La restriction concernant la prêtrise
vécue de l'intérieur de l'Église

Survol de l'histoire récente des Noirs dans l'Église
(1954-2010)



Au début de l’année 1954, le président McKay quitta les États-Unis en compagnie de sa femme pour rendre visite aux saints en Europe, en Afrique du Sud et en Amérique du Sud. La première fois qu’il avait visité les missions de l’Église dans le monde, en 1920-1921, accompagné de Hugh Cannon, il s’était rendu compte des besoins et des préoccupations des membres de partout. Cette fois-ci, dans le cadre de son périple, il était particulièrement préoccupé par la mission d’Afrique du Sud. L’Église était implantée dans le pays depuis plus de cent ans. Toutefois, elle était confrontée à une pénurie de dirigeants en raison des restrictions qui empêchaient les personnes d’origine africaine de détenir la prêtrise ou de recevoir les ordonnances du temple.

Ces restrictions avaient toujours présenté des défis particuliers en Afrique du Sud. Les missionnaires rencontraient souvent des hommes qui ne savaient pas s’ils avaient des ascendances mixtes africaines et européennes. On se demandait alors s’ils pourraient être ordonnés à la prêtrise. Finalement, la Première Présidence décida que tous les futurs détenteurs de la prêtrise du pays devaient confirmer leur éligibilité en prouvant que leurs plus anciens ancêtres sud-africains s’étaient installés en Afrique et n’y étaient pas nés.

Cette méthode prenait beaucoup de temps et était souvent source de frustration. Certains dirigeants potentiels de branche ou de district étaient issus de familles qui vivaient en Afrique du Sud depuis bien avant la tenue de registres généalogiques. D’autres avaient dépensé des sommes considérables pour rechercher leur lignée familiale mais s’étaient retrouvés bloqués. En conséquence, le président de mission, Leroy Duncan, décida d’appeler des missionnaires pour diriger les assemblées dans lesquelles les hommes dignes ne pouvaient pas prouver leur ascendance.

Il informa la Première Présidence : « Il n’y a eu que cinq hommes ordonnés à la Prêtrise de Melchisédek au cours des cinq dernières années. L’œuvre progresserait plus rapidement si un plus grand nombre de nos frères bons et fidèles détenaient la prêtrise. »

Le président McKay espérait s’attaquer au problème dès son arrivée en Afrique du Sud. Pourtant, il restait conscient des tensions dans le pays dues aux divisions raciales. L’Afrique du Sud était gouvernée par une minorité blanche qui avait récemment commencé à adopter des lois oppressives visant à traiter les Noirs et les personnes « de couleur » (ou métis) comme des citoyens de seconde zone, totalement séparés des Blancs.

Ce système de lois, connu sous le nom d’apartheid, faisait de la ségrégation raciale stricte un élément central de la société sud-africaine. En réfléchissant à ce problème, le président McKay devait prendre en compte la pratique de l’Église consistant à agir conformément aux lois du pays. Il comprenait également que même un changement inspiré des restrictions concernant la prêtrise et le temple pourrait susciter la colère de membres de l’Église blancs et des personnes étrangères à leur religion.

En janvier 1954, le couple McKay arriva en Afrique du Sud. Ils passèrent plusieurs jours avec les saints du pays. Le président McKay prit le temps de parler avec autant de personnes qu’il le pouvait, en particulier celles qui semblaient réservées ou en marge de la foule. Au Cap, il serra la main de Clara Daniels et de sa fille, Alice, qui avaient été, des années auparavant, les membres fondateurs de la branche de l’amour. William Daniels, mari de Clara et président de la branche, était décédé en 1936. Depuis, les deux femmes, qui faisaient partie des rares saints métis d’Afrique du Sud, étaient restées fidèles.

Pendant ses voyages, le président McKay pria sincèrement pour savoir ce qu’il fallait faire concernant les restrictions relatives à la prêtrise dans le pays. Il observa attentivement les membres de l’Église et réfléchit aux difficultés qu’ils rencontraient. Il comprenait que si l’Église continuait d’exiger des détenteurs potentiels de la prêtrise en Afrique du Sud qu’ils trouvent leurs origines en dehors du continent, les branches risquaient de ne pas avoir suffisamment de dirigeants locaux pour faire avancer l’œuvre de l’Église.

Le dimanche 17 janvier, il parla des restrictions concernant la prêtrise et le temple lors d’une réunion avec les missionnaires au Cap. Sans faire de déclaration ferme sur l’origine de cette pratique, il reconnut que plusieurs hommes noirs avaient détenu la prêtrise sous les présidences de Joseph Smith et de Brigham Young. Il parla également de ses difficultés à accepter ces restrictions lors de son tour du monde en 1921 et il raconta qu’il avait sollicité le président Grant en faveur d’un saint noir d’Hawaï qui souhaitait recevoir la prêtrise.

Face à l’assemblée de missionnaires, il dit : « Je me suis assis et j’ai parlé à ce frère. Je lui ai assuré qu’un jour il recevrait toutes les bénédictions auxquelles il avait droit, car le Seigneur est juste et ne fait pas acception de personne. »

Le président McKay ne savait pas quand ce jour viendrait, et il affirma que la restriction resterait en vigueur jusqu’à ce que le Seigneur révèle le contraire. Toutefois, il ressentait que quelque chose devait changer.

Il déclara : « Dans la mission d’Afrique du Sud, il y a des hommes dignes qui sont privés de la prêtrise simplement parce qu’ils ne peuvent pas retrouver leur généalogie hors de ce pays. J’ai le sentiment que c’est une injustice qui est commise à leur égard. » Il ajouta qu’à partir de ce moment-là, les membres dont l’ascendance n’était pas sûre n’auraient plus à la prouver pour recevoir la prêtrise.

Avant de quitter l’Afrique du Sud, le président McKay répéta que le jour viendrait où les personnes d’origine africaine recevraient toutes les bénédictions de la prêtrise. Des Noirs d’autres pays manifestaient déjà un intérêt accru pour l’Évangile rétabli. Quelques années plus tôt, plusieurs Nigériens avaient écrit au siège de l’Église pour obtenir des renseignements. D’autres demandes avaient suivi.

À cette période, de nombreux Noirs du monde entier cherchaient l’égalité, souvent en contestant la légalité de la ségrégation. Tandis que leurs actions marquaient la société, de plus en plus de personnes interrogeaient sincèrement les dirigeants de l’Église concernant les restrictions.

L’ouverture de la mission du Sud de l’Extrême-Orient en 1955 montrait que la Première Présidence et le Collège des douze apôtres désiraient étendre l’œuvre missionnaire à de nouvelles régions, en particulier l’Asie et l’Amérique du Sud. L’Afrique, cependant, présentait un obstacle particulier. Depuis le début des années 1850, l’Église n’autorisait pas les personnes d’origine noire africaine à détenir la prêtrise ni à recevoir les ordonnances de la dotation et du scellement du temple. Ainsi, elle n’avait entrepris que peu d’œuvre missionnaire sur ce continent. Pourtant, de temps à autre, les dirigeants de l’Église recevaient des lettres de personnes d’Afrique de l’Ouest exprimant leur intérêt pour l’Évangile rétabli.

En 1958, LaMar Williams, âgé de quarante-sept ans, travaillait au bureau du département de l’œuvre missionnaire de l’Église à Salt Lake City. Lorsque des dirigeants de pieu ou de mission avaient besoin de documentation sur l’Église ou d’un support visuel, comme une photographie, il le leur envoyait. Si quelqu’un demandait des renseignements sur l’Église, il lui envoyait de la documentation ainsi que des indications pour prendre contact avec les missionnaires les plus proches.

LaMar ne traitait pas toutes les demandes personnellement, mais il demandait à sa secrétaire de l’avertir lorsqu’une demande était inhabituelle.

C’est ainsi qu’il entendit parler du Nigeria. Un jour, sa secrétaire lui apporta une demande émanant d’un révérend, Honesty John Ekong, d’Abak, au Nigeria. Honesty John avait reçu d’un pasteur protestant une brochure sur l’histoire de Joseph Smith et il avait rempli un formulaire demandant plus de renseignements sur l’Église, une visite des missionnaires et l’adresse du lieu de culte des saints des derniers jours le plus proche.

LaMar ne savait pas exactement où se situait le Nigeria. Sa secrétaire et lui trouvèrent le pays, en Afrique de l’Ouest, grâce à une carte dans son bureau. Ils surent immédiatement que cette demande serait difficile à exaucer. Les seules assemblées du continent se trouvaient à des milliers de kilomètres, à l’extrémité sud. Il ne pouvait donc pas envoyer de missionnaires ni donner l’adresse d’un lieu de culte. Il savait également que si Honesty John était noir, il pourrait se faire baptiser, mais pas recevoir la prêtrise.

Il pensa : « Nous devons répondre prudemment. » Il emballa quelques brochures et livres de l’Église, dont six exemplaires du Livre de Mormon, et les envoya à l’adresse d’Honesty John.

Le révérend répondit un peu plus tard, disant : « Je vous remercie pour les beaux cadeaux que vous m’avez envoyés. » LaMar déduisit de la lettre que l’homme faisait partie d’une assemblée croyant en l’Évangile rétabli.

Au cours des mois suivants, LaMar et Honesty John échangèrent des lettres qui traversaient l’Atlantique. Honesty John invita son interlocuteur à venir au Nigeria pour instruire son assemblée. LaMar voulait accepter, mais il savait qu’il faudrait du temps pour que la Première Présidence autorise quelqu’un à se rendre au Nigeria. Toutefois, il informa les dirigeants de l’Église de la soif d’apprendre des Nigériens et continua à correspondre avec Honesty John et d’autres personnes qui avaient également pris contact avec lui.

En février 1960, LaMar écrivit à Honesty John pour lui demander s’il avait accès à un magnétophone. Si l’Église n’appelait pas de missionnaires au Nigeria, il pourrait au moins envoyer des enregistrements de leçons sur l’Évangile au révérend et à son assemblée. Malheureusement, celui-ci n’avait pas le matériel nécessaire ni l’argent pour s’en procurer. Il joignit à sa lettre une photographie. On y voyait un jeune homme noir assis entre ses deux jeunes enfants. Il portait un costume et une cravate, et avait un regard sérieux.

Honesty John fit savoir à LaMar que son assemblée avait commencé à s’appeler l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Ils souhaitaient ardemment rencontrer LaMar et être membres de l’Église. Honesty John écrivit à LaMar : « Si chaque âme avait des ailes, tous voudraient voler jusqu’à Salt Lake City pour vous écouter et vous voir en personne. »

LaMar répondit : « Je suis honoré que vous souhaitiez que je vienne au Nigeria. Il faudrait pour cela que la présidence de l’Église me confie une telle responsabilité. »

Il poursuivit : « Je suis reconnaissant de la confiance que vous m’accordez et de votre grand désir de servir votre peuple. Je ferai tout ce qu’il est possible de faire par correspondance. »

Quelques mois après le retour du président McKay aux États-Unis, la Première Présidence reçut une note de LaMar Williams concernant les dizaines de lettres que des personnes au Nigeria lui avaient écrites. Il déclara : « Si l’Évangile doit être prêché à ce grand nombre de personnes, qui sont certainement des enfants de Dieu, il me semble que c’est le moment opportun pour considérer le début de l’œuvre. »

Le président McKay connaissait l’intérêt des Nigérians pour l’Évangile rétabli. L’année précédente, il avait demandé à Glen Fisher, un président de mission revenant d’Afrique du Sud, de se rendre au Nigeria. Ce dernier avait fait un rapport favorable sur le niveau de préparation du pays à l’œuvre missionnaire, donnant au président McKay beaucoup à réfléchir avant même l’arrivée de la note de LaMar.

Le 1er juillet 1961, le président McKay présenta le sujet lors d’une réunion de la Première Présidence et du Collège des douze apôtres. Les restrictions concernant la prêtrise seraient un sérieux obstacle à l’œuvre missionnaire au Nigeria. Il compara la situation au dilemme auquel les apôtres d’autrefois avaient été confrontés lorsqu’ils s’interrogeaient sur la proclamation de l’Évangile aux Gentils. Les apôtres n’avaient pas agi avant que Pierre ait reçu une révélation de Dieu.

Le président McKay avait interrogé le Seigneur à propos des restrictions concernant la prêtrise, mais il n’avait pas reçu de réponse claire. Il n’avait pas l’intention d’ouvrir une mission au Nigeria avant de connaître la volonté du Seigneur.

Toutefois, il pensait que LaMar avait raison. L’Église avait besoin de plus de renseignements. Il proposa d’envoyer des représentants de l’Église dans le pays pour évaluer la foi des habitants. Les apôtres soutinrent cette proposition après en avoir discuté.

Peu après la conférence générale d'octobre 1961, LaMar Williams monta à bord d’un avion pour le Nigeria. Il avait mis un appareil photo et un magnétophone dans ses bagages afin de pouvoir plus tard montrer les visages et faire écouter les voix des personnes qu’il avait rencontrées à la Première Présidence. Son compagnon de voyage était un missionnaire de vingt ans, Marvin Jones, qui se rendait dans la mission d’Afrique du Sud.

Leur destination était Port Harcourt, une ville côtière, où une foule composée de presque toutes les personnes ayant échangé des lettres avec LaMar les attendaient. Honesty John Ekong, dont les lettres avaient été les premières à attirer l’attention de LaMar sur l’Afrique, manquait à l’appel.

En saluant ses amis, LaMar fut surpris de constater qu’ils ne se connaissaient pas tous. Il pensait qu’ils avaient travaillé ensemble. Parmi le groupe se trouvait un dénommé Matthew Udo-Ete, qui avait écrit le plus grand nombre de lettres à LaMar. Il guida les visiteurs vers sa petite maison, où une foule de personnes s’était rassemblée pour les écouter parler. L’air était plus chaud et plus humide que tout ce à quoi LaMar était habitué. Toutefois, pendant deux heures, il instruisit les gens et répondit à leurs questions sur l’Église.

Lors de son premier dimanche au Nigeria, LaMar s’adressa à une autre foule dans la chapelle de Matthew. Des personnes avaient parcouru de nombreux kilomètres pour l’entendre parler. Il parla de la Divinité, de l’Apostasie et du rétablissement de l’Évangile par l’intermédiaire de Joseph Smith. Il exposa les restrictions concernant la prêtrise et dit qu’il était venu au Nigeria pour savoir si ses amis seraient toujours intéressés par l’Église même s’ils ne pouvaient pas détenir la prêtrise.

Lorsqu’il termina de parler, il redonna la parole à Matthew pour clôturer la réunion. Soudain, des personnes de l’assemblée prirent la parole dans une langue que LaMar ne comprenait pas. Il se tourna vers Matthew pour qu’il traduise.

Celui-ci dit : « Certaines personnes veulent rendre leur témoignage. »

LaMar fut surpris. Il pensait que l’assemblée serait fatiguée et aurait peut-être faim. Pourtant, pendant les trois heures suivantes, les gens rendirent témoignage.

Parmi eux, il y avait un vieil homme aux cheveux grisonnants, vêtu d’une chemise blanche et d’un tissu rose enroulé autour de ses jambes. Il était pieds nus. Il commença : « J’ai soixante-cinq ans et je suis malade. Ce matin, j’ai marché vingt-six kilomètres pour venir ici. »

Il continua : « Je n’ai pas vu le président McKay, ni Dieu. Mais je vous ai vu et je vous demande personnellement de retourner voir le président McKay et de lui dire que notre désir est sincère. »

Une femme demanda simplement à LaMar : « Permettrez-vous que notre amour pour l’Église soit vain ? »

Un peu plus d’une semaine plus tard, dans la ville d’Uyo, LaMar rencontra enfin Honesty John Ekong. Il apprit que son ami avait parcouru près de deux cents kilomètres pour l’accueillir à l’aéroport, mais l’avait malgré tout manqué. Honesty John montra à LaMar les murs de sa maison. Ils étaient décorés avec des articles et des photos d’Autorités générales provenant de magazines de l’Église.

LaMar était sans cesse impressionné par la foi des Nigérians. Il apprit qu’environ cinq mille personnes réparties dans près de cent assemblées désiraient se joindre à l’Église. Pourtant, il ne voyait pas comment faire progresser l’œuvre tant que les restrictions concernant la prêtrise et le temple existaient. Il voulait promettre à ses nouveaux amis que l’œuvre missionnaire avait de l’avenir dans leur pays, mais il savait qu’il n’était pas autorisé à le faire.

Dans son journal, il écrivit : « Ils insistent, disant que si je fais ma part en présentant mon rapport à la Première Présidence, l’Église viendra au Nigeria. Ils ne se rendent pas compte de mon insignifiance dans l’analyse finale d’une telle décision. »

Néanmoins, il avait de l’espoir. Il nota : « Heureusement, tout est possible avec l’aide du Seigneur. »

Le 11 janvier 1963, le Deseret News publiait un titre inattendu à la une : « L’Église ouvre l’œuvre missionnaire au Nigeria. »

L’annonce fut publiée quelques jours seulement après le retour d’Afrique de l’Ouest de l’apôtre N. Eldon Tanner et de son épouse, Sara. Pendant son voyage de deux semaines, frère Tanner avait parlé avec plusieurs dirigeants du Nigeria, rencontré des centaines d’amis de l’Église et consacré le pays à la prédication de l’Évangile rétabli. Une fois le couple Tanner de retour en Utah, le président McKay appela LaMar Williams et quelques autres personnes à servir en qualité de missionnaires au Nigeria dès qu’ils obtiendraient un visa.

Charles Agu, dirigeant d’un groupe d’amis de l’Église à Aba, au Nigeria, se réjouit de la nouvelle. Son assemblée était composée de plus de 150 personnes et s’agrandissait sans cesse. Lorsque LaMar était venu dans le pays, en 1961, Charles s’était lié d’amitié avec lui et l’avait accompagné pendant une partie de son voyage. Son assemblée et lui comprenaient bien l’Évangile et avaient une foi inébranlable dans le Rétablissement. Avant que LaMar ne retourne aux États-Unis, Charles avait enregistré un message pour le président McKay. Il témoignait : « Nous croyons que cette Église possède toute la révélation et la prophétie requises par Dieu pour guider son peuple dans la voie de la justice. Nous ne rejetterons donc pas cette Église parce que la prêtrise nous est refusée. »

Depuis, Charles et LaMar avaient échangé de nombreuses lettres. Charles était impatient que son ami revienne pour établir officiellement l’Église en Afrique de l’Ouest. En février 1963, il écrivit : « Nous tous ici attendons ce moment avec impatience. »

Charles comprenait qu’il ne pourrait pas être président de branche une fois l’Église établie au Nigeria, car il ne détiendrait pas la prêtrise. Cependant, frère Tanner, alors apôtre, avait expliqué lors de sa visite que Charles et d’autres nigériens continueraient à guider leurs assemblées en tant que dirigeants de district ou de groupe non ordonnés. Les saints nigérians rempliraient également tous les appels qui ne nécessitaient pas d’ordination à la prêtrise.

Chaque semaine, Charles s’attendait à apprendre que LaMar était en route pour le Nigeria. Pourtant, dans presque toutes les lettres qu’il envoyait, LaMar indiquait qu’il attendait que le gouvernement nigérian lui accorde son visa. Personne ne comprenait les raisons de ce retard.

Puis, en mars, Charles tomba sur un article concernant l’Église dans un journal appelé Nigerian Outlook [Perspectives nigérianes]. Il racontait l’histoire d’un étudiant nigérian qui avait assisté à une réunion de saints des derniers jours en Californie. Lors de la réunion, l’homme avait été choqué d’apprendre les restrictions de la prêtrise et les raisons avancées pour les expliquer.

Dans son article, il avait écrit : « Je ne crois pas en un Dieu dont les adeptes prêchent la supériorité d’une race sur l’autre. » Il estimait que laisser l’Église s’établir dans le pays nuirait à la réputation du Nigeria.

Quelques années seulement s’étaient écoulées depuis que le Nigeria avait obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne. L’article reflétait la méfiance généralisée à l’égard des influences extérieures sur le pays. Croyant que l’article avait un rapport avec le retard du visa, Charles l’envoya à LaMar. Il pensait que la présence d’un représentant officiel du siège de l’Église permettrait de limiter les dégâts causés par l’article

LaMar n’était pas du même avis. Les dirigeants de l’Église avaient proposé d’ouvrir une mission au Nigeria parce que des milliers de Nigériens avaient patiemment et constamment cherché l’Évangile rétabli. Si quelqu’un devait défendre l’Église au Nigeria, LaMar pensait que ce devrait être un croyant local. Il écrivit : « Je suis sûr que grâce à vos prières et à l’inspiration, vous ferez et direz les choses qui convaincront les dirigeants politiques de notre sincérité. »

Charles s’entretint avec Dick Obot, un autre ami de l’Église nigérien. Ensemble, ils publièrent une annonce sur l’Église dans le Nigerian Outlook. Ils y témoignaient du rétablissement de l’Évangile de Jésus-Christ par l’intermédiaire de Joseph Smith, le prophète, du rôle de la révélation moderne dans l’établissement de la doctrine, et du souci de l’Église pour le bien-être temporel et spirituel de tous les peuples.

Charles espérait que cette annonce contribuerait à changer l’état d’esprit et le cœur des gens au sujet des saints. Avant de trouver l’Église, il fumait, buvait de l’alcool et menait une vie dissipée. À présent, il avait changé.

Il dit à LaMar : « J’ai trouvé la joie, la progression professionnelle et des bénédictions sans nombre. »

En juin 1964, Darius Gray, âgé de dix-huit ans, remarqua qu’une nouvelle famille s’était installée dans le quartier. En passant devant chez eux, il vit un groupe d’enfants qui jouaient dehors.

L’un d’eux s’écria : « Nous sommes la famille Felix ! nous sommes mormons ! »

Darius, Afro-Américain, avait grandi en fréquentant diverses Églises avec ses parents, y compris des Églises à prédominance noire. Son intérêt pour la religion l’avait amené à étudier le catholicisme, le judaïsme, l’islam et le bahaïsme. Il vivait tout proche de l’Utah, dans l’État voisin du Colorado, mais il ne savait pas grand-chose des saints des derniers jours. Il était certain de ne jamais en avoir rencontré.

Au fil des mois, il apprit à connaître la nouvelle famille. John Felix était opérateur radio amateur et il enseigna le code morse à Darius. Barbara, la femme de John, était plus désireuse de parler de sa religion. Ses enfants et elle lui remirent un exemplaire du Livre de Mormon. D’abord réticent à l’accepter, il le prit par amour pour les livres et commença finalement à le lire.

Les mots du Livre de Mormon parlèrent à son âme et il invita les missionnaires chez lui. Son père était décédé quelques années plus tôt, alors il vivait seul avec sa mère, Elsie. Fervente chrétienne, elle était toujours disposée à parler aux gens d’autres confessions. Darius ne pensait pas que la présence des missionnaires la dérangerait.

