LES SAINTS
Histoire
de l’Église de Jésus-Christ des saints des
derniers jours
TOME 1
L’ÉTENDARD DE LA VÉRITÉ
1815-1846
CHAPITRE
7 : Compagnons
de service
CHAPITRE
8 : L’émergence de l’Église du
Christ
DEUXIÈME PARTIE :
Une maison de foi (avril 1830 - avril 1836)
CHAPITRE 9 : Pour la vie ou pour la mort
CHAPITRE 10
: Rassemblés
CHAPITRE 11
: Vous recevrez ma loi
CHAPITRE 12
: Après beaucoup de tribulations
CHAPITRE 13
: Le don revient
CHAPITRE 14
: Visions et cauchemars
CHAPITRE 15
: En des lieux saints
CHAPITRE 16
: Ce n'est que le prélude
CHAPITRE 17
: Même s'ils nous tuent
CHAPITRE 18
: Le camp d'Israël
CHAPITRE 19
: Vous serez des intendants
CHAPITRE 20
: Ne me rejette pas
CHAPITRE 21
: L'Esprit de Dieu
TROISIÈME PARTIE : Jeté dans l'abîme (avril 1836 -
avril 1839)
CHAPITRE 22
: Mettre le Seigneur à l'épreuve
CHAPITRE 23
: Tous les pièges
CHAPITRE 24
: La vérité triomphera
CHAPITRE 25
: Partez dans l'Ouest
CHAPITRE 26
: Une terre sainte
CHAPITRE 27
: Nous revendiquons la liberté
CHAPITRE 28
: Nous avons suffisamment essayé
CHAPITRE 29
: Dieu et la liberté
CHAPITRE 30
: Battez-vous
CHAPITRE 31
: Comment cela finira-t-il ?
CHAPITRE 32
: Quand même l'enfer se déchaînerait
CHAPITRE 33
: Ô Dieu, où es-tu ?
QUATRIÈME PARTIE : La plénitude des temps (avril 1839
- février 1846)
CHAPITRE 34
: Édifier une ville
CHAPITRE 35
: Un lieu magnifique
CHAPITRE 36
: Incitation à se rassembler
CHAPITRE 37
: Nous les mettrons à l'épreuve
CHAPITRE 38
: Traître ou honnête homme
CHAPITRE 39
: Même dans les profondeurs de l'angoisse
CHAPITRE 40
: Unis en une alliance éternelle
CHAPITRE 41
: À Dieu le jugement
CHAPITRE 42
: Endosser le fardeau
CHAPITRE 43
: Une nuisance publique
CHAPITRE 44
: Comme un agneau à l'abattoir
CHAPITRE 45
: Une puissante fondation
CHAPITRE 46
: Dotés de pouvoir
À PROPOS DES SOURCES
SOURCES
REMERCIEMENTS
PRÉFACE
Lorsqu’elles sont bien racontées, les histoires vraies peuvent
inspirer, mettre en garde, amuser et instruire. Brigham Young
comprenait le pouvoir d’une bonne histoire lorsqu’il recommanda aux
historiens de l’Église de ne pas se contenter d’enregistrer les faits
arides du passé. Il leur a conseillé « d’employer un style narratif »
et de n’écrire qu’environ un dixième des textes.
Ce qui suit est un récit historique conçu pour donner aux lecteurs une
compréhension fondamentale de l’histoire de l’Église. Chaque scène,
chaque réplique, chaque personnage est basé sur des sources historiques
qui sont citées à la fin du livre. Les personnes qui souhaitent lire
ces sources, mieux comprendre les sujets apparentés et découvrir
d’autres histoires trouveront des liens vers d’autres ressources en
ligne sur le site history.lds.org.
Ce livre est le premier de quatre tomes sur l’histoire de l’Église de
Jésus-Christ des saints des derniers jour. Ensemble, les tomes
relatent l’histoire du Rétablissement de l’Évangile de Jésus-Christ
depuis les premiers jours de l’Église jusqu’à nos jours. Ils sont
écrits dans un style captivant et accessible aux saints du monde entier.
L’Église a déjà publié deux ouvrages historiques en plusieurs tomes. Le
premier était un documentaire historique commencé par Joseph Smith dans
les années 1830 et publié au début de l’année 1842. Le deuxième a été
écrit par un historien adjoint de l’Église, B. H. Roberts, et publié en
1930. Depuis, la portée mondiale de l’Évangile rétabli et le
commandement du Seigneur de tenir continuellement l’histoire « pour le
bien de l’Église et pour les générations montantes » signalent que le
moment est venu de faire une mise à jour et d’inclure davantage de
saints dans le récit.
Plus encore que dans les histoires précédentes, Les saints présente la
vie et l’histoire d’hommes et de femmes ordinaires dans l’Église. Il
donne aussi de nouveaux détails et de nouvelles perceptions au sujet de
personnes et d’événements mieux connus de l’histoire de l’Église.
Chaque chapitre permettra aux lecteurs de comprendre et d’apprécier les
saints qui ont fait de l’Église ce qu’elle est aujourd’hui.
Entremêlées, leurs histoires constituent la belle tapisserie du
Rétablissement.
Les livres Les saints ne sont pas des Écritures mais, comme les
Écritures, chaque tome contient des vérités divines et des histoires de
personnes imparfaites s’efforçant de devenir des saints grâce à
l’Expiation de Jésus-Christ. Leurs histoires, comme celles de tous les
saints, passés et présents, rappellent au lecteur combien le Seigneur a
été miséricordieux envers son peuple lorsqu’il s’est uni dans le monde
entier pour faire avancer l’œuvre de Dieu.
PREMIÈRE PARTIE :
Mon serviteur Joseph
(avril 1815 - avril 1830)
CHAPITRE
1 : Demande avec foi
En
1815, l’île indonésienne de Sumbawa est luxuriante
et verdoyante suite aux précipitations récentes. Les
familles se préparent pour la saison sèche à
venir, comme elles le font depuis des générations,
cultivant des rizières à l’ombre d’un
volcan appelé le Tambora.
Le
5 avril, après des décennies de sommeil, la montagne se
réveille en rugissant, crachant de la cendre et du feu. À
des centaines de kilomètres de distance, des témoins
entendent ce qui ressemble à des coups de canon. De petites
éruptions subsistent pendant des jours. Puis, dans la soirée
du 10 avril, la montagne entière explose. Trois colonnes de
flammes s’élèvent vers le ciel et fusionnent en
provoquant une énorme déflagration. Du feu liquide
dévale les flancs de la montagne, enveloppant le village à
sa base. Des tourbillons font rage dans toute la région,
arrachant des arbres et emportant des habitations.
Le
chaos persiste toute cette nuit-là jusqu’à la
suivante. Les cendres recouvrent des kilomètres de terre et de
mer, sur une hauteur de plus de cinquante centimètres par
endroits. À midi, on se croirait à minuit. Les mers
démontées se soulèvent par-dessus le littoral,
détruisant les récoltes et inondant les villages.
Pendant des semaines, le Tambora fait pleuvoir de la cendre, des
pierres et du feu.
Au
fil des mois suivants, les effets de la déflagration se
propagent à travers le globe. Des couchers de soleil
spectaculaires font l’admiration de spectateurs du monde
entier. Mais les couleurs éclatantes masquent les effets
meurtriers des cendres du volcan qui tournent autour de la terre.
L’année suivante, les conditions météorologiques
deviennent imprévisibles et dévastatrices.
L’éruption
fait chuter les températures en Inde, et le choléra
fait des milliers de victimes, décimant des familles entières.
Dans les vallées fertiles de la Chine, le climat
habituellement tempéré fait place à des tempêtes
de neige en été, et des pluies torrentielles détruisent
les récoltes. En Europe, la diminution des provisions
alimentaires entraîne la famine et la panique.
Partout,
les gens cherchent des explications aux souffrances et aux morts que
les phénomènes climatiques étranges provoquent.
En Inde, des hommes saints font résonner les temples
hindouistes de prières et de mélopées. Les
poètes chinois se perdent en questions sur le sujet de la
souffrance et de la perte de tout. En France et en Grande-Bretagne,
les citoyens tombent à genoux, craignant que les calamités
terribles prédites dans la Bible ne soient sur eux. En
Amérique du Nord, les ecclésiastiques prêchent
que Dieu est en train de punir les chrétiens rebelles, et ils
les incitent à raviver leurs sentiments religieux.
Dans
tout le pays, les gens accourent vers les églises et les
réveils religieux, désireux de savoir comment ils
peuvent être sauvés de la destruction à venir.
L’année
suivante, l’éruption du Tambora continue d’affecter
le climat en Amérique du Nord. Le printemps fait place à
des chutes de neige et à des gelées dévastatrices,
et 1816 reste gravé dans les mémoires comme étant
l’année sans été.
Dans le Vermont, à l’angle nord-est des États-Unis,
les collines rocailleuses rendent depuis des années la vie
dure à un fermier appelé Joseph Smith, père.
Mais cette saison-là, en regardant leurs récoltes se
flétrir sous les gelées impitoyables, sa femme, Lucy
Mack Smith, et lui, savent que s’ils restent là, ils
auront à affronter la faillite et un avenir incertain.
À
quarante-cinq ans, Joseph, père, n’est plus un jeune
homme et la perspective de tout recommencer sur une nouvelle terre
est décourageante. Il sait que ses fils aînés,
Alvin, dix-huit ans, et Hyrum, seize ans, peuvent l’aider à
défricher, construire une maison, planter et récolter.
Sa fille de treize ans, Sophronia, est suffisamment grande pour
assister Lucy dans ses tâches domestiques et ses travaux de la
ferme. Ses fils plus jeunes, Samuel, huit ans et William, cinq ans,
commencent à se rendre utiles et Katherine, trois ans, et le
bébé, Don Carlos, seront un jour suffisamment grands
pour donner un coup de main.
Pour
ce qui est de son troisième fils, Joseph, dix ans, c’est
une autre histoire. Quatre ans plus tôt, celui-ci a subi une
intervention chirurgicale pour ôter une infection logée
dans sa jambe. Depuis lors, il marche avec une béquille. Bien
que sa jambe recommence à être solide, Joseph boite
péniblement et son père ne sait pas s’il
deviendra aussi robuste qu’Alvin et Hyrum.
Certains
de pouvoir compter les uns sur les autres, les membres de la famille
Smith abandonnent leur maison dans le Vermont en quête d’une
meilleure terre. Comme bon nombre de ses
voisins, Joseph, père, décide de prendre la direction
du sud-ouest, vers l’État de New York, où il
espère acheter à crédit une bonne ferme. Il
enverra alors chercher Lucy et les enfants, et la famille pourra tout
recommencer.
Lorsque
Joseph, père, prend la route vers New York, Alvin et Hyrum
l’accompagnent un bout de chemin avant de lui dire au revoir.
Joseph, père, aime tendrement sa femme et ses enfants, mais
n’a jamais réussi à leur assurer une grande
stabilité dans la vie. La malchance et les investissements
hasardeux ont maintenu la famille dans un état de dénuement
et d’errance. Peut-être que ce sera différent à
New York.
L’hiver
suivant, Joseph, fils, clopine à travers la neige avec sa
mère, ses frères et ses sœurs en direction de
l’ouest, vers un village du nom de Palmyra, près de
l’endroit où Joseph, père, a trouvé une
bonne terre et attend sa famille.
Puisque
son mari ne peut aider au déménagement, Lucy a embauché
un homme appelé M. Howard pour conduire leur chariot. Sur la
route, ce dernier manipule leurs affaires sans ménagement et
dilapide l’argent qu’on lui a donné dans le jeu et
la boisson. Et après avoir rejoint une autre famille se
dirigeant vers l’ouest, il chasse Joseph du chariot afin que
les filles de l’autre famille puissent s’asseoir à
côté de lui pendant qu’il conduit l’attelage.
Sachant
combien Joseph souffre lorsqu’il marche, Alvin et Hyrum tentent
à plusieurs reprises de résister à M. Howard.
Mais chaque fois, il les fait tomber avec le manche de son fouet.
S’il
était plus grand, Joseph essaierait probablement lui-même
de lui tenir tête. Sa jambe malade l’a empêché
de travailler et de jouer, mais la force de sa volonté
compense la faiblesse de son corps. Lorsque les médecins lui
ont ouvert la jambe et ont extrait les morceaux d’os infectés,
ils ont voulu l’attacher, ou au moins lui faire boire de
l’eau-de-vie pour atténuer la douleur, mais Joseph a
demandé que seul son père le tienne dans ses bras.
Il
est resté éveillé et conscient pendant toute la
durée de l’opération, le visage blême et
dégoulinant de sueur. Sa mère, habituellement si forte,
s’est presque effondrée en entendant ses cris. Après
cela, elle s'est probablement dit qu’elle pourra supporter
n’importe quoi.
Tandis
qu’il boite à côté du chariot, Joseph voit
bien qu’elle fait de son mieux pour supporter M. Howard. Ils
ont déjà parcouru trois cents kilomètres et
jusque-là, elle a été plus que patiente à
l’égard du mauvais comportement du conducteur.
À
environ cent cinquante kilomètres de Palmyra, Lucy se prépare
à passer une journée de plus sur les routes lorsqu’elle
voit Alvin accourir vers elle. M. Howard a jeté leurs affaires
et leurs bagages dans la rue et est sur le point de s’enfuir
avec leurs chevaux et leur chariot.
Lucy
retrouve l’homme dans un bar. Elle déclare : « Le
Dieu des cieux m’est témoin que ce chariot et ces
chevaux, ainsi que les affaires qui les accompagnent,
m’appartiennent. »
Elle
promène son regard dans le bar. Il est rempli d’hommes
et de femmes, dont la plupart sont des voyageurs comme elle. Les yeux
braqués sur eux, elle dit : « Cet homme est décidé
à me déposséder de tout moyen de poursuivre mon
voyage, me laissant avec huit jeunes enfants dans le dénuement
complet. »
M.
Howard dit qu’il a déjà dépensé
l’argent qu’elle lui a donné pour conduire le
chariot et qu’il ne peut pas aller plus loin.
Lucy
dit : « Vous ne m’êtes d’aucune utilité.
Je m’occuperai moi-même de l’attelage. »
Elle
abandonne M. Howard dans le bar et fait serment de réunir ses
enfants à leur père quoi qu’il advienne.
Les
routes sont déjà boueuses et froides, mais Lucy conduit
les siens sains et saufs jusqu’à Palmyra. En voyant ses
enfants s’accrocher à leur père et l’embrasser,
elle se sent récompensée pour tout ce qu’elle a
enduré pour arriver là.
Les
Smith louent rapidement une petite maison en ville et discutent de la
manière d’acquérir leur propre ferme.
Ils décident que le meilleur plan est de travailler jusqu’à
ce qu’ils aient réuni suffisamment de fonds pour verser
un acompte sur des terres situées dans un bois voisin. Joseph,
père, et les fils aînés creusent des puits,
fendent des planches pour en faire des clôtures et ramassent
les foins en échange d’espèces, pendant que Lucy
et les filles confectionnent et vendent des tartes, de la racinette,
et des napperons, pour acheter de la nourriture.
En
grandissant, Joseph, fils, devient plus solide sur ses jambes et peut
facilement se déplacer dans Palmyra. En ville, il rencontre
des gens de toute la région, et beaucoup se tournent vers la
religion pour satisfaire leurs désirs de spiritualité
et trouver une explication aux épreuves de la vie. Joseph et
sa famille n’appartiennent à aucune Église, mais
nombre de leurs voisins fréquentent l’une des hautes
églises presbytériennes, dans le lieu de réunion
des baptistes ou la salle des quakers, ou bien dans le camp où
des prédicateurs méthodistes itinérants viennent
de temps en temps.
Lorsque
Joseph a douze ans, les débats religieux balaient la campagne.
Il n’est pas un grand lecteur, mais il aime analyser
profondément les idées. Il écoute les
prédicateurs, espérant en apprendre davantage sur son
âme immortelle, mais leurs sermons lui laissent souvent une
sensation de malaise. Ils lui disent qu’il est pécheur
dans un monde pécheur, désemparé sans la grâce
salvatrice de Jésus-Christ. Et, bien que Joseph croit au
message et regrette ses péchés, il ne sait comment
obtenir le pardon.
Il
pense qu’aller à l’église pourra lui être
utile, mais il n’arrive pas à décider où
il doit rendre le culte. Les différentes Églises se
disputent sans cesse sur la manière dont les gens peuvent être
délivrés du péché. Après avoir
écouté ces débats pendant quelque temps, Joseph
se sent perdu de voir les gens lire la même Bible et en arriver
à des conclusions différentes quant à ce qu’elle
veut dire. Il croit que la vérité de Dieu est là,
quelque part, mais il ne sait comment la trouver.
Ses
parents n’en sont pas sûrs non plus. Lucy et Joseph,
père, sont issus de familles chrétiennes et tous les
deux croient en la Bible et en Jésus-Christ. Sa mère va
plus fréquemment à l’église et amène
souvent ses enfants aux réunions. Depuis la mort de sa sœur,
de nombreuses années auparavant, elle recherche la véritable
Église de Jésus-Christ.
Peu
avant la naissance de Joseph, après être tombée
gravement malade, elle a eu peur de mourir avant d’avoir trouvé
la vérité. Elle a senti un gouffre sombre et solitaire
entre elle et le Sauveur, et su qu’elle n’était
pas préparée pour la vie prochaine.
Ne
pouvant trouver le sommeil, toute la nuit elle a invoqué Dieu
et lui a promis que s’il lui laissait la vie sauve, elle
trouverait l’Église de Jésus-Christ. Pendant
qu’elle priait, la voix du Seigneur lui est parvenue,
l’assurant que si elle cherchait, elle trouverait. Elle a
exploré davantage d’Églises depuis lors, mais n’a
toujours pas trouvé la bonne. Cependant, même
lorsqu’elle a eu le sentiment que l’Église du
Sauveur n’était plus sur la terre, elle a continué
de chercher, confiante qu’il vaut quand même mieux aller
à l’église.
Comme
sa femme, Joseph, père, est assoiffé de vérité.
Mais il pense qu’il vaut mieux n’aller à aucune
église que d’aller à la mauvaise. Suivant les
conseils de son père, Joseph, père, sonde les
Écritures, prie sincèrement, et croit que Jésus-Christ
est venu sauver le monde. Cependant, il
n’arrive pas à relier ce qui lui semble vrai à la
confusion et à la discorde qu’il voit dans les Églises
autour de lui. Une nuit, il a rêvé que les prédicateurs
qui s’affrontaient ressemblaient à du bétail,
mugissant tout en fouillant la terre de leurs cornes, ce qui a
intensifié son sentiment que ceux-ci ne savent pas grand chose
du royaume de Dieu.
Le
mécontentement de ses parents vis-à-vis des Églises
locales ne fait qu’aggraver le trouble chez Joseph, fils.
Son âme est en jeu, mais personne ne peut lui fournir de
réponses satisfaisantes.
Après
avoir économisé pendant plus d’une année,
la famille Smith a assez d’argent pour verser un acompte sur
quarante hectares de forêt à Manchester, au sud de
Palmyra. Là, entre leurs travaux de journaliers, ils
entaillent des érables pour en recueillir la sève
sucrée, plantent un verger et défrichent des parcelles
à cultiver.
Tout
en travaillant la terre, le jeune Joseph continue de se préoccuper
de ses péchés et du bien-être de son âme. À
Palmyra et dans toute la région, le réveil religieux a
commencé à perdre de son intensité, mais les
prédicateurs continuent de se disputer les convertis. Jour et nuit,
Joseph regarde le soleil, la lune et les étoiles
se mouvoir avec ordre et majesté dans les cieux et admire la
beauté de la terre grouillant de vie. Il regarde également
les gens autour de lui et s’émerveille de la force et de
l’intelligence de la vie humaine. Tout semble témoigner
que Dieu existe et a créé le genre humain à son
image. Mais comment Joseph peut-il l’atteindre ?
Durant
l’été 1819, alors que Joseph a treize ans, des
pasteurs méthodistes se réunissent pour une conférence
à quelques kilomètres de la ferme de la famille Smith
et se déploient dans la campagne pour inciter les familles
telles que celle de Joseph à se convertir. Le succès
rencontré par ces prédicateurs inquiète les
autres pasteurs de la région et rapidement, la course aux
convertis devient intense.
Joseph
assiste aux réunions, écoute les sermons émouvants
et voit les convertis pousser des cris de joie. Il voudrait crier
avec eux mais souvent il se sent au cœur d’une guerre de
mots et d’idées. Il se demande : « Lequel de tous
ces partis a raison ; ou ont-ils tous tort ? Si l’un d’entre
eux a raison, lequel est-ce, et comment le saurais-je ? » Il
sait qu’il a besoin de la grâce et de la miséricorde
du Christ, mais avec tant de gens et d’Églises
s’affrontant sur les questions de religion, il ne sait pas où
les trouver.
L’espoir
de trouver des réponses et la paix de l’âme semble
lui échapper. Il se demande comment quiconque peut découvrir
la vérité au milieu d’un tel tumulte.
En
écoutant un sermon, Joseph entend un pasteur citer, dans le
Nouveau Testament, le premier chapitre de Jacques qui dit : «
Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il
la demande à Dieu, qui donne à tous simplement et sans
reproche. »
Joseph
rentre chez lui et recherche le passage dans la Bible. Plus tard, il
se souvient : « Jamais aucun passage de l’Écriture
ne toucha le cœur de l’homme avec plus de puissance que
celui-ci ne toucha alors le mien. Il me sembla qu’il pénétrait
avec une grande force dans toutes les fibres de mon cœur. J’y
pensais constamment, sachant que si quelqu’un avait besoin que
Dieu lui donne la sagesse, c’était bien moi. » Il
a sondé la Bible avant comme si elle détenait toutes
les réponses. Mais maintenant, elle lui dit qu’il peut
s’adresser directement à Dieu pour avoir la réponse
à ses questions.
Joseph
décide de prier. Il ne l’a encore jamais fait à
haute voix, mais il est confiant dans la promesse de la Bible. Elle
enseigne : « Demande avec foi, sans douter. »
Dieu entendra ses questions, même s’il les formule
maladroitement.
CHAPITRE
2 : Écoute-le
Un
matin du printemps de 1820, Joseph se lève de bonne heure et
se dirige vers les bois près de chez lui. C’est une
belle et claire journée et les rayons du soleil filtrent à
travers les branches. Il veut être seul pour prier, et il
connaît un endroit tranquille où il vient d’abattre
des arbres. Il y a laissé sa hache, coincée dans une
souche.
Retrouvant
le lieu, Joseph regarde autour de lui afin de s’assurer qu’il
est désert. Il est inquiet à l’idée de
prier à haute voix et ne veut pas être interrompu.
Convaincu
qu’il est seul, il s’agenouille sur la terre fraîche
et commence à exprimer les désirs de son cœur à
Dieu. Il demande miséricorde et pardon, ainsi que de la
sagesse pour trouver la réponse à ses questions. Il dit
: « Oh, Seigneur, à quelle Église dois-je me
joindre ? »
Pendant
qu’il prie, sa langue semble enfler jusqu’à
l’empêcher de parler. Il entend des pas derrière
lui, mais ne voit personne lorsqu’il se retourne. Il essaie de
prier de nouveau, mais le bruit de pas se rapproche, comme si
quelqu’un venait l’attaquer. Il bondit sur ses pieds et
se retourne, mais ne voit toujours personne.
Soudain,
une puissance invisible le saisit. Il essaie de nouveau de parler
mais sa langue est encore liée. Des ténèbres
épaisses l’enveloppent jusqu’à occulter la
lumière du soleil. Des doutes et des images affreuses lui
traversent l’esprit, le troublant et le gênant. Il a
l’impression qu’un être terrible, réel et
immensément puissant, cherche à le détruire.
Rassemblant
toutes ses forces, il fait une fois de plus appel à Dieu. Sa
langue se délie et il supplie d’être délivré.
Mais il se voit sombrer dans le désespoir, submergé par
les ténèbres insupportables et prêt à
s’abandonner à la destruction.
À
ce moment-là, une colonne de lumière apparaît
au-dessus de sa tête. Elle descend lentement et semble
incendier le bois. Lorsqu’elle tombe sur lui, Joseph sent la
puissance invisible relâcher son emprise. L’Esprit de
Dieu prend sa place, l’emplissant d’une paix et d’une
joie ineffables.
Regardant
dans la lumière, il voit Dieu le Père se tenant
au-dessus de lui dans les airs. Son visage est plus brillant et plus
glorieux que tout ce que Joseph a jamais vu. Dieu l’appelle par
son nom, montre un autre être qui est apparu à côté
de lui et déclare : « Voici mon Fils bien-aimé.
Écoute-le ! »
Joseph
contemple le visage de Jésus-Christ. Il est aussi brillant et
glorieux que celui du Père.
Le
Sauveur dit : « Joseph, tes péchés te sont
pardonnés. »
Son
fardeau allégé, Joseph réitère sa
question : « À quelle Église dois-je me joindre ?
»
Le
Sauveur lui répond : « Ne te joins à aucune.
Elles enseignent pour doctrine des commandements d’hommes,
ayant une forme de piété, mais elles en nient la
puissance. »
Le
Seigneur lui dit que le monde baigne dans le péché. Il
explique : « Il n’en est aucun qui fasse le bien. Les
gens se sont détournés de l’Évangile et ne
gardent pas mes commandements. » Des vérités
sacrées ont été perdues ou corrompues, mais il
promet qu’il lui révélera, dans un avenir proche,
la plénitude de son Évangile.
Pendant
que le Sauveur parle, Joseph voit des armées d’anges, et
la lumière qui les entoure est plus brillante que le soleil à
son zénith. Le Seigneur dit : « Voici, je viens
rapidement, revêtu de la gloire de mon Père. »
Joseph
s’attend à voir les bois dévorés par
l’éclat, mais les arbres brûlent comme le buisson
de Moïse, sans être consumés.
Quand
la lumière s’estompe, Joseph se retrouve allongé
sur le dos, regardant au ciel. La colonne de lumière
disparaît, et la culpabilité et le trouble de Joseph le
quittent. Des sentiments d’amour divin lui remplissent le
cœur. Dieu le Père et Jésus-Christ lui ont
parlé, et il a appris comment trouver la vérité
et le pardon.
Trop
affaibli par la vision pour se mouvoir, il reste allongé dans
les bois jusqu’à ce qu’il ait recouvré
quelques forces. Il rentre ensuite péniblement chez lui et
s’appuie sur le manteau de la cheminée. Sa mère
le voit et lui demande ce qui ne va pas.
Il
répond : « Tout va bien. Je ne me sens pas mal. »
Quelques
jours plus tard, pendant qu’il converse avec un prédicateur,
il lui raconte ce qu’il a vu dans les bois. Le prédicateur
a participé aux récents réveils religieux et
Joseph s’attend à ce qu’il prenne sa vision au
sérieux.
Dans
un premier temps, le prédicateur prend ses paroles à la
légère. De temps à autre, des gens affirment
avoir des visions célestes. Mais ensuite, il se mit en
colère et est sur la défensive, et il dit à
Joseph que son histoire est du diable. Il ajoute que le temps des
visions et des révélations est révolu depuis
longtemps et qu’il ne reviendra jamais.
Joseph
est surpris, et il découvre rapidement que personne ne croit à
sa vision. Pourquoi le devraient-ils ? Il n’a que quatorze
ans et n’est pratiquement jamais allé à l’école.
Il est issu d’une famille pauvre et s’attend à
passer le reste de sa vie à travailler la terre et à
faire de menus travaux pour un maigre salaire.
Et
pourtant, son témoignage ennuie suffisamment certaines
personnes pour qu’elles le ridiculisent. Joseph se dit qu’il
est étrange qu’un garçon sans importance pour le
monde puisse attirer autant d’amertume et de mépris. Il
veit demander : « Pourquoi me persécuter pour avoir dit
la vérité ? Pourquoi le monde pense-t-il me faire
renier ce que j’ai vraiment vu ? »
Toute
sa vie, ces questions déconcertent Joseph. Il écrira :
« J’avais réellement vu une lumière, et au
milieu de cette lumière, je vis deux Personnages, et ils me
parlèrent réellement ; et quoique je fusse haï et
persécuté pour avoir dit que j’avais eu cette
vision, cependant c’était la vérité. »
Il
ajoutera : « Je le savais, et je savais que Dieu le savait, et
je ne pouvais le nier. »
Une
fois que Joseph a découvert que le récit de sa vision
ne fait que tourner ses voisins contre lui, il le garde
principalement pour lui, satisfait de la connaissance que Dieu lui a
donnée. Plus tard, après avoir déménagé
loin de New York, il essaie de coucher par écrit son
expérience sacrée dans les bois. Il décrit son
désir ardent d’obtenir le pardon et rapporte la mise en
garde du Sauveur à un monde en grand besoin de repentir. Il
rédige lui-même les mots, dans un langage hésitant,
essayant avec ferveur de décrire la majesté de
l’instant.
Dans
les années qui suivront, il racontera la vision plus
publiquement, faisant appel à des secrétaires qui
l’aideront à mieux exprimer ce qui défie toute
description. Il parlera de son désir de trouver la véritable
Église et décrira Dieu le Père apparaissant en
premier pour présenter le Fils. Il parlera moins de sa quête
du pardon et davantage du message universel porté par le
Sauveur, celui de la vérité et de la nécessité
d’un rétablissement de l’Évangile.
À
chaque récit de son expérience, Joseph témoignera
que le Seigneur a entendu et exaucé sa prière. Ainsi,
dans sa jeunesse, il apprend que l’Église du Sauveur
n’est plus sur la terre. Mais le Seigneur lui promet qu’au
moment voulu, il en révélerait davantage au sujet de
son Évangile. Alors Joseph décide de faire confiance à
Dieu, de rester fidèle au commandement qu’il a reçu
dans les bois et d’attendre patiemment les autres
directives.
CHAPITRE
3 : Les plaques d'or
Trois
années passent. Joseph défriche, laboure ou travaille
comme journalier afin de réunir la somme nécessaire au
remboursement annuel du crédit sur la propriété
familiale. Le travail ne lui permet pas d’aller à
l’école très souvent et il passe la majeure
partie de son temps libre avec sa famille et d’autres ouvriers.
Ses
amis et lui sont jeunes et enjoués. Parfois, ils font des
erreurs, et Joseph découvre que le fait d'avoir reçu le
pardon une fois ne signifie pas qu’il n’aura plus jamais
besoin de se repentir. La vision glorieuse qu'il a reçue ne
répond pas à toutes ses questions ni ne met
définitivement fin à sa perplexité. Alors il
s'efforce de rester proche de Dieu. Il lit la Bible, fait confiance
au pouvoir de Jésus-Christ pour son salut et obéit au
commandement du Seigneur de ne se joindre à aucune Église.
Comme
bon nombre d’habitants de la région, notamment son père,
il croit que Dieu peut révéler de la connaissance par
l’intermédiaire d’objets tels que des bâtons
et des pierres, comme il l’a fait avec Moïse, Aaron et
d’autres. Un jour, pendant qu’il aide un voisin à
creuser un puits, il tombe sur une petite pierre enfouie profondément
dans la terre. Sachant que des gens ont parfois utilisé des
pierres pour rechercher des objets perdus ou des trésors
cachés, Joseph se demande s’il n'en aurait pas trouvé
une de ce genre. Lorsqu’il regarde à l’intérieur,
il voit des choses invisibles à l’œil nu.
Les
membres de sa famille sont impressionnés par le don qu’il
a pour utiliser la pierre ; ils le considèrent comme un signe
de faveur divine. Mais bien qu’il possède le don d’un
voyant, il n’est toujours pas certain que Dieu est satisfait de
lui. Il ne sent plus le pardon et la paix qu’il a ressentis
après sa vision du Père et du Fils. Au contraire, il se
sent souvent condamné à cause de ses faiblesses et de
ses imperfections.
Le
21 septembre 1823, Joseph, alors âgé de dix-sept ans,
est allongé dans la chambre qu’il partage avec ses
frères dans les combles. Il a veillé ce soir-là,
écoutant sa famille discuter de différentes Églises
et des points de doctrine qu’elles enseignent. À
présent, tout le monde est endormi et la maison est
silencieuse.
Dans
l’obscurité de sa chambre, Joseph commence à
prier, implorant Dieu avec ferveur de lui accorder le pardon de ses
péchés. Il aspire à entrer en communion avec un
messager céleste qui pourrait le rassurer quant à sa
situation devant le Seigneur et lui donner la connaissance qu’il
lui a promise dans le bosquet. Il sait que Dieu a précédemment
exaucé sa prière, et il est sûr qu’il
l’exaucera de nouveau.
Pendant
qu’il prie, une lumière apparaît à côté
de son lit et devient de plus en plus brillante jusqu’à
en inonder les combles. Joseph lève les yeux et voit un ange
debout dans les airs. Il porte une tunique blanche sans couture qui
lui descend jusqu’aux poignets et jusqu’aux chevilles. La
lumière émane de lui, et son visage brille comme
l’éclair.
Au
début, Joseph a peur, mais il est rapidement envahi par la
paix. L’ange l’appelle par son nom et se présente
comme étant Moroni. Il lui dit que Dieu lui a pardonné
ses péchés et qu’il a maintenant une œuvre
à accomplir. Il déclare qu’on parlerait en bien
et en mal du nom de Joseph parmi toutes les nations.
Il
parla de plaques d’or enterrées dans une colline
voisine. Sur celles-ci sont gravées les annales d’un
peuple qui a vécu autrefois sur le continent américain.
Le récit parle des origines de ce peuple et raconte que
Jésus-Christ leur a rendu visite et leur a enseigné la
plénitude de l’Évangile. Moroni dit que deux
pierres de voyant sont enterrées avec les plaques. Plus tard,
Joseph les appellera l’urim et le thummim, ou les interprètes.
Le Seigneur les a préparées pour aider Joseph à
traduire les annales. Les pierres sont transparentes, sont reliées
l’une à l’autre et fixées à un
pectoral.
Pendant
le reste de sa visite, Moroni cite des prophéties tirées
des livres bibliques d’Ésaïe, de Joël, de
Malachie et des Actes. Il explique que le Seigneur va bientôt
venir et que la famille humaine ne remplira pas l’objectif de
sa création à moins que l’ancienne alliance de
Dieu ne soit d’abord renouvelée. Moroni dit que Dieu
a choisi Joseph pour renouveler l’alliance et que s’il
décide d’être fidèle aux commandements de
Dieu, il sera celui qui révélera les annales compilées
sur les plaques.
Avant
de partir, l’ange lui commande de prendre soin des plaques et
de ne les montrer à personne, sauf indication contraire,
l’avertissant qu’il serait détruit s’il
désobéissait à ce conseil. La lumière se
rassemble ensuite autour de Moroni qui monte ensuite aux ciel.
Alors
que Joseph est allongé et réfléchit à la
vision, une lumière inonde de nouveau la pièce et
Moroni réapparaît, remettant le même message que
précédemment. Il part ensuite pour réapparaître
une fois de plus et remettre son message une troisième fois.
Il
dit : « Maintenant, Joseph, prends garde. Lorsque tu iras
chercher les plaques, ton esprit sera rempli de ténèbres
et toutes sortes de mauvaises pensées s’y bousculeront
pour t’empêcher de respecter les commandements de Dieu. »
Moroni l’exhorte à parler de ses visions à son
père qu'il désigne comme quelqu’un qui lui
apportera son soutien.
Le
lendemain matin, Joseph ne parle pas de Moroni, bien qu’il
sache que son père croit aussi aux visions et aux anges. Au
lieu de cela, Alvin et lui passent la matinée à
moissonner un champ voisin.
Mais
le travail est difficile. Joseph essaie de manier sa faux aussi vite
que son frère dans un champ de hautes céréales,
mais les visites de Moroni l’ont empêché de dormir
pendant toute la nuit et il pense continuellement aux annales
anciennes et à la colline où elles sont cachées.
Bientôt,
il cesse de travailler. Alvin le remarque et interpelle Joseph,
disant : « Nous devons continuer sinon nous n’aurons pas
terminé notre tâche. »
Joseph
essaie de travailler plus dur et plus vite, mais quoi qu’il
fasse, il ne peut soutenir le rythme d’Alvin. Au bout d’un
moment, Joseph, père, voit que son fils est pâle et
s'est arrêté à nouveau de travailler. Pensant
qu’il est malade, il lui dit : « Rentre à la
maison. »
Joseph
obéit et se dirige en titubant vers la maison. Mais en
essayant de franchir une clôture, il s’effondre sur le
sol, épuisé.
Alors
qu'il est allongé là, il voit une fois de plus Moroni,
au-dessus de lui, entouré de lumière. Moroni demande :
« Pourquoi n’as-tu pas rapporté à ton père
ce que je t’ai dit ? »
Joseph
répond qu’il a eu peur que son père ne le croie
pas.
Moroni
lui assure que son père le croira et lui répète
à nouveau son message de la veille.
Joseph,
père, pleure lorsque son fils lui parle de l’ange et de
son message. Il dit : « C’est une vision de Dieu. Fais ce
qu’il te dira. »
Joseph
prend immédiatement la route de la colline. Pendant la nuit,
Moroni lui a montré en vision l’endroit où les
plaques sont cachées ; il sait donc où aller. La
colline, l’une des plus grandes de la région, est à
environ cinq kilomètres de chez lui. Les plaques sont
enterrées sous une grande pierre arrondie, sur le flanc ouest
de la colline, non loin du sommet.
Tout
en marchant, Joseph pense aux plaques. Il sait qu’elles sont
sacrées, mais il a du mal à s’empêcher de
s’interroger sur leur valeur marchande. Il a entendu des
légendes concernant des trésors cachés que
protégent des esprits gardiens, mais Moroni et les plaques
qu’il décrit sont différents de ces histoires.
Moroni est un messager céleste désigné par Dieu
pour remettre les annales au voyant divinement choisi. Les plaques
sont précieuses, non parce qu’elles sont en or, mais
parce qu’elles témoignent de Jésus-Christ.
Malgré
cela, Joseph ne peut s’empêcher de penser qu’il
sait maintenant exactement où trouver assez de richesses pour
libérer sa famille de l’indigence.
Arrivant
à la colline, il localise l’endroit qu’il a vu en
vision et commence à creuser à la base de la pierre
pour en dégager les bords. Il trouve ensuite une grosse
branche d’arbre et s’en servit de levier pour soulever la
pierre et la faire glisser sur le côté.
Sous
la pierre se trouve une boîte dont les côtés et le
fond sont en pierre. Regardant à l’intérieur,
Joseph voit les plaques d’or, les pierres de voyant et le
pectoral. Les plaques sont couvertes d’écrits
anciens et reliées d’un côté par trois
anneaux. Chaque plaque est fine et mesure environ quinze centimètres
de largeur sur vingt centimètres de longueur. Une partie des
plaques semble également scellée, afin que personne ne
puisse les lire.
Étonné,
Joseph se demande de nouveau combien elles valent. Il tend la main
comme pour les prendre et sent une onde de choc le traverser. Il
retire brusquement la main, mais essaie encore à deux reprises
d’atteindre les plaques ; à chaque fois, il reçoit
un choc.
Il
s’écrie alors : « Pourquoi ne puis-je obtenir ce
livre ? »
«
Parce que tu n’as pas respecté les commandements de Dieu
», répond une voix non loin de lui.
Joseph
se retourne et voit Moroni. Le message de la veille lui revient à
l’esprit, et il comprend qu’il a oublié le
véritable objectif des annales. Il commence à prier, et
son esprit et son âme s’éveillent à
l’Esprit-Saint.
Moroni
commande : « Regarde ! » Une autre vision s’ouvre à
lui et il voit Satan entouré de son armée innombrable.
L’ange déclare : « Tout cela t’est montré,
le bien et le mal, le sacré et l’impur, la gloire de
Dieu et le pouvoir des ténèbres, afin que tu connaisses
dorénavant les deux pouvoirs et ne sois jamais influencé
ni vaincu par ce malin. »
Il
dit à Joseph de se purifier le cœur et de se fortifier
l’esprit pour recevoir les annales. Il explique : « Ces
objets sacrés ne pourront jamais être obtenus autrement
que par la prière et l’obéissance fidèle
au Seigneur. Ils ne sont pas déposés là en vue
d’accumuler des richesses pour la gloire de ce monde. Ils ont
été scellés par la prière de la foi.
»
Joseph
demande quand il pourra obtenir les plaques.
«
Le 22 septembre prochain, dit Moroni, si tu es accompagné de
la bonne personne. »
«
Qui est la bonne personne ? » demanda Joseph.
«
Ton frère aîné. »
Depuis
qu’il est enfant, Joseph sait qu’il peut compter sur son
frère aîné. Alvin a vingt-cinq ans et aurait pu
s’acheter sa propre exploitation s’il l’avait
voulu. Mais il a choisi de rester à la ferme familiale parce
qu’il veut que ses parents soient établis et en sécurité
sur leurs terres lorsqu’ils prendront de l’âge. Il
est sérieux et travailleur et Joseph a un grand amour et une
grande admiration pour lui.
Peut-être
que Moroni sent que Joseph a besoin de la sagesse et de la force de
son frère pour devenir le genre de personne à qui le
Seigneur peut confier les plaques.
En
rentrant chez lui ce soir-là, Joseph est fatigué. Mais
sa famille s’attroupe autour de lui dès qu’il a
franchi le seuil de la porte, impatiente de savoir ce qu’il a
trouvé dans la colline. Il commence à parler des
plaques, mais Alvin l’interromp lorsqu’il remarque
combien il a l’air épuisé.
«
Allons nous coucher, dit-il, et nous irons travailler tôt
demain matin. » Ils auront le temps le lendemain d’entendre
le reste de l’histoire de Joseph. « Si maman nous sert le
souper de bonne heure, dit-il, nous aurons ensuite une longue soirée
pour nous rassembler et t’écouter. »
Le
lendemain soir, Joseph raconte ce qui s'est passé à la
colline, et Alvin le croit. En tant que fils aîné, il
s’est toujours senti responsable du bien-être matériel
de ses parents vieillissants. Ses frères et lui ont même
commencé à construire une maison plus grande afin que
la famille soit installée plus confortablement.
Il
semble maintenant que Joseph s’occupe de leur bien-être
spirituel. Soirée après soirée, il fascine la
famille en parlant des plaques d’or et des récits
qu’elles contiennent. La famille devient plus unie et leur
foyer est paisible et heureux. Tout le monde sent que quelque chose
de merveilleux est sur le point de se produire.
Puis,
un matin d’automne, moins de deux mois après la visite
de Moroni, Alvin rentre à la maison, souffrant terriblement de
l’estomac. Courbé de douleur, il supplie son père
d’appeler de l’aide. Lorsqu’enfin un médecin
arrive, il lui administre une dose importante de médicament,
mais cela ne fait qu’aggraver son état.
Alvin
reste alité pendant des jours, à se tordre de douleur.
Sachant qu’il va probablement mourir, il fait appeler Joseph et
lui dit : « Fais tout ce qui est en ton pouvoir pour obtenir
les annales. Obéis fidèlement aux instructions que tu
reçois et respecte scrupuleusement chaque commandement qui
t’est donné. »
Il
meurt peu après et le chagrin s’abat sur la maisonnée.
Lors des obsèques, un prédicateur laisse entendre
qu’Alvin est parti en enfer, se servant de sa mort pour mettre
les gens en garde contre ce qui arrive sans l’intervention de
Dieu pour les sauver. Joseph, père, est furieux. Son fils a
été un bon jeune homme et il n’arrive pas à
croire que Dieu puisse le damner.
Le
décès d’Alvin met un terme aux discussions au
sujet des plaques. Il a été un partisan tellement loyal
de l’appel divin de Joseph que toute mention du sujet ravive le
souvenir de sa mort. La famille ne peut le supporter.
Alvin
manque terriblement à Joseph et sa mort est une épreuve
très difficile pour lui. Il a espéré trouver
auprès de son frère aîné de l’aide
pour obtenir les annales. Maintenant, il se sent abandonné.
Quand
le jour où il doit retourner à la colline arrive enfin,
il s’y rend seul. Sans Alvin, il n’est pas sûr que
le Seigneur lui confie les plaques. Mais il pense qu’il peut
garder tous les commandements que le Seigneur lui a donnés,
comme son frère le lui a conseillé. Les instructions de
Moroni pour récupérer les plaques sont claires. L’ange
a dit : « Tu dois les prendre dans les mains, rentrer
directement chez toi sans tarder et les mettre sous clé. »
À
la colline, Joseph soulève la pierre à l’aide
d’un levier, plonge les mains dans la boîte en pierre et
en sort les plaques. Une pensée lui traverse alors l’esprit
: les autres objets dans la boîte ont de la valeur et doivent
être dissimulés avant qu’il ne rentre chez lui. Il
pose les plaques sur le sol et se retourne pour refermer la boîte.
Mais lorsqu’il fait demi-tour, les plaques n’y sont plus.
Alarmé, il tombe à genoux et supplie pour savoir où
elles sont.
Moroni
apparaît et lui dit qu’il a encore désobéi
aux instructions. Non seulement il a posé les plaques par
terre avant de les mettre en sécurité, mais il les a
également quittées des yeux. Aussi disposé que
le jeune voyant puisse être à exécuter l’œuvre
du Seigneur, il n’est pas encore capable de protéger les
annales.
Joseph
s’en veut, mais Moroni lui demande de revenir chercher les
plaques l’année suivante. Il l’instruit également
davantage au sujet du plan du Seigneur pour le royaume de Dieu et de
la grande œuvre en train de se dérouler.
Ainsi,
après le départ de l’ange, Joseph redescend
furtivement la colline, inquiet de ce que sa famille va penser en le
voyant rentrer à la maison les mains vides. Lorsqu’il
entre, elle l’attend. Son père lui demande immédiatement
s’il a les plaques.
«
Non, dit-il, je n’ai pas pu les obtenir.
—
Les
as-tu vues ?
—
Je
les ai vues mais je n’ai pas pu les prendre.
—
À
ta place, je les aurais prises.
—
Tu
ne sais pas ce que tu dis. Je n’ai pas pu les prendre parce que
l’ange du Seigneur ne me l’a pas permis. »
CHAPITRE
4 : Sois vigilant
Emma
Hale, vingt et un ans, entend parler de Joseph Smith pour la première
fois lorsque ce dernier vient travailler chez Josiah Stowell, à
l’automne 1825. Josiah a embauché le jeune homme et son
père pour l’aider à trouver des trésors
cachés sur ses terres. Des légendes locales
affirment qu’une bande d’explorateurs a découvert
un gisement d’argent et dissimulé le trésor dans
la région des centaines d’années auparavant.
Sachant que Joseph a un don pour se servir de pierres de voyant,
Josiah lui a offert un bon salaire et une part du butin s’il
participe aux recherches.
Le
père d’Emma, Isaac, est favorable à l’idée.
Lorsque Joseph et son père arrivent chez les Stowell, à
Harmony, en Pennsylvanie, un village à environ deux cent
cinquante kilomètres au sud de Palmyra, Isaac sert de témoin
à la signature des contrats. Il permet également aux
ouvriers de vivre chez lui.
Emma
rencontre Joseph peu après. Il est plus jeune qu’elle,
mesure plus d’un mètre quatre-vingts et ressemble à
quelqu’un qui a l’habitude de travailler dur. Il a les
yeux bleus, le teint clair, et boite légèrement. Sa
maîtrise de la grammaire laisse à désirer et il
emploie parfois trop de mots pour s’exprimer, mais il fait
preuve d’une intelligence naturelle lorsqu’il parle. Son
père et lui sont des hommes bons qui préfèrent
adorer seuls plutôt que d’aller à l’église
où Emma et sa famille rendent leur culte.
Joseph
et Emma se plaisent à être en plein air. Depuis son
enfance, Emma aime monter à cheval et faire du canoë sur
la rivière près de chez elle. Joseph n’est pas un
cavalier accompli, mais il excelle en lutte et aux jeux de ballon. Il
est à l’aise en présence des gens, sourie
facilement et raconte souvent des blagues ou des histoires drôles.
Emma est plus réservée, mais elle aime une bonne blague
et peut parler avec n’importe qui. Elle apprécie aussi
la lecture et le chant.
Au
fur et à mesure que les semaines passent et qu’Emma fait
plus ample connaissance avec Joseph, ses parents commencent à
s’inquiéter de leur relation. Joseph est un pauvre
ouvrier d’un autre État, et ils espèrent que leur
fille se désintéressera de lui et épousera un
homme issu de l’une des familles prospères de leur
vallée. Le père d’Emma se méfie maintenant
de la chasse au trésor et du rôle que Joseph y joue. Le
fait que Joseph ait tenté de convaincre Josiah Stowell de
cesser la chasse lorsqu’il est devenu évident qu’elle
n’aboutirait à rien ne semble pas être important
aux yeux d’Isaac Hales.
Emma
préfère Joseph à tous les autres hommes qu’elle
connaît et ne cesse pas de passer du temps avec lui. Lorsque
Joseph réussit à convaincre Josiah d’arrêter
les recherches concernant le filon d’argent, il reste à
Harmony pour travailler à la ferme de ce dernier. Parfois, il
est aussi embauché par Joseph et Polly Knight, une autre
famille de fermiers de la région. Quand il ne travaille pas,
il rend visite à Emma.
Joseph
et sa pierre de voyant deviennent rapidement un sujet de commérages
à Harmony. Les villageois plus âgés croient aux
voyants, mais beaucoup de leurs enfants et petits-enfants n’y
croient pas. Le neveu de Josiah, convaincu que Joseph a profité
de son oncle, traîne le jeune homme devant un tribunal et
l’accuse d’être un imposteur.
Joseph
se tient devant le juge local et explique comment il a trouvé
la pierre. Joseph, père, témoigne qu’il a demandé
constamment à Dieu de leur montrer sa volonté quant au
don merveilleux de voyant de Joseph. Enfin, Josiah se présente
devant la cour et déclare que Joseph ne l’a pas
escroqué.
Le
juge dit : « Est-ce que je comprends que vous croyez que le
prisonnier voit à l’aide de la pierre ? »
«
J’en suis absolument convaincu », insiste Josiah.
Josiah
est un homme respecté dans la collectivité et les gens
acceptent ses paroles. À la fin, l’audience ne produit
aucune preuve que Joseph a profité de lui ; le juge rejette
donc l’accusation.
En
septembre 1826, Joseph retourne à la colline chercher les
plaques, mais Moroni dit qu’il n’esdt pas encore prêt.
L’ange lui dit : « Arrête de fréquenter les
chercheurs d’or. » Il y a des hommes méchants
parmi eux. Moroni lui donne une année de plus pour mettre
sa volonté en adéquation avec celle de Dieu. S’il
ne le fait pas, les plaques ne lui seront jamais confiées.
L’ange
lui dit également d’amener quelqu’un avec lui la
prochaine fois. C’est la même demande que celle qu’il
a faite à la fin de la première visite de Joseph à
la colline. Mais comme Alvin est décédé, Joseph
est perplexe.
Il
demande : « Qui est la bonne personne ? »
Moroni
dit : « Tu le sauras. »
Joseph
cherche à être guidé par le Seigneur grâce
à sa pierre de voyant et découvre que la bonne personne
est Emma.
Il
a été attiré par elle dès leur première
rencontre. Comme Alvin, Emma une personne qui peut l’aider à
devenir l’homme dont le Seigneur a besoin pour accomplir son
œuvre. Mais il n’y a pas que cela. Il l’aime et
veut l’épouser.
En
décembre, Joseph a vingt et un ans. Par le passé, il
s’est laissé entraîner ici et là à
la demande de personnes qui voulaient tirer profit de son don.
Mais depuis sa dernière visite à la colline, il sait
qu’il doit faire davantage d’efforts pour se préparer
à recevoir les plaques.
Avant
de retourner à Harmony, Joseph parle avec ses parents. «
J’ai pris la décision de me marier, leur dit-il, et, si
vous n’y voyez pas d’inconvénient, Mademoiselle
Emma Hale sera mon choix. » Ses parents sont heureux de sa
décision, et sa mère insiste pour qu’ils viennent
habiter avec eux après leur mariage.
Cet
hiver-là, Joseph passe autant de temps qu’il peut avec
Emma, empruntant parfois le traîneau des Knight lorsque les
neiges de l’hiver rendent impraticable la route menant chez les
Hale. Mais les parents d’Emma ne l’aiment toujours pas,
et ses efforts pour les conquérir échouent.
En
janvier 1827, Emma se rend chez les Stowell où elle et Joseph
peuvent passer du temps ensemble loin des regards désapprobateurs
de sa famille. C’est là que Joseph demande Emma en
mariage. Emma semble déconcertée de prime abord. Elle
sat que ses parents s’y opposeront. Mais Joseph l’incite
à y réfléchir. Ils pourraient s’enfuir
immédiatement pour se marier.
Emma
considère la demande. Ses parents seraient déçus,
mais la décision lui appartient, et elle aime Joseph.
Peu
de temps après, le 18 janvier 1827, Joseph et Emma se marient
chez le juge de paix local. Ensuite, ils se rendent à
Manchester et commencent leur vie commune chez les parents de Joseph.
La nouvelle maison est confortable, mais Joseph, père, et Lucy
y ont fait trop de dépenses, sont en retard dans les
remboursements et en ont perdu la possession. Maintenant les nouveaux
propriétaires la leur louent.
Les
parents Smith sont contents d’avoir Joseph et Emma chez eux.
Mais l’appel divin de leur fils leur cause du souci. Des
personnes de la région ont entendu parler des plaques d’or
et se mettent parfois à leur recherche.
Un
jour, Joseph part faire une course en ville. Ses parents sont très
inquiets en ne le voyant pas rentrer pour dîner. Ils attendent
des heures, incapables de trouver le sommeil. Enfin, Joseph ouvre la
porte et s’effondre sur une chaise, épuisé.
Son
père demanda : « Comment se fait-il que tu rentres si
tard ? »
Joseph
dit : « J’ai reçu la plus belle correction de ma
vie. »
Son
père exige de savoir qui l’a corrigé.
Joseph
répond : « C’est l’ange du Seigneur. Il a
dit que j’étais négligent. » Le jour de sa
prochaine rencontre avec Moroni approche. Il dit : « Il faut
que je m’y mette. Il faut que je m’occupe de ce que Dieu
m’a commandé de faire ».
Après
la récolte d’automne, Josiah Stowell et Joseph Knight se
rendent dans la région de Manchester pour affaire. Les deux
hommes savent que le quatrième anniversaire de la visite de
Joseph à la colline est imminent, et ils sont impatients de
savoir si Moroni va enfin lui confier les plaques.
Les
chercheurs de trésors aussi savent que le moment est venu. Ces
derniers temps, un homme du nom de Samuel Lawrence rôde sur la
colline à la recherche des plaques. Inquiet que Samuel cause
problème, Joseph a envoyé son père chez lui le
soir du 21 septembre pour le tenir à l’œil et
l’affronter s’il a l’air de vouloir se rendre à
la colline.
Ensuite,
Joseph se prépare à aller récupérer les
plaques. Sa visite annuelle à la colline doit avoir lieu le
lendemain, mais, pour avoir une longueur d’avance sur les
chasseurs de trésors, il a l’intention d’y arriver
peu après minuit, juste au début du matin du 22
septembre, au moment où personne ne s’attendra à
ce qu’il soit dehors.
Mais
il lui faut encore trouver un moyen de protéger les plaques
une fois qu’il les aura. Lorsque la plupart des membres de la
famille sont partis se coucher, il demande tout doucement à sa
mère si elle a un coffre. Lucy n’en a pas et s’inquiète.
Joseph
dit : « Ne t’en fais pas. Je peux très bien me
débrouiller sans pour l’instant. »
Emma
se présente peu après, habillée pour partir, et
Joseph et elle grimpent dans la calèche et s’éloignent
dans la nuit. Lorsqu’ils arrivent à la colline, elle
attend avec la calèche pendant qu’il grimpe jusqu’à
l’endroit où les plaques sont cachées.
Moroni
apparaît et Joseph sort les plaques d’or et les pierres
de voyant de la boîte en pierre. Avant que Joseph ne descende
la colline, Moroni lui rappelle de ne montrer les plaques à
personne, excepté à ceux que le Seigneur a désignés,
lui promettant que les plaques seront protégées s’il
fait tout son possible pour les préserver.
Moroni
lui dit : « Tu devras être vigilant et fidèle à
ta charge sinon des hommes méchants l’emporteront sur
toi, parce qu’ils vont manigancer tous les complots et
stratagèmes possibles pour te les subtiliser. Et si tu ne fais
pas continuellement attention, ils réussiront. »
Joseph
porte les plaques jusqu’au pied de la colline, mais avant
d’arriver à la calèche, il les met à
l’abri dans un tronc creux où elles seront en sécurité
jusqu’à ce qu’il se procure un coffre. Il rejoint
ensuite Emma et ils rentrent à la maison au moment où
le soleil commence à se lever.
Chez
les Smith, Lucy les attend avec impatience tout en servant le
petit-déjeuner à Joseph, père, à Joseph
Knight et à Josiah Stowell. Elle vaque à ses
occupations, le cœur battant, craignant que son fils ne
revienne sans les plaques.
Peu
après, Joseph et Emma entrent dans la maison. Lucy regarde si
Joseph a les plaques, mais quitte la pièce en tremblant
lorsqu’elle le voit les mains vides.
Joseph
la suit. Il dit : « Maman, ne t’inquiète pas. »
Il lui tend un objet enveloppé dans un mouchoir. À
travers le tissu, Lucy palpe ce qui semble être une grosse
paire de lunettes. C’est l’urim et le thummim, les
pierres de voyant que le Seigneur a préparées pour
traduire les plaques.
Lucy
est folle de joie. On dirait qu’on a ôté un poids
énorme des épaules de Joseph. Mais lorsqu’il
rejoint les autres dans la maison, il prend un air abattu et mange
son petit-déjeuner en silence. Lorsqu’il a terminé,
l’air triste, il se prend la tête dans les mains. «
Je suis déçu », dit-il à Joseph Knight.
«
Je suis désolé », dit le vieil homme.
«
Je suis terriblement déçu », répète
Joseph, le visage s’éclairant d’un sourire. «
C’est dix fois mieux que je n’osais l’espérer
! » Il continue en décrivant la taille et le poids des
plaques et parle avec enthousiasme de l’urim et du thummim.
Il
dit : « Je peux tout voir. Elles sont prodigieuses. »
Le
jour après avoir reçu les plaques, Joseph va réparer
un puits dans une ville voisine afin de réunir l’argent
nécessaire pour acheter un coffre. Ce matin-là, pendant
qu’il fait une course de l’autre côté de la
colline par rapport à chez lui, Joseph, père, surprend
un groupe d’hommes en train de comploter pour voler les
plaques. L’un d’eux dit : « Nous ferons main basse
sur ces plaques, en dépit de Joe Smith ou de tous les diables
de l’enfer. »
Inquiet,
Joseph, père, rentre à la maison et en parle à
Emma. Elle dit qu’elle ne sait pas où sont les plaques,
mais qu’elle est certaine que Joseph les a protégées.
«
Oui, répondit Joseph, père, mais souviens-toi que pour
une petite chose Ésaü a perdu sa bénédiction
et son droit d’aînesse. Il peut en être de même
pour Joseph. »
Pour
s’assurer de la sécurité des plaques, Emma fait
plus d’une heure de cheval pour se rendre à la ferme où
Joseph travaille. Elle le trouve à côté du puits,
couvert de boue et de sueur après une journée de
labeur. Informé du danger, il regarde dans l’urim et
thummim et voit que les plaques sont en sécurité.
Chez
lui, Joseph, père, fait les cent pas dehors, jetant à
chaque instant un coup d’œil vers la route jusqu’à
ce qu’il voie Joseph et Emma.
«
Père, dit Joseph en arrivant, tout est parfaitement en
sécurité, il n’y a pas de raison de s’inquiéter.
»
Mais
il est temps d’agir.
Joseph
se dirige en hâte vers la colline, trouve le tronc qui
dissimule les plaques et il les enveloppe soigneusement dans une
chemise. Il plonge ensuite dans les bois en direction de la
maison, le regard à l’affût du danger. La forêt
le dissimule aux yeux des gens sur la route principale, mais elle
offre aux voleurs de multiples cachettes.
Sous
le poids des plaques, Joseph marche d’un pas lourd aussi
rapidement qu’il le peut à travers les bois. Un arbre
abattu bloque le sentier devant lui et au moment où il saute
par-dessus, il sent quelque chose de dur le heurter de derrière.
Faisant volte-face, il voit un homme l’attaquer, brandissant un
fusil comme une massue.
Les
plaques coincées sous un bras, Joseph envoie l’homme à
terre d’un coup de poing et s’enfonce précipitamment
dans le fourré. Il cour pendant environ un kilomètre
lorsqu’un autre homme bondit de derrière un arbre et le
frappe avec la crosse de son fusil. Joseph se débarrasse de
lui et part comme une flèche, voulant à tout prix
sortir des bois. Mais il n’est pas allé bien loin qu’un
troisième homme l’attaque, lui assénant un
violent coup de poing qui le fait chanceler. Rassemblant ses forces,
Joseph le frappe durement et rentre en courant chez lui.
De
retour chez lui, il fait irruption par la porte avec son lourd paquet
coincé sous un bras. « Père, s’écrie-t-il,
j’ai les plaques. »
Katherine,
sa sœur de quatorze ans, l’aide à déposer
le paquet sur la table pendant que le reste de la famille se
rassemble autour de lui. Joseph voit bien que son père et son
jeune frère William ont envie de déballer les plaques,
mais il les arrête.
«
Ne peut-on pas les voir ? » demande Joseph, père.
«
Non », dit Joseph. « J’ai été
désobéissant la première fois, mais j’ai
l’intention d’être fidèle cette fois-ci. »
Il
leur dit qu’ils peuvent les toucher à travers le tissu,
et son frère William soulève le paquet. Il est plus
lourd que de la pierre, et William sent qu’il y a des feuilles
qui bougent comme les pages d’un livre. Joseph envoie
également son jeune frère, Don Carlos, chercher un
coffre chez Hyrum, qui habite à deux pas avec sa femme Jerusha
et leur bébé.
Hyrum
arrive peu après et une fois les plaques en sécurité
dans le coffre, Joseph s’effondre sur un lit voisin et commence
à parler à sa famille des hommes dans les bois.
Pendant
qu’il parle, il se rend compte qu’il a mal à la
main. À un moment donné, pendant les attaques, il s’est
déboîté un pouce.
Il
dit soudain : « Il faut que j’arrête de parler,
père, et que je te demande de me remettre le pouce en place.
»
CHAPITRE
5 : Tout est perdu
Joseph
ayant rapporté les plaques d’or chez lui, des chercheurs
de trésors tentent pendant des semaines de les lui dérober.
Pour préserver les annales, il doit sans cesse les déplacer,
les cachant sous le foyer de la cheminée, sous le plancher de
l’atelier de son père, et dans des piles de grain. Il ne
doit jamais baisser sa garde.
Des
voisins curieux s’arrêtent à la maison et le
supplient de leur montrer les plaques. Joseph refuse
systématiquement, même lorsque quelqu’un lui offre
de le payer. Il est décidé à en prendre soin,
confiant en la promesse du Seigneur que s’il fait tout son
possible, elles seront protégées.
Ces
interruptions l’empêchent souvent d’examiner les
plaques et d’en apprendre davantage sur l’urim et le
thummim. Il sait que les interprètes sont censés
l’aider à traduire les plaques, mais il n’a jamais
utilisé de pierres de voyant pour lire une langue ancienne. Il
est pressé de commencer l’œuvre, mais il ne sait
pas vraiment comment s’y prendre.
Tandis
qu’il étudie les plaques, Martin Harris, propriétaire
terrien respecté de Palmyra, s’intéresse à
son projet. Martin est suffisamment âgé pour être
le père de Joseph et il l’a parfois embauché pour
l’aider sur ses terres. Il a entendu parler des plaques d’or,
mais n’y a pas prêté grande attention jusqu’à
ce que la mère de Joseph lui propose de discuter avec son
fils.
Celui-ci
travaille ailleurs lorsque Martin passe ; il interroge donc Emma et
d’autres membres de la famille au sujet des plaques. Lorsque
Joseph est de retour, Martin l’attrape par le bras et demande
d’autres détails. Joseph lui parle des plaques d’or
et des instructions qu’il a reçues de Moroni de les
traduire et d’en publier le contenu.
Martin
dit : « Si c’est l’œuvre du diable, je ne
veux pas y être mêlé. » Mais si c’est
l’œuvre du Seigneur, il veut aider Joseph à la
proclamer au monde.
Joseph
lui permet de soupeser les plaques dans le coffre. Il sent bien qu’il
y a là quelque chose de lourd, mais il n’est pas
convaincu qu’il s’agit d’un jeu de plaques d’or.
Il dit à Joseph : « Ne m’en veux pas de ne pas te
croire. »
Lorsqu’il
rentre chez lui après minuit, il pénètre sans
bruit dans sa chambre et prie, promettant à Dieu de donner
tout ce qu’il possède pour savoir si Joseph fait une
œuvre divine.
Pendant
qu’il prie, il sent une petite voix douce parler à son
âme. Il sait alors que les plaques viennent de Dieu, et il sait
qu’il doit aider Joseph à diffuser leur message.
Vers
la fin de l’année 1827, Emma apprend qu’elle est
enceinte et écrit à ses parents. Elle est mariée
depuis près d’un an, et son père et sa mère
sont encore mécontents. Mais les Hale acceptent de laisser le
jeune couple revenir à Harmony afin qu’Emma puisse
accoucher près de sa famille.
Bien
que cela l’éloigne de ses parents et de ses frères
et sœurs, Joseph a hâte de partir. Il y a encore des gens
à New York qui essaient de voler les plaques et l’emménagement
dans un nouvel endroit lui donnera la paix et la discrétion
dont il a besoin pour faire l’œuvre du Seigneur.
Malheureusement, il est endetté et n’a pas d’argent
pour le déménagement.
Espérant
remettre de l’ordre dans ses finances, Joseph va en ville
régler certaines de ses dettes. Pendant qu’il t dans un
magasin pour un paiement, Martin Harris s’avance vers lui. Il
dit : « Tenez, M. Smith, voici cinquante dollars. Je vous les
donne pour faire l’œuvre du Seigneur. »
Joseph
est gêné d’accepter l’argent et promet de le
rembourser, mais Martin lui dit de ne pas s’en inquiéter.
L’argent est un cadeau, et il prend toutes les personnes
présentes à témoin qu’il le lui a donné
librement.
Peu
après, Joseph rembourse ses dettes et charge son chariot. Emma
et lui partent pour Harmony avec les plaques d’or cachées
dans un tonneau de haricots.
Environ
une semaine plus tard, le couple arrive dans la maison spacieuse des
Hale. Peu de temps après, le père d’Emma exige
de voir les plaques d’or, mais Joseph dit qu’il ne peut
lui montrer que le coffre où il les conserve. Agacé, il
le soulève, le soupèse, mais demeure néanmoins
sceptique. Il dit à Joseph qu’il ne peut pas le garder
dans la maison s’il ne lui en montre pas le contenu.
Avec
le père d’Emma autour d’eux, il n’est pas
facile de tradure, mais Joseph fait de son mieux, et avec l’aide
d’Emma, il recopie de nombreux caractères étranges
sur du papier. Puis, pendant plusieurs semaines, il essaie de les
traduire avec l’urim et le thummim. Il ne suffit pas de
regarder dans les interprètes. Il doit se montrer humble et
faire preuve de foi pendant qu’il étudie les
caractères.
Quelques
mois plus tard, Martin vient à Harmony. Il dit qu’il
sent que le Seigneur l’appelle à aller jusqu’à
New York afin de consulter des experts en langues anciennes. Il
espère que ceux-ci pourront traduire les caractères.
Joseph
copie plusieurs autres caractères des plaques, écrit sa
traduction et remet le papier à Martin. Emma et lui regardent
leur ami prendre la direction de l’est pour consulter
d’éminents savants.
Lorsque
Martin arrive à New York, il va voir Charles Anthon,
professeur de latin et de grec à l’université de
Columbia. C’est un jeune homme (environ quinze ans de moins que
Martin) surtout célèbre pour sa publication d’une
encyclopédie populaire sur les cultures grecque et romaine. Il
a également commencé à rassembler des histoires
au sujet des Amérindiens.
Anthon
est un érudit inflexible qui n’apprécie pas les
interruptions, mais il fait bon accueil à Martin et étudie
les caractères et la traduction que Joseph a fournis. Bien
qu’il ne connaît pas l’égyptien, le
professeur a lu des études sur la langue et sait à quoi
elle ressemble. En regardant les caractères, il voit des
similarités avec l’égyptien et dit à
Martin que la traduction est correcte.
Ce
dernier lui montre d’autres caractères et il les
examine. Il dit que les caractères sont issus de plusieurs
langues anciennes et donne à Martin un certificat attestant de
leur authenticité. Il lui recommande également de les
montrer à un autre spécialiste nommé Samuel
Mitchill, qui enseignait autrefois à Columbia.
Anthon
dit : « Il est très instruit dans ces langues anciennes,
et je suis certain qu’il vous donnera satisfaction. »
Martin
place le certificat dans sa poche et, au moment de partir, Anthon le
rappelle. Il veut savoir comment Joseph a trouvé les plaques
d’or.
Martin
dit : « Un ange de Dieu le lui a révélé. »
Il témoigne que la traduction des plaques changera le monde et
le sauvera de la destruction. Et maintenant qu’il a la preuve
de leur authenticité, il a l’intention de vendre sa
ferme et de donner l’argent afin que la traduction puisse être
publiée.
Anthon
dit : « Montrez-moi ce certificat. »
Martin
le prend dans sa poche et le lui donne. Anthon le déchire en
petits morceaux et dit que le ministère d’anges n’existe
pas. Si Joseph veut que les plaques soient traduites, il peut les
apporter à Columbia et le faire faire par un spécialiste.
Martin
explique qu’une partie des plaques est scellée et que
Joseph n’est pas autorisé à les montrer à
qui que ce soit.
Anthon
dit : « Je ne peux pas lire un livre scellé. » Il
avertit Martin que Joseph est probablement en train de le duper. Il
dit : « Prenez garde à la canaille. »
Martin
prend congé du professeur Anthon et rend visite à
Samuel Mitchill. Ce dernier reçoit Martin poliment, écoute
son histoire et regarde les caractères et la traduction. Il ne
les comprend pas, mais il dit qu’ils lui rappellent les
hiéroglyphes égyptiens et sont les écrits d’une
nation disparue.
Martin
quitte la ville peu de temps après et retourne à
Harmony, plus convaincu que jamais que Joseph a des plaques d’or
antiques et le pouvoir de les traduire. Il raconte à Joseph
ses entretiens avec les professeurs et en déduit que si
certains des hommes les plus instruits des États-Unis ne
peuvent pas traduire le livre, c’est à Joseph de le
faire.
Joseph
dit : « Je ne peux pas, car je ne suis pas instruit. »
Mais il sait que le Seigneur a préparé les interprètes
afin qu’il puisse traduire les plaques.
Martin
acquièsce. Il décide de retourner à Palmyra, de
régler ses affaires et de revenir dès que possible pour
servir de secrétaire à Joseph.
En
avril 1828, Emma et Joseph vivent dans une maison au bord de la
Susquehanna, non loin de la maison des parents d’Emma.
Maintenant dans sa grossesse avancée, elle sert souvent de
secrétaire à Joseph lorsqu’il commence à
traduire les annales. Un jour, pendant qu’il traduit, il pâlit
soudain. Il demande : « Emma, y avait-il un mur autour de
Jérusalem ? »
«
Oui », dit-elle, se souvenant de descriptions dans la Bible.
«
Ah ! » dit Joseph avec soulagement, « j’ai eu peur
d’avoir été trompé »
Emma
s’étonne que l’absence de connaissances de son
mari en histoire et dans les Écritures n’empêche
pas la traduction. Joseph peut difficilement rédiger une
lettre cohérente. Pourtant, heure après heure elle est
assise près de lui pendant qu’il dicte le document sans
l’aide d’aucun livre ou manuscrit. Elle sait que seul
Dieu peut l’inspirer pour traduire comme il le fait.
Plus
tard, Martin revient de Palmyra et prend la relève comme
secrétaire, offrant à Emma la possibilité de se
reposer avant l’arrivée du bébé. Mais
se reposer s’avère une chose compliquée. Lucy, la
femme de Martin, a insisté pour l’accompagner à
Harmony, et tous deux ont du caractère. Lucy se méfie
du souhait de Martin de vouloir soutenir Joseph financièrement
et lui en veut d’être parti sans elle à New York.
Lorsqu’il lui apprend qu’il va à Harmony aider
Joseph à la traduction, elle s’invite, déterminée
à voir les plaques.
Lucy
perd l’ouïe et lorsqu’elle ne comprend pas ce que
les gens disent, elle suppose qu’ils la critiquent. Elle n’a
pas non plus un grand respect pour la vie privée des autres.
Lorsque Joseph refuse de lui montrer les plaques, elle commence à
fouiller la maison, furetant dans les coffres, les placards et les
malles de la famille. Bientôt, Joseph n’a pas d’autre
solution que de les cacher dans les bois.
Peu
après, Lucy quitte la maison et est logée chez un
voisin. Emma récupère ses coffres et ses placards, mais
maintenant Lucy raconte aux voisins que Joseph cherche à
soutirer de l’argent à Martin. Après avoir causé
des ennuis pendant des semaines, Lucy rentre chez elle à
Palmyra.
Une
fois la paix retrouvée, Joseph et Martin traduisent
rapidement. Joseph progresse dans son rôle divin de voyant et
révélateur. Regardant dans les interprètes ou
une autre pierre de voyant, il peut traduire les plaques, qu’elles
soient posées sur la table devant lui ou enveloppées
dans l’une des nappes d’Emma.
Pendant
les mois d’avril, de mai et le début du mois de juin,
Emma écoute le rythme de la dictée des annales par
Joseph. Il parle lentement, mais clairement, faisant
occasionnellement des pauses en attendant que Martin dise «
écrit » lorsqu’il a fini de noter ce que Joseph a
dit. Emma relaye aussi Martin et s’étonne de la
manière dont Joseph, après les interruptions et les
pauses, reprend toujours là où il a arrêté,
sans le moindre rappel.
Le
moment de la naissance du bébé d’Emma approche.
La liasse de manuscrits s’est épaissie, et Martin est
persuadé que s’il fait lire la traduction à sa
femme, elle en verra la valeur et cessera d’interférer
dans leur travail. Il espère également que Lucy
sera contente de voir qu’il a consacré son temps et son
argent à la parution de la parole de Dieu.
Un
jour, Martin demande à Joseph la permission d’emporter
le manuscrit à Palmyra pendant quelques semaines. Se
souvenant du comportement de Lucy Harris lorsqu’elle a passé
la maison en revue, Joseph se méfie de l’idée.
Cependant, il veut faire plaisir à Martin, qui a cru en lui
quand tant d’autres ont douté de ses paroles.
Ne
sachant quoi faire, Joseph prie pour être guidé, et le
Seigneur lui dit de ne pas laisser Martin emporter les pages.
Mais ce dernier est certain qu’en les montrant à sa
femme, cela changera les choses, et il supplie Joseph de redemander.
Il le fait, mais la réponse est la même. Martin le
presse de demander une troisième fois, et cette fois-ci, Dieu
leur permet de faire à leur guise.
Joseph
dit à Martin qu’il peut emporter les pages pendant deux
semaines s’il fait alliance de les garder sous clé et de
ne les montrer qu’à certains membres de sa famille.
Martin promet et retourne à Palmyra, le manuscrit à la
main.
Après
le départ de Martin, Moroni apparaît à Joseph et
lui reprend les interprètes.
Le
lendemain, Emma accouche dans des douleurs atroces et donne naissance
à un garçon. Le bébé est frêle et
chétif et il ne vit pas longtemps. Après cette épreuve,
Emma est épuisée physiquement et dévastée
émotionnellement, et pendant un certain temps, il semble
qu’elle aussi va mourir. Joseph est constamment aux petits
soins pour elle, ne quittant jamais bien longtemps son chevet.
Au
bout de deux semaines, la santé d’Emma commence à
s’améliorer et elle se met à penser à
Martin et au manuscrit. Elle dit à Joseph : « Je me sens
tellement mal à l’aise que je n’arrive pas à
me reposer et je ne serai soulagée que quand je saurai ce
qu’en a fait M. Harris. »
Elle
incite Joseph à aller voir Martin, mais il ne veut pas la
quitter. Elle dit : « Fais venir ma mère et elle restera
avec moi pendant que tu seras parti. »
Joseph
prend une diligence en direction du nord. Il mange et dort peu
pendant le voyage, craignant d’avoir offensé le Seigneur
en n’obéissant pas lorsqu’il a dit de ne pas
laisser Martin prendre le manuscrit.
Le
soleil commence à poindre lorsqu’il arrive chez ses
parents, à Manchester. Les Smith préparent le petit
déjeuner et invitent Martin à se joindre à eux.
À 8 h, le repas est sur la table, mais Martin n’arrive
pas. Joseph et la famille commencent à éprouver un
certain malaise en l’attendant.
Enfin,
au bout de plus de quatre heures, Martin apparaît au loin,
marchant lentement en direction de la maison, les yeux fixés
sur le sol devant lui. Au portail il s’arrête,
s’assoit sur la barrière, et baisse son chapeau sur ses
yeux. Ensuite il entre et s’assoit pour manger en silence.
La
famille regarde Martin lorsqu’il prend ses couverts, comme s’il
s’apprêtait à manger, et les laissa tomber. Les
mains pressant ses tempes, il s’écrie : « J’ai
perdu mon âme ! J’ai perdu mon âme. »
Joseph
se lève d’un bond. « Martin, avez-vous perdu ce
manuscrit ? »
Martin
dit : « Oui. Il a disparu et je ne sais pas où. »
Serrant
les poings, Joseph gémit : « Oh, mon Dieu, mon Dieu.
Tout est perdu ! »
Il
commence à faire les cent pas. Il ne sait pas quoi faire. Il
commande à Martin : « Retournez-y. Cherchez encore. »
Martin
s’écrie : « C’est tout à fait
inutile. J’ai cherché partout dans la maison. J’ai
même éventré les matelas et les coussins, et je
sais qu’il n’y est pas. »
«
Dois-je retourner auprès de ma femme et lui annoncer une telle
nouvelle ? » Joseph craint que cela ne la tue. « Et
comment vais-je me présenter devant le Seigneur ? »
Sa
mère essaie de le réconforter. Elle dit que peut-être
le Seigneur lui pardonnera s’il se repent humblement. Mais
Joseph sanglote maintenant, furieux contre lui-même de n’avoir
pas obéi au Seigneur la première fois. Il peut à
peine manger le reste de la journée. Il passe la nuit là
et repart le lendemain matin pour Harmony.
En
le regardant partir, Lucy a le cœur lourd. Il semble que tout
ce qu’ils ont espéré en tant que famille, tout ce
qui leur a apporté de la joie ces quelques dernières
années s’est volatilisé en un instant.
CHAPITRE
6 : Le don et le pouvoir de Dieu
Lorsque
Joseph revient à Harmony au cours de l’été
1828, Moroni lui apparaît de nouveau et lui reprend les
plaques. L’ange dit : « Si tu es suffisamment humble et
pénitent, tu les recevras de nouveau le vingt-deux septembre.
»
Des
ténèbres obscurcissent l’esprit de Joseph. Il
sait qu’il a eu tort d’ignorer la volonté de Dieu
et de confier le manuscrit à Martin. Maintenant Dieu ne peut
plus lui confier les plaques ni les interprètes. Joseph a le
sentiment qu’il mérite tout châtiment que les
cieux lui infligeront.
Écrasé
par la culpabilité et les regrets, il s’agenouille,
confesse son péché et implore le pardon. Il réfléchit
au moment où il a fait fausse route et à ce qu’il
peut mieux faire si le Seigneur lui permet de nouveau de traduire.
Un
jour de juillet, tandis que Joseph marche non loin de chez lui,
Moroni lui apparaît. L’ange lui remet les interprètes,
et Joseph voit à l’intérieur un message venant de
Dieu : « On ne peut faire échouer l'œuvre, le
dessein et l'intention de Dieu ni les réduire à néant.
»
Les
paroles sont rassurantes, mais elles cèdent rapidement la
place à la réprimande : « Comme ils étaient
stricts, les commandements qui t’avaient été
donnés, dit le Seigneur. Tu n’aurais pas dû
craindre l’homme plus que Dieu. » Il commande à
Joseph de faire plus attention aux choses sacrées. Les annales
contenues sur les plaques d’or sont plus importantes que la
réputation de Martin ou que le désir de Joseph de faire
plaisir aux gens. Dieu les a préparées pour renouveler
son ancienne alliance et pour enseigner à tous les peuples
qu’ils doivent se reposer sur Jésus-Christ pour obtenir
le salut.
Le
Seigneur exhorte Joseph à se souvenir de sa miséricorde.
Il commande : « Repens-toi de ce que tu as fait, tu es toujours
celui que j’ai choisi. » Une fois de plus, il appelle
Joseph à être son prophète et voyant. Il lui
enjoint cependant de prêter attention à sa parole.
Il
déclare : « Mais si tu ne le fais pas, tu seras
abandonné, tu deviendras comme les autres hommes, et tu
n’auras plus de don. »
Cet
automne-là, les parents de Joseph se rendent à Harmony.
Près de deux mois viennent de s’écouler depuis
que Joseph est parti de chez eux à Manchester et ils n’ont
eu aucune nouvelle de lui. Ils craignent que les tragédies de
l’été ne l’aient anéanti. En
l’espace de quelques semaines, il a perdu son premier enfant, a
failli perdre sa femme et a perdu les pages du manuscrit. Ils veulrnt
s’assurer qu’Emma et lui vont bien.
À
environ un kilomètre de leur destination, Joseph, père,
et Lucy sont ravis de voir Joseph debout sur la route devant eux,
l’air calme et heureux. Il leur raconte comment il a perdu la
confiance de Dieu, s’est repenti et a reçu la
révélation. La réprimande du Seigneur l’a
blessé, mais, comme les prophètes de jadis, il couche
la révélation sur papier afin que d’autres
puissent la lire. C’est la première fois qu’il
enregistre la parole du Seigneur qui lui est adressée
personnellement.
Il
informe également ses parents que depuis, Moroni lui a rendu
les plaques et les interprètes. L’ange semble satisfait,
rapporte Joseph. « Il m’a dit que le Seigneur m’aimait
pour ma fidélité et mon humilité. »
Les
annales sont maintenant rangées en sécurité dans
la maison, cachées dans une malle. « Emma écrit
pour moi maintenant, leur dit-il, mais l’ange a dit que le
Seigneur m’enverrait quelqu’un pour le faire, et je suis
sûr qu’il en sera ainsi. »
Le
printemps suivant, Martin Harris se rend à Harmony, porteur de
mauvaises nouvelles. Sa femme a porté plainte devant les
tribunaux affirmant que Joseph est un imposteur qui prétend
traduire des plaques d’or. Martin s’attend maintenant à
recevoir une citation à comparaître pour témoigner
devant le tribunal. Il devra déclarer que Joseph l’a
dupé, sinon Lucy, sa femme, l’accusera aussi de
tromperie.
Martin
fait pression sur Joseph pour qu’il lui donne d’autres
preuves que les plaques sont réelles. Il veut tout raconter
devant le tribunal au sujet de la traduction mais il craint que les
gens ne le croient pas. Après tout, Lucy a fouillé
entièrement la maison des Smith et n’a jamais trouvé
les annales. Et, bien qu’il ait servi de secrétaire à
Joseph pendant deux mois, il n’a jamais vu les plaques non plus
et ne peut pas témoigner qu’il les a vues.
Joseph
présente la question au Seigneur et reçoit une réponse
pour son ami. Le Seigneur ne veut pas révéler à
Martin ce qu’il doit dire devant le tribunal ni lui fournir de
preuves supplémentaires tant qu’il ne décidera
pas de se montrer humble et de faire preuve de foi. Il dit : «
S’ils ne veulent pas croire mes paroles, ils ne te croiraient
pas, mon serviteur Joseph, même s’il t’était
possible de leur montrer toutes ces choses que je t’ai
confiées. »
Le
Seigneur promet de faire preuve de miséricorde à
l’égard de Martin s’il fait ce que Joseph a fait
cet été-là et s’humilie, fait confiance à
Dieu et apprend de ses erreurs. Il dit qu’au moment opportun,
trois témoins fidèles verront les plaques et que Martin
pourra être l’un d’eux s’il cesse de
rechercher l’approbation des autres.
Avant
de terminer, le Seigneur fait une déclaration. Il dit : «
Si cette génération ne s’endurcit pas le cœur,
j’établirai mon Église parmi elle. »
Joseph
médite ces paroles pendant que Martin recopie la révélation.
Ensuite, pendant que Martin la relit, Emma et Joseph écoutent
pour en vérifier l’exactitude. Pendant la lecture, le
père d’Emma entre dans la pièce et écoute.
Lorsqu’ils ont terminé, il demande de qui sont ces
paroles.
«
Ce sont les paroles de Jésus-Christ », expliquent Joseph
et Emma.
Isaac,
le père d'Emma, dit : « Je considère que tout
cela n’est que délire. Laissez tomber. »
Ignorant
le père d’Emma, Martin prend son exemplaire de la
révélation et monte dans la diligence pour rentrer chez
lui. Il est venu à Harmony à la recherche de preuves de
l’existence des plaques et il en repart avec une révélation
témoignant de leur réalité. Il ne peut pas s’en
servir devant les tribunaux, mais il rentre à Palmyra sachant
que le Seigneur le connaît.
Plus
tard, lorsqu’il se tint devant le juge, il rend un témoignage
simple et puissant. La main levée vers le ciel, il témoigne
de l’authenticité des plaques d’or et déclare
qu’il a donné de plein gré à Joseph
cinquante dollars pour faire l’œuvre du Seigneur. N’ayant
aucune preuve pour confirmer les accusations de Lucy, le tribunal
classe l’affaire sans suite.
Pendant
ce temps, Joseph poursuit la traduction, priant que le Seigneur lui
envoie vite un autre secrétaire.
À
Manchester, un jeune homme du nom d’Oliver Cowdery loge chez
les parents de Joseph. Oliver a un an de moins que Joseph et, à
l’automne 1828, il a commencé à enseigner à
l’école qui se trouve à environ un kilomètre
au sud de la ferme des Smith.
Les
instituteurs sont souvent hébergés par les familles de
leurs élèves et lorsqu’Oliver a entendu des
rumeurs au sujet de Joseph et des plaques d’or, il a demandé
s’il pouvait rester chez les Smith. Au début, il n’a
glané que quelques détails auprès de la famille.
Le manuscrit volé et les commérages locaux les ont
rendus méfiants au point de garder le silence.
Mais
au cours de l’hiver 1828-1829, en instruisant les enfants
Smith, il gagne la confiance de ses hôtes. Vers cette
époque-là, Joseph, père, est revenu d’un
voyage à Harmony avec une révélation déclarant
que le Seigneur est sur le point de commencer une œuvre
merveilleuse. Entre-temps, Oliver s’est avéré
être quelqu'un qui cherche sincèrement la vérité
et les parents de Joseph s’ouvrent à lui et lui parlent
de l’appel divin de leur fils.
Oliver
est captivé par ce qu’ils disent et il désire
ardemment participer à la traduction. Comme Joseph, il est
mécontent des Églises modernes et croit en un Dieu de
miracles qui révèle encore sa volonté à
son peuple. Mais Joseph et les plaques sont loin et Oliver ne
sait pas comment se rendre utile à l’œuvre en
restant à Manchester.
Un
jour du printemps 1829, alors que la pluie tambourine contre le toit
de la maison des Smith, il dit à la famille qu’il veut
se rendre à Harmony aider Joseph lorsque le trimestre scolaire
sera terminé. Lucy et Joseph, père, l’exhortent à
demander au Seigneur si son désir est juste.
Se
retirant jusqu’à son lit, Oliver prie en privé
pour savoir si ce qu’il a entendu au sujet des plaques d’or
est vrai. Le Seigneur lui montre en vision les plaques d’or et
les efforts de Joseph pour les traduire. Un sentiment de paix repose
sur lui et il sait alors qu’il doit offrir ses services de
secrétaire à Joseph.
Il
ne parle à personne de sa prière. Mais dès la
fin du trimestre scolaire, il part avec Samuel, le frère de
Joseph, à pied pour Harmony, à plus de cent cinquante
kilomètres de là. Il fait froid et les pluies
printanières ont rendu les routes boueuses si bien qu’Oliver
a un orteil gelé lorsque Samuel et lui arrivent chez Joseph et
Emma. Néanmoins, il est pressé de rencontrer le couple
et de voir par lui-même comment le Seigneur opère par
l’intermédiaire du jeune prophète.
Lorsqu’Oliver
arrive à Harmony, c'est comme s’il avait toujours été
là. Joseph parle avec lui jusqu’à une heure
avancée, écoute son histoire et répond à
ses questions. Il est évident qu’il est instruit et
Joseph accepte volontiers son offre de lui servir de secrétaire.
Après
son arrivée, la première tâche de Joseph est de
trouver un endroit où travailler. Il demande à Oliver
d’ébaucher un contrat dans lequel Joseph promet de payer
son beau-père pour la petite maison en rondins où il
vit avec Emma, ainsi que pour la grange, les terres cultivables et la
source à proximité. Soucieux du bien-être de
leur fille, les parents d’Emma acceptent les conditions et
promettent d’apaiser les craintes des voisins au sujet de
Joseph.
En
attendant, Joseph et Oliver commencent à traduire. Ils
travaillent bien ensemble des semaines d’affilée,
fréquemment avec Emma dans la même pièce, occupée
à ses tâches quotidiennes. Parfois, Joseph traduit
en regardant à travers les interprètes et en lisant en
anglais les caractères sur les plaques.
Souvent,
il trouve plus pratique d’utiliser une seule pierre de voyant.
Il la met dans son chapeau, avance son visage dans le chapeau pour
bloquer la lumière et regarde la pierre. La lumière de
la pierre brille dans l’obscurité, révélant
des mots que Joseph dicte pendant qu’Oliver les copie
rapidement.
Sous
la direction du Seigneur, Joseph n’essaie pas de retraduire ce
qu’il a perdu. Au lieu de cela, Oliver et lui continuent
d’avancer dans les annales. Le Seigneur révèle
que Satan a incité des hommes méchants à prendre
les pages, à en altérer les mots et à les
utiliser pour jeter un doute sur la traduction. Mais le Seigneur
assure à Joseph qu’il a inspiré les prophètes
d’autrefois qui ont préparé les plaques à
y inclure un autre récit, plus complet que les pages
perdues.
Il
lui dit : « Je confondrai ceux qui ont altéré mes
paroles. Je leur montrerai que ma sagesse est plus grande que la ruse
du diable. »
Oliver
est enchanté d’être le secrétaire de
Joseph. Jour après jour, il écoute son ami dicter
l’histoire complexe de deux grandes civilisations, les Néphites
et les Lamanites. Il est question de rois justes ou méchants,
de peuples réduits en captivité et délivrés,
d’un prophète d’autrefois qui utilise des pierres
de voyant pour traduire des annales récupérées
dans des champs remplis d’ossements. Comme Joseph, ce prophète
est un révélateur et un voyant à qui a été
accordé le don et le pouvoir de Dieu.
Le
récit témoigne sans cesse de Jésus-Christ, et
Oliver voit comment les anciens prophètes dirigeaient une
Église et comment des hommes et des femmes ordinaires
accomplissaient l’œuvre de Dieu.
Pourtant,
Oliver se pose encore beaucoup de questions sur l’œuvre
du Seigneur. Il est avide de réponses. Joseph cherche une
révélation pour lui par l’intermédiaire de
l’urim et du thummim, et le Seigneur répond : « Si
vous me demandez, vous recevrez… Si tu m’interroges, tu
connaîtras des mystères qui sont grands et merveilleux.
»
Le
Seigneur exhorte aussi Oliver à se souvenir du témoignage
qu’il a reçu avant de venir à Harmony et qu’il
a gardé secret. « N’ai-je pas apaisé ton
esprit à ce sujet ? Quel témoignage plus grand peux-tu
avoir que celui de Dieu ? » demande le Seigneur. « Si je
t’ai dit des choses que nul ne connaît, n’as-tu pas
reçu un témoignage ? »
Oliver
est stupéfait. Il raconte immédiatement à Joseph
sa prière secrète et le témoignage divin qu’il
a reçu. « Personne n’aurait pu être au
courant si ce n’est Dieu », dit-il. Maintenant, il sait
que l’œuvre était vraie.
Ils
se remettent au travail et Oliver commence à se demander si
lui aussi pourrait traduire. Il croit que Dieu peut œuvrer
grâce à des instruments tels que des pierres de voyant,
et il lui est arrivé d’utiliser un bâton de devin
pour trouver de l’eau et des minéraux. Pourtant il n’est
pas sûr que son bâton opère par la puissance de
Dieu. Le processus de révélation était encore un
mystère pour lui.
Joseph
présente de nouveau les questions d’Oliver au Seigneur
et le Seigneur dit à Oliver qu’il a le pouvoir
d’acquérir la connaissance s’il demande avec foi.
Il confirme que le bâton d’Oliver opère par le
pouvoir de Dieu, comme celui d’Aaron dans l’Ancien
Testament. Il instruit davantage Oliver au sujet de la révélation.
« Je te le dirai dans ton esprit et dans ton cœur par le
Saint-Esprit », déclara-t-il. « Voici, c’est
là l’Esprit de révélation. »
Il
lui dit également qu’il peut traduire les annales comme
le fait Joseph, tant qu’il fait appel à la foi. Le
Seigneur dit : « Souviens-toi que sans la foi, tu ne peux rien
faire. »
Après
cette révélation, Oliver est impatient de traduire. Il
suit l’exemple de Joseph, mais lorsque les mots ne viennent pas
facilement, il est contrarié et troublé.
Joseph
voit les difficultés de son ami et a de la compassion.
Lui-même a mis du temps à mettre son cœur et son
esprit en accrod avec le travail de traduction, mais Oliver semble
penser qu’il peut le maîtriser rapidement. Il ne suffit
pas d’avoir un don spirituel. Il faut du temps pour le cultiver
et le développer afin de pouvoir l’utiliser dans l’œuvre
de Dieu.
Oliver
abandonne rapidement le projet de traduire et demande à Joseph
pourquoi il n’a pas réussi.
Joseph
interroge le Seigneur. Le Seigneur répond : « Tu as
pensé que je te le donnerais, alors que ton seul souci était
de me le demander. Tu dois l’étudier dans ton esprit ;
alors tu dois me demander si c’est juste. »
Le
Seigneur commande à Oliver d’être patient. Il dit
: « Il n’est pas opportun que tu traduises en ce moment.
L’œuvre que tu es appelé à faire consiste à
écrire pour mon serviteur Joseph. » Il promet à
Oliver d’autres occasions de traduire plus tard, mais pour
l’instant il est le secrétaire et Joseph est le
voyant.
CHAPITRE
7 : Compagnons de service
Le
printemps 1829 est froid et humide jusque dans le courant du mois de
mai. Tandis que les fermiers des environs d’Harmony restent à
l’abri, reportant leurs semailles de printemps jusqu’à
ce que le temps s’améliore, Joseph et Oliver avancent
tant qu’ils pouvent dans la traduction des annales.
Ils
arrivent au récit de ce qui se produisit parmi les Néphites
et les Lamanites lorsque Jésus mourut à Jérusalem.
Il est question d'énormes tremblements de terre et de
violentes tempêtes qui anéantissent le peuple et
modifient l’aspect du paysage. Certaines villes sont englouties
dans la terre, tandis que d’autres sont consumées par le
feu. Des éclairs remplissent le ciel pendant des heures et le
soleil disparaît, enveloppant les survivants d’épaisses
ténèbres. Pendant trois jours le peuple crie et pleure
ses morts.
Enfin,
la voix de Jésus-Christ pénètre l’obscurité
: « N’allez-vous pas maintenant revenir à moi,
demanda-t-il, et vous repentir de vos péchés, et être
convertis, afin que je vous guérisse ? » Il disperse
les ténèbres et le peuple se repent. Peu après,
beaucoup de gens se réunissent autour d’un temple dans
un pays appelé Abondance, où ils s’entretiennent
des changements incroyables qui se sont produits à la surface
du pays.
Pendant
que les gens en parlent, ils voient le Fils de Dieu descendre des
cieux. « Je suis Jésus-Christ, dit-il, dont les
prophètes ont témoigné qu’il viendrait au
monde. » Il reste quelque temps parmi eux, enseigne son
Évangile et leur commande d'être baptisés par
immersion pour la rémission des péchés.
«
Et quiconque croit en moi et est baptisé, celui-là sera
sauvé, déclara-t-il, et ce sont ceux-là qui
hériteront le royaume de Dieu. » Avant de remonter
aux cieux, il donne à des hommes justes l’autorité
de baptiser les personnes qui croient en lui.
Pendant
qu’ils traduisent, Joseph et Oliver sont frappés par ces
enseignements. Comme son frère Alvin, Joseph n’a jamais
été baptisé et il veut en savoir davantage sur
le baptême et sur l’autorité nécessaire
pour le célébrer.
Le
15 mai 1829, les pluies cessent et Joseph et Oliver se rendent dans
les bois près de la Susquehanna. Agenouillés, ils
interrogent Dieu au sujet du baptême et de la rémission
des péchés. Alors qu’ils prient, la voix du
Rédempteur les apaise et un ange apparaît dans une nuée
de lumière. Il se présente sous le nom de Jean-Baptiste
et pose les mains sur leur tête. Ils ont le cœur rempli
de joie pendant qu’ils sont enveloppés de l’amour
de Dieu.
Jean
déclare : « À vous, mes compagnons de service, au
nom du Messie, je confère la Prêtrise d’Aaron, qui
détient les clés du ministère d’anges, de
l’Évangile de repentir et du baptême par immersion
pour la rémission des péchés. »
La
voix de l’ange est douce mais elle les transperce jusqu’au
cœur. Il expliqua que la prêtrise d’Aaron les
autorise à accomplir des baptêmes et il leur commande de
se baptiser mutuellement après son départ. Il ajoute
qu’ils recevront plus tard un autre pouvoir de la prêtrise
qui leur donnera l’autorité de se conférer le don
du Saint-Esprit l’un à l’autre, ainsi qu’aux
personnes qu’ils baptiseront.
Après
le départ de Jean Baptiste, Joseph et Oliver se dirigent vers
le fleuve et entrent dans l’eau. Joseph baptise Oliver en
premier et, dès qu’il sort de l’eau, Oliver
commence à prophétiser au sujet de ce qui va bientôt
arriver. Ensuite il baptise Joseph, qui sort du fleuve en
prophétisant la naissance de l’Église du Christ
que le Seigneur a promis d’établir parmi eux.
Conformément
aux instructions de Jean-Baptiste, ils retournent dans les bois et
s’ordonnent mutuellement à la Prêtrise d’Aaron.
Au cours de leur étude de la Bible, ainsi que de leur
traduction des annales anciennes, ils ont souvent lu des choses
relatives à l’autorité d’agir au nom de
Dieu. Maintenant, eux-mêmes détiennent cette autorité.
Après
leur baptême, ils découvrent que des Écritures
qui leur paraissaient absconses et mystérieuses deviennent
soudain plus claires. La vérité et la compréhension
inondent leur esprit.
À
New York, l’ami d’Oliver, David Whitmer, est impatient
d’en apprendre davantage sur l’œuvre de Joseph.
Bien que David vive à Fayette, à environ cinquante
kilomètres de Manchester, Oliver et lui sont devenus amis
pendant qu’Oliver enseignait à l’école et
logeait chez les Smith. Ils discutaient souvent des plaques d’or
et lorsqu’Oliver a emménagé à Harmony, il
a promis de lui écrire au sujet de la traduction.
Des
lettres ont commencé à arriver peu de temps après.
Oliver écrivit que Joseph connaissait des détails sur
sa vie que personne ne pouvait connaître si ce n’était
par révélation de Dieu. Il décrivit les paroles
du Seigneur à Joseph et la traduction des annales. Dans l’une
de ses lettres, il recopia quelques lignes de la traduction,
témoignant de sa véracité.
Une
autre lettre informait David que la volonté de Dieu était
qu’il vienne à Harmony avec son attelage et son chariot
afin d’aider Joseph, Emma et Oliver à déménager
à Fayette, chez les Whitmer, où ils termineraient la
traduction. Les habitants d’Harmony étaient devenus
moins accueillants à l’égard des Smith. Certains
hommes avaient même menacé de les attaquer et, sans
l’influence de la famille d’Emma, ils auraient pu être
gravement blessés.
David
fait part des lettres d’Oliver à ses parents et à
ses frères et sœurs, qui acceptent d’accueillir
Joseph, Emma et Oliver chez eux. Les Whitmer sont descendants de
colons germanophones et ont la réputation d’être
vaillants et pieux. Leur ferme est suffisamment proche de la maison
des Smith pour se rendre visite mais suffisamment loin pour empêcher
les voleurs de les léser.
David
veut se rendre immédiatement à Harmony mais son père
lui rappelle qu’il a deux journées de dur labeur à
faire avant de pouvoir partir. C’est la saison des semailles et
il doit labourer huit hectares et fertiliser le sol avec du plâtre
de Paris afin de favoriser la croissance de leur blé. Son père
lui dit qu’il doit d’abord prier pour savoir s’il
est absolument nécessaire qu’il parte maintenant.
David
suit le conseil de son père et, pendant qu’il prie sent
l’Esprit lui dire de terminer son travail chez lui avant
d’aller à Harmony.
Le
lendemain matin, il va dans les champs et voit des sillons sombres
zébrer un sol qui n’a pas été labouré
la veille au soir. Examinant les parcelles plus en détail, il
voit qu’environ deux hectares et demi ont été
labourés pendant la nuit, et la charrue l’attend dans le
dernier sillon, prête pour lui.
Le
père de David est étonné lorsqu’il apprend
ce qui s’est produit. « Il doit y avoir une main qui
gouverne tout dans cette affaire, dit-il, et je pense que tu ferais
mieux d’aller en Pennsylvanie dès que ton plâtre
de Paris sera répandu. »
David
travaille dur pour labourer les champs restants et préparer
les sols pour des semailles fructueuses. Lorsqu’il a fini, il
attelle son chariot à une paire de chevaux robustes et part
pour Harmony plus tôt que prévu.
Joseph,
Emma et Oliver emménagent à Fayette, après quoi
la mère de David est débordée de travail. Mary
Whitmer et son mari, Peter, ont déjà huit enfants de
quinze à trente ans, et ceux qui ne vivent plus chez eux
demeurent dans le voisinage. Mary passe ses journées à
veiller à leurs besoins et les trois invités lui
donnent un surcroît de travail. Mais elle a foi en l’appel
de Joseph et ne se plaint pas, bien qu'elle fatigue.
La
chaleur à Fayette cet été-là est
étouffante. Pendant que Mary fait la lessive et prépare
les repas, Joseph dicte la traduction dans une pièce à
l’étage. Oliver écrit habituellement pour lui,
mais de temps en temps, Emma ou l’un des Whitmer prend la
plume. Parfois, lorsqu’ils sont las de traduire, Joseph et
Oliver sortent marcher jusqu’à un étang voisin et
font des ricochets sur l'eau.
Mary
a peu de temps pour se détendre et le surcroit de travail et
la pression sont pénibles à supporter.
Un
jour, alors qu’elle est dehors à côté de la
grange où l’on traie les vaches, elle voit un homme aux
cheveux blancs avec un sac en bandoulière. Son apparition
soudaine l’effraye, mais tout en s’approchant il lui
parle d’une voix aimable qui la rassure.
«
Je m’appelle Moroni, dit-il. Tu t’es beaucoup fatiguée
avec tout le travail supplémentaire que tu as à faire.
» Il dégage son épaule du sac à dos et
Mary regarde pendant qu’il commence à l’ouvrir.
Il
continue : « Tu as travaillé avec fidélité
et diligence. Il est donc convenable que tu reçoives un
témoignage afin que ta foi soit fortifiée. »
Moroni
ouvre son sac et en retire les plaques d’or. Il les tient
devant Mary et tourne les pages afin qu’elle puisse voir les
inscriptions. Après avoir tourné la dernière, il
l’exhorte à être patiente et fidèle pendant
qu’elle assumera cette charge supplémentaire pendant
encore quelque temps. Il lui promet qu’elle en sera bénie.
Le
vieil homme disparaît un instant plus tard, laissant Mary
seule. Elle a encore du travail à faire, mais cela ne la
trouble plus.
Chez
les Whitmer, Joseph traduit rapidement, mais certains jours sont
difficiles. Son esprit vagabonde vers d’autres préoccupations
et il n’arrive plus à se concentrer sur les choses
spirituelles. La petite maison des Whitmer est toujours animée
et pleine de distractions. En emménageant là, Emma et
lui ont perdu l’intimité relative qu’ils avaient à
Harmony.
Un
matin, alors qu’il s’apprête à traduire,
Joseph se fâche avec Emma. Plus tard, lorsqu’il rejoint
Oliver et David dans la pièce de l’étage où
ils travaillent, il ne peut pas traduire une syllabe.
Il
quitte la pièce et se rend dans le verger. Il est absent
environ une heure, occupé à prier. Lorsqu’il
revient, il présente ses excuses à Emma et lui demande
pardon. Il se remet ensuite à traduire comme d’habitude.
Il
traduit maintenant la dernière partie des annales, connue sous
le nom de petites plaques de Néphi, qui sera en fin de compte
placée au début du livre. Révélant une
histoire analogue à celle que Martin et lui ont traduite et
perdue, les petites plaques parlent d’un jeune homme nommé
Néphi, dont la famille a été guidée par
Dieu depuis Jérusalem jusqu’à une terre promise.
Elle explique les origines des annales et les premiers conflits entre
les peuples néphite et lamanite. Chose plus importante encore,
elle rend un témoignage puissant de Jésus-Christ et de
son expiation.
Lorsque
Joseph traduit les écrits de la dernière plaque, il
découvre qu’elle explique l’objectif des annales
et lui donne le titre de Livre de Mormon, d’après
l’ancien prophète historien qui a compilé le
livre.
Depuis
qu’il a commencé à traduire le Livre de Mormon,
Joseph a beaucoup appris sur son rôle futur dans l’œuvre
de Dieu. Dans ses pages, il a reconnu les enseignements fondamentaux
qu’il a appris dans la Bible, ainsi que de nouvelles vérités
et de nouvelles idées sur Jésus-Christ et sur son
Évangile. Il a également découvert des passages
relatifs aux derniers jours qui prophétisent qu’un
voyant choisi, nommé Joseph, fera paraître la parole du
Seigneur et rétablira des connaissances et des alliances
perdues.
Dans
les annales, il a vu que Néphi développe la prophétie
d’Ésaïe au sujet d’un livre scellé que
des hommes instruits ne peuvent pas lire. En la lisant, il pense à
l’entretien de Martin Harris avec le professeur Anthon. Les
annales affirment que seul Dieu peut faire sortir le livre de la
terre et établir l’Église du Christ dans les
derniers jours.
Lorsque
Joseph et son ami ont fini la traduction, ils songent à une
promesse que le Seigneur a faite dans le Livre de Mormon et dans ses
révélations : montrer les plaques à trois
témoins. Les parents de Joseph et Martin Harris sont en visite
chez les Whitmer à ce moment-là et, un matin, Martin,
Oliver et David supplient Joseph de leur permettre d’être
les témoins. Joseph prie et le Seigneur répond, disant
que s’ils se reposent sur lui de tout leur cœur et
s’engagent à témoigner de la vérité,
ils pourront voir les plaques.
