Le
rôle vital de la religion
pour
le monde entier
Dallin
H. Oaks
du
Collège des douze apôtres
Discours
donné le 9 juin 2016 à l’université
d’Oxford (Angleterre)
au
cours d’un colloque sur la liberté religieuse
Depuis
plus de trente ans, je suis l’un des douze apôtres de
Jésus-Christ. Sous la direction de notre Première
Présidence, nous gouvernons notre Église mondiale de
près de seize millions de membres dans un peu plus de trente
mille assemblées. Nous enseignons la divinité de
Jésus-Christ et de sa prêtrise, de la plénitude
de son Évangile, et nous en témoignons. Une
particularité de notre doctrine est notre connaissance que
Dieu continue d’appeler des prophètes et des apôtres
pour recevoir la révélation et enseigner comment
appliquer ses commandements dans les situations de notre époque.
I.
L’importance de la religion à l’échelle
mondiale
La
liberté religieuse a toujours été l’un de
mes centres d’intérêt. Lorsque j’étais
jeune professeur de droit à l’université de
Chicago il y a cinquante-quatre ans, ma première publication a
été un livre sur la relation entre l’Église
et l’État aux États-Unis (The Wall between Church
and State, publié par Dallin H. Oaks, 1963).
Aujourd’hui
beaucoup plus qu’alors, nul d’entre nous ne peut ignorer
l’importance de la religion au niveau mondial, en politique,
dans la résolution des conflits, dans le développement
économique, l’aide humanitaire etc. Quatre-vingt-quatre
pour cent de la population mondiale se réclament d’une
religion (voir Pew Research Center, "The Global Religious
Landscape: A Report on the Size and Distribution of the World’s
Major Religious Groups as of 2010", déc. 2012, p. 9, 24,
pewforum.org.), mais soixante-dix-sept pour cent des habitants du
monde vivent dans un pays qui impose des restrictions fortes ou très
fortes à la liberté religieuse (voir Pew Research
Center, "Latest Trends in Religious Restrictions and
Hostilities", 26 fév. 2015, p. 4, pewforum.org). Dans nos
efforts pour améliorer le monde dans lequel nous vivons, il
est essentiel que nous comprenions la religion et sa relation avec
les problèmes mondiaux.
Bien
que la liberté religieuse soit inconnue dans la plus grande
partie du monde, et menacée par le sécularisme et
l’extrémisme dans le reste, je parle de l’idéal
dans lequel les libertés que la religion cherche à
protéger sont données par Dieu et innées, mais
sont mises en œuvre par des relations mutuelles complémentaires
avec les gouvernements qui recherchent le bien-être de tous
leurs citoyens.
En
conséquence, un gouvernement se doit de garantir la liberté
religieuse pour ses citoyens. Comme le stipule l’article 18 de
l’influente Déclaration universelle des droits de
l’homme des Nations Unies, « Toute personne a droit
à la liberté de pensée, de conscience et de
religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion
ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa
religion ou sa conviction seul ou en commun, tant en public qu’en
privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et
l’accomplissement des rites. » (Déclaration
universelle des droits de l’homme, adoptée par
l’Assemblée générale des Nations Unies le
10 décembre 1948, un.org). Ces dispositions pour la protection
de la pratique religieuse sont reconnues largement dans des documents
internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme
(voir, par exemple, "International Covenant on Civil and
Political Rights"», 16 déc. 1966, Article 18 ;
"Declaration on the Elimination of All Forms of Intolerance and
of Discrimination Based on Religion or Belief ", 1981, Article 1
; "European Convention for the Protection of Human Rights and
Fundamental Freedoms", 1950, Article 9 ; "American
Convention on Human Rights", 22 nov. 1969, Article 12 ; et
"African Charter on Human and People’s Rights", 27
juin 1981, Article 8).
Les
responsabilités complémentaires de la religion, à
travers ses adhérents, sont d’observer les lois et de
respecter la culture du pays qui garantit ses libertés. Quand
les libertés religieuses sont garanties, une telle réponse
est une dette de reconnaissance que l’on est heureux de payer.
S’il
y avait une acceptation et une application uniformes de ces principes
généraux, il n’y aurait pas besoin d’avoir
ces discussions sur la liberté de religion. Mais, comme nous
le savons tous, notre monde est tourmenté par des conflits
portant sur ces principes généraux. Par exemple, des
voix éminentes remettent à présent en question
toute l’idée de protections particulières pour la
religion. Un livre de ce genre porte le titre Freedom from Religion
[Libéré de la religion] (Amos N. Guiora, Rights and
National Security, 2009), et un autre Why Tolerate Religion ?
