La
restriction concernant la prêtrise
vécue
de l'intérieur de l'Église
Survol de l'histoire récente des Noirs dans l'Église
(1954-2010)
Au
début de l’année 1954, le président McKay
quitta les États-Unis en compagnie de sa femme pour rendre
visite aux saints en Europe, en Afrique du Sud et en Amérique
du Sud. La première fois qu’il avait visité les
missions de l’Église dans le monde, en 1920-1921,
accompagné de Hugh Cannon, il s’était rendu
compte des besoins et des préoccupations des membres de
partout. Cette fois-ci, dans le cadre de son périple, il était
particulièrement préoccupé par la mission
d’Afrique du Sud. L’Église était implantée
dans le pays depuis plus de cent ans. Toutefois, elle était
confrontée à une pénurie de dirigeants en raison
des restrictions qui empêchaient les personnes d’origine
africaine de détenir la prêtrise ou de recevoir les
ordonnances du temple.
Ces
restrictions avaient toujours présenté des défis
particuliers en Afrique du Sud. Les missionnaires rencontraient
souvent des hommes qui ne savaient pas s’ils avaient des
ascendances mixtes africaines et européennes. On se demandait
alors s’ils pourraient être ordonnés à la
prêtrise. Finalement, la Première Présidence
décida que tous les futurs détenteurs de la prêtrise
du pays devaient confirmer leur éligibilité en prouvant
que leurs plus anciens ancêtres sud-africains s’étaient
installés en Afrique et n’y étaient pas nés.
Cette
méthode prenait beaucoup de temps et était souvent
source de frustration. Certains dirigeants potentiels de branche ou
de district étaient issus de familles qui vivaient en Afrique
du Sud depuis bien avant la tenue de registres généalogiques.
D’autres avaient dépensé des sommes considérables
pour rechercher leur lignée familiale mais s’étaient
retrouvés bloqués. En conséquence, le président
de mission, Leroy Duncan, décida d’appeler des
missionnaires pour diriger les assemblées dans lesquelles les
hommes dignes ne pouvaient pas prouver leur ascendance.
Il
informa la Première Présidence : « Il n’y a
eu que cinq hommes ordonnés à la Prêtrise de
Melchisédek au cours des cinq dernières années.
L’œuvre progresserait plus rapidement si un plus grand
nombre de nos frères bons et fidèles détenaient
la prêtrise. »
Le
président McKay espérait s’attaquer au problème
dès son arrivée en Afrique du Sud. Pourtant, il restait
conscient des tensions dans le pays dues aux divisions raciales.
L’Afrique du Sud était gouvernée par une minorité
blanche qui avait récemment commencé à adopter
des lois oppressives visant à traiter les Noirs et les
personnes « de couleur » (ou métis) comme des
citoyens de seconde zone, totalement séparés des
Blancs.
Ce
système de lois, connu sous le nom d’apartheid, faisait
de la ségrégation raciale stricte un élément
central de la société sud-africaine. En réfléchissant
à ce problème, le président McKay devait prendre
en compte la pratique de l’Église consistant à
agir conformément aux lois du pays. Il comprenait également
que même un changement inspiré des restrictions
concernant la prêtrise et le temple pourrait susciter la colère
de membres de l’Église blancs et des personnes
étrangères à leur religion.
En
janvier 1954, le couple McKay arriva en Afrique du Sud. Ils passèrent
plusieurs jours avec les saints du pays. Le président McKay
prit le temps de parler avec autant de personnes qu’il le
pouvait, en particulier celles qui semblaient réservées
ou en marge de la foule. Au Cap, il serra la main de Clara Daniels et
de sa fille, Alice, qui avaient été, des années
auparavant, les membres fondateurs de la branche de l’amour.
William Daniels, mari de Clara et président de la branche,
était décédé en 1936. Depuis, les deux
femmes, qui faisaient partie des rares saints métis d’Afrique
du Sud, étaient restées fidèles.
Pendant
ses voyages, le président McKay pria sincèrement pour
savoir ce qu’il fallait faire concernant les restrictions
relatives à la prêtrise dans le pays. Il observa
attentivement les membres de l’Église et réfléchit
aux difficultés qu’ils rencontraient. Il comprenait que
si l’Église continuait d’exiger des détenteurs
potentiels de la prêtrise en Afrique du Sud qu’ils
trouvent leurs origines en dehors du continent, les branches
risquaient de ne pas avoir suffisamment de dirigeants locaux pour
faire avancer l’œuvre de l’Église.
Le
dimanche 17 janvier, il parla des restrictions concernant la prêtrise
et le temple lors d’une réunion avec les missionnaires
au Cap. Sans faire de déclaration ferme sur l’origine de
cette pratique, il reconnut que plusieurs hommes noirs avaient détenu
la prêtrise sous les présidences de Joseph Smith et de
Brigham Young. Il parla également de ses difficultés à
accepter ces restrictions lors de son tour du monde en 1921 et il
raconta qu’il avait sollicité le président Grant
en faveur d’un saint noir d’Hawaï qui souhaitait
recevoir la prêtrise.
Face
à l’assemblée de missionnaires, il dit : «
Je me suis assis et j’ai parlé à ce frère.
Je lui ai assuré qu’un jour il recevrait toutes les
bénédictions auxquelles il avait droit, car le Seigneur
est juste et ne fait pas acception de personne. »
Le
président McKay ne savait pas quand ce jour viendrait, et il
affirma que la restriction resterait en vigueur jusqu’à
ce que le Seigneur révèle le contraire. Toutefois, il
ressentait que quelque chose devait changer.
Il
déclara : « Dans la mission d’Afrique du Sud, il y
a des hommes dignes qui sont privés de la prêtrise
simplement parce qu’ils ne peuvent pas retrouver leur
généalogie hors de ce pays. J’ai le sentiment que
c’est une injustice qui est commise à leur égard.
» Il ajouta qu’à partir de ce moment-là,
les membres dont l’ascendance n’était pas sûre
n’auraient plus à la prouver pour recevoir la prêtrise.
Avant
de quitter l’Afrique du Sud, le président McKay répéta
que le jour viendrait où les personnes d’origine
africaine recevraient toutes les bénédictions de la
prêtrise. Des Noirs d’autres pays manifestaient déjà
un intérêt accru pour l’Évangile rétabli.
Quelques années plus tôt, plusieurs Nigériens
avaient écrit au siège de l’Église pour
obtenir des renseignements. D’autres demandes avaient suivi.
À
cette période, de nombreux Noirs du monde entier cherchaient
l’égalité, souvent en contestant la légalité
de la ségrégation. Tandis que leurs actions marquaient
la société, de plus en plus de personnes interrogeaient
sincèrement les dirigeants de l’Église concernant
les restrictions.
L’ouverture
de la mission du Sud de l’Extrême-Orient en 1955 montrait que la
Première Présidence et le Collège des douze apôtres désiraient étendre
l’œuvre missionnaire à de nouvelles régions, en particulier l’Asie et
l’Amérique du Sud. L’Afrique, cependant, présentait un obstacle
particulier. Depuis le début des années 1850, l’Église n’autorisait pas
les personnes d’origine noire africaine à détenir la prêtrise ni à
recevoir les ordonnances de la dotation et du scellement du temple.
Ainsi, elle n’avait entrepris que peu d’œuvre missionnaire sur ce
continent. Pourtant, de temps à autre, les dirigeants de l’Église
recevaient des lettres de personnes d’Afrique de l’Ouest exprimant leur
intérêt pour l’Évangile rétabli.
En
1958, LaMar Williams, âgé de quarante-sept ans, travaillait au bureau
du département de l’œuvre missionnaire de l’Église à Salt Lake City.
Lorsque des dirigeants de pieu ou de mission avaient besoin de
documentation sur l’Église ou d’un support visuel, comme une
photographie, il le leur envoyait. Si quelqu’un demandait des
renseignements sur l’Église, il lui envoyait de la documentation ainsi
que des indications pour prendre contact avec les missionnaires les
plus proches.
LaMar
ne traitait pas toutes les demandes personnellement, mais il demandait
à sa secrétaire de l’avertir lorsqu’une demande était inhabituelle.
C’est
ainsi qu’il entendit parler du Nigeria. Un jour, sa secrétaire lui
apporta une demande émanant d’un révérend, Honesty John Ekong, d’Abak,
au Nigeria. Honesty John avait reçu d’un pasteur protestant une
brochure sur l’histoire de Joseph Smith et il avait rempli un
formulaire demandant plus de renseignements sur l’Église, une visite
des missionnaires et l’adresse du lieu de culte des saints des derniers
jours le plus proche.
LaMar
ne savait pas exactement où se situait le Nigeria. Sa secrétaire et lui
trouvèrent le pays, en Afrique de l’Ouest, grâce à une carte dans son
bureau. Ils surent immédiatement que cette demande serait difficile à
exaucer. Les seules assemblées du continent se trouvaient à des
milliers de kilomètres, à l’extrémité sud. Il ne pouvait donc pas
envoyer de missionnaires ni donner l’adresse d’un lieu de culte. Il
savait également que si Honesty John était noir, il pourrait se faire
baptiser, mais pas recevoir la prêtrise.
Il
pensa : « Nous devons répondre prudemment. » Il emballa quelques
brochures et livres de l’Église, dont six exemplaires du Livre de
Mormon, et les envoya à l’adresse d’Honesty John.
Le
révérend répondit un peu plus tard, disant : « Je vous remercie pour
les beaux cadeaux que vous m’avez envoyés. » LaMar déduisit de la
lettre que l’homme faisait partie d’une assemblée croyant en l’Évangile
rétabli.
Au
cours des mois suivants, LaMar et Honesty John échangèrent des lettres
qui traversaient l’Atlantique. Honesty John invita son interlocuteur à
venir au Nigeria pour instruire son assemblée. LaMar voulait accepter,
mais il savait qu’il faudrait du temps pour que la Première Présidence
autorise quelqu’un à se rendre au Nigeria. Toutefois, il informa les
dirigeants de l’Église de la soif d’apprendre des Nigériens et continua
à correspondre avec Honesty John et d’autres personnes qui avaient
également pris contact avec lui.
En
février 1960, LaMar écrivit à Honesty John pour lui demander s’il avait
accès à un magnétophone. Si l’Église n’appelait pas de missionnaires au
Nigeria, il pourrait au moins envoyer des enregistrements de leçons sur
l’Évangile au révérend et à son assemblée. Malheureusement, celui-ci
n’avait pas le matériel nécessaire ni l’argent pour s’en procurer. Il
joignit à sa lettre une photographie. On y voyait un jeune homme noir
assis entre ses deux jeunes enfants. Il portait un costume et une
cravate, et avait un regard sérieux.
Honesty
John fit savoir à LaMar que son assemblée avait commencé à s’appeler
l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Ils
souhaitaient ardemment rencontrer LaMar et être membres de l’Église.
Honesty John écrivit à LaMar : « Si chaque âme avait des ailes, tous
voudraient voler jusqu’à Salt Lake City pour vous écouter et vous voir
en personne. »
LaMar
répondit : « Je suis honoré que vous souhaitiez que je vienne au
Nigeria. Il faudrait pour cela que la présidence de l’Église me confie
une telle responsabilité. »
Il
poursuivit : « Je suis reconnaissant de la confiance que vous
m’accordez et de votre grand désir de servir votre peuple. Je ferai
tout ce qu’il est possible de faire par correspondance. »
Quelques
mois après le retour du président McKay aux États-Unis, la Première
Présidence reçut une note de LaMar Williams concernant les dizaines de
lettres que des personnes au Nigeria lui avaient écrites. Il déclara :
« Si l’Évangile doit être prêché à ce grand nombre de personnes, qui
sont certainement des enfants de Dieu, il me semble que c’est le moment
opportun pour considérer le début de l’œuvre. »
Le
président McKay connaissait l’intérêt des Nigérians pour l’Évangile
rétabli. L’année précédente, il avait demandé à Glen Fisher, un
président de mission revenant d’Afrique du Sud, de se rendre au
Nigeria. Ce dernier avait fait un rapport favorable sur le niveau de
préparation du pays à l’œuvre missionnaire, donnant au président McKay
beaucoup à réfléchir avant même l’arrivée de la note de LaMar.
Le
1er juillet 1961, le président McKay présenta le sujet lors d’une
réunion de la Première Présidence et du Collège des douze apôtres. Les
restrictions concernant la prêtrise seraient un sérieux obstacle à
l’œuvre missionnaire au Nigeria. Il compara la situation au dilemme
auquel les apôtres d’autrefois avaient été confrontés lorsqu’ils
s’interrogeaient sur la proclamation de l’Évangile aux Gentils. Les
apôtres n’avaient pas agi avant que Pierre ait reçu une révélation de
Dieu.
Le
président McKay avait interrogé le Seigneur à propos des restrictions
concernant la prêtrise, mais il n’avait pas reçu de réponse claire. Il
n’avait pas l’intention d’ouvrir une mission au Nigeria avant de
connaître la volonté du Seigneur.
Toutefois,
il pensait que LaMar avait raison. L’Église avait besoin de plus de
renseignements. Il proposa d’envoyer des représentants de l’Église dans
le pays pour évaluer la foi des habitants. Les apôtres soutinrent cette
proposition après en avoir discuté.
Peu
après la conférence générale d'octobre 1961, LaMar Williams monta à bord d’un avion
pour le Nigeria. Il avait mis un appareil photo et un magnétophone dans
ses bagages afin de pouvoir plus tard montrer les visages et faire
écouter les voix des personnes qu’il avait rencontrées à la Première
Présidence. Son compagnon de voyage était un missionnaire de vingt ans,
Marvin Jones, qui se rendait dans la mission d’Afrique du Sud.
Leur
destination était Port Harcourt, une ville côtière, où une foule
composée de presque toutes les personnes ayant échangé des lettres avec
LaMar les attendaient. Honesty John Ekong, dont les lettres avaient été
les premières à attirer l’attention de LaMar sur l’Afrique, manquait à
l’appel.
En
saluant ses amis, LaMar fut surpris de constater qu’ils ne se
connaissaient pas tous. Il pensait qu’ils avaient travaillé ensemble.
Parmi le groupe se trouvait un dénommé Matthew Udo-Ete, qui avait écrit
le plus grand nombre de lettres à LaMar. Il guida les visiteurs vers sa
petite maison, où une foule de personnes s’était rassemblée pour les
écouter parler. L’air était plus chaud et plus humide que tout ce à
quoi LaMar était habitué. Toutefois, pendant deux heures, il instruisit
les gens et répondit à leurs questions sur l’Église.
Lors
de son premier dimanche au Nigeria, LaMar s’adressa à une autre foule
dans la chapelle de Matthew. Des personnes avaient parcouru de nombreux
kilomètres pour l’entendre parler. Il parla de la Divinité, de
l’Apostasie et du rétablissement de l’Évangile par l’intermédiaire de
Joseph Smith. Il exposa les restrictions concernant la prêtrise et dit
qu’il était venu au Nigeria pour savoir si ses amis seraient toujours
intéressés par l’Église même s’ils ne pouvaient pas détenir la prêtrise.
Lorsqu’il
termina de parler, il redonna la parole à Matthew pour clôturer la
réunion. Soudain, des personnes de l’assemblée prirent la parole dans
une langue que LaMar ne comprenait pas. Il se tourna vers Matthew pour
qu’il traduise.
Celui-ci dit : « Certaines personnes veulent rendre leur témoignage. »
LaMar
fut surpris. Il pensait que l’assemblée serait fatiguée et aurait
peut-être faim. Pourtant, pendant les trois heures suivantes, les gens
rendirent témoignage.
Parmi
eux, il y avait un vieil homme aux cheveux grisonnants, vêtu d’une
chemise blanche et d’un tissu rose enroulé autour de ses jambes. Il
était pieds nus. Il commença : « J’ai soixante-cinq ans et je suis
malade. Ce matin, j’ai marché vingt-six kilomètres pour venir ici. »
Il
continua : « Je n’ai pas vu le président McKay, ni Dieu. Mais je vous
ai vu et je vous demande personnellement de retourner voir le président
McKay et de lui dire que notre désir est sincère. »
Une femme demanda simplement à LaMar : « Permettrez-vous que notre amour pour l’Église soit vain ? »
Un
peu plus d’une semaine plus tard, dans la ville d’Uyo, LaMar rencontra
enfin Honesty John Ekong. Il apprit que son ami avait parcouru près de
deux cents kilomètres pour l’accueillir à l’aéroport, mais l’avait
malgré tout manqué. Honesty John montra à LaMar les murs de sa maison.
Ils étaient décorés avec des articles et des photos d’Autorités
générales provenant de magazines de l’Église.
LaMar
était sans cesse impressionné par la foi des Nigérians. Il apprit
qu’environ cinq mille personnes réparties dans près de cent assemblées
désiraient se joindre à l’Église. Pourtant, il ne voyait pas comment
faire progresser l’œuvre tant que les restrictions concernant la
prêtrise et le temple existaient. Il voulait promettre à ses nouveaux
amis que l’œuvre missionnaire avait de l’avenir dans leur pays, mais il
savait qu’il n’était pas autorisé à le faire.
Dans
son journal, il écrivit : « Ils insistent, disant que si je fais ma
part en présentant mon rapport à la Première Présidence, l’Église
viendra au Nigeria. Ils ne se rendent pas compte de mon insignifiance
dans l’analyse finale d’une telle décision. »
Néanmoins, il avait de l’espoir. Il nota : « Heureusement, tout est possible avec l’aide du Seigneur. »
Le 11 janvier 1963, le Deseret News publiait un titre inattendu à la une : « L’Église ouvre l’œuvre missionnaire au Nigeria. »
L’annonce
fut publiée quelques jours seulement après le retour d’Afrique de
l’Ouest de l’apôtre N. Eldon Tanner et de son épouse, Sara. Pendant son
voyage de deux semaines, frère Tanner avait parlé avec plusieurs
dirigeants du Nigeria, rencontré des centaines d’amis de l’Église et
consacré le pays à la prédication de l’Évangile rétabli. Une fois le
couple Tanner de retour en Utah, le président McKay appela LaMar
Williams et quelques autres personnes à servir en qualité de
missionnaires au Nigeria dès qu’ils obtiendraient un visa.
Charles
Agu, dirigeant d’un groupe d’amis de l’Église à Aba, au Nigeria, se
réjouit de la nouvelle. Son assemblée était composée de plus de 150
personnes et s’agrandissait sans cesse. Lorsque LaMar était venu dans
le pays, en 1961, Charles s’était lié d’amitié avec lui et l’avait
accompagné pendant une partie de son voyage. Son assemblée et lui
comprenaient bien l’Évangile et avaient une foi inébranlable dans le
Rétablissement. Avant que LaMar ne retourne aux États-Unis, Charles
avait enregistré un message pour le président McKay. Il témoignait : «
Nous croyons que cette Église possède toute la révélation et la
prophétie requises par Dieu pour guider son peuple dans la voie de la
justice. Nous ne rejetterons donc pas cette Église parce que la
prêtrise nous est refusée. »
Depuis,
Charles et LaMar avaient échangé de nombreuses lettres. Charles était
impatient que son ami revienne pour établir officiellement l’Église en
Afrique de l’Ouest. En février 1963, il écrivit : « Nous tous ici
attendons ce moment avec impatience. »
Charles
comprenait qu’il ne pourrait pas être président de branche une fois
l’Église établie au Nigeria, car il ne détiendrait pas la prêtrise.
Cependant, frère Tanner, alors apôtre, avait expliqué lors de sa visite
que Charles et d’autres nigériens continueraient à guider leurs
assemblées en tant que dirigeants de district ou de groupe non
ordonnés. Les saints nigérians rempliraient également tous les appels
qui ne nécessitaient pas d’ordination à la prêtrise.
Chaque
semaine, Charles s’attendait à apprendre que LaMar était en route pour
le Nigeria. Pourtant, dans presque toutes les lettres qu’il envoyait,
LaMar indiquait qu’il attendait que le gouvernement nigérian lui
accorde son visa. Personne ne comprenait les raisons de ce retard.
Puis,
en mars, Charles tomba sur un article concernant l’Église dans un
journal appelé Nigerian Outlook [Perspectives nigérianes]. Il racontait
l’histoire d’un étudiant nigérian qui avait assisté à une réunion de
saints des derniers jours en Californie. Lors de la réunion, l’homme
avait été choqué d’apprendre les restrictions de la prêtrise et les
raisons avancées pour les expliquer.
Dans
son article, il avait écrit : « Je ne crois pas en un Dieu dont les
adeptes prêchent la supériorité d’une race sur l’autre. » Il estimait
que laisser l’Église s’établir dans le pays nuirait à la réputation du
Nigeria.
Quelques
années seulement s’étaient écoulées depuis que le Nigeria avait obtenu
son indépendance de la Grande-Bretagne. L’article reflétait la méfiance
généralisée à l’égard des influences extérieures sur le pays. Croyant
que l’article avait un rapport avec le retard du visa, Charles l’envoya
à LaMar. Il pensait que la présence d’un représentant officiel du siège
de l’Église permettrait de limiter les dégâts causés par l’article
LaMar
n’était pas du même avis. Les dirigeants de l’Église avaient proposé
d’ouvrir une mission au Nigeria parce que des milliers de Nigériens
avaient patiemment et constamment cherché l’Évangile rétabli. Si
quelqu’un devait défendre l’Église au Nigeria, LaMar pensait que ce
devrait être un croyant local. Il écrivit : « Je suis sûr que grâce à
vos prières et à l’inspiration, vous ferez et direz les choses qui
convaincront les dirigeants politiques de notre sincérité. »
Charles
s’entretint avec Dick Obot, un autre ami de l’Église nigérien.
Ensemble, ils publièrent une annonce sur l’Église dans le Nigerian
Outlook. Ils y témoignaient du rétablissement de l’Évangile de
Jésus-Christ par l’intermédiaire de Joseph Smith, le prophète, du rôle
de la révélation moderne dans l’établissement de la doctrine, et du
souci de l’Église pour le bien-être temporel et spirituel de tous les
peuples.
Charles
espérait que cette annonce contribuerait à changer l’état d’esprit et
le cœur des gens au sujet des saints. Avant de trouver l’Église, il
fumait, buvait de l’alcool et menait une vie dissipée. À présent, il
avait changé.
Il dit à LaMar : « J’ai trouvé la joie, la progression professionnelle et des bénédictions sans nombre. »
En
juin 1964, Darius Gray, âgé de dix-huit ans, remarqua
qu’une nouvelle famille s’était installée
dans le quartier. En passant devant chez eux, il vit un groupe
d’enfants qui jouaient dehors.
L’un
d’eux s’écria : « Nous sommes la famille Felix !
nous sommes mormons ! »
Darius,
Afro-Américain, avait grandi en fréquentant diverses
Églises avec ses parents, y compris des Églises à
prédominance noire. Son intérêt pour la religion
l’avait amené à étudier le catholicisme,
le judaïsme, l’islam et le bahaïsme. Il vivait tout
proche de l’Utah, dans l’État voisin du Colorado,
mais il ne savait pas grand-chose des saints des derniers jours. Il
était certain de ne jamais en avoir rencontré.
Au
fil des mois, il apprit à connaître la nouvelle famille.
John Felix était opérateur radio amateur et il enseigna
le code morse à Darius. Barbara, la femme de John, était
plus désireuse de parler de sa religion. Ses enfants et elle
lui remirent un exemplaire du Livre de Mormon. D’abord réticent
à l’accepter, il le prit par amour pour les livres et
commença finalement à le lire.
Les
mots du Livre de Mormon parlèrent à son âme et il
invita les missionnaires chez lui. Son père était
décédé quelques années plus tôt,
alors il vivait seul avec sa mère, Elsie. Fervente chrétienne,
elle était toujours disposée à parler aux gens
d’autres confessions. Darius ne pensait pas que la présence
des missionnaires la dérangerait.
Pourtant,
lors du rendez-vous, elle resta dans sa chambre. Une fois les jeunes
hommes partis, elle appela son fils.
