Brigham Young



Leonard J. Arrington


Article tiré de l'Encyclopédie du mormonisme
(Macmillan Publishing Company, 1992)
Traduction : Marcel Kahne
Source : www.idumea.org
avec autorisation



Colonisateur, gouverneur territorial et président de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, Brigham Young (1801-1877) naquit le 1er juin 1801 à Whitingham (Vermont). Il était le neuvième des onze enfants de John Young et Abigail (Nabby) Howe. Après son service dans l’armée révolutionnaire de George Washington, John Young s’installa dans une ferme à Hopkinton (Massachusetts). Après avoir passé seize ans à Hopkinton, John et Nabby partirent pour le sud du Vermont, où Brigham naquit. Quand il eut trois ans, la famille partit pour le centre de l’État de New York et, quand il eut dix ans, pour Sherburne (au sud du centre de l’État de New York). Brigham aida à défricher des terres à cultiver, prit au piège des animaux à fourrure, pêcha, construisit des hangars et creusa des caves et aida aux semailles, à la culture et aux récoltes. Il soigna également sa mère, qui était gravement atteinte de la tuberculose.

Elle décéda en 1815, quand il avait quatorze ans. Peu de temps après, à la recherche de quelqu’un pour s’occuper de ses enfants en bas âge, John Young épousa une veuve, Hannah Brown, qui introduisit ses propres enfants dans la famille. Brigham décida de partir de chez lui. Vivant un certain temps chez une sœur, il devint apprenti menuisier, peintre et vitrier à Auburn, une localité voisine. Au cours des cinq années qui suivirent, il aida à créer à Auburn le premier marché, la prison, le séminaire de théologie et la maison du « Squire » William Brown (plus tard occupée par William H. Seward, qui fut gouverneur de l’État de New York et Secrétaire d’État de Lincoln). Devenu maître menuisier, Brigham construisit des garnitures de porte et des vasistas à claire-voie et sculpta des manteaux de cheminée ornementés pour beaucoup de maisons. Aujourd’hui encore, beaucoup de vieilles maisons de la région ont des chaises, des bureaux, des escaliers, des portes et des manteaux de cheminée faits par Brigham Young.

Brigham quitta Auburn au printemps de 1823 pour travailler à Port Byron (New York), où il répara des meubles et peignit des péniches. Il inventa un système pour mélanger les peintures et fabriqua beaucoup de chaises, de tables, de canapés, d’armoires et de portes. Il aida aussi à organiser la société d’art oratoire locale. Le 5 octobre 1824, à l’âge de vingt-trois ans, Brigham épousa Miriam Works. Ils s’installèrent dans la commune d’Aurelius où ils entrèrent dans l’Église méthodiste. Dans l’année qui suivit, leur premier enfant, Elizabeth, naquit.

Après quatre ans à Port Byron, Brigham et Miriam partirent pour Oswego, un port sur le lac Ontario, où il ajouta à sa réputation de bon artisan, d’homme honnête et industrieux. Il rejoignit un petit groupe de chercheurs religieux qui faisaient des prières ferventes et chantaient des cantiques entraînants. Une de ses connaissances d’Oswego témoigna que sa conduite était exemplaire, humble et contrite.

Vers la fin de 1828, Brigham emmena sa famille à Mendon (New York), à soixante-cinq kilomètres de Port Byron, près de son père et d’autres parents. À Mendon, Miriam donna le jour à une deuxième fille, Vilate, mais contracta une tuberculose chronique et devint à moitié invalide. Brigham faisait les repas, habillait les enfants, nettoyait la maison et, le matin, portait Miriam jusqu’à un fauteuil à bascule devant la cheminée et la remettait au lit le soir. A Mendon, il construisit un atelier et un moulin, fabriqua et répara des meubles et installa des vitres, des embrasures de portes, des escaliers et des manteaux de cheminée.