«
Il faut que vous vous humiliiez devant votre Dieu aujourd’hui,
dit Joseph à Martin en particulier, et que vous obteniez si
possible le pardon de vos péchés. »
Plus
tard ce jour-là, Joseph conduit les trois hommes dans les bois
à proximité de la maison des Whitmer. Ils
s’agenouillent et prient à tour de rôle pour que
les plaques leur soient montrées, mais il ne se produit rien.
Ils essaient une deuxième fois, mais il ne se produit rien non
plus. Enfin, Martin se lève et s’éloigne, disant
que c’est de sa faute si les cieux restent clos.
Joseph,
Oliver et David se remettent à prier et bientôt un ange
apparaît au-dessus d’eux dans une lumière
éclatante. Il a les annales à la main et les
feuillette, une plaque à la fois, montrant aux hommes les
symboles gravés sur chaque page. Une table apparaît à
côté de lui et il s’y trouve les objets antiques
décrits dans le Livre de Mormon : les interprètes, le
pectoral, une épée et le compas miraculeux qui a guidé
la famille de Néphi depuis Jérusalem jusqu’à
la terre promise.
Les
hommes entendent la voix de Dieu déclarer : « Ces
plaques ont été révélées et
traduites par le pouvoir de Dieu. Leur traduction, que vous avez vue,
est correcte et je vous commande de témoigner de ce que vous
voyez et entendez maintenant. »
Lorsque
l’ange part, Joseph s’enfonce plus profondément
dans les bois et trouve Martin agenouillé. Ce dernier lui dit
qu’il n’a pas encore reçu de témoignage du
Seigneur, mais qu’il veut toujours voir les plaques. Il demande
à Joseph de prier avec lui. Il s’agenouille à
côté de lui, et à peine ont-ils prononcé
quelques mots qu’ils voient le même ange montrer les
plaques et les autres objets antiques.
«
C’est assez ! C’est assez ! s’écrie Martin.
Mes yeux ont vu ! Mes yeux ont vu ! »
En
fin d’après-midi, Joseph et les trois témoins
retournent chez les Whitmer. Mary Whitmer devise avec les parents de
Joseph lorsque celui-ci entre précipitamment dans la pièce.
« Père ! Mère ! dit-il. Vous n’imaginez pas
combien je suis heureux ! »
Il
s’élance vers sa mère. « Le Seigneur a fait
en sorte que les plaques soient montrées à trois autres
hommes, à part moi, dit-il. Ils savent par eux-mêmes que
je ne suis pas en train de tromper les gens. »
Il
a l’impression qu’un fardeau a été ôté
de ses épaules. « Ils auront dorénavant un rôle
à jouer, dit-il. Je n’ai plus à être
entièrement seul au monde. »
Martin
entre ensuite dans la pièce, au comble de la joie. «
J’ai maintenant vu un ange du ciel ! s’écrie-t-il.
Je bénis Dieu dans la sincérité de mon âme
d’avoir condescendu à faire de moi un témoin de
la grandeur de son œuvre ! »
Quelques
jours plus tard, les Whitmer rejoignent les Smith chez eux, à
Manchester. Sachant que le Seigneur a promis d’établir
sa parole « par la bouche d’autant de témoins
qu’il lui semble bon », Joseph se rend dans les bois avec
son père, Hyrum et Samuel, ainsi que quatre des frères
de David : Christian, Jacob, Peter et John et leur beau-frère
Hiram Page.
Les
hommes se réunissent dans un endroit où la famille
Smith vient souvent prier en privé. Avec la permission du
Seigneur, Joseph découvre les plaques et les montre au groupe.
Ils ne voient pas d’ange comme les trois témoins, mais
Joseph leur permet de tenir les annales dans leurs mains, de tourner
les pages et d’examiner les écrits anciens. La
manipulation des plaques confirme en eux que l’histoire de
Joseph au sujet de l’ange et des annales anciennes est
véridique.
Maintenant
que la traduction est terminée et qu’il a des témoins
pour corroborer son témoignage, Joseph n’a plus besoin
des plaques. Lorsque les hommes ont quitté les bois et sont
rentrés dans la maison, l’ange apparaît et Joseph
remet les annales sacrées à ses soins.
CHAPITRE
8 : L’émergence de l’Église du Christ
Au
début du mois de juillet 1828, avec le manuscrit en main,
Joseph sait que le Seigneur veut qu’il publie le Livre de
Mormon et diffuse son message dans le monde entier. Mais ni sa
famille ni lui ne s’y connaissent en publication. Il doit
garder le manuscrit en sécurité, trouver un imprimeur
et, d’une manière ou d’une autre, remettre le
livre entre les mains de personnes disposées à
envisager la possibilité qu’il s’agisse de
nouvelles Écritures.
La
publication d’un livre de la longueur du Livre de Mormon ne
sera pas bon marché. Les finances de Joseph ne se sont pas
améliorées depuis qu’il a commencé la
traduction et tout l’argent qu’il gagne sert à
subvenir aux besoins de sa famille. Il en est de même de ses
parents qui sont toujours de pauvres fermiers travaillant une terre
qui ne leur appartient. Le seul ami de Joseph qui puisse financer le
projet est Martin Harris.
Joseph
se met rapidement au travail. Avant d’avoir terminé la
traduction, il dépose une demande afin de détenir les
droits d’auteur et ainsi protéger le texte du vol ou du
plagiat. Avec l’aide de Martin, il commence également
à chercher un imprimeur qui acceptera de publier le livre.
Ils
s’adressent d’abord à Egbert Grandin, un imprimeur
de Palmyra qui a le même âge que Joseph. Celui-ci décline
immédiatement l’offre, persuadé que le livre est
une imposture. Sans se démonter, Joseph et Martin continuent à
chercher et trouvent dans une ville voisine un imprimeur consentant.
Mais avant d’accepter son offre, ils retournent à
Palmyra et redemandent à Grandin s’il veut publier le
livre.
Cette
fois-ci, il semble plus disposé à accepte le projet,
mais avant même de commencer le travail, il veut percevoir
trois mille dollars pour imprimer et relier cinq mille exemplaires.
Martin a déjà promis de participer au paiement de
l’impression, mais pour débourser une telle somme, il se
rend compte qu’il devra probablement hypothéquer sa
ferme. C’est un fardeau énorme pour lui, mais il sait
qu’aucun des autres amis de Joseph ne pourra lui procurer
l’argent.
Troublé,
Martin commence à remettre en question la sagesse de financer
le Livre de Mormon. Il a l’une des meilleures fermes de la
région. S’il hypothéque ses terres, il risque de
les perdre. Ce qu'il a passé une vie entière à
gagner peut disparaître en un instant si le Livre de Mormon ne
se vend pas bien.
Il
parle de ses préoccupations à Joseph et lui demande de
rechercher une révélation pour lui. En réponse,
le Sauveur parle de son sacrifice pour faire la volonté de son
Père, quel qu’en soit le coût. Il décrit sa
souffrance extrême pour payer le prix du péché
afin que tous puissent se repentir et recevoir le pardon. Il commande
ensuite à Martin de sacrifier ses propres intérêts
pour réaliser le plan de Dieu.
«
Je te commande de ne pas convoiter tes propres biens, dit le
Seigneur, mais de les consacrer libéralement à
l’impression du Livre de Mormon. » Le Seigneur lui assure
que le livre contient la parole de Dieu et permettra à
d’autres personnes de croire en l’Évangile.
Au
risque que ses voisins ne comprennent pas sa décision, Martin
obéit au Seigneur et hypothèque sa ferme afin de
garantir le paiement.
Grandin
signe un contrat et commence à organiser l’énorme
projet. Joseph a traduit le texte du Livre de Mormon en trois
mois, aidé d’un secrétaire à la fois. Il
faut à Grandin et à une douzaine d’hommes sept
mois pour imprimer et relier les premiers exemplaires de l’ouvrage
de 590 pages.
Après
avoir trouvé l'imprimeur, Joseph retourne à Harmony en
octobre 1829 pour s’occuper de sa ferme et être avec
Emma. Pendant ce temps, Oliver, Martin et Hyrum superviseront
l’impression et lui enverront régulièrement des
nouvelles de l'avancement des travaux de Grandin.
Se
souvenant du désespoir qu’il a éprouvé
après avoir perdu les premières pages qu’il a
traduites, Joseph demande à Oliver de recopier intégralement
le manuscrit à d'apporter la copie à l’imprimeur
pour que celui-ci puisse ajouter la ponctuation et faire la
composition typographique.
Oliver
a plaisir à recopier le livre, et les lettres qu’il
écrit à ce moment-là sont empreintes du langage
du livre. Faisant écho à Néphi, Jacob et Amulek,
personnages du Livre de Mormon, il écrit à Joseph sa
reconnaissance pour l’expiation infinie du Christ.
«
Lorsque je commence à écrire au sujet des miséricordes
de Dieu, dit-il, je ne sais m’arrêter que lorsque je suis
à court de temps et de papier. »
L'esprit
du Livre de Mormon attire d’autres personnes pendant son
impression. Thomas Marsh, un ancien apprenti imprimeur, a essayé
de trouver sa place dans d’autres Églises, mais aucune
ne prêche l’Évangile qu’il trouve dans la
Bible. Il croit qu’une nouvelle Église apparaîtra
prochainement et qu’elle enseignera la vérité
rétablie.
Cet
été-là, Thomas se sent poussé par
l’Esprit à parcourir des centaines de kilomètres
depuis sa maison à Boston jusqu’à l’ouest
de l’État de New York. Il reste trois mois dans la
région avant de rentrer chez lui, se demandant pourquoi il a
fait un aussi long voyage. Cependant, lors d’une étape
le long du chemin de retour, sa logeuse lui demande s’il a
entendu parler de la « Bible d’or » de Joseph
Smith. Il lui répondit que non et se sent poussé à
s’en informer.
Elle
lui conseille de s’adresser à Martin Harris et lui
indique la direction de Palmyra. Il s’y rend immédiatement
et le trouva dans la boutique de Grandin. L’imprimeur lui remet
seize pages du Livre de Mormon, et il les ramène à
Boston, pressé de communiquer à sa femme, Elizabeth, un
avant-goût de cette nouvelle religion.
Elle
lit les pages et elle aussi croit qu’elles sont la parole de
Dieu.
Cet
automne-là, pendant que les imprimeurs font régulièrement
avancer l’impression du Livre de Mormon, un ancien juge appelé
Abner Cole commence à publier un journal sur la presse de
Grandin. Travaillant de nuit dans la boutique, après le départ
des employés, Abner a accès aux pages imprimées
et non reliées du Livre de Mormon qui n’est pas encore
prêt pour la vente.
Il
commence à se moquer de la « bible d’or »
dans son journal et, au cours de l’hiver, publie des extraits
du Livre accompagnés de commentaires sarcastiques.
Lorsqu’Hyrum
et Oliver apprennent ce que fait Abner, ils vont le voir. « De
quel droit imprimez-vous le Livre de Mormon de cette manière ?
demande Hyrum. Ne savez-vous pas que nous en avons les droits
d’auteur ? »
«
Cela ne vous regarde pas, dit Abner. J’ai loué la presse
et j’imprimerai ce qui me plaît. »
«
Dorénavant, je vous interdis d’imprimer un quelconque
extrait de ce livre dans votre journal », dit Hyrum.
«
Je m’en moque », dit Abner.
Ne
sachant pas exactement quoi faire, Hyrum et Oliver informent Joseph
qui se trouve à Harmony et qui revient immédiatement à
Palmyra. Il trouve Abner à l’imprimerie, lisant
tranquillement son journal.
«
Vous avez l’air de travailler d’arrache-pied », dit
Joseph.
«
Comment allez-vous, M. Smith », réplique sèchement
Abner.
«
M. Cole, dit Joseph, le Livre de Mormon et les droits de publication
m’appartiennent et je vous interdis d’y toucher. »
Abner
se débarrasse de son manteau et retrousse ses manches. «
Voulez-vous vous battre, monsieur ? hurle-t-il en frappant ses poings
l’un contre l’autre. Si vous voulez vous battre, venez. »
Joseph
sourit. « Vous feriez mieux de remettre votre manteau, dit-il.
Il fait froid et je ne vais pas me battre avec vous. » Il
ajoute calmement : « Mais vous devez cesser d’imprimer
mon livre. »
«
Si vous pensez être le meilleur, dit Abner, ôtez votre
manteau et voyons ce que vous savez faire. »
«
La loi existe, répond Joseph, et vous le découvrirez, à
vos dépens, si vous ne le savez pas déjà. Mais
je ne me battrai pas avec vous, car cela n’apportera rien. »
Abner
sait que la loi était contre lui. Il se calme et cesse
d’imprimer des extraits du Livre de Mormon dans son
journal.
Solomon
Chamberlin, un prédicateur en route pour le Canada, entend
parler pour la première fois de la « bible d’or »
chez des gens qui l’hébergent près de Palmyra.
Comme Thomas Marsh, il est passé d’Église en
Église tout au long de sa vie, mais est mécontent de ce
qu’il a vu. Certaines prêchent des principes de
l’Évangile et croient aux dons spirituels, mais elles
n’ont ni les prophètes de Dieu ni sa prêtrise.
Solomon sent que le moment où le Seigneur fera paraître
son Église approche.
En
écoutant la famille parler de Joseph Smith et des plaques
d’or, il est galvanisé des pieds à la tête
et décide de trouver les Smith et de s’informer du
livre.
Il
prend la route pour se rendre chez eux et rencontre Hyrum à la
porte. « La paix soit sur cette maison », dit Solomon.
«
J’espère que ce sera la paix », répondit
Hyrum.
«
Y a-t-il quelqu’un ici, demanda Solomon, qui croit aux visions
et aux révélations ? »
«
Oui, dit Hyrum, nous sommes une famille de visionnaires. »
Solomon
lui relate une vision qu’il a eue sept ans auparavant. Un ange
lui a dit que Dieu n’a pas d’Église sur la terre,
mais qu’il en suscitera bientôt une qui aura du pouvoir
comme celle des apôtres d’autrefois. Hyrum et les autres
personnes dans la maison comprennent ce que dit Solomon et lui disent
qu’ils croient la même chose.
«
J’aimerais que vous me fassiez part de certaines de vos
découvertes, dit Solomon. Je pense être apte à
les accepter. »
Hyrum
l’invite à séjourner chez eux et lui montre le
manuscrit du Livre de Mormon. Solomon l’étudie pendant
deux jours et se rend avec Hyrum à l’imprimerie Grandin
où l’imprimeur lui remet soixante-quatre pages
imprimées. Les pages volantes à la main, Solomon
poursuit sa route vers le Canada, prêchant en chemin tout ce
qu’il sait au sujet de la nouvelle religion.
Le
26 mars 1830, les premiers exemplaires du Livre de Mormon sont reliés
et disponibles à la vente au rez-de-chaussée de
l’imprimerie Grandin. Ils sont étroitement reliés
en vélin brun et sentent le cuir, la colle, le papier et
l’encre. Les mots Livre de Mormon figurent sur la tranche en
lettres d’or.
Lucy
Smith chérit les nouvelles Écritures et y voit le signe
que Dieu va bientôt rassembler ses enfants et rétablir
son ancienne alliance. La page de titre déclare que l’objectif
du livre est de montrer les grandes choses que Dieu a faites pour son
peuple par le passé et d’offrir ces mêmes
bénédictions à son peuple aujourd’hui et
de convaincre le monde entier que Jésus-Christ est le Sauveur
du monde.
Au
dos du livre se trouvent les témoignages des trois et des huit
témoins, déclarant au monde qu’ils ont vu les
plaques et savent que la traduction est véridique.
En
dépit de ces témoignages, Lucy sait que certaines
personnes pensent que le Livre est une invention. Beaucoup de ses
voisins disent que la Bible leur suffit comme Écriture, ne se
rendant pas compte que Dieu a accordé sa parole à plus
d’une nation. Elle sait aussi que des gens rejettent son
message parce qu’ils croient que Dieu a parlé une fois
pour toutes au monde par la Bible et qu'il ne lui reparlerat plus.
Pour
ces raisons et bien d’autres, la plupart des habitants de
Palmyra n’achetent pas le livre. Mais certains le lisent,
ressentent la puissance de ses enseignements et s’agenouillent
pour demander à Dieu s’il est vrai. Lucy sait que le
Livre de Mormon est la parole de Dieu et veut en parler aux
autres.
Presque
immédiatement après la publication du Livre de Mormon,
Joseph et Oliver se préparent à organiser l’Église
de Jésus-Christ. Quelques mois plus tôt, les anciens
apôtres du Seigneur, Pierre, Jacques et Jean leur sont apparus
et leur ont conféré la Prêtrise de Melchisédek,
comme l’avait promis Jean-Baptiste. Cette autorité
supplémentaire leur permet de conférer le don du
Saint-Esprit aux personnes qu’ils baptisent. Pierre, Jacques et
Jean les ont également ordonnés à l’office
d’apôtres de Jésus-Christ.
Pendant
qu'ils séjournaient chez les Whitmer, ils ont prié pour
en apprendre davantage sur cette autorité. En réponse,
la voix du Seigneur leur a commandé de s’ordonner
mutuellement à l’office d’anciens de l’Église,
mais pas avant que des croyants ne consentent à les suivre en
qualité de dirigeants dans l’Église du Sauveur.
Il leur a également été dit d’ordonner
d’autres officiers de l’Église et de conférer
le don du Saint-Esprit à ceux qui ont été
baptisés.
Le
6 avril 1830, Joseph et Oliver se réunissent chez les Whitmer
pour respecter le commandement du Seigneur et organiser son Église.
Conformément aux exigences de la loi civile, ils choisissent
six personnes pour devenir les premiers membres de la nouvelle
Église. Environ quarante autres se pressent également
dans et autour de la petite maison pour être témoins de
l’événement.
Par
obéissance aux instructions préalables données
par le Seigneur, Joseph et Oliver demandent à l’assemblée
de les soutenir en tant que dirigeants dans le royaume de Dieu et
d’indiquer s’il leur semble juste de s’organiser en
Église. Tous les membres de l’assemblée marquent
leur consentement et Joseph pose les mains sur la tête d’Oliver
et l’ordonne ancien de l’Église. Ils échangent
leurs places et Oliver ordonne Joseph.
Puis,
ils administrent le pain et le vin de la Sainte-Cène en
souvenir de l’expiation du Christ. Ils imposent ensuite les
mains aux personnes qui ont été baptisées et les
confirment membres de l’Église et leur confèrent
le don du Saint-Esprit. L’Esprit du Seigneur est déversé
sur les participants, et certains membres de l’assemblée
commencent à prophétiser. D’autres louent le
Seigneur et tous se réjouissent ensemble.
Joseph
reçoit également la première révélation
adressée à l’ensemble de la nouvelle Église.
« Voici, un registre sera tenu parmi vous », commande le
Seigneur, rappelant à son peuple qu’il doit enregistrer
son histoire sacrée, préserver le récit de ses
actions et témoigner du rôle de Joseph en tant que
prophète, voyant et révélateur.
Le
Seigneur déclare : « C’est lui que j’ai
inspiré à faire avancer la cause de Sion avec une
grande puissance pour le bien : Vous recevrez sa parole, en toute
patience et avec une foi absolue, comme si elle sortait de ma propre
bouche. Car, si vous faites ces choses, les portes de l’enfer
ne prévaudront pas contre vous. »
Plus
tard, Joseph se tient près d’un ruisseau et est témoin
du baptême de son père et de sa mère dans
l’Église. Après avoir pris pendant des années
des chemins différents dans leur quête de la vérité,
ils sont enfin unis dans la foi. Lorsque son père sort de
l’eau, Joseph le prend par la main, l’aide à
regagner la berge et le serre dans ses bras.
«
Mon Dieu, s’écrie-t-il, enfouissant son visage dans la
poitrine de son père, j’ai vécu pour voir mon
père baptisé dans la véritable Église de
Jésus-Christ ! »
Ce
soir-là, Joseph s’éclipse dans des bois voisins,
le cœur gonflé d’émotion. Il veut être
seul, loin du ragard de ses amis et de sa famille. Pendant les dix
années qui ont suivi sa première vision, il a vu les
cieux ouverts, ressenti l’Esprit de Dieu et a été
formé par des anges. Il a également péché
et perdu son don, pour se repentir ensuite, bénéficier
de la miséricorde de Dieu et traduire le Livre de Mormon par
le pouvoir et la grâce de Dieu.
Maintenant
Jésus-Christ a rétabli son Église et accordé
à Joseph la même autorité de la prêtrise
que celle que détenaient les apôtres d’autrefois
lorsqu’ils portaient l’Évangile au monde. Il
ne peut contenir le bonheur qu’il éprouve et lorsque
Joseph Knight et Oliver le retrouvent plus tard ce soir-là, il
pleure.
Sa
joie est pleine. L’œuvre a commencé.
DEUXIÈME
PARTIE : Une maison de foi (avril 1830 - avril 1836)
CHAPITRE 9 : Que
ce soit pour la vie ou pour la mort
Le dimanche qui suit l’organisation de l’Église, Oliver prêche à la
famille Whitmer et à leurs amis à Fayette. Nombre d’entre eux ont
soutenu la traduction du Livre de Mormon mais ne se sont pas encore
joints à l’Église. Lorsqu’Oliver a fini de parler, six personnes lui
demandent de les baptiser dans un lac voisin.
Au fur et à mesure que les gens se joignnt à la nouvelle Église,
Joseph se sentaécrasé par l’immensité de la tâche que le Seigneur
lui a confiée d’apporter l’Évangile au monde. Il a publié le
Livre de Mormon et organisé l’Église du Seigneur, mais le livre se
vend mal et les personnes qui veulent être baptisées sont
essentiellement de ses amis et de sa famille. Et Joseph a encore
beaucoup à apprendre au sujet des cieux et de la terre.
Les personnes qui deviennent membres de l’Église recherchent souvent
les dons de l’Esprit et d’autres miracles, comme ceux qu’ils ont
lus dans le Nouveau Testament. Mais l’Évangile rétabli promet aux
croyants quelque chose de plus grand encore que des prodiges et des
signes. Benjamin, prophète et roi sage du Livre de Mormon, a enseigné
aux gens que s’ils se rendent aux persuasions du
Saint-Esprit, ils pourront se débarrasser de leur nature charnelle et
devenir des saints par l’expiation de Jésus-Christ.
Pour Joseph, la difficulté consiste maintenant à faire avancer
l’œuvre du Seigneur. Oliver et lui savent qu’ils doivent prêcher le
repentir à tout le monde, que le champ est prêt pour la moisson et
que la valeur de chaque âme est grande aux yeux de Dieu. Mais comment
deux jeunes apôtres, un fermier et un instituteur, ces deux derniers
âgés d’à peine plus de vingt ans, pourraient-ils faire avancer une
aussi grande œuvre ?
Et comment une petite Église, dans la campagne de l’État de New York,
pourrait-elle s’élever au-dessus de ses humbles débuts et grandir
jusqu’à remplir le monde entier ?
Après les baptêmes à Fayette, Joseph entame le voyage de cent soixante
kilomètres pour rentrer chez lui à Harmony. Aussi occupé qu’il est
avec la nouvelle Église, il doit ensemencer ses champs rapidement
s’il veut une moisson abondante en automne. Il a déjà pris du
retard dans les versements qu’il fait au père d’Emma ; si les
récoltes étaient mauvaises, il lui faudrait trouver une autre solution
pour rembourser sa dette.
En chemin, il s’arrête chez Joseph et Polly Knight, à Colesville, New
York. Les Knight le soutiennent depuis longtemps mais ne sont pas
encore devenus membres de l’Église. Joseph Knight, pour sa part,
veut lire le Livre de Mormon avant d’accepter la nouvelle religion.
Joseph passe quelques jours à Colesville où il prêche l’Évangile aux
Knight et à leurs amis. Newel Knight, l’un des fils de Joseph et Polly,
en discute souvent avec le prophète. Un jour, Joseph lui demande de
prier lors d’une réunion, mais Newel dit qu’il préfère prier seul
dans les bois.
Le lendemain matin, il se rend dans les bois et tente de prier. Il
est envahi d’un sentiment de malaise qui empire lorsqu’il prend le
chemin de la maison. Lorsqu’il arrive chez lui, il se sent tellement
oppressé qu’il supplie sa femme, Sally, d’aller chercher le prophète.
Joseph se précipite aux côtés de Newel et y trouve des membres de la
famille et des voisins qui regardent avec effroi le visage, les bras
et les jambes du jeune homme se contorsionner follement. Lorsque Newel
voit Joseph, il s’écrie : « Chasse le démon ! »
Joseph n’a jamais essayé de réprimander le diable ni de guérir
quelqu’un auparavant, mais il sait que Jésus a promis à ses
disciples le pouvoir de le faire. Agissant rapidement, il saisit Newel
par la main et dit : « Au nom de Jésus-Christ, sors de cet homme. »
Aussitôt les contorsions cessent. Newel s’affaisse
sur le sol, épuisé mais indemne, marmonnant qu’il a vu le diable
quitter son corps.
Les Knight et leurs voisins sont ébahis par ce que Joseph a fait.
Pendant qu’il les aide à transporter Newel jusqu’au lit, Joseph leur
dit que c’est le premier miracle accompli dans l’Église.
Il témoigne : « Il a été fait par Dieu et par le pouvoir de la
divinité. »
À des centaines de kilomètres à l’ouest, un fermier du nom de Parley
Pratt sent l’Esprit le pousser à quitter son foyer et sa famille pour
prêcher les prophéties et les dons spirituels qu’il trouve dans la
Bible. Il vend sa ferme à perte et est confiant que Dieu le
bénira pour avoir tout abandonné pour le Christ.
Avec seulement quelques vêtements et juste assez d’argent pour faire le
voyage, sa femme, Thankful, et lui, partnt en direction de l’est
afin de rendre visite à de la famille avant de prendre la route pour
prêcher. Alors qu’ils voyagent en bateau, Parley se tourne vers
Thankful et lui demande de continuer sans lui. Il sent l’Esprit lui
commander de débarquer.
Il promet : « Je reviens vite. J’ai un travail à accomplir dans cette
région. »
Parley descend du bateau et parcourt une quinzaine de kilomètres
dans la campagne où il se retrouve par hasard chez un diacre baptiste
qui lui parle d’un nouveau livre étrange qu’il vient d’acheter. Ce
dernier se présente comme un recueil d’annales anciennes, dit
l’homme, traduites à partir de plaques d’or avec l’aide d’anges et de
visions. Le diacre n’a pas le livre sous la main, mais il promet à
Parley de le lui montrer le lendemain.
Le lendemain matin, Parley retourne chez le diacre. Il ouvre le livre
avec empressement et en lit la page de titre. Il va ensuite à la fin
du livre et lit le témoignage de plusieurs témoins. Les mots
l’attirent et il commence le livre depuis le début. Les heures
passent sans qu’il puisse s’arrêter de lire. Manger et dormir sont
un fardeau. L’Esprit du Seigneur est sur lui et il reçoit la certitude
que le livre
était vrai.
Il se rend peu après au village voisin de Palmyra, décidé à
rencontrer le traducteur du livre. Les villageois lui indiquent une
ferme à quelques kilomètres de là. Pendant qu’il marche dans cette
direction, il voit un homme et lui demande où il peut trouver Joseph
Smith. L’homme lui apprend que Joseph habite à Harmony, à cent
soixante kilomètres au sud, mais se déclare être Hyrum Smith, frère du
prophète.
Ils parlent la plus grande partie de la nuit et Hyrum témoigne du
Livre de Mormon, du rétablissement de la prêtrise et de l’œuvre du
Seigneur dans les derniers jours. Le lendemain matin, Parley a des
rendez-vous pour prêcher. Hyrum lui remet donc un exemplaire du livre
et le laisse repartir.
Parley ouvre le livre à la première occasion et découvre, à sa grande
joie, que le Seigneur ressuscité est apparu au peuple de l’Amérique
ancienne et lui a enseigné l’Évangile. Il se rend compte que le
message du livre a plus de valeur que toutes les richesses de la
terre.
Ses rendez-vous terminés, il retourne chez les Smith. Hyrum
l’accueille à nouveau et l’invitechez les Whitmer où il pourra
rencontrer une assemblée grandissante de membres de l’Église.
Pressé d’en apprendre davantage, Parley accepte l’invitation. Quelques
jours plus tard, il est baptisé.
Fin juin 1830, Emma accompagne Joseph et Oliver jusqu’à Colesville. La
nouvelle du miracle que Joseph a accompli ce printemps-là s’est
propagée dans toute la région et maintenant, les Knight et plusieurs
autres familles veulent se joindre à l’Église.
Emma aussi est prête à se faire baptiser. Comme les Knight, elle
croit en l’Évangile rétabli et en l’appel de son mari comme prophète,
mais elle ne s’est pas encore jointe à l’Église.
Après être arrivé à Colesville, Joseph travaille avec d’autres
personnes à la construction d’un barrage dans un ruisseau voisin afin
de pouvoir y tenir un service de baptême le lendemain. Le matin, ils
découvrent que quelqu’un l’a démoli pendant la nuit pour empêcher
les baptêmes de s’accomplir.
Déçus, ils tiennent une réunion du sabbat et Oliver prêche le baptême
et
le Saint-Esprit. Après le sermon, un prédicateur local et quelques
membres de son Église les interrompent et essaient d’entraîner l’un
des croyants à leur suite.
Emma connaît bien l’opposition dont Joseph et son message fontl’objet.
Certaines personnes le traitent d’escroc et l’accusent
d’essayer de tirer profit de ses adeptes. D’autres se moquent d’eux
et les traitent de « mormonites ». Sur leurs gardes, Emma et les
autres retournent au ruisseau de bonne heure le lendemain matin et
réparent le barrage. Une fois que l’eau est assez profonde, Oliver y
entre et baptisa Emma, Joseph et Polly Knight, et dix autres personnes.
Pendant les baptêmes, certains hommes, debout sur la berge à une petite
distance, raillent les croyants. Emma et les autres tentent de les
ignorer mais lorsque le groupe repart vers la ferme des Knight, les
hommes suivent, proférant en cours de route des menaces à l’égard du
prophète. Chez les Knight, Joseph et Oliver veulent confirmer les
hommes et les femmes nouvellement baptisés, mais le groupe de
perturbateurs grossit et devient un attroupement bruyant de cinquante
personnes.
Inquiets à l’idée qu’ils pourraient être attaqués, les croyants
s’enfuirent dans une maison voisine, espérant terminer les
confirmations dans la paix. Mais avant que les ordonnances ne puissent
être accomplies, un agent de police arrête Joseph et le conduisit en
prison sous prétexte qu’il cause un tumulte dans la collectivité en
prêchant le Livre de Mormon.
Joseph passe la nuit en garde à vue, ne sachant pas trop si les
émeutiers vont le capturer et mettre leurs menaces à exécution.
Pendant ce temps, Emma attendt avec anxiété chez sa sœur, tout en
priant avec leurs amis de Colesville pour la libération de Joseph.
Au cours des deux jours qui suivent, Joseph comparaît devant un
tribunal et est acquitté, pour être arrêté de nouveau et jugé pour des
faits similaires. Après sa deuxième audience, il est libéré et Emma et
lui retournent chez eux à Harmony avant que les saints de Colesville
et elle n’aient pu être confirmés membres de l’Église.
De retour chez lui, Joseph essaie à nouveau de travailler sur sa
propriété, mais le Seigneur lui donne une nouvelle révélation relative
à la manière dont il doit occuper son temps. Le Seigneur déclare : «
Tu consacreras tout ton service à Sion. Tu n’auras pas de force pour
les travaux temporels, car ce n’est pas là ton appel. » Il lui est dit
d’ensemencer ses champs et de partir ensuite confirmer les nouveaux
membres à New York.
La révélation laisse Emma dans une grande incertitude quant à son
quotidien. Comment gagneront-ils leur vie si Joseph consacre tout
son temps aux saints ? Et que fera-t-elle pendant qu’il sera absent
pour servir l’Église ? Est-elle censée rester à la maison ou est-ce
que le Seigneur veut qu’elle aille avec lui ? Et s’il le veut,
quel sera son rôle dans l’Église ?
Connaissant le désir d’Emma d’être guidée, le Seigneur s’adresse à elle
dans une révélation donnée par l’intermédiaire de Joseph. Il lui
accorde le pardon de ses péchés et lui donne le nom de « dame élue ».
Il lui commande d’accompagner Joseph dans ses voyages et lui promet : «
Tu seras ordonnée sous sa main pour expliquer les Écritures et pour
exhorter l’Église. »
Il apaise également ses craintes au sujet de leurs finances. « Tu n’as
rien à craindre car ton mari te soutiendra. »
Il lui demande ensuite de faire un recueil de cantiques sacrés pour
l’Église. Il dit : « Car mon âme met ses délices dans le chant du cœur.
»
Peu après la révélation, Joseph et Emma se rendent à Colesville où
Emma et les saints de là-bas sont enfin confirmés. Lorsque les
nouveaux membres reçoivent le don du Saint-Esprit, l’Esprit du Seigneur
emplit la pièce. Chacun se réjouit et loue Dieu.
Plus tard cet été-là, Joseph et Emma finissent de payer leur ferme avec
l’aide d’amis et s’installent à Fayette afin que Joseph puisse
consacrer davantage de temps à l’Église. Cependant, à leur arrivée, ils
apprennent qu’Hiram Page, l’un des huit témoins et instructeur dans la
Prêtrise d’Aaron, a commencé à rechercher des révélations pour
l’Église par l’intermédiaire de ce qu’il pense être une pierre de
voyant. De nombreux saints, notamment Oliver et certains membres de la
famille Whitmer, croient que ces révélations viennent de Dieu.
Joseph sait qu’il faisait face à une crise. Les révélations d’Hiram
simulent le langage des Écritures. Elles traitent de
l’établissement de Sion et de l’organisation de l’Église mais, parfois,
elles contredist le Nouveau Testament et les vérités que le
Seigneur ava révélées par l’intermédiaire de Joseph.
Ne sachant pas ce qu’il doit faire, Joseph prie, jusque tard dans la
nuit, suppliant Dieu de le guider. Il a connu l’adversité
auparavant, mais jamais de la part de ses amis. S’il s’oppose trop
violemment aux révélations d’Hiram, il risque d’offenser les
personnes qui y croient ou de décourager des saints fidèles de
rechercher personnellement la révélation. Mais s’il ne dénonce pas
les fausses révélations, elles pourraient saper l’autorité de la parole
du Seigneur et diviser les saints.
Après de nombreuses heures d’insomnie, Joseph reçoit une révélation
adressée à Oliver. Le Seigneur déclare : « Nul ne sera désigné pour
recevoir des commandements et des révélations dans cette Église, si ce
n’est mon serviteur Joseph Smith […] car tout doit se faire avec ordre
et par consentement commun dans l’Église. » Le Seigneur commande à
Oliver d’enseigner ce principe à Hiram.
La révélation l’appelle ensuite à se rendre à l’extrémité occidentale
des États-Unis, à quelque mille cinq cents kilomètres, pour prêcher
l’Évangile rétabli aux Amérindiens, qui sont un reste de la maison
d’Israël. Le Seigneur dit que la ville de Sion sera bâtie près de ce
peuple, faisant écho à la promesse du Livre de Mormon que Dieu
établira la Nouvelle Jérusalem sur le continent américain avant la
seconde venue du Christ. Il n’indique pas l’endroit exact où se
situera la ville, mais il promet de le révéler ultérieurement.
Quelques jours plus tard, lors d’une conférence de l’Église, les saints
renient les révélations d’Hiram et soutiennent à l’unanimité Joseph
comme étant la seule personne qui peut recevoir des révélations pour
l’Église.
Le Seigneur appelle Peter Whitmer, fils, Ziba Peterson et Parley Pratt
à
accompagner Oliver en mission dans l’Ouest. En attendant, Emma et
d’autres femmes commencent à confectionner des vêtements pour les
missionnaires. Travaillant pendant de longues heures, elles filent la
laine, la tissent ou la tricotent pour en faire de l’étoffe et en
cousent les morceaux un à un.
Parley est récemment revenu à Fayette avec Thankful après avoir parlé
de l’Évangile avec elle et d’autres membres de sa famille. Lorsqu’il
part pour l’Ouest, elle emménage chez Mary Whitmer, qui l’accueille
avec joie chez elle.
En route vers le Missouri, Parley a l’intention d’emmener les
autres missionnaires en Ohio, où demeure Sidney Rigdon, son ancien
pasteur. Parley espère qu’il sera intéressé par leur message.
Cet été-là, dans une ville située à deux jours de voyage de Fayette,
Rhoda Greene trouve, sur le seuil de sa porte, Samuel Smith, le frère
du prophète. Rhoda a rencontré Samuel plus tôt cette année-là
lorsqu’il a laissé chez elle un exemplaire du Livre de Mormon. Son
mari, John, prédicateur d’une autre religion, a trouvé que le livre
est absurde mais promet de l’emporter dans sa tournée et de
recueillir le nom des personnes intéressées par son message.
Rhoda invite Samuel à entrer et lui dit que pour l’instant, personne
n’a manifesté le moindre intérêt pour le Livre de Mormon. Elle dit
: « Vous allez devoir reprendre ce livre. Mr. Greene ne semble pas
disposé à l’acheter. »
Samuel prend le Livre de Mormon et s’apprête à partir lorsque Rhoda
mentionne le fait qu’elle l’a lu et qu’il lui a plu. Samuel
s’interromp. Il dit : « Je vous le donne. L’Esprit de Dieu m’interdit
de le reprendre. »
Rhoda est bouleversée lorsqu’elle reprend le livre. Samuel dit : «
Demandez à Dieu de vous donner un témoignage de la véracité de l’œuvre
et vous sentirez votre sein brûler, ce qui est l’Esprit de Dieu. »
Plus tard, lorsque son mari rentre à la maison, elle lui parle de la
visite de Samuel. Au début, John est réticent à l’idée de prier au
sujet du livre mais sa femme le convainc de faire confiance à la
promesse de Samuel.
Elle dit : « Je suis certaine qu’il ne mentirait pas. Je suis persuadée
que c’est un homme bon s’il en est. »
Rhoda et John prient au sujet du livre et reçoivent un témoignage de
sa véracité. Ils en parlent ensuite à leur famille et à leurs
voisins, notamment à Brigham Young, frère cadet de Rhoda, et à son ami,
Heber Kimball.
À l’automne, Sidney Rigdon, trente-huit ans, écoute poliment Parley
Pratt et ses trois collègues témoigner d’un nouvel ouvrage canonique,
le Livre de Mormon. Mais il n’est pas intéressé. Pendant des années,
il a exhorté les habitants de Kirtland (Ohio) et des environs à
lire la Bible et à revenir aux principes de l’Église du Nouveau
Testament. Il dit aux missionnaires que la Bible a toujours guidé
sa vie, et cela lui suffit.
Parley rappelle à Sidney : « Tu m’as apporté la vérité. Je te demande
maintenant, en tant qu’ami, de lire ceci pour me faire plaisir. »
Sidney insiste : « On ne doit pas se quereller à ce sujet. Mais je vais
lire ton livre et voir ce qu’il apporte à ma foi. »
Parley demande à Sydney s’ils peuvent prêcher l’Évangile à son
assemblée. Bien qu’il soit sceptique quant à leur message, Sidney leur
en donne l’autorisation.
Après le départ des missionnaires, Sidney lit des parties du livre et
découvre qu’il ne peut le rejeter. Quand Parley et Oliver
prêchent l’Évangile à son assemblée, il n’a déjà plus le moindre
désir de mettre qui que ce soit en garde contre le livre. Lorsqu’il se
lève pour prendre la parole à la fin de la réunion, il cite la Bible.
Il dit : « Examinez toutes choses ; retenez ce qui est bon. »
Mais Sidney n’est pas sûr de ce qu’il doit faire. Accepter le Livre
de Mormon veut dire perdre son emploi de pasteur. Il a une
bonne assemblée, et elle subvient confortablement à ses besoins et à
ceux de sa femme, Phebe, et de leurs six enfants. Certains d’entre ses
fidèles sont même en train de leur construire une maison. Peut-il
réellement demander à sa famille de renoncer au confort dont elle
jouit ?
Sidney prie jusqu’à ce qu’un sentiment de paix repose sur lui. Il
sait que le Livre de Mormon est vrai. Il s’exclame : « Ce ne sont
pas la chair et le sang qui m’ont révélé cela, mais c’est mon Père qui
est dans les cieux. »
Il fait part de ses sentiments à Phebe. Il dit : « Ma chérie, tu m’as
déjà suivi dans la pauvreté. Es-tu de nouveau disposée à faire de même
? »
Elle réplique : « J’ai déjà pris cela en considération. Mon désir est
de faire la volonté de Dieu, que ce soit pour la vie ou pour la mort. »
CHAPITRE
10 : Rassemblés
À l’automne 1830, non loin de Kirtland, Lucy Morley, quinze ans, achève
ses tâches ménagères habituelles et prend place à côté de son
employeur,
Abigail Daniels. Pendant qu’Abigail travaille sur son métier à
tisser, faisant aller et venir une navette entre des fils entrecroisés,
Lucy enroule la laine sur de fines bobines. L’étoffe qu’elles
tissent seraremise à la mère de Lucy en échange des services que
cette dernière rend chez les Daniels. Avec de nombreux enfants sous
son toit et aucune fille adolescente, Abigail compte sur Lucy pour
l’aider à faire le ménage, la lessive et la cuisine.
Pendant qu’elles travaillnt côte à côte, elles entendient frapper à
la porte. Abigail crie : « Entrez. »
Levant les yeux de sa bobine, Lucy voit trois hommes pénétrer dans la
pièce. Ce sont des étrangers, mais ils sont bien habillés et
ont l’air amicaux. Tous trois semblent avoir quelques années de
moins qu’Abigail, laquelle est au début de la trentaine.
Lucy se lève et apporte des chaises supplémentaires dans la pièce.
Lorsque les hommes sont installés, elle prend leurs chapeaux et
retourne s’asseoir. Ils se présentent comme étant Oliver Cowdery,
Parley Pratt et Ziba Peterson, prédicateurs de New York, de passage
dans la ville, en route vers l’Ouest. Ils disent que le Seigneur a
rétabli son véritable Évangile par l’intermédiaire de leur ami, un
prophète du nom de Joseph Smith.
Pendant qu’ils parlent, Lucy poursuit silencieusement sa tâche.
Les hommes parlent d’anges et d’un jeu de plaques d’or que le
prophète a traduites par révélation. Ils témoignent que Dieu les
a envoyés en mission pour prêcher l’Évangile une dernière fois
avant la seconde venue de Jésus-Christ.
Lorsqu’ils ont remis leur message, le cliquetis rythmique du métier
à tisser d’Abigail cesse et la femme se retourne sur son banc. Agitant
avec colère la navette dans leur direction, elle dit : « Je vous
interdis d’enseigner votre maudite doctrine chez moi. »
Les hommes tentent de la persuader, témoignant de la véracité de leur
message, mais Abigail leur intime l’ordre de partir, disant qu’elle ne
veut pas qu’ils polluent ses enfants avec de la fausse doctrine. Ils
demandent si, au moins, elle leur donnerait à manger. Ils ont faim et
n’ont pas mangé de toute la journée.
Elle répond d’un ton sec : « Vous n’aurez rien à manger chez moi. Je
ne nourris pas les imposteurs. »
Tout à coup, Lucy prend la parole, horrifiée qu’Abigail puisse parler
aussi grossièrement à des serviteurs de Dieu. Elle dit : « Mon père
habite à moins de deux kilomètres d’ici. Il ne refuse jamais
l’hospitalité à quelqu’un qui a faim. Allez-y, vous y serez nourris et
l’on s’occupera bien de vous. »
Elle va chercher leurs chapeaux et les suit dehors pour leur
indiquer le chemin qui conduit chez ses parents. Les hommes la
remercient et prennent la route en disant : « Que Dieu vous bénisse. »
Lorsqu’ils sont hors de vue, elle rentre dans la maison. Abigail
est de nouveau à son métier à tisser, faisant aller et venir la
navette. Visiblement irritée, elle dit à Lucy : « J’espère que tu te
sens mieux maintenant. »
Lucy réplique : « Oui, en effet. »
Comme Lucy l’a promis, les trois missionnaires trouvent chez les
Morley un repas copieux. Ses parents, Isaac et Lucy, sont membres de
l’assemblée de Sidney Rigdon et croient que les disciples du Christ
doivent partager leurs biens les uns avec les autres, comme au sein
d’une grande famille. Suivant l’exemple des saints dans le Nouveau
Testament qui essayaient d’avoir « tout en commun », ils ont ouvert
l’accès à leur grande ferme à d’autres familles qui veulent vivre
ensemble et pratiquer leurs croyances, loin du monde de compétition et
souvent d’égoïsme qui les entoure.
Ce soir-là, les missionnaires instruisent les Morley et leurs amis.
Les familles donnent suite au message des missionnaires qui dit de
préparer le retour du Sauveur et son règne millénaire et, vers minuit,
dix-sept personnes sont baptisées.
Les jours suivants, plus de cinquante personnes de Kirtland et des
environs afflunt aux réunions des missionnaires et demandet à se
joindre à l’Église. Nombre d’entre elles habitent sur la propriété
des Morley, notamment Pete, un esclave affranchi dont la mère est
arrivée d’Afrique occidentale. Même Abigail Daniels, qui a si
rapidement rejeté les missionnaires, accepte leur message après les
avoir entendus prêcher alors qu’elle accompagne son mari.
Oliver rapporta à Joseph la bonne nouvelle de la progression de
l’Église en Ohio, en particulier parmi les adeptes de Sidney. Tous les
jours, de nouvelles personnes demandent à entendre leur message. Il
écrit : « Ici, la demande de livres est considérable. J’aimerais que
tu m’en envoies cinq cents. »
En dépit de la satisfaction que lui procure leur réussite en Ohio,
Oliver sait néanmoins que le Seigneur les a appelés à prêcher
l’Évangile aux Amérindiens qui vivnt au-delà de la frontière
occidentale des États-Unis. Les missionnaires et lui quittent peu
après Kirtland, emmenant avec eux un nouveau converti du nom de
Frederick Williams. Frederick est médecin et, à quarante-trois ans,
il est le doyen de la compagnie.
Se dirigeant vers l’ouest à la fin de l’automne 1830, ils traversent
péniblement des plaines et des collines ondulantes enneigées. Ils
s’arrêtent brièvement au centre de l’Ohio afin de prêcher l’Évangile
aux indiens Wyandot avant de monter à bord d’un bateau à vapeur à
destination du Missouri, l’État le plus occidental du pays.
Les missionnaires progressnt régulièrement le long du fleuve jusqu’à
ce qu’ils soient bloqués par la glace. Déterminés, ils débarquèent et
parcourent des centaines de kilomètres à pied le long de la berge
gelée. Entre temps, une épaisse couche de neige est ombée, rendant
plus difficiles les déplacements à travers les vastes prairies.
Parfois, les vents qui balaient le paysage sont d’un froid si
coupant qu’ils leur meurtrissent le visage.
Pendant que les missionnaires se dirigent vers l’ouest, Sidney et
son ami Edward Partridge, trente-sept ans, fabriquant de chapeaux,
voyagent en direction de l’est. Les deux hommes se rendent à
Manchester, à cinq cents kilomètres de Kirtland, pour rencontrer
Joseph. Sidney s’est déjà joint à l’Église mais Edward veut faire
la connaissance du prophète avant de prendre sa décision.
À leur arrivée, ils vont d’abord chez les parents de Joseph, pour
apprendre que les Smith ont emménagé plus près de Fayette. Avant
d’entreprendre les quarante kilomètres supplémentaires, Edward veut
inspecter soigneusement la propriété, pensant que les labeurs des Smith
révèleront peut-être quelque chose de leur personnalité. Sidney et
lui voient les vergers bien entretenus, leurs maisons et dépendances et
les murs de pierre bas qu’ils ont construits. Chaque élément
témoigne de l’ordre et de la diligence de la famille.
Edward et Sidney reprennentla route et marchent toute la journée,
arrivant chez les Smith en soirée. Une réunion de l’Église est en
cours lorsqu’ils arrivent. Ils se glissent à l’intérieur de la
maison et se joignent à l’assemblée qui écoute Joseph prêcher.
Lorsque le prophète a terminé, il dit que toute personne présente
dans la pièce peut se lever et prendre la parole si elle se sent
inspirée à le faire.
Edward se lève et dit aux saints ce qu’il a vu et ressenti au cours
de son voyage. Ensuite, il ajoute : « Je suis prêt à me faire baptiser,
frère Joseph. Pouvez-vous me baptiser ? »
Joseph dit : « Vous avez fait un long voyage. Je pense que vous feriez
mieux de vous reposer et de manger, et vous vous ferez baptiser demain
matin. »
« Comme vous l’entendez, répliqua Edward, je suis prêt à tout moment. »
Avant le baptême, Joseph reçoit une révélation appelant Edward à
prêcher
et à se préparer pour le jour où le Christ viendra dans son temple.
Edward est baptisé et part promptement faire connaître l’Évangile à
ses parents et aux autres membres de sa famille. Pendant ce temps,
Sidney reste à Fayette pour servir de secrétaire à Joseph et se
retrouva rapidement enrôlé dans un nouveau projet.
Des mois plus tôt, Joseph et Oliver ont commencé une traduction
inspirée de la Bible. Ils ont appris, grâce au Livre de Mormon, que
des vérités précieuses ont été corrompues au fil des siècles et
ôtées de l’Ancien et du Nouveau Testament. À l’aide de la Bible
qu’Oliver a achetée à la librairie Grandin, ils ont commencé à
étudier le livre de la Genèse, recherchant l’inspiration au sujet des
passages qui semblent incomplets ou confus.
Bientôt, le Seigneur révèle à Joseph une vision qu’a d’abord eue
Moïse et qui manque dans l’Ancien Testament. Dans la nouvelle version
rétablie des Écritures, Dieu montre à Moïse des « mondes sans nombre
», lui dit qu’il a créé toutes choses spirituellement avant de
les créer physiquement et enseigne que l’objectif de cette création
splendide est de permettre aux hommes et aux femmes de recevoir la
vie éternelle.
Après le départ d’Oliver en mission dans l’Ouest, Joseph a continué
de traduire avec John Whitmer et Emma comme secrétaires jusqu’à
l’arrivée de Sidney. Dernièrement, le Seigneur a commencé à
dévoiler d’autres pans de l’histoire du prophète Hénoc dont la vie et
le ministère ne sont mentionnés que brièvement dans la Genèse.
Pendant que Sidney écrit sous la dictée de Joseph, ils apprennent
qu’Hénoc est un prophète qui a réuni un peuple obéissant et béni.
Comme les Néphites et les Lamanites qui, après la visite du Sauveur en
Amérique, ont fondé une société juste, le peuple d’Hénoc a
appris à vivre ensemble dans la paix. L’Écriture rapporte qu’ils
étaient d’un seul cœur et d’un seul esprit, et qu’ils demeuraient dans
la justice
; et il n’y avait pas de pauvres parmi eux.
Sous la direction d’Hénoc, le peuple a bâti une ville sainte
appelée Sion, que Dieu a fini par recevoir en sa présence. Là,
Hénoc a parlé avec Dieu, alors qu’ils regardaient la terre, et Dieu
a pleuré sur la méchanceté et les souffrances de ses enfants. Il
a dit à Hénoc que le jour viendrait où la vérité sortirait de la
terre et où son peuple bâtirait une autre ville de Sion pour les justes.
En réfléchissant à la révélation, Sidney et Joseph ont la certitude que
le jour
où le Seigneur établira de nouveau Sion sur la terre est arrivé.
Comme le peuple d’Hénoc, les saints doivent e préparer, s’unir de
cœur et d’esprit afin d’être prêts à bâtir la ville sainte et son
temple dès que le Seigneur en révélera l’emplacement.
À la fin du mois de décembre, il commande à Joseph et à Sidney
d’interrompre leur travail de traduction. Il déclare : « Je donne à
l’Église le commandement qu’il m’est opportun qu’elle se rassemble en
Ohio. » Ils doivent se rassembler avec les nouveaux convertis de la
région de Kirtland et attendre le retour des missionnaires partis dans
l’Ouest.
Le Seigneur déclare : « Il y a là de la sagesse, et que chacun
choisisse pour lui-même jusqu’à ce que je vienne. »
L’appel des saints à s’installer en Ohio rend plus proche
l’accomplissement des prophéties d’autrefois relatives au rassemblement
du peuple de Dieu. La Bible et le Livre de Mormon promettent tous les
deux que le Seigneur rassemblera son peuple d’alliance pour le
protéger des périls des derniers jours. Dans une révélation récente, le
Seigneur a dit à Joseph que ce rassemblement est imminent.
Mais l’appel est quand même un choc. À l’occasion de la troisième
conférence de l’Église, tenue chez les Whitmer peu après le jour de
l’An, beaucoup de saints sont troublés ; ils se posent de
nombreuses questions au sujet du commandement. L’Ohio est aiblement
colonisé et à des centaines de kilomètres de distance. La plupart des
membres de l’Église ne savent pas grand-chose de cet endroit.
Beaucoup ont aussi travaillé dur pour valoriser leurs propriétés et
cultiver des fermes prospères à New York. S’ils déménagent en groupe
en Ohio, il faudra qu’ils vendent rapidement leurs possessions et ils
perdront probablement de l’argent. Certains risquent même de se
ruiner financièrement, surtout si la terre en Ohio s’avère être moins
riche et fertile que celle de New York.
Espérant apaiser les craintes au sujet du rassemblement, Joseph se
réunit avec les saints et reçoit une révélation. Le Seigneur déclare :
«
Je vous propose et daigne vous donner de plus grandes richesses, même
une terre de promission […] et je vous la donnerai pour pays de votre
héritage, si vous la recherchez de tout votre cœur. » En se
rassemblant, les saints pourront s’épanouir en un peuple juste et
être protégés des méchants.
Le Seigneur promet deux bénédictions supplémentaires aux personnes
qui se rassemblent en Ohio. Il dit : « Je vous y donnerai ma loi ; et
vous y serez dotés du pouvoir d’en haut. »
La révélation apaisel’esprit de la plupart des saints dans la pièce
mais quelques personnes refusent de croire qu’elle vient de Dieu. La
famille de Joseph, les Whitmer et les Knight font partie des
personnes qui croient et décident d’y obéir.
En tant que dirigeant de la branche de Colesville, Newel Knight rentre
chez lui et commença à vendre ce qu’il peut. Il passe également une
grande partie de son temps à rendre visite aux membres de l’Église.
Suivant l’exemple du peuple d’Hénoc, lui et d’autres saints de
Colesville travaillent ensemble et font des sacrifices pour
s’assurer que les pauvres pourront faire le voyage avant le printemps.
Entretemps, Joseph ressent le besoin urgent d’aller à Kirtland et de
rencontrer les nouveaux convertis. Bien qu’Emma soit enceinte de
jumeaux
et en train de récupérer suite à une longue maladie, elle grimpa à bord
du traîneau, déterminée à l’accompagner.
En Ohio, l’Église est en difficulté. Après le départ des
missionnaires vers l’Ouest, le nombre de convertis à Kirtland a
continué d’augmenter, mais beaucoup de saints ne sont as certains de
la manière de pratiquer leur nouvelle religion. La plupart consultent
le Nouveau Testament pour être guidés, comme ils l’ont fait avant
de se joindre à l’Église, mais sans la direction d’un prophète, il
semble y avoir autant de façons d’interpréter le Nouveau Testament
que de saints à Kirtland.
Elizabeth Ann Whitney faisait partie des personnes qui aspiraient à
connaître les dons spirituels de l’Église chrétienne primitive. Avant
la venue des missionnaires à Kirtland, Ann et son mari, Newel, avaient
prié de nombreuses fois pour savoir comment ils pouvaient recevoir le
don du Saint-Esprit.
Un soir, pendant qu’ils prient pour être guidés, ils ont la
vision d’un nuage reposant sur leur foyer. L’Esprit remplit la pièce et
leur maison disparaît lorsque le nuage l’enveloppe. Ils entendent une
voix venant des cieux : « Préparez-vous à recevoir la parole du
Seigneur, car elle arrive. »
Ann n’a pas grandi dans un foyer religieux et ses parents
ne vont ni l’un ni l’autre à l’église. Son père n’aime pas les
ecclésiastiques et sa mère est toujours occupée à des tâches
ménagères ou à prendre soin des jeunes frères et sœurs d’Ann. Ils
l’ont tous les deux encouragée à profiter de la vie plutôt qu’à
rechercher Dieu.
Mais Ann a toujours été attirée par le spirituel, et lorsqu’elle
a épousé Newel, elle a exprimé le désir de trouver une Église.
Devant son insistance, ils se sont joints à l’assemblée de Sidney
Rigdon parce qu’elle croit que ses principes sont ceux qui se
rapprochent le plus de ceux qu’elle trouve dans les Écritures. Plus
tard, la première fois qu’elle entend Parley Pratt et ses compagnons
prêcher l’Évangile rétabli, elle est convaincue que ce qu’ils ont
enseigné
est vrai.
Ann se joint à l’Église et se réjouit de sa nouvelle religion, mais
elle est troublée par les façons différentes dont les gens la
pratiquent. Ses amis, Isaac et Lucy Morley continuent d’inviter les
gens à vivre dans leur ferme et à partager leurs biens. Leman Copley,
propriétaire d’une grande ferme à l’est de Kirtland, conserve des
enseignements du temps où il faisait partie des Shakers, une communauté
religieuse installée dans les environs.
Certains des saints de Kirtland poussent leurs croyances à des
extrêmes débridés, se délectant de ce qu’ils prennentpour des dons de
l’Esprit. Plusieurs personnes prétendent avoir des visions qu’elles
ne peuventpas expliquer. Certaines croient que le Saint-Esprit les
fait glisser ou filer sur le sol. Un homme saute d’une pièce à
l’autre ou se balance aux solives chaque fois qu’il pense qu’il
ressent l’Esprit. Un autre se prend pour un babouin.
Voyant ces comportements, certains convertis se découragent et
abandonnent la nouvelle Église. Ann et Newel continunt de prier,
confiants que le Seigneur leur indiquera la voie à suivre.
Le 4 février 1831, un traîneau arrive à Kirtland, devant le magasin
dont Newel est propriétaire et gérant. Un homme âgé d’environ
vingt-cinq ans en descend, bondit à l’intérieur et lui tend la main
par-dessus le comptoir. Il s’écrie : « Vous devez être Newel K.
Whitney ! »
Newel lui serre la main. Il dit : « Vous avez un avantage sur moi. Je
ne pourrais pas vous appeler par votre nom comme vous venez de le faire
pour moi. »
L’homme s’exclame : « Je suis Joseph, le prophète. Vous avez prié pour
que je vienne ici, maintenant dites-moi ce que vous attendez de moi. »
CHAPITRE 11 :
Vous
recevrez ma loi
Ann et Newel Whitney sont reconnaissants d’avoir Joseph et Emma à
Kirtland. Bien qu’ayant trois jeunes enfants et hébergeant une tante,
ils invitent les Smith à rester chez eux jusqu’à ce qu’ils se
trouvent un logement. Du fait que la grossesse d’Emma est avancée,
Ann et Newel emménagent dans une pièce à l’étage afin que Joseph et
elle puissent avoir la chambre au rez-de-chaussée.
Après son installation chez les Whitney, Joseph commence à rendre
visite aux nouveaux convertis. Kirtland se résume à un petit
agglomérat de maisons et de boutiques sur une colline au sud du magasin
des Whitney. Un petit ruisseau longe la ville, alimentant des
moulins et se jetant au nord dans un cours d’eau plus important.
Environ un millier de personnes habitent là.
En rendant visite aux membres de l’Église, Joseph voit leur engouement
pour les dons spirituels et leur désir sincère de modeler leur vie sur
celle des saints du Nouveau Testament. Joseph aime beaucoup les dons
de l’Esprit et sait qu’ils ont un rôle à jouer dans l’Église
rétablie mais il s’inquiète parce que certains saints à Kirtland les
recherchent exagérément.
Il voit qu’il a fort à faire. Grâce aux saints de Kirtland, la
population de l’Église a plus que doublé, mais il est clair que
ceux-ci ont besoin de directives supplémentaires de la part du
Seigneur.
À mille deux cents kilomètres à l’ouest, Oliver et les autres
missionnaires arrivent dans la petite ville d’Independence, dans le
comté de Jackson, au Missouri, à la frontière ouest des États-Unis. Ils
trouvt un logement et du travail pour subvenir à leurs besoins et
ensuite, dressèrent des plans pour rendre visite aux Indiens Delaware
qui habitent à quelques kilomètres à l’ouest de la ville.
Les Delaware viennent de s’installer sur le territoire après avoir été
chassés de leurs terres par les mesures de délocalisation
gouvernementales américaines. Leur chef, Kikthawenund, est un homme
âgé qui a lutté pendant plus de vingt-cinq ans afin de préserver la
cohésion parmi son peuple pendant que les colons et l’armée américaine
les repoussaient vers l’ouest.
Un matin froid de janvier 1831, Oliver et Parley entreprennent de
rencontrer Kikthawenund. Ils le trouvent assis près d’un feu, au
centre d’une grande hutte, dans le camp des Delaware. Le chef leur
serre chaleureusement la main et les invite à prendre place sur des
couvertures.Ses épouses placent devant les missionnaires une
casserole en fer blanc fumante, remplie de haricots et de maïs, et ils
mangent avec une cuillère de bois.
À l’aide d’un interprète, Oliver et Parley parlent à Kikthawenund du
Livre de Mormon et demandent l’autorisation de faire part de son
contenu à son conseil des gouverneurs. En règle générale, Kikthawenund
ne permet pas aux missionnaires de parler à son peuple, mais il
leur dit qu’il va y réfléchir et qu’il leur fera rapidement part
de sa décision.
Le lendemain matin, les missionnaires reviennent à la hutte et après
discussion, le chef réunit un conseil et invite les missionnaires à
prendre la parole.
Les remerciant, Oliver scrute les visages de son auditoire. Il dit : «
Nous avons voyagé dans le désert, traversé des fleuves profonds et
larges, cheminé dans la neige épaisse pour vous communiquer une grande
connaissance qui vient juste d’arriver à nos oreilles et à notre cœur. »
Il présente le Livre de Mormon comme étant une histoire des ancêtres
des Amérindiens. Il explique : « Le livre a été écrit sur des plaques
d’or et transmis de père en fils pendant de nombreux siècles. » Il
raconte comment Dieu a aidé Joseph à trouver et à traduire les
plaques afin que leur contenu puisse être publié et communiqué à tout
le monde, y compris aux Indiens.
Après avoir fini de parler, Olivier tend à Kikthawenund un Livre de
Mormon et attend que le conseil et lui l’examinent. Le vieil
homme dit : « Nous sommes vraiment reconnaissants à nos amis blancs
d’avoir fait un si long voyage et de s’être donné tant de mal pour nous
apporter de bonnes nouvelles, et en particulier cette dernière nouvelle
au sujet du livre de nos ancêtres. »
Il explique que les rigueurs de l’hiver ont été pénibles pour son
peuple. Leurs abris sont médiocres et leurs animaux meurent. Ils
doivent construire des maisons et des barrières, préparer des fermes
pour le printemps. Pour l’instant, ils ne sont pas prêts à héberger
des missionnaires.
Kikthawenund promet : « Nous construirons une maison pour le conseil et
vous nous lirez le livre de nos ancêtres et nous instruirez à son sujet
et au sujet de la volonté du grand Esprit. »
Quelques semaines plus tard, Oliver envoie un rapport à Joseph. Après
avoir décrit la rencontre des missionnaires avec Kikthawenund, il admet
qu’il n’est toujours pas sûr que les Delaware accepteront le Livre de
Mormon. Il écrivit : « Je suis incertain quant au dénouement de
l’affaire avec cette tribu. »
Joseph demeure optimiste au sujet de la mission chez les Indiens, tout
en se consacrant à affermir l’Église à Kirtland. Peu après avoir
rencontré les saints en ce lieu, il reçoit une révélation à leur
attention. Le Seigneur promet de nouveau : « Vous recevrez ma loi, par
la prière de votre foi, afin de savoir comment gouverner mon Église et
avoir tout en ordre devant moi. »
D’après son étude de la Bible, Joseph sait que Dieu a donné à
Moïse une loi pendant que ce dernier conduisait son peuple vers la
terre promise. Il sait aussi que Jésus-Christ est venu sur la terre
et a précisé le sens de sa loi tout au long de son ministère.
Maintenant, il peut, une fois de plus, la divulguer au peuple de son
alliance.
Dans la nouvelle révélation, le Seigneur félicite Edward Partridge de
la pureté de son cœur et l’appelle à être le premier évêque de
l’Église. Il ne décrit pas en détail les devoirs d’un évêque mais il
dit qu’Edward doit consacrer tout son temps à l’Église et aider les
saints à obéir à la loi que le Seigneur leur donnera.
Une semaine plus tard, le 9 février, Edward se réunit avec Joseph et
d’autres anciens de l’Église pour prier afin de la recevoir. Les
anciens posent à Joseph une série de questions au sujet de la loi et
le Seigneur révèle les réponses par son intermédiaire. Certaines de ces
réponses réitèrent des vérités familières, affirmant les principes
relatifs aux dix commandements et aux enseignements de Jésus. D’autres
donnent aux saints de nouvelles idées sur la manière de les respecter
et d’aider les personnes qui les enfreignent.
Le Seigneur donne aussi des commandements pour aider les saints à
devenir semblables au peuple d’Hénoc. Au lieu de mettre leurs biens en
commun comme le font les gens installés chez les Morley, ils
doivent considérer toutes leurs terres et leurs richesses comme une
intendance sacrée confiée par Dieu pour prendre soin de leur famille,
soulager les pauvres et édifier Sion.
Les saints qui décident d’obéir à la loi doivent consacrer leurs
possessions à l’Église en en transférant la propriété à l’évêque. Ce
dernier leur redonna ensuite des terres et des biens sous forme
d’héritage en Sion, en fonction des besoins de leur famille. Les saints
qui reçoivent un héritage doivent agir en qualité d’intendants de
Dieu, utilisant les terres et les outils qu’ils ont reçus et
remettant ce qu’ils n’utilisent pas pour aider les nécessiteux,
édifier Sion et bâtir le temple.
Le Seigneur exhorte les saints à obéir à cette loi et à continuer de
chercher la vérité. Il promet : « Si tu le demandes, tu recevras
révélation sur révélation, connaissance sur connaissance, afin que tu
connaisses les mystères et les choses paisibles, ce qui apporte la
joie, ce qui apporte la vie éternelle. »
Joseph reçoit d’autres révélations qui mettent de l’ordre dans
l’Église.
Suite aux comportements extrêmes de certains saints, le Seigneur
affirme que de faux esprits se sont répandus sur la terre, trompant
les gens en leur faisant croire que le Saint-Esprit est responsable
de leurs folles actions. Il dit que l’Esprit n’alarme pas et
n’embrouille pas les gens mais les édifie et les instruit.
Il déclare : « Ce qui n’édifie pas n’est pas de Dieu. »
Peu de temps après que le Seigneur a révélé sa loi à Kirtland, les
saints de New York font les derniers réparatifs pour se rassembler
en Ohio. Ils vendent leurs terres et leurs possessions à perte,
chargent leurs biens sur des chariots et disent au revoir à leur
famille et à leurs amis.
Elizabeth et Thomas Marsh font partie des saints qui se
préparent à déménager. Après avoir reçu les pages du Livre de Mormon
et être rentré chez lui à Boston, Thomas a emménagé à New York avec
sa famille afin de se rapprocher de Joseph et de l’Église. L’appel à se
rassembler en Ohio arrive à peine quelques mois plus tard et Elizabeth
et Thomas remballent leurs affaires, déterminés à se rassembler avec
les saints et à édifier Sion où que le Seigneur le commande.
La détermination d’Elizabeth découlait de sa conversion. Bien que
croyant que le Livre de Mormon est la parole de Dieu, elle ne se fait
pas baptiser tout de suite. Cependant, après avoir accouché d’un fils à
Palmyra, elle demande au Seigneur un témoignage de la véracité de
l’Évangile. Peu de temps après, elle reçoit le témoignage qu’elle
recherche et se join à l’Église, ne pouvant renier ce qu’elle
sait et prête à apporter son aide à l’œuvre.
Peu avant de quitter l’Ohio, Elizabeth écrit à la sœur de Thomas : «
Un grand changement s’est produit en moi, aussi bien dans mon corps que
dans mon esprit. J’éprouve le désir d’être reconnaissante de ce que
j’ai reçu et d’en rechercher encore davantage. »
Dans la même lettre, Thomas annonce la nouvelle du rassemblement. Il
déclare : « Le Seigneur appelle tout le monde au repentir et à se
rassembler rapidement en Ohio. » Il ne sait pas si les saints se
rendent en Ohio pour édifier Sion ou s’ils se préparent à un
déménagement plus ambitieux à l’avenir. Mais cela n’a aucune
importance. Si le Seigneur leur commande de se rassembler au
Missouri, ou même dans les montagnes Rocheuses à mille cinq cents
kilomètres de la frontière occidentale du pays, il est prêt à partir.
Il explique à sa sœur : « Nous ne savons rien de ce que nous devons
faire, à moins que cela ne nous soit révélé. Mais nous savons au moins
ceci : une ville sera construite en terre promise. »
Une fois la loi du Seigneur révélée et les saints de New York en cours
de rassemblement en Ohio, Joseph et Sidney se remettent à la traduction
inspirée de la Bible. Ils passent du récit d’Hénoc à l’histoire du
patriarche Abraham, à qui le Seigneur fait la promesse qu’il sera le
père de nombreuses nations.
Le Seigneur ne révèle pas de changements considérables dans le texte
mais, en lisant l’histoire d’Abraham, Joseph médite beaucoup sur la vie
de ce dernier. Pourquoi le Seigneur n’a-t-il pas condamné Abraham et
d’autres patriarches de l’Ancien Testament pour avoir épousé plusieurs
femmes, une pratique que les lecteurs américains de la Bible exècrent
?
Le Livre de Mormon donnee une réponse. À l’époque de Jacob, frère
cadet de Néphi, le Seigneur commande aux Néphites de n’avoir qu’une
femme. Mais il déclare également qu’il peut altérer ce commandement,
si la situation l’exige, afin d’élever des enfants justes.
Joseph prie à ce sujet et le Seigneur révèle que parfois, il commande
à son peuple de pratiquer le mariage plural. Le moment de rétablir ce
principe n’est pas encore arrivé mais le jour viendra où il
demandera à certains saints d’y obéir.
Le sol est encore froid lorsque le premier groupe de saints quitte
New York. Le deuxième groupe, comprenant Lucy Smith et environ
quatre-vingts autres personnes, part peu après. Il embarque sur un
chaland qui va le transporter jusqu’à un grand lac à l’ouest. Au
lac, il va prendre un bateau à vapeur qui l’acheminera jusqu’à un
port non loin de Kirtland. De là, il va voyager par voie de terre
pour la dernière partie de son voyage de quelque cinq cents kilomètres.
Au début, le voyage se déroule sans incident, mais à mi-chemin vers le
lac, une écluse cassée bloque le groupe de Lucy à quai. Comme elles ne
s’attendent pas à être retardées, de nombreuses personnes n’ont pas
emporté suffisamment de nourriture. La faim et l’inquiétude au
sujet du rassemblement amènent certaines d’entre elles à se plaindre.
Lucy leur dit : « Soyez patients et cessez de murmurer. Je n’ai aucun
doute que la main du Seigneur soit sur nous. »
Le lendemain matin, des ouvriers réparent le canal et les saints
recommencent à avancer. Ils arrivent au lac quelques jours plus
tard mais, à leur grand dam, une épaisse couche de glace bloque le
port, les empêchant d’aller plus loin.
La compagnie espère louer une maison en ville pendant qu’elle
attend, mais elle ne trouve qu’une seule grande pièce à se partager.
Heureusement, Lucy rencontre un capitaine de bateau à vapeur qui
connaî son frère et elle s’arrangea pour que son groupe emménage
sur son bâtiment en attendant que la glace se rompe.
Sur le bateau, les saints paraissent découragés. Beaucoup ont
faim et tout le monde est mouillé et a froid. Ils ne voient
aucune solution pour avancer et commencent à se quereller. Les propos
vifs attirent l’attention des badauds. Inquiète que les saints se
donnent en spectacle, Lucy les réprimande.
Elle demande : « Où est votre foi ? Où est votre confiance en Dieu ? Si
vous voulez tous exprimer vos désirs aux cieux, afin que la glace se
rompe et que nous soyons libres, aussi sûr que le Seigneur vit, cela se
fera. »
À cet instant, Lucy entend un bruit semblable à un coup de tonnerre
et la glace du port s’ouvre suffisamment pour laisser passer le bateau
à vapeur. Le capitaine ordonna à ses hommes de prendre leur poste et
ils dirigent le navire à travers l’étroite ouverture passant
dangereusement près de la glace de part et d’autre.
Stupéfaits et reconnaissants, les saints s’unissent en prière sur le
pont.
Pendant que sa mère et les saints de New York voyagent en direction
de l’ouest, Joseph s’installe avec Emma dans un petit chalet sur la
propriété des Morley. Sa direction et la nouvelle loi révélée ont
apporté davantage d’ordre, de compréhension et d’harmonie parmi les
saints en Ohio. Maintenant, de nombreux anciens et leur famille
font de grands sacrifices pour répandre l’Évangile dans les villes
et villages voisins.
Au Missouri, l’œuvre missionnaire est moins fructueuse. Pendant un
certain temps, Oliver a cru que ses collègues et lui faisaient des
progrès avec Kikthawenund et son peuple. Il a rapporté à Joseph : «
Le grand chef dit qu’il croit en chacune des paroles du livre, et de
nombreuses personnes de la tribu croient. » Mais après l’intervention
d’un agent du gouvernement qui menace d’arrêter les missionnaires pour
avoir prêché l’Évangile aux Indiens sans autorisation, Oliver et ses
compagnons doivent mettre un terme à leurs efforts.
Oliver envisage l’idée d’apporter le message à une autre tribu
indienne, les Navajo, qui habitent à mille six cents kilomètres à
l’ouest, mais il ne se sent pas autorisé à voyager aussi loin. Au
lieu de cela, il renvoie Parley vers l’est afin d’obtenir du
gouvernement un permis l’autorisant à prêcher pendant que les autres
missionnaires et lui essaient de convertir des colons à Independence.
Sur ces entrefaites, Joseph et Emma affrontent une nouvelle tragédie.
Le dernier jour du mois d’avril, Emma, aidée de femmes de la famille
Morley, accouche de jumeaux, une fille et un garçon. Mais, comme leur
frère avant eux, les bébés sont frêles et meurent quelques heures
après leur naissance.
Le même jour, une convertie récente appelée Julia Murdock décède après
avoir donné naissance à des jumeaux. Lorsque Joseph l’apprend, il
envoie
un message à son mari, John, l’informant que sa femme et lui sont
disposés à les élever. Le cœur brisé par le deuil et incapable de
prendre soin des nouveau-nés, John accepte l’offre.
Joseph et Emma sont fous de joie d’accueillir les bébés chez eux. Et
lorsque la mère de Joseph arrive saine et sauve de New York, elle peut
tenir tendrement ses nouveaux petits-enfants dans ses bras.
CHAPITRE 12 :
Après beaucoup de tribulations
Au
printemps de 1831, Emily Partridge, sept ans, habite une ville au
nord-est de Kirtland avec ses parents, Edward et Lydia, et ses quatre
sœurs. Ils possèdent une belle maison en bois de charpente avec une
grande pièce et deux chambres à coucher au rez-de-chaussée. En haut, il
y a une chambre, une autre grande pièce et un placard où ils
rangeent leurs vêtements. Au sous-sol il y a une cuisine ainsi
qu’une cave où l’on entrepose les légumes et qui est si sombre
qu’Emily en a peur.
Dehors, le grand jardin lui offre un endroit pour jouer et explorer.
Ils ont un jardin de fleurs, des arbres fruitiers, une grange et un
terrain vague où son père a l’intention de bâtir un jour une maison
encore plus belle. Sa chapellerie se situee aussi dans les environs.
Sous le comptoir du magasin, elle trouve toujours des rubans colorés
et d’autres trésors. Le bâtiment entier est rempli d’outils et de
machines que son père utilise pour teindre les étoffes et les
fourrures et en faire des chapeaux pour ses clients.
Il ne passe plus beaucoup de temps à confectionner des chapeaux
maintenant qu’il est évêque de l’Église. Avec le rassemblement des
saints de New York en Ohio, il doit les aider à s’installer dans des
logements et à trouver du travail. Parmi les nouveaux arrivants, il y
a la famille Knight et leur branche de l’Église de Colesville.
Sachant qu’à une trentaine de kilomètres au nord-est de Kirtland, Leman
Copley aune grande ferme qu’il a accepté de consacrer au
Seigneur, le père d’Emily envoie les saints de Colesville s’y installer.
Certains saints de New York arrivèrent en Ohio avec la rougeole et
comme ils séjournent souvent chez les Partridge, il ne faut pas
longtemps pour qu’Emily et ses sœurs aient une forte fièvre et des
boutons. Emily guérit au bout de quelque temps mais sa sœur de onze
ans, Eliza, contracte une pneumonie. Bientôt, ses parents regardent
impuissants sa respiration devenir de plus en plus laborieuse et sa
fièvre monter en flèche.
Pendant que la famille s’occupe d’Eliza, son père assiste à une
importante conférence de l’Église dans une école non loin de la ferme
des Morley. Il est absent pendant plusieurs jours et lorsqu’il revient,
il dit à la famille qu’il doit repartir. Joseph a reçu une
révélation qui dit que la prochaine conférence aura lieu au
Missouri. Plusieurs dirigeants de l’Église, dont son père, sont
appelés à s’y rendre dès que possible.
De nombreuses personnes commencent à élaborer des plans pour le
voyage. Dans la révélation, le Seigneur qualifie le Missouri de pays
d’héritage des saints, faisant écho à des descriptions bibliques d’une
terre promise « où coulent le lait et le miel ». C’est là que les
saints doivent construire la ville de Sion.
Le père d’Emily n’est pas désireux de quitter sa famille. Eliza est
encore malade et risque de mourir pendant son absence. Emily voit
bien que sa mère aussi est inquiète. Aussi engagée que soit Lydia
Partridge envers la cause de Sion, elle n’a pas l’habitude de
s’occuper seule des enfants et de la maison. Elle semble se douter
que ses épreuves ne font que commencer.
Polly Knight est malade lorsque les saints de Colesville et elle
s’établissent sur les terres de Leman Copley. La propriété compte deux
cent quatre-vingts hectares d’excellentes terres, offrant suffisamment
d’espace pour permettre à de nombreuses familles de construire des
maisons, des granges et des boutiques. Ici les Knight pourraient
repartir à zéro et pratiquer leur nouvelle religion en paix, même si
beaucoup craignent que Polly ne reste pas longtemps parmi eux.
Le mari et les fils de Polly se mettent rapidement au travail,
construisant des clôtures et ensemençant les champs pour exploiter la
terre. Joseph et l’évêque Partridge encouragent également les saints
de Colesville à consacrer leurs possessions conformément à la loi du
Seigneur.
Cependant, après que l’installation a commencé à prendre forme, Leman
se retire de l’Église et dit aux saints de Colesville de s’en aller de
ses terres. N’ayant nulle part où aller, les saints expulsés
demandent à Joseph de s’enquérir de la volonté du Seigneur à leur
égard.
Le Seigneur leur dit : « [Vous] entreprendr[ez] [votre] voyage vers les
régions de l’Ouest, vers le pays de Missouri. »
Maintenant qu’ils savent que Sion sera au Missouri et non en Ohio,
les saints de Colesville se rendent compte qu’ils seron parmi les
premiers membres de l’Église à s’y installer. Ils commencent à se
préparer pour le voyage et, environ deux semaines après la révélation,
Polly et le reste de la branche quittent la région de Kirtland et
montent à bord de bateaux qui les acheminent vers l’ouest.
Pendant que sa famille et elle descendent le fleuve, elle exprime son
désir le plus grand, qui est d’atteindre Sion avant de mourir. Elle
a cinquante-cinq ans et sa santé décline. Son fils, Newel, est déjà
descendu à terre afin d’acheter du bois pour un cercueil au cas où
elle mourrait avant d’arriver au Missouri.
Mais Polly est déterminée à être enterrée en Sion et nulle part
ailleurs.
Peu après le départ des saints de Colesville, le Prophète, Sidney et
Edward Partridge se mettent en route pour le Missouri avec plusieurs
anciens de l’Église. Ils voyagent essentiellement par voie terrestre,
prêchant l’Évangile en chemin et parlant des espoirs qu’ils fondent
en Sion.
Joseph parle avec optimisme de l’Église à Independence. Il dit à
certains des anciens qu’Oliver et les autres missionnaires sont sûrs
d’y avoir établi une branche forte de l’Église, comme ils l’ont
fait à Kirtland. Certains des anciens prennent ces propos pour une
prophétie.
En approchant du comté de Jackson, les hommes admirent les prairies
ondulantes qui les entourent. Le Missouri, avec toutes ces terres sur
lesquelles les saints peuvent se disséminer, semble être l’endroit
idéal pour Sion. Et Independence, ville située à proximité d’un grand
fleuve et des territoires indiens, pourrait être le lieu parfait pour
rassembler le peuple de l’alliance de Dieu.
Mais lorsqu’ils arrivent en ville, les frères ne sont pas
impressionnés par ce qu’ils voient. Ezra Booth, ancien prédicateur qui
s’est joint à l’Église après avoir vu Joseph guérir le bras paralysé
d’une femme, trouve l’endroit lugubre et inexploité. Il y a un
tribunal, quelques magasins, plusieurs maisons de rondins, et pas
grand-chose de plus. Les missionnaires n’ont baptisé qu’une poignée
de personnes dans la région donc la branche n’est pas aussi forte que
ce à quoi Joseph s’attendait. Se sentant induits en erreur, Ezra et
d’autres commencent à remettre en question les dons de prophète de
Joseph.
Joseph aussi est déçu. Fayette et Kirtland sont de petits villages,
mais Independence n’est rien de plus qu’un comptoir d’échange
arriéré. La localité est le point de départ de pistes en direction de
l’ouest et de ce fait elle attire des trappeurs et des transporteurs
ainsi que des fermiers et de petits hommes d’affaires. Toute sa vie,
Joseph a connu des gens exerçant ces métiers mais il trouve les
hommes d’Independence particulièrement impies et brutaux. De plus, les
agents du gouvernement de la ville se méfient des missionnaires et
vont probablement rendre la prédication aux Indiens difficile,
peut-être même impossible.
Découragé, Joseph présente ses inquiétudes au Seigneur. Il demande : «
Quand le désert fleurira-t-il comme une rose ? Quand Sion sera-t-elle
établie dans sa gloire, et où le temple se tiendra-t-il ? »
Le 20 juillet, six jours après son arrivée, les prières de Joseph
sont exaucées. Le Seigneur lui dit : « Ce pays […] est le pays que
j’ai désigné et consacré pour le rassemblement des saints. »
Ils n’ont aucune raison de regarder ailleurs. Le Seigneur déclare : «
C’est
pourquoi, c’est le pays de promission et le lieu pour la ville de Sion.
» Les saints doivent acheter autant de terres disponibles qu’ils le
peuvent, construire des maisons et ensemencer des champs. Et sur un
promontoire à l’ouest du tribunal, ils doivent bâtir un temple.
Même après que le Seigneur a révélé sa volonté pour Sion, certains
saints demeurent sceptiques au sujet d’Independence. Comme Ezra
Booth, Edward s’est attendu à trouver une grande branche de l’Église
dans la région. Au lieu de cela, les saints et lui doivent édifier
Sion dans un lieu où les gens se méfient d’eux et ne s’intéressent
pas du tout à l’Évangile rétabli.
Il comprend également qu’en qualité d’évêque de l’Église, la
responsabilité de jeter les fondements de Sion repose en grande
partie sur ses épaules. Afin de préparer la terre promise pour les
saints, il doit en acheter autant que possible à distribuer en
héritage aux personnes qui arrivent en Sion et respectent la loi de
consécration. Cela signifie qu’il devra rester au Missouri et
installer sa famille en Sion de façon permanente.
Edward veut participer à l’établissement de Sion, mais il se pose des
questions sur la révélation, sur ses nouvelles
responsabilités et sur la région. Un jour, pendant qu’il inspecte les
terres d’Independence et des alentours, il fait remarquer à Joseph
qu’elles ne sont pas aussi bonnes que d’autres dans les environs. Il
perd patience avec le prophète et ne voit pas comment les saints
pourraient établir Sion à cet endroit.
Joseph témoigne : « Moi je le vois, et il en sera ainsi. »
Quelques jours plus tard, le Seigneur révèle de nouveau sa parole à
Joseph, à Edward et aux autres anciens de l’Église. Il déclare : « Pour
le moment, vous ne pouvez pas voir de vos yeux naturels le dessein de
votre Dieu concernant ces choses qui viendront plus tard et la gloire
qui suivra beaucoup de tribulations. Car c’est après beaucoup de
tribulations que viennent les bénédictions. »
Dans la révélation, le Seigneur réprimande également Edward pour son
incrédulité. Il dit de l’évêque : « S’il ne se repent pas de ses
péchés, […] qu’il prenne garde de peur de tomber. Voici, sa mission lui
est donnée et elle ne sera pas donnée de nouveau. »
La mise en garde remplit Edward d’humilité. Il demandeau Seigneur de
pardonner son aveuglement de cœur et dit à Joseph qu’il resteraià
Independence et préparera les terres de Sion pour les saints. Il
s’inquiète cependant encore de ne pas être à la hauteur de la tâche
énorme qui l’attend.
Dans une lettre adressée à Lydia, il confesse : « Je crains que mon
poste soit au-delà de ce que je suis capable d’accomplir à la
satisfaction de mon Père céleste. Prie pour moi afin que je ne tombe
pas. »
Au bout de trois semaines de voyage, Polly Knight arrive à Independence
avec les saints de Colesville. Elle se tien faiblement sur ses
jambes, reconnaissante d’avoir atteint le pays de Sion. Néanmoins, son
corps s’affaiblit rapidement et deux convertis récents de la région
l’hébergent afin qu’elle puisse se reposer dans un confort relatif.
En explorant la région en quête d’un endroit où s’installer, les Knight
trouvent la campagne belle et agréable, avec une terre riche qu’ils
pourraient exploiter et cultiver. Les gens aussi paraissent amicaux à
leur égard, bien qu’ils soient des étrangers. Contrairement aux anciens
de Kirtland, les membres de Colesville croient que les saints
peuvent édifier Sion en ce lieu.
Le 2 août, les saints du Missouri se réunissent à plusieurs kilomètres
à
l’ouest d’Independence pour commencer à construire la première maison
en Sion. Joseph et douze hommes de la branche de Colesville, qui
représentent symboliquement les tribus d’Israël, posent le premier
rondin du bâtiment. Sidney consacre ensuite le pays de Sion pour le
rassemblement des saints.
Le lendemain, sur une parcelle à l’ouest du tribunal d’Independence,
Joseph pose soigneusement une pierre unique pour marquer l’angle du
futur temple. Quelqu’un ouvre alors une Bible et lit dans le
quatre-vingt-septième psaume : « L’Éternel aime les portes de Sion plus
que toutes les demeures de Jacob. Des choses glorieuses ont été dites
sur toi, Ville de Dieu ! »
Quelques jours plus tard, Polly meurt, louant le Seigneur de l’avoir
soutenue dans sa souffrance. Le prophète prononce l’éloge funèbre et
son mari ensevelit le corps dans un bosquet non loin du site du temple.
Elle est la première sainte à reposer en Sion.
Le même jour, Joseph reçoit une autre révélation : « Bénis, dit le
Seigneur, sont ceux qui sont venus dans ce pays, ayant l’œil fixé
uniquement sur ma gloire, conformément à mes commandements. Car ceux
qui vivent hériteront la terre, et ceux qui meurent se reposeront de
tous leurs labeurs. »
Peu après les obsèques, Ezra et d’autres anciens de l’Église reprennent
la route de Kirtland avec Joseph, Oliver et Sidney. Ezra est soulagé
de rentrer chez lui en Ohio. Contrairement à Edward, il n’a pas
connu de changement de cœur au sujet de Joseph et de l’emplacement de
Sion.
Les hommes mettent des canoës à l’eau sur le vaste Missouri, juste au
nord d’Independence, et le descendent. À la fin de la première
journée de voyage, ils sont de bonne humeur et savournt sur la
berge un dindon sauvage en guise de dîner. Le lendemain, par contre, il
fait chaud en ce mois d’août et le fleuve est agité et difficile à
naviguer. Les hommes sont rapidement fatigués et commencent à se
critiquer mutuellement.
Oliver finit par crier aux hommes : « Aussi vrai que l’Éternel est
vivant, si vous ne vous conduisez pas mieux, vous allez avoir un
accident. »
Joseph prend la direction de son canoë le lendemain après-midi, mais
certains des anciens sont en colère contre lui et Oliver, et ils
refusent de pagayer. Dans un méandre dangereux du fleuve, ils
percutent un arbre immergé et manquent de chavirer. Craignant pour la
vie de tous les membres de la compagnie, Joseph et Sidney ordonnent
aux hommes de quitter le fleuve.
Après avoir installé le camp, Joseph, Oliver et Sidney essaient de
parler au groupe et d’apaiser les tensions. Irrités, les hommes
traitent Joseph et Sidney de lâches pour avoir quitté le fleuve, se
moquent de la manière dont Oliver manœuvrait son canoë et accusent
Joseph de se prendre pour un dictateur. La querelle dure jusque tard
dans la soirée.
Au lieu de rester debout avec la compagnie, Ezra se couche tôt,
critiquant sévèrement Joseph et les anciens. Pourquoi, se demandait-il,
le Seigneur confierait-il les clés de son royaume à des hommes comme
ceux-ci ?
Plus tard cet été-là, Lydia Partridge reçoit la lettre d’Edward
provenant du Missouri. En plus de ses inquiétudes au sujet de son
appel, il explique qu’il ne va pas rentrer à la maison comme prévu
mais restera au comté de Jackson afin d’acheter des terres pour
les saints. Il joint à la lettre un exemplaire de la révélation
qui lui est adressée, commandant à sa famille de s’installer en Sion.
Lydia est surprise. Lorsqu’il est arti, il av dit à leurs amis
qu’il reviendrait en Ohio dès que son travail au Missouri serait
terminé. Maintenant, avec tant de responsabilités en Sion, il n’est as
sûr de pouvoir rentrer pour aider Lydia et les enfants à faire le
voyage. Cependant, il sait que d’autres familles en Ohio vont déménager
au Missouri cet automne-là, notamment ses conseillers dans
l’épiscopat. C’est aussi le cas pour Sidney Gilbert, un commerçant de
Kirtland, et William Phelps, un imprimeur, qui vont tous deux créer
des entreprises pour l’Église en Sion.
Edward écrit : « Il serait
probablement préférable que tu fasses le
voyage avec eux. »
Sachant qu’Independence offre peu de produits de luxe, iledonne à
Lydia une longue liste d’articles à emporter et d’articles à
abandonner. Il la met en garde : « Nous devons souffrir et subirons
pendant quelque temps des privations auxquelles toi et moi n’avons pas
été habitués. »
Lydia commence à préparer le déménagement. Les enfants sont
maintenant en assez bonne santé pour voyager et elle s’arrange pour
faire la route avec les familles Gilbert et Phelps. Lorsqu’elle met la
propriété familiale en vente, ses voisins expriment leur incrédulité
de voir qu’Edward et elle abandonnent leur maison et leur entreprise
prospère pour suivre un jeune prophète dans le désert.
Lydia n’a pas le moindre désir de tourner le dos au commandement du
Seigneur d’édifier Sion. Elle sait qu’abandonner leur belle maison
sera une épreuve, mais elle croit qu’aider à jeter les fondations
de la ville de Dieu sera un honneur.
CHAPITRE 13 : Le
don est revenu
À la fin du
mois d’août 1831, lorsque Joseph rentre à Kirtland, il
reste quelques tensions entre lui et des anciens qui ont fait le
voyage avec lui jusqu’à Independence. Après leur querelle sur les
berges du Missouri, Joseph et la plupart des frères qui
l’accompagnent se sont humiliés, ont confessé leurs péchés et
demandé pardon. Le lendemain matin, le Seigneur le leur a accordé
et a offert des propos rassurants et encourageants.
Il a dit : « Puisque vous vous êtes humiliés devant moi, les
bénédictions du royaume sont à vous. »
D’autres anciens, dont Ezra Booth, ne fon aucun cas de la révélation
et ne réglènt pas non plus leur différend avec Joseph. De retour à
Kirtland, Ezra continue de critiquer ce dernier et de se plaindre de
ses actions pendant la mission. Une conférence de saints a tôt fait
de révoquer son permis l’autorisant à prêcher et il commence à écrire à
ses amis des lettres critiquant sévèrement la personnalité de Joseph.
Début septembre, le Seigneur réprimande ce comportement agressif et
appelle les anciens à cesser de condamner Joseph pour ses erreurs et de
le critiquer sans raison. Le Seigneur reconnaît : « Il a péché, mais en
vérité, je vous le dis, moi, le Seigneur, je pardonne les péchés à ceux
qui les confessent devant moi et en demandent le pardon. »
Le Seigneure xhorte les saints à être cléments, eux aussi. Il déclare :
« Moi,
le Seigneur, je pardonne à qui je veux pardonner, mais de vous il est
requis de pardonner à tous les hommes. »
Il les exhorte également à faire le bien et à édifier Sion au lieu de
laisser leurs désaccords les désunir. Il leur rappelle : « Ne vous
lassez pas de bien faire, car vous posez les fondements d’une grande
œuvre. Le Seigneur exige le cœur, et un esprit bien disposé ; et celui
qui est bien disposé et obéissant mangera l’abondance du pays de Sion
en ces derniers jours. »
Avant de conclure, le Seigneur appelle quelques membres de l’Église à
vendre leurs possessions et à se rendre au Missouri. La plupart des
saints doivent cependant rester en Ohio et continuer d’y proclamer
l’Évangile. Il est dit à Joseph : « Car moi, le Seigneur, je désire
conserver une place forte dans la région de Kirtland pendant encore
cinq ans. »
Elizabeth Marsh écoute attentivement les anciens décrire le pays de
Sion à leur retour. Ils parlent de terres profondes et noires, de
prairies ondulantes aussi vastes que l’océan et d’un fleuve
tourbillonnant qui semble avoir une vie bien à lui. Bien qu’ayant peu
de bien à dire des Missouriens, beaucoup des anciens reviennent animés
d’optimisme quant à l’avenir de Sion.
Dans une lettre adressée à sa belle-sœur à Boston, Elizabeth relate
tout ce qu’elle sait au sujet de la terre promise. Elle rapporte : «
Ils ont érigé une pierre pour le temple et pour la ville et ont acheté
des terres en aussi grande quantité que la situation le permettait
comme héritage pour les fidèles. » Le site du temple proprement dit
est dans une forêt à l’ouest du tribunal, accomplissant les
prophéties bibliques selon lesquelles la forêt « se changera en verger
» et « la solitude s’égaiera ».
Thomas, le mari d’Elizabeth, est encore au Missouri en train de
prêcher l’Évangile et sa femme s’attend à le voir rentrer à la maison
au
bout d’un mois environ. D’après les anciens, la plupart des personnes
au Missouri ne s’intéressent pas au message qu’il proclame mais des
missionnaires baptisent des gens ailleurs et les envoient rejoindre
Sion.
Sous peu, des centaines de saints se rassembleront à Independence.
À des centaines de kilomètres au sud-ouest de Kirtland, William
McLellin, vingt-cinq ans, se recueille sur la tombe de sa femme,
Cinthia Ann, et de leur bébé. Ils étaient mariés depuis moins de deux
ans
lorsque le bébé et elle sont morts. En qualité d’instituteur,
William a l’esprit vif et un don pour écrire. Mais il ne trouve
rien qui puisse le réconforter pendant les heures solitaires qui
s’écoulent depuis qu’il a perdu sa famille.
Un jour, après la classe, il entend deux hommes parler du Livre de
Mormon. L’un d’eux, David Whitmer, déclare qu’il a vu un ange
témoigner que le Livre de Mormon est vrai. L’autre, Harvey Whitlock,
étonne William tant sa prédication est puissante et claire.
William invite les hommes à lui en dire davantage et il est de nouveau
frappé par les paroles d’Harvey. Il écrit dans son journal : « De
toute ma vie, je n’ai jamais entendu une telle prédication. La gloire
de Dieu semble entourer l’homme. »
Impatient de rencontrer Joseph Smith et d’examiner ses allégations,
William suit David et Harvey jusqu’à Independence. Lorsqu’ils
arrivent, Joseph est déjà reparti pour Kirtland mais William
rencontre Edward Partridge, Martin Harris et Hyrum Smith et entend
leur témoignage. Il parle également à d’autres hommes et femmes en Sion
et s’émerveille de l’amour et de la paix qui règnent parmi eux.
Un jour, à l’occasion d’une longue marche dans les bois, il parle avec
Hyrum du Livre de Mormon et des débuts de l’Église. William veut
croire mais, en dépit de tout ce qu’il a entendu jusque là, il
n’est toujours pas convaincu qu’il doit se joindre à l’Église. Il
veut recevoir un témoignage de la part de Dieu qu’il a trouvé la
vérité.
Tôt le lendemain matin, il prie pour être guidé. Réfléchissant à son
étude du Livre de Mormon, il se rend compte qu’elle lui a ouvert
l’esprit à une nouvelle lumière. Il reçoit alors la connaissance que le
livre était vrai
et se sent tenu à en témoigner, son honneur en dépend. Il est
certain d’avoir trouvé l’Église vivante de Jésus-Christ.
Plus tard ce jour-là, Hyrum le baptise et le confirme, et les deux
hommes prennent la route de Kirtland. Pendant qu’ils prêchent en
chemin, William découvre qu’il a du talent pour tenir les
auditoires en haleine et pour argumenter avec les hommes d’Église.
Cependant, il se montrait parfois arrogant lorsqu’il prêche et se
sent mal lorsque ses vantardises chassent l’Esprit.
Une fois arrivé à Kirtland, William est pressé de parler à
Joseph. Il a plusieurs questions précises qu’il souhaite lui
soumettre mais il les garde pour lui, priant pour que Joseph les
discerne et lui en révèle la réponse. William est maintenant
incertain de ce qu’il doit faire de sa vie et de l’endroit où il
doit aller. Sans famille, il peut se consacrer pleinement à
l’œuvre du Seigneur. Mais une partie de lui veut d’abord assurer son
propre bien-être.
Ce soir-là, il rentre chez lui en compagnie de Joseph et lui demande
une révélation de la part du Seigneur. Il sait que de nombreuses
autres personnes l’ont fait. Joseph accepte et tandis qu’il
reçoit la révélation, William entend le Seigneur répondre à chacune
de ses questions. L’inquiétude cède la place à la joie. Il sait qu’il
a trouvé un prophète de Dieu.
Quelques jours plus tard, le 1er novembre 1831, Joseph réunit un
conseil de dirigeants de l’Église. Ezra Booth a récemment publié
une lettre dans un journal local accusant Joseph de faire de fausses
prophéties et de cacher ses révélations au public. La lettre a été
largement diffusée et de nombreuses personnes commencent à se méfier
des saints et de leur message.
De nombreux membres de l’Église veulent également lire eux-mêmes la
parole du Seigneur. Puisqu’il n’y a que des exemplaires manuscrits
des révélations reçues par Joseph, la plupart d’entre eux ne les
connaissent pas très bien. Les anciens qui veulent les utiliser
dans l’œuvre missionnaire doivent les recopier à la main.
Sachant cela, Joseph propose que les révélations soient publiées dans
un livre. Il est confiant qu’un tel livre aidera les missionnaires
à diffuser plus facilement la parole du Seigneur et fournira aux
voisins curieux des renseignements exacts au sujet de l’Église.
Le conseil en discute pendant des heures. David Whitmer et quelques
autres s’opposent à la publication des révélations, craignant qu’une
divulgation plus ouverte des plans du Seigneur pour Sion ne cause des
problèmes aux saints dans le comté de Jackson. Joseph et Sidney
ne sont pas du même avis, insistant sur le fait que le Seigneur
veut que l’Église publie ses paroles.
Après délibération, le conseil se met d’accord pour publier dix mille
exemplaires d’un recueil des révélations intitulé « Livre des
commandements ». Ils confient à Sidney, Oliver et William McLellin la
tâche de rédiger une préface pour le livre des révélations et de la
leur présenter plus tard dans la journée.
Les trois hommes se mettent immédiatement au travail mais lorsqu’ils
reviennent avec la préface, le conseil n’en est pas satisfait. Ils la
relisent, la décortiquent ligne par ligne, et demandent à Joseph de
demander la volonté du Seigneur à ce sujet. Joseph prie et le Seigneur
révèle une nouvelle préface pour le livre. Sidney enregistre ses
paroles au fur et à mesure que Joseph les prononce.
Dans la nouvelle préface, le Seigneur commande à tout le monde
d’écouter sa voix. Il déclare qu’il a donné ces commandements à
Joseph pour permettre à ses enfants de faire grandir leur foi et leur
confiance en lui, et qu'ils doivent recevoir et proclamer la plénitude
de son
Évangile et son alliance éternelle. Il parle aussi des craintes des
personnes telles que David qui s’inquiètent du contenu des
révélations.
Il déclare : « Ce que moi, le Seigneur, ai dit, je l’ai dit, et je ne
m’en excuse pas ; et même si les cieux et la terre passent, ma parole
ne passera pas, mais s’accomplira entièrement, que ce soit par ma voix
ou par la voix de mes serviteurs, c’est la même chose. »
Lorsque Joseph a prononcé les paroles de la préface, plusieurs
membres du conseil disent qu’ils sont disposés à témoigner de la
véracité des révélations. D’autres dans la pièce sont encore
réticents à publier les révélations dans leur forme actuelle. Ils
savent que Joseph est un prophète, et ils savent que les
révélations sont vraies, mais ils sont gênés que la parole du
Seigneur leur soit parvenue à travers le filtre du vocabulaire limité
et de la grammaire déficiente de Joseph.
Le Seigneur ne partage pas leur inquiétude. Dans sa préface, il
témoigne que les révélations viennent de lui, données à ses
serviteurs « dans leur faiblesse, selon leur langage ». Afin de faire
comprendre aux hommes que les révélations viennent de lui, il en fait
une nouvelle qui lance au conseil le défi de choisir l’homme le plus
sage dans la pièce pour écrire une révélation comme celles que Joseph
a reçues.
Si l’homme est incapable de le faire, toutes les personnes présentes
sauront et devront témoigner que les révélations du Seigneur à
Joseph sont vraies, en dépit de leurs imperfections.
Prenant de quoi écrire, William essaie de rédiger une révélation,
confiant en sa maîtrise de la langue. Lorsqu’il a terminé, il sait, et
les autres hommes présents savent que ce qu’il a écrit ne vient pas du
Seigneur. Ils admettent leur erreur et signent une déclaration
attestant que les révélations ont été données au prophète sous
l’inspiration de Dieu.
En conseil, ils décident que Joseph révisera les révélations et
corrigera les erreurs qu’il pourra découvrir par le Saint-Esprit.
Vers cette époque, Elizabeth Marsh accueille chez elle, à Kirtland,
une prédicatrice itinérante du nom de Nancy Towle. Nancy est une
femme petite et maigre avec de grands yeux qui brillent sous
l’intensité de ses convictions. À trente-cinq ans, elle s’est déjà
fait une réputation en prêchant à de grandes assemblées de femmes et
d’hommes dans des écoles, des églises et des réunions de camp dans tous
les États-Unis. Après lui avoir parlé, Elizabeth voit bien qu’elle est
instruite et ferme dans ses convictions.
Nancy est venue à Kirtland avec un objectif. Bien qu’elle garde
habituellement un esprit ouvert vis-à-vis des autres Églises
chrétiennes, même si elle n’est pas du même avis, Nancy est persuadée
qu’on a berné les saints. Elle veut en savoir plus sur
eux afin d’aider d’autres personnes à résister à leurs enseignements.
Elizabeth n’est pas favorable à une telle mission mais elle
comprend que Nancy défende ce qu’elle pense être la vérité. Elle
écoute leurs prédications et assista à quelques baptêmes dans une
rivière voisine. Plus tard dans la journée, elle accompagne Elizabeth à
une réunion de confirmation avec Joseph, Sidney et d’autres dirigeants
de l’Église.
À la réunion, William Phelps attaque Nancy sur ses doutes au sujet de
la véracité du Livre de Mormon. Il lui dit : « Vous ne serez pas sauvée
si vous ne croyez pas en ce livre. »
Nancy lui lance des regards furieux. Elle dit : « Si j’avais ce livre,
monsieur, je le brûlerais. » Nancy est choquée que tant de personnes
talentueuses et intelligentes puissent suivre Joseph Smith et croire au
Livre de Mormon.
S’adressant au prophète, elle dit : « M. Smith, pouvez-vous, en la
présence du Dieu Tout-Puissant, donner votre parole par serment qu’un
ange du ciel vous a montré l’endroit de ces plaques ? »
Joseph dit avec ironie : « Je ne jurerai pas du tout. » Au lieu de
cela, il s’approche des personnes qui viennent juste de se faire
baptiser, leur impose les mains et les confirme.
Se tournant vers Nancy, Elizabeth témoigne de sa propre confirmation.
Elle dit : « À l’instant où il a placé ses mains sur ma tête, j’ai
senti le Saint-Esprit déferler sur moi comme de l’eau chaude. »
Nancy est vexée, comme si Elizabeth l’avait accusée de ne pas connaître
les sensations associées à l’Esprit du Seigneur. Elle regarde de
nouveau Joseph et dit : « N’avez-vous pas honte d’avoir de telles
prétentions ? Vous, qui n’êtes rien de plus qu’un laboureur ignorant de
notre pays ! »
Joseph témoigne simplement : « Le don est revenu, comme autrefois, à
des pêcheurs illettrés. »
CHAPITRE 14 : Visions et cauchemars
En janvier 1832, Joseph, Emma et les jumeaux logent chez Elsa et John
Johnson à Hiram, en Ohio, à environ quarante-cinq kilomètres au sud de
Kirtland. Les Johnson ont approximativement le même âge que les
parents de Joseph, donc la plupart de leurs enfants sont mariés et
ont quitté leur grande maison, laissant à Joseph beaucoup d’espace
pour se réunir avec les dirigeants de l’Église et travailler à la
traduction de la Bible
Avant leur baptême, Elsa et John faisaient partie des fidèles d’Ezra
Booth. En fait, c’est la guérison miraculeuse d’Elsa opérée par
Joseph qui a amené Ezra à se joindre à l’Église. Mais tandis que ce
dernier aperdu sa foi, les Johnson continuent de soutenir le
prophète, tout comme les Whitmer et les Knight l’ont fait à New
York.
Cet hiver-là, Joseph et Sidney passent la plus grande partie de leur
temps à traduire dans une pièce à l’étage de la maison des Johnson. À
la mi-février, en lisant dans l’évangile de Jean un passage traitant de
la résurrection des âmes justes et injustes, Joseph se demandes’il n’y
av pas davantage de choses à savoir au sujet des cieux ou du salut
du genre humain. Si Dieu récompense ses enfants en fonction de leurs
actions sur la terre, les notions traditionnelles du ciel et de l’enfer
sont-elles trop simplistes ?