Elle
déclara : « Je ne veux pas que ces deux hommes
reviennent chez nous. »
Darius
demanda : « Pourquoi pas ? »
Elle
répondit : « C’est ma maison, je ne les veux pas
ici. »
Darius
savait qu’il valait mieux ne pas insister, mais il lui était
difficile de laisser tomber. Finalement, lorsqu’il l’interrogea
à nouveau pour comprendre pourquoi elle s’opposait à
la présence des missionnaires, elle expliqua qu’elle en
avait accueilli chez elle par le passé. Ils venaient à
peine d’entrer quand l’un d’eux lui avait demandé
si elle était noire.
Elle
avait répondu : « Oui, bien sûr. »
Les
deux hommes étaient alors partis sans explication. Depuis,
elle avait eu une mauvaise opinion de l’Église.
Ce
récit perturba Darius. Il croyait sa mère tout en se
demandant si cette expérience négative était un
cas isolé.
Il
continua d’étudier avec les missionnaires. Bientôt,
il décida de se joindre à l’Église. La
veille de son baptême, il interrogea les missionnaires sur les
enseignements de l’Église par rapport à la race.
Il se demandait en quoi cela le concernait.
Pendant
un moment, ce fut le silence. Puis, l’un des missionnaires se
leva et marcha lentement vers un coin de la pièce, tournant le
dos à Darius. L’autre répondit : « Eh bien,
frère Gray, la conséquence principale est que vous ne
pourrez pas détenir la prêtrise. »
Darius
se sentit bête tout à coup. Il pensa : « Maman
avait raison. » Comment pouvait-il se joindre à l’Église
maintenant ? Il connaissait trop bien le sentiment d’être
traité différemment à cause de sa couleur de
peau et il refusait de se considérer inférieur à
qui que ce soit.
Ce
soir-là, Darius s’installa dans son lit et s’enroula
dans sa couverture. Il croyait en Dieu et au salut par
l’intermédiaire de Jésus-Christ. Jusqu’à
aujourd’hui, il avait cru tout ce que les missionnaires lui
avaient enseigné. Il ne savait plus quoi faire. Comment
concilier sa foi avec ce qu’il venait d’apprendre sur les
restrictions relatives de la prêtrise ?
Il
ouvrit une fenêtre et appuya sa tête sur le rebord. L’air
de la nuit remplissant ses poumons, il pria. Ensuite, il ferma la
fenêtre et essaya de dormir. Se tournant et retournant, il se
dit qu’il devait prier à nouveau. Il rouvrit la fenêtre
et commença à prier.
Cette
fois-ci, il entendit une voix claire lui parler. « C’est
là l’Évangile rétabli, tu dois l’accepter.
»
Darius
sut immédiatement quoi faire. Le lendemain, il entra dans les
eaux du baptême et devint membre de l’Église de
Jésus-Christ des saints des derniers jours.
En 1965,
LaMar Williams essayait toujours d’obtenir un visa permanent pour le
Nigeria. Il souhaitait ardemment remplir ses responsabilités de
détenteur de la prêtrise qui préside dans le pays, mais comment y
arriver si le gouvernement refusait de le laisser entrer ?
Depuis
son premier voyage au Nigeria en 1961, il n’avait pu obtenir qu’un seul
autre visa de courte durée, qui lui avait permis de retourner dans le
pays pendant deux semaines en février 1964. À l’époque, lui et ses
amis, Charles Agu et Dick Obot, avaient demandé au gouvernement
d’autoriser la présence de missionnaires au Nigeria. Le fonctionnaire
décisionnaire avait refusé de les recevoir.
LaMar
était retourné en Utah, profondément frustré par ces échecs. Pourtant,
il refusait d’abandonner ses amis d’Afrique de l’Ouest. Il participa à
la création d’une bourse scolaire permettant à plusieurs étudiants
nigérians d’aller à l’université Brigham Young. Les étudiants
arrivèrent au début de l’année 1965. Deux d’entre eux, Oscar Udo et
Atim Ekpenyong se joignirent à l’Église.
Pendant
ce temps, au Nigeria, Dick Obot apprit que son groupe religieux, connu
localement sous le nom de « Église de Jésus-Christ des saints des
derniers jours », avait été reconnu par le gouvernement. Il semblait
que certains cœurs s’adoucissaient. Les efforts de LaMar pour donner la
possibilité à des Nigérians de faire des études supérieures, ainsi que
les efforts continus de ses amis au Nigeria, n’étaient pas passés
inaperçus. Le gouvernement nigérian refusait toujours de lui accorder
un visa permanent, néanmoins, il reçut un autre visa de courte durée en
août 1965. Avec la bénédiction du président McKay, LaMar retourna au
Nigeria en octobre.
En
arrivant à Lagos, il s’entretint avec un avocat qui avait bon espoir
d’obtenir un visa permanent ainsi que la reconnaissance officielle de
l’Église. Deux jours plus tard, LaMar s’adressa à plus d’une dizaine de
responsables de la communication au sujet de l’Église. Il prit ensuite
l’avion pour Enugu, capitale de la région est du Nigeria, où il passa
du temps avec le ministre d’État, qui refusa de boire du café, du thé
ou de l’alcool en présence de LaMar, par respect pour ses croyances.
Partout
où il allait, des étrangers demandaient à Lamar s’ils pouvaient devenir
membres de l’Église. Il leur assura que si l’Église était établie dans
leur pays, ils pourraient se faire baptiser. Un dimanche, plus de
quatre cents personnes se réunirent pour l’entendre parler.
Le
6 novembre, à la suite d’un entretien au bureau du Premier ministre à
Enugu, le visa de LaMar fut prolongé de quatre-vingt-dix jours. De
plus, un fonctionnaire commença à remplir les documents nécessaires à
l’enregistrement de l’Église au Nigeria. LaMar retourna dans sa chambre
d’hôtel, se réjouissant de ces bonnes nouvelles. Après des années de
cette course pleine d’obstacles, l’autorisation dont il avait besoin
pour commencer l’œuvre allait, peut-être, enfin lui être accordée.
Soudain, quelqu’un frappa à la porte. Le secrétaire particulier du ministre d’État lui remit un télégramme du siège de l’Église.
Le
message indiquait : « Interrompez les négociations avec le Nigeria.
Rentrez immédiatement. » Il était signé par la Première Présidence,
sans aucune autre explication.
Au
début de l’année 1966, LaMar Williams ne comprenait toujours pas
pourquoi la Première Présidence l’avait fait revenir du Nigeria.
Quelques heures après avoir reçu leur télégramme, il était monté dans
un avion pour quitter le pays. Ses contacts au gouvernement nigérien ne
voulaient pas qu’il s’en aille au beau milieu des négociations.
LaMar
espérait recevoir davantage d’explications une fois de retour à Salt
Lake City. Peu après son arrivée aux États-Unis, il fut reçu par la
Première Présidence et exprima son étonnement d’avoir été appelé à
rentrer si soudainement. Il leur parla de ses entretiens prometteurs
avec des dirigeants gouvernementaux. Il mentionna les milliers de
Nigériens vivement désireux de se joindre à l’Église.
Cependant,
la Première Présidence avait déjà exprimé des doutes quant à l’avenir
de cette mission. Pendant le séjour de LaMar au Nigeria, le président
McKay avait appelé deux conseillers supplémentaires dans la Première
Présidence, Joseph Fielding Smith et Thorpe B. Isaacson. Frère
Isaacson, auparavant assistant des Douze, semblait particulièrement
inquiet de la réaction des saints nigériens au sujet des restrictions
concernant la prêtrise.
En
outre, certains apôtres craignaient que le prosélytisme parmi les
populations noires du Nigeria n’incite les groupes de défense des
droits civiques des États-Unis à faire pression sur l’Église pour
qu’elle lève cette restriction. D’autres redoutaient que la prédication
de l’Évangile au Nigeria n’offense les autorités ségrégationnistes de
l’apartheid en Afrique du Sud et ne les pousse à limiter l’œuvre
missionnaire dans leur propre pays.
LaMar
fit de son mieux pour rassurer la Première Présidence. Il déclara : «
Il serait peut-être bon qu’une ou plusieurs Autorités générales se
rendent au Nigeria et étudient la situation avant de prendre une
décision définitive. » Toutefois, la Première Présidence n’était pas du
même avis.
À
la fin de la réunion, LaMar partit découragé. Il croyait que le
Seigneur voulait qu’il établisse l’Église au Nigeria. Les Écritures
enseignaient que le message de l’Évangile était pour tout le monde et
que le Seigneur ne rejetait aucun de ceux qui venaient à lui, « noirs
et blancs, esclaves et libres, hommes et femmes ». Si c’était vrai,
pourquoi la Première Présidence l’avait-elle rappelé chez lui ?
Le
15 janvier 1966, deux mois après le retour de LaMar en Utah, des
officiers de l’armée nigériane firent un coup d’État militaire,
orchestrant le meurtre du Premier ministre et d’autres représentants du
gouvernement. Les forces loyalistes mirent rapidement fin à la révolte,
mais le coup d’État aggrava les tensions régionales et déstabilisa le
pays.
LaMar
fut ébranlé par cette nouvelle. Même s’il avait réussi à mettre en
place une mission au Nigeria, le coup d’État aurait anéanti son
travail. Il comprit alors que le moment n’était pas encore venu
d’établir l’Église dans ce pays.
Cependant,
il se fit beaucoup de soucis pour ses nombreux amis là-bas. Dans une
lettre adressée à Charles Agu peu après le coup d’État, il écrivit : «
Je suis désolé que la Première Présidence m’ait rappelé chez moi si
brusquement. Dites-moi si je peux vous être utile d’une quelconque
manière ou si je peux vous encourager dans votre désir de servir le
Seigneur et les personnes qui vous entourent. »
Il
poursuivit : « Charles, cela me briserait le cœur si vous perdiez la
foi et le courage de poursuivre l’excellent travail que vous avez
commencé. Je n’ai jamais douté que l’œuvre du Seigneur sera un jour
établie dans votre pays. Je le ressens et je suis sûr que l’Esprit en
rend témoignage. Par contre, je ne sais pas combien de temps cela
prendra. »
En
1968, au Ghana, en Afrique de l’Ouest, Joseph William Billy
Johnson était sûr d’avoir trouvé le
véritable Évangile de Jésus-Christ. Quatre ans
plus tôt, son ami Frank Mensah lui avait offert un Livre de
Mormon et d’autres livres et brochures publiés par les
saints des derniers jours. Tout comme au Nigeria, il n’y avait
pas d’assemblées de l’Église au Ghana.
Frank était désireux de faire changer les choses.
Il
avait dit à Billy : « Je ressens que tu es l’homme
avec qui je dois travailler. »
Depuis
lors, ils avaient organisé quatre assemblées non
officielles de saints des derniers jours à Accra, la capitale
du Ghana, et dans ses environs. Ayant contacté le siège
de l’Église, ils étaient au courant de sa
réticence à envoyer des missionnaires en Afrique de
l’Ouest. LaMar Williams et d’autres personnes les avaient
néanmoins encouragés à étudier l’Évangile
et à se réunir avec les croyants adhérant aux
mêmes idées. Lorsqu’ils avaient appris que
Virginia Cutler, professeure à l’université
Brigham Young, se trouvait à Accra pour lancer un programme
d’économie domestique à l’université
du Ghana, ils avaient commencé une École du dimanche
hebdomadaire avec elle.
Billy
aimait faire connaître l’Évangile. Il travaillait
dans le secteur de l’import-export, mais il voulait quitter son
emploi et consacrer plus de temps à l’œuvre
missionnaire. Sa femme ne partageait pas sa foi. Elle lui avait dit :
« Cette Église est tellement nouvelle. Je ne veux pas
que tu démissionnes. »
Cependant,
Billy désirait ardemment prêcher davantage. Il lui avait
répondu : « Il y a quelque chose qui brûle en moi
et que je ne peux pas cacher. »
La
religion avait toujours eu une place importante dans sa vie. Sa mère,
Matilda, était une méthodiste dévouée.
Elle lui avait appris à avoir foi en Dieu et à aimer sa
parole. À l’école, Billy s’isolait souvent
pour chanter des cantiques et prier pendant que les autres élèves
jouaient. Un de ses professeurs l’avait remarqué et lui
avait dit qu’il deviendrait prêtre un jour.
En
grandissant, la foi de Billy avait été confirmée
par des songes et des visions remarquables. Peu après avoir
découvert l’Évangile rétabli par
l’intermédiaire de Frank Mensah, Billy était en
train de prier lorsqu’il avait vu les cieux s’ouvrir et
une multitude d’anges apparaître, soufflant dans des
trompettes et chantant des louanges à Dieu. Une voix l’avait
appelé : « Johnson, Johnson, Johnson. Si tu réalises
mon œuvre comme je te le commanderai, je te bénirai et
je bénirai ton pays. »
Cependant,
Billy, Frank et leurs croyances n’étaient pas toujours
bien reçus. Certains disaient qu’ils suivaient une
fausse Église. D’autres les accusaient de ne pas croire
en Jésus-Christ. Leurs paroles blessaient Billy. Il avait
alors commencé à jeûner, s’inquiétant
d’avoir été trompé. Au bout de trois
jours, il s’était rendu dans une pièce de sa
maison où il avait accroché au mur les portraits des
présidents de l’Église. Il s’était
agenouillé et avait prié Dieu pour recevoir de
l’aide.
Il
avait dit : « Je voudrais voir ces prophètes. Je veux
qu’ils me donnent des instructions. »
Cette
nuit-là, Billy avait rêvé que Joseph Smith lui
apparaissait et lui disait : « Bientôt, des missionnaires
viendront. Le prophète McKay pense à vous. »
Un
autre homme s’était également approché de
lui et s’était présenté comme étant
Brigham Young. Il avait déclaré : « Johnson, nous
sommes avec vous. Ne vous découragez pas. » Avant la fin
de la nuit, Billy avait vu tous les prophètes des derniers
jours, jusqu’à George Albert Smith.
Le
désir de Billy de consacrer plus de temps à la
prédication de l’Évangile l’amena bientôt
à quitter son emploi et à déménager à
Cape Coast, une ville située au sud-ouest d’Accra. Là,
il souhaitait exploiter une ferme et établir une nouvelle
assemblée. Sa femme ne soutint pas sa décision. Plutôt
que de déménager avec le reste de la famille, elle
divorça, laissant Billy s’occuper de leurs quatre jeunes
enfants.
Billy
était bouleversé, mais il fut soutenu par sa mère,
Matilda. Elle avait elle-même des doutes sur le fait que Billy
quitte son emploi et déménage à Cape Coast avec
sa famille. Elle se demandait en effet s’il avait des chances
de réussir dans une ville qui comptait déjà de
nombreuses Églises. Cependant, Billy était son seul
enfant encore en vie et elle dépendait de lui, alors elle
l’avait suivi.
Désormais,
Matilda partageait la foi de son fils. Au début, lorsqu’il
lui avait fait part de ses nouvelles convictions, elle ne les avait
pas prises au sérieux. Mais après avoir vu les
changements qui s’étaient produits en lui et chez les
personnes qu’il instruisait, elle avait compris que son fils
avait trouvé quelque chose de spécial. Elle avait su
qu’elle et beaucoup de personnes seraient bénies lorsque
l’Église arriverait au Ghana. Cette connaissance lui
donnait du courage.
Une
fois la famille installée à Cape Coast, Matilda
s’occupa des enfants de Billy pendant qu’il établissait
sa nouvelle assemblée. En plus de cela, elle l’encourageait
et le soutenait moralement, lui prêtant mainforte lorsqu’elle
le pouvait pour fortifier l’assemblée.
Elle
affirmait : « Quelles que soient les circonstances, quel que
soit l’avenir, je suis prête à me battre pour
l’Église. »
Le
19 janvier 1971, Anthony Obinna, un instituteur nigérien de
quarante-deux ans, prit un stylo et une feuille de papier bleu pour
écrire une lettre au président de l’Église
de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Il écrivit
: « J’ai lu plusieurs livres à la recherche du
salut et j’ai enfin trouvé la réponse. »
Au
cours des dernières années, Anthony, sa femme, Fidelia,
et leurs enfants étaient restés confinés dans
leur maison la plupart du temps tandis que la guerre civile
nigérienne faisait rage autour d’eux. Un jour, au milieu
de longues heures d’incertitude, Anthony avait ouvert un vieux
magazine et avait vu quelque chose d’inattendu : la photo d’un
bâtiment majestueux en pierre surmonté de plusieurs
grandes flèches.
Il
avait déjà vu le bâtiment dans un rêve
qu’il avait fait avant que la guerre civile n’éclate.
Dans ce rêve, le Sauveur le guidait vers le magnifique
bâtiment. Il était rempli de gens, tous vêtus de
blanc.
Anthony
avait demandé : « Qu’est-ce que c’est ? »
Le
Sauveur lui avait répondu : « Ce sont des gens qui vont
au temple. »
«
Que font-ils ? »
«
Ils prient. Ils prient toujours ici. »
À
son réveil, Anthony avait vivement désiré en
savoir plus sur ce qu’il avait vu. Il avait raconté son
rêve à Fidelia et à ses amis, leur demandant
s’ils avaient une idée de sa signification. Personne
n’avait pu l’aider. Il avait finalement interrogé
un révérend. Celui-ci n’avait pas réussi
non plus à interpréter le rêve, mais il lui avait
dit que si son rêve venait de Dieu, il trouverait un jour la
réponse à ses questions.
Dès
qu’Anthony vit l’image dans le magazine, il sut qu’il
avait trouvé sa réponse. La légende au-dessus de
l’image indiquait qu’il s’agissait du temple de
Salt Lake City.
L’article
commençait par ces mots : « Les mormons, officiellement
les membres de l’Église de Jésus-Christ des
saints des derniers jours, sont différents. » Il
retraçait l’histoire de l’Église et
expliquait certains de ses points de doctrine fondamentaux. Il
continuait : « Il s’agit d’un mode de vie à
part entière. L’étincelle religieuse qui anime
l’œuvre de cette communauté est que chaque
personne sur terre est une fille ou un fils spirituel de Dieu. »
Anthony
était dans tous ses états. Comme il habitait près
de ses frères, il les réunit immédiatement et
leur parla de la photo et de son rêve.
L’un
d’eux, Francis, lui demanda : « Tu es sûr que c’est
ce bâtiment ? »
Il
en était sûr.
Malheureusement,
il n’avait pas pu écrire au siège de l’Église
à ce moment-là en raison d’un blocus causé
par la guerre. Il ne savait pas non plus qu’il existait des
assemblées non officielles de saints des derniers jours au
Nigeria. Beaucoup d’entre elles s’étaient
dispersées pendant la guerre, perdant tout contact entre elles
et avec l’Église. On perdit la trace de certains
croyants, tels que Honesty John Ekong. Mais maintenant que la guerre
était terminée, rien n’empêchait Anthony de
prendre contact avec l’Église.
Dans
sa lettre au président de l’Église, Anthony
exprima son souhait d’avoir une branche de l’Église
dans sa ville. Il écrivit : « Le mormonisme est vraiment
une religion unique. »
Quelques
semaines plus tard, il reçut une lettre comportant cette
réponse : « À l’heure actuelle, nous
n’avons pas de représentants officiels de Salt Lake City
dans votre pays. Si vous le souhaitez, je serai heureux de
correspondre avec vous sur les enseignements religieux de
Jésus-Christ. »
La
lettre était signée par LaMar Williams, du département
de l’œuvre missionnaire.
Au
cours de la même année, des représentants d’une
Église protestante des États-Unis vinrent à Cape
Coast, au Ghana, pour trouver Billy Johnson. Ils avaient entendu dire
qu’il avait accompli de grands miracles et ils espéraient
le persuader, lui et ses disciples, de se joindre à leur
Église. Environ quatre mille Ghanéens répartis
en quarante et une assemblées se déclaraient saints des
derniers jours. Billy supervisait cinq d’entre elles. Ces
représentants avaient besoin de quelqu’un pour s’occuper
de leurs assemblées au Ghana et Billy leur semblait être
l’homme de la situation.
Billy
et ses disciples acceptèrent de célébrer le
culte avec les visiteurs dans un centre communautaire de la ville.
Les Américains les accueillirent en leur offrant du savon et
des produits cosmétiques. Ils déclarèrent : «
Chers amis, vous devez être nos frères, nous devrions
être ensemble. » Ils exhortèrent Billy et les
autres à cesser d’attendre les missionnaires : «
Ils ne viendront pas. »
L’un
des visiteurs pressa Billy à se joindre à eux et à
devenir un dirigeant dans leur Église. Il lui dit : «
Nous te paierons. Nous paierons tes ministres du culte. » Ils
lui proposèrent également de l’aider à se
rendre aux États-Unis et promirent de fournir à son
assemblée des instruments de musique et un nouveau bâtiment
pour leur culte.
Ce
soir-là, Billy invita les visiteurs à loger chez lui
tandis qu’il réfléchissait à leur
proposition. Pauvre comme il était, il prenait cette
proposition au sérieux. Toutefois, il ne voulait pas trahir
Dieu ni sa foi en l’Évangile rétabli.
Seul
dans sa chambre, Billy pleura. Il pria : « Seigneur, que
dois-je faire ? J’ai attendu si longtemps et mes frères
ne sont pas venus. »
Une
voix lui parvint : « Johnson, ne laisse pas la confusion te
perturber, ni toi ni tes membres. Reste fort dans l’Église.
Très vite, tes frères viendront t’aider. »
Billy
termina sa prière et sortit de sa chambre. Peu après,
l’un des visiteurs sortit d’une autre pièce. Il
demanda : « Johnson, tu ne dors pas ? »
Billy
répondit : « Je réfléchis à une
manière de régler la situation. »
L’homme
répliqua : « Frère Johnson, j’allais
frapper à ta porte pour te dire que ton Église est déjà
organisée. Je ne dois pas semer la confusion dans ton esprit.
» Il ajouta que le Seigneur lui avait révélé
cette vérité. « Je dois seulement être ton
frère. Continue ton œuvre dans ton Église. »
Billy
répondit : « Le Seigneur m’a parlé aussi.
C’est son Église. Je ne peux pas la donner à
quelqu’un d’autre. »
Par
la suite, des représentants d’autres Églises
américaines vinrent avec des propositions similaires. Billy
les rejeta toutes. Bientôt, des dirigeants de sa propre
assemblée apprirent qu’il refusait de l’argent et
des cadeaux de la part d’Américains. Furieux, ils firent
irruption dans sa maison. L’un dit : « Ces gens sont
venus pour aider. Ils nous paieront. »
Billy
répondit : « Je ne vendrai pas l’Église.
J’attendrai le Seigneur, même si cela doit durer vingt
ans. »
Un
autre poursuivit : « Tu n’as pas d’argent. Ils
veulent nous payer. »
Billy
maintint son refus.
Les
hommes semblaient prêts à le frapper, mais il ne changea
pas d’avis. Finalement, ils se calmèrent et Billy
étreignit chacun d’eux au moment de leur départ.
Le dernier fondit en larmes dans ses bras.
Il
dit : « Je suis désolé de t’avoir fait du
mal. S’il te plaît, demande à Dieu de me pardonner
mes péchés. »
Billy
pleura avec lui. Il pria : « Père, pardonne-lui. »
En
février 1971, six ans après sa conversion, Darius Gray
vivait à Salt Lake City. En tant que membre de l’Église,
il avait bénéficié de l’amitié de
nombreux saints qui l’avaient aidé à s’adapter
à sa nouvelle religion. Il lui était également
arrivé d’être maltraité par quelques
membres de l’Église parce qu’il était noir.
Il s’était néanmoins raccroché aux paroles
puissantes qu’il avait entendues la nuit précédant
son baptême : « C’est là l’Évangile
rétabli, tu dois te joindre à l’Église. »
Darius
travaillait comme journaliste pour KSL-TV, une chaîne
d’information locale. Avant d’obtenir ce poste, il
n’avait jamais envisagé de faire carrière dans le
journalisme. Il avait ensuite rencontré Arch Madsen, le
président de la société de communication
appartenant à l’Église et gérant KSL.