Au printemps de 1830, Samuel Smith, frère de Joseph Smith, passa par Mendon lors d’un voyage pour distribuer le Livre de Mormon. Il en laissa un exemplaire à Phineas, frère aîné de Brigham, un prédicateur ambulant. Phineas fut favorablement impressionné par le livre et le prêta à son père, puis à sa sœur Fanny, qui le donna à Brigham. Bien qu’impressionné, Brigham recommanda néanmoins la prudence : « Attendez un peu … je [veux] voir s’il y a du bon sens là-dedans » (JD 3:91 ; cf. 8:38). Après près de deux ans de recherche, Brigham, touché par le témoignage d’un missionnaire mormon, fut baptisé au printemps de 1832. Toute la famille immédiate de Brigham fut également baptisée et tous restèrent saints des derniers jours fidèles leur vie durant. Miriam, qui devint également membre, ne vécut que jusqu’en septembre 1832.

Une semaine après son baptême, Brigham fit son premier sermon. Il déclara : « [Après mon baptême] je voulais tonner et rugir l’Évangile aux nations. Cela me brûlait dans les os comme un feu mal contenu, alors j’ai commencé à prêcher… Rien d’autre ne pouvait me satisfaire que crier partout dans le monde ce que le Seigneur était en train de faire dans les derniers jours » (JD 1:313). Brigham se sentait à ce point poussé à « crier partout » qu’il enrôla l’aide de Vilate et de Heber C. Kimball pour s’occuper de ses filles et abandonna son commerce pour se consacrer de tout cœur à l’édification du « royaume de Dieu ». Cet automne-là, après la mort de Miriam, Heber Kimball, lui et plusieurs parents se rendirent à Kirtland, où il rencontra pour la première fois le prophète Joseph Smith, qui avait alors vingt-six ans. Invité à la prière du soir chez les Smith, Brigham fut poussé par l’Esprit et parla en langues, la première fois que le Prophète voyait quelqu’un le faire.

Les voyages missionnaires suivants de Brigham le conduisirent vers le nord, l’est, l’ouest et le sud de Mendon. Avec son frère Joseph Young, il fit plusieurs voyages de prédication dans la campagne de New York et d’Ontario (Canada). Pendant l’été de 1833, il se rendit avec plusieurs de ses convertis canadiens à Kirtland où il entendit Joseph Smith parler du rassemblement, soulignant que l’édification du royaume de Dieu exigeait plus que simplement la prédication. Ainsi instruit, Brigham retourna à New York et, avec les Kimball, déménagea son ménage à Kirtland pour pouvoir participer à l’édification d’une nouvelle société.

Parmi ceux que Brigham rencontra à Kirtland il y avait Mary Ann Angell, originaire de Seneca (comté d’Ontario, New York), qui avait travaillé dans une usine à Providence (Rhode Island) jusqu’à sa conversion à l’Église et son déménagement à Kirtland. Brigham l’épousa le 18 février 1834. Elle prit soin des deux filles que Brigham avait eues de Miriam et eut plus tard six enfants à elle.

En 1834, Brigham et son frère Joseph participèrent au camp de Sion, une petite armée qui fit à pied le trajet d’Ohio au Missouri pendant l’été de 1834 pour aider ceux qui avaient été chassés de chez eux par des émeutiers hostiles. Brigham trouva que cette expédition difficile, dirigée par Joseph Smith, avait été une éducation superbe et dit plus tard que « ce fut là que je commençai à savoir comment diriger Israël » (Arrington, p. 45-46).

Ce furent le dévouement et le potentiel, plus que les réalisations, qui qualifièrent Brigham Young pour être choisi en février 1835 comme membre du Collège des douze apôtres originel de l’Église. Les Douze étaient « un grand conseil voyageur » chargé porter l’Évangile « à toutes nations, familles, langues et peuples ». Ils présidaient non pas « au pays » mais « à l’étranger » où aucun pieu local n’était établi. Ce groupe devint plus tard le collège dirigeant dans l’Église après la Première Présidence.

