Le pogramme de placement des jeunes Amérindiens

vécu par Maeta Holiday




En septembre 1968, par une chaude après-midi, Maeta Holiday, quatorze ans, voyageait seule dans un bus en direction de Fullerton, une banlieue de Los Angeles, en Californie. Elle regardait par la fenêtre les orangeraies qui s’étendaient de part et d’autre de la route. Le paysage était très différent de celui où elle vivait dans le désert à la frontière de l’Utah et de l’Arizona.

Maeta était Diné, issue du peuple navajo. Elle avait grandi dans une réserve amérindienne, entre quatre montagnes sacrées qui marquaient les frontières traditionnelles de la terre ancestrale de son peuple. Au XIXe siècle, le gouvernement des États-Unis avait créé la réserve et d’autres semblables dans les terres qu’il avait autrefois confisquées à des groupes amérindiens, tels que les Navajos, pour faire de la place aux colons blancs, notamment des saints des derniers jours. Contraintes de vivre dans les réserves sur des terres souvent pauvres, de nombreuses familles étaient en difficulté.

La réserve navajo où avait vécu Maeta était vaste. Les gens vivaient très loin les uns des autres, ce qui rendait difficile le transport des enfants vers l’école. Les internats financés par le gouvernement étaient souvent surpeuplés et ne disposaient pas de fonds suffisants. Dans ces conditions, de nombreux parents amérindiens, cherchant à améliorer la qualité de vie de leurs enfants, les envoyaient dans des écoles en dehors de la réserve.

Maeta était arrivée en Californie dans le cadre du programme de l’Église de placement des élèves indiens. Elle s’apprêtait à vivre chez une famille blanche qu’elle n’avait jamais rencontrée. Ses sœurs aînées avaient participé à ce programme et elle souhaitait faire de même. Pourtant, malgré son enthousiasme au moment des inscriptions, elle était nerveuse au sujet de sa nouvelle famille d’accueil.

Le programme de placement avait été fondé en 1954 sous la direction de Spencer W. Kimball. Comme beaucoup de saints des derniers jours de l’époque, il considérait les Amérindiens comme des descendants directs des peuples du Livre de Mormon. Il pensait que les membres de l’Église avaient la responsabilité d’aider leurs frères et sœurs lamanites à avoir accès à l’instruction et à accomplir leur destinée divine en tant que peuple de l’alliance.

Dans le cadre du programme de placement, des enfants amérindiens quittaient leur réserve pour vivre dans des familles de saints des derniers jours pendant l’année scolaire. L’idée était de permettre aux élèves de se rendre dans de meilleures écoles et de vivre dans des foyers centrés sur l’Évangile. Entre le début du programme et l’année 1968, environ trois mille élèves issus de plus de soixante-trois tribus avaient été placés dans des foyers au Canada et dans sept États américains. Les élèves participants étaient tous membres de l’Église, mais certains n’avaient que très peu assisté aux réunions de l’Église auparavant.

Glen Van Wagenen, qui dirigeait le programme en Californie du Sud, avait entendu parler de Maeta alors que celle-ci vivait dans une famille à Kanab, en Utah. Maeta s’épanouissait dans ce foyer et s’entendait bien avec leur fille. Quand Glen l’invita à participer au programme de placement en Californie au début de ses études secondaires, elle accepta sans hésiter.

Maeta était la plus jeune des six filles de Calvin Holiday et Evelyn Crank. Ses parents s’étaient joints à l’Église au début de leur mariage, mais ils s’en étaient éloignés plus tard. Maeta s’était fait baptiser à l’âge de huit ans, toutefois elle n’était pas allée à l’église régulièrement et ne comprenait pas la signification de cette ordonnance. Désireux d’offrir une bonne instruction à leur fille, ses parents l’avaient placée dans des internats amérindiens en Arizona dès qu’elle avait eu l’âge requis. Depuis, elle se déplaçait beaucoup.

Maeta connaissait des familles dans la réserve au sein desquelles les parents s’aimaient et où les enfants étaient heureux. Ce n’était pas le cas de la sienne. Après le divorce de ses parents, sa mère s’était remariée deux fois. Elle avait eu six autres enfants. Elle s’absentait pendant de longues périodes, obligeant Maeta à s’occuper de ses jeunes frères et sœurs. Plus d’une fois, ils avaient passé des jours entiers seuls, avec peu d’eau et de nourriture. Elle avait fait de son mieux pour nourrir les enfants, parfois avec du mouton avarié et quelques boîtes de conserve.

Un jour, tandis que Maeta faisait frire du pain dehors, sa mère l’avait regardée et lui avait dit : « Tu ne seras bonne qu’à faire des bébés. » Son cœur s’était brisé. À ce moment-là, elle s’était promis en silence qu’elle ferait quelque chose de sa vie.