Trouvant Arch franc et amical, Darius avait accepté le poste.
C’était comme si Dieu lui traçait un chemin.
Après
avoir été embauché, Darius avait étudié
pour obtenir un diplôme de journalisme de l’université
d’Utah. Il participait également activement dans sa
paroisse de Salt Lake City et servait en qualité de
surintendant de l’École du Dimanche. Par l’intermédiaire
d’Arch, il rencontra Monroe Fleming, un saint des derniers
jours noir travaillant à l’Hotel Utah. L’épouse
de Monroe, Frances, venait d’une famille membre de l’Église
depuis quatre générations et était
l’arrière-petite-fille de Jane Manning James. Le couple
Fleming l’invita à dîner, lui parla franchement de
leurs expériences dans l’Église et lui présenta
aussi d’autres membres de la communauté noire des saints
des derniers jours de Salt Lake City.
Darius
fit la connaissance de Lucile Bankhead, la matriarche bien-aimée
de la communauté. Comme Frances Fleming, elle était
descendante de pionniers noirs saints des derniers jours et avait
grandi dans l’Église. Il rencontra également
Eugene Orr qui était devenu membre de l’Église en
1968 et avait épousé une femme dont il avait fait la
connaissance en Utah, Leitha Derricott. Eugène et Leitha
organisaient désormais des pique-niques d’été
pour tisser des liens entre les membres de la communauté noire
de la région.
Darius
était particulièrement impressionné par Ruffin
Bridgeforth, un homme noir qui s’était installé
en Utah en 1944 en tant qu’employé de l’armée
américaine. En 1953, sa femme, Helena, et lui s’étaient
joints à Église et ils avaient élevé
leurs enfants dans la foi. Darius admirait la constance, la sagesse
tranquille et les manières douces de Ruffin. Au fil des ans,
ce dernier était devenu un ami proche de Thomas S. Monson et
d’autres dirigeants de l’Église. Il prenait
souvent la parole dans des paroisses, des pieux et des missions pour
parler des membres noirs de l’Église.
Un
jour, Darius reçut un appel téléphonique de
Heber Wolsey, directeur des relations publiques à l’université
Brigham Young. Il connaissait le travail de Darius à KSL et
sollicitait parfois son aide lorsque l’université était
confrontée à une controverse liée à la
race.
Récemment,
l’université avait fait l’objet d’une
attention particulière de l’opinion publique à
propos des restrictions de l’Église concernant la
prêtrise. Il était arrivé que des militants
politiques organisent des manifestations et boycottent les événements
sportifs de l’université. La controverse avait pris de
l’ampleur en octobre 1969, lorsque quatorze joueurs noirs de
football américain de l’université du Wyoming
avaient demandé à porter un brassard noir pendant leur
match contre l’université Brigham Young. Leur entraîneur
les avait exclus de l’équipe, attirant l’attention
des médias et suscitant des protestations.
Des
activistes du Wyoming appelaient désormais à une
nouvelle manifestation, cette fois à l’occasion d’un
match de basket contre l’université appartenant à
l’église. Lorsque le président de l’université
Brigham Young, Ernest L. Wilkinson, eut connaissance de ce projet, il
publia une déclaration écrite pour défendre
l’université et envoya Heber s’entretenir avec les
organisateurs. Toutefois, les activistes voulaient rencontrer un
membre noir de l’Église. Heber appela donc Darius pour
savoir s’il pouvait prendre un avion pour le Wyoming.
Darius
lui demanda : « Quand ? »
Heber
répondit : « Oh, d’ici trente minutes. »
Darius
se précipita à l’aéroport pour prendre son
vol. À peine arrivé à l’université,
Heber l’emmena directement dans un amphithéâtre
plein à craquer. Ils prirent place devant, en face des
principaux activistes. Darius continua de sourire avec bienveillance,
mais en répondant à leurs questions, il vit bien que
certains étaient mécontents qu’il défende
l’Église. Il était malgré tout décidé
à rester fidèle à lui-même et à ses
croyances.
Ce
week-end-là, au cours d’une réunion, quelqu’un
accusa Darius de déshonorer sa race en étant membre de
l’Église. Il répondit : « Je suis né
noir. Je suis noir aujourd’hui. Je mourrai noir. Je suis fier
de mes racines. Je me battrai pour les causes justes des Noirs de
toutes mes forces. »
Il
s’arrêta un instant avant d’ajouter fièrement
: « Je suis aussi mormon. L’Église mormone m’a
apporté des réponses que je n’ai pas trouvées
ailleurs. Il n’y a pas de conflit entre la couleur de ma peau
et ma religion. »
Malgré
les efforts de Darius et Heber, les étudiants du Wyoming
organisèrent une manifestation avant et pendant le match. En
les observant, Darius éprouvait le même désir
d’égalité raciale qu’eux, mais il ne
pensait pas qu’ils comprenaient réellement l’Église
ni ses enseignements.
Il
déclara plus tard : « S’ils étaient
disposés à manifester contre tout type de préjugés
et d’inégalités, où qu’ils se
trouvent, mais pas contre les principes de la foi mormone, j’aurais
été prêt à les rejoindre. »
Au
début du mois de mai 1971, Darius Gray entra dans la
bibliothèque Marriott de l’université d’Utah.
Son ami Eugene Orr, qui travaillait au centre de reprographie de la
bibliothèque, l’avait invité, ainsi que Ruffin
Bridgeforth, à le rejoindre sur place. Ils désiraient
parler des difficultés rencontrées par les saints des
derniers jours noirs. Les trois hommes avaient prié et jeûné
pour savoir quoi faire.
Darius
rejoignit ses amis, ils s’installèrent dans une salle
d’étude vide et commencèrent à discuter.
La plupart de leurs préoccupations portaient sur les
restrictions de l’Église concernant la prêtrise et
le temple. Pourquoi certains hommes noirs avaient-ils détenu
la prêtrise au début du rétablissement de
l’Église ? Et quand pourraient-ils la détenir à
nouveau ?
Tandis
qu’ils discutaient de ces questions, d’autres se
posèrent. Ils savaient que les saints noirs avaient du mal à
comprendre cette restriction et à rester pratiquants. Que
pouvaient-ils faire pour qu’ils assistent aux réunions
plus régulièrement ? L’Église pouvait-elle
organiser une branche spéciale pour ses membres noirs ?
Qu’en
était-il de la nouvelle génération de saints
noirs ? En tant que pères, Ruffin et Eugene aspiraient à
savoir comment répondre aux questions de leurs enfants sur les
restrictions.
Après
avoir écrit leurs questions, les amis s’agenouillèrent
et Ruffin fit une prière, implorant le Seigneur de les guider.
Ils reçurent alors la forte impression qu’il fallait
poser directement leurs questions au président de l’Église,
Joseph Fielding Smith, et à d’autres hauts dirigeants de
l’Église. Mais comment organiser une telle rencontre ?
Sachant
qu’Eugene était persuasif et plein d’énergie,
Darius et Ruffin lui dirent : « Pourquoi ne prendrais-tu pas
contact avec eux ? » Si quelqu’un pouvait être le
porte-parole du groupe, c’était bien lui.
Quelques
jours plus tard, Eugene rencontra Arthur Haycock, le secrétaire
personnel du président Smith, dans le bâtiment
administratif de l’Église. Ce dernier déclara : «
Quel que soit le problème que vous rencontrez, je peux le
résoudre pour vous. »
Eugene
répondit : « D’accord. Ce que j’aimerais
vraiment, c’est parler au prophète. » Il montra au
secrétaire les questions qu’il avait rédigées
avec Darius et Ruffin. Il ajouta : « Les Noirs veulent garder
la tête haute, être importants et participer dans
l’Église. Ils ne veulent pas se contenter d’être
spectateurs. »
Arthur
lut les questions et convint qu’elles étaient légitimes.
Il affirma : « Je les montrerai aux Frères et verrai ce
qu’ils décident. »
Trois
semaines plus tard, sans nouvelles du siège de l’Église,
Eugene retourna au bâtiment administratif. Cette fois, Arthur
lui indiqua que le président Smith avait désigné
les apôtres Gordon B. Hinckley, Thomas S. Monson et Boyd K.
Packer pour être leurs interlocuteurs. La réunion était
prévue le 9 juin.
Ce
jour-là, Darius, Eugene et Ruffin rencontrèrent les
trois apôtres dans le bureau de frère Hinckley. Les
dirigeants de l’Église connaissaient Ruffin depuis
plusieurs années et ils connaissaient Darius pour son travail
avec KSL. Aucun d’eux n’avait rencontré Eugene
jusqu’alors.
Les
trois amis expliquèrent aux apôtres : « Nous
sommes très préoccupés par le problème
que nos familles, notre peuple et nous rencontrons. » Ruffin
parla de ses fils qui s’étaient désintéressés
de l’Église quand, ayant grandi, ils ne pouvaient pas
détenir la prêtrise d’Aaron. Il était peiné
qu’ils ne viennent plus aux réunions.
Pendant
l’entretien, c’est Eugene qui posa la majorité des
questions :
«
Que devons-nous dire à nos enfants lorsqu’ils nous
demandent de les baptiser, alors que d’autres enfants de la
Primaire disent qu’ils seront baptisés par leur père
? »
«
Pouvons-nous assister aux réunions de la prêtrise ? »
«
L’œuvre missionnaire peut-elle se faire parmi notre
peuple ? »
Frère
Hinckley, frère Monson et frère Packer écoutèrent
avec bienveillance et acceptèrent de revoir Ruffin, Darius et
Eugene pour poursuivre la conversation. À la fin de la
réunion, ils reconnurent que l’Église devait
faire davantage pour ses membres noirs.
Les
trois amis déclarèrent aux apôtres : « Nous
avons la foi. Nous avons des témoignages. Nous voulons que les
bénédictions de l’Évangile soient étendues
plus activement sur notre peuple, indépendamment de la
prêtrise. »
Plus
tard cette année-là, Ruffin Bridgeforth, Darius Gray et
Eugene Orr furent invités au bureau de Gordon B. Hinckley.
Depuis
le mois de juin, les trois hommes se réunissaient environ
toutes les deux semaines avec frères Hinckley, Monson et
Packer. Des questions difficiles sur les restrictions relatives à
la prêtrise et au temple dominaient généralement
la conversation, mais Ruffin apportait toujours un esprit apaisant.
En
fait, plus ces hommes tenaient conseil ensemble, plus ils apprenaient
à s’aimer et à se respecter. Darius était
touché par le fait que le président Smith avait jugé
leurs préoccupations suffisamment importantes pour impliquer
trois apôtres. Pendant leurs réunions, ils ressentaient
la présence du Seigneur et pleuraient souvent ensemble.
Ce
jour-là, frère Hinckley ouvrit la réunion avec
une bonne nouvelle : « Après avoir prié et
réfléchi, le président Smith et les frères
du Collège des Douze ont été amenés à
créer un groupe de soutien pour les membres noirs de l’Église.
»
Les
dirigeants de l’Église réfléchissaient à
l’organisation d’un tel groupe depuis que Darius, Eugene
et Ruffin avaient émis l’idée de créer une
branche pour les saints noirs, qui figurait sur leur liste de
questions au prophète. Frère Hinckley expliqua que ce
groupe dépendrait du pieu de Liberty à Salt Lake City.
Les membres du groupe continueraient d’assister à la
réunion de Sainte-Cène et à l’École
du Dimanche dans leurs paroisses respectives. Toutefois, ils auraient
leur propre Société de Secours, SAM et Primaire.
L’objectif était d’offrir une communauté et
une assistance aux saints noirs, en particulier aux jeunes qui
avaient du mal à trouver leur place dans l’Église.
Les
apôtres avaient déjà appelé Ruffin à
servir en tant que président du groupe. Ce dernier avait
recommandé Darius comme premier conseiller et Eugene comme
deuxième conseiller. Frère Hinckley leur proposa
l’appel et ils acceptèrent.
Peu
après, le 19 octobre 1971, Darius s’installa sur l’estrade
d’une église de Salt Lake City. C’était un
mardi soir, mais la salle de culte était pleine de gens en
habits du dimanche. Darius vit plusieurs gens de couleur, mais la
plupart étaient blancs.
Tout
le monde s’était réuni pour assister à la
création de ce que Darius, Ruffin et Eugene avaient décidé
d’appeler le groupe « Genèse », la première
organisation officielle de l’Église pour les saints des
derniers jours noirs. Frère Hinckley, qui dirigeait la
réunion, présenta le groupe et son objectif. Ensuite,
Ruffin Bridgeforth, en tant que président du groupe, demanda
un vote de soutien pour ses officiers, notamment Lucile Bankhead en
tant que présidente de la Société de Secours.
Juste après, il rendit témoignage.
Il
déclara : « Comme vous le savez, Genesis signifie le commencement. Ceci est un commencement. » Il parla
de son amour pour l’Évangile rétabli et de sa
reconnaissance envers les dirigeants de l’Église et tous
les membres de l’assemblée. Il affirma : « Le
Seigneur est à nos côtés. Nous réussirons.
Je ferai plus d’efforts que je n’en ai jamais fournis
auparavant pour la réussite de ce groupe. »
Lorsque
frère Bridgeforth s’assit, frère Hinckley invita
Darius à faire part de son témoignage, le prenant au dépourvu.
Il s’approcha de la chaire et expliqua : « Je n’avais
pas l’intention de dire quoi que ce soit ce soir. Cela me
semble présomptueux. »
En
regardant l’assemblée, il vit des membres de la famille
Felix, qui lui avait présenté l’Évangile
sept ans plus tôt. Il déclara : « Ils auraient
facilement pu m’ignorer, mais ils ne l’ont pas fait. Il
était important pour moi d’avoir l’occasion
d’entendre l’Évangile. Ils me l’ont présenté
avec persévérance. »
Il
fit une longue pause, puis ajouta : « J’ai souvent
entendu des hommes se lever à la réunion de Sainte-Cène
ou de jeûne et de témoignage, des détenteurs de
la prêtrise qui déclaraient croire que l’Évangile
est vrai. »
À
son tour, il désirait faire part de son témoignage. Il déclara
: « Je sais que l’Évangile est vrai. Et cette
connaissance est immortelle. »
Au
début de l’année 1972, les assemblées de
Billy Johnson au Ghana, à Cape Coast et ses environs,
comptaient des centaines de membres fidèles. Matilda, la mère
de Billy, était l’une des plus dévouées
d’entre eux. Jacob et Lily Andoh-Kesson et leurs enfants, qui
avaient rejoint le groupe peu après l’arrivée de
Billy à Cape Coast, étaient également des
membres engagés et de bons amis.
Ses
assemblées s’agrandissant, Billy avait trouvé un
vieux bâtiment autrefois utilisé pour entreposer des
fèves de cacao. L’espace était désormais
occupé par des bancs, quelques petites chaises et tables, une
chaire et un long banc adossé à un mur. Certains
habitants de Cape Coast se moquaient de Billy et de ses disciples qui
se réunissaient dans un bâtiment délabré,
les appelant « l’Église de la cabane à
cacao ». Toutefois, cela ne dérangeait pas les croyants
en nombre croissant de se réunir là, même lorsque
la pluie s’infiltrait par les trous de la toiture et que tout
le monde devait se serrer les uns contre les autres ou se protéger
avec des parapluies.
Billy
faisait de son mieux pour rendre l’humble bâtiment
accueillant et confortable. Entre les deux entrées à
doubles portes, il avait accroché une pancarte qui indiquait :
« L’Église de Jésus-Christ des saints des
derniers jours (mormons) ». Une peinture murale représentant
le Christ sur la croix ornait un mur, tandis qu’une autre
représentait le Sauveur les bras levés avec les mots «
Venez à moi » écrits au-dessus de sa tête.
Des images de Joseph Smith, du Tabernacle Choir et d’autres
scènes de l’Église parsemaient les murs, qui
étaient peints en bleu clair.
Lily
Andoh-Kesson veillait à la propreté du bâtiment.
Elle arrivait tôt le matin pour préparer l’endroit
à la tenue des réunions. Elle avait confié à
sa fille, Charlotte, qu’elle y avait vu des anges et elle
voulait qu’ils viennent dans un endroit propre.
L’assemblée
de Billy se réunissait matin et soir, trois fois par semaine,
pour des services de culte remplis de cantiques, de danses,
d’applaudissements, de prières, de louanges et de
sermons. Parfois, Billy prêchait en portant son jeune fils
Brigham sur ses épaules.
Il
enseignait les principes qu’il avait appris dans les documents
de l’Église, comme les treize Articles de foi, et
racontait des histoires de pionniers saints des derniers jours.
Par-dessus tout, il aimait enseigner à partir du Livre de
Mormon.
Billy
était convaincu que des missionnaires viendraient un jour du
siège de l’Église, mais il craignait que ses
disciples ne se découragent en les attendant. Certaines
personnes avaient déjà quitté le groupe après
que des détracteurs de l’Église leur avaient dit
que les saints des derniers jours n’aimaient pas les Noirs et
n’enverraient jamais de missionnaires.
La
prédication inlassable de Billy lui valut parfois des ennuis
avec les autorités locales. Il fut accusé de répandre
des mensonges parce qu’il témoignait que l’Église
de Jésus-Christ des était la seule vraie Église
sur terre.
Une
fois, la police l’arrêta, mais avant qu’ils ne
l’emmènent au poste, il regarda autour de lui, espérant
voir un visage familier, quelqu’un qui l’accompagnerait.
Au début, il ne remarqua personne. Il aperçut ensuite
un jeune qui passait par là, nommé James Ewudzie, un
ami de la famille.
James
pleura en s’approchant de Billy. Il n’était pas
membre de son assemblée, mais il posa sa main sur lui et
l’appela « Sofo », le mot fante pour désigner
un prêtre. Il dit à Billy : « Ne t’inquiète
pas. Je viens avec toi. »
Peu
après avoir été conduit au poste, Billy entama
une discussion religieuse avec James et les policiers. Quatre d’entre
eux furent sensibles à son message et crurent en ses paroles.
Le chef de la police se lia également d’amitié
avec Billy et, bien vite, ils relâchèrent les deux
hommes. Plus tard, le chef de la police invita Billy à donner
des leçons sur l’Évangile aux forces de police de
Cape Coast tous les vendredis matin.
De
son côté, James rêva qu’il rencontrait Billy
dans le lieu de culte. Dans son rêve, Billy lui demanda de
s’agenouiller, après quoi, une lumière brilla à
travers le toit. James ferma les yeux, mais la lumière
l’éclairait toujours. Il entendit alors une voix
l’appeler lentement par son nom.
Le
Seigneur disait : « Je veux amener mon Église au Ghana.
» Il exhorta James à s’associer à Billy. «
Si tu l’aides, je te bénirai et je bénirai le
Ghana. »
James
savait que ce que le Seigneur lui avait dit dans le rêve était
vrai et il obéit à son commandement.
En 1974, à
Cape Coast, au Ghana, Billy Johnson vit les photos et les noms des
anciens présidents de l’Église en première page d’un journal religieux
local. À côté des photos, des articles dénigraient l’Église et ses
dirigeants. Le journal cherchait manifestement à semer le doute parmi
les membres de l’assemblée grandissante de Billy.
Billy
et les croyants qu’il dirigeait avaient déjà été critiqués à maintes
reprises pour leur foi en l’Évangile rétabli. Certains détracteurs lui
avaient reproché d’avoir abandonné la religion de sa jeunesse. Ils
disaient que les saints adoraient Joseph Smith et ne croyaient pas en
Dieu. D’autres avaient fait remarquer qu’aucun Noir ne détenait la
prêtrise dans l’Église et se moquaient d’eux, affirmant qu’ils
perdaient leur temps.
Il
était difficile de rester fidèle sous ces attaques. Un an plus tôt, des
membres de l’assemblée avaient manifesté leur frustration qu’après tant
d’années, personne ne soit venu les baptiser. Billy avait immédiatement
invité ses disciples à jeûner et prier avec lui. En le faisant,
certaines personnes avaient eu l’impression claire que des
missionnaires viendraient bientôt au Ghana.
L’assemblée
avait été rassurée par ce sentiment, mais les persécutions n’avaient
pas cessé. Des membres s’inquiétèrent en voyant le journal critiquer
les prophètes. Ils ne savaient pas quoi faire. Billy pria avec eux et
les exhorta à ne pas prêter attention aux journaux. Il conseilla : «
Jetez-les. »
Pourtant,
Billy aussi se sentait affaibli. Un soir, il se rendit dans le lieu de
culte pour prier. Il dit : « Père, même si je crois en l’Église, que
c’est la véritable Église sur terre aujourd’hui, j’ai besoin de plus de
force et d’une confirmation supplémentaire pour en témoigner. »
Il
supplia le Seigneur de se révéler à lui. Il s’endormit et rêva qu’il
voyait le temple de Salt Lake, empli de lumière, descendre du ciel. Le
bâtiment était tout autour de lui. La voix du Seigneur lui parvint
disant : « Johnson, ne perds pas la foi en mon Église. Que tu y croies
ou non, c’est ma véritable Église sur terre aujourd’hui. »
Quand Billy se réveilla, il n’était plus troublé par les persécutions. Il déclara : « Le Père a parlé. Je ne craindrai plus. »
À
partir de ce moment là, chaque fois que Billy entendait quelqu’un
critiquer l’Église, sa foi grandissait. Il s’efforça de fortifier les
croyants de son assemblée. Il témoigna : « Un jour, l’Église viendra.
Nous la verrons dans toute sa beauté. »
En
août 1976, depuis un autre endroit d’Afrique de l’Ouest, Anthony Obinna
envoya une lettre au président Kimball. Il écrivit : « Nous souhaitons
que vous portiez votre attention sur le Nigeria et que ce pays soit
consacré à l’enseignement du véritable Évangile de notre Seigneur
Jésus-Christ. »
Deux
ans s’étaient écoulés depuis qu’Anthony avait eu des nouvelles de LaMar
Williams, son contact au département de l’œuvre missionnaire. Pendant
cette période, Lorry Rytting, un professeur saint des derniers jours
originaire des États-Unis, avait passé une année à enseigner à
l’université du Nigeria. Anthony et d’autres croyants l’avaient
rencontré. Ils espéraient, grâce à lui, avoir un contact plus direct
avec le siège de l’Église, peut-être même les prémices d’une mission.
Lorry était retourné en Utah et avait fait un rapport favorable aux
dirigeants de l’Église sur la réceptivité du Nigeria à l’Évangile.
Pourtant, rien ne s’était produit depuis.
Anthony
n’était pas disposé à abandonner. Il écrivit au président Kimball : «
Les enseignements de votre Église incarnent des choses merveilleuses
qu’on ne trouve pas ailleurs. Dieu nous appelle à être sauvés et nous
souhaitons que vous hâtiez l’œuvre. »
Anthony
reçut bientôt une réponse de Grant Bangerter, le président de la
mission internationale de l’Église. Cette mission spéciale supervisait
les régions du monde où des membres vivaient, mais où l’Église n’était
pas officiellement reconnue. Le président Bangerter dit à Antony qu’il
compatissait à sa situation, mais il l’informa qu’il n’y avait toujours
pas de projet d’organisation de l’Église au Nigeria.
Il
ajouta : « Nous vous encourageons, avec toutes les expressions de
l’amour fraternel, à poursuivre la pratique de votre foi du mieux que
vous pouvez jusqu’au moment où il sera possible pour l’Église de
prendre des mesures plus directes. »
À
cette époque, Anthony et sa femme, Fidelia, apprirent que leurs enfants
étaient harcelés et qu’on les humiliait à l’école en raison de leurs
croyances. Leur fille de huit ans leur rapporta que les professeurs les
appelaient, elle et ses frères et sœurs, à se mettre devant le groupe
d’élèves pendant les prières de l’école. Ils les forçaient à
s’agenouiller, les mains levées, et leur frappaient les mains avec un
bâton.