Chaque été Brigham entreprenait des missions de prosélytisme dans l’Est ; chaque hiver il s’occupait de sa famille et aidait à l’édification de Kirtland. Il aida à la construction du temple de Kirtland, assista à l’école des prophètes, participa au déversement de Pentecôte qui accompagna la consécration du temple de Kirtland au printemps de 1836 et se lança dans les activités économiques liées à l’Église dont Joseph Smith le chargeait. Quand la communauté de Kirtland se divisa à propos de la façon dont Joseph Smith dirigeait, la défense vigoureuse du prophète assurée par Brigham Young exaspéra tellement les critiques que Brigham dut fuir Kirtland pour sa propre sécurité.

Quand arriva l’été de 1838, la plupart des fidèles de Kirtland, dont Brigham et sa famille, étaient allés s’installer au comté de Caldwell, dans le nord du Missouri. L’arrivée d’un nombre de plus en plus important de saints des derniers jours ralluma les antagonismes avec les vieux colons et des violences éclatèrent. Désarmés, violés et dépouillés de la plupart de leurs possessions, les saints des derniers jours furent chassés de l’état. Joseph Smith, son frère Hyrum, Sidney Rigdon et d’autres dirigeants de l’Église ayant été jetés en prison, Brigham Young, doyen du Collège des Douze, dirigea l’évacuation des saints vers Quincy et d’autres localités de l’Illinois. Pour garantir que les membres sans attelages ni chariots ne fussent pas abandonnés, il rédigea l’Alliance du Missouri. Tous ceux qui la signèrent acceptaient de mettre leurs ressources à disposition pour déménager tout le monde en lieu sûr.

Au printemps de 1839, Joseph Smith désigna Commerce (renommé Nauvoo) (Illinois), comme nouveau lieu central de rassemblement des saints. La famille de Brigham était à peine installée dans la région que lui et d’autres membres des Douze partaient faire une mission en Grande-Bretagne. En dépit de la pauvreté et de la mauvaise santé ambiantes, Brigham quitta sa femme et ses enfants en septembre, bien décidé à aller coûte que coûte en Angleterre. Ses compagnons et lui arrivèrent finalement à Liverpool en avril 1840.

Comme président de collège, Brigham dirigea le travail de son collège en Grande-Bretagne pendant une année étonnante au cours de laquelle ils baptisèrent entre 7.000 et 8.000 convertis, imprimèrent et distribuèrent 5.000 exemplaires du Livre de Mormon, 3.000 livres de cantiques, 1.500 exemplaires du Millennial Star et 50.000 brochures, créèrent une agence de navigation et aidèrent près de 1.000 personnes à émigrer à Nauvoo. Brigham se rendit dans les villes principales d’Angleterre et prit le temps de visiter le palais de Buckingham, la cathédrale Saint-Paul, l’abbaye de Westminster, le Lake District, des villes industrielles, les Potteries, des musées, des galeries d’art et, naturellement, les convertis, riches et pauvres. Plus tard, il devait souvent commenter sur ce qu’il avait vu et appris en Angleterre.

Un succès aussi saisissant, la première expérience de ce genre pour un collège uni, prépara les Douze à des responsabilités supplémentaires. De retour à Nauvoo, Brigham reçut la tâche de diriger les Douze dans leur supervision de l’œuvre missionnaire, de l’achat de terres et de l’installation des immigrés, ainsi que de divers projets de construction. Avec d’autres, le principe du mariage plural lui fut enseigné ; il l’accepta après avoir beaucoup hésité, réfléchi et prié. Avec le consentement de Mary Ann, il épousa Lucy Ann Decker Seeley en juin 1842 et eut plus tard d’autres épouses plurales. Il fut parmi les premiers à recevoir la dotation complète du temple en 1842 et, plus tard, avec Mary Ann, participa avec d’autres qui avaient reçu les ordonnances du temple à des sessions au cours desquelles Joseph Smith donna des instructions supplémentaires sur les principes de l’Évangile.

