en sera le résultat. Passant à un ministère semblable ou différent en un autre endroit, s'occupant des devoirs dont il est chargé dans d'autres domaines, il laisse à Dieu, avec foi et espérance, le résultat de son semis. Il s'enrichit et se réjouit de la moisson des âmes converties par son labeur [17]. Cette parabole s'adressait sans doute plus particulièrement aux apôtres et aux plus dévoués des autres disciples, plutôt qu'à la multitude en général ; c'est une leçon pour les instructeurs, pour les ouvriers dans les champs du Seigneur, pour les semeurs et les moissonneurs élus. Elle a une valeur éternelle, et est aussi d'application aujourd'hui que lorsqu'elle fut donnée. Que la semence soit plantée, même si le semeur est appelé immédiatement à d'autres champs ou à d'autres devoirs ; il trouvera sa récompense dans la moisson joyeuse qu'il aura.
 
LE GRAIN DE MOUTARDE
 
« Il leur proposa une autre parabole et il dit : Le royaume des cieux est semblable à un grain de moutarde qu'un homme a pris et semé dans son champ. C'est la plus petite de toutes les semences ; mais, quand elle a poussé, elle est plus grande que les plantes potagères et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches » [18]. 
 
Cette petite histoire, racontée à la multitude assemblée, doit avoir poussé beaucoup de personnes à réfléchir, à cause de la simplicité de l'incident raconté et de l'application entièrement non juive qui en fut faite. Pour l'esprit formé par les instructeurs de l'époque, le royaume devait être grand et glorieux dès son début ; il devait être inauguré à coups de trompette et dans le martèlement des armées, avec le Messie-Roi à sa tête ; cependant, ce nouvel instructeur disait de lui que son début était si petit qu'il était comparable à un grain de moutarde. Pour rendre l'illustration plus efficace encore, il précisa que la semence dont il était parlé était « la plus petite de toute les semences ». Cette expression superlative fut faite dans un sens relatif ; car il y a des semences plus petites que la moutarde, même parmi les plantes de jardin, parmi lesquelles on peut citer la rue et le pavot ; mais chacune de ces plantes est petite quand elle arrive à maturité, tandis que la moutarde bien cultivée est l'une des plus grandes d'entre les herbes communes et présente un grand contraste dans sa croissance d'une semence minuscule à un gros arbuste.
 
En outre, la comparaison « petit comme un grain de moutarde », était d'usage courant chez les Juifs de l'époque. La comparaison employée par des Juifs en d'autres occasions en montre l'usage courant, comme lorsqu'il dit : « Si vous avez de la foi comme un grain de moutarde... rien ne vous sera impossible » [19]. Il faut savoir que le plant de moutarde atteint en Palestine une taille plus grande que dans les régions septentrionales [20]. La leçon de la parabole est facile à voir. La semence est une entité vivante. Quand on la plante correctement, elle absorbe et assimile les matières nutritives de la terre et de l'atmosphère, grandit et, en son temps, est à même de fournir logement et nourriture aux oiseaux. De même la semence de la vérité est vivante, vivace et capable de se développer au point de fournir de la nourriture et un abri spirituel à tous ceux qui vont à sa recherche. Dans les deux conceptions, la plante mûre produit de la semence en abondance, et à partir d'un seul grain on peut couvrir un champ tout entier.
 
LE LEVAIN
 
« Il leur dit cette autre parabole : Le royaume des cieux est semblable à du levain qu'une femme a pris et introduit dans trois mesures de farine, jusqu'à ce que (la pâte) soit toute levée » [21]. 
 
On peut facilement discerner des points de ressemblance et de contraste entre cette parabole et la précédente. Chacune illustre la vitalité et la capacité de développement inhérentes qui sont si essentiellement caractéristiques du royaume de Dieu. Cependant, le grain de moutarde montre comment un être vivant peut croître en tirant les substances de valeur de l'extérieur tandis que le levain ou la levure répand et diffuse vers l'extérieur son influence à travers la masse de la pâte dense et détrempée. Chacun de ces processus représente un moyen par lequel l'esprit de vérité s'exerce efficacement. La levure n'est pas moins réellement un organisme vivant qu'un grain de moutarde. À mesure que la plante microscopique de la levure se développe et se multiplie à l'intérieur de la pâte, les milliers de cellules vivantes dont elle est composée imprègnent la masse, et chaque morceau de la masse levée est à même d'affecter de la même manière une autre quantité de farine convenablement préparée. Le processus qui fait « lever » la pâte par la fermentation de la levure placée dans la masse est lent et en outre aussi silencieux et apparemment secret que celui de la semence plantée qui grandit sans que le semeur continue à y faire attention ou à s'en soucier [22].
 
LE TRÉSOR CACHÉ
 
« Le royaume des cieux est encore semblable à un trésor caché dans un champ. L'homme qui l'a trouvé le cache (de nouveau) ; et, dans sa joie, il va vendre tout ce qu'il a et achète ce champ » [23]. 
 
Cette parabole et les deux suivantes ne sont rapportées que par Matthieu ; d'autre part, la place qui leur est assignée dans ce récit montre qu'elles ne furent données qu'aux disciples seuls, dans la maison, lorsque la multitude s'en fut allée. La chasse au trésor est toujours passionnante. À l'époque dont nous parlons il n'était pas rare que l'on trouvât des objets précieux ensevelis, puisque la pratique de cacher ainsi les trésors était coutumière chez des gens exposés aux incursions des bandits et aux invasions hostiles. Remarquez que l'homme à qui échoit cette fortune nous est montré trouvant le trésor apparemment par accident plutôt qu'à la suite d'une recherche diligente. Il vendit avec joie tout ce qu'il possédait pour pouvoir acheter le champ. Le trésor caché est le royaume des cieux ; lorsqu'un homme le trouve, il devrait être prêt à sacrifier tout ce qu'il a si, ce faisant, il peut en obtenir la possession. La joie qu'il aura de cette nouvelle acquisition sera sans limite ; et, s'il en reste le possesseur digne, ses richesses s'étendront au-delà du tombeau [24].
 
Des casuistes ont soulevé la question de savoir si le comportement de l'homme dans cette histoire était correct, étant donné qu'il cacha sa découverte au possesseur du champ à qui, disent-ils, le trésor appartenait de droit. Quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir quant à la valeur morale du procédé de cet homme, son acte n'était pas illégal, puisque la loi juive prévoyait expressément que l'acheteur d'une terre devenait le propriétaire légal de tout ce que le sol contenait [25]. Il est certain que Jésus ne recommandait aucun procédé malhonnête ; et si l'histoire n'avait pas été probable dans ses moindres détails, son effet en tant que parabole aurait été perdu. Le Maître enseigna par cette illustration qu'une fois qu'on a trouvé le trésor du royaume, on ne doit pas perdre de temps ni reculer devant aucun sacrifice nécessaire pour s'en assurer la propriété.
 
LA PERLE DE GRAND PRIX
 
« Le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherche de belles perles. Ayant trouvé une perle de grand prix, il est allé vendre tout ce qu'il avait, et l'a achetée » [26]. 
 
Les perles ont toujours occupé une place élevée parmi les joyaux, et longtemps avant le temps du Christ, de même que depuis ce moment-là, les marchands de perles ont recherché activement et avec diligence les plus grandes et les plus précieuses que l'on pouvait trouver. Contrairement à l'homme de la parabole précédente, qui découvrit un trésor caché en cherchant peu ou pas, le marchand de cette histoire consacra toute son énergie à rechercher de belles perles, que c'était son métier de trouver et de se procurer. Quand il vit enfin la perle supérieure à toutes les autres, il vendit avec plaisir toutes ses autres pierres précieuses, bien qu'elle fût, comme elle devait l'être à juste titre, à vendre pour un prix élevé ; en fait il sacrifia tout ce qu'il avait - pierres précieuses et autres biens - et acheta la perle de grand prix. Ceux qui cherchent la vérité peuvent acquérir beaucoup de choses qui sont bonnes et désirables, sans trouver la plus grande de toutes les vérités, la vérité qui les sauvera. Mais s'ils cherchent avec persistance et avec une intention réelle, s'ils sont réellement à la recherche de perles et non d'imitations, ils trouveront. Des hommes qui, en cherchant, découvrent les vérités du royaume des cieux peuvent avoir à abandonner un grand nombre de traditions auxquelles ils tenaient, et même les théories de leur philosophie imparfaite et de « la fausse science » [27], s'ils veulent prendre possession de la perle de grand prix. Remarquez que dans cette parabole comme dans celle du trésor caché, le prix de cette possession est tout ce que l'on a. Nul ne peut devenir citoyen du royaume en abandonnant partiellement les choses auxquelles il était précédemment attaché ; il doit renoncer à tout ce qui est étranger au royaume, sinon il ne pourra jamais y être compté. S'il sacrifie de bon cœur tout ce qu'il a, il verra qu'il a assez. Le coût du trésor caché et de la perle n'est pas un montant fixe, égal pour tous ; c'est tout ce que l'on a. Même le plus pauvre peut obtenir la possession durable ; tout ce qu'il a constitue un prix d'achat suffisant.
 
LE FILET DE L'ÉVANGILE
 
« Le royaume des cieux est encore semblable à un filet jeté dans la mer et qui ramasse (des poissons) de toute espèce. Quand il est rempli, on le tire sur le rivage, puis on s'assied, on recueille dans des vases ce qui est bon et l'on jette ce qui est mauvais. Il en sera de même à la fin du monde. Les anges s'en iront séparer les méchants du milieu des justes et ils les jetteront dans la fournaise de feu, où il y aura des pleurs et des grincements de dents » [28]. 
 
L'Évangile du royaume touche des hommes de toutes mentalités, des hommes bons et mauvais, de toutes nationalités et de toutes races. Les « pêcheurs d'hommes » [29] sont habiles, actifs et universels dans leurs coups de filet. Le triage se produit lorsque le filet est amené à terre ; et, de même que le pêcheur rejette tous les mauvais poissons, conservant les bons, de même les anges qui exécutent les ordres du Fils de l'homme sépareront les justes des méchants, accordant la vie éternelle à une espèce, condamnant l'autre à la destruction. Des efforts insensés de porter l'application de la parabole au-delà de l'intention de l'Auteur ont poussé certains à formuler cette critique que les poissons meurent, qu'ils soient bons ou mauvais. Cependant les bons meurent utiles, les mauvais sont entièrement gaspillés. Bien que tous les hommes meurent, ils ne meurent pas de la même façon ; certains rendent l'âme pour se reposer et se lèveront à la résurrection des justes ; d'autres vont dans un état de douleur et de tourments pour y attendre avec angoisse et terreur la résurrection des méchants [30]. On peut voir que cette parabole a une application semblable à celle de l'ivraie en ce qu'elle souligne qu'une séparation est décrétée entre les justes et les injustes, et dans le sort terrible de ceux qui sont voués à la condamnation. On remarquera un autre parallèle dans le fait que le jugement est remis à « la fin du monde », expression dans laquelle nous pouvons comprendre la consommation de l'œuvre du Rédempteur après le millénium et la résurrection finale de tous ceux qui ont existé sur la terre [31].
 
Après avoir donné cette parabole, la dernière du groupe rapporté au chapitre treize de Matthieu, jésus demanda aux disciples : « Avez-vous compris tout cela ? - Oui, répondirent-ils. » Il leur fit comprendre qu'ils devaient être prêts, comme des instructeurs bien formés, à apporter, du grenier de leur âme, des trésors de vérité tant anciens que nouveaux, pour l'édification du monde [32].
 
POURQUOI LE CHRIST FIT USAGE DE PARABOLES
 
Comme nous l'avons déjà dit, les Douze et les autres disciples furent surpris de l'innovation du Seigneur lorsqu'il commença à enseigner par paraboles. Avant cela ses enseignements avaient été exposés clairement et sans détour, comme en témoignent les enseignements explicites du sermon sur la montagne. Il est à remarquer que les paraboles furent introduites au moment où l'opposition contre Jésus était forte, et lorsque les scribes, les Pharisiens et les rabbis veillaient à surveiller étroitement ses mouvements et ses oeuvres, toujours prêts à faire de lui un transgresseur pour un mot. Les paraboles étaient d'usage courant parmi les instructeurs juifs ; et en adoptant ce mode d'instruction, Jésus suivait une coutume du temps, bien qu'entre les paraboles qu'il donnait et celles des savants aucune comparaison ne soit possible si ce n'est sous forme de contraste extrêmement prononcé [33].
 
Le Maître expliqua aux disciples élus et dévoués qui vinrent lui demander pourquoi il était passé de l'exposé direct aux paraboles [34], que s'ils avaient, eux, le bonheur de recevoir et de comprendre les vérités profondes de l'Évangile, « les mystères du royaume des cieux » comme il les appelait, il était par contre impossible aux gens en général, qui n'étaient pas réceptifs ni préparés, de comprendre les choses aussi parfaitement. Il fallait donner plus aux disciples qui avaient déjà accepté joyeusement les premiers principes de l'Évangile du Christ ; tandis qu'à ceux qui avaient rejeté le bienfait qui leur était offert, on enlèverait même ce qu'ils avaient possédé jusqu'alors [35]. « C'est pourquoi, dit-il, je leur parle en paraboles, parce qu'en voyant ils ne voient pas, et qu'en entendant ils n'entendent ni ne comprennent. » L'état de ténèbres spirituelles qui existait alors parmi les Juifs avait été prévu, comme le montre une citation des paroles d'Ésaïe, dans lesquelles l'ancien prophète avait dit que le peuple deviendrait aveugle, sourd et dur de cœur en ce qui concerne les choses de Dieu, raison pour laquelle, tout en entendant et en voyant dans un sens physique, il ne comprendrait cependant pas [36].
 
Un élément de miséricorde se révèle clairement dans le mode d'instruction par paraboles que notre Seigneur adopta, étant donné la situation qui existait à l'époque. S'il avait toujours enseigné par des déclarations explicites qui n'avaient pas besoin d'interprétation, beaucoup de ses auditeurs seraient tombés sous la condamnation, étant donné qu'ils avaient une foi trop faible et que leur cœur n'était pas suffisamment préparé pour briser les liens du traditionalisme et des préjugés engendrés par le péché, de manière à accepter la parole salvatrice et d'y obéir. Leur incapacité de comprendre les exigences de l'Évangile permettrait dans une juste mesure à la miséricorde d'avoir quelque droit sur eux, tandis que s'ils avaient rejeté la vérité en comprenant pleinement ce qu'ils faisaient, la rigueur de la justice exigerait certainement leur condamnation [37].
 
L'exhortation du Maître : « Que celui qui a des oreilles entende » implique que la leçon des paraboles pouvait être comprise par l'étude, la prière et la recherche. Pour les chercheurs plus studieux, le Maître ajouta : « Prenez garde à ce que vous entendez. On vous mesurera avec la mesure avec laquelle vous mesurez et on y ajoutera pour vous. Car on donnera à celui qui a ; mais à celui qui n'a pas, on ôtera même ce qu'il a » [38]. Deux hommes peuvent entendre les mêmes paroles ; l'un d'eux écoute avec indolence et indifférence, l'autre, l'esprit actif, est décidé à apprendre tout ce que les paroles peuvent lui révéler ; ayant entendu, l'homme diligent s'en va tout droit faire ce qui lui est recommandé, tandis que l'insouciant néglige et oublie. L'un est sage, l'autre insensé ; l'un a entendu pour son profit éternel, l'autre pour sa condamnation éternelle [39].
 
Un autre exemple de l'adaptation miséricordieuse de la parole de la vérité aux capacités diverses des gens qui entendaient les paraboles réside dans ce fait psychologique que les incidents d'une histoire frappante quoique simple demeureront, même dans des esprits qui, au moment même, sont incapables de comprendre tout sens au-delà de l'histoire elle-même. Maint paysan qui avait entendu le petit incident du semeur et des quatre espèces de terre, de l'ivraie semée par un ennemi le soir, de la semence qui grandit, bien que le planteur l'ait temporairement oublié, s'en souviendrait grâce aux situations sans cesse renouvelées de son travail quotidien ; le jardinier se souviendrait de l'histoire du grain de moutarde toutes les fois qu'il planterait de nouveau, ou en regardant la plante ombrageuse avec des oiseaux nichés dans ses branches ; la ménagère serait frappée de nouveau par l'histoire du levain en mélangeant, en pétrissant et en cuisant ; le pêcheur à ses filets penserait de nouveau aux bons poissons et aux mauvais et comparerait le tri de sa prise avec le jugement qui doit venir. Et puis, lorsque le temps et l'expérience, ainsi que peut-être la souffrance, les auraient préparés à penser plus profondément, ils trouveraient le grain vivant de vérité évangélique sous la balle de l'histoire toute simple.
 
LES PARABOLES EN GÉNÉRAL
 
Le trait essentiel d'une parabole c'est la comparaison ou la similitude, selon laquelle on utilise un incident ordinaire et bien compris pour illustrer un fait ou un principe que l'histoire n'exprime pas directement. L'idée populaire qu'une parabole repose nécessairement sur un incident fictif est incorrecte ; en effet, étant donné que l'histoire ou les circonstances de la parabole doivent être simples et certainement ordinaires, elle peut être réelle. Il n'y a rien d'imaginaire dans les paraboles que nous avons étudiées jusqu'à présent ; les histoires fondamentales sont prises sur le vif, et les circonstances données sont des faits vécus. Le récit ou l'incident sur lequel une parabole est construite peut être un événement réel ou imaginaire ; mais, s'il est imaginaire, l'histoire doit être logique et vraisemblable et ne doit se mêler à rien d'extraordinaire ou de miraculeux. Dans ce domaine, la parabole diffère de la fable, cette dernière étant construite par l'imagination, sur des faits exagérés et invraisemblables ; en outre, l'intention de l'une et de l'autre n'est pas la même, puisque la parabole est destinée à enseigner une grande vérité spirituelle, tandis que ce que l'on appelle la morale de la fable suggère tout au plus des accomplissements profanes et des avantages personnels. Les histoires, qui représentent des arbres, des animaux et des objets inanimés parlant ensemble ou avec des hommes, sont entièrement imaginaires ; ce sont des fables ou des apologues, que la conclusion en soit bonne ou mauvaise ; vis-à-vis de la parabole ils présentent un contraste, non une similarité. Le but avoué de la fable est plutôt d'amuser que d'enseigner. La parabole peut contenir un récit comme dans le cas du semeur et de l'ivraie, ou simplement un incident isolé comme dans le cas du grain de moutarde et du levain.
 
Les allégories se distinguent des paraboles par le fait qu'elle sont plus longues et que l'histoire est plus détaillée, ainsi que par le mélange intime existant entre le récit et la leçon qu'il a pour but d'enseigner ; ces deux éléments restent séparés et distincts dans la parabole. Les mythes sont des histoires fictives, dont les faits sont parfois basés sur l'histoire mais ne symbolisent aucune valeur spirituelle. Un proverbe est une parole brève et sentencieuse, ayant la nature d'une maxime, contenant une vérité déterminée ou une suggestion par comparaison. Les proverbes et les paraboles sont étroitement apparentés, et dans la Bible les termes sont parfois utilisés l'un pour l'autre [40]. L'Ancien Testament contient deux paraboles, quelques fables et allégories, et de nombreux proverbes ; nous possédons un livre entier de ces derniers [41]. Nathan, le prophète, réprimanda le roi David en lui racontant la parabole de la brebis du pauvre, et l'histoire fut tellement efficace que le roi décréta un châtiment pour le riche transgresseur et fut écrasé de chagrin et de contrition lorsque le prophète appliqua sa parabole par les paroles fatales : « Tu es cet homme-là [42] ! » L'histoire de la vigne, qui, quoique entourée d'une clôture et bien soignée, ne produisit cependant que du fruit sauvage et inutile, fut utilisée par Ésaïe pour décrire l'état pécheur d'Israël, lorsqu'il essaya d'éveiller le peuple à une vie de justice [43].
 
Les paraboles du Nouveau Testament, prononcées par le Maître des maîtres, sont d'une beauté, d'une simplicité et d'une efficacité telles qu'elles n'ont pas leurs pareilles dans la littérature.
 
 [1] Mc 3:10 ; cf. Mt 9:20,21, 14:36 ; Mc 6:56 ; Lc 6:19.
 [2] Mc 3:9.
 [3] Luc 5:10 ; Chap. 14 du présent ouvrage.
 [4] Note 1, fin du chapitre.
 [5] Mt 13:3-9 ; cf. Mc 4:3-9 ; Lc 8:5-8.
 [6] Mc 4:13.
 [7] Mt 13:18-23 ; cf. Mc 4:13-20 ; Lc 8:11-15.
 [8] Note 2, fin du chapitre.
 [9] Mt 13:24-30.
 [10] Versets 36-43.
 [11] Note 3, fin du chapitre.
 [12] Note 4, fin du chapitre.
 [13] D&A 86:4-7 ; lire toute la section.
 [14] Mc 4:26-29.
 [15] Note 5, fin de chapitre.
 [16] 1 Co 3:6.
 [17] Lire la promesse donnée très tôt par le Seigneur que les âmes sont le salaire des moissonneurs désignés : Jn 4:35-38 ; voir aussi Mt 9:37,38 ;
 [18] Lc 10:2. Mt 13:31, 32 ; cf. Mc 4:30-32 ; Lc 13:18, 19.
 [19] Mt 17:20 ; cf. Lc 17:6.
 [20] Note 6, fin du chapitre.
 [21] Mt 13:33 ; cf. Lc 13:20,21.
 [22] Note 7, fin du chapitre.
 [23] Mt 13:44.
 [24] Cf. Mt 6:19,20.
 [25] Note 8, fin du chapitre.
 [26] Mt 13:45, 46.
 [27] 1 Tm 6:20.
 [28] Mt 13:47-50.
 [29] Mt 4:19 ; Mc 1: 17 ; Lc 5:10.
 [30] Jn 5:29 ; voir aussi LM, Al 40:11-14, et l'auteur, Articles de Foi, p. 463-475.
 [31] Voir chapitre 42.
 [32] Mt 13:51,52.
 [33] Note 9, fin du chapitre.
 [34] Mt 13:10-17 ; cf. Mc 4:10-13, Lc 8:9, 10.
 [35] Mt 13:12 ; cf. 25:29 ; Mc 4:25 ; Lc 8:18, 19:26.
 [36] Es 6:9 ; voir aussi 42:20, 43:8, Ez 12:2 ; Jn 12:40, Ac 28:26,27.
 [37] Voir les Articles de Foi, de l'auteur, p. 76-78 ; LM, 2 Né 9:25-27 ; Rm 2:12 ; D&A 45:54, 76:72.
 [38] Mt 13:9,43 ; voir aussi 11:15 ; Mc 4:9.
 [39] Mc 4:24, 25.
 [40] Note 10, fin du chapitre.
 [41] Note 11, fin du chapitre.
 [42] 2 S 12:1-7,13.
 [43] Es 5:1-7.
 
NOTES DU CHAPITRE 19
 
1. Le premier groupe de paraboles : Beaucoup de spécialistes de la Bible affirment que les sept paraboles rapportées au chapitre treize de Matthieu furent prononcées à des époques différentes et devant des personnes différentes, et que l'auteur du premier évangile les groupa pour en faciliter la rédaction et en tenant compte avant tout de leur intérêt subjectif. Ce point de vue semble confirmé par le fait que Luc mentionne certaines de ces paraboles dans des cadres différents quant au temps et au lieu ; c'est ainsi que les paraboles du grain de moutarde et du levain sont données (Lc 13:18,21) directement après la guérison de la femme infirme à la synagogue et la réprimande du gouverneur hypocrite. Si nous devons reconnaître que Matthieu peut avoir groupé avec les paraboles prononcées ce jour-là certaines prononcées à d'autres moments, il est probable que Jésus répéta certaines de ses paraboles, comme il le fit certainement pour d'autres enseignements, et présenta ainsi la même leçon plus d'une fois. En fait chaque parabole est une leçon en elle-même et conserve sa grande valeur intrinsèque, qu'on la considère comme une histoire isolée ou de concert avec les enseignements apparentés. Faisons attention à la leçon que chacune d'elles contient, quelles que soient les opinions que les hommes peuvent promulguer quant aux circonstances où elles furent données pour la première fois.
 
2. Le décor de la parabole du semeur : Le Dr R. C. Trench, dans son ouvrage Notes on the Parables of our Lord (p. 57, note), cite la description faite par Dean Stanley de l'endroit où Jésus donna la parabole du semeur ; comme nous avons des raisons de croire que le cadre n'a guère changé depuis le temps du Christ, nous en reproduisons ici le récit : « Un léger renfoncement au flanc de la colline près de la plaine révélait immédiatement en détails, et avec une conjonction que je ne me souviens d'avoir rencontrée nulle part ailleurs en Palestine, tous les traits de la grande parabole. Il y avait le champ de blé ondoyant qui descendait jusqu'au bord de l'eau. Il y avait le sentier battu qui le traversait par son milieu, sans clôture ni haie pour empêcher la semence de tomber çà et là de part et d'autre du chemin ou dessus - celui-ci étant durci sous le piétinement constant des chevaux, des mules et des pieds humains. Il y avait la « bonne » terre riche qui distingue toute cette plaine et son voisinage des collines dénudées ailleurs, descendant dans le lac et qui, là où il n'y a aucune interruption, produit une grande quantité de blé. Il y avait les terrains rocheux du flanc de la colline faisant saillie çà et là dans les champs de blé, comme ailleurs, sur les pentes herbeuses. Il y avait les gros buissons de ronces, le « nabk »... jaillissant, comme les arbres fruitiers des régions situées plus à l'intérieur des terres, au centre même du blé ondoyant. »
 
3. L'ivraie : Ce terme ne se retrouve nulle part dans la Bible ailleurs que dans le cas de la parabole. Il est clair que n'importe quel genre de mauvaise herbe, en particulier une espèce vénéneuse, de nature telle qu'elle déprécierait gravement la moisson engrangée, répondrait à l'intention du Maître lorsqu'il utilisa cette illustration. On croit traditionnellement et communément que la plante dont il est parlé dans la parabole est l'ivraie, que les botanistes appellent le Lollum temulentum, une espèce d'ivraie aristée. Cette plante ressemble beaucoup au blé dans les premiers stades de la croissance et constitue un fléau pour les fermiers en Palestine aujourd'hui ; les Arabes l'appellent « Zowan » ou « Zawan », nom qui, dit Arnot, citant Thompson, « ressemble quelque peu au terme originel du texte grec ». L'auteur de l'article « Tares » [Ivraie], dans le dictionnaire de Smith dit : « Les critiques et les exégètes s'accordent pour dire que le pluriel grec zizania, A. V. « ivraie », de la parabole (Mt 13:25) indique la plante appelée « ivraie aristée » (Lolium temulentum), une herbe très répandue, et la seule espèce du genre qui a des propriétés toxiques. Avant de monter en épi, l'ivraie aristée a un aspect très semblable au blé, et les racines des deux sont souvent entrelacées ; c'est ce qui explique le commandement que « l'ivraie » devait être laissée jusqu'à la moisson, de peur qu'en l'arrachant, les hommes « ne déracinent en même temps le blé ». Lorsqu'elle est en épi, cette ivraie se distingue facilement du blé et de l'orge, mais lorsqu'ils sont tous deux moins développés, « l'examen le plus attentif sera souvent incapable de la découvrir. Même les fermiers, qui sarclent généralement leurs champs dans ce pays, n'essayent pas de séparer l'un de l'autre... Le goût en est amer, et, quand on la mange isolément, même lorsqu'elle est mêlée au pain ordinaire, elle provoque des étourdissements et agit souvent comme un émétique violent ». La seconde citation est de The Land and the Book, de Thompson, 11, 111, 112. On a prétendu que l'ivraie est une espèce dégénérée de blé ; et on a essayé, en introduisant cette idée, d'ajouter une signification supplémentaire à la parabole instructive de notre Seigneur ; cette conception forcée n'est cependant pas justifiée scientifiquement, et les étudiants sérieux ne se laisseront pas égarer par elle.
 
4. La méchanceté du semeur d'ivraie : On a essayé de discréditer la parabole de l'ivraie en prétendant qu'elle repose sur une pratique peu ordinaire sinon inconnue. Trench répond à cette critique de la manière suivante (Notes on the Parables, p. 72, 73) : « Notre Seigneur n'imaginait pas là une forme de méchanceté sans précédent, mais en produisit une qui a pu être suffisamment connue de ses auditeurs, qu'il était si facile d'exécuter, qui comportait si peu de risques et qui produisait cependant un mal si grand et si durable qu'il n'est pas étrange, lorsque la lâcheté et la méchanceté se rencontrent, qu'elles se soient souvent manifestées sous cette forme-là. Nous en trouvons des traces en de nombreux endroits. La loi romaine prévoyait la possibilité de cette forme de dommage ; et un auteur moderne, illustrant les Écritures d'après les us et coutumes de l'Orient, qu'il avait appris à connaître lors d'un séjour qu'il y avait fait, affirme qu'on pratique maintenant la même chose en Inde. » L'auteur ajoute en note : « Cette forme de méchanceté ne manque pas, plus près de chez nous. C'est ainsi qu'en Irlande, j'ai connu un locataire chassé qui, furieux de son expulsion, sema de la folle avoine dans les champs qu'il quittait. Comme l'ivraie de la parabole, il devint pratiquement impossible de l'extirper lorsqu'elle eut mûri et fut montée en semence avant le blé auquel elle était mêlée. »
 
5. La parabole de la semence poussant en secret : Cette parabole a provoqué beaucoup de discussions parmi les exégètes, la question étant de savoir qui on entend par l'homme qui lança la semence dans la terre. Si, comme dans les paraboles du semeur et de l'ivraie, c'était le Seigneur Jésus qui était le planteur, alors, demandent certains, comment peut-on dire : « La semence germe et croît sans qu'il sache comment », alors que toutes choses lui sont connues ? Si d'autre part le planteur représente l'instructeur ou le prédicateur autorisé de l'Évangile, comment peut-on dire qu'au moment de la moisson il « y met la faucille » puisque la moisson finale des âmes est la prérogative de Dieu ? Les perplexités des critiques proviennent de ce qu'ils essaient de trouver dans la parabole un littéralisme qui n'existait pas du tout dans l'intention de l'Auteur. Que la semence ait été plantée par le Seigneur lui-même, comme lorsqu'il enseignait en personne, ou par l'un quelconque de ses serviteurs autorisés, la semence est vivante et grandira. Il faut du temps ; la pousse apparaît d'abord et est suivie de l'épi, et l'épi mûrit en sa saison, sans l'attention constante qui serait nécessaire si les différentes parties de la plante devaient être formées à la main. L'homme qui figure dans la parabole est présenté comme un fermier ordinaire, qui plante et attend, et récolte en son temps. La leçon qui est donnée est la vitalité de cette chose vivante qu'est la semence, dotée par son Créateur de la capacité de grandir et de se développer.
 
6. Le grain de moutarde : Le sénevé sauvage, qui, dans les régions tempérées, atteint rarement une hauteur de plus de quatre vingt-dix centimètres à un mètre vingt, monte dans les pays semi-tropicaux à la hauteur d'un cheval et de son cavalier (Thompson, The Land and the Book, 11, 100). Ceux qui entendirent la parabole comprirent de toute évidence le contraste entre la grandeur de la semence et celle de la plante pleinement développée. Arnot (The Parables, p. 102) dit très justement : « Le Seigneur choisit de toute évidence cette plante, non point à cause de sa grandeur absolue, mais parce qu'elle était, et qu'on la reconnaissait comme telle, un exemple frappant de croissance du très petit au très grand. Elle paraît avoir été en Palestine, à l'époque, la semence la plus petite que l'on savait produire une plante aussi grande. Il y avait peut-être des semences plus petites, mais les plantes qui en sortaient n'étaient pas aussi grandes ; et il y avait des plantes plus grandes, mais les semences dont elles naissaient n'étaient pas aussi petites. » Edersheim (I, p. 593) dit que la taille minuscule du grain de sénevé était utilisée communément dans les comparaisons des rabbis, « pour indiquer la plus petite quantité comme la plus petite goutte de sang, la plus petite souillure, etc. ». Le même auteur poursuit, à propos de la plante adulte : « En effet, elle ne ressemble plus à une grande herbe de jardin ou à un arbuste, mais ‘devient’ ou plutôt apparaît comme ‘un arbre’, comme le dit Luc, pas à comparer, naturellement, avec d'autres arbres, mais par rapport à des arbustes de jardin. Cette grande croissance du grain de sénevé était également un fait bien connu à l'époque, et, de fait, peut encore s'observer en Orient... Et le sens général en serait d'autant plus facilement compris qu'un arbre, dont les longues branches fournissaient un logement aux oiseaux du ciel, est une image bien connue de l'Ancien Testament pour désigner un royaume puissant qui constituait un abri pour les nations (Ez 31:6,12 ; Dn 4:12,14,21,22). On l'utilise tout particulièrement, en effet, pour illustrer le royaume messianique » (Ez 17:23).
 
7. Le symbolisme du levain : Dans la parabole, le royaume des cieux est comparé au levain. Dans d'autres Écritures, le levain est cité dans un sens figuré pour représenter le mal, comme par exemple le « levain des Pharisiens et des Sadducéens » (Mt 16:6, voir également Lc 12:1), le « levain d'Hérode » (Mc 8:15). Ces exemples, et d'autres encore (1 Co 5:7, 8) sont des illustrations de ce que le mal est contagieux. Dans l'incident où la femme utilise du levain pour faire son pain, l'effet contagieux, pénétrant et capital de la vérité est symbolisé par le levain. On peut très bien utiliser différents aspects de la même chose pour représenter le bien dans un cas et le mal dans l'autre.
 
8. Le trésor appartient à celui qui le trouve : Voici ce que dit Edersheim (i, p. 595-6) sur le point de savoir si on peut justifier l'homme qui découvrit un trésor caché dans le champ d'un autre puis, taisant sa découverte, acheta le champ afin de posséder le trésor : « On a fait quelque difficulté quant à la valeur morale de pareille transaction. Nous pouvons faire observer, pour répondre à cela, que c'était du moins entièrement conforme à la loi juive. Si un homme avait trouvé un trésor en pièces de monnaie libres parmi le blé, il lui appartiendrait certainement, s'il achetait le blé. S'il l'avait trouvé dans le sol ou dans la terre, il lui appartiendrait certainement, s'il pouvait se rendre propriétaire de la terre, et même si le champ n'était pas à lui, à moins que d'autres ne pussent prouver qu'ils y avaient droit. La loi allait jusqu'à adjuger à l'acheteur de fruits tout ce qui se trouvait parmi ces fruits. Cela suffira pour régler une question de détail qui, en tout cas, ne doit pas être analysée de trop près dans une parabole. »
 
9. Supériorité des paraboles de notre Seigneur : Il n'était pas d'autre mode d'enseignement qui fût aussi courant parmi les Juifs que celui par paraboles. Seulement, dans leur cas, elles étaient presque entièrement des illustrations de ce qui avait été dit ou enseigné ; tandis que dans le cas du Christ, elles constituaient la base de son enseignement... Dans le premier cas, elles avaient pour but de donner à l'enseignement spirituel un caractère juif et national, dans l'autre de transmettre un enseignement spirituel sous une forme adaptée au point de vue des auditeurs. On verra que cette distinction persiste même dans les cas où le parallélisme le plus proche semble exister entre une parabole rabbinique et une parabole évangélique... Faut-il le dire, il n'est guère possible de comparer ces paraboles en ce qui concerne leur esprit, si ce n'est pour les mettre en contraste » (Edersheim, I, p. 580-1). Geikie dit d'une manière concise : « D'autres ont prononcé des paraboles, mais Jésus les dépasse à tel point qu'on peut à juste titre l'appeler le créateur de cette méthode d'enseignement » (11, p. 145).
 
10. Paraboles et autres formes d'analogie : « La parabole se distingue clairement du proverbe aussi, bien qu'il soit vrai que, dans une certaine mesure, ces deux termes sont utilisés l'un pour l'autre, comme équivalents, dans le Nouveau Testament. C'est ainsi que « Médecin, guéris-toi toi même » (Lc 4:23) est qualifié de parabole [dans la version anglaise], bien que cette expression soit à proprement parler un proverbe [nom qui lui est donné dans la version Segond, ndt], de même, lorsque le Seigneur eut utilisé le proverbe, que ses auditeurs connaissaient probablement déjà bien : « Si un aveugle conduit un aveugle, ils tomberont tous deux dans une fosse », Pierre dit : « Explique-nous cette parabole » (Mt 15:14,15) ; et Lc 5:36 est un proverbe ou une expression proverbiale, plutôt qu'une parabole, nom qu'il porte... D'un autre côté, Jean appelle « proverbes » [la version Segond emploie le terme « paraboles », ndt] des expressions qui, tout en n'étant pas strictement des paraboles, ont cependant une affinité beaucoup plus grande avec la parabole qu'avec le proverbe, parce qu'elles sont en fait des allégories ; c'est ainsi que lorsque le Christ compare ses relations avec son peuple à celles d'un berger avec ses brebis, cette figure de langage est appelée « proverbe », bien que les traducteurs, s'en tenant au sens plutôt qu'à la lettre, l'aient rendue par « parabole » (Jn 10:6 ; comparez 16:25,29). Il est facile d'expliquer cet échange de mots. Il provient en partie du fait que le même mot hébreu signifie à la fois parabole et proverbe » (Trench, Notes on the Parables, p. 9, 10).
 
Au profit des lecteurs qui n'ont pas de dictionnaire sous la main en lisant, nous donnons les définitions suivantes :
 
Allégorie - Exposé d'un sujet sous l'aspect d'un autre sujet ou d'une comparaison qui le suggère bien.
 
Apologue - Fable ou histoire morale, en particulier dans laquelle des animaux ou des objets inanimés parlent ou agissent, et qui enseignent ou proposent une leçon utile.
 
Fable - Histoire ou conte bref inventé de manière à contenir une morale et dont les personnages et les acteurs sont des animaux et parfois même des objets inanimés doués de raison ; légende ou mythe.
 
Mythe - Récit fictif présenté comme historique, mais non fondé.
 
Parabole - Court récit ou allégorie descriptive fondée sur des événements réels qui se produisent dans la nature et la vie humaine et s'appliquant ordinairement dans le domaine moral ou religieux.
 
Proverbe - Expression courte, concise, condensant sous une forme spirituelle ou frappante la sagesse de l'expérience ; dicton populaire bien connu sous une forme concise.
 
11. Paraboles de l'Ancien Testament, etc : « L'Ancien Testament ne contient que deux paraboles au sens strict du terme » (2 S 12:1 et sqq. et Es 5:1 et sqq.). « D'autres histoires, comme celles des arbres assemblés pour élire un roi (Juges 9:8) et de l'épine et du cèdre (2 R 14:9), sont plus strictement des fables. D'autres encore, comme le récit d'Ézéchiel sur les deux aigles et la vigne (17:2 et sqq.), et de la chaudière (24:3 et sqq.) sont des allégories. Il ne faut cependant pas croire que le fait que l'on ne trouve qu'un petit nombre de récits paraboliques dans l'Ancien Testament prouve que l'on ne considérait pas cette forme littéraire comme propre à l'enseignement oral. Leur nombre n'est petit qu'en apparence. En réalité, les comparaisons, qui, bien que ne se présentant pas sous la forme de récit fictif, proposent et fournissent la matière de récits de ce genre, sont abondantes » (Zenos, Stand. Bible Dict., article « Parables »).
 
En appliquant le terme « parabole » dans son sens le plus large, comprenant toutes les formes ordinaires d'analogie, nous pouvons considérer les paraboles suivantes comme les plus impressionnantes de l'Ancien Testament. Les arbres élisant un roi (Juges 9:7 et sqq.), la petite brebis du pauvre (2 S 12:1 et sqq.), les frères querelleurs et les vengeurs (2 S 14:1 et sqq.), l'histoire du captif échappé (1 R 20:35 et sqq.), l'épine et le cèdre (2 R 14:9), la vigne et ses mauvais raisins (Es 5:1 et sqq.), le seigle et la vigne (Ez 17:3 et sqq.), les lionceaux (Ez 19:2 et sqq.), la chaudière (Ez 24:3 et sqq.).
 
 
CHAPITRE 20 : « SILENCE ! TAIS-TOI ! »
 
INCIDENTS PRÉCÉDANT LE VOYAGE
 
Vers la fin du jour où Jésus avait instruit pour la première fois les multitudes par paraboles, il dit aux disciples : « Passons sur l'autre rive » [1]. La destination ainsi indiquée est la rive est du lac de Galilée. Tandis que l'on préparait le bateau, un scribe vint trouver Jésus et dit : « Je te suivrai partout où tu iras. » Jusqu'alors, peu d'hommes appartenant à la classe titrée ou gouvernante avaient offert de s'allier ouvertement avec Jésus. Si le Maître avait été un politique, désireux d'être officiellement reconnu, il aurait soigneusement examiné, sinon accepté immédiatement cette occasion de s'attacher une personne aussi influente qu'un scribe ; mais lui qui pouvait lire l'esprit et connaître le cœur des hommes, choisissait plutôt qu'il n'acceptait. Il avait appelé loin de leurs bateaux et de leurs filets de pêche des hommes qui devaient être dorénavant siens et compté l'un des péagers ostracisés parmi les Douze ; mais il connaissait chacun d'eux et choisit en conséquence. L'Évangile était offert gratuitement à tous ; mais il ne suffisait pas de demander pour obtenir l'autorité d'y officier comme représentant officiel ; pour cette œuvre sacrée, on devait être appelé de Dieu [2].
 
Dans ce cas, le Christ connaissait la personnalité de cet homme, et sans heurter ses sentiments en le rejetant sèchement, fit ressortir le sacrifice qui était exigé de quelqu'un qui voudrait suivre le Seigneur partout où il allait, disant : « Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. » Comme Jésus n'avait pas de lieu de résidence fixe mais allait là où son devoir l'appelait, il était de même nécessaire que ceux qui le représentaient, des hommes ordonnés ou mis à part à son service, fussent prêts à se refuser la jouissance de leurs demeures et le réconfort des relations familiales, si les devoirs de leur appel l'exigeaient. On ne nous dit pas si le scribe candidat maintint son offre.
 
Un autre homme se montra disposé à suivre le Seigneur mais demanda d'abord le temps d'aller ensevelir son père ; Jésus lui dit : « Suis-moi ; laisse les morts ensevelir leurs morts. » Certains lecteurs ont eu le sentiment que cet ordre était sévère, bien que pareille déduction ne se justifie guère. C'eût été manifestement un manque de piété filiale chez un fils de s'absenter, dans des conditions ordinaires, lors des funérailles de son père ; néanmoins, si ce fils avait été mis à part pour un service dont l'importance transcendait toutes les obligations personnelles ou familiales, les devoirs du ministère l'emporteraient à juste titre. En outre, la condition requise par Jésus n'était pas plus grande que celle qui était exigée de tous les prêtres pendant la durée de leur service actif et n'était pas plus astreignante que l'obligation du vœu naziréen [3], sous lequel beaucoup de personnes se plaçaient volontairement. Les devoirs du ministère dans le royaume avaient trait à la vie spirituelle ; quelqu'un qui s'y consacrait pouvait très bien laisser à ceux qui négligeaient les choses spirituelles et qui étaient, dans un sens figuré, spirituellement morts, le soin d'ensevelir leurs morts.
 
On nous présente un troisième cas ; un homme qui voulait être disciple du Seigneur demanda à recevoir, avant d'entreprendre ses devoirs, la permission d'aller chez lui faire ses adieux à sa famille et à ses amis. La réponse de Jésus est devenue un aphorisme dans la vie et la littérature : « Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière, n'est pas bon pour le royaume de Dieu » [4]. 
 
Le texte de Matthieu nous donne l'impression que les deux premiers de ces candidats disciples s'offrirent à notre Seigneur comme il se tenait sur le rivage ou dans le bateau, prêt à traverser le lac pendant la soirée. Luc place ces événements dans un cadre différent et ajoute aux offres du scribe et de l'homme qui désirait rentrer chez lui et puis revenir au Christ. Il peut être profitable d'examiner ces trois incidents ensemble, qu'ils se soient tous produits le soir de ce même jour mouvementé ou à des moments différents.
 
LA TEMPÊTE APAISÉE [5]
 
Jésus donna l'ordre de mettre la barque à l'eau et de passer de l'autre côté du lac, désirant probablement un répit après les travaux ardus de la journée. On n'avait perdu aucun temps à faire des préparatifs inutiles ; « ils l'emmenèrent dans la barque où il se trouvait » et se mirent en route sans retard. Jusque sur l'eau, plusieurs personnes avides essayèrent de le suivre ; car un certain nombre de petits bateaux, « des barques » comme Marc les appelle, accompagnaient l'embarcation sur laquelle Jésus se trouvait ; mais il se peut que ces petites barques aient fait demi-tour, peut-être à cause de la tempête qui s'approchait. Quoi qu'il en soit, nous n'entendons plus parler d'elles. Jésus trouva un lieu de repos près de la poupe du bateau et s'endormit bientôt. Une grande tempête se Ieva [6], et il continuait à dormir. Cet événement est instructif, car il est la preuve des qualités physiques du Christ et de l'état sain et normal de son corps. Il était sujet à la fatigue et à l'épuisement corporel pour d'autres causes, comme le sont tous les hommes ; sans nourriture il avait faim, sans boisson il avait soif, le travail le fatiguait. Le fait qu'après un jour d'efforts ardus il ait pu dormir calmement, même au milieu des remous d'une tempête, indique un système nerveux en parfaite condition et en bonne santé. Nulle part nous ne voyons Jésus malade. Il vivait selon les lois de la santé et cependant ne permit jamais au corps de dominer l'esprit, et ses activités quotidiennes, qui étaient de nature à mettre fortement l'énergie physique et mentale à contribution, n'entraînèrent aucun symptôme de dépression nerveuse ni de troubles fonctionnels. Dormir après avoir travaillé est quelque chose de naturel et de nécessaire. Ayant terminé le travail de la journée, Jésus dormait.
 
Entre-temps la furie de la tempête augmentait ; le vent faisait perdre le contrôle du bateau, des vagues dépassaient ses flancs, le navire embarqua tant d'eau qu'il semblait sur le point de couler par le fond. Les disciples étaient frappés de terreur, et cependant Jésus continuait à se reposer en paix.
 
Dans la peur extrême où ils se trouvaient, les disciples l'éveillèrent, s'écriant, suivant les divers récits indépendants : « Maître, maître, nous périssons ! », « Seigneur, sauve-(nous), nous périssons ! » Et « Maître, tu ne te soucies pas de ce que nous périssons ? » Ils étaient misérablement terrifiés et oublièrent au moins partiellement qu'ils avaient avec eux quelqu'un à la voix duquel la mort même devait obéir. Le rappel terrifié n'était pas entièrement dépourvu d'espoir ni de foi : « Seigneur, sauve », crièrent-ils. Calmement il répondit à leur pitoyable appel : « Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi ? »
 
Puis il se leva ; et la voix du Seigneur s'éleva dans les ténèbres de cette nuit terrifiante, dans le vent rugissant, sur la mer fouettée par la tempête et « menaça le vent et dit à la mer : Silence, tais-toi. Le vent cessa et un grand calme se fit ». Se tournant vers les disciples, il leur demanda sur un ton de reproche, doux mais indubitable : « Où est votre foi ? » Et « Comment n'avez-vous pas de foi ? » D'abord pleins de gratitude pour avoir été sauvés de ce qui, un instant auparavant à peine, avait semblé être une mort imminente, ils furent pris ensuite d'étonnement et de crainte. « Quel est donc celui-ci, disaient-ils, car même le vent et la mer lui obéissent ? »
 
Parmi les miracles du Christ qui nous sont rapportés, aucun n'a donné naissance à une diversité plus grande de commentaires et de tentatives d'explications que cet exemple merveilleux de maîtrise sur les forces de la nature. La science n'offre aucune explication. Le Seigneur de la terre, de l'air et de la mer parla et fut obéi. C'est lui, parmi le sombre chaos des premiers stades de la création, qui avait commandé avec un effet immédiat : que la lumière soit, qu'il y ait un firmament au milieu des eaux, que le sec apparaisse, et comme il l'avait décrété, ainsi en était-il. La domination du Créateur sur la création est réelle et absolue. Une petite partie de cette domination a été confiée à l'homme [7] ; postérité de Dieu, incarné à l'image même de son Père divin. Mais l'homme exerce ce contrôle, qui lui a été délégué, par l'intermédiaire des forces secondaires et au moyen de mécanismes compliqués. Le pouvoir que l'homme possède sur les objets qu'il a inventés lui-même est limité. Cela est conforme à la malédiction qu'entraîna la chute d'Adam, qui fut provoquée par la transgression et qui veut que ce soit par l'effort de ses muscles, par la sueur de son front et par l'effort de son esprit qu'il réussisse. Son ordre n'est qu'une vibration sonore dans l'air, s'il n'est suivi de travail. C'est par l'esprit qui émane de la personne même de la Divinité et qui imprègne tout l'espace, que les ordres de Dieu opèrent immédiatement.
 
Ce n'est pas l'homme seulement, mais également la terre et toutes les forces élémentaires qui s'y rapportaient qui tombèrent sous la malédiction adamique [8] ; et de même que la terre ne produisait plus seulement des fruits bons et utiles mais donna de sa substance pour nourrir des ronces et des épines, de même les forces diverses de la nature cessèrent d'obéir à l'homme et d'être des forces assujetties à son contrôle direct. Ce que nous appelons forces naturelles - la chaleur, la lumière, l'électricité, les affinités chimiques - sont des manifestations de l'énergie éternelle par laquelle les objectifs du Créateur sont mis à exécution ; et ces quelques forces, l'homme n'est à même de les diriger et de les utiliser qu'à l'aide de machines et d'adaptations physiques. Mais la terre sera un jour « renouvelée et recevra sa gloire paradisiaque » ; alors la terre, l'eau, l'air et les forces qui agissent sur eux répondront directement aux ordres de l'homme glorifié, comme ils obéissent maintenant à la parole du Créateur [9].
 
LES DÉMONS CALMÉS [10]
 
Jésus et les disciples qui l'accompagnaient abordèrent sur le côté oriental, péréen, du lac, dans une région que l'on appelait le pays des Gadaréniens ou des Géraséniens. L'endroit exact n'a pas été identifié, mais c'était de toute évidence une région rurale éloignée des villes [11]. Comme le groupe quittait le bateau, deux fous, qui étaient cruellement tourmentés par des esprits mauvais, s'approchèrent. Matthieu dit qu'il y en avait deux ; les autres écrivains ne parlent que d'un seul ; il se peut que l'un des deux hommes affligés se trouvait dans un état tellement plus grave que son compagnon, que c'est à lui que l'on fait attention dans le récit ; il se peut encore que l'un d'eux se soit enfui tandis que l'autre est resté. Le démoniaque se trouvait dans une situation pitoyable. Sa frénésie était devenue si violente et la force physique que lui donnait sa folie était si grande que toutes les tentatives que l'on avait faites de le maintenir captif avaient échoué. On l'avait lié par des chaînes et des entraves, mais il avait brisé celles-ci grâce à sa force démoniaque, et il s'était enfui dans les montagnes, dans les cavernes qui servaient de tombes, et c'était là qu'il vivait, plus comme une bête sauvage que comme un homme. Nuit et jour on entendait ses hurlements étranges et terrifiants, et, de peur de le rencontrer, les gens prenaient d'autres chemins plutôt que de passer près de son repaire. Il se promenait tout nu, et dans sa folie se blessait la chair de pierres pointues.
 
Voyant Jésus, la pauvre créature courut à lui et, poussée par le pouvoir des démons qui la contrôlaient, se prosterna devant le Christ tout en criant d'une voix forte : « Que me veux-tu, Jésus, Fils du Dieu Très-Haut ? » Lorsque Jésus commanda aux esprits mauvais de partir, l'un d'eux ou plusieurs d'entre eux le supplièrent, par la voix de l'homme, de les laisser tranquilles et s'exclamèrent avec une présomption blasphématoire : « Je t'en conjure (au nom) de Dieu, ne me tourmente pas. » Matthieu rapporte une autre question qui fut posée à Jésus : « Es-tu venu ici pour nous tourmenter avant le temps ? » Les démons, par lesquels l'homme était possédé et contrôlé, reconnaissaient le Maître, auquel ils savaient devoir obéir ; mais ils supplièrent qu'il les laissât tranquilles jusqu'à ce que vint le moment décrété pour leur châtiment final [12].
 
Jésus demanda : « Quel est ton nom ? » Et les démons qui se trouvaient à l'intérieur de l'homme répondirent : « Légion est mon nom, car nous sommes plusieurs. » On voit bien ici que l'homme était doté d'un conscient double ou d'une personnalité multiple. Il était à ce point possédé par des esprits mauvais qu'il ne pouvait plus distinguer entre sa personnalité à lui et la leur. Les démons implorèrent Jésus de ne pas les bannir de ce pays ; ou comme le rapporte Luc en des termes impressionnants : de ne pas leur ordonner « d'aller dans l'abîme ». Dans leur situation misérable et leur impatience diabolique de trouver une demeure dans des corps de chair même si ce n'était que des animaux, ils supplièrent d'avoir la permission, étant obligés de quitter l'homme, d'entrer dans un troupeau de pourceaux qui paissaient tout près. Cette permission, Jésus la donna ; les démons impurs entrèrent dans les pourceaux, et le troupeau tout entier, se composant d'environ deux mille têtes, fut saisi de folie, prit la fuite, terrifié, se précipita au bas d'une pente abrupte dans la mer et se noya. Les gardiens des pourceaux furent effrayés, et, se hâtant vers la ville, racontèrent ce qui était arrivé aux pourceaux.
 
Les gens vinrent en foule pour voir eux-mêmes ; et ils furent tous étonnés de voir l'homme autrefois fou dont ils avaient tous eu peur, maintenant vêtu et rendu à un état d'esprit normal, silencieusement et respectueusement assis aux pieds de Jésus. Ils craignaient celui qui pouvait accomplir de pareils miracles, et, conscients de leur indignité pécheresse, le supplièrent de quitter leur pays [13].
 
L'homme qui avait été débarrassé des démons ne craignait pas ; dans son cœur, l'amour et la gratitude remplaçaient tous les autres sentiments ; et lorsque Jésus retourna au bateau il demanda à le suivre aussi. Mais Jésus le lui interdit, disant : « Va dans ta maison, vers les tiens, et raconte-leur tout ce que le Seigneur t'a fait et comment il a eu pitié de toi. » L'homme devint missionnaire, non seulement dans sa ville natale mais dans toute la Décapole, la région des dix villes ; partout où il allait il racontait le changement merveilleux que Jésus avait opéré sur lui.
 
Le témoignage rendu par des esprits mauvais et impurs de la divinité du Christ, Fils de Dieu, ne se limite pas à ce cas-ci. Nous avons déjà étudié le cas du démoniaque à la synagogue de Capernaüm [14] ; un autre cas se présenta lorsque Jésus, se retirant des villes de Galilée, se rendit au bord de la mer et fut suivi d'une grande multitude composée de Galiléens, de Judéens et de gens de Jérusalem, d'Idumée et d'au-delà du Jourdain (c'est-à-dire de la Pérée), et des habitants de Tyr et de Sidon, parmi lesquels il en avait guéri beaucoup de maladies diverses ; et ceux qui étaient asservis à des esprits impurs étaient tombés à genoux et l'adoraient, tandis que les démons s'écriaient : « Tu es le Fils de Dieu » [15].
 
Au cours du bref voyage étudié dans ce chapitre, la puissance de Jésus, Maître de la terre, des hommes et des démons se manifesta en des œuvres miraculeuses du genre le plus impressionnant. On ne peut classifier les miracles du Seigneur ni comme petits et grands, ni comme faciles ou difficiles à accomplir ; ce que l'un peut considérer comme un détail peut revêtir l'importance la plus grande pour un autre. La parole du Seigneur suffisait dans chaque cas. Il n'avait qu'à parler au vent et aux vagues, et à l'esprit affligé par les démons de l'homme possédé pour être obéi. « Silence, tais-toi. »
 
LA RÉSURRECTION DE LA FILLE DE JAÏRUS [16]
 
Jésus et ceux qui l'accompagnaient retraversèrent le lac, quittant le pays de Gadara pour aborder aux environs de Capernaüm, où une multitude de gens le reçurent avec acclamations, « car tous l'attendaient ». Tout de suite après son débarquement, Jésus vit s'approcher de lui Jaïrus, l'un des dirigeants de la synagogue locale, qui « le supplia instamment en disant : Ma fillette est à toute extrémité ; viens, impose-lui les mains, afin qu'elle soit sauvée et qu'elle vive ».
 
Le fait que cet homme soit venu trouver Jésus dans un esprit de foi et de supplication est une preuve de l'impression profonde que le ministère du Christ avait faite jusque dans les cercles sacerdotaux et ecclésiastiques. Beaucoup d'entre les Juifs, gouverneurs et fonctionnaires aussi bien que le commun du peuple, croyaient en Jésus [17], bien que peu de ceux qui appartenaient aux classes supérieures fussent disposés à sacrifier prestige et popularité en se reconnaissant ses disciples. Le fait que Jaïrus, l'un des gouverneurs de la synagogue, ne vint que lorsqu'il y fut poussé par la douleur causée par la mort imminente de sa fille unique, une petite fille de douze ans, ne prouve pas qu'il ne soit pas devenu croyant avant ce moment-là ; il est certain qu'en ce moment sa foi était réelle et sa confiance sincère, comme le prouvent les détails du récit. Il s'approcha de Jésus avec le respect dû à quelqu'un qu'il considérait capable d'accorder ce qu'il demandait et tomba aux pieds du Seigneur, ou comme Matthieu le dit, l'adora. Lorsque l'homme avait quitté sa maison pour demander à Jésus son aide, la petite fille était sur le point de mourir ; il craignait qu'elle ne fût morte entre-temps. Dans le récit très bref que nous donne le premier évangile, on lui fait dire à Jésus : « Ma fille est morte il y a un instant, mais viens, impose-lui les mains, et elle vivra » [18]. Jésus accompagna le père implorant, et beaucoup les suivirent.
 
Sur le chemin de la maison, un incident se produisit qui les arrêta. Une femme cruellement affligée fut guérie, dans des circonstances particulièrement intéressantes ; c'est cet événement que nous allons examiner maintenant. Rien n'indique que Jaïrus ait montré de l'impatience ou du déplaisir à cause de ce retard. Il avait mis sa confiance dans le Maître et attendait son bon plaisir ; et tandis que le Christ s'occupait de la femme affligée, des messagers vinrent de la maison du haut fonctionnaire avec la triste nouvelle que la petite fille était morte. Nous pouvons conclure que même cette nouvelle terrible qui lui apportait la certitude ne put détruire la foi de cet homme ; il semble avoir continué à attendre l'aide du Seigneur, et ceux qui apportaient le message demandèrent : « Pourquoi importuner encore le maître ? » Jésus entendit ce que l'on disait et encouragea la foi cruellement mise à l'épreuve de l'homme par cet ordre encourageant : « Sois sans crainte, crois seulement. » Jésus ne permit à aucun de ceux qui le suivaient, excepté à trois d'entre les apôtres, d'entrer dans la maison avec lui et au père éploré mais confiant. Pierre et les deux frères Jacques et Jean furent admis.
 
La maison n'était pas le lieu où régnait le silence respectueux ou le calme forcé que nous considérons maintenant être de mise au moment et au lieu où la mort a frappé ; au contraire, c'était une scène de tumulte, mais cette situation était coutumière dans l'observance orthodoxe du deuil à l'époque [19]. Des pleureuses professionnelles, des chanteurs de lamentations étranges et des ménestrels qui faisaient beaucoup de bruit avec des flûtes et d'autres instruments avaient déjà été invités dans la maison. Jésus dit à tous ces gens en entrant : « Pourquoi ce tumulte, et ces pleurs ? L'enfant n'est pas morte, mais elle dort. » C'était de fait une répétition du commandement qu'il avait prononcé lors d'une occasion récente : Silence, tais-toi. Ces paroles provoquèrent le mépris et les railleries de ceux qui étaient payés pour le bruit qu'ils faisaient, et qui, si ce qu'il disait se vérifiait, perdraient cette occasion d'exercer leur profession. En outre, ils savaient que la petite fille était morte ; les préparatifs des funérailles, qui, selon la coutume, devaient suivre la mort aussitôt que possible, étaient déjà en cours. Jésus ordonna à ces gens de sortir et ramena la paix dans la maison [20]. Il entra dans la chambre mortuaire, accompagné seulement des trois apôtres et des parents de la petite fille. Prenant la petite fille morte par la main, il lui dit : Talitha koumi, ce qui se traduit : jeune fille, lève-toi, je te le dis ». À l'étonnement de tous, sauf du Seigneur, la petite fille se leva, quitta son lit et marcha. Jésus ordonna de lui apporter de la nourriture, car les besoins corporels, suspendus par la mort, étaient revenus avec le retour de la petite fille à la vie.
 
Le Seigneur ordonna le silence, commandant à tous ceux qui étaient là de s'abstenir de raconter ce qu'ils avaient vu. Les raisons de cet ordre ne sont pas données. Dans d'autres cas, des instructions semblables furent données à ceux qui avaient été bénis par le Christ ; tandis qu'en de nombreuses occasions où il y eut des guérisons, aucun ordre de ce genre n'est rapporté, et dans un cas au moins, l'homme qui avait été soulagé des démons reçut l'ordre d'aller raconter la grande chose qui avait été faite pour lui [21]. Dans sa sagesse, le Christ savait quand il était prudent d'interdire et quand il fallait permettre la publication de ce qu'il faisait. Bien que les parents reconnaissants, la jeune fille elle-même et les trois apôtres qui avaient été les témoins de la résurrection aient pu avoir été tous loyaux au commandement du Seigneur de garder le silence, le fait que la jeune fille avait été ressuscitée ne pouvait être gardé secret, et le moyen par lequel pareil miracle s'était accompli ferait certainement l'objet de questions. Les ménestrels et les pleureuses qui avaient été expulsés du lieu alors qu'il était encore une maison de deuil et qui avaient ri avec mépris à l'affirmation du Maître que la jeune fille dormait et n'était pas morte comme ils le pensaient, répandraient indubitablement la nouvelle. Il n'est donc pas surprenant de lire dans la brève version que Matthieu fait de l'histoire, que la nouvelle du miracle se « répandît dans toute la contrée ».
 
RENDRE À LA VIE ET RESSUSCITER
 
Il faut faire grande attention à la distinction fondamentale qu'il y a entre ramener un mort à la vie mortelle et ressusciter le corps de la mort à un état d'immortalité. Dans chacun des exemples que nous avons examinés jusqu'à présent - celui de la résurrection de l'homme mort de Naïn [22] et celui de la fille de Jaïrus, de même que dans la résurrection de Lazare, que nous étudierons plus loin - le miracle consistait à réunir l'esprit au corps pour que tous deux poursuivent le cours interrompu de l'existence mortelle. Il est certain que le bénéficiaire de chacun de ces miracles devait mourir par la suite. Jésus-Christ fut le premier de tous les hommes qui ont jamais vécu sur la terre à se lever du tombeau en tant qu'Être immortalisé ; il est donc correct de l'appeler « Ies prémices de ceux qui sont décédés » [23].
 
Bien qu'Élie et Élisée servissent d'intermédiaires, de nombreux siècles avant l'époque du Christ, pour rendre des morts à la vie, l'un, le fils de la veuve de Sarepta, l'autre l'enfant de la Sunamite [24], dans ces anciens miracles la résurrection était pour l'existence mortelle et non pour l'immortalité. Il est instructif d'observer la différence des procédés employés par chacun des prophètes de l'Ancien Testament cités et de les comparer à ceux du Christ dans des miracles analogues. Le changement miraculeux, Élie et Élisée ne le réalisèrent qu'après des efforts longs et difficiles et en invoquant ardemment la puissance et l'intervention de Jéhovah ; mais Jéhovah, incarné dans la chair sous le nom de Jésus-Christ, ne faisait extérieurement rien d'autre que commander, et les liens de la mort étaient immédiatement brisés. Il parlait en son propre nom et par une autorité inhérente, car la puissance dont il était investi lui permettait de contrôler tant la vie que la mort.
 
UNE GUÉRISON REMARQUABLE EN CHEMIN [25]
 
Tandis que Jésus se dirigeait vers la maison de Jaïrus, une grande foule se pressant autour de lui, la progression du groupe fut arrêtée par un autre cas d'affliction. Dans la foule il y avait une femme qui était affligée depuis douze ans d'une grave maladie, qui provoquait des hémorragies fréquentes. Elle avait dépensé en traitements médicaux tout ce qu'elle possédait, et « avait beaucoup souffert entre les mains de plusieurs médecins », mais son état avait régulièrement empiré. Elle se fraya un chemin à travers la foule et, s'approchant de Jésus par derrière, toucha son manteau ; « car elle disait : Si je puis seulement toucher ses vêtements, je serai guérie ». L'effet fut plus que magique ; immédiatement elle sentit la vague de santé lui traverser le corps et sut qu'elle était guérie de son affliction. Son objectif ayant été atteint, la bénédiction qu'elle demandait lui ayant maintenant été donnée, elle essaya de ne pas se faire remarquer, en se perdant en hâte dans la foule. Mais son contact n'avait pas échappé au Seigneur. Il se retourna pour regarder par-dessus la foule et demanda : « Qui a touché mes vêtements ? » Ou pour employer les termes de Luc : « Qui m'a touché ? » Comme le peuple niait, l'impétueux Pierre, parlant pour lui-même et pour les autres, dit : « Maître, la foule t'entoure et te presse ! Mais Jésus répondit : Quelqu'un m'a touché, car je sais qu'une force est sortie de moi. »
 
La femme, voyant qu'elle ne manquerait pas d'être reconnue, s'avança en tremblant et, s'agenouillant devant le Seigneur, confessa ce qu'elle avait fait, la raison pour laquelle elle avait fait cela et le résultat bienfaisant. Si elle s'était attendue à une réprimande, ses craintes furent promptement apaisées, car Jésus, s'adressant à elle par un terme de respect et de bonté, dit : « Prends courage, ma fille, ta foi t'a guérie », et comme Marc l'ajoute : « Sois guérie de ton mal. »
 
La foi de cette femme était sincère et sans duplicité, néanmoins, dans un certain sens, il lui manquait quelque chose. Elle croyait que l'influence de la personne du Christ, et même celle qui s'attachait à son vêtement, était un pouvoir de guérison suffisant pour vaincre sa maladie ; mais elle ne se rendait pas compte que le pouvoir de guérir était un attribut inhérent qui ne devait s'exercer qu'à la volonté de son détenteur et selon que l'influence de la foi le réclamait. Sa foi, il est vrai, avait déjà été partiellement récompensée, mais ce qui aurait pour elle une plus grande valeur que la guérison physique d'une maladie serait l'assurance que le Guérisseur divin lui avait accordé le désir de son cœur, et que la foi qu'elle avait manifestée était acceptée de lui. Pour corriger sa méprise et confirmer sa foi, Jésus la soumit avec douceur à l'épreuve nécessaire de la confession, qui dut être facilitée par le fait qu'elle se rendait compte du grand soulagement qu'elle éprouvait déjà. Il confirma la guérison et la laissa partir avec l'assurance rassurante que sa guérison était permanente.
 
En contraste avec les nombreux cas de guérison lors desquels le Seigneur ordonna aux bénéficiaires de ne parler à personne de la manière dont ils avaient été guéris ni par qui, nous voyons ici que la publicité était assurée par sa propre action, et ce, alors même que la bénéficiaire de la bénédiction désirait la discrétion. Les desseins et les motifs de Jésus peuvent n'être que faiblement compris de l'homme ; mais dans le cas de cette femme, nous voyons le risque que des histoires étranges et fausses soient inventées, et il semble que la solution la plus sage était de révéler la vérité sur-le champ. En outre la valeur spirituelle du miracle était fortement soulignée par la confession de la femme et par l'assurance gracieuse du Seigneur. Remarquez l'affirmation significative : « Ta foi t'a guérie. » La foi est en elle-même un principe de puissance [26] ; et sa présence ou son absence, sa plénitude ou sa parcimonie influençaient et influencent même le Seigneur, et constituaient et constituent dans une grande mesure le critère selon lequel il accorde ou refuse les bénédictions ; car il le faisait selon la loi, et non avec caprice ou incertitude. Nous lisons qu'à un certain moment et en un certain lieu, Jésus « ne put faire là aucun miracle » à cause de l'incrédulité du peuple [27]. La révélation moderne précise que la foi pour être guéri est l'un des dons de l'Esprit, analogue aux manifestations de foi lorsque l'on guérit les autres par l'exercice de la puissance de la sainte prêtrise [28].
 
La question de notre Seigneur par laquelle il demandait qui l'avait touché dans la foule nous donne un autre exemple de sa méthode de poser des questions dans un but précis, alors qu'il aurait facilement pu déterminer les faits directement et sans l'aide des autres. Cette question avait un but particulier, de même que tout instructeur voit un moyen d'enseignement dans l'art d'interroger ses élèves [29]. Mais dans la question du Christ : « Qui m'a touché ? » il y a un sens plus profond que n'en pourrait comporter une simple question d'une personne ; et cela est impliqué dans les paroles suivantes du Seigneur : « Quelqu'un m'a touché, car je sais qu'une force est sortie de moi. » L'action visible ordinaire par laquelle il accomplissait ses miracles était un mot ou un commandement accompagné parfois de l'imposition des mains ou de quelque autre ministère physique, comme lorsqu'il oignit les yeux d'un aveugle [30]. Cet exemple montre clairement que quelque chose de sa propre force passa réellement dans la personne affligée. Il ne suffit pas au candidat à une bénédiction de croire passivement ; ce n'est que lorsque cette croyance est rendue vivante par une foi active qu'elle devient une force ; il en va de même pour quelqu'un qui officie en vertu de l'autorité donnée par Dieu : il faut qu'une énergie mentale et spirituelle opère si l'on veut que ce service soit efficace.
 
LES AVEUGLES VOIENT ET LES MUETS PARLENT [31]
 
Matthieu rapporte deux autres cas de guérison miraculeuse peu après la résurrection de la fille de Jaïrus. Comme Jésus descendait les rues de Capernaüm, probablement lorsqu'il quitta la maison du gouverneur de la synagogue, deux aveugles le suivirent, s'écriant : « Aie pitié de nous, Fils de David ! » Ce titre fut donné par d'autres à diverses époques, et dans aucun cas nous ne voyons notre Seigneur le nier ou faire objection à son usage [32]. Jésus ne s'arrêta pas pour faire attention à cet appel des aveugles, et ceux-ci le suivirent, entrant même dans la maison derrière lui. Alors il leur parla, demandant : « Croyez-vous que je puisse faire cela ? » Et ils répondirent : « Oui, Seigneur. » Leur persistance à suivre le Seigneur était la preuve qu'ils croyaient que d'une certaine manière, inconnue et mystérieuse pour eux, il pouvait les aider ; et ils confessèrent promptement et ouvertement cette croyance. Notre Seigneur leur toucha les yeux, disant : « Qu'il vous soit fait selon votre foi. » L'effet fut immédiat : leurs yeux s'ouvrirent. Ils reçurent explicitement l'ordre de n'en rien dire à autrui ; mais, se réjouissant de la bénédiction inestimable qu'était la vue, ils « répandirent sa renommée dans le pays entier ». Dans la mesure où nous pouvons démêler les fils incertains de la chronologie dans les œuvres du Christ, c'est ici le premier cas, rapporté en détails, où il ait rendu la vue aux aveugles. Beaucoup de cas remarquables suivent [33].
 
Il vaut d'être remarqué qu'en bénissant les aveugles par l'exercice de son pouvoir guérisseur, Jésus accompagnait habituellement son ordre ou son assurance péremptoire de quelque contact physique. Dans ce cas, de même que dans celui des deux aveugles qui étaient assis sur le côté de la route, il toucha les yeux aveugles ; lorsqu'il rendit la vue au pauvre qui était aveugle à Jérusalem, il oignit de boue les yeux de l'homme ; aux yeux d'un autre, il appliqua de la salive [34]. On trouve un détail analogue dans la guérison d'un sourd muet : dans ce cas, le Seigneur mit les doigts dans les oreilles de l'homme et lui toucha la langue [35]. On ne peut en aucun cas considérer pareil traitement comme médicinal ou thérapeutique. Le Christ n'était pas un médecin qui se reposait sur des substances à propriétés curatives ni un chirurgien qui se livrait à des opérations physiques ; ses guérisons étaient les résultats naturels de l'application d'une puissance dont il était le détenteur. Il est concevable que ces procédés physiques aient pu encourager, fortifier et faire passer à un niveau plus élevé et plus durable la confiance - cette étape vers la croyance, comme celle-ci est une étape vers la foi - qu'éprouvaient pour le Christ les affligés privés de la vue pour contempler le visage du Maître et en retirer de l'inspiration et de l'ouïe pour entendre ses paroles édifiantes. C'est non seulement une absence totale de formule et de formalisme qui apparaît dans ses bénédictions aux affligés, mais un manque d'uniformité dans la procédure qui est tout aussi frappant.
 
Comme les deux hommes, jadis aveugles, et qui maintenant voyaient, s'en allaient, d'autres vinrent, amenant un ami muet dont l'affliction semble avoir été due avant tout à l'influence maligne d'un esprit mauvais plutôt qu'à un défaut organique quelconque. Jésus réprimanda l'esprit mauvais : chassa les démons qui avaient obsédé et maintenu l'affligé dans la souffrance du mutisme. La langue de l'homme fut déliée, et il fut libéré du démon malin et cessa d'être muet [36].
 
 [1] Mc 4:35.
 [2] Articles de Foi, p. 23 et sqq. - « Hommes appelés de Dieu. »
 [3] Chap. 8
 [4] Lc 9:57-62 ; voir aussi Mt 8:19-22.
 [5] Mt 8:23-27, Mc 4:35-41, Lc 8:22-25.
 [6] Note 1, fin du chapitre.
 [7] Gn 1:28, PGP, Moïse 2:26, 5:1.
 [8] Gn 3:17-19.
 [9] Note 2, fin du chapitre.
 [10] Mt 8:28-34, Mc 5:1-19, Lc 8:26-39.
 [11] Note 3, fin du chapitre.
 [12] Cf. Ap 20:3.
 [13] Note 4, fin du chapitre.
 [14] Mc 1:24, Lc 4:34 et verset 41 ; voir chap. 13 du présent ouvrage.
 [15] Mc 3:7-11 ; cf. Lc 6:17-19 ; voir chap. 13 du présent ouvrage, notes.
 [16] Mc 5:22-24, 35-43, Lc 8:41,42,49-56, Mt 9:18,19,23-26.
 [17] Jn 11:45 ; cf. 8:30,10:42.
 [18] Notes 5, fin du chapitre.
 [19] Note 6, fin du chapitre.
 [20] Note 7, fin du chapitre.
 [21] Mc 5:19:20, Lc 8:39. Chap. 20 du présent ouvrage.
 [22] Chap. 18.
 [23] 1 Co 15:20,23 ; voir aussi Actes 26:23, Co 1:18, Ap 1:5 et Articles de Foi, p. 468-469.
 [24] 1 R 17:17-24, 2 R 4:31-37.
 [25] Mc 5:25-34, Mt 9:20-22, Lc 8:43-48.
 [26] Articles de Foi, p. 130-133.
 [27] Mc 6-5, 6 ; cf. Mt 13-58.
 [28] D&A 46:19 ; cf. Mt 8:10, 9:28,29 ; Ac 14:9.
 [29] Note 8, fin du chapitre.
 [30] Mt 8:3, Lc 4:40, 13:13, Jn 9:6, cf. Mc 6:5, 7:33,8:23.
 [31] Mt 9:27-35.
 [32] Mt 15:22, 20, 30, 31, Me 10:47, 48, Lc 18:38, 39.
 [33] Note 9, fin du chapitre.
 [34] Mt 20:30-34, Jn 9:6, Mc 8:23.
 [35] Mc 7:32-37.
 [36] Mt 9:32,33. Note 10, fin du chapitre.
 
NOTES DU CHAPITRE 20
 
1. Tempêtes sur le lac de Galilée : On sait que les tempêtes très violentes sont courantes sur le lac ou la mer de Galilée. La tempête qui fut calmée par la parole impérieuse du Seigneur n'était pas en elle-même un phénomène extraordinaire, si ce n'est peut-être par son intensité. On trouve dans les Écritures un autre incident qui a trait à une tempête sur cette petite étendue d'eau et sera examiné plus tard dans le texte (Mt 14:22-26, Mc 6:45-56, Jn 6:15-21). Le Dr Thompson (The Land and the Book, 11: 32) donne une description basée sur son expérience personnelle au bord du lac : « Je passai une nuit dans ce Wadi Shukaiyif, à cinq kilomètres en amont environ, à gauche de nous. Le soleil s'était à peine couché lorsque le vent commença à se précipiter vers le lac, et il persista toute la nuit avec une violence constamment croissante, de sorte que lorsque nous parvînmes le lendemain au rivage, la surface du lac était une immense chaudière en ébullition. Le vent hurlait du nord-est et de l'est le long de tous les wadi avec une telle furie qu'il aurait été impossible à des rameurs d'amener un bateau au rivage à un point quelconque le long de cette côte... Pour comprendre les causes de ces tempêtes soudaines et violentes, nous devons nous souvenir que le lac est à basse altitude : cent quatre-vingts mètres au-dessous du niveau de la mer, que les vastes plateaux dénudés du Jaulan s'élèvent à une grande altitude, s'étendant en arrière jusqu'aux régions désertiques du Hauran et montant vers l'Hermon enneigé, que les cours d'eau ont creusé des ravins profonds et des gorges sauvages, convergeant vers la tête de ce lac, et que ces derniers agissent comme des entonnoirs gigantesques qui attirent les vents froids des montagnes. »
 
2. La terre avant et après sa régénération : Le fait que la terre elle-même tomba sous la malédiction qui accompagna la chute des premiers parents du genre humain, et que de même que l'homme sera racheté, de même aussi la terre sera régénérée, c'est ce qu'impliquent les paraboles de Paul : « Car la création... sera libérée de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. Or, nous savons que, jusqu'à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l'enfantement. Bien plus ; nous aussi, qui avons les prémices de l'Esprit, nous aussi nous soupirons en nous-mêmes, en attendant l'adoption, la rédemption de notre corps » (Rm 8:21-23). L'auteur de ce livre a écrit ailleurs : « Selon les Écritures, la terre doit subir un changement analogue à la mort et être régénérée d'une manière comparable à une résurrection. Les allusions aux éléments fondant sous la chaleur, et à la terre se consumant et passant que l'on trouve dans beaucoup d'Écritures déjà citées, suggèrent la mort ; et la nouvelle terre, en réalité la planète renouvelée ou régénérée qui doit en résulter, peut être comparée à un organisme ressuscité. Ce changement a été comparé à une transfiguration (D&A 63:20, 21). Tout ce qui a été créé l'a été dans un but ; et tout ce qui remplit la mesure de sa création doit être avancé dans l'échelle de la progression, que ce soit un atome, un animalcule ou un homme - descendant direct et littéral de la divinité. En parlant des degrés de gloire qu'il a prévus pour ses créations et des lois de la régénération et de la sanctification, le Seigneur, dans une révélation datée de 1832, parle clairement de la mort proche et de la vivification ultérieure de la terre. Voici ses paroles : « Et de plus, en vérité, je vous le dis, la terre se conforme à la gloire d'un royaume céleste car elle remplit la mesure de sa création et ne transgresse pas la loi - c'est pourquoi, elle sera sanctifiée ; oui, bien qu'elle doive mourir, elle sera vivifiée et supportera le pouvoir qui l'aura vivifiée et les justes en hériteront » (D&A 88:25-26).
 
L'esprit de vie, qui émane de Dieu et qui remplit tout l'espace, peut opérer directement et avec autant d'effet sur des êtres inanimés et sur l'énergie dans ses manifestations diverses que nous appelons les forces de la nature, que sur les intelligences organisées, qu'elles soient encore non incarnées, dans la chair, ou désincarnées. Ainsi, le Seigneur peut parler directement à la terre, à l'air, à la mer et être entendu et obéi, car l'abondance divine, qui est la somme de toute l'énergie et de toute la puissance, peut agir et agit dans tout l'univers. Au cours d'une révélation de Dieu à Énoch, la terre fut personnifiée, et le prophète entendit ses gémissements et ses lamentations sur la méchanceté des hommes : « Énoch posa les yeux sur la terre, et il entendit une voix venant des entrailles de celle-ci qui disait : Malheur, malheur à moi, la mère des hommes, je suis affligée, je suis lasse à cause de la méchanceté de mes enfants. Quand me reposerai-je et serai-je purifiée de la souillure qui est sortie de moi ? Quand mon Créateur me sanctifiera-t-il, afin que je me repose et que la justice demeure pour un temps sur ma face ? » Énoch supplia : « O Seigneur, n'auras-tu point compassion de la terre ? » Quand il lui fut alors révélé quelle voie pécheresse l'humanité allait suivre et qu'elle allait rejeter le Messie qui allait être envoyé, le prophète pleura d'angoisse et demanda à Dieu : « Quand la terre se reposera-t-elle ? » Il lui fut alors montré que le Christ crucifié reviendrait sur la terre et établirait un règne millénaire de paix : « Et le Seigneur dit à Énoch : Comme je vis, je viendrai dans les derniers jours, dans les jours d'iniquité et de vengeance, pour accomplir le serment que je t'ai fait au sujet des enfants de Noé. Et le jour viendra où la terre se reposera, mais avant ce jour-là, les cieux seront obscurcis, et un voile de ténèbres couvrira la terre ; les cieux trembleront et la terre aussi. Et il y aura de grandes tribulations parmi les enfants des hommes. » Et il ajouta cette assurance merveilleuse : « La terre se reposera pendant l'espace de mille ans » (PGP, Moïse 7:48, 49, 58, 60, 61, 64).
 
Une description partielle de la terre dans son état régénéré a été donnée par l'intermédiaire du prophète Joseph Smith : « Cette terre, dans son état sanctifié et immortel sera rendue semblable à un cristal et sera pour ceux qui l'habiteront un urim et thummin, grâce à quoi tout ce qui a rapport à un royaume inférieur, ou à tous les royaumes d'un ordre inférieur sera révélé à ceux qui habiteront sur cette terre ; et celle-ci appartiendra au Christ » (D&A 130:9).
 
En vertu de la loi naturelle des cieux, Jésus-Christ, dans l'exercice des pouvoirs de sa divinité, peut aussi bien parler directement au vent et à la mer et en être obéi, que commander avec résultat un homme ou un esprit non incarné. Jésus-Christ a déclaré explicitement que, par la foi, même l'homme mortel peut faire opérer les forces qui agissent sur la matière avec l'assurance qu'il obtiendra des résultats stupéfiants : « En vérité je vous le dis, si vous avez de la foi comme un grain de moutarde, vous direz à cette montagne : Transporte-toi d'ici là, et elle se transportera ; rien ne vous sera impossible » (Mt 17:20, comparer avec Mc 11:23, Lc 17:6).
 
3. Le pays des Géraséniens : On a essayé de contester le récit de la guérison du démoniaque par le Christ dans « le pays des Géraséniens » (Mc 5: 1, Lc 8:26), en prétendant que l'ancienne ville de Gadara, capitale de la région (voir Josèphe, Guerres, III, 7:1), se trouvait trop à l'intérieur des terres pour que la course précipitée des pourceaux depuis ce lieu jusque dans la mer fût possible. D'autres soulignent le fait que Matthieu diffère des deux autres historiens évangéliques en parlant du « pays des Gadaréniens » (8:28). Comme nous l'avons dit dans le texte, c'est à une région tout entière qu'il est fait allusion ici, pas à une ville. Les gardiens des pourceaux s'encoururent vers les villes rapporter le désastre qui s'était abattu sur leurs troupeaux. Dans cette région de la Pérée, il y avait à l'époque des villes qui s'appelaient respectivement Gadara, Gerasa et Gergesa ; on pouvait donc appeler à juste titre la région en général le pays des Gadaréniens ou des Géraséniens. Farrar (Life of Christ, p. 254, note) dit : « Après les recherches du Dr Thompson (The Land The Book, 11:25), il ne peut faire aucun doute que Gergesa... était le nom d'une petite ville qui se trouvait presque en face de Capernaüm et dont les Bédouins appellent encore l'emplacement en ruines Kerza ou Gersa. L'existence de cette petite ville était apparemment connue tant d'Origène, qui fut le premier à en donner l'orthographe, que d'Eusèbe et de Jérôme ; et de leur temps on désignait une forte pente toute proche, où les collines se rapprochent jusqu'à une courte distance du lac, comme la scène du miracle. »
 
4. Jésus supplié de quitter le pays : Le peuple fut effrayé de la puissance que Jésus possédait, et qui se manifesta dans la guérison du démoniaque et dans la destruction des pourceaux, ce dernier événement n'étant toutefois pas dû à son commandement. C'était la crainte que les pécheurs éprouvent en présence du Juste. Ils n'étaient pas préparés à d'autres manifestations de la puissance divine, et ils redoutaient la pensée de savoir qui parmi eux en serait directement affecté si elle s'exerçait. Cependant nous devons juger le peuple avec miséricorde, si même nous le faisons. Il était partiellement païen et n'avait que des conceptions superstitieuses au sujet de la Divinité. Sa prière, demandant à Jésus de le quitter, rappelle l'exclamation de Simon Pierre, lorsqu'il fut témoin de l'un des miracles du Christ : « Seigneur, éloigne-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur » (Lc 5:8).
 
5. « Morte » ou « à toute extrémité » : Selon Luc (8:42) la fille de Jaïrus « se mourait » tandis que le père éploré demandait l'aide du Seigneur ; Marc (5:23) fait dire à l'homme que la fillette était « à toute extrémité ». Ces deux récits s'accordent ; mais Matthieu (9:18) fait dire au père : « Ma fille est morte il y a un instant. » Les critiques incrédules se sont étendus en détail sur ce qu'ils considèrent comme un illogisme sinon une contradiction dans ces versions ; et cependant les deux récits que l'on trouve dans les trois documents sont évidemment vrais. La jeune fille rendait apparemment le dernier soupir, elle était dans les affres de la mort lorsque le père sortit en hâte. Avant d'avoir rencontré Jésus, il eut le sentiment que la fin était probablement arrivée ; néanmoins sa foi persista. Ses paroles attestent sa confiance que même si sa fille était vraiment morte depuis qu'il avait quitté son côté, le Maître la rappellerait à la vie. Il se trouvait dans un état de douleur frénétique, et cependant sa foi se maintint.
 
6. Coutumes funèbres parmi les Orientaux : Des observances qui nous paraissent étranges, bizarres et déplacées existent depuis les temps les plus reculés parmi les peuples orientaux, certaines de ces coutumes étant communes aux Juifs à l'époque du Christ. Le deuil s'accompagnait ordinairement de bruit et de tumulte, avec des lamentations stridentes des membres de la famille éplorée et des pleureuses professionnelles, de même que du vacarme d'instruments. Geikie, donnant la citation de Buxtorf d'un passage du Talmud, note : « Même un Israélite pauvre était obligé d'avoir au minimum deux joueurs de flûte et une pleureuse à la mort de sa femme ; mais s'il était riche, tout devait se faire conformément à sa qualité. » Dans le Dictionnary of the Bible, de Smith, nous lisons : « Le nombre de paroles (onze mots hébreux et autant de mots grecs) utilisées dans les Écritures pour exprimer les diverses actions caractéristiques du deuil montre dans une grande mesure la nature des coutumes juives dans ce domaine. Elles semblent s'être composées surtout des détails suivants : (1) Coups administrés à eux-mêmes par les affligés sur la poitrine ou une autre partie du corps. (2) Pleurs et hurlements sans retenue. (3) Port de vêtements aux couleurs tristes. (4) Chants de lamentations. (5) Fêtes funèbres. (6) Utilisation de personnes, surtout de femmes pour les lamentations. L'un des traits marquants du deuil oriental est ce que l'on peut appeler sa publicité étudiée et l'observance soigneuse des cérémonies prescrites (Gn 23:2, Job 1:20, 2:8, Es 15:3, etc.). »
 
7. « Pas morte, mais elle dort. » : Le texte scripturaire ne laisse aucun doute quant au fait que la fille de Jaïrus était morte. La déclaration de notre Seigneur aux pleureuses bruyantes que « l'enfant n'est pas morte, mais elle dort » disait que son sommeil devait être de courte durée. C'était une coutume rabbinique et commune de l'époque d'appeler la mort un sommeil, et ceux qui raillèrent Jésus à cause de ce qu'il disait décidèrent d'interpréter ses paroles dans un sens littéral que le contexte ne justifie absolument pas. Il est à remarquer que le Seigneur utilisa une expression strictement équivalente en ce qui concerne la mort de Lazare. « Lazare, notre ami, s'est endormi, dit-il, mais je pars pour le réveiller. » Lorsque les apôtres interprétèrent ces paroles littéralement, cela entraîna la déclaration nette « Lazare est mort » (Jn 11:11,14). Dans le Talmud la mort est appelée à plusieurs reprises un sommeil : des centaines de fois, dit Lightfoot, autorité reconnue en littérature hébraïque.
 
8. Pourquoi Jésus posait-il des questions ? : Nous avons déjà examiné beaucoup d'exemples montrant que le Christ possédait ce que l'homme appellerait une connaissance surhumaine, laquelle allait jusqu'à lire des pensées inexprimées. Certaines personnes ont du mal à concilier cette qualité supérieure avec le fait que Jésus posait souvent des questions même sur des points d'importance secondaire. Nous devons nous rendre compte que ce n'est pas parce que quelqu'un possède une connaissance complète qu'il lui est interdit de poser des questions et, en outre, que même quand on est omniscient, cela ne veut pas dire que l'on est éternellement conscient de tout ce qui est. Il ne fait aucun doute que grâce aux attributs divins dont il avait hérité du côté paternel, Jésus avait le pouvoir de s'assurer par lui-même, grâce à des moyens que d'autres ne possèdent pas, de tous les faits qu'il pouvait désirer connaître ; néanmoins nous le voyons poser constamment des questions sur des petits détails (Mc 9:21, 8:27, Mt 16:13, Lc 8:45) ; et cela il le fit même après sa résurrection (Lc 24:41, Jn 21:5, LM, 3 Né 17:7).
 
Les méthodes suivies par les meilleurs instructeurs humains montrent que l'enseignement par questions est l'un des moyens les plus efficaces de développer l'esprit. Trench (Notes on the Miracles, pp.148-9) fait ressortir d'une manière instructive la leçon qui illustra la question de notre Seigneur concernant la femme qui fut guérie de son hémorragie : cela ne mène à rien de prétendre que le Seigneur se serait mis en contradiction avec la vérité absolue en feignant l'ignorance et en posant la question qu'il posa, si à ce moment-là, il savait parfaitement ce qu'il prétendait ainsi implicitement ne pas savoir. Peut-on dire d'un père qui se trouve parmi ses enfants et qui demande : Qui a commis cette faute ? alors qu'il le sait, au moment même où il pose la question, mais qui désire en même temps amener le coupable à des aveux complets et le mettre ainsi dans un état où il peut être pardonné, peut-on dire de lui qu'il enfreint d'une manière quelconque la loi de la vérité la plus élevée ? On pourrait trouver la même offense dans la question d'Élisée : « D'où viens-tu, Guéhazi ? » (2 R 5:25) alors que son cœur accompagna son serviteur tout le long du chemin qu'il avait parcouru ; et même dans la question que Dieu lui-même posa à Adam : « Où es-tu ? » (Gn 3:9) et à Caïn : « Où est ton frère Abel ? » (Gn 4:9). Dans tous les cas la question a un but moral, une occasion donnée jusqu'au dernier moment de réparer au moins une partie de l'erreur en la confessant sans réserve.
 
9. Les aveugles voient : Dans son étude de la guérison miraculeuse des deux aveugles qui avaient suivi Jésus dans la maison, Trench (Notes on the Miracles of our Lord, p. 152) dit : « Nous avons ici la première de ces nombreuses guérisons d'aveugles que les évangiles rapportent (Mt 12:22, 20:30, 21:14, Jn 9) ou auxquelles ils font allusion (Mt 11:5) ; chacune d'elles correspond à l'accomplissement littéral de la parabole prophétique d'Ésaïe concernant le temps du Messie : « Alors s'ouvriront les yeux des aveugles » (35:5). Aussi fréquents que soient ces miracles, on n'en trouvera cependant aucun qui soit dépourvu d'un trait distinctif bien à lui. Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'ils soient aussi nombreux, que nous considérions ce fait d'un point de vue naturel ou spirituel. Du point de vue naturel, ils ne doivent pas nous surprendre, si nous nous rappelons à quel point la cécité est une calamité plus courante en Orient que chez nous. Du point de vue spirituel, il nous suffit de nous rappeler combien souvent le péché est considéré par les Écritures comme une cécité morale (Dt 28:29, Es 59: 10, Job 12:25, So 1:17), et le fait d'être libéré du péché comme la guérison de cette cécité (Es 6:9,10, 43:8, Ep 1: 18, Mt 15:14) ; et nous verrons immédiatement combien il était juste que lui, « la lumière du monde », accomplisse souvent des œuvres qui symbolisaient si bien cette œuvre supérieure qu'il venait d'accomplir dans le monde. »
 
10. L'accusation d'agir par Satan : Remarquez que dans l'affaire de la guérison du démoniaque muet dont il est parlé dans le texte, Jésus fut accusé d'être ligué avec le diable. Bien que le peuple, frappé de la manifestation de la puissance divine dans la guérison, s'exclamât avec respect : « Jamais rien de semblable ne s'est vu en Israël », les Pharisiens, décidés à contrecarrer le bon effet de l'œuvre miraculeuse du Seigneur, dirent : « C'est par le prince des démons qu'il chasse les démons » (Mt 9:32-34). On trouvera une étude plus approfondie de cette accusation illogique et, à strictement parler blasphématoire, p. 290-294.
 
 
CHAPITRE 21 : LA MISSION APOSTOLIQUE ET LES ÉVÈNEMENTS QUI S'Y RAPPORTENT
 
JÉSUS DE RETOUR À NAZARETH [1]
 
On se souviendra que dans les premiers temps de son ministère public, Jésus avait été rejeté du peuple de Nazareth, qui l'expulsa de sa synagogue et essaya de le tuer [2]. Il semble qu'à la suite des événements notés dans notre dernier chapitre, il soit retourné à la ville de sa jeunesse et ait de nouveau élevé la voix dans la synagogue, accordant ainsi miséricordieusement au peuple une autre occasion d'apprendre et d'accepter la vérité. Comme ils l'avaient déjà fait, les Nazaréens exprimèrent de nouveau à haute voix leur étonnement devant les paroles qu'il prononçait et les nombreuses œuvres miraculeuses qu'il avait accomplies ; néanmoins ils le rejetèrent de nouveau, car il ne venait pas comme ils s'attendaient à voir le Messie venir ; et ils refusèrent de le tenir pour quelqu'un d'autre que « le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joses, de Jude et de Simon », qui étaient des gens ordinaires de même que ses sœurs. « Et il était pour eux une occasion de chute » [3]. Leur incrédulité l'étonna [4] ; et à cause de leur manque de foi, il fut incapable d'accomplir aucune grande œuvre si ce n'est de guérir quelques croyants exceptionnels auxquels il imposa les mains. Quittant Nazareth, il entreprit sa troisième tournée des villes et des villages galiléens, prêchant et enseignant en chemin [5].
 
LES DOUZE CHARGÉS DE MISSION ET ENVOYÉS [6]
 
C'est également vers cette époque que Jésus commença une expansion notable du ministère du royaume en envoyant les Douze en mission. Depuis leur ordination les apôtres avaient accompagné leur Seigneur, s'instruisant auprès de lui lors de ses discours publics et de ses exposés privés, et acquérant une expérience et une formation précieuses grâce à cette association privilégiée et bénie. Il les ordonna « pour les avoir avec lui, et pour les envoyer prêcher [7] ». Voilà des mois qu'ils étaient élèves sous la direction vigilante du Maître ; et maintenant ils étaient appelés à entreprendre les devoirs de leur appel comme des prédicateurs de l'Évangile et témoins personnels du Christ. Comme préparation finale, ils reçurent explicitement et solennellement leurs charges [8]. Certaines des instructions qui leur furent données en cette occasion avaient particulièrement trait à la première mission, dont ils reviendraient faire leur rapport en temps voulu ; d'autres directives et exhortations seraient d'application pendant toute la durée de leur ministère, même après l'ascension du Seigneur.
 
Ils reçurent l'ordre de limiter provisoirement leur ministère aux « brebis perdues de la maison d'Israël » et de ne pas faire de propagande parmi les Gentils [9], ni même dans les villes samaritaines. C'était une restriction temporaire, imposée par la sagesse et la prudence ; plus tard, comme nous le verrons, ils reçurent l'ordre de prêcher parmi toutes les nations, ayant le monde comme champ d'action [10]. Le sujet de leurs discours devait être ce qu'ils avaient entendu le Maître prêcher : « Le royaume des cieux est proche. » Ils devaient exercer l'autorité de la sainte prêtrise qui leur avait été conférée par ordination ; il entrait officiellement dans leurs attributions de guérir les malades, de ressusciter les morts, de purifier les lépreux, de chasser les démons, selon que les occasions s'en présentaient ; et ils reçurent le commandement de donner gratuitement comme ils avaient reçu gratuitement. Ils ne devaient pas s'occuper de leur confort personnel ni de leurs besoins corporels ; le désir du peuple de recevoir et d'assister ceux qui venaient au nom du Seigneur devait être mis à l'épreuve, et les apôtres eux-mêmes devaient apprendre à se reposer sur une Providence plus digne de confiance que l'homme ; c'est pourquoi ils devaient laisser derrière eux l'argent, les vêtements de rechange et tout élément de confort. Dans les diverses villes où ils entreraient, ils devraient se faire inviter et donner leur bénédiction à toutes les bonnes familles qui les recevraient. S'ils se trouvaient rejetés par un foyer ou par une ville entière, ils devaient secouer la poussière de leurs pieds en partant, comme témoignage contre les gens [11] ; et il était décrété que, le jour du jugement, le sort du lieu ainsi dénoncé serait pire que celui des villes corrompues de Sodome et de Gomorrhe sur lesquelles le feu du ciel était descendu.
 
Il fut dit aux apôtres d'être prudents, de n'offenser personne inutilement mais d'être sages comme des serpents et simples comme des colombes, car ils étaient envoyés comme des brebis au milieu des loups. Ils ne devaient pas se confier imprudemment au pouvoir des hommes, car des méchants les persécuteraient, chercheraient à les traîner devant les tribunaux et les battraient dans les synagogues. En outre, ils pouvaient s'attendre à être amenés devant les gouverneurs et les rois, et dans ces situations extrêmes, ils devaient se reposer sur l'inspiration divine pour ce qu'ils diraient et ne pas compter sur leur propre sagesse pour préparer leurs paroles ; « car, dit le Maître, ce n'est pas vous qui parlerez, c'est l'Esprit de votre Père qui parlera en vous [12] ».
 
Ils ne devaient même pas se fier à leur parenté pour assurer leur protection, car les familles se diviseraient à cause de la vérité, frère contre frère, enfants contre parents, et la lutte qui en résulterait serait mortelle. Ces serviteurs du Christ furent avertis qu'ils seraient haïs de tous les hommes mais reçurent l'assurance que leurs souffrances seraient pour l'amour de son nom. Ils devaient se retirer des villes qui les persécutaient et se rendre dans d'autres ; et le Seigneur les suivrait, avant même qu'ils n'eussent pu terminer la tournée des villes d'Israël. Ils furent exhortés à l'humilité et devaient toujours se souvenir qu'ils étaient des serviteurs qui ne devaient pas s'attendre à échapper alors que même leur Maître était assailli. Néanmoins ils devaient être intrépides et ne pas hésiter à prêcher clairement l'Évangile, car tout ce que leurs persécuteurs pouvaient faire, c'était tuer le corps, sort qui n'était rien comparé à celui de subir la destruction de l'âme en enfer.
 
Les apôtres furent assurés du soin vigilant du Père lorsque Jésus leur rappela simplement que bien que l'on vendît deux passereaux pour un sou, cependant il n'en pouvait être sacrifié aucun sans la volonté du Père, et que par conséquent, eux qui avaient plus de valeur que beaucoup de passereaux ne seraient pas oubliés. Ils furent solennellement avertis que quiconque confessait librement le Christ devant les hommes, il le reconnaîtrait en présence du Père, tandis que ceux qui le renieraient devant les hommes seraient reniés dans les cieux. Il leur fut dit encore que l'Évangile apporterait des luttes qui détruiraient les foyers, car la doctrine que le Seigneur avait enseignée serait comme une épée qui couperait et séparerait. Les devoirs de leur ministère devaient l'emporter sur leur amour pour leur famille ; ils devaient être disposés à quitter père, mère, fils ou fille, quel que fût le sacrifice ; car, dit Jésus : « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n'est pas digne de moi. »
 
La signification de cette comparaison doit avoir été solennellement frappante et en fait terrifiante ; car la croix était un symbole d'ignominie, de souffrances extrêmes et de mort. Cependant, s'ils devaient perdre la vie pour l'amour de lui, ils trouveraient la vie éternelle ; tandis que celui qui n'était pas disposé à mourir au service du Seigneur perdrait la vie dans un sens à la fois littéral et terrible. Ils ne devaient jamais oublier au nom de qui ils étaient envoyés, et ils furent consolés par l'assurance que quiconque les recevrait serait récompensé comme s'il avait reçu le Christ et son Père, et que même si le don n'était qu'un verre d'eau froide, le donateur ne perdrait nullement sa récompense.
 
Ainsi chargés de mission et instruits, les douze témoins spéciaux du Christ se mirent en route, voyageant deux par deux [13], tandis que Jésus poursuivait son ministère personnel.
 
LE RETOUR DES DOUZE
 
Nous n'avons aucun renseignement précis sur la durée de la première mission des douze apôtres ni l'étendue du territoire qu'ils parcoururent. La période de leur absence fut marquée de nombreux événements importants dans les travaux personnels de Jésus. Il est probable que pendant ce temps notre Seigneur se rendit à Jérusalem, lors de la fête des Juifs dont le nom n'est pas cité et dont parle Jean [14]. Tandis que les apôtres étaient absents, Jésus reçut la visite des disciples du Baptiste, comme nous l'avons déjà vu [15], et le retour des Douze se produisit vers l'époque de l'exécution infâme de Jean-Baptiste en prison [16].
 
Les efforts missionnaires des apôtres accrurent grandement l'expansion de la nouvelle doctrine du royaume, et le nom et les œuvres de Jésus furent proclamés dans tout le pays. Le peuple de Galilée était à l'époque dans un état de mécontentement qui menaçait de dégénérer en insurrection ouverte contre le gouvernement ; son agitation avait été aggravée par le meurtre du Baptiste. Hérode Antipas, qui avait donné l'ordre fatal, tremblait dans son palais. Avec une crainte due à la conviction qu'il avait intérieurement de sa culpabilité, il entendit parler des œuvres merveilleuses accomplies par Jésus et affirma, terrifié, que le Christ ne pouvait être nul autre que Jean-Baptiste revenu du tombeau. Ses courtisans adulateurs essayèrent d'apaiser ses craintes en disant que Jésus était Élie ou quelque autre des prophètes dont l'avènement avait été prédit ; mais Hérode, tourmenté par sa conscience, dit : « Ce Jean que j'ai fait décapiter, c'est lui qui est ressuscité. » Hérode désira voir Jésus ; peut-être était-ce dû à la fascination de la crainte, ou dans le faible espoir que la vue du prophète renommé de Nazareth pourrait dissiper sa crainte superstitieuse que Jean assassiné ne fût revenu à la vie.
 
Leur tournée missionnaire terminée, les apôtres rejoignirent le Maître et lui firent rapport de ce qu'ils avaient enseigné et de ce qu'ils avaient accompli dans leur ministère autorisé. Ils avaient prêché l'Évangile de repentir dans toutes les villes, bourgades et villages où ils s'étaient rendus ; ils avaient oint d'huile beaucoup d'affligés, et la puissance de leur prêtrise avait été attestée par les guérisons qui avaient suivi ; même des esprits impurs et des démons leur avaient été soumis [17]. Ils trouvèrent Jésus accompagné d'une grande multitude ; et ils n'eurent guère l'occasion d'avoir un entretien privé avec lui, « car beaucoup de personnes allaient et venaient, et ils n'avaient pas même le temps de manger ». Les apôtres durent entendre avec plaisir l'invitation du Seigneur : « Venez à l'écart dans un lieu désert et reposez-vous un peu. » À la recherche d'un lieu solitaire, Jésus et les Douze se retirèrent de la foule et montèrent seuls dans un bateau dans lequel ils traversèrent jusqu'à un endroit dans la campagne, proche de Bethsaïda [18]. Cependant leur départ n'était pas passé inaperçu, et des foules avides se hâtèrent le long du rivage et en partie autour de l'extrémité septentrionale du lac pour rejoindre le groupe au lieu de débarquement. Le récit de Jean nous pousse à conclure qu'avant l'arrivée d'un grand nombre de personnes, Jésus et ses compagnons étaient montés au flanc de la colline près de la rive, où ils s'étaient reposés un peu. Lorsque la multitude se rassembla sur les pentes inférieures, notre Seigneur la contempla comme on contemple des brebis sans berger ; cédant alors au désir de la foule et à sa propre piété divine, il lui enseigna beaucoup de choses, guérit ceux qui étaient affligés et réconforta les cœurs avec une tendresse compatissante.
 
PREMIÈRE MULTIPLICATION DES PAINS [19]
 
Les gens désiraient si vivement entendre les paroles du Seigneur et se préoccupaient à tel point du soulagement miraculeux qui résultait de ses bénédictions guérisseuses, qu'ils restèrent dans le désert, oubliant l'écoulement des heures, jusqu'à l'approche du soir. C'était au printemps près du retour de la fête annuelle de la Pâque, époque de l'herbe et des fleurs [20]. Jésus se rendant compte que le peuple avait faim, demanda à Philippe, l'un des Douze : « Où achèterons-nous des pains pour que ces gens aient à manger ? » Le but de cette question était de mettre la foi de l'apôtre à l'épreuve ; en effet le Seigneur avait déjà décidé ce qui devait être fait. La réponse de Philippe montra sa surprise devant cette question et exprima sa pensée que l'entreprise proposée était impossible. « Les pains qu'on aurait pour deux cents deniers ne suffiraient pas pour que chacun en reçoive un peu », dit-il. André ajouta qu'il y avait là un garçon qui avait cinq pains d'orge et deux petits poissons. « Mais, dit-il, qu'est-ce que cela pour tant de personnes ? » Tel est le récit de Jean ; les autres auteurs déclarent que les apôtres rappelèrent à Jésus que l'heure était avancée et l'exhortèrent à renvoyer les gens se chercher eux-mêmes de la nourriture et du logement dans les villes voisines. Il semble très probable que la conversation entre Jésus et Philippe se produisit plus tôt dans l'après-midi [21], et que, les heures s'écoulant rapidement, les Douze devinrent soucieux et recommandèrent le renvoi de la multitude. La réponse du Maître aux apôtres fut : « Elles n'ont pas besoin de s'en aller : donnez-leur vous-mêmes à manger. » Stupéfaits, ils répondirent : « Nous n'avons ici que cinq pains et deux poissons » ; et le commentaire désespéré d'André est de nouveau sous-entendu : Qu'est-ce que cela pour tant de gens ?
 
À la demande de Jésus, le peuple s'assit sur l'herbe en ordre ; il se groupa par cinquantaines et centaines ; et on s'aperçut que la multitude se composait d'environ cinq mille hommes, outre les femmes et les enfants. Prenant les pains et les poissons, Jésus leva les yeux au ciel et bénit la nourriture ; puis, répartissant les provisions, il en donna aux apôtres respectivement, et à leur tour, ils firent la distribution à la multitude. La substance des poissons et du pain s'accrut au contact du Maître, et la multitude festoya dans le désert jusqu'à ce que tous fussent rassasiés. Jésus dit aux disciples : « Ramassez les morceaux qui restent, afin que rien ne se perde » ; et on remplit douze paniers de ce qui restait. La connaissance humaine est incapable d'expliquer le miracle lui-même. Bien qu'accompli sur une si grande échelle, il n'est ni plus ni moins inexplicable que n'importe laquelle des autres œuvres miraculeuses du Seigneur. C'était une manifestation de puissance créatrice, grâce à laquelle des éléments matériels étaient organisés et composés de manière à répondre à un besoin présent et pressant. La partie rompue mais inutilisée dépassait en volume et en poids la petite réserve originelle tout entière. L'ordre de notre Seigneur de rassembler les fragments était une leçon par l'exemple impressionnante contre le gaspillage ; et c'est peut-être pour permettre pareille leçon qu'un excédent fut donné. Le menu était simple et cependant nourrissant, sain et satisfaisant. Le pain d'orge et les poissons constituaient la nourriture ordinaire des classes pauvres de la région. La transformation de l'eau en vin à Cana était une transmutation qualitative ; l'alimentation de la multitude nécessitait un accroissement quantitatif ; qui peut dire que l'un de ces miracles fut plus merveilleux, et lequel ?
 
La multitude, maintenant nourrie et rassasiée, se mit à réfléchir au miracle. En Jésus, par lequel une œuvre si grande s'était accomplie, elle reconnaissait quelqu'un qui avait des pouvoirs surhumains. « Vraiment c'est lui le prophète qui vient dans le monde », dit-elle : le prophète dont la venue avait été prédite par Moïse et qui serait semblable à lui. De même qu'Israël avait été nourri miraculeusement du temps de Moïse, de même maintenant du pain était fourni dans le désert par ce nouveau prophète. Dans son enthousiasme, le peuple proposa de le proclamer roi et de le forcer à devenir son chef. Telle était sa conception grossière du gouvernement messianique. Jésus ordonna à ses disciples de partir en bateau, tandis qu'il restait pour renvoyer la multitude maintenant excitée. Les disciples hésitaient à quitter leur Maître, mais il les y contraignit et ils obéirent. Son insistance à ce que les Douze les quittent, tant lui que la multitude, était peut-être due au désir de protéger les disciples élus contre une contagion possible des desseins matérialistes et impies de la foule de le faire roi. Par des moyens qui ne sont pas détaillés, il fit disperser le peuple ; comme la nuit avançait, il trouva ce qu'il était venu chercher, la solitude et la tranquillité. Montant sur la colline, il choisit un lieu solitaire et y resta en prière pendant la plus grande partie de la nuit.
 
« C'EST MOI ; N'AYEZ PAS PEUR ! » [22]
 
Le retour en bateau s'avéra être un voyage mémorable pour les disciples. Ils rencontrèrent un fort vent debout, qui rendait naturellement l'usage des voiles impossible ; malgré leurs grands efforts aux rames, l'embarcation échappait pratiquement à leur contrôle et dansait au milieu de la mer [23]. Bien qu'ils eussent travaillé toute la nuit, ils avaient avancé de moins de six kilomètres ; faire demi-tour et aller dans la direction du vent, ç'aurait été provoquer un naufrage désastreux ; leur seul espoir était de maintenir l'embarcation dans le vent à la force du poignet. Jésus, dans sa retraite solitaire, était conscient de leur pénible situation et, au cours de la quatrième veille [24], c'est-à-dire entre trois et six heures du matin, il vint à leur secours, marchant sur l'eau projetée par la tempête comme s'il marchait sur la terre ferme. Lorsque les voyageurs le virent approcher du bateau dans la faible lumière de la nuit presque terminée, ils furent envahis d'une crainte superstitieuse et se mirent à hurler de terreur, croyant voir un spectre. « Jésus leur dit aussitôt : Rassurez-vous : c'est moi ; n'ayez pas peur ! »
 
Soulagés par ces paroles rassurantes, Pierre, impétueux et impulsif comme toujours, s'écria : « Si c'est toi [25], ordonne-moi d'aller vers toi sur les eaux. » Jésus ayant donné son accord, Pierre descendit du bateau et marcha vers son Maître ; mais comme le vent le frappait et que les vagues s'élevaient autour de lui, sa confiance vacilla et il commença à s'enfoncer. Bien que nageur puissant [26], il céda à la peur et s'écria : « Seigneur, sauve-moi ! » Jésus le saisit par la main, disant : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? »
 
L'expérience remarquable de Pierre nous apprend que la puissance qui permettait au Christ de marcher sur les vagues pouvait opérer chez les autres à la seule condition que leur foi fût durable. C'était sur la demande même de Pierre qu'il avait reçu la permission de tenter l'exploit. Si Jésus le lui avait interdit, la foi de l'homme aurait pu être freinée ; sa tentative, bien qu'échouant partiellement, était une démonstration de l'efficacité de la foi au Seigneur, qu'aucun enseignement verbal n'aurait jamais pu transmettre. Jésus et Pierre montèrent dans l'embarcation ; immédiatement le vent cessa, et le bateau parvint bientôt à la rive. L'étonnement des apôtres, devant cette dernière manifestation du pouvoir du Seigneur sur les forces de la nature, aurait été plus proche de l'adoration et aurait ressemblé moins à de la consternation terrifiée, s'ils s'étaient souvenus des miracles précédents dont ils avaient été témoins. Mais ils avaient oublié jusqu'au miracle des pains, et leur cœur s'était endurci [27]. S'étonnant de la puissance de quelqu'un à qui la mer fouettée par le vent était un sol ferme, les apôtres se prosternèrent devant le Seigneur en adoration respectueuse, disant : « Tu es véritablement le Fils de Dieu » [28]. 
 
Outre les circonstances merveilleuses dans lesquelles il se produisit, ce miracle est riche en symbolisme et en suggestions. L'homme est incapable de déterminer en vertu de quelle loi ou de quel principe l'effet de la gravitation fut suspendu de sorte qu'un corps humain put se tenir à la surface de l'eau. Ce phénomène est une démonstration concrète de la grande vérité que la foi est un principe de puissance, grâce auquel les forces naturelles peuvent être conditionnées et gouvernées [29]. Tout adulte connaît des expériences semblables à la bataille des voyageurs balancés dans la tempête contre des vents contraires et des mers menaçantes ; souvent la nuit de luttes et de dangers est fort avancée avant que le secours n'apparaisse ; et alors, trop fréquemment on prend l'aide salvatrice pour un sujet de terreur plus grande. Comme elle parvint à Pierre et à ses compagnons terrifiés au milieu des eaux tumultueuses, de même parvient à tous ceux qui travaillent avec foi, la voix du Libérateur : « C'est moi ; n'ayez pas peur ! »
 
AU PAYS DE GÉNÉSARETH
 
Le voyage nocturne au cours duquel Jésus était parvenu au bateau et à ses occupants terrifiés tandis qu'ils se trouvaient « au milieu de la mer », prit fin à un endroit situé dans la région appelée le pays de Génésareth qui, comme on le croit généralement, embrassait la région riche et fertile des environs de Tibériade et de Magdala. On a beaucoup écrit sur les beautés naturelles qui faisaient la célébrité de cette région [30]. La nouvelle de la présence de notre Seigneur se répandit rapidement, et, de « tous les environs » le peuple s'attroupa autour de lui, amenant ses affligés pour recevoir ses bienfaits par la parole ou le toucher. Dans les villes qu'il traversait, on couchait les malades dans les rues afin que la bénédiction de son passage tombât sur eux ; et beaucoup « le suppliaient afin de toucher seulement la frange de son vêtement. Et tous ceux qui le touchaient étaient délivrés » [31]. Il donna abondamment de sa vertu guérisseuse à tous ceux qui vinrent l'implorer avec foi et confiance. C'est ainsi que, accompagné des Douze, il se rendit vers le nord à Capernaüm, éclairant la voie de la plénitude de sa miséricorde.
 
À LA RECHERCHE DE PAINS ET DE POISSONS [32]
 
La multitude qui, la veille, avait bénéficié de sa générosité de l'autre côté du lac, et qui s'était dispersée pour la nuit après sa vaine tentative de l'obliger à accepter la dignité de la royauté terrestre, fut grandement surprise de découvrir au matin qu'il était parti. Elle avait vu les disciples s'en aller par le seul bateau qui se trouvait là, tandis que Jésus était resté sur la berge ; et elle savait que la tempête de la nuit avait exclu toute possibilité que d'autres bateaux parviennent à cet endroit. Néanmoins les recherches qu'elle entreprit ce matin-là pour le découvrir furent vaines, et elle en déduisit qu'il avait dû retourner par voie de terre autour de l'extrémité du lac. Comme le jour avançait, des bateaux apparurent, se dirigeant vers la côte occidentale ; elle les héla et, ayant obtenu le passage, traversa la mer vers Capernaüm.
 
Les difficultés à trouver Jésus prirent fin, car sa présence était connue dans toute la ville. Se dirigeant vers lui, probablement tandis qu'il était assis dans la synagogue, car ce jour-là il y enseignait, les membres les plus importants de la foule demandèrent brusquement et presque grossièrement : « Rabbi, quand es-tu venu ici ? » À cette question impertinente Jésus ne daigna pas répondre directement ; les gens n'avaient rien à voir avec le miracle de la nuit précédente, et le Seigneur ne leur rendit aucun compte de ses mouvements. Sur un ton de reproche impressionnant, Jésus leur dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés. » C'était du pain et des poissons qu'ils se souciaient. Il ne fallait pas perdre de vue quelqu'un qui pouvait leur fournir de la nourriture comme il l'avait fait.
 
La réprimande du Maître fut suivie d'exhortations et d'enseignements : « Travaillez, non en vue de la nourriture qui périt mais en vue de la nourriture qui subsiste pour la vie éternelle - celle que le Fils de l'homme vous donnera ; car c'est lui que le Père Dieu - a marqué de son sceau. » Ce contraste entre la nourriture matérielle et spirituelle ne pouvait échapper entièrement à leur compréhension, et certains d'entre eux demandèrent ce qu'ils devaient faire pour servir Dieu comme Jésus le demandait. La réponse fut : « Ce qui est l'œuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé. » Nul ne pouvait douter que Jésus parlât de lui-même ; et ils lui demandèrent directement d'autres preuves de son autorité divine ; ils voulaient voir des prodiges plus grands. Le miracle des pains et des poissons datait de presque un jour ; et cette preuve des attributs messianiques était en train de perdre de sa force. Moïse avait nourri leurs pères de manne dans le désert, dirent-ils ; et il est clair qu'ils considéraient un approvisionnement quotidien constant comme un don plus grand qu'un seul repas de pain et de poisson, même si ce dernier aurait pu être apprécié à un moment où la faim était pressante. En outre, la manne était une nourriture céleste [33]. tandis que le pain qu'il leur avait donné était terrestre, et du vulgaire pain d'orge qui plus est. Il devait leur montrer de plus grands miracles et leur donner une provende plus riche, avant qu'ils ne l'acceptent comme Celui pour lequel ils l'avaient pris tout d'abord et qu'il se déclarait maintenant être.
 
LE CHRIST, PAIN DE VIE [34]
 
« Jésus leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, ce n'est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel, mais mon Père vous donne le vrai pain venu du ciel ; car le pain de Dieu c'est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » Ils se trompaient en pensant que Moïse leur avait donné de la manne ; et après tout, la manne n'était que de la nourriture ordinaire, puisque ceux qui en mangeaient avaient de nouveau faim ; mais maintenant le Père leur offrait un pain du ciel qui leur assurerait la vie. Comme la Samaritaine près du puits, en entendant le Seigneur parler d'une eau qui satisferait une fois pour toutes, avait demandé impulsivement et ne pensant qu'au confort physique : « Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n'aie plus soif et que je ne vienne plus puiser ici [35] », de même ces gens, vivement désireux d'obtenir une nourriture aussi satisfaisante que celle dont Jésus parlait, implorèrent : « Seigneur, donne-nous toujours ce pain-là. » Cette demande n'était peut-être pas entièrement grossière ; il peut avoir existé dans le cœur de certains d'entre eux au moins un désir réel de nourriture spirituelle. Le Seigneur répondit à leur appel par une explication : « Moi, je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif. » Il leur rappela que bien qu'ils l'eussent vu, ils ne croyaient pas en ses paroles ; il leur assura que ceux qui l'acceptaient vraiment feraient ce que le Père ordonnait. Puis, sans métaphore ni symbolisme, il affirma : « Je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé. » Et la volonté du Père était que tous ceux qui accepteraient le Fils auraient la vie éternelle.
 
Il y avait dans la synagogue quelques-uns d'entre les dirigeants - Pharisiens, scribes, rabbis - et ceux-ci, appelés collectivement Juifs, critiquèrent Jésus et murmurèrent contre lui parce qu'il avait dit : « Moi, je suis le pain descendu du ciel. » Ils affirmèrent qu'il ne pouvait rien faire de plus qu'un autre ; ils le tenaient pour le fils de Joseph, et pour autant qu'ils le sachent, il était de parents terrestres tout à fait ordinaires ; pourtant il avait la témérité d'annoncer qu'il était descendu du ciel. C'est surtout à cette classe de gens plutôt qu'à la foule mêlée qui s'était pressée derrière lui que Jésus semble avoir adressé le reste de son discours. Il leur conseilla de cesser leurs murmures, car il était certain qu'ils ne pouvaient saisir ce qu'il voulait dire, et par conséquent ne croiraient en lui que s'ils étaient « enseignés de Dieu » comme les prophètes l'avaient été [36] ; et nul ne pouvait venir à lui, c'est-à-dire accepter son Évangile sauveur, si le Père ne l'attirait au Fils ; et nul, à moins d'être réceptif, disposé et préparé ne pouvait être ainsi attiré [37]. Cependant la croyance au Fils de Dieu est une condition indispensable au salut, comme Jésus le montra en affirmant : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie éternelle. »
 
Puis, revenant au symbolisme du pain, il répéta : « Moi, je suis le pain de vie. » Continuant à expliquer, il dit que si leurs pères mangèrent vraiment la manne dans le désert, cependant ils étaient morts, tandis que le pain de vie dont il parlait assurerait la vie éternelle à tous ceux qui en prenaient. Ce pain, affirmait-il, était sa chair. Les Juifs se plaignirent de nouveau de cet aveu solennel et discutèrent entre eux, certains demandant avec dérision : « Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ? » Soulignant la doctrine, jésus continua : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, vous n'avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment un breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. Comme le Père qui est vivant m'a envoyé, je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi. C'est ici le pain qui est descendu du ciel. Il n'en est pas comme celui qu'ont mangé vos pères : ils sont morts. Celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
 
Les Juifs n'avaient aucune excuse de faire semblant de comprendre que notre Seigneur voulait dire qu'il fallait manger et boire sa chair et son sang. Les paroles auxquelles ils faisaient des objections, ils les comprenaient beaucoup plus facilement que nous à première lecture ; car le fait de représenter la loi et la vérité en général comme du pain, et le fait de les accepter comme de la nourriture et de la boisson étaient des images utilisées quotidiennement par les rabbis de l'époque [38]. Leur incompréhension du symbolisme de la doctrine du Christ est un acte de volonté délibérée, non la conséquence naturelle d'une ignorance innocente. Manger la chair et boire le sang du Christ, c'était et c'est croire en lui et l'accepter comme Fils littéral de Dieu et Sauveur du monde, et obéir à ses commandements. Ce n'est que de cette façon que l'Esprit de Dieu peut devenir de manière durable partie intégrante de la personne humaine de manière que la substance de la nourriture qu'il absorbe soit assimilée aux tissus de son corps. Il ne suffit pas d'accepter les préceptes du Christ comme nous pouvons adopter les enseignements des hommes de science, des philosophes et des savants, quelque grande que puisse être la sagesse de ces hommes ; car il s'agit là d'un assentiment mental ou d'un exercice délibéré de la volonté, qui n'a trait qu'à la doctrine, indépendamment de son auteur. Les enseignements de Jésus-Christ sont durables à cause de leur valeur intrinsèque, et beaucoup d'hommes respectent ces aphorismes, ces proverbes, ces paroles et ces préceptes profondément philosophiques, tout en rejetant le fait qu'il est le Fils de Dieu, le Fils unique dans la chair, l'Homme Dieu en qui étaient unis les attributs de la divinité et ceux de l'humanité, le Rédempteur élu et préordonné de l'humanité, par l'intermédiaire duquel nous pouvons parvenir au salut. Mais l'image utilisée par Jésus, celle de manger sa chair et de boire son sang représentant le fait de l'accepter absolument et sans réserve comme le Sauveur des hommes, est d'une importance capitale, car elle affirme la divinité de sa Personne et sa divinité préexistante et éternelle. Le sacrement du repas du Seigneur, établi par le Sauveur la nuit où il fut trahi, perpétue le symbolisme contenu dans l'idée de manger sa chair et de boire son sang, en ce que l'on prend le pain et le vin en souvenir de lui [39]. Accepter Jésus comme le Christ veut dire obéir aux lois et aux ordonnances de son Évangile, car professer l'Un et refuser l'autre n'est que nous accuser de manque de logique, de manque de sincérité et d'hypocrisie.
 
UNE ÉPREUVE CRUCIALE - BEAUCOUP SE DÉTOURNENT [40]
 
La vérité à son sujet, telle que l'enseigna le Seigneur dans ce discours qui fut le dernier à la synagogue de Capernaüm, s'avéra être une épreuve de foi que beaucoup ne purent pas réussir. Ce ne furent pas seulement les Juifs critiques de la classe officielle, dont l'hostilité était ouvertement avouée qui en furent affectés, mais également ceux qui avaient professé une certaine mesure de foi en lui. « Après l'avoir entendu, plusieurs de ses disciples dirent : Cette parole est dure, qui peut l'écouter ? » Jésus, conscient de leur désenchantement, demanda : « Cela vous scandalise ? » Et il ajouta : « Et si vous voyiez le Fils de l'homme monter où il était auparavant ? » Son ascension, qui devait suivre sa mort et sa résurrection, est ici clairement indiquée. Le sens spirituel de ses enseignements était mis hors de question par l'explication que ce n'était que par l'intermédiaire de l'Esprit qu'ils pouvaient comprendre. « C'est pourquoi, ajouta-t-il, je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, si cela ne lui a été donné par le Père. »
 
Beaucoup le désertèrent, et dès lors ne le recherchèrent plus. L'événement était crucial ; l'effet fut celui d'un passage au crible et d'une séparation. L'importante prédiction du prophète-Baptiste était entrée dans la phase de la réalisation : « Il vient, celui qui est plus puissant que moi... Il a son van à la main, puis il nettoyera son aire, il amassera le blé dans son grenier, mais brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteint pas » [41]. Le van était en action, et une grande quantité de paille était rejetée de côté.
 
Il semble que même les Douze furent incapables de comprendre le sens profond de ces derniers enseignements : ils étaient embarrassés, même si aucun n'alla jusqu'à déserter. Néanmoins, l'état d'esprit de certains d'entre eux était tel qu'il arracha de Jésus la question : « Et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller ? » Pierre parlant pour lui-même et pour ses frères, répondit avec émotion et conviction : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » [42]. C'était l'esprit du saint apostolat qui se manifestait dans cette confession. Bien qu'ils fussent incapables de comprendre la doctrine dans sa plénitude, ils savaient que Jésus était le Christ et lui restèrent fidèles tandis que les autres se détournaient dans les sombres profondeurs de l'apostasie.
 
Alors que Pierre parlait pour l'ensemble du groupe apostolique, il y en avait un parmi eux qui se révoltait en silence ; le traître Iscariot, qui se trouvait dans une condition pire que celle de quelqu'un qui s'avouait franchement apostat, était là. Le Seigneur connaissait le cœur de cet homme et dit : « N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les douze ? Et l'un de vous est un démon ! » L'historien ajoute : « Il parlait de Judas, fils de Simon Iscariot ; car c'était lui qui devait le livrer, lui l'un des douze. »
 
 [1] Mt 13:53-58 ; Mc 6:1-6.
 [2] Lc 4:28-30. Voir chap. 13 du présent ouvrage.
 [3] Chap. 18 et Notes.
 [4] Chap. 18, Note 2.
 [5] Note 1, fin du chapitre.
 [6] Mt 10:5-42 ; Mc 6:7-13 ; Lc 9:1-6.
 [7] Mc 3:14.
 [8] Mt 10:5-42 ; Mc 6:7-13 ; Lc 9:1-6.
 [9] Note 2, fin du chapitre. 
 [10] Mt 28:19 ; Mc 16:15. Chap. 37 du présent ouvrage.
 [11] Note 3, fin du chapitre.
 [12] Mt 10:18-20 ; cf. Mc 13:9 ; Lc 12:10-12.
 [13] Mc 6:7.
 [14] Jn 5 ; chap. 15 du présent ouvrage et notes.
 [15] Mt 11:2-19 ; Lc 7:18-34 ; voir chap. 18 du présent ouvrage.
 [16] Chap. 18
 [17] Mc 6:12,13 Lc 9:10. Notez le témoignage similaire des soixante-dix qui furent envoyés ultérieurement et revinrent en se réjouissant de l'autorité qui s'était manifestée dans leur ministère ; Lc 10:17.
 [18] Note 4, fin du chapitre.
 [19] Jn 6:5-14 ; cf. Mt 14:15-21 ; Mc 6:35-44 ; Lc 9:12-17.
 [20] Jn 6:4 ; Mt 14:19 ; Mc 6:39.
 [21] Note 5, fin du chapitre.
 [22] Mt 14:22-23 ; cf. Mc 6:45-52, Jn 6:15-21.
 [23] Chap. 20, notes.
 [24] Note 6, fin du chapitre.
 [25] C'est-à-dire « puisque ».
 [26] Cf. le bond impétueux de Pierre dans la mer pour parvenir au Seigneur ressuscité sur la rive, Jean 21:7.
 [27] Marc 6:52.
 [28] Notez que c'est la première fois que ce titre apparaît dans les évangiles synoptiques, appliqué par des mortels à Jésus ; comparer un exemple antérieur de son application par Nathanaël, Jean 1:49.
 [29] Articles de Foi, p. 130-133 - « La foi est un principe de pouvoir ».
 [30] Josèphe, Guerres, Ill, 10:7,8.
 [31] Marc 6:53-56 ; cf. Mt 14:34-36. Note 7, fin du chapitre.
 [32] Jean 6:22-27.
 [33] Note 8, fin du chapitre.
 [34] Jean 6:32-59.
 [35] Jean 4:13-15. Chap. 13 du présent ouvrage.
 [36] Es 54:13, Jr 31:34, Michée 4:2, cf. Hé 8:10,10:16.
 [37] Note 9, fin du chapitre.
 [38] Note 10, fin du chapitre.
 [39] Mt 26:26-28, Marc 14:22-25, Luc 22:19, 20. Chap. 33 du présent ouvrage.
 [40] Jean 6:59-71.
 [41] Luc 3:16, 17, Mt 3:11, 12.
 [42] Comparer cette confession (Jean 6:68, 69) au témoignage ultérieur de Pierre (Mt 16:16). Note 11, fin du chapitre.
 
NOTES DU CHAPITRE 21
 
1. Jésus à Nazareth : Comme aucun des évangélistes ne nous montre le Seigneur exerçant deux fois son ministère à Nazareth, et comme les récits séparés que l'on trouve dans les évangiles synoptiques se ressemblent beaucoup dans quelques détails, certains commentateurs affirment que notre Seigneur ne prêcha à ses concitoyens à Nazareth et ne fut rejeté d'eux qu'une fois. Le récit de Luc (4:14-30) a trait à un événement qui suivit immédiatement le premier retour de Jésus en Galilée après son baptême et ses tentations et précéda directement l'appel préliminaire des pêcheurs-disciples, qui furent comptés ensuite parmi les apôtres. Matthieu (13:53-58) et Marc (6:1-6) rapportent une visite de Jésus à Nazareth après l'épisode où il enseigna pour la première fois en paraboles et les événements qui suivirent immédiatement celui-ci. Nous avons de bonnes raisons d'accepter le récit de Luc comme celui d'un incident plus ancien, et les récits donnés par Matthieu et Marc comme ceux d'une visite ultérieure.
 
2. Gentils : D'une manière générale, les Juifs appelaient tous les autres Gentils, quoique le même mot hébreu ait des sens divers dans l'Ancien Testament : « Gentils » (Gn 10:5, Juges 4:2, 13, 16, Es 11: 10, etc.), « nations » (Gn 10:5, 20, 31, 32 ; 14:1,9, etc.), et « païens » (Né 5:8, Ps 2:1, 8 etc.), l'élément essentiel du sens étant celui d'étrangers. Dans le Dict. of the Bible, de Smith, nous lisons « il [le nom « Gentils »] acquit un sens ethnographique et également péjoratif, car les autres nations étaient idolâtres, grossières, hostiles, etc. Cependant les Juifs étaient à même de l'utiliser dans un sens purement technique et géographique lorsqu'on le traduisait ordinairement « nations ». Le Dr Edward E. Nourse, écrivant pour le Standard Bible Dictionnary, dit : « À l'époque du Nouveau Testament, le Juif répartissait l'humanité en trois classes : (1) les Juifs (2) les Grecs (les Hellènes, qui comprenaient les Romains et signifiaient ainsi les peuples civilisés de l'Empire romain, souvent rendus par « Gentils » dans la version autorisée anglaise), et (3) les barbares (les non-civilisés, Actes 28:4 Rm 1:14, 1 Co 14:11). » L'ordre que Jésus donna aux Douze : « N'allez pas vers les Gentils [dans la version du roi Jacques. La version Segond dit : « N'allez pas vers les païens. », ndt] avait pour but de les empêcher temporairement de tenter de faire des convertis parmi les Romains et les Grecs et de limiter leur ministère au peuple d'Israël.
 
3. Secouer la poussière des pieds : Secouer cérémoniellement la poussière de ses pieds en témoignage contre quelqu'un d'autre symbolisait chez les Juifs cesser de le fréquenter et refuser toute responsabilité des conséquences qui pourraient s'ensuivre. Selon les ordres du Seigneur à ses apôtres, cités dans le texte, cela devint une ordonnance d'accusation et de témoignage. À notre époque, le Seigneur a ordonné de même à ses serviteurs autorisés de témoigner de cette façon contre ceux qui s'opposent volontairement et méchamment à la vérité lorsqu'elle est présentée avec autorité (voir D&A 24:15, 60:15, 75:20, 84:92, 99:4). La responsabilité de témoigner devant le Seigneur par ce symbole accusateur est si grande que ce moyen ne peut être employé que dans des conditions extraordinaires et extrêmes, sur les directives de l'Esprit du Seigneur.
 
4. Les deux Bethsaïda : Beaucoup de spécialistes de la Bible affirment que Bethsaïda, dans la région désertique voisine de laquelle Jésus et les Douze cherchèrent le repos et l'isolement, était la ville de ce nom qui se trouve en Pérée, sur la rive orientale du Jourdain, et que l'on appelle plus particulièrement Bethsaïda Julias pour la distinguer de la Bethsaida de Galilée, laquelle se trouvait tout près de Capernaüm. Le village péréen de Bethsaïda avait été agrandi et élevé au rang de ville par le tétrarque Philippe, et c'est lui qui l'avait appelée Julias en l'honneur de Julia, fille de l'empereur régnant. Les récits évangéliques du voyage par lequel Jésus et ses compagnons parvinrent à cet endroit et concernant le retour de celui-ci peuvent soutenir la théorie que c'est Bethsaïda de Pérée et non Bethsaïda de Galilée qui fut la ville dont le « lieu désert » dont il est parlé était la région environnante.
 
5. Le premier soir et le soir ultérieur : Matthieu distingue deux soirs dans le jour de la première multiplication des pains ; ainsi « le soir venu » les disciples demandèrent à Jésus de renvoyer la multitude ; et plus tard, après la multiplication miraculeuse et lorsque les disciples furent partis en bateau et que les foules s'en furent allées, « et le soir venu » Jésus se trouva seul sur la montagne (Mt 14:15, 23 ; comparer avec Mc 6:35, 47). Trench, Notes on the Miracles (p. 217), dit : « Saint Matthieu et saint Marc donneront deux soirs à ce jour : un qui avait déjà commencé avant que les préparatifs pour nourrir la multitude eussent commencé (verset 15), l'autre maintenant que les disciples étaient montés dans la barque et s'étaient mis en route pour leur traversée (verset 23). C'était là une manière ordinaire de parler parmi les juifs, le premier soir correspondant assez bien à notre après-midi... le deuxième soir étant le crépuscule, ou de six heures au crépuscule, lequel était suivi de ténèbres absolues. » Voir le Dict., de Smith, article « Chronology », dont nous tirons l'extrait suivant : « Entre les deux soirs » (Ex 12:6, Nb 9:3, 28:4) est une division naturelle entre la fin de l'après-midi où le soleil est bas et le soir lorsque sa lumière n'est pas encore entièrement disparue, les deux soirs dans lesquels la soirée naturelle serait divisée par le début du jour civil s'il commençait au coucher du soleil. »
 
6. Les veilles de la nuit : Dans la plus grande partie de l'époque de l'Ancien Testament, le peuple d'Israël répartit la nuit en trois veilles, chacune de quatre heures, ces périodes étant des veilles de sentinelle. Mais avant le commencement de l'ère chrétienne, les Juifs adoptèrent le système romain de quatre veilles nocturnes, chacune de trois heures. Celles-ci étaient désignées numériquement, par exemple la quatrième veille mentionnée dans le texte (voir Mt 14:25), ou encore minuit, le chant du coq et le matin (voir Marc 13:35). La quatrième veille était la dernière des périodes de trois heures entre le coucher et le lever du soleil, ou entre dix-huit heures et six heures, et s'étendait par conséquent entre trois et six heures du matin.
 
7. Le bord du vêtement : La foi de ceux qui croyaient que, s'ils pouvaient ne fût-ce que toucher le bord du vêtement du Seigneur ils seraient guéris, est similaire à celle de la femme qui fut guérie de sa longue maladie en touchant sa robe de cette manière (voir Mt 9:21. Marc 5:27, 28 ; Luc 8:44). Les Juifs considéraient que le bord de leur robe extérieure avait une importance particulière, à cause du commandement qui avait été donné à l'Israël des temps anciens (Nb 5:38, 39) d'ourler tous les bords des vêtements et d'y placer une bande bleue pour lui rappeler ses obligations de peuple de l'alliance. Le désir de toucher le bord de la robe du Christ peut avoir été associé à la pensée de la sainteté qui se rattachait à la bordure ou à la couture.
 
8. Traditions concernant la manne : C'est à juste titre qu'on a considéré la manne qui fut donnée aux Israélites lors de l'exode et de leur long voyage dans le désert comme un miracle extraordinaire (Ex 16:14-36 ; Nb 11:7-9, Dt 8:3, 16, Jos 5:12, Ps 78:24, 25). Beaucoup de traditions, dont certaines sont pernicieuses et erronées, ont été brodées autour de cet incident et transmises avec des ajouts inventés d'une génération à l'autre. À l'époque du Christ, l'enseignement rabbinique était que la manne dont les pères s'étaient nourris était littéralement la nourriture des anges envoyée du ciel et qu'elle avait des goûts et des parfums variés pour convenir à tous les âges, à tous les états et à tous les désirs ; pour l'un elle avait le goût du miel, pour l'autre du pain, etc. ; et dans la bouche de tous les Gentils, elle était amère. En outre, on disait que le Messie donnerait à Israël une provision constante de manne lorsqu'il viendrait parmi eux. Ces conceptions erronées expliquent en partie que les personnes qui avaient reçu en nourriture des pains d'orge et des poissons aient exigé un miracle qui dépasserait la manne donnée dans les temps anciens, comme preuve que Jésus était le Messie.
 
9. La foi, don de Dieu : « Bien qu'étant à la portée de tous ceux qui s'efforcent diligemment de l'acquérir, la foi est néanmoins un don divin et ne peut être obtenue que de Dieu (Mt 16:17, Jn 6:44, 65, Ep 2:8, 1 Co 12:9, Rm 12:3, Moro 10:11). Comme il convient à une perle si précieuse, elle n'est donnée qu'à ceux qui montrent, par leur sincérité, qu'ils en sont dignes et qui promettent de se conformer à ses inspirations. Bien que la foi soit appelée le premier principe de l'Évangile du Christ, quoiqu'elle soit, en réalité, le fondement de la vie religieuse, elle est, elle-même, précédée par la sincérité des intentions et par l'humilité de l'âme, grâce auxquelles la parole de Dieu peut faire impression sur le cœur (Rm 10:17). Aucune coercition n'est employée pour amener les hommes à la connaissance de Dieu ; cependant, aussitôt que nous ouvrons notre cœur à l'influence de la droiture, la foi qui mène à la vie éternelle nous est donnée par notre Père. » - Articles de Foi, p. 135
 
10. Symbolisme spirituel du manger : L'idée de manger, métaphore pour indiquer la réception des bienfaits spirituels, était bien connue des auditeurs du Christ, et ils la comprirent aussi facilement que nous comprenons nos expressions « dévorer un livre », ou « boire » les paroles de quelqu'un. Les rabbis expliquaient que les mots « toute ressource de pain » dans Es 3:1, avaient trait à leur propre enseignement, et ils en firent une règle que, partout où il était fait allusion, dans l'Ecclésiaste, à la nourriture ou à la boisson, cela signifiait l'étude de la loi et la pratique de bonne œuvres. C'était un proverbe chez eux : « À l'époque du Messie les Israélites seront nourris par lui. » Il n'était rien de plus commun dans les écoles et les synagogues que les expressions portant sur le manger et le boire dans un sens métaphorique. « Le Messie ne viendra vraisemblablement pas en Israël, disait Hillel, car on l'a déjà mangé » - c'est-à-dire qu'on a déjà reçu avidement ses paroles - « du temps d'Ezéchias ». Une expression conventionnelle courante dans les synagogues était que les justes « mangeraient la schékinah ». C'était une caractéristique des Juifs que cet enseignement dans un langage métaphorique de ce genre. Leurs rabbis ne parlaient jamais en termes clairs, et il est dit expressément que Jésus se soumettait au goût populaire, car « il ne leur parlait pas sans parabole » (Mc 4:34). - Geikie, Life and Words of Christ, vol. I, p. 184
 
11. La nature cruciale du discours : Commentant l'effet du discours de notre Seigneur (Jn 6:26-71), Edersheim (vol. II, p. 36) dit : « Nous voici donc à la croisée des chemins ; et c'est justement parce qu'il était temps de se décider que le Christ exposa si clairement les vérités supérieures qui le concernaient et qui étaient opposées aux conceptions que la multitude entretenait au sujet du Messie. Il en résulta encore une autre et plus attristante défection. En entendant cela, beaucoup de ses disciples firent marche arrière et cessèrent de l'accompagner. Que dis-je, cette épreuve inquisitrice toucha même le cœur des Douze. Allaient-ils partir avec eux aussi ? C'était un prélude à Gethsémané, la première expérience de Gethsémané. Mais une chose les obligea à rester fidèles, l'expérience du passé. C'était là la base de leur foi et de leur fidélité actuelle. Ils ne pouvaient retourner à leur ancien passé ; ils devaient s'attacher à lui. C'est ainsi que Pierre dit au nom de tous : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. » Et non seulement cela, à la suite de ce qu'ils avaient appris : « Et nous avons cru, et nous avons connu que c'est toi le Christ, le Saint de Dieu. » C'est également ainsi que beaucoup d'entre nous, dont les pensées peuvent avoir été cruellement bousculées, et dont les fondements ont pu être terriblement assaillis, peuvent avoir trouvé leur premier lieu de repos dans l'expérience spirituelle certaine et inattaquable du passé. Où pouvons-nous aller pour trouver les paroles de la vie éternelle, si ce n'est au Christ ? S'il nous fait défaut, alors tout espoir de l'éternel disparaît. Mais il a les paroles de la vie éternelle - et nous avons cru dès qu'elles nous ont été données ; oui, nous savons qu'il est le Saint de Dieu. Et cela implique tout ce dont la foi a besoin pour en apprendre davantage. Le reste, il nous le montrera lorsqu'il sera transfiguré sous nos yeux. Mais parmi ces Douze, le Christ savait qu'il y avait un démon - comme cet ange, tombé de la hauteur la plus sublime dans l'abîme le plus profond. L'apostasie de Judas avait déjà commencé en son cœur. Et plus l'attente et la déception populaires avaient été grandes, plus la réaction et l'hostilité qui s'ensuivirent furent violentes. L'heure de la décision était passée, et l'aiguille du cadran pointait vers l'heure de sa mort.
 
 
CHAPITRE 22 : UNE PÉRIODE D'OPPOSITION CROISSANTE
 
Le dernier discours que nous ayons du Seigneur dans la synagogue de Capernaüm, qui suivit de près le miracle de la multiplication des pains et celui de la marche sur les eaux, marqua le commencement d'une autre époque dans l'évolution de l'œuvre de sa vie. C'était l'approche de la fête de la Pâque [1] ; à la Pâque suivante, un an plus tard, comme nous le montrerons, Jésus serait trahi et mourrait. Donc, à l'époque dont nous parlons maintenant, commençait la dernière année de son ministère dans la chair. Mais l'importance de cet événement est différente et plus grande qu'un point de repère chronologique. Cet événement marquait la première étape d'un changement dans la vague de respect populaire envers Jésus, laquelle jusqu'alors était allée en augmentant et commençait maintenant à se retirer. Il avait été, il est vrai, critiqué et attaqué ouvertement à maintes reprises par des Juifs mécontents, en de nombreuses occasions antérieures ; mais ces critiques rusés et même venimeux appartenaient surtout aux classes dirigeantes ; le commun des mortels l'écoutait avec joie, et de fait beaucoup de personnes continuèrent à l'écouter ainsi [2] ; néanmoins sa popularité, du moins en Galilée, avait commencé à diminuer. La dernière année de son ministère terrestre commença par un passage au crible du peuple qui professait croire en sa parole, et ce processus de mise à l'épreuve et de tri devait se poursuivre jusqu'à la fin.
 