Ayant
appris cela, Anthony et Fidelia allèrent immédiatement parler aux
professeurs. Ils demandèrent : « Pourquoi faites-vous cela ? Nous
jouissons de la liberté religieuse au Nigeria. »
Les
coups cessèrent, mais la famille et leurs amis croyants continuèrent à
rencontrer de l’opposition dans leur collectivité. En octobre 1976,
Anthony écrivit à frère Bangerter : « L’absence de visite des autorités
de Salt Lake City a fait de nous la risée de certaines personnes. Nous
faisons tout notre possible pour établir la vérité parmi tant d’enfants
de notre Père céleste dans cette partie du monde. »
Anthony
attendit une réponse, mais elle ne vint pas. Ses courriers
n’étaient-ils pas arrivés à Salt Lake City ? Ne sachant pas ce qu’il en
était, il décida d’écrire à nouveau.
Il
déclara : « Nous ne nous lasserons pas d’écrire et de demander
l’organisation de l’Église ici, comme vous l’avez fait partout dans le
monde. Au sein de notre groupe, nous suivons rigoureusement les
enseignements de notre Sauveur, Jésus-Christ. Nous ne reviendrons pas
en arrière. »
Au
cours des premiers mois de l’année 1978, Spencer W.
Kimball, président de l’Église, était
tellement préoccupé par la restriction concernant la
prêtrise et le temple qu’il avait souvent du mal à
trouver le sommeil. L’indignation de l’opinion publique
contre la restriction s’était en grande partie calmée.
Cependant, il continuait de penser aux innombrables saints dignes et
aux autres personnes de bonne volonté qu’elle affectait.
Son récent voyage au Brésil lui avait rappelé
les nombreux défis qu’elle posait aux saints du monde
entier.
Toute
sa vie, le président Kimball avait fait respecter la pratique
de l’Église consistant à refuser la prêtrise
aux personnes d’origine noire africaine et il était prêt
à continuer. Pourtant, il savait que l’Évangile
rétabli de Jésus-Christ était destiné à
inonder la terre et il avait demandé aux saints de prier pour
que les nations ouvrent leurs portes à l’œuvre
missionnaire.
Il
commença à passer de plus en plus de temps dans le
saint des saints du temple de Salt Lake City, un sanctuaire spécial
attenant à la salle céleste. Là, il enlevait ses
chaussures, s’agenouillait et implorait humblement le ciel.
Le
9 mars, il réunit ses conseillers et le Collège des
douze apôtres pour parler de la prêtrise et la race. Ils
parlèrent longtemps. Ils examinèrent des déclarations
de précédents présidents de l’Église,
David O. McKay et Harold B. Lee, indiquant que la restriction
concernant la prêtrise prendrait fin un jour. Pourtant, tous
les apôtres convenaient que cette pratique ne changerait pas
tant que le Seigneur n’aurait pas révélé
sa volonté au prophète.
Avant
la fin de la réunion, le président Kimball exhorta les
apôtres à jeûner et à prier sur cette
question. Au cours des semaines suivantes, il les invita à
étudier le sujet et à noter leurs réflexions. Il
chargea Howard W. Hunter et Boyd K. Packer de compiler un historique
de la restriction concernant la prêtrise et de documenter tout
ce qui avait été dit sur la question lors de réunions
de la Première Présidence et des Douze. L’année
précédente, il avait également demandé à
Bruce R. McConkie d’examiner les fondements scripturaux de
cette pratique.
Pendant
ce temps, le prophète continuait de prier. Il était
toujours assailli de préoccupations, mais elles devenaient de
moins en moins importantes. Il sentait une impression spirituelle
grandissante, profonde et durable qu’il fallait aller de
l’avant. Lorsque frère McConkie présenta son
rapport, il conclut qu’aucune Écriture n’interdisait
à l’Église de lever la restriction.
Le
mardi 30 mai, le président Kimball montra à ses
conseillers l’ébauche d’une déclaration
étendant la prêtrise à tous les hommes dignes,
quelle que soit leur race.
Deux
jours plus tard, le 1er juin, la Première Présidence
tenait sa réunion mensuelle avec toutes les Autorités
générales. Comme d’habitude, ils étaient
venus en jeûnant. À la fin de la réunion, la
Première Présidence laissa partir tout le monde sauf
les apôtres.
Le
président Kimball déclara : « Je voudrais que
vous continuiez de jeûner avec moi. » Il leur rapporta
alors les nombreuses heures qu’il avait passées à
demander des réponses au Seigneur. Un changement apporterait
l’Évangile rétabli et les bénédictions
du temple à d’innombrables saints, hommes, femmes et
enfants, dans le monde entier.
Il
continua : « Je ne sais pas d’avance quelle sera la
réponse, mais je veux le découvrir. Quelle que soit la
décision du Seigneur, je la défendrai de toutes mes
forces. »
Il
demanda à chaque apôtre de s’exprimer. Pendant
deux heures, ils prirent la parole à tour de rôle. Un
sentiment de paix et d’unité les enveloppait.
Le
prophète demanda : « Puis-je faire une prière
avec vous ? »
Il
s’agenouilla à l’autel du temple, entouré
des apôtres. Humblement et avec ferveur, il demanda au Père
de les purifier du péché pour qu’ils puissent
recevoir la parole du Seigneur. Il pria pour savoir comment étendre
l’œuvre de l’Église et répandre
l’Évangile dans le monde entier. Il demanda au Seigneur
de manifester sa volonté concernant le fait d’étendre
la prêtrise à tous les hommes dignes de l’Église.
Lorsque
le président Kimball termina sa prière, le Saint-Esprit
inonda la salle, touchant le cœur de tous ceux qui se
trouvaient dans le cercle. L’Esprit parla à leur âme,
les liant les uns aux autres dans une harmonie totale. Tous les
doutes disparurent.
Le
président Kimball se releva vivement. Son cœur fragile
battait la chamade. Il enlaça David B. Haight, l’apôtre
le plus récemment appelé, puis étreignit les
autres, un par un. Tous avaient les larmes aux yeux. Certains
pleuraient ouvertement.
Ils
avaient reçu la réponse du Seigneur.
Plus
tard, Gordon B. Hinckley rapporta : « Nous avons quitté
la réunion dans la sérénité, le
recueillement et la joie. Chacun de nous savait que le temps était
venu pour qu’un changement se produise et que la décision
venait des cieux. La réponse était claire. L’unité
était parfaite entre nous, dans notre façon de vivre
cette expérience et de la comprendre. »
Il
ajouta : « Cela a été un moment paisible et
sublime. La voix de l’Esprit a murmuré avec certitude à
notre esprit et au plus profond de notre âme. »
Dans
son journal, Ezra Taft Benson écrivit : « Après
la prière, nous avons ressenti l’esprit d’unité
et de conviction le plus doux que j’aie jamais connu. Nous nous
sommes pris dans les bras, tellement nous étions impressionnés
par la douceur de l’esprit qui régnait. Notre sein
brûlait. »
Marvin
J. Ashton rapporta : « Ce fut l’événement
le plus spirituel de toute ma vie. J’en suis sorti épuisé.
»
Bruce
R. McConkie témoigna : « Du milieu de l’éternité,
la voix de Dieu, transmise par la puissance de l’Esprit, a
parlé à son prophète. La prière du
président Kimball a été exaucée et les
nôtres aussi. Il a entendu une voix et nous l’avons
entendue aussi. Tous les doutes et toutes les incertitudes se sont
évaporés. Il connaissait la réponse et nous
aussi. Nous sommes tous des témoins vivants de la véracité
de la parole si gracieusement envoyée du ciel. »
N.
Eldon Tanner témoigna : « La réponse nous est
parvenue à tous avec force. Il n’y avait absolument
aucun doute dans l’esprit de chacun d’entre nous. »
Huit
jours après la prière du président Kimball,
Darius Gray était assis dans son bureau au sein d’une
entreprise fabriquant du papier à Salt Lake City lorsqu’une
collègue passa la tête dans l’embrasure de la
porte. Elle rapporta qu’elle avait entendu que l’Église
accordait désormais la prêtrise aux hommes noirs.
Darius
pensait qu’elle faisait une mauvaise blague. Il répondit
: « Ce n’est pas drôle. »
Elle
insista : « Je ne plaisante pas. » Elle venait de parler
avec un client au bâtiment administratif de l’Église.
La rumeur courait que le président Kimball avait reçu
la révélation d’étendre les bénédictions
de la prêtrise et du temple à tous les membres dignes de
l’Église.
Sceptique,
Darius prit le téléphone et composa le numéro du
bureau du président de l’Église. Un secrétaire
l’informa que le prophète était au temple, mais
il confirma que les rumeurs étaient fondées. Il avait
effectivement reçu une révélation sur la
prêtrise.
Darius
était abasourdi. Il n’arrivait pas à y croire.
Rien ne l’avait préparé à cette nouvelle.
Ce changement semblait totalement inattendu.
Plus
tard dans la journée, le Deseret News publia une annonce de la
Première Présidence : « Témoins de
l’expansion de l’œuvre du Seigneur sur la terre,
nous avons été heureux de constater que dans beaucoup
de pays des gens ont répondu au message de l’Évangile
rétabli et se sont joints à l’Église en
nombre sans cesse croissant. Cela a suscité en nous le désir
d’étendre à tous les membres dignes de l’Église
tous les droits sacrés et toutes les bénédictions
qu’offre l’Évangile. […]
«
Il a entendu nos prières et a confirmé par révélation
que le jour promis depuis si longtemps est venu. Tous les hommes
fidèles et dignes de l’Église pourront recevoir
la Sainte Prêtrise, avec le pouvoir d’exercer son
autorité divine et de jouir avec leur famille de toutes les
bénédictions qui en découlent, notamment les
bénédictions du temple. »
Dès
qu’il entendit la nouvelle, Darius se rendit à Temple
Square. Tout le quartier vibrait d’excitation. Darius parla de
cette révélation à un journaliste, puis traversa
la rue pour se rendre au bureau de son vieil ami Heber Wolsey,
désormais directeur de la communication de l’Église.
Heber
n’était pas là, mais sa secrétaire lui
demanda de patienter. Elle lui assura : « Je sais qu’il
voudra vous voir. »
Darius
attendit. Le bureau d’Heber surplombait la façade est du
temple de Salt Lake. Le soleil était haut et éclatant,
et par la fenêtre, Darius voyait les pierres du temple
étinceler.
Bientôt,
Heber fut de retour dans son bureau. Dès qu’il aperçut
Darius, il l’étreignit en pleurant.
Il
murmura : « Je n’aurais jamais pensé… »
Le
regard de Darius se posa sur son ami avant de glisser vers le temple,
à travers la fenêtre. Il savait que cette révélation
ne changerait pas seulement le présent et l’avenir. Elle
aurait également une incidence sur le passé. Pour la
première fois dans cette dispensation, des personnes comme
lui, en vie ou décédées, auraient la possibilité
de recevoir toutes les ordonnances du temple disponibles.
Darius
regarda à nouveau Heber, ferma les yeux, puis les rouvrit
lentement.
Il
déclara : « Dieu est bon. »
Un
soir de juin 1978, Billy Johnson rentrait chez lui à Cape
Coast, au Ghana. Comme souvent, des membres de son assemblée
avaient jeûné avec lui, mais cela ne lui avait pas
remonté le moral. Il était fatigué et découragé.
De plus en plus de croyants avaient arrêté de venir et
étaient retournés dans leurs anciennes Églises.
Billy
rêvait de se sentir à nouveau fort spirituellement et
émotionnellement. Environ deux mois plus tôt, une membre
de son assemblée lui avait parlé d’une révélation
qu’elle avait reçue. Elle avait affirmé : «
Les missionnaires viendront très bientôt. J’ai vu
des hommes blancs venir à notre église. Ils nous ont
enlacés et ont participé à notre culte. »
Une autre femme avait annoncé qu’elle avait reçu
une révélation similaire. Billy aussi avait rêvé
que des hommes blancs entraient dans son église et disaient :
« Nous sommes vos frères et nous sommes venus vous
baptiser. » Suite à cela, il avait également rêvé
que des personnes noires venaient de tous côtés pour se
joindre à l’Église.
Pourtant,
il n’arrivait pas à se défaire de son
découragement.
Malgré
l’heure tardive, il ne parvenait pas à dormir. Il se
sentit fortement poussé à écouter la British
Broadcasting Corporation (BBC) à la radio, ce qu’il
n’avait pas fait depuis des années.
Il
retrouva la radio, un modèle marron avec quatre boutons
argentés près de la base. L’appareil s’alluma
en grésillant. Il manipula les boutons et l’aiguille
rouge glissa d’avant en arrière sur le cadran. Pourtant,
il n’arrivait pas à trouver la station.
Finalement,
au bout d’une heure de recherche, Billy finit par distinguer un
bulletin d’informations de la BBC. Le journaliste rapportait
que le président de l’Église de Jésus-Christ
des avait reçu une révélation. Tous les membres
de l’Église, sans distinction de race, pouvaient
désormais détenir la prêtrise.
Billy
s’effondra, pleurant de joie. L’autorité
de la prêtrise allait enfin arriver au Ghana.
Le
29 septembre 1978, à Salt Lake City, le président
Kimball prit la parole lors d’un séminaire destiné
aux représentants régionaux de l’Église.
Dans son discours aux représentants régionaux, le
président Kimball parla des croyants au Ghana et au Nigeria.
Il déclara : « Ils ont déjà tant attendu.
Pouvons-nous leur demander d’attendre encore ? » Il s’y
refusait.
Le
lendemain, pour la conférence générale, le
tabernacle de Salt Lake City était comble. À la demande
du président Kimball, son conseiller, N. Eldon Tanner, se
dirigea vers la chaire et lut la déclaration de la Première
Présidence annonçant que tous les hommes dignes
pouvaient détenir la prêtrise, sans distinction de race.
Il
déclara : « Reconnaissant Spencer W. Kimball comme
prophète, voyant et révélateur et président
de l’Église de Jésus-Christ des saints des
derniers jours, il est proposé qu’en tant qu’assemblée
constituante nous acceptions cette révélation comme
étant la parole et la volonté du Seigneur. »
Il
demanda à toutes les personnes d’accord de lever la main
droite et une nuée de mains se levèrent. Il demanda aux
avis contraires de se manifester. Pas une seule main ne se leva.
Peu
après la conférence, le président Kimball était
assis au bout d’une longue table dans une salle de conférence
du bâtiment administratif de l’Église. Il était
accompagné de ses conseillers, de plusieurs Autorités
générales et de deux couples d’âge mûr,
Edwin et Janath Cannon, et Rendell et Rachel Mabey. Ces couples
venaient d’accepter d’être les tout premiers
missionnaires en Afrique de l’Ouest, ce qui signifiait pour
Janath d’être relevée de son appel de première
conseillère dans la présidence générale
de la Société de Secours.
Le
groupe discuta de l’affectation des missionnaires et des défis
qu’ils rencontreraient sûrement au contact des croyants
du Ghana et du Nigeria. Au moment de clore la réunion,
quarante minutes plus tard, le président Kimball remercia les
couples pour leur fidélité.
Il
demanda : « Avez-vous d’autres questions ? »
Elder
Mabey regarda les autres missionnaires et répondit : «
Juste une à ce stade. Quand désirez-vous que nous
partions ? »
Le
président Kimball répondit en souriant :
«
Hier. »
Rudá
Martins fut la première de sa famille à être au courant de la
révélation sur la prêtrise. La nouvelle était tombée au moment où les
lignes téléphoniques de leur quartier de Rio de Janeiro étaient
coupées. Une amie de la famille avait fait quarante minutes de bus pour
l’en informer. La jeune femme avait frappé à la porte, s’écriant
qu’elle avait des nouvelles.
«
J’ai appris que l’Église a reçu une révélation », avait-elle commencé,
expliquant ensuite à Rudá que tous les hommes dignes pouvaient
désormais détenir la prêtrise.
Helvécio
étant au travail, Rudá dut attendre pour le lui annoncer. Dès son
arrivée, elle s’exclama : « J’ai des nouvelles, des nouvelles
merveilleuses ! Helvécio, tu détiendras la prêtrise. »
Son
mari resta abasourdi. Il n’arrivait pas à y croire. À cet instant, le
téléphone sonna et il décrocha. Son interlocuteur était un collègue à
Salt Lake City.
Il déclara : « J’ai la déclaration officielle entre les mains et je vais vous la lire. »
En
raccrochant, Helvécio et Rudá pleurèrent en faisant une prière de
reconnaissance à leur Père céleste. Le temple de São Paulo allait être
consacré dans seulement quelques mois. Ils seraient désormais en mesure
de recevoir leur dotation et d’être scellés avec leurs quatre enfants.
Deux
semaines plus tard, Helvécio et Marcus reçurent la Prêtrise d’Aaron.
Une semaine après, Helvécio fut ordonné ancien et il conféra
immédiatement la Prêtrise de Melchisédek à Marcus. Marcus était fiancé
à une jeune femme qui avait rempli une mission, Mirian Abelin Barbosa.
Ils avaient déjà envoyé les invitations à leur mariage. Néanmoins, ils
décidèrent de le reporter afin que Marcus puisse faire une mission.
Au
début du mois de novembre 1978, la famille Martins assista à la
consécration du temple. Rudá s’assit avec le chœur près du président
Kimball et des autres Autorités générales venues pour la cérémonie.
Helvécio se trouvait dans l’assemblée avec leurs enfants. Les
missionnaires des quatre missions brésiliennes avaient reçu
l’autorisation d’assister à la consécration, si bien que Marcus,
désormais missionnaire à plein temps dans la mission nord de São Paulo,
était également présent.
Quelques
jours plus tard, le 6 novembre, Rudá, Helvécio et Marcus reçurent leur
dotation. Ils furent ensuite conduits dans une salle de scellement, où
Marcus servit de témoin tandis que ses parents étaient scellés pour le
temps et l’éternité. Les trois plus jeunes enfants furent alors amenés
dans la salle, vêtus de blanc.
Leur fille de trois ans demanda : « Maman, qu’est-ce qu’on va faire ici ? »
Montrant l’autel, Rudá expliqua : « Nous allons nous agenouiller à cette table et être unis en famille. »
La fillette répondit : « Je suis contente de devenir vraiment ta fille. »
Sa mère la rassura : « Tu es déjà ma fille. »
La
famille prit place autour de l’autel et le scelleur procéda à la
cérémonie. Marcus était le seul enfant assez âgé pour comprendre
l’importance de ce moment. Pourtant, les trois autres semblaient
ressentir l’émerveillement et le bonheur qui régnaient dans la pièce.
La vue de leur famille réunie dans le temple était pour Rudá et
Helvécio une scène merveilleuse. Ils débordaient de joie.
Rudá pensa : « Ils sont miens désormais. Ils sont véritablement miens. »
Le
18 novembre 1978, Anthony Obinna s’approcha solennellement de
trois Américains, une femme et deux hommes, qui l’attendaient
devant le lieu de culte de son assemblée, au sud-est du
Nigeria. Il était venu dès qu’il avait appris la
nouvelle de leur arrivée. Il les avait attendus pendant plus
de dix ans.
Il
s’agissait de Rendell Mabey, Rachel Mabey et Edwin Cannon. Ils
lui demandèrent : « Êtes-vous Anthony Obinna ? »
Il
répondit par l’affirmative et ils entrèrent dans
le lieu de culte. Le bâtiment mesurait environ neuf mètres
de long. Les lettres « SDJ » ornaient le mur au-dessus
d’une porte et les mots « Foyer missionnaire » se
trouvaient au-dessus d’une autre. Juste sous le toit, quelqu’un
avait peint les mots « nigériens ».
Anthony
confia aux visiteurs : « L’attente a été
longue et difficile, mais cela n’a plus d’importance
maintenant. Vous êtes enfin venus ! »
Elder
Cannon répondit : « L’attente a en effet été
longue, mais l’Évangile est maintenant là dans sa
plénitude. »
Les
missionnaires lui demandèrent de raconter son histoire. Il
leur expliqua qu’il avait quarante-huit ans et qu’il
était l’assistant du maître d’école
d’un établissement voisin. Il raconta qu’il avait
rêvé des années plus tôt du temple de Salt
Lake City et qu’il en avait ensuite découvert une photo
dans un vieux magazine. Il n’avait jamais entendu parler de
l’Église avant cela. Il raconta, la voix étranglée
par l’émotion : « Là, devant mes yeux, se
trouvait le bâtiment même que j’avais visité
dans mon rêve. »
Il
raconta son étude approfondie de l’Évangile
rétabli de Jésus-Christ, ses correspondances avec LaMar
Williams et sa tristesse face à l’absence persistante de l’Église au Nigeria. Il
témoigna aussi de sa foi et de son refus de désespérer,
même lorsque les autres croyants et lui avaient été
persécutés en raison de leur dévouement à
la vérité.
Quand
Anthony eut terminé son récit, Elder Mabey demanda à
lui parler en privé. Ils pénétrèrent dans
la pièce voisine et le missionnaire demanda s’il y avait
des lois au Nigeria susceptibles d’empêcher le baptême
parce que l’Église n’était pas encore
légalement enregistrée. Anthony répondit que
non.
Elder
Mabey poursuivit : « Je suis ravi de l’apprendre. Nous
avons beaucoup de déplacements prévus au cours des
prochaines semaines pour rendre visite à d’autres
groupes tels que le vôtre. » Il expliqua que ces visites
prendraient cinq à six semaines et que les missionnaires
reviendraient ensuite pour baptiser Anthony et son groupe.
Celui-ci
répondit : « Non, s’il vous plaît. Je sais
qu’il y a beaucoup d’autres personnes, mais cela fait
treize ans que nous attendons. » Il regarda Elder Mabey dans
les yeux et ajouta : « Si c’est humainement possible,
faites les baptêmes maintenant. »
Elder
Mabey demanda : « Est-ce que la plupart des personnes ici sont
réellement prêtes ? »
Anthony
affirma : « Absolument ! Baptisons les plus forts dans la foi
maintenant et continuons d’enseigner les autres. »
Trois
jours plus tard, Anthony s’entretint avec Elder Mabey pour
discuter de la manière de diriger une branche de l’Église.
À l’extérieur, des petits enfants chantaient un
nouveau chant que les missionnaires leur avaient enseigné :
Je
suis enfant de Dieu
et
il m’a mis ici ;
il
m’a donné un bon foyer
des
parents si gentils.
Bientôt,
Anthony, les missionnaires et les autres croyants se réunirent
au bord d’une mare isolée de la rivière
Ekeonumiri. La mare mesurait environ neuf mètres de large et
était entourée de buissons et d’arbres denses et
verts. Les rayons du soleil filtraient à travers les arbres et
dansaient sur la surface de l’eau. Des petits poissons colorés
allaient et venaient près de la rive.
Elder
Mabey entra dans l’eau et prit Anthony par la main. Le sourire
aux lèvres, il le suivit. Après avoir trouvé son
équilibre, Anthony saisit le poignet d’Elder Mabey et le
missionnaire leva la main droite.
Il
déclara : « Anthony Uzodimma Obinna, ayant reçu
l’autorité de Jésus-Christ, je te baptise au nom
du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. »
Anthony
sentit l’eau l’envelopper tandis qu’Elder Mabey
l’immergeait. Lorsqu’il sortit de l’eau, la foule
qui se trouvait sur la rive poussa un soupir collectif, suivi
d’éclats de rire joyeux.
Une
fois Fidelia, la femme d’Anthony, et dix-sept autres personnes
baptisées, le groupe retourna au lieu de culte. Anthony et ses
trois frères, Francis, Raymond et Aloysius, furent ordonnés
à l’office de prêtre dans la Prêtrise
d’Aaron. Elder Mabey mit alors Anthony à part comme
président de la branche d’Aboh, avec Francis et Raymond
comme conseillers.
Grâce
à l’autorité de la prêtrise qu’il
détenait, Anthony mit ensuite Fidelia à part en tant
que présidente de la Société de Secours de la
branche.
Au
début de l’année 1981, Julia Mavimbela,
soixante-trois ans, gérait un jardin communautaire près
de chez elle, à Soweto, un township noir de plus d’un
million d’habitants situé à l’ouest de
Johannesburg, en Afrique du Sud. Ancienne directrice d’école
primaire, elle avait créé le jardin quelques années
plus tôt pour aider les jeunes du township à grandir
sous l’apartheid, la politique officielle de ségrégation
raciale de l’Afrique du Sud.