Étant maintenant président du collège qui venait directement en second après la Première Présidence en autorité et en responsabilité, Brigham Young était quelqu’un de très éminent et influent à Nauvoo. Néanmoins, tout en contribuant à tout diriger, depuis la construction du temple de Nauvoo jusqu’à l’œuvre missionnaire à l’étranger, il conserva l’habitude qu’il avait prise à Kirtland d’entreprendre personnellement des missions de prédication chaque été. En février, Joseph Smith donna d’autres instructions à Brigham Young et à d’autres de son collège sur un déplacement futur vers les montagnes Rocheuses. En mars 1844, Brigham participa à la création du conseil des cinquante, une organisation qui annonçait le modèle de gouvernement d’une future société théocratique et qui fut le dernier modèle d’organisation de ce genre laissé par Joseph Smith. Peu après, comme s’il pressentait sa mort imminente, Joseph Smith donna à Brigham et aux autres membres des Douze la mission solennelle de « emporter ce royaume », leur disant qu’ils avaient maintenant toutes les clefs et toutes les instructions nécessaires pour le faire avec succès (CR, avr. 1898, p. 89 ; MS. 5, mars 1845, p. 151).

En mai 1844, Brigham et d’autres apôtres partirent pour des missions d’été. Pendant leur absence, les événements se dégradèrent à Nauvoo. Joseph Smith fut arrêté et, le 27 juin, tué avec son frère Hyrum quand des émeutiers donnèrent l’assaut à la prison où ils étaient détenus. Brigham était dans la région de Boston et n’apprit l’assassinat avec certitude que le 16 juillet. Ses compagnons et lui revinrent précipitamment à Nauvoo, où ils arrivèrent le 6 août. Après un affrontement spectaculaire avec Sidney Rigdon le 8 août, Brigham et les Douze furent soutenus pour diriger l’Église. Brigham resta le dirigeant jusqu’à sa mort en 1877.

Bien que décidés, en privé, à quitter Nauvoo, Brigham et ses collaborateurs étaient déterminés à finir le temple pour que les saints puissent recevoir leurs ordonnances. Alors même qu’ils travaillaient pour se défendre et pour finir le temple, ils tinrent des réunions pour décider quand et où partir plus vers l’ouest. Peu après que des violences eurent éclaté en septembre 1845, ils annoncèrent publiquement leur intention de partir le printemps suivant. En décembre, le temple fut prêt pour les ordonnances et dès février, près de 6.000 membres avaient reçu les bénédictions du temple. Les saints avaient également passé l’automne et l’hiver à se préparer pour l’exode. Des comités furent nommés et une Alliance de Nauvoo fut signée pour garantir que ceux qui avaient des biens aident ceux qui n’en avaient pas.

En partie par crainte d’une intervention gouvernementale, Brigham Young entreprit l’émigration dans le froid et la neige de février 1846 plutôt que d’attendre le printemps. Par centaines, puis par milliers, les gens, les animaux et les chariots traversèrent le fleuve Mississippi et pataugèrent dans la boue de l’Iowa jusqu’à des Quartiers d’Hiver (Winter Quarters, maintenant Florence, dans le Nebraska) sur le fleuve Missouri. À la fin du printemps, près de 16.000 saints étaient sur la route.

Brigham dirigea personnellement cette odyssée massive, qui nécessitait l’attribution de produits alimentaires, de chariots, de bœufs et de biens de l’Église aux convois organisés qui se mettaient en route sur la piste. La préparation et la traversée de l’Iowa prirent si longtemps qu’aucun des convois ne put atteindre les montagnes Rocheuses cette année-là, comme on l’avait espéré. Cette expérience exigeante de l’Iowa donna à Brigham Young des leçons précieuses sur les hommes et l’organisation, leçons dont il se servit tout au long de ses années de direction. Il apprit aussi à nouveau que quand les ressources humaines se révèlent insuffisantes, on doit se tourner avec foi vers Dieu. Cet hiver-là, Brigham annonça la « parole et [la] volonté du Seigneur » (D&A 136) pour aider à organiser les saints et à les préparer pour le voyage vers l’Ouest.