En arrivant à l’arrêt de bus en Californie du Sud, Maeta était soulagée d’être loin de sa mère. Elle était malgré tout nerveuse lorsqu’elle vit un couple d’âges moyens franchir la porte. Elle pensa : « Voilà mes nouveaux parents . »

Dans sa famille d’accueil, le père, Spencer Black, était calme et réservé. Maeta le salua avec une certaine méfiance, marquée par les hommes violents qu’elle avait connus jusqu’alors. La mère, Venna, dégageait en revanche quelque chose de rassurant.

Ils ramenèrent la jeune fille chez eux, où elle fit la connaissance de leurs enfants, Lucy, quinze ans, et Larry, treize ans. Le couple avait trois autres enfants plus âgés qui ne vivaient plus à la maison. Maeta se familiarisa avec son nouveau foyer, avec sa grande cheminée et son jardin fleuri. Ayant partagé une chambre avec ses frères et sœurs toute sa vie, elle était particulièrement ravie d’avoir sa propre chambre.

Pourtant, Maeta n’était pas encore tout à fait à l’aise. La ville était très impressionnante et couverte d’un épais nuage de pollution. Ses parents adoptifs étaient gentils, mais Maeta se demandait si cette gentillesse n’était pas une manière de la manipuler pour qu’elle fasse des corvées, comme sa mère le faisait parfois.

Elle ne regrettait pas d’être venue en Californie. Toutefois, cette nuit-là, le calme de la réserve lui manqua tandis qu’elle se couchait, troublée par le bruit de la circulation sur l’autoroute.

Peu après son arrivée en Californie, Maeta Holiday se rendit dans un centre commercial avec Venna Black, mère de sa famille d’accueil dans le cadre du programme de placement des élèves indiens. Maeta n’était jamais allée au centre commercial auparavant, elle fit donc très attention à l’itinéraire que prenait Venna en voiture.

Au centre commercial, la jeune fille choisit les vêtements dont elle avait besoin. Sur le chemin du retour, Venna n’était pas sûre de savoir comment rentrer. Elle confia à Maeta : « Je ne me souviens plus par où je dois aller. »

Maeta la guida dans la bonne rue, virage après virage, et ce, jusqu’à la maison.

Venna était impressionnée. Elle demanda : « Comment connais-tu le chemin ? »

Maeta répondit : « Je suis très observatrice. » Elle avait pris l’habitude de mémoriser des points de repère à l’époque où elle gardait les moutons dans la réserve navajo lorsqu’elle était une petite fille. Si elle ne faisait pas attention aux points de repère, elle risquait de ne pas rentrer chez elle.

Peu après cette expérience, Maeta commença ses cours à l’établissement secondaire local. Les premiers jours furent effrayants. L’établissement était beaucoup plus grand que tous ceux qu’elle avait fréquentés auparavant. Les murs des couloirs bondés étaient recouverts de casiers. Presque tous les élèves étaient blancs et, à sa connaissance, elle était la seule élève issue du programme de placement à être ici. Cependant, elle ne se sentit pas victime de préjugés raciaux de la part de ses camarades, contrairement à certains élèves du programme accueillis dans d’autres écoles. Ses camarades de classe l’accueillirent avec bienveillance et elle se fit rapidement des amis.

Comme d’autres jeunes de sa paroisse, Maeta participait au séminaire matinal. Sa sœur adoptive, Lucy, et elle se réveillaient tous les jours de la semaine à cinq heures afin d’être à l’heure à l’église pour le cours. Le premier jour du séminaire, Maeta attendit sur sa chaise, sans vraiment savoir ce qu’elle faisait là. Dès que le cours commença, elle comprit de quoi il s’agissait : « Ah, nous en apprenons davantage sur l’Église. »

Maeta n’était pas très intéressée par le séminaire. Quand elle apprit qu’elle recevrait une note pour ce cours, elle fut surprise et perplexe. Elle se demanda : « Comment peut-on être noté pour ses croyances ? » Dieu allait-il lui donner une note ? Toutefois, Lucy et elle manquaient rarement le cours.

Lors de sa première année dans l’établissement secondaire, Maeta s’était inscrite à la chorale de l’école. L’année suivante, elle avait joué au basket-ball, sport qu’elle connaissait depuis son séjour dans un internat en Arizona. Elle excellait dans ce sport et devint la meneuse de jeu de son équipe. Elle aimait tenter les deux points et marquer juste après les lancers francs. Elle faisait aussi de très belles passes. À la fin de la saison, ses coéquipières et ses entraîneurs l’élurent meilleure joueuse de l’année.

