Comprendre l’islam


Daniel C. Peterson

Professeur d’études islamiques et d’arabe, université Brigham Young




Il ne se passe presque pas de jour sans que l’islam et les musulmans fassent les gros titres de l’actualité, pour le meilleur ou pour le pire. Comme on peut le comprendre, de nombreux non-musulmans, dont des membres de l’Église, sont curieux, voire préoccupés. Avons-nous quoi que ce soit de commun avec nos voisins musulmans ? Pouvons-nous vivre et travailler ensemble ?

Pour commencer, il peut être utile de donner quelques repères historiques :

En 610 ap. J.-C., un marchand arabe d’âge moyen, du nom de Mahomet, gravit les collines surplombant sa ville natale, La Mecque, pour réfléchir et prier au sujet de la confusion religieuse qui régnait dans son entourage. Par la suite, il raconta qu’il avait eu une vision et avait été appelé prophète pour son peuple. Cet événement marque la naissance de la religion appelée islam, mot qui signifie « soumission » (à Dieu). Une personne qui adhère à l’islam est un musulman, ce qui signifie « qui se soumet ».

Par la suite, Mahomet dit avoir reçu de nombreuses révélations, jusqu’à sa mort, près de vingt-cinq ans plus tard. Il en fit d’abord part aux habitants de sa ville natale, les avertissant de jugements divins à venir, appelant son auditoire à se repentir et à bien traiter les veuves, les orphelins et les pauvres, et prêchant la résurrection universelle des morts et le jugement final de Dieu.

Mais les railleries et les persécutions que ses partisans et lui subirent devinrent si intenses qu’ils durent fuir vers la ville de Médine, à quatre jours à dos de chameau, au nord.

Là, le rôle de Mahomet changea radicalement [1]. De simple prédicateur et voix d’avertissement qu’il était, il devint législateur, juge et chef politique d’une ville arabe importante, et, par la suite, de la péninsule arabique. Cet établissement précoce d’une communauté de croyants donna à l’islam une identité religieuse enracinée dans la loi et la justice, qui reste l’une de ses caractéristiques les plus frappantes et les plus importantes.

Deux factions principales se sont formées parmi les disciples de Mahomet après sa mort en 632 ap. J.-C., divisées à l’origine sur la question de savoir qui lui succéderait comme chef de la communauté islamique [2]. La plus grande de ces deux factions a été appelée sunnite (elle dit suivre la Sunna, ou la pratique ordinaire de Mahomet), et est relativement flexible en ce qui concerne la succession. L’autre, qui s’est constituée autour du gendre de Mahomet, Ali, a été appelée shi‘at Ali (la faction d’Ali) et est maintenant largement connue sous le nom de chiite. À la différence des sunnites, les musulmans chiites croient que le droit de succéder à Mahomet en tant que chef de la communauté appartient légitimement au plus proche parent masculin du prophète Mahomet, Ali, et à ses descendants.

En dépit de ces désaccords, le monde musulman a été plus uni, sur le plan religieux, que la chrétienté. En outre, pendant plusieurs siècles après environ 800 ap. J.-C., la civilisation musulmane était sans doute la plus avancée du monde dans les domaines de la science, de la médecine, des mathématiques et de la philosophie.

Sources de la doctrine et de la pratique musulmanes

Les révélations revendiquées par Mahomet ont été rassemblées en un livre appelé le Coran (du verbe arabe qara’a, « lire » ou « réciter »), dans les dix ou vingt années qui ont suivi sa mort. Composé de cent quatorze chapitres, le Coran n’est pas le récit de l’histoire de Mahomet. Comme les Doctrine et Alliances, ce n’est pas du tout un récit ; les musulmans le considèrent comme étant la parole (et les paroles) de Dieu, donnée directement à Mahomet [3].

Les chrétiens qui le lisent y trouveront des thèmes familiers. Il parle, par exemple, de la création par Dieu de l’univers en sept jours, de l’introduction d’Adam et Ève dans le jardin d’Éden, de leur tentation par le diable, de leur chute et de l’appel subséquent d’une lignée de prophètes (dont la plupart figurent aussi dans la Bible). Ces prophètes sont décrits dans le Coran comme étant musulmans, ayant soumis leur volonté à Dieu.

Abraham, décrit comme étant l’ami de Dieu, occupe une place importante dans le texte [4] (entre autres choses, il est réputé pour avoir reçu des révélations qu’il a écrites mais qui ont été perdues depuis [5]). Moïse, Pharaon et l’exode des enfants d’Israël y figurent aussi.

Étonnamment, Marie, la mère de Jésus, est mentionnée trente-quatre fois dans le Coran, contre dix-neuf fois dans le Nouveau Testament (elle est, en fait, la seule femme dont il est fait mention dans le Coran).

