Critique du mormonisme, antimormonisme et apologétique

 

 

Marc-Olivier R.

 

 

 

 

L'apologétique consiste à défendre une doctrine face à la critique. En l'occurrence, défendre le mormonisme n'est pas toujours simple. D'abord parce que l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours a pris soin, dès sa fondation, d’enregistrer et d’archiver tous les événements importants de son évolution et tous les discours de ses dirigeants. Journal of Discourses, History of the Church, et de nombreux autres périodiques et livres contiennent tous ces renseignements. Ils sont faciles d’accès et constituent une somme colossale d’informations dans lesquelles puisent les critiques. Ensuite, en raison des affirmations parfois audacieuses de l’Église et de certains points de doctrine très discutés, elle est la proie des chasseurs de sorcières et autres inquisiteurs des temps modernes.

 

    Cependant, les critiques et autres antimormons exercent, sans le vouloir, une action positive sur la progression de l’Église. D’abord ils permettent, malgré leurs démonstrations souvent malhonnêtes, à de nombreuses personnes d’entendre parler de l’Église et finalement de se convertir. Ensuite, leur action a amené les saints des derniers jours à approfondir leur connaissance de leur Église et à acquérir, par le Saint-Esprit, un témoignage de sa véracité. De plus, les critiques sont à l’origine de nombreuses découvertes scientifiques effectuées par les savants saints des derniers jours, découvertes qui corroborent la position l’Église. En fin de compte, ceux qui cherchent à nuire à l'Église sont bien souvent des acteurs de sa progression en conduisant les membres de l'Église à acquérir un témoignage spirituel plus grand, et les savants saints des derniers jours à faire des découvertes étonnantes et passionnantes. Ce n’est pourtant pas l'objectif recherché par les groupes, organisations et individus qui étudient le mormonisme pour mieux le discréditer.

 

    Finalement, par leur action, les détracteurs de l’Église, au lieu d’affaiblir les convictions des saints des derniers jours, les renforcent indirectement. Dans leur intention de discréditer l’Église, sous prétexte de défense de la foi, et sous des apparences de bonne volonté, ils s’autorisent des méthodes et des procédés que nous allons commenter.

 

    Nous présenterons en premier lieu une terminologie relative aux acteurs de la critique et à la défense de l'Église. Nous étudierons ensuite l'oeuvre de l'apologète, puis l'antimormonisme lui-même : ses postulats, ses tactiques, et ses principaux pôles d'attaque. Nous reviendrons enfin sur l'apologétique mormone et son impact sur le croyant.

 

 

Proposition de terminologie

 

Critiques, apologètes, antimormons... Qui est qui ? Qui fait quoi ? Comment les distinguer ?

 

    Le critique, pour commencer, n'est pas à confondre avec l'antimormon, même si l’un et l'autre ne sont que très rarement différenciés. Ce sont les intentions qui les distinguent. L'un et l'autre peuvent tenir le même discours sur un même sujet, mais le critique vise avant tout à proposer un éclairage sur un sujet donné. En général il est conscient de sa part de subjectivité et est capable d’une démarche autocritique. Il ne cherche pas à nuire à l'Église ou à ses membres. Sa philosophie et ses a priori ont certainement un impact sur son opinion, mais, libre d'une motivation malsaine, il sait admettre les limites de sa réflexion et la modérer en conséquence. Le vrai critique est rare : il n'entre pas dans des débats futiles ; il arrive, donne son opinion ou partage ses connaissances, puis se retire la plupart du temps, le but de sa présence - présenter ses observations – étant atteint.

 

    Le critique est souvent non confessionnel et s’il a des convictions religieuses, il est capable d'un raisonnement non partisan.

 

    L'antimormon se distingue du critique par sa volonté de porter atteinte à l’Église, voire à ses membres. Son objectif n'est pas la critique en soi, mais de tourner l’opinion publique contre l’Église. Ce point de vue le place ipso facto dans une logique agressive où, trop souvent, la fin justifie les moyens.