Pourtant, lors du rendez-vous, elle resta dans sa chambre. Une fois les jeunes hommes partis, elle appela son fils.

Elle déclara : « Je ne veux pas que ces deux hommes reviennent chez nous. »

Darius demanda : « Pourquoi pas ? »

Elle répondit : « C’est ma maison, je ne les veux pas ici. »

Darius savait qu’il valait mieux ne pas insister, mais il lui était difficile de laisser tomber. Finalement, lorsqu’il l’interrogea à nouveau pour comprendre pourquoi elle s’opposait à la présence des missionnaires, elle expliqua qu’elle en avait accueilli chez elle par le passé. Ils venaient à peine d’entrer quand l’un d’eux lui avait demandé si elle était noire.

Elle avait répondu : « Oui, bien sûr. »

Les deux hommes étaient alors partis sans explication. Depuis, elle avait eu une mauvaise opinion de l’Église.

Ce récit perturba Darius. Il croyait sa mère tout en se demandant si cette expérience négative était un cas isolé.

Il continua d’étudier avec les missionnaires. Bientôt, il décida de se joindre à l’Église. La veille de son baptême, il interrogea les missionnaires sur les enseignements de l’Église par rapport à la race. Il se demandait en quoi cela le concernait.

Pendant un moment, ce fut le silence. Puis, l’un des missionnaires se leva et marcha lentement vers un coin de la pièce, tournant le dos à Darius. L’autre répondit : « Eh bien, frère Gray, la conséquence principale est que vous ne pourrez pas détenir la prêtrise. »

Darius se sentit bête tout à coup. Il pensa : « Maman avait raison. » Comment pouvait-il se joindre à l’Église maintenant ? Il connaissait trop bien le sentiment d’être traité différemment à cause de sa couleur de peau et il refusait de se considérer inférieur à qui que ce soit.

Ce soir-là, Darius s’installa dans son lit et s’enroula dans sa couverture. Il croyait en Dieu et au salut par l’intermédiaire de Jésus-Christ. Jusqu’à aujourd’hui, il avait cru tout ce que les missionnaires lui avaient enseigné. Il ne savait plus quoi faire. Comment concilier sa foi avec ce qu’il venait d’apprendre sur les restrictions relatives de la prêtrise ?

Il ouvrit une fenêtre et appuya sa tête sur le rebord. L’air de la nuit remplissant ses poumons, il pria. Ensuite, il ferma la fenêtre et essaya de dormir. Se tournant et retournant, il se dit qu’il devait prier à nouveau. Il rouvrit la fenêtre et commença à prier.

Cette fois-ci, il entendit une voix claire lui parler. « C’est là l’Évangile rétabli, tu dois l’accepter. »

Darius sut immédiatement quoi faire. Le lendemain, il entra dans les eaux du baptême et devint membre de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours.

En 1965, LaMar Williams essayait toujours d’obtenir un visa permanent pour le Nigeria. Il souhaitait ardemment remplir ses responsabilités de détenteur de la prêtrise qui préside dans le pays, mais comment y arriver si le gouvernement refusait de le laisser entrer ?

Depuis son premier voyage au Nigeria en 1961, il n’avait pu obtenir qu’un seul autre visa de courte durée, qui lui avait permis de retourner dans le pays pendant deux semaines en février 1964. À l’époque, lui et ses amis, Charles Agu et Dick Obot, avaient demandé au gouvernement d’autoriser la présence de missionnaires au Nigeria. Le fonctionnaire décisionnaire avait refusé de les recevoir.

LaMar était retourné en Utah, profondément frustré par ces échecs. Pourtant, il refusait d’abandonner ses amis d’Afrique de l’Ouest. Il participa à la création d’une bourse scolaire permettant à plusieurs étudiants nigérians d’aller à l’université Brigham Young. Les étudiants arrivèrent au début de l’année 1965. Deux d’entre eux, Oscar Udo et Atim Ekpenyong se joignirent à l’Église.

Pendant ce temps, au Nigeria, Dick Obot apprit que son groupe religieux, connu localement sous le nom de « Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours », avait été reconnu par le gouvernement. Il semblait que certains cœurs s’adoucissaient. Les efforts de LaMar pour donner la possibilité à des Nigérians de faire des études supérieures, ainsi que les efforts continus de ses amis au Nigeria, n’étaient pas passés inaperçus. Le gouvernement nigérian refusait toujours de lui accorder un visa permanent, néanmoins, il reçut un autre visa de courte durée en août 1965. Avec la bénédiction du président McKay, LaMar retourna au Nigeria en octobre.

En arrivant à Lagos, il s’entretint avec un avocat qui avait bon espoir d’obtenir un visa permanent ainsi que la reconnaissance officielle de l’Église. Deux jours plus tard, LaMar s’adressa à plus d’une dizaine de responsables de la communication au sujet de l’Église. Il prit ensuite l’avion pour Enugu, capitale de la région est du Nigeria, où il passa du temps avec le ministre d’État, qui refusa de boire du café, du thé ou de l’alcool en présence de LaMar, par respect pour ses croyances.

Partout où il allait, des étrangers demandaient à Lamar s’ils pouvaient devenir membres de l’Église. Il leur assura que si l’Église était établie dans leur pays, ils pourraient se faire baptiser. Un dimanche, plus de quatre cents personnes se réunirent pour l’entendre parler.

Le 6 novembre, à la suite d’un entretien au bureau du Premier ministre à Enugu, le visa de LaMar fut prolongé de quatre-vingt-dix jours. De plus, un fonctionnaire commença à remplir les documents nécessaires à l’enregistrement de l’Église au Nigeria. LaMar retourna dans sa chambre d’hôtel, se réjouissant de ces bonnes nouvelles. Après des années de cette course pleine d’obstacles, l’autorisation dont il avait besoin pour commencer l’œuvre allait, peut-être, enfin lui être accordée.

Soudain, quelqu’un frappa à la porte. Le secrétaire particulier du ministre d’État lui remit un télégramme du siège de l’Église.

Le message indiquait : « Interrompez les négociations avec le Nigeria. Rentrez immédiatement. » Il était signé par la Première Présidence, sans aucune autre explication.

Au début de l’année 1966, LaMar Williams ne comprenait toujours pas pourquoi la Première Présidence l’avait fait revenir du Nigeria. Quelques heures après avoir reçu leur télégramme, il était monté dans un avion pour quitter le pays. Ses contacts au gouvernement nigérien ne voulaient pas qu’il s’en aille au beau milieu des négociations.

LaMar espérait recevoir davantage d’explications une fois de retour à Salt Lake City. Peu après son arrivée aux États-Unis, il fut reçu par la Première Présidence et exprima son étonnement d’avoir été appelé à rentrer si soudainement. Il leur parla de ses entretiens prometteurs avec des dirigeants gouvernementaux. Il mentionna les milliers de Nigériens vivement désireux de se joindre à l’Église.

Cependant, la Première Présidence avait déjà exprimé des doutes quant à l’avenir de cette mission. Pendant le séjour de LaMar au Nigeria, le président McKay avait appelé deux conseillers supplémentaires dans la Première Présidence, Joseph Fielding Smith et Thorpe B. Isaacson. Frère Isaacson, auparavant assistant des Douze, semblait particulièrement inquiet de la réaction des saints nigériens au sujet des restrictions concernant la prêtrise.

En outre, certains apôtres craignaient que le prosélytisme parmi les populations noires du Nigeria n’incite les groupes de défense des droits civiques des États-Unis à faire pression sur l’Église pour qu’elle lève cette restriction. D’autres redoutaient que la prédication de l’Évangile au Nigeria n’offense les autorités ségrégationnistes de l’apartheid en Afrique du Sud et ne les pousse à limiter l’œuvre missionnaire dans leur propre pays.

LaMar fit de son mieux pour rassurer la Première Présidence. Il déclara : « Il serait peut-être bon qu’une ou plusieurs Autorités générales se rendent au Nigeria et étudient la situation avant de prendre une décision définitive. » Toutefois, la Première Présidence n’était pas du même avis.

À la fin de la réunion, LaMar partit découragé. Il croyait que le Seigneur voulait qu’il établisse l’Église au Nigeria. Les Écritures enseignaient que le message de l’Évangile était pour tout le monde et que le Seigneur ne rejetait aucun de ceux qui venaient à lui, « noirs et blancs, esclaves et libres, hommes et femmes ». Si c’était vrai, pourquoi la Première Présidence l’avait-elle rappelé chez lui ?

Le 15 janvier 1966, deux mois après le retour de LaMar en Utah, des officiers de l’armée nigériane firent un coup d’État militaire, orchestrant le meurtre du Premier ministre et d’autres représentants du gouvernement. Les forces loyalistes mirent rapidement fin à la révolte, mais le coup d’État aggrava les tensions régionales et déstabilisa le pays.

LaMar fut ébranlé par cette nouvelle. Même s’il avait réussi à mettre en place une mission au Nigeria, le coup d’État aurait anéanti son travail. Il comprit alors que le moment n’était pas encore venu d’établir l’Église dans ce pays.

Cependant, il se fit beaucoup de soucis pour ses nombreux amis là-bas. Dans une lettre adressée à Charles Agu peu après le coup d’État, il écrivit : « Je suis désolé que la Première Présidence m’ait rappelé chez moi si brusquement. Dites-moi si je peux vous être utile d’une quelconque manière ou si je peux vous encourager dans votre désir de servir le Seigneur et les personnes qui vous entourent. »

Il poursuivit : « Charles, cela me briserait le cœur si vous perdiez la foi et le courage de poursuivre l’excellent travail que vous avez commencé. Je n’ai jamais douté que l’œuvre du Seigneur sera un jour établie dans votre pays. Je le ressens et je suis sûr que l’Esprit en rend témoignage. Par contre, je ne sais pas combien de temps cela prendra. »

En 1968, au Ghana, en Afrique de l’Ouest, Joseph William Billy Johnson était sûr d’avoir trouvé le véritable Évangile de Jésus-Christ. Quatre ans plus tôt, son ami Frank Mensah lui avait offert un Livre de Mormon et d’autres livres et brochures publiés par les saints des derniers jours. Tout comme au Nigeria, il n’y avait pas d’assemblées de l’Église au Ghana. Frank était désireux de faire changer les choses.

Il avait dit à Billy : « Je ressens que tu es l’homme avec qui je dois travailler. »

Depuis lors, ils avaient organisé quatre assemblées non officielles de saints des derniers jours à Accra, la capitale du Ghana, et dans ses environs. Ayant contacté le siège de l’Église, ils étaient au courant de sa réticence à envoyer des missionnaires en Afrique de l’Ouest. LaMar Williams et d’autres personnes les avaient néanmoins encouragés à étudier l’Évangile et à se réunir avec les croyants adhérant aux mêmes idées. Lorsqu’ils avaient appris que Virginia Cutler, professeure à l’université Brigham Young, se trouvait à Accra pour lancer un programme d’économie domestique à l’université du Ghana, ils avaient commencé une École du dimanche hebdomadaire avec elle.

Billy aimait faire connaître l’Évangile. Il travaillait dans le secteur de l’import-export, mais il voulait quitter son emploi et consacrer plus de temps à l’œuvre missionnaire. Sa femme ne partageait pas sa foi. Elle lui avait dit : « Cette Église est tellement nouvelle. Je ne veux pas que tu démissionnes. »

Cependant, Billy désirait ardemment prêcher davantage. Il lui avait répondu : « Il y a quelque chose qui brûle en moi et que je ne peux pas cacher. »

La religion avait toujours eu une place importante dans sa vie. Sa mère, Matilda, était une méthodiste dévouée. Elle lui avait appris à avoir foi en Dieu et à aimer sa parole. À l’école, Billy s’isolait souvent pour chanter des cantiques et prier pendant que les autres élèves jouaient. Un de ses professeurs l’avait remarqué et lui avait dit qu’il deviendrait prêtre un jour.

En grandissant, la foi de Billy avait été confirmée par des songes et des visions remarquables. Peu après avoir découvert l’Évangile rétabli par l’intermédiaire de Frank Mensah, Billy était en train de prier lorsqu’il avait vu les cieux s’ouvrir et une multitude d’anges apparaître, soufflant dans des trompettes et chantant des louanges à Dieu. Une voix l’avait appelé : « Johnson, Johnson, Johnson. Si tu réalises mon œuvre comme je te le commanderai, je te bénirai et je bénirai ton pays. »

Cependant, Billy, Frank et leurs croyances n’étaient pas toujours bien reçus. Certains disaient qu’ils suivaient une fausse Église. D’autres les accusaient de ne pas croire en Jésus-Christ. Leurs paroles blessaient Billy. Il avait alors commencé à jeûner, s’inquiétant d’avoir été trompé. Au bout de trois jours, il s’était rendu dans une pièce de sa maison où il avait accroché au mur les portraits des présidents de l’Église. Il s’était agenouillé et avait prié Dieu pour recevoir de l’aide.

Il avait dit : « Je voudrais voir ces prophètes. Je veux qu’ils me donnent des instructions. »

Cette nuit-là, Billy avait rêvé que Joseph Smith lui apparaissait et lui disait : « Bientôt, des missionnaires viendront. Le prophète McKay pense à vous. »

Un autre homme s’était également approché de lui et s’était présenté comme étant Brigham Young. Il avait déclaré : « Johnson, nous sommes avec vous. Ne vous découragez pas. » Avant la fin de la nuit, Billy avait vu tous les prophètes des derniers jours, jusqu’à George Albert Smith.

Le désir de Billy de consacrer plus de temps à la prédication de l’Évangile l’amena bientôt à quitter son emploi et à déménager à Cape Coast, une ville située au sud-ouest d’Accra. Là, il souhaitait exploiter une ferme et établir une nouvelle assemblée. Sa femme ne soutint pas sa décision. Plutôt que de déménager avec le reste de la famille, elle divorça, laissant Billy s’occuper de leurs quatre jeunes enfants.

Billy était bouleversé, mais il fut soutenu par sa mère, Matilda. Elle avait elle-même des doutes sur le fait que Billy quitte son emploi et déménage à Cape Coast avec sa famille. Elle se demandait en effet s’il avait des chances de réussir dans une ville qui comptait déjà de nombreuses Églises. Cependant, Billy était son seul enfant encore en vie et elle dépendait de lui, alors elle l’avait suivi.

Désormais, Matilda partageait la foi de son fils. Au début, lorsqu’il lui avait fait part de ses nouvelles convictions, elle ne les avait pas prises au sérieux. Mais après avoir vu les changements qui s’étaient produits en lui et chez les personnes qu’il instruisait, elle avait compris que son fils avait trouvé quelque chose de spécial. Elle avait su qu’elle et beaucoup de personnes seraient bénies lorsque l’Église arriverait au Ghana. Cette connaissance lui donnait du courage.

Une fois la famille installée à Cape Coast, Matilda s’occupa des enfants de Billy pendant qu’il établissait sa nouvelle assemblée. En plus de cela, elle l’encourageait et le soutenait moralement, lui prêtant mainforte lorsqu’elle le pouvait pour fortifier l’assemblée.

Elle affirmait : « Quelles que soient les circonstances, quel que soit l’avenir, je suis prête à me battre pour l’Église. »

Le 19 janvier 1971, Anthony Obinna, un instituteur nigérien de quarante-deux ans, prit un stylo et une feuille de papier bleu pour écrire une lettre au président de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Il écrivit : « J’ai lu plusieurs livres à la recherche du salut et j’ai enfin trouvé la réponse. »

Au cours des dernières années, Anthony, sa femme, Fidelia, et leurs enfants étaient restés confinés dans leur maison la plupart du temps tandis que la guerre civile nigérienne faisait rage autour d’eux. Un jour, au milieu de longues heures d’incertitude, Anthony avait ouvert un vieux magazine et avait vu quelque chose d’inattendu : la photo d’un bâtiment majestueux en pierre surmonté de plusieurs grandes flèches.

Il avait déjà vu le bâtiment dans un rêve qu’il avait fait avant que la guerre civile n’éclate. Dans ce rêve, le Sauveur le guidait vers le magnifique bâtiment. Il était rempli de gens, tous vêtus de blanc.

Anthony avait demandé : « Qu’est-ce que c’est ? »

Le Sauveur lui avait répondu : « Ce sont des gens qui vont au temple. »

« Que font-ils ? »

« Ils prient. Ils prient toujours ici. »

À son réveil, Anthony avait vivement désiré en savoir plus sur ce qu’il avait vu. Il avait raconté son rêve à Fidelia et à ses amis, leur demandant s’ils avaient une idée de sa signification. Personne n’avait pu l’aider. Il avait finalement interrogé un révérend. Celui-ci n’avait pas réussi non plus à interpréter le rêve, mais il lui avait dit que si son rêve venait de Dieu, il trouverait un jour la réponse à ses questions.

Dès qu’Anthony vit l’image dans le magazine, il sut qu’il avait trouvé sa réponse. La légende au-dessus de l’image indiquait qu’il s’agissait du temple de Salt Lake City.

L’article commençait par ces mots : « Les mormons, officiellement les membres de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, sont différents. » Il retraçait l’histoire de l’Église et expliquait certains de ses points de doctrine fondamentaux. Il continuait : « Il s’agit d’un mode de vie à part entière. L’étincelle religieuse qui anime l’œuvre de cette communauté est que chaque personne sur terre est une fille ou un fils spirituel de Dieu. »

Anthony était dans tous ses états. Comme il habitait près de ses frères, il les réunit immédiatement et leur parla de la photo et de son rêve.

L’un d’eux, Francis, lui demanda : « Tu es sûr que c’est ce bâtiment ? »

Il en était sûr.

Malheureusement, il n’avait pas pu écrire au siège de l’Église à ce moment-là en raison d’un blocus causé par la guerre. Il ne savait pas non plus qu’il existait des assemblées non officielles de saints des derniers jours au Nigeria. Beaucoup d’entre elles s’étaient dispersées pendant la guerre, perdant tout contact entre elles et avec l’Église. On perdit la trace de certains croyants, tels que Honesty John Ekong. Mais maintenant que la guerre était terminée, rien n’empêchait Anthony de prendre contact avec l’Église.

Dans sa lettre au président de l’Église, Anthony exprima son souhait d’avoir une branche de l’Église dans sa ville. Il écrivit : « Le mormonisme est vraiment une religion unique. »

Quelques semaines plus tard, il reçut une lettre comportant cette réponse : « À l’heure actuelle, nous n’avons pas de représentants officiels de Salt Lake City dans votre pays. Si vous le souhaitez, je serai heureux de correspondre avec vous sur les enseignements religieux de Jésus-Christ. »

La lettre était signée par LaMar Williams, du département de l’œuvre missionnaire.

Au cours de la même année, des représentants d’une Église protestante des États-Unis vinrent à Cape Coast, au Ghana, pour trouver Billy Johnson. Ils avaient entendu dire qu’il avait accompli de grands miracles et ils espéraient le persuader, lui et ses disciples, de se joindre à leur Église. Environ quatre mille Ghanéens répartis en quarante et une assemblées se déclaraient saints des derniers jours. Billy supervisait cinq d’entre elles. Ces représentants avaient besoin de quelqu’un pour s’occuper de leurs assemblées au Ghana et Billy leur semblait être l’homme de la situation.

Billy et ses disciples acceptèrent de célébrer le culte avec les visiteurs dans un centre communautaire de la ville. Les Américains les accueillirent en leur offrant du savon et des produits cosmétiques. Ils déclarèrent : « Chers amis, vous devez être nos frères, nous devrions être ensemble. » Ils exhortèrent Billy et les autres à cesser d’attendre les missionnaires : « Ils ne viendront pas. »

L’un des visiteurs pressa Billy à se joindre à eux et à devenir un dirigeant dans leur Église. Il lui dit : « Nous te paierons. Nous paierons tes ministres du culte. » Ils lui proposèrent également de l’aider à se rendre aux États-Unis et promirent de fournir à son assemblée des instruments de musique et un nouveau bâtiment pour leur culte.

Ce soir-là, Billy invita les visiteurs à loger chez lui tandis qu’il réfléchissait à leur proposition. Pauvre comme il était, il prenait cette proposition au sérieux. Toutefois, il ne voulait pas trahir Dieu ni sa foi en l’Évangile rétabli.

Seul dans sa chambre, Billy pleura. Il pria : « Seigneur, que dois-je faire ? J’ai attendu si longtemps et mes frères ne sont pas venus. »

Une voix lui parvint : « Johnson, ne laisse pas la confusion te perturber, ni toi ni tes membres. Reste fort dans l’Église. Très vite, tes frères viendront t’aider. »

Billy termina sa prière et sortit de sa chambre. Peu après, l’un des visiteurs sortit d’une autre pièce. Il demanda : « Johnson, tu ne dors pas ? »

Billy répondit : « Je réfléchis à une manière de régler la situation. »

L’homme répliqua : « Frère Johnson, j’allais frapper à ta porte pour te dire que ton Église est déjà organisée. Je ne dois pas semer la confusion dans ton esprit. » Il ajouta que le Seigneur lui avait révélé cette vérité. « Je dois seulement être ton frère. Continue ton œuvre dans ton Église. »

Billy répondit : « Le Seigneur m’a parlé aussi. C’est son Église. Je ne peux pas la donner à quelqu’un d’autre. »

Par la suite, des représentants d’autres Églises américaines vinrent avec des propositions similaires. Billy les rejeta toutes. Bientôt, des dirigeants de sa propre assemblée apprirent qu’il refusait de l’argent et des cadeaux de la part d’Américains. Furieux, ils firent irruption dans sa maison. L’un dit : « Ces gens sont venus pour aider. Ils nous paieront. »

Billy répondit : « Je ne vendrai pas l’Église. J’attendrai le Seigneur, même si cela doit durer vingt ans. »

Un autre poursuivit : « Tu n’as pas d’argent. Ils veulent nous payer. »

Billy maintint son refus.

Les hommes semblaient prêts à le frapper, mais il ne changea pas d’avis. Finalement, ils se calmèrent et Billy étreignit chacun d’eux au moment de leur départ. Le dernier fondit en larmes dans ses bras.

Il dit : « Je suis désolé de t’avoir fait du mal. S’il te plaît, demande à Dieu de me pardonner mes péchés. »

Billy pleura avec lui. Il pria : « Père, pardonne-lui. »

En février 1971, six ans après sa conversion, Darius Gray vivait à Salt Lake City. En tant que membre de l’Église, il avait bénéficié de l’amitié de nombreux saints qui l’avaient aidé à s’adapter à sa nouvelle religion. Il lui était également arrivé d’être maltraité par quelques membres de l’Église parce qu’il était noir. Il s’était néanmoins raccroché aux paroles puissantes qu’il avait entendues la nuit précédant son baptême : « C’est là l’Évangile rétabli, tu dois te joindre à l’Église. »

Darius travaillait comme journaliste pour KSL-TV, une chaîne d’information locale. Avant d’obtenir ce poste, il n’avait jamais envisagé de faire carrière dans le journalisme. Il avait ensuite rencontré Arch Madsen, le président de la société de communication appartenant à l’Église et gérant KSL. Trouvant Arch franc et amical, Darius avait accepté le poste. C’était comme si Dieu lui traçait un chemin.

