Histoire de la guerre dans Livre de Mormon


William J. Hamblin
 



Une grande partie du Livre de Mormon traite de conflits militaires. Dans des récits divers, instructifs et moralement édifiants, le Livre de Mormon rapporte une grande variété de coutumes, de techniques et de tactiques militaires semblables à celles que l’on trouve dans beaucoup de sociétés pré-modernes (avant 1600-1700 apr. J.-C.), particulièrement certaines croyances et conventions typiquement israélites adaptées à la région de la Méso-Amérique.
 
Le Livre de Mormon enseigne que la guerre est le résultat de l'iniquité. Des guerres et des destructions s’abattent sur les Néphites à cause des querelles, des meurtres, de l'idolâtrie, des fornications et des abominations « qui existaient parmi eux », tandis que ceux qui étaient « fidèles à garder les commandements du Seigneur furent délivrés en tout temps » de la captivité, de la mort ou de l'incrédulité (Al. 50:21-22).
 
Le Livre de Mormon condamne implicitement les guerres d'agression. Jusqu'à leur calamité finale, tous les objectifs militaires néphites étaient strictement défensifs. Tous les Néphites de sexe masculins qui étaient aptes avaient l’obligation formelle et sacrée de défendre leurs familles, leur pays et leurs libertés religieuses (Al. 43:47 ; 46:12), mais seulement quand Dieu le leur commandait.

GUERRE. Dans le Livre de Mormon, hormis les convertis ammonites qui ont fait serment de ne plus jamais verser le sang et la période remarquable de paix qui suit la visite du Christ, les conflits armés à différents niveaux d'intensité sont un phénomène presque constant. Plusieurs prophètes et héros du Livre de Mormon sont des militaires qui combattent pour défendre leur peuple, témoins des réalités sinistres de la guerre dans l'histoire antique.
 
La religion et la guerre ont des liens étroits dans le Livre de Mormon. Certains éléments du principe de la « guerre sainte » israélite s’y retrouvent, comme l'idée importante dans l’antiquité que le succès à la guerre était dû fondamentalement à la volonté de Dieu et à la justice du peuple (Al. 2:28 ; 44:4-5 ; 50:21 ; 56:47 ; 57:36 ; 58:33 ; Mrm. 2:26). Les armées néphites consultaient les prophètes avant d'aller au combat (Al. 16:5 ; 43:23-24 ; 3 Né. 3:19) contractaient des alliances avec Dieu avant la bataille. À une certaine occasion, les soldats néphites font le serment solennel d’obéir aux commandements de Dieu et de combattre vaillamment pour la cause de la justice, jetant leurs vêtements par terre aux pieds de leur chef et invitant Dieu à les jeter de la même façon aux pieds de leurs ennemis s'ils violent leur serment (Al. 46:22 ; cf. 53:17). Dans l’histoire des jeunes guerriers d’Hélaman on peut voir un code de pureté pour les guerriers (Al. 56-58).
 
Comme c’était le cas dans toutes les situations pré-modernes, la guerre dans le Livre de Mormon était étroitement liée à l'environnement et à l'écologie naturels : temps, altitude, terrain, approvisionnements en nourriture, caractère saisonnier et cycles agricoles. La géographie détermine dans une certaine mesure la stratégie et les tactiques (Sorenson, 1985, p. 239-276). Le moment favorable pour les campagnes militaires dans le Livre de Mormon semble avoir été entre les onzième et quatrième mois, que l’on a comparé au fait que les actions militaires avaient souvent lieu pendant les mois frais et secs succédant à la moisson, soit à partir de novembre jusqu’en avril en Méso-Amérique (voir Alma 16:1 ; 49:1 ; 52:1 ; 56:27 ; Ricks et Hamblin, p. 445-477).
 
Les animaux, utilisés comme bêtes de somme ou montés pour aller au combat, n'étaient de toute évidence ni très disponibles ni d’usage pratique dans le monde néphite : le Livre de Mormon ne mentionne jamais l’utilisation d’un animal à des fins militaires.
 