Le programme de placement recommandait qu’après chaque année scolaire, les élèves retournent vivre dans leur famille d’origine pendant l’été. Maeta n’aimait pas rentrer chez elle ni passer du temps avec sa mère, Evelyn, qui avait des difficultés. Venna pensait néanmoins qu’il était important que la jeune fille reste en contact avec ses racines et l’encourageait à écrire tous les mois à sa famille. Chaque fois que l’été arrivait, Maeta prenait le bus pour l’Arizona.

Au printemps 1970, alors que Maeta terminait sa deuxième année d’études secondaires, elle apprit que la maison de sa mère avait brûlé. Personne n’avait été blessé et la jeune fille n’était pas inquiète pour sa famille. Toutefois, Venna l’aida à faire quelques achats pour remplacer des choses que ses frères et sœurs avaient perdues dans l’incendie.

Le jour où Maeta partit pour l’Arizona, Venna la déposa à l’arrêt de bus avec des cartons remplis de nourriture, de vêtements et de couvertures. Elle expliqua : « C’est pour ta famille, de la part de notre paroisse. »

En regardant les cartons chargés dans la soute à bagages du bus, la jeune fille fut submergée par l’émotion. À son arrivée en Californie, elle s’était méfiée de la gentillesse de la famille Black, se demandant s’ils ne l’avaient pas accueillie uniquement pour faire le ménage. Depuis, elle avait appris qu’ils se souciaient d’elle. Mais avant de voir les cartons, elle ne s’était pas rendu compte à quel point sa famille d’accueil l’aimait.

Le soir du 15 juin 1972, Maeta souriait tandis qu’elle se tenait debout avec plus de cinq cents élèves de terminale dans un gymnase au sud de la Californie. Dans quelques instants, ses camarades de classe et elle recevraient leur diplôme de fin d’études secondaires. Ce serait le début de la prochaine étape de leur vie. Ils portaient une toque et une toge assorties, les filles en rouge et les garçons en noir.

Pour Maeta, ce moment signifiait la fin de son parcours dans le programme de placement des élèves indiens. Bientôt, elle quitterait sa famille d’accueil pour commencer une nouvelle vie. Comme beaucoup de diplômés du programme, elle prévoyait d’aller à l’université Brigham Young. Plus de cinq cents Amérindiens, dont la plupart étaient Navajos comme Maeta, étudiaient alors à l’université Brigham Young. L’établissement offrait des bourses généreuses à ces étudiants. Les parents de la famille d’accueil de Maeta, Venna et Spencer Black, l’avaient aidée à faire la demande d’aide.

Maeta savait que la famille Black continuerait de la soutenir. Lorsqu’elle était venue vivre avec eux quatre ans plus tôt, ils l’avaient immédiatement traitée comme leur fille. Ils lui avaient offert un foyer stable et lui avaient fait sentir, pour la première fois de sa vie, qu’elle faisait partie d’une famille aimante. Même si elle était membre de l’Église bien avant de vivre avec eux, ils lui avaient montré l’exemple d’une famille centrée sur les enseignements de Jésus-Christ.

Tous les élèves du programme de placement n’avaient pas vécu d’aussi bonnes expériences avec leurs familles d’accueil. Certains ne s’étaient pas senti les bienvenus dans leur famille d’accueil ou ne s’étaient pas entendus avec les parents ou les frères et sœurs de cette famille. D’autres avaient refusé d’apprendre à connaître la culture de leur famille d’accueil. Par contre, certains avaient trouvé des moyens de chérir à la fois leur patrimoine et leur expérience dans le cadre du programme de placement. Ils retournaient dans les réserves, fortifiaient leur collectivité et vivaient une vie épanouie en tant que saints des derniers jours.

Pour sa part, Maeta était toujours hantée par les expériences douloureuses de son enfance. Elle ne voulait pas d’une vie comme celle de ses parents ou grands-parents. Venna l’avait cependant encouragée à chérir son héritage navajo. Elle lui avait dit un jour : « Tu devrais être fière de qui tu es. Dieu sait que tu es spéciale parce que le Livre de Mormon parle de ton peuple. » Comme beaucoup de saints à l’époque, Venna pensait que les promesses du Livre de Mormon s’appliquaient aux Amérindiens. En regardant Maeta, elle voyait une descendante de Léhi et de Sariah, ayant droit aux bénédictions de l’alliance.

Elle avait ajouté : « C’est ce que je veux pour toi. Je veux qu’un jour, tu te maries au temple. Je veux que tu continues d’aller à l’église, et je veux que tu saches que tu es spéciale et que nous t’aimons. »

Le jour de la remise des diplômes, Maeta n’avait pas encore totalement compris ni accepté tout ce que Venna lui avait enseigné. Même si elle admirait sa famille d’accueil, elle ne savait pas si elle serait capable d’avoir un mariage ou une famille heureuse. Après avoir été témoin du divorce de ses parents et des difficultés de sa mère pour s’occuper de ses propres enfants, elle n’avait aucun désir de se marier ni de fonder une famille.