Après avoir été embauché, Darius avait étudié pour obtenir un diplôme de journalisme de l’université d’Utah. Il participait également activement dans sa paroisse de Salt Lake City et servait en qualité de surintendant de l’École du Dimanche. Par l’intermédiaire d’Arch, il rencontra Monroe Fleming, un saint des derniers jours noir travaillant à l’Hotel Utah. L’épouse de Monroe, Frances, venait d’une famille membre de l’Église depuis quatre générations et était l’arrière-petite-fille de Jane Manning James. Le couple Fleming l’invita à dîner, lui parla franchement de leurs expériences dans l’Église et lui présenta aussi d’autres membres de la communauté noire des saints des derniers jours de Salt Lake City.

Darius fit la connaissance de Lucile Bankhead, la matriarche bien-aimée de la communauté. Comme Frances Fleming, elle était descendante de pionniers noirs saints des derniers jours et avait grandi dans l’Église. Il rencontra également Eugene Orr qui était devenu membre de l’Église en 1968 et avait épousé une femme dont il avait fait la connaissance en Utah, Leitha Derricott. Eugène et Leitha organisaient désormais des pique-niques d’été pour tisser des liens entre les membres de la communauté noire de la région.

Darius était particulièrement impressionné par Ruffin Bridgeforth, un homme noir qui s’était installé en Utah en 1944 en tant qu’employé de l’armée américaine. En 1953, sa femme, Helena, et lui s’étaient joints à Église et ils avaient élevé leurs enfants dans la foi. Darius admirait la constance, la sagesse tranquille et les manières douces de Ruffin. Au fil des ans, ce dernier était devenu un ami proche de Thomas S. Monson et d’autres dirigeants de l’Église. Il prenait souvent la parole dans des paroisses, des pieux et des missions pour parler des membres noirs de l’Église.

Un jour, Darius reçut un appel téléphonique de Heber Wolsey, directeur des relations publiques à l’université Brigham Young. Il connaissait le travail de Darius à KSL et sollicitait parfois son aide lorsque l’université était confrontée à une controverse liée à la race.

Récemment, l’université avait fait l’objet d’une attention particulière de l’opinion publique à propos des restrictions de l’Église concernant la prêtrise. Il était arrivé que des militants politiques organisent des manifestations et boycottent les événements sportifs de l’université. La controverse avait pris de l’ampleur en octobre 1969, lorsque quatorze joueurs noirs de football américain de l’université du Wyoming avaient demandé à porter un brassard noir pendant leur match contre l’université Brigham Young. Leur entraîneur les avait exclus de l’équipe, attirant l’attention des médias et suscitant des protestations.

Des activistes du Wyoming appelaient désormais à une nouvelle manifestation, cette fois à l’occasion d’un match de basket contre l’université appartenant à l’église. Lorsque le président de l’université Brigham Young, Ernest L. Wilkinson, eut connaissance de ce projet, il publia une déclaration écrite pour défendre l’université et envoya Heber s’entretenir avec les organisateurs. Toutefois, les activistes voulaient rencontrer un membre noir de l’Église. Heber appela donc Darius pour savoir s’il pouvait prendre un avion pour le Wyoming.

Darius lui demanda : « Quand ? »

Heber répondit : « Oh, d’ici trente minutes. »

Darius se précipita à l’aéroport pour prendre son vol. À peine arrivé à l’université, Heber l’emmena directement dans un amphithéâtre plein à craquer. Ils prirent place devant, en face des principaux activistes. Darius continua de sourire avec bienveillance, mais en répondant à leurs questions, il vit bien que certains étaient mécontents qu’il défende l’Église. Il était malgré tout décidé à rester fidèle à lui-même et à ses croyances.

Ce week-end-là, au cours d’une réunion, quelqu’un accusa Darius de déshonorer sa race en étant membre de l’Église. Il répondit : « Je suis né noir. Je suis noir aujourd’hui. Je mourrai noir. Je suis fier de mes racines. Je me battrai pour les causes justes des Noirs de toutes mes forces. »

Il s’arrêta un instant avant d’ajouter fièrement : « Je suis aussi mormon. L’Église mormone m’a apporté des réponses que je n’ai pas trouvées ailleurs. Il n’y a pas de conflit entre la couleur de ma peau et ma religion. »

Malgré les efforts de Darius et Heber, les étudiants du Wyoming organisèrent une manifestation avant et pendant le match. En les observant, Darius éprouvait le même désir d’égalité raciale qu’eux, mais il ne pensait pas qu’ils comprenaient réellement l’Église ni ses enseignements.

Il déclara plus tard : « S’ils étaient disposés à manifester contre tout type de préjugés et d’inégalités, où qu’ils se trouvent, mais pas contre les principes de la foi mormone, j’aurais été prêt à les rejoindre. »

Au début du mois de mai 1971, Darius Gray entra dans la bibliothèque Marriott de l’université d’Utah. Son ami Eugene Orr, qui travaillait au centre de reprographie de la bibliothèque, l’avait invité, ainsi que Ruffin Bridgeforth, à le rejoindre sur place. Ils désiraient parler des difficultés rencontrées par les saints des derniers jours noirs. Les trois hommes avaient prié et jeûné pour savoir quoi faire.

Darius rejoignit ses amis, ils s’installèrent dans une salle d’étude vide et commencèrent à discuter. La plupart de leurs préoccupations portaient sur les restrictions de l’Église concernant la prêtrise et le temple. Pourquoi certains hommes noirs avaient-ils détenu la prêtrise au début du rétablissement de l’Église ? Et quand pourraient-ils la détenir à nouveau ?

Tandis qu’ils discutaient de ces questions, d’autres se posèrent. Ils savaient que les saints noirs avaient du mal à comprendre cette restriction et à rester pratiquants. Que pouvaient-ils faire pour qu’ils assistent aux réunions plus régulièrement ? L’Église pouvait-elle organiser une branche spéciale pour ses membres noirs ?

Qu’en était-il de la nouvelle génération de saints noirs ? En tant que pères, Ruffin et Eugene aspiraient à savoir comment répondre aux questions de leurs enfants sur les restrictions.

Après avoir écrit leurs questions, les amis s’agenouillèrent et Ruffin fit une prière, implorant le Seigneur de les guider. Ils reçurent alors la forte impression qu’il fallait poser directement leurs questions au président de l’Église, Joseph Fielding Smith, et à d’autres hauts dirigeants de l’Église. Mais comment organiser une telle rencontre ?

Sachant qu’Eugene était persuasif et plein d’énergie, Darius et Ruffin lui dirent : « Pourquoi ne prendrais-tu pas contact avec eux ? » Si quelqu’un pouvait être le porte-parole du groupe, c’était bien lui.

Quelques jours plus tard, Eugene rencontra Arthur Haycock, le secrétaire personnel du président Smith, dans le bâtiment administratif de l’Église. Ce dernier déclara : « Quel que soit le problème que vous rencontrez, je peux le résoudre pour vous. »

Eugene répondit : « D’accord. Ce que j’aimerais vraiment, c’est parler au prophète. » Il montra au secrétaire les questions qu’il avait rédigées avec Darius et Ruffin. Il ajouta : « Les Noirs veulent garder la tête haute, être importants et participer dans l’Église. Ils ne veulent pas se contenter d’être spectateurs. »

Arthur lut les questions et convint qu’elles étaient légitimes. Il affirma : « Je les montrerai aux Frères et verrai ce qu’ils décident. »

Trois semaines plus tard, sans nouvelles du siège de l’Église, Eugene retourna au bâtiment administratif. Cette fois, Arthur lui indiqua que le président Smith avait désigné les apôtres Gordon B. Hinckley, Thomas S. Monson et Boyd K. Packer pour être leurs interlocuteurs. La réunion était prévue le 9 juin.

Ce jour-là, Darius, Eugene et Ruffin rencontrèrent les trois apôtres dans le bureau de frère Hinckley. Les dirigeants de l’Église connaissaient Ruffin depuis plusieurs années et ils connaissaient Darius pour son travail avec KSL. Aucun d’eux n’avait rencontré Eugene jusqu’alors.

Les trois amis expliquèrent aux apôtres : « Nous sommes très préoccupés par le problème que nos familles, notre peuple et nous rencontrons. » Ruffin parla de ses fils qui s’étaient désintéressés de l’Église quand, ayant grandi, ils ne pouvaient pas détenir la prêtrise d’Aaron. Il était peiné qu’ils ne viennent plus aux réunions.

Pendant l’entretien, c’est Eugene qui posa la majorité des questions :

« Que devons-nous dire à nos enfants lorsqu’ils nous demandent de les baptiser, alors que d’autres enfants de la Primaire disent qu’ils seront baptisés par leur père ? »

« Pouvons-nous assister aux réunions de la prêtrise ? »

« L’œuvre missionnaire peut-elle se faire parmi notre peuple ? »

Frère Hinckley, frère Monson et frère Packer écoutèrent avec bienveillance et acceptèrent de revoir Ruffin, Darius et Eugene pour poursuivre la conversation. À la fin de la réunion, ils reconnurent que l’Église devait faire davantage pour ses membres noirs.

Les trois amis déclarèrent aux apôtres : « Nous avons la foi. Nous avons des témoignages. Nous voulons que les bénédictions de l’Évangile soient étendues plus activement sur notre peuple, indépendamment de la prêtrise. »

Plus tard cette année-là, Ruffin Bridgeforth, Darius Gray et Eugene Orr furent invités au bureau de Gordon B. Hinckley.

Depuis le mois de juin, les trois hommes se réunissaient environ toutes les deux semaines avec frères Hinckley, Monson et Packer. Des questions difficiles sur les restrictions relatives à la prêtrise et au temple dominaient généralement la conversation, mais Ruffin apportait toujours un esprit apaisant.

En fait, plus ces hommes tenaient conseil ensemble, plus ils apprenaient à s’aimer et à se respecter. Darius était touché par le fait que le président Smith avait jugé leurs préoccupations suffisamment importantes pour impliquer trois apôtres. Pendant leurs réunions, ils ressentaient la présence du Seigneur et pleuraient souvent ensemble.

Ce jour-là, frère Hinckley ouvrit la réunion avec une bonne nouvelle : « Après avoir prié et réfléchi, le président Smith et les frères du Collège des Douze ont été amenés à créer un groupe de soutien pour les membres noirs de l’Église. »

Les dirigeants de l’Église réfléchissaient à l’organisation d’un tel groupe depuis que Darius, Eugene et Ruffin avaient émis l’idée de créer une branche pour les saints noirs, qui figurait sur leur liste de questions au prophète. Frère Hinckley expliqua que ce groupe dépendrait du pieu de Liberty à Salt Lake City. Les membres du groupe continueraient d’assister à la réunion de Sainte-Cène et à l’École du Dimanche dans leurs paroisses respectives. Toutefois, ils auraient leur propre Société de Secours, SAM et Primaire. L’objectif était d’offrir une communauté et une assistance aux saints noirs, en particulier aux jeunes qui avaient du mal à trouver leur place dans l’Église.

Les apôtres avaient déjà appelé Ruffin à servir en tant que président du groupe. Ce dernier avait recommandé Darius comme premier conseiller et Eugene comme deuxième conseiller. Frère Hinckley leur proposa l’appel et ils acceptèrent.

Peu après, le 19 octobre 1971, Darius s’installa sur l’estrade d’une église de Salt Lake City. C’était un mardi soir, mais la salle de culte était pleine de gens en habits du dimanche. Darius vit plusieurs gens de couleur, mais la plupart étaient blancs.

Tout le monde s’était réuni pour assister à la création de ce que Darius, Ruffin et Eugene avaient décidé d’appeler le groupe « Genèse », la première organisation officielle de l’Église pour les saints des derniers jours noirs. Frère Hinckley, qui dirigeait la réunion, présenta le groupe et son objectif. Ensuite, Ruffin Bridgeforth, en tant que président du groupe, demanda un vote de soutien pour ses officiers, notamment Lucile Bankhead en tant que présidente de la Société de Secours. Juste après, il rendit témoignage.

Il déclara : « Comme vous le savez, Genesis signifie le commencement. Ceci est un commencement. » Il parla de son amour pour l’Évangile rétabli et de sa reconnaissance envers les dirigeants de l’Église et tous les membres de l’assemblée. Il affirma : « Le Seigneur est à nos côtés. Nous réussirons. Je ferai plus d’efforts que je n’en ai jamais fournis auparavant pour la réussite de ce groupe. »

Lorsque frère Bridgeforth s’assit, frère Hinckley invita Darius à faire part de son témoignage, le prenant au dépourvu. Il s’approcha de la chaire et expliqua : « Je n’avais pas l’intention de dire quoi que ce soit ce soir. Cela me semble présomptueux. »

En regardant l’assemblée, il vit des membres de la famille Felix, qui lui avait présenté l’Évangile sept ans plus tôt. Il déclara : « Ils auraient facilement pu m’ignorer, mais ils ne l’ont pas fait. Il était important pour moi d’avoir l’occasion d’entendre l’Évangile. Ils me l’ont présenté avec persévérance. »

Il fit une longue pause, puis ajouta : « J’ai souvent entendu des hommes se lever à la réunion de Sainte-Cène ou de jeûne et de témoignage, des détenteurs de la prêtrise qui déclaraient croire que l’Évangile est vrai. »

À son tour, il désirait faire part de son témoignage. Il déclara : « Je sais que l’Évangile est vrai. Et cette connaissance est immortelle. »

Au début de l’année 1972, les assemblées de Billy Johnson au Ghana, à Cape Coast et ses environs, comptaient des centaines de membres fidèles. Matilda, la mère de Billy, était l’une des plus dévouées d’entre eux. Jacob et Lily Andoh-Kesson et leurs enfants, qui avaient rejoint le groupe peu après l’arrivée de Billy à Cape Coast, étaient également des membres engagés et de bons amis.

Ses assemblées s’agrandissant, Billy avait trouvé un vieux bâtiment autrefois utilisé pour entreposer des fèves de cacao. L’espace était désormais occupé par des bancs, quelques petites chaises et tables, une chaire et un long banc adossé à un mur. Certains habitants de Cape Coast se moquaient de Billy et de ses disciples qui se réunissaient dans un bâtiment délabré, les appelant « l’Église de la cabane à cacao ». Toutefois, cela ne dérangeait pas les croyants en nombre croissant de se réunir là, même lorsque la pluie s’infiltrait par les trous de la toiture et que tout le monde devait se serrer les uns contre les autres ou se protéger avec des parapluies.

Billy faisait de son mieux pour rendre l’humble bâtiment accueillant et confortable. Entre les deux entrées à doubles portes, il avait accroché une pancarte qui indiquait : « L’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours (mormons) ». Une peinture murale représentant le Christ sur la croix ornait un mur, tandis qu’une autre représentait le Sauveur les bras levés avec les mots « Venez à moi » écrits au-dessus de sa tête. Des images de Joseph Smith, du Tabernacle Choir et d’autres scènes de l’Église parsemaient les murs, qui étaient peints en bleu clair.

Lily Andoh-Kesson veillait à la propreté du bâtiment. Elle arrivait tôt le matin pour préparer l’endroit à la tenue des réunions. Elle avait confié à sa fille, Charlotte, qu’elle y avait vu des anges et elle voulait qu’ils viennent dans un endroit propre.

L’assemblée de Billy se réunissait matin et soir, trois fois par semaine, pour des services de culte remplis de cantiques, de danses, d’applaudissements, de prières, de louanges et de sermons. Parfois, Billy prêchait en portant son jeune fils Brigham sur ses épaules.

Il enseignait les principes qu’il avait appris dans les documents de l’Église, comme les treize Articles de foi, et racontait des histoires de pionniers saints des derniers jours. Par-dessus tout, il aimait enseigner à partir du Livre de Mormon.

Billy était convaincu que des missionnaires viendraient un jour du siège de l’Église, mais il craignait que ses disciples ne se découragent en les attendant. Certaines personnes avaient déjà quitté le groupe après que des détracteurs de l’Église leur avaient dit que les saints des derniers jours n’aimaient pas les Noirs et n’enverraient jamais de missionnaires.

La prédication inlassable de Billy lui valut parfois des ennuis avec les autorités locales. Il fut accusé de répandre des mensonges parce qu’il témoignait que l’Église de Jésus-Christ des était la seule vraie Église sur terre.

Une fois, la police l’arrêta, mais avant qu’ils ne l’emmènent au poste, il regarda autour de lui, espérant voir un visage familier, quelqu’un qui l’accompagnerait. Au début, il ne remarqua personne. Il aperçut ensuite un jeune qui passait par là, nommé James Ewudzie, un ami de la famille.

James pleura en s’approchant de Billy. Il n’était pas membre de son assemblée, mais il posa sa main sur lui et l’appela « Sofo », le mot fante pour désigner un prêtre. Il dit à Billy : « Ne t’inquiète pas. Je viens avec toi. »

Peu après avoir été conduit au poste, Billy entama une discussion religieuse avec James et les policiers. Quatre d’entre eux furent sensibles à son message et crurent en ses paroles. Le chef de la police se lia également d’amitié avec Billy et, bien vite, ils relâchèrent les deux hommes. Plus tard, le chef de la police invita Billy à donner des leçons sur l’Évangile aux forces de police de Cape Coast tous les vendredis matin.

De son côté, James rêva qu’il rencontrait Billy dans le lieu de culte. Dans son rêve, Billy lui demanda de s’agenouiller, après quoi, une lumière brilla à travers le toit. James ferma les yeux, mais la lumière l’éclairait toujours. Il entendit alors une voix l’appeler lentement par son nom.

Le Seigneur disait : « Je veux amener mon Église au Ghana. » Il exhorta James à s’associer à Billy. « Si tu l’aides, je te bénirai et je bénirai le Ghana. »

James savait que ce que le Seigneur lui avait dit dans le rêve était vrai et il obéit à son commandement.

En 1974, à Cape Coast, au Ghana, Billy Johnson vit les photos et les noms des anciens présidents de l’Église en première page d’un journal religieux local. À côté des photos, des articles dénigraient l’Église et ses dirigeants. Le journal cherchait manifestement à semer le doute parmi les membres de l’assemblée grandissante de Billy.

Billy et les croyants qu’il dirigeait avaient déjà été critiqués à maintes reprises pour leur foi en l’Évangile rétabli. Certains détracteurs lui avaient reproché d’avoir abandonné la religion de sa jeunesse. Ils disaient que les saints adoraient Joseph Smith et ne croyaient pas en Dieu. D’autres avaient fait remarquer qu’aucun Noir ne détenait la prêtrise dans l’Église et se moquaient d’eux, affirmant qu’ils perdaient leur temps.

Il était difficile de rester fidèle sous ces attaques. Un an plus tôt, des membres de l’assemblée avaient manifesté leur frustration qu’après tant d’années, personne ne soit venu les baptiser. Billy avait immédiatement invité ses disciples à jeûner et prier avec lui. En le faisant, certaines personnes avaient eu l’impression claire que des missionnaires viendraient bientôt au Ghana.

L’assemblée avait été rassurée par ce sentiment, mais les persécutions n’avaient pas cessé. Des membres s’inquiétèrent en voyant le journal critiquer les prophètes. Ils ne savaient pas quoi faire. Billy pria avec eux et les exhorta à ne pas prêter attention aux journaux. Il conseilla : « Jetez-les. »

Pourtant, Billy aussi se sentait affaibli. Un soir, il se rendit dans le lieu de culte pour prier. Il dit : « Père, même si je crois en l’Église, que c’est la véritable Église sur terre aujourd’hui, j’ai besoin de plus de force et d’une confirmation supplémentaire pour en témoigner. »

Il supplia le Seigneur de se révéler à lui. Il s’endormit et rêva qu’il voyait le temple de Salt Lake, empli de lumière, descendre du ciel. Le bâtiment était tout autour de lui. La voix du Seigneur lui parvint disant : « Johnson, ne perds pas la foi en mon Église. Que tu y croies ou non, c’est ma véritable Église sur terre aujourd’hui. »

Quand Billy se réveilla, il n’était plus troublé par les persécutions. Il déclara : « Le Père a parlé. Je ne craindrai plus. »

À partir de ce moment là, chaque fois que Billy entendait quelqu’un critiquer l’Église, sa foi grandissait. Il s’efforça de fortifier les croyants de son assemblée. Il témoigna : « Un jour, l’Église viendra. Nous la verrons dans toute sa beauté. »

En août 1976, depuis un autre endroit d’Afrique de l’Ouest, Anthony Obinna envoya une lettre au président Kimball. Il écrivit : « Nous souhaitons que vous portiez votre attention sur le Nigeria et que ce pays soit consacré à l’enseignement du véritable Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ. »

Deux ans s’étaient écoulés depuis qu’Anthony avait eu des nouvelles de LaMar Williams, son contact au département de l’œuvre missionnaire. Pendant cette période, Lorry Rytting, un professeur saint des derniers jours originaire des États-Unis, avait passé une année à enseigner à l’université du Nigeria. Anthony et d’autres croyants l’avaient rencontré. Ils espéraient, grâce à lui, avoir un contact plus direct avec le siège de l’Église, peut-être même les prémices d’une mission. Lorry était retourné en Utah et avait fait un rapport favorable aux dirigeants de l’Église sur la réceptivité du Nigeria à l’Évangile. Pourtant, rien ne s’était produit depuis.

Anthony n’était pas disposé à abandonner. Il écrivit au président Kimball : « Les enseignements de votre Église incarnent des choses merveilleuses qu’on ne trouve pas ailleurs. Dieu nous appelle à être sauvés et nous souhaitons que vous hâtiez l’œuvre. »

Anthony reçut bientôt une réponse de Grant Bangerter, le président de la mission internationale de l’Église. Cette mission spéciale supervisait les régions du monde où des membres vivaient, mais où l’Église n’était pas officiellement reconnue. Le président Bangerter dit à Antony qu’il compatissait à sa situation, mais il l’informa qu’il n’y avait toujours pas de projet d’organisation de l’Église au Nigeria.

Il ajouta : « Nous vous encourageons, avec toutes les expressions de l’amour fraternel, à poursuivre la pratique de votre foi du mieux que vous pouvez jusqu’au moment où il sera possible pour l’Église de prendre des mesures plus directes. »

À cette époque, Anthony et sa femme, Fidelia, apprirent que leurs enfants étaient harcelés et qu’on les humiliait à l’école en raison de leurs croyances. Leur fille de huit ans leur rapporta que les professeurs les appelaient, elle et ses frères et sœurs, à se mettre devant le groupe d’élèves pendant les prières de l’école. Ils les forçaient à s’agenouiller, les mains levées, et leur frappaient les mains avec un bâton.