En
tant que femme noire, elle savait à quel point il était
difficile de vivre dans ce système. Ces lois rabaissaient les
Noirs et les traitaient comme des citoyens inférieurs. Pendant
des décennies, le gouvernement avait obligé tous les
Noirs sud-africains à porter sur eux un livret d’identité
indiquant les endroits où ils pouvaient ou ne pouvaient pas
aller. S’ils étaient découverts dans des
quartiers blancs au mauvais moment de la journée, ils
pouvaient être frappés, arrêtés, voire
tués.
Lorsqu’elle
était plus jeune, Julia avait été contrainte de
quitter son quartier multiracial de Johannesburg pour s’installer
dans une maison à Soweto, où régnait la
ségrégation. Aujourd’hui, alors qu’elle
observait les jeunes lutter contre ces injustices, elle s’inquiétait
de l’amertume qui grandissait dans leur cœur. Elle
espérait, grâce à son jardin, leur enseigner
comment dépasser leur colère avant qu’elle ne les
consume, eux et leurs êtres chers.
Elle
disait : « Regardez, cette terre est dure. Mais avec une bêche,
nous la fendons et elle forme des mottes. Si nous les cassons et y
mettons une graine, elle pousse. »
Elle
voulait que les jeunes intègrent dans leur cœur le
message de la terre dure. Elle continuait : « Creusons le sol
de l’amertume, semons une graine d’amour et voyons quels
fruits elle portera. L’amour ne viendra pas sans que nous
pardonnions. »
C’était
une leçon que Julia s’efforçait encore
d’apprendre. Des décennies plus tôt, son mari,
John, avait été tué dans une collision frontale
avec un conducteur blanc. Lorsqu’elle s’était
rendue au poste de police pour récupérer ses effets
personnels, elle avait découvert que l’argent qu’il
avait sur lui avait été volé après
l’accident. Elle pensait que John n’était pas
responsable de l’accident, toutefois un tribunal composé
uniquement de Blancs en avait jugé autrement.
Seule
pour élever leurs enfants après le décès
de son mari, Julia s’était battue pour subvenir à
leurs besoins. Pourtant, dans les moments difficiles, elle avait
senti la présence de Jésus-Christ auprès d’elle,
qui la réconfortait et la rassurait.
Aujourd’hui,
plus d’un quart de siècle après la mort de John,
Julia savait que le pardon était essentiel à la
guérison de sa douleur. Malgré cela, elle avait
toujours du mal à pardonner aux personnes qui avaient terni la
réputation de John et l’avaient volée, sa famille
et elle.
Un
jour de juin 1981, Julia fut invitée à participer au
nettoyage d’un centre pour la jeunesse et d’une
bibliothèque qui avaient été pillés et
incendiés lors de récentes émeutes contre
l’apartheid. En arrivant, elle fut surprise de voir deux jeunes
hommes pelleter les débris. Ils étaient blancs,
spectacle étonnant à Soweto.
Avec
de grands sourires, les jeunes hommes expliquèrent à
Julia qu’ils étaient des missionnaires américains
venus apporter leur aide. Ils s’y connaissaient un peu en
jardinage et avaient entendu parler du jardin communautaire de Julia.
Ils lui demandèrent s’ils pouvaient lui rendre visite.
Julia ne souhaitait pas les recevoir. En invitant deux hommes blancs
chez elle, elle s’exposait à des représailles
violentes, contre sa famille et elle. Ses voisins penseraient-ils
qu’elle collaborait avec la police ou le gouvernement
d’apartheid ?
Tandis
qu’elle cherchait une excuse, elle sentit un poids dans sa
poitrine et sut qu’elle devait les laisser venir. Elle les
invita à venir trois jours plus tard.
Les
hommes arrivèrent pile à l’heure, avec leur
chemise blanche et leur badge. Ils se présentèrent
comme étant missionnaires de l’Église de
Jésus-Christ des . Elle écouta poliment leur message,
Mais dès la deuxième visite, elle cherchait un moyen de
leur dire gentiment qu’elle n’était pas
intéressée.
L’un
des missionnaires pointa alors du doigt une photo de Julia et de son
défunt mari et demanda : « Où est-il ? »
Elle
répondit : « Il est décédé. »
Les
missionnaires lui parlèrent du baptême pour les morts.
Elle était sceptique. Au fil des années, elle avait
fréquenté de nombreuses Églises. Jamais elle
n’avait entendu quelqu’un dire que les morts pouvaient
être baptisés.
Un
missionnaire ouvrit le Nouveau Testament et lui demanda de lire 1
Corinthiens 15:29 : « Autrement que feraient ceux qui se font
baptiser pour les morts ? Si les morts ne ressuscitent absolument
pas, pourquoi se font-ils baptiser pour eux ? »
Le
verset la captiva. Elle écouta désormais les jeunes
hommes avec un cœur ouvert. Tandis qu’ils lui parlaient
des familles éternelles, elle découvrit que les êtres
chers pouvaient effectuer les baptêmes et les autres
ordonnances dans les temples pour leurs défunts. Elle pourrait
aussi être réunie à ceux qu’elle avait
perdus, notamment John, après cette vie.
Sa
vie commença à changer dès qu’elle se mit
à lire le Livre de Mormon. Pour la première fois, elle
réalisa que tous les peuples formaient une seule et même
famille. L’Évangile rétabli de Jésus-Christ
lui donna l’espérance qu’elle pourrait un jour
pardonner aux personnes qui avaient fait souffrir sa famille.
Julia
se fit baptiser six mois après avoir rencontré les
missionnaires. Un mois plus tard, elle fut invitée à
prendre la parole lors d’une conférence de pieu. Sous le
régime de l’apartheid, l’Église n’essayait
pas de faire du prosélytisme parmi les Noirs d’Afrique
du Sud. Cependant, au début des années 1980,
l’apartheid commençait à s’effriter. Ainsi,
Noirs et Blancs, membres de la même religion, pouvaient plus
facilement se réunir et pratiquer leur culte ensemble.
Quelques mois avant le baptême de Julia, une assemblée
avait été organisée pour les saints de Soweto.
Julia
se leva, nerveuse, devant l'assemblée du pieu composée essentiellement de Blancs. Elle
craignait que sa douleur à la suite de la mort de John ne
l’isole des autres membres de l’Église. Cependant,
son cœur était rempli de prières et le Seigneur
l’incita à raconter son histoire.
Elle
parla de la mort de son mari, du traitement cruel que lui avait
infligé la police et de l’amertume qu’elle avait
éprouvée pendant si longtemps. Elle témoigna : «
J’ai enfin découvert l’Église qui peut
m’apprendre à pardonner, réellement. »
Comme les mottes de terre du jardin, son amertume était
brisée.
Elle
expliqua qu’il ne lui restait que paix et pardon.
Le
27 novembre 1982, le ciel de Johannesburg, en Afrique du Sud, était
couvert alors que huit cent cinquante personnes se rassemblaient pour
la cérémonie d’ouverture de chantier de la
première maison du Seigneur sur le continent africain. Julia
Mavimbela était venue à la cérémonie avec
dix familles de Soweto, le township noir situé à
l’ouest de la ville. Dès qu’elle avait appris
l’existence des temples, elle avait voulu que les ordonnances
soient accomplies pour son défunt mari et ses parents décédés.
Elle était déterminée à participer à
tous les événements importants de la construction du
temple.
Marvin
J. Ashton, du Collège des douze apôtres, présidait
la cérémonie. Dans sa conclusion, il parla de
l’excitation spirituelle qu’il ressentait chez les saints
sud-africains. Quand la maison du Seigneur serait achevée, les
saints qui devaient auparavant parcourir des milliers de kilomètres
pour se rendre dans des temples aux États-Unis, en Suisse, au
Royaume-Uni ou au Brésil pourraient désormais profiter
d’un temple à proximité.
Après
le discours de frère Ashton, des dirigeants de l’Église
et lui creusèrent cérémonieusement le sol à
l’aide de pelles. D’autres saints, désireux de
participer, s’avancèrent ensuite. Ne voulant pas se
frayer un chemin dans la foule, Julia et les saints de Soweto
restèrent en retrait. Des dirigeants les remarquèrent
et les invitèrent à s’avancer, à prendre
une bêche et à creuser le sol à leur tour. Julia
était sûre que son groupe avait été
remarqué grâce à l’Esprit.
Au
cours des mois suivants, Julia se réjouit de servir au sein de
la Société de Secours. La plupart des membres de sa
branche étaient des convertis récents. Des membres de
l’Église expérimentés d’autres
paroisses du pieu les avaient encadrés jusqu’à ce
qu’ils soient prêts à diriger eux-mêmes la
branche. La présidente de la Société de Secours,
une femme blanche, avait choisi Julia pour être sa première
conseillère.
La
branche était l’une des premières organisées
dans un township noir. Elle se réunissait dans une paroisse de
l’Église dans un quartier de Johannesburg. Pour s’y
rendre, Julia et d’autres saints noirs de Soweto devaient
prendre un taxi jusqu’à la ville, puis faire le reste du
chemin à pied. Au bout d’un certain temps, la branche
commença à se réunir dans un lycée de
Soweto. Julia était heureuse de pouvoir aller à
l’église plus près de chez elle.
Toutefois,
le nouveau lieu de réunions présentait d’autres
difficultés. Chaque dimanche matin, les saints devaient
arriver tôt pour balayer le sol et nettoyer les fenêtres
et les chaises afin que le bâtiment convienne à la
réunion de Sainte-Cène. Parfois, la personne qui leur
louait le bâtiment cherchait à gagner plus d’argent
et réservait l’endroit pour deux groupes à la
fois. Les saints n’avaient alors pas d’endroit pour se
réunir.
Bientôt,
le pieu de Johannesburg commença à appeler de plus en
plus de saints noirs comme dirigeants dans les branches des
townships. Julia devint la nouvelle présidente de la Société
de Secours de sa branche.
Elle
se sentit tout de suite incompétente. Elle était une
dirigeante communautaire expérimentée, savait aider et
motiver les gens, mais les saints de sa branche étaient
habitués à ce que les dirigeants de l’Église
soient blancs. Elle pouvait presque les entendre douter de ses
capacités et penser : « Elle est noire comme nous. »
Elle
refusa néanmoins de se décourager. Elle croyait en ses
capacités et elle savait que le Seigneur l’accompagnerait.
Le
30 avril 1988, Isaac « Ike » Ferguson descendit d’un
avion et ressentit la chaleur de N’Djamena, au Tchad, rappel
immédiat qu’il se trouvait loin de la fraîcheur
printanière de sa maison à Bountiful, en Utah. Tout
autour de lui, il voyait des gens en tunique blanche et la tête
couverte. Des déserts de sable s’étendaient dans
toutes les directions à l’horizon.
À
la demande de la Première Présidence, Ike était
venu aux confins des déserts d’Afrique du Nord pour
suivre les projets humanitaires de l’Église. Pendant des
générations, l’Église avait utilisé
ses offrandes de jeûne principalement pour aider les saints en
difficulté. Cependant, au début des années 1980,
une famine avait dévasté l’Éthiopie, où
l’Église n’avait pas de présence
officielle. Les images diffusées à la télévision
d’enfants affamés et de camps humanitaires surchargés
avaient touché les gens du monde entier, notamment les saints.
Le 27 janvier 1985, l’Église avait organisé un
jeûne humanitaire spécial aux États-Unis et au
Canada qui avait permis de récolter 6 millions de dollars
d’offrandes de jeûne pour l’aide à
l’Afrique.
Quelques
mois plus tard, M. Russell Ballard, l’un des présidents
du premier collège des soixante-dix, s’était
rendu en Éthiopie pour trouver les organisations humanitaires
qui permettraient à l’Église de faire le plus de
bien. Ike, titulaire d’un doctorat et ayant de l’expérience
professionnelle dans le domaine de la santé publique, avait
alors été embauché pour gérer les dons
humanitaires depuis un bureau en Utah. Dès son premier jour,
il avait reçu un ordinateur, un téléphone et
l’autorisation de distribuer les millions de dollars d’offrande
de jeûne au profit de l’Éthiopie.
S’appuyant
sur le travail de frère Ballard, Ike avait contacté
d’autres organisations humanitaires internationales pour
obtenir des conseils sur la meilleure façon d’utiliser
les dons. Il avait ensuite accordé d’importantes
subventions à des organisations humanitaires travaillant en
Éthiopie et dans les pays voisins connaissant des problèmes
similaires. Dix mois après le premier jeûne, l’Église
en avait organisé un deuxième pour la même cause.
Les
dons des saints au profit de l’Éthiopie s’étaient
avérés si utiles que les services d’entraide de
l’Église avaient commencé à établir
des partenariats avec des organismes d’aide humanitaire dans
d’autres parties du monde. En peu de temps, Ike avait participé
à l’organisation d’une exposition sur la santé
dans les Caraïbes, envoyé du matériel médical
pour aider les enfants atteints d’infirmité motrice
cérébrale en Hongrie et distribué des vaccins en
Bolivie.
En
arrivant à N’Djamena, Ike passa plusieurs jours à
visiter des sites humanitaires au Tchad et au Niger. Il se rendit en
avion dans la vallée de Majia, au Niger, où l’Église
avait fait don de centaines de milliers de dollars à un projet
de reforestation. Depuis le ciel, il voyait des rangées
d’arbres résistants à la sécheresse
formant une « barrière vivante » entre les riches
terres agricoles de la vallée et l’avancée du
désert. L’avion atterrit et des représentants de
l’un des partenaires humanitaires de l’Église le
conduisit à travers les zones reboisées.
Ike
apprit que les arbres empêchaient le vent d’éroder
le sol et fournissaient du fourrage pour les moutons, les chèvres
et le bétail. Ils constituaient également une source de
combustible à long terme pour les personnes vivant à
proximité. Les agriculteurs de la région avaient
augmenté leur production agricole de trente pour cent depuis
le début du projet, sauvant ainsi de nombreuses vies des
ravages du désert.
Quelques
jours plus tard, Ike s’envola vers le Ghana, où l’Église
avait désormais une mission et une dizaine de branches. C’est
là qu’il rencontra une organisation partenaire,
Africare, afin de discuter d’une ferme d’entraide de
l’Église de seize hectares à Abomosu, une ville
située à environ cent trente kilomètres au
nord-ouest d’Accra.
La
ferme avait été créée en 1985 après
une grave sécheresse qui avait épuisé les
réserves alimentaires dans tout le pays. À l’instar
des fermes d’entraide de l’Église aux États-Unis,
elle fournissait de la nourriture aux personnes dans le besoin tout
en encourageant l’indépendance et l’autonomie. Des
saints locaux géraient la ferme avec l’aide de la
mission d’Accra (Ghana). Au début, tous les travailleurs
étaient bénévoles, mais ils étaient
désormais salariés et la plupart membres de l’Église.
Après
trois saisons de culture, la ferme connaissait un succès
modéré à produire du maïs, du manioc, de la
banane plantain et d’autres cultures pour les personnes dans le
besoin. Mais le bien qu’elle produisait ne correspondait pas
encore à ses coûts de fonctionnement élevés.
Les
consultants d’Africare dirent à Ike qu’ils
pensaient que la ferme servirait mieux cette localité si
l’Église permettait aux habitants d’Abomosu de la
transformer en coopérative. Des agriculteurs locaux, qui
utilisaient des techniques de culture traditionnelles, pourraient
collaborer pour fournir davantage de nourriture aux habitants de la
localité. L’Église continuerait à apporter
un soutien financier à la ferme sans pour autant assumer
l’entière responsabilité de son succès.
Avant
de quitter le Ghana, Ike et les consultants présentèrent
cette idée à environ cent cinquante membres de la
localité d’Abomosu, dont le chef tribal local. Le plan
fut bien accueilli et de nombreux agriculteurs se montrèrent
enthousiastes à l’idée de faire partie de la
coopérative.
Le
30 avril 1988, Isaac « Ike » Ferguson descendit d’un avion et ressentit
la chaleur de N’Djamena, au Tchad, rappel immédiat qu’il se trouvait
loin de la fraîcheur printanière de sa maison à Bountiful, en Utah.
Tout autour de lui, il voyait des gens en tunique blanche et la tête
couverte. Des déserts de sable s’étendaient dans toutes les directions
à l’horizon.
À
la demande de la Première Présidence, Ike était venu aux confins des
déserts d’Afrique du Nord pour suivre les projets humanitaires de
l’Église. Pendant des générations, l’Église avait utilisé ses offrandes
de jeûne principalement pour aider les saints en difficulté. Cependant,
au début des années 1980, une famine avait dévasté l’Éthiopie, où
l’Église n’avait pas de présence officielle. Les images diffusées à la
télévision d’enfants affamés et de camps humanitaires surchargés
avaient touché les gens du monde entier, notamment les saints. Le 27
janvier 1985, l’Église avait organisé un jeûne humanitaire spécial aux
États-Unis et au Canada qui avait permis de récolter 6 millions de
dollars d’offrandes de jeûne pour l’aide à l’Afrique.
Quelques
mois plus tard, M. Russell Ballard, l’un des présidents du premier
collège des soixante-dix, s’était rendu en Éthiopie pour trouver les
organisations humanitaires qui permettraient à l’Église de faire le
plus de bien. Ike, titulaire d’un doctorat et ayant de l’expérience
professionnelle dans le domaine de la santé publique, avait alors été
embauché pour gérer les dons humanitaires depuis un bureau en Utah. Dès
son premier jour, il avait reçu un ordinateur, un téléphone et
l’autorisation de distribuer les millions de dollars d’offrande de
jeûne au profit de l’Éthiopie.
S’appuyant
sur le travail de frère Ballard, Ike avait contacté d’autres
organisations humanitaires internationales pour obtenir des conseils
sur la meilleure façon d’utiliser les dons. Il avait ensuite accordé
d’importantes subventions à des organisations humanitaires travaillant
en Éthiopie et dans les pays voisins connaissant des problèmes
similaires. Dix mois après le premier jeûne, l’Église en avait organisé
un deuxième pour la même cause.
Les
dons des saints au profit de l’Éthiopie s’étaient avérés si utiles que
les services d’entraide de l’Église avaient commencé à établir des
partenariats avec des organismes d’aide humanitaire dans d’autres
parties du monde. En peu de temps, Ike avait participé à l’organisation
d’une exposition sur la santé dans les Caraïbes, envoyé du matériel
médical pour aider les enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale
en Hongrie et distribué des vaccins en Bolivie.
En
arrivant à N’Djamena, Ike passa plusieurs jours à visiter des sites
humanitaires au Tchad et au Niger. Il se rendit en avion dans la vallée
de Majia, au Niger, où l’Église avait fait don de centaines de milliers
de dollars à un projet de reforestation. Depuis le ciel, il voyait des
rangées d’arbres résistants à la sécheresse formant une « barrière
vivante » entre les riches terres agricoles de la vallée et l’avancée
du désert. L’avion atterrit et des représentants de l’un des
partenaires humanitaires de l’Église le conduisit à travers les zones
reboisées.
Ike
apprit que les arbres empêchaient le vent d’éroder le sol et
fournissaient du fourrage pour les moutons, les chèvres et le bétail.
Ils constituaient également une source de combustible à long terme pour
les personnes vivant à proximité. Les agriculteurs de la région avaient
augmenté leur production agricole de trente pour cent depuis le début
du projet, sauvant ainsi de nombreuses vies des ravages du désert.
Quelques
jours plus tard, Ike s’envola vers le Ghana, où l’Église avait
désormais une mission et une dizaine de branches. C’est là qu’il
rencontra une organisation partenaire, Africare, afin de discuter d’une
ferme d’entraide de l’Église de seize hectares à Abomosu, une ville
située à environ cent trente kilomètres au nord-ouest d’Accra.
La
ferme avait été créée en 1985 après une grave sécheresse qui avait
épuisé les réserves alimentaires dans tout le pays. À l’instar des
fermes d’entraide de l’Église aux États-Unis, elle fournissait de la
nourriture aux personnes dans le besoin tout en encourageant
l’indépendance et l’autonomie. Des saints locaux géraient la ferme avec
l’aide de la mission d’Accra (Ghana). Au début, tous les travailleurs
étaient bénévoles, mais ils étaient désormais salariés et la plupart
membres de l’Église.
Après
trois saisons de culture, la ferme connaissait un succès modéré à
produire du maïs, du manioc, de la banane plantain et d’autres cultures
pour les personnes dans le besoin. Mais le bien qu’elle produisait ne
correspondait pas encore à ses coûts de fonctionnement élevés.
Les
consultants d’Africare dirent à Ike qu’ils pensaient que la ferme
servirait mieux cette localité si l’Église permettait aux habitants
d’Abomosu de la transformer en coopérative. Des agriculteurs locaux,
qui utilisaient des techniques de culture traditionnelles, pourraient
collaborer pour fournir davantage de nourriture aux habitants de la
localité. L’Église continuerait à apporter un soutien financier à la
ferme sans pour autant assumer l’entière responsabilité de son succès.
Avant
de quitter le Ghana, Ike et les consultants présentèrent cette idée à
environ cent cinquante membres de la localité d’Abomosu, dont le chef
tribal local. Le plan fut bien accueilli et de nombreux agriculteurs se
montrèrent enthousiastes à l’idée de faire partie de la coopérative.
Le
14 juin 1989, Alice Johnson et Hetty Brimah, deux collègues
missionnaires, remarquèrent des regards fixés sur elles
tandis qu’elles rentraient chez elles à Koforidua, au
Ghana. Hetty demanda à haute voix : « Pourquoi est-ce
qu’ils nous regardent tous ? »
Alice
répondit : « Parce qu’on est belles. » Un
coiffeur qu’elles instruisaient venait de leur offrir un
brushing. Il était bien normal qu’elles ne passent pas
inaperçues.
Lorsqu’elles
arrivèrent à leur appartement, le propriétaire
leur dit qu’elles devaient immédiatement aller voir le
père et la belle-mère d’Alice, également
missionnaires à Koforidua.
Alice
était la fille de Billy Johnson, dont le dévouement à
la prédication de l’Évangile rétabli avait
contribué à l’établissement de l’Église
au Ghana. Il avait été l’un des premiers baptisés
lors de l’arrivée des missionnaires à la fin de
l’année 1978. Il avait ensuite reçu la prêtrise,
était devenu le premier président de branche au Ghana,
puis président de district. Une décennie plus tard, on
comptait désormais environ six mille Ghanéens saints
des derniers jours. En tant que missionnaires, Billy et sa femme
étaient chargés de s’occuper des saints qui
n’assistaient plus aux réunions de l’Église.
Alice
et Hetty se rendirent en ville à pied, à la maison de
la mission, et y trouvèrent le couple Johnson. Le père
d’Alice leur expliqua calmement, ainsi qu’aux autres
missionnaires présents, que le gouvernement ghanéen
avait interdit, pour des raisons inconnues, toute activité de
l’Église dans le pays. Plusieurs autres Églises
chrétiennes n’avaient également plus le droit de
se réunir.
Billy
expliqua : « Vous devez tous retirer vos badges missionnaires.
» La nouvelle de l’interdiction avait déjà
été diffusée à la radio, ce qui
expliquait pourquoi tant de gens avaient fixé Alice et Hetty
du regard. Il ajouta : « Retournez dans votre appartement et
faites vos valises rapidement. Demain matin, nous devons nous
présenter au foyer de la mission à Accra. »
En
grandissant, Alice avait toujours admiré la disposition à
prier de son père, ainsi que sa gentillesse et son
enthousiasme pour l’Évangile rétabli. En fait, sa
foi et son désir de servir Dieu avaient incité la jeune
fille à partir en mission à l’âge de
dix-huit ans, ce qui était autorisé dans certaines
parties du monde.
Tandis
qu’il parlait de l’interdiction gouvernementale, il
exhorta Alice et les missionnaires à jeûner et prier
pour qu’elle soit levée.