Nous n'avons aucun renseignement nous informant que Jésus ait assisté à cette fête de la Pâque ; il est raisonnable d'en déduire qu'étant donné l'hostilité croissante des dirigeants, il s'abstint d'aller à Jérusalem cette fois-là. Il serait inutile de faire des suppositions sur le point de savoir si l'un des Douze alla à la fête ; on ne nous le dit pas. Ce qui est certain, c'est qu'immédiatement après cette époque-là les détectives et les espions qui avaient été envoyés de Jérusalem en Galilée pour observer Jésus devinrent plus actifs que jamais dans leur espionnage critique. Ils le suivaient à la piste, notaient chacun de ses actes et chaque occasion où il omettait une observance traditionnelle, coutumière, et étaient constamment en alerte pour faire de lui un transgresseur.
 
ABLUTIONS CÉRÉMONIELLES ET « BEAUCOUP D'AUTRES CHOSES SEMBLABLES » [3]
 
Peu après la Pâque à laquelle nous avons fait allusion, et sans doute conformément à un plan prévu par les gouverneurs juifs, Jésus reçut la visite d'une délégation de Pharisiens et de scribes venus de Jérusalem qui protestèrent contre le mépris que manifestaient ses disciples pour les exigences traditionnelles. Il semble que les disciples, et presque certainement le Maître lui-même, avaient transgressé « la tradition des anciens », au point d'omettre les ablutions cérémonielles des mains avant de manger ; les critiques pharisaïques s'offusquèrent et vinrent exiger des explications et une justification si pareille chose était possible. Marc nous dit que les disciples furent accusés d'avoir mangé avec des mains « impures », et il interpole la note concise et lucide suivante concernant la coutume que les disciples avaient l'audace d'ignorer : « Or, les Pharisiens et tous les Juifs ne mangent pas sans s'être soigneusement lavé les mains, parce qu'ils tiennent à la tradition des anciens. Et, quand ils reviennent de la place publique, ils ne mangent qu'après avoir fait les aspersions (rituelles). Ils ont encore beaucoup d'autres observances traditionnelles, comme le lavage des coupes, des cruches et des vases de bronze. » Il faut garder à l'esprit que l'offense dont les disciples étaient accusés était celle de l'impureté cérémonielle, pas de l'impureté physique ou de la négligence de l'hygiène ; on disait qu'ils avaient mangé avec des mains impures, mais pas précisément avec des doigts sales. Les Juifs insistaient pour que l'on appliquât scrupuleusement toutes les pratiques externes de leur religion humaine ; il fallait se protéger soigneusement de toute possibilité de se souiller cérémoniellement, et il fallait en contrecarrer les effets par les ablutions prescrites [4].
 
À la question : « Pourquoi tes disciples transgressent-ils la tradition des anciens ? Car ils ne se lavent pas les mains, quand ils prennent leur pain », Jésus ne répondit pas directement et répliqua en demandant : « Et vous, pourquoi transgressez-vous le commandement de Dieu au profit de votre tradition ? » Dans l'esprit des Pharisiens ce dut être là une réprimande très violente, car le rabbinisme prétendait que se conformer rigoureusement aux traditions des anciens était plus important qu'observer la loi elle-même ; et Jésus, dans sa question-réponse, montrait que leurs chères traditions étaient en conflit direct avec le commandement de Dieu. Augmentant leur déconfiture, il cita la prophétie d'Ésaïe et leur appliqua les paroles du prophète, à eux qu'il appelait hypocrites : « Ésaïe a bien prophétisé sur vous, ainsi qu'il est écrit :
 
« Ce peuple m'honore des lèvres, mais son coeur est très éloigné de moi. C'est en vain qu'ils me rendent un culte, en enseignant des doctrines (qui ne sont que) préceptes humains. »
 
Avec une sévérité méritée, Jésus fit porter directement la leçon sur leur conscience, déclarant qu'ils avaient mis de côté les commandements de Dieu afin de suivre les traditions des hommes.
 
Après cette affirmation accusatrice, vint la citation d'un exemple indéniable : Moïse avait exprimé le commandement direct de Dieu en disant : « Honore ton père et ta mère » et avait proclamé comme suit le châtiment prescrit dans les cas extrêmes de mauvaise conduite vis-à-vis des parents : « Celui qui maudira son père ou sa mère sera puni de mort [5] » ; mais cette loi, bien que donnée directement par Dieu à Israël, avait été si complètement remplacée que n'importe quel fils ingrat et méchant pouvait trouver un moyen facile, que leurs traditions rendaient légal, d'échapper à toute obligation filiale, même si ses parents étaient dans le dénuement. Si un père ou une mère dans le besoin demandait de l'aide à un fils, celui-ci n'avait qu'à dire : Ce dont j'aurais pu t'assister est corban - ou en d'autres termes, un don destiné à Dieu, et il était considéré légalement exempté de toute obligation de donner une partie de ce bien pour entretenir ses parents [6]. D'autres obligations pouvaient être contournées de la même manière. Déclarer qu'un article quelconque de biens fonciers ou personnels, ou une partie ou proportion quelconque de ses possessions était « corban », était considéré comme une affirmation que le bien ainsi caractérisé était consacré au temple, ou du moins était destiné à être consacré à des buts ecclésiastiques et serait finalement remis aux fonctionnaires, bien que le donateur pût continuer à en garder la possession pendant une période déterminée, s'étendant même jusqu'à la fin de sa vie. Les biens étaient souvent déclarés « corban » pour d'autres buts que la consécration à l'usage ecclésiastique. Ces traditions établies, bien que totalement illégales et pernicieuses, avaient pour résultat, comme Jésus le déclara avec force aux Pharisiens et aux scribes, de rendre nulle la parole de Dieu, et il ajouta : « vous faites bien d'autres choses semblables ».
 
Se détournant de ses nobles visiteurs, il réunit le peuple et lui proclama la vérité, comme suit : « Écoutez-moi tous et comprenez. Il n'est rien qui du dehors entre dans l'homme qui puisse le rendre impur ; mais ce qui sort de l'homme, voilà ce qui le rend impur. Si quelqu'un a des oreilles pour entendre, qu'il entende. » Cela était directement en conflit avec le précepte et la pratique rabbiniques ; les Pharisiens furent offensés, car ils avaient dit que manger avec des mains qui n'étaient pas rituellement purifiées, c'était souiller la nourriture touchée, et par conséquent devenir encore plus souillé de la nourriture ainsi rendue impure.
 
Les apôtres n'étaient pas certains de bien comprendre la leçon du Maître. Bien que présentée dans un langage clair et non figuré, elle ressemblait beaucoup à une parabole pour certains d'entre eux, et Pierre demanda un exposé. Le Seigneur expliqua que la nourriture que l'on mange ne fait que temporairement partie du corps : ayant rempli son but, à savoir nourrir les tissus et fournir l'énergie à l'organisme, elle est éliminée ; par conséquent la nourriture qui entre dans le corps par la bouche n'a qu'une importance réduite et transitoire, si on la compare aux paroles qui sortent de la bouche, car celles-ci, si elles sont mauvaises, souillent réellement. Comme Jésus l'exposa : « Ce qui sort de la bouche provient du cœur, et c'est ce qui rend l'homme impur. Car c'est du cœur que viennent les mauvaises pensées, meurtres, adultères, prostitutions, vols, faux témoignages, blasphèmes. Voilà ce qui souille l'homme ; mais manger sans s'être lavé les mains, cela ne rend pas l'homme impur » [7].
 
Certains des disciples demandèrent à Jésus s'il savait que les Pharisiens avaient été scandalisés de ce qu'il disait ; sa réponse fut une nouvelle dénonciation du pharisaïsme. « Toute plante qui n'a pas été plantée par mon Père céleste sera déracinée. Laissez-les : ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles. Si un aveugle conduit un aveugle, ils tomberont tous deux dans une fosse. » Il ne pouvait pas y avoir de compromis entre sa doctrine du royaume et le judaïsme corrompu de l'époque. Les dirigeants complotaient contre sa vie ; si leurs émissaires décidaient de s'offenser de ses paroles, qu'ils s'offensent et en subissent les conséquences ; mais bénis seraient-ils s'ils n'étaient pas offensés à cause de lui [8]. Il n'avait pas de mesures de conciliation à offrir à ceux dont l'incapacité de comprendre ce qu'il voulait dire était le résultat d'une obstination volontaire ou de ténèbres de l'esprit provenant de leur persistance à pécher.
 
SUR LE TERRITOIRE DE TYR ET DE SIDON [9]
 
Incapable de trouver en Galilée du repos, de la solitude ou l'occasion convenable d'instruire les Douze comme il désirait le faire, Jésus partit avec eux vers le nord et se rendit sur la côte ou le territoire de la Phénicie, région communément connue du nom de ses villes principales, Tyr et Sidon. Le groupe prit pension dans des petites villes proches de la frontière ; mais la tentative de trouver de l'intimité était futile, car le Maître « ne put rester caché ». Sa réputation l'avait précédé au-delà des frontières du pays d'Israël. En des occasions précédentes, des gens de la région de Tyr et de Sidon s'étaient trouvés parmi les auditeurs, et certains d'entre eux avaient été bénis de sa miséricorde guérisseuse [10].
 
Une femme, apprenant sa présence dans son pays, vint demander une faveur. Marc nous dit qu'elle était grecque, ou plus littéralement qu'elle faisait partie des Gentils [11] qui parlaient grec ; elle était Syrophénicienne de nationalité ; Matthieu dit que c'était « une femme cananéenne » ; ces déclarations s'accordent puisque les Phéniciens descendaient des Cananéens. Les historiens évangéliques déclarent clairement que cette femme était de naissance païenne ; et nous savons que parmi les peuples ainsi classés, les Juifs avaient un mépris particulier pour les Cananéens. La femme s'adressa à Jésus, s'écriant : « Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David ! Ma fille est cruellement tourmentée par le démon. » Ses paroles exprimaient immédiatement sa foi en la puissance du Seigneur et tout un amour de mère, car elle implorait comme si elle était la patiente affligée. Le fait qu'elle appelât Jésus Fils de David montre qu'elle croyait qu'il était le Messie d'Israël. Tout d'abord Jésus s'abstint de lui répondre. Ne se laissant pas décourager, elle n'en plaida que davantage, jusqu'à ce que les disciples suppliassent le Seigneur, disant : « Renvoie-la, car elle crie derrière nous. » Leur intervention était probablement une intercession en sa faveur ; on pouvait la calmer en lui accordant ce qu'elle demandait ; pour le moment, elle faisait une scène indésirable, probablement dans la rue, et les Douze savaient bien que leur Maître cherchait le calme. Jésus leur dit : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël », et cette remarque dut leur rappeler la restriction qui leur avait été faite lorsqu'ils avaient été envoyés [12].
 
La femme, dont le désir était si importun, s'approcha, entrant peut-être dans la maison ; elle tomba aux pieds du Seigneur et l'adora, suppliant pitoyablement : « Seigneur, viens à mon secours ! » Jésus lui dit : « Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants, et de le jeter aux petits chiens. » [La version du roi Jacques dit : « Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants, et de le jeter aux chiens », traduction moins précise que la version de Segond et qui explique le commentaire que l'auteur en fait dans les lignes suivantes, ndt]. Les mots, aussi durs qu'ils puissent sonner à nos oreilles, elle les comprit dans l'esprit de l'intention du Seigneur. Le terme original traduit ici [dans la version du roi Jacques, ndt] par « chiens » indiquait, comme le montre le récit, non pas les chiens des rues errants et méprisés dont il est parlé ailleurs dans la Bible et qui symbolisent un état dégradé ou une perversité réelle [13], mais plutôt les « petits chiens » [terme employé dans la version Segond, ndt] ou animaux domestiques, que l'on laissait entrer dans la maison et sous la table. Il est certain que la femme ne s'offensa pas de cette comparaison et n'y trouva aucun qualificatif grossier. À l'instant même elle adopta l'analogie et l'appliqua dans ce qui était à la fois un argument et une supplication [14]. « Oui, Seigneur, dit-elle, pourtant les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres » ; ou pour employer les termes de la version de Marc : « Oui, Seigneur, mais les petits chiens sous la table mangent les miettes des enfants. » Sa prière fut immédiatement exaucée ; car Jésus lui dit : « O femme, ta foi est grande, qu'il te soit fait comme tu le veux. Et, à l'heure même, sa fille fut guérie. » Marc souligne que le Seigneur apprécia tout spécialement son plaidoyer final, et ajoute : « Et quand elle rentra dans sa maison, elle trouva que l'enfant était étendue sur le lit, et que le démon était sorti. » La persistance de la femme, dont on peut la féliciter, était basée sur la foi qui surmonte les obstacles apparents et persiste même dans le découragement. Et son cas rappelle la leçon que le Seigneur enseigna lors d'une autre occasion par l'histoire de la veuve importune [15].
 
Beaucoup ont demandé pourquoi Jésus retarda sa bénédiction. Il se peut que nous ne soyons pas à même de sonder ses desseins, mais nous voyons que, par le procédé qu'il adopta, la foi de la femme fut démontrée et les disciples furent instruits. Jésus lui fit comprendre qu'elle ne faisait pas partie du peuple élu à qui il avait été envoyé ; mais ses paroles préfiguraient le moment où l'Évangile serait donné à tous, tant Juif que Gentil : « Laisse d'abord les enfants se rassasier », avait-il dit. Le Christ ressuscité devait être révélé à toutes les nations [16] ; toutefois son ministère personnel en tant que mortel, ainsi que celui des apôtres tandis qu'il était avec eux dans la chair, s'adressait à la maison d'Israël [17].
 
DANS LE TERRITOIRE DE LA DÉCAPOLE [18]
 
On ne nous dit pas combien de temps Jésus et les Douze demeurèrent dans le pays de Tyr et de Sidon, ni quelles parties de la région ils traversèrent. De là ils s'en allèrent dans la région voisine de la mer de Galilée, à l'est, « en traversant la contrée de la Décapole » [19]. Bien que se trouvant encore parmi les populations semi-païennes, notre Seigneur fut accueilli par de grandes foules, parmi lesquelles se trouvaient beaucoup de paralytiques, d'aveugles, de muets, de mutilés et de gens affligés d'autres manières encore ; et il les guérit. Grand fut l'étonnement de cette foule d'étrangers, « en voyant les sourds-muets parler, les estropiés trouver la santé, les boiteux marcher, les aveugles voir ; et elle glorifiait le Dieu d'Israël ».
 
Parmi les nombreuses personnes qui furent guéries il y en avait une dont il est spécialement fait mention. C'était un homme qui était sourd et qui avait des difficultés à parler. Le peuple demanda au Seigneur d'imposer les mains à l'homme ; mais Jésus le mena à l'écart de la multitude, mit les doigts dans les oreilles de l'homme, cracha et toucha la langue de l'homme ; puis levant les yeux en prière et soupirant pendant ce temps-là, il exprima un commandement en araméen : « Éphphata, c'est-à-dire : ouvre-toi. Aussitôt ses oreilles s'ouvrirent, sa langue se délia, et il se mit à parler correctement. » La manière dont il produisit cette guérison différait de nouveau du mode habituel dont se faisaient les guérisons de notre Seigneur. Il se peut qu'en touchant les oreilles fermées et la langue liée, le Maître ait fortifié la foi de l'homme en lui et augmenté sa confiance en sa puissance. Il fut interdit au peuple de communiquer ce dont il avait été témoin ; mais plus l'ordre était sévère, plus il publiait la nouvelle. Sa conclusion sur Jésus et ses œuvres était : « Il fait tout à merveille, il fait même entendre les sourds et parler les muets. »
 
UN AUTRE REPAS DANS LE DÉSERT, PLUS DE QUATRE MILLE PERSONNES NOURRIES [20]
 
Pendant trois jours, les foules réjouies demeurèrent avec Jésus et les apôtres. Camper à cette époque et dans cette région n'exposait pas à de grandes épreuves par suite du climat. Cependant ils n'avaient plus de nourriture, et beaucoup d'entre eux étaient loin de chez eux. Jésus eut compassion du peuple et répugna à le renvoyer jeûnant, de peur qu'il ne faiblit en chemin. Lorsqu'il parla de la question aux disciples, ils déclarèrent qu'il était impossible de nourrir un si grand nombre de personnes, car la quantité tout entière de nourriture dont on disposait ne se composait que de sept pains et de quelques petits poissons. Avaient-ils oublié l'événement précédent où une multitude plus grande encore avait été nourrie et rassasiée avec cinq pains seulement et deux petits poissons ? Nous croyons plutôt que les disciples se souvenaient bien mais estimaient qu'il était au-delà de leur devoir ou de leur droit de proposer au Maître de répéter les miracles. Mais le Maître commanda, et le peuple s'assit par terre. Bénissant et répartissant les maigres provisions comme il l'avait fait, il donna aux disciples et ils distribuèrent à la multitude. Quatre mille hommes, outre les femmes et les enfants, furent abondamment nourris ; et il resta assez de la nourriture rompue mais non mangée pour remplir sept paniers. Sans aucun semblant de l'enthousiasme turbulent qui avait suivi la première multiplication pour les cinq mille personnes, cette multitude se dispersa tranquillement et rentra chez elle, reconnaissante et doublement bénie.
 
NOUVEAU SIÈGE DES CHERCHEURS DE MIRACLE [21]
 
Jésus et les apôtres retournèrent par bateau vers la côte occidentale du lac et abordèrent près de Magdala et Dalmanoutha.
 
On pense que ces villes étaient si proches l'une de l'autre que la dernière était virtuellement un faubourg de la première. C'est là que le groupe rencontra les Pharisiens toujours vigilants qui, en cette occasion, étaient accompagnés de leurs rivaux ordinairement hostiles, les Sadducéens. Le fait que les deux parties avaient temporairement mis de côté leurs différends mutuels et avaient combiné leurs forces dans la cause commune de l'opposition au Christ est une preuve que les autorités ecclésiastiques étaient bien décidées à trouver quelque chose à redire contre lui, et si possible, à le mettre à mort. Leur but immédiat était de continuer à écarter le commun du peuple de lui, et de contrecarrer l'influence de ses anciens enseignements auprès des masses. Ils lui retendirent le vieux piège de lui demander un signe surnaturel prouvant qu'il était le Messie, bien qu'ils eussent déjà, eux ou d'autres de leur espèce, tenté par trois fois de le prendre au piège et qu'ils eussent été trois fois déjoués [22]. Avant eux, Satan en personne avait essayé lui-même et avait échoué [23]. Il répondit à leur nouvelle demande impertinente et impie par un refus bref et final et dénonça leur hypocrisie par la même occasion. Voici quelle fut sa réponse : « [Le soir, vous dites : Il fera beau, car le ciel est rouge ; et le matin : Il y aura de l'orage aujourd'hui, car le ciel est d'un rouge sombre. Vous savez discerner l'aspect du ciel et vous ne pouvez discerner les signes des temps.] Une génération mauvaise et adultère recherche un signe ; il ne lui sera donné d'autre signe que celui de Jonas. Puis il les laissa et s'en alla » [24]. 
 
LE LEVAIN DES PHARISIENS ET DES SADDUCÉENS [25]
 
Se trouvant de nouveau avec les Douze sur l'eau, puisqu'il n'y avait pas moyen de trouver sur la côte galiléenne ni la paix, ni l'occasion d'enseigner efficacement, Jésus dirigea le bateau vers le rivage du nord-est. Lorsqu'ils furent au large, il dit à ses compagnons : « Gardez-vous attentivement du levain des Pharisiens et des Sadducéens », et, comme l'ajoute Marc : « Et du levain d'Hérode. » Dans leur départ précipité, les disciples avaient oublié de prendre des réserves de nourriture ; ils n'avaient avec eux qu'un seul pain. Ils interprétèrent ses paroles au sujet du levain comme une allusion au pain, et peut-être comme un reproche pour leur négligence. Jésus les réprimanda, leur disant qu'ils avaient peu de foi pour penser à ce moment-là à du pain matériel et rafraîchit leur mémoire à propos des miracles par lesquels les multitudes avaient été nourries, pour que leur manque de pain ne les trouble plus. Finalement ils purent comprendre que l'avertissement du Maître était dirigé contre les fausses doctrines des Pharisiens et celles des Sadducéens et contre les aspirations politiques des Hérodiens comploteurs [26].
 
Le groupe quitta le bateau près de l'emplacement de la première multiplication des pains et se dirigea vers Bethsaïda Julias. On amena un aveugle, et on demanda à Jésus de le toucher. Il prit l'aveugle par la main, le conduisit en dehors de la ville, appliqua de la salive sur ses yeux, lui imposa les mains et lui demanda s'il pouvait voir. L'homme répondit qu'il voyait vaguement, mais il était incapable de distinguer les hommes des arbres. Appliquant les mains sur les yeux de l'homme, Jésus lui dit de lever les yeux ; l'homme s'exécuta et vit clairement. Lui ordonnant de ne pas entrer dans la ville ni de dire à quiconque dans le pays qu'il avait été délivré de la cécité, le Seigneur le renvoya plein de joie. Ce miracle présente le trait unique où l'on voit Jésus guérir une personne par étapes ; le résultat de la première intervention ne fut qu'une guérison partielle. Aucune explication de ce détail exceptionnel ne nous est donnée.
 
« TU ES LE CHRIST » [27]
 
Accompagné des Douze, Jésus poursuivit son chemin vers le nord jusqu'au voisinage ou « territoire » de Césarée de Philippe, ville intérieure située près de la source orientale et principale du Jourdain, et près du pied du mont Hermon [28]. Le voyage lui fournit l'occasion de donner des enseignements particuliers et confidentiels aux apôtres. Jésus leur demanda : « Au dire des gens, qui suis-je, moi, le Fils de l'homme ? » Ils lui répondirent en rapportant les rumeurs et les imaginations populaires qui étaient venues à leur attention. Certaines personnes, partageant les craintes superstitieuses qu'éprouvait le coupable Hérode Antipas, disaient que Jésus était Jean-Baptiste revenu à la vie, bien que pareille croyance n'aurait pas pu être nourrie sérieusement par beaucoup de personnes, puisqu'on savait que Jean et Jésus avaient été contemporains. D'autres disaient qu'il était Élie, d'autres encore suggéraient qu'il était Jérémie ou l'un des anciens prophètes d'Israël. Il est significatif que parmi toutes les conceptions que les gens avaient de l'identité de Jésus, rien ne permet de penser qu'on le croyait être le Messie. Il ne s'était montré ni par la parole, ni par l'action, à la hauteur des conceptions populaires et traditionnelles du Sauveur et Roi d'Israël attendu. On n'avait pas manqué de manifester de manière fugitive l'espoir éphémère qu'il pût s'avérer être le Prophète attendu, semblable à Moïse, mais toutes ces conceptions naissantes avaient été neutralisées par l'activité hostile des Pharisiens et ceux de leur espèce. Pour eux, il s'agissait de s'attacher de toutes leurs forces au plan pervers de conserver dans l'esprit du peuple l'idée d'un Messie encore futur et non présent.
 
Avec une solennité profonde, Jésus soumit les Douze à l'épreuve cruciale à laquelle ils avaient été inconsciemment préparés au cours de nombreux mois d'association étroite et privilégiée avec leur Seigneur, en leur demandant : « Mais vous, qui dites-vous que je suis ? » Répondant pour tout le monde, mais témoignant plus particulièrement de sa propre conviction, Pierre exprima, de toute la ferveur de son âme, la grande confession : « Tu es le Christ, le Fils de Dieu vivant. » Ce n'était pas l'aveu d'une simple croyance, l'expression d'une conclusion à laquelle il était parvenu par un processus mental, ni la solution d'un problème laborieusement résolu, ni un verdict basé sur le soupesage de preuves ; il parlait avec la connaissance sûre qui n'admet aucune question et de laquelle le doute et les réserves sont aussi éloignés que le ciel l'est de la terre.
 
« Jésus reprit la parole, lui dit : Tu es heureux, Simon, fils de Jonas ; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. » La connaissance de Pierre, qui était également celle de ses frères, était d'une espèce différente de tout ce que l'homme peut découvrir par lui-même ; c'était un don divin, en comparaison duquel la sagesse humaine n'est que folie et les trésors de la terre que du rebut. S'adressant encore au premier apôtre, Jésus continua : « Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront pas contre elle. je te donnerai les clefs du royaume des cieux : Ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. »
 
C'était par révélation directe de Dieu que Pierre savait que Jésus était le Christ ; et c'était sur la révélation, roc d'une fondation assurée, que l'Église du Christ devait être édifiée [29]. Les pluies diluviennes pouvaient tomber, les torrents pouvaient déferler, les vents faire rage et battre ensemble cet édifice, il ne tomberait pas, ne pourrait pas tomber, car il était fondé sur le roc [30] et même les puissances de l'enfer seraient incapables de prévaloir contre lui. Ce n'est que par la révélation que l'Église de Jésus-Christ pouvait ou peut être édifiée ou entretenue ; et la révélation implique nécessairement des révélateurs par l'intermédiaire desquels la volonté de Dieu vis-à-vis de son Église puisse être connue. Le témoignage de Jésus, don de Dieu, entre dans le cœur de l'homme. Ce principe était contenu dans les enseignements du Maître à Capernaüm, lorsqu'il dit que nul ne pouvait venir à lui si le Père ne l'amenait [31]. Quand le Seigneur promit qu'il donnerait à Pierre « les clefs du royaume des cieux », cette promesse comprenait le principe de l'autorité divine dans la sainte prêtrise et de l'autorité de la présidence. Les allusions à des clefs pour symboliser le pouvoir et l'autorité ne sont pas rares dans la littérature juive, et on les comprenait bien à cette époque ; elles sont très courantes aujourd'hui [32]. Les analogies que l'on trouve dans les idées de lier et de délier en parlant d'actes officiels étaient d'usage à l'époque, comme elles le sont maintenant, en particulier à propos des fonctions judiciaires. La présidence de Pierre parmi les apôtres se manifesta abondamment et fut généralement reconnue après la fin de la vie mortelle de notre Seigneur. C'est ainsi que c'est lui qui parla en faveur des Onze lors de la réunion d'officiers au cours de laquelle on choisit un successeur au traître Iscariot ; il fut le porte-parole de ses frères lors de la conversion, à la Pentecôte ; c'est lui qui ouvrit les portes de l'Église aux Gentils [33] et son office de dirigeant apparaît clairement pendant toute la période apostolique.
 
La confession par laquelle les apôtres reconnurent qu'ils acceptaient Jésus comme le Christ, Fils du Dieu vivant, était la preuve qu'ils avaient réellement l'esprit du saint apostolat, par lequel ils étaient devenus témoins spéciaux de leur Seigneur. Le moment de proclamer leur témoignage partout n'était cependant pas arrivé ; et il n'arriva que lorsque le Christ fut sorti de la tombe, Personnage ressuscité et immortalisé. Pour le moment ils reçurent l'ordre « de ne dire à personne qu'il était le Christ ». Si Jésus avait été proclamé être le Messie, surtout si cette proclamation était faite par les apôtres que l'on savait publiquement être ses disciples et ses associés les plus intimes, ou si le Messie avait déclaré lui-même son titre, cela aurait aggravé l'hostilité des dirigeants, qui était déjà devenue une intervention grave sinon une menace réelle au ministère du Sauveur ; et il aurait aisément pu en résulter des soulèvements séditieux contre le gouvernement politique de Rome. On trouve une raison plus profonde encore pour expliquer la discrétion recommandée aux Douze, si l'on pense que la nation juive n'était pas prête à accepter son Seigneur ; il y aurait moins de culpabilité à l'ignorer par manque de connaissance certaine qu'à la rejeter ouvertement. La mission spéciale des apôtres à une époque alors future était de proclamer à toutes les nations Jésus, le Christ crucifié et ressuscité.
 
Cependant, dès le moment de la confession de Pierre, Jésus instruisit les Douze plus clairement et avec une plus grande intimité concernant les événements futurs de sa mission, en particulier en ce qui touchait la mort qui lui était réservée. Il avait déjà, en d'autres occasions, fait allusion devant eux à la croix et à sa mort proche, à sa sépulture et à son ascension ; mais dans chaque cas l'allusion avait été, dans un certain sens, figurée, et ils ne l'avaient saisie qu'imparfaitement ou peut-être pas du tout. Mais maintenant, il commença à montrer, et par la suite leur expliqua clairement, « qu'il lui fallait aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des principaux sacrificateurs et des scribes, être mis à mort et ressusciter le troisième jour ».
 
Pierre fut choqué de cette déclaration sans réserve, et, cédant à une impulsion, sermonna Jésus, ou, comme deux des évangélistes le déclarent, « se mit à lui faire des reproches », allant jusqu'à dire : « Cela ne t'arrivera pas » [34]. Le Seigneur l'invectiva avec un violent reproche : « Arrière de moi, Satan ! Tu es pour moi un scandale, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Les paroles de Pierre constituaient un appel à l'élément humain de la nature du Christ, et les sentiments sensibles de Jésus furent blessés par cette proposition d'être infidèle à la mission qui lui avait été confiée, provenant de l'homme qu'il venait d'honorer d'une manière si insigne quelques moments auparavant, ne comprenant qu'imparfaitement les desseins profonds de Dieu. Bien que méritée, la réprimande qu'il reçut était sévère. Le commandement : « Arrière de moi, Satan », était identique à celui qu'il avait utilisé contre le grand tentateur lui même, qui avait cherché à détourner Jésus du sentier sur lequel il s'était engagé [35], et dans les deux cas la provocation était à certains points de vue semblable : la tentation d'éviter le sacrifice et la souffrance, bien que ce fût la rançon du monde, et de suivre une voie plus confortable [36]. Les paroles puissantes de Jésus montrent l'émotion profonde que la tentative inopportune de Pierre de conseiller sinon de tenter son Seigneur avait provoquée. Outre les Douze qui entouraient immédiatement la personne du Seigneur, d'autres personnes se trouvaient là tout près ; il semble que même dans ces lieux isolés, très éloignés du territoire de la Galilée - lieu de résidence d'une population païenne, à laquelle cependant beaucoup de Juifs étaient mêlés - le peuple s'était assemblé autour du Maître. C'est lui qu'il réunit alors, et il lui dit ainsi qu'aux disciples : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive. » Ici de nouveau l'image terrifiante de la croix revenait au premier plan. Il ne restait pas l'ombre d'une excuse pour penser que la dévotion au Christ ne signifierait pas l'abnégation et les privations. Celui qui voulait sauver sa vie au prix du devoir, comme Pierre venait de le suggérer au Christ, la perdrait certainement dans un sens pire que celui de la mort physique ; tandis que celui qui restait disposé à perdre tout, jusqu'à la vie elle même, trouverait la vie qui est éternelle.
 
Pour prouver la qualité de ses enseignements, Jésus prononça ce qui est devenu un aphorisme inspirant sur la vie : « Et que servira-t-il à un homme de gagner le monde entier, s'il perd son âme ? Ou que donnera un homme en échange de son âme ? » Quiconque a honte du Christ à cause de son humble situation, ou par crainte que l'on ne soit offensé de ses enseignements, verra que le Fils de l'homme, lorsqu'il viendra dans la gloire du Père, accompagné de cohortes d'anges, aura honte de cet homme. Le récit de ce jour mémorable dans la vie du Sauveur se termine par sa promesse bénie : « En vérité je vous le dis, quelques-uns de ceux qui se tiennent ici ne goûteront point la mort, qu'ils n'aient vu le Fils de l'homme venir dans son règne » [37]. 
 
 [1] Jn 6:4. Note 1, fin du chapitre.
 [2] Mc 12:37.
 [3] Mt 15:1-9, Mc 7:1-13.
 [4] Note 2, fin du chapitre.
 [5] Cf. Ex 20:12, Dt 5:16, Ex 21:17, Lv 20:9.
 [6] Note 3, fin du chapitre.
 [7] Mt 15:10-20 ; cf. Mc 7:14-23.
 [8] Mt 11:6 ; Lc 7:23 ; Chap. 18 du présent ouvrage et notes.
 [9] Mt 15:21-28, Mc 7:24-30.
 [10] Mc 3:8, Lc 6:17.
 [11] Voir chap. 21, note 2.
 [12] Mt 10:5, 6 ; voir aussi chap. 21 du présent ouvrage.
 [13] Dt 23:18, 1 S 17:43, 21:14, 2 S 3:8, 16:9, Job 30: 1, Mt 7:6, Ph 3:2, Ap 22:15.
 [14] Note 4, fin du chapitre.
 [15] Lc 18:1-8. Chap. 26 du présent ouvrage.
 [16] Mt 28:19, Mc 16:15.
 [17] Ac 3:25, 26, 13:46-48, Rm 15:8.
 [18] Mc 7:31-37 ; cf. Mt 15:29-31.
 [19] Note 5, fin du chapitre.
 [20] Mt 15:32-39, Mc 8:1-9.
 [21] Mt 15:29,16:1-5, Mc 8:10-13.
 [22] Jn 2:18, 6:30, Mt 12:38.
 [23] Mt 4:6, 7, Lc 4:9-12.
 [24] Mt 16:2-4 ; cf. 12:38-41. Chap. 12 du présent ouvrage.
 [25] Mt 16:6-12, Mc 8:14-21 ; cf. Lc 12:1.
 [26] Chap. 6.
 [27] Mt 16:13-20, Mc 8:27-30, Lc 9:18-21. Note 10, fin du chapitre.
 [28] Note 6, fin du chapitre.
 [29] Note 7, fin du chapitre.
 [30] Cf. Mt 7:24, 25
 [31] Jn 6:46 ; cf. versets 37, 39, 40.
 [32] Voir Es 22:22, Lc 11:52, Ap 1:18, 3:7 ; cf. D&A 6:28, 7:7, 27:5, 6, 9, 28:7, 42:69, 84:26, etc.
 [33] Ac 1: 15-26, 2:14-40 ; chap. 10, cf. 15:7.
 [34] Mt 16:22, 23, Mc 8:32, 33.
 [35] Lc 4:8.
 [36] Note 8, fin du chapitre.
 [37] Note 9, fin du chapitre.
 
NOTES DU CHAPITRE 22
 
1. Célébrations de la Pâque comprises dans la période du ministère public de notre Seigneur : Les dates auxquelles des actes déterminés se produisent dans le ministère de Jésus sont difficiles sinon impossibles à fixer, sauf dans quelques cas ; et comme nous l'avons dit et répété jusqu'à présent, même l'ordre des événements est incertain. On se souviendra que Jésus était à Jérusalem à l'époque de la Pâque peu après son baptême, et que lors de cette visite il débarrassa de force les cours du temple des trafiquants et de leurs biens. C'est ce que l'on appelle la première Pâque de la vie publique de Jésus. Si la « fête des Juifs » à laquelle Jean fait allusion (5:1) était une Pâque, comme beaucoup de spécialistes de la Bible le soutiennent, elle marqua la fin de l'année qui suivit la purification du temple ; on l'appelle dans les discours et dans la littérature la deuxième Pâque du ministère de notre Seigneur. Puis la Pâque aux environs de laquelle Jésus multiplia les pains (Jn 6:4) serait la troisième et marquerait l'expiration de deux ans et une fraction depuis le baptême de Jésus ; elle marque certainement le commencement de la dernière année de la vie du Sauveur sur la terre.
 
2. Ablutions cérémonielles : Les nombreuses ablutions requises par la coutume juive à l'époque du Christ étaient, on le reconnaît, dues au rabbinisme et à « la tradition des anciens » et non conformes à la loi mosaïque. Dans certaines conditions, des ablutions successives étaient prescrites, et à propos de celles-ci nous trouvons des allusions aux « première », « deuxième » et « autres » eaux, la « deuxième eau » étant nécessaire pour rincer la « première eau », qui était devenue souillée par contact avec les mains « impures », et ainsi de suite avec les eaux ultérieures. Parfois il fallait plonger ou immerger les mains, d'autre fois il fallait les purifier en versant de l'eau dessus, et il était alors nécessaire de laisser couler l'eau jusqu'aux poignets ou aux coudes selon la mesure dont on était censé être souillé ; dans d'autres cas encore, comme le prétendaient les disciples du rabbi Chammaï, seul le bout des doigts, ou les doigts jusqu'aux articulations devaient être mouillés dans certaines circonstances particulières. Les lois pour la purification des récipients et du mobilier étaient détaillées et exigeantes ; des méthodes distinctes s'appliquaient respectivement aux récipients de terre, de bois et de métal. La crainte de se souiller les mains par mégarde conduisait à beaucoup de précautions extrêmes. Comme on savait que le Rouleau de la Loi, le Rouleau des Prophètes et d'autres Écritures, quand on les mettait de côté, étaient parfois touchés, griffés ou même rongés par des souris, on avait lancé un décret rabbinique selon lequel les saintes Écritures, ou une partie quelconque de celle-ci comprenant au moins quatre-vingt-cinq lettres (la section la plus courte de la loi ayant exactement ce nombre), souillaient les mains par simple contact. C'est ainsi que les mains devaient être purifiées cérémoniellement après avoir touché un exemplaire des Écritures, ou même un passage écrit de celles-ci.
 
Être émancipé de ces choses, et de « beaucoup d'autres choses semblables » devait, en effet, être un soulagement. Jésus offrit gratuitement au peuple d'échapper à cet esclavage en disant : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. Prenez mon joug sur vous et recevez mes instructions, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez du repos pour vos âmes. Car mon joug est aisé, et mon fardeau léger » (Mt 11:28-30).
 
3. « Corban », un don : La loi de Moïse prescrivait des lois relatives aux vœux (Lv 27, Nb 30). « Ces règles », dit l'auteur dans le Bible Dict, de Smith, « Ies traditionalistes les étendirent et prescrivirent qu'un homme pouvait s'interdire par voeu non seulement d'utiliser pour lui-même, mais de donner à un autre ou recevoir de lui un objet particulier, qu'il s'agit de nourriture ou d'une autre espèce quelconque. La chose ainsi interdite était considérée comme corban. On pouvait ainsi s'exempter de toutes obligations gênantes en plaidant corban. Notre Seigneur dénonça les pratiques de cette espèce (Mt 15:5 ; Mc 7:11) qui annulaient l'esprit de la loi. »
 
Matthieu 15:5 dit : « Mais vous, vous dites : Celui qui dira à son père ou à sa mère : Ce dont j'aurais pu t'assister est une oblation (à Dieu), n'est pas tenu d'honorer son père ou sa mère. » L'exposé suivant sur cette coutume pernicieuse apparaît dans le Commentary on The Holy Bible édité par Dummelow : « Corban », signifiant originellement un sacrifice ou un don à Dieu, était utilisé à l'époque du Nouveau Testament comme un simple mot exprimant un voeu, sans que cela implique que l'objet voué serait véritablement offert ou donné à Dieu. C'est ainsi qu'un homme disait : « Le vin est corban pour moi pendant telle période », voulant dire par là qu'il faisait voeu de s'abstenir de vin. Ou un homme pouvait dire à un ami : « Tout ce que je pourrais recevoir de profitable de toi est corban pour moi pendant telle période de temps », voulant dire par là que pendant l'époque spécifiée il faisait voeu de ne recevoir ni l'hospitalité ni aucun autre profit de son ami. De même, si un fils disait à son père ou à sa mère : « Tout ce dont j'aurais pu t'assister est corban », il faisait voeu de ne pas aider son père ou sa mère en aucune manière, quel que fût le besoin dans lequel ils se trouvassent. Les scribes considéraient qu'un voeu de cette espèce excusait un homme du devoir d'entretenir ses parents, et c'est ainsi que par leurs traditions ils annulaient la parole de Dieu. »
 
4. Les « chiens » qui mangent les miettes : La réponse ardente de la femme : « Oui Seigneur, pourtant les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres » (Mt 15:27), est commentée et paraphrasée comme suit par Trench (Notes on the Miracles, p. 271). « La traduction de sa réponse dans notre version [la version du roi Jacques, ndt] n'est pas cependant tout à fait satisfaisante. En effet la femme accepte la déclaration du Seigneur, non pour s'offenser immédiatement de la conclusion qu'il en tire, mais pour montrer comment cette déclaration même implique que sa demande doit être accordée. « Tu parles de petits chiens ? C'est bien ; j'accepte le titre et le lieu ; car les chiens ont leur part du repas - non pas la première, pas la ration des enfants, mais cependant une ration - les miettes qui tombent de la table du maître. En formulant ainsi l'affaire, tu nous amènes, nous les païens, tu m'amènes, moi, dans le cercle des bénédictions que Dieu, le Grand Maître de Maison, dispense constamment à sa famille. Nous appartenons, nous aussi, à sa maison, bien que nous n'y occupions que le lieu le plus bas. »
 
Le Commentary de Dummelow sur Mt 15:26 dit entre autres ceci : « Les rabbis disaient souvent des Gentils que c'étaient des chiens, par exemple : « Celui qui mange avec un idolâtre est comme celui qui mange avec un chien »... « Les nations du monde sont comparées à des chiens. » « La sainte convocation vous appartient, et non aux chiens. » Cependant Jésus, en adoptant l'expression méprisante l'adoucit légèrement. Il ne dit pas « chiens », mais « petits chiens », c'est-à-dire des chiens d'intérieur, et la femme saisit intelligemment l'expression, arguant que si les Gentils sont des chiens de maison, il n'est que juste qu'ils reçoivent en nourriture les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » Edersheim, se reportant au texte originel, dit : « Le terme signifie ‘petits chiens’, ou ‘chiens de maison’. »
 
5. La Décapole : Le nom signifie « les dix villes », et était appliqué à une région aux limites indéterminées qui se trouvait pour la plus grande partie à l'est du Jourdain et au sud de la mer de Galilée. Scythopolis, dont Josèphe (Guerres des Juifs, III, 9:7) dit qu'elle est la plus grande des dix villes, se trouvait sur la rive occidentale du fleuve. Les historiens ne sont pas d'accord sur les villes incluses dans ce nom. Les indications bibliques (Mt 4:25 ; Mc 5:20, 7:31) impliquent une région générale plutôt qu'un secteur déterminé.
 
6. Césarée de Philippe : Césarée de Philippe, ville située, comme le dit le texte, près du mont Hermon, à la source du Jourdain, avait été agrandie et embellie par Philippe le tétrarque, et c'est lui qui l'avait appelée Césarée en l'honneur de l'empereur romain. Elle fut appelée Césarée de Philippe pour la distinguer de la Césarée qui existait déjà sur la rive méditerranéenne de la Samarie, et que la littérature ultérieure appela la Césarée de Palestine. On pense que Césarée de Philippe est identique à l'antique Baal-Gad (Jos 11:17) et Baal-Hermon (Jg 3:3). Elle était connue comme lieu de culte idolâtre, et tandis qu'elle se trouvait sous la souveraineté grecque, elle était appelée Paneas d'après le nom de la divinité mythologique Pan. Voir Josèphe, Ant. XVIII, 2:1 ; cette désignation existe encore dans le nom arabe actuel du lieu, Banias.
 
7. Simon Pierre et le « roc » de la révélation : Simon, fils de Jonas, lors de la première entrevue que nous avons entre lui et Jésus, avait reçu des lèvres du Seigneur le nom titre distinctif de « Pierre » ou, en araméen, « Céphas » dont l'équivalent français est « rocher » ou « pierre » (Jn 1:42 ; voir également chap. 11). Le nom fut confirmé sur l'apôtre lors de l'événement que nous examinons maintenant (Mt 16:18). Jésus lui dit : « Tu es Pierre », ajoutant, « et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » Au cours de l'apostasie générale qui suivit l'ancien ministère apostolique, l'évêque de Rome prétendit à l'autorité suprême comme successeur direct supposé de Pierre ; et une doctrine erronée se répandit, disant que Pierre était la « pierre » sur laquelle l'Église du Christ était fondée. Nous ne pouvons entreprendre ici un examen détaillé de cette prétention illogique et infâme ; il suffit de dire que l'Église fondée par ou dépendant de Pierre ou d'un autre homme serait l'Église de Pierre ou de cet autre homme, et non l'Église de Jésus-Christ (voir La Grande apostasie, chap. 9, et LM, 3 Né 27:1-8 ; et le chapitre 40 du présent ouvrage). Nous ne mettons pas en doute le fait que c'est sur Pierre que reposait la responsabilité de présider dans le ministère après l'ascension du Christ ressuscité ; mais qu'il ait été, même symboliquement, le fondement sur lequel l'Église était édifiée, est à la fois non scripturaire et faux. L'Église de Jésus-Christ doit porter son nom avec autorité et être guidée par la révélation, directe et continue, comme le réclame l'état de sa construction. C'est la révélation que Dieu donne à ses serviteurs investis de la sainte prêtrise par ordination autorisée comme le fut Pierre qui est la « pierre » imprenable sur laquelle l'Église est édifiée (voir Articles de Foi, chapitre 16 - « La révélation »).
 
8. La réprimande du Christ à Pierre : En appelant Pierre « Satan », Jésus utilisait de toute évidence une puissante figure de rhétorique, et non une désignation littérale ; car Satan est un personnage distinct, Lucifer, fils déchu non incarné du matin (voir chap. 2) ; et Pierre n'était certainement pas lui. Dans son sermon ou sa « réprimande » qu'il adressa à Jésus, Pierre recommandait en réalité ce que Satan avait précédemment essayé de pousser le Christ à faire, c'est-à-dire qu'il tentait comme Satan lui-même avait tenté. Le commandement « Arrière de moi, Satan ! » que Jésus adressa à Pierre, certaines autorités le traduisent en anglais par « Arrière de moi, tentateur ». Le sens essentiel qui s'attache aux termes originaux hébreux et grecs de notre mot « Satan » est celui de l'adversaire, ou « quelqu'un qui se place en travers du chemin d'un autre et s'oppose ainsi à lui » (Zenos). L'expression « tu es pour moi un scandale » est considérée comme une traduction moins littérale que « tu m'es une pierre d'achoppement ». L'homme que Jésus appelait Pierre - « le roc » était maintenant comparé à une pierre dans le chemin, sur laquelle celui qui n'y prenait pas garde pouvait trébucher.
 
9. Certains vivront jusqu'à ce que le Christ revienne : La déclaration du Sauveur aux apôtres et à d'autres qui se trouvaient aux environs de Césarée de Philippe : « En vérité je vous le dis quelques-uns de ceux qui se tiennent ici ne goûteront point la mort, qu'ils n'aient vu le Fils de l'homme venir dans son règne » (Mt 16:28, comparer avec Mc 9: 1, Lc 9:27), a provoqué des commentaires nombreux et divers. L'événement auquel il est fait allusion, celui où le Fils de l'Homme viendra dans la gloire de son Père accompagné des anges, est encore à venir. Nous trouvons un accomplissement au moins partiel de la prédiction dans la prolongation de la vie de Jean l'apôtre, qui était présent, et qui vit encore dans la chair selon son désir (Jn 21:20-24, voir encore le LM, 3 Né 28:1-6, D&A sect. 7).
 
10. « Tu es le Christ » : La confession solennelle et fervente de Pierre que Jésus est le Christ est formulée d'une manière différente dans chacun des trois synoptiques. Pour beaucoup, la version la plus expressive est celle de Luc : « Le Christ de Dieu. » En d'autres occasions antérieures, certains des Douze ou tous avaient reconnu que Jésus-Christ était le Fils de Dieu, par exemple après le miracle où il marcha sur la mer (Mt 14:33), et encore, après le sermon crucial de Capernaüm (Jn 6:69), mais il est évident que la confession débordante et déférente de Pierre en réponse à la question « Mais vous, qui dites-vous que je suis ? » avait un sens plus grand dans son assurance et plus exalté dans son espèce que ne l'avait aucune expression antérieure de la conception qu'il se faisait de son Seigneur. Cependant même la conviction donnée par la révélation directe (Mt 16:17) n'impliquait pas à l'époque qu'il comprît parfaitement la mission du Sauveur. En effet, ce n'est qu'après la résurrection du Seigneur que les apôtres reçurent une plénitude de compréhension et d'assurance (comparer avec Rm 1:4). Néanmoins, le témoignage de Pierre dans le pays de Césarée de Philippe est la preuve d'une très grande évolution. À cette étape du ministère du Sauveur, proclamer publiquement son état divin, ç'aurait été jeter les perles devant les pourceaux (Mt 7:6), c'est pourquoi le Seigneur ordonna aux apôtres « de ne dire à personne qu'il était le Christ », à ce moment-là.
 
 
CHAPITRE 23 : LA TRANSFIGURATION
 
Les évangiles ne disent rien de la semaine qui suivit les événements que nous venons d'étudier. Nous pouvons supposer en toute sécurité que le temps se passa, du moins en partie, à poursuivre l'instruction des Douze relativement à la fin de la mission terrestre du Sauveur, laquelle approchait rapidement. Les apôtres répugnaient à croire possibles les événements terribles qui devaient l'accompagner. La semaine écoulée [1], Jésus prit Pierre, Jacques et Jean [2] et gravit avec eux une haute montagne, où ils pouvaient raisonnablement s'attendre à être à l'abri de toute intrusion humaine [3]. C'est là que les trois apôtres furent témoins d'une manifestation céleste qui n'a pas son égal dans l'histoire ; dans les en-têtes que nous trouvons dans nos Bibles on l'appelle la transfiguration du Christ [4].
 
L'un des buts de la retraite du Seigneur était de prier, et tandis qu'il priait, une investiture transcendante de gloire descendit sur lui. Les apôtres s'étaient endormis, mais ils furent éveillés par la splendeur extraordinaire de la scène et contemplèrent avec une crainte respectueuse leur Seigneur glorifié. « L'aspect de son visage changea, et son vêtement devint d'une éclatante blancheur. » Ses vêtements, bien que faits de tissu terrestre, « devinrent resplendissants et d'une telle blancheur qu'il n'est pas de blanchisseur sur terre qui puisse blanchir ainsi », « son visage resplendit comme le soleil ». C'est ainsi que Jésus fut transfiguré devant les trois témoins privilégiés.
 
Avec lui se trouvaient deux autres personnages qui étaient, eux aussi, dans un état de rayonnement glorifié et qui conversaient avec le Seigneur. Les apôtres apprirent, on ne nous dit pas comment, mais on peut supposer que ce fut d'après la conversation en cours, qu'il s'agissait de Moïse et Élie ; et le sujet de leur entretien avec le Christ était « son départ qui allait s'accomplir à Jérusalem ». Comme les prophètes visiteurs étaient sur le point de partir, « Pierre dit à Jésus : Rabbi il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. Il ne savait que dire ». Il ne fait aucun doute que Pierre et les autres apôtres étaient éperdus, « l'effroi les avait saisis » ; cette condition peut expliquer la suggestion de dresser des tentes. Il ne savait que dire ; cependant, bien que sa réflexion semble confuse et obscure, elle devient un peu plus claire quand nous nous souvenons que, lors de la fête annuelle des Huttes, il était de coutume d'ériger une petite tonnelle ou baraque de branches entrelacées pour chaque adorateur, dans laquelle il pouvait se retirer pour ses dévotions. Dans la mesure où l'on peut dire que la proposition de Pierre avait un but, il semble qu'il ait été de retarder le départ des visiteurs.
 
La solennité sublime et terrible de l'événement n'était pas encore parvenue à son plus haut point. Alors même que Pierre parlait, « une nuée lumineuse les enveloppa. Et voici qu'une voix sortit de la nuée qui disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection. Écoutez-le ! » C'était Élohim [5], le Père éternel, qui parlait ; et au son de la voix de la Majesté suprême, les apôtres tombèrent en prostration. Jésus vint les toucher, disant : « Levez-vous, soyez sans crainte ! » Lorsqu'ils regardèrent, ils virent qu'ils étaient de nouveau seuls avec lui.
 
L'impression que cette manifestation fit sur les trois apôtres devait être inoubliable ; mais ils reçurent l'ordre formel de n'en parler à personne avant que le Sauveur ne fût ressuscité d'entre les morts. Ils se demandaient ce que pouvait bien vouloir dire l'allusion du Seigneur à sa résurrection future. Ils avaient appris avec un profond chagrin, et c'est à contrecœur qu'ils en arrivaient à comprendre que c'était là une terrible certitude, qu'il fallait que leur Maître bien-aimé « souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, par les principaux sacrificateurs et par les scribes, qu'il soit mis à mort » [6] Cela leur avait déjà été déclaré en des termes sans ambiguïté et qui n'admettaient aucune interprétation figurée, et il leur avait été dit tout aussi clairement que Jésus ressusciterait, mais ils n'avaient qu'une compréhension vague de cette dernière éventualité. Il semble qu'après la répétition des enseignements qu'ils venaient d'entendre, les trois apôtres n'aient pas plus compris qu'auparavant la résurrection d'entre les morts de leur Seigneur. Ils semblent ne pas avoir eu d'idée claire de ce qu'une résurrection signifiait. « Ils retinrent cette parole, tout en discutant entre eux : Qu'est-ce que ressusciter d'entre les morts [7] ? »
 
L'ordre du Seigneur de ne parler à personne de leurs expériences sur la montagne jusqu'après sa résurrection d'entre les morts était tellement universel qu'il leur interdisait d'en informer même les autres membres des Douze. Plus tard, lorsque le Seigneur fut monté vers sa gloire, Pierre témoigna de cette expérience merveilleuse à l'Église en des termes puissants : « Ce n'est pas, en effet, en suivant des fables habilement conçues que nous vous avons fait connaître la puissance et l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, mais parce que nous avons vu sa majesté de nos propres yeux ; car il a reçu honneur et gloire de Dieu le Père, quand la gloire pleine de majesté lui fit entendre cette voix : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, objet de mon affection. Nous avons entendu cette voix venant du ciel, lorsque nous étions avec lui sur la sainte montagne » [8]. Et Jean, confessant respectueusement devant le monde la divinité de la Parole, le Fils de Dieu qui avait été fait chair pour demeurer parmi les hommes, affirma solennellement : « Et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du Père » [9].
 
Il peut être aussi impossible à l'esprit humain de comprendre l'objectif divin qui se manifesta dans la Transfiguration qu'il est impossible de se faire, à partir d'une description verbale, une idée parfaite de la splendeur qui accompagna cet événement ; cependant quelques aspects des résultats atteints sont clairs. Pour le Christ, la manifestation fut fortifiante et encourageante. La perspective des expériences qui allaient suivre immédiatement avait naturellement dû être déprimante et décourageante à l'extrême. En suivant fidèlement la voie de son œuvre, il était parvenu au bord de la vallée de l'ombre de la mort ; et la partie humaine de sa nature réclamait un délassement. De même que des anges avaient été envoyés le servir après l'épisode éprouvant du jeûne de quarante jours et de la tentation directe de Satan [10] et de même que, au moment où il agonisait, transpirant du sang, il allait de nouveau être soutenu par le ministère d'anges [11], de même, en cette période décisive, le commencement de la fin, des visiteurs venus du monde invisible vinrent le réconforter et le soutenir. Les évangiles du Nouveau Testament ne nous rapportent pas complètement ce qui fut dit lors de la rencontre de Jésus avec Moïse et Élie.
 
La voix de son Père, dont il était le Premier-né dans le monde spirituel et le Fils unique dans la chair, constituait une assurance suprême ; cependant cette voix s'était adressée aux trois apôtres plutôt qu'à Jésus, qui avait déjà été reconnu du Père et avait reçu son témoignage lors de son baptême. La version la plus complète des paroles que le Père adressa à Pierre, Jacques et Jean est celle que donne Matthieu : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection. Écoutez-le ! » Outre qu'elles proclamaient la nature divine du Fils, les paroles du Père étaient décisives et importantes d'une autre manière encore. Moïse, le promulgateur de la loi, et Élie, le représentant des prophètes, qui se distinguait tout particulièrement parmi eux du fait qu'il n'était pas mort [12], avaient été vus servir jésus et lui obéir. L'accomplissement de la loi et le remplacement des prophètes par le Messie fut attesté par le commandement : Écoutez-le ! Une nouvelle ère avait été établie, celle de l'Évangile, que la loi et les prophètes n'avaient fait que préparer. Les apôtres ne devaient se laisser guider ni par Moïse ni par Élie, mais par lui, leur Seigneur, Jésus-Christ.
 
Les trois apôtres choisis, « l'Homme de pierre et les fils du tonnerre » avaient vu le Seigneur en gloire ; et ils s'étonnèrent que pareille chose pût être à ce moment-là, puisque selon leur interprétation des Écritures, il avait été prédit qu'Élie précéderait l'avènement triomphal du Messie. En redescendant le flanc de la colline, ils demandèrent au Maître [13] : « Pourquoi donc les scribes disent-ils qu'Élie doit venir d'abord ? » Jésus confirma la prophétie qu'Élie devait venir d'abord, c'est-à-dire, avant l'avènement du Seigneur en gloire, événement qu'ils avaient à l'esprit. « Mais », ajouta-t-il, « je vous dis qu'Élie est déjà venu, qu'ils ne l'ont pas reconnu, et qu'ils l'ont traité comme ils l'ont voulu. De même le Fils de l'homme va souffrir de leur part. Les disciples comprirent alors qu'il leur parlait de Jean-Baptiste. » Le fait que Jean-Baptiste officierait « avec l'esprit et la puissance d'Élie », comme précurseur du Christ, c'est ce qu'avait annoncé Gabriel à Zacharie [14], avant la naissance du Baptiste ; et le fait que Jean était cet Élie en particulier, c'est ce que Jésus montra lorsqu'il fit son éloge mémorable de la fidélité et de la grandeur du Baptiste. Le contexte montre clairement qu'en général on n'accepterait ni ne comprendrait ses paroles. Jésus avait dit cette fois-là : « Et, si vous voulez l'admettre, c'est lui qui est l'Élie qui devait venir » [15]. 
 
Il est impossible que Jésus ait pu vouloir dire que Jean était la même personne qu'Élie, et le peuple n'aurait pas pu comprendre ses paroles de cette façon, puisque les Juifs rejetaient la fausse doctrine de la transmigration ou de la réincarnation des esprits [16]. La difficulté apparente disparaît quand nous considérons que le terme Élie, tel qu'il apparaît dans le Nouveau Testament, est utilisé sans essayer de faire la distinction entre Élie le Tichbite et une autre personne appelée Élias. La déclaration faite par Gabriel que Jean, qui n'était pas encore né à ce moment-là, manifesterait « l'esprit et la puissance d'Élie » indique « qu'Élie » est le titre d'un office ; quiconque rétablit, précède ou est envoyé de Dieu préparer la voie à des événements plus grands dans le plan de l'Évangile, est un Élie. L'appellation « Élie » est en fait à la fois un nom de personne et un titre. À notre époque, l'Élias d'autrefois, qui appartenait à l'ère abrahamique, et dans l'esprit duquel beaucoup ont officié à différentes époques, ainsi que le prophète Élie, sont apparus en personne et ont conféré leur autorité respective et distincte à des détenteurs de la sainte prêtrise à notre époque, et les clefs des pouvoirs qu'ils exerçaient tandis qu'ils étaient sur la terre se trouvent aujourd'hui dans l'Église rétablie de Jésus-Christ. L'autorité d'Élias est inférieure à celle d'Élie, la première étant une fonction de l'ordre moindre ou aaronique de la prêtrise, tandis que la dernière appartient à la prêtrise supérieure ou de Melchisédek. Ce n'est pas dans la mission de Jean Baptiste ni dans celle d'aucun autre « Élie » que la prédiction de Malachie disant qu'avant le « jour de l'Éternel, (jour) grand et redoutable », Élie le prophète serait envoyé sur la terre pour ramener « le cœur des pères à leurs fils, et le cœur des fils à leurs pères » [17], trouva son accomplissement [18] ; son accomplissement complet commença le 3 avril 1836, lorsqu'Élie apparut au temple de Kirtland (Ohio) et remit à Joseph Smith et à Oliver Cowdery les clefs de l'autorité qu'il possédait jusque-là. « Le jour de l'Éternel, (jour) grand et redoutable » ne se produisit pas au midi des temps ; cette période terrible quoique heureuse de la fin est encore à venir, mais « proche, et même à la porte ». [19]
 
 [1] Note 1, fin du chapitre.
 [2] Note 2, fin du chapitre.
 [3] Note 3, fin du chapitre.
 [4] Mt 17:1-8, Mc 9:2-8, Lc 9:28-36.
 [5] Chap. 4.
 [6] Mc 8:31. Note 5, fin du chapitre.
 [7] Mc 9:10.
 [8] 2 P 1: 16-18.
 [9] Jn 1: 14.
 [10] Mt 4: 11, Mc 1: 13.
 [11] Lc 22:43 ; cf. Jn 12:27,28.
 [12] 2R 2:11.
 [13] Mt 17:10-13 ; Mc 9:11-13.
 [14] Lc 1:17. Chap. 7 et 18 du présent ouvrage.
 [15] Mt 11: 14.
 [16] Edersheim Life and Times of Jesus, vol. II, p. 79.
 [17] Ml 4:5, 6 ; voir chap. 11 du présent ouvrage, note 1.
 [18] Note 4, fin du chapitre.
 [19] D&A 110: 13-16. Voir chapitre 41, infra.
 
NOTES DU CHAPITRE 23
 
1. L'intervalle qui s'écoula entre l'époque de la confession de Pierre et celle de la Transfiguration : Matthieu (17:1) et Marc (9:2) déclarent tous deux que la Transfiguration se produisit « six jours après » le moment de la grande confession de Pierre que Jésus était le Christ ; tandis que Luc (9:28) note un intervalle de « huit jours environ ». Il est probable que la période de six jours excluait le jour où les événements précédents s'étaient produits et celui où Jésus et les trois apôtres se retirèrent sur la montagne, alors que le « huit jours environ » de Luc comprenait ces deux jours. Il n'y a ici aucune raison d'y voir des divergences.
 
2. Pierre, Jacques et Jean : Pierre, Jacques et Jean qui furent choisis parmi les Douze comme les seuls témoins terrestres de la transfiguration du Christ, avaient été de même choisis comme témoins d'une manifestation spéciale, celle de la résurrection de la fille de Jaïrus (Mc 5:37, Lc 8:51) ; et plus tard, les trois mêmes hommes furent les seuls témoins de l'agonie nocturne de notre Seigneur à Gethsémané (Mt 26:37, Mc 14:33).
 
3. Lieu de la Transfiguration : Les évangélistes ne nomment ni n'indiquent la montagne sur laquelle la Transfiguration se produisit, d'une manière qui permette de l'identifier formellement. Longtemps la tradition a considéré le mont Tabor, en Galilée, comme l'emplacement ; et au sixième siècle trois églises furent érigées sur le plateau qui en forme le sommet, probablement en souvenir du désir de Pierre de faire trois huttes ou cabanes, une pour Jésus, une pour Moïse et une pour Élie. Plus tard on y construisit un monastère. Néanmoins les chercheurs rejettent maintenant le mont Tabor, et c'est le mont Hermon que l'on considère généralement comme étant l'endroit. Le Hermon se dresse près des frontières septentrionales de la Palestine, juste au-delà de Césarée de Philippe, où on sait que Jésus se trouvait une semaine avant la Transfiguration. Marc (9:30) nous dit clairement qu'après être descendus de la montagne, Jésus et les apôtres s'en allèrent et traversèrent la Galilée. La balance des preuves penche en faveur du Hermon pour la montagne de la Transfiguration, bien qu'on ne connaisse à ce sujet rien que l'on puisse considérer comme décisif.
 
4. « L'esprit et la puissance d'Élie » : Les Écritures anciennes et celles des derniers jours attestent que Jean-Baptiste, en sa qualité de rétablisseur, de précurseur ou d'envoyé, ayant mission de préparer la voie à une œuvre plus grande que la sienne, officia vraiment comme un « Élie ». C'est par lui que fut prêché et administré le baptême d'eau pour la rémission des péchés et que fut permis le baptême supérieur, celui de l'Esprit. Fidèle à sa mission, il est venu à notre époque et a rétabli par ordination la Prêtrise d'Aaron qui est l'autorité de baptiser. Il a ainsi préparé la voie à l'œuvre vicariale du baptême pour les morts, dont l'autorité fut rétablie par Élie (voir p. 181 supra), et qui est par excellence l'œuvre grâce à laquelle les enfants et les pères seront unis en un lien éternel.
 
Le 10 mars 1844, le prophète Joseph Smith compara comme suit le pouvoir d'Élias à l'autorité supérieure : « L'Esprit d'Élias vient en premier lieu, puis vient Élie et enfin le Messie. Élias est un précurseur qui prépare le chemin, et l'esprit et la puissance d'Élie doivent venir après, détenant les clefs du pouvoir, édifiant le temple jusqu'au chaperon, plaçant les sceaux de la Prêtrise de Melchisédek sur la maison d'Israël et préparant toutes choses ; ensuite le Messie entre dans son temple, ce qui vient en tout dernier lieu.
 
Le Messie est au-dessus de l'esprit et de la puissance d'Élie, car il a créé le monde et a été le rocher spirituel de Moïse dans le désert. Élie devait préparer la voie et édifier le royaume avant la venue du grand jour du Seigneur, bien que l'esprit d'Élias pût le commencer. » - Hist. of the Church, sous la date citée.
 
5. Allusion au « départ » proche du Seigneur : Des trois synoptiques, seul Luc parle, et ce brièvement, du sujet dont Moïse et Élie conversèrent avec le Seigneur lors de la Transfiguration. Le document dit que les visiteurs, qui apparurent en gloire, « parlaient de son départ qui allait s'accomplir à Jérusalem » (Lc 9:31). [La version du roi Jacques emploie le mot « décès » au lieu du « départ » de la version Segond, ndt ]. Il est intéressant de noter que c'est le décès que le Seigneur devait accomplir et non la mort qu'il devait subir ou dont il devait mourir, qui était le sujet de cette conversation exaltée. Le mot grec dont « décès » est l'équivalent en anglais dans un grand nombre des manuscrits des évangiles exprime une idée « d'exode » ou de « départ », et le mot que l'on trouve dans d'autres versions plus anciennes signifie « gloire ». De même l'original grec de « accomplir », dans le récit de la Transfiguration, implique l'idée de l'accomplissement ou l'achèvement réussi d'une entreprise déterminée, et pas particulièrement l'action de mourir. La lettre du texte et l'esprit dans lequel l'auteur écrivit indique que Moïse et Élie conversèrent avec leur Seigneur sur la consommation glorieuse de sa mission dans la mortalité - consommation reconnue dans la foi (personnifiée en Moïse) et les prophètes (représentés par Élie) - événement d'une importance suprême, car il indique que la loi et les prophètes étaient accomplis, et que, dans le cadre du plan divin, un ordre nouveau et plus élevé venait d'être glorieusement inauguré. Le décès que le Sauveur allait bientôt accomplir était la reddition volontaire de sa vie en accomplissement d'un dessein à la fois exalté et préordonné, non une mort en vertu de laquelle il mourrait passivement sous l'action de forces qu'il ne pouvait contrôler (voir chap. 25 et 35).
 
 
CHAPITRE 24 : DU SOLEIL À L'OMBRE
 
Le retour de notre Seigneur des hauteurs sacrées [1] du mont de la Transfiguration était plus qu'un retour physique d'une altitude plus élevée à une altitude plus basse ; c'était un passage du soleil à l'ombre, de la gloire lumineuse du ciel aux brumes des passions profanes et de l'incrédulité humaine ; c'était le commencement de sa descente rapide dans la vallée de l'humiliation. De la conversation élevée avec des ministres divinement nommés, de la communion suprême avec son Père et Dieu, Jésus descendait vers une scène de confusion décourageante et un spectacle de domination démoniaque devant lesquels même ses apôtres se trouvaient dans un désespoir impuissant. Ce contraste dut apporter à son âme sensible et sans tache une angoisse surhumaine ; même pour nous, qui en lisons le bref récit, c'est épouvantable.
 
GUÉRISON DU JEUNE DÉMONIAQUE
 
Jésus et les trois disciples revinrent de la montagne le lendemain de la Transfiguration [2] ; ce fait nous permet de penser que cette glorieuse manifestation se produisit au cours de la nuit. Au pied ou près de la montagne, le groupe trouva les autres apôtres, et avec eux une foule de gens, parmi lesquels quelques scribes ou rabbis [3]. On pouvait voir qu'il y avait des disputes et du remous parmi tous ces gens ; et il était clair que les apôtres étaient sur la défensive. À l'approche inattendue de Jésus, un grand nombre de personnes coururent à sa rencontre avec des salutations respectueuses. Il demanda aux scribes querelleurs : « Sur quoi discutez-vous avec eux ? » prenant ainsi le fardeau de la dispute, quel qu'il pût être, et soulageant ainsi les disciples en détresse de toute autre participation active. Les scribes demeuraient silencieux ; leur courage avait disparu lorsque le Maître était apparu. « Un homme de la foule » donna, quoique indirectement, la réponse. « Maître », dit-il, s'agenouillant aux pieds du Christ, « j'ai amené auprès de toi mon fils, en qui se trouve un esprit muet. En quelque lieu qu'il le saisisse, il le jette parterre ; l'enfant écume, grince des dents, et devient tout raide. J'ai prié tes disciples de chasser l'esprit, et ils n'en ont pas été capables. »
 
Le fait que les disciples avaient été incapables de guérir le jeune malade leur avait évidemment valu des critiques hostiles, des railleries et des moqueries de la part des scribes incrédules ; et leur déconfiture dut être intensifiée par la pensée qu'à cause d'eux le doute avait été jeté sur l'autorité et la puissance de leur Seigneur. Peiné en esprit devant cet autre exemple de manque de foi et par conséquent de manque de puissance parmi les serviteurs qu'il avait choisis et ordonnés, Jésus prononça une exclamation de douleur intense : « Race incrédule, jusques à quand serai-je avec vous ? Jusques à quand vous supporterai-je ? » Ces paroles dans lesquelles il y a un reproche clair, quelque doux et plein de pitié qu'il ait pu être, s'adressaient avant tout aux apôtres ; il n'est guère important de savoir si elles s'adressaient à eux seuls ou à eux et aux autres. À la demande de Jésus, le petit affligé fut approché ; le démon tourmenteur, se trouvant en présence du Maître, jeta sa jeune victime dans une crise terrible, qui fit tomber le garçon sur le sol et se rouler en convulsions, tandis que sa bouche écumait. Avec une calme lenteur, qui contrastait fortement avec l'impatience avide du père éploré, Jésus demanda quand la maladie s'était abattue pour la première fois sur l'enfant. « Depuis son enfance », répondit le père, qui ajouta, « et souvent l'esprit l'a jeté dans le feu et dans l'eau pour le faire périr. » Avec une ferveur pathétique il implora : « Mais si tu peux quelque chose, viens à notre secours, aie compassion de nous. » L'homme parlait de l'affliction de son fils comme s'il la partageait. « Aide-nous », telle était sa prière.
 
À l'expression nuancée « si tu peux quelque chose », qui voulait dire que dans une certaine mesure il n'était pas certain de la capacité du Maître d'accorder ce qu'il demandait, et ce, peut-être un peu à la suite de l'échec des apôtres, Jésus répondit : « Si tu peux... » Et ajouta : « Tout est possible à celui qui croit. » L'intelligence de l'homme fut éclairée ; jusqu'alors il avait cru que tout dépendait de Jésus ; il voyait maintenant que le résultat reposait en grande partie sur lui-même. Il est à remarquer que le Seigneur indiqua la croyance et non la foi comme condition essentielle dans ce cas. L'homme était de toute évidence plein de confiance, et certainement plein de ferveur dans son espoir que Jésus pouvait l'aider ; mais il est douteux qu'il ait su ce que la foi voulait réellement dire. Il était cependant réceptif et plein de docilité, et le Seigneur fortifia sa croyance faible et incertaine. L'explication encourageante de ce dont il avait réellement besoin le poussa à avoir plus abondamment confiance. Pleurant d'un espoir angoissé, il s'écria : « Je crois ! », puis, conscient des ténèbres de l'erreur dont il commençait à peine de sortir, il ajouta avec repentir. « viens au secours de mon incrédulité [4] ! »
 
Regardant avec compassion le malade qui se tordait à ses pieds, Jésus réprimanda ainsi le démon : « Esprit muet et sourd, je te l'ordonne, sors de cet enfant et n'y rentre plus. Et il sortit en poussant des cris, avec une violente convulsion. L'enfant devint comme mort, de sorte que plusieurs le disaient mort. Mais Jésus le saisit par la main et le fit lever. Et il se tint debout », et, comme l'ajoute Luc, il le rendit à son père ». La permanence de la guérison était assurée par le commandement exprès donné à l'esprit mauvais de ne plus entrer dans cet enfant [5] ; il ne s'agissait pas d'un simple soulagement de la crise qu'il venait d'avoir ; la guérison était permanente.
 
Le peuple fut stupéfait de voir la puissance de Dieu qui se manifesta dans ce miracle ; et les apôtres qui avaient essayé en vain de soumettre l'esprit mauvais furent troublés. Tandis qu'ils étaient en mission, bien que loin de la présence secourable de leur Maître, ils avaient réussi à réprimander et à chasser des esprits mauvais, comme ils en avaient reçu le pouvoir et l'autorité spéciale [6] ; maintenant, au cours de son absence d'un jour, ils s'étaient trouvés incapables de le faire. Lorsqu'ils se furent retirés à la maison, ils demandèrent à Jésus : « Pourquoi n'avons-nous pu chasser cet esprit ? » La réponse fut : « C'est à cause de votre petite foi » ; et il ajouta encore cette explication : « mais cette sorte (de démon) ne sort que par la prière et par le jeûne » [7]. 
 
Nous apprenons par là que les réalisations rendues possibles par la foi sont limitées ou conditionnées par l'authenticité, la pureté et la qualité sans mélange de cette foi. « Homme de peu de foi », « Gens de peu de foi » et « Où est votre foi ? [8] » sont des formes de reproche et d'avertissement qui avaient été adressées à maintes reprises aux apôtres du Seigneur. Il réaffirma à présent les possibilités de la foi : « En vérité je vous le dis, si vous avez de la foi comme un grain de moutarde, vous direz à cette montagne : Transporte-toi d'ici là, et elle se transportera ; rien, ne vous sera impossible » [9]. La comparaison entre la foi réelle et un grain de moutarde est une comparaison de qualité plutôt que de quantité ; elle suggère l'idée de vie, de foi active, semblable à la semence qui, quoique petite, peut donner naissance à une grande plante [10] par contraste avec une imitation sans vie et artificielle, quelque impressionnante qu'en soit la mise en scène.
 
NOUVELLE PRÉDICTION DE LA MORT ET DE LA RÉSURRECTION DU SEIGNEUR [11]
 
Jésus partit avec les Douze de l'endroit où le dernier miracle avait été accompli et traversa la Galilée en direction de Capernaüm. Il est probable qu'ils voyagèrent par les routes les moins fréquentées, car il désirait que son retour ne fût pas connu publiquement. Il s'était relativement retiré pendant un certain temps, cherchant avant tout, semble-t-il, l'occasion d'instruire plus parfaitement les apôtres afin de les préparer à l'œuvre qu'il les laisserait, dans quelques mois, continuer sans la compagnie de sa personne physique. Ils avaient témoigné solennellement qu'ils le savaient être le Christ ; c'est pourquoi il pouvait leur confier beaucoup de choses que le peuple en général n'était absolument pas préparé à recevoir. Le thème spécial de cet enseignement particulier et poussé des Douze était celui de sa mort et de sa résurrection prochaines, et il y revint à maintes reprises, car ils étaient lents à comprendre ou se refusaient à le faire.
 
« Pour vous, prêtez bien l'oreille à ces paroles » fut son puissant prélude en cette occasion, en Galilée. Ensuite il répéta sa prédiction : « Le Fils de l'homme sera livré entre les mains des hommes ; ils le feront mourir, et, trois jours après sa mort, il ressuscitera. » Nous lisons avec quelque surprise que ses apôtres ne le comprenaient toujours pas. Luc commente : « Mais les disciples ne comprenaient pas cette déclaration : elle était voilée pour eux, afin qu'ils n'en saisissent pas le sens ; et ils craignaient de le questionner à ce sujet. » La pensée de ce que les paroles du Seigneur pouvaient vouloir dire, même dans leur sens le plus vague, était terrifiante pour ces hommes dévoués, et leur incompréhension était partiellement due au fait que l'esprit humain répugne à sonder profondément ce qu'il désire ne pas croire.
 
L'ARGENT DU TRIBUT FOURNI PAR UN MIRACLE [12]
 
Jésus et ses disciples étaient de nouveau à Capernaüm. Pierre y fut abordé par un collecteur de l'impôt du temple, qui demanda : « Votre maître ne paye-t-il pas les deux drachmes [13] ? » Pierre répondit « Si ». Il est intéressant de constater que la question fut posée à Pierre et non directement à Jésus ; ce détail peut montrer le respect qu'éprouvait le public pour le Seigneur et peut laisser penser qu'il existait peut-être un doute dans l'esprit du percepteur quant au point de savoir si Jésus était soumis à la taxe, puisque les prêtres et les rabbis en général prétendaient en être exempts.
 
La taxe annuelle par personne, à laquelle il est fait ici allusion, se montait à un demi-sicle ou deux drachmes, correspondant à environ trente-trois cents américains, et on l'exigeait de tout adulte masculin en Israël depuis le temps de l'exode, bien que, au cours de la période de la captivité, cette exigence eût été modifiée [14]. Ce tribut, prescrit par Moïse, était connu à l'origine comme « l'argent de l'expiation », et son paiement revêtait la nature d'un sacrifice dont on devait accompagner sa supplication d'être racheté des effets des péchés que l'on avait commis. À l'époque du Christ, la contribution annuelle était ordinairement perçue entre le début de mars et la Pâque. Si Jésus était sujet à cette taxe, il avait à ce moment-là plusieurs semaines de retard.
 
La conversation entre Pierre et le percepteur d'impôts s'était produite en dehors de la maison. Lorsque Pierre entra et fut sur le point d'informer le Maître de l'entretien, Jésus le prévint, disant : « Simon, qu'en penses-tu ? Les rois de la terre, de qui prennent-ils des taxes ou un tribut ? De leurs fils, ou des étrangers ? Il lui répondit : Des étrangers. Et jésus lui répondit : Les fils en sont donc exempts. »
 
Pierre dut comprendre combien il était illogique de demander à Jésus, le Messie reconnu, de payer l'argent de l'expiation ou un impôt pour l'entretien du temple, étant donné que le temple était la maison de Dieu et que Jésus était le Fils de Dieu, d'autant plus que même les princes terrestres étaient exempts de la taxe par tête. Jésus soulagea cependant l'embarras que Pierre éprouvait pour la hardiesse inconsidérée dont il fit preuve lorsqu'il promit que son Maître la paierait, sans consulter celui-ci d'abord, en disant : « Mais, pour que nous ne le scandalisions pas, va à la mer, jette l'hameçon, et tire le premier poisson qui viendra, ouvre-lui la bouche, et tu trouveras un statère. Prends-le, et donne-le-leur pour moi et pour toi. »
 
L'argent devait être payé, non pas parce qu'on pouvait le demander à bon droit de Jésus, mais de peur qu'en ne payant pas il n'offensât ses adversaires et leur donnât de nouvelles excuses de se plaindre. Le « statère » est une pièce d'argent égale à un sicle ou quatre drachmes, et constitue par conséquent le montant exact de l'impôt pour deux personnes. « Prends-le, et donne-le-leur pour moi et pour toi », dit Jésus. Il est à remarquer qu'il ne dit pas « pour nous ». Dans ses rapports avec les hommes, même avec les Douze qui, de tous, étaient ceux qui lui étaient les plus proches et les plus chers, notre Seigneur conservait toujours sa position séparée et unique, faisant ressortir dans tous les cas le fait qu'il était essentiellement différent des autres hommes. C'est ce qu'illustrent ses expressions « Mon Père et votre Père », « Mon Dieu et votre Dieu » [15] au lieu de notre Père et notre Dieu. Il reconnaissait respectueusement qu'il était le Fils de Dieu dans un sens littéral qui ne s'appliquait à aucun autre être.
 
Bien que les circonstances dans lesquelles le statère fut trouvé dans le poisson ne soient pas données en détail et que le texte ne rapporte pas formellement que le miracle se soit réellement accompli, nous ne pouvons douter que ce que Jésus avait promis ne se soit réalisé, car autrement il n'y aurait aucune raison d'introduire cet incident dans le texte évangélique. Ce miracle est sans parallèle et même sans exemple qui y ressemble même de loin. Nous n'avons pas besoin de supposer que le statère ait été quelque chose d'autre qu'une pièce ordinaire qui tomba dans l'eau ni qu'elle ait été prise par le poisson d'une manière extraordinaire quelconque. Néanmoins, la connaissance qu'il y avait dans le lac un poisson ayant une pièce de monnaie dans la gueule, que la pièce était du genre indiqué, et que ce poisson déterminé se présenterait et serait le premier qui prendrait l'hameçon de Pierre, est aussi incompréhensible pour l'intelligence limitée de l'homme que les moyens par lesquels les miracles du Christ s'accomplissaient. Le Seigneur Jésus gouvernait et gouverne la terre, la mer et tout ce qui s'y trouve, car c'est par sa parole et par sa puissance qu'ils furent faits.
 
Il faut examiner attentivement le but que le Seigneur poursuivait en fournissant si miraculeusement l'argent. La théorie qu'il fallut invoquer un pouvoir surhumain parce que Jésus et Pierre étaient prétendument d'une pauvreté extrême, n'est pas fondée. Même si Jésus et ses compagnons avaient réellement été sans le sou, Pierre et les autres pêcheurs auraient pu jeter leurs filets, et avec leur succès ordinaire, obtenir suffisamment de poisson à vendre pour obtenir la somme nécessaire. En outre, nous ne trouvons aucun cas où le Seigneur ait accompli un miracle pour son profit personnel ou soulager ses propres besoins, quelque pressants qu'ils aient pu être. Il semble probable que par le moyen employé pour obtenir l'argent, Jésus ait souligné intentionnellement les raisons exceptionnelles pour lesquelles il rachetait la promesse de Pierre que l'impôt serait payé. Les Juifs, qui ne considéraient pas Jésus comme le Messie mais seulement comme un Maître d'une capacité supérieure et un Homme d'une puissance extraordinaire, auraient pu s'offenser s'il avait refusé de payer le tribut exigé de tous les Juifs. D'autre part, si Jésus avait payé la taxe de la manière ordinaire et sans explication, les apôtres, et surtout Pierre, qui avait été le porte-parole de tous dans la grande confession, auraient pu croire qu'il reconnaissait être soumis au temple, et par conséquent moins qu'il ne s'était prétendu être et moins qu'ils ne l'avaient confessé être. La catéchisation à laquelle il avait soumis Pierre avait clairement montré qu'il conservait son droit de Fils du Roi mais condescendait cependant à donner volontairement ce qu'on ne pouvait pas exiger à bon droit. Puis, démontrant de manière concluante sa position exaltée, il fournit l'argent en utilisant une connaissance qu'aucun homme ne possédait.
 
COMME UN PETIT ENFANT [16]
 
Sur la route de Capernaüm, les apôtres s'étaient interrogés entre eux, hors de portée, pensaient-ils, des oreilles du Maître ; les questions avaient amené une discussion et la discussion une dispute. La question dont ils se souciaient tellement était de savoir qui parmi eux serait le plus grand dans le royaume des cieux. Le témoignage qu'ils avaient reçu les convainquait, au-delà de toute possibilité de doute, que Jésus était le Christ tant attendu, et cette conviction avait été fortifiée et confirmée par le fait qu'il avait reconnu sans restriction être le Messie. L'esprit encore influencé de l'espoir traditionnel que le Messie serait à la fois Seigneur spirituel et roi temporel, et se souvenant de quelques-unes des allusions fréquentes que le Maître faisait à son royaume et à l'état béni de ceux qui y appartenaient, et se rendant en outre compte que ses dernières paroles indiquaient une crise ou une apogée proche dans son ministère, ils s'abandonnaient à la contemplation égoïste de leur rang futur dans le nouveau royaume et des postes de confiance et d'honneur bien rétribués que chacun désirait le plus. Qui parmi eux serait premier ministre, qui serait chancelier, qui commanderait les troupes ? L'ambition personnelle avait déjà engendré la jalousie dans leur cœur.
 
Lorsqu'ils furent ensemble avec Jésus dans la maison de Capernaüm, le sujet fut abordé de nouveau. Marc nous dit que Jésus demanda : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » À cela, ils ne répondirent pas, parce que, comme on peut le penser, ils étaient honteux. D'après le texte de Matthieu, on peut comprendre que les apôtres soumirent la question à la décision du Maître. La différence apparente dans les détails n'a pas d'importance ; les deux récits sont corrects ; la question que le Christ leur posa peut les avoir finalement amenés à le questionner. Jésus, comprenant leurs pensées et connaissant l'état non éclairé de leur esprit sur le sujet qui les troublait, leur donna une leçon illustrée. Appelant un petit enfant, qu'il prit avec amour dans son bras, il dit : « En vérité, je vous le dis, si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. C'est pourquoi, quiconque se rendra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux. Et quiconque reçoit en mon nom un petit enfant comme celui-ci, me reçoit moi-même. Mais si quelqu'un était une occasion de chute pour un de ces petits qui croient en moi il serait avantageux pour lui qu'on suspende à son cou une meule de moulin, et qu'on le noie au fond de la mer. » Nous pouvons avec profit associer à cette leçon un enseignement ultérieur selon lequel les petits enfants représentent le royaume des cieux. [17]
 
Mais les apôtres avaient, eux aussi, besoin d'être convertis [18] ; dans le sujet en discussion leur cœur était, du moins en partie, détourné de Dieu et de son royaume. Ils devaient apprendre que l'humilité réelle est une qualité essentielle pour devenir citoyen dans la communauté des élus, et que le degré d'humilité conditionne ce que l'on peut apparenter à un rang dans le royaume, car les plus humbles y seront les plus grands.
 
Le Christ ne voulait pas que les représentants qu'il avait choisis deviennent puérils ; loin de là, ils devaient être des hommes courageux, fermes et forts ; mais il voulait qu'ils deviennent semblables à des enfants. Cette distinction est importante. Ceux qui appartiennent au Christ doivent devenir comme des petits enfants en obéissance, en sincérité, en confiance, en pureté, en humilité et en foi. L'enfant croit simplement, naturellement et avec confiance ; celui qui est puéril est insouciant, insensé et négligent. Pour faire la distinction entre ces caractéristiques, notez le conseil de Paul : « Frères, ne soyez pas des enfants au point de vue du jugement, mais pour le mal soyez de petits enfants, et pour le jugement, soyez des hommes faits » [19]. Les enfants proprement dits et les enfants comme modèles des adultes qui croient vraiment, sont étroitement associés dans cette leçon. Quiconque offensera, c'est-à-dire fera trébucher un de ces enfants du Christ, encourra une culpabilité si grande qu'il aurait mieux valu qu'il trouvât la mort même par violence avant d'avoir ainsi péché.
 
S'étendant sur les offenses, ou les causes de chute, le Seigneur poursuivit : « Malheur au monde à cause des occasions de chute ! Car il est inévitable qu'il se produise des occasions de chute, mais malheur à l'homme par qui elles se produisent ! » Puis, répétant certaines des vérités précieuses qui se trouvent dans son mémorable sermon sur la montagne [20], il les exhorta à surmonter les tendances mauvaises quel que fût le sacrifice. De même qu'il vaut mieux qu'un homme subisse une intervention chirurgicale même s'il perd par là une main, un pied ou un œil, plutôt que de mettre en danger son corps tout entier et perdre la vie, de même il est recommandé qu'il coupe, arrache ou déracine de son âme les passions du mal qui, s'il les y laisse, l'amèneront certainement sous la condamnation. Dans cet état, sa conscience le rongera comme un vers qui ne meurt pas, et son remords sera comme un feu inextinguible. Toutes les âmes humaines seront mises à l'épreuve comme par le feu ; et de même que la chair des sacrifices de l'autel devait être assaisonnée de sel, symbole de protection contre la corruption [21], de même l'âme doit recevoir le sel sauveur de l'Évangile ; et ce sel doit être pur et puissant, et non un mélange sale de préjugés hérités et de traditions inautorisées qui a perdu le peu de salinité qu'elle a pu avoir eue autrefois. « Ayez du sel en vous-mêmes, et soyez en paix les uns avec les autres », recommanda le Seigneur aux Douze qui discutaient [22].
 
Le Sauveur adressa aux apôtres un avertissement solennel et une constatation profonde qui s'appliquent aussi bien aux enfants d'âge tendre qu'aux croyants enfantins jeunes et vieux : « Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits, car je vous dis que leurs anges dans les cieux voient continuellement la face de mon Père qui est dans les cieux. » Le Christ expliqua que sa mission était de sauver ceux qui sont temporairement perdus et qui, sans son aide, seraient perdus à jamais. Expliquant ce qu'il voulait dire, le Maître proposa une parabole qui compte parmi les trésors littéraires du monde.
 
LA PARABOLE DE LA BREBIS ÉGARÉE [23]
 
« Qu'en pensez-vous ? Si un homme a cent brebis, et que l'une d'elles s'égare ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres sur les montagnes, pour aller chercher celle qui s'est égarée ? Et, s'il parvient à la retrouver, en vérité je vous le dis, il s'en réjouit plus que pour les quatre-vingt-dix-neuf qui ne se sont pas égarées. De même, ce n'est pas la volonté de votre Père qui est dans les cieux qu'il se perde un seul de ces petits. »
 
Dans cette analogie efficace, le but salvateur de la mission du Christ est souligné. Il est en vérité le Sauveur. Le berger est représenté quittant les quatre-vingt-dix-neuf brebis mises, nous ne pouvons en douter, dans une pâture ou une étable sûre, tandis qu'il s'en va seul dans les montagnes à la recherche de celle qui s'est égarée. Il éprouve plus de joie à retrouver et à ramener la brebis égarée que de savoir que les autres sont toujours en sécurité. Dans une version ultérieure de cette parabole splendide, donnée aux Pharisiens et aux scribes murmurants de Jérusalem, le Maître dit du berger, lorsqu'il trouve la brebis égarée : « Lorsqu'il l'a trouvée, il la met avec joie sur ses épaules, et, de retour à la maison, il appelle chez lui ses amis et ses voisins et leur dit : Réjouissez-vous avec moi, car j'ai trouvé ma brebis qui était perdue. De même, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de repentance » [24]. 
 
Beaucoup se sont étonnés de ce qu'il puisse y avoir plus de joie à propos de la récupération d'une seule brebis égarée ou du salut d'une seule âme qui était comme perdue, que pour toutes celles qui n'ont pas été en pareil danger. Le berger éprouvait une joie constante à cause des quatre-vingt-dix-neuf qui étaient en sécurité, mais pour lui, ce fut un surcroît de bonheur, plus grand et plus fort du fait de sa douleur récente, lorsque la brebis perdue fut ramenée au troupeau. Dans un chapitre ultérieur nous reviendrons à cette parabole à propos d'autres paraboles de teneur analogue.
 
« EN MON NOM » [25]
 
Poursuivant la leçon illustrée par le petit enfant, Jésus dit : « Quiconque reçoit en mon nom ce petit enfant, me reçoit moi-même ; et quiconque me reçoit, reçoit celui qui m'envoyé. Car celui qui est le plus petit parmi vous tous, c'est celui-là qui est grand. » Il se peut que ce soit l'allusion faite par le Christ aux actions accomplies en son nom qui poussa Jean à introduire ici une remarque : « Maître, nous avons vu un homme qui chasse des démons en ton nom ; et nous l'en avons empêché, parce qu'il ne (te) suit pas avec nous. » « Ne l'en empêchez pas », lui répondit Jésus ; « en effet, celui qui n'est pas contre vous est pour vous. » Le jeune apôtre avait laissé son zèle pour le nom du Maître le conduire à l'intolérance. Nous ne pouvons douter que l'homme qui avait essayé de faire du bien au nom de Jésus était de toute évidence sincère, et que ses efforts étaient acceptables au Seigneur ; son acte était essentiellement différent de l'usurpation d'autorité pour laquelle d'autres furent réprimandés plus tard [26] ; il croyait certainement au Christ, et était peut-être de la catégorie dans laquelle le Seigneur allait bientôt choisir et charger d'autorité des ministres particuliers et les soixante-dix [27]. Dans l'état d'opinions contradictoires qui existait alors parmi le peuple au sujet de Jésus, il n'était que juste de dire que tous ceux qui n'étaient pas opposés à lui étaient au moins provisoirement de son côté. En d'autres occasions il affirma que ceux qui n'étaient pas avec lui étaient contre lui [28].
 
MON FRÈRE ET MOI [29]
 
La bonne méthode pour régler les différends entre les frères et les principes fondamentaux de la discipline de l'Église fit l'objet d'enseignements pour les Douze. La première étape est décrite de la manière suivante : « Si ton frère a péché, va et reprends-le seul à seul. S'il t'écoute, tu as gagné ton frère. » La règle des rabbis était que celui qui commettait l'offense devait faire le premier pas ; mais Jésus enseigna que la personne lésée ne devait pas attendre que son frère vienne à elle mais aller elle-même chercher à arranger les choses ; ce faisant, elle pourrait sauver l'âme de son frère. Si l'offenseur se révélait obstiné, le frère qui avait subi l'offense devait se faire accompagner de deux ou trois personnes et essayer de nouveau d'amener le transgresseur à se repentir et à reconnaître son offense ; ce procédé fournissait des témoins, par la présence desquels on pouvait se protéger contre des récits déformés ultérieurs.
 
On ne devait avoir recours à des mesures extrêmes que lorsque tous les moyens de conciliation avaient échoué. Si l'homme persistait dans son obstination, le cas devait être amené devant l'Église, et au cas où il négligerait ou refuserait d'obéir à la décision de l'Église, il devait être privé de la camaraderie des autres, devenant ainsi dans ses relations avec ses anciens compagnons « comme un païen et un péager ». Dans cette situation, où il ne serait plus membre, il devrait faire l'objet de l'effort missionnaire ; mais tant qu'il ne devenait pas repentant et ne manifestait pas le désir de s'amender, il ne pouvait réclamer aucun des droits et des prérogatives des membres de l'Église. Si on continuait à fréquenter le pécheur non repentant, il y avait risque que ses mauvais sentiments se répandent et que ses péchés contaminent les autres. La justice ne doit pas être détrônée par la Miséricorde. L'ordre révélé de la discipline dans l'Église rétablie est semblable à celui qui fut donné aux apôtres d'autrefois [30].
 
Le Seigneur attesta l'autorité des Douze d'administrer les affaires du gouvernement de l'Église en confirmant au groupe la promesse qu'il avait adressée précédemment à Pierre : « En vérité je vous le dis, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel [31] » S'ils étaient unis dans leurs intentions et si leur sincérité était sans réserve, Dieu leur donnerait de l'autorité, comme en témoigne l'assurance que le Maître leur donna ensuite : « Je vous dis encore que si deux d'entre vous s'accordent sur la terre pour demander quoi que ce soit, cela leur sera donné par mon Père qui est dans les cieux. Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux. » Pierre l'interrompit ici par une question : « Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, lorsqu'il péchera contre moi ? Jusqu'à sept fois ? » Il aurait bien voulu voir fixer une limite précise, et il considérait probablement que la proposition de sept fois était une mesure très libérale, étant donné que les rabbis prescrivaient seulement que l'on devait pardonner trois fois [32]. Il se peut qu'il ait choisi sept, qui était après le chiffre trois le chiffre suivant qui avait un sens pharisaïque particulier. La réponse du Sauveur l'éclaira : « Jésus lui dit : Je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à soixante-dix fois sept fois. » Cette réponse a dû signifier pour Pierre, comme elle le signifie pour nous, que l'homme ne peut mettre aucune limite au pardon ; cependant, le pardon doit être mérité par le bénéficiaire [33]. Cet enseignement fut rendu mémorable par l'histoire suivante :
 
PARABOLE DU SERVITEUR IMPITOYABLE
 
« C'est pourquoi, le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut faire rendre compte à ses serviteurs. Quand il se mit à compter, on lui en amena un qui devait dix mille talents. Comme il n'avait pas de quoi payer, son maître ordonna de le vendre, lui, sa femme, et ses enfants, et tout ce qu'il avait, et de payer sa dette. Le serviteur se jeta à terre, se prosterna devant lui et dit : [Seigneur], prends patience envers moi, et je te paierai tout. Touché de compassion, le maître de ce serviteur le laissa aller et lui remit sa dette. En sortant, ce serviteur trouva un de ses compagnons qui lui devait cent deniers. Il le saisit et le serrait à la gorge en disant : Paie ce que tu [me] dois. Son compagnon se jeta à ses pieds et le suppliait disant : Prends patience envers moi, et je te paierai. Mais lui ne voulut pas ; il alla le jeter en prison, jusqu'à ce qu'il ait payé ce qu'il devait - Ses compagnons, voyant ce qui arrivait, furent profondément attristés, et ils allèrent raconter à leur maître tout ce qui s'était passé. Alors le maître fit appeler ce serviteur et lui dit : Méchant serviteur, je t'avais remis en entier ta dette, parce que tu m'en avais supplié ; ne devais-tu pas avoir pitié de ton compagnon, comme j'ai eu pitié de toi ? Et son maître irrité le livra aux bourreaux jusqu'à ce qu'il ait payé tout ce qu'il devait. C'est ainsi que mon Père céleste vous traitera si chacun de vous ne pardonne à son frère de tout son cœur » [34]. 
 
Les dix mille talents qui sont spécifiés expriment une somme si grande qu'elle mettait sans aucun doute le débiteur dans l'impossibilité raisonnable de payer. Nous devons considérer que l'homme était un fonctionnaire de confiance, un des ministres du roi, qui avait été chargé de la garde des revenus royaux, ou l'un des principaux trésoriers des impôts ; le fait qu'on l'appelle serviteur n'introduit aucune contradiction, puisque dans une monarchie absolue tous, sauf le souverain, sont sujets et serviteurs. La vente de la femme et des enfants du débiteur et de tout ce qu'il avait n'aurait pas été une violation de la loi dans le cas proposé, ce qui implique que l'esclavage était légalement reconnu [35]. L'homme était en retard dans le paiement de ses dettes. Il ne venait pas volontairement devant son seigneur, il fallut l'amener. De même dans les affaires de notre vie personnelle les comptes périodiques sont inévitables ; et tandis que certains débiteurs se présentent volontairement, il en est d'autres qu'il faut citer à comparaître. Les messagers qui présentent la sommation peuvent être l'adversité, la maladie, l'approche de la mort ; mais quels qu'ils soient, ils nous obligent à rendre nos comptes.
 
Le contraste entre dix mille talents et cent deniers est énorme [36]. Lorsque son compagnon le supplia de lui donner du temps pour payer les cent deniers, cela aurait dû rappeler à l'autre, qui était un plus grand débiteur, le mauvais pas dont il venait de sortir ; les mots : « aie patience envers moi, et je te paierai », étaient identiques à ceux de la prière qu'il adressa lui-même au roi. La vile ingratitude du serviteur impitoyable justifia le roi lorsqu'il révoqua le pardon qu'il avait accordé précédemment. L'homme tomba sous la condamnation, non pas principalement pour détournement de fonds et dettes, mais pour manque de miséricorde. Lui, plaignant injuste, avait invoqué la loi ; transgresseur condamné, il devait être traité conformément à la loi. La miséricorde est pour les miséricordieux. Joyau céleste, il faut la recevoir avec gratitude et l'utiliser avec sainteté, et non la jeter dans le bourbier de l'indignité. La justice peut exiger le châtiment : « On vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez » [37]. Les conditions dans lesquelles nos pouvons implorer en confiance le pardon sont exposées sous la forme de la prière que le Seigneur prescrivit : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » [38]. 
 
 [1] Cf. 2 P 1:18.
 [2] Lc 9:37.
 [3] Mt 17:14-21 ; Mc 9:14-29 ; Lc 9:37-42.
 [4] Note 1, fin du chapitre.
 [5] Cf . Mt 12:40-45.
 [6] Mc 6:12,13 ; cf. verset 7, aussi 3:15 ; Mt 10:1.
 [7] Note 2, fin du chapitre.
 [8] Mt 14:31, 16:8 ; Lc 8:25. 
 [9] Mt 17:20 ; cf. 21:21 ; Mc 11:23 ; Lc 17:6 ; voir aussi note 3, fin du chapitre.
 [10] Comparer avec la parabole du grain de moutarde, chap. 19 du présent ouvrage.
 [11] Mt 17:22-23 ; Mc 9:30-32 ; Lc 9:44,45.
 [12] Mt 17:24-27.
 [13] Note 4, fin du chapitre.
 [14] Ex 30:13, 38:26. Chap. 12 du présent ouvrage, note 10.
 [15] Jn 20:17.
 [16] Mt 18:1-11 ; Mc 9:33-37 ; 42, Lc 9:46-48.
 [17] Mt 19:13-15 ; Mc 10: 13-16 ; Lc 18:15-17.
 [18] Cf. Lc 22:32.
 [19] 1 Co 14:20 ; cf. 13: 11, Mt 11: 25 ; Ps 131:2.
 [20] Chap. 17.
 [21] Mc 9:49,50 ; cf. Lv 2:13 ; Ez 43:24.
 [22] Mc 9:43-50 ; cf. Mt 18:8,9. Chap. 17 du présent ouvrage.
 [23] Mt 18:12-14 ; cf Lc 15:3-7 où on trouve une répétition de l'impressionnante parabole donnée ultérieurement aux Pharisiens et aux scribes à Jérusalem avec une application quelque peu différente.
 [24] Lc 15:1-7. Voir en outre chap. 27 du présent ouvrage.
 [25] Lc 9:48-50, Mc 9:37-41.
 [26] Comparer avec le cas des fils de Scéva, Ac 19:13-17.
 [27] Cf. Lc 9:52, 10:1.
 [28] Mt 12:30 ; Lc 11:23.
 [29] Mt 18:15-20 ; cf. Lc 17:3, 4.
 [30] Cf. D&A 20:80, 42:88-93, 98:39-48.
 [31] Mt 18:18 ; cf. 16:19 et Jn 20:30.
 [32] Ils basaient cette limitation sur Am 1:3 et Jb 33:29.
 [33] Cf. Lc 17:3, 4.
 [34] Mt 18:23-35.
 [35] Cf. 2 R 4: 1, Lv 25:39.
 [36] Note 5, fin du chapitre.
 [37] Mt 7:1 ; voir aussi verset 6.
 [38] Mt 6:12 ; cf. Lc 11:4, LM, 3 Né 13:11. Chap. 17 du présent ouvrage.
 
NOTES DU CHAPITRE 24
 
1. La foi en faveur des autres : La supplication du père éperdu au profit de son fils cruellement affligé : « Viens à notre secours, aie compassion de nous » (Mc 9:22), montre qu'il faisait sienne la cause du garçon. Cela nous rappelle la Cananéenne qui implora Jésus d'avoir pitié d'elle, bien que la personne affligée fût sa fille (Mt 15:22, p. 387 supra). Dans ces cas, d'autres personnes que l'intéressée exercèrent leur foi en faveur de ceux qui souffraient ; et il en est de même pour le centenier qui plaida pour son serviteur et dont Jésus félicita spécialement la foi (Mt 8:5-10, p. 273 supra), de Jaïrus dont la fille était morte (Lc 8:41, 42, 49, 50, p. 343 supra), et pour beaucoup qui amenèrent leurs parents ou leurs amis impuissants au Christ et plaidèrent en leur faveur. Comme nous l'avons montré jusqu'à présent, la foi pour être guéri est aussi réellement un don de Dieu que la foi pour guérir (p. 348) : et, comme les exemples cités le prouvent, on peut exercer efficacement la foi en faveur d'autrui. Lorsqu'ils appliquent l'ordonnance de la bénédiction des affligés en oignant d'huile et en imposant les mains, établie par l'autorité dans l'Église rétablie de Jésus-Christ, les anciens qui officient doivent encourager tous ceux qui sont là à manifester leur foi, afin qu'elle s'exerce en faveur du patient. Dans le cas des tout petits enfants et des personnes qui ne sont pas conscientes, il est évidemment inutile de demander d'eux des manifestations actives de leur foi, et le soutien de la foi des parents et des amis est d'autant plus nécessaire.
 
2. La prière et le jeûne accroissent la puissance : La déclaration du Sauveur concernant l'esprit mauvais que les apôtres étaient incapables de soumettre : « Mais cette sorte de démon ne sort que par la prière et par le jeûne », indique qu'il y a une gradation dans la malignité et les pouvoirs mauvais des démons, et qu'il y a également une gradation dans les résultats des divers degrés de foi. Les apôtres qui échouèrent lors de l'événement auquel nous pensons avaient été à même de chasser des démons à d'autres moments. Le jeûne, quand on le pratique avec prudence, et la prière sincère aident au développement de la foi et de la possibilité de faire le bien. Chacun peut appliquer ce principe avec profit. Avez-vous une faiblesse qui vous obsède, une habitude perverse que vous avez vainement essayé de surmonter ? Comme le démon malin que le Christ réprimanda dans le garçon, votre péché peut être d'une espèce qui ne s'en va que par la prière et par le jeûne.
 
3. Rien n'est impossible à la foi : Beaucoup de personnes ont douté que la déclaration du Seigneur que par la foi on peut déplacer des montagnes soit vraie au sens littéral. Il est évident que pour que l'on puisse exercer cette foi dans une entreprise de ce genre, il faudrait que le but en soit conforme à l'intention et au plan divins. En outre, pareil miracle, ni aucun autre, n'est possible quand il ne s'agit que de satisfaire les désirs de la curiosité, ou pour faire étalage ou pour les profits personnels ou la satisfaction égoïste. Le Christ n'accomplit aucun miracle dans un but pareil ; il refusa avec persistance de montrer des miracles à de simples chercheurs de miracles. Mais nier la possibilité qu'une montagne soit déplacée par la foi, dans des conditions qui rendraient pareil déplacement acceptable à Dieu, c'est nier la parole de Dieu, non seulement à propos de cette possibilité déterminée mais aussi quant à la certitude générale que « rien n'est impossible » à celui qui a la foi nécessaire pour le but désiré. Il vaut cependant d'être remarqué que les Juifs de l'époque du Christ et depuis parlaient souvent de déplacer des montagnes, ce qui était une expression figurée signifiant surmonter des difficultés. Selon Lightfoot et d'autres autorités, on disait d'un homme qui pouvait résoudre des problèmes complexes ou qui était doué d'un pouvoir particulier dans les discussions ou de perspicacité dans son jugement que c'était un « déracineur de montagnes ».
 
4. Le tribut du temple : Le fait que l'argent du tribut auquel il est fait allusion dans le texte était une contribution juive au temple et non un impôt prélevé par le gouvernement romain, apparaît clairement dans la précision des deux « drachmes ». Cette monnaie valait un quart de sicle, « selon le sicle du sanctuaire », lequel était le montant fixé que devaient payer annuellement tous les hommes « depuis l'âge de vingt ans et au-dessus », prévoyant que « le riche ne paiera pas plus, et le pauvre ne paiera pas moins » (Ex 30:13-15). Un impôt levé par les pouvoirs politiques ne serait pas appelé la drachme. En outre, si le percepteur qui aborda Pierre avait été l'un des publicains officiels, il aurait probablement exigé la taxe au lieu de demander si oui ou non le Maître devait être compté parmi les contribuables.
 
Parmi les nombreuses humiliations auxquelles les Juifs furent soumis dans les années ultérieures, après la destruction du temple, il y eut le paiement obligatoire de ce qui avait été leur tribut au temple, aux Romains, qui le décrétèrent comme revenu au temple païen de Jupiter Capitolinus. Josèphe (Guerres des Juifs, VII, 6-6) dit à propos de l'empereur Vespasien : « Il imposa également un tribut partout où ils étaient et commanda à chacun d'eux d'apporter annuellement deux drachmes au Capitole, étant donné qu'ils payaient cela au temple de Jérusalem. »
 
5. Talents et deniers : Il est évident qu'en disant que la somme due au roi était de dix mille talents et que la dette de l'autre serviteur était de cent deniers, le Seigneur voulait présenter un cas de grande inégalité et de contraste frappant. Les montants réels dont il est question ont une importance mineure dans l'histoire. On ne nous parle pas de quelle espèce de talent il est question ; il y avait des talents attiques, et également des talents d'argent et d'or faisant partie du calcul hébraïque ; et chacun avait une valeur différente des autres. L'explication marginale de la version d'Oxford est : « Un talent est sept cent cinquante onces d'argent, ce qui, à cinq shillings l'once, représente cent-quatre-vingt-sept livres, dix shillings. » Les dix mille talents feraient ainsi en argent américain neuf millions et quart de dollars. La même autorité donne comme valeur du denier (romain), sept pence et un demi-penny, ce qui rend la deuxième dette équivalente à quinze dollars environ. On peut comparer ce taux aux talents mentionnés ailleurs. Trench dit : « Nous pouvons nous représenter d'une manière extrêmement frappante combien la somme était vaste en la comparant à d'autres sommes mentionnées dans les Écritures. Dans la construction du tabernacle, on utilisa vingt-neuf talents d'or (Ex 38:24) ; David prépara pour le temple trois mille talents d'or, et les princes, cinq mille (1 Ch 29:4-7), la reine de Saba remit à Salomon cent vingt talents (1 Rois 10:10), le roi d'Assyrie mit sur Ezéchias trente talents d'or (2 R 18:14), et dans l'appauvrissement extrême auquel le pays fut amené en fin de compte, un talent d'or lui fut imposé par le roi d'Égypte après la mort de Josias (2 Ch 36:3). » Farrar estime que la dette due au roi était 1250 000 fois plus grande que celle que devait le petit débiteur au grand.
 
6. La théorie selon laquelle le Sauveur approuvait l'esclavage : Certains lecteurs ont cru trouver dans la parabole du serviteur impitoyable une approbation sous-entendue de l'institution de l'esclavage. Le grand débiteur de cette histoire devait être vendu avec sa femme, ses enfants et tout ce qu'il avait. Si l'on examine raisonnablement l'histoire dans son ensemble, on trouvera tout au plus, dans cet incident où le roi commande que l'on vende le débiteur et sa famille, que le système d'achat et de vente des serviteurs, serfs ou esclaves était légalement reconnu à l'époque. L'objectif de la parabole n'était pas, même de loin, d'approuver ou de condamner l'esclavage ou n'importe quelle autre institution sociale. La loi mosaïque est explicite dans les problèmes relatifs aux serviteurs. « L'ange de l'Éternel » qui apporta à Agar un message d'encouragement et de bénédiction respecta l'autorité de sa maîtresse (Gn 16:8,9). À l'époque apostolique, les enseignements visaient à une vie droite suivant la loi séculière, pas à la révolte contre le système (Ep 6:5, Col 3:22, 1 Tm 6:1-3, 1 P 2:18). Ce n'est pas parce qu'on reconnaît des coutumes, des institutions et des lois établies et qu'on s'y conforme qu'on les approuve nécessairement. L'Évangile de Jésus-Christ, qui doit un jour régénérer le monde, prévaudra, non par des attaques révolutionnaires contre les gouvernements existants, ni par l'anarchie et la violence - mais en enseignant à chacun son devoir et en répandant l'esprit d'amour. Quand l'amour de Dieu recevra une place dans le cœur des hommes, quand les hommes aimeront leur prochain avec désintéressement, alors les systèmes sociaux et les gouvernements seront formés pour assurer le plus grand bien à la majorité. Tant que les hommes n'ouvriront pas le cœur pour recevoir l'Évangile de Jésus-Christ, on peut être sûr que l'injustice et l'oppression, la servitude et l'esclavage régneront sous une forme ou sous une autre. Les tentatives d'extirper les situations sociales qui résultent de l'égoïsme des individus ne peuvent être que futiles tant que l'on permettra à l'égoïsme de prospérer et de se propager.
 
 
CHAPITRE 25 : JÉSUS DE RETOUR À JÉRUSALEM
 
DÉPART DE GALILÉE [1]
 
Nous n'avons rien à part les instructions qu'il donna aux apôtres, sur les travaux que le Seigneur accomplit au cours de son bref séjour en Galilée, à son retour de la région de Césarée de Philippe. Son ministère galiléen, du moins en ce qui concerne le grand public, avait pratiquement pris fin avec le discours qu'il prononça à Capernaüm quand il y retourna après les miracles de la deuxième multiplication des pains et de la marche sur la mer. À Capernaüm, un grand nombre de disciples s'étaient détournés du Maître [2] ; à présent, après une brève visite, il se préparait à quitter le pays dans lequel une si grande partie de son œuvre publique s'était accomplie.
 
C'était l'automne ; six mois environ s'étaient écoulés depuis que les apôtres étaient revenus de leur tournée missionnaire ; et la fête des Huttes était proche. Des parents de Jésus vinrent le trouver et lui proposèrent de se rendre à Jérusalem et de profiter de l'occasion de la grande fête nationale pour se déclarer plus ouvertement qu'il ne l'avait fait jusqu'alors. Ses frères, comme on appelle les parents visiteurs, l'exhortèrent à déployer sa puissance dans un domaine plus large et plus important que la Galilée, arguant qu'il était illogique de demeurer dans une obscurité relative alors qu'il voulait être connu de tout le monde. « Manifeste-toi au monde », dirent-ils. Quels qu'aient été leurs motifs, ce n'était pas par zèle pour sa mission divine que ses frères lui recommandaient de se faire connaître davantage ; en effet, on nous dit expressément qu'ils ne croyaient pas en lui [3]. Jésus répondit à leur conseil présomptueux : « Le moment n'est pas encore venu pour moi, mais pour vous le moment est toujours opportun. Le monde ne peut vous haïr ; il a de la haine pour moi, parce que je rends de lui le témoignage que ses œuvres sont mauvaises. Montez, vous, à la fête. Moi, je ne monte pas encore à cette fête, parce que le moment pour moi n'est pas encore accompli. » Il ne rentrait pas dans leurs prérogatives de diriger ses mouvements ni de dire quand il devait faire même ce qu'il avait l'intention de faire un jour [4]. Il montra clairement qu'il y avait, entre leur situation et la sienne, des différences essentielles ; ils étaient du monde, qu'ils aimaient comme le monde les aimait ; mais le monde le haïssait à cause de son témoignage.
 
Cette conversation entre Jésus et ses frères se produisit en Galilée. Ils se mirent bientôt en route, le laissant derrière eux. Il n'avait pas dit qu'il n'irait pas à la fête [du moins dans la version du roi Jacques qui dit : « Je ne monte pas encore à cette fête, car mon temps n'est pas encore pleinement venu », ndt]. Peu de temps après leur départ, il les suivit, voyageant « non pas de façon manifeste, mais comme en secret ». On ne nous dit pas s'il y alla seul ou si l'un des Douze ou tous les Douze l'accompagnèrent,
 
À LA FÊTE DES HUTTES
 
On pourra juger de l'agitation de l'opinion publique vis-à-vis de Jésus par l'intérêt que l'on manifesta à Jérusalem pour la probabilité de sa présence à cette fête. Ses frères, que l'on questionna vraisemblablement, ne pouvaient donner de renseignements précis sur sa venue. On le rechercha dans les foules, on discuta beaucoup et on se disputa même quelque peu à son sujet. Beaucoup de gens exprimèrent leur conviction qu'il était un brave homme, tandis que d'autres étaient d'un avis contraire, prétendant que c'était un trompeur. Il y eut cependant peu de discussions ouvertes, car le peuple craignait d'encourir le mécontentement des dirigeants.
 
À l'origine, lorqu'elle fut établie, la fête des Huttes était une fête de sept jours, suivie d'une sainte convocation le huitième jour. Chaque jour était marqué de services spéciaux et, sous certains rapports, bien particuliers, tous caractérisés par des cérémonies d'actions de grâce et de louanges [5]. « Au milieu de la fête », probablement le troisième ou le quatrième jour, « Jésus monta au temple ; et il enseignait. » La première partie de son discours n'est pas rapportée, mais on peut juger de sa valeur scripturaire par la surprise des instructeurs juifs, qui se demandèrent entre eux : « Comment connaît-il les Écritures lui qui n'a pas étudié ? » Il n'était pas diplômé de leurs écoles, il ne s'était jamais assis aux pieds de leurs rabbis, ils ne l'avaient pas accrédité officiellement ni diplômé pour qu'il pût enseigner. D'où venait sa sagesse, devant laquelle leurs accomplissements académiques n'étaient rien ? Jésus répondit à leurs questions troublées en disant : « Mon enseignement n'est pas de moi, mais de celui qui m'a envoyé. Si quelqu'un veut faire sa volonté, il reconnaîtra si cet enseignement vient de Dieu, ou si mes paroles viennent de moi-même. » Son Maître, qui était encore plus grand que lui, était le Père éternel, dont il proclamait la volonté. Les preuves qu'il proposait pour déterminer si sa doctrine était la vérité étaient parfaitement justes et en outre simples ; quiconque cherchait sincèrement à faire la volonté du Père saurait par lui-même si Jésus disait la vérité ou enseignait l'erreur [6]. Le Maître entreprit de montrer qu'un homme qui parle de sa propre autorité uniquement cherche à se glorifier. Tel n'était pas le cas de Jésus ; il honorait son Maître, son Père, son Dieu et non pas lui-même ; on ne pouvait donc l'accuser d'orgueil égoïste ni d'impiété. Moïse leur avait donné la loi ; cependant, affirmait Jésus, aucun d'eux ne respectait la loi.
 
Puis soudain, il leur lança une question, comme un défi : « Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir ? » En de nombreuses occasions ils avaient tenu entre eux de sombres conciliabules sur le moyen de le faire tomber en leur pouvoir et de le mettre à mort ; mais ils pensaient que leur secret meurtrier était caché dans leur propre cercle. Le peuple avait entendu les affirmations trompeuses des classes dirigeantes selon lesquelles Jésus était possédé d'un démon et qu'il accomplissait des miracles par le pouvoir de Béelzébul ; et c'est dans l'esprit de cette calomnie blasphématoire qu'ils s'écrièrent : « Tu as un démon. Qui cherche à te faire mourir ? »
 
Jésus savait que les deux chefs d'accusation sur lesquels les dirigeants s'efforçaient avec la plus grande assiduité de le condamner dans l'esprit du peuple, et de tourner ainsi ce peuple contre lui, étaient la violation du sabbat et le blasphème. Lors d'une visite antérieure à Jérusalem, il avait guéri un homme affligé le jour du sabbat et avait complètement déconcerté ses accusateurs hypercritiques qui, à ce moment, avaient cherché à le faire mourir [7]. C'est à cet acte de miséricorde et de puissance que Jésus faisait maintenant allusion, lorsqu'il dit : « J'ai fait une œuvre et vous en êtes tous étonnés. » Leur opinion était apparemment encore vacillante, doutant s'ils devaient l'accepter à cause du miracle ou le dénoncer parce qu'il l'avait fait le jour du sabbat. Puis il montra combien il était illogique de l'accuser d'enfreindre le sabbat en accomplissant pareil acte de miséricorde, alors que la loi de Moïse permettait expressément les actes miséricordieux et exigeait même que le rite obligatoire de la circoncision ne fût pas remis à plus tard à cause du sabbat. « Ne jugez pas selon l'apparence, mais jugez selon un juste jugement », dit-il.
 
Les masses étaient divisées dans leur opinion sur Jésus et étaient en outre embarrassées à cause de l'indécision des dirigeants. Certains d'entre les Juifs de Jérusalem avaient connaissance du plan qui avait été fomenté pour l'arrêter et, si possible, le faire mourir, et le peuple demanda pourquoi on ne faisait rien, alors qu'il était là en train d'enseigner publiquement à portée de main des fonctionnaires. Il se demandait si les dirigeants n'en étaient pas au moins arrivés à croire que Jésus était vraiment le Messie. Cependant cette pensée fut balayée lorsqu'ils se souvinrent que tous savaient d'où il venait ; c'était un Galiléen, et de Nazareth en plus, tandis que, comme on le leur avait enseigné, quoique à tort, l'avènement du Christ devait être mystérieux de sorte que nul ne saurait d'où il venait. C'était étrange, en effet, que les hommes le rejetassent parce que son avènement manquait de mystérieux et de miraculeux ; alors que s'ils avaient connu la vérité, ils auraient vu dans sa naissance un miracle sans précédent ni parallèle dans les annales du temps. Jésus répondit d'une manière directe à leur faible et défectueux raisonnement. Parlant d'une voix forte dans les cours du temple, il leur assura que s'ils savaient d'où il venait et qu'il était l'un d'eux, ils ne savaient pourtant pas qu'il était venu de Dieu et ne connaissaient pas non plus Dieu qui l'avait envoyé. « Moi, je le connais, car je suis là de sa part et c'est lui qui m'a envoyé. » En entendant répéter ce témoignage de son origine divine, les Juifs en furent d'autant plus enragés et décidèrent de nouveau de le prendre de force ; néanmoins nul ne porta la main sur lui « parce que son heure n'était pas encore venue ».
 
Beaucoup de personnes croyaient dans leur cœur qu'il était de Dieu et se risquèrent à se demander entre elles si le Christ ferait des œuvres plus grandes que celles que Jésus avait faites. Les Pharisiens et les principaux sacrificateurs craignirent une démonstration possible en faveur de Jésus et envoyèrent immédiatement des huissiers pour l'arrêter et l'amener devant le sanhédrin [8]. La présence de la police du temple n'interrompit pas le discours du Maître, quoique nous puissions raisonnablement conclure qu'il connaissait le but de leur mission. Il continua à parler, disant qu'il ne serait plus qu'un peu de temps parmi le peuple, et que lorsqu'il serait retourné auprès du Père, ils le chercheraient en vain, car là où il serait, ils ne pourraient pas venir. Cette réflexion provoqua de nouveau d'âpres discussions. Certains Juifs se demandèrent s'il avait l'intention de quitter le territoire pour s'en aller parmi les Gentils afin de les instruire, eux et les Israélites dispersés.
 
Dans le cadre du service du temple requis par la fête, le peuple se rendait en procession au réservoir de Siloé [9] où un prêtre remplissait une aiguière d'or, qu'il portait ensuite sur l'autel où il déversait l'eau, au milieu de sonneries de trompettes et des acclamations des foules assemblées [10]. Selon les autorités en matière de coutumes juives, ce rite était omis le dernier jour de la fête. En ce dernier jour, « le grand jour », qui était marqué par des cérémonies d'une solennité et d'une réjouissance extraordinaires, Jésus se trouvait de nouveau dans le temple. Il se peut que ce soit en allusion au transport de l'eau depuis le réservoir, ou à l'omission de la cérémonie dans la procédure rituelle du grand jour, que Jésus s'écria d'un voix forte qui résonna à travers les cours et les arcades du temple : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive couleront de son sein, comme dit l'Écriture » [11]. 
 
Jean, qui rapporte cet événement, note entre parenthèses que cette promesse se rapportait au don du Saint-Esprit qui, à cette époque, n'avait pas été accordé, et qui ne devait l'être qu'après l'ascension du Seigneur ressuscité [12].
 
De nouveau beaucoup de personnes parmi le peuple furent à ce point frappées qu'elles déclarèrent que Jésus ne pouvait être que le Messie ; mais d'autres firent objection, disant que le Christ devait venir de Bethléhem de Judée et que l'on savait que Jésus venait de Galilée [13]. Ainsi il y eut de nouveau des dissensions. Certains voulaient le voir arrêter, mais il ne se trouvait personne pour se risquer à mettre la main sur lui.
 
Les gardes retournèrent sans leur prisonnier. Questionnés avec colère par les principaux sacrificateurs et les Pharisiens sur la raison pour laquelle ils ne l'avaient pas amené, ils reconnurent qu'ils avaient été à ce point touchés par ses enseignements qu'ils avaient été incapables de l'arrêter. « Jamais homme n'a parlé comme parle cet homme », dirent-ils. Leurs maîtres hautains étaient furieux. « Est-ce que vous aussi vous avez été séduits ? » demandèrent-ils ; ils poursuivirent : « Y a-t-il quelqu'un des chefs ou des Pharisiens qui ait cru en lui ? » Que valait l'opinion des gens du commun ? Ils n'avaient jamais étudié la loi et étaient par conséquent maudits et sans importance. Et pourtant, malgré toute cette démonstration d'un orgueilleux dédain, les principaux sacrificateurs et les Pharisiens avaient peur de la masse, et leurs desseins mauvais furent de nouveau arrêtés.
 
Une faible protestation se fit entendre dans l'assemblée. Nicodème, membre du sanhédrin, celui-là même qui était venu trouver Jésus de nuit pour s'informer du nouvel enseignement [14], trouva le courage de demander : « Notre loi juge-t-elle un homme avant qu'on l'ait entendu et qu'on sache ce qu'il a fait ? » La réponse fut insultante. Rendus furieux par leur étroitesse d'esprit et leur fanatisme sanguinaire, certains de ses collègues se tournèrent vers lui en lui demandant sauvagement : « Serais-tu, toi aussi, de la Galilée ? » Voulant dire, es-tu aussi disciple de ce Galiléen que nous haïssons ? On dit sèchement à Nicodème d'étudier les Écritures, et il lui serait impossible de trouver la moindre prédiction disant qu'un prophète serait suscité en Galilée. La colère de ces fanatiques savants les avait aveuglés même à leur propre connaissance dont ils se vantaient tant, car plusieurs des anciens prophètes étaient considérés comme Galiléens [15] ; cependant s'ils n'avaient voulu dire que ce prophète dont Moïse avait parlé, le Messie, ils avaient raison, puisque toutes les prédictions disaient que Bethléhem de Judée serait le lieu de sa naissance. Il est évident qu'on croyait que Jésus était natif de Nazareth et que les circonstances de sa naissance n'étaient pas connues du public.
 
« VA, ET NE PÈCHE PLUS » [16]
 
La fête terminée, Jésus se rendit très tôt un matin au temple ; et comme il était assis, probablement dans la cour des femmes, qui était le lieu où le public s'assemblait communément, beaucoup s'attroupèrent autour de lui, et il se mit en devoir de les instruire comme c'était sa coutume. Son discours fut interrompu par l'arrivée d'un groupe de scribes et de Pharisiens gardant une femme, qui, disaient-ils, était coupable d'adultère. Voici ce qu'ils dirent à Jésus et la question qu'ils lui posèrent : « Moïse, dans la loi, nous a prescrit de lapider de telles femmes : toi donc, que dis-tu ? » Le cas qu'ils soumettaient à Jésus était un piège arrangé d'avance, une tentative délibérée de trouver ou de créer une raison de l'accuser. Bien qu'il ne fût pas extraordinaire chez les fonctionnaires juifs de consulter les rabbis quand l'on devait décider de cas difficiles, le cas en cause ici n'entraînait aucune complication légale. La culpabilité de la femme semble n'avoir fait aucun doute, bien que l'on ne dise pas que les témoins exigés par les lois comparurent, à moins qu'il ne faille considérer comme tels les scribes et les Pharisiens accusateurs ; la loi était explicite, et la manière dont on traitait ce genre de transgresseurs à l'époque était bien connue. S'il est vrai que le châtiment de l'adultère décrété par la loi de Moïse était la mort par lapidation, on avait cessé d'infliger la peine capitale longtemps avant l'époque de Jésus. On peut demander avec raison pourquoi le complice de la femme n'avait pas été amené pour être condamné, puisque la loi citée avec autant de zèle par les accusateurs trop empressés prévoyait que les deux parties impliquées dans le délit devaient être punies [17].
 
On peut déduire de la question des scribes et des Pharisiens : « Toi donc, que dis-tu ? » qu'ils s'attendaient à ce que Jésus déclarât la loi démodée ; ils avaient peut-être entendu parler du sermon sur la montagne, dans lequel avaient été proclamées de nombreuses lois avancées par rapport au code mosaïque [18]. Si Jésus avait décidé que la malheureuse devait subir la mort, ses accusateurs auraient pu dire qu'il défiait les autorités existantes ; et on aurait peut-être pu l'accuser de s'opposer au gouvernement romain, puisque le pouvoir d'infliger la peine de mort avait été retiré à tous les tribunaux juifs ; en outre, le crime dont cette femme était accusée n'était pas une infraction capitale selon la loi romaine. S'il avait dit que la femme devait être acquittée ou n'être punie que légèrement les Juifs rusés l'auraient accusé de manquer de respect pour la loi de Moïse. Jésus fit tout d'abord peu attention à tous ces scribes et à ces Pharisiens. Se baissant, il traça quelque chose du doigt sur le sol ; et tandis qu'il écrivait, ils continuèrent à le questionner. Se redressant, il leur répondit d'une phrase précise qui est devenue proverbiale : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette le premier la pierre. » Telle était la loi ; les accusateurs sur le témoignage de qui la peine de mort était prononcée devaient être les premiers à mettre la sentence à exécution [19].
 
Ayant parlé, Jésus se baissa de nouveau et écrivit sur le sol. Les accusateurs de la femme furent « accusés par leur conscience » ; honteux et confus, ils partirent tous furtivement, du plus jeune au plus vieux. Ils savaient qu'ils n'étaient dignes d'apparaître ni comme accusateurs ni comme juges [20]. Comme la conscience rend les gens lâches ! Alors Jésus se releva et dit : « Femme, où sont [tes accusateurs] ? Personne ne t'a condamnée ? Elle répondit : Personne, Seigneur. Et Jésus lui dit. Moi non plus je ne te condamne pas ; va, et désormais ne pèche plus » [21]. 
 
La femme était repentante ; elle resta humblement à attendre la décision du Maître, même après le départ des accusateurs. Jésus ne fit pas expressément preuve d'indulgence ; il refusa de condamner mais renvoya la pécheresse en l'adjurant solennellement de vivre mieux [22].
 
LA LUMIÈRE DU MONDE [23]
 
Assis dans l'enceinte du temple dans la section appelée le trésor, qui était reliée à la cour des femmes [24], notre Seigneur continua son enseignement, disant : « Moi, je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie » [25]. Les grandes lampes installées dans la cour dans le cadre de la joyeuse fête qui venait de se terminer donnèrent l'occasion à notre Seigneur de s'affirmer la lumière du monde. C'était une nouvelle proclamation qu'il était Dieu et Fils de Dieu. Les Pharisiens mirent en doute son témoignage, déclarant qu'il n'avait aucune valeur s'il rendait témoignage de lui-même. Jésus reconnut qu'il témoignait de lui-même mais affirma néanmoins que ce qu'il disait était vrai, car il savait de quoi il parlait, d'où il venait et où il irait, tandis qu'eux parlaient dans l'ignorance. Ils pensaient, parlaient et jugeaient à la manière des hommes et de la faiblesse de la chair ; lui ne jugeait pas, mais s'il décidait de le faire le jugement serait juste, parce qu'il était guidé par le Père qui l'avait envoyé. Leur loi réclamait le témoignage de deux témoins pour pouvoir décider légalement d'un fait [26], et Jésus se cita lui-même ainsi que son Père comme témoins pour soutenir son affirmation. Ses adversaires demandèrent alors avec une intention méprisante ou sarcastique : « Où est ton Père ? » Il répliqua sur un ton élevé : « Vous ne connaissez ni moi, ni mon Père. Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. » Enragés de leur propre déconfiture, les Pharisiens voulurent le saisir mais se trouvèrent impuissants à le faire. « Personne ne l'arrêta, parce que son heure n'était pas encore venue. »
 
LA VÉRITÉ VOUS RENDRA LIBRES [27]
 
S'adressant de nouveau à la foule mixte, qui comprenait probablement des Pharisiens, des scribes et des rabbis, des prêtres, des Lévites et des laïcs, Jésus répéta ce qu'il avait déjà dit, à savoir qu'il les quitterait bientôt, et qu'ils ne pourraient pas le suivre là où il allait ; et il ajouta l'assurance fatidique qu'ils le chercheraient en vain et mourraient dans leurs péchés. On traita son avertissement solennel avec légèreté sinon avec mépris. Certains d'entre eux demandèrent, maussades : « Se tuera-t-il lui-même ? », sous-entendant qu'en pareil cas ils ne le suivraient certainement pas ; car selon leur dogme, la géhenne était le lieu pour les suicidés, tandis qu'eux, qui faisaient partie du peuple élu, étaient destinés au ciel et non à l'enfer. La réplique pleine de dignité du Seigneur fut : « Vous êtes d'en bas ; moi je suis d'en haut. Vous êtes de ce monde, moi, je ne suis pas de ce monde. C'est pourquoi je vous ai dit que vous mourrez dans vos péchés ; car si vous ne croyez pas que Moi je suis, vous mourrez dans vos péchés. »
 
Cette répétition de sa supériorité distincte entraîna la question cruciale : « Qui es-tu ? » Jésus répondit : « Ce que je vous dis dès le commencement. » Il s'abstint de parler des nombreux sujets sur lesquels il aurait pu les juger mais témoigna de nouveau du Père, disant : « Celui qui m'a envoyé est vrai, et ce que j'ai entendu de lui, je le dis au monde. » Aussi claires qu'eussent été ses explications antérieures, les Juifs, dans leurs préjugés grossiers, « ne comprirent pas qu'il leur parlait du Père ». Jésus attribua à son Père tout l'honneur et toute la gloire et se déclara à plusieurs reprises envoyé pour faire la volonté du Père. « Jésus donc leur dit : Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous connaîtrez que je suis et que je ne fais rien de moi-même, mais que je parle selon ce que le Père m'a enseigné. Celui qui m'a envoyé est avec moi ; il ne m'a pas laissé seul, parce que moi, je fais toujours ce qui lui est agréable. »
 
La ferveur évidente et la conviction profonde avec lesquelles Jésus parla firent que beaucoup de ses auditeurs crurent en lui ; c'est à ceux-là qu'il s'adressa, leur promettant que s'ils restaient fidèles à cette croyance et conformaient leur vie à sa parole, ils seraient vraiment ses disciples. Il ajouta encore une autre promesse : « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres. » Sur ces mots, si riches en bénédictions et si pleins de consolation pour l'âme croyante, le peuple fut poussé à des démonstrations de colère ; son tempérament juif s'était immédiatement enflammé. Lui promettre la liberté, c'était sous-entendre qu'il n'était pas libre déjà. « Nous sommes la descendance d'Abraham et nous n'avons jamais été esclaves de personne ; comment dis-tu : Vous deviendrez libres ? » Dans son fanatisme sans frein, il avait oublié l'esclavage d'Égypte, la captivité de Babylone, et il oubliait qu'il était à ce moment-là vassal de Rome. Dire qu'Israël n'avait jamais été en esclavage, c'était non seulement se rendre coupable de mensonge mais se rendre misérablement ridicule.
 
Jésus expliqua qu'il n'avait pas parlé de liberté dans son sens matériel ou politique uniquement, conception contre laquelle les Juifs s'étaient élevés ; la liberté qu'il proclamait était la liberté spirituelle ; l'esclavage pesant dont il voulait les délivrer était la servitude du péché. Quand ils se vantèrent d'être des hommes libres et non des esclaves, il répondit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque commet le péché est esclave du péché. » Étant pécheurs ils étaient tous en esclavage. L'esclave, leur rappela Jésus, n'était que toléré dans la maison du maître ; il n'avait pas de droit inhérent à y rester ; le propriétaire pouvait le renvoyer quand il voulait et pouvait même le vendre à quelqu'un d'autre ; mais un fils de la famille avait, de par sa naissance même, droit à une place dans la maison de son père. Or, si le Fils de Dieu les rendait libres, ils seraient véritablement libres. Bien qu'ils fussent de la lignée d'Abraham dans la chair, ils n'étaient pas héritiers d'Abraham dans l'esprit ni dans les œuvres. Lorsque le Seigneur déclara que son Père était distinct du leur, ils répétèrent en colère : « Notre père, c'est Abraham », à quoi Jésus répliqua : « Si vous êtes enfants d'Abraham, faites les œuvres d'Abraham. Mais maintenant, vous cherchez à me faire mourir, moi un homme qui vous ai dit la vérité que j'ai entendue de Dieu. Cela, Abraham ne l'a pas fait. Vous faites les œuvres de votre père. » Dans leur colère aveugle, ils interprétèrent apparemment cela comme voulant dire que bien qu'ils fussent enfants de la maison d'Abraham, quelque autre homme qu'Abraham était leur ancêtre véritable, ou qu'ils n'étaient pas Israélites pur sang. « Nous ne sommes pas des enfants illégitimes », s'écrièrent-ils ; « nous avons un seul Père, Dieu. Jésus leur dit : Si Dieu était votre Père, vous m'aimeriez, car c'est de Dieu que je suis sorti et que je viens ; je ne suis pas venu de moi-même, mais c'est lui qui m'a envoyé. »
 
Ils ne purent comprendre parce qu'ils refusaient avec entêtement d'écouter impartialement. Dans une violente accusation, Jésus leur dit de qui ils étaient véritablement les enfants, d'après ce que montraient les traits héréditaires qu'ils manifestaient dans leur vie : « Vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne s'est pas tenu dans la vérité, parce que la vérité n'est pas en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, ses paroles viennent de lui-même, car il est menteur et le père du mensonge [28]. Et moi, parce que je dis la vérité, vous ne me croyez pas ! » Il les défia de trouver du péché en lui et demanda ensuite pourquoi, s'il disait la vérité, ils se refusaient avec tant de persistance à le croire. Répondant à sa propre question il leur dit qu'ils n'étaient pas de Dieu et que, par conséquent, ils ne comprenaient pas les paroles de Dieu. Le Maître était inattaquable ; ses affirmations concises et précises étaient irréfutables. Animés d'une rage impuissante, les Juifs déconfits eurent recours à l'invective et à la calomnie. « N'avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain et que tu as en toi un démon ? » hurlèrent-ils. Ils l'avaient déjà appelé Galiléen ; cette appellation n'était que moyennement péjorative ; en outre, c'était une désignation correcte selon la connaissance qu'ils avaient ; mais l'épithète « Samaritain » était inspirée par la haine [29] et en l'appliquant ils voulaient nier qu'il était Juif.
 
En l'accusant d'être démoniaque, ils ne faisaient que répéter des calomnies antérieures. « Jésus répondit : Je n'ai pas de démon, mais j'honore mon Père, et vous me déshonorez. » Revenant aux richesses éternelles qu'offrait son Évangile, le Maître dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu'un garde ma parole, il ne verra jamais la mort. » Cela les rendît encore plus furieux : « Maintenant nous savons que tu as en toi un démon », s'écrièrent-ils, et pour prouver qu'ils avaient raison de le tenir pour insensé, ils citèrent le fait qu'aussi grands que furent Abraham et les prophètes, ils étaient morts, et cependant Jésus osait dire que tous ceux qui gardaient sa parole seraient exemptés de la mort. Prétendait-il s'exalter au-dessus d'Abraham et des prophètes ? « Qui prétends-tu être ? » demandèrent-ils. La réponse du Seigneur montra qu'il rejetait toute gloire personnelle ; son honneur, il ne l'avait pas cherché, c'était le don de son Père, qu'il connaissait ; et s'il devait nier qu'il connaissait le Père, il serait un menteur comme eux. En ce qui concerne les rapports qui existaient entre lui et le grand patriarche de leur race, Jésus affirma ainsi sa propre suprématie : « Abraham, votre père, a tressailli d'allégresse (à la pensée) de voir mon jour : il l'a vu, et il s'est réjoui. » Non seulement furieux mais également intrigués, les Juifs lui demandèrent de s'expliquer plus clairement. Dans leur esprit, la dernière déclaration ne s'appliquait qu'à l'état mortel, et ils demandèrent donc : « Tu n'as pas encore cinquante ans et tu as vu Abraham ? » Jésus répondit : « En vérité, en vérité, je vous le dis avant qu'Abraham fût, moi, je suis. »
 
Le Seigneur déclarait là sans équivoque et sans ambiguïté sa divinité éternelle. C'est sous ce titre, JE SUIS, qu'il s'était révélé à Moïse, et c'est à ce titre qu'on l'appela en Israël par la suite [30]. Comme nous l'avons déjà montré, c'est l'équivalent de « Yahweh », ou « Jahveh », que l'on rend maintenant par le mot « Jéhovah » et signifie « celui qui existe par lui-même », « l'Éternel », « le Premier et le Dernier » [31]. Le traditionalisme juif interdisait de prononcer le Nom sacré ; et pourtant Jésus affirmait que c'était le sien. Dans une accès d'indignation pharisaïque, les Juifs se saisirent des pierres qui se trouvaient dans les cours non terminées et auraient écrasé leur Seigneur, mais l'heure de sa mort n'était pas encore venue, et, sans qu'ils le vissent, il passa au milieu d'eux et quitta le temple.
 
L'idée qu'il était avant Abraham avait clairement trait à la situation de chacun d'eux dans l'état pré-mortel ou préexistant ; Jésus était aussi littéralement le Premier-Né dans le monde spirituel qu'il était le Seul engendré dans la chair. Le Christ est aussi réellement le Frère aîné d'Abraham et d'Adam que du dernier-né de la terre [32].
 
LA CÉCITÉ CORPORELLE ET SPIRITUELLE - LA VUE RENDUE À UN HOMME LE JOUR DU SABBAT [33]
 
À Jérusalem, Jésus rendit miséricordieusement la vue à un homme qui était aveugle de naissance [34]. Ce miracle est un exemple de guérison le jour du sabbat qui revêt un intérêt plus qu'ordinaire à cause des incidents qui l'accompagnèrent. Seul Jean le rapporte et, comme d'habitude chez cet écrivain, son récit comporte des détails descriptifs. Jésus et ses disciples virent l'aveugle dans la rue. Le pauvre vivait d'aumônes. Les disciples, vivement désireux d'apprendre, demandèrent : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle ? » Le Seigneur répondit : « Ce n'est pas que lui ou ses parents aient péché ; mais c'est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. » La question des disciples implique qu'ils croyaient que la mortalité était précédée d'un état dans lequel l'individu avait son libre arbitre et pouvait choisir ; sinon, comment auraient-ils pu penser que l'homme pouvait avoir péché de manière à s'attirer une cécité congénitale ? Il nous est dit expressément qu'il était né aveugle. On pouvait concevoir qu'il eût pu souffrir des péchés de ses parents [35]. Les disciples avaient de toute évidence appris la grande vérité que nous avons existé avant la vie mortelle. On peut voir en outre qu'ils considéraient l'affliction corporelle comme le résultat de péchés commis personnellement. Ils généralisaient trop ; en effet si, comme l'ont montré des cas cités jusqu'à présent [36], les péchés que commet l'individu peuvent entraîner et entraînent des maux physiques, l'homme peut se tromper dans ce qu'il juge être la cause ultime de l'affliction. La réponse du Seigneur était suffisante ; la cécité de l'homme s'expliquait en ce sens qu'elle provoquerait une manifestation de puissance divine. Comme Jésus l'expliqua concernant son propre ministère, il était nécessaire qu'il accomplit l'œuvre du Père au moment voulu, car son temps était court. Avec un à-propos frappant, puisqu'il parlait de l'état de l'homme qui s'était trouvé toute sa vie dans les ténèbres, notre Seigneur répéta ce qu'il avait affirmé précédemment au temple : « Je suis la lumière du monde. »
 
La manière visible dont l'homme fut guéri fut différente du procédé employé ordinairement par Jésus. « Il cracha par terre et fit de la boue avec sa salive. Puis il appliqua cette boue sur les yeux de l'aveugle » ; ensuite il lui ordonna de se rendre au réservoir de Siloé et de se laver dans ses eaux [37]. L'homme s'en alla, se lava et revînt guéri. C'était de toute évidence un personnage bien connu, beaucoup l'avaient vu dans son coin habituel mendiant des aumônes, et le fait qu'il était aveugle de naissance était également connu de tout le monde. C'est pourquoi, lorsque le bruit se répandit qu'il pouvait voir, il y eut une vive émotion et beaucoup de commentaires. Certains doutèrent que l'homme qu'ils questionnaient fût l'ancien aveugle ; mais il les assura de son identité et leur dit comment il avait recouvré la vue. On amena l'homme aux Pharisiens, qui lui firent subir un interrogatoire serré et, ayant entendu son récit du miracle, essayèrent de saper sa foi en lui disant que Jésus qui l'avait guéri ne pouvait être homme de Dieu puisqu'il avait accompli cette action le jour du sabbat. Certains de ceux qui entendirent objectèrent à la déduction des Pharisiens et demandèrent : « Comment un homme pécheur peut-il faire de tels miracles ? » On demanda à l'homme son opinion personnelle sur Jésus, et il répondit promptement : « C'est un prophète. » Cet homme savait que son bienfaiteur était un être plus qu'ordinaire ; mais jusqu'à présent il ne savait pas que c'était le Christ.
 