 

    Si les antimormons du XIXe siècle usaient de fusils, de goudron et de plumes pour persécuter et décourager les saints des derniers jours et leurs sympathisants, aujourd'hui ils agissent à coup d'articles aux titres provocateurs, de demi vérités et de commentaires décontextualisés de l’histoire et de la doctrine de l’Église. Rarement enclins à une approche holiste (globale), ils préfèrent trouver la phrase qui « tue », le scandale qui implique untel, les manquements de tel autre. Leurs textes se caractérisent par un langage sensationnaliste, appuyé par des soulignements, des mises en italiques et des caractères gras, dans le but d'amener le lecteur dans une position induite, où la réponse à une question mal posée est déjà donnée. Quand il a un semblant de choix, le lecteur est conduit dans une logique binaire souvent peu pertinente et très éloignée de la réalité humaine et religieuse.

 

    Contrairement aux idées reçues, la majorité des antimormons ne sont pas d'anciens membres de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. La plupart sont des activistes religieux dont la motivation essentielle est de prêcher pour leur « paroisse » en portant atteinte à la « concurrence ». Le mormonisme représente effectivement une concurrence aux yeux des ministres professionnels du culte. Ceux-ci tentent alors de réduire le courant de conversions au mormonisme en présentant une image défavorable de l'Église. Leur opposition s’organise autour de sites internet, de livres et de brochures, de manifestations sur la voie publique, de prêches dans les églises, de profanations, etc.

 

    S'ils sont plus prudents aujourd'hui, les antimormons, de par leur a priori, ont parfois maintenu des idées saugrenues, comme ce fut le cas, par exemple, de la question de l'origine du Livre de Mormon (théories de Spaulding, d'Adam Smith, de Shakespeare...)

 

    L'apologète est par excellence un « défenseur de la foi ». L'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours en compte de nombreux et quelques célèbres (Roberts, Nibley, Peterson, Tvedtnes, Lindsay, Gee, Shirts). Bien que saints des derniers jours pour la plupart, ils ne sont en règle générale pas mandatés par l'Église. Ils agissent de leur propre chef, en prenant sur leur temps libre pour défendre ce qu'ils considèrent être des attaques contre leur foi.

 

    Par la publication de livres ou la rédaction d’articles diffusés sur l’internet, l'apologète s’emploie à reprendre les critiques des antimormons et à décrire les erreurs de raisonnement, à soulever les manipulations de langage, à condamner le mensonge, et à recontextualiser les citations. Un bon apologète sait admettre ses erreurs et les corriger. Contrairement aux opposants de sa cause, les propos agressifs, les insultes ou les attaques ad hominem ne font pas partie de sa panoplie. Son propos relève à la fois de la connaissance (scientifique, historique, scripturaire), de la foi et de la charité. Il reconnaît ses limites, accepte les critiques pertinentes et, lorsque ses connaissances ne lui permettent pas de répondre par une défense cohérente, il sait l’admettre.

 

    L'apologète évite les pièges de la prédominance idéologique et de la décontextualisation dans lesquels sont si souvent pris les antimormons. Il veille à ne pas déguiser ses croyances en vérités objectives et à ne pas utiliser de méthodes malhonnêtes ou discutables pour arriver à ses fins. 

 

    Il peut même lui arriver de s'attaquer aux mythes créés par les membres de l'Église eux-mêmes, quitte à remettre en question les idées personnelles de membres éminents.

 

 

Dans la réalité

 

Si ces trois descriptions ont l’avantage de présenter un « who's who » clair et distinct, elles nécessitent cependant quelques réajustements.

 

Par exemple, la plupart des antimormons se posent en réalité en victimes du mormonisme, affirmant qu'ils se sentent agressés par les doctrines de l'Église. Certains invoquent même leur droit d'attaquer le mormonisme au nom de la défense du christianisme, inversant ainsi les rôles, en se plaçant dans la position des apologètes face à leurs pseudo agresseurs saints des derniers jours. La plupart du temps, ils se présentent comme simples « critiques » du mormonisme, ou comme « commentateurs », termes minimalistes très éloignés de leurs réelles intentions.