Brigham Young se mit en route, le 5 avril 1847, avec une avant-garde de 143 hommes, 3 femmes et 2 enfants. Retardé par maladie, il arriva dans la vallée du lac Salé le 24 juillet, quelques jours après le groupe d’exploration. Lorsqu’il eut vu la vallée de ses propres yeux, il annonça que c’était le bon endroit pour un nouveau siège de l’Église et confirma que la région serait le nouveau lieu de rassemblement. Il désigna aussi l’endroit exact pour un temple. Il dirigea l’exploration de la région, aida au levé et au lotissement des terrains pour les maisons, les jardins et les fermes, appela la nouvelle colonie « Great Salt Lake City, Grand Bassin, Amérique du Nord », tint des réunions où il nomma John Smith dirigeant religieux de la nouvelle colonie et marqua son accord pour des règles de base de travail et de partage coopératifs. Le 26 août, Brigham rejoignit le groupe qui s’en retournait à Winter Quarters.

À Winter Quarters, en décembre 1847, Brigham et les autres membres des Douze réorganisèrent la Première Présidence de l’Église, avec Brigham comme président. Le mois d’avril suivant, lui, sa famille et quelque 3.500 autres saints se mirent en route pour la vallée du lac Salé. Les activités de Brigham, qui devait organiser les convois, construire des ponts, réparer l’équipement et dresser les bœufs, développèrent des capacités qui allaient se manifester tout le reste de sa vie.

Brigham, qui avait maintenant quarante-sept ans, dut affronter une série de problèmes tandis qu’il s’installait définitivement dans la vallée du lac Salé. Le premier fut de loger sa famille. Sur un lot jouxtant City Creek dans ce qui est maintenant le centre de Salt Lake City, il construisit, pour ses femmes et ses enfants, une rangée de maisons de rondins qui, collectivement, fut appelée Harmony House. Au sud de ceci il construisit plus tard la Maison Blanche, une construction d’adobes séchées au soleil couverte de plâtre blanc. Plus tard encore, il construisit une grande maison d’adobes avec étage dont la façade donnait sur ce qu’on finit par appeler Brigham Street (maintenant South Temple Street). Ce bâtiment, qui était muni d’une tour surmontée d’une ruche dorée, fut appelé la Beehive House et fut la résidence officielle de Brigham comme gouverneur et président de l’Église. En 1856, Brigham ajouta un édifice impressionnant d’adobes de deux étages auquel on donna le nom de Lion House à cause de la statue d’un lion couché sur le portique. Plusieurs de ses familles vécurent dans ce bâtiment, juste à l’ouest de la Beehive House. Il construisit plus tard des maisons dans le sud de Salt Lake City, à Provo et à St-George. Les maisons de Brigham étaient toutes bien construites et finement meublées.

Le plus grand problème public était de trouver des endroits pour recevoir les saints qui arrivaient. Salt Lake City fut divisée en pâtés de quatre hectares et chaque chef de famille recevait un lot d’un demi-hectare sur un des pâtés de la ville. Les gens y gardaient leur bétail, leur potager et leurs autres accessoires « de maison » (voir Urbanisme). Un pâté de quatre hectares situé juste à l’ouest de Brigham fut désigné comme Temple Block et on y installa la Bowery (tonnelle), un abri provisoire fait de branches d’arbre, où les saints tinrent d’abord leurs services religieux, le tabernacle et divers ateliers utilisés pour la construction de bâtiments publics. La construction du temple de Salt Lake City commença en 1853.