Les Juifs inquisiteurs craignaient les effets d'une guérison aussi merveilleuse, en ce que le peuple soutiendrait Jésus, que les dirigeants étaient décidés à mettre à mort. Ils considérèrent comme possible que l'homme n'ait pas été réellement aveugle ; ils firent donc venir ses parents qui répondirent à leurs questions en affirmant qu'il était leur fils et qu'ils savaient qu'il était né aveugle ; mais ils refusèrent de s'engager quant au point de savoir comment il avait recouvré la vue, ou par le ministère de qui, sachant que les dirigeants avaient décrété que quiconque pensait que Jésus était le Christ serait rejeté de la communauté de la synagogue ou, comme nous le dirions aujourd'hui, excommunié de l'Église. Avec une astuce pardonnable les parents dirent de leur fils : « Interrogez-le, il est assez âgé pour parler de ce qui le concerne. »
 
Obligés de se reconnaître à eux-mêmes du moins que la guérison de l'aveugle et la manière dont elle avait été accomplie constituaient des faits corroborés par des preuves irréfutables, les Juifs rusés rappelèrent l'homme et lui dirent sournoisement : « Donne gloire à Dieu ; nous savons que cet homme est pécheur. » Il répliqua hardiment, et avec une logique tellement pleine d'à-propos qu'elle déjoua leur habileté d'examinateurs : « S'il est pécheur, je ne le sais pas ; je sais une chose : j'étais aveugle, maintenant je vois. » Il refusait comme il convenait d'entrer en discussion avec ces savants questionneurs sur le point de savoir ce qui constituait un péché suivant leur interprétation de la loi ; il refusait de parler de ce qu'il ignorait ; mais il était une chose dont, avec joie et reconnaissance, il était certain, c'est qu'alors qu'il était aveugle, maintenant il pouvait voir.
 
Les inquisiteurs pharisaïques essayèrent ensuite de faire répéter à l'homme son histoire du moyen employé dans la guérison, probablement dans l'intention subtile de l'amener à des déclarations illogiques ou contradictoires ; mais il répliqua nettement, et peut-être en montrant quelque peu d'impatience : « Je vous l'ai déjà dit, et vous n'avez pas écouté [38] ; pourquoi voulez-vous l'entendre encore ? Voulez-vous aussi devenir ses disciples ? » Ils répliquèrent avec colère et l'injurièrent ; l'insinuation ironique qu'ils désiraient peut-être devenir les disciples de Jésus était une insulte qu'ils ne pouvaient digérer. « C'est toi qui es son disciple », dirent-ils ; « nous, nous sommes disciples de Moïse. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui-ci, nous ne savons d'où il est. » Ils étaient enragés que ce mendiant illettré répondît si hardiment en leur docte présence, mais l'homme était plus fort qu'eux tous. Sa réplique les rendit furieux parce qu'elle narguait leur sagesse dont ils étaient si fiers, et, en plus de cela, était sans réplique : « Voilà ce qui est étonnant, c'est que vous ne sachiez pas d'où il est ; et il m'a ouvert les yeux ! Nous savons que Dieu n'exauce pas les pécheurs ; mais si quelqu'un honore Dieu et fait sa volonté, celui-là il l'exauce. Jamais encore on n'a entendu dire que quelqu'un ait ouvert les yeux d'un aveugle-né. Si cet homme n'était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. »
 
Pareil affront de la part d'un laïc était sans précédent dans les annales des rabbis et des scribes. « Tu es né tout entier dans le péché, et c'est toi qui nous enseignes ! » fut leur réponse dénonciatrice quoique faible et inadéquate. Incapables de tenir tête aux arguments ou aux démonstrations de l'ex-mendiant aveugle, ils pouvaient du moins exercer leur autorité officielle, quoique injustement en l'excommuniant ; ce qu'ils firent avec promptitude. « Jésus apprit qu'ils l'avaient jeté dehors. Il le trouva et lui dit : Crois-tu au Fils de l'homme ? Il répondit : Qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui ? Tu l'as vu, lui dit Jésus, et celui qui te parle, c'est lui. Alors il dit : Je crois, Seigneur. Et il l'adora. »
 
On entendit Jésus commenter l'affaire en disant que l'un des buts pour lesquels il était venu dans le monde était « que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles ». Certains des Pharisiens surprirent la réflexion et demandèrent orgueilleusement ; « Nous aussi, sommes-nous aveugles ? » La réponse du Seigneur fut une condamnation : « Si vous étiez aveugles, vous n'auriez pas de péché. Mais maintenant vous dites : Nous voyons ; aussi votre péché demeure. »
 
BERGER ET PORTIER [39]
 
« En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n'entre point par la porte dans la bergerie, mais qui y monte par un autre côté, celui-là est un voleur et un brigand. Mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis. » C'est par ces mots que Jésus préfaça l'un de ses discours les plus impressionnants. L'allusion au berger et aux brebis dut rappeler à ses auditeurs un grand nombre des passages souvent cités des prophètes et des psaumes [40]. L'image est d'autant plus efficace lorsque nous considérons les circonstances dans lesquelles le Maître l'utilisa. La Palestine était surtout un pays pastoral, et la dignité du métier de berger était reconnue par tout le monde. Une prophétie bien précise avait promis un Berger à Israël. David, le roi dont tous les Israélites étaient fiers, avaient été pris directement de son troupeau et était venu, la houlette de berger en main, recevoir l'onction qui le rendait royal.
 
Comme le montra le Maître, l'accès aux brebis est libre au berger. Quand elles sont réunies en sécurité dans la bergerie, il entre par la porte ; il ne grimpe pas par-dessus ni ne se glisse à l'intérieur [41]. Propriétaire des brebis, il les aime ; elles connaissent sa voix et le suivent lorsqu'il les mène de la bergerie à la pâture, car il marche devant le troupeau ; tandis que l'étranger, même si c'est le portier, elles ne le connaissent pas ; il est obligé de les pousser, car il ne peut pas les conduire. Poursuivant l'allégorie, que l'écrivain appelle une parabole, Jésus se déclara être la porte des brebis et expliqua que ce n'était que par lui que les bergers pouvaient entrer à bon droit. Il y en avait, il est vrai, qui essayaient de parvenir au troupeau ou dans la bergerie en évitant la porte et en grimpant au-dessus de la clôture ; mais ceux-là c'étaient des voleurs qui essayaient de faire des brebis leur proie ; leur but égoïste et méchant était de tuer et d'emporter.
 
Changeant d'image, le Christ proclama : « Je suis le bon berger. » Puis il montra, avec une exactitude éloquente, la différence entre un berger et un mercenaire. L'un éprouve un intérêt personnel et de l'amour pour son troupeau, et connaît chaque brebis par son nom, tandis que l'autre ne les connaît que comme un troupeau dont la valeur dépend du nombre ; pour le mercenaire elles ne sont que tant ou ne valent que tant. Tandis que le berger est prêt à se battre pour défendre ce qui lui appartient et, si nécessaire, mettra même sa vie en danger pour ses brebis, le mercenaire s'enfuit lorsque le loup s'approche, laissant à la bête de proie la voie libre pour éparpiller, déchirer et tuer.
 
Jamais on n'a écrit ou prononcé de réquisitoire plus puissant contre les faux pasteurs, les instructeurs non autorisés et les mercenaires égoïstes qui enseignent pour du profit et font de la religion pour de l'argent, les trompeurs qui se présentent comme des bergers et pourtant évitent la porte et grimpent par « ailleurs », les prophètes à la solde du démon qui, pour réaliser le dessein de leur maître, n'hésitent pas à se revêtir du vêtement d'une fausse sainteté et à se déguiser en brebis, alors qu'à l'intérieur ce sont des loups ravisseurs [42].
 
Répétant efficacement, Jésus poursuivit : « Je suis le bon berger. je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et comme je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis. » C'est pour cela que Jésus était le Fils bien-aimé du Père : parce qu'il était prêt à donner sa vie pour les brebis. Les paroles du Seigneur affirment solennellement que le sacrifice qu'il allait bientôt accomplir était bien volontaire et non un abandon forcé : « Le Père m'aime, parce que je donne ma vie, afin de la reprendre. Personne ne me l'ôte, mais je la donne de moi-même ; j'ai le pouvoir de la donner, et j'ai le pouvoir de la reprendre : tel est l'ordre que j'ai reçu de mon Père. » La certitude de sa mort et de sa résurrection est ici réitérée. Fils né sur terre d'un Seigneur immortel, son origine immortelle avait pour effet naturel de l'immuniser contre la mort s'il ne s'y abandonnait lui-même. On ne pouvait enlever la vie à Jésus le Christ que s'il le voulait et le permettait. Le pouvoir de donner sa vie lui était inhérent de même que le pouvoir de reprendre son corps tué, dans un état immortalisé [43]. Ces enseignements provoquèrent de nouvelles divisions parmi les Juifs. Certains prétendaient régler la question en émettant la supposition stupide que le Christ n'était qu'un démoniaque insensé, et que par conséquent ses paroles ne méritaient pas qu'on y fasse attention. D'autres dirent logiquement : « Ces paroles ne sont pas celles d'un démoniaque. Un démon peut-il ouvrir les yeux des aveugles ? » C'est ainsi que quelques-uns crurent et aussi que beaucoup doutèrent, bien que partiellement convaincus, et que certains condamnèrent.
 
Dans ce discours profond, Jésus dit : « J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie ; celles-là, il faut que je les amène ; elles entendront ma voix, et il y aura un seul troupeau, un seul berger » [44]. 
 
Les « autres brebis » auxquelles il fait allusion ici constituaient le troupeau séparé ou le reste de la maison de Joseph qui, six siècles avant la naissance du Christ, avait été miraculeusement détaché du troupeau juif en Palestine et avait été emmené au-delà du grand abîme sur le continent américain. Lorsque le Christ ressuscité lui apparut, il dit : « Et en vérité, je vous1e dis, vous êtes ceux de qui j'ai dit : J'ai d'autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie ; celles-là, il faut aussi que je les amène, et elles entendront ma voix ; et il y aura un seul troupeau, un seul berger » [45]. Les Juifs avaient vaguement compris que l'allusion du Christ à d'autres brebis se rapportait, d'une manière obscure, aux nations des Gentils ; et à cause de leur incrédulité et par conséquent de leur incapacité de comprendre correctement, Jésus avait refusé d'expliquer plus clairement ce qu'il voulait dire, car c'est ce que le Père, apprit-il aux Néphites, avait commandé. « Mais j'ai reçu du Père », expliqua-t-il, « le commandement d'aller à eux, et ils entendront ma voix, et seront comptés parmi mes brebis, pour qu'il y ait un seul troupeau, un seul berger. » Par la même occasion, le Seigneur déclara qu'il y avait encore d'autres brebis, celles des tribus perdues, ou dix tribus, vers lesquelles il était sur le point d'aller, et qui seraient finalement ramenées de leur exil et fusionneraient avec le seul troupeau béni sous le gouvernement du Berger et Roi suprême » [46]. 
 
 [1] Jn 7:1-10.
 [2] Chap. 21.
 [3] Jn 7:5 ; cf. Mc 3:21.
 [4] Comparer avec la réponse du Christ à sa mère, Jn 2:4; voir aussi 7:30, 8:20.
 [5] Note 1, fin du chapitre.
 [6] Note 2, fin du chapitre.
 [7] Jn 5 ; voir chap. 15 du présent ouvrage.
 [8] Chap. 6, note 1.
 [9] Note 3, fin du chapitre.
 [10] Cela fut considéré comme l'accomplissement littéral d'Es 12:3.
 [11] Jn 7:37, 38 ; comparer avec l'assurance au sujet de « l'eau vive » donnée à la Samaritaine, 4:10-15.
 [12] Jn 7:39 ; cf. 14:16, 17, 26 ; 15:26 ; 16:7 ; Lc 24:49 ; Ac 2:4.
 [13] Note 4, fin du chapitre.
 [14] Jn 3 ; chap. 12 du présent ouvrage.
 [15] Selon de nombreuses autorités excellentes Jonas, Nahoum et Osée étaient tous de Galilée ; et l'on croit en outre qu'Élie était, lui aussi, né en Galilée.
 [16] Jean 8:1-11.
 [17] Dt 22:22-27.
 [18] Mt 5:21-48.
 [19] Dt 17:6, et 13:9.
 [20] Cf. Rm 2:1, 22 ; Mt 7:1, 2 ; Lc 6:37 ; 2 S 12:5-7
 [21] Jn 8.10, 11 ; cf. 5:14. Examiner un autre cas où la miséricorde fut accordée à la contrition, Lc 7:36-50.
 [22] Note 5, fin du chapitre.
 [23] Jn 8:12-20.
 [24] Note 6, fin du chapitre.
 [25] Jn 8:12 cf. 1:4, 5, 9 ; 3:19 ; 9:5 ; 12:35, 36, 46. Voir aussi D&A 6:21 ; 10:58, 70 ; 11:11 ; 14:9 ; 84:45, 46 ; 88:6-13.
 [26] Dt 17:6 ; 19:15 ; Nb 35:30 ; Mt 18:16.
 [27] Jn 8:21-59.
 [28] Cf. PGP, Moïse 4:4 ; 5:24 ; LM, 2 Né 2:18 ; D&A 10:25 ; 93:25.
 [29] Chap. 13 et note 1 du chap. 13.
 [30] Ex 3:14 ; cf. 6:3.
 [31] Cf. Es 44:6 ; Ap 1:4, 8 ; voir aussi Jn 17:5, 24 ; Col 1:17. Chap. 4 du présent ouvrage.
 [32] Chap. 2 du présent ouvrage.
 [33] Jn 9.
 [34] Les Écritures ne disent pas si cet événement suivit immédiatement ceux que nous venons de considérer ou s'il se produisit plus tard, lorsque Jésus fut revenu à Jérusalem d'un voyage qui n'aurait pas été rapporté. La valeur de la leçon n'est pas affectée par sa place dans la liste des œuvres de notre Seigneur.
 [35] Ex 20:5, 34:7, Lv 26:39, Nb 14:18, 1 R 21:29 ; cf. Ez chap. 18.
 [36] Chap. 14 et 15.
 [37] Note 3, fin du chapitre.
 [38] C'est-à-dire, « fait attention » ou « cru ».
 [39] Jn 10:1-21.
 [40] Noter la promesse d'un berger à Israël, Es 40:11, 49:9, 10, Ez 34:23, 37:24 ; cf. Jr 3:15, 23:4, Hé 13:20, 1 P 2:25, 5:4, Ap 7:17. Lire studieusement le psaume 23.
 [41] Note 7, fin du chapitre.
 [42] Mt 7:15; cf. 24:4, 5, 11, 24, Mc 13:22, Rm 16:17, 18, Ep 5:6, Col 2:8, 2 P 2:1-3, 1 Jn 4: 1, Ac 20:29.
 [43] Chap. 3 et 7.
 [44] Jean 10:16 ; comparer avec un « seul troupeau, un seul berger », Ez 37:22, Es 11:13, Jr 3:18, 50:4. Voir Articles de Foi, « Le Rassemblement d'Israël ».
 [45] LM, 3 Né 15:21 ; lire les versets 12-24; voir chapitre 39 du présent ouvrage.
 [46] 3 Né 16:1-5.
 
NOTES DU CHAPITRE 25
 
1. La fête des Huttes : Dans l'ordre des événements annuels, c'était la troisième des grandes fêtes dont l'observance comptait parmi les caractéristiques nationales du peuple d'Israël ; les autres étaient la Pâque et la fête des semaines ou Pentecôte ; à chacune de ces trois fêtes, tous les hommes d'Israël étaient tenus de comparaître devant le Seigneur lors de la cérémonie officielle de chacune de celles-ci (Ex 23:17). La fête des Huttes était également appelée « fête de la récolte » (Ex 23:16) ; c'était à la fois un souvenir et une fête de la moisson. Pour commémorer leur long voyage dans le désert après leur délivrance d'Égypte, voyage au cours duquel ils avaient dû vivre sous des tentes et dans des cabanes improvisées, les Israélites étaient requis d'observer annuellement une fête qui durait sept jours, auxquels s'ajoutait un jour d'une sainte convocation. Pendant la semaine, le peuple vivait dans des cabanes, des tonnelles ou des huttes, faites de branches ou de « rameaux d'arbres touffus » entrelacés de saules de la rivière (Lv 23:34-43, Nb 29:12-38, Dt 16:13-15, 31:10-13). Cette fête durait du 15 au 20 du mois de Tichri, le septième dans le calendrier hébreu, correspondant à une partie de nos mois de septembre et d'octobre. Elle devait avoir lieu peu après le jour annuel des expiations qui était une période de pénitence et d'affliction de l'âme souffrant pour le péché (Lv 23:26-32). Les sacrifices à l'autel lors de la fête des Huttes étaient plus grands que ceux qui étaient prescrits pour d'autres fêtes et comprenaient une offrande quotidienne de deux béliers, quatorze agneaux et un bouc en sacrifice pour les péchés, et en outre un nombre variable de jeunes taureaux, dont treize étaient immolés le premier jour, douze le deuxième, onze le troisième et ainsi de suite jusqu'au septième jour, où on en offrait sept, ce qui faisait en tout soixante-dix taureaux (Nb 29:12-38). Le rabbinisme donna à ce nombre, soixante-dix, et à la diminution graduelle dans le nombre des victimes de l'autel, beaucoup de significations symboliques que la loi n'y voyait pas.
 
À l'époque du Christ, la tradition avait grandement embelli un grand nombre des observances prescrites. C'est ainsi que le « fruit de beaux arbres » (Lv 23:40) était considéré comme devant être le fruit du citronnier ; tous les Juifs orthodoxes portaient celui-ci dans une main tandis que dans l'autre ils portaient une branche touffue ou une botte de rameaux, que l'on appelait le « loulab », lorsqu'ils se rendaient au temple pour le sacrifice du matin et lors de la joyeuse procession de la journée. Le transport cérémoniel d'eau du réservoir de Siloé à l'autel du sacrifice était un trait caractéristique du service. Cette eau était mêlée de vin à l'autel, et le mélange était déversé sur l'offrande sacrificatoire. Beaucoup d'autorités prétendent que le transport d'eau depuis le réservoir était omis lors du dernier jour ou grand jour de la fête, et on pense que Jésus avait cette omission à l'esprit lorsqu'il s'écria : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. » Le soir, au cours de la fête, on faisait brûler de grandes lampes dans les cours du temple, et il se peut que le Christ ait utilisé cet élément comme illustration concrète lorsqu'il proclama : « Je suis la lumière du monde. »
 
On trouvera une explication plus complète dans tout bon dictionnaire de la Bible et dans Josèphe, Ant. VIII, 4:1, XV 3:3, etc. Ce qui suit est extrait d'Edersheim, Life and Times of Jesus the Messiah, vol. II, p. 158-160 : « Lorsque la procession du temple parvenait au réservoir de Siloé, le prêtre remplissait sa cruche d'or dans ses eaux. Ensuite ils retournaient au temple, calculant leur temps de manière à arriver juste au moment où on déposait les morceaux du sacrifice sur le grand autel de l'holocauste, vers la fin du service sacrificatoire ordinaire du matin. Une triple sonnerie des trompettes des prêtres accueillait l'arrivée du prêtre lorsqu'il entrait par la porte de l'eau, qui devait son nom à cette cérémonie, et pénétrait directement dans la cour des prêtres... Immédiatement après « le déversement de l'eau », le grand « Hallel », se composant des psaumes 113 à 118 inclus, était chanté en contre-chant, ou plutôt, avec des répons, au son de la flûte... Symbolisme supplémentaire de cette fête, orientée vers le rassemblement des nations païennes, les services publics se terminaient par une procession des prêtres autour de l'autel ... Mais « le dernier jour, le plus grand de la fête », cette procession de prêtres faisait le tour de l'autel, non pas une fois, mais sept, comme s'ils faisaient de nouveau le tour, mais maintenant en priant, de la Jéricho des Gentils qui avait été un obstacle à leur possession de la terre promise. »
 
2. L'épreuve de la doctrine de notre Seigneur : N'importe qui peut savoir par lui-même si la doctrine du Christ est de Dieu ou non, tout simplement en faisant la volonté du Père (Jn 7:17). C'est certainement un procédé plus convaincant que de se reposer sur la parole d'un autre. L'auteur fut un jour abordé par un universitaire incrédule, qui déclara qu'il ne pouvait accepter pour vrais les résultats que l'on avait publiés d'une certaine analyse chimique, étant donné que les quantités spécifiées de certains des ingrédients étaient si infiniment petites qu'il ne pouvait croire qu'il fût possible de déterminer des quantités aussi infimes. L'étudiant n'était qu'un débutant en chimie, et avec le peu de connaissances qu'il possédait il avait entrepris de juger les possibilités de cette science. Il saurait un jour de lui-même si les résultats étaient vrais ou faux. Lorsqu'il fut en licence, il reçut à analyser en laboratoire une quantité de la substance même de la composition de laquelle il avait douté un jour. Avec l'adresse à laquelle il était parvenu par son application constante, il réussit l'analyse et atteignit des résultats semblables à ceux que dans son manque d'expérience il avait pensé impossibles. Il fut suffisamment honnête pour reconnaître que son ancien scepticisme n'était pas fondé et pour se réjouir d'avoir été capable de démontrer la vérité par lui-même.
 
3. Le réservoir de Siloé : « Les noms « Shiloah » et « Siloam » [Siloé dans la version Segond, ndt] sont respectivement les équivalents hébreu et grec de « Silwan », nom arabe moderne (« Aïn Silwan ») de l'étang qui se trouve à l'embouchure d'El-Wad. Toutes les références antiques concordent avec cette identification (comparer avec Né 3:15 ; Josèphe, Guerre des juifs, V, 4:1,2 6:1, 9:4, 12:2, 11, 16:2, VI, 7:2, 8:5). Bien qu'elle ait reçu l'appellation moderne de « aïn » (source), Siloé n'est pas une source mais est alimentée par un tunnel taillé dans le roc à partir du Gihon, ou fontaine de la Vierge. - L. B Paton, dans l'article « Jerusalem », Stand. Bible Dictionary.
 
4. D'où le Messie devait-il venir ? : Beaucoup étouffèrent leurs impulsions intérieures à croire que Jésus était le Messie en objectant que les prophéties sur sa venue indiquaient que le lieu de sa naissance était Bethléhem, alors que Jésus était de Galilée. D'autres le rejetèrent parcequ'on leur avait enseigné que nul ne devait savoir d'où le Messie viendrait et que tous savaient que Jésus venait de Galilée. Cette contradiction apparente s'explique de la manière suivante : la ville de David, ou Bethléem de Judée, était, cela ne fait aucun doute, le lieu prévu de la naissance du Messie ; mais les rabbis avaient enseigné erronément que peu après sa naissance, l'Enfant Christ serait enlevé et apparaîtrait au bout d'un certain temps comme homme, et que personne ne saurait d'où ni comment il était revenu. Geikie (II, p. 274), citant partiellement Lightfoot, formule comme suit la critique populaire : « Les rabbis ne nous disent-ils pas, dirent certains, que le Messie naîtra à Bethléhem, mais qu'il sera arraché peu après sa naissance par des esprits et des tempêtes, et que lorsqu'il reviendra pour la deuxième fois nul ne saura d'où il revient ? Mais nous savons que cet homme vient de Nazareth. »
 
5. Le texte relatif à la femme surprise en adultère : Certaines critiques modernes prétendent que les versets de Jean 7:53 et 8:11 inclus ne sont pas à leur place tels qu'ils apparaissent dans notre version de la Bible, parce que l'incident qui y est rapporté n'apparaît pas dans certaines des anciennes copies manuscrites de l'évangile de Jean, et que le style du récit est différent. Dans certains manuscrits il vient à la fin du livre. D'autres manuscrits contiennent le récit tel qu'il se trouve dans notre Bible. Le chanoine Farrar demande pertinemment (p. 404 note) pourquoi, si l'incident n'est pas à sa place ou n'est pas de Jean, tant de manuscrits importants le présentent tel que nous l'avons ?
 
6. Le Trésor et la cour des Femmes : « Une partie de l'espace compris dans les parvis intérieurs était accessible aux Israélites des deux sexes, et portait le nom de cour des Femmes. C'était une enceinte pourvue d'une colonnade, où se tenaient les assemblées générales selon le rituel prescrit pour le culte public. Des pièces utilisées pour certaines cérémonies occupaient les quatre coins de cette cour ; et, entre celles-ci et les loges qui flanquaient les portes, il y avait d'autres constructions, dont une série constituait le Trésor ; on y plaçait des réceptacles en forme de trompette pour recevoir des dons » (voir Mc 12:41-44). - La Maison du Seigneur, p. 46.
 
7. La bergerie : Le Commentary, de Dummelow, dit, à propos de Jn 10:2 : « Pour comprendre cette image, il faut se souvenir que les bergeries orientales sont de grands enclos ouverts, dans lesquels plusieurs troupeaux sont conduits à la tombée de la nuit. Il n'y a qu'une seule porte qu'un seul berger garde tandis que les autres vont se reposer chez eux. Le matin, les bergers reviennent, se font reconnaître du portier, appellent leurs troupeaux autour d'eux et les conduisent à la pâture. »  
 
 
CHAPITRE 26 : LE MINISTÈRE DE NOTRE SEIGNEUR EN PÉRÉE ET EN JUDÉE
 
Nous ne savons pas quand ni dans quelles circonstances notre Seigneur quitta Jérusalem après la fête des Huttes, en ce dernier automne de sa vie terrestre. Les auteurs des évangiles synoptiques ont rapporté de nombreux discours, paraboles et miracles qui marquèrent un voyage vers Jérusalem au cours duquel Jésus, accompagné des apôtres, traversa des parties de la Samarie et de la Pérée et les régions frontalières de la Judée. Nous lisons que le Christ était à Jérusalem lors de la fête de la Dédicace [1] de deux à trois mois après la fête des Huttes ; il est probable que certains des événements que nous allons maintenant étudier se produisirent au cours de cet intervalle [2]. Ce qui est certain, c'est que Jésus quitta Jérusalem peu après la fête des Huttes ; il n'est pas dit clairement qu'il retourna en Galilée ou s'il ne se rendit qu'en Pérée, peut-être en faisant un bref détour pour traverser la frontière et entrer en Samarie. Comme nous l'avons fait jusqu'à présent, nous allons consacrer notre étude avant tout à ses paroles et à ses œuvres, en ne considérant que d'une manière secondaire le lieu, le temps ou la succession.
 
Comme le moment où sa trahison et sa crucifixion, qui lui étaient connues d'avance, s'approchait, il « prit la ferme résolution de se rendre à Jérusalem » [3] ; toutefois, comme nous le verrons, il se dirigea par deux fois vers le nord, une fois parce qu'il se retira dans la région de Béthabara et de nouveau vers Éphraïm [4]
 
REJETÉ EN SAMARIE [5]
 
Jésus envoya des messagers devant lui pour annoncer sa venue et pour préparer sa réception. Dans l'un des villages samaritains on refusa de le recevoir et de l'entendre, « parce qu'il se dirigeait sur Jérusalem ». Les préjugés raciaux l'avaient emporté sur les devoirs de l'hospitalité. Ce rejet forme un contraste défavorable avec les circonstances dans lesquelles eut lieu sa visite antérieure parmi les Samaritains, lorsqu'on l'avait reçu avec joie et qu'on l'avait supplié de rester, mais cette fois-là il ne se dirigeait pas vers Jérusalem mais s'en éloignait [6].
 
Le manque de respect que manifestèrent les Samaritains était plus que n'en pouvaient supporter les disciples sans protester. Jacques et Jean, ces fils du tonnerre, s'offensèrent au point d'aspirer à la vengeance. Ils dirent : « Seigneur, veux-tu que nous disions au feu de descendre du ciel et de les consumer ? » [7] Jésus réprimanda ses peu charitables serviteurs comme suit : « Vous ne savez de quel esprit vous êtes (animés). Car le Fils de l'homme est venu non pour perdre les âmes des hommes mais pour les sauver. » Repoussé dans ce village, le petit groupe s'en alla dans un autre, comme les Douze avaient reçu l'ordre de le faire en des circonstances semblables [8]. Ce fut l'une des nombreuses leçons frappantes qui furent données aux apôtres en matière de tolérance, de patience, de charité et de longanimité.
 
Luc rapporte ensuite l'incident où trois hommes étaient désireux de devenir disciples du Christ ou disposés à le faire ; l'un d'eux semble avoir été découragé à la perspective des vicissitudes qu'entraînait le ministère ; les autres désirèrent être temporairement exemptés du service, l'un afin de pouvoir assister à l'ensevelissement de son père, l'autre afin de pouvoir faire tout d'abord ses adieux à ceux qui lui étaient chers. Matthieu rapporte cet événement ou un événement semblable dans un autre contexte, et nous l'avons déjà étudié dans ces pages [9].
 
LES SOIXANTE-DIX CHARGÉS DE MISSION ET ENVOYÉS
 
L'importance suprême du ministère de notre Seigneur et la brièveté du temps qui lui restait dans la chair exigeaient davantage de missionnaires. Les Douze devaient rester avec lui jusqu'à la fin ; il fallait utiliser toutes les heures où il serait possible de les instruire et de les former pour continuer à les préparer aux grandes responsabilités qui reposeraient sur eux après le départ du Maître. Il appela et chargea de mission les soixante-dix, comme assistants dans le ministère, et les envoya immédiatement [10] « devant lui, deux à deux, dans toute ville et tout endroit où lui-même devait aller ». Il expliqua la nécessité de leurs services dans l'introduction au discours impressionnant où il leur enseigna les devoirs de leur appel. « II leur disait : La moisson est grande, mais il y a peu d'ouvriers » [11]. 
 
Beaucoup de sujets dont les Douze avaient été instruits avant leur tournée missionnaire étaient maintenant répétés aux soixante-dix. Il leur fut dit qu'ils devaient s'attendre à être traités avec inimitié et même avec hostilité ; leur situation serait semblable à celle d'agneaux au milieu des loups. Ils devaient voyager sans bourse ni sac et dépendre ainsi nécessairement de ce que Dieu leur donnerait par l'intermédiaire de ceux chez qui ils se rendraient. Comme leur mission était urgente, ils ne devaient pas s'arrêter en route pour faire ou renouveler des connaissances personnelles. En entrant dans une maison, ils devaient invoquer la paix sur elle ; si le foyer méritait le don, la paix y demeurait, sinon les serviteurs du Seigneur sentiraient que leur invocation était nulle et non avenue [12]. Ils devaient bénir toutes les familles qui les recevraient, guérissant les affligés et proclamant que le royaume de Dieu s'était approché de cette maison. Ils ne devaient pas aller de maison en maison pour chercher à être mieux reçus, et ils ne devaient pas s'attendre non plus à être fêtés ni le désirer, mais ils devaient accepter ce qui était offert, mangeant ce qui était placé devant eux et partageant ainsi avec la famille. S'ils étaient rejetés dans une ville, ils devaient la quitter, laissant cependant leur témoignage solennel que la ville s'était détournée du royaume de Dieu qui avait été amené à ses portes et attestant de cela en se débarrassant de la poussière de cet endroit [13]. Il ne leur appartenait pas de prononcer d'anathème ou de malédiction, mais le Seigneur leur assura que cette ville s'attirerait un sort pire que la condamnation de Sodome [14]. Il leur rappela qu'ils étaient ses serviteurs, et que par conséquent quiconque les écoutait ou refusait de les écouter serait jugé comme si c'était lui qu'il avait traité ainsi.
 
Il ne leur fut pas interdit, comme cela l'avait été aux Douze, d'entrer dans des villes samaritaines ou dans les pays des Gentils. Cette différence correspond au changement de situation, car maintenant l'itinéraire futur de Jésus allait le conduire dans des territoires non Juifs où sa réputation s'était déjà répandue ; et en outre, son plan prévoyait une extension de la propagation de l'Évangile, lequel devait finalement être mondial. Les préjugés étroits des Juifs contre les Gentils en général et contre les Samaritains en particulier devaient être désapprouvés, et il ne pouvait être donné de meilleure preuve de cette intention que d'envoyer des ministres autorisés parmi ces peuples. Nous devons garder à l'esprit le caractère progressif de l'œuvre du Seigneur. Tout d'abord le champ de la prédication évangélique était limité au pays d'Israël [15], mais le commencement de son extension fut inauguré au cours de la visite de notre Seigneur et fut expressément imposé aux apôtres après sa résurrection [16]. Dûment instruits, les soixante-dix se mirent en route pour leur mission [17].
 
Le fait de parler de la condamnation qui s'abattrait sur ceux qui rejetteraient volontairement les serviteurs autorisés de Dieu éveilla dans l'esprit du Seigneur le triste souvenir des rebuffades qu'il avait subies et des nombreuses âmes non repentantes dans les villes où il avait accompli tant d'œuvres puissantes. Avec un chagrin profond, il prédit les malheurs qui menaçaient alors Chorazin, Bethsaïda et Capernaüm [18].
 
LE RETOUR DES SOIXANTE-DIX
 
Il se peut qu'il se soit écoulé un temps considérable, des semaines voire des mois, entre le départ des soixante-dix et leur retour. On ne nous dit pas quand ni où ils rejoignirent le Maître ; mais ce que nous savons, c'est que l'autorité et la puissance du Christ se manifestèrent abondamment dans leur ministère, et que cette constatation les réjouit. « Seigneur », dirent-ils, « les démons même nous sont soumis en ton nom » [19]. À ce témoignage, le Seigneur répondit solennellement : « Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair. » Il faisait par là allusion à l'expulsion du fils du matin rebelle lorsqu'il eut été battu par Michel et les armées célestes [20]. Félicitant les soixante-dix pour leurs fidèles travaux, le Seigneur leur donna l'assurance qu'ils auraient davantage de pouvoir, à la condition qu'ils continuent à en êtres dignes : « Voici : je vous ai donné [version du roi Jacques : « Je vous donne », ndt] le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions et sur toute la puissance de l'ennemi, et rien ne pourra vous nuire » [21]. Cette promesse qu'ils pourraient marcher sur les serpents et les scorpions voulait dire qu'ils seraient immunisés contre les piqûres d'animaux venimeux s'ils en rencontraient sur le sentier du devoir [22] et qu'ils auraient le pouvoir de vaincre les mauvais esprits qui servent le diable, lequel est expressément appelé ailleurs le serpent [23]. Aussi grands qu'aient été le pouvoir et l'autorité qui leur étaient ainsi donnés, ces disciples reçurent l'ordre de ne pas se réjouir de ceux-ci et surtout pas du fait que les esprits mauvais leur étaient soumis, mais plutôt de ce qu'ils étaient acceptés du Seigneur et de ce que leurs noms étaient écrits dans les cieux [24].
 
Jésus se réjouit de voir la joie sainte de ses serviteurs et de contempler leur fidélité. Son bonheur trouva son expression la plus appropriée dans la prière : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que tu les as révélées aux enfants. Oui, Père, parce que tel a été ton bienveillant dessein. » Comparés aux savants de l'époque, comme les rabbis et les scribes, dont la connaissance ne servait qu'à leur endurcir le cœur contre la vérité, ces serviteurs dévoués étaient comme des petits enfants en humilité, en confiance et en foi. Ces enfants étaient et sont parmi les nobles du royaume. Comme aux heures du chagrin le plus désespéré, de même en ce moment de sainte réjouissance pour la fidélité de ses disciples, Jésus communia avec le Père, dont il avait pour seul but de faire la volonté.
 
La joie de notre Seigneur en cette occasion est comparable à celle qu'il éprouva lorsque Pierre prononça impulsivement la confession de son âme : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Dans un discours solennel, Jésus dit : « Tout m'a été remis par mon Père, et personne ne connaît qui est le Fils, si ce n'est le Père, ni qui est le Père, si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. » Puis, en une communion plus intime avec les disciples, il ajouta : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! Car je vous dis que beaucoup de prophètes et de rois ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l'ont pas entendu. »
 
QUI EST MON PROCHAIN ?
 
Nous avons vu que les Pharisiens et ceux de leur espèce étaient constamment en alerte pour gêner et, si possible, déconcerter Jésus sur des points de loi et de doctrine, et pour le provoquer à quelque parole ou action ouverte [25]. C'est peut-être une tentative de ce genre que Luc rapporte immédiatement après avoir raconté le joyeux retour des soixante-dix [26], car il nous dit que le « docteur de la loi » dont il parle posa une question pour mettre à l'épreuve [la version du roi Jacques dit « tenter » ce qui entraîne le commentaire suivant, ndt] Jésus. En contemplant les intentions du questionneur avec toute la charité possible, car le sens fondamental du verbe qui est rendu dans notre version [anglaise, ndt] de la Bible par « tenter », c'est mettre à l'épreuve ou éprouver et pas nécessairement et uniquement entraîner au mal [27], bien que l'idée de prendre au piège y soit incluse, nous pouvons supposer qu'il désirait mettre à l'épreuve la connaissance et la sagesse du célèbre Maître, probablement afin de l'embarrasser. Il est certain que son objectif n'était pas la recherche sincère de la vérité.
 
Ce docteur de la loi, se levant parmi les gens qui s'étaient rassemblés pour entendre Jésus, demanda : « Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle [28] ? » Jésus répondit par une autre question, dans laquelle il fit nettement entendre que si cet homme, qui professait être instruit de la loi, avait lu et étudié convenablement, il saurait sans le demander ce qu'il devait faire. « Qu'est-il écrit dans la loi ? Qu'y lis-tu ? » L'homme répondit, résumant admirablement les commandements : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée ; et ton prochain comme toi­même » [29]. La réponse fut approuvée. « Fais cela, et tu vivras », dit Jésus. Ces mots tout simples constituaient une réprimande, comme le docteur de la loi dut s'en rendre compte ; ils indiquaient le contraste entre connaître et faire. Ayant ainsi échoué dans son plan de confondre le Maître, et se rendant probablement compte que lui, le docteur de la loi, n'avait pas fait particulièrement honneur à son érudition en posant une question aussi simple et puis en y répondant lui-même, il chercha avec soumission à se justifier en demandant encore : « Et qui est mon prochain ? » Nous pouvons bien être reconnaissants à ce docteur de la loi pour sa question, car elle servit à puiser du trésor de sagesse inépuisable du Maître l'une des ses paraboles les plus appréciées.
 
Cette histoire s'appelle la parabole du bon Samaritain, la voici :
 
« Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba au milieu des brigands, qui le dépouillèrent, le rouèrent de coups et s'en allèrent en le laissant à demi-mort. Par hasard, un sacrificateur descendait par le même chemin ; il vit cet homme et passa outre. Un Lévite arriva de même à cet endroit ; il le vit et passa outre. Mais un Samaritain, qui voyageait, arriva près de lui, le vit et en eut compassion, Il s'approcha et banda ses plaies, en versant de l'huile et du vin ; puis il le plaça sur sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie et prit soin de lui. Le lendemain, il sortit deux deniers, les donna à l'hôtelier et dit : Prends soin de lui, et ce que tu dépenseras en plus, je te le paierai moi-même à mon retour. »
 
Alors Jésus demanda au docteur de la loi : « Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé au milieu des brigands ? Il répondit : C'est celui qui a exercé la miséricorde envers lui. Et Jésus lui dit : Va, et toi, fais de même » [30]. 
 
S'il y avait un but à la question : « Qui est mon prochain ? » posée par le docteur de la loi, outre celui de se justifier et de s'extirper aussi honorablement que possible d'une situation embarrassante, nous pouvons concevoir que c'était le désir de trouver une limitation dans l'application de la loi, au-delà de laquelle il ne serait pas obligé d'aller. S'il devait aimer son prochain comme il s'aimait lui-même, il voulait avoir aussi peu de prochains que possible. Son désir était peut-être du même ordre que celui de Pierre, qui désirait vivement savoir exactement combien de fois il était obligé de pardonner à un frère qui l'offensait [31].
 
La parabole par laquelle notre Seigneur répondit à la question du docteur de la loi est d'un très grand intérêt, ne serait-ce que comme histoire, d'autant plus qu'elle contient des leçons précieuses. Elle représentait d'ailleurs si véritablement l'état des choses de l'époque que, comme l'histoire du semeur qui s'en alla planter et d'autres paraboles données par le Seigneur Jésus, ce peut être une histoire vraie aussi bien qu'une parabole. La route de Jérusalem à Jéricho était connue pour être infestée de voleurs de grand chemin ; en fait, une section de l'artère était appelée le Sentier Rouge ou la Voie Sanglante à cause des atrocités qui s'y commettaient fréquemment. Jéricho était une résidence bien connue des prêtres et des Lévites. Un prêtre qui, par respect pour son office, non pour une autre raison, aurait dû être disposé et prompt à des actes de miséricorde, aperçut le voyageur blessé et passa son chemin sur l'extrême bas-côté de la route. Un Lévite suivit ; il s'arrêta pour regarder puis passa son chemin. Ils auraient dû se souvenir des prescriptions de la loi : que si l'on voyait un âne ou un bœuf tomber sur le bord de la route, on ne devait pas se cacher mais aider le propriétaire à relever l'animal [32]. Si tel était leur devoir vis-à-vis de l'animal d'un frère, leur obligation en était d'autant plus grande lorsqu'un frère lui même était dans une situation si terrible.
 
Il ne fait aucun doute que le prêtre aussi bien que le Lévite fit taire sa conscience avec d'amples excuses pour sa conduite inhumaine ; il se peut qu'il était pressé ; il craignait peut-être le retour des pillards qui l'attaqueraient. Les excuses sont faciles à trouver ; elles jaillissent aussi facilement et aussi abondamment que les mauvaises herbes au bord de la route. Lorsque le Samaritain passa et vit l'état misérable du blessé, il n'avait pas d'excuse parce qu'il n'en voulait pas. Lui ayant apporté, autant qu'il le pouvait, tous les premiers soins reconnus par la pratique médicale de l'époque, il plaça le blessé sur son propre animal, probablement une mule où un âne, et l'emmena à l'auberge la plus proche, où il le soigna personnellement et prit des dispositions pour qu'on continuât de le soigner. La différence essentielle entre le Samaritain et les autres était que le premier avait un cœur compatissant, tandis qu'eux étaient sans amour et égoïstes. Bien que cela n'ait pas été dit d'une manière nette, la victime des pillards était presque certainement un Juif ; l'objectif de la parabole exige qu'il en soit ainsi. Le fait que l'homme miséricordieux était un Samaritain montrait que le peuple appelé hérétique et méprisé par les Juifs pouvait exceller en bonnes œuvres. Pour un Juif, les seuls prochains c'étaient les Juifs. Nous n'avons pas le droit de considérer le prêtre, le Lévite ou le Samaritain comme représentants de leur classe ; il ne fait aucun doute qu'il y avait beaucoup de Juifs bons et charitables, et beaucoup de Samaritains sans cœur ; mais la leçon du Maître était illustrée admirablement par les personnages de la parabole, et les paroles de son application étaient mordantes dans leur simplicité et leur à­propos.
 
MARTHE ET MARIE [33]
 
Lors de l'une de ses visites à Béthanie, petite ville située à quatre kilomètres environ de Jérusalem, Jésus fut reçu dans la maison où demeuraient deux sœurs, Marthe et Marie. Marthe était ménagère et assumait par conséquent la responsabilité de la bonne réception de l'hôte de marque. Tandis qu'elle veillait aux préparatifs et était « absorbée par les nombreux soucis du service », pleine de bonnes intentions pour assurer le confort et l'hospitalité de Jésus, Marie s'assit aux pieds du Maître, écoutant ses paroles avec une attention respectueuse. Marthe devint nerveuse dans son anxiété affairée et entra, disant : « Seigneur, tu ne te mets pas en peine de ce que ma sœur me laisse seule pour servir ? Dis-lui donc de m'aider. » Elle parlait à Jésus, mais en réalité c'était à Marie. Elle avait temporairement perdu son calme en se souciant indûment de détails accessoires. Il est raisonnable de déduire que Jésus était un habitué de la maison, sinon la brave femme ne se serait pas adressée à lui pour une petite affaire domestique. Il répliqua à ses plaintes avec une tendresse marquée : « Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour beaucoup de choses. Or une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera pas ôtée. »
 
Il ne reprochait pas à Marthe son désir de bien faire les choses, et il n'était pas question non plus pour lui de sanctionner une négligence possible de la part de Marie. Nous devons supposer que Marie avait aidé de bon coeur avant l'arrivée du Maître ; mais maintenant qu'il était là, elle désirait rester avec lui. Si elle avait négligé coupablement son devoir, Jésus ne l'aurait pas félicitée pour ce qu'elle faisait. Ce qu'il désirait, ce n'était pas seulement des repas bien servis et du confort matériel mais la compagnie des sœurs, et surtout leur attention réceptive à ce qu'il avait à dire. Il avait plus à leur donner qu'elles ne pouvaient lui fournir. Jésus aimait les deux sœurs aussi bien que leur frère [34]. Ces deux femmes étaient dévouées à Jésus, et chacune s'exprimait à sa manière. Marthe était du genre pratique, se souciant de services matériels ; par nature, elle était hospitalière et pleine d'abnégation. Marie, contemplative et plus encline au spirituel, montrait sa dévotion par cet autre service qu'est la compagnie et l'appréciation [35].
 
En ne faisant pas attention aux devoirs du ménage, aux petits détails qui créent ou gâtent la paix familiale, mainte femme a transformé son foyer en maison sans confort ; et mainte autre a éliminé les éléments essentiels du foyer en s'obligeant à un travail d'esclave constant, dans lequel elle refuse à ceux qu'elle aime le plaisir de sa compagnie aimante. Quelque dévoué qu'il soit, un service qui se limite à un domaine peut devenir de la négligence. Il y a un temps pour le travail au foyer comme à l'extérieur ; dans chaque famille il faut trouver le temps de cultiver cette partie plus importante, cette chose nécessaire par excellence : le véritable développement spirituel.
 
DEMANDEZ ET L'ON VOUS DONNERA [36]
 
« Jésus priait un jour en un certain lieu. Lorsqu'il eut achevé, un de ses disciples lui dit : Seigneur, enseigne-nous à prier. » L'exemple de notre Seigneur et l'esprit de prière qui se manifestait dans sa vie quotidienne poussaient les disciples à lui demander de leur apprendre comment ils devaient prier. La loi ne disait pas comment on devait prier, mais les autorités juives avaient prescrit des prières officielles, et Jean-Baptiste avait appris à ses disciples à prier. Répondant à la demande de ses disciples, Jésus répéta ce bref modèle d'adoration et de supplication fervente que nous appelons le Notre Père. Il l'avait déjà donné lors du sermon sur la montagne [37]. En cette occasion où il la répétait, le Seigneur compléta la prière en expliquant qu'il était absolument nécessaire de faire preuve de sérieux et d'une persistance durable dans la prière.
 
La leçon fut expliquée clairement par la parabole de l'ami à minuit :
 
« Il leur dit encore : Lequel d'entre vous aura un ami qui se rendra chez lui au milieu de la nuit pour lui dire : Ami, prête-moi trois pains, car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n'ai rien à lui offrir ? Si, de l'intérieur, l'autre lui répond : Ne me cause pas d'ennui, la porte est déjà fermée, mes enfants et moi nous sommes au lit, je ne puis me lever pour te donner (des pains) - je vous le dis, même s'il ne se lève pas pour les lui donner, parce qu'il est son ami, il se lèvera à cause de son importunité et lui donnera tout ce dont il a besoin. »
 
L'homme chez qui un ami était venu à minuit ne pouvait permettre à son hôte attardé et fatigué d'avoir faim, et pourtant il n'y avait pas de pain chez lui. Il fit sien les besoins de son visiteur et supplia à la porte de son voisin comme s'il demandait pour lui-même. Le voisin répugnait à quitter son lit confortable et à déranger sa famille pour contenter autrui ; mais, voyant que l'homme à la porte l'importunait, il finit par se lever et lui donna ce qu'il demandait de manière à se débarrasser de lui et à pouvoir dormir en paix. Le Maître ajouta en guise de commentaire et d'instruction : « Demandez, et l'on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l'on vous ouvrira. »
 
L'homme hospitalier de la parabole avait refusé de se laisser repousser ; il continua à frapper jusqu'à ce que la porte s'ouvrit ; en conséquence, il reçut ce qu'il voulait, trouva ce qu'il était sorti chercher. Certains considèrent que la parabole est difficile à appliquer, puisqu'elle traite de cet élément de la nature humaine qui est égoïste et amoureux du confort, et l'utilise apparemment pour symboliser le retard délibéré de Dieu. Mais l'explication en est claire lorsque l'on examine dûment le contexte. La leçon du Seigneur est que si l'homme, malgré tout son égoïsme et son peu de désir de donner, accorde néanmoins ce que son prochain lui demande à bon droit et continue à demander en dépit de ses objections et de son refus temporaire, il est d'autant plus certain que Dieu accordera ce qu'on lui demande avec persistance, avec foi et avec une intention juste. Il n'y a aucun parallèle entre le refus égoïste de l'homme et l'attente sage et bienfaisante de Dieu. Il faut que l'individu soit conscient d'avoir vraiment besoin de prier et ait réellement confiance en Dieu pour que la prière soit efficace ; et c'est avec miséricorde que le Père retarde parfois le don afin que la demande soit plus fervente. Et pour employer les termes de Jésus : « Si donc, vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison le Père céleste donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui le lui demandent. »
 
Quelque temps plus tard, Jésus prononça une autre parabole, dont la morale est si étroitement apparentée à celle de l'histoire du visiteur de minuit que cela nous pousse à étudier ici cette leçon ultérieure. C'est celle qu'on appelle la parabole du juge inique ou de la veuve importune :
 
« Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et qui n'avait d'égard pour personne. Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait lui dire : Fais-moi justice de mon adversaire. Pendant longtemps il ne voulut pas. Mais ensuite il dit en lui-même : Bien que je ne craigne pas Dieu et que je n'aie d'égard pour personne, néanmoins parce que cette veuve me cause des ennuis, je lui ferai justice, de peur que jusqu'à la fin, elle ne vienne me casser la tête » [38]. 
 
Le juge était un homme pervers ; il refusait la justice à la veuve, qui ne pouvait obtenir réparation de nul autre. Il fut poussé à agir par le désir d'échapper aux importunités de la femme. Evitons l'erreur de comparer son action égoïste avec les voies de Dieu. Jésus ne voulait pas dire que Dieu céderait finalement aux supplications de la même manière que le juge inique l'avait fait ; mais il fit remarquer que si même un être tel que ce juge, qui « ne craignait pas Dieu et qui n'avait d'égard pour personne », finissait par écouter la veuve et par lui accorder ce qu'elle demandait, nul ne devrait douter que Dieu, le Juste et le Miséricordieux, écouterait et répondrait. L'entêtement du juge, bien qu'entièrement pervers de sa part, peut avoir été finalement avantageux pour la veuve. Si elle avait aisément obtenu réparation, elle aurait pu devenir de nouveau imprudente, et il aurait pu se faire qu'un adversaire pire encore que le premier l'eût opprimée. Le but dans lequel le Seigneur donna cette parabole est déclaré expressément : « pour montrer qu'il faut toujours prier et ne pas se lasser » [39].
 
CRITIQUE CONTRE LES PHARISIENS ET LES DOCTEURS DE LA LOI [40]
 
L'acte de miséricorde que notre Seigneur accomplit lorsqu'il expulsa un démon d'un homme qui, en conséquence de cette possession maligne, était muet, suscita des commentaires divers quant à la source de ses pouvoirs surhumains. La vieille théorie pharisaïque qu'il chassait les démons par le pouvoir de « Béelzébul, prince des démons » fut remise sur le tapis. Il démontra la parfaite sottise de pareille conception, comme il l'avait fait lors d'une précédente occasion que nous avons examinée [41]. Les ténèbres spirituelles dans lesquelles les hommes méchants cherchent à tâtons des miracles, la déception et la condamnation qui les attendent, et d'autres préceptes précieux, Jésus les exposa dans un autre discours [42].
 
Puis, ayant été invité, il se rendit chez un Pharisien pour y dîner. D'autres Pharisiens, de même que des docteurs de la loi et des scribes, étaient là. Jésus omit intentionnellement la purification cérémonielle des mains, que toutes les autres personnes de la compagnie accomplirent scrupuleusement avant de prendre place à table. Cette omission provoqua un murmure de désapprobation, sinon une critique ouverte. Jésus profita de l'occasion pour faire une critique acerbe du formalisme des Pharisiens, qu'il compara à la purification des coupes et des plats à l'extérieur, tandis qu'on laisse l'intérieur sale. « Insensés ! celui qui a fait le dehors n'a-t-il pas fait aussi le dedans ? » Sous une autre forme, nous pourrions demander : Dieu, qui établit les observances extérieures de la loi, ne formula-t-il pas également les exigences intérieures et spirituelles de l'Évangile ? En réponse à une question de l'un des docteurs de la loi, Jésus les inclut dans ses violents reproches. Pharisiens et scribes se vexèrent de la censure à laquelle on les avait soumis et « commencèrent à le presser violemment et à le faire parler sur beaucoup de sujets, lui tendant des pièges, pour surprendre quelque parole sortie de sa bouche ». Comme les paroles que le Seigneur prononça en cette occasion apparaissent également dans sa dénonciation finale du pharisaïsme, laquelle fut prononcée au temple, nous pouvons retarder notre étude de cette question jusqu'au moment où nous parlerons, en son temps, de ce remarquable événement [43].
 
EXHORTATION ET ENCOURAGEMENT DES DISCIPLES [44]
 
Le peuple de la région qui se trouvait au-delà du Jourdain s'intéressait fortement aux mouvements de notre Seigneur, comme s'y était intéressé celui de Galilée. Nous lisons que « Ies gens s' [étaient] rassemblés par milliers, au point de s'écraser les uns les autres ». S'adressant à la multitude, et plus particulièrement à ses disciples, Jésus les prévint contre le levain des Pharisiens, qu'il disait être l'hypocrisie [45]. La scène récente à la table d'un Pharisien donnait un sens particulier à cet avertissement. Il répéta ici certains des préceptes qui furent rapportés à propos de son ministère galiléen et insista en particulier sur la supériorité de l'âme par rapport au corps, et de la vie éternelle par opposition à la brièveté de l'existence mortelle.
 
Un homme du groupe, dont l'attention était tout entière concentrée sur ses intérêts égoïstes et qui était incapable de voir au-delà des affaires matérielles de la vie, dit : « Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. » Jésus refusa promptement d'agir comme médiateur ou juge dans cette affaire. « Qui m'a établi sur vous pour être juge ou faire des partages ? » Telle fut la réponse du Maître. La sagesse qui se cache derrière son refus d'intervenir est évidente. Comme dans le cas de la femme coupable qui avait été amenée devant lui pour qu'il la juge [46], de même ici, il s'abstenait d'intervenir dans des affaires d'administration légale. S'il avait fait l'inverse, cela l'aurait probablement mêlé à des disputes inutiles et aurait pu justifier une plainte l'accusant de s'arroger les fonctions des tribunaux légalement établis. Néanmoins, il fit de l'appel de cet homme le noyau d'un enseignement précieux ; le fait qu'il clamait pour avoir une part dans l'héritage familial fit dire à Jésus : « Gardez-vous attentivement de toute cupidité ; car même dans l'abondance, la vie d'un homme ne dépend pas de ce qu'il possède. » Il souligna ce mélange d'exhortation et de vérité profonde par la parabole du riche insensé. Voici l'histoire :
 
« La terre d'un homme riche avait beaucoup rapporté. Il raisonnait en lui-même et disait : Que ferai-je ? car je n'ai pas de place pour amasser mes récoltes. Voici, dit-il, ce que je ferai : j'abattrai mes greniers, j'en bâtirai de plus grands, j'y amasserai tout mon blé et mes biens, et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années ; repose-toi, mange, bois et réjouis­toi. Mais Dieu lui dit : Insensé ! cette nuit même ton âme te sera redemandée ; et ce que tu as préparé, à qui cela sera-t-il ? Il en est ainsi de celui qui accumule des trésors pour lui-même, et qui n'est pas riche pour Dieu » [47]. 
 
L'homme avait accumulé sa richesse par le travail et l'économie ; les champs négligés ou mal cultives ne donnent pas en abondance. On ne nous le présente pas comme quelqu'un qui possède une richesse qui ne lui appartient pas de droit. Les projets qu'il faisait pour conserver convenablement ses fruits et ses marchandises n'étaient pas mauvais en soi, bien qu'il eût pu concevoir de meilleurs moyens de répartir ses surplus, en soulageant les nécessiteux, par exemple. Son péché était double ; premièrement, il considérait surtout ses grandes réserves comme le moyen de s'assurer le confort personnel et celui de ses sens ; deuxièmement, il ne reconnaissait pas la part de Dieu dans sa prospérité matérielle et comptait même les années comme siennes. Il fut frappé au moment de sa jouissance égoïste. On ne nous dit pas si la voix de Dieu lui parvint comme un pressentiment terrible de sa mort imminente, ou par un messager angélique ou autrement ; mais la voix prononça sa condamnation : « Insensé ! cette nuit même ton âme te sera redemandée » [48]. Il avait utilisé son temps et les forces de son corps et de son esprit à semer, à récolter et à engranger : tout cela pour lui-même. Qu'advint-il de tout cela ? À qui serait la richesse pour laquelle il avait mis son âme en danger ? S'il n'avait pas été insensé, il aurait pu se rendre compte, comme l'avait fait Salomon, de la vanité de thésauriser pour qu'un autre, d'une moralité peut-être incertaine, possède ces richesses [49].
 
Se tournant vers les disciples, Jésus réitéra certaines des merveilleuses vérités qu'il avait prononcées lors de sa prédication sur la montagne [50] et prit les oiseaux de l'air, les lis et l'herbe des champs comme exemples du soin vigilant du Père ; il exhorta ses auditeurs à chercher le royaume de Dieu ; ce faisant, ils verraient que tout ce dont ils avaient besoin leur serait donné par surcroît.
 
« Sois sans crainte, petit troupeau », ajouta-t-il sur un ton affectueux et paternel, « car votre Père a trouvé bon de vous donner le royaume. » Il les exhorta à amasser leur richesse dans des bourses qui ne s'usent point [51], des récipients qui conviennent au trésor céleste, qui, contrairement aux biens du riche insensé, ne devra pas être abandonné lorsque l'âme sera appelée à rendre ses comptes. L'homme dont le trésor est de la terre le laisse entièrement à la mort ; celui dont la richesse est dans le ciel va retrouver ce qui lui appartient, et la mort n'est que la porte de son trésor.
 
Les disciples furent exhortés à être toujours prêts, attendant, comme les serviteurs attendent, le soir, avec des flambeaux allumés, le retour de leur maître. Le Seigneur de la maison vient lorsqu'il le veut, dans les premières ou les dernières veilles et si, lorsqu'il arrive, il trouve ses serviteurs fidèles prêts à ouvrir aussitôt qu'il frappe, il les honorera comme ils le méritent. C'est ainsi que le Fils de l'homme viendra, peut-être quand on l'attendra le moins. Lorsque Pierre l'interrompit en demandant si « cette parabole » n'était que pour les Douze ou pour tous, Jésus ne répondit pas directement ; cependant la réponse était contenue dans la suite de l'allégorie du contraste entre les serviteurs fidèles et les mauvais serviteurs [52]. « Quel est donc l'intendant fidèle et prudent que le maître établira sur ses gens de service pour leur donner leur ration de blé au moment convenable ? » L'intendant fidèle est un bel exemple des apôtres, pris séparément ou en groupe. Économes ou intendants, ils étaient chargés de s'occuper des autres serviteurs et de la maison ; et comme ils avaient reçu plus que les autres, il serait requis davantage d'eux ; et ils seraient strictement tenus de rendre compte de leur intendance.
 
Le Seigneur fit alors allusion avec sentiment à sa propre mission et surtout aux terribles expériences par lesquelles il allait bientôt passer, disant : « Il est un baptême dont je dois être baptisé, et combien je suis pressé qu'il soit accompli ! » Il parla de nouveau des luttes et des querelles qui suivraient la prédication de son Évangile et s'attarda sur la signification des événements qui étaient alors en cours. À ceux qui, toujours prêts à interpréter les signes du temps, restaient cependant volontairement aveugles aux choses importantes qui se passaient alors, il appliqua l'épithète mordante d'hypocrites [53] !
 
« SI VOUS NE VOUS REPENTEZ PAS, VOUS PÉRIREZ TOUT DE MÊME [54] »
 
Certains de ceux qui écoutaient le discours de notre Seigneur lui racontèrent les circonstances d'un événement tragique qui s'était produit, peu de temps avant probablement, à l'intérieur de l'enceinte du temple. Un certain nombre de Galiléens avaient été assassinés par des soldats romains, au pied de l'autel, de sorte que leur sang s'était mêlé à celui des victimes sacrificatoires. Il est probable que le massacre de ces Galiléens avait eu lieu lors de quelque démonstration violente du ressentiment juif contre l'autorité romaine, que le procurateur, Pilate, considéra comme les débuts d'une insurrection qu'il fallait étouffer promptement par la force. Pareils éclats n'étaient pas rares ; et la tour ou forteresse romaine d'Antonia avait été construite sur une position-clef dominant le temple et reliée à celui-ci par une volée d'escaliers, de sorte que des soldats pouvaient facilement avoir accès à l'enceinte dès les premiers signes de remous. Le but des informateurs qui portèrent cette affaire à l'attention de Jésus n'est pas indiqué, mais il est probable que ses allusions aux signes des temps leur avaient rappelé la tragédie, et qu'ils étaient enclins aux conjectures sur le sens profond de l'événement. Peut-être certains se demandaient-ils si le sort qui s'était abattu sur les victimes galiléennes constituait un châtiment mérité. En tout cas c'est contre une conception de ce genre que Jésus dirigea sa réponse. Par la méthode des questions et des réponses, il leur assura que ceux qui avaient été ainsi tués ne devaient pas être considérés comme plus grands pécheurs que les autres Galiléens ; « mais, dit-il, si vous ne vous repentez pas, vous périrez tous de même ».
 
Puis, se reportant de sa propre initiative à une autre catastrophe, il cita le cas de dix-huit personnes qui avaient été tuées par la chute d'une tour à Siloé et affirma qu'il ne fallait pas les considérer comme de plus grands pécheurs que les autres gens de Jérusalem. « Mais », répéta-t-il, « si vous ne vous repentez pas, vous périrez tous de même. » Il y en avait peut-être qui croyaient que les hommes sur qui la tour était tombée avaient mérité leur destin ; et cette conception est d'autant plus probable, si la théorie généralement acceptée est correcte, que la calamité s'abattit sur les hommes tandis qu'ils étaient engagés à la solde des Romains à travailler sur l'aqueduc, pour la construction duquel Pilate avait utilisé le « corban » ou trésor sacré, donné par vœu au temple [55].
 
Il n'appartient pas à l'homme de contrôler les buts et les desseins de Dieu, ni de juger par la raison humaine seule que telle ou telle personne subit un désastre en conséquence directe des péchés qu'elle a commis [56]. Néanmoins les hommes ont toujours eu tendance à juger de cette manière. Il y en a beaucoup qui ont hérité de l'esprit des amis de Job, qui le considéraient comme certainement coupable à cause des grands malheurs et des grandes souffrances qui s'étaient abattus sur lui [57]. Alors même que Jésus parlait, une sombre et cruelle calamité menaçait le temple, la ville et la nation ; et si le peuple ne se repentait pas et n'acceptait pas le Messie qui se trouvait alors en son milieu, le décret de destruction recevrait son terrible accomplissement. Par conséquent, comme Jésus le dit, si le peuple ne se repentait pas, il périrait. Le besoin impérieux de réforme fut illustré par la parabole du figuier stérile.
 
« Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint y chercher du fruit et n'en trouva pas. Alors il dit au vigneron : Voilà trois ans que je viens chercher du fruit à ce figuier, et je n'en trouve pas. Coupe-le : Pourquoi occupe-t-il la terre inutilement ? Le vigneron lui répondit : Maître, laisse-le encore cette année ; d'ici là je creuserai tout autour et j'y mettrai du fumier. Peut-être à l'avenir produira-t-il du fruit ; sinon, tu le couperas » [58].
 
Dans la littérature juive, et en particulier dans la tradition rabbinique, le figuier est souvent utilisé pour symboliser la nation. L'avertissement que contenait la parabole est clair ; l'élément de salut possible n'est pas moins évident. Si le figuier représente le peuple de l'alliance, alors la vigne est naturellement le monde en général, et le vigneron est le Fils de Dieu qui, par son ministère personnel et ses soins pleins de sollicitude, intercède pour l'arbre stérile, dans l'espoir qu'il portera encore des fruits. Cette parabole s'applique universellement ; dans son application particulière au « figuier » juif de l'époque, elle s'accompagnait de conséquences terribles. Le Baptiste avait crié l'avertissement que la cognée était déjà prête, et que tout arbre stérile serait abattu [59].
 
GUÉRISON D'UNE FEMME LE JOUR DU SABBAT [60]
 
Lors d'un certain sabbat, Jésus enseigna dans une synagogue ; on ne nous dit pas dans quel endroit, bien que ce fut probablement dans une des villes de la Pérée. Il y avait là une femme qui souffrait depuis dix-huit ans d'une infirmité qui lui avait tellement tiré et atrophié les muscles qu'elle lui courbait le corps au point qu'elle ne pouvait se redresser. Jésus l'appela à lui et, sans attendre qu'elle lui demandât quoi que ce fût, dit simplement : « Femme, tu es délivrée de ton infirmité. » Il accompagna ces paroles par l'imposition des mains, aspect de son ministère guérisseur qu'on ne retrouve pas toujours. Elle fut immédiatement guérie et se tint debout, et, reconnaissant la source de la puissance par laquelle elle avait été délivrée de ses liens, glorifia Dieu en une fervente prière d'actions de grâce. Il ne fait aucun doute que beaucoup de spectateurs se réjouirent avec elle, mais il y en avait un dont l'âme n'était agitée que par l'indignation, et c'était le chef de la synagogue. Au lieu de s'adresser à Jésus, dont il craignait peut-être l'autorité, il laissa libre cours à ses mauvais sentiments sur le peuple en lui disant qu'il y avait six jours au cours desquels les hommes devaient travailler, et que lors de ces six jours ceux qui désiraient être guéris pouvaient venir, mais pas le jour du sabbat. La réprimande était ostensiblement adressée au peuple, et en particulier à la femme qui avait reçu la bénédiction, mais en réalité elle était dirigée contre Jésus ; car, s'il y avait un élément de travail quelconque dans la guérison, c'est lui qui l'avait exécuté, et non la femme ni les autres. Le Seigneur se tourna alors directement vers le chef de la synagogue : « Hypocrites ! chacun de vous, pendant le sabbat, ne détache-t-il pas de la crèche son bœuf ou son âne pour le mener boire ? Et cette femme, qui est une fille d'Abraham et que Satan tenait liée depuis dix-huit ans, il n'aurait pas fallu la détacher de ce lien le jour du sabbat ? »
 
On peut déduire que l'affliction de cette femme avait une base plus profonde que les muscles, car Luc qui était lui-même médecin [61] nous dit qu'elle était « rendue infirme par un esprit », et rapporte les paroles significatives du Seigneur disant que Satan la tenait liée depuis dix-huit ans. Mais quelle qu'ait été sa maladie, qu'elle ait été entièrement physique ou partiellement mentale et spirituelle, la femme fut libérée de ses liens. De nouveau le Christ triomphait, et ses adversaires étaient réduits au silence, tandis que les croyants se réjouissaient. Après avoir réprimandé le chef de la synagogue, Jésus prononça un bref discours dans lequel il donna à ces gens quelques-uns des enseignements qu'il avait déjà donnés en Galilée, entre autres la parabole du grain de moutarde et du levain [62].
 
Y AURA-T-IL BEAUCOUP OU PEU DE PERSONNES QUI SERONT SAUVÉES [63]
 
Poursuivant son voyage vers Jérusalem, Jésus enseigna dans un grand nombre de villes et de villages de Pérée. Sa venue avait probablement été annoncée par les soixante-dix, qui avaient été envoyés préparer le peuple pour son ministère. L'un de ceux qui avaient été frappés par ses enseignements posa la question : « Seigneur, n'y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » Jésus répondit : « Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite. Car, je vous le dis, beaucoup chercheront à entrer et n'en seront pas capables » [64]. Le Seigneur s'étendit sur ce conseil pour montrer que la négligence ou le retard à obéir aux conditions requises pour le salut peuvent avoir pour résultat la perte de l'âme. Lorsque la porte sera fermée pour le jugement, beaucoup viendront frapper, et certains supplieront, disant qu'ils ont connu le Seigneur, ayant mangé et bu en sa compagnie, et qu'il a enseigné dans leurs rues ; mais le Seigneur dira à ceux qui ont refusé d'accepter la vérité lorsqu'elle leur a été offerte : « Je ne sais pas d'où vous êtes ; éloignez-vous de moi, vous tous, qui commettez l'injustice. » Le peuple fut averti que son lignage israélite ne le sauverait nullement, car il y en avait beaucoup qui n'étaient pas du peuple de l'alliance qui croiraient et qui seraient sauvés, tandis que les Israélites indignes seraient jetés au-dehors [65]. C'est ainsi qu' « il y a des derniers qui seront premiers et des premiers qui seront derniers ».
 
JÉSUS AVERTI DU DESSEIN D'HÉRODE [66]
 
Le jour de ce dernier discours, certains Pharisiens vinrent trouver Jésus avec l'avertissement et le conseil : « Va-t'en, pars d'ici, car Hérode veut te tuer » [67]. Nous avons vu jusqu'à maintenant que les Pharisiens avaient une hostilité ouverte envers le Seigneur ou complotaient secrètement contre lui ; et certains commentateurs considèrent cet avertissement comme une autre preuve de la ruse des Pharisiens - désirant sans doute débarrasser la province de la présence du Christ ou le pousser vers Jérusalem, où il se trouverait de nouveau à portée de main du Tribunal Suprême. Ne devrions-nous pas être larges d'esprit et charitables dans notre jugement des intentions d'autrui ? Il ne fait aucun doute qu'il y avait de braves gens dans la fraternité des Pharisiens [68], et ceux qui vinrent renseigner le Christ d'un complot contre sa vie étaient peut-être poussés par des motifs humains et ont peut-être cru intimement. Il semble très probable, d'après la réponse de Jésus, qu'Hérode voulait attenter à la liberté ou à la vie de notre Seigneur. Il reçut les renseignements avec beaucoup de sérieux, et le commentaire qu'il en fit est l'une des paroles les plus fortes qu'il ait prononcées contre quelqu'un : « Allez dire à ce renard : Voici : je chasse les démons et j'accomplis des guérisons aujourd'hui et demain ; et le troisième jour, ce sera pour moi l'achèvement. » La précision d'aujourd'hui, de demain et du troisième jour était un moyen d'exprimer le présent dans lequel le Seigneur agissait alors, l'avenir immédiat, au cours duquel il continuerait à prêcher puisque, comme il le savait, le jour de sa mort se trouvait encore à plusieurs mois de là, et le moment où son œuvre terrestre serait terminée. Il mit hors de doute le fait qu'il n'avait pas l'intention de se hâter ni de couper court à son voyage ou de cesser ses travaux par peur d'Hérode Antipas, qui par sa ruse et sa méchanceté était parfaitement représenté par un renard rusé et meurtrier. Néanmoins, le Christ avait l'intention de continuer, et il allait d'ailleurs bientôt quitter tout naturellement la Pérée, qui faisait partie du domaine d'Hérode, et entrer en Judée ; et à l'époque qu'il connaissait d'avance, il ferait son entrée finale à Jérusalem, car c'était dans cette ville qu'il allait accomplir son sacrifice. « Il ne convient pas, expliqua-t-il, qu'un prophète périsse hors de Jérusalem. » Le fait terrible que lui, le Christ, serait tué dans la ville principale d'Israël lui arracha cette apostrophe pathétique sur Jérusalem, qu'il répéta lorsque, pour la première fois, il fit entendre sa voix à l'intérieur de l'enceinte du temple [69].
 
 [1] Jn 10:22.
 [2] Note 1, fin du chapitre.
 [3] Lc 9:51.
 [4] Jn 10:40, 11:54.
 [5] Lc 9:51-56.
 [6] Jn 4:4-42. Chap. 13 du présent ouvrage.
 [7] 9 Lc 9:54 ; cf. 2 R 1:10,12.
 [8] Mt 10:23.
 [9] Lc 9:57-62. Voir chap. 20 du présent ouvrage.
 [10] Lc 10:1-12.
 [11] Cf. Mt 9:37,38 ; voir aussi Jn 4:35.
 [12] Edersheim (vol. II, p. 138) dit : « L'expression ‘si le fils de la paix est là’ est un hébraïsme équivalent à ‘si la maison en est digne’ (cf. Mt 10:13) et désigne la personnalité du chef de famille et l'atmosphère du foyer. »
 [13] Cf. Mt 10: 14. Chap. 21 du présent ouvrage.
 [14] Comparer avec la mission donnée aux soixante-dix à celle des Douze, Mt 10:5-42, Mc 6:7-11, Lc 9:1-5. Voir chap. 21 du présent ouvrage.
 [15] Mt 10:5,6 ; 15:24.
 [16] Mt 28:19 ; Mc 16:15.
 [17] D&A 107:25,124:137-140 ; voir aussi Articles de Foi, pp, 255, 258. L'office des soixante-dix a été réinstauré dans l'Église rétablie ; et à notre époque, des collèges des soixante-dix existent pour l'œuvre du ministère. L'office des soixante-dix est un office qui appartient à la prêtrise supérieure ou Prêtrise de Melchisédek.
 [18] Lc 10:13-15 ; cf. Mt 11:20-24. Voir chap. 18 du présent ouvrage.
 [19] Lc 10:17.
 [20] Ap 9:1, 12:8,9. Voir chap. 2 du présent ouvrage.
 [21] Lc 10: 19 ; lire versets 20-24.
 [22] Cf. Mc 16:18, Ac 28:5.
 [23] Ap 12:9, 20:2 ; cf. Gn 3:1-4,14,15.
 [24] Cf. Ap 13:8, 20:12, 21:27.
 [25] Cf. Mc 12:13 ; voir aussi Lc 11:53,54.
 [26] Lc 10:25 37.
 [27] Cf. Gn 22:1.
 [28] Cf. Mt 19:16, Mc 10:17, Lc 18:18.
 [29] Lc 10:27 ; cf. Dt 6:5 et Lv 19:18 ; voir aussi Mt 22:35-40.
 [30] Lc 10:30-37.
 [31] Mt 18:21,22 ; cf. Lc 17:4. Chap. 24 du présent ouvrage.
 [32] Dt 22:4 ; cf. Ex 23:5.
 [33] Lc 10:38-42. Note 2, fin du chapitre.
 [34] Jn 11:5.
 [35] Cf. Jn 12:2,3.
 [36] Lc 11:1-13.
 [37] Chap. 17.
 [38] Lc 18:2-5 ; lire versets 1 et 6-8. Voir aussi D&A 101:81-94.
 [39] Lc 18:1 ; cf. 21:36, Rm 12:12, Ep 6:18, Col 4:2, 1 Th 5:17.
 [40] Lc 11:37-54.
 [41] Lc 11:14-18. Voir chap. 18 du présent ouvrage.
 [42] Lc 11:29-36. Voir chap. 18 du présent ouvrage.
 [43] Mt 23 ; voir chapitre 31, infra.
 [44] Lc 2:1-12.
 [45] Chap. 22.
 [46] Chap. 25.
 [47] Lc 12:14-21.
 [48] Comparer avec le sort qui s'abattit sur Nebucadnetsar, alors même qu'il proférait encore des paroles orgueilleuses et vantardes (Dn 4:24-33), et celui de Belchatsar, devant les yeux duquel apparut la main du destin au milieu de son orgie ; cette nuit-là l'âme du roi lui fut redemandée (Dn 5).
 [49] Ec 2:18,19 ; cf. les versets suivants ; voir aussi Ps 39:6,49:6-20, Job 27:16,17.
 [50] Lc 12:22-31 ; cf. Mt 6:25-34
 [51] Cf. Mt 6:20.
 [52] Lc 12:35-48.
 [53] Lc 12:49-57 ; cf. Mt 10:34-37.
 [54] Lc 13:1-5.
 [55] Josèphe, Guerres, II, 9:4 et chap. 22 du présent ouvrage
 [56] Cf. Jn 9:2, 3 et chap. 25 du présent ouvrage.
 [57] Jb 4:7, 8:2-14, 20, 22:5.
 [58] Lc 13:6-9.
 [59] Lc 3:9.
 [60] Lc 13:11-17.
 [61] Co 4:14.
 [62] Lc 13:19:21 ; voir aussi chap. 19 du présent ouvrage.
 [63] Lc 13:23-30. Note 3, fin du chapitre.
 [64] Cf. Mt 7:13.
 [65] Cf. Mt 7:23, 8:11,12, 19:30, Mc 10:31.
 [66] Lc 13:31-33.
 [67] Dans la version révisée [anglaise, ndt] la dernière proposition est « car Hérode aimerait te tuer ».
 [68] Paul l'apôtre avait été un Pharisien du genre le plus strict (Actes 23:6, 26:5).
 [69] Lc 13:34, 35 ; cf. Mt 23:37 39.
 
NOTES DU CHAPITRE 26
 
1. Le ministère du Christ après son départ final de Galilée : Jean nous dit que lorsque Jésus quitta la Galilée pour aller à Jérusalem assister à la fête des Huttes, il y alla « non pas de façon manifeste, mais comme en secret » (7:10). Il semble improbable que les œuvres nombreuses que rapportent les écrivains synoptiques dans le cadre du ministère de notre Seigneur, et qui s'étendaient de la Galilée à travers la Pérée, en Samarie et dans des parties de la Judée, aient pu se produire au cours de ce voyage particulier, et pour ainsi dire secret, à l'époque de la fête des Huttes. Le désaccord qui existe parmi les auteurs quant à la succession des événements dans la vie du Christ est très grand. Une comparaison des « harmonies » publiées dans les principaux auxiliaires bibliques donne l'exemple de ces vues divergentes. Le sujet des enseignements de notre Seigneur conserve sa valeur intrinsèque indépendamment des événements, qui ne sont qu'accessoires. L'extrait suivant de Farrar (Life of Christ, chap. 42) sera utile à l'étudiant, qui doit cependant se souvenir que, du propre aveu de l'auteur, ce n'est qu'un arrangement provisoire ou possible. « Il est bien connu que toute une grande section de saint Luc - de 9:51 à 18:30 - forme un épisode du récit évangélique dont beaucoup d'événements ne sont racontés que par cet évangéliste uniquement, et dans lequel les quelques données de temps et de lieu indiquent toutes un voyage lent et solennel de Galilée à Jérusalem (9:51, 13:22, 17:11, 10:38). Après la fête de la Dédicace, notre Seigneur se retira en Pérée jusqu'à ce qu'il en fût rappelé par la mort de Lazare (Jn 10:40, 42, 11:1-46) ; après la résurrection de Lazare, il s'enfuit en Éphraïm (11:54), et il ne quitta sa retraite d'Éphraïm que lorsqu'il se rendit à Béthanie, six jours avant sa dernière Pâque (12:1).
 
Ce grand voyage de Galilée à Jérusalem, si riche en événements qui donnèrent lieu à certaines de ses paroles les plus mémorables, dut donc être soit un voyage vers la fête des Huttes ou vers la fête de la Dédicace. On peut considérer comme établi qu'il ne pouvait s'agir de la première, surtout parce que ce voyage-là était rapide et secret, tandis que celui-ci était éminemment public et lent.
 
« Presque tous les enquêteurs semblent différer dans une mesure plus ou moins grande quant à la succession et à la chronologie exacte des événements qui suivent. Sans entrer dans des analyses minutieuses et ennuyeuses, où il est impossible d'arriver à une certitude absolue, je raconterai cette période de la vie de notre Seigneur dans l'ordre qui, après une étude répétée des évangiles, me semble être le plus probable, et dans les détails duquel je me suis trouvé confirmé à maintes reprises par les conclusions d'autres chercheurs indépendants. Je ne donnerai ici que ma conviction :
 
« 1. L'épisode de saint Luc jusqu'à 18:30 se rapporte principalement à un voyage unique, bien que l'unité de sujet, ou d'autres causes, ait pu amener l'auteur sacré à inclure à son récit certains événements ou paroles qui appartiennent à une époque antérieure ou ultérieure.
 
« 2. L'ordre des faits rapportés même par saint Luc seul n'est pas, et ne prétend en aucune façon être strictement chronologique, de sorte que le lieu d'un événement quelconque dans le récit n'indique pas nécessairement sa place véritable dans l'ordre du temps.
 
« 3. Ce voyage est identique à celui qui est rapporté partiellement dans Mt 18:1, 20:16, Mc 10:1-31.
 
« 4. (Comme des preuves internes semblent le démontrer) les événements rapportés dans Mt 20:17-28, Mc 10:32-45, Lc 18:31-34, n'appartiennent pas à ce voyage mais au dernier que Jésus fit : le voyage d'Éphraïm à Béthanie et à Jérusalem. »
 
2. Jésus à la maison de Béthanie : Certains auteurs (par ex. Edersheim) placent cet événement dans le cours du voyage de notre Seigneur pour assister à la fête des Huttes ; d'autres (par ex. Geikie) pensent qu'il se produisit immédiatement après cette fête ; d'autres encore (par ex. Farrar) le placent la veille de la fête de la Dédicace, presque trois mois plus tard. La place que nous lui donnons dans le texte est celle à laquelle il apparaît dans le récit scripturaire.
 
3. N'y en aura-t-il que peu qui seront sauvés ? : Nous apprenons par la révélation des derniers jours que des degrés de conditions nous attendent dans l'au-delà, et qu'au-delà du salut il y a les gloires élevées de l'exaltation. Les royaumes (ou gloires) spécifiés des rachetés, à l'exception des fils de perdition, sont le céleste, le terrestre et le téleste. Nous voyons que ceux qui trouveront place dans le téleste, le plus bas des trois, sont « aussi innombrables que les étoiles du firmament ou que le sable sur les bords de la mer ». Et ils ne seront pas tous égaux « car ils seront jugés selon leurs œuvres, et chacun recevra selon ses propres œuvres sa propre domination dans les demeures qui sont préparées. Et ils seront les serviteurs du Très-Haut ; mais ils ne peuvent aller là où Dieu et le Christ demeurent, aux siècles des siècles » voir D&A 76:111, 112, lire la section tout entière ; voir aussi les Articles de Foi, p. 493-499.
 
 
CHAPITRE 27 : SUITE DU MINISTÈRE PÉRÉEN ET JUDÉEN
 
CHEZ L'UN DES PRINCIPAUX PHARISIENS [1]
 
Lors d'un sabbat, Jésus fut reçu chez un Pharisien éminent. Un homme affligé d'hydropisie était là ; il se peut qu'il soit venu dans l'espoir de recevoir une bénédiction, ou bien sa présence avait peut-être été préparée par l'hôte ou d'autres afin de tenter Jésus d'opérer un miracle pendant le jour saint. On pensait certainement que le Seigneur exercerait son pouvoir guérisseur, si on ne le sous-entendit pas ou ne le suggéra pas ouvertement, car nous lisons que « Jésus prit la parole et dit aux docteurs de la loi et aux Pharisiens : Est-il permis ou non d'opérer une guérison pendant le sabbat [2] ? » Nul ne se hasarda à répondre. Jésus guérit l'homme immédiatement ; puis il se tourna vers le groupe assemblé et demanda : « Lequel de vous, si son fils ou son bœuf tombe dans un puits, ne l'en retirera pas aussitôt, le jour du sabbat [3] ? » Les savants exégètes de la loi restèrent prudemment silencieux.
 
Observant les efforts avides des hôtes du Pharisien pour s'assurer de bonnes places à table, Jésus leur donna une leçon de politesse, faisant ressortir non seulement le bon ton mais aussi l'avantage d'une décente maîtrise de soi. Un invité ne pouvait pas se choisir lui-même la place d'honneur, car quelqu'un de plus distingué que lui pouvait venir, et l'hôte dirait : « Cède-lui la place. » Vient ensuite la morale : « En effet quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé » [4]. 
 
Cette assemblée de personnes chez le chef des Pharisiens comprenait des gens importants, des riches et des notables, des dirigeants pharisiens, des savants renommés, des rabbis célèbres et autres. Examinant cette compagnie distinguée, Jésus dit : « Lorsque tu donnes à dîner ou à souper, ne convie pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni des voisins riches, de peur qu'ils ne t'invitent à leur tour et que ce ne soit ta rétribution. Mais lorsque tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles. Et tu seras heureux, puisqu'ils n'ont pas de quoi te rétribuer ; car tu seras rétribué à la résurrection des justes. » Ce bon conseil fut interprété comme un reproche, et quelqu'un essaya de dissiper la gêne en s'exclamant : « Heureux celui qui prendra son repas dans le royaume de Dieu » [5]. Cette remarque était une allusion à la grande fête qui, selon le traditionalisme juif, devait être une caractéristique importante dans l'ère messianique. Jésus profita promptement de cette circonstance en racontant la profonde parabole des invités :
 
« Un homme donna un grand repas et invita beaucoup de gens. À l'heure du repas, il envoya son serviteur dire aux invités : Venez, car tout est déjà prêt. Mais tous unanimement se mirent à s'excuser. Le premier lui dit : J'ai acheté un champ et je suis contraint d'aller le voir ; tiens-moi, je te prie, pour excusé. Un autre dit : J'ai acheté cinq paires de bœufs, et je vais les essayer ; tiens-moi, je te prie pour excusé. Un autre dit : Je viens de me marier, et c'est pourquoi je ne puis venir. Le serviteur, de retour, rapporta ces choses à son maître. Alors le maître de maison, irrité, dit à son serviteur : Va promptement sur les places et dans les rues de la ville, et amène ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux. Le serviteur dit : Maître, ce que tu as ordonné a été fait, et il y a encore de la place. Et le maître dit au serviteur : Va par les chemins et le long des haies, contrains les gens d'entrer afin que ma maison soit remplie. Car, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon repas [6] »
 
Cette histoire implique que les invitations avaient été lancées suffisamment à l'avance aux invités choisis ; ensuite le jour de la fête, un messager fut envoyé les avertir de nouveau, comme c'était la coutume de l'époque. Bien qu'appelé souper [version du roi Jacques, ndt], le repas devait être somptueux ; en outre, le repas principal du jour était communément appelé souper. L'un après l'autre les hommes déclinèrent l'invitation, l'un disant : « Excuse-moi, je te prie », un autre : « Je ne puis venir. » Les activités qui occupaient le temps et l'attention de ceux qui avaient été conviés ou, comme nous le dirions, invités, à la fête, n'étaient pas critiquables en elles-mêmes, et encore moins coupables ; mais laisser arbitrairement des affaires personnelles annuler un engagement honorable une fois qu'on l'avait accepté, c'était faire preuve de manque de courtoisie, de respect et constituait presque une insulte envers celui qui arrangeait la fête. L'homme qui avait acheté un champ pouvait remettre l'inspection à plus tard ; celui qui venait d'acheter du bétail aurait pu attendre un jour pour l'essayer sous le joug ; et le jeune marié aurait pu laisser son épouse et ses amis pendant la durée du repas auquel il avait promis d'assister. Aucune de ces personnes ne voulait y assister, c'est évident. C'est à bon droit que le maître était en colère. Son commandement de faire entrer les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux des rues de la ville dut rappeler à ceux qui écoutaient le récit de notre Seigneur le conseil qu'il avait donné quelques minutes auparavant concernant le genre d'hôtes que le riche pouvait inviter avec profit pour son âme. Le fait que le maître envoya son serviteur une deuxième fois, cette fois dans les chemins et le long des haies en dehors des murs de la ville, pour faire entrer même les pauvres de la campagne, indique de sa part une bienveillance sans limite et une décision bien arrêtée.
 
Il laissa aux savants à qui l'histoire était adressée le soin d'expliquer la parabole. Certains d'entre eux en sonderaient certainement le sens, du moins en partie. Le peuple de l'alliance, Israël, était les hôtes spécialement invités. Ils avaient été invités longtemps à l'avance et, en professant eux-mêmes appartenir au Seigneur, avaient accepté de prendre part à la fête. Lorsque tout fut prêt, le jour désigné, ils furent respectivement invités par le Messager qui avait été envoyé par le Père ; il était à ce moment même au milieu d'eux. Mais les soucis des richesses, l'attrait des choses matérielles et les plaisirs de la vie sociale et domestique les occupaient tout entiers, et ils demandaient à être excusés ou déclaraient irrespectueusement qu'ils ne pouvaient pas ou ne voulaient pas venir. Alors la joyeuse invitation devait être portée aux Gentils, qui étaient considérés comme spirituellement pauvres, estropiés, aveugles et boiteux. Et plus tard, même les païens en dehors des murs, les étrangers dans les portes de la ville sainte seraient invités au repas. Ceux-ci, surpris de cette invitation inattendue, hésiteraient, jusqu'au moment où, par des exhortations et des assurances véritables qu'ils étaient réellement compris parmi les invités, ils se sentiraient contraints ou obligés de venir. Les dernières paroles du Seigneur prévoient que certaines des personnes impolies arriveraient plus tard, après s'être occupées de leurs affaires plus absorbantes : « Car, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon repas. »
 
CALCUL DE LA DÉPENSE [7]
 
Comme il en avait été en Galilée, de même en fut-il en Pérée et en Judée : de grandes multitudes écoutaient le Maître partout où il apparaissait en public. Une fois, lorsqu'un scribe s'était présenté comme disciple, s'offrant à suivre le Maître partout où il allait, Jésus avait attiré son attention sur l'abnégation, les privations et les souffrances qui accompagneraient ce service dévoué ; l'enthousiasme de cet homme avait disparu [8]. C'est ainsi que Jésus appliquait maintenant à la multitude empressée une épreuve de sincérité. Il ne voulait que des disciples sincères, pas des enthousiastes d'un jour, prêts à déserter sa cause lorsque celle-ci aurait le plus besoin d'efforts et de sacrifices. C'est ainsi qu'il tria le peuple : « Si quelqu'un vient à moi, et s'il ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. » Il ne voulait pas dire par là qu'il fallait absolument haïr littéralement sa famille pour être son disciple ; en fait l'homme qui se livre à la haine ou à toute autre passion mauvaise doit se repentir et se réformer. Le message, c'était que chez ceux qui avaient assumé les obligations de disciples, le devoir envers Dieu devait l'emporter sur les exigences personnelles [9].
 
Comme Jésus le fit remarquer, le bon sens veut que l'on calcule bien les dépenses avant de se lancer dans une grande entreprise, même dans les affaires ordinaires. L'homme qui désire construire, disons une tour ou une maison, essaie de calculer la dépense avant de commencer ; sinon il se peut qu'il ne soit pas capable de faire plus que poser les fondations ; alors il ne se trouvera pas seulement perdre tout, car le bâtiment non fini ne sera d'aucune utilité, mais les gens risquent de se moquer de son manque de prévoyance. De même un roi, voyant son royaume menacé par des envahisseurs hostiles, ne se lance pas imprudemment au combat ; il essaie tout d'abord de s'informer de la puissance des forces ennemies ; et puis, si les risques sont trop grands, il envoie un ambassadeur pour traiter la paix. « Ainsi donc », dit Jésus aux gens qui l'entouraient, « quiconque d'entre vous ne renonce pas à tout ce qu'il possède ne peut être mon disciple. » Il serait attendu de tous ceux qui entraient à son service qu'ils gardent leur dévouement désintéressé. Il ne voulait pas de disciples qui deviendraient comme du sel qui se serait gâté, sans saveur, inutile. « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende » [10]. 
 
PARABOLES ILLUSTRANT LE SALUT POUR LES « PÉAGERS ET LES PÉCHEURS » [11]
 
Les Pharisiens de Galilée avaient critiqué Jésus avec intolérance à cause de son ministère amical et secourable parmi les publicains et leurs pareils que, sans faire de distinction, on appelait péjorativement « péagers et pécheurs » [12]. Il avait répliqué à ces qualificatifs peu charitables en disant que c'est surtout ceux qui sont malades qui ont besoin du médecin, et qu'il était venu appeler les pécheurs au repentir. Les Pharisiens judéens formulèrent une plainte semblable et furent particulièrement virulents lorsqu'ils virent que « tous les péagers et les pécheurs » s'approchaient pour l'entendre. Il répondit à leurs murmures en présentant un certain nombre de paraboles dont le but était de montrer le devoir qui leur incombait d'essayer de ramener dans le droit chemin ceux qui étaient perdus et la joie qu'ils obtiendraient en réussissant cette entreprise divine. La première de cette série de paraboles était celle de la brebis perdue ; nous l'avons examinée lorsqu'elle fut prononcée pour la première fois pendant qu'il instruisait ses disciples en Galilée [13]. Mais son application dans le cas présent est quelque peu différente de sa première présentation. En cette dernière occasion, la leçon s'adresse aux Pharisiens et aux scribes égoïstes qui personnifiaient la théocratie, et dont le devoir aurait obligatoirement dû être de s'occuper des égarés et des perdus. Si les « péagers et les pécheurs », que ces ecclésiastiques méprisaient si généralement, étaient aussi mauvais qu'on les disait, si c'étaient des hommes qui avaient quitté le sentier bordé de haies épaisses de la loi et étaient devenus apostats dans une certaine mesure, c'était à ceux-là que l'on devait tendre le plus la main secourable du service missionnaire. Nous ne voyons jamais Jésus défendre les prétendues mauvaises pratiques de ces « péagers et de ces pécheurs » lorsque les Pharisiens insultent ou dénoncent ouvertement ceux-ci ; son attitude vis-à-vis de ces personnes spirituellement malades était celle d'un médecin dévoué : son souci pour ces brebis égarées était celui d'un berger aimant dont le plus grand désir était de les retrouver et de les ramener au troupeau. Ni le système théocratique globalement ni ses dirigeants personnellement n'essayaient même de le faire. Le berger, retrouvant la brebis qui était perdue, ne pense pas à ce moment à la réprimander ou à la punir ; au contraire, lorsqu'il l'a trouvée, il la met avec joie sur ses épaules, et, de retour à la maison, il appelle chez lui ses amis et ses voisins et leur dit : Réjouissez-vous avec moi, car j'ai trouvé ma brebis qui était perdue ».
 
On trouve une application directe de la parabole dans le discours que le Seigneur fit aux Pharisiens et aux scribes : « De même, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de repentance. » Étaient-ils les quatre­vingt-dix-neuf personnes qui, à leur avis, ne s'étaient pas égarées, étant des « justes, qui n'ont pas besoin de repentance » ? Certains lecteurs disent qu'ils relèvent cette note de sarcasme justifiée dans les dernières paroles du Maître. Dans la première partie de l'histoire, le Seigneur lui-même apparaît comme le Berger plein de sollicitude, et cela implique clairement que c'est son exemple que les dirigeants théocratiques devaient imiter. Pareille conception fait des Pharisiens et des scribes des bergers plutôt que des brebis. Les deux explications sont valables ; et chacune a sa valeur, puisqu'elle décrit la situation et le devoir de ceux qui professent être les serviteurs du Maître à toutes les époques.
 
Sans s'interrompre, le Seigneur passa de l'histoire de la brebis perdue à la parabole de la drachme perdue.
 
« Ou quelle femme, si elle a dix drachmes et qu'elle perd une drachme, n'allume une lampe, ne balaie la maison et ne cherche avec soin, jusqu'à ce qu'elle la trouve ? Lorsqu'elle l'a trouvée, elle appelle chez elle ses amies et ses voisines et dit : Réjouissez-vous avec moi, car j'ai trouvé la drachme que j'avais perdue. De même, je vous le dis, il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se repent. »
 
Entre cette parabole et celle de la brebis perdue il y a certaines différences notables, bien que dans chacune la leçon soit en général la même. La brebis s'était perdue de sa propre volonté ; on avait laissé tomber la drachme, et elle fut ainsi perdue par suite de l'inattention ou de la négligence coupable de sa propriétaire. La femme, découvrant sa perte, entreprend une recherche diligente ; elle balaie la maison, peut-être découvre-t-elle des coins sales, des araignées qu'elle avait oubliées dans sa satisfaction d'être une ménagère extérieurement propre et normale. Sa recherche est récompensée par la récupération de la drachme perdue et est également profitable en ce qu'elle cause le nettoyage de sa maison. Sa joie est comme celle du berger revenant chez lui avec la brebis sur les épaules - jadis perdue mais maintenant retrouvée.
 
On peut considérer la femme qui, par manque de soin, avait perdu la précieuse drachme comme une représentation de la théocratie de l'époque et de l'institution qu'est l'Église à une époque quelconque ; alors les drachmes, étant chacune une monnaie authentique du royaume, portant l'image du grand Roi, sont les âmes confiées aux soins de l'Église ; et la drachme perdue symbolise les âmes que les ministres autorisés de l'Évangile du Christ négligent et que, pendant un certain temps du moins, ils perdent de vue. Ces brèves illustrations furent suivies d'une autre dont les images sont encore plus riches et dont les détails sont plus frappants. C'est l'inoubliable parabole du fils prodigue [14].
 
« Il dit encore : Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : Mon père, donne-moi la part de la fortune qui doit me revenir. Et le père leur partagea son bien. Peu de jours après, le plus jeune fils rassembla tout ce qu'il avait et partit pour un pays lointain où il dissipa sa fortune en vivant dans la débauche. Lorsqu'il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à manquer (de tout). Il se lia avec un des habitants du pays, qui l'envoya dans ses champs faire paître les pourceaux. Il aurait bien désiré se rassasier des carouges que mangeaient les pourceaux, mais personne ne lui en donnait. Rentré en lui-même, il se dit : Combien d'employés chez mon père ont du pain en abondance, et moi ici, je péris à cause de la famine. Je me lèverai, j'irai vers mon père et lui dirai : Père, j'ai péché contre le ciel et envers toi ; je ne suis plus digne d'être appelé ton fils ; traite-moi comme l'un de tes employés. Il se leva et alla vers son père. Comme il était encore loin, son père le vit et fut touché de compassion, il courut se jeter à son cou et l'embrassa. Le fils lui dit : Père, j'ai péché contre le ciel et envers toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils. Mais le père dit à ses serviteurs : Apportez vite la plus belle robe et mettez-la lui ; mettez-lui une bague au doigt, et des sandales pour ses pieds. Amenez le veau gras, et tuez­le. Mangeons et réjouissons-nous ; car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. Et ils commencèrent à se réjouir. Or, le fils aîné était dans les champs. Lorsqu'il revint et s'approcha de la maison, il entendit la musique et des danses. Il appela un des serviteurs et s'informa de ce qui se passait. Ce dernier lui dit : Ton frère est de retour, et parce qu'il lui a été rendu en bonne santé, ton père a tué le veau gras. Il se mit en colère et ne voulut pas entrer. Son père sortit pour l'y inviter. Alors il répondit à son père : Voici : il y a tant d'années que je te sers, jamais je n'ai désobéi à tes ordres, et à moi jamais tu n'as donné un chevreau pour me réjouir avec mes amis. Mais quand ton fils que voilà est arrivé, celui qui a dévoré ton bien avec des prostituées, pour lui tu as tué le veau gras ! Toi, mon enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à toi ; mais il fallait bien se réjouir et s'égayer, car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. »
 
Le fils cadet réclama une partie du patrimoine, du vivant même de son père : c'est là un cas de désertion délibérée, témoignant d'un manque de piété filiale ; il avait conçu un dégoût pour les devoirs que l'on doit remplir en coopération dans la famille et de l'irritation pour la discipline saine du foyer. Il était décidé à rompre tous les liens familiaux, oubliant ce que le foyer avait fait pour lui et la dette de gratitude et de devoir par laquelle il était moralement lié. Il s'en alla dans un pays lointain et, croyait-il, hors de portée de l'influence directrice de son père. Il eut son temps de grande vie, de débauche sans frein et de plaisirs néfastes, y gaspillant la force de son corps et de son esprit, et dilapidant les biens de son père ; car ce qu'il avait reçu lui avait été donné comme une concession et n'était pas l'accession à une demande légale ou juste. L'adversité s'abattit sur lui et s'avéra un meilleur maître que le plaisir. Il fut réduit au service le plus bas et le plus humble, celui de la garde des pourceaux, occupation qui, pour un Juif, était la dégradation la plus extrême. La souffrance lui fit reprendre ses esprits. Lui, le fils de parents honorables, faisait paître des pourceaux et mangeait avec eux, alors que même les employés chez lui avaient de la bonne nourriture en abondance et de réserve. Il se rendit compte non seulement de la stupidité qu'il avait commise en quittant la table bien fournie de son père pour se repaître avec les pourceaux, mais aussi de l'impiété de sa désertion égoïste ; il n'était pas seulement rempli de remords mais aussi repentant. Il avait péché envers son père et contre Dieu ; il allait retourner chez lui, confesser son péché et demander, non pas à être rétabli comme fils, mais à recevoir la permission de travailler comme employé. S'étant décidé, il ne tarda pas mais entreprit immédiatement le long voyage de retour vers sa maison et son père.
 
Le père apprit l'approche du prodigue et se hâta de venir à sa rencontre. Sans un seul mot pour le condamner, le père aimant étreignit et embrassa le garçon débauché mais maintenant pénitent qui, accablé de cette affection imméritée, reconnut humblement son erreur et confessa douloureusement qu'il n'était pas digne d'être appelé fils de son père. Il est à remarquer que dans sa confession contrite il ne demanda pas à être accepté comme employé comme il avait résolu de le faire ; la joie de son père était trop sacrée pour être ainsi gâchée ; le meilleur moyen de plaire à son père était de se mettre sans réserve à la disposition de celui­ci. Le rude vêtement de la pauvreté fut remplacé par la meilleure robe ; une bague lui fut placée au doigt comme signe de rétablissement ; les sandales montrèrent qu'il était de nouveau accepté comme fils, et non Comme employé. Le bonheur qui gonflait le cœur du père ne pouvait s'exprimer qu'en abondantes actions de bonté ; une fête fut préparée, car le fils que l'on considérait comme mort n'était-il pas vivant ? Celui qui avait été perdu n'avait-il pas été retrouvé ?
 
Jusque là l'histoire montre une grande ressemblance avec les deux paraboles qui la précèdent dans le même discours ; la partie suivante introduit un autre symbolisme important. Personne ne s'était plaint de la récupération de la brebis perdue ni de la découverte de la drachme perdue ; dans chaque cas, des amis s'étaient réjouis avec le propriétaire. Mais le bonheur du père au retour du prodigue fut interrompu par les protestations de l'aîné. Celui-ci, en s'approchant de la maison, avait remarqué qu'elle avait un air de fête et, au lieu d'entrer comme c'était son droit, avait demandé à l'un des serviteurs quelle était la cause de ces réjouissances extraordinaires. Apprenant que son frère était revenu et que le père avait préparé une fête en l'honneur de cet événement, le fils aîné se mit en colère et refusa, furieux, d'entrer dans la maison, même après que le père fut sorti pour le supplier. Il cita sa fidélité et son dévouement aux travaux routiniers de la ferme, prétentions d'excellence que le père ne nia pas ; mais le fils héritier reprocha à son père de ne pas lui avoir donné autant, lorsqu'il était jeune, pour s'amuser avec ses amis ; tandis que maintenant que le fils impie et dépensier était revenu, le père était allé jusqu'à tuer le veau gras pour lui. Il y a un sens particulier dans les termes par lesquels l'aîné désigne le frère pénitent : « ton fils », plutôt que « mon frère ». L'aîné, rendu sourd par la colère égoïste, refusa d'écouter l'assurance affectueuse : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à toi », et, le cœur endurci par une haine peu fraternelle, il ne se laissa pas toucher par l'éclat ému et aimant : « Ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. »
 
Nous n'avons pas le droit d'exalter la vertu de repentir du prodigue au-dessus des services loyaux et pénibles de son frère qui était resté au foyer, fidèle aux devoirs exigés de lui. Le fils dévoué était l'héritier ; le père ne minimisait pas sa valeur ni ne niait ses mérites, Le déplaisir qu'il manifesta à cause de la joie qu'avait provoquée le retour de son frère débauché était une preuve de manque de générosité et d'étroitesse d'esprit ; mais des deux frères, c'était l'aîné qui était le plus fidèle quels qu'aient pu être ses défauts mineurs. Mais l'élément que le Seigneur souligna dans cette leçon avait trait à ses deux faiblesses : le manque de charité et l'égoïsme.
 
Les Pharisiens et les scribes, à qui ce chef-d'œuvre d'exemple fut donné, durent le prendre pour eux-mêmes. Ils étaient représentés par le fils aîné, laborieusement attentif à la routine, peinant méthodiquement sous le petit train-train quotidien dans les travaux multiples des champs, sans s'intéresser à autre chose qu'à lui-même et refusant d'accueillir un péager repentant ou un pécheur pénitent. Ils s'éloignaient de tous ceux-là ; ces gens-là pouvaient être pour le Père indulgent et miséricordieux « ton fils » mais ne seraient jamais un frère pour eux. Ils ne se souciaient pas de savoir qui ni combien étaient perdus, tant qu'on ne les dérangeait pas dans leur héritage et leurs biens par le retour des prodigues pénitents. Mais la parabole ne s'adressait pas uniquement à eux ; c'est une plante éternelle produisant le fruit d'une doctrine saine et une nourriture parfaite pour l'âme pour tous les temps. Il ne s'y trouve pas un seul mot qui approuve ou excuse le péché du prodigue ; celui-ci, le Père ne pouvait le considérer avec le moindre degré d'indulgence [15] ; mais Dieu et la maison du ciel se réjouissaient du repentir et de la contrition profonde de ce pécheur.
 
Les trois paraboles, qui figurent dans le récit scripturaire sous la forme de parties d'un discours continu, décrivent unanimement la joie qui abonde dans le ciel lorsque l'on retrouve une âme comptée auparavant parmi celles qui étaient perdues, que cette âme soit symbolisée par une brebis qui s'est éloignée, une drachme perdue de vue du fait de la négligence de son propriétaire, ou un fils qui se sépare délibérément du foyer et du ciel. Rien ne justifie la déduction qu'un pécheur repentant sera préféré à une âme juste qui a résisté au péché ; si telle était la voie de Dieu, alors le Christ, l'homme pur par excellence, serait surpassé dans l'estime du Père par des transgresseurs régénérés. Aussi formellement scandaleux que soit le péché, le pécheur est cependant précieux aux yeux du Père, parce qu'il lui est possible de se repentir et de revenir à la justice. La perte d'une âme est une perte très réelle et très grande pour Dieu. Il en est peiné et affligé, car sa volonté est qu'il n'en périsse pas une seule [16].
 
LES DISCIPLES INSTRUITS PAR PARABOLE
 
S'adressant plus directement aux disciples présents, qui en cette occasion comprenaient, outre les apôtres, beaucoup de croyants, parmi lesquels même certains péagers, Jésus raconta la parabole de l'intendant infidèle [17].
 
« Jésus dit aussi aux disciples : Il y avait un homme riche qui avait un intendant, et celui-ci lui fut dénoncé comme dissipant ses biens. Il l'appela et lui dit : Qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends compte de ton intendance car, tu ne pourras plus être mon intendant. L'intendant se dit en en lui-même : Que ferai-je, puisque mon maître m'ôte l'intendance (de ses biens) ? Piocher la terre ? je n'en ai pas la force. Mendier ? J'en ai honte. Je sais ce que je ferai, pour qu'il y en ait qui me reçoivent dans leurs maisons, quand je serai relevé de mon intendance. Alors il fit appeler chacun des débiteurs de son maître et dit au premier : Combien dois-tu à mon maître ? Cent mesures d'huile, répondit-il. Et il lui dit : Prends ton billet, assieds-toi vite, écris : Cinquante. Il dit ensuite à un autre : Et toi, combien dois-tu ? Cent mesures de blé, répondit-il. Et il lui dit : Prends ton billet et écris : Quatre-vingts. Le maître loua l'économe infidèle de ce qu'il avait agi en homme prudent, Car les enfants de ce siècle sont plus prudents à l'égard de leurs semblables que ne le sont les enfants de lumière. »
 
Les trois paraboles précédentes enseignaient leurs leçons par des rapports d'analogie étroite et des similarités intimes ; celle-ci enseigne plutôt par son contraste des situations. L'intendant de l'histoire était l'agent dûment autorisé de son employeur, étant ce que nous appellerions le fondé de pouvoir de son maître [18]. Il fut appelé à rendre des comptes parce que le bruit de ses gaspillages et de son manque de soin était parvenu aux oreilles du maître. L'intendant ne nia pas sa culpabilité et reçut immédiatement son renvoi. Il lui faudrait beaucoup de temps pour faire ses comptes afin de pouvoir confier son intendance à son successeur. Cet intervalle, pendant lequel il conserva son autorité, il décida de l'utiliser dans la mesure du possible à son avantage, même s'il continuait ainsi à nuire aux intérêts de son maître. Il prévit l'état de dépendance dans lequel il se trouverait bientôt. Par manque d'économie et par extravagance, il avait négligé d'épargner de l'argent sur ce qu'il avait gagné ; il avait gaspillé ses biens et ceux de son seigneur. Il se sentait inapte à un travail manuel dur ; et il serait honteux de mendier, en particulier dans la communauté dans laquelle il avait abondamment dépensé et où il jouissait d'une influence considérable. Dans le but d'en mettre d'autres sous sa dépendance pour pouvoir plus facilement faire appel à eux lorsqu'il serait déposé, il appela les débiteurs de son seigneur et les autorisa à changer leurs billets à ordre, factures ou notes et à y inscrire une dette inférieure. Il ne fait aucun doute que ces actes étaient malhonnêtes ; ils nuisaient à son employeur et enrichissaient les débiteurs dont il espérait profiter. La plupart d'entre nous sont surpris de savoir que le maître, apprenant ce que son économe prévoyant, quoique égoïste et malhonnête, avait fait, a pardonné l'offense et l'a même félicité de sa prévoyance, parce qu'il « avait agi en homme prudent ».
 
À propos de la morale de cette parabole, Jésus dit [19] : « Car les enfants de ce siècle sont plus prudents à l'égard de leurs semblables que ne le sont les enfants de lumière. Et moi, je vous dis : Faites-vous des amis avec les richesses injustes, pour qu'ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels, quand elles vous feront défaut. » Le but de notre Seigneur était de faire ressortir le contraste entre le soin, l'attention et la dévotion des hommes engagés dans les affaires financières de la terre, et l'attitude à demi réticente de beaucoup de gens qui professent rechercher les richesses spirituelles. Les matérialistes ne manquent pas de prévoir pour leur avenir ; dans leur avidité, ils se rendent coupables de péchés pour amasser de grandes quantités ; tandis que « Ies enfants de lumière », ou ceux qui croient que la richesse spirituelle est supérieure aux biens terrestres, sont moins énergiques, prudents ou sages. Par « richesses injustes » nous pouvons entendre les richesses matérielles ou les choses du monde. Quoique bien inférieur aux trésors du ciel, l'argent, ou ce qu'il représente, peut constituer un moyen d'accomplir du bien et de favoriser les desseins de Dieu. Les intentions du Seigneur étaient d'utiliser « Ies richesses » à de bonnes œuvres, tant qu'elles durent, car un jour elles nous manqueront, et seuls les résultats que nous aurons atteints grâce à elles dureront [20]. Si le mauvais économe, lorsqu'il fut chassé de la maison de son maître à cause de son indignité, pouvait espérer être reçu chez ceux qu'il avait favorisés, avec combien plus de confiance ceux qui sont sincèrement dévoués au juste espoir d'être reçus dans les demeures éternelles de Dieu peuvent-ils l'espérer ! Telle semble être une partie de la leçon.
 
Ce n'était pas la malhonnêteté de l'économe qui était exaltée, mais sa prudence et sa prévoyance qui furent louées, car s'il avait mal utilisé les biens de son maître, il avait soulagé les débiteurs, et ce faisant il n'avait pas outrepassé ses pouvoirs légaux, car il était toujours économe bien qu'il fût moralement coupable de méfaits. Nous pouvons résumer la leçon de cette manière : utilisez votre richesse de manière à vous assurer des amis plus tard. Soyez diligents, car le jour où vous pouvez utiliser vos richesses terrestres passera bientôt. Prenez de la graine même des gens malhonnêtes et méchants ; s'ils sont prudents au point de prévoir le seul avenir qu'ils puissent imaginer, combien plus vous, qui croyez en un avenir éternel, ne devez-vous pas prévoir ! Si vous n'avez pas appris la sagesse et la prudence à utiliser les « richesses injustes », comment pourra-t-on vous confier les richesses plus durables ! Si vous n'avez pas appris à utiliser convenablement la richesse d'un autre qui a été confiée à vos soins, comment pouvez-vous espérer pouvoir gérer une grande richesse si celle-ci vous était donnée ! Imitez l'économe injuste et ceux qui aiment les richesses, non dans leur malhonnêteté, leur cupidité et leur accumulation avide d'une richesse qui n'est tout au plus que passagère, mais dans leur zèle, leur prévoyance et leur prudence quant à l'avenir. En outre, ne permettez pas à la richesse de se rendre maîtresse de vous ; maintenez-la à sa place, qui est celle d'une servante, car : « Aucun serviteur ne peut servir deux maîtres. Car ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. »
 
RÉPONSE AUX RAILLERIES DES PHARISIENS : AUTRE PARABOBLE SERVANT D'ILLUSTRATION [21]
 
Les Pharisiens, qui étaient cupides, qui aimaient l'argent, pour employer des termes plus précis [22], surprirent les instructions qui venaient d'être données aux disciples et raillèrent ouvertement le Maître et la leçon. Qu'est-ce que ce Galiléen, qui ne possédait que les vêtements qu'il portait, pouvait bien connaître en matière d'argent ou sur la meilleure manière d'administrer la richesse ? La réponse que notre Seigneur fit à leurs paroles moqueuses les condamna de nouveau. Ils connaissaient tous les trucs du monde des affaires et pouvaient dépasser l'intendant infidèle en manigances, et cependant ils pouvaient se justifier si bien devant les hommes qu'ils pouvaient paraître extérieurement honnêtes et droits ; en outre, ils étalaient avec ostentation une certaine forme de simplicité et de reniement de soi, observances extérieures dans lesquelles ils se prétendaient supérieurs aux Sadducéens épris de luxe ; ils étaient devenus arrogants et fiers de leur humilité, mais Dieu connaissait leur cœur, et les traits et les pratiques qu'ils estimaient le plus étaient une abomination à ses yeux. Ils se présentaient comme gardiens de la loi et interprètes des prophètes. « La loi et les prophètes » avaient été en vigueur jusqu'à l'époque du Baptiste, depuis laquelle l'Évangile du royaume était prêché, et les gens étaient avides d'y entrer [23], bien que la théocratie essayât de toutes ses forces de l'empêcher. La loi n'avait pas été invalidée : il serait plus facile au ciel et à la terre de passer que d'empêcher un trait de lettre de la loi de s'accomplir [24], et pourtant ces Pharisiens et ces scribes avaient essayé d'annuler la loi. Dans la question du divorce, par exemple, ils parvenaient même, par leurs ajouts illégaux et leurs fausses interprétations, à pardonner le péché d'adultère.
 
Le Maître donna une autre leçon encore dans la parabole de l'homme riche et de Lazare :
 
« Il y avait un homme riche qui était vêtu de pourpre et de fin lin, et qui chaque jour menait joyeuse et brillante vie. Un pauvre couvert d'ulcères, du nom de Lazare, était couché à son portail ; il aurait désiré se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; même les chiens venaient lécher ses ulcères. Le pauvre mourut et fut porté par les anges dans le sein d'Abraham. Le riche aussi mourut et fut enseveli. Dans le séjour des morts, il leva les yeux ; et, en proie aux tourments, il vit de loin Abraham et Lazare dans son sein. Il s'écria : Père Abraham, aie pitié de moi, et envoie Lazare, pour qu'il trempe le bout de son doigt dans l'eau et me rafraîchisse la langue ; car je souffre dans cette flamme. Abraham répondit : (Mon) enfant, souviens­toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie et que de même Lazare a eu les maux, maintenant il est ici consolé, et toi, tu souffres. En plus de tout cela entre nous et vous se trouve un grand abîme afin que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous ne puissent le faire, et qu'on ne parvienne pas non plus de là vers nous. Le riche dit : je te demande donc, père, d'envoyer Lazare dans la maison de mon père ; car j'ai cinq frères. Qu'il leur apporte son témoignage, afin qu'ils ne viennent pas aussi dans ce lieu de tourment. Abraham répondit : Ils ont Moïse et les prophètes ; qu'ils les écoutent. Et il dit : Non, père Abraham mais si quelqu'un des morts va vers eux, ils se repentiront. Et Abraham lui dit : S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader, même si quelqu'un ressuscitait d'entre les morts. »
 
Le mendiant affligé est honoré d'un nom ; l'autre est simplement appelé « un homme riche » [25]. Ils sont représentés tous deux dans le contraste entre la richesse extrême et le dénuement extrême. Le riche était revêtu des vêtements les plus précieux, de pourpre et de lin, et son lot quotidien était une fête somptueuse. Lazare avait été amené aux portes du palais du riche et avait été laissé là, mendiant impuissant, le corps couvert d'ulcères. Le riche avait des serviteurs prêts à satisfaire le moindre de ses désirs ; le pauvre mendiant à sa porte n'avait ni compagnon ni serviteur sinon les chiens qui, comme lui, attendaient les rebuts de la table du riche. Tel est le tableau de la vie de ces deux hommes. Un brusque changement de décor nous montre ces mêmes personnages de l'autre côté du voile qui sépare notre monde de l'au-delà. Lazare mourut ; il n'est pas fait mention de ses funérailles ; son corps ulcéreux fut probablement jeté dans une tombe de miséreux ; mais des anges portèrent son esprit immortel dans le paradis, lieu de repos des bienheureux que le langage figuré des rabbis appelait communément le sein d'Abraham. L'homme riche mourut, lui aussi ; son ensevelissement fut certainement une cérémonie compliquée, mais on ne nous dit pas qu'une escorte angélique reçut son esprit. En enfer, il leva les yeux et vit, au loin, Lazare en paix dans la demeure d'Abraham.
 
Juif, l'homme s'était souvent vanté d'avoir Abraham pour père ; et maintenant l'esprit misérable faisait appel au patriarche de sa race, s'adressant à lui par le titre de « père Abraham », et demandait simplement qu'on lui accordât pour bienfait de déposer une unique goutte d'eau sur sa langue desséchée ; et il pria que Lazare, l'ancien mendiant, la lui apportât. La réponse révèle certaines conditions existant dans le monde des esprits, bien que, comme dans l'utilisation des paraboles en général, la présentation en soit en grande partie figurée. Appelant le pauvre esprit tourmenté « Mon enfant », Abraham lui rappela toutes les bonnes choses qu'il avait conservées pour soi sur la terre, tandis que Lazare était resté à sa porte, mendiant souffrant et négligé ; maintenant, en vertu de la loi divine, Lazare avait reçu sa récompense, et lui, son châtiment. En outre, il était impossible d'accéder à sa pitoyable demande, car entre la demeure des justes où Lazare reposait et celle des méchants où il souffrait « se trouve un grand abîme », et le passage entre les deux est interdit. La demande suivante du malheureux tourmenté n'était pas entièrement égoïste ; dans son égoïsme, il se souvenait de ceux dont la mort l'avait séparé, et il aurait aimé sauver ses frères du destin qui était le sien ; et il demanda que Lazare fût renvoyé sur la terre rendre visite à la demeure de ses ancêtres et avertir ces frères égoïstes, amateurs de plaisir et cependant mortels, de la condamnation terrible qui les attendait s'ils ne se repentaient et ne se réformaient pas. Peut-être voulait-il insinuer dans cette demande que si on l'avait suffisamment averti il aurait mieux agi et aurait échappé à son tourment. Comme il lui était rappelé qu'ils avaient les paroles de Moïse et des prophètes auxquelles ils devaient obéir, il répondit que si quelqu'un d'entre les morts allait les trouver ils se repentiraient sûrement. Abraham répondit que s'ils n'écoutaient pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseraient « pas persuader, même si quelqu'un ressuscitait d'entre les morts ».
 
Si nous essayons d'interpréter la parabole comme un tout ou de donner une application déterminée à l'une ou l'autre de ses parties, nous devons nous rappeler qu'elle était adressée aux Pharisiens pour les réprimander et les instruire sur la dérision et le mépris avec lesquels ils avaient reçu l'avertissement du Seigneur concernant les dangers qui accompagnaient la servitude à Mammon. Jésus employait des métaphores juives, et les images de la parabole étaient celles qui frapperaient le plus directement les exégètes de Moïse et des prophètes. Bien qu'il serait injuste du point de vue critique de prendre l'habitude de déduire des principes de doctrine à partir d'incidents rapportés dans des paraboles, nous ne pouvons admettre que le Christ ait pu enseigner faussement, même dans les paraboles, et par conséquent nous acceptons comme vraie la description qu'il fait des conditions régnant dans le monde des désincarnés. Il est clair que les justes et les méchants sont séparés au cours de l'intervalle qui s'étend entre la mort et la résurrection. Le paradis, ou comme les Juifs aiment appeler ce lieu béni, « Ie sein d'Abraham », n'est pas le lieu de la gloire finale, pas plus que l'enfer auquel était condamné l'esprit du riche n'est l'habitation finale des condamnés [26]. Mais les œuvres des hommes les suivent dans cet état préliminaire ou intermédiaire [27] ; et les morts s'apercevront certainement que leur demeure est celle pour laquelle ils se sont qualifiés tandis qu'ils étaient dans la chair.
 
Le sort du riche n'était pas le résultat des richesses, et le repos dans lequel Lazare entra n'était pas la résultante de la pauvreté. Ce qui avait amené le premier sous la condamnation, c'était le fait qu'il n'avait pas utilisé sa richesse à bon escient et qu'il s'était livré à la jouissance égoïste et sensuelle des choses de la terre sans penser un instant aux besoins ou aux privations de ses semblables ; tandis que la patience dans ses souffrances, la foi en Dieu et la vie de droiture qui est sous-entendue bien que non exprimée assura le bonheur de l'autre. L'orgueilleuse indépendance du riche, qui ne manquait de rien de ce que la richesse pouvait fournir et qui se tenait à l'écart des nécessiteux et des malheureux, était le péché qui le liait à lui. Ainsi était condamnée l'attitude distante des Pharisiens, attitude dont ils s'enorgueillissaient d'abord, comme le disait leur nom même qui voulait dire « séparatistes ». La parabole enseigne que l'individu continue à vivre après la mort et qu'il y a un rapport de cause à effet entre la vie que l'on mène dans la mortalité et l'état qui nous attend dans l'au-delà.
 
LES SERVITEURS INUTILES [28]
 
Se détournant des Pharisiens, Jésus s'adressa à ses disciples et les exhorta à la diligence. Les ayant mis en garde contre les paroles ou les actions imprudentes dont d'autres pourraient s'offenser, il essaya ensuite de leur faire sentir la nécessité absolue du dévouement, de la tolérance et du pardon désintéressés. Les apôtres, conscients du service total qui était requis d'eux, implorèrent le Seigneur, disant : « Augmente-nous la foi. » Il leur fut montré que la foi s'évalue moins en termes de quantité que par l'épreuve de la qualité ; et l'analogie avec le grain de moutarde fut de nouveau invoquée. « Et le Seigneur dit : Si vous aviez de la foi comme un grain de moutarde, vous diriez à ce mûrier : Déracine-toi, et plante-toi dans la mer ; et il vous obéirait » [29]. Le meilleur moyen de juger leur foi c'était par leur obéissance et leurs services inlassables.
 
C'est ce que souligna la parabole des serviteurs inutiles.
 
« Qui de vous, s'il a un serviteur qui laboure ou fait paître les troupeaux, lui dira, quand il revient des champs : Viens tout de suite te mettre à table ? Ne lui dira-t-il pas au contraire : Prépare-moi le repas, mets-toi en tenue pour me servir, jusqu'à ce que j'aie mangé et bu, après cela, toi, tu mangeras et boiras. Aura-t-il de la reconnaissance envers ce serviteur parce qu'il a fait ce qui lui était ordonné ? Vous de même, quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire. »
 
Le serviteur pourrait bien avoir l'impression qu'après une journée de travail dans les champs il a droit au repos ; mais en arrivant à la maison il s'aperçoit que l'on demande d'autres choses de lui. Le maître a droit au temps et à l'attention du serviteur ; cela entrait dans les conditions auxquelles le serviteur avait été engagé ; bien que son employeur puisse le remercier ou lui donner une récompense substantielle, le serviteur ne peut pas exiger cette récompense. Ainsi les apôtres, qui s'étaient consacrés entièrement au service de leur Maître, ne devaient ni hésiter ni s'arrêter quelque fût l'effort ou le sacrifice qui serait requis. Même s'ils faisaient de leur mieux, ils ne feraient encore que leur devoir ; et quelle que fût la valeur que leur attribuait le Maître, ils devaient se considérer comme des serviteurs inutiles [30].
 
GUÉRISON DES DIX LÉPREUX [31]
 
Au cours de son voyage vers Jérusalem, Jésus « passait entre la Samarie et la Galilée ». Dix hommes affligés de la lèpre s'approchèrent, probablement autant que le permettait la loi, restant cependant à une certaine distance. Ces hommes étaient de nationalités diverses ; le fléau dont ils souffraient tous avait fait d'eux des compagnons de détresse. Ils crièrent : « Jésus, Maître, aie pitié de nous ! » Le Seigneur répondit : « Allez vous montrer aux sacrificateurs » [32]. Cet ordre voulait dire qu'ils étaient complètement guéris ; l'obéissance serait l'épreuve de leur foi. Aucune personne qui avait été lépreuse ne pouvait être rendue légalement à la vie commune tant qu'elle n'était pas prononcée pure par un prêtre. Les dix hommes affligés se hâtèrent d'obéir au commandement du Seigneur, « et, pendant qu'ils y allaient, il arriva qu'ils furent purifiés » [33]. L'un des dix hommes revint sur ses pas et glorifia le Seigneur à haute voix ; puis il tomba face contre terre aux pieds du Christ et lui rendit grâce. On nous dit que cet homme reconnaissant était un Samaritain, d'où nous concluons que certains des autres, peut-être tous, étaient juifs. Affligé du manque de gratitude des neuf autres, Jésus s'exclama : « Les dix n'ont-ils pas été purifiés ? [Mais] les neuf autres, où sont­ils ? Ne s'est-il trouvé que cet étranger pour revenir et donner gloire à Dieu ? » Et le Seigneur dit au Samaritain purifié, qui était toujours à ses pieds : « Lève-toi, va ; ta foi t'a sauvé. » Il ne fait aucun doute que les neuf qui n'étaient pas revenus suivirent le commandement du Seigneur à la lettre, car il leur avait dit d'aller trouver les prêtres ; mais leur manque de gratitude et leur négligence à reconnaître la puissance de Dieu dans leur guérison forment un contraste défavorable avec l'esprit de l'autre ; et c'était un Samaritain. L'événement dut être pour les apôtres une autre preuve que les étrangers pouvaient être acceptables, et même exceller, au grand dam des prétentions juives à la supériorité quelque fût leur mérite.
 
LE PHARISIEN ET LE PÉAGER [34]
 
« Il dit encore cette parabole pour certaines personnes qui se persuadaient d'être justes et qui méprisaient les autres : Deux hommes montèrent au temple pour prier ; l'un était Pharisien, et l'autre péager. Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : O Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont accapareurs, injustes, adultères, ou même comme ce péager : je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus. Le péager se tenait à distance, n'osait même pas lever les yeux au ciel, mais se frappait la poitrine et disait : O Dieu, sois apaisé envers moi, pécheur. Je vous le dis, celui-ci descendit dans sa maison justifié, plutôt que l'autre. Car quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé. »
 
Il nous est dit expressément que cette parabole fut donnée au profit de certaines personnes qui étaient assurées que leur pharisaïsme les justifierait devant Dieu. Elle ne s'adressait pas spécialement aux Pharisiens ni aux péagers. Les deux personnages représentent des classes extrêmement séparées. Il se peut que l'esprit pharisaïque de satisfaction de soi ait abondamment existé parmi les disciples et même un peu parmi les Douze. Un Pharisien et un péager se rendirent au temple pour prier. Le Pharisien pria « en lui-même » ; on ne peut guère interpréter ses paroles comme une prière à Dieu. Le fait qu'il se tenait debout en priant n'était pas une inconvenance, car la position debout était ordinaire dans les prières ; le péager était debout aussi. Le Pharisien remerciait Dieu de ce qu'il était tellement meilleur que les autres hommes ; fidèle à sa classe, séparatiste qui considérait avec dédain tous ceux qui n'étaient pas comme lui. La raison pour laquelle il était particulièrement reconnaissant était le fait qu'il n'était pas comme ce « péager ». La pratique dont il se vantait, à savoir qu'il jeûnait deux fois par semaine et donnait la dîme de tout ce qu'il possédait, était un détail de sa dignité qui était au-dessus de ce que requérait la loi administrée alors ; il sous-entendait ainsi que Dieu était son débiteur [35]. Le péager, se tenant à distance, était si abattu par son sentiment de culpabilité et son besoin absolu d'aide divine, qu'il baissa les yeux et se frappa la poitrine, implorant la miséricorde sur le pécheur pénitent qu'il était. Le Pharisien s'en alla, justifié dans sa propre conscience et aux yeux des hommes, plus orgueilleux que jamais ; l'autre s'en alla chez lui justifié devant Dieu, tout en étant toujours un péager méprisé. La parabole peut s'appliquer à tous les hommes ; sa morale fut résumée dans une répétition des paroles de notre Seigneur prononcées dans la maison du chef pharisien : « Car quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé » [36]. 
 
SUR LE MARIAGE ET LE DIVORCE [37]
 
Tandis qu'il se dirigeait par petites étapes vers Jérusalem et qu'il se trouvait encore « au-delà » du Jourdain, et par conséquent en territoire péréen, Jésus fut abordé par un groupe de Pharisiens venus dans le but délibéré de l'inciter à dire ou à faire quelque chose qui leur permettrait de formuler une accusation. La question qu'ils s'étaient accordés à poser avait trait au mariage et au divorce, et il n'était pas de sujet qui eût été discuté avec plus de véhémence dans leurs écoles et parmi leurs rabbis [38]. Les rusés questionneurs espéraient peut-être que Jésus dénoncerait l'état adultère dans lequel Hérode Antipas vivait à ce moment-là et s'attirerait ainsi la furie d'Hérodias dont le Baptiste avait déjà été la victime. « Est-il permis (à un homme) de répudier sa femme pour n'importe quel motif ? » demandèrent-ils. Jésus cita la loi originelle et éternelle de Dieu en la matière et donna la seule conclusion rationnelle que l'on pouvait en tirer : « N'avez-vous pas lu que le Créateur, au commencement, fit l'homme et la femme et qu'il dit : C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l'homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni » [39]. Dieu avait créé le mariage honorable et avait rendu les rapports entre mari et femme aussi importants que celui des enfants envers les parents ; la scission de pareille union est une invention des hommes et non un commandement de Dieu. Les Pharisiens avaient une réponse toute prête. « Pourquoi donc... Moïse a-t-il commandé de donner (à la femme) un acte de divorce et de (la) répudier ? » On se souviendra que Moïse n'avait pas commandé le divorce mais avait exigé qu'au cas où un homme se séparerait de sa femme il lui donnât une lettre de divorce [40]. Jésus expliqua bien cela, disant : « C'est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes ; au commencement, il n'en était pas ainsi. »
 
Suivit alors la loi supérieure de l'Évangile : « Mais je vous dis : Quiconque répudie sa femme, sauf pour infidélité et en épouse une autre, commet un adultère » [41]. Les dispositions prévues par Moïse ne constituaient qu'une permission et ne se justifiaient qu'à cause de la méchanceté qui existait à l'époque. Le seul moyen de conserver un ordre social parfait, c'est de se conformer strictement à la doctrine énoncée par Jésus-Christ. Il est toutefois important de remarquer que dans sa réponse aux Pharisiens casuistes Jésus n'annonça aucune règle spéciale ou contraignante sur les divorces légaux ; la répudiation d'une femme, comme la concevait la coutume mosaïque, n'exigeait pas qu'un tribunal officiel instituât une enquête ou une action judiciaire. À l'époque de notre Seigneur, le relâchement qui régnait dans le domaine des obligations matrimoniales avait produit une corruption effrayante en Israël, et la femme, qui en vertu de la loi de Dieu avait été créée épouse et associée de l'homme, était devenue son esclave. Le plus grand champion que la femme et la féminité aient eu au monde est Jésus le Christ [42].
 
Les Pharisiens se retirèrent, déçus dans leur dessein et condamnés par leur conscience. L'interprétation stricte que le Seigneur donnait aux liens du mariage surprit même certains des disciples ; ceux-ci vinrent le trouver en privé, disant que si un homme était lié de cette manière il vaudrait mieux ne pas se marier du tout. Le Seigneur désapprouva une généralisation aussi large sauf dans la mesure où elle pouvait s'appliquer à des cas particuliers. C'est vrai qu'il y en avait qui étaient physiquement inaptes au mariage ; d'autres se consacraient volontairement à une vie de célibat, et un petit nombre adoptait le célibat « à cause du royaume des cieux », afin d'être libres de consacrer tout leur temps et toute leur énergie au service du Seigneur. Mais la conclusion qu'en tirèrent les disciples, à savoir qu'il « n'est pas avantageux de se marier », n'était vraie que dans les cas exceptionnels cités. Le mariage est honorable [43] ; car dans le Seigneur, la femme n'est pas sans l'homme, ni l'homme sans la femme [44].
 
JÉSUS ET LES PETITS ENFANTS [45]
 
L'événement qui est rapporté ensuite est d'une gentillesse extrême, d'une grande richesse en précepte et d'une valeur exemplaire inestimable. Des mères amenèrent leurs petits enfants à Jésus, désirant respectueusement que la vie de ces petits fût illuminée par la vue du Maître et bénie du toucher de sa main ou d'un mot de ses lèvres. L'événement apparaît dans l'ordre logique par rapport aux instructions du Seigneur concernant le caractère sacré du mariage et la sainteté du foyer. Les disciples, vivement désireux que l'on ne dérangeât pas inutilement leur Maître, et conscients des demandes qui étaient constamment faites de son temps et de son attention, réprimandèrent celles qui s'étaient ainsi aventurées à s'approcher sans permission. Les disciples eux-mêmes semblent encore avoir été sous l'influence de la conception traditionnelle que les femmes et les enfants se trouvaient dans un état d'infériorité, et que c'était un acte de présomption de la part de ceux-ci de demander l'attention du Seigneur. Le zèle mal dirigé de ses disciples déplut à Jésus, et il les réprimanda. Puis il prononça cette phrase mémorable d'une tendresse infinie et d'une affection divine : « Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas ; car le royaume de Dieu est pour leurs pareils. » Prenant les enfants un à un dans ses bras, il posa les mains sur eux et les bénit [46]. Puis il dit : « En vérité, je vous le dis, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant, n'y entrera point » [47].
 
« SI TU VEUX ÊTRE PARFAIT » [48]
 
Jésus fut accosté en route par un jeune homme qui courut à sa rencontre ou pour le rattraper et s'agenouilla à ses pieds, demandant : « Bon Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? » La question fut posée avec ferveur ; la personne qui interrogeait se trouvait dans un état d'esprit extrêmement différent de celui du docteur de la loi qui avait posé une question semblable dans le but de tenter le Maître [49]. Jésus dit : « Pourquoi m'appelles-tu bon ? Personne n'est bon, si ce n'est Dieu seul. » Cette remarque du Sauveur ne voulait pas dire qu'il niait être sans péché ; le jeune homme l'avait appelé « bon » comme compliment poli plutôt que comme reconnaissance de sa divinité, et Jésus refusa de reconnaître cette distinction quand elle s'appliquait dans ce sens. La remarque du Seigneur dut donner davantage conscience au jeune homme du sérieux de sa question. Ensuite Jésus dit : « Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements. » Le jeune homme lui demandant à quels commandements il faisait allusion, Jésus cita les interdictions visant le meurtre, l'adultère, le vol et le faux témoignage et les commandements, disant qu'on devait honorer ses parents et aimer son prochain comme soi-même. Avec simplicité et sans orgueil ou sentiment de pharisaïsme, le jeune homme dit : « J'ai gardé tout cela, que me manque-t-il encore ? » Sa sincérité évidente plut à Jésus qui le regarda avec amour et dit : « Si tu veux être parfait va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, [la version du roi Jacques ajoute ici : « prends la croix », ndt] et suis-moi » [50]. 
 
Le jeune homme fut déçu et attristé. Il s'était probablement attendu à entendre le grand Maître lui prescrire quelque observance toute spéciale qui lui permettrait de parvenir à l'excellence. Luc nous dit que le jeune homme était un dirigeant ; cela peut vouloir dire que c'était un officier président dans la synagogue locale ou peut-être un membre du sanhédrin. Il était bien versé dans loi et y avait obéi strictement. Il désirait avancer en bonnes œuvres et avoir réellement droit à un héritage éternel. Mais le Maître prescrivit ce à quoi il s'était attendu le moins : « Après avoir entendu ces paroles, le jeune homme s'en alla tout triste ; car il avait de grands biens. » Ainsi il aspirait au royaume de Dieu mais aimait encore plus les grands biens qu'il avait. Abandonner la richesse, le rang social et les distinctions officielles constituait un sacrifice trop grand, et le renoncement nécessaire était une croix trop lourde à porter pour lui, même si des trésors dans le ciel et la vie éternelle lui étaient offerts. La faiblesse de cet homme était l'amour des choses du monde ; Jésus diagnostiqua son cas et prescrivit le remède qui convenait ; il ne nous appartient pas de dire que le même traitement serait le meilleur dans tous les cas de défection spirituelle ; mais là où les symptômes en indiquent le besoin, on peut l'employer comme remède assuré.
 
Contemplant tristement le jeune dirigeant riche qui se retirait, Jésus dit aux disciples : « Je vous dis encore, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu » [51]. Cette déclaration étonna les disciples. « Qui peut donc être sauvé ? » se demandèrent-ils. Jésus comprit leur perplexité et les encouragea en leur assurant qu'à Dieu tout est possible. C'est ainsi qu'il leur fut donné de comprendre que si la richesse est une tentation à laquelle beaucoup succombent, elle ne constitue pas un obstacle insurmontable ni une barrière infranchissable pour entrer dans le royaume. Si le jeune dirigeant avait suivi le conseil qu'il était venu chercher, les richesses qu'il possédait lui auraient permis de rendre des services méritoires que peu sont capables de rendre. La seule chose qui lui manquait était la volonté de placer le royaume de Dieu au­dessus de tous les biens matériels [52]. Chacun de nous peut demander avec pertinence : Que me manque-t-il ?
 
LES PREMIERS POURRONT ÊTRE LES DERNIERS ET LES DERNIERS LES PREMIERS [53]
 
Le triste départ du jeune dirigeant riche dont les grands biens faisaient tellement partie de la vie qu'il ne pouvait les abandonner à l'époque, bien que nous puissions espérer qu'il le fit plus tard, provoqua chez Pierre une brusque question, qui révélait le cours suivi par ses pensées et ses aspirations : « Voici que nous avons tout quitté et que nous t'avons suivi, qu'en sera-t-il pour nous ? » Qu'il ait parlé pour lui seul ou que l'emploi du pronom pluriel « nous » ait voulu inclure les Douze, c'est là une chose incertaine et sans importance. Il pensait au foyer et à la famille qu'il avait quittés, et son désir de les retrouver était pardonnable ; il pensait également aux bateaux et aux filets, aux hameçons et aux lignes, et aux affaires lucratives que cela représentait. Tout cela il l'avait abandonné ; quelle serait sa récompense ? Jésus répondit : « En vérité, je vous le dis, quand le Fils de l'homme, au renouvellement de toutes choses, sera assis sur son trône de gloire, vous de même qui m'avez suivi, vous serez assis sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus d'Israël. » Il est douteux que Pierre ou aucun des Douze ait jamais conçu qu'une distinction si grande pût être possible. Le jour de la régénération, où le Fils de l'homme siégera sur le trône de sa gloire comme Juge et Roi est encore à venir, mais ce jour-là, ceux des Douze du Seigneur qui persévérèrent jusqu'à la fin seront placés sur des trônes comme juges en Israël. Ils reçurent en outre l'assurance suivante : « Et quiconque aura quitté, à cause de mon nom, maisons, frères, sœurs, père, mère, femme, enfants ou terre recevra beaucoup plus, et héritera la vie éternelle. » Il serait impossible de calculer des récompenses d'une valeur aussi transcendante ni de comprendre leur sens. De crainte que ceux à qui elles étaient promises ne fussent trop certains d'y parvenir, au point de négliger les efforts et de devenir orgueilleux par surcroît, le Seigneur ajouta cet avertissement profond : « Plusieurs des premiers seront les derniers et plusieurs des derniers seront les premiers. »
 
Ce fut le sujet du sermon que nous appelons la parabole des ouvriers [54]. Écoutez-la.
 
« Car le royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui sortit dès le matin, afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d'accord avec les ouvriers pour un denier par jour et les envoya dans sa vigne. Il sortit vers la troisième heure, en vit d'autres qui étaient sur la place sans rien faire et leur dit : Allez, vous aussi à ma vigne, et je vous donnerai ce qui sera juste. Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers la sixième, puis vers la neuvième heure, et il fit de même. Vers la onzième heure il sortit encore, en trouva d'autres qui se tenaient (encore) là et leur dit : Pourquoi vous tenez-vous ici toute la journée sans rien faire ? Ils lui répondirent : C'est que personne ne nous a embauchés. Allez, vous aussi, dans la vigne, leur dit-il. Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : Appelle les ouvriers et paie-leur le salaire, en allant des derniers aux premiers. Ceux de la onzième heure vinrent et reçurent chacun un denier. Les premiers vinrent ensuite, pensant recevoir davantage, mais ils reçurent eux aussi, chacun un denier. En le recevant, ils murmurèrent contre le maître de la maison et dirent : Ces derniers venus n'ont fait qu'une heure, et tu les traites à l'égal de nous, qui avons supporté le poids du jour et la chaleur. Il répondit à l'un d'eux : Mon ami ! Je ne te fais pas tort, n'as-tu pas été d'accord avec moi pour un denier ? Prends ce qui est à toi et va-t-en. Je veux donner à celui qui est le dernier autant qu'à toi. Ne m'est-il pas permis de faire de mes biens ce que je veux ? Ou vois-tu de mauvais œil que je sois bon ? Ainsi les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers » [la version du roi Jacques ajoute : « car il y a beaucoup d'appelés mais peu d'élus », ndt].
 
Ce procédé qui nous montre un maître de maison s'en aller sur la place du marché embaucher des ouvriers était une pratique ordinaire à cette époque et en cet endroit, et est encore ordinaire dans beaucoup de pays. Dans cette histoire, les premiers à être loués conclurent un accord bien précis quant à leur salaire. Ceux qui furent employés respectivement à neuf heures, à midi et à trois heures vinrent de bon gré sans aucun accord quant à ce qu'ils allaient recevoir ; ils étaient si heureux d'avoir l'occasion de travailler qu'ils ne perdirent pas de temps à préciser des conditions. À cinq heures de l'après-midi ou du soir, alors qu'il ne restait qu'une heure de travail ce jour-là, le dernier groupe de travailleurs alla au travail, confiant en la parole du maître qu'ils recevraient ce qui était juste. Ce n'était pas de leur faute s'ils n'avaient pas trouvé de travail plus tôt dans la journée ; ils étaient prêts et disposés et avaient attendu à l'endroit où ils avaient le plus de chance d'obtenir un emploi. À la fin du jour, les ouvriers vinrent recevoir leurs gages ; cela était conforme à la loi et à la coutume, car il avait été établi par statut en Israël que l'employeur devait payer le serviteur, embauché pour la journée, avant le coucher du soleil [55]. Conformément aux instructions reçues, l'intendant qui faisait fonction de payeur commença par ceux qui avaient été engagés à la onzième heure ; et il donna à chacun d'eux un denier, ou centime romain, valant environ quinze cents américains, salaire ordinaire d'une journée de travail. C'était le montant convenu respectivement avec ceux qui avaient commencé le plus tôt ; et lorsqu'il virent les autres travailleurs qui n'avaient donné qu'une heure recevoir chacun un denier, ils se réjouirent probablement dans l'attente d'un salaire proportionnellement plus grand en dépit de l'accord qu'ils avaient conclu. Mais chacun d'eux reçut un denier et pas plus. Alors ils se plaignirent, non pas parce qu'ils n'avaient pas été payés suffisamment, mais parce que les autres avaient reçu la paie d'une journée complète alors qu'ils n'avaient travaillé qu'une partie d'une journée. Le maître répondit avec gentillesse, leur rappelant leur convention. Ne pouvait-il pas être juste avec eux et charitable envers le reste s'il en décidait ainsi ? Son argent lui appartenait, et il pouvait le donner comme il le voulait. Le mécontentement de ces rouspéteurs était-il justifié parce que leur maître était charitable et bon ? « Ainsi », dit Jésus, passant directement de l'histoire à l'une des leçons qu'elle avait pour but d'enseigner, « Ies derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers : car il y a beaucoup d'appelés mais peu d'élus » [56].
 