 

    Ensuite, les critiques, eux, ne sont jamais totalement objectifs, l'impartialité n'étant pas le point fort de l’homme. En réalité, leurs propos sont toujours fondés sur certains postulats. Leur position modérée est souvent revendiquée par les antimormons dont les objectifs sont pourtant très différents.

 

    Quant aux apologètes, ce ne sont pas tous des anges. Il arrive que certains d'entre eux soient tentés d'adopter les méthodes des antimormons : coupures malhonnêtes de citations, décontextualisation de propos ou d’actes, etc. D'autres passent de leur position de défenseurs de leur foi à celle de critique des croyances et de la religion de leurs semblables, comme le font les antimormons.

 

    Bref, ces trois catégories d’acteurs s’assimilent davantage à une toile où les couleurs les plus variées et les dégradés les plus subtils s'étalent dans une sorte de continuum, qu'au drapeau tricolore. Le scénario du western « Le bon, la brute et le truand » n'y trouve qu'une application très relative, dans la mesure où tous ne sont pas nécessairement mal intentionnés, ni neutres, ni de dignes défenseurs de la foi. Il convient par conséquent de parler en termes de tendances plutôt que d'absolus.

 

    Si tout ce beau monde se dissout dans un ballet d'opinions où il semble qu'il n'y ait, dans leur forme absolue, ni « bon », ni « méchant », qu’est-ce qui permet, dans ce cas, d’attribuer telle étiquette à celui-ci, telle autre à celui-là ?

 

    Pour répondre à cette question, il faut découvrir les intentions des différents acteurs. Veut-on promouvoir telle religion ? Veut-on convertir ? De quelle façon ? Cherche-t-on à détourner le lecteur de la religion étudiée ? Pourquoi ? Essaie-t-on de défendre une confession, avec ou sans visée prosélyte ? Cherche-t-on seulement à présenter certains commentaires ou critiques ?

 

    À ces questions, qui aident à déterminer les intentions des différents acteurs, peuvent s'ajouter celles-ci : se trouve-t-on dans une situation où il n'est pas permis d'envisager des conclusions différentes que celles des auteurs ? Ouvre-t-on la voie à d'autres perspectives ? Le discours est-il manipulateur ? Y a-t-il un amalgame entre faits incontestables, déductions, inductions et opinions ? Si l'on veut chercher à connaître la tendance de tel ou tel auteur, il ne faut pas se lasser d'interroger les textes, à défaut d'avoir d'autres informations sous la main ou des aveux dignes de confiance.

 

    Mais, direz-vous, l'argument lui-même n’est-il pas ce qui compte ? N'est-ce pas se lancer dans un procès d'intention que de s'intéresser aux objectifs des critiques ?

 

    L'argument est, certes, très important. C’est d’ailleurs pour y répondre que les apologètes écrivent des livres et des articles. La plupart du temps, leurs écrits répondent à des questions ou à des critiques spécifiques. Mais la possibilité de déterminer que tel auteur s’inscrit dans telle démarche plutôt que dans telle autre aide le lecteur à se situer par rapport au texte. D'autre part, cette analyse préliminaire nous renseigne sur l'objectivité de l’auteur : s'il critique une religion, dans quel cadre idéologique s'inscrit-il lui-même ? Ses croyances sont-elles un obstacle à son objectivité ?

 

    D’autre part, il est tout naturel, lorsque le lecteur constate des abus, qu’il cherche à connaître la position de l'auteur, les raisons de telles méthodes. À l'inverse, le lecteur sera en confiance si le sujet est traité de façon non partisane.

 

 

L'oeuvre de l'apologète

 

Après ces quelques préliminaires, entrons dans le monde de l'apologétique mormone et voyons en quoi elle consiste.