Le 16 février, Joseph, Sidney et une douzaine d’hommes sont assis
dans une pièce à l’étage de la maison des Johnson. L’Esprit repose sur
Joseph et Sidney et ils s’immobilisent lorsqu’une vision s’ouvre à
leurs yeux. Ils sont enveloppés par la gloire du Seigneur et voient
Jésus-Christ à la droite de Dieu. Des anges adorent à son trône et
une voix témoigne que Jésus est le Fils unique du Père.
« Que vois-je ? » demandeJoseph alors que Sidney et lui
s’émerveillent des prodiges dont ils sont témoins. Il décri alors ce
qu’il voit et Sidney dit : « Je vois la même chose.
» Sidney pose ensuite la même question et décrit la scène devant
lui. Lorsqu’il termine, Joseph dit : « Je vois la même chose. »
Ils parlent ainsi pendant une heure et leur vision révèle que le plan
de salut de Dieu commence avant la vie sur la terre et que ses
enfants ressusciteront après la mort par le pouvoir de Jésus-Christ.
Ils décrivent également les cieux d’une manière qu’aucune des
personnes présentes n’a jamais imaginée. Au lieu d’être un seul
royaume, les cieux organisés en divers royaumes de gloire.
Joseph et Sidney voient chaque royaume et en donnent
des détails précis. Le Seigneur prépare une gloire téleste pour les
personnes qui ont été méchantes et impénitentes sur la terre. La
gloire terrestre est réservée à celles qui ont mené une vie
honorable mais n’ont pas pleinement obéi à l’Évangile de
Jésus-Christ. La gloire céleste est réservée à celles qui acceptnt
le Christ, contractent et respectent les alliances de l’Évangile et
héritent de la plénitude de la gloire de Dieu.
Le Seigneur révèle à Joseph et Sidney davantage d’éléments au sujet des
cieux et de la résurrection mais leur dit de ne pas les écrire. Il
explique : « Ils ne peuvent être vus et compris que par le pouvoir de
l’Esprit-Saint que Dieu confère à ceux qui l’aiment et se purifient
devant lui. »
Lorsque la vision prend fin, Sidney est sans force et pâle, écrasé par
ce qu’il a vu. Joseph sourit et dit : « Sidney n’y est pas aussi
habitué que moi. »
Pendant que les saints de Kirtland sont mis au courant de la grande
vision des cieux de Joseph, William Phelps installe l’imprimerie de
l’Église à Independence. Il a été rédacteur d’un journal pendant la
plus grande partie de sa vie d’adulte et en plus de travailler sur le
Livre des commandements, il espère publier un mensuel pour les saints
et leurs voisins au Missouri.
Usant d’un ton puissant et confiant, William annonce publiquement le
journal qu’il a l’intention d’appeler : The Evening and the Morning
Star (L’étoile du soir et du matin, ndt). Il déclare : « L’Étoile
empruntera sa lumière à des sources sacrées et sera consacrée aux
révélations de Dieu. » Il croit les derniers jours arrivés et veut
que son journal avertisse les justes comme les méchants du
rétablissement de l’Évangile et du retour imminent du Sauveur sur la
terre.
Il veut également publier d’autres éléments intéressants, notamment
des reportages et de la poésie. Mais bien qu’étant un homme aux
convictions fermes qui laisse rarement passer l’occasion de donner
son avis, William insiste sur le fait que le journal ne se mêlerani
de la politique ni des disputes locales.
Il a été un rédacteur politiquement actif pour d’autres journaux et
a parfois pimenté ses articles et ses éditoriaux d’opinions qui
irritaient ses adversaires. Il sera difficile de rester au-dessus de
la mêlée au Missouri. Néanmoins, il est enchanté à l’idée d’écrire
des articles sur l’actualité et des éditoriaux.
William a sincèrement l’intention de se concentrer sur l’Évangile
dans son journal et il comprend qu’en tant qu’imprimeur de l’Église,
la priorité revient à la publication des révélations. Il promet à ses
lecteurs : « Dès que la sagesse le dictera, on peut s’attendre à ce que
sortent de cette presse de nombreux ouvrages sacrés. »
En Ohio, la vision de Joseph et Sidney fait sensation. De nombreux
saints adoptent rapidement les nouvelles vérités révélées au sujet
des cieux mais d’autres ont du mal à concilier la vision avec leurs
croyances chrétiennes traditionnelles. Est-ce que ce nouveau concept du
ciel sauve trop d’âmes ? Quelques saints rejettent la révélation et
quittent l’Église.
La vision ajoute au trouble de certains de leurs voisins qui sont déjà
perturbés par les lettres qu’Ezra Booth a publiées dans un
journal local. Pendant que celles-ci colportent les critiques d’Ezra
à l’encontre de Joseph, d’autres anciens membres de l’Église
suscitent des questions dans l’esprit des personnes dont des membres
de la famille ou des amis adorent avec les saints.
Au coucher du soleil, à la fin du mois de mars 1832, un groupe d’hommes
se réunit dans une briqueterie à huit cents mètres de chez les Johnson.
Ils allument un feu dans le four afin de chauffer du goudron de pin.
Lorsque le ciel s’assombrit, ils se couvrent le visage de suie et se
glissent dans la nuit.
Emma est au lit, éveillée, lorsqu’elle entend frapper légèrement à
la fenêtre. Le bruit a été assez fort pour attirer son attention
mais pas inhabituel. Elle n’y fait pas attention.
Joseph est allongé tout près sur un lit gigogne, sa respiration
régulière prouvant qu’il était endormi. Les jumeaux ont la rougeole
et plus tôt dans la soirée, Joseph s’est occupé du plus malade des
deux afin qu’Emma puisse dormir. Au bout d’un moment, elle s'est réveillée, lui a pris le bébé et lui a dit de se reposer. Il
doit prêcher le lendemain matin.
Elle est en train de s’assoupir lorsque la porte de la chambre
s’ouvre à la volée et une douzaine d’hommes font irruption dans la
pièce. Ils saisissent Joseph par les bras et les jambes et commencent
à le traîner hors de la maison. Emma hurle.
Joseph se débat farouchement et les hommes resserrèrent leur prise.
Quelqu’un l’attrappe par les cheveux et le tire violemment vers la
porte. Libérant l’une de ses jambes, Joseph donne à l’un d’eux un coup de
pied au visage. Ce dernier trébuche en arrière et tombe à la renverse
sur le pas de la porte, se tenant le nez ensanglanté. Avec un rire
rauque, il se remet sur pied et aplatit sa main ensanglantée sur le
visage de Joseph.
Il hurle : « Je vais te faire la peau. »
Les hommes se débattent pour le sortir de la maison et l’emmener dans
le jardin. Il lutte contre leur étreinte afin de libérer ses membres
puissants mais quelqu’un lui saisit la gorge et la serre jusqu’à ce que
son corps cesse de résister.
Il se réveille dans une prairie à quelque distance de la maison des
Johnson. Les hommes le tiennent encore fermement, un peu au-dessus du
sol, afin qu’il ne puisse pas leur échapper. À quelques pas, il voit la
silhouette à demi-nue de Sidney Rigdon, étendue sur l’herbe. Il
semble mort.
Joseph les implore : « Ayez pitié. Épargnez-moi la vie. »
Quelqu’un crie : « Appelle ton Dieu à l’aide. » Joseph regarde autour
de lui et voit d’autres hommes rejoindre les émeutiers. Un individu
sort d’un verger voisin avec une planche et les autres l’y
allongent et le transportent plus loin dans la prairie.
Après s’être éloignés de la maison, ils déchirent ses vêtements et le
maintiennent allongé pendant que l’un d’eux s’approche de lui avec un
couteau affûté pour le mutiler. L’homme regarde Joseph et finalement
refuse d’utiliser son couteau.
Un autre hurle : « Maudit sois-tu. » Il saute sur Joseph et lacère la
peau du prophète avec ses ongles acérés, laissant la chair à vif. Il
dit : « C’est comme cela que le Saint-Esprit tombe sur les gens. »
Joseph en entend d’autres un peu plus loin en train de se disputer
au sujet de ce qu’ils vont faire de lui et de Sidney. Il n’entend
pas tout ce qu’ils disent mais il lui semble entendre un nom familier
ou deux.
Une fois la querelle terminée, quelqu’un dit : « Goudronnons-lui la
bouche. » Des mains dégoûtantes lui ouvrent la bouche de force
pendant que quelqu’un tente de lui verser une bouteille d’acide dans
la gorge. La bouteille se brise sur ses dents, lui en ébréchant une.
Un autre tente de lui enfoncer une spatule de goudron collant dans la
bouche mais Joseph secoue la tête. L’homme cria : « Maudit sois-tu.
Arrête de bouger. » Il enfonça la spatule jusqu’à ce que le goudron
déborde de ses lèvres.
D’autres hommes arrivent avec un bac entier de goudron et le renversèrent sur
lui. Le goudron coule sur sa peau lacérée et dans ses cheveux. Ils le
couvrent de plumes et le renversent sur le sol froid avant de
s’enfuir.
Après leur départ, Joseph arrache le goudron de ses lèvres et prend une
profonde inspiration. Il essaie de se remettre debout mais les forces
lui manquent. Il tente de nouveau et réussit à tenir sur ses jambes.
Des plumes volent autour de lui.
Lorsqu’elle le voit arriver en trébuchant à la porte des Johnson, Emma
s’évanouit, certaine que les émeutiers l’ont mutilé au point de le
rendre définitivement méconnaissable. En entendant le tumulte,
plusieurs femmes du voisinage ont accouru à la maison. Joseph
demande une couverture pour envelopper son corps meurtri.
Le reste de la nuit, des gens prennent soin de lui et de Sidney, qui
est resté étendu longtemps dans la prairie, respirant à peine. Emma
racle le goudron des membres, de la poitrine et du dos de Joseph.
Pendant ce temps, Elsa Johnson utilise du lard de son cellier pour
assouplir le goudron durci afin de le décoller de la peau et des
cheveux de Joseph.
Le lendemain, Joseph s’habille et fait un sermon depuis le seuil de la
porte des Johnson. Il reconnaît certains des émeutiers dans l’assemblée
mais ne leur dit rien. L’après-midi, il baptise trois personnes.
L’agression a quand même causé de nombreux dommages. Il a le
corps meurtri et endolori par les coups. Sidney est couché, en proie
au délire, oscillant entre la vie et la mort. Les émeutiers l’ont
sorti de chez lui en le traînant par les talons, laissant la tête sans
protection rebondir sur les marches et le sol froid de mars.
Les bébés de Joseph et d’Emma souffrent également. Tandis que la
santé de Julia s’améliore régulièrement, celle de son jumeau, le
petit Joseph décline de plus en plus et il meurt plus tard cette
semaine-là. Le prophète attribue la mort de son fils à l’air froid qui
est entré dans la maison quand les émeutiers l’ont traîné dehors.
Quelques jours après l’enterrement du bébé, Joseph se remet au travail
en dépit de son chagrin. Par obéissance au commandement du Seigneur, il
prend la route du Missouri le 1er avril avec Newel Whitney et Sidney,
qui est encore affaibli par l’agression mais a suffisamment
récupéré pour faire le voyage. Le Seigneur vient d’appeler Newel à
servir comme évêque en Ohio et lui a commandé de consacrer les
excédents financiers de ses entreprises lucratives pour soutenir le
magasin, l’imprimerie et les achats fonciers à Independence.
Le Seigneur veut que les trois hommes se rendent au Missouri et
fassent alliance de coopérer économiquement avec les dirigeants en Sion
pour le profit de l’Église et pour mieux s’occuper des pauvres. Il
veut également qu’ils fortifient les saints afin qu’ils ne perdent
pas de vue leur responsabilité sacrée d’édifier la ville de Sion.
Lorsqu’ils arrivent à Independence, Joseph convoque un conseil de
dirigeants de l’Église et lit une révélation qui lui demande, à lui,
à Edward Partridge, à Newel Whitney et à d’autres dirigeants de
l’Église de faire alliance ensemble de gérer les soucis économiques de
l’Église.
Le Seigneur déclare : « Je vous donne ce commandement de vous lier par
cette alliance, […] chacun cherchant l’intérêt de son prochain et
faisant tout, l’œil fixé uniquement sur la gloire de Dieu. » Ainsi
liés, ils prennent le nom de Firme unie.
Pendant qu’il est au Missouri, Joseph rend également visite aux
membres de l’ancienne branche de Colesville et à d’autres qui se sont
installés dans la région. Les dirigeants de l’Église semblent
travailler bien ensemble, la nouvelle imprimerie se prépare à publier
le premier numéro de The Evening and the Morning Star et de nombreux
membres de l’Église sont impatients de développer la ville.
Mais Joseph sent que certains saints, y compris certains de leurs
dirigeants, ont de mauvais sentiments à son égard. Ils semblent
lui en vouloir d’avoir choisi de rester à Kirtland au lieu de
s’installer de façon permanente au Missouri. Et certains semblent
encore contrariés au sujet de ce qui s’est passé lors de sa dernière
visite dans la région, lorsque certains des anciens et lui ont été
en désaccord concernant l’emplacement de Sion au Missouri.
Leur rancœur le surprend. Ne se rendent-ils pas compte qu’il a
quitté sa famille endeuillée et parcouru mille trois cents kilomètres
juste pour les aider ?
Pendant que Joseph rend visite aux saints à Independence, William
McLellin faiblit spirituellement en Ohio. Après avoir été appelé
comme missionnaire, il a passé l’hiver à prêcher l’Évangile,
d’abord dans des villes et des villages à l’est de Kirtland et plus
tard au sud. Bien qu’il ait eu un certain succès au début, des soucis de
santé, le mauvais temps et des gens indifférents ont fini par avoir
raison de son courage.
En tant qu’instituteur, il a l’habitude d’avoir des élèves
obéissants qui écoutnt ses leçons et ne répondent pas. Par contre,
en qualité de missionnaire, il est souvent en désaccord avec les
personnes qui ne respectent pas son autorité. Un jour, pendant qu’il
fait un long sermon, il est interrompu plusieurs fois et traité de
menteur.
Après des mois de revers, il commence à se demander si c’est le
Seigneur ou bien Joseph Smith qui l’a appelé en mission. Incapable
de résoudre la question, il abandonne le champ de la mission et trouve
un emploi de commis dans un magasin. Pendant son temps libre, il
examine la Bible pour trouver des preuves du rétablissement de
l’Évangile et argumente avec les sceptiques au sujet de la religion.
Au bout d’un certain temps, il décide de ne pas repartir en mission. Au
lieu de cela, il épouse une membre de l’Église du nom d’Emeline Miller
et décide de se joindre à un groupe d’une centaine de saints qui se
rendent dans le comté de Jackson où des terres sont immédiatement
disponibles. Dans une révélation à Joseph, Dieu réprimande William pour
avoir abandonné sa mission mais ce dernier pense qu’il peut
recommencer à zéro en Sion.
Cependant, il veut le faire à sa façon. L’été 1832, sa compagnie et
lui partent pour le Missouri sans recommandation des dirigeants de
l’Église, laquelle est exigée du Seigneur afin que Sion ne grandisse
pas trop rapidement et que ses ressources ne s’épuisent pas. Lorsqu’il
arrive, il ne se rend pas chez l’évêque Partridge pour consacrer ses
possessions ou recevoir un héritage. Au lieu de cela, il achète au
gouvernement deux parcelles à Independence.
L’évêque Partridge et ses conseillers sont submergés par l’arrivée de
William et des autres. Parmi les nouveaux arrivants, beaucoup sont
pauvres et ont peu de biens à consacrer. L’évêque fait de son mieux
pour les accommoder mais il est difficile d’organiser des logements,
des fermes et des emplois alors que l’économie de Sion est encore
fragile.
William, cependant, croit que sa grande compagnie accomplit la
prophétie d’Ésaïe selon laquelle de nombreuses personnes iront en
Sion. Il trouve un emploi d’instituteur et écrit à sa famille au
sujet de sa foi.
Il témoigne : « Nous croyons que Joseph Smith est un véritable prophète
ou voyant du Seigneur et qu’il a du pouvoir et reçoit des révélations
de Dieu et que ces révélations, lorsqu’elles sont reçues, sont
d’autorité divine dans l’Église du Christ. »
Toutefois, de telles notions commencent à déranger ses voisins au
Missouri, surtout lorsqu’ils entendent des membres de l’Église dire
que Dieu a désigné Independence comme point central de leur terre
promise. Avec l’arrivée de la compagnie de William, le nombre de saints
en Sion approche des cinq cents. Les ressources commencent déjà à
se faire rares, créant une hausse du prix des marchandises locales.
Tandis que d’autres saints s’installent autour d’elle, une femme fait
cette réflexion : « Ils nous envahissent. Je pense vraiment qu’ils
doivent être punis. »
CHAPITRE 15 : Des lieux saints
Nous sommes en août 1832. Phebe Peck regarde fièrement trois de ses enfants se
faire baptiser près de chez eux au Missouri. Ils font partie des
onze enfants baptisés en Sion ce jour-là. Avec ceux de Lydia et Edward
Partridge et ceux de Sally et William Phelps, ils appartiennent à la
première génération de jeunes saints à grandir dans un pays consacré
par le Seigneur.
Phebe et ses enfants ont emménagé un an plus tôt en Sion avec les
saints de Colesville. Benjamin, le défunt mari de Phebe, était le frère
de Polly Knight. Elle a donc sa place dans la famille élargie des
Knight. Mais sa propre famille lui manque encore, ainsi que ses amies
de New York qui ne se sont pas jointes à l’Église.
Peu après le baptême de ses enfants, elle écrit à deux d’entre elles
au sujet de Sion. Elle dit à son amie Anna : « Tu ne trouverais pas que
c’est une épreuve de venir ici parce que le Seigneur révèle les
mystères du royaume céleste à ses enfants. »
William Phelps vient juste de publier la vision des cieux de Joseph et
Sidney dans The Evening and the Morning Star et Phebe relate à Anna sa
promesse selon laquelle les personnes qui sont baptisées et restent
vaillantes dans le témoignage du Christ recevront le plus haut degré de
gloire et la plénitude des bénédictions de Dieu.
Avec une telle promesse à l’esprit, Phebe exhorte une autre amie,
Patty, à écouter le message de l’Évangile. Elle écrit : « Si
seulement tu pouvais voir et croire comme moi, les portes s’ouvriraient
et tu viendrais dans ce pays, et on pourrait se revoir et se réjouir
des choses de Dieu. »
Phebe témoigne de la vision du prophète récemment révélée et de la paix
qu’elle lui procure, encourageant Patty à la lire si jamais
l’occasion se présente.
Elle dit à son amie : « J’espère que tu liras d’un cœur attentif et
adonné à la prière car ces choses valent la peine qu’on y prête
attention et je désire que tu les examines. »
Cet automne-là, Joseph se rend à New York City en compagnie de Newel
Whitney pour prêcher l’Évangile et faire des achats pour la Firme unie.
Le Seigneur a appelé Newel à avertir les gens des grandes villes
des calamités qui arriveront dans les derniers jours. Joseph
l’accompagne pour l’aider à obéir au commandement du Seigneur.
Dernièrement, Joseph a senti le besoin de plus en plus urgent de
prêcher l’Évangile et de fortifier les lieux de rassemblement des
saints. Peu avant de quitter Kirtland, il a reçu une révélation selon
laquelle les détenteurs de la prêtrise ont la responsabilité de
prêcher l’Évangile et de conduire les fidèles vers la sécurité de Sion
et du temple où le Seigneur promet de les visiter de sa gloire.
La prêtrise s’accompagne donc du devoir d’administrer les ordonnances
en faveur des personnes qui acceptent le Christ et son Évangile. Le
Seigneur enseigne que c’est uniquement grâce à ces ordonnances que
ses enfants peuvent être prêts à recevoir son pouvoir et à retourner
en sa présence.
Toutefois Joseph est parti en voyage avec des raisons de s’inquiéter au
sujet du projet de bâtir Sion au Missouri. L’Église en Ohio est
florissante en dépit de l’opposition d’anciens membres mais, au
Missouri, elle a du mal à faire respecter l’ordre quand de plus en
plus de personnes emménagent dans la région sans permission. Avec
les tensions qui persistent entre lui et certains dirigeants de Sion,
il faut faire quelque chose pour unir l’Église.
En arrivant à New York City, Joseph est sidéré par sa taille. Des édifices
élevés surplombent des rues étroites qui s’étendent sur des
kilomètres. De tous côtés, il voit des magasins proposant des
marchandises chères, de grandes maisons et des immeubles de bureaux
imposants, et des banques où des hommes riches font affaire. Des
gens de toutes sortes d’origines ethniques, de métiers et de classes
sociales variés passent près de lui avec hâte, apparemment
indifférents aux personnes qui les entourent.
Newel et lui prennent une chambre dans un hôtel à trois étages près des
entrepôts où Newel espère faire ses achats pour la Firme unie. Joseph
trouve fastidieuse la recherche de marchandises et est découragé
par l’orgueil et la méchanceté qu’il voit dans la ville. Il
retourne donc souvent à l’hôtel pour lire, méditer et prier. Il est
rapidement sujet au mal du pays. Emma est sur le point de terminer
une nouvelle grossesse et il lui tarde d’être auprès d’elle et de
leur fille.
Il écrit : « À force de penser à la maison, à Emma et à Julia, c’est
comme si un raz-de-marée me submergeait au point de me faire souhaiter
être un moment avec elles. »
Parfois, Joseph quitte l’hôtel et part explorer et prêcher. New
York City compte plus de deux cent mille habitants et Joseph a le
sentiment que le Seigneur est satisfait de l’architecture
merveilleuse et des inventions extraordinaires de ces derniers.
Pourtant, personne ne semble rendre gloire à Dieu pour les merveilles
qui l’entourent ni s’intéresser à l’Évangile rétabli de Jésus-Christ.
Sans se laisser démonter, Joseph continue de parler de son message.
Il écrit à Emma : « Je suis décidé à élever la voix et à en confier
le dénouement à Dieu qui tient toutes choses entre ses mains. »
Un mois plus tard, après le retour de Joseph et de Newel en Ohio,
Brigham Young, trente et un ans, arrive à Kirtland avec son frère aîné,
Joseph, et son meilleur ami, Heber Kimball. Ce sont des convertis
récents originaires du centre de l'État de New York, non loin de l’endroit où
Joseph Smith a grandi. Dès qu’il a eu connaissance du Livre de
Mormon, Brigham a voulu rencontrer le prophète. Maintenant qu’il
est à Kirtland, il a l’intention de lui serrer la main, de le
regarder dans les yeux et d’évaluer son cœur. Depuis son baptême,
Brigham prêcheà partir du Livre de Mormon, mais il ne sait pas
grand chose de l’homme qui l’a traduit.
Joseph et Emma logent maintenant dans l’appartement situé au-dessus
du magasin des Whitney à Kirtland, mais lorsque les trois hommes s’y
arrêtent, le prophète est à l'extérieur, parti abattre du bois pour le feu dans
une forêt à plus d’un kilomètre de là. Ils partent immédiatement dans
cette direction, se demandant ce qu’ils trouveront en arrivant.
Brigham et les autres marchent dans les bois et arrivent à une
clairière où Joseph est en train de fendre des bûches. Il est plus
grand que Brigham et porte des vêtements de travail simples. À voir
la dextérité avec laquelle Joseph manœuvre la hache, Brigham voit bien
que le travail manuel ne lui est pas étranger.
Il s’approche du prophète et se présente. Joseph pose sa hache et lui serre
la main en disant : « Je suis content de vous voir. »
Pendant qu’ils parlent, Brigham propose de fendre le bois pendant que
son frère et Heber chargeront une charrette. Le prophète semble
enjoué, travailleur et amical. Comme Brigham, ses origines sont
humbles mais il n’est pas grossier comme le sont d’autres ouvriers.
Brigham est immédiatement convaincu qu’il a affaire à un prophète de Dieu.
Au bout d’un certain temps, Joseph invite les hommes à manger chez lui.
Lorsqu’ils arrivent, il les présente à Emma qui est au lit et
tient tendrement dans ses bras un petit garçon en bonne santé. Le bébé
est né quelques jours plus tôt, quelques heures à peine avant le
retour de Joseph et de Newel de New York. Emma et Joseph l’ont
appelé Joseph Smith 3.
Après le repas, Joseph organise une petite réunion et invite Brigham à
prier. Lorsqu’il incline la tête, ce dernier sent l’Esprit le pousser
à parler dans une langue inconnue. Les personnes présentes sont
surprises. Au cours de l’année écoulée, de nombreuses personnes ont
simulé les dons de l’Esprit par des comportements insensés. Ce que fait
Brigham est différent.
Sentant leur malaise, Joseph dit : « Frères, je ne me suis jamais
opposé à quoi que ce soit qui vienne du Seigneur. Cette langue est de
Dieu. »
Joseph parle ensuite dans la même langue, déclarant que c’est celle
qu’Adam parlait dans le jardin d’Éden et encourageant les saints à
rechercher le don des langues, comme Paul l’a fait dans le Nouveau
Testament, pour le profit des enfants de Dieu.
Brigham quitte Kirtland une semaine plus tard alors qu’un hiver
paisible s’installe sur le petit village. Cependant, quelques jours
avant Noël, un journal local publie des rapports selon lesquels les
autorités gouvernementales de l’État de Caroline du Sud s’opposent à
des impôts sur les marchandises importées et menacent de se déclarer
indépendant des États-Unis. Certaines personnes exigent la guerre.
Lorsque Joseph lit les commentaires sur la crise, il pense à la
méchanceté et aux destructions que la Bible annonce avant la seconde
venue du Sauveur. Le Seigneur vient de lui dire que le monde entier
gémit sous la servitude du péché et que Dieu va bientôt
intervenir avec colère contre les méchants, anéantissant les royaumes
de la terre et faisant trembler les cieux.
Après avoir prié pour en savoir davantage sur ces calamités, Joseph
reçoit une révélation le jour de Noël. Le Seigneur lui dit que le moment
va venir où la Caroline du Sud et d’autres États du Sud se
rebelleront contre le reste de la nation. Les États rebelles feront
appel à d’autres pays et les esclaves se dresseront contre leurs
maîtres. La guerre et les catastrophes naturelles se déverseront sur
toutes les nations, répandant le malheur et la mort sur toute la terre.
La révélation est un rappel lugubre que les saints ne peuvent plus
retarder l’édification de Sion et la construction du temple. Ils
doivent se préparer maintenant s’ils espèrent échapper aux
dévastations à venir.
Le Seigneur les exhorte : « Tenez-vous en des lieux saints et ne vous
laissez pas ébranler jusqu’à ce que le jour du Seigneur vienne. »
Deux jours après avoir reçu la révélation au sujet de la guerre, Joseph
se réunit avec les dirigeants de l’Église dans le magasin de Newel
Whitney. Il croit que les saints du Missouri critiquent de plus en
plus sa façon de diriger. S’ils ne se repentent pas et ne
rétablissent pas l’harmonie dans l’Église, il craint qu’ils ne
perdent leur héritage en Sion et leur chance de bâtir le temple.
Après avoir ouvert la réunion, Joseph demande aux dirigeants de
l’Église de prier afin de connaître la volonté de Dieu quant à
l’édification de Sion. Les hommes inclinent la tête et prient,
chacun exprimant sa bonne volonté à respecter les commandements de
Dieu. Joseph reçoit ensuite une révélation que son nouveau secrétaire,
Frederick Williams, couche sur papier.
C’est un message de paix pour les saints, les exhortant à se
sanctifier. Le Seigneur commande : « Sanctifiez-vous donc afin que
votre esprit se fixe uniquement sur Dieu. » À leur grande surprise, il
leur commande de construire un temple à Kirtland et de se préparer à
recevoir sa gloire.
Le Seigneur dit : « Organisez-vous, préparez tout ce qui est nécessaire
et établissez une maison qui sera une maison de prière, une maison de
jeûne, une maison de foi, une maison de connaissance, une maison de
gloire, une maison d’ordre, une maison de Dieu. »
Il leur conseilla également d’inaugurer une école. Il déclare : « Et
comme tous n’ont pas la foi, cherchez diligemment et enseignez-vous les
uns aux autres des paroles de sagesse ; oui, cherchez des paroles de
sagesse dans les meilleurs livres ; cherchez la connaissance par
l’étude et aussi par la foi. »
Joseph envoie un exemplaire de la révélation à William Phelps, au
Missouri, la qualifiant de « feuille d’olivier » et de « message de
paix du Seigneur » aux saints de Kirtland. Il avertit les saints en
Sion que s’ils ne se sanctifiaient pas comme le Seigneur le leur
commande, ce dernier choisira d’autres personnes pour construire
son temple.
Joseph implore : « Prêtez l’oreille à la voix d’avertissement de Dieu,
sans quoi Sion tombera. Les frères à Kirtland prient sans cesse pour
vous car, connaissant les terreurs du Seigneur, ils ont de grandes
craintes à votre sujet. »
Le 22 janvier 1833, Joseph et les saints de Kirtland organisent
l’école des prophètes dans le magasin des Whitney. Orson Hyde, l’un des
secrétaires de Joseph, est désigné pour enseigner. Comme Joseph et la
plupart des autres étudiants, Orson a passé la majorité de son
enfance à travailler au lieu d’aller à l’école. Il était orphelin et
son tuteur n’avait autorisé sa scolarisation qu’en hiver, après les
moissons et avant les nouvelles semailles. Néanmoins, Orson avait une
bonne mémoire et apprenait vite et adulte, il est allé dans une école
privée des environs.
À l’école des prophètes, il donne aux hommes des leçons spirituelles
en plus de cours d’histoire, de grammaire et d’arithmétique, comme le
Seigneur l’a commandé. Ceux qui assistent à ses cours ne sont
pas simplement des élèves. Ils s’adressent les uns aux autres sous le
titre de frères et son liés par une alliance de communion
fraternelle. Ils étudient ensemble, discutent ensemble et prient
ensemble.
Un jour, Joseph invite Orson et d’autres membres de la classe à se
déchausser. Suivant l’exemple du Christ, il s’agenouilla devant chacun
et lui lave les pieds.
Lorsqu’il a fini, il dit : « Comme j’ai fait, faites de même. » Il
leur demande de se servir mutuellement et de se préserver des péchés du
monde.
Pendant que les cours se donnent, Emma regarde les étudiants
arriver et monter l’escalier jusqu’à la petite pièce pleine de monde où
ils se réunissent. Certains hommes viennent propres et bien habillés,
par respect pour la nature sacrée de l’école. Certains font aussi
l’impasse sur le petit-déjeuner pour arriver à la réunion en jeûnant.
Une fois les cours terminés et les hommes partis pour la journée, Emma
et certaines jeunes femmes embauchées pour aider nettoient la salle
de classe. Du fait que les hommes fument la pipe et chiquent
pendant les cours, lorsqu’ils partent la pièce est enfumée et le sol est jonché de
tabac à chiquer. Emma astique le plancher de
toutes ses forces mais le tabac laisse des traces sur le sol.
Elle s’en plaint à Joseph. Habituellement, il n’utilise pas de
tabac lui-même mais cela ne le gêne pas que les autres hommes le
fassent. Cependant, les plaintes d’Emma l’amènent à se demander si
l’usage du tabac est convenable aux yeux de Dieu.
Emma n’est pas la seule à s’en soucier. Des réformateurs aux
États-Unis et dans d’autres pays du monde trouvent que fumer, chiquer
et boire de l’alcool sont des habitudes répugnantes. Mais certains
médecins croient que le tabac peut guérir une foule de maux. Des
affirmations semblables sont faites au sujet de la consommation
d’alcool et de boissons brûlantes telles que le café et le thé, à
laquelle les gens s’adonnent généreusement.
Lorsque Joseph soumet le sujet au Seigneur, il reçoit une révélation,
une « parole de sagesse pour le profit des saints en ces derniers jours
». Le Seigneur y met son peuple en garde contre la consommation
d’alcool, déclarant que les liqueurs distillées servent à laver le
corps et que le vin est réservé à des occasions comme la Sainte-Cène.
Il les met également en garde contre le tabac et les boissons brûlantes.
Le Seigneur insiste sur un régime alimentaire sain, encourageant les
saints à consommer des céréales, des légumes, des fruits et de la
viande avec modération. Aux personnes qui choisiront d’obéir, il
promet la santé, la connaissance et la force.
La révélation n’est pas un commandement mais un avertissement. De
nombreuses personnes auront du mal à abandonner ces substances
puissantes et Joseph n’insiste pas sur une obéissance stricte. Il
continue de boire occasionnellement de l’alcool et Emma et lui boivent
parfois du café et du thé.
Toutefois, lorsque Joseph lit la révélation à l’école des prophètes,
les hommes dans la pièce jettent leur pipe et leur cartouche de
tabac à chiquer dans le feu pour montrer qu’ils sont disposés à
obéir aux recommandations du Seigneur.
La première session de l’école des prophètes s’achève en mars et ses
membres se dispersent pour faire des missions ou s’acquitter d’autres
responsabilités. Pendant ce temps, les dirigeants de l’Église à
Kirtland travaillent pour acheter une briqueterie et lever des fonds
pour construire le temple.
À peu près à cette époque-là, Joseph reçoit une lettre en provenance du
Missouri. Après avoir lu la « feuille d’olivier », Edward et d’autres
ont exhorté les saints à se repentir et à se réconcilier avec
l’Église de Kirtland. Leurs efforts ont abouti et les concernés demandent
maintenant à Joseph de leur accorder son pardon.
Prêt à mettre le conflit derrière lui, Joseph cherche comment respecter
les commandements du Seigneur à l’égard de Sion. En juin, il prie avec
Sidney Rigdon et Frederick Williams pour savoir comment construire un
temple. Pendant qu’ils prient, ils ont une vision du temple et
examinent son aspect extérieur, la structure de ses
fenêtres, de son toit et de sa flèche. Le temple semble ensuite se
déplacer au-dessus d’eux et ils se retrouvent à l’intérieur,
observant ses vastes pièces.
Après leur vision, les hommes dessinent des plans pour les temples de
Kirtland et d’Independence. De l’extérieur, les bâtiments
ressemblent à de grandes églises, mais à l’intérieur, ils ont
deux grandes salles de réunion, l’une au premier étage et l’autre au
rez-de-chaussée, où les saints pourront se réunir et apprendre.
Joseph se concentre ensuite sur l’aide à apporter aux saints en Sion
pour transformer leur colonie (dont la taille a plus que doublé
depuis sa dernière visite) en ville. Avec l’aide de Frederick et de
Sidney, il dessine les plans d’une ville de 2,5 kilomètres carrés. La
carte est un croisillon de rues longues et droites avec des maisons
de briques et de pierres bâties loin des routes sur des lots profonds
comportant des bosquets à l’avant et de l’espace pour cultiver un
potager à l’arrière.
Les terres doivent être divisées en lots de 0,2 hectares chacun, les
mêmes pour les riches que pour les pauvres. Les agriculteurs
habiteront en ville et iront travailler dans les champs en
périphérie. Au centre se trouvera le temple et d’autres édifices
sacrés destinés au culte, à l’éducation, à l’administration et au soin
des pauvres. Les mots « Sainteté au Seigneur » devront être gravés
sur chaque bâtiment public.
La ville pourra héberger quinze mille personnes ; en cela elle sera
nettement plus petite que la ville de New York mais sera quand-même l’une
des plus grandes villes du pays. Lorsqu’elle sera pleine, le plan
pourra être reproduit jusqu’à ce que tous les
saints aient un héritage en Sion. Joseph commande : « Disposez-en une
autre de la même manière et remplissez ainsi le monde en ces derniers
jours. »
En juin 1833, Joseph, Sidney et Frederick envoient le plan de la
ville de Kirtland à Independence, ainsi que les instructions détaillées
pour la construction du temple.
Dans une lettre qui accompagne les plans, ils rapportent : « Nous
avons commencé à bâtir la maison du Seigneur en ce lieu et le projet
avance rapidement. Nuit et jour nous prions pour le salut de Sion. »
CHAPITRE 16 : Seulement un prélude
Pendant que les plans pour Sion et pour le temple sont acheminés par
courrier vers le Missouri, Emily Partridge, neuf ans, saute hors du lit
et se précipite dehors en chemise de nuit. Dans la cour derrière chez
elle, non loin du site du temple d’Independence, elle voit l’une des
grandes meules de foin de sa famille dévorée par des flammes. Le feu
monte très haut dans le ciel nocturne, son flamboiement jaune jetant
de longues ombres derrière les personnes, debout à côté, qui
regardent le brasier avec impuissance.
Les incendies accidentels sont courants dans la région mais celui-ci
n’en est pas un. Tout au long de l’été 1833, de petits groupes
d’émeutiers ont vandalisé les possessions des saints, espérant les
décourager de s’installer dans le comté de Jackson. Pour l’instant,
personne n’a subi de dommages corporels mais à chaque attaque, les
émeutiers se montrent de plus en plus agressifs.
Emily ne comprend pas toutes les raisons pour lesquelles les
habitants du comté de Jackson veulent que les saints partent. Elle
sait que sa famille et ses amis sont différents de leurs voisins à
bien des égards. Les Missouriens qu’elle entend parler dans les rues
emploient un autre langage et les femmes portent des robes d’un
autre genre. Certains circulent pieds nus l’été et
lavent leurs vêtements avec de gros battoirs au lieu des planches à
laver dont elle avait l’habitude en Ohio.
Ces différences sont anodines mais il y a aussi d’importants
désaccords dont Emily est peu au courant. Les habitants
d’Independence ne sont pas contents que les saints prêchent
l’Évangile aux Indiens et désapprouvent l’esclavage. Dans les États du
Nord, où la plupart des saints ont vécu, il est illégal de
posséder des esclaves. Mais au Missouri, l’esclavage des noirs est
légal et les colons de longue date défendent résolument cette loi.
Le fait que les saints restent habituellement entre eux éveille les
soupçons. Lorsqu’il en arrive de nouveaux en Sion, ils travaillent
ensemble pour construire et meubler les maisons, cultiver les fermes et
élever les enfants. Ils sont impatients de poser les fondements
d’une ville sainte qui résistera jusqu’au millénium.
La maison des Partridge, située au centre d’Independence, représente
déjà un pas en avant vers la transformation de la ville en Sion.
C’est une maison simple, d’un étage, dépourvue de l’élégance que
possède l’ancienne demeure d’Emily en Ohio, mais elle indique que
les saints sont à Independence avec l’intention d’y rester.
Comme le montre la meule en feu, cette maison les désigne aussi comme cible.
Voyant les tensions s’accroître entre les saints et leurs voisins dans
le comté de Jackson, William Phelps décide d’utiliser les pages du
journal de l’Église local pour apaiser les craintes. Dans le numéro de
juillet 1833 de The Evening and the Morning Star, il publia une lettre
adressée aux membres de l’Église qui immigrent, leur conseillant de
solder leurs dettes avant d’arriver en Sion afin de ne pas être un
fardeau pour la collectivité.
En écrivant cela et d’autres conseils, il espère que les habitants du
comté de Jackson liront le journal eux aussi et verront que les
saints sont des citoyens respectueux des lois et que leurs croyances ne
représentent aucune menace, ni pour eux, ni pour l’économie locale.
Phelps parle aussi de l’attitude des membres de l’Église à l’égard des
noirs. Bien qu’il sympathise avec les personnes qui souhaitent
libérer les esclaves, il veut que ses lecteurs sachent que les
saints obéiront aux lois du Missouri restreignant les droits des
noirs libres. L’Église ne compte que quelques saints noirs et Phelps
leur conseille, s’ils choisissent de s’installer en Sion, d’agir
avec prudence et de placer leur confiance en Dieu.
Il écrit sans autre précision : « Tant que nous n’avons pas de règle
particulière dans l’Église relative aux personnes de couleur, que la
prudence soit notre guide. »
En lisant la lettre dans The Evening and the Morning Star, Samuel
Lucas, juge et colonel dans la milice du comté de Jackson, se met en
colère. D’après ce qu’il comprend, Phelps invite les noirs libres
à devenir membres de l'Église et à s’installer au Missouri. Les
déclarations de Phelps décourageant les saints noirs d’emménager au
Missouri
n’apaisent en rien les craintes de Lucas.
Avec les émeutiers qui harcèlent déjà les saints à Independence et
dans les colonies environnantes, Samuel Lucas n’a aucun mal à trouver
d’autres personnes de son avis. Pendant plus d’une année, les élus
locaux ont dressé leurs administrés contre les saints. Certains
ont distribué des prospectus et organisé des réunions pour inciter
les gens à chasser les nouveaux arrivants de la région.
Au début, la plupart des autochtones pensaient que les saints étaient
des fanatiques inoffensifs qui prétendaient recevoir des révélations,
guérir par l’imposition des mains et opérer d’autres miracles. Mais au
fur et à mesure que des membres de l’Église s’installent dans le
comté, affirmant que Dieu leur a donné Independence comme terre
promise, Samuel Lucas et les autres élus locaux commencent à les
considérer, eux et leurs révélations, comme des menaces contre leurs
possessions et leur pouvoir politique.
Et maintenant, la lettre de Phelps alimente l’une de leurs plus
grandes craintes. À peine deux ans auparavant, dans un autre État, des
dizaines d’esclaves se sont rebellés et ont tué plus de cinquante
blancs, hommes et femmes, en moins de deux jours. Les propriétaires
d’esclaves, au Missouri et dans tous les États du Sud, redoutent que
quelque chose de semblable ne se produise dans leur localité. Certains
craignent que si les saints invitent les noirs libres à s’installer
dans le comté de Jackson, leur présence n’incite les esclaves à aspirer
à la liberté et à se rebeller.
Samuel Lucas et les autres se rendent compte que, puisque les lois
protégègent les libertés d’expression et de religion des saints, ils
ne pourront pas mettre un terme à cette menace par des moyens légaux.
Mais ils ne seront pas la première ville à user de violence pour
chasser les indésirables du milieu d’eux. En agissant de concert, ils
pourront expulser les saints du comté en toute impunité.
Les élus se réunissent rapidement pour prendre des mesures contre les
nouveaux arrivants. Lucas et les autres dressent la liste de leurs
doléances à l’encontre des saints et la présentent aux habitants
d’Independence.
Le document déclare l’intention des élus de chasser les saints du
comté de Jackson par tous les moyens nécessaires. Ils choisissent le 20
juillet pour organiser une réunion au tribunal afin de décider de ce
qu’il faut faire d’eux. Des centaines de résidents du comté de
Jackson apposent leur signature sur le document.
Lorsqu’il a vent de l’émeute, William Phelps tente désespérément de
réparer toute offense imputable à l’article de son journal. Le Livre de
Mormon déclare que le Christ invite tout le monde à lui, « noirs et
blancs, esclaves et libres », mais le fait que tout le comté se
retourne contre les saints l’inquiète.
Agissant rapidement, il imprime un tract d’une page abjurant ce qu’il
a écrit au sujet de l’esclavage. Il insiste : « Nous nous opposons
à l’admission de personnes de couleur libres dans l’État et nous disons
qu’aucune ne sera admise dans l’Église. » Le tract donne une image
inexacte de la position de l’Église sur le baptême des membres noirs,
mais il espère empêcher ainsi d’autres manifestations de violence.
Le 20 juillet, William Phelps, Edward Partridge et d’autres dirigeants de l’Église se
rendent au tribunal du comté de Jackson pour rencontrer les élus du
comté. Le temps est exceptionnellement doux pour un mois de juillet
et des centaines de personnes quittent leurs maisons, leurs fermes et
leurs entreprises pour assister à la réunion et se préparer à prendre
des mesures contre les saints.
Décidant de donner aux dirigeants de l’Église un avertissement de
dernière minute avant d’avoir recours à la violence, Samuel Lucas et
douze autres hommes représentant la collectivité exigent que William Phelps
cesse d’imprimer The Evening and the Morning Star et que les saints
quittent immédiatement le comté.
En qualité d’évêque en Sion, Edward Partridge sait quelle lourde perte ce
serait pour les saints de céder aux exigences. La fermeture de
l’imprimerie retarderait la publication du Livre des commandements, qui
est presque achevée. Et quitter le comté signifierait non seulement
perdre des biens de valeur mais également abandonner leur héritage en
terre promise.
Edward Partridge demande un délai de trois mois pour étudier la proposition et
demander conseil à Joseph à Kirtland. Mais les dirigeants du comté de
Jackson refusent d’accéder à sa demande. Il demande dix jours pour
consulter les autres saints du Missouri. Les élus lui accordent
quinze minutes.
Peu disposés à ce qu’on fasse pression sur eux pour prendre une
décision, les saints mettent fin aux négociations. Lorsque la délégation
du comté de Jackson sort, un homme se tourne vers Edward Partridge et lui dit
que l’œuvre de destruction va commencer immédiatement.
Plus loin sur la rue du tribunal, Sally Phelps est à la maison, au
rez-de-chaussée de l’imprimerie de l’Église, en train de s’occuper de
son bébé malade. Ses quatre autres enfants sont près d’elle. William
est parti quatre heures plus tôt pour assister à la réunion au
tribunal. Il n’est toujours pas rentré et Sally attend avec
anxiété des nouvelles de la discussion.
Un bruit sourd secoue la porte d’entrée, les faisant sursauter, les
enfants et elle. Dehors, des émeutiers tentent d’enfoncer la porte à l’aide
d’un gros rondin de bois. Un attroupement d’hommes, de femmes et
d’enfants se forme autour de l’imprimerie, certains encourageant les émeutiers, d’autres regardant en silence.
Une fois la porte enfoncée, des hommes armés se précipitent à
l’intérieur de la maison et font sortir Sally et les enfants dans la
rue. Ils jettent les meubles et les affaires de la famille par la
porte et brisent les fenêtres. Certains des attaquants montnt au
premier étage de l’imprimerie et renverset les caractères et l’encre
sur le sol pendant que d’autres démolissent le bâtiment.
Debout avec ses enfants blottis autour d’elle, Sally regarde les
hommes fracturer la fenêtre de l’étage de l’imprimerie et jeter le
papier et les caractères. Ils soulèvent ensuite la presse et
l’envoient par la fenêtre s’écraser au sol.
Dans le chaos, quelques hommes sortent du bâtiment les bras chargés
de pages non reliées du Livre des commandements. L’un d’eux, les jetant
dans la rue, cria à la foule : « Voilà le livre des révélations des
damnés mormons. »
Accroupies ensemble près d’une barrière voisine, Mary Elizabeth
Rollins, quinze ans, et sa sœur Caroline, treize ans, regardent les
hommes éparpiller les pages du Livre des commandements. Mary en avait vu certaines auparavant.
Caroline et elle sont des
nièces de Sidney Gilbert, le gérant du magasin des saints à
Independence. Un soir, chez leur oncle, Mary a écouté les
dirigeants de l’Église lire et commenter les révélations rapportées sur
les pages nouvellement imprimées. Pendant que les hommes conversaient,
l’Esprit s’était manifesté au cours de la réunion et certains avaient
parlé en langues et Mary avait interprété leurs propos. Elle éprouve
maintenant un profond respect pour les révélations et est mécontente
de les voir joncher la rue.
Se tournant vers Caroline, elle dit qu’elle veut récupérer les pages
avant qu’elles ne soient détériorées. Les hommes ont commencé à
arracher le toit de l’imprimerie. Ils auront tôt fait d’abattre les
murs et de ne laisser que des décombres.
Caroline veut sauver les pages mais elle a peur des émeutiers.
Elle dit : « Ils vont nous tuer. »
Mary est consciente du danger mais elle dit à Caroline qu’elle est
décidée à récupérer les pages. Peu disposée à se séparer de sa sœur,
Caroline accepte de l’aider.
Les jeunes filles attendent que les hommes aient tourné le dos puis
elles bondissent hors de leur cachette et attrapent autant de pages
qu’elles peuvent en tenir dans leurs bras. Lorsqu’elles font
demi-tour pour battre en retraite vers la barrière, certains émeutiers
les aperçoivent et leur ordonnent de s’arrêter. Les sœurs serrent
les pages encore plus fort contre elles et, poursuivies par deux
d’entre des émeutiers, elles coururent aussi vite qu’elles le peuvent vers un
champ de maïs voisin.
Le maïs mesure un mètre quatre-vingts et Mary et Caroline ne voient
pas où elles se dirigent. Se jetant sur le sol, elles cachent les
pages sous elles et écoutent en haletant les hommes aller et venir
d’un pas lourd dans le champ. Les sœurs les entendent approcher de
plus en plus mais, au bout d’un moment, ils abandonnent leurs
recherches et sortent du champ.
Emily Partridge et sa sœur Harriet sont sorties chercher de l’eau à
une source lorsqu’elles ont vu une cinquantaine d’hommes armés
approcher de chez elles. Se cachant près du point d’eau, les fillettes
les ont regardés avec terreur encercler la maison, en chasser leur père
et l’emmener de force avec eux.
Ils l'ont conduit sur la place publique où une foule de plus de deux
cents personnes entourent Charles Allen, un autre saint capturé. Russell Hicks, l’instigateur de la réunion qui a eu lieu
plus tôt ce jour-là, s’approche d’Edward et lui dit de quitter le comté
ou d’en assumer les conséquences.
Edward répond : « Si je dois souffrir pour ma religion, ce n’est rien
de plus que ce que d’autres ont fait avant moi. » Il dit à Hicks qu’il
n’a rien fait de mal et qu’il refuse de quitter la ville.
Quelqu'un crie : « Invoque ton Jésus ! » La foule fait tomber Edward et
Charles, et Hicks commence à déshabiller l’évêque. Ce dernier résiste
et quelqu’un dans la foule exige que Hicks laisse l’évêque garder sa
chemise et son pantalon.
Il cède et arrache à Edward son chapeau, son manteau et sa veste qu’il
remet à la foule. Deux hommes s’avancent et enduisent les
prisonniers de la tête aux pieds de goudron et de plumes. Le goudron
brûle, leur rongeant la peau comme un acide.
Non loin, une convertie du nom de Vienna Jaques ramasse les pages
éparpillées du Livre des commandements dans la rue. Elle a consacré
ses économies, une somme considérable, à l’édification de Sion et
maintenant tout s’effondre.
Pendant qu’elle agrippe les pages non reliées, un homme s’approche
d’elle et dit : « Ce n’est qu’un prélude à ce que vous devez endurer. »
Il montre du doigt la silhouette défaite d’Edward. « Voilà votre
évêque, couvert de goudron et de plumes. »
Vienna lève les yeux et voit l'évêque s’éloigner en boitant. Seuls son visage
et les paumes de ses mains ont échappé au goudron. Elle s’exclame :
« Dieu soit loué ! Il recevra une couronne de gloire pour le goudron et
les plumes. »
Sally Phelps n’a plus de maison où s’abriter ce soir-là. Elle
trouve refuge dans une étable en rondins abandonnée à côté d’un champ
de maïs. Avec l’aide de ses enfants, elle rassemble des broussailles
pour confectionner des lits.
Pendant qu’elle travaille avec les enfants, deux silhouettes
sortent du champ de maïs. Dans la pénombre, Sally voit qu’il
s’agit de Caroline et Mary Rollins. Les sœurs tiennent des piles de
papier serrées dans leurs bras. Sally leur demande ce qu’elles ont
et elles lui montrent les pages qu’elles ont ramassées du Livre
des commandements.
Sally les leur prend et les met en sécurité sous la pile de broussailles
qui doit lui servir de lit. La nuit tombe et elle ne sait pas ce
que le lendemain réserve à Sion.
CHAPITRE 17 : Même si les émeutiers nous tuent
Lorsque la violence éclate dans les rues d’Independence, William
McLellin s’enfuit de chez lui et se cache dans les bois, terrifié par
les émeutiers. Après avoir détruit l’imprimerie de l’Église, les
habitants du comté de Jackson ont saccagé le magasin de Sidney
Gilbert et chassé de nombreux saints de chez eux. Certains hommes
ont été capturés et fouettés jusqu’au sang.
Espérant échapper à leur sort, William reste caché dans les bois
pendant des jours. Lorsqu’il apprend que les émeutiers offrent une
récompense à quiconque le capturera lui ou d’autres membres éminents de
l’Église, il s’éclipse jusqu’à la colonie de la famille Whitmer, le
long de la Big Blue, à plusieurs kilomètres à l’ouest, et reste à
couvert.
Seul et apeuré, il est assailli par des doutes. Il est arrivé à
Independence convaincu que le Livre de Mormon est la parole de Dieu.
Mais maintenant, sa tête est mise à prix. Que se passerait-il si des
émeutiers le trouvaient ? Pourrait-il rester fidèle à son témoignage du
Livre de Mormon à ce moment-là ? Pourrait-il affirmer sa foi en
l’Évangile rétabli ? Est-il disposé à souffrir ou à mourir pour cela ?
Tandis qu’il ressasse ces questions, il rencontre David Whitmer et
Oliver Cowdery dans les bois. Bien qu’il y ait aussi une récompense
pour la capture d’Oliver, les hommes ont des raisons de croire que
le pire est passé. Les habitants d’Independence sont toujours
décidés à chasser les saints hors du comté mais les attaques ont
cessé et certains membres de l’Église rentrent chez eux.
Cherchant à se rassurer, William se tourne vers ses amis. Il leur dit :
« Je n’ai jamais eu de vision de ma vie mais vous, vous dites que vous
en avez eu. » Il faut qu’il sache la vérité. Il demande : «
Dites-moi, dans la crainte de Dieu, est-ce que le Livre de Mormon est
vrai ? »
Oliver le regarde et dit : « Dieu nous a envoyé son saint ange pour
nous déclarer l’authenticité de sa traduction et donc, nous savons. Et
même si les émeutiers nous tuent, nous mourrons en
déclarant sa véracité. »
David ajoute : « Oliver t’a dit la vérité solennelle. En
toute sincérité, j’atteste de sa véracité. »
William dit : « Je vous crois. »
Le 6 août 1833, avant d’être mis au courant de l’ampleur des actes de
violence au Missouri, Joseph reçoit une révélation au sujet des
persécutions en Sion. Le Seigneur dit aux saints de ne pas craindre. Il
a entendu et enregistré leurs prières et promettait par alliance de
les exaucer. Le Seigneur leur offre cette assurance : « Toutes les
afflictions que vous avez subies concourront à votre bien. »
Trois jours plus tard, Oliver arrive à Kirtland avec un rapport
complet des attaques perpétrées au Missouri. Afin d’apaiser les
émeutiers, Edward Partridge et d’autres dirigeants de l’Église ont
signé un engagement promettant aux habitants d’Independence que les
saints quitteront le comté de Jackson dès le printemps. Aucun d’eux
ne veut abandonner Sion mais le refus de signer l’engagement
ne servirait qu’à mettre les saints en plus grand danger.
Horrifié par tant de violence, Joseph approuve la décision
d’évacuation. Le lendemain, Oliver écrit aux dirigeants de l’Église
du Missouri, leur commandant de chercher un autre endroit à coloniser.
Il conseille : « Faites preuve de sagesse dans votre choix. Recommencer
dans un autre lieu ne fera, en fin de compte, aucun mal à Sion. »
Joseph ajoute à la fin de la lettre : « Si j’étais avec vous, je
prendrais activement part à vos souffrances. Mon esprit ne
m’autoriserait pas à vous abandonner. »
Par la suite, Joseph est bouleversé pendant des jours. La terrible
nouvelle est arrivée pendant qu’il faisait l’objet de critiques
sévères à Kirtland. Cet été-là, un membre de l’Église du nom de Doctor
Philastus Hurlbut a été excommunié pour conduite immorale en
mission. Peu après, Hurlbut a commencé à critiquer Joseph dans des
réunions rassemblant de nombreux participants et à réunir de l’argent
des détracteurs. Avec cet argent, il a l’intention de se rendre à
New York pour collecter des histoires qu’il pourrait utiliser pour
mettre l’Église dans l’embarras.
Cependant, aussi urgents que sont les problèmes en Ohio, Joseph
sait que la situation au Missouri exige toute son attention.
Songeant aux actes de violence, Joseph se rend compte que le Seigneur
n’a ni révoqué son commandement d’édifier Sion à Independence, ni
autorisé les saints à abandonner leurs terres dans le comté de Jackson.
S’ils renonçaient à leurs biens maintenant, ou les vendaient à leurs
ennemis, il serait presque impossible de les récupérer.
Désirant de toutes ses forces recevoir des directives précises pour les
saints du Missouri, Joseph invoque le Seigneur. Il demanda : «
Qu’exiges-tu de plus de leur part avant de venir les sauver ? » Il
attend une réponse mais le Seigneur ne lui donne aucune nouvelle
instruction pour Sion.
Le 18 août, Joseph écrit personnellement à Edward et aux autres
dirigeants au Missouri. Il admet : « Je ne sais pas quoi vous dire. »
Il leur a envoyé un exemplaire de la révélation du 6 août et leur
assure que Dieu les délivrera du danger. Il témoigne : « J’ai son
alliance immuable qu’il en sera ainsi mais il plaît à Dieu de ne pas me
dévoiler comment cela se fera. »
Joseph exhorte les saints à faire, en attendant, confiance aux
promesses que le Seigneur leur a déjà faites. Il leur conseille
d’être patients, de reconstruire l’imprimerie et le magasin et de
trouver des moyens légaux de recouvrer leurs pertes. Il les implore
également de ne pas abandonner la terre promise et leur envoie un plan
plus détaillé de la ville.
Il écrit : « Il est contraire à la volonté du Seigneur qu’un seul
arpent de terre acheté soit donné ou vendu aux ennemis de Dieu. »
La lettre de Joseph parvient à Edward début septembre et l’évêque
convient que les saints ne doivent pas vendre leurs possessions dans le
comté de Jackson. Bien que les chefs des émeutiers aient proféré des
menaces contre eux s’ils cherchaient à être dédommagés de leurs pertes,
Edward recueille les récits des mauvais traitements subis cet été-là
et les envoie au gouverneur du Missouri, Daniel Dunklin.
Le gouverneur Dunklin éprouve personnellement du mépris pour les
saints mais il les encourage à porter plainte. Il leur dit : « Notre
gouvernement repose sur des lois. » Si les tribunaux du comté de
Jackson ne les exécutent pas pacifiquement, ils peuvent l’en
informer et il interviendra. Il leur recommande de faire entretemps
confiance aux lois du pays.
La lettre du gouverneur redonneespoir à Edward et aux saints. Ils
commencent à reconstruire leur communauté et Edward et d’autres
dirigeants de l’Église en Sion embauchent des avocats d’un comté
voisin pour plaider leur cause. Ils prennent la résolution de se
défendre et de défendre leurs biens s’ils sont attaqués.
Les élus à Independence sont furieux. Le 26 octobre, un groupe de
plus de cinquante habitants vote pour les expulser du comté de Jackson
dès qu’ils le pourront.
Cinq jours plus tard, au coucher du soleil, les saints de la colonie
Whitmer apprennent que des hommes armés d’Independence se dirigent
vers eux. Lydia Whiting et son mari, William, s’enfuient de chez eux
avec leur fils de deux ans et leurs jumelles qui viennent de naître
vers une maison où d’autres membres de l’Église se rassemblent pour
se défendre.
À vingt-deux heures, Lydia entend du vacarme dehors. Les hommes
d’Independence sont arrivés et démolissent des cabanes. Ils
s’éparpillent dans tout le campement, jetant des pierres à travers
des fenêtres et enfonçant des portes. Ils grimpent sur des maisons et
arrachent les toits. D’autres chassent des familles hors de chez
elles avec des bâtons.
Lydia entend les émeutiers approcher. Non loin de là, ils enfoncent
la porte de la maison de Peter et Mary Whitmer où de nombreux membres
de l’Église se sont réfugiés. Des cris fusent lorsque les hommes
armés de bâtons forcent l’entrée de la maison. Les femmes se ruent
vers leurs enfants et implorent la miséricorde de leurs attaquants.
Les émeutiers font sortir les hommes, les battent et les
fouettent.
Dans la maison où se cache Lydia, les saints sont paralysés par la
peur et la confusion. Munis de peu d’armes à feu et d’aucun plan de
défense, certaines personnes paniquent et s’enfuient dans les bois
avoisinants. Craignant pour sa famille, Lydia confie ses jumelles à
deux filles blotties à côté d’elle et leur dit de courir se mettre à
l’abri. Elle prendensuite son fils dans les bras et les suit.
Dehors, c’était le chaos. Des femmes et des enfants passent devant
elle en courant pendant que les émeutiers démolissent d’autres
maisons et renversent des cheminées. Des hommes gisent au sol,
violemment battus et en sang. Lydia serre son fils contre sa poitrine
et cout vers les bois, perdant de vue son mari et les filles qui
portent ses bébés.
Lorsqu’elle atteint le couvert des arbres, Lydia ne retrouve que
l’une de ses jumelles. Elle prend le bébé et s’assoit avec son petit
garçon, frissonnant dans la fraîcheur automnale. Depuis leur cachette,
ils peuvent entendre les émeutiers détruire leur maison. Elle passe
une longue nuit sans avoir la moindre idée si son mari a réussi à
s’échapper de la colonie.
Au matin, elle sort prudemment des bois et cherche, parmi les saints hagards de la colonie, son mari et son
bébé disparus. À son grand
soulagement, le bébé est sain et sauf et William n’a pas été
capturé par les émeutiers.
Ailleurs dans la colonie, d’autres familles se retrouvent. L’attaque
n’a fait aucun mort mais près d’une douzaine de maisons ont été
rasées. Le reste de la journée, les saints fouillent les décombres
pour essayer de sauver ce qui reste de leurs biens et prennent soin
des blessés.
Pendant les quatre jours suivants, les dirigeants de Sion disent aux
saints de se rassembler en grands groupes pour se défendre des
attaques. Des émeutiers d’Independence chevauchent dans toute la
campagne, terrorisant les colonies isolées. Les dirigeants de l’Église
supplient un juge local de les stopper mais il les ignore. Les
habitants du comté de Jackson sont déterminés à chasser de chez eux
tous les saints jusqu’au dernier.
Peu après, les émeutiers frappent de nouveau la colonie Whitmer,
cette fois plus violemment. Lorsque Philo Dibble, vingt-sept ans,
entend un coup de feu en direction de la colonie, lui et d’autres
saints des environs se précipitent pour la défendre. Ils trouvent
cinquante hommes armés à cheval, piétinant les champs de maïs et
dispersant les saints effrayés dans les bois.
Apercevant Philo et sa compagnie, les hommes tirent, blessant
mortellement un homme. Les saints ripostent, tuant deux de leurs
attaquants et dispersant le reste. La fumée de leurs armes à poudre
noire remplit l’air.
Tandis que les émeutiers se dispersent, Philo sent une douleur à
l’abdomen. Baissant la tête, il voit que ses vêtements sont déchirés
et ensanglantés. Une bille de plomb et de la chevrotine l’ont
atteint.
Les mains encore crispées sur son fusil et sa poudre, il titube jusqu’à
chez lui. En chemin, il voit des femmes et des enfants blottis dans des
maisons dévastées, se cachant des émeutiers qui menacent de tuer
quiconque se porte au secours des blessés. Faible et assoiffé, il
continue de tituber jusqu’à la maison où sa famille se terre.
Cecelia, sa femme, voit sa blessure et part en courant dans les bois
chercher de l’aide. Elle se perd et ne trouve personne. Lorsqu’elle
revient à la maison, elle dit que la plupart des saints se sont enfuis
en direction de la colonie où habitent les saints de Colesville, à
cinq kilomètres de là.
D’autres sont dispersés dans la campagne, se cachent dans les
champs de maïs ou errent dans la campagne.
Pendant que les saints luttent contre les émeutiers le long de la Big
Blue, Sidney Gilbert se présente devant un juge dans le tribunal
d’Independence en compagnie d’Isaac Morley, John Corrill, William
McLellin et quelques autres saints. Ils ont été arrêtés après qu’un
homme qu’ils ont pris en train de voler dans le magasin de Sidney
les a accusés d’agression et de séquestration quand ils ont
essayé de le faire arrêter.
La salle d’audience est pleine lorsque le juge entend leur cas.
Avec la ville entière qui proteste contre la décision des saints de
défendre leurs droits et leurs biens, Sidney et ses amis ont peu de
raisons d’espérer une audience impartiale.
Le procès ressemble à une
comédie.
Pendant que le juge entend les témoignages, de fausses rumeurs
parviennent à Independence selon lesquelles les saints ont massacré
vingt Missouriens à la Big Blue. La colère et la confusion remplissent
la salle d’audience lorsque les spectateurs crient qu’il faut
lyncher les prisonniers. Refusant de les remettre à la foule, l’un des
greffiers du tribunal ordonne que les hommes soient ramenés en prison
pour être protégés avant que les émeutiers ne puissent les assassiner.
Ce soir-là, une fois le scandale apaisé, William reste en prison
pendant que le shérif et deux adjoints escortent Sidney, Isaac et
John à une réunion avec Edward Partridge. Les dirigeants de l’Église
discutent des options qui s’offrnt à eux. Ils savent qu’ils
doivent quitter rapidement le comté de Jackson mais l’idée de laisser
leurs terres et leurs maisons entre les mains de leurs ennemis leur
répugne. Ils décident finalement qu’il vaut mieux perdre leurs
biens que leur vie. Ils doivent abandonner Sion.
Leur discussion prend fin à deux heures du matin et le shérif les
ramèneen prison. Lorsqu’ils arrivent, une demi-douzaine d’hommes armés
les
attendent.
« Ne tirez pas ! Ne tirez pas ! » s’écrie le shérif en voyant les
émeutiers.
Ces derniers mettent les prisonniers en joue et John et Isaac
s’enfuient. Certains tirent sur eux et les manquent. Sidney tient
bon lorsque deux hommes s’approchent de lui et pointent leur arme
sur sa poitrine. Maintenant sa position, Sidney entend les chiens des fusils
claquer et voit un éclair de poudre.
Surpris, il examine son corps pour voir où il est blessé mais ne
trouve rien. L’un des pistolets s’est cassé et l’autre s’est enrayé. Le
shérif et ses adjoints se dépêchent de le ramener dans la
sécurité de la cellule.
Une grande partie du comté de Jackson se mobilise pour la bataille.
Des messagers battent la campagne pour enrôler des hommes armés afin
de chasser les saints de la région. Pendant ce temps, un membre de
l’Église nommé Lyman Wight conduit une compagnie de cent saints,
certains armés de pistolets et d’autres de bâtons, en direction
d’Independence pour secourir les prisonniers.
Pour éviter d’autres effusions de sang, Edward commence à préparer les
saints à quitter le comté. Le shérif libère les prisonniers et Lyman
disperse sa compagnie. La milice du comté est sollicitée pour maintenir
l’ordre pendant que les saints quittent leurs maisons mais comme la
plupart des miliciens ont participé aux attaques des colonies, ils
ne font pas grand-chose pour empêcher la violence.
Il ne reste pas d’autre solution aux saints que celle de s’enfuir.
Le 6 novembre, William Phelps écrit aux dirigeants de l’Église à
Kirtland. Il leur dit : « C’est horrible. Les hommes, les femmes et les
enfants sont en train de s’enfuir ou de se préparer à s’enfuir dans
toutes les directions. »
La plupart des saints marchent péniblement en direction du nord,
traversant en bateau le Missouri glacé, vers le comté voisin de Clay où
les familles éparpillées se retrouvent. Le vent et la pluie font
rage et bientôt la neige se met à tomber. Une fois que les saints
ont traversé le fleuve, Edward et les autres dirigeants montent
des tentes et construisent des abris sommaires pour les protéger des
éléments.
Trop blessé pour fuir, Philo Dibble dépérit chez lui, près de la
colonie Whitmer. Un médecin lui dit qu’il va mourir mais il
s’accroche à la vie. Avant de partir en direction du nord, David
Whitmer lui envoie un message disant qu’il lui promet qu’il
vivra. Newel Knight vient ensuite, s’assoit à côté de son lit et place
en silence sa main sur sa tête.
Philo sent l’Esprit du Seigneur reposer sur lui. Lorsque cette
sensation s'est répandue dans tout son corps, il sait qu’il sera guéri. Il se lève et du sang et des bouts de tissu déchiquetés
s’écoulent de ses blessures. Puis il s’habille et sort pour la
première fois depuis la bataille. Il voit au-dessus de sa tête un nombre
incalculable d’étoiles filantes dans le ciel nocturne.
Dans le camp le long du Missouri, les saints sortent de leurs tentes
et de leurs masures pour voir la pluie de météores. Edward et sa fille
Emily regardent avec délice les étoiles qui semblent tomber en
cascade autour d’eux comme une grosse pluie d’été. Pour Emily, c’est
comme si Dieu avait envoyé les lumières réjouir les saints dans leurs
afflictions.
Son père croit qu’elles sont des signes de la présence de Dieu,
une raison de se réjouir au milieu de tant de tribulations.
À Kirtland, un coup à la porte réveilla le prophète. Il entend une
voix dire : « Frère Joseph, levez-vous et venez voir les signes dans le
ciel. »
Joseph se lève, regarde dehors et voit les météores tomber du ciel comme
de la grêle. « Combien tes œuvres sont merveilleuses, ô Seigneur ! »
s’exclama-t-il en se souvenant des prophéties du Nouveau Testament au
sujet d’étoiles tombant des cieux avant la Seconde Venue, lorsque le
Seigneur reviendra et régnera pendant mille ans dans la paix.
Il fait ensuite cette prière : « Je te remercie pour ta miséricorde
envers moi, ton serviteur. Ô Seigneur, sauve-moi dans ton royaume. »
CHAPITRE 18 : Le camp d’Israël
Pendant des jours après la pluie d’étoiles filantes, Joseph attend
que quelque chose de miraculeux se produise. Mais la vie reprend son
cours habituel et aucun autre signe ne se manifeste dans les cieux. Il
confie dans son journal : « Mon cœur est quelque peu attristé. » Plus
de trois mois se sont écoulés depuis la dernière révélation du
Seigneur adressée aux saints en Sion et Joseph ne sait toujours pas
comment les aider. Les cieux semblent fermés.
À son désarroi s’ajoute le retour de
Palmyra et Manchester de Philastus Hurlbut avec des histoires, certaines fausses, d’autres
exagérées, au sujet des jeunes années de Joseph. Pendant que ces récits
circulent à Kirtland, Hurlbut jure également qu’il se lavera les
mains dans le sang du prophète. Celui-ci se met à avoir recours à des
gardes du corps.
Le 25 novembre 1833, un peu plus d’une semaine après la pluie d’étoiles
filantes, Orson Hyde arrive à Kirtland et rapporte l’expulsion des
saints du comté de Jackson. La nouvelle est consternante. Joseph ne
comprend pas pourquoi Dieu a laissé les saints souffrir et perdre
la terre promise. Il n’arrive pas non plus à présager l’avenir de
Sion. Il prie pour être guidé mais le Seigneur lui dit simplement de
rester calme et de lui faire confiance.
Joseph écrit immédiatement à Edward Partridge. Il témoigne : « Je sais
que Sion, au moment où le Seigneur le jugera opportun, sera rachetée,
mais combien de jours durera sa purification, ses tribulations et ses
afflictions, le Seigneur me le cache. »
N’ayant pas grand-chose d’autre à proposer, Joseph essaie de
réconforter ses amis au Missouri, en dépit des mille trois cents
kilomètres qui les séparent. Il écrit : « Lorsque nous avons appris
vos souffrances, cela a éveillé toute la compassion de notre cœur. Que
Dieu accorde qu’en dépit de vos grandes afflictions et tourments, rien
ne nous sépare de l’amour du Christ. »
Joseph continue de prier et, en décembre, il reçoit enfin une révélation
à l’attention des saints en Sion. Le Seigneur déclare qu’ils ont
été affligés à cause de leurs péchés mais qu’il a compassion d’eux
et promet qu’ils ne seront pas abandonnés. Il explique à Joseph :
« Il faut qu’ils soient châtiés et mis à l’épreuve comme Abraham…
car tous ceux qui ne supportent pas le châtiment, mais me renient, ne
peuvent être sanctifiés. »
Comme il l’a fait précédemment, le Seigneur commande aux saints
d’acheter des terres en Sion et de trouver des moyens légaux et
pacifiques de récupérer ce qu’ils ont perdu. Il déclare : « Sion ne
sera pas enlevée de sa place… Ceux qui restent et ont le cœur pur
retourneront et viendront à leur héritage. »
Tout en incitant à des négociations pacifiques avec les habitants
d’Independence, la révélation du Seigneur indique aussi que Sion
peut être reconquise par le pouvoir. Il raconte une parabole au
sujet d’une vigne qui a été prise à des serviteurs paresseux et
détruite par un ennemi. Lorsque le seigneur de la vigne a vu la
destruction, il a réprimandé les serviteurs pour leur négligence et
les a poussés à agir.
Il a commandé à l’un d’eux : « Va rassembler le reste de mes
serviteurs et prends toute la force de ma maison… et allez
directement dans la terre de ma vigne et rachetez ma vigne. » Le
Seigneur n’interpréte pas la parabole mais il dit aux saints qu’elle
reflète sa volonté quant à la rédemption de Sion.
Deux mois plus tard, Parley P. Pratt et Lyman Wight arrivent à Kirtland
avec d’autres nouvelles du Missouri. Des gens amicaux habitant de
l’autre côté du fleuve, en face du comté de Jackson, ont donné de
la nourriture et des vêtements aux saints en échange de travail mais
ces derniers sont toujours dispersés et découragés. Ils veulent savoir quand et comment Sion sera sauvée de ses ennemis.
En entendant le compte-rendu, Joseph se lève de sa chaise et annonce
qu’il y part. Pendant six mois, il a envoyé des paroles
encourageantes et pleines d’espoir aux saints de là-bas pendant qu’il
affrontait d’autres difficultés à Kirtland. Maintenant, il veut faire
quelque chose pour eux ; et il veut savoir qui se joindra à lui.
En avril 1834, au cours d’une réunion dans une petite branche de New
York, Wilford Woodruff, vingt-sept ans, entend Parley P. Pratt relater
la toute dernière révélation du Seigneur à Joseph Smith. Elle appelle
les saints à rassembler cinq cents hommes pour marcher avec le prophète
jusqu’au Missouri. Le Seigneur déclare : « Il faut que la rédemption de
Sion vienne par le pouvoir. Que nul ne craigne de donner sa vie à cause
de moi. »
Parley invite les jeunes hommes et ceux d’âge moyen de la branche à se
rendre en Sion. Il est attendu de tous ceux dont on peut se passer
qu’ils y aillent.
À la fin de la réunion, Wilford se présente à Parley. Wilford et son frère aîné
Azmon se sont joints à l’Église trois mois plus tôt et ils
sont tous deux instructeurs dans la Prêtrise d’Aaron. Wilford dit
qu’il est disposé à se rendre en Sion mais qu’il a des factures à
régler et des sommes à percevoir avant de pouvoir partir. Parley lui
dit qu’il est de son devoir de mettre de l’ordre dans ses finances et
de se joindre à l’expédition.
Ensuite, Wilford en parle à Azmon. Bien que le Seigneur ait fait appel
à tous les hommes valides de l’Église, Azmon décide de rester,
réticent à l’idée de quitter son foyer, sa famille et sa ferme. Wilford
par contre est célibataire et désireux d’aller en Sion avec le
prophète.
Il arrive à Kirtland quelques semaines plus tard et rencontre Brigham
Young et Heber C. Kimball qui ont récemment emménagé en Ohio avec leur
famille. Heber exerce la profession de potier et sa femme, Vilate, et
lui, ont deux enfants. Brigham est charpentier et a deux filles. Il vient juste d’épouser Mary Ann Angell, une
convertie, après le décès de sa première femme, Miriam. Les deux hommes
sont disposés à se joindre à l’expédition en dépit des sacrifices
que leur famille aura à faire.
Les cousins de Mary Ann, Joseph et Chandler Holbrook sont aussi du
voyage, avec leurs femmes, Nancy et Eunice, et leurs jeunes enfants.
Nancy et Eunice ont l’intention d’aider les quelques autres femmes
du camp à cuisiner, à laver le linge et à soigner les malades et les
blessés le long du chemin vers le Missouri.
Les femmes qui restent à la maison trouvent d’autres manières de
soutenir le projet. Juste avant de partir pour Sion, Joseph dit : « Je
veux de l’argent pour aider à équiper Sion et je sais que je l’aurai. »
Le lendemain, il reçoit cent cinquante dollars de la part de sœur Vose
de Boston.
Wilford et une poignée de saints partent pour Sion le 1er mai.
Joseph, Brigham, Heber et les Holbrook, ainsi qu’une centaine d’autres
volontaires, quittent Kirtland quelques jours plus tard et
rattrapent Wilford en chemin.
Une fois réunie, la force n’est qu’une petite fraction des cinq cents
que le Seigneur a exigés. Mais ils partent de bonne humeur en
direction de l’ouest, résolus à assurer l’accomplissement de la parole
du Seigneur.
Joseph fond de grands espoirs sur sa petite troupe qu’il appelle le
camp d’Israël. Bien qu’ils soient armés et disposés à se battre, comme
l’ont été les Israélites d’autrefois pour le pays de Canaan, Joseph
veut résoudre le conflit pacifiquement. Des représentants du
gouvernement du Missouri ont dit aux dirigeants de l’Église de
là-bas que le gouverneur Dunklin est prêt à envoyer la milice de
l’État raccompagner les saints sur leurs terres perdues. Il ne peut
cependant pas promettre d’empêcher des émeutiers de les chasser de
nouveau.
Joseph a l’intention de solliciter l’aide du gouverneur une fois
que le camp d’Israël sera arrivé au Missouri et de collaborer ensuite
avec la milice pour ramener les saints dans le comté de Jackson. Le
camp restera en Sion pendant une année pour les protéger contre leurs
ennemis.
Afin de s’assurer que les besoins de chacun sont pourvus, les
membres du camp réunissent leurs fonds. Sur le modèle de l’Ancien
Testament, Joseph a organisé les hommes en compagnies, chacune
élisant un capitaine.
Tandis que le camp d’Israël avance vers l’ouest, Joseph a des
appréhensions à pénétrer en territoire ennemi avec sa petite troupe.
Son frère Hyrum et Lyman Wight ont recruté d’autres hommes parmi
les branches de l’Église au nord-ouest de Kirtland mais ils n’ont
pas encore rejoint le camp d’Israël et Joseph ne sait pas où ils se
trouvent. Ce qui l’inquiète aussi, c’est que des espions
surveillent les mouvements du camp et en dénombrent les effectifs.
Le 4 juin, après avoir marché pendant un mois, ils atteignent le
Mississippi. Joseph est fatigué et courbaturé par le voyage mais il
se sent prêt à faire face aux difficultés qui l’attendent. Il
apprend que des rapports et des rumeurs sur les mouvements du camp
sont déjà arrivés au Missouri et que des centaines de colons se
préparent à la bataille. Il se demande si les saints sont suffisamment forts pour les affronter.
Assis sur les berges du fleuve, il écrit à Emma : « Le camp est en
aussi bon état qu’on pourrait s’y attendre mais notre nombre et nos
moyens sont trop petits. »
Le lendemain, le camp d’Israël se prépare à traverser le fleuve pour
atteindre le Missouri sous une chaleur humide et étouffante. Le
Mississipi mesure près de deux kilomètres de large et le camp ne
dispose que d’un seul bateau pour le traverser. Pendant qu’ils
attendent, certains membres du camp chassent et pêchent tandis
que d’autres s’ennuient et cherchent de l’ombre pour échapper au
soleil estival.
Il faut deux journées pénibles pour que le camp traverse le fleuve. À
la fin de la deuxième journée, les hommes sont fatigués et tendus.
Maintenant qu’ils sont arrivés au Missouri, nombre d’entre eux
craignent des attaques surprise. Ce soir-là, le chien de garde de
Joseph surprend tout le monde en se mettant à aboyer après la dernière
compagnie qui arrive au camp.
Sylvester Smith, leur capitaine, menace de le tuer s’il n’arrête pas.
Joseph calme l’animal mais Sylvester et sa compagnie s’en plaignent
encore le lendemain matin.
Entendant leurs lamentations, Joseph réunit les membres du camp. Il
annonce : « Je vais m’abaisser au niveau de l’esprit qui est dans le
camp car je veux l’en chasser. » Il commence à imiter le comportement
que Sylvester a eu la veille, répétant les menaces qu’il a
proférées contre le chien. Il dit : « Cet esprit entretient la division
et les effusions de sang dans le monde entier. »
Cela ne fait pas rire Sylvester, qui n’a aucun lien de parenté avec
Joseph. Il dit : « Si ce chien me mord, je le tue. »
Joseph répond : « Si tu tues ce chien, je te fouette. »
Sylvester dit : « Si tu le fais, je me défendrai ! »
Le camp regarde les deux hommes se dévisager. Jusque-là, aucune bagarre
n’a éclaté entre eux mais ils sont tous à bout de nerfs après
ces semaines de marche.
Joseph finit par se détourner de Sylvester et demande aux saints s’ils
ont aussi honte que lui du sentiment qui habite le camp. Il dit
qu’ils se conduisent comme des chiens et non comme des hommes. Il dit
: « Les hommes ne devraient jamais se mettre au niveau des bêtes. Ils
devraient être au-dessus. »
Après cet incident, l’humeur du camp s’apaise et la petite troupe
s’enfonce dans le Missouri. Nancy et Eunice Holbrook demeurent
occupées par leurs tâches quotidiennes mais elles se rendent compte
que chaque pas en direction du comté de Jackson les met en plus
grand danger.
Peu après la traversée du Mississipi, Hyrum Smith et Lyman Wight
arrivent avec leurs recrues, ajoutant plus de deux cents volontaires
au nombre des membres du camp. Leurs dirigeants craignent quand même
une attaque et Joseph dit aux hommes qui sont accompagnés de leur
famille de chercher un refuge pour leur femme et leurs enfants.
Plusieurs femmes du camp objectent à l’idée de rester en arrière et
au moment où les hommes s’apprêtent à partir, Joseph réunit tout le
monde. Il dit : « Si les sœurs sont disposées à subir un siège avec le
camp, elles peuvent toutes continuer de l’accompagner. »
Nancy, Eunice et les autres femmes disent qu’elles y sont disposées,
heureuses que Joseph leur permette de choisir de poursuivre le voyage.
Plusieurs jours plus tard, Parley P. Pratt et Orson Hyde arrivent au
camp avec une fâcheuse nouvelle : le gouverneur Dunklin a refusé
aux saints le soutien de la milice. Les hommes savent que sans l’aide
du gouverneur, ils ne pourront pas aider les saints du Missouri à
retourner pacifiquement sur leurs terres en Sion. Joseph et ses
capitaines décident de poursuivre leur route. Ils espèrent
rejoindre les saints exilés dans le comté de Clay, au nord du fleuve,
et les aider à négocier un compromis avec les habitants du comté de
Jackson.
Le camp d’Israël coupe à travers les prairies du centre du Missouri. À
environ une journée de voyage de leur destination, une femme noire,
sans doute une esclave, les interpelle nerveusement. Elle dit : « Il y
a un groupe d’hommes ici qui compte vous tuer ce matin, lorsque vous
traverserez. »
Le camp continue d’avancer prudemment. Ralentis par des problèmes de
chariots, ils sont forcés de s’arrêter pour la nuit sur une colline
qui surplombe une bifurcation de la Fishing River. Ils sont encore
à une quinzaine de kilomètres des saints exilés. Pendant qu’ils
plantent leurs tentes, ils entendent un martèlement de sabots et
voient cinq hommes arriver à cheval dans le camp. Les étrangers
brandissent leurs armes et fanfaronnent que plus de trois cents hommes
sont en chemin pour décimer les saints.
L’inquiétude se propage dans le camp d’Israël. Sachant qu’ils sont
moins nombreux, Joseph poste des gardes autour du secteur, certain
qu’une attaque est imminente. Un homme le supplie de devancer
l’attaque des émeutiers.
Joseph dit : « Non. Tenez-vous là et voyez le salut de Dieu. »
Au-dessus d’eux les nuages semblaient lourds et noirs. Vingt minutes
plus tard, une pluie torrentielle déferle sur le camp, chassant les
hommes qui se ruent hors de leurs tentes en quête d’un meilleur abri.
Les berges de la Fishing River disparaissent sous la montée déferlante
des eaux. Le vent fouette le camp, déracinant des arbres et arrachant
des tentes. Des éclairs éblouissants zèbrent le ciel.
Wilford Woodruff et d’autres dans le camp trouvent une petite église
dans les environs et se blottissent à l’intérieur pendant que la grêle
martèle le toit. Au bout d’un moment, Joseph entre précipitamment
dans l’église, épongeant l’eau de son chapeau et de ses vêtements. Il
s’exclame : « Les gars, tout ceci n’est pas anodin. C’est Dieu qui est
dans cet orage ! »
Incapables de trouver le sommeil, les saints s’allongent sur les
bancs et chantent des cantiques pendant toute la nuit. Le matin, ils
retrouvent leurs tentes et leurs affaires trempées et éparpillées
dans tout le camp mais rien n’est irréparable et aucune attaque
n’a eu lieu.
La rivière est encore en crue et empêche leurs ennemis de parvenir
jusqu’à eux depuis l’autre berge.
Pendant les jours qui suivent, le camp d’Israël prend contact avec les
saints au comté de Clay pendant que Joseph rencontre des élus des
comtés voisins pour expliquer l’objectif de leur expédition et plaider
en faveur des saints en Sion. Joseph leur dit : « Nous sommes désireux
de résoudre les difficultés qui existent entre nous. Nous voulons vivre
en paix avec tout le monde et tout ce que nous exigeons, ce sont des
droits égaux. »
Les élus acceptent d’aider à apaiser la colère de leurs concitoyens
mais avertissent le camp qu’il ne deva pas aller au comté de Jackson.
Si les saints essaient d’entrer à Independence, une bataille
sanglante éclatera.
Le lendemain, 22 juin, lors d’un conseil de dirigeants de l’Église,
Joseph reçoit une révélation pour le camp d’Israël. Le Seigneur
accepte les sacrifices consentis par ses membres mais réoriente
leurs efforts vers l’obtention d’un pouvoir divin. Il déclare : « Sion
ne peut être édifiée que sur les principes de la loi du royaume
céleste. »
Le Seigneur dit aux saints qu’ils devront attendre pour racheter Sion
de s’être préparés par l’étude et l’expérience à faire la volonté de
Dieu. Il explique : « Et cela ne pourra se réaliser que lorsque mes
anciens seront dotés de pouvoir d’en haut. » Cette dotation doit se
faire dans la maison du Seigneur, le temple de Kirtland.
Le Seigneur est néanmoins satisfait des membres du Camp d’Israël. Il
dit : « J’ai entendu leurs prières et j’accepterai leur offrande ; et
il m’est opportun qu’ils soient amenés jusqu’ici pour que leur foi soit
mise à l’épreuve. »
En entendant la révélation, certains membres du camp l’acceptent
comme étant la parole du Seigneur. D’autres protestent, trouvant que
cela les prive de l’occasion d’en faire plus pour les saints du
Missouri. D’autres sont en colère et honteux de devoir rentrer chez eux sans s’être battus.
Le camp est démantelé peu après et le peu d’argent restant est
redistribué entre ses membres. Certaines personnes du camp ont
l’intention de rester au Missouri pour travailler et aider les saints à
recommencer alors que Brigham, Heber et d’autres se préparent à
retourner auprès de leurs familles, à achever le temple et à être dotés
de pouvoir.
Bien que le camp n’ait pas racheté Sion, Wilford Woodruff est
reconnaissant de la connaissance acquise au cours de l’expédition. Il
a parcouru près de mille six cents kilomètres en compagnie du
prophète et l’a vu révéler la parole de Dieu. L’expérience lui
donne envie de prêcher l’Évangile.
Wilford ne sait pas encore si la prédication fait partie de son
avenir mais il décide de rester au Missouri et de faire tout ce que le
Seigneur exigera de lui.
CHAPITRE 19 : Intendants dans ce ministère
Au moment du démantèlement du camp d’Israël, une épidémie de choléra
dévastatrice frappe ses rangs. Des saints qui sont en bonne santé
quelques heures plus tôt s’effondrent, incapables de bouger. Ils
ont des vomissements à répétition, et sont en proie à de
violentes douleurs d’estomac. Les plaintes des malades emplissent le
camp et de nombreux hommes sont trop faibles pour monter la garde.
Nancy Holbrook est l’une des premières personnes atteintes. Sa
belle-sœur, Eunice, la rejoint rapidement, accablée d’atroces crampes
musculaires. Wilford Woodruff passe la plus grande partie de la nuit et
de la journée du lendemain à soigner un homme de sa compagnie. Joseph
et les anciens du camp donnent des bénédictions mais peu après, ils
sont nombreux à être frappés à leur tour. Au bout de quelques jours,
Joseph tombe malade et dépérit dans sa tente, se demandant s’il
survivra.
Lorsque des personnes commencent à mourir, Heber Kimball, Brigham
Young et d’autres enveloppent les corps dans des couvertures et les
enterrent le long d’un ruisseau voisin.
L’épidémie suit son cours pendant plusieurs jours et se dissipe début
juillet. Entre-temps, plus de soixante saints sont tombés malades.
Joseph se rétablit ; Nancy, Eunice et la plupart des membres du camp
aussi, mais plus d’une douzaine de saints meurent, notamment Sidney
Gilbert et Betsy Parrish, l’une des rares femmes du camp. Joseph pleure
pour les victimes et leur famille. La dernière personne à s’éteindre
est Jesse Smith, son cousin.
Ayant lui-même frôlé la mort, Joseph se souvient de la facilité avec
laquelle sa vie peut lui être ôtée. À vingt-huit ans, il craint
de plus en plus de ne pas venir à bout de sa mission divine. S’il
mourait maintenant, qu’adviendrait-il de l’Église ? Est-elle assez
forte pour lui survivre ?
Suivant les indications du Seigneur, Joseph a déjà apporté des
changements dans la direction de l’Église afin de répartir le
fardeau administratif. À cette époque-là, Sidney Rigdon et Frederick
Williams servent à ses côtés dans la présidence de l’Église. Il a
aussi désigné Kirtland comme pieu de Sion, ou lieu officiel de
rassemblement des saints.
Plus récemment, après avoir eu une vision de la manière dont Pierre
avait autrefois organisé l’Église du Seigneur, Joseph a institué un
grand conseil composé de douze grands prêtres à Kirtland pour l’aider à
gouverner le pieu et le diriger en son absence.
Peu après la fin de l’épidémie de choléra, Joseph poursuit
l’organisation de l’Église. En juillet 1834, en réunion avec les
dirigeants au comté de Clay, il forme un grand conseil au Missouri et
nomme David Whitmer pour présider l’Église là-bas avec l’aide de deux
conseillers, William Phelps et John Whitmer. Il prend ensuite la route
pour Kirtland, impatient de terminer le temple et d’obtenir la dotation
de pouvoir qui permettra aux saints de racheter Sion.
Il sait que d’importants problèmes l’attendent. Lorsqu’il a
quitté Kirtland ce printemps-là, les murs de grès du temple avaient un
mètre vingt de haut et l’arrivée de plusieurs ouvriers qualifiés lui
avait permis d’espérer que les saints mèneraient à bien les plans du
Seigneur pour sa maison. Mais les pertes dans et autour d’Independence
(l’imprimerie, le magasin et de nombreux hectares de terres) les
ont affaiblis financièrement. Joseph, Sidney et d’autres dirigeants
de l’Église se sont lourdement endettés afin d’acheter le terrain du
temple de Kirtland et de financer le camp d’Israël.
Avec les entreprises de l’Église peu ou pas opérationnelles et aucun
moyen fiable de collecter les dons des saints, l’Église ne peut pas
financer le temple. Si Joseph et les autres dirigeants prennent du
retard dans leurs remboursements, l’édifice sacré risque de tomber
entre les mains des créanciers. Et s’ils perdent le temple, comment
pourront-ils recevoir la dotation de pouvoir et racheter Sion ?
De retour à Kirtland, Sidney Rigdon est aussi anxieux que Joseph de
voir le temple achevé. Il dit aux saints : « Nous devons déployer tous
les efforts nécessaires pour réaliser ce bâtiment dans le temps
imparti. Le salut de l’Église en dépend, ainsi que celui du monde. »
Sidney a surveillé les progrès du chantier pendant que Joseph était
au Missouri. À cours de jeunes hommes, Artemus Millet, le maître
d’œuvre, a enrôlé des hommes plus âgés ainsi que des femmes et des
enfants pour travailler sur le bâtiment. De nombreuses femmes font
des travaux habituellement réservés aux hommes, aidant les maçons et
conduisant les attelages entre la carrière et le chantier pour apporter
des pierres pour le temple. Lorsque Joseph et le camp d’Israël
rentrent à Kirtland, les murs mesurent un mètre de plus.
Le retour du camp stimule la construction pendant l’été et l’automne
1834. Jour après jour, les saints extraient des pierres, les
apportent sur le chantier et élèvent les murs du temple. Joseph
travaille côte à côte avec les ouvriers lorsqu’ils taillnt les
blocs de pierre d’un ruisseau voisin. Certains besognent dans la
scierie de l’Église pour préparer le bois pour les poutres, les
plafonds et les planchers. D’autres aident à le hisser, ainsi que les
pierres, en haut des échafaudages, là où on en a besoin.
Pendant ce temps, Emma et les autres femmes confectionnent des
vêtements pour les ouvriers et les approvisionnent en nourriture.
Vilate Kimball, la femme d’Heber, file quarante-cinq kilos de laine
qu’elle tisse pour en faire de l’étoffe et confectionner des vêtements
pour les travailleurs, ne se réservant pas même une paire de
chaussettes pour son usage personnel.
L’enthousiasme des saints pour achever le temple encourage Sidney
mais les dettes de l’Église augmentent quotidiennement et, ayant
apposé sa signature sur la plupart des emprunts les plus lourds, il
sait qu’il sera ruiné financièrement si l’Église ne parvient pas à
les rembourser. En voyant la pauvreté des saints et les sacrifices
qu’ils consentent pour achever le temple, il craint également
qu’ils n’aient jamais les moyens ni la détermination nécessaires pour
en venir à bout.
Accablé d’inquiétude, il grimpe parfois sur les murs du temple et
supplie Dieu d’envoyer aux saints les fonds nécessaires pour terminer
les travaux. Pendant qu’il prie, des larmes coulent de ses yeux sur
les pierres à ses pieds.
À huit cents kilomètres au nord-est de Kirtland, Caroline Tippets,
vingt et un ans, range soigneusement une grosse somme d’argent parmi
les vêtements et autres affaires qu’elle emporte de New York au
Missouri. Son frère cadet et elle déménagent dans l’ouest, espérant
s’installer non loin du comté de Jackson. Ils ont entendu parler
des persécutions que les saints subissent là-bas mais ils veulent
obéir au commandement du Seigneur de se rassembler au Missouri et
d’acheter des terres en Sion avant que les ennemis de l’Église ne s’en
soient emparés.
Le commandement fait partie de la révélation que Joseph a reçue
après avoir été informé de l’expulsion des saints de Sion. On y lit
: « Achete… toutes les terres qui peuvent être achetées au comté
de Jackson et dans les comtés alentour. » Les fonds doivent être issus
de dons. Le Seigneur commande : « Que toutes les Églises rassemblent
tout leur argent… et que des hommes honorables, oui, des hommes
sages, soient désignés, et envoyez-les acheter ces terres. »
Lorsque les dirigeants de la branche de Caroline sont mis au courant
de la révélation, ils demandent au petit groupe de saints de jeûner
et de prier afin que le Seigneur les aide à réunir des fonds pour
acheter des terres au Missouri. Certains membres de la branche font
des dons importants en espèces et en biens. D’autres donnent quelques
dollars.
Caroline dispose d’environ deux cent cinquante dollars qu’elle
peut ajouter. C’est une somme supérieure à toutes celles que les
autres membres de la branche ont offertes et probablement
supérieure à ce que quiconque attend d’elle, mais elle sait que
cela aidera les saints à racheter la terre promise. Lorsqu’elle
ajoute sa contribution aux fonds, le total des dons est de huit cent
cinquante dollars, une somme d’argent considérable.
Après la réunion, Harrison et son cousin John sont choisis pour se
rendre au Missouri et acheter des terres. Caroline décide de les
accompagner afin de veiller sur sa contribution. John met de l’ordre
dans ses affaires et les membres de leur famille leur préparent un
attelage et un chariot. Les trois jeunes gens sont
alors prêts à prendre la route du Missouri.
Caroline est impatiente de commencer une nouvelle vie dans l’Ouest
lorsqu’elle grimpe dans le chariot. Comme les Tippets ont prévu de
s’arrêter à Kirtland en chemin, les dirigeants de leur branche leur
remettent une lettre de recommandation adressée au prophète expliquant
la provenance de l’argent et ce qu’ils ont l’intention d’en faire.
Tout au long de l’automne 1834, Joseph et les autres dirigeants de
l’Église prennent de plus en plus de retard dans leurs remboursements du
crédit pour le terrain du temple et les intérêts continuent de
s’accumuler. Certains ouvriers offrent de travailler gratuitement,
allégeant quelque peu le fardeau financier de l’Église. Lorsque des
familles ont un surplus d’argent liquide ou de biens, elles
l’offrent parfois à l’Église pour le projet du temple.
D’autres personnes, dans et hors de l’Église, consentent des crédits,
prêtant de l’argent pour permettre l’avancée des travaux. Les dons et
les emprunts financent les matériaux et donnent du travail à des
personnes qui autrement seraient sans emploi.
Ces efforts permettent aux murs du temple de continuer de s’élever et,
les derniers mois de l’année, ils sont suffisamment hauts pour
permettre aux artisans de commencer à poser les poutres qui
soutiendront l’étage supérieur. Mais l’argent est toujours rare et
les dirigeants de l’Église prient sans cesse pour en recevoir.
Début décembre, la famille Tippets arrive à Kirtland et Harrison et
John remettent la lettre de leur branche au grand conseil. L’hiver
approchant, ils demandent au conseil s’ils doivent poursuivre leur
route jusqu’au Missouri ou passer la saison à Kirtland. Après
discussion, le grand conseil recommande à la famille de rester en Ohio
jusqu’au printemps.
Ayant désespérément besoin d’argent, le conseil demande également aux
jeunes gens d’en prêter à l’Église, promettant de rembourser la somme
avant leur départ au printemps. Harrison et John acceptent de prêter
à l’Église une partie des huit cent cinquante dollars provenant de leur
branche. Comme une partie conséquente de la somme appartient à
Caroline, le conseil la convoque à la réunion et explique les termes de
l’accord, qu’elle accepte de bon cœur.
Le lendemain, Joseph et Oliver se réjouissent en remerciant le Seigneur
du soulagement financier que les Tippets ont apporté.
Cet hiver-là, l’Église reçoit d’autres prêts et dons mais Joseph sait
qu’ils ne suffiront pas pour couvrir le coût de plus en plus élevé du
temple. Cependant, Caroline Tippets et sa famille ont prouvé que de
nombreux saints dans les branches reculées de l’Église veulent faire
leur part dans l’œuvre du Seigneur. À l’aube de la nouvelle année,
Joseph se rend compte qu’il doit trouver un moyen d’affermir ces
branches et de solliciter leur aide pour achever le temple afin que les
saints puissent être dotés de pouvoir.
La solution se trouve dans une révélation que Joseph a reçue
plusieurs années auparavant qui commande à Oliver Cowdery et à David
Whitmer de rechercher douze apôtres pour prêcher l’Évangile au monde.
Comme les apôtres du Nouveau Testament, ces hommes doivent être des
témoins spéciaux du Christ, baptiser en son nom et rassembler les
convertis en Sion et dans ses branches.
En tant que collège, les douze apôtres doivent former un grand conseil
voyageur et servir dans les régions qui ne sont pas sous la
juridiction des grands conseils d’Ohio et du Missouri. Dans ce rôle,
ils peuvent diriger l’œuvre missionnaire, superviser des branches et
collecter des fonds pour Sion et le temple.
Un dimanche du début du mois de février, Joseph invite Brigham et
Joseph Young chez lui. Il dit aux frères : « Je désire que vous disiez
à tous les frères qui habitent dans les branches, à une distance
raisonnable de cet endroit, de se réunir pour une conférence générale,
samedi prochain. » Lors de cette conférence, il explique que douze
hommes seront désignés pour faire partie du nouveau collège.
Joseph dit à Brigham : « Et toi, tu seras l’un d’eux. »
La semaine suivante, le 14 février 1835, les saints de Kirtland se
réunissent pour la conférence. Oliver,
David et leur collègue et témoin du Livre de Mormon, Martin Harris,
sous la direction de Joseph, annoncent le nom des membres du Collège des douze apôtres. Chacun des
hommes appelés a fait une mission de prosélytisme et huit d’entre
eux ont participé à l’expédition du camp d’Israël.
Thomas Marsh et David Patten, tous deux dans la trentaine, sont les
plus âgés des Douze. Thomas est l’un des plus anciens convertis,
ayant acquis un témoignage du Livre de Mormon alors que les premiers
exemplaires étaient encore en cours d’impression. David a fait une
mission après l’autre pendant les trois années depuis sa conversion.
Comme Joseph l’a déclaré une semaine plus tôt, Brigham est aussi
appelé au Collège. Heber Kimball, son meilleur ami, l'est également.
Les deux hommes ont servi fidèlement en qualité de capitaines dans
le camp d’Israël. Maintenant, Brigham va de nouveau abandonner son
établi de menuisier et Heber son tour de potier afin de partir en
mission pour le Seigneur.
Comme les apôtres du Nouveau Testament, Pierre et André, et Jacques et
Jean, deux fratries sont appelées aux Douze : Parley et Orson Pratt
ont propagé l’Évangile d’est en ouest et doivent maintenant se
consacrer au service des branches de l’Église partout. Luke et Lyman
Johnson ont prêché du sud au nord et doivent repartir, maintenant
investis de l’autorité apostolique.
Le Seigneur choisit des personnes instruites et d’autres qui ne
le sont pas. Orson Hyde et William McLellin ont enseigné à
l’école des prophètes et apportent leur intelligence vive au Collège.
Bien que n’ayant que vingt-trois ans, John Boynton a rencontré un
grand succès en tant que missionnaire et est le seul des apôtres à
être allé à l’université. William, le jeune frère de Joseph, n’a
pas eu la même chance de faire des études mais c’est un orateur
passionné, intrépide face à l’adversité et prompt à défendre les
nécessiteux.
Après avoir appelé les apôtres, Oliver leur confie une responsabilité
particulière. Il leur dit : « Ne vous relâchez jamais dans vos efforts
tant que vous n’avez pas vu Dieu face à face. Affermissez votre foi,
débarrassez-vous de vos doutes, de vos péchés et de votre incrédulité ;
et rien ne pourra vous empêcher d’aller à Dieu. »
Il leur promet qu’ils prêcheront l’Évangile dans des pays éloignés et
rassembleront de nombreux enfants de Dieu dans la sécurité de Sion.
Il témoigne : « Vous serez des intendants dans ce ministère. Nous avons
une œuvre à accomplir que personne d’autre ne peut accomplir. Vous
devez proclamer l’Évangile dans sa simplicité et dans sa pureté et nous
vous recommandons à Dieu et à la parole de sa grâce. »
Deux semaines après l’organisation des Douze, Joseph forme un autre
collège de la prêtrise qui se joindra aux apôtres pour propager
l’Évangile, fortifier les branches et collecter les dons pour l’Église.
Les membres de ce nouveau collège, appelé Collège des soixante-dix,
sont tous des vétérans du camp d’Israël. Ils doivent voyager
partout, sur le modèle des soixante-dix disciples du Nouveau Testament
qui se rendaient deux par deux dans chaque ville pour y prêcher la
parole de Jésus.
Le Seigneur choisit sept hommes pour présider le Collège, notamment
Joseph Young et Sylvester Smith, le capitaine de compagnie qui s’est
querellé avec le prophète pendant la marche du camp d’Israël. Avec
l’aide du grand conseil de Kirtland, les deux hommes ont résolu
leur différend cet été-là et ont fait la paix.
Peu après leur appel, le prophète s’adresse aux nouveaux collèges. Il
dit : « Certains d’entre vous sont en colère contre moi parce qu’ils ne
se sont pas battus au Missouri. Mais laissez-moi vous dire que Dieu ne
voulait pas que vous vous battiez. » Il expliqua que Dieu les avait
appelés au Missouri pour éprouver leur disposition à faire des
sacrifices et à consacrer leur vie pour Sion et pour faire grandir la
puissance de leur foi.
Il enseigne : « Il ne pouvait organiser son royaume avec douze hommes
pour ouvrir la porte de l’Évangile aux nations de la terre, et
soixante-dix autres sous leur direction pour suivre leurs pas, qu’en
les choisissant parmi un groupe d’hommes qui avaient offert leur vie et
qui avaient fait un sacrifice aussi grand que celui d’Abraham. »
CHAPITRE 20 : Ne me rejette pas
Pendant l’été 1835, alors que les apôtres partent en mission dans les
États de l’est et au Canada, les saints travaillent ensemble pour
finir le temple et se préparer à la dotation de pouvoir. Exemptée de la
violence et des pertes essuyées par les saints du Missouri, Kirtland
s'accroit et prospère spirituellement au fur et à mesure que les
convertis se rassemblent dans la ville et prêtent main forte à
l’œuvre du Seigneur.
En juillet, une affiche faisant de la publicité pour des « Antiquités
égyptiennes » paraît en ville. Elle rapporte la découverte de
centaines de momies dans un tombeau égyptien. Certaines d’entre elles,
ainsi que plusieurs rouleaux de papyrus antiques, ont été exhibés
dans tous les États-Unis, attirant des foules de spectateurs.
Michael Chandler, l’exposant, a entendu parler de Joseph et est
venu à Kirtland voir s’il veut les acheter. Joseph examine les
momies mais les rouleaux l’intéressent davantage. Ils sont
recouverts d’une écriture et d’images étranges de personnes, de
bateaux, d’oiseaux et de serpents.
Chandler autorise le prophète à les emporter chez lui et à les étudier
dans la soirée. Joseph sait que l’Égypte joue un rôle important
dans la vie de plusieurs prophètes de la Bible. Il sait également que
Néphi, Mormon et d’autres auteurs du Livre de Mormon ont enregistré
leurs paroles dans ce que Moroni appelle de « l’égyptien réformé ».
En examinant les écrits couchés sur les parchemins, il comprend qu’ils
contiennent des enseignements vitaux d’Abraham, le patriarche de
l’Ancien Testament. Le lendemain, il demande à Chandler combien il
veut pour les rouleaux. Ce dernier dit qu’il ne les vendra qu’avec
les momies pour un montant de deux mille quatre cents dollars.
Le prix est bien supérieur à ce que Joseph peut se permettre. Les
saints ont du mal à achever le temple avec les fonds limités dont
ils disposent et peu de personnes à Kirtland ont de l’argent à
lui prêter. Néanmoins, il croit que la valeur des rouleaux justifie
leur prix et lui et d’autres collectent rapidement suffisamment
d’argent pour acheter les artéfacts.
L’enthousiasme se propage dans toute l’Église lorsque Joseph et ses
secrétaires commencent à déchiffrer les symboles antiques, confiants
que le Seigneur révèlera bientôt leur message aux saints.
Lorsque Joseph n’est pas en train d’examiner les parchemins, il les
expose avec les momies. Emma est vivement intéressée par les
artéfacts et elle écoute attentivement lorsque Joseph explique ce
qu’il comprend des écrits d’Abraham. Lorsque des personnes curieuses
demandent à voir les momies, c’est souvent elle qui les présente,
répétant ce que Joseph lui a enseigné.
À cette époque, la vie à Kirtland est palpitante. Même si des
détracteurs de l’Église harcèlent encore les saints et si les dettes
continuent de préoccuper Joseph et Sidney, Emma voit les
bénédictions du Seigneur tout autour d’elle. Les ouvriers du temple
achèvent le toit en juillet et se lancent immédiatement dans la
construction d’un clocher élevé. Joseph et Sidney commencent à tenir
des réunions de sabbat dans l’édifice inachevé, y attirant parfois une
foule pouvant aller jusqu’à mille personnes pour les entendre prêcher.