Il est clair que la parabole était destinée à édifier les Douze. Elle fut provoquée par la question de Pierre : « Qu'en sera-t-il pour nous ? » Elle reste aussi valable aujourd'hui que lorsque le maître la donna, pour réprimander l'esprit marchandeur dans l'œuvre du Seigneur. Dieu a besoin d'ouvriers, et ceux qui veulent travailler fidèlement et efficacement sont les bienvenus dans la vigne. Si, avant de commencer ils exigent que le salaire soit fixé, et que celui-ci soit convenu, chacun recevra son denier à condition ne n'avoir pas perdu sa place par paresse ou transgression. Mais ceux qui travaillent diligemment, en sachant que le Maître leur donnera ce qui est juste, et en pensant plus au travail qu'au salaire, se verront plus abondamment enrichis. Un homme peut travailler pour un salaire sans être mercenaire. Entre le serviteur embauché et digne et le mercenaire il y a la différence qui distingue le berger du portier [57]. N'y avait-il pas un peu de l'esprit du mercenaire dans la question qui tourmentait même le premier des apôtres : « Qu'en sera-t-il pour nous ? » Les Douze avaient été appelés à servir au début du ministère du Sauveur ; ils avaient répondu à l'appel, sans qu'il leur fût promis ne serait-ce un denier ; ils ressentiraient le fardeau et la chaleur du jour, mais ils reçurent l'avertissement solennel de ne pas essayer ni désirer fixer leur récompense. Le Maître jugera les mérites de chaque serviteur ; le salaire est tout au plus un don volontaire, car si on s'en tient strictement aux comptes, lequel de nous n'est pas endetté vis-à-vis de Dieu ? Le dernier appelé risque autant que le premier de se révéler indigne. Il n'est pas question d'un renversement général selon lequel tous les derniers venus seraient avancés et tous les premiers ouvriers réduits à une place inférieure. « Plusieurs des premiers seront les derniers », déclara le Seigneur, et nous pouvons en déduire que ce ne sont pas tous ceux qui sont les derniers, mais un certain nombre d'entre eux, qui pourront être comptés parmi les premiers. Parmi les nombreuses personnes qui ont reçu l'appel ou la permission de travailler dans la vigne du Seigneur, un petit nombre pourront se surpasser au point d'être élus pour l'exaltation au-dessus de leurs semblables. Même l'appel et l'ordination au saint apostolat n'est pas une garantie d'exaltation dans le royaume céleste.
 
L'lscariot fut appelé et placé parmi les premiers ; aujourd'hui, en vérité, il est bien en dessous du dernier dans le royaume de Dieu.
 
 [1] Lc 14:1-24.
 [2] Cette question est identique à celle qui fut posée à Jésus dans la synagogue de Capernaüm avant la guérison de l'homme à la main sèche (Mt 12:10).
 [3] Ex 23:5, Dt 22:4, Lc 13:15.
 [4] Cf. Mt 23:12, Lc 1:52, 18:14, Jc 4:6, 1 P 5:5.
 [5] Cf. Mt 8: 11, Ap 19:9.
 [6] Lc 14:16-24. Comparer avec la parabole relative aux noces du fils du roi (Mt 22:2-10) ; étudier les points de ressemblance et de divergence entre les deux et la leçon particulière de chacune. Voir chap. 30 du présent ouvrage.
 [7] Lc 14:25-35.
 [8] Mt 8:19, 20 ; cf. Lc 9:57, 58 ; chap. 20 du présent ouvrage.
 [9] Comparer avec la loi sous l'administration mosaïque, Dt 13:6-11 et noter l'application de ce principe aux apôtres ; Mt 10:37-39.
 [10] Cf. Mt 5:13, Mc 9:50.
 [11] Lc 15.
 [12] Mt 9:10-13, Mc 2:15-17, Lc 5:29 32. Voir chap. 14 du présent ouvrage.
 [13] Mt 18:12-14. Voir chap. 24 du présent ouvrage
 [14] Lc 15:11-32.
 [15] D&A 1:31 ; LM, Al 45:16.
 [16] Cf. Mt 18:14 ; PGP, Moïse 1:39.
 [17] Lc 16:1-8.
 [18] Note 1, fin du chapitre.
 [19] Lc 16:8-13.
 [20] Note 2, fin du chapitre.
 [21] Lc 16:14-31.
 [22] Note 2, fin du chapitre.
 [23] Version révisée [anglaise], Lc 16:16: « La loi et les prophètes ont subsisté jusqu'à Jean ; depuis lors, l'Évangile du royaume de Dieu est prêché, et chacun use de violence pour y entrer. »
 [24] Cf. Mt 5:18 ; voir chap. 17 du présent ouvrage.
 [25] Lc 16:19-31.
 [26] Note 3, fin du chapitre. Comparer avec LM, Al 40:11-14 ; voir Articles de Foi, p. 478, note 5 : « L'état intermédiaire de l'âme ».
 [27] Ap 14:13.
 [28] Lc 17:1-10.
 [29] Cf. Mt 17:20, 21:21, Mc 9:23, 11:23 ; voir chap. 24 du présent ouvrage.
 [30] Cf. Jb 22:3, 35:7.
 [31] Lc 17:11-19. Beaucoup d'auteurs traitent cet événement comme s'il suivait immédiatement le rejet de Jésus et des apôtres dans un village samaritain (Lc 9:52-56). Nous le plaçons dans l'ordre suivi par Luc, seul rapporteur des deux incidents.
 [32] Cf. Lv 13:2, 14:2 ; voir aussi chap. 14 du présent ouvrage.
 [33] Comparer avec le cas de Naaman le Syrien, 2 R 5:14.
 [34] Lc 18:9-14. Le récit de Luc dont nous avons respecté l'ordre dans les événements qui suivirent le départ du Christ de Jérusalem après la fête des Huttes, contient la réponse de notre Seigneur à la question du Pharisien sur le point de savoir « quand viendrait le royaume de Dieu », et d'autres commentaires à ce sujet (17:20-37) ; ces questions furent traitées plus complètement plus tard dans un discours près de Jérusalem (Mt 24), et nous les examinerons à propos de cet événement ultérieur. La parabole du juge inique (Lc 18:1-7) a déjà retenu notre attention.
 [35] Noter à quels extrêmes blasphématoires la doctrine de la surérogation, ou excès de mérites, fut portée par la papauté du XIIIe siècle ; voir The Great Apostasy, 913-15.
 [36] Comparer avec Lc 14:11.
 [37] Mt 19:3-12 ; voir aussi Mc 10:2-12. Matthieu et Marc introduisent ce sujet immédiatement avant que le Christ ne bénisse les petits enfants ; ce dernier événement, Luc le place après la parabole du Pharisien et du péager. Nous abandonnons donc le document de Luc pour les récits donnés par les autres écrivains synoptiques.
 [38] Note 4, fin du chapitre.
 [39] Cf. Gn 1:27, 2:24, 5:2, Ep 5:31.
 [40] Dt 24:1-4.
 [41] Cf. Mt 5:32, Lc 16:18 ; voir aussi 1 Co 7:10-13.
 [42] Note 5, fin du chapitre.
 [43] Cf. Hé 13:4.
 [44] Cf. 1 Co 11:11.
 [45] Mc 10:13-16 ; cf. Mt 19:13-15, Lc 18:15-17.
 [46] Cf. LM, 3 Néphi 17:11-25. Voir note 6, fin du chapitre.
 [47] Chap. 24 du présent ouvrage.
 [48] Mt 19:16-26, Mc 10: 17-27, Lc 18:18-30.
 [49] Lc 10:25. Chap. 26 du présent ouvrage.
 [50] Ceci est le récit de Marc (10:21), qui est le plus détaillé des trois [dans la version du roi Jacques, ndt].
 [51] Note 7, fin du chapitre.
 [52] Considérer les leçons des paraboles du trésor caché et de la perle de grand prix, chap. 19 du présent ouvrage
 [53] Mt 19:27-30, Mc 10:28-31, Lc 18:28-30.
 [54] Mt 20:1-16. Cette parabole est la résultante des événements qui la précèdent immédiatement. Mt 19:27-30 fait partie du récit qui continue au chapitre 20 et doit être lu comme tel. La division actuelle en chapitres est malheureuse.
 [55] Dt 24:15.
 [56] La proposition finale [de la version du roi Jacques, ndt] « car il y a beaucoup d'appelés mais peu d'élus », est omise dans la version révisée [anglaise]. Note 8, fin du chapitre.
 [57] Chap. 25 du présent ouvrage.
 
NOTES DU CHAPITRE 27
 
1. Les riches et leurs intendants : « 'Un homme riche avait un intendant.’ Nous apprenons ici en passant à quel point les diverses positions sociales dans une communauté sont équilibrées, et combien peu d'avantages substantiels la richesse peut conférer à son possesseur. À mesure que les biens augmentent, le contrôle que l'on exerce personnellement sur eux diminue ; plus on possède, plus on doit confier aux autres. Ceux qui font leur propre travail ne sont pas gênés par des serviteurs désobéissants ; ceux qui s'occupent de leurs propres affaires ne sont pas ennuyés par des surveillants infidèles. » - Parables of our Lord, Arnot, p. 454.
 
2. Les richesses injustes : Le conseil donné par le Seigneur aux disciples était qu'ils devaient utiliser la richesse matérielle pour faire du bien grâce à elle, de sorte que quand elle, c'est-à-dire tous les biens terrestres, viendrait à manquer, ils auraient des amis pour les accueillir dans « les tabernacles éternels » ou les demeures célestes. Quand on étudie une parabole basée sur des contrastes, comme celle-ci, il faut prendre soin de ne pas aller trop loin dans l'une des analogies qui s'y trouvent. Nous ne pouvons pas conclure raisonnablement que Jésus voulait ne fût-ce que sous-entendre que la prérogative de recevoir une âme dans les « tabernacles éternels » ou l'en exclure repose sur ceux qui, sur terre, ont été avantagés ou désavantagés par les actions de cette personne, si ce n'est dans la mesure où leur témoignage sur ces actes pourra être pris en compte dans le jugement final. La parabole tout entière est pleine de sagesse pour qui veut la voir ; pour l'esprit trop critique elle peut sembler illogique, comme elle sembla l'être aux Pharisiens qui se moquèrent de Jésus lorsqu'il raconta son histoire. La version révisée anglaise traduit Lc 16:14 par : « Et les Pharisiens, qui aimaient l'argent, entendirent toutes ces choses ; et ils se moquèrent de lui. »
 
3. Lazare et Divès : De toutes les paraboles rapportées par le Seigneur, celle-ci est la seule dans laquelle un prénom soit donné à l'un des personnages. Le nom « Lazare » utilisé dans la parabole était également le nom véritable d'un homme que Jésus aimait, et qui, après que cette parabole fut donnée, fut ressuscité après avoir passé plusieurs jours dans le tombeau. Le nom, variante grecque d'Eléazar, signifie « Dieu est mon secours ». Dans beaucoup d'écrits théologiques, l'homme riche de cette parabole est appelé Divès, mais ce nom n'est pas employé dans les Écritures. « Divès » est un adjectif latin signifiant « riche ». Lazare, le frère de Marthe et de Marie (Jn 11:1, 2, 5) est l'un des trois bénéficiaires des miracles de notre Seigneur dont le nom soit donné ; les deux autres sont Bartimée (Mc 10:46) et Malchus (Jn 18:10). Commentant le fait que notre Seigneur donna un nom au mendiant mais laissa anonyme l'homme riche de la parabole, Augustin (dans le sermon XLI) demande : « Ne vous semble-t-il pas qu'il lisait dans ce livre où il trouva écrit le nom du pauvre mais ne trouva pas le nom du riche : car ce livre est le Livre de Vie ? »
 
4. Opinions divergentes concernant le divorce : À propos des diverses opinions qui existaient à ce sujet parmi les autorités juives de l'époque du Christ, Geikie (vol. II p. 347-8) dit : « Parmi les questions qui étaient débattues férocement à l'époque par les grandes écoles rivales de Hillel et Chammaï, nulle ne l'était plus que le divorce. L'école de Hillel affirmait que l'homme avait le droit de divorcer de sa femme quelle que fût la cause qu'il en donnât, même si ce n'était que le fait qu'il avait cessé de l'aimer, ou qu'il en avait vu une qu'il aimait mieux, ou qu'elle avait mal préparé un repas. L'école de Chammaï, au contraire, affirmait que le divorce ne pouvait résulter que du crime d'adultère et des infractions à la chasteté. S'il était possible d'amener Jésus à se prononcer en faveur de l'une ou de l'autre école, l'hostilité de l'autre serait suscitée. Cela semblait donc être une occasion favorable de le compromettre. » Nous trouvons une autre illustration dans ce qui suit, tiré du Commentary, de Dummelow, à propos de Mt 5:32: « Rabbi Akiba (Hillelite) disait : ‘Si un homme voit une femme plus belle que sa propre femme, il peut la [sa femme] répudier, parce qu'il est dit : Si elle ne trouve pas faveur à ses yeux.’ L'école de Hillel disait : ‘Si la femme prépare mal la nourriture de son mari, en la salant ou en la rôtissant exagérément, elle doit être répudiée.’ D'autre part, Rabbi Jochanan (Chammaïte) disait : ‘Répudier une femme est odieux.’ Les deux écoles étaient d'accord pour dire qu'une divorcée ne pouvait être reprise... Rabbi Chananiah disait : ‘Dieu n'a pas approuvé le divorce, sauf parmi les Israélites, comme s'il avait dit : J'ai concédé aux Israélites le droit de renvoyer leurs femmes ; mais aux Gentils je ne l'ai pas concédé.’ Jésus réplique que ce n'est pas le privilège mais l'infamie et l'opprobre d'Israël que Moïse ait jugé nécessaire de tolérer le divorce. »
 
5. Jésus, l'ennoblisseur de la femme : Geikie paraphrase comme suit une partie de la réponse du Christ à la question du Pharisien relative au divorce et en fait le commentaire. « Je dis donc que quiconque répudie sa femme, si ce n'est pour cause de fornication, laquelle détruit l'essence même du mariage en dissolvant l'unité qu'il avait formé, et en épouse une autre, commet l'adultère ; et quiconque épouse celle qui est ainsi répudiée pour une autre cause commet l'adultère, parce que la femme est toujours, aux yeux de Dieu, l'épouse de celui dont elle a été divorcée. » Cette déclaration avait une importance beaucoup plus profonde que le simple fait de réduire au silence des espions animés de mauvaises intentions. Elle avait pour but de fixer pour tous les temps la loi de son Nouveau Royaume dans la question suprême de la vie de famille. Elle balayait à jamais de sa société la conception que la femme n'est qu'un simple jouet ou une esclave de l'homme et basait les rapports véritables des sexes sur le fondement éternel de la vérité, de la droiture, de l'honneur et de l'amour. Il était essentiel à la stabilité future de son royaume, qui allait être un royaume de pureté et de valeurs spirituelles, d'ennoblir la maison et la famille en élevant la femme à son rang véritable. En rendant le mariage indissoluble, il proclamait l'égalité des droits de la femme et de l'homme au sein de la famille et, en cela, donnait aux mères du monde leurs lettres de noblesse. C'est à Jésus-Christ que la femme doit la position noble qui est la sienne à l'ère chrétienne par rapport à celle que lui accordait l'antiquité. » - Life and Words of Christ, vol. 11, p. 349.
 
6. La bénédiction des enfants : Lorsque le Christ, Être ressuscité, apparut parmi les Néphites sur le continent américain, il prit les enfants un par un et les bénit ; et la multitude assemblée vit les petits entourés comme de feu, tandis que des anges les servaient (3 Né 17:11-25). Dans la révélation moderne, le Seigneur a ordonné que tous les enfants nés dans l'Église soient amenés pour être bénis à ceux qui ont l'autorité d'administrer cette ordonnance de la sainte prêtrise. Ce commandement est le suivant : « Tout membre de l'Église du Christ qui a des enfants doit les amener devant l'assemblée, aux anciens, lesquels doivent leur imposer les mains au nom de Jésus-Christ et les bénir en son nom » (D&A 20:70). Par conséquent, il est maintenant de coutume dans l'Église d'amener les petits enfants à la réunion de jeûne et de témoignage, à laquelle ils sont reçus un par un dans les bras des anciens et bénis, et où, à cette occasion, un nom leur est donné. Il est attendu du père de l'enfant, s'il est ancien, qu'il participe à cette ordonnance.
 
La bénédiction des enfants n'est en aucun sens analogue à l'ordonnance du baptême et s'y substitue encore moins, le baptême ne devant être administré qu'à ceux qui sont arrivés à l'âge de compréhension et sont capables de se repentir. Comme l'auteur l'a écrit ailleurs : « Certains citent l'incident au cours duquel le Seigneur bénit les petits enfants et réprimanda ceux qui voulaient empêcher les petits d'aller à lui (Mt 19:13, Mc 10:13, Lc 18:15), comme preuve en faveur du baptême des petits enfants ; mais comme il a été dit sagement dans cette remarque concise : « Déduire de cette action du Christ bénissant les enfants qu'ils doivent être baptisés ne prouve rien tant que l'on manque d'un meilleur argument ; car la conclusion la plus probable est celle-ci : le Christ bénit les petits enfants puis les renvoya, mais il ne les baptisa pas ; donc les petits enfants ne doivent pas être baptisés. » - L'auteur, Articles de Foi, p. 159-160. Voir également le chap. 11 du présent ouvrage.
 
7. Le chameau et le chas de l'aiguille : Comparant la difficulté d'un riche à entrer dans le royaume à celle d'un chameau passant par le chas d'une aiguille, Jésus utilisait une figure de rhétorique qui, aussi forte et prohibitive qu'elle apparaisse dans notre traduction, était d'un genre bien connu de ceux qui entendirent cette réflexion. Il y avait un « proverbe juif bien connu, qu'un homme ne voyait même pas dans ses rêves un éléphant passer par le chas d'une aiguille » (Edersheim). Certains interprètes affirment que c'était d'une corde et non d'un chameau que Jésus parlait, et ils basent leurs affirmations sur le fait que le mot grec kamelos (chameau) ne diffère que par une seule lettre de kamilos (corde), et que l'on peut imputer aux anciens copistes la prétendue erreur d'avoir substitué « chameau » à « corde » dans le texte scripturaire. Farrar (p. 476) rejette cette interprétation possible pour la raison que les proverbes contenant des comparaisons semblables à celle du chameau traversant le chas d'une aiguille sont communes dans le Talmud.
 
On a affirmé que le terme « le chas d'une aiguille » s'appliquait à un portillon placé le long des grandes portes taillées dans les murs des villes ; et on a avancé la théorie que Jésus pensait à ce genre de portillon lorsqu'il parla de l'impossibilité apparente pour un chameau de passer par le chas d'une aiguille. Il serait possible quoique très difficile à un chameau de se glisser à travers cette petite porte, et il ne pourrait absolument pas le faire sans être soulagé de son chargement et débarrassé de tous ses harnais. Si cette conception est correcte, nous pouvons trouver une ressemblance entre le fait que le chameau doit tout d'abord être déchargé et débarrassé, quelque précieux que soit son chargement ou riche son accoutrement, et la nécessité pour le jeune chef riche ou n'importe quel autre homme de se libérer du fardeau et des ornements de la richesse, s'il veut passer par la voie étroite qui mène au royaume. L'explication que donne Seigneur de ses paroles suffit amplement pour le but de la leçon : « Aux hommes cela est impossible, mais à Dieu tout est possible » (Mt 19:26).
 
8. Le souci inopportun du salaire dans le service du Seigneur : La parabole instructive et édifiante des ouvriers fut provoquée par la question égoïste de Pierre : « Qu'en sera-t-il de nous ? » Avec une tendre miséricorde, le Seigneur s'abstint de réprimander directement son serviteur impulsif pour son souci inopportun du salaire auquel il devait s'attendre ; mais il tira un excellent parti de cet incident en en faisant le sujet d'une leçon précieuse. L'analyse suivante d'Edersheim (vol. 11, p. 416) vaut d'être étudiée. « Il y avait ici un grand danger pour les disciples : le danger d'entretenir des sentiments semblables à ceux des Pharisiens pour les publicains pardonnés, ou du fils aîné de la parabole pour son frère cadet, le danger de mal comprendre les rapports corrects et avec eux la caractéristique même du royaume et du travail à accomplir en et pour lui. C'est à cela que fait allusion la parabole des ouvriers dans la vigne. Le principe que le Christ expose est que, bien que rien de ce que l'on fait pour lui ne perdra sa récompense, cependant on ne peut, pour aucune raison, faire de prévisions ni tirer la conclusion que l'on est juste. Il ne s'ensuit absolument pas que c'est celui qui a fait le plus de travail - du moins à nos yeux et à notre jugement - qui recevra la plus grande récompense. Au contraire, « plusieurs des premiers seront les derniers, et plusieurs des derniers seront les premiers ». Pas tous, ni même toujours et nécessairement, mais « plusieurs ». Et dans de tels cas aucun mal n'a été fait ; nul ne peut élever de réclamations, même s'il nous a été promis que notre travail sera dûment reconnu. L'orgueil et l'outrecuidance spirituels ne peuvent être que le résultat soit d'une mauvaise compréhension des rapports entre Dieu et nous, soit d'un mauvais état d'esprit vis-à-vis des autres - c'est-à-dire que c'est le signe d'une incapacité mentale ou morale. La parabole des ouvriers en est une illustration... Mais, tout en illustrant comment il peut se faire que certains de ceux qui étaient les premiers sont les derniers et combien erronée et fausse est la pensée que ceux qui apparemment ont fait plus doivent nécessairement recevoir plus que d'autres - comment, en bref, le travail pour le Christ n'est pas une quantité tangible, autant pour autant, et comment ce n'est pas à nous de juger du moment et de la raison pour lesquels un travailleur est venu - elle apporte aussi beaucoup de choses qui sont nouvelles et, sous beaucoup d'aspects, très réconfortantes. »
   
 
CHAPITRE 28 : LE DERNIER HIVER
 
À LA FÊTE DE LA DÉDICACE [1]
 
Jésus retourna à Jérusalem à temps pour assister à la fête de la Dédicace au cours du dernier hiver de sa vie terrestre. Cette fête, comme celle des Huttes, était une fête de réjouissances nationales et était célébrée tous les ans pendant huit jours à partir du 25 chisIev [2], qui correspond partiellement à notre mois de décembre. Ce n'était pas une des grandes fêtes prescrites par statut mosaïque, mais elle avait été établie en 164 ou en 163 av. J.-C., au moment de la reconsécration du temple de Zorobabel lorsque le bâtiment sacré, profané par Antiochus Epiphane, le roi païen de Syrie, avait pu être restauré. Tandis que la fête était en cours, Jésus se rendit au temple, et on le vit se promener dans la partie de l'enceinte appelée le portique de Salomon [3]. Sa présence fut bientôt connue des Juifs, qui vinrent s'attrouper autour de lui dans un esprit hostile, ostensiblement pour poser des questions. Ils demandèrent : « Jusques à quand tiendras-tu notre âme en suspens ? Si toi, tu es le Christ, dis-le nous ouvertement. » Le simple fait qu'ils aient posé pareille question prouve l'impression profonde et troublante que le ministère du Christ avait produite parmi les classes officielles et le peuple en général ; dans leur estimation, les œuvres qu'il avait accomplies semblaient dignes du Messie.
 
La réponse du Seigneur fut indirecte dans sa forme, bien qu'en substance et dans son effet elle fût tranchante et ne permît aucun doute. Il les renvoya à ses paroles antérieures et à ses œuvres constantes. « Je vous l'ai dit », dit-il, « et vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi. Mais vous ne croyez pas, parce que vous n'êtes pas de mes brebis. Mes brebis entendent ma voix. Moi, je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle ; elles ne périront jamais, et personne ne les arrachera de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous ; et personne ne peut les arracher de la main du Père. Moi et le Père, nous sommes un. » L'allusion à ce qui avait déjà été dit était un rappel des enseignements qu'il avait prodigués lors d'un séjour antérieur parmi eux, lorsqu'il avait proclamé être le grand JE SUIS, qui était plus ancien et plus grand qu'Abraham et de cette autre proclamation qu'il avait faite de lui-même, disant qu'il était le bon berger [4].
 
Il ne pouvait pas répondre à leur question par une affirmation simple et sans réserve, sinon on aurait pensé qu'il proclamait être le Messie conformément à leur conception, le roi et conquérant terrestre qu'ils professaient attendre. Il n'était pas le genre de Christ qu'ils avaient à l'esprit ; et cependant il était réellement le Berger et Roi de tous ceux qui voudraient écouter ses paroles et accomplir ses œuvres ; et c'est pour ceux-là qu'il renouvela la promesse de la vie éternelle et l'assurance que nul homme ne pourrait les arracher de sa main ou de la main de son Père. À cette doctrine, à la fois élevée et profonde dans sa perspective, les casuistes juifs ne pouvaient présenter aucune réfutation, pas plus qu'ils ne pouvaient y trouver le prétexte désiré pour l'accuser ouvertement ; cependant la dernière phrase de notre Seigneur poussa la foule hostile à la frénésie. « Moi et le Père, nous sommes un », déclara-t-il solennellement [5]. Dans leur rage ils ramassèrent des pierres pour le lapider. Du fait que les bâtiments du temple n'étaient pas terminés, il y avait probablement un grand nombre de blocs et de fragments brisés de rochers par terre ; et ce fut la seconde tentative de meurtre contre la vie de notre Seigneur dans les murs de la Maison de son Père [6].
 
 
Impavide et avec le calme impressionnant d'une majesté plus qu'humaine, Jésus dit : « Je vous ai fait voir beaucoup d'œuvres bonnes venant du Père. Pour laquelle de ces œuvres me lapidez­vous ? » Ils répondirent avec colère : « Ce n'est pas pour une œuvre bonne que nous te lapidons, mais pour un blasphème, et parce que toi, qui es un homme, tu te fais Dieu » [7]. Il est évident qu'ils n'avaient trouvé aucune ambiguïté dans ses paroles. Il leur cita alors les Écritures, dans lesquelles même des juges dotés d'autorité divine sont appelés dieux [8] et demanda : « N'est-il pas écrit dans votre loi : J'ai dit : Vous êtes des dieux ? Si elle a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée - et l'Écriture ne peut être abolie - à celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde, vous dites : Tu blasphèmes ! parce que j'ai dit : je suis le Fils de Dieu ! » Puis, réaffirmant ce qu'il avait déjà dit, à savoir que son autorité venait du Père qui est plus grand que tous, il ajouta : « Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas ! Mais si je les fais, quand même vous ne me croiriez pas, croyez à ces œuvres, afin de savoir et de reconnaître que le Père est en moi, et moi dans le Père. » De nouveau les Juifs cherchèrent à se saisir de lui, mais leur dessein fut déjoué par un moyen qui n'est pas indiqué ; il échappa à leur atteinte et quitta le temple.
 
LA RETRAITE DE NOTRE SEIGNEUR EN PÉRÉE
 
L'hostilité violente des Juifs à Jérusalem, siège de la théocratie, était telle que Jésus se retira de la ville et de ses environs. Le jour de son sacrifice n'était pas encore venu, et bien que ses ennemis ne puissent le tuer tant qu'il ne leur permettait pas de se saisir de lui, son œuvre serait retardée s'il y avait d'autres manifestations hostiles. Il se retira dans le lieu où Jean-Baptiste avait commencé son ministère public, probablement aussi l'endroit du baptême de notre Seigneur. L'emplacement exact n'est pas précisé ; c'était certainement au-delà du Jourdain et par conséquent en Pérée. Nous lisons que Jésus y demeura, et nous en concluons qu'il resta dans un emplacement bien déterminé au lieu de voyager de ville en ville comme cela avait été sa coutume. Mais même là, les gens vinrent le trouver, et beaucoup crurent en lui. Le lieu était cher à ceux qui étaient allés écouter Jean se faire baptiser par lui [9]. Et en se souvenant de l'appel passionné au repentir, de la proclamation émouvante du royaume par le Baptiste maintenant assassiné et regretté, ils se souvenaient qu'il en avait annoncé Un qui serait plus puissant que lui et virent en Jésus la réalisation de ce témoignage. « Jean », dirent­ils, « n'a fait aucun miracle ; mais tout ce que Jean a dit de cet homme était vrai. »
 
La durée de son séjour en Pérée n'est rapportée nulle part dans nos Écritures. Elle n'a pas pu dépasser plus de quelques semaines maximum. Il est possible que certains des discours, des enseignements et des paraboles que nous avons déjà traités, suite au départ du Seigneur de Jérusalem après la fête des Huttes l'automne précédent, se situent pendant cet intervalle. Quittant cette retraite de calme relatif, Jésus retourna en Judée pour répondre à un ardent appel de personnes qu'il aimait. Il quitta la Béthanie de Pérée pour la Béthanie judéenne où Marthe et Marie demeuraient [10].
 
RÉSURRECTION DE LAZARE [11]
 
Lazare, frère de Marthe et Marie, était malade dans la maison familiale de Béthanie de Judée. Ses sœurs dévouées envoyèrent un messager à Jésus avec la simple nouvelle dans laquelle nous ne pouvons cependant manquer de reconnaître un appel pitoyable : « Seigneur, voici, celui que tu aimes est malade. » Quand Jésus reçut le message, il fit la réflexion : « Cette maladie n'est pas pour la mort, mais pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle. » C'est probablement la nouvelle qui fut rapportée aux sœurs que Jésus aimait. Lazare était mort dans l'entre-temps ; en fait il dut expirer peu après que le messager se fût mis en route avec la nouvelle que le jeune homme était malade. Le Seigneur savait que Lazare était mort, cependant il resta où il était deux jours après avoir reçu la nouvelle ; puis il surprit les disciples en disant : « Retournons en Judée. » Ils cherchèrent à dissuader le Maître en lui rappelant l'attentat qui avait été perpétré récemment contre sa vie à Jérusalem et demandèrent avec étonnement : « Et tu y retournes ! » Jésus leur expliqua clairement qu'il n'était pas question de le détourner de son devoir lorsque le moment était là, ni que ce devait être le cas pour d'autres ; car comme il le montra, la journée de travail est de douze heures, et pendant cette période l'homme peut marcher sans trébucher, il marche dans la lumière, mais s'il laisse les heures passer puis essaie de marcher ou de travailler dans les ténèbres, il trébuche. Le moment présent était sa journée pour travailler, et il ne commettait aucune erreur en retournant en Judée.
 
Il ajouta : « Lazare, notre ami, s'est endormi, mais je pars pour le réveiller. » La comparaison entre la mort et le sommeil était aussi courante parmi les Juifs que parmi nous [12], mais les disciples interprétèrent la parole littéralement et firent la réflexion que si le malade dormait, il serait guéri. Jésus les corrigea. « Lazare est mort », dit-il, et il ajouta : « Et, pour vous, je me réjouis de n'avoir pas été là, afin que vous croyiez. Mais allons vers lui. » Il est clair que Jésus avait déjà décidé de ressusciter Lazare ; et, comme nous le verrons, le miracle devait être un témoignage du caractère messianique de notre Seigneur, convaincant pour tous ceux qui l'accepteraient. Certains au moins des apôtres appréhendaient sérieusement un retour en Judée à ce moment-là ; ils craignaient pour la sécurité de leur Maître et pensaient que leur propre vie serait en péril ; néanmoins ils n'hésitèrent pas à l'accompagner. Thomas dit hardiment aux autres : « Allons, nous aussi, afin de mourir avec lui. »
 
Arrivé dans la banlieue de Béthanie, Jésus apprit que Lazare « était déjà, depuis quatre jours, dans le tombeau » [13]. Les sœurs endeuillées étaient chez elles, où s'étaient rassemblés, suivant la coutume, des amis, pour les consoler dans leur douleur. Parmi ceux-ci, il y avait beaucoup de personnes importantes dont certaines étaient venues de Jérusalem. La nouvelle de l'approche du Maître parvint tout d'abord à Marthe, et elle se hâta de venir à sa rencontre. Ses premières paroles furent : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » C'était une expression à la fois d'angoisse et de foi ; mais, craignant paraître manquer de confiance, elle se hâta d'ajouter : « Mais maintenant même, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera. » Alors Jésus lui dit avec une tendre assurance : « Ton frère ressuscitera. » Il se peut que certains des Juifs qui étaient venus la consoler avaient déjà dit la même chose, car, à l'exception des Sadducéens, ils croyaient en une résurrection ; et Marthe ne vit dans la promesse du Seigneur rien de plus que l'assurance générale que son frère décédé ressusciterait avec le reste des morts. Approuvant naturellement, et semble-t-il, sans y faire trop attention, elle dit : « Je sais qu'il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. » Alors Jésus dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »
 
La foi de cette femme endeuillée devait être élevée et centrée sur le Seigneur de la Vie avec qui elle parlait. Elle avait déjà confessé précédemment sa conviction que tout ce que Jésus demandait de Dieu serait accordé ; elle devait apprendre que Jésus avait déjà reçu du pouvoir sur la vie et la mort. Elle attendait avec espoir quelque interposition surhumaine du Seigneur Jésus en sa faveur, et pourtant elle ne savait pas ce que cela pouvait être. Il semble qu'à ce moment-là elle n'avait aucune idée précise ni même aucun espoir qu'il ferait sortir son frère du tombeau. Lorsque le Seigneur lui demanda si elle croyait ce qu'il venait de dire, elle répondit avec une franchise simple ; elle n'était pas capable de tout comprendre, mais elle croyait en son Interlocuteur, même si elle était incapable de comprendre pleinement ses paroles. « Oui, Seigneur », dit-elle, « je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde. »
 
Puis elle rentra dans la maison, et, en cachette, par mesure de précaution, à cause de la présence de certaines personnes qu'elle savait être hostiles à Jésus, elle dit à Marie : « Le Maître est ici, et il t'appelle. » Marie quitta la maison en hâte. Les Juifs qui étaient avec elle, pensant qu'elle avait été poussée à se rendre sur la tombe par une nouvelle vague de douleur, la suivirent. Lorsqu'elle arriva auprès du Maître, elle s'agenouilla à ses pieds et exprima sa profonde douleur dans les mêmes termes que Marthe avait utilisés : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » Nous ne pouvons douter que la conviction ainsi exprimée ait été le sujet de commentaires et de lamentations entre les deux sœurs : si seulement Jésus avait été avec elles, elles n'auraient pas été privées de leur frère.
 
La vue des deux femmes accablées par le chagrin et des gens se lamentant avec elles attrista Jésus, au point qu'il frémit en son esprit et fut profondément ému. « Où l'avez-vous mis ? » demanda-t-il, et il pleura. Tandis que le groupe endeuillé se rendait vers la tombe, certains des Juifs, remarquant l'émotion et les larmes du Seigneur, dirent : « Voyez comme il l'aimait ! » Mais d'autres moins sympathisants, à cause de leurs préjugés contre le Christ, demandèrent sur un ton critique et de reproche : « Lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle, ne pouvait-il pas faire aussi que cet homme ne meure pas ? » Le miracle par lequel la vue avait été rendue à un aveugle-né était connu de tout le monde, en grande partie à cause de l'enquête officielle qui avait suivi la guérison [14]. Les Juifs avaient été obligés d'admettre la réalité de cet événement étonnant ; et la question que l'on posait quant au point de savoir si ou pourquoi quelqu'un qui pouvait accomplir un tel miracle n'avait pu préserver de la mort un homme frappé d'une maladie ordinaire, un homme qu'il semblait avoir tendrement aimé, était une insinuation que le pouvoir possédé par Jésus était après tout limité et d'un fonctionnement incertain ou capricieux. Cette manifestation d'incrédulité méchante fit frémir de nouveau Jésus en lui-même de chagrin sinon d'indignation [15].
 
Le corps de Lazare avait été enseveli dans une grotte dont l'entrée était fermée par un grand bloc de pierre. Ce genre de tombeau était courant dans cette région, des grottes ou caveaux naturels creusés dans le roc étant utilisés comme sépulcres par les classes supérieures du peuple. Jésus ordonna l'ouverture du tombeau. Marthe, qui n'était pas encore préparée à ce qui allait suivre, se hasarda à protester, rappelant à Jésus que le corps était emmuré depuis quatre jours et que la décomposition devait déjà avoir commencé [16]. Jésus répondit ainsi à son objection : « Ne t'ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? » Cela pouvait être une allusion tant à la promesse qu'il avait faite à Marthe en personne - que son frère ressusciterait - qu'au message envoyé de Pérée - que la maladie de Lazare n'était pas une mort définitive à l'époque mais était pour la gloire de Dieu et pour que le Fils de Dieu en fût glorifié.
 
On ôta la pierre. Se tenant devant l'entrée ouverte de la tombe, Jésus leva les yeux et pria : « Père, je te rends grâces de ce que tu m'as exaucé. Pour moi, je savais que tu m'exauces toujours, mais j'ai parlé à cause de la foule de ceux qui se tiennent ici, afin qu'ils croient que c'est toi qui m'as envoyé. » Il ne demandait pas des pouvoirs ou de l'autorité à son Père : Ceux-ci lui avaient déjà été donnés ; mais il rendit grâces et, entendu de tous ceux qui se tenaient là, rendit hommage au Père et exprima l'unité de ses desseins et de ceux du Père. Puis, d'une voix forte, il cria : « Lazare, sors ! » Le mort entendit la voix de ce commandement autorisé ; l'esprit rentra immédiatement dans le tabernacle de chair, les processus physiques de la vie reprirent ; et Lazare, de nouveau vivant, sortit. La liberté de ses mouvements était limitée, car les vêtements funéraires gênaient ses mouvements, et son visage était encore lié dans la serviette qui maintenait la mâchoire sans vie. Jésus dit à ceux qui se tenaient tout près : « Déliez-le, et laissez-le aller. »
 
La procédure fut caractérisée de bout en bout par une profonde solennité et par l'absence totale de tout élément de mise en scène inutile. Jésus qui, alors qu'il se trouvait à des kilomètres de là et n'avait aucun moyen ordinaire de recevoir ce renseignement, savait que Lazare était mort, aurait certainement pu trouver le tombeau ; pourtant il dernanda : « Où l'avez-vous mis ? » Lui qui pouvait apaiser les vagues de la mer d'un seul mot aurait pu enlever miraculeusement la pierre qui scellait l'entrée du sépulcre ; pourtant il dit : « Otez la pierre. » Lui qui pouvait réunir l'esprit au corps aurait pu détacher sans aucune main le suaire qui liait Lazare ressuscité ; pourtant il dit : « Déliez-le, et laissez-le aller. » Tout ce que les hommes pouvaient faire leur était laissé. Nous ne voyons en aucun cas le Christ utiliser inutilement les pouvoirs surhumains de sa divinité ; l'énergie divine n'était jamais gaspillée ; même la création matérielle qui résultait de son utilisation était conservée, comme en témoignent ses ordres relatifs à la récolte des fragments de pain et de poisson après que les multitudes eurent été miraculeusement nourries [17].
 
La résurrection de Lazare est le troisième exemple de résurrection par Jésus qui nous soit rapporté [18]. Dans chacun le miracle eut pour résultat le recouvrement de l'existence mortelle et ne fut en aucun sens une résurrection de la mort à l'immortalité.
 
 
Dans la résurrection de la fille de Jaïrus, l'esprit fut rappelé dans son habitation dans l'heure de son départ ; la résurrection du fils de la veuve était un exemple de résurrection au moment où le corps était prêt pour le tombeau ; le plus grand des trois était l'ordre à un esprit de réintégrer son corps des jours après la mort et alors que, en vertu de processus naturels, le corps serait déjà dans les premiers stades de la décomposition. Lazare fut ressuscité des morts, pas simplement pour apaiser la douleur d'une famille endeuillée ; des milliers de personnes ont dû souffrir à cause de la mort et des milliers d'autres devront encore le faire. L'un des buts du Seigneur était de démontrer que les œuvres de Jésus le Christ manifestaient réellement la puissance de Dieu, et c'était Lazare qui avait été accepté pour être le sujet de cette manifestation ; de même que l'homme affligé de cécité avait été choisi pour être celui par lequel les œuvres de Dieu seraient manifestées [19].
 
Il est explicitement indiqué que la résurrection de Lazare par le Seigneur témoigna efficacement de sa qualité de Messie [20]. Tous les événements conduisant au dénouement que fut le miracle contribuèrent à l'attester. On ne pouvait douter de la réalité de la mort de Lazare, car on avait été témoin de son décès, on avait préparé et enseveli son corps de la manière habituelle, et il avait passé quatre jours dans la tombe. Au tombeau, il y avait de nombreux témoins dont certains étaient des Juifs importants, parmi lesquels beaucoup étaient hostiles à Jésus et auraient volontiers nié le miracle s'ils l'avaient pu. Dieu était glorifié, et la divinité du Fils de l'Homme était confirmée par le résultat.
 
AGITATION PROFONDE DE LA HIÉRARCHIE À PROPOS DU MIRACLE [21]
 
Comme ce fut le cas pour la plupart des actions publiques de notre Seigneur - tandis que certains de ceux qui entendaient et voyaient étaient amenés à croire en lui, d'autres rejetaient la leçon qui était offerte et réprimandaient le Maître - de même pour cette œuvre puissante - certains furent poussés à la foi et d'autres passèrent leur chemin, l'esprit enténébré et plus méchant que jamais. Certains de ceux qui avaient vu le mort ressuscité s'en allèrent immédiatement raconter l'affaire aux dirigeants, qu'ils savaient être intensément hostiles envers Jésus. Dans la parabole que nous avons étudiée récemment, l'esprit de l'homme riche suppliait de son lieu de tourment que Lazare, le mendiant jadis pitoyable, fût envoyé du paradis à la terre, en avertir d'autres du sort qui attendait les méchants, supplique à laquelle Abraham répondit : « S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader, même si quelqu'un ressuscitait d'entre les morts » [22]. Or voici qu'un Lazare venait réellement d'être ressuscité d'entre les morts, et beaucoup de Juifs rejetaient le témoignage de son retour et refusaient de croire au Christ par lequel seul la mort est vaincue. Les Juifs essayèrent de s'emparer de Lazare afin de le tuer et, espéraient-ils, réduire au silence son témoignage du pouvoir que le Seigneur avait sur la mort [23].
 
Les principaux sacrificateurs, qui étaient pour la plupart des Sadducéens, et les Pharisiens s'assemblèrent en conseil pour examiner la situation créée par cette dernière grande œuvre de notre Seigneur. La question qu'ils discutèrent fut : « Qu'allons-nous faire ? Car cet homme fait beaucoup de miracles. Si nous le laissons faire, tous croiront en lui, et les Romains viendront (nous) enlever et notre Lieu (saint) et notre nation. » Comme ils le disaient eux-mêmes, il n'était pas question de nier les nombreux miracles que Jésus avait opérés ; mais au lieu de chercher à savoir sérieusement et en priant si ces œuvres puissantes ne comptaient pas parmi les caractéristiques prédites du Messie, ils ne réfléchirent qu'à l'effet que pourrait avoir l'influence du Christ pour éloigner le peuple de la théocratie établie et à la crainte que les Romains, profitant de la situation, ne privassent les dirigeants de leur « pIace » et n'enlevassent à la nation le peu de semblant d'autonomie distincte qu'elle possédait encore. Caïphe, le souverain sacrificateur, coupa court à la discussion en disant : « Vous n'y entendez rien. » Cette accusation crue d'ignorance s'adressait très vraisemblablement aux Pharisiens du sanhédrin ; Caïphe était Sadducéen. Sa phrase suivante était plus importante qu'il ne pensait : « Vous ne vous rendez pas compte qu'il est avantageux pour vous qu'un seul homme meure pour le peuple et que la nation entière ne périsse pas. » Jean déclare solennellement que Caïphe ne parlait pas de lui­même mais par l'esprit de prophétie qui, en dépit de son indignité sous-entendue, lui était donné en vertu de son office, et ce de la manière suivante : « Il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation. Et non seulement pour la nation, mais aussi afin de réunir en un seul (corps) les enfants de Dieu dispersés. » Mais quelques années après que le Christ eût été mis à mort pour le salut des Juifs et de toutes les autres nations, les calamités mêmes que Caïphe et le sanhédrin avaient espéré éviter s'abattirent dans toute leur intensité ; la hiérarchie fut renversée, le temple détruit, Jérusalem démolie et la nation démembrée. Dès le jour de cette session mémorable du sanhédrin, les dirigeants accrurent leurs efforts pour faire mettre Jésus à mort par tous les moyens qui se présenteraient à eux. Ils émirent un décret disant que quiconque savait où il était devrait renseigner les dirigeants, afin qu'ils pussent l'arrêter promptement [24].
 
JÉSUS SE RETIRE À ÉPHRAÏM [25]
 
L'hostilité des dirigeants ecclésiastiques devint telle que Jésus chercha une fois de plus la retraite d'une région suffisamment éloignée de Jérusalem pour le protéger des regards attentifs et méchants de ses puissants ennemis jurés. Il ne lui restait que quelques semaines de vie mortelle, et il fallait consacrer la plus grande partie de cette brève période à continuer à instruire les apôtres. Il s'éloigna prudemment du voisinage de Béthanie et « partit de là pour la contrée voisine du désert, dans une ville appelée Éphraïm ; il y séjournait avec ses disciples ». C'est ainsi que notre Seigneur passa le reste de l'hiver et probablement les premiers jours du printemps suivant. Le fait que sa retraite était privée sinon pratiquement secrète est suggéré par la déclaration de Jean : « Jésus donc ne circula plus ouvertement parmi les Juifs » ; et nous trouvons une autre indication dans le fait que bien que les principaux sacrificateurs et les Pharisiens eussent virtuellement mis sa tête à prix, nul ne le dénonça. Le lieu où il se retira en dernier lieu n'est pas bien connu ; on pense généralement que ce fut la localité que l'on appelle Éphraïm et Éphron [26], qui se trouvait à un peu moins de trente kilomètres au nord de Jérusalem. La durée du séjour que notre Seigneur y fit est tout aussi incertaine. Lorsqu'il apparut de nouveau en public, ce fut pour entreprendre sa marche solennelle vers Jérusalem et la croix.
 
 [1] Jn 10:22-39.
 [2] Rendu aussi par kislev, chisleu et cisleu, voir Za 7:1.
 [3] Josèphe, Antiquités, XII, 5:3-5. Voir Esdras 6:17, 18 et note 1, fin du chapitre. Note 2, fin du chapitre.
 [4] Jn 8:58 et 10:11 ; voir aussi chap. 25 du présent ouvrage.
 [5] Voir note 3, fin du chapitre.
 [6] Jn 8:59. Chap. 25 du présent ouvrage.
 [7] Concernant le blasphème voir chap. 14, 18 et 34 du présent ouvrage.
 [8] Ps 82, en particulier les versets 1 et 6. Note 8, fin du chapitre.
 [9] Chap. 18 du présent ouvrage.
 [10] Note 4, fin du chapitre.
 [11] Jn 11: 1-46.
 [12] Cf. Mt 9:24, Mc 5:39, Lc 8:52, Jb 14:12, 1 Th 4:14.
 [13] Note 5, fin du chapitre.
 [14] Jn 9 ; voir chap. 25 du présent ouvrage.
 [15] Note 6, fin du chapitre.
 [16] Note 5, fin du chapitre.
 [17] Jn. 6:12, Mt 15:37 ; voir chap. 21 et 22 du présent ouvrage.
 [18] Mt 9:23-25, Luc 7:11-17, chap. 18 et 20 du présent ouvrage.
 [19] Jn 9:3.
 [20] Jn 12:9-11,17.
 [21] Jn 11:46-54.
 [22] Lc 16:31 ; chap. 27 du présent ouvrage.
 [23] Jn 12: 10.
 [24] Note 7, fin du chapitre.
 [25] Jn 11:57.
 [26] 2 Ch 13:19, Jos 15:9.
 
NOTES DU CHAPITRE 28
 
1. Origine de la fête de la Dédicace : Concernant le deuxième temple, appelé le temple de Zorobabel, l'auteur a écrit ailleurs : « Quant au reste de l'histoire de ce temple, le récit biblique ne nous donne que peu de détails ; mais d'autres sources nous parlent de ses vicissitudes. La maison du Seigneur fut profanée au moment de la persécution des Macchabées. Un roi syrien, Antiochus Epiphane, s'empara de Jérusalem (168 à 165 av. J. -C.) et blasphéma outrageusement la religion du peuple. Il pilla le temple et en emporta le chandelier d'or, l'autel d'or pour l'encens, la table des pains de proposition et il alla jusqu'à arracher les voiles sacrés, qui étaient faits de fine toile et d'écarlate. Il poussa la malignité jusqu'à profaner sciemment l'autel du sacrifice en y offrant du porc et à ériger un autel païen dans l'enceinte sacrée. Non content de violer le temple, ce méchant monarque fit ériger des autels dans les villes et ordonna d'y offrir des animaux impurs. Le rite de la circoncision fut interdit sous peine de mort, et le culte de Jéhovah fut considéré comme un crime. Suite à cette persécution, de nombreux Juifs apostasièrent et déclarèrent qu'ils étaient Mèdes ou Perses - nations dont ils avaient secoué le joug par la puissance de Dieu... Puis, en l'an 163 av. J.-C., la maison fut dédiée à nouveau ; cet événement fut commémoré dans la suite par une festivité annuelle appelée la fête de la Dédicace. » - La Maison du Seigneur, p. 41-42. Selon Josèphe (Ant. XII, 7:7) la fête fut appelée Les Lumières, et de brillantes illuminations, tant du temple que des maisons, la caractérisèrent. Les récits traditionnels disent qu'on avait fixé à huit jours la durée de la fête pour commémorer un miracle légendaire selon lequel l'huile consacrée dans la seule jarre que l'on trouva intacte et portant le sceau non brisé du souverain sacrificateur avait servi à l'usage du temple pendant huit jours, temps requis pour la préparation cérémonielle d'une nouvelle quantité.
 
2. Le portique de Salomon : Ce nom a été appliqué à la colonnade ou rangée de portiques qui se trouve à l'est de l'enceinte du temple, en vertu d'une tradition selon laquelle le portique recouvrait et englobait une partie du mur original appartenant au temple de Salomon. Voir La Maison du Seigneur, p. 45.
 
3. L'unité du Christ et du Père : La version Segond traduit Jean 10:30: « Moi et le Père, nous sommes un. » Par le « Père » les Juifs comprirent, à bon droit, le Père éternel, Dieu. Dans le grec originel « un » est au neutre, et exprime par conséquent l'unité dans les attributs, la puissance ou le dessein, et non une unité de personnalité, laquelle aurait exigé le masculin. L'unité de la Divinité et la distinction des personnalités de chaque membre sont traitées dans Articles de Foi, p. 45-48.
 
4. Lieu de retraite de notre Seigneur : Jésus alla « au-delà du Jourdain, à l'endroit où Jean avait d'abord baptisé » (Jn 10:40). C'était probablement Béthanie (1:28). Il faut prendre soin de ne pas confondre cette Béthanie de Pérée avec la Béthanie de Judée, résidence de Marthe et Marie, qui se trouvait à trois kilomètres de Jérusalem.
 
5. Lazare quatre jours au tombeau : En supposant, avec de grandes chances d'être dans le vrai, que le voyage de Béthanie de Judée à l'endroit où Jésus était, en Pérée, demanderait un jour, Lazare avait dû mourir le jour du départ du messager ; en effet ce jour-là, les deux jours qui s'écoulèrent avant que Jésus ne se mit en route vers la Judée et le jour requis pour le retour ne couvriraient pas plus que les quatre jours spécifiés. C'était et c'est encore la coutume en Palestine comme dans d'autres pays orientaux d'enterrer le jour du décès.
 
On croyait communément que le quatrième jour après la mort l'esprit avait finalement quitté le voisinage du cadavre et que dès lors la décomposition se poursuivait sans entrave. Cela peut expliquer l'objection impulsive quoique douce de Marthe à voir le tombeau de son frère ouvert quatre jours après sa mort (Jn 11:39). Il est possible que le consentement du plus proche parent ait été requis pour ouvrir légalement un tombeau. Marthe et Marie étaient toutes deux là et, en présence d'un grand nombre de témoins, consentirent à l'ouverture du tombeau dans lequel se trouvait leur frère.
 
6. Jésus frémit en son esprit : Les lectures marginales [de la version anglaise, ndt] pour « il frémit en son esprit » (Jn 11:33) et « frémissant de nouveau en lui-même » (v. 38), que l'on trouve dans la version révisée, sont « fut ému d'indignation dans l'esprit » et « étant ému d'indignation en lui-même ». Toutes les autorités philologiques s'accordent pour dire que les termes du grec originel expriment une indignation attristée ou, comme certains l'affirment, la colère, et pas seulement l'émotion sympathisante de la douleur. L'indignation que le Seigneur peut avoir ressentie, comme l'implique le verset 33, peut être attribuée au fait qu'il désapprouvait les lamentations coutumières sur la mort qui, de la manière dont les Juifs y donnaient libre cours en cette occasion, profanaient la douleur réelle et profonde de Marthe et de Marie ; et son indignation, qui s'exprima par un frémissement, comme le dit le verset 38, peut avoir été due aux critiques harassantes émises par certains des Juifs, comme le rapporte le verset 37.
 
7. Caïphe, souverain sacrificateur cette année-là : Il ne faut pas penser que la déclaration de Jean disant que Caïphe était souverain sacrificateur « cette année-là » ait voulu dire que l'office de souverain sacrificateur n'était que pour un an. En vertu de la loi juive, le prêtre président, que l'on appelait le souverain sacrificateur, restait indéfiniment dans son office, mais le gouvernement romain s'était arrogé le pouvoir de nommer les détenteurs de cet office, et on faisait souvent des changements. Ce Caïphe, dont le nom complet était Joseph Caïphe, resta souverain sacrificateur nommé par les Romains pendant une période de onze ans. Les Juifs devaient se soumettre à ces nominations, bien qu'ils reconnussent souvent, comme souverain sacrificateur selon leur loi, quelqu'un d'autre que le « souverain sacrificateur civil » nommé par l'autorité romaine. C'est ainsi que nous voyons Anne et Caïphe exercer tous les deux l'autorité de cet office à l'époque de l'arrestation de notre Seigneur et plus tard (Jn 18:13,24, Ac 4:6, comparer avec Lc 3:2). Farrar (p. 484, note) dit : « Il y en a qui ont vu une ironie ouverte dans l'expression de Jean (11:49) que Caïphe était souverain sacrificateur « cette année-là », comme si les Juifs avaient pris l'habitude de parler de cette manière méprisante au cours de la succession rapide des prêtres - de simples fantoches placés et déplacés par l'autorité romaine - qui s'étaient succédés au cours des récentes années. Il dut y avoir au moins cinq souverains sacrificateurs et ex-souverains sacrificateurs à ce conseil : Anne, Ismaël Ben Phabi, Eléazar Ben Haman, Simon Ben Kamhith et Caïphe, qui avait acquis son poste par corruption. »
 
8. Les juges divinement nommés appelés « dieux » : Dans Ps 82:6, les juges investis de l'autorité divine sont appelés « dieux ». C'est à cette Écriture que le Sauveur faisait allusion lorsqu'il répondit aux Juifs dans le portique de Salomon. Les juges ainsi autorisés agissaient comme représentants de Dieu et sont honorés du titre sublime de « dieux ». Comparez l'appellation semblable appliquée à Moïse (Ex 4:16, 7:1). Jésus­Christ avait une autorité divine, non par la parole de Dieu à lui transmise par l'homme, mais comme un attribut inhérent. Si les Juifs n'avaient pas eu l'esprit enténébré par le péché, ils auraient vu combien il était illogique d'appeler « dieux » des juges humains et d'accuser de blasphème le Christ qui se donnait le nom de Fils de Dieu.
 
 
CHAPITRE 29 : EN ROUTE POUR JÉRUSALEM
 
JÉSUS PRÉDIT DE NOUVEAU SA MORT ET SA RÉSURRECTION [1]
 
Chacun des trois auteurs synoptiques a rapporté le dernier voyage à Jérusalem et des incidents qui s'y rapportent. La grande solennité des événements qui étaient maintenant si proches et du sort vers lequel il se dirigeait affecta tellement Jésus que même ses apôtres furent surpris de son air absorbé et de sa tristesse évidente, ils restèrent en arrière, étonnés et craintifs. Puis il s'arrêta, appela les Douze auprès de lui, et dit, dans un langage parfaitement clair, sans métaphore ni images : « Voici : nous montons à Jérusalem ; et tout ce qui a été écrit par les prophètes au sujet du Fils de l'homme s'accomplira. Car il sera livré aux païens ; on se moquera de lui, on le maltraitera, on crachera sur lui et, après l'avoir flagellé on le fera mourir ; et le troisième jour il ressuscitera. »
 
Pour nous il est stupéfiant que les Douze n'aient pu comprendre ce qu'il voulait dire ; cependant Luc affirme formellement : « Mais ils n'y comprirent rien ; ces paroles leur restaient cachées ; ils ne savaient pas ce que cela voulait dire. » C'était la troisième fois que le Seigneur annonçait confidentiellement aux Douze sa mort et sa résurrection proches comme une certitude ; et malgré cela ils ne pouvaient se résoudre à accepter cette terrible vérité [2]. Selon le récit de Matthieu, ils apprirent la manière exacte dont le Seigneur mourrait - que les Gentils le crucifieraient - et pourtant ils ne le comprenaient pas. Pour eux il y avait quelque incongruité terrible, quelque manque de logique atroce ou une contradiction inexplicable dans les paroles de leur Maître bien-aimé. Ils savaient qu'il était le Christ, le Fils du Dieu vivant ; comment quelqu'un de pareil pouvait-il être arrêté et tué ! Ils ne pouvaient manquer de se rendre compte qu'un événement sans précédent dans sa vie était sur le point de se produire ; ils ont pu concevoir vaguement que c'était la crise qu'ils attendaient, la proclamation ouverte de sa dignité messianique, son couronnement comme Seigneur et Roi. Et c'était ce qui allait être, bien que d'une manière extrêmement différente de ce qu'ils attendaient. C'est la prédiction culminante - que le troisième jour il ressusciterait - qui semble les avoir le plus intrigués ; et, en même temps, l'assurance de son triomphe ultime a pu faire paraître tous les événements intermédiaires comme d'importance secondaire et passagère. Ils repoussaient avec persistance la pensée qu'ils suivaient leur Seigneur à la croix et au sépulcre.
 
DE NOUVEAU LA QUESTION DE PRÉSÉANCE [3]
 
En dépit de toutes les instructions que les apôtres avaient reçues sur l'humilité, et bien qu'ils eussent devant eux l'exemple suprême de la vie et de la conduite du Maître qui montrait abondamment que le service était le seul critère de la vraie grandeur, ils continuaient à rêver et de rang et d'honneurs dans le royaume du Messie. C'est peut-être à cause de l'imminence du triomphe du Maître qui s'imposait à ce moment-là à leur esprit, bien qu'ils fussent ignorants de sa véritable signification, que certains des Douze adressèrent au Seigneur, au cours de ce voyage, une requête extrêmement ambitieuse. Les solliciteurs étaient Jacques et Jean, bien que, d'après le texte de Matthieu, c'était leur mère [4] qui fut la première à faire la demande. Il fut demandé que lorsque Jésus entrerait en possession de son royaume, il fît au couple d'ambitieux l'insigne honneur de les installer à des postes suprêmes, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche. Au lieu de réprimander vertement pareille présomption, Jésus demanda doucement mais d'une manière impressionnante : « Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ? » La réponse était pleine de confiance en soi inspirée par une méprise due à l'ignorance. « Nous le pouvons », répliquèrent-ils. Alors Jésus dit : « Il est vrai que vous boirez la coupe que je vais boire, et que vous serez baptisés du baptême dont je vais être baptisé ; mais pour ce qui est d'être assis à ma droite ou à ma gauche, ce n'est pas à moi de le donner, sinon à ceux pour qui cela est préparé par mon Père. »
 
Les dix apôtres furent indignés contre les deux frères, moins peut-être parce qu'ils désapprouvaient l'esprit qui les avait poussés à faire cette demande que parce que ces deux-là avaient devancé les autres en demandant les postes de distinction principaux. Mais Jésus, tolérant patiemment leurs faiblesses humaines, attira les Douze autour de lui et les instruisit comme un père aimant pourrait instruire et exhorter ses enfants querelleurs. Il leur montra comment les souverains terrestres, comme les princes parmi les Gentils, dominent sur leurs sujets, manifestant leur suzeraineté et exerçant arbitrairement l'autorité de leur office. Mais il ne devait pas en être ainsi parmi les serviteurs du Maître ; quiconque voulait être grand devrait être un serviteur, disposé à servir ses semblables ; le serviteur le plus humble et celui qui manifesterait le plus de bonne volonté serait le chef des serviteurs. « C'est ainsi que le Fils de l'homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup » [5]. 
 
UN AVEUGLE RECOUVRE LA VUE PRÈS DE JÉRICHO [6]
 
Au cours de son voyage, Jésus arriva à Jéricho, ville dans laquelle ou près de laquelle il exerça de nouveau son merveilleux pouvoir d'ouvrir les yeux des aveugles. Matthieu déclare que deux aveugles furent guéris et que le miracle fut accompli au moment où Jésus quittait Jéricho ; Marc ne parle que d'un aveugle, qu'il appelle Bartimée ou fils de Timée, et s'accorde avec Matthieu pour dire que la guérison se produisit alors que Jésus quittait la ville ; Luc ne spécifie qu'un bénéficiaire de la miséricorde guérisseuse du Seigneur, « un aveugle », et rapporte le miracle comme un incident qui se produisit au moment où le Christ s'approchait de Jéricho. Ces légères variantes témoignent du fait que chacun des documents a un auteur indépendant, et les divergences apparentes n'ont pas d'effet direct sur les faits principaux ni ne diminuent la valeur pédagogique de l'œuvre du Seigneur. Comme nous avons vu que c'était le cas lors d'une occasion antérieure, deux hommes furent cités bien qu'un seul figure dans le récit détaillé [7].
 
L'homme dont il est parlé plus particulièrement, Bartimée, était assis au bord de la route, demandant l'aumône. Jésus s'approcha, accompagné des apôtres, de beaucoup d'autres disciples et d'une grande multitude de gens, constituée probablement en grande partie de voyageurs en route pour Jérusalem pour assister à la fête de la Pâque, qui était dans une semaine environ. Entendant le piétinement d'un si grand nombre de personnes, le mendiant aveugle demanda ce que tout cela voulait dire, et on lui répondit que : « Jésus de Nazareth passait. » Impatient, craignant de perdre l'occasion d'attirer l'attention du Maître, il s'écria immédiatement d'une voix forte : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi. » Son appel, et surtout le fait qu'il utilisa le titre Fils de David, montre qu'il avait entendu parler du grand Maître, avait confiance en son pouvoir de guérir et avait la foi qu'il était le Roi et Libérateur promis d'Israël [8]. Ceux qui se trouvaient en avant de Jésus dans le groupe essayèrent de réduire l'homme au silence, mais plus ils le réprimandaient, plus il criait fort et avec insistance : « Fils de David, aie pitié de moi ! » Jésus s'arrêta et ordonna qu'on lui amenât l'homme. Ceux qui, un instant auparavant encore, auraient arrêté l'appel ardent de l'aveugle, étaient désireux de lui rendre service maintenant que le Maître l'avait remarqué. Ils apportèrent la bonne nouvelle à l'aveugle : « Prends courage, lève-toi, il t'appelle. » Et lui, jetant son manteau, de crainte qu'il ne l'embarrassât, se hâta de s'approcher du Christ. À la question du Seigneur : « Que veux-tu que je te fasse ? » Bartimée répondit : « Seigneur, que je recouvre la vue ! » Alors Jésus prononça les mots tout simples remplis de puissance et de bénédictions : « Recouvre la vue ; ta foi t'a sauvé. » L'homme, plein de reconnaissance et sachant que seule l'intervention divine avait pu lui ouvrir les yeux, suivit son Bienfaiteur, glorifiant Dieu en de sincères prières d'actions de grâce, auxquelles un grand nombre de ceux qui avaient été témoins du miracle se joignirent avec ferveur.
 
ZACHÉE, CHEF DES PÉAGERS [9]
 
Jésus se trouvait dans une ville d'une importance considérable ; parmi les fonctionnaires qui y résidaient se trouvait une équipe de péagers, ou collecteurs d'impôts, dont le chef était Zachée [10], que les revenus de son office avaient rendu riche. Il avait indubitablement entendu parler du grand Galiléen qui n'hésitait pas à se mêler aux péagers, quelque détestés qu'ils fussent des Juifs en général ; il savait peut-être aussi que Jésus avait placé un de cette classe des péagers parmi les principaux disciples. Le nom Zachée, variante de « Zacharie », indique qu'il était juif. Il devait être particulièrement détesté de son peuple à cause de la haute position parmi les péagers, qui étaient tous à la solde des Romains. Il avait un grand désir de voir Jésus ; ce sentiment n'était pas de la simple curiosité ; ce qu'il avait entendu au sujet de ce Maître de Nazareth l'avait frappé et l'avait fait réfléchir. Mais Zachée était un homme de petite taille, et ordinairement il lui était impossible de voir par-dessus la tête des autres ; aussi courut-il en avant de la compagnie et grimpa-t-il sur un arbre qui se dressait au bord de la route. Lorsque Jésus parvint à cet endroit, à la grande surprise de l'homme qui se trouvait dans l'arbre, il leva les yeux et dit : « Zachée, hâte-toi de descendre ; car il faut que je demeure aujourd'hui dans ta maison. » Zachée descendit en hâte et reçut avec joie le Seigneur comme hôte. La multitude qui avait accompagné Jésus semble avoir été en général amicale à son égard ; mais lorsque les affaires prirent cette tournure, ils murmurèrent et critiquèrent, disant du Maître : « il est allé loger chez un homme pécheur » ; car tous les péagers étaient pécheurs aux yeux des Juifs, et Zachée admit que dans son cas il était probable que l'opprobre était méritée. Mais ayant vu Jésus et ayant parlé avec lui, ce chef des péagers crut et fut converti. Pour prouver le changement de son cœur, Zachée promit sur-le-champ de faire amende honorable et de restituer si cela s'avérait nécessaire. « Voici, Seigneur », dit-il : « je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et si j'ai fait tort de quelque chose à quelqu'un, je lui rends le quadruple. » C'étaient des œuvres qui prouvaient le repentir. L'homme se rendait compte qu'il ne pouvait changer son passé ; mais il savait qu'il pouvait du moins en partie expier certains de ses méfaits. Sa promesse de restituer au quadruple ce qu'il avait mal acquis était conforme à la loi mosaïque de la restitution mais dépassait de loin la compensation requise [11]. Jésus accepta la profession de repentir de cet homme et dit : « Aujourd'hui le salut est venu pour cette maison, parce que celui-ci est aussi un fils d'Abraham. » Une autre brebis égarée était revenue au bercail ; un autre trésor perdu avait été retrouvé ; un autre fils prodigue était rentré dans la maison du Père [12]. « Car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »
 
ON DONNERA À CELUI QUI A [13]
 
Comme la multitude s'approchait de Jérusalem, Jésus se trouvant au milieu d'elle, on s'interrogea vivement sur ce que le Seigneur ferait lorsqu'il arriverait dans la capitale du pays. Beaucoup de ceux qui étaient avec lui s'attendaient à ce qu'il proclamât son autorité royale et « on pensait que le royaume de Dieu devait apparaître à l'instant ». Jésus leur raconta une histoire ; nous l'appelons la parabole des mines :
 
« Un homme de haute naissance s'en alla dans un pays lointain, pour recevoir la royauté et revenir ensuite. Il appela dix de ses serviteurs, leur donna dix mines et leur dit : Faites-les valoir, jusqu'à ce que je revienne. Mais ses concitoyens le haïssaient, et ils envoyèrent une ambassade après lui, pour dire : Nous ne voulons pas que celui-là règne sur nous. Lorsqu'il fut de retour, après avoir reçu la royauté, il fit appeler auprès de lui les serviteurs auxquels il avait donné l'argent, afin de connaître comment chacun l'avait fait valoir. Le premier vint et dit : Seigneur, ta mine a rapporté dix mines. Il lui dit : C'est bien, bon serviteur ; parce que tu as été fidèle en peu de chose, reçois le gouvernement de dix villes. Le second vint et dit : Seigneur, ta mine a produit cinq mines. Il lui dit : Toi aussi, sois établi sur cinq villes. Un autre vint, et dit : Seigneur, voici ta mine que j'ai gardée dans un linge, car j'avais peur de toi, parce que tu es un homme sévère ; tu prends ce que tu n'as pas déposé, et tu moissonnes ce que tu n'as pas semé. Il lui dit : Je te jugerai sur tes paroles, mauvais serviteur ; tu savais que je suis un homme sévère ; que je prends ce que je n'ai pas déposé, et moissonne ce que je n'ai pas semé ; pourquoi donc n'as-tu pas placé mon argent dans une banque, et à mon retour je l'aurais retiré avec un intérêt ? Puis il dit à ceux qui étaient là : Otez-lui la mine et donnez-la à celui qui a les dix mines. Ils lui dirent : Seigneur, il a dix mines. Je vous le dis, on donnera à celui qui a, mais à celui qui n'a pas, on ôtera même ce qu'il a. Au reste, amenez ici mes ennemis qui n'ont pas voulu que je règne sur eux, et égorgez-les en ma présence. »
 
Le détail de l'histoire et l'application de la parabole étaient tous deux plus faciles à comprendre à la multitude juive qu'à nous. Le départ d'un homme de haute naissance d'une province vassale pour la cour du suzerain pour obtenir l'investiture de l'autorité royale, et la protestation des citoyens sur qui il prétendait régner étaient des incidents de l'histoire juive encore frais à l'esprit du peuple à qui le Christ parlait [14]. L'explication de la parabole est la suivante : le peuple ne devait pas attendre l'établissement immédiat du royaume dans son pouvoir temporel. Celui qui allait être roi était représenté étant parti pour un pays lointain dont il retournerait certainement. Avant de partir, il avait donné à chacun de ses serviteurs une somme d'argent bien déterminée ; et c'est par le succès avec lequel ils l'utiliseraient qu'il jugerait de leur capacité à remplir des postes de confiance. Lorsqu'il revint, il demanda des comptes, dans lesquels les cas des trois serviteurs sont typiques. L'un d'eux avait utilisé la mine de manière à en produire dix autres ; il fut félicité et reçut une récompense que seul un souverain pourrait donner, le gouvernement de dix villes. Le deuxième serviteur, qui avait reçu le même capital, ne l'avait accru que cinq fois ; il reçut donc la récompense proportionnée en étant nommé gouverneur de cinq villes. Le troisième rendit ce qu'il avait reçu sans accroissement, car il ne l'avait pas utilisé. Il n'avait aucune raison et seulement une très mauvaise excuse à présenter pour sa négligence. Il fut justement réprimandé avec sévérité, et l'argent lui fut enlevé. Lorsque le roi ordonna que la mine ainsi perdue par le serviteur infidèle fût donnée à celui qui en avait déjà dix, certains qui se trouvaient là manifestèrent une certaine surprise ; mais le roi expliqua que « on donnera à celui qui a » ; car il tire parti de ce qui lui est confié, tandis que « à celui qui n'a pas, on ôtera même ce qu'il a », car il a prouvé qu'il était totalement incapable de posséder et d'utiliser convenablement. Cette partie de la parabole, bien que d'application générale, dut être frappante pour les apôtres ; car chacun d'eux avait reçu par son ordination une investiture égale, et chacun devrait rendre des comptes de son administration. Il est clair que le Christ était l'homme de haute naissance qui devait recevoir la royauté et qui reviendrait réclamer des comptes des serviteurs auxquels il avait fait confiance [15]. Mais un grand nombre de citoyens le haïssaient et protestèrent contre son investiture disant qu'ils ne voulaient pas qu'il régnât sur eux [16]. Lorsqu'il reviendra avec puissance et autorité, ces citoyens rebelles recevront certainement le châtiment qu'ils méritent [17].
 
CHEZ SIMON LE LÉPREUX [18]
 
Six jours avant la fête de la Pâque, c'est-à-dire avant le jour où l'agneau pascal devait être mangé [19], Jésus arriva à Béthanie, ville natale de Marthe et Marie, et de Lazare qui était mort récemment et avait été rappelé à la vie. La chronologie des événements, tels qu'ils se présentent au cours de la dernière semaine de la vie de notre Seigneur, soutient la croyance généralement acceptée que cette année-là, le 14 nisan, date à laquelle la fête de Pâque commençait, tombait un jeudi ; ceci étant, le jour où Jésus parvint à Béthanie était le vendredi précédent, veille du sabbat juif. Jésus savait parfaitement que ce sabbat était le dernier qu'il verrait dans la mortalité. Les évangélistes ont tiré le voile d'un silence respectueux sur les événements de ce jour-là. Il semble que Jésus passa son dernier sabbat dans la retraite de Béthanie. Le voyage à pied depuis Jéricho n'avait pas été une promenade facile, car la route montait à une altitude de près de neuf cents mètres et était d'ailleurs par elle-même une route fatigante.
 
Le samedi, probablement le soir, après la fin du sabbat, un repas fut préparé pour Jésus et les Douze chez Simon le lépreux. L'Écriture ne dit rien d'autre de ce Simon. S'il vivait à l'époque où le Seigneur fut reçu dans la maison qui porte son nom, et s'il était là, il avait dû déjà être guéri de sa lèpre, sinon on ne lui aurait pas permis de résider à l'intérieur de la ville et encore moins de se trouver parmi les invités d'une fête. Il est raisonnable de penser que l'homme avait jadis été victime de la lèpre, ce qui lui avait valu le nom de Simon le lépreux, et qu'il était l'une des nombreuses personnes qui souffraient de cette terrible maladie et qui avaient été guéries par l'intervention du Seigneur.
 
En cette occasion mémorable, Marthe était chargée des préparatifs pour le repas, et sa sœur Marie était avec elle, tandis que Lazare était à table avec Jésus. Beaucoup ont pensé que la maison de Simon le lépreux était la résidence familiale des deux sœurs de Lazare, auquel cas il est possible que Simon ait été le père des trois jeunes gens, mais nous n'en avons aucune preuve [20]. Aucune tentative ne fut faite d'obtenir une intimité particulière à ce repas. À cette époque, ce genre d'événement était ordinairement marqué de la présence d'un grand nombre de badauds non invités ; et nous ne sommes donc pas surpris d'apprendre que beaucoup de gens étaient là et qu'ils étaient venus « non pas seulement à cause de Jésus, mais pour voir aussi Lazare qu'il avait ressuscité d'entre les morts ». Lazare était pour le peuple un sujet très intéressant et sans aucun doute un objet de curiosité et, à l'époque où il avait le privilège d'être en rapports étroits avec Jésus à Béthanie, les principaux sacrificateurs complotaient pour le mettre à mort à cause de l'effet que sa résurrection avait eue sur le peuple, dont un grand nombre croyait en Jésus à cause du miracle.
 
Ce souper de Béthanie était un événement qui devait être inoubliable. Marie, la plus contemplative et la plus empreinte de spiritualité des deux sœurs, celle qui aimait s'asseoir aux pieds de Jésus et écouter ses paroles, et qui avait été félicitée d'avoir ainsi choisi la seule chose nécessaire qui manquait à sa sœur plus pratique [21], sortit de parmi ses trésors un vase d'albâtre contenant une livre d'un parfum de nard de grand prix, rompit le vase et en déversa le contenu parfumé sur la tête et les pieds de son Seigneur, et lui essuya les pieds de ses tresses dénouées [22]. Oindre d'huile ordinaire la tête d'un invité, c'était lui faire honneur ; lui oindre également les pieds, c'était montrer une considération extraordinaire et insigne ; mais oindre la tête et les pieds de nard, et en telle abondance, était un acte d'hommage respectueux rarement rendu même aux rois [23]. L'acte de Marie était une expression d'adoration ; c'était l'exubérance parfumée d'un cœur plein de dévotion et d'affection.
 
Mais ce splendide tribut de l'amour d'une femme pieuse fut le sujet d'une protestation désagréable. Judas Iscariot, trésorier des Douze mais malhonnête, cupide et mesquin, laissa libre cours à ses murmures, disant : « Pourquoi n'a-t-on pas vendu ce parfum trois cents deniers pour les donner aux pauvres [24] ? » Cette sollicitude apparente pour les pauvres était pure hypocrisie. C'était un voleur, et il se plaignait de ne pas avoir reçu le précieux parfum à vendre, ou que le prix n'en eût pas été versé dans l'escarcelle dont il était le gardien intéressé. Marie avait utilisé si abondamment le précieux parfum que d'autres que Judas avaient laissé leur surprise se transformer en murmures ; mais c'est à lui qu'est attribuée la distinction d'être le principal mécontent. La nature sensible de Marie fut affligée de la méchante désapprobation, mais Jésus s'interposa, disant : « Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme ? Elle a accompli une bonne action à mon égard. » Puis continuant à les réprimander et en guise d'instruction solennelle, il poursuivit : « Car vous avez toujours les pauvres avec vous, mais moi, vous ne m'avez pas toujours. En répandant ce parfum sur mon corps, elle l'a fait pour ma sépulture. En vérité, je vous le dis, partout où cette bonne nouvelle sera prêchée, dans le monde entier, on racontera aussi en mémoire de cette femme ce qu'elle a fait. »
 
On ne nous dit pas avec certitude si Marie savait qu'avant quelques jours son Seigneur bien-aimé serait au tombeau. Il se peut qu'elle en ait été informée, étant donné l'intimité sacrée qui existait entre Jésus et la famille ; il se peut aussi qu'elle ait déduit des réflexions du Christ aux apôtres qu'il était sur le point de faire le sacrifice de sa vie ; ou peut-être est-ce inspirée par l'intuition qu'elle fut poussée à rendre ce tribut d'amour dans lequel son souvenir a été enchâssé dans le cœur de tous ceux qui connaissent et aiment le Christ. Jean nous a conservé la réflexion de Jésus dans la réprimande provoquée par les grognements de l'Iscariot : « Laisse-la ; c'est pour le jour de mon ensevelissement qu'elle l'a gardé » [version du roi Jacques, ndt] ; et la version de Marc suggère de même que Marie avait une intention bien déterminée et solennelle : « elle a d'avance embaumé mon corps pour la sépulture. »
 
L'ENTRÉE TRIOMPHALE DU CHRIST À JÉRUSALEM [25]
 
Tandis qu'il se trouvait encore à Béthanie ou dans le village voisin de Bethphagé et, selon le récit de Jean, le lendemain du repas chez Simon, Jésus ordonna à deux de ses disciples de se rendre en un certain lieu où, leur dit-il, ils trouveraient une ânesse attachée et avec elle un ânon sur lequel nul ne s'était jamais assis. Ils devaient les lui amener. Si on les arrêtait ou si on les questionnait, ils devaient dire que le Seigneur avait besoin des animaux. Matthieu est le seul à parler de l'ânesse et de l'ânon ; les autres écrivains ne parlent que du dernier ; il est très vraisemblable que la mère suivit lorsqu'on emmena le petit, et la présence de la mère servit probablement à tenir l'ânon tranquille. Les disciples trouvèrent tout comme le Seigneur l'avait dit. Ils amenèrent l'ânon à Jésus, étendirent leurs manteaux sur le dos du doux animal et y firent asseoir le Maître. Le groupe se mit en route pour Jérusalem, Jésus chevauchant au milieu d'eux.
 
Or, comme c'était l'habitude, un grand nombre de personnes s'étaient rendues à la ville plusieurs jours avant le commencement des rites de la Pâque, afin de régler les questions de purification personnelle et de payer leurs arriérés dans l'offrande des sacrifices prescrits. Bien que le grand moment où la fête devait commencer ne fût que quatre jours plus tard, la ville était bondée de pèlerins ; parmi ceux-ci on se demandait beaucoup si Jésus s'aventurerait à paraître publiquement à Jérusalem au cours de la fête, étant donné les plans bien connus de la hiérarchie de le faire arrêter. Le commun du peuple s'intéressait à toutes les actions et à tous les mouvements du Maître, et la nouvelle qu'il avait quitté Béthanie le devança, de sorte que lorsqu'il se mit à descendre la partie la plus élevée de la route, au flanc du mont des Oliviers, de grandes foules s'étaient assemblées autour de lui. Le peuple jubilait de voir Jésus se diriger vers la ville sainte ; les gens étendirent leurs vêtements et jetèrent des feuilles de palmiers et d'autres feuillages sur son chemin, tapissant ainsi la route tout comme pour le passage d'un roi. Pour le moment il était le roi et eux ses sujets adorateurs. Les voix des gens résonnaient en un écho harmonieux : « Béni soit le roi, celui qui vient au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel, et gloire dans les lieux très hauts ! » Et encore : « Hosanna au Fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna dans les lieux très hauts » [26]. 
 
Mais au milieu de toute cette allégresse, Jésus était triste lorsqu'il arriva en vue de la grande ville où se trouvait la Maison du Seigneur, et il pleura à cause de la méchanceté de son peuple, de son refus de l'accepter comme Fils de Dieu ; en outre, il prévoyait les scènes terribles de destruction à cause de laquelle la ville et le temple allaient tous deux tomber bientôt. Dans son angoisse et ses larmes, il apostropha ainsi la ville condamnée : « Si tu connaissais, toi aussi, en ce jour, ce qui te donnerait la paix ! Mais maintenant c'est caché à tes yeux. Il viendra sur toi des jours où tes ennemis t'environneront de palissades, t'encercleront et te presseront de toutes parts ; ils t'écraseront, toi et tes enfants au milieu de toi, et ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le temps où tu as été visitée. » La multitude s'augmentait de foules nouvelles qui se joignaient à l'imposante procession à chaque croisement de chemins ; et les cris de louange et d'hommage se faisaient entendre à l'intérieur de la ville tandis que la compagnie était encore loin des murs. Lorsque le Seigneur traversa le massif portail et entra dans la capitale du grand Roi, la ville tout entière était en émoi. À la question de ceux qui n'étaient pas informés. « Qui est celui-ci ? », la multitude criait : « C'est Jésus, le prophète, de Nazareth en Galilée. » Il se peut que les pèlerins galiléens furent les premiers à répondre et les plus forts à faire la joyeuse proclamation ; car les orgueilleux judéens tenaient la Galilée en piètre estime, et ce jour-là, Jésus de Galilée était le personnage le plus important de Jérusalem. Les Pharisiens, jaloux des honneurs ainsi donnés à quelqu'un dont ils complotaient la mort depuis si longtemps, se lamentèrent impuissants les uns auprès des autres de l'échec de tous leurs plans hostiles, disant : « Vous voyez que vous ne gagnez rien, voici que (tout) le monde est allé après lui. » Incapables d'arrêter l'enthousiasme débordant des multitudes ou de réduire au silence les joyeuses acclamations, certains des Pharisiens se frayèrent un chemin dans la foule jusqu'à Jésus, et firent appel à lui, disant : « Maître, reprends tes disciples. » Mais le Seigneur répondit : « Je vous le dis, s'ils se taisent, les pierres crieront [27] ! » Descendant de l'ânon, il entra à pied dans l'enceinte du temple ; des cris d'adulation l'y accueillirent. Les principaux sacrificateurs, les scribes et les Pharisiens, les représentants officiels de la théocratie, la hiérarchie du judaïsme, étaient en rage ; il était indéniable que le peuple rendait les honneurs messianiques à ce Nazaréen gênant ; et cela dans l'enceinte même du temple de Jéhovah.
 
Le but du Christ en cédant ainsi pour ce jour aux désirs du peuple et en acceptant son hommage avec une grâce royale, notre esprit limité ne peut peut-être pas le comprendre pleinement. Il est clair que l'événement n'était pas une occasion accidentelle ou fortuite dont il profitait sans intention préconçue. Il savait d'avance ce qui serait et ce qu'il ferait. Ce n'était pas une mise en scène sans signification, mais l'arrivée réelle du Roi des rois. Il entra, chevauchant un ânon, en signe de paix, acclamé par les cris de Hosanna des multitudes, non sur un destrier caparaçonné avec la panoplie de combat ni aux accents de coups de trompe et de fanfares de trompettes. Le fait que le joyeux événement ne suggérait aucunement de l'hostilité physique ou des troubles séditieux est suffisamment démontré par le désintéressement indulgent avec lequel les fonctionnaires romains le considérèrent, eux qui étaient ordinairement prompts à envoyer leurs légionnaires se déverser du haut de la forteresse d'Antonia au premier signe d'émeute, et ils étaient particulièrement vigilants à supprimer tous les prétendants messianiques, car de faux messies s'étaient déjà levés, et on avait versé beaucoup de sang pour dissiper de force leurs prétentions trompeuses. Mais les Romains ne voyaient rien à craindre, et peut-être beaucoup de choses qui prêtaient à sourire dans le spectacle d'une roi monté sur un âne et accompagné de sujets qui, quoique nombreux, ne brandissaient pas d'armes mais agitaient au contraire des palmes et des rameaux de myrte. L'âne a été désigné dans la littérature comme « l'antique symbole de la royauté juive », et celui qui chevauche un âne comme le modèle de la marche pacifique.
 
Pareille entrée triomphale de Jésus dans la principale ville des Juifs aurait été absolument contraire à la teneur générale de son ministère dans ses premiers stades. Même lorsqu'il avait laissé entendre qu'il était le Christ, il l'avait fait avec beaucoup de soin, s'il l'avait jamais fait, et il avait étouffé dans l'œuf toute manifestation de considération populaire dans laquelle il aurait pu figurer comme chef national. Mais maintenant, l'heure de la grande consommation était proche ; le fait d'accepter publiquement l'hommage de la nation et de reconnaître les deux titres de roi et de Messie, c'était proclamer ouvertement et officiellement son investiture divine. Il était entré dans la ville et dans le temple de la manière royale qui convenait au prince de la paix. Les chefs de la nation l'avaient rejeté et s'étaient moqués de ses prétentions. La manière dont il entra aurait dû frapper les savants docteurs de la loi et les prophètes ; car la prédiction impressionnante de Zacharie dont Jean, l'évangéliste, voit l'accomplissement dans les événements de ce dimanche mémorable [28], était fréquemment citée parmi eux : « Sois transportée d'allégresse, fille de Sion ! Lance des clameurs, fille de Jérusalem ! Voici ton roi, il vient à toi ; il est juste et victorieux [la version du roi Jacques dit : « détenteur du salut », ndt], il est humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d'une ânesse » [29]. 
 
DES GRECS RENDENT VISITE AU CHRIST [30]
 
Parmi les multitudes qui se rendaient à Jérusalem à l'époque de la Pâque annuelle, il y avait des gens de nombreuses nations. Certains d'entre eux, bien que n'étant pas d'ascendance juive, avaient été convertis au judaïsme ; ils étaient admis dans l'enceinte du temple mais n'avaient pas la permission de dépasser la cour des Gentils [31]. Pendant la dernière semaine que notre Seigneur passa dans la mortalité, probablement le jour de son entrée royale dans la viIle [32], certains Grecs, qui comptaient de toute évidence parmi les prosélytes puisqu'ils étaient venus « pour adorer pendant la fête », demandèrent un entretien avec Jésus. Justement remplis d'un sentiment de bienséance, ils hésitaient à aborder directement le Maître et s'adressèrent au lieu de cela à Philippe, l'un des apôtres, disant : « Seigneur, nous voudrions voir Jésus. » Philippe consulta André, et les deux hommes en informèrent alors Jésus qui, comme nous pouvons le déduire raisonnablement du contexte, bien que le fait ne soit pas déclaré explicitement, reçut favorablement les visiteurs étrangers et leur donna des préceptes d'une très grande valeur. Il est évident que le désir que ces Grecs avaient de rencontrer le Maître n'était pas basé sur de la curiosité ou une autre impulsion mauvaise ; ils désiraient vivement voir et entendre le Maître dont la réputation était parvenue jusqu'à leur pays et dont les enseignements les avaient frappés.
 
Jésus leur attesta que l'heure de sa mort était proche, l'heure à laquelle « le Fils de l'homme doit être glorifié ». Ils furent surpris et affligés des paroles du Seigneur et demandèrent probablement si pareil sacrifice était nécessaire. Jésus expliqua en citant une illustration frappante tirée de la nature : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul ; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit » [33]. La comparaison est excellente, et en même temps magistralement simple et belle. Un fermier qui néglige ou refuse de semer son blé en terre, parce qu'il veut le garder, ne peut avoir d'accroissement ; mais s'il sème le blé dans un sol bon et riche, chaque grain vivant peut se multiplier de nombreuses fois, bien que la semence doive nécessairement être sacrifiée dans ce processus. C'est ainsi, dit le Seigneur, que « celui qui aime sa vie la perd, et celui qui a de la haine pour sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle ». Ce que le Maître veut dire est clair ; celui qui aime sa vie au point de ne pas vouloir la mettre en danger ou, si c'est nécessaire, la sacrifier au service de Dieu, perdra son occasion d'acquérir l'accroissement abondant de la vie éternelle, tandis que celui qui considère l'appel de Dieu comme à ce point supérieur à la vie que son amour de la vie est comme de la haine en comparaison, trouvera la vie qu'il abandonne librement ou est disposé à abandonner, même si pour le moment elle disparaît comme le grain enfoui dans la terre ; et il se réjouira de l'abondance d'un développement éternel. Si cela est vrai de l'existence de chaque homme, combien cela était-il éminemment vrai de la vie de celui qui était venu mourir afin que les hommes vivent ? C'est pourquoi il était nécessaire qu'il mourût, comme il avait dit qu'il était sur le point de le faire ; mais sa mort, loin d'être une vie perdue, devait être une vie glorifiée.
 
LA VOIX DU CIEL [34]
 
La conscience des expériences atroces qu'il était sur le point de connaître, et en particulier la contemplation de l'état de péché qui rendait son sacrifice impérieux pesaient tellement sur l'esprit du Sauveur qu'il fut profondément affligé. « Maintenant mon âme est troublée », gémit-il. « et que dirai-je ? » s'exclama-t-il avec angoisse. Dirait-il : « Père sauve-moi de cette heure » alors qu'il savait que « c'est pour cela » qu'il était venu « jusqu'à cette heure » ? Ce n'était qu'à son Père qu'il pouvait s'adresser pour trouver du soutien et du réconfort, non pour être soulagé de ce qui allait venir, mais pour avoir la force de l'endurer ; et il pria : « Père, glorifie ton nom ! » C'était une âme puissante qui s'apprêtait à affronter l'épreuve suprême, qui pour le moment semblait écrasante. À cette prière dans laquelle le Fils se soumettait de nouveau à la volonté du Père : « Une voix vint alors du ciel : je l'ai glorifié et je le glorifierai de nouveau. »
 
La voix était réelle ; ce n'était pas un murmure subjectif de consolation pour la conscience intérieure de Jésus mais une réalité extérieure et objective. Des gens qui se trouvaient tout près entendirent le bruit et l'interprétèrent de différentes manières ; certains dirent que c'était le tonnerre, d'autres, dont le discernement spirituel était meilleur, dirent : « Un ange lui a parlé » ; et certains peuvent avoir compris les paroles comme Jésus les avaient comprises. Complètement sorti maintenant du nuage d'angoisse qui l'enveloppa passagèrement, le Seigneur se tourna vers le peuple, disant : « Ce n'est pas à cause de moi que cette voix s'est fait entendre ; c'est à cause de vous. » Puis, conscient que son triomphe sur le péché et la mort était assuré, il s'exclama avec des accents de joie divine, comme si la croix et le sépulcre étaient déjà dépassés : « Maintenant c'est le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde sera jeté dehors. » Satan, prince du monde, était condamné [35]. « Et moi », poursuivit le Seigneur, « quand j'aurai été élevé de la terre, j'attirerai tous (les hommes) à moi. » Jean nous assure que cette dernière parole avait trait à la manière dont le Seigneur mourrait ; c'est ce que le peuple comprit, et il demanda l'explication de ce qui lui semblait être un manque de logique. En effet, les Écritures, comme on lui avait appris à les interpréter, déclaraient que le Christ devait demeurer éternellement [36], et maintenant voilà que lui, qui se prétendait être le Messie, le Fils de l'homme affirmait qu'il devait être élevé. « Qui est ce Fils de l'homme ? » demandèrent-ils. Soucieux comme toujours de ne pas jeter de perles là où elles ne seraient pas appréciées, le Seigneur s'abstint de répondre directement mais les exhorta à marcher dans la lumière tant que la lumière était avec eux, car les ténèbres suivraient certainement ; et, comme il le leur rappelait, « celui qui marche dans les ténèbres ne sait pas où il va ». En conclusion le Seigneur les exhorta de cette manière : « Pendant que vous avez la lumière, croyez en la lumière, afin que vous deveniez des enfants de lumière » [37]. À la fin de ce discours, Jésus quitta le peuple « et se cacha loin d'eux ».
 
Voici comment Marc termine le rapport du premier jour de ce qui a pris le nom de la semaine de la passion de notre Seigneur [38] : « Quand il eut tout regardé, vu l'heure tardive, il s'en alla à Béthanie avec les douze » [39]. 
 
 [1] Mt 20:17-19, Mc 10:32-34, Lc 18:31-34.
 [2] Les prédictions précédentes étaient : (1) celle qui fut faite peu avant la Transfiguration (Mt 16:21, Mc 8:31) et (2) celle qui suivit, en Galilée (Mt 17:22, 23, Mc 9:31 ; cf. Lc 9:44).
 [3] Mt 20:20-28, Mc 10:35-45.
 [4] Note 1, fin du chapitre.
 [5] On trouvera, chap. 24 et 27 du présent ouvrage, des leçons plus anciennes sur la grandeur de l'humilité ; pour le sens du titre Fils de l'homme, voir chap. 11 du présent ouvrage.
 [6] Mt 20:30-34, Mc 10:46-52, Lc 18:35-43.
 [7] Voir l'histoire des deux démoniaques, Mt 8:28 ; cf. Mc 5:1, Lc 8:27. Voir aussi chap. 16 du présent ouvrage.
 [8] Cf. Mt 9:27, 15:22 ; chap. 7 du présent ouvrage.
 [9] Lc 19:1-10.
 [10] Note 2, fin du chapitre.
 [11] Ex 22:1-9.
 [12] Cf. chap. 24 et 27 du présent ouvrage.
 [13] Lc 19:11-27.
 [14] Note 3, fin du chapitre.
 [15] Cf. Mc 13:34.
 [16] Note 4, fin du chapitre.
 [17] Nous comparerons les ressemblances et les différences entre cette parabole et celle des talents (Mt 25:14-30) au chapitre 32 du présent ouvrage.
 [18] Jn 12:1-8, Mt 26:6-13, Mc 14:3-9.
 [19] Voir Ex 12:1-10 ainsi que chap. 9 du présent ouvrage.
 [20] Note 6, fin du chapitre.
 [21] Lc 10:40-42 ; chap. 26 du présent ouvrage.
 [22] Il ne faut pas confondre cet événement avec la scène plus ancienne où une pécheresse repentante oignit Jésus chez Simon le Pharisien (Lc 7:36-50) en Galilée. Voir chap. 18 du présent ouvrage.
 [23] Note 7, fin du chapitre.
 [24] Trois cents deniers romains équivaudraient approximativement à quarante-cinq dollars.
 [25] Mt 21:1-11, Mc 11:1-11, Lc 19:29-44, Jn 12:12-19.
 [26] Note 8, fin du chapitre.
 [27] Cf. Ha 2:11.
 [28] Beaucoup d'Églises chrétiennes célèbrent le dimanche précédant Pâques, qu'elles appellent le dimanche des Rameaux, en souvenir de l'entrée triomphale de notre Seigneur à Jérusalem.
 [29] Za 9:9.
 [30] Jn 12:20-26.
 [31] Voir La Maison du Seigneur, chap. 2, p. 46.
 [32] Jean rapporte cet événement immédiatement après l'entrée triomphale du Seigneur, quoique sans indiquer exactement le moment où il se produisit.
 [33] Cf. 1 Co 15:36.
 [34] Jn 12:27-36.
 [35] Cf. Jn 14:30 ; 16:11.
 [36] Voir p. ex. Es 9:7, Dn 7:14, 27, Ez 37:25.
 [37] Cf. Jn 1:9, 3:19, 8:12, 9:5, 12:46 ; voir chap. 25 du présent ouvrage.
 [38] Ac 1:3.
 [39] Mc 11:11. Note 9, fin du chapitre.
 
NOTES DU CHAPITRE 29
 
1. La mère de Jacques et de Jean : La mère de ces deux fils de Zébédée (Mt 20:20, comparer avec 4:21) est généralement considérée comme la Salomé citée parmi les femmes qui assistaient à la crucifixion (Mc 15:40, comparer avec Mt 27:56 où il est parlé de « la mère des fils de Zébédée », et où le nom « Salomé » est omis), et l'une de celles qui arrivèrent les premières au tombeau le matin de la résurrection (Mc 16:1). Du fait que Jean parle de la mère de Jésus et de « Ia sœur de sa mère » (19:25) et omet de mentionner le nom de Salomé, certains exégètes prétendent que Salomé était la sœur de Marie, mère de Jésus, et par conséquent la tante du Sauveur. Cette parenté ferait de Jacques et de Jean les cousins de Jésus. Bien que les Écritures ne contestent pas cette prétendue parenté, elles ne les affirment certainement pas.
 
2. Jéricho : C'était une ville antique, située au nord-est de Jérusalem, à un peu moins de vingt-quatre kilomètres en ligne droite. Au cours de l'exode, le peuple d'Israël la captura par l'intervention miraculeuse de la puissance divine (Jos 6). La fertilité de la région est indiquée par une appellation descriptive « Ia ville des palmiers » (Dt 34:3, Jg 1:16, 3:13, 2 Ch 28:15). Le nom Jéricho veut dire « lieu de parfum ». Son climat était semi-tropical, conséquence de sa basse altitude. Elle se trouvait dans une vallée située à plusieurs dizaines de mètres en dessous du niveau de la Méditerranée ; cela explique la déclaration de Luc (19:28) que, lorsque Jésus eut prononcé la parabole des mines tandis qu'il était sur le chemin de Jéricho, il « prit les devants et monta vers Jérusalem ». À l'époque du Christ, Jéricho était une ville importante ; du fait de l'abondance de ses produits commerciaux, en particulier le baume et les épices, un bureau de péage y était installé, que Zachée semble avoir dirigé.
 
3. L'homme de haute naissance et le royaume : Le cadre local de la partie de la parabole des mines qui a trait à un homme de haute naissance s'en allant dans un pays lointain recevoir un royaume avait son parallèle dans l'histoire. À Rome pour demander à l'empereur la confirmation de son statut royal. Une protestation du peuple s'y opposa. Farrar (p. 493, note) dit de cet événement dans la parabole : « Un homme de haute naissance se rendant dans un pays lointain pour recevoir un royaume » serait totalement incompréhensible, si par chance nous ne savions que c'est ce qu'avaient fait Archélaüs et Antipas (Jos, An. XVII, 9:4). Et dans le cas d'Archélaüs, les Juifs avaient effectivement envoyé à Auguste une députation de cinquante personnes pour faire le récit de ses cruautés et s'opposer à ses prétentions, députation qui, bien qu'échouant cette fois-là, réussit ultérieurement (Josèphe, Ant. XVII, 13:2). En l'absence d'Archélaüs, Philippe défendit les biens de celui-ci contre les empiétements du proconsul Sabinus. Le splendide palais qu'Archélaüs avait construit à Jéricho (Jos. Ant. XVII, 13: 1) devait tout naturellement rappeler ces événements à l'esprit de Jésus, et la parabole est un exemple supplémentaire frappant de la manière dont il utilisait les événements les plus ordinaires qui se passaient autour de lui comme base de ses enseignements les plus élevés. C'est aussi une indication supplémentaire insoupçonnée de l'authenticité et de la véracité des évangiles. »
 
4. « Nous ne voulons pas que cet homme règne sur nous » : Trench (Miracles, p. 390) note très justement à propos de cette partie de la parabole : « Deux fois avant qu'il ne s'en fût allé recevoir son royaume, cette déclaration même fut exprimée officiellement de leurs lèvres : une fois lorsqu'ils crièrent à Pilate : « Nous n'avons de roi que César » ; et de nouveau lorsqu'ils réclamèrent de lui : « N'écris pas : Roi des Juifs » (Jn 19:15, 21 ; comparer avec Ac 17:7). Mais on trouvera un accomplissement plus littéral de ces paroles dans le comportement des Juifs après son ascension, leur hostilité féroce au Christ dans sa jeune Église (Ac 12:3, 13:45, 14:18, 17:5, 18:6, 22:22, 23:12 ; 1 Th 2:15).
 
5. Le jour du repas de Béthanie : Jean place cet événement le jour suivant l'arrivée du Christ à Béthanie, car comme nous pouvons le voir dans 12:12, l'entrée triomphale à Jérusalem se produisit le lendemain du repas et, ainsi que nous l'avons dit dans le texte, Jésus arriva à Béthanie très probablement le vendredi. La joyeuse procession à Jérusalem n'eut pas lieu le jour qui suivit le vendredi, car c'était le sabbat juif. Matthieu (26:2-13) et Marc (14:1-9) situent l'incident du repas après le récit de l'entrée triomphale et d'autres événements, ce dont certains ont conclu que ces deux auteurs placent le repas deux jours avant la Pâque. Cette déduction n'est pas confirmée. Dans ce domaine, l'ordre chronologique donné par Jean semble être le véritable.
 
6. La maison familiale de Béthanie : La maison de Marthe, Marie et Lazare semble avoir été le lieu de résidence habituel de Jésus lorsqu'il était à Béthanie. Il ne fait aucun doute qu'il avait des rapports étroits et affectueux avec tous les membres de la famille, même avant la résurrection de Lazare, et cet événement suprême et heureux dut intensifier l'estime dans laquelle on tenait notre Seigneur dans ce foyer et la transformer en un respect adorateur. Le récit scripturaire ne dit pas si cette maison était identique à celle de Simon le lépreux. Jean, qui donne un récit assez détaillé du repas servi par Marthe, ne parle ni de Simon ni de sa maison. Il est à remarquer que les écrivains synoptiques parlent très peu de cette maison de Béthanie. Farrar a bien remarqué (p. 483) : « Il semble que nous trouvions chez les Synoptiques une réticence particulière à propos de la famille de Béthanie. La maison dans laquelle elle assure une position importante est appelée « la maison de Simon le lépreux » ; Marie est appelée simplement « une femme » par Matthieu et Marc (Mt 26:6, 7, Mc 14:3), et Luc se contente d'appeler Béthanie « un village » (Lc 10:38), bien qu'il en connût parfaitement le nom (Lc 19:29).
 
7. Le nard : C'était l'un des parfums orientaux les plus estimés. Celui avec lequel Marie oignit Jésus, Matthieu l'appelle « très cher », et Marc et Jean « de grand prix ». Dans l'original on trouve l'adjectif « pistic » ; certains le traduisent par « liquide » mais d'autres lui donnent le sens de « authentique ». Il y avait beaucoup d'imitations inférieures du véritable nard ; mais il ne fait pas l'ombre d'un doute que le don précieux de Marie était du meilleur. La plante dont l'extrait odoriférant est tiré est une espèce d'herbe barbée indigène de l'Inde. Le nard est mentionné dans le Cantique des Cantiques 1:12, 4:13, 14.
 
8. Hosanna ! : « Hosanna » est la forme grecque de l'expression hébraïque « Sauve-nous maintenant », ou « Sauve-nous, nous t'en prions », que l'on trouve dans l'original du psaume 118:25. On ne le trouve nulle part dans la Bible anglaise, si ce n'est dans les exclamations du peuple lors de l'entrée triomphale à Jérusalem et dans les cris joyeux des enfants au temple (Mt 21:9, 15). Remarquez que le « cri du Hosanna » est poussé dans l'Église rétablie du Christ à notre époque en des occasions où l'on se réjouit tout particulièrement devant le Seigneur (voir La Maison du Seigneur). « Hallélujah », traduit littéralement, signifie « louez Jéhovah ». On le trouve sous sa forme grecque « Alléluia » dans Ap 19:1, 3, 4, 6.
 
9. Le premier jour de la semaine de la Passion : Si l'on compare les récits de l'entrée triomphale du Seigneur à Jérusalem et de certains événements qui s'ensuivirent, tels que les trois synoptiques les rapportent, on trouvera qu'il y a au moins une possibilité de divergence dans la chronologie. Il semble certain que Jésus se rendit dans les cours du temple le jour de l'arrivée royale dans la ville. On a conclu de Mt 21:12 et de Luc 19:45 ainsi que du contexte qui précède ces passages, que la deuxième purification du temple se produisit le jour de l'entrée en procession ; tandis que d'autres interprètent Mc 11:11 et 15 comme signifiant que cet événement se produisit un jour ultérieur. Il est reconnu que la question reste ouverte ; et l'ordre de présentation qui a été suivi dans le texte a été adopté pour faciliter l'analyse et sur la base d'une probabilité qui est raisonnable.
 
 
CHAPITRE 30 : JÉSUS RETOURNE QUOTIDIENNEMENT AU TEMPLE
 
INCIDENT INSTRUCTIF EN CHEMIN [1]
 
Le lendemain qui, selon notre calcul, était lundi, deuxième jour de la semaine de la Passion, Jésus et les Douze retournèrent à Jérusalem et passèrent la plus grande partie de la journée au temple. Ils partirent très tôt de Béthanie, et Jésus eut faim en route. Regardant devant lui, il vit un figuier qui différait du reste des nombreux figuiers de la région en ce qu'il n'était pas pleinement feuillu bien que la saison des fruits ne fût pas encore venue [2]. Il est bien connu que les bourgeons des fruits du figuier apparaissent avant les feuilles, mais qu'au moment où l'arbre a tout son feuillage, les figues sont déjà très près de la maturité. En outre, certaines espèces de figues sont comestibles alors qu'elles sont encore vertes ; en fait le fruit non encore mûr fait encore maintenant les délices de l'Orient. Il serait donc raisonnable de s'attendre à trouver, dès le début d'avril, des figues comestibles sur un arbre déjà couvert de feuilles. Lorsque Jésus et son groupe parvinrent à cet arbre dont ils avaient pensé à bon droit qu'il promettait une grande abondance de fruits, ils n'y trouvèrent que des feuilles ; c'était un arbre prétentieux, infécond, stérile. Il n'avait même pas de vieilles figues, celles de la saison précédente, qu'on trouve souvent au printemps sur les arbres fertiles. Jésus prononça sur cet arbre la sentence de la stérilité perpétuelle. « Que jamais personne ne mange plus de ton fruit ! », dit-il selon le récit de Marc ; ou comme Matthieu rapporte le jugement : « Qu'aucun fruit ne naisse jamais plus de toi ! » Ce dernier auteur nous dit immédiatement après : « Et à l'instant le figuier sécha » ; mais l'autre montre que l'effet de la malédiction ne s'observa que le lendemain matin, lorsque, comme Jésus et les apôtres se trouvaient de nouveau en route entre Béthanie et Jésuralem, ils virent que le figuier s'était desséché jusqu'aux racines. Pierre attira l'attention sur l'arbre mort et, s'adressant à Jésus s'exclama : « Rabbi, regarde, le figuier que tu as maudit a séché. »
 
Appliquant la leçon de cet événement, Jésus dit : « Ayez foi en Dieu » ; puis il répéta les assurances qu'il avait déjà données sur la puissance de la foi, laquelle permettait même de déplacer des montagnes, s'il était besoin de pareil miracle, et laquelle permet d'ailleurs d'accomplir n'importe quelle chose nécessaire. Il montra que faire flétrir un arbre était bien peu en comparaison des choses plus grandes qu'il était possible d'accomplir par la foi et la prière. Mais pour parvenir à ce résultat, on doit travailler et prier sans réserve ni doute, comme le Seigneur nous le dit clairement de la manière suivante : « C'est pourquoi je vous dis : Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l'avez reçu, et cela vous sera accordé. » La prière doit être acceptable à Dieu pour être efficace ; et il s'ensuit que celui qui désire accomplir une œuvre quelconque par la prière et la foi doit être capable de se présenter devant le Seigneur en prière ; c'est pourquoi Jésus instruisit de nouveau les apôtres, disant : « Et, lorsque vous êtes debout en prière, si vous avez quelque chose contre quelqu'un, pardonnez, afin que votre Père qui est dans les cieux vous pardonne aussi vos fautes. [Mais si vous ne pardonnez pas, votre Père qui est dans les cieux ne vous pardonnera pas non plus vos fautes] » [3]. 
 
Beaucoup considèrent que la flétrissure du figuier stérile est unique parmi les miracles de Jésus qui soient parvenus jusqu'à nous, en ce sens qu'alors que tous les miracles étaient accomplis pour soulager, bénir et donner un bienfait en général, celui-ci apparaît comme un acte de jugement et d'exécution destructrice. Néanmoins le but du Seigneur dans ce miracle n'est pas caché ; et le résultat, quoique fatal à un arbre, constitue une bénédiction durable pour tous ceux qui veulent apprendre et profiter des œuvres de Dieu. Si le miracle n'a pas fait plus que présenter une leçon de choses si frappante pour les enseignements qui suivirent, cet arbre tué a rendu un service plus grand à l'humanité que tous les figuiers de Bethphagé [4]. Pour les apôtres, cet acte était une preuve indiscutable du pouvoir que le Seigneur possédait sur la nature, de son contrôle sur les forces naturelles et toutes les choses matérielles, de son autorité sur la vie et sur la mort. Il avait guéri des multitudes ; le vent et les vagues avaient obéi à ses paroles ; en trois occasions il avait rendu les morts à la vie. Il convenait qu'il montrât son pouvoir de frapper et de détruire. En manifestant sa domination sur la mort, il avait relevé miséricordieusement : une jeune fille du lit sur lequel elle était morte, un jeune homme de la bière sur laquelle on le portait au tombeau, un autre du sépulcre dans lequel son cadavre avait été déposé ; mais pour prouver son pouvoir de détruire d'un mot, il choisit pour sujet un arbre stérile et sans valeur. Aucun des Douze put-il douter lorsque, quelques jours plus tard ils le virent entre les mains des prêtres vindicatifs et de païens sans cœur, que s'il l'avait voulu il aurait pu frapper ses ennemis d'un mot, même à mort ? Et pourtant ce n'est qu'après sa résurrection glorieuse que même les apôtres se rendirent compte à quel point son sacrifice avait été volontaire.
 
Mais le sort qui s'abattit sur le figuier stérile est instructif à un autre point de vue. Cet incident est autant une parabole qu'un miracle. Cet arbre feuillu se distinguait parmi les figuiers ; les autres n'offraient aucune invitation, ne donnaient aucune promesse ; « ce n'était pas la saison des figues » ; ceux-là porteraient en leur saison, des fruits et des feuilles ; mais ce prétentieux précoce et feuillu agitait ses branches ombrageuses comme pour affirmer avec vantardise sa supériorité. À ceux qui répondaient à sa voyante invitation, au Christ affamé qui venait chercher du fruit, il n'avait rien d'autre à offrir que des feuilles. Même pour les besoins de la leçon que cela comportait, nous ne pouvons concevoir que l'arbre ait été desséché avant tout parce qu'il était stérile, car à cette époque les autres figuiers ne portaient pas de fruit non plus ; il devint l'objet d'une malédiction et le sujet du discours instructif du Seigneur, parce que, ayant des feuilles, il était trompeusement stérile. S'il était raisonnable de considérer que l'arbre possédait la liberté morale, nous devrions le considérer comme hypocrite ; sa stérilité totale à laquelle s'ajoutait son abondance de feuillage en faisait un type de l'hypocrisie humaine.
 
L'arbre feuillu et stérile était un symbole du judaïsme qui se proclamait à voix haute être la seule religion vraie de l'époque et invitait avec condescendance le monde entier à venir prendre de son fruit riche et mûr, alors qu'en réalité ce n'était qu'une croissance dénaturée de feuilles, sans aucun fruit en saison, ni même de bulbes comestibles restés d'une année précédente, parce que ce qu'il avait en fait de fruits anciens était desséché au point de devenir sans valeur et rendu répugnant, mangé qu'il était des vers. La religion d'Israël avait dégénéré en une dévotion religieuse artificielle, qui dépassait les abominations du paganisme dans la prétention de son étalage et dans le vide de ses professions. Comme nous l'avons déjà fait remarquer dans ces pages, le figuier était un symbole favori dans les représentations rabbiniques de la race juive, et le Seigneur avait déjà adopté ce symbolisme dans la parabole du figuier stérile, plante sans valeur qui ne faisait qu'encombrer le sol [5].
 
DEUXIÈME PURIFICATION DU TEMPLE [6]
 
Dans les cours du temple, Jésus fut rempli d'indignation devant la scène de tumulte et de profanation que le lieu offrait. Trois années plus tôt, à l'époque de la Pâque, il avait été poussé à une violente et juste colère par un tableau de marchandage sordide de ce genre à l'intérieur de l'enceinte sacrée ; il en avait chassé les brebis et les bœufs et expulsé de force les marchands et les changeurs et tous ceux qui faisaient de la maison de son Père une maison de trafic [7]. C'était vers le commencement de son ministère public, et cette vigoureuse action fut une de ses premières œuvres qui attirèrent l'attention du public ; maintenant, à quatre jours de la croix, il purifiait de nouveau les cours en expulsant « tous ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple, il renversa les tables des changeurs et les sièges des vendeurs de pigeons », et il ne permit à personne de passer ses seaux et ses paniers à l'intérieur de l'enceinte, comme beaucoup avaient l'habitude de le faire, transformant ainsi le chemin en une rue ordinaire. « Il est écrit », leur dit-il avec colère : « Ma maison sera appelée une maison de prière. Mais vous, vous en faites une caverne de voleurs. » La fois précédente, avant d'avoir annoncé ou même confessé qu'il était le Messie, il avait dit du temple que c'était « Ia maison de mon Père » ; maintenant il s'était reconnu ouvertement être le Christ, il l'appelait « ma maison ». Dans un certain sens ces expressions sont synonymes ; le Père et lui étaient et sont un dans la possession et la domination. Le moyen par lequel la seconde expulsion se produisit n'est pas donné, mais il est clair que personne ne pouvait résister à son commandement impérieux ; il agissait avec la force de la droiture devant laquelle les puissances du mal devaient céder.
 
La colère de son indignation fut suivie du calme d'un ministère de douceur ; dans les cours purifiées de sa maison, les aveugles et les invalides s'approchèrent de lui en boitant et en tâtonnant, et il les guérit. La colère des principaux sacrificateurs et des scribes faisait rage contre lui, mais elle était impuissante. Ils avaient décrété sa mort et avaient fait des efforts répétés pour se saisir de lui, et voilà qu'il était là à l'endroit même sur lequel ils prétendaient avoir autorité suprême, et ils avaient peur de le toucher à cause des gens du commun qu'ils professaient mépriser et pourtant craignaient du fond du cœur,  « car tout le peuple était suspendu à ses lèvres ».
 
La rage des dirigeants fut encore accrue par un incident touchant qui semble avoir accompagné ou suivi immédiatement sa guérison miséricordieuse des affligés dans le temple. Des enfants virent ce qu'il faisait ; dans leur esprit innocent et que n'avaient pas encore souillé les préjugés de la tradition et leur vue que n'avait pas encore assombrie le péché, ils reconnurent en lui le Christ et éclatèrent en louanges et en adoration dans un cantique qu'entendirent les anges : « Hosanna au Fils de David. » Avec une colère mal dissimulée les officiers du temple lui demandèrent : « Entends-tu ce qu'ils disent ? » Ils s'attendaient probablement à ce qu'il refusât le titre ou espéraient peut-être qu'il réaffirmerait ses prétentions d'une manière qui leur donnerait une excuse pour intenter une action légale contre lui, car pour la plupart d'entre eux le Fils de David était le Messie, le Roi promis. Se disculperait-il du blasphème que constituait le fait de reconnaître une dignité aussi terrible ? Jésus répondit, avec une réprimande sous-entendue pour leur ignorance des Écritures : « Oui. N'avez-vous jamais lu ces paroles : Tu as tiré des louanges de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle [8] ? »
 
C'était lundi soir ; Jésus quitta la ville et se retira de nouveau à Béthanie, où il logeait. Cette action était prudente, étant donnée la détermination des dirigeants à le faire tomber en leur pouvoir s'ils pouvaient le faire sans exciter le peuple. Cela, il leur était impossible de le faire le jour, car partout où il apparaissait il était le centre d'une multitude ; mais s'il était resté la nuit à Jérusalem, les émissaires vigilants de la hiérarchie auraient pu réussir à se saisir de lui, à moins qu'il ne leur résistât par quelque action miraculeuse. Aussi proche que fût l'heure, elle n'avait pas encore sonné, et on ne le ferait prisonnier que s'il se laissait prendre, victime volontaire, entre les mains de ses ennemis.
 
L'AUTORITÉ DU CHRIST MISE AU DÉFI PAR LES DIRIGEANTS [9]
 
Le lendemain, c'est-à-dire le mardi, il retourna au temple avec les Douze, passant en chemin devant le figuier desséché et soulignant, comme nous l'avons déjà vu, la morale de ces miracle et parabole combinés. Tandis qu'il enseignait dans le lieu sacré, prêchant l'Évangile à tous ceux qui voulaient l'entendre, les principaux sacrificateurs et un certain nombre de scribes et d'anciens se dirigèrent en groupe vers lui. Ils avaient discuté à son sujet pendant la nuit et s'étaient décidés à faire au moins un pas ; ils allaient contester son autorité pour ce qu'il avait fait la veille. Ils étaient les gardiens du temple, tant du bâtiment que du système théocratique que représentait l'édifice sacré ; et ce Galiléen, qui se laissait appeler le Christ et défendait ceux qui l'acclamaient ainsi, ignorait pour la seconde fois leur autorité à l'intérieur des murs du temple et en présence du commun du peuple qu'ils gouvernaient avec tant d'arrogance. Ainsi donc, cette députation officielle, ayant préparé ses plans, vint le trouver, disant : « Par quelle autorité fais-tu cela, et qui t'a donné cette autorité ? » Cette mesure était indubitablement une étape préliminaire d'une tentative concertée d'avance pour faire cesser les activités de Jésus, tant par la parole que par l'action, à l'intérieur de l'enceinte du temple. On se souviendra qu'après la première purification du temple, les Juifs avaient demandé avec colère à Jésus un signe qui leur permettrait de juger du point de savoir s'il était divinement autorisé [10] et il est significatif qu'en cette dernière occasion on ne demanda aucun signe mais un aveu formel de l'autorité qu'il possédait et de la personne qui la lui avait donnée. Ils avaient connaissance d'une carrière de trois années de miracles et d'enseignements ; la veille, des aveugles et des boiteux avaient été guéris à l'intérieur des murs du temple ; et Lazare, témoignage vivant de la puissance que le Seigneur avait sur la mort et la tombe, se trouvait devant eux. Demander un signe supplémentaire aurait été s'exposer de manière flagrante aux railleries du peuple.
 
Ils savaient de quelle autorité le Seigneur se réclamait ; leur question avait un but sinistre. Jésus ne condescendit pas à exprimer une réponse dans laquelle ils auraient pu trouver une autre excuse de s'opposer à lui ; mais il profita d'une méthode très commune parmi eux : celle de répondre à une question par une autre. « Jésus leur répondit : je vous poserai moi aussi une seule question, et si vous m'y répondez je vous dirai par quelle autorité je fais cela. Le baptême de Jean, d'où venait-il ? Du ciel, ou des hommes ? »
 
Ils se consultèrent pour savoir quelle serait la meilleure réponse pour les extirper d'une situation embarrassante ; il n'y a pas d'indication qu'ils aient essayé de s'assurer de la vérité et de répondre en conséquence ; ils étaient absolument désarçonnés. S'ils répondaient que le baptême de Jean était de Dieu, Jésus leur demanderait probablement pourquoi ils n'avaient pas cru au Baptiste et pourquoi ils n'acceptaient pas le témoignage que Jean avait rendu de lui. D'autre part, s'ils affirmaient que Jean n'avait pas l'autorité divine de prêcher et de baptiser, le peuple se tournerait contre eux, car le Baptiste martyrisé était révéré comme un prophète par les masses. En dépit de l'érudition dont ils se vantaient, ils répondirent comme des écoliers embarrassés pourraient le faire lorsqu'ils découvrent des difficultés cachées dans ce qui semblait au début n'être qu'un problème tout simple. « Nous ne savons pas », dirent-ils. Alors Jésus répondit : « Moi non plus, je ne vous dirai pas par quelle autorité je fais cela. »
 
Les principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple étaient battus en finesse et humiliés. La situation était entièrement renversée à leurs dépens ; Jésus, qu'ils étaient venus questionner, devenait l'examinateur ; eux, une classe d'auditeurs intimidés, réticents, lui, l'instructeur tout prêt, et la multitude qui observait avec intérêt. Comme il était peu vraisemblable qu'il serait immédiatement interrompu, le Maître continua avec une calme lenteur à leur raconter une série de trois histoires splendides dont ils sentirent que chacune s'appliquait à eux avec une certitude tranchante. La première de ces histoires, nous l'appelons la parabole des deux fils.
 
« Qu'en pensez-vous ? Un homme avait deux fils ; il s'adressa au premier et dit : (Mon) enfant, va travailler aujourd'hui dans ma vigne. Il répondit : je ne veux pas. Ensuite, il se repentit et il y alla. Il s'adressa alors au second et donna le même ordre. Celui-ci répondit : je veux bien, Seigneur, mais il n'y alla pas. Lequel des deux a fait la volonté du père ? Ils répondirent : Le premier. Et Jésus leur dit : En vérité je vous le dis, les péagers et les prostituées vous devanceront dans le royaume de Dieu. Car Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous n'avez pas cru en lui. Mais les péagers et les prostituées ont cru en lui, et vous, qui avez vu cela, vous ne vous êtes pas ensuite repentis pour croire en lui » [11]. 
 
La première phrase « Qu'en pensez-vous ? » les appelait à faire très attention. Elle impliquait qu'une question allait bientôt s'ensuivre ; et cette question fut : Lequel des deux fut le fils obéissant ? Il n'y avait qu'une réponse logique, et ils durent la donner, autant qu'ils y répugnassent. L'application de la parabole suivit avec une promptitude condamnatrice. Eux, les principaux sacrificateurs, scribes, Pharisiens et anciens du peuple, étaient représentés par le deuxième fils qui, lorsqu'il lui fut dit d'aller travailler dans la vigne, répondit avec tant d'assurance mais n'alla point, bien que les vignes fussent en train de devenir sauvages parce qu'on ne les taillait pas et que les pauvres fruits qui pourraient arriver à maturité seraient abandonnés pour tomber et pourrir par terre. Les péagers et les prostituées sur qui ils donnaient libre cours à leur mépris, dont le contact était une souillure, étaient semblables au premier fils, qui par un refus grossier bien que franc ignora l'appel du père mais changea d'avis plus tard et se mit au travail, espérant avec repentir s'amender du temps qu'il avait perdu et de l'esprit peu filial qu'il avait montré [12]. Les péagers et les prostituées, touchés dans leur cœur  par l'appel de clairon au repentir, s'étaient attroupés auprès du Baptiste dans le désert, lui demandant avec ferveur : « Maître, que ferons-nous [13] ? » L'appel de Jean ne s'était pas adressé à une classe en particulier ; mais tandis que des pécheurs qui se reconnaissaient comme tels s'étaient repentis et avaient demandé le baptême de ses mains, ces mêmes Pharisiens et anciens du peuple avaient rejeté son témoignage et avaient hypocritement cherché à le prendre au piège [14]. Par la parabole, Jésus répondait à sa propre question quant au point de savoir si le baptême de Jean était de Dieu ou de l'homme. L'affirmation du Seigneur : « En vérité je vous le dis, les péagers et les prostituées vous devanceront dans le royaume de Dieu » condamnait de bout en bout la conduite corrompue mais moralisatrice de la hiérarchie. Elle ne restait cependant pas tout à fait sans laisser l'espoir d'une réforme possible. Il ne disait pas que les pécheurs repentants entreraient et que les hypocrites ecclésiastiques seraient éternellement exclus ; il y avait, pour ces derniers, de l'espoir s'ils voulaient seulement se repentir, quoiqu'ils seraient obligés de suivre et non de guider dans la glorieuse procession des rachetés. Poursuivant le même discours, le Seigneur présenta la parabole des vignerons, comme suit :
 
« Écoutez une autre parabole. Il y avait un maître de maison qui planta une vigne. Il l'entoura d'une haie, y creusa un pressoir et y bâtit une tour, puis il la loua à des vignerons et partit en voyage. À l'approche des vendanges il envoya ses serviteurs vers les vignerons pour recevoir les fruits de la vigne. Les vignerons prirent ces serviteurs, frappèrent l'un, tuèrent l'autre et lapidèrent le troisième. Il envoya encore d'autres serviteurs en plus grand nombre que les premiers ; et les vignerons les traitèrent de la même manière. Enfin, il envoya vers eux son fils, en disant : Ils respecteront mon fils. Mais, quand les vignerons virent le fils, ils se dirent entre eux : C'est lui l'héritier, venez, tuons-le, et nous aurons son héritage. Ils le prirent, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent. Maintenant, lorsque le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? Ils lui répondirent : Il fera périr misérablement ces misérables et il louera la vigne à d'autres vignerons qui lui donneront les fruits en leur saison » [15].
 
De nouveau les Juifs étaient obligés de répondre à la grande question dont traitait la parabole, et de nouveau par leur réponse ils énonçaient un jugement sur eux-mêmes. La vigne, au sens large, était la famille humaine, mais plus particulièrement le peuple de l'alliance, Israël ; le terrain était bon et pouvait produire une grande abondance ; les vignes étaient de choix et avaient été plantées avec soin, et le vignoble tout entier était amplement protégé par une haie et bien équipé d'une presse à vin et d'une tour [16]. Les vignerons ne pouvaient être personne d'autre que les prêtres et les instructeurs d'Israël, y compris les dirigeants ecclésiastiques qui étaient présents en personne dans l'exercice de leurs fonctions. Le Seigneur de la vigne avait envoyé parmi le peuple des prophètes autorisés à parler en son nom ; ceux-ci, les locataires corrompus les avaient rejetés, maltraités et, en de nombreux cas, cruellement massacrés [17]. Dans les rapports plus détaillés de la parabole nous lisons que lorsque le premier serviteur arriva, les cruels vignerons « Ie frappèrent et le renvoyèrent (les mains) vides », il frappèrent le suivant « à la tête et l'outragèrent », ils en assassinèrent encore un autre, et tous ceux qui vinrent ensuite furent brutalement maltraités, et certains d'entre eux furent tués. Ces hommes corrompus avaient utilisé la vigne de leur seigneur pour leur gain personnel et n'avaient rien rendu de la vendange au propriétaire légal. Lorsque le Seigneur renvoya d'autres messagers, « en plus grand nombre que les premiers » (la version du roi Jacques dit : « Plus que les premiers », ce qui entraîne le commentaire suivant, ndt) ou en d'autres termes plus grands que les précédents, l'exemple plus récent étant Jean-Baptiste, les vignerons les rejetèrent avec une détermination perverse plus prononcée que jamais. Finalement, le Fils était venu en personne ; ils craignaient son autorité, car c'était celle de l'héritier légal, et avec une méchanceté presque incroyable, ils décidèrent de le tuer afin de perpétuer leur possession injuste de la vigne et de la conserver dorénavant comme la leur.
 
Sans interruption, Jésus porta l'histoire du passé criminel à l'avenir encore plus tragique et terrible, qui n'était à ce moment-là éloigné que de trois jours, et raconta calmement avec les images prophétiques, comme si cela était déjà accompli, comment ces hommes corrompus chassèrent le Fils bien-aimé de la vigne et le tuèrent. Incapables d'échapper à la question incisive de ce que le Seigneur de la vigne ferait naturellement et justement aux méchants vignerons, les dirigeants juifs donnèrent la seule réponse pertinente possible : qu'il détruirait certainement ces misérables pécheurs et affermerait sa vigne à des locataires plus honnêtes et plus dignes.
 
Changeant soudain d'image, « Jésus leur dit : N'avez-vous jamais lu dans les Écritures : La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale, celle de l'angle ; c'est du Seigneur que cela est venu, et c'est une merveille à nos yeux ? C'est pourquoi, je vous le dis, le royaume de Dieu vous sera enlevé et sera donné à une nation qui en produira les fruits. Quiconque tombera sur cette pierre s'y brisera, et celui sur qui elle tombera, elle l'écrasera » [18] Il ne pouvait y avoir de doute quant à ce que le Seigneur voulait dire, la pierre rejetée qui allait jouer finalement le premier rôle, « la principale, celle de l'angle » dans l'édifice du salut, c'était lui-même, le Messie. Pour certains cette pierre serait une pierre d'achoppement ; malheur à eux, car c'est par elle qu'ils seraient brisés, et ce ne serait que par le repentir et les œuvres de justice qu'ils pourraient se rattraper ne serait-ce qu'en partie ; quant aux autres, ceux qui persisteraient dans leur opposition, la pierre les jugerait ; et malheur à eux, car ils seraient détruits, comme pulvérisés [19]. Le royaume de Dieu était sur le point de leur être enlevé, à eux, les dirigeants, et au peuple qui suivait leurs préceptes impies, et il serait donné en temps voulu aux Gentils qui, affirma le Seigneur, se révéleraient plus dignes que ne l'avait été Israël. Luc nous dit qu'à la pensée de ce terrible châtiment, « ils », on ne nous dit pas si c'était les dirigeants sacerdotaux ou le commun du peuple, s'exclamèrent avec désespoir : « Qu'il n'en soit pas ainsi ! »
 
Lorsque les principaux sacrificateurs et les Pharisiens se rendirent compte que leur défaite avait été totale et qu'ils avaient été profondément humiliés aux yeux du peuple, ils en conçurent une colère sans mesure et allèrent jusqu'à essayer de se saisir de Jésus à l'intérieur même du temple ; mais la sympathie de la multitude était si nettement en sa faveur que les ecclésiastiques furieux s'abstinrent. Le peuple en général, bien que n'étant pas prêt à le proclamer ouvertement être le Christ, savait qu'il était prophète de Dieu, et sa crainte du déplaisir officiel et du châtiment possible ne l'empêcha pas de faire des démonstrations d'amitié.
 
Jésus reprit son enseignement en donnant la parabole des noces.
 
« Jésus leur parla de nouveau en paraboles et il dît : Le royaume des cieux est semblable à un roi qui fit des noces pour son fils. Il envoya ses serviteurs pour appeler ceux qui étaient invités aux noces ; mais ils ne voulurent pas venir. Il envoya encore d'autres serviteurs en disant : Dites aux invités : J'ai préparé mon festin, mes bœufs et mes bêtes grasses sont tués, tout est prêt, venez aux noces. Mais, négligeant (l'invitation) ils s'en allèrent, celui-ci à son champ, celui-là à son commerce, et les autres se saisirent des serviteurs, les outragèrent et les tuèrent. Le roi fut irrité ; il envoya son armée, fit périr ces meurtriers et brûla leur ville. Alors il dit à ses serviteurs : Les noces sont prêtes, mais les invités n'en étaient pas dignes. Allez donc aux carrefours, et invitez aux noces tous ceux que vous trouverez. Ces serviteurs s'en allèrent par les chemins, rassemblèrent tous ceux qu'ils trouvèrent, méchants et bons, et la salle des noces fut remplie de convives » [20].
 
L'invitation d'un roi à ses sujets équivaut à un commandement. Les noces n'étaient pas un événement surprenant, car les invités avaient été avertis longtemps d'avance et, conformément à la coutume orientale, furent de nouveau appelés le jour de l'ouverture des festivités [21] qui, selon les coutumes hébraïques, devaient s'étendre sur une période de sept ou quatorze jours ; dans ce cas, qui est celui d'un mariage dans la famille royale, c'est la plus longue des deux périodes qui est probable. Un grand nombre des invités qui avaient été conviés refusèrent de venir lorsqu'ils reçurent l'avis officiel ; et ils traitèrent à la légère le message ultérieur et plus pressant du roi tolérant et passèrent leur chemin, tandis que les plus méchants d'entre eux se tournaient contre les serviteurs qui apportaient la convocation royale, les maltraitaient cruellement et tuaient certains d'entre eux. Il est clair que le refus d'assister à la fête du roi était une révolte délibérée contre l'autorité royale et une insulte personnelle tant au souverain régnant qu'à son fils. C'était aussi bien un devoir qu'un honneur pour de loyaux sujets que d'assister aux noces du prince que nous pouvons considérer sans risque d'erreur comme l'héritier légal du trône et par conséquent celui qui pourrait régner un jour sur eux. Le fait que l'un d'eux se détourna pour aller à sa ferme et l'autre à ses affaires montre en partie à quel point ils étaient occupés à des entreprises matérielles au mépris total de la volonté de leur souverain ; mais elle signifie en outre un effort pour étouffer par quelque occupation absorbante leur conscience troublée ; et peut-être aussi une démonstration préméditée du fait qu'ils considéraient leurs affaires personnelles comme plus importantes que l'appel de leur roi. Le monarque infligea un châtiment terrible à ses sujets rebelles. Si la parabole était destinée à être la présentation allégorique d'événements réels, elle passe à cet endroit de l'histoire du passé à celle de l'avenir, car la destruction de Jérusalem est ultérieure de plusieurs dizaines d'années à la mort du Christ. Voyant que les invités qui avaient quelque droit à l'invitation royale étaient totalement indignes, le roi envoya de nouveau ses serviteurs, et ceux-ci rassemblèrent des grandes routes et des carrefours, des voies secondaires et des ruelles, tous ceux qu'ils pouvaient trouver, quel que fût leur rang ou leur situation, qu'ils fussent riches ou pauvres, bons ou mauvais ; « et la salle des noces fut remplie de convives ».
 
La grande fête qui devait inaugurer l'ère messianique était le thème favori des discours de réjouissance tant dans les synagogues que dans les écoles, et l'on jubilait à la pensée du décret rabbinique selon lequel nul autre que les enfants d'Abraham ne serait parmi les participants bénis. Le roi de la parabole est Dieu. Le fils dont le mariage était l'occasion de la fête est Jésus, le Fils de Dieu ; les invités qui furent appelés de bonne heure, mais qui refusèrent de venir lorsque la fête fut prête, sont le peuple de l'alliance qui rejeta son Seigneur, le Christ ; les invités ultérieurs qui furent amenés des rues et des routes sont les nations des Gentils à qui l'Évangile a été porté depuis que les Juifs l'ont rejeté ; les noces symbolisent le couronnement glorieux de la mission du Messie [22].
 
Tous ceux qui étudient la question ont dû remarquer les points de ressemblance qui apparentent cette parabole à celle des invités [23] ; un nombre moins grand peut-être a étudié les différences qui existent entre les deux. La première histoire fut racontée chez un des chefs des Pharisiens, probablement dans une ville de Pérée ; l'autre fut racontée dans le temple, après que l'opposition des Pharisiens au Christ fût parvenue à son maximum. L'intrigue de la première est plus simple et son point culminant est plus doux. La négligence des invités de la première histoire s'accompagnait d'excuses qui ressemblent quelque peu à des excuses polies ; le refus des invités de la deuxième parabole était nettement offensant et s'accompagnait d'outrages et de meurtres. Dans un cas l'hôte était un citoyen riche quoique privé, dans l'autre celui qui donnait la fête était un roi. Dans la première, la fête avait pour but de s'amuser d'une manière ordinaire, quoique abondante ; dans la seconde, la cause déterminante était le mariage de l'héritier royal. Dans le premier cas le châtiment se limita à exclure les transgresseurs du banquet ; dans le deuxième, la punition que chacun encourut était la mort, après quoi la ville fut détruite en guise d'exemple.
 
Notre récit du festin des noces n'est pas encore complet ; l'histoire que nous avons déjà étudiée se termine de la manière suivante :
 
« Le roi entra pour voir les convives, et il aperçut là un homme qui n'avait pas revêtu un habit de noces. Il lui dit : Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir un habit de noces ? Cet homme resta la bouche fermée. Alors le roi dit aux serviteurs : Liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. Car il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus. »
 
Il peut être profitable d'examiner les leçons contenues dans cette section de la parabole séparément de celles de la première section. Comme il convenait à sa dignité, le roi entra dans la salle de banquet lorsque les invités eurent pris place dans l'ordre de la bienséance. Il dut examiner chacun des invités, car il découvrit immédiatement celui qui ne portait pas le vêtement prescrit. On peut se demander comment, étant donné qu'ils avaient été conviés en hâte, les divers invités auraient pu s'habiller en conséquence pour la fête. L'unité du récit exige que quelque chose ait été prévu qui permit à tous ceux qui en faisaient dûment la demande de recevoir le vêtement prescrit par l'ordre du roi et conformément à la coutume établie à la cour. Le contexte nous montre bien que l'invité sans robe était coupable de négligence, de manque de respect intentionnel ou de quelque offense plus grave. Le roi montra tout d'abord une considération gracieuse, demandant seulement comment l'homme était entré sans vêtement de noces. Si l'invité avait été capable d'expliquer son aspect exceptionnel ou avait eu une excuse raisonnable à offrir, il aurait certainement parlé ; mais on nous dit qu'il resta muet. L'invitation du roi avait été faite libéralement à tous ceux que ses serviteurs avaient trouvés ; mais chacun d'eux devait entrer dans le palais royal par la porte, et avant de parvenir à la salle du banquet, dans laquelle le roi apparaîtrait en personne, chacun devait être habillé convenablement ; mais le transgresseur était entré d'une autre manière et n'était pas passé devant les sentinelles postées à l'entrée ; c'était un intrus, semblable à l'homme dont le Seigneur avait déjà dit que c'était un voleur et un pillard parce que, n'entrant pas par la porte, il était monté par ailleurs [24]. Le roi donna un ordre, et ses ministres [25] lièrent le transgresseur et le jetèrent à la porte du palais dans les ténèbres du dehors, où l'angoisse du remords causait les pleurs et les grincements de dents.
 
En guise de résumé et d'épilogue des trois grandes paraboles constituant cette série, le Seigneur dit ces paroles importantes : « Car il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus » [26]. Chacune de ces paraboles a son propre trésor de sagesse ; et toutes trois s'accordent pour déclarer la grande vérité que même les enfants de l'alliance seront rejetés s'ils ne se rendent pas dignes de leur titre en accomplissant des œuvres pieuses ; tandis que les portes du ciel s'ouvriront aux païens et aux pécheurs s'ils méritent le salut par le repentir et l'obéissance aux lois et aux ordonnances de l'Évangile.
 
L'histoire du festin des noces fut la dernière des paraboles que notre Seigneur prononça publiquement à un auditoire mêlé. Il en dit deux autres aux apôtres tandis qu'ils conversaient solennellement avec le Seigneur sur le mont des Oliviers lorsque le ministère public du Christ prit fin.
 
 [1] Mt 21:18-22, Mc 11:12-14, 20-26.
 [2] Note 1, fin du chapitre.
 [3] Chap. 17 du présent ouvrage.
 [4] « Bethphagé », nom d'un village proche de Béthanie, et par conséquent près du mont des Oliviers, signifie « maison des figues ». Mentionné dans Mt 21.1, Mc 11.1, Lc 19:29. Béthanie signifie « maison des dattes ». Dans la traduction littérale, nous pouvons remplacer « maison » par « lieu ».
 [5] Lc 13: 6-9 ; chap. 26 du présent ouvrage.
 [6] Mt 21:12-13, Mc 11:15-17, Lc 19:45, 46.
 [7] Jn 2:14-17 ; chap. 12 du présent ouvrage.
 [8] Mt 21:16 ; cf. Ps 8:2 ; voir aussi Mt 11:25, 1 Co 1:27.
 [9] Mt 21:23-27, Mc 11:27-33, Lc 20:1-8.
 [10] Jn 2:18-21 ; chap. 12 du présent ouvrage.
 [11] Mt 21:28-32.
 [12] Note 2, fin du chapitre.
 [13] Lc 3:12 ; cf. 7:29 ; voir chap. 10 du présent ouvrage.
 [14] Mt 3:7.
 [15] Mt 21:33-41 ; cf. Mc 12:1-9, Lc 20:9-16.
 [16] Note 3, fin du chapitre.
 [17] Cf. Lc 11:47, 48, Mt 23:29-33.
 [18] Mt 21:42-44 ; voir aussi Mc 12:10, 11, Lc 20:17,18 ; cf. Ps 118:22, Es 28:16, Ac 4: 11, Ep 2:20, 1 P 2:6, 7.
 [19] Cf. Dn 2:44, 45, Es 60:12.
 [20] Mt 22:1-10.
 [21] Note 4, fin du chapitre.
 [22] Cf. Mt 25:10,2 Co 11:2, Ep 5:32, Ap 19:7,21:2,9.
 [23] Lc 14:16-24 ; chap. 27 du présent ouvrage.
 [24] Cf. chap. 25 du présent ouvrage.
 [25] Note 5, fin du chapitre.
 [26] Mt 22:14 ; cf. 20:16 ; voir chap. 27 du présent ouvrage. Note 6, fin du chapitre.
 
NOTES DU CHAPITRE 30
 
1. Le figuier : « Le figuier est très connu en Palestine (Dt 8:8). Son fruit est un aliment bien connu et estimé. Il y en a de trois sortes en Orient : (1) la figue précoce qui mûrit vers la fin juin, (2) la figue d'été, qui mûrit en août, (3) la figue d'hiver, plus grosse et plus sombre que la deuxième espèce, qui pend et mûrit sur l'arbre à une saison avancée, même après que les feuilles soient tombées et que l'on récolte parfois au printemps. Les bourgeons du figuier se trouvent dans le réceptacle ou fruit et ne sont pas visibles de l'extérieur ; ce fruit commence à se développer avant les feuilles. On pourrait par conséquent s'attendre tout naturellement à ce que le figuier qui portait des feuilles avant la saison porte également des figues (Marc 11:13) ; mais ses prétentions ne se vérifièrent pas » (Comp. Bible Dict., de Smith).
 
2. Les deux fils de la parabole : Bien que cette excellente parabole s'adressât aux principaux sacrificateurs, aux scribes et aux anciens qui étaient venus dans un esprit hostile demander au Christ d'où il tenait son autorité, cette leçon s'applique universellement. Les deux fils sont encore vivants dans toutes les communautés humaines. L'un qui se vante ouvertement de ses péchés, l'autre qui feint hypocritement. Jésus n'approuva pas le refus brutal du premier fils à qui le père avait demandé en justice de lui rendre un service ; mais son repentir ultérieur accompagné d'œuvres le rendit supérieur à son frère qui avait fait de belles promesses mais ne les avait pas tenues. Il y en a beaucoup aujourd'hui qui se vantent de ne pas avoir de religion et de ne pas mener une vie pieuse. Leur franchise ne diminuera en rien leurs péchés ; elle montre simplement que parmi leurs nombreuses offenses on ne trouve pas une certaine espèce d'hypocrisie ; mais le fait qu'un homme est innocent d'un vice, disons de l'ivrognerie, ne diminue nullement sa responsabilité s'il est menteur, voleur, adultère ou assassin. Les deux fils de la parabole commirent des péchés graves ; mais l'un d'eux se détourna de la mauvaise voie qu'il avait jusqu'alors suivie ouvertement, tandis que l'autre poursuivait ses péchés dans le secret, tout en cherchant à les couvrir d'un manteau d'hypocrisie. Que personne ne pense que parce qu'il s'enivre au cabaret il est moins ivrogne que celui qui avale « la boisson de l'enfer » en privé, bien que ce soit un ivrogne hypocrite. Pour ces péchés, comme pour tous les autres, le seul antidote sauveur est le repentir sincère.
 
3. Israël symbolisé par la vigne et les ceps : L'habileté avec laquelle notre Seigneur représenta Israël comme une vigne ne pouvait avoir échappé à la perception des Juifs, qui connaissaient bien les comparaisons de forme analogue que l'on trouve dans l'Ancien Testament. Remarquable entre toutes est l'image frappante que présente Ésaïe (5:1-7), dans laquelle on voit la vigne bien fournie ne produire que du raisin sauvage, ce qui déçut si gravement l'attente de son propriétaire que celui-ci décida de détruire le mur, d'enlever la haie et de laisser la vigne à l'abandon. Voici l'explication de la parabole donnée par Ésaïe : « Or, la vigne de l'Éternel des armées, c'est la maison d'Israël, et les hommes de Juda, c'est le plant qu'il chérissait. Il avait espéré la droiture, et voici la forfaiture ! La justice, et voici le cri du vice ! » Le Seigneur décréta, par l'intermédiaire de son prophète Ézéchiel (15:2-5) que ce qui donnait de la valeur à un cep de vigne c'était uniquement son fruit ; et c'est vrai, car le bois d'une vigne ne sert à rien qu'à brûler ; comme bois la vigne tout entière est inférieure à une branche d'arbre de la forêt (verset 3), et Israël est représenté comme une vigne de ce genre, précieuse si elle est fertile, sinon rien d'autre que du combustible et de mauvaise qualité encore. Le psalmiste chanta la vigne que Jéhovah avait fait sortir d'Égypte et qui, plantée avec soin et entourée de haies, avait prospéré même avec de belles branches ; mais la faveur de l'Éternel s'était détournée de la vigne, et elle avait été dans la désolation (Psaumes 80:8-16). On trouvera d'autres allusions dans Es 27:2-6, Jr 2:21, Ez 19:10-14, Os 10:1.
 