Ayant appris cela, Anthony et Fidelia allèrent immédiatement parler aux professeurs. Ils demandèrent : « Pourquoi faites-vous cela ? Nous jouissons de la liberté religieuse au Nigeria. »

Les coups cessèrent, mais la famille et leurs amis croyants continuèrent à rencontrer de l’opposition dans leur collectivité. En octobre 1976, Anthony écrivit à frère Bangerter : « L’absence de visite des autorités de Salt Lake City a fait de nous la risée de certaines personnes. Nous faisons tout notre possible pour établir la vérité parmi tant d’enfants de notre Père céleste dans cette partie du monde. »

Anthony attendit une réponse, mais elle ne vint pas. Ses courriers n’étaient-ils pas arrivés à Salt Lake City ? Ne sachant pas ce qu’il en était, il décida d’écrire à nouveau.

Il déclara : « Nous ne nous lasserons pas d’écrire et de demander l’organisation de l’Église ici, comme vous l’avez fait partout dans le monde. Au sein de notre groupe, nous suivons rigoureusement les enseignements de notre Sauveur, Jésus-Christ. Nous ne reviendrons pas en arrière. »

Au cours des premiers mois de l’année 1978, Spencer W. Kimball, président de l’Église, était tellement préoccupé par la restriction concernant la prêtrise et le temple qu’il avait souvent du mal à trouver le sommeil. L’indignation de l’opinion publique contre la restriction s’était en grande partie calmée. Cependant, il continuait de penser aux innombrables saints dignes et aux autres personnes de bonne volonté qu’elle affectait. Son récent voyage au Brésil lui avait rappelé les nombreux défis qu’elle posait aux saints du monde entier.

Toute sa vie, le président Kimball avait fait respecter la pratique de l’Église consistant à refuser la prêtrise aux personnes d’origine noire africaine et il était prêt à continuer. Pourtant, il savait que l’Évangile rétabli de Jésus-Christ était destiné à inonder la terre et il avait demandé aux saints de prier pour que les nations ouvrent leurs portes à l’œuvre missionnaire.

Il commença à passer de plus en plus de temps dans le saint des saints du temple de Salt Lake City, un sanctuaire spécial attenant à la salle céleste. Là, il enlevait ses chaussures, s’agenouillait et implorait humblement le ciel.

Le 9 mars, il réunit ses conseillers et le Collège des douze apôtres pour parler de la prêtrise et la race. Ils parlèrent longtemps. Ils examinèrent des déclarations de précédents présidents de l’Église, David O. McKay et Harold B. Lee, indiquant que la restriction concernant la prêtrise prendrait fin un jour. Pourtant, tous les apôtres convenaient que cette pratique ne changerait pas tant que le Seigneur n’aurait pas révélé sa volonté au prophète.

Avant la fin de la réunion, le président Kimball exhorta les apôtres à jeûner et à prier sur cette question. Au cours des semaines suivantes, il les invita à étudier le sujet et à noter leurs réflexions. Il chargea Howard W. Hunter et Boyd K. Packer de compiler un historique de la restriction concernant la prêtrise et de documenter tout ce qui avait été dit sur la question lors de réunions de la Première Présidence et des Douze. L’année précédente, il avait également demandé à Bruce R. McConkie d’examiner les fondements scripturaux de cette pratique.

Pendant ce temps, le prophète continuait de prier. Il était toujours assailli de préoccupations, mais elles devenaient de moins en moins importantes. Il sentait une impression spirituelle grandissante, profonde et durable qu’il fallait aller de l’avant. Lorsque frère McConkie présenta son rapport, il conclut qu’aucune Écriture n’interdisait à l’Église de lever la restriction.

Le mardi 30 mai, le président Kimball montra à ses conseillers l’ébauche d’une déclaration étendant la prêtrise à tous les hommes dignes, quelle que soit leur race.

Deux jours plus tard, le 1er juin, la Première Présidence tenait sa réunion mensuelle avec toutes les Autorités générales. Comme d’habitude, ils étaient venus en jeûnant. À la fin de la réunion, la Première Présidence laissa partir tout le monde sauf les apôtres.

Le président Kimball déclara : « Je voudrais que vous continuiez de jeûner avec moi. » Il leur rapporta alors les nombreuses heures qu’il avait passées à demander des réponses au Seigneur. Un changement apporterait l’Évangile rétabli et les bénédictions du temple à d’innombrables saints, hommes, femmes et enfants, dans le monde entier.

Il continua : « Je ne sais pas d’avance quelle sera la réponse, mais je veux le découvrir. Quelle que soit la décision du Seigneur, je la défendrai de toutes mes forces. »

Il demanda à chaque apôtre de s’exprimer. Pendant deux heures, ils prirent la parole à tour de rôle. Un sentiment de paix et d’unité les enveloppait.

Le prophète demanda : « Puis-je faire une prière avec vous ? »

Il s’agenouilla à l’autel du temple, entouré des apôtres. Humblement et avec ferveur, il demanda au Père de les purifier du péché pour qu’ils puissent recevoir la parole du Seigneur. Il pria pour savoir comment étendre l’œuvre de l’Église et répandre l’Évangile dans le monde entier. Il demanda au Seigneur de manifester sa volonté concernant le fait d’étendre la prêtrise à tous les hommes dignes de l’Église.

Lorsque le président Kimball termina sa prière, le Saint-Esprit inonda la salle, touchant le cœur de tous ceux qui se trouvaient dans le cercle. L’Esprit parla à leur âme, les liant les uns aux autres dans une harmonie totale. Tous les doutes disparurent.

Le président Kimball se releva vivement. Son cœur fragile battait la chamade. Il enlaça David B. Haight, l’apôtre le plus récemment appelé, puis étreignit les autres, un par un. Tous avaient les larmes aux yeux. Certains pleuraient ouvertement.

Ils avaient reçu la réponse du Seigneur.

Plus tard, Gordon B. Hinckley rapporta : « Nous avons quitté la réunion dans la sérénité, le recueillement et la joie. Chacun de nous savait que le temps était venu pour qu’un changement se produise et que la décision venait des cieux. La réponse était claire. L’unité était parfaite entre nous, dans notre façon de vivre cette expérience et de la comprendre. »

Il ajouta : « Cela a été un moment paisible et sublime. La voix de l’Esprit a murmuré avec certitude à notre esprit et au plus profond de notre âme. »

Dans son journal, Ezra Taft Benson écrivit : « Après la prière, nous avons ressenti l’esprit d’unité et de conviction le plus doux que j’aie jamais connu. Nous nous sommes pris dans les bras, tellement nous étions impressionnés par la douceur de l’esprit qui régnait. Notre sein brûlait. »

Marvin J. Ashton rapporta : « Ce fut l’événement le plus spirituel de toute ma vie. J’en suis sorti épuisé. »

Bruce R. McConkie témoigna : « Du milieu de l’éternité, la voix de Dieu, transmise par la puissance de l’Esprit, a parlé à son prophète. La prière du président Kimball a été exaucée et les nôtres aussi. Il a entendu une voix et nous l’avons entendue aussi. Tous les doutes et toutes les incertitudes se sont évaporés. Il connaissait la réponse et nous aussi. Nous sommes tous des témoins vivants de la véracité de la parole si gracieusement envoyée du ciel. »

N. Eldon Tanner témoigna : « La réponse nous est parvenue à tous avec force. Il n’y avait absolument aucun doute dans l’esprit de chacun d’entre nous. »

Huit jours après la prière du président Kimball, Darius Gray était assis dans son bureau au sein d’une entreprise fabriquant du papier à Salt Lake City lorsqu’une collègue passa la tête dans l’embrasure de la porte. Elle rapporta qu’elle avait entendu que l’Église accordait désormais la prêtrise aux hommes noirs.

Darius pensait qu’elle faisait une mauvaise blague. Il répondit : « Ce n’est pas drôle. »

Elle insista : « Je ne plaisante pas. » Elle venait de parler avec un client au bâtiment administratif de l’Église. La rumeur courait que le président Kimball avait reçu la révélation d’étendre les bénédictions de la prêtrise et du temple à tous les membres dignes de l’Église.

Sceptique, Darius prit le téléphone et composa le numéro du bureau du président de l’Église. Un secrétaire l’informa que le prophète était au temple, mais il confirma que les rumeurs étaient fondées. Il avait effectivement reçu une révélation sur la prêtrise.

Darius était abasourdi. Il n’arrivait pas à y croire. Rien ne l’avait préparé à cette nouvelle. Ce changement semblait totalement inattendu.

Plus tard dans la journée, le Deseret News publia une annonce de la Première Présidence : « Témoins de l’expansion de l’œuvre du Seigneur sur la terre, nous avons été heureux de constater que dans beaucoup de pays des gens ont répondu au message de l’Évangile rétabli et se sont joints à l’Église en nombre sans cesse croissant. Cela a suscité en nous le désir d’étendre à tous les membres dignes de l’Église tous les droits sacrés et toutes les bénédictions qu’offre l’Évangile. […]

« Il a entendu nos prières et a confirmé par révélation que le jour promis depuis si longtemps est venu. Tous les hommes fidèles et dignes de l’Église pourront recevoir la Sainte Prêtrise, avec le pouvoir d’exercer son autorité divine et de jouir avec leur famille de toutes les bénédictions qui en découlent, notamment les bénédictions du temple. »

Dès qu’il entendit la nouvelle, Darius se rendit à Temple Square. Tout le quartier vibrait d’excitation. Darius parla de cette révélation à un journaliste, puis traversa la rue pour se rendre au bureau de son vieil ami Heber Wolsey, désormais directeur de la communication de l’Église.

Heber n’était pas là, mais sa secrétaire lui demanda de patienter. Elle lui assura : « Je sais qu’il voudra vous voir. »

Darius attendit. Le bureau d’Heber surplombait la façade est du temple de Salt Lake. Le soleil était haut et éclatant, et par la fenêtre, Darius voyait les pierres du temple étinceler.

Bientôt, Heber fut de retour dans son bureau. Dès qu’il aperçut Darius, il l’étreignit en pleurant.

Il murmura : « Je n’aurais jamais pensé… »

Le regard de Darius se posa sur son ami avant de glisser vers le temple, à travers la fenêtre. Il savait que cette révélation ne changerait pas seulement le présent et l’avenir. Elle aurait également une incidence sur le passé. Pour la première fois dans cette dispensation, des personnes comme lui, en vie ou décédées, auraient la possibilité de recevoir toutes les ordonnances du temple disponibles.

Darius regarda à nouveau Heber, ferma les yeux, puis les rouvrit lentement.

Il déclara : « Dieu est bon. »

Un soir de juin 1978, Billy Johnson rentrait chez lui à Cape Coast, au Ghana. Comme souvent, des membres de son assemblée avaient jeûné avec lui, mais cela ne lui avait pas remonté le moral. Il était fatigué et découragé. De plus en plus de croyants avaient arrêté de venir et étaient retournés dans leurs anciennes Églises.

Billy rêvait de se sentir à nouveau fort spirituellement et émotionnellement. Environ deux mois plus tôt, une membre de son assemblée lui avait parlé d’une révélation qu’elle avait reçue. Elle avait affirmé : « Les missionnaires viendront très bientôt. J’ai vu des hommes blancs venir à notre église. Ils nous ont enlacés et ont participé à notre culte. » Une autre femme avait annoncé qu’elle avait reçu une révélation similaire. Billy aussi avait rêvé que des hommes blancs entraient dans son église et disaient : « Nous sommes vos frères et nous sommes venus vous baptiser. » Suite à cela, il avait également rêvé que des personnes noires venaient de tous côtés pour se joindre à l’Église.

Pourtant, il n’arrivait pas à se défaire de son découragement.

Malgré l’heure tardive, il ne parvenait pas à dormir. Il se sentit fortement poussé à écouter la British Broadcasting Corporation (BBC) à la radio, ce qu’il n’avait pas fait depuis des années.

Il retrouva la radio, un modèle marron avec quatre boutons argentés près de la base. L’appareil s’alluma en grésillant. Il manipula les boutons et l’aiguille rouge glissa d’avant en arrière sur le cadran. Pourtant, il n’arrivait pas à trouver la station.

Finalement, au bout d’une heure de recherche, Billy finit par distinguer un bulletin d’informations de la BBC. Le journaliste rapportait que le président de l’Église de Jésus-Christ des avait reçu une révélation. Tous les membres de l’Église, sans distinction de race, pouvaient désormais détenir la prêtrise.

Billy s’effondra, pleurant de joie. L’autorité de la prêtrise allait enfin arriver au Ghana.

Le 29 septembre 1978, à Salt Lake City, le président Kimball prit la parole lors d’un séminaire destiné aux représentants régionaux de l’Église. Dans son discours aux représentants régionaux, le président Kimball parla des croyants au Ghana et au Nigeria. Il déclara : « Ils ont déjà tant attendu. Pouvons-nous leur demander d’attendre encore ? » Il s’y refusait.

Le lendemain, pour la conférence générale, le tabernacle de Salt Lake City était comble. À la demande du président Kimball, son conseiller, N. Eldon Tanner, se dirigea vers la chaire et lut la déclaration de la Première Présidence annonçant que tous les hommes dignes pouvaient détenir la prêtrise, sans distinction de race.

Il déclara : « Reconnaissant Spencer W. Kimball comme prophète, voyant et révélateur et président de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, il est proposé qu’en tant qu’assemblée constituante nous acceptions cette révélation comme étant la parole et la volonté du Seigneur. »

Il demanda à toutes les personnes d’accord de lever la main droite et une nuée de mains se levèrent. Il demanda aux avis contraires de se manifester. Pas une seule main ne se leva.

Peu après la conférence, le président Kimball était assis au bout d’une longue table dans une salle de conférence du bâtiment administratif de l’Église. Il était accompagné de ses conseillers, de plusieurs Autorités générales et de deux couples d’âge mûr, Edwin et Janath Cannon, et Rendell et Rachel Mabey. Ces couples venaient d’accepter d’être les tout premiers missionnaires en Afrique de l’Ouest, ce qui signifiait pour Janath d’être relevée de son appel de première conseillère dans la présidence générale de la Société de Secours.

Le groupe discuta de l’affectation des missionnaires et des défis qu’ils rencontreraient sûrement au contact des croyants du Ghana et du Nigeria. Au moment de clore la réunion, quarante minutes plus tard, le président Kimball remercia les couples pour leur fidélité.

Il demanda : « Avez-vous d’autres questions ? »

Elder Mabey regarda les autres missionnaires et répondit : « Juste une à ce stade. Quand désirez-vous que nous partions ? »

Le président Kimball répondit en souriant :

« Hier. »

Rudá Martins fut la première de sa famille à être au courant de la révélation sur la prêtrise. La nouvelle était tombée au moment où les lignes téléphoniques de leur quartier de Rio de Janeiro étaient coupées. Une amie de la famille avait fait quarante minutes de bus pour l’en informer. La jeune femme avait frappé à la porte, s’écriant qu’elle avait des nouvelles.

« J’ai appris que l’Église a reçu une révélation », avait-elle commencé, expliquant ensuite à Rudá que tous les hommes dignes pouvaient désormais détenir la prêtrise.

Helvécio étant au travail, Rudá dut attendre pour le lui annoncer. Dès son arrivée, elle s’exclama : « J’ai des nouvelles, des nouvelles merveilleuses ! Helvécio, tu détiendras la prêtrise. »

Son mari resta abasourdi. Il n’arrivait pas à y croire. À cet instant, le téléphone sonna et il décrocha. Son interlocuteur était un collègue à Salt Lake City.

Il déclara : « J’ai la déclaration officielle entre les mains et je vais vous la lire. »

En raccrochant, Helvécio et Rudá pleurèrent en faisant une prière de reconnaissance à leur Père céleste. Le temple de São Paulo allait être consacré dans seulement quelques mois. Ils seraient désormais en mesure de recevoir leur dotation et d’être scellés avec leurs quatre enfants.

Deux semaines plus tard, Helvécio et Marcus reçurent la Prêtrise d’Aaron. Une semaine après, Helvécio fut ordonné ancien et il conféra immédiatement la Prêtrise de Melchisédek à Marcus. Marcus était fiancé à une jeune femme qui avait rempli une mission, Mirian Abelin Barbosa. Ils avaient déjà envoyé les invitations à leur mariage. Néanmoins, ils décidèrent de le reporter afin que Marcus puisse faire une mission.

Au début du mois de novembre 1978, la famille Martins assista à la consécration du temple. Rudá s’assit avec le chœur près du président Kimball et des autres Autorités générales venues pour la cérémonie. Helvécio se trouvait dans l’assemblée avec leurs enfants. Les missionnaires des quatre missions brésiliennes avaient reçu l’autorisation d’assister à la consécration, si bien que Marcus, désormais missionnaire à plein temps dans la mission nord de São Paulo, était également présent.

Quelques jours plus tard, le 6 novembre, Rudá, Helvécio et Marcus reçurent leur dotation. Ils furent ensuite conduits dans une salle de scellement, où Marcus servit de témoin tandis que ses parents étaient scellés pour le temps et l’éternité. Les trois plus jeunes enfants furent alors amenés dans la salle, vêtus de blanc.

Leur fille de trois ans demanda : « Maman, qu’est-ce qu’on va faire ici ? »

Montrant l’autel, Rudá expliqua : « Nous allons nous agenouiller à cette table et être unis en famille. »

La fillette répondit : « Je suis contente de devenir vraiment ta fille. »

Sa mère la rassura : « Tu es déjà ma fille. »

La famille prit place autour de l’autel et le scelleur procéda à la cérémonie. Marcus était le seul enfant assez âgé pour comprendre l’importance de ce moment. Pourtant, les trois autres semblaient ressentir l’émerveillement et le bonheur qui régnaient dans la pièce. La vue de leur famille réunie dans le temple était pour Rudá et Helvécio une scène merveilleuse. Ils débordaient de joie.

Rudá pensa : « Ils sont miens désormais. Ils sont véritablement miens. »

Le 18 novembre 1978, Anthony Obinna s’approcha solennellement de trois Américains, une femme et deux hommes, qui l’attendaient devant le lieu de culte de son assemblée, au sud-est du Nigeria. Il était venu dès qu’il avait appris la nouvelle de leur arrivée. Il les avait attendus pendant plus de dix ans.

Il s’agissait de Rendell Mabey, Rachel Mabey et Edwin Cannon. Ils lui demandèrent : « Êtes-vous Anthony Obinna ? »

Il répondit par l’affirmative et ils entrèrent dans le lieu de culte. Le bâtiment mesurait environ neuf mètres de long. Les lettres « SDJ » ornaient le mur au-dessus d’une porte et les mots « Foyer missionnaire » se trouvaient au-dessus d’une autre. Juste sous le toit, quelqu’un avait peint les mots « nigériens ».

Anthony confia aux visiteurs : « L’attente a été longue et difficile, mais cela n’a plus d’importance maintenant. Vous êtes enfin venus ! »

Elder Cannon répondit : « L’attente a en effet été longue, mais l’Évangile est maintenant là dans sa plénitude. »

Les missionnaires lui demandèrent de raconter son histoire. Il leur expliqua qu’il avait quarante-huit ans et qu’il était l’assistant du maître d’école d’un établissement voisin. Il raconta qu’il avait rêvé des années plus tôt du temple de Salt Lake City et qu’il en avait ensuite découvert une photo dans un vieux magazine. Il n’avait jamais entendu parler de l’Église avant cela. Il raconta, la voix étranglée par l’émotion : « Là, devant mes yeux, se trouvait le bâtiment même que j’avais visité dans mon rêve. »

Il raconta son étude approfondie de l’Évangile rétabli de Jésus-Christ, ses correspondances avec LaMar Williams et sa tristesse face à l’absence persistante de l’Église au Nigeria. Il témoigna aussi de sa foi et de son refus de désespérer, même lorsque les autres croyants et lui avaient été persécutés en raison de leur dévouement à la vérité.

Quand Anthony eut terminé son récit, Elder Mabey demanda à lui parler en privé. Ils pénétrèrent dans la pièce voisine et le missionnaire demanda s’il y avait des lois au Nigeria susceptibles d’empêcher le baptême parce que l’Église n’était pas encore légalement enregistrée. Anthony répondit que non.

Elder Mabey poursuivit : « Je suis ravi de l’apprendre. Nous avons beaucoup de déplacements prévus au cours des prochaines semaines pour rendre visite à d’autres groupes tels que le vôtre. » Il expliqua que ces visites prendraient cinq à six semaines et que les missionnaires reviendraient ensuite pour baptiser Anthony et son groupe.

Celui-ci répondit : « Non, s’il vous plaît. Je sais qu’il y a beaucoup d’autres personnes, mais cela fait treize ans que nous attendons. » Il regarda Elder Mabey dans les yeux et ajouta : « Si c’est humainement possible, faites les baptêmes maintenant. »

Elder Mabey demanda : « Est-ce que la plupart des personnes ici sont réellement prêtes ? »

Anthony affirma : « Absolument ! Baptisons les plus forts dans la foi maintenant et continuons d’enseigner les autres. »

Trois jours plus tard, Anthony s’entretint avec Elder Mabey pour discuter de la manière de diriger une branche de l’Église. À l’extérieur, des petits enfants chantaient un nouveau chant que les missionnaires leur avaient enseigné :

Je suis enfant de Dieu
et il m’a mis ici ;
il m’a donné un bon foyer
des parents si gentils.

Bientôt, Anthony, les missionnaires et les autres croyants se réunirent au bord d’une mare isolée de la rivière Ekeonumiri. La mare mesurait environ neuf mètres de large et était entourée de buissons et d’arbres denses et verts. Les rayons du soleil filtraient à travers les arbres et dansaient sur la surface de l’eau. Des petits poissons colorés allaient et venaient près de la rive.

Elder Mabey entra dans l’eau et prit Anthony par la main. Le sourire aux lèvres, il le suivit. Après avoir trouvé son équilibre, Anthony saisit le poignet d’Elder Mabey et le missionnaire leva la main droite.

Il déclara : « Anthony Uzodimma Obinna, ayant reçu l’autorité de Jésus-Christ, je te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. »

Anthony sentit l’eau l’envelopper tandis qu’Elder Mabey l’immergeait. Lorsqu’il sortit de l’eau, la foule qui se trouvait sur la rive poussa un soupir collectif, suivi d’éclats de rire joyeux.

Une fois Fidelia, la femme d’Anthony, et dix-sept autres personnes baptisées, le groupe retourna au lieu de culte. Anthony et ses trois frères, Francis, Raymond et Aloysius, furent ordonnés à l’office de prêtre dans la Prêtrise d’Aaron. Elder Mabey mit alors Anthony à part comme président de la branche d’Aboh, avec Francis et Raymond comme conseillers.

Grâce à l’autorité de la prêtrise qu’il détenait, Anthony mit ensuite Fidelia à part en tant que présidente de la Société de Secours de la branche.

Au début de l’année 1981, Julia Mavimbela, soixante-trois ans, gérait un jardin communautaire près de chez elle, à Soweto, un township noir de plus d’un million d’habitants situé à l’ouest de Johannesburg, en Afrique du Sud. Ancienne directrice d’école primaire, elle avait créé le jardin quelques années plus tôt pour aider les jeunes du township à grandir sous l’apartheid, la politique officielle de ségrégation raciale de l’Afrique du Sud.