Du point de vue de la technique, les soldats néphites se battaient, d’une façon ou d’une autre, avec des armes de jet ou de corps à corps et portaient fréquemment une armure. Ils se servaient de la métallurgie pour faire les armes et les armures et du génie pour dresser des fortifications. Dans le Livre de Mormon, Néphi enseigne à son peuple à faire des épées sur le modèle de l'épée de Laban (2 Né. 5:14-15). Les innovations décrites comportent une prolifération des fortifications (que l’on croyait jadis inexistantes dans l’Amérique antique) et des armures néphites au premier siècle av. J.-C. (Al. 43:19 ; 48), bientôt copiées par les Lamanites (Al. 49:24). On a fait remarquer que les armes (épées, cimeterres, arcs et flèches) et les armures (plastrons de cuirasse, boucliers, écus et casques [le mot casque a été utilisé dans la version française à cause de la difficulté de rendre l’anglais « headplate », littéralement « plaque de tête »]) mentionnés dans le Livre de Mormon sont comparables à ceux qui ont été trouvés en Méso-Amérique ; les cottes de mailles, les casques, les chars de combat, la cavalerie et les machines de siège complexes sont absents dans le Livre de Mormon et en Méso-Amérique, en dépit de leur importance dans les descriptions bibliques (Ricks et Hamblin, p. 329-424).
 
La capacité de recruter, d’équiper, de former, d’alimenter et de déplacer de grands groupes de soldats représentait une entreprise importante pour ces sociétés, les poussant souvent au-delà de leurs limites et contribuant de ce fait à leur effondrement final. Comme l’illustre l'histoire de Moroni 1 et de Pahoran, la guerre exerçait une pression sociale et économique terrible sur la société néphite (Al. 58-61). La taille des armées néphites coïncidait avec la croissance démographique générale : Les armées comptaient des milliers d’hommes au premier siècle av. J.-C. et des dizaines de milliers au quatrième siècle apr. J.-C.
 
Il apparaît que l'organisation militaire dans le Livre de Mormon était aristocratique et dominée par une élite héréditaire hautement entraînée. Ainsi, par exemple, des chefs militaires tels que Moroni 1, son fils Moronihah et Mormon deviennent chacun capitaine en chef à un jeune âge (Al. 43:17 ; 62:39 ; Mrm. 2:1).
 
Les armées du Livre de Mormon étaient organisées selon un système décimal de centaines, de milliers et de dix mille, comme c’était typiquement le cas dans l’Israël ancien et dans beaucoup d'autres organisations militaires antiques.
 
Le livre d'Alma fait d’une manière vivante et réaliste le récit des sombres réalités, des tensions et des souffrances de la guerre (CWHN 7:291-333). Les préparatifs pour la guerre étaient complexes : il y est souvent question d'approvisionnements, de marches et de contre-marches. La main d'œuvre était recrutée dans les rangs des citoyens ordinaires ; les soldats devaient être équipés et organisés pour les marches et la tactique et mobilisés à des endroits centraux.
 
Certaines batailles étaient menées à des moments et dans des endroits arrangés au préalable, comme quand Mormon rencontre les Lamanites à Cumorah (Mrm. 6:2 ; cf. 3 Né. 3:8). Mais une grande partie du temps on a affaire à de la guérilla ou à des attaques surprise : Les brigands de Gadianton ont l’habitude de piller les villes, d’éviter les conflits ouverts, lancent des exigences terroristes et assassinent secrètement les autorités gouvernementales.
 
Les opérations proprement dites sur le champ de bataille ne représentent habituellement qu’une petite partie d'une campagne. Les éclaireurs et les espions partaient en reconnaissance pour trouver de la nourriture, des pistes et l'endroit où se trouvaient les troupes ennemies. Les plans de bataille étaient généralement faits peu avant la rencontre avec l'ennemi et ils avaient fréquemment la forme d'un conseil, comme celui tenu par Moroni dans Alma 52:19.
 
Quand le combat lui-même commençait, il s’avérait sans aucun doute qu’il était difficile de contrôler l'armée. Les soldats combattaient généralement dans des unités distinguées par des bannières tenues par un officier. L’étendard de Moroni, ou « titre de la liberté », a apparemment rempli de telles fonctions (Al. 43:26, 30 ; 46:19-21, 36).
 
Dans la mesure où l’on peut le déterminer, les attaques commençaient traditionnellement par un échange de missiles visant à blesser et à démoraliser l'ennemi ; venait ensuite le combat en corps à corps. La bataille décrite dans Alma 49 fait une bonne description des duels d’archers précédant des mêlées en corps à corps. Quand la panique commençait à se répandre dans les rangs, l'effondrement complet pouvait être soudain et dévastateur. La mort du roi ou du commandant menait habituellement à la défaite ou à la reddition immédiate, comme cela se passe dans Alma 49:25. La mort d'un roi lamanite pendant la nuit précédant la nouvelle année se révéla particulièrement démoralisante (Al. 52:1-2). La plupart des pertes se produisaient pendant la fuite et la poursuite après la désintégration des unités principales ; il y a, dans le Livre de Mormon, plusieurs exemples de déroute, de fuite et de destruction d'une armée (par exemple, Alma 52:28 ; 62:31).
 