[Pourquoi tolérer la religion ?] (Brian Leiter, 2012).
D’autres
voix cherchent à marginaliser la religion et les croyants, par
exemple en limitant la liberté religieuse à
l’enseignement dans les églises, les synagogues et les
mosquées, et en refusant l’exercice des croyances
religieuses dans la sphère publique. Ces tentatives violent
bien évidemment la garantie du droit de manifester sa religion
ou ses croyances « en public ou en privé »,
selon les termes de la Déclaration universelle. Le libre
exercice de la religion doit aussi s’appliquer quand les
croyants agissent en tant que communauté, par exemple dans
leurs efforts dans les domaines de l’éducation, de la
médecine et de la culture.
II.
Les valeurs sociales de la religion
Les
croyances et les pratiques religieuses sont aussi critiquées
comme étant irrationnelles et contraires à d’importants
objectifs gouvernementaux et sociaux. Pour ma part, je soutiens bien
évidemment que la religion apporte des bienfaits incomparables
à la société. Comme un athée l’a
admis dans un livre récent, « il n’est pas
nécessaire d’être croyant pour comprendre que les
valeurs essentielles de la civilisation occidentale sont fondées
sur la religion et pour s’inquiéter de ce que l’érosion
de l’observance religieuse sape par conséquent ces
valeurs. » (Melanie Phillips, The World Turned Upside Down: The
Global Battle over God, Truth, and Power, 2010, p. Xviii). Une de ces
« valeurs essentielles » est le concept de la
dignité et de la valeur intrinsèques de l’homme.
Voici
sept autres exemples des valeurs sociales de la religion :
1.
Beaucoup des progrès moraux les plus importants de la société
occidentale ont été motivés par des principes
religieux et ce sont les discours prononcés à la chaire
qui ont persuadé de les adopter officiellement. Ainsi en
a-t-il été de l’abolition du commerce des
esclaves dans l’empire britannique, de la Proclamation
d’émancipation aux États-Unis et du mouvement des
droits civils du dernier demi-siècle. Ces progrès n’ont
pas été motivés et promus par la morale
séculière ; ils ont essentiellement été
dirigés par des personnes qui avaient une vision religieuse
claire de ce qui était moralement juste.
2.
Aux États-Unis, notre énorme secteur privé
d’œuvres caritatives – éducation, hôpitaux,
soin des pauvres, et d’innombrables autres œuvres de
charité de grande valeur – est issu d’impulsions
et d’organisations religieuses, qui en supportent encore la
charge la plus importante.
3.
Ce qui unit les sociétés occidentales, ce n’est
pas principalement une loi imposée, ce qui ne serait pas
réalisable, mais les citoyens qui obéissent
volontairement à ce qui ne peut être imposé, en
raison de leurs normes personnelles en matière de comportement
correct. Pour un grand nombre de gens, ce sont la croyance religieuse
au bien et au mal et l’attente de comptes à rendre à
une puissance supérieure qui produisent ce genre
d’auto-régulation volontaire. En fait, les valeurs
religieuses et les réalités politiques sont si liées
dans l’origine et la perpétuation des nations
occidentales que nous ne pouvons pas perdre l’influence de la
religion sur notre vie publique sans mettre gravement en danger
toutes nos libertés.
4.
À côté de leurs équivalents privés,
les organisations religieuses jouent un rôle d’institutions
médiatrices pour modeler et tempérer le pouvoir
envahissant du gouvernement sur les personnes et les organisations
privées.
5.
La religion inspire à de nombreux croyants de rendre service à
autrui, ce qui, en fin de compte, apporte d’énormes
bienfaits aux collectivités et aux pays.
6.
La religion renforce le tissu social de la société.
Comme l’a enseigné le rabbin Jonathan Sacks, « [la
religion] reste le ciment de la collectivité le plus puissant
que le monde ait connu. […] La religion est le meilleur
antidote à l’individualisme de l’ère de la
consommation. L’idée que la société puisse
se passer d’elle ne tient pas face à l’histoire. »
(Jonathan Sacks, "The Moral Animal", New York Times, 23
déc. 2012, nytimes.com)
7.