En tant que femme noire, elle savait à quel point il était difficile de vivre dans ce système. Ces lois rabaissaient les Noirs et les traitaient comme des citoyens inférieurs. Pendant des décennies, le gouvernement avait obligé tous les Noirs sud-africains à porter sur eux un livret d’identité indiquant les endroits où ils pouvaient ou ne pouvaient pas aller. S’ils étaient découverts dans des quartiers blancs au mauvais moment de la journée, ils pouvaient être frappés, arrêtés, voire tués.

Lorsqu’elle était plus jeune, Julia avait été contrainte de quitter son quartier multiracial de Johannesburg pour s’installer dans une maison à Soweto, où régnait la ségrégation. Aujourd’hui, alors qu’elle observait les jeunes lutter contre ces injustices, elle s’inquiétait de l’amertume qui grandissait dans leur cœur. Elle espérait, grâce à son jardin, leur enseigner comment dépasser leur colère avant qu’elle ne les consume, eux et leurs êtres chers.

Elle disait : « Regardez, cette terre est dure. Mais avec une bêche, nous la fendons et elle forme des mottes. Si nous les cassons et y mettons une graine, elle pousse. »

Elle voulait que les jeunes intègrent dans leur cœur le message de la terre dure. Elle continuait : « Creusons le sol de l’amertume, semons une graine d’amour et voyons quels fruits elle portera. L’amour ne viendra pas sans que nous pardonnions. »

C’était une leçon que Julia s’efforçait encore d’apprendre. Des décennies plus tôt, son mari, John, avait été tué dans une collision frontale avec un conducteur blanc. Lorsqu’elle s’était rendue au poste de police pour récupérer ses effets personnels, elle avait découvert que l’argent qu’il avait sur lui avait été volé après l’accident. Elle pensait que John n’était pas responsable de l’accident, toutefois un tribunal composé uniquement de Blancs en avait jugé autrement.

Seule pour élever leurs enfants après le décès de son mari, Julia s’était battue pour subvenir à leurs besoins. Pourtant, dans les moments difficiles, elle avait senti la présence de Jésus-Christ auprès d’elle, qui la réconfortait et la rassurait.

Aujourd’hui, plus d’un quart de siècle après la mort de John, Julia savait que le pardon était essentiel à la guérison de sa douleur. Malgré cela, elle avait toujours du mal à pardonner aux personnes qui avaient terni la réputation de John et l’avaient volée, sa famille et elle.

Un jour de juin 1981, Julia fut invitée à participer au nettoyage d’un centre pour la jeunesse et d’une bibliothèque qui avaient été pillés et incendiés lors de récentes émeutes contre l’apartheid. En arrivant, elle fut surprise de voir deux jeunes hommes pelleter les débris. Ils étaient blancs, spectacle étonnant à Soweto.

Avec de grands sourires, les jeunes hommes expliquèrent à Julia qu’ils étaient des missionnaires américains venus apporter leur aide. Ils s’y connaissaient un peu en jardinage et avaient entendu parler du jardin communautaire de Julia. Ils lui demandèrent s’ils pouvaient lui rendre visite. Julia ne souhaitait pas les recevoir. En invitant deux hommes blancs chez elle, elle s’exposait à des représailles violentes, contre sa famille et elle. Ses voisins penseraient-ils qu’elle collaborait avec la police ou le gouvernement d’apartheid ?

Tandis qu’elle cherchait une excuse, elle sentit un poids dans sa poitrine et sut qu’elle devait les laisser venir. Elle les invita à venir trois jours plus tard.

Les hommes arrivèrent pile à l’heure, avec leur chemise blanche et leur badge. Ils se présentèrent comme étant missionnaires de l’Église de Jésus-Christ des . Elle écouta poliment leur message, Mais dès la deuxième visite, elle cherchait un moyen de leur dire gentiment qu’elle n’était pas intéressée.

L’un des missionnaires pointa alors du doigt une photo de Julia et de son défunt mari et demanda : « Où est-il ? »

Elle répondit : « Il est décédé. »

Les missionnaires lui parlèrent du baptême pour les morts. Elle était sceptique. Au fil des années, elle avait fréquenté de nombreuses Églises. Jamais elle n’avait entendu quelqu’un dire que les morts pouvaient être baptisés.

Un missionnaire ouvrit le Nouveau Testament et lui demanda de lire 1 Corinthiens 15:29 : « Autrement que feraient ceux qui se font baptiser pour les morts ? Si les morts ne ressuscitent absolument pas, pourquoi se font-ils baptiser pour eux ? »

Le verset la captiva. Elle écouta désormais les jeunes hommes avec un cœur ouvert. Tandis qu’ils lui parlaient des familles éternelles, elle découvrit que les êtres chers pouvaient effectuer les baptêmes et les autres ordonnances dans les temples pour leurs défunts. Elle pourrait aussi être réunie à ceux qu’elle avait perdus, notamment John, après cette vie.

Sa vie commença à changer dès qu’elle se mit à lire le Livre de Mormon. Pour la première fois, elle réalisa que tous les peuples formaient une seule et même famille. L’Évangile rétabli de Jésus-Christ lui donna l’espérance qu’elle pourrait un jour pardonner aux personnes qui avaient fait souffrir sa famille.

Julia se fit baptiser six mois après avoir rencontré les missionnaires. Un mois plus tard, elle fut invitée à prendre la parole lors d’une conférence de pieu. Sous le régime de l’apartheid, l’Église n’essayait pas de faire du prosélytisme parmi les Noirs d’Afrique du Sud. Cependant, au début des années 1980, l’apartheid commençait à s’effriter. Ainsi, Noirs et Blancs, membres de la même religion, pouvaient plus facilement se réunir et pratiquer leur culte ensemble. Quelques mois avant le baptême de Julia, une assemblée avait été organisée pour les saints de Soweto.

Julia se leva, nerveuse, devant l'assemblée du pieu composée essentiellement de Blancs. Elle craignait que sa douleur à la suite de la mort de John ne l’isole des autres membres de l’Église. Cependant, son cœur était rempli de prières et le Seigneur l’incita à raconter son histoire.

Elle parla de la mort de son mari, du traitement cruel que lui avait infligé la police et de l’amertume qu’elle avait éprouvée pendant si longtemps. Elle témoigna : « J’ai enfin découvert l’Église qui peut m’apprendre à pardonner, réellement. » Comme les mottes de terre du jardin, son amertume était brisée.

Elle expliqua qu’il ne lui restait que paix et pardon.

Le 27 novembre 1982, le ciel de Johannesburg, en Afrique du Sud, était couvert alors que huit cent cinquante personnes se rassemblaient pour la cérémonie d’ouverture de chantier de la première maison du Seigneur sur le continent africain. Julia Mavimbela était venue à la cérémonie avec dix familles de Soweto, le township noir situé à l’ouest de la ville. Dès qu’elle avait appris l’existence des temples, elle avait voulu que les ordonnances soient accomplies pour son défunt mari et ses parents décédés. Elle était déterminée à participer à tous les événements importants de la construction du temple.

Marvin J. Ashton, du Collège des douze apôtres, présidait la cérémonie. Dans sa conclusion, il parla de l’excitation spirituelle qu’il ressentait chez les saints sud-africains. Quand la maison du Seigneur serait achevée, les saints qui devaient auparavant parcourir des milliers de kilomètres pour se rendre dans des temples aux États-Unis, en Suisse, au Royaume-Uni ou au Brésil pourraient désormais profiter d’un temple à proximité.

Après le discours de frère Ashton, des dirigeants de l’Église et lui creusèrent cérémonieusement le sol à l’aide de pelles. D’autres saints, désireux de participer, s’avancèrent ensuite. Ne voulant pas se frayer un chemin dans la foule, Julia et les saints de Soweto restèrent en retrait. Des dirigeants les remarquèrent et les invitèrent à s’avancer, à prendre une bêche et à creuser le sol à leur tour. Julia était sûre que son groupe avait été remarqué grâce à l’Esprit.

Au cours des mois suivants, Julia se réjouit de servir au sein de la Société de Secours. La plupart des membres de sa branche étaient des convertis récents. Des membres de l’Église expérimentés d’autres paroisses du pieu les avaient encadrés jusqu’à ce qu’ils soient prêts à diriger eux-mêmes la branche. La présidente de la Société de Secours, une femme blanche, avait choisi Julia pour être sa première conseillère.

La branche était l’une des premières organisées dans un township noir. Elle se réunissait dans une paroisse de l’Église dans un quartier de Johannesburg. Pour s’y rendre, Julia et d’autres saints noirs de Soweto devaient prendre un taxi jusqu’à la ville, puis faire le reste du chemin à pied. Au bout d’un certain temps, la branche commença à se réunir dans un lycée de Soweto. Julia était heureuse de pouvoir aller à l’église plus près de chez elle.

Toutefois, le nouveau lieu de réunions présentait d’autres difficultés. Chaque dimanche matin, les saints devaient arriver tôt pour balayer le sol et nettoyer les fenêtres et les chaises afin que le bâtiment convienne à la réunion de Sainte-Cène. Parfois, la personne qui leur louait le bâtiment cherchait à gagner plus d’argent et réservait l’endroit pour deux groupes à la fois. Les saints n’avaient alors pas d’endroit pour se réunir.

Bientôt, le pieu de Johannesburg commença à appeler de plus en plus de saints noirs comme dirigeants dans les branches des townships. Julia devint la nouvelle présidente de la Société de Secours de sa branche.

Elle se sentit tout de suite incompétente. Elle était une dirigeante communautaire expérimentée, savait aider et motiver les gens, mais les saints de sa branche étaient habitués à ce que les dirigeants de l’Église soient blancs. Elle pouvait presque les entendre douter de ses capacités et penser : « Elle est noire comme nous. »

Elle refusa néanmoins de se décourager. Elle croyait en ses capacités et elle savait que le Seigneur l’accompagnerait.

Le 30 avril 1988, Isaac « Ike » Ferguson descendit d’un avion et ressentit la chaleur de N’Djamena, au Tchad, rappel immédiat qu’il se trouvait loin de la fraîcheur printanière de sa maison à Bountiful, en Utah. Tout autour de lui, il voyait des gens en tunique blanche et la tête couverte. Des déserts de sable s’étendaient dans toutes les directions à l’horizon.

À la demande de la Première Présidence, Ike était venu aux confins des déserts d’Afrique du Nord pour suivre les projets humanitaires de l’Église. Pendant des générations, l’Église avait utilisé ses offrandes de jeûne principalement pour aider les saints en difficulté. Cependant, au début des années 1980, une famine avait dévasté l’Éthiopie, où l’Église n’avait pas de présence officielle. Les images diffusées à la télévision d’enfants affamés et de camps humanitaires surchargés avaient touché les gens du monde entier, notamment les saints. Le 27 janvier 1985, l’Église avait organisé un jeûne humanitaire spécial aux États-Unis et au Canada qui avait permis de récolter 6 millions de dollars d’offrandes de jeûne pour l’aide à l’Afrique.

Quelques mois plus tard, M. Russell Ballard, l’un des présidents du premier collège des soixante-dix, s’était rendu en Éthiopie pour trouver les organisations humanitaires qui permettraient à l’Église de faire le plus de bien. Ike, titulaire d’un doctorat et ayant de l’expérience professionnelle dans le domaine de la santé publique, avait alors été embauché pour gérer les dons humanitaires depuis un bureau en Utah. Dès son premier jour, il avait reçu un ordinateur, un téléphone et l’autorisation de distribuer les millions de dollars d’offrande de jeûne au profit de l’Éthiopie.

S’appuyant sur le travail de frère Ballard, Ike avait contacté d’autres organisations humanitaires internationales pour obtenir des conseils sur la meilleure façon d’utiliser les dons. Il avait ensuite accordé d’importantes subventions à des organisations humanitaires travaillant en Éthiopie et dans les pays voisins connaissant des problèmes similaires. Dix mois après le premier jeûne, l’Église en avait organisé un deuxième pour la même cause.

Les dons des saints au profit de l’Éthiopie s’étaient avérés si utiles que les services d’entraide de l’Église avaient commencé à établir des partenariats avec des organismes d’aide humanitaire dans d’autres parties du monde. En peu de temps, Ike avait participé à l’organisation d’une exposition sur la santé dans les Caraïbes, envoyé du matériel médical pour aider les enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale en Hongrie et distribué des vaccins en Bolivie.

En arrivant à N’Djamena, Ike passa plusieurs jours à visiter des sites humanitaires au Tchad et au Niger. Il se rendit en avion dans la vallée de Majia, au Niger, où l’Église avait fait don de centaines de milliers de dollars à un projet de reforestation. Depuis le ciel, il voyait des rangées d’arbres résistants à la sécheresse formant une « barrière vivante » entre les riches terres agricoles de la vallée et l’avancée du désert. L’avion atterrit et des représentants de l’un des partenaires humanitaires de l’Église le conduisit à travers les zones reboisées.

Ike apprit que les arbres empêchaient le vent d’éroder le sol et fournissaient du fourrage pour les moutons, les chèvres et le bétail. Ils constituaient également une source de combustible à long terme pour les personnes vivant à proximité. Les agriculteurs de la région avaient augmenté leur production agricole de trente pour cent depuis le début du projet, sauvant ainsi de nombreuses vies des ravages du désert.

Quelques jours plus tard, Ike s’envola vers le Ghana, où l’Église avait désormais une mission et une dizaine de branches. C’est là qu’il rencontra une organisation partenaire, Africare, afin de discuter d’une ferme d’entraide de l’Église de seize hectares à Abomosu, une ville située à environ cent trente kilomètres au nord-ouest d’Accra.

La ferme avait été créée en 1985 après une grave sécheresse qui avait épuisé les réserves alimentaires dans tout le pays. À l’instar des fermes d’entraide de l’Église aux États-Unis, elle fournissait de la nourriture aux personnes dans le besoin tout en encourageant l’indépendance et l’autonomie. Des saints locaux géraient la ferme avec l’aide de la mission d’Accra (Ghana). Au début, tous les travailleurs étaient bénévoles, mais ils étaient désormais salariés et la plupart membres de l’Église.

Après trois saisons de culture, la ferme connaissait un succès modéré à produire du maïs, du manioc, de la banane plantain et d’autres cultures pour les personnes dans le besoin. Mais le bien qu’elle produisait ne correspondait pas encore à ses coûts de fonctionnement élevés.

Les consultants d’Africare dirent à Ike qu’ils pensaient que la ferme servirait mieux cette localité si l’Église permettait aux habitants d’Abomosu de la transformer en coopérative. Des agriculteurs locaux, qui utilisaient des techniques de culture traditionnelles, pourraient collaborer pour fournir davantage de nourriture aux habitants de la localité. L’Église continuerait à apporter un soutien financier à la ferme sans pour autant assumer l’entière responsabilité de son succès.

Avant de quitter le Ghana, Ike et les consultants présentèrent cette idée à environ cent cinquante membres de la localité d’Abomosu, dont le chef tribal local. Le plan fut bien accueilli et de nombreux agriculteurs se montrèrent enthousiastes à l’idée de faire partie de la coopérative.

Le 30 avril 1988, Isaac « Ike » Ferguson descendit d’un avion et ressentit la chaleur de N’Djamena, au Tchad, rappel immédiat qu’il se trouvait loin de la fraîcheur printanière de sa maison à Bountiful, en Utah. Tout autour de lui, il voyait des gens en tunique blanche et la tête couverte. Des déserts de sable s’étendaient dans toutes les directions à l’horizon.

À la demande de la Première Présidence, Ike était venu aux confins des déserts d’Afrique du Nord pour suivre les projets humanitaires de l’Église. Pendant des générations, l’Église avait utilisé ses offrandes de jeûne principalement pour aider les saints en difficulté. Cependant, au début des années 1980, une famine avait dévasté l’Éthiopie, où l’Église n’avait pas de présence officielle. Les images diffusées à la télévision d’enfants affamés et de camps humanitaires surchargés avaient touché les gens du monde entier, notamment les saints. Le 27 janvier 1985, l’Église avait organisé un jeûne humanitaire spécial aux États-Unis et au Canada qui avait permis de récolter 6 millions de dollars d’offrandes de jeûne pour l’aide à l’Afrique.

Quelques mois plus tard, M. Russell Ballard, l’un des présidents du premier collège des soixante-dix, s’était rendu en Éthiopie pour trouver les organisations humanitaires qui permettraient à l’Église de faire le plus de bien. Ike, titulaire d’un doctorat et ayant de l’expérience professionnelle dans le domaine de la santé publique, avait alors été embauché pour gérer les dons humanitaires depuis un bureau en Utah. Dès son premier jour, il avait reçu un ordinateur, un téléphone et l’autorisation de distribuer les millions de dollars d’offrande de jeûne au profit de l’Éthiopie.

S’appuyant sur le travail de frère Ballard, Ike avait contacté d’autres organisations humanitaires internationales pour obtenir des conseils sur la meilleure façon d’utiliser les dons. Il avait ensuite accordé d’importantes subventions à des organisations humanitaires travaillant en Éthiopie et dans les pays voisins connaissant des problèmes similaires. Dix mois après le premier jeûne, l’Église en avait organisé un deuxième pour la même cause.

Les dons des saints au profit de l’Éthiopie s’étaient avérés si utiles que les services d’entraide de l’Église avaient commencé à établir des partenariats avec des organismes d’aide humanitaire dans d’autres parties du monde. En peu de temps, Ike avait participé à l’organisation d’une exposition sur la santé dans les Caraïbes, envoyé du matériel médical pour aider les enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale en Hongrie et distribué des vaccins en Bolivie.

En arrivant à N’Djamena, Ike passa plusieurs jours à visiter des sites humanitaires au Tchad et au Niger. Il se rendit en avion dans la vallée de Majia, au Niger, où l’Église avait fait don de centaines de milliers de dollars à un projet de reforestation. Depuis le ciel, il voyait des rangées d’arbres résistants à la sécheresse formant une « barrière vivante » entre les riches terres agricoles de la vallée et l’avancée du désert. L’avion atterrit et des représentants de l’un des partenaires humanitaires de l’Église le conduisit à travers les zones reboisées.

Ike apprit que les arbres empêchaient le vent d’éroder le sol et fournissaient du fourrage pour les moutons, les chèvres et le bétail. Ils constituaient également une source de combustible à long terme pour les personnes vivant à proximité. Les agriculteurs de la région avaient augmenté leur production agricole de trente pour cent depuis le début du projet, sauvant ainsi de nombreuses vies des ravages du désert.

Quelques jours plus tard, Ike s’envola vers le Ghana, où l’Église avait désormais une mission et une dizaine de branches. C’est là qu’il rencontra une organisation partenaire, Africare, afin de discuter d’une ferme d’entraide de l’Église de seize hectares à Abomosu, une ville située à environ cent trente kilomètres au nord-ouest d’Accra.

La ferme avait été créée en 1985 après une grave sécheresse qui avait épuisé les réserves alimentaires dans tout le pays. À l’instar des fermes d’entraide de l’Église aux États-Unis, elle fournissait de la nourriture aux personnes dans le besoin tout en encourageant l’indépendance et l’autonomie. Des saints locaux géraient la ferme avec l’aide de la mission d’Accra (Ghana). Au début, tous les travailleurs étaient bénévoles, mais ils étaient désormais salariés et la plupart membres de l’Église.

Après trois saisons de culture, la ferme connaissait un succès modéré à produire du maïs, du manioc, de la banane plantain et d’autres cultures pour les personnes dans le besoin. Mais le bien qu’elle produisait ne correspondait pas encore à ses coûts de fonctionnement élevés.

Les consultants d’Africare dirent à Ike qu’ils pensaient que la ferme servirait mieux cette localité si l’Église permettait aux habitants d’Abomosu de la transformer en coopérative. Des agriculteurs locaux, qui utilisaient des techniques de culture traditionnelles, pourraient collaborer pour fournir davantage de nourriture aux habitants de la localité. L’Église continuerait à apporter un soutien financier à la ferme sans pour autant assumer l’entière responsabilité de son succès.

Avant de quitter le Ghana, Ike et les consultants présentèrent cette idée à environ cent cinquante membres de la localité d’Abomosu, dont le chef tribal local. Le plan fut bien accueilli et de nombreux agriculteurs se montrèrent enthousiastes à l’idée de faire partie de la coopérative.

Le 14 juin 1989, Alice Johnson et Hetty Brimah, deux collègues missionnaires, remarquèrent des regards fixés sur elles tandis qu’elles rentraient chez elles à Koforidua, au Ghana. Hetty demanda à haute voix : « Pourquoi est-ce qu’ils nous regardent tous ? »

Alice répondit : « Parce qu’on est belles. » Un coiffeur qu’elles instruisaient venait de leur offrir un brushing. Il était bien normal qu’elles ne passent pas inaperçues.

Lorsqu’elles arrivèrent à leur appartement, le propriétaire leur dit qu’elles devaient immédiatement aller voir le père et la belle-mère d’Alice, également missionnaires à Koforidua.

Alice était la fille de Billy Johnson, dont le dévouement à la prédication de l’Évangile rétabli avait contribué à l’établissement de l’Église au Ghana. Il avait été l’un des premiers baptisés lors de l’arrivée des missionnaires à la fin de l’année 1978. Il avait ensuite reçu la prêtrise, était devenu le premier président de branche au Ghana, puis président de district. Une décennie plus tard, on comptait désormais environ six mille Ghanéens saints des derniers jours. En tant que missionnaires, Billy et sa femme étaient chargés de s’occuper des saints qui n’assistaient plus aux réunions de l’Église.

Alice et Hetty se rendirent en ville à pied, à la maison de la mission, et y trouvèrent le couple Johnson. Le père d’Alice leur expliqua calmement, ainsi qu’aux autres missionnaires présents, que le gouvernement ghanéen avait interdit, pour des raisons inconnues, toute activité de l’Église dans le pays. Plusieurs autres Églises chrétiennes n’avaient également plus le droit de se réunir.

Billy expliqua : « Vous devez tous retirer vos badges missionnaires. » La nouvelle de l’interdiction avait déjà été diffusée à la radio, ce qui expliquait pourquoi tant de gens avaient fixé Alice et Hetty du regard. Il ajouta : « Retournez dans votre appartement et faites vos valises rapidement. Demain matin, nous devons nous présenter au foyer de la mission à Accra. »

En grandissant, Alice avait toujours admiré la disposition à prier de son père, ainsi que sa gentillesse et son enthousiasme pour l’Évangile rétabli. En fait, sa foi et son désir de servir Dieu avaient incité la jeune fille à partir en mission à l’âge de dix-huit ans, ce qui était autorisé dans certaines parties du monde.

Tandis qu’il parlait de l’interdiction gouvernementale, il exhorta Alice et les missionnaires à jeûner et prier pour qu’elle soit levée.