Le
lendemain matin, Alice et Hetty parcoururent quatre-vingts kilomètres
vers le sud pour se rendre au siège de la mission à
Accra. Là, elles trouvèrent des dizaines de
missionnaires rassemblés sur place. La plupart d’entre
eux étaient Ghanéens et tous les visages étaient
baignés de larmes. L’interdiction avait pris tout le
monde de court, même le président de mission. Les
milices locales avaient saisi les lieux de culte et les autres
bâtiments de l’Église. Des policiers avaient
expulsé des missionnaires de leur appartement et saisi leur
voiture et leur vélo. Des gardes armés avaient pris
position à l’extérieur du foyer de la mission.
Gilbert
Petramalo, le président de mission, informa tout le monde
qu’ils devraient être relevés. Seuls les parents
d’Alice resteraient missionnaires à plein temps, mais
ils agiraient à titre officieux. Ils continueraient à
servir les saints, mais ne porteraient plus de badge ni de tenue
distinctive.
Après
sa relève, Alice alla vivre chez une amie à Cape Coast.
Elle se sentait perdue et désorientée. La fin subite de
sa mission la laissait incertaine quant à son avenir. C’était
comme si tout ce qui comptait pour elle s’était
brutalement terminé.
Après
l’interdiction de toutes les activités de l’Église
au Ghana, William Acquah, membre de l’Église, voulait en
comprendre la raison. Il lisait les journaux locaux et écoutait
la radio en permanence, espérant en apprendre plus sur le «
gel », comme on l’appelait désormais. Parfois, il
se réunissait avec d’autres saints pour comparer ce
qu’ils avaient découvert.
Des
décennies de régime colonial avaient rendu certains
Ghanéens méfiants à l’égard des
étrangers. Il semblait que le siège américain de
l’Église et sa prospérité évidente
avaient inquiété le gouvernement. De nombreuses
personnes dans le pays avaient également regardé un
film qui présentait l’Église comme sinistre et
immorale, ce qui alimentait les craintes à l’égard
des saints. En imposant des restrictions à l’Église,
le gouvernement pensait apparemment protéger les citoyens
ghanéens. Il ne semblait pas disposé à lever le
gel avant d’avoir enquêté minutieusement sur les
saints et leurs activités.
William
vivait à Cape Coast. Sa femme, Charlotte, faisait partie de la
famille Andoh-Kesson, qui avait soutenu très tôt le
ministère de Billy Johnson. Charlotte avait présenté
l’Évangile rétabli à William en 1978, mais
il avait attendu plus d’un an avant de se faire baptiser. Il
était issu d’une famille éminente de la région.
Dans sa jeunesse, son éducation et ses expériences
l’avaient rendu méfiant à l’égard de
Dieu. Son cœur avait commencé à s’adoucir
lorsque Charlotte l’avait présenté à Reed
et Naomi Clegg, un couple missionnaire à Cape Coast. Ils
avaient été patients pendant qu’il étudiait
le Livre de Mormon et d’autres documents publiés par
l’Église, lui donnant le temps d’acquérir
un témoignage et de prendre la décision de se faire
baptiser.
Au
début du gel, les dirigeants de l’Église avaient
autorisé les saints ghanéens à administrer la
Sainte-Cène et à faire l’École du Dimanche
chez eux. C’était ce que faisaient William et Charlotte,
chaque dimanche, avec leurs enfants. Ensuite, William quittait
souvent le domicile pour rendre visite à d’autres saints
et s’assurer qu’ils allaient bien.
Le
dimanche 3 septembre 1989, William trouva quelques membres regroupés
autour d’un taxi. Ils lui rapportèrent que deux saints
des derniers jours, Ato et Elizabeth Ampiah, venaient d’être
arrêtés pour avoir organisé des réunions
de l’Église chez eux. William sauta dans le taxi avec
les autres et ils se rendirent au poste de police.
Le
bâtiment était une structure lugubre datant de l’époque
coloniale. À l’intérieur, un agent se tenait à
un comptoir. Derrière lui, le couple Ampiah était assis
pieds nus sur un banc devant les barreaux de fer des cellules de la
prison.
L’agent
regarda William. Il demanda : « Êtes-vous également
membre de l’Église ? »
William
répondit que oui.
L’agent
le fit avancer derrière le comptoir. Il lui ordonna de retirer
ses chaussures. « Donnez-moi votre montre. » Il exigea
les mêmes choses des autres hommes accompagnant William. L’un
d’eux demanda s’il pouvait appeler un ami, un
fonctionnaire local. L’agent devint furieux.
Il
hurla : « Dans les cellules ! »
Une
odeur nauséabonde frappa William dès qu’il
franchit la grille. La petite pièce était remplie de
prisonniers vêtus de haillons qui semblaient choqués de
partager une cellule avec un groupe de saints encore dans leurs
vêtements du dimanche.
Un
prisonnier demanda : « Qu’arrive-t-il à notre pays
pour que des prêtres inoffensifs comme vous atterrissent ici ?
»
Malgré
leur apparence peu rassurante, les prisonniers firent de la place aux
saints et les traitèrent avec respect. C’était un
dimanche du jeûne et, tandis qu’ils discutaient de leur
situation, William et ses compagnons décidèrent de
continuer à jeûner. Ils étaient nerveux et
effrayés, mais la nouvelle de leur arrestation s’était
répandue et d’autres membres de l’Église
s’efforçaient de les faire libérer.
Dans
l’après-midi, l’oncle de William arriva au poste.
C’était un homme âgé, calme et digne, qui
n’était pas membre de l’Église. Il
s’entretint avec la police, mais ne parvint pas à la
persuader de libérer William. Les officiers déclarèrent
que les saints représentaient une menace pour la sécurité
nationale et qu’ils ne pouvaient pas être libérés.
Les
heures passèrent et le soir arriva. Des amis de l’Église
vinrent à la prison et implorèrent également la
libération des prisonniers, mais les officiers les menacèrent
de les arrêter à leur tour. Finalement, lorsqu’il
devint clair que William et les autres saints passeraient la nuit en
prison, ils se donnèrent la main et firent une prière.
Le
lendemain matin, l’officier en chef du poste expliqua aux
saints qu’il attendait de recevoir des ordres sur ce qu’il
devait faire d’eux. William passa son temps à discuter
avec les autres prisonniers. Certains avaient de la famille dans les
environs et voulaient les contacter. Il mémorisa leurs
adresses et promit de transmettre leurs messages. Il fut inspiré
en pensant à l’apôtre Paul du Nouveau Testament et
à ses emprisonnements pour l’amour de l’Évangile.
Un
autre jour passa et, finalement, le mardi, William et les saints
furent amenés devant l’officier en chef. Il leur dit
qu’ils étaient libres et ne donna aucune explication. Il
essayait d’avoir l’air aimable, mais les avertit qu’ils
ne devaient parler à personne de leur arrestation.
Aucun
d’eux ne répondit. Au comptoir, on leur remit leurs
effets personnels et on les laissa partir.
En
1990, de retour en Utah, Darius Gray reçut un appel
téléphonique de son amie Margery « Marie »
Taylor, spécialiste de la généalogie
afro-américaine à la Bibliothèque d’histoire
familiale de l’Église à Salt Lake City. Elle
venait de trouver des rouleaux de microfilms contenant d’importants
documents afro-américains et elle débordait de joie.
Elle lui dit : « Il faut absolument que vous veniez ici pour
bien comprendre. »
Intrigué,
Darius accepta d’aller la voir. La Bibliothèque
d’histoire familiale était le plus grand centre
généalogique du monde. Des centaines de milliers de
personnes s’y rendaient chaque année. La première
fois que Darius s’était rendu à la bibliothèque,
il ne savait pas grand-chose de ses ancêtres, si ce n’est
ce qu’il avait pu glaner dans les anecdotes familiales et les
photographies. Marie l’avait aidé à trouver des
réponses. Elle n’était pas noire, mais elle
s’était révélée être une
guide compétente en présentant à Darius des
documents sur sa famille et sur l’histoire des Noirs aux
États-Unis.
Lorsque
Darius arriva à la Bibliothèque d’histoire
familiale, Marie lui montra les documents qu’elle avait
trouvés. La Freedman’s Savings and Trust Company avait
été créée par le Congrès américain
en 1865 afin d’assurer la sécurité financière
des Afro-Américains anciennement esclaves ou nés
libres. Plus de cent mille personnes avaient ouvert un compte auprès
de la banque, mais elle avait fait faillite au bout de neuf ans,
emportant avec elle les économies durement gagnées de
ses clients.
Malgré
l’échec de la banque, ses livres de comptes étaient
d’une très grande valeur pour les généalogistes.
Les descendants d’esclaves avaient souvent beaucoup de mal à
trouver des renseignements sur leurs ancêtres. Les documents
généralement utilisés pour trouver les noms de
famille et les dates, tels que les annonces de cimetières, les
registres électoraux et les certificats de naissance et de
décès, n’existaient pas pour les personnes
asservies ou étaient difficilement accessibles. En revanche,
les registres de la Freedman’s Bank contenaient une multitude
d’informations personnelles sur les titulaires de comptes,
notamment le nom des membres de leur famille et le lieu où ils
avaient été réduits en esclavage. Certains
dossiers contenaient même des descriptions physiques des
clients.
Darius
comprit immédiatement l’importance de ces registres pour
les Afro-Américains. Pourtant, ils présentaient une
difficulté majeure pour les personnes qui souhaitaient faire
des recherches. Les greffiers qui tenaient les registres avaient noté
les noms et les détails des titulaires de comptes dans l’ordre
dans lequel ils avaient ouvert leur compte, pas dans l’ordre
alphabétique. Cela signifiait que les chercheurs devraient
parcourir les registres ligne par ligne jusqu’à ce
qu’ils trouvent les informations souhaitées. Il fallait les organiser mieux pour qu’ils soient utilisables.
Marie
demanda à Darius si des membres du groupe Genesis pouvaient
l’aider à transcrire et à indexer les documents,
mais ils étaient déjà très occupés
ou n’avaient pas d’ordinateur personnel. Darius écrivit
à un des apôtres pour demander si l’Église
pouvait apporter son aide. L’apôtre exprima son soutien,
mais il expliqua que l’Église ne pouvait pas
entreprendre ce projet. À l’époque, le siège
de l’Église n’avait pas pour habitude de financer
les projets d’extraction de noms. Les pieux et les paroisses
s’occupaient de ce travail.
À
court d’options, Marie eut une autre idée. Au cours des
vingt-cinq dernières années, l’Église
avait établi plus de mille deux cents centres d’histoire
familiale dans quarante-cinq pays. Dans ces centres, des personnes
membres de l’Église ou non en apprenaient plus sur leurs
ancêtres. En général, les centres étaient
rattachés à des pieux, mais Marie savait qu’un
centre d’histoire familiale avait récemment ouvert ses
portes à la prison d’État de l’Utah. Les
détenus pouvaient y passer une heure par semaine. Et si Darius
et elle les sollicitaient pour participer au projet Freedman’s
Bank ?
Marie
s’entretint avec le directeur de l’histoire familiale de
la prison et bientôt, quatre détenus se portèrent
volontaires et se mirent au travail.
En
septembre 1990, Alice Johnson suivait des cours au Holy Child Teacher
Training College à Takoradi, au Ghana. Plus d’un an
s’était écoulé depuis que le gouvernement
avait suspendu les opérations de l’Église dans le
pays, mettant un terme brutal à sa mission. Au début,
elle s’était sentie perdue, ne sachant pas quoi faire.
Finalement, sur les conseils de sa sœur, elle avait décidé
de devenir enseignante et avait été acceptée par
l’université de formation pour l’année
académique suivante.
Comme
le gel persistait, mois après mois, Alice et les autres
membres de l’Église s’habituaient au culte à
domicile. Emmanuel Kissi, président du district d’Accra,
était devenu le président de mission intérimaire
et l’autorité ecclésiastique présidente du
pays. Il parcourait le Ghana, rendant visite aux saints et les
fortifiant. Le gouvernement avait autorisé les «
services essentiels » de l’Église à rester
ouverts temporairement, permettant à certains employés
de l’Église de continuer à travailler dans les
domaines de l’aide sociale, de l’éducation de
l’Église et de la distribution. Les saints ne pouvaient
pas payer la dîme ni faire d’offrandes, mais certains
mettaient de côté leurs revenus, attendant patiemment le
moment où ils pourraient à nouveau faire des dons.
Contrairement
à William Acquah et aux saints brièvement emprisonnés
à Cape Coast, Alice ne subit aucun ennui pendant le gel. Avec
quelques amis, le dimanche, elle se rendait chez quelqu’un pour
prendre la Sainte-Cène, prier et faire des discours. Ses
parents, qui continuaient à accomplir leur mission sans porter
de badge ni de tenues missionnaires, lui rendaient visite chaque fois
qu’ils étaient dans la région. Pourtant, elle
avait l’impression de stagner en attendant la reprise des
réunions normales de l’Église.
Enfin,
en novembre 1990, Alice apprit que le gouvernement avait levé
l’interdiction qui pesait sur l’Église. Dès
le début du gel, frère Kissi et d’autres saints
avaient sollicité très régulièrement les
représentants du gouvernement pour qu’ils mettent un
terme aux restrictions. En réponse aux mensonges sur les
enseignements de l’Église, ils avaient écrit de
longues lettres expliquant la doctrine et l’histoire de
l’Église, et avaient rencontré des dirigeants du
gouvernement. Lorsque des autorités avaient mentionné
l’ancienne restriction de l’Église concernant la
prêtrise, les saints avaient expliqué que les membres
noirs jouissaient des mêmes droits que tous les autres.
D’autres Églises qui avaient été hostiles
aux saints des derniers jours avaient également défendu
le droit de culte des saints lorsqu’elles s’étaient
rendu compte que le gel mettait en péril leur propre liberté
religieuse.
Isaac
Addy, responsable régional des affaires temporelles de
l’Église au Ghana, avait joué un rôle clé
dans la levée de l’interdiction. Il était le
demi-frère aîné du président du Ghana,
Jerry Rawlings. Les deux frères n’étaient plus en
contact et Isaac n’avait pas voulu parler du gel avec Jerry. Un
jour, cependant, Georges Bonnet, directeur des affaires temporelles
pour l’Afrique, l’avait incité à prier
jusqu’à ce que son cœur s’adoucisse à
l’égard de son frère. Isaac le fit et l’Esprit
toucha son cœur. Il accepta de voir Jerry. Ils s’entretinrent
le soir même. À la fin de leur conversation, ils avaient
résolu leurs différends. Le lendemain, le gouvernement
décida de mettre fin au gel.
Alice
était très émue lorsqu’elle retourna aux
réunions publiques de l’Église pour la première
fois depuis dix-huit mois. Près d’une centaine de saints
assistèrent à la réunion de la branche de
Takoradi ce jour-là. Elle dura plus de deux heures en raison
du grand nombre de personnes qui vinrent témoigner.
Alice
ressentit à la fois de l’excitation et de l’inquiétude
en pensant aux convertis de sa mission à Koforidua. Elle se
demandait s’ils étaient restés fidèles à
l’Évangile pendant cette année et demie. Elle
savait que des membres de l’Église s’étaient
découragés et avaient renoncé à leur foi.
Peu
après la fin du gel, les deux premiers pieux du Ghana furent
organisés. À Cape Coast, Billy Johnson, le père
d’Alice, fut appelé comme patriarche de pieu. En outre,
le gouvernement autorisa les saints à reprendre l’œuvre
missionnaire dans le pays. Grant Gunnell, le nouveau président
de la mission d’Accra (Ghana) convoqua Alice pour un entretien.
Il avait retrouvé soixante missionnaires qui œuvraient
avant le gel et souhaitait savoir s’ils étaient disposés
à retourner dans le champ de la mission.
Il
demanda : « Voudriez-vous revenir et faire une mission à
la fin de vos études ? »
Sans
hésitation, elle répondit : « Non. Je veux servir
immédiatement. »
Le
président Grant fut surpris par sa réponse rapide.
Elle
répéta : « Je veux servir immédiatement. »
Sa priorité avait toujours été de servir Dieu et
elle était prête à faire une pause dans ses
études pour lui.
Bientôt,
Alice revint dans le champ de la mission. Lorsqu’elle en avait
informé son père, un homme qui avait consacré
une grande partie de sa vie à prêcher l’Évangile
rétabli, celui-ci n’avait pas été surpris.
Il
avait déclaré : « Tu es bien ma fille. »
Darius
Gray et Marie Taylor continuaient de se rendre régulièrement
à la prison d’État d’Utah pour échanger
avec les centaines de détenus qui participaient à
l’extraction des renseignements généalogiques
contenus dans les registres de la Freedman’s Bank.
Les
volontaires travaillaient dans un centre d’histoire familiale
situé juste à côté de l’église
de la prison. Pour les voir, Darius et Marie devaient franchir un
réseau de lourdes grilles métalliques, de portes
verrouillées et de couloirs gardés. La première
fois que Marie l’avait amené, Darius avait été
un peu nerveux, surtout dans les zones où ils étaient
entourés de prisonniers. Mais il venait maintenant
régulièrement et s’y était habitué.
Lorsque
le projet d’extraction avait été lancé, la
recherche généalogique était en pleine mutation.
Les ordinateurs remplaçaient rapidement les classeurs et les
index imprimés, rendant le travail de collecte et d’accès
aux données plus efficace. Pendant les années 1970 et
1980, l’Église avait adapté la nouvelle
technologie à l’œuvre de l’histoire
familiale et du temple. Au début des années 1990, elle
avait mis au point TempleReady, un programme informatique qui
permettait aux usagers des centres d’histoire familiale locaux,
dont celui de la prison, de transmettre plus facilement des noms pour
les ordonnances du temple.
Le
centre d’histoire familiale où travaillaient les détenus
disposait de plusieurs lecteurs de microfilms le long des murs. Marie
avait travaillé en collaboration avec la bibliothèque
d’histoire familiale pour obtenir une copie du microfilm de la
Freedman’s Bank à conserver à la prison. Une fois
que les volontaires avaient noté les renseignements de
l’extraction sur un formulaire conçu spécialement
pour le projet, ils l’apportaient dans une pièce
adjacente et saisissaient ces renseignements dans une base de données
informatique. Sous la direction de Marie, les volontaires vérifiaient
chaque registre plusieurs fois. Deux volontaires procédaient
séparément à l’extraction des mêmes
renseignements, puis un troisième comparait les extractions au
document original, s’assurant qu’elles étaient
transcrites correctement.
Le
responsable du centre d’histoire familiale de la prison
purgeait une peine de prison à perpétuité. Il
veillait à ce que le travail avance et soit bien organisé.
Darius était impressionné par l’enthousiasme des
volontaires et leur attention aux détails. Les responsables de
la prison avaient été ravis de constater que les
détenus qui procédaient à l’extraction des
registres bancaires ne causaient généralement aucun
problème aux autres prisonniers.
Le
projet était accessible à tous les détenus
éligibles, indépendamment de leurs convictions
religieuses. Pendant que Darius et Marie servaient avec les
volontaires, ils insistaient sur la nature spirituelle du projet. Les
prisonniers qui avaient grandi dans l’Église
comprenaient l’importance de la généalogie pour
unir les familles pour l’éternité. Certains de
ces hommes n’avaient eux-mêmes aucune chance de sortir de
prison, mais ils trouvaient de la joie à œuvrer pour
libérer d’autres personnes de la prison des esprits.
Darius et Marie commençaient toujours leurs réunions
dans la prison par une prière. Ils encourageaient les
volontaires à prier à leur manière pendant
qu’ils travaillaient sur le projet.
Parfois,
un détenu venait demander à Darius une bénédiction
de la prêtrise. Il acceptait toujours. Tandis qu’il
servait ces hommes, qui avaient commis toutes sortes de crimes et de
délits, il était frappé par la certitude qu’ils
étaient des enfants de Dieu.
À
cette époque, l’Église encourageait ses membres à
transmettre les noms de leurs ancêtres au temple, mais ils
pouvaient également transmettre les noms de personnes qui
n’étaient pas de leur famille. Les détenus
utilisaient régulièrement TempleReady pour préparer
des noms du projet Freedman’s Bank pour les ordonnances du
temple. Pour faciliter cette tâche, Marie avait créé
un « dossier familial » du temple, qui portait le nom
d’Elijah Able, l’un des premiers saints des derniers
jours noirs. Le dossier était accessible aux usagers du temple
aux États-Unis et en Afrique du Sud. Si les usagers
souhaitaient accomplir des ordonnances pour une personne figurant
dans les registres de la Freedman’s Bank, il leur suffisait de
se rendre au temple et de demander un nom figurant dans le dossier
familial.
En
août 1992, Willy Sabwe Binene, âgé de vingt-trois
ans, aspirait à une carrière dans l’ingénierie
électrique. Ses études à l’Institut
supérieur technique et commercial de Lubumbashi, une ville du
Zaïre, en Afrique centrale, se déroulaient bien. Il
venait de terminer sa première année et se réjouissait
déjà à l’idée de reprendre les
cours.
Pendant
les vacances, Willy rentrait dans sa ville natale, Kolwezi, à
quelque trois cents kilomètres au nord-ouest de Lubumbashi.
Certains membres de sa famille et lui faisaient partie de la branche
de Kolwezi. Après la révélation sur la prêtrise
de 1978, l’Évangile rétabli s’était
répandu au-delà du Nigeria, du Ghana, de l’Afrique
du Sud et du Zimbabwe, dans plus d’une dizaine d’autres
pays d’Afrique : le Libéria, la Sierra Leone, la Côte
d’Ivoire, le Cameroun, la République du Congo,
l’Ouganda, le Kenya, la Namibie, le Botswana, le Swaziland, le
Lesotho, Madagascar et l’île Maurice. Les premiers
missionnaires saints des derniers jours étaient arrivés
au Zaïre en 1986. Le pays comptait désormais environ
quatre mille saints.
Peu
après son arrivée à Kolwezi, le président
de branche de Willy le reçut en entretien. Il déclara :
« Nous devons te préparer à partir en mission à
plein temps. »
Surpris,
Willy répondit : « Je dois continuer mes études.
» Il expliqua qu’il lui restait trois ans pour obtenir un
diplôme en ingénierie électrique.
Le
président de branche renchérit : « Tu devrais
d’abord partir en mission. » Il fit remarquer que Willy
était le premier jeune homme de la branche à être
éligible à une mission à plein temps.
Willy
répéta : « Non, cela n’ira pas. Je vais
tout d’abord terminer mes études. »
Les
parents de Willy ne furent pas contents d’apprendre qu’il
avait refusé l’invitation du président de
branche. Sa mère, de nature réservée, lui
demanda résolument : « Pourquoi remets-tu cela à
plus tard ? »
Un
jour, l’Esprit poussa Willy à rendre visite à son
oncle, Simon Mukadi. En entrant dans son salon, il remarqua un livre
posé sur une table. Quelque chose semblait l’attirer à
lui. Il se rapprocha et lut le titre : Le miracle du pardon, la
traduction française de l’ouvrage de Spencer W. Kimball
The Miracle of Forgiveness. Intrigué, Willy prit le livre,
l’ouvrit au hasard et commença à lire.
Le
passage portait sur l’idolâtrie et Willy fut rapidement
captivé. Frère Kimball expliquait que les gens ne se
prosternaient pas seulement devant des dieux de bois, de pierre et
d’argile, mais qu’ils adoraient aussi leurs propres
biens. Et que certaines idoles n’étaient pas physiques.
Les
mots le firent trembler comme une feuille. Il sentit que le Seigneur
s’adressait directement à lui. En un instant, le désir
de terminer ses études avant sa mission s’envola. Il
alla voir son président de branche et lui dit qu’il
avait changé d’avis.
Celui-ci
lui demanda : « Quelle mouche t’a piqué ? »
Après
que Willy lui raconta l’histoire, le président de
branche prit un dossier de candidature missionnaire et lui dit : «
D’accord ! Commençons par le commencement. »
Tandis
que Willy se préparait à partir en mission, des
violences éclatèrent dans la région. Le Zaïre
se trouvait dans le bassin du fleuve Congo, en Afrique, où
divers groupes ethniques et régionaux se battaient depuis des
générations. Récemment, dans la province de
Willy, le gouverneur avait exhorté le peuple katangais à
évincer la minorité kasaïenne.