Un refrain constant du Coran est la doctrine du tawhid, mot qui pourrait être traduit par « monothéisme » ou, plus littéralement, par « faisant un ». Il représente l’un des principes essentiels de l’islam, selon lequel il n’y a qu’un seul être véritablement divin. « Il n’a jamais engendré, n’a pas été engendré non plus, déclare le Coran, et nul n’est égal à Lui. »[6] Ce qui en découle est sans aucun doute ce qui distingue le plus l’islam du christianisme : les musulmans ne croient pas à la divinité de Jésus-Christ et du Saint-Esprit. Il enseigne aussi que, bien qu’étant tous également créés par Dieu, selon la doctrine de l’islam, nous ne sommes pas ses enfants.

Les musulmans croient néanmoins que Jésus était un prophète de Dieu sans péché, né d’une vierge et destiné à jouer un rôle essentiel dans les événements des derniers jours. Il est mentionné fréquemment et avec révérence dans le Coran.

Pratiques et enseignements musulmans fondamentaux

Les « cinq piliers de l’islam », comme on les appelle, résumés de manière très concise, non pas dans le Coran mais dans une déclaration attribuée traditionnellement à Mahomet, énoncent des points de doctrine fondamentaux de l’islam :

1. Le témoignage

Si l’islam a un crédo universel, c’est la Shahada, « profession de foi » ou « témoignage ». Le terme renvoie à une formule arabe qui, traduite, dit : « Je témoigne qu’il n’y a pas d’autre divinité que Dieu [Allah] et que Mahomet est son messager. » La Shahada est le moyen par lequel on adhère à l’islam. On devient musulman en la récitant avec une foi sincère.

L’équivalent arabe du mot Dieu est Allah. Résultant de la contraction des mots al- (« le ») et ilah (« dieu »), il ne s’agit pas à proprement parler d’un nom mais d’un titre, très apparenté au mot hébreu Elohim.

Étant donné qu’il n’y a pas de prêtrise musulmane, il n’y a pas d’ordonnances de la prêtrise. Il n’y a pas non plus d’« église » musulmane. Par conséquent, la Shahada est en quelque sorte l’équivalent musulman du baptême. L’absence actuelle d’une structure de direction mondiale unifiée et formelle a d’autres implications. Par exemple, il n’y a pas de dirigeant général des musulmans du monde entier ; il n’y a personne qui parle au nom de la communauté tout entière. (Mahomet est presque universellement considéré comme le dernier prophète.) Cela signifie aussi qu’il n’y a pas d’église dont les terroristes ou les « hérétiques » peuvent être excommuniés.

2. La prière

Beaucoup de non-musulmans ont connaissance de la prière rituelle musulmane appelée salat, qui implique un nombre précis de prosternations, cinq fois par jour. En récitant des versets prescrits du Coran et en touchant le sol avec le front, on démontre sa soumission humble à Dieu. Une prière plus spontanée, appelée du‘a, peut être faite à tout moment et ne requiert pas de prosternation.

Pour les prières de la mi-journée le vendredi, il est requis des hommes musulmans et recommandé aux femmes musulmanes de prier dans une mosquée (de l’arabe masjid, ou « lieu de prosternation »). Là, regroupés selon le sexe, ils forment des rangs et prient suivant les instructions de l’imam (de l’arabe amama, « devant ») de la mosquée, et ils écoutent un bref sermon. Le vendredi n’est toutefois pas l’équivalent du sabbat ; bien que, dans la plupart des pays musulmans, le « weekend » soit centré sur yawm al-jum‘a (« le jour du rassemblement »), ou vendredi, travailler ce jour-là n’est pas considéré comme un péché.

3. L’aumône

Zakat (« ce qui purifie ») désigne les dons charitables faits pour soutenir les pauvres et pour les mosquées, ainsi que pour d’autres entreprises musulmanes. Ils sont généralement équivalents à 2,5 pour cent de la richesse totale d’un musulman, au-delà d’un montant minimum. Dans certains pays musulmans, ils sont collectés par des institutions gouvernementales. Dans d’autres, ils se font sur la base du volontariat.

4. Le jeûne

Chaque année, les musulmans dévots s’abstiennent de nourriture, de boissons et de relations sexuelles du lever au coucher du soleil pendant tout le mois lunaire du Ramadan. Ils se consacrent aussi généralement à des actes de charité particuliers envers les pauvres et à la lecture du Coran pendant le mois.[7]

5. Le pélerinage

Les musulmans dont la santé et les moyens le permettent doivent faire un pèlerinage à La Mecque au moins une fois dans leur vie. (Une visite à Médine, la deuxième ville sainte de l’islam, est souvent comprise, mais ce n’est pas une exigence.) Pour les musulmans fidèles, c’est un événement profondément spirituel et émouvant, comme, pour les saints des derniers jours, assister à la conférence générale en personne ou entrer au temple pour la première fois.