4. L'invitation au festin de noces : Voici comment Trench (Parables, p. 175-6) commente l'appel fait aux invités qui avaient déjà été invités d'avance : « Cet appel de ceux qui avaient déjà été invités était, et comme l'attestent les voyageurs modernes, est encore tout à fait conforme aux coutumes orientales. C'est ainsi qu'Esther invite Haman à un banquet le lendemain (Est 5:8), et quand le moment est arrivé, les eunuques viennent le conduire au festin (6:14). Il n'y a donc pas la moindre raison de transformer « ceux qui étaient invités » en ceux qui allaient maintenant être invités ; pareille interprétation ne fait pas seulement violence à toutes les lois de la grammaire, mais au but supérieur dans lequel la parabole fut donnée ; car notre Seigneur, prenant pour acquis le fait que les invités avaient été invités longtemps auparavant, rappelle ainsi à ses auditeurs que si ce qu'il apportait était nouveau dans un certain sens, il était dans un autre sens l'accomplissement de ce qui était autrefois ; qu'il prétendait être entendu, non comme quelqu'un qui commençait soudain, sans être relié à rien de ce qui était avant lui, mais comme lui même « à la fin de la loi », vers laquelle elle avait toujours tendu, la naissance à laquelle la dispensation juive tout entière s'était préparée et qui seule donnerait du sens à tout cela. Dans ses paroles, « ceux qui étaient invités », est impliqué le fait qu'il n'y avait rien de brusque dans la venue de son royaume, que ses rudiments avaient été posés longtemps avant, que toutes les choses auxquelles ses adversaires étaient attachés et qu'ils considéraient comme précieuses dans leur passé prophétisaient des bénédictions qui se trouvaient réellement présentes devant eux en lui. L'invitation originelle, qui était maintenant venue à maturité, remontait à la fondation de la république juive, fut reprise et répétée par tous les prophètes qui se succédèrent lorsqu'ils prophétisaient la grâce suprême qui serait apportée un jour à Israël (Lc 10:24, 1 P. 1:12) et appelaient le peuple à se tenir spirituellement prêt à accueillir son Seigneur et Roi. »
 
5. Serviteurs et ministres : Selon de bonnes autorités philologiques, « ministres » est une traduction plus littérale de l'origine de « serviteurs » dans Mt 22:13. Dans les versets précédents 3, 4, 6, 8, 10 du même chapitre, c'est le terme « serviteurs » qui exprime le mieux le sens de l'original. Cette distinction est importante, car elle implique une différence majeure d'état entre les serviteurs qui furent envoyés appeler le peuple à la fête et les ministres qui servaient immédiatement le roi. Les premiers représentent les serviteurs de Dieu qui proclament sa parole au monde ; les autres symbolisent les anges qui exécuteront ses jugements contre les méchants en expulsant de son royaume tout ce qui offense. Comparer avec Mt 13:30, 39, 41, D&A 86:5.
 
6. Les appelés et les élus : Nous donnons ci-après quelques-unes des réflexions d'Edersheim (vol. 11, p. 429, 430) : « Le roi entra pour voir ses invités, et parmi eux en découvrit un qui n'avait pas de vêtement de noces... Comme les invités avaient voyagé et que la fête se tenait dans le palais du roi, nous ne pouvons nous tromper en pensant que ces vêtements étaient fournis au palais à tous ceux qui les demandaient. Cela s'accorde avec le détail qui nous montre que l'homme à qui il s'adressa « resta la bouche fermée ». Son comportement démontrait qu'il était totalement inconscient de ce à quoi il avait été appelé - qu'il ignorait ce qui était dû au Roi et ce qui convenait à pareille fête. Car, bien qu'aucun état de préparation préalable ne fut requis des invités, tous ayant été conviés, qu'ils fussent bons ou mauvais, il n'en restait cependant pas moins vrai que s'ils voulaient prendre part au festin, ils devaient revêtir un vêtement de circonstance. Tous sont invités au festin de l'Évangile ; mais ceux qui veulent y participer doivent revêtir le vêtement de noces du roi qui est la sainteté évangélique. Et bien qu'il soit dit dans la parabole que le roi n'en vit qu'un seul sans ce vêtement, cela a pour but d'enseigner que le Roi ne se contentera pas de jeter un coup d'œil général sur ses invités, mais que chacun d'eux sera examiné séparément, et que personne - non, pas un seul - ne pourra éviter d'être découvert dans la masse des invités, s'il ne porte pas de vêtements de noces. Bref, en ce jour d'épreuve, il ne s'agira pas d'un examen des Églises, mais des individus de l'Église... L'appel est donné à tous ; mais on peut l'accepter extérieurement, et un homme peut s'asseoir à la fête, et cependant il ne pourra pas être choisi pour prendre part au festin, parce qu'il ne porte pas le vêtement de noces de la grâce qui convertit et sanctifie. Et ainsi on peut être rejeté de la table même des noces dans les ténèbres du dehors, avec leurs douleurs et leurs angoisses. C'est ainsi que l'on trouve côte à côte, quoique extrêmement séparés, ces deux éléments : l'appel de Dieu et le choix de Dieu. Le lien qui les unit est le vêtement des noces, donné gracieusement dans le palais. Cependant, nous devons le chercher, le demander, le revêtir. Et comme ici, nous avons aussi côte à côte le don de Dieu et l'activité de l'homme. Et il est vrai pour toujours et pour tous les hommes, aussi bien dans son avertissement que dans son enseignement et sa bénédiction : « Il y a beaucoup d'appelés mais peu d'élus. » Beaucoup de mots de sens apparenté, tant hébreux que grecs, sont traduits « vêtements » dans notre Bible. L'original grec qui est traduit par vêtement de noces est enduma ; on ne le trouve pas dans d'autres passages bibliques comme original de « vêtement ». Le nom est apparenté au verbe grec enduein, « revêtir ».
 
 
CHAPITRE 31 : FIN DU MINISTÈRE PUBLIC DE NOTRE SEIGNEUR
 
CONSPIRATION DES PHARISIENS ET DES HÉRODIENS [1]
 
Les autorités juives persistaient sans relâche dans leurs efforts, bien décidées à tenter ou à entraîner Jésus à commettre un acte ou à prononcer une parole sur lesquels elles pourraient baser l'accusation qu'il avait commis un délit, soit en vertu de leur loi, soit en vertu de la loi romaine. Les Pharisiens se consultèrent « sur les moyens de prendre Jésus au piège de ses propres paroles » ; puis, mettant de côté leurs préjugés partisans, ils conspirèrent à cette fin avec les Hérodiens, faction politique dont la caractéristique principale était l'objectif de maintenir au pouvoir la famille des Hérode [2], politique qui entraînait nécessairement le soutien du pouvoir romain dont les Hérode détenaient l'autorité qui leur était déléguée. Ils avaient conclu la même association incongrue que précédemment, lorsqu'ils essayèrent d'inciter Jésus à parler ou à agir ouvertement en Galilée ; et le Seigneur avait associé les deux partis dans l'avertissement qu'il avait donné aux disciples de se méfier du levain de l'un et de l'autre [3]. C'est ainsi que le dernier jour où le Seigneur enseigna en public, les Pharisiens et les Hérodiens unirent leurs forces contre lui ; les uns veillant à la moindre infraction technique à la loi mosaïque, les autres prêts à s'emparer du moindre prétexte pour l'accuser de déloyauté envers les pouvoirs séculiers. Leurs plans furent conçus par traîtrise et mis à exécution comme l'incarnation vivante d'un mensonge. Choisissant du milieu d'eux certains qui n'étaient pas encore apparus personnellement en conflit avec Jésus, et qui étaient censés lui être inconnus, les principaux conspirateurs les envoyèrent avec l'ordre de feindre « d'être de bonne foi, pour le prendre à l'une de ses paroles et le livrer aux magistrats et à l'autorité du gouverneur ».
 
Cette délégation d'espions hypocrites vint poser une question, avec une sincérité feinte, comme s'ils étaient troublés dans leur conscience et demandaient conseil à l'éminent instructeur. « Maître », dirent-ils avec une flatteuse duplicité, « nous savons que tu es véridique, et que tu enseignes la voie de Dieu en toute vérité, sans redouter personne, car tu ne regardes pas à l'apparence des hommes ». Cet éloge étudié du courage et de l'indépendance de pensée et d'action de notre Seigneur était vrai à tous points de vue ; mais, prononcé par ces hypocrites écœurants et avec leur intention mauvaise, il était faux à l'extrême. Cependant la formule mielleuse avec laquelle les conspirateurs essayèrent d'endormir la méfiance du Seigneur indiquait que la question qu'ils étaient sur le point de poser exigeait précisément, pour que l'on pût y répondre convenablement, les qualités d'esprit qu'ils faisaient semblant de lui attribuer.
 
« Dis-nous donc », continuèrent-ils, « ce que tu en penses : Est-il permis, ou non, de payer le tribut à César ? » La question avait été choisie avec une ruse diabolique ; car de tous les actes qui attestaient la fidélité forcée à Rome, l'obligation de payer la capitation était celui qui offensait le plus les Juifs. Si Jésus avait répondu « oui », les fourbes Pharisiens auraient pu enflammer la multitude contre lui en faisant de lui un fils déloyal d'Abraham ; s'il avait répondu « non », les Hérodiens comploteurs l'auraient dénoncé comme fomenteur de troubles contre le gouvernement romain. En outre la question était inutile ; la nation, tant le peuple que les gouverneurs, l'avait réglée, quoique de mauvais gré, car ils acceptaient et faisaient circuler parmi eux comme moyen commun d'échange la monnaie romaine ; et pour les Juifs, celui qui utilisait couramment la monnaie d'un souverain quelconque reconnaissait son autorité royale. « Mais Jésus qui connaissait leur malice répondit : Pourquoi me mettez-vous à l'épreuve, hypocrites ? » Toutes leurs manifestations habiles de fausse adulation furent coupées par l'épithète flétrissante : « hypocrites ». « Montrez-moi la monnaie avec laquelle on paie le tribut », commanda-t-il, et ils lui présentèrent un denier romain portant l'effigie et le nom de Tibère, empereur de Rome. « De qui sont cette effigie et cette inscription ? » demanda-t-il. Ils répondirent : « De César. » Alors il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » [4]. 
 
Quel que soit l'angle sous lequel nous la considérons, cette réplique était magistrale ; elle est devenue un aphorisme utilisé dans la littérature et dans la vie. Et si quelqu'un avait continué de penser qu'il y eût, dans l'esprit de celui qui était entré si récemment à Jérusalem comme roi d'Israël et prince de la paix, le moindre désir de pouvoir ou domination terrestre, cette réponse l'aurait dégrisé. Elle fixait pour toujours la seule base licite des rapports entre les devoirs spirituels et séculiers, entre l'Église et l'État. Les apôtres des années ultérieures édifièrent sur ce fondement et enjoignirent l'obéissance aux lois des gouvernements établis [5].
 
On peut, si l'on veut, tirer une leçon de l'association des paroles du Seigneur avec la présence de l'image de César sur la pièce de monnaie. C'était cette effigie avec l'inscription qui l'accompagnait qui donnaient un sens particulier à son commandement mémorable : « Rendez donc à César ce qui est à César. » Il y ajouta cet autre ordre : « Et à Dieu ce qui est à Dieu. » Toute âme humaine est marquée de l'image et de l'inscription de Dieu, quelque flous et indistincts que les contours aient pu devenir du fait de la corrosion ou de l'usure du péché [6] ; et comme on doit rendre à César les pièces sur lesquelles apparaît son effigie, de même il faut rendre à Dieu les âmes qui portent son image. Rendez au monde les pièces frappées qui reçoivent cours légal par les insignes des pouvoirs profanes, et donnez-vous à Dieu et à son service, vous, la monnaie divine de son royaume éternel.
 
Pharisiens et Hérodiens furent réduits au silence par la sagesse sans réplique de la réponse que le Seigneur fit à leur question rusée. Quoi qu'ils fassent, ils ne pouvaient « le prendre à l'une de ses paroles », et ils furent humiliés devant le peuple qui était témoin. S'étonnant de sa réponse, et peu disposés à courir le risque d'être de nouveau embarrassés, et peut-être pire, ils « le quittèrent et s'en allèrent ». Néanmoins ces Juifs pervertis persistèrent dans leurs desseins vils et traîtres. Comme cela n'apparaît nulle part avec plus d'évidence que lorsqu'ils formulèrent devant Pilate l'accusation absolument fausse que Jésus était coupable d'empêcher « de payer l'impôt à César, et se disait lui-même Christ, roi » [7].
 
LES SADDUCÉENS POSENT DES QUESTIONS SUR LA RÉSURRECTION [8]
 
Ensuite les Sadducéens essayèrent de désarçonner Jésus en posant ce qu'ils considéraient comme une question compliquée sinon très difficile. Les Sadducéens affirmaient qu'il ne pouvait y avoir de résurrection du corps, point de doctrine, parmi bien d'autres, sur lequel ils étaient les adversaires avoués des Pharisiens [9]. La question posée par les Sadducéens en cette occasion avait directement trait à la résurrection et était formulée de manière à discréditer cette doctrine en lui donnant une application extrêmement peu favorable et grossièrement exagérée. « Maître », dit le porte-parole du groupe, « Moïse a dit : Si quelqu'un meurt sans enfants, son frère épousera la veuve et suscitera une descendance à son frère. Or, il y avait parmi nous sept frères. Le premier se maria et mourut, et comme il n'avait pas d'enfants, il laissa sa femme à son frère. Il en fut de même du deuxième, puis du troisième, jusqu'au septième. Après eux tous, la femme mourut. À la résurrection, duquel des sept frères sera-t-elle donc la femme ? Car tous l'ont eue. » Il était hors de doute que la loi mosaïque autorisait et exigeait que le frère vivant d'un mari décédé et sans enfants épousât sa veuve dans le but d'élever des enfants au nom du mort, dont la lignée familiale serait légalement continuée [10]. Un état de choses tel que celui qu'avaient présenté les casuistes sadducéens dans lequel sept frères, l'un après l'autre, avaient eu pour épouse et laissée veuve sans enfants la même femme, était possible en vertu du code mosaïque relatif au lévirat ; mais c'était un exemple extrêmement improbable.
 
Mais Jésus ne perdit pas de temps à discuter des éléments du problème qui lui était présenté ; que le cas fût théorique ou réel n'avait pas d'importance, puisque la question : « De qui sera-t-elle donc la femme ? » était basée sur une conception absolument fausse. « Jésus leur répondit : Vous êtes dans l'erreur, parce que vous ne comprenez ni les Écritures, ni la puissance de Dieu. Car à la résurrection, les hommes ne prendront pas de femmes, ni les femmes de maris, mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel. » L'intention du Seigneur était claire : dans l'état ressuscité, il n'y a aucun doute sur le point de savoir auquel des sept frères la femme appartiendra pour l'éternité, puisque tous, sauf le premier, ne l'avaient épousée que pour la durée de la vie ici-bas et avant tout dans le but de perpétuer dans la mortalité le nom et la famille du frère qui était mort le premier. Voici une partie des paroles du Seigneur telles que Luc les rapporte : « Mais ceux qui seront trouvés dignes d'avoir part au siècle à venir et à la résurrection d'entre les morts ne prendront ni femmes ni maris. Ils ne pourront pas non plus mourir, parce qu'ils seront semblables aux anges et qu'ils seront fils de Dieu, étant fils de la résurrection. » Dans la résurrection, on ne se mariera pas ni ne donnera en mariage ; car toutes les questions relatives à l'état matrimonial doivent être réglées avant ce moment-là, selon l'autorité de la sainte prêtrise, qui détient le pouvoir de sceller en mariage pour le temps et l'éternité [11].
 
Passant du cas présenté par ses perfides interlocuteurs, Jésus parla de la réalité de la résurrection, qui était impliquée par la question. « Pour ce qui est de la résurrection des morts, n'avez-vous pas lu ce que Dieu vous a dit : Moi, je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob ? Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants. » C'était une attaque directe contre la doctrine sadducéenne qui niait la résurrection littérale des morts. Les Sadducéens se distinguaient comme défenseurs zélés de la loi, dans laquelle Jéhovah affirme lui-même être le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob [12] ; et cependant ils niaient qu'il fût possible à ces patriarches de ressusciter et rendaient le titre exalté, sous lequel le Seigneur s'était révélé à Moïse, valide seulement au cours de la brève existence mortelle des ancêtres de la nation israélite. En déclarant que Jéhovah n'est pas le Dieu des morts mais des vivants, Jésus dénonçait de manière irréfutable la déformation des Écritures par les Sadducéens ; et de manière définitive et solennelle, le Seigneur ajouta : « Votre erreur est grande. » Certains des scribes présents furent frappés par cette démonstration incontestable de la vérité et s'exclamèrent avec approbation : « Maître, tu as bien parlé. » Les orgueilleux Sadducéens étaient convaincus d'erreur et réduits au silence. « Et ils n'osaient plus lui poser aucune question. »
 
LE GRAND COMMANDEMENT [13]
 
Les Pharisiens, se réjouissant sous cape de la déconfiture de leurs rivaux, réunirent maintenant suffisamment de courage pour préparer une autre attaque à leur propre compte. L'un d'entre eux, docteur de la loi, titre sous lequel nous pouvons entendre l'un des scribes, qui était également professeur des lois ecclésiastiques, demanda : « Quel est le premier de tous les commandements ? » ou, comme Matthieu rapporte la question : « Maître, quel est le grand commandement de la loi ? » La réponse fut prompte, tranchante et universelle au point de couvrir dans leur intégralité les exigences de la loi. Avec l'appel impérieux que Moïse avait utilisé pour commander à Israël d'écouter et de faire attention [14], les termes mêmes qui étaient écrits sur les phylactères [15] que les Pharisiens portaient sur le front entre les yeux, Jésus répondit : « Voici le premier : Écoute Israël, le Seigneur, notre Dieu, le Seigneur est un, et tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a pas d'autre commandement plus grand que ceux-là. » Matthieu formule la fin de cette déclaration comme suit : « De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes. »
 
Le bien-fondé philosophique de la profonde généralisation du Seigneur et de son résumé universel de « la loi et des prophètes » [16] apparaîtra à tous ceux qui étudient la nature humaine. Il est une tendance commune parmi les hommes de rechercher, ou du moins de s'informer et de s'étonner du superlatif. Qui est le plus grand poète, le plus grand philosophe, le plus grand savant, le plus grand prédicateur ou le plus grand chef d'État ? Qui se trouve au premier rang de la communauté, de la nation ou même, comme les apôtres le demandèrent dans leur ambitieuse ignorance, dans le royaume des cieux ? Quelle est la montagne qui domine tout le reste ? Quel est le fleuve qui est le plus long ou le plus large ? Pareilles questions sont éternelles. Les Juifs avaient divisé et subdivisé les commandements de la loi et avaient ajouté à la moindre subdivision des règles inventées par eux-mêmes.
 
Maintenant venait le Pharisien, demandant laquelle de ces exigences était la plus grande [17]. Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit, c'est le servir et garder tous ses commandements. Aimer son prochain comme soi-même, c'est être un frère dans le sens à la fois le plus large et le plus exigeant du terme. C'est pourquoi le commandement d'aimer Dieu et l'homme est le plus grand, étant donné la vérité simple et mathématique que le tout est plus grand que n'importe laquelle de ses parties. Quel besoin aurait-on du décalogue si l'humanité obéissait à ce premier grand commandement universel ? La réponse que le Seigneur fit à la question était convaincante même pour le savant scribe qui s'était présenté comme porte parole de ses collègues pharisiens. L'homme fut suffisamment honnête pour admettre la droiture et la sagesse sur lesquelles la réponse reposait et exprima impulsivement son accord, disant : « Bien, maître, tu as dit avec vérité que Dieu est unique et qu'il n'y en a pas d'autre que lui, et que l'aimer de tout son cœur, de toute son intelligence et de toute sa force, ainsi qu'aimer son prochain comme soi même, c'est plus que tous les holocaustes et tous les sacrifices. » Jésus ne fut pas moins prompt que le scribe aux bonnes intentions en reconnaissant le mérite des paroles d'un adversaire ; et il encouragea l'homme en lui assurant : « Tu n'es pas loin du royaume de Dieu. » Les Écritures ne nous disent pas si le scribe resta ferme dans son intention et obtint finalement le droit d'entrer dans cette demeure bénie.
 
JÉSUS SE FAIT QUESTIONNEUR [18]
 
Sadducéens, Hérodiens, Pharisiens, docteurs de la loi et scribes avaient tour à tour subi la déconfiture et la défaite dans leurs efforts pour embrouiller Jésus dans des questions de doctrine ou de pratique et avaient complètement échoué dans leurs tentatives pour l'amener à commettre un acte ou prononcer une parole qui leur permettrait de l'accuser légalement de délit. Ayant si efficacement réduit au silence tous ceux qui s'étaient risqués à l'affronter en discussion, soit d'une manière cachée soit ouvertement, de sorte que « personne n'osa plus lui poser de questions », Jésus se fit à son tour interrogateur offensif. Se tournant vers les Pharisiens qui s'étaient groupés pour se consulter plus facilement, Jésus lança la discussion suivante : « Que pensez-vous du Christ ? De qui est-il fils ? Ils lui répondirent : de David. Et Jésus leur dit : Comment donc David, (animé) par l'Esprit, l'appelle-t-il Seigneur, lorsqu'il dit : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, jusqu'à ce que je mette tes ennemis sous tes pieds ? Si donc David l'appelle Seigneur, comment est-il son fils ? » Cette citation que le Seigneur fit du cantique d'actions de grâce joyeux et adorateur de David dont, comme l'affirme Marc, Jésus déclara qu'il avait été inspiré du Saint-Esprit, se rapportait au psaume messianique [19] dans lequel le roi chanteur affirmait sa loyauté et son respect et exaltait le règne glorieux du Roi des rois promis, qui y est spécialement appelé « sacrificateur pour toujours, à la manière de Melchisédek » [20]. Aussi embarrassante que fût cette question inattendue pour les Juifs érudits, il ne nous est possible d'y voir aucune difficulté inexplicable, puisque pour nous, qui avons moins de préjugés qu'eux qui vivaient dans l'attente d'un Messie qui ne serait fils de David que dans le sens de la lignée familiale et la succession royale dans la splendeur du règne temporel, la Divinité éternelle du Messie est un fait démontré et indéniable. Jésus le Christ est le Fils de David dans le sens physique de la lignée par laquelle Jésus et David sont fils de Jacob, Isaac, Abraham et Adam. Mais bien que Jésus fût né dans la chair à une époque aussi tardive que le « midi des temps » [21], il était Jéhovah, Seigneur et Dieu, avant que David, Abraham ou Adam ne fussent connus sur la terre [22].
 
DÉNONCIATION DES SCRIBES ET DES PHARISIENS PERVERS [23]
 
La défaite humiliante du parti pharisien fut parachevée par la dénonciation que fit le Seigneur de ce système et par la condamnation qu'il prononça contre ses indignes représentants. S'adressant avant tout aux disciples, mais parlant cependant de manière que la foule l'entendît, il attira l'attention de tous sur les scribes et les Pharisiens qui, fit-il remarquer, occupaient la chaire de Moïse comme interprètes de la doctrine et administrateurs officiels de la loi et auxquels on devait par conséquent obéir dans leur gouvernement autorisé ; il mit cependant fortement en garde les disciples contre leur exemple pernicieux. « Faites donc et observez tout ce qu'ils vous diront », dit le Seigneur, « mais n'agissez pas selon leurs œuvres. Car ils disent et ne font pas. » Il n'était pas possible de faire plus clairement la distinction entre l'obéissance qui est due aux préceptes officiels et la responsabilité qu'ont personnellement ceux qui suivent le mauvais exemple, même si c'est celui d'hommes d'une grande autorité. On n'avait pas le droit de désobéir à la loi parce que les représentants de celle-ci étaient corrompus, mais il ne fallait pas non plus excuser ou diminuer la méchanceté de qui que ce fût à cause des vilenies d'un autre.
 
Expliquant l'avertissement qu'il proclamait ainsi ouvertement contre les vices des dirigeants, le Seigneur poursuivit : « Ils lient des fardeaux pesants et les mettent sur les épaules des hommes, mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. » Le rabbinisme avait pratiquement supplanté la loi en y substituant de multiples règles et demandes exorbitantes, avec des châtiments y afférents ; la journée était remplie d'observances traditionnelles qui encombraient jusqu'aux activités courantes de la vie ; cependant les dirigeants hypocrites pouvaient trouver des raisons d'être exemptés personnellement de ces fardeaux et d'autres charges pénibles.
 
Leur vanité sans borne et leur prétention irrespectueuse à une piété excessive furent stigmatisées comme suit : « Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes. Ainsi ils élargissent leurs phylactères [24] et ils agrandissent les franges de leurs vêtements ; ils aiment la première place dans les repas, les premiers sièges dans les synagogues et les salutations sur les places publiques ; (ils aiment) aussi être appelés par les hommes, Rabbi. » Le titre prétentieux de rabbi, signifiant maître, instructeur ou docteur, avait éclipsé la sainteté divinement reconnue de la prêtrise ; être rabbi des Juifs était considéré comme infiniment supérieur à être prêtre du Dieu Très-Haut [25]. « Mais vous, ne vous faites pas appeler Rabbi », dit Jésus aux apôtres et aux autres disciples présents : « car un seul est votre Maître, et vous êtes tous frères. Et n'appelez personne sur la terre père, car un seul est votre Père, celui qui est dans les cieux. Ne vous faites pas appeler directeurs, car un seul est votre Directeur, le Christ » [26]. 
 
Ceux sur qui allait reposer la responsabilité d'édifier l'Église qu'il avait fondée ne devaient pas aspirer aux titres profanes ni aux honneurs des hommes ; car ces élus étaient frères, et leur seul but devait être de rendre le plus grand service possible à leur seul et unique Maître. Comme cela avait déjà été si fortement souligné en d'autres occasions, ce n'est qu'en servant avec humilité et dévouement qu'on parvenait et qu'on parvient à l'excellence ou à la suprématie dans l'appel apostolique, de même que dans les devoirs de disciple ou de membre de l'Église du Christ ; c'est pourquoi le Maître dit de nouveau : « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s'élèvera sera abaissé, et qui s'abaissera sera élevé. »
 
De la multitude mêlée de disciples et d'incrédules, comprenant beaucoup de gens du commun qui écoutaient avec un joyeux empressement pour apprendre [27], Jésus se tourna vers les dirigeants déjà décontenancés mais en colère et les abreuva d'un véritable torrent de juste indignation, que traversait l'éclair d'invectives flétrissantes, accompagné de coups de tonnerre d'anathème divin.
 
« Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites ! Parce que vous fermez aux hommes le royaume des cieux ; vous n'y entrez pas vous-mêmes, et vous n'y laissez pas entrer ceux qui le voudraient. « Le critère de piété des Pharisiens était l'érudition des écoles ; celui qui n'était pas versé dans les questions techniques de la loi était considéré comme inacceptable devant Dieu et véritablement maudit [28]. Par leur casuistique et leurs explications perverties des Écritures, ils embrouillaient et égaraient le « commun du peuple » et constituaient ainsi des obstacles à l'entrée du royaume de Dieu, refusant d'y entrer eux-mêmes et barrant le chemin aux autres.
 
« Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites ! Parce que vous dévorez les maisons des veuves, et que vous faites pour l'apparence de longues prières ; à cause de cela, vous subirez une condamnation particulièrement sévère » [29]. La cupidité des dirigeants juifs à l'époque de notre Seigneur était un scandale public. Par des extorsions et des exactions illégales sous couvert du devoir religieux, les gouverneurs ecclésiastiques avaient amassé un énorme trésor [30], dont les contributions des pauvres et les confiscations de biens, y compris même les maisons de veuves endettées, formaient une proportion considérable ; et la perfidie de cette pratique était assombrie par l'apparence extérieure de sainteté et l'accompagnement sacrilège de prières verbeuses.
 
« Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites ! Parce que vous courez la mer et la terre pour faire un prosélyte, et, quand il l'est devenu, vous en faites un fils de la géhenne, deux fois pire que vous. » Il est possible que ce malheur se soit adressé davantage à l'effort de faire des prosélytes au pharisaïsme qu'à celui de convertir les étrangers au judaïsme ; mais comme ce dernier était absolument dégradé et le premier horriblement corrompu, on peut appliquer la dénonciation de notre Seigneur à l'un ou à l'autre ou aux deux. Il a été dit des Juifs qui s'efforçaient de faire des prosélytes que « d'un mauvais païen ils faisaient un Juif pire encore ». Un grand nombre de leurs convertis devenaient bientôt pervers.
 
« Malheur à vous, conducteurs aveugles ! Qui dites : Si quelqu'un jure par le temple, cela ne compte pas ; mais si quelqu'un jure par l'or du temple, il est engagé. Insensés et aveugles ! Lequel est le plus grand, l'or, ou le temple qui sanctifie l'or ? Si quelqu'un, dites-vous encore, jure par l'autel, cela ne compte pas ; mais si quelqu'un jure par l'offrande qui est sur l'autel, il est engagé. Aveugles ! lequel est le plus grand, l'offrande, ou l'autel qui sanctifie l'offrande ? Celui qui jure par l'autel jure par l'autel et par tout ce qui est dessus ; celui qui jure par le temple jure par le temple et par celui qui l'habite, et celui qui jure par le ciel jure par le trône de Dieu et par celui qui y est assis. » C'est ainsi que le Seigneur condamnait les décrets infâmes des écoles et du sanhédrin concernant les serments et les vœux ; car ils avaient établi ou sanctionné un code de lois illogique et injuste concernant les vétilles techniques par lesquelles un vœu pouvait être rendu obligatoire ou invalidé. Si un homme jurait par le temple, la maison de Jéhovah, il pouvait obtenir une indulgence pour avoir enfreint son serment ; mais s'il faisait vœu par l'or et les trésors de la sainte maison, il était tenu par les liens indestructibles de la loi ecclésiastique. Si on jurait par l'autel de Dieu, ce serment pouvait être annulé ; mais si on faisait vœu par le don corban ou par l'or qui se trouvait sur l'autel [31], l'obligation était impérieuse. Dans quelles profondeurs de déraison et de dépravation désespérées les hommes étaient-ils tombés, combien coupablement insensés et combien perversement aveugles étaient-ils, eux qui ne voyaient pas que le temple était plus grand que son or, et l'autel que l'offrande qui se trouvait dessus ! Dans le sermon sur la montagne, le Seigneur avait dit de ne « pas jurer » [32] ; mais ceux qui ne vivraient pas conformément à cette loi supérieure, ceux qui persisteraient à se servir de serments et de vœux, la loi moindre et évidemment juste de la stricte fidélité aux termes des obligations contractées personnellement devait leur être imposée, sans faux-fuyant malhonnête ni discrimination injuste.
 
« Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites ! Parce que vous payez la dîme de la menthe, de l'aneth et du cumin, et que vous laissez ce qu'il y a de plus important dans la loi : le droit, la miséricorde et la fidélité ; c'est là ce qu'il fallait pratiquer sans laisser de côté le reste. Conducteurs aveugles ! Qui retenez au filtre le moucheron et qui avalez le chameau. »
 
La loi de la dîme était un trait caractéristique des exigences théocratiques en Israël depuis l'époque de Moïse ; et en réalité, cette pratique remontait à bien avant l'exode. Interprétée littéralement, la loi exigeait la dîme des troupeaux, des fruits et du grain [33] ; mais la tradition avait étendu cette loi à tous les produits de la terre. Le Seigneur approuvait ceux qui prélevaient consciencieusement la dîme de tous leurs biens, même les herbes potagères et autres produits de jardin ; mais il dénonçait comme purs hypocrites ceux qui observaient ces lois pour s'en servir comme excuse à leur négligence des autres devoirs de la vraie religion. La mention de « ce qu'il y a de plus important dans la loi » peut avoir été une allusion à la falsification rabbinique des règlements « légers » et « lourds » dans la loi, bien qu'il soit certain que le Seigneur n'approuvait pas des distinctions aussi arbitraires. Omettre la dîme à prélever sur de petites choses, comme les feuilles de menthe et les brindilles d'aneth et de cumin, c'était un manquement à la bonne observance ; mais ignorer ce que demandaient la justice, la miséricorde et la fidélité, c'était perdre son droit aux bénédictions comme enfant de Dieu selon l'alliance. Utilisant une puissante comparaison, le Seigneur stigmatisa pareil manque de logique en le comparant aux soins scrupuleux que l'on mettrait à retenir au filtre un moucheron tout en étant disposé, au figuré, à avaler un chameau.
 
« Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites ! Parce que vous purifiez le dehors de la coupe et du plat, alors qu'en dedans ils sont pleins de rapine et d'intempérance. Pharisien aveugle ! Purifie premièrement l'intérieur de la coupe et du plat, afin que l'extérieur aussi devienne pur » [34]. Nous avons déjà dit que les Pharisiens mettaient un soin scrupuleux à purifier cérémoniellement les plats et les coupes, les pots et les vases de cuivre. Le Seigneur ne dépréciait nullement la propreté ; les traits de sa désapprobation visaient l'hypocrisie de ceux qui entretenaient à la fois une propreté immaculée à l'extérieur et la corruption à l'intérieur. Les coupes et les plats, bien que parfaitement purifiés, étaient impurs devant le Seigneur si leur contenu était acheté avec l'or de l'extorsion ou s'ils devaient être utilisés pour servir la gourmandise, l'ivrognerie ou d'autres excès.
 
« Malheur à vous scribes et Pharisiens hypocrites ! parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis qui paraissent beaux au dehors, et qui au dedans sont pleins d'ossements de morts et de toute espèce d'impureté. Vous de même, au dehors, vous paraissez justes aux hommes mais au dedans vous êtes remplis d'hypocrisie et d'iniquité. » C'était une image terrible que cette comparaison à des sépulcres blanchis, pleins d'ossements de morts et de chair en putréfaction. Étant donné que les dogmes des rabbis faisaient du moindre contact avec un cadavre ou les linceuls, ou avec la bière sur laquelle il était porté, ou le tombeau dans lequel il avait été déposé, une cause de souillure personnelle que seules les ablutions cérémonielles et l'offrande des sacrifices pouvaient enlever, on prenait soin de rendre les sépulcres visiblement blancs, de sorte que personne ne pût être souillé pour avoir ignoré qu'il se trouvait tout près d'endroits aussi impurs ; et en outre, on considérait le blanchissage périodique des sépulcres comme un acte que l'on devait accomplir en souvenir des morts pour les honorer. Mais de même qu'aucun soin ou mesure de diligence aussi grands soient-ils pour conserver bien clair l'extérieur d'une tombe ne pourrait empêcher la putréfaction qui se produit à l'intérieur, de même aucun signe extérieur de prétendue justice ne pourrait atténuer la corruption répugnante d'un cœur qui exhale l'iniquité. Jésus avait déjà comparé les Pharisiens à des sépulcres qui ne paraissent pas, sur lesquels les hommes marchaient par inadvertance et devenaient ainsi souillés sans le savoir [35] ; en cette occasion, que nous examinons maintenant, il les dénonça comme des sépulcres blanchis, se montrant avec ostentation, mais néanmoins des sépulcres.
 
« Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites ! Parce que vous bâtissez les sépulcres des prophètes et ornez les tombeaux des justes, et que vous dites : Si nous avions vécu au temps de nos pères, nous ne nous serions pas associés à eux pour (répandre) le sang des prophètes. Vous témoignez ainsi contre vous-mêmes que vous êtes les fils de ceux qui ont tué les prophètes. » L'orgueil national, qui n'est pas entièrement différent du patriotisme, s'était exprimé pendant des siècles dans le respect officiel des cryptes dans lesquelles étaient ensevelis les anciens prophètes, dont beaucoup avaient été mis à mort à cause de leur zèle juste et impavide. Ces Juifs modernes proclamaient qu'ils désavouaient toute sympathie avec les actes meurtriers de leurs ancêtres qui avaient martyrisé les prophètes et prétendaient avec ostentation que s'ils avaient vécu à l'époque de ces martyres, ils n'y auraient pas participé, et cependant par cet aveu ils se proclamaient les descendants de ceux qui avaient versé le sang innocent.
 
Avec des malédictions flétrissantes, le Seigneur les voua à leur destin : « Mettez donc le comble à la mesure de vos pères ! Serpents, race de vipères ! Comment fuirez-vous la condamnation de la géhenne ? C'est pourquoi, je vous envoie des prophètes, des sages et des scribes. Vous tuerez et crucifierez les uns, vous flagellerez les autres dans vos synagogues et vous les persécuterez de ville en ville, afin que retombe sur vous tout le sang innocent répandu sur la terre depuis le sang d'Abel le juste jusqu'au sang de Zacharie, fils de Bérékia, que vous avez tué entre le temple et l'autel. En vérité je vous le dis, tout cela viendra sur cette génération. » Ils affirmaient d'un air papelard être supérieurs à leurs pères qui avaient tué les envoyés de Jéhovah, et Jéhovah lui-même leur répondait en prédisant qu'ils se teindraient les mains du sang des prophètes, des sages et des scribes justes qu'il enverrait parmi eux et se révéleraient ainsi être fils littéraux d'assassins et assassins eux-mêmes, de sorte que sur eux reposerait le fardeau de tout le sang juste qui avait été versé en témoignage de Dieu, depuis Abel le juste jusqu'au martyr Zacharie [36]. Ce destin effroyable décrit avec un réalisme aussi terrible ne devait pas être un événement de l'avenir lointain ; chacun des affreux malheurs que le Seigneur avait prononcés devait se réaliser dans cette génération-là.
 
LAMENTATION DU SEIGNEUR SUR JÉRUSALEM [37]
 
Ce furent les dernières paroles que Jésus prononça sur les scribes, les Pharisiens et le pharisaïsme. Contemplant des hauteurs du temple la ville du grand Roi qui allait bientôt être abandonnée à la destruction, le Seigneur éprouva un profond chagrin. Avec l'éloquence immortelle de l'angoisse, il émit une lamentation telle qu'aucun père mortel n'en a jamais exprimée sur le plus indigne et le plus renégat des fils.
 
« Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l'avez pas voulu ! Voici : votre maison vous est laissée déserte, car je vous le dis, vous ne me verrez plus désormais jusqu'à ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! »
 
L'OFFRANDE DE LA VEUVE [38]
 
Quittant la cour ouverte, Jésus se dirigea vers le trésor du temple garni de colonnades, et là, il s'assit, apparemment absorbé dans une triste rêverie. Il y avait dans ce lieu treize coffres, chacun muni d'un réceptacle en forme de trompette ; et c'est là que le peuple déposait ses contributions pour les divers objectifs indiqués par les inscriptions des boîtes. Levant les yeux, Jésus observa les files de donateurs, de tous rangs et de tous niveaux de richesse et de pauvreté, certains déposant leurs dons avec une dévotion et une sincérité d'intention évidentes, d'autres y jetant avec ostentation de grandes sommes d'argent et d'or, surtout pour être vus des hommes. Parmi la foule se trouvait une pauvre veuve qui, faisant probablement un effort pour échapper à l'attention, laissa tomber dans l'un des coffres du trésor deux petites pièces de bronze appelées oboles ; sa contribution se montait à moins d'un demi-cent en argent américain. Le Seigneur appela ses disciples autour de lui, attira leur attention sur la pauvre veuve et son action, et dit : « En vérité, je vous le dis, cette pauvre veuve a mis plus qu'aucun de ceux qui ont mis dans le tronc ; car tous ont mis de leur superflu, mais elle a mis de son nécessaire, tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre. »
 
Dans les comptes gérés par les anges qui tiennent les registres, calculés selon l'arithmétique du ciel, les inscriptions sont faites en termes de qualité et non de quantité, et les valeurs sont déterminées en fonction de la capacité et de l'intention. Les riches donnaient beaucoup, mais pourtant ils conservaient davantage ; le don de la veuve était tout ce qu'elle avait. Ce n'était pas la petitesse de son offrande qui la rendait particulièrement acceptable, mais l'esprit de sacrifice et d'intention pieuse avec lequel elle donnait. Dans le livre des comptables célestes, la contribution de cette veuve était inscrite comme un don magnifique, surpassant en valeur les largesses des rois. « Les bonnes dispositions, quand elles existent, sont agréables en raison de ce qu'on a, mais non de ce qu'on n'a pas » [39]. 
 
LE CHRIST QUITTE DÉFINITIVEMENT LE TEMPLE
 
Les discours publics de notre Seigneur et les discussions ouvertes auxquelles il avait participé avec des professionnels et des officiels ecclésiastiques au cours de ses visites quotidiennes au temple pendant la première moitié de la semaine de la Passion, avaient poussé un grand nombre d'entre les principaux dirigeants, ainsi que d'autres, à croire qu'il était le véritable Fils de Dieu ; mais la peur de la persécution par les Pharisiens et la crainte d'être excommuniés de la synagogue [40] les empêchaient de confesser la loyauté qu'ils éprouvaient et d'accepter le moyen de salut si gracieusement offert. « Car ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu » [41]. 
 
Il se peut que ce soit au moment où Jésus se dirigeait pour la dernière fois vers ce grand portail de sortie du lieu jadis saint qu'il prononça le témoignage solennel de sa divinité rapporté par Jean [42]. Il cria d'une voix forte aux dirigeants sacerdotaux et à la multitude en général : « Celui qui croit en moi, croit, non pas en moi, mais en celui qui m'a envoyé ; et celui qui me contemple, contemple celui qui m'a envoyé. » Lui être fidèle, c'est déjà être fidèle à Dieu, et il dit clairement au peuple que l'accepter, lui, n'était pas affaiblir le moins du monde sa fidélité à Jéhovah, mais au contraire la confirmer. Répétant le précepte qu'il avait déjà exprimé, il proclama de nouveau être la lumière du monde, par les rayons de laquelle seule l'humanité pouvait être délivrée des ténèbres d'incrédulité spirituelle qui l'enveloppaient. Les témoignages qu'il laissait au peuple seraient le moyen par lequel seraient jugés et condamnés tous ceux qui le rejetaient volontairement. « Car mes paroles ne viennent pas de moi ; mais le Père, qui m'a envoyé, m'a commandé lui-même ce que je dois dire et ce dont je dois parler. Et je sais que son commandement est la vie éternelle. Ainsi ce dont je parle, j'en parle comme le Père me l'a dit. »
 
PRÉDICTION DE LA DESTRUCTION DU TEMPLE [43]
 
Comme Jésus quittait l'enceinte où se trouvait ce qui avait jadis été la maison du Seigneur, un disciple ou davantage attirèrent son attention sur le magnifique bâtiment, les pierres massives, les colonnes énormes et les ornements abondants et coûteux des divers bâtiments. Le commentaire que le Seigneur fit en réponse était une prophétie sans réserve de la destruction totale du temple et de tout ce qui y avait trait. « En vérité je vous le dis, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit renversée. » Telle était la prédiction précise et terrible. Ceux qui l'entendirent furent abasourdis ; ils n'essayèrent pas d'en savoir plus ni en posant d'autres questions ni par d'autres réactions. L'accomplissement littéral de cette terrible menace ne fut qu'un incident dans l'annihilation de la ville moins de quarante ans plus tard.
 
Après le départ définitif du Seigneur hors du temple, qui se produisit probablement l'après-midi du mardi de cette dernière semaine, son ministère public prenait solennellement fin. Quels que fussent les discours, les paraboles ou les ordonnances qui allaient suivre, ils ne serviraient plus qu'à instruire et à investir davantage les apôtres.
 
 [1] Mt 22:15-22, Mc 12:13-17, Lc 20:19-26.
 [2] Chap. 6, note 1.
 [3] Mc 3:6, 8:15.
 [4] Note 1, fin du chapitre.
 [5] Note 2, fin du chapitre.
 [6] Chap. 2.
 [7] Lc 23:2 ; chap. 34 du présent ouvrage.
 [8] Mt 22:23-33, Mc 12:18-27, Lc 20:27-38.
 [9] Chap. 6 et chap. 6, note 4.
 [10] Dt 25:5.
 [11] Note 3, fin du chapitre.
 [12] Gn 28:13, Ex 3:6,15.
 [13] Mt 22:34-40, Mc 12:28-34.
 [14] Dt 6:4,5.
 [15] Note 5, fin du chapitre.
 [16] Cf. chap. 17.
 [17] Note 4, fin du chapitre.
 [18] Mt 22:41-46, Mc 12:35-37, Lc 20:41-44.
 [19] Ps 110.
 [20] Ps 110:4 ; cf. Hé 5:6.
 [21] Chapitre 6.
 [22] Chapitres 4 et 5.
 [23] Mt 23, Mc 12:38-40, Lc 20:45-57 ; cf. Lc 11:39-52.
 [24] Note 5, fin du chapitre.
 [25] Chap. 6  du présent ouvrage et notes.
 [26] Note 6, fin du chapitre.
 [27] Mc 12:37.
 [28] Jn 7:49 ; cf. 9:34.
 [29] Note 7, fin du chapitre.
 [30] Note 8, fin du chapitre.
 [31] Chap. 22.
 [32] Mt 5:33-37 ; chap. 17 du présent ouvrage.
 [33] Lv 27:30, Nb 18:21, Dt 12:6, 14:22-28. Voir aussi The Law of the Tithe, de l'auteur, 20 pp., 1914.
 [34] Cf. Lc 11:39, 40, Mc 7:4 ; chap. 26 du présent ouvrage.
 [35] Lc 11:44.
 [36] Note 9, fin du chapitre.
 [37] Mt 23:37-39 ; cf. Lc 13:34, 35.
 [38] Mc 12:41-44, Lc 21:1-4.
 [39] 2 Co 8:12.
 [40] Jn 12:42 ; cf. 7:13, 9:22.
 [41] Jn 12:43 ; cf. 5:44.
 [42] Jn 12:44-50.
 [43] Mt 24:1, 2, Mc 13:1, 2, Lc 21:5, 6, note 10, fin du chapitre.
 
NOTES DU CHAPITRE 31
 
1. L'effigie de la pièce : Les Juifs avaient une aversion pour les images ou les effigies en général, professant considérer leur usage comme une violation du deuxième commandement. Mais leurs scrupules ne les empêchaient point d'accepter des pièces de monnaie portant l'effigie de rois, même si ces rois étaient païens. Leurs propres pièces de monnaie portaient d'autres représentations, telles que des plantes, des fruits, etc., au lieu d'une tête humaine ; et les Romains avaient permis avec condescendance l'émission d'une monnaie spéciale à l'usage juif, chaque pièce portant le nom mais pas l'effigie du monarque. Les monnaies ordinaires de Rome avaient cependant cours en Palestine.
 
2. La soumission à l'autorité séculière : Les gouvernements sont institués par Dieu, parfois par son intervention directe, parfois avec sa permission. Lorsque les Juifs avaient été soumis par Nebucadnetsar, roi de Babylone, le Seigneur commanda au peuple, par l'intermédiaire du prophète Jérémie (27:4-8), d'obéir à son conquérant, qu'il appelait son serviteur ; car en vérité le Seigneur avait utilisé le roi païen pour châtier les enfants renégats et infidèles de l'alliance. L'obéissance ainsi imposée comprenait le paiement d'impôts et s'étendait à la soumission complète. Après la mort du Christ, les apôtres enseignèrent l'obéissance aux pouvoirs en vigueur, lesquels pouvoirs, déclara Paul, « ont été institués par Dieu » (voir Rm 13:1-7, Tt 3:1, 1 Tm 2:1-3, voir aussi 1 P. 2:13,14). Par la révélation moderne, le Seigneur a ordonné à son peuple actuel d'obéir et de soutenir loyalement les gouvernements dûment établis qui existent dans tous les pays. Voir D&A 58:21-22, 98:4-6 et la section 134 tout entière. L'Église rétablie proclame comme une partie essentielle de sa croyance et de ses pratiques : « Nous croyons que nous devons nous soumettre aux rois, aux présidents, aux gouverneurs et aux magistrats ; obéir aux lois, les honorer et les soutenir » (12e article de foi).
 
3. Le mariage pour l'éternité : La révélation divine à l'époque moderne a montré clairement que les contrats de mariage, de même que tous les accords entre parties dans la mortalité, n'ont aucune valeur au-delà de la tombe, si ces contrats ne sont pas ratifiés et validés par les ordonnances dûment établies de la sainte prêtrise. Le scellement dans l'alliance du mariage pour le temps et l'éternité, qui a pris le nom de mariage céleste, est une ordonnance établie par l'autorité divine dans l'Église rétablie de Jésus-Christ. Voir l'analyse de ce sujet par l'auteur dans Articles de Foi, p. 539-541, et La Maison du Seigneur, sous « Le scellement dans le mariage », p. 82-88.
 
4. Divisions et subdivisions de la loi : « Les écoles rabbiniques, dans leur esprit touche-à-tout, charnel et superficiel qui jouait sur les mots et avait le culte de la lettre, avaient tissé de vastes accumulations de subtilités sans valeur sur toute la loi mosaïque. Entre autres choses, elles avaient gaspillé leur vanité en des tentatives fantastiques de compter, de classer, de peser et de mesurer chacun des commandements de la loi cérémonielle et morale. Elles en étaient venues à la conclusion savante qu'il y avait deux cent quarante-huit préceptes affirmatifs, lesquels étaient aussi nombreux que les artères et les veines, ou les jours de l'année : le total étant de six cent treize, qui était aussi le nombre de lettres du décalogue. Ils arrivaient au même résultat en partant du fait que les Juifs avaient reçu le commandement (Nb 15:38) de porter des franges (tsitsit) sur les coins de leur tallit, reliées par un fil de tissu bleu ; et comme chaque frange avait huit fils et cinq nœuds, et que les lettres du mot tsitsit font six cents, le nombre total de commandements était comme précédemment six cent treize. Mais il est certain que dans un nombre aussi grand de préceptes et d'interdictions, tout ne pouvait pas avoir tout à fait la même valeur ; certains étaient ‘légers’ (kal), et certains étaient ‘lourds’ (kobhed). Mais lesquels ? Et quel était le plus grand de tous les commandements ? Selon certains rabbis, le plus important de tous est celui qui a trait aux tephillin et aux tsitsit, aux franges et aux phylactères ; et « celui qui l'observe avec diligence est estimé de la même manière que s'il avait gardé la Loi tout entière ».
 
« Les uns considéraient l'omission des ablutions comme aussi grave que l'homicide ; les autres, que les préceptes de la michna étaient tous ‘lourds' ; ceux de la loi étaient, les uns ‘lourds’, les autres ‘légers'. D'autres considéraient le troisième comme le plus grand commandement. Aucun d'entre eux ne s'était rendu compte du grand principe que la violation volontaire d'un commandement, c'est les transgresser tous (Jc 2:10), parce que l'objet de la Loi tout entière c'est l'esprit de l'obéissance à Dieu. Chammaïtes et hillélites étaient en désaccord sur la question proposée par les docteurs de la loi et, comme d'habitude, les deux écoles avaient tort : les chammaïtes, en pensant que de simples observances extérieures ordinaires avaient de la valeur, indépendamment de l'esprit dans lequel on les accomplissait et le principe qu'elles représentaient, les hillélites, en pensant que n'importe quel commandement affirmatif pouvait être secondaire en lui-même, et ne voyant pas que les grands principes sont essentiels pour accomplir correctement les devoirs même les plus petits. » Farrar, Life of Christ, chap. 52.
 
5. Phylactères et bords : Par une interprétation traditionnelle d'Ex 13:9 et de Dt 6:8, les Hébreux adoptèrent la coutume de porter des phylactères, qui consistaient essentiellement en des bandes de parchemin sur lesquelles étaient inscrits en entier ou en partie les textes suivants : Ex 13:2-10 et 11:17, Dt 6:4-9, et 11:13-21. On portait les phylactères sur la tête et le bras. Les bandes de parchemin pour la tête étaient au nombre de quatre, sur chacun desquels un des textes cités ci-dessus était écrit. On plaçait ceux-ci dans un réceptacle cubique de cuir mesurant de 1,5 cm à 3,5 cm de côté ; le réceptacle était divisé en quatre compartiments, et on plaçait dans chacun d'eux un des petits rouleaux de parchemin. Des courroies maintenaient le réceptacle sur le front entre les yeux du porteur. Le phylactère du bras ne contenait qu'un seul rouleau de parchemin sur lequel les quatre textes prescrits étaient notés ; on le plaçait dans une petite boîte attachée par des lanières sur l'intérieur du bras gauche de manière à pouvoir être approché du cœur lorsque les mains étaient placées ensemble dans l'attitude de la dévotion. Les Pharisiens portaient le phylactère du bras au-dessus du coude, tandis que leurs rivaux, les Sadducéens, l'attachaient à la paume de la main (voir Ex 13:9). Le commun du peuple ne portait les phylactères qu'au moment de la prière, mais on disait que les Pharisiens les montraient pendant toute la journée. L'allusion que fit notre Seigneur à la coutume des Pharisiens de fabriquer de grands phylactères avait trait à l'agrandissement du réceptacle qui les contenait, en particulier celui du front. La grandeur des bandes de parchemin était fixée par une règle rigide.
 
Le Seigneur avait commandé au peuple d'Israël, par l'intermédiaire de Moïse (Nb 15:35), d'attacher au bord de son vêtement une frange avec un ruban de bleu. Étalant avec ostentation leur prétendue piété, les scribes et les Pharisiens prenaient plaisir à porter de larges bords pour attirer l'attention publique. C'était une autre manifestation d'hypocrisie.
 
6. Les titres ecclésiastiques : Notre Seigneur condamna sévèrement la recherche de titres comme signes de rang à son service. Néanmoins il nomma les Douze qu'il choisit comme apôtres ; et dans l'Église qu'il fonda, les offices d'évangéliste, grand prêtre, pasteur, ancien, évêque, prêtre, instructeur et diacre furent établis (voir Articles de Foi, p. 245-247). C'est aux titres vides créés par les hommes qui s'attachaient à l'individu et non aux titres autorisés de l'office auquel les hommes étaient appelés par ordination autorisée que le Seigneur apposa le sceau de sa désapprobation. Les titres des offices de la sainte prêtrise sont d'un caractère trop sacré pour qu'on les utilise comme signe de distinction parmi les hommes. Dans l'Église rétablie à notre époque, les hommes sont ordonnés à la prêtrise et aux divers offices de la moindre prêtrise ou Prêtrise d'Aaron et de la Prêtrise de Melchisédek ; et même si quelqu'un est nommé ancien, soixante-dix, grand prêtre, patriarche ou apôtre, il ne doit pas chercher à utiliser le titre simplement pour embellir son nom (voir « The Honor and Dignity of Priesthood », par l'auteur, dans Improvement Era, Salt Lake City, mars 1914).
 
Charles F. Deems, dans The Light of the Nations, p. 583-584, dit en parlant de l'usage irrespectueux des titres ecclésiastique : « Les Pharisiens aimaient aussi les places les plus élevées dans les synagogues, et cela réjouissait leur vanité que d'être appelés maître, docteur, rabbi. C'est contre ces titres que Jésus mit ses disciples en garde. Ils ne devaient pas aimer se faire appeler rabbi, titre qui apparaît sous trois formes, rab, instructeur, docteur, rabbi, mon docteur ou instructeur, rabbouni, mon grand docteur. Et ils ne devaient appeler personne ‘père' dans le sens de lui accorder l'infaillibilité du jugement ou du pouvoir sur leur conscience... ‘Papa’, comme les simples Moraves appellent leur grand homme, le comte Zinzendorf, ‘fondateur’, comme les méthodistes appellent le bon John Wesley, ‘saint père en Dieu’, comme on appelle parfois les évêques, ‘pape’, qui est la même chose que ‘papa’, ‘docteur en théologie’, équivalent chrétien du ‘rabbi’ juif, sont tous des titres dangereux. Mais ce n'est pas l'utilisation d'un nom que Jésus dénonce, c'est l'esprit de vanité qui animait les Pharisiens et l'esprit servile que l'usage de titres peut engendrer. Paul et Pierre disaient d'eux-mêmes qu'ils étaient des pères spirituels. Jésus enseigne que les offices dans les sociétés de ses disciples, telles que celles qui seraient formées par la suite, ne devaient pas être considérés comme des dignités, mais plutôt comme des services, que personne ne devait les rechercher pour l'honneur qu'ils pouvaient conférer mais pour le champ de services qu'ils pouvaient fournir, que personne ne devait entraîner une secte, car il n'y avait qu'un seul dirigeant ; et que le groupe tout entier des croyants est composé de frères dont Dieu est le Père. »
 
L'auteur cité en dernier lieu discrédite avec beaucoup d'à-propos les aspirations, stimulées par la vanité et la présomption hypocrite, à l'emploi du titre ‘révérend’ appliqué aux hommes.
 
7. Sept ou huit malheurs ? : Certains des anciens manuscrits des évangiles omettent le verset 14 de Mt 23. Cette omission réduit le nombre des paroles commençant par « Malheur à vous » de huit à sept. Il n'y a aucun doute sur la présence dans l'original des passages que l'on trouve dans Marc 12:40 et Lc 20:47, qui ont le même sens que Mt 23:14.
 
8. Le trésor du temple : À propos de l'incident de l'obole de la veuve, Edersheim (vol. 11, p. 387-388) écrit : « Certains peuvent venir avec l'apparence du pharisaïsme, certains même avec ostentation, certains comme s'ils accomplissaient de bon cœur un joyeux devoir. Plusieurs riches mettaient beaucoup - oui, beaucoup, car la tendance était telle que l'on dut décréter une loi interdisant de donner au temple plus qu'une certaine proportion de ses biens. Et l'on peut déduire le montant de ces contributions en se souvenant de cet incident, qu'à l'époque de Pompée et de Crassus, le trésor du temple, après avoir défrayé abondamment tous les frais possibles, contenait en argent près d'un demi million, et des vases précieux d'une valeur de près de deux millions de sterling. » Voir aussi Josèphe, Antiquités XIV, 4:4, 7:1,2.
 
9. Zacharie le martyr : À propos des martyrs de l'époque antérieure au midi des temps, l'évangéliste fait utiliser au Seigneur l'expression « tout le sang innocent répandu sur la terre depuis le sang d'Abel le juste jusqu'au sang de Zacharie, fils de Bérékia, que vous avez tué entre le temple et l'autel » (Mt 23:35). L'Ancien Testament, tel que nous l'avons maintenant, ne parle pas d'un martyr nommé Zacharie, fils de Bérékia, mais rapporte le martyre de Zacharie fils de Yehoyada (2 Ch 24:20-22). La plupart des spécialistes de la Bible sont d'avis que le Zacharie dont il est question dans le récit de Matthieu est Zacharie fils de Yehoyada. Dans la compilation juive des Écritures de l'Ancien Testament, l'assassinat de Zacharie apparaît comme le dernier martyre rapporté par écrit ; et l'allusion que le Seigneur fait aux justes qui ont été massacrés d'Abel à Zacharie peut avoir inclus d'un seul grand trait tous les martyrs jusqu'à cette époque-là, du premier au dernier. Cependant nous avons connaissance de Zacharie, fils de Bérékia (Za 1:1, 7), et ce Bérékia était fils d'Iddo. Il est également question de Zacharie, fils d'Iddo, dans Esdras 5: 1, mais comme on le voit ailleurs dans les anciennes Écritures, le petit fils est appelé le fils. L'Ancien Testament ne compte pas ce Zacharie parmi les martyrs, mais les récits traditionnels (Whitby citant le Targum) disent qu'il fut tué « Ie jour des expiations ». Il est probable que le Seigneur parlait d'un martyre récent et probablement du dernier des martyres rapportés par écrit ; et il est tout aussi évident que l'affaire était bien connue des Juifs. Il est vraisemblable qu'un récit plus complet existait dans les Écritures qui avaient cours parmi les Juifs à l'époque du Christ mais qui ont été perdues depuis.
 
10. Destruction du temple : « Pendant trente ans ou davantage après la mort du Christ, les Juifs continuèrent d'aménager et d'embellir les bâtiments du temple. Le plan complexe conçu et projeté par Hérode avait été pratiquement mené à bien ; le temple était pour ainsi dire achevé et, comme il apparut bientôt, il était prêt pour la destruction. Son destin avait été nettement prédit par le Sauveur lui-même. Commentant une remarque d'un des disciples concernant les grandes pierres et les bâtiments splendides de la colline du temple, Jésus avait dit : « Vois-tu ces grandes constructions ? Il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée » (Mc 13:1, 2, voir aussi Mt 24:1, 2, Lc 21:5, 6). Cette amère prédiction fut bientôt littéralement accomplie. Dans le grand conflit qui les opposa aux légions romaines sous Titus, beaucoup de Juifs avaient cherché un refuge dans les cours du temple, apparemment dans l'espoir que le Seigneur mènerait à nouveau la lutte pour son peuple et lui donnerait la victoire. Mais la présence protectrice de Jéhovah s'en était éloignée depuis longtemps, et Israël fut abandonné en proie à ses ennemis. Quoique Titus eût voulu épargner le temple, ses légionnaires, ivres de carnage, déclenchèrent l'incendie, et tout ce qui pouvait brûler fut brûlé. Le massacre des Juifs fut épouvantable ; des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants furent égorgés sans merci à l'intérieur des murs, et les cours du temple furent littéralement inondées de sang humain. Cet événement se passa en 70 ap. J.-C. et, selon Josèphe, le même mois et le même jour du mois où le jadis glorieux temple de Salomon était devenu la proie des flammes allumées par le roi de Babylone (Josèphe, Guerres des Juifs, VI, 4:5, 8. On trouvera dans l'ensemble des chapitres 4 et 5 le récit détaillé et imagé de la destruction du temple). Le chandelier d'or et la table des pains de proposition qui faisaient partie du mobilier du temple furent enlevés du saint et rapportés à Rome par Titus en guise de trophées de guerre ; on peut les voir représentés sur l'arc de triomphe élevé au nom de ce général victorieux. Depuis la destruction du splendide temple d'Hérode, aucune construction de cette espèce, aucun temple, aucune maison du Seigneur - puisque ces termes ont un sens distinct - n'a plus été consacré dans l'hémisphère [oriental] » - La Maison du Seigneur, p. 49-50.
 
Josèphe attribue la destruction du temple d'Hérode à la colère de Dieu et déclare que les flammes dévorantes « prirent naissance chez les Juifs eux-mêmes et furent occasionnées par eux ». Le soldat qui appliqua la torche à la sainte maison, qui était restée intacte tandis que le feu faisait rage dans les cours, l'historien le considère comme l'instrument de la vengeance divine. Nous lisons (Guerres VI, 4, 5) : « Un des soldats, sans attendre d'ordre et sans se soucier ou craindre pareille entreprise, et poussé par une fureur divine, arracha un morceau des matériaux qui étaient en feu, et soulevé par un autre soldat, mit le feu à une fenêtre dorée donnant sur les salles qui se trouvaient autour de la sainte maison, du côté nord. Lorsque les flammes s'élevèrent, les juifs poussèrent une grande clameur, comme le réclamait une affliction aussi grande. »
 
 
CHAPITRE 32 : AUTRES ENSEIGNEMENTS AUX APÔTRES
 
PROPHÉTIES RELATIVES À LA DESTRUCTION DE JÉRUSALEM ET À L'AVÈNEMENT FUTUR DU SEIGNEUR [1]
 
Au cours de son dernier voyage de retour de Jérusalem à la maison bien-aimée de Béthanie, Jésus se reposa en un endroit favorable du mont des Oliviers d'où l'on pouvait voir la grande ville et le temple magnifique dans le maximum de leur splendeur, illuminés par le soleil déclinant vers la fin de l'après-midi de ce jour mouvementé d'avril. Tandis qu'il était assis, perdu dans sa rêverie, Pierre et Jacques, Jean et André, des Douze, s'approchèrent de lui, et il donna, certainement à eux bien que probablement aussi à tous les apôtres, des enseignements contenant d'autres prophéties relatives à l'avenir de Jérusalem, d'Israël et du monde entier. Sa prédiction prophétique - que des bâtiments du temple il ne resterait pas pierre sur pierre - avait étonné et effrayé les apôtres ; ils vinrent donc en privé lui demander des explications. « Dis-nous, dirent-ils, quand cela arrivera et quel sera le signe de ton avènement et de la fin du monde ? » Le caractère complexe de la question montre que les apôtres se rendaient compte que la destruction dont le Seigneur avait parlé devait précéder les signes qui devaient annoncer immédiatement son avènement en gloire et l'inauguration encore ultérieure de l'événement final que l'on appelait communément alors comme maintenant « la fin du monde ». D'après la manière dont ils formulèrent leur question, les apôtres devaient penser que les événements se suivraient de près.
 
Leur question portait sur le temps : Quand ces choses se produiraient-elles ? La réponse ne parlait pas de dates mais d'événements ; et l'esprit du discours qui suivit fut un avertissement contre les malentendus et une exhortation à veiller sans cesse. « Prenez garde que personne ne vous séduise », tel fut le premier avertissement capital ; en effet dans la vie de la plupart des apôtres, beaucoup d'imposteurs se lèveraient et blasphémeraient, chacun prétendant être le Messie. Le retour du Christ sur la terre comme Seigneur et Juge était plus éloigné qu'aucun des Douze ne le pensait. Avant cet événement extraordinaire, on assisterait à un grand nombre de circonstances étonnantes et effrayantes, les premières d'entre elles devant être des guerres et des bruits de guerre, causés par le fait qu'une nation se dresserait contre l'autre et un royaume contre l'autre, accompagnés en de nombreux endroits de famine, de peste et de tremblements de terre terribles ; et cependant tout cela ne serait que le commencement des douleurs qui s'ensuivraient.
 
Il leur fut dit à eux, les apôtres, de s'attendre à être persécutés, non seulement de la part de gens irréfléchis, mais à l'instigation de dirigeants tels que ceux qui s'efforçaient à ce moment-là d'ôter la vie au Seigneur lui-même et qui les flagelleraient dans les synagogues, les livreraient à des tribunaux hostiles, les feraient comparaître devant les gouverneurs et les rois et mettraient même certains d'entre eux à mort : tout cela à cause de leur témoignage du Christ. Comme cela leur avait déjà été promis, ils reçurent de nouveau l'assurance que lorsqu'ils se tiendraient devant les tribunaux, les magistrats ou les rois, les paroles qu'ils prononceraient leur seraient données à l'heure de leur épreuve, et il leur fut dit par conséquent de ne pas réfléchir d'avance à ce qu'ils diraient ni à la manière dont ils répondraient aux problèmes qui se poseraient à eux. « Car, dit le Maître, ce n'est pas vous qui parlerez, mais l'Esprit Saint » [2]. Même s'ils se voyaient méprisés et haïs des hommes, et même s'ils devaient subir l'ignominie, la torture et la mort, cependant il leur fut promis tant de sécurité quant à leur bien-être éternel qu'en comparaison ils ne perdraient pas même un cheveu de leur tête. Les consolant et les encourageant, le Seigneur leur ordonna de sauver leur âme par la persévérance [3]. Devant toutes les épreuves et même dans les persécutions les plus cruelles, il leur incombait de persévérer dans leur ministère, car le plan divin prévoyait et exigeait que l'Évangile du royaume fût prêché dans toutes les nations. Leur tâche serait compliquée et concurrencée par la propagande révolutionnaire de beaucoup de faux prophètes, et des différences de croyances diviseraient les familles et engendreraient de telles violences que les frères se trahiraient mutuellement et que des enfants se dresseraient contre leurs parents, les accusant d'hérésie et les livrant à la mort. Même parmi ceux qui avaient professé être disciples du Christ, beaucoup s'offenseraient et la haine abonderait ; l'amour de l'Évangile se refroidirait et l'iniquité régnerait parmi les hommes, et seuls ceux qui endureraient jusqu'à la fin pourraient être sauvés.
 
De cette prévision détaillée des conditions qui étaient alors imminentes, le Seigneur passa à d'autres événements qui précéderaient immédiatement la destruction de Jérusalem et le démembrement total de la nation juive. « C'est pourquoi, lorsque vous verrez l'abomination de la désolation dont a parlé le prophète Daniel, établie dans le lieu saint », dit-il, selon le récit de Matthieu, et virtuellement comme le dit Marc, ou « Iorsque vous verrez Jérusalem investie par des armées », comme l'écrit Luc, « sachez alors que sa désolation est proche. » C'était un signe bien clair sur lequel personne ne pouvait se tromper. Daniel le prophète en avait prévu la désolation et l'abomination, parmi lesquelles la cessation forcée des rites du temple et la profanation du sanctuaire d'Israël par des conquérants païens [4].
 
Des armées encercleraient Jérusalem, et cela annoncerait l'accomplissement de la vision prophétique de Daniel. Alors tous ceux qui voudraient s'enfuir devraient se hâter : de Judée ils s'enfuiraient dans les montagnes ; celui qui se trouverait sur le toit de sa maison n'aurait pas le temps de prendre ses biens mais devrait descendre rapidement par l'escalier extérieur et fuir ; celui qui se trouverait dans les champs ferait mieux de s'en aller sans retourner d'abord chez lui, ne serait-ce que pour aller chercher ses vêtements. Oui, terrible serait ce jour pour les femmes handicapées par l'état qui accompagne une maternité proche ou par la responsabilité de soigner leur nourrisson. Tous feraient bien de prier pour que leur fuite ne leur fût pas imposée en hiver, ni le jour du sabbat, de peur que le respect des restrictions sur les voyages le jour du sabbat ou la fermeture habituelle des portes de la ville ce jour-là ne diminuent les chances de fuite. Les tribulations prédites de ce moment-là se révéleraient être d'une horreur sans précédent, et leurs détails terribles n'auraient aucun parallèle dans l'histoire d'Israël ; mais, dans sa miséricorde, Dieu avait décrété que cette terrible période serait écourtée pour l'amour des croyants élus, sinon nulle chair d'Israël ne resterait en vie. Des multitudes tomberaient par l'épée, d'autres foules seraient emmenées captives et seraient ainsi dispersées parmi toutes les nations, et Jérusalem, orgueil de l'Israël dégénéré, serait « foulée aux pieds par les nations, jusqu'à ce que les temps des nations soient accomplis ». Comme l'histoire l'a démontré, la prédiction du Seigneur se réalisa dans le moindre de ses terribles détails.
 
Lorsque ces temps terribles seraient passés, et à partir de là pendant une période dont la durée ne fut pas précisée, Satan tromperait le monde par ses fausses doctrines, répandues par des hommes pervers se travestissant en ministres de Dieu, qui continueraient à crier « le Christ est ici, ou : Il est là » ; mais les Douze furent mis en garde contre tous ceux-là, et c'est par eux et par d'autres instructeurs, qu'ils appelleraient et qu'ils ordonneraient, que le monde serait averti. Les prophètes trompeurs, émissaires du diable, seraient actifs, certains attirant les gens dans le désert et les poussant à des vies d'ermites d'un ascétisme pernicieux, d'autres affirmeraient avec insistance qu'on pourrait trouver le Christ dans les chambres secrètes de la réclusion monastique, et certains d'entre eux montreraient, par le pouvoir de Satan, des signes et des prodiges de nature à « séduire si possible même les élus », mais le Seigneur avertit les siens contre tous ces plans du prince du mal : « Ne le croyez pas », et ajouta : « Je vous ai tout prédit » [5].
 
Lorsque viendra le jour de gloire et de vengeance où le Seigneur reviendra, nul ne pourra en douter ; les Églises en conflit n'auront aucune possibilité d'élever des prétentions diverses. « En effet, comme l'éclair part de l'orient et brille jusqu'en occident, ainsi sera l'avènement du Fils de l'homme » [6]. Le rassemblement d'Israël dans les derniers jours fut décrit comme l'attroupement des aigles à l'endroit où le corps de l'Église serait établi [7].
 
L'ordre chronologique des événements prédits que nous avons examinés jusqu'à maintenant dans ce discours merveilleux sur les choses à venir est clair ; tout d'abord il devait y avoir une période de persécutions violentes contre les apôtres de l'Église dont ils auraient la charge ; puis la destruction de Jérusalem, avec toutes les horreurs d'une guerre impitoyable, suivrait ; à cela succéderait une longue période d'intrigues de prêtres et d'apostasie avec de violentes dissensions confessionnelles et de cruelles persécutions des justes. La brève allusion aux phénomènes non localisés et universels qui signaleront son avènement constitue une dénonciation, donnée entre parenthèses, des fausses prétentions quant au lieu où l'on pourrait trouver le Christ. Ensuite le Seigneur passa à une allusion claire et indubitable aux circonstances de son avènement qui était alors et est maintenant encore à venir. Après l'époque des religions d'hommes et du ministère non autorisé caractéristique de la grande apostasie, des événements merveilleux se produiront par l'intermédiaire des forces de la nature, et le signe du Fils de l'homme apparaîtra finalement, l'un des traits qui doivent l'accompagner étant l'achèvement du rassemblement des élus de toutes les parties de la terre dans les endroits désignés.
 
Le devoir que Jésus avait imposé aux apôtres comme étant de première importance pendant toutes les scènes de douleur, de souffrances et de tourments à venir, fut celui de la vigilance. Ils devaient prier, veiller et travailler diligemment et avec une foi inébranlable. La leçon fut illustrée par une analogie magistrale qui, dans la classification la plus large, peut être appelée parabole. Attirant leur attention sur le figuier et les autres arbres qui poussaient sur les pentes ensoleillées du mont des Oliviers, le Maître dit : « Voyez le figuier et tous les arbres. Dès qu'ils bourgeonnent, vous savez de vous-mêmes, en regardant, que déjà l'été est proche. De même vous aussi, quand vous verrez ces choses arriver, sachez que le royaume de Dieu est proche. » En ce qui concerne particulièrement le figuier, le Seigneur remarqua : « Dès que ses branches deviennent tendres et que les feuilles poussent, vous savez que l'été est proche. » Ce signe d'événements proches s'appliquait aussi bien aux conditions préalables qui devaient annoncer la chute de Jérusalem et la fin de l'autonomie juive qu'aux événements qui précéderont immédiatement le second avènement du Seigneur.
 
La déclaration suivante, dans l'ordre où la présente le texte évangélique, dit : « En vérité, je vous le dis, cette génération ne passera point que tout cela n'arrive. » On peut penser que cela s'appliquerait à la génération dans laquelle les événements terribles déjà décrits se produiraient. Pour ce qui est des prédictions relatives à la destruction de Jérusalem, elles s'accomplirent littéralement du vivant même de plusieurs des apôtres et d'une foule de leurs contemporains ; celles des prophéties du Seigneur qui ont trait à l'annonce de sa seconde venue doivent se réaliser au cours de la génération de certains de ceux qui sont témoins du début de leur accomplissement. Soulignant que tout cela se produirait assurément, le Seigneur fit une profonde affirmation : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point » [8]. 
 
Le Seigneur prévint toute conjecture concernant l'époque de son apparition, que ce fût sur la base de théories, de déductions ou de calculs de dates, en disant : « Pour ce qui est du jour ou de l'heure, personne ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais le Père (seul) » [9]. 
 
Il montra que son avènement en puissance et en gloire devait être soudain et inattendu pour le monde inattentif et pécheur mais suivrait immédiatement les signes que ceux qui sont vigilants et pieux peuvent lire et comprendre, en faisant la comparaison avec la situation sociale qui régnait à l'époque de Noé, lorsque, en dépit des prophéties et des avertissements, le peuple avait continué à festoyer et à se réjouir, à se marier et à donner en mariage, jusqu'au jour même où Noé entra dans l'arche, « et ils ne se doutèrent de rien, jusqu'à ce que le déluge vienne et les emporte tous ; il en sera de même à l'avènement du Fils de l'homme ».
 
Dans les derniers stades du rassemblement des élus, les liens de camaraderie seront rapidement rompus ; de deux hommes travaillant dans le champ, ou de deux femmes occupées côte à côte aux devoirs ménagers, celui qui est fidèle sera pris et le pécheur sera laissé. « Veillez donc », fut le commandement solennel, « puisque vous ne savez pas quel jour votre Seigneur viendra. » Expliquant cette exhortation, le Seigneur condescendit à comparer la soudaineté et le caractère secret de sa venue aux mouvements d'un voleur au cours de ses exploits nocturnes et fit remarquer que si le maître de maison savait avec certitude quand un cambrioleur avait décidé de lui rendre visite, il veillerait avec vigilance ; mais à cause de son incertitude, il peut être surpris au moment où il ne se méfie pas, et le voleur peut entrer et piller la maison.
 
Comparant de nouveau les apôtres à des intendants dûment nommés dans une grande maison [10], le Seigneur parla de lui-même comme s'il était le maître de la maison, disant : « Il en sera comme d'un homme qui part en voyage, laisse sa maison, donne pouvoir à ses serviteurs, à chacun sa tâche, et commande au portier de veiller. Veillez donc, car vous ne savez quand viendra le maître de la maison, le soir, ou au milieu de la nuit, ou au chant du coq, ou le matin ; craignez qu'il n'arrive à l'improviste et ne vous trouve endormis. Ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez. » Mais si l'intendant devient négligent à cause de l'absence prolongée de son maître, s'il s'adonne aux fêtes et aux plaisirs débridés ou devient autocrate et injuste vis-à-vis des autres serviteurs, son Seigneur viendra à l'heure où il s'y attend le moins et condamnera ce méchant serviteur à aller dans un lieu où il se trouvera parmi les hypocrites, où il versera des larmes amères de remords et grincera des dents en un désespoir impuissant [11].
 
ILLUSTRATION PAR PARABOLES DE LA NÉCESSITÉ DE LA VIGILANCE ET DE LA DILIGENCE
 
Pour frapper d'une manière plus indélébile les apôtres et, par l'intermédiaire de leur ministère ultérieur, le monde, de la nécessité absolue de veiller sans cesse et de faire preuve d'une diligence inébranlable à se préparer au jour où le Seigneur viendra pour juger, Jésus décrivit en paraboles l'état futur de l'humanité dans les derniers temps. La première de ces descriptions est la parabole des dix vierges. Le seul rapport que nous ayons est celui qui est donné par Matthieu [12] comme suit :
 
« Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui prirent leur lampe pour aller à la rencontre de l'époux. Cinq d'entre elles étaient folles, et cinq sages. Les folles en prenant leurs lampes, ne prirent pas d'huile avec elles ; mais les sages prirent, avec leurs lampes, de l'huile dans des vases. Comme l'époux tardait, toutes s'assoupirent et s'endormirent. Au milieu de la nuit, il y eut un cri : Voici l'époux, sortez à sa rencontre ! Alors toutes ces vierges se levèrent et préparèrent leurs lampes. Les folles dirent aux sages : Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s'éteignent. Les sages répondirent : Non, il n'y en aurait pas assez pour nous et pour vous ; allez plutôt chez ceux qui en vendent et achetez-en pour vous. Pendant qu'elles allaient en acheter, l'époux arriva ; celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui au (festin) de noces, et la porte fut fermée. Plus tard, les autres vierges arrivèrent aussi et dirent : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous. Mais il répondit : En vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas. Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour, ni l'heure. »
 
L'histoire elle-même est basée sur les coutumes orientales du mariage que les auditeurs attentifs du Seigneur connaissaient bien. Il était et il est encore commun dans ces pays, en particulier lors des festins de noces dans les classes riches, que l'époux se rendit chez l'épouse, accompagné en procession par ses amis, et conduisît plus tard l'épouse à sa nouvelle demeure, suivi d'un groupe plus grand, composé de garçons d'honneur, de dames d'honneur, de parents et d'amis. À mesure que les personnes qui faisaient partie de la fête avançaient, accompagnées d'une musique joyeuse, le cortège s'augmentait de petits groupes qui s'étaient rassemblés pour attendre à des endroits propices le long de la route, et en particulier vers le bout du chemin où des compagnies organisées avançaient à la rencontre de la procession. Les cérémonies de mariage étaient fixées pour la soirée et la nuit, et l'usage nécessaire des torches et des lampes donnait de l'éclat et une beauté supplémentaire à la scène.
 
Dans la parabole, dix vierges attendaient pour accueillir et s'unir aux gens de la noce dont l'heure d'arrivée était incertaine. Chacune avait sa lampe attachée au bout d'un bâton de manière qu'on pût la tenir en l'air lors de la procession, mais des dix vierges cinq avaient sagement emmené une quantité supplémentaire d'huile, tandis que les cinq autres, se disant probablement que le délai ne serait pas grand, ou pensant qu'elles pourraient emprunter aux autres, ou n'ayant peut-être pas réfléchi du tout à la question par négligence, n'avaient d'autre huile que celle dont elles avaient rempli leur lampe au départ. L’époux tarda, et les vierges qui attendaient s'assoupirent et tombèrent endormies. À minuit, l'avant-garde de la procession des noces annonça à grands cris l'approche de l'époux, et s'écria en hâte : « Sortez à sa rencontre ! » Les dix vierges, qui ne dormaient plus mais s'empressaient, se mirent au travail pour activer leur lampe ; c'est alors que les vierges sages eurent l'occasion d'utiliser l'huile qu'elles avaient dans leurs bouteilles, tandis que les cinq vierges irréfléchies se lamentaient de leur manque d'huile, car leurs lampes étaient vides, et elles n'avaient pas d'huile pour les remplir. Elles firent appel à leurs sœurs plus sages, demandant à partager l'huile ; mais celles-ci refusèrent, car donner de leurs réserves à un moment aussi important, ç'aurait été se disqualifier, étant donné qu'il n'y avait assez d'huile que pour leurs propres lampes. Au lieu d'huile, elles ne pouvaient donner que des conseils à leurs malheureuses sœurs, à qui elles recommandèrent d'aller au magasin le plus proche en acheter. Tandis que les vierges folles étaient parties à la recherche d'huile, la noce entra dans la maison où le festin était donné, et on ferma la porte aux retardataires. Plus tard, les vierges folles, arrivant trop tard pour prendre part à l'entrée de la procession, crièrent à l'extérieur, demandant à être reçues ; mais l'époux refusa de leur accorder leur demande et nia absolument les connaître, puisqu'elles ne se trouvaient pas parmi sa suite ni celle de l'épouse.
 
L'époux est le Seigneur Jésus ; le festin de noces symbolise sa venue en pleine gloire pour recevoir l'Église terrestre pour épouse [13]. Les vierges représentent ceux qui professent croire au Christ, et par conséquent, s'attendent avec confiance à être comptés parmi les bienheureux qui participeront au festin. La lampe allumée, que chacune des vierges portait, est la profession extérieure de croyance et de pratique chrétiennes ; dans les réserves d'huile des vierges sages, nous pouvons voir la force et l'abondance spirituelles que seules la diligence et la dévotion au service de Dieu peuvent assurer. Le manque d'huile chez les vierges folles est analogue au manque de terre dans le champ pierreux, dans lequel la semence a germé rapidement mais s'est bientôt desséchée [14]. La venue de l'époux fut soudaine ; cependant les vierges qui attendaient ne furent pas considérées comme blâmables parce qu'elles avaient été surprises de cette brusque nouvelle, mais les cinq vierges folles subirent les résultats naturels de leur manque de préparation. Il ne faut pas considérer comme un manque de charité le fait que les vierges sages refusèrent de donner de leur huile à un moment aussi critique ; cet événement symbolise le fait que le jour du jugement chaque âme devra répondre d'elle-même ; il n'est aucun moyen par lequel la justice de l'un puisse être mise au crédit d'un autre ; la doctrine de la surérogation est entièrement fausse [15]. Le reniement condamnateur de l'Époux : « Je ne vous connais pas », équivalait à une déclaration que les vierges implorantes mais négligentes, qui n'étaient pas prêtes, ne le connaissaient pas [16].
 
Le Seigneur résuma d'une manière magistrale l'explication de la parabole et sa richesse de suggestions splendides par cette exhortation impressionnante : « Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour, ni l'heure. » L'accomplissement des prédictions contenues dans cette précieuse parabole est encore futur, mais proche. En 1831, le Seigneur Jésus-Christ révéla de nouveau les signes par lesquels on pourrait reconnaître l'imminence de son avènement glorieux. Par la bouche de son prophète Joseph Smith, il dit : « Ce jour-là, lorsque je viendrai dans ma gloire, la parabole que j'ai racontée au sujet des dix vierges sera accomplie. Car ceux qui sont sages, ont accepté la vérité, ont pris le Saint-Esprit pour guide et n'ont pas été séduits - en vérité, je vous le dis, ils ne seront pas abattus et jetés au feu, mais supporteront le jour. Et la terre leur sera donnée en héritage ; ils multiplieront et se fortifieront, et leurs enfants grandiront sans péché au salut. Car le Seigneur sera au milieu d'eux, sa gloire sera sur eux et il sera leur roi et leur législateur » [17].
 
S'adressant toujours avec une ferveur solennelle aux apôtres, tandis que les ombres du soir s'intensifiaient autour du mont des Oliviers, le Seigneur donna la dernière des paraboles qui nous soient rapportées. Nous l'appellerons la parabole des talents [18].
 
« Il en sera comme d'un homme qui en partant pour un voyage appela ses serviteurs, et leur confia ses biens. Il donna cinq talents à l'un, deux à l'autre, et un au troisième, à chacun selon sa capacité et il partit en voyage. Aussitôt celui qui avait reçu les cinq talents s'en alla, les fit valoir et en gagna cinq autres. De même, celui qui avait reçu les deux talents en gagna deux autres. Celui qui n'en avait reçu qu'un alla faire un trou dans la terre et cacha l'argent de son maître. Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et leur fit rendre compte. Celui qui avait reçu les cinq talents s'approcha en apportant cinq autres talents et dit : Seigneur, tu m'avais confié cinq talents ; voici cinq autres que j'ai gagnés. Son maître lui dit : Bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, je t'établirai sur beaucoup ; entre dans la joie de ton maître. Celui qui avait reçu les deux talents s'approcha aussi et dit : Seigneur, tu m'avais confié deux talents, en voici deux autres que j'ai gagnés. Son maître lui dit : Bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, je t'établirai sur beaucoup ; entre dans la joie de ton maître. Celui qui n'avait reçu qu'un talent s'approcha ensuite et dit : Seigneur, je savais que tu es un homme dur, qui moissonnes où tu n'as pas semé, et qui récoltes où tu n'as pas répandu ; j'ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre ; voici : prends ce qui est à toi. Son maître lui répondit : Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé, et que je récolte où je n'ai pas répandu ; il te fallait donc placer mon argent chez les banquiers, et à mon retour, j'aurais retiré ce qui est à moi avec un intérêt. Otez-lui donc le talent, et donnez-le à celui qui a les dix talents. Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce qu'il a. Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. »
 
Certaines des ressemblances entre cette parabole et celle des mines [19] apparaîtront dès la première lecture ; mais en comparant et en étudiant on découvre des différences importantes. La première parabole fut prononcée devant une multitude mêlée au cours du dernier voyage que notre Seigneur fit de Jéricho à Jérusalem ; la dernière fut donnée en privé à ses disciples les plus intimes dans les dernières heures du dernier jour de sa prédication publique. Les deux paraboles doivent être étudiées ensemble. Dans l'histoire des mines, un capital égal est donné à chacun des serviteurs, et les capacités diverses des hommes d'utiliser et d'appliquer, avec des résultats proportionnés sous forme de récompense ou de châtiment, y sont démontrées ; dans celle des talents, les serviteurs reçoivent des quantités différentes, « à chacun selon sa capacité » ; et une diligence égale, quoique se soldant dans un cas par un grand bénéfice et dans l'autre par une augmentation réduite mais proportionnée, est récompensée d'une manière égale. Dans les deux paraboles, ce sont l'infidélité et la négligence qui sont condamnées et punies.
 
Dans la parabole que nous examinons maintenant, nous voyons le maître remettre sa richesse entre les mains de ses serviteurs, littéralement ses esclaves ; ils lui appartenaient aussi bien que les biens qui leur étaient confiés. Ces serviteurs n'avaient aucun droit de possession réelle, aucun titre à être en permanence possesseurs du trésor confié à leurs soins ; tout ce qu'ils avaient, le temps et l'occasion d'utiliser leurs talents et eux-mêmes, appartenait à leur Seigneur.
 
Nous ne pouvons manquer de voir, dès les premiers incidents de l'histoire, que le maître des serviteurs était le Seigneur Jésus ; les serviteurs étaient par conséquent les disciples et plus particulièrement les apôtres qui, bien qu'ils eussent une autorité égale par ordination dans la sainte prêtrise, comme l'illustre tout particulièrement la parabole précédente des mines, étaient de capacités diverses, de personnalités différentes et inégaux en général en nature et dans les accomplissements qu'ils seraient appelés à utiliser pendant tout leur ministère. Le Seigneur était sur le point de partir ; il ne reviendrait que « longtemps après » ; l'importance de ce dernier détail est la même que celle que nous trouvons dans la parabole des dix vierges lorsqu'il y est déclaré que l'époux tardait.
 
Au moment des comptes, les serviteurs qui avaient bien agi, celui avec ses cinq talents, l'autre avec ses deux, firent joyeusement rapport, conscients qu'ils étaient de s'être au moins efforcés de faire de leur mieux. Le serviteur infidèle proféra une excuse grognonne en guise de préambule à son rapport, dans laquelle il accusait le maître d'injustice. Les serviteurs honnêtes, diligents et fidèles voyaient et respectaient dans leur Seigneur la perfection des qualités qu'ils possédaient dans une certaine mesure ; le serf paresseux et inutile, affligé d'une vue déformée, professait voir chez le maître ses propres et vils défauts. Dans ce détail, comme dans les autres traits relatifs aux actes et aux tendances humaines, cette histoire est psychologiquement vraie ; étrangement, les hommes ont tendance à penser que les attributs de Dieu sont, à un degré accru, les traits dominants de leur propre nature.
 
Le serviteur qui avait reçu cinq talents et celui qui n'en avait reçu que deux furent félicités de la même manière, et, pour autant que nous sachions, furent récompensés de la même manière. Les talents qui avaient été confiés à chacun d'eux étaient le don de son Seigneur, qui savait bien si ce serviteur était capable d'en exploiter au mieux un, deux ou cinq. Que personne n'en tire la conclusion que les bonnes œuvres d'une envergure relativement réduite sont moins nécessaires ou acceptables que les services analogues d'une envergure plus grande. Maint homme qui a bien réussi dans les affaires avec un petit capital aurait échoué s'il avait dû administrer de vastes sommes ; il en va de même dans les accomplissements spirituels : « Il y a diversité de dons, mais le même Esprit » [20]. On attendait de plus grands bénéfices de la part de l'homme doté de nombreux talents ; il n'était requis que relativement peu de l'homme qui n'avait qu'un seul talent, et cependant il échoua dans le peu qu'on lui demandait [21]. Il aurait au moins pu remettre l'argent à la banque, qui l'aurait maintenu en circulation au profit de la communauté et aurait gagné entre-temps des intérêts. De même, dans l'application spirituelle, un homme qui possède un don tel que le talent musical, l'éloquence, l'adresse manuelle ou quelque chose de semblable doit utiliser ce don au maximum, afin que lui et les autres puissent en profiter ; mais s'il est trop négligent pour exercer ses capacités dans une activité indépendante, il peut aider les autres à faire un effort profitable, au moins en les encourageant.
 
Qui peut douter, dans l'esprit de l'enseignement du Seigneur, que si l'homme avait pu faire rapport qu'il avait doublé son unique talent, il aurait été aussi cordialement félicité et aussi richement récompensé que ses deux collègues mieux doués et plus fidèles ? Il est à remarquer que le Seigneur ne daigne pas réfuter l'accusation d'injustice que le serviteur infidèle porte contre lui ; l'esprit de la réponse était le même que celui qui s'exprima dans la parabole antérieure : « Je te jugerai sur tes paroles, mauvais serviteur » [22]. L'homme indigne cherchait à s'excuser en employant le subterfuge méprisable mais malheureusement trop commun de rejeter présomptueusement la culpabilité sur un autre et, dans ce cas, cet autre était son Seigneur. Les talents ne sont pas donnés pour être ensevelis, puis pour être déterrés et rendus sans avoir été exploités, exhalant l'odeur de terre et ternis par la rouille de l'inutilité. Le talent non employé fut à juste titre enlevé à l'homme qui l'avait considéré comme de si peu de valeur et fut donné à quelqu'un qui, quoique possédant beaucoup, utiliserait le don supplémentaire à son profit pour l'amélioration de ses semblables et pour la gloire de son Seigneur.
 
LE JUGEMENT INÉVITABLE [23]
 
Le Seigneur avait prononcé sa dernière parabole. En termes simples quoique empreints de la beauté propre aux excellentes comparaisons, il pénétra les disciples qui l'écoutaient de la certitude du jugement qui s'abattra sur le monde le jour de son apparition. Alors le blé sera séparé de l'ivraie [24], et les brebis seront séparées des boucs. « Lorsque le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, avec tous les anges, il s'assiéra sur son trône de gloire. Toutes les nations seront assemblées devant lui. Il séparera les uns d'avec les autres, comme le berger sépare les brebis d'avec les boucs, et il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. » Ceux qui se trouvent à sa droite, le roi les félicitera et les bénira, leur accordant une belle récompense pour leurs bonnes œuvres, manifestées chez les affamés qu'ils ont nourris, les assoiffés à qui ils ont donné à boire, les étrangers qu'ils ont logés, les gens nus qu'ils ont vêtus, les malades qu'ils ont soignés, les prisonniers qu'ils ont visités et encouragés, tous actes de miséricorde qu'il a portés à leur crédit, disant qu'ils les ont faits à leur Seigneur en personne. La multitude bénie, comblée par les bienfaits du roi, dont elle se considère indigne, niera les mérites qui lui sont attribués. « Et le roi leur répondra : En vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous avez fait cela à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. »
 
À ceux qui se trouvent à gauche et attendent, le roi rappellera leurs divers manquements, disant qu'ils ne lui ont donné ni nourriture, ni boisson, ni abri, ni vêtement alors qu'il en avait besoin ; qu'ils ne l'ont pas non plus visité bien qu'il fût malade, et qu'ils n'ont pas répondu à ses besoins tandis qu'il se trouvait en prison. Dans leur angoisse désespérée, ceux-ci demanderont quand et où ils ont eu pareilles occasions de le réconforter, et il répondra : « En vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous n'avez pas fait cela à l'un de ces plus petits, c'est à moi que vous ne l'avez pas fait. » Les justes seront accueillis par : « Venez, vous qui êtes bénis de mon Père » ; les méchants entendront la sentence terrible : « Retirez-vous de moi, maudits. » La vie éternelle est la récompense inestimable ; le châtiment éternel, la condamnation insondable [25].
 
En considérant comme un seul discours les deux paraboles et l'enseignement qui les suivit immédiatement, nous y trouvons une unité de sujet et une profondeur d'analyse qui donnent à l'ensemble une beauté et une valeur dépassant la somme des qualités que révèlent les diverses parties. L'histoire des vierges symbolise l'attente vigilante dans la cause du Seigneur et les dangers du manque de préparation ; les traits dominants de l'histoire des talents sont la diligence dans le travail et les résultats calamiteux de la paresse. Ces deux aspects du service ont une importance réciproque et complémentaire ; il est aussi nécessaire à certains moments d'attendre qu'à d'autres de travailler. Le retard de l'époux et l'absence du maître parti « pour un voyage » montrent clairement qu'une longue période s'écoulera entre le départ du Seigneur et son retour en gloire. Le résumé sublime de ce discours sans pareil est l'absolue certitude que le Christ viendra juger la terre, jugement par lequel chaque âme recevra selon ses mérites.
 
AUTRE PRÉDICTION PRÉCISE DE LA MORT DU SEIGNEUR
 
Après avoir instruit les apôtres à l'endroit où ils se reposaient au mont des Oliviers et probablement pendant la suite du trajet vers Béthanie ce soir-là, Jésus rappela aux Douze le sort terrible qui l'attendait et précisa l'époque où il serait trahi et la manière dont il mourrait. « Vous savez », dit-il, « que la Pâque a lieu dans deux jours, et que le fils de l'homme sera livré pour être crucifié » [26]. 
 
 [1] Mt 24:3-51, Mc 13:3-37, Lc 21:5-36, cf. PGP, Joseph Smith 1.
 [2] Mc 13:11 ; cf. Mt 10:19, 20, Lc 12:11, 12, 21:14, 15.
 [3] Lc 21:19 ; cf. D&A 101:38.
 [4] Dn 9:27.
 [5] Note 1, fin du chapitre. Note 2, fin du chapitre.
 [6] Mt 24:27 ; cf. Lc 17:22-24.
 [7] On trouvera une application de l'image des aigles se rassemblant autour d'un cadavre au rassemblement d'Israël dispersé, dans PGP, Joseph Smith, Mt 27, où nous lisons : « De la même façon, mes élus seront rassemblés des quatre coins de la terre. » Chez les spécialistes de la Bible, l'interprétation favorite du passage « Où que soit le cadavre là s'assembleront les aigles », c'est que le Christ comparait à des aigles (édition révisée anglaise « vautours ») les anges qui viendront avec lui passer jugement sur l'humanité, et à un cadavre, la corruption du péché. Voir Mt 24:28 ; cf. Lc 17:37.
 [8] Mt 24:35 ; cf. 5:18, Mc 13:31, Le 21:33 ; cf. 16:17 ; voir aussi Hé 1:10, 11, 2 P 3:7-10, Ap 21:1. Note 5, fin du chapitre.
 [9] Voir note 3, fin du chapitre.
 [10] Chap. 26.
 [11] Mt 24:45-51, Mc 13:34-37, Lc 21:34-36 ; cf. 12:35-48.
 [12] Mt 25:1-13.
 [13] Cf. Ap 21:2, 9, 22:17 ; voir aussi Mt 9:15, Jn 3:29.
 [14] Voir parabole du semeur, Mt 13:5, 6, 20, 21 ; chap. 19 du présent ouvrage.
 [15] Note 4, fin du chapitre.
 [16] Cf. Jn 10:14.
 [17] D&A 45:56-59 ; voir aussi 63:53, 54.
 [18] Mt 25:14-30.
 [19] Lc 19:12-27 ; voir aussi chap. 29 du présent ouvrage.
 [20] 1 Co 12:4 ; étudier tout le chapitre.
 [21] Lc 12:48.
 [22] Lc 19:22 ; cf. Mt 12:37.
 [23] Mt 25:31-46.
 [24] Mt 13:24-30 ; chap. 19 du présent ouvrage.
 [25] Chap. 19.
 [26] Mt 26:2.
 
NOTES DU CHAPITRE 32
 
1. Accomplissement rapide des prophéties du Seigneur : Pour ce qui est de l'accomplissement littéral des prédictions du Seigneur relatives aux temps qui suivraient immédiatement son ascension jusqu'à la destruction de Jérusalem, l'étudiant doit se reporter à l'histoire scripturaire et autre. Nous ne pouvons tenter de faire ici qu'un résumé très bref des événements les plus notables.
 
Pour la question des guerres et des bruits ou menaces de guerre, voir Josèphe, Antiquités, XVIII, ch. 9 et Guerres Il, ch. 10. La dernière référence reportera le lecteur au récit du décret promulgué par Caligula, ordonnant que sa statue fût élevée et dûment révérée dans le temple, à la suite de quoi les Juifs protestèrent si violemment que la guerre leur fut déclarée mais n'eut pas lieu du fait de la mort de l'empereur. À propos de la mort de Caligula, Josèphe remarque qu'elle « se produisit fort heureusement pour notre nation en particulier, qui aurait péri presque totalement s'il n'avait été soudainement frappé ». Les empereurs Claude et Néron respectivement proférèrent d'autres menaces de guerre contre les Juifs.
 
Les nations se dressèrent contre les nations, par exemple dans l'assaut des Grecs et des Syriens contre les Juifs, au cours duquel 50000 Juifs furent tués à Séleucie sur le Tigre, et 20000 à Césarée, 13000 à Scythopolis et 2500 à Ascalon. La famine, et la peste qui l'accompagne, sévirent pendant le règne de Claude (41-54 ap. J.-C.) ; Agabus les avait exactement prédites par inspiration (Ac 11:28). La famine fut très violente en Palestine (Josèphe, Antiquités, XX, ch. 2). Les tremblements de terre furent d'une fréquence alarmante et d'une puissance extraordinaire entre la mort du Christ et la destruction de Jérusalem, en particulier en Syrie, en Macédoine et en Achaïe.
 
Voir Tacite, Annales, livres XII et XIV ; on trouvera le récit de violentes secousses telluriques à Rome dans Suétone, Vie de Galba. Josèphe (Guerres IV, chapitre 4) rapporte un tremblement de terre particulièrement violent qui bouleversa certaines parties de la Judée et s'accompagna de « secousses et de grondements étonnants de la terre - signes évidents qu'une destruction s'abattait sur les hommes ». La menace des « phénomènes terribles et de grands signes dans le ciel » que rapporte Luc, se réalisa dans les événements phénoménaux notés par Josèphe (Préface des Guerres).
 
Le docteur Adam Clarke dit, dans son commentaire sur des passages de Mt 24, à propos des persécutions qui s'abattirent sur les apôtres et d'autres, et sur leur mise en accusation devant les dirigeants : « Nous n'avons pas besoin d'aller plus loin que les Actes des Apôtres pour voir ces détails se réaliser. Les uns, comme Pierre et Jean, furent livrés aux tribunaux (Ac 4:5). Les autres, comme Paul devant Gallion (18:12), devant Félix (chap. 24), devant Festus et Agrippa (ch. 25) furent amenés devant des gouverneurs et des rois. D'autres, comme par exemple Étienne (6:10), et Paul qui fit trembler jusqu'à Félix lui-même (24:25) eurent des paroles et une sagesse auxquelles leurs adversaires furent incapables de résister. D'autres encore, comme Pierre et Jean, furent emprisonnés (4:3). D'autres toujours furent battus, comme Paul et Silas (16:23). D'autres enfin, comme Étienne (7:59) et Jacques, frère de Jean, furent mis à mort. Mais si nous regardons au-delà du livre des Actes des Apôtres, pour voir les persécutions sanglantes qui se produisirent sous Néron, nous verrons ces prédictions encore plus complètement accomplies ; outre ces deux champions de la foi, Pierre et Paul, de nombreux chrétiens y périrent. Et ce fut, comme le dit Tertullien, une guerre contre le nom même du Christ ; car celui à qui l'on donnait le nom de chrétien avait commis, en portant ce nom, un crime suffisamment grand pour qu'on le mit à mort. Tant étaient vraies les paroles de notre Seigneur lorsqu'il disait qu'ils seraient haïs de tous les hommes à cause de son nom. »
 
Parmi les faux prophètes et les hommes qui se prétendaient ministres dûment accrédités du Christ, il y avait Simon le magicien qui attira beaucoup de gens derrière lui (Ac 8:9, 13, 18-24, voir aussi La Grande apostasie, 7:1,2), Ménandre, Dosithée et Théudas et les faux apôtres dont parle Paul (2 Co 11:13) et d'autres, tels qu'Hyménée et Philète (2 Tm 2:17,18). Le Commentary, de Dummelow, applique ici le récit de Josèphe concernant « un groupe d'hommes méchants, qui trompaient et séduisaient le peuple prétendant avoir l'inspiration divine, qui convainquirent la multitude d'agir comme des fous et marchèrent devant elle dans le désert, prétendant que Dieu lui montrerait là les signes de la victoire ». Comparer avec 2 P. 2:1, 1 Jn 2:18, 4:1. Le fait que l'amour d'un grand nombre de personnes se refroidit, tant avant qu'après la destruction de Jérusalem, est attesté par l'apostasie mondiale, laquelle fut le résultat de la corruption de l'Église de l'intérieur et des persécutions exercées contre elle de l'extérieur (voir La Grande apostasie, chap. 3-9).
 
La prédication de l'Évangile et du royaume « dans le monde entier » n'en fut pas moins réellement une caractéristique essentielle de la période apostolique que ne l'est l'époque actuelle ou dernière dispensation de l'Évangile. L'expansion rapide de l'Évangile et la croissance phénoménale de l'Église sous la direction des apôtres d'autrefois est considérée comme l'une des merveilles de l'histoire (La Grande apostasie 1:21, et la citation d'Eusèbe). Paul, écrivant trente ans environ après l'ascension du Christ affirme que l'Évangile avait déjà été porté à toutes les nations et avait « été prêché à toute créature sous le ciel » (Col 1:23, comparer avec verset 6).
 
« L'abomination de la désolation » citée par le Seigneur d'après la prophétie de Daniel s'accomplit littéralement lorsque l'armée romaine mit le siège devant Jérusalem (comparer avec Lc 21:20, 21). Pour les Juifs, les enseignes et les images des Romains étaient une abomination dégoûtante. Josèphe (Guerres VI, chap. 6) dit que les enseignes romaines furent dressées à l'intérieur du temple et que la soldatesque offrit des sacrifices devant elles.
 
L'avertissement donné à tous de fuir Jérusalem et la Judée pour aller dans les montagnes quand les armées commenceraient à entourer la ville fut suivi d'une manière si générale par les membres de l'Église que, selon les premiers écrivains de l'Église, il ne périt pas un seul chrétien dans ce terrible siège (voir Eusèbe, Hist. Ecclés., livre Ill, chap. 5). Le premier siège mis par Gallus fut levé inopinément. Alors, avant que les armées de Vespasien n'arrivassent aux murs, tous les Juifs qui avaient foi dans l'avertissement que le Christ avait donné aux apôtres et que ceux-ci avaient donné au peuple, s'enfuirent au-delà du Jourdain et s'assemblèrent surtout à Pella (comparer avec Josèphe, Guerres II, ch. 19).
 
Pour ce qui est des horreurs sans précédent du siège qui culminèrent dans la destruction totale de Jérusalem et du temple, voir Josèphe, Guerres VI, ch. 3 et 4. Cet historien estime que le nombre de tués, rien qu'à Jérusalem, s'élevait à 1100000 et dans d'autres villes et les régions rurales un tiers de plus encore. On trouvera des détails dans Josèphe, Guerres II, ch. 18, 20, 1112, 7, 8, 9, IV 1, 2, 7, 8, 9, VII, 6, 9, 11. Des dizaines de milliers de personnes furent emmenées en captivité pour être vendues plus tard comme esclaves ou être massacrées par des bêtes sauvages ou dans les combats de gladiateurs dans l'arène pour l'amusement des spectateurs romains. Au cours du siège, un mur fut édifié autour de la ville tout entière, accomplissant ainsi la prédiction du Seigneur (Lc 19:43) : « Tes ennemis t'environneront de palissades. » En septembre de 70 après J.-C., la ville tomba au pouvoir des Romains, et par la suite sa destruction fut si complète que son emplacement fut passé à la charrue. Jérusalem fut « foulée aux pieds par les nations », et dès lors s'est trouvée sous la domination des nations et continuera à l'être « jusqu'à ce que les temps des nations soient accomplis » (Lc 21:24).
 
2. Dans le désert et les chambres secrètes : Le 24e chapitre de Matthieu et les écritures parallèles de Marc 13 et Luc 21 sont plus faciles à comprendre si nous nous rappelons que le Seigneur y parle de deux événements distincts, chacun étant la fin de longues périodes de préparation et le premier d'un prototype du deuxième. Beaucoup de prédictions précises s'appliquent à la fois à l'époque précédant la destruction de Jérusalem et les événements des temps qui s'ensuivront jusqu'à la seconde venue du Christ, ou contemporaine de ces faits. Le passage de Mt 24:26 peut recevoir cette double application. Josèphe parle d'hommes emmenant d'autres personnes dans le désert, disant en vertu d'une prétendue inspiration qu'elles y trouveraient Dieu ; et le même historien parle d'un faux prophète qui en conduisit beaucoup dans les chambres secrètes du temple au cours de l'assaut romain, leur promettant que le Seigneur les y délivrerait. Hommes, femmes et enfants suivirent ce chef fanatique et furent pris dans l'holocauste, de sorte que 6000 d'entre eux périrent dans les flammes (Josèphe, Guerres XI, ch. 5). Concernant une application des préceptes du Seigneur à des temps et des situations ultérieurs, l'auteur a écrit ailleurs (La Grande apostasie, 7:22, 25) : « L'une des hérésies du début et qui se développa rapidement dans l'Église fut la doctrine de l'antagonisme entre le corps et l'esprit selon laquelle le premier était considéré comme un fardeau et comme une malédiction. D'après ce que l'on a dit, on reconnaîtra en cela une des perversions dérivées de l'alliance du gnosticisme avec le christianisme. Un des résultats de cette greffe des doctrines païennes fut une croissance abondante de vie anachorétique par laquelle les hommes cherchaient à affaiblir, torturer et subordonner leur corps, pour que leur esprit ou « âme », puisse acquérir plus de liberté. Beaucoup de ceux qui adoptèrent cette vision artificielle de l'existence humaine se retirèrent dans le désert pour être seuls et passèrent leur temps à d'austères pratiques d'abnégation et à des actes de torture personnelle frénétique. D'autres s'enfermèrent comme prisonniers volontaires, cherchant la gloire dans la privation et dans la pénitence qu'ils s'imposaient à eux-mêmes. Ce fut cette vision artificielle de la vie qui donna naissance aux différents ordres de reclus, d'ermites et de moines.
 
Ne pensez-vous pas que le Christ ait eu ces pratiques à l'esprit quand, avertissant les disciples des fausses prétentions à la sainteté qui caractériseraient les temps qui devaient bientôt suivre, il dit : « Si donc on vous dit : Voici : il est dans le désert, n'y allez pas ; voici : il est dans les chambres, ne le croyez pas » ?
 
3. L'époque de l'avènement du Christ est inconnue : Lorsque le Seigneur dit que l'époque de son avènement était inconnue de l'homme, et que les anges ne la connaissaient pas, « ni le Fils », mais qu'elle n'est connue que du Père, il parlait clairement et sans ambiguïté, en dépit des commentaires, nombreux et contradictoires qui ont été faits sur ces paroles. Jésus affirma à de nombreuses reprises que sa mission était de faire la volonté du Père ; et il est évident que la volonté du Père lui fut révélée de temps en temps. Tandis qu'il se trouvait dans la chair, il ne prétendit pas à l'omniscience. Bien qu'il pût apprendre tout ce qu'il voulait en communiquant avec le père, Jésus n'avait pas demandé à savoir ce que le Père ne s'était pas déclaré prêt à révéler, à savoir le jour et l'heure fixés pour le retour sur la terre du Fils glorifié et ressuscité. Nous ne devons pas hésiter à croire qu'à l'époque où Jésus fit aux apôtres le discours que nous examinons ici, il n'était pas au courant de la question, car il le dit. Dans le dernier entretien entre le Christ et les apôtres, immédiatement avant son ascension (Ac 1:6,7) ils demandèrent : « Seigneur, est-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume pour Israël ? Il leur répondit : Ce n'est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. » Et depuis, la date de la fin messianique n'a été révélée à personne ; bien que d'ores et déjà le figuier pousse rapidement ses feuilles, et celui qui a des yeux pour voir et un cœur pour comprendre sait que l'été du dessein du Seigneur est proche.
 
4. La doctrine erronée de la surérogation : Parmi les erreurs pernicieuses promulguées comme dogmes autorisés par l'Église apostate au cours de la longue période de ténèbres spirituelles qui suivit la fin du ministère apostolique, il faut compter la terrible énormité que l'on appelle la doctrine de la surérogation. Comme le dit Mosheim (Ecc. Hist. Cent. XII, 2e partie, ch. 3:4), cette horrible doctrine fut formulée comme suit au treizième siècle : « Qu'il existait réellement un immense trésor de mérites, composé des actes pieux et des actions vertueuses que les saints avaient accomplis au-delà de ce qui était nécessaire pour leur propre salut, et qui était par conséquent disponible au profit des autres ; que le gardien et le dispensateur de ce trésor précieux était le pontife romain et que, par voie de conséquence, il avait le pouvoir d'accorder à ceux qu'il voulait, une partie de cette source inépuisable de mérites, selon leur culpabilité respective et en quantité suffisante pour les délivrer du châtiment dû à leurs crimes. » Concernant la fausseté de cette doctrine, l'auteur a écrit (La Grande apostasie, 9:15) ce qui suit : « La doctrine de la surérogation manque tout autant de raison que de base [scripturaire] et de véracité. La responsabilité individuelle de l'homme pour ses actes est tout aussi sûrement un fait que son libre arbitre d'agir, pour lui-même. Il sera sauvé par les mérites et par le sacrifice expiatoire de notre Rédempteur et Sauveur ; et son appel au salut fourni dépend strictement de sa soumission aux principes et ordonnances de l'Évangile tel que Jésus-Christ l'a établi. La rémission des péchés et le salut [final] de l'âme humaine sont donnés ; mais ces dons de Dieu ne peuvent s'acheter avec de l'argent. Comparer avec les terribles fausses idées de la surérogation et la pratique blasphématoire de prendre sur soi de remettre les péchés d'un homme sur la base des mérites d'un autre avec la déclaration du seul et unique Sauveur de l'humanité : « je vous le dis : au jour du jugement, les hommes rendront compte de toute parole vaine qu'ils auront proférée. » Si l'on peut tirer des conclusions en matière de doctrine des paraboles de notre Seigneur, la parabole des dix vierges réfute la suggestion satanique que le péché d'un homme peut être neutralisé par la droiture d'un autre. Nous ne connaissons d'autre surérogation que celle du Seigneur Jésus-Christ, par les mérites duquel le salut est mis à la portée de tous les hommes.
 
5. « Cette génération » : Consultez n'importe quel bon dictionnaire non abrégé de la langue anglaise, vous y trouverez la preuve que le terme « génération » dans le sens d'une période de temps, a beaucoup de sens, parmi lesquels on trouve « race, espèce, classe ». Le terme ne se limite pas à un groupe de gens vivant à un moment donné. La Bible Cyclopedia, Critical and Expository, de Fausett, après avoir cité un grand nombre de sens qui se rattachent au mot, dit : « Dans Mt 24:34 ‘Cette génération ne passera point (à savoir la race juive, dont la génération à l'époque du Christ était un échantillon : comparez le discours du Christ à la « génération » 23:35, 36 prouvant que « génération » signifie parfois la race juive tout entière) que tout cela n'arrive’ - prophétie annonçant que les Juifs constitueront encore un peuple distinct lorsque le Seigneur reviendra. »
 
 
CHAPITRE 33 : LA DERNIÈRE CÈNE ET LA TRAHISON
 
LES CONSPIRATEURS ECCLÉSIASTIQUES ET LE TRAÎTRE
 
À l'approche de la fête annuelle de la Pâque, et en particulier au cours des deux jours qui précédèrent immédiatement le commencement de la fête, les principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple, bref, le sanhédrin et le parti ecclésiastique tout entier, se consultèrent constamment pour déterminer la meilleure façon d'arrêter Jésus et de le mettre à mort. À l'une de ces sinistres assemblées, qui se tenait au palais du souverain sacrificateur, Caïphe [1], on décida de se saisir de Jésus d'une manière subtile si possible, car une arrestation ouverte aurait probablement pour effet de soulever le peuple. Les dirigeants craignaient tout particulièrement un éclat des Galiléens, qui manifestaient une fierté de provinciaux devant l'importance de Jésus, un des leurs, et dont un grand nombre se trouvait alors à Jérusalem. On conclut en outre, et pour les mêmes raisons, que la coutume juive de faire des exemples frappants des transgresseurs notoires en leur infligeant un châtiment public aux époques des grandes assemblées générales devait être mise de côté dans le cas de Jésus ; les conspirateurs dirent donc : « Pas en pleine fête, afin qu'il n'y ait pas de tumulte parmi le peuple. »
 
Ils avaient déjà vainement essayé en d'autres occasions de se saisir de Jésus [2], et ils doutaient naturellement du résultat de leurs machinations ultérieures. À ce moment ils furent encouragés et réjouis dans leur complot pervers par l'apparition d'un allié inattendu. Judas Iscariot, l'un des Douze, demanda audience auprès de ces dirigeants des Juifs, et l'infâme se proposa pour trahir son Seigneur et le livrer entre leurs mains [3]. Mû par une cupidité diabolique qui n'était probablement qu'un élément secondaire dans la cause réelle de sa trahison perfide, il offrit de vendre son Maître pour de l'argent et marchanda avec les acheteurs ecclésiastiques sur le prix du sang du Sauveur. « Que voulez-vous me donner ? » demanda-t-il. « Et ils lui payèrent trente pièces d'argent » [4]. Ce montant, correspondant à dix-sept dollars de notre argent environ, mais d'un pouvoir d'achat beaucoup plus grand parmi les Juifs de cette époque que maintenant chez nous, était le prix fixé par la loi pour la vente d'un esclave ; c'était aussi la somme prévue comme prix du sang à payer pour trahir le Seigneur [5]. Les événements ultérieurs montrent que l'argent fut bien payé à Judas, soit lors de cette première entrevue, soit au cours d'une rencontre ultérieure du traître et des prêtres [6].
 
Il s'était engagé dans l'acte de trahison le plus noir dont l'homme soit capable, et, dès lors, il chercha l'occasion de pousser sa promesse infâme jusqu'à son accomplissement plus vil encore. Nous serons encore affligés plus loin par d'autres aperçus du pervers Iscariot dans le déroulement de ce terrible récit de tragédie et de perdition ; disons pour le moment qu'avant que Judas ne vendît le Christ aux Juifs, il s'était vendu au diable ; il était devenu l'esclave de Satan et obéissait aux ordres de son maître.
 
LA DERNIÈRE CÈNE
 
La veille du moment où l'on mangeait l'agneau pascal était devenue pour les Juifs le premier jour de la fête des pains sans levain [7] ; puisque en ce jour-là tout le levain devait être enlevé de leurs demeures, et dès lors il était illégal, pendant huit jours, de manger quoi que ce fût qui contint du levain. L'après-midi de ce jour-là, les agneaux pascaux étaient immolés dans la cour du temple par les représentants des familles ou des groupes qui allaient manger ensemble, et une partie du sang de chaque agneau était répandue au pied de l'autel du sacrifice par les nombreux prêtres en service ce jour-là. L'agneau immolé que l'on considérait alors sacrifié était emporté au lieu de rassemblement désigné pour ceux qui devaient le manger. Pendant le premier des jours des pains sans levain, qui semble être tombé un jeudi l'année de la mort de notre Seigneur [8], certains des Douze demandèrent à Jésus où ils feraient les préparatifs du repas pascal [9]. Il ordonna à Pierre et à Jean de retourner à Jérusalem et ajouta : « Voici : quand vous serez entrés dans la ville, un homme portant une cruche d'eau vous rencontrera ; suivez-le dans la maison où il entrera, et vous direz au maître de la maison : Le Maître te dit : Où est la salle où je mangerai la Pâque avec mes disciples ? Et il vous montrera une grande chambre haute, aménagée : c'est là que vous préparerez (la Pâque). Ils partirent, trouvèrent les choses comme il le leur avait dit et préparèrent la Pâque. »
 
Le soir, jeudi soir selon notre calcul du temps, mais le début de vendredi selon le calendrier juif [10], Jésus vint avec les Douze, et ils s'assirent ensemble pour le dernier repas que le Seigneur prendrait avant sa mort. Profondément ému, « il leur dit : J'ai désiré vivement manger cette Pâque avec vous, avant de souffrir, car, je vous le dis, je ne la mangerai plus, jusqu'à ce qu'elle soit accomplie dans le royaume de Dieu. Il prit une coupe, rendit grâces et dit : Prenez cette coupe, et distribuez-la entre vous ; car, je vous le dis, je ne boirai plus désormais du fruit de la vigne, jusqu'à ce que le royaume de Dieu soit venu ». Il était de coutume pour l'hôte de commencer le souper de la Pâque en bénissant une coupe de vin, qui était passée ensuite autour de la table à chaque participant. À ce repas solennel, Jésus semble avoir observé les règles essentielles de la procédure de la Pâque ; mais il n'est pas dit qu'il se soit conformé à la pléthore d'exigences dont la coutume traditionnelle et les prescriptions rabbiniques avaient surchargé la fête que Dieu avait établie en mémoire de la libération d'Israël de l'esclavage. Comme nous le verrons, les événements qui se passèrent ce soir-là dans cette chambre haute contenaient beaucoup de choses en plus de l'observance ordinaire d'une fête annuelle.
 
Le repas se déroula dans une atmosphère de tristesse tendue. Comme ils mangeaient, le Seigneur remarqua tristement : « En vérité, je vous le dis, l'un de vous qui mange avec moi me livrera. » La plupart des apôtres se mirent à s'examiner et s'exclamèrent l'un après l'autre : « Est-ce moi, Seigneur ? » Il est agréable de remarquer que chacun de ceux qui posèrent cette question se souciait plus de la pensée terrible qu'il était peut-être transgresseur, même s'il l'était par inadvertance, plutôt que de savoir si son frère était sur le point de se révéler traître. Jésus répondit que c'était l'un des Douze qui mangeaient avec lui du plat commun et poursuivit par cette déclaration terrifiante : « Le Fils de l'homme s'en va, selon ce qui est écrit de lui. Mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l'homme est livré ! Mieux vaudrait pour cet homme n'être jamais né. » Alors judas Iscariot, qui avait déjà convenu de vendre son Maître pour de l'argent, et qui craignait probablement à ce moment-là que son silence n'éveillât les soupçons contre lui, demanda avec une audace impudente qui était véritablement diabolique : « Est-ce moi, Rabbi ? » Avec une promptitude tranchante le Seigneur répondit : « Tu l'as dit » [11]. 
 
Il y eut une autre cause de chagrin pour Jésus lors du souper. Certains des Douze s'étaient mis à se disputer à voix basse sur la question de savoir qui était le plus important de tous [12], peut-être sur le point de savoir dans quel ordre ils devaient s'asseoir à table, détail mesquin sur lequel les scribes et les Pharisiens aussi bien que les Gentils se querellaient souvent [13] ; de nouveau le Seigneur dut rappeler aux apôtres que le plus grand de tous serait celui qui serait le plus disposé à servir ses semblables. Ils l'avaient déjà appris ; et pourtant maintenant, en cette heure tardive et solennelle, ils étaient remplis d'une ambition vaine et égoïste. Avec une ferveur pleine de chagrin le Seigneur les raisonna, demandant qui est le plus grand, celui qui est assis à la table, ou celui qui sert ? Et il ajouta à la réponse évidente la déclaration : « Et moi, cependant, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » Avec une émotion affectueuse il ajouta : « Vous, vous êtes ceux qui avez persévéré avec moi dans mes épreuves [14] » ; puis il leur assura qu'on ne les priverait ni d'honneur ni de gloire dans le royaume de Dieu, car s'ils s'avéraient fidèles, ils recevraient des trônes en qualité de juges d'Israël. Pour ceux de ses élus qui lui étaient fidèles, le Seigneur n'avait d'autre sentiment que l'amour et l'espoir qu'ils vaincraient Satan et le péché.
 
L'ORDONNANCE DU LAVEMENT DES PIEDS [15]
 
Quittant la table, le Seigneur déposa ses vêtements extérieurs et se ceignit d'un linge en guise de tablier ; puis, s'étant muni d'un bassin et d'eau, il s'agenouilla devant chacun des Douze tour à tour, lui lava les pieds et les essuya avec le linge. Lorsqu'il arriva à Pierre, l'impulsif apôtre protesta, disant : « Toi, Seigneur, tu me laverais les pieds ! » Les paroles que le Seigneur adressa à Pierre montrent que son comportement était quelque chose de plus qu'un simple service rendu pour assurer le confort et plus qu'un exemple d'humilité : « Ce que je fais, tu ne le sais pas maintenant, mais tu le comprendras dans la suite. » Pierre, incapable de comprendre, objecta avec plus de véhémence encore : « Non, jamais tu ne me laveras les pieds », s'exclama-t-il. Jésus répondit : « Si je ne te lave, tu n'as point de part avec moi. » Alors avec une impétuosité encore plus grande qu'avant, Pierre implora en tendant les pieds et les mains : « Seigneur, non seulement les pieds, mais encore les mains et la tête. » Il était passé à l'autre extrême, insistant, bien qu'avec ignorance et manque de réflexion, pour que les choses se fassent à sa manière, et cependant incapable de voir que l'ordonnance devait être administrée comme le Seigneur le voulait. Corrigeant de nouveau son serviteur bien intentionné quoique présomptueux, Jésus lui dit : « Celui qui s'est baigné n'a pas besoin de se laver [sauf les pieds], mais il est entièrement pur ; et vous êtes purs, mais non pas tous. » Chacun d'eux avait été immergé lors du baptême ; le lavement des pieds était une ordonnance appartenant à la sainte prêtrise dont ils devaient encore apprendre toute l'importance [16].
 
Ayant repris ses vêtements et étant revenu à sa place à table, Jésus inculqua l'importance de ce qu'il avait fait, en disant : « Vous m'appelez : le Maître et le Seigneur, et vous dites bien, car je (le) suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres ; car je vous ai donné un exemple, afin que, vous aussi, fassiez comme moi je vous ai fait. En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n'est pas plus grand que son seigneur, ni l'apôtre plus grand que celui qui l'a envoyé. Si vous savez cela, vous êtes heureux, pourvu que vous le mettiez en pratique » [17]. 
 
LE SACREMENT DU REPAS DU SEIGNEUR [18]
 
Tandis que Jésus était encore assis avec les Douze à table, il prit un pain ou une galette de pain, et ayant pieusement rendu grâces et l'ayant sanctifié en le bénissant, il en donna un morceau à chacun des apôtres, disant : « Prenez, mangez, ceci est mon corps », ou, selon le récit plus détaillé : « Ceci est mon corps, qui est donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. » Puis, prenant une coupe de vin, il rendit grâces et la bénit, et la leur donna avec ce commandement : « Buvez en tous, car ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui est répandu pour beaucoup, pour le pardon des péchés. Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu'au jour où j'en boirai du nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. » De cette manière simple mais impressionnante fut instituée l'ordonnance qui a pris depuis le nom de sacrement de la Cène du Seigneur. Le pain et le vin, dûment consacrés par la prière, deviennent des emblèmes du corps et du sang du Seigneur, que l'on doit manger et boire pieusement et en souvenir de lui.
 
Les événement qui se déroulèrent lors de l'institution de ce rite sacré furent révélés par la suite à Paul l'apôtre dont le témoignage écrit sur son établissement et sa sainteté s'accorde avec les récits donnés par les évangélistes [19]. Comme nous le montrerons par la suite, le Seigneur institua cette ordonnance parmi les Néphites, sur le continent américain, et il la rétablit dans à notre époque [20]. Au cours des âges sombres de l'apostasie, des changements non autorisés furent introduits dans l'administration de la Sainte-Cène, et beaucoup de fausses doctrines furent promulguées sur sa signification et son effet [21].
 
LE TRAÎTRE SORT DANS LA NUIT [22]
 
En disant aux Douze, dont il avait lavé les pieds : « Vous êtes purs », le Seigneur avait précisé une exception par sa remarque ultérieure : « mais non pas tous. » Jean, qui nous rapporte cet événement, prend soin d'expliquer que Jésus pensait au traître et que c'est pourquoi il dit : « Vous n'êtes pas tous purs. » Iscariot le coupable avait reçu sans protester les services du Seigneur lorsqu'il lui lava ses pieds de renégat, bien qu'après cette ablution il fût spirituellement plus impur qu'avant. Jésus s'était assis et fit part de nouveau de sa connaissance de la duplicité du cœur traître de Judas. « Ce n'est pas de vous tous que je le dis ; je connais ceux que j'ai choisis. Mais il faut que l'Écriture s'accomplisse : Celui qui mange avec moi le pain, a levé son talon contre moi » [23]. Le Seigneur voulait qu'ils se rendissent pleinement compte qu'il savait d'avance ce qui allait se produire, de sorte que lorsque les terribles événements seraient un fait accompli, les apôtres se rendissent compte qu'ainsi les Écritures auraient été accomplies. Troublé en esprit, il répéta l'affirmation terrible que l'un de ceux qui étaient là le trahirait. Pierre fit des signes à Jean qui occupait le siège à côté de Jésus et penchait à ce moment là la tête sur la poitrine du Seigneur, de demander lequel d'entre eux était le traître. À la question chuchotée de Jean, le Seigneur répliqua : « C'est celui pour qui je tremperai le morceau et à qui je le donnerai. »
 
Il n'y avait rien d'extraordinaire pour une personne qui se trouvait à table, en particulier l'hôte, de tremper un morceau de pain dans le plat de sauce ou de mélange savoureux, et de le donner à quelqu'un d'autre. Pareil acte de la part de Jésus n'attira pas l'attention de tout le monde. Il trempa le morceau de pain et le donna à Judas Iscariot, en disant : « Ce que tu fais, fais-le vite. » Les autres comprirent que ce que le Seigneur disait était un ordre de s'acquitter de quelque devoir ou d'une commission ordinaire, peut-être d'acheter quelque chose de plus pour la célébration de la Pâque ou de porter des dons à des pauvres, car Judas était le trésorier du groupe et « tenait la bourse ». Mais Iscariot comprit. Son cœur s'endurcit encore davantage lorsqu'il découvrit que Jésus était au courant de ses plans infâmes, et l'humiliation qu'il éprouvait en présence du Maître le rendit furieux. Lorsque Judas ouvrit la bouche pour recevoir le morceau de pain trempé de la main du Seigneur, « Satan entra en lui » et affirma sa domination maligne. Judas sortit immédiatement, abandonnant pour toujours la compagnie bénie de ses frères et du Seigneur. Jean rapporte le départ du traître par la remarque concise et de mauvais augure : « Il faisait nuit. »
 
LE DISCOURS APRÈS LE REPAS
 
Le départ de Judas Iscariot semble avoir dissipé dans une certaine mesure le nuage de tristesse infinie qui avait déprimé le petit groupe ; et notre Seigneur lui-même fut visiblement soulagé. Dès que la porte se fut refermée sur le déserteur, Jésus s'exclama, comme si sa victoire sur la mort était déjà accomplie : « Maintenant, le Fils de l'homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié en lui. » S'adressant aux Onze en des termes qui révélaient l'affection d'un père, il dit : « Petits enfants, je suis encore pour peu de temps avec vous. Vous me chercherez ; et comme j'ai dit aux Juifs : ‘Là où je vais, vous ne pourrez venir', à vous aussi je le dis maintenant. Je vous donne un commandement nouveau : Aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres » [24]. La loi de Moïse imposait l'amour mutuel entre amis et voisins [25] ; mais le nouveau commandement, qui devait gouverner les apôtres, comprenait un amour d'un ordre supérieur. Ils devaient s'aimer les uns les autres comme le Christ les aimait ; et leur affection fraternelle devait être le signe distinctif de leur apostolat qui permettrait au monde de les reconnaître comme des hommes mis à part.
 
L'allusion que le Seigneur avait faite à la séparation imminente qui allait l'éloigner d'eux troubla les frères. Pierre posa la question : « Seigneur, ou vas-tu ? » Jésus répondit : « Là où je vais, tu ne peux pas maintenant me suivre, mais tu me suivras plus tard. Seigneur, lui dit Pierre, pourquoi ne puis-je pas te suivre maintenant ? Je donnerai ma vie pour toi. » Pierre semble s'être rendu compte que son Maître allait à la mort ; cependant, sans se laisser effrayer, il se déclara prêt à suivre même cette voie ténébreuse plutôt que d'être séparé de son Seigneur. Nous ne pouvons douter du sérieux des intentions de Pierre ni de la sincérité de son désir à ce moment-là. Cependant, dans cet aveu hardi, il n'avait compté qu'avec le désir de son esprit et n'avait pas pris pleinement en considération la faiblesse de sa chair. Jésus, qui connaissait Pierre mieux que l'homme ne se connaissait lui-même, réprimanda tendrement comme suit son excès de confiance : « Simon, Simon, Satan vous a réclamés pour vous passer au crible comme le blé. Mais j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas, et toi, quand tu seras revenu (à moi) affermis tes frères. » Le premier des apôtres, l'homme de pierre, devait encore être converti, ou pour le traduire avec plus de précision, « revenir au Christ » [26] ; car, comme le Seigneur le prévoyait, Pierre serait bientôt vaincu au point de nier connaître le Christ. Lorsque Pierre se déclara de nouveau et avec fermeté prêt à accompagner Jésus, jusqu'en prison ou à la mort, le Seigneur le réduisit au silence par la réflexion : « Pierre, je te le dis, le coq ne chantera pas aujourd'hui, que tu n'aies nié trois fois de me connaître. »
 
Il fallait que les apôtres fussent préparés à faire face à un nouvel état de choses, à une nouvelle situation et à de nouvelles exigences ; des persécutions les attendaient, et ils allaient bientôt être privés de la présence encourageante du Maître. Jésus leur demanda : « Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni sandales, avez-vous manqué de quelque chose ? Ils répondirent : De rien. Et il leur dit : Maintenant, au contraire, que celui qui a une bourse la prenne, de même celui qui a un sac, et que celui qui n'a pas d'épée vende son vêtement et en achète une. Car, je vous le dis, ce qui est écrit doit s'accomplir en moi : Il a été compté parmi les malfaiteurs. Et ce qui me concerne touche à sa fin. » Le Seigneur allait bientôt être compté parmi les malfaiteurs, comme il l'avait prévu [27] ; et ses disciples seraient considérés comme les partisans d'un criminel exécuté. Lorsqu'il parla de bourse, de sac, de sandales et d'une épée, certains des frères s'accrochèrent au sens littéral et dirent : « Seigneur, voici deux épées. » Jésus répondit sèchement : « C'est assez », où comme nous pourrions le dire : « C'en est assez. » Il n'avait pas voulu dire que l'on aurait un besoin immédiat d'armes, et certainement pas pour sa propre défense. De nouveau, ils avaient été incapables de sonder ses paroles ; mais l'expérience le leur enseignerait plus tard [28].
 
Les renseignements que nous avons concernant le dernier discours que Jésus fit aux apôtres avant sa crucifixion, nous les devons à Jean seul parmi les évangélistes ; nous conseillons à chaque lecteur d'étudier soigneusement les trois chapitres dans lesquels ces paroles sublimes sont conservées pour la gouverne de l'humanité [29]. Remarquant l'état de tristesse des Onze, le Maître leur dit de prendre courage, basant leur encouragement et leur espoir sur leur foi en lui. « Que votre cœur ne se trouble pas », dit-il. « Croyez en Dieu, croyez aussi en moi. » Puis, comme s'il écartait le voile séparant l'état terrestre et l'état céleste et donnant à ses fidèles serviteurs un aperçu des conditions qui règnent dans l'au-delà, il poursuivit : « Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père. Sinon, je vous l'aurais dit ; car je vais vous préparer une place. Donc, si je m'en vais et vous prépare une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous y soyez aussi. Et où je vais, vous en savez le chemin » [30]. C'est ainsi qu'en un langage simple et clair, le Seigneur annonça qu'il y a des états gradués dans l'au-delà, une diversité d'emplois et de degrés de gloire, de postes et de places dans les mondes éternels [31]. Il avait affirmé sa Divinité inhérente, et c'est par leur confiance en lui et leur obéissance à ses lois qu'ils trouveraient la voie à suivre pour se rendre au lieu où il était sur le point de les précéder. Thomas, cette âme aimante et brave, quoique quelque peu sceptique, désirant des renseignements plus précis, s'aventura à dire : « Seigneur, nous ne savons où tu vas ; comment en saurions-nous le chemin ? » Dans sa réponse, le Seigneur réaffirma sa divinité : « Moi, je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Et dès maintenant, vous le connaissez et vous l'avez vu. »
 
À ce moment Philippe intervint en disant : « Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit. » Jésus répondit par une réprimande pathétique et douce : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne m'as pas connu, Philippe ! Celui qui m'a vu, a vu le Père. Comment dis-tu : Montre-nous le Père ? » Il était attristé à la pensée que les amis les plus proches et les plus chers qu'il avait sur la terre, ceux à qui il avait conféré l'autorité de la sainte prêtrise, ignoraient de nouveau son unité absolue d'intentions et d'actions avec le Père. Si le Père éternel s'était tenu parmi eux, en personne, dans les conditions qui existaient à cet endroit-là, il aurait fait ce que faisait le Fils bien-aimé et unique, qu'ils appelaient Jésus, leur Seigneur et Maître. Le Père et le Fils étaient si absolument unis de cœur et de volonté que le fait de connaître l'un ou l'autre revenait à connaître les deux ; néanmoins on ne pouvait parvenir au Père que par le Fils. C'est dans la mesure où les apôtres avaient foi au Christ et faisaient sa volonté qu'ils seraient à même d'accomplir les œuvres que le Christ avait faites dans la chair et même des choses plus grandes, car sa mission mortelle n'allait plus durer que quelques heures, et l'exécution du plan divin des siècles réclamerait des miracles encore plus grands que ceux que Jésus avait accomplis pendant la brève durée de son ministère.
 
Pour la première fois, le Seigneur ordonna à ses disciples de prier le Père en son nom et leur donnait l'assurance que les prières qu'ils feraient en justice seraient couronnées de succès : « Et tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. Si vous demandez quelque chose en mon nom, je le ferai » [32]. Le nom de Jésus-Christ serait dorénavant le talisman divinement établi grâce auquel on pourrait invoquer les puissances des cieux pour qu'elles fonctionnent dans toute entreprise juste.
 
Le Saint-Esprit fut promis aux apôtres ; il serait envoyé par l'intercession du Christ, afin d'être pour eux « un autre Consolateur », ou selon des traductions (anglaises, ndt) ultérieures, « un autre Avocat » ou « Auxiliaire », à savoir l'Esprit de vérité, qui, bien que le monde le rejetterait, comme il avait rejeté le Christ, demeurerait avec les disciples et en eux, tout comme le Christ demeurait à ce moment-là en eux et le Père en lui. « Je ne vous laisserai pas orphelins, je viens vers vous. Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez parce que moi je vis, et que, vous aussi, vous vivrez. En ce jour-là, vous connaîtrez que moi, je suis en mon Père, vous en moi, et moi en vous » [33]. Vint ensuite l'assurance que le Christ, bien qu'inconnu du monde, se manifesterait à ceux qui l'aimaient et gardaient ses commandements.
 
Jude Thaddée, également appelé Lebbée [34], « non pas l'Iscariot », précise l'écrivain évangélique, fut intrigué par cette pensée contraire à la tradition et au génie juif d'un Messie qui ne serait connu que de quelques élus et non pas du gros d'Israël ; il demanda : « Seigneur, comment se fait-il que tu doives te manifester à nous et non au monde ? » Jésus expliqua que seuls les fidèles pouvaient obtenir sa compagnie et celle du Père. Il continua à fortifier les apôtres en leur promettant que lorsque le Consolateur, le Saint-Esprit, que le Père enverrait au nom du Fils, viendrait sur eux, il continuerait à les instruire et leur rappellerait les enseignements qu'ils avaient reçus du Christ. Nous retrouvons ici la preuve de la personnalité distincte dont jouit chaque membre de la Divinité, Père, Fils et Saint-Esprit [35]. Réconfortant les disciples toujours troublés, Jésus dit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » ; et, pour qu'ils se rendissent compte que cela avait un sens supérieur à la salutation conventionnelle de l'époque, car « la paix soit avec vous » était le salut quotidien des Juifs, le Seigneur affirma qu'il faisait cette prière dans un sens supérieur, et « pas comme le monde donne ». Leur demandant de nouveau de faire taire leur chagrin et de ne pas avoir peur, Jésus ajouta : « Vous avez entendu que je vous ai dit : je m'en vais et je reviendrai vers vous. Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais vers le Père, car le Père est plus grand que moi. » Le Seigneur fit clairement entendre à ses serviteurs qu'il leur avait déjà dit tout cela d'avance, de manière que lorsque les événements prédits se produiraient les apôtres verraient leur foi en lui, le Christ, fortifiée. Il n'avait pas le temps d'en dire beaucoup plus, car l'heure suivante verrait le commencement du combat suprême ; « le prince du monde vient », dit-il, et il ajouta d'une voix triomphante : « Il n'a rien en moi » [36]. 
 
Dans une allégorie superbe le Seigneur commença alors d'illustrer les rapports vivants qui existaient entre les apôtres et lui, et entre lui et le Père, en employant pour image un vigneron, un cep et des sarments [37] : « Moi, je suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, il le retranche ; et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde afin qu'il porte encore plus de fruit. » On ne pourrait trouver d'analogie plus belle dans la littérature du monde. Ces serviteurs que le Seigneur avait ordonnés étaient aussi impuissants et inutiles sans lui qu'une branche coupée de l'arbre. De même que la branche n'est rendue féconde que par la vertu de la sève nourricière qu'elle reçoit du tronc enraciné, et se fane, se dessèche et ne sert absolument plus à rien que comme combustible si on la coupe ou si on la brise, de même ces hommes, bien qu'ordonnés au saint apostolat, ne seraient forts et féconds en bonnes œuvres que s'ils restaient en communion constante avec le Seigneur. Sans le Christ, qu'étaient-ils d'autre que des Galiléens ignorants, certains d'entre eux pêcheurs, l'un péager, les autres d'accomplissements indistincts et tous de faibles mortels ? Branches du cep, ils étaient en cette heure-là purs et sains, grâce aux instructions et aux ordonnances autorisées dont ils avaient été bénis et par l'obéissance pieuse qu'ils avaient manifestée.
 
« Demeurez en moi », exhorta puissamment le Seigneur, sinon ils ne deviendraient que des branches desséchées. « Moi, je suis le cep », ajouta-t-il pour expliquer l'allégorie. « Vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, comme moi en lui, porte beaucoup de fruit, car sans moi, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, et il sèche ; puis l'on ramasse les sarments, on les jette au feu et ils brûlent. Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé. Mon Père est glorifié en ceci : que vous portiez beaucoup de fruit, et vous serez mes disciples. » Le Seigneur précisa de nouveau que leur amour mutuel était un élément essentiel à la constance de leur amour pour le Christ [38]. C'est dans cet amour qu'ils trouveraient de la joie. Dès le jour où ils s'étaient rencontrés pour la première fois, le Christ leur avait donné l'exemple d'un amour plein de justice, et il était sur le point de donner la preuve suprême de son affection, comme le laissaient entendre ses paroles : « Il n'y a pour personne de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Il affirma ensuite gracieusement que ces hommes étaient les amis du Seigneur : « Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître. Je vous ai appelés amis, parce que tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître. » Ces rapports intimes ne modifiaient aucunement la position du Christ qui était leur Seigneur et Maître, car c'est lui qui les avait choisis et ordonnés ; il voulait qu'ils vécussent de manière à ce que tout ce qu'ils demanderaient au nom de la sainte amitié qu'il leur déclarait, le Père le leur accordât.
 
Il leur parla de nouveau des persécutions qui les attendaient et de leur appel apostolique de témoins spéciaux et personnels du Seigneur [39]. Le fait que le monde les haïssait alors et les exécrerait encore plus intensément était une réalité à laquelle ils devaient faire face ; mais ils devaient se souvenir que le monde avait haï leur Maître avant eux et qu'ils avaient été choisis et mis à part du monde par ordination ; par conséquent ils ne devaient pas espérer échapper à la haine du monde. Le serviteur n'est pas plus grand que son Maître, ni l'apôtre que son Seigneur, règle qu'ils connaissaient déjà et qui leur avait été rappelée expressément. Ceux qui les haïssaient haïssaient le Christ ; et ceux qui haïssaient le Fils haïssaient le Père ; grande sera leur condamnation. Si les Juifs pervers n'avaient pas fermé les yeux et ne s'étaient pas bouché les oreilles devant les œuvres puissantes et les paroles pleines de grâce du Messie, ils auraient été convaincus de la vérité, et la vérité les aurait sauvés ; mais leur péché leur restait sans voile ni excuse ; et le Christ affirma que les Écritures étaient accomplies dans leur comportement pervers en ce qu'ils l'avaient haï sans cause [40]. Puis, revenant à la grande et réconfortante promesse que les disciples seraient soutenus par la venue du Saint-Esprit, le Seigneur dit : « Quand sera venu le Consolateur que je vous enverrai de la part du Père, l'Esprit de vérité qui provient du Père, il rendra témoignage de moi, et vous aussi, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement. »
 
Cela, Jésus le leur avait annoncé afin qu'ils ne fussent pas « scandalisés », ou en d'autres termes, pris par surprise, trompés et poussés à douter et à trébucher à cause des événements sans précédent qui étaient alors sur le point de se produire. Les apôtres furent prévenus qu'ils seraient persécutés, expulsés des synagogues, et que le temps viendrait où la haine qui s'exercerait contre eux serait si violente, et que les ténèbres sataniques de l'esprit seraient si denses que quiconque réussirait à tuer l'un d'eux professerait que son crime avait été commis au service de Dieu. À cause de leur profond chagrin devant son départ, le Seigneur chercha de nouveau à les réconforter, disant : « Cependant, je vous dis la vérité : il est avantageux pour vous que je parte, car si je ne pars pas, le Consolateur ne viendra pas vers vous ; mais si je m'en vais, je vous l'enverrai. »
 
Dans cette partie de son discours, le Seigneur choisit pour thème inspirant l'assurance que le Saint-Esprit, qui les fortifierait de manière qu'ils pussent faire face à tous les besoins et à toutes les crises, descendrait sur eux. Le Saint-Esprit leur enseignerait un grand nombre de choses que le Christ devait encore dire à ses apôtres mais qu'il leur était à l'époque impossible de comprendre. « Quand il sera venu, lui », dit Jésus, « I'Esprit de vérité, il vous conduira dans toute la vérité ; car ses paroles ne viendront pas de lui-même, mais il parlera de tout ce qu'il aura entendu et vous annoncera les choses à venir. Lui me glorifiera, parce qu'il prendra de ce qui est à moi et vous l'annoncera. Tout ce que le Père a, est à moi ; c'est pourquoi j'ai dit qu'il prendra de ce qui est à moi, et vous l'annoncera » [41].
 