 

    L'oeuvre apologétique mormone existe depuis le début du mormonisme. Du temps de Joseph Smith et des premiers convertis, des voix s'élevaient déjà pour accuser les fondements de cette nouvelle religion. Quand, à 14 ans, Joseph affirmait avoir reçu la visite du Père et du Fils, les premières persécutions, railleries et menaces firent leur apparition :

 

« Je m'aperçus bientôt que le fait de raconter mon histoire m'avait beaucoup nui auprès des adeptes des autres confessions et était la cause d'une grande persécution, qui allait croissant; et quoique je fusse un garçon obscur de quatorze à quinze ans à peine, et que ma situation dans la vie fût de nature à faire de moi un garçon sans importance dans le monde, pourtant des hommes haut placés me remarquèrent suffisamment pour exciter l'opinion publique contre moi et provoquer une violente persécution ; et ce fut une chose commune chez toutes les confessions : toutes s'unirent pour me persécuter.

 

« Je me fit sérieusement la réflexion alors, et je l'ai souvent faite depuis, qu'il était bien étrange qu'un garçon obscur, d'un peu plus de quatorze ans, qui, de surcroît, était condamné à la nécessité de gagner maigrement sa vie par son travail journalier, fût jugé assez important pour attirer l'attention des grands des confessions les plus populaires du jour, et ce, au point de susciter chez eux l'esprit de persécution et d'insulte le plus violent. Mais aussi étrange que cela fût, il en était ainsi, et ce fut une cause de grand chagrin pour moi » (Joseph Smith, Histoire, 1:22-23).

 

    La mère de Joseph Smith, Lucy Mack Smith, rapporte :

 

« Joseph continuait à travailler avec son père, et rien de significatif n'arriva pendant cet intervalle [de 1820 à 1823] - bien qu'il souffrit de l’opposition et de toutes sortes de persécutions de la part des protagonistes des différentes confessions religieuses » (The History of Joseph Smith by his Mother, Lucy Mack Smith, Covenant Communications, 2000, American Fork).

 

    Par la suite, de nombreux apostats qui quittèrent l'Église fraîchement organisée ne restèrent pas les mains croisées : certains se joignirent à des groupes violents, d'autres rédigèrent des périodiques et des livres qui critiquaient, voire calomniaient, Joseph Smith. La triste histoire du journal The Nauvoo Expositor et la destruction l’imprimerie qui le mettait sous presse, suite à ses diffamations contre le prophète et les membres de l'Église, fut le motif idéal pour emprisonner Joseph Smith à Carthage. C’est là qu’une populace écorchée vive par une accumulation de propos mensongers à l'égard des Mormons fit irruption dans la prison et assassina lâchement le prophète et son frère, Hyrum.

 

    La propagande antimormone eut une lourde responsabilité dans cet assassinat.

 

    Bien que Joseph Smith eut souvent, de son vivant, à réfuter les fausses accusations qui pesaient sur lui (des dizaines de fois il fut emmené devant un tribunal sans jamais être retenu coupable pour le crime dont il était accusé), ce n'est qu'après sa mort que l'apologétique mormone émergea vraiment. Un des ouvrages de défense du mormonisme le plus connu - et également un des premiers du genre - fut celui de B. H. Roberts, intitulé Defense of the Faith and the Saints (en 2 volumes). Tant les discours oraux et publics des premiers dirigeants de l'Église que les livres qui sortirent des presses et qui visaient la défense de la foi mormone, n'eurent, au début surtout, qu'un objectif : réfuter les mensonges et rejeter les fausses accusations.

 

 

Les postulats de l'antimormonisme et le refus de la subjectivité

 

Avec le temps et une diffusion plus large des écrits de l'Église, il devint évident que la diffamation était tout simplement contre-productive. Néanmoins, la tactique resta la même : trouver dans les documents historiques des traces, des éléments qui serviraient à discréditer l'Église.

 

    Soulignons ici que les antimormons n’ont pas un point de vue impartial du mormonisme. Ils ne sont pas libres de préjugés et sont loin, pour la plupart d'entre eux, de vouloir s’en libérer. Généralement, ils s'appuient sur leur interprétation de la Bible et du mormonisme pour critiquer. Comme les apologètes, les antimormons s’appuient sur certains postulats - des idées, des présupposés – que l’on peut résumer en quelques mots : le mormonisme est une fraude, reste à le démontrer. Il s’ensuit que leurs travaux de recherche ne visent qu'à confirmer cet a priori, et que tous les moyens sont bons pour y parvenir : sélectivité subjective dans le choix des citations, commentaires hypercritiques, imperméabilité à la contextualisation, coupures malhonnêtes, etc.