À l’extérieur de la ville, des lots de deux et de quatre hectares furent distribués à ceux qui voulaient cultiver. Sous la direction de Brigham Young, des équipes coopératives furent chargées de creuser des fossés et des canaux pour irriguer les cultures et pour fournir de l’eau aux maisons. D’autres brigades clôturèrent les zones résidentielles, construisirent des routes, coupèrent du bois de construction et ouvrirent des ateliers. D’autres groupes choisirent de nouveaux lieux à coloniser et aidèrent à mettre les gens dans les meilleurs endroits. D’autres encore furent appelés en mission aux États-Unis, en Europe ou dans le Pacifique.

Au printemps de 1849, Brigham Young organisa Salt Lake City en dix-neuf paroisses, créa des paroisses dans d’autres colonies, fonda l’État de Deseret avec lui-même comme gouverneur et mit sur pied le Fonds perpétuel d’émigration pour aider les saints de Grande-Bretagne, de Scandinavie et d’Europe continentale à émigrer.

Avec les milliers de saints qui arrivaient de l’Est des États-Unis et d’Europe, la colonisation exigea l’attention de Brigham Young. Sous sa direction, quatre sortes de colonies furent créées : premièrement, les colonies prévues comme lieux provisoires de rassemblement et de recrutement, tels que Carson Valley au Nevada ; deuxièmement, les colonies devant servir de centres de production, comme le fer à Cedar City, le coton à St-George, le bétail à Cache Valley et les moutons à Spanish Fork, tous en Utah ; troisièmement, les colonies devant servir de centres pour convertir et aider des Indiens, comme à Harmony, dans le sud de l’Utah, Las Vegas, dans le sud du Nevada, Lemhi, dans le nord de l’Idaho et ce qui est aujourd’hui Moab, dans l’est de l’Utah ; quatrièmement, des colonies permanentes en Utah et dans les États et territoires voisins pour fournir des maisons et des fermes aux centaines de nouveaux immigrés qui arrivaient chaque été. En dix ans, près de 100 colonies avaient été implantées ; en 1867, il y en avait plus de 200 et avant sa mort en 1877, il y en avait près de 400. Il est clair qu’il fut l’un des plus grands colonisateurs de l’Amérique.

Comme président de l’Église, Brigham dirigeait régulièrement l’office du dimanche à Salt Lake City et rendait visite tous les ans au plus grand nombre de communautés périphériques possible. Il nomma des évêques pour chaque paroisse et colonie et invita chaque paroisse à organiser pour ses membres des activités culturelles telles que bals, théâtre, récitals de musique et, surtout, des écoles. Il écoutait les personnes qui avaient à se plaindre, répondait aux innombrables questions sur des affaires personnelles et de famille aussi bien que sur la religion et dicta des milliers de lettres contenant des instructions, des recommandations, des conseils amicaux et des réflexions occasionnelles sur les affaires de l’Église et du pays. C’était un saint des derniers jours ferme et un conseiller sage.

Brigham prononça, dans l’Utah des pionniers, quelque 500 sermons qui furent enregistrés mot à mot par un sténographe. Ces sermons, tous prononcés sans texte préparé, peuvent donner l’impression d’être décousus, mais ils étaient bien pensés et révèlent un pouvoir mental remarquable. Ils étaient bien adaptés à ses auditoires. Ses discours étaient comme des « causeries de veillée », une conversation à bâtons rompus avec son auditoire. Entremêlant des sujets aussi divers que la mode féminine, l’expiation du Christ, des souvenirs de Joseph Smith et la façon de faire du bon pain, Brigham maintenait son auditoire suspendu à ses lèvres, fasciné, amusé et en larmes, parfois pendant des heures. Il inspirait, motivait, enseignait et encourageait.

Les saints des derniers jours s’étaient installés parmi diverses tribus d’Amérindiens. Tenant à les aider, à les convertir et à éviter les effusions de sang, Brigham créa des fermes indiennes, prit des Indiens dans sa propre maison, préconisa une politique basée sur le principe que « les nourrir coûte moins cher que les combattre » et tint des réunions périodiques avec les chefs. Ses politiques n’étaient pas toujours couronnées de succès, mais il cherchait systématiquement les solutions pacifiques et s’opposait fermement à la pratique trop courante sur la « frontière » de tuer les Indiens pour des vétilles.