Revenant à la question de son départ qui était à ce moment-là si proche qu'on pouvait en compter les heures, le Seigneur dit, sous une forme plus ample, ce qu'il avait affirmé précédemment : « Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus ; et puis encore un peu de temps, et vous me verrez de nouveau [parce que je vais vers le Père] » [42]. Les apôtres se mirent à réfléchir, et certains s'interrogèrent mutuellement pour savoir ce que le Seigneur avait voulu dire ; cependant la solennité de l'événement était si grande qu'ils n'osèrent pas poser ouvertement de questions. Jésus connaissait leur perplexité et leur expliqua gracieusement qu'ils pleureraient et se lamenteraient bientôt tandis que le monde se réjouirait ; cela était une allusion à sa mort ; mais il promit que leur douleur se transformerait en joie, et cela était basé sur sa résurrection dont ils seraient témoins. Il compara leur état alors présent et futur à celui d'une femme dans les douleurs de l'enfantement, qui oublie son angoisse lorsque peu après elle éprouve les joies d'une douce maternité. Le bonheur qui les attendait serait tel qu'il ne serait pas dans le pouvoir de l'homme de le leur enlever ; et dorénavant ils ne demanderaient plus au Christ uniquement, mais également au Père au nom du Christ : « En ce jour-là », dit le Seigneur, « vous ne m'interrogerez plus sur rien. En vérité, en vérité, je vous le dis, ce que vous demanderez au Père, il vous le donnera en mon nom. Jusqu'à présent, vous n'avez rien demandé en mon nom. Demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit complète » [43]. Ils allaient être avancés à un tel honneur et un crédit tellement sublime qu'ils s'adresseraient directement au Père dans leurs prières, mais au nom du Fils ; car ils étaient bien-aimés du Père parce qu'ils avaient aimé Jésus, le Fils, et l'avaient accepté comme quelqu'un que le Père avait envoyé.
 
Le Seigneur réaffima solennellement : « Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde ; maintenant, je quitte le monde et je vais vers le Père. » Les disciples furent reconnaissants de cette affirmation claire et s'exclamèrent : « Voici que maintenant, tu parles ouvertement et que tu ne dis rien en parabole. Maintenant, nous savons que tu sais toutes choses et que tu n'as pas besoin que personne t'interroge ; c'est pourquoi nous croyons que tu es sorti de Dieu. » Leur satisfaction risquait d'être dangereuse du fait de leur excès de confiance ; le Seigneur les avertit, disant que dans une heure qui était alors proche ils seraient dispersés, chacun étant réduit à lui-même, laissant Jésus seul, à part la présence du Père. Dans cet ordre d'idées, il leur dit qu'avant que la nuit ne fût passée, il serait pour chacun d'eux une occasion de chute, comme cela avait été écrit : « Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées » [44]. Pierre, le plus véhément de tous dans ses protestations s'était entendu dire, comme nous l'avons déjà vu, que lorsque le coq chanterait cette nuit-là, il aurait renié son Seigneur trois fois ; mais tous avaient déclaré qu'ils seraient fidèles quelle que fût l'épreuve [45]. Continuant d'affirmer qu'il ressusciterait littéralement, Jésus promit aux apôtres que lorsqu'il se relèverait du tombeau il irait avant eux en Galilée [46].
 
Pour conclure le dernier et le plus solennel des discours que le Christ fit dans la chair, le Seigneur dit : « Je vous ai parlé ainsi, pour que vous ayez la paix en moi. Vous aurez des tribulations dans le monde ; mais prenez courage, moi, j'ai vaincu le monde » [47].
 
LA PRIÈRE FINALE
 
Ce discours impressionnant aux apôtres fut suivi d'une prière telle qu'on ne pourrait en adresser à nul autre qu'au Père éternel, et telle que nul autre que le Fils de ce Père ne pouvait l'offrir [48]. On l'a appelée, non sans raison, la prière sacerdotale. Jésus y reconnaissait que le Père était la source de sa puissance et de son autorité, autorité qui allait jusqu'à donner la vie éternelle à tous ceux qui en sont dignes : « Or, la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. » Faisant respectueusement rapport de l'œuvre qui lui avait été confiée, le Fils dit : « Je t'ai glorifié sur la terre ; j'ai achevé l'œuvre que tu m'as donnée à faire. Et maintenant, toi, Père, glorifie-moi auprès de toi-même de la gloire que j'avais auprès de toi, avant que le monde fût. » Avec un amour insondable, le Seigneur plaida en faveur de ceux que le Père lui avait donnés, les apôtres qui étaient alors présents, qui avaient été appelés hors du monde et qui avaient été fidèles à leur témoignage qu'il était le Fils de Dieu. Un seul d'entre eux seulement, le fils de perdition, avait été perdu. Dans la ferveur de sa supplique, le Seigneur implora :
 
« Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les garder du Malin. Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. Sanctifie-les par la vérité : ta parole est la vérité. Comme tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde. Et moi, je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu'eux aussi soient sanctifiés dans la vérité. Ce n'est pas pour eux seulement que je prie, mais encore pour ceux qui croiront en moi par leur parole, afin que tous soient un ; comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, qu'eux aussi soient (un] en nous, afin que le monde croie que tu m'as envoyé. Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, afin qu'ils soient un comme nous sommes un - moi en eux, et toi en moi - afin qu'ils soient parfaitement un, et que le monde connaisse que tu m'as envoyé et que tu les a aimés, comme tu m'as aimé. Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donnés soient aussi avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire, celle que tu m'as donnée, parce que tu m'as aimé avant la fondation du monde. Père juste, le monde ne t'a pas connu ; mais moi, je t'ai connu, et ceux-ci ont connu que tu m'as envoyé. Je leur ai fait connaître ton nom, et je le leur ferai connaître, afin que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, et que moi, je sois en eux. »
 
Lorsqu'ils eurent chanté un cantique, Jésus et les Onze sortirent pour se rendre au mont des Oliviers [49].
 
L'AGONIE DU SEIGNEUR À GETHSEMANE [50]
 
Jésus et les onze apôtres sortirent de la maison dans laquelle ils avaient mangé, franchirent la porte de la ville qui restait ordinairement ouverte le soir pendant les fêtes publiques, traversèrent le ravin du Cédron, ou plus exactement Kidron, un ruisseau, et entrèrent dans une olivaie appelée Gethsémané [51], sur le flanc du mont des Oliviers. Il laissa huit d'entre les apôtres à l'entrée ou près de celle-ci, avec l'ordre : « Asseyez-vous ici, pendant que je m'éloignerai pour prier », et avec l'injonction fervente : « Priez, afin de ne pas entrer en tentation. » Accompagné de Pierre, Jacques et Jean, il s'en alla plus loin et fut bientôt envahi par une profonde tristesse, qui semble l'avoir, dans une certaine mesure, surpris lui-même, car nous lisons qu'il « commença à être cruellement surpris et à être très triste » (version du roi Jacques, ndt). Il fut poussé à refuser la compagnie même des trois disciples choisis et « il leur dit alors : Mon âme est triste jusqu'à la mort, restez ici et veillez avec moi. Puis il s'avança un peu, se jeta la face (contre terre) et pria ainsi : Mon Père, s'il est possible, que cette coupe s'éloigne de moi ! Toutefois, non pas comme je veux, mais comme tu veux. » La version que Marc donne de la prière est celle-ci : « Abba, Père, toutes choses te sont possibles, éloigne de moi cette coupe. Toutefois non pas ce que je veux, mais ce que tu veux [52]. »
 
Un au moins des trois apôtres qui l'attendaient entendit cette partie de sa supplication passionnée ; mais tous cédèrent bientôt à la fatigue et cessèrent de veiller. Comme ils l'avaient fait sur le mont de la Transfiguration, lorsque le Seigneur apparut en gloire, de même maintenant à l'heure de sa plus profonde humiliation, ces trois apôtres s'assoupirent. Retournant vers eux dans l'angoisse de son âme, Jésus les trouva endormis ; et s'adressant à Pierre qui, si peu de temps auparavant, avait proclamé bien haut qu'il était prêt à suivre le Seigneur jusqu'en prison et dans la mort, Jésus s'exclama : « Vous n'avez donc pas été capables de veiller une heure avec moi ! Veillez et priez, afin de ne pas entrer en tentation » ; puis il ajouta avec tendresse : « L'esprit est bien disposé, mais la chair est faible. » Cette exhortation qu'il donna aux apôtres de prier à ce moment-là de peur qu'ils ne tombassent en tentation peut avoir été dictée par les circonstances du moment dans lesquelles ils seraient tentés, si on les laissait à eux-mêmes, d'abandonner prématurément leur Seigneur.
 
Tirés de leur sommeil, les trois apôtres virent le Seigneur s'éloigner de nouveau et l'entendirent supplier dans son angoisse : « Mon Père, s'il n'est pas possible que cette coupe s'éloigne sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! » Revenant une deuxième fois, il vit que ceux à qui il avait demandé si tristement de veiller avec lui dormaient de nouveau, « car leurs yeux étaient appesantis » ; et lorsqu'ils furent éveillés, ils furent embarrassés et honteux, au point de ne savoir que dire. Une troisième fois, il retourna à sa veille solitaire et à sa lutte personnelle, et on l'entendit implorer le Père en employant les mêmes paroles empreintes de désir et de supplication. Luc nous dit : « Alors un ange lui apparut du ciel, pour le fortifier » ; mais même la présence de ce visiteur supra-terrestre ne pouvait dissiper l'atroce angoisse de son âme. « En proie à l'angoisse, il priait plus instamment, et sa sueur devint comme des grumeaux de sang, qui tombaient à terre » [53]. 
 
Pierre avait eu un aperçu de la route ténébreuse qu'il s'était déclaré si prêt à suivre ; et les frères Jacques et Jean savaient maintenant mieux que jamais combien ils étaient peu prêts à boire à la coupe que le Seigneur viderait jusqu'à la lie [54].
 
Lorsque pour la dernière fois Jésus revint trouver les disciples auxquels il avait demandé de veiller, il dit : « Vous dormez maintenant et vous vous reposez. C'en est fait. L'heure est venue ; voici que le Fils de l'homme est livré aux mains des pécheurs. » Il ne servait à rien de continuer à veiller ; déjà les torches de la bande conduite par Judas, qui se rapprochait, étaient visibles dans le lointain. Jésus s'exclama : « Levez-vous, allons ; celui qui me livre s'approche. » Debout avec les Onze, le Seigneur attendit calmement la venue du traître.
 
L'agonie que le Christ éprouva dans le jardin, l'esprit limité ne peut en sonder ni l'intensité ni la cause. La pensée qu'il ait souffert par crainte de la mort est intenable. Pour lui, la mort était préliminaire à la résurrection, au retour triomphal auprès du Père d'où il était venu et à un état de gloire qui transcendait même celui qu'il possédait précédemment ; en outre, il était dans son pouvoir de donner volontairement sa vie [55]. Il luttait et gémissait sous un fardeau dont aucun autre être qui a vécu sur la terre ne pourrait même concevoir la possibilité. Ce n'était pas uniquement une douleur physique ni une angoisse mentale qui lui infligèrent une torture telle qu'elle produisit un suintement de sang de chaque pore, mais une angoisse spirituelle comme seul Dieu était capable d'en ressentir. Aucun autre homme, si grande que pût être son endurance physique ou mentale, n'aurait pu souffrir ainsi ; son organisme humain aurait succombé, et la syncope aurait produit la perte de conscience et un oubli bienvenu. Dans cette heure d'angoisse, le Christ rencontra et vainquit toutes les horreurs que Satan « Ie prince du monde » [56] pouvait infliger. La lutte effrayante que le Seigneur dut livrer dans les tentations qui l'assaillirent immédiatement après son baptême était dépassée et jetée dans l'oubli par cette lutte suprême avec les puissances du mal.
 
D'une certaine manière, terriblement réelle bien qu'incompréhensible à l'homme, le Sauveur prenait sur lui le fardeau des péchés de l'humanité depuis Adam jusqu'à la fin du monde. La révélation moderne nous aide à comprendre partiellement cette terrible expérience. En mars 1830, le Seigneur glorifié, Jésus-Christ, dit ce qui suit : « Car voici, moi, Dieu, j'ai souffert cela pour tous afin qu'ils ne souffrent pas s'ils se repentent. Mais s'ils ne veulent pas se repentir, ils doivent souffrir tout comme moi. Et ces souffrances m'ont fait trembler de douleur, moi Dieu, le plus grand de tous, et elles m'ont fait saigner à chaque pore, m'ont torturé à la fois le corps et l'esprit, m'ont fait souhaiter ne pas devoir boire à la coupe amère et m'ont fait reculer d'effroi - néanmoins, gloire soit au Père, j'ai bu à la coupe et j'ai terminé tout ce que j'avais préparé pour les enfants des hommes [57].
 
Le Christ sortit victorieux du terrible conflit de Gethsémané. Bien que dans les sombres tribulations de cette heure terrible il eût supplié que la coupe amère fût éloignée de ses lèvres, cette demande, même souvent répétée, était toujours conditionnelle ; le Fils ne perdit jamais de vue son désir suprême qui était d'accomplir la volonté du Père. Le reste de la tragédie de cette nuit-là et le traitement cruel qui l'attendait le lendemain et prendrait fin avec les tortures terrifiantes de la croix, ne pouvait dépasser l'atroce angoisse qu'il avait réussi à surmonter.
 
LA TRAHISON ET L'ARRESTATION [58]
 
Pendant la dernière et la plus aimante communion que le Seigneur eut avec les Onze, Judas s'était occupé de sa conspiration perfide avec les autorités ecclésiastiques. Il est probable que l'on prit la décision d'opérer l'arrestation cette nuit-là, lorsque Judas annonça que Jésus se trouvait dans les murs de la ville et qu'il pourrait être facile de l'appréhender. Les dirigeants juifs réunirent un groupe de gardes ou de policiers du temple et obtinrent une cohorte de soldats romains sous le commandement d'un tribun ; cette cohorte était probablement un détachement de la garnison d'Antonia chargé des travaux de nuit sur requête des principaux sacrificateurs. Cette compagnie d'hommes et d'officiers, représentant un mélange d'autorités ecclésiastiques et militaires, se mit en route pendant la nuit avec Judas à sa tête, avec l'intention d'arrêter Jésus. Ils étaient équipés de lanternes, de torches et d'armes. Il est probable qu'ils furent tout d'abord conduits à la maison dans laquelle Judas avait laissé les autres apôtres et le Seigneur, lorsque le traître avait été renvoyé, et qu'en s'apercevant que le petit groupe était sorti, Judas conduisit la multitude à Gethsémané, car il connaissait le lieu et savait aussi que « Jésus et ses disciples s'y étaient souvent réunis ».
 
Alors que Jésus parlait encore aux Onze qu'il avait éveillés en leur annonçant que le traître arrivait, Judas et la multitude approchèrent. Donnant le signe par lequel il avait été convenu d'identifier Jésus, l'Iscariot renégat, avec une perfide duplicité, s'approcha avec une démonstration hypocrite d'affection, disant : « Salut, Rabbi ! », et profana le visage sacré de son Seigneur par un baiser [59]. On peut voir à son reproche pathétique quoique perçant et condamnateur que Jésus comprenait la signification perfide de cet acte : « Judas, c'est par un baiser que tu livres le Fils de l'homme ! » Puis, appliquant le titre dont il avait honoré les autres apôtres, le Seigneur dit : « Ami, ce que tu es venu faire, fais-le. » C'était une répétition du commandement qu'il avait donné à la table du repas : « Ce que tu fais, fais-le vite. »
 
La bande armée hésita, bien que leur guide lui eût donné le signal convenu. Jésus se dirigea vers les officiers avec lesquels se tenait Judas et demanda : « Qui cherchez-vous ? » À leur réponse, « Jésus de Nazareth », le Seigneur répliqua : « C'est moi. » Au lieu de s'avancer pour se saisir de lui, la foule recula, et un grand nombre tombèrent sur le sol, frappés d'effroi. La dignité simple et la force douce quoique irrésistible de la réponse du Christ se révélaient plus puissantes que les bras forts et les armes de violence. De nouveau, il posa la question : « Qui cherchez-vous ? » et de nouveau ils répondirent : « Jésus de Nazareth. » Alors Jésus dit : « je vous ai dit que c'est moi. Si donc c'est moi que vous cherchez, laissez partir ceux-ci. » Cette dernière parole se rapportait aux apôtres, qui couraient le danger d'être arrêtés ; et dans cette preuve de la sollicitude du Christ pour leur sécurité personnelle, Jean vit l'accomplissement de ce que le Seigneur avait dit récemment dans sa prière : « Je n'ai perdu aucun de ceux que tu m'as donnés » [60]. Il est possible que si l'un des Onze avait été appréhendé avec Jésus et obligé de partager les souffrances cruelles et les humiliations torturantes des heures qui suivirent, sa foi aurait pu lui manquer, car elle était à ce moment-là relativement peu mûre et non éprouvée ; de même qu'au cours des années qui suivirent, un grand nombre de ceux qui avaient pris sur eux le nom du Christ cédèrent à la persécution et tombèrent dans l'apostasie [61].
 
Lorsque les officiers s'approchèrent et saisirent Jésus, certains des apôtres, prêts à combattre et à mourir pour leur Maître bien-aimé, demandèrent : « Seigneur, frapperons-nous de l'épée ? » Pierre, n'attendant pas de réponse, tira l'épée et porta un coup mal assuré à la tête d'un des hommes de la foule qui se trouvait le plus près, et la lame coupa l'oreille de celui-ci. L'homme ainsi blessé était Malchus, serviteur du souverain sacrificateur. Jésus, demandant à ses gardes la liberté par cette simple demande : « Tenez-vous en Ià ! » [62], s'avança et guérit l'homme blessé en le touchant. S'adressant à Pierre, le Seigneur réprimanda son acte impulsif et lui commanda de remettre son épée au fourreau, lui rappelant que « ceux qui prendront l'épée périront par l'épée ». Puis pour montrer combien il était inutile d'opposer une résistance armée et pour souligner le fait qu'il se soumettait volontairement et conformément à des événements prévus et prédits, le Seigneur poursuivit : « Penses-tu que je ne puisse pas invoquer mon Père qui me donnerait à l'instant plus de douze légions d'anges ? Comment donc s'accompliraient les Écritures, d'après lesquelles il doit en être ainsi [63] ? » Et en outre : « Ne boirai-je pas la coupe que le Père m'a donnée [64] ? »
 
Mais, quoique se rendant sans résister, Jésus n'oubliait pas ses droits ; il protesta contre cette arrestation nocturne illégale, demandant aux officiels ecclésiastiques, principaux sacrificateurs, capitaine de la garde du temple et anciens du peuple qui étaient là : « Vous êtes venus, comme après un brigand, avec des épées et des bâtons, pour vous emparer de moi. J'étais tous les jours assis dans le temple, j'enseignais, et vous ne vous êtes pas saisis de moi. Mais tout cela est arrivé afin que les écrits des prophètes soient accomplis. » Luc rapporte comme suit les paroles finales du Seigneur : « Mais c'est ici votre heure et le pouvoir des ténèbres. » Sans faire attention à sa question et sans aucune déférence pour son comportement soumis, le capitaine et les officiers des Juifs lièrent Jésus de cordes et l'emmenèrent prisonnier à la merci de ses ennemis les plus mortels.
 
Les onze apôtres, voyant que toute résistance était inutile, non seulement à cause de la différence numérique et de la quantité des armes, mais surtout parce que le Christ était décidé à se soumettre, firent demi-tour et s'enfuirent. Chacun d'eux l'abandonna, tout comme il l'avait prédit. Le fait qu'ils étaient réellement en danger est montré par un incident que seul Marc préserve. Un jeune homme dont le nom n'est pas donné, éveillé par le tumulte de la bande en marche, s'était avancé avec pour tout vêtement un drap de lit. L'intérêt qu'il manifestait pour l'arrestation de Jésus et le fait qu'il venait tout près incitèrent quelques-uns des gardes ou des soldats à se saisir de lui ; mais il se dégagea et s'échappa, laissant le drap de lit entre leurs mains.
 
 [1] Mt 26:3-5 ; voir aussi Marc 14:1, Luc 22:1, 2.
 [2] Jean 7:30, 44, 45:53, 11:47-57.
 [3] Mt 26:14-16, Marc 14:10, 11, Luc 22:3-6.
 [4] Mt 26:15. La version révisée anglaise dit : « Et ils lui pesèrent trente pièces d'argent. » Cf. Za 11:12.
 [5] Ex 21:32, Za 11:12, 13.
 [6] Mt 27:3-10.
 [7] Mt 26:17.
 [8] Note 1, fin du chapitre.
 [9] Mt 26:17-19, Marc 14:12-16, Luc 22:7-13.
 [10] Il faut se souvenir que les Juifs comptaient leurs jours à partir du coucher du soleil et non, comme nous, à partir de minuit.
 [11] Note 2, fin du chapitre.
 [12] Luc 22:24-30.
 [13] Luc 14:7-11 ; voir chap. 27 du présent ouvrage.
 [14] Luc 22:28 ; voir chap. 10 du présent ouvrage.
 [15] Jean 13:1-20.
 [16] Note 3, fin du chapitre.
 [17] Voir chap. 16.
 [18] Mt 26:26-29, Marc 14:22-25, Luc 22:19-20.
 [19] 1 Co 11:23-34.
 [20] LM, 3 Néphi 18:6-11, D&A 20:75 ; voir aussi Articles de Foi chap. 9,
 [21] Voir La Grande apostasie 8:15-19.
 [22] Jean 13:18-30.
 [23] Cf. Ps 41:9.
 [24] Jean 13:31-34.
 [25] Lv 19:18.
 [26] Selon la version révisée de Luc 22:32.
 [27] Es 53:12 ; cf. Marc 15:28.
 [28] Lire Jean 13:36-38, Luc 22:31-38 ; cf. Mt 26:31-35, Marc 14:27-31.
 [29] Jean chap. 14, 15, 16.
 [30] Jean 14:1-4.
 [31] Voir Les Articles de Foi, p. 115-116 et 493-497.
 [32] Jean 14:13, 14 ; cf. 16:24.
 [33] Jean 14:15-20 ; cf. verset 26 et 15:26.
 [34] Mt 10:3 ; aussi chap. 16 du présent ouvrage.
 [35] Voir Articles de Foi, p. 47 ; chap. 10 du présent ouvrage.
 [36] Jean 14:22-31.
 [37] Jean 15:1-8.
 [38] Version révisée (anglaise) « le purifie ».
 [39] Jean 15:9-17.
 [40] Jean 15:18-27.
 [41] Verset 25 ; cf. Ps 35:19, 69:4, 109:3.
 [42] Jean 16:13-15 ; lire versets 1-15.
 [43] Jean 16:16 ; cf. 7:33, 13:33, 14:19.
 [44] Jean 16:17, 23, 24 ; lire versets 17-28.
 [45] Mt 26:31, Marc 14:27 ; cf. Za 13:7 ; voir aussi Mt 11:6.
 [46] Mt 26:31-35, Marc 14:29-31.
 [47] Mt 26:32, Marc 14:28 ; cf. 16:7.
 [48] Jean 16:33.
 [49] Jean 17. Note 4, fin du chapitre.
 [50] Mt 26:36-46, Marc 14:32-42, Luc 22:39-46.
 [51] Note 5, fin du chapitre.
 [52] « Abba » est un terme d'affection en même temps qu'honorifique et signifie « Père ». Jésus l'applique au Père éternel dans le passage ci-dessus, et Paul fait de même dans Rm 8:15, Gal 4:6.
 [53] Note 6, fin du chapitre.
 [54] Jean 13:37, Mt 20:22, Marc 10:38, 39.
 [55] Jean 5:26, 27 et 10: 17, 18 ainsi que chap. 25 du présent ouvrage.
 [56] Jean 14:30.
 [57] Chap. 10.
 [58] D&A 19:16-19 ; cf. 18:11 - voir aussi LM, 2 Néphi 9:5, 7, 21 ; Mosiah 3:7-14, 15:12, Alma 7:11-13, 11:40, 22:14, 34:8-15, 3 Néphi 11: 11, 27:14, 15 et chapitre 4 supra.
 [59] Mt 26:47-56, Marc 14:43-52, Luc 22:47-53, Jean 18:1-12.
 [60] Le texte grec de Mt 26:49 et de Marc 14:45 implique clairement que Judas « l'embrassa beaucoup », c'est-à-dire de nombreuses fois ou avec effusion. Voir note marginale de la version révisée anglaise.
 [61] Jean 18:9 ; cf. 17:12.
 [62] Voir La Grande apostasie, chap. 4 et 5.
 [63] Note 7, fin du chapitre.
 [64] Cf. Es 53:8. Note 8, fin du chapitre.
 
NOTES DU CHAPITRE 33
 
1. Le jour de la Pâque : Il y a de nombreux siècles qu'une controverse passionnée existe quant au jour où la fête de la Pâque eut lieu dans la semaine où notre Seigneur mourut. Les quatre évangélistes attestent qu'il fut crucifié le vendredi, veille du sabbat juif, et qu'il ressuscita le dimanche, lendemain de ce sabbat. D'après les trois synoptiques nous déduisons que la dernière Cène se produisit la veille du premier jour des pains sans levain et par conséquent au commencement du vendredi juif. On peut constater, d'après Matthieu 26:2, 17, 18, 19 et les passages parallèles, Marc 14:14-16, Luc 22:11-13, de même que d'après Luc 22:7,15, que le Seigneur et les apôtres considéraient la dernière Cène comme un repas pascal. Cependant, Jean qui écrivit après les synoptiques et qui avait probablement leurs écrits devant lui, comme le montre le caractère de supplément que revêt son témoignage ou « évangile », laisse penser que la dernière Cène que Jésus et les Douze prirent ensemble eut lieu avant la fête de la Pâque (Jean 13:1, 2) ; le même auteur nous informe que le lendemain, le vendredi, les Juifs s'abstinrent d'entrer dans le tribunal romain de crainte d'être souillés et de devenir indignes de prendre la Pâque (18:28). Il faut se souvenir que dans l'usage courant, le terme « Pâque » s'appliquait non seulement au jour ou à l'époque de son observance, mais au repas lui-même, et en particulier à l'agneau tué (Mt 26:17, Marc 14:12, 14, 16, Luc 22:8, 11, 13, 15, Jean 18-28, comparer avec 1 Co 5:7) Jean spécifie également que le jour de la crucifixion était « la préparation de la Pâque » (19:14), et que le lendemain, qui était samedi, le sabbat, « était un grand jour » (verset 31), c'est-à-dire un sabbat rendu doublement sacré parce que c'était aussi un jour de fête.
 
On a beaucoup écrit pour essayer d'expliquer cette contradiction apparente. Nous n'essayerons pas d'analyser ici les points de vue divergents des savants bibliques ; cette question n'est qu'un détail par rapport aux faits fondamentaux de la trahison et de la crucifixion de notre Seigneur ; l'étudiant qui désire trouver de brefs résumés des opinions et des arguments peut se reporter au Comprehensive Bible Dictionary, de Smith, article « Passover », Life and Times of Jesus the Messiah, d'Edersheim, pp.480-482, et 566-568, Life of Christ, de Farrar, appendice, Excursus 10, Life of our Lord, d'Andrew, et les Dissertations, de Gresswell. Qu'il nous suffise de dire ici que le manque apparent d'accord peut s'expliquer par l'une ou l'autre de plusieurs théories. Ainsi, premièrement et très probablement, la Pâque dont Jean parlait et pour laquelle les prêtres désiraient se protéger de toute souillure lévitique peut ne pas avoir été le repas lors duquel l'agneau pascal fut mangé, mais le repas supplémentaire, la Chaguigah. On en était venu à éprouver pour ce repas, dont la viande était désignée comme sacrifice, une vénération égale à celle qui s'attachait au repas pascal. Deuxièmement, beaucoup d'autorités en matière d'histoire juive pensent qu'avant, pendant et après le temps du Christ on consacrait annuellement deux nuits à l'observance pascale, que l'on pouvait manger l'agneau au cours de l'une ou de l'autre de ces nuits, et que cette extension de temps avait été introduite pour tenir compte de l'accroissement de population qui nécessitait le sacrifice cérémoniel d'un nombre plus grand d'agneaux qu'on ne pouvait en tuer en un seul jour, et dans cet ordre d'idées il est intéressant de noter que Josèphe (Guerres, VI, ch. 9:3) rapporte que le nombre d'agneaux immolés pour une seule Pâque était de 256500. Dans le même paragraphe, Josèphe déclare que les agneaux devaient être tués entre la neuvième et la onzième heure (entre 15 et 17 heures). Selon cette explication, Jésus et les Douze peuvent avoir pris le repas de la Pâque le premier des deux soirs, et les Juifs qui, le lendemain, craignaient d'être souillés, pouvaient avoir retardé leur observance jusqu'au deuxième soir. Troisièmement, le dernier repas pascal du Seigneur peut avoir été pris plus tôt que le moment de l'observance ordinaire, étant donné qu'il savait que cette nuit-là serait la dernière qu'il passerait dans la mortalité. Les partisans de cette opinion considèrent que le message donné à l'homme qui fournit la chambre pour la Dernière Cène : « Mon temps est proche » (Mt 26:18) indiquait qu'il était particulièrement urgent que le Christ et les apôtres observassent la Pâque avant le jour régulièrement fixé. Certaines autorités affirment qu'une erreur d'un jour s'était glissée dans le calcul juif du temps et que Jésus mangea la Pâque à la date exacte, tandis que les Juifs avaient un jour de retard. Si « Ia préparation de la Pâque » (Jean 19:14) le vendredi, jour de la crucifixion du Christ, signifie l'immolation des agneaux pascaux, notre Seigneur, du sacrifice duquel toutes les victimes antérieures de l'autel n'avaient été que des prototypes, mourut sur la croix tandis que les agneaux de la Pâque étaient immolés au temple.
 
2. Judas Iscariot prit-il le sacrement de la Sainte-Cène du Seigneur ? : Les brefs récits que nous avons des événements qui se produisirent lors de la dernière Cène ne permettent pas de donner une réponse précise à cette question. Tout ce que l'on peut faire, ce sont des déductions et non des conclusions. Selon les récits de Matthieu et de Marc, c'est vers le début du repas que le Seigneur annonça qu'il y avait un traître parmi les Douze ; l'institution de la Sainte-Cène se produisit plus tard. Luc place la prédiction de la trahison après l'administration du pain et du vin sacramentels. Tous les synoptiques sont d'accord pour dire que le sacrement de la Sainte-Cène du Seigneur fut administré avant la fin du repas ordinaire ; cependant Jésus fit du sacrement un élément clairement séparé et distinct du repas. Jean (13:2-5) déclare que le lavement des pieds se produisit après le repas et nous donne de bonnes raisons de déduire que Judas fut lavé avec les autres (versets 10-11), et que c'est plus tard (versets 26-30) qu'il sortit dans la nuit dans le but de trahir Jésus. Le fait que Jésus donna un morceau trempé à Judas (versets 26-27) alors même que le repas était pratiquement terminé ne contredit pas Jean lorsqu'il dit que le repas proprement dit était terminé avant que le lavement des pieds ne fût accompli ; cette action ne semble pas avoir été extraordinaire au point de provoquer de la surprise. Pour beaucoup il a semblé plausible qu'à cause de son extrême vilenie Judas ne reçut pas la permission de prendre avec les autres apôtres l'ordonnance sacrée de la Sainte-Cène ; d'autres pensent qu'il reçut la permission de la prendre parce que c'était le moyen possible de le pousser à abandonner son dessein mauvais, même à cette heure avancée, ou de remplir la coupe de son iniquité jusqu'à ce qu'elle débordât. Personnellement, l'auteur se range à cette dernière conception.
 
3. Le lavement des pieds : L'ordonnance du lavement des pieds fut rétablie par révélation le 27 décembre 1832. On l'introduisit dans les conditions d'admission à l'école des prophètes, et des instructions détaillées quant à son administration furent données (voir D&A 88:140, 141). D'autres directives relatives aux ordonnances comportant des ablutions furent révélées le 19 janvier 1841 (voir D&A 124:37-39).
 
4. Discontinuité du dernier discours du Seigneur aux apôtres : Il est certain qu'une partie du discours qui suivit la dernière Cène fut donnée dans la chambre haute où le Christ et les Douze avaient mangé ; il est possible que la dernière partie fut prononcée et la prière offerte (Jean 15, 16, 17) à l'extérieur tandis que Jésus et les Onze se dirigeaient vers le mont des Oliviers. Le quatorzième chapitre de Jean se termine par « Levez-vous, partons d'ici » ; le chapitre suivant commence avec une autre section du discours. D'après Matthieu 26:30-35 et Marc 14:26-31 nous pouvons conclure que c'est pendant que le petit groupe se dirigeait de la ville vers la montagne que le Seigneur prédit que Pierre le renierait. D'autre part, Jean (18:1) dit que « après avoir dit cela », à savoir, le discours tout entier et la prière finale, « Jésus sortit avec ses disciples (pour aller) de l'autre côté du ravin du Cédron ». Aucune des paroles sublimes que le Seigneur prononça ce soir-là, où il conversa solennellement avec les siens et communia avec le Père n'est affectée par le lieu : celui-ci a donc peu d'importance.
 
5. Gethsémané : Ce nom signifie « presse à huile » et provenait probablement d'un moulin qui fonctionnait à cet endroit-là pour l'extraction d'huile des olives qui y étaient cultivées. Jean appelle l'endroit un jardin, appellation qui nous permet de le considérer comme une propriété privée clôturée. Le même auteur montre que c'était un lieu fréquenté par Jésus lorsqu'il cherchait une retraite pour prier ou une occasion de parler confidentiellement avec les disciples (Jean 18:1,2).
 
6. La sueur sanglante : Luc, seul évangéliste à parler de la sueur et du sang tandis que notre Seigneur agonisait à Gethsémané, déclare que « sa sueur devint comme des grumeaux de sang, qui tombaient à terre » (22:44). Beaucoup d'exégètes critiques nient qu'il y ait eu un suintement réel de sang, se basant sur le fait que l'évangéliste ne l'affirme pas formellement et que les trois apôtres, qui étaient les seuls témoins humains, n'auraient pas pu distinguer entre du sang et de la sueur tombant par gouttes, puisqu'ils regardaient de loin dans la nuit, même si la lune, qui au moment de la Pâque était pleine, n'avait pas été cachée. Les Écritures modernes excluent tout doute à ce sujet. Voir D&A 19:16-19 cité dans le texte (p. 745), ainsi que 18:11. Voir en outre une prédiction précise sur la sueur sanglante dans le LM, Mosiah 3:7.
 
7. « Tenez-vous en là ! » : Beaucoup pensent que ces paroles que Jésus prononça en levant la main pour guérir Malchus blessé s'adressaient aux disciples, leur interdisant d'intervenir davantage. Trench (Miracles, 355) considère que le sens est le suivant : « Arrêtez maintenant, vous avez assez résisté, restez-en là. » Cette interprétation, d'ailleurs contestée, a peu d'importance, l'incident n'ayant aucune influence sur les événements qui suivirent.
 
8. Le symbole de la coupe : Prévoyant les souffrances qu'il allait endurer, le Seigneur les comparait souvent à la coupe que le Père voulait lui faire boire (Matthieu 26:39, 42, Marc 14:36, Luc 22:42, Jean 18:11, comparer avec Matthieu 20:22, Marc 10:38, 1Co 10:21) ; cela est tout à fait conforme à l'usage que fait l'Ancien Testament du terme « coupe », expression symbolique d'une potion amère ou empoisonnée, représentant les expériences de la souffrance. Voir Ps 11:6, 75:8, Es 51:17, 22, Jr 25:15,17, 49:12. On trouvera par contraste ce terme employé dans le sens opposé dans certains passages, par exemple Ps 16:5, 23:5, 116:13, Jr 16:7.
 


CHAPITRE 34 : LE PROCÈS ET LA CONDAMNATION
 
LE PROCÈS JUIF
 
De Gethsémané le Christ ligoté et captif fut traîné devant les dirigeants juifs. Jean est seul à nous apprendre que le Seigneur fut emmené tout d'abord devant Anne, qui l'envoya, toujours lié, à Caïphe, le souverain sacrificateur [1] ; les synoptiques ne rapportent que la comparution devant Caïphe [2]. Nous n'avons aucun détail sur l'entretien avec Anne ; et il était aussi irrégulier et illégal, selon la loi hébraïque, de faire comparaître Jésus devant lui que le furent les autres actes de procédure de cette nuit-là. Anne, qui était le beau-père de Caïphe, avait été déposé de ses fonctions de souverain sacrificateur plus de vingt ans auparavant, mais pendant toute cette période il avait exercé une puissante influence dans toutes les affaires de la hiérarchie [3]. Caïphe, comme Jean prend bien soin de nous le rappeler, « était celui qui avait donné aux Juifs le conseil : 'Il est préférable qu'un seul homme meure pour le peuple.' [4] »
 
Au palais de Caïphe étaient assemblés les principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple en réunion du sanhédrin, non officielle, tous attendant impatiemment le résultat de l'expédition menée par Judas. Lorsque Jésus, objet de leur haine violente et leur future victime, fut introduit, prisonnier ligoté, on le fit immédiatement passer en jugement, contrairement à la loi, tant écrite que traditionnelle, dont ces dirigeants des Juifs rassemblés professaient être les champions si zélés. On ne pouvait procéder légalement à un interrogatoire pour un crime capital que dans la salle de tribunal officielle du sanhédrin. Le récit que nous donne le quatrième évangile nous permet de conclure que le prisonnier fut tout d'abord soumis à un interrogatoire de la part du souverain sacrificateur en personne [5]. Ce fonctionnaire, il n'est pas dit si c'était Anne ou Caïphe, interrogea Jésus sur ses disciples et ses enseignements. Cette enquête préliminaire était tout à fait illégale, car le code hébreu prévoyait que les témoins de l'accusation dans une cause quelconque devant la cour devaient formuler leur accusation contre l'accusé, et que ce dernier devait être protégé contre toute tentative de le pousser à témoigner contre lui-même. La réponse du Seigneur aurait dû être une protestation suffisante devant le souverain sacrificateur pour l'empêcher de se livrer à d'autres procédés illégaux. « J'ai parlé ouvertement au monde ; j'ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, où tous les Juifs s'assemblent, et je n'ai parlé de rien en secret. Pourquoi m'interroges-tu ? Demande à ceux qui m'ont entendu de quoi je leur ai parlé ; voici qu'ils savent, eux, ce que moi j'ai dit. » C'était une objection légale contre ce procédé illégal de refuser à un prisonnier qui passait en jugement son droit d'être confronté avec ses accusateurs. Elle fut reçue ouvertement avec dédain, et l'un des huissiers qui se trouvait tout près, espérant peut-être obtenir ainsi la faveur de ses supérieurs, alla jusqu'à frapper violemment Jésus [6], en lui posant la question : « Est-ce ainsi que tu réponds au souverain sacrificateur ? » À cette lâche attaque le Seigneur répondit avec une douceur presque surhumaine [7] : « Si j'ai mal parlé, prouve ce qu'il y a de mal ; et si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » À cette soumission se mêlait cependant ici un autre appel aux principes de la justice ; si ce que Jésus avait dit était mal, pourquoi celui qui l'avait assailli ne l'accusait-il pas, et s'il avait bien parlé, de quel droit un officier de police ou un juge condamnait-il et punissait-il, et ce, en présence du souverain sacrificateur ? La loi et la justice avaient été détrônées cette nuit-là.
 
« Les principaux sacrificateurs et tout le sanhédrin cherchaient quelque faux témoignage contre Jésus, pour le faire mourir » [8]. Que « tout le sanhédrin » signifie un quota légal, ce qui ferait 23 ou davantage ou l'assemblée complète des soixante-douze sanhédristes, cela n'a que peu d'importance. Toute session nocturne du sanhédrin, et plus particulièrement pour l'examen d'une accusation de crime, était directement une violation de la loi juive. De même, il était illégal de la part du sanhédrin d'examiner pareille accusation un jour de sabbat, un jour férié ou la veille d'un jour de ce genre. Au sanhédrin, tous les membres étaient juges ; le groupe des juges devait entendre le témoignage et, selon ce témoignage et rien d'autre, rendre une décision dans tous les cas dûment présentés. Il était requis des accusateurs qu'ils comparussent en personne, et on devait tout d'abord les avertir contre tout faux témoignage. Tous les accusés devaient être considérés et traités comme innocents jusqu'à ce qu'ils fussent dûment condamnés. Mais dans le prétendu jugement de Jésus, les juges non seulement cherchèrent des témoins mais essayèrent tout particulièrement de trouver de faux témoins. Beaucoup de faux témoins vinrent, mais cependant il n'y eut aucun témoignage contre le prisonnier, parce que les parjures subornés n'étaient pas d'accord entre eux, et même les sanhédristes sans loi hésitaient à enfreindre ouvertement la règle fondamentale qui voulait que deux témoins concordants au moins témoignassent contre un accusé, faute de quoi l'affaire devait être rejetée.
 
Les juges ecclésiastiques avaient déjà décidé que Jésus devait être condamné sur une accusation ou une autre et être mis à mort ; leur incapacité à trouver des témoins contre lui menaçait de retarder l'exécution de leur néfaste projet. La haine et la précipitation caractérisèrent de bout en bout leur façon de procéder ; ils firent arrêter illégalement Jésus le soir ; ils procédaient illégalement à un semblant de jugement la nuit ; leur but était de condamner le prisonnier suffisamment à temps pour l'amener devant les autorités romaines aussitôt que possible dans la matinée - comme criminel dûment jugé et considéré digne de mourir. L'absence de deux témoins hostiles qui diraient les mêmes mensonges était un obstacle grave. Mais « enfin il en vint deux qui dirent : Celui-là a dit : je puis détruire le temple de Dieu, et le rebâtir en trois jours. » Cependant d'autres attestèrent : « Nous l'avons entendu dire : Je détruirai ce temple fait par la main de l'homme et en trois jours j'en bâtirai un autre qui ne sera pas fait par la main de l'homme » [9]. Et ainsi, comme l'observe Marc même dans ce détail leurs témoignages ne concordaient pas. Il est certain que dans une affaire portée devant un tribunal, une différence comme celle qui apparaît entre « je puis » et « je détruirai » dans des paroles attribuées à l'accusé est d'importance capitale. Cependant ce semblant d'accusation officielle était la seule base de l'accusation portée contre le Christ à ce stade du jugement. On se souviendra que lors de la première purification du temple, vers le début du ministère du Christ, celui-ci avait répondu aux Juifs qui avaient demandé à cor et à cri un signe de son autorité en disant : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. » Il n'avait pas du tout dit que c'était lui qui allait détruire ; c'était les Juifs qui détruiraient, et lui qui relèverait. Mais l'auteur inspiré prend le soin d'expliquer que Jésus « parlait du temple de son corps », et pas du tout des bâtiments élevés par l'homme [10].
 
Il pourrait être raisonnable de se demander quelle portée sérieuse on pouvait attacher à une déclaration comme celle que les témoins parjures prétendaient avoir entendue des lèvres du Christ. La vénération que les Juifs professaient pour la sainte maison, dont ils profanaient cependant les lieux sans pudeur, donne une réponse partielle mais insuffisante. Dans leur conspiration contre le Christ, il semble que les dirigeants aient eu pour plan de le condamner pour sédition, le faisant passer pour un fauteur de troubles dangereux qui mettait en péril la paix de la nation, attaquait les institutions établies et incitait par conséquent à l'opposition contre l'autonomie vassale de la nation juive et la domination suprême de Rome [11].
 
L'ombre vaguement définie d'une accusation légale produite par le témoignage ténébreux et sans consistance des faux témoins suffit à enhardir l'inique tribunal. Caïphe, se levant de son siège pour souligner sa question d'une manière dramatique, demanda à Jésus : « Ne réponds-tu rien ? De quoi témoignent-ils contre toi ? » Il n'y avait rien à répondre. Le témoignage qui avait été porté contre lui n'était ni logique ni valable ; par conséquent il garda un silence digne. Alors Caïphe, enfreignant l'interdiction légale de demander à quiconque de témoigner dans sa propre affaire si ce n'est volontairement et de sa propre initiative, ne se contenta pas d'exiger une réponse de la part du prisonnier mais exerça la puissante prérogative de l'office du souverain sacrificateur de placer l'accusé sous serment, comme témoin devant le tribunal sacerdotal. « Et le souverain sacrificateur », prenant la parole, « Iui dit : je t'adjure par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu » [12]. Le fait qu'il sépara les deux qualificatifs « le Christ » et le « Fils de Dieu » est significatif en ce qu'il indique que les Juifs attendaient un Messie mais ne reconnaissaient pas qu'il devait être d'origine divine. Rien de ce qui avait été dit avant ne pouvait justifier pareille question. L'accusation de sédition était sur le point d'être remplacée par une accusation plus énorme encore : celle de blasphème [13].
 
Jésus répondit à cette adjuration absolument injuste et pourtant officielle du souverain sacrificateur : « Tu l'as dit. De plus je vous le déclare, vous verrez désormais le Fils de l'homme assis à la droite du Tout-Puissant et venant sur les nuées du ciel. » Cette expression : « Tu l'as dit » était équivalente à « Je suis ce que tu as dit » [14]. C'était un aveu sans restriction de sa filiation divine et de sa Divinité inhérente. « Alors le souverain sacrificateur déchira ses vêtements et dit : Il a blasphémé. Qu'avons-nous encore besoin de témoins ? Vous venez d'entendre son blasphème. Qu'en pensez-vous ? Ils répondirent : Il est passible de mort » [15]. 
 
C'est ainsi que les juges d'Israël, y compris le souverain sacrificateur, les principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple, le grand sanhédrin, illégalement assemblés, décrétaient que le Fils de Dieu méritait la mort sans autre preuve que sa propre affirmation d'identité. Le code juif interdisait expressément de condamner, spécialement lors d'une accusation de crime, toute personne sur son propre aveu, si celui-ci n'était amplement confirmé par la déposition de témoins dignes de confiance. De même que dans le jardin de Gethsémané Jésus s'était rendu volontairement, ainsi donnait-il personnellement et volontairement devant les juges les preuves sur lesquelles ils déclarèrent injustement qu'il méritait la mort. Il ne pouvait y avoir d'autre crime dans la prétention à être Messie ou à une filiation divine que la fausseté de cette prétention. C'est en vain que nous examinons les documents pour y trouver ne serait-ce qu'un sous-entendu pour nous informer qu'une enquête fut faite ou proposée quant aux raisons sur lesquelles Jésus basait ses prétentions sublimes. En déchirant ses vêtements, le souverain sacrificateur affectait d'une manière spectaculaire son horreur pieuse devant le blasphème dont ses oreilles avaient été agressées. La loi interdisait expressément au souverain sacrificateur de déchirer ses vêtements [16], mais les écrits extra-scripturaires nous apprennent que les lois traditionnelles permettaient de déchirer ses vêtements pour attester un crime extrêmement grave comme celui de blasphème [17]. Nous n'avons aucune indication nous informant si le vote des juges fut demandé et enregistré de la manière exacte et ordonnée requise par la loi.
 
Jésus était donc condamné pour la transgression la plus abominable connue de la juiverie. Bien qu'injustement, il avait été jugé coupable de blasphème par le tribunal suprême du pays. Pour être précis, nous ne pouvons pas dire que les sanhédristes condamnèrent le Christ à mort, étant donné que le pouvoir de prononcer des sentences de mort avait été retiré au tribunal juif par décret romain. Le tribunal des souverains sacrificateurs décida cependant que Jésus méritait de mourir, et c'est ce qu'ils attestèrent lorsqu'ils le livrèrent à Pilate. Débordant de haine et de méchanceté, les juges d'Israël abandonnèrent leur Seigneur aux caprices des valets, qui lui firent subir toutes les indignités que leurs instincts brutaux pouvaient leur inspirer. Ils lui lancèrent leurs crachats impurs au visage [18] ; ensuite, lui ayant bandé les yeux, ils s'amusèrent à le frapper sans arrêt, en disant : « Christ, devine, dis-nous qui t'a frappé. » La foule des mécréants le couvrit de moqueries et de sarcasmes, et en réalité se fit en fait blasphématrice [19].
 
La loi et les coutumes de l'époque requéraient qu'une personne jugée coupable d'un crime capital fût soumise, après avoir été dûment jugée devant un tribunal juif, à un deuxième jugement le lendemain ; lors de cette seconde séance, l'un des juges, ou l'ensemble de ceux-ci, qui avaient précédemment voté pour la culpabilité, pouvait changer d'avis ; mais quiconque avait demandé l'acquittement ne pouvait altérer son vote. La majorité simple suffisait pour l'acquittement, mais il fallait plus qu'une majorité qualifiée pour condamner. En vertu d'un article qui doit nous sembler absolument extraordinaire, si tous les juges votaient pour la condamnation dans un crime capital, le verdict était invalidé et l'accusé devait être mis en liberté ; en effet, disait-on, si l'on votait unanimement contre un prisonnier, cela voudrait dire qu'il n'avait ni ami ni défenseur au tribunal et que les juges pouvaient avoir ourdi une conspiration contre lui. En vertu de cette loi de la jurisprudence hébraïque, le verdict prononcé contre Jésus et qui fut rendu lors de la session nocturne illégale des sanhédristes, était sans valeur, car il nous est dit clairement que « tous le condamnèrent comme passible de mort » [20].
 
Voulant apparemment créer un vague prétexte de légalité dans leur procédure, les sanhédristes ajournèrent la séance pour se réunir de nouveau au petit matin. Ils se conformaient ainsi techniquement à la loi selon laquelle, dans tous les cas où l'on avait décrété la peine de mort, le tribunal devait entendre et juger une deuxième fois dans une session ultérieure, mais ils ignorèrent complètement la règle absolument formelle qui voulait que le deuxième jugement eût lieu le lendemain de la première séance. Entre les deux sessions séparées d'un jour les juges devaient jeûner et prier, et examiner calmement et sérieusement l'affaire à juger.
 
Luc, qui ne donne aucun détail sur le procès nocturne de Jésus, est le seul évangéliste à faire un récit détaillé de la session du matin. Il dit : « Quand il fit jour, le collège des anciens du peuple, les principaux sacrificateurs et les scribes s'assemblèrent et firent amener Jésus devant leur sanhédrin » [21]. Certains savants bibliques ont compris l'expression « amener Jésus devant leur sanhédrin », dans le sens que Jésus fut condamné par le sanhédrin dans la salle officielle du tribunal, c'est-à-dire la gazith ou salle des pierres taillées, comme le voulait la loi de l'époque ; mais c'est une position qui est contredite par Jean qui dit qu'ils emmenèrent Jésus directement de Caïphe au tribunal romain [22].
 
Il est probable qu'à cette session du petit matin on approuva la procédure irrégulière des heures nocturnes et que l'on décida des détails de la procédure ultérieure à suivre. Ils « se consultèrent sur les moyens de le faire périr » ; néanmoins ils remplirent les formalités d'un deuxième procès, dont les conclusions furent grandement facilitées par les déclarations volontaires du prisonnier. Absolument rien ne permettait aux juges de demander à l'accusé de témoigner ; ils auraient dû examiner de nouveau les témoins à charge. La première question qui lui fut posée fut : « Si tu es le Christ, dis-le nous. » Le Seigneur répondit avec dignité : « Si je vous le dis, vous ne le croirez point ; et si je vous interroge vous ne répondrez point. Désormais le Fils de l'homme sera assis à la droite de la Puissance de Dieu. » Ni la question, ni la réponse n'entraînaient la condamnation. Le pays tout entier attendait le Messie ; si Jésus prétendait l'être, la seule action judiciaire appropriée serait de s'informer des mérites de cette prétention. La question cruciale suivit immédiatement : « Tu es donc le Fils de Dieu ? Et il leur répondit : Vous le dites, je le suis. Alors ils dirent : Qu'avons-nous encore besoin de témoignage ? Nous l'avons entendu nous-mêmes de sa bouche » [23]. 
 
Jéhovah était donc déclaré coupable de blasphème contre Jéhovah. Le seul mortel à qui il était impossible d'imputer ce crime terrible qu'est le blasphème en prétendant avoir des attributs et des pouvoirs divins était condamné comme blasphémateur devant les juges d'Israël. « Tout le sanhédrin », expression qui peut vouloir dire un quota légal, était impliqué dans l'action finale. C'est ainsi que prit fin le prétendu « jugement » de Jésus devant le souverain sacrificateur et les anciens [24] de son peuple. « Le matin venu, tous les principaux sacrificateurs et les anciens du peuple tinrent conseil contre Jésus, pour le faire mourir. Après l'avoir lié, ils l'emmenèrent et le livrèrent à Pilate le gouverneur » [25]. Pendant les quelques heures qui lui restaient à vivre sur terre, il serait entre les mains des Gentils, trahi et livré par les siens [26].
 
PIERRE RENIE SON SEIGNEUR [27]
 
Lorsque Jésus fut arrêté dans le jardin de Gethsémané, les Onze l'abandonnèrent tous et s'enfuirent. Il ne faut pas considérer ce fait comme une preuve certaine qu'ils étaient des lâches, car le Seigneur avait voulu qu'ils partent [28]. Pierre et un autre disciple au moins suivirent de loin ; lorsque les gardes armés furent entrés au palais du souverain sacrificateur avec leur prisonnier, Pierre « entra et s'assit avec les gardes pour voir comment cela finirait ». Le disciple dont le nom n'est pas donné et qui connaissait le souverain sacrificateur l'aida à s'introduire. Cet autre disciple était probablement Jean, du moins c'est ce que nous pouvons penser puisqu'il n'est mentionné que dans le quatrième évangile, dont l'auteur, et cela est caractéristique chez lui, ne se désigne jamais par son propre nom [29].
 
Tandis que Jésus se trouvait devant les sanhédristes, Pierre demeura en bas avec les serviteurs. La porte était gardée par une jeune femme ; ses soupçons féminins avaient été éveillés lorsqu'elle reçut Pierre, et tandis qu'il était assis avec d'autres dans la cour du palais, elle s'approcha de lui et, l'ayant observé attentivement, dit : « Toi aussi, tu étais avec Jésus le Galiléen. » Mais Pierre nia, affirmant qu'il ne connaissait pas Jésus. Pierre était agité ; sa conscience et la peur d'être reconnu comme disciple du Seigneur le troublaient. Il quitta la foule et chercha une solitude partielle sous le porche ; mais là, une autre servante le découvrit et dit à ceux qui se trouvaient tout près : « Celui-ci était avec Jésus de Nazareth » ; accusation à laquelle Pierre répondit avec serment : « Je ne connais pas cet homme. »
 
On était en avril et la nuit était froide ; on avait fait un feu dans le hall ou la cour du palais. Pierre s'assit près du feu avec d'autres, pensant peut-être qu'il valait sans doute mieux, pour ne pas être repéré, se découvrir avec audace que chercher à se cacher. Une heure environ après ses deux premiers reniements, quelques-uns des hommes qui se trouvaient autour du feu l'accusèrent d'être disciple de Jésus et se servirent de son dialecte galiléen pour prouver qu'il était au moins compatriote du prisonnier du souverain sacrificateur ; menace plus grande encore, un parent de Malchus, dont Pierre avait coupé l'oreille de son épée, demanda péremptoirement : « Ne t'ai-je pas vu avec lui dans le jardin ? » Dans la série de mensonges où il s'était lancé, Pierre alla jusqu'à proférer des imprécations, à jurer et à déclarer avec véhémence pour la troisième fois : « Je ne connais pas cet homme. » Comme le dernier mensonge impie quittait ses lèvres, les notes claires du chant d'un coq lui frappèrent les oreilles [30], et dans son esprit jaillit le souvenir de ce que son Seigneur avait prédit. Tremblant et conscient de sa perfide lâcheté, le malheureux se détourna de l'attroupement et rencontra le regard douloureux du Christ qui, du milieu de la foule insolente, regardait dans les yeux son apôtre vantard, et cependant aimant mais faible. Quittant précipitamment le palais, Pierre sortit dans la nuit, pleurant amèrement. Comme l'atteste sa vie ultérieure, ses larmes étaient celles d'une contrition réelle et d'un véritable repentir.
 
PREMIÈRE COMPARUTION DU CHRIST DEVANT PILATE
 
Comme nous l'avons déjà appris, aucun tribunal juif n'avait l'autorité d'infliger la peine de mort ; la Rome impériale s'était réservé cette prérogative. Il serait inutile au sanhédrin de prétendre à l'unisson que Jésus méritait la mort tant que cela n'était pas sanctionné par le représentant de l'empereur, qui était à l'époque Ponce Pilate, gouverneur, ou plus exactement procurateur de Judée, de Samarie et d'Idumée. Pilate avait sa résidence officielle à Césarée [31], au bord de la Méditerranée ; mais il avait coutume d'être à Jérusalem à l'époque des grandes fêtes hébraïques, voulant probablement préserver l'ordre ou étouffer promptement tous les troubles qui pourraient naître parmi les vastes multitudes hétérogènes qui se pressaient dans la ville pendant ces fêtes. Lors de cette Pâque importante, le gouverneur était à Jérusalem avec ses lieutenants. Au petit matin du vendredi, tous les membres du sanhédrin menèrent Jésus, lié, au tribunal de Ponce Pilate ; mais ils évitèrent scrupuleusement d'entrer dans le bâtiment de crainte de se souiller ; en effet le lieu du jugement faisait partie de la maison d'un Gentil, et il pouvait s'y trouver quelque part du pain avec du levain, et le fait même de s'en approcher les rendrait cérémoniellement impurs. Chacun pourra qualifier lui-même le genre d'hommes qui ont peur ne serait-ce que d'être près du levain alors même qu'ils sont assoiffés de sang innocent.
 
Par déférence pour leurs scrupules, Pilate sortit du palais ; lorsqu'ils lui remirent leur prisonnier, il demanda : « Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » La question, quoique strictement de circonstance et judiciairement nécessaire, surprit et déçut les gouverneurs ecclésiastiques, qui s'étaient évidemment attendus à ce que le gouverneur approuvât tout simplement leur verdict par pure formalité et prononçât la sentence en conséquence ; mais au lieu de cela, Pilate était apparemment décidé à exercer son autorité de juger seul. Avec une contrariété mal cachée, leur porte-parole, probablement Caïphe, répondit : « Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas livré. » C'était maintenant au tour de Pilate de prendre ou du moins de feindre de prendre ombrage, et il dit en substance : Oh, très bien ; si vous ne voulez pas énoncer l'accusation selon les formes, prenez-le et jugez-le selon vos lois ; ne m'ennuyez plus avec cette affaire. Mais les Juifs répondirent : « Il ne nous est pas permis de mettre quelqu'un à mort. »
 
Jean l'apôtre voit dans cette dernière réflexion la détermination des Juifs de faire mettre Jésus à mort non seulement par une sanction romaine mais aussi par des bourreaux romains [32] ; en effet comme nous pourrons le voir rapidement, si Pilate avait approuvé la sentence de mort et remis le Prisonnier aux Juifs pour qu'ils l'infligent, Jésus aurait été lapidé conformément au châtiment hébreu pour le blasphème ; le Seigneur, lui, avait clairement prédit que sa mort serait par crucifixion, ce qui était une méthode d'exécution romaine que ne pratiquaient jamais les Juifs. En outre, si Jésus avait été mis à mort par les dirigeants Juifs, même avec la sanction gouvernementale, il aurait pu en résulter une insurrection parmi le peuple, car il y en avait beaucoup qui croyaient en lui. Les chefs rusés étaient décidés à obtenir sa mort par condamnation romaine.
 
« Ils se mirent à l'accuser, en disant : Nous avons trouvé celui-ci qui incitait notre nation à la révolte, empêchait de payer l'impôt à César, et se disait lui-même Christ, roi » [33]. Il est important de remarquer qu'on ne formula aucune accusation de blasphème devant Pilate ; si pareille accusation avait été présentée, le gouverneur dont le cœur et l'esprit étaient totalement païens, aurait probablement laissé tomber l'accusation, la considérant comme absolument indigne d'être entendue ; en effet, Rome, avec ses dieux multiples, dont le nombre grandissait constamment du fait que les païens déifiaient continuellement des mortels, n'avaient pas connaissance d'une violation de la loi telle que le blasphème dans le sens juif. Les sanhédristes accusateurs n'hésitèrent pas à substituer au blasphème, qui était le plus grand crime connu dans le code hébraïque, l'accusation de haute trahison, qui était la violation de la loi la plus grave dans la catégorie des crimes romains. Le Christ, calme et digne, ne daigna pas répondre aux accusations vociférées par les principaux sacrificateurs et les anciens. Il leur avait parlé pour la dernière fois - jusqu'au moment fixé d'un autre procès où c'est lui qui sera le Juge et eux les prisonniers devant la barre.
 
Pilate fut surpris du comportement soumis et cependant majestueux de Jésus ; il y avait certainement, chez cet homme, beaucoup de caractère royal ; jamais quelqu'un comme celui-ci ne s'était tenu devant lui. Néanmoins, l'accusation était grave. Les hommes qui prétendaient au titre de roi pouvaient se révéler dangereux pour Rome, et cependant l'accusé ne répondait rien à cette accusation. Entrant au tribunal, Pilate fit appeler Jésus [34]. Le récit détaillé des événements que nous trouvons dans le quatrième évangile montre que certains des disciples, et parmi eux presque certainement Jean, entrèrent également. N'importe qui pouvait entrer, car un trait réel et très célèbre des procès romains était qu'ils étaient publics.
 
Pilate qui, c'est clair, n'éprouvait aucune animosité ni aucun préjugé contre Jésus, demanda : « Es-tu le roi des Juifs ? Jésus répondit : Est-ce de toi-même que tu dis cela, ou d'autres te l'ont-ils dit de moi ? » La question du Seigneur signifiait, c'est ainsi que le comprit Pilate, comme le montre sa réplique et comme nous pourrions la formuler : Demandes-tu cela dans le sens romain et littéral - à savoir si je suis un roi dont le royaume est terrestre - ou dans le sens juif et plus spirituel ? S'il avait répondu directement « oui », il aurait dit vrai dans le sens messianique, mais aurait menti dans le sens profane ; et « non » aurait été inversement vrai ou faux. « Pilate répondit : Moi, suis-je donc juif ? Ta nation et les principaux sacrificateurs t'ont livré à moi : qu'as-tu fait ? Jésus répondit : Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi, afin que je ne sois pas livré aux Juifs ; mais maintenant, mon royaume n'est pas d'ici-bas. Pilate lui dit : Tu es donc roi ? Jésus répondit : Tu le dis : je suis roi. Voici pourquoi je suis né et voici pourquoi je suis venu dans le monde : pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. »
 
Il était clair pour le gouverneur romain que cet homme admirable, avec sa mission sublime d'un royaume qui ne serait pas de ce monde et d'un empire de vérité dans lequel il devait régner, n'était pas un révolté politique ; et que le considérer comme une menace pour les institutions romaines serait absurde. Ces dernières paroles - au sujet de la vérité - étaient les plus embarrassantes de toutes ; Pilate était agité, et peut-être un peu effrayé de leur importance. « Qu'est-ce que la vérité ? » s'exclama-t-il plutôt avec appréhension qu'il ne le demanda en s'attendant à une réponse, au moment où il s'apprêtait à quitter la salle. Il annonça officiellement aux Juifs qui se trouvaient à l'extérieur que le prisonnier était acquitté. « Moi, je ne trouve aucun motif (de condamnation) en lui », fut son verdict.
 
Mais les principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple ne se laissèrent pas rebuter. Ils étaient tellement assoiffés du sang du Christ que cette soif s'était transformée en folie. Ils hurlèrent sauvagement et férocement : « Il soulève le peuple, en enseignant dans toute la Judée, depuis la Galilée où il a commencé, jusqu'ici. » Lorsqu'il fut parlé de la Galilée, cela donna à Pilate l'idée d'employer une nouvelle procédure. S'étant assuré par une enquête que Jésus était Galiléen, il décida d'envoyer le prisonnier à Hérode, gouverneur vassal de cette province, qui se trouvait à Jérusalem à l'époque [35]. Pilate espérait ainsi se débarrasser de toute responsabilité dans l'affaire, et en outre, Hérode, avec lequel il avait de mauvais rapports, pourrait ainsi être apaisé.
 
LE CHRIST DEVANT HÉRODE [36]
 
Hérode Antipas, fils dégénéré de son infâme père, Hérode le Grand [37] était à ce moment-là tétrarque de Galilée et de Pérée, et selon l'usage populaire, que ne justifiait cependant pas la sanction impériale, se faisait flatteusement appeler roi. C'est lui qui, accomplissant un vœu impie inspiré par les flatteries voluptueuses d'une femme, avait ordonné le meurtre de Jean-Baptiste. Il gouvernait comme vassal romain et professait être orthodoxe dans les observances du judaïsme. Il était venu en grande pompe à Jérusalem pour célébrer la fête de la Pâque. Hérode fut heureux de se voir envoyer Jésus par Pilate, car cette action n'était pas seulement gracieuse de la part du procurateur, constituant comme le prouvèrent les événements ultérieurs, le préliminaire d'une réconciliation entre les deux gouverneurs [38], mais c'était aussi un moyen de satisfaire la curiosité qu'éprouvait Hérode à voir Jésus dont il avait tant entendu parler, dont la réputation l'avait terrifié et grâce auquel il espérait maintenant voir accomplir quelque miracle intéressant [39].
 
Si effrayé qu'Hérode ait pu être jadis devant Jésus, qu'il avait superstitieusement cru être la réincarnation de sa victime assassinée, Jean-Baptiste, ce sentiment était maintenant remplacé par un intérêt amusé lorsqu'il vit, lié devant lui, le célèbre prophète de Galilée, accompagné d'une garde romaine et de fonctionnaires ecclésiastiques. Hérode commença à questionner le prisonnier, mais Jésus resta silencieux. Les principaux sacrificateurs et les scribes exprimèrent avec véhémence leurs accusations, mais le Seigneur ne prononça pas un mot. Hérode est le seul personnage de l'histoire à qui Jésus, pour autant qu'on le sache, appliqua personnellement une épithète méprisante. « Allez dire à ce renard », dit-il un jour à certains Pharisiens qui étaient venus le trouver pour lui dire qu'Hérode avait l'intention de le tuer [40]. Pour autant que nous le sachions, Hérode se distingue en outre par ce qu'il est le seul être qui ait vu le Christ face à face et qui lui ait parlé sans jamais entendre sa voix. Pour les pécheurs repentants, les femmes en pleurs, les enfants babillards, pour les scribes, les Pharisiens, les Sadducéens, les rabbis, pour le souverain sacrificateur parjure et son sujet obséquieux et insolent, et pour Pilate le païen, le Christ avait des paroles - de réconfort ou d'enseignement, d'avertissement ou de réprimande, de protestation ou de dénonciation - et cependant pour Hérode, le renard, il n'avait qu'un silence dédaigneux et royal. Piqué au vif, Hérode passa des questions insultantes à des actes de dérision méchante. Lui et ses soldats se moquèrent des souffrances du Christ et le traitèrent « avec mépris », puis, après l'avoir, pour se moquer de lui, « revêtu d'un habit éclatant, il le renvoya à Pilate » [41]. Hérode n'avait rien trouvé en Jésus qui justifiât une condamnation.
 
LE CHRIST COMPARAÎT DE NOUVEAU DEVANT PILATE [42]
 
Le procurateur romain, voyant qu'il ne pouvait éviter l'examen du cas, assembla « Ies principaux sacrificateurs, les chefs et le peuple, et leur dit : Vous m'avez amené cet homme comme entraînant le peuple à la révolte. Voici : je l'ai interrogé devant vous et je ne l'ai trouvé coupable d'aucune des fautes dont vous l'accusez : Hérode non plus, car il nous l'a renvoyé, et voici : cet homme n'a rien fait qui soit digne de mort. Je le relâcherai donc après l'avoir fait châtier ». Pilate désirait sincèrement sauver Jésus de la mort, mais il faisait une concession infâme aux préjugés juifs en décidant de faire flageller le prisonnier, dont il avait affirmé et répété l'innocence. Il savait que l'accusation de sédition et de trahison n'était pas fondée, et qu'il était parfaitement ridicule de la part de la hiérarchie juive, dont la loyauté feinte à César n'était que le manteau dont elle couvrait une haine inhérente et inextinguible, de formuler pareille accusation ; et il était parfaitement conscient que les dirigeants ecclésiastiques avaient livré Jésus entre ses mains par envie et méchanceté [43].
 
Il était de coutume qu'au moment de la Pâque le gouverneur amnistiât et remit en liberté tout prisonnier condamné que le peuple nommerait. Ce jour-là, il y avait en suspens, en attendant son exécution, « un nommé Barabbas... en prison avec des émeutiers pour avoir, lors d'une émeute, commis un meurtre ». Cet homme était condamné du délit même dont Jésus avait été prononcé innocent, explicitement par Pilate et implicitement par Hérode, et en plus de cela, Barabbas était un assassin. Pilate essaya d'apaiser les prêtres et le peuple en libérant Jésus. Le faire bénéficier de l'amnistie de la Pâque, c'était reconnaître tacitement la condamnation du Christ devant le tribunal ecclésiastique et pratiquement confirmer la sentence de mort, remplacée par le pardon officiel. C'est pourquoi il leur demanda : « Lequel voulez-vous que je vous relâche, Barabbas, ou Jésus appelé le Christ ? » Il semble qu'il y ait eu un bref intervalle entre la question de Pilate et la réponse du peuple, intervalle au cours duquel les principaux sacrificateurs et les anciens s'activèrent parmi la multitude à l'exhorter à demander la libération du révolté et de l'assassin. Aussi, lorsque Pilate répéta la question : « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? » Israël assemblé cria : « Barabbas. » Pilate, surpris, déçu et irrité, demanda alors : « Que ferai-je donc de Jésus, appelé le Christ ? Tous répondirent : Qu'il soit crucifié ! Le gouverneur dit : Mais quel mal a-t-il fait ? Et ils crièrent encore plus fort : Qu'il soit crucifié ! »
 
Le gouverneur romain était profondément troublé et intérieurement effrayé. Pour augmenter sa perplexité, il reçut un message avertisseur de sa femme, alors même qu'il était assis sur le siège du jugement : « Ne te mêle pas de l'affaire de ce juste, car aujourd'hui j'ai beaucoup souffert en songe à cause de lui. » Il est caractéristique de ceux qui ne connaissent pas Dieu qu'ils sont superstitieux. Pilate avait peur de penser à la menace terrible dont le songe de sa femme pouvait être le présage. Mais voyant qu'il ne pouvait l'emporter et prévoyant un tumulte parmi le peuple s'il persistait à défendre le Christ, il se fit apporter de l'eau et se lava les mains devant la multitude - acte symbolique par lequel on rejetait toute responsabilité, et que tous comprirent - proclamant en même temps : « Je suis innocent du sang de ce juste. Cela vous regarde. » C'est alors que s'éleva le terrible cri par lequel le peuple de l'alliance se condamnait lui-même : « Que son sang (retombe) sur nous et sur nos enfants ! » L'histoire rend un témoignage effrayant de ce que ce vœu terrible s'accomplit littéralement [44]. Pilate libéra Barabbas et remit Jésus à la garde des soldats pour qu'ils le flagellent.
 
La flagellation était un préliminaire terrible à la mort sur la croix. L'instrument du châtiment était un fouet fait de nombreuses lanières, armées de métal et terminées par des morceaux d'os dont les extrémités étaient déchiquetées. Les documents rapportent certains cas dans lesquels le condamné mourait sous le fouet et échappait ainsi aux horreurs d'être crucifié vif. Conformément aux coutumes brutales de l'époque, Jésus, affaibli et sanglant après l'effrayante flagellation qu'il avait subie, fut livré aux soldats à demi sauvages pour leur amusement. Ce n'était pas une victime ordinaire, et par conséquent toute la soldatesque s'attroupa dans le prétoire, ou grande salle du palais, pour participer à cet amusement diabolique. Ils enlevèrent à Jésus son vêtement supérieur et le couvrirent d'un manteau de pourpre [45]. Puis avec un sens démoniaque du réel ils tressèrent une couronne d'épines et la placèrent sur le front du martyr ; on lui mit un roseau dans la main droite en guise de sceptre royal et, s'inclinant devant lui en un hommage feint, ils le saluèrent des mots : « Salut, roi des Juifs ! » Lui arrachant le roseau ou la baguette, ils l'en frappaient brutalement sur la tête, enfonçant les épines cruelles dans la chair ; ils le giflaient de leurs mains et crachaient sur lui avec un entrain vil et vicieux [46].
 
Pilate avait probablement observé cette scène en silence. Il l'arrêta et décida d'essayer encore une fois de faire appel à la pitié juive, si elle existait. Il sortit et dit à la multitude : « Voici, je vous l'amène dehors, afin que vous sachiez que je ne trouve aucun motif (de condamnation). » C'était la troisième fois que le gouverneur proclamait nettement l'innocence du prisonnier. « Jésus sortit donc, portant la couronne d'épines et le manteau de pourpre. Et Pilate leur dit : Voici l'homme ! [47] » Pilate semble avoir compté que l'aspect pitoyable du Christ fouetté et sanglant adoucirait le cœur des Juifs en colère. Mais il ne réussit pas son effet. Réfléchissez à ce fait terrible : un païen qui ne connaissait pas Dieu, suppliant les prêtres et le peuple d'Israël de laisser la vie à leur Seigneur et Roi ! Lorsque, sans se laisser émouvoir par ce spectacle, les principaux sacrificateurs et les officiers s'écrièrent sur un ton de plus en plus vindicatif : « Crucifie ! crucifie ! », Pilate prononça la sentence fatale : « Prenez-le vous-mêmes et crucifiez-le », mais il ajouta avec irritation : « Car moi, je ne trouve pas de motif (de condamnation) en lui. »
 
On se souviendra que la seule accusation proférée contre le Christ devant le gouverneur romain était celle de sédition ; les persécuteurs juifs avaient soigneusement évité la moindre mention du blasphème qui était l'offense pour laquelle ils avaient estimé que Jésus méritait de mourir. Maintenant qu'ils avaient arraché à Pilate la peine de la crucifixion, ils essayèrent impudemment de faire croire que l'autorisation du gouverneur n'était qu'une ratification de leur propre condamnation à mort ; ils dirent donc : « Nous avons une loi, et selon la loi, il doit mourir, parce qu'il s'est fait Fils de Dieu. » Qu'est ce que cela voulait dire ?
 
Ce titre intimidant, Fils de Dieu, toucha plus profondément la conscience troublée de Pilate. Une fois de plus il emmena Jésus devant le tribunal et lui demanda en tremblant : « D'où es-tu ? » Il voulait savoir si Jésus était humain ou surhumain. Si le Seigneur avait reconnu directement sa divinité il aurait effrayé le gouverneur païen sans l'éclairer ; c'est pourquoi Jésus ne lui répondit pas. Pilate fut encore plus surpris et peut-être quelque peu offensé de ce mépris apparent de son autorité. Il demanda une explication, disant : « À moi, tu ne parles pas ? Ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir de te relâcher, et que j'ai le pouvoir de te crucifier ? » Alors Jésus répondit : « Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir s'il ne t'avait été donné d'en-haut. C'est pourquoi celui qui me livre à toi est coupable d'un plus grand péché. » Les situations étaient renversées ; le Christ était le juge et Pilate le sujet de la décision de ce dernier. Sans être considéré innocent, le Romain était jugé moins coupable que celui ou ceux qui avaient remis Jésus de force en son pouvoir et avaient exigé de lui une exécution injuste.
 
Le gouverneur, quoique ayant prononcé sa sentence, cherchait encore le moyen de libérer le Patient soumis. Dès qu'il montra aux Juifs qu'il hésitait, ceux-ci s'écrièrent : « Si tu le relâches, tu n'es pas ami de César. Quiconque se fait roi, se déclare contre César. » Pilate s'assit au tribunal, qui était érigé au lieu appelé le Pavé ou Gabbatha, en dehors de la salle. Il en voulait à ces Juifs qui avaient osé laisser entendre qu'il n'était pas l'ami de César et dont l'insinuation pouvait provoquer l'envoi d'une ambassade à Rome pour se plaindre et le faire apparaître autrement qu'il n'était par une accusation exagérée. Indiquant Jésus, il s'exclama avec un sarcasme non voilé : « Voici votre roi ! » Mais les Juifs répondirent avec des cris menaçants : « À mort ! À mort ! crucifie-le ! » Leur rappelant d'une manière mordante leur assujettissement national, Pilate demanda avec une ironie encore plus tranchante : « Crucifierai-je votre roi ? » Et les principaux sacrificateurs crièrent d'une voix forte : « Nous n'avons de roi que César. »
 
Ainsi en fut-il et ainsi en devait-il être. Le peuple qui avait accepté par alliance Jéhovah pour roi, le rejetait maintenant en personne et ne reconnaissait d'autre souverain que César. Depuis lors il a été sujet et serf de César au cours des siècles. Pitoyable est l'état de l'homme ou de la nation qui ne veut, dans son cœur et dans son esprit, n'avoir d'autre roi que César [48] !
 
En quoi résidait la cause de la faiblesse de Pilate ? Il était le représentant de l'empereur, le procurateur impérial qui avait le pouvoir de crucifier ou de sauver ; officiellement c'était un autocrate. Il ne fait aucun doute qu'il était convaincu de l'innocence du Christ et qu'il désirait le sauver de la croix. Pourquoi donc Pilate hésita-t-il, vacilla-t-il, et finalement céda-t-il contrairement à sa conscience et à sa volonté ? Parce qu'au fond, il était plus esclave qu'homme libre. Il était asservi à son passé. Il savait que si on se plaignait de lui à Rome, sa corruption et ses cruautés, ses extorsions et le massacre injustifiable qu'il avait provoqué seraient tous relevés contre lui. Il était le gouverneur romain, mais le peuple qu'il dominait officiellement se réjouissait de le voir se replier sur lui-même lorsqu'il faisait claquer au-dessus de sa tête, avec un bruit sec et féroce, le fouet menaçant d'un rapport sur lui à son maître impérial, Tibère [49].
 
JUDAS ISCARIOT [50]
 
Lorsque Judas Iscariot vit les effets terribles de sa trahison, il fut saisi d'un remords frénétique. Au cours du procès du Christ devant les autorités juives, qui s'accompagna d'humiliations et de cruautés, le traître avait vu la gravité de son acte ; et lorsque le Martyr s'était laissé livrer aux Romains sans résister, et que l'issue fatale était devenue certaine, l'énormité de son crime remplit Judas d'une horreur sans nom. Se précipitant auprès des principaux sacrificateurs et des anciens, tandis que l'on faisait les derniers préparatifs pour la crucifixion du Seigneur, il implora les gouverneurs ecclésiastiques de reprendre le salaire maudit qu'ils lui avaient payé, s'écriant dans son désespoir terrible : « J'ai péché, en livrant le sang innocent. » Il se peut qu'il ait vaguement espéré une parole de sympathie de la part des conspirateurs entre les mains perverses et adroites desquels il avait été un instrument aussi empressé et utile. Il espérait peut-être que son aveu pourrait freiner le cours de leur méchanceté et qu'ils demanderaient une réforme du jugement. Mais les gouverneurs d'Israël le repoussèrent avec dégoût. « Que nous importe ? », raillèrent-ils, « cela te regarde. » Il les avait servis, ils lui avaient payé son salaire, ils ne voulaient plus jamais le voir ; et ils le rejetèrent impitoyablement dans les ténèbres hantées de sa conscience affolée. Serrant encore le sac d'argent, souvenir trop réel de son affreux péché, il se précipita dans le temple, pénétrant même dans les locaux réservés aux prêtres, et lança les pièces d'argent sur le sol du sanctuaire [51]. Puis, poussé par l'aiguillon de son maître, le diable, dont il était devenu corps et âme l'esclave, il sortit et s'en alla se pendre.
 
Les principaux sacrificateurs rassemblèrent les pièces d'argent et, avec un scrupule sacrilège, tinrent une réunion solennelle pour décider de ce qu'ils feraient du « prix du sang ». Comme ils estimaient illégal d'ajouter les pièces souillées au trésor sacré, ils s'en servirent pour acheter un certain champ d'argile, qui était autrefois la propriété d'un potier et qui était l'endroit même où Judas s'était suicidé ; ce morceau de terre, ils le réservèrent comme lieu d'enterrement pour les étrangers et les païens. Le corps de Judas, qui trahit le Christ, fut probablement le premier à y être enterré. Et ce champ fut appelé « Hakeldamah, c'est-à-dire, champ du sang » [52].
 
 [1] Jean 18:13,24.
 [2] Mt 26:57, Marc 14:53, Luc 22:54.
 [3] Note 1, fin du chapitre.
 [4] Jean 18:14 ; cf. 11:49, 50.
 [5] Jean 18:19-23.
 [6] Le texte dit que l'homme donna un soufflet à Jésus, c'est-à-dire qu'il le gifla. Cet acte ajoutait l'insulte humiliante à la violence. En marge de la version anglaise on trouve « avec une baguette ». Les premiers manuscrits ne sont pas d'accord sur ce point.
 [7] Note 2, fin du chapitre.
 [8] Mt 26:59-61, Marc 14:55-59.
 [9] Mt 26:61 et Marc 14:58.
 [10] Jean 2:18-22 ; voir chap. 12 du présent ouvrage.
 [11] Notez l'accusation portée devant Pilate que Jésus était coupable d'exciter la nation à la révolte, Luc 23:2.
 [12] Mt 26:63-66 ; cf. Marc 14:61-64.
 [13] Chap. 14 et Notes.
 [14] Cf. Marc 14:62.
 [15] Mt 26:65, 66. La version révisée anglaise porte en marge une traduction plus littérale : « passible de mort ».
 [16] Lv 21: 10.
 [17] Josèphe, Guerres, 11, 15:2, 4 ; et 1 Maccabées 11:71.
 [18] Mt 26:67, Marc 14:65 ; cf. Luc 18:32, voir aussi Es 50:6.
 [19] Mt 26:68, Luc 22:62-65.
 [20] Marc 14:64.
 [21] Luc 22:66.
 [22] Jean 18:28.
 [23] Luc 22:66-71.
 [24] Note 3, fin du chapitre.
 [25] Marc 15:1 ; cf. Mt 27:1, 2, Jean 18:28.
 [26] La note 4, à la fin du chapitre, donne d'autres détails sur les irrégularités du procès juif de Jésus.
 [27] Mt 26:58, 69-75, Marc 14:54, 66-72, Luc 22:54-62, Jean 18:15-18, 25-27
 [28] Jean 18:8,9 ; chap. 33 du présent ouvrage.
 [29] Jean 1:35, 40, 13:23, 19:26, 20:2, 21:7, 20, 24.
 [30] Observez que Marc, qui est seul à déclarer que le Seigneur dit à Pierre « Avant que le coq chante deux fois, toi tu me renieras trois fois » (14:30), rapporte un premier chant du coq après le premier reniement de Pierre (v. 68) et un deuxième chant après le troisième reniement (v. 72).
 [31] Césarée de Palestine, pas Césarée de Philippe.
 [32] Jean 18:28-32.
 [33] Luc 23:2.
 [34] Jean 18:33-38 ; cf. Mt 27:11, Marc 15:2, Luc 23:3,-4.
 [35] Luc 23:5-7.
 [36] Luc 23:8-12.
 [37] Chap. 9 ; voir aussi chap. 8, notes.
 [38] Luc 23:12.
 [39] Mt 14: 1, Marc 6:14, Luc 9:7, 9.
 [40] Luc 13:31, 32  chap. 26 du présent ouvrage.
 [41] Luc 23:11. Clarke (« Commentaries ») et beaucoup d'autres auteurs pensent que la tunique était blanche, cette couleur étant la teinte ordinaire des vêternents de la noblesse juive.
 [42] Luc 23:13-25, Mt 27:15-31, Marc 15:6-20, Jean 18:39, 40, 19:1-16.
 [43] Mt 27:18, Marc 15:10.
 [44] Note 5, fin du chapitre.
 [45] Matthieu dit « écarlate », Marc et Jean disent « pourpre ».
 [46] Cf. Luc 18:32.
 [47] « Ecce Homo ».
 [48] Note 6, fin du chapitre.
 [49] Note 7, fin du chapitre.
 [50] Mt 27:3-10 ; cf. Actes 1:16-20
 [51] La version révisée (anglaise) de Mt 27:5 dit : « Judas jeta les pièces d'argent dans le sanctuaire » au lieu de « dans le temple », ce qui veut dire qu'il lança l'argent dans le portique de la maison sainte, par distinction avec les cours extérieures et publiques.
 [52] Actes 1:19, Mt 27:8, note 8, fin du chapitre.
 
NOTES DU CHAPITRE 34
 
1. Anne et son entretien avec Jésus : « Il n'est pas de personnage mieux connu dans l'histoire juive contemporaine que celui d'Anne, pas de personnalité jugée plus fortunée ou heureuse, mais également aucune qui ait été haïe d'une manière aussi universelle que l'ex-souverain sacrificateur. Il n'avait détenu le pontificat que pendant six ou sept ans, mais pas moins de cinq de ses fils le remplirent, ainsi que son beau-fils Caïphe et un petit-fils, et à cette époque-là il valait mieux, du moins pour quelqu'un qui avait la tournure d'esprit d'Anne, avoir été qu'être souverain sacrificateur. Il bénéficiait de toute la dignité de cette fonction ainsi que de toute son influence, puisqu'il était à même d'y avancer ceux qui avaient le plus de relations avec lui. Et s'ils agissaient publiquement, en réalité c'était lui qui dirigeait les affaires sans être encombré des responsabilités ou des restrictions qu'imposait cet office. Son influence auprès des Romains, il la devait aux opinions religieuses qu'il professait, à sa collaboration ouverte avec l'étranger et à sa richesse énorme... Nous avons vu les revenus immenses que la famille d'Anne avait dû retirer des échoppes du temple, et combien ce trafic était néfaste et impopulaire. Quand on prononçait le nom de ce fils d'Aaron orgueilleux, licencieux, sans scrupule et dégénéré, on le faisait en chuchotant des malédictions. Sans même penser à l'intervention du Christ dans ce trafic du temple, intervention qui, si son autorité l'avait emporté, lui aurait naturellement été fatale, nous pouvons comprendre quelle opposition il devait y avoir à tous points de vue entre un Messie - et un Messie tel que Jésus - et Anne... Il ne nous est rien dit de ce qui se passa devant Anne. Le quatrième évangile ne fait que mentionner au passage le fait que le Christ lui fut amené en premier lieu. Comme les disciples l'avaient tous abandonné et s'étaient enfuis, nous pouvons comprendre qu'ils aient ignoré ce qui se passa réellement jusqu'à ce qu'ils se fussent repris, du moins au point que Pierre et « un autre disciple », de toute évidence Jean, « entra avec Jésus dans la cour du souverain sacrificateur » - c'est-à-dire dans le palais de Caïphe et non d'Anne. Car si, comme le disent les trois évangiles synoptiques, c'est le palais du souverain sacrificateur Caïphe qui fut la scène du reniement de Pierre, le récit qu'en fait le quatrième évangile doit avoir trait au même endroit et non au palais d'Anne. » - Edersheim, Life and Times of Jesus the Messiah, vol.11, p. 547-548.
 
2. La patience du Christ sous les coups : Le fait que Jésus resta d'humeur égale et demeura soumis, même quand il fut provoqué par un serviteur brutal qui lui asséna un coup en présence du souverain sacrificateur, confirme l'affirmation de notre Seigneur lorsqu'il dit qu'il avait « vaincu le monde » (Jean 16:33). On ne peut lire ce passage sans comparer, peut-être involontairement, la soumission divine de Jésus en cette occasion, à l'indignation entièrement naturelle et humaine de Paul dans une situation ultérieure analogue (Actes 23:1-5). Le souverain sacrificateur Ananias, mécontent des réflexions de Paul, ordonna à quelqu'un qui se trouvait là de le frapper sur la bouche. Paul éclata en une protestation furieuse : « Dieu te frappera, muraille blanchie ! Tu sièges pour me juger sur la loi, et contre la loi, tu ordonnes de me frapper. » Il s'excusa ensuite, disant qu'il ne savait pas que c'était le souverain sacrificateur qui avait ordonné qu'on le frappe. Voir Articles de Foi, p. 506-508 et note 1 page 519, et Life and Words of Saint Paul, de Farrar, p. 539-540.
 
3. Principaux sacrificateurs et anciens : Ces titres (le terme « principaux sacrificateurs » employé par la version Segond a pour équivalent en anglais le terme « grand prêtre », ndt) détenus par les fonctionnaires de la hiérarchie juive à l'époque du Christ ne doivent pas être confondus avec les mêmes désignations appliquées aux détenteurs de la prêtrise supérieure ou Prêtrise de Melchisédek. Le souverain sacrificateur (grand prêtre) des Juifs était le prêtre président ; il devait être de descendance aaronique pour être prêtre ; il devenait souverain sacrificateur (grand prêtre) quand les Romains le nommaient à ce poste. Les anciens, comme le nom l'indique, étaient des hommes d'âge mûr et d'expérience, qui étaient nommés aux fonctions de magistrats dans les villes et de juges dans les tribunaux ecclésiastiques, soit dans les sanhédrins auxiliaires des provinces ou au grand sanhédrin de Jérusalem. Le terme « ancien » tel qu'il était utilisé parmi les Juifs à l'époque de Jésus, n'avait pas plus de rapport avec la qualité d'ancien dans la Prêtrise de Melchisédek que le titre de « scribe ». Les devoirs des souverains sacrificateurs et des anciens des Juifs combinaient à la fois les fonctions ecclésiastiques et séculières ; en fait les deux offices étaient devenus en grande mesure des bénéfices politiques. Voir « Elder » dans le Bible Dictionary, de Smith. Depuis le départ de Moïse jusqu'à la venue du Christ, la théocratie organisée d'Israël fut celle de la moindre prêtrise ou Prêtrise d'Aaron, comprenant l'office de prêtre, qui était limité à la lignée d'Aaron, et les offices moindres d'instructeur et de diacre qui étaient combinés dans l'ordre lévitique. Voir « Ordre et offices de la prêtrise », par l'auteur, dans les Articles de Foi, p. 251 253.
 
4. Procédures illégales dans le procès juif de Jésus : On a écrit beaucoup de volumes sur le prétendu procès de Jésus. Nous ne pouvons introduire ici qu'un résumé très bref des principaux faits et lois. Quiconque désire faire un examen plus approfondi peut se reporter aux ouvrages suivants : Edersheim, Life and Times of Jesus the Messiah ; Andrews, Life of our Lord ; Dupin, Jesus before Caiaphas and Pilate ; Mendelsohn, Criminal Jurisprudence of the Ancient Hebrews ; Salvador, Institutions of Moses ; Innes, The Trial of Jesus Christ ; Maimonide, Sanhedrin ; MM. Lemann, Jesus before the Sanhedrin ; Benny, Criminal Code of the Jews ; et Walter M. Chandler, du Barreau de New York, The trial of Jesus from a lawyer's Standpoint. Le dernier titre cité est un ouvrage en deux volumes commentant respectivement « Le procès hébreu » et « Le procès romain » et contient des citations des ouvrages ci-dessus et d'autres encore.
 
Edersheim (vol. 2, p. 556-558) est d'avis que la mise en accusation nocturne de Jésus dans la maison de Caïphe n'était pas un jugement devant le sanhédrin, et note les irrégularités et les illégalités de la procédure pour prouver que le sanhédrin n'aurait pas pu faire ce que l'on fit cette nuit-là. Employant de nombreuses citations pour confirmer les conditions légales qu'il spécifie, l'auteur dit : « Mais en outre, le procès et la condamnation de Jésus dans le palais de Caïphe auraient enfreint tous les principes de la loi et de la procédure pénales juives. Pour juger les causes de ce genre et prononcer une peine capitale, il fallait le faire dans le local officiel du sanhédrin et non, comme ici, au palais du souverain sacrificateur. Aucun procès, et bien moins encore un procès de ce genre, ne pouvait être entrepris au milieu de la nuit, et pas même dans l'après-midi, bien que, si la discussion s'était prolongée toute la journée, on pouvait prononcer la sentence de nuit. En outre, aucun procès ne pouvait avoir lieu le sabbat ou les jours fériés, ni même la veille de ceux-ci, ce fait annulant l'action ; d'un autre côté, on pourrait avancer qu'un procès contre quelqu'un qui avait séduit le peuple devrait de préférence avoir lieu lors des jours fériés publics, et la sentence devrait être exécutée ces jours-là, en guise d'exemple. Enfin, dans les affaires capitales il y avait un système compliqué pour avertir et mettre sur leurs gardes les témoins ; on peut affirmer en toute sécurité que lors d'un procès ordinaire, les juges juifs, quels qu'aient été les préjugés qu'ils aient pu avoir, n'auraient pas agi comme les sanhédristes et Caïphe le firent en cette occasion... Mais bien que le Christ ne fut pas jugé et condamné en une assemblée officielle du sanhédrin, il ne peut y avoir, hélas, aucun doute que sa condamnation et sa mort furent l'œuvre, sinon du sanhédrin, du moins des sanhédristes - du conseil tout entier (« tout le sanhédrin »), ce qui exprime quel était le jugement et les intentions du tribunal suprême et des dirigeants d'Israël, à un très petit nombre d'exceptions près. Nous devons garder à l'esprit que la résolution de sacrifier le Christ était prise depuis quelque temps. »
 
Si nous avons cité ce qui précède, c'est pour montrer, en nous appuyant sur une autorité reconnue et éminente, certains des procédés illégaux qui furent employés dans le procès nocturne de Jésus, qui fut mené, comme le montre le texte ci-dessus et les documents scripturaires, par le souverain sacrificateur et le sanhédrin d'une manière reconnue irrégulière et illégale. Si les sanhédristes jugèrent et condamnèrent sans être en session au sanhédrin, l'énormité de cette procédure est, si pareille chose est possible, plus profonde et plus noire que jamais.
 
Dans son excellent ouvrage (vol. 1, The Hebrew Trial), Chandler examine de manière exhaustive les faits que nous possédons sur ce procès et la loi pénale hébraïque dans ce domaine. Suit un sommaire compliqué qui présente l'un après l'autre les points suivants :
 
« Article 1: L'arrestation de Jésus fut illégale », puisqu'elle se produisit la nuit et grâce à la trahison de Judas, un complice, deux éléments qui étaient expressément interdits par la loi juive de l'époque.
 
« Article 2: L'interrogatoire privé de Jésus devant Anne ou Caïphe était illégal » ; en effet (1) il se fit pendant la nuit ; (2) il était expressément interdit à un « juge unique » d'instruire une cause quelconque, (3) selon une citation tirée de Salvador « un principe qui est perpétuellement reproduit dans les Écritures hébraïques traite de ces deux conditions : le caractère public et la liberté ».
 
« Article 3: L'inculpation portée contre Jésus était illégale dans sa forme. » « La procédure criminelle tout entière du code mosaïque repose sur quatre règles : la certitude de l'accusation, le caractère public de la discussion, la garantie d'une liberté pleine et entière à l'accusé et les précautions contre tout danger d'erreur dans les témoignages. » - Salvador, p. 365. « Le sanhédrin ne lançait pas et ne pouvait pas lancer d'accusation ; il ne faisait qu'enquêter sur ceux qui étaient amenés devant lui. » - Edersheim, vol. 1, p. 309. « C'étaient les preuves apportées par les témoins principaux qui constituaient l'accusation. Il n'y avait pas d'autre accusation, pas d'inculpation plus officielle. Le prisonnier n'était pas considéré comme accusé tant qu'ils n'avaient pas parlé et parlé dans l'assemblée publique. » - Innes, p. 41. « Les seuls plaignants connus de la jurisprudence criminelle talmudique sont les témoins du délit. Leur devoir est de porter l'affaire à la connaissance du tribunal et de rendre témoignage contre le criminel. Dans les affaires capitales, ils sont aussi les bourreaux légaux. Il n'y a nulle part la moindre trace d'accusateur officiel ou de ministère public dans les lois des anciens Hébreux. » - Mendelsohn, p. 110.
 
« Article 4: L'action du sanhédrin contre Jésus était illégale parce qu'elle fut menée pendant la nuit. » « Jugez un crime capital pendant le jour mais suspendez la nuit. » - Michna, sanhédrin 4:1. « Les divers tribunaux ne peuvent statuer sur les affaires pénales que pendant la journée, les sanhédrions auxiliaires entre la fin du service matinal et midi et le grand sanhédrion jusqu'au soir. » - Mendelsohn, p. 112.
 
« Article 5: L'action du sanhédrin contre Jésus était illégale parce que le tribunal se réunit avant que le sacrifice matinal ne fût offert. » « Le sanhédrin siégeait de la fin du sacrifice matinal jusqu'au moment du sacrifice vespéral. » - Talmud Jer. San. 1:19. « Il ne pouvait y avoir aucune session du tribunal avant que le sacrifice matinal ne fût offert. » - MM. Lemann, p. 109. « Comme le sacrifice matinal était offert à l'aube du jour, il n'était guère possible au sanhédrin de s'assembler avant l'heure qui suivait ce moment-là. » - Michna, Tamid, ch. 3.
 
« Article 6: l'action intentée contre Jésus était illégale parce qu'elle fut menée la veille d'un sabbat juif, ainsi que le premier jour des pains sans levain et la veille de la Pâque. » « On ne jugera pas la veille du sabbat ni celle d'aucune fête. » - Michna, San. 4:1. « Il n'était permis à aucun tribunal en Israël de siéger le jour du sabbat ni aucun des sept jours fériés bibliques. Dans les cas de crime capital, on ne pouvait entreprendre aucun procès le vendredi ou la veille d'un jour férié parce qu'il était illégal aussi bien d'ajourner ces procès plus longtemps que pour une nuit que de les poursuivre lors du sabbat ou du jour férié. » - Rabbi Wise, Martyrdom of Jesus, p. 67.
 
« Article 7: Le procès de Jésus était illégal parce qu'il se termina dans le délai d'une journée. » « Une affaire criminelle qui a pour résultat l'acquittement de l'accusé peut se terminer le jour même où le procès a commencé. Mais si l'on prononce la peine de mort, on ne peut mettre fin au procès que le jour suivant. » - Michna, San. 4:1.
 
« Article 8: La sentence de condamnation prononcée contre Jésus par le sanhédrin était illégale parce qu'elle était fondée sur sa confession non confirmée. » « Un principe fondamental de notre jurisprudence est que nul ne peut porter une accusation contre lui-même. Si un homme plaide coupable devant un tribunal légalement constitué, pareille confession ne peut être utilisée contre lui que si elle est dûment attestée par deux autres témoins. » - Maïmonide, 4:2. « Non seulement on n'oblige jamais l'accusé, par la torture, à se condamner lui-même, mais on n'essaie jamais de l'amener à s'incriminer. En outre, le fait qu'il confesse volontairement n'est pas admis comme preuve et ne suffit par conséquent pas à le condamner tant qu'un nombre légal de témoins ne confirment pas minutieusement l'accusation qu'il porte contre lui-même. » - Mendelsohn, p. 133.
 
« Article 9: La condamnation de Jésus était illégale parce que le verdict du sanhédrin était unanime. » « Un verdict simultané et unanime de culpabilité rendu le jour du procès équivaut à un acquittement. » - Mendelsohn, p. 141. « Si aucun des juges ne défend le coupable, c'est-à-dire si tous le prononcent coupable, sans personne pour le défendre au tribunal le verdict de culpabilité est non valable et la sentence de mort ne peut être mise à exécution. » - Rabbi Wise, « Martyrdom of Jesus », p. 74.
 
« Article 10: l'action intentée contre Jésus était illégale en ce sens que : (1) La sentence de condamnation fut prononcée en un lieu interdit par la loi, (2) le souverain sacrificateur déchira ses vêtements, (3) le vote était irrégulier. » « Après avoir quitté la salle Gazith on ne peut prononcer de sentence de mort contre personne. » - Talmud Bab. « De l'idolâtrie » 1:8. « On ne peut prononcer de peine de mort que tant que le sanhédrin est en session au lieu désigné. » - Maïmonide 14. Voir en outre Lv 21:10, comparer 10:6. « Que les juges absolvent ou condamnent, chacun à son tour. » - Michna, San. 15:5. « Les membres du sanhédrin étaient assis en demi-cercle, à l'extrémité duquel on plaçait deux greffiers, l'un qui avait pour mission de prendre note des votes en faveur de l'accusé, l'autre ceux qui étaient contre lui. » - Michna, San. 4:3. « Dans les cas ordinaires les juges votaient par rang d'ancienneté, en commençant par le plus ancien ; dans une affaire capitale on suivait l'ordre inverse. » - Benny, p. 73.
 
« Article 11: Les membres du grand sanhédrin n'avaient légalement pas qualité pour juger Jésus. » « Il ne doit pas y avoir non plus sur le siège du jugement soit un parent ou un ami particulier soit un ennemi que ce soit de l'accusé ou de l'accusateur. » - Mendelsohn p. 108. « Et en aucune circonstance il n'était permis à un homme connu pour être ennemi de l'accusé d'occuper un poste parmi les juges. » Benny, p. 37.
 
« Article 12: La condamnation de Jésus était illégale parce que les mérites de la défense ne furent pas examinés. » « Tu feras des recherches, tu examineras, tu interrogeras avec soin. » - Dt 13:14. « Les juges délibéreront de l'affaire dans la sincérité de leur conscience. » - Michna, San. 4:5. « L'objectif principal du système hébraïque était de rendre impossible la condamnation d'un innocent. Toute l'ingéniosité des légistes juifs était orientée vers la réalisation de cet objectif. » - Benny, p. 56.
 
Nous recommandons aux chercheurs le magistral énoncé des faits par Chandler et ses arguments à propos de chacun des articles ci-dessus. L'auteur affirme brièvement : « Les pages de l'histoire humaine n'offrent pas de cas plus net d'assassinat judiciaire que le procès et la crucifixion de Jésus de Nazareth, pour la simple raison que toutes les formes de la loi furent violées et piétinées dans l'action menée contre lui » (p. 216).
 
5. « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! » : Edersheim (vol. 2, p. 578) fait le commentaire puissant qui suit sur cette phrase par laquelle les Juifs acceptaient la responsabilité de la mort du Christ : « La Michna nous dit que, lorsque les anciens s'étaient solennellement lavé les mains et avaient rejeté toute culpabilité, les prêtres répondaient par la prière : « Pardonne à ton peuple d'Israël que tu as racheté, ô Seigneur, et ne mets pas du sang innocent sur ton peuple d'Israël. » Mais ici, en réponse aux paroles de Pilate, se faisait entendre le cri profond et rauque : « Que son sang retombe sur nous », et, - comment est-ce possible - « sur nos enfants. » Une trentaine d'années plus tard, et en ce lieu même, le jugement était prononcé contre l'élite de Jérusalem, et parmi les 3600 victimes de la furie du gouverneur dont un nombre considérable furent flagellées et crucifiées juste à côté contre le prétoire, se trouvaient un grand nombre des citoyens les plus nobles de Jérusalem (Josèphe, Guerres, XIX, ch. 8:9). Quelques années plus tard, des centaines de croix portaient des corps juifs mutilés tout près de Jérusalem. Et depuis lors ces errants semblent porter, d'un siècle à l'autre et d'un pays à l'autre, ce fardeau de sang ; et depuis lors il semble peser « sur eux et leurs enfants ».
 
6. « Nous n'avons de roi que César » : « Par ce cri le judaïsme se rendait, dans la personne de ses représentants, coupable de renier Dieu, de blasphème ou d'apostasie. Il se suicidait ; et depuis lors, son cadavre est transporté pour être montré d'un pays à l'autre et d'un siècle à l'autre - pour être mort et rester mort jusqu'à ce que revienne une deuxième fois celui qui est la résurrection et la vie. » - Edersheim, vol. 2, p. 581.
 
7. La raison fondamentale pour laquelle Pilate se rendit aux exigences juives : Pilate savait ce qui était juste mais n'avait pas le courage de le faire. Il avait peur des Juifs et craignait plus encore une influence hostile à Rome. Il avait peur de sa conscience mais craignait plus encore de perdre son poste officiel. La politique de Rome était de faire preuve de libéralisme et de conciliation dans ses rapports avec les religions et les coutumes sociales des nations conquises. Ponce Pilate enfreignait cette politique libérale depuis le commencement de son mandat. Ne tenant absolument aucun compte de l'antipathie hébraïque pour les images et les enseignes païennes, il faisait entrer les légionnaires à Jérusalem le soir, portant leurs aigles et leurs étendards décorés de l'effigie de l'empereur. Pour les Juifs, cet acte constituait une profanation de la ville sainte. En grandes foules ils se rassemblèrent à Césarée et firent une pétition auprès du procurateur pour que les étendards et les autres images fussent enlevés de Jérusalem. Pendant cinq jours le peuple supplia et Pilate refusa. Il le menaça d'un massacre général et eut la stupéfaction de voir le peuple s'offrir comme victime à l'épée plutôt que d'abandonner sa demande. Pilate dut céder (Josèphe, Ant. XVIII, ch. 3:1, et Guerres II, chap. 9:2, 3). Il les offensa de nouveau en s'appropriant de force le corban ou fonds sacré du temple, pour la construction d'un aqueduc destiné à fournir à Jérusalem l'eau des réservoirs de Salomon. S'attendant à la protestation publique du peuple, il avait fait déguiser des soldats romains en Juifs et leur avait ordonné de se mélanger à la foule en cachant des armes sur eux. À un signal donné ces assassins utilisèrent leurs armes et un grand nombre de Juifs sans défense furent tués ou blessés (Josèphe, Ant. XVIII, ch. 3:2 et Guerres 11, ch. 9:3-4). Une autre fois, Pilate avait gravement offensé le peuple en installant dans sa résidence officielle de Jérusalem des boucliers qui avaient été consacrés à Tibère, et ce « moins pour honorer Tibère que pour ennuyer le peuple juif ». Une pétition signée par les fonctionnaires ecclésiastiques de la nation et par d'autres personnes influentes, y compris quatre princes hérodiens, fut envoyée à l'empereur, qui réprimanda Pilate et ordonna que les boucliers fussent transférés de Jérusalem à Césarée (Philon, De Legatione ad Caium, sect. 38).
 
Ces outrages au sentiment national et un grand nombre de petits actes de violence, d'extorsion et de cruauté, les Juifs pouvaient s'en servir contre le procurateur. Il se rendait compte que sa position n'était pas sûre, et il craignait d'être démasqué. Il avait fait tant de mal que lorsqu'il aurait voulu faire du bien, il en fut empêché par la crainte lâche qu'il avait de son passé accusateur.
 
8. Judas Iscariot : Aujourd'hui quand nous parlons d'un traître, nous l'appelons « Judas » ou « Iscariot ». L'homme qui a rendu infâme ce nom combiné fait depuis des siècles le sujet de discussions parmi les théologiens et les philosophes, et ces derniers temps la lumière de l'analyse psychologique a été dirigée sur lui. Les philosophes allemands furent les premiers à affirmer que l'homme avait été jugé injustement, et que sa personnalité réelle était d'un ton plus brillant que celui dans lequel elle avait été dépeinte. En effet, certains critiques sont d'avis que des Douze, Judas était celui qui était le plus entièrement convaincu de la divinité de notre Seigneur dans la chair ; et ces apologistes essaient d'expliquer la trahison comme une manœuvre délibérée et bien intentionnée de mettre Jésus de force dans une situation difficile dont il ne pourrait s'échapper qu'en exerçant les pouvoirs de sa Divinité que jusqu'alors il n'avait jamais utilisés en sa faveur.
 
Il ne nous appartient pas de juger Judas ni personne d'autre ; mais il est de notre compétence de former et d'entretenir des opinions sur les actions de n'importe qui. À la lumière de la parole révélée, il apparaît que Judas Iscariot s'était rangé à la cause de Satan tout en servant ostensiblement le Christ dans des fonctions élevées. Ce n'est que par le péché qu'il pouvait s'abandonner ainsi aux forces du mal. La nature et l'étendue des transgressions que cet homme commit au cours des années ne nous sont pas précisées. Il avait reçu le témoignage que Jésus était le Fils de Dieu et, dans la pleine lumière de cette conviction, il se tourna contre son Seigneur et le trahit pour le livrer à la mort. La révélation moderne déclare d'une façon non moins explicite que l'ancienne que le sentier du péché est celui des ténèbres spirituelles conduisant à une destruction certaine. L'homme qui est coupable d'adultère, ne serait-ce que dans son cœur, perd certainement, s'il ne se repent, la compagnie de l'Esprit de Dieu et « reniera sa foi » ; c'est d'ailleurs ce que la voix de Dieu a affirmé (voir D&A 63:16). Nous ne pouvons donc pas douter que toute forme de péché mortel empoisonnera l'âme et, si elle n'est pas abandonnée par un repentir véritable, placera cette âme sous la condamnation. Satan fournit aux serviteurs habiles qu'il a formés des occasions de servir proportionnelles à leurs capacités mauvaises. Quelle que puisse être l'opinion des critiques modernes quant à la bonne réputation de Judas, nous avons le témoignage de Jean, qui pendant près de trois ans avait été en rapports étroits avec lui, que cet homme était un voleur (12:6) ; Jean dit de lui que c'était un démon (6:70) et « le fils de perdition » (17:12). Voir à ce propos D&A 76:41-48.
 
Il est un fait que les tendances mauvaises de Judas Iscariot étaient connues du Christ, puisque le Seigneur déclara sans détours que parmi les Douze, il y en avait un qui était un démon (Jean 6:70, comparez 13:27, Luc 22:3) ; en outre il est évident qu'il le savait lorsque les Douze furent choisis, puisque Jésus dit : « Je connais ceux que j'ai choisis », expliquant que les Écritures seraient accomplies par le choix qu'il avait fait. De même que la mort sacrificatoire de l'Agneau de Dieu était connue d'avance et prédite, de même les circonstances de la trahison étaient prévues. Il serait contraire, tant à la lettre qu'à l'esprit de la parole révélée de dire que si le misérable Iscariot agit comme il le fit pour parvenir à un but aussi exécrable, c'était parce qu'il était privé de liberté ou de libre arbitre. En commun avec les Douze il avait la possibilité et le droit de vivre dans la lumière de la présence immédiate du Seigneur et de recevoir de la source divine la révélation des objectifs de Dieu. Judas Iscariot n'était pas victime des circonstances, ce n'était pas un instrument insensible guidé par une puissance surhumaine, si ce n'est dans la mesure où il se livra volontairement à Satan et accepta un salaire au service du démon. Si judas avait été fidèle à la justice, d'autres moyens que sa perfidie auraient agi pour amener l'Agneau à la boucherie. Son ordination à l'apostolat le rendit possesseur de possibilités et de droits supérieurs à ceux des hommes qui n'avaient été ni appelés, ni ordonnés ; et à une possibilité aussi merveilleuse de se surpasser au service de Dieu correspondait la capacité de tomber. Un membre du gouvernement investi de la confiance du peuple peut commettre des actes de trahison qui sont impossibles au citoyen qui n'a jamais appris les secrets d'État. L'avancement comporte un accroissement de responsabilités, plus littéralement encore dans les affaires du royaume de Dieu que dans les institutions des hommes.
 
Il y a une contradiction apparente entre le récit de la mort de Judas Iscariot tel qu'il est donné par Matthieu (27:3-10) et tel qu'il est donné dans les Actes (1:16-20). Selon le premier, Judas se pendit ; le deuxième déclare qu'il « est tombé en avant, s'est brisé par le milieu, et toutes ses entrailles se sont répandues ». Ces deux récits sont exacts : il est probable que le misérable se pendit puis tomba, peut-être à cause de la rupture de la corde ou de la branche à laquelle elle était attachée. Matthieu dit que les gouverneurs juifs achetèrent le « champ du sang » ; l'auteur des Actes cite Pierre disant que Judas acheta le champ avec l'argent qu'il avait reçu des prêtres. Comme le champ avait été acheté avec l'argent qui avait appartenu à Iscariot et comme cet argent n'avait jamais été repris officiellement par les fonctionnaires du temple, le champ qui avait été acheté ainsi appartenait techniquement au bien foncier de Judas. Les divergences sont surtout importantes en ce qu'elles montrent que les auteurs écrivent indépendamment les uns des autres. Les récits concordent pour l'élément essentiel : Judas connut la fin d'un misérable suicidé.
 
Pour ce qui est du sort des « fils de perdition », le Seigneur en a fait un tableau partiel mais terrible dans une révélation en date du 16 février 1832 : « Ainsi dit le Seigneur concernant tous ceux qui connaissent mon pouvoir et à qui il a été donné d'y prendre part, qui ont permis au pouvoir du diable de les vaincre et de leur faire renier la vérité et défier mon pouvoir : ce sont ceux qui sont les fils de perdition, de qui je déclare qu'il aurait mieux valu pour eux qu'ils ne fussent jamais nés ; car ils sont des vases de colère, condamnés à subir la colère de Dieu dans l'éternité avec le diable et ses anges ; à propos desquels j'ai dit qu'il n'y a pas de pardon dans ce monde ni dans le monde à venir : car ils ont renié le Saint-Esprit après l'avoir reçu, ont renié le Fils unique du Père, l'ont crucifié et l'ont exposé à l'ignominie. Ce sont eux qui s'en iront dans le lac de feu et de soufre avec le diable et ses anges, les seuls sur lesquels la seconde mort aura un pouvoir quelconque... Il sauve donc tout le monde, sauf eux : ils s'en iront au châtiment perpétuel, qui est le châtiment sans fin, qui est le châtiment éternel, pour régner avec le diable et ses anges pour l'éternité, là où leur ver ne meurt pas, là où le feu ne s'éteint pas, ce qui est leur tourment. Et nul n'en connaît la fin, ni le lieu, ni leur tourment. Et cela n'a pas été révélé à l'homme, ne l'est pas et ne le sera jamais, si ce n'est à ceux qui y sont condamnés. Néanmoins, moi, le Seigneur, je le montre en vision à beaucoup, mais je la referme immédiatement ; c'est pourquoi, ils n'en comprennent pas la fin, la largeur, la hauteur, la profondeur et la misère, ni personne, si ce n'est ceux qui sont destinés à cette condamnation. » - D&A 76:31-37, 44-48.
 
 
CHAPITRE 35 : LA MORT ET L'ENSEVELISSEMENT
 
SUR LE CHEMIN DU CALVAIRE [1]
 
Ponce Pilate, s'étant rendu à contrecœur aux bruyantes exigences des Juifs, décréta l'ordre fatal ; et Jésus, dévêtu de la robe pourpre et habillé de ses propres vêtements, fut emmené pour être crucifié. Un groupe de soldats romains avait la charge du Christ condamné ; et tandis que la procession s'éloignait du palais du gouverneur, une foule bigarrée comprenant des fonctionnaires sacerdotaux, des gouverneurs des Juifs et des gens de nombreuses nationalités suivait. Deux criminels, qui avaient été condamnés à la croix pour vol, furent conduits en même temps à la mort ; il y aurait une triple exécution, et la perspective de cette scène d'horreur attirait les gens à l'esprit morbide qui se repaissent des souffrances de leurs semblables. Dans la foule, il y avait aussi, comme nous le montrerons, des gens qui s'affligeaient sincèrement. Les Romains avaient coutume de rendre l'exécution des condamnés à mort aussi publique que possible, en vertu de l'idée fausse et peu psychologique que le spectacle d'un châtiment terrible exercerait un effet préventif. Cette conception erronée de la nature humaine n'a pas encore été abandonnée par tous.
 
La peine de mort par crucifixion exigeait que le condamné porte la croix sur laquelle il devait souffrir. Jésus se mit en route, portant sa croix. L'effort terrible des heures précédentes, les douleurs atroces de Gethsémané, le traitement barbare qu'il avait subi dans le palais du souverain sacrificateur, l'humiliation et les mauvais traitements auxquels il avait été soumis devant Hérode, la flagellation effrayante qui lui avait été infligée sous les ordres de Pilate, le traitement brutal de la soldatesque inhumaine, auxquels venaient se joindre l'humiliation extrême et l'angoisse mentale de tout cela avaient tellement affaibli son organisme qu'il n'avançait que lentement sous le fardeau de la croix. Les soldats, agacés par ce retard, obligèrent un homme venant de la campagne à Jérusalem qu'ils rencontrèrent à prêter ses services, et le forcèrent à porter la croix de Jésus. Aucun Romain, aucun Juif n'aurait accepté volontairement l'ignominie de porter un fardeau aussi horrible ; car tous les détails relatifs à l'exécution d'une sentence de crucifixion étaient considérés comme dégradants. L'homme ainsi obligé de marcher sur les traces de Jésus, portant la croix sur laquelle le Sauveur du monde devait consommer sa mission glorieuse, était Simon, originaire de Cyrène. Marc nous dit que Simon était le père d'Alexandre et de Rufus ; nous pouvons conclure que les deux fils étaient connus des lecteurs de l'Évangile comme membres de la jeune Église, et nous avons lieu de croire que la maison de Simon de Cyrène se rangea plus tard parmi les croyants [2].
 
Parmi ceux qui suivaient ou regardaient passer la procession macabre, il y avait des gens, en particulier des femmes, qui pleuraient et se lamentaient sur le sort qui attendait Jésus. Nous ne voyons aucun homme s'aventurer à élever la voix pour protester ou exprimer sa pitié ; mais en cette occasion comme en d'autres, les femmes ne craignaient pas d'exprimer leur commisération ou leurs éloges. Jésus, qui était resté silencieux pendant l'inquisition des prêtres, silencieux sous les moqueries humiliantes du sensuel Hérode et de ses valets grossiers, silencieux tandis qu'il était tourmenté et battu par les légionnaires brutaux de Pilate, se tourna vers les femmes dont les lamentations pleines de sympathie étaient parvenues à ses oreilles et leur lança une exhortation et un avertissement pathétiques et sinistres : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ; mais pleurez sur vous et sur vos enfants. Car voici : des jours viendront où l'on dira : Heureuses les stériles, (heureuses) celles qui n'ont pas enfanté, et qui n'ont pas allaité ! Alors on se mettra à dire aux montagnes : Tombez sur nous ! Et aux collines : Couvrez-nous ! Car, si l'on fait cela au bois vert, qu'arrivera-t-il au bois sec ? » C'était le dernier témoignage que le Seigneur rendait de l'holocauste et de la destruction imminente qui devaient s'ensuivre parce que la nation avait rejeté son roi. Bien que la maternité fût le couronnement de la vie de toute Juive, cependant dans les événements terribles que verraient un grand nombre de celles qui pleuraient là, la stérilité serait considérée comme une bénédiction ; car celles qui n'avaient pas eu d'enfants auraient moins de personnes sur qui pleurer et se verraient du moins épargner l'horreur de voir leurs enfants mourir de faim ou par la violence ; car ce jour-là serait si terrible que le peuple verrait avec joie les montagnes tomber sur lui pour mettre fin à ses souffrances [3]. Si les oppresseurs d'Israël pouvaient faire ce qu'on était occupé à faire au « bois vert » qui portait le feuillage de la liberté et de la vérité et offrait le fruit sans prix de la vie éternelle, que ne feraient pas les puissances du mal aux branches desséchées et au tronc flétri du judaïsme apostat ?
 
Le cortège, avançant le long des rues de la ville, sortit par la porte du mur massif et se dirigea ensuite vers un endroit qui se trouvait au-delà mais était cependant proche de Jérusalem. Sa destination était un lieu appelé Golgotha ou Calvaire, signifiant « lieu du Crâne » [4].
 
LA CRUCIFIXION [5]
 
Au Calvaire, les bourreaux officiels se mirent sans délai en devoir de mettre à exécution la terrible sentence prononcée contre Jésus et les deux criminels. Avant d'attacher les condamnés à la croix, il était de coutume d'offrir à chacun d'eux une gorgée de vinaigre mélangée de myrrhe et contenant peut-être d'autres ingrédients stupéfiants, dans l'intention miséricordieuse d'engourdir la sensibilité de la victime. Ce n'était pas une pratique romaine mais une concession à la sentimentalité juive. Lorsque la coupe contenant la drogue fut présentée à Jésus, il la porta à ses lèvres, mais s'étant rendu compte de la nature de son contenu, refusa de boire et manifesta ainsi sa détermination d'aller à la rencontre de la mort dans la possession de toutes ses facultés et l'esprit clair.
 
Ils le crucifièrent alors sur la croix centrale et placèrent l'un des malfaiteurs condamnés à sa droite et l'autre à sa gauche. Ainsi était réalisée la vision d'Ésaïe prophétisant que le Messie serait mis au nombre des malfaiteurs [6]. Nous n'avons que peu de détails sur la crucifixion proprement dite. Nous savons cependant que notre Seigneur fut cloué à la croix par des pointes qu'on lui enfonça dans les mains et les pieds, méthode romaine, au lieu d'être seulement lié de cordes comme c'était la coutume d'infliger cette forme de châtiment parmi les autres nations. La mort par crucifixion était, de toutes les formes d'exécution, à la fois celle qui durait le plus longtemps et qui était la plus douloureuse. La victime continuait à vivre tandis que sa torture augmentait constamment, généralement pendant de longues heures, parfois pendant des jours. Les pointes si cruellement enfoncées dans les mains et les pieds pénétraient et écrasaient des nerfs sensibles et des tendons frémissants sans infliger de blessures mortelles. La victime souffrait jusqu'à ce que survînt la mort, soulagement auquel elle aspirait, provoquée soit par l'épuisement que causait la douleur intense et ininterrompue ou par l'inflammation et la congestion localisées d'organes provenant du fait que le corps se trouvait dans une position tendue et anormale [7].
 
Tandis que les bourreaux s'acquittaient de leur horrible tâche, vraisemblablement avec une rudesse accompagnée de railleries, car tuer était leur métier et ils s'étaient endurcis au spectacle de la souffrance par une longue habitude, le martyr torturé, qui n'éprouvait aucune rancune et était plein de pitié pour leur endurcissement et leur cruauté, prononça la première des sept paroles dites sur la croix. Dans un esprit de miséricorde divine, il pria : « Père pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. » N'essayons pas de fixer les limites de la miséricorde du Seigneur ; il devrait être admis qu'elle s'étend à tous ceux qui d'une manière quelconque pourraient, à juste titre, tomber sous sa juridiction bénie. La manière dont le Seigneur exprima cette bénédiction miséricordieuse est importante. S'il avait dit : « Je vous pardonne », on aurait pu croire que son pardon gracieux n'était qu'une rémission de l'offense cruelle commise contre lui en le torturant en vertu d'une condamnation injuste ; mais cette invocation faite au Père de pardonner était une supplication pour ceux qui avaient causé la souffrance et la mort au Fils bien-aimé du Père, Sauveur et Rédempteur du monde. Moïse pardonna à Miryarn l'offense qu'elle avait commise contre lui, son frère ; mais Dieu seul pouvait remettre le châtiment et enlever la lèpre qui s'était abattue sur elle pour avoir parlé contre le souverain sacrificateur de Jéhovah [8].
 
Il semble qu'en vertu de la loi humaine, les vêtements portés par un condamné au moment de l'exécution devenaient la propriété des bourreaux. Les quatre soldats responsables de la croix sur laquelle le Seigneur souffrait se distribuèrent des parties de son vêtement ; il restait sa tunique, qui était un bon vêtement tissé d'une seule pièce, sans couture. La déchirer, ç'aurait été l'abîmer ; aussi les soldats tirèrent-ils au sort pour voir qui la posséderait ; dans cet événement, les évangélistes virent l'accomplissement de la prévision du psalmiste : « Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont tiré au sort ma tunique » [9]. 
 
On attacha à la croix, au-dessus de la tête de Jésus, un titre ou inscription, rédigé sur ordre de Pilate conformément à la coutume qui voulait que l'on indiquât le nom du crucifié et la nature de l'infraction pour laquelle il avait été condamné à mort. Dans ce cas, le titre fut écrit en trois langues, en grec, en latin et en hébreu, langues dont tous les spectateurs qui pouvaient lire comprendraient une ou plusieurs. Le titre ainsi affiché disait : « Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs » ou selon la version plus étendue donnée par Jean : « Jésus de Nazareth, le roi des Juifs » [10]. Beaucoup de personnes lurent l'inscription, car le Calvaire était proche du chemin public et en ce jour férié les passants étaient certainement nombreux. Cela suscita des commentaires. En effet, si on l'interprétait littéralement, l'inscription constituait une déclaration officielle que Jésus crucifié était réellement roi des Juifs. Lorsque ce détail fut porté à l'attention des principaux sacrificateurs, ils firent appel, tout excités, au gouverneur, disant : « N'écris pas : Le roi des Juifs ; mais il a dit : je suis le roi des Juifs. Pilate répondit : Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit. » En formulant ainsi le titre et en refusant purement et simplement de permettre toute altération, Pilate a peut-être voulu infliger une rebuffade aux fonctionnaires juifs qui l'avaient forcé à condamner Jésus contre son jugement et sa volonté ; mais il se peut cependant que le comportement soumis du prisonnier et son affirmation qu'il détenait une royauté surpassant toutes les royautés de la terre aient frappé l'esprit sinon le cœur du gouverneur romain et lui aient donné la conviction de la supériorité unique du Christ et du droit inhérent qu'il avait à la domination. Quel qu'ait pu être le but poursuivi par Pilate dans son écrit, cette inscription a traversé l'histoire pour témoigner de la considération manifestée par un païen par contraste avec l'attitude d'Israël qui avait rejeté brutalement son Roi [11].
 
Les soldats, dont le devoir était de garder les croix jusqu'à ce que la mort lente soulageât les crucifiés de leur torture croissante, plaisantaient entre eux et se gaussaient du Christ, buvant à sa santé, raillerie tragique, leur coupe de vin amer. Regardant le titre affiché au-dessus de la tête du Martyr, ils hurlaient le défi inspiré du démon : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » La multitude morbide et les passants « blasphémaient contre lui et secouaient la tête, en disant : Hé ! toi qui détruis le temple et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même - et descends de la croix ! » Mais le comble, c'est que les principaux sacrificateurs et les scribes, les anciens du peuple, les peu respectables sanhédristes, devinrent les meneurs de la populace inhumaine, se réjouissant avec une satisfaction méchante et s'écriant : « Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même ! Il est roi d'Israël, qu'il descende de la croix ; et nous croirons en lui. Il s'est confié en Dieu ; que Dieu le délivre maintenant, s'il l'aime. Car il a dit : Je suis Fils de Dieu » [12]. Bien que prononcée avec une moquerie éhontée, la déclaration des gouverneurs d'Israël n'en reste pas moins une attestation que le Christ en avait sauvé d'autres et une proclamation faite dans une intention ironique mais néanmoins littéralement vraie qu'il était le Roi d'Israël. Les deux malfaiteurs, chacun pendant à sa croix, se joignirent à la dérision générale, et d'insultaient de la même manière ». L'un d'eux, dans le désespoir qu'il éprouvait à voir la mort approcher, fit écho aux provocations des prêtres et du peuple : « Sauve-toi toi-même, et sauve-nous ! »
 
La note dominante dans toutes ces railleries et toutes ces injures, dans ce langage ordurier et ces moqueries, dont le Christ patient et soumis était assailli tandis qu'il était pendu à la croix, « éIevé » comme il l'avait prédit de lui même [13], était ce terrible « Si » que les émissaires du diable lui lançaient au visage au moment de son agonie ; de la même manière le diable lui-même le lui avait fait sentir très insidieusement lorsqu'il le tenta immédiatement après son baptême [14]. Ce « si » était le dernier trait de Satan, soigneusement barbelé et doublement empoisonné, et il filait comme avec le sifflement féroce d'une vipère. Etait-il possible, à ce stade final et effroyable de la mission du Christ, de lui faire douter de sa filiation divine, ou, à défaut, d'accabler de sarcasmes ou d'irriter le Sauveur mourant, afin qu'il utilise ses pouvoirs surhumains pour soulager sa propre douleur ou commettre un acte de vengeance contre ses tortionnaires ? Obtenir pareille victoire, tel était le dessein désespéré de Satan. Le trait manqua son but. Le Christ torturé resta silencieux durant les provocations et la dérision, les défis blasphématoires et les excitations diaboliques.
 
Alors l'un des voleurs crucifiés, adouci au point de se repentir par le courage patient du Sauveur, et voyant dans le comportement du martyr divin quelque chose de surhumain, réprimanda son compère railleur, en disant : « Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation ? Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos actes ; mais celui-ci n'a rien fait de mal. » Ayant confessé sa culpabilité et reconnu la justice de sa propre condamnation, il fut amené à un début de repentir, et à la foi au Seigneur Jésus, son compagnon d'agonie. « Et il dit : Jésus, souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton règne » [15]. À cet appel du repentir, le Seigneur répondit par une promesse telle que lui seul pouvait en faire : « En vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis » [16]. 
 
Parmi les spectateurs de cette tragédie, la plus grande de l'histoire, il y avait des personnes qui éprouvaient de la sympathie et de la douleur. On ne nous dit pas qu'aucun des Douze ait été là à l'exception d'un seul, à savoir le disciple « que Jésus aimait », Jean l'apôtre, évangéliste et révélateur ; mais il est fait explicitement mention de certaines femmes qui, tout d'abord à distance, puis tout près de la croix, pleurèrent dans l'angoisse de leur amour et de leur douleur. « Près de la croix de Jésus, se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie femme de Clopas, et Marie-Madeleine » [17]. 
 
Outre les femmes citées il y en avait beaucoup d'autres, dont certaines avaient servi Jésus dans le courant de ses travaux en Galilée et qui se trouvaient parmi celles qui étaient venues avec lui à Jérusalem [18]. En tout premier lieu il y avait Marie, mère de Jésus, dont l'âme avait été transpercée par l'épée comme Simon le juste l'avait prophétisé [19]. Jésus, contemplant avec une tendre compassion sa mère en larmes qui se trouvait avec Jean au pied de la croix, la recommanda aux soins et à la protection du disciple bien-aimé, en disant : « Femme, voici ton fils. » Et à Jean : « Voici ta mère. » Le disciple emmena tendrement Marie, pleine de douleur, loin de son Fils mourant et « la prit chez lui », se chargeant ainsi immédiatement des nouvelles relations établies par son Maître mourant.
 
Jésus fut cloué sur la croix pendant la matinée de ce vendredi fatal, probablement entre neuf et dix heures [20]. À midi le soleil s'obscurcit et les ténèbres s'étendirent sur tout le pays. Cette terrible obscurité dura trois heures. Ce phénomène remarquable, la science ne l'a pas expliqué de manière satisfaisante. Il ne pouvait avoir été dû à une éclipse du soleil comme des ignorants l'ont proposé, car on se trouvait à l'époque de la pleine lune ; en effet le moment de la Pâque était déterminé par la première pleine lune après l'équinoxe de printemps. Des ténèbres furent provoquées par un fonctionnement miraculeux des lois naturelles dirigé par la puissance divine. C'était un signe approprié du deuil profond de la terre causé par la mort imminente de son Créateur [21]. Les évangélistes gardent un silence respectueux sur l'agonie du Seigneur sur la croix.
 
À la neuvième heure, soit à environ trois heures de l'après-midi, une voix forte, dépassant le cri de souffrance physique le plus angoissé, se fit entendre de la croix centrale, déchirant les terribles ténèbres. C'était la voix du Christ : « Eli, Eli, lama sabachthani ? c'est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » Quel esprit humain peut sonder la signification de ce cri affreux ? Il semble qu'en plus des souffrances terribles causées par la crucifixion, l'angoisse de Gethsémané soit revenue, intensifiée au point qu'il aurait été au-delà des forces humaines de la supporter. En cette heure extrêmement cruelle, le Christ mourant était seul, seul d'une manière réelle et terrible. Pour que le sacrifice suprême du Fils pût être consommé dans toute sa plénitude, il semble que le Père ait retiré le soutien de sa Présence immédiate, laissant au Sauveur des hommes la gloire d'une victoire complète sur les forces du péché et de la mort. Le cri poussé sur la croix, tous ceux qui étaient tout près l'entendirent, mais peu le comprirent. Quand on entendit sa première exclamation, Eli, signifiant Mon Dieu, on crut qu'il appelait Élie.
 
Le moment de faiblesse, le sentiment d'abandon total passa bientôt, et les besoins naturels du corps se firent de nouveau sentir. La soif insoutenable, qui constituait l'une des douleurs les plus atroces de la crucifixion, arracha des lèvres du Sauveur la seule parole qui nous soit rapportée exprimant sa souffrance physique. « J'ai soif », dit-il. L'un de ceux qui étaient tout près, on ne nous dit pas s'il était Romain ou Juif, disciple ou sceptique, imprégna rapidement une éponge de vinaigre, dont un récipient se trouvait tout près, et ayant attaché l'éponge à l'extrémité d'un roseau ou d'une tige d'hysope, l'appuya sur les lèvres enfiévrées du Seigneur. D'autres auraient empêché cette seule réaction humaine, car ils dirent : « Laisse, voyons si Élie viendra le sauver. » Jean affirme que le Christ ne s'exclama : « J'ai soif » que lorsqu'il sut que tout était déjà accompli, et l'apôtre vit dans cet incident l'accomplissement d'une prophétie [22].
 
Se rendant pleinement compte qu'il n'était plus abandonné, mais que son sacrifice expiatoire avait été accepté par le Père et que sa mission dans la chair avait été menée à une fin glorieuse, il s'exclama d'une voix forte avec un saint triomphe : « Tout est accompli. » Il s'adressa au Père avec respect, résignation et soulagement, disant : « Père, je remets mon esprit entre tes mains » [23]. Il inclina la tête et donna volontairement sa vie.
 
Jésus le Christ était mort. Sa vie ne lui avait été enlevée que parce qu'il l'avait permis. Aussi doux et bienvenu qu'aurait été le soulagement procuré par la mort à chacune des étapes précédentes de sa souffrance, de Gethsémané à la croix, il vécut jusqu'à ce que tout fût accompli comme prévu. À notre époque la voix du Seigneur Jésus s'est fait entendre, confirmant qu'il avait souffert et qu'il était mort, et définissant le dessein éternel qui avait été ainsi accompli. Prêtez attention à ses paroles : « Car voici, le Seigneur, votre Rédempteur, a souffert la mort dans la chair et il a subi les souffrances de tous les hommes, afin que tous les hommes puissent se repentir et venir à lui » [24]. 
 
ÉVÉNEMENTS IMPORTANTS QUI SE PRODUISIRENT ENTRE LA MORT ET L'ENSEVELISSEMENT DU SEIGNEUR
 
La mort du Christ s'accompagna de phénomènes terrifiants. Il y eut un violent tremblement de terre, les rochers des montagnes se détachèrent, et beaucoup de tombes s'ouvrirent. Mais, chose la plus terrible de toutes dans l'esprit juif, le voile du temple qui pendait entre le Saint et le Saint des Saints [25] se déchira du haut en bas, et l'intérieur, que nul autre que le souverain sacrificateur n'avait pu voir jusque là, fut exposé aux regards de tous. C'était le démembrement du judaïsme, la consommation de l'ère mosaïque et l'inauguration du christianisme sous l'administration apostolique.
 
Le centurion romain et les soldats qui étaient sous ses ordres à l'endroit de l'exécution furent étonnés et extrêmement effrayés. Ils avaient probablement été témoins de nombreuses morts sur la croix, mais jamais encore ils n'avaient vu d'homme mourir visiblement de sa propre volonté et capable de crier d'une voix forte au moment de périr. Ce mode d'exécution barbare et inhumain provoquait un épuisement lent et progressif. Tous ceux qui étaient là considérèrent la mort de Jésus comme un miracle, ce qu'elle était en effet. Ce prodige, auquel venaient s'ajouter le tremblement de terre et les horreurs qui l'accompagnèrent, frappa tellement le centurion qu'il pria Dieu et déclara solennellement : « Réellement, cet homme était juste. » D'autres se joignirent à lui pour prononcer cette affirmation effrayante : « Il était vraiment Fils de Dieu. » Les gens terrifiés qui parlèrent et ceux qui entendirent quittèrent cet endroit pleins de crainte, se frappant la poitrine et se lamentant sur ce qui semblait être une destruction imminente [26]. Cependant quelques femmes aimantes observaient de loin et virent tout ce qui se passait jusqu'au moment où le corps fut enseveli.
 
C'était maintenant la fin de l'après-midi ; le sabbat commencerait au coucher du soleil. Ce sabbat qui s'approchait était considéré comme plus qu'ordinairement sacré, car c'était un grand jour, en ce que c'était le sabbat hebdomadaire et un jour pascal sacré [27]. Les dirigeants juifs, qui n'avaient pas hésité à mettre leur Seigneur à mort, étaient horrifiés à la pensée que des hommes resteraient en croix en un tel jour, ce qui souillerait la terre [28] ; par conséquent, ces dirigeants scrupuleux allèrent trouver Pilate pour lui demander de liquider sommairement Jésus et les deux malfaiteurs par la méthode brutale romaine qui consistait à leur rompre les jambes, car on savait que le choc de ce traitement violent provoquait la mort rapide des crucifiés. Le gouverneur donna son consentement, et les soldats brisèrent avec des gourdins les membres des deux voleurs. Cependant, s'apercevant que Jésus était déjà mort, ils ne lui rompirent pas les os. Le Christ, le grand sacrifice de la Pâque dont toutes les victimes de l'autel n'avaient été que des prototypes pour le rappeler au souvenir des hommes, mourut de manière violente mais cependant sans qu'un seul os de son corps fût brisé, condition prescrite pour les agneaux pascaux immolés [29]. L'un des soldats, voulant s'assurer que Jésus était réellement mort, ou pour être certain de le tuer s'il vivait encore, lui enfonça une lance dans le côté, faisant une blessure suffisamment grande pour permettre à un homme d'y introduire la main [30]. Lorsqu'il retira la lance, du sang et de l'eau coulèrent [31], événement si surprenant que Jean, qui était témoin oculaire, en rend lui-même formellement témoignage et cite les Écritures qui étaient par là accomplies [32].
 
L'ENSEVELISSEMENT [33]
 
Un homme appelé Joseph d'Arimathée, qui de cœur était disciple du Christ, mais qui avait hésité à confesser ouvertement sa conversion par peur des Juifs, voulut donner au corps du Christ des funérailles décentes et honorables. Sans cette intervention divinement inspirée, le corps de Jésus aurait probablement été jeté dans la fosse commune des criminels exécutés. Cet homme, Joseph, était « membre du conseil... homme bon et juste ». Il est expressément dit de lui qu'il « n'avait point participé à la décision et aux actes des autres », déclaration qui nous permet de conclure que c'était un sanhédriste et qu'il s'était opposé à la mesure prise par ses collègues lorsqu'ils condamnèrent Jésus à mort, ou du moins s'était abstenu de voter avec les autres. Joseph était un homme riche, important et influent. Il alla hardiment trouver Pilate et lui demanda le corps du Christ. Le gouverneur fut surpris d'apprendre que Jésus était déjà mort ; il fit venir le centurion et lui demanda combien de temps Jésus avait vécu sur la croix. Ce détail peu ordinaire semble avoir augmenté le trouble et les préoccupations de Pilate. Il donna ses ordres et le corps du Christ fut remis à Joseph.
 
Le corps fut descendu de la croix, et dans la préparation pour le tombeau, Joseph fut aidé de Nicodème, autre membre du sanhédrin, celui-là même qui, trois ans auparavant, était allé trouver Jésus de nuit et avait protesté, lors d'une des réunions de conspiration du sanhédrin, contre le projet de condamner Jésus illégalement sans interrogatoire [34]. Nicodème apporta une grande quantité de myrrhe et d'aloès, cent livres environ. Ce mélange parfumé était hautement estimé pour les onctions et les embaumements, mais son prix en limitait l'usage aux riches. Ces deux disciples pieux enveloppèrent le corps du Seigneur dans du linge propre, « avec les aromates, comme c'était la coutume d'ensevelir chez les Juifs », puis le posèrent dans un sépulcre neuf, taillé dans le roc. Le tombeau se trouvait dans un jardin, non loin du Calvaire, et appartenait à Joseph. À cause de la proximité du sabbat, l'ensevelissement dut se faire en hâte ; l'entrée du sépulcre fut fermée, une grande pierre fut roulée contre elle [35], et ainsi mis à l'abri, le corps fut laissé à son repos. Quelques-unes des femmes dévotes, en particulier Marie-Madeleine et « l'autre Marie », qui était la mère de Jacques et de Jude, avaient regardé de loin la mise au tombeau ; lorsqu'elle fut terminée, elles « s'en retournèrent pour préparer des aromates et des parfums. Puis pendant le sabbat, elles observèrent le repos, selon le commandement ».
 
LE SÉPULCRE GARDÉ [36]
 
Le lendemain de la « préparation », c'est-à-dire le samedi, jour du sabbat et « Ie grand jour » [37], les principaux sacrificateurs et les Pharisiens vinrent en bloc trouver Pilate, disant : « Seigneur, nous nous souvenons que cet imposteur a dit, quand il vivait encore : Après trois jours je ressusciterai. Ordonne donc qu'on s'assure du sépulcre jusqu'au troisième jour, afin que ses disciples ne viennent pas dérober le corps et dire au peuple : Il est ressuscité des morts. Cette dernière imposture serait pire que la première. » Il est évident que les ennemis humains les plus invétérés du Christ se souvenaient de ses prédictions dans lesquelles il assurait qu'il ressusciterait le troisième jour après sa mort. Pilate répondit par un consentement bref : « Vous avez une garde ; allez, assurez-vous (de lui) comme vous l'entendrez. » C'est ainsi que les principaux sacrificateurs et les Pharisiens s'assurèrent que le sépulcre était bien protégé en veillant à ce que le sceau officiel fût apposé au point de jonction de la grande pierre et de l'entrée et qu'une garde armée en fût responsable.
 
 [1] Mt 27:31-33, Mc 15:20-22, Lc 23:26-33, Jn 19:16, 17.
 [2] Note 1, fin du chapitre.
 [3] Note 2, fin du chapitre.
 [4] Note 3, fin du chapitre.
 [5] Mt 27:34-50, Mc 15:23-37, Lc 23:33-46, Jn 19:18-30.
 [6] Es 53:12 ; cf. Mc 15:28, Lc 22:37.
 [7] Note 4, fin du chapitre.
 [8] Nb 12.
 [9] Mt 27:35, Mc 15:24, Lc 23:34, Jn 19:23, 24 ; cf. Ps 22:18.
 [10] Note 5, fin du chapitre.
 [11] Chap. 7 et notes.
 [12] Mt 27:42, 43. La proposition « s'il est roi d'Israël » au verset 42 est reconnue comme un contresens ; elle devrait dire « il est roi d'Israël ». Voir version révisée anglaise et Edersheim, vol. 2, p. 596 ; cf. Mc 15:32.
 [13] Jn 3:14, 8:28, 12:32.
 [14] Mt 4:3, 6 ; voir chap. 10 et notes.
 [15] Lc 23:42.
 [16] Voir chapitres 36, infra.
 [17] Jn 19:25 ; cf. Mt 27:55, 56, Mc 15:40, 41, Lc 23:48, 49. Voir note 6, fin du chapitre.
 [18] Voir les références citées en dernier lieu et Lc 8:2, 3, ainsi que chap. 18 du présent ouvrage.
 [19] Lc 2:34, 39 ; chap. 8 du présent ouvrage.
 [20] Mc 15:25 ; voir note 7, fin du chapitre.
 [21] Cf. PGP., Moïse 7:37, 40, 48, 49, 56.
 [22] Jn 19:28 ; cf. Ps 69:21.
 [23] Les évangélistes nous laissent un peu dans l'incertitude quant à savoir laquelle des deux dernières paroles prononcées sur la croix : « Tout est accompli » et « Père, je remets mon âme entre tes mains », l'a été la première.
 [24] D&A 18:11, révélation donnée en juin 1829 ; voir aussi 19:16-19 et chap. 33 du présent ouvrage.
 [25] Voir La Maison du Seigneur, page 48.
 [26] Mt 27:15-54, Mc 15:38, 39, Lc 23:47-49.
 [27] Jn 19:31-37.
 [28] Dt 21:33.
 [29] Ex 12:46, Nb 9:12, Ps 34:20, Jn 19:36, 1 Co 5:7.
 [30] Jn 20:27, LM, 3 Né 11: 14, 15.
 [31] Note 8, fin du chapitre.
 [32] Jn 19:34-37 ; cf. Ps 22:16, 17 ; Za 12:10, Ap 1:7.
 [33] Mt 27:57-61, Mc 15:42-47, Lc 23:50-56, Jn 19:38-42.
 [34] Jn 3:1, 2, 7:50 ; voir chap. 12 et 25 du présent ouvrage.
 [35] Voir version révisée anglaise Mc 15:46.
 [36] Mt 27:62-66.
 [37] Note 9, fin du chapitre.
 
NOTES DU CHAPITRE 35
 
1. Simon le Cyrénien : Simon, sur qui la croix de Jésus fut posée, était membre de la colonie juive d'Afrique du Nord, qui avait été établie près de trois siècles avant la naissance du Christ par Ptolémée Lagi, qui y déporta un grand nombre de Juifs de Palestine (Josèphe, Ant. XII, chap. 1). Cyrène, lieu de résidence de Simon, se trouvait dans la province de Libye ; son emplacement se trouve dans les limites actuelles de Tunis. Il est certain que les Juifs africains étaient nombreux et avaient de l'influence puisqu'ils entretenaient une synagogue à Jérusalem (Ac 6:9) destinée à recevoir ceux d'entre eux qui rendaient visite à la ville. Paul fait amicalement allusion à Rufus et à sa mère plus d'un quart de siècle après la mort du Christ (Rm 16:13). Si ce Rufus est l'un des fils de Simon dont parle Marc (5:21), comme le dit la tradition, il est probable que la famille de Simon occupait une situation importante dans l'Église primitive. Quant à savoir si Simon était devenu disciple avant la crucifixion ou fut converti parce qu'il avait été obligé à porter la croix du Seigneur, ou devint membre de l'Église à une date ultérieure, cela ne nous est pas dit formellement.
 