Problèmes actuels

Il y a trois points de préoccupation contemporaine non musulmane au sujet de l’islam : la violence religieuse, la loi islamique ou charia et la façon dont l’islam traite les femmes.

Certains extrémistes ont utilisé le terme djihad pour faire référence exclusivement à la « guerre sainte », mais en réalité le mot signifie « travail concret », par opposition à la « seule » prière ou à l’étude des Écritures.

Les juristes et les intellectuels musulmans diffèrent dans leur compréhension de ce qu’est le djihad. Des sources juridiques classiques affirment, par exemple, qu’un djihad militaire acceptable doit être défensif, que les opposants doivent être avertis et que l’occasion doit leur être donnée de mettre fin à leurs actions provocatrices. Certains juristes et d’autres intellectuels musulmans contemporains défendent l’idée que le djihad peut désigner toute action concrète destinée à profiter à la communauté musulmane ou à rendre le monde meilleur plus généralement. On dit que Mahomet faisait une distinction entre « grand djihad » et « petit djihad ». Il disait que le « petit djihad » était la lutte armée. Mais le « grand djihad » consiste à combattre l’injustice ainsi que sa propre résistance à une vie de droiture.

Le terrorisme islamiste actuel revendique des racines religieuses, mais il reflète indiscutablement des griefs sociaux, politiques et économiques qui ont peu ou pas de rapport avec la religion en tant que telle [8]. En outre, il est important de remarquer que la grande majorité des musulmans du monde ne se sont pas joints aux terroristes dans leur violence.[9]

La charia est une autre source de préoccupation pour les non-musulmans. Tirée du Coran et des hadiths – brefs écrits rapportant ce que Mahomet et ses plus proches associés ont dit et fait, qui donnent des modèles de comportement musulman et complètent et expliquent des passages coraniques – c’est un code de conduite musulman[10]. On trouve dans la charia des règles régissant la tenue vestimentaire des hommes et des femmes (par exemple le hijab, ou voile) ; certains pays musulmans l’imposent, d’autres laissent le choix à chacun. La charia couvre aussi des aspects tels que l’hygiène personnelle, l’heure et le contenu de la prière, et les règles régissant le mariage, le divorce et l’héritage. Ainsi, quand des musulmans disent dans des sondages qu’ils souhaitent être gouvernés par la charia, cette déclaration peut aussi bien avoir une dimension politique que ne pas en avoir. Ils peuvent simplement vouloir dire qu’ils aspirent à mener une vraie vie de musulman.

Beaucoup de non-musulmans pensent immédiatement à la polygamie et au voile quand ils pensent à la façon dont l’islam traite les femmes, mais la réalité culturelle est beaucoup plus complexe. De nombreux passages du Coran déclarent que les femmes sont égales aux hommes, tandis que d’autres semblent leur attribuer des rôles subalternes. Il est certain qu’il y a dans beaucoup de pays musulmans des pratiques – souvent enracinées dans les cultures tribales pré-musulmanes ou dans d’autres coutumes préexistantes – qui asservissent les femmes. Cependant, la façon dont les musulmans considèrent les rôles des femmes varie considérablement suivant les pays et même dans les pays.

La perception mormone de l’islam

Malgré nos croyances différentes, comment les membres de l’Église peuvent-ils entretenir des relations avec les musulmans ?

Premièrement, nous devons reconnaître aux musulmans le droit d’adorer « comme ils veulent, où ils veulent ou ce qu’ils veulent » (onzième article de foi). En 1841, les membres de l’Église siégeant au conseil municipal de Nauvoo ont voté une ordonnance sur la liberté religieuse garantissant une « libre tolérance et des privilèges égaux » aux « catholiques, presbytériens, méthodistes, baptistes, saints des derniers jours, quakers, épiscopaliens, universalistes, unitariens, mahométans [musulmans], et toutes les autres sectes et confessions religieuses, quelles qu’elles soient »[11].