Emma et Joseph habitent maintenant dans une maison proche du temple
et, de son jardin, elle peut voir Artemus Millet et Joseph Young
recouvrir les murs extérieurs de stuc gris-bleu qu’ils rainent pour
imiter des blocs de pierre taillée. Sous la direction d’Artemus, les
enfants collectèrent des morceaux de verre ou de vaisselle brisés afin
de les broyer en minuscules éclats et de les mélanger au stuc. Dans la
lumière du soleil couchant, ces éclats font briller les murs du
temple comme les facettes d’un joyau.
La maison d’Emma est toujours en effervescence. De nombreuses
personnes logent chez les Smith, y compris certains des hommes qui
travaillent dans la nouvelle imprimerie de l’Église. En plus
d’imprimer un nouveau journal de l’Église, le Latter Day Saints’
Messenger and Advocate, ces hommes travaillent sur plusieurs autres
projets, notamment le livre de cantiques qu’Emma a compilé avec
l’aide de William Phelps.
Le livre d’Emma comprend de nouveaux chants composés par des saints
ainsi que des œuvres plus anciennes venant d’autres Églises
chrétiennes. William écrit certains des nouveaux morceaux ; Parley
Pratt et Eliza Snow, une convertie récente, en écrivent également. Le
dernier cantique est celui de William : « L’Esprit du Dieu saint brûle
comme une flamme », un hymne de louanges à Dieu pour le rétablissement
de l’Évangile.
Emma sait également que les imprimeurs publient un nouveau recueil
de révélations appelé Doctrine et Alliances. Compilées sous la
supervision de Joseph et d’Oliver, les Doctrine et Alliances sont
une combinaison de révélations non publiées dans le Livre des
commandements, de révélations plus récentes, ainsi qu’une série
d’exposés sur la foi que les dirigeants de l’Église ont donnés aux
anciens. Les saints considèrent les Doctrine et Alliances comme un
ouvrage d’Écritures aussi important que la Bible et le Livre de Mormon.
Cet automne-là, pendant que ces projets touchent à leur fin, les
dirigeants de l’Église du Missouri arrivent à Kirtland pour se
préparer pour la consécration du temple et la dotation de pouvoir. Le
29 octobre, Emma et Joseph organisent un dîner en l’honneur d’Edward
Partridge et d’autres personnes qui sont arrivées. Pendant qu’ils se
réjouissent ensemble des sentiments qui les unissent, Newel Whitney
dit à Edward qu’il espère dîner avec lui l’année suivante en Sion.
Regardant ses amis, Emma dit qu’elle espère que tous les convives
pourront se joindre également à eux en terre promise.
Joseph dit : « Amen. Que Dieu nous l’accorde ! »
Après dîner, Joseph et Emma assistent à une réunion du grand conseil
de Kirtland. William, le jeune frère de Joseph, a accusé une femme
de l’Église de sévices physiques à l’encontre de sa belle-fille. Parmi
les témoins qui doivent prendre la parole il y a Lucy Smith, mère de Joseph et William. Lorsqu’elle commence à parler de quelque
chose que le conseil a déjà entendu et résolu, Joseph l’interrompt.
Se levant d’un bond, William l’accuse Joseph douter des paroles de leur
mère. Joseph se tourne vers son frère et lui dit de s’asseoir. William
l’ignore et reste debout.
Essayant de rester calme, Joseph répète : « Assieds-toi. »
William dit qu’il ne s’assoira pas à moins que Joseph ne le frappe.
Irrité, Joseph fait demi-tour pour quitter la pièce mais son père
l’arrête et lui demanda de rester. Joseph déclare de nouveau la séance
ouverte et achève l’audience. À la fin de la réunion, il est
suffisamment apaisé pour dire cordialement au revoir à son frère mais
ce dernier fulmine, toujours convaincu que Joseph a eu tort.
Vers cette époque-là, Hyrum Smith et sa femme, Jerusha, embauchent
Lydia Bailey, une convertie âgée de vingt-deux ans, pour les aider à
s’occuper de leur pension de famille. Joseph a baptisé Lydia deux
ou trois ans plus tôt au cours d’une brève mission qu’il a faite
avec Sidney au Canada. Lydia s’est installée à Kirtland peu de temps
après et Hyrum et Jerusha lui ont promis de prendre soin d’elle
comme si elle faisait partie de la famille.
Lydia est absorbée par son travail. Avec la présence des dirigeants
de l’Église du Missouri en ville pour la consécration du temple,
Jerusha et elle passent leur temps à cuisiner, à faire les lits et à
nettoyer la maison. Elle a rarement le temps de parler aux
pensionnaires quoique Newel Knight, un ami de longue date des Smith,
ait attiré son attention.
Un jour, pendant qu’elles travaillaient, Jerusha lui dit : « Frère
Knight est veuf. »
« Oh », dit Lydia, prétendant l’indifférence.
Jerusha dit : « Il a perdu sa femme l’automne dernier. Il a le cœur
pratiquement brisé. »
En apprenant le deuil de Newel, Lydia se souvient du sien. À l’âge de
seize ans, elle a épousé un jeune homme du nom de Calvin Bailey.
Après leur mariage, Calvin s’était mis à boire beaucoup et parfois, il
frappait sa femme et sa fille.
Avec le temps, ils ont perdu leur ferme à cause du penchant de Calvin
pour la boisson, ce qui les a obligés à louer une maison plus petite. Lydia y
a accouché d’un fils mais le bébé n'a vécut qu’un jour. Calvin l’a abandonnée
peu après et elle est retournée s’installer chez ses parents avec sa fille.
Les choses semblaient aller mieux lorsque cette dernière tomba malade.
Lorsqu’elle mourut, c’était comme si les derniers espoirs de bonheur de
Lydia étaient morts avec elle. Afin de l’aider à surmonter son chagrin,
ses parents l’envoyèrent chez des amis au Canada. Là-bas, elle entendit
l’Évangile et se fit baptiser et depuis, sa vie est plus heureuse et
l’espoir renaît. Cependant, elle se sent seule et aspire à la
compagnie de quelqu’un.
Un jour, dans une pièce de l’étage chez les Smith, Newel s’approche
d’elle. Lui prenant la main, il dit : « Je crois que, tout comme moi,
vous êtes bien seule. Nous pourrions peut-être nous tenir compagnie. »
Lydia reste assise en silence puis dit tristement : « Je suppose
que vous êtes au courant de ma situation. Je ne sais pas du tout où se
trouve mon mari, ni s’il est mort ou vivant. » Sans être divorcée de
Calvin, elle ne se sent pas en droit d’épouser Newel.
Avant de quitter la pièce, elle lui dit : « Je préférerais sacrifier
tous mes sentiments, et même ma vie, plutôt que m’écarter du chemin de
la vertu ou offenser mon Père céleste. »
Le lendemain de sa dispute avec son frère, Joseph reçoit une lettre de
celui-ci. William est irrité parce que c’est lui que le grand
conseil tient pour responsable de la dispute et non Joseph. Croyant
qu’il a eu raison de réprimander son frère devant le grand conseil,
William insiste pour qu’ils se rencontrent en tête à tête afin de pouvoir
expliquer ses actes.
Joseph accepte de le rencontrer, proposant que chacun raconte sa
version des faits, reconnaisse ses erreurs et présente des excuses pour
ses torts. Comme Hyrum, leur frère aîné, a une influence apaisante sur la famille,
Joseph l’invite à se joindre à eux afin de rendre un jugement impartial.
Le lendemain, William arrive chez Joseph et chacun à tour de rôle s'explique. Joseph dit qu’il en veut à William d’avoir
fait des remarques déplacées devant le conseil et d’avoir manqué de
respect à sa position de président de l’Église. William nie
l’accusation et soutient que Joseph a eu tort.
Hyrum écoute attentivement ses frères. Lorsqu’ils ont terminé, il
commence à donner son avis mais William lui coupe la parole, les
accusant, Joseph et lui, de rejeter toute la faute sur lui. Ses frères
tentent de le calmer mais il sort de la maison en claquant la
porte. Plus tard ce jour-là, il renvoie à Joseph son permis l’autorisant
à prêcher.
Très vite, tout Kirtland est au courant de la dispute. Elle divise la
famille Smith, habituellement très unie, en montant les frères et sœurs
de Joseph les uns contre les autres. Inquiet que ses détracteurs
n’utilisent la querelle contre lui et l’Église, Joseph se tient à
l’écart de William en espérant que la colère de son frère s’apaise.
Mais les premières semaines de novembre, ce dernier continue de
vitupérer contre Joseph et rapidement certains saints prennent également
parti. Les apôtres condamnent sa conduite et menacent de l’expulser
du Collège des Douze. Cependant, Joseph reçoit une révélation
l’exhortant à se montrer patient avec lui.
Le prophèteest attristé de voir des divisions parmi eux. Cet été-là,
les saints ont travaillé ensemble avec détermination et bonne
humeur et le Seigneur leur a accordé les annales égyptiennes et de
grands progrès sur le temple mais, maintenant que la dotation de
pouvoir est presque à leur
portée, ils n’arrivent pas à être unis de cœur et d’esprit.
Tout au long de l’automne 1835, Newel Knight maintient sa détermination
d’épouser Lydia Bailey. Croyant que la loi en Ohio permet aux
femmes abandonnées par leur mari de se remarier, il l’incite à tirer un
trait sur son passé. Mais, aussi grand que soit son désir de l’épouser,
elle a besoin de savoir que cela est juste aux yeux de Dieu.
Newel jeûne et prie pendant trois jours. Le troisième jour, il demande
à Hyrum de questionner Joseph pour savoir s’il est convenable qu’il
épouse Lydia. Hyrum accepte de parler à son frère et Newel part
travailler sur le temple l’estomac vide.
Il est toujours à la tâche lorsque Hyrum va le trouver plus tard ce
jour-là. Il lui dit que Joseph a interrogé le Seigneur et reçu
comme réponse que Lydia et Newel doivent se marier. Joseph a dit :
« Le plus tôt sera le mieux. Dis-leur qu’aucune loi ne leur fera de
tort. Nul besoin de craindre la loi de Dieu ni celle des hommes. »
Newel est enchanté. Il laisse tomber ses outils, court jusqu’à la
pension de famille et rapporte à Lydia ce que Joseph a dit. Elle
est folle de joie et ensemble ils remercient Dieu pour sa bonté. Newel
demande à Lydia de l’épouser et elle accepte. Ensuite, il se précipite
à la
salle à manger pour rompre son jeûne.
Hyrum et Jerusha acceptent d’organiser les noces chez eux le
lendemain. Lydia et Newel veulent que Joseph se charge de la
cérémonie mais ils savent qu’il n’a encore jamais célébré de
mariage et ne sont pas sûrs qu’il a l’autorité légale de le faire.
Cependant, le lendemain, pendant qu’Hyrum convie des invités à la
cérémonie, il dit à Joseph qu’il cherche encore quelqu’un pour marier
le couple. « Arrête ! » s’exclame Joseph. « Je vais les marier moi-même
! »
La loi en Ohio autorise les ecclésiastiques d’Églises organisées
officiellement à marier les couples. Chose plus importante, Joseph
croit que son office dans la Prêtrise de Melchisédek l’autorise à
célébrer des mariages. Il déclare : « Le Seigneur Dieu d’Israël m’a
donné l’autorité d’unir les gens dans les liens sacrés du mariage et
dorénavant j’utiliserai ce droit. »
Par une soirée glaciale de novembre, Hyrum et Jerusha accueillent les
convives chez eux. Les effluves du festin de noces emplissent la
pièce tandis que les saints prient et chantent pour fêter
l’occasion. Joseph se lève et demande à Lydia et à Newel de le
rejoindre à l’avant de la pièce et de se prendre par la main. Il
explique que le mariage a été institué par Dieu dans le jardin
d’Éden et doit être célébré par la prêtrise éternelle.
Se tournant vers Lydia et Newel, il leur fait contracter l’alliance
d’être des compagnons, mari et femme pour la vie. Il déclare qu’ils
sont mariés et les encourage à avoir des enfants, invoquant sur eux
les bénédictions de la longévité et de la prospérité.
Les noces de ce couple sont un point positif pendant un hiver par
ailleurs difficile pour Joseph. Depuis sa querelle avec William, il
n’a pas réussi à se concentrer sur les rouleaux égyptiens ni sur la
préparation des saints à la dotation de pouvoir. Il essaie de diriger
joyeusement, suivant l’Esprit du Seigneur. Mais le tumulte au sein de
sa famille et la charge de diriger l’Église peuvent être pesants et
parfois, il parle durement aux gens lorsqu’ils font des erreurs.
En décembre, William commence à organiser chez lui des débats sans
caractère officiel. Espérant que ces derniers donnent des occasions
d’apprendre et d’enseigner par l’Esprit, Joseph décide de participer.
Les deux premières réunions se déroulent sans heurt mais au cours de
la troisième, la tension monte lorsque William coupe la parole à un
autre apôtre pendant un débat.
Son interruption amène certaines personnes à se demander si ces
réunions doivent se poursuivre. Il se met en colère et une querelle
éclate. Joseph intervient et l’instant d’après les deux hommes
s’insultent. Joseph, père, tente de calmer ses fils mais ni l’un ni
l’autre ne cède et William se jette sur son frère.
Dans sa précipitation pour se défendre, Joseph tente d’ôter sa veste
mais il reste les bras coincés dans les manches. William frappe fort,
encore et encore, aggravant une blessure que Joseph a reçue
lorsqu’il a été enduit de goudron et de plumes. Avant que certains
des hommes n’aient réussi à contenir William, Joseph est étendu au
sol, pouvant à peine bouger.
Quelques jours plus tard, alors qu’il se remet de leur rixe, Joseph
reçoit un message de son frère. William déclare : « Je sens qu’il est
de mon devoir de faire une humble confession. » Craignant d’être
indigne de son appel, il demande à Joseph de le retirer du Collège des
Douze.
Il supplie : « Ne me rejette pas à cause de ce que j’ai fait mais
efforce-toi de me sauver. Je me repens sincèrement de ce que je t’ai
fait. »
Joseph répond à la lettre, exprimant son espoir qu’ils puissent se
réconcilier. Il déclare : « Puisse Dieu ôter l’inimitié entre nous et
puissent toutes les bénédictions être rétablies et le passé oublié à
jamais. »
Le premier jour de la nouvelle année, les frères se réunissent avec leur
père et leur frère Hyrum. Joseph, père, prie pour ses fils et les supplie de
s’accorder un pardon mutuel. Pendant qu’il parle, Joseph voit à quel
point sa querelle avec William a peiné leur père. L’Esprit de Dieu
emplit la pièce et le cœur de Joseph fond. William aussi a l’air
contrit. Il confesse sa faute et demande à nouveau à Joseph de lui
pardonner.
Sachant que lui aussi a des torts, Joseph présente ses excuses à
son frère. Ils font ensuite alliance de faire plus d’efforts pour se
soutenir et résoudre humblement leurs différends.
Joseph invite Emma et sa mère dans la pièce et William et lui
réitérèrent leur alliance. Des larmes de joie ruissellent sur leur
visage. Ils inclinent la tête et Joseph prie, reconnaissant de ce que
sa famille est de nouveau unie.
CHAPITRE 21 : L’Esprit du Dieu saint
Après s’être réconcilié avec son frère, Joseph se concentre de nouveau
sur l’achèvement du temple. Bien que modeste comparé aux cathédrales
élancées d’Europe, le temple est plus haut et plus imposant que la
plupart des édifices d’Ohio. Les voyageurs en route pour Kirtland
peuvent facilement repérer son clocher coloré et son toit rouge
rutilant au-dessus des arbres. Les murs en stuc étincelant, les portes
d’un vert vif et les fenêtres pointues de style gothique rendent le
spectacle éblouissant.
Vers la fin janvier 1836, l’intérieur du temple est presque terminé
et Joseph prépare les dirigeants de l’Église pour la dotation de
pouvoir divin que le Seigneur a promis de leur donner. Personne ne
sait avec certitude à quoi ressemblera la dotation mais Joseph
a expliqué qu’elle viendrait après qu’il aura administré les
ordonnances symboliques du lavement et de l’onction aux hommes ordonnés
à la prêtrise, comme Moïse a lavé et oint les prêtres d’Aaron dans
l’Ancien Testament.
Les saints ont également lu des passages du Nouveau Testament qui
donnent une idée de la dotation. Après sa résurrection, Jésus a
recommandé à ses apôtres de ne pas quitter Jérusalem pour prêcher
l’Évangile avant d’être « revêtus de la puissance d’en haut ». Ensuite,
le jour de la Pentecôte, ils ont reçu ce pouvoir lorsque l’Esprit
est descendu sur eux comme un vent impétueux et qu’ils ont parlé
en langues.
En se préparant pour leur dotation, les saints s’attendent à un
déversement spirituel semblable.
L’après-midi du 21 janvier, Joseph, ses conseillers et son père
empruntent l’escalier jusqu’aux combles de l’imprimerie, derrière le
temple. Là, les hommes se lavent symboliquement avec de l’eau propre
et se bénissnt mutuellement au nom du Seigneur. Une fois lavés, ils se
rendent au temple, juste à côté, où ils sont rejoints par les
épiscopats de Kirtland et de Sion et ils s’oignent avec de l’huile
consacrée et se bénissent les uns les autres.
Lorsque vient le tour de Joseph, son père lui oint la tête et le
bénit afin qu’il dirige l’Église comme un Moïse des derniers jours,
et prononce sur sa tête les bénédictions d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.
Les conseillers de Joseph lui imposent ensuite les mains et lui
donnent une bénédiction.
Lorsque les hommes ont terminé l’ordonnance, les cieux s’ouvrent
et Joseph a une vision de l’avenir. Il voit le royaume céleste, son
beau portail flamboyant devant lui comme un cercle de feu. Il voit Dieu
le Père et Jésus-Christ assis sur de magnifiques trônes. Adam et
Abraham, les prophètes de l’Ancien Testament, sont là aussi, ainsi
que sa mère, son père et son frère aîné Alvin.
La vue de son frère l’étonne. Il est mort peu après la
première visite de Moroni et n’a jamais eu l’occasion d’être
baptisé par l’autorité appropriée. Comment peut-il hériter la gloire
céleste ? Sa famille a refusé de croire qu’il est en enfer, comme
un prédicateur l’a un jour suggéré, mais son destin éternel
demeurait un mystère.
Tandis que Joseph s’étonne en voyant son frère, il entend la voix
du Seigneur dire : « Tous ceux qui sont morts sans connaître
l’Évangile, qui l’auraient reçu s’il leur avait été permis de demeurer,
seront héritiers du royaume céleste de Dieu. »
Le Seigneur explique qu’il jugera chaque personne selon ses œuvres et
les désirs de son cœur. Les gens dans la situation d’Alvin ne seront
pas damnés parce que les occasions ne se sont jamais présentées à eux
sur terre. Le Seigneur enseigne également que les petits enfants qui
meurent avant d’atteindre l’âge de responsabilité, comme les quatre
bébés que Joseph et Emma ont enterrés, seront sauvés dans le
royaume céleste.
Lorsque la vision se referme, Joseph et ses conseillers oignent les
membres des grands conseils de Kirtland et de Sion qui ont attendu
en priant dans une autre pièce. Lorsque les hommes reçoivent
l’ordonnance, d’autres visions célestes s’ouvrent à leurs yeux.
Certains voient des anges et d’autres voient le visage du Christ.
Remplis de l’Esprit, les hommes prophétisent de choses à venir et
glorifient Dieu jusque tard dans la nuit.
Deux mois plus tard, le matin du 27 mars 1836, Lydia Knight est
assise côte à côte avec d’autres saints dans la salle inférieure du
temple. Les gens, tout autour d’elle, se serrent les uns contre les
autres tandis que les huissiers casent d’autres personnes sur les
bancs. Environ un millier de saints sont déjà dans la salle et de
nombreux autres encombrent les entrées, espérant que les portiers les
laisseront entrer.
Lydia s'est rendue plusieurs fois au temple depuis son mariage avec
Newel quatre mois plus tôt. De temps en temps, ils y sont allés pour
entendre un sermon ou une conférence. Mais cette visite est
différente. Aujourd’hui, les saints se sont réunis pour consacrer le
temple au Seigneur.
Depuis sa place, Lydia peut regarder les dirigeants s’installer
derrière trois rangées de chaires richement sculptées aux deux
extrémités de la salle. Devant elle, sur l’aile ouest du bâtiment, se
trouvent les chaires de la Première Présidence et d’autres dirigeants
de la Prêtrise de Melchisédek. Derrière elle, le long du mur est, se
trouvent celles des épiscopats et des dirigeants de la Prêtrise
d’Aaron. En qualité de membre du grand conseil du Missouri, Newel est
assis dans une rangée de loges, à côté de ces tribunes.
En attendant que la consécration commence, Lydia peut également admirer
les boiseries le long des chaires et la rangée de colonnes élancées qui
s’étendent sur toute la longueur de la salle. Il est encore tôt et la
lumière du soleil se déverse dans la salle par les hautes fenêtres le
long des murs. Au-dessus sont suspendus de grands rideaux de toile
qui peuvent être déployés entre les bancs pour scinder momentanément
l’espace en différentes pièces.
Lorsque les huissiers ne peuvent plus glisser qui que ce soit dans la
pièce, Joseph se lève et s’excuse auprès des personnes qui n’ont
pas pu trouver de place assise. Il leur propose de se réunir dans la
salle de classe voisine, au premier étage de l’imprimerie.
Quelques minutes plus tard, lorsque l’assemblée est installée, Sidney
ouvre la réunion et parle avec une grande puissance pendant plus de
deux heures. Après un bref entracte pendant lequel presque tout le
monde reste assis, Joseph se lève et fait la prière de consécration
qu’il a préparée la veille avec l’aide d’Oliver et de Sidney.
Joseph dit : « Nous te demandons, ô Seigneur, d’accepter cette maison,
l’œuvre de nos mains, à nous, tes serviteurs, maison que tu nous as
commandé de bâtir. » Il demande au Seigneur d’armer les missionnaires de
pouvoir lorsqu’ils sortiront propager l’Évangile jusqu’aux extrémités
de la terre. Il demande une bénédiction sur les saints du Missouri, sur
les dirigeants des nations du monde et sur Israël dispersé.
Il demande également au Seigneur de doter les saints de pouvoir. Il dit
: « Que l’onction de tes ministres soit scellée sur eux avec du pouvoir
d’en haut. Place sur tes serviteurs le témoignage de l’alliance, afin
que lorsqu’ils iront proclamer ta parole, ils scellent la loi et
préparent le cœur de tes saints. » Il demande au Seigneur de remplir le
temple de sa gloire, comme le vent impétueux que les anciens apôtres
ont connu.
Il supplie : « Ô entends, ô entends, ô entends-nous, ô Seigneur !
Exauce ces supplications et accepte que te soit dédiée cette maison. »
Dès que Joseph a prononcé son dernier « amen », le chœur interprète
le nouveau cantique de William Phelps :
L’Esprit du Dieu saint brûle comme une flamme.
La gloire déjà revêt les derniers jours.
Les dons d’autrefois réjouissent notre âme.
Les anges reviennent à notre secours.
Lydia sent la gloire de Dieu remplir le temple. Elle se lève avec les
autres saints dans la pièce et, unit sa voix à la leur pour crier : «
Hosanna ! Hosanna ! Hosanna à Dieu et à l’Agneau ! »
Après la consécration du temple, des manifestations de l’Esprit et de
la puissance du Seigneur enveloppent Kirtland. Le soir de la
consécration, Joseph se réunit avec les dirigeants de l’Église dans le
temple et les hommes commencent à parler en langues, comme les
apôtres du Sauveur l’ont fait lors de la Pentecôte. Certaines des
personnes présentes à la réunion voient un feu céleste reposer sur
celles qui parlent. D’autres voient des anges. À l’extérieur, les
saints voient une nuée lumineuse et une colonne de feu reposer sur le
temple.
Le 30 mars, Joseph et ses conseillers se réunirent au temple pour laver les
pieds d’environ trois cents dirigeants de l’Église, notamment les
Douze, les soixante-dix et d’autres hommes appelés en mission, tout
comme le Sauveur l’a fait avec ses disciples avant sa crucifixion.
Joseph déclare : « C’est une année de jubilé pour nous et un temps pour
nous réjouir. » Les hommes sont venus au temple en jeûnant et il
demande à quelques-uns d’entre eux d’acheter du pain et du vin pour
plus tard. Il demande à d’autres d’apporter des baquets d’eau.
Joseph et ses conseillers lavent d’abord les pieds des membres du
Collège des Douze, continuent en lavant les pieds des membres des
autres collèges et les bénissent au nom du Seigneur. Au fil des heures,
les hommes se bénissent les uns les autres, prophétisent et poussent
des hosannas jusqu’à ce que le pain et le vin arrivent en début de
soirée.
Joseph parle pendant que les Douze rompent le pain et versent le
vin. Il leur dit que leur court séjour à Kirtland touche à sa fin. Le
Seigneur est en train de les doter de pouvoir et il les enverra
ensuite en mission. Il dit : « Allez en toute humilité et tempérance
prêcher Jésus-Christ. » Il leur recommande d’éviter les querelles au
sujet des convictions religieuses et les exhorte à rester fidèles aux
leurs.
Il dit aux apôtres : « Apportez les clés du royaume à toutes les
nations, ouvrez-les et faites appel aux soixante-dix afin qu’ils
suivent. » Il dit que l’organisation de l’Église est dorénavant
complète et que les hommes dans la pièce ont reçu toutes les
ordonnances que le Seigneur a préparées pour eux à ce moment-là.
Il dit : « Partez édifier le royaume de Dieu. »
Joseph et ses conseillers rentrent chez eux, laissant aux Douze la
responsabilité de la réunion. L’Esprit descend de nouveau sur les
hommes dans le temple et ils commencent à prophétiser, à parler en
langues et à s’exhorter mutuellement dans l’Évangile. Des anges
apparaissent à certains et quelques autres ont des visions du Sauveur.
Le déversement de l’Esprit se poursuit jusqu’aux premières heures du
matin. Lorsqu’ils quittent le temple, les saints s’extasient sur les
merveilles et la gloire dont ils viennent juste d’être témoins. Ils se
sentent dotés de pouvoir et prêts à apporter l’Évangile au monde.
Une semaine après la consécration, le dimanche après-midi de Pâques, un
millier de saints vont de nouveau adorer au temple. Lorsque les
Douze ont administré le repas du Seigneur à l’assemblée, Joseph et
Oliver abaissent les rideaux de toile autour de la chaire la plus
élevée sur le côté ouest de la salle inférieure et s’agenouillent
derrière afin de prier en silence, hors de la vue des saints.
Après leurs prières, le Sauveur apparaît devant eux, le visage plus
brillant que l’éclat du soleil. Ses yeux sont comme du feu et ses
cheveux comme de la neige. Sous ses pieds, la balustrade de la chaire
ressemble à de l’or pur.
De sa voix qui ressemble à un déferlement de grandes eaux, le
Seigneur déclare : « Que le cœur de tout mon peuple se réjouisse, mon
peuple qui a bâti de toutes ses forces cette maison à mon nom. Voici,
j’ai accepté cette maison, et mon nom sera ici ; et je me manifesterai
avec miséricorde à mon peuple dans cette maison. » Il exhorte les
saints à préserver le caractère sacré de sa maison et confirme qu’ils ont reçu
une dotation de pouvoir.
Il déclare : « Le cœur de milliers et de dizaines de milliers sera dans
une grande allégresse à cause des bénédictions qui seront déversées et
de la dotation que mes serviteurs ont reçue dans cette maison. »
Finalement, il promet : « La renommée de cette maison se répandra dans
les pays étrangers, et c’est là le commencement de la bénédiction qui
sera déversée sur la tête de mon peuple. »
La vision se referme sur Joseph et Oliver mais instantanément, les
cieux s'ouvrent à nouveau. Ils voient debout devant eux Moïse qui leur
remet les clés du rassemblement d’Israël afin que les saints puissent
apporter l’Évangile au monde et ramener les justes en Sion.
Élias apparaît ensuite et leur remet la dispensation de l’Évangile
d’Abraham, disant que toutes les générations seront bénies à travers
eux et tous ceux qui viendront après eux.
Après le départ d’Élias, Joseph et Oliver ont une autre vision
extraordinaire. Ils voient Élie, le prophète de l’Ancien Testament qui
est monté au ciel dans un char de feu.
Faisant allusion à la prophétie de l’Ancien Testament selon laquelle il
tournera le cœur des pères vers les enfants et celui des enfants vers
les pères, Élie déclare : « Le temps est pleinement arrivé, ce temps
dont il a été parlé par la bouche de Malachie… Les clés de cette dispensation sont remises entre vos mains, et vous
saurez, par là, que le jour du Seigneur, jour grand et redoutable, est
proche, et même à la porte. »
La vision se referme, laissant Joseph et Oliver seuls. La lumière du
soleil filtre à travers la fenêtre en ogive située derrière la chaire
mais la balustrade devant eux ne brille plus comme de l’or. Les voix
célestes qui les ont secoués comme le tonnerre cèdent la place au
bourdonnement sourd des saints de l’autre côté du rideau.
Joseph sait que les messagers lui ont remis d’importantes clés de
la prêtrise. Plus tard, il enseigne aux saints que les clés de la
prêtrise rétablies par Élie scelleront les familles éternellement,
liant dans les cieux ce qui est lié sur la terre, reliant les parents
à leurs enfants et les enfants à leurs parents.
Les jours qui suivent la consécration, fortifiés par la dotation de
pouvoir, les missionnaires partent prêcher l’Évangile dans toutes les
directions. L’évêque Partridge et les autres saints qui sont venus
du Missouri reprennent la route vers l’ouest avec une détermination
renouvelée de bâtir Sion.
Lydia et Newel Knight veulent également se rendre dans l’Ouest mais
ils ont besoin d’argent. Newel a passé le plus clair de son
temps à Kirtland à travailler bénévolement à la construction du temple
et Lydia a prêté presque tout son argent à Joseph et à l’Église
lorsqu’elle est arrivée en ville. Ni l’un ni l’autre ne regrette
son sacrifice mais Lydia ne peut s’empêcher de penser que la somme
qu’elle a prêtée aura largement couvert les frais du voyage.
Pendant qu’ils réfléchissent à la manière de financer leur périple,
Joseph leur rendit visite. Il dit : « Alors Newel, tu es sur le point
de partir vers ton foyer dans l’Ouest. Disposes-tu de quoi couvrir
amplement tes besoins ? »
Newel dit : « Pour l’instant, notre budget est assez restreint. »
Joseph dit à Lydia : « Je n’ai pas oublié avec quelle générosité tu
m’as aidé lorsque j’étais en difficulté. » Il sort de la maison et
revient peu de temps après avec une somme supérieure à celle qu’elle lui
a prêtée.
Il leur dit d’acheter ce dont ils ont besoin pour faire
confortablement le voyage jusqu’à leur nouveau foyer. Hyrum leur
fournit aussi un attelage de chevaux pour les emmener jusqu’à l’Ohio où
ils pourront prendre un bateau à vapeur jusqu’au Missouri.
Avant leur départ, ils rendent visite à Joseph Smith, père, afin que
Lydia puisse recevoir une bénédiction. Plus d’un an plus tôt, le
Seigneur a appelé Joseph à être le patriarche de l’Église, lui conférant
l’autorité de donner aux saints des bénédictions patriarcales, comme
Abraham et Jacob en ont donné à leurs enfants dans la Bible.
Il pose les mains sur la tête de Lydia et prononce les paroles de la
bénédiction. Il lui dit : « Tu as été très affligée par le passé et ton
cœur a souffert mais tu seras consolée. »
Il lui dit que le Seigneur l’aime et lui a donné Newel pour la
réconforter. « Vos âmes seront unies et rien ne pourra les disjoindre.
Ni la détresse ni la mort ne vous sépareront » promet-il. « Votre vie
sera préservée et vous voyagerez rapidement et en toute sécurité
jusqu’au pays de Sion. »
Peu après la bénédiction, Lydia et Newel partent pour le Missouri,
optimistes quant à l’avenir de l’Église et de Sion. Le Seigneur a
doté les saints de pouvoir et Kirtland s’épanouit sous la flèche
élancée du temple. Les visions et dons de cette époque leur ont
donné un avant-goût des cieux. Le voile entre la terre et le ciel
semble prêt à s’ouvrir à leurs yeux.
TROISIÈME PARTIE :
Jeté dans l’abîme (avril 1836 - avril 1839)
CHAPITRE 22 : Mets le Seigneur à l’épreuve
Après la consécration du temple, Joseph se délecta de l’espérance et de
la bonne volonté qui reposaient sur Kirtland. Les saints furent témoins
d’un déversement de dons spirituels tout au long du printemps 1836.
Nombre d’entre eux virent des armées d’anges, vêtues d’un blanc
étincelant, debout sur le toit du temple, et certains se demandèrent si
le millénium avait commencé.
Joseph voyait partout des preuves des bénédictions du Seigneur.
Lorsqu’il avait emménagé à Kirtland cinq ans plus tôt, l’Église était
désorganisée et indisciplinée. Depuis, les saints avaient embrassé plus
pleinement la parole du Seigneur et avaient transformé un simple
village en un pieu de Sion solide. Le temple représentait un témoignage
de ce qu’ils pouvaient accomplir en obéissant à Dieu et en travaillant
ensemble.
Mais tout en se réjouissant du succès de Kirtland, Joseph ne pouvait
oublier les saints du Missouri qui étaient toujours regroupés en
petites communautés le long du fleuve, juste à côté du comté de
Jackson. Ses conseillers et lui avaient confiance en la promesse du
Seigneur de racheter Sion une fois que les anciens auraient reçu leur
dotation de pouvoir. Pour l’instant, nul ne savait comment ni quand il
le ferait.
Tournant leur attention vers Sion, les dirigeants de l’Église jeûnèrent
et prièrent pour connaître la volonté du Seigneur. Joseph rappela
ensuite la révélation dans laquelle le Seigneur avait demandé aux
saints d’acheter toutes les terres du comté de Jackson et des
alentours. Ils avaient déjà commencé à en acheter dans le comté de Clay
mais, comme toujours, le problème était de trouver l’argent pour faire
de nouvelles acquisitions.
Au début du mois d’avril, Joseph se réunit avec le personnel de
l’imprimerie de l’Église pour discuter des finances de l’imprimerie.
Les hommes croyaient qu’ils devaient donner tous leurs biens pour la
rédemption de Sion et ils recommandèrent à Joseph et à Oliver
d’organiser une collecte de fonds pour acheter d’autres terres au
Missouri.
Malheureusement, les dettes de l’Église se comptaient en dizaines de
milliers de dollars du fait de la construction du temple et de l’achat
antérieur de terres, et l’argent était encore rare à Kirtland, malgré
les dons que collectaient les missionnaires. La plupart des richesses
des saints étaient foncières, ce qui signifiait que peu de personnes
pouvaient faire des dons en espèces. Et sans liquidités, l’Église
pouvait difficilement se sortir des dettes et acheter d’autres terres
en Sion.
Une fois encore, Joseph devait trouver un moyen de financer l’œuvre du
Seigneur.
À trois cents kilomètres au nord, Parley P. Pratt se trouvait aux
abords d’une ville appelée Hamilton, au sud du Canada. Il était en
route pour Toronto, l’une des plus grandes villes de la province, pour
remplir sa première mission depuis sa dotation de pouvoir. Il n’avait
pas d’argent, pas d’amis dans la région et pas la moindre idée de la
manière d’accomplir ce que le Seigneur l’avait envoyé faire.
Quelques semaines plus tôt, lorsque les Douze et les soixante-dix
avaient quitté Kirtland pour prêcher l’Évangile, Parley avait prévu de
rester chez lui avec sa famille. Comme de nombreux saints de Kirtland,
il s’était lourdement endetté pour l’achat d’un terrain et la
construction d’une maison dans la région. Il s’inquiétait également
pour sa femme, Thankful, qui était malade et avait besoin de ses soins.
Aussi impatient qu’il ait pu être de prêcher, une mission semblait hors
de question.
Par la suite, Heber C. Kimball lui a rendu visite et lui a donné une
bénédiction en qualité d’ami et d’apôtre à apôtre. Il a dit à Parley :
« Pars en mission, sans douter. Ne t’inquiète ni de tes dettes ni des
nécessités de la vie, car le Seigneur te fournira amplement les moyens
de faire face à tout. »
Parlant sous inspiration, Heber dit à Parley d’aller à Toronto,
promettant qu’il y trouverait des personnes prêtes à recevoir la
plénitude de l’Évangile. Il dit qu’il poserait les fondements d’une
mission en Angleterre et trouverait de quoi alléger ses dettes. Il
prophétisa : « Des richesses, de l’argent et de l’or t’attendent à tel
point que tu répugneras à les dénombrer. »
Il parla également de Thankful. Il promit : « Ta femme guérira dès cet
instant et elle t’enfantera un fils. »
La bénédiction était merveilleuse, mais ses promesses semblaient
impossibles. Parley avait eu beaucoup de succès dans le champ de la
mission, mais il ne connaissait pas Toronto. Il n’avait jamais gagné
beaucoup d’argent et il était improbable qu’il en reçoive assez en
mission pour liquider ses dettes.
Les promesses au sujet de Thankful étaient les plus improbables de
toutes. Elle avait presque quarante ans et avait toujours été frêle et
d’une petite santé. Au bout de dix années de mariage, ils n’avaient
toujours pas d’enfants.
Mais, poussé par sa foi dans les promesses du Seigneur, Parley partit
en direction du nord-est, circulant en diligence sur des routes
boueuses. Lorsqu’il eut atteint les chutes du Niagara et traversé la
frontière canadienne, il fit le chemin à pied jusqu’à Hamilton. En
pensant à son foyer et à l’immensité de sa mission, il se sentit vite
dépassé et désira ardemment savoir comment faire preuve de foi en une
bénédiction dont les promesses paraissaient aussi inaccessibles.
L’Esprit lui chuchota soudain : « Mets le Seigneur à l’épreuve et vois
s’il y a quoi que ce soit de trop difficile pour lui. »
Pendant ce temps, au Missouri, Emily Partridge, douze ans, était
soulagée de voir le printemps revenir dans le comté de Clay. Avec son
père à Kirtland pour la consécration du temple, elle et sa famille
partageaient la seule pièce d’une cabane en rondins avec Margaret et
John Corrill, le conseiller de son père dans l’épiscopat. Avant que les
deux familles n’y emménagent, la cabane avait servi d’étable, mais son
père et frère Corrill avaient débarrassé le fumier qui en recouvrait le
sol et avaient rendu l’endroit habitable. Il y avait une grande
cheminée et les familles avaient passé l’hiver glacial blotties autour
de sa chaleur.
Ce printemps-là, le père d’Emily revint au Missouri reprendre ses
fonctions d’évêque. D’autres dirigeants de l’Église et lui avaient reçu
la dotation de pouvoir à Kirtland et ils semblaient optimistes quant à
l’avenir de Sion.
Au fur et à mesure que le temps se réchauffait, Emily se préparait à
retourner à l’école. Peu après leur arrivée dans le comté de Clay, les
saints en avaient installé une dans une cabane près d’un verger. Emily
aimait beaucoup jouer avec ses amis dans le verger et manger les fruits
qui tombaient des branches. Lorsqu’ils n’étudiaient pas, ils se
construisaient des cabanes avec des bâtons et se servaient de lianes
pour sauter à la corde.
La plupart des camarades d’Emily étaient membres de l’Église, mais
certains étaient des enfants de colons installés dans la région depuis
longtemps. Ils étaient souvent mieux habillés qu’Emily et les autres
enfants pauvres et certains se moquaient des jeunes saints et de leurs
vêtements en lambeaux. Mais en règle générale, tout le monde
s’entendait relativement bien, en dépit de leurs différences.
Il n’en allait pas de même de leurs parents. Plus le nombre de saints
qui emménageaient et achetaient de grandes étendues de terres dans le
comté de Clay grandissait, plus les colons de longue date étaient mal à
l’aise et impatients. À l’origine, ils avaient accueilli les saints
dans leur comté et ne leur avaient offert un refuge qu’en attendant
qu’ils repartent chez eux, de l’autre côté du fleuve. Personne ne
s’attendait à ce qu’ils s’installent définitivement dans le comté de
Clay.
Au début, les tensions entre les saints et leurs voisins eurent peu
d’influence sur la routine scolaire d’Emily. Mais tandis que le
printemps s’écoulait lentement et que les voisins devenaient plus
hostiles, Emily et sa famille eurent des raisons de croire que le
cauchemar du comté de Jackson allait se répéter et qu’ils allaient de
nouveau se retrouver sans abri.
Tandis que Parley poursuivait son voyage vers le nord, il demanda au
Seigneur de l’aider à parvenir à destination. Peu après, il rencontra
un homme qui lui donna dix dollars et une lettre d’introduction à
l’attention d’une personne à Toronto du nom de John Taylor. Parley se
servit de l’argent pour réserver une place à bord d’un bateau à vapeur
en partance pour la ville et arriva peu après chez John Taylor.
John et Leonora Taylor étaient un jeune couple originaire d’Angleterre.
En bavardant avec eux, Parley apprit qu’ils appartenaient à un groupe
de chrétiens de la région qui rejetait toute doctrine non étayée par la
Bible. Ils venaient récemment de prier et de jeûner pour que Dieu leur
envoie un messager de sa véritable Église.
Parley leur parla de l’Évangile rétabli, mais ils ne manifestèrent que
peu d’intérêt. Le lendemain matin, il laissa son sac chez eux et se
présenta aux hommes d’Église de la ville espérant qu’ils le laissent
prêcher à leurs assemblées. Il rencontra ensuite les autorités
municipales pour voir si elles lui permettraient d’organiser une
réunion dans le palais de justice ou un autre lieu public. Personne
n’accéda à sa demande.
Découragé, Parley se rendit dans les bois avoisinants et fit une
prière. Il retourna ensuite chez les Taylor récupérer son sac.
Lorsqu’il fut sur le point de partir, John l’arrêta et lui parla de son
amour pour la Bible. Il dit : « M. Pratt, si vous avez des principes à
soumettre, quels qu’ils soient, j’aimerais, si vous le pouvez, que vous
les étayiez avec ce livre. »
Parley dit : « Je pense pouvoir y arriver. » Il demanda à John s’il
croyait aux apôtres et aux prophètes.
Ce dernier répondit : « Oui, parce que la Bible m’enseigne toutes ces
choses. »
Parley dit : « Nous enseignons le baptême au nom de Jésus-Christ pour
la rémission des péchés et l’imposition des mains pour le don du
Saint-Esprit. »
« Qu’en est-il de Joseph Smith et du Livre de Mormon et de certaines de
vos nouvelles révélations ? » demanda John.
Parley témoigna que Joseph Smith était un honnête homme et un prophète
de Dieu. Il dit : « Quant au Livre de Mormon, je peux vous en témoigner
avec autant de force que vous pouvez le faire de l’authenticité de la
Bible. »
Pendant qu’ils discutaient, ils entendirent Leonora parler à une
voisine, Isabella Walton, dans une autre pièce. Leonora dit à Isabella
: « Il y a un monsieur ici des États-Unis qui dit que le Seigneur l’a
envoyé en ville prêcher l’Évangile. Je suis désolée qu’il s’en aille. »
Isabella dit : « Dis à l’étranger qu’il est le bienvenu chez moi. J’ai
une chambre d’ami et de la nourriture en abondance. » Elle avait aussi
un endroit où il pourrait prêcher à ses amis et à ses parents ce
soir-là. Elle dit : « Je ressens par l’Esprit que c’est un homme envoyé
du Seigneur avec un message qui nous fera du bien. »
Après sa conversation avec Parley, John Taylor commença à lire le Livre
de Mormon et à en comparer ses enseignements avec ceux de la Bible. Il
avait étudié la doctrine d’autres églises avant, mais quelque chose
l’attirait dans le Livre de Mormon et les principes que Parley
enseignait. Tout était clair et en accord avec la parole de Dieu.
John présenta rapidement Parley à ses amis. Il annonça : « Voici un
homme qui vient en réponse à nos prières et il dit que le Seigneur a
établi la véritable Église. »
Quelqu’un demanda : « Vas-tu devenir mormon ? »
John répondit : « Je ne sais pas. Je vais étudier la question et prier
le Seigneur de m’aider. S’il y a du vrai dans cette affaire, j’y
adhérerai ; si elle est fausse, je ne veux en aucun cas y être mêlé. »
Peu après, Parley et lui se rendirent dans un village rural voisin où
habitait la parenté d’Isabella Walton. L’ami de John, Joseph Fielding,
y demeurait également avec ses sœurs Mercy et Mary. Eux aussi étaient
originaires d’Angleterre et leurs opinions religieuses ressemblaient à
celles des Taylor.
Lorsque John et Parley arrivèrent à cheval chez les Fielding, ils
virent Mercy et Mary partir en courant chez des voisins. Leur frère
sortit et les salua froidement. Il dit qu’il aurait préféré qu’ils ne
viennent pas. Ses sœurs et de nombreuses autres personnes en ville ne
voulaient pas les entendre prêcher.
« Pourquoi vous opposez-vous au mormonisme ? » demanda Parley.
Joseph dit : « Je ne sais pas. Le nom est d’une consonance tellement
abjecte. » Il dit qu’ils ne cherchaient aucune nouvelle révélation ni
doctrine qui contredise les enseignements de la Bible.
Parley dit : « Oh, si c’est uniquement cela, nous allons vous
débarrasser de vos préjugés. » Il dit à Joseph de rappeler ses sœurs.
Il savait qu’une réunion religieuse était organisée dans le village ce
soir-là et il voulait prêcher à cette occasion.
Parley dit : « Je dînerai avec vous et nous irons tous ensemble à la
réunion. Si vous et vos sœurs êtes d’accord, j’accepte de prêcher
l’Évangile de la vieille Bible et d’omettre toutes les nouvelles
révélations qui s’y opposent. »
Ce soir-là, Joseph, Mercy et Mary Fielding prirent place dans une pièce
surpeuplée et furent captivés par le sermon de Parley. Rien de ce qu’il
disait au sujet de l’Évangile rétabli et du Livre de Mormon ne
contredisait les enseignements de la Bible.
Peu après, Parley baptisa les Taylor, les Fielding et suffisamment de
monde dans la région pour organiser une branche. Les promesses que le
Seigneur lui avait faites dans sa bénédiction commençaient à
s’accomplir et il était impatient de retourner auprès de Thankful.
Certaines de ses dettes arrivaient à échéance et il devait encore
gagner l’argent pour les régler.
Lorsque Parley fut sur le départ, il serra la main de ses nouveaux
amis. Un par un, ils lui glissèrent de l’argent, une somme s’élevant à
plusieurs centaines de dollars. Le montant était suffisant pour
liquider ses dettes les plus urgentes.
Lorsque Parley arriva à Kirtland, il trouva Thankful en bonne santé,
l’accomplissement d’une autre promesse du Seigneur. Une fois certaines
dettes réglées, il réunit des brochures et des exemplaires du Livre de
Mormon et retourna au Canada pour poursuivre sa mission, cette fois
accompagné de sa femme. Le voyage la fatigua et lorsque les saints
canadiens virent sa fragilité, ils doutèrent qu’elle soit suffisamment
forte pour porter le fils promis dans la bénédiction. Cependant, peu de
temps après, Parley et Thankful attendaient leur premier enfant.
En l’absence des Pratt, leurs amis, Caroline et Jonathan Crosby
louèrent leur maison à Kirtland. Les Crosby étaient un jeune couple qui
s’était installé à Kirtland quelques mois avant la consécration du
temple. Ils se réunissaient souvent avec des amis pour adorer, chanter
des cantiques ou prendre un repas.
Une fois le temple achevé, davantage de saints s’installèrent à
Kirtland. Il y avait beaucoup de terres dans la région, mais la plupart
étaient inexploitées. Les saints se dépêchaient de construire d’autres
maisons, souvent à crédit, car il n’y avait pas beaucoup de liquidités
dans la collectivité. Mais ils n’arrivaient pas à construire
suffisamment vite pour loger les nouveaux arrivants donc les familles
établies ouvraient souvent leur porte à ces personnes ou louaient les
pièces inoccupées.
Lorsque le logement en ville se fit rare, John Boynton, l’un des
apôtres, demanda aux Crosby de lui louer la maison des Pratt. Il leur
offrit plus que ce qu’ils payaient aux Pratt.
L’offre était généreuse et Caroline savait que Jonathan et elle avaient
besoin d’argent pour payer la maison qu’ils construisaient. Mais ils
aimaient vivre seuls et Caroline attendait maintenant leur premier
enfant. S’ils quittaient la maison des Pratt, ce serait pour emménager
avec une voisine âgée, Sabre Granger, dont la petite maison encombrée
ne comptait qu’une chambre.
Jonathan demanda à Caroline de prendre la décision. Elle ne voulait pas
quitter le confort et l’espace dont elle disposait chez les Pratt et
était réticente à l’idée d’emménager avec sœur Granger. L’argent ne la
préoccupait pas beaucoup, même si Jonathan et elle en avaient bien
besoin.
Mais savoir qu’ils permettraient à la grande famille Boynton de se
rassembler à Kirtland, cela valait le petit sacrifice qu’elle devait
faire. Quelques jours plus tard, elle dit à son mari qu’elle était
disposée à déménager.
Vers la fin du mois de juin, William Phelps et d’autres dirigeants de
l’Église du comté de Clay écrivirent au prophète que des autorités
locales avaient convoqué les dirigeants de l’Église au palais de
justice pour discuter de l’avenir des saints dans leur comté. Les
autorités avaient parlé calmement et poliment, mais leurs propos ne
laissaient aucune place aux compromis.
Du fait que les saints ne pouvaient pas retourner dans le comté de
Jackson, les autorités leur recommandèrent de chercher un nouvel
endroit, un endroit où ils pourraient être seuls. Les dirigeants de
l’Église du comté de Clay acceptèrent de partir pour ne pas risquer une
autre expulsion violente.
La nouvelle anéantit l’espoir de Joseph de retourner au comté de
Jackson cette année-là, mais il ne pouvait en vouloir aux saints du
Missouri pour ce qui se passait. Il répondit : « Vous êtes plus au
courant de votre situation que nous ne le sommes et avez bien sûr été
dirigés en sagesse dans votre décision de quitter le comté. »
Les saints du Missouri ayant besoin d’un nouvel endroit où s’installer,
Joseph sentit encore plus fortement l’obligation de lever des fonds
pour acheter des terres. Il décida d’ouvrir un magasin de l’Église près
de Kirtland et emprunta davantage d’argent pour acheter des
marchandises à y vendre. Le magasin connut une certaine réussite, mais
les saints profitèrent de la gentillesse et de la confiance de Joseph,
sachant qu’il ne leur refuserait pas de faire leurs achats à crédit.
Plusieurs insistèrent pour faire du troc pour ce dont ils avaient
besoin, compliquant ainsi la tâche de faire du profit en espèces sur
les marchandises.
Fin juillet, ni le magasin ni les autres tentatives des dirigeants de
l’Église n’avaient allégé la dette de cette dernière. Désespéré, Joseph
quitta Kirtland avec Sidney, Hyrum et Oliver et se rendit à Salem, une
ville de la côte est, après avoir écouté un membre de l’Église qui
pensait savoir où trouver un dépôt secret d’argent caché. Lorsqu’ils
arrivèrent dans la ville, la piste n’amena aucun argent et Joseph se
tourna vers le Seigneur pour être guidé.
« Moi, le Seigneur, votre Dieu, je ne suis pas mécontent, en dépit de
vos folies, que vous ayez entrepris ce voyage, » fut la réponse. « Ne
vous souciez pas de vos dettes, car je vous rendrai capables de les
payer. Ne vous souciez pas de Sion, car je serai miséricordieux envers
elle. »
Les hommes rentrèrent à Kirtland environ un mois plus tard, encore
préoccupés par les finances de l’Église. Mais, cet automne-là, Joseph
et ses conseillers proposèrent un nouveau projet qui pourrait bien
fournir l’argent dont ils avaient besoin pour Sion.
CHAPITRE 23 : Tous les pièges
Tout au long de l’automne 1836, Jonathan Crosby travailla sur sa
nouvelle maison à Kirtland. En novembre, il avait monté les murs et le
toit, mais le sol n’était pas fini et la maison n’avait ni portes ni
fenêtres. Avec l’arrivée imminente du bébé, Caroline le pressait de la
terminer le plus rapidement possible. Tout se passait bien avec leur
propriétaire, sœur Granger, mais elle était impatiente de quitter le
logement exigu et de s’installer chez elle.
Pendant que Jonathan travaillait fiévreusement à rendre la maison
habitable avant l’arrivée du bébé, les dirigeants de l’Église
annoncèrent leur intention d’inaugurer la Kirtland Safety Society, une
banque de village conçue pour relancer l’économie chancelante de
Kirtland et lever des fonds pour l’Église. Comme d’autres petites
banques aux États-Unis, elle offrirait des prêts aux emprunteurs afin
qu’ils puissent acheter des propriétés et des biens, permettant ainsi à
l’économie locale de prospérer. Lorsque les emprunteurs les
rembourseraient avec un intérêt, la banque réaliserait un bénéfice.
Les prêts seraient consentis sous forme de billets de banque garantis
par la réserve limitée de pièces d’argent et d’or de la Safety Society.
Pour consolider cette réserve, la banque vendrait des actions aux
investisseurs qui s’engageraient à les payer au fil du temps.
Début novembre, la Kirtland Safety Society avait plus de trente
actionnaires, dont Joseph et Sidney, qui y investirent la plus grande
partie de leur argent personnel. Les actionnaires élurent Sidney comme
président de l’établissement et Joseph comme trésorier, le rendant
responsable des comptes de la banque.
Une fois les plans élaborés, Oliver se rendit dans l’Est pour acheter
le matériel nécessaire à l’impression des billets de banque et Orson
Hyde partit demander au corps législatif de l’État une charte
permettant à l’établissement de fonctionner légalement. Pendant ce
temps, Joseph incita tous les saints à investir dans la Safety Society,
citant des Écritures de l’Ancien Testament qui demandaient aux
Israélites d’autrefois d’apporter leur or et leur argent au Seigneur.
Joseph sentait que Dieu approuvait leurs efforts et promit que tout se
passerait bien s’ils obéissaient aux commandements du Seigneur. Faisant
confiance à la parole du prophète, d’autres saints investirent dans la
Safety Society, mais certains étaient méfiants quant à l’idée d’acheter
des actions dans une banque qui n’avait pas fait ses preuves. Les
Crosby envisagèrent l’idée d’en acquérir, mais le coût de la
construction de leur maison était tellement élevé qu’ils ne disposaient
pas d’argent dont ils pouvaient se passer.
Vers le début du mois de décembre, Jonathan avait enfin installé les
fenêtres et les portes de leur maison et Caroline et lui emménagèrent.
L’intérieur n’était pas encore achevé, mais ils avaient une bonne
cuisinière pour se chauffer et se nourrir. Jonathan avait également
creusé un puits à proximité d’où ils pouvaient facilement tirer de
l’eau.
Caroline était heureuse d’avoir un foyer à elle et le 19 décembre, elle
donna le jour à un petit garçon en pleine santé pendant qu’une tempête
de neige aveuglante tourbillonnait à l’extérieur.
L’hiver enveloppa Kirtland et en janvier 1837, la Kirtland Safety
Society ouvrit ses portes. Le premier jour, Joseph distribua des
billets de banque tout neufs, fraîchement sortis de la planche à
billets, avec le nom de l’établissement et sa signature sur le devant.
Au fur et à mesure que les saints firent des emprunts, utilisant leurs
terres comme caution, les billets commencèrent à circuler à Kirtland et
ailleurs.
Phebe Carter, qui venait d’arriver du nord-est des États-Unis,
n’investit pas dans la Safety Society et ne fit pas d’emprunt non plus.
Mais elle comptait profiter de la prospérité que celle-ci promettait.
Elle avait presque trente ans, était célibataire et n’avait aucune
parenté à Kirtland sur laquelle elle pouvait compter pour la soutenir.
Comme d’autres femmes dans sa situation, ses options professionnelles
étaient limitées, mais elle pouvait gagner un revenu modeste en cousant
et en enseignant à l’école, comme elle l’avait fait avant d’emménager
en Ohio. Si l’économie de Kirtland s’améliorait, davantage de personnes
auraient de l’argent à dépenser dans de nouveaux vêtements et des
études.
Sa décision de venir là n’avait pas été économique mais spirituelle.
Ses parents s’étaient opposés à son baptême et après avoir annoncé ses
intentions de rejoindre les saints, sa mère avait protesté. Elle avait
dit : « Phebe, me reviendras-tu si tu découvres que le mormonisme est
faux ? »
Elle promit : « Oui, mère. »
Mais elle savait qu’elle avait trouvé l’Évangile rétabli de
Jésus-Christ. Quelques mois après son arrivée à Kirtland, elle avait
reçu une bénédiction patriarcale des mains de Joseph Smith, père, lui
garantissant de grandes récompenses ici-bas et dans les cieux. Le
Seigneur lui avait dit : « Sois consolée car tes ennuis sont finis. Tu
auras une longue vie et tu connaîtras de beaux jours. »
La bénédiction confirmait les sentiments qui l’habitaient lorsqu’elle
était partie de chez elle. Trop triste pour dire au revoir en personne,
elle avait écrit une lettre et l’avait laissée sur la table familiale.
Elle disait : « Ne vous inquiétez pas de votre enfant. Je crois que le
Seigneur prendra soin de moi et me donnera ce qu’il y a de meilleur. »
Elle avait foi aux promesses de sa bénédiction patriarcale. Celle-ci
disait qu’elle serait la mère de nombreux enfants et qu’elle épouserait
un homme doté de sagesse, de connaissance et de compréhension. Mais
pour l’instant, Phebe n’avait aucun projet de mariage et elle savait
qu’elle était plus âgée que la plupart des femmes qui se mariaient et
commençaient à avoir des enfants.
Un soir de janvier 1837, tandis qu’elle rendait visite à des amis, elle
rencontra un homme brun aux yeux bleu clair. Il avait quelques jours de
plus qu’elle et venait juste de revenir à Kirtland après avoir
participé à la marche du camp d’Israël et avoir fait une mission dans
le sud des États-Unis.
Elle apprit qu’il s’appelait Wilford Woodruff.
Tout au long de l’hiver, les saints continuèrent d’emprunter de grosses
sommes d’argent pour acheter des propriétés et des biens. Parfois, les
employeurs payaient les ouvriers en billets de banque qui pouvaient
être utilisés comme monnaie d’échange ou convertis en monnaie physique
au bureau de la Kirtland Safety Society.
Peu après l’ouverture de cette dernière, un homme appelé Grandison
Newell avait commencé à thésauriser les billets. Résidant de longue
date d’une ville voisine, il détestait Joseph et les saints. Il avait
joui d’une certaine notoriété dans le comté avant leur arrivée et
maintenant, il cherchait souvent des moyens, légaux ou autres, pour les
harceler.
Si des membres de l’Église venaient lui demander du travail, il
refusait de les embaucher. Si des missionnaires prêchaient près de chez
lui, il réunissait un groupe d’hommes pour les bombarder d’œufs. Quand
le docteur Philastus Hurlbut avait commencé à collecter des
déclarations calomnieuses à l’encontre de Joseph, il avait financé son
projet.
Néanmoins, en dépit de ses efforts, les saints continuaient de se
rassembler dans la région.
L’ouverture de la Kirtland Safety Society offrait à Grandison un nouvel
angle d’attaque. Inquiet du nombre croissant de banques en Ohio, le
corps législatif avait refusé d’accorder une charte à Orson Hyde. Sans
cette approbation, la Safety Society ne pouvait pas obtenir
l’appellation de banque, mais elle pouvait tout de même accepter des
dépôts et accorder des prêts. Sa réussite dépendait des paiements
effectués par les actionnaires afin que l’établissement puisse
conserver ses réserves. Cependant, peu d’entre eux avaient suffisamment
d’argent pour le faire et Grandison se doutait que les réserves de
l’établissement étaient trop faibles et ne dureraient pas longtemps.
Espérant que l’affaire fasse faillite si suffisamment de personnes
échangeaient les billets contre des pièces d’or ou d’argent, Grandison
parcourait la campagne pour acheter les billets de la Safety Society.
Il en apportait ensuite des liasses au bureau de l’établissement et
exigeait des espèces en retour. Si les employés ne les échangeaient
pas, il menaçait de porter plainte.
Acculés, Joseph et les employés n’eurent pas d’autre choix que celui
d’échanger les billets et de prier pour l’arrivée de nouveaux
actionnaires.
Bien qu’il n’eût que peu d’argent, Wilford Woodruff acheta vingt
actions dans la Kirtland Safety Society. Son ami Warren Parrish en
était le secrétaire. Wilford avait fait route vers l’ouest avec Warren
et sa femme Betsy dans le camp d’Israël. À la mort de Betsy lors de
l’épidémie de choléra, Warren et Wilford avaient fait une mission
ensemble puis Warren était rentré à Kirtland et était devenu le
secrétaire de Joseph et un ami de confiance.
Depuis sa mission, Wilford avait déménagé de lieu en lieu, vivant
souvent aux dépens de la gentillesse d’amis tels que Warren. Mais après
avoir rencontré Phebe Carter, il commença à songer au mariage, et
l’investissement dans la Safety Society était un moyen d’accéder à
l’autonomie financière avant de fonder une famille.
Fin janvier toutefois, l’établissement affrontait une crise. Pendant
que Grandison Newell essayait d’en épuiser les réserves, les journaux
locaux publiaient des articles mettant en doute sa légitimité. Comme
d’autres dans le pays, certains saints avaient également spéculé sur
des terres et des biens, espérant s’enrichir facilement. D’autres
avaient négligé les paiements exigés par leurs actions. Rapidement, de
nombreux ouvriers et entreprises de Kirtland et des alentours
refusèrent les billets de la Safety Society.
Craignant la faillite, Joseph et Sidney fermèrent temporairement
l’établissement et se rendirent dans une autre ville pour tenter de
s’associer à une banque bien établie. Mais le mauvais départ de la
Safety Society avait ébranlé la foi de nombreux saints, les amenant à
remettre en question la direction spirituelle du prophète qui les avait
incités à investir.
Par le passé, le Seigneur avait révélé des Écritures par
l’intermédiaire de Joseph, leur simplifiant la tâche d’exercer leur foi
en sa qualité de prophète de Dieu. Mais lorsque ses déclarations au
sujet de la Safety Society ne s’accomplirent pas et que leurs
investissements commencèrent à perdre de leur valeur, de nombreux
saints furent troublés et le critiquèrent.
Wilford continua de croire en la réussite de l’établissement. Après
s’être associé à une autre banque, le prophète revint à Kirtland et
répondit aux plaintes de ses détracteurs. Plus tard, lors de la
conférence générale, il parla aux saints des raisons pour lesquelles
l’Église empruntait de l’argent et fondait des établissements tels que
la Safety Society.
Il leur rappela qu’ils avaient commencé l’œuvre des derniers jours dans
le dénuement et le Seigneur leur avait pourtant demandé de sacrifier
leur temps et leurs talents pour se rassembler en Sion et construire un
temple. Ces efforts, bien que coûteux, étaient indispensables au salut
des enfants de Dieu. Pour faire avancer l’œuvre du Seigneur, les
dirigeants de l’Église devaient trouver une solution pour la financer.
Joseph regrettait tout de même tout ce qu’ils devaient à leurs
créanciers. Il admit : « Il est certain que nous leur sommes
redevables, mais il suffit que nos frères et sœurs à l’étranger
arrivent avec leur argent. » Il croyait que si des saints se
rassemblaient à Kirtland et consacraient leurs biens au Seigneur, cela
allégerait grandement les dettes de l’Église.
Pendant que Joseph parlait, Wilford sentit la puissance de ses paroles.
Il pensa : « Oh puissent-elles être gravées à jamais sur notre cœur à
l’aide d’une pointe d’acier afin que nous puissions les mettre en
pratique. » Il se demandait comment quiconque pouvait entendre le
prophète parler et douter encore qu’il soit appelé de Dieu.
Pourtant, les doutes subsistèrent. Mi-avril, l’économie de Kirtland
empira tandis qu’une crise financière submergeait la nation. Des années
de prêts excessifs avaient affaibli les banques en Angleterre et aux
États-Unis causant une crainte généralisée d’un effondrement
économique. Les banques demandaient le remboursement des dettes et
certaines arrêtèrent même de consentir des prêts. Telle une traînée de
poudre, la panique se propagea de ville en ville, les banques
fermaient, les entreprises faisaient faillite et le chômage montait en
flèche.
Dans ce climat, un établissement en difficulté tel que la Kirtland
Safety Society avait peu de chances de s’en sortir. Le prophète ne
pouvait pas faire grand-chose pour régler le problème, mais certains
trouvèrent quand même plus facile de l’accuser lui plutôt que la crise
économique nationale.
Très vite, des créanciers se mirent à harceler constamment Joseph et
Sidney. Un homme porta plainte contre eux pour une dette non acquittée
et Grandison Newell engagea des poursuites pénales à l’encontre du
prophète, affirmant que ce dernier conspirait contre lui. Les jours
passants, le prophète craignait de plus en plus d’être arrêté ou
assassiné.
Wilford et Phebe étaient maintenant fiancés et avaient demandé à Joseph
de les marier. Mais le jour de leur mariage, on ne le trouva nulle part
et c’est Frederick Williams qui accomplit la cérémonie.
Peu après sa disparition soudaine, Emma reçut une lettre de sa main lui
assurant qu’il était en sécurité. Sidney et lui avaient fui Kirtland,
mettant ainsi de la distance entre eux et les personnes qui leur
voulaient du mal. Leur lieu de refuge était secret, mais Newel Whitney
et Hyrum savaient comment les contacter et les tenaient ainsi informés
de loin.
Emma comprenait les dangers que courait Joseph. Lorsque sa lettre
arriva, des hommes (probablement des amis de Grandison Newell)
examinèrent le cachet de la poste pour tenter de découvrir l’endroit où
il se trouvait. D’autres espionnaient son magasin en difficulté.
Bien qu’elle restât optimiste, elle était inquiète pour les enfants.
Frederick, leur fils d’un an, était trop jeune pour comprendre ce qui
se passait, mais à quatre et six ans, Joseph et Julia furent troublés
lorsqu’ils apprirent que leur père n’allait pas rentrer tout de suite à
la maison.
Emma savait qu’elle devait faire confiance au Seigneur, surtout
maintenant que de nombreuses personnes à Kirtland optaient pour le
doute et l’incrédulité. À la fin du mois d’avril, elle écrivit à Joseph
: « Si je n’avais pas plus confiance en Dieu que certaines personnes
que je pourrais nommer, ce serait bien triste en effet. Mais je crois
encore que si nous nous humilions et sommes aussi fidèles que nous le
pouvons, nous serons délivrés de tous les pièges placés à nos pieds. »
Elle était tout de même inquiète que les créanciers de Joseph profitent
de son absence pour saisir tous les biens ou l’argent qu’ils pouvaient.
Elle déplora : « Il m’est impossible de faire quoi que ce soit tant que
tout le monde a plus de droits que moi sur tout ce qui est censé
t’appartenir. »
Elle était pressée qu’il rentre. Il y avait maintenant peu de personnes
à qui elle faisait confiance et elle n’était pas disposée à donner quoi
que ce soit à qui que ce soit sinon pour liquider les dettes de Joseph.
Et pour aggraver les choses, elle craignait que ses enfants aient été
exposés aux oreillons.
Elle écrivit : « J’aimerais que tu puisses être à la maison s’ils sont
malades. Tu dois penser à eux, car ils pensent tous à toi. »
Au milieu de ce tumulte, Parley et Thankful revinrent à Kirtland pour
la naissance de leur bébé. Comme Heber l’avait prophétisé, Thankful mit
au monde un petit garçon à qui ils donnèrent le nom de Parley. Mais
elle souffrit énormément pendant l’accouchement et mourut quelques
heures plus tard. Incapable de prendre soin de son nouveau-né, il le
confia à une femme qui pouvait l’allaiter et repartit au Canada.
Là-bas, il commença à envisager une mission en Angleterre avec l’aide
de saints tels que Joseph Fielding qui avait envoyé des lettres au
sujet de l’Évangile rétabli à des amis et des parents de l’autre côté
de l’océan.
Après avoir terminé sa mission au Canada, Parley retourna en Ohio et
épousa une jeune veuve appelée Mary Ann Frost. Il reçut également une
lettre de Thomas Marsh, le président du Collège des Douze, l’exhortant
à reporter sa mission en Angleterre jusqu’à ce que les apôtres puissent
se réunir en collège cet été-là à Kirtland.
Pendant qu’il attendait que les autres apôtres se rassemblent, Joseph
et Sidney revinrent à Kirtland pour régler leurs dettes et apaiser les
tensions parmi les saints.
Quelques jours plus tard, Sidney rendit visite à Parley et lui dit
qu’il était venu chercher les arriérés d’une dette. Quelque temps plus
tôt, Joseph lui avait prêté deux mille dollars pour acheter des terres
à Kirtland. Pour alléger ses propres dettes, Joseph les avait vendues
depuis à la Safety Society et Sidney venait maintenant réclamer
l’argent.
Parley lui dit qu’il n’avait pas les deux mille dollars, mais proposa
de restituer les terres. Sidney lui répondit qu’il faudrait qu’il
abandonne sa maison aussi pour solder la dette.
Parley fut hors de lui. Lorsqu’il lui avait vendu les terres, Joseph
lui avait dit qu’il ne serait pas lésé dans la transaction. Et qu’en
était-il de la bénédiction d’Heber Kimball lui promettant des richesses
incalculables et l’affranchissement de ses dettes ? Maintenant, Parley
avait le sentiment que Joseph et Sidney lui enlevaient tout ce qu’il
possédait. S’il perdait ses terres et sa maison, qu’est-ce que sa
famille et lui allaient devenir ?
Le lendemain, il envoya une lettre cinglante à Joseph. « Je suis
maintenant totalement convaincu que toute la scène de spéculation dans
laquelle nous sommes engagés est du diable, ce qui a donné libre cours
au mensonge, à la tromperie et à l’abus de son prochain. » Il dit à
Joseph qu’il croyait toujours au Livre de Mormon et aux Doctrine et
Alliances, mais qu’il était troublé par ses actes.
Il exigeait que Joseph se repente et accepte les terres pour solder la
dette. Autrement, il devrait l’attaquer en justice.
Il l’avertit : « Je me verrai dans l’obligation douloureuse de porter
plainte contre toi pour extorsion, convoitise et abus de ton prochain. »
Le 28 mai, quelques jours après que Parley eut envoyé sa lettre à
Joseph, Wilford Woodruff se rendit au temple pour une réunion
dominicale. Alors que les dissidences augmentaient à Kirtland, il
demeurait l’un des alliés les plus loyaux du prophète. Même Warren
Parrish, qui avait travaillé pendant des années aux côtes de Joseph,
avait commencé à le critiquer pour son rôle dans la crise financière et
était rapidement devenu un dirigeant parmi les dissidents.
Wilford priait pour que l’esprit de contention dans l’Église se
dissipe. Mais il n’allait pas rester à Kirtland beaucoup plus longtemps
pour aider. Ces derniers temps, il s’était senti poussé à apporter
l’Évangile aux îles Fox, au large de la côte du Maine, un État du
Nord-Est, non loin de chez les parents de Phebe. En route, il espérait
avoir la chance d’enseigner l’Évangile à ses propres parents et à sa
jeune sœur. Phebe l’accompagnerait pour faire la connaissance de sa
famille et l’emmènerait plus au nord rencontrer la sienne.
Aussi impatient qu’il était d’être avec sa famille, Wilford ne pouvait
s’empêcher de s’inquiéter au sujet de Joseph et de la situation de
l’Église à Kirtland. Prenant place dans le temple, il vit Joseph au
pupitre. Devant tant d’adversité, le prophète semblait abattu. Il avait
perdu des milliers de dollars dans la faillite de la Safety Society,
bien plus que quiconque. Et, contrairement à beaucoup d’autres, il
n’avait pas abandonné l’établissement quand il avait commencé à fléchir.
Les yeux balayant l’assemblée, Joseph se défendit contre ses
détracteurs en parlant au nom du Seigneur.
Pendant qu’il écoutait, Wilford put voir que le pouvoir et l’Esprit de
Dieu reposaient sur Joseph. Il le sentit également descendre sur Sidney
et d’autres lorsqu’ils prirent la parole et témoignèrent de l’intégrité
de Joseph. Mais, avant la fin de la réunion, Warren se leva et dénonça
Joseph devant l’assemblée.
Le cœur de Wilford se serra pendant qu’il écoutait la tirade. Il
déplora : « Oh, Warren, Warren. »
CHAPITRE 24 : La vérité triomphera
Vers la fin du printemps 1837, les apôtres Thomas Marsh, David Patten
et William Smith quittèrent leur foyer au Missouri et prirent la route
de Kirtland. De nombreux saints en Sion étaient maintenant installés le
long d’une rivière appelée Shoal Creek, à environ quatre-vingts
kilomètres au nord-est d’Independence. Là, ils avaient fondé une petite
ville nommée Far West, utilisant comme modèle à leur installation le
plan de Joseph pour la ville de Sion. Espérant trouver une solution
pacifique aux problèmes continuels des saints avec leurs voisins, le
corps législatif du Missouri avait créé le comté de Caldwell, qui
englobait les terres autour de Far West et de Shoal Creek pour
l’établissement des saints.
Thomas était impatient de retrouver le reste des Douze, surtout
lorsqu’il fut informé du désir de Parley d’apporter l’Évangile en
Angleterre. La prédication de l’Évangile outre-mer était une étape
importante dans l’œuvre du Seigneur et, en qualité de président du
collège, Thomas voulait réunir les apôtres et planifier ensemble la
mission.
Il s’inquiétait également au sujet des rapports, qu’il recevait,
relatifs aux désaccords à Kirtland. Trois des dissidents, Luke et Lyman
Johnson et John Boynton, étaient membres de son collège. À moins que
les Douze ne soient plus unis, Thomas craignait que la mission en
Angleterre soit infructueuse.
En Ohio, Heber Kimball voyait bien à quel point le Collège des Douze
était divisé depuis l’ouverture de la Kirtland Safety Society six mois
plus tôt. Lorsque les efforts de Joseph pour sortir l’Église des dettes
avaient échoué, Orson Hyde, William McLellin et Orson Pratt avaient
aussi commencé à lui en vouloir. Et maintenant avec Parley Pratt qui
s’élevait contre lui, Brigham Young et Heber étaient les seuls apôtres
loyaux restant à Kirtland.
Un jour, pendant qu’Heber était assis à côté du prophète à la chaire du
temple, Joseph se pencha vers lui et dit : « Frère Heber, l’Esprit du
Seigneur m’a murmuré : ‘Que mon serviteur Heber aille en Angleterre
proclamer mon Évangile et ouvrir la porte du salut à cette nation.’ »
Heber fut stupéfait. Il n’était qu’un potier très peu instruit.
L’Angleterre était la nation la plus puissante du monde et ses
habitants étaient réputés pour leur instruction et leur dévouement
religieux. Il pria : « Ô, Seigneur, je suis un homme à la langue mal
assurée et tout à fait impropre à une telle œuvre. Comment puis-je
aller prêcher dans ce pays ? »
Et sa famille ? Heber supportait difficilement l’idée de quitter Vilate
et leurs enfants pour aller prêcher outre-mer. Il était certain que
d’autres apôtres étaient plus qualifiés pour diriger la mission. Thomas
Marsh était le doyen des apôtres et faisait partie des premiers à avoir
lu le Livre de Mormon et à s’être joint à l’Église. Pourquoi le
Seigneur ne l’enverrait-il pas lui ?
Ou pourquoi pas Brigham ? Heber demanda à Joseph si Brigham pouvait au
moins l’accompagner en Angleterre. Brigham était avant lui par ordre
d’ancienneté dans le collège parce qu’il était plus âgé.
Joseph dit non. Il voulait que Brigham reste à Kirtland.
Heber accepta l’appel avec réticence et se prépara à partir. Il pria
quotidiennement au temple, demandant au Seigneur protection et pouvoir.
La nouvelle de son appel se répandit rapidement dans tout Kirtland et
d’autres soutinrent avec empressement sa décision de partir. Ils lui
dirent : « Fais comme le prophète t’a dit et que le pouvoir te soit
accordé de faire une œuvre merveilleuse. »
John Boynton était moins encourageant. Il se moqua : « Si tu es assez
idiot pour répondre à l’appel d’un prophète déchu, ne compte pas sur
moi pour t’aider. » Lyman Johnson aussi s’y opposait, mais, en voyant
la détermination d’Heber, il retira son manteau et le lui plaça sur les
épaules.
Peu après, Joseph Fielding arriva à Kirtland avec un groupe de saints
canadiens et lui et plusieurs autres furent affectés à la mission,
accomplissant la prophétie d’Heber que le service de Parley au Canada
poserait les fondements d’une mission en Angleterre. Orson Hyde se
repentit de sa désaffection et se joignit également au groupe. Enfin,
Heber invita le cousin de Brigham, Willard Richards, à les accompagner.
Le jour du départ, Heber s’agenouilla avec Vilate et leurs enfants. Il
pria Dieu de lui accorder de traverser l’océan en toute sécurité, de le
rendre utile dans le champ de la mission et de pourvoir aux besoins de
sa famille en son absence. Ensuite, les larmes coulant le long de ses
joues, il bénit chacun de ses enfants et partit pour les Îles
Britanniques.
La crise économique nationale se poursuivit jusqu’à l’été 1837.
Jonathan Crosby, n’ayant plus d’argent et plus beaucoup de nourriture,
cessa de travailler sur sa maison et se joignit à une équipe qui en
construisait une pour Joseph et Emma. Mais Joseph ne pouvait payer les
ouvriers qu’avec des billets de la Safety Society que de moins en moins
d’entreprises à Kirtland acceptaient comme moyen de paiement. Les
billets n’auraient bientôt plus aucune valeur.
Petit à petit, les hommes de l’équipe partirent à la recherche
d’emplois mieux rémunérés. Mais avec la crise financière, il en restait
peu à Kirtland et dans les environs ainsi que dans le reste du pays.
Par conséquent, le coût des marchandises augmenta et la valeur des
terres chuta brutalement. Peu de personnes à Kirtland avaient les
moyens de subvenir à leurs besoins ou d’embaucher. Pour payer les
dettes de l’Église, Joseph dut hypothéquer le temple, au risque qu’il
soit saisi.
Pendant que Jonathan travaillait sur la maison du prophète, sa femme,
Caroline, était souvent couchée, se remettant d’un mauvais rhume. Une
infection au sein l’empêchait d’allaiter son fils et voyant leur
réserve de nourriture diminuer, elle se demandait d’où viendrait le
prochain repas. Ils avaient un petit potager qui produisait quelques
légumes, mais pas de vache, ce qui les obligeait à acheter du lait à
des voisins pour nourrir leur fils.
Caroline savait que beaucoup de leurs amis étaient dans la même
situation. De temps à autre, quelqu’un partageait sa nourriture avec
eux, mais avec tant de saints ayant du mal à joindre les deux bouts, il
semblait que personne n’avait de quoi partager.
Au fil du temps, Caroline vit Parley Pratt, les Boynton et d’autres
amis proches imputer leurs difficultés à l’Église. Jonathan et elle
n’avaient pas perdu d’argent avec la Safety Society, mais la crise ne
les avait pas épargnés non plus. Comme de nombreuses autres personnes,
ils s’en sortaient à peine pourtant, ni elle ni Jonathan n’avaient le
désir de quitter l’Église ou d’abandonner le prophète.
En fait, Jonathan travailla sur la maison des Smith jusqu’à ce qu’il
soit le dernier de l’équipe. Lorsqu’ils n’eurent plus de nourriture, il
prit une journée de congé pour trouver des provisions pour sa famille,
mais rentra bredouille à la maison.
Qu’allons-nous faire maintenant ? demanda Caroline.
Jonathan savait qu’en dépit de leurs difficultés financières, Joseph et
Emma avaient parfois de la nourriture à donner aux personnes qui en
avaient moins qu’eux. Il dit : « Demain matin, j’irai dire à Emma où
nous en sommes. »
Le lendemain, Jonathan repartit travailler sur la maison des Smith,
mais avant qu’il ait eu l’occasion de parler à Emma, elle vint vers
lui. Elle dit : « Je ne sais pas où vous en êtes de vos provisions,
mais vous êtes venu travailler alors que tous les autres étaient
partis. » Elle tenait un gros jambon dans les mains. « J’avais envie de
vous faire un cadeau. »
Surpris, Jonathan la remercia et mentionna son garde-manger vide et la
maladie de Caroline. Lorsqu’elle entendit cela, elle lui dit d’aller
chercher un sac et de prendre autant de farine qu’il pouvait en porter.
Plus tard ce jour-là, Jonathan rapporta la nourriture à la maison et
lorsque Caroline prit son premier repas depuis des jours, elle trouva
que rien n’avait jamais été aussi savoureux.
Fin juin, à Kirtland, les dissidents devinrent plus agressifs. Menés
par Warren Parrish, ils perturbaient les réunions du dimanche dans le
temple et accusaient Joseph de toutes sortes de péchés. Si des saints
tentaient de défendre le prophète, les dissidents les faisaient taire
en criant plus fort et en les menaçant d’attenter à leurs jours.
Mary Fielding, qui s’était installée à Kirtland avec son frère avant
qu’il ne parte pour l’Angleterre, était consternée par l’agitation qui
régnait en Ohio. Lors d’une réunion dans le temple un matin, Parley
Pratt appela Joseph au repentir et déclara que presque toute l’Église
s’était détournée de Dieu.
Ses propos firent de la peine à Mary. La même voix qui lui avait
enseigné l’Évangile condamnait maintenant le prophète de Dieu et
l’Église. La lettre cinglante de Parley à Joseph avait circulé dans
tout Kirtland et Parley lui-même ne taisait pas ses griefs. Un jour que
John Taylor était en ville, il l’avait pris à part et l’avait averti
qu’il ne devait pas suivre Joseph.
John lui rappela : « Avant de quitter le Canada tu as témoigné
puissamment que Joseph était un prophète de Dieu et tu as dit que tu le
savais par révélation et par le don du Saint-Esprit. »
John a alors témoigné : « J’ai maintenant le même témoignage que celui
dont tu te réjouissais alors. Si l’œuvre était vraie il y a six mois,
elle est vraie aujourd’hui. Si Joseph Smith était un prophète alors, il
en est un maintenant. »
Sur ces entrefaites, Joseph tomba malade et ne put quitter le lit. Il
était torturé de douleurs intenses et devint trop faible pour soulever
sa tête. Emma et son médecin restaient à son chevet tandis qu’il
perdait régulièrement connaissance. Sidney dit qu’il croyait que Joseph
ne tarderait pas à mourir.
Ses détracteurs se délectaient de ses souffrances, disant que Dieu le
châtiait pour ses péchés. Beaucoup d’amis du prophète, cependant,
allèrent au temple et prièrent toute la nuit pour sa guérison.
Avec le temps, il commença à récupérer et Mary lui rendit visite
accompagnée de Vilate Kimball. Il dit que le Seigneur l’avait
réconforté pendant sa maladie. Mary était contente de voir qu’il allait
mieux et l’invita à rendre visite aux saints qui habitaient au Canada
lorsqu’il serait rétabli.
Le dimanche suivant, elle assista à une autre réunion dans le temple.
Joseph était encore trop faible pour participer donc Warren Parrish
marcha à grandes enjambées vers la chaire et s’assit à la place du
prophète. Hyrum, qui dirigeait la réunion, ne réagit pas à la
provocation, mais prêcha un long sermon sur la situation de l’Église.
Mary admira l’humilité avec laquelle il rappelait aux saints leurs
alliances.
Il dit à l’assemblée : « J’ai le cœur doux, j’ai l’impression d’être un
petit enfant. » La voix remplie d’émotion, il leur promit que l’Église
allait à l’instant même commencer à se relever.
Quelques jours plus tard, Mary écrivit à sa sœur Mercy. Elle dit : « Je
me sens vraiment poussée à espérer que sous peu l’ordre et la paix
seront rétablis dans l’Église. Unissons-nous tous de tout cœur en
prière pour cela. »
Un mois plus tard, Joseph Fielding, le frère de Mary, descendait d’une
diligence dans les rues de Preston. La petite ville, nichée au cœur de
prairies verdoyantes, était le centre industriel de l’Angleterre
occidentale. De hautes cheminées s’élevant au-dessus des nombreuses
usines et moulins de la ville crachaient des nuages de fumée grise qui
dissimulaient les flèches de multiples églises dans un brouillard de
suie. La Ribble fendait le centre de la ville, ondulant jusqu’à la mer.
Les missionnaires pour l’Angleterre étaient arrivés au port de
Liverpool deux jours plus tôt. Suivant l’inspiration de l’Esprit, Heber
avait commandé aux hommes de se rendre à Preston où le frère de Joseph
Fielding, James, était prédicateur. Joseph et ses sœurs avaient
correspondu avec lui, lui racontant leur conversion et témoignant de
l’Évangile rétabli de Jésus-Christ. James avait paru s’intéresser à ce
qu’ils avaient écrit et avait parlé à son assemblée de Joseph Smith et
des saints des derniers jours.
Les missionnaires arrivèrent à Preston le jour d’une élection et,
pendant qu’ils marchaient le long des rues, des ouvriers déployèrent
une bannière par une fenêtre juste au-dessus de leurs têtes. Son
message, écrit en lettres d’or, n’était pas à leur intention, mais il
les encouragea tout de même : La vérité triomphera.
Ils s’écrièrent : « Amen ! Louange à Dieu, la vérité triomphera ! »
Joseph Fielding partit immédiatement à la recherche de son frère.
Depuis son départ de Kirtland, il avait prié pour que le Seigneur
prépare James à recevoir l’Évangile. Comme lui, il chérissait le
Nouveau Testament et cherchait à vivre conformément à ses préceptes.
S’il acceptait l’Évangile rétabli, il pourrait être d’une grande aide
aux missionnaires et à l’œuvre du Seigneur.
Lorsque Joseph et les missionnaires le trouvèrent chez lui, il les
invita à prêcher le lendemain matin depuis sa chaire dans la chapelle
de Vauxhall. Joseph croyait que l’intérêt de son frère dans leur
message était l’œuvre du Seigneur, mais il comprenait également tout ce
qu’il pouvait perdre en leur ouvrant ses portes.
La prédication était son gagne-pain. S’il acceptait l’Évangile rétabli,
il se retrouverait sans emploi.
Sur la route entre Far West et Kirtland, Thomas Marsh, David Patten et
William Smith furent surpris de rencontrer Parley Pratt qui partait
dans la direction opposée. Essayant de compenser ses pertes, Parley
avait vendu des terres, encaissé ses actions dans la Safety Society et
partait seul pour le Missouri.
Toujours décidé à rétablir l’unité au sein du Collège des Douze, Thomas
l’exhorta à retourner à Kirtland avec eux. Ce dernier n’était pas
pressé de retourner là où il avait subi tant de chagrins et de
déceptions. Néanmoins, Thomas insista pour qu’il revienne sur sa
décision, convaincu qu’il pouvait se réconcilier avec le prophète.
Parley y réfléchit. Lorsqu’il avait écrit la lettre à Joseph, il
s’était dit que c’était pour le bien du prophète. Mais il savait qu’il
se leurrait. Il n’avait pas appelé Joseph au repentir dans un esprit
d’humilité. Il l’avait plutôt agressé verbalement en représailles.
Il se rendit également compte que son sentiment de trahison l’avait
rendu aveugle aux épreuves du prophète. Il avait eu tort de le
condamner et de l’accuser d’égoïsme et de cupidité.
Honteux, Parley décida de retourner à Kirtland avec Thomas et les
autres apôtres. Une fois arrivés, ils se rendirent chez Joseph. Il
était encore en convalescence, mais il reprenait des forces. Parley
pleura lorsqu’il le vit et s’excusa pour tout ce qu’il avait dit et
fait pour le blesser. Joseph lui pardonna, pria pour lui et lui donna
une bénédiction.
Pendant ce temps, Thomas tentait de rétablir l’unité parmi les autres
membres des Douze. Il réussit à réconcilier Orson Pratt et Joseph, mais
William McLellin avait déménagé et les frères Johnson et John Boynton
ne voulaient rien savoir.
Thomas lui-même commença à maugréer lorsqu’il apprit que Joseph avait
envoyé Heber Kimball et Orson Hyde en Angleterre sans le consulter. En
qualité de président des Douze, la direction de l’œuvre missionnaire et
de la mission en Angleterre n’était-elle pas sa responsabilité ?
N’était-il pas venu à Kirtland pour mobiliser les Douze et les envoyer
outre-mer ?
Il pria pour Heber et Orson et l’œuvre qu’ils accomplissaient à
l’étranger, mais il avait du mal à réprimer son ressentiment et son
orgueil froissé.
Le 23 juillet, il en parla à Joseph. Ils résolurent leur différend
pendant leur rencontre et Joseph reçut une révélation à son intention.
Le Seigneur lui assura : « Tu es l’homme que j’ai choisi pour détenir
les clefs de mon royaume, en ce qui concerne les Douze, au dehors,
parmi toutes les nations. » Il lui pardonna ses péchés et l’exhorta à
se réjouir.
Mais il affirma que les Douze agissaient sous l’autorité de Joseph et
de ses conseillers dans la Première Présidence, même dans les affaires
relatives à l’œuvre missionnaire. Le Seigneur dit : « Va en quelque
lieu qu’ils t’envoient, et je serai avec toi. » Il dit à Thomas que
l’obéissance aux recommandations de la Première Présidence ouvrirait la
voie à un plus grand succès dans le champ de la mission.
Il promit : « En quelque lieu que tu proclames mon nom, une porte
efficace te sera ouverte pour qu’ils reçoivent ma parole. »
Le Seigneur lui fit également savoir comment réparer son collège
divisé. Il dit : « Sois humble, et le Seigneur, ton Dieu, te conduira
par la main et te donnera la réponse à tes prières. »
Il exhorta Thomas et les Douze à mettre de côté leurs différends avec
Joseph et à se concentrer sur leur mission. Il continua : « Veillez à
ne pas vous faire de souci concernant les affaires de l’Église en ce
lieu […] mais purifiez-vous le cœur devant moi et allez ensuite dans le
monde entier prêcher mon Évangile à toutes les créatures. »
Il dit : « Voyez comme votre appel est grand. »
CHAPITRE 25 : Partez vous installer dans l’Ouest
Pendant le petit séjour de Jennetta Richards à Preston, en Angleterre,
en août 1837, elle entendit ses amis Ann et Thomas Walmesley beaucoup
parler d’un groupe de missionnaires venus d’Amérique.
Ann était malade depuis des années, dépérissant jusqu’à ce qu’il ne lui
reste plus que la peau sur les os. Lorsque Heber Kimball l’avait
instruite, il avait promis qu’elle serait guérie si elle faisait preuve
de foi, se repentait et entrait dans les eaux du baptême. Ann s’était
fait baptiser dans la nouvelle Église, ainsi que huit autres personnes,
et sa santé s’améliorait constamment.
Parmi les personnes qui se faisaient baptiser, beaucoup avaient
appartenu à l’assemblée de James Fielding. Bien qu’il ait autorisé les
missionnaires à prêcher dans son église, le révérend Fielding refusa le
baptême et fut mécontent de perdre ses paroissiens.
Jennetta était intriguée par le message des missionnaires américains.
Elle habitait dans le petit village rural de Walkerfold, à plus de
vingt kilomètres des cheminées et des rues encombrées de Preston. Son
propre père était un pasteur chrétien du village et elle avait donc
grandi avec la parole de Dieu dans son foyer.
Maintenant, à quelques semaines de son vingtième anniversaire, elle
était curieuse d’en apprendre davantage sur la vérité de Dieu.
Lorsqu’elle rendit visite aux Walmesley, elle rencontra Heber et fut
frappée par ce qu’il dit au sujet d’anges, d’annales anciennes gravées
sur des plaques d’or et d’un prophète vivant qui recevait des
révélations de Dieu, comme les prophètes de jadis.
Heber invita Jennetta à l’écouter prêcher ce soir-là. Elle y alla,
écouta et voulut en entendre davantage. Le lendemain, elle l’écouta de
nouveau prêcher et sut que ses paroles étaient vraies.
Le matin suivant, elle demanda à Heber de la baptiser. Accompagné
d’Orson Hyde, il la suivit sur les berges de la Ribble et il la plongea
dans l’eau. Ensuite, les deux hommes la confirmèrent sur les berges du
fleuve.
Après son baptême, Jennetta voulait rester à Preston avec les autres
saints, mais elle devait retourner auprès de ses parents à Walkerfold.
Elle était impatiente de leur parler de sa nouvelle religion, mais ne
savait pas comment son père réagirait en apprenant sa décision de se
joindre aux saints.
Heber lui dit : « Le Seigneur adoucira le cœur de ton père. J’aurai
même la chance de prêcher dans son église. »
Espérant qu’il ait raison, Jennetta lui demanda de prier pour elle.
Cet été-là, Joseph se rendit au Canada pour rendre visite aux saints à
Toronto. En son absence, lors de la réunion du dimanche dans le temple
de Kirtland, Joseph, père, parla de la Safety Society chancelante. Il
prit la défense de son fils et condamna les actions des dissidents qui
étaient assis à l’autre bout de la pièce.
Pendant que le patriarche s’adressait aux saints, Warren Parrish se
leva et exigea la parole. Joseph, père, lui dit de ne pas l’interrompre
mais Warren traversa la pièce en courant et força le passage jusqu’à la
chaire. Il saisit Joseph, père, et essaya de le déloger du pupitre. Le
patriarche appela Oliver Cowdery au secours, lequel était juge de paix
local, mais celui-ci ne fit rien pour venir en aide à son vieil ami.
Voyant son père en danger, William Smith bondit sur ses pieds, ceintura
Warren et le traîna en bas de l’estrade. John Boynton se jeta sur
William en dégainant une épée. Il pointa la lame sur sa poitrine et
menaça son collègue apôtre de le transpercer s’il faisait un pas de
plus. D’autres dissidents sortirent des couteaux et des pistolets de
leurs poches et encerclèrent William.
Le temple fut plongé dans le chaos. Des gens se ruèrent vers les portes
ou s’échappèrent par des fenêtres voisines. Des policiers firent
irruption dans la pièce, se frayèrent un passage dans la foule en fuite
et luttèrent contre les hommes armés.
Quelques semaines plus tard, lorsque Joseph revint à Kirtland et apprit
ce qui s’était passé, il convoqua les saints en urgence à une
conférence et demanda un vote de soutien pour chacun des dirigeants de
l’Église. Les saints le soutinrent, lui et la Première Présidence, mais
démirent John Boynton, Luke Johnson et Lyman Johnson de leur appel de
membre du Collège des Douze.
Le vote de confiance était rassurant, mais Joseph savait que les
problèmes de Kirtland étaient loin d’être terminés. Étant le seul pieu
dans l’Église, Kirtland était censé offrir aux saints un lieu de
rassemblement. Mais, économiquement et spirituellement, la ville était
en difficulté, et les dissidents montaient les membres vulnérables
contre lui. Pour de nombreuses personnes, Kirtland avait cessé d’être
un lieu de paix et de force spirituelle.
Récemment, dans une vision, le Seigneur avait exhorté Joseph à créer de
nouveaux pieux de Sion et à élargir les frontières de l’Église. Joseph
et Sidney croyaient que le moment était maintenant venu d’aller au
Missouri, d’inspecter la nouvelle colonie à Far West et de créer
d’autres pieux comme lieux de rassemblement pour les saints.
Joseph devait aussi rendre visite au Missouri pour d’autres raisons. Il
craignait que l’apostasie à Kirtland n’ait affecté les dirigeants de
l’Église en Sion. Quand ils avaient fondé Far West, John Whitmer et
William Phelps n’avaient pas consulté l’épiscopat ni le grand conseil,
comme la révélation le commandait. Ils avaient également acheté des
terres en leur nom avec l’argent des dons et les avaient vendues pour
leur bénéfice personnel.
Bien que les deux hommes aient reconnu leur faute, Joseph et d’autres
dirigeants de l’Église les soupçonnaient d’être encore malhonnêtes dans
leur gestion des terres au Missouri.
Joseph s’inquiétait également de l’influence des membres de la Première
Présidence qui s’apprêtaient à emménager à Far West. Frederick Williams
et lui s’étaient affrontés au sujet de la gestion de la Kirtland Safety
Society et leur amitié en avait souffert. Entre-temps, Oliver était
troublé de voir Joseph prendre plus activement part à l’économie et à
la politique locales. David Whitmer, le président de l’Église au
Missouri, et lui, trouvaient que Joseph exerçait une trop grande
influence sur les affaires temporelles dans son rôle de prophète.
Bien que ces hommes n’aient pas pactisé avec Warren Parrish et les
autres dissidents, leur loyauté à l’égard du prophète avait faibli au
cours des huit derniers mois et Joseph s’inquiétait qu’ils ne causent
des problèmes en Sion.
Avant de quitter Kirtland, Joseph demanda à son frère Hyrum et à Thomas
Marsh de le précéder à Far West pour avertir les saints fidèles du
désaccord croissant qui existait entre lui et ces hommes. Pour Hyrum,
cela signifiait laisser sa femme, Jerusha, alors qu’elle était à
quelques semaines à peine d’accoucher de leur sixième enfant, mais il
accepta la mission.
La dispute d’Oliver avec le prophète allait au-delà des désaccords
quant à la manière de diriger l’Église. Depuis qu’il avait pris
connaissance du mariage plural dans sa traduction inspirée de la Bible,
Joseph avait su que parfois, Dieu commandait à son peuple de pratiquer
ce principe. Joseph n’avait pas immédiatement agi, mais quelques années
plus tard un ange du Seigneur lui avait commandé d’épouser une autre
femme.
Après avoir reçu le commandement, Joseph avait eu du mal à vaincre son
aversion naturelle pour l’idée. Il pouvait prévoir les épreuves qui
découleraient du mariage plural et il voulait s’en détourner. Mais
l’ange l’exhorta à agir et lui commanda de ne faire part de cette
révélation qu’aux personnes dont l’intégrité était indéfectible. L’ange
lui commanda aussi d’en préserver la confidentialité jusqu’à ce que le
Seigneur juge bon de rendre la pratique publique par l’intermédiaire de
ses serviteurs choisis.
Pendant les années où Joseph vécut à Kirtland, une jeune fille appelée
Fanny Alger travaillait chez les Smith. Joseph connaissait bien sa
famille et lui faisait confiance. Ses parents étaient des saints
fidèles qui s’étaient joints à l’Église dans sa première année. Son
oncle, Levi Hancock, avait participé à l’expédition du camp d’Israël.
Suivant le commandement du Seigneur, Joseph demanda Fanny en mariage
avec l’aide de Levi et l’approbation des parents de la jeune fille.
Fanny accepta les enseignements de Joseph et sa demande, et son oncle
accomplit la cérémonie.
Puisque le moment n’était pas encore venu d’enseigner le mariage plural
dans l’Église, le mariage de Joseph et Fanny resta confidentiel, comme
l’ange l’avait commandé. Mais les rumeurs circulaient parmi certaines
personnes à Kirtland. À l’automne 1836, Fanny avait déménagé.
Oliver critiquait sévèrement la relation de Joseph avec Fanny, mais
rien de ce qu’il savait n’était très clair. Nous ne savons pas non plus
exactement si Emma était au courant du mariage. Avec le temps, Fanny
épousa un autre homme et vécut loin du groupe principal de saints. Plus
tard, elle reçut une lettre de son frère l’interrogeant sur son mariage
plural avec Joseph.
Elle répondit : « C’est une affaire qui ne regarde que nous et je n’ai
rien à déclarer. »
À l’automne 1837, pendant que Joseph et Sidney partaient pour Far West,
Wilford Woodruff était missionnaire parmi des pêcheurs et des
baleiniers sur les îles Fox dans l’océan Atlantique Nord. Lui et son
collègue, Jonathan Hale, étaient arrivés sur l’une de ces îles battues
par les éléments les dernières semaines d’août. Aucun des deux ne
savait grand-chose de l’endroit, qui était recouvert d’épaisses forêts
de conifères, mais ils voulaient participer à l’accomplissement de la
prophétie d’Ésaïe que le peuple du Seigneur se rassemblerait des îles
de la mer.
Avant que les deux hommes ne partent, certains dissidents avaient tenté
de décourager Jonathan d’aller sur les îles Fox, prédisant qu’il n’y
baptiserait personne. Il ne voulait pas leur donner raison.
Wilford et Jonathan travaillaient ensemble depuis quelques mois déjà.
Après avoir quitté Kirtland, ils avaient essayé de parler de l’Évangile
à la famille de Wilford, dans le Connecticut, mais son oncle, sa tante
et son cousin étaient les seuls à s’être fait baptiser. Phebe Woodruff
les avait rejoints peu après et ils avaient longé la côte jusque chez
ses parents dans le Maine où elle resta pendant qu’ils poursuivaient
leur mission.
L’un des premiers contacts de Wilford et de Jonathan sur les îles fut
un pasteur appelé Gideon Newton. Wilford et Jonathan avaient pris un
repas avec sa famille et lui avaient donné un Livre de Mormon. Ensuite,
les missionnaires étaient allés dans son église et Wilford avait prêché
en s’appuyant sur le Nouveau Testament.
Les quelques jours qui suivirent, ils prêchèrent quotidiennement,
souvent dans des écoles. Ils trouvèrent les habitants des îles
intelligents, vaillants et aimables. Gideon et sa famille participaient
à la plupart de leurs réunions. Le pasteur étudia le Livre de Mormon et
sentit l’Esprit témoigner de sa véracité. Mais il ne savait pas s’il
pouvait l’accepter, surtout si cela signifiait abandonner ses fidèles.
Un matin, après plus d’une semaine sur les îles, Wilford prêcha un
sermon à une grande assemblée dans l’église de Gideon. L’accueil
chaleureux que le sermon reçut inquiéta le pasteur qui fit front aux
missionnaires plus tard ce jour-là. Il leur dit qu’il avait
suffisamment lu le Livre de Mormon et qu’il ne pouvait pas y adhérer.
Il avait l’intention d’user de toute son influence sur les îles pour
mettre un terme à leur prédication.
Il partit à l’église prêcher son propre sermon, laissant Wilford et
Jonathan dubitatifs quant à leur succès futur sur l’île. Mais quand
Gideon arriva à son église, il la trouva déserte. Personne n’était venu
l’entendre prêcher.
Ce soir-là, Wilford et Jonathan logèrent chez le capitaine Justus Eames
et sa femme, Betsy. Les Eames s’intéressèrent au message des
missionnaires et après une réunion du dimanche, Wilford les invita à se
faire baptiser. À sa grande joie, ils acceptèrent.
Se tournant vers Jonathan, Wilford lui rappela que les dissidents de
Kirtland avaient prédit leur échec sur les îles. Désignant Justus, il
dit : « Va le baptiser et prouve-leur qu’ils sont de faux prophètes. »
Occupé à sa tâche à Far West, Hyrum attendit l’arrivée de son frère,
espérant chaque jour que Joseph rapporterait des nouvelles de Jerusha.
Hyrum et Thomas avaient trouvé la ville de Far West florissante. Les
saints avaient tracé des rues larges et des lots spacieux pour les
maisons et les jardins. Les enfants riaient et jouaient dans les rues,
évitant les chevaux, les chariots et les charrettes qui passaient près
d’eux. La ville comptait des maisons, des cabanes, un hôtel et
plusieurs boutiques et magasins, notamment celui de l’évêque. Un site
réservé au temple se trouvait en son centre.
Joseph et Sidney arrivèrent à Far West début novembre, mais ils
n’avaient pas de nouvelles pour Hyrum. Quand ils avaient quitté
Kirtland quelques semaines auparavant, Jerusha n’avait toujours pas
accouché.
Joseph convoqua rapidement une conférence à Far West pour discuter des
moyens d’aménager la ville en vue d’une expansion future. Sidney et lui
voyaient que la région avait suffisamment d’espace pour permettre aux
saints de se rassembler en plus grand nombre sans empiéter sur leurs
voisins et risquer d’autres actes de violence. Lors de la conférence,
Joseph annonça leurs plans d’expansion et reporta les travaux sur le
nouveau temple jusqu’à ce que le Seigneur révèle sa volonté concernant
le bâtiment.
Le prophète demanda aux saints de Far West un vote de soutien en faveur
des dirigeants de l’Église. Cette fois-ci, Frederick Williams fut démis
de son office dans la Première Présidence et Sidney Rigdon nomma Hyrum
à sa place. Les saints approuvèrent la nomination.
Quelques jours plus tard, Hyrum reçut les nouvelles tant attendues dans
une lettre provenant de Kirtland. Mais elle était écrite par son frère
Samuel, et non par Jerusha. Elle commençait : « Cher frère Hyrum, ce
soir, c’est par devoir que je m’assois pour t’écrire, sachant que tout
homme raisonnable veut savoir exactement comment va sa famille. »
Les yeux d’Hyrum balayaient la page. Jerusha avait mis au monde une
petite fille en bonne santé, mais l’accouchement l’avait affaiblie. La
famille Smith avait essayé de la soigner, mais elle était décédée au
bout de quelques jours.
Hyrum et Joseph commencèrent immédiatement à se préparer à retourner à
Kirtland. Avant de partir, Joseph rencontra Thomas et Oliver en privé.
Ils parlèrent des objections d’Oliver contre le mariage de Joseph à
Fanny Alger, mais leur différend ne fut pas résolu. Finalement, Joseph
tendit la main à Oliver et dit qu’il voulait abandonner tout désaccord
entre eux. Oliver lui serra la main et ils se séparèrent.
Joseph, Sidney et Hyrum arrivèrent à Kirtland quelques semaines plus
tard. Hyrum retrouva chez des parents ses cinq enfants pleurant encore
la disparition soudaine de leur mère, qui était enterrée dans le
cimetière à côté du temple. Il ne savait pas du tout comment il allait
pouvoir s’occuper d’eux, seul, et avec ses nouvelles responsabilités
dans la Première Présidence.
Joseph encouragea son frère à se remarier et lui recommanda Mary
Fielding. Elle était aimable, cultivée et engagée envers l’Église. Elle
ferait une compagne excellente pour Hyrum et une mère attentionnée pour
ses enfants.
Hyrum demanda Mary en mariage peu de temps après. À trente-six ans, on
lui avait fait plus d’une demande en mariage, mais elle avait toujours
refusé. Une fois, sa mère l’avait mise en garde de ne jamais épouser un
veuf avec des enfants. Si elle acceptait d’épouser Hyrum, elle devenait
instantanément mère de six enfants.
Mary réfléchit à la demande et accepta. Elle admirait déjà la famille
Smith, considérait Joseph comme un frère et respectait Hyrum pour son
humilité. Ils se marièrent la veille de Noël.
Beaucoup de saints furent soulagés d’avoir Joseph de retour à Kirtland,
mais tout espoir qu’il puisse rétablir la bonne entente au sein de
l’Église s’évanouit très vite. Warren Parrish, Luke Johnson et John
Boynton se réunissaient chaque semaine avec Grandison Newell et
d’autres ennemis de l’Église pour condamner la Première Présidence.
D’anciens piliers, tels que Martin Harris, se joignirent rapidement à
eux et à la fin de l’année, les principaux dissidents avaient fondé
leur propre église.