Le lendemain matin, Alice et Hetty parcoururent quatre-vingts kilomètres vers le sud pour se rendre au siège de la mission à Accra. Là, elles trouvèrent des dizaines de missionnaires rassemblés sur place. La plupart d’entre eux étaient Ghanéens et tous les visages étaient baignés de larmes. L’interdiction avait pris tout le monde de court, même le président de mission. Les milices locales avaient saisi les lieux de culte et les autres bâtiments de l’Église. Des policiers avaient expulsé des missionnaires de leur appartement et saisi leur voiture et leur vélo. Des gardes armés avaient pris position à l’extérieur du foyer de la mission.

Gilbert Petramalo, le président de mission, informa tout le monde qu’ils devraient être relevés. Seuls les parents d’Alice resteraient missionnaires à plein temps, mais ils agiraient à titre officieux. Ils continueraient à servir les saints, mais ne porteraient plus de badge ni de tenue distinctive.

Après sa relève, Alice alla vivre chez une amie à Cape Coast. Elle se sentait perdue et désorientée. La fin subite de sa mission la laissait incertaine quant à son avenir. C’était comme si tout ce qui comptait pour elle s’était brutalement terminé.

Après l’interdiction de toutes les activités de l’Église au Ghana, William Acquah, membre de l’Église, voulait en comprendre la raison. Il lisait les journaux locaux et écoutait la radio en permanence, espérant en apprendre plus sur le « gel », comme on l’appelait désormais. Parfois, il se réunissait avec d’autres saints pour comparer ce qu’ils avaient découvert.

Des décennies de régime colonial avaient rendu certains Ghanéens méfiants à l’égard des étrangers. Il semblait que le siège américain de l’Église et sa prospérité évidente avaient inquiété le gouvernement. De nombreuses personnes dans le pays avaient également regardé un film qui présentait l’Église comme sinistre et immorale, ce qui alimentait les craintes à l’égard des saints. En imposant des restrictions à l’Église, le gouvernement pensait apparemment protéger les citoyens ghanéens. Il ne semblait pas disposé à lever le gel avant d’avoir enquêté minutieusement sur les saints et leurs activités.

William vivait à Cape Coast. Sa femme, Charlotte, faisait partie de la famille Andoh-Kesson, qui avait soutenu très tôt le ministère de Billy Johnson. Charlotte avait présenté l’Évangile rétabli à William en 1978, mais il avait attendu plus d’un an avant de se faire baptiser. Il était issu d’une famille éminente de la région. Dans sa jeunesse, son éducation et ses expériences l’avaient rendu méfiant à l’égard de Dieu. Son cœur avait commencé à s’adoucir lorsque Charlotte l’avait présenté à Reed et Naomi Clegg, un couple missionnaire à Cape Coast. Ils avaient été patients pendant qu’il étudiait le Livre de Mormon et d’autres documents publiés par l’Église, lui donnant le temps d’acquérir un témoignage et de prendre la décision de se faire baptiser.

Au début du gel, les dirigeants de l’Église avaient autorisé les saints ghanéens à administrer la Sainte-Cène et à faire l’École du Dimanche chez eux. C’était ce que faisaient William et Charlotte, chaque dimanche, avec leurs enfants. Ensuite, William quittait souvent le domicile pour rendre visite à d’autres saints et s’assurer qu’ils allaient bien.

Le dimanche 3 septembre 1989, William trouva quelques membres regroupés autour d’un taxi. Ils lui rapportèrent que deux saints des derniers jours, Ato et Elizabeth Ampiah, venaient d’être arrêtés pour avoir organisé des réunions de l’Église chez eux. William sauta dans le taxi avec les autres et ils se rendirent au poste de police.

Le bâtiment était une structure lugubre datant de l’époque coloniale. À l’intérieur, un agent se tenait à un comptoir. Derrière lui, le couple Ampiah était assis pieds nus sur un banc devant les barreaux de fer des cellules de la prison.

L’agent regarda William. Il demanda : « Êtes-vous également membre de l’Église ? »

William répondit que oui.

L’agent le fit avancer derrière le comptoir. Il lui ordonna de retirer ses chaussures. « Donnez-moi votre montre. » Il exigea les mêmes choses des autres hommes accompagnant William. L’un d’eux demanda s’il pouvait appeler un ami, un fonctionnaire local. L’agent devint furieux.

Il hurla : « Dans les cellules ! »

Une odeur nauséabonde frappa William dès qu’il franchit la grille. La petite pièce était remplie de prisonniers vêtus de haillons qui semblaient choqués de partager une cellule avec un groupe de saints encore dans leurs vêtements du dimanche.

Un prisonnier demanda : « Qu’arrive-t-il à notre pays pour que des prêtres inoffensifs comme vous atterrissent ici ? »

Malgré leur apparence peu rassurante, les prisonniers firent de la place aux saints et les traitèrent avec respect. C’était un dimanche du jeûne et, tandis qu’ils discutaient de leur situation, William et ses compagnons décidèrent de continuer à jeûner. Ils étaient nerveux et effrayés, mais la nouvelle de leur arrestation s’était répandue et d’autres membres de l’Église s’efforçaient de les faire libérer.

Dans l’après-midi, l’oncle de William arriva au poste. C’était un homme âgé, calme et digne, qui n’était pas membre de l’Église. Il s’entretint avec la police, mais ne parvint pas à la persuader de libérer William. Les officiers déclarèrent que les saints représentaient une menace pour la sécurité nationale et qu’ils ne pouvaient pas être libérés.

Les heures passèrent et le soir arriva. Des amis de l’Église vinrent à la prison et implorèrent également la libération des prisonniers, mais les officiers les menacèrent de les arrêter à leur tour. Finalement, lorsqu’il devint clair que William et les autres saints passeraient la nuit en prison, ils se donnèrent la main et firent une prière.

Le lendemain matin, l’officier en chef du poste expliqua aux saints qu’il attendait de recevoir des ordres sur ce qu’il devait faire d’eux. William passa son temps à discuter avec les autres prisonniers. Certains avaient de la famille dans les environs et voulaient les contacter. Il mémorisa leurs adresses et promit de transmettre leurs messages. Il fut inspiré en pensant à l’apôtre Paul du Nouveau Testament et à ses emprisonnements pour l’amour de l’Évangile.

Un autre jour passa et, finalement, le mardi, William et les saints furent amenés devant l’officier en chef. Il leur dit qu’ils étaient libres et ne donna aucune explication. Il essayait d’avoir l’air aimable, mais les avertit qu’ils ne devaient parler à personne de leur arrestation.

Aucun d’eux ne répondit. Au comptoir, on leur remit leurs effets personnels et on les laissa partir.

En 1990, de retour en Utah, Darius Gray reçut un appel téléphonique de son amie Margery « Marie » Taylor, spécialiste de la généalogie afro-américaine à la Bibliothèque d’histoire familiale de l’Église à Salt Lake City. Elle venait de trouver des rouleaux de microfilms contenant d’importants documents afro-américains et elle débordait de joie. Elle lui dit : « Il faut absolument que vous veniez ici pour bien comprendre. »

Intrigué, Darius accepta d’aller la voir. La Bibliothèque d’histoire familiale était le plus grand centre généalogique du monde. Des centaines de milliers de personnes s’y rendaient chaque année. La première fois que Darius s’était rendu à la bibliothèque, il ne savait pas grand-chose de ses ancêtres, si ce n’est ce qu’il avait pu glaner dans les anecdotes familiales et les photographies. Marie l’avait aidé à trouver des réponses. Elle n’était pas noire, mais elle s’était révélée être une guide compétente en présentant à Darius des documents sur sa famille et sur l’histoire des Noirs aux États-Unis.

Lorsque Darius arriva à la Bibliothèque d’histoire familiale, Marie lui montra les documents qu’elle avait trouvés. La Freedman’s Savings and Trust Company avait été créée par le Congrès américain en 1865 afin d’assurer la sécurité financière des Afro-Américains anciennement esclaves ou nés libres. Plus de cent mille personnes avaient ouvert un compte auprès de la banque, mais elle avait fait faillite au bout de neuf ans, emportant avec elle les économies durement gagnées de ses clients.

Malgré l’échec de la banque, ses livres de comptes étaient d’une très grande valeur pour les généalogistes. Les descendants d’esclaves avaient souvent beaucoup de mal à trouver des renseignements sur leurs ancêtres. Les documents généralement utilisés pour trouver les noms de famille et les dates, tels que les annonces de cimetières, les registres électoraux et les certificats de naissance et de décès, n’existaient pas pour les personnes asservies ou étaient difficilement accessibles. En revanche, les registres de la Freedman’s Bank contenaient une multitude d’informations personnelles sur les titulaires de comptes, notamment le nom des membres de leur famille et le lieu où ils avaient été réduits en esclavage. Certains dossiers contenaient même des descriptions physiques des clients.

Darius comprit immédiatement l’importance de ces registres pour les Afro-Américains. Pourtant, ils présentaient une difficulté majeure pour les personnes qui souhaitaient faire des recherches. Les greffiers qui tenaient les registres avaient noté les noms et les détails des titulaires de comptes dans l’ordre dans lequel ils avaient ouvert leur compte, pas dans l’ordre alphabétique. Cela signifiait que les chercheurs devraient parcourir les registres ligne par ligne jusqu’à ce qu’ils trouvent les informations souhaitées. Il fallait les organiser mieux pour qu’ils soient utilisables.

Marie demanda à Darius si des membres du groupe Genesis pouvaient l’aider à transcrire et à indexer les documents, mais ils étaient déjà très occupés ou n’avaient pas d’ordinateur personnel. Darius écrivit à un des apôtres pour demander si l’Église pouvait apporter son aide. L’apôtre exprima son soutien, mais il expliqua que l’Église ne pouvait pas entreprendre ce projet. À l’époque, le siège de l’Église n’avait pas pour habitude de financer les projets d’extraction de noms. Les pieux et les paroisses s’occupaient de ce travail.

À court d’options, Marie eut une autre idée. Au cours des vingt-cinq dernières années, l’Église avait établi plus de mille deux cents centres d’histoire familiale dans quarante-cinq pays. Dans ces centres, des personnes membres de l’Église ou non en apprenaient plus sur leurs ancêtres. En général, les centres étaient rattachés à des pieux, mais Marie savait qu’un centre d’histoire familiale avait récemment ouvert ses portes à la prison d’État de l’Utah. Les détenus pouvaient y passer une heure par semaine. Et si Darius et elle les sollicitaient pour participer au projet Freedman’s Bank ?

Marie s’entretint avec le directeur de l’histoire familiale de la prison et bientôt, quatre détenus se portèrent volontaires et se mirent au travail.

En septembre 1990, Alice Johnson suivait des cours au Holy Child Teacher Training College à Takoradi, au Ghana. Plus d’un an s’était écoulé depuis que le gouvernement avait suspendu les opérations de l’Église dans le pays, mettant un terme brutal à sa mission. Au début, elle s’était sentie perdue, ne sachant pas quoi faire. Finalement, sur les conseils de sa sœur, elle avait décidé de devenir enseignante et avait été acceptée par l’université de formation pour l’année académique suivante.

Comme le gel persistait, mois après mois, Alice et les autres membres de l’Église s’habituaient au culte à domicile. Emmanuel Kissi, président du district d’Accra, était devenu le président de mission intérimaire et l’autorité ecclésiastique présidente du pays. Il parcourait le Ghana, rendant visite aux saints et les fortifiant. Le gouvernement avait autorisé les « services essentiels » de l’Église à rester ouverts temporairement, permettant à certains employés de l’Église de continuer à travailler dans les domaines de l’aide sociale, de l’éducation de l’Église et de la distribution. Les saints ne pouvaient pas payer la dîme ni faire d’offrandes, mais certains mettaient de côté leurs revenus, attendant patiemment le moment où ils pourraient à nouveau faire des dons.

Contrairement à William Acquah et aux saints brièvement emprisonnés à Cape Coast, Alice ne subit aucun ennui pendant le gel. Avec quelques amis, le dimanche, elle se rendait chez quelqu’un pour prendre la Sainte-Cène, prier et faire des discours. Ses parents, qui continuaient à accomplir leur mission sans porter de badge ni de tenues missionnaires, lui rendaient visite chaque fois qu’ils étaient dans la région. Pourtant, elle avait l’impression de stagner en attendant la reprise des réunions normales de l’Église.

Enfin, en novembre 1990, Alice apprit que le gouvernement avait levé l’interdiction qui pesait sur l’Église. Dès le début du gel, frère Kissi et d’autres saints avaient sollicité très régulièrement les représentants du gouvernement pour qu’ils mettent un terme aux restrictions. En réponse aux mensonges sur les enseignements de l’Église, ils avaient écrit de longues lettres expliquant la doctrine et l’histoire de l’Église, et avaient rencontré des dirigeants du gouvernement. Lorsque des autorités avaient mentionné l’ancienne restriction de l’Église concernant la prêtrise, les saints avaient expliqué que les membres noirs jouissaient des mêmes droits que tous les autres. D’autres Églises qui avaient été hostiles aux saints des derniers jours avaient également défendu le droit de culte des saints lorsqu’elles s’étaient rendu compte que le gel mettait en péril leur propre liberté religieuse.

Isaac Addy, responsable régional des affaires temporelles de l’Église au Ghana, avait joué un rôle clé dans la levée de l’interdiction. Il était le demi-frère aîné du président du Ghana, Jerry Rawlings. Les deux frères n’étaient plus en contact et Isaac n’avait pas voulu parler du gel avec Jerry. Un jour, cependant, Georges Bonnet, directeur des affaires temporelles pour l’Afrique, l’avait incité à prier jusqu’à ce que son cœur s’adoucisse à l’égard de son frère. Isaac le fit et l’Esprit toucha son cœur. Il accepta de voir Jerry. Ils s’entretinrent le soir même. À la fin de leur conversation, ils avaient résolu leurs différends. Le lendemain, le gouvernement décida de mettre fin au gel.

Alice était très émue lorsqu’elle retourna aux réunions publiques de l’Église pour la première fois depuis dix-huit mois. Près d’une centaine de saints assistèrent à la réunion de la branche de Takoradi ce jour-là. Elle dura plus de deux heures en raison du grand nombre de personnes qui vinrent témoigner.

Alice ressentit à la fois de l’excitation et de l’inquiétude en pensant aux convertis de sa mission à Koforidua. Elle se demandait s’ils étaient restés fidèles à l’Évangile pendant cette année et demie. Elle savait que des membres de l’Église s’étaient découragés et avaient renoncé à leur foi.

Peu après la fin du gel, les deux premiers pieux du Ghana furent organisés. À Cape Coast, Billy Johnson, le père d’Alice, fut appelé comme patriarche de pieu. En outre, le gouvernement autorisa les saints à reprendre l’œuvre missionnaire dans le pays. Grant Gunnell, le nouveau président de la mission d’Accra (Ghana) convoqua Alice pour un entretien. Il avait retrouvé soixante missionnaires qui œuvraient avant le gel et souhaitait savoir s’ils étaient disposés à retourner dans le champ de la mission.

Il demanda : « Voudriez-vous revenir et faire une mission à la fin de vos études ? »

Sans hésitation, elle répondit : « Non. Je veux servir immédiatement. »

Le président Grant fut surpris par sa réponse rapide.

Elle répéta : « Je veux servir immédiatement. » Sa priorité avait toujours été de servir Dieu et elle était prête à faire une pause dans ses études pour lui.

Bientôt, Alice revint dans le champ de la mission. Lorsqu’elle en avait informé son père, un homme qui avait consacré une grande partie de sa vie à prêcher l’Évangile rétabli, celui-ci n’avait pas été surpris.

Il avait déclaré : « Tu es bien ma fille. »

Darius Gray et Marie Taylor continuaient de se rendre régulièrement à la prison d’État d’Utah pour échanger avec les centaines de détenus qui participaient à l’extraction des renseignements généalogiques contenus dans les registres de la Freedman’s Bank.

Les volontaires travaillaient dans un centre d’histoire familiale situé juste à côté de l’église de la prison. Pour les voir, Darius et Marie devaient franchir un réseau de lourdes grilles métalliques, de portes verrouillées et de couloirs gardés. La première fois que Marie l’avait amené, Darius avait été un peu nerveux, surtout dans les zones où ils étaient entourés de prisonniers. Mais il venait maintenant régulièrement et s’y était habitué.

Lorsque le projet d’extraction avait été lancé, la recherche généalogique était en pleine mutation. Les ordinateurs remplaçaient rapidement les classeurs et les index imprimés, rendant le travail de collecte et d’accès aux données plus efficace. Pendant les années 1970 et 1980, l’Église avait adapté la nouvelle technologie à l’œuvre de l’histoire familiale et du temple. Au début des années 1990, elle avait mis au point TempleReady, un programme informatique qui permettait aux usagers des centres d’histoire familiale locaux, dont celui de la prison, de transmettre plus facilement des noms pour les ordonnances du temple.

Le centre d’histoire familiale où travaillaient les détenus disposait de plusieurs lecteurs de microfilms le long des murs. Marie avait travaillé en collaboration avec la bibliothèque d’histoire familiale pour obtenir une copie du microfilm de la Freedman’s Bank à conserver à la prison. Une fois que les volontaires avaient noté les renseignements de l’extraction sur un formulaire conçu spécialement pour le projet, ils l’apportaient dans une pièce adjacente et saisissaient ces renseignements dans une base de données informatique. Sous la direction de Marie, les volontaires vérifiaient chaque registre plusieurs fois. Deux volontaires procédaient séparément à l’extraction des mêmes renseignements, puis un troisième comparait les extractions au document original, s’assurant qu’elles étaient transcrites correctement.

Le responsable du centre d’histoire familiale de la prison purgeait une peine de prison à perpétuité. Il veillait à ce que le travail avance et soit bien organisé. Darius était impressionné par l’enthousiasme des volontaires et leur attention aux détails. Les responsables de la prison avaient été ravis de constater que les détenus qui procédaient à l’extraction des registres bancaires ne causaient généralement aucun problème aux autres prisonniers.

Le projet était accessible à tous les détenus éligibles, indépendamment de leurs convictions religieuses. Pendant que Darius et Marie servaient avec les volontaires, ils insistaient sur la nature spirituelle du projet. Les prisonniers qui avaient grandi dans l’Église comprenaient l’importance de la généalogie pour unir les familles pour l’éternité. Certains de ces hommes n’avaient eux-mêmes aucune chance de sortir de prison, mais ils trouvaient de la joie à œuvrer pour libérer d’autres personnes de la prison des esprits. Darius et Marie commençaient toujours leurs réunions dans la prison par une prière. Ils encourageaient les volontaires à prier à leur manière pendant qu’ils travaillaient sur le projet.

Parfois, un détenu venait demander à Darius une bénédiction de la prêtrise. Il acceptait toujours. Tandis qu’il servait ces hommes, qui avaient commis toutes sortes de crimes et de délits, il était frappé par la certitude qu’ils étaient des enfants de Dieu.

À cette époque, l’Église encourageait ses membres à transmettre les noms de leurs ancêtres au temple, mais ils pouvaient également transmettre les noms de personnes qui n’étaient pas de leur famille. Les détenus utilisaient régulièrement TempleReady pour préparer des noms du projet Freedman’s Bank pour les ordonnances du temple. Pour faciliter cette tâche, Marie avait créé un « dossier familial » du temple, qui portait le nom d’Elijah Able, l’un des premiers saints des derniers jours noirs. Le dossier était accessible aux usagers du temple aux États-Unis et en Afrique du Sud. Si les usagers souhaitaient accomplir des ordonnances pour une personne figurant dans les registres de la Freedman’s Bank, il leur suffisait de se rendre au temple et de demander un nom figurant dans le dossier familial.

En août 1992, Willy Sabwe Binene, âgé de vingt-trois ans, aspirait à une carrière dans l’ingénierie électrique. Ses études à l’Institut supérieur technique et commercial de Lubumbashi, une ville du Zaïre, en Afrique centrale, se déroulaient bien. Il venait de terminer sa première année et se réjouissait déjà à l’idée de reprendre les cours.

Pendant les vacances, Willy rentrait dans sa ville natale, Kolwezi, à quelque trois cents kilomètres au nord-ouest de Lubumbashi. Certains membres de sa famille et lui faisaient partie de la branche de Kolwezi. Après la révélation sur la prêtrise de 1978, l’Évangile rétabli s’était répandu au-delà du Nigeria, du Ghana, de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe, dans plus d’une dizaine d’autres pays d’Afrique : le Libéria, la Sierra Leone, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, la République du Congo, l’Ouganda, le Kenya, la Namibie, le Botswana, le Swaziland, le Lesotho, Madagascar et l’île Maurice. Les premiers missionnaires saints des derniers jours étaient arrivés au Zaïre en 1986. Le pays comptait désormais environ quatre mille saints.

Peu après son arrivée à Kolwezi, le président de branche de Willy le reçut en entretien. Il déclara : « Nous devons te préparer à partir en mission à plein temps. »

Surpris, Willy répondit : « Je dois continuer mes études. » Il expliqua qu’il lui restait trois ans pour obtenir un diplôme en ingénierie électrique.

Le président de branche renchérit : « Tu devrais d’abord partir en mission. » Il fit remarquer que Willy était le premier jeune homme de la branche à être éligible à une mission à plein temps.

Willy répéta : « Non, cela n’ira pas. Je vais tout d’abord terminer mes études. »

Les parents de Willy ne furent pas contents d’apprendre qu’il avait refusé l’invitation du président de branche. Sa mère, de nature réservée, lui demanda résolument : « Pourquoi remets-tu cela à plus tard ? »

Un jour, l’Esprit poussa Willy à rendre visite à son oncle, Simon Mukadi. En entrant dans son salon, il remarqua un livre posé sur une table. Quelque chose semblait l’attirer à lui. Il se rapprocha et lut le titre : Le miracle du pardon, la traduction française de l’ouvrage de Spencer W. Kimball The Miracle of Forgiveness. Intrigué, Willy prit le livre, l’ouvrit au hasard et commença à lire.

Le passage portait sur l’idolâtrie et Willy fut rapidement captivé. Frère Kimball expliquait que les gens ne se prosternaient pas seulement devant des dieux de bois, de pierre et d’argile, mais qu’ils adoraient aussi leurs propres biens. Et que certaines idoles n’étaient pas physiques.

Les mots le firent trembler comme une feuille. Il sentit que le Seigneur s’adressait directement à lui. En un instant, le désir de terminer ses études avant sa mission s’envola. Il alla voir son président de branche et lui dit qu’il avait changé d’avis.

Celui-ci lui demanda : « Quelle mouche t’a piqué ? »

Après que Willy lui raconta l’histoire, le président de branche prit un dossier de candidature missionnaire et lui dit : « D’accord ! Commençons par le commencement. »

Tandis que Willy se préparait à partir en mission, des violences éclatèrent dans la région. Le Zaïre se trouvait dans le bassin du fleuve Congo, en Afrique, où divers groupes ethniques et régionaux se battaient depuis des générations. Récemment, dans la province de Willy, le gouverneur avait exhorté le peuple katangais à évincer la minorité kasaïenne.