En 1851, Brigham fut nommé gouverneur et surintendant des affaires indiennes du Territoire d’Utah par Millard Fillmore, président des États-Unis. Son problème principal comme gouverneur fut de traiter avec les fonctionnaires fédéraux « extérieurs », dont beaucoup étaient, à tous points de vue, hostiles à l’Église et d’une incompétence inexcusable. Il y eut des problèmes pour les petites dépenses fédérales, le fait que les saints n’avaient pas recours aux juges fédéraux dans les cas de conflits civils, le manque de tact des fonctionnaires nommés par le fédéral quand ils parlaient de l’Église, leur opposition à l’union de l’Église et de l’État et leur idée toute faite que les saints des derniers jours étaient immoraux parce qu’ils toléraient le mariage plural.

Cette polémique incessante finit par amener James Buchanan, président des États-Unis, à prendre la décision, en 1857, de remplacer Brigham Young par un gouverneur « extérieur », Alfred Cumming, de Géorgie. En même temps, le président Buchanan, qui avait été informé (incorrectement) que les mormons étaient « dans un état de rébellion substantielle contre les lois et l’autorité des États-Unis » envoya une grande partie de l’armée américaine en Utah pour installer le nouveau gouverneur et garantir l’exécution des lois des États-Unis. Le gouverneur Young ne fut pas avisé de cette action, mais on repéra des forces armées secrètement en route pour l’Utah. Craignant une répétition de la « voyoucratie » du Missouri et de l’Illinois, il rappela les personnes vivant dans les colonies périphériques et mobilisa les saints pour défendre leurs foyers. Finalement, avec l’aide de Thomas L. Kane, il négocia un règlement pacifique en vertu duquel l’armée occupa Camp Floyd, un poste situé à une soixantaine de kilomètres de Salt Lake City. L’armée américaine fut une source d’irritation, mais pas un obstacle, à la poursuite de l’expansion et du développement de l’Église. Le président Young resta, comme s’en vantait son entourage, gouverneur du peuple, tandis que ses remplaçants ne faisaient que gouverner le territoire. L’armée quitta l’Utah en 1861 avec le début de la guerre de Sécession.

Convaincu qu’il fallait adapter la technologie la plus récente au profit de la société des saints, Brigham Young signa un contrat en 1861 pour construire le télégraphe transcontinental du Nebraska à la Californie, puis il se mit à construire les deux mille kilomètres du Deseret Telegraph de Franklin (Idaho) jusqu’au nord de l’Arizona. Celui-ci relia presque tous les villages mormons à Salt Lake City et, par ce raccordement, au monde. Tandis que le chemin de fer transcontinental était en construction, il négocia des contrats avec la Union Pacific et la Central Pacific pour que des entreprises mormones construisent les assiettes de la route à l’est de Salt Lake City jusque dans la région du Wyoming et à l’ouest jusque bien loin au Nevada. Il organisa ensuite les lignes de chemin de fer du Utah Central, Utah Southern et Utah Northern Railroad pour prolonger la ligne au sud d’Ogden jusqu’à Frisco dans le sud de l’Utah et vers le nord jusqu’à Franklin (Idaho) et par la suite jusqu’au Montana.