Peu après, Vilate Kimball écrivit à son mari en Angleterre à propos de
la situation de l’Église en Ohio. Connaissant l’amour d’Heber pour Luke
Johnson et John Boynton, qui avaient été membres du collège comme lui,
Vilate hésitait à lui annoncer les terribles nouvelles.
Elle écrivit : « Je ne doute pas que cela te fasse mal au cœur. Ils
prétendent croire au Livre de Mormon et aux Doctrine et Alliances, mais
leurs œuvres prouvent le contraire. »
À la fin de la lettre, Marinda Hyde ajouta un mot pour son mari, Orson.
Luke Johnson était son frère aîné et son apostasie lui brisait
également le cœur. Elle écrivit : « Tu n’as jamais vu une situation à
Kirtland comme celle dans laquelle nous sommes maintenant car il semble
que toute confiance mutuelle ait disparu. » Elle devait veiller et
prier pour savoir la marche à suivre dans ces temps périlleux.
Elle dit à son mari : « S’il y a un moment de ma vie où j’ai voulu te
voir, c’est bien maintenant. »
Rien ne semblait modérer les sentiments des dissidents. Ils affirmaient
que Joseph et Sidney avaient mal géré la Kirtland Safety Society et
escroqué les saints.. Warren croyait qu’un prophète devait être plus
pieux que les autres personnes et il se servit de la faillite de la
Safety Society pour montrer à quel point Joseph en était loin.
Après avoir essayé pendant des mois de se réconcilier avec les chefs
des dissidents, le grand conseil de Kirtland les excommunia. Ceux-ci
s’emparèrent du temple pour leurs propres réunions et menacèrent de
chasser de Kirtland toute personne qui se montrait loyale à l’égard de
Joseph.
Vilate croyait qu’ils avaient tort de tourner le dos aux saints mais
c’est plus du chagrin qu’elle éprouvait pour eux que de la colère. Elle
écrivit à Heber : « Après tout ce que j’ai dit au sujet de ce groupe de
dissidents, j’aime certains d’entre eux et je les plains sincèrement. »
Elle savait que l’effondrement de la Safety Society les avait éprouvés
spirituellement et matériellement. Elle aussi avait pensé que Joseph
avait fait des erreurs dans sa gestion de l’établissement mais elle
n’avait pas perdu confiance au prophète.
Elle dit à Heber : « J’ai toutes les raisons de croire que Joseph s’est
humilié devant le Seigneur et s’est repenti. » Et elle était sûre que
l’Église tiendrait le coup.
Elle écrivit : « Le Seigneur dit : celui qui ne supporte pas le
châtiment mais me renie ne peut être sanctifié. » Cela voulait
peut-être dire qu’elle serait seule face à l’hostilité à Kirtland mais
les enfants et elle attendaient qu’Heber rentre de mission. Ou, si la
situation empirait, cela pouvait signifier abandonner leur maison et
partir s’installer au Missouri.
Elle dit à Heber : « Si nous devons fuir, je le ferai. »
À l’aube de la nouvelle année, les dissidents de Kirtland se firent
plus amers et agressifs. Les menaces des émeutiers planaient sur
l’Église et le prophète était harcelé par les dettes et les poursuites
judiciaires sans fondement. Très vite, un shérif local armé d’un mandat
d’arrêt commença à le rechercher. S’il était attrapé, Joseph risquait
un procès coûteux et peut-être l’emprisonnement.
Le 12 janvier 1838, le prophète rechercha l’aide du Seigneur et reçut
une révélation. Le Seigneur commanda : « Que la présidence de mon
Église prenne chacun sa famille et déménage dans l’Ouest, aussi loin
que le chemin est tracé. »
Le Seigneur exhorta les amis de Joseph et leur famille à se rassembler
aussi au Missouri. Il déclara : « Soyez en paix les uns avec les
autres, sinon vous ne serez pas en sécurité. »
Les Smith et les Rigdon organisèrent immédiatement leur fuite. Les deux
hommes se glisseraient hors de Kirtland cette nuit-là et leur famille
suivrait peu après en chariot.
Ce soir-là, bien après la tombée de la nuit, Joseph et Sidney
grimpèrent sur leurs chevaux et quittèrent la ville. Ils voyagèrent en
direction du sud jusqu’au matin, parcourant quelque cent kilomètres.
Lorsque leurs chevaux furent épuisés, les hommes s’arrêtèrent et
attendirent leur femme et leurs enfants.
Ni Joseph ni Sidney ne pensaient revoir Kirtland un jour. Lorsque leurs
familles arrivèrent, les hommes montèrent avec elles dans les chariots
et prirent la route de Far West.
CHAPITRE 26 : Une
terre sainte et consacrée
L’hiver 1838 fut long et froid. Pendant que les familles de Joseph et
de Sidney avançaient vers l’ouest, Oliver Cowdery parcourait
péniblement le nord du Missouri, luttant contre la neige et la pluie
pour chercher des lieux susceptibles d’accueillir de nouveaux pieux de
Sion. Les terres faisaient partie des plus belles qu’il eût jamais vues
et il prospecta des dizaines d’endroits où les saints pourraient bâtir
des villes et des fabriques. Cependant, il trouva peu de nourriture
dans ces contrées faiblement colonisées et la nuit, il n’avait que de
la terre humide pour s’allonger.
Quand il revint à Far West trois semaines plus tard, il était épuisé.
Lorsqu’il eut repris des forces, il apprit que Thomas Marsh, David
Patten et le grand conseil enquêtaient sur lui et sur la présidence de
l’Église du Missouri (David Whitmer, John Whitmer et William Phelps)
pour cause de mauvaise conduite.
Les accusations portaient sur leur gestion des terres de la région.
Quelque temps auparavant, John et William avaient vendu des propriétés
de l’Église à Far West et s’étaient approprié les bénéfices ; l’affaire
n’avait jamais été élucidée. De plus, Oliver, John et William avaient
récemment vendu une partie de leurs terres dans le comté de Jackson.
Même s’ils avaient légalement le droit de vendre ces terres, qui leur
appartenaient, elles avaient été consacrées au Seigneur et une
révélation leur interdisait de le faire. Non seulement les trois hommes
avaient rompu l’alliance sacrée mais ils avaient fait preuve d’un
manque de foi en Sion.
Lorsqu’il comparut devant le grand conseil du Missouri, Oliver insista
sur le fait qu’ils pouvaient vendre selon leur bon plaisir puisque lui
et les autres avaient payé les terres du comté de Jackson avec leur
propre argent. En privé, il remit en question les motivations de
certains membres du conseil. Il se méfiait des hommes comme Thomas
Marsh et d’autres, qui semblaient briguer les postes et l’autorité.
Oliver les soupçonnait d’avoir dressé Joseph contre lui, ajoutant une
tension à son amitié déjà fragilisée avec le prophète.
Il confia à son frère : « Une telle course au pouvoir me rend malade.
Je suis venu dans cette région pour être en paix. Si je n’y parviens
pas, j’irai où je peux. »
Du fait qu’Oliver était membre de la Première Présidence, il était hors
de la juridiction du grand conseil et conserva son appel. En revanche,
David, John et William furent démis de leur poste.
Quatre jours plus tard, Oliver rencontra les trois hommes et plusieurs
autres qui étaient impatients de se séparer de l’Église. Beaucoup
d’entre eux étaient des partisans de Warren Parrish et de sa nouvelle
église à Kirtland. Comme lui, ils étaient décidés à s’opposer au
prophète.
Jour après jour, alors que les saints attendaient le retour de Joseph à
Far West, le mépris d’Oliver pour les dirigeants de l’Église
grandissait. Il doutait qu’ils comprennent pourquoi il agissait comme
il le faisait. Il ricanait : « Nous ne nous attendons pas à être
applaudis ou approuvés par les déraisonnables et les ignorants. »
Il avait toujours foi dans le Livre de Mormon et le rétablissement de
l’Évangile, et il ne pouvait pas oublier ni nier les expériences
sacrées qu’il avait vécues avec le prophète. Ils avaient été frères et
meilleurs amis, compagnons de service de Jésus-Christ.
Mais à présent, ces jours n’étaient plus qu’un lointain souvenir.
Une fois que Jennetta Richards fut de retour chez elle à Walkerfold, en
Angleterre, ses parents, John et Ellin Richards, manifestèrent de
l’intérêt pour Heber Kimball et son baptême. Prenant de quoi écrire,
son père rédigea une courte lettre à l’attention du missionnaire,
l’invitant à prêcher dans son église.
Il écrivit : « Vous êtes attendu ici dimanche prochain. Bien que nous
soyons étrangers l’un pour l’autre, j’espère que nous ne sommes pas
étrangers à notre Rédempteur béni. »
Heber arriva le samedi suivant et le révérend l’accueillit
chaleureusement. Il dit : « Si j’ai bien compris, vous êtes le pasteur
arrivé récemment d’Amérique. Que Dieu vous bénisse ! » Il fit entrer
Heber chez lui et lui offrit à manger.
La famille discuta avec lui jusque tard dans la soirée. En regardant
les deux hommes faire connaissance, Jennetta remarqua leurs
différences. Son père avait soixante-douze ans et avait prêché à la
chaire de Walkerfold pendant plus de quarante ans. Il était petit,
portait une perruque brune et lisait le grec et le latin. Heber, en
revanche, était grand, large d’épaules et chauve. Il n’avait pas encore
quarante ans, était peu instruit et manquait de raffinement.
Pourtant, ils devinrent de très bons amis. Le lendemain matin, les deux
hommes marchèrent ensemble jusqu’à la chapelle de Walkerfold. Sachant
qu’un missionnaire américain allait prêcher, il vint plus de gens que
d’habitude à la réunion et la minuscule chapelle était bondée. Une fois
que le révérend eut ouvert la réunion avec un chant et une prière, il
invita Heber à prêcher.
Ce dernier prit la chaire et s’adressa à l’assemblée avec le
vocabulaire d’un homme ordinaire. Il parla de l’importance de la foi en
Jésus-Christ et du repentir sincère. Il dit qu’il fallait se faire
baptiser par immersion et recevoir le don du Saint-Esprit par quelqu’un
qui avait l’autorité appropriée de Dieu.
Comme les convertis au Canada un an plus tôt, les habitants de
Walkerfold acceptèrent facilement le message, lequel était conforme à
leur compréhension de la Bible. Cet après-midi-là, d’autres personnes
vinrent écouter Heber prêcher de nouveau. Lorsqu’il eut terminé,
l’assemblée était en larmes et le père de Jennetta l’invita à prêcher
le lendemain.
Bientôt Jennetta ne fut plus la seule croyante de Walkerfold. Après le
sermon du lundi, l’assemblée le supplia de prêcher de nouveau le
mercredi. À la fin de la semaine, il avait baptisé six membres de
l’assemblée et les habitants de Walkerfold étaient vivement désireux
d’en entendre davantage.
Le 14 mars 1838, Joseph, Emma et leurs trois enfants arrivèrent à Far
West après presque deux mois de voyage. Impatients d’accueillir le
prophète en Sion, les saints reçurent la famille avec joie. Leurs
paroles amicales et leurs étreintes chaleureuses furent un changement
heureux après les dissidences et l’hostilité que Joseph avait laissées
à Kirtland. Les saints qui se pressaient autour de lui étaient unis et
l’amour abondait entre eux.
Joseph voulait prendre un nouveau départ au Missouri. Les saints de
Kirtland et des branches de l’Église dans l’est des États-Unis et du
Canada allaient bientôt arriver. Pour les recevoir, l’Église avait
besoin d’établir des pieux de Sion où ils pourraient se rassembler dans
la paix et avoir la chance de prospérer.
Oliver avait déjà exploré la région en quête de nouveaux lieux de
rassemblement et son rapport était prometteur. Mais Joseph savait qu’il
devait régler le problème de dissidence croissante à Far West avant que
les saints ne puissent commencer à s’installer. Cela le peinait de voir
des amis comme Oliver s’éloigner de l’Église mais il ne pouvait
permettre à la discorde de prospérer au Missouri comme cela avait été
le cas à Kirtland.
Joseph attribuait les mérites de la paix relative de Far West à la
direction de Thomas Marsh et du grand conseil. Après avoir démis
William Phelps et John Whitmer de leur office, le grand conseil les
avait excommuniés et Joseph approuvait sa décision. Maintenant, il
pensait qu’il était temps de s’occuper de l’apostasie d’Oliver.
Le 12 avril, Edward Partridge réunit un conseil d’évêque pour examiner
le statut d’Oliver dans l’Église. L’opposition de ce dernier n’était
plus un secret. Il avait cessé d’aller aux réunions de l’Église,
ignorait les conseils des autres dirigeants et avait écrit des lettres
insultantes à Thomas et au grand conseil. Il était aussi accusé d’avoir
vendu ses terres dans le comté de Jackson contrairement à la
révélation, d’avoir incriminé faussement Joseph d’adultère et d’avoir
abandonné la cause de Dieu.
Oliver choisit de ne pas assister à l’audience mais envoya à l’évêque
Partridge une lettre à lire pour sa défense. Dans cette dernière, il ne
niait pas la vente de ses terres dans le comté de Jackson ni son
opposition aux dirigeants de l’Église. Il insistait plutôt sur le fait
qu’il avait légalement le droit de les vendre en dépit de toute
révélation, alliance ou commandement. Il renonçait également à son
appartenance à l’Église.
Pendant le reste de la journée, le conseil examina les preuves et
entendit plusieurs saints témoigner des actions d’Oliver. Joseph se
leva, parla de son ancienne confiance en ce dernier et, en réponse à
ses accusations, expliqua sa relation avec Fanny Alger.
Après avoir entendu d’autres témoignages, le conseil discuta du cas
d’Oliver. Comme lui, ils chérissaient les principes du libre arbitre et
de la liberté. Néanmoins, depuis près d’une décennie, le Seigneur avait
aussi exhorté les saints à être unis, à mettre de côté leurs désirs
personnels pour consacrer ce qu’ils avaient à l’édification du royaume
de Dieu.
Oliver s’était détourné de ces principes et se reposait plutôt sur son
propre jugement, traitant l’Église, ses dirigeants et les commandements
du Seigneur avec mépris. Après avoir examiné les accusations une fois
de plus, l’évêque Partridge et son conseil prirent la décision
douloureuse d’excommunier Oliver de l’Église.
Dans la vallée de la Ribble, en Angleterre, le printemps mit fin au
grand froid de l’hiver. Voyageant à travers de verts pâturages près
d’une ville voisine de Walkerfold, Willard Richards cueillit une petite
fleur blanche d’une haie qui bordait la route. Il visitait les branches
de l’Église de la région et comptait écouter Heber Kimball et Orson
Hyde prêcher cet après-midi-là, lors d’une réunion à huit kilomètres de
là.
Depuis son arrivée en Angleterre, huit mois auparavant, Willard et ses
collègues avaient baptisé plus de mille personnes dans les villes et
les villages de la vallée. Beaucoup de nouveaux membres étaient de
jeunes ouvrières et ouvriers attirés par le message d’espoir et de paix
de l’Évangile de Jésus-Christ. Les manières simples d’Heber les
mettaient à l’aise et il gagnait rapidement leur confiance.
Mieux instruit qu’Heber et formé en médecine naturelle, il manquait à
Willard l’attrait du parler direct de son collègue missionnaire, lequel
devait lui rappeler parfois de simplifier son message et de se
concentrer sur les premiers principes de l’Évangile. Mais Willard avait
établi une branche forte de l’Église au sud de Preston, près de la
ville de Manchester, en dépit de l’opposition. De nombreuses personnes
qu’il avait baptisées travaillaient de longues heures dans des usines
où l’air était vicié et le salaire déplorable. En entendant l’Évangile
rétabli, elles ressentirent l’Esprit et se réjouirent de sa promesse
que le jour de la venue du Seigneur était proche.
En arrivant chez un membre de l’Église, Willard entra dans la cuisine
et suspendit la fleur blanche juste avant que deux jeunes filles
n’entrent dans la pièce. Il apprit que l’une d’elles était Jennetta
Richards.
Il avait entendu parler d’elle. Bien qu’ils aient le même nom de
famille, ils n’étaient pas parents. Lorsqu’elle était devenue membre de
l’Église, Heber avait écrit à Willard à son sujet. Il avait noté : «
Aujourd’hui, j’ai baptisé ta femme. »
Avec ses trente-trois ans, Willard était nettement plus âgé que la
plupart des hommes célibataires de l’Église. Il ne savait pas ce
qu’Heber avait dit à Jennetta à son sujet (en admettant qu’il ait dit
quelque chose).
Puisque les jeunes filles se rendaient à la même réunion que lui, il
les accompagna à pied, ce qui leur donna amplement le temps de bavarder.
Pendant qu’ils marchaient, il dit : « Richards est un joli nom. Je ne
veux jamais en changer. » Puis il ajouta audacieusement : « Et vous,
Jennetta ? »
Elle répondit : « Moi non plus. Et je pense que je n’en changerai
jamais. »
Après cela, Willard et Jennetta passèrent davantage de temps ensemble.
Ils étaient tous les deux à Preston quelques semaines plus tard lorsque
Heber et Orson annoncèrent qu’ils retournaient aux États-Unis.
Comme ils se préparaient à partir, les apôtres organisèrent une
conférence pendant une journée entière dans un grand bâtiment où les
saints de Preston se réunissaient souvent. Entre les sermons et les
cantiques, les missionnaires confirmèrent quarante personnes, bénirent
plus de cent enfants et ordonnèrent plusieurs hommes à la prêtrise.
Avant de dire au revoir aux saints, Heber et Orson mirent Joseph
Fielding à part comme nouveau président de la mission et appelèrent
Willard et un jeune commis d’usine du nom de William Clayton comme
conseillers. Puis, en signe d’unité entre les saints d’Angleterre et
d’Amérique, ils serrèrent la main de la nouvelle présidence
Ce printemps-là, à Far West, le prophète reçut une révélation. Le
Seigneur dit aux saints : « Levez-vous, brillez, afin que votre lumière
soit une bannière pour les nations. » Il proclama que le nom de
l’Église serait l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jour
et affirma que Far West était une terre sainte et consacrée.
Il déclara : « Ma volonté est que la ville de Far West soit construite
rapidement par le rassemblement de mes saints ; et aussi que d’autres
lieux soient désignés pour être des pieux dans les régions alentour. »
Il commanda aux saints de construire un temple à Far West et d’en poser
les fondations le 4 juillet 1838.
Peu de temps après, Joseph et plusieurs hommes se rendirent au comté de
Daviess, au nord du comté de Caldwell, pour visiter une colonie de
membres de l’Église dans un endroit appelé Spring Hill. Joseph espérait
que la région serait un lieu de rassemblement convenable pour les
saints arrivant au Missouri.
Bien que le comté de Caldwell eût été créé spécialement pour les saints
des derniers jours, le gouvernement avait déjà arpenté la plupart des
terres, ce qui les rendait trop chères pour les saints les plus
pauvres. Dans le comté de Daviess, par contre, de vastes étendues de
terres inhabitées n’avaient pas encore été arpentées. Les membres de
l’Église pouvaient s’y installer gratuitement et d’ici à ce que le
gouvernement arpente la région, ils auraient déjà travaillé les terres
et obtenu suffisamment d’argent pour les acheter.
Déplacer les saints dans le comté voisin comportait toutefois des
risques. Croyant qu’ils avaient promis de se cantonner au comté de
Caldwell, certains hommes du comté de Daviess avaient averti les saints
de la région qu’ils ne devaient pas s’y installer, mais comme aucune
loi ne les en empêchait, les protestations cessèrent rapidement.
Tandis qu’il voyageait vers le nord, Joseph s’émerveillait de la beauté
de la région qui l’entourait. D’après ce qu’il voyait, le comté de
Daviess offrait une liberté sans limite ainsi que tout ce dont les
saints avaient besoin pour établir de nouvelles colonies.
Bien que la plaine fût faiblement boisée, le gibier paraissait
abondant. Joseph vit des dindes, des poules, des cerfs et des wapitis
sauvages. Des ruisseaux et des rivières préservaient la richesse et la
fertilité des terres. La Grand River, la plus grande rivière du comté,
était suffisamment large et profonde pour permettre à un bateau à
vapeur d’y circuler, ce qui faciliterait les voyages et le commerce
pour les saints qui se rassemblaient.
Joseph et ses compagnons poussèrent leurs chevaux le long des berges du
fleuve sur une quinzaine de kilomètres jusqu’à Spring Hill. La petite
colonie était située à la base d’un promontoire surplombant une vallée
verdoyante et spacieuse. Lyman Wight, le dirigeant de l’avant-poste,
gagnait modestement sa vie en exploitant un bac sur la Grand River.
Les hommes escaladèrent le promontoire et installèrent leur campement,
puis ils redescendirent jusqu’au bac. Joseph revendiqua la région pour
les saints et dit qu’il voulait bâtir une ville près du fleuve. Le
Seigneur lui révéla que cette vallée était celle d’Adam-ondi-Ahman, où
Adam, le premier homme, avait béni ses enfants avant de mourir. Joseph
expliqua que dans cette vallée, comme le prophète Daniel l’avait
prophétisé, Adam viendrait rendre visite à son peuple lorsque le
Sauveur reviendrait sur la terre.
La colonie était tout ce que Joseph avait espéré. Le 28 juin 1838, dans
un bosquet près de chez Lyman, il organisa un nouveau pieu de Sion sur
la terre sacrée et commanda aux saints de se rassembler.
CHAPITRE 27 : Nous revendiquons la liberté
Mi-juin 1838, Wilford Woodruff se tenait sur le seuil de la maison de
ses parents, déterminé une fois de plus à leur parler de l’Évangile
rétabli de Jésus-Christ. Après avoir organisé une branche sur les îles
Fox, il était revenu sur le continent pour rendre visite à Phebe, qui
allait bientôt donner naissance à leur premier enfant. Il avait ensuite
passé du temps à prêcher à Boston, à New York et dans d’autres villes
le long de la côte. La maison de ses parents était son dernier arrêt
avant de retourner dans le Nord.
Wilford n’avait d’autre désir que celui de voir sa famille embrasser la
vérité. Son père, Aphek, avait passé sa vie à la rechercher en vain. Sa
sœur Eunice aspirait aussi à davantage de lumière dans sa vie. Mais en
parlant pendant plusieurs jours avec eux au sujet de l’Église, il
sentit que quelque chose les empêchait d’accepter ses enseignements.
Il nota : « Ce sont des jours de grande incertitude. » Son temps chez
eux était compté. S’il y restait plus longtemps, il risquait de manquer
la naissance du bébé.
Wilford pria plus intensément pour sa famille mais elle devint encore
plus réticente à accepter le baptême. Il confia dans son journal : « Le
diable est tombé sur toute la maisonnée avec une grande colère et de
grandes tentations. »
Le 1er juillet, il instruisit encore une fois sa famille, annonçant les
paroles du Christ avec autant de ferveur que possible. Enfin, ses
propos atteignirent le cœur des siens et leurs inquiétudes se
dissipèrent. Ils ressentirent l’Esprit de Dieu et surent que Wilford
avait dit la vérité. Ils étaient prêts à agir.
Wilford les conduisit immédiatement vers un canal près de chez eux. Au
bord de l’eau, ils chantèrent un cantique et il offrit une prière. Il
entra ensuite dans l’eau et baptisa son père, sa belle-mère et sa sœur,
ainsi qu’une tante, un cousin et un ami de la famille.
Lorsqu’il sortit la dernière personne de l’eau, Wilford remonta sur la
rive du canal en se réjouissant. Il se dit : « N’oublie pas cela.
Considère ce moment comme une grâce de ton Dieu. »
Les cheveux et les vêtements dégoulinants, ils rentrèrent à la maison.
Wilford imposa les mains à chacun d’eux et les confirma membres de
l’Église.
Deux jours plus tard, il dit au revoir à ses parents et se hâta de
regagner le Maine, espérant arriver à temps pour accueillir son premier
enfant dans le monde.
Ce printemps et cet été-là, les saints se rassemblèrent en masse au
Missouri. John Page, un missionnaire qui avait connu un succès énorme
au Canada, partit pour Sion à la tête d’une grande compagnie de
convertis de la région de Toronto. À Kirtland, le collège des
soixante-dix, œuvrait pour préparer les familles pauvres à voyager
ensemble jusqu’au Missouri. En partageant leurs ressources et en
s’entraidant le long du chemin, ils espéraient arriver sains et saufs
en terre promise.
Les saints de Far West organisèrent un défilé le 4 juillet pour
célébrer la fête nationale et poser les pierres angulaires du nouveau
temple. En tête du défilé se trouvaient Joseph Smith, père, et une
petite unité militaire. Derrière eux venaient la Première Présidence et
d’autres dirigeants de l’Église, y compris l’architecte du temple. Une
unité de cavalerie fermait fièrement la marche.
En défilant avec les saints, Sidney Rigdon voyait bien qu’ils étaient
unis. Ces dernières semaines, l’Église avait pourtant pris des mesures
disciplinaires à l’encontre d’autres dissidents. Peu après l’audience
d’Oliver, le grand conseil avait excommunié David Whitmer et Lyman
Johnson. Peu de temps après, le conseil de l’évêque avait réprimandé
William McLellin pour sa perte de confiance en la Première Présidence
et pour s’être livré à des désirs lascifs.
Depuis, ce dernier avait quitté l’Église et déménagé loin de Far West
mais Oliver, David et d’autres dissidents étaient restés dans la
région. En juin, Sidney avait condamné publiquement ces hommes. Faisant
écho au langage du sermon sur la montagne, il les avait comparés à du
sel qui avait perdu sa saveur, n’étant plus bon à rien qu’à être jeté
dehors et foulé aux pieds. Ensuite, Joseph avait appuyé la réprimande
tout en exhortant les saints à obéir à la loi lorsqu’ils avaient
affaire à de la dissidence.
Le sermon de Sidney en avait enhardi certains qui s’étaient ligués une
semaine plus tôt pour défendre l’Église contre les dissidents. Ces
hommes portaient plusieurs noms mais ils étaient mieux connus sous
celui de Danites, d’après la tribu de Dan dans l’Ancien Testament. Ce
ne fut pas Joseph qui organisa le groupe mais il sanctionna
probablement certaines de ses actions.
Dans leur ardeur à défendre l’Église, les Danites firent le vœu de
protéger les saints contre ce qu’ils considéraient être des menaces
venant de l’intérieur et de l’extérieur de l’Église. Beaucoup d’entre
eux avaient vu comment la dissidence avait causé l’effondrement de la
communauté à Kirtland, mis Joseph et d’autres personnes en danger
d’attaques d’émeutiers et mis en péril les idéaux de Sion. Ensemble,
ils s’engagèrent à protéger la collectivité de Far West contre toute
menace similaire.
À peu près à l’époque de la condamnation publique des dissidents par
Sidney, les Danites avaient averti Oliver, David et d’autres que s’ils
ne quittaient pas le comté de Caldwell, ils en subiraient de graves
conséquences. En l’espace de quelques jours à peine, les hommes avaient
fui la région pour de bon.
Lorsque la parade du 4 juillet arriva sur la place de la ville, les
saints hissèrent le drapeau américain au sommet d’une longue perche et
firent le tour du site du temple. Depuis le bord de l’excavation faite
pour les fondations, ils regardèrent les ouvriers mettre soigneusement
en place les pierres angulaires. Sidney monta ensuite sur une estrade
voisine pour s’adresser à l’assemblée.
Suivant la tradition américaine des discours enflammés et émotionnels
de la fête nationale, Sidney parla avec véhémence aux saints de
liberté, des persécutions qu’ils avaient endurées et du rôle important
des temples dans leur éducation spirituelle. À la fin du discours, il
avertit les ennemis de l’Église de laisser les saints tranquilles.
Il affirma : « Nos droits ne seront plus foulés aux pieds en toute
impunité. L’homme ou le groupe d’hommes qui s’y essayera le fera aux
dépens de sa vie. »
Il assura à son auditoire que les saints ne seraient pas les agresseurs
mais qu’ils défendraient leurs droits. Il s’écria : « Si des émeutiers
viennent nous attaquer, cela déclenchera une guerre d’extermination car
nous les poursuivrons jusqu’à ce que la dernière goutte de leur sang
soit versée ou qu’ils nous aient exterminés. »
Les saints n’abandonneraient plus leurs maisons et leurs récoltes. Pas
plus qu’ils ne supporteraient passivement leurs persécutions. Sidney
déclara : « Aujourd’hui nous revendiquons la liberté avec une
détermination inébranlable ! Non, jamais nous ne céderons !! »
Les saints acclamèrent : « Hosanna ! Hosanna ! »
Tandis que les saints se rassemblaient à Far West, un missionnaire
appelé Elijah Able prêchait dans l’est du Canada, à des centaines de
kilomètres. Une nuit, il fit un rêve troublant. Il vit Eunice Franklin,
une femme qu’il avait baptisée à New York, assaillie par des doutes au
sujet du Livre de Mormon et de Joseph Smith. Son incertitude
l’empêchait de dormir. Elle ne mangeait plus. Elle avait l’impression
qu’on avait abusé d’elle.
Elijah partit immédiatement pour New York. Ce printemps-là, il avait
rencontré Eunice et son mari, Charles, en prêchant dans leur ville. Son
sermon avait été brusque et sans manières. En tant que noir né dans la
pauvreté, il avait eu peu d’occasions de s’instruire.
Mais, comme d’autres missionnaires, il avait été ordonné à la Prêtrise
de Melchisédek, avait participé aux ordonnances du temple de Kirtland
et avait reçu la dotation de pouvoir. Ce qui lui manquait en
instruction, il le compensait en foi et en puissance de l’Esprit.
Son sermon avait enthousiasmé Eunice mais Charles s’était ensuite levé
et lui avait cherché querelle. Elijah s’était approché de lui, lui
avait mis la main sur l’épaule et avait dit : « Demain, je viendrai
vous voir et nous en discuterons. »
Le lendemain, Elijah avait rendu visite aux Franklin et leur avait
parlé de Joseph Smith mais Charles était resté sceptique.
Elijah demanda : « C’est d’un signe dont vous avez besoin pour vous
convaincre ? »
Charles répondit : « Oui. »
Elijah lui dit : « Vous aurez ce que vous avez demandé, mais cela vous
fera de la peine. »
Lorsqu’Elijah revint peu de temps après, il apprit que Charles avait
subi beaucoup de chagrins avant de finalement prier pour obtenir le
pardon. Depuis, Eunice et lui étaient prêts à se joindre à l’Église et
Elijah les baptisa.
Eunice était sûre de sa foi à l’époque. Que lui était-il arrivé depuis ?
Peu de temps plus tard, un dimanche matin, Eunice eut la surprise de
trouver Elijah debout sur le seuil de sa porte. Elle avait préparé une
liste de choses à lui dire quand elle le reverrait. Elle voulait lui
dire que le Livre de Mormon était une invention et que Joseph Smith
était un faux prophète. Mais au lieu de cela, quand elle le vit à sa
porte, elle l’invita à l’intérieur.
Elijah lui dit, après quelques échanges : « Sœur, vous n’avez pas été
tentée aussi longtemps que le Sauveur l’a été après son baptême. Il
était tenté d’une manière et vous d’une autre. » Il dit à Eunice et
Charles qu’il allait prêcher l’après-midi dans une école des environs.
Il leur demanda de le dire à leurs voisins puis leur dit au revoir.
Eunice ne voulait pas aller à la réunion mais dans l’après-midi, elle
se tourna vers son mari et dit : « J’irai pour voir ce qu’il en
ressort. »
Lorsqu’elle prit place dans l’école, elle fut de nouveau touchée par
les paroles d’Elijah. Il prêcha à partir d’un verset du Nouveau
Testament. On y lisait : « Bien-aimés, ne soyez pas surpris, comme
d’une chose étrange qui vous arrive, de la fournaise qui est au milieu
de vous pour vous éprouver. » La voix d’Elijah et le message de
l’Évangile rétabli ouvrirent le cœur d’Eunice à l’Esprit. La certitude
qu’elle avait eue un jour l’inonda à nouveau. Elle sut que Joseph Smith
était un prophète de Dieu et que le Livre de Mormon était vrai.
Elijah lui promit qu’il reviendrait dans deux semaines. Mais après son
départ, elle vit des prospectus dans la ville accusant faussement
Elijah du meurtre d’une femme et de cinq enfants. Une récompense était
offerte pour sa capture.
Certains de ses voisins lui demandèrent : « Et maintenant, que
penses-tu de ton missionnaire mormon ? » Ils juraient qu’Elijah serait
arrêté avant d’avoir une autre occasion de prêcher dans leur ville.
Eunice ne croyait pas qu’il eût assassiné qui que ce soit. Elle dit : «
Il viendra remplir sa mission et Dieu le protégera. »
Elle soupçonnait les ennemis de l’Église d’avoir inventé l’histoire. Il
n’était pas rare pour des blancs de répandre des mensonges au sujet des
noirs, même dans les endroits où l’esclavage était illégal. Des lois et
des coutumes strictes limitaient les interactions entre les blancs et
les noirs et parfois les gens trouvaient des moyens cruels de les
appliquer.
Comme promis, Elijah revint au bout de deux semaines pour faire un
autre sermon. L’école était bondée. Tout le monde, semblait-il, voulait
le voir arrêté ou pire.
Il prit place. Après quelques instants, il se leva et dit : « Mes amis,
on raconte que j’ai assassiné une femme et cinq enfants et une grande
récompense est offerte pour ma capture. Maintenant me voilà. »
Eunice regarda autour d’elle. Personne ne bougea.
Elijah continua : « Si quelqu’un a quelque chose à voir avec moi, c’est
le moment. Mais une fois que j’aurai commencé à prêcher, ne vous avisez
pas de porter la main sur moi. »
Elijah se tut, attendant une réaction. L’assemblée le dévisagea dans un
silence surpris. Au bout d’un moment il chanta un cantique, offrit une
prière et fit un sermon puissant.
Avant de quitter la ville, il parla à Eunice et Charles. Il leur fit la
recommandation suivante : « Vendez tous vos biens et allez plus loin
vers l’ouest. » Les préjugés contre les saints augmentaient dans la
région et il y avait une branche de l’Église soixante kilomètres plus
loin. Le Seigneur ne voulait pas que son peuple vive sa religion seul.
Eunice et Charles suivirent ses conseils et rejoignirent peu après la
branche.
Au Missouri, Joseph était optimiste quant à l’avenir de l’Église. Il
publia le discours prononcé le 4 juillet par Sidney dans une brochure.
Il voulait que tous les habitants du Missouri sachent que les saints ne
se laisseraient plus intimider par des émeutiers et des dissidents.
Néanmoins de vieux problèmes le taraudaient. Une grande partie de la
dette de l’Église n’était pas réglée et beaucoup de saints étaient
démunis du fait des persécutions continuelles, des problèmes
économiques nationaux, de la faillite financière de Kirtland et du
déménagement coûteux au Missouri. En outre, le Seigneur avait interdit
à la Première Présidence d’emprunter davantage d’argent. L’Église avait
besoin de fonds mais n’avait toujours pas de système fiable pour les
collecter.
Récemment, les évêques de l’Église, Edward Partridge et Newel Whitney,
avaient proposé la dîme comme moyen d’obéir à la loi de consécration.
Joseph savait que les saints devaient consacrer leurs biens mais il ne
savait pas quelle portion le Seigneur exigeait en dîme.
Il s’inquiétait aussi du Collège des Douze. Deux jours plus tôt, une
lettre d’Heber Kimball et Orson Hyde était parvenue à Far West,
signalant que les deux apôtres étaient arrivés sains et saufs à
Kirtland après leur mission en Angleterre. Heber avait retrouvé Vilate
et leurs enfants et ils se préparaient maintenant à venir s’installer
au Missouri. Six autres apôtres, Thomas Marsh, David Patten, Brigham
Young, Parley et Orson Pratt et William Smith, étaient au Missouri ou
en mission, toujours fermes dans la foi. Mais les quatre apôtres
restants avaient quitté l’Église, laissant des postes vacants dans le
Collège.
Le 8 juillet, Joseph et d’autres dirigeants prièrent au sujet de ces
problèmes et reçurent un flot de révélations. Le Seigneur désigna un
saint dénommé Oliver Granger pour représenter la Première Présidence
dans la liquidation des dettes de l’Église. Les propriétés que les
saints avaient abandonnées à Kirtland allaient être vendues et
décomptées de la dette.
Le Seigneur répondit ensuite aux questions de Joseph sur la dîme. « Je
requiers d’eux qu’ils remettent entre les mains de l’évêque de mon
Église, en Sion, tout le surplus de leurs biens, pour la construction
de ma maison, pour la pose des fondations de Sion. » Après avoir offert
ce dont ils pouvaient se passer, continuait le Seigneur, les saints
devaient payer un dixième de leurs revenus année après année.
« Si mon peuple n’observe pas cette loi pour la sanctifier […], il ne
sera pas pour vous un pays de Sion. »
Concernant les Douze, le Seigneur commanda à Thomas Marsh de rester à
Far West pour aider aux publications de l’Église et appela les autres
apôtres à prêcher. Le Seigneur promit : « S’ils le font en toute
humilité de cœur, avec douceur, modestie et longanimité, […] je
pourvoirai aux besoins de leurs familles et dorénavant une porte
efficace leur sera ouverte. »
Le Seigneur voulait que les Douze partent à l’étranger l’année
suivante. Il commanda au Collège de se réunir sur le site du temple de
Far West le 26 avril 1839, un peu moins d’un an plus tard, et de partir
de là pour une autre mission en Angleterre.
Finalement, le Seigneur nomma quatre hommes pour remplir les postes
vacants du Collège. Deux nouveaux apôtres, John Taylor et John Page,
étaient au Canada. Un autre, Willard Richards, était dans la présidence
de mission d’Angleterre. Le quatrième, Wilford Woodruff, était dans le
Maine, à quelques jours seulement de devenir père.
Phebe Woodruff donna naissance à une fille, Sarah Emma, le 14 juillet.
Wilford était fou de joie que le bébé soit en bonne santé et que sa
femme ait supporté l’accouchement. Pendant qu’elle récupérait, Wilford
tuait le temps en faisant des travaux pour Sarah, la sœur veuve de
Phebe. Il rapporta dans son journal : « J’ai passé la journée à tondre
la pelouse. C’était une tâche assez nouvelle et le soir j’étais
fatigué. »
Quelques jours plus tard, un message de Joseph Ball, un missionnaire
travaillant dans les îles Fox, rapportait que des dissidents de
Kirtland avaient écrit aux convertis de Wilford pour tenter d’ébranler
leur foi. La plupart d’entre eux avaient ignoré les lettres mais
certains avaient quitté l’Église, notamment des personnes que Wilford
voulait emmener au Missouri plus tard cette année-là.
Deux semaines après la naissance de Sarah Emma, Wilford se rendit
précipitamment dans les îles Fox afin de fortifier les saints et de les
aider à se préparer au voyage vers Sion. En quittant le chevet de
Phebe, Wilford pria : « Ô mon Dieu, permets-moi de réussir. En mon
absence, bénis ma femme et le bébé que tu nous as donné. »
Lorsqu’il arriva dans les îles un peu plus d’une semaine plus tard, une
lettre de Thomas Marsh au Missouri l’attendait. Elle disait : « Le
Seigneur a commandé que les Douze se rassemblent dès que possible en ce
lieu. Sachez par la présente, frère Woodruff, que vous êtes appelé à
remplir le poste de l’un des douze apôtres. » Le Seigneur exigeait que
Wilford vienne à Far West dès que possible pour se préparer à partir en
mission en Angleterre.
Wilford n’était pas entièrement surpris par la nouvelle. Quelques
semaines auparavant, il avait reçu l’inspiration qu’il allait être
appelé comme apôtre mais il ne l’avait dit à personne. Tout de même, il
était resté éveillé cette nuit-là, un millier de pensées se bousculant
dans son esprit.
CHAPITRE 28 : Nous avons essayé suffisamment
longtemps
Le 6 août 1838 était le jour des élections au Missouri. Ce matin-là,
John Butler se rendit à Gallatin, siège du gouvernement du comté de
Daviess, pour voter.
Il était membre de l’Église depuis quelques années. Cet été-là, sa
femme, Caroline, et lui avaient emménagé dans une petite colonie près
d’Adam-ondi-Ahman. Il était capitaine dans la milice locale et Danite.
Fondée juste un an auparavant, Gallatin n’était guère plus qu’un
regroupement de maisons et de bars. Lorsqu’il arriva sur la place du
village, il la trouva grouillant d’habitants de tout le comté. Un
bureau de vote avait été installé dans une petite maison en bordure de
la place. Pendant que les hommes faisaient la queue pour voter, les
candidats se mêlaient à la foule à l’extérieur.
John se joignit à un petit groupe de saints qui se tenaient à l’écart
de l’attroupement principal. Dans le comté de Daviess, l’opinion
générale n’avait jamais été en faveur des saints. Après que Joseph
avait établi un pieu à Adam-ondi-Ahman, la colonie avait prospéré et
plus de deux cents maisons avaient été construites. Les saints étaient
maintenant en mesure d’influencer le vote du comté et cela contrariait
de nombreux colons. Pour éviter les problèmes, John et ses amis avaient
prévu de voter ensemble et de rentrer rapidement chez eux.
Lorsque John s’approcha du bureau de vote, William Peniston, candidat
au poste de représentant de l’État, grimpa sur un baril de whisky pour
faire un discours. Plus tôt cette année-là, il avait essayé de
courtiser le vote des saints mais lorsqu’il avait appris que la plupart
préféraient l’autre candidat, il s’était déchaîné contre eux.
Il hurla à l’attention des hommes assemblés : « Les dirigeants mormons
sont un lot de voleurs de chevaux, de menteurs et de faussaires. » Cela
mit John mal à l’aise. Il ne faudrait pas grand chose pour que William
dresse la foule contre ses amis et lui. La plupart des hommes étaient
déjà en colère contre eux et beaucoup buvaient du whisky depuis
l’ouverture du scrutin.
William avertit les électeurs que les saints allaient leur voler leurs
biens et provoquer un raz-de-marée électoral. Ils n’étaient pas les
bienvenus dans le comté et, dit-il, n’avaient aucun droit de participer
aux élections. Se tournant vers John et les autres saints, il
fanfaronna : « J’ai dirigé un groupe d’émeutiers pour vous chasser du
comté de Clay et je ne ferai rien pour empêcher qu’on vous attaque
maintenant .»
Le whisky circulait parmi la foule. John entendit des hommes maudire
les saints. Il commença à reculer. Il mesurait plus d’un mètre
quatre-vingts et était solidement bâti mais il était venu à Gallatin
pour voter et non pour se battre.
Soudain, un homme tenta de donner un coup de poing à l’un des saints
des derniers jours. Un autre saint bondit pour le défendre mais la
foule le renversa. Un troisième attrapa un morceau de bois sur une pile
voisine et frappa l’attaquant sur la tête. L’homme tomba aux pieds de
John. Des deux côtés, des hommes attrapèrent des gourdins et sortirent
des couteaux et des fouets.
Les saints se retrouvaient à quatre contre un mais John était décidé à
protéger ses amis et leurs dirigeants. Repérant une pile de traverses
de clôture, il attrapa un solide morceau de chêne et se rua dans la
mêlée. Il s’écria : « Ah oui, les Danites, voilà un travail pour nous !
»
Il frappa les hommes qui attaquaient les saints, mesurant chacun de ses
gestes pour assommer et non tuer ses adversaires. Ses amis se
défendirent également, improvisant des armes avec des bâtons et des
pierres. Ils assommèrent tous ceux qui se jetaient sur eux, mettant fin
à la bagarre en deux minutes.
Reprenant son souffle, John balaya la place du regard. Des hommes
blessés étaient allongés sur le sol, immobiles. D’autres s’échappaient
furtivement. William Peniston avait sauté de son baril de whisky et
s’était enfui vers une colline voisine.
Un homme de la foule s’approcha de John et dit que les saints pouvaient
maintenant voter. Il dit : « Posez votre bâton. Il ne sert plus à rien.
»
John agrippa la traverse plus fermement. Il voulait voter mais il
savait qu’on le piégerait s’il entrait désarmé dans la petite maison et
essayait de le faire. Au lieu de cela, il se retourna et commença de
s’éloigner.
Un autre homme cria : « Nous devons vous faire prisonnier. » Il dit que
certains de ceux que John avait frappés allaient probablement mourir.
Ce dernier dit : « Je suis un homme respectueux des lois mais je n’ai
pas l’intention d’être jugé par une bande d’émeutiers. » Il remonta en
selle et quitta la ville.
Le lendemain, il se rendit à Far West et informa Joseph de la bagarre.
Des bruits de décès à Gallatin circulèrent rapidement dans tout le nord
du Missouri et des émeutiers se préparèrent à attaquer les saints.
Craignant que John ne soit la cible de représailles, Joseph lui demanda
s’il avait déjà évacué sa famille hors du comté de Daviess.
Il répondit que non.
Joseph lui dit : « Alors vas-y et évacue-la immédiatement. Ne dormez
pas une nuit de plus là-bas. »
John répondit : « Mais je n’aime pas être un lâche. »
Joseph dit : « Va et fais ce que je te dis. »
John se rendit immédiatement chez lui et Joseph chevaucha rapidement
avec un groupe de volontaires armés pour défendre les saints du comté
de Daviess. Quand ils arrivèrent à Adam-ondi-Ahman, ils apprirent que
la bagarre de Gallatin n’avait fait aucune victime ni d’un côté ni de
l’autre. Soulagé, Joseph et son groupe passèrent la nuit chez Lyman
Wight.
Le lendemain matin, Lyman et un groupe de saints armés se rendirent
chez Adam Black, le juge de paix local. Des rumeurs affirmaient qu’il
rassemblait des émeutiers pour attaquer les saints. Lyman voulait qu’il
signe une déclaration disant qu’il garantirait un traitement équitable
des saints dans le comté de Daviess mais il refusa.
Plus tard ce jour-là, Joseph et plus de cent saints retournèrent chez
Black. Sampson Avard, un chef danite de Far West, entra avec trois de
ses hommes dans la petite maison et tenta d’obliger le juge de paix à
signer la déclaration. Black refusa de nouveau, exigeant de voir
Joseph. À ce stade, le prophète se joignit aux négociations et régla la
question pacifiquement, acceptant de laisser le juge rédiger et signer
sa propre déclaration.
Mais la paix ne dura pas longtemps. Peu de temps après la réunion,
Black exigea que Joseph et Lyman soient arrêtés pour avoir encerclé sa
cabane avec des forces armées et l’avoir menacé. Joseph évita
l’arrestation en demandant à être jugé dans le comté de Caldwell où il
résidait et non dans celui de Daviess où tant de citoyens étaient
révoltés contre les saints.
Entre-temps, dans tout le nord du Missouri, les gens organisaient des
réunions pour discuter des bruits venus de Gallatin et du nombre
croissant de saints qui s’installaient chez eux. De petits groupes
d’émeutiers vandalisaient les maisons et les granges de membres de
l’Église et prenaient leurs colonies avoisinantes pour cible.
Début septembre, pour apaiser les tensions, Joseph retourna au comté de
Daviess pour répondre aux accusations portées contre lui. Pendant
l’audience, Black admit que Joseph ne l’avait pas forcé à signer la
déclaration. Malgré cela, le juge ordonna au prophète de revenir dans
deux mois pour un procès.
Les saints avaient des alliés dans le gouvernement du Missouri et
bientôt la milice de l’État fut rassemblée pour disperser les groupes
d’autodéfense. Mais les habitants du comté de Daviess et des environs
étaient toujours décidés à les chasser hors de leurs frontières.
Joseph écrivit à un ami : « Au Missouri, les oppresseurs des saints ne
dorment pas. »
On était au dernier jour du mois d’août et Phebe et Wilford Woodruff
chevauchaient le long d’une plage de sable blanc à proximité de la
maison des parents de Phebe, dans le Maine. C’était marée basse. Les
vagues de l’océan Atlantique roulaient et s’écrasaient sur le rivage.
Non loin de l’horizon, des bateaux glissaient silencieusement, leurs
lourdes voiles gonflées par la brise. Un vol d’oiseaux décrivit un
cercle au-dessus d’eux et se posa sur l’eau.
Arrêtant son cheval, Phebe en descendit et ramassa des coquillages
dispersés sur le sable. Elle voulait les emporter en souvenir lorsque
Wilford et elle partiraient vers l’ouest s’installer en Sion. Phebe
avait vécu près de l’océan la majeure partie de sa vie et les
coquillages faisaient partie du paysage qui lui était familier.
Depuis son appel au Collège des Douze, Wilford était impatient
d’arriver au Missouri. Sa visite récente dans les îles Fox n’avait duré
que le temps d’exhorter le petit groupe de saints à accompagner sa
femme et lui en Sion. Il était déçu en revenant sur le continent.
Certains membres de la branche avaient accepté de les accompagner.
D’autres, notamment Justus et Betsy Eames, les premières personnes
baptisées sur les îles, ne suivraient pas.
Wilford dit : « Il sera trop tard lorsqu’ils se rendront compte de leur
folie. »
Mais Phebe n’était pas non plus particulièrement pressée de partir.
Elle avait beaucoup aimé vivre de nouveau avec ses parents. Leur maison
était confortable, chaleureuse et familière. Si elle restait dans le
Maine, elle ne serait jamais loin de sa famille et de ses amis. Le
Missouri, en revanche, était à deux mille cinq cents kilomètres. Si
elle partait, elle risquait de ne plus les revoir. Était-elle prête à
faire ce sacrifice ?
Phebe se confia à Wilford. Il compatissait avec son chagrin de quitter
sa famille mais il n’était pas aussi attaché qu’elle à son foyer. Il
savait, comme elle, que Sion était un lieu de sécurité et de protection.
Il nota dans son journal : « J’irais au pays de Sion ou n’importe où
ailleurs où Dieu m’enverrait même si je devais pour cela abandonner
autant de pères, de mères, de frères et de sœurs qu’on pourrait en
aligner entre le Maine et le Missouri ; et même si je devais n’avoir
que des herbes bouillies pour me sustenter. »
Pendant le mois de septembre, Phebe et Wilford attendirent que les
membres de la branche des îles Fox arrivent sur le continent pour
commencer leur voyage vers l’ouest. Mais au fil des jours qui
passaient, Wilford s’impatientait en ne les voyant pas venir. L’année
était très avancée. Plus ils retardaient leur départ, plus ils
risquaient de trouver du mauvais temps sur la route.
Phebe avait d’autres raisons d’hésiter. Leur fille, Sarah Emma,
souffrait d’une vilaine toux et Phebe se demandait s’il était sage de
lui faire faire un si long voyage dans le froid. Puis, un rapport
exagéré de la bagarre du jour des élections dans le lointain comté de
Daviess fut publié dans le journal local. La nouvelle surprit tout le
monde.
Les voisins dirent à Phebe et à Wilford : « Il n’est pas prudent de
partir. Vous allez être tués. »
Quelques jours plus tard, une cinquantaine de saints arrivèrent des
îles Fox, prêts à entreprendre le voyage vers Sion. Phebe savait qu’il
était temps de partir, que Wilford devait rejoindre les Douze au
Missouri. Mais elle se sentait très attachée à son foyer et à sa
famille. La route jusqu’au Missouri serait pénible et Sarah Emma
n’était pas encore entièrement rétablie. Et il n’y avait aucune
certitude qu’ils seraient en sécurité une fois qu’ils seraient arrivés
dans leur nouvelle patrie.
Pourtant, elle croyait au rassemblement. Elle avait déjà quitté son
foyer pour suivre le Seigneur et elle était disposée à recommencer.
Lorsqu’elle dit au revoir à ses parents, elle eut l’impression d’être
Ruth dans l’Ancien Testament, abandonnant son foyer et sa famille pour
sa religion.
Aussi difficile que fût le départ, elle plaça sa confiance en Dieu et
grimpa sur le chariot.
Fin septembre, Charles Hales, vingt et un ans, arriva avec un groupe de
saints canadiens à De Witt (Missouri). Un parmi des milliers à répondre
à l’appel à se rassembler en Sion, il avait quitté Toronto avec ses
parents, ses frères et ses sœurs plus tôt cette année-là. De Witt était
à plus de cent kilomètres au sud-est de Far West et offrait aux convois
de chariots un endroit pour se reposer et se réapprovisionner avant de
pousser jusqu’au comté de Caldwell.
Mais lorsque Charles arriva, la ville était assiégée. Environ quatre
cents saints vivaient à De Witt et leurs voisins dans et autour de la
colonie faisaient pression sur eux pour qu’ils quittent la région,
insistant pour qu’ils s’en aillent avant le 1er octobre sous peine
d’être expulsés. George Hinkle, le dirigeant des saints de De Witt,
refusait de partir. Il disait que les saints resteraient et
défendraient leur droit d’habiter là.
Des rumeurs que les Danites se préparaient à déclarer la guerre aux
Missouriens nourrissaient les tensions à De Witt. Beaucoup de citoyens
avaient commencé à se mobiliser et campaient maintenant autour de De
Witt, prêts à attaquer la ville à tout moment. Les saints avaient fait
appel à Lilburn Boggs, gouverneur du Missouri, pour avoir sa protection.
La plupart des saints canadiens, désireux d’éviter les conflits,
continuèrent leur route jusqu’à Far West, mais George demanda à Charles
de rester défendre De Witt contre les émeutiers. Fermier et musicien,
Charles était plus habitué à manier la charrue ou le trombone que le
fusil. Mais George avait besoin d’hommes pour édifier des
fortifications autour de De Witt et préparer le combat.
Le 2 octobre, le lendemain de la date à laquelle les saints devaient
quitter la colonie, les émeutiers commencèrent à tirer sur eux. Au
début, ils ne ripostèrent pas. Mais au bout de deux jours, Charles et
deux douzaines d’hommes prirent position le long de leurs
fortifications et ripostèrent, faisant un blessé.
Les émeutiers chargèrent les fortifications, obligeant Charles et les
autres à se ruer à l’abri dans les maisons de rondins voisines. Les
émeutiers bloquèrent les routes menant à De Witt, privant ainsi les
assiégés de nourriture et d’autres marchandises.
Deux soirs plus tard, le 6 octobre, Joseph et Hyrum Smith se glissèrent
dans la ville avec Lyman Wight et un petit groupe d’hommes armés. Les
saints n’avaient presque plus de vivres ni d’autres provisions. Si le
siège ne prenait pas bientôt fin, la faim et la maladie les
affaibliraient avant que les émeutiers n’aient à tirer un autre coup de
feu.
Lyman était prêt à défendre De Witt jusqu’à la fin mais, après avoir vu
combien la situation était désespérée, Joseph voulut négocier une
solution pacifique. Il était certain que si des Missouriens étaient
tués pendant le siège, les émeutiers fondraient sur la ville et en
extermineraient les occupants.
Joseph demanda l’aide du gouverneur Boggs, faisant appel à un
Missourien amical pour acheminer la demande. Le messager revint quatre
jours plus tard avec la nouvelle que le gouverneur ne les défendrait
pas contre les attaques. Boggs insistait que le conflit était entre eux
et les émeutiers.
Il disait : « Ils doivent régler la question en se battant. »
Avec des ennemis s’assemblant de presque tous les comtés voisins et les
saints ne recevant aucun soutien fiable de la milice de l’État, Joseph
sut qu’il devait mettre un terme au siège. Il détestait céder aux
émeutiers mais les saints de De Witt étaient épuisés et désespérément
inférieurs en nombre. Défendre la colonie plus longtemps pourrait
s’avérer être une erreur fatale. À contrecœur, il décida qu’il était
temps d’abandonner De Witt et de battre en retraite à Far West.
Le matin du 11 octobre, les saints chargèrent le peu de biens qu’ils
pouvaient transporter dans des chariots et se mirent en route à travers
la prairie. Charles voulait les accompagner mais un saint canadien qui
n’était pas encore prêt à partir lui demanda de l’attendre et de
l’aider. Il accepta, pensant que son ami et lui auraient tôt fait de
rattraper le reste du convoi.
Mais lorsqu’ils s’éclipsèrent finalement hors de la ville, son ami fit
demi-tour quand son cheval montra des signes de faiblesse. Réticent à
l’idée de rester plus longtemps en territoire ennemi, Charles partit à
pied dans cette prairie qu’il ne connaissait pas. Il prit la direction
du nord-ouest, celle du comté de Caldwell, n’ayant qu’une vague idée du
chemin à suivre.
Le 15 octobre, quelques jours après l’arrivée des saints de De Witt à
Far West, Joseph convoqua tous les hommes présents dans la ville. Des
centaines de saints s’étaient repliés à Far West, fuyant les hostilités
des émeutiers dans tout le nord du Missouri. Maintenant, beaucoup
d’entre eux vivaient dans des chariots ou des tentes éparpillés dans
toute la ville. Le temps s’était refroidi et ils étaient à l’étroit et
malheureux.
Joseph vit que la situation empirait de façon incontrôlable. Il
recevait des rapports selon lesquels leurs ennemis se rassemblaient de
tous côtés. Quand les émeutiers les avaient attaqués dans les comtés de
Jackson et de Clay, les saints avaient essayé de le supporter
humblement, se retirant des conflits et comptant sur les hommes de loi
et les juges pour rétablir leurs droits. Mais où est-ce que cela les
avait menés ? Il était fatigué d’être harcelé et voulait durcir sa
position contre leurs ennemis. Les saints n’avaient plus de choix.
Joseph cria aux hommes qui l’entouraient : « Nous avons essayé
suffisamment longtemps. Qui est assez insensé pour crier : ‘La loi ! La
loi !’ alors qu’elle est toujours appliquée à nos dépens, jamais en
notre faveur ? »
Les années de terres volées et de crimes impunis à l’encontre des
saints avaient sapé sa confiance aux politiciens et aux hommes de loi
et le refus du gouverneur de les aider ne faisait que consolider cette
opinion. Il dit : « Nous allons régler nos affaires nous-mêmes. Nous
avons fait appel au gouverneur et il ne fera rien pour nous. Nous avons
essayé la milice du comté et elle ne bougera pas. »
Il pensait que l’État lui-même ne valait guère mieux que les émeutiers.
Il dit : « Nous avons capitulé devant les émeutiers à De Witt et
maintenant, ils se préparent à frapper à Daviess. » Il refusait que
quoi que ce soit d’autre soit volé aux saints.
Le prophète déclara qu’ils se défendraient ou qu’ils mourraient en
essayant.
CHAPITRE 29 : Dieu et la liberté
Après la chute de De Witt, les assiégeants partirent en direction du
nord jusqu’à Adam-ondi-Ahman. Dans les comtés voisins, d’autres
émeutiers se rassemblaient pour attaquer Far West et les colonies
situées le long de Shoal Creek, jurant de chasser les saints du comté
de Daviess vers celui de Caldwell et de Caldwell vers l’enfer. Le
général Alexander Doniphan, officier de la milice d’État qui avait
offert une aide juridique à l’Église dans le passé, encouragea vivement
la milice du comté de Caldwell, une unité composée principalement de
saints des derniers jours, à défendre leurs communautés contre les
forces ennemies.
Sachant que les saints du comté de Daviess étaient en grand danger,
Joseph et Sidney commandèrent à la milice du comté de Caldwell et
d’autres hommes armés de se rendre à Adam-ondi-Ahman. Hyrum et Joseph
chevauchèrent avec le groupe en direction du nord.
Le 16 octobre 1838, pendant que les troupes installaient leur campement
à l’extérieur d’Adam-ondi-Ahman, un épais manteau de neige recouvrit le
comté. En aval de la rivière, Agnes Smith se préparait pour la nuit.
Agnes était mariée au plus jeune frère de Joseph, Don Carlos, qui était
absent. Elle était seule dans la maison avec ses deux petites filles.
Peu avant minuit, un groupe d’hommes fit irruption chez elle et
l’encercla. Terrifiée, Agnes rassembla ses filles tandis que les
émeutiers les chassaient dehors, dans la neige, à la pointe de leurs
fusils.
Sans manteaux ni couvertures pour se réchauffer, Agnes et les filles se
blottirent les unes contre les autres pendant que les hommes mettaient
le feu à la maison. L’incendie se propagea rapidement, dégageant une
lourde fumée noire dans le ciel nocturne. Tout ce qu’Agnes possédait
eut tôt fait d’être englouti par les flammes.
Elle savait qu’elle devait s’enfuir. L’endroit le plus sûr était
Adam-ondi-Ahman, à cinq kilomètres seulement, mais il faisait nuit,
elle avait de la neige jusqu’aux chevilles et ses filles étaient trop
petites pour marcher longtemps. Le trajet prendrait des heures mais
quel autre choix avait-elle ? Elle ne pouvait pas rester chez elle.
Une fille sur chaque bras, Agnes marcha péniblement en direction de
l’ouest pendant que les émeutiers chassaient d’autres saints dans la
neige et mettaient le feu à leurs maisons. Elle avait les pieds
mouillés et engourdis par le froid, et elle avait mal aux bras et au
dos à force de porter ses enfants.
Bientôt, elle arriva devant une rivière gelée qui s’étirait sur des
kilomètres de chaque côté. L’eau était profonde mais on pouvait quand
même traverser à gué. Il était dangereux de se mouiller par un froid
pareil mais à quelques kilomètres de là, elle trouverait de l’aide. Il
ne restait plus que cette solution pour mettre ses filles en sécurité.
Les soulevant encore plus haut, elle entra dans l’eau jusqu’à ce que le
courant se referme sur elle et qu’elle en ait jusqu’à la taille.
Très tôt le matin du 17 octobre, Agnes et ses filles arrivèrent en
titubant à Adam-ondi-Ahman, désespérément glacées et fatiguées.
D’autres victimes de l’attaque arrivèrent dans une détresse similaire.
Beaucoup d’entre elles étaient des femmes et des enfants portant
simplement des vêtements de nuit. Elles disaient que les émeutiers les
avaient chassées de leurs terres, avaient incendié leurs maisons et
dispersé leur bétail, leurs chevaux et leurs moutons.
Joseph fut horrifié à la vue des réfugiés. Dans son discours de la fête
nationale, Sidney avait dit que les saints n’attaqueraient pas. Mais si
on laissait le champ libre à leurs ennemis, ce qui était arrivé à De
Witt pourrait se reproduire à Adam-ondi-Ahman.
Espérant affaiblir les émeutiers et mettre rapidement fin au conflit,
les saints décidèrent de marcher sur des colonies voisines qui
soutenaient et équipaient leurs ennemis. Répartissant leurs hommes en
quatre unités, les dirigeants de l’Église et de la milice ordonnèrent
un raid sur Gallatin et sur deux autres colonies. La quatrième unité
patrouillerait la région alentour à pied.
La matinée du lendemain, 18 octobre, fut enveloppée de brouillard.
David Patten partit à cheval d’Adam-ondi-Ahman avec une centaine
d’hommes armés en direction de Gallatin. Lorsqu’ils arrivèrent au
village, ils le trouvèrent désert à l’exception de quelques passants
qui s’enfuirent à leur approche.
Une fois les rues dégagées, les hommes entrèrent par effraction dans le
magasin général et repartirent les bras chargés de vivres et de
fournitures dont les réfugiés avaient besoin à Adam-ondi-Ahman.
Plusieurs hommes sortirent du magasin portant de lourdes caisses et des
tonneaux qu’ils chargèrent sur des chariots qu’ils avaient apportés
avec eux. Lorsque les étagères furent vides, les hommes entrèrent dans
d’autres boutiques et dans des logements, emportant couvertures,
literie, manteaux et vêtements.
Le raid dura plusieurs heures. Une fois qu’ils eurent entassé tout ce
qu’ils pouvaient transporter, les hommes incendièrent le magasin et
d’autres bâtiments et quittèrent le village.
Du haut de la colline surplombant Adam-ondi-Ahman, les saints virent un
ruban de fumée au loin, ondulant dans le ciel au-dessus de Gallatin.
Thomas Marsh, qui était arrivé à la colonie avec la milice, redoutait
de tels signes de conflit, certain que les raids dresseraient le
gouvernement contre l’Église et que des innocents en subiraient les
conséquences. Il pensait que Joseph et Sidney avaient surfait les
menaces d’attaques d’émeutiers dans leurs discours et sermons
enflammés. Même lorsque les réfugiés malmenés avaient déferlé dans le
camp, il avait refusé de croire que les attaques étaient autre chose
que des cas isolés.
Depuis quelque temps, Thomas était rarement d’accord avec Joseph.
L’année précédente, lorsqu’il s’était rendu à Kirtland pour préparer
les apôtres à la mission en Angleterre, il avait été déçu d’apprendre
qu’elle avait commencé sans lui. Le Seigneur lui avait conseillé de
faire preuve d’humilité et de ne pas se rebeller contre le prophète. Il
avait quand même continué de douter de la réussite de la mission
britannique et il doutait qu’elle soit fructueuse sans lui pour la
diriger.
Plus tard, après avoir emménagé au Missouri, sa femme, Elizabeth,
s’était querellée avec une autre femme sur un accord passé entre elles
relatif à un échange de lait pour fabriquer du fromage. L’évêque et le
grand conseil avaient entendu l’affaire et s’étaient prononcés contre
Elizabeth, et Thomas avait fait appel devant Joseph et la Première
Présidence. Eux aussi s’étaient prononcés contre elle.
L’incident avait blessé son orgueil et il avait du mal à cacher sa
rancœur. Il était en colère et il voulait que tout le monde le soit.
Deux fois déjà Joseph lui avait demandé s’il allait apostasier. Il
avait répondu : « Quand tu me verras quitter l’Église, tu verras un
brave gars partir. »
Il ne lui fallut que peu de temps pour en arriver à ne voir que le pire
chez le prophète. Il accusa Joseph de la crise au Missouri et critiqua
sa réaction à la violence. Il connaissait également d’autres personnes
qui partageaient ses sentiments, notamment Orson Hyde dont la foi avait
recommencé à chanceler après son retour d’Angleterre.
Peu après le retour des bandes de pilleurs à Adam-ondi-Ahman, des
rapports arrivèrent annonçant que des émeutiers se rapprochaient de Far
West. Alarmées, les forces armées des saints se hâtèrent de regagner le
comté de Caldwell pour protéger la ville et leurs familles.
Thomas revint avec eux mais pas pour défendre la ville. Au lieu de
cela, il empaqueta ses effets personnels et quitta Far West sous le
couvert de la nuit. Il croyait que le châtiment divin était sur le
point de se déverser sur Joseph et sur les saints qui le suivaient. Il
pensait que si les émeutiers ou le gouvernement rasaient Far West,
c’était parce que Dieu voulait qu’il en soit ainsi.
Voyageant en direction du sud, il cherchait à s’éloigner du Missouri.
Mais avant de quitter l’État, il dut rédiger un document.
Pendant que les raids et les combats faisaient rage dans le nord du
Missouri, Charles Hales était perdu. Après être parti de De Witt, il
avait erré dans la prairie, ne sachant si la route qu’il suivait
conduisait à Far West. Cela faisait des semaines qu’il n’avait pas vu
sa famille. Il n’avait aucun moyen de savoir si elle avait réussi à
atteindre Far West ni si elle était à l’abri des émeutiers.
Ce qu’il avait de mieux à faire était de continuer d’avancer en évitant
toute confrontation directe et d’espérer rencontrer quelqu’un qui
pourrait lui indiquer le bon chemin.
Un soir, il vit un homme récoltant du maïs dans un champ. Il avait
l’air d’être seul et sans armes. S’il était hostile aux saints, le pire
qu’il puisse faire serait de le chasser de ses terres. Mais s’il
s’avérait être amical, il pourrait lui offrir un abri pour la nuit et
de quoi manger.
S’approchant du fermier, Charles demanda s’il pouvait le loger pour la
nuit. Le fermier ne répondit pas à la question mais lui demanda s’il
était mormon.
Sachant que cela pourrait lui coûter un repas et un endroit chaud où
dormir, ce dernier confirma qu’il l’était. Le fermier dit que dans ce
cas, il n’avait rien à lui offrir et lui dit qu’il était très loin de
Far West.
Charles dit au fermier : « Je ne connais absolument rien dans le comté.
» Il expliqua qu’il s’était perdu et qu’il ne pouvait plus continuer de
marcher. Il avait des ampoules aux pieds et en souffrait. Le soleil
était sur le point de se coucher et c’était une nuit froide de plus
dans la prairie qui l’attendait.
Le fermier sembla le prendre en pitié. Il lui raconta que des hommes
étaient restés chez lui pendant le siège de De Witt. C’étaient des
émeutiers et ils lui avaient fait jurer de ne jamais héberger un mormon.
Mais il lui dit où il pourrait trouver refuge dans les environs et lui
indiqua le chemin de Far West. Ce n’était pas grand-chose mais c’était
tout ce qu’il avait à offrir.
Charles remercia l’homme et reprit la route dans la lumière déclinante
du jour.
Le soir du 24 octobre, Drusilla Hendricks regardait avec crainte par la
fenêtre de sa maison au comté de Caldwell. Dans les environs de Far
West, les saints étaient sur le qui-vive. Leurs raids dans le comté de
Daviess avaient retourné beaucoup de leurs alliés de la milice du
Missouri contre eux et ceux-ci les tenaient pour responsables de tout
le conflit. Maintenant, à quelques kilomètres au sud de chez Drusilla,
des émeutiers avaient commencé d’allumer des feux, rendant la prairie
noire de fumée.
Plongés dans l’incertitude, Drusilla et son mari, James, se préparaient
à abandonner leur maison et à s’enfuir à Far West. Sachant que la
nourriture pourrait venir à manquer dans les semaines à venir, ils
ramassèrent les choux de leur jardin, les découpèrent en lanières et
les recouvrirent de sel pour en faire de la choucroute.
Ils travaillèrent jusque tard dans la soirée. Vers vingt-deux heures,
ils allèrent chercher une pierre dans la cour pour tasser les choux et
les maintenir immergés dans la saumure. Marchant derrière James,
Drusilla voyait sa haute silhouette se dessiner distinctement dans la
faible lumière du clair de lune. Elle fut frappée par la hauteur de sa
taille et sursauta quand la pensée lui vint qu’elle pourrait ne plus
jamais le voir se tenir aussi droit.
Plus tard, une fois que le travail fut terminé et que Drusilla et James
furent couchés, leur voisin, Charles Rich, frappa à la porte. Il
rapporta que des émeutiers avaient attaqué des colonies au sud. Les
familles de saints avaient été chassées de chez elles et deux ou trois
hommes avaient été battus et faits prisonniers. David Patten et lui
organisaient maintenant une équipe de secours pour les délivrer.
Drusilla se leva et alluma un feu pendant que James allait chercher son
cheval. Ensuite, elle attrapa les pistolets de son mari et les lui
plaça dans les poches de son manteau. Quand il revint, elle lui attacha
soigneusement son épée autour de la taille. Enfilant son manteau, James
dit au revoir et monta en selle. Drusilla lui tendit ensuite une autre
arme.
Elle dit : « Ne te fais pas tirer dans le dos. »
À peine débarqué à Far West, Charles Hales fut invité à se joindre à
l’équipe de secours. Bien qu’épuisé et les pieds meurtris, Charles
emprunta un cheval et un fusil et se mit en route avec quarante autres
hommes.
Ils chevauchèrent en direction du sud, rassemblant des volontaires des
colonies voisines jusqu’à ce que leur force compte environ
soixante-quinze hommes. Les prisonniers étaient détenus dans un camp au
bord de la Crooked River, à une vingtaine de kilomètres de Far West.
Parmi les hommes qui chevauchaient avec Charles se trouvait Parley
Pratt, l’apôtre qui l’avait baptisé au Canada.
La nuit était sombre et solennelle. Les seuls bruits qu’ils entendaient
étaient le grondement des sabots et le cliquetis des armes dans leurs
fourreaux et leurs étuis. Au loin, ils voyaient la lueur des feux de
prairie. De temps à autre, un météore étincelait au-dessus d’eux
Les hommes arrivèrent à la Crooked River avant l’aube. En approchant du
camp ennemi, ils descendirent de cheval et se rangèrent par compagnies.
Une fois qu’ils furent assemblés, David Patten dit : « Faites confiance
au Seigneur pour la victoire. » Il leur commanda de le suivre jusqu’au
gué.
Charles et les autres hommes gravirent en silence une petite colline
jusqu’à ce qu’ils voient des feux de camp le long de la rivière. Au
moment où ils atteignaient le sommet, ils entendirent la voix sévère de
la sentinelle : « Qui va là ? »
David dit : « Des amis. »
— Êtes-vous armés ?
— Oui.
— Alors, posez vos armes à terre.
— Venez les chercher.
— Posez-les à terre ! »
Dans la confusion qui suivit, la sentinelle tira sur les saints et un
jeune homme qui se tenait près de Charles s’écroula lorsque la balle
l’atteignit au torse. La sentinelle battit instantanément en retraite,
dévalant la colline.
David cria : « Battez-vous pour la liberté. Chargez, les gars ! »
Charles et les hommes dégringolèrent la colline et formèrent des rangs
le long d’une route, derrière une rangée d’arbres et de touffes de
noisetiers. Au-dessous d’eux, les hommes du camp se précipitaient hors
de leurs tentes et se réfugiaient le long des berges de la rivière.
Avant que l’équipe de secours n’ait pu tirer une salve, ils entendirent
le capitaine ennemi crier : « Les gars, mettez-leur en plein la tête. »
Les tirs ennemis sifflèrent au-dessus de la tête de Charles sans lui
faire de mal mais James Hendricks, qui avait pris position au bord de
la route, prit une balle dans la nuque et s’affaissa à terre.
« Au feu ! » David Patten cria : « Tirez ! », et le matin éclata en
coups de feu.
Pendant que les hommes des deux côtés rechargeaient leurs armes, un
silence inquiétant reposa sur le champ de bataille. Charles Rich
s’écria : « Dieu et la liberté ! » et les saints lui firent écho encore
et encore jusqu’à ce que David Patten ordonne une autre salve.
Les saints dévalèrent la colline pendant que les Missouriens tiraient
de nouveau avant de se replier de l’autre côté de la rivière. Pendant
qu’il chargeait, David distingua un homme isolé et courut après lui.
L’homme pivota, aperçut son manteau blanc et tira sur l’apôtre à bout
portant. La balle lui déchira l’abdomen et il tomba.
Une fois les Missouriens dispersés, l’escarmouche prit fin. Un membre
du camp et l’un des saints étaient morts. David Patten et un autre
saint étaient mourants. James Hendricks était encore conscient mais il
n’avait plus aucune sensation au-dessous de la nuque.
Charles Hales et la plupart des hommes étaient sains et saufs ou
souffraient de blessures légères. Ils fouillèrent le camp ennemi et
trouvèrent les saints prisonniers. Ils transportèrent ensuite James et
David jusqu’à un chariot au sommet de la colline avec le reste des
blessés.
Au lever du soleil, ils étaient à nouveau en selle, chevauchant vers
Far West.
Des rapports exagérés de l’escarmouche de la Crooked River arrivèrent
sur le bureau du gouverneur du Missouri, Lilburn Boggs, peu après la
fin de l’affrontement. Certains affirmaient que les saints avaient
massacré cinquante Missouriens dans le combat. D’autres disaient que le
nombre de victimes était plus près de soixante. Avec tant de rumeurs au
sujet de la bataille, Boggs n’avait aucun moyen de savoir ce qui
s’était réellement passé.
Dans les moments de conflit sur la frontière ouest, les milices
hâtivement organisées se conduisaient sans foi ni loi. Ce matin-là, les
saints n’avaient pas attaqué des émeutiers, comme ils le supposaient,
mais un groupe de la milice de l’État du Missouri. Et cela était
considéré comme une insurrection contre l’État.
Résidant d’Independence de longue date, Boggs avait soutenu l’expulsion
des saints du comté de Jackson et n’avait aucune envie de protéger
leurs droits. Il était pourtant resté neutre jusque-là, en dépit du
fait que les deux côtés l’aient supplié de les aider. Au fur et à
mesure de la propagation des rapports sur l’agression des mormons, les
citoyens de tout l’État lui écrivirent, l’incitant à prendre des
mesures contre les saints.
Au milieu des lettres et des messages qui passèrent sur le bureau du
gouverneur se trouvait une déclaration sous serment d’un apôtre de
l’Église, Thomas Marsh, affirmant que Joseph avait l’intention
d’envahir l’État, la nation et finalement le monde.
Thomas faisait cette mise en garde : « Chaque véritable mormon croit
que les prophéties de Smith sont supérieures à la loi du pays. » Une
déclaration d’Orson Hyde attestant de la véracité de ces propos y était
attachée.
Ces documents donnèrent à Boggs tout ce dont il avait besoin pour
justifier une action contre les saints. Peu après l’affrontement de la
Crooked River, il commanda à plusieurs divisions de miliciens
missouriens de mater les forces mormones et d’amener les saints à se
soumettre. Il envoya aussi un décret au général de la première division
du Missouri.
Le 27 octobre 1838, le gouverneur écrivit : « Des informations des plus
alarmantes placent les mormons dans une situation de rébellion ouverte
et armée contre les lois et de faits de guerre contre les habitants de
cet État. Vous avez donc l’ordre d’opérer en toute hâte. Les mormons
doivent être traités comme des ennemis et doivent être exterminés ou
chassés de l’État. »
CHAPITRE 30 : Battez-vous comme des anges
L’après-midi du 30 octobre 1838 était frais et plaisant à Hawn’s Mill,
une petite colonie du comté de Caldwell. Les enfants s’ébattaient sur
les berges de Shoal Creek sous le ciel bleu. Les femmes lavaient le
linge à la rivière et préparaient le repas. Certains hommes étaient
dans les champs, moissonnant les récoltes pour l’hiver, tandis que
d’autres travaillaient dans les moulins le long de la rivière.
Amanda Smith était assise sous une tente pendant que ses filles, Alvira
et Ortencia, jouaient à proximité. Son mari, Warren, était chez le
forgeron avec leurs trois jeunes fils, Willard, Sardius et Alma.
Les Smith étaient de passage à Hawn’s Mill. Ils faisaient partie de la
compagnie de saints pauvres qui avait quitté Kirtland plus tôt cet
été-là. Un problème après l’autre les avait retardés, les obligeant à
se séparer du groupe. La plupart des membres de la compagnie étaient
déjà arrivés à Far West et Amanda et Warren étaient pressés de
reprendre la route.
Pendant qu’elle se reposait sous la tente, elle vit un mouvement furtif
à l’extérieur et ne fit plus un geste. Un groupe d’hommes armés, le
visage noirci, fondait sur la colonie.
Comme d’autres saints dans la région, Amanda avait craint des attaques
d’émeutiers. Avant de faire halte à Hawn’s Mill, des hommes avaient
accosté sa petite compagnie, pillant ses chariots, confisquant ses
armes et la plaçant en garde à vue pendant trois jours avant de la
libérer.
Lorsqu’elle était arrivée à Hawn’s Mill, les dirigeants locaux lui
avait assuré qu’elle était en sécurité. David Evans, le dirigeant des
saints à cet endroit-là, avait passé un accord de trêve avec leurs
voisins qui disaient vouloir vivre en paix avec eux. Mais, par mesure
de précaution, il avait posté des gardes autour de la colonie.
Maintenant, les saints étaient en danger à Hawn’s Mill. Empoignant
rapidement ses petites filles, Amanda courut vers les bois qui
jouxtaient la retenue d’eau du moulin. Elle entendit un coup de feu
derrière elle et une volée de balles siffla près d’elle et d’autres
personnes qui se précipitaient vers les arbres.
Près de la forge, David agita son chapeau et cria pour demander un
cessez-le-feu. Les émeutiers l’ignorèrent et continuèrent d’avancer,
tirant à nouveau sur les saints en fuite.
Se cramponnant à ses filles, Amanda dévala un ravin pendant que les
balles sifflaient autour d’elle. Lorsqu’elles atteignirent le fond, les
filles et elle se hâtèrent de franchir la retenue sur une planche
servant de pont et commencèrent à gravir la colline de l’autre côté.
Mary Stedwell, une femme qui courait à côté d’elle, leva les mains vers
les émeutiers et implora la paix. Ils tirèrent de nouveau et une balle
lui déchira la main.
Amanda cria à Mary de se mettre à l’abri derrière un arbre couché. Ses
filles et elle s’enfoncèrent en courant dans les bois et plongèrent
derrière des buissons de l’autre côté de la colline.
Hors de vue des émeutiers, Amanda serra ses filles contre elle et
écouta les coups de feu résonner dans toute la colonie.
Lorsque la fusillade avait commencé, Alma, le fils d’Amanda, âgé de six
ans, et son frère aîné Sardius avaient suivi leur père dans la forge où
les saints avaient stocké le peu d’armes qu’ils possédaient. À
l’intérieur, des dizaines d’hommes essayaient désespérément de se
défendre contre les attaquants, la forge faisant office de fort. Ceux
qui avaient des fusils tiraient sur les émeutiers par les interstices
entre les rondins.
Terrifiés, Alma et Sardius rampèrent sous les soufflets avec un autre
jeune garçon. Les émeutiers encerclèrent la forge et se rapprochèrent
des saints. Certains hommes sortirent précipitamment, criant à la paix,
mais ils furent abattus par des tirs meurtriers.
Alma resta caché sous les soufflets tandis que les coups de feu
devenaient de plus en plus bruyants et intenses. Les émeutiers
entourèrent la forge, forcèrent leurs fusils dans les interstices des
murs et tirèrent sur les hommes à bout portant. L’un après l’autre, les
saints tombèrent à terre avec des impacts de balles dans la poitrine,
les bras et les cuisses. De dessous les soufflets, Alma les entendait
gémir de douleur.
Les émeutiers prirent l’entrée d’assaut, tirant sur d’autres hommes qui
essayaient de s’échapper. Trois balles touchèrent le garçon qui se
cachait à côté d’Alma et son corps devint inerte. Un homme aperçut Alma
et tira sur lui, lui ouvrant une plaie béante dans la hanche. Un autre
repéra Sardius et le traîna dehors. Il plaça sans ménagement le canon
de son fusil contre la tête de l’enfant de dix ans et appuya sur la
gâchette, le tuant instantanément.
L’un des émeutiers détourna la tête. Il dit : « C’est une honte de tuer
ces petits garçons. »
Un autre répliqua : « Les lentes deviennent des poux. »
Ignorant l’ordre d’extermination du gouverneur, les saints de Far West
gardaient espoir que Boggs enverrait de l’aide avant que les émeutiers
n’assiègent leur ville. Le 30 octobre, lorsqu’ils virent au loin une
armée d’environ deux cent cinquante hommes, une vague de joie déferla
sur eux. Ils pensaient que le gouverneur avait enfin envoyé la milice
de l’État pour les protéger.
Le général Alexander Doniphan, qui avait aidé les saints par le passé,
commandait le régiment. Il positionna ses troupes en rang en face des
forces des saints stationnées juste à l’extérieur de Far West et ces
dernières hissèrent le drapeau blanc. Le général attendait encore des
ordres écrits de la part du gouverneur mais ses troupes et lui
n’étaient pas venus protéger Far West. Ils étaient là pour mater les
saints.
Bien qu’il sût que leurs forces étaient supérieures en nombre à celles
du Missouri, George Hinkle, le saint des derniers jours responsable du
régiment du comté de Caldwell, se sentit mal à l’aise et commanda à ses
troupes de se replier. Pendant que les hommes battaient en retraite,
Joseph remonta les rangs à cheval, troublé par l’ordre de George.
Il s’exclama : « Vous vous repliez ? Et où donc, au nom de Dieu,
allons-nous nous replier ? » Il dit aux hommes de retourner sur le
champ de bataille et de reformer les rangs.
Des messagers de la milice du Missouri approchèrent ensuite les saints
avec ordre d’assurer l’évacuation d’Adam Lightner et de sa famille en
toute sécurité. Adam n’était pas membre de l’Église mais il était marié
avec Mary Rollins, âgée de vingt ans, la jeune femme qui avait
soustrait les pages du Livre des commandements des mains des émeutiers
des années plus tôt à Independence.
On fit sortir Adam et Mary de Far West, ainsi que la sœur d’Adam,
Lydia, et son mari, John Cleminson. Lorsqu’ils apprirent ce que
voulaient les soldats, Mary se tourna vers Lydia et lui demanda ce
qu’elles devaient faire, à son avis.
Lydia dit : « Nous ferons ce que tu diras. »
Mary demanda aux messagers si les femmes et les enfants de Far West
pouvaient partir avant l’attaque.
Ils répondirent que non.
Elle demanda : « Laisserez-vous la famille de ma mère sortir ? »
Il lui fut répondu que selon les ordres du gouverneur, seules leurs
deux familles pouvaient partir.
Mary dit : « Si tel est le cas, je refuse de m’en aller. Je mourrai là
où ils mourront car je suis une mormone pur-sang et je n’ai pas honte
de l’affirmer. »
Les messagers dirent : « Pensez à votre mari et à votre enfant. »
Elle répondit : « Il peut partir et prendre l’enfant avec lui s’il
veut. Pour ma part, je souffrirai avec le reste. »
Pendant que les messagers se retiraient, Joseph avança vers eux et leur
dit : « Dites à cette armée de battre en retraite d’ici cinq minutes ou
nous allons leur flanquer une volée ! »
Les miliciens regagnèrent leurs rangs et les troupes se replièrent
rapidement vers leur camp principal. Plus tard dans la journée, mille
huit cents soldats supplémentaires arrivèrent sous le commandement du
général Samuel Lucas qui, cinq ans plus tôt, avait été un meneur dans
l’expulsion des saints du comté de Jackson.
Ils étaient tout au plus trois cents saints armés dans Far West mais
ils étaient déterminés à défendre leurs familles et leurs foyers. Le
prophète rassembla leurs forces sur la place de la ville et leur dit de
se préparer à se battre.
Il leur dit : « Battez-vous comme des anges. » Il croyait que si la
milice du Missouri attaquait, le Seigneur leur enverrait deux anges
pour chaque homme qui leur manquait.
Mais le prophète ne voulait pas passer à l’offensive. Ce soir-là, les
saints empilèrent tout ce qu’ils pouvaient, construisant une barricade
qui s’étendait sur plus de deux kilomètres le long des limites est, sud
et ouest de la ville. Pendant que les hommes calaient des traverses de
clôture entre des rondins et des chariots, les femmes rassemblaient des
vivres en prévision de l’attaque.
Des hommes montèrent la garde toute la nuit.
À Hawn’s Mill, Willard Smith, onze ans (le fils aîné d’Amanda) reparut
de derrière un gros arbre près de la retenue et se glissa dans la
forge. Lorsque l’attaque avait débuté, il avait essayé de rester avec
son père et ses frères mais il n’avait pas réussi à se frayer un
passage jusqu’à la forge et s’était réfugié derrière une pile de bois.
Lorsque les émeutiers s’étaient déployés et l’avaient localisé, il
avait couru de maison en maison, esquivant les balles, jusqu’à ce
qu’ils quittent la colonie.
À la forge, il trouva le corps sans vie de son père affaissé à
l’entrée. Il vit celui de son frère Sardius dont la tête avait été
horriblement mutilée par le coup de feu. À l’intérieur, d’autres corps,
plus d’une douzaine, étaient entassés sur le sol. Willard chercha parmi
eux et retrouva son frère Alma. Le garçon était inerte dans la
poussière mais il respirait encore. Son pantalon était couvert de sang
à l’endroit où on lui avait tiré dessus.
Il le prit dans ses bras et le transporta à l’extérieur. Il vit sa mère
sortir des bois et arriver vers eux. Quand elle les vit, Amanda s’écria
: « Ils ont tué mon petit Alma ! »
Willard dit : « Non, maman, mais papa et Sardius sont morts. »
Il porta son frère jusqu’à leur campement et le déposa délicatement.
Les émeutiers avaient saccagé la tente, éventré les matelas et
éparpillé la paille. Amanda en lissa une certaine quantité et la
couvrit de linge pour faire un lit pour Alma. Elle découpa ensuite son
pantalon pour examiner les dégâts.
La chair était à vif et la blessure effrayante. L’articulation de la
hanche avait entièrement disparu. Amanda n’avait pas la moindre idée de
la manière de l’aider.
Elle pouvait peut-être envoyer Willard chercher du secours mais où
irait-il ? À travers la toile fine de sa tente, elle entendait les
plaintes des blessés et les pleurs des saints qui avaient perdu maris
et pères, fils et frères. Toutes les personnes qui auraient pu lui
venir en aide étaient déjà en train de s’occuper de quelqu’un d’autre
ou de pleurer. Elle sut qu’elle devrait compter sur Dieu.
Lorsque Alma reprit connaissance, elle lui demanda s’il pensait que
Dieu pouvait lui faire une nouvelle hanche. Alma dit que si c’était ce
qu’elle pensait, lui aussi.
Elle réunit ses trois autres enfants autour de lui. Elle pria : « Oh,
mon Père céleste, tu vois mon pauvre garçon blessé et tu connais mon
manque d’expérience. Oh, Père céleste, indique-moi ce que je dois
faire. »
Elle termina sa prière et entendit une voix diriger chacun de ses
gestes. Le feu familial se consumait encore dehors et elle mélangea
rapidement ses cendres avec de l’eau pour faire du savon. Elle trempa
un linge propre dans la solution et lava doucement la plaie d’Alma,
répétant maintes fois la procédure jusqu’à ce qu’elle soit propre.
Elle envoya ensuite Willard chercher des racines d’orme. Lorsqu’il
revint, elle les broya pour en faire de la pâte qu’elle modela en un
cataplasme. Elle le plaça sur la plaie d’Alma et l’enveloppa de tissu.
Elle dit à son fils : « Maintenant, reste allongé comme cela et ne
bouge pas, et le Seigneur te fera une autre hanche. »
Une fois qu’elle sut qu’il était endormi et que les autres enfants
étaient en sécurité dans la tente, elle sortit et pleura.
Le lendemain matin, 31 octobre, George Hinkle et d’autres dirigeants de
la milice des saints rencontrèrent le général Doniphan sous le couvert
d’un drapeau blanc. Doniphan n’avait toujours pas reçu les ordres du
gouverneur mais il savait que ceux-ci autorisaient l’extermination des
saints. Il expliqua que toute négociation pacifique devait attendre
qu’il ait vu les ordres. Il dit aussi à George que le général Lucas,
leur vieil ennemi, commandait maintenant la milice.
De retour à Far West, George rapporta à Joseph ce qu’il avait appris. À
peu près à ce moment-là, des messagers arrivèrent de Hawn’s Mill et
l’informèrent du massacre. Dix-sept personnes avaient été tuées et plus
d’une douzaine blessées.
Les deux rapports écœurèrent Joseph. Le conflit avec les Missouriens
avait dégénéré au-delà des raids et des escarmouches. Si les émeutiers
et les miliciens ouvraient une brèche dans la barricade des saints, les
habitants de Far West pourraient connaître le même sort que ceux de
Haun’s Mill.
Joseph exhorta George : « Implore la paix à tout prix. » Le prophète
dit qu’il préférait mourir ou aller en prison pendant vingt ans plutôt
que voir les saints se faire massacrer.
Plus tard dans la journée, les ordres du gouverneur arrivèrent et
George et les autres dirigeants de la milice donnèrent rendez-vous au
général Lucas sur une colline près de Far West. Le général arriva dans
l’après-midi et lut à voix haute l’ordre d’extermination. Les saints
furent choqués. Ils savaient que leur ville était encerclée par près de
trois mille miliciens du Missouri dont la plupart rêvaient de se
battre. Tout ce que Lucas avait à faire était de sonner l’ordre et ses
troupes envahiraient la ville.
Pourtant, le général dit qu’ils étaient disposés à faire preuve d’un
peu de miséricorde si les saints livraient leurs dirigeants et leurs
armes, et acceptaient de vendre leurs terres et de quitter l’État pour
de bon. Il accorda une heure à George pour convenir des conditions.
Sinon, rien n’empêcherait ses troupes d’annihiler les saints.
George rentra à Far West cet après-midi-là en se demandant si Joseph
s’engagerait à respecter les conditions. En tant que commandant de la
milice de Caldwell, il avait l’autorité de négocier avec l’ennemi.
Néanmoins, Joseph voulait qu’il consulte la Première Présidence avant
d’accepter une proposition quelconque des troupes de l’État.
Le temps étant compté et la milice prête à attaquer la ville, George
dit à Joseph que le général Lucas voulait parler de la fin des
hostilités avec lui et d’autres dirigeants de l’Église. Pressé de
mettre les saints hors de danger, Joseph accepta de négocier sous le
couvert d’un drapeau blanc. Bien que n’étant pas membre de la milice,
il voulait faire tout ce qu’il pouvait pour résoudre le conflit.
George et lui quittèrent Far West peu avant le coucher du soleil avec
Sidney Rigdon, Parley Pratt, Lyman Wight et George Robinson. À
mi-chemin vers le camp du Missouri, ils virent le général Lucas venir à
leur rencontre avec plusieurs soldats et un canon. Joseph supposa
qu’ils venaient les escorter jusqu’au camp en assurant leur sécurité.
Le général arrêta son cheval devant les hommes et ordonna à ses troupes
de les encercler. George Hinkle s’avança vers le général et dit : «
Voici les prisonniers que j’ai accepté de livrer. »
Le général Lucas tira son épée. Il dit : « Messieurs, vous êtes mes
prisonniers. » Les troupes explosèrent en cris de guerre stridents et
se rapprochèrent des prisonniers.
Joseph était stupéfait. Qu’est-ce que George avait fait ? La confusion
du prophète se mua en colère et il exigea de parler au général Lucas
mais celui-ci l’ignora et s’éloigna à cheval.
Les troupes escortèrent Joseph et les autres hommes au camp du
Missouri. Une foule de soldats les gratifia de menaces et d’insultes
virulentes. Pendant que Joseph et ses amis passaient entre leurs rangs,
les hommes hurlaient triomphalement et leur crachaient au visage et sur
les vêtements.
Le général Lucas plaça Joseph et ses amis sous bonne garde et les força
à dormir sur la terre froide. L’époque où ils étaient des hommes libres
était révolue. Ils étaient maintenant prisonniers de guerre.
CHAPITRE 31 : Comment cela va-t-il se terminer ?
En entendant les hurlements sauvages provenant du camp du Missouri,
Lydia Knight craignit le pire. Elle savait que le prophète y était allé
pour négocier des accords de paix. Mais ce qu’elle entendait
ressemblait à une meute de loups avides devant une proie.
Regardant anxieusement par la fenêtre, elle vit son mari arriver en
courant vers la maison. Newel lui dit : « Prie comme tu n’as jamais
prié de ta vie. » La milice avait capturé le prophète.
Lydia se sentit défaillir. La veille, deux vétérans de l’escarmouche de
la Crooked River avaient frappé à sa porte en quête d’un lieu où se
terrer. La milice du Missouri avait juré de punir les saints qui
avaient participé à la bataille ; elle mettait donc sa famille en
danger en abritant ces hommes. Mais elle ne pouvait pas les refouler et
elle les avait cachés chez elle.
Maintenant, elle se demandait s’ils étaient bien en sécurité. Newel
était de nouveau de garde ce soir-là. Si la milice entrait dans la
ville en son absence et les trouvait chez elle, les soldats risquaient
de les tuer. Et que leur feraient-ils à elle et à ses enfants ?
Lorsqu’il partit pour la nuit, Newel lui recommanda de se montrer
prudente. Il dit : « Ne sors pas. Il y a des rôdeurs. »
Une fois qu’il fut parti, elle commença à prier. Lorsque son mari et
elle étaient venus dans l’Ouest après la consécration du temple, ils
avaient fait leur chez-eux et avaient maintenant deux enfants. La vie
était belle avant que les attaques des émeutiers ne commencent. Elle ne
voulait pas que tout s’effondre.
Elle entendait encore les cris perçants des Missouriens. Le son lui
donnait la chair de poule mais la prière l’apaisait. Elle savait que
Dieu gouvernait les cieux. Quoi qu’il se passe, rien ne pourrait
changer cela.
Le lendemain matin, 1er novembre 1838, Newel passa brièvement à la
maison. George Hinkle avait commandé aux forces des saints de se
rassembler sur la place. La milice du Missouri était alignée à
l’extérieur de leur camp et en position pour envahir Far West.
Lydia demanda : « Comment cela va-t-il se terminer ? J’ai le cœur
déchiré par la crainte et pourtant l’Esprit me dit que tout finira
bien. »
Ramassant son fusil, Newel dit : « Que Dieu nous l’accorde. Au revoir
et que Dieu te protège. »
Pendant que les forces des saints se rassemblaient sur la place, le
général Lucas fit avancer ses troupes jusqu’à une prairie au sud-est de
Far West et leur ordonna de se tenir prêtes à abattre toute résistance.
À dix heures ce matin-là, George Hinkle conduisit ses propres troupes
hors de la place et les positionna près du rang ennemi. Il s’avança
ensuite vers le général, retira l’épée et les pistolets de sa ceinture
et les lui remit.
Les Missouriens apportèrent un bureau et le placèrent devant leur rang.
George retourna auprès de ses hommes et leur ordonna d’aller, un par
un, livrer leurs armes à deux agents de la milice du Missouri.
Encerclés et largement surpassés en nombre, Newel et les saints
n’avaient guère d’autre choix que d’obtempérer. Lorsque vint son tour
de livrer son arme, Newel avança vers le bureau lançant des regards
furieux au général Lucas. Il dit : « Monsieur, ce fusil m’appartient en
propre. Personne n’a le droit de me le prendre. »
Le général dit : « Pose ton arme ou je te fais fusiller. »
Furibond, Newel abandonna son fusil et rejoignit les rangs.
Lorsque tous les saints furent désarmés, la ville était sans défense.
Le général Lucas escorta les forces des saints à Far West et les tint
prisonnières sur la place.
Il ordonna ensuite à ses troupes de s’emparer de la ville.
Sans perdre un instant, la milice du Missouri s’introduisit dans les
maisons et les tentes, fouilla les coffres et les tonneaux, cherchant
des armes et des objets de valeur. Ils emportèrent de la literie, des
vêtements, de la nourriture et de l’argent. Certains allumèrent des
feux de joie avec des rondins et des traverses de clôture et
incendièrent des granges. D’autres tirèrent sur le bétail, les moutons
et les cochons et les laissèrent périr dans les rues.
Chez les Knight, Lydia se tenait prête lorsque trois miliciens
arrivèrent à la porte. L’un d’eux demanda : « Avez-vous des hommes dans
la maison ? »
Bloquant l’entrée, elle répondit : « C’est vous qui gardez nos hommes.
» Si elle les laissait pénétrer à l’intérieur, ils trouveraient les
hommes qu’elle cachait.
Il demanda : « Avez-vous des armes dans la maison ? »
Elle dit : « Mon mari a emporté son fusil. » Derrière elle, les enfants
se mirent à pleurer, effrayés à la vue de l’étranger. Rassemblant son
courage, Lydia se retourna vers l’homme. Elle cria : « Allez-vous-en !
Ne voyez-vous pas combien mes petits sont terrifiés ? »
L’homme dit : « Bien, vous n’avez ni hommes ni armes chez vous ? »
Lydia dit : « Je vous répète, mon mari est prisonnier sur la place et
il a pris son fusil avec lui. »
L’homme maugréa et partit avec les autres, furieux.
Lydia rentra dans sa maison. Elle tremblait mais les miliciens étaient
partis et tout le monde chez elle était en sécurité.
Sur la place, sous étroite surveillance avec le reste des troupes des
saints, Heber Kimball entendit une voix familière l’interpeler. Levant
les yeux, il vit William McLellin, l’ancien apôtre, venir vers lui. Il
était vêtu d’un chapeau et d’une chemise ornée de motifs rouge criard.
Il dit : « Frère Heber, que penses-tu maintenant de Joseph Smith, le
prophète déchu ? » William était accompagné d’un groupe de soldats. Ils
étaient passés de maison en maison, pillant la ville à loisir.
Il continua : « Regarde et tu le vois toi-même. Pauvre, ta famille
dépouillée et dépossédée et tes frères en sont au même point. Es-tu
satisfait de Joseph ? »
Heber ne pouvait pas nier que l’avenir s’annonçait mal pour les saints.
Joseph était prisonnier et ces derniers étaient désarmés et assaillis.
Mais il savait qu’il ne pouvait pas abandonner Joseph et les saints,
comme l’avaient fait William, Thomas Marsh et Orson Hyde. Il était
resté loyal à Joseph dans toutes les épreuves qu’ils avaient traversées
ensemble et il était déterminé à le rester même si cela devait lui
coûter tout ce qu’il possédait.
Où es-tu ? » Retournant la question à William, Heber demanda : « Où
es-tu ? Qu’est-ce que tu fais ? » Son témoignage de l’Évangile rétabli
de Jésus-Christ et son refus d’abandonner les saints répondirent à la
question de William.
Heber continua : « Je suis cent fois plus satisfait de lui que jamais
auparavant. Je te dis que le mormonisme est vrai et que Joseph est un
véritable prophète du Dieu vivant. »
Lorsque la milice pilla la ville, le général Lucas ne fit rien pour
empêcher ses troupes de terroriser les saints et de leur prendre leurs
biens. Dans le camp, ils les chassaient de chez eux, les insultant
pendant qu’ils s’enfuyaient dans les rues. Ils fouettèrent et battirent
ceux qui leur résistaient. Certains soldats agressèrent et violèrent
des femmes qu’ils trouvèrent cachées dans les maisons. Le général Lucas
croyait les saints coupables d’insurrection et il voulait qu’ils paient
pour leurs actions et tâtent de la puissance de son armée.
Tout au long de la journée, les officiers de Lucas rassemblèrent
d’autres dirigeants de l’Église. Avec l’aide de George Hinkle, les
troupes entrèrent par la force chez Mary et Hyrum Smith. Hyrum était
malade mais ils le chassèrent hors de chez lui à la pointe d’une
baïonnette et le mirent avec Joseph et les autres prisonniers.
Ce soir-là, pendant que le général Lucas se préparait à les juger en
cour martiale, un officier de la milice appelé Moses Wilson prit Lyman
Wight à part, espérant le convaincre de témoigner contre Joseph lors du
procès.
Il lui dit : « Nous ne souhaitons pas te faire de mal ni te tuer. Si tu
viens déposer contre lui, nous t’épargnerons la vie et te donnerons le
grade que tu veux. »
Lyman dit avec véhémence : « Joseph Smith n’est pas un ennemi du genre
humain. Si je n’écoutais pas ses conseils, je vous aurais déjà fait
votre fête. »
Moses dit : « Tu es un homme étrange. Il y aura une cour martiale ce
soir, y assisteras-tu ? »
« Non, à moins d’y être forcé. »
Moses repoussa Lyman avec les autres prisonniers et peu après, le
général Lucas convoqua la cour. Plusieurs officiers de la milice y
participaient, y compris George Hinkle. Le général Doniphan, le seul
avocat présent, s’opposa au procès, soutenant que la milice n’avait
aucune autorité pour juger des civils tels que Joseph.
Ne lui prêtant aucune attention, le général Lucas poursuivit, expédiant
l’audience sans qu’aucun des prisonniers ne soit présent. George
voulait que Lucas se montre magnanime envers les prisonniers mais au
contraire, il les condamna à être fusillés pour trahison. Une majorité
d’officiers présents soutinrent la sentence.
Après le procès, Moses annonça le verdict à Lyman. Il dit : « Ton
compte est bon. »
Lyman le regarda avec mépris. Il dit : « Tirez et allez au diable. »
Plus tard ce soir-là, le général Lucas ordonna au général Doniphan
d’escorter Joseph et les autres prisonniers sur la place à neuf heures
le lendemain matin et de les exécuter devant les saints. Doniphan était
outré.
Il dit en aparté aux prisonniers : « Il est hors de question que j’en
retire le moindre honneur ou la moindre disgrâce. » Il dit qu’il avait
l’intention de se retirer avec ses troupes avant le lever du soleil.
Il envoya ensuite un message au général Lucas. Il déclara : « C’est un
meurtre de sang-froid. Je n’obéirai pas à votre ordre. Je vous jure
devant Dieu que si vous exécutez ces hommes, je vous en tiendrai pour
responsable devant un tribunal terrestre ! »
Comme promis, le lendemain matin, les forces du général Doniphan
avaient disparu. Au lieu d’exécuter Joseph et les autres prisonniers,
le général Lucas ordonna à ses hommes de les escorter jusqu’à son
quartier général au comté de Jackson.
Encadré par des gardes armés, Joseph fut conduit à travers les rues
dévastées de Far West jusque chez lui pour prendre quelques effets
personnels. Emma et les enfants étaient en larmes lorsqu’il arriva mais
ils furent soulagés de constater qu’il était toujours vivant. Joseph
supplia ses gardes de le laisser seul quelques instants avec les siens
mais ils refusèrent.
Emma et les enfants étaient cramponnés à lui et ne voulaient pas le
lâcher. Les gardes tirèrent leurs épées et les séparèrent. Joseph, cinq
ans, serrait son père très fort dans ses bras. Il sanglotait : «
Pourquoi tu ne peux pas rester avec nous ? »
Un garde menaça le garçonnet de son épée. « Éloigne-toi, sale gosse, ou
je te transperce ! »
De retour dehors, les troupes escortèrent les prisonniers à travers une
foule de saints et leur ordonnèrent de grimper dans un chariot bâché.
La milice encercla ensuite le véhicule, formant un mur d’hommes armés
entre les saints et leurs dirigeants.
Pendant qu’il attendait que le chariot se mette en branle, Joseph
entendit une voix familière au-dessus des bruits de la foule. Lucy
Smith criait : « Je suis la mère du prophète. N’y a-t-il pas un
gentleman ici qui va m’aider à me frayer un passage à travers cet
attroupement ? »
La bâche épaisse empêchait les prisonniers de voir à l’extérieur mais à
l’avant du chariot, Hyrum glissa la main sous la toile et prit celle de
sa mère. Les gardes lui ordonnèrent immédiatement de reculer, menaçant
de la tuer. Hyrum sentit la main de sa mère lâcher prise et il semblait
que le chariot allait se mettre en mouvement d’un moment à l’autre.
Juste à ce moment-là, Joseph, qui était assis à l’arrière, entendit une
voix de l’autre côté de la bâche. « Monsieur Smith, votre mère et votre
sœur sont ici. »
Joseph glissa la main sous la toile et sentit celle de sa mère. Il
l’entendit dire : « Joseph, je ne peux pas supporter l’idée de m’en
aller tant que je n’ai pas entendu ta voix. »
Juste avant avant le départ brusque du chariot, Joseph dit : « Que Dieu
te bénisse, maman. »
Plusieurs nuits plus tard, les prisonniers étaient allongés sur le sol
d’une maison de rondins à Richmond, Missouri. Après les avoir emmenés
au comté de Jackson, le général Lucas les avait exhibés comme des
animaux avant de recevoir l’ordre de les envoyer à Richmond pour
comparaître devant un juge.
Maintenant, chacun essayait de dormir avec un fer enserrant sa cheville
et une lourde chaîne le reliant aux autres prisonniers. Le sol était
froid et dur et les hommes n’avaient pas de feu pour se réchauffer.
Allongé et éveillé, Parley Pratt était malade d’entendre les gardes
raconter des histoires obscènes de viols et de meurtres perpétrés
contre les saints. Il voulait se lever et réprimander les hommes (dire
quelque chose qui les obligerait à se taire) mais il garda le silence.
Soudain, il entendit les chaînes cliqueter à côté de lui lorsque Joseph
se mit debout. Le prophète tonna : « Silence, démons du gouffre
infernal ! Au nom de Jésus-Christ, je vous réprimande et je vous
commande de vous taire ! Je ne vivrai pas un instant de plus pour
entendre un pareil langage ! »
Les gardes étonnés empoignèrent leurs armes et levèrent les yeux.