En mars 1993, la violence gagna Kolwezi. Les militants katangais rôdaient dans les rues, brandissant des machettes, des bâtons, des fouets et d’autres armes. Ils terrorisaient les familles kasaïennes et brûlaient leurs maisons, sans se soucier des personnes ou des biens qui s’y trouvaient. Craignant pour leur vie, de nombreux Kasaïens se cachaient ou fuyaient la ville.

Willy était Kasaïen. Il savait que ce n’était qu’une question de temps avant que les militants ne traquent sa famille. Pour la protéger, il mit de côté sa préparation à la mission pour aider sa famille à fuir vers Luputa, une ville kasaïenne située à environ cinq cent soixante kilomètres de là, où vivaient certains de ses proches.

Peu de trains quittaient le Katanga, si bien que des centaines de réfugiés avaient installé un camp tentaculaire autour de la gare. Lorsque Willy et sa famille arrivèrent au camp, ils n’eurent pas d’autre choix que de dormir à la belle étoile jusqu’à ce qu’ils puissent trouver un abri. L’Église, la Croix-Rouge et d’autres organisations humanitaires étaient sur place pour fournir de la nourriture, des tentes et des soins médicaux aux réfugiés. Néanmoins, en l’absence d’installations sanitaires adéquates, le camp empestait les déchets humains et les ordures brûlées.

Au bout de quelques semaines dans le camp, la famille Binene apprit qu’un train pourrait transporter une partie des femmes et des enfants hors de la région. La mère et les quatre sœurs de Willy décidèrent de monter dans le train avec d’autres membres de la famille. Pendant ce temps, Willy aida son père et son grand frère à réparer un wagon de marchandises délabré. Une fois qu’il fut en état de marche, ils l’attelèrent à un train et quittèrent le camp.

Lorsqu’il arriva à Luputa quelques semaines plus tard, Willy ne put s’empêcher de comparer la ville à Kolwezi. C’était une petite ville sans accès à l’électricité. Là-bas, sa formation en génie électrique ne lui était donc d’aucune utilité pour trouver un emploi. Il ne s’y trouvait pas non plus de branche de l’Église.

Il se demanda : « Qu’allons-nous pouvoir faire ici ? »

Un soir de 1995, Darius et Marie se rendirent avec plusieurs amis au temple de Jordan River, à South Jordan, en Utah, pour procéder à des scellements pour des familles figurant dans les registres de la Freedman’s Bank. Le groupe comptait une vingtaine de personnes, mais ils avaient besoin de l’aide de personnes supplémentaires dans le temple. Toute la soirée, ils scellèrent des familles que l’esclavage avait cruellement séparées.

Avant de se rendre au temple, Darius et Marie en avaient informé les détenus. Darius avait choisi le temple de Jordan River parce qu’il était le plus proche de chez lui, mais il était également le plus proche de la prison.

Ce soir-là, plusieurs détenus travaillant sur le projet se rassemblèrent à une fenêtre dans un coin de la prison. Elle était étroite, mais elle offrait une vue sur la vallée du lac Salé, notamment sur le temple de Jordan River.

Les volontaires ne pouvaient pas être présents, mais ils soutenaient silencieusement Darius et Marie dans leur travail sacré.

En mai 1997, le gouvernement du Zaïre s’effondra après des années de guerre et de troubles politiques. Le président Mobutu Sese Seko, qui contrôlait le pays depuis plus de trente ans, était sur le point de mourir et était désormais impuissant à empêcher la chute de son régime. Les forces armées du Rwanda, voisin du Zaïre à l’est, étaient entrées dans le pays à la recherche de rebelles exilés de sa propre guerre civile. D’autres pays d’Afrique de l’Est les avaient rapidement imités, s’associant finalement à d’autres groupes pour chasser le président affaibli, le remplacer par un nouveau dirigeant et rebaptiser le pays « République démocratique du Congo » (RDC).

L’Église avait continué de fonctionner dans la région tandis que le conflit faisait rage. Environ six mille saints vivaient en RDC. La mission de Kinshasa couvrait cinq pays avec dix-sept missionnaires à plein-temps. En juillet 1996, plusieurs couples de la région parcoururent plus de deux mille huit cents kilomètres pour recevoir leurs bénédictions du temple dans le temple de Johannesburg (Afrique du Sud). Quelques mois plus tard, le 3 novembre, les dirigeants de l’Église organisèrent le pieu de Kinshasa, le premier de la RDC et le premier pieu francophone d’Afrique. Il y avait également cinq districts et vingt-six branches réparties dans toute la mission.

À Luputa, Willy Binene, désormais âgé de vingt-sept ans, espérait toujours faire une mission à plein temps, malgré le tumulte qui agitait son pays. Il exprima son espoir à Ntambwe Kabwika, un conseiller dans la présidence de la mission, qui lui donna une réponse décevante.

Il lui dit : « Mon frère, la limite d’âge est de vingt-cinq ans. Il n’est plus possible de t’envoyer en mission. » Puis, essayant de le réconforter, il ajouta : « Tu es encore jeune. Tu peux faire des études, te marier. »

Cela ne consolait pas Willy. Il était terriblement déçu. Il semblait injuste que son âge l’empêche de faire une mission. Ne pouvait-on pas faire une exception, particulièrement après tout ce qui lui était arrivé ? Il se demanda alors pourquoi le Seigneur l’avait inspiré à faire une mission. Il avait reporté ses études et sa carrière pour suivre cette impression. Pourquoi ?

Finalement, il se raisonna : « Cela ne doit pas te troubler. Tu ne peux pas condamner Dieu. » Il décida de rester où il était et de faire tout ce que le Seigneur demanderait de lui.

Plus tard, en juillet 1997, les saints de la branche de Luputa furent officiellement organisés en une branche. Willy fut appelé greffier financier et missionnaire de branche. Il réalisa que le Seigneur l’avait préparé à établir l’Église là où il était. Il se dit : « D’accord, ma mission est ici. »

Quelques autres saints de la branche de Luputa furent également appelés comme missionnaires de branche. Trois jours par semaine, Willy s’occupait de ses cultures. Le reste du temps, il faisait du porte-à-porte pour parler de l’Évangile. Ensuite, Willy lavait son unique pantalon pour qu’il soit propre le lendemain. Il ne savait pas exactement ce qui le poussait à prêcher l’Évangile avec autant de diligence, surtout lorsqu’il le faisait l’estomac vide. Mais il savait qu’il aimait l’Évangile et il voulait que son peuple, et un jour ses ancêtres, aient les mêmes bénédictions que lui.

Le travail était parfois difficile. Certaines personnes menaçaient les missionnaires de branche ou prévenaient leur voisinage de les éviter. Quelques personnes du village s’étaient même réunies pour détruire des exemplaires du Livre de Mormon. Ils disaient : « Brûlez le Livre de Mormon et l’Église disparaîtra. »

Pourtant, Willy voyait le Seigneur accomplir des miracles grâce à ses efforts. Une fois, quand son collègue et lui avaient frappé à une porte, celle-ci s’était ouverte sur une maison à l’odeur nauséabonde. De l’intérieur, ils entendirent une petite voix les appeler : « Entrez. Je suis malade. »

Willy et son collègue avaient peur d’entrer, mais ils le firent et trouvèrent un homme qui semblait dépérir. Ils lui demandèrent : « Pouvons-nous prier ? »

L’homme accepta et ils firent une prière, le bénissant pour que sa maladie le quitte. Ils lui dirent : « Nous reviendrons demain. »

Le lendemain, ils trouvèrent l’homme devant chez lui. Il déclara : « Vous êtes des hommes de Dieu. » Depuis leur prière, il s’était senti mieux. Il voulait sauter de joie.

Cet homme n’était pas encore prêt à se joindre à l’Église, mais d’autres l’étaient. Chaque semaine, Willy et les autres missionnaires rencontraient des gens, parfois des familles entières, qui voulaient adorer Dieu avec les saints. Certains samedis, ils baptisaient jusqu’à trente personnes.

L’Église commençait à grandir à Luputa.

Le 26 octobre 1999, Georges A. Bonnet attendait que Gordon B. Hinckley se lève. Une réunion portant sur les crédits budgétaires avec la Première Présidence, l’Épiscopat président, et divers administrateurs de l’Église et autorités générales venait de se terminer dans le bâtiment administratif de l’Église à Salt Lake City. Georges n’assistait généralement pas à cette réunion, il y remplaçait le directeur général du département des biens immeubles, mais il savait que la réunion ne serait vraiment terminée que lorsque le président Hinckley se lèverait et se dirigerait vers la porte.

Cependant, le prophète ne semblait pas vouloir bouger. Au lieu de cela, il regarda Georges droit dans les yeux et lui demanda : « Qu’allons-nous faire au sujet du temple du Ghana ? » Ses yeux imploraient une réponse.

Georges ne savait pas quoi dire. La question le prenait complètement au dépourvu. Près de dix ans plus tôt, alors qu’il était directeur des affaires temporelles en Afrique, il avait contribué à mettre fin au gel du gouvernement ghanéen sur toutes les activités de l’Église en encourageant Isaac Addy, membre de l’Église à Accra, à se réconcilier avec son demi-frère, le président ghanéen Jerry Rawlings, dont il s’était éloigné.

Georges avait gagné le respect des dirigeants de l’Église pour son travail au Ghana. Mais il avait maintenant un nouvel emploi dans l’Église, lequel n’avait aucun lien avec l’Afrique. La seule chose qu’il savait au sujet du temple du Ghana, c’était que le président Hinckley l’avait annoncé en février 1998.

Finalement, Georges répondit : « Je suis désolé, mais je ne suis pas impliqué dans le projet. »

Le président Hinckley resta assis, le suppliant toujours du regard. Il informa Georges que les travaux de construction du temple étaient au point mort. Au début, le gouvernement ghanéen semblait favorable au projet et l’Église avait acheté un terrain sur une artère principale d’Accra. Cependant, juste avant le début des travaux prévu en avril 1999, le gouvernement avait refusé de délivrer un permis de construire à l’Église. Personne ne savait pourquoi.

Après la réunion, Georges retourna au bâtiment administratif de l’Église avec H. David Burton, l’évêque président, et Keith B. McMullin, son deuxième conseiller. Ils étaient impatients de savoir ce que l’Église devait faire, selon Georges, pour obtenir l’autorisation de construire le temple d’Accra.

L’un d’eux demanda : « Cela vous dérangerait-il d’aller au Ghana ? »

Georges répondit : « Pas du tout. J’en serais ravi. »

Quelques semaines plus tard, Georges arriva au Ghana et y trouva l’Église florissante. Au moment du gel, il y avait près de neuf mille membres de l’Église et aucun pieu au Ghana. À présent, dix ans plus tard, le pays comptait cinq pieux et plus de dix-sept mille membres. Ces membres priaient avec ferveur pour que le projet de construction de la maison du Seigneur avance. Quand le président Hinckley s’était rendu au Ghana en 1998, les saints s’étaient levés et avaient poussé des acclamations lorsqu’il avait annoncé le temple. Personne n’aurait pu anticiper ce retard.

À Accra, Georges rencontra l’architecte du temple, les avocats de l’Église et des représentants du gouvernement. Il y rencontra aussi Glenn L. Pace, président de l’interrégion d’Afrique de l’Ouest, qui était reconnaissant de l’aide que Georges venait apporter. Georges voyait bien que frère Pace était profondément contrarié par la situation. Néanmoins, il avait encore de l’espoir. Récemment, les saints d’Afrique de l’Ouest avaient fait un jeûne spécial pour le temple et frère Pace pensait qu’un changement se profilait à l’horizon.

Après une semaine de réunions, Georges prolongea son séjour d’une semaine pour faire point. Selon ses interlocuteurs, des représentants de l’Église avaient malencontreusement offensé l’Assemblée métropolitaine d’Accra (AMA), l’organisme gouvernemental qui approuvait les projets de construction au sein de la ville. L’AMA estimait que les représentants s’étaient montrés trop insistants et arrogants pendant le processus d’approbation du permis. Il semblait également y avoir une certaine opposition de la part du président Rawlings, qui n’était plus en bons termes avec son frère malgré leur réconciliation pendant le gel.

Georges fit part à frère Pace de ce qu’il avait appris et ils préparèrent ensemble un rapport pour l’Épiscopat président. Ensuite, Georges rentra en Utah, le rapport en main, satisfait d’avoir fait sa part au Ghana.

Le 10 août 2000, Georges Bonnet se sentait très seul. Neuf mois après son séjour au Ghana, il se rendait de nouveau dans ce pays, cette fois-ci en tant que directeur des affaires temporelles de l’Église dans l’interrégion d’Afrique de l’Ouest. Sa femme, Carolyn, et trois de leurs enfants prévoyaient de le rejoindre sous peu à Accra. Mais pour le moment, il était seul.

La construction du temple d’Accra était au point mort et les dirigeants de l’Église espéraient que Georges, de par sa réputation de dirigeant averti et attentif en Afrique, pourrait faire avancer le projet. Ressentant le poids de sa mission, Georges désirait ardemment être à la hauteur des défis qui l’attendaient. Il sonda son âme et médita sur Jésus-Christ et son sacrifice expiatoire.

Il écrivit dans son journal : « Je crois fermement aux pouvoirs de l’Expiation pour apporter la paix à l’âme, mais il existe, sans aucun doute, d’autres pouvoirs et bénédictions découlant de l’Expiation dont je n’ai pas encore fait l’expérience. »

Une fois arrivé à Accra, Georges avait rapidement compris que l’obtention d’un permis de construire pour le temple n’était que l’une des nombreuses préoccupations majeures qui exigeraient son attention en Afrique de l’Ouest.

Au départ, il était persuadé de pouvoir faire face à la charge de travail, laquelle comprenait d’autres grands projets de construction ainsi qu’un temple à Aba, au Nigéria. Il pensa : « J’ai déjà travaillé ici. J’en suis capable. » Lorsque sa famille le rejoignit, il se sentit moins seul.

Cependant, un mois plus tard, il n’était plus aussi sûr de lui. Ses nombreuses autres responsabilités ne lui laissaient que peu de temps pour s’occuper du permis de construire du temple d’Accra. Alors que les saints du Ghana se préparaient fidèlement à entrer dans la maison du Seigneur, personne, dans l’Église ou en dehors, ne semblait savoir comment sortir de cette impasse. La seule chose sur laquelle les gens s’accordaient était que Jerry Rawlings, le président du Ghana, était à l’origine de ce retard.

Se sentant impuissant, Georges pria. Il dit : « Il y a trop de problèmes, trop de complications. Seigneur, de quelle manière veux-tu que je procède ? Je ferai tout ce que tu voudras. Je serai un instrument entre tes mains, mais je ne peux pas y arriver seul. »

Peu de temps après, Georges commença à collaborer avec le bureau de la première dame du Ghana pour organiser des projets d’aide humanitaire. Il espérait que cela permette à la famille Rawlings de mieux connaître l’Église et sa mission. Il commença également à jeûner tous les dimanches.

À la mi-novembre 2000, Georges était optimiste. Il était de plus en plus convaincu qu’Isaac Addy, le frère du président, jouerait un rôle majeur pour sortir de l’impasse, tout comme il l’avait fait pendant le gel. Mais il hésitait à demander à Isaac d’aller voir le président au nom de l’Église.

Les frères s’étaient réconciliés pendant le gel, mais cette réconciliation avait été de courte durée. Isaac, le frère aîné, redoutait de demander une nouvelle faveur. Cependant, June, sa femme, l’avait encouragé à faire confiance à Jésus-Christ pour l’aider à rétablir sa relation avec son frère. Ainsi, malgré sa peine, Isaac assura à Georges qu’il était prêt à parler du temple avec Jerry.

Le 3 décembre, Isaac appela chez les Bonnet pour annoncer de bonnes nouvelles. Un assistant du président [Rawlings] avait pris contact avec lui pour lui poser des questions sur le temple. Il avait dit que le président était disposé à soutenir le projet à condition que l’Église apporte quelques modifications mineures à l’agencement du site. C’était un dimanche de jeûne, et Georges et Isaac n’avaient pas mangé de la journée. Toutefois, plutôt que de rompre leur jeûne ce soir-là, ils se rendirent ensemble sur le site du temple pour déterminer si les exigences du président étaient raisonnables.

En parcourant les lieux, ils estimèrent qu’ils pourraient s’y conformer. Georges dit : « Isaac, c’est ici que le temple sera construit. Demandons à notre Père céleste d’intervenir. »

Agenouillés, ils firent une prière pour demander au Seigneur de bénir leurs efforts. Ils ressentirent l’Esprit avec puissance et appelèrent immédiatement l’assistant du président pour lui dire qu’ils étaient prêts à négocier. Georges et Isaac étaient tous deux confiants quant à l’issue de cette conversation.

Deux jours plus tard, Isaac rencontra son frère en privé à Osu Castle, la résidence présidentielle du Ghana. Juste avant la réunion, Georges appela Isaac pour lui rappeler de dire à son frère qu’il l’aimait. Georges rentra ensuite chez lui et pria. Il fit les cent pas en attendant des nouvelles d’Isaac. Ne recevant aucun appel, Georges décida d’aller patienter sur le site du temple. Une demi-heure plus tard, son téléphone sonna enfin.

Isaac lui dit d’une voix jubilatoire : « C’est réglé. » Jerry et lui parlèrent du temple pendant dix minutes. Ils consacrèrent ensuite le reste du temps à discuter et à ressasser des souvenirs du passé en lien avec leur famille. À la fin de leur discussion, ils souriaient, riaient et pleuraient ensemble. Jerry avait dit que l’Église pouvait commencer la construction du temple immédiatement.

Isaac lui avait demandé s’il fallait d’abord consulter le comité d’urbanisme de la ville.

Le président avait rétorqué : « Ne t’en fais pas pour ça. Je m’en occupe. »

le 26 février 2001, Darius Gray et Marie Taylor se trouvaient dans un auditorium bondé de la bibliothèque d’histoire familiale de Salt Lake City. Au-devant de la salle, Henry B. Eyring, un apôtre, exposait le projet de la Freedman’s Bank à plus d’une centaine de journalistes et d’invités de marque.

Après onze ans de travail, Darius, Marie et plus de 550 volontaires de la prison d’État d’Utah avaient fini d’extraire les renseignements concernant les 484 083 Afro-Américains dont les noms figuraient dans les archives. Depuis peu, l’Église avait commencé à apporter un soutien technique et financier au projet, et les renseignements étaient maintenant consultables et accessibles aux personnes effectuant des recherches sur CD-ROM ainsi que dans tous les centres d’histoire familiale de l’Église.

Frère Eyring annonça : « Pour les Afro-Américains, les archives de la Freedman’s Bank représentent le plus grand recueil connu de documents généalogiques. Dans un avenir proche, nous espérons également fournir gratuitement la base de données sur le site Internet de généalogie de l’Église, FamilySearch.org. »

Durant les jours précédant cette annonce, Darius avait rencontré des dirigeants du département de l’œuvre de l’histoire familiale pour planifier la parution de la base de données. Il se dit : « Nous allons y arriver. Cela va vraiment se faire. »

L’issue du projet n’avait pas toujours été certaine. Très tôt, l’extraction de noms pour l’œuvre du temple était devenue un aspect motivant du projet. Cependant, au milieu des années 1990 l’Église commença à dissuader activement les membres de transmettre au temple les noms de personnes qui n’appartenaient pas à leur famille. Ce changement était une mesure importante et nécessaire pour respecter les familles des défunts, mais il entraîna un ralentissement du projet. Par conséquent, Darius et Marie redirigèrent leur attention sur la création d’un outil de recherche pour aider les Afro-Américains à trouver leurs ancêtres.

Les détenus finirent l’extraction des noms en octobre 1999. Après cela, ils vérifièrent soigneusement leurs transcriptions et, malgré trois semaines de confinement au sein de la prison, ils achevèrent le travail à la mi-juillet 2000.

Lorsqu’ils eurent terminé, un détenu qui avait contribué à coordonner le projet fut rempli d’émotion. Il ne s’attendait pas à ce que ce travail le touche autant. Il avait lu des récits déchirants de pères et de mères réduits en esclavage après avoir été arrachés à leur famille. D’autres documents mentionnaient des personnes tuées par balle. L’un des registres dont il avait extrait les données racontait l’histoire d’un bébé esclave qui ne portait pas de nom et avait été échangé contre du matériel agricole.

De nombreux détenus vécurent des expériences similaires et cela changea leur vie. Un jour, le coordinateur découvrit un volontaire en pleurs. « Je n’en reviens pas de la façon dont ces gens ont été traités », déclara le détenu. Posant une main sur l’épaule de cet homme, le coordinateur remarqua un tatouage comportant les initiales d’un groupe prônant la suprématie de la race blanche.

Maintenant que les données étaient extraites, Darius et Marie devaient trouver un moyen de les rendre accessibles au plus grand nombre, mais ils ne disposaient pas des ressources nécessaires. Un site Internet de généalogie populaire proposa d’acquérir les données pour des dizaines de milliers de dollars, mais Darius et Marie refusèrent, estimant qu’il serait injuste de tirer profit du travail des détenus. Au lieu de cela, ils en firent don à l’Église afin qu’elle les mette à la disposition de toutes les personnes désireuses de les utiliser.

Lors de la sortie du CD-ROM, qui fut diffusée à Washington et dans onze autres villes des États-Unis, Darius et Marie parlèrent du projet. Darius expliqua que les annales racontaient de nombreuses histoires douloureuses et déplaisantes. Il déclara aux journalistes : « Je pense que, souvent, nous craignons de parler de race, mais la race est une réalité. Nous devrions prendre part à l’histoire ensemble. »

À ses yeux, la famille était au cœur du projet. Il poursuivit : « Ces histoires nous permettent de comprendre à quel point la famille était importante. Même dans l’environnement hostile de l’esclavage, les gens s’efforçaient de garder une trace les uns des autres. Ils y consacraient beaucoup d’efforts, ils gardaient une trace les uns des autres. »

Marie confirma cela. Elle raconta : « Quand j’ai découvert les archives de la Freedman’s Bank, j’ai imaginé des Afro-Américains brisant les chaînes de l’esclavage et tissant des liens familiaux. » Elle espérait maintenant que ces archives continueraient à unir les familles.

Elle affirma : « C’est la raison pour laquelle nous faisons cela. »

Dans l’après-midi du 10 janvier 2004, Georges A. Bonnet se réunit avec le président Hinckley, Russell M. Nelson et des milliers de saints d’Afrique de l’Ouest dans un stade d’Accra, au Ghana. Le prophète était venu dans la ville pour consacrer le nouveau temple. Mais avant la consécration, il avait demandé aux enfants et aux adolescents des pieux et districts du Ghana de célébrer l’événement par un spectacle culturel composé de musique et de danses joyeuses. Il avait la conviction que ce type de célébrations accompagnant la consécration d’un temple aidaient les jeunes à se forger des souvenirs inoubliables et à développer leur intérêt pour l’Église.