2. Les paroles du Christ aux filles de Jérusalem : « Le temps viendrait où la stérilité prédite par la malédiction de l'Ancien Testament (voir Os 9:14) serait désirée comme une bénédiction. Pour montrer l'accomplissement de cette lamentation prophétique de Jésus, il n'est pas nécessaire de se souvenir des détails atroces rapportés par Josèphe (Guerres, VI, 3:4), où une mère affolée rôtissait son propre enfant et dans l'ironie du désespoir réservait la moitié de l'horrible repas pour les assassins qui s'introduisaient quotidiennement chez elle pour la dépouiller du peu de nourriture qui lui était resté, ni même d'autres de ces incidents, trop révoltants pour qu'on les répète utilement, que rapporte l'historien du dernier siège de Jérusalem. Mais combien de fois au cours de ces nombreux siècles, les femmes d'Israël ont-elles dû éprouver le désir terrible de rester sans enfant, et combien de fois les martyrs d'Israël n'ont-ils pas senti venir à leurs lèvres la prière désespérée demandant que des montagnes s'écroulent sur eux et que les collines les ensevelissent, leur assurant une mort rapide, plutôt que d'avoir à subir des tortures prolongées (voir Os 10:8) ! Et cependant, ces mots prophétisaient un avenir encore plus terrible (Ap 6:10). Car, si Israël avait mis de telles flammes à son « bois vert », combien terriblement le jugement divin brûlerait parmi le bois sec d'un peuple apostat et rebelle, qui avait ainsi livré son Roi divin, et prononcé sentence contre lui-même en la prononçant contre lui ! » - Edersheim, Life and Times of Jesus the Messiah, vol. 2, p. 588.
 
Concernant la prière pour que les montagnes s'écroulent pour écraser et cacher, Farrar (Life of Christ, p. 645, note), dit : « Ces paroles du Christ trouvèrent une illustration littérale pénible lorsque des centaines de malheureux Juifs, lors du siège de Jérusalem, se cachèrent dans les réduits souterrains les plus ténébreux et les plus dégoûtants, et lorsque, outre ceux qui furent pourchassés, pas moins de deux mille personnes furent tuées, ensevelies sous les ruines de leurs cachettes. » Un autre accomplissement peut encore être réservé pour l'avenir. Consultez Josèphe, Guerres, VI 9:4 ; voir aussi Os 9:12-16, 10:8, Es 2:10, comparez Ap 6:16.
 
3. « Le lieu du Crâne » : Le nom hébreu araméen « Golgotha », le grec « Kranion » et le latin « Calvaria » ou, sous sa forme francisée, « Calvaire », ont le même sens et veulent dire « crâne ». Ce nom peut avoir été appliqué par allusion à un aspect topographique, de la même manière que nous parlons du pied d'une colline ; ou si cet endroit était le lieu ordinaire des exécutions, il se peut qu'il ait été appelé ainsi pour exprimer la mort, tout comme nous appelons un crâne une tête de mort. Il est probable que les corps des condamnés exécutés étaient ensevelis près du lieu de leur mort ; et si le Golgotha ou le Calvaire était le lieu fixé pour l'exécution, il ne serait pas surprenant que des crânes et d'autres ossements humains aient été mis à découvert par les ravages des animaux et par d'autres moyens ; il faut cependant remarquer qu'il était contraire aux lois et aux sentiments juifs de laisser sans sépulture les corps ou l'une quelconque de leurs parties. L'origine de ce nom a aussi peu d'importance que les nombreuses théories divergentes concernant l'emplacement exact du lieu.
 
4. La Crucifixion : « Elle était considérée unanimement comme la plus horrible des morts. En outre, chez les Romains, à cette peine venait également s'ajouter la dégradation, et lorsqu'on appliquait ce châtiment à un homme libre, on ne le faisait que dans le cas des criminels les plus vils... Le criminel portait sa propre croix, ou tout au moins une partie de celle-ci. De là, au figuré, prendre ou porter sa croix veut dire endurer des souffrances, de l'affliction ou de la honte, comme un criminel se dirigeant vers le lieu de la crucifixion (Mt 10:38, 16:24, Lc 14:27, etc.). Le lieu d'exécution était en dehors de la ville (1 R 21:13, Ac 7:58, et Hé 13:12), souvent sur une route publique ou à un autre endroit bien visible. Arrivé au lieu de l'exécution, on enlevait les vêtements du condamné, ceux-ci devenant la propriété des soldats (Mt 27:35). On enfonçait alors la croix dans le sol, de sorte que les pieds du condamné se trouvaient à quarante ou cinquante centimètres au-dessus du sol et puis on l'élevait avec elle. » Il était de coutume de mettre des soldats de garde pour veiller sur la croix, de manière à empêcher qu'on enlevât le condamné tandis qu'il vivait encore. « C'était une chose nécessaire étant donné le caractère lent de la mort, qui ne se produisait parfois pas avant trois jours et était en fin de compte le résultat d'un engourdissement graduel et de la faim. Sans cette garde, les intéressés pouvaient être détachés et récupérés, ce qui se passa d'ailleurs dans le cas d'un ami de Josèphe... Dans la plupart des cas, on laissait le corps pourrir sur la croix sous l'influence du soleil et de la pluie ou bien on laissait les oiseaux et les animaux le dévorer. Pour cette raison, la sépulture était généralement interdite ; mais du fait de Dt 21:22, on faisait une exception nationale expresse en faveur des Juifs (Mt 27:58). Ce châtiment maudit et horrible fut heureusement aboli par Constantin. » Bible dict., de Smith.
 
5. L'inscription de Pilate : « Roi des Juifs » : Il n'y a pas deux des évangélistes qui formulent dans les mêmes termes le titre ou l'inscription qui fut placée sur l'ordre de Pilate au-dessus de la tête de Jésus sur la croix ; cependant son sens est le même chez tous, et les divergences secondaires sont la preuve de la liberté avec laquelle chacun des écrivains faisait son récit. Il est probable qu'il y eut réellement une diversité dans les versions en trois langues. C'est la version de Jean qui est suivie dans les abréviations ordinaires que les catholiques utilisent lorsqu'ils représentent le Christ : J. N. R. J., ou encore, étant donné que « I » était l'équivalent de « J » - I. N. R. I. - Jésus de Nazareth, Roi des Juifs.
 
6. Les femmes près de la croix : Selon la version autorisée et la version révisée, trois femmes seulement sont citées, mais la plupart des critiques modernes affirment qu'il est question de quatre. Il faut par conséquent traduire : « sa mère et la sœur de sa mère (C'est-à-dire Salomé, mère de l'évangéliste Jean) et Marie, femme de Clopas et Marie-Madeleine. » - tiré du commentaire de Dummelow sur Jean 19:25.
 
7. L'heure de la crucifixion : Marc (15:25) dit : « C'était la troisième heure quand ils le crucifièrent » ; le moment ainsi précisé correspond à l'heure qui s'étend entre neuf et dix heures du matin. Cet auteur et les autres synoptiques, Matthieu et Luc, notent un grand nombre d'incidents qui se produisirent entre le moment où le Christ fut cloué sur la croix et la sixième heure, c'est-à-dire l'heure qui s'étend de midi à treize heures. Ces divers récits montrent bien que Jésus fut crucifié dans la matinée. Il y a clairement une divergence entre ces récits et la déclaration de Jean (19:14) que l'on était environ à « la sixième heure » (midi) lorsque Pilate prononça la sentence d'exécution. Toutes les tentatives de faire concorder les récits à ce point de vue se sont avérées futiles parce que la contradiction est réelle. La plupart des critiques et des commentateurs supposent que « environ la sixième heure » du récit de Jean est une faute due à des erreurs commises par d'anciens copistes des manuscrits de l'évangile, qui confondirent le signe signifiant la troisième avec celui qui signifiait sixième.
 
8. La cause physique de la mort du Christ : Si, comme nous l'avons dit dans le texte, c'était volontairement que Jésus-Christ donnait sa vie, car il avait la vie en lui et nul ne pouvait lui ôter la vie s'il ne permettait qu'elle lui fût enlevée (Jn 1:4, 5:26, 10:15-18), il y avait nécessairement une cause physique directe à cette mort. Comme nous l'avons également dit, les crucifiés vivaient parfois pendant des jours sur la croix, et la mort résultait, non pas de ce qu'étaient infligées des blessures mortelles, mais de congestion interne, d'inflammations, de troubles organiques et de l'épuisement de l'énergie vitale qui s'ensuivait. Jésus, quoique affaibli par de longues tortures au cours de la nuit précédente et du petit matin, par le choc de la crucifixion elle-même, ainsi que par l'intense douleur morale, et en particulier par une souffrance spirituelle comme aucun homme n'en a jamais supporté de pareille, manifesta une vigueur surprenante, tant d'esprit que de corps, jusqu'à la dernière minute. Le fait qu'il parla d'une voix forte pour incliner la tête immédiatement après et « rendit l'esprit », quand on l'examine dans le cadre des autres détails qui nous sont rapportés, permet de penser que la cause directe de la mort fut une rupture physique du cœur. Si la lance du soldat fut enfoncée dans le côté gauche du corps du Seigneur et alla jusqu'à pénétrer dans le cœur, l'écoulement de sang et d'eau observé par Jean est une autre preuve d'une rupture cardiaque ; car on sait que dans les rares cas où la mort a résulté de la rupture d'une partie quelconque de la paroi du cœur, le sang s'accumule dans le péricarde, et y subit un changement dans lequel les globules forment une masse partiellement coagulée qui se sépare du sérum aqueux et presque incolore. Il se produit des accumulations semblables de globules coagulés et de sérum à l'intérieur de la plèvre. Le Dr Abercrombie, d'Edimbourg, cité par Deems (Light of the Nations, p. 682) « indique un cas où un homme âgé de soixante-dix-sept ans mourut soudainement par suite de rupture du cœur. Dans son cas, (les cavités de la plèvre contenaient environ trois litres de liquide, mais les poumons étaient sains) ». Deems cite également le cas suivant : le Dr Elliotson rapporte le cas d'une femme qui mourut subitement. « Lorsque l'on ouvrit le corps, on s'aperçut que le péricarde était tendu par du sérum clair, et une très grosse masse de sang coagulé qui s'était échappée par la rupture spontanée de l'aorte près de sa racine, sans qu'il y eut d'autres apparences de maladie. » On pourrait citer beaucoup de cas, mais ceux-ci suffisent. Le lecteur qui désire une étude détaillée de ce sujet peut se rapporter à l'ouvrage du Dr Wm Stroud, On the Physical Cause of the Death of Christ. L'effort mental intense, une émotion poignante, que ce soit de souffrance ou de joie, et une lutte spirituelle violente comptent parmi les causes reconnues des ruptures cardiaques.
 
L'auteur croit que le Seigneur Jésus mourut le cœur brisé. Le psalmiste chantait sur un rythme douloureux selon sa prévision inspirée de la passion du Seigneur : « Le déshonneur me brise le cœur, et je suis malade ; j'espère un signe de pitié, mais rien ! Des consolateurs, et je n'en trouve pas. Ils mettent du poison dans ma nourriture, et, pour (apaiser) ma soif, ils m'abreuvent de vinaigre » (Ps 69:21, 22 ; voir également 22:14).
 
9. La requête pour que le tombeau du Christ fût scellé : Beaucoup de critiques prétendent que la députation rendit visite à Pilate le samedi soir, après la fin du sabbat. Cette théorie est basée sur l'idée que le fait de contrôler personnellement le scellement du tombeau, comme le firent ces dirigeants sacerdotaux, c'était se souiller, et qu'ils n'auraient pas fait pareille chose le jour du sabbat. La déclaration de Matthieu est précise : la demande fut faite « le lendemain, qui était le jour après la préparation ». Le jour de la préparation s'étendait du coucher du soleil le jeudi, au commencement du sabbat au coucher du soleil le vendredi.
 
 
CHAPITRE 36 : DANS LE ROYAUME DES ESPRITS DÉSINCARNÉS
 
Jésus le Christ mourut dans le sens littéral dans lequel tous les hommes meurent. Il subit une dissolution physique en vertu de laquelle son esprit immortel fut séparé de son corps de chair et d'os, et ce corps était bel et bien mort. Tandis que le cadavre gisait dans le tombeau de Joseph creusé dans le roc, le Christ vivant existait comme esprit désincarné. Nous pouvons nous demander où il était et quelles étaient ses activités au cours de l'intervalle qui s'étendit entre sa mort sur la croix et sa sortie du sépulcre lorsque son esprit et son corps furent réunis et qu'il fut devenu une âme ressuscitée. La théorie qui vient tout naturellement à l'esprit, c'est qu'il se rendit là où les esprits des morts vont ordinairement ; et que, puisque dans la chair il avait été Homme parmi les hommes, il était dans l'état désincarné, Esprit parmi les esprits. Les Écritures confirment cette conception, car d'après elles c'est un fait réel.
 
Comme nous l'avons montré jusqu'ici [1], Jésus-Christ était le Rédempteur et Sauveur élu et ordonné de l'humanité ; il avait été mis à part pour cette mission sublime au commencement, avant même que la terre fût préparée pour être la résidence du genre humain. Des multitudes innombrables qui n'avaient jamais entendu l'Évangile vécurent et moururent sur la terre avant la naissance de Jésus. De ces morts innombrables, beaucoup avaient passé l'épreuve mortelle en observant la loi de Dieu à des degrés divers, dans la mesure où elle leur avait été révélée, mais étaient morts dans une ignorance de l'Évangile dont on ne pouvait les blâmer ; tandis que d'autres multitudes avaient vécu et étaient mortes coupables de transgressions envers cette portion de la loi de Dieu aux hommes qui leur avait été enseignée et à laquelle elles avaient professé obéir. La mort les avait tous enlevés, aussi bien les justes que les injustes. C'est eux que le Christ alla trouver, leur apportant la nouvelle sublime qu'ils étaient rachetés des liens de la mort et qu'il leur était possible d'être sauvés des effets des péchés qu'ils avaient commis personnellement. Cette œuvre faisait partie du service prédéterminé et unique que le Sauveur devait rendre à la famille humaine. Le cri de joie divine poussé sur la croix : « Tout est accompli » signifiait la fin de la mission du Seigneur dans la mortalité ; mais il lui restait cependant un autre ministère à remplir avant de retourner auprès du Père.
 
Quand le transgresseur repentant, crucifié à son côté, demanda au Seigneur de se souvenir de lui lorsqu'il viendrait dans son règne [2], le Christ l'avait rassuré par des paroles de réconfort : « En vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis. » L'esprit de Jésus et l'esprit du voleur repentant quittèrent leur corps crucifié et se rendirent au même endroit dans le royaume des défunts [3]. Le troisième jour, Jésus, alors ressuscité, affirma à Marie-Madeleine en pleurs : « Je ne suis pas encore monté vers mon Père. » Il était allé au paradis mais non pas à l'endroit où Dieu demeure. Le paradis n'est donc pas le ciel, si par ce dernier terme nous entendons la demeure du Père éternel et de ses enfants célestialisés [4]. Le paradis est le lieu où demeurent les esprits justes et repentants entre la mort et la résurrection corporelle. Une autre section du monde des esprits est réservée aux êtres désincarnés qui ont mené une vie de méchanceté et qui ne se repentent pas, même après la mort. Alma, prophète néphite, parlait comme suit de la situation dans laquelle se trouvaient les morts :
 
« Maintenant, en ce qui concerne l'état de l'âme entre la mort et la résurrection, voici, il m'a été appris par un ange que les esprits de tous les hommes, dès qu'ils ont quitté ce corps mortel, oui, les esprits de tous les hommes, qu'ils soient bons ou mauvais, retournent à ce Dieu qui leur a donné la vie. Alors il arrivera que les esprits de ceux qui sont justes seront reçus dans un état de félicité, appelé paradis, un état de repos, un état de paix où ils se reposeront de tous soucis et de toute peine. Et il arrivera que les esprits des méchants ou des pécheurs - car ils n'ont ni part ni portion dans l'Esprit du Seigneur ; car voici, ils ont choisi les œuvres du mal au lieu de celles du bien ; c'est pourquoi, l'esprit du diable est entré en eux et a pris possession de leur maison - et ceux-ci seront rejetés dans les ténèbres du dehors. Il y aura là des pleurs, des gémissements et des grincements de dents, et cela à cause de leur propre iniquité, parce qu'ils sont emmenés captifs à la volonté du diable. C'est là l'état des âmes des méchants ; oui, dans les ténèbres et dans un état d'attente terrible et épouvantable de l'indignation ardente de la colère de Dieu contre eux ; ils demeurent ainsi dans cet état, comme les justes dans le paradis, jusqu'au jour de leur résurrection [5] »
 
Tandis qu'il était privé de son corps, le Christ instruisit les morts, tant au paradis que dans le royaume de la prison où demeuraient dans un état d'attente les esprits des désobéissants. C'est ce dont témoigna Pierre près de trois décennies après ce grand événement : « Christ aussi est mort une seule fois pour les péchés, lui juste pour les injustes, afin de vous amener à Dieu. Mis à mort selon la chair, il a été rendu vivant selon l'Esprit. Par cet Esprit, il est aussi allé prêcher aux esprits en prison, qui avaient été rebelles autrefois, lorsque la patience de Dieu se prolongeait, aux jours où Noé construisait l'arche dans laquelle un petit nombre de personnes, c'est-à-dire huit, furent sauvées à travers l'eau » [6]. 
 
Les désobéissants qui avaient vécu sur la terre à l'époque de Noé sont tout particulièrement cités parmi les bénéficiaires du ministère du Seigneur dans le monde des esprits. Ils s'étaient rendus coupables de transgressions graves et avaient délibérément rejeté les enseignements et les exhortations de Noé, ministre terrestre de Jéhovah. À cause de leurs péchés flagrants ils avaient été détruits dans la chair, et leur esprit avait vécu en prison sans espoir, du moment de leur mort jusqu'à l'avènement du Christ dont l'Esprit venait parmi eux. Nous ne devons pas supposer, parce que Pierre, pour illustrer, parlait des antédiluviens qui avaient désobéi, qu'eux seuls étaient compris dans les merveilleuses possibilités qu'offrait le ministère du Christ dans le royaume des esprits ; au contraire, la raison et la logique nous font conclure que tous ceux dont la méchanceté dans la chair avait conduit leur esprit en prison, avaient part aux possibilités de l'Expiation, du repentir et de la libération. La justice exigeait que l'Évangile fût prêché parmi les morts comme il l'avait été et devait l'être encore plus parmi les vivants. Voyons ce que Pierre dit encore dans son exhortation pastorale aux membres de l'Église primitive : « Ils en rendront compte à celui qui est prêt à juger les vivants et les morts. C'est pour cela, en effet, que les morts aussi ont été évangélisés, afin qu'après avoir été jugés selon les hommes quant à la chair, ils vivent selon Dieu quant à l'Esprit » [7]. 
 
Le fait que Jésus savait, alors qu'il était encore dans la chair, que sa mission de Rédempteur et Sauveur universel du genre humain ne prendrait pas fin lorsqu'il mourrait est suffisamment démontré par ce qu'il dit aux casuistes juifs après la guérison, le jour du sabbat, à Béthesda : « En vérité, en vérité, je vous le dis, l'heure vient, - et c'est maintenant - où les morts entendront la voix du Fils de Dieu ; et ceux qui l'auront entendue vivront. En effet, comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même, et il lui a donné le pouvoir d'exercer le jugement, parce qu'il est Fils de l'homme. Ne vous en étonnez pas ; car l'heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix. Ceux qui auront fait le bien en sortiront pour la résurrection et la vie, ceux qui auront pratiqué le mal pour la résurrection et le jugement » [8]. Cette vérité solennelle que le salut serait accessible aux morts aussi bien qu'aux vivants grâce à l'expiation du Christ fut révélée aux prophètes des siècles avant le midi des temps. Il fut permis à Ésaïe de voir le destin des impies et l'état préparé pour les transgresseurs hautains et rebelles de la justice ; mais la terrible vision était partiellement adoucie par la délivrance qui avait été prévue. « En ce jour-là, l'Éternel châtiera là-haut l'armée d'en-haut, et sur la terre les rois de la terre. On les ramassera (comme) une masse de détenus dans une fosse, ils seront emprisonnés dans une prison, et, après un grand nombre de jours, ils seront châtiés » [9]. À ce même grand prophète fut montrée l'universalité de la victoire expiatrice du Sauveur, comprenant la rédemption du Juif et du Gentil, vivants et morts ; il dit, porte-parole convaincant de la révélation : « Et ainsi parle Dieu, l'Éternel, qui a créé les cieux et qui les déploie, qui étend la terre et ses productions, qui donne la respiration à ceux qui la peuplent et le souffle à ceux qui la parcourent. Moi, l'Éternel, je t'ai appelé pour la justice et je te prends par la main, je te protège et je t'établis pour (faire) alliance avec le peuple, pour être la lumière des nations, polir ouvrir les yeux des aveugles, pour faire sortir de prison le captif et de leur cachot les habitants des ténèbres » [10]. 
 
David, chantant les louanges du Rédempteur dont la domination devait s'étendre jusqu'aux âmes en enfer, poussa des cris de joie à la perspective de la délivrance : « Aussi mon cœur est dans la joie, mon esprit dans l'allégresse, même mon corps repose en sécurité. Car tu n'abandonneras pas mon âme au séjour des morts, tu ne permettras pas que ton bien-aimé voie le gouffre. Tu me feras connaître le sentier de la vie ; il y a abondance de joies devant ta face, des délices éternelles à ta droite » [11]. 
 
Ces Écritures et d'autres encore montrent clairement que le ministère du Christ parmi les désincarnés était prévu, prédit et fut accompli. Le fait que l'Évangile fut prêché aux morts implique nécessairement que les morts ont la possibilité de l'accepter et de bénéficier du salut qu'il offre. Dans la providence miséricordieuse du Tout-Puissant, il a été prévu que les vivants agiront par procuration pour les morts dans les ordonnances essentielles au salut, de sorte que tous ceux qui, dans le monde des esprits, acceptent la parole de Dieu qui leur aura été prêchée, acquièrent la foi véritable que Jésus-Christ est le seul et unique Sauveur et se repentent avec contrition de leurs transgressions, bénéficieront de l'effet sauveur du baptême d'eau pour la rémission des péchés et recevront le baptême de l'Esprit ou le don du Saint-Esprit [12]. Paul cite le principe et la pratique du baptême des vivants pour les morts pour prouver la réalité de la résurrection : « Autrement, que feraient ceux qui se font baptiser pour les morts ? Si les morts ne ressuscitent absolument pas, pourquoi se font-ils baptiser pour eux [13] ? » Le libre arbitre, droit divin de toutes les âmes humaines, ne sera pas annulé par la mort. Ce n'est que lorsque les esprits des morts deviendront pénitents et fidèles qu'ils profiteront de l'œuvre qui est accomplie par procuration en leur faveur sur la terre.
 
C'est le Christ qui commença l'œuvre missionnaire parmi les morts ; qui de nous peut douter qu'elle ait été poursuivie par ses serviteurs autorisés, les désincarnés, qui avaient reçu, tandis qu'ils étaient dans la chair, par ordination à la sainte prêtrise, la mission de prêcher l'Évangile et d'en administrer les ordonnances ? Qui peut en douter alors que l'Écriture implique si abondamment que les apôtres fidèles qui restèrent pour édifier l'Église sur la terre après le départ de son Fondateur divin, ainsi que d'autres ministres de la parole de Dieu ordonnés à la prêtrise par l'autorité dans l'Église primitive aussi bien que dans l'Église des derniers jours, sont passés du service du ministère parmi les mortels à la continuation de cette œuvre parmi les désincarnés ? Ils sont appelés à suivre les traces du Maître, oeuvrant ici-bas parmi les vivants et dans l'au-delà parmi les morts.
 
La victoire du Christ sur la mort et le péché serait incomplète si ses effets étaient limités à la petite minorité qui a entendu, accepté et respecté l'Évangile de salut dans la chair. Pour être sauvé, il est essentiel de se conformer aux lois et aux ordonnances de l'Évangile. Nulle part les Écritures ne font, sous ce rapport, de distinction entre les vivants et les morts. Les morts sont ceux qui ont vécu dans la mortalité sur la terre ; les vivants sont des mortels qui doivent encore passer par le changement prévu que nous appelons la mort. Tous sont enfants du même Père, tous doivent être jugés et récompensés ou punis par la même justice qui ne se trompe pas, avec la même intervention d'une douce miséricorde. Le sacrifice expiatoire du Christ fut offert, non seulement pour les quelques-uns qui vivaient sur la terre tandis qu'il était dans la chair, et pour ceux qui devaient naître dans la mortalité après sa mort, mais pour tous les habitants de la terre alors passés, présents et à venir. Le Père l'ordonna juge tant des vivants que des morts [14] ; il est aussi bien le Seigneur des vivants que des morts [15], pour employer la terminologie des hommes qui parlent des morts et des vivants, bien que tous doivent être mis sur le même pied devant lui ; il n'y aura qu'une seule classe, car tous sont vivants en lui [16]. Tandis que son corps reposait dans le tombeau, le Christ s'occupait activement à continuer d'accomplir les desseins du Père, en offrant les bienfaits du salut aux morts, tant au paradis qu'en enfer.
 
 [1] Chapitres 2 et 3.
 [2] Chap. 35.
 [3] Note 1, fin du chapitre.
 [4] Noter la distinction faite par Paul 2 Co 12:2-4.
 [5] LM, Al 40:11-14.
 [6] 1 P 3:18-20.
 [7] 1 P 4:5-6
 [8] Jn 5:25-29 ; voir aussi chap. 15 du présent ouvrage.
 [9] Es 24:21-22.
 [10] Es 42:5-7.
 [11] Ps 16:9-11.
 [12] Voir chap. 10 et Les Articles de foi, p. 180-189 et La Maison du Seigneur.
 [13] 1 Co 15:29 ; voir aussi La Maison du Seigneur, p. 62.
 [14] Ac 10:42, 2 Tm 4:1, 1 P 4:5.
 [15] Rm 14:9.
 [16] Lc 20:36,38 ; Les Articles de Foi, p. 180.
 
NOTES DU CHAPITRE 36
 
1. Le paradis : Les Écritures prouvent qu'au moment du jugement dernier tous les hommes se tiendront devant la barre de Dieu, revêtus de leur corps ressuscité, et ce, quelle que soit leur droiture ou leur culpabilité. En attendant la résurrection, les esprits désincarnés existent dans un état intermédiaire de bonheur et de repos ou de souffrance et d'attente, selon la vie qu'ils ont choisi de mener pendant la mortalité. Le prophète Néphi (2 Né 13), un prophète ultérieur du même nom (4 Né 14), Moroni (Moro 10:34) et aussi Alma dont les paroles sont citées dans le texte (AI 40:12,14) parlent du paradis qu'ils décrivent comme la demeure des esprits des justes entre le moment de la mort et celui de la résurrection. Les Écritures du Nouveau Testament sont d'accord avec eux (Lc 23:43, 2 Co 12:4, Ap 2:7). Le mot « paradis » dérivé du perse par le grec signifie un lieu agréable ou un lieu de repos plaisant (voir Les Articles de Foi, page 478, note 5). Beaucoup pensent que les termes « hadès » et « Schéol » désignent le lieu des esprits décédés, comprenant à la fois le paradis et la prison ; d'autres n'appliquent les termes qu'à cette dernière, lieu des méchants, séparés du paradis, demeure des justes.
 
Il est contraire, tant à la lettre qu'à l'esprit des Écritures, de la raison et de la justice de croire que, lorsque le Christ donna sa gracieuse assurance au pécheur pénitent sur la croix, il lui remettait ses péchés. C'est sur une fondation extrêmement peu sûre que se basent ceux qui ont confiance en l'efficacité des professions de foi et des confessions sur le lit de mort, en se servant du témoignage de cet incident. Le malfaiteur crucifié manifesta la foi et le repentir ; la bénédiction qui lui fut promise fut qu'il entendrait, le jour même, prêcher l'Évangile au paradis ; il serait alors libre d'accepter ou de rejeter la parole de vie. Dans son cas, la loi qui prévoit qu'il est essentiel pour le salut d'obéir aux lois et aux ordonnances de l'Évangile n'était pas écartée, suspendue ou remplacée par une autre.
 
 
CHAPITRE 37 : RÉSURRECTION ET ASCENSION
 
LE CHRIST RESSUSCITÉ
 
Samedi, le sabbat juif, était passé, et la nuit précédant l'aube du dimanche le plus mémorable de l'histoire était presque terminée, tandis que les soldats romains montaient la garde devant le sépulcre sacré où gisait le corps du Seigneur Jésus. Tandis qu'il faisait encore noir, la terre commença à trembler ; un ange du Seigneur descendit en gloire, roula la pierre massive de devant l'entrée du tombeau et s'assit dessus. Son aspect était aussi brillant que l'éclair et son vêtement était blanc comme la neige fraîche. Les soldats, paralysés de peur, tombèrent comme morts sur le sol. Lorsqu'ils se furent partiellement ressaisis de leur effroi, ils s'enfuirent terrorisés. Même la rigueur de la discipline romaine, qui décrétait l'exécution sommaire de tout soldat désertant son poste, ne put les arrêter. En outre, il ne leur restait plus rien à garder ; le sceau de l'autorité avait été brisé, le sépulcre était ouvert et vide [1].
 
Dès les premières lueurs de l'aube, la dévouée Marie Madeleine et d'autres femmes fidèles se mirent en route pour la tombe, apportant des épices et des onguents qu'elles avaient préparés pour achever d'oindre le corps de Jésus. Certaines d'entre elles avaient assisté à l'ensevelissement et se rendaient compte de la nécessité dans laquelle Joseph et Nicodème s'étaient trouvés d'envelopper hâtivement le corps d'épices et de le mettre au tombeau, juste avant le commencement du sabbat ; et maintenant ces adoratrices venaient au petit matin servir leur Seigneur avec amour en oignant et en embaumant d'une manière plus approfondie l'extérieur du corps. C'est en cours de route et tandis qu'elles conversaient tristement qu'elles pensèrent, apparemment pour la première fois, à la difficulté d'entrer au tombeau. « Qui nous roulera la pierre de l'entrée du tombeau ? » se demandèrent-elles les unes aux autres. De toute évidence, elles ne savaient rien du sceau ni de la garde. Au tombeau, elles virent l'ange et eurent peur ; mais il leur dit : « Pour vous, n'ayez pas peur, car je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié. Il n'est pas ici ; en effet il est ressuscité, comme il l'avait dit. Venez, voyez l'endroit où il était couché, et allez promptement dire à ses disciples qu'il est ressuscité des morts. Il vous précède en Galilée ; c'est là que vous le verrez. Voici : je vous l'ai dit. »
 
Les femmes, quoique ayant reçu la faveur d'une visitation et d'une assurance angéliques, quittèrent le lieu étonnées et effrayées. Il semble que Marie-Madeleine ait été la première à apporter aux disciples la nouvelle que le tombeau était vide. Elle avait été incapable de comprendre le sens joyeux de la proclamation de l'ange : « Il est ressuscité, comme il l'avait dit » ; dans son amour et sa douleur, elle ne se souvenait que des mots : « Il n'est pas ici », dont la vérité lui avait été si formellement confirmée par le regard qu'elle avait hâtivement jeté à la tombe ouverte et sans occupant. « Elle courut trouver Simon Pierre et l'autre disciple que Jésus aimait, et leur dit : On a enlevé du tombeau le Seigneur, et nous ne savons pas où on l'a mis. »
 
Pierre, et « l'autre disciple » qui était certainement Jean, se mirent hâtivement en route, courant ensemble vers le sépulcre. Jean dépassa son compagnon et, en arrivant au tombeau, se pencha pour regarder à l'intérieur et entrevit ainsi le linceul posé sur le sol ; mais Pierre, hardi et impétueux, se précipita dans le sépulcre, et le jeune apôtre le suivit. Ils virent tous deux le vêtement funéraire et, gisant à part, la serviette qui avait été placée autour de la tête du cadavre. Jean affirme franchement qu'ayant vu cela il crut, et explique en son nom et en celui des autres apôtres : « Car ils n'avaient pas encore compris l'Écriture, selon laquelle Jésus devait ressusciter d'entre les morts » [2]. 
 
Madeleine, frappée par le chagrin, était retournée à la suite des apôtres au jardin où le Seigneur avait été enseveli. Il semble que dans son cœur accablé de douleur la pensée que le Seigneur avait pu reprendre vie n'ait pas trouvé place ; elle savait seulement que le corps de son Maître bien-aimé avait disparu. Tandis que Pierre et Jean se trouvaient à l'intérieur du sépulcre, elle s'était tenue au-dehors, en pleurs. Lorsque les hommes furent partis, elle se pencha et regarda dans la caverne creusée dans le roc. Elle y vit deux personnages, des anges en blanc, « assis à la place où avait été couché le corps de Jésus, l'un à la tête, l'autre aux pieds ». Ils lui demandèrent avec tendresse : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Pour toute réponse elle ne put qu'exprimer de nouveau le chagrin qui l'accablait : « Parce qu'on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais où on l'a mis. » L'absence du corps, qu'elle pensait être tout ce qui restait sur terre de celui qu'elle aimait si profondément, constituait un deuil personnel. Il y a énormément de pathétique et d'affection dans ces mots : « On a enlevé mon Seigneur. »
 
Se détournant du tombeau qui, quoiqu'à ce moment-là illuminé par la présence des anges, était pour elle vide et désolé, elle s'avisa de la présence toute proche d'un autre personnage. Elle entendit sa question sympathisante : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Levant à peine son visage baigné de larmes pour regarder celui qui la questionnait, et pensant vaguement qu'il était le jardinier et qu'il savait peut-être ce qu'on avait fait du corps de son Seigneur, elle s'exclama : « Seigneur, si c'est toi qui l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis, et je le prendrai. » Elle savait que Jésus avait été enterré dans une tombe empruntée ; et si le corps avait été dépossédé de ce lieu de repos, elle était prête à lui en donner un autre. « Dis-moi où tu l'as mis », supplia-t-elle.
 
C'était à Jésus, son Seigneur bien-aimé, qu'elle parlait, bien qu'elle ne le sût pas. Un mot des lèvres vivantes du Seigneur transforma sa douleur profonde en une joie pleine d'extase. « Jésus lui dit : Marie ! » La voix, le ton, l'accent plein de tendresse qu'elle avait entendus et aimés dans le passé la firent sortir des profondeurs du désespoir dans lesquelles elle était plongée. Elle se retourna et vit le Seigneur. Dans un transport de joie, elle tendit les bras pour l'étreindre, ne prononçant que le mot plein d'affection et d'adoration : « Rabbouni », signifiant mon Maître bien-aimé. Jésus arrêta cette manifestation impulsive d'amour respectueux, en disant : « Ne me touche pas [3] ; car je ne suis pas encore monté vers mon Père », et ajoutant : « Mais va vers mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu, et votre Dieu » [4]. 
 
C'est à une femme, à Marie-Madeleine, qu'était fait l'honneur d'être le premier mortel à voir une âme ressuscitée, et cette âme était le Seigneur Jésus [5]. Ensuite le Seigneur ressuscité se manifesta à d'autres femmes favorisées, entre autres Marie, mère de Jude, à Jeanne, et à Salomé, mère des apôtres Jacques et Jean. Celles-ci et les autres femmes qui les accompagnaient étaient effrayées de la présence de l'ange au tombeau et s'étaient éloignées avec une crainte mêlée de joie. Elles n'étaient pas là lorsque Pierre et Jean entrèrent dans le caveau, ni plus tard lorsque le Seigneur se fit connaître à Marie-Madeleine. Il se peut qu'elles y soient retournées plus tard, car certaines d'entre elles semblent être entrées dans le sépulcre et avoir vu que le corps du Seigneur n'y était pas. Tandis qu'elles étaient là, pleines de perplexité et d'étonnement, elles s'aperçurent soudain de la présence de deux hommes en habits resplendissants ; elles « baissèrent le visage vers la terre », mais les anges leur dirent : « Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? Il n'est pas ici, mais il est ressuscité. Souvenez-vous de quelle manière il vous a parlé, lorsqu'il était encore en Galilée et qu'il disait : « Il faut que le Fils de l'homme soit livré entre les mains des pécheurs, qu'il soit crucifié et qu'il ressuscite le troisième jour. Et elles se souvinrent des paroles de Jésus » [6]. Tandis qu'elles retournaient à la ville pour remettre le message aux disciples, « Jésus vint à leur rencontre et dit : je vous salue. Elles s'approchèrent pour saisir ses pieds et elles l'adorèrent. Alors Jésus leur dit : Soyez sans crainte ; allez dire à mes frères de se rendre en Galilée : C'est là qu'ils me verront » [7]. 
 
On peut se demander pourquoi Jésus avait interdit à Marie-Madeleine de le toucher pour permettre ensuite si rapidement à d'autres femmes de lui tenir les pieds tandis qu'elles se prosternaient devant lui pour l'adorer. Nous pouvons supposer que l'attitude émotionnelle de Marie avait été provoquée plus par un sentiment d'affection personnelle quoique sacrée que par l'impulsion d'une adoration pieuse comme celle dont faisaient preuve les autres femmes. Bien que le Christ ressuscité manifestât la même considération amicale et intime qu'il avait montrée dans son état mortel envers ceux dont il avait partagé étroitement la compagnie, il ne faisait plus partie d'eux dans le sens littéral du terme. Il y avait chez lui une dignité divine qui interdisait toute familiarité intime de la part de qui que ce fût. Le Christ avait dit à Marie-Madeleine : « Ne me touche pas ; car je ne suis pas encore monté vers mon Père. » Si la deuxième proposition fut ajoutée pour expliquer la première, nous devons en déduire qu'il ne devait être permis à aucune main humaine de toucher le corps ressuscité et immortalisé du Seigneur tant qu'il ne s'était pas présenté au Père. Il semble raisonnable et probable qu'entre la tentative impulsive de Marie de toucher le Seigneur et l'action des autres femmes qui le tinrent par les pieds tout en se prosternant devant lui avec un respect adorateur, le Christ monta vers le Père, et revint plus tard sur terre poursuivre son ministère dans son état ressuscité.
 
Marie-Madeleine et les autres femmes racontèrent aux disciples l'histoire merveilleuse de leurs expériences respectives, mais les frères ne purent ajouter foi à leurs paroles ; « ces paroles leur apparurent comme une niaiserie et ils ne crurent pas ces femmes » [8]. Après tout ce que le Christ avait enseigné concernant sa résurrection des morts le troisième jour [9], les apôtres étaient incapables d'accepter la réalité de l'événement ; dans leur esprit, la résurrection était un événement mystérieux et lointain et non une possibilité actuelle. Il n'y avait ni précédent ni analogie pour appuyer les histoires que ces femmes racontaient - d'un mort qui serait revenu à la vie, ayant un corps de chair et d'os que l'on pouvait voir et toucher - à part les cas du jeune homme de Naïn, de la fille de Jaïrus et du bien-aimé Lazare de Béthanie ; mais ils voyaient les différences essentielles qui existaient entre ces cas de restitution à un renouveau de vie mortelle et la nouvelle de la résurrection de Jésus. La douleur et le sentiment de perte irréparable qui avaient caractérisé le sabbat de la veille étaient remplacés, en ce premier jour de la semaine, par une perplexité profonde et des doutes en conflit. Mais alors que les apôtres hésitaient à croire que le Christ fût réellement ressuscité, les femmes moins sceptiques, plus confiantes, savaient, car elles l'avaient vu et avaient entendu sa voix, et certaines d'entre elles lui avaient touché les pieds.
 
UNE CONSPIRATION DU MENSONGE DE LA PART DES CHEFS RELIGIEUX [10]
 
Lorsque les gardes romains se furent suffisamment remis de leur effroi pour quitter précipitamment le tombeau, ils allèrent trouver les principaux sacrificateurs sous les ordres desquels Pilate les avaient placés [11] et racontèrent les événements surnaturels dont ils avaient été témoins. Les principaux sacrificateurs étaient des Sadducéens, confession ou parti dont un trait caractéristique était qu'ils niaient qu'il pût y avoir une résurrection. On convoqua une session du sanhédrin et on examina le rapport troublant des gardes. Conservant le même esprit dans lequel ils avaient essayé de tuer Lazare dans le dessein d'étouffer l'intérêt populaire pour le miracle de sa résurrection, ces chefs trompeurs conspirèrent maintenant pour discréditer la vérité de la résurrection du Christ en corrompant les soldats pour qu'ils mentissent. Ils leur ordonnèrent de dire : « Ses disciples sont venus de nuit le dérober, pendant que nous dormions » ; et pour ce mensonge, ils leur offrirent de grosses sommes d'argent. Les soldats acceptèrent le pot-de-vin tentant et firent ce qui leur était commandé ; cette attitude leur semblait, en effet, être le meilleur moyen de sortir d'une situation critique. Si on prouvait qu'ils étaient coupables d'avoir dormi à leur poste, ils seraient condamnés à une mort immédiate [12] ; mais les Juifs les encouragèrent par la promesse : « Si le gouverneur l'apprend, nous userons de persuasion et nous vous tirerons d'ennui. » Il faut se souvenir que les soldats avaient été mis à la disposition des principaux sacrificateurs, et il est par conséquent probable qu'ils n'étaient pas obligés de rapporter les détails de leurs faits et gestes aux autorités romaines.
 
L'historien ajoute qu'à la date où il écrivait, l'histoire fausse que le corps du Christ avait été volé de la tombe par les disciples était courante parmi les Juifs. Il est clair que cette histoire mensongère est absolument intenable. Si tous les soldats avaient été endormis - événement extrêmement improbable, étant donné que pareille négligence était un crime capital - comment leur aurait-il été possible de savoir que quelqu'un s'était approché du tombeau ? Et plus particulièrement, comment pouvaient-ils prouver leur déclaration, même si elle était vraie, que le corps avait été volé et que c'était les disciples qui étaient les pilleurs de tombes [13] ? Ce récit mensonger avait été inventé par les principaux sacrificateurs et les anciens du peuple. Cependant le cercle ecclésiastique tout entier n'était pas impliqué. Certains d'entre eux, qui avaient peut-être compté parmi les disciples secrets de Jésus avant sa mort, ne craignirent pas de s'allier ouvertement à l'Église lorsque, grâce aux preuves de la résurrection du Seigneur, ils furent complètement convertis. Nous lisons que peu de mois après seulement, « une grande foule de sacrificateurs obéissait à la foi » [14].
 
LE CHRIST MARCHE ET PARLE AVEC DEUX DES DISCIPLES [15]
 
Au cours de l'après-midi de ce même dimanche, deux disciples, qui ne faisaient pas partie des apôtres, quittèrent le petit groupe de croyants de Jérusalem et se mirent en route pour Emmaüs, village situé à douze ou treize kilomètres de la ville. Il ne pouvait y avoir qu'un seul sujet de conversation entre eux, et en ce jour-là, ils conversaient tout en marchant, citant des incidents de la vie du Seigneur, s'étendant tout particulièrement sur sa mort qui avait si tristement détruit leur espoir d'un règne messianique et s'étonnant profondément du témoignage incompréhensible des femmes concernant sa réapparition sous la forme d'une âme vivante. Tandis qu'ils marchaient, absorbés dans une conversation triste et profonde, un autre voyageur se joignit à eux ; c'était le Seigneur Jésus, « mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître ». Avec un intérêt courtois, il demanda : « Quels sont ces propos que vous échangez en marchant ? Et ils s'arrêtèrent, l'air attristé. » L'un des disciples, nommé Cléopas, répondit avec une surprise teintée de commisération pour l'ignorance apparente de l'étranger : « Es-tu le seul qui séjourne à Jérusalem et ne sache pas ce qui s'y est produit ces jours-ci ? » Voulant obtenir des hommes un énoncé complet de l'affaire qui les agitait si évidemment, le Christ, qui n'avait pas été reconnu, demanda : « Quoi ? » Ils ne pouvaient que répondre. « Ce qui s'est produit au sujet de Jésus de Nazareth », expliquèrent-ils, « qui était un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple, et comment nos principaux sacrificateurs et nos chefs l'ont livré pour être condamné à mort et l'ont crucifié. » Avec tristesse ils continuèrent à lui raconter comment ils avaient espéré que Jésus maintenant crucifié se serait révélé être le Messie envoyé pour racheter Israël ; mais hélas ! Il y avait trois jours qu'il avait été mis à mort. Puis, malgré leur perplexité, leur visage s'éclaira et ils parlèrent de certaines femmes de leur groupe qui les avaient étonnés ce matin-là en disant qu'elles s'étaient rendues au sépulcre au petit matin et avaient découvert que le corps du Seigneur n'y était pas ; des anges leur étaient apparus et leur avaient annoncés qu'il était vivant ». En outre, d'autres que les femmes étaient allés au tombeau et avaient constaté que le corps était absent mais n'avaient pas vu le Seigneur.
 
Alors Jésus, réprimandant doucement ses compagnons de voyage, les traitant d'hommes sans intelligence et lents de cœur, parce qu'ils hésitaient à accepter ce que les prophètes avaient dit, demanda d'une manière impressionnante : « Le Christ ne devait-il pas souffrir de la sorte et entrer dans sa gloire ? » Commençant par les prédictions inspirées de Moïse, il leur expliqua les Écritures, s'attachant à toutes les paroles prophétiques relatives à la mission du Sauveur. Ayant continué la route avec les deux hommes jusqu'à leur destination, Jésus « parut vouloir aller plus loin », mais ils l'exhortèrent à demeurer avec eux, car le jour était déjà avancé. Il accepta leur invitation hospitalière ; il entra même dans la maison et s'assit avec eux à table, dès que leur simple repas fut préparé. Étant l'invité d'honneur, il « prit le pain, dit la bénédiction ; puis il le rompit et le leur donna ». Peut-être y eut-il quelque chose dans la ferveur de la bénédiction ou dans la manière de rompre et de distribuer le pain qui raviva le souvenir des jours passés, ou peut-être aperçurent-ils les mains percées ; mais quelle qu'ait pu en être la cause immédiate, ils regardèrent intensément leur invité, « leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent ; mais il disparut de devant eux ». Pleins d'un étonnement joyeux, ils se levèrent de table, surpris de ne pas l'avoir reconnu plus tôt. L'un dit à l'autre : « Notre cœur ne brûlait-il pas au-dedans de nous, lorsqu'il nous parlait en chemin et nous expliquait les Écritures ? » Sur-le-champ ils revinrent sur leurs pas et se hâtèrent de rentrer à Jérusalem pour confirmer par leur témoignage ce que les frères avaient été auparavant lents à croire.
 
LE SEIGNEUR RESSUSCITÉ APPARAÎT AUX DISCIPLES À JÉRUSALEM ET MANGE EN LEUR PRÉSENCE [16]
 
Lorsque Cléopas et son compagnon parvinrent à Jérusalem cette nuit-là, ils trouvèrent les apôtres et les autres croyants dévots assemblés en conversation solennelle et pieuse derrière des portes fermées. On avait pris la précaution de faire tout en secret à cause de la « crainte qu'ils avaient des Juifs ». Même les apôtres avaient été dispersés par l'arrestation, le procès et le meurtre judiciaire de leur Maître ; cependant les disciples et eux s'étaient de nouveau réunis à la nouvelle de sa résurrection, noyau d'une armée qui allait bientôt balayer le monde. À leur retour, les deux disciples furent reçus par la joyeuse nouvelle : « Le Seigneur est réellement ressuscité, et il est apparu à Simon. » C'est la seule allusion des évangélistes à l'apparition personnelle que le Christ accorda ce jour-là à Simon Pierre. L'entrevue entre le Seigneur et son apôtre jadis renégat mais maintenant repentant dut être pénible. La pénitence pleine de remords que Pierre avait manifestée pour son reniement du Christ dans le palais du souverain sacrificateur était profonde et pitoyable ; peut-être doutait-il que le Maître pût jamais l'appeler encore son serviteur ; mais le message du tombeau que les femmes apportèrent dans lequel le Seigneur envoyait ses salutations aux apôtres qu'il désignait pour la première fois comme ses frères [17], titre honorable et affectueux dont Pierre n'avait pas été exclu, avait dû faire naître de l'espoir en lui ; en outre, dans la mission dont ils avaient chargé les femmes, les anges avaient mis Pierre en avant en le citant tout particulièrement [18]. Le Seigneur alla trouver Pierre repentant pour lui apporter, nous n'en doutons pas, le pardon et le rassurer avec amour. L'apôtre lui-même conserve un silence respectueux au sujet de cette visite. Toutefois Paul en parle lorsqu'il cite les preuves incontestables de la résurrection du Seigneur [19].
 
Après le témoignage réjoui des croyants assemblés, Cléopas et son compagnon de voyage racontèrent qu'ils avaient voyagé en compagnie du Seigneur sur la route d'Emmaüs et parlèrent de ce qu'il leur avait enseigné et de la manière dont il s'était révélé à eux lorsqu'il rompit le pain. Tandis que le petit groupe conversait, « lui-même se présenta au milieu d'eux et leur dit : Que la paix soit avec vous ! » Ils furent terrifiés, pensant avec une crainte superstitieuse qu'un esprit s'était introduit parmi eux. Mais le Seigneur les rassura, disant : « Pourquoi êtes-vous troublés et pourquoi ces raisonnements s'élèvent-ils dans vos cœurs ? Voyez mes mains et mes pieds, c'est bien moi ; touchez-moi et voyez ; un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai. » Puis il leur montra les blessures de ses mains, de ses pieds et de son côté. « Dans leur joie, ils ne croyaient pas encore », ce qui veut dire qu'ils pensaient que la réalité, dont ils étaient tous témoins, était trop belle, trop merveilleuse pour être vraie. Pour leur assurer encore davantage qu'il n'était pas une ombre ni un être immatériel d'une substance intangible, mais une personne vivante avec des organes corporels internes aussi bien qu'externes, il demanda : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? » Ils lui présentèrent un morceau de poisson grillé et d'autres aliments [20], qu'il prit et mangea devant eux.
 
Ces preuves indubitables de la matérialité de leur visiteur calma et ramena à la raison les disciples ; maintenant qu'ils s'étaient repris et étaient réceptifs, le Seigneur leur rappela que tout ce qui lui était arrivé était conforme à ce qu'il leur avait dit tandis qu'il vivait parmi eux. En sa présence divine, leur compréhension fut vivifiée et augmentée, et ils comprirent les Écritures comme jamais auparavant - la loi de Moïse, les livres des prophètes et les psaumes - en ce qui le concernait. Il attesta aussi pleinement qu'il l'avait prédit et affirmé précédemment, que sa mort maintenant accomplie, était nécessaire. Puis il leur dit : « Ainsi il est écrit que le Christ souffrirait, qu'il ressusciterait d'entre les morts le troisième jour et que la repentance en vue du pardon des péchés serait prêchée en son nom à toutes les nations à commencer par Jérusalem. Vous en êtes témoins. »
 
Alors les disciples se réjouirent. Comme il était sur le point de s'en aller, le Seigneur leur donna sa bénédiction, disant : « Que la paix soit avec vous ! Comme le Père m'a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ce détail montre directement que les apôtres étaient envoyés par l'autorité. « Après ces paroles, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l'Esprit Saint. Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés ; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. [21] »
 
THOMAS L'INCRÉDULE [22]
 
Lorsque le Seigneur Jésus apparut au milieu des disciples le soir du dimanche de la résurrection, l'un des apôtres, Thomas, était absent. Il fut informé de ce dont les autres avaient été témoins mais ne fut pas convaincu ; même leur témoignage solennel : « Nous avons vu le Seigneur », ne put éveiller le moindre écho de foi en son cœur. Dans son scepticisme il s'exclama : « Si je ne vois dans ses mains la marque des clous, si je ne mets mon doigt à la place des clous, et si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai point. »
 
Notre jugement doit être tempéré de prudence et de charité dans toute conclusion que nous pourrions tirer quant à l'attitude incrédule de cet homme. Il ne pouvait guère douter du fait bien prouvé que le sépulcre était vide, ni de la sincérité de Marie-Madeleine et des autres femmes à propos de la présence d'anges et de l'apparition du Seigneur, ni du témoignage de Pierre, ni de celui du groupe assemblé ; mais il se peut qu'il ait considéré les manifestations qui lui étaient rapportées comme une série de visions subjectives ; peut-être a-t-il considéré l'absence du corps du Seigneur comme un résultat de la résurrection surnaturelle du Christ suivie d'un départ corporel et final de la terre. C'était en ce qui concernait la manifestation corporelle du Seigneur ressuscité, l'exhibition des blessures provoquées par la crucifixion, l'invitation à toucher et à sentir le corps ressuscité de chair et d'os que Thomas soulevait des objections. Sa conception de la résurrection n'était pas définie au point de lui permettre d'accepter littéralement le témoignage de ses frères et sœurs qui avaient vu, entendu et touché.
 
Une semaine plus tard, car c'est ainsi qu'il faut comprendre le terme juif « huit jours après », par conséquent le dimanche suivant, jour de la semaine que l'on appela plus tard dans l'Église le « jour du Seigneur » et qu'elle observa comme jour du sabbat au lieu du samedi, sabbat mosaïque [23] les disciples étaient de nouveau assemblés et Thomas se trouvait avec eux. La réunion se tenait derrière des portes fermées et probablement gardées, car il y avait risque d'immixtion des policiers juifs. « Jésus vint, les portes étant fermées, et debout au milieu d'eux, il leur dit : Que la paix soit avec vous ! Puis il dit à Thomas : Avance ici ton doigt, regarde mes mains, avance aussi ta main et mets-la dans mon côté ; et ne sois pas incrédule, mais crois ! »
 
L'esprit sceptique de Thomas fut instantanément libéré, son cœur rempli de doute fut purifié, et la conviction de la vérité glorieuse envahit son âme. Avec un respect empreint de contrition, il se prosterna devant son Sauveur en s'exclamant en des termes qui reconnaissaient avec adoration la Divinité du Christ : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Son adoration fut acceptée, et le Sauveur dit : « Parce que tu m'as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n'ont pas vu et ont cru ! »
 
PRÈS DE LA MER DE TIBÉRIADE [24]
 
L'ange du tombeau et le Christ ressuscité lui même avaient chacun fait savoir aux apôtres qu'ils devaient aller en Galilée, où le Seigneur les rencontrerait comme il l'avait dit avant sa mort [25]. Ils retardèrent leur départ jusqu'après la semaine qui suivit la résurrection, et une fois de retour dans leur province natale, ils attendirent la suite des événements. L'après-midi d'une de ces journées d'attente, Pierre dit à six des apôtres : « Je vais pêcher » ; et les autres répondirent : « Nous allons, nous aussi, avec toi. » Ils embarquèrent sans retard dans un bateau de pêche. Ils travaillèrent toute la nuit, mais, après chaque lancer, ils remontèrent le filet vide à bord. Comme le matin approchait, ils se dirigèrent vers la rive, déçus et découragés.
 
Dans les premières lueurs de l'aube, ils furent interpellés du rivage par quelqu'un qui demandait : « Enfants, n'avez-vous rien à manger [26] ? » Ils répondirent : « Non. » C'était Jésus qui posait la question, mais aucun de ceux qui étaient dans le bateau ne le reconnut. Il s'adressa de nouveau à eux, disant : « Jetez le filet du côté droit de la barque, et vous trouverez. Ils le jetèrent donc ; et ils n'étaient plus capables de le retirer, à cause de la grande quantité de poissons. » Ils firent comme il leur était demandé et le résultat, surprenant, leur parut miraculeux ; cela dut éveiller en eux le souvenir de cette autre pêche remarquable où leur adresse de pêcheurs avait été dépassée ; et au minimum trois témoins de l'autre miracle se trouvaient maintenant dans le bateau [27].
 
Jean, dont le discernement était rapide, dit à Pierre : « C'est le Seigneur ! » et Pierre, impulsif comme toujours, noua hâtivement son vêtement de pêcheur autour de lui et se jeta dans la mer, pour parvenir plus rapidement à terre et se prosterner aux pieds de son Maître. Les autres quittèrent le bateau et entrèrent dans une petite barque qu'ils ramenèrent jusqu'au rivage, traînant le filet lourdement chargé. À terre, ils virent un feu sur lequel cuisaient des poissons et, à côté, des pains. Jésus leur dit d'amener quelques-uns des poissons qu'ils venaient de prendre. Le fidèle Pierre obéit en se précipitant dans l'eau peu profonde et en tirant le filet sur la terre ferme. Après avoir compté, on s'aperçut que la prise se composait de cent cinquante-trois grands poissons, et le narrateur prend soin de noter que « quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se déchira pas ».
 
Alors Jésus dit : « Venez mangez » ; étant l'hôte du repas, il rompit et distribua le pain et les poissons. On ne nous dit pas qu'il mangea avec ses invités. Chacun savait que c'était le Seigneur qui servait avec tant d'hospitalité ; cependant, en cette occasion, comme en toutes les autres occasions où il apparut dans son état ressuscité, il y avait chez lui quelque chose d'impressionnant et d'intimidant. Ils auraient aimé le questionner mais ne l'osaient point. Jean nous dit que c'était « Ia troisième fois que Jésus se manifestait à ses disciples, depuis qu'il était ressuscité d'entre les morts » ; nous devons comprendre par là que c'était la troisième fois que le Christ se manifestait aux apôtres assemblés au complet ou en partie ; en effet, si l'on compte également l'apparition à Marie-Madeleine, aux autres femmes, à Pierre et aux disciples sur le chemin de campagne, c'était la septième apparition du Seigneur ressuscité qui nous soit rapportée.
 
Lorsque le repas fut terminé, « Jésus dit à Simon Pierre : Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu plus que (ne le font) ceux-ci ? » Cette question, si tendrement qu'elle ait été posée, dut percer le cœur de Pierre, puisqu'elle suscitait le souvenir de sa protestation hardie mais indigne de confiance : « Quand tu serais pour tous une occasion de chute, tu ne le seras jamais pour moi » [28], après laquelle il avait nié avoir jamais connu cet homme [29]. À la question du Seigneur, Pierre répondit humblement : « Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. » Jésus lui dit : « Prends soin de mes agneaux ! » La question fut répétée, et Pierre répliqua en employant des termes identiques, à quoi le Seigneur répondit : « Sois le berger de mes brebis. » Une troisième fois Jésus demanda : « Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu ? » Pierre fut peiné et attristé de cette répétition, pensant peut-être que le Seigneur n'avait pas confiance en lui ; mais de même qu'il avait renié trois fois, de même il avait maintenant l'occasion de faire une triple confession. À la question répétée trois fois, Pierre répondit : « Seigneur, tu sais toutes choses, tu sais que je t'aime. Jésus lui dit : Prends soin de mes brebis. »
 
Le commandement « Prends soin de mes brebis » l'assurait que le Seigneur avait confiance en lui et qu'il était réellement le président des apôtres. Il s'était formellement déclaré prêt à suivre son Maître jusqu'en prison et dans la mort. Maintenant, le Seigneur qui était mort, lui dit : « En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais plus jeune, tu attachais toi-même ton vêtement et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, tu étendras tes mains, et un autre te l'attachera et te mènera où tu ne voudras pas. » Jean nous informe que le Seigneur parlait ainsi de la mort par laquelle Pierre prendrait sa place parmi les martyrs ; l'analogie indique la crucifixion, et l'histoire traditionnelle affirme sans aucune contradiction que ce fut la mort par laquelle Pierre scella son témoignage du Christ.
 
Le Seigneur dit alors à Pierre : « Suis moi. » Ce commandement avait un sens à la fois immédiat et futur. L'homme suivit Jésus sur la rive tandis qu'il s'éloignait des autres ; dans quelques années, Pierre suivrait son Seigneur sur la croix. Il ne fait aucun doute que Pierre comprit l'allusion à son martyre, comme le montrent ses écrits, des années plus tard [30]. Tandis que le Christ et Pierre marchaient ensemble, ce dernier, regardant derrière lui, vit que Jean suivait, et demanda : « Et celui-ci, Seigneur, que lui arrivera-t-il ? « Pierre voulait avoir un aperçu du sort de son compagnon : Jean allait-il mourir, lui aussi, pour la foi ? Le Seigneur répliqua : « Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? Toi, suis-moi. » C'était un avertissement à Pierre qu'il devait s'occuper de son propre devoir et suivre le maître où que la route le conduisît.
 
Pour ce qui le concernait personnellement, Jean ajoute : « Là-dessus le bruit se répandit parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas. Pourtant, Jésus ne lui avait pas dit qu'il ne mourrait pas, mais : Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? » Les révélations ultérieures attestent que Jean continue à vivre dans son corps et demeurera dans la chair jusqu'à l'avènement encore futur du Seigneur [31]. De concert avec Pierre et Jacques, ses compagnons martyrisés et ressuscités, le « disciple que Jésus aimait » a rétabli le saint apostolat à notre époque.
 
AUTRES MANIFESTATIONS DU SEIGNEUR RESSUSCITÉ EN GALILÉE [32]
 
Jésus avait désigné une montagne de Galilée sur laquelle il rencontrerait les apôtres ; c'est là que les Onze se rendirent. Lorsqu'ils le virent à l'endroit fixé, ils l'adorèrent. Le document ajoute « mais quelques-uns eurent des doutes », ce qui peut sous-entendre qu'il y avait là d'autres personnes que les apôtres, parmi lesquelles s'en trouvaient quelques-unes qui n'étaient pas convaincues que le Christ ressuscité avait vraiment un corps. Il se peut que ce soit de cette occasion que Paul a parlé un quart de siècle plus tard, au sujet de laquelle il affirme que le Christ « a été vu par plus de cinq cents frères à la fois », dont certains étaient morts, mais dont la majorité étaient encore en vie à l'époque où Paul écrivait, témoins vivants de son témoignage [33].
 
Aux personnes qui étaient assemblées sur la montagne, Jésus déclara : « Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre. » C'était rien moins que l'affirmation de sa Divinité absolue. Son autorité était suprême, et ceux qui étaient chargés de mission par lui devaient agir en son nom et en vertu d'un pouvoir que nul ne pouvait donner ou enlever.
 
LA DERNIÈRE DIRECTIVE ET L'ASCENSION
 
Pendant les quarante jours qui suivirent sa résurrection, le Seigneur se manifesta aux apôtres à intervalles, dans certains cas à des personnes isolées, dans d'autres à tous à la fois [34], et les instruisit « de ce qui concerne le royaume de Dieu » [35]. Le récit ne précise pas toujours le moment et le lieu des événements ; mais il n'y a aucune possibilité de douter de l'importance des enseignements que le Seigneur donna pendant cette période. Une grande partie des choses qu'il dit et fit n'est pas écrite [36], mais celles qui sont écrites, assure Jean à ses lecteurs « l'ont été afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu'en croyant, vous ayez la vie en son nom » [37].
 
Comme le moment de son ascension approchait, le Seigneur dit aux apôtres : « Allez dans le monde entier et prêchez la bonne nouvelle à toute la création. Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné. Voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru : En mon nom, ils chasseront les démons ; ils parleront de nouvelles langues ; ils saisiront des serpents ; s'ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur fera point de mal ; ils imposeront les mains aux malades et ceux-ci seront guéris » [38]. En contraste avec leur mission précédente, dans laquelle ils étaient envoyés uniquement « vers les brebis perdues de la maison d'Israël [39] », ils devaient maintenant aller vers le Juif et le Gentil, l'esclave et l'homme libre, l'humanité en général, quels que fussent la nation, le pays ou la langue. Le salut par la foi au Seigneur Jésus-Christ suivie du repentir et du baptême devait être offert librement à tous ; dorénavant quiconque rejetterait l'offre tomberait sous la condamnation. Il promit que des signes et des miracles « accompagneront ceux qui auront cru », confirmant ainsi leur foi en la puissance divine, mais rien ne leur permit de croire que ces manifestations devaient précéder la foi pour appâter le chercheur de miracles crédule.
 
Assurant de nouveau aux apôtres que la promesse du Père se réaliserait par la venue du Saint-Esprit, le Seigneur leur ordonna de rester à Jérusalem, où ils étaient maintenant retournés de Galilée, jusqu'à ce qu'ils fussent « revêtus de la puissance d'en haut » [40] ; et il ajouta : « Car Jean a baptisé d'eau, mais vous, dans peu de jours, vous serez baptisés d'Esprit Saint » [41]. 
 
Dans cette entrevue solennelle, probablement alors que le Sauveur ressuscité conduisait les Onze mortels de la ville vers leur vieil endroit favori sur le mont des Oliviers, les frères, encore imbus de leur conception que le royaume de Dieu devait être l'établissement d'un pouvoir et d'une domination terrestres, lui demandèrent : « Seigneur, est-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume pour Israël ? » Jésus répondit : « Ce n'est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous recevrez une puissance, celle du Saint-Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie et jusqu'aux extrémités de la terre » [42]. Leur devoir fut défini et souligné de la manière suivante : « Allez, faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde » [43]. 
 
Lorsque le Christ et les disciples furent allés « jusque vers Béthanie », le Seigneur leva les mains et les bénit ; et tandis qu'il parlait encore, il s'éleva du milieu d'eux, et ils le regardèrent tandis qu'il montait jusqu'à ce qu'une nuée le dérobât à leur vue. Tandis que les apôtres avaient les regards fixés vers le ciel, deux personnages vêtus de blanc apparurent à leur côté ; ils s'adressèrent aux Onze, disant : « Vous Galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, reviendra de la même manière dont vous l'avez vu aller au ciel » [44]. 
 
Pleins d'adoration et animés d'une grande joie, les apôtres retournèrent à Jérusalem pour y attendre la venue du Consolateur. L'ascension du Seigneur était chose accomplie ; son départ avait été aussi réellement le départ littéral d'un être matériel que sa résurrection avait été le retour véritable de son esprit dans son corps de chair, jusqu'alors mort. Le monde avait reçu et a encore la promesse merveilleuse que Jésus le Christ, l'être qui s'éleva du mont des Oliviers dans son corps immortalisé de chair et d'os reviendra, descendant des cieux dans une forme et une substance matérielles semblables.
 
 [1] Mt 28:1-4 ; voir aussi verset 11.
 [2] Jn 20:1-10.
 [3] Version révisée : « Ne te saisis pas de moi » (marge).
 [4] Jn 20:11-17.
 [5] Mc 16:9.
 [6] Lc 24:3-8.
 [7] Mt 28:9-10.
 [8] Lc 24:9-11 ; cf. Mc 16:9-13.
 [9] Note 1, fin du chapitre.
 [10] Mt 28:11-15.
 [11] Mt 27:65, 66 ; chap. 35 du présent ouvrage.
 [12] Cf. Ac 12:19.
 [13] Note 2, fin du chapitre.
 [14] Ac 6:7 ; cf. Mc 16:12.
 [15] Lc 24:13-32 ; cf. Mc 16:12.
 [16] Lc 24:33-48, Jn 20:19-23.
 [17] Mt 28: 10, Jn 20:17.
 [18] Mc 16:7.
 [19] 1 Co 15:5.
 [20] Les mots « et un rayon de miel » (Lc 24:42) sont omis dans la version révisée anglaise ; beaucoup d'autorités les déclarent être une interpolation dans l'original.
 [21] Jn 20:21-23.
 [22] Jn 20:24-29 ; cf. Mc 16:14.
 [23] Ap 1: 10 ; cf. Ac 20:7, 1 Co 16:2.
 [24] Jn 21:1-23.
 [25] Mt 28:10, Mc 16:7 ; cf. Mt 26:32, Mc 14:28.
 [26] Le terme « enfants » dans une interpellation équivaut à nos formules modernes « messieurs », ou « mes amis ». C'était un terme tout à fait courant.
 [27] Lc 5:4-10 et chap. 14 du présent ouvrage.
 [28] Mt 26:33, Mc 14:29 ; cf. Lc 22:33, Jn 13:37 ; chap. 33 du présent ouvrage.
 [29] Mt 26:70, 72, 74 et chap. 34 du présent ouvrage.
 [30] 2 P 1:14
 [31] D&A 7 ; cf. LM, 3 Né 28:1-12.
 [32] Mt 28:16-18.
 [33] 1 Co 15:6.
 [34] Note 3, fin du chapitre.
 [35] Ac 1:3.
 [36] Jn 20:30 ; cf. 21:25 en se souvenant que le dernier passage peut avoir trait à des événements tant antérieurs qu'ultérieurs à la mort du Seigneur.
 [37] Jn 20:31.
 [38] Mc 16:15-18.
 [39] Mt 10:5, 6.
 [40] Lc 24:49.
 [41] Ac 1:5 ; voir aussi Lc 24:49 et cf. Jn 14:16, 17, 26, 15:26, 16:7, 13.
 [42] Ac 1:7, 8 ; cf. Mt 24:36, Mc 13:32.
 [43] Mt 28:19, 20.
 [44] Ac 1:19-11 ; voir aussi Lc 24:50, 51.
 
NOTES DU CHAPITRE 37
 
1. Le moment précis et la manière exacte dont le Christ sortit du tombeau sont inconnus : Notre Seigneur prédit nettement sa résurrection d'entre les morts le troisième jour (Mt 16:21, 17:23, 20:19, Mc 9:31, 10:34, Le 9:22, 13:32, 18:33), et les anges au tombeau (Lc 24:7) et le Seigneur ressuscité en personne (Lc 24:46) confirmèrent l'accomplissement des prophéties ; en outre, des apôtres témoignèrent dans ce sens au cours d'années ultérieures (Ac 10:40, 1 Co 15:4). Il ne faut pas déduire que le troisième jour spécifié veut dire la fin de trois jours complets. Les Juifs commençaient à calculer les heures quotidiennes au coucher du soleil ; par conséquent l'heure précédant le coucher du soleil et l'heure suivante appartenaient à des jours différents. Le Christ mourut et fut enterré le vendredi après-midi. Son corps demeura au tombeau, mort, pendant une partie du vendredi (premier jour), tout le samedi, ou selon notre manière de diviser les jours, du vendredi au coucher du soleil au samedi au coucher du soleil (deuxième jour), et une partie du dimanche (troisième jour). Nous ne savons pas à quelle heure entre le samedi au coucher du soleil et dimanche à l'aube il ressuscita.
 
Le fait qu'un tremblement de terre se produisit et que l'ange du Seigneur descendit et roula la pierre de devant l'entrée du tombeau à l'aube du dimanche - c'est en effet ce que nous pouvons déduire de Matthieu 28:1, 2 - ne prouve pas que le Christ n'était pas déjà ressuscité. La grande pierre fut déplacée et l'intérieur du sépulcre exposé au regard, de sorte que ceux qui viendraient pourraient voir par eux-mêmes que le corps du Seigneur n'était plus là ; il n'était pas nécessaire d'ouvrir l'entrée pour permettre au Christ ressuscité de sortir. Dans son état immortalisé, il apparaissait et disparaissait de pièces fermées. Un corps ressuscité, bien que d'une substance tangible et possédant tous les organes du tabernacle mortel, n'est pas lié à la terre par la gravitation ni ne peut être freiné dans ses mouvements par des barrières matérielles. Pour nous qui ne pouvons concevoir le mouvement que dans les sens imposés par les trois dimensions de l'espace, le fait qu'un solide, tel qu'un corps vivant de chair et d'os, puisse traverser les murs de pierre est nécessairement incompréhensible. Cependant, il est prouvé, non seulement par l'exemple du Christ ressuscité mais par les mouvements d'autres personnages ressuscités, que les êtres ressuscités se déplacent en vertu de lois qui permettent pareil passage et qui sont naturelles pour eux. C'est ainsi qu'en septembre 1823, Moroni, le prophète néphite qui était mort vers 400 après J.-C., apparut à trois reprises en une seule nuit, à Joseph Smith dans sa chambre, allant et venant sans être gêné par les murs ni le toit (voir PGP, Joseph Smith 2:43 ainsi que Les Articles de Foi, p. 13, 14). Moroni était un homme ressuscité comme en témoigne son état corporel, lequel se manifesta lorsqu'il manipula les plaques métalliques sur lesquelles était inscrit le document que nous appelons le Livre de Mormon. De même les êtres ressuscités peuvent se rendre visibles et invisibles aux yeux des mortels.
 
2. Tentatives de discréditer la résurrection par le mensonge : Nous avons suffisamment traité dans le texte l'affirmation absurde que le Christ n'était pas ressuscité mais que son corps avait été volé du tombeau par les disciples. Le mensonge constitue sa propre réfutation. Les incrédules d'une époque ultérieure, reconnaissant l'absurdité évidente de cette tentative grossière de déformer les faits, n'ont pas hésité à proposer d'autres hypothèses, dont chacune est intenable, cela a été prouvé d'une manière concluante. Ainsi la théorie basée sur la supposition invraisemblable que le Christ n'était pas mort lorsqu'on le descendit de la croix mais se trouvait dans un état de coma ou de syncope et qu'on le ranima plus tard, se réfute d'elle-même lorsqu'on l'examine à la lumière des faits dont nous disposons. Le coup de lance du soldat romain aurait été fatal, même si la mort ne s'était pas déjà produite. Le corps fut descendu, manipulé, enveloppé d'un linceul et enseveli par des membres du sanhédrin juif, dont on ne peut concevoir qu'ils aient pu participer à l'ensevelissement d'un homme vivant ; et pour ce qui est de la possibilité que Jésus ait pu être ranimé plus tard, Edersheim (vol. 2, p. 626) tranche la question comme suit : « Pour ne pas parler des nombreuses absurdités que cette théorie entraîne, en réalité elle transfère - si nous acquittons les disciples de toute complicité - l'imposture sur le Christ lui-même. » Une personne crucifiée, descendue de croix avant sa mort et ranimée ultérieurement, aurait été incapable de marcher les pieds percés et mutilés le jour de son retour à la vie, comme Jésus le fit sur la route d'Emmaüs. Une autre théorie qui a eu son temps est que ceux qui affirmèrent avoir vu le Christ ressuscité furent trompés sans le savoir, ayant été victimes de visions subjectives mais irréelles provoquées par leur état d'excitation et d'imagination. L'indépendance et l'individualité marquées des diverses apparitions du Seigneur qui sont parvenues jusqu'à nous réfutent la théorie de la vision. Les illusions visuelles subjectives du genre de celles que propose cette hypothèse présupposent un état d'attente de la part de ceux qui pensent qu'ils voient ; mais tous les incidents relatifs aux manifestations de Jésus après sa résurrection étaient directement opposés à l'attente de ceux qui furent les témoins de son état ressuscité.
 
Nous citons ces théories fausses et intenables concernant la résurrection de notre Seigneur comme exemples des nombreuses tentatives manquées pour nier par le raisonnement le plus grand miracle et le fait le plus merveilleux de l'histoire. Nous avons des preuves plus concluantes pour attester la résurrection de Jésus-Christ que nous n'en avons pour les événements historiques en général que nous acceptons. Et cependant, le témoignage de la résurrection de notre Seigneur n'est pas basé sur des pages écrites. Celui qui cherche avec sincérité et foi recevra une conviction personnelle qui lui permettra de confesser pieusement comme l'apôtre éclairé d'autrefois : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Jésus, qui est dieu le Fils, n'est pas mort. « Je sais que mon Rédempteur est vivant » (Job 19:25).
 
3. Apparitions du Christ signalées entre sa résurrection et son ascension :
 
1. À Marie-Madeleine, près du sépulcre (Mc 16:9, 10 ; Jn 20:14).
2. À d'autres femmes, quelque part entre le sépulcre et Jérusalem (Mt 28:9).
3. À deux disciples sur la route d'Emmaüs (Mc 16:12, Lc 24:13).
4. À Pierre, à ou près de Jérusalem (Lc 24:34, 1 Co 15:5).
5. À dix des apôtres et à d'autres à Jérusalem (Lc 24:36, Jn 20:19).
6. Aux onze apôtres à Jérusalem (Mc 16:14, Jn 20:26).
7. Aux apôtres à la mer de Tibériade, en Galilée (Jn 21).
8. Aux onze apôtres sur une montagne de Galilée (Mt 28:16).
9. À cinq cents frères à la fois (1 Co 15:6) ; endroit non précisé mais probablement en Galilée.
10. À Jacques (1 Co 15:7). Notez que les évangélistes ne parlent pas de cette manifestation.
11. Aux onze apôtres au moment de l'ascension, au mont des Oliviers, près de Béthanie (Mc 16:19, Lc 24:50, 51).
Nous examinerons plus tard les occasions où le Seigneur se manifesta aux hommes après l'ascension.
 


CHAPITRE 38 : LE MINISTÈRE APOSTOLIQUE
 
ORDINATION DE MATTHIAS À L'APOSTOLAT [1]
 
Après avoir été témoins de l'ascension du Seigneur sur le mont des Oliviers, les onze apôtres retournèrent à Jérusalem remplis de joie et inondés de l'esprit d'adoration. Dans le temple et dans une chambre haute, qui était le lieu ordinaire de leurs réunions, ils continuèrent à prier et à supplier, souvent en compagnie d'autres disciples, y compris Marie, mère du Seigneur, certains de ses fils et le petit groupe de femmes fidèles qui avaient servi Jésus en Galilée et l'avaient suivi de là à Jérusalem et au Calvaire [2]. Les disciples, dont la plupart avaient été dispersés par les événements tragiques de cette dernière Pâque fatale, s'étaient réunis, avec une foi renouvelée et fortifiée, autour du grand fait de la résurrection du Seigneur. Le Christ était devenu « Ies prémices de ceux qui sont décédés », « Ie premier-né d'entre les morts », et « le premier-né » du genre humain à passer de la mort à l'immortalité [3]. Ils savaient que le tombeau n'avait pas seulement été obligé de rendre le corps de leur Seigneur mais que s'était ouverte une voie par laquelle les entraves de la mort pourraient être détachées de toutes les âmes. Immédiatement après la résurrection du Seigneur Jésus, un grand nombre de justes qui avaient dormi au tombeau avaient été ressuscités et étaient apparus à Jérusalem, se révélant à un grand nombre de personnes [4]. L'universalité de la résurrection des morts devait bientôt devenir un trait dominant de l'enseignement apostolique.
 
Le premier acte officiel entrepris par les apôtres fut de remplir la vacance occasionnée au sein du conseil des Douze par l'apostasie et le suicide de Judas Iscariot. Entre le moment de l'ascension du Christ et la fête de la Pentecôte, alors que les Onze et d'autres disciples, cent vingt en tout environ, étaient ensemble, « tous d'un commun accord persévéraient dans la prière », et Pierre souleva le problème devant l'Église assemblée, faisant remarquer que la chute de Judas avait été prévue [5], et citant la prière du psalmiste : « Que sa demeure devienne déserte, et que personne ne l'habite ! Et : Qu'un autre prenne sa charge [6] ! » Pierre affirma qu'il était nécessaire de compléter le collège des apôtres ; et voici l'énumération qu'il fit des qualités essentielles que devait posséder celui qui serait ordonné au saint apostolat : « Ainsi, parmi ceux qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus allait et venait avec nous, depuis le baptême de Jean, jusqu'au jour où il a été enlevé du milieu de nous, il faut qu'il y en ait un qui soit avec nous témoin de sa résurrection. » Deux disciples fidèles furent nommés par les Onze, Joseph appelé Barsabas et Matthias. Avec ferveur l'assemblée supplia le Seigneur de lui montrer si l'un ou l'autre de ces hommes, et dans l'affirmative lequel, devait être choisi à cette fonction élevée ; ensuite, « ils tirèrent au sort, et le sort tomba sur Matthias, qui fut associé aux onze apôtres ».
 
D'un bout à l'autre, cette démarche est profondément significative et instructive. Les Onze se rendaient pleinement compte que c'était sur eux que reposait la responsabilité et que c'était en eux que résidait l'autorité d'organiser et de développer l'Église du Christ, que le conseil ou collège des apôtres était limité à douze personnes et que le nouvel apôtre, comme eux-mêmes, devait être compétent pour témoigner d'une manière particulière et personnelle du ministère terrestre, de la mort et de la résurrection du Seigneur Jésus. Le choix de Matthias se fit dans une assemblée générale de l'Église primitive ; et bien que les nominations fussent faites par les apôtres, il semble être sous-entendu que toutes les personnes présentes aient eu voix à l'installation. Le principe de l'administration par l'autorité avec le consentement commun des membres dont un exemple si frappant est donné dans l'élection de Matthias, fut suivi quelques semaines plus tard par le choix de « sept hommes, de qui l'on rende un bon témoignage, remplis de l'Esprit et de sagesse », qui, ayant été soutenus par le vote de l'Église, furent mis à part pour un ministère particulier par l'imposition des mains des apôtres [7].
 
LA RÉCEPTION DU SAINT-ESPRIT [8]
 
Au moment de la Pentecôte, qui tombait le cinquantième jour après la Pâque [9], et par conséquent, dans ce cas particulier, neuf jours environ après l'ascension du Christ, les apôtres étaient tous ensemble dans le même lieu occupés à leurs dévotions ordinaires et s'attendaient, comme cela leur avait été ordonné, à recevoir une investiture personnelle de puissance d'en haut [10]. Le baptême promis de feu et du Saint-Esprit leur échut ce jour-là. « Tout à coup il vint du ciel un bruit comme celui d'un souffle violent qui remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues qui semblaient de feu qui se séparaient les unes des autres leur apparurent ; elles se posèrent sur chacun d'eux. Ils furent tous remplis d'Esprit Saint et se mirent à parler en d'autres langues, selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer. »
 
Le bruit du ciel « comme celui d'un souffle violent » fut entendu au-dehors, et une multitude se rassembla autour de l'endroit. La manifestation visible des « langues qui semblaient de feu », dont chacun des Douze fut investi, fut perçue par ceux qui se trouvaient à l'intérieur de la maison, mais apparemment pas par les multitudes qui s'attroupaient. Les apôtres parlèrent à la multitude, et un grand miracle s'opéra, dans lequel « chacun les entendait parler dans sa propre langue » ; car les apôtres, maintenant abondamment dotés, parlaient en plusieurs langues, selon que le Saint-Esprit, qui les avait investis, leur donnait de s'exprimer. Il y avait là des gens de nombreux pays et de nombreuses nations, qui parlaient différentes langues. Avec étonnement certains d'entre eux dirent : « Voici, ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment les entendons-nous chacun dans notre propre langue maternelle ? » Si un grand nombre de personnes furent frappées par les talents surnaturels des frères, d'autres dirent sur un ton moqueur qu'ils étaient ivres. Cet exemple d'incitation satanique à parler sans réflexion illustre spécialement le manque de logique et la sottise étourdie. Les boissons fortes ne donnent de sagesse à personne ; elles font perdre le sens et rendent ridicules.
 
Pierre, président des Douze, se leva alors et proclama en son nom et en celui de ses frères : « Vous Juifs, et vous tous qui séjournez à Jérusalem, sachez ceci et prêtez l'oreille à mes paroles ! Ces gens ne sont pas ivres comme vous le supposez, car c'est la troisième heure du jour. » Il était de coutume chez les Juifs, en particulier lors des jours de fête, de s'abstenir de nourriture et de boisson jusqu'après le service du matin à la synagogue, qui se tenait vers la troisième heure, soit neuf heures du matin. L'apôtre cita les prophéties anciennes contenant la promesse de Jéhovah qu'il déverserait son Esprit sur toute chair, de sorte que s'accompliraient des prodiges, semblables à ceux dont les spectateurs étaient témoins [11]. Ensuite Pierre témoigna hardiment de Jésus de Nazareth, disant qu'il était « cet homme approuvé de Dieu devant vous par les miracles, les prodiges et les signes que Dieu a faits par lui au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes » ; et leur rappelant avec une gravité accusatrice le crime terrible auquel ils avaient dans une certaine mesure participé, il poursuivit : « Cet homme, livré selon le dessein arrêté et selon la prescience de Dieu, vous l'avez fait mourir en le clouant (à la croix) par la main des impies. Dieu l'a ressuscité, en le délivrant des liens de la mort, parce qu'il n'était pas possible qu'il soit retenu par elle. » Citant l'exclamation inspirée du psalmiste, qui avait chanté en vers joyeux l'âme qui ne resterait pas en enfer et la chair qui ne verrait pas la corruption, il montra comment ces Écritures s'appliquaient au Christ et affirma sans peur : « Ce Jésus, Dieu l'a ressuscité ; nous en sommes tous témoins. Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l'Esprit Saint qui avait été promis, et il l'a répandu, comme vous le voyez et l'entendez. » Avec une ferveur croissante, ne craignant ni la dérision ni la violence, et enfonçant dans le cœur de ses auditeurs fascinés la conscience terrible de leur culpabilité, Pierre proclama d'une voix de tonnerre : « Que toute la maison d'Israël sache donc avec certitude que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié. »
 
Il était impossible de résister à la puissance du Saint-Esprit ; il apportait la conviction à toutes les âmes sincères. Ceux qui entendirent eurent le cœur vivement touché et, pleins de contrition, crièrent aux apôtres : « Frères, que ferons-nous ? » Maintenant qu'ils étaient prêts à recevoir le message du salut, il leur fut donné sans réserve. « Repentez-vous, répondit Pierre, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour le pardon de vos péchés ; et vous recevrez le don du Saint-Esprit. Car la promesse est pour vous, pour vos enfants, et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera. »
 
Le peuple répondit au témoignage, à l'exhortation et à l'avertissement des apôtres par une profession de foi et de repentir. Leur joie était comparable à celle des esprits en prison, à qui le Christ désincarné avait apporté la parole autorisée de la rédemption et du salut. Ceux qui se repentirent et confessèrent leur foi au Christ en cette Pentecôte mémorable furent reçus, au nombre de trois mille environ, dans l'Église par le baptême. Leur conversion était sincère et n'était pas l'effet d'un enthousiasme passager, ils étaient littéralement nés de nouveau par le baptême en un renouveau de vie, comme le prouve le fait qu'ils endurèrent dans la foi : « ils persévéraient dans l'enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières ». Ces premiers convertis étaient si pieux, l'Église était si bénie par le déversement du Saint-Esprit, en ce temps-là, que les membres donnèrent volontairement leurs biens personnels et eurent tout en commun. Pour eux la foi au Seigneur Jésus-Christ avait une plus grande valeur que les richesses de la terre [12]. Parmi eux, il n'y avait rien que l'on appelât « le mien » ou « le tien », mais tout leur appartenait dans le Seigneur [13]. Des signes et des miracles suivirent les apôtres, « et le Seigneur ajoutait chaque jour à l'Église ceux qui étaient sauvés ».
 
Le don du Saint-Esprit avait changé les apôtres. Clarifiées à leurs yeux par l'Esprit de Vérité, les Écritures constituaient un document préparatoire aux événements dont ils étaient les témoins spéciaux et ordonnés. Pierre qui, quelques semaines auparavant encore, avait manqué de courage devant une servante, parlait maintenant ouvertement, ne craignant personne. Voyant un jour un mendiant paralytique devant la Belle Porte qui conduisait dans la cour du temple, il prit l'affligé par la main, disant : « Je ne possède ni argent, ni or ; mais ce que j'ai, je te le donne : au nom de Jésus-Christ de Nazareth : lève-toi et marche [14], L'homme fut guéri et bondit de joie en sentant ses forces nouvelles ; puis il entra au temple avec Pierre et Jean, louant Dieu à haute voix. Une foule étonnée, qui finit par atteindre cinq mille hommes, s'assembla autour des apôtres au portique de Salomon ; Pierre, voyant leur étonnement, profita de l'occasion pour leur prêcher Jésus le Crucifié. Il attribua tous les mérites du miracle au Christ, que les Juifs avaient livré pour être mis à mort, et déclara avec une accusation sans détours : « Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son serviteur Jésus, que vous avez livré et renié devant Pilate qui avait jugé bon de le relâcher. Mais vous, vous avez renié le Saint et le juste, et vous avez demandé comme une faveur qu'on vous remette un meurtrier. Vous avez fait mourir le prince de la vie, que Dieu a ressuscité d'entre les morts ; nous en sommes témoins. » Reconnaissant miséricordieusement l'ignorance dans laquelle ils se trouvaient lorsqu'ils péchèrent, il les exhorta à expier et à faire pénitence, s'écriant : « Repentez-vous donc et convertissez-vous, pour que vos péchés soient effacés, afin que des temps de rafraîchissement viennent de la part du Seigneur, et qu'il envoie celui qui vous a été destiné, le Christ Jésus. C'est lui que le ciel doit recevoir jusqu'aux temps du rétablissement de tout ce dont Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes d'autrefois. » Il ne les encourageait pas à croire que leurs péchés pouvaient être annulés par des professions de foi verbeuses ; la possibilité leur était accordée de se repentir pendant un temps déterminé, s'ils voulaient croire.
 
Tandis que Pierre et Jean témoignaient de la sorte, les prêtres et le commandant du temple, avec les Sadducéens au pouvoir, tombèrent sur eux vers le soir et les mirent en prison en attendant la décision des juges le jour suivant [15]. Le lendemain on les fit comparaître devant Anne, Caïphe et d'autres dirigeants, qui leur demandèrent par quelle autorité ou au nom de qui ils avaient guéri le paralytique. Pierre, poussé par la puissance du Saint-Esprit, répondit : « Sachez-le bien, vous tous, ainsi que tout le peuple d'Israël ! C'est par le nom de Jésus-Christ de Nazareth, que vous avez crucifié et que Dieu a ressuscité des morts, c'est par lui que cet homme se présente en bonne santé devant vous. C'est lui : la pierre rejetée par vous, les bâtisseurs, et devenue la principale, celle de l'angle. Le salut ne se trouve en aucun autre ; car il n'y a sous le ciel aucun autre nom donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés » [16]. 
 
La hiérarchie apprit à sa consternation que l'œuvre qu'elle avait essayé de détruire en crucifiant Jésus-Christ se répandait maintenant comme elle ne l'avait jamais fait avant. En désespoir de cause, « ils leur défendirent absolument de parler et d'enseigner au nom de Jésus ». Mais Pierre et Jean répondirent hardiment : « Est-il juste, devant Dieu, de vous obéir plutôt qu'à Dieu ? À vous d'en juger, car nous ne pouvons pas ne pas parler de ce que nous avons vu et entendu. » Cette réponse, un saint défi, les gouverneurs ecclésiastiques n'osèrent pas le relever ; ils durent se contenter de proférer des menaces.
 
L'Église grandissait avec une rapidité surprenante ; des multitudes d'hommes et de femmes qui croyaient au Seigneur augmentaient toujours plus ». Le don de guérison se manifesta si abondamment par le ministère des apôtres que le peuple s'attroupa autour d'eux comme il l'avait fait autrefois autour du Christ, apportant ses malades et ceux qui étaient possédés d'esprits malins ; et tous furent guéris. Si grande était la foi des croyants qu'ils posaient leurs affligés sur des lits dans les rues, « afin que, lors du passage de Pierre, son ombre au moins puisse couvrir l'un d'eux » [17].
 
Le souverain sacrificateur et ses associés sadducéens orgueilleux firent de nouveau arrêter et jeter les apôtres dans la prison commune. Mais cette nuit-là l'ange du Seigneur ouvrit les portes du cachot et fit sortir les prisonniers, leur disant d'aller au temple et de continuer à proclamer leur témoignage du Christ. C'est ce que les apôtres firent, et c'était à cela qu'ils étaient occupés lorsque le sanhédrin s'assembla pour les faire passer en jugement. Les huissiers qui furent envoyés amener les prisonniers à la salle du tribunal revinrent, en disant : « Nous avons trouvé la prison soigneusement fermée, et les gardiens à leur poste devant les portes, mais après avoir ouvert, nous n'avons trouvé personne à l'intérieur. » Tandis que les juges restaient figés, consternés et impuissants, on vint leur apporter la nouvelle que les hommes qu'ils cherchaient se trouvaient à ce moment-là occupés à prêcher dans les cours. Le commandant et sa garde arrêtèrent les apôtres une troisième fois et les firent entrer, mais sans violence, car ils craignaient le peuple. Le souverain sacrificateur accusa les prisonniers par une question et une affirmation : « Nous vous avions formellement défendu d'enseigner en ce nom-là. Et voici que vous avez rempli Jérusalem de votre enseignement, et que vous voudriez faire retomber sur nous le sang de cet homme ! » Cependant ces mêmes dirigeants avaient, tout récemment encore, pris la tête de la foule pour prononcer la terrible imprécation : « Que son sang (retombe) sur nous et sur nos enfants [18] ! »
 
Pierre et les autres apôtres, que n'intimidait pas l'auguste présence et que n'effrayaient pas les paroles ou les actions menaçantes, répondirent par l'accusation directe que ceux qui étaient là pour juger étaient les assassins du Fils de Dieu. Réfléchissez bien à cette affirmation solennelle : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous avez tué en le pendant au bois. Dieu l'a élevé par sa droite comme Prince et Sauveur, pour donner à Israël la repentance et le pardon des péchés. Nous sommes témoins de ces choses, de même que le Saint-Esprit que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent. »
 
Fermant, barrant, verrouillant leur cœur contre le témoignage des gens du Seigneur, les principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple se consultèrent sur la manière de mettre ces hommes à mort. Il y eut au moins une exception honorable parmi les conseillers enclins au meurtre. Gamaliel, Pharisien et célèbre docteur de la loi, maître de Saul de Tarse connu plus tard grâce à sa conversion, ses œuvres et son autorité divine sous le nom de Paul l'apôtre [19], se leva dans le conseil, et ayant ordonné qu'on éloignât les apôtres de la salle, mit ses collègues en garde contre l'injustice qu'ils avaient à l'esprit. Il cita le cas d'hommes qui avaient prétendu à tort avoir été envoyés de Dieu, dont chacun avait eu à se repentir lorsque ses plans séditieux échouèrent totalement et d'une manière tout à fait ignominieuse ; de même ces hommes finiraient mal si l'œuvre qu'ils professaient s'avérait être des hommes ; mais, ajouta ce docteur désintéressé et savant, si cette entreprise « vient de Dieu, vous ne pourrez pas les détruire. Prenez garde de peur de vous trouver en guerre contre Dieu » [20]. Le conseil de Gamaliel l'emporta sur le moment, et il en résulta que la vie des apôtres fut épargnée ; mais le sanhédrin, enfreignant la justice et les usages, fit battre les prisonniers. Puis les frères furent renvoyés avec ordre renouvelé de ne pas parler au nom de Jésus. Ils s'en allèrent, joyeux d'avoir été considérés dignes de souffrir des coups et de l'humiliation pour défendre le nom du Seigneur ; et quotidiennement, tant au temple qu'en allant de maison en maison, ils enseignèrent et prêchèrent vaillamment Jésus le Christ. Les convertis à l'Église ne se limitèrent pas aux laïcs ; un grand nombre de prêtres augmentèrent le nombre des disciples, qui se multiplièrent rapidement à Jérusalem [21].
 
ÉTIENNE LE MARTYR - IL VOIT LE SEIGNEUR [22]
 
Le premier des « sept hommes, de qui l'on rende un bon témoignage » qui furent mis à part sous les mains des apôtres pour administrer les biens communs de l'Église était Étienne, homme remarquable par sa foi et ses bonnes œuvres, par lequel le Seigneur accomplit de nombreux miracles. Il était zélé dans le service, hardi dans la doctrine et impavide en qualité de ministre du Christ. Certains des Juifs étrangers, qui entretenaient une synagogue à Jérusalem, engagèrent Étienne dans une discussion et, incapables de « résister à la sagesse et à l'Esprit par lequel il parlait », conspirèrent pour le faire accuser d'hérésie et de blasphème. Il fut amené devant le sanhédrin sur l'accusation d'hommes subornés pour témoigner contre lui ; ceux-ci affirmèrent qu'ils l'avaient « entendu proférer des paroles blasphématoires contre Moïse et contre Dieu ». Les accusateurs parjures témoignèrent en outre qu'il avait parlé à plusieurs reprises et en termes blasphématoires contre le temple et la loi, et avait même déclaré que Jésus de Nazareth détruirait un jour le temple et changerait les cérémonies mosaïques. L'accusation était absolument fausse dans l'esprit et dans les faits, bien que peut-être partiellement vraie dans un certain sens dans sa forme ; en effet, à en juger par ce qui nous est rapporté sur la personnalité et les œuvres d'Étienne, c'était un prédicateur zélé de la parole, désireux d'en faire une religion mondiale qui mettrait fin à l'esprit de caste, lequel voulait attribuer un caractère sacré à Jérusalem en sa qualité de ville sainte et au temple maintenant profané en tant que lieu de résidence terrestre de Jéhovah ; en outre il semble s'être rendu compte que la loi de Moïse avait été accomplie lors de la mission du Messie.
 
Lorsque les sanhédristes fixèrent les regards sur lui, son visage illuminé leur apparut « comme celui d'un ange ». En réponse à l'accusation, il fit un discours qui, lorsqu'on en fait l'analyse critique, semble avoir été improvisé ; néanmoins il est d'une logique et d'une puissance d'argumentation frappantes. Cependant un assaut meurtrier y mit brusquement fin [23]. En un résumé efficace Étienne retraça l'histoire du peuple de l'alliance depuis l'époque d'Abraham, montrant que les patriarches puis, tour à tour, Moïse et les prophètes, avaient vécu et œuvré pour préparer progressivement aux événements dont étaient témoins ceux qui étaient présents. Il fit remarquer que Moïse avait prédit la venue d'un prophète, qui n'était nul autre que Jéhovah que leurs pères avaient adoré dans le désert, devant le tabernacle, et plus tard dans le temple ; mais, affirma-t-il, « Ie Très-Haut n'habite pas dans ce qui est fait par la main de l'homme », dont le plus splendide ne pouvait être que petit pour celui qui a déclaré : « Le ciel est mon trône, et la terre mon marchepied » [24]. 
 
On voit clairement que le discours d'Étienne n'était pas une apologie et était loin d'être un plaidoyer en sa faveur ; c'était une proclamation de la parole et des desseins de Dieu par un serviteur dévoué qui n'avait aucune considération pour les conséquences dont il pourrait souffrir personnellement. Il accusa puissamment ses juges comme suit : « (Hommes) au cou raide, incirconcis de cœur et d'oreilles ! vous vous opposez toujours au Saint-Esprit, vous comme vos pères. Lequel des prophètes vos pères n'ont-ils pas persécuté ? Ils ont mis à mort ceux qui annonçaient à l'avance la venue du juste, dont vous êtes devenus maintenant les meurtriers après l'avoir livré. » Rendus fous furieux par cette accusation directe, les sanhédristes « grinçaient des dents contre lui ». Il savait qu'ils étaient assoiffés de son sang ; mais galvanisé par le Saint-Esprit, il fixa les yeux au ciel, et s'exclama, en extase : « Voici : je vois les cieux ouverts et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu » [25]. C'est le premier passage du Nouveau Testament qui rapporte une manifestation du Christ à des yeux mortels, par vision ou autrement, après son ascension. Les gouverneurs ecclésiastiques poussèrent de grands cris et se bouchèrent les oreilles devant ce qu'ils avaient décidé de considérer comme des paroles blasphématoires ; se jetant d'un commun accord sur le prisonnier, ils le traînèrent en hâte en dehors des murs de la ville et le lapidèrent. Fidèle à son Maître, il pria : « Seigneur Jésus reçois mon esprit ! Puis, il se mit à genoux et s'écria d'une voix forte : Seigneur, ne les charge pas de ce péché ! Et, après avoir dit cela, il s'endormit. »
 
C'est ainsi que mourut le premier martyr du témoignage du Christ ressuscité. Il fut tué par une foule hostile comprenant les principaux sacrificateurs, les scribes et les anciens du peuple. Qu'est-ce que cela pouvait bien leur faire qu'aucune sentence n'eût été prononcée contre lui, qu'ils fussent occupés à agir d'une manière qui défiait avec impudence la loi romaine ? Des hommes pieux portèrent le corps mutilé à son lieu d'ensevelissement, et tous les disciples se lamentèrent profondément. La persécution augmenta, et les membres de l'Église furent dispersés en de nombreux pays où ils prêchèrent l'Évangile et gagnèrent un grand nombre de personnes au Seigneur. Le sang d'Étienne le martyr se révéla être un ferment puissant d'où sortit une grande moisson d'âmes [26].
 
LE CHRIST SE MANIFESTE À SAUL DE TARSE APPELÉ PLUS TARD PAUL L'APÔTRE
 
Parmi les controversistes qui, lorsqu'ils avaient été mis en déroute lors de la discussion, avaient conspiré contre Étienne et avaient provoqué sa mort, il y avait des Juifs de Cilicie [27]. Parmi eux se trouvait un jeune homme du nom de Saul, natif de la ville cilicienne de Tarse. Cet homme était un savant capable, un polémiste puissant, défenseur ardent de ce qu'il considérait être la justice et assaillant vigoureux de ce qui, pour lui, était mal. Quoique né à Tarse, il avait été amené à Jérusalem dans sa tendre jeunesse, et en grandissant, y était devenu un Pharisien strict et un défenseur farouche du judaïsme. Il étudiait la loi sous l'égide de Gamaliel, l'un des maîtres les plus éminents de l'époque [28], et il avait la confiance du souverain sacrificateur [29]. Son père, ou peut-être l'un de ses ancêtres, avait acquis la citoyenneté romaine et Saul avait hérité, par sa naissance, de cette distinction. Saul était un adversaire violent des apôtres et de l'Église ; il avait pris part à la mort d'Étienne en y consentant ouvertement et en gardant personnellement les vêtements des faux témoins tandis qu'ils lapidaient le martyr.
 
Il fit des hécatombes dans l'Église en entrant dans des maisons privées et en sortant de force des hommes et des femmes soupçonnés de croire au Christ, et en les faisant jeter en prison [30]. La persécution dans laquelle il joua un rôle aussi important provoqua la dispersion des disciples dans toute la Judée, la Samarie et d'autres pays ; cependant les apôtres demeurèrent et poursuivirent leur ministère à Jérusalem [31]. Non content d'agir localement contre l'Église, « Saul, qui respirait encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur, se rendit chez le souverain sacrificateur et lui demanda des lettres pour les synagogues de Damas, afin que, s'il y trouvait quelques uns, hommes ou femmes, qui suivent cette Voie, il les amène liés à JérusaIem » [32].
 
Comme Saul et sa suite approchaient de Damas, ils furent arrêtés par un événement d'une majesté terrifiante [33]. En plein midi, apparut soudain une lumière dépassant de loin l'éclat du soleil. La compagnie tout entière fut enveloppée de cette splendeur éblouissante et tomba terrorisée sur le sol. Au milieu de cette gloire surnaturelle, un son se fit entendre, que seul Saul comprit comme une voix articulée ; il entendit et comprit la question réprobatrice posée en hébreu : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Tremblant, il demanda : « Qui es-tu, Seigneur ? » La réponse pénétra jusqu'au plus profond du cœur de Saul : « Moi, je suis Jésus que tu persécutes » ; le Seigneur poursuivit, comme s'il avait de la considération et de la sympathie pour la situation du persécuteur et la renonciation qui serait requise de lui : « Il te serait dur de regimber contre les aiguillons » [34]. L'énormité de son hostilité et de son inimitié contre le Seigneur et son peuple lui remplit l'âme de terreur, et il demanda, tremblant et contrit : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » La réponse fut : « Lève-toi, entre dans la ville, et l'on te dira ce que tu dois faire. » L'éclat de la lumière céleste avait aveuglé Saul. Ses compagnons le conduisirent à Damas où, dans la maison de Judas, dans la rue qu'on appelle la Droite, il resta pendant trois jours dans les ténèbres, période au cours de laquelle il ne mangea ni ne but.
 
Dans cette ville vivait un disciple fidèle appelé Ananias, à qui le Seigneur parla, lui ordonnant de rendre visite à Saul et de le bénir afin qu'il fût guéri de sa cécité. Ananias fut étonné de cet ordre et se risqua à rappeler au Seigneur que Saul était un persécuteur notoire des saints et était venu à ce moment-là à Damas pour arrêter et jeter tous les croyants aux fers. Mais le Seigneur répondit : « Va, car cet homme est pour moi un instrument de choix, afin de porter mon nom devant les nations et les rois, et devant les fils d'Israël ; et je lui montrerai combien il faudra qu'il souffre pour mon nom. » Ananias alla trouver Saul, posa les mains sur le malade repentant, disant : « Saul, mon frère, le Seigneur Jésus, qui t'est apparu sur le chemin par lequel tu venais, m'a envoyé pour que tu recouvres la vue et que tu sois rempli d'Esprit Saint. » L'obstruction physique à la vision fut enlevée ; des particules ressemblant à des écailles tombèrent des yeux de Saul, et il recouvra la vue. Sans retard ni hésitation, il se fit baptiser. Après avoir mangé et repris des forces, il rencontra les disciples de Damas et se mit immédiatement en devoir de prêcher dans les synagogues, déclarant que Jésus était le Fils de Dieu [35].
 
Lorsque Saul retourna à Jérusalem, les disciples doutèrent de sa sincérité, car ils l'avaient connu comme leur persécuteur acharné ; mais Barnabas, un disciple de confiance, l'amena aux apôtres, parla de sa conversion miraculeuse et témoigna des services vaillants qu'il avait rendus en prêchant la parole de Dieu. Il fut accueilli et ordonné plus tard par les apôtres [36]. Son nom hébreu, Saul, fut plus tard remplacé par le latin Paulus, ou selon notre manière de prononcer, Paul [37]. Étant donné que sa mission était de porter l'Évangile aux Gentils, l'utilisation de son nom romain peut avoir été avantageux, surtout du fait qu'étant citoyen romain, il pouvait se réclamer des droits et des exemptions qui s'attachaient à cette citoyenneté [38].
 
Nous n'avons nullement l'intention actuellement de suivre, pas même dans les grands traits, les travaux de l'homme ainsi appelé péremptoirement et miraculeusement au ministère ; le seul sujet que nous voulons examiner en ce moment, ce sont les manifestations que le Christ en personne lui accorda. Tandis qu'il se trouvait à Jérusalem, Paul eut la bénédiction de recevoir une manifestation visible du Seigneur Jésus, qui s'accompagna de la réception d'ordres précis. Voici ce que dit son propre témoignage : « Comme je priais dans le temple, je fus ravi en extase et je vis le Seigneur qui me disait : Hâte-toi, et sors promptement de Jérusalem, parce qu'ils ne recevront pas ton témoignage sur moi. » Expliquant pourquoi il était rejeté par le peuple, Paul confessa son passé mauvais, disant : « Seigneur, ils savent eux-mêmes que j'allais de synagogue en synagogue pour faire emprisonner et battre ceux qui croient en toi, et lorsqu'on répandit le sang d'Étienne, ton témoin, j'étais moi-même présent, je les approuvais et je gardais les vêtements de ceux qui le faisaient mourir. » À cela le Seigneur répondit : « Va, car je t'enverrai au loin vers les païens » [39]. Une fois encore, tandis que Paul était prisonnier dans la forteresse romaine, le Seigneur se tint près de lui pendant la nuit et dit : « Prends courage ; car, de même que tu as rendu témoignage de moi à Jérusalem, il faut aussi que tu rendes témoignage à Rome » [40]. 
 
Le témoignage personnel de Paul qu'il avait vu le Christ ressuscité est explicite et net. À son énumération de certaines des apparitions du Seigneur ressuscité il associe son propre témoignage, s'adressant de la manière suivante aux saints de Corinthe : « Je vous ai transmis, avant tout, ce que j'avais aussi reçu : Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures ; il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures, et il a été vu par Céphas, puis par les douze. Ensuite, il a été vu par plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart sont encore vivants, et dont quelques uns sont décédés. Ensuite, il a été vu par Jacques, puis par tous les apôtres. Après eux tous, il s'est fait voir à moi, comme à l'avorton ; car je suis, moi, le moindre des apôtres, je ne mérite pas d'être appelé apôtre, parce que j'ai persécuté l'Église de Dieu » [41]. 
 
FIN DU MINISTÈRE APOSTOLIQUE - LA RÉVÉLATION DE JEAN
 
La période du ministère apostolique se poursuivit jusque vers la fin du premier siècle de notre ère, soit soixante à soixante-dix ans environ après l'ascension du Seigneur. Au cours de cette période, l'Église connut la prospérité mais aussi les vicissitudes. Tout d'abord le groupe organisé grandit en nombre et en influence d'une manière qui est considérée comme phénoménale sinon miraculeuse [42]. Les apôtres et les nombreux autres ministres qui œuvraient sous leur direction dans des postes d'autorité graduée travaillèrent si efficacement à répandre la parole de Dieu que Paul, écrivant une trentaine d'années après l'ascension, affirma que l'Évangile avait déjà été porté à toutes les nations ou, pour employer ses termes, « prêché à toute créature sous le ciel ». Par l'entremise du Saint-Esprit, le Christ continua à diriger les affaires de son Église sur terre ; et ses représentants mortels, les apôtres, voyagèrent et enseignèrent, guérirent les affligés, réprimandèrent les mauvais esprits et rendirent les morts à une vie nouvelle [43].
 
Nous n'avons connaissance d'aucune apparition directe ou personnelle du Christ à des mortels entre les manifestations à Paul et la révélation à Jean sur l'île de Patmos. La tradition confirme le sous-entendu de Jean qu'il y avait été exilé « à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus » [44]. Il affirme que ce qu'il écrivait, et que l'on appelle maintenant l'Apocalypse, est la « révélation de Jésus-Christ, que Dieu lui a donnée pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt, et qu'il a fait connaître par l'envoi de son ange à son serviteur Jean » [45]. L'apôtre décrit d'une manière frappante le Christ glorifié tel qu'il le vit ; et il rapporta les paroles du Christ comme suit : « Sois sans crainte ! Moi je suis le premier et le dernier, le vivant. J'étais mort, et me voici vivant aux siècles des siècles. Je tiens les clefs de la mort et du séjour des morts » [46]. Jean reçut le commandement d'écrire à chacune des sept Églises ou branches de l'Église du Christ qui existaient alors en Asie, leur administrant des reproches, des exhortations et des encouragements suivant que l'exigeait la situation de chacune d'elles. Le ministère final de Jean marqua la fin de l'administration apostolique dans l'Église primitive. Les autres apôtres avaient trouvé le repos, la plupart y étant entrés par les portes du martyre, et bien qu'il eût le privilège de demeurer dans la chair jusqu'à l'avènement du Seigneur en gloire [47], il ne devait pas continuer son service comme ministre officiel, connu de l'Église et accepté par elle. Alors même que beaucoup des apôtres vivaient et œuvraient, la semence de l'apostasie avait pris racine dans l'Église et avait grandi, produisant une surabondance de tant par les prophètes de l'Ancien Testament [48] que par le Seigneur Jésus [49]. Les apôtres prédirent clairement, eux aussi, la croissance de l'apostasie qui, dans les progrès qu'elle faisait à leur époque, ne leur était que trop tristement manifeste [50]. Il semble que les manifestations personnelles du Seigneur Jésus aux mortels aient cessé avec la disparition des apôtres d'autrefois et ne se soient plus manifestées qu'à l'aube de notre époque.
 
 [1] Ac 1:15-26.
 [2] Lc 24:52, 53, Ac 1:12-14.
 [3] 1 Co 15:20 ; Ap 1:5 ; Co 1:18.
 [4] Mt 27:52, 53.
 [5] Ac 1:16 ; cf. Ps 41:9 ; voir aussi Jn 13:18.
 [6] Ac 1:20 ; cf. Ps 109:8.
 [7] Ac 6:1-6. Note 1, fin du chapitre.
 [8] Ac 2:1-41. Note 7, fin du chapitre.
 [9] Note 2, fin du chapitre.
 [10] Lc 24:49, Ac 1:4, 5, 8.
 [11] JI 2:28, 29 ; cf. Za 12:10.
 [12] Note 3, fin du chapitre.
 [13] Ac 2:44-46, 4:32-37, 6:1-4.
 [14] Ac 3:6 ; lire tout le chapitre.
 [15] Ac 4:1-22.
 [16] Ac 4:8-12 ; cf. Ps 118:22, Es 28:16, Mt 21:42.
 [17] Actes 5:12-17.
 [18] Mt 27:25 ; cf. 23:35 ; chap. 34 du présent ouvrage et notes.
 [19] Ac 22:3.
 [20] Ac 5:33-40.
 [21] Ac 6:7.
 [22] Ac 6:8-15 et 7.
 [23] Ac 7:1-53.
 [24] Es 66:1,2 ; voir aussi Mt 5:34, 35, 23:32.
 [25] Ac 7:56. Notez cette application exceptionnelle du titre, Fils de l'homme, au Christ par quelqu'un d'autre que lui même. Voir chap. 11 du présent ouvrage.
 [26] Ac 8:4, 11:19.
 [27] Ac 6:9.
 [28] Ac 22:3 ; cf. 5:34 ; chap. 38 du présent ouvrage.
 [29] À cause de la situation sociale de Saul et de ses capacités reconnues, beaucoup croient qu'il était membre du sanhédrin ; cependant les Écritures ne justifient pas formellement cette supposition.
 [30] Ac 7:58, 8:1-3.
 [31] Ac 8:1.
 [32] Ac 9:1, 2.
 [33] Trois versions de cette manifestation et de ses résultats immédiats apparaissent dans les Actes (9:3-29, 22:6-16 et 26:12-18) : la première est le récit de l'historien, tandis que les autres sont données comme rapport des propres paroles de Saul.
 [34] Note 4, fin du chapitre.
 [35] Note 4, fin du chapitre.
 [36] Ac 9:26-28, 13:2, 3.
 [37] Ac 13:9.
 [38] Ac 16:37-40, 22:25-28, 23:27, 25:11, 26:32, 28:19.
 [39] Ac 22:17-21.
 [40] Ac 23:11.
 [41] 1 Co 15:3-9.
 [42] Note 5, fin du chapitre.
 [43] Ac 9:36-43.
 [44] Ap 1:9 ; voir note 6, fin du chapitre.
 [45] Ap 1:1 ; lire tout le chapitre.
 [46] Ap 1:10-20.
 [47] Chap. 37.
 [48] Es 24:1-6, Am 8:11,12.
 [49] Mt 24:4, 5,10-13, 23-26.
 [50] Ac 20:17-31, en particulier 29, 30, 1 Tm 4:1-3, 2 Tm 4:1-4, 2 Th 2:3, 4, 7, 8, 2 P 2:1-3, lire tout le chapitre et observer qu'il s'applique à l'état du monde actuel ; Jude 3, 4, 17-19, Ap 13:4, 6-9, 14:6, 7. Voir La Grande apostasie, chapitre 2.
 
NOTES DU CHAPITRE 38
 
1. L'autorité présidente et le consentement commun : « Un autre exemple d'action officielle pour choisir et mettre à part des hommes à des offices spéciaux dans l'Église apparut peu après l'ordination de Matthias. Il apparaît qu'un trait de l'organisation de l'Église dans les premiers jours des apôtres fut une mise en commun des choses matérielles, la distribution se faisant selon les besoins. À mesure que les membres devenaient plus nombreux, on trouva irréalisable que les apôtres consacrent l'attention et le temps nécessaires à ces sujets temporels ; ils firent donc appel aux membres pour qu'ils choisissent sept hommes honnêtes que les apôtres chargeraient de s'occuper spécialement de ces affaires. Ces hommes furent mis à part par la prière et par l'imposition des mains. L'exemple est instructif en ceci qu'il montre que les apôtres ont compris qu'ils possédaient l'autorité de diriger dans les affaires de l'Église, et qu'ils observaient très fidèlement le principe du consentement commun dans l'administration de leur office élevé. Ils exerçaient leur pouvoir sacerdotal dans un esprit d'amour et en prenant dûment en considération les droits des gens sur lesquels ils présidaient de par leur position » (L'auteur, La Grande apostasie, 1:19).
 
2. La Pentecôte : Ce nom signifie « cinquantième » et était appliqué à la fête juive que l'on célébrait cinquante jours après le second jour des pains sans levain, ou le jour de la Pâque. On l'appelle également la « fête des semaines » (Ex 34:22, Dt 16:10), parce que selon le style hébreu, elle tombait sept semaines, ou une semaine de semaines après la Pâque ; ainsi que « la fête de la moisson » (Ex 23:16) et « le jour des prémices » (Nb 28:26). La Pentecôte était l'une des grandes fêtes d'Israël, et son observance était obligatoire. Des sacrifices spéciaux étaient prévus pour ce jour-là, ainsi qu'une offrande appropriée à la saison de la moisson, se composant de deux pains avec du levain faits avec le blé nouveau ; ceux-ci devaient être agités devant l'autel puis donnés aux prêtres (Lv 23:15-20). Du fait des événements sans précédent qui caractérisèrent la première Pentecôte après l'ascension de notre Seigneur, le nom est devenu courant dans la littérature chrétienne pour exprimer tout grand éveil spirituel ou manifestation extraordinaire de la grâce divine.
 
3. Tout en commun : Aucun récit de la situation des débuts du ministère apostolique n'exprime d'une manière plus frappante l'unité et la dévotion des membres de l'Église à l'époque que le fait que les membres avaient créé un système de possession en commun des biens (Ac 2:44, 46, 4:32-37, 6:1-4). L'un des résultats de cette communauté d'intérêts dans les affaires temporelles fut une unité marquée dans les affaires spirituelles ; ils n'étaient « qu'un cœur et qu'une âme ». Ne manquant de rien, ils vivaient dans la satisfaction et la piété. Plus de trente siècles auparavant le peuple d'Énoch avait bénéficié d'une unité semblable, et ses réalisations dans l'excellence spirituelle avaient été si efficaces que « le Seigneur vint demeurer avec son peuple... Et le Seigneur appela son peuple Sion, parce qu'ils étaient d'un seul cœur et d'un seul esprit, et qu'ils demeuraient dans la justice ; et il n'y avait pas de pauvres parmi eux » (PGP, Moïse 7:16-18). Les disciples néphites grandirent en sainteté, car « toutes choses étaient en commun parmi eux et ils pratiquaient tous la justice les uns envers les autres » (LM, 3 Né 26:19, voir aussi 4 Né 1:2-3). Un système d'unité dans les affaires matérielles a été révélé à l'Église à notre époque (D&A 82:17,18, 51:10-13, 18, 104:70-77), et le peuple pourra parvenir aux bénédictions que ce système offre lorsqu'il apprendra à remplacer les soucis égoïstes par l'altruisme et les avantages individuels par le dévouement au bien-être général (voir Les Articles de Foi, p. 532-536).
 
4. La conversion de Saul : Le changement soudain de cœur qui fit d'un persécuteur ardent des saints un disciple véritable constitue un miracle pour l'esprit moyen. Saul de Tarse était un étudiant et un observateur pieux de la loi, un Pharisien strict. Rien ne nous permet de croire qu'il ait jamais rencontré ou vu Jésus pendant que le Seigneur vivait dans la chair ; et son contact avec le mouvement chrétien semble avoir été provoqué par la discussion avec Étienne. Pour déterminer ce qu'il appelait le bien et le mal, le jeune enthousiaste se laissait trop guider par l'esprit et trop peu par le cœur. Son érudition, qui aurait dû être sa servante, était au contraire sa maîtresse. C'était un esprit directeur dans la persécution cruelle des premiers convertis du christianisme ; et cependant nul ne peut douter qu'il ait cru rendre ainsi service à Jéhovah (comparez avec Jn 16:2). Son énergie extraordinaire et ses capacités superbes étaient mal dirigées. Aussitôt qu'il se rendit compte de son erreur, il fit volte-face, sans réfléchir aux risques, au prix ou à la certitude de la persécution et à la possibilité du martyre. Son repentir fut aussi sincère que l'avait été son zèle à persécuter. Pendant tout son ministère, il fut torturé par le passé (Ac 22:4,19, 20, 1 Co 15:9, 2 Co 12:7, Ga 1:13) ; cependant il trouva un certain soulagement dans sa conscience d'avoir agi de bonne foi (Ac 26:9-11). Il lui était « dur de regimber contre les aiguillons » de la tradition, de la formation et de l'éducation ; cependant il n'hésita pas. Il était un instrument choisi pour l'œuvre du Seigneur (Ac 9:15) ; et il répondit promptement à la volonté du Maître. Toutes les erreurs que Saul de Tarse avait commises dans son zèle juvénile, Paul l'apôtre donna tout ce qu'il avait - son temps, ses talents et sa vie - pour les expier. Il fut par excellence l'apôtre du Seigneur auprès des Gentils ; et cette ouverture des portes à d'autres que les Juifs était le sujet même de la dispute qu'il avait eue avec Étienne. Conformément au dessein divin et fatidique, Paul fut appelé à accomplir l'œuvre qu'il avait contribué à freiner en martyrisant Étienne. Sur les ordres du Seigneur, Paul était prêt à prêcher le Christ aux Gentils ; ce n'est que par miracle que l'esprit de caste juif de Pierre et de l'Église en général put être vaincu (Ac 10 et 11:1-18).
 
5. Croissance rapide de l'Église primitive : Eusèbe, qui écrivit au début du quatrième siècle, à propos de la première décennie qui suivit l'ascension du Seigneur, dit : « Ainsi donc, sous une influence et une coopération célestes, la doctrine du Sauveur, comme les rayons du soleil, irradia rapidement le monde entier. Maintenant, conformément à la prophétie divine, la voix de ces évangélistes et apôtres inspirés s'était fait entendre sur toute la terre et leurs paroles jusqu'aux extrémités du monde. Dans toutes les villes et les villages, comme sur le sol d'une grange remplie, des églises apparaissaient et se multipliaient rapidement et se remplissaient de membres de toutes les nations. Ceux qui, à la suite des erreurs dont ils avaient hérité de leurs ancêtres, avaient été enchaînés par l'antique maladie de la superstition idolâtre, étaient maintenant libérés par la puissance du Christ, par les enseignements et les miracles de ses messagers » (Eusèbe, Hist. Ecclés., Livre 1, ch. 3).
 
6. Patmos : Petite île de la région icarienne de la mer Égée. Le Dr John Sterret écrit à son sujet dans le Standard Bible Dictionary : « Ile volcanique des Sporades, maintenant presque dépourvue d'arbres. Elle se caractérise par une côte déchiquetée et est dotée d'un bon port. Les Romains en firent un lieu d'exil pour les criminels de classe inférieure. Jean, auteur de « l'Apocalypse », y fut banni par Domitien en 94 ap. J.-C. Selon la tradition, il y fut condamné aux travaux forcés pendant dix-huit mois.
 
7. Le Saint Esprit donné : En réponse à une question sur le point de savoir si les apôtres reçurent le Saint-Esprit à la Pentecôte ou avant, la Première Présidence de l'Église publia une déclaration, le 5 février 1916 (voir le Deseret News de cette date), déclaration dont nous tirons les extraits suivants : « La réponse à cette question dépend de ce que l'on veut dire par « recevoir » le Saint-Esprit. Si l'on pense à la promesse faite par Jésus à ses apôtres au sujet de l'investiture ou du don du Saint-Esprit par la présence et le ministère du « personnage d'Esprit » que la révélation appelle le Saint-Esprit (D&A 130:22), alors la réponse est que ce n'est que le jour de la Pentecôte que la promesse s'accomplit. Mais l'essence divine appelée Esprit de Dieu, ou Esprit Saint, ou Saint-Esprit, par laquelle Dieu créa ou organisa toutes choses, et par laquelle les prophètes écrivaient et parlaient, fut conférée dans les temps anciens et inspira les apôtres dans leur ministère longtemps avant le jour de la Pentecôte... Nous lisons que Jésus, après sa résurrection, souffla sur ses disciples et dit : « Recevez l'Esprit Saint. » Nous lisons aussi qu'il dit : « Et [voici] : j'enverrai sur vous ce que mon Père a promis, mais vous, restez dans la ville (Jérusalem), jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la puissance d'en haut » (Jn 20:22 ; Lc 24:49). Nous lisons encore : « Car le Saint-Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié » (Jn 7:39 selon la version du roi Jacques, ndt). Ainsi la promesse fut donnée, mais l'accomplissement vint plus tard, de sorte que le Saint-Esprit que Jésus envoya du Père ne vint en personne que le jour de la Pentecôte, et les langues de feu étaient le signe de sa venue. »
 
 
CHAPITRE 39 : LE MINISTÈRE DU CHRIST RESSUSCITÉ SUR LE CONTINENT AMERICAIN
 
En considérant le ministère apostolique immédiatement après notre récit de l'ascension du Seigneur depuis le mont des Oliviers, nous nous sommes écartés de l'ordre chronologique des manifestations personnelles du Seigneur ressuscité aux mortels ; en effet c'est rapidement après son adieu final aux apôtres en Judée qu'il rendit visite à ses « autres brebis », qui n'étaient pas de la bergerie orientale, dont il avait affirmé l'existence dans le sermon impressionnant concernant le bon berger et ses brebis [1]. Ces autres brebis qui devaient entendre la voix du Berger et être finalement incluses dans le troupeau unifié étaient les descendants de Léhi qui, avec sa famille et quelques autres personnes, avait quitté Jérusalem en 600 av. J.-C. et avait traversé le grand abîme jusqu'à l'endroit que nous appelons maintenant le continent américain, sur lequel ils s'étaient multipliés et étaient devenus un peuple puissant quoique divisé [2].
 
LA MORT DU SEIGNEUR FUT SIGNALÉE PAR DE GRANDES CALAMITÉS SUR LE CONTINENT AMÉRICAIN
 
Comme nous l'avons déjà exposé dans ces pages, la naissance de Jésus à Bethléhem avait été communiquée par révélation divine à la nation néphite sur le continent américain ; ce joyeux événement avait été marqué par l'apparition d'une nouvelle étoile, par une nuit sans ténèbres, de sorte que deux jours et la nuit qui les séparait avaient été comme un seul jour, et par d'autres événements étonnants, qui tous avaient été prédits par les prophètes du monde américain [3]. Samuel le Lamanite qui, par sa fidélité et ses bonnes œuvres, était devenu prophète, puissant en paroles et en actions, dûment choisi et envoyé de Dieu, avait ajouté, lorsqu'il prédit les événements merveilleux qui devaient marquer la naissance du Christ, des prophéties sur l'apparition d'autres signes - de ténèbres, de terreur et de destruction - qui signaleraient la mort du Sauveur sur la croix [4]. Toutes les paroles prophétiques relatives aux phénomènes qui devaient accompagner la naissance du Sauveur s'étaient accomplies. Beaucoup de personnes avaient été ainsi amenées à croire que le Christ était le Rédempteur promis ; cependant, comme c'est de coutume chez ceux dont la croyance repose sur les miracles, une partie du peuple néphite « commença à oublier les signes et les prodiges qu'il avait entendus, et commença à être de moins en moins étonné devant un signe ou un prodige venu du ciel, de sorte qu'il commença à être dur de cœur et aveugle d'esprit, et commença à ne plus croire à tout ce qu'il avait entendu et vu » [5].
 
Trente-trois ans s'étaient écoulés depuis la nuit illuminée et les autres signes de l'avènement du Messie ; alors, le quatrième jour du premier mois, ou, selon notre calendrier, pendant la première semaine d'avril, dans la trente-quatrième année, une grande et terrible tempête s'éleva, accompagnée de coups de tonnerre, d'éclairs, de plissements et de dépressions de la surface de la terre, de sorte que les routes furent détruites, les montagnes furent divisées et un grand nombre de villes furent totalement détruites par des tremblements de terre, des incendies et des raz de marée. Cet holocauste sans précédent se poursuivit pendant trois heures ; ensuite, des ténèbres épaisses tombèrent dans lesquelles il fut impossible d'allumer du feu ; l'horrible obscurité était semblable aux ténèbres d'Égypte [6] en ce qu'on pouvait sentir ses vapeurs froides et humides. Cela dura jusqu'au troisième jour, de sorte qu'une nuit, un jour et une nuit, furent comme une nuit ininterrompue, et les ténèbres impénétrables furent rendues d'autant plus terribles par les lamentations du peuple, dont le refrain déchirant était partout le même : « Oh ! si nous nous étions repentis avant ce jour grand et terrible » [7].
 
Alors, perçant les ténèbres, se fit entendre une voix [8], devant laquelle le chœur effrayant des lamentations humaines fut réduit au silence : « Malheur, malheur, malheur à ce peuple » entendit-on dans tout le pays. La voix proclama des malheurs croissants si le peuple ne se repentait pas. La destruction s'était abattue sur lui à cause de sa méchanceté, et le démon se réjouissait alors du nombre des morts et du châtiment que leur destruction constituait. L'étendue de cette terrible calamité fut détaillée ; les villes qui avaient été brûlées avec leurs habitants, les autres qui s'étaient enfoncées dans la mer ; d'autres encore qui avaient été ensevelies dans la terre, furent énumérées ; et la raison divine de cette destruction générale fut clairement donnée : c'était pour que la méchanceté et les abominations du peuple fussent chassées de la surface de la terre. Ceux qui avaient survécu pour entendre furent déclarés être les plus justes des habitants ; et il leur fut laissé de l'espoir à condition de se repentir et de se réformer plus complètement.
 
Voici comment l'identité de la voix fut révélée : « Voici, je suis Jésus-Christ, le Fils de Dieu. J'ai créé les cieux et la terre, et tout ce qui s'y trouve. J'étais avec le Père dès le commencement. Je suis dans le Père, et le Père est en moi ; et en moi, le Père a glorifié son nom. » Le Seigneur commanda au peuple de ne plus le servir par des sacrifices sanglants et des holocaustes, car la loi de Moïse était accomplie, et dorénavant le seul sacrifice acceptable serait le cœur brisé et l'esprit contrit ; ceux-là ne seraient jamais rejetés. Le Seigneur recevrait dans son sein les humbles et les repentants. « Voici, dit-il, c'est pour ceux qui leur ressemblent que j'ai donné ma vie et l'ai reprise ; c'est pourquoi, repentez-vous, et venez à moi, extrémités de la terre, et soyez sauvées. »
 
La voix se tut, et pendant les nombreuses heures que les ténèbres continuèrent, les vociférations et les lamentations furent réduites au silence, car le peuple sentait sa culpabilité et pleurait silencieusement, étonné de ce qu'il avait entendu et attendant avec espoir le salut qui lui avait été offert. Une deuxième fois la voix se fit entendre, comme attristée de ceux qui avaient refusé d'accepter le secours du Sauveur ; car il les avait souvent protégés, et il l'aurait fait plus souvent encore s'ils avaient été disposés et à l'avenir il les chérirait encore « comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes » s'ils se repentaient et vivaient dans la justice. Le matin du troisième jour les ténèbres se dispersèrent, les remous telluriques cessèrent et les tempêtes se calmèrent. Lorsque le manteau de ténèbres fut ôté du pays, le peuple vit combien profondes avaient été les convulsions de la terre et combien grandes avaient été les pertes qu'il avait subies en parents et en amis. Dans sa contrition et son humiliation, il se souvint des prédictions des prophètes et sut que le commandement du Seigneur avait été exécuté contre lui [9].
 
PREMIÈRE VISITE DE JÉSUS-CHRIST AUX NÉPHITES
 
Six semaines environ ou davantage après les événements que nous venons d'examiner [10], une grande multitude de Néphites s'était assemblée au temple dans le pays appelé Abondance [11] et discutait avec gravité des grands changements qui s'étaient produits dans le pays, et en particulier de Jésus-Christ. Elle avait pu assister aux signes prévus de sa mort expiatoire dans tous leurs détails tragiques. L'Esprit qui régnait dans l'assemblée était celui de la contrition et de la piété. Tandis qu'elle était ainsi réunie, elle entendit un bruit, comme celui d'une voix provenant d'en haut ; mais elle fut incapable de comprendre, tant les premières paroles que les deuxièmes. Tandis qu'elle écoutait avec une vive attention, la voix se fit entendre pour la troisième fois : « Voici mon Fils bien-aimé, en qui je me complais, en qui j'ai glorifié mon nom - écoutez-le » [12]. 
 
Tandis qu'il levait les yeux dans une attente pieuse, le peuple vit un Homme, vêtu d'une robe blanche, qui descendit et se tint au milieu de lui. Il parla, disant : « Voici, je suis Jésus-Christ, de qui les prophètes ont témoigné qu'il viendrait au monde. Et voici, je suis la lumière et la vie du monde ; j'ai bu à cette coupe amère que le Père m'a donnée et j'ai glorifié le Père en prenant sur moi les péchés du monde, en quoi j'ai souffert la volonté du Père en toutes choses depuis le commencement. » La multitude se prosterna en adoration, car elle se souvenait que ses prophètes avaient prédit que le Seigneur apparaîtrait parmi elle après sa résurrection et son ascension [13].
 
Sur son commandement, le peuple se leva, et les gens vinrent un par un à lui, virent et sentirent les empreintes des clous dans ses mains et ses pieds et la blessure de la lance dans son côté. Poussés à exprimer leur adoration, ils s'écrièrent à l'unisson : « Hosanna ! Béni soit le nom du Dieu très haut ! » puis, tombant aux pieds de Jésus, ils l'adorèrent.
 
Commandant à Néphi et à onze autres de s'approcher, le Seigneur leur donna l'autorité de baptiser le peuple après son départ et prescrivit le mode du baptême en leur interdisant particulièrement d'avoir des disputes parmi eux au sujet de l'altération de la forme donnée, comme en témoignent les paroles du Seigneur :
 
« En vérité, je vous dis que quiconque se repent de ses péchés à cause de vos paroles et désire être baptisé en mon nom, vous le baptiserez de cette manière : voici, vous descendrez et vous vous tiendrez dans l'eau, et vous le baptiserez en mon nom. Et maintenant, voici, telles sont les paroles que vous direz, les appelant par leur nom, disant : Ayant reçu l'autorité de Jésus-Christ, je te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Amen. Et alors, vous les immergerez dans l'eau et ressortirez de l'eau. Et c'est de cette manière que vous baptiserez en mon nom; car voici, en vérité, je vous dis que le Père, et le Fils, et le Saint-Esprit sont un ; et je suis dans le Père, et le Père est en moi, et le Père et moi sommes un. Et vous baptiserez comme je vous l'ai commandé, et il n'y aura plus de controverses parmi vous, comme il y en a eu jusqu'à présent; et il n'y aura plus non plus de controverses parmi vous concernant les points de ma doctrine, comme il y en a eu jusqu'à présent. [14] »
 
Le peuple en général, et surtout les Douze, choisis comme nous l'avons dit, furent avertis d'une manière frappante contre les querelles sur les sujets de doctrine ; il fut déclaré que l'esprit de celles-ci était du diable, qui est le père de la querelle. La doctrine de Jésus-Christ fut exposée en un résumé simple et cependant complet en ces termes :
 
« Voici, en vérité, en vérité, je vous le dis, je vais vous annoncer ma doctrine. Et ceci est ma doctrine, et c'est la doctrine que le Père m'a donnée ; et je témoigne du Père, et le Père témoigne de moi, et le Saint-Esprit témoigne du Père et de moi; et je témoigne que le Père commande à tous les hommes de partout de se repentir et de croire en moi. Et quiconque croit en moi et est baptisé, celui-là sera sauvé ; et ce sont ceux-là qui hériteront le royaume de Dieu. Et quiconque ne croit pas en moi et n'est pas baptisé, sera damné » [15]. 
 
Le repentir et une humilité semblable à celle de l'enfant confiant et innocent étaient les conditions du baptême, ordonnance sans laquelle nul ne pouvait hériter du royaume de Dieu. Employant le ton tranchant et simple qui avait caractérisé ses enseignements en Palestine, le Seigneur donna les commandements suivants aux Douze qu'il venait de choisir :
 
« En vérité, en vérité, je vous dis que c'est ma doctrine, et quiconque bâtit là-dessus bâtit sur mon roc, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre lui. Et quiconque annonce plus ou moins que cela et l'établit comme étant ma doctrine, celui-là vient du mal et n'est pas bâti sur mon roc ; mais il construit sur une fondation de sable, et les portes de l'enfer seront ouvertes pour le recevoir lorsque les torrents viendront et que les vents s'abattront sur lui. C'est pourquoi, allez vers ce peuple et annoncez les paroles que j'ai dites, jusqu'aux extrémités de la terre » [16]. 
 
Puis se tournant vers la multitude, Jésus l'exhorta à prêter attention aux enseignements des Douze et poursuivit par un discours contenant les principes sublimes qu'il avait enseignés parmi les Juifs dans le sermon sur la montagne [17]. On trouve, tant dans la version de Matthieu que dans celle de Néphi de ce discours sans pareil, les béatitudes, le Notre Père et le même exposé splendide de préceptes ennoblissants, et on y voit apparaître la même richesse de comparaisons efficaces et d'excellentes illustrations ; mais on découvre une différence significative dans toutes les allusions à l'accomplissement de la loi mosaïque ; car tandis que les Écritures juives nous montrent le Seigneur parlant d'un accomplissement alors incomplet, les expressions correspondantes du récit néphite sont formulées au passé, la loi ayant déjà été accomplie dans son intégralité par la mort et la résurrection du Christ. C'est ainsi que Jésus avait dit aux Juifs : « Jusqu'à ce que le ciel et la terre passent, pas un seul iota, pas un seul trait de lettre de la loi ne passera, jusqu'à ce que tout soit arrivé » ; aux Néphites, il dit : « Car, en vérité, je vous le dis : Pas un seul iota, pas un seul trait de lettre n'est passé de la loi ; mais en moi, elle a été toute accomplie. [18] »
 
Beaucoup s'étonnèrent de cela, se demandant ce que le Seigneur voulait qu'ils fissent à propos de la loi de Moïse ; « car ils n'avaient pas compris ces paroles : Que les anciennes choses étaient finies, et que toutes choses étaient devenues nouvelles ». Jésus, connaissant leur perplexité, proclama clairement que c'était lui qui avait donné la loi, et que c'est par lui qu'elle avait été accomplie et par conséquent abrogée. Son affirmation est particulièrement explicite :
 
« Voici, je vous dis que la loi qui fut donnée à Moïse est accomplie. Voici, je suis celui qui a donné la loi, et je suis celui qui a fait alliance avec mon peuple d'Israël ; c'est pourquoi, la loi est accomplie en moi, car je suis venu pour accomplir la loi ; c'est pourquoi elle est finie. Voici, je ne détruis pas les prophètes, car tous ceux qui n'ont pas été accomplis en moi, en vérité, je vous le dis, seront tous accomplis. Et parce que je vous ai dit que les choses anciennes ont pris fin, je ne détruis pas ce qui a été dit concernant les choses qui sont à venir. Car voici, l'alliance que j'ai faite avec mon peuple n'est pas toute accomplie ; mais la loi qui a été donnée à Moïse est finie en moi » [19]. 
 
S'adressant aux Douze, il affirma que le Père ne lui avait jamais commandé de mettre les Juifs au courant de l'existence des Néphites, si ce n'est indirectement en parlant d'autres brebis qui n'étaient pas de la bergerie juive ; et comme ils avaient été incapables de comprendre ce qu'il disait « à cause de leur obstination et de leur incrédulité », le Père lui avait commandé de ne plus rien dire que ce fût au sujet des Néphites ou du troisième troupeau comprenant les « autres tribus de la maison d'Israël, que le Père a emmenées hors du pays ». Jésus enseigna aux disciples néphites beaucoup d'autres sujets qui avaient été tenus cachés des Juifs, lesquels par leur incapacité à recevoir avaient été laissés dans l'ignorance. Même les apôtres juifs avaient cru à tort que « ces autres brebis » étaient les nations païennes, ne se rendant pas compte que l'apport de l'Évangile aux Gentils faisait partie de leur mission à eux, et oubliant que le Christ ne se manifesterait jamais en personne à ceux qui n'étaient pas de la maison d'Israël. C'est par les inspirations du Saint-Esprit et les labeurs d'hommes revêtus d'autorité et envoyés que les Gentils entendraient la parole de Dieu ; mais ils n'avaient pas droit à la manifestation personnelle du Messie [20]. Cependant la miséricorde et les bénédictions du Seigneur seront grandes pour les Gentils qui acceptent la vérité, car le Saint-Esprit leur témoignera du Père et du Fils, et tous ceux d'entre eux qui se conforment aux lois et aux ordonnances de l'Évangile seront comptés dans la maison d'Israël. Leur conversion et leur admission dans le troupeau du Seigneur se feront sur le plan individuel et non par nations, tribus ou peuples [21].
 
La multitude pleine d'adoration, comptant environ deux mille cinq cents âmes, pensa que Jésus était sur le point de partir ; et elle le supplia, en pleurant, de rester. Il la consola en l'assurant qu'il reviendrait le lendemain et l'exhorta à réfléchir aux choses qu'il avait enseignées et à prier le Père en son nom pour recevoir de l'intelligence. Il avait déjà informé les Douze, et maintenant déclarait au peuple qu'il se montrerait et administrerait l'Évangile « aux tribus perdues d'Israël, car elles ne sont pas perdues pour le Père, car il sait où il les a emmenées ». Exprimant la compassion qu'il ressentait, le Seigneur ordonna au peuple d'aller chercher ses affligés, les paralytiques, les estropiés, les mutilés, les aveugles et les sourds et les lépreux ; lorsque ceux-ci lui furent amenés, il guérit chacun d'eux. Puis, sur son ordre, les parents amenèrent leurs petits enfants et les mirent en cercle autour de lui. La multitude se prosterna en prière et Jésus pria pour elle ; et, écrit Néphi, « aucune langue ne peut exprimer, ni aucun homme ne peut écrire, ni le cœur des hommes concevoir des choses aussi grandes et aussi merveilleuses que celles que nous vîmes et entendîmes Jésus dire ; et nul ne peut concevoir la joie qui nous remplit l'âme lorsque nous l'entendîmes prier le Père pour nous. »
 
La prière terminée, Jésus commanda à la multitude de se lever et s'exclama joyeusement : « Vous êtes bénis à cause de votre foi. Et maintenant, voici, ma joie est pleine. » Jésus pleura. Puis il prit les enfants, un par un, et les bénit, priant le Père pour chacun d'eux.
 
« Et lorsqu'il eut fait cela, il pleura de nouveau ; et il parla à la multitude et lui dit : Voyez vos petits enfants. Et comme ils regardaient, ils jetèrent les regards vers le ciel, et ils virent les cieux ouverts, et ils virent des anges descendre du ciel comme au milieu d'un feu ; et ils descendirent et entourèrent ces petits enfants, et ils étaient environnés de feu ; et les anges les servirent » [22]. 
 
Le Seigneur Jésus fit chercher du pain et du vin et fit asseoir le peuple. Il rompit et bénit le pain et en donna aux Douze ; ceux-ci ayant mangé, distribuèrent le pain à la multitude. Le vin fut béni, et tous en prirent, les Douze en premiers, ensuite le peuple. D'une manière frappante, semblable à celle qui accompagna l'institution du sacrement du repas du Seigneur parmi les apôtres de Jérusalem, Jésus expliqua clairement la sainteté et l'importance de cette ordonnance, disant que l'autorité serait donnée pour l'administrer dans l'avenir et que tous ceux qui avaient été baptisés pour avoir la compagnie du Christ devaient y prendre part et qu'ils devaient toujours l'observer en souvenir de lui, le pain étant l'emblème sacré de son corps, le vin le signe de son sang qui avait été versé. Le Seigneur interdit expressément le sacrement du pain et du vin à tous ceux qui n'étaient pas dignes ; « car, expliqua-t-il, quiconque mange et boit ma chair et mon sang indignement, mange et boit la damnation pour son âme ; c'est pourquoi, si vous savez qu'un homme est indigne de manger et de boire de ma chair et de mon sang, vous le lui interdirez. » Mais le peuple reçut l'interdiction de chasser de ses assemblées ceux à qui la Sainte-Cène devait être refusée, si ceux-ci se repentaient et demandaient à être intégrés par le baptême [23]. Le Seigneur souligna explicitement la nécessité de la prière, le commandement de prier étant donné séparément aux Douze et à la multitude. Voici comment le Seigneur commanda les prières personnelles, le recueillement en famille et le culte en communauté :
 
« C'est pourquoi vous devez toujours prier le Père en mon nom. Et tout ce que vous demanderez de juste au Père, en mon nom, croyant le recevoir, voici, cela vous sera donné. Priez le Père dans vos familles, toujours en mon nom, afin que vos épouses et vos enfants soient bénis. Et voici, vous vous réunirez souvent; et vous n'interdirez à personne de venir à vous lorsque vous vous réunirez, mais vous souffrirez qu'ils viennent à vous et ne le leur interdirez pas ; mais vous prierez pour eux et ne les chasserez pas; et s'ils viennent souvent chez vous, vous prierez le Père pour eux, en mon nom » [24]. 
 
Le Seigneur toucha alors chacun des Douze de la main, les investissant, par des paroles que les autres n'entendirent pas, de l'autorité de conférer le Saint-Esprit par l'imposition des mains sur tous les croyants repentants et baptisés [25]. Lorsqu'il eut fini d'ordonner les Douze, une nuée recouvrit le peuple, de sorte que le Seigneur fut caché à sa vue ; mais les douze disciples « virent et témoignèrent qu'il était remonté au ciel ».
 
LA DEUXIÈME VISITE DU CHRIST AUX NÉPHITES [26]
 
Le lendemain, une multitude plus grande encore se réunit pour attendre le retour du Sauveur. Pendant toute la nuit des messagers avaient répandu la merveilleuse nouvelle de l'apparition du Seigneur et de sa promesse de rendre de nouveau visite à son peuple. Si grande fut l'assemblée que Néphi et ses compagnons demandèrent au peuple de se diviser en douze groupes, afin de charger chacun des disciples de donner des instructions et de diriger dans la prière l'un de ces groupes. La teneur des prières était que le Saint-Esprit leur fût donné. Dirigée par les disciples choisis, l'immense multitude s'approcha du bord de l'eau, et Néphi, descendant le premier, fut baptisé par immersion ; ensuite il baptisa les onze autres que Jésus avait choisis. Lorsque les Douze furent sortis de l'eau, « ils furent remplis du Saint-Esprit et de feu. Et voici, ils furent environnés comme par du feu ; et ce feu descendait du ciel, et la multitude le vit et en témoigna ; et des anges descendirent du ciel et les servirent. Et il arriva que tandis que les anges servaient les disciples, voici, Jésus vint et se tint au milieu d'eux et les servit » [27].
 