En
mars 1993, la violence gagna Kolwezi. Les militants katangais
rôdaient dans les rues, brandissant des machettes, des bâtons,
des fouets et d’autres armes. Ils terrorisaient les familles
kasaïennes et brûlaient leurs maisons, sans se soucier des
personnes ou des biens qui s’y trouvaient. Craignant pour leur
vie, de nombreux Kasaïens se cachaient ou fuyaient la ville.
Willy
était Kasaïen. Il savait que ce n’était
qu’une question de temps avant que les militants ne traquent sa
famille. Pour la protéger, il mit de côté sa
préparation à la mission pour aider sa famille à
fuir vers Luputa, une ville kasaïenne située à
environ cinq cent soixante kilomètres de là, où
vivaient certains de ses proches.
Peu
de trains quittaient le Katanga, si bien que des centaines de
réfugiés avaient installé un camp tentaculaire
autour de la gare. Lorsque Willy et sa famille arrivèrent au
camp, ils n’eurent pas d’autre choix que de dormir à
la belle étoile jusqu’à ce qu’ils puissent
trouver un abri. L’Église, la Croix-Rouge et d’autres
organisations humanitaires étaient sur place pour fournir de
la nourriture, des tentes et des soins médicaux aux réfugiés.
Néanmoins, en l’absence d’installations sanitaires
adéquates, le camp empestait les déchets humains et les
ordures brûlées.
Au
bout de quelques semaines dans le camp, la famille Binene apprit
qu’un train pourrait transporter une partie des femmes et des
enfants hors de la région. La mère et les quatre
sœurs de Willy décidèrent de monter dans le train
avec d’autres membres de la famille. Pendant ce temps, Willy
aida son père et son grand frère à réparer
un wagon de marchandises délabré. Une fois qu’il
fut en état de marche, ils l’attelèrent à
un train et quittèrent le camp.
Lorsqu’il
arriva à Luputa quelques semaines plus tard, Willy ne put
s’empêcher de comparer la ville à Kolwezi. C’était
une petite ville sans accès à l’électricité.
Là-bas, sa formation en génie électrique ne lui
était donc d’aucune utilité pour trouver un
emploi. Il ne s’y trouvait pas non plus de branche de l’Église.
Il
se demanda : « Qu’allons-nous pouvoir faire ici ? »
Un
soir de 1995, Darius et Marie se rendirent avec plusieurs amis au
temple de Jordan River, à South Jordan, en Utah, pour procéder
à des scellements pour des familles figurant dans les
registres de la Freedman’s Bank. Le groupe comptait une
vingtaine de personnes, mais ils avaient besoin de l’aide de
personnes supplémentaires dans le temple. Toute la soirée,
ils scellèrent des familles que l’esclavage avait
cruellement séparées.
Avant
de se rendre au temple, Darius et Marie en avaient informé les
détenus. Darius avait choisi le temple de Jordan River parce
qu’il était le plus proche de chez lui, mais il était
également le plus proche de la prison.
Ce
soir-là, plusieurs détenus travaillant sur le projet se
rassemblèrent à une fenêtre dans un coin de la
prison. Elle était étroite, mais elle offrait une vue
sur la vallée du lac Salé, notamment sur le temple de
Jordan River.
Les
volontaires ne pouvaient pas être présents, mais ils
soutenaient silencieusement Darius et Marie dans leur travail sacré.
En
mai 1997, le gouvernement du Zaïre s’effondra après des années de
guerre et de troubles politiques. Le président Mobutu Sese Seko, qui
contrôlait le pays depuis plus de trente ans, était sur le point de
mourir et était désormais impuissant à empêcher la chute de son régime.
Les forces armées du Rwanda, voisin du Zaïre à l’est, étaient entrées
dans le pays à la recherche de rebelles exilés de sa propre guerre
civile. D’autres pays d’Afrique de l’Est les avaient rapidement imités,
s’associant finalement à d’autres groupes pour chasser le président
affaibli, le remplacer par un nouveau dirigeant et rebaptiser le pays «
République démocratique du Congo » (RDC).
L’Église
avait continué de fonctionner dans la région tandis que le conflit
faisait rage. Environ six mille saints vivaient en RDC. La mission de
Kinshasa couvrait cinq pays avec dix-sept missionnaires à plein-temps.
En juillet 1996, plusieurs couples de la région parcoururent plus de
deux mille huit cents kilomètres pour recevoir leurs bénédictions du
temple dans le temple de Johannesburg (Afrique du Sud). Quelques mois
plus tard, le 3 novembre, les dirigeants de l’Église organisèrent le
pieu de Kinshasa, le premier de la RDC et le premier pieu francophone
d’Afrique. Il y avait également cinq districts et vingt-six branches
réparties dans toute la mission.
À
Luputa, Willy Binene, désormais âgé de vingt-sept ans, espérait
toujours faire une mission à plein temps, malgré le tumulte qui agitait
son pays. Il exprima son espoir à Ntambwe Kabwika, un conseiller dans
la présidence de la mission, qui lui donna une réponse décevante.
Il
lui dit : « Mon frère, la limite d’âge est de vingt-cinq ans. Il n’est
plus possible de t’envoyer en mission. » Puis, essayant de le
réconforter, il ajouta : « Tu es encore jeune. Tu peux faire des
études, te marier. »
Cela
ne consolait pas Willy. Il était terriblement déçu. Il semblait injuste
que son âge l’empêche de faire une mission. Ne pouvait-on pas faire une
exception, particulièrement après tout ce qui lui était arrivé ? Il se
demanda alors pourquoi le Seigneur l’avait inspiré à faire une mission.
Il avait reporté ses études et sa carrière pour suivre cette
impression. Pourquoi ?
Finalement,
il se raisonna : « Cela ne doit pas te troubler. Tu ne peux pas
condamner Dieu. » Il décida de rester où il était et de faire tout ce
que le Seigneur demanderait de lui.
Plus
tard, en juillet 1997, les saints de la branche de Luputa furent
officiellement organisés en une branche. Willy fut appelé greffier
financier et missionnaire de branche. Il réalisa que le Seigneur
l’avait préparé à établir l’Église là où il était. Il se dit : «
D’accord, ma mission est ici. »
Quelques
autres saints de la branche de Luputa furent également appelés comme
missionnaires de branche. Trois jours par semaine, Willy s’occupait de
ses cultures. Le reste du temps, il faisait du porte-à-porte pour
parler de l’Évangile. Ensuite, Willy lavait son unique pantalon pour
qu’il soit propre le lendemain. Il ne savait pas exactement ce qui le
poussait à prêcher l’Évangile avec autant de diligence, surtout
lorsqu’il le faisait l’estomac vide. Mais il savait qu’il aimait
l’Évangile et il voulait que son peuple, et un jour ses ancêtres, aient
les mêmes bénédictions que lui.
Le
travail était parfois difficile. Certaines personnes menaçaient les
missionnaires de branche ou prévenaient leur voisinage de les éviter.
Quelques personnes du village s’étaient même réunies pour détruire des
exemplaires du Livre de Mormon. Ils disaient : « Brûlez le Livre de
Mormon et l’Église disparaîtra. »
Pourtant,
Willy voyait le Seigneur accomplir des miracles grâce à ses efforts.
Une fois, quand son collègue et lui avaient frappé à une porte,
celle-ci s’était ouverte sur une maison à l’odeur nauséabonde. De
l’intérieur, ils entendirent une petite voix les appeler : « Entrez. Je
suis malade. »
Willy
et son collègue avaient peur d’entrer, mais ils le firent et trouvèrent
un homme qui semblait dépérir. Ils lui demandèrent : « Pouvons-nous
prier ? »
L’homme
accepta et ils firent une prière, le bénissant pour que sa maladie le
quitte. Ils lui dirent : « Nous reviendrons demain. »
Le
lendemain, ils trouvèrent l’homme devant chez lui. Il déclara : « Vous
êtes des hommes de Dieu. » Depuis leur prière, il s’était senti mieux.
Il voulait sauter de joie.
Cet
homme n’était pas encore prêt à se joindre à l’Église, mais d’autres
l’étaient. Chaque semaine, Willy et les autres missionnaires
rencontraient des gens, parfois des familles entières, qui voulaient
adorer Dieu avec les saints. Certains samedis, ils baptisaient jusqu’à
trente personnes.
L’Église commençait à grandir à Luputa.
Le
26 octobre 1999, Georges A. Bonnet attendait que Gordon B. Hinckley
se lève. Une réunion portant sur les crédits
budgétaires avec la Première Présidence,
l’Épiscopat président, et divers administrateurs
de l’Église et autorités générales
venait de se terminer dans le bâtiment administratif de
l’Église à Salt Lake City. Georges n’assistait
généralement pas à cette réunion, il y
remplaçait le directeur général du département
des biens immeubles, mais il savait que la réunion ne serait
vraiment terminée que lorsque le président Hinckley se
lèverait et se dirigerait vers la porte.
Cependant,
le prophète ne semblait pas vouloir bouger. Au lieu de cela,
il regarda Georges droit dans les yeux et lui demanda : «
Qu’allons-nous faire au sujet du temple du Ghana ? » Ses
yeux imploraient une réponse.
Georges
ne savait pas quoi dire. La question le prenait complètement
au dépourvu. Près de dix ans plus tôt, alors
qu’il était directeur des affaires temporelles en
Afrique, il avait contribué à mettre fin au gel du
gouvernement ghanéen sur toutes les activités de
l’Église en encourageant Isaac Addy, membre de l’Église
à Accra, à se réconcilier avec son demi-frère,
le président ghanéen Jerry Rawlings, dont il s’était
éloigné.
Georges
avait gagné le respect des dirigeants de l’Église
pour son travail au Ghana. Mais il avait maintenant un nouvel emploi
dans l’Église, lequel n’avait aucun lien avec
l’Afrique. La seule chose qu’il savait au sujet du temple
du Ghana, c’était que le président Hinckley
l’avait annoncé en février 1998.
Finalement,
Georges répondit : « Je suis désolé, mais
je ne suis pas impliqué dans le projet. »
Le
président Hinckley resta assis, le suppliant toujours du
regard. Il informa Georges que les travaux de construction du temple
étaient au point mort. Au début, le gouvernement
ghanéen semblait favorable au projet et l’Église
avait acheté un terrain sur une artère principale
d’Accra. Cependant, juste avant le début des travaux
prévu en avril 1999, le gouvernement avait refusé de
délivrer un permis de construire à l’Église.
Personne ne savait pourquoi.
Après
la réunion, Georges retourna au bâtiment administratif
de l’Église avec H. David Burton, l’évêque
président, et Keith B. McMullin, son deuxième
conseiller. Ils étaient impatients de savoir ce que l’Église
devait faire, selon Georges, pour obtenir l’autorisation de
construire le temple d’Accra.
L’un
d’eux demanda : « Cela vous dérangerait-il d’aller
au Ghana ? »
Georges
répondit : « Pas du tout. J’en serais ravi. »
Quelques
semaines plus tard, Georges arriva au Ghana et y trouva l’Église
florissante. Au moment du gel, il y avait près de neuf mille
membres de l’Église et aucun pieu au Ghana. À
présent, dix ans plus tard, le pays comptait cinq pieux et
plus de dix-sept mille membres. Ces membres priaient avec ferveur
pour que le projet de construction de la maison du Seigneur avance.
Quand le président Hinckley s’était rendu au
Ghana en 1998, les saints s’étaient levés et
avaient poussé des acclamations lorsqu’il avait annoncé
le temple. Personne n’aurait pu anticiper ce retard.
À
Accra, Georges rencontra l’architecte du temple, les avocats de
l’Église et des représentants du gouvernement. Il
y rencontra aussi Glenn L. Pace, président de l’interrégion
d’Afrique de l’Ouest, qui était reconnaissant de
l’aide que Georges venait apporter. Georges voyait bien que
frère Pace était profondément contrarié
par la situation. Néanmoins, il avait encore de l’espoir.
Récemment, les saints d’Afrique de l’Ouest avaient
fait un jeûne spécial pour le temple et frère
Pace pensait qu’un changement se profilait à l’horizon.
Après
une semaine de réunions, Georges prolongea son séjour
d’une semaine pour faire point. Selon ses
interlocuteurs, des représentants de l’Église
avaient malencontreusement offensé l’Assemblée
métropolitaine d’Accra (AMA), l’organisme
gouvernemental qui approuvait les projets de construction au sein de
la ville. L’AMA estimait que les représentants s’étaient
montrés trop insistants et arrogants pendant le processus
d’approbation du permis. Il semblait également y avoir
une certaine opposition de la part du président Rawlings, qui
n’était plus en bons termes avec son frère malgré
leur réconciliation pendant le gel.
Georges
fit part à frère Pace de ce qu’il avait appris et
ils préparèrent ensemble un rapport pour l’Épiscopat
président. Ensuite, Georges rentra en Utah, le rapport en
main, satisfait d’avoir fait sa part au Ghana.
Le
10 août 2000, Georges Bonnet se sentait très seul. Neuf
mois après son séjour au Ghana, il se rendait de
nouveau dans ce pays, cette fois-ci en tant que directeur des
affaires temporelles de l’Église dans l’interrégion
d’Afrique de l’Ouest. Sa femme, Carolyn, et trois de
leurs enfants prévoyaient de le rejoindre sous peu à
Accra. Mais pour le moment, il était seul.
La
construction du temple d’Accra était au point mort et
les dirigeants de l’Église espéraient que
Georges, de par sa réputation de dirigeant averti et attentif
en Afrique, pourrait faire avancer le projet. Ressentant le poids de
sa mission, Georges désirait ardemment être à la
hauteur des défis qui l’attendaient. Il sonda son âme
et médita sur Jésus-Christ et son sacrifice expiatoire.
Il
écrivit dans son journal : « Je crois fermement aux
pouvoirs de l’Expiation pour apporter la paix à l’âme,
mais il existe, sans aucun doute, d’autres pouvoirs et
bénédictions découlant de l’Expiation dont
je n’ai pas encore fait l’expérience. »
Une
fois arrivé à Accra, Georges avait rapidement compris
que l’obtention d’un permis de construire pour le temple
n’était que l’une des nombreuses préoccupations
majeures qui exigeraient son attention en Afrique de l’Ouest.
Au
départ, il était persuadé de pouvoir faire face
à la charge de travail, laquelle comprenait d’autres
grands projets de construction ainsi qu’un temple à Aba,
au Nigéria. Il pensa : « J’ai déjà
travaillé ici. J’en suis capable. » Lorsque sa
famille le rejoignit, il se sentit moins seul.
Cependant,
un mois plus tard, il n’était plus aussi sûr de
lui. Ses nombreuses autres responsabilités ne lui laissaient
que peu de temps pour s’occuper du permis de construire du
temple d’Accra. Alors que les saints du Ghana se préparaient
fidèlement à entrer dans la maison du Seigneur,
personne, dans l’Église ou en dehors, ne semblait savoir
comment sortir de cette impasse. La seule chose sur laquelle les gens
s’accordaient était que Jerry Rawlings, le président
du Ghana, était à l’origine de ce retard.
Se
sentant impuissant, Georges pria. Il dit : « Il y a trop de
problèmes, trop de complications. Seigneur, de quelle manière
veux-tu que je procède ? Je ferai tout ce que tu voudras. Je
serai un instrument entre tes mains, mais je ne peux pas y arriver
seul. »
Peu
de temps après, Georges commença à collaborer
avec le bureau de la première dame du Ghana pour organiser des
projets d’aide humanitaire. Il espérait que cela
permette à la famille Rawlings de mieux connaître
l’Église et sa mission. Il commença également
à jeûner tous les dimanches.
À
la mi-novembre 2000, Georges était optimiste. Il était
de plus en plus convaincu qu’Isaac Addy, le frère du
président, jouerait un rôle majeur pour sortir de
l’impasse, tout comme il l’avait fait pendant le gel.
Mais il hésitait à demander à Isaac d’aller
voir le président au nom de l’Église.
Les
frères s’étaient réconciliés
pendant le gel, mais cette réconciliation avait été
de courte durée. Isaac, le frère aîné,
redoutait de demander une nouvelle faveur. Cependant, June, sa femme,
l’avait encouragé à faire confiance à
Jésus-Christ pour l’aider à rétablir sa
relation avec son frère. Ainsi, malgré sa peine, Isaac
assura à Georges qu’il était prêt à
parler du temple avec Jerry.
Le
3 décembre, Isaac appela chez les Bonnet pour annoncer de
bonnes nouvelles. Un assistant du président [Rawlings] avait
pris contact avec lui pour lui poser des questions sur le temple. Il
avait dit que le président était disposé à
soutenir le projet à condition que l’Église
apporte quelques modifications mineures à l’agencement
du site. C’était un dimanche de jeûne, et Georges
et Isaac n’avaient pas mangé de la journée.
Toutefois, plutôt que de rompre leur jeûne ce soir-là,
ils se rendirent ensemble sur le site du temple pour déterminer
si les exigences du président étaient raisonnables.
En
parcourant les lieux, ils estimèrent qu’ils pourraient
s’y conformer. Georges dit : « Isaac, c’est ici que
le temple sera construit. Demandons à notre Père
céleste d’intervenir. »
Agenouillés,
ils firent une prière pour demander au Seigneur de bénir
leurs efforts. Ils ressentirent l’Esprit avec puissance et
appelèrent immédiatement l’assistant du président
pour lui dire qu’ils étaient prêts à
négocier. Georges et Isaac étaient tous deux confiants
quant à l’issue de cette conversation.
Deux
jours plus tard, Isaac rencontra son frère en privé à
Osu Castle, la résidence présidentielle du Ghana. Juste
avant la réunion, Georges appela Isaac pour lui rappeler de
dire à son frère qu’il l’aimait. Georges
rentra ensuite chez lui et pria. Il fit les cent pas en attendant des
nouvelles d’Isaac. Ne recevant aucun appel, Georges décida
d’aller patienter sur le site du temple. Une demi-heure plus
tard, son téléphone sonna enfin.
Isaac
lui dit d’une voix jubilatoire : « C’est réglé.
» Jerry et lui parlèrent du temple pendant dix minutes.
Ils consacrèrent ensuite le reste du temps à discuter
et à ressasser des souvenirs du passé en lien avec leur
famille. À la fin de leur discussion, ils souriaient, riaient
et pleuraient ensemble. Jerry avait dit que l’Église
pouvait commencer la construction du temple immédiatement.
Isaac
lui avait demandé s’il fallait d’abord consulter
le comité d’urbanisme de la ville.
Le
président avait rétorqué : « Ne t’en
fais pas pour ça. Je m’en occupe. »
le
26 février 2001, Darius Gray et Marie Taylor se trouvaient dans un auditorium bondé de la bibliothèque
d’histoire familiale de Salt Lake City. Au-devant de la salle,
Henry B. Eyring, un apôtre, exposait le projet de la Freedman’s
Bank à plus d’une centaine de journalistes et d’invités
de marque.
Après
onze ans de travail, Darius, Marie et plus de 550 volontaires de la
prison d’État d’Utah avaient fini d’extraire
les renseignements concernant les 484 083 Afro-Américains dont
les noms figuraient dans les archives. Depuis peu, l’Église
avait commencé à apporter un soutien technique et
financier au projet, et les renseignements étaient maintenant
consultables et accessibles aux personnes effectuant des recherches
sur CD-ROM ainsi que dans tous les centres d’histoire familiale
de l’Église.
Frère
Eyring annonça : « Pour les Afro-Américains, les
archives de la Freedman’s Bank représentent le plus
grand recueil connu de documents généalogiques. Dans un
avenir proche, nous espérons également fournir
gratuitement la base de données sur le site Internet de
généalogie de l’Église, FamilySearch.org.
»
Durant
les jours précédant cette annonce, Darius avait
rencontré des dirigeants du département de l’œuvre
de l’histoire familiale pour planifier la parution de la base
de données. Il se dit : « Nous allons y arriver. Cela va
vraiment se faire. »
L’issue
du projet n’avait pas toujours été certaine. Très
tôt, l’extraction de noms pour l’œuvre du
temple était devenue un aspect motivant du projet. Cependant,
au milieu des années 1990 l’Église commença
à dissuader activement les membres de transmettre au temple
les noms de personnes qui n’appartenaient pas à leur
famille. Ce changement était une mesure importante et
nécessaire pour respecter les familles des défunts,
mais il entraîna un ralentissement du projet. Par conséquent,
Darius et Marie redirigèrent leur attention sur la création
d’un outil de recherche pour aider les Afro-Américains à
trouver leurs ancêtres.
Les
détenus finirent l’extraction des noms en octobre 1999.
Après cela, ils vérifièrent soigneusement leurs
transcriptions et, malgré trois semaines de confinement au
sein de la prison, ils achevèrent le travail à la
mi-juillet 2000.
Lorsqu’ils
eurent terminé, un détenu qui avait contribué à
coordonner le projet fut rempli d’émotion. Il ne
s’attendait pas à ce que ce travail le touche autant. Il
avait lu des récits déchirants de pères et de
mères réduits en esclavage après avoir été
arrachés à leur famille. D’autres documents
mentionnaient des personnes tuées par balle. L’un des
registres dont il avait extrait les données racontait
l’histoire d’un bébé esclave qui ne portait
pas de nom et avait été échangé contre du
matériel agricole.
De
nombreux détenus vécurent des expériences
similaires et cela changea leur vie. Un jour, le coordinateur
découvrit un volontaire en pleurs. « Je n’en
reviens pas de la façon dont ces gens ont été
traités », déclara le détenu. Posant une
main sur l’épaule de cet homme, le coordinateur remarqua
un tatouage comportant les initiales d’un groupe prônant
la suprématie de la race blanche.
Maintenant
que les données étaient extraites, Darius et Marie
devaient trouver un moyen de les rendre accessibles au plus grand
nombre, mais ils ne disposaient pas des ressources nécessaires.
Un site Internet de généalogie populaire proposa
d’acquérir les données pour des dizaines de
milliers de dollars, mais Darius et Marie refusèrent, estimant
qu’il serait injuste de tirer profit du travail des détenus.
Au lieu de cela, ils en firent don à l’Église
afin qu’elle les mette à la disposition de toutes les
personnes désireuses de les utiliser.
Lors
de la sortie du CD-ROM, qui fut diffusée à Washington
et dans onze autres villes des États-Unis, Darius et Marie
parlèrent du projet. Darius expliqua que les annales
racontaient de nombreuses histoires douloureuses et déplaisantes.
Il déclara aux journalistes : « Je pense que, souvent,
nous craignons de parler de race, mais la race est une réalité.
Nous devrions prendre part à l’histoire ensemble. »
À
ses yeux, la famille était au cœur du projet. Il
poursuivit : « Ces histoires nous permettent de comprendre à
quel point la famille était importante. Même dans
l’environnement hostile de l’esclavage, les gens
s’efforçaient de garder une trace les uns des autres.
Ils y consacraient beaucoup d’efforts, ils gardaient une trace
les uns des autres. »
Marie
confirma cela. Elle raconta : « Quand j’ai découvert
les archives de la Freedman’s Bank, j’ai imaginé
des Afro-Américains brisant les chaînes de l’esclavage
et tissant des liens familiaux. » Elle espérait
maintenant que ces archives continueraient à unir les
familles.
Elle
affirma : « C’est la raison pour laquelle nous faisons
cela. »
Dans
l’après-midi du 10 janvier 2004, Georges A. Bonnet se
réunit avec le président Hinckley, Russell M. Nelson et
des milliers de saints d’Afrique de l’Ouest dans un stade
d’Accra, au Ghana. Le prophète était venu dans la
ville pour consacrer le nouveau temple. Mais avant la consécration,
il avait demandé aux enfants et aux adolescents des pieux et
districts du Ghana de célébrer l’événement
par un spectacle culturel composé de musique et de danses
joyeuses. Il avait la conviction que ce type de célébrations
accompagnant la consécration d’un temple aidaient les
jeunes à se forger des souvenirs inoubliables et à
développer leur intérêt pour l’Église.