Après la prière d’ouverture, des groupes vêtus de costumes colorés se produisirent sur une grande scène ornée de magnifiques fresques murales. Certains participants interprétèrent des chants. D’autres exécutèrent des danses ghanéennes, comme l’Adowa et le Kpanlogo, ou jouèrent de la musique traditionnelle avec des tambours et des flûtes en bambou.

L’un des moments forts de l’après-midi eut lieu lorsque les missionnaires montèrent sur scène et chantèrent le cantique missionnaire « Appelés à servir ». Puis, huit cent cinquante enfants de la Primaire, tous vêtus de blanc, montèrent sur l’estrade pour chanter « Je suis enfant de Dieu » avec les missionnaires.

Le lendemain matin, Georges se réveilla avec un sentiment de gratitude. Le jour de la consécration était enfin arrivé. À neuf heures, il se joignit au président Hinckley et à frère Nelson dans la salle céleste pour la première session de consécration. Celle-ci commença par la cérémonie de la pierre angulaire, dirigée par le président Hinckley. Puis, l’intendante et le président du temple prirent la parole, suivis de Russell M. Nelson. Ce fut ensuite le tour d’Emmanuel Kissi, désormais soixante-dix d’interrégion, qui avait dirigé les saints ghanéens pendant le gel politique.

Dans son discours, frère Kissi rendit hommage à Joseph William Billy Johnson, qui se trouvait dans l’assemblée. Il évoqua également d’autres saints qui avaient permis à l’Église de croître rapidement au Ghana.

Il affirma : « Nos rêves sont devenus réalité. »

Vers la fin de la session, le président Hinckley parla avec humilité de l’aide du Seigneur pour construire le temple. Il témoigna : « Le Seigneur a entendu nos prières. Il a entendu vos prières. Il a entendu les prières de nombreuses personnes et le temple est maintenant achevé. »

Puis, le prophète consacra le bâtiment. Dans sa prière, il dit : « Nous te remercions de la fraternité qui existe entre nous et du fait que ni la couleur de la peau ni le pays de naissance ne peuvent nous séparer, nous, tes fils et tes filles, qui avons contracté des alliances sacrées qui nous engagent. Que ton œuvre se répande dans ce pays ainsi que dans les pays voisins. »

Plus tard dans la journée, au cours de la troisième session de consécration, le président Hinckley invita Georges à prendre la parole. Surpris, celui-ci s’approcha de la chaire. Il témoigna : « Je veux que vous sachiez que notre Dieu est un Dieu de miracles. Des miracles se produisent grâce à la foi, et beaucoup, beaucoup ont exercé leur foi par la prière et d’autres formes de culte pour que ce grand jour se produise. »

Il ajouta : « Je crois que la consécration d’un temple en Afrique de l’Ouest est peut-être l’un des événements les plus importants depuis l’expiation de Jésus-Christ et le rétablissement de toutes choses. Des millions d’Africains qui sont décédés se réjouissent avec nous aujourd’hui. »

Après la consécration, Georges se joignit au président Hinckley, à frère Nelson, à frère Kissi et à d’autres personnes pour rendre visite à John Kufuor, le successeur de Jerry Rawlings à la présidence du Ghana. Depuis sa prise de fonction au début de l’année 2001, le président Kufuor et son administration avaient apporté leur aide et leur soutien pendant la construction du temple. En 2002, le président du Ghana avait rendu visite à la Première Présidence, à Salt Lake City, pour se renseigner sur l’Église et remercier les saints des derniers jours pour leurs contributions humanitaires et religieuses au Ghana. Il avait aussi assisté aux récentes visites guidées du temple d’Accra où on lui avait fait découvrir le bâtiment. Il avait été impressionné par ce qu’il avait vu.

Il déclara au président Hinckley : « Votre Église a obtenu la citoyenneté ghanéenne. »

Au début de l’année 2006, Willy Binene était impatient de s’installer à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, pour poursuivre sa formation en ingénierie électrique. Pendant treize ans, il avait travaillé comme agriculteur dans le village de Luputa, à quelque mille cinq cents kilomètres de la ville.

Il s’était marié à une jeune femme nommée Lilly, qu’il avait baptisée alors qu’il était missionnaire de branche. Ils avaient eu deux enfants. Depuis deux ans, Lilly et les enfants vivaient à Kinshasa pendant que Willy s’efforçait de gagner suffisamment d’argent pour les rejoindre et reprendre ses études.

Le 26 mars, le président de la mission, William Maycock, organisa le premier district de Luputa et demanda à Willy d’en être le président. Malgré ses incertitudes, Willy abandonna son projet de déménagement et accepta l’appel. Peu après, Lilly et les enfants revinrent à Luputa tandis que Willy commençait à assumer ses nouvelles responsabilités avec leur soutien.

Il n’était que l’un des nombreux saints qui acceptaient des appels à diriger l’Église en Afrique. Près de trente ans après l’arrivée des premiers missionnaires à plein temps au Ghana et au Nigeria, l’Église comptait plus de deux cent mille membres sur le continent. Il y avait désormais des pieux en République démocratique du Congo, au Kenya, en République du Congo, au Ghana, en Côte d’Ivoire, au Libéria, à Madagascar, au Nigeria, en Afrique du Sud et au Zimbabwe. Le besoin en dirigeants locaux forts, fermement ancrés dans les enseignements du Sauveur et de son Église rétablie, était constant.

Norbert Ounleu, un Ivoirien, s’était joint à l’Église en 1995, alors qu’il était étudiant à l’université. Deux ans plus tard, il était devenu évêque dans le premier pieu organisé en Côte d’Ivoire. Trois ans plus tard, il avait été appelé président de pieu lorsque ce dernier avait été divisé. Cinq ans plus tard, sa femme, Valerie, et lui avaient été appelés à diriger la nouvelle mission d’Abidjan, en Côte d’Ivoire.

À la même époque, Abigail Ituma, ancienne journaliste et animatrice de radio, était présidente de la Société de Secours dans sa paroisse de Lagos, au Nigeria. Sociable et enjouée, elle aimait donner le sourire aux personnes autour d’elle. Parmi les femmes de sa paroisse, beaucoup ne venaient plus à l’église, alors elle s’était donné la mission de les ramener. Elle avait demandé à l’une d’entre elles d’être sa deuxième conseillère et, bientôt, elles passaient des heures ensemble à rencontrer les sœurs et à les inviter à l’église.

Abigail croyait au pouvoir des relations interpersonnelles. Le dimanche, elle et ses conseillères n’avaient de cesse de présenter des leçons sur les visites d’enseignement. Au début, personne ne semblait intéressé par le programme. Abigail avait persévéré et, après un certain temps, de plus en plus de femmes commençaient à servir leurs sœurs. L’assistance aux réunions de la Société de Secours augmentait.

Pendant ce temps, au Kenya, Joseph et Gladys Sitati étaient connus pour leur service dans l’Église et leur dévouement à Jésus-Christ. Avant leur baptême, en mars 1986, les Sitati n’étaient pas une famille religieuse. Ils avaient parfois fréquenté des églises chrétiennes locales, mais ne s’étaient jamais sentis nourris spirituellement. Joseph passait souvent ses dimanches à travailler ou à jouer au golf.

Leur engagement dans l’Évangile rétabli avait tout changé. La famille Sitati s’était sentie bien dans l’Église et, comme celle-ci était devenue un élément central de leur vie, ils avaient commencé à passer plus de temps ensemble. Joseph avait été président de branche et de district pendant de nombreuses années. Il avait contribué à la reconnaissance officielle de l’Église au Kenya en 1991. En 2001, quand le pieu de Nairobi avait été organisé, il avait été appelé à le présider. En avril 2004, trois ans plus tard, il était devenu soixante-dix d’interrégion. Gladys, quant à elle, avait été présidente de la Société de Secours de branche et avait enseigné à l’École du Dimanche, à la Primaire, aux Jeunes Filles, à la Société de Secours et au séminaire.

En 1991, la famille Sitati s’était rendue au temple de Johannesbourg, en Afrique du Sud, et était devenue la première famille kényane à être scellée pour le temps et pour l’éternité.

Plus tard, Joseph déclara : « En réfléchissant à ce que nous avions vécu, il nous est tous apparu clairement qu’une personne ne peut pas commencer à comprendre la véritable signification de l’Évangile de Jésus-Christ avant d’avoir été scellée dans le temple. »

En août 2005, quarante-deux saints camerounais parcoururent huit cents kilomètres pour se rendre dans le temple nouvellement consacré d’Aba, au Nigeria. Les pluies récentes rendirent les routes non pavées boueuses, mais les saints avaient continué à avancer, même lorsqu’ils avaient dû pousser leurs camionnettes de location dans une profonde couche de gadoue. Malgré la difficulté du voyage, celui-ci demeurait plus court et moins coûteux qu’un voyage au temple au Ghana ou en Afrique du Sud. Les saints camerounais accueillirent avec enthousiasme les bénédictions de la dotation et du scellement.

Au début de l’année 2006, Willy Binene était impatient de s’installer à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, pour poursuivre sa formation en ingénierie électrique. Pendant treize ans, il avait travaillé comme agriculteur dans le village de Luputa, à quelque mille cinq cents kilomètres de la ville.

Il s’était marié à une jeune femme nommée Lilly, qu’il avait baptisée alors qu’il était missionnaire de branche. Ils avaient eu deux enfants. Depuis deux ans, Lilly et les enfants vivaient à Kinshasa pendant que Willy s’efforçait de gagner suffisamment d’argent pour les rejoindre et reprendre ses études.

Le 26 mars, le président de la mission, William Maycock, organisa le premier district de Luputa et demanda à Willy d’en être le président. Malgré ses incertitudes, Willy abandonna son projet de déménagement et accepta l’appel. Peu après, Lilly et les enfants revinrent à Luputa tandis que Willy commençait à assumer ses nouvelles responsabilités avec leur soutien.

Il n’était que l’un des nombreux saints qui acceptaient des appels à diriger l’Église en Afrique. Près de trente ans après l’arrivée des premiers missionnaires à plein temps au Ghana et au Nigeria, l’Église comptait plus de deux cent mille membres sur le continent. Il y avait désormais des pieux en République démocratique du Congo, au Kenya, en République du Congo, au Ghana, en Côte d’Ivoire, au Libéria, à Madagascar, au Nigeria, en Afrique du Sud et au Zimbabwe. Le besoin en dirigeants locaux forts, fermement ancrés dans les enseignements du Sauveur et de son Église rétablie, était constant.

Norbert Ounleu, un Ivoirien, s’était joint à l’Église en 1995, alors qu’il était étudiant à l’université. Deux ans plus tard, il était devenu évêque dans le premier pieu organisé en Côte d’Ivoire. Trois ans plus tard, il avait été appelé président de pieu lorsque ce dernier avait été divisé. Cinq ans plus tard, sa femme, Valerie, et lui avaient été appelés à diriger la nouvelle mission d’Abidjan, en Côte d’Ivoire.

À la même époque, Abigail Ituma, ancienne journaliste et animatrice de radio, était présidente de la Société de Secours dans sa paroisse de Lagos, au Nigeria. Sociable et enjouée, elle aimait donner le sourire aux personnes autour d’elle. Parmi les femmes de sa paroisse, beaucoup ne venaient plus à l’église, alors elle s’était donné la mission de les ramener. Elle avait demandé à l’une d’entre elles d’être sa deuxième conseillère et, bientôt, elles passaient des heures ensemble à rencontrer les sœurs et à les inviter à l’église.

Abigail croyait au pouvoir des relations interpersonnelles. Le dimanche, elle et ses conseillères n’avaient de cesse de présenter des leçons sur les visites d’enseignement. Au début, personne ne semblait intéressé par le programme. Abigail avait persévéré et, après un certain temps, de plus en plus de femmes commençaient à servir leurs sœurs. L’assistance aux réunions de la Société de Secours augmentait.

Pendant ce temps, au Kenya, Joseph et Gladys Sitati étaient connus pour leur service dans l’Église et leur dévouement à Jésus-Christ. Avant leur baptême, en mars 1986, les Sitati n’étaient pas une famille religieuse. Ils avaient parfois fréquenté des églises chrétiennes locales, mais ne s’étaient jamais sentis nourris spirituellement. Joseph passait souvent ses dimanches à travailler ou à jouer au golf.

Leur engagement dans l’Évangile rétabli avait tout changé. La famille Sitati s’était sentie bien dans l’Église et, comme celle-ci était devenue un élément central de leur vie, ils avaient commencé à passer plus de temps ensemble. Joseph avait été président de branche et de district pendant de nombreuses années. Il avait contribué à la reconnaissance officielle de l’Église au Kenya en 1991. En 2001, quand le pieu de Nairobi avait été organisé, il avait été appelé à le présider. En avril 2004, trois ans plus tard, il était devenu soixante-dix d’interrégion. Gladys, quant à elle, avait été présidente de la Société de Secours de branche et avait enseigné à l’École du Dimanche, à la Primaire, aux Jeunes Filles, à la Société de Secours et au séminaire.

En 1991, la famille Sitati s’était rendue au temple de Johannesbourg, en Afrique du Sud, et était devenue la première famille kényane à être scellée pour le temps et pour l’éternité.

Plus tard, Joseph déclara : « En réfléchissant à ce que nous avions vécu, il nous est tous apparu clairement qu’une personne ne peut pas commencer à comprendre la véritable signification de l’Évangile de Jésus-Christ avant d’avoir été scellée dans le temple. »

En juin 2008, Willy, Lilly et leurs trois enfants prirent le bus depuis Luputa en direction de l’aéroport de Mbuji-Mayi, à environ cent soixante kilomètres au nord de chez eux. De là, ils s’envolèrent pour Kinshasa, y passèrent la nuit et prirent un autre avion pour l’Afrique du Sud. Le voyage était long, mais les enfants étaient heureux. La famille se rendait au temple de Johannesbourg pour être scellée pour l’éternité.

Cela faisait deux ans que Willy avait été appelé président du district de Luputa et que sa famille l’avait rejoint. En revenant dans le village, Lilly avait ouvert une école maternelle. Face à son succès immédiat, elle l’avait transformée en école primaire. Willy avait mis de côté son rêve de devenir ingénieur en génie électrique pour commencer une formation d’infirmier dans un hôpital local. Il avait trouvé un équilibre entre le travail et les exigences de son appel, et il s’appuyait sur ses conseillers dans la présidence de district tandis que tous trois découvraient leurs nouvelles responsabilités, formaient les dirigeants locaux et veillaient sur les saints.

Depuis peu, la présidence assumait des tâches supplémentaires pour contribuer à un projet de trois ans, financé par l’Église, visant à acheminer de l’eau potable à Luputa. Les habitants de la ville dépendaient depuis longtemps de divers étangs, sources et fossés de drainage pour s’approvisionner en eau. Deux fois par jour, les femmes et les enfants parcouraient au moins deux kilomètres pour se rendre à l’un de ces endroits, recueillir de l’eau dans le récipient qu’ils avaient apporté, puis la rapporter chez eux. Ces sources d’eau regorgeaient de parasites dangereux et presque tout le monde connaissait quelqu’un, souvent un petit enfant, qui était mort à cause de l’eau contaminée. Parfois aussi, les femmes étaient agressées tandis qu’elles allaient et venaient à la source.

Depuis de nombreuses années, l’ADIR, une organisation humanitaire basée en RDC, souhaitait rendre l’eau potable accessible aux deux cent soixante mille habitants de Luputa et ses environs. Cependant, la meilleure solution résidait dans un réseau de sources situées à flanc de colline, à trente-quatre kilomètres de là, et l’ADIR ne disposait pas des deux millions six cent mille dollars nécessaires pour construire les canalisations. Récemment, le directeur général de l’organisation avait entendu parler de Latter-day Saint Charities et avait pris contact avec les missionnaires humanitaires locaux pour envisager une collaboration.

Créée en 1996 sous la direction de la Première Présidence, l’organisation caritative Latter-day Saint Charities soutenait chaque année des centaines de projets humanitaires de l’Église à travers le monde. Même si les projets de l’organisation variaient en fonction des besoins, ses actions les plus récentes portaient essentiellement sur la vaccination, la fourniture de fauteuils roulants, les soins de la vue, les soins aux nourrissons et l’accès à l’eau potable. Lorsqu’on apprit la nécessité d’installer une canalisation d’eau à Luputa, Latter-day Saint Charities octroya les fonds nécessaires, et des bénévoles de Luputa et d’autres collectivités voisines acceptèrent de fournir la main-d’œuvre.

À la présidence de district, Willy et ses conseillers travaillaient avec l’ADIR et Daniel Kazadi, un saint des derniers jours local engagé comme contrôleur de site. Ils s’étaient également portés volontaires pour participer au chantier.

En atterrissant à Johannesbourg, la famille Binene mit de côté ses préoccupations du quotidien pour se concentrer sur la maison du Seigneur. À l’aéroport, ils furent accueillis par une famille qui les conduisit à la maison d’hôtes du temple. Plus tard, Willy et Lilly entrèrent dans le temple, déposèrent leurs enfants à la garderie mise en place par l’Église, et revêtirent des vêtements blancs.

Avant de quitter Luputa, ils avaient étudié le séminaire de préparation au temple de l’Église, Dotés d’en haut, et lu La maison du Seigneur, écrit par l’apôtre James E. Talmage. Pourtant, en arrivant au temple, ils furent un peu désorientés, en effet, tout était nouveau et personne ne parlait français. Communiquant à l’aide de gestes, ils comprirent où aller et quoi faire.

Plus tard, dans la salle de scellement, c’est au comble de la joie qu’ils retrouvèrent leurs trois enfants. Vêtus de blanc, ils ressemblaient à des anges. Willy fut parcouru de frissons. Il lui sembla que sa famille n’était plus sur terre. C’était comme s’ils étaient en la présence de Dieu.

« Waouh », dit-il.

Lilly avait également l’impression d’être dans les cieux. Le fait de savoir qu’ils étaient liés pour l’éternité semblait décupler l’amour qu’ils ressentaient les uns pour les autres. Ils étaient désormais inséparables. Pas même par la mort.

En septembre 2010, les habitants de Luputa, en République démocratique du Congo, avaient presque fini de poser les tuyaux de leur canalisation d’eau potable parrainée par l’Église. S’adressant à un journaliste, le président du district, Willy Binene, souligna l’importance de la construction.

Il dit : « L’homme peut vivre sans électricité. Mais le manque d’eau potable est un fardeau presque trop lourd à porter. »

Que le journaliste le sache ou non, Willy parlait par expérience. Lorsqu’il étudiait le génie électrique, il n’avait jamais aspiré à vivre à Luputa, une ville sans électricité. Ses projets avaient changé, et il avait réussi à vivre sans électricité et même à s’épanouir. Cependant, sa famille et lui, ainsi que toutes celles de la région, avaient souffert des effets douloureux des maladies transmises par l’eau. À l’église, par mesure de sécurité, ils devaient même acheter de l’eau potable en bouteille pour la Sainte-Cène au prix de sacrifices.

Dorénavant, moyennant quelques efforts supplémentaires, Luputa allait changer. Dès le début du projet, les habitants de chaque quartier de la ville et de ses environs s’étaient vus attribuer des jours de main-d’œuvre sur la canalisation. Ces jours-là, les camions de l’ADIR, l’organisation qui gérait le projet, arrivaient tôt dans le quartier pour conduire les bénévoles sur le chantier.

Au regard de son appel de président de district, Willy voulait être un dirigeant modèle. Les jours où son quartier était affecté au chantier, il mettait de côté son travail d’infirmier pour aller creuser. Des kilomètres de collines et de vallées séparaient Luputa de la source d’eau potable. La canalisation utilisant la gravité, les bénévoles avaient dû creuser la tranchée et enterrer le tuyau de manière à ce que l’eau s’écoule correctement.

Willy et les autres bénévoles avaient tout creusé à la main. La tranchée devait faire quarante-cinq centimètres de large et un mètre de profondeur. À certains endroits, le sol était sablonneux et le travail avançait rapidement. À d’autres, un enchevêtrement de racines d’arbres et de rochers le rendait éreintant. Les bénévoles ne pouvaient que prier pour que les feux de brousse et les nids d’insectes piqueurs ne ralentissent pas leur progression. Dans des conditions idéales, ils creusaient près de cent cinquante mètres de tranchée en une journée.

Les saints du district de Luputa étaient à l’œuvre sur des créneaux spéciaux en plus de ceux de leur quartier. Ces jours-là, les hommes de l’Église se joignaient aux bénévoles réguliers pour creuser la tranchée tandis que les femmes de la Société de Secours préparaient le repas des ouvriers.

L’engagement des saints au projet fit connaître leur foi. Les habitants de la région voyaient l’Église comme une institution qui s’occupait non seulement de ses membres, mais aussi de la collectivité.

En novembre 2010, lorsque la construction des canalisations fut achevée, de nombreuses personnes se rendirent à Luputa pour assister à l’arrivée de l’eau. Des citernes immenses, perchées sur de hauts pilotis, avaient été construites dans la ville pour stocker l’eau des canalisations. Pourtant, certains se demandaient si les canalisations transporteraient suffisamment d’eau pour remplir les réservoirs. Willy lui-même avait des doutes.

Puis les vannes furent ouvertes et tout le monde entendit le grondement de l’eau se déversant dans les citernes. Une joie immense s’empara de la foule. Des dizaines de petites stations d’eau en béton, chacune équipée de plusieurs robinets, distribuaient désormais de l’eau propre dans toute la ville.

Pour fêter l’événement, la ville organisa des festivités qui attirèrent quinze mille personnes de Luputa et des villages voisins. Parmi les invités d’honneur, on nota la présence de dignitaires du gouvernement et de chefs de tribus, de responsables de l’ADIR, et d’un membre de la présidence d’interrégion d’Afrique du Sud-Est de l’Église. Sur l’un des réservoirs d’eau était accrochée une grande banderole portant une inscription en lettres d’un bleu éclatant :

MERCI À L’ÉGLISE
MERCI À L’ADIR
POUR L’EAU POTABLE

Pendant que les invités arrivaient et prenaient place sous des belvédères édifiés pour l’occasion, un chœur de jeunes saints des derniers jours chantait des cantiques.

Lorsque tout le monde fut installé et que le silence régna, Willy, en tant que représentant local de l’Église, saisit un micro pour s’adresser à l’auditoire. Il déclara : « Tout comme Jésus a accompli de nombreux miracles, aujourd’hui, c’est un miracle que l’eau soit arrivée à Luputa. » Il expliqua à la foule que l’Église avait financé la canalisation pour l’ensemble de la communauté et il exhorta tout le monde à en faire bon usage.

Quant aux personnes qui se demandaient pourquoi l’Église s’intéressait tant à un endroit comme Luputa, il donna une réponse simple :

« Nous sommes tous enfants de notre Père céleste. Nous devons faire du bien à tout le monde. »

(Les saints, quatrième tome, 2024)