Ainsi Jésus apparut au milieu des disciples et des anges qui les instruisaient. Sur son ordre, les Douze et la multitude s'agenouillèrent ; et ils prièrent Jésus, l'appelant leur Seigneur et leur Dieu. Jésus s'éloigna d'eux de quelques pas, et pria dans une attitude humble, disant entre autres : « Père, je te remercie de ce que tu as donné le Saint-Esprit à ceux-ci que j'ai choisis; et c'est à cause de leur croyance en moi que je les ai choisis de parmi le monde. Père, je te prie pour que tu donnes le Saint-Esprit à tous ceux qui croiront en leurs paroles. » Les disciples étaient encore occupés à prier Dieu avec ferveur, lorsqu'il revint auprès d'eux ; et tandis qu'il les regardait avec un sourire miséricordieux et approbateur, ils furent glorifiés en sa présence, de sorte que leur visage et leurs vêtements brillèrent avec un éclat semblable à celui du visage et des vêtements du Seigneur, au point que « il ne pouvait rien y avoir sur la terre d'aussi blanc que leur blancheur ». Une deuxième et une troisième fois Jésus se retira et pria le Père ; et bien que le peuple comprit le sens de sa prière, il confessa et témoigna que « si grandes et merveilleuses étaient les paroles qu'il dit dans sa prière, qu'elles ne peuvent être écrites, et qu'elles ne peuvent pas non plus être exprimées par l'homme ». Le Seigneur se réjouit de la foi du peuple, et il dit aux disciples : « Je n'ai jamais vu une aussi grande foi parmi tous les Juifs ; c'est pourquoi je n'ai pas pu leur montrer d'aussi grands miracles à cause de leur incrédulité. En vérité, je vous le dis, il n'y en a aucun parmi eux qui ait vu des choses aussi grandes que celles que vous avez vues ; et ils n'ont pas non plus entendu de choses aussi grandes que celles que vous avez entendues » [28]. Alors le Seigneur administra la Sainte-Cène de la même manière que la veille ; mais le pain et le vin furent fournis sans aide humaine. La sainteté de l'ordonnance fut exprimée de la manière suivante : « Celui qui mange ce pain, mange de mon corps pour son âme ; et celui qui boit de ce vin, boit de mon sang pour son âme; et son âme n'aura jamais faim ni soif, mais sera rassasiée. »
 
À ceci succédèrent des instructions concernant le peuple de l'alliance, Israël, dont les Néphites faisaient partie, et des rapports qu'ils auraient avec des nations gentiles dans l'évolution future des desseins de Dieu. Jésus se déclara être le Prophète dont Moïse avait prédit la venue et le Christ dont tous les prophètes avaient témoigné. La suprématie temporaire des Gentils, qui accomplirait la dispersion définitive d'Israël, et le rassemblement final du peuple de l'alliance furent prédits, avec des allusions fréquentes aux paroles inspirées d'Ésaïe à ce sujet [29]. Décrivant l'avenir des descendants de Léhi, le Seigneur dit qu'ils tomberaient dans l'incrédulité à cause de leur iniquité ; en conséquence de cela, les Gentils deviendraient un peuple puissant sur le continent américain en dépit du fait que ce pays avait été donné comme héritage final à la maison d'Israël. Voici comment fut prédit l'établissement de la nation américaine alors encore à naître, dont la caractéristique serait d'être un « peuple libre », et comment fut expliqué le dessein de Dieu dans ce domaine : « car le Père juge sage qu'ils soient établis dans ce pays et installés comme peuple libre par le pouvoir du Père, afin que ces choses viennent d'eux à un reste de votre postérité, afin que soit accomplie l'alliance que le Père a conclue avec son peuple, ô maison d'Israël [30] »
 
Comme signe de l'époque à laquelle se produirait le rassemblement des diverses branches d'Israël depuis leur longue dispersion, le Seigneur spécifia la prospérité des Gentils en Amérique et leur intervention dans l'apport des Écritures au reste dégénéré de la postérité de Léhi, les Indiens américains [31]. Il expliqua que tous les Gentils qui se repentiraient et accepteraient l'Évangile du Christ par le baptême seraient comptés parmi le peuple de l'alliance et recevraient les bénédictions qui seraient données dans les derniers jours où la nouvelle Jérusalem serait établie sur le continent américain. Le récit joyeux du rassemblement d'Israël que Jéhovah avait donné précédemment par la bouche de son prophète Ésaïe, Jéhovah ressuscité le répéta à son troupeau néphite [32]. Les exhortant à réfléchir aux paroles des prophètes dont le texte se trouvait parmi eux et d'obéir aux Écritures nouvelles qu'il leur avait révélées, et commandant tout particulièrement aux Douze d'enseigner davantage au peuple les choses qu'il avait exposées, le Seigneur les informa des révélations qui avaient été données par l'intermédiaire de Malachie et ordonna qu'elles fussent écrites [33].
 
Les prophéties ainsi répétées par celui qui avait inspiré Malachie à parler, étaient de toute évidence pour l'avenir à ce moment-là, et aujourd'hui encore, elles ne sont pas encore intégralement accomplies. L'avènement du Seigneur, dont ces Écritures témoignent, est encore à venir ; mais le fait que ce moment est maintenant proche - « Ie jour de l'Éternel, ce jour grand et redoutable » - est attesté par le fait qu'Élie, qui devait venir avant ce moment-là, est apparu pour s'acquitter de sa mission personnelle - qui était de tourner le cœur des enfants vivants vers leurs ancêtres décédés, et le cœur des pères morts vers leur postérité encore mortelle [34].
 
Le ministère personnel du Christ lors de sa deuxième visite dura trois jours, au cours desquels il donna au peuple de nombreuses Écritures semblables à celles qui avaient été données précédemment aux Juifs, car c'est ce que le Père avait commandé ; et il leur exposa les desseins de Dieu, depuis le commencement jusqu'au moment où le Christ reviendra dans sa gloire ; « et même jusqu'au grand et dernier jour, lorsque tous les peuples, toutes les familles, toutes les nations et langues se tiendront devant Dieu pour être jugés selon leurs œuvres, bonnes ou mauvaises. - Si elles sont bonnes, à la résurrection de la vie éternelle ; et si elles sont mauvaises, à la résurrection de la damnation ; étant sur un parallèle, les uns d'un côté, les autres de l'autre, suivant la miséricorde, la justice et la sainteté qui sont en Jésus-Christ qui était avant que le monde ne commençât ». Dans sa miséricorde, il guérit les affligés et ressuscita un homme d'entre les morts. À des époques ultérieures mais non précisées, il se montra parmi les Néphites et « rompit souvent le pain, le bénit et le leur donna » [35].
 
Après sa deuxième ascension de parmi eux, l'esprit de prophétie se manifesta parmi le peuple, et cela s'étendit même aux enfants et aux nourrissons, dont beaucoup parlèrent de choses merveilleuses selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer. Les Douze entreprirent leur ministère avec vigueur, instruisant tous ceux qui voulaient les écouter, et baptisant ceux qui, par leur repentir, demandèrent la communion de l'Église. Le Saint-Esprit fut conféré à tous ceux qui se conformaient ainsi aux exigences de l'Évangile ; et ceux qui étaient ainsi bénis vivaient ensemble dans l'amour et furent appelés dans l'Église du Christ [36].
 
VISITE DU CHRIST AUX DOUZE QU'IL AVAIT CHOISIS D'ENTRE LES NÉPHITES [37]
 
Sous l'administration des douze disciples ordonnés, l'Église grandit et prospéra dans le pays de Néphi [38]. Les disciples, témoins spéciaux du Christ, voyageaient, prêchaient, instruisaient et baptisaient tous ceux qui professaient avoir la foi et se montraient repentants. En une occasion les Douze étaient assemblés « en une prière et un jeûne fervents », demandant des instructions sur un sujet particulier qui, en dépit des injonctions du Seigneur contre les querelles, avait donné lieu à des disputes parmi le peuple. Tandis qu'ils suppliaient le Père au nom du Fils, Jésus apparut au milieu d'eux et demanda : « Que voulez-vous que je vous donne ? » Leur réponse fut : « Seigneur, nous désirons que tu nous indiques le nom par lequel nous désignerons cette Église ; car il y a des disputes à ce sujet parmi le peuple. » Provisoirement, ils avaient appelé la communauté des croyants baptisés Église du Christ ; mais apparemment ce nom vrai et distinctif n'avait pas été généralement accepté sans restriction.
 
« Et le Seigneur leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, pourquoi le peuple murmure-t-il et se querelle-t-il à cause de cela ? N'a-t-il pas lu les Écritures, qui disent que vous devez prendre sur vous le nom du Christ, qui est mon nom ? Car c'est de ce nom que vous serez appelés au dernier jour ; et quiconque prend sur lui mon nom, et persévère jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé au dernier jour. C'est pourquoi, tout ce que vous ferez, vous le ferez en mon nom; c'est pourquoi vous appellerez l'Église de mon nom ; et vous invoquerez le Père en mon nom, pour qu'il bénisse l'Église à cause de moi. Et comment est-elle mon Église, si elle n'est pas appelée de mon nom ? Car si une Église est appelée du nom de Moïse, alors c'est l'Église de Moïse, ou si elle est appelée du nom d'un homme, alors c'est l'Église d'un homme ; mais si elle est appelée de mon nom, alors c'est mon Église, si elle est édifiée sur mon Évangile. En vérité, je vous dis que vous êtes édifiés sur mon Évangile ; c'est pourquoi, tout ce que vous appellerez, vous l'appellerez de mon nom ; c'est pourquoi, si vous invoquez le Père, pour l'Église, si c'est en mon nom, le Père vous entendra ; et si l'Église est édifiée sur mon Évangile, alors le Père montrera ses œuvres en elle. Mais si elle n'est pas édifiée sur mon Évangile et est édifiée sur les œuvres des hommes, ou sur les œuvres du diable, en vérité, je vous dis qu'ils trouvent de la joie dans leurs œuvres pendant un certain temps, et bientôt la fin arrive, et ils sont abattus et jetés au feu, d'où il n'y a pas de retour. Car leurs œuvres les suivent, car c'est à cause de leurs œuvres qu'ils sont abattus ; c'est pourquoi, souvenez-vous des choses que je vous ai dites » [39]. 
 
C'est ainsi que le Seigneur confirma, comme une investiture autorisée, le nom qui, par inspiration, avait été pris par ses enfants obéissants, l'Église de Jésus-Christ. L'explication que le Seigneur donna sur le seul et unique nom qui convenait à l'Église est logique et convaincante. Ce n'était pas l'Église de Léhi ou de Néphi, de Mosiah ou d'Alma, de Samuel ou d'Hélaman, sinon on aurait dû l'appeler du nom de l'homme dont c'était l'Église, tout comme aujourd'hui il y a des Églises qui tirent leur nom d'un homme [40] ; mais c'était l'Église établie par Jésus-Christ, elle ne pouvait, à bon droit, porter d'autre nom que le sien.
 
Jésus répéta alors aux douze néphites un grand nombre des principes cardinaux qu'il leur avait précédemment énoncés, à eux et au peuple en général, et commanda que ces paroles fussent écrites, à l'exception de certaines communications sublimes qu'il leur interdit de noter. Il leur montra combien il était important de conserver comme un trésor sans prix les nouvelles Écritures qu'il avait données, les assurant qu'au ciel des livres étaient tenus de toutes les choses qui étaient faites sur ordre divin. Il fut dit aux Douze qu'ils devaient être les juges de leur peuple ; et à cause de cette investiture, ils furent exhortés à la diligence et à la piété [41]. Le Seigneur se réjouit de la foi et de l'obéissance facile des Néphites parmi lesquels il avait enseigné ; et il dit aux douze témoins spéciaux : « Et maintenant, voici, ma joie est grande jusqu'à la plénitude, à cause de vous et aussi de cette génération ; oui, et même le Père se réjouit, et aussi tous les saints anges, à cause de vous et de cette génération ; car aucun d'eux n'est perdu. Voici, je voudrais que vous compreniez ; car je veux parler de ceux de cette génération qui sont maintenant en vie ; et aucun d'eux n'est perdu ; et en eux j'ai une plénitude de joie. » Sa joie était cependant mêlée de tristesse à cause de l'apostasie dans laquelle les générations ultérieures tomberaient ; il prévoyait une situation terrible qui atteindrait son paroxysme dans la quatrième génération qui suivrait la leur. [42]
 
LES TROIS NÉPHITES
 
Avec une compassion aimante, le Seigneur parla, un à un, aux douze disciples, demandant : « Que désirez vous de moi, après que je serai allé au Père [43] ? » Tous, à l'exception de trois, exprimèrent le désir de poursuivre le ministère jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à un âge avancé, et ensuite être reçus en leur temps par le Seigneur dans son royaume. Jésus leur donna une merveilleuse assurance, disant : « Quand vous aurez atteint l'âge de soixante-douze ans, vous viendrez à moi dans mon royaume ; et, avec moi, vous trouverez du repos. » Il se tourna vers les trois autres qui avaient réservé la requête qu'ils n'osaient pas exprimer :
 
« Et il leur dit: Voici, je connais vos pensées, et vous avez désiré ce que Jean, mon bien-aimé, qui était avec moi dans mon ministère avant que je fusse élevé par les Juifs, a désiré de moi. C'est pourquoi, vous êtes bénis davantage, car vous ne goûterez jamais la mort; mais vous vivrez pour voir toutes les actions du Père envers les enfants des hommes jusqu'à ce que tout soit accompli selon la volonté du Père, lorsque je viendrai dans ma gloire avec les puissances du ciel. Et vous ne subirez jamais les souffrances de la mort ; mais lorsque je viendrai dans ma gloire, vous serez changés en un clin d'œil de la mortalité à l'immortalité ; et alors, vous serez bénis dans le royaume de mon Père. [44] »
 
Les trois apôtres bénis reçurent l'assurance qu'au cours de leur vie prolongée ils seraient immunisés contre la douleur et ne connaîtraient le chagrin que dans la mesure où ils s'affligeraient des péchés du monde. À cause de leur désir d'œuvrer à amener des âmes au Christ tant que le monde existerait, il leur fut promis qu'ils recevraient finalement une plénitude de joie, semblable à celle à laquelle était parvenu le Seigneur lui-même. Jésus toucha chacun des neuf qui devaient vivre et mourir dans le Seigneur, mais les trois qui devaient demeurer jusqu'à sa venue en gloire, il ne les toucha point. « Puis il partit. »
 
Un changement se produisit dans le corps des trois Néphites, de sorte que, tant qu'ils demeureraient dans la chair, ils seraient exempts des effets ordinaires des vicissitudes physiques. Les cieux furent ouverts à leurs yeux ; ils furent enlevés, et virent et entendirent des choses indicibles. « Et il leur fut défendu de les rapporter ; et le pouvoir ne leur fut pas donné non plus d'exprimer les choses qu'ils virent et entendirent. » Ils vécurent et œuvrèrent comme hommes parmi leurs semblables, prêchant, baptisant et conférant le Saint-Esprit à tous ceux qui prêtaient attention à leurs paroles, cependant que les ennemis de la vérité étaient impuissants à leur nuire. Un peu plus de cent-soixante-dix ans après la dernière visite du Seigneur, une persécution maligne fut lancée contre les trois.
 
À cause de leur zèle dans le ministère, on les jeta en prison ; et « Ies prisons ne pouvaient les retenir, car elles se fendaient en deux ». Ils furent incarcérés dans des cachots souterrains ; « mais ils frappaient la terre de la parole de Dieu, de sorte que, par son pouvoir, ils étaient délivrés des entrailles de la terre ; c'est pourquoi, on ne pouvait creuser des puits assez profonds pour les contenir ». Trois fois, ils furent jetés dans une fournaise, mais ne souffrirent aucun mal ; trois fois ils furent jetés dans des antres de bêtes sauvages, mais, « ils jouèrent avec les bêtes, comme un enfant avec un agneau qui tète encore ; et il ne reçurent aucun mal » [45]. Mormon affirme qu'en réponse à ses prières le Seigneur lui avait révélé que le changement opéré sur le corps des trois était de nature à priver Satan de tout pouvoir sur eux, et « qu'ils étaient saints, et que les pouvoirs de la terre n'avaient aucune prise sur eux. Et ils devaient rester dans cet état jusqu'au jour du jugement du Christ ; et en ce jour-là, ils devaient recevoir un plus grand changement et être reçus dans le royaume du Père pour n'en plus sortir, mais pour demeurer avec Dieu éternellement dans les cieux » [46]. Pendant près de trois cents ans, et peut-être plus, les trois Néphites servirent visiblement parmi leurs semblables ; mais lorsque la méchanceté du peuple augmenta, ces ministres spéciaux furent retirés et dorénavant ne se manifestèrent qu'au nombre restreint des justes. Moroni, dernier prophète des Néphites, tandis qu'il était occupé à mettre la dernière main aux annales de son père, Mormon, et y ajoutant ce qu'il connaissait, écrivit à propos de ces trois disciples du Seigneur qu'ils « restèrent dans le pays jusqu'à ce que la méchanceté du peuple fût si grande, que le Seigneur ne leur permit plus de demeurer avec le peuple ; et s'ils sont sur la surface du pays, nul ne le sait. Mais voici, mon père et moi, nous les avons vus, et ils nous ont enseignés » [47]. Leur ministère devait s'étendre aux Juifs et aux Gentils, parmi lesquels ils œuvrent sans qu'on connaisse leur antique naissance ; et ils sont envoyés aux tribus dispersées d'Israël et à toutes les nations, familles, langues et peuples, d'où ils ont amené et continuent à amener beaucoup d'âmes au Christ, « pour que leur désir soit satisfait, et à cause du pouvoir de conviction qu'ils ont reçu de Dieu » [48].
 
CROISSANCE DE L'ÉGLISE SUIVIE PAR L'APOSTASIE DE LA NATION NÉPHITE
 
L'Église de Jésus-Christ se développa rapidement dans le pays de Néphi et apporta à ses adhérents fidèles des bénédictions sans précédent. Même l'animosité héréditaire entre Néphites et Lamanites fut oubliée ; et tous vivaient dans la paix et la prospérité. Si grande était l'unité de l'Église que ses membres avaient tout en commun, et « c'est pourquoi il n'y avait ni riches ni pauvres, ni esclaves ni libres, mais ils étaient tous affranchis et bénéficiaires du don céleste » [49]. Des villes populeuses remplacèrent la désolation des ruines qui s'était abattue au moment de la crucifixion du Seigneur. Le pays fut béni, et le peuple se réjouissait dans la justice. « Et il n'y eut aucune querelle dans le pays, parce que l'amour de Dieu demeurait dans le cœur du peuple. Et il n'y avait pas d'envies, ni de luttes, ni de tumultes, ni de luxure, ni de mensonges, ni de meurtres, ni aucune sorte de lasciveté ; et assurément il ne pouvait exister de peuple plus heureux parmi tous les peuples qui avaient été créés par la main de Dieu » [50]. Neuf des douze témoins spéciaux choisis par le Seigneur décédèrent lorsque vint le moment où ils devaient se reposer, et d'autres furent ordonnés à leur place. Cet état de merveilleuse prospérité et de communauté de biens se poursuivit pendant une période de cent soixante-sept ans ; cependant peu après se produisit un changement déplorable. L'orgueil remplaça l'humilité, l'étalage de vêtements précieux remplaça la simplicité des jours heureux ; la rivalité conduisit à des querelles, et dès lors les hommes « ne mirent plus leurs biens et leur subsistance en commun. Et ils commencèrent à être divisés en classes ; et ils commencèrent à se bâtir des églises à eux-mêmes pour acquérir du gain et commencèrent à nier la véritable Église du Christ » [51]. Les Églises d'hommes se multiplièrent et la persécution, sœur de l'intolérance, se généralisa. Les Lamanites à peau rouge retournèrent à leurs voies dégénérées et se prirent d'une hostilité meurtrière pour leurs frères blancs, et toutes sortes de trafics corrompus devinrent communs dans les deux nations. Pendant de nombreuses décennies, les Néphites se retirèrent devant leurs ennemis agressifs, se dirigeant vers le nord-est à travers ce qui est maintenant les États-Unis. Vers 400 ap. J.-C., la dernière grande bataille fut livrée près de la colline de Cumorah [52], et la nation néphite s'éteignit [53]. Le reste dégénéré de la postérité de Léhi, les Lamanites ou indiens américains, ont continué d'exister jusqu'à nos jours. Moroni, dernier des prophètes néphites, cacha les annales de son peuple dans la colline de Cumorah, d'où elles ont été sorties à notre époque sous la direction divine. Ces annales se trouvent maintenant devant le monde, traduites par le don et la puissance de Dieu et publiées pour l'édification de toutes les nations, sous le titre de LIVRE DE MORMON.
 
 [1] Jn 10:16 ; cf. LM, 3 Né 15:17-21 ; chap. 25 du présent ouvrage.
 [2] Voir chap. 5 et note 3.
 [3] Chap. 5.
 [4] HéI 14:14-27.
 [5] 3 Né 2:1.
 [6] Ex 10:21-21
 [7] 3 Né 8:5-25 ; cf. Hél 14:20-27.
 [8] 3 Né chap. 9.
 [9] 3 Né chap. 10.
 [10] Hél 14:25 ; 3 Né 23:7-13 ; cf. Mt 27:52, 53.
 [11] 3 Né, chap. 11-18 inclus. 3 Né 10:18. Qu'on se souvienne que l'ascension du Christ se produisit quarante jours après sa résurrection.
 [12] Note 1, fin du chapitre.
 [13] 3 Né 11:7 ; cf. Mt 3:17, Mc 1:11, Lc 9:35, PGP, Joseph Smith 2:17.
 [14] 3 Né 11:23-28 ; cf. D&A 20:72-74.
 [15] 3 Né 11:31-34 ; cf. Mc 16:15 ; voir aussi Jn 12:48.
 [16] 3 Né 11:39-41.
 [17] 3 Né, chap. 12, 13, 14 ; cf. Mt chap. 5, 6, 7.
 [18] Mt 5:18 et 3 Né 12:18 ; cf. 46, 47, 15:2-10 et 9:17-20. Voir note 2, fin du chapitre.
 [19] 3 Né 15:4-8. Voir chap. 17 et 23 du présent ouvrage.
 [20] 3 Né 15:11-24.
 [21] 3 Né 16:4-20.
 [22] 3 Né 17:22-24 ; lire tout le chapitre.
 [23] 3 Né 18:1-14, 27-34, comparer avec 1 Co 11:23-30. On trouvera la manière prescrite de bénir la Sainte-Cène dans Moroni, chap. 4 et 5 ; cf. D&A 20:75-79.
 [24] 3 Né 18:19-23.
 [25] 3 Né 18:36, 37 ; Moro 2:1-3.
 [26] 3 Né chap. 19-25 et 26:1-5.
 [27] Note 3, fin du chapitre.
 [28] 3 Né chap. 19:35, 36 ; lire tout le chapitre.
 [29] 3 Né chap. 20 ; voir références à Ésaïe qu'on y trouve.
 [30] 3 Né 21:4.
 [31] 3 Né 21:1-7 ; on trouvera dans le reste du chapitre des prophéties concernant les événements ultérieurs.
 [32] 3 Né chap. 22 ; cf. Es chap. 54.
 [33] 3 Né chap. 24 et 25 ; cf. MI chap. 3 et 4.
 [34] D&A 110:13-16. Le 3 avril 1836, Élie apparut dans le temple de Kirtland et remit à l'Église les clefs de l'autorité pour l'œuvre par procuration pour les morts. Voir chapitre 41 du présent ouvrage.
 [35] 3 Né 26:4, 5, 13-15.
 [36] 3 Né 26:14-21.
 [37] 3 Né, chap. 26,27 et 28:1-12.
 [38] Note 1, fin du chapitre.
 [39] 3 Né 27:4-12.
 [40] P. ex. de Calvin, Luther, Wesley ; voir aussi La Grande apostasie, 10:21, 22.
 [41] Noter que les apôtres juifs furent assurés qu'ils recevraient la même autorité : Mt 19:28 ; Luc 22:30. Voir aussi 1 Né 12:9.
 [42] 3 Né 27:32 et les références y afférentes.
 [43] 3 Né 28: 1 ; lire versets 1-12.
 [44] 3 Né 28:6-8 ; voir chap. 37 du présent ouvrage.
 [45] 3 Né 28:13-23 ; cf. 4 Né 1:14, 29-33.
 [46] 3 Né 28:39, 40.
 [47] Morm 8:10, 11 ; voir aussi 3 Né 28:26-32,36-40 ; 4 Né 1:14, 37 ; Eth 12:17.
 [48] 3 Né 28:27-32.
 [49] 4 Né 1:3 ; lire 1:23 ; voir chap. 38 du présent ouvrage et notes.
 [50] 4 Né 1:15, 16.
 [51] 4 Né 1:25, 26.
 [52] Près de Manchester, dans le comté d'Ontario (New York).
 [53] Voir Morm, chapitres 1-9 et Moro chapitre 10.
 
NOTES DU CHAPITRE 39
 
1. Le pays d'Abondance : Celui-ci comprenait la partie nord de l'Amérique du Sud, s'étendant jusqu'à l'isthme de Panama. Au nord il était limité par le pays de la Désolation, qui embrassait l'Amérique centrale et, dans l'histoire néphite ultérieure, une étendue au nord de l'isthme. L'Amérique du Sud en général est appelée, dans le Livre de Mormon, le pays de Néphi.
 
2. Les versions juive et néphite du « sermon sur la montagne » : Comme nous l'avons indiqué dans le texte, l'un des contrastes les plus frappants entre le sermon sur la montagne et la répétition virtuelle du discours par notre Seigneur lors de sa visite aux Néphites, est celle de la prédiction concernant l'accomplissement de la loi de Moïse dans le premier discours, et l'affirmation sans réserve dans le second que la loi avait été accomplie. Certaines différences apparaissent dans les béatitudes, le sermon néphite étant plus explicite dans chacune d'elles. C'est ainsi qu'au lieu de « Heureux les pauvres en esprit » (Mt 5:3), nous lisons : « Bénis sont les pauvres en esprit qui viennent à moi » (3 Né 12:3). Au lieu de : « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés » (Mt), nous lisons : « Et bénis sont tous ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront remplis du Saint-Esprit » (Né). Au lieu de : « à cause de la justice » (Mt), nous avons « à cause de mon nom » (Né). Au lieu du passage difficile : « C'est vous qui êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade avec quoi le salera-t-on ? » (Mt), nous avons l'expression plus claire : « Je vous donne d'être le sel de la terre ; mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la terre sera-t-elle salée ? (Né). Et comme nous l'avons déjà remarqué, au lieu de « pas un seul iota, pas un seul trait de lettre de la loi ne passera, jusqu'à ce que tout soit arrivé » (Mt), nous avons « pas un seul iota, pas un seul trait de lettre n'est passé de la loi ; mais en moi, elle a été toute accomplie » (Né). Les variantes dans les versets qui suivent sont dues à la différence entre l'accomplissement futur dans Matthieu et l'affirmation de cet accomplissement dans Néphi. Au lieu de la forte analogie qui dit qu'il faut arracher l'œil qui occasionne le scandale ou couper une main mauvaise (Mt), nous trouvons : « Voici, je vous donne le commandement de ne permettre à aucune de ces choses d'entrer dans votre cœur ; car il vaut mieux que vous refusiez ces choses et preniez en cela votre croix, que d'être jetés en enfer » (Né). Après les exemples illustrant les exigences de l'Évangile qui remplacent celles de la loi, le document néphite présente ce résumé splendide : « C'est pourquoi, ces choses de l'ancien temps, qui étaient sous la loi, sont toutes accomplies en moi. Les choses anciennes sont finies, et toutes choses sont devenues nouvelles. C'est pourquoi, je voudrais que vous soyez parfaits, même comme moi, ou comme votre Père céleste est parfait. »
 
Dans le récit que donne Matthieu du sermon, il fait peu de distinction entre les préceptes adressés à la multitude en général et les instructions données aux Douze en particulier. C'est ainsi qu'on suppose que Mt 6:25-34 fut dit aux apôtres ; car c'était eux et non le peuple qui devaient abandonner toutes les activités profanes ; dans le sermon fait aux Néphites, la distinction est expliquée de cette manière : « Quand Jésus eut prononcé ces paroles, il posa les yeux sur les douze qu'il avait choisis, et leur dit : Rappelez-vous ce que je vous ai dit. Car voici, vous êtes ceux que j'ai choisis pour enseigner ce peuple. C'est pourquoi, je vous dis : N'ayez point souci de votre vie, de ce que vous aurez à manger et de ce que vous aurez à boire, ni de votre corps, ni de ce dont vous le revêtirez. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement ? » etc. (voir 3 Né 13:25-34). Mt 7 commence par « Ne jugez pas, afin de ne pas être jugés », sans dire s'il s'applique d'une manière générale ou particulière ; 3 Né 14 commence par : « Quand il eut dit ces mots, Jésus se tourna de nouveau vers la multitude et ouvrit de nouveau la bouche et lui dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, ne jugez pas, afin que vous ne soyez pas jugés. »
 
Nous recommandons vivement à tous les lecteurs de comparer soigneusement verset par verset le sermon sur la montagne tel qu'il est rapporté par Matthieu et le discours du Seigneur ressuscité à son peuple sur le continent américain.
 
3. Les baptêmes chez les Néphites après la visite du Seigneur : Nous lisons qu'avant la deuxième apparition du Christ aux Néphites, les Douze choisis furent baptisés (3 Né 9:10-13). Ces hommes avaient indubitablement été baptisés précédemment, car Néphi avait été habilité non seulement à baptiser mais à ordonner d'autres à l'autorité requise pour administrer le baptême (3 Né 7:23-26). Le baptême des disciples, le matin de la deuxième visite du Seigneur, constituait un rebaptême, impliquant un renouvellement des alliances et une confession de foi au Seigneur Jésus.
 
Il est possible que dans les baptêmes néphites antérieurs une certaine irrégularité dans son mode ou une inexactitude dans l'esprit de l'administration de cette ordonnance se soit produite ; car, comme nous l'avons vu, le Seigneur commanda au peuple, à propos des instructions qu'il donna concernant le baptême, que les discussions devaient cesser (voir 3 Né 11:28-33).
 
Pour ce qui est du deuxième baptême ou des baptêmes ultérieurs, l'auteur a écrit ailleurs (voir Les Articles de Foi, pp.177-180) en substance ce qui suit. Les rebaptêmes rapportés par les Écritures sont rares, et, dans chaque cas, les circonstances particulières justifiant une telle action apparaissent clairement. C'est ainsi que nous lisons que Paul baptisa certains disciples à Éphèse, bien qu'ils eussent déjà été baptisés, selon le baptême de Jean. Mais dans ce cas, l'apôtre n'était évidemment pas convaincu que le baptême avait été administré par l'autorité constituée, ou que les croyants avaient été correctement instruits quant à l'importance de cette ordonnance. Lorsqu'il éprouva l'efficacité de leur baptême en leur demandant : « Avez-vous reçu l'Esprit Saint quand vous avez cru ? », ils lui répondirent : « Nous n'avons même pas entendu dire qu'il y ait un Esprit Saint. » Apparemment surpris, il leur demanda : « Quel baptême avez-vous donc reçu ? Ils répondirent : Le baptême de Jean. Alors Paul dit : Jean a baptisé du baptême de repentance ; il disait au peuple de croire en celui qui venait après lui, c'est-à-dire en Jésus. Sur ces paroles, ils furent baptisés au nom du Seigneur Jésus » (voir Ac 19:1-6).
 
Dans l'Église d'aujourd'hui la répétition de l'ordonnance du baptême en faveur du même individu est permise dans certaines conditions bien déterminées. C'est ainsi que si quelqu'un, étant entré dans l'Église par le baptême, s'en retire ensuite ou bien en est excommunié, et puis se repent et désire retrouver sa qualité de membre dans l'Église, il ne peut le faire que par le baptême. Cependant, ce second baptême ne sera que la répétition de l'ordonnance initiatrice administrée la première fois. Il n'y a pas d'ordonnance dans l'Église qui soit distincte dans sa nature, sa forme ou son but, de l'autre baptême. C'est pourquoi, lorsque le baptême est administré à une personne qui a déjà été baptisée une première fois, la forme de l'ordonnance est exactement la même que lors du premier baptême.
 
 
CHAPITRE 40 : LA LONGUE NUIT DE L'APOSTASIE
 
Pendant plus de dix-sept cents ans dans l'ancien monde et pendant plus de quatorze siècles sur le continent américain, il semble y avoir eu un silence entre les cieux et la terre [1]. Nous n'avons aucun rapport authentique d'une révélation directe de Dieu à l'homme pendant ce long intervalle. Comme nous l'avons déjà montré, la durée du ministère apostolique dans l'ancien monde prit probablement fin avant l'aube du deuxième siècle de l'ère chrétienne. La disparition des apôtres fut suivie, comme cela avait été prévu et prédit, du développement rapide d'une apostasie universelle [2].
 
Des causes externes et internes concoururent à l'installation de cette grande apostasie. Parmi les forces de désintégration qui agirent de l'extérieur, la plus efficace fut la persécution persistante à laquelle les saints furent soumis, persécution provoquée aussi bien par l'opposition juive que par l'opposition païenne. Un très grand nombre de personnes qui avaient professé être membres et beaucoup de celles qui avaient été officiers dans le ministère désertèrent l'Église, tandis qu'un petit nombre était porté à un zèle plus grand par le fléau de la persécution. L'effet général de l'opposition venant de l'extérieur - des causes externes du déclin de la foi et des œuvres prises dans l'ensemble - fut le reniement d'individus, provenant de l'apostasie très répandue au sein de l'Église. Mais infiniment plus grave fut la conséquence de la discorde interne, du schisme et de la perturbation, lesquels ont déterminé l'apostasie totale de l'Église de la voie et de la parole de Dieu.
 
Le judaïsme fut le premier oppresseur du christianisme et devint l'instigateur et le provocateur des atrocités successives qui accompagnèrent les persécutions païennes. L'hostilité ouverte et active des pouvoirs romains contre l'Église chrétienne se généralisa sous le règne de Néron (vers 64 ap. J.-C.) et se poursuivit avec des répits occasionnels de quelques mois ou même de plusieurs années à la fois jusqu'à la fin du règne de Dioclétien (vers 30 ap. J.-C.). La cruauté inhumaine et la barbarie qui s'exercèrent contre ceux qui osaient professer le nom du Christ au cours de ces siècles de domination païenne sont des faits reconnus par l'histoire [3]. Lorsque Constantin le Grand monta sur le trône, dans le premier quart du quatrième siècle, un changement radical s'instaura dans l'attitude de l'État vis-à-vis de l'Église. L'empereur fit sur-le-champ de ce que l'on appelait le christianisme de l'époque la religion de son royaume, et la recommandation la plus sûre pour obtenir la faveur impériale était de faire preuve d'un dévouement plein de zèle pour l'Église. Mais celle-ci était déjà dans une grande mesure une institution apostate et, même dans les grands traits de l'organisation et du service, ne présentait qu'une ressemblance lointaine avec l'Église de Jésus-Christ, fondée par le Sauveur et édifiée par l'entremise des apôtres. Les quelques vestiges du christianisme authentique qui avaient pu survivre jusque là dans l'Église furent ensevelis hors de la vue de l'homme par les excès qui s'ensuivirent, lorsque l'organisation ecclésiastique entra dans les faveurs du domaine séculier, du fait du décret de Constantin. L'empereur, bien que non baptisé, se déclara chef de l'Église, et on rechercha davantage les offices ecclésiastiques que les rangs militaires ou les postes dans l'État. L'esprit d'apostasie dont l'Église s'était imprégnée avant que Constantin ne l'entourât du manteau de la protection impériale et la blasonnât des insignes de l'État, fut excité à une activité croissante tandis que le levain de Satan prospérait dans des conditions extrêmement favorables à cette croissance phénoménale.
 
L'évêque de Rome avait déjà affirmé sa suprématie sur ses collègues dans l'épiscopat ; mais quand l'empereur fit de Byzance sa capitale, et la renomma en son propre honneur Constantinople, l'évêque de cette ville se proclama égal au pontife romain. Cette prétention fut contestée ; la dissension qui s'ensuivit divisa l'Église, et le schisme s'est prolongé jusqu'à notre époque, comme le prouve la distinction qui existe entre les Églises catholique romaine et grecque orthodoxe.
 
Le pontife romain exerça l'autorité séculière aussi bien que spirituelle et s'arrogea au onzième siècle le titre de pape, signifiant père, en ce sens qu'il était le gouverneur paternel en toutes choses. Pendant les douzième et treizième siècles, l'autorité temporelle du pape fut supérieure à celle des rois et des empereurs, et l'Église romaine devint le potentat despotique des nations et une autocrate placée au-dessus de tous les États séculiers. Cependant cette Église, exhalant l'odeur infecte de l'ambition profane et du goût de la domination, prétendait audacieusement être l'Église rétablie par Celui qui affirmait : « Mon royaume n'est pas de ce monde. » Les prétentions arrogantes de l'Église de Rome n'étaient pas moins extravagantes dans l'administration spirituelle que dans l'administration séculière. Dans le contrôle qu'elle proclamait à haute voix avoir sur les destinées spirituelles des âmes des hommes, elle prétendait blasphématoirement pardonner ou retenir les péchés des individus et infliger ou remettre les châtiments tant sur la terre qu'au delà du tombeau. Elle vendit la permission de commettre le péché et troqua pour de l'or des chartes permettant de pardonner avec indulgence des péchés déjà commis. Son pape, se proclamant le vicaire de Dieu, trônait en grand apparat pour juger comme Dieu lui-même et accomplit, par ce blasphème, la prophétie que Paul prononça après avoir donné son avertissement relatif aux conditions terribles qui précéderaient la seconde venue du Christ : « Que personne ne vous séduise d'aucune manière ; car il faut qu'auparavant l'apostasie soit arrivée, et que se révèle l'homme impie, le fils de perdition, l'adversaire qui s'élève au-dessus de tout ce qu'on appelle Dieu ou qu'on adore, et qui va jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu et se faire passer lui-même pour Dieu » [4]. 
 
Dans son abandon effréné à la licence que lui permettait l'autorité qu'elle s'était arrogée, l'Église de Rome n'hésita pas à transgresser la loi de Dieu, à changer les ordonnances essentielles au salut et à rompre impudemment l'alliance éternelle, souillant ainsi la terre, tout comme Ésaïe l'avait prédit [5]. Elle changea l'ordonnance du baptême, détruisant son symbolisme et y associant des imitations, des rites païens ; elle corrompit le sacrement du repas du Seigneur en en souillant la doctrine par les divagations de la transsubstantiation [6] ; elle prit sur elle d'utiliser les mérites des justes pour pardonner le pécheur en vertu du dogme non scripturaire et absolument répugnant de la surérogation ; elle favorisa l'idolâtrie sous des formes extrêmement séduisantes et pernicieuses ; elle interdit au public, sous peine de châtiment, d'étudier les saintes Écritures ; elle imposa à son clergé un célibat contre nature ; elle se délecta dans une union impie avec les théories et les sophismes des hommes et déforma les enseignements simples de l'Évangile du Christ au point de produire un Credo bourré de superstitions et d'hérésies ; elle promulgua une doctrine à ce point pervertie à propos du corps humain qu'elle faisait passer le tabernacle de chair formé par Dieu pour une chose qui n'était bonne qu'à être torturée et méprisée ; elle proclama que c'était un acte vertueux qui assurerait de riches récompenses que de mentir et de tromper si cela servait ses propres intérêts, et elle s'éloigna si complètement du plan original de l'organisation de l'Église qu'elle se donna en spectacle dans un déploiement d'ornements fabriqués par le caprice de l'homme [7].
 
Les causes internes les plus importantes qui provoquèrent l'apostasie de l'Église primitive peuvent être résumées comme suit : (1) La corruption des principes simples de l'Évangile du Christ par l'adjonction des prétendus systèmes philosophiques de l'époque. (2) Des ajouts non autorisés aux cérémonies de l'Église et l'introduction de changements essentiels dans des ordonnances. (3) Des changements dans l'organisation et le gouvernement de l'Église [8].
 
Sous la répression tyrannique qui découla de la domination usurpée et injuste de l'Église romaine, la civilisation fut retardée pendant des siècles et fut pratiquement arrêtée dans son cours. Cette période de recul a pris dans l'histoire le nom d'âge des ténèbres. Le quinzième siècle assista au mouvement appelé la Renaissance ou renouveau des sciences ; il y eut un réveil général et caractéristiquement rapide parmi les hommes, et un effort net pour s'arracher à l'engourdissement de l'indolence et de l'ignorance se manifesta dans tout le monde civilisé. Les historiens et les philosophes ont considéré le renouveau comme une pression inconsciente et spontanée de « l'esprit des temps » ; ce fut une évolution déterminée à l'avance dans l'esprit de Dieu pour illuminer les esprits enténébrés des hommes en vue de préparer le rétablissement de l'Évangile de Jésus-Christ dont l'accomplissement était prévu pour quelques siècles plus tard [9].
 
Avec le renouveau de l'activité intellectuelle et de l'effort en vue de l'amélioration matérielle, il y eut, accompagnement naturel et inévitable, une protestation et une révolte contre la tyrannie ecclésiastique de l'époque. Les Albigeois, en France, étaient entrés en insurrection contre le despotisme religieux au treizième siècle, et au quatorzième, John Wyclif, de l'université d'Oxford, avait hardiment dénoncé la corruption de l'Église et du clergé romain, et en particulier les restrictions que la hiérarchie papale imposait à l'étude des Écritures par le peuple. Wyclif donna au monde une version de la sainte Bible en anglais. Ces manifestations d'indépendance de croyance et d'action, l'Église papale essaya de les réprimer et de les châtier par la force. Les Albigeois subirent des cruautés inhumaines et un massacre impitoyable. Wyclif fut la cible d'une persécution violente et constante ; il mourut dans son lit, mais la vindicte de l'Église romaine ne s'apaisa que lorsqu'elle eut fait exhumer son corps, l'eut fait brûler et fait disperser ses cendres. Jean Huss et Jérôme de Prague se distinguèrent sur le continent européen dans l'agitation contre le despotisme papal, et tous deux moururent martyrs pour la cause. Bien que l'Église fût devenue complètement apostate, il ne manqua pas d'hommes braves de cœur et à l'âme juste, prêts à donner leur vie pour l'émancipation spirituelle.
 
Une révolte notable contre la papauté, la Réforme, se produisit au seizième siècle. Ce mouvement entrepris en 1517 par Martin Luther, moine allemand, se répandit si rapidement qu'il gagna bientôt le domaine tout entier de la papauté. Les représentants de certaines principautés allemandes et d'autres délégués formulèrent des protestations officielles contre le despotisme de l'Église papale à une diète ou conseil général qui se tint à Spire en 1529, et dorénavant les réformateurs furent appelés protestants. Jean, électeur de Saxe, proposa une Église indépendante, et, sur ses instances, Luther et son collègue Mélanchthon en élaborèrent la constitution. Les protestants ne s'accordaient pas. Dépourvus d'autorité divine pour les guider en matière d'organisation et de doctrine religieuse, ils suivirent les voies diverses des hommes et furent déchirés à l'intérieur tandis qu'ils étaient assaillis de l'extérieur. L'Église romaine, se trouvant face à des adversaires décidés, ne recula devant aucune cruauté. Le tribunal de l'Inquisition, qui avait été établi vers la fin du quinzième siècle sous le nom sacrilège infâme de « Saint Office », s'enivra de la volupté d'une cruauté barbare au siècle de la Réforme et infligea des tortures indescriptibles à des personnes secrètement accusées d'hérésie.
 
Dans les premiers stades de la Réforme provoquée par Luther, le roi d'Angleterre, Henri VIII, se déclara partisan du pape, et celui ci le récompensa en lui conférant, en guise de distinction, le titre de « Défenseur de la Foi ». Quelques années plus tard, ce même souverain britannique était excommunié de l'Église romaine pour avoir impatiemment dédaigné l'autorité du pape lorsque Henri voulut divorcer de la reine Catherine pour pouvoir épouser l'une de ses dames de compagnie. Le parlement britannique passa, en 1534, l'Act of Supremacy, en vertu duquel la nation était déclarée affranchie de toute allégeance à l'autorité papale. Par une loi, le roi fut nommé chef de l'Église sur son propre territoire. C'est ainsi que naquit l'Église d'Angleterre, résultat direct des amours licencieuses d'un roi débauché et infâme. Avec une indifférence blasphématoire pour l'absence d'autorité divine, sans aucune apparence de succession sacerdotale, un souverain adultère créa une Église, y établit une « prêtrise » à lui et se proclama administrateur suprême de toutes les affaires spirituelles.
 
Celui qui étudie l'histoire connaît bien le conflit qui fit rage entre le catholicisme et le protestantisme en Grande-Bretagne. Qu'il nous suffise de dire ici que la haine mutuelle entre les deux partis en conflit, le zèle de leurs adhérents respectifs, leur amour prétendu de Dieu et leur dévouement au service du Christ, se signalaient surtout par l'épée, la hache et le bûcher. Enivrés de la conscience d'être au moins partiellement émancipés de la tyrannie ecclésiastique, les hommes et les nations prostituèrent leur liberté de pensée, de parole et d'action nouvellement acquise en des excès atroces. L'Age de Raison, comme on l'a appelé à tort, et les abominations athées, dont le point culminant fut la Révolution française, sont le témoignage ineffaçable de ce que l'homme peut devenir lorsqu'il se glorifie de renier Dieu.
 
Est-il étonnant qu'à partir du seizième siècle les Églises inventées par l'homme se soient multipliées avec une rapidité phénoménale ? Les Églises et les organisations religieuses professant le christianisme pour credo peuvent se compter par centaines. De toutes parts on entend aujourd'hui : « Voici, le Christ est ici » ou « Voici, il est là ». Il y a des Églises qui tirent leur nom des circonstances de leur origine - comme l'Église d'Angleterre ; d'autres portent le nom de leurs fondateurs ou créateurs célèbres : luthérienne, calviniste, wesleyenne ; certaines sont connues par des points particuliers de doctrine ou de leur système d'administration : méthodiste, presbytérienne, baptiste, congrégationaliste ; mais jusqu'à la troisième décennie du dix-neuvième siècle, il n'y avait pas sur terre d'Église affirmant porter le nom ou le titre d'Église de Jésus-Christ. La seule organisation appelée Église qui existait à l'époque et qui s'aventurait à prétendre à l'autorité par succession était l'Église catholique, qui était apostate depuis des siècles et entièrement privée d'autorité ou d'acceptation divine. Si « I'Église-mère » était sans prêtrise valide et dépourvue de puissance spirituelle, comment ses rejetons pouvaient-ils retirer d'elle le droit d'officier dans les choses de Dieu ? Qui oserait affirmer que l'homme peut créer une prêtrise que Dieu soit obligé d'honorer et de reconnaître ? En admettant que les hommes puissent créer et créent entre eux des sociétés, des associations, des confessions religieuses et même des « Églises », s'ils décident de donner ce nom à leurs organisations, en admettant qu'ils puissent prescrire des règles, formuler des lois et concevoir des plans d'action, de discipline et de gouvernement et que toutes ces lois, règlements et plans d'administration soient imposables à ceux qui s'en prétendent membres - en admettant tous ces droits et ces prérogatives - d'où ces institutions humaines peuvent-elles tirer l'autorité de la sainte prêtrise sans laquelle il ne peut y avoir d'autorité d'Église du Christ [10] ?
 
La situation apostate du christianisme a été franchement reconnue par beaucoup de représentants éminents et consciencieux des diverses Églises ainsi que par des institutions religieuses. Même l'Église d'Angleterre reconnaît ce fait terrible dans la déclaration officielle de sa dégénérescence, comme cela est exposé dans la « Homily Against Peril of IdoIatry » (Homélie contre les dangers de l'idolâtrie) en ces termes :
 
« De sorte que les laïcs et le clergé, les savants et les ignorants, les gens de tout âge, de toutes confessions, et tous les genres d'hommes, de femmes et d'enfants de tout le christianisme - chose horrible et atroce à penser - ont été à la fois noyés dans une idolâtrie abominable ; de tous les autres vices, le plus détesté de Dieu et le plus condamnable pour l'homme ; et ce dans l'espace de huit cents ans et davantage [11] »
 
Il ne faut pas en conclure que pendant toute la nuit de l'apostasie universelle, si longue et ténébreuse qu'elle ait été, Dieu avait oublié le monde. L'humanité n'avait pas été entièrement abandonnée à elle-même. L'Esprit de Dieu opérait dans la mesure où l'incrédulité des hommes le permettait. Jean l'apôtre et les trois disciples néphites [12] œuvraient parmi les hommes sans qu'on le sût. Mais pendant les siècles de ténèbres spirituelles, les hommes vécurent et moururent sans le ministère d'un apôtre, prophète, ancien, évêque, prêtre, instructeur ou diacre contemporain. Le peu de piété qui existait dans les Églises établies par l'homme était dépourvu d'autorité divine. L'époque prévue par l'apôtre inspiré était pleinement arrivée - l'humanité en général refusait de supporter la saine doctrine, mais ayant la démangeaison d'entendre des choses agréables, elle se donnait une foule de docteurs, selon ses propres désirs, et avait en fait détourné l'oreille de la vérité pour se tourner vers les fables [13]. Le premier quart du dix-neuvième siècle assista à l'accumulation des conditions à remplir qui avaient été prédites par l'intermédiaire du prophète Amos : « Voici : les jours viennent, - oracle du Seigneur, l'Éternel - où j'enverrai une famine dans le pays, non pas une disette de pain ni une soif d'eau, mais (la faim et la soif) d'entendre les paroles de l'Éternel. Ils seront alors errants d'une mer à l'autre, du nord à l'est ; ils tituberont à la recherche de la parole de l'Éternel, et ils ne la trouveront pas » [14]. 
 
Pendant toute la durée de l'apostasie, les écluses des cieux avaient été fermées au monde de manière à exclure toute révélation directe de Dieu et en particulier tout ministère personnel, ou théophanie, du Christ. L'humanité avait cessé de connaître Dieu et avait entouré les paroles des prophètes et des apôtres d'autrefois, qui l'avait connu, d'un manteau de mystère et d'imagination, de sorte que l'on ne croyait plus en l'existence du Dieu vrai et vivant ; à sa place les Églises avaient essayé de concevoir un être incompréhensible, dépourvu de « corps, parties ou passions », un néant immatériel [15].
 
Mais il avait été décidé dans le Conseil des Cieux qu'après un grand nombre de siècles d'ignorance et de ténèbres le monde serait de nouveau éclairé par la lumière de la vérité. Par le fonctionnement du génie de l'intelligence, qui est l'esprit de vérité, l'âme du genre humain avait subi une préparation semblable au labourage profond d'un champ pour que l'Évangile pût de nouveau être semé. Le principe du compas du marin fut révélé par l'Esprit ; son incarnation matérielle fut inventée par l'homme, et, avec son aide, les océans inconnus furent explorés. Vers la fin du quinzième siècle, Colomb fut conduit par l'inspiration de Dieu à découvrir le Nouveau Monde, sur lequel demeurait la postérité dégénérée de Léhi, survivante à la peau sombre de la maison d'Israël : les Indiens américains. En temps voulu, les navires Mayflower et Speedwell amenèrent les Pères Pèlerins dans le Nouveau Monde, avant-garde d'une armée de gens fuyant l'exil et cherchant un nouveau foyer où ils pourraient adorer suivant leur conscience. L'arrivée de Colomb et l'émigration ultérieure des Pères Pèlerins avaient été prédites près de six cents ans avant le Christ ; leur mission respective leur avait été aussi réellement confiée que l'envoi de tout prophète avec un message à remettre et une œuvre à accomplir [16].
 
La guerre entre les colonies américaines et la métropole et l'issue victorieuse qu'elle eut pour la nation américaine, émancipée une fois pour toutes du gouvernement monarchique, avaient été annoncées comme une étape supplémentaire de la préparation au rétablissement de l'Évangile. Du temps fut laissé pour qu'un gouvernement stable fut établi, pour que des hommes choisis fussent suscités et inspirés à élaborer et à promulguer la Constitution des États-Unis, qui promet à tout homme l'entière liberté politique et religieuse. Il ne convenait pas que la semence précieuse de l'Évangile rétabli fût lancée sur un sol non labouré, endurci par l'intolérance et capable de ne produire que les ronces du fanatisme et les mauvaises herbes abondantes du servage mental et spirituel. L'Évangile de Jésus-Christ est l'incarnation de la liberté ; il est la vérité qui affranchira tous les hommes et toutes les nations qui accepteront ses préceptes et y obéiront.
 
Lorsque le moment fut venu, le Père éternel et son Fils, Jésus le Christ, apparurent à l'homme sur la terre et ouvrirent une dispensation de l'Évangile, la dispensation de la plénitude des temps (expression tirée de Éphésiens 1:10 dans la version du roi Jacques, ndlr).
 
 [1] Note 1, fin du chapitre.
 [2] Il nous est impossible de tenter de donner un récit étendu de l'apostasie de l'Église primitive ; le lecteur voudra bien se reporter à des ouvrages spéciaux traitant de cet important sujet. Voir « La Grande apostasie considérée à la lumière de l'histoire scripturaire et profane », de l'auteur, ouvrage de 176 pages.
 [3] Voir La Grande apostasie, chap. 4 et 5.
 [4] 2 Th 2:3, 4.
 [5] Es 24:5.
 [6] La doctrine erronée de la « transsubstantiation » affirme que le pain et le vin administrés comme emblèmes de la chair et du sang du Christ dans le sacrement du repas du Seigneur sont transformés par la consécration sacerdotale en véritables chair et sang de Jésus-Christ. Voir La Grande apostasie, p. 122. Pour ce qui est de la « surérogation », voir chap. 32 du présent ouvrage, notes.
 [7] La Grande apostasie, chap. 6, 7, 8.
 [8] La Grande apostasie, p. 92, 93 ; le sujet est traité dans son ensemble aux chapitres 6 à 9 inclus.
 [9] Note 2, fin du chapitre.
 [10] Ce paragraphe est partiellement une paraphrase de La Grande apostasie, 10:21, 22.
 [11] Note 3, fin du chapitre.
 [12] Chap. 37 et 39.
 [13] Voir 2 Th 4:1-4 et La Grande apostasie, 2:30.
 [14] Amos 8:11, 12.
 [15] Voir le « Book of Common Prayer », de l'Église anglicane, « Articles of Religion », 1. Note 4, fin du chapitre.
 [16] Voir LM, 1 Né 13:10-13. Note 5, fin du chapitre.
 
NOTES DU CHAPITRE 40
 
1. Cessation de la révélation sur le continent américain : « Le monde oriental avait perdu sa connaissance du Seigneur avant le monde occidental. En Amérique du Nord, quatre cents ans après la naissance de notre Sauveur et Maître, il y avait un homme au moins qui savait que le Seigneur Dieu Tout-Puissant était une personnalité distincte, un être capable de se faire connaître à l'homme. Cet homme était Moroni, fils de Mormon, dont le témoignage reste maintenant et doit rester à tous les âges à venir » - (Georges Q. Cannon, Life of Joseph Smith, p. 21. Voir LM, Moro 10:27-34).
 
2. Les résultats de la grande apostasie divinement annulés pour donner finalement du bien : L'étudiant consciencieux ne peut manquer de voir dans la progression de la grande apostasie et dans ses résultats l'existence d'une puissance supérieure, qui, quoique ses voies soient impénétrables, vise un bien ultérieur. Les persécutions navrantes infligées aux saints dans les premiers siècles de notre ère, l'angoisse, la torture, l'effusion de sang subies pour défendre le témoignage du Christ, l'essor d'une Église apostate, obnubilant l'intelligence et menant les âmes des hommes captives, toutes ces scènes terribles étaient connues d'avance par le Seigneur. Bien que nous ne puissions ni dire ni croire que ces signes de dépravation et de blasphème humains fussent en accord avec la volonté divine, il est certain que Dieu voulut accorder le libre arbitre à l'homme, ce qui permit à certains de remporter la couronne du martyre et à d'autres de remplir toute la mesure de leur iniquité. La permission divine n'est pas moins évidente dans les révoltes et dans les réformes qui se développèrent en opposition à l'influence de l'Église apostate qui allait en empirant. Wycliff et Huss, Luther et Mélanchton, Zwingli et Calvin, Henri VIII dans son arrogante prétention à l'autorité sacerdotale, John Knox en Écosse, Roger Williams en Amérique, tous et une foule d'autres construisaient mieux qu'ils ne le pensaient en ceci que leurs efforts posaient en partie les fondations de la liberté religieuse et de la liberté de conscience, en préparation au rétablissement de l'Évangile comme cela avait été divinement prédit (La Grande apostasie, 10:19, 20).
 
3. La déclaration d'une apostasie générale par l'Église anglicane : Le Livre des Homélies, dont est tirée la citation donnée dans le texte, fut publié vers le milieu du seizième siècle. Cette proclamation officielle de l'apostasie universelle fut rendue éminemment publique, car les homélies étaient « destinées à être lues dans les églises », dans certains cas, au lieu du sermon. Dans la déclaration que nous avons citée, l'Église anglicane affirme solennellement qu'un état d'apostasie affectant tous les âges, tous les groupes religieux et tous les niveaux dans l'ensemble du christianisme avait régné pendant huit cents ans avant l'établissement de l'Église qui faisait cette déclaration. Cette affirmation garde toute sa valeur aujourd'hui, tant comme confession que comme profession de l'Église anglicane, car l'homélie « Contre le péril de l'idolâtrie » et certaines autres homélies sont spécialement ratifiées et approuvées, et il est d'ailleurs prescrit qu'elles sont « à lire diligemment et distinctement par les ministres dans les églises afin qu'elles soient comprises du peuple ». Voir « Articles of Religion » XXXV, dans les éditions courantes de l'Église anglicane, Book of common Prayer.
 
4. Le « credo d'Athanase » : Au concile de Nicée, convoqué par l'empereur Constantin, en 325 ap. J.-C., on adopta une déclaration officielle de foi concernant la Divinité. Plus tard, on en publia une modification, appelée le « credo d'Athanase », et bien que l'identité de son auteur fasse l'objet de doutes, le credo a sa place dans le rituel de certaines Églises protestantes. Il n'est pas nécessaire d'apporter de preuve plus concluante que le credo d'Athanase du fait que les hommes avaient cessé de connaître Dieu. « Le credo de saint Athanase », tel que l'Église anglicane le confesse aujourd'hui, et tel qu'il est publié dans le rituel officiel (voir Prayer Book) déclare : « Nous adorons un seul Dieu dans la Trinité et la Trinité en Unité, sans confondre les personnes ni diviser la substance, car il y a une personne pour le Père, une autre pour le Fils, et une autre pour le Saint-Esprit. Mais la Divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit est tout une ; la gloire égale, la majesté coéternelle. Tel que le Père est, tel est le Fils et tel est le Saint-Esprit. Le Père incréé, le Fils incréé et le Saint-Esprit incréé. Le Père incompréhensible, le Fils incompréhensible et le Saint-Esprit incompréhensible. Le Père éternel, le Fils éternel et le Saint-Esprit éternel, mais un seul éternel. Et il n'y a pas non plus trois incompréhensibles, ni trois incréés, mais un seul incréé et un seul incompréhensible. De même, le Père est Tout-Puissant, le Fils Tout-Puissant et le Saint-Esprit Tout-Puissant ; et cependant il n'y a pas trois Tout-Puissants, il n'y a qu'un seul Tout-Puissant. De même, le Père est Dieu, le Fils est Dieu, et le Saint-Esprit est Dieu, mais cependant il n'y a pas trois Dieux mais un seul Dieu. »
 
Vient ensuite une confession étrange de ce qui est à la fois exigé par « Ia vérité chrétienne », et interdit par « la religion catholique » : « Car de même que nous sommes obligés par la vérité chrétienne : de reconnaître chaque Personne en elle même être Dieu et Seigneur, de même il nous est interdit par la religion catholique : de dire, il y a trois Dieux, ou trois Seigneurs. »
 
5. La mission de Colomb et ses résultats : À Néphi, fils de Léhi, fut montré l'avenir de son peuple, y compris la dégénérescence d'une de ses branches, appelée plus tard Lamanites et, dans les temps modernes, amérindiens. La venue d'un homme d'entre les Gentils au travers des eaux profondes fut révélée avec une telle clarté qu'on peut identifier formellement cet homme comme étant Colomb ; et l'arrivée en Amérique d'autre Gentils, sortis de captivité, est tout aussi explicite. Néphi, à qui la révélation fut donnée, la rapporte comme suit : « Et je regardai et vis beaucoup d'eaux ; et elles séparaient les Gentils de la postérité de mes frères. Et l'ange me dit : Voici, la colère de Dieu est sur la postérité de tes frères. Et je regardai, et je vis un homme parmi les Gentils ; il était séparé de la postérité de mes frères par les grandes eaux ; et je vis l'Esprit de Dieu descendre sur cet homme et agir en lui ; et il s'en alla sur les grandes eaux, et se rendit auprès de la postérité de mes frères qui vivait dans la terre promise. Et je vis l'Esprit de Dieu agir sur d'autres Gentils ; et ils sortirent de captivité et s'en allèrent sur les grandes eaux » (1 Né 13:10-13). Le même chapitre expose avec une clarté tout aussi grande l'établissement d'une grande nation de gentils sur le continent américain, la subjugation des Lamanites ou Indiens, la guerre entre la nation nouvellement créée et la Grande-Bretagne, ou « Ies Gentils dont ils étaient originaires », et le résultat victorieux de cette lutte pour l'indépendance.
 
 
CHAPITRE 41 : MANIFESTATIONS PERSONNELLES DE DIEU, LE PÈRE ÉTERNEL, ET DE SON FILS, JÉSUS CHRIST, DANS LES TEMPS MODERNES
 
UNE NOUVELLE DISPENSATION DE L'ÉVANGILE
 
En l'an de grâce 1820 vivait à Manchester, comté d'Ontario, dans l'État de New York, un honnête citoyen appelé joseph Smith. Sa famille se composait de sa femme et de leurs neuf enfants. Le troisième fils et quatrième enfant de la famille était Joseph Smith, fils, qui, à l'époque dont nous parlons, était dans sa quinzième année. Au cours de l'année indiquée, New York et les États voisins furent balayés par une vague d'intense agitation religieuse, et les ministres des nombreuses Églises rivales déployèrent un zèle extraordinaire à gagner des convertis à leurs troupeaux respectifs. Le jeune Joseph fut profondément affecté par cette émotion intense et fut particulièrement déconcerté et troublé par la confusion et l'esprit de querelle qui régnaient dans tout cela. Étant donné que notre sujet actuel le concerne tout particulièrement, et vu l'importance capitale de son témoignage au monde, nous donnons ci-après son propre récit de ce qui se passa.
 
« À un moment donné, au cours de la deuxième année qui suivit notre installation à Manchester, il y eut, dans l'endroit où nous vivions, une agitation peu commune à propos de la religion. Elle commença chez les méthodistes, mais devint bientôt générale chez toutes les confessions de cette région du pays. En effet, toute la contrée paraissait en être affectée, et de grandes multitudes s'unirent aux différents partis religieux, ce qui ne causa pas peu de remue-ménage et de divisions parmi le peuple, les uns criant : "Par ici ! ", les autres : "Par là !" Les uns tenaient pour les méthodistes, les autres pour les presbytériens, d'autres pour les baptistes.
 
« Car, en dépit du grand amour que les convertis de ces diverses confessions exprimaient au moment de leur conversion et du grand zèle manifesté par leurs clergés respectifs qui s'employaient activement à animer et à favoriser ce tableau extraordinaire de sentiment religieux, dans le but de voir tout le monde converti, ainsi qu'ils se plaisaient à appeler cela, quelle que fût la confession à laquelle ils se joignaient, cependant, quand les convertis commencèrent à se disperser, les uns vers un parti, les autres vers un autre, on s'aperçut que les bons sentiments apparents des prêtres et des convertis étaient plus prétendus que réels, car il s'ensuivit une grande confusion et de mauvais sentiments, prêtre luttant contre prêtre et converti contre converti ; de telle sorte que tous les bons sentiments qu'ils avaient les uns pour les autres, s'ils avaient jamais existé, se perdirent tout à fait dans une querelle de mots et un combat d'opinions.
 
« J'étais alors dans ma quinzième année. Les membres de la famille de mon père se laissèrent convertir à la foi presbytérienne, et quatre d'entre eux se firent membres de cette Église : ma mère, Lucy, mes frères Hyrum et Samuel Harrison, et ma sœur Sophronia.
 
« Pendant cette période de grande agitation, mon esprit fut poussé à réfléchir sérieusement et à éprouver un grand malaise ; mais quoique mes sentiments fussent profonds et souvent poignants, je me tins cependant à l'écart de tous ces partis tout en suivant leurs diverses assemblées aussi souvent que j'en avais l'occasion. Avec le temps, mon esprit se sentit quelque inclination pour la confession méthodiste, et j'éprouvai un certain désir de me joindre à elle ; mais la confusion et la lutte entre les diverses confessions étaient si grandes, qu'il était impossible à quelqu'un d'aussi jeune et d'aussi peu au courant des hommes et des choses que moi de décider d'une manière sûre qui avait raison et qui avait tort.
 
« Il y avait des moments où mon esprit était fortement agité, tant les cris et le tumulte étaient grands et incessants. Les presbytériens étaient absolument contre les baptistes et les méthodistes et utilisaient toutes les ressources aussi bien du raisonnement que de la sophistique pour prouver leurs erreurs ou du moins pour faire croire aux gens qu'ils étaient dans l'erreur. D'autre part, les baptistes et les méthodistes, eux aussi, montraient autant de zèle à tenter d'imposer leur doctrine et à réfuter toutes les autres.

« Au milieu de cette guerre de paroles et de ce tumulte d'opinions, je me disais souvent : Que faut-il faire ? Lequel de tous ces partis a raison ? Ou ont-ils tous tort, autant qu'ils sont ? Si l'un d'eux a raison, lequel est-ce, et comment le saurai-je ?
 
« Tandis que j'étais travaillé par les difficultés extrêmes causées par les disputes de ces partis de zélateurs religieux, je lus, un jour, l'épître de Jacques, chapitre 1, verset 5, qui dit : Si quelqu'un d'entre vous manque de sagesse, qu'il la demande à Dieu, qui donne à tous simplement et sans reproche, et elle lui sera donnée.

« Jamais aucun passage de l'Écriture ne toucha le cœur de l'homme avec plus de puissance que celui-ci ne toucha alors le mien. Il me sembla qu'il pénétrait avec une grande force dans toutes les fibres de mon cœur. J'y pensais constamment, sachant que si quelqu'un avait besoin que Dieu lui donne la sagesse, c'était bien moi ; car je ne savais que faire, et à moins de recevoir plus de sagesse que je n'en avais alors, je ne le saurais jamais, car les professeurs de religion des diverses confessions comprenaient si différemment les mêmes passages de l'Écriture que cela faisait perdre toute confiance de régler la question par un appel à la Bible.
 
« Enfin, j'en vins à la conclusion que je devais, ou bien rester dans les ténèbres et la confusion, ou bien suivre le conseil de Jacques, c'est-à-dire demander à Dieu. Je me décidai finalement à "demander à Dieu", concluant que s'il donnait la sagesse à ceux qui en manquaient, et la donnait libéralement et sans faire de reproche, je pouvais bien essayer.
 
« Ainsi donc, mettant à exécution ma détermination de demander à Dieu, je me retirai dans les bois pour tenter l'expérience. C'était le matin d'une belle et claire journée du début du printemps de mil huit cent vingt. C'était la première fois de ma vie que je tentais une chose pareille, car au milieu de toutes mes anxiétés, je n'avais encore jamais essayé de prier à haute voix.
 
« Après m'être retiré à l'endroit où je m'étais proposé, au préalable, de me rendre, ayant regardé autour de moi et me voyant seul, je m'agenouillai et me mis à exprimer à Dieu les désirs de mon cœur. À peine avais-je commencé que je fus saisi par une puissance qui me domina entièrement et qui eut sur moi une influence si étonnante que ma langue fut liée, de sorte que je ne pouvais pas parler. Des ténèbres épaisses m'environnèrent, et il me sembla un moment que j'étais condamné à une destruction soudaine.
 
« Mais comme je luttais de toutes mes forces pour implorer Dieu de me délivrer de la puissance de cet ennemi qui m'avait saisi et au moment même où j'étais prêt à sombrer dans le désespoir et à m'abandonner à la destruction - non à un anéantissement imaginaire, mais à la puissance d'un être réel du monde invisible qui possédait une puissance étonnante comme je n'en avais encore senti de pareille en aucun être - juste à cet instant de grande alarme, je vis, exactement au-dessus de ma tête, une colonne de lumière, plus brillante que le soleil, descendre peu à peu jusqu'à tomber sur moi.
 
« À peine était-elle apparue que je me sentis délivré de l'ennemi qui m'enserrait. Quand la lumière se posa sur moi, je vis deux Personnages dont l'éclat et la gloire défient toute description, et qui se tenaient au-dessus de moi dans les airs. L'un d'eux me parla, m'appelant par mon nom, et dit, en me montrant l'autre : Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Écoute-le !
 
« Mon but, en allant interroger le Seigneur, était de savoir laquelle des confessions avait raison, afin de savoir à laquelle je devais me joindre. C'est pourquoi, dès que je fus assez maître de moi pour pouvoir parler, je demandai aux Personnages qui se tenaient au-dessus de moi, dans la lumière, laquelle de toutes les confessions avait raison (car à l'époque, il ne m'était jamais venu à l'idée qu'elles étaient toutes dans l'erreur), et à laquelle je devais me joindre.
 
« Il me fut répondu de ne me joindre à aucune, car elles étaient toutes dans l'erreur ; et le Personnage qui me parlait dit que tous leurs credo étaient une abomination à ses yeux ; que ces docteurs étaient tous corrompus ; que : "ils s'approchent de moi des lèvres, mais leur cœur est éloigné de moi ; ils enseignent pour doctrine des commandements d'hommes, ayant une forme de piété, mais ils en nient la puissance."
 
« Il me défendit de nouveau de me joindre à aucune d'elles et me dit encore beaucoup d'autres choses que je ne puis écrire maintenant. Quand je revins à moi, j'étais couché sur le dos, regardant au ciel. Lorsque la lumière eut disparu, je demeurai sans forces ; mais je ne tardai pas à récupérer dans une certaine mesure et rentrai chez moi. Comme je m'appuyais au manteau de la cheminée, ma mère me demanda ce qui se passait. Je lui répondis : "Ce n'est rien, tout va bien, je ne me sens pas mal." Je dis ensuite à ma mère : "J'ai appris personnellement que le presbytérianisme n'est pas vrai." On aurait dit que l'adversaire était, dès les premiers temps de ma vie, conscient du fait que j'étais destiné à me révéler être un trouble-fête et un gêneur pour son royaume ; sinon pourquoi les puissances des ténèbres se seraient-elles unies contre moi ? Pourquoi l'opposition et les persécutions qui se dressèrent contre moi, presque dans ma prime enfance ?
 
« Quelques jours après avoir eu cette vision, il m'arriva de me trouver en compagnie d'un des prédicateurs méthodistes, qui était très actif dans l'agitation religieuse mentionnée précédemment ; et comme je parlais de religion avec lui, je saisis l'occasion pour lui faire le récit de la vision que j'avais eue. Je fus fort surpris de son attitude ; il traita mon récit non seulement avec légèreté, mais aussi avec un profond mépris, disant que tout cela était du diable, que les visions ou les révélations, cela n'existait plus de nos jours, que toutes les choses de ce genre avaient cessé avec les apôtres et qu'il n'y en aurait jamais plus.
 
« Cependant je m'aperçus bientôt que le fait de raconter mon histoire m'avait beaucoup nui auprès des adeptes des autres confessions et était la cause d'une grande persécution, qui allait croissant ; et quoique je fusse un garçon obscur de quatorze à quinze ans à peine, et que ma situation dans la vie fût de nature à faire de moi un garçon sans importance dans le monde, pourtant des hommes haut placés me remarquèrent suffisamment pour exciter l'opinion publique contre moi et provoquer une violente persécution ; et ce fut une chose commune chez toutes les confessions : toutes s'unirent pour me persécuter.
 
« Je me fis sérieusement la réflexion alors, et je l'ai souvent faite depuis, qu'il était bien étrange qu'un garçon obscur, d'un peu plus de quatorze ans, qui, de surcroît, était condamné à la nécessité de gagner maigrement sa vie par son travail journalier, fût jugé assez important pour attirer l'attention des grands des confessions les plus populaires du jour, et ce, au point de susciter chez eux l'esprit de persécution et d'insulte le plus violent. Mais aussi étrange que cela fût, il en était ainsi, et ce fut souvent une cause de grand chagrin pour moi.
 
« Cependant, il n'en restait pas moins un fait que j'avais eu une vision. J'ai pensé depuis que je devais ressentir plus ou moins la même chose que Paul quand il se défendit devant le roi Agrippa et qu'il raconta la vision qu'il avait eue, lorsqu'il avait aperçu une lumière et entendu une voix ; et cependant, il y en eut peu qui le crurent ; les uns dirent qu'il était malhonnête, d'autres dirent qu'il était fou ; et il fut ridiculisé et insulté. Mais tout cela ne détruisait pas la réalité de sa vision. Il avait eu une vision, il le savait, et toutes les persécutions sous le ciel ne pouvaient faire qu'il en fût autrement. Et quand bien même on le persécuterait à mort, il savait néanmoins, et saurait jusqu'à son dernier soupir, qu'il avait vu une lumière et entendu une voix qui lui parlait ; et rien au monde n'aurait pu le faire penser ou croire autrement.
 
« Il en était de même pour moi. J'avais réellement vu une lumière, et au milieu de cette lumière, je vis deux Personnages, et ils me parlèrent réellement ; et quoique je fusse haï et persécuté pour avoir dit que j'avais eu cette vision, cependant c'était la vérité ; et tandis qu'on me persécutait, qu'on m'insultait et qu'on disait faussement toute sorte de mal contre moi pour l'avoir racontée, je fus amené à me dire en mon cœur : Pourquoi me persécuter parce que j'ai dit la vérité ? J'ai réellement eu une vision, et qui suis-je pour résister à Dieu ? Et pourquoi le monde pense-t-il me faire renier ce que j'ai vraiment vu ? Car j'avais eu une vision, je le savais, et je savais que Dieu le savait, et je ne pouvais le nier ni ne l'osais ; du moins je savais qu'en le faisant j'offenserais Dieu et tomberais sous la condamnation.
 
« Je savais donc à quoi m'en tenir en ce qui concernait le monde des confessions : il n'était pas de mon devoir de me joindre à l'une d'elles, mais de rester comme j'étais, jusqu'à ce que je reçusse d'autres directives. J'avais découvert que le témoignage de Jacques était vrai : que quelqu'un qui manquait de sagesse pouvait la demander à Dieu et l'obtenir sans qu'il lui fût fait de reproche » [1]. 
 
C'est de cette manière que fut ouverte la dispensation de la plénitude des temps (expression tirée de Éphésiens 1:10 dans la version du roi Jacques ; l'auteur l'utilise pour désigner la dispensation actuelle de l'Évangile, ndlr) [2]. Les ténèbres de la longue nuit de l'apostasie étaient dissipées ; la gloire des cieux illuminait de nouveau le monde ; le silence séculaire était rompu ; la voix de Dieu se faisait de nouveau entendre sur la terre. À l'automne de 1820 ap. J.-C., il y avait un seul mortel, un garçon d'un peu moins de quinze ans, qui savait, comme il savait qu'il vivait, que la conception que les hommes se faisaient, à l'époque, de la Divinité, à savoir que c'était l'essence immatérielle de quelque chose qui ne possédait ni forme précise ni substance tangible, était aussi contraire à la vérité en ce qui concerne le Père et le Fils que sa formulation dans les religions officielles était incompréhensible. Le jeune Joseph savait que le Père éternel et son Fils glorifié, Jésus-Christ, étaient tous deux des Hommes parfaits en forme et en stature, et que c'est à leur image physique que l'humanité avait été créée dans la chair [3]. Il savait en outre que le Père et le Fils étaient des personnages individuels, chacun étant distinct de l'autre - vérité pleinement attestée par le Seigneur Jésus-Christ au cours de son existence mortelle, mais que les sophismes de l'incrédulité humaine avaient enténébrée sinon ensevelie. Il se rendait compte que l'unité de la Divinité était une unité de perfection dans les desseins, les plans et l'action, comme le déclarent les Écritures, et non pas une union impossible de personnalités, comme des générations de faux docteurs avaient essayé de le faire croire. La théophanie resplendissante confirma l'apostasie universelle, avec le corollaire inévitable : l'Église du Christ n'existait nulle part sur la terre. Elle dissipa de fait la croyance erronée que la révélation directe depuis les cieux avait cessé à jamais et prouva qu'il était parfaitement possible à Dieu de communiquer personnellement avec les mortels.
 
Pour la quatrième fois depuis la naissance du Sauveur dans la chair, la voix du Père avait attesté l'autorité du Fils dans des questions relatives à la terre et à l'homme [4]. Dans cette révélation de lui-même, au cours des derniers jours, comme lors des occasions antérieures, le Père ne fit rien d'autre qu'affirmer l'identité du Fils et commander qu'on lui obéît.
 
« UN MESSAGER ENVOYÉ D'AUPRÈS DE DIEU » [5]
 
Pendant environ trois ans et demi après l'apparition glorieuse du Père et du Fils à Joseph Smith, le jeune révélateur fut privé de toute autre manifestation du ciel et fut laissé à lui-même. C'était une période de mise à l'épreuve. Il fut soumis aux ricanements des jeunes de son âge et à une persécution agressive de la part des gens plus âgés qui, comme il le note très justement et sur un ton quelque peu accusateur, auraient dû être ses amis et le traiter avec bonté et qui, s'ils pensaient qu'il s'abusait, auraient dû essayer de le ramener d'une manière convenable et affectueuse [6]. Il se livra à son métier ordinaire, celui du travail à la ferme en compagnie de son père et de ses frères, de qui il reçut de la gentillesse, de la considération et de la sympathie ; en dépit des railleries, des insultes et des dénonciations de la part de la communauté en général, il demeura ferme et fidèle à sa déclaration solennelle qu'il avait vu et entendu aussi bien le Père éternel que Jésus le Christ, et qu'il avait reçu l'ordre de ne s'unir à aucune des confessions ou des Églises en conflit parce qu'elles étaient toutes fondamentalement dans l'erreur.
 
La nuit du 21 septembre 1823, tandis qu'il était occupé à prier Dieu avec ferveur dans la solitude de sa chambre, Joseph vit la pièce s'illuminer au point que la lumière surpassa celle d'un après-midi sans nuage. Un personnage glorieux apparut dans la pièce, se tenant un peu au-dessus du plancher. Le corps du visiteur et la tunique flottante qu'il portait étaient d'une blancheur extrême. Appelant Joseph par son nom, il déclara être Moroni, « un messager envoyé d'auprès de Dieu » et apprit au jeune homme que le Seigneur avait une œuvre à lui faire accomplir, et que son nom serait connu tant en bien qu'en mal dans toutes les nations, races et langues. L'ange parla d'un document gravé sur des plaques d'or, qui contenait l'histoire des anciens habitants du continent américain et la plénitude de l'Évangile éternel que le Seigneur avait révélée à ce peuple ancien ; et en outre, que le document était accompagné d'un pectoral et de l'urim et du thummim divinement fabriqués pour servir à la traduction du livre. Le lieu où les plaques et les autres objets sacrés étaient cachés fut montré en vision à Joseph, et la scène fut si claire qu'il reconnut immédiatement l'endroit lorsqu'il s'y rendit le lendemain.
 
L'ange cita plusieurs passages de l'Ancien Testament et un passage du Nouveau Testament, les uns mot pour mot et les autres en s'écartant légèrement de la version biblique. Voici ce que dit Joseph au sujet des Écritures citées par Moroni :
 
« Il cita tout d'abord une partie du troisième chapitre de Malachie et il cita aussi le quatrième ou dernier chapitre de cette même prophétie, avec, toutefois, une légère variante de ce qui se trouve dans nos Bibles. Au lieu de citer le premier verset tel qu'il apparaît dans nos livres, il le cita de cette façon :
 
« Car voici, le jour vient, ardent comme une fournaise. Tous les hautains et tous les méchants seront comme du chaume ; car ceux qui viennent les brûleront, dit l'Éternel des armées, et ils ne leur laisseront ni racine, ni rameau.
 
« Il cita, en outre, le cinquième verset comme suit : Voici, je vous révélerai la Prêtrise par la main d'Élie, le prophète, avant que le jour de l'Éternel arrive, ce jour grand et redoutable.
 
« Il cita aussi le verset suivant d'une manière différente : Et il implantera dans le cœur des enfants les promesses faites aux pères, et le cœur des enfants se tournera vers leurs pères ; s'il n'en était pas ainsi, la terre serait entièrement dévastée à sa venue.
 
« En plus de ceux-ci, il cita le onzième chapitre d'Ésaïe, disant qu'il était sur le point de s'accomplir. Il cita aussi le troisième chapitre des Actes, les vingt-deuxième et vingt-troisième versets, tels qu'ils se trouvent dans notre Nouveau Testament. Il dit que ce prophète était le Christ, mais que le jour n'était pas encore venu où "ceux qui ne voudraient pas entendre sa voix seraient retranchés de parmi le peuple", mais qu'il viendrait bientôt.
 
« Il cita aussi le troisième chapitre de Joël, du premier verset au cinquième. Il dit aussi que cela n'était pas encore accompli, mais le serait bientôt. Il déclara, en outre, que la totalité des païens allait bientôt entrer » [7]. 
 
Le messager s'en alla et la lumière disparut avec lui. Cependant, deux fois au cours de la même nuit, l'ange revint, répétant chaque fois ce qu'il avait dit lors de sa première apparition et y ajoutant des instructions et des recommandations à la prudence. Le lendemain, Moroni réapparut au jeune homme et lui commanda de mettre son père au courant des visites et des commandements qu'il avait reçus. Le père de Joseph lui dit d'obéir aux instructions du messager et attesta qu'elles venaient de Dieu. Joseph se rendit alors à l'endroit indiqué par l'ange, sur le flanc d'une colline appelée Cumorah dans le livre, et identifia immédiatement le lieu qui lui avait été montré en vision. À l'aide d'un levier, il enleva une grosse pierre qui se révéla être le couvercle d'une boîte de pierre dans laquelle se trouvaient les plaques et d'autres objets décrits par Moroni. L'ange apparut à cet endroit et interdit à Joseph de prendre à ce moment-là le contenu de la boîte. Le jeune homme replaça le massif couvercle de pierre et quitta le lieu.
 
Quatre ans plus tard, les plaques, l'urim et thummim, et le pectoral furent confiés à la garde de Joseph par l'ange Moroni. Ce Moroni, qui venait maintenant sous la forme d'un être ressuscité, était le dernier survivant de la nation néphite ; il avait terminé le document et ensuite, peu avant sa mort, l'avait caché dans la colline de Cumorah d'où il fut sorti par son entremise et remis au prophète et voyant moderne, Joseph Smith, le 22 octobre 1827. Ce document ou, à strictement parler, une partie de ce document, est maintenant accessible à tous ; il a été traduit par l'autorité divine et est maintenant publié en de nombreuses langues sous le titre de Livre de Mormon [8].
 
JEAN-BAPTISTE CONFÈRE LA Prêtrise d'Aaron
 
Le 15 mai 1829, Joseph Smith et son secrétaire dans la traduction des annales néphites, Oliver Cowdery, se retirèrent dans une clairière isolée pour prier. Leur but était d'interroger le Seigneur concernant l'ordonnance du baptême pour la rémission des péchés, dont il était question dans les plaques. Joseph écrit :
 
« Tandis que nous étions ainsi occupés à prier et à invoquer le Seigneur, un messager céleste descendit dans une nuée de lumière et, ayant posé les mains sur nous, il nous ordonna, disant : 

« À vous, mes compagnons de service, au nom du Messie, je confère la Prêtrise d'Aaron, qui détient les clefs du ministère d'anges, de l'Évangile de repentir et du baptême par immersion pour la rémission des péchés ; et cela ne sera plus jamais enlevé de la terre, jusqu'à ce que les fils de Lévi fassent de nouveau une offrande au Seigneur selon la justice. [9] »
 
Le visiteur angélique déclara que son nom était Jean, celui-là même que le Nouveau Testament appelle Jean-Baptiste et qu'en les ordonnant tous deux, il avait agi sous les ordres de Pierre, Jacques et Jean qui détenaient les clefs de la prêtrise supérieure ou Prêtrise de Melchisédek. Il expliqua que la Prêtrise d'Aaron ne comprenait pas « Ie pouvoir d'imposer les mains pour le don du Saint-Esprit » [10] et prédit que la prêtrise supérieure, détenant ce pouvoir, leur serait conférée plus tard. Sur son ordre exprès, Joseph baptisa Oliver et ce dernier, à son tour, baptisa Joseph en l'immergeant dans l'eau.
 
PIERRE, JACQUES ET JEAN CONFÈRENT LA Prêtrise de Melchisédek
 
Peu après leur ordination à la moindre prêtrise ou Prêtrise d'Aaron, Joseph Smith et Oliver Cowdery reçurent la visite des apôtres présidents d'autrefois, Pierre, Jacques et Jean, qui leur conférèrent la Prêtrise de Melchisédek et les ordonnèrent au saint apostolat. Dans une révélation ultérieure, le Seigneur reconnaît formellement que ces ordinations respectives furent accomplies par sa volonté et son commandement, comme suit :
 
« Lequel Jean je vous ai envoyé, mes serviteurs Joseph Smith, fils, et Oliver Cowdery, pour vous ordonner à la première prêtrise que vous avez reçue, afin que vous fussiez appelés et ordonnés comme le fut Aaron... Et aussi avec Pierre, Jacques et Jean, que je vous ai envoyés, par lesquels je vous ai ordonnés et confirmés pour que vous soyez apôtres et témoins spéciaux de mon nom, et pour que vous portiez les clefs de votre ministère et des mêmes choses que je leur ai révélées ; à qui j'ai remis les clefs de mon royaume et une dispensation de l'Évangile pour les derniers temps et pour la plénitude des temps, au cours de laquelle je rassemblerai toutes choses en une, tant celles qui sont dans le ciel que celles qui sont sur la terre » [11]. 
 
FONDATION DE L'ÉGLISE DE JÉSUS-CHRIST DES SAINTS DES DERNIERS JOURS
 
Le 6 avril 1830, l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours était officiellement organisée à Fayette, dans le comté de Seneca (New York) conformément à la loi séculière régissant l'établissement des associations religieuses. Les personnes qui participèrent officiellement à l'organisation n'étaient que six, nombre minimum requis par la loi dans une entreprise de ce genre ; cependant beaucoup d'autres personnes étaient là, dont certaines avaient déjà reçu l'ordonnance du baptême pour la rémission des péchés. Par révélation à Joseph Smith, le Seigneur avait précisé précédemment le jour où l'organisation devait se faire et avait révélé son plan de gouvernement pour l'Église - avec des instructions détaillées sur les conditions requises pour en devenir membre : le caractère indispensable du baptême par immersion et la manière dont l'ordonnance initiatrice devait être administrée, la façon de confirmer les croyants baptisés, membres de l'Église, les devoirs des anciens, des prêtres, des instructeurs et des diacres de l'Église, la façon exacte de procéder pour l'administration du sacrement du repas du Seigneur, l'ordre de la discipline de l'Église et la méthode à suivre pour transférer les membres d'une branche à une autre [12]. Les convertis baptisés qui assistaient à l'organisation furent invités à se prononcer pour ou contre Joseph Smith et Oliver Cowdery comme anciens de l'Église ; et conformément au vote affirmatif unanime, l'ordination ou mise à part de ces deux hommes comme respectivement premier et deuxième anciens de la nouvelle organisation fut accomplie [13].
 
Tandis que le Livre de Mormon était en voie de traduction, en particulier pendant les deux années qui précédèrent immédiatement l'organisation de l'Église, plusieurs révélations avaient été données par l'intermédiaire de Joseph le prophète et voyant, relatives au travail de traduction et à l'œuvre préparatoire nécessaire pour établir l'Église comme institution parmi les hommes. L'auteur de ces diverses révélations se déclara officiellement être Jésus-Christ, Dieu, le Fils de Dieu, le Rédempteur, la lumière et la vie du monde, l'Alpha et l'Oméga, Christ le Seigneur, le Seigneur et Sauveur [14].
 
Dès 1829, l'appel des douze apôtres fut prescrit, et un comité fut chargé de rechercher les Douze qui se tiendraient devant le monde comme témoins spéciaux du Christ. Ceux-ci furent ultérieurement ordonnés au saint apostolat ; le conseil ou collège des Douze fut reconnu, et des instructions concernant leur devoir sublime furent données dans de nombreuses révélations ultérieures [15].
 
C'est ainsi que l'Église de Jésus-Christ a été rétablie sur la terre, avec tous les pouvoirs et toute l'autorité de la sainte prêtrise que le Seigneur jésus avait remise à ses apôtres à l'époque de son ministère personnel. Il était absolument nécessaire qu'une nouvelle dispensation de l'Évangile, avec un rétablissement de la prêtrise, fût ouverte, puisque à cause de l'apostasie de l'Église primitive, il n'y avait pas un homme vivant qui eût l'autorité de parler ou d'administrer l'Évangile au nom de Dieu ou de son Christ. Jean le Révélateur vit, dans sa vision des derniers jours, un ange apportant de nouveau un « Évangile éternel, pour l'annoncer aux habitants de la terre, à toute nation, tribu, langue et peuple. Il disait d'une voix forte : Craignez Dieu et donnez-lui gloire, car l'heure de son jugement est venue ; et prosternez-vous devant celui qui a fait le ciel, la terre, la mer et les sources d'eaux [16] ! »
 
Une ambassade angélique comme celle-là n'aurait été qu'un déploiement inutile et vide, et par conséquent impossible, si l'Évangile éternel était resté sur la terre et si les pouvoirs de sa prêtrise s'étaient perpétués par succession. En assurant qu'il y aurait un rétablissement dans les derniers jours par intervention directe des cieux, les Écritures prouvent de manière concluante que l'apostasie universelle est bien réelle. Moroni vint trouver Joseph Smith comme « messager envoyé d'auprès de Dieu », et lui remit un document contenant « la plénitude de l'Évangile éternel » tel qu'il avait été communiqué au peuple du Seigneur dans les temps anciens ; et la diffusion mondiale du Livre de Mormon et d'autres publications contenant la parole révélée des temps modernes, et le ministère de milliers de personnes qui travaillent avec l'autorité de la sainte prêtrise se combinent pour former la voix forte qui s'adresse à toutes les nations, en criant : « Craignez Dieu et donnez-lui gloire, car l'heure de son jugement est venue. »
 
AUTRES COMMUNICATIONS DES CIEUX À L'HOMME
 
Après l'organisation de l'Église, telle que nous l'avons décrite jusqu'à maintenant, il y eut des communications directes fréquentes entre le Seigneur Jésus-Christ et son prophète Joseph, selon que les besoins l'exigeaient. De nombreuses révélations furent données, et elles sont accessibles à tous ceux qui veulent les lire [17]. Une manifestation merveilleuse fut accordée au prophète et à son compagnon dans la présidence de l'Église, Sidney Rigdon, dont la narration apparaît comme suit :
 
« Nous, Joseph Smith, fils, et Sidney Rigdon, étant dans l'Esprit, le seizième jour de février de l'an de grâce mil huit cent trente-deux : Par la puissance de l'Esprit, nos yeux furent ouverts et notre intelligence fut éclairée de manière à voir et à comprendre les choses de Dieu : oui, ces choses qui étaient dès le commencement, avant que le monde fût, qui furent établies par le Père, par l'intermédiaire de son Fils unique, qui était dès le commencement dans le sein du Père, de qui nous rendons témoignage ; et le témoignage que nous rendons est la plénitude de l'Évangile de Jésus-Christ, qui est le Fils, que nous avons vu et avec qui nous avons conversé dans la vision céleste. Car tandis que nous faisions le travail de traduction que le Seigneur nous avait confié, nous arrivâmes au vingt-neuvième verset du cinquième chapitre de Jean, qui nous fut donné comme suit : Parlant de la résurrection des morts, concernant ceux qui entendront la voix du Fils de l'Homme, et ressusciteront, ceux qui auront fait le bien pour la résurrection des justes et ceux qui auront pratiqué le mal pour la résurrection des injustes. Or, cela causa notre étonnement, car c'était l'Esprit qui nous l'avait donné. Et tandis que nous méditions sur ces choses, le Seigneur toucha les yeux de notre entendement, et ils furent ouverts, et la gloire du Seigneur resplendit alentour. Et nous vîmes la gloire du Fils, à la droite du Père, et reçûmes de sa plénitude ; nous vîmes les saints anges et ceux qui sont sanctifiés devant son trône, adorant Dieu et l'Agneau, lui qu'ils adorent pour toujours et à jamais. Et maintenant, après les nombreux témoignages qui ont été rendus de lui, voici le témoignage, le dernier de tous, que nous rendons de lui : qu'il vit ! Car nous le vîmes, et ce, à la droite de Dieu ; et nous entendîmes la voix rendre témoignage qu'il est le Fils unique du Père ; que par lui, à travers lui et en lui, les mondes sont et furent créés, et que les habitants en sont des fils et des filles engendrés pour Dieu » [18]. 
 
La vision fut suivie d'autres révélations tant visuelles qu'auditives ; et le Seigneur montra à ses serviteurs, et proclama à haute voix le destin des méchants et les caractéristiques des divers degrés de gloire prévus dans l'au-delà pour les âmes des hommes. Les divers états d'honneur et l'exaltation graduée appartenant aux royaumes téleste, terrestre et céleste furent révélés, et les anciennes Écritures s'y rapportant furent éclairées par la lumière nouvelle de la simplicité et de l'interprétation littérale [19].
 
APPARITION PERSONNELLE DU SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST AU TEMPLE DE KIRTLAND
 
Moins de trois ans et demi après son organisation, l'Église commença la construction du premier temple des temps modernes à Kirtland, en Ohio. Le travail fut entrepris conformément à une révélation du Seigneur l'exigeant de son peuple. L'Église avait peu de membres, le peuple était pauvre, c'était une période d'opposition farouche et de persécutions incessantes [20]. Il faut bien comprendre que pour les saints des derniers jours un temple signifie plus qu'une chapelle, qu'une église, qu'un tabernacle ou qu'une cathédrale ; ce n'est pas un lieu où tout le monde s'assemble même pour adorer en commun, mais un édifice sacré destiné aux ordonnances de la sainte prêtrise : distinctement et essentiellement une Maison du Seigneur. Le temple de Kirtland existe encore aujourd'hui, bâtiment puissant et imposant ; mais il n'est plus la propriété du peuple qui l'a érigé au prix d'immenses sacrifices de temps, de biens et d'efforts au cours d'années d'abnégation et de souffrances. Ses pierres d'angle furent posées le 23 juillet 1833 et le bâtiment terminé fut consacré le 27 mars 1836. Le service de consécration fut rendu éternellement mémorable par le déversement de l'Esprit du Seigneur accompagné de la présence visible d'anges. Le soir du même jour, les divers collèges de la prêtrise s'assemblèrent dans le bâtiment, et une manifestation encore plus grande de la puissance et de la gloire divines se reproduisit. Le dimanche suivant - le 3 avril 1836 - après un service de culte solennel, comprenant l'administration du repas du Seigneur, le prophète Joseph et son conseiller Oliver Cowdery se retirèrent pour prier derrière les voiles entourant la plate-forme et l'estrade réservées aux autorités présidentes de la Prêtrise de Melchisédek. Ils rendent le témoignage solennel que le Seigneur Jésus-Christ leur apparut personnellement en cette occasion :
 
« Le voile fut enlevé de notre esprit, et les yeux de notre entendement furent ouverts. Nous vîmes le Seigneur debout sur la balustrade de la chaire devant nous. Sous ses pieds, il y avait un pavement d'or pur, d'une couleur semblable à l'ambre. Ses yeux étaient comme une flamme de feu, ses cheveux étaient blancs comme la neige immaculée, son visage était plus brillant que l'éclat du soleil et sa voix était comme le bruit du déferlement de grandes eaux, oui, la voix de Jéhovah, disant : Je suis le premier et le dernier ; je suis celui qui vit, je suis celui qui fut immolé ; je suis votre avocat auprès du Père. Voici, vos péchés vous sont pardonnés; vous êtes purs devant moi ; levez-donc la tête et réjouissez-vous. Que le cœur de vos frères se réjouisse et que le cœur de tout mon peuple se réjouisse, mon peuple qui a bâti de toutes ses forces cette maison à mon nom. Car voici, j'ai accepté cette maison, et mon nom sera ici ; et je me manifesterai avec miséricorde à mon peuple dans cette maison. Oui, j'apparaîtrai à mes serviteurs et je leur parlerai de ma propre voix, si mon peuple garde mes commandements et ne souille pas cette sainte maison. Oui, le cœur de milliers et de dizaines de milliers sera dans une grande allégresse à cause des bénédictions qui seront déversées et de la dotation que mes serviteurs ont reçue dans cette maison.
Et la renommée de cette maison se répandra dans les pays étrangers, et c'est là le commencement de la bénédiction qui sera déversée sur la tête de mon peuple. J'ai dit. Amen » [21]. 
 
Lorsque le Sauveur se fut retiré, les deux prophètes mortels reçurent la visite d'êtres glorifiés, dont chacun avait officié sur terre en qualité de serviteur spécialement autorisé de Jéhovah et venait maintenant conférer l'autorité de l'office qu'il détenait personnellement, à Joseph et Oliver, unissant ainsi tous les pouvoirs et toutes les autorités des temps anciens dans l'Église rétablie du Christ, ce qui caractérise la dernière et la plus grande dispensation de l'Évangile de l'histoire. En voici le rapport :
 
« Lorsque cette vision se fut refermée, les cieux s'ouvrirent de nouveau à nous. Moïse apparut devant nous et nous remit les clefs pour rassembler Israël des quatre coins de la terre et pour ramener les dix tribus du pays du nord. Après cela, Élias apparut et remit la dispensation de l'Évangile d'Abraham, disant qu'en nous et en notre postérité toutes les générations après nous seraient bénies. Lorsque cette vision se fut refermée, une autre vision, grande et glorieuse, jaillit devant nous : Élie, le prophète qui fut enlevé au ciel sans goûter la mort, se tint devant nous et dit : Voici, le temps est pleinement arrivé, ce temps dont il a été parlé par la bouche de Malachie, lorsqu'il a témoigné qu'il [Élie] serait envoyé avant la venue du jour du Seigneur, jour grand et redoutable, pour tourner le cœur des pères vers les enfants, et les enfants vers les pères, de peur que la terre entière ne soit frappée de malédiction : C'est pourquoi les clefs de cette dispensation sont remises entre vos mains, et vous saurez, par là, que le jour du Seigneur, jour grand et redoutable, est proche, et même à la porte » [22]. 
 
JÉSUS LE CHRIST EST AUJOURD'HUI AVEC SON ÉGLISE
 
C'est d'une manière tout à fait glorieuse que le Seigneur a accompli les promesses faites par la bouche de ses saints prophètes dans les temps passés - de rétablir l'Évangile avec toutes ses bénédictions et toutes ses prérogatives passées, de conférer de nouveau la sainte prêtrise avec l'autorité d'administrer l'Évangile au nom de Dieu, de rétablir l'Église qui porte son nom, et qui est fondée sur le roc de la révélation divine, et de proclamer le message du salut à toutes les nations, races, langues et peuples. En dépit des persécutions de la foule approuvées par les autorités judiciaires, en dépit des agressions, des expulsions et des massacres l'Église s'est développée avec une rapidité et une force étonnantes, depuis le jour de son organisation. Joseph, le prophète, et son frère Hyrum, patriarche de l'Église, furent brutalement tués et devinrent martyrs de la vérité à Carthage, en Illinois, le 27 juin 1844. Mais le Seigneur en suscita d'autres pour leur succéder ; et le monde a appris en partie et saura un jour, sans qu'il puisse subsister le moindre doute, que l'Église si miraculeusement établie dans les derniers jours n'est pas l'Église de Joseph Smith, ni d'aucun autre homme, mais en vérité, littéralement l'Église de Jésus-Christ. Le Seigneur a continué à révéler sa volonté par des prophètes, voyants et révélateurs qu'il a choisis et nommés l'un après l'autre pour guider son peuple ; et la voix de la révélation divine se fait entendre aujourd'hui dans l'Église. Comme prévu dans son plan et sa constitution révélés, l'Église est bénie par le ministère de prophètes, apôtres, grands prêtres, patriarches, soixante-dix, anciens, évêques, prêtres, instructeurs et diacres [23]. Les dons spirituels et les bénédictions d'autrefois sont de nouveau accordés en grande abondance [24]. De nouvelles Écritures, destinées avant tout à présenter les devoirs et les développements courants des desseins de Dieu, mais qui rendent cependant lumineuses et claires dans leur simplicité les Écritures d'autrefois, ont été données au monde par la voie de la prêtrise rétablie, et d'autres Écritures seront encore données. Les membres de l'Église proclament à l'unisson :
 
« Nous croyons tout ce que Dieu a révélé, tout ce qu'il révèle maintenant, et nous croyons qu'il révélera encore beaucoup de choses grandes et importantes concernant le royaume de Dieu. » [25]
 
Le rassemblement d'Israël prédit depuis sa longue dispersion est en voie d'accomplissement en vertu de l'autorité donnée par le Seigneur par l'intermédiaire de Moïse. La « montagne de la Maison de l'Éternel » est déjà établie au sommet des collines, et tous les peuples y accourent, tandis que les anciens de l'Église vont parmi les nations, disant : « Venez, et montons à la montagne de l'Éternel, à la Maison du Dieu de Jacob, afin qu'il nous instruise de ses voies, et que nous marchions dans ses sentiers. Car de Sion sortira la loi, et de Jérusalem la parole de l'Éternel » [26]
 
Dans les temples sacrés, les vivants officient par procuration en faveur des morts, et le cœur des enfants mortels se tourne avec un souci affectueux vers les ancêtres décédés, tandis que les multitudes désincarnées prient pour le succès de leur postérité qui se trouve encore dans la chair, dans son œuvre de salut [27]. L'Évangile sauveur est gratuitement offert à tous, car c'est ce que son Auteur a commandé. Par le moyen de la presse et par le ministère personnel d'hommes investis de la sainte prêtrise que l'Église envoie par milliers, l'Évangile du royaume est prêché aujourd'hui dans le monde entier. Lorsque ce témoignage sera complètement rendu dans les nations, « alors viendra la fin », et les nations « verront le Fils de l'Homme venant sur les nuées du ciel avec puissance et une grande gloire » [28].
 
 [1] PGP, Joseph Smith, Histoire 2:5-26 et History of the Church of Jesus Christ of
Latter-day Saints, vol. 1, p. 2-8.
 [2] Ep 1:9, 10. Note 1, fin du chapitre.
 [3] Voir chap. 11, notes ; voir également note 5, fin du chapitre.
 [4] On trouvera des exemples plus anciens aux chap. 10, 23 et 39.
 [5] PGP, Joseph Smith, Histoire 2:29-54, 59 et History of the Church, vol. 1, p. 10-16, 18.
 [6] PGP, Joseph Smith 2:28.
 [7] PGP, Joseph Smith, Histoire 2:36-41 et History of the Church, vol. 1, p. 12, 13.
 [8] Voir LM, Morm 6:6, Moro 10:2.
 [9] PGP, Joseph Smith, Histoire 2:68, 69, D&A 13 ; History of the Church, vol. 1, p. 39.
 [10] Notes 2 et 6, fin du chapitre.
 [11] D&A 27:8, 12, 13 (et Éph. 1:10, ndlr).
 [12] D&A 20.
 [13] D&A 20:2, 3 ; cf. 21:11 ; voir aussi History of the Church, vol. 1, p. 40, 41. Note 3, fin du chapitre.
 [14] D&A, sections 5, 6, 8, 10-12, 14-20.
 [15] D&A 18:27, 31-36 ; 20:38-44, 84:63, 64 ; 95:4 ; 107:23-25 ; 112:1, 14, 21 ; 118 ; 124:127-130.
 [16] Ap 14:6, 7.
 [17] Voir D&A et History of the Church.
 [18] D&A 76:11-24 et History of the Church sous la date spécifiée.
 [19] Voir D&A 76:25-119 et Les Articles de Foi, p. 115 et 493-499.
 [20] Voir La Maison du Seigneur, pages 94-101.
 [21] D&A 110:1-10 et History of the Church sous la date spécifiée. Note 4, fin du chapitre.
 [22] D&A 110:11-16. Nombre 5, fin du chapitre.
 [23] Voir « Plan du gouvernement de l'Église rétablie », dans Les Articles de Foi, pp, 251-262.
 [24] Voir « Les dons spirituels » dans Les Articles de Foi, chap. 12.
 [25] Neuvième article de foi de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours.
 [26] Es 2:2, 3: cf. Mi 4:1, 2 ; voir aussi D&A 29:8.
 [27] Voir La Maison du Seigneur, p. 51-89.
 [28] PGP, Joseph Smith, 1:31, 36 ; cf. Mt 24:14, 30.
 
NOTES DU CHAPITRE 41
 
1. La dispensation de la plénitude des temps (expression tirée de Éphésiens 1:10 dans la version du roi Jacques, ndlr) : « Or, ce qu'il faut savoir, c'est ce que veut dire la plénitude des temps ou son étendue et son autorité. Cela veut dire que la dispensation de la plénitude des temps est constituée par toutes les dispensations de l'Évangile qui ont jamais été données, depuis le commencement du monde jusqu'à présent. C'est à Adam, le tout premier, que fut donnée une dispensation de l'Évangile. Il est bien connu que Dieu en personne lui parla dans le jardin et lui donna la promesse que le Messie viendrait. À Noé également une dispensation de l'Évangile fut donnée, car Jésus dit : « Ce qui arriva du temps de Noé arrivera de même à l'avènement du Fils de l'homme », et de même que les justes furent sauvés à ce moment-là et les méchants détruits, de même en sera-t-il maintenant. Et de Noé à Abraham, et d'Abraham à Moïse, et de Moïse à Élias, et d'Élias à Jean-Baptiste, et de là à Jésus-Christ, et de Jésus-Christ à Pierre, Jacques et Jean, les apôtres ayant tous reçu leur dispensation de l'Évangile par révélation de Dieu pour accomplir le grand plan de la restitution dont ont parlé tous les saints prophètes depuis le commencement du monde et dont la fin est la dispensation de la plénitude des temps, dans laquelle tout ce dont il a été parlé depuis la création de la terre sera accompli » (voir Millennial Star, vol. 16, p. 220).
 
2. Limitations de la Prêtrise d'Aaron : Après avoir conféré la moindre prêtrise ou Prêtrise d'Aaron à Joseph Smith et à Oliver Cowdery, l'ange officiant qui, lorsqu'il était de ce monde, s'appelait Jean-Baptiste, expliqua que l'autorité qu'il avait conférée ne s'étendait pas à l'imposition des mains pour le don du Saint-Esprit, cette dernière ordonnance étant une prérogative de la prêtrise supérieure ou Prêtrise de Melchisédek. Considérez le cas de Philippe (pas l'apôtre), dont l'ordination lui donnait l'autorité de baptiser, bien qu'une autorité supérieure à la sienne fût requise pour conférer le Saint-Esprit ; les apôtres Pierre et Jean descendirent donc en Samarie pour officier dans le cas des convertis baptisés par Philippe (Ac 8:5,12-17 ; voir D&A 20:41, 46).
 
3. La prêtrise et les offices au sein de celle-ci : Il est important de savoir que bien que Joseph Smith et Oliver Cowdery eussent été ordonnés au saint apostolat, et par conséquent à une plénitude de la Prêtrise de Melchisédek par Pierre, Jacques et Jean, il fut nécessaire qu'ils fussent ordonnés anciens dans l'Église. Lorsqu'ils reçurent la Prêtrise de Melchisédek des trois anciens apôtres, il n'y avait pas d'Église de Jésus-Christ organisée, et par conséquent, il n'y avait pas besoin d'officiers de l'Église comme les anciens, les prêtres, les instructeurs ou les diacres. Dès que l'Église fut établie, des officiers y furent choisis et ceux-ci furent ordonnés à l'office ou degré requis de la prêtrise. En outre, le principe du consentement commun dans la direction des affaires de l'Église fut observé dans ce premier acte des membres en ce qu'ils votèrent pour soutenir les hommes nommés à des postes officiels et a continué à être la règle de l'Église à ce jour. Il convient de faire remarquer, en outre, qu'en conférant la Prêtrise d'Aaron à Joseph et à Oliver, Jean-Baptiste ne les ordonna pas à l'office de prêtre, d'instructeur ou de diacre. Ces trois offices font partie de la Prêtrise d'Aaron, comme les offices d'ancien, de soixante-dix, de grand prêtre, etc., de la Prêtrise de Melchisédek (lire D&A 20:38-67, Les Articles de Foi, chap. 11).
 
4. Temples modernes : La promesse que le Seigneur donna gracieusement dans le temple de Kirtland - qu'il apparaîtrait à ses serviteurs à des époques alors à venir et qu'il leur parlerait de sa propre voix, à condition que le peuple gardât ses commandements et ne souillât point cette maison sacrée - n'a été nullement abrogée ni perdue lorsque les saints ont été obligés de quitter le temple de Kirtland. Le peuple fut obligé de fuir les persécutions de la foule, mais il se hâta d'ériger un autre sanctuaire encore plus splendide à Nauvoo (Illinois) et en fut de nouveau dépossédé par des foules sans loi. Dans la vallée de l'Utah, l'Église a érigé quatre temples, chacun plus imposant que le précédent, et dans ces saintes maisons les ordonnances sacrées relatives au salut et à l'exaltation tant des vivants que des morts se poursuivent d'une manière ininterrompue. Les temples de notre époque, dans l'ordre de leur achèvement et désignés selon leur emplacement, sont ceux de Kirtland, en Ohio, Nauvoo en Illinois, St-George, Logan, Manti et Salt Lake City en Utah, Cardston au Canada, et Laie à Hawaï [après le décès de l'auteur, le nombre de temples a continué de s'accroître ; fin 2010, on en dénombrait près de 130 répartis sur tous les continents, ndlr]. Voir La Maison du Seigneur, p. 51-198.
 
5. Logique des prétentions du Christ à l'autorité : Les preuves d'ordre et de système dans le rétablissement de l'autorité pour officier dans les fonctions appartenant à la prêtrise sont frappantes et prouvent que les ordinations effectuées sur terre par l'autorité continuent à être valides au-delà du tombeau. Les clefs de l'Ordre aaronique, comprenant l'autorité de baptiser pour la rémission des péchés, furent apportées par Jean-Baptiste, qui avait été spécialement chargé de mission dans cet ordre de la prêtrise à l'époque du Christ. L'apostolat, comprenant toute l'autorité inhérente à la Prêtrise de Melchisédek, fut rétabli par les apôtres présidents d'autrefois, Pierre, Jacques et Jean. Puis comme on l'a vu, Moïse conféra l'autorité de poursuivre l'œuvre de rassemblement, et Élie qui, n'ayant pas goûté de la mort, avait des relations uniques, tant avec les vivants qu'avec les morts, remit l'autorité du ministère par procuration pour les décédés. À ces nominations faites par l'autorité céleste, il faut ajouter celle qui fut donnée par Élias, lequel apparut à Joseph Smith et à Oliver Cowdery, et « remit la dispensation de l'Évangile d'Abraham ». Il est donc évident que les prétentions de l'Église dans le domaine de son autorité sont complètes et logiques quant à la source de l'autorité qu'elle professe et des voies par lesquelles elles ont été rendues à la terre. Les Écritures et la révélation, tant anciennes que modernes, soutiennent comme une loi inaltérable le principe que nul ne peut déléguer à quelqu'un d'autre une autorité que le donateur ne possède pas.
 
6. Cessation du ministère de Melchisédek dans les temps anciens : La prêtrise supérieure ou Prêtrise de Melchisédek fut détenue par les patriarches, d'Adam à Moïse. Aaron fut ordonné à l'office de prêtre, comme le furent ses fils ; mais il est montré abondamment que Moïse détenait une autorité supérieure (Nb 12:1-8). Après la mort d'Aaron, son fils Éléazar officia avec l'autorité de la moindre prêtrise, et même Josué dut prendre ses ordres et se soumettre à son autorité (Nb 27:18-23). Du ministère de Moïse à celui de Jésus-Christ, seule la moindre prêtrise opéra sur la terre, sauf dans les cas où l'autorité de l'ordre supérieur fut spécialement déléguée, comme cela apparaît dans le ministère de certains prophètes élus, Ésaïe, Jérémie, Ézéchiel et d'autres. Il est évident que ces prophètes, voyants et révélateurs furent revêtus individuellement et spécialement d'autorité ; mais il semble qu'il n'aient pas eu l'autorité d'appeler et d'ordonner des successeurs, car de leur temps la prêtrise supérieure n'existait pas sur la terre dans un état organisé et avec des collèges dûment formés. Il n'en allait cependant pas de même dans la Prêtrise d'Aaron et la prêtrise lévitique. Cette question est particulièrement bien expliquée dans la révélation des derniers jours (voir D&A 84:23-28 ; lire la section entière ainsi que La Maison du Seigneur, p. 199-203).
 
 
CHAPITRE 42 : JÉSUS LE CHRIST REVIENDRA
 
LE SECOND AVÈNEMENT DU SEIGNEUR EST PRÉDIT DANS LES ÉCRITURES ANCIENNES
 
« Vous Galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, reviendra de la même manière dont vous l'avez vu aller au ciel » [1]. Ainsi parlèrent les anges vêtus de blanc aux onze apôtres tandis que le Christ ressuscité montait du milieu d'eux sur le mont des Oliviers. Les Écritures abondent en prédictions sur le retour du Seigneur.
 
Par « second avènement » nous entendons, non pas l'apparition du Fils de Dieu à un petit nombre, comme ce fut le cas pour sa visite à Saul de Tarse, à Joseph Smith en 1820 et de nouveau dans le temple de Kirtland en 1836, ni pour les manifestations ultérieures à ces serviteurs dignes comme cela a été promis avec précision [2], mais sa venue encore future en puissance et avec grande gloire, accompagnée par des armées d'êtres ressuscités et glorifiés pour juger la terre et commencer un règne de justice. Les prophètes de l'ancien et du nouveau monde, qui vivaient avant le midi des temps, ont parlé relativement peu du deuxième avènement du Seigneur ; leur âme était trop pleine du plan miséricordieux de rédemption qui devait se réaliser lors de la naissance du Sauveur dans la mortalité pour qu'ils s'attardassent à la réalisation encore plus lointaine prévue pour les derniers jours. Cependant il fut permis à certains d'entre eux d'avoir la vision de l'accomplissement des desseins divins jusqu'à la fin des temps ; et ceux-ci témoignèrent, avec une ferveur sans pareille, de la venue glorieuse du Christ à l'époque de la dernière dispensation de l'Évangile. Énoch, le septième après Adam, prophétisa en disant : « Voici que le Seigneur est venu avec ses saintes myriades, pour exercer le jugement contre tous. [3] » Dans un récit plus étendu des révélations du Seigneur à Énoch que celui que l'on trouve dans la Bible, nous lisons que lorsque ce prophète juste eut vu les scènes de l'histoire d'Israël jusqu'à la mort, la résurrection et l'ascension de Jésus-Christ et au-delà, il supplia Dieu en ces termes : « Ne reviendras-tu plus sur la terre ? » Le Seigneur dit alors à Énoch : « Comme je vis, je viendrai dans les derniers jours, dans les jours de méchanceté et de vengeance, pour accomplir le serment que je t'ai fait concernant les enfants de Noé... Énoch vit le jour de la venue du Fils de l'Homme, dans les derniers jours, pour demeurer en justice sur la terre pendant mille ans » [4]. Ésaïe, contemplant avec ravissement le triomphe final de la justice, s'exclama : « Dites à ceux dont le cœur palpite : Fortifiez-vous, soyez sans crainte ; voici votre Dieu, la vengeance viendra, la rétribution de Dieu ; il viendra lui-même et vous sauvera » et encore : « Voici mon Seigneur, l'Éternel, il vient avec puissance, et son bras lui assure la domination ; voici qu'il a son salaire et que ses rétributions le précèdent »[5]. Les conditions spécifiées ne se réalisèrent pas lors de la vie terrestre du Rédempteur ; en outre, le contexte montre clairement que les paroles du prophète ne peuvent s'appliquer qu'aux derniers jours : époque des rachetés du Seigneur, moment de la restitution et du triomphe de Sion.
 
De toutes les Écritures bibliques relatives à notre sujet, ce sont les paroles que le Christ prononça lui-même pendant son ministère terrestre qui sont les plus directes et les plus certaines. Nous avons déjà examiné un grand nombre d'entre elles dans le récit de la vie du Sauveur ; celles qui suivent suffiront à notre propos présent. « Car le Fils de l'homme va venir dans la gloire de son Père avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon sa manière d'agir » [6]. Il proclama aux apôtres et au peuple en général : « En effet quiconque aura honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aussi aura honte de lui, quand il viendra dans la gloire de son Père avec les saints anges » [7]. Lorsqu'il était ligoté, prisonnier devant l'orgueilleux Caïphe, Jésus répondit à l'adjuration illégale du souverain sacrificateur corrompu en affirmant : « Je vous le déclare, vous verrez désormais le Fils de l'homme assis à la droite du Tout-Puissant et venant sur les nuées du ciel. » [8]
 
Les apôtres avaient été tellement frappés par l'assurance du Maître qu'il reviendrait sur la terre avec puissance et gloire, qu'ils l'interrogèrent avidement sur le temps et les signes de sa venue [9]. Il déclara explicitement, bien qu'ils ne pussent le comprendre à l'époque, que beaucoup de grands événements se produiraient entre son départ et son retour, entre autres la longue période de ténèbres provoquées par l'apostasie [10]. Mais Jésus ne laissa pas l'ombre d'un doute dans l'esprit des apôtres quant à la certitude de son avènement en gloire, comme Juge, Seigneur et Roi. Après l'ascension, pendant toute la durée du ministère apostolique, la venue future du Seigneur fut prêchée avec une vive ardeur [11].
 
Les prophéties du Livre de Mormon relatives à l'avènement du Seigneur dans les derniers jours sont précises et nettes. Lorsqu'il apparut aux Néphites sur le continent américain, peu après son ascension depuis le mont des Oliviers, le Christ prêcha l'Évangile aux multitudes assemblées ; « et il expliqua tout depuis le commencement jusqu'au moment où il viendrait dans sa gloire » et les événements qui suivraient, « jusqu'au grand et dernier jour » [12]. En accédant au désir des trois disciples néphites de poursuivre leur ministère dans la chair pendant toutes les générations à venir, le Seigneur leur dit :
 
« Vous vivrez pour voir toutes les actions du Père envers les enfants des hommes jusqu'à ce que tout soit accompli selon la volonté du Père, lorsque je viendrai dans ma gloire avec les puissances du ciel. Et vous ne subirez jamais les souffrances de la mort ; mais lorsque je viendrai dans ma gloire, vous serez changés en un clin d'œil de la mortalité à l'immortalité ; et alors, vous serez bénis dans le royaume de mon Père. » [13]
 
LA VENUE DU SEIGNEUR PROCLAMÉE DANS LA RÉVÉLATION MODERNE
 
Le Seigneur, à de multiples reprises, a fait entendre sa parole à l'Église de Jésus-Christ, rétablie à notre époque, déclarant la réalité de son deuxième avènement et la proximité de cet événement merveilleux quoique terrible. Quelques semaines seulement après l'organisation de l'Église, la voix de Jésus-Christ se fit entendre, exhortant les anciens à la vigilance et proclamant ce qui suit :
 
« Car l'heure est proche et le jour sera bientôt là, où la terre sera mûre ; tous les orgueilleux et ceux qui pratiquent la méchanceté seront comme du chaume ; et je les brûlerai, dit le Seigneur des armées, pour que la méchanceté ne soit plus sur la terre. Car l'heure est proche, et ce qui a été dit par mes apôtres doit s'accomplir, car cela arrivera comme ils l'ont dit. Car je me révélerai du haut du ciel, avec toutes ses armées, avec puissance et une grande gloire, et je demeurerai pendant mille ans dans la justice avec les hommes sur la terre, et les méchants ne subsisteront pas. » [14]
 
Le mois suivant, le Seigneur donna des instructions à certains anciens, terminant par ces mots lourds de sens :
 
« C'est pourquoi, soyez fidèles, priant toujours, tenant votre lampe prête et allumée et ayant de l'huile avec vous afin d'être prêts au moment de la venue de l'Époux ; car voici, en vérité, en vérité, je vous dis que je viens rapidement. J'ai dit. Amen. » [15]
 
Nous lisons encore dans une révélation ultérieure :
 
« Et tu es béni parce que tu as cru ; et tu es béni davantage parce que je t'appelle à prêcher mon Évangile, à élever la voix comme avec le son d'une trompette, longtemps et avec force, pour appeler au repentir une génération perverse et corrompue, préparant le chemin du Seigneur pour sa seconde venue. Car voici, en vérité, en vérité, je te le dis, le temps est proche où je viendrai dans une nuée avec puissance et une grande gloire. Et ce sera un grand jour que le moment de ma venue, car toutes les nations trembleront. » [16]
 
Le Seigneur Jésus adressa à son Église en mars 1831 une révélation générale, dans laquelle il expliquait les prédictions qu'il avait faites précédemment aux Douze peu avant d'être trahi, et où il réitérait l'assurance qu'il viendrait en gloire :
 
« Vous regardez, vous voyez les figuiers, vous les voyez de vos yeux, et vous dites, lorsqu'ils commencent à bourgeonner et que leurs feuilles sont encore tendres, que l'été est maintenant proche. Il en sera de même en ce jour-là, lorsqu'ils verront toutes ces choses : ils sauront alors que l'heure est proche. Et il arrivera que celui qui me craint s'attendra à la venue du grand jour du Seigneur, oui, aux signes de la venue du Fils de l'Homme. Et ils verront des signes et des prodiges, car ceux-ci se montreront dans les cieux en haut et sur la terre en bas. Et ils verront du sang, du feu et des vapeurs de fumée. Et avant que le jour du Seigneur n'arrive, le soleil sera obscurci, la lune sera changée en sang, et les étoiles tomberont du ciel. Et le reste sera rassemblé vers ce lieu. Alors ils me chercheront, et voici, je viendrai; ils me verront dans les nuées du ciel, revêtu de puissance et d'une grande gloire, avec tous les saints anges, et celui qui ne veillera pas pour me recevoir sera retranché. » [17]
 
La fin est si proche que la période qui nous sépare d'elle est appelée « aujourd'hui » ; appliquant cette désignation de temps en 1831, le Seigneur dit :
 
« Voici, le temps qui nous sépare de la venue du Fils de l'Homme s'appelle aujourd'hui, et en vérité, c'est un jour de sacrifice, et un jour où mon peuple doit être dîmé, car celui qui est dîmé ne sera pas brûlé à sa venue ; car après aujourd'hui vient le feu - pour parler à la manière du Seigneur - car en vérité, je le dis, demain tous les hautains et tous les méchants seront comme du chaume ; et je les embraserai, car je suis le Seigneur des armées; et je n'épargnerai aucun de ceux qui restent à Babylone. C'est pourquoi, si vous me croyez, vous travaillerez tant que c'est aujourd'hui. » [18]
 
LE MOMENT ET LES CIRCONSTANCES DE LA VENUE DU SEIGNEUR
 
La date de l'avènement futur du Christ n'a jamais été révélée à l'homme. Quand les apôtres qui œuvraient  avec le Maître lui posèrent la question, il dit : « Pour ce qui est du jour et de l'heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul » [19]. À l'époque actuelle, le Père a fait une déclaration semblable : « Moi, le Seigneur Dieu, je l'ai dit ; mais l'heure et le jour, nul ne les connaît, ni les anges dans le ciel, et ils ne le sauront pas avant qu'il ne vienne » [20]. Ce n'est qu'en veillant et en priant que l'on pourra interpréter correctement les signes des temps et que l'on pourra percevoir l'imminence de l'apparition du Seigneur. Pour les insouciants et les méchants, cet événement sera aussi soudain et inattendu que la venue d'un voleur dans la nuit [21].
 
Mais nous ne sommes pas sans avoir des renseignements précis quant aux signes qui précéderont. Les prophéties bibliques relatives à ce sujet, nous les avons examinées précédemment [22]. Comme les Écritures ultérieures l'affirment : « Mais avant que le grand jour du Seigneur vienne, Jacob s'épanouira dans le désert, et les Lamanites fleuriront comme une rose. Sion s'épanouira sur les collines et se réjouira sur les montagnes, et sera rassemblée vers le lieu que j'ai désigné » [23]. La guerre deviendra si générale que tous ceux qui ne voudront pas prendre les armes contre leur prochain seront dans la nécessité de fuir au pays de Sion pour y trouver le salut [24]. Éphraïm s'assemblera en Sion sur le continent américain, et Juda sera de nouveau établi en Orient, et les villes de Sion et de Jérusalem seront les capitales de l'empire mondial sur lequel le Messie régnera avec une autorité que nul ne pourra lui disputer. Les tribus perdues seront ramenées de l'endroit où Dieu les a cachées au cours des siècles et recevront des mains d'Éphraïm les bénédictions qui leur ont longtemps été refusées. Le peuple d'Israël sortira de sa dispersion [25].
 
S'adressant aux anciens de son Église en 1832, le Seigneur souligna vivement qu'il était de nécessité impérieuse qu'ils fissent preuve d'une diligence dévouée, et dit :
 
« Demeurez dans la liberté par laquelle vous êtes rendus libres ; ne vous empêtrez pas dans le péché, mais que vos mains soient pures jusqu'à ce que le Seigneur vienne. Car il ne se passera pas beaucoup de jours que la terre ne tremble et ne titube comme un homme ivre, que le soleil ne se cache la face et ne refuse de donner de la lumière, que la lune ne soit baignée de sang, que les étoiles ne se mettent dans une colère extrême et ne se jettent en bas comme une figue qui tombe du figuier. Et après votre témoignage viennent la colère et l'indignation sur le peuple. Car après votre témoignage vient le témoignage des tremblements de terre, lesquels causeront des gémissements en son sein, et les hommes tomberont sur le sol et ne seront pas capables de rester debout. Viendra aussi le témoignage de la voix des tonnerres, de la voix des éclairs, de la voix des tempêtes et de la voix des vagues de la mer se soulevant au-delà de leurs limites. Et tout sera en tumulte, et assurément le cœur des hommes leur manquera, car la crainte s'abattra sur tous les peuples. Des anges voleront par le milieu du ciel, criant d'une voix forte, sonnant de la trompette de Dieu, disant : Préparez-vous, préparez-vous, ô habitants de la terre ; car le jugement de notre Dieu est venu. Voici, l'Époux vient, sortez à sa rencontre. » [26]
 
L'une des caractéristiques de la révélation actuelle c'est qu'elle répète le fait que l'événement est proche, « même à la porte ». L'époque fatidique est appelée à plusieurs reprises dans les Écritures : le « jour du Seigneur, jour grand et redoutable » [27]. Il sera en effet redoutable pour les personnes, les familles et les nations qui se sont enfoncées à ce point dans le péché qu'elles ont perdu tout droit à la miséricorde. Ce moment-là ne sera pas celui du jugement final - où le genre humain tout entier se tiendra dans l'état ressuscité devant la barre de Dieu - néanmoins ce sera une époque de bénédictions sans précédent pour les justes et de condamnation et de vengeance contre les méchants [28]. Avec le Christ viendront ceux qui ont déjà été ressuscités, et son approche marquera le début d'une résurrection générale des justes qui sont morts, tandis que les purs et les justes qui sont encore dans la chair seront instantanément changés de l'état mortel à l'état d'immortalité et seront enlevés avec les morts nouvellement ressuscités pour aller à la rencontre du Seigneur et de sa compagnie céleste, et descendront avec lui. C'est dans ce sens que Paul prophétisa : « (nous croyons aussi que) Dieu ramènera aussi par Jésus, et avec lui, ceux qui se sont endormis... Car le Seigneur lui-même, à un signal donné, à la voix d'un archange, au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel, et les morts en Christ ressusciteront en premier lieu. Ensuite, nous les vivants, qui serons restés, nous serons enlevés ensemble avec eux dans les nuées, à la rencontre du Seigneur dans les airs » [29]. Comparez la promesse faite aux trois Néphites : « Et vous ne subirez jamais les souffrances de la mort ; mais lorsque je viendrai dans ma gloire, vous serez changés en un clin d'œil de la mortalité à l'immortalité » [30]. En ce qui concerne les gloires extrêmes qui attendent les justes lorsque le Seigneur viendra, nous en avons reçu aujourd'hui une description partielle comme suit : « Et la face du Seigneur sera dévoilée. Et les saints qui seront sur la terre, qui seront vivants, seront vivifiés et enlevés à sa rencontre » [31]. Les nations païennes seront rachetées et prendront part à la première résurrection [32].
 
AVÈNEMENT DU ROYAUME DES CIEUX
 
La venue du Christ dans les derniers jours, accompagné par les apôtres d'autrefois [33] et par les saints ressuscités, marquera l'établissement du royaume des cieux sur la terre. Les apôtres fidèles qui étaient avec Jésus dans son ministère terrestre doivent être couronnés juges de toute la maison d'Israël [34] ; ils jugeront les Douze néphites qui, à leur tour, auront le pouvoir de juger les descendants de Léhi, ou cette branche de la nation israélite qui fut établie sur le continent américain [35].
 
Les expressions « royaume de Dieu » et « royaume des cieux » sont utilisées l'une pour l'autre dans la Bible ; cependant les révélations ultérieures donnent à chacune un sens distinct. Le royaume de Dieu est l'Église établie par l'autorité divine sur la terre ; cette institution n'élève aucune prétention à gouverner temporellement les nations ; son sceptre est celui de la sainte prêtrise, qu'elle doit utiliser dans la prédication de l'Évangile et dans l'administration de ses ordonnances pour le salut de l'humanité, vivante et morte. Le royaume des cieux est le système divinement institué de gouvernement et de domination dans tous les domaines, temporels et spirituels ; il sera établi sur la terre lorsque son chef légitime, le Roi des rois, jésus le Christ, viendra régner. Son administration sera un règne d'ordre, fonctionnant par l'entremise des représentants qu'il a nommés, investis de la sainte prêtrise. Ce n'est que lorsque le Christ paraîtra dans sa gloire que sera réalisé l'accomplissement total de cette supplication : « Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. »
 
Le royaume de Dieu a été établi parmi les hommes pour les préparer au royaume des cieux qui viendra ; et c'est lors du règne béni du Christ, le Roi, que les deux royaumes seront unifiés. Le rapport qui existe entre eux a été révélé à l'Église de la manière suivante :
 
« Écoutez, et voici, une voix, semblable à celle de quelqu'un envoyé d'en haut, qui est puissant et fort, qui va jusqu'aux extrémités de la terre, oui, dont la voix dit aux hommes : Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers. Les clefs du royaume de Dieu sont remises à l'homme sur la terre, et c'est de là que l'Évangile roulera jusqu'aux extrémités de la terre, comme la pierre, détachée de la montagne sans le secours d'aucune main, roulera jusqu'à remplir toute la terre. Oui, une voix qui crie : Préparez le chemin du Seigneur, préparez le souper de l'Agneau, préparez-vous pour l'Époux. Priez le Seigneur, invoquez son saint nom, faites connaître ses œuvres merveilleuses parmi le peuple. Invoquez le Seigneur pour que son royaume aille de l'avant sur la terre, pour que les habitants de la terre le reçoivent et soient préparés pour les jours à venir, où le Fils de l'Homme descendra dans les cieux, revêtu de l'éclat de sa gloire, à la rencontre du royaume de Dieu qui est établi sur la terre. C'est pourquoi, que le royaume de Dieu aille de l'avant afin que le royaume des cieux puisse venir, afin que toi, ô Dieu, tu sois glorifié sur terre comme au ciel, afin que tes ennemis soient soumis ; car c'est à toi qu'appartiennent l'honneur, la puissance et la gloire, pour toujours et à jamais. Amen. » [36]
 
LE MILLÉNIUM
 
L'instauration du règne du Christ sur la terre marquera le commencement d'une période qui, sous de nombreux rapports, se distinguera de toutes les époques antérieures et ultérieures ; alors le Seigneur régnera mille ans avec son peuple. Pendant tout ce millénium, le gouvernement des individus, des communautés et des nations sera une théocratie parfaite, avec Jésus le Christ pour Seigneur et Roi. Les méchants du genre humain auront été détruits, et pendant cette période, Satan sera lié « afin qu'il ne séduise plus les nations, jusqu'à ce que les mille ans soient accomplis », tandis que les justes partageront avec le Christ un gouvernement et une domination parfaits. Les justes qui sont morts seront sortis de leur tombeau, tandis que les méchants resteront sans ressusciter jusqu'à ce que les mille ans soient écoulés [37]. Les hommes qui seront encore dans la chair se mêleront à des êtres immortalisés ; les enfants grandiront jusqu'à la maturité et puis mourront en paix ou seront changés à l'immortalité « en un clin d'œil » [38]. Il y aura un sursis d'inimitié entre l'homme et la bête ; le venin des serpents et la férocité de la création brutale disparaîtront, et l'amour sera la puissance de contrôle dominante. Parmi les toutes premières révélations sur ce sujet, il y a celle qui fut faite à Énoch dans laquelle fut donnée comme suit l'assurance que ce prophète et son peuple juste reviendraient avec le Christ dans les derniers jours :
 
« Et le Seigneur dit à Énoch : Alors tu les y rencontreras, toi et toute ta ville ; et nous les recevrons dans notre sein, et ils nous verront ; et nous nous jetterons à leur cou, et ils se jetteront à notre cou, et nous nous embrasserons les uns les autres. Et là sera ma demeure, et ce sera Sion, qui sortira de toutes les créations que j'ai faites. Et la terre se reposera pendant mille ans. Et il arriva qu'Énoch vit le jour de la venue du Fils de l'Homme, dans les derniers jours, pour demeurer en justice sur la terre pendant mille ans. » [39]
 
À notre époque, le Seigneur a parlé comme suit, exigeant que l'on se prépare pour l'époque millénaire, et en décrivant partiellement les gloires :
 
« Et se préparent pour la révélation qui va venir, lorsque le voile qui couvre mon temple, dans mon tabernacle, qui cache la terre, sera enlevé et que toute chair à la fois me verra, et où tout ce qui est corruptible, tant dans l'homme que dans les bêtes des champs, les oiseaux des cieux ou les poissons de la mer, et qui demeure sur toute la surface de la terre, sera consumé, et où tout ce qui est corruptible dans l'élément embrasé se dissoudra et où toutes choses deviendront nouvelles afin que ma connaissance et ma gloire demeurent sur toute la terre. Ce jour-là, l'inimitié de l'homme et l'inimitié des bêtes, oui, l'inimitié de toute chair cessera devant ma face. Ce jour-là, tout ce que l'homme demandera lui sera donné. Ce jour-là, Satan n'aura plus le pouvoir de tenter personne. Et il n'y aura pas de tristesse, parce qu'il n'y aura pas de mort. Ce jour-là, le nourrisson ne mourra pas avant d'être vieux, et sa vie sera comme l'âge d'un arbre ; et lorsqu'il mourra, il ne dormira pas, c'est-à-dire, dans la terre, mais sera changé en un clin d'œil et sera enlevé, et son repos sera glorieux. Oui, en vérité, je vous le dis, ce jour-là où le Seigneur viendra, il révélera tout. » [40]
 
Le millénium doit précéder l'époque désignée par l'expression scripturaire « la fin du monde ». Lorsque les mille ans seront écoulés, Satan sera libéré pour un peu de temps, alors viendra la mise à l'épreuve finale de l'intégrité de l'homme vis-à-vis de Dieu. Ceux qui sont enclins à l'impureté du cœur céderont à la tentation tandis que les justes persévéreront jusqu'à la fin [41]. Une révélation dans ce sens fut donnée à l'Église en 1831, disant entre autres :
 
« Car le grand millénium dont j'ai parlé par la bouche de mes serviteurs viendra. Car Satan sera lié, et lorsqu'il sera de nouveau délié, il ne régnera que pour un peu de temps, et alors viendra la fin de la terre. Et celui qui vit dans la justice sera changé en un clin d'œil, et la terre passera comme par le feu. Et les méchants s'en iront dans un feu qui ne s'éteint pas, et nul homme sur terre ne connaît leur fin ni ne la connaîtra jamais, jusqu'à ce qu'ils viennent devant moi en jugement. Écoutez ces paroles. Voici, je suis Jésus-Christ, le Sauveur du monde. Amassez toutes ces choses dans votre cœur, et que la gravité de l'éternité repose sur votre esprit. » [42]
 
LA FIN CÉLESTE
 
La défaite de Satan et de ses armées sera complète. Les morts, petits et grands, tous ceux qui ont eu le souffle de la vie sur la terre, seront ressuscités - toutes les âmes qui ont eu un tabernacle de chair, qu'elles aient été bonnes ou mauvaises - et se tiendront devant Dieu, pour être jugées selon ce qui est écrit dans les livres [43]. C'est ainsi que la mission du Christ sera menée à une fin glorieuse. « Ensuite viendra la fin, quand il remettra le royaume à celui qui est Dieu et Père, après avoir aboli toute principauté, tout pouvoir et toute puissance. Car il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il ait mis tous les ennemis sous ses pieds » [44]. Alors le Seigneur Jésus « remettra le royaume et le présentera sans tache au Père, disant: J'ai vaincu et j'ai été seul à fouler au pressoir, oui, au pressoir de la colère ardente du Dieu Tout-Puissant. Alors, il sera couronné de la couronne de sa gloire pour s'asseoir sur le trône de son pouvoir, pour régner pour toujours et à jamais » [45]. La terre passera à son état glorifié et célestialisé, demeure éternelle pour les fils et les filles exaltés de Dieu. Ils régneront éternellement, rois et prêtres du Très-Haut, rachetés, sanctifiés et exaltés par leur Seigneur et Dieu.
 
 [1] Ac 1:11.
 [2] Chap. 38 et 41 ; voir aussi D&A 110:8 ; cf. 36:8, 42:36, 97:15,16, 109:5, 124:27, 133:2.
 [3] Jude 14, 15 ; cf. Gn 5:18 ; voir aussi la référence suivante.
 [4] PGP, Moïse 7:59, 60, 65. Note 1, fin du chapitre.
 [5] Es 35:4 ; voir aussi Ps 50:3 ; Ml 3:1 ; 4:5, 6 ; chap. 11 du présent ouvrage, note 1.
 [6] Mt 16:27.
 [7] Mc 8:38 ; cf. Lc 9:26.
 [8] Mt 26:64.
 [9] Mt 24:3 ; Mc 13:26 ; Lc 21:7 ; Ac 1:6 ; cf. chap. 11 du présent ouvrage, notes.
 [10] Mt 24 ; voir chapitres 32 et 40 supra.
 [11] Voir Ac 3:20, 21 ; 1 Co 4:5, 11:26 ; Ph 3:20 ; 1 Th 1:10, 2:19, 3:13, 4:15-18 ; 2 Th 2:1, 8 ; 1 Tm 6:14,15 ; Tt 2:13 ; Jc 5:7, 8 ; 1 P 1:5-7, 4:13 ; 1 Jn 2:28, 3:2 ; Jude 14, etc.
 [12] LM, 3 Né 26:3, 4.
 [13] LM, 3 Né 28:7, 8 ; voir aussi 29:2.
 [14] D&A 29:9-11.
 [15] D&A 33:17, 18.
 [16] D&A 34:4-8.
 [17] D&A 45:37-44 ; cf. cette section avec Mt 24 et Lc 21:5-36. Voir aussi D&A 49:23-26.
 [18] D&A 64:23-25.
 [19] Mt 24:36 ; cf. Mc 13:32 37 ; voir chap. 32 et 37 du présent ouvrage.
 [20] D&A 49:7 ; le contexte montre que les paroles sont celles du Père.
 [21] 1 Th 5:2 ; 2 P 3:10 ; cf. Mt 24:43, 44, 25:13 ; Lc 12:39, 40 ; chap. 32 du présent ouvrage.
 [22] Chap. 32.
 [23] D&A 49:24, 25.
 [24] D&A 45:68-71.
 [25] D&A 133:7-14, 21-35 ; Articles de Foi, chapitres 18 et 19.
 [26] D&A 88:86-92.
 [27] D&A 110:14, 16 ; cf. Jl 2:31 ; MI 4:5 ; LM, 3 Né 25:5.
 [28] D&A 29:11-17.
 [29] 1 Th 4:14-17.
 [30] LM, 3 Né 28:8 ; voir chap. 39 du présent ouvrage.
 [31] D&A 88:95-98.
 [32] Note 2, fin du chapitre.
 [33] D&A 29:12.
 [34] D&A 29:12 ; cf. Mt 19:28 ; Lc 22:30 ; chap. 27 du présent ouvrage.
 [35] LM, 3 Né 27:27 ; cf. 1 Né 12:9, 10 ; Morm 3:18, 19.
 [36] D&A 65. On trouvera un traitement plus complet de ce sujet ainsi que de la distinction entre Église et Royaume dans Articles de Foi, p. 444-449.
 [37] Ap 20:1-6 ; cf. D&A 43:18.
 [38] D&A 63:50-51, 101:30 ; cf. 1 Co 15:51-57.
 [39] PGP, Moïse 7:63-65.
 [40] D&A 101:23-32 ; cf. Es 65:17-25 et 11:6-9 ; voir D&A 29:11, 22, 43:30, 63:51.
 [41] Ap 20:7-15.
 [42] D&A 43:30-34. Voir aussi Articles de Foi, p. 449-452.
 [43] Ap 20:11-15.
 [44] 1 Co 15:24-27.
 [45] D&A 76:107, 108.
 
NOTES DU CHAPITRE 42
 
1. Énoch : dont Jude dit qu'il est « le septième depuis Adam », était le père de Métuschélah. Dans Gn 5:24, nous lisons : « Énoch marcha avec Dieu ; puis il ne fut plus, parce que Dieu l'enleva. » La révélation que le Seigneur donna à Moïse nous apprend qu'Énoch était un homme puissant, favorisé de Dieu à cause de sa justice, et chef et révélateur de son peuple. Par son intervention fut construite une ville dont les habitants excellèrent à ce point dans une vie juste qu'ils étaient d'un seul cœur et d'un seul esprit et qu'il n'y avait pas de pauvres parmi eux. On l'appela la Ville de Sainteté ou Sion. Le reste du genre humain était totalement corrompu aux yeux du Seigneur. Énoch et son peuple furent enlevés de la terre et doivent revenir avec le Christ lors de sa venue (PGP, Moïse 7:12-21, 68, 69 ; comparez D&A 45:11, 12).
 
2. Les païens dans la première résurrection : « Alors les nations païennes seront rachetées et ceux qui n'ont pas connu de loi auront part à la première résurrection ; et elle sera supportable pour eux » (D&A 45:54). Telle est la parole de Dieu en ce qui concerne ces peuples enténébrés qui vivent et meurent dans l'ignorance des lois de l'Évangile. Cette affirmation est soutenue par d'autres Écritures et par l'examen des principes de la véritable justice selon lesquels l'humanité doit être jugée. L'homme sera tenu pour innocent ou coupable selon ses actes tels qu'ils seront interprétés à la lumière de la loi sous laquelle il doit vivre. Il est contraire à notre conception d'un Dieu juste de le croire capable d'infliger une condamnation à quiconque pour ne s'être point conformé à une loi dont cette personne n'avait aucune connaissance. Néanmoins, les lois de l'Évangile ne peuvent être suspendues, même dans le cas de ceux qui ont péché dans les ténèbres et l'ignorance ; mais il est raisonnable de croire que le plan de rédemption donnera à ces enténébrés l'occasion d'apprendre les lois de Dieu ; et dès qu'ils les auront apprises, ils devront y obéir sous peine de châtiments (voir Articles de Foi, p. 472).
 
3. Régénération de la terre : À propos des gloires graduées et progressives prévues pour ses créations et des lois de la régénération et de la sanctification, le Seigneur a révélé ce qui suit, à notre époque : « Et de plus, en vérité, je vous le dis, la terre se conforme à la gloire d'un royaume céleste car elle remplit la mesure de sa création et ne transgresse pas la loi - c'est pourquoi, elle sera sanctifiée ; oui, bien qu'elle doive mourir, elle sera vivifiée et supportera le pouvoir qui l'aura vivifiée et les justes en hériteront » (D&A 88:25, 26). Ce changement prévu par lequel la terre passera à l'état d'un monde célestialisé, de nombreuses Écritures le qualifient comme l'institution « d'un nouveau ciel et d'une nouvelle terre » (Ap 21:1, 3, 4 ; LM, Éther 13:9 ; D&A 29:23).