 

    Les apologètes ont, eux aussi, leurs postulats. Mais du fait qu'ils se trouvent dans la position de défenseurs de la foi, ils ne peuvent faire l'impasse sur les arguments de ceux qui critiquent leur religion. Ils ne peuvent pas fermer les yeux sur les points soulevés et doivent tenir compte de la perspective des attaques à l'égard de leur foi. Leur travail se borne bien souvent à élargir la question, à replacer dans son contexte ce qui en a été retiré, à élargir l'horizon face aux approches hypercritiques, à amener de nouveaux éléments et découvertes - bref ! à remettre l'église au milieu du village.

 

    Malheureusement, bon nombre d'antimormons refusent d'admettre leur propre subjectivité, comme l’illustre ce texte trouvé sur internet, et signé de la main d’un antimormon notoire :

 

« Pourquoi ces pages webs sur les mormons ? Esprit de controverse ? Haine des ‘saints des derniers jours’ ? Certainement pas ! C'est uniquement le souci de la vérité qui nous pousse à présenter ces pages au public. ...Quant aux amis chrétiens, nous espérons que ce travail leur permettra de découvrir ce qu'est véritablement l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours.

 

« Pourquoi nous reprocher une façon de présenter la vérité ? Elle est présentée et c'est ce qui compte ! »

 

    Un regard critique sur ces extrais ne laisse pas de doute quant aux prétentions de l'auteur : déclarer la vérité, quelle que soit la méthode. Aucune remise en question ne se trouve d'ailleurs dans aucune partie du site ; à aucun moment on n'y trouve de mise en garde quant à la subjectivité de l'auteur lors de ses recherches, ni sur sa possible partialité dans la construction et la présentation du texte. L'auteur ne prétend ni plus ni moins qu’à « présenter la vérité », se permettant même de glisser que quelle que soit la façon de la transmettre, cela n'a pas d'importance. En d’autres termes : la fin justifie les moyens.

 

    Autre texte très révélateur des postulats antimormons, trouvé sur internet :

 

« Chers amis, soyez des investigateurs acharnés de la vérité. De deux choses l'une ! Ou nous ne racontons pas la vérité, alors votre foi en sera fortifiée, ou les faits exposés dans cette étude sont irréfutables et dès lors, vous envisagerez de quitter une organisation qui n'est pas celle qu'elle prétend être ! »

 

    En d'autres termes : tout ce qui ne tue pas, renforce. Avec une telle approche, on peut justifier toute sorte de distorsions en les enrobant de bonnes intentions. Remarquez en outre comment, dès le départ, on amène le lecteur dans une logique binaire : seules deux solutions sont envisagées à l'issue des lectures proposées.

 

    Il y aurait encore beaucoup à dire sur ces textes, mais ces quelques extraits (nous aurions pu en choisir beaucoup d'autres) sont particulièrement éloquents quant aux intentions, méthodes, postulats et illusions des antimormons. En résumé, ils affirment que

 

    – les mormons (surtout les dirigeants) sont des menteurs, et qu’il faut rétablir la vérité,

    – vérité que seuls les critiques peuvent mettre à jour,

    – chose qu'ils font avec amour chrétien.

 

    Étrangement, une fois ce credo de bonnes intentions passé, on ouvre le voile sur des textes acerbes, une animosité qui ressort à chaque phrase, une terminologie agressive et des soulignements à répétition. Mais le plus étonnant, c'est le refus absolu de subjectivité : en prétendant à l'objectivité et à la vérité absolue, choses hautement illusoires, les antimormons trompent les lecteurs les plus crédules.

 

 

Stratégies et méthodes d'agression

 

Passons brièvement en revue les pôles principaux d'attaque des antimormons.