Nous devons aussi nous souvenir que les dirigeants de notre Église ont généralement été étonnamment positifs dans leur perception du fondateur de l’islam. En 1855, par exemple, à une époque où beaucoup de chrétiens condamnaient Mahomet comme antéchrist, George A. Smith (1817-1875) et Parley P. Pratt (1807-1857), du Collège des douze apôtres, ont prononcé de longs discours qui non seulement témoignaient d’une compréhension de l’histoire musulmane très bien informée et juste, mais faisaient en outre l’éloge de Mahomet lui-même. Frère Smith a dit que Mahomet avait « sans aucun doute été expressément suscité par Dieu » pour prêcher contre l’idolâtrie, et il a exprimé de la sympathie pour les musulmans qui, comme les saints des derniers jours, ont du mal à obtenir que l’on écrive une histoire honnête à leur sujet. Prenant la parole immédiatement après lui, frère Pratt a exprimé son admiration pour les enseignements de Mahomet et pour la moralité et les institutions de la société musulmane.[12]

Plus récemment, en 1978, la Première Présidence a publié une déclaration officielle. Elle mentionne spécifiquement Mahomet comme faisant partie des « grands dirigeants religieux du monde », affirmant que, comme eux, il « a reçu une portion de la lumière de Dieu. Des principes moraux […] ont été donnés par Dieu [à ces dirigeants], ont écrit Spencer W. Kimball, N. Eldon Tanner et Marion G. Romney, pour éclairer des nations entières et pour faire accéder chacun à un plus haut degré de compréhension. »[13]

Bâtir sur ce que nous avons en commun

De toute évidence, les saints des derniers jours et les musulmans ont des points de vue différents sur des questions importantes, notamment la divinité de Jésus-Christ, son rôle de Sauveur et l’appel de prophètes modernes, mais nous avons beaucoup de choses en commun. Par exemple, nous croyons que nous sommes moralement responsables devant Dieu, que nous devons rechercher la justice personnelle et une société bonne et juste, et que nous ressusciterons et serons amenés devant Dieu pour être jugés.

Les musulmans et les saints des derniers jours croient en l’importance vitale des familles fortes, au commandement divin d’aider les pauvres et les nécessiteux et que nous montrons notre foi en agissant en disciples. Il ne semble pas y avoir de raison pour que les saints des derniers jours et les musulmans ne puissent pas le faire côte à côte et, même, quand les occasions se présentent, en coopérant ensemble dans des collectivités où, de plus en plus, nous nous retrouvons voisins dans un monde de plus en plus laïque. Ensemble, nous pouvons montrer que la foi religieuse peut être une force bénéfique puissante et pas simplement une source de conflit et même de violence, comme l’avancent certains critiques.

Le Coran lui-même suggère une façon de vivre paisiblement ensemble malgré nos différences : « Si Dieu l’avait voulu, il aurait pu faire de vous une seule communauté. Mais il désirait vous éprouver dans ce qu’il vous a donné. Alors, concourez pour l’accomplissement de bonnes actions. Vous retournerez tous à Dieu et il vous informera concernant les choses sur lesquelles vous n’étiez pas d’accord. »[14]


Notes

1. En fait, 622 ap. J.-C., année de la hijra, ou migration, de Mahomet à Médine, est l’année de référence du calendrier musulman (Hijri [Hégire]), et les révélations rassemblées dans le Coran sont classées comme reçues à La Mecque ou à Médine.
2. Au fil des siècles, les deux factions ont grandi séparément, divisées aussi sur d’autres questions secondaires.
3. Toutefois, bien que la traduction du Coran dans d’autres langues soit autorisée, seule la version arabe originelle est considérée comme le vrai Coran et comme véritablement scripturaire.
4. Voir Coran 4:125.
5. Voir Coran 53:36-62 ; 87:9-19 ; voir aussi Daniel C. Peterson, « News from Antiquity », Ensign, janvier 1994, p. 16-21.
6. Coran 112:3-4. Les traductions du Coran sont de Daniel C. Peterson.
7. C’est précisément dans ce but que les éditions standard du Coran sont divisées en trente portions égales.
8. Voir par exemple Robert A. Pape, Dying to Win: The Strategic Logic of Suicide Terrorism (2005) ; Graham E. Fuller, A World without Islam (2010) ; Robert A. Pape and James K. Feldman, Cutting the Fuse: The Explosion of Global Suicide Terrorism and How to Stop It (2010).
9. Voir Charles Kurzman, The Missing Martyrs: Why There Are So Few Muslim Terrorists (2011) ; voir aussi John L. Esposito and Dalia Mogahed, Who Speaks for Islam ? What a Billion Muslims Really Think (2008) ; James Zogby, Arab Voices: What They Are Saying to Us, and Why It Matters (2010).
10. En fait, elle est assez semblable à la loi rabbinique du judaïsme.
11. Ordinance in Relation to Religious Societies, Ville de Nauvoo [Illinois], siège de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, 1er mars 1841.
12. Voir Journal of Discourses, 3:28-42.
13. Déclaration de la Première Présidence, 15 février 1978. Dans sa révision de Introduction to the Qur’an (1970), de Richard Bell, W. Montgomery Watt, éminent spécialiste de l’islam et prêtre anglican, proposa une façon possible dont un fervent chrétien pourrait considérer le Coran comme inspiré.
14. Coran 5:48 ; comparer avec 2:48


Source : L'Étoile, avril 2018, p. 33-39