Des lois et un comportement coutumier géraient également les relations militaires et la diplomatie. Les serments militaires étaient pris très au sérieux. Les serments de fidélité de la part des troupes et les serments de reddition des prisonniers sont mentionnés fréquemment dans le Livre de Mormon et les traités étaient principalement conclus avec des serments de non-agression (Al. 44:6-10, 20 ; 50:36 ; 62:16 ; 3 Né. 5:4-5). Légalement, les brigands étaient considérés comme des cibles militaires au contraire des contrevenants ordinaires (Hél. 11:28). Parmi les autres éléments de loi martiale dans le Livre de Mormon il y a la suspension des processus juridiques ordinaires et le transfert de l'autorité légale aux officiers militaires commandants (Al. 46:34), les restrictions aux déplacements, les avertissements avant le commencement des hostilités (3 Né. 3 ; cf. De. 20:10-13), l'octroi extraordinaire de l'exemption militaire à condition que les exemptés fournissent des approvisionnements et un appui (Al. 27:24 ; cf. De. 20:8 ; Talmud babylonien, Sotah 43a-44a) et des exigences de traitement humanitaire pour les captifs et les femmes.
 
GUERRES. On peut distinguer quatre-vingt-cinq conflits armés dans le Livre de Mormon (Ricks et Hamblin, p. 463-474). Certains sont de brèves escarmouches, d'autres, de longues campagnes. Certains sont des guerres civiles, d'autres sont interethniques. Les causes des guerres varient et les alliances fluctuent en conséquence. Les guerres principales sont les suivantes :
 
Dans les premiers conflits tribaux (v. 550-200 av. J.-C.), les conflits sociaux, religieux et culturels donnent lieu à des agressions lamanites répétées après que les Néphites se sont séparés des Lamanites. Les Néphites ne s'épanouissent pas dans ces circonstances et, pour échapper à d'autres attaques, ils finissent par quitter le pays de Néphi et se dirigent vers le nord jusqu’à Zarahemla.

Le fils du roi Laman (v. 160-150 av. J.-C.), envieux de la prospérité néphite et irrité contre eux parce qu’ils avaient pris les annales (particulièrement les plaques d’airain, Mosiah 10:16), attaque le peuple de Zénif (des Néphites qui sont revenus au pays de Néphi) et le peuple de Benjamin (Néphites et Mulékites au pays de Zarahemla). Suite à ces campagnes, Zénif devient vassal des Lamanites. La victoire de Benjamin unit plus fermement le pays de Zarahemla sous son règne (Pa. ; Mosiah 9-10).

La guerre d'Amlici (87 av. J.-C.) est une guerre civile à Zarahemla, déclenchée par le remplacement de la fonction royale à celle de juge et par l'exécution de Néhor. Amlici, partisan de Néhor, milite en faveur du retour à la royauté. Cette guerre civile est la première fois, à notre connaissance, que des dissidents néphites s'allient à des Lamanites ; elle débouche sur une paix instable (Al. 2-3).
 
La destruction soudaine d'Ammonihah (81 av. J.-C.), un centre des partisans récalcitrants de Néhor, est déclenchée par la colère lamanite envers certains Néphites qui ont amené certains Lamanites à en tuer d'autres (Al. 16 ;24-25).
 
Le passage des Ammonites (77 av. J.-C.) du territoire lamanite au pays de Jershon pour rejoindre les Néphites conduit à une invasion lamanite majeure des terres néphites (Al. 28).
 
Trois ans après, beaucoup de Zoramites pauvres sont convertis par les Néphites et passent d'Antionum (la capitale zoramite) à Jershon (pays donné aux Ammonites par les Néphites avec des garanties de protection). La perte de cette main d’œuvre va provoquer l'attaque des Zoramites alliés aux Lamanites et d'autres contre les Néphites (Al. 43-44). De nouvelles formes d'armure introduites par les Néphites caractérisent cette guerre.
 
Pendant cette décennie turbulente, un homme politiquement ambitieux appelé Amalickiah, avec des alliés lamanites, va chercher à rétablir une royauté à Zarahemla après la disparition d'Alma 2. Amalickiah est battu (72 av. J.-C.), mais il jure de revenir et de tuer Moroni 1 (Al. 46-50). Il s’ensuit une campagne de sept ans (67-61 av. J.-C.), avec des combats dans deux arènes, une au sud-ouest de Zarahemla et l'autre sur le bord de mer au nord de Zarahemla. Les villes périphériques tombent et la capitale est infestée de conflits civils. À la longue, les Néphites remporteront une victoire coûteuse (Al. 51-62).
 