 

    Une première approche consiste à critiquer des prophètes ou d'autres dirigeants, pour ce qu'ils ont dit ou fait. Ou pour ce qu'ils n'ont pas dit ou pas fait. Pour cela, il suffit d'ouvrir un volume de History of the Church ou de Journal of Discourses et d’en extraire quelques phrases ambiguës. Cette méthode implique une définition du terme prophète fondée sur le mythe de l'infaillibilité : les antimormons, bien davantage que les saints des derniers jours eux-mêmes, attendent des dirigeants de l'Église qu’ils ne soient pas inspirés seulement occasionnellement, mais qu’ils soient des réceptacles constants des oracles du Seigneur. Or, rien dans la Bible ne semble appuyer cette thèse selon laquelle les prophètes seraient :

 

    – infaillibles,

    – intemporels,

    – constamment inspirés.

 

Avec cette conception erronée en tête, les antimormons sont à l’affût du moindre trébuchement, de la moindre parole dite de travers, du moindre comportement jugé éthiquement peu acceptable, bref, de tout élément qui fait des prophètes modernes des hommes, et non des demi-dieux. Considérant que la parole du prophète est nécessairement inspirée et qu'elle représente obligatoirement la voix du Seigneur, ils pèchent par manque de discernement entre l'homme et sa fonction. Brigham Young, Joseph Smith, John Taylor, etc. ont tous essuyé de violentes critiques pour avoir spéculé sur un sujet ou un autre, ou pour avoir agi de telle façon dans tel contexte.

 

    En résumé, une façon d'attaquer l'Église consiste à mettre en évidence les manquements de ses dirigeants, puis de souligner qu'un vrai prophète ou qu'un véritable apôtre de Jésus-Christ ne se comporterait pas ainsi.

 

    Une autre façon de s'attaquer au mormonisme consiste à prendre le Livre de Mormon et, par de multiples moyens, d’essayer de démontrer qu’il n’est pas d’origine divine. Ce livre sacré rencontre une vive opposition de la part des franges chrétiennes fondamentalistes qui mettent en avant le manque de preuves archéologiques et historiques en sa faveur, sans être le moins du monde ébranlés par les mêmes critiques à l'égard de la Bible. On manipule certains textes pour leur faire dire ce qu'ils ne disent pas (par exemple, que Jésus est né à Jérusalem). On extrait un texte en excluant ce qui précède ou ce qui suit, qui lui donne sa véritable signification (pour prétendre, par exemple, que le Livre de Mormon rejette sans réserve la polygamie). On tente également de porter atteinte à l'intégrité des acteurs de la parution du Livre de Mormon : Joseph Smith, les trois témoins, les huit témoins, etc. Bref ! La variété des critiques contre le Livre de Mormon n'a de limite que l'imagination de ses détracteurs.

 

    Une autre forme de critique, plus « paranoïaque », consiste affirmer que l’Église cherche à se débarrasser de son passé en mettant sous silence certains textes embarrassants. Par exemple, récemment, des antimormons ont protesté contre la biographie de Brigham Young telle qu’elle apparaît dans Enseignements des présidents de l’Église : Brigham Young parce que ses mariages polygames n’y figurent pas. Précisons que cette brève chronologie n'avait qu'un but contextuel, et non historique. Un site francophone anti-secte a relevé dernièrement que dans l'ouvrage Discours de Brigham Young, édité par John A. Widtsoe, un certain nombre de citations et de discours manquaient. Il en concluait que c'était une preuve de la volonté de l'Église de dissimuler son passé. L'auteur de cette audacieuse affirmation se gardait bien de préciser que cet ouvrage était constitué d’extraits choisis, comme le mentionne la page de titre du livre incriminé :

 

« Discours de Brigham Young ...choisis et arrangés par John A. Widtsoe »

 

    Chose bizarre, un bon nombre de ces pseudo dissimulations sont découvertes en consultant des documents mis gracieusement à la disposition du public par l'Église elle-même et avec le concours des historiens de l'Église. Si l’Église avait voulu dissimuler des aspects de son histoire, ne lui était-il pas plus simple d’en refuser tout bonnement l'accès, ou encore de s’en débarrasser ?