Après
la prière d’ouverture, des groupes vêtus de
costumes colorés se produisirent sur une grande scène
ornée de magnifiques fresques murales. Certains participants
interprétèrent des chants. D’autres exécutèrent
des danses ghanéennes, comme l’Adowa et le Kpanlogo, ou
jouèrent de la musique traditionnelle avec des tambours et des
flûtes en bambou.
L’un
des moments forts de l’après-midi eut lieu lorsque les
missionnaires montèrent sur scène et chantèrent
le cantique missionnaire « Appelés à servir ».
Puis, huit cent cinquante enfants de la Primaire, tous vêtus de
blanc, montèrent sur l’estrade pour chanter « Je
suis enfant de Dieu » avec les missionnaires.
Le
lendemain matin, Georges se réveilla avec un sentiment de
gratitude. Le jour de la consécration était enfin
arrivé. À neuf heures, il se joignit au président
Hinckley et à frère Nelson dans la salle céleste pour la
première session de consécration. Celle-ci commença
par la cérémonie de la pierre angulaire, dirigée
par le président Hinckley. Puis, l’intendante et le
président du temple prirent la parole, suivis de Russell M.
Nelson. Ce fut ensuite le tour d’Emmanuel Kissi, désormais
soixante-dix d’interrégion, qui avait dirigé
les saints ghanéens pendant le gel politique.
Dans
son discours, frère Kissi rendit hommage à Joseph
William Billy Johnson, qui se trouvait dans l’assemblée.
Il évoqua également d’autres saints qui avaient
permis à l’Église de croître rapidement au
Ghana.
Il
affirma : « Nos rêves sont devenus réalité.
»
Vers
la fin de la session, le président Hinckley parla avec
humilité de l’aide du Seigneur pour construire le
temple. Il témoigna : « Le Seigneur a entendu nos
prières. Il a entendu vos prières. Il a entendu les
prières de nombreuses personnes et le temple est maintenant
achevé. »
Puis,
le prophète consacra le bâtiment. Dans sa prière,
il dit : « Nous te remercions de la fraternité qui
existe entre nous et du fait que ni la couleur de la peau ni le pays
de naissance ne peuvent nous séparer, nous, tes fils et tes
filles, qui avons contracté des alliances sacrées qui
nous engagent. Que ton œuvre se répande dans ce pays
ainsi que dans les pays voisins. »
Plus
tard dans la journée, au cours de la troisième session
de consécration, le président Hinckley invita Georges à
prendre la parole. Surpris, celui-ci s’approcha de la chaire.
Il témoigna : « Je veux que vous sachiez que notre Dieu
est un Dieu de miracles. Des miracles se produisent grâce à
la foi, et beaucoup, beaucoup ont exercé leur foi par la
prière et d’autres formes de culte pour que ce grand
jour se produise. »
Il
ajouta : « Je crois que la consécration d’un
temple en Afrique de l’Ouest est peut-être l’un des
événements les plus importants depuis l’expiation
de Jésus-Christ et le rétablissement de toutes choses.
Des millions d’Africains qui sont décédés
se réjouissent avec nous aujourd’hui. »
Après
la consécration, Georges se joignit au président
Hinckley, à frère Nelson, à frère Kissi
et à d’autres personnes pour rendre visite à John
Kufuor, le successeur de Jerry Rawlings à la présidence
du Ghana. Depuis sa prise de fonction au début de l’année
2001, le président Kufuor et son administration avaient
apporté leur aide et leur soutien pendant la construction du
temple. En 2002, le président du Ghana avait rendu visite à
la Première Présidence, à Salt Lake City, pour
se renseigner sur l’Église et remercier les saints des
derniers jours pour leurs contributions humanitaires et religieuses
au Ghana. Il avait aussi assisté aux récentes visites
guidées du temple d’Accra où on lui avait fait
découvrir le bâtiment. Il avait été
impressionné par ce qu’il avait vu.
Il
déclara au président Hinckley : « Votre Église
a obtenu la citoyenneté ghanéenne. »
Au
début de l’année 2006, Willy Binene était
impatient de s’installer à Kinshasa, capitale de la
République démocratique du Congo, pour poursuivre sa
formation en ingénierie électrique. Pendant treize ans,
il avait travaillé comme agriculteur dans le village de
Luputa, à quelque mille cinq cents kilomètres de la
ville.
Il
s’était marié à une jeune femme nommée
Lilly, qu’il avait baptisée alors qu’il était
missionnaire de branche. Ils avaient eu deux enfants. Depuis deux
ans, Lilly et les enfants vivaient à Kinshasa pendant que
Willy s’efforçait de gagner suffisamment d’argent
pour les rejoindre et reprendre ses études.
Le
26 mars, le président de la mission, William Maycock, organisa
le premier district de Luputa et demanda à Willy d’en
être le président. Malgré ses incertitudes, Willy
abandonna son projet de déménagement et accepta
l’appel. Peu après, Lilly et les enfants revinrent à
Luputa tandis que Willy commençait à assumer ses
nouvelles responsabilités avec leur soutien.
Il
n’était que l’un des nombreux saints qui
acceptaient des appels à diriger l’Église en
Afrique. Près de trente ans après l’arrivée
des premiers missionnaires à plein temps au Ghana et au
Nigeria, l’Église comptait plus de deux cent mille
membres sur le continent. Il y avait désormais des pieux en
République démocratique du Congo, au Kenya, en
République du Congo, au Ghana, en Côte d’Ivoire,
au Libéria, à Madagascar, au Nigeria, en Afrique du Sud
et au Zimbabwe. Le besoin en dirigeants locaux forts, fermement
ancrés dans les enseignements du Sauveur et de son Église
rétablie, était constant.
Norbert
Ounleu, un Ivoirien, s’était joint à l’Église
en 1995, alors qu’il était étudiant à
l’université. Deux ans plus tard, il était devenu
évêque dans le premier pieu organisé en Côte
d’Ivoire. Trois ans plus tard, il avait été
appelé président de pieu lorsque ce dernier avait été
divisé. Cinq ans plus tard, sa femme, Valerie, et lui avaient
été appelés à diriger la nouvelle mission
d’Abidjan, en Côte d’Ivoire.
À
la même époque, Abigail Ituma, ancienne journaliste et
animatrice de radio, était présidente de la Société
de Secours dans sa paroisse de Lagos, au Nigeria. Sociable et
enjouée, elle aimait donner le sourire aux personnes autour
d’elle. Parmi les femmes de sa paroisse, beaucoup ne venaient
plus à l’église, alors elle s’était
donné la mission de les ramener. Elle avait demandé à
l’une d’entre elles d’être sa deuxième
conseillère et, bientôt, elles passaient des heures
ensemble à rencontrer les sœurs et à les inviter
à l’église.
Abigail
croyait au pouvoir des relations interpersonnelles. Le dimanche, elle
et ses conseillères n’avaient de cesse de présenter
des leçons sur les visites d’enseignement. Au début,
personne ne semblait intéressé par le programme.
Abigail avait persévéré et, après un
certain temps, de plus en plus de femmes commençaient à
servir leurs sœurs. L’assistance aux réunions de
la Société de Secours augmentait.
Pendant
ce temps, au Kenya, Joseph et Gladys Sitati étaient connus
pour leur service dans l’Église et leur dévouement
à Jésus-Christ. Avant leur baptême, en mars 1986,
les Sitati n’étaient pas une famille religieuse. Ils
avaient parfois fréquenté des églises
chrétiennes locales, mais ne s’étaient jamais
sentis nourris spirituellement. Joseph passait souvent ses dimanches
à travailler ou à jouer au golf.
Leur
engagement dans l’Évangile rétabli avait tout
changé. La famille Sitati s’était sentie bien
dans l’Église et, comme celle-ci était devenue un
élément central de leur vie, ils avaient commencé
à passer plus de temps ensemble. Joseph avait été
président de branche et de district pendant de nombreuses
années. Il avait contribué à la reconnaissance
officielle de l’Église au Kenya en 1991. En 2001, quand
le pieu de Nairobi avait été organisé, il avait
été appelé à le présider. En avril
2004, trois ans plus tard, il était devenu soixante-dix
d’interrégion. Gladys, quant à elle, avait été
présidente de la Société de Secours de branche
et avait enseigné à l’École du Dimanche, à
la Primaire, aux Jeunes Filles, à la Société de
Secours et au séminaire.
En
1991, la famille Sitati s’était rendue au temple de
Johannesbourg, en Afrique du Sud, et était devenue la première
famille kényane à être scellée pour le
temps et pour l’éternité.
Plus
tard, Joseph déclara : « En réfléchissant
à ce que nous avions vécu, il nous est tous apparu
clairement qu’une personne ne peut pas commencer à
comprendre la véritable signification de l’Évangile
de Jésus-Christ avant d’avoir été scellée
dans le temple. »
En
août 2005, quarante-deux saints camerounais parcoururent huit
cents kilomètres pour se rendre dans le temple nouvellement
consacré d’Aba, au Nigeria. Les pluies récentes
rendirent les routes non pavées boueuses, mais les saints
avaient continué à avancer, même lorsqu’ils
avaient dû pousser leurs camionnettes de location dans une
profonde couche de gadoue. Malgré la difficulté du
voyage, celui-ci demeurait plus court et moins coûteux qu’un
voyage au temple au Ghana ou en Afrique du Sud. Les saints
camerounais accueillirent avec enthousiasme les bénédictions
de la dotation et du scellement.
Au
début de l’année 2006, Willy Binene était impatient de s’installer à
Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, pour
poursuivre sa formation en ingénierie électrique. Pendant treize ans,
il avait travaillé comme agriculteur dans le village de Luputa, à
quelque mille cinq cents kilomètres de la ville.
Il
s’était marié à une jeune femme nommée Lilly, qu’il avait baptisée
alors qu’il était missionnaire de branche. Ils avaient eu deux enfants.
Depuis deux ans, Lilly et les enfants vivaient à Kinshasa pendant que
Willy s’efforçait de gagner suffisamment d’argent pour les rejoindre et
reprendre ses études.
Le
26 mars, le président de la mission, William Maycock, organisa le
premier district de Luputa et demanda à Willy d’en être le président.
Malgré ses incertitudes, Willy abandonna son projet de déménagement et
accepta l’appel. Peu après, Lilly et les enfants revinrent à Luputa
tandis que Willy commençait à assumer ses nouvelles responsabilités
avec leur soutien.
Il
n’était que l’un des nombreux saints qui acceptaient des appels à
diriger l’Église en Afrique. Près de trente ans après l’arrivée des
premiers missionnaires à plein temps au Ghana et au Nigeria, l’Église
comptait plus de deux cent mille membres sur le continent. Il y avait
désormais des pieux en République démocratique du Congo, au Kenya, en
République du Congo, au Ghana, en Côte d’Ivoire, au Libéria, à
Madagascar, au Nigeria, en Afrique du Sud et au Zimbabwe. Le besoin en
dirigeants locaux forts, fermement ancrés dans les enseignements du
Sauveur et de son Église rétablie, était constant.
Norbert
Ounleu, un Ivoirien, s’était joint à l’Église en 1995, alors qu’il
était étudiant à l’université. Deux ans plus tard, il était devenu
évêque dans le premier pieu organisé en Côte d’Ivoire. Trois ans plus
tard, il avait été appelé président de pieu lorsque ce dernier avait
été divisé. Cinq ans plus tard, sa femme, Valerie, et lui avaient été
appelés à diriger la nouvelle mission d’Abidjan, en Côte d’Ivoire.
À
la même époque, Abigail Ituma, ancienne journaliste et animatrice de
radio, était présidente de la Société de Secours dans sa paroisse de
Lagos, au Nigeria. Sociable et enjouée, elle aimait donner le sourire
aux personnes autour d’elle. Parmi les femmes de sa paroisse, beaucoup
ne venaient plus à l’église, alors elle s’était donné la mission de les
ramener. Elle avait demandé à l’une d’entre elles d’être sa deuxième
conseillère et, bientôt, elles passaient des heures ensemble à
rencontrer les sœurs et à les inviter à l’église.
Abigail
croyait au pouvoir des relations interpersonnelles. Le dimanche, elle
et ses conseillères n’avaient de cesse de présenter des leçons sur les
visites d’enseignement. Au début, personne ne semblait intéressé par le
programme. Abigail avait persévéré et, après un certain temps, de plus
en plus de femmes commençaient à servir leurs sœurs. L’assistance aux
réunions de la Société de Secours augmentait.
Pendant
ce temps, au Kenya, Joseph et Gladys Sitati étaient connus pour leur
service dans l’Église et leur dévouement à Jésus-Christ. Avant leur
baptême, en mars 1986, les Sitati n’étaient pas une famille religieuse.
Ils avaient parfois fréquenté des églises chrétiennes locales, mais ne
s’étaient jamais sentis nourris spirituellement. Joseph passait souvent
ses dimanches à travailler ou à jouer au golf.
Leur
engagement dans l’Évangile rétabli avait tout changé. La famille Sitati
s’était sentie bien dans l’Église et, comme celle-ci était devenue un
élément central de leur vie, ils avaient commencé à passer plus de
temps ensemble. Joseph avait été président de branche et de district
pendant de nombreuses années. Il avait contribué à la reconnaissance
officielle de l’Église au Kenya en 1991. En 2001, quand le pieu de
Nairobi avait été organisé, il avait été appelé à le présider. En avril
2004, trois ans plus tard, il était devenu soixante-dix d’interrégion.
Gladys, quant à elle, avait été présidente de la Société de Secours de
branche et avait enseigné à l’École du Dimanche, à la Primaire, aux
Jeunes Filles, à la Société de Secours et au séminaire.
En
1991, la famille Sitati s’était rendue au temple de Johannesbourg, en
Afrique du Sud, et était devenue la première famille kényane à être
scellée pour le temps et pour l’éternité.
Plus
tard, Joseph déclara : « En réfléchissant à ce que nous avions vécu, il
nous est tous apparu clairement qu’une personne ne peut pas commencer à
comprendre la véritable signification de l’Évangile de Jésus-Christ
avant d’avoir été scellée dans le temple. »
En
juin 2008, Willy, Lilly et leurs trois enfants prirent le bus depuis
Luputa en direction de l’aéroport de Mbuji-Mayi, à environ cent
soixante kilomètres au nord de chez eux. De là, ils s’envolèrent pour
Kinshasa, y passèrent la nuit et prirent un autre avion pour l’Afrique
du Sud. Le voyage était long, mais les enfants étaient heureux. La
famille se rendait au temple de Johannesbourg pour être scellée pour
l’éternité.
Cela
faisait deux ans que Willy avait été appelé président du district de
Luputa et que sa famille l’avait rejoint. En revenant dans le village,
Lilly avait ouvert une école maternelle. Face à son succès immédiat,
elle l’avait transformée en école primaire. Willy avait mis de côté son
rêve de devenir ingénieur en génie électrique pour commencer une
formation d’infirmier dans un hôpital local. Il avait trouvé un
équilibre entre le travail et les exigences de son appel, et il
s’appuyait sur ses conseillers dans la présidence de district tandis
que tous trois découvraient leurs nouvelles responsabilités, formaient
les dirigeants locaux et veillaient sur les saints.
Depuis
peu, la présidence assumait des tâches supplémentaires pour contribuer
à un projet de trois ans, financé par l’Église, visant à acheminer de
l’eau potable à Luputa. Les habitants de la ville dépendaient depuis
longtemps de divers étangs, sources et fossés de drainage pour
s’approvisionner en eau. Deux fois par jour, les femmes et les enfants
parcouraient au moins deux kilomètres pour se rendre à l’un de ces
endroits, recueillir de l’eau dans le récipient qu’ils avaient apporté,
puis la rapporter chez eux. Ces sources d’eau regorgeaient de parasites
dangereux et presque tout le monde connaissait quelqu’un, souvent un
petit enfant, qui était mort à cause de l’eau contaminée. Parfois
aussi, les femmes étaient agressées tandis qu’elles allaient et
venaient à la source.
Depuis
de nombreuses années, l’ADIR, une organisation humanitaire basée en
RDC, souhaitait rendre l’eau potable accessible aux deux cent soixante
mille habitants de Luputa et ses environs. Cependant, la meilleure
solution résidait dans un réseau de sources situées à flanc de colline,
à trente-quatre kilomètres de là, et l’ADIR ne disposait pas des deux
millions six cent mille dollars nécessaires pour construire les
canalisations. Récemment, le directeur général de l’organisation avait
entendu parler de Latter-day Saint Charities et avait pris contact avec
les missionnaires humanitaires locaux pour envisager une collaboration.
Créée
en 1996 sous la direction de la Première Présidence, l’organisation
caritative Latter-day Saint Charities soutenait chaque année des
centaines de projets humanitaires de l’Église à travers le monde. Même
si les projets de l’organisation variaient en fonction des besoins, ses
actions les plus récentes portaient essentiellement sur la vaccination,
la fourniture de fauteuils roulants, les soins de la vue, les soins aux
nourrissons et l’accès à l’eau potable. Lorsqu’on apprit la nécessité
d’installer une canalisation d’eau à Luputa, Latter-day Saint Charities
octroya les fonds nécessaires, et des bénévoles de Luputa et d’autres
collectivités voisines acceptèrent de fournir la main-d’œuvre.
À
la présidence de district, Willy et ses conseillers travaillaient avec
l’ADIR et Daniel Kazadi, un saint des derniers jours local engagé comme
contrôleur de site. Ils s’étaient également portés volontaires pour
participer au chantier.
En
atterrissant à Johannesbourg, la famille Binene mit de côté ses
préoccupations du quotidien pour se concentrer sur la maison du
Seigneur. À l’aéroport, ils furent accueillis par une famille qui les
conduisit à la maison d’hôtes du temple. Plus tard, Willy et Lilly
entrèrent dans le temple, déposèrent leurs enfants à la garderie mise
en place par l’Église, et revêtirent des vêtements blancs.
Avant
de quitter Luputa, ils avaient étudié le séminaire de préparation au
temple de l’Église, Dotés d’en haut, et lu La maison du Seigneur, écrit
par l’apôtre James E. Talmage. Pourtant, en arrivant au temple, ils
furent un peu désorientés, en effet, tout était nouveau et personne ne
parlait français. Communiquant à l’aide de gestes, ils comprirent où
aller et quoi faire.
Plus
tard, dans la salle de scellement, c’est au comble de la joie qu’ils
retrouvèrent leurs trois enfants. Vêtus de blanc, ils ressemblaient à
des anges. Willy fut parcouru de frissons. Il lui sembla que sa famille
n’était plus sur terre. C’était comme s’ils étaient en la présence de
Dieu.
« Waouh », dit-il.
Lilly
avait également l’impression d’être dans les cieux. Le fait de savoir
qu’ils étaient liés pour l’éternité semblait décupler l’amour qu’ils
ressentaient les uns pour les autres. Ils étaient désormais
inséparables. Pas même par la mort.
En
septembre 2010, les habitants de Luputa, en République démocratique du
Congo, avaient presque fini de poser les tuyaux de leur canalisation
d’eau potable parrainée par l’Église. S’adressant à un journaliste, le
président du district, Willy Binene, souligna l’importance de la
construction.
Il dit : « L’homme peut vivre sans électricité. Mais le manque d’eau potable est un fardeau presque trop lourd à porter. »
Que
le journaliste le sache ou non, Willy parlait par expérience. Lorsqu’il
étudiait le génie électrique, il n’avait jamais aspiré à vivre à
Luputa, une ville sans électricité. Ses projets avaient changé, et il
avait réussi à vivre sans électricité et même à s’épanouir. Cependant,
sa famille et lui, ainsi que toutes celles de la région, avaient
souffert des effets douloureux des maladies transmises par l’eau. À
l’église, par mesure de sécurité, ils devaient même acheter de l’eau
potable en bouteille pour la Sainte-Cène au prix de sacrifices.
Dorénavant,
moyennant quelques efforts supplémentaires, Luputa allait changer. Dès
le début du projet, les habitants de chaque quartier de la ville et de
ses environs s’étaient vus attribuer des jours de main-d’œuvre sur la
canalisation. Ces jours-là, les camions de l’ADIR, l’organisation qui
gérait le projet, arrivaient tôt dans le quartier pour conduire les
bénévoles sur le chantier.
Au
regard de son appel de président de district, Willy voulait être un
dirigeant modèle. Les jours où son quartier était affecté au chantier,
il mettait de côté son travail d’infirmier pour aller creuser. Des
kilomètres de collines et de vallées séparaient Luputa de la source
d’eau potable. La canalisation utilisant la gravité, les bénévoles
avaient dû creuser la tranchée et enterrer le tuyau de manière à ce que
l’eau s’écoule correctement.
Willy
et les autres bénévoles avaient tout creusé à la main. La tranchée
devait faire quarante-cinq centimètres de large et un mètre de
profondeur. À certains endroits, le sol était sablonneux et le travail
avançait rapidement. À d’autres, un enchevêtrement de racines d’arbres
et de rochers le rendait éreintant. Les bénévoles ne pouvaient que
prier pour que les feux de brousse et les nids d’insectes piqueurs ne
ralentissent pas leur progression. Dans des conditions idéales, ils
creusaient près de cent cinquante mètres de tranchée en une journée.
Les
saints du district de Luputa étaient à l’œuvre sur des créneaux
spéciaux en plus de ceux de leur quartier. Ces jours-là, les hommes de
l’Église se joignaient aux bénévoles réguliers pour creuser la tranchée
tandis que les femmes de la Société de Secours préparaient le repas des
ouvriers.
L’engagement
des saints au projet fit connaître leur foi. Les habitants de la région
voyaient l’Église comme une institution qui s’occupait non seulement de
ses membres, mais aussi de la collectivité.
En
novembre 2010, lorsque la construction des canalisations fut achevée,
de nombreuses personnes se rendirent à Luputa pour assister à l’arrivée
de l’eau. Des citernes immenses, perchées sur de hauts pilotis, avaient
été construites dans la ville pour stocker l’eau des canalisations.
Pourtant, certains se demandaient si les canalisations transporteraient
suffisamment d’eau pour remplir les réservoirs. Willy lui-même avait
des doutes.
Puis
les vannes furent ouvertes et tout le monde entendit le grondement de
l’eau se déversant dans les citernes. Une joie immense s’empara de la
foule. Des dizaines de petites stations d’eau en béton, chacune équipée
de plusieurs robinets, distribuaient désormais de l’eau propre dans
toute la ville.
Pour
fêter l’événement, la ville organisa des festivités qui attirèrent
quinze mille personnes de Luputa et des villages voisins. Parmi les
invités d’honneur, on nota la présence de dignitaires du gouvernement
et de chefs de tribus, de responsables de l’ADIR, et d’un membre de la
présidence d’interrégion d’Afrique du Sud-Est de l’Église. Sur l’un des
réservoirs d’eau était accrochée une grande banderole portant une
inscription en lettres d’un bleu éclatant :
MERCI À L’ÉGLISE
MERCI À L’ADIR
POUR L’EAU POTABLE
Pendant
que les invités arrivaient et prenaient place sous des belvédères
édifiés pour l’occasion, un chœur de jeunes saints des derniers jours
chantait des cantiques.
Lorsque
tout le monde fut installé et que le silence régna, Willy, en tant que
représentant local de l’Église, saisit un micro pour s’adresser à
l’auditoire. Il déclara : « Tout comme Jésus a accompli de nombreux
miracles, aujourd’hui, c’est un miracle que l’eau soit arrivée à
Luputa. » Il expliqua à la foule que l’Église avait financé la
canalisation pour l’ensemble de la communauté et il exhorta tout le
monde à en faire bon usage.
Quant
aux personnes qui se demandaient pourquoi l’Église s’intéressait tant à
un endroit comme Luputa, il donna une réponse simple :
« Nous sommes tous enfants de notre Père céleste. Nous devons faire du bien à tout le monde. »
(Les saints, quatrième tome, 2024)