Lors de la courte guerre de Tubaloth (51 av. J.-C.), Tubaloth, fils d'Ammoron, et Coriantumr (un descendant du roi Zarahemla) s’emparent du pays de Zarahemla, mais ne peuvent pas le conserver, pendant le chaos politique qui suit la rébellion de Paanchi après la mort du grand juge Pahoran (Hél. 1). Suite à cela, les brigands de Gadianton parviennent au pouvoir et certains Néphites commencent à émigrer vers le nord.
 
La guerre de Moronihah (38, 35-30 av. J.-C.) suit la nomination de Néphi 2 comme grand juge (Hél. 4). Les dissidents néphites, de concert avec les Lamanites, occupent la moitié des terres néphites et Néphi 2 démissionne du siège du jugement.
 
Les guerres de Gadianton et de Kishkumen (26-19 av. J.-C.) commencent par l’assassinat de deux grands juges consécutifs, Cézoram et son fils ; la cupidité et les luttes pour le pouvoir suscitent des conflits avec les brigands de Gadianton autour de Zarahemla. Les Lamanites s'unissent aux Néphites contre ces brigands jusqu'à ce qu’une famine, appelée du ciel par le prophète Néphi 2, apporte une victoire néphite temporaire (Hél. 6-11).
 
Giddianhi et Zemnarihah (13-22 apr. J.-C.) lancent des campagnes menaçantes contre les quelques Néphites et Lamanites justes qui restent et ont uni leurs forces à ce moment-là (3 Né. 2-4). À court d’approvisionnements, les brigands de Gadianton deviennent plus visibles et plus agressifs ; ils revendiquent des droits sur les terres et sur le gouvernement néphites. La coalition des Néphites et des Lamanites finit par battre les brigands.
 
Les guerres néphites finales (322, 327-328, 346-350 apr. J.-C.) commencent après qu’une croissance de population et une infestation de brigands causent un conflit frontalier, et les Néphites sont refoulés jusqu’à une étroite bande de terre. Les Néphites fortifient la ville de Sem et parviennent à obtenir un traité de paix de dix ans (Mrm. 1-2), mais ils finissent par contre-attaquer dans le sud. Une grande méchanceté existe des deux côtés (Mrm 6 ; Mro. 9), jusqu'à ce que sur un champ de bataille convenu d’avance, les Néphites affrontent les Lamanites et soient annihilés (v. 385 apr. J.-C.).
 
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles beaucoup de chapitres du Livre de Mormon traitent de guerre.

1. L'inévitabilité de la guerre était un souci fondamental dans pratiquement toutes les civilisations antiques. Les ressources économiques disponibles étaient souvent en grande partie consacrées à entretenir une force militaire ; la conquête est un facteur important dans la transformation et le développement des sociétés du Livre de Mormon comme elle l’a été dans la croissance de la plupart des civilisations du monde.
 
2. Le Livre de Mormon est un document religieux, et pour le peuple du Livre de Mormon, comme pour presque toutes les cultures antiques, la guerre est fondamentalement sacrale. On la fait dans un mélange complexe d'idéologie et de rituel religieux. 
 
3. Mormon, qui a compilé et abrégé le Livre de Mormon, était lui-même un commandant militaire. Beaucoup de dirigeants politiques et religieux du Livre de Mormon étaient étroitement associés si pas identiques à leurs commandants ou élites militaires.

4. Ces récits faisaient passer des messages religieux importants. Les guerres dans l'histoire néphite vérifient les paroles de leurs prophètes tels qu'Abinadi et Samuel le Lamanite (Mrm. 1:19). Les guerres étaient les instruments du jugement de Dieu (Mrm. 4:5) et de la délivrance accordée par Dieu (Al. 56:46-56). Elles sont, en fin de compte, un témoin contraignant mettant en garde les hommes d’aujourd'hui contre le danger d’être victimes du même sort que les Néphites et les Jarédites ont fini par s’infliger à eux-mêmes (Mrm. 9:31 ; Ét. 2:11-12).  


Bibliographie

De Vaux, Roland. Ancient Israel. New York, 1965.

Hillam, Ray. "The Gadianton Robbers and Protracted War." BYU Studies 15, 1975, p. 215-224.

Ricks, Stephen D., et William J. Hamblin, dir. De publ. Warfare in the Book of Mormon. Salt Lake City, 1990 (on trouvera une bibliographie supplémentaire aux pages 22-24).

Sorenson, John L. An Ancient American Setting for the Book of Mormon, p. 239-276. Salt Lake City, 1985.


Article tiré de l'Encyclopédie du mormonisme, Macmillan Publishing Company, 1992, traduction Marcel Kahne, source www.idumea.org, avec autorisation