 

     Toujours dans le chapitre des idées paranoïaques, certains vont encore plus loin : la visée religieuse du prosélytisme mormon serait en réalité secondaire ; le vrai motif de ce déploiement missionnaires serait, à terme, de renverser les gouvernements des nations du monde entier, à commencer par celui des États-Unis ! Nous nous passons de commentaire.

 

 

La raison d'être de l'apologétique

 

Nous pourrions énumérer encore longtemps les axes choisis pour discréditer le mormonisme. Plus intéressant est de parler des apports positifs de l'antimormonisme.

 

    D'abord, ceux qui s’opposent à l’Église en font involontairement la publicité. Bien que leurs propos visent avant tout à nuire, toute publicité, positive comme négative, reste de la publicité et éveille l'intérêt du grand public. Même quand des idées préconçues, voire mensongères, les ont précédés, les missionnaires de l'Église peuvent, une fois en présence de ceux qui ont été désinformés, corriger les erreurs et, avec la force du Saint-Esprit, enseigner le véritable message du mormonisme. C’est ainsi qu’un nombre substantiel de personnes ont été baptisées dans l'Église après en avoir entendu parler par ceux qui, pourtant, cherchaient à les en détourner.

 

    Un autre bienfait des critiques contre l'Église est celui de garde-fou. Toutes les critiques ne sont pas mensongères ni infondées. Par exemple, même s'il est maladroit, voire malhonnête, de confondre la fonction de prophète avec la personne qui remplit cette fonction, les critiques rappellent que les oints du Seigneur, anciens et modernes, ne sont que des hommes. Ils ont leurs points faibles, font des erreurs, ont des idées personnelles qui ne sont pas toujours en accord avec les découvertes scientifiques, ni parfois même avec une certaine éthique. En cela, ils ne se différencient guère du reste des croyants. Les critiques, en rappelant cela, aident les saints des derniers jours à ne pas idéaliser ceux qui ont la charge de diriger l'Église sous l'inspiration, à ne pas faire d'eux plus que ce qu'ils ne sont.

 

    Enfin, grâce aux critiques, un nombre substantiel de saints des derniers jours se sont lancés dans une course à l'érudition sur leur propre religion. Nombre d'entre eux sont devenus de véritables spécialistes du mormonisme et font profiter à leurs coreligionnaires de leur savoir alors que le but premier de leur démarche était de répondre aux critiques.

 

Loin d’avoir dressé une liste exhaustive des critiques à l'égard de l'Église, de leurs inconvénients et de leurs avantages, arrêtons-nous un instant sur l'apologète lui-même.

 

    L'apologète défend l'Église, mais il est aussi attentif aux arguments qui viennent à sa connaissance et les évalue en toute sincérité. L'apologète combat pour la vérité, d’où qu’elle vienne, et contre l’erreur, d’où qu’elle vienne.

 

    Il serait illusoire d'imaginer l'apologète comme un érudit dans toutes les facettes de sa religion. Il n'est pas non plus infaillible et est sujet, lui aussi, à des erreurs. Il peut même parfois céder à la tentation d’utiliser des méthodes aussi discutables que celles qu’il dénonce chez ceux qui luttent contre l’Église. Ce faisant, qu'est-ce qui le motive à consacrer tant d’heures à la recherche et à la rédaction de réponses aux allégations contre l’Église ?