Pour finir, Clayton M. Christensen, saint des derniers jours reconnu
dans le monde entier comme « maître à
penser » dans les domaines de la gestion d’entreprise
et de l’innovation (Jena McGregor, "The World’s Most
Influential Management Thinker?" Washington Post, 12 nov. 2013,
washingtonpost.com), a écrit que « la religion est
le fondement de la démocratie et de la prospérité »
(8 fév. 2011, mormonperspectives.com). On pourrait encore dire
beaucoup de choses sur le rôle positif de la religion dans le
développement économique.
Je
maintiens que les enseignements religieux et les actions de croyants
motivées par la religion sont essentiels à une société
libre et prospère, et continuent de mériter des
protections légales particulières.
III.
Les responsabilités complémentaires de la religion
Jusqu’ici
je n’ai parlé que des responsabilités des
gouvernements envers les croyants et les organisations religieuses.
Je vais maintenant parler des responsabilités complémentaires
que les religions et les croyants ont envers leur gouvernement.
De
toute évidence, les gouvernements sont en droit d’attendre
des personnes qui bénéficient de leur protection
qu’elles obéissent aux lois et respectent la culture.
Les gouvernements ont un intérêt supérieur, qui
est de préserver la sécurité de leurs frontières
nationales et de défendre la santé et la sécurité
de leurs citoyens. Ils ont évidemment le droit d’insister
pour que toutes les organisations, y compris religieuses,
s’abstiennent d’enseigner la haine et de mener des
actions susceptibles d’engendrer la violence ou d’autres
actes criminels envers autrui. Aucun pays ne doit offrir d’abri
à des organisations qui font la promotion du terrorisme. La
liberté religieuse n’est une barrière au pouvoir
du gouvernement dans aucune de ces situations.
Aujourd’hui,
les fonctions complémentaires de la religion et du
gouvernement sont sévèrement éprouvées en
Europe. L’afflux massif de réfugiés de religion
et de culture musulmanes pour la plupart dans des pays de culture et
de religions différentes, crée évidemment de
graves difficultés politiques, culturelles, sociales,
financières et religieuses.
Quelle
contribution la religion et les organisations religieuses
peuvent-elles apporter pour aider les réfugiés et les
pays qui les ont reçus, à court et à long
terme ? Nous savons que certains professionnels sont sceptiques
quant au rôle des organisations religieuses dans ces aspects,
certains considérant même la religion comme une
influence perturbatrice. Je vais m’efforcer de ne pas
contredire les opinions basées sur des faits que je ne connais
pas. Je vais seulement parler des règles et de l’expérience
de l’Église de Jésus-Christ des saints des
derniers jours, ce qui illustrera je crois l’influence positive
que les organisations religieuses peuvent et devraient avoir, à
court et à long terme.
Nous
qui sommes connus comme saints des derniers jours, ou mormons,
prenons littéralement l’enseignement du Christ selon
lequel nous devons donner à manger aux gens qui ont faim et un
abri aux étrangers (voir Matthieu 25:35). Nous sommes
également guidés par une révélation
moderne provenant de la même source : « Souvenez-vous
en toutes choses des pauvres et des nécessiteux, des malades
et des affligés, car celui qui ne fait pas ces choses n’est
pas mon disciple » (D&A 52:40).
Le
soin des pauvres et des nécessiteux n’est pas quelque
chose de facultatif dans notre Église. Nous le faisons dans le
monde entier. Par exemple, en 2015 nous avons eu cent
soixante-dix-sept projets de réponse à des situations
d’urgence dans cinquante-six pays. En outre, nous avons eu des
centaines de projets qui ont bénéficié à
plus d’un million de personnes dans sept autres catégories
d’aide, par exemple la fourniture d’eau potable, la
vaccination et les soins ophtalmologiques. Depuis plus de trente ans,
ces efforts ont représenté un coût moyen
d’environ quarante millions de dollars par an.
Nous
évitons une des objections faites aux organisations
religieuses en séparant rigoureusement nos services
humanitaires de nos efforts missionnaires mondiaux. Notre aide
humanitaire est apportée sans considération
d’affiliation religieuse, parce que nous voulons que nos
efforts missionnaires soient reçus et envisagés en
l’absence de toute influence – force, nourriture ou
autres faveurs.
4.
Que peuvent faire les Églises ?
Que
peuvent faire les Églises en plus de ce que les Nations-Unies
ou les pays peuvent faire ? Je me réfère encore à
l’expérience de notre Église. Bien que le nombre
de nos membres – la moitié aux États-Unis et
l’autre moitié dans le reste du monde – soit petit
en termes de capacité d’aider, nous avons trois grands
avantages qui amplifient notre impact.