Joseph, rayonnant de majesté, les regarda fixement. Il commanda : «
Cessez ce genre de conversation ou bien vous ou moi mourrons à
l’instant ! »
Le silence revint dans la pièce et les gardes baissèrent leurs fusils.
Certains se tapirent dans les coins. D’autres s’accroupirent de peur à
ses pieds. Le prophète resta debout immobile, calme et digne. Les
gardes implorèrent son pardon et se turent jusqu’à l’arrivée de la
relève.
Le 12 novembre 1838, Joseph et plus de soixante autres saints furent
conduits jusqu’au tribunal de Richmond pour décider s’il y avait
suffisamment de preuves pour les accuser de trahison, de meurtre,
d’incendie criminel, de vol, de cambriolage et de larcin. Le juge,
Austin King, déciderait si les prisonniers feraient l’objet d’un procès.
Le procès dura plus de deux semaines. Le témoin clé contre Joseph était
Sampson Avard, qui avait été un dirigeant danite. Pendant le siège de
Far West, Sampson avait tenté de fuir le Missouri mais la milice
l’avait capturé et menacé de le poursuivre en justice s’il refusait de
témoigner contre les prisonniers.
Anxieux de sauver sa peau, Sampson affirma que tout ce qu’il avait fait
en tant que Danite, il l’avait fait sur ordre de Joseph. Il témoigna
que ce dernier croyait que, selon la volonté de Dieu, les saints
devaient se battre contre le gouvernement du Missouri et la nation pour
préserver leurs droits.
Il dit aussi que Joseph croyait que l’Église était comme la pierre dont
parle Daniel dans l’Ancien Testament qui remplirait toute la terre et
consumerait ses royaumes.
Inquiet, le juge King questionna Joseph au sujet de la prophétie de
Daniel et il témoigna qu’il y croyait.
Le juge dit à son greffier : « Notez cela. C’est une preuve solide de
trahison. »
L’avocat de Joseph fit objection. Il dit : « Monsieur le juge, c’est
plutôt la Bible que vous devriez qualifier de trahison. »
On fit appel à plus de quarante témoins pour témoigner contre les
prisonniers, notamment plusieurs anciens dirigeants de l’Église.
Craignant d’être eux-mêmes poursuivis en justice, John Corrill, William
Phelps, John Whitmer et d’autres avaient conclu avec l’État du Missouri
le marché de témoigner contre Joseph en échange de leur liberté. Sous
serment, ils décrivirent les méfaits dont ils avaient été témoins
pendant le conflit et tous accusèrent Joseph.
En revanche, la défense des saints se résumait à quelques témoins qui
n’eurent pas une grande influence sur l’opinion du juge. D’autres
auraient pu parler en faveur de Joseph mais ils furent harcelés ou
chassés de la salle d’audience.
À la fin de la séance, cinq saints dont Parley Pratt furent emprisonnés
à Richmond en attendant d’être jugés pour meurtre lors de la bataille
de la Crooked River.
Les autres, Joseph et Hyrum Smith, Sidney Rigdon, Lyman Wight, Caleb
Baldwin et Alexander McRae, furent transférés dans une prison de la
ville appelée Liberty, en attendant d’être jugés pour trahison. S’ils
étaient inculpés, ils seraient exécutés.
Un forgeron enchaîna les six hommes ensemble et les conduisit vers un
grand chariot. Les prisonniers grimpèrent et s’assirent sur le bois
brut, la tête dépassant à peine des montants du véhicule.
Le voyage dura toute la journée. Lorsqu’ils arrivèrent à Liberty, le
chariot traversa le centre de la ville, passa devant le tribunal puis
arriva à une petite prison de pierre au nord. La porte était ouverte,
attendant les hommes dans le froid de cette journée de décembre.
Un par un, les prisonniers descendirent du chariot et gravirent les
marches jusqu’à l’entrée de la prison. Une foule de curieux se pressa
autour d’eux, espérant apercevoir les détenus.
Joseph fut le dernier homme à descendre. Lorsqu’il arriva à la porte,
il regarda la foule et souleva son chapeau en guise de salut poli. Il
fit ensuite volte-face et descendit dans la sombre prison.
CHAPITRE 32 : Quand même l’enfer tout entier se
déchaînerait
Mi-novembre 1838, à Far West, les saints souffrirent de la faim et du
froid. La milice du Missouri avait détruit des maisons et vidé la
plupart des réserves de nourriture de la ville. Les quelques récoltes
subsistant dans les champs étaient gelées.
Le général John Clark, qui remplaçait le général Lucas à la tête des
forces du Missouri à Far West, n’avait pas plus de sympathie pour les
saints que son prédécesseur. Il les accusait d’être les agresseurs et
de s’opposer à la loi. Il leur dit : « Vous vous êtes attiré ces
problèmes par votre hostilité et votre refus de respecter les lois. »
Comme l’hiver menaçait, il accepta qu’ils restent à Far West jusqu’au
printemps mais leur conseilla de se disperser ensuite. Il les avertit :
« Ne vous organisez jamais plus avec des évêques et des présidents
sinon vous risquez d’attiser la jalousie des gens et de faire de
nouveau l’objet des mêmes désastres que ceux qui vous sont arrivés. »
La situation à Hawn’s Mill était encore pire. Le lendemain du massacre,
les émeutiers ordonnèrent aux saints de quitter l’État sous peine
d’être tués. Amanda Smith et les autres survivants voulaient partir
mais ils leur avaient volé les chevaux, les vêtements, la nourriture et
les autres fournitures dont ils avaient besoin pour effectuer le long
voyage. De nombreux blessés, dont Alma, le fils d’Amanda, n’étaient pas
en état de faire un si long périple.
Les femmes du camp organisèrent des réunions de prière, demandant au
Seigneur de guérir leurs blessés. Lorsque les émeutiers en furent
informés, ils menacèrent de massacrer le camp si elles continuaient.
Après cela, elles prièrent en silence, essayant désespérément de ne pas
attirer l’attention sur elles tandis qu’elles se préparaient à partir.
Au bout de quelque temps, Amanda quitta sa tente et emménagea avec sa
famille dans une cabane. Tout en continuant de pleurer son mari et son
fils assassinés, elle devait s’occuper seule de ses quatre jeunes
enfants. Elle craignait de devoir rester trop longtemps à Hawn’s Mill
en attendant que son fils guérisse. Et même si elle pouvait s’en aller
avec ses enfants, où iraient-ils ?
C’est une question que les saints dans tout le nord du Missouri se
posaient. Ils craignaient que la milice n’exécute l’ordre
d’extermination du gouverneur s’ils ne partaient pas au printemps.
Cependant, sans dirigeants pour les guider, ils n’avaient pas la
moindre idée de la manière de procéder pour quitter le Missouri ni de
l’endroit où se rassembler ensuite.
Pendant que les saints abandonnaient Far West, Phebe Woodruff,
souffrant de violentes migraines et de fièvre, était allongée dans une
auberge en bord de route à l’ouest de l’Ohio. Depuis deux mois, Wilford
et elle voyageaient vers l’ouest avec les saints des îles Fox,
pataugeant dans la neige et la pluie pour atteindre Sion. De nombreux
enfants étaient tombés malades, notamment sa fille, Sarah Emma. Deux
familles s’étaient déjà retirées du convoi, convaincues qu’elles ne
réussiraient pas à arriver en Sion cet hiver-là.
Avant de s’arrêter à l’auberge, Phebe avait souffert atrocement à
chaque secousse du chariot sur la route cahoteuse. Un jour où elle
avait presque cessé de respirer, Wilford avait arrêté le convoi afin
qu’elle puisse se remettre.
Phebe était certaine qu’elle allait mourir. Il lui fit une bénédiction
et fit tout son possible pour soulager sa souffrance mais la fièvre
empira. Finalement, elle appela son mari à son chevet, témoigna de
l’Évangile de Jésus-Christ et l’exhorta à avoir la foi malgré ses
épreuves. Le lendemain, sa respiration cessa complètement et elle
sentit son esprit la quitter.
Elle regarda Wilford fixer son corps sans vie. Elle vit deux anges
entrer dans la chambre. L’un d’eux lui dit qu’elle devait faire un
choix. Elle pouvait les accompagner pour se reposer dans le monde des
esprits ou revenir à la vie et endurer les épreuves qui l’attendaient.
Phebe savait que si elle restait, le parcours ne serait pas facile.
Voulait-elle retourner à sa vie accablée de soucis et à son avenir
incertain ? Elle vit les visages de Wilford et de Sarah Emma et elle
répondit rapidement :
« Oui, je vais y retourner ! »
Au moment où elle prit sa décision, la foi de Wilford fut renouvelée.
Il l’oignit d’huile consacrée, lui imposa les mains et réprimanda le
pouvoir de la mort. Quand il eut fini, elle recommença à respirer. Elle
ouvrit les yeux et regarda les deux anges quitter la pièce.
Au Missouri, Joseph, Hyrum et les autres détenus de la prison de
Liberty se serraient les uns contre les autres pour se tenir chaud. Le
petit cachot humide aux murs de pierre et de bois épais de plus d’un
mètre était en grande partie en sous-sol. Deux minuscules fenêtres près
du plafond laissaient entrer un peu de clarté mais étaient
insuffisantes pour évacuer la puanteur rance du lieu. Des piles de
paille sale sur le sol de pierre servaient de lits aux prisonniers et
quand les hommes étaient assez désespérés pour manger les repas
immondes qu’on leur servait, la nourriture les faisait parfois vomir.
Début décembre, Emma rendit visite à Joseph, rapportant des nouvelles
des saints à Far West. En écoutant le récit de leurs souffrances, il
sentait son indignation envers ceux qui l’avaient trahi grandir. Il
dicta une lettre aux saints, condamnant la perfidie de ces hommes et
encourageant les saints à persévérer.
Il leur assura : « Sion vivra, bien qu’elle semble être morte. Le Dieu
de paix vous accompagnera et ouvrira la voie pour que vous échappiez à
l’adversaire de votre âme. »
En février 1839, Marie, la femme d’Hyrum, et sa sœur Mercy rendirent
visite aux prisonniers avec le fils nouveau-né d’Hyrum, Joseph F.
Smith. Mary n’avait pas revu Hyrum depuis novembre, avant la naissance.
L’accouchement et un gros rhume l’avaient laissée presque trop faible
pour se rendre à Liberty. Toutefois, Hyrum lui avait demandé de venir
et elle ne savait pas si elle aurait une autre occasion de le voir.
Dans la prison, le geôlier ouvrit la trappe et les femmes descendirent
dans le cachot pour passer la nuit avec les prisonniers. Il referma le
battant derrière elles et le condamna avec un gros verrou.
Cette nuit-là, personne ne dormit beaucoup. La vue de Joseph, d’Hyrum
et des autres prisonniers, émaciés et sales dans leur logement exigu,
choqua les femmes. Hyrum tint son bébé et parla doucement avec Mary.
Les autres prisonniers et lui étaient inquiets. Le geôlier et les
gardes étaient toujours sur le qui-vive, certains que Joseph et Hyrum
étaient en train de comploter une évasion.
Le lendemain matin, Mary et Mercy leur dirent au revoir et se hissèrent
hors du cachot. Tandis que les gardes les escortaient vers la sortie,
les charnières de la trappe grincèrent lorsqu’elle se referma
brutalement.
Cet hiver-là, à Far West, Brigham Young et Heber Kimball reçurent une
lettre de Joseph. Il déclarait : « La direction des affaires de
l’Église repose sur vous, c’est-à-dire, les Douze. » Il les enjoignait
de nommer le plus vieux des apôtres originels pour remplacer Thomas
Marsh en tant que président du Collège. David Patten aurait été le plus
âgé mais il avait succombé à ses blessures suite à la bataille de la
Crooked River, ce qui signifiait que c’était Brigham, maintenant âgé de
trente-sept ans, qui devait conduire les saints hors du Missouri.
Brigham avait déjà enrôlé l’aide du grand conseil du Missouri pour
maintenir l’ordre dans l’Église et prendre les décisions en l’absence
de Joseph. Mais il y avait encore d’autres choses à faire.
Le général Clark avait donné aux saints jusqu’au printemps pour quitter
l’État mais des émeutiers armés circulaient à cheval dans toute la
ville, promettant de tuer quiconque serait encore là fin février.
Effrayés, beaucoup de ceux qui en avaient les moyens s’enfuirent dès
que possible, laissant les pauvres se débrouiller.
Le 29 janvier, Brigham exhorta les saints de Far West à faire alliance
de s’aider les uns les autres à évacuer l’État. Il leur dit : « Nous
n’abandonnerons jamais les pauvres tant qu’ils ne sont pas hors de
portée de l’ordre d’extermination. »
Pour s’assurer que tout le monde soit pris en charge, les autres
dirigeants de Far West et lui nommèrent un comité de sept hommes pour
organiser l’évacuation. Le comité réunit des dons et des vivres pour
les pauvres et fit une évaluation minutieuse des besoins des saints.
Plusieurs hommes explorèrent des pistes dans tout l’État, sans
s’écarter des routes bien tracées et en évitant les endroits hostiles.
Les routes choisies convergeaient toutes vers le Mississippi, la
frontière est de l’État, à deux cent soixante kilomètres.
Ils décidèrent que l’exode hors du Missouri devait commencer
immédiatement.
Début février, Emma quitta Far West avec ses quatre enfants : Julia,
huit ans, Joseph III, six ans, Frederick, deux ans et Alexander, sept
mois. Presque tout ce que Joseph et elle possédaient avait été volé ou
abandonné à Far West. Elle voyagea donc avec des amis qui lui
fournirent un chariot et des chevaux pour le voyage. Elle transporta
également les papiers importants de Joseph.
La famille voyagea sur le sol gelé du Missouri pendant plus d’une
semaine. En chemin, l’un de leurs chevaux mourut. Lorsqu’ils
atteignirent le Mississippi, ils découvrirent qu’à cause du froid
implacable de l’hiver, une couche de glace s’était formée sur toute la
largeur du fleuve. Aucun bac ne pouvait fonctionner mais la glace était
juste assez épaisse pour permettre au groupe de traverser à pied.
Avec Frederick et Alexander dans les bras, Emma s’avança sur le fleuve
gelé. Le petit Joseph se cramponnait à un côté de sa jupe pendant que
Julia tenait fermement l’autre. Ils marchèrent tous les trois
prudemment sur le chemin glissant jusqu’à atteindre enfin la rive
distante.
Saine et sauve hors du Missouri, Emma trouva les gens de la ville
voisine (Quincy, en Illinois) plus aimables qu’elle ne s’y attendait.
Ils aidèrent les saints à franchir le fleuve gelé, donnèrent de la
nourriture et des vêtements, et offrirent un abri et un emploi aux plus
démunis.
Peu après son arrivée, elle écrivit à son mari : « Je suis encore en
vie et toujours disposée à souffrir davantage pour toi si telle est la
volonté des cieux aimants. » Les enfants allaient bien aussi, à part
Frederick, qui était malade.
Elle dit : « Seul Dieu connaît les pensées de mon esprit et les
sentiments de mon cœur lorsque j’ai abandonné notre maison et notre
foyer et tout ce que nous possédions si ce n’est nos petits enfants et
que j’ai quitté l’État du Missouri en te laissant enfermé dans cette
prison solitaire. »
Elle était quand même confiante en la justice divine et espérait des
jours meilleurs. Elle écrivit : « Si Dieu ne prend pas note de nos
souffrances et ne venge pas nos torts sur les coupables, je me trompe
lourdement. »
Tandis que les saints fuyaient le Missouri, la blessure d’Alma Smith
empêchait toujours sa famille de quitter Hawn’s Mill. Amanda prenait
soin de son fils, toujours confiante que le Seigneur lui réparerait la
hanche.
Un jour, il lui demanda : « Tu crois que le Seigneur peut le faire,
maman ? »
Elle lui répondit : « Oui, mon fils. Il m’a tout montré en vision. »
Au bout d’un moment, les émeutiers voisins du camp se montrèrent
davantage hostiles et fixèrent une date limite à laquelle les saints
devaient partir. Lorsque le jour arriva, la hanche d’Alma était encore
à vif et Amanda refusa de s’en aller. Apeurée et désirant ardemment
prier à haute voix, elle se cacha dans un faisceau de tiges de maïs et
demanda au Seigneur force et aide. Lorsqu’elle eut terminé sa prière,
une voix s’adressa à elle, répétant un couplet d’un cantique connu :
L’âme qui s’appuie sur Jésus pour se reposer,
À ses ennemis, je ne l’abandonnerai ;
Cette âme, que l’enfer s’évertue à secouer,
Jamais, non jamais je ne l’abandonnerai !
Les paroles fortifièrent Amanda et elle eut l’impression qu’il ne
pouvait rien lui arriver de mal. Peu après, pendant qu’elle puisait de
l’eau dans un ruisseau, elle entendit ses enfants crier dans la maison.
Terrifiée, elle se précipita à la porte et vit Alma courir autour de la
pièce.
Il criait : « Je vais bien, maman, je vais bien ! » Un cartilage souple
s’était formé à la place de sa hanche, lui permettant de marcher.
Alma étant en mesure de voyager, Amanda rassembla ses affaires, se
rendit chez le Missourien qui lui avait volé son cheval et exigea qu’il
le lui rende. Il lui dit qu’elle pouvait le reprendre si elle payait
cinq dollars pour le dédommager de l’avoir nourri.
Ne faisant aucun cas de ses dires, Amanda alla dans la cour, prit son
cheval et partit pour l’Illinois avec ses enfants.
Comme il y avait des saints qui quittaient Far West jour après jour,
Drusilla Hendricks s’inquiétait d’être abandonnée avec sa famille.
Isaac Leany, un autre saint qui avait reçu quatre balles à Hawn’s Mill,
lui assura que ce ne serait pas le cas mais Drusilla ne voyait pas
comment son mari pourrait faire le voyage.
Depuis sa blessure à la nuque à la bataille de la Crooked River, James
était paralysé. Après le combat, elle l’avait trouvé chez des voisins,
allongé parmi les blessés. Bien qu’accablée de chagrin, elle s’était
ressaisie, l’avait ramené à la maison et avait essayé différents
remèdes pour redonner de la sensation à ses membres. Rien ne semblait y
faire.
Pendant les semaines qui suivirent la capitulation de Far West, elle
avait vendu leurs terres et travaillé pour gagner de l’argent pour
déménager. Elle en avait suffisamment pour acheter quelques provisions
et un petit chariot mais pas d’attelage d’animaux pour le tirer.
Sans rien pour tracter son chariot, Drusilla savait qu’ils seraient
bloqués au Missouri. James avait récupéré un peu de mobilité dans les
épaules et les jambes après avoir reçu une bénédiction de la prêtrise
mais il ne pouvait pas marcher très loin. Pour le conduire en sécurité
hors de l’État, ils avaient besoin d’un attelage.
L’inquiétude de Drusilla augmentait à mesure que la date limite de
l’évacuation approchait. Les émeutiers commencèrent à la menacer,
l’avertissant qu’ils allaient venir tuer son mari.
Un soir, alors qu’elle allaitait son bébé sur le lit à côté de James,
elle entendit un chien aboyer dehors. William, son fils aîné, cria : «
Maman ! Les émeutiers arrivent ! » Un instant plus tard, elle entendit
frapper à la porte.
Elle demanda qui c’était. Une voix venant de dehors lui dit que cela ne
la regardait pas et menaça d’enfoncer la porte si elle ne l’ouvrait
pas. Elle dit à l’un de ses enfants d’ouvrir et peu après, la pièce fut
remplie d’hommes armés portant de fausses barbes pour dissimuler leur
visage.
Ils ordonnèrent à Drusilla de se lever.
Craignant qu’ils ne tuent James si elle s’éloignait de lui, elle ne
bougea pas. Un homme attrapa une bougie sur une table voisine et
commença à fouiller la maison. Les hommes dirent qu’ils cherchaient un
Danite dans la région.
Ils cherchèrent sous le lit et dans les pièces à l’arrière. Ensuite,
ils retirèrent les couvertures de dessus James et tentèrent de
l’interroger mais il était trop faible pour dire quoi que ce soit. Dans
la pénombre, il avait l’air fragile et pâle.
Ils demandèrent de l’eau et Drusilla leur dit où en trouver. Pendant
qu’ils buvaient, ils chargèrent leurs pistolets. L’un d’eux dit : «
Tout est prêt. »
Elle regarda les hommes placer le doigt sur la gâchette de leur arme.
Ils se levèrent et Drusilla se prépara à une volée de balles. Les
hommes s’attardèrent dans la pièce pendant une minute puis sortirent et
s’éloignèrent.
Un peu plus tard, un docteur prit James en pitié et donna à Drusilla
des conseils sur la manière de l’aider. James reprit lentement des
forces. Leur ami Isaac trouva également un attelage de bœufs pour la
famille.
C’était tout ce dont ils avaient besoin pour quitter définitivement le
Missouri.
Lorsque Wilford et Phebe Woodruff arrivèrent en Illinois avec la
branche des îles Fox, ils furent informés de l’expulsion des saints du
Missouri. Mi-mars, alors que davantage de membres de l’Église
s’installaient à Quincy, les Woodruff prirent la route de la ville
pleine d’animation pour retrouver les saints et les dirigeants de
l’Église.
Edward Partridge, qui avait souffert pendant des semaines dans une
prison du Missouri, aidait à diriger l’Église à Quincy en dépit de sa
mauvaise santé. Pendant ce temps, Heber et d’autres dirigeants généraux
continuaient de superviser l’évacuation du Missouri.
Wilford et Phebe trouvèrent Emma et ses enfants chez Sarah et John
Cleveland, un juge local. Ils virent également les parents et les
frères et sœurs du prophète qui habitaient maintenant à Quincy et dans
les environs, tout comme Brigham et Mary Ann Young et John et Leonora
Taylor.
Le lendemain, Brigham annonça que le comité d’évacuation à Far West
avait besoin d’argent et d’attelages pour aider cinquante familles
pauvres à quitter le Missouri. Bien que les saints de Quincy le fussent
aussi, il leur demanda de faire preuve de charité envers ceux qui
étaient encore plus démunis qu’eux. En retour, les saints donnèrent
cinquante dollars et plusieurs attelages.
Wilford se rendit sur les berges du Mississipi le lendemain pour rendre
visite à un camp de membres de l’Église nouvellement arrivés. Il
faisait froid et il pleuvait et les réfugiés étaient en petits groupes
dans la boue, fatigués et affamés. Aussi aimables que fussent les
habitants de Quincy, Wilford savait que les saints auraient vite besoin
d’un endroit à eux.
Heureusement, l’évêque Partridge et d’autres avaient parlé à un homme
nommé Isaac Galland, qui voulait leur vendre des terres marécageuses le
long d’un méandre du fleuve au nord de Quincy. Elles ressemblaient
difficilement aux terres où coulent le lait et le miel qu’ils avaient
imaginées pour Sion mais elles étaient disponibles immédiatement et
pouvaient offrir aux saints un nouveau lieu de rassemblement.
CHAPITRE 33 : Ô Dieu, où es-tu ?
Pour les détenus de la prison de Liberty, les journées étaient
interminables. Durant leurs premiers mois de prison, ils reçurent
souvent des visites de leur famille et de leurs amis qui leur
apportaient des paroles réconfortantes, des vêtements et de la
nourriture. À la fin de l’hiver, le nombre de lettres et de visites
amicales chuta brusquement lorsque les saints s’enfuirent en Illinois,
laissant les prisonniers encore plus esseulés.
En janvier 1839, ils avaient essayé de plaider leur cause devant un
juge de comté mais seul Sidney Rigdon, qui était gravement malade,
avait été libéré sous caution. Les autres (Joseph, Hyrum, Lyman Wight,
Alexander McRae et Caleb Baldwin) retournèrent dans leur cachot en
attendant le procès prévu au printemps.
La vie en prison minait Joseph. Des chahuteurs essayaient de le voir à
travers les barreaux des fenêtres pour le regarder comme une bête
curieuse ou lui crier des obscénités. Les autres prisonniers et lui
n’avaient souvent qu’un peu de pain de maïs à manger. La paille qu’ils
utilisaient comme couchage depuis décembre était maintenant tassée et
n’offrait aucun confort. Quand ils allumaient un feu pour se
réchauffer, le cachot se remplissait d’une fumée irrespirable.
Le jour du procès arrivait rapidement et chaque homme savait qu’il
avait de grandes chances d’être inculpé par un jury partial et d’être
exécuté. Ils essayèrent plus d’une fois de s’évader mais leurs gardes
les attrapaient systématiquement.
Depuis son appel divin, Joseph avait persévéré en dépit de
l’opposition, s’efforçant d’obéir au Seigneur et de rassembler les
saints. Bien que l’Église ait prospéré au fil des années, elle semblait
maintenant être sur le point de s’effondrer.
Les émeutiers avaient chassé les saints hors de Sion dans le comté de
Jackson. Des querelles intestines avaient divisé l’Église à Kirtland et
laissé le temple entre les mains de créanciers. Maintenant, après une
terrible guerre avec leurs voisins, les saints étaient dispersés le
long de la rive est du Mississipi, découragés et sans abri.
Si seulement les habitants du Missouri les avaient laissés tranquilles,
pensa Joseph, il n’y aurait eu que paix et calme dans l’État. Les
saints étaient de bonnes personnes qui aimaient Dieu. Ils ne méritaient
pas d’être chassés de chez eux, battus et abandonnés à leur sort.
L’injustice irritait Joseph. Dans l’Ancien Testament, le Seigneur avait
souvent secouru son peuple du danger, vainquant ses ennemis avec la
force de son bras.Maintenant que les saints étaient menacés
d’extermination, il n’était pas intervenu.
Pourquoi ?
Pourquoi un Père céleste aimant laissait-il tant d’hommes, de femmes et
d’enfants innocents souffrir alors que ceux qui les chassaient de chez
eux, volaient leurs terres et commettaient des actes de violence
indescriptibles envers eux étaient libres et impunis ? Comment
pouvait-il laisser ses serviteurs fidèles moisir dans une prison
épouvantable, loin de leurs proches ? Quelle utilité cela pouvait-il
avoir d’abandonner les saints au moment même où ils avaient le plus
besoin de lui ?
Joseph s’écria : « Ô Dieu, où es-tu ? Combien de temps retiendras-tu ta
main ? »
Pendant que Joseph luttait avec le Seigneur, les apôtres à Quincy
devaient prendre une décision importante, mettant potentiellement leur
vie en jeu. L’année précédente, le Seigneur leur avait commandé de se
retrouver le 26 avril 1839 sur le site du temple de Far West, où ils
devaient continuer d’en poser les fondations avant de partir pour une
nouvelle mission en Angleterre. À un peu plus d’un mois de la date
fixée, Brigham Young insista pour que les apôtres retournent à Far West
et accomplissent à la lettre le commandement du Seigneur.
Plusieurs dirigeants de l’Église à Quincy croyaient qu’il ne leur était
plus nécessaire d’obéir à la révélation et pensaient qu’il était
absurde de retourner là où les émeutiers avaient juré de tuer les
saints. Certainement, raisonnaient-ils, le Seigneur n’attendait pas
d’eux qu’ils risquent leur vie à faire des centaines de kilomètres
aller-retour en territoire ennemi alors qu’on avait tant besoin d’eux
en Illinois.
De plus, leur collège était en déroute. Thomas Marsh et Orson Hyde
avaient apostasié, Parley Pratt était en prison et Heber Kimball et
John Page étaient toujours au Missouri. Wilford Woodruff, Willard
Richards et George A. Smith, le cousin de Joseph, apôtres récemment
appelés, n’avaient pas encore été ordonnés et Willard prêchait
l’Évangile en Angleterre.
Pourtant, Brigham estimait qu’ils étaient en mesure de se réunir à Far
West comme le Seigneur l’avait commandé et qu’ils devaient essayer de
le faire.
Il voulait que les apôtres de Quincy prennent la décision à
l’unanimité. Pour faire le voyage, ils devaient laisser leur famille à
un moment où l’avenir de l’Église était incertain. Si les apôtres
étaient capturés ou tués, leurs femmes et leurs enfants seraient seuls
pour affronter les épreuves à venir.
Mesurant l’enjeu, Orson Pratt, John Taylor, Wilford Woodruff et George
A. Smith acceptèrent de faire tout ce qui était exigé pour suivre le
commandement du Seigneur.
Après avoir pris leur décision, Brigham dit : « Le Seigneur Dieu a
parlé. Il est de notre devoir d’obéir et de laisser le dénouement entre
ses mains. »
Dans la prison de Liberty, Joseph était consumé par ses soucis pour les
saints et les torts qu’ils avaient subis. Le soir du 19 mars, il reçut
des lettres d’Emma, de son frère Don Carlos et de l’évêque Partridge.
Elles le consolèrent un peu, ainsi que les autres détenus, mais il ne
pouvait oublier qu’il était prisonnier dans un cachot dégoûtant pendant
que les saints étaient dispersés et avaient besoin d’aide.
Le lendemain de l’arrivée des lettres, il commença à rédiger deux
épîtres aux saints épanchant son âme comme il ne l’avait jamais fait
par écrit. Dictant à un autre prisonnier qui lui servait de secrétaire,
le prophète tenta de les réconforter dans leur désespoir.
Il leur assura : « Toute espèce de méchanceté ou de cruauté perpétrée
contre nous ne fera que lier nos cœurs et les sceller ensemble dans
l’amour. »
Il ne pouvait néanmoins pas ignorer les mois de persécutions qui les
avaient conduits dans la situation désespérée où ils se trouvaient. Il
vitupéra contre le gouverneur Boggs, la milice et ceux qui avaient fait
du mal aux saints. Il fit appel au Seigneur en priant : « Que ta colère
s’allume contre nos ennemis ; et dans la furie de ton cœur, venge-nous,
par ton épée, des injustices que nous avons subies. »
Joseph savait néanmoins que leurs ennemis n’étaient pas les seuls
fautifs. Certains saints, notamment des dirigeants de l’Église, avaient
essayé de couvrir leurs péchés, d’assouvir leur orgueil et leur
ambition et d’employer la force pour contraindre les saints à leur
obéir. Ils avaient abusé de leur pouvoir et de leur position parmi eux.
Sous l’inspiration, Joseph dit : « Nous avons appris par triste
expérience qu’il est de la nature et des dispositions de presque tous
les hommes de commencer à exercer une domination injuste aussitôt
qu’ils reçoivent un peu d’autorité ou qu’ils croient en avoir. »
Les saints justes devaient agir conformément à des principes plus
élevés. Le Seigneur déclara : « Aucun pouvoir, aucune influence ne
peuvent ou ne devraient être exercés en vertu de la prêtrise autrement
que par la persuasion, par la longanimité, par la gentillesse et la
douceur, et par l’amour sincère. Les personnes qui essayaient de faire
autrement perdaient l’Esprit et l’autorité de faire du bien à leur
prochain avec la prêtrise.
Joseph plaida quand même en faveur des innocents. Il demanda : « Ô
Seigneur, combien de temps souffriront-ils ces injustices et ces
oppressions illégales avant que ton cœur ne s’adoucisse envers eux et
que tes entrailles ne soient émues de compassion envers eux ? »
Le Seigneur répondit : « Mon fils, que la paix soit en ton âme ! Ton
adversité et tes afflictions ne seront que pour un peu de temps ; et
alors, si tu les supportes bien, Dieu t’exaltera en haut ; tu
triompheras de tous tes ennemis. »
Il lui assura qu’il ne l’oubliait pas. Il lui dit : « Si la gueule même
de l’enfer ouvre ses mâchoires béantes pour t’engloutir, sache, mon
fils, que toutes ces choses te donneront de l’expérience et seront pour
ton bien. »
Le Sauveur lui rappela que les saints ne pouvaient pas souffrir plus
que lui. Il les aimait et pouvait mettre un terme à leurs afflictions
mais il avait plutôt choisi de les endurer avec eux, portant leur
chagrin lors de son sacrifice expiatoire. Une telle souffrance l’avait
rempli de miséricorde, lui donnant le pouvoir de secourir et de
raffiner tous ceux qui se tournaient vers lui dans leurs épreuves. Il
exhorta Joseph à persévérer et promit de ne jamais l’abandonner.
Il lui assura : « Tes jours sont connus et tes années ne seront pas
diminuées ; c’est pourquoi, ne crains pas ce que l’homme peut faire,
car Dieu sera avec toi pour toujours et à jamais. »
Pendant que le Seigneur apaisait Joseph en prison, Heber Kimball et
d’autres saints au Missouri faisaient inlassablement pression sur la
cour suprême de l’État pour obtenir la libération du prophète. Les
juges semblaient favorables aux supplications d’Heber et certains
doutaient même de la légalité de l’emprisonnement mais, au bout du
compte, ils refusèrent d’intervenir.
Découragé, Heber retourna à Liberty pour faire rapport à Joseph. Les
gardes refusèrent de le laisser entrer dans le cachot, alors il se tint
à l’extérieur de la fenêtre de la prison et de là appela ses amis. Il
leur dit qu’il avait fait de son mieux mais que cela n’avait rien
changé.
Joseph répliqua : « Ne t’en fais pas et éloigne tous les saints le plus
vite possible. »
Quelques jours plus tard, Heber entra subrepticement à Far West, se
méfiant des dangers qui planaient encore dans la région. À part une
poignée de dirigeants et quelques familles, la ville était déserte. Sa
famille était partie deux mois plus tôt et depuis, il n’avait aucune
nouvelle d’elle. En pensant à elle, aux prisonniers et à ceux qui
avaient souffert et étaient morts à cause des émeutiers, il se sentit
abattu et seul. Comme Joseph, il lui tardait que les tribulations
cessent.
Tandis qu’il pensait à la situation désolante où ils se trouvaient et à
ses échecs pour obtenir la libération de Joseph, il fut rempli de
l’amour et de la reconnaissance du Seigneur. Appuyant un morceau de
papier sur ses genoux, il nota les impressions qui lui venaient à
l’esprit.
Il entendit le Seigneur dire : « Souviens-toi que je suis toujours avec
toi, même jusqu’à la fin. Mon Esprit sera dans ton cœur pour
t’enseigner les choses paisibles du royaume. »
Il lui dit de ne pas s’inquiéter pour sa famille. Il promit : « Je la
nourrirai, la vêtirai et lui susciterai des amis. La paix reposera sur
elle à jamais si tu es fidèle et pars prêcher mon Évangile aux nations
de la terre. »
Lorsqu’il eut fini d’écrire, il eut le cœur et l’esprit en paix.
Après que le Seigneur lui eut parlé dans le cachot sombre et misérable,
Joseph ne craignit plus que Dieu l’ait oublié ou ait oublié l’Église.
Dans des lettres adressées à Edward Partridge et aux saints, il
témoigna hardiment de l’œuvre des derniers jours. Il déclara : «
L’enfer peut déverser sa rage pareille à la lave brûlante du Vésuve, le
mormonisme y résistera. » Il en était certain.
Il s’exclama : « La vérité est le mormonisme. Dieu en est l’auteur. Il
est notre bouclier. C’est par lui que nous avons reçu notre naissance.
C’est par sa voix que nous avons été appelés à une dispensation de son
Évangile au début de la plénitude des temps. »
Il exhorta les saints à dresser une liste officielle des torts subis au
Missouri afin de pouvoir la porter à l’attention du président des
États-Unis et d’autres dirigeants du gouvernement. Il croyait que les
saints avaient le devoir de chercher par des moyens légaux réparation
de leurs dommages.
Il conseilla : « Faisons de bon gré tout ce qui est en notre pouvoir ;
alors nous pourrons nous tenir là avec la plus grande assurance pour
voir le salut de Dieu, et voir son bras se révéler. »
Quelques jours après qu’il eut envoyé ses lettres, ses codétenus et lui
quittèrent la prison pour comparaître devant un grand jury. Avant de
partir, Joseph écrivit une lettre à Emma : « Je veux voir petit
Frederick, Joseph, Julia et Alexander. Dis-leur que leur père a pour
eux un amour parfait et qu’il fait tout ce qu’il peut pour échapper aux
émeutiers afin de les rejoindre ».
Lorsque les prisonniers arrivèrent à Gallatin, certains des avocats qui
étaient dans la salle étaient en train de boire pendant qu’une foule
d’hommes musardait dehors, jetant des coups d’œil nonchalants par les
fenêtres. Le juge qui siégeait avait été l’avocat qui avait plaidé
contre les saints lors de leur audience de novembre.
Convaincus qu’ils ne pourraient pas obtenir de jugement équitable au
comté de Daviess, Joseph et les autres prisonniers demandèrent une
délocalisation. La requête fut accordée et ils prirent la route pour le
tribunal d’un autre comté avec un shérif et quatre nouveaux gardes.
Ces derniers furent indulgents avec les prisonniers et ils furent bien
traités pendant leur voyage jusqu’au nouveau lieu du procès. À
Gallatin, Joseph avait gagné leur respect en battant le plus fort
d’entre eux lors d’une lutte amicale. L’opinion publique au sujet des
saints évoluait aussi. Certains habitants du Missouri étaient de plus
en plus incommodés par l’ordre d’extermination du gouverneur et
voulaient tout simplement laisser tomber l’affaire et être débarrassés
des prisonniers.
Le lendemain de leur départ du comté de Daviess, les hommes
s’arrêtèrent à un relais et les détenus achetèrent du whisky pour leurs
gardes. Plus tard dans la soirée, le shérif s’approcha des prisonniers.
Il leur dit : « Je vais boire un bon coup et aller me coucher et vous
pouvez faire comme bon vous semble. »
Pendant que le shérif et trois des gardes s’enivraient, Joseph et ses
amis sellèrent deux chevaux avec l’aide du garde restant et prirent
dans la nuit la direction de l’est.
Deux jours plus tard, pendant que Joseph et les autres prisonniers
s’enfuyaient pour se mettre en lieu sûr, cinq apôtres partaient dans la
direction opposée, traversant le Mississippi en route pour Far West.
Brigham Young, Wilford Woodruff et Orson Pratt voyageaient dans une
calèche, pendant que John Taylor, George A. Smith et Alpheus Cutler, le
maître d’œuvre du temple, voyageaient dans une autre.
Ils traversèrent rapidement la prairie, pressés d’arriver à Far West le
jour désigné. En chemin, ils rencontrèrent fortuitement l’apôtre John
Page qui partait avec sa famille s’installer hors du Missouri et ils le
persuadèrent de se joindre à eux.
Au bout de sept jours de voyage, les apôtres s’introduisirent dans Far
West le soir du 25 avril, au clair de lune. L’herbe avait déjà poussé
sur ses rues désertées et le silence régnait. Heber Kimball, qui était
retourné à Far West en apprenant la nouvelle de l’évasion de Joseph,
sortit de sa cachette et leur souhaita la bienvenue en ville.
Les hommes passèrent quelques heures ensemble. Ensuite, lorsque la
lumière du soleil parut à l’horizon, ils chevauchèrent silencieusement
vers la place de la ville et marchèrent jusqu’au site du temple avec
les quelques saints qui étaient restés là. Ils chantèrent un cantique
et Alpheus roula une grosse pierre jusqu’à l’angle sud-est du site,
accomplissant le commandement du Seigneur de recommencer à poser les
fondations du temple.
Wilford s’assit sur la pierre et les apôtres formèrent un cercle autour
de lui. Ils lui imposèrent les mains et Brigham l’ordonna à
l’apostolat. Lorsqu’il eut fini, George prit la place de Wilford sur la
pierre et fut ordonné à son tour.
Conscients d’avoir fait tout ce qu’ils pouvaient, les apôtres
inclinèrent la tête et prièrent à tour de rôle dans la lumière de
l’aube. Lorsqu’ils eurent fini, ils chantèrent « Adam-ondi-Ahman », un
cantique célébrant la seconde venue de Jésus-Christ et le jour où la
paix de Sion s’étendrait sur toute la prairie du Missouri déchirée par
la guerre et remplirait le monde.
Alpheus fit de nouveau rouler la pierre jusqu’à l’endroit où il l’avait
trouvée, laissant les fondements entre les mains du Seigneur jusqu’au
jour où il préparerait la voie pour permettre aux saints de retourner
en Sion.
Le lendemain, les apôtres parcoururent cinquante kilomètres pour
rattraper les dernières familles qui s’efforçaient de quitter le
Missouri. Ils pensaient partir prochainement pour la Grande-Bretagne
mais ils voulaient d’abord retrouver leurs êtres chers en Illinois et
les installer dans le nouveau lieu de rassemblement, où qu’il soit.
À peu près à cette époque-là, un bac accosta à Quincy et plusieurs
passagers aux allures de voyous débarquèrent. L’un d’eux, un homme
mince et pâle, portait un chapeau à larges bords et une veste bleue
dont le col relevé dissimulait son visage barbu. Ses pantalons en
loques étaient rentrés dans ses bottes usées.
Dimick Huntington, ancien shérif parmi les saints à Far West, regarda
l’étranger hirsute grimper sur la berge. Quelque chose de familier dans
son visage et dans sa façon de se tenir attira son attention. Il ne
pouvait cependant pas dire ce qu’il en était avant d’y regarder de plus
près.
Il s’exclama : « Est-ce vous, frère Joseph ? »
Joseph leva les mains pour faire taire son ami. Prudemment, il dit : «
Chut. Où est ma famille ? »
Depuis leur évasion, Joseph et les autres prisonniers avaient été sur
le qui-vive et en fuite, suivant les routes du Missouri jusqu’au
Mississipi et à la liberté qui les attendait de l’autre côté du fleuve,
hors de portée des autorités du Missouri.
Toujours sous le choc d’avoir vu le prophète, Dimick expliqua qu’Emma
et les enfants habitaient à six kilomètres de là.
Joseph dit : « Conduis-moi à ma famille aussi vite que tu peux. »
Dimick et Joseph traversèrent la ville en empruntant de petites ruelles
pour se rendre chez les Cleveland sans être vus. Lorsqu’ils arrivèrent,
Joseph mit pied à terre et s’avança vers la maison.
Emma apparut à la porte et le reconnut immédiatement. Elle se mit à
courir et le serra dans ses bras à mi-chemin de l’entrée.
QUATRIÈME PARTIE :
La plénitude des temps (avril 1839 - février 1846)
CHAPITRE 34 : « Édifie une ville »
Vers la fin du mois d’avril 1839, quelques jours après avoir retrouvé
les saints, Joseph chevaucha en direction du nord pour inspecter des
terres que les dirigeants de l’Église voulaient acheter dans et autour
de Commerce, ville située à quatre-vingts kilomètres de Quincy. Pour la
première fois depuis plus de six mois, le prophète circulait sans
escorte armée et aucune menace de violences ne planait au-dessus de
lui. Il se retrouvait enfin parmi ses amis, dans un État où les
habitants faisaient bon accueil aux saints et semblaient respecter
leurs croyances.
En prison, il avait écrit à un homme qui vendait des terres aux
alentours de Commerce, exprimant le souhait d’y installer l’Église. Il
lui avait dit : « Si personne ne manifeste un intérêt particulier pour
cette acquisition, nous la ferons. »
Toutefois, après la chute de Far West, de nombreux saints doutaient de
la sagesse de se rassembler en un seul lieu. Edward Partridge se
demandait si le meilleur moyen d’éviter les conflits et de pourvoir aux
besoins des pauvres n’était pas de se rassembler en petites communautés
dispersées dans tout le pays, mais Joseph savait que le Seigneur
n’avait pas révoqué le commandement donné aux saints de se rassembler.
En arrivant à Commerce, il vit une plaine marécageuse qui s’élevait
doucement jusqu’à un promontoire boisé surplombant une large courbe du
Mississippi. La région était parsemée de quelques maisons. De l’autre
côté du fleuve, sur le territoire de l’Iowa, près d’une ville du nom de
Montrose, se trouvaient quelques casernes militaires abandonnées et
d’autres terres à vendre.
Joseph croyait que les saints pouvaient bâtir des pieux de Sion
florissants dans cette région. Les terres n’étaient pas les plus belles
qu’il ait jamais vues mais le Mississippi était navigable jusqu’à
l’océan, faisant de Commerce un bon endroit pour rassembler les saints
arrivant de l’étranger et établir des entreprises commerciales. De
plus, la région était peu colonisée.
Il était tout de même risqué de s’y rassembler. Si l’Église
grandissait, comme Joseph l’espérait, leurs voisins s’alarmeraient et
se retourneraient contre eux, comme ils l’avaient fait au Missouri.
Joseph pria : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? »
Le Seigneur répondit : « Édifie une ville et appelle mes saints à venir
en ce lieu. »
Ce printemps-là, Wilford et Phebe Woodruff emménagèrent dans les
casernes de Montrose. Brigham et Mary Ann Young et Orson et Sarah Pratt
faisaient partie de leurs nouveaux voisins. Après avoir installé leurs
familles, les trois apôtres avaient l’intention de partir en mission en
Grande-Bretagne avec le reste du Collège.
Rapidement, des milliers de saints emménagèrent dans le nouveau lieu de
rassemblement, montant des tentes ou vivant dans des chariots, le temps
de construire des maisons, d’acheter de la nourriture et des vêtements
et de défricher des terres cultivables de part et d’autre du fleuve.
Alors que la nouvelle colonie se développait, les Douze se réunissaient
souvent avec Joseph qui prêchait avec une vigueur renouvelée pour les
préparer à leur mission. Le prophète enseigna que Dieu ne lui
révélerait rien qu’il ne révélerait également aux Douze. Il déclara : «
Même le moindre des saints peut tout savoir aussi vite qu’il est
capable de le supporter. »
Il les instruisit au sujet des premiers principes de l’Évangile, de la
Résurrection, du jugement et de l’édification de Sion. Se souvenant de
la trahison d’anciens apôtres, il les exhorta également à être fidèles.
Il dit : « Veillez à ne pas trahir les cieux, à ne pas trahir
Jésus-Christ, à ne pas trahir vos frères et à ne pas trahir les
révélations de Dieu. »
Vers cette époque-là, Orson Hyde exprima le désir de revenir dans le
Collège des Douze, honteux d’avoir dénoncé Joseph au Missouri et
d’avoir abandonné les saints. Craignant qu’il ne les trahisse à nouveau
à la prochaine difficulté, Sidney Rigdon répugnait à lui redonner son
office d’apôtre mais Joseph l’accueillit et lui redonna sa place parmi
les Douze. En juillet, Parley Pratt s’évada de prison au Missouri et
retrouva les apôtres.
À ce moment-là, des nuages de moustiques s’élevèrent des marécages pour
se régaler des nouveaux colons et de nombreux saints furent victimes de
fièvres palustres mortelles et de violents frissons. La plupart des
Douze furent bientôt trop malades pour partir en Grande-Bretagne.
Le matin du 22 juillet, Wilford entendit la voix de Joseph venant de
l’extérieur : « Frère Woodruff, suivez-moi. »
Wilford sortit de chez lui et le vit accompagné d’un groupe d’hommes.
Toute la matinée, ils étaient allés de maison en maison, de tente en
tente, prenant les malades par la main et les guérissant. Après avoir
béni les saints de Commerce, ils avaient pris le bac pour franchir le
fleuve et guérir ceux de Montrose.
Wilford les accompagna jusqu’à chez son ami Elijah Fordham, de l’autre
côté de la place du village. Il avait les yeux enfoncés et le teint
grisâtre. Sa femme, Anna, préparait en pleurant des habits pour sa
sépulture.
Joseph s’approcha de lui et lui prit la main. Il demanda : « Frère
Fordham, n’avez-vous pas la foi pour être guéri ?
— Je crains qu’il ne soit trop tard.
— Ne croyez-vous pas que Jésus est le Christ ?
— Oui, je le crois, frère Joseph.
— Elijah, je vous commande, au nom de Jésus de Nazareth, de vous lever
et d’être guéri ! »
Les mots semblèrent ébranler la maison. Le visage d’Elijah reprit des
couleurs et il se leva. Il s’habilla, demanda quelque chose à manger et
suivit Joseph dehors pour aller bénir de nombreuses autres personnes.
Plus tard ce soir-là, Phebe Woodruff fut stupéfaite lorsqu’elle leur
rendit visite. À peine quelques heures plus tôt, Anna était quasiment
sûre de perdre son mari. Maintenant, il disait qu’il se sentait
suffisamment fort pour travailler dans son jardin. Phebe ne doutait pas
que sa guérison était l’œuvre de Dieu.
Les efforts de Joseph pour bénir et guérir les malades ne mirent pas
fin à l’épidémie à Commerce et à Montrose et quelques saints périrent.
Lorsque d’autres personnes moururent, Zina Huntington, dix-huit ans,
s’inquiéta que sa mère ne mourût aussi.
Elle la soignait quotidiennement, comptant sur le soutien de son père
et de ses frères mais rapidement, toute la famille fut malade. Joseph
passait de temps en temps voir ce qu’il pouvait faire pour eux ou pour
soulager la mère de Zina.
Un jour, cette dernière appela sa fille. Elle dit d’une voix faible : «
Mon heure est venue. Je n’ai pas peur. » Elle lui témoigna de la
Résurrection. « Je me lèverai triomphante lorsque le Sauveur viendra
avec les justes à la rencontre des saints sur la terre. »
Lorsque sa mère mourut, Zina fut submergée de chagrin. Connaissant les
souffrances de la famille, Joseph continua de veiller sur elle.
Lors de l’une de ses visites, Zina lui demanda : « Est-ce que je saurai
que ma mère était ma mère lorsque j’arriverai de l’autre côté ? »
Il dit : « Non seulement cela, mais tu rencontreras et feras la
connaissance de ta Mère éternelle, la femme de ton Père céleste.
— « Alors j’ai une Mère céleste ? » demanda Zina.
— « Certainement. » lui répondit Joseph Il ajouta : « Comment un Père
pourrait-il prétendre à son titre s’il n’y avait pas une Mère avec lui
pour partager ce rôle de parent ? »
Début août, Wilford partit pour l’Angleterre avec John Taylor, le
premier des apôtres à partir pour la nouvelle mission. À l’époque,
Phebe attendait un autre enfant et Leonora, la femme de John, ainsi que
leurs trois enfants, souffraient de fièvres.
Parley et Orson Pratt furent les prochains apôtres à partir, bien
qu’Orson et Sarah fussent encore endeuillés par la perte de leur fille
Lydia décédée onze jours plus tôt. Mary Ann Pratt, la femme de Parley,
accompagnait les apôtres en mission et prit donc la route avec eux. En
1897, George A. Smith, le plus jeune des apôtres, était encore malade
lorsqu’il entreprit sa mission, reportant son mariage avec sa fiancée,
Bathsheba Bigler.
Mi-septembre, Mary Ann Young fit ses adieux à Brigham. Il était de
nouveau malade mais déterminé à faire ce qui était exigé de lui.
Elle-même était souffrante et disposait de peu d’argent pour subvenir
aux besoins de leurs cinq enfants en l’absence de son mari mais elle
voulait qu’il s’acquitte de son devoir.
Elle dit : « Va et remplis ta mission et le Seigneur te bénira. Je
ferai de mon mieux pour moi-même et pour les enfants. »
Quelques jours après son départ, elle apprit qu’à peine arrivé chez les
Kimball, de l’autre côté du Mississippi, il s’était effondré
d’épuisement. Elle traversa immédiatement le fleuve pour prendre soin
de lui jusqu’à ce qu’il fut suffisamment rétabli pour partir.
Chez les Kimball, elle trouva Vilate alitée avec deux de ses fils, ne
laissant personne d’autre que leur petit garçon de quatre ans pour
rapporter du puits les lourds brocs d’eau. Heber était trop malade pour
tenir debout mais était résolu à partir avec Brigham le lendemain.
Mary Ann s’occupa de son mari jusqu’à l’arrivée d’un chariot le matin
suivant. En se levant pour partir, Heber semblait désemparé. Il
embrassa Vilate, alitée et tremblante de fièvre puis prit congé de ses
enfants avant de grimper en vacillant dans le chariot.
Brigham tenta en vain d’avoir l’air en forme lorsqu’il fit ses adieux à
Mary Ann et à sa sœur Fanny qui le pressaient d’attendre d’être guéri.
Il dit : « Je ne me suis jamais senti aussi bien de ma vie. »
Fanny répondit : « Tu mens. »
Il grimpa péniblement dans le véhicule et prit place à côté d’Heber.
Lorsque le chariot descendit la colline, Heber se sentit très mal à
l’idée de laisser sa famille alors qu’elle était si malade. Il se
tourna vers le conducteur et lui dit d’arrêter. Il dit à Brigham : «
C’est très dur. Levons-nous et encourageons-les. »
Un bruit venant de l’extérieur fit sortir Vilate du lit. Chancelant
jusqu’à la porte, elle se joignit à Mary Ann et à Fanny qui regardaient
quelque chose à une petite distance. Vilate regarda aussi et un sourire
se dessina sur ses lèvres.
C’étaient Brigham et Heber, s’appuyant l’un sur l’autre pour tenir
debout à l’arrière du chariot. Agitant leur chapeau, les hommes
crièrent : « Hourra ! Hourra pour Israël ! »
Les femmes répliquèrent : « Au revoir ! Que Dieu vous bénisse ! »
Pendant que les apôtres partaient pour la Grande-Bretagne, les saints
en Illinois et dans l’Iowa rédigeaient des déclarations détaillant les
mauvais traitements subis au Missouri, comme Joseph leur avait demandé
de le faire pendant qu’il était en prison. À l’automne, les dirigeants
de l’Église avaient récolté des centaines de récits et préparé une
pétition officielle. Au total, les saints réclamaient plus de deux
millions de dollars de dédommagement pour les logements, les terres,
les bestiaux et les autres biens qu’ils avaient perdus. Joseph avait
l’intention de remettre personnellement ces réclamations au président
des États-Unis et au Congrès.
Il considérait le président Martin Van Buren comme un homme d’État à
l’âme noble, quelqu’un qui défendrait les droits des citoyens. Il
espérait que le président et d’autres législateurs à Washington D.C.
liraient le récit des souffrances des saints et accepteraient de les
dédommager pour les terres et les biens qu’ils avaient perdus au
Missouri.
Le 29 novembre 1839, après avoir parcouru mille six cents kilomètres
depuis chez lui en Illinois, Joseph arriva à la porte du palais
présidentiel à Washington. À ses côtés se trouvaient son ami et
conseiller juridique, Elias Higbee, et John Reynolds, membre du Congrès
d’Illinois.
Un portier les accueillit à la porte et les fit entrer. Le palais
venait d’être redécoré, et Joseph et Elias furent émerveillés par
l’élégance de ses pièces, qui contrastait nettement avec les logements
délabrés des saints dans l’Ouest.
Leur guide les conduisit à l’étage où le président Van Buren recevait
ses visiteurs. Pendant qu’ils attendaient devant l’entrée, la pétition
et plusieurs lettres d’introduction en main, Joseph demanda à Reynolds
de le présenter simplement en tant que « saint des derniers jours ». Le
membre du Congrès sembla surpris et amusé par la requête mais il
accepta de respecter le désir de Joseph. Bien que peu enclin à aider
les saints, il savait que leur nombre important pouvait avoir une
influence sur la politique de l’Illinois.
Joseph ne s’était pas attendu à rencontrer le président avec une si
petite délégation. En octobre, lorsqu’il avait quitté l’Illinois, il
avait prévu de laisser Sidney Rigdon prendre la direction de ces
réunions mais ce dernier était trop malade pour voyager et s’était
arrêté en chemin.
Enfin, les portes du petit salon s’ouvrirent et les trois hommes
pénétrèrent dans la pièce. Comme Joseph, Martin Van Buren était le fils
d’un fermier de l’État de New York mais il était beaucoup plus âgé.
Petit et trapu, il avait le teint clair et sa chevelure blanche lui
encadrait presque tout le visage.
Comme promis, John Reynolds présenta Joseph comme étant un saint des
derniers jours. Le président sourit en entendant ce titre inhabituel et
serra la main du prophète.
Après avoir salué le président, Joseph lui tendit les lettres
d’introduction et attendit. Van Buren les lut et fronça les sourcils.
Il dit dédaigneusement : « Vous aider ? Comment puis-je vous aider ? »
Joseph ne sut quoi dire. Il ne s’était pas attendu à ce que le
président les congédie si rapidement. Elias et lui l’encouragèrent au
moins à lire le récit des souffrances des saints avant de rejeter leur
appel.
Le président insista : « Je ne peux rien faire pour vous, messieurs. Si
je vous soutenais, il faudrait que je m’oppose à tout l’État du
Missouri et cet État s’opposerait à moi à la prochaine élection. »
Déçus, Joseph et Elias quittèrent le palais et remirent leur pétition
au Congrès sachant qu’il faudrait des semaines aux législateurs pour
l’examiner et en débattre.
En attendant, Joseph décida de rendre visite aux branches de l’Église
de l’est. Il prêcherait également à Washington et dans les villes et
villages environnants.
Wilford Woodruff et John Taylor arrivèrent à Liverpool, en Angleterre,
le 11 janvier 1840. C’était le premier voyage de Wilford en Angleterre
mais John était de retour parmi des membres de sa famille et des amis.
Après avoir récupéré leurs bagages, ils se rendirent chez le beau-frère
de John, George Cannon. George et sa femme, Ann, furent surpris de les
voir et les invitèrent à dîner.
Les Cannon avaient cinq enfants. Leur aîné, George, était un garçon
brillant de treize ans qui aimait lire. Après le souper, Wilford et
John donnèrent à la famille un Livre de Mormon et Une voix
d’avertissement, une brochure missionnaire de la taille d’un livre que
Parley Pratt avait publiée à New York quelques années auparavant. John
enseigna à la famille les premiers principes de l’Évangile et l’invita
à lire les livres.
Les Cannon acceptèrent d’entreposer les bagages des missionnaires
pendant qu’ils prenaient le train pour aller retrouver Joseph Fielding
et Willard Richards à Preston. Ces derniers avaient tous les deux
épousé des saintes britanniques depuis que Heber Kimball et Orson Hyde
avaient quitté la mission un an plus tôt. Comme Heber l’avait prédit,
Willard avait épousé Jennetta Richards.
Après les retrouvailles à Preston, John repartit pour Liverpool pendant
que Wilford fit route en direction du sud-est, vers la région de
Staffordshire où il créa rapidement une branche. Un soir, pendant qu’il
était en réunion avec les saints, il sentit l’Esprit reposer sur lui.
Le Seigneur lui dit : « C’est ta dernière réunion avec ces personnes
avant longtemps. »
Le message lui parut surprenant. Le travail dans le Staffordshire ne
faisait que commencer et il avait de nombreux rendez-vous pour prêcher
dans la région. Le lendemain matin, il pria pour être guidé et l’Esprit
l’incita à aller plus au sud, où de nombreuses âmes attendaient la
parole de Dieu.
Il partit le lendemain avec William Benbow, l’un des saints du
Staffordshire et ils se rendirent chez John et Jane Benbow, le frère et
la belle-sœur de William. John et Jane étaient les propriétaires d’une
grande maison en briques blanches dressée sur une exploitation agricole
de cent vingt hectares. Lorsque Wilford et William arrivèrent, ils
parlèrent du Rétablissement avec les Benbow jusqu’à deux heures du
matin.
Le couple était financièrement prospère mais spirituellement
insatisfait. Récemment, ils s’étaient détachés de leur église avec
d’autres personnes pour rechercher le véritable Évangile de
Jésus-Christ. Se donnant le nom de Frères Unis, le groupe avait
construit des églises à Gadfield Elm, à plusieurs kilomètres au sud de
la ferme des Benbow, et dans d’autres endroits. Ils choisissaient des
prédicateurs parmi eux et demandaient à Dieu de les éclairer.
Ce soir-là, en écoutant Wilford, ils crurent avoir enfin trouvé la
plénitude de l’Évangile. Le lendemain, Wilford prêcha chez les Benbow
un sermon à un groupe important de voisins et baptisa peu après John et
Jane dans un étang proche.
Les semaines suivantes, Wilford baptisa plus de cent cinquante membres
des Frères Unis, y compris quarante-six ministres laïques. Comme
d’autres personnes demandaient à se faire baptiser, il écrivit à
Willard Richards pour lui demander de l’aide.
Il s’exclama : « On m’appelle pour baptiser trois ou quatre fois par
jour. Je ne peux pas faire ce travail seul ! »
Le 5 février, Matthew Davis, soixante-sept ans, apprit que Joseph
Smith, le prophète mormon, prêchait ce soir-là à Washington. Matthew
était un correspondant pour un journal à grand tirage de New York.
Sachant que sa femme, Mary, était intriguée par les saints des derniers
jours, il était impatient d’entendre le prophète parler et de lui
relater ses enseignements.
Pendant son sermon, Matthew découvrit que Joseph était un fermier
habillé simplement, solidement bâti, doté d’un beau visage et d’une
allure digne. Sa prédication révélait qu’il n’avait pas suivi de cursus
scolaire mais on voyait qu’il avait une forte personnalité et qu’il
était instruit. Il semblait sincère, sans un soupçon de frivolité ou de
fanatisme dans la voix.
Il commença son sermon ainsi : « Je vais vous énoncer nos croyances
dans la mesure du temps dont je dispose. » Il témoigna de Dieu et de
ses attributs. Il déclara : « Il règne sur tout dans les cieux et sur
la terre. Il a préordonné la chute de l’homme mais, dans sa miséricorde
infinie, il a préordonné simultanément un plan de rédemption pour toute
l’humanité.
Je crois en la divinité de Jésus-Christ et qu’il est mort pour les
péchés de tous les hommes qui, en Adam, sont tombés. » Il déclara que
tous les hommes naissaient purs et que tous les enfants qui mouraient
en bas âge allaient aux cieux parce qu’ils ne discernaient pas le bien
du mal et étaient incapables de pécher.
Matthew écouta, impressionné par ce qu’il entendait. Joseph enseigna
que Dieu est éternel, sans commencement ni fin, tout comme l’est
l’esprit de chaque homme et chaque femme. Matthew remarqua que le
prophète parla très peu des récompenses ou des châtiments dans la vie
suivante si ce n’est qu’il croyait que les châtiments de Dieu avaient
un commencement et une fin.
Au bout de deux heures, il termina son sermon en témoignant du Livre de
Mormon. Il déclara qu’il n’était pas l’auteur du livre mais qu’il
l’avait reçu de Dieu, directement des cieux.
En réfléchissant à son sermon, Matthew prit conscience qu’il n’avait
rien entendu ce soir-là qui soit néfaste pour la société. Le lendemain,
dans une lettre adressée à sa femme, il écrivit : « Il y a de
nombreuses choses dans ses préceptes qui, s’ils étaient suivis,
adouciraient les aspérités de l’homme à l’égard de l’homme et
tendraient à faire de lui un être plus rationnel. »
Matthew n’avait aucunement l’intention d’accepter les enseignements du
prophète mais il appréciait son message de paix. Il écrivit : « Il n’y
a ni violence, ni furie, ni dénonciation. Sa religion semble être la
religion de la douceur, de l’humilité et de la persuasion aimable.
J’ai changé d’avis au sujet des mormons. »
En attendant que le Congrès examine la pétition des saints, Joseph se
lassait d’être séparé de sa famille. Cet hiver-là, il écrivit : « Ma
chère Emma, mon cœur est enlacé autour de toi et des petits. Dis à tous
les enfants que je les aime et que je rentrerai à la maison dès que je
pourrai. »
Lorsque Joseph avait épousé Emma, il avait cru que leur union se
terminerait à la mort, mais depuis, le Seigneur avait révélé que le
mariage et la famille pouvaient perdurer au-delà du tombeau par le
pouvoir de la prêtrise. Récemment, pendant qu’il visitait avec Parley
Pratt des branches de l’Église dans les États de l’est, Joseph lui
avait dit que les saints justes pouvaient cultiver des relations
familiales éternelles, leur permettant de progresser en affection. Peu
importe la distance qui séparait les familles fidèles sur terre, elles
pouvaient faire confiance à la promesse selon laquelle un jour, elles
seraient réunies dans le monde à venir.
Pendant qu’il attendait à Washington, Joseph en eut assez d’entendre
les politiciens prononcer de grands discours emprunts d’un langage
ampoulé et de promesses creuses. Il écrivit à son frère Hyrum : « Cela
les démange tellement d’exhiber leurs talents oratoires dans les
occasions les plus triviales et d’user de tant d’étiquette, de
courbettes et de gesticulations pour afficher leurs traits d’esprit.
Cela ressemble davantage à une manifestation de sottise que de
substance ou de gravité. »
Suite à un entretien infructueux avec John C. Calhoun, l’un des
sénateurs les plus influents de la nation, Joseph se rendit compte
qu’il perdait son temps à Washington et décida de rentrer chez lui.
Tout le monde parlait de liberté et de justice mais personne ne
semblait disposé à tenir les habitants du Missouri pour responsables
des mauvais traitements infligés aux saints.
Après le retour du prophète en Illinois, Elias Higbee continua de
chercher des indemnisations pour les pertes essuyées. En mars, le Sénat
examina la pétition et autorisa les délégués du Missouri à défendre les
actions de leur État. Après avoir étudié le cas, les législateurs
décidèrent de ne rien faire. Ils reconnaissaient la détresse des saints
mais croyaient que le Congrès n’avait pas le pouvoir d’interférer avec
les actions du gouvernement de l’État. Seul le Missouri pouvait
dédommager les saints.
Déçu, Elias écrivit à Joseph : « Nos affaires s’arrêtent là. J’ai fait
tout ce que j’ai pu. »
CHAPITRE 35 : Un bel endroit
À Commerce, l’épidémie de paludisme dura jusqu’en 1840 et Emily
Partridge et sa sœur Harriet continuèrent de visiter les tentes, les
chariots et les maisons inachevées des malades. Maintenant âgée de
seize ans, Emily était habituée à la rudesse de ces conditions de vie.
Pendant près d’une décennie, sa famille avait été chassée d’une modeste
demeure à l’autre sans jamais jouir de la vie familiale stable qu’elle
avait connue en Ohio.
Les sœurs soignèrent les malades jusqu’à ce qu’à leur tour, elles
fussent prises de fièvres et de frissons. Conscients que la vie de
leurs filles était en péril, Edward et Lydia Partridge les évacuèrent
d’une tente et les installèrent dans une petite pièce louée dans un
entrepôt abandonné, non loin du fleuve. Edward se mit ensuite à bâtir
une maison pour sa famille sur une parcelle à un kilomètre et demi de
là.
Mais les épreuves du Missouri avaient ruiné la santé de l’évêque et il
n’était pas en état de travailler. Peu après, il fut à son tour victime
de la fièvre qu’il soigna avec des médicaments jusqu’à ce qu’il se
sente suffisamment fort pour travailler une semaine ou deux de plus à
la construction de la maison. Lorsqu’il retomba malade, il reprit des
médicaments et se remit au travail.
Entre-temps, le séjour dans la pièce encombrée et étouffante de
l’entrepôt fut néfaste pour Emily, Harriet et leurs frères et sœurs qui
tombèrent également malades. La fièvre d’Emily demeura constante
pendant le printemps de 1840 mais celle d’Harriet empira. Elle mourut à
la mi-mai, à l’âge de dix-huit ans.
Son décès anéantit les Partridge. Après les obsèques, Edward tenta
d’installer la famille sur ses terres, dans une étable inachevée,
espérant qu’elle offrirait un meilleur abri. L’effort l’épuisa et il
s’évanouit. Pour leur venir en aide, d’autres saints, William et Jane
Law, prirent Emily et ses frères et sœurs chez eux et les soignèrent.
Edward languit dans son lit pendant plusieurs jours avant de décéder,
une semaine et demi après la mort d’Harriet. Emily fut accablée de
chagrin. Elle avait été proche de sa sœur et elle savait que son père
avait tout sacrifié pour pourvoir aux besoins de sa famille et de
l’Église, même lorsque des saints grognons, des dissidents déloyaux et
des voisins hostiles l’avaient mis à bout.
Avec le temps, elle émergea du brouillard de maladie et de chagrin qui
l’avait terrassée mais sa vie était différente maintenant. Pour
soutenir leur famille démunie, sa sœur Eliza, dix-neuf ans, et elle,
devaient trouver du travail. Eliza avait les compétences nécessaires
pour se faire embaucher comme couturière mais Emily n’avait pas de
métier. Elle savait faire la vaisselle, balayer, récurer les sols et
accomplir d’autres tâches ménagères bien sûr, mais presque tout le
monde dans la colonie pouvait en faire autant.
Heureusement, les saints n’avaient pas oublié les nombreux sacrifices
que son père avait consentis pour l’Église. Dans le Times and Seasons,
le nouveau périodique des saints, la notice nécrologique disait : «
Personne ne jouissait plus que lui de la confiance de l’Église. Sa
religion était tout pour lui. Il lui a consacré sa vie et il la lui a
donnée. »
Pour honorer sa mémoire et prendre soin de sa famille, les saints
finirent la maison que l’évêque avait commencée, donnant à sa famille
un lieu bien à elle.
Au printemps de 1840, la nouvelle ville sur le Mississippi connut des
débuts prometteurs. Les saints creusèrent des fossés et des canaux pour
drainer les marécages le long du fleuve et rendre le lieu plus
habitable. Ils tracèrent des rues, posèrent des fondations,
construisirent des maisons, plantèrent des jardins et cultivèrent des
champs. En juin, quelque deux cent cinquante nouvelles maisons
témoignaient de leur dur labeur.
Comme le nom de Commerce lui déplaisait, très peu de temps après son
arrivée, Joseph renomma l’endroit Nauvoo. Dans une proclamation de la
Première Présidence, il expliqua : « Le nom de notre ville est
d’origine hébraïque et signifie bel endroit ; il comprend aussi une
notion de repos. » Joseph espérait que Nauvoo porte bien son nom et
offre aux saints un répit des conflits des dernières années.
Il savait pourtant que la paix et le repos ne s’obtiendraient pas
facilement. Pour éviter les dissidences et les persécutions qu’ils
avaient connues en Ohio et au Missouri, les saints devaient tisser des
liens plus solides entre eux et nouer des liens d’amitié durables avec
leurs voisins.
Vers cette époque-là, Joseph reçut une lettre de William Phelps, qui
avait déménagé en Ohio après avoir abandonné l’Église et avoir témoigné
contre Joseph dans un tribunal du Missouri. Il écrivait : « Je connais
ma situation, vous la connaissez et Dieu la connaît, et je veux être
sauvé si mes amis acceptent de m’aider. »
Sachant qu’en dépit de ses fautes, William était un homme sincère,
Joseph répondit peu de temps après : « Il est vrai que nous avons
beaucoup souffert des conséquences de votre comportement. Toutefois la
coupe a été bue, la volonté de notre Père a été faite, et nous sommes
toujours en vie. » Heureux de tourner le dos aux jours sombres du
Missouri, Joseph lui accorda son pardon et le remit au travail dans
l’Église.
Il écrivit : « Venez, cher frère, puisque la guerre est finie, car les
amis du début sont enfin de nouveau amis. »
Joseph sentait également l’urgence de donner aux saints davantage de
direction spirituelle. Dans la prison de Liberty, le Seigneur lui avait
dit que ses jours étaient comptés et il avait confié à ses amis qu’il
ne pensait pas atteindre la quarantaine. Avant qu’il ne soit trop tard,
il devait enseigner aux saints plus de ce que Dieu lui avait révélé.
Toutefois, la construction d’une ville et la gestion des problèmes
matériels de l’Église consommaient la majeure partie de son temps. Il
avait toujours joué un rôle actif dans les affaires de l’Église et
depuis longtemps, il comptait sur des hommes tels que l’évêque
Partridge pour l’aider à supporter le fardeau. Maintenant qu’Edward
était parti, Joseph commençait à s’appuyer davantage sur l’évêque Newel
Whitney et sur les autres évêques appelés à Nauvoo. Cependant, il
savait qu’il aurait besoin d’encore plus d’aide pour diriger l’aspect
temporel de l’administration de l’Église s’il voulait se concentrer sur
son ministère spirituel.
Peu de temps plus tard, il reçut une autre lettre, cette fois d’un
étranger du nom de John Cook Bennett. Il disait qu’il avait l’intention
de s’installer à Nauvoo, de devenir membre de l’Église et d’offrir ses
services aux saints. Il était médecin et officier supérieur dans la
milice de l’État de l’Illinois, et il avait aussi été pasteur et
professeur. Il dit : « Je crois que je serai beaucoup plus heureux
auprès de vous. Écrivez-moi immédiatement. »
Les jours suivants, Joseph reçut deux autres lettres de sa part. Il
promettait : « Vous pouvez compter sur moi. J’espère que le jour
viendra rapidement où votre peuple sera mon peuple et votre Dieu mon
Dieu. » Il lui dit que sa rhétorique et son énergie débordante seraient
un bienfait inestimable pour les saints.
Il insista : « Mon empressement à vous rejoindre augmente
quotidiennement. Je vais immédiatement liquider mes affaires
professionnelles et me rendre dans votre logis bienheureux si vous
estimez que c’est la meilleure solution. »
Joseph examina les lettres, réconforté qu’une personne avec de telles
qualifications veuille s’unir aux saints. Un homme doté de ses
compétences pourrait certainement aider l’Église à s’établir en
Illinois.
Il lui écrivit : « Si vous pouviez venir cette saison affronter
l’adversité avec le peuple de Dieu, personne n’en serait plus heureux
et ne vous souhaiterait la bienvenue plus cordialement que moi. »
Au fur et à mesure que Nauvoo prenait forme, l’esprit de Joseph
s’attachait au rassemblement. En Angleterre, les apôtres avaient
récemment envoyé une compagnie de quarante et un saints traverser
l’océan en direction de Nauvoo. Joseph s’attendait à en recevoir encore
plus dans les mois et années à venir.
Ce mois de juillet-là, il annonça dans un sermon : « Voici le lieu
principal de rassemblement. Que tous ceux qui le veulent viennent et
prennent part librement à la pauvreté de Nauvoo ! »
Il savait que l’expulsion du Missouri et l’échec de la pétition auprès
du gouvernement avaient laissé de nombreuses personnes dans
l’incertitude quant à l’avenir de Sion et au rassemblement. Il voulait
leur faire comprendre que Sion n’était pas simplement une parcelle de
terrain dans le comté de Jackson. Il déclara : « Sion se trouve là où
les saints se rassemblent. »
Le Seigneur leur commandait maintenant d’établir des pieux à Nauvoo et
dans les régions avoisinantes. Avec le temps, au fur et à mesure que
les saints se rassembleraient en Sion, l’Église créerait d’autres pieux
et le Seigneur bénirait le pays.
Avant de conclure son sermon, il annonça : « Je me dois de construire
un temple aussi grand que celui de Salomon, si l’Église veut bien me
soutenir. » Il tendit le bras et indiqua un endroit, vers le sommet du
promontoire, où les saints bâtiraient l’édifice sacré. Il ajouta : « Si
Dieu permettait que je vive suffisamment longtemps pour contempler ce
temple achevé […], je dirais : ‘O Seigneur, cela suffit. Seigneur,
laisse ton serviteur s’en aller en paix.’ »
Quelques semaines plus tard, alors que les températures élevées
accablaient encore Nauvoo et que la maladie faisait de nouvelles
victimes, Seymour Brunson, l’ami de Joseph, décéda. Lors des obsèques,
il offrit des paroles de réconfort à Harriet, sa veuve, et aux milliers
de saints réunis. Pendant qu’il parlait, il regarda Jane Neyman, dont
le fils adolescent, Cyrus, était décédé avant de s’être fait baptiser.
Sachant qu’elle s’inquiétait pour le bien-être de l’âme de son fils, il
décida de parler de ce que le Seigneur lui avait appris au sujet du
salut des personnes qui, comme son frère Alvin, étaient mortes sans
baptême.
Ouvrant la Bible, il lut les paroles de l’apôtre Paul aux Corinthiens :
« Autrement que feraient ceux qui se font baptiser pour les morts ? Si
les morts ne ressuscitent absolument pas, pourquoi se font-ils baptiser
pour eux ? » Il fit remarquer que les paroles de Paul étaient la preuve
qu’une personne vivante pouvait se faire baptiser par procuration pour
une personne décédée, étendant les avantages du baptême à celles dont
le corps était mort mais dont l’esprit continuait de vivre.
Il dit que le plan du salut de Dieu était conçu pour sauver tous ceux
qui étaient disposés à obéir à la loi de Dieu, notamment le nombre
incalculable de ceux qui étaient morts sans jamais connaître
Jésus-Christ ni ses enseignements.
Peu après le sermon, Jane se dirigea vers le fleuve avec un ancien de
l’Église et se fit baptiser en faveur de Cyrus. Plus tard ce soir-là,
lorsque Joseph en entendit parler, il demanda quelles étaient les
paroles que l’ancien avait prononcées pour l’ordonnance. Lorsqu’on les
lui répéta, il confirma que ce dernier avait accompli correctement le
baptême.
John Bennett arriva à Nauvoo en septembre 1840 et Joseph lui demanda
avidement conseil au sujet de la gestion des problèmes légaux et
politiques de Nauvoo et de l’Église. Il avait à peu près le même âge
que lui mais il était plus instruit. Il était petit et ses cheveux
noirs grisonnaient ; il avait les yeux foncés et un visage fin et beau.
Il accepta volontiers le baptême.
Lucy Smith était trop préoccupée par la santé défaillante de son mari
pour faire cas de la popularité du nouveau venu. Comme l’évêque
Partridge, Joseph, père, avait quitté le Missouri en mauvais état et le
climat estival malsain de Nauvoo n’avait fait que l’affaiblir. Elle
espérait qu’il finisse par guérir mais lorsqu’un jour il vomit du sang,
elle craignit que sa mort ne soit imminente.
Lorsque Joseph et Hyrum furent informés de l’aggravation de l’état de
santé de leur père, ils se précipitèrent à son chevet.
Lucy fit part de la nouvelle au reste de la famille pendant que Joseph
lui tenait compagnie. Il lui parla du baptême pour les morts et de la
bénédiction qu’il offrait à tous les enfants de Dieu. Au comble de la
joie, Joseph, père, le supplia d’accomplir l’ordonnance en faveur
d’Alvin.
Peu après, Lucy s’assit avec la plupart de ses enfants autour du lit de
leur père. Il voulait donner une bénédiction à chacun d’eux tant qu’il
avait la force de parler. Lorsque ce fut le tour de Joseph, il plaça
les mains sur la tête de son fils.
Il dit : « Persévère fidèlement et tu seras béni, et ta famille sera
bénie et tes enfants après toi. Tu vivras pour achever ton œuvre.
— Oh, père, c’est vrai ?
— Oui, et tu exposeras le plan de toute l’œuvre que Dieu exige de toi.
»
Lorsque Joseph, père, eut fini de bénir ses enfants, il se tourna vers
Lucy. Il dit : « Mère, tu es l’une des femmes les plus exceptionnelles
du monde. »
Lucy protesta mais son mari poursuivit : « Nous avons souvent souhaité
mourir en même temps mais tu ne dois pas le désirer maintenant car tu
dois rester réconforter les enfants lorsque je serai parti. »
Après une pause, il s’exclama : « Je vois Alvin. » Il joignit les mains
et se mit à respirer lentement jusqu’à ce que son souffle devienne de
plus en plus court puis il rendit l’âme paisiblement.
Quelques semaines après sa mort, les saints se rassemblèrent à Nauvoo
pour la conférence générale d’octobre 1840. Joseph enseigna plus
complètement le baptême pour les morts, expliquant que les morts
devenus esprits attendaient que leur parenté reçoive l’ordonnance
salvatrice en leur faveur.
Entre les sessions de la conférence, les saints se précipitèrent vers
le Mississippi où plusieurs anciens se tinrent dans l’eau jusqu’à la
taille et leur firent signe de venir se faire baptiser pour leurs
grands-parents, pères, mères, frères, sœurs et enfants décédés. Peu
après, Hyrum se fit baptiser pour son frère Alvin.
En regardant les anciens dans le fleuve, Vilate Kimball souhaita
ardemment se faire baptiser pour sa mère qui était décédée plus de dix
ans plus tôt. Elle aurait aimé qu’Heber revienne d’Angleterre pour
accomplir l’ordonnance mais puisque Joseph avait exhorté les saints à
racheter leurs morts aussi vite que possible, elle décida de se faire
baptiser immédiatement pour sa mère.
Emma Smith pensait également à sa famille. Son père, Isaac Hale, était
décédé en janvier 1839. Il ne s’était jamais réconcilié avec elle et
Joseph. Quelques années avant sa mort, il avait même permis à des
détracteurs de publier une lettre qu’il avait écrite condamnant Joseph
et traitant le Livre de Mormon de « tissu idiot de mensonges et de
méchanceté ».
Emma aimait quand même son père et se fit baptiser pour lui dans le
fleuve. Dans cette vie, il n’avait pas accepté l’Évangile rétabli mais
elle espérait qu’il n’en serait pas ainsi pour toujours.
Cet automne-là, Joseph et John Bennett ébauchèrent une charte de lois
pour Nauvoo. Le document était conçu pour offrir aux saints autant de
liberté que possible pour se gouverner et se protéger du genre
d’injustices qui les avaient affligés au Missouri. Si le corps
législatif de l’État approuvait la charte, les citoyens de Nauvoo
pourraient voter leurs propres lois, gérer leurs tribunaux locaux,
fonder une université et créer une milice.
Les projets de Joseph pour l’Église continuaient de se multiplier.
Anticipant l’arrivée d’un nombre toujours croissant de saints, le
prophète créa plusieurs pieux dans de nouvelles colonies près de
Nauvoo. Il appela également Orson Hyde et John Page en mission en
Palestine où ils consacreraient Jérusalem pour le rassemblement des
enfants d’Abraham. Pour arriver jusque là-bas, les apôtres devraient
traverser l’Europe, ce qui leur donnerait la possibilité de prêcher
l’Évangile dans nombre de ses villes.
Joseph et la Première Présidence proclamèrent : « Nous pouvons nous
attendre à voir bientôt affluer en ce lieu des gens de toute nation, de
toute langue, de toute couleur qui adoreront avec nous le Seigneur des
armées dans son saint temple. »
Début décembre, John Bennett réussit à faire pression sur le corps
législatif de l’État d’Illinois afin qu’il approuve la charte de
Nauvoo, accordant aux saints le pouvoir de mener à bien leurs ambitions
pour la ville. Lorsqu’il revint triomphant à Nauvoo, Joseph saisit
chaque occasion qui se présentait de le féliciter.
Environ un mois plus tard, le 19 janvier 1841, le Seigneur accorda une
nouvelle révélation aux saints. Il leur assura qu’il avait accueilli
Edward Partridge et Joseph Smith, père, en son sein, ainsi que David
Patten, qui avait été tué lors de l’escarmouche de la Crooked River.
Hyrum Smith fut appelé à prendre la place de son père en qualité de
patriarche de l’Église et fut aussi appelé à servir aux côtés de Joseph
comme prophète, voyant et révélateur, remplissant le rôle qu’avait tenu
Oliver Cowdery.
De plus, le Seigneur commandait à John Bennett de soutenir Joseph et de
continuer de parler de l’Église aux gens de l’extérieur en faveur des
saints, lui promettant des bénédictions à condition qu’il produise des
œuvres de justice. Le Seigneur déclara : « Sa récompense ne fera pas
défaut, s’il accepte les conseils. J’ai vu le travail qu’il a fait, que
j’accepte s’il continue. »
Le Seigneur acceptait également les efforts des saints pour édifier
Sion dans le comté de Jackson mais leur commandait maintenant d’édifier
Nauvoo, de créer de nouveaux pieux et de bâtir un hôtel appelé la
maison de Nauvoo, qui offrirait aux visiteurs un endroit pour se
reposer et songer à la parole de Dieu et à la gloire de Sion.
Plus important encore, le Seigneur leur commandait de construire le
nouveau temple. Il déclara : « Que cette maison soit bâtie à mon nom,
afin que je puisse y révéler mes ordonnances à mon peuple. »
Le baptême pour les morts en était une. Jusque-là, il avait permis aux
saints de faire les baptêmes dans le Mississippi mais il leur
commandait maintenant de cesser jusqu’à ce qu’ils aient consacré des
fonts baptismaux spéciaux dans le temple. Il déclara : « Cette
ordonnance appartient à ma maison. »
D’autres ordonnances du temple et d’autres nouvelles vérités
suivraient. Il promit : « Je daigne révéler à mon Église des choses qui
ont été cachées dès avant la fondation du monde, des choses qui ont
trait à la dispensation de la plénitude des temps. Je montrerai à mon
serviteur Joseph tout ce qui a trait à cette maison, à sa prêtrise. »
Promettant de récompenser leur diligence et leur obéissance, le
Seigneur exhorta les saints à travailler de toutes leurs forces à la
construction du temple. « Bâti[ssez] une maison à mon nom, en ce lieu,
afin que vous fassiez la preuve devant moi que vous êtes fidèles dans
toutes les choses que je vous commande de faire, afin que je vous
bénisse et vous couronne d’honneur, d’immortalité et de vie éternelle. »
À l’aube de la nouvelle année, l’avenir semblait prometteur pour les
saints. Le 1er février 1841, ils élurent John Bennett comme maire de
Nauvoo, ce qui faisait également de lui le juge en chef du tribunal de
la ville. Il devint également président de la nouvelle université,
général de division de la milice et conseiller adjoint de la Première
Présidence. Joseph et d’autres dirigeants de l’Église avaient confiance
en sa capacité de diriger la ville et de la mettre en valeur.
Lorsque l’autorité et les responsabilités de John s’étendirent, Emma
fut obligée d’avouer qu’il avait énormément aidé les saints. Néanmoins,
elle ne partageait pas leur engouement pour lui. Elle trouvait qu’il
paradait en ville comme un général pompeux et lorsqu’il n’était pas en
train de tenter d’impressionner Joseph, il paraissait égocentrique et
indélicat.
Malgré tous ses talents et son utilité, il y avait quelque chose chez
John Bennett qui l’inquiétait.
CHAPITRE 36 : Incite-les à se rassembler
Au printemps de 1841, Mary Ann Davis contempla le visage de son mari
pour la dernière fois avant que le couvercle de son cercueil ne soit
refermé, puis ses amis portèrent sa dépouille jusqu’à un coin
tranquille du cimetière de l’église à Tirley, en Angleterre. John Davis
était mort dans la fleur de l’âge ; il n’avait que vingt-cinq ans. En
regardant les hommes emporter son cercueil, Mary se sentit tout à coup
très seule, debout dans sa robe noire, dans un village où elle était
maintenant l’unique sainte des derniers jours.
John était mort à cause de ses convictions. Un an plus tôt, Mary et lui
s’étaient rencontrés lors d’une réunion de saints, peu après que
Wilford Woodruff eut baptisé des centaines de Frères Unis dans la
région voisine du Herefordshire. Ni l’un ni l’autre n’avait fait partie
des Frères Unis mais l’Évangile rétabli s’était répandu rapidement dans
la région, attirant l’attention de nombreuses personnes.
Mary et John avaient ouvert leur porte aux missionnaires qui espéraient
établir une assemblée dans la région. La mission britannique
grandissait de plus en plus et en quatre ans à peine, l’Angleterre et
l’Écosse comptaient plus de six mille saints. Même à Londres, où les
prédicateurs de rue de nombreuses dénominations se disputaient les âmes
avec acharnement, les missionnaires avaient créé une branche d’une
quarantaine de membres, dirigée par un jeune frère américain nommé
Lorenzo Snow.
Dans tout le pays, l’opposition restait néanmoins forte. Des brochures
bon marché jonchaient les rues de la plupart des villes, proclamant
toutes sortes d’idées religieuses. Certaines étaient des rééditions de
tracts anti-mormons provenant des États-Unis et mettant les lecteurs en
garde contre les saints des derniers jours.
Espérant rectifier les rapports falsifiés, Parley Pratt avait commencé
à rédiger ses propres brochures et à éditer un journal mensuel,
Latter-day Saints’ Millennial Star, qui donnait des nouvelles des
saints de Nauvoo et de toute la Grande-Bretagne. Brigham Young
s’arrangea également pour faire imprimer un livre de cantiques et le
Livre de Mormon pour les saints britanniques.
À Tirley, Mary et John avaient fait face à l’hostilité dès que les
missionnaires avaient commencé à prêcher chez eux. Des brutes
interrompaient souvent les réunions et chassaient les missionnaires.
Les choses n’avaient fait qu’empirer jusqu’au jour où ils avaient jeté
John à terre et l’avaient impitoyablement roué de coups de pied. Il ne
s’en était jamais remis. Peu de temps après, il fit une mauvaise chute
et commença de cracher du sang. Les missionnaires essayèrent de rendre
visite au couple mais des voisins hostiles les en empêchèrent. Cloué au
lit, John s’affaiblit et finit par mourir.
Après l’enterrement, Mary décida de se joindre au rassemblement à
Nauvoo. Plusieurs apôtres, dont Brigham Young et Heber Kimball, avaient
récemment annoncé qu’ils rentraient chez eux au printemps, emmenant
avec eux une grande compagnie de saints britanniques. Mary avait
l’intention de partir pour l’Amérique du Nord peu après, avec une
compagnie plus petite.
Étant la seule membre de l’Église de sa famille, elle rendit visite à
ses parents et à ses frères et sœurs pour leur dire au revoir. Elle
s’attendait à ce que son père proteste mais il lui demanda simplement
quand et sur quel bateau elle partirait.
Le jour où elle prit la route pour la ville portuaire de Bristol, elle
était malade de chagrin. En passant devant l’église où elle s’était
mariée avec John quelques mois plus tôt, elle pensa à tout ce qui lui
était arrivé depuis.
À vingt-quatre ans, elle était veuve et partait seule dans un nouveau
pays se ranger avec le peuple de Dieu.
À Nauvoo, Thomas Sharp, rédacteur en chef d’un journal, s’installa à
côté de Joseph Smith sur une estrade et balaya du regard une foule de
plusieurs milliers de saints. C’était le 6 avril 1841, le onzième
anniversaire de l’Église et le premier jour d’une conférence générale.
Une fanfare couvrait les bavardages de l’assemblée. Dans quelques
instants, les saints allaient commémorer ce jour important en posant
les pierres angulaires d’un nouveau temple.
Thomas n’appartenait pas à leur Église mais John Bennett, le maire de
Nauvoo, l’avait invité à passer la journée avec les saints. Il était
facile de deviner pourquoi. En tant que rédacteur en chef, Thomas
pouvait faire ou briser une réputation avec une poignée de mots et il
avait été convié à Nauvoo comme allié potentiel.
Comme les saints, il était nouveau dans la région. À presque
vingt-trois ans, il était arrivé dans l’Ouest l’année précédente pour
travailler comme avocat et s’était installé dans la ville de Warsaw, à
environ une journée de voyage au sud de Nauvoo. Quelques mois après son
arrivée, il était devenu le rédacteur du seul journal non-mormon du
comté et s’était fait une réputation pour son écriture percutante.
Il fut indifférent aux enseignements des saints et moyennement
impressionné par leur dévouement envers leur religion mais il dut
admettre que les événements du jour étaient frappants.
La journée avait commencé par une volée assourdissante de coups de
canon suivie d’une parade de la milice municipale, appelée la légion de
Nauvoo, constituée de six cent cinquante hommes. Joseph Smith et John
Bennett, vêtus de l’uniforme bleu aux épaulettes dorées des officiers
militaires, avaient fait défiler la légion à travers la ville jusqu’aux
fondations fraîchement creusées du temple, sur le promontoire. Par
respect, les saints avaient placé Thomas vers la tête du cortège, non
loin de Joseph et de ses miliciens.
Sidney Rigdon ouvrit la cérémonie de la pierre angulaire avec un
discours émouvant d’une heure au sujet des tribulations récentes des
saints et de leurs efforts pour bâtir des temples. Après son discours,
Joseph se leva et commanda aux ouvriers d’abaisser l’énorme pierre dans
l’angle sud-est des fondations.
Il annonça : « La pierre principale de l’angle, qui représente la
Première Présidence, est maintenant dûment posée en l’honneur du grand
Dieu afin que les saints aient un lieu où l’adorer et que le Fils de
l’homme ait un endroit où reposer sa tête. »
Après la cérémonie sacrée, Joseph convia Thomas et d’autres invités
d’honneur chez lui pour dîner. Il voulait qu’ils sachent qu’ils étaient
les bienvenus à Nauvoo. S’ils ne partageaient pas sa foi, il espérait
qu’ils accepteraient au moins son hospitalité.
Il fut heureux d’apprendre que le lendemain, Thomas fit paraître dans
son journal un article favorable à propos de la cérémonie de la pierre
angulaire. Pour la première fois depuis l’organisation de l’Église, les
saints semblaient avoir la sympathie de leurs voisins, le soutien du
gouvernement et des amis haut placés.
Pour autant qu’il savourait ce moment de paix et de bonne volonté à
Nauvoo, Joseph savait cependant que le Seigneur attendait de lui qu’il
obéisse à tous ses commandements, même si cela devait mettre la foi des
saints à l’épreuve. Et aucun commandement ne serait plus éprouvant que
celui du mariage plural.
Grâce à la révélation, il comprenait que le mariage et la famille
étaient au centre du plan de Dieu. Le Seigneur avait envoyé Élie le
prophète au temple de Kirtland pour rétablir les clés de la prêtrise et
sceller ensemble les générations, à l’image des maillons d’une chaîne.
Sous la direction du Seigneur, Joseph avait enseigné à davantage de
saints que mari et femme pouvaient être scellés pour le temps et pour
l’éternité, devenir héritiers des bénédictions d’Abraham et accomplir
le plan éternel de Dieu pour ses enfants.
Dans le Livre de Mormon, le prophète Jacob enseignait que les hommes ne
devaient pas avoir « plus d’une épouse », sauf commandement contraire
de Dieu. Comme le montrait l’histoire d’Abraham et de Sarah, Dieu
commandait parfois à ses disciples fidèles de pratiquer le mariage
plural de manière à étendre ses bénédictions à plus de personnes et à
lui susciter un peuple d’alliance. En dépit des épreuves qu’il avait
provoquées, le mariage plural d’Abraham et Agar avait suscité une
grande nation. Il serait aussi une épreuve pour les saints qui le
pratiqueraient mais le Seigneur promettait de les exalter pour leur
obéissance et leur sacrifice.
Les années qui avaient suivi le départ de Joseph de Kirtland avaient
été tumultueuses et il n’en avait pas parlé aux saints à cette
époque-là mais la situation était différente à Nauvoo où ils avaient
enfin trouvé une mesure de sécurité et de stabilité.
Joseph faisait confiance à la constitution des États-Unis qui
protégeait le libre exercice de la religion. Plus tôt cette année-là,
le conseil municipal de Nauvoo avait affirmé ce droit lorsqu’il avait
adopté un arrêté stipulant que tous les groupes religieux pouvaient
adorer librement à Nauvoo. La loi s’appliquait aussi bien aux chrétiens
qu’aux non-chrétiens. Bien que personne ne fut musulman à Nauvoo,
l’arrêté protégeait, en particulier, les musulmans, qui pratiquaient
quelquefois la polygamie. Bien que les politiciens de la capitale
l’aient déçu, Joseph croyait aux principes fondateurs de la république
américaine et leur faisait confiance pour protéger son droit de vivre
en accord avec la volonté de Dieu.
Il était tout de même conscient que la pratique du mariage plural
choquerait les gens et il répugnait à l’enseigner ouvertement. Quand
d’autres communautés religieuses et utopiques adoptaient souvent
différentes formes de mariage, les saints avaient toujours prêché la
monogamie. La plupart d’entre eux, comme la plupart des américains,
associaient la polygamie aux sociétés qu’ils considéraient moins
civilisées que la leur.
Joseph ne laissa aucune trace de son opinion sur le mariage plural ni
sur ses difficultés à obéir à ce commandement. Emma ne dévoila pas non
plus le moment où elle prit connaissance de cette pratique ni l’impact
qu’elle eut sur son mariage. Cependant, les écrits de leurs proches
montrent bien que ce fut source d’angoisse pour tous les deux.
Pourtant, Joseph sentait l’urgence de l’enseigner aux saints malgré les
risques et ses propres réserves. S’il présentait ce principe en privé à
des hommes et à des femmes fidèles, il pourrait obtenir leur soutien en
vue du moment où il pourrait l’enseigner ouvertement. Pour l’accepter,
les gens devaient vaincre leurs préjugés, reconsidérer les coutumes
sociales et faire preuve d’une grande foi pour obéir à un commandement
de Dieu aussi étranger à leurs traditions.
Vers l’automne 1840, Joseph avait commencé à en parler à Louisa Beaman,
âgée de vingt-cinq ans. Sa famille faisait partie des premières à avoir
cru au Livre de Mormon et à avoir accepté l’Évangile rétabli. À la mort
de ses parents, elle avait emménagé avec sa sœur aînée Mary et son
mari, Bates Noble, un vétéran du camp d’Israël.
Bates était présent lorsque Joseph discuta du mariage plural avec
Louisa. Joseph lui dit : « En vous révélant ces choses, j’ai placé ma
vie entre vos mains. Dans un mauvais moment, ne me dénoncez pas à mes
ennemis. »
Quelque temps plus tard, Joseph demanda Louisa en mariage. Elle ne
laissa pas de trace de sa réaction à la proposition, ni quand ou
pourquoi elle l’accepta mais le soir du 5 avril 1841, la veille de la
conférence générale, Joseph retrouva Louisa et Bates pour la cérémonie.
Avec son autorisation, Bates les scella, répétant les mots de
l’ordonnance que Joseph lui dictait.
Cet été-là, les saints se réjouirent lorsque John Bennett fut nommé à
un poste important dans le système judiciaire du comté mais d’autres
habitants furent outrés, redoutant le pouvoir politique croissant des
saints. Ils considéraient la nomination de John comme une tentative de
politiciens rivaux de gagner le vote des saints.
Thomas Sharp, qui était membre du parti adverse, remit ouvertement en
question les qualifications de John pour le poste, sa réputation et la
sincérité de son récent baptême. Dans un éditorial, il incita les
citoyens à s’opposer à sa nomination.
Il exagéra aussi le mécontentement des centaines de saints britanniques
rassemblés dans la région. Il rapporta : « On dit que beaucoup sont
décidés à partir et qu’ils ont envoyé des lettres en Angleterre
avertissant leurs amis qui avaient prévu d’émigrer du triste état des
affaires dans la ville de l’Église. » Il affirmait qu’au cœur de leur
mécontentement se trouvait un manque de foi en la mission du prophète.
Après avoir lu l’éditorial, Joseph, livide, dicta une lettre et
l’envoya à Thomas, résiliant son abonnement :
Monsieur, veuillez annuler mon abonnement à votre journal. Son contenu
est calculé pour me nuire, et être client de cet immonde torchon, ce
tissu de mensonges, ce gouffre d’iniquité, est une disgrâce pour la
probité de n’importe quel homme.
Avec mon mépris absolu,
Joseph Smith
P.S : P. S. Veuillez s’il vous plaît publier la note ci-dessus dans
votre journal détestable.
Irrité par la lettre, Thomas l’imprima dans le numéro suivant
accompagné d’un commentaire sarcastique au sujet de l’appel de prophète
de Joseph. Certaines personnes l’avaient accusé d’utiliser son journal
pour flatter les saints. Il voulait maintenant que ses lecteurs sachent
qu’il les considérait comme une menace politique croissante pour les
droits des autres citoyens du comté.
Comme preuve, il réimprima une proclamation que Joseph avait récemment
publiée et qui appelait les saints de partout à se rassembler et à
édifier Nauvoo. Il avertissait ses lecteurs : « Si sa volonté doit être
leur loi, que peuvent, non, que vont devenir vos droits les plus chers
et vos privilèges les plus précieux ? »
Comme il devenait de plus en plus critique, Joseph craignit qu’il
n’incite d’autres habitants du comté à s’en prendre aux saints. L’enjeu
était si grand maintenant que les pierres angulaires du temple étaient
en place et que des bateaux entiers d’immigrants britanniques
arrivaient. Ils ne pouvaient pas se permettre de perdre Nauvoo comme
ils avaient perdu Independence et Far West.
Des voiliers grands et petits encombraient les quais animés du port de
Bristol, au sud-ouest de l’Angleterre. Montant à bord du bateau qui
l’emmènerait en Amérique du Nord, Mary Ann Davis trouva son lit propre
et ne vit aucun signe de puces. Les autres passagers et elle n’avaient
l’autorisation de garder qu’une malle à côté de leur lit et le reste de
leurs affaires devait être entreposé dans la cale.
Mary resta à Bristol pendant une semaine le temps d’affréter le navire.
Pour plus d’intimité, les autres passagers et elle pendirent des
rideaux entre leurs lits, séparant la grande pièce en minuscules
cabines. Ils explorèrent également les rues étroites de Bristol,
s’imprégnant de la vue et des odeurs de la ville.
Mary s’attendait à ce que ses parents arrivent d’un jour à l’autre pour
lui dire au revoir. Pour quelle autre raison son père aurait-il voulu
connaître le nom du bateau et le lieu de départ ?
Mais ils ne vinrent jamais. Par contre, des avocats embauchés par son
père pour l’obliger à débarquer commencèrent à inspecter
quotidiennement le navire à la recherche d’une jeune veuve aux yeux
foncés, portant une robe noire. Déçue mais déterminée à rejoindre Sion,
Mary rangea ses habits de deuil et commença à s’habiller comme les
autres jeunes femmes à bord.
Peu après, le bateau fit voile vers le Canada. Lorsqu’il accosta deux
mois plus tard, Mary et sa compagnie voyagèrent vers le sud par bateau
à vapeur, train et péniche jusqu’à un port non loin de Kirtland.
Impatients de se retrouver parmi les saints, Mary et ses amis prirent
le chemin de la ville où ils trouvèrent William Phelps qui dirigeait
une petite branche de l’Église.
La ville de Kirtland n’était plus que l’ombre de ce qu’elle avait été
autrefois. Le dimanche, William tenait des réunions dans le temple,
s’asseyant souvent seul à la chaire. Depuis sa place dans l’assemblée,
Mary trouva que le temple avait l’air abandonné.
Quelques semaines plus tard, une autre compagnie de saints britanniques
arriva. L’un de ses membres, Peter Maughan, avait l’intention de
continuer en prenant un bateau à vapeur pour traverser les grands lacs
jusqu’à Chicago et en voyageant ensuite par voie de terre jusqu’à
Nauvoo. Impatients de terminer leur voyage, Mary et plusieurs autres
saints l’accompagnèrent, lui et ses six jeunes enfants.
En route, Mary et Peter firent plus ample connaissance. Il était veuf
et avait travaillé dans les mines de plomb au nord-ouest de
l’Angleterre. Sa femme, Ruth, était morte en couche peu de temps avant
le moment où la famille avait prévu d’émigrer. Peter avait envisagé la
possibilité de rester en Angleterre mais Brigham Young l’avait
convaincu de se rendre à Nauvoo.
Lorsque Mary arriva à Nauvoo, elle fouilla la ville à la recherche
d’amis d’Angleterre. Longeant les rues, elle vit un homme juché sur un
baril, en train de prêcher, et elle s’arrêta pour écouter. Le
prédicateur était enjoué et son sermon spontané captivait la petite
audience. De temps à autre, il se penchait en avant et posait les mains
sur les épaules d’un homme de haute taille, debout devant lui, comme
s’il s’appuyait sur un bureau.
Mary sut immédiatement qu’il s’agissait de Joseph Smith. Après cinq
mois de voyage, elle se tenait enfin parmi les saints, en présence du
prophète de Dieu.
Entre-temps, de l’autre côté du monde, Orson Hyde fut submergé
d’émotion lorsqu’il contempla Jérusalem pour la première fois.
L’ancienne ville se dressait au sommet d’une colline bordée de vallées
et entourée d’un épais mur d’enceinte. En approchant de la porte ouest,
las de voyager, Orson aperçut ses murs et les tours qui se profilaient
derrière.
Il avait espéré pénétrer dans Jérusalem avec John Page mais ce dernier
était rentré chez lui avant même de quitter les États-Unis. Orson était
parti seul, avait traversé l’Angleterre et l’Europe, passant par
certaines des grandes villes du continent. Il avait ensuite pris la
direction du sud-est jusqu’à Constantinople et avait pris un bateau à
vapeur jusqu’à la ville côtière de Jaffa où il avait organisé son
voyage jusqu’à Jérusalem en compagnie d’un gentilhomme anglais et de
ses serviteurs lourdement armés.
Les quelques jours suivants, Orson avait déambulé dans les rues
cahoteuses et poussiéreuses et avait rencontré les dirigeants religieux
et municipaux. Environ dix mille personnes, la plupart parlant arabe,
habitaient à Jérusalem. La ville était délabrée, avec des parties en
ruine après des siècles de conflits et de négligence.
Malgré tout, en visitant les endroits mentionnés dans la Bible, Orson
était émerveillé par la cité et son histoire sacrée. En regardant les
gens se livrer aux tâches quotidiennes décrites dans les paraboles du
Sauveur, il s’imagina ramené à l’époque de Jésus. À Gethsémané, il
coupa une brindille d’un olivier et médita sur l’Expiation.
Le 24 octobre 1841, il se leva avant l’aube et descendit à pied une
pente près de l’endroit où Jésus avait marché la veille de sa
crucifixion. Gravissant le mont des Oliviers, il regarda Jérusalem, de
l’autre côté de la vallée, et vit le spectaculaire dôme du Rocher,
dressé près du site où se tenait le temple à l’époque du Sauveur.
Sachant que le Seigneur avait promis que certains descendants d’Abraham
se rassembleraient à Jérusalem avant la Seconde Venue, l’apôtre s’assit
et rédigea une prière, demandant à Dieu de guider les restes dispersés
vers leur terre promise.
Il pria : « Incite-les à se rassembler dans ce pays selon ta parole.
Qu’ils viennent comme des nuages et comme des colombes à leurs
fenêtres. »
Lorsqu’il eut achevé sa prière, il éleva un monticule de pierres à cet
endroit et traversa la vallée pour en empiler d’autres sur le mont de
Sion en guise de monument simple attestant de la réussite de sa
mission. Ensuite, il entreprit le long voyage qui le ramènerait chez
lui.
CHAPITRE 37 : « Nous les mettrons à l’épreuve »
Le 5 janvier 1842, Joseph ouvrit un magasin à Nauvoo et accueillit
joyeusement ses nombreux clients. Dans une lettre à un ami, il écrivit
: « J’aime servir les saints et être le serviteur de tous, en espérant
être exalté au moment où le Seigneur le jugera bon. »
La doctrine de l’exaltation pesait lourdement sur son esprit. En
février, il reporta son attention sur les rouleaux égyptiens qu’il
avait achetés à Kirtland et la traduction inachevée des écrits
d’Abraham. Les nouvelles Écritures enseignaient que Dieu avait envoyé
ses enfants sur terre pour tester leur fidélité et leur bonne volonté à
obéir à ses commandements.
Avant la création de la terre, le Sauveur déclara : « Nous les mettrons
ainsi à l’épreuve, pour voir s’ils feront tout ce que le Seigneur, leur
Dieu, leur commandera. » Ceux qui obéissaient à ses commandements
seraient exaltés vers une gloire supérieure. Ceux qui décidaient de ne
pas obéir à Dieu perdraient ces bénédictions éternelles.
Joseph voulait faire comprendre ces vérités aux saints afin qu’ils
puissent progresser vers l’exaltation et entrer en la présence de Dieu.
À Kirtland, la dotation de pouvoir avait fortifié de nombreux hommes
contre les rigueurs du champ de la mission mais Dieu avait promis de
conférer une dotation spirituelle plus grande dans le temple de Nauvoo.
En révélant des ordonnances et des connaissances supplémentaires aux
hommes et aux femmes fidèles de l’Église, le Seigneur ferait d’eux des
rois et des reines, des prêtres et des prêtresses, comme Jean le
Révélateur l’avait prophétisé dans le Nouveau Testament.
Joseph exhorta les Douze et d’autres amis de confiance à être
obéissants au Seigneur pendant qu’il les préparait à recevoir cette
dotation de pouvoir divin. Il enseigna également le principe du mariage
plural à d’autres saints et témoigna de son origine divine. L’été
précédent, moins d’une semaine après le retour des apôtres
d’Angleterre, il avait enseigné le principe à quelques-uns d’entre eux
et leur avait commandé d’y obéir comme à un commandement du Seigneur.
Bien que le mariage plural ne soit pas nécessaire à l’exaltation ou à
la dotation supérieure de pouvoir, l’obéissance au Seigneur et la
disposition à lui consacrer sa vie l’étaient.
Au début, comme Joseph, les apôtres s’opposèrent au nouveau principe.
Brigham était si angoissé à l’idée d’épouser une autre femme qu’il
languissait de mourir jeune. Heber Kimball, John Taylor et Wilford
Woodruff voulaient retarder l’échéance le plus longtemps possible.
Suivant le commandement du Seigneur, Joseph avait aussi été scellé à
d’autres épouses depuis son mariage avec Louisa Beaman. Lorsqu’il
enseignait le mariage plural à une femme, il lui demandait de chercher
de son côté la confirmation spirituelle qu’il était juste qu’elle soit
scellée à lui. Toutes n’acceptèrent pas son invitation mais plusieurs
le firent.
À Nauvoo, certains saints contractèrent des mariages pluraux pour le
temps et pour l’éternité, ce qui signifiait que le scellement durerait
pendant toute cette vie et pendant la suivante. Comme les mariages
monogames, ces mariages impliquaient les relations sexuelles et la
procréation d’enfants. D’autres mariages pluraux étaient uniquement
pour l’éternité et les participants comprenaient que leur scellement
n’entrerait en vigueur que dans la vie suivante.
Dans certains cas, une femme qui était mariée pour le temps à un saint
apostat, à un homme qui n’était pas membre de l’Église ou même à un
membre en règle pouvait être scellée pour l’éternité à un autre. Après
la cérémonie de scellement, elle continuait de vivre avec son mari
actuel en attendant les bénédictions du mariage éternel et de
l’exaltation dans la vie à venir.
Au début de l’année 1842, Joseph proposa un scellement de ce genre à
Mary Lightner, dont le mari, Adam, n’était pas membre de l’Église. Au
cours de la conversation, Joseph dit à Mary que le Seigneur leur
commandait d’être scellés l’un à l’autre pour la vie future.
Mary demanda : « Si Dieu vous l’a dit, pourquoi ne me le dit-il pas ? »
Joseph répliqua : « Priez avec ferveur car l’ange m’a dit que vous
devriez en avoir le témoignage. »
Mary fut troublée par l’invitation de Joseph. En lui expliquant le
mariage plural, il avait décrit les bénédictions éternelles de
l’alliance du mariage éternel. Lorsqu’elle avait épousé Adam, ils
s’étaient fait des promesses pour cette vie uniquement. Maintenant,
elle comprenait qu’elle ne pouvait pas contracter d’alliances
éternelles avec lui tant qu’il n’acceptait pas d’abord de se faire
baptiser par l’autorité compétente.
Elle lui parla du baptême, le suppliant de se joindre à l’Église. Adam
lui dit qu’il respectait Joseph mais ne croyait pas en l’Évangile
rétabli et ne se ferait pas baptiser.
Désirant ardemment les bénédictions du mariage éternel mais sachant
qu’elle ne pouvait pas les recevoir avec Adam, Mary se demanda ce
qu’elle devait faire. Son esprit fut envahi par le doute. Finalement,
elle pria pour que le Seigneur envoie un ange lui confirmer que
l’invitation de Joseph était juste.
Une nuit, pendant qu’elle logeait chez sa tante, Mary vit une lumière
apparaître dans sa chambre. Se redressant dans son lit, elle fut
stupéfaite de voir un ange, vêtu de blanc, debout à côté d’elle. Son
visage était lumineux et beau et ses yeux la transpercèrent comme des
éclairs.
Effrayée, elle s’enfouit sous les couvertures et l’ange partit.
Le dimanche suivant, Joseph lui demanda si elle avait reçu une réponse.
Elle admit : « Je n’ai pas eu de témoignage mais j’ai vu quelque chose
que je n’avais encore jamais vu. J’ai vu un ange et j’étais presque
morte de peur. Je n’ai pas parlé. »
Joseph dit : « C’était un ange du Dieu vivant. Si vous êtes fidèle,
vous verrez des choses encore plus grandes. »
Mary continua de prier. Elle avait vu un ange, ce qui avait renforcé sa
foi aux paroles de Joseph. Elle reçut d’autres témoignages spirituels
les jours suivants qu’elle ne put nier ni ignorer. Adam serait toujours
son mari dans cette vie mais elle voulait s’assurer de recevoir toutes
les bénédictions à sa portée dans la vie à venir.
Elle accepta peu après l’invitation de Joseph, et Brigham Young les
scella pour la vie suivante.
Sous la direction de Joseph, John Taylor et Wilford Woodruff
commencèrent à publier ses traductions du livre d’Abraham dans les
numéros de Times and Seasons de mars 1842. En lisant les publications,
les saints furent très heureux de découvrir de nouvelles vérités sur la
création du monde, l’objectif de la vie et la destinée éternelle des
enfants de Dieu. Ils apprirent qu’Abraham avait possédé un urim et
thummim et avait parlé face à face avec le Seigneur. Ils lurent que la
terre et tout ce qui s’y trouve avaient été organisés à partir de
matériaux existants pour réaliser l’exaltation des enfants d’esprit du
Père.
Au milieu de l’enthousiasme pour le livre d’Abraham et la doctrine
enrichissante qu’il enseignait, les saints continuaient de faire des
sacrifices afin d’édifier leur nouvelle ville et de construire le
temple.
À cette époque, Nauvoo comptait plus de mille cabanes en rondins, de
nombreuses maisons à ossature en bois et d’autres en briques solides
achevées ou en travaux. Afin de mieux organiser la ville, Joseph
l’avait divisée en quatre unités appelées paroisses et avait nommé un
évêque pour présider chacune. Il était attendu de chacune qu’elle
contribue aux travaux sur la maison du Seigneur en envoyant des
ouvriers tous les dix jours.
Margaret Cook, une femme célibataire qui gagnait sa vie comme
couturière à Nauvoo, regardait la construction progresser. Elle
travaillait pour Sarah Kimball, l’une des premières converties à
l’Église, qui avait épousé un commerçant prospère qui n’était pas
membre.
Pendant que Margaret travaillait, Sarah et elle discutaient parfois de
la construction du temple. Les murs n’étaient pas encore bien hauts
mais déjà les artisans avaient aménagé temporairement un espace dans le
sous-sol et installé de grands fonts pour les baptêmes pour les morts.
Ils étaient faits de planches de sapin habilement découpées, de forme
ovale, et reposaient sur le dos de douze bœufs sculptés à la main et
dont les finitions étaient faites de belles moulures. Une fois les
fonts consacrés, les saints recommencèrent à accomplir des baptêmes
pour les morts.
Désireuse de faire sa part, Margaret remarqua que de nombreux ouvriers
manquaient de chaussures, de pantalons et de chemises adaptés. Elle
proposa une collaboration à Sarah pour offrir de nouvelles chemises aux
ouvriers. Sarah dit qu’elle pouvait fournir le matériel pour les
chemises si Margaret se chargeait de les coudre. Elles pourraient aussi
enrôler d’autres femmes de Nauvoo et organiser une société pour diriger
le projet.
Peu après, Sarah invita une douzaine de femmes chez elle pour discuter
de la nouvelle société. Elles demandèrent à Eliza Snow, connue pour ses
talents d’écrivain, d’ébaucher une constitution. Cette dernière se mit
immédiatement au travail sur le document et le montra au prophète
lorsqu’elle eut terminé.
Joseph dit que c’était la meilleure constitution dans son genre. Il
ajouta : « Mais ce n’est pas ce que vous voulez. Dites aux sœurs que
leur offrande est acceptée par le Seigneur et qu’il a quelque chose de
mieux pour elles. » Il demanda à la société de se réunir avec lui
quelques jours plus tard, au magasin.
Il dit : « Je vais organiser les femmes sous l’égide de la prêtrise,
sur le modèle de la prêtrise. J’ai maintenant la clé pour le faire. »
Le jeudi suivant, le 17 mars 1842, Emma Smith gravit l’escalier jusqu’à
la grande pièce au-dessus du magasin. Dix-neuf autres femmes, notamment
Margaret Cook, Sarah Kimball et Eliza Snow, étaient venues organiser la
nouvelle société. Joseph y assistait également avec Willard Richards,
qui avait commencé de travailler comme secrétaire du prophète à son
retour d’Angleterre, et John Taylor.
Sophia Marks, quinze ans, était la plus jeune personne présente. La
plus âgée, Sarah Cleveland, avait cinquante-quatre ans. La plupart des
femmes avaient à peu près le même âge qu’Emma. À part Leonora Taylor,
qui était née en Angleterre, elles venaient toutes de l’Est des
États-Unis et étaient arrivées dans l’Ouest avec les saints.
Quelques-unes, telles que Sarah Kimball et Sarah Cleveland, étaient
aisées alors que d’autres ne possédaient guère plus que la robe
qu’elles portaient.
Elles se connaissaient bien. Philinda Merrick et Desdemona Fullmer
avaient survécu au massacre de Hawn’s Mill. Athalia Robinson et Nancy
Rigdon étaient sœurs. Emma Smith et Bathsheba Smith étaient cousines
par alliance, tout comme Eliza Snow et Sophia Packard. Sarah Cleveland
et Ann Whitney avaient aidé Emma dans des moments difficiles de sa vie,
l’hébergeant avec sa famille lorsqu’elle n’avait pas d’autre choix.
Elvira Cowles logeait chez Emma et s’occupait de ses enfants.
Emma aimait l’idée de mettre sur pied une société pour les femmes à
Nauvoo. Récemment, Joseph et d’autres hommes étaient devenus membres
d’une confrérie, vieille de plusieurs siècles, appelée la
franc-maçonnerie, après que des francs-maçons de longue date tels
qu’Hyrum Smith et John Bennett avaient créé une loge maçonnique dans la
ville. Toutefois, les femmes de Nauvoo auraient une société d’une autre
nature.
Tout le monde chanta « L’Esprit du Dieu saint » et John Taylor offrit
une prière. Joseph se leva et expliqua que la nouvelle société devait
encourager les femmes à chercher les nécessiteux et à s’en occuper, à
corriger en justice les personnes dans l’erreur et à fortifier la
collectivité. Il les invita ensuite à choisir une présidente qui, à son
tour, choisirait deux conseillères, exactement comme dans les collèges
de la prêtrise. Pour la première fois, les femmes auraient une autorité
officielle et des responsabilités dans l’Église.
Ann Whitney, l’amie d’Emma, la nomma présidente et les femmes présentes
approuvèrent à l’unanimité. Emma nomma ensuite Sarah Cleveland et Ann
comme conseillères.
Joseph lut la révélation qu’il avait reçue pour Emma en 1830 et fit
remarquer qu’elle avait été ordonnée et mise à part à l’époque pour
expliquer les Écritures et instruire les femmes de l’Église. Il
expliqua que le Seigneur l’avait qualifiée de « dame élue » parce
qu’elle avait été choisie pour présider.
John Taylor ordonna ensuite Sarah et Ann comme conseillères d’Emma et
confirma cette dernière dans son nouvel appel, la bénissant afin
qu’elle ait la force dont elle aurait besoin. Après avoir offert
quelques instructions supplémentaires, Joseph lui confia la direction
de la réunion puis John leur proposa de décider du nom que porterait la
société.
Les conseillères d’Emma recommandèrent le nom de Société de Secours des
femmes de Nauvoo mais John proposa plutôt celui de Société de
Bienveillance des femmes de Nauvoo, faisant ainsi écho à d’autres
sociétés de femmes dans le pays.
Emma dit qu’elle préférait « secours » à « bienveillance » mais Eliza
Snow dit que « secours » dénotait une réaction extraordinaire à une
grande catastrophe. Leur société n’allait-elle pas se concentrer
davantage sur les problèmes de la vie quotidienne ?
Emma insista : « Nous allons accomplir des choses merveilleuses. Quand
un bateau est coincé dans les rapides avec de nombreux mormons à bord,
nous considérons que c’est un appel au secours retentissant. Nous nous
attendons à avoir des occasions extraordinaires et des appels
pressants. »
Ses paroles résonnèrent dans la pièce. John dit : « Je dois vous le
concéder. Vos arguments sont si puissants que je ne peux y résister. »
Toujours attentive à la poésie des mots, Eliza conseilla un léger
changement de nom. Au lieu de la Société de Secours des femmes de
Nauvoo, elle proposa, la « Société de Secours féminine de Nauvoo ».
Toutes furent d’accord.
Emma leur dit : « Chaque membre devrait avoir l’ambition de faire le
bien. » Par-dessus tout, leur société devrait être motivée par la
charité. Comme Paul l’enseigne dans le Nouveau Testament, les bonnes
œuvres ne leur serviraient à rien si la charité n’abondait pas dans
leur cœur.
Ce printemps-là, Joseph se réunit souvent avec la Société de Secours.
L’organisation grandit rapidement, incluant des membres de longue date
et des immigrantes nouvellement baptisées. À la troisième réunion, le
magasin de Joseph était à peine assez grand pour accueillir toutes les
femmes qui désiraient y assister. Joseph voulait que la Société de
Secours prépare ses membres à la dotation de pouvoir qu’elles
recevraient dans le temple. Il enseigna aux femmes qu’elles devaient
former une société de choix, se démarquant du mal et opérant sur le
modèle de la prêtrise antique.
Entre-temps, Joseph fut troublé par des rapports selon lesquels
quelques hommes de Nauvoo avaient des relations sexuelles en dehors du
mariage et affirmaient que cela était autorisé dans la mesure où
celles-ci restaient secrètes. Les séductions, qui pervertissaient les
enseignements du Seigneur sur la chasteté, étaient perpétrées par des
hommes qui n’avaient aucun égard pour les commandements. Si on ne les
freinait pas, ils deviendraient une importante pierre d’achoppement
pour les saints.
Le 31 mars, Joseph demanda à Emma de lire une lettre à la Société de
Secours informant les sœurs que les autorités de l’Église n’avaient
jamais approuvé de telles actions. La lettre déclarait : « Nous voulons
y mettre un terme car nous souhaitons respecter les commandements de
Dieu en toutes choses. »
Plus que tout, Joseph voulait que les saints soient dignes des
bénédictions de l’exaltation. Ce printemps-là, il leur dit : « Si vous
voulez aller là où est Dieu, vous devez être comme lui ou maîtriser les
principes que Dieu maîtrise. Dans la mesure où nous nous éloignons de
Dieu, nous descendons vers le diable et perdons la connaissance, et
sans connaissance, nous ne pouvons pas être sauvés. »
Il faisait confiance à la présidence de la Société de Secours pour
diriger les femmes de l’Église et pour les aider à nourrir en elle
cette connaissance et cette droiture.
Il déclara : « Cette société doit recevoir de l’instruction selon
l’ordre que Dieu a établi, par l’intermédiaire des personnes nommées
pour la diriger, et je vous remets maintenant la clé, au nom de Dieu,
et cette société se réjouira, et la connaissance et l’intelligence se
déverseront sur elle à partir de maintenant. »
Le 4 mai 1842, Brigham Young, Heber Kimball et Willard Richards
trouvèrent la pièce au-dessus du magasin de Joseph changée. Devant eux
se trouvait une nouvelle fresque murale. De petits arbres et des
plantes étaient posés à côté, laissant imaginer un jardin. Une autre
partie de la pièce était cloisonnée par un tapis pendu en guise de
rideau.
Joseph avait invité les trois apôtres à venir ce matin-là pour une
réunion spéciale. Il avait convié son frère Hyrum et William Law, ainsi
que les deux membres de la Première Présidence et deux de ses
conseillers les plus proches. Étaient présents également les évêques
Newel Whitney et George Miller, le président du pieu de Nauvoo, William
Marks et un dirigeant de l’Église, James Adams.
Le reste de l’après-midi, le prophète présenta l’ordonnance aux hommes.
Une partie comprenait les ablutions et les onctions, comme les
ordonnances données dans le temple de Kirtland et l’ancien tabernacle
hébreu. Il leur fut remis un sous-vêtement sacré qui leur couvrait le
corps et leur rappelait leurs alliances.
La nouvelle ordonnance que Dieu avait révélée à Joseph enseignait des
vérités exaltantes. Elle puisait dans les récits scripturaires de la
Création, du jardin d’Éden, notamment dans celui de la nouvelle
traduction d’Abraham, pour guider les hommes pas à pas à travers le
plan du salut. Comme Abraham et d’autres prophètes d’autrefois, ils
reçurent la connaissance qui leur permettrait de retourner dans la
présence de Dieu. Au cours de la cérémonie, les hommes firent alliance
de mener une vie juste et chaste et de se consacrer au service du
Seigneur.
Joseph donna à l’ordonnance le nom de dotation et comptait sur les
hommes pour ne pas révéler la connaissance spéciale qu’ils avaient
reçue ce jour-là. Comme la dotation de pouvoir à Kirtland, l’ordonnance
était sacrée et destinée aux personnes dont l’esprit était tourné vers
le spirituel. Néanmoins, c’était plus qu’un déversement de dons
spirituels et de pouvoir divin sur les anciens de l’Église. Dès que le
temple serait achevé, les hommes et les femmes pourraient tous recevoir
l’ordonnance, affermir leur relation d’alliance avec Dieu et trouver
plus de puissance et de protection en consacrant leur vie au royaume de
Dieu.
Lorsque la cérémonie fut terminée, Joseph donna quelques instructions à
Brigham. Il dit à l’apôtre : « Cela n’a pas été fait correctement mais
nous avons fait de notre mieux dans notre situation et je souhaite que
tu prennes cette affaire en main et que tu organises et systématises
toutes ces cérémonies. »
En quittant le magasin ce jour-là, les hommes étaient subjugués par les
vérités qu’ils avaient apprises dans la dotation. Certains aspects de
l’ordonnance rappelaient à Heber Kimball les cérémonies
franc-maçonniques. Lors des réunions franc-maçonniques, les hommes
mettaient en scène une histoire allégorique sur l’architecture du
temple de Salomon. Les francs-maçons apprenaient des gestes et des mots
qu’ils promettaient de garder secrets, le tout symbolisait qu’ils
bâtissaient un fondement solide et y ajoutaient petit à petit lumière
et connaissance.
En revanche, la dotation était une ordonnance de la prêtrise destinée
aux hommes et aux femmes et elle enseignait des vérités sacrées qui
n’existaient pas dans la franc-maçonnerie et qu’Heber était impatient
que d’autres découvrent.
Il écrivit à Parley et Mary Ann Pratt en Angleterre : « Par
l’intermédiaire du prophète, nous avons reçu des choses précieuses sur
la prêtrise qui réjouiraient votre âme. Je ne peux pas vous les
communiquer sur papier parce qu’elles ne sont pas écrites. Vous devrez
donc venir personnellement les obtenir.
CHAPITRE 38 : Un traître ou un honnête homme
Le soir du 6 mai 1842, une pluie battante se déversait sur les rues
d’Independence, au Missouri. Lilburn Boggs finit son dîner et
s’installa dans un fauteuil pour lire le journal.
Bien que son mandat de gouverneur du Missouri eût pris fin plus d’un an
auparavant, il participait encore activement à la vie politique et
était maintenant candidat pour un poste à pourvoir au sénat de l’État.
Au fil des années, il s’était fait de nombreux ennemis et son élection
était peu probable. En plus de le critiquer pour son ordre
d’extermination qui avait chassé des milliers de saints de l’État,
certains habitants du Missouri étaient mécontents de sa gestion
agressive d’un conflit frontalier avec l’Iowa. D’autres
s’interrogeaient sur la manière dont il avait levé des fonds pour un
nouveau capitole.
Assis dos à une fenêtre, Boggs survolait les gros titres. Dehors, il
faisait frais et noir ce soir-là et il entendait le léger crépitement
de la pluie.
À cet instant, à son insu, quelqu’un se faufila silencieusement dans
son jardin boueux et pointa un gros calibre par la fenêtre. Un éclat de
lumière jaillit du canon et Boggs s’affaissa sur son journal. Du sang
coulait de sa tête et de son cou.
En entendant le coup de feu, son fils se rua dans la pièce et appela à
l’aide. Entre-temps, le tireur avait jeté son arme à terre et s’était
enfui incognito, ne laissant derrière lui que des traces de pas dans la
boue.
Pendant que les enquêteurs tentaient de retrouver la trace de
l’assassin de Boggs, Hyrum Smith enquêtait à Nauvoo sur des crimes
d’une autre nature. Les premières semaines de mai, plusieurs femmes
avaient accusé John Bennett, le maire, d’actions consternantes. En
présence d’un conseiller municipal, elles racontèrent que John était
venu les voir secrètement en insistant sur le fait que ce n’était pas
un péché d’avoir des relations sexuelles avec lui tant qu’elles n’en
parlaient à personne. Appelant cette pratique « l’adjonction de femmes
spirituelles », il leur avait menti en leur assurant que Joseph
approuvait ce comportement.
Au début, elles avaient refusé de le croire mais il avait insisté et
avait demandé à ses amis de jurer aux femmes qu’il disait la vérité.
S’il mentait, le péché retomberait directement sur lui. Et si elles
tombaient enceinte, il promettait qu’en qualité de médecin, il les
ferait avorter. Les femmes finirent par céder à ses avances, et à
celles de quelques-uns de ses amis lorsqu’ils vinrent présenter des
requêtes semblables.
Hyrum était horrifié. Il savait depuis quelque temps que John n’était
pas l’homme intègre qu’il avait initialement affirmé être. Des rumeurs
sur son passé avaient fait surface peu après son installation à Nauvoo
et son élection en tant que maire. Joseph avait envoyé l’évêque George
Miller enquêter sur les rumeurs et ce dernier avait bientôt appris que
John était connu pour déménager de lieu en lieu, utilisant ses nombreux
talents pour profiter des gens.
Il avait également découvert qu’il avait des enfants et était encore
marié à une femme qu’il avait maltraitée et trompée pendant de
nombreuses années.
Une fois que William Law et Hyrum eurent vérifié ces trouvailles,
Joseph lui demanda des comptes et le réprimanda pour sa méchanceté
passée. John promit de changer mais le prophète perdit confiance en lui
et ne compta plus sur lui comme avant.
Maintenant, en écoutant le témoignage des femmes, Hyrum savait qu’il
fallait prendre d’autres mesures. Ensemble, Hyrum, Joseph et William
rédigèrent un document excommuniant John de l’Église et d’autres
dirigeants le signèrent. Du fait qu’ils enquêtaient encore sur
l’ampleur des péchés de John et espéraient régler l’affaire sans
générer de scandale public, ils décidèrent de ne pas divulguer la
notification d’excommunication.
Une chose était certaine, le maire était devenu un danger pour la ville
et pour les saints et Hyrum se voyait dans l’obligation de le stopper.
John paniqua lorsqu’il fut informé de l’enquête menée par Hyrum. Le
visage ruisselant de larmes, il se rendit dans le bureau de ce dernier
et implora sa miséricorde. Il dit qu’il serait perdu à tout jamais si
les gens apprenaient qu’il avait dupé tant de femmes. Il voulait parler
à Joseph et faire amende honorable.
Les deux hommes sortirent et John vit le prophète traverser la cour en
direction de son magasin. Se tournant vers lui, il cria : « Frère
Joseph, je suis coupable. » Il avait les yeux rougis par les larmes. «
Je le reconnais et je te supplie de ne pas me dévoiler au grand jour. »
Joseph demanda : « Pourquoi te sers-tu de mon nom pour te livrer à ta
méchanceté infernale ? T’ai-je jamais enseigné quoi que ce soit qui ne
soit pas vertueux ?
— Jamais !
— As-tu jamais eu connaissance de quoi que ce soit d’immoral ou
d’injuste dans ma conduite ou mes actions à aucun moment, en public ou
en privé ?
— Non.
— Es-tu prêt à en faire le serment devant un conseiller municipal ?
— Oui. »
John suivit Joseph dans son bureau et un secrétaire lui tendit un stylo
et une feuille. Lorsque le conseiller municipal arriva, Joseph sortit
de la pièce pendant que John, penché sur le bureau, rédigeait une
confession déclarant que le prophète ne lui avait pas enseigné quoi que
ce soit de contraire aux lois de Dieu. Il démissionna ensuite de ses
fonctions de maire de Nauvoo.
Deux jours plus tard, le 19 mai, le conseil municipal accepta la
démission de John et nomma Joseph à sa place. Avant de conclure la
réunion, Joseph demanda à John s’il avait quelque chose à dire.
Il déclara : « Je n’ai aucun problème avec les chefs de l’Église, j’ai
l’intention de rester avec vous et j’espère que le moment viendra où je
retrouverai toute votre confiance et tous mes droits. Si un jour j’ai
la possibilité de prouver ma foi, on saura alors si je suis un traître
ou un honnête homme. »
Le samedi suivant, un journal de l’Illinois donnait des nouvelles des
blessures de Lilburn Boggs. Il rapportait que l’ancien gouverneur
s’accrochait toujours à la vie en dépit de graves lésions à la tête.
Les enquêtes policières sur l’identité du tireur s’étaient avérées
infructueuses. Certaines personnes accusaient les adversaires
politiques de Boggs d’avoir appuyé sur la gâchette mais le journal
soutenait que les saints en étaient responsables, affirmant que Joseph
avait un jour prophétisé que Boggs connaîtrait une fin violente.
Il proclamait : « De ce fait, la rumeur est largement fondée. »
Joseph fut offensé par l’article. Il était fatigué d’être accusé de
crimes qu’il n’avait pas commis. Il écrivit à l’éditeur du journal «
Vous avez commis une injustice flagrante en m’accusant d’avoir prédit
la mort de Lilburn W Boggs ». J’ai les mains nettes et le cœur pur du
sang de tous les hommes. »
L’accusation arriva à un moment où il disposait de peu de temps pour se
défendre publiquement. Il avait passé la semaine entière à enquêter sur
les actions de John Bennett. Jour après jour, la Première Présidence,
le Collège des Douze et le grand conseil de Nauvoo écoutaient les
témoignages des victimes de John. En entendant leurs histoires, Joseph
découvrit à quel point John avait déformé les lois de Dieu, se moquant
des relations d’alliances éternelles que Joseph avait essayé
d’inculquer aux saints.
Pendant les audiences, il entendit le témoignage de Catherine Warren,
la veuve d’une victime du massacre de Haun’s Mill. Mère de cinq
enfants, elle était désespérément pauvre et avait du mal à pourvoir aux
besoins de sa famille.
Elle dit que John Bennett était le premier homme à avoir profité d’elle
à Nauvoo. Elle dit au grand conseil : « Il disait qu’il voulait que ses
désirs soient assouvis. Je lui ai dit que je ne me rendrais pas
coupable d’une conduite pareille et que je pensais que l’Église serait
déshonorée si je tombais enceinte. » Elle céda lorsqu’il lui mentit en
disant que les dirigeants de l’Église approuvaient.
Peu après, des amis de John usèrent des mêmes mensonges pour profiter
d’elle.
Elle dit au grand conseil : « L’hiver dernier, je me suis inquiétée de
ma conduite. » Lorsqu’elle apprit que Joseph et les autres dirigeants
de l’Église n’approuvaient pas ce que faisait John, elle décida de le
dénoncer. Joseph et le grand conseil l’écoutèrent. Catherine garda son
statut de membre de l’Église mais ils excommunièrent les hommes qui
l’avaient dupée.
À la fin de l’enquête, John reçut aussi la notification officielle de
son excommunication. Une fois de plus, il implora la miséricorde et
poussa le conseil à traiter son châtiment dans la discrétion. Il dit
que la nouvelle briserait le cœur de sa mère âgée et la tuerait
sûrement de chagrin.
Comme Hyrum, Joseph était dégoûté par les péchés de John mais avec les
accusations au sujet de Boggs planant sur la tête des saints et les
éditeurs de journaux avides de scandale à Nauvoo, lui et les autres
dirigeants de l’Église agirent prudemment pour éviter d’attirer
l’attention sur l’affaire. Ils décidèrent de ne pas publier
l’excommunication de John et d’attendre de voir s’il réformerait ses
voies.
Joseph s’inquiétait tout de même des femmes que John avait dupées. Il
n’était pas rare au sein des communautés d’ostraciser les femmes
qu’elles pensaient coupables d’immoralité sexuelle, même si ces
dernières étaient innocentes. Joseph exhorta les femmes de la Société
de Secours à être charitables et lentes à condamner.
Il conseilla : « Repentez-vous, changez, mais faites-le de manière à ne
pas détruire tout autour de vous. » Il ne voulait pas que les sœurs
tolèrent l’iniquité mais il ne voulait pas non plus qu’elles fuient les
gens. e cœur plus pur, être Il leur rappela : « Soyez pures de cœur.
Jésus a l’intention de sauver les gens de leurs péchés. Il a dit :
‘Vous ferez les œuvres que vous me voyez faire.’ Voilà les grands mots
clés selon lesquels la société doit agir. »
Emma était du même avis : « Toutes les rumeurs vaines et les discours
oiseux doivent être abandonnés. » Néanmoins, elle se méfiait d’une
discipline discrète. Elle dit aux femmes : « Les péchés ne doivent pas
être couverts, surtout ceux qui vont à l’encontre de la loi de Dieu et
des lois du pays. » Elle croyait qu’il valait mieux dévoiler les
pécheurs au grand jour afin d’éviter que d’autres commettent les mêmes
erreurs.
Toutefois, Joseph continua de gérer l’affaire en privé. La conduite
passée de John montrait qu’il avait tendance à se retirer d’une
communauté une fois qu’il était découvert et dépouillé d’autorité.
Peut-être que s’ils attendaient patiemment, il quitterait simplement la
ville de son plein gré.
Le 27 mai 1842, la Société de Secours se réunit pour la dixième fois
près d’un bosquet où les saints se rendaient souvent pour leurs
services de culte. Des centaines de sœurs appartenaient maintenant à
l’organisation, notamment Phebe Woodruff, qui en était devenue membre
un mois auparavant avec Amanda Smith, Lydia Knight, Emily Partridge et
des dizaines d’autres.
Les réunions hebdomadaires étaient l’occasion pour Phebe d’oublier les
soucis de sa vie trépidante, d’être informée des besoins des personnes
qui l’entouraient et d’écouter des sermons préparés spécifiquement pour
les femmes de l’Église.
Joseph et Emma prenaient souvent la parole lors de ces réunions mais ce
jour-là, l’évêque Newel Whitney parla aux femmes des bénédictions que
le Seigneur leur accorderait bientôt. Il venait juste de recevoir la
dotation et les exhorta à rester concentrées sur l’œuvre du Seigneur et
à se préparer à recevoir son pouvoir. Il déclara : « Sans les femmes,
tout ne peut pas être rétabli sur terre. »
Il leur promit que Dieu avait de nombreuses choses précieuses à
conférer aux saints fidèles. « Nous devons perdre de vue les choses
vaines et nous souvenir que l’œil de Dieu est sur nous. Si nous nous
efforçons de faire ce qui est juste, bien que nous commettions des
erreurs de jugement de nombreuses fois, nous serons néanmoins justifiés
aux yeux de Dieu si nous faisons de notre mieux. »
Deux jours après le sermon de Newel, Phebe et Wilford gravissaient le
promontoire en direction du temple inachevé. Leur famille avait bravé
l’adversité, notamment la mort de leur fille Sarah Emma pendant que
Wilford était en Angleterre. Ils étaient maintenant mieux installés que
jamais depuis leur mariage et ils avaient deux nouveaux enfants.
Wilford dirigeait le bureau du Times and Seasons, ce qui lui offrait un
emploi stable lui permettant de subvenir aux besoins de leur famille.
Les Woodruff habitaient un logis modeste en ville et faisaient
construire une maison de briques sur une parcelle au sud du temple. Ils
avaient de nombreux amis à qui rendre visite dans la région, dont John
et Jane Benbow, qui avaient vendu leur grosse exploitation agricole en
Angleterre pour se rassembler avec les saints.
De toute façon, comme l’évêque Whitney l’avait enseigné, les saints
devaient continuer de s’efforcer de faire le bien, de s’engager dans
l’œuvre du Seigneur et d’éviter les distractions qui risquaient de les
égarer.
Le temple devenait de plus en plus indispensable pour fixer leur
attention sur ces points. Le 29 mai, Phebe descendit au sous-sol, entra
dans les fonts baptismaux et fut baptisée pour son grand-père, sa
grand-mère et son grand-oncle. Pendant que Wilford l’immergeait, elle
avait la foi que ses ancêtres décédés accepteraient l’Évangile rétabli,
feraient alliance de suivre Jésus-Christ et se souviendraient de son
sacrifice.
Deux semaines après avoir été informé de son excommunication, John
Bennett était toujours à Nauvoo. Entre-temps, la Société de Secours
avait mis en garde les femmes de la ville contre ses crimes et avaient
ardemment condamné le genre de mensonges qu’il avait répandus sur les
dirigeants de l’Église. D’autres renseignements crapuleux sur son passé
avaient également fait surface et Joseph se rendit compte qu’il était
temps d’annoncer l’excommunication de l’ancien maire et d’exposer
publiquement ses dangereux péchés.
Le 15 juin, il publia une courte notification au sujet de son
excommunication dans le Times and Seasons. Quelques jours plus tard,
dans un sermon prononcé sur le site du temple, il parla ouvertement à
plus d’un millier de saints des mensonges de John et de son
exploitation des femmes.
Trois jours plus tard, furieux, ce dernier quitta Nauvoo, disant que
les saints étaient indignes de sa présence et menaçant d’envoyer des
émeutiers après la Société de Secours. Imperturbable, Emma proposa que
la Société de Secours édite une brochure révélant la personnalité de
John. Elle dit aux femmes : « Tout ce que nous avons à faire, c’est
craindre Dieu et respecter ses commandements, ainsi nous prospérerons. »
Joseph publia une inculpation supplémentaire à l’encontre de John,
détaillant la longue histoire de déviance de l’ancien maire. Il déclara
: « Au lieu de faire preuve d’un esprit de repentir, il s’est montré
indigne jusqu’au bout de la confiance ou des égards de toute personne
honnête en mentant pour tromper l’innocent et commettant l’adultère
d’une manière des plus abominables et dépravées. »
Pendant ce temps, John loua une chambre dans une ville voisine et
envoya à un grand journal de l’Illinois des lettres cinglantes sur
Joseph et les saints. Il accusait le prophète d’une foule de crimes,
dont beaucoup de ceux qu’il avait lui-même commis et inventa des
histoires grotesques et exagérées pour corroborer ses dires et couvrir
ses péchés.
Dans une lettre, il l’accusa d’avoir ordonné l’assassinat de Lilburn
Boggs au mois de mai, répétant l’histoire relatée dans le journal que
le prophète avait prédit que Boggs connaîtrait une mort violente et
ajoutant qu’il avait envoyé son ami et garde du corps Porter Rockwell
au Missouri pour « accomplir la prophétie ».
Les saints voyaient bien que les écrits de John n’étaient qu’un tissu
de mensonges mais les lettres nourrissaient un feu qui brûlait déjà
parmi les détracteurs au Missouri. Après s’être remis de l’attaque,
Boggs exigea que son présumé assassin soit amené devant la justice.
Lorsqu’il apprit que Porter Rockwell rendait visite à sa famille à
Independence à ce moment-là, il accusa Joseph d’être complice de la
tentative de meurtre. Il pressa ensuite Thomas Reynolds, le nouveau
gouverneur du Missouri, de demander aux dirigeants de l’Illinois
d’arrêter Joseph et de le renvoyer au Missouri pour être jugé.
Le gouverneur accepta et exigea à son tour que Thomas Carlin, le
gouverneur de l’Illinois, traite le prophète comme un fugitif recherché
par la justice, ayant fui le Missouri après le crime.
Sachant qu’il n’était pas retourné au Missouri depuis qu’il s’en était
échappé trois ans auparavant et qu’il n’y avait aucune preuve de son
rôle dans l’affaire, les saints furent outrés. Le conseil municipal de
Nauvoo et un groupe de citoyens de l’Illinois qui leur étaient
favorables envoyèrent immédiatement une pétition au gouverneur afin
qu’il n’arrête pas Joseph. Emma, Eliza Snow et Amanda Smith se
rendirent à Quincy pour rencontrer le gouverneur et lui remettre
personnellement une pétition de la Société de Secours en sa faveur. Le
gouverneur Carlin écouta leurs instances mais finit malgré tout par
émettre un mandat d’arrêt pour Joseph et Porter.
Le 8 août, un shérif adjoint et deux officiers arrivèrent à Nauvoo et
arrêtèrent les deux hommes, accusant Porter d’avoir tiré sur Boggs et
Joseph d’avoir été complice. Avant que le shérif n’ait pu les emmener,
le conseil municipal de Nauvoo exigea le droit d’examiner le mandat.
Joseph avait été accusé faussement auparavant, et la charte de Nauvoo
accordait aux saints le pouvoir de se protéger des abus du système
judiciaire.
Ne sachant pas si le conseil avait le droit de remettre le mandat en
question, le shérif avait livré Joseph et Porter au capitaine de
gendarmerie et avait quitté la ville pour demander au gouverneur ce
qu’il devait faire. Deux jours plus tard, il était revenu chercher ses
prisonniers mais ne les avait trouvés nulle part.
CHAPITRE 39 : La septième angoisse
Le 11 août 1842, un petit croissant de lune se reflétait dans le
courant sombre du Mississippi pendant que Joseph et son ami Erastus
Derby pagayaient silencieusement. Devant eux, ils distinguaient le
contour de deux îles boisées dans le tronçon de fleuve séparant Nauvoo
de Montrose. Manœuvrant entre elles, les hommes aperçurent une autre
barque amarrée le long de la berge et ramèrent dans sa direction.
La veille, Joseph et Porter s’étaient glissés hors de Nauvoo pour ne
pas être arrêtés, craignant de ne pouvoir faire l’objet d’un procès
impartial. Porter était parti vers l’est pour quitter l’État et Joseph
s’était dirigé vers l’ouest, traversant le fleuve jusqu’à chez son
oncle John en Iowa, hors de la juridiction du shérif de l’Illinois et
de ses hommes. Il s’y était caché toute la journée mais était pressé de
voir sa famille et ses amis.
Quand Joseph et Erastus accostèrent sur l’île, Emma, Hyrum et quelques
amis proches de Joseph les accueillirent. Tenant Emma par la main,
Joseph écouta le groupe assis dans le bateau parler à voix basse de la
situation à Nauvoo.
Le danger était plus grand qu’il ne l’avait pensé. Ses amis avaient
entendu dire que le gouverneur de l’Iowa avait émis un mandat d’arrêt
contre lui et Porter, ce qui signifiait qu’il n’était plus en sécurité
chez son oncle. Ils s’attendaient maintenant à ce que les shérifs des
deux cotés du fleuve se mettent à sa recherche.
Ses amis pensaient toujours que les tentatives d’arrestation étaient
illégales, un complot éhonté de ses ennemis au Missouri pour le
capturer. Pour le moment, la meilleure chose qu’il pouvait faire était
de se cacher dans la ferme d’un de ses amis du côté Illinois du fleuve
et d’attendre que les choses se calment.
Il quitta l’île le cœur débordant de gratitude. D’autres l’avaient
abandonné et trahi maintes et maintes fois face à l’adversité mais ces
amis-là étaient venus l’aider en pleine nuit, choisissant de se tenir à
ses côtés et de défendre les vérités qu’il chérissait.
Il pensa : « Ce sont mes frères et je vivrai. »
Mais c’est pour Emma qu’il éprouvait le plus de reconnaissance. Il se
dit : « À nouveau elle est là, même dans la septième angoisse, brave,
ferme, immuable et affectueuse Emma ! »
Au fil des jours et des semaines qui suivirent, elle communiqua
régulièrement avec lui. Lorsqu’ils ne pouvaient se rencontrer, ils
correspondaient. Quand elle pouvait échapper aux hommes de loi qui
surveillaient chacun de ses gestes, elle le rejoignait dans un abri sûr
et ils planifiaient leur prochaine action. Elle transmettait souvent
des messages entre lui et les saints à qui il faisait confiance,
évitant ceux qui lui voulaient du mal.
Les shérifs menaçant de fouiller chaque maison de l’Illinois si
nécessaire, Joseph savait que les saints craignaient qu’il ne soit
rapidement capturé et ramené au Missouri. Certains amis l’incitaient à
s’échapper vers les forêts de pins au nord de l’État, là où les saints
coupaient du bois pour le temple.
Joseph détestait l’idée de fuir, préférant rester en Illinois et voir
le bout de la crise. Néanmoins, il était disposé à partir si c’était ce
qu’Emma voulait faire. Il écrivit : « Ma sécurité est avec toi. Si les
enfants et toi ne venez pas avec moi, je n’irai pas. »
Une part de lui aspirait à emmener sa famille ailleurs, au moins pour
un peu de temps. Il dit à Emma : « Je suis las de la méchanceté, de la
bassesse et de la grossièreté de certaines parties de la société dans
laquelle nous vivons et si je pouvais avoir un répit d’environ six mois
avec ma famille, ce serait un véritable bonheur. »
Emma répondit à sa lettre plus tard dans la journée. Elle écrivit : «
Je suis prête à t’accompagner si tu es obligé de partir mais je suis
sûre que tu peux être protégé sans quitter ce pays. Il y a plusieurs
manières de s’occuper de toi. »
Le soir suivant, elle écrivit au gouverneur Thomas Carlin l’assurant de
l’innocence de Joseph. Ce dernier ne se trouvait pas au Missouri
lorsque la tentative de meurtre avait eu lieu, raisonnait-elle, et il
était innocent des accusations portées contre lui. Elle croyait qu’il
ne ferait jamais l’objet d’un procès impartial au Missouri et qu’au
contraire, il serait probablement assassiné.
Elle supplia : « Je vous supplie d’épargner à mes enfants innocents le
chagrin de voir de nouveau leur père condamné injustement à la prison
ou à mort. »
Le gouverneur lui répondit peu après. Sa lettre était polie et les mots
soigneusement pesés. Il insistait sur le fait que les mesures qu’il
prenait à l’encontre de Joseph étaient uniquement motivées par son sens
du devoir. Il exprimait son espoir de voir Joseph se soumettre à la loi
et ne donnait pas la moindre indication sur ses dispositions à changer
d’avis sur le sujet.
Sans se démonter, Emma écrivit une deuxième lettre, cette fois
expliquant pourquoi il était illégal d’arrêter son mari.
Elle demanda au gouverneur : « Quel bien peut rejaillir sur cet État ou
sur les États-Unis, ou n’importe quelle partie de cet État ou des
États-Unis, ou sur vous-même ou sur quiconque le fait de continuer de
persécuter ce peuple ou M.Smith ? » Smith !
Elle envoya la lettre et attendit une réponse.
Pendant ce temps, la plupart des saints ne savaient pas que Joseph se
cachait à quelques kilomètres à peine. Certains croyaient qu’il était
retourné à Washington. D’autres pensaient qu’il était parti en Europe.
En regardant le shérif et ses officiers rôder dans les rues de Nauvoo à
la recherche d’indices sur le lieu où il se cachait, les saints
commencèrent à craindre pour sa sécurité. Toutefois, ils comptaient sur
le Seigneur pour protéger son prophète et continuèrent à vaquer à leurs
occupations quotidiennes.
Comme d’autres immigrants britanniques, Mary Davis était encore en
train de s’habituer à son nouveau foyer à Nauvoo. Depuis son arrivée,
elle avait épousé Peter Maughan, le jeune veuf qu’elle avait rencontré
à Kirtland, devenant la belle-mère de ses enfants. Ensemble, ils
louaient la maison d’Orson Hyde, qui était encore en mission à
Jérusalem, et avaient du mal à trouver un emploi adéquat pour subvenir
aux besoins de leur famille.
Nauvoo offrait de nombreux emplois aux ouvriers agricoles et à ceux du
bâtiment mais moins de possibilités pour les ouvriers qualifiés comme
Peter, qui avait vécu et travaillé dans des centres d’exploitation
minière bourdonnants en Angleterre. Des entrepreneurs locaux essayaient
de créer des moulins, des usines et des fonderies à Nauvoo mais ces
entreprises ne faisaient que démarrer et ne pouvaient embaucher tous
les ouvriers qualifiés affluant d’Angleterre.
Sans emploi stable, Mary et Peter avaient survécu à leur premier hiver
en vendant certains de leurs biens pour acheter de la nourriture et du
bois de chauffage. Lorsque Joseph apprit que Peter était mineur en
Angleterre, il l’embaucha pour extraire un filon de charbon découvert
sur des terres qu’il possédait au sud de Nauvoo. Le charbon s’avéra
être d’une excellente qualité et Peter en récupéra trois chariots
pleins pour Joseph avant d’avoir épuisé le filon.
Certaines familles d’immigrants pauvres quittèrent Nauvoo pour trouver
des emplois mieux rémunérés dans des villes voisines mais Mary et Peter
décidèrent de rester et de se contenter de ce qu’ils avaient. Ils
disposèrent des planches sur le sol inachevé de la maison des Hyde et
confectionnèrent des matelas de plumes pour les lits. Un coffre leur
servit de table et ils stockèrent leur vaisselle à l’air libre parce
qu’ils n’avaient pas de placards.
L’été, à Nauvoo, la chaleur pouvait être étouffante mais lorsqu’en fin
d’après-midi ou en soirée la température fléchissait, les familles
comme les Maughan abandonnaient leurs corvées et se promenaient
ensemble dans la ville. Les rues étaient souvent pleines de monde en
train de discuter de politique, des nouvelles locales et de l’Évangile.
Parfois, les saints organisaient des conférences, assistaient à des
pièces de théâtre ou écoutaient la fanfare nouvellement organisée
emplir l’air de la musique populaire de l’époque. Non loin se
trouvaient toujours des groupes d’enfants en train de jouer aux billes,
de sauter à la corde et de faire d’autres jeux de plein air jusqu’à ce
que le soleil se couche derrière le Mississippi et que les étoiles
scintillent dans le ciel nocturne.
Fin août, les lettres que John Bennett avait publiées plus tôt cet
été-là furent réimprimées dans des journaux de tout le pays, nuisant à
la réputation de l’Église et compliquant la tâche des missionnaires de
faire connaître le message de l’Évangile rétabli. Pour lutter contre la
mauvaise presse, les dirigeants de l’Église appelèrent des centaines
d’anciens en mission.
Le 29 août, ils se réunirent dans un bosquet près du site du temple
pour recevoir des instructions. Pendant le discours d’Hyrum, Joseph fit
sensation dans l’assemblée lorsqu’il grimpa sur l’estrade et prit
place. De nombreux frères ne l’avaient pas revu depuis qu’il était
parti se cacher plus tôt ce mois-là.
Les autorités de l’Illinois le poursuivaient toujours mais ils avaient
récemment quitté la région, lui permettant de relâcher quelque peu sa
garde. Depuis un peu plus d’une semaine, il habitait tranquillement
chez lui avec sa famille, se réunissant en privé avec les Douze et
d’autres dirigeants de l’Église.
Deux jours après la conférence avec les anciens, il se sentit
suffisamment en sécurité pour assister à une réunion de la Société de
Secours. Il parla aux femmes de ses récentes épreuves et des
accusations portées contre lui. Il dit : « Bien que j’aie des torts, je
n’ai pas ceux dont on m’accuse. Mes torts viennent de la faiblesse de
la nature humaine, comme les autres hommes. Personne ne mène une vie
exempte d’erreurs. »
Il remercia Emma et les autres femmes de le défendre et d’avoir envoyé
une pétition au gouverneur en sa faveur. Il dit : « La Société Féminine
de Secours a pris la part la plus active contre mes ennemis. Si ces
mesures n’avaient pas été prises, des conséquences plus graves auraient
suivi. »
Ce week-end-là, Emma et lui reçurent John Boynton, l’ancien apôtre.
Bien
qu’il ait été un dissident, et ait même menacé le frère de Joseph avec
une épée dans le temple de Kirtland, il avait mis ses différends avec
Joseph de côté. Pendant que la famille déjeunait, un shérif de
l’Illinois et deux officiers armés firent irruption dans la maison avec
de nouveaux ordres d’arrêter le prophète. John fit diversion, donnant
ainsi à Joseph le temps de s’esquiver par la porte arrière, de
traverser la plantation de maïs de son jardin et d’aller se réfugier
dans son magasin.
À la maison, Emma exigea que le shérif lui montre son mandat de
perquisition. Il lui dit qu’il n’en avait pas et passa derrière elle
avec ses hommes. Ils fouillèrent les pièces une à une, cherchant
derrière chaque porte et chaque rideau mais ne trouvèrent rien.
Cette nuit-là, lorsque les hommes de loi eurent quitté la ville, Joseph
s’installa chez ses amis, Edward et Ann Hunter. Quelques jours plus
tard, il écrivit aux saints : « J’ai trouvé opportun et sage de quitter
les lieux pendant un peu de temps, pour ma sécurité et celle de ce
peuple. » Il ne désirait pas s’attarder sur ses épreuves et leur fit
part d’une nouvelle révélation sur le baptême pour les morts.
Elle disait : « En vérité, ainsi dit le Seigneur : Que l’œuvre de mon
temple et toutes les œuvres que je vous ai assignées soient poursuivies
et ne cessent pas. » Le Seigneur commandait aux saints de tenir des
annales des baptêmes par procuration qu’ils accomplissaient et de
prévoir des témoins pour y assister afin que la rédemption des morts
puisse être enregistrée sur terre et dans les cieux.
Quelques jours plus tard, il leur envoya d’autres instructions
concernant l’ordonnance. Paraphrasant Malachie, il écrivit : « La terre
sera frappée de malédiction à moins qu’il y ait un chaînon d’une sorte
ou d’une autre qui rattache les pères et les enfants. » Il expliqua que
les générations passées et présentes devaient collaborer pour racheter
les morts et réaliser la plénitude des temps, lorsque le Seigneur
révélerait toutes les clés, les pouvoirs et les gloires qu’il gardait
en réserve pour les saints, notamment des choses qu’il n’avait encore
jamais révélées.
Joseph ne se contenait plus de la joie qu’il éprouvait pour la
miséricorde de Dieu envers les vivants et les morts. Même caché,
pourchassé injustement par ses ennemis, il exultait dans l’Évangile
rétabli de Jésus-Christ.
Il demanda aux saints : « Qu’entendons-nous dans l’Évangile ? Une voix
d’allégresse ! Une voix de miséricorde venant du ciel et une voix de
vérité sortant de la terre. » Jubilant, il écrivit au sujet du Livre de
Mormon, des anges rétablissant la prêtrise et ses clés, et de Dieu
révélant son plan ligne sur ligne et précepte sur précepte.
Il demanda : « Ne persévérerons-nous pas dans une si grande cause ? Que
votre cœur se réjouisse et soit dans l’allégresse ! Que la terre éclate
en chants. Que les morts chantent des hymnes de louanges éternelles au
roi Emmanuel. » Toutes les créations témoignaient de Jésus-Christ, et
sa victoire sur le péché et la mort était certaine.
Joseph se réjouit : « Qu’elle est merveilleuse la voix que nous
entendons du ciel. »
À l’automne de 1842, le gouverneur Carlin répondit à la deuxième lettre
d’Emma, exprimant son admiration pour son dévouement envers son mari
mais refusant en fin de compte de l’aider. Vers la même époque, John
Bennett publia un exposé de la longueur d’un livre sur Joseph et les
saints. Il commença aussi à faire des conférences sur ce qu’il appelait
« Le système des femmes secrètes à Nauvoo », captivant les auditoires
par les rumeurs extravagantes qu’il avait entendues (dont beaucoup
qu’il avait inventées lui-même) sur les mariages pluraux de Joseph.
La campagne agressive de John battant son plein et le gouverneur Carlin
refusant d’intervenir, Joseph se sentait de plus en plus acculé. Il
savait qu’il ne pouvait se rendre et faire l’objet d’un procès tant que
ses ennemis au Missouri voulaient sa mort. Mais il ne pouvait pas non
plus rester caché le reste de sa vie. Combien de temps pourrait-il
échapper à une arrestation avant que l’État ne se retourne contre sa
famille et contre les saints qui le protégeaient ?
En décembre, après que Joseph se fut caché pendant trois mois, le
mandat du gouverneur Carlin prit fin. Bien que le nouveau gouverneur,
Thomas Ford, refusât d’intervenir directement dans le cas de Joseph, il
exprima de la sympathie pour la détresse du prophète et affirma que les
tribunaux se prononceraient en sa faveur.
Joseph ne savait pas s’il pouvait lui faire confiance mais il n’avait
pas de meilleure solution. Le lendemain de Noël 1842, il se livra à
Wilson Law, général de la légion de Nauvoo et frère de William Law. Ils
se rendirent ensuite à Springfield, capitale de l’État, pour une
audience visant à déterminer si la demande d’arrestation de Joseph par
le gouverneur du Missouri était légale et s’il serait renvoyé au
Missouri pour être jugé.
L’arrivée de Joseph à Springfield causa un tumulte. Des spectateurs
curieux s’entassèrent dans le tribunal situé en face du nouveau
capitole, tendant le cou pour apercevoir l’homme qui se disait prophète
de Dieu.
Quelqu’un demanda : « Lequel est Joe Smith ? Est-ce cet homme de haute
taille ? »
Quelqu’un d’autre dit : « Quel nez pointu ! Il est trop souriant pour
être un prophète ! »
Le juge Nathaniel Pope, l’un des hommes les plus respectés de
l’Illinois, présidait la séance. Joseph s’assit avec son avocat, Justin
Butterfield, à l’avant du tribunal. Non loin, Willard Richards, son
secrétaire, était penché sur un carnet et prenait note du déroulement.
Plusieurs autres saints se pressaient dans la pièce.
Dans l’esprit du juge Pope, la question n’était pas de savoir si Joseph
était complice de la tentative d’assassinat de Boggs mais s’il était au
Missouri lorsque le crime s’était produit et avait ensuite fui l’État.
Josiah Lamborn, jeune procureur d’Illinois, mit dès ses premières
remarques l’accent sur la prophétie présumée de Joseph sur la mort de
Boggs. Il en déduisait que si Joseph avait prophétisé le meurtre de ce
dernier, c’était donc qu’il devait en être tenu pour responsable et
jugé au Missouri.
Lorsque M. Lamborn eut terminé, l’avocat de Joseph soutint que les
accusations du gouverneur Boggs étaient erronées puisque Joseph n’était
pas au Missouri lorsque le crime avait été commis. M.Butterfield
insista : « Il n’y a pas une once de témoignage que Joseph s’est enfui
du Missouri. Il ne peut être extradé tant qu’il n’est pas prouvé que
c’est un fugitif. Ils doivent prouver qu’il s’est enfui ! »
Il présenta ensuite à la cour des témoins attestant de l’innocence de
Joseph. Il termina : « Je ne pense pas que le prévenu doive en aucun
cas être livré au Missouri. »
Le lendemain matin, le 5 janvier 1843, le tribunal bourdonnait
d’impatience lorsque Joseph et ses avocats vinrent entendre le verdict
du juge. Les saints attendaient avec anxiété sachant que si le juge
Pope se prononçait contre Joseph, le prophète pourrait facilement se
retrouver entre les mains de ses ennemis à la tombée de la nuit.
Le juge arriva peu après neuf heures. Prenant place, il remercia les
avocats et commença à exposer sa décision. Il avait beaucoup à dire sur
le cas et pendant qu’il parlait, Willard Richards s’empressa de noter
chaque mot.
Comme l’avocat de la défense l’avait argumenté la veille, le juge
conclut que Joseph avait été convoqué illégalement pour être jugé au
Missouri. Ne voyant aucune raison de détenir Joseph plus longtemps, il
déclara : « Smith doit être relâché. »
Joseph se leva et s’inclina devant la cour. Après avoir vécu caché
pendant cinq mois, il était enfin libre.
CHAPITRE 40 : Uni dans une alliance éternelle
Le 10 avril 1843, lorsque Joseph revint à Nauvoo, des amis et des
parents s’attroupèrent chez lui pour le féliciter. Peu après, Emma et
lui organisèrent un dîner de fête pour célébrer sa victoire et leur
seizième anniversaire de mariage. Wilson Law et Eliza Snow composèrent
des chansons pour l’occasion et Joseph et Emma servirent le repas
pendant que leurs convives riaient et racontaient des histoires.
Joseph était heureux de se retrouver parmi ses êtres chers. Peu après,
il songea : « Si je n’avais aucun espoir de revoir ma mère, mes frères
et sœurs et mes amis, j’en aurais le cœur instantanément brisé. » Cela
le réconfortait de savoir que le baptême pour les vivants et les morts,
la dotation et le mariage éternel offraient aux saints la possibilité
de contracter des alliances sacrées qui les scellaient ensemble et
assuraient que leurs relations familiales perdureraient au-delà du
tombeau.
Pourtant, jusqu’à maintenant, aucune femme et uniquement une poignée
d’hommes avaient reçu la dotation, et de nombreux saints ne
connaissaient toujours pas l’alliance du mariage éternel. Joseph se
raccrochait à la promesse qu’il vivrait assez longtemps pour achever sa
mission et il désirait ardemment que le temple soit fini afin qu’il
puisse faire découvrir ces ordonnances aux saints. Il lui semblait
toujours que le temps lui était compté.
Il sprintait donc, exhortant les saints à suivre l’allure. Il croyait
que des bénédictions extraordinaires attendaient les personnes qui
recevaient les ordonnances sacrées et obéissaient aux lois de Dieu.
Maintenant plus que jamais, son but était d’impartir la connaissance
divine qu’il avait reçue à davantage de saints, afin de les aider à
contracter et respecter des alliances qui les édifieraient et les
exalteraient.
Cet hiver-là, le Mississippi fut recouvert d’une solide couche de
glace, bloquant la circulation habituelle des canots et des bateaux. Il
neigeait souvent et des vents glacials balayaient les plaines et le
promontoire. Peu de saints restaient longtemps dehors car nombre
d’entre eux n’avaient que des chaussures basses, des vestes légères et
des châles élimés pour se protéger du froid et de la neige fondue.
Vers la fin de l’hiver, l’air était encore très frais tandis qu’Emily
Partridge lavait le linge et s’occupait des enfants chez les Smith.
Depuis plus de deux ans, sa sœur aînée, Eliza, et elle, vivaient et
travaillaient chez eux, non loin de l’endroit où leur mère habitait
avec son nouveau mari.
Emily appartenait à la Société de Secours et parlait souvent avec les
femmes autour d’elle. Occasionnellement, elle entendait chuchoter au
sujet du mariage plural. Plus d’une trentaine de saints avaient
discrètement adopté la pratique, notamment deux de ses demi-sœurs et
l’un de ses demi-frères. Elle-même n’en savait rien personnellement.
Un an plus tôt, Joseph avait pourtant mentionné qu’il avait quelque
chose à lui dire. Il avait proposé de l’écrire dans une lettre mais
elle lui avait demandé de ne pas le faire, craignant que cela ait un
lien avec le mariage plural. Après coup, elle avait regretté sa
décision et avait parlé à sa sœur de cette conversation, révélant le
peu qu’elle savait au sujet de la pratique. Eliza semblait contrariée
alors elle n’en parla plus.
Sans pouvoir se confier, elle avait l’impression de se débattre en eaux
profondes. Elle se tourna vers le Seigneur et pria pour savoir quoi
faire. Au bout de quelques mois, elle reçut la confirmation divine
qu’elle devait écouter ce que Joseph avait à lui dire, même si cela
avait à voir avec le mariage plural.
Le 4 mars, quelques jours après son dix-neuvième anniversaire, Joseph
demanda à lui parler chez Heber Kimball. Elle s’y rendit dès qu’elle
eut fini son travail, mentalement prête à accepter le principe du
mariage plural. Comme elle s’y attendait, Joseph le lui enseigna et lui
demanda si elle voulait être scellée à lui. Elle accepta et Heber
accomplit l’ordonnance.
Quatre jours plus tard, sa sœur Eliza était elle aussi scellée à
Joseph. Les sœurs pouvaient maintenant se parler de ce qu’elles
comprenaient et ressentaient à propos des alliances qu’elles avaient
contractées.
Les saints continuaient de défendre Joseph contre les accusations
contenues dans l’exposé de John Bennett. Une grande partie de ce qu’il
avait écrit était enjolivé ou catégoriquement erroné mais son
affirmation que Joseph avait épousé plusieurs femmes était vraie.
Ignorant ce fait, Hyrum Smith et William Law s’acharnèrent à nier
toutes les déclarations de John et condamnèrent les actions des saints
qui pratiquaient docilement le mariage plural.
Brigham Young en fut mal à l’aise. Il pensait que tant que les membres
de la Première Présidence n’étaient pas au courant de la pratique, leur
condamnation de la polygamie empêcherait Joseph et d’autres d’obéir au
commandement du Seigneur.
Joseph avait déjà essayé en vain d’enseigner le mariage plural à son
frère et à William. Un jour, lors d’un conseil, il avait à peine abordé
le sujet quand William l’avait interrompu. Il avait dit : « Si un ange
des cieux me révélait qu’un homme devait avoir plus d’une épouse, je le
tuerais ! »
Brigham voyait bien que les réactions d’Hyrum et de William épuisaient
Joseph. Un dimanche, alors que Brigham finissait ses tâches du soir,
Joseph arriva à l’improviste à sa porte. Il dit : « Je veux que tu
ailles chez moi et que tu prêches. »
Habituellement, Brigham aimait se réunir avec les saints mais il savait
que Hyrum prêcherait aussi ce soir-là. Il dit : « Je préfèrerais ne pas
y aller. »
Brigham et sa femme, Mary Ann, avaient tous les deux appris, par la
prière et l’inspiration, qu’ils devaient pratiquer le mariage plural.
Avec le consentement de Mary Ann, Brigham avait été scellé à une femme
appelée Lucy Ann Decker en juin 1842, un an après que Joseph lui eut
enseigné ce principe. Lucy était séparée de son premier mari et avait
de jeunes enfants à charge.
Joseph insista : « Frère Brigham, si tu ne viens pas avec moi, je
n’irai pas chez moi ce soir. »
À contrecœur, Brigham accepta de prêcher et il partit avec le prophète.
Ils trouvèrent Hyrum près de la cheminée, s’adressant à une salle
comble. Il avait la Bible, le Livre de Mormon et les Doctrine et
Alliances à la main et déclarait que ces ouvrages étaient la loi que
Dieu leur avait donnée pour édifier son royaume.
Il dit : « Quoi que ce soit de plus que cela vient de l’homme et n’est
pas de Dieu. »
Brigham écouta le sermon d’Hyrum, les émotions à fleur de peau. À ses
côtés, Joseph était assis, le visage enfoui dans les mains.
Lorsqu’Hyrum eut terminé, Joseph donna un petit coup de coude à Brigham
et dit : « Lève-toi. »
Il se mit debout et prit les Écritures qu’Hyrum avait posées. Il plaça
un par un les livres devant lui afin que chaque personne dans la pièce
puisse les voir. Il déclara : « Ces trois ouvrages n’ont pas la moindre
valeur à mes yeux sans les oracles vivants de Dieu. » Il dit que sans
un prophète vivant, les saints ne seraient pas en meilleure posture
qu’avant que Dieu ne révèle l’Évangile par l’intermédiaire de Joseph
Smith.
Quand il eut terminé, Brigham nota que son sermon avait touché Hyrum.
Se levant, ce dernier demanda humblement aux saints de lui pardonner.
Il affirma que Brigham avait raison. Aussi précieuses que soient les
Écritures, elles ne remplaçaient pas un prophète vivant.
Ce printemps-là, Joseph quittait souvent Nauvoo pour rendre visite aux
pieux plus petits de l’Église dans les environs. Partout où il allait,
il était accompagné par son nouveau secrétaire, William Clayton, un
jeune homme brillant venu d’Angleterre. En 1840, il avait rejoint
Nauvoo avec sa femme Ruth et avait été embauché par le prophète peu
après.
Le 1er avril, William avait voyagé une demi-journée avec Joseph et
Orson Hyde, récemment rentré de Jérusalem, pour se rendre à une réunion
dans une ville appelée Ramus. Le lendemain matin, William écouta Orson
prêcher que le Père et le Fils demeureraient dans le cœur des saints
jusqu’à la Seconde Venue et que c’était un privilège pour ces derniers.
Plus tard, alors qu’ils savouraient un repas chez Sophronia, la sœur de
Joseph, ce dernier dit : « Frère Hyde, je vais me permettre quelques
rectifications. »
Orson répondit : « Elles seront reçues avec reconnaissance. »
Joseph expliqua : « L’idée que le Père et le Fils demeurent dans le
cœur de l’homme est une vieille notion sectaire et est fausse. Nous le
verrons tel qu’il est. Nous verrons qu’il est un homme comme nous. »
Joseph avait d’autres choses à dire sur le sujet lorsque la conférence
se poursuivit plus tard ce soir-là. Il enseigna : « Le Père a un corps
de chair et d’os aussi tangible que celui de l’homme, le Fils aussi ;
mais le Saint-Esprit est un personnage d’esprit. »
Tandis qu’il parlait, William notait tout ce qu’il pouvait dans son
journal. Il était attiré par les vérités profondes que le prophète
enseignait et était avide d’en apprendre davantage.
Il enregistra les enseignements de Joseph selon lesquels la
connaissance et l’intelligence acquises dans cette vie se lèveraient
avec soi dans la Résurrection. Le prophète expliqua : « Si, par sa
diligence et son obéissance, une personne acquiert dans cette vie plus
de connaissance et d’intelligence qu’une autre, elle en sera avantagée
d’autant dans le monde à venir. »
Un mois plus tard, Joseph et William retournèrent à Ramus et furent
hébergés chez Benjamin et Melissa Johnson. Joseph enseigna aux Johnson
qu’une femme et un homme pouvaient être scellés pour l’éternité dans la
nouvelle alliance éternelle du mariage. Il expliqua qu’ils ne pouvaient
obtenir l’exaltation qu’en entrant dans cette alliance qui était un
ordre de la prêtrise. Sinon, leur relation cesserait au-delà du
tombeau, mettant fin à leur progression et à leur accroissement
éternels.
William était émerveillé par la description que Joseph faisait du
mariage éternel. Il écrivit dans son journal : « Je suis désireux
d’être uni à ma femme dans une alliance éternelle et je prie qu’il en
soit bientôt ainsi. »
Le retour de Jérusalem d’Orson Hyde signifiait que Peter et Mary
Maughan devaient quitter son domicile à Nauvoo. N’ayant nul autre
endroit où aller, ils campèrent sur une parcelle de la ville qu’ils
achetèrent au comité du temple, étant entendu que Peter participerait
aux travaux pour la payer. Pendant ce temps, Mary troquait des bobines
de coton qu’elle avait rapportées d’Angleterre contre de la nourriture.
Peter commença bientôt comme tailleur de pierre, découpant et sculptant
des blocs de calcaire pour le temple. Maintenant, les murs mesuraient
près de quatre mètres par endroits et un plancher temporaire avait été
posé pour permettre aux saints d’y tenir des réunions.
Le bâtiment allait être plus grand et imposant que celui que Peter et
Mary avaient visité à Kirtland. Il disposerait également de salles de
réunion au rez-de-chaussée et au premier étage mais l’extérieur serait
orné de sculptures élaborées représentant des étoiles, des lunes et des
soleils, évoquant les royaumes de gloire décrits dans la vision de
Joseph de la Résurrection, ainsi que dans la description de Jean le
Révélateur de l’Église comme étant « une femme enveloppée du soleil, la
lune sous ses pieds et une couronne de douze étoiles sur sa tête ».
Semaine après semaine, les ouvriers utilisaient de la poudre à canon
pour extraire les pierres des carrières au nord de la ville. Ensuite,
ils les taillaient en forme de blocs et, à l’aide de chariots tirés par
des bœufs, ils les transportaient jusqu’à l’atelier situé près du
temple. Là, des hommes comme Peter les découpaient et les polissaient à
la bonne taille pendant que des artisans qualifiés sculptaient les plus
décoratives. Lorsqu’une pierre était prête, les ouvriers l’attachaient
à une grue et la hissaient à sa place.
Avec un emploi stable et une parcelle à eux, Peter et Mary plantèrent
un jardin potager, travaillèrent à la construction de leur maison et
attendirent avec impatience des jours meilleurs.
Deux mois après son scellement avec Joseph, Emily Partridge continuait
de travailler chaque jour chez les Smith, lavant et reprisant les
vêtements et s’occupant des enfants. Julia Smith eut douze ans ce
printemps-là et prenait des leçons de peinture. Les garçons aussi
grandissaient. Le jeune Joseph avait dix ans, Frederick six et
Alexander presque cinq. Les aînés allaient à l’école avec Lydia, la
jeune sœur d’Emily. Le jeune Joseph jouait aussi avec Edward, fils, son
jeune frère.
En acceptant d’être scellée à Joseph, Emily faisait confiance en son
témoignage qu’elle obéissait au commandement du Seigneur. Sa sœur Eliza
et elle continuaient de garder leur mariage secret. Elles et les autres
personnes qui pratiquaient le mariage plural ne le qualifiaient jamais
de polygamie, qu’elles considéraient comme un terme profane et non une
ordonnance de la prêtrise. Lorsque Joseph ou quelqu’un d’autre
condamnait « la polygamie » ou « l’adjonction de femmes spirituelles »
en public, celles qui pratiquaient le mariage plural comprenaient qu’il
ne faisait pas allusion à leurs relations d’alliance.
À part dans la Bible, Joseph n’avait pas de modèles ou de précédents à
suivre et le Seigneur ne lui donnait pas toujours d’instructions
précises sur la manière d’obéir à sa parole. Comme avec les autres
commandements et révélations, il devait avancer en exerçant au mieux
son jugement. Ce n’est que de nombreuses années plus tard qu’Emily et
d’autres écrivirent leurs souvenirs de l’obéissance de Joseph au
principe et leurs propres expériences avec le mariage plural à Nauvoo.
Leurs récits sont souvent succincts et parcellaires.
Du fait que ni Joseph ni Emma ne mirent par écrit leurs sentiments au
sujet du mariage plural, de nombreuses questions restent sans réponse.
Dans ses écrits, Emily relata certaines de leurs difficultés. Par
moments, Emma rejetait totalement la pratique alors qu’à d’autres elle
l’acceptait avec réticence comme étant un commandement. Tiraillé entre
la demande du Seigneur de pratiquer le mariage plural et l’opposition
d’Emma, Joseph épousait parfois des femmes sans qu’elle le sache,
mettant toutes les personnes concernées dans une situation éprouvante.
Début mai, Emma prit Emily et Eliza à part et leur expliqua le principe
du mariage plural. Elle avait dit à Joseph qu’elle accepterait qu’il
soit scellé à deux épouses supplémentaires si elle pouvait les choisir
et elle avait choisi Emily et Eliza, ignorant apparemment qu’il était
déjà scellé à elles.
Au lieu de mentionner son scellement précédent, Emily crut qu’il valait
mieux garder le silence. Quelques jours plus tard, Eliza et elle furent
de nouveau scellées à Joseph, cette fois avec Emma comme témoin.
Le 14 mai, pendant que Joseph assistait à une autre conférence, Hyrum
prêcha dans le temple contre le principe selon lequel un homme pouvait
avoir plus d’une femme. Faisant référence à la condamnation de Jacob
dans le Livre de Mormon des mariages pluraux non autorisés, Hyrum
traita la pratique d’abomination devant Dieu.
Après le sermon, il commença à douter de ce qu’il enseignait. Le sujet
du mariage plural tourbillonnait dans Nauvoo et les rumeurs que Joseph
avait plusieurs épouses circulaient librement.
Hyrum voulait croire que ce n’était pas le cas mais il se demandait si
Joseph ne lui cachait pas quelque chose. Après tout, il y avait eu des
moments où il avait fait allusion à la pratique, peut-être pour voir
comment il réagirait. De plus, il sentait que Joseph disait aux Douze
des choses qu’il ne lui avait pas enseignées.
Un jour, peu après le sermon, il vit Brigham près de chez lui et lui
demanda s’il pouvait lui parler. Il dit : « Je sais qu’il y a quelque
chose que je ne comprends pas et qui a été révélé aux Douze. N’est-ce
pas ? »
Les hommes s’assirent sur une pile de traverses de clôture. Brigham
répondit prudemment : « Je ne sais pas combien tu en sais mais je sais
ce que je sais.
— Depuis longtemps j’ai des doutes à propos d’une révélation que
Joseph a reçue selon laquelle un homme doit avoir plusieurs femmes.
— Je vais t’en parler si tu me jures devant Dieu, la main levée, que
tu ne t’opposeras plus à Joseph, à ses actions et aux points de
doctrine qu’il prêche. »
Hyrum se leva. Il dit : « Je le ferai de tout mon cœur. Je veux savoir
la vérité. »
Pendant que Brigham l’instruisait au sujet de la révélation du Seigneur
sur le mariage plural, Hyrum pleura, convaincu que Joseph avait agi
selon le commandement.
Fin mai 1843, Emma et Joseph furent scellés pour l’éternité dans une
pièce au-dessus du magasin de Joseph, officialisant enfin ce qu’ils
désiraient depuis longtemps. Joseph invita ensuite Brigham et Mary Ann
Young, Willard et Jennetta Richards, Hyrum et Mary Fielding Smith et la
sœur veuve de Mary, Mercy Thompson, à le retrouver le lendemain matin
pour recevoir la même ordonnance.
Avant la réunion, Hyrum s’inquiéta de sa situation familiale
compliquée. Si les bénédictions du mariage éternel n’appartenaient
qu’aux personnes qui avaient été scellées par la prêtrise,
qu’adviendrait-il de sa première femme, Jerusha, qui était décédée six
ans auparavant ?
Joseph dit : « Elle peut être scellée à toi selon le même principe qui
te permet de te faire baptiser pour les morts. »
Hyrum demanda : « Que puis-je faire pour la deuxième épouse ? »
Il dit : « Tu peux aussi faire alliance avec elle pour l’éternité. »
Mary accepta de représenter Jerusha pour le scellement spécial. Elle
dit à Hyrum : « Je serai moi aussi scellée à toi pour l’éternité. Je
t’aime et je ne veux pas être séparée de toi. »
Le matin du 29 mai, Joseph et les autres se réunirent au-dessus de son
magasin et chaque couple fut scellé, s’unissant pour l’éternité. Seule
veuve dans la pièce, Mercy Thompson ne pouvait s’empêcher de se sentir
différente des autres. Toutefois, en apprenant qu’elle pouvait quand
même être scellée à son défunt mari, Robert, qui était mort du
paludisme quelques années plus tôt, elle eut le sentiment que Dieu se
souciait d’elle et de sa situation.
Lorsque ce fut son tour de recevoir l’ordonnance, Joseph dit qu’il ne
trouvait personne de mieux placé que son beau-frère, Hyrum, pour
représenter Robert. Il la scella à Robert et scella ensuite Hyrum à
Jerusha, représentée par Mary.
Brigham termina la réunion par un cantique et une prière et les amis
passèrent le reste de la matinée à parler des choses de Dieu. Une douce
harmonie semblait apaiser tout ce qui avait troublé les saints ces
quelques dernières années.
CHAPITRE 41 : « C’est à Dieu d’en juger »
Le 1er juin, Addison et Louisa Pratt se rendirent à pied avec leurs
filles jusqu’à l’un des débarcadères de Nauvoo. Ce jour-là, Addison
partait pour une mission de trois ans dans les îles hawaïennes. Il
portait Anne, leur cadette, dans les bras, pendant que ses trois
aînées, Ellen, Frances et Loïs suivaient tristement, redoutant le
départ de leur père.
Récemment, en parlant avec Brigham Young, Addison avait évoqué avec
attendrissement Hawaï et ses années de jeune baleinier sur l’océan
Pacifique. Puisque l’Église n’y était pas représentée, Brigham lui
demanda s’il serait disposé à ouvrir une mission là-bas. Il dit qu’il
voulait bien si d’autres l’accompagnaient. Peu après, Joseph et les
Douze l’appelèrent à conduire un groupe d’anciens jusqu’aux îles.
Louisa pleura pendant trois jours en apprenant l’affectation d’Addison.
Hawaï était à des milliers de kilomètres, dans une partie du monde qui
avait l’air étrange et dangereuse. Elle n’avait pas de logement à elle
à Nauvoo, pas d’argent et peu de biens à troquer. Ses filles auraient
besoin de vêtements et d’instruction et, sans son mari, ce serait à
elle de pourvoir à tous leurs besoins.
En marchant avec sa famille jusqu’au bateau à vapeur, elle avait encore
mal au cœur mais elle avait fini par se réjouir qu’Addison soit digne
de son appel. Elle n’était pas l’unique femme de la ville qui serait
seule pendant que son mari irait prêcher l’Évangile. Cet été-là, des
missionnaires partaient dans toutes les directions et Louisa avait pris
la résolution d’affronter ses épreuves et de faire confiance au
Seigneur.
Addison avait du mal à contenir ses émotions. Arrivé sur le pont du
bateau qui l’emporterait loin de sa famille, il sortit un mouchoir et
s’essuya les yeux. À terre, ses filles se mirent également à pleurer.
Frances dit qu’elle pensait ne jamais le revoir.
Connaissant la mer comme il la connaissait, Addison était conscient des
dangers qui l’attendaient. Toutefois, lorsque les Douze l’avaient mis à
part pour sa mission, ils l’avaient béni afin qu’il ait du pouvoir sur
les éléments et du courage face aux tempêtes. Ils lui promirent par
l’Esprit que s’il se montrait fidèle, il rentrerait sain et sauf auprès
des siens.
Plusieurs jours plus tard, Emma, Joseph et leurs enfants quittèrent
Nauvoo pour rendre visite à la sœur d’Emma, à Dixon, en Illinois, à
plusieurs jours de voyage au nord. Avant de partir, elle recommanda à
Ann Whitney d’encourager les femmes de la Société de Secours à
continuer d’aider les pauvres ainsi que les hommes qui bâtissaient le
temple.
Récemment, Joseph avait parlé aux saints des ordonnances du temple,
leur enseignant qu’ils le construisaient afin que le Seigneur puisse
leur donner la dotation. Emma avait dit à Ann que depuis lors, elle
s’intéressait sincèrement au projet et voulait que la Société de
Secours discute de ce qu’elle pouvait faire pour faire avancer les
travaux plus rapidement.
Elle suggéra : « Nous pourrions parler au comité du temple et faire ce
qu’il veut que nous fassions. »
Cette responsabilité à l’esprit, Ann ouvrit la première réunion de la
Société de Secours de l’année et demanda aux femmes de proposer des
idées pour faire avancer le projet du temple. Certaines dirent qu’elles
voulaient bien demander des dons et récolter de la laine et d’autres
matériaux pour faire de nouveaux vêtements. D’autres dirent qu’elles
étaient disposées à tricoter, coudre ou réparer les vieux vêtements le
cas échéant. L’une d’elle proposa de fournir de la laine à des femmes
plus âgées afin qu’elles tricotent des chaussettes pour les ouvriers
avant l’hiver.
Polly Stringham et Louisa Beaman dirent qu’elles pouvaient leur
confectionner des vêtements. Mary Felshaw dit qu’elle pouvait donner du
savon. Philinda Stanley proposa de donner du lin ainsi qu’un litre de
lait par jour pour le projet. Esther Gheen offrit de donner du fil
qu’elle filait elle-même.
Félicitant les femmes pour leur bonne volonté à participer à la
construction de la maison du Seigneur, sœur Chase témoigna : « Les
anges se réjouissent à votre sujet ! »
Avant de conclure la réunion, Ann exhorta les mères dans l’assemblée à
préparer leurs filles à entrer dans le temple. Instruisez-les avec
amour, conseilla-t-elle, et apprenez-leur à se conduire avec sérieux et
bienséance à l’intérieur de ses murs sacrés.
Trois cents kilomètres plus loin, le 21 juin, la visite des Smith chez
la sœur d’Emma fut interrompue par William Clayton et Stephen Markham
qui apportaient des nouvelles alarmantes. Le gouverneur du Missouri
exigeait de nouveau que Joseph y soit jugé, cette fois pour les
vieilles accusations de trahison, et Ford, le gouverneur de l’Illinois,
avait émis un autre mandat d’arrestation à l’encontre du prophète.
Joseph dit : « Je n’ai rien à craindre. Les habitants du Missouri ne
peuvent me nuire. »
Deux jours plus tard, deux hommes affirmant être des saints des
derniers jours frappèrent à la porte pendant que la famille dînait. Le
beau-frère d’Emma leur dit que Joseph était dehors dans le jardin, près
de la grange.
Quelques instants plus tard, Emma et la famille entendirent du vacarme
dehors. Se précipitant à la porte, ils virent les hommes mettre la
poitrine de Joseph en joue. Un autre le tenait par le col. Il grogna :
« Si tu bouges d’un pouce, je tire ! »
Mettant sa poitrine en évidence, Joseph dit : « Allez-y. Je n’ai pas
peur de vos pistolets. »
Stephen Markham fonça en courant sur les hommes. Surpris, ils
tournèrent leurs armes dans sa direction mais les ramenèrent rapidement
sur Joseph, lui enfonçant le canon dans les côtes. Ils crièrent à
Stephen : « Arrête-toi. »
Ils chargèrent avec difficulté Joseph à l’arrière de leur chariot et le
retinrent là. Joseph dit : « Messieurs, je désire obtenir une
ordonnance d’habeas corpus ». Celle-ci permettrait à un juge local de
décider si l’arrestation de Joseph était légale.
Le frappant de nouveau dans les côtes avec leurs pistolets, ils dirent
: « Maudit sois-tu ! Tu n’en auras pas ! »
Stephen bondit vers le chariot et saisit les chevaux par le mors
pendant qu’Emma se précipitait à l’intérieur et attrapait le manteau et
le chapeau de Joseph. À cet instant, Joseph vit un homme passer devant
la maison. Il cria : « On m’enlève ! » Lorsque l’homme continua de
marcher, il se tourna vers Stephen et lui dit d’aller chercher de
l’aide.
Il cria : « Vas-y ! »
Les ravisseurs de Joseph étaient des officiers de police d’Illinois et
du Missouri. Cet après-midi-là, ils l’enfermèrent dans une taverne
voisine et lui refusèrent le droit de s’entretenir avec un avocat.
Agissant rapidement, Stephen rapporta les mauvais traitements subis par
Joseph aux autorités locales qui eurent tôt fait d’arrêter les
officiers pour enlèvement et mauvais traitements. Il réussit ensuite à
obtenir une ordonnance d’habeas corpus d’un fonctionnaire du tribunal.
Celle-ci exigeait que Joseph assiste à une audience à cent kilomètres
de là.
Lorsqu’ils apprirent que le juge n’était pas en ville, Joseph, ses
ravisseurs, et les officiers locaux se mirent en route pour trouver un
autre tribunal qui pourrait remettre de l’ordre dans cette pagaille
juridique.
À Nauvoo, Wilson Law et Hyrum furent informés de la capture de Joseph
et enrôlèrent plus d’une centaine d’hommes pour le secourir. Ils en
envoyèrent certains sur un bateau à vapeur qui remontait le fleuve et
commandèrent à d’autres d’aller à cheval dans toutes les directions et
de chercher le prophète.
Lorsque ses deux premiers sauveteurs furent en vue, Joseph fut soulagé.
Il dit à ses ravisseurs : « Je ne vais pas au Missouri cette fois.
Voilà mes garçons. » Rapidement, le nombre de sauveteurs passa de deux
à vingt, puis davantage. Ils détournèrent le convoi vers Nauvoo où ils
croyaient que la cour municipale pouvait décider de la légalité du
mandat.
À midi, le prophète approcha de la ville, flanqué de quelques hommes de
loi et de ses sauveteurs en selle. Emma, qui était déjà de retour à
Nauvoo avec les enfants, arriva à cheval accompagnée d’Hyrum à la
rencontre de Joseph pendant que la fanfare de Nauvoo jouait des chants
patriotiques et que des gens célébraient son retour en tirant des coups
de feu et de canon. Un défilé de chariots tirés par des chevaux décorés
de fleurs des champs se joignit bientôt à eux.
Des foules étaient alignées des deux côtés de la rue pour acclamer le
retour sain et sauf du prophète pendant que le cortège passait devant
elles, se frayant lentement un chemin jusqu’au domicile de Joseph.
Lorsqu’il arriva, Lucy Smith embrassa son fils, et ses enfants se
ruèrent hors de la maison pour le voir.
Frederick, sept ans, dit : « Papa, les Missouriens ne vont pas te
reprendre, n’est-ce pas ? »
Grimpant sur une clôture pour s’adresser aux centaines de saints qui
s’étaient rassemblés autour de lui, Joseph dit : « Je suis de nouveau
délivré des mains des Missouriens, Dieu merci. Je vous remercie à tous
pour votre gentillesse et votre amour envers moi. Je vous bénis tous au
nom de Jésus-Christ. »
Comme on s’y attendait, la cour de Nauvoo déclara que l’arrestation de
Joseph était illégale. Hors d’eux, les deux officiers qui l’avaient
arrêté exigèrent que le gouverneur conteste la décision mais Ford
refusa d’interférer, mettant les détracteurs de tout l’État en colère.
Ils commençaient à craindre que Joseph n’échappe de nouveau aux
poursuites judiciaires.
Entre-temps, des centaines de saints continuaient de se rassembler à
Nauvoo et dans les pieux avoisinants. Au Connecticut, un État de l’Est,
une jeune femme appelée Jane Manning monta avec sa mère, plusieurs
frères et sœurs et d’autres membres de sa branche à bord d’un bateau
pour entreprendre le voyage jusqu’à Nauvoo. Charles Wandell, un
missionnaire qui avait été leur président de branche, les conduisait.
Contrairement aux autres membres de leur branche, qui étaient tous
blancs, Jane et sa famille étaient des saints noirs et libres. Jane
était née et avait grandi dans le Connecticut, et elle avait travaillé
la plus grande partie de sa vie pour un couple blanc aisé. Elle était
devenue membre d’une église chrétienne mais en avait rapidement été
mécontente.
Lorsqu’elle avait appris qu’un saint des derniers jours prêchait dans
la région, elle avait voulu l’entendre. Son pasteur lui avait dit de ne
pas assister au sermon mais elle y était allée quand même, convaincue
d’avoir trouvé le véritable Évangile. La plus grande branche de la
région n’était qu’à quelques kilomètres et elle se fit baptiser et fut
confirmée le dimanche suivant.
Jane était une nouvelle convertie fervente. Trois semaines après son
baptême, elle reçut le don des langues pendant qu’elle priait.
Maintenant, un an plus tard, sa famille et elle se rassemblaient en
Sion.
Sur le canal, ils traversèrent l’État de New York sans incident. De là,
ils pensaient voyager avec leur branche en direction du sud à travers
l’Ohio puis l’Illinois, mais les responsables du canal refusèrent de
les laisser continuer tant qu’ils ne payaient pas leur titre de
transport.
Jane fut troublée. Elle pensait que sa famille n’aurait rien à payer
avant d’atteindre l’Ohio. Pourquoi fallait-il qu’elle paie maintenant ?
Aucun des membres blancs de la branche n’était obligé de payer son
voyage d’avance.
Les Manning comptèrent leur argent mais ils n’en avaient pas assez. Ils
se tournèrent vers frère Wandell pour qu’il les aide mais il refusa.
Lorsque le bateau s’éloigna et disparut, Jane et sa famille n’avaient
presque pas d’argent et plus de mille trois cents kilomètres les
séparaient de Nauvoo. N’ayant rien d’autre que ses pieds pour la
transporter vers l’ouest, Jane décida de conduire la petite compagnie
jusqu’en Sion.
Le matin du 12 juillet, William Clayton était dans le bureau de Joseph
lorsque le prophète et Hyrum entrèrent. Hyrum dit à Joseph : « Si tu
rédiges la révélation, je l’apporterai et la lirai à Emma et je crois
pouvoir la convaincre de son authenticité. Ensuite, tu auras la paix. »
Joseph dit : « Tu ne connais pas Emma aussi bien que moi. » Ce
printemps et cet été-là, il avait été scellé à d’autres femmes, dont
quelques-unes qu’Emma avait choisies personnellement. Néanmoins, le
fait d’aider Joseph à choisir des épouses ne lui avait pas facilité la
tâche d’obéir au principe.
Hyrum dit : « La doctrine est tellement évidente. Je peux convaincre
n’importe quel homme ou femme raisonnable de sa véracité, de sa pureté
et de son origine divine. »
Joseph dit : « Tu verras. » Il demanda à William de prendre une feuille
et d’écrire sous sa dictée la parole du Seigneur.
Joseph connaissait déjà une grande partie de la révélation. Elle
décrivait la nouvelle alliance éternelle du mariage ainsi que les
bénédictions et promesses associées. Elle révélait également les termes
gouvernant le mariage plural que Joseph avait appris pendant qu’il
traduisait la Bible en 1831. Le reste contenait de nouveaux conseils
pour lui et Emma traitant de leurs questions et de leurs difficultés
actuelles avec le mariage plural.
Le Seigneur révélait que pour qu’un mariage perdure au-delà du tombeau,
l’homme et la femme devaient être mariés par l’autorité de la prêtrise,
leur alliance devait être scellée par le Saint-Esprit de promesse et
ils devaient rester fidèles à leur alliance. Les personnes qui
respectaient ces conditions hériteraient des bénédictions glorieuses de
l’exaltation.
Le Seigneur déclara : « Alors ils seront dieux, parce qu’ils n’ont pas
de fin ; alors, ils seront au-dessus de tout, parce que tout leur est
soumis. »
Il continua de parler du mariage plural et de son alliance d’accorder
une postérité innombrable à Abraham pour sa fidélité. Depuis le
commencement, le mariage entre un homme et une femme était ordonné du
Seigneur pour accomplir son plan. Cependant, parfois, il autorisait les
mariages pluraux pour permettre d’élever des enfants dans des familles
justes et réaliser leur exaltation.
Bien que la révélation s’adressât aux saints, elle se terminait par des
conseils pour Emma au sujet des épouses plurales de Joseph. Le Seigneur
commandait : « Que ma servante, Emma Smith, reçoive toutes celles qui
ont été données à mon serviteur Joseph. » Il lui commandait également
de pardonner à Joseph, de rester avec lui et de respecter ses
alliances, promettant de la bénir, de la multiplier et de lui donner
des raisons de se réjouir si elle le faisait. Il la mit également en
garde contre les conséquences désastreuses que subiraient les personnes
qui enfreignaient leurs alliances et désobéissaient à la loi du
Seigneur.
Lorsque Joseph eut fini de dicter la révélation, William avait écrit
dix pages. Il posa le stylo et la relut à Joseph. Le prophète dit
qu’elle était correcte et Hyrum l’apporta à Emma.
Plus tard dans la journée, il retourna au bureau de Joseph et dit à son
frère que de sa vie, personne ne lui avait jamais parlé aussi
sévèrement. Lorsqu’il avait lu la révélation à Emma, elle s’était mise
en colère et l’avait rejetée.
Joseph dit à voix basse : « Je t’avais dit que tu ne connaissais pas
Emma aussi bien que moi. » Il plia la révélation et la mit dans sa
poche.
Le lendemain, il eut une discussion déchirante avec sa femme qui dura
des heures. Peu avant midi, il appela William Clayton pour qu’il vienne
jouer le rôle de médiateur entre eux. Ils étaient dans un dilemme sans
issue. Chacun aimait profondément l’autre et voulait honorer l’alliance
éternelle qu’il avait contractée mais la lutte qu’ils menaient pour
respecter le commandement du Seigneur les divisait.
Emma semblait particulièrement inquiète pour l’avenir. Que se
passerait-il si les ennemis de Joseph étaient informés du mariage
plural ? Irait-il de nouveau en prison ? Serait-il tué ? Les enfants et
elle dépendaient de lui pour subvenir à leurs besoins mais leurs
finances familiales étaient emmêlées avec celles de l’Église. Comment
se débrouilleraient-ils s’il lui arrivait quelque chose ?
Joseph et Emma pleurèrent pendant qu’ils parlaient mais à la fin de la
journée, ils avaient résolu leurs problèmes. Pour fournir à Emma et aux
enfants une sécurité financière supplémentaire, Joseph leur transmit
des propriétés par un acte notarié et, à partir de cet automne-là, il
ne contracta plus de mariages pluraux.
À la fin du mois d’août 1843, les Smith emménagèrent dans une maison à
étage près du fleuve. Appelée la Nauvoo Mansion, elle était
suffisamment spacieuse pour loger leurs quatre enfants, la mère âgée de
Joseph et les personnes qui travaillaient pour eux et qu’ils
hébergeaient. Joseph avait l’intention d’utiliser une grande partie de
la demeure comme hôtel.
Plusieurs semaines plus tard, lorsque l’été se changea en automne à
Nauvoo, Jane Manning arriva avec sa famille à leur porte, cherchant le
prophète et un endroit où loger. Entrez ! Emma dit au groupe fatigué :
« Entrez ! » Joseph leur montra où ils pouvaient passer la nuit et
trouva des sièges pour tout le monde.
Il dit à Jane : « Vous avez été le chef de ce petit groupe, n’est-ce
pas ? J’aimerais que vous nous racontiez votre voyage. »
Jane relata à Joseph et Emma leur long périple depuis l’État de New
York. Elle dit : « Nous avons marché jusqu’à ce que nos chaussures
soient usées et que nous ayons les pieds meurtris, fendus et
sanguinolents. Nous avons demandé à Dieu le Père éternel de les guérir
et nos prières ont été exaucées. Nos pieds ont guéri. »
Ils avaient dormi à la belle étoile ou dans des granges en bordure de
route. En chemin, des hommes avaient menacé de les jeter en prison
parce qu’ils n’avaient pas de papiers justifiant qu’ils étaient «
libres » et n’étaient pas des esclaves en fuite. À un autre moment, ils
avaient franchi une rivière profonde sans pont. Ils avaient enduré des
nuits sombres, des matins glacials et avaient aidé des gens quand ils
avaient pu. Non loin de Nauvoo, ils avaient béni un enfant malade et
leur foi l’avait guéri.
« Nous avons fait la route en nous réjouissant, en chantant des
cantiques et en remerciant Dieu de son infinie bonté et de sa
miséricorde à notre égard. »
Joseph dit : « Que Dieu vous bénisse. Vous êtes parmi des amis
maintenant. »
Les Manning restèrent chez les Smith pendant une semaine. Pendant ce
temps, Jane entreprit des recherches pour retrouver une malle qu’elle
avait expédiée à Nauvoo mais pour autant qu’elle le sache, elle avait
été perdue ou volée en route. Entre-temps, les membres de sa famille
trouvèrent du travail et un logement et déménagèrent rapidement.
Un matin, Joseph remarqua que Jane pleurait et lui demanda pourquoi.
Elle dit : « Tous les miens sont partis et se sont trouvé un logis mais
pas moi. »
Joseph lui assura qu’elle avait un foyer ici-même si elle voulait. Il
prit Jane pour aller voir Emma et expliqua la situation. Il dit : «
Elle n’a pas de foyer. N’en as-tu pas un pour elle ? »
Emma dit : « Oui, si elle en veut un. »
Jane s’intégra rapidement dans la vie animée de la maisonnée et les
autres membres de la famille et pensionnaires lui firent bon accueil.
Sa malle ne réapparut jamais mais Joseph et Emma lui procurèrent de
nouveaux vêtements dans le magasin.
Cet automne-là, alors que sa famille s’installait dans la nouvelle
maison, Emma était de plus en plus perturbée par le mariage plural.
Dans une révélation adressée à elle treize ans plus tôt, le Seigneur
avait promis de la couronner de justice si elle honorait ses alliances
et respectait continuellement les commandements. Il avait dit : « Si tu
ne le fais pas, tu ne peux pas venir là où je suis. »
Elle voulait respecter les alliances qu’elle avait contractées avec
Joseph et le Seigneur mais le mariage plural lui paraissait souvent
trop lourd à supporter. Bien qu’elle ait autorisé certaines des femmes
plurales de Joseph à vivre chez elle, elle n’appréciait pas leur
présence et leur rendait parfois la vie difficile.
Finalement, elle exigea qu’Emily et Eliza Partridge quittent
définitivement la maison. Avec Joseph à ses côtés, elle appela les deux
sœurs dans sa chambre et leur dit qu’elles devaient mettre
immédiatement un terme à leur relation avec lui.
Se sentant rejetée, Emily quitta la pièce, en colère contre Emma et
Joseph. Elle se dit : « Lorsque le Seigneur commande, il ne faut pas
prendre sa parole à la légère. » Elle avait l’intention de faire comme
Emma le souhaitait mais refusait de rompre son alliance de mariage.
Joseph suivit les sœurs hors de la chambre et trouva Emily au
rez-de-chaussée. Il demanda : « Comment te sens-tu Emily ? »
Elle lui jeta un coup d’œil et répondit : « Je suppose que je me sens
comme n’importe qui se sentirait dans la même situation. » Il eut l’air
de vouloir disparaître sous terre et Emily fut désolée pour lui. Elle
aurait voulu ajouter quelque chose mais il quitta la pièce avant
qu’elle ne puisse parler.
Des décennies plus tard, lorsqu’elle fut une vieille femme, elle
repensa à ces jours douloureux. Avec le recul, elle comprenait mieux
les sentiments compliqués d’Emma au sujet du mariage plural et la
douleur qu’il lui causait.
Elle écrivit : « Je sais qu’à cette époque, ce fut dur pour Emma et
toutes les femmes de contracter des mariages pluraux et je ne sais pas
si quelqu’un aurait pu faire mieux que n’a fait Emma dans la situation.
»
Elle conclut : « C’est à Dieu d’en juger, pas à moi. »
CHAPITRE 42 : Redressez les épaules
Au début du mois de novembre 1843, Phebe Woodruff retrouva Wilford qui
rentrait d’une mission de quatre mois dans les États de l’Est. Il
arrivait avec des cadeaux pour sa famille et un chariot rempli de
fournitures pour le bureau du Times and Seasons où Phebe et les enfants
avaient logé.
Phebe avait accouché d’une autre fille en juillet et attendait depuis
environ un mois l’arrivée de son mari. Les Woodruff étaient très
proches et détestaient être séparés pendant les missions de Wilford.
Toutefois, contrairement à d’autres apôtres et leurs femmes, ils
n’avaient pas encore été scellés pour le temps et pour l’éternité et
ils étaient impatients de recevoir l’ordonnance.
Lors de l’une de ses absences, elle lui écrivit, lui demandant s’il
pensait que leur amour serait un jour séparé dans l’éternité. Il
répondit par un poème exprimant son espérance de le voir s’épanouir
au-delà du tombeau.
Le 11 novembre, une semaine après le retour de Wilford, les Woodruff se
rendirent chez John et Leonora Taylor. Là, Hyrum Smith enseigna la
résurrection, la rédemption et l’exaltation grâce à la nouvelle
alliance éternelle. Il scella ensuite Phebe et Wilford pour le temps et
pour toute l’éternité et ils passèrent tous une agréable soirée
ensemble. Les Woodruff se mirent rapidement à se préparer à recevoir la
dotation.
Plus tôt cet automne-là, pour la première fois depuis plus d’un an,
Joseph avait commencé de doter d’autres saints. Comme promis, les
femmes pouvaient dorénavant recevoir la dotation et le 28 septembre, il
administra l’ordonnance à Emma dans la « Nauvoo Mansion ». Peu après,
cette dernière lava et oignit Jane Law, Rosannah Marks, Elizabeth
Durfee et Mary Fielding Smith. C’était la première fois qu’une femme
officiait dans les ordonnances du temple dans les derniers jours.
Au cours des semaines qui suivirent, elle accomplit l’ordonnance pour
Lucy Smith, Ann Whitney, Mercy Thompson, Jennetta Richards, Leonora
Taylor, Mary Ann Young et d’autres. Bientôt, d’autres femmes le firent
sous sa supervision.
En décembre, Phebe et Wilford furent lavés, oints et dotés.
Quarante-deux femmes et hommes reçurent la dotation avant la fin de
l’année. Ils se réunissaient souvent dans la pièce au-dessus du magasin
de Joseph pour prier et apprendre les choses relatives à l’éternité.
Cet automne-là, alors qu’il participait régulièrement aux réunions avec
les saints dotés, William Law cacha à Joseph et Hyrum qu’il était
coupable d’adultère. En commettant le péché, il avait eu l’impression
de transgresser contre sa propre âme.
Vers cette époque-là, Hyrum lui donna un exemplaire de la révélation
sur le mariage. Il lui commanda : « Emporte-la chez toi et lis-la,
ensuite prends-en soin et rapporte-la. » William l’étudia et la montra
à sa femme, Jane. Il doutait de son authenticité mais pas elle.
Il l’apporta à Joseph qui confirma qu’elle était vraie. William le
supplia de renoncer à ses enseignements mais Joseph témoigna que le
Seigneur lui avait commandé d’enseigner le mariage plural aux saints et
qu’il serait condamné s’il désobéissait.
À ce moment donné, William tomba malade et finit par confesser son
adultère à Hyrum, expliquant à son ami qu’il ne se sentait pas digne de
vivre ni de mourir. Il voulait néanmoins être scellé pour l’éternité à
Jane et demanda à Joseph si ce serait possible. Ce dernier présenta la
question au Seigneur qui révéla qu’il ne pouvait recevoir l’ordonnance
parce qu’il était coupable d’adultère.
Le cœur de William commença de se consumer de colère contre le
prophète. Fin décembre, Jane et lui cessèrent de se réunir avec les
saints dotés. Jane conseilla de vendre discrètement leur propriété et
de partir simplement de Nauvoo mais William voulait briser Joseph. Il
se mit à comploter en secret avec d’autres adversaires du prophète et
peu de temps plus tard, perdit son poste dans la Première Présidence.
Il déclara qu’il était content d’être débarrassé de sa collaboration
avec Joseph mais au lieu de quitter Nauvoo et de passer à autre chose,
comme Jane l’avait suggéré, il fut plus déterminé à faire obstacle au
prophète et à provoquer sa chute.
Son apostasie était contrariante mais n’était pas sans précédent. Par
un dimanche matin froid du début de l’année 1844, Joseph dit à une
assemblée : « Depuis un certain nombre d’années, j’essaie de préparer
l’esprit des saints à recevoir les choses de Dieu mais, fréquemment,
nous en voyons qui, après avoir beaucoup souffert pour l’œuvre de Dieu,
se brisent comme du verre dès que survient quelque chose de contraire à
leurs traditions. »
Depuis l’organisation de l’Église, Joseph avait vu des hommes et des
femmes abandonner la foi lorsqu’ils étaient en désaccord avec les
principes qu’il enseignait ou lorsque, selon eux, il ne se montrait pas
à la hauteur de ce qu’un prophète devait être. Ceux qui se séparaient
de l’Église la quittaient souvent paisiblement mais parfois, comme Ezra
Booth, Warren Parrish et John Bennett l’avaient montré, il arrivait que
des hommes qui apostasiaient luttent contre le prophète, l’Église et
ses enseignements, provoquant souvent des actes de violence à
l’encontre des saints. Il restait à voir la direction que William
prendrait.
Entre-temps, Joseph continuait de préparer les saints à recevoir les
ordonnances salvatrices du temple. S’adressant à une vaste assemblée
d’hommes et de femmes, il dit : « Plût à Dieu que ce temple soit d’ores
et déjà achevé afin que nous puissions y entrer. Je conseillerais à
tous les saints de s’y rendre avec ardeur et d’y réunir toute leur
parenté en vie afin d’être scellés ensemble et sauvés. »
Cependant, il savait qu’ils ne pourraient le faire que s’ils arrivaient
à terminer le temple. Il s’inquiétait déjà de l’agitation croissante
manifestée dans les communes voisines de Nauvoo. L’été précédent, après
une élection au niveau de l’État, ses détracteurs s’étaient réunis pour
protester, l’accusant d’influencer le vote des saints. Ils déclarèrent
: « Une telle personne ne manquera pas de devenir extrêmement
dangereuse, surtout si elle arrive à se positionner à la tête d’une
horde nombreuse. »
Sachant à quelle vitesse les tensions pouvaient s’exacerber, Joseph
espérait trouver des alliés dans le gouvernement national qui
pourraient défendre les saints dans l’arène publique. Quelques mois
plus tôt, il avait écrit à cinq candidats aux élections présidentielles
suivantes, espérant découvrir s’ils soutiendraient les efforts des
saints pour recouvrer leurs pertes au Missouri. Trois d’entre eux
répondirent. Deux soutinrent que l’affaire était du ressort de l’État
et non du président. Le troisième fut compatissant mais en fin de
compte évasif.
Contrarié par la mauvaise volonté des candidats, il décida de présenter
sa propre candidature aux élections présidentielles. Il était peu
probable qu’il l’emporte mais il voulait profiter de l’occasion pour
rendre les griefs des saints publics et défendre les droits d’autres
personnes traitées injustement. Il s’attendait à ce que des centaines
de saints fissent campagne pour lui dans tout le pays.
Le 29 janvier 1844, le Collège des Douze désigna officiellement Joseph
comme candidat à la présidence et il accepta leur nomination. Il promit
: « Si j’obtiens le poste de président, je protégerai les droits et les
libertés du peuple. »
Pendant ce temps, sur un baleinier au large des côtes d’Afrique du Sud,
Addison regardait ses compagnons de bord abaisser quatre petites
barques sur l’océan et ramer de toutes leurs forces à la poursuite
d’une grosse baleine. Approchant leurs embarcations des flancs de la
bête, les hommes lui tirèrent des harpons dans le dos. En réaction, la
bête plongea profondément et fit franchir à leurs barques la crête de
vagues colossales.
Le mouvement rapide sectionna le câble de remorquage et la baleine
refit surface, cette fois-ci non loin du bateau. Grimpant au sommet du
mât pour mieux y voir, Addison vit l’imposante créature se débattre,
mugir et cracher de l’eau tandis qu’elle essayait de se dégager des
deux harpons accrochés dans sa chair puissante. Lorsque les barques se
rapprochèrent, elle replongea pour esquiver un nouvel assaut, refaisant
surface plus loin. Les hommes tentèrent de la poursuivre une fois de
plus mais elle s’échappa.
En regardant la chasse, cela rappela à Addison la bénédiction
patriarcale qu’il avait reçue peu après avoir emménagé à Nauvoo. Hyrum
Smith lui avait promis qu’il « sortirait et rentrerait et irait sur la
surface de la terre ». Après la bénédiction, Hyrum avait dit : « Je
suppose que tu vas devoir aller pêcher la baleine. »
Addison et ses collègues missionnaires étaient maintenant en mer depuis
plusieurs mois. Ils avaient traversé l’Atlantique, contourné le cap de
Bonne-Espérance et voguaient en direction des îles au-delà de
l’Australie. Comme ils n’avaient pas réussi à trouver de navire en
partance pour Hawaï, ils avaient réservé des places sur un baleinier
qui allait plus au sud, à Tahiti. Le voyage durerait pratiquement une
année et Addison et les missionnaires avaient déjà essayé de discuter
de l’Évangile rétabli avec leurs compagnons.
La plupart des journées à bord étaient plaisantes mais des rêves de
mauvais augure troublaient parfois les nuits d’Addison. Une fois, il
rêva que Joseph et les saints étaient à bord d’un bateau plongeant tout
droit dans une tempête. L’embarcation rencontra un brisant et heurta le
fond, déchiquetant la coque. Lorsque l’eau s’y engouffra, la proue
commença de couler. Certains saints se noyèrent tandis que d’autres
réussirent à fuir le navire en perdition mais se firent dévorer par des
requins affamés.