 

    D'abord il y a le fait que ce qui touche au religieux, touche à ce qu'il y a de plus intime, de plus profond dans le domaine de la croyance d'une personne. On ne peut pas attaquer ou critiquer une religion sans que cela ait des implications sur ceux qui s'en réclament et s'y identifient. Le mormonisme est fréquemment critiqué à coups d’arguments fallacieux ; il n'en faut pas plus pour que certains y réagissent et entreprennent de « remettre l'église au centre du village ». C'est exactement ce qui m'est arrivé quand j'étais jeune missionnaire dans le nord de la France. Au tout début de ma mission, j'ai un jour discuté avec un homme de confession chrétienne qui attaquait l'Église, mais je n'ai pas été capable de lui répondre par la Bible ou de lui donner une explication en harmonie avec celle-ci. J'ai alors décidé que cela ne se reproduirait plus. À peine rentré dans mon appartement, j'ai entrepris une lecture assidue de la Bible, relevant certains passages-clés qui pourraient m'aider si je me trouvais de nouveau face aux mêmes arguments. Heureusement, je n'ai pas eu à l'utiliser trop souvent dans ce but, le rôle du missionnaire se limitant à exposer la doctrine, non à la défendre dans des débats stériles. Quoi qu'il en soit, cet épisode (et quelques autres qui ont précédé mon départ en mission) m'a sensibilisé à la façon de défendre l'Église.

 

    Le rôle et l'objectif de l'apologète n'est pas de convaincre qui que ce soit de la véracité du mormonisme. Il ne peut, de lui-même, susciter la foi chez un individu qui ne désire pas être convaincu. En revanche, en répondant à certaines questions, en proposant des explications alternatives à celles offertes par les critiques, il aide le croyant à rester ferme dans sa foi et lui permet de bénéficier d'un « climat dans lequel la foi peut s'épanouir » (Austin Farrer, philosophe, 1965).

 

    Ses lecteurs ne sont pas les seuls bénéficiaires de son travail : l'apologète en est le premier bénéficiaire, en apprenant toujours davantage sur sa propre religion. Il se peut même qu’il soit le premier utilisateur de ses découvertes, avant de les communiquer à ses coreligionnaires.

 

    Au-delà de cette question, comme tout saint des derniers jours le sait ou devrait le savoir, la réelle source de foi et de réconfort, lorsque le doute émerge et que la confiance en Dieu faiblit, c'est celle qu’offre le Consolateur, l'Esprit-Saint. Il amène la paix du coeur, non pas la paix « comme le monde la donne » (Jean 14:27), mais celle qui vient d'en haut.

 

 

Pour une contre-critique respectueuse

 

L'apôtre Jacques a écrit :

 

Lequel d'entres vous est sage et intelligent ? Qu'il montre ses oeuvres par une bonne conduite avec la douceur de la sagesse.

 

Mais si vous avez dans votre coeur un zèle amer et un esprit de dispute, ne vous glorifiez pas et ne mentez pas contre la vérité. Cette sagesse n'est point celle qui vient d'en haut; mais elle est terrestre, charnelle, diabolique.

 

Car là où il y a un zèle amer et un esprit de dispute, il y a du désordre et toutes sortes de mauvaises actions.

 

La sagesse d'en haut est premièrement pure, ensuite pacifique, modérée, conciliante, pleine de miséricorde et de bons fruits, exempte de duplicité, d'hypocrisie.

 

Le fruit de la justice est semé dans la paix par ceux qui recherchent la paix. (Jacques 3:13-18)

 

    Dans une révélation à Joseph Smith, le Seigneur a prophétisé :

 

En vérité, ainsi vous dit le Seigneur, toute arme forgée contre vous sera sans effet.

 

Et si quelqu'un élève la voix contre vous, il sera confondu lorsque je le jugerai bon.

 

C'est pourquoi, gardez mes commandements ; ils sont vrais et dignes de foi. J'ai dit. Amen. (D&A 71:9-11)

 

    C’est ainsi que devrait être l'œuvre apologétique des saints des derniers jours : sage, intelligente, avec la douceur de la sagesse, sans zèle amer ni esprit de dispute, sans glorification ni mensonge contre la vérité. Elle devrait en outre s'orner de foi : admettre ses limites et s'en remettre au Seigneur qui a promis que toute arme forgée contre son Église serait sans effet, et que ceux qui cherchent à nuire à son Église seront confondus lorsqu'il le jugera bon.

 

 

Copyright © 2002 Marc-Olivier R., tous droits réservés.

Mise à jour : 11/08/2011