Premièrement,
les traditions de service de nos membres nous apportent une ressource
de bénévoles engagés et expérimentés.
Pour traduire cela en chiffres, en 2015 nos bénévoles
ont fait don de plus de vingt-cinq millions d’heures de service
dans nos projets d’entraide, nos projets humanitaires et autres
projets parrainés par l’Église (plus de quatorze
millions d’heures de service de l’Église données
par des missionnaires, près de huit millions par les
travailleurs de l’entraide et les travailleurs humanitaires, et
plus de quatre millions par le travail d’entraide dans les
paroisses), sans compter ce que nos membres ont fait à titre
privé.
Deuxièmement,
grâce aux contributions financières de nos membres à
des causes humanitaires, nous sommes auto-financés. Bien que
nous ayons la capacité de fonctionner indépendamment de
structures et d’appropriations bureaucratiques, nous sommes
aussi désireux de coordonner nos efforts avec les
gouvernements et les agences des Nations-Unies pour avoir le plus
grand impact. Nous les invitons à recourir de plus en plus aux
forces des organisations religieuses.
Troisièmement,
nous avons une base mondiale organisée qui peut être
mobilisée immédiatement. Par exemple, au sujet du
problème mondial des réfugiés, en mars 2016
notre Première Présidence et nos présidences
générales de la Société de Secours, des
Jeunes Filles et de la Primaire ont envoyé des messages aux
membres du monde entier leur rappelant le principe chrétien
fondamental d’aider les pauvres et les « étrangers »
(Matthieu 25:35) qui se trouvent parmi nous. Ils ont invité
les fillettes, les jeunes filles et les femmes de tout âge à
contribuer à aider les réfugiés de leur
collectivité (voir la lettre de la Première Présidence
du 26 mars 2016 et la lettre des présidentes générales
de la Société de secours, des Jeunes Filles et de la
Primaire du 26 mars 2016).
Comme
exemple représentatif de la réponse de nos membres en
Europe, un soir d’avril 2016, plus de deux cents mormons et
leurs amis en Allemagne se sont portés volontaires et ont
confectionné mille soixante et un « sacs de
bienvenue » pour les enfants vivant dans six centres pour
réfugiés dans les États de Hesse et de
Rhénanie-Palatinat. Les sacs contenaient des vêtements
neufs, des articles d’hygiène, des couvertures et du
matériel de dessin. Une des femmes qui coordonnaient
l’opération a dit : « Je ne peux pas
changer la situation tragique qui a conduit [les réfugiés]
à fuir leur foyer, mais je peux apporter quelque chose à
[leur] cadre de vie et jouer un rôle actif dans [leur] vie. »
Voici
deux exemples des actions humanitaires, formellement organisées,
que nous menons dans le monde entier. En 2015, en partenariat complet
avec la fondation AMAR, basée en Angleterre, LDS Charities a
construit des centres de soins de première nécessité
pour la minorité Yezidi du nord de l’Irak, qui a été
brutalement prise pour cible par l’état islamique. Ces
centres de soins, entièrement équipés de
laboratoire, matériel d’urgence, pharmacie et équipement
d’échographie, apportent un soulagement à une
population qui souffre physiquement et spirituellement. Ils emploient
des professionnels de santé et des volontaires Yezidi qui
aident les gens de leur peuple dans des aspects délicats d’un
point de vue culturel.
En
2004, le tremblement de terre dévastateur et le tsunami qui en
a résulté le 26 décembre en Asie du Sud-Est ont
tué deux cent trente mille personnes dans quatorze pays. Nos
personnels de LDS Charities sont arrivés sur site le lendemain
et ont travaillé activement pendant cinq ans. Dans la seule
région de Banda Aceh, durement touchée, nos équipes
ont construit neuf cents maisons permanentes, vingt-quatre systèmes
d’approvisionnement en eau dans les villages, quinze écoles
primaires, trois centres médicaux et trois centres
communautaires qui servent aussi de mosquées. En outre, nous
avons fourni des exemplaires du Coran et des tapis de prière
pour aider ces communautés dans leur culte.
Ce
ne sont que quelques illustrations de la valeur de la religion dans
une culture, dont nous, dans la collectivité religieuse, ne
nous faisons pas seulement les avocats mais pour laquelle nous
réclamons la liberté religieuse, que nous considérons
comme la première des libertés.
Source :
https://www.lds.org/liahona/2017/06/religions-vital-global-role?lang=fra