Peu après avoir reçu son diplôme, Maeta apprit que sa candidature à l’université Brigham Young avait été acceptée. En montant dans l’autocar pour Provo, elle réfléchit à son avenir et à sa foi. L’assistance aux réunions de l’Église et au séminaire avait été un élément important du programme de placement des élèves indiens. Voulait-elle que l’Évangile rétabli fasse partie de son avenir ?

Elle pensa : « Si je vais à l’université Brigham Young, je me demande ce que je dois faire. Dois-je faire partie de l’Église ou pas ? »

Elle repensa aux choses qu’elle avait apprises grâce à Venna et Spencer. Sa vie n’avait pas été facile, mais elle avait eu la bénédiction de vivre avec eux et de faire partie de leur famille.

Elle pensa : « Oui, je crois en Dieu. Il a toujours été là. »

Après avoir passé un an à l’université Brigham Young, Maeta Holiday décida d’arrêter ses études et de chercher du travail. Elle avait aimé prendre des cours de danse de salon, et danser et chanter au sein de « Lamanite Generation », un groupe amérindien populaire. Mais elle avait trouvé que certains cours, notamment la physique, étaient trop difficiles. Au début de l’année 1974, elle s’installa à Salt Lake City pour travailler en tant que réceptionniste à KSL, la station de télévision et de radio appartenant à l’Église.

Elle fréquentait un jeune homme rentré de mission, Dennis Beck. Il l’avait abordée lors d’un bal à Provo au mois de septembre de l’année précédente, et ils avaient dansé ensemble toute la soirée. Il l’avait ensuite invitée à l’accompagner à l’église.

Maeta avait été prise de court. Depuis qu’elle avait quitté l’université, elle n’avait plus été aussi pratiquante dans l’Église que lorsqu’elle vivait en Californie. Elle avait néanmoins accepté son invitation et avait été heureuse d’y assister en sa compagnie. Elle avait accepté d’y retourner la semaine suivante et rapidement, ils sortaient ensemble régulièrement.

En apprenant à mieux connaître Dennis, Maeta était admirative de sa bonté et de sa sincérité. Il était pratiquant dans l’Église, respectait les commandements et allait régulièrement au temple. Né en Utah, il avait servi dans la mission indienne du Nord, dans le nord des États-Unis. Il y avait appris à aimer les Amérindiens qu’il instruisait ainsi qu’à chérir ses propres origines mexicaines. Chaque fois qu’elle se trouvait en sa présence, Maeta se sentait à l’aise et édifiée.

Un jour, environ six mois après leur rencontre, Dennis vint la chercher à bord de sa vieille camionnette rouge, qu’il avait réparée et remise en état. Ils allèrent faire un tour, puis le jeune homme s’arrêta devant le nouveau temple de Provo et demanda Maeta en mariage.

Depuis le début de son adolescence, la jeune femme s’était promis de ne jamais se marier. Pourtant, à cet instant-là, elle ne s’attarda pas sur le divorce de ses parents ni les nombreux mariages de sa mère. Au lieu de cela, ses pensées se tournèrent vers Venna et Spencer Black, qui lui avaient montré l’exemple d’un mariage heureux. Elle pensa : « Je peux être heureuse moi aussi. » Alors elle répondit « oui ».

Plus tard cet été-là, le 27 juin, Maeta s’agenouilla en face de Dennis dans le temple de Salt Lake City. Elle portait une robe qu’elle avait confectionnée elle-même, un modèle à taille empire recouvert de dentelles. Le reflet du couple semblait s’étirer à l’infini dans les miroirs face à face. Sa famille adoptive, Venna, Spencer et leur fille Lucy étaient dans la salle de scellement avec eux.

Quand Venna avait entendu l’annonce des fiançailles de Maeta, elle lui avait dit : « Je suis fière de toi. Nous avons passé beaucoup de temps à genoux, à prier pour que tu fasses les bons choix. »

Agenouillée à l’autel face à Dennis, Maeta était reconnaissante pour les prières ferventes de Venna. La joie l’enveloppait. Elle savait qu’épouser Dennis était la bonne décision.

Plus tard, Maeta fit le trajet jusqu’en Arizona pour présenter son mari à sa mère. Evelyn fut impressionnée par le jeune homme. Elle apprécia son sens de l’humour, son honnêteté et son engagement à respecter la Parole de sagesse.

Elle confia à Maeta : « C’est un homme bien. » Elle approuvait la décision de sa fille.

(Les saints, quatrième tome, 2024)