Dans un autre rêve, quelques nuits plus tard, il vit sa famille et
l’Église quitter Nauvoo. Il chercha longtemps avant de les trouver
installés dans une vallée fertile. Dans le rêve, Louisa et les enfants
vivaient à flanc de coteau, dans une petite cabane entourée de champs
labourés. Elle salua Addison et l’invita à l’accompagner pour voir
l’étable et le pré à l’extrémité supérieure du champ. Le jardin n’était
pas clôturé et les cochons lui causaient des problèmes mais elle avait
un bon chien pour surveiller la propriété.
Addison se réveilla de ces rêves, inquiet pour sa famille. Il craignait
que des ennemis ne soient de nouveau en train d’affliger les saints.
Cet hiver-là, dans le cadre du projet de levée de fonds pour le temple,
Mercy Fielding Thompson et Mary Fielding Smith firent une collecte de
centimes auprès des femmes de Nauvoo. Vers la fin de l’année
précédente, pendant qu’elle priait pour savoir quoi faire pour
participer à l’édification de Sion, Mercy s’était sentie poussée à
lancer cette collecte. L’Esprit lui avait murmuré : « Essaie de
convaincre les sœurs de s’engager à verser un centime par semaine pour
acheter du verre et des clous pour le temple. »
Mercy soumit l’idée à Joseph qui lui dit qu’il fallait le faire et que
le Seigneur la bénirait. Les femmes réagirent avec enthousiasme au plan
de Mercy. Chaque semaine, Mary et elle collectaient les centimes et
notaient minutieusement le nom des femmes qui avaient promis leur
soutien.
Hyrum les aida également et donna à la campagne la pleine approbation
de la Première Présidence. Il déclara que chaque femme qui versait des
centimes aurait son nom dans le Livre de loi du Seigneur, là où Joseph
et ses secrétaires enregistraient la dîme, les révélations et d’autres
écrits sacrés.
Une fois que la collecte de centimes fut opérationnelle à Nauvoo, les
sœurs écrivirent au bureau du Millennial Star, en Angleterre, pour
réclamer des centimes aux femmes de l’Église là-bas. Elles écrivirent :
« Nous vous informons par la présente qu’ici nous avons pris un petit
abonnement hebdomadaire pour le profit des fonds du temple. Un millier
de personnes sont déjà inscrites mais nous attendons encore beaucoup
plus de monde. Ainsi, nous sommes certaines de faire bien avancer la
grande œuvre. »
Peu après, les femmes de la mission britannique envoyaient leurs
centimes de l’autre côté de l’océan, jusqu’à Nauvoo.
Aidé par William Phelps, Joseph développa une plateforme présidentielle
indépendante et ébaucha une brochure pour la promouvoir dans tout le
pays. Il proposa d’accorder au président davantage de pouvoir pour
maîtriser les émeutiers, de libérer les esclaves en dédommageant leurs
propriétaires, de transformer les prisons en lieu d’apprentissage et de
réforme et d’agrandir le pays vers l’ouest mais uniquement avec
l’accord total des Amérindiens. Il voulait que les électeurs sachent
qu’il était le défenseur de tous, pas uniquement celui des saints des
derniers jours.
Il croyait qu’une démocratie théocratique, où les gens décidaient de
vivre en accord avec les lois de Dieu, pourrait engendrer une société
juste et paisible qui préparerait le monde à la Seconde Venue.
Néanmoins, si sa campagne devait échouer et les opprimés rester sans
protection, il voulait coloniser une contrée où les protéger dans les
derniers jours, en dehors des États-Unis.
Les menaces constantes émanant du Missouri et de l’Illinois, ainsi que
le nombre toujours croissant de saints, l’avaient récemment poussé à
regarder vers l’ouest pour trouver un tel lieu. Il n’avait pas
l’intention d’abandonner Nauvoo mais il s’attendait à ce que l’Église
devienne si importante que la ville ne pourrait plus l’accueillir. Il
voulait trouver un endroit où les saints pourraient établir le royaume
de Dieu et instituer des lois justes qui gouverneraient le peuple du
Seigneur jusqu’au millénium.
Avec cette idée en tête, il pensa à des régions telles que la
Californie, l’Oregon et le Texas, qui étaient alors en dehors des
frontières des États-Unis. Il commanda aux Douze : « Envoyez une
délégation examiner ces emplacements. Trouvez une contrée accueillante
où nous pourrons nous retirer lorsque le temple sera terminé, bâtir une
ville en un jour et avoir un gouvernement à nous dans un climat sain. »
Les 10 et 11 mars, le prophète forma un conseil d’hommes qui
superviseraient l’établissement du royaume du Seigneur sur terre. Le
conseil prit le nom de conseil du royaume de Dieu ou conseil de
cinquante. Joseph voulait des débats vigoureux au sein du conseil et
encouragea ses membres à dire ce qu’ils pensaient et ce qu’ils avaient
sur le cœur.
Avant la fin de leur première réunion, ils parlaient avec enthousiasme
de la création d’un gouvernement à eux régi par une nouvelle
constitution qui refléterait la volonté de Dieu. Ils croyaient qu’elle
servirait de modèle pour les gens et serait l’accomplissement de la
prophétie d’Ésaïe selon laquelle le Seigneur établirait un étendard
pour les nations afin de rassembler ses enfants dans les derniers jours.
Pendant cette période, lors des réunions avec les dirigeants de
l’Église, Joseph avait l’air déprimé. Il croyait que quelque chose
d’important était sur le point de se produire. Il dit : « Peut-être mes
ennemis vont-ils me tuer. Si c’est le cas et si les clés de l’autorité
qui reposent en moi ne vous sont pas transmises, elles seront perdues
sur la terre. » Il dit qu’il se sentait poussé à conférer aux douze
apôtres toutes les clés de la prêtrise afin de pouvoir avoir
l’assurance que l’œuvre du Seigneur se poursuivrait.
Il leur dit : « C’est donc sur les épaules des Douze que doit reposer
la responsabilité de diriger l’Église jusqu’à ce que vous en nommiez
d’autres pour vous succéder. C’est ainsi que ce pouvoir et ces clés
peuvent être perpétués sur la terre. »
Joseph les avertit que le chemin qui les attendait ne serait pas
facile. Il dit : « Si vous êtes appelés à donner votre vie, mourez
comme des hommes. Une fois qu’ils vous ont tué, ils ne peuvent plus
vous faire de mal. Si vous devez être en péril et entre les mâchoires
de la mort, ne craignez pas le mal. Jésus-Christ est mort pour vous. »
Joseph scella sur leur tête toutes les clés de la prêtrise dont ils
auraient besoin pour poursuivre l’œuvre du Seigneur sans lui, notamment
les clés sacrées du pouvoir de scellement. Il dit : « Je transfère le
fardeau et la responsabilité de la direction de cette Église de mes
épaules aux vôtres. Maintenant, redressez les épaules et endossez-le
comme des hommes ; car le Seigneur va me laisser me reposer un certain
temps. »
Joseph n’avait plus l’air déprimé. Il avait le visage lumineux et plein
de puissance. Il dit aux hommes : « Je me sens aussi léger qu’un
bouchon de liège. Je me sens libre. Je remercie mon Dieu de cette
délivrance. »
CHAPITRE 43 : Une nuisance publique
Après son renvoi de la Première Présidence, William Law évita Joseph.
Fin mars 1844, Hyrum tenta de réconcilier les deux hommes mais William
refusa de reconnaître ses torts tant que le prophète maintenait le
mariage plural. Vers la même époque, ce dernier entendit dire que
William et plusieurs autres personnes en ville complotaient de le tuer,
ainsi que sa famille.
Il dénonça les conspirateurs avec confiance, disant aux saints : « Je
ne vais pas signer de mandat contre eux parce que je ne crains aucun
d’eux. Ils n’effraieraient même pas une vieille poule qui couve. »
Néanmoins, la dissidence croissante à Nauvoo le préoccupait et les
menaces de mort ne faisaient qu’exacerber le sentiment que le temps
dont il disposait pour instruire les saints touchait à sa fin.
Ce printemps-là, un membre de l’Église appelé Emer Harris l’informa que
les conspirateurs l’avaient invité, ainsi que son fils de dix-neuf ans,
Denison, à assister à leurs réunions. Joseph dit : « Frère Harris, je
vous conseille de ne pas y aller et de ne pas y prêter attention. » Il
voulait par contre que Denison y assiste et découvre ce qu’il pouvait
au sujet des conjurés.
Plus tard, Joseph s’entretint avec lui et son ami Robert Scott pour les
préparer à leur tâche. Sachant que les conspirateurs étaient dangereux,
il avertit les jeunes gens qu’ils devaient en dire le moins possible
pendant qu’ils seraient là-bas et n’offenser personne.
Le 7 avril 1844, le deuxième jour de la conférence générale de
l’Église, Joseph mit ses soucis de côté pour s’adresser aux saints.
Lorsqu’il prit la parole, un vent fort soufflait dans l’assemblée. Le
prophète éleva la voix pour couvrir le tumulte : « J’aurai du mal à me
faire entendre de tous à moins que vous ne soyez très attentifs. » Il
annonça qu’il allait parler de son ami, King Follett, qui était décédé
récemment, et allait offrir des paroles réconfortantes à tous ceux qui
avaient perdu des êtres chers.
Il désirait aussi donner à chaque saint un aperçu de ce qui l’attendait
dans le monde à venir. Il voulait écarter le voile spirituel, ne
serait-ce qu’un instant, et lui enseigner son potentiel divin et la
véritable nature de Dieu.
Il demanda : « Quel genre de personnage est Dieu ? Est-ce qu’un homme
ou une femme le sait ? Est-ce que quelqu’un parmi vous l’a vu, l’a
entendu, a communié avec lui ? » Joseph laissa ses questions planer sur
l’assemblée. Il dit : « Si le voile était déchiré aujourd’hui et si
vous deviez voir le grand Dieu qui maintient notre monde dans son
orbite et qui soutient toutes choses par son pouvoir, vous le verriez
dans toute la personne, l’image et la forme mêmes d’un homme. »
Il expliqua que la recherche de la connaissance et le respect des
alliances aideraient les saints à accomplir le plan suprême du Père
pour eux. Il dit : « Il faut que vous appreniez comment être vous-mêmes
des dieux en passant d’un petit degré à l’autre et d’une petite
capacité à une plus grande ; de grâce en grâce, d’exaltation en
exaltation, jusqu’à ce que vous soyez capables de demeurer dans les
embrasements éternels et de siéger en gloire. »
Il leur rappela que ce plan l’emportait sur la mort. Il dit : « Quelle
consolation pour une personne endeuillée de savoir que, bien que
l’enveloppe terrestre se dissolve, nos êtres chers se relèveront en
gloire immortelle pour ne plus être affligés, souffrir ou mourir, mais
pour être héritiers de Dieu et cohéritiers de Jésus-Christ ! »
Le processus prendrait du temps et exigerait beaucoup de patience, de
foi et d’apprentissage. Il assura aux saints : « On ne peut pas le
comprendre entièrement ici-bas. Il faudra beaucoup de temps au-delà du
tombeau pour tout saisir. »
Alors que son sermon touchait à sa fin, Joseph devint songeur. Il parla
de membres de sa famille et d’amis décédés. Il dit : « Ils ne sont
absents que pour un temps. Ils sont en esprit et lorsque nous
partirons, nous saluerons nos mères, nos pères, nos amis et tous les
êtres que nous aimons. » Il assura aux mères qui avaient perdu des
enfants en bas âge qu’elles les retrouveraient. Dans les éternités,
dit-il, les saints ne vivront plus dans la crainte des émeutiers mais
demeureront dans la joie et le bonheur.
Debout devant l’assemblée, Joseph n’était plus le jeune fermier sans
instruction ni raffinement qui avait cherché la sagesse dans un
bosquet. Jour après jour, année après année, le Seigneur l’avait poli
comme une pierre, le façonnant petit à petit afin qu’il devienne un
meilleur instrument entre ses mains. Pourtant, les saints comprenaient
si peu de sa vie et de sa mission.
Il dit : « Vous n’avez jamais connu mon cœur. Je ne vous en veux pas de
ne pas croire à mon histoire. Si je ne l’avais pas vécue, je n’aurais
pas pu y croire moi-même. » Il espérait qu’un jour, lorsque sa vie
serait pesée dans la balance, les saints le connaîtraient mieux.
Lorsqu’il eut terminé, il prit place et le chœur chanta un cantique. Il
venait de parler pendant presque deux heures et demie.
Son sermon fut une inspiration pour les saints et les remplit de
l’Esprit. Une semaine après la conférence, Ellen Douglas écrivit à ses
parents en Angleterre : « Les enseignements que nous avons entendus
nous ont réjoui le cœur. » Ellen, son mari et leurs enfants faisaient
partie des premiers convertis britanniques à s’être rendus en bateau à
Nauvoo en 1842 et les vérités que Joseph avait enseignées dans son
sermon leur rappelaient pourquoi ils avaient tant sacrifié pour se
rassembler avec les saints.
Comme de nombreux convertis britanniques, les Douglas avaient dépensé
la plus grande partie de leurs économies pour immigrer à Nauvoo, les
laissant dans le dénuement. George, le mari d’Ellen, était mort peu
après leur arrivée et une fièvre terrible l’avait mise dans
l’incapacité de s’occuper de ses huit enfants. Une amie lui recommanda
sans tarder de se faire aider par la Société de Secours à laquelle elle
s’était jointe à son arrivée en ville.
Dans la lettre qu’elle envoya à ses parents après la conférence, elle
raconta : « J’ai refusé mais elle a dit qu’il le fallait parce que
j’étais malade depuis si longtemps et que si je ne le faisais pas, elle
le ferait à ma place. » Ellen savait que ses enfants avaient besoin de
nombreuses choses, surtout de vêtements ; elle finit donc par accepter
de demander de l’aide à une membre de la Société de Secours.
Ellen expliqua : « Elle m’a demandé ce dont j’avais le plus besoin, a
pris le chariot et est allée me chercher un présent comme je n’en avais
jamais reçu avant, où que ce soit dans le monde. »
Ses enfants et elle possédaient maintenant une vache et élevaient des
dizaines de poulets sur la parcelle qu’ils louaient, tout en
économisant pour s’acheter des terres. Elle dit à ses parents : « Je ne
me suis jamais sentie aussi bien que maintenant. Je me réjouis et je
loue Dieu d’avoir envoyé les anciens d’Israël en Angleterre et de
m’avoir donné un cœur disposé à les croire. »
Elle termina la lettre en rendant témoignage du prophète Joseph Smith.
Elle dit à ses parents : « Le jour viendra où vous saurez que je vous
ai dit la vérité. »
Ce printemps-là, Denison Harris et Robert Scott assistèrent aux
réunions secrètes de William Law et rapportèrent à Joseph ce qu’ils
avaient appris. William se considérait maintenant comme un réformateur.
Il prétendait toujours croire au Livre de Mormon et aux Doctrine et
Alliances mais le mariage plural et les récents enseignements de Joseph
sur la nature de Dieu le rendaient furieux.
Parmi les conspirateurs, les jeunes gens reconnurent Jane, la femme de
William, et le frère aîné de ce dernier, Wilson. Ils virent également
Robert et Charles Foster, qui avaient été amis avec Joseph jusqu’à ce
qu’ils se disputent avec lui à propos de l’aménagement des terres
autour du temple. Les anciens alliés de John Bennett, Chauncey et
Francis Higbee, étaient présents également, ainsi qu’une brute locale
appelée Joseph Jackson.
Le prophète fut touché que Denison et Robert soient prêts à risquer
leur vie pour lui. Après leur deuxième réunion avec les conspirateurs,
il demanda aux jeunes gens d’y assister une fois de plus. Il conseilla
: « Soyez parfaitement discrets et ne faites aucune promesse de
comploter contre moi ou une partie quelconque de la communauté. » Il
les avertit que les conjurés risquaient de tenter de les tuer.
Le dimanche suivant, Denison et Robert trouvèrent des hommes armés de
mousquets et de baïonnettes qui montaient la garde devant le lieu
habituel de réunion. Les deux jeunes entrèrent dans la maison et
écoutèrent en silence les débats. Tout le monde était d’accord qu’il
fallait que Joseph meure mais personne ne parvenait à convenir d’un
plan.
Avant la fin de la réunion, Francis Higbee fit prêter un serment de
solidarité à chaque conspirateur. Un par un, les hommes et les femmes
dans la pièce levèrent une Bible dans la main droite et prêtèrent
serment. Lorsque ce fut le tour de Denison et de Robert, ils refusèrent
de s’avancer.
Les conjurés raisonnèrent : « N’avez-vous pas entendu le témoignage
ferme de tous les participants contre Joseph Smith ? Nous jugeons qu’il
est de notre devoir solennel de le détruire et de secourir le peuple de
ce péril. »
Les jeunes gens dirent : « Nous sommes venus à vos réunions parce que
nous croyions que vous étiez nos amis. Nous ne pensions pas à mal. »
Les dirigeants commandèrent à des gardes de se saisir d’eux et de les
escorter jusqu’à la cave. Là, on leur donna une dernière chance de
prêter serment. On leur dit : « Si vous vous entêtez à refuser, nous
devrons verser votre sang. »
Les jeunes gens refusèrent de nouveau et se préparèrent à mourir.
Quelqu’un dans la cave cria : « Attendez un peu ! Discutons-en d’abord.
»
L’instant d’après, les conspirateurs se disputaient de nouveau et les
jeunes hommes entendirent quelqu’un dire qu’il serait trop dangereux de
les tuer. Il avançait : « Les parents des garçons pourraient lancer une
enquête qui serait très dangereuse pour nous. »
Denison et Robert furent emmenés au bord du fleuve par des gardes armés
et relâchés. Ces derniers les avertirent : « Si vous ouvrez la bouche,
nous vous tuerons, de nuit comme de jour, là où nous vous trouverons. »
Les jeunes gens partirent et firent immédiatement rapport à Joseph et à
un garde du corps qui était avec lui. En écoutant leur histoire, il fut
reconnaissant qu’ils soient sains et saufs et une expression grave
passa sur son visage. Il dit : « Frères, je ne sais pas comment cela va
se terminer. »
Le garde du corps demanda : « Tu penses qu’ils vont te tuer ? Vont-ils
te tuer ? »
Joseph ne répondit pas directement à la question mais il assura aux
jeunes hommes que William Law et les autres conjurés se trompaient à
son égard. Il témoigna : « Je ne suis pas un faux prophète. Je n’ai pas
reçu de révélations obscures. Je n’ai pas reçu de révélations du
diable. »
Au milieu du tumulte du printemps, Joseph se réunissait régulièrement
avec le conseil de cinquante pour discuter des caractéristiques idéales
d’une démocratie théocratique et des lois et pratiques qui la
gouvernaient. Lors d’une réunion, peu après la conférence d’avril, le
conseil vota pour accepter Joseph en tant que prophète, prêtre et roi.
Les hommes n’ayant aucune autorité politique, la motion n’avait aucune
conséquence temporelle mais elle entérinait les offices et
responsabilités de Joseph dans la prêtrise en qualité de chef du
royaume terrestre du Seigneur avant la Seconde Venue.. IElle faisait
également allusion au témoignage de Jean le Révélateur que Christ avait
fait des saints justes un royaume, des sacrificateurs pour Dieu,
donnant une nouvelle dimension au titre de Roi des rois du Sauveur.
Plus tard cet après-midi-là, Joseph nota que quelques membres du
conseil n’étaient pas membres de l’Église. Il proclama que dans le
conseil de cinquante, on ne consultait pas les hommes sur leurs
opinions religieuses, quelles qu’elles aient pu être. Il dit : « Nous
agissons selon le principe large et libéral que tous les hommes ont des
droits égaux et doivent être respectés. Chacun dans cette organisation
a la chance de choisir délibérément son Dieu et ce qui lui plaît en
matière de religion. »
Tout en parlant, Joseph attrapa une longue règle et fit de grands
gestes, comme aurait pu le faire un maître d’école : « Lorsqu’un homme
se sent un tant soit peu tenté par une telle intolérance, il doit s’y
refuser. » Il dit que l’intolérance religieuse avait inondé la terre de
sang. Il déclara : « Dans tout gouvernement ou toute transaction
politique, les opinions religieuses ne devraient jamais être mises en
cause. » On devrait être jugé selon la loi, sans préjudice religieux.
Lorsqu’il eut fini de parler, sans faire exprès, il cassa la règle en
deux, à la grande surprise de toutes les personnes présentes.
Brigham Young lança malicieusement : « Comme la règle a été cassée dans
les mains de notre président, puissent tous les gouvernements
tyranniques se briser devant nous. »
Fin avril, les désaccords avec William et Jane Law s’ébruitant de plus
en plus, un conseil de trente-deux dirigeants de l’Église fut amené à
les excommunier, ainsi que Robert Foster, pour conduite non chrétienne.
Du fait que personne ne les avait convoqués pour se défendre lors de
l’audience, William fut scandalisé et rejeta la décision du conseil.
Après cela, les détracteurs de l’Église se firent de plus en plus
entendre au fur et à mesure que plusieurs apôtres et des dizaines
d’anciens quittaient Nauvoo pour des missions et pour la campagne
présidentielle de Joseph. Robert Foster et Chauncey Higbee firent des
recherches pour trouver des alibis qui permettraient de poursuivre le
prophète en justice. Le 21 avril, William Law organisa une réunion
publique au cours de laquelle il accusa Joseph d’être un prophète déchu
et organisa une nouvelle Église.
Pendant la réunion, ses partisans l’intronisèrent en tant que président
de la nouvelle Église. Après cela, ils se réunirent chaque dimanche et
échafaudèrent des plans pour rallier d’autres saints mécontents à leur
cause.
Pendant ce temps, Thomas Sharp, le jeune éditeur qui s’en était pris
aux saints peu après leur arrivée en Illinois, remplissait son journal
de critiques à l’encontre de Joseph et de l’Église.
Pour justifier ses attaques, il déclarait : « Vous ne savez rien des
nombreuses insultes et blessures dont nos citoyens ont été victimes de
la part des chefs de l’Église mormone. Vous n’en savez rien, sinon vous
n’essaieriez pas de nous sermonner parce que nous tentons de démasquer
cette bande de hors-la-loi, de tricheurs et de profiteurs. »
Puis, le 10 mai, William et ses partisans annoncèrent leur intention de
publier un journal appelé le Nauvoo Expositor, qui, comme ils le
formulaient, serait un « énoncé complet, franc et sommaire des faits,
tels qu’ils existent vraiment dans la ville de Nauvoo ». Francis Higbee
porta également plainte contre Joseph, l’accusant d’avoir diffamé sa
réputation en public, pendant que William et Wilson utilisaient les
mariages pluraux comme motifs pour l’accuser d’adultère.
Alors que les fausses accusations s’accumulaient contre lui, Joseph dit
aux saints : « Le diable établit toujours son royaume exactement au
même moment en opposition avec Dieu. » Plus tard, d’autres saints dotés
et lui se réunirent au-dessus de son magasin et prièrent pour être
délivrés de leurs ennemis. Joseph voulait éviter l’arrestation mais il
ne voulait pas repartir se cacher. Emma était enceinte et très malade
et il hésitait à quitter son chevet.
Finalement, fin mai, il décida qu’il valait mieux aller à Carthage, le
siège du comté, et affronter une enquête légale sur les accusations
dont il faisait l’objet. Plus d’une vingtaine d’amis l’accompagnèrent
en ville. Lorsque le cas fut présenté à un juge, il manquait un témoin
aux procureurs et ils ne purent poursuivre l’enquête. Les audiences
furent reportées de plusieurs mois et le shérif permit à Joseph de
rentrer chez lui.
Sa libération fit enrager Thomas Sharp. Il déclara dans un éditorial :
« Nous en avons vu et entendu suffisamment pour nous convaincre que Joe
Smith n’est pas en sécurité hors de Nauvoo et nous ne serions pas
surpris d’apprendre sous peu qu’il a succombé à une mort violente. La
tension dans ce pays a maintenant atteint une intensité extrême et elle
se déversera dans sa furie à la moindre provocation. »
Tandis que l’opposition contre Joseph s’intensifiait, les saints
continuaient d’édifier leur ville. Louisa Pratt avait du mal à abriter
et nourrir ses quatre filles pendant que son mari était en mission dans
le Pacifique Sud. Avant de partir, Addison avait acheté du bois mais
pas assez pour permettre à Louisa de construire une maison sur leur
terrain. Comme elle possédait des terres dans un État voisin, elle se
rendit dans une scierie des environs et demanda à acheter du bois à
crédit, avec ses terres en garantie.
Inquiète de voir son crédit refusé du fait de son sexe, elle dit : «
Vous avez sans doute besoin d’une femme. En général, elles sont plus
ponctuelles que les hommes. »
Le propriétaire de la scierie n’eut aucun scrupule à lui vendre du bois
à crédit et Louisa en eut bientôt assez pour construire une petite
maison. Malheureusement, elle était continuellement déçue par les
hommes qu’elle employait pour faire le travail, l’obligeant à en
embaucher d’autres jusqu’à ce qu’elle trouve des ouvriers fiables.
Pendant les travaux, elle travaillait comme couturière. Lorsque ses
filles attrapèrent la rougeole, elle veilla sur elles nuit et jour,
priant pour leur guérison jusqu’à ce qu’elles soient rétablies. En
apparence, elle semblait bien se débrouiller dans la situation.
Pourtant, elle se sentait souvent seule, incompétente et inapte à
porter le fardeau qui pesait sur ses épaules.
Une fois que la maison fut terminée, Louisa y emménagea avec ses
enfants. Elle installa un tapis qu’elle avait confectionné elle-même et
meubla la maison d’articles achetés avec ses revenus.
Les mois passant, Louisa et les filles survécurent sur son petit
salaire, troquant et achetant à crédit tout en payant leur dette au
propriétaire de la scierie. Lorsque la nourriture manqua et que Louisa
eut de nouvelles dettes à régler, les enfants demandèrent : «
Qu’allons-nous faire, mère ? »
Elle répondit sèchement : « Nous plaindre au Seigneur. » Elle se
demanda à quoi ressemblerait sa prière. Se plaindrait-elle des gens qui
lui devaient de l’argent ? Pesterait-elle contre ceux qui ne l’avaient
pas payée pour le travail qu’ils lui avaient confié ?
À ce moment-là, un homme arriva avec un gros chargement de bois qu’elle
a pu vendre. Un autre arriva ensuite avec cinquante kilos de farine et
une douzaine de kilos de porc.
Sa fille Frances dit : « Oh mère, que tu as de la chance ! »
Submergée de reconnaissance, Louisa décida de taire ses doléances.
Comme William Law l’avait promis, le Nauvoo Expositor apparut dans les
rues de Nauvoo début juin. En avant-propos il déclarait : « Nous
cherchons sincèrement à faire exploser les principes dangereux de
Joseph Smith qui, nous le savons bien, ne sont pas en accord avec les
principes de Jésus-Christ et des apôtres. »
Dans le journal, William et ses partisans affirmaient que Joseph avait
dévié de l’Évangile rétabli en introduisant la dotation, la pratique du
mariage plural et l’enseignement de nouveaux points de doctrine sur
l’exaltation et la nature de Dieu.
Il avertissait aussi les citoyens du comté du pouvoir politique
grandissant des saints. Ils reprochaient à Joseph de brouiller les
rôles de l’Église et de l’état et condamnaient sa candidature à la
présidence.
Ils menaçaient : « Levons-nous dans la majesté de notre force et
balayons l’influence des tyrans et des mécréants de la surface du pays.
»
Le lendemain de la parution du journal, Joseph réunit le conseil
municipal de Nauvoo pour discuter de ce qu’il fallait faire de
l’Expositor. Beaucoup de voisins des saints étaient déjà hostiles à
l’Église et il s’inquiétait que l’Expositor ne les incite à la
violence. Il dit : « Il n’est pas prudent que de telles choses existent
du fait de l’esprit d’émeute qu’elles ont tendance à produire. »
Hyrum rappela au conseil municipal les émeutiers qui les avaient
chassés du Missouri. Comme Joseph, il craignait que le journal ne monte
les gens contre les saints, à moins qu’ils ne passent une loi pour y
mettre un terme.
Il était tard le samedi soir et les hommes ajournèrent la réunion
jusqu’au lundi. Ce jour-là, le conseil municipal se réunit du matin
jusqu’au soir, discutant de nouveau de ce qu’ils pouvaient faire.
Joseph proposa de déclarer le journal « nuisance publique » et de
détruire la presse qui l’imprimait.
John Taylor approuva. En qualité d’éditeur du Times and Seasons, il
reconnaissait la valeur de la liberté de presse et d’expression mais
Joseph et lui croyaient qu’ils avaient constitutionnellement le droit
de se protéger des écrits diffamatoires. La destruction de l’Expositor
et sa presse serait controversée mais ils croyaient que les lois leur
permettaient de le faire légalement.
Joseph lut à haute voix la constitution de l’État d’Illinois sur la
liberté de la presse afin que toutes les personnes présentes
comprennent la loi. Attrapant un livre de droit respecté, un autre
conseiller lut la justification légale permettant de détruire une
nuisance troublant la paix de la collectivité. Une fois le raisonnement
légal avancé, Hyrum réitéra la proposition de Joseph de détruire la
presse et d’éparpiller les caractères.
William Phelps dit au conseil qu’il avait examiné la constitution des
États-Unis, la charte de la ville de Nauvoo et les lois du pays. Selon
lui, la ville était totalement et légalement justifiée en déclarant que
la presse était une nuisance et en la détruisant immédiatement.
Le conseil vota la destruction de la presse et Joseph envoya au marshal
de la ville l’ordre d’exécuter la mesure.
Ce soir-là, ce dernier arriva au bureau de l’Expositor avec une
centaine d’hommes. Ils entrèrent par effraction dans la boutique avec
une masse, traînèrent la presse d’imprimerie dans la rue et la mirent
en pièces. Ils vidèrent ensuite les tiroirs contenant les caractères et
mirent le feu aux décombres. Tous les exemplaires du journal qu’ils
trouvèrent furent ajoutés au brasier.
Le lendemain, Thomas Sharp rapporta la destruction de la presse dans
une édition inédite de son journal. Il écrivit : « La guerre et
l’extermination sont inévitables ! Citoyens levez-vous tous !!! » Nous
n’avons pas le temps de faire de commentaires, chaque homme se fera sa
propre opinion. Puisse-t-elle être faite de poudre et de balles !!! »
CHAPITRE 44 : Un agneau à l’abattoir
Après que Thomas Sharp eut fait retentir l’appel aux armes, la colère
contre les saints de Nauvoo se propagea dans la région comme une
traînée de poudre. Des citoyens se rallièrent à Warsaw et Carthage,
deux villes voisines, pour protester contre la destruction de
l’Expositor. Les dirigeants politiques mobilisèrent les hommes de la
région pour se dresser contre les saints. En deux jours, trois cents
émeutiers armés étaient réunis à Carthage, prêts à attaquer Nauvoo et à
anéantir les saints.
À cent cinquante kilomètres au nord-est, Peter Maughan et Jacob Peart
étaient attablés pour prendre un repas dans un hôtel. Sous la direction
de Joseph, ils étaient venus dans la région acheter un gisement de
charbon. Joseph croyait qu’il serait rentable d’extraire le charbon et
de l’expédier par le bateau à vapeur de l’Église, la Maid of Iowa, via
le Mississippi.
Pendant qu’il attendait sa nourriture, Peter ouvrit le journal et lut
un article affirmant qu’une bataille importante avait fait des milliers
de victimes à Nauvoo. Choqué et inquiet pour Mary et leurs enfants, il
montra l’article à Jacob.
Les deux hommes prirent le bateau suivant pour rentrer chez eux.
Arrivés à une quarantaine de kilomètres de leur destination, ils
apprirent, à leur grand soulagement, qu’aucune bataille n’avait eu lieu
mais il semblait que ce n’était plus qu’une question de temps avant que
la violence n’éclate.
En dépit de la décision mûrement réfléchie de détruire la presse
d’imprimerie, le conseil municipal avait sous-estimé le tollé qui
s’ensuivrait. William Law avait fui la ville mais certains de ses
partisans menaçaient maintenant de détruire le temple, de mettre le feu
chez Joseph et de raser l’imprimerie de l’Église. Francis Higbee
accusait le prophète et d’autres membres du conseil municipal d’avoir
provoqué une émeute lors de la destruction de la presse. Il jurait que
d’ici une dizaine de jours, il ne resterait plus un seul mormon à
Nauvoo.
Le 12 juin, un policier de Carthage arrêta Joseph et d’autres membres
du conseil municipal. Le tribunal de Nauvoo trouva les accusations sans
fondement et relâcha les hommes, mettant les détracteurs de Joseph
encore plus en colère. Le lendemain, le prophète apprit que trois cents
hommes étaient rassemblés à Carthage, prêts à attaquer Nauvoo.
Espérant éviter une autre guerre ouverte avec leurs voisins, comme au
Missouri, Joseph et d’autres écrivirent en urgence au gouverneur Ford
pour expliquer les actions du conseil municipal et implorer son aide
contre les attaques d’émeutiers. Joseph parla aux saints, les exhortant
à rester calmes, à se préparer à défendre la ville et à ne faire aucune
émeute. Ensuite, il regroupa la légion de Nauvoo et mit la ville sous
loi martiale, suspendant le gouvernement habituel et mettant les
militaires aux commandes.
L’après-midi du 18 juin, la légion se rassembla devant la Nauvoo
Mansion. En qualité de chef de la milice, Joseph revêtit son uniforme
complet et monta sur une estrade voisine, d’où il s’adressa aux hommes.
Il dit : « Certains pensent que nos ennemis se satisferaient de ma
destruction mais je vous dis que dès qu’ils auront versé mon sang, ils
auront soif du sang de chaque personne dans le cœur de laquelle demeure
la moindre étincelle de l’esprit de la plénitude de l’Évangile. »
Tirant son épée et la levant vers le ciel, Joseph exhorta les hommes à
défendre les libertés dont on les avait privés dans le passé. Il
demanda : « Resterez-vous à mes côtés jusqu’à la mort et
soutiendrez-vous, au péril de votre vie, les lois de notre pays ? »
« Oui ! » rugit la foule.
Il dit : « Je vous aime de tout mon cœur. Vous êtes restés à mes côtés
dans les heures sombres et je suis disposé à sacrifier ma vie pour
épargner la vôtre. »
Après avoir entendu de la bouche de Joseph les raisons pour lesquelles
le conseil municipal avait détruit la presse, le gouverneur Ford
comprit que les saints avaient agi de bonne foi. Il y avait des raisons
légales et des précédents pour déclarer et détruire des nuisances dans
une communauté. Néanmoins, il n’était pas d’accord avec la décision du
conseil et ne croyait pas que ses actions puissent être justifiées. La
destruction légale d’un journal, après tout, était rare à une époque où
les collectivités confiaient habituellement ce genre de tâche à des
émeutiers, comme lorsqu’ils avaient détruit le journal des saints dans
le comté de Jackson plus d’une décennie auparavant.
Le gouverneur avait attaché beaucoup d’importance à la protection de la
liberté d’expression dans la constitution de l’État d’Illinois,
indépendamment de ce que la loi aurait pu permettre. Il écrivit au
prophète : « Votre conduite dans la destruction de la presse est un
très gros affront aux lois et aux libertés du peuple. Le journal était
peut-être rempli de calomnies mais cela ne vous autorisait pas à le
détruire. »
Le gouverneur soutenait en outre que la charte de la ville de Nauvoo
n’accordait pas aux tribunaux locaux autant de pouvoir que ce que le
prophète pouvait penser. Il lui conseilla à lui et aux autres membres
du conseil municipal qui avaient été accusés d’émeute de se livrer et
de se soumettre aux tribunaux en dehors de Nauvoo. Il leur dit : « Je
tiens à conserver la paix. Une petite indiscrétion pourrait déclencher
la guerre. » Si les dirigeants de la ville se livraient et passaient en
justice, il promettait de les protéger.
Sachant que Carthage grouillait d’hommes qui détestaient les saints,
Joseph doutait que le gouverneur soit en mesure de tenir sa promesse.
D’un autre côté, rester à Nauvoo ne ferait que faire enrager ses
détracteurs et attirerait des émeutiers en ville, mettant les saints en
danger. Il semblait de plus en plus évident que le meilleur moyen de
les protéger était de quitter Nauvoo pour l’Ouest ou d’aller chercher
de l’aide à Washington.
Écrivant au gouverneur, Joseph lui parla de son projet de quitter la
ville. Il écrivit : « Au nom de tout ce qui est sacré, nous implorons
Votre Excellence de s’assurer que nos femmes et nos enfants sans
défense soient protégés de la violence des émeutiers. » Il insista sur
le fait que si les saints avaient fait quoi que ce soit de
répréhensible, ils feraient tout ce qui était en leur pouvoir pour
réparer leur erreur.
Ce soir-là, après avoir dit au revoir à sa famille, Joseph grimpa avec
Hyrum, Willard Richards et Porter Rockwell dans une barque et traversa
le Mississippi. La barque prenait l’eau donc les deux frères et Willard
écopaient avec leurs bottes pendant que Porter ramait. Des heures plus
tard, le matin du 23 juin, ils arrivèrent en Iowa et Joseph demanda à
Porter de retourner à Nauvoo et de leur ramener des chevaux.
Avant qu’il ne parte, il lui remit une lettre adressée à Emma, lui
demandant de vendre leur propriété si nécessaire pour pourvoir à ses
besoins et à ceux des enfants et de sa mère. Il lui dit : « Ne
désespère pas. Si Dieu m’en donne la possibilité, je te reverrai. »
Plus tard ce matin-là, elle envoya Hiram Kimball et son neveu Lorenzo
Wasson en Iowa pour convaincre son mari de rentrer à la maison et de se
livrer. Ils dirent à Joseph que le gouverneur avait l’intention
d’occuper Nauvoo avec des troupes jusqu’à ce que lui et son frère Hyrum
se rendent. Porter revint peu après avec Reynolds Cahoon et une lettre
d’Emma le suppliant à nouveau de revenir. Hiram Kimball, Lorenzo et
Reynolds traitèrent tous Joseph de lâche pour avoir quitté Nauvoo et
exposé les saints au danger.
Le prophète dit : « Plutôt mourir que d’être traité de lâche. Si ma vie
n’a pas de valeur pour mes amis, elle n’en a pas pour moi. » Il savait
maintenant que quitter Nauvoo ne protègerait pas les saints mais il ne
savait pas s’il survivrait en allant à Carthage. Il demanda à Porter :
« Que dois-je faire ? »
Porter dit : « Tu es l’aîné, c’est toi qui devrais savoir. »
Se tournant vers son frère, Joseph dit : « C’est toi l’aîné. Que
devons-nous faire ? »
Hyrum répondit : « Retournons, livrons-nous et finissons-en. »
Joseph dit : « Si tu y retournes, j’irai avec toi mais nous allons être
massacrés. »
Hyrum répondit : « Si nous vivons ou si nous devons mourir, nous
accomplirons notre destin. »
Joseph y réfléchit un instant puis demanda à Reynolds d’aller chercher
un bateau. Ils allaient se livrer.
Le cœur d’Emma se serra lorsque Joseph arriva à la maison en fin
d’après-midi. Maintenant qu’elle le revoyait, elle craignait de l’avoir
rappelé pour le faire mourir. Le prophète aspirait à prêcher une fois
de plus aux saints mais il resta chez lui avec sa famille. Emma et lui
réunirent leurs enfants et il leur donna une bénédiction.
Tôt le lendemain matin, Joseph, Emma et les enfants sortirent de la
maison. Il embrassa chacun d’eux.
À travers ses larmes, Emma dit : « Tu vas revenir. »
Joseph enfourcha son cheval et partit pour Carthage avec Hyrum et les
autres hommes. Il leur dit : « Je vais comme un agneau à l’abattoir
mais je suis calme comme un matin d’été. J’ai la conscience libre de
toute faute envers Dieu et envers tous les hommes. »
Les cavaliers gravirent la colline vers le temple tandis que le soleil
se levait, teintant les murs inachevés du bâtiment d’une lumière dorée.
Joseph arrêta son cheval et balaya la ville du regard. Il dit : « C’est
le plus bel endroit et le meilleur peuple sous les cieux. Ils sont bien
loin de se douter des épreuves qui les attendent. »
Il ne fut pas absent bien longtemps. Trois heures après avoir quitté
Nauvoo, ses amis et lui rencontrèrent des troupes qui avaient ordre du
gouverneur de confisquer les armes que l’État avait fournies à la
légion de Nauvoo. Le prophète décida de faire demi-tour et de s’assurer
que l’ordre était exécuté. Il savait que si les saints résistaient,
cela donnerait aux émeutiers des raisons de les attaquer.
De retour à Nauvoo, il rentra chez lui pour revoir Emma et leurs
enfants. Il leur dit encore au revoir et demanda à sa femme si elle
l’accompagnerait mais elle savait qu’elle devait rester avec les
petits. Joseph semblait solennel et pensif, tristement certain de son
destin. Avant qu’il ne parte, Emma lui demanda une bénédiction. N’ayant
plus le temps, il lui demanda d’écrire celle qu’elle désirait et promit
de la signer à son retour.
Dans la bénédiction qu’elle rédigea, elle demanda à notre Père céleste
la sagesse et le don de discernement. Elle écrivit : « Je désire
l’Esprit de Dieu pour me connaître et me comprendre. Je désire un
esprit fécond et actif, afin d’être capable de comprendre les desseins
de Dieu. »
Elle demandait la sagesse pour élever ses enfants, notamment le bébé
qu’elle devait mettre au monde en novembre et exprimait son espérance
en son alliance éternelle du mariage. Elle écrivit : « Je désire de
tout mon cœur honorer et respecter mon mari, jouir à jamais de sa
confiance et, en agissant de concert avec lui, conserver la place que
Dieu m’a donnée à ses côtés. »
Finalement, elle priait pour avoir l’humilité et espérait se réjouir
des bénédictions que Dieu avait préparées pour ses enfants obéissants.
Elle écrivit : « Je désire que quel que soit mon lot dans la vie, je
sois à même de reconnaître la main de Dieu en toutes choses. »
Des hurlements et des jurons accueillirent les frères Smith lorsqu’ils
arrivèrent à Carthage peu avant minuit le lundi 24 juin. L’unité de la
milice qui avait récupéré les armes des saints à Nauvoo les escortait
maintenant à travers l’agitation qui régnait dans les rues de Carthage.
Une autre unité, appelée les Carthage Grey, était postée sur la place
publique, près de l’hôtel où les frères avaient l’intention de passer
la nuit.
Lorsque Joseph passa devant les Carthage Grey, les troupes se
bousculèrent pour l’apercevoir. Un homme cria : « Où est le maudit
prophète ? Poussez-vous et laissez-nous voir Joe Smith ! » Les soldats
poussaient des cris et jetaient leurs armes en l’air.
Le lendemain matin, Joseph et ses amis se livrèrent à un agent de
police. Peu après neuf heures, le gouverneur Ford invita Joseph et
Hyrum à marcher avec lui au milieu des troupes assemblées. La milice et
les émeutiers qui se pressaient autour d’eux furent silencieux jusqu’à
ce qu’un groupe de Grey se remette à les huer, jetant leurs chapeaux
dans les airs et tirant leurs épées. Comme la veille au soir, ils
poussèrent des hurlements et insultèrent les frères.
Ce jour-là, au tribunal, Joseph et Hyrum furent relâchés en attendant
d’être jugés pour avoir causé une émeute mais avant qu’ils n’aient pu
quitter la ville, deux des associés de William Law déposèrent plainte
contre eux pour avoir décrété la loi martiale à Nauvoo. Ils furent
accusés de trahison contre le gouvernement et le peuple d’Illinois, une
offense capitale qui empêchait les hommes d’être libérés sous caution.
Ils furent incarcérés dans une prison du comté, enfermés ensemble pour
la nuit dans une cellule. Plusieurs de leurs amis décidèrent de rester
avec eux pour les protéger et leur tenir compagnie. Cette nuit-là,
Joseph écrivit à Emma une lettre contenant des nouvelles
encourageantes. Il rapportait : « Le gouverneur vient juste d’accepter
d’envoyer son armée à Nauvoo et je l’accompagnerai. »
Le lendemain, les prisonniers furent installés dans une pièce plus
confortable au premier étage de la prison de Carthage. Elle comportait
trois grandes fenêtres, un lit et une porte de bois munie d’un loquet
cassé. Ce soir-là, Hyrum lut un passage du Livre de Mormon et Joseph
rendit aux gardes en service un témoignage puissant de son authenticité
divine. Il témoigna que l’Évangile de Jésus-Christ avait été rétabli,
que des anges servaient encore l’humanité et que le royaume de Dieu
était une fois de plus sur la terre.
Après le coucher du soleil, Willard Richards resta longtemps debout à
écrire, jusqu’à ce que sa bougie fût consumée. Joseph et Hyrum étaient
allongés sur le lit pendant que deux visiteurs, Stephen Markham et John
Fullmer, étaient couchés sur un matelas posé au sol. À côté d’eux, à
même le plancher, étaient couchés John Taylor et Dan Jones, un
capitaine de bateau d’origine galloise qui était devenu membre de
l’Église un peu plus d’un an auparavant.
Peu avant minuit, les hommes entendirent un coup de feu à l’extérieur
de la fenêtre la plus proche de la tête de Joseph. Le prophète se leva
et s’installa sur le sol, à côté de Dan. Joseph lui demanda doucement
s’il avait peur de mourir.
Dan demanda avec son accent gallois prononcé : « Le moment est-il venu
? Engagé dans une telle cause, je ne pense pas que la mort soit bien
effrayante. »
Le prophète chuchota : « Tu verras le pays de Galles et rempliras la
mission qui t’échoit avant de mourir. »
Vers minuit, Dan fut réveillé par le bruit de troupes marchant à côté
de la prison. Il se leva et regarda par la fenêtre. Il vit une foule
d’hommes réunis dehors. Il entendit quelqu’un demander : « Combien vont
entrer ? »
Très surpris, Dan réveilla rapidement les autres prisonniers. Ils
entendirent des bruits de pas montant l’escalier et se jetèrent contre
la porte. Quelqu’un prit une chaise en guise d’arme au cas où les
hommes tenteraient d’entrer. Un silence de mort les entourait alors
qu’ils attendaient d’être attaqués.
Joseph finit par crier : « Allez ! Nous sommes prêts à vous recevoir ! »
Dan et les autres prisonniers entendirent à travers la porte les hommes
bouger, comme s’ils hésitaient entre attaquer ou se retirer.
L’agitation perdura jusqu’à l’aube lorsqu’enfin ils entendirent les
hommes redescendre l’escalier.
Le lendemain, 27 juin 1844, Emma reçut une lettre de Joseph, rédigée de
la main de Willard Richards. Le gouverneur Ford et une unité de la
milice étaient en route pour Nauvoo mais, en dépit de sa promesse, il
n’avait pas pris Joseph avec lui. Au contraire, il avait démobilisé une
unité de milice à Carthage et n’avait conservé qu’un petit groupe de
Greys pour garder la prison, laissant les détenus plus vulnérables en
cas d’attaque.
Joseph voulait quand même que les saints traitent le gouverneur
cordialement et ne sonnent pas l’alarme. La lettre disait : « Nous ne
risquons aucunement un ordre d’extermination mais prudence est mère de
sureté. »
À la fin de la lettre, Joseph avait écrit de sa main un post-scriptum
qui disait : « Je suis totalement réconcilié avec mon sort, sachant que
je suis justifié et ai fait au mieux de ce qui pouvait être fait. » Il
lui demandait de transmettre son amour aux enfants et à ses amis. Il
ajoutait : « Pour la question de trahison, je n’en ai commis aucune et
ils ne peuvent rien prouver de la sorte. » Il lui disait de ne pas
s’inquiéter de ce qui pouvait leur arriver de fâcheux à lui et à Hyrum.
Pour terminer, il avait écrit : « Que Dieu vous bénisse tous ! »
Le gouverneur Ford arriva à Nauvoo plus tard ce jour-là et s’adressa
aux saints. Il leur reprocha la crise et menaça de les tenir pour
responsables de ses répercussions. Il déclara : « La destruction de la
presse de l’Expositor et le placement de la ville sous loi martiale
sont un grand crime. Il s’ensuivra une expiation sévère, préparez-vous.
»
Il avertit les saints que la ville de Nauvoo pouvait être réduite en
cendres et ses habitants exterminés s’ils se rebellaient. Il dit : «
Vous pouvez y compter. La moindre inconduite des citoyens et la torche
qui est déjà allumée sera appliquée. »
Les saints furent offensés par le discours mais puisque Joseph leur
avait demandé de préserver la paix, ils firent serment de tenir compte
de l’avertissement du gouverneur et de soutenir les lois de l’État.
Satisfait, ce dernier termina son discours et fit défiler ses troupes
sur Main Street. En marchant, elles tiraient leurs épées et les
faisaient tournoyer d’un air menaçant.
Le temps s’écoula lentement dans la prison de Carthage cet
après-midi-là. Dans la chaleur estivale, les hommes abandonnèrent leurs
vestes et ouvrirent les fenêtres pour laisser entrer la brise. À
l’extérieur, huit hommes des Carthage Grey gardaient la prison pendant
que le reste de la milice campait dans les environs. Un autre garde
était assis juste de l’autre côté de la porte.
Stephen Markham, Dan Jones et d’autres faisaient des courses pour
Joseph. Des hommes qui étaient restés là la nuit précédente, seuls
Willard Richards et John Taylor étaient encore avec Joseph et Hyrum.
Plus tôt dans la journée, des visiteurs avaient fait passer
clandestinement deux pistolets aux prisonniers : un revolver à six
coups et un pistolet à un coup, en cas d’attaque. Stephen avait aussi
laissé une canne solide qu’il appelait le « correcteur de voyous ».
Pour remonter le moral et faire passer le temps, John chanta un
cantique britannique qui était récemment devenu populaire parmi les
saints. Ses paroles parlaient d’un humble étranger dans le besoin qui
finit par s’avérer être le Sauveur.
Le vagabond, en un instant,
Se transforma devant mes yeux
Jésus se tenait souriant
Devant moi pour rentrer aux cieux.
Il dit en prononçant mon nom :
« Mon fils, au pauvre tu fus bon !
Et tes actions parlent pour toi ;
Un jour tu seras avec moi ! »
Lorsqu’il eut terminé, Hyrum lui demanda de le rechanter.
À quatre heures de l’après-midi eut lieu la relève de la garde. Joseph
entama la conversation avec un garde à la porte pendant qu’Hyrum et
Willard parlaient doucement ensemble. Au bout d’une heure, leur geôlier
entra dans la pièce et demanda aux prisonniers s’ils voulaient être
installés dans une cellule plus sûre en cas d’attaque.
Joseph dit : « Nous irons après souper. » Le geôlier partit et Joseph
se tourna vers Willard. Il demanda : « Si nous allons dans la prison,
iras-tu avec nous ?
— Penses-tu que je vous abandonnerais maintenant ? Si vous êtes
condamnés à être pendus pour trahison, je serai pendu à votre place et
vous serez libérés.
— Tu ne peux pas.
— Je le ferai. »
Quelques minutes plus tard, les prisonniers entendirent un bruissement
à la porte et trois ou quatre coups de feu. Willard jeta un coup d’œil
par la fenêtre ouverte et vit une centaine d’hommes, le visage noirci
de boue et de poudre à canon, prendre l’entrée de la prison d’assaut.
Joseph attrapa l’un des pistolets pendant qu’Hyrum saisissait l’autre.
John et Willard prirent les cannes et les empoignèrent comme des
massues. Les quatre hommes se pressèrent contre la porte pendant que
les émeutiers se ruaient en haut des marches et tentaient de forcer le
passage.
On entendit un coup de feu dans la cage d’escalier lorsque les
émeutiers tirèrent sur la porte. Joseph, John et Willard bondirent de
part et d’autre de celle-ci au moment où une balle faisait voler le
bois en éclat. Elle frappa Hyrum au visage et il se retourna et
s’éloigna en titubant de la porte. Une autre l’atteignit dans le bas du
dos. Son pistolet se déchargea et il tomba sur le sol.
Joseph s’écria : « Ô mon frère Hyrum ! » Attrapant son six coups, il
ouvrit la porte de quelques centimètres et tira. D’autres balles de
mousquet volèrent dans la pièce et Joseph tira au hasard sur les
émeutiers pendant que John se servait d’une canne pour abaisser les
canons des pistolets et les baïonnettes qui pointaient par la porte
entrebâillée.
Lorsque le pistolet de Joseph s’enraya deux ou trois fois, John courut
à la fenêtre et essaya de grimper sur le large rebord. Une balle de
mousquet traversa la pièce et l’atteignit à la jambe, lui faisant
perdre l’équilibre. Son corps se paralysa, il s’écrasa contre le rebord
de la fenêtre brisant sa montre à gousset à dix-sept heures seize.
Il cria : « Je suis touché ! »
Il se traîna sur le sol et roula sous le lit tandis que les émeutiers
tiraient encore et encore. Une balle lui déchira la hanche, lui
arrachant un morceau de chair. Deux autres balles l’atteignirent au
poignet et à l’os juste au-dessus du genou.
De l’autre côté de la pièce, Joseph et Willard s’efforçaient d’appuyer
de tout leur poids sur la porte pendant que Willard détournait les
canons des mousquets et les baïonnettes devant lui. Soudain, Joseph
laissa tomber son revolver sur le sol et se précipita vers la fenêtre.
Au moment où il enjamba le rebord, deux balles l’atteignirent dans le
dos. Une autre arriva par la fenêtre et le transperça au-dessous du
cœur.
Il cria : « Oh Seigneur, mon Dieu ! » Son corps bascula vers l’avant et
il plongea la tête la première par la fenêtre.
Willard se précipita de l’autre côté de la pièce et passa la tête à
l’extérieur tandis que les balles sifflaient autour de lui. Il vit les
émeutiers s’agglutiner autour du corps sanguinolent de Joseph. Le
prophète était étendu sur son côté gauche, à côté d’un puits en
pierres. Willard regarda, espérant voir un signe que son ami était
encore en vie. Les secondes passèrent et il ne vit aucun mouvement.
Joseph Smith, le prophète et voyant du Seigneur était mort.
CHAPITRE 45 : Une fondation toute-puissante
Le 28 juin, avant le lever du soleil, Emma répondit à un coup pressant
à la porte. Elle trouva son neveu, Lorenzo Wasson, debout sur le seuil,
couvert de poussière. Ses paroles confirmèrent ses pires craintes.
Rapidement, la ville entière fut réveillée par Porter Rockwell qui
parcourait les rues à cheval en criant la nouvelle de la mort de
Joseph. Une foule se rassembla presque immédiatement devant chez les
Smith mais Emma resta à l’intérieur avec ses enfants et uniquement une
poignée d’amis et de pensionnaires. Sa belle-mère, Lucy Smith, faisait
les cent pas dans sa chambre en regardant par la fenêtre d’un air
absent. Les enfants étaient blottis les uns contre les autres dans une
autre pièce.
Emma était assise, seule, pleurant en silence. Au bout d’un moment,
elle s’enfouit le visage dans les mains et cria : « Pourquoi suis-je
veuve et mes enfants orphelins ? »
En entendant ses sanglots, John Greene, le marshal de Nauvoo, entra
dans la pièce. Essayant de la consoler, il dit que ses afflictions
seraient pour elle une couronne de vie.
Elle répondit d’un ton sec : « Mon mari était ma couronne de vie.
Pourquoi, Ô Dieu, suis-je ainsi abandonnée ? »
Plus tard ce jour-là, Willard Richards et Samuel Smith arrivèrent à
Nauvoo avec les chariots transportant les corps de Joseph et d’Hyrum.
Pour les protéger de la chaleur du soleil d’été, ils avaient été placés
dans des cercueils de bois et recouverts de broussailles.
Willard et Samuel étaient profondément ébranlés par l’attaque de la
veille. Samuel avait essayé de rendre visite à ses frères en prison
mais avant de pouvoir atteindre Carthage, des émeutiers avaient tiré
sur lui et l’avaient poursuivi à cheval pendant plus de deux heures.
Pendant ce temps, Willard avait survécu à l’attaque avec uniquement une
petite blessure au lobe de l’oreille, accomplissant une prophétie que
Joseph avait faite un an plus tôt selon laquelle des balles
siffleraient autour de lui, frappant ses amis à droite et à gauche mais
sans faire le moindre trou à ses vêtements.
John Taylor, par contre, oscillait entre la vie et la mort dans un
hôtel à Carthage, trop blessé pour quitter la ville. La veille au soir,
Willard et John avaient écrit une courte lettre aux saints les
implorant de ne pas se venger du meurtre de Joseph et d’Hyrum. Lorsque
Willard avait terminé la lettre, John était tellement affaibli par tout
le sang qu’il avait perdu qu’il put à peine la signer.
En approchant du temple, Willard et Samuel furent accueillis par un
groupe de saints qui suivirent les chariots en ville. Presque tous les
habitants de Nauvoo se joignirent au cortège alors que les chariots
dépassaient lentement le site du temple et descendaient la colline
jusqu’à la Nauvoo Mansion. Les saints traversaient la ville en pleurant
ouvertement.
Lorsque le cortège arriva chez les Smith, Wilford monta sur l’estrade
d’où Joseph s’était adressé pour la dernière fois à la légion de
Nauvoo. Balayant du regard une foule de dix mille personnes, Willard
vit que beaucoup étaient en colère contre le gouverneur et les
émeutiers.
Il implora : « Faites confiance à la loi pour les réparations. Laissez
la vengeance au Seigneur. »
Ce soir-là, Lucy Smith s’arma de courage pendant qu’elle attendait avec
Emma, Mary et ses petits-enfants hors de la salle à manger de la Nauvoo
Mansion. Plus tôt, plusieurs hommes y avaient apporté les corps de
Joseph et d’Hyrum pour les laver et les habiller. Depuis, Lucy et sa
famille avaient attendu de pouvoir les voir. Lucy arrivait à peine à se
contenir et priait pour avoir la force de voir ses fils assassinés.
Lorsque les corps furent prêts, Emma entra la première mais s’affaissa
rapidement sur le sol et dut être portée hors de la pièce. Mary la
suivit, tremblante tandis qu’elle marchait. Avec ses deux plus jeunes
enfants accrochés à elle, elle s’agenouilla à côté d’Hyrum, lui prit la
tête dans les bras et sanglota. Lissant ses cheveux, elle dit : «
Est-ce qu’ils t’ont tué mon cher Hyrum ? » Le chagrin la submergea.
Aidée d’amis, Emma revint bientôt dans la pièce et rejoignit Mary aux
côtés d’Hyrum. Elle posa la main sur le front froid de son beau-frère
et lui parla doucement. Ensuite, se tournant vers ses amis, elle dit :
« Maintenant, je peux le voir. Je suis forte maintenant. »
Elle se leva et marcha sans aide vers le corps de Joseph.
S’agenouillant près de lui, elle posa la main sur sa joue et dit : «
Oh, Joseph, Joseph. Ont-ils fini par t’arracher à moi ! » Le jeune
Joseph s’agenouilla et embrassa son père.
Lucy était tellement bouleversée par la tristesse autour d’elle qu’elle
ne put parler. Elle pria en silence : « Mon Dieu. Pourquoi as-tu
abandonné cette famille ? » Son esprit fut envahi par le souvenir des
épreuves que sa famille avait traversées mais en regardant le visage
sans vie de ses fils, ils semblaient être en paix. Elle savait que
Joseph et Hyrum étaient maintenant hors de portée de leurs ennemis.
Elle entendit une voix dire : « Je les ai pris auprès de moi afin
qu’ils se reposent. »
Le lendemain, des milliers de personnes firent la queue à l’extérieur
de la Nauvoo Mansion pour rendre hommage aux deux frères. C’était une
journée d’été chaude et sans nuage. Heure après heure, les saints
entrèrent par une porte, passèrent à côté des cercueils et sortirent
par une autre porte. Les frères avaient été installés dans de beaux
cercueils habillés de tissu blanc et de velours noir et doux. Une
plaque de verre permettait aux amis des défunts de les voir une
dernière fois.
Après la visite, William Phelps prononça l’éloge funèbre du prophète
devant des milliers de saints. Il demanda : « Que dirai-je de Joseph le
voyant ? Il n’est pas arrivé dans le tourbillon de l’opinion publique
mais simplement au nom de Jésus-Christ.
Il est venu donner les commandements et la loi du Seigneur, bâtir des
temples et apprendre aux hommes à progresser en amour et en grâce. Il
est venu établir notre Église ici-bas, sur les principes purs et
éternels de la révélation, des prophètes et des apôtres. »
Après les obsèques, Mary Ann Young raconta la tragédie à Brigham qui
était à des centaines de kilomètres à l’est en train de faire campagne
pour Joseph avec plusieurs membres des Douze. Elle raconta : « Nous
avons subi de grandes afflictions ici depuis que tu es parti. Notre
cher frère Joseph Smith et Hyrum sont tombés, victimes d’émeutiers
féroces. » Elle assura à son mari que leur famille était en bonne santé
mais qu’elle ne savait pas à quel point elle était en sécurité. Les
trois dernières semaines, le courrier avait pratiquement cessé
d’arriver et les menaces d’attaques d’émeutiers étaient constantes.
Elle écrivit : « J’ai eu la bénédiction de ne pas céder à l’affolement
pendant la tempête. J’espère que tu seras prudent lors du trajet de
retour à la maison et que tu ne te montreras pas aux personnes qui
pourraient mettre ta vie en danger.
Le même jour, Vilate Kimball écrivit à Heber. Elle lui dit : « Jusqu’à
présent, je n’ai jamais pris la plume pour t’écrire en me trouvant dans
une situation aussi éprouvante que celle que nous connaissons
actuellement. Dieu me préserve d’être jamais témoin de quoi que ce soit
de semblable. »
Vilate avait entendu dire que William Law et ses partisans cherchaient
toujours à se venger des dirigeants de l’Église. Craignant pour la
sécurité de son mari, elle envisageait son retour à la maison avec
réticence. Elle écrivit : « Ma prière constante maintenant est que le
Seigneur nous protège et nous permette de tous nous retrouver. Je ne
doute pas qu’on cherche à attenter à ta vie mais puisse le Seigneur te
donner la sagesse d’échapper à leurs mains. »
Peu de temps après, Phebe Woodruff écrivit à ses parents et décrivit
l’attaque à Carthage. Elle témoigna : « Ces choses ne feront pas
davantage cesser l’œuvre que ne l’a fait la mort du Christ mais elles
la feront avancer avec encore plus de rapidité. Je crois que Joseph et
Hyrum sont là où ils peuvent maintenant faire encore plus de bien à
l’Église que lorsqu’ils étaient avec nous.
Je suis plus ferme que jamais dans ma foi. Je n’abandonnerai pas le
vrai mormonisme même si cela devait me coûter la vie dans l’heure qui
suit, car je sais avec certitude qu’il s’agit de l’œuvre de Dieu. »
Pendant que les lettres de Mary Ann, Vilate et Phebe voyageaient vers
l’est, Brigham Young et Orson Pratt entendaient des rumeurs selon
lesquelles Joseph et Hyrum avaient été tués mais personne ne pouvait le
confirmer. Puis, le 16 juillet, un membre de l’Église de la branche de
Nouvelle-Angleterre à qui ils rendaient visite reçut une lettre de
Nauvoo détaillant les tragiques nouvelles. Lorsqu’il lut la lettre,
Brigham eut l’impression que sa tête allait exploser. Il n’avait jamais
connu un tel désespoir.
Ses pensées se tournèrent immédiatement vers la prêtrise. Joseph avait
détenu toutes les clés nécessaires pour doter les saints et les sceller
pour l’éternité. Sans ces clés, l’œuvre du Seigneur ne pouvait pas
avancer. Pendant un instant, il craignit que le prophète ne les ait
emportées au tombeau.
Puis, dans un éclair de révélation, il se souvint qu’il les avait
conférées aux douze apôtres. Se frappant d’un coup sec sur les genoux,
il dit : « Les clés du royaume sont ici-même avec l’Église. »
Brigham et Orson se rendirent à Boston pour se réunir avec les autres
apôtres qui se trouvaient dans les États de l’Est. Ils décidèrent de
rentrer immédiatement chez eux et conseillèrent à tous les
missionnaires qui avaient une famille à Nauvoo de faire de même.
Brigham dit aux saints de la région : « Réjouissez-vous. Lorsque Dieu
envoie un homme faire une œuvre, les démons de l’enfer ne peuvent le
tuer avant qu’il n’ait terminé. » Il témoigna qu’avant sa mort, Joseph
avait conféré aux Douze toutes les clés de la prêtrise, laissant aux
saints tout ce dont ils avaient besoin pour continuer.
À Nauvoo, tout en pleurant son mari, Emma commença à se demander
comment elle allait subvenir seule aux besoins de ses enfants et de sa
belle-mère. Joseph avait fait de nombreuses démarches légales pour
séparer les biens de sa famille de ceux de l’Église mais il laissait
quand même derrière lui des dettes importantes et aucun testament. Elle
craignait qu’à moins que l’Église ne nomme rapidement un administrateur
pour remplacer Joseph en tant que gestionnaire des biens de celle-ci,
sa famille ne soit laissée dans le dénuement.
L’opinion des dirigeants de l’Église à Nauvoo divergeait quant au choix
de la ou des personnes ayant l’autorité de faire cette nomination.
Certains croyaient que la responsabilité incombait à Samuel Smith,
l’aîné des frères de Joseph en vie, mais ce dernier était tombé malade
après que les émeutiers l’avaient chassé de Carthage et était mort
subitement à la fin du mois de juillet. D’autres croyaient que les
dirigeants de pieu locaux devaient choisir le nouvel administrateur.
Willard Richards et William Phelps voulaient reporter la décision
jusqu’à ce que les Douze soient rentrés de mission dans les États de
l’Est afin qu’ils puissent participer au choix.
Cependant, Emma était impatiente qu’une décision soit prise et voulait
que les dirigeants de l’Église désignent immédiatement un
administrateur. Elle jeta son dévolu sur William Marks, le président du
pieu de Nauvoo. L’évêque Whitney s’opposa fermement au choix car
William avait rejeté le mariage plural et se souciait peu des
ordonnances du temple.
En privé, il déclara : « Si Marks est nommé, nos bénédictions
spirituelles seront détruites puisqu’il n’est pas en faveur des
affaires les plus importantes. » Sachant que l’Église était bien plus
qu’une société avec des participations financières et des obligations
légales, il croyait que le nouvel administrateur devait être quelqu’un
qui soutenait entièrement ce que le Seigneur avait révélé à Joseph.
Vers cette époque-là, John Taylor se remit suffisamment de ses
blessures pour revenir à Nauvoo. Parley Pratt rentra aussi de mission
et se joignit à John, Willard Richards et William Phelps pour exhorter
Emma et William Marks à attendre le retour des autres apôtres. Ils
croyaient qu’il était nettement plus important de choisir le nouvel
administrateur par l’autorité compétente que de parvenir rapidement à
une décision.
Ensuite, le 3 août, Sidney Rigdon revint à Nauvoo. En tant que
colistier de Joseph dans la campagne présidentielle, Sidney s’était
installé dans un autre État afin de satisfaire aux exigences de la loi
relatives à sa candidature. En apprenant la mort du prophète, Sidney
s’était précipité en Illinois, certain que son poste dans la Première
Présidence lui donnait le droit de diriger l’Église.
Pour donner du poids à sa revendication, il annonça également qu’il
avait reçu de Dieu une vision lui montrant que l’Église avait besoin
d’un gardien, quelqu’un qui s’occuperait d’elle en l’absence de Joseph
et continuerait de parler en son nom.
L’arrivée de Sidney inquiéta Parley et les autres apôtres à Nauvoo. La
dispute au sujet de l’administrateur montrait clairement que l’Église
avait besoin d’une autorité présidente pour prendre les décisions
importantes. Néanmoins, ils savaient que Sidney, comme William Marks,
avait rejeté de nombreux enseignements et pratiques que le Seigneur
avait révélés à Joseph. Chose plus importante, ils savaient que ces
dernières années, Joseph avait compté de moins en moins sur Sidney et
ne lui avait pas conféré toutes les clés de la prêtrise.
Le lendemain de son arrivée, Sidney offrit publiquement de diriger
l’Église. Il ne parla pas d’achever le temple ni de doter les saints de
puissance spirituelle. Il les mit plutôt en garde contre des temps
difficiles à venir et leur promit de les guider courageusement à
travers les derniers jours.
Plus tard, lors d’une réunion des dirigeants de l’Église, il insista
pour qu’on réunisse les saints deux jours plus tard afin de choisir un
nouveau dirigeant et de nommer un administrateur. Alarmés, Willard et
les autres apôtres exigèrent plus de temps afin d’examiner les
affirmations de Sidney et d’attendre le retour du reste du collège.
William Marks trouva un compromis en programmant la réunion pour le 8
août, quatre jours plus tard.
Le soir du 6 août, la nouvelle se répandit rapidement que Brigham
Young, Heber Kimball, Orson Pratt, Wilford Woodruff et Lyman Wight
étaient arrivés à Nauvoo par bateau à vapeur. Bientôt, les saints
saluaient les apôtres dans les rues tandis qu’ils rentraient chez eux.
Le lendemain après-midi, les apôtres nouvellement arrivés rejoignirent
Willard Richards, John Taylor, Parley Pratt, et George A. Smith à une
réunion avec Sidney et les autres conseils de l’Église. À ce moment-là,
Sidney avait changé d’avis sur le choix du nouveau dirigeant le 8 août.
Au lieu de cela, il dit qu’il voulait faire une réunion de prière avec
les saints ce jour-là, reportant la décision jusqu’à ce que les
dirigeants de l’Église puissent s’unir et « se réchauffer mutuellement
le cœur ».
Il insistait quand même sur le fait qu’il était de son droit de diriger
l’Église. Il dit aux conseils : « Il m’a été montré que cette Église
doit être édifiée en hommage à Joseph et que toutes les bénédictions
que nous recevons doivent venir par son intermédiaire. » Il dit que sa
vision récente n’était que la continuité de la grande vision des cieux
qu’il avait eue avec Joseph plus de dix ans auparavant.
Faisant allusion à une révélation que le prophète avait reçue en 1833,
il poursuivit : « J’ai été ordonné comme porte-parole de Joseph et je
dois venir à Nauvoo m’assurer que l’Église est gouvernée correctement. »
Les paroles de Sidney n’impressionnèrent pas Wilford. Il nota dans son
journal : « C’était un genre de vision de deuxième classe. »
Lorsque Sidney eut fini de parler, Brigham se leva et témoigna que
Joseph avait conféré toutes les clés et tous les pouvoirs de
l’apostolat aux Douze. Il dit : « Peu m’importe qui dirige l’Église,
mais il y a une chose que je dois savoir, c’est ce que Dieu en dit. »
Le 8 août, le jour de la réunion de prière de Sidney, Brigham manqua
une réunion matinale avec son collège, chose qu’il n’avait jamais
faite. En sortant de chez lui, il vit que des milliers de saints
s’étaient rassemblés dans le bosquet près du temple. Il y avait du vent
ce matin-là et Sidney, debout dans un chariot, lui tournait le dos. Au
lieu d’une réunion de prière, il proposait de nouveau d’être le gardien
de l’Église.
Il parla pendant plus d’une heure, témoignant que Joseph et Hyrum
détiendraient leur autorité de la prêtrise tout au long de l’éternité
et avaient suffisamment organisé les conseils de l’Église pour la
diriger après leur mort. Il déclara : « Chaque homme se tiendra à sa
place et assumera son appel devant Jéhovah. » Il proposa de nouveau que
sa place et son appel soient celui de porte-parole de Joseph. Il ne
souhaitait pas de vote de l’assemblée à ce sujet mais il voulait que
les saints connaissent son opinion.
Lorsqu’il eut terminé, Brigham demanda à la foule de rester quelques
instants de plus. Il dit qu’il aurait voulu avoir le temps de pleurer
le décès de Joseph avant de régler les affaires de l’Église mais qu’il
sentait l’urgence parmi les saints de choisir un nouveau dirigeant. Il
craignait que certains d’entre eux ne s’emparent du pouvoir à
l’encontre de la volonté de Dieu.
Pour résoudre la question, il leur demanda de revenir plus tard, dans
l’après-midi, soutenir un nouveau dirigeant de l’Église. Ils voteraient
par collège et en tant que corps de l’Église. Il dit : « Nous pouvons
traiter l’affaire en cinq minutes. Nous n’allons pas agir au détriment
les uns des autres et chaque homme et chaque femme dira amen. »
Cet après-midi-là, Emily Hoyt retourna au bosquet pour la réunion.
Cousine du prophète, Emily approchait la quarantaine et était diplômée
de l’académie des enseignants. Ces quelques dernières années, son mari,
Samuel, et elle, s’étaient attachés à Joseph et Hyrum et la mort subite
des frères les avait attristés. Bien qu’ils habitassent de l’autre côté
du fleuve, en Iowa, Emily et Samuel étaient venus à Nauvoo ce jour-là
pour assister à la réunion de prière de Sidney.
Vers quatorze heures, les collèges et conseils de la prêtrise prirent
place ensemble sur l’estrade et autour. Brigham Young se leva ensuite
pour s’adresser aux saints. « On a beaucoup parlé du président Rigdon
devenant président de l’Église mais je vous dis que le Collège des
Douze détient les clés du royaume de Dieu dans le monde entier. »
En écoutant Brigham parler, Emily se surprit à lever les yeux vers lui
pour s’assurer que ce n’était pas Joseph qui était en train de parler.
Il avait des expressions de ce dernier, sa méthode de raisonnement et
même le son de sa voix.
« Frère Joseph, le prophète, a posé les fondements d’une grande œuvre
et nous allons bâtir par-dessus. C’est un fondement tout-puissant qui a
été posé et nous pouvons bâtir un royaume tel qu’il n’en a jamais
existé dans le monde. Nous pouvons bâtir un royaume plus vite que Satan
ne peut éliminer les saints. »
Mais ils doivent collaborer, déclara Brigham, en suivant la volonté du
Seigneur et en vivant par la foi. Il dit : « Si vous voulez que Sidney
Rigdon ou William Law vous dirige, ou n’importe qui d’autre, vous êtes
libres de les avoir mais je vous dis au nom du Seigneur qu’aucun homme
ne peut en placer un autre entre les Douze et le prophète Joseph.
Pourquoi ? Il a remis entre nos mains les clés du royaume dans cette
dernière dispensation, pour le monde entier. »
Sentant que l’Esprit et la puissance qui avaient reposé sur Joseph
reposaient maintenant sur Brigham, Emily regarda l’apôtre demander aux
saints de soutenir les Douze en qualité de dirigeants de l’Église. Il
dit : « Chaque homme, chaque femme, chaque collège est maintenant en
place. Que tous ceux qui sont en faveur de cela dans toute l’assemblée
des saints le manifestent en levant la main droite. »
Emily et toute l’assemblée levèrent la main.
Brigham dit : « Il y a beaucoup à faire. Le fondement est posé par
notre prophète et nous bâtirons dessus. Aucun autre fondement que
celui-là ne peut être posé et si telle est la volonté de Dieu, nous
aurons notre dotation. »
Sept ans plus tard, Emily enregistra le moment où elle vit Brigham
parler aux saints sur l’estrade, témoignant à quel point ses traits et
sa voix ressemblaient à ceux de Joseph. Dans les années qui suivirent,
des dizaines de saints ajoutèrent leur témoignage au sien, décrivant
comment ils virent le manteau de prophète de Joseph retomber sur
Brigham ce jour-là.
Emily écrivit : « Si quelqu’un doute du droit qu’avait Brigham de gérer
les affaires pour les saints, tout ce que j’ai à lui dire c’est
d’obtenir l’Esprit de Dieu et de chercher à savoir par lui-même. Le
Seigneur pourvoira aux besoins des siens. »
Le lendemain de la conférence, Wilford sentit que la tristesse planait
toujours sur la ville. Il écrivit dans son journal : « Le prophète et
le patriarche sont partis et il semble qu’il y ait peu d’ambition de
faire quoi que ce soit. » Tout de même, Wilford et les Douze se mirent
immédiatement au travail. Ils se réunirent cet après-midi-là et
nommèrent les évêques Newel Whitney et George Miller pour servir
d’administrateurs de l’Église et résoudre les problèmes relatifs aux
finances de Joseph.
Trois jours plus tard, ils appelèrent Amasa Lyman au Collège des Douze
et divisèrent l’Est des États-Unis et le Canada en districts présidés
par des grands prêtres. Brigham, Heber et Willard appelleraient des
hommes à ces postes et superviseraient l’Église en Amérique pendant que
Wilford se rendrait avec Phebe en Angleterre pour présider la mission
britannique et gérer son imprimerie.
Pendant que Wilford se préparait pour sa mission, les autres apôtres
s’efforçaient de fortifier l’Église à Nauvoo. Lors de la réunion du 8
août, les saints avaient soutenu les Douze mais certains hommes
tentaient déjà de diviser l’Église et de détourner des gens. L’un
d’eux, James Strang, était un nouveau membre qui prétendait être en
possession d’une lettre de Joseph le désignant comme véritable
successeur. James avait un foyer dans le Wisconsin et il voulait que
les saints s’y rassemblent.
Brigham les avertit de ne pas suivre les dissidents. Il les exhorta : «
Ne vous éparpillez pas. Restez ici à Nauvoo, édifiez le temple et
obtenez votre dotation. »
L’achèvement du temple restait l’objectif central de l’Église. Le 27
août, la veille de leur départ pour l’Angleterre, Wilford et Phebe
visitèrent le temple avec des amis. Debout au pied de ses murs qui
atteignaient presque le haut du premier étage, Wilford et Phebe
admirèrent la manière dont le clair de lune faisait ressortir la
grandeur et la sublimité de l’édifice.
Ils gravirent une échelle jusqu’au sommet des murs et s’agenouillèrent
pour prier. Wilford exprima sa reconnaissance au Seigneur d’avoir donné
aux saints le pouvoir de construire le temple et l’implora pour qu’ils
soient en mesure de le terminer, de recevoir la dotation et de planter
l’œuvre de Dieu dans le monde entier. Il lui demanda également de
protéger Phebe et lui-même dans le champ de la mission.
Il pria : « Permets-nous d’accomplir notre mission en justice et de
pouvoir revenir dans ce pays et fouler les cours de la maison du
Seigneur en paix. »
Le lendemain, juste avant le départ des Woodruff, Brigham donna une
bénédiction à Phebe pour l’œuvre qui l’attendait. Il promit : « Tu
seras bénie pendant la mission que tu fais en commun avec ton mari et
il se fera par toi beaucoup de bien. Si tu pars en toute humilité, tu
seras protégée pour pouvoir revenir et retrouver les saints dans le
temple du Seigneur et tu t’y réjouiras. »
Plus tard dans l’après-midi, Wilford et Phebe prirent la route de
l’Angleterre. Parmi les missionnaires qui les accompagnaient se
trouvaient Dan Jones et Jane, sa femme qui partaient pour le pays de
Galles pour accomplir la prophétie de Joseph.
CHAPITRE 46 : Dotés de pouvoir
À l’automne 1844, le Collège des Douze envoya une épître à tous les
saints de partout. Il annonça : « Le temple exige nécessairement notre
plus grande attention. » Il les encouragea à envoyer de l’argent, des
fournitures et des ouvriers pour accélérer les travaux. Une dotation de
pouvoir les attendait. Tout ce dont ils avaient besoin, c’était d’un
endroit où la recevoir.
Les saints en ressentaient également l’urgence. Fin septembre, Peter
Maughan écrivit à Willard Richards au sujet de leur nouvelle mine de
charbon, à cent soixante kilomètres en amont du Mississippi. Peter et
Mary avaient récemment vendu leur maison à Nauvoo, utilisé l’argent
pour acheter la mine pour l’Église et installé leur famille dans une
cabane rustique près du lieu de travail. Néanmoins, Peter aspirait déjà
à être de retour à Nauvoo à tailler la pierre pour la maison du
Seigneur.
Il dit à Willard : « La seule chose qui me taraude est que les travaux
du temple se poursuivent et que je suis privé de l’honneur d’y
participer. »
Les murs du temple s’élevant, Brigham était déterminé à poursuivre
l’œuvre que Joseph avait commencée. Suivant l’exemple du prophète, il
priait souvent avec les saints dotés et demandait au Seigneur de
protéger et d’unir l’Église. Les baptêmes pour les morts, qui avaient
cessé au décès de Joseph, reprirent au sous-sol du temple. Des anciens
et des soixante-dix repartirent en plus grand nombre dans le champ de
la mission.
Mais les difficultés n’étaient jamais loin. En septembre, Brigham et
les Douze apprirent que Sidney Rigdon complotait contre eux et
dénonçait Joseph comme prophète déchu. Ils l’accusèrent d’apostasie et
l’évêque Whitney et le grand conseil l’excommunièrent. Il quitta Nauvoo
peu après, prédisant que les saints n’achèveraient jamais le temple.
Toujours soucieuse du bien-être de sa famille, Emma Smith refusa
également d’accorder son plein appui aux apôtres. Elle coopéra avec les
administrateurs qu’ils avaient nommés pour s’occuper de la succession
de Joseph mais les disputes pour les papiers et autres possessions de
son mari l’énervaient. Cela la dérangeait également que les apôtres
continuent d’enseigner et de pratiquer le mariage plural en privé.
Les femmes scellées à Joseph en tant qu’épouses plurales ne
prétendirent pas à sa succession. Après sa mort, certaines retournèrent
auprès de leur famille. D’autres épousèrent des membres des Douze qui
firent alliance de s’occuper d’elles et de pourvoir à leurs besoins en
l’absence du prophète. Discrètement, les apôtres continuaient
d’enseigner le mariage plural à d’autres saints, épousaient de
nouvelles femmes plurales et fondaient des familles avec elles.
Au début de l’année 1845, les plus gros problèmes des saints venaient
de l’extérieur de l’Église. Thomas Sharp et huit autres hommes avaient
été accusés du meurtre de Joseph et d’Hyrum mais personne ne
s’attendait à ce qu’ils soient condamnés. Pendant ce temps, les
législateurs de l’État essayèrent d’affaiblir la puissance politique
des membres de l’Église en révoquant la charte de la ville de Nauvoo.
Le gouverneur Ford soutint leur démarche et, à la fin du mois de
janvier 1845, le corps législatif dépouilla les saints de leur droit
d’adopter et de faire respecter les lois et fit dissoudre la légion de
Nauvoo ainsi que les forces de police locales.
Sans ces protections, Brigham craignait que les saints ne soient à la
merci des attaques de leurs ennemis. Pourtant, le temple était loin
d’être terminé et s’ils fuyaient la ville, ils pouvaient difficilement
s’attendre à recevoir leur dotation. Ils avaient besoin de temps pour
achever l’œuvre que le Seigneur leur avait confiée mais rester à Nauvoo
ne serait-ce qu’une année risquait de mettre la vie de tout le monde en
danger.
Brigham se mit à genoux et pria pour savoir ce que les saints devaient
faire. Le Seigneur répondit simplement : « Rester et finir le temple. »
Le matin du 1er mars, Lewis Dana, trente-huit ans, fut le premier
Amérindien à devenir membre du conseil de cinquante. À la mort de
Joseph, les réunions de conseil avaient cessé mais, une fois que la
charte de Nauvoo fut révoquée et que les saints eurent pris conscience
que leurs jours à Nauvoo étaient comptés, les Douze convoquèrent le
conseil pour aider à gouverner la ville et planifier son évacuation.
Membre de la nation Oneida, Lewis s’était fait baptiser avec sa famille
en 1840. Il avait fait plusieurs missions, notamment une dans le
territoire indien à l’ouest des États-Unis et s’était aventuré
jusqu’aux montagnes Rocheuses. Sachant qu’il avait des amis et des
parents parmi les nations indiennes de l’Ouest, Brigham l’invita à se
joindre au conseil et à parler de ce qu’il savait des gens et des
terres là-bas.
Lewis dit au conseil : « Au nom du Seigneur, je suis disposé à faire
tout ce que je peux. »
Au fil des années, les saints étaient de plus en plus aigris contre le
gouvernement de leur nation pour avoir refusé son aide. Les dirigeants
de l’Église étaient maintenant déterminés à quitter le pays et à mettre
en œuvre le plan de Joseph d’établir un nouveau lieu de rassemblement
où ils pourraient élever une bannière pour les nations, comme le
prophète Ésaïe l’avait prédit, et respecter les lois de Dieu en paix.
Comme Joseph, Brigham voulait que le nouveau lieu de rassemblement se
situe dans l’Ouest, parmi les Indiens, qu’il espérait rassembler comme
une branche dispersée d’Israël.
S’adressant au conseil, il proposa d’envoyer Lewis et plusieurs autres
membres en expédition vers l’ouest pour rencontrer les Indiens de
plusieurs nations et expliquer l’objectif des saints en s’installant
dans l’Ouest. Ils découvriraient aussi des lieux de rassemblement
possibles.
Heber Kimball approuva le plan. Il dit : « Le temps que ces hommes
cherchent cet endroit, le temple sera terminé et les saints auront reçu
leur dotation. »
Le conseil approuva l’expédition et Lewis accepta de la diriger. En
mars et avril, il assista aux réunions du conseil et suggéra à ses
collègues des idées sur la meilleure façon de s’équiper pour
l’expédition et d’atteindre son objectif. Fin avril, le conseil désigna
quatre hommes pour accompagner Lewis dans son périple, notamment
Phineas, le frère de Brigham, et un converti récent appelé Solomon
Tindall, un Mohegan adopté par les Delaware.
Le convoi quitta Nauvoo peu après, traversant le Missouri en direction
du territoire au sud-ouest.
Sur l’île de Tubuai, dans le Pacifique Sud, Addison Pratt calcula que
cela faisait presque deux ans qu’il avait laissé sa femme et ses
enfants à Nauvoo. Louisa lui avait certainement écrit, tout comme il
l’avait fait à chaque occasion, mais il n’avait reçu aucun courrier de
sa famille.
Malgré cela, il était reconnaissant envers le peuple de Tubuai qui lui
avait permis de se sentir chez lui. La petite île comptait environ deux
cents habitants et Addison avait travaillé dur, apprit leur langue et
s’était fait de nombreux amis. Au bout d’une année sur l’île, il avait
baptisé soixante personnes, dont Repa, la fille aînée du roi local. Il
avait aussi baptisé un couple appelé Nabota et Telii, qui avaient
partagé tout ce qu’ils avaient avec lui et l’avaient traité comme un
membre de la famille. Pour Addison, c’était un festin spirituel que
d’entendre Nabota et Telii prier pour les saints de Nauvoo et remercier
le Seigneur de l’avoir envoyé en mission.
Même s’il avait le mal du pays en pensant à Louisa et à ses filles,
cela lui donnait aussi l’occasion de réfléchir à la raison de leur
sacrifice. Il était à Tubuai en raison de son amour pour Jésus-Christ
et de son désir de sauver les enfants de Dieu. En sillonnant l’île pour
rendre visite aux saints de Tubuai, il sentait souvent une chaleur et
un amour qui émouvaient les personnes qui l’entouraient et lui-même
jusqu’aux larmes.
Il écrivit dans son journal : « J’ai fait des amitiés ici que rien
d’autre que les liens de l’Évangile éternel n’aurait pu créer. »
Trois mois plus tard, en juillet 1845, il apprit la mort de Joseph et
d’Hyrum dans une lettre de Noah Rogers, son collègue missionnaire, qui
servait alors plus loin à Tahiti. En lisant le récit des meurtres, son
sang se glaça dans ses veines.
Environ une semaine plus tard, Noah lui écrivit de nouveau. L’œuvre
missionnaire à Tahiti et sur les îles environnantes avait rencontré
moins de succès qu’à Tubuai et les nouvelles de Nauvoo le perturbaient.
Il avait une femme et neuf enfants à la maison et s’inquiétait pour
leur sécurité. Ils avaient beaucoup souffert pendant le conflit du
Missouri et il ne voulait pas qu’ils endurent d’autres épreuves sans
lui. Il avait l’intention de prendre le prochain bateau de retour.
Addison avait toutes les raisons de le suivre. Avec la disparition de
Joseph, il s’inquiétait lui aussi pour sa famille et pour l’Église. Il
écrivit dans son journal : « Ce que seront les résultats, le Seigneur
seul le sait. »
Noah partit quelques jours plus tard mais Addison décida de rester avec
les saints de Tubuai. Le dimanche suivant, il prêcha trois sermons dans
le dialecte local et un en anglais.
En Illinois, Louisa Pratt rendit visite à ses amis Erastus et Ruhamah
Derby à Bear Creek, une petite colonie au sud de Nauvoo. Pendant
qu’elle y était, des émeutiers incendièrent une colonie de saints
voisine. Erastus partit immédiatement les défendre, laissant les deux
femmes garder la maison au cas où des émeutiers attaqueraient aussi
Bear Creek.
Cette nuit-là, Ruhamah fut trop effrayée pour dormir et insista pour
monter la garde pendant que Louisa dormait. Lorsqu’elle se réveilla le
matin, Louisa trouva son amie épuisée mais toujours sur le qui-vive.
Une journée tendue se déroula sans incident et lorsque la nuit revint,
Louisa essaya de convaincre Ruhamah de la laisser monter la garde. Au
début, cette dernière semblait trop effrayée pour lui faire confiance
mais elle finit par la persuader de dormir.
Lorsqu’Erastus revint quelques jours plus tard, les deux femmes étaient
éreintées mais saines et sauves. Il leur dit que les membres de la
colonie voisine vivaient sous des tentes et dans des chariots, exposés
à la pluie et à la fraîcheur de la nuit. Lorsque Brigham eut vent de la
nouvelle, il demanda aux saints qui habitaient hors de Nauvoo de se
rassembler dans la sécurité de la ville. Espérant juguler la violence
des émeutiers et gagner du temps pour accomplir le commandement du
Seigneur de terminer le temple, il promit au gouverneur Ford qu’ils
quitteraient la région d’ici le printemps.
Lorsque Louisa apprit cela, elle ne sut que faire. Avec Addison de
l’autre côté du globe, elle avait l’impression de n’avoir ni les
capacités ni les moyens de déplacer sa famille. Plus elle pensait à
abandonner Nauvoo, plus elle était anxieuse.
Après une semaine de pluie, les cieux au-dessus de Nauvoo
s’éclaircirent à temps pour la conférence de l’Église d’octobre 1845.
La journée était inhabituellement chaude tandis que les saints de tous
les coins de la ville gravissaient la colline jusqu’au temple et
prenaient place dans la nouvelle salle de réunion du rez-de-chaussée.
Bien que le reste de son intérieur fût largement inachevé, les murs
extérieurs et le toit du bâtiment étaient terminés et le clocher
étincelait au soleil.
En regardant les saints entrer en file dans la salle de réunion,
Brigham se sentit déchiré. Il ne voulait pas abandonner le temple ni
Nauvoo mais les attaques récentes des émeutiers n’étaient qu’un
avant-goût de ce qui arriverait s’ils restaient en ville plus
longtemps. Ce printemps-là, les hommes accusés du meurtre de Joseph et
d’Hyrum avaient également été acquittés, prouvant une nouvelle fois aux
saints que leurs droits et leurs libertés ne seraient pas respectés en
Illinois.
Les comptes-rendus de Lewis Dana sur l’expédition chez les Indiens
furent positifs et au fil des quelques dernières semaines, les apôtres
et le conseil de cinquante avaient discuté de nouveaux lieux de
rassemblement possibles. Les dirigeants de l’Église s’intéressaient à
la vallée du Grand Lac Salé, de l’autre côté des montagnes Rocheuses.
Les descriptions de la vallée du Lac Salé étaient prometteuses et
Brigham croyait que les saints pourraient s’installer près de là puis
se disperser et coloniser la côte Pacifique.
Malgré tout, la vallée se trouvait à deux mille deux cents kilomètres,
de l’autre côté d’un désert vaste et inconnu avec peu de routes et
presque aucun magasin où ils pourraient acheter de la nourriture et du
matériel. Les saints savaient déjà qu’ils devaient quitter Nauvoo mais
pouvaient-ils entreprendre un voyage aussi long et aussi
potentiellement dangereux ?
Brigham était certain qu’ils pouvaient le faire avec l’aide du Seigneur
et il avait l’intention de profiter de la conférence pour motiver et
rassurer les membres de l’Église. Parley Pratt parla le premier lors de
la session de l’après-midi, faisant allusion au projet de l’Église de
s’installer dans l’Ouest. Il déclara : « Le Seigneur a l’intention de
nous conduire vers un champ d’action plus étendu, où il y aura
davantage de place pour permettre aux saints de se multiplier et où
nous pourrons jouir des principes purs de la liberté et de droits
égaux. »
En 1897, George Q. GeorgeA. Smith se tint ensuite à la chaire et parla
des persécutions que les saints avaient subies au Missouri. Menacés par
un ordre d’extermination, ils avaient évacué l’État ensemble, faisant
alliance de n’abandonner personne. Il voulait qu’ils fassent la même
chose maintenant, qu’ils donnent tout ce qu’ils avaient pour aider ceux
qui ne pouvaient pas faire le voyage par leurs propres moyens.
Lorsqu’il eut terminé, Brigham proposa qu’ils fassent alliance les uns
avec les autres et avec le Seigneur de n’abandonner aucune personne qui
souhaitait aller dans l’Ouest. Heber Kimball demanda un vote de soutien
et les saints levèrent la main en signe de leur bonne volonté de
respecter leur serment.
Brigham promit : « Si vous êtes fidèles à votre alliance, je prophétise
maintenant que le grand Dieu déversera sur ce peuple des moyens
permettant d’accomplir cela à la lettre. »
Dans les mois qui suivirent la conférence, les saints firent usage de
chaque scie, marteau, enclume et aiguille à coudre pour fabriquer et
équiper les chariots pour le périple vers l’ouest. Les ouvriers
redoublèrent aussi d’efforts sur le temple afin qu’il soit suffisamment
achevé pour permettre aux saints de recevoir les ordonnances avant de
quitter la ville.
Pendant qu’ils préparaient les combles pour la dotation et les
scellements, les baptêmes pour les morts se poursuivaient au sous-sol.
Sous la direction du Seigneur, Brigham demanda que les hommes ne soient
plus baptisés en faveur de femmes ni les femmes en faveur d’hommes.
Plus tôt cette année-là, il avait enseigné aux saints : « Pendant sa
vie, Joseph n’a pas reçu toute chose en relation avec la doctrine de la
rédemption, mais il a laissé la clé à ceux qui comprennent comment
obtenir et enseigner à ce grand peuple tout ce qui est nécessaire à son
salut et son exaltation dans le royaume céleste de notre Dieu. »
La modification de l’ordonnance montrait que le Seigneur continuait de
révéler sa volonté à son peuple. Brigham déclara : « Pendant tout ce
temps, le Seigneur a dirigé ce peuple, de cette manière, en lui donnant
un peu ici et un peu là. Il le fait ainsi progresser en sagesse et
celui qui reçoit un peu et en est reconnaissant recevra davantage et
davantage et davantage. »
En décembre, les combles du temple furent achevés et les apôtres les
préparèrent pour la dotation. Avec l’aide d’autres saints, ils
suspendirent de lourds rideaux pour diviser la grande salle en
plusieurs pièces ornées de plantes et de peintures murales. À
l’extrémité est, ils cloisonnèrent un grand espace réservé à la salle
céleste, l’endroit le plus sacré du temple, et le décorèrent de
miroirs, de tableaux, de cartes et d’une magnifique horloge en marbre.
Les apôtres invitèrent ensuite les saints à entrer dans le temple
recevoir leurs bénédictions. Les hommes et les femmes qui avaient été
précédemment dotés remplirent tour à tour les divers rôles de la
cérémonie. Guidant les saints d’une pièce à l’autre, ils les
instruisirent davantage sur le plan de Dieu pour ses enfants et leur
firent contracter des alliances supplémentaires de vivre l’Évangile et
de se consacrer à l’édification de son royaume.
Vilate Kimball et Ann Whitney administraient les ordonnances de
l’ablution et de l’onction aux femmes. Eliza Snow, aidée par d’autres
femmes précédemment dotées, les guidait ensuite à travers le reste des
ordonnances. Brigham appela Mercy Thompson à s’installer à plein-temps
dans le temple pour participer à l’œuvre qui s’y déroulait.
Au début de la nouvelle année, les apôtres commencèrent à sceller les
couples pour le temps et l’éternité. Bientôt, plus d’un millier de
couples reçurent la nouvelle alliance éternelle du mariage. Parmi eux
se trouvaient Sally et William Phelps, Lucy et Isaac Morley, Ann et
Philo Dibble, Caroline et Jonathan Crosby, Lydia et Newel Knight,
Drusilla et James Hendricks et d’autres hommes et femmes qui avaient
suivi l’Église de lieu en lieu et consacré leur vie à Sion.
Les apôtres scellèrent également des enfants à leurs parents et des
hommes et des femmes à leur conjoint décédé. Joseph Knight, père, qui
s’était réjoui avec Joseph le matin où il avait rapporté les plaques
d’or à la maison, fut scellé par procuration à sa femme, Polly, la
première membre enterrée dans le comté de Jackson, au Missouri.
Certains participèrent à des scellements spéciaux d’adoption qui les
unissaient à la famille éternelle d’amis proches.
Le plan du Seigneur de former une chaîne soudée de saints et leur
famille, liés à lui et les uns aux autres par la prêtrise, devenait
avec chaque ordonnance une réalité.
Cet hiver-là, les ennemis de l’Église étaient en effervescence,
sceptiques que les saints tiennent leur promesse de partir au
printemps. Brigham et d’autres apôtres furent accusés faussement de
crimes, ce qui les obligea à rester hors de vue et même parfois à se
cacher dans le temple. Des rumeurs circulaient selon lesquelles le
gouvernement américain doutait de la loyauté des saints et voulait
envoyer des troupes pour les empêcher de quitter le pays et de se
liguer avec les puissances étrangères qui contrôlaient les terres
occidentales.
La pression pour partir était si intense que les apôtres décidèrent que
les dirigeants de l’Église, leurs familles et les autres personnes
ciblées par les persécutions devaient s’en aller dès que possible. Ils
croyaient qu’en traversant le Mississippi jusqu’en Iowa, cela
retiendrait leurs ennemis un peu plus longtemps et éviterait d’autres
actes de violence.
Début janvier 1846, les apôtres finalisèrent leurs plans pour l’exode
avec le conseil de cinquante. Avant de partir, ils nommèrent des agents
pour gérer les propriétés qu’ils abandonnaient et vendre ce qu’ils
pouvaient pour aider les plus pauvres à faire le voyage. Ils voulaient
également laisser quelques hommes sur place pour finir et consacrer le
temple.
Brigham et les Douze étaient maintenant décidés à rassembler les saints
dans les vallées derrières les montagnes Rocheuses. Après avoir jeûné
et prié quotidiennement dans le temple, Brigham avait eu une vision de
Joseph, l’index pointé vers le sommet d’une montagne où flottait une
bannière. Il lui avait dit de bâtir une ville à l’ombre de cette
montagne.
Brigham croyait que peu de gens convoiteraient la région qui était
moins fertile que les plaines à l’est des montagnes. Il espérait aussi
que ces dernières les protègeraient contre leurs ennemis et offriraient
un climat tempéré. Il souhaitait également qu’une fois installés dans
la vallée, ils établissent des ports sur la côte Pacifique pour
recevoir les émigrants arrivant d’Angleterre et de l’Est des États-Unis.
Le conseil fut de nouveau convoqué deux jours plus tard et Brigham
repensa au désir de Joseph d’accomplir la prophétie d’Ésaïe et de
hisser une bannière pour les nations. Il dit au conseil : « La parole
des prophètes ne se vérifiera jamais à moins qu’une maison du Seigneur
ne soit élevée aux sommets des montagnes et que la fière bannière de la
liberté ne flotte au-dessus des vallées encaissées dans les montagnes.
Je sais où se trouve l’endroit et je sais comment faire le drapeau. »
Le 2 février, après que des milliers de saints eurent reçu les
ordonnances du temple, les apôtres annoncèrent qu’ils allaient cesser
d’œuvrer dans le temple et préparer plutôt des bateaux pour transporter
les chariots de l’autre côté du Mississippi gelé. Brigham envoya des
messagers aux capitaines des compagnies leur commandant de se tenir
prêts sous quatre heures. Il continua ensuite à administrer la dotation
aux saints jusque tard dans la soirée, exigeant la présence des
greffiers du temple jusqu’à ce que chaque ordonnance soit correctement
enregistrée.
Lorsqu’il se leva le lendemain, une foule de saints vinrent à sa
rencontre à l’extérieur du temple, impatients de recevoir leur
dotation. Il leur dit qu’il n’était pas sage de retarder leur départ.
S’ils restaient pour faire d’autres dotations, ils risquaient d’être
gênés ou empêchés de sortir de la ville. Il promit qu’ils
construiraient d’autres temples et auraient d’autres possibilités de
recevoir leurs bénédictions dans l’Ouest.
Puis, il s’éloigna, s’attendant à ce que les saints se dispersent mais,
au contraire, ils gravirent les marches du temple et remplirent les
salles. Il fit demi-tour et les suivit à l’intérieur. En lisant
l’inquiétude sur leurs visages, il changea d’avis. Ils savaient qu’ils
avaient besoin de la dotation de pouvoir pour supporter les difficultés
qui les attendaient, vaincre l’aiguillon de la mort et retourner dans
la présence de Dieu.
Le reste de la journée, les servants du temple administrèrent les
ordonnances à des centaines de saints. Le lendemain, 4 février 1846,
cinq cents saints reçurent leur dotation pendant que les premiers
chariots quittaient Nauvoo.
Enfin, le 8 février, Brigham et les apôtres se réunirent à l’étage
supérieur du temple. Ils s’agenouillèrent autour de l’autel et
prièrent, invoquant la bénédiction de Dieu sur le peuple en partance
pour l’Ouest et sur ceux qui resteraient à Nauvoo pour achever le
temple et le lui consacrer.
Les jours et les semaines suivantes, des compagnies de saints
chargèrent leurs chariots et leurs bœufs sur des bacs et leur firent
traverser le fleuve, rejoignant ceux qui avaient déjà fait la
traversée. En grimpant sur le promontoire à quelques kilomètres à
l’ouest du fleuve, de nombreux saints regardèrent Nauvoo et firent avec
émotion leurs adieux au temple.
Jour après jour, Louisa Pratt regarda ses amis et ses voisins quitter
la ville. Elle redoutait toujours l’idée de partir vers l’ouest sans
l’aide ni la compagnie d’Addison. Tout le monde s’attendait à ce que le
voyage soit rempli de dangers imprévus mais jusqu’à présent, personne
ne lui avait demandé si elle était prête à le faire. Et aucun des
hommes qui avait appelé Addison en mission n’avait offert de l’aider à
déménager.
Le lendemain du jour où elle exprima ses sentiments, une amie dit : «
Sœur Pratt, ils s’attendent à ce que tu sois assez maline pour y aller
sans aide et même pour aider les autres. »
Louisa y réfléchit pendant un instant. Elle dit : « Bon, je vais leur
montrer ce dont je suis capable. »
La neige tournoyant autour d’elle, Emily Partridge frissonnait tandis
qu’elle était assise sur un arbre abattu le long de la berge
occidentale du Mississippi. Sa mère et ses sœurs avaient franchi le
fleuve six jours plus tôt et campaient dans les environs mais Emily ne
savait pas où. Comme de nombreux saints qui avaient quitté Nauvoo, elle
était fatiguée, affamée et appréhendait le voyage qui l’attendait.
C’était la quatrième fois qu’elle était chassée de chez elle à cause de
sa foi.
D’aussi loin que remontaient ses souvenirs, elle était sainte des
derniers jours. Enfant, elle avait regardé son père et sa mère endurer
persécution et pauvreté pour servir Jésus-Christ et établir Sion. À
seize ans, lorsque des émeutiers avaient chassé sa famille du Missouri,
Emily avait déjà passé une grande partie de sa vie à chercher un lieu
de refuge et de paix.
À presque vingt-deux ans, elle avait entrepris un autre voyage. À la
mort de Joseph, elle avait épousé Brigham Young en tant que femme
plurale. En octobre dernier, ils avaient eu un fils, Edward Partridge
Young, du nom du père d’Emily. Deux mois plus tard, elle entra dans le
temple et reçut sa dotation.
Si son bébé survivait au périple, il grandirait dans les montagnes, à
l’abri des émeutiers de la jeunesse de sa mère. Par contre, il ne
saurait jamais, comme Emily le savait, ce que c’était de vivre dans le
comté de Jackson ou à Nauvoo. Il ne rencontrerait jamais Joseph Smith
ni ne l’entendrait prêcher aux saints un dimanche après-midi.
Avant de franchir le fleuve, Emily était passée à la Nauvoo Mansion
pour voir le bébé de Joseph et Emma, David Hyrum, né cinq mois après la
mort du prophète. Les mauvais sentiments qui avaient existé entre Emma
et Emily avaient disparu et Emma l’invita à rentrer et la traita avec
gentillesse.
Emma et les enfants ne partaient pas vers l’ouest. Sa lutte pour
accepter le mariage plural et les disputes continuelles sur des biens
continuaient de compliquer ses rapports avec l’Église et les Douze.
Elle croyait toujours au Livre de Mormon et avait un puissant
témoignage de l’appel de prophète de son mari mais au lieu de suivre
les apôtres, elle avait choisi de rester à Nauvoo avec d’autres membres
de la famille Smith.
Assise au bord du Mississippi, Emily avait de plus en plus froid tandis
que de gros flocons s’accumulaient sur ses vêtements. Brigham était
encore à Nauvoo, en train de superviser l’exode, donc elle se leva et
porta son bébé d’un feu de camp à l’autre, à la recherche de chaleur et
d’un visage familier. Sous peu, elle retrouva sa sœur Eliza et se
joignit à elle dans un camp de saints installé dans un endroit appelé
Sugar Creek. Là, elle vit des familles blotties dans des tentes et des
chariots, se cramponnant les uns aux autres pour se tenir chaud et se
consoler du froid et d’un avenir incertain.
Nul dans le camp ne savait ce que le matin leur réserverait. Néanmoins,
ils ne s’élançaient pas aveuglément vers l’inconnu. Ils avaient fait
alliance avec Dieu dans le temple, ce qui fortifiait leur foi en son
pouvoir de les guider et de les soutenir pendant leur voyage. Chacun
était confiant que, quelque part dans l’Ouest, au creux des montagnes
Rocheuses, ils trouveraient un lieu où se rassembler, bâtir un autre
temple et établir le royaume de Dieu sur terre.
TOME
2
AUCUNE MAIN
IMPIE
1846-1893
PREMIÈRE PARTIE : Lève-toi
et va
(octobre
1845 - août 1852)
CHAPITRE 1 : Faites
un convoi
CHAPITRE 2 : Une
gloire suffisante
CHAPITRE 3 : La
volonté
du Seigneur
CHAPITRE 4 : Une
bannière pour les
nations
CHAPITRE 5 : Écrasé
par le fardeau
CHAPITRE 6 : Comme
sept tonnerres
CHAPITRE 7 :
Gardons courage
CHAPITRE 8 : Époque
de pénurie
CHAPITRE 9 :
Selon ce que
dicte l'Esprit
CHAPITRE 10 : La
vérité et la justice
DEUXIÈME
PARTIE : Préparez le
chemin du Seigneur
CHAPITRE 11 : Un