Conscient du fait que l’achèvement du chemin de fer mettrait en danger l’économie sociale indépendante de son peuple, le président Young inaugura un mouvement protecteur qui cherchait à préserver, autant que possible, le mode de vie qui lui était propre. Il organisa des coopératives pour gérer la vente et la fabrication locales, lança plusieurs nouvelles entreprises pour développer les ressources locales, promut des sociétés de secours dans chaque paroisse pour créer des occasions d’épanouissement, de socialisation et de services compatissants pour les femmes, ouvrit les portes de l’université de Deseret (plus tard l’université d’Utah) aussi bien aux jeunes filles qu’aux jeunes gens, encouragea les femmes à se former professionnellement, particulièrement en médecine et donna le vote aux femmes. En 1875, il fonda l’Académie Brigham Young (plus tard l’université Brigham Young), en 1877 le Brigham Young College (Logan, Utah) et le Latter-day Saints College. En 1874, il promut aussi le mouvement de l’Ordre Uni pour encourager la coopération, la production et la consommation locales (voir Histoire économique de l’Église).

Brigham Young resta vigoureux jusqu’à sa mort en août 1877. Juste avant sa mort, il consacra le temple de St-George et y lança la totalité des ordonnances du temple, quelque chose qu’il se réjouissait de faire depuis Nauvoo, et il révisa l’organisation de l’Église à tous les niveaux, mettant pour la première fois en forme des pratiques qui allaient caractériser l’Église pendant près d’un siècle.

Brigham était un homme bien bâti et trapu (les dernières années corpulent) d’un mètre soixante-quinze, légèrement plus grand que la moyenne pour son temps. Il y avait très peu de gris dans ses cheveux brun clair. Les visiteurs remarquaient ses yeux bleu-gris perçants bordés de sourcils minces. S’il finit par porter la barbe, Brigham resta glabre jusque dans les années 1850, quand il commença à porter des favoris jusqu’au menton. Sa bouche et son menton étaient fermes, annonçant, pensaient les visiteurs, sa volonté de fer. Il était généralement posé et calme, mais il pouvait tonner du haut de la chaire. Parfois appelé le « Lion du Seigneur », il pouvait également rugir quand on l’irritait.

Les manières de Brigham Young étaient plaisantes et courtoises. Ses habits, généralement soignés et simples, étaient souvent de fabrication domestique. Il combinait une énergie et une assurance vibrantes avec de la déférence pour les sentiments des autres et avec une absence complète de prétention. Lorsqu’il mourut, il avait épousé vingt femmes, dont seize lui avaient donné cinquante-sept enfants. Il mourut le 29 août 1877 d’une péritonite consécutive à une rupture d’appendice.

Les réalisations les plus manifestes de Brigham furent le produit du talent qu’il eut toute sa vie de prendre des décisions pratiques. Il institua des méthodes de gouvernement de l’Église qui persistent à ce jour. Quand il fit traverser l’Iowa aux saints, il publia des instructions détaillées qui furent suivies par les centaines de convois qui traversèrent les plaines jusqu’à la vallée du lac Salé au cours des années qui suivirent. Dans le Grand Bassin, il dirigea l’organisation de plusieurs centaines de colonies de saints, fonda plusieurs centaines d’entreprises coopératives de vente au détail, de vente en gros et de production et lança la construction d’églises, de tabernacles et de temples. Tout en faisant tout cela, il mena un combat ininterrompu avec le gouvernement des États-Unis pour préserver le mode de vie propre aux saints.

Mais pour Brigham Young c’étaient là des moyens, pas la fin. Sa priorité absolue était de bâtir sur la base posée par Joseph Smith pour établir un empire dans le désert où son peuple pourrait pratiquer l’Évangile de Jésus-Christ dans la paix, améliorant de ce fait ses perspectives dans cette vie et dans la prochaine. Il aimait le Grand Bassin parce que sa rigueur et son isolement en faisaient l’endroit idéal pour « faire des saints ».


Bibliographie

Arrington, Leonard J. Brigham Young : American Moses. New York, 1985.
Bringhurst, Newell G. Brigham Young and the Expanding American Frontier. Boston, 1986.

Palmer, Richard F. et Karl D. Butler, Brigham Young : The New York Years. Provo, Utah, 1982.

Walker, Ronald W. et Ronald K. Esplin. « Brigham Himself : An Autobiographical Recollection ». Journal of Mormon History 4, 1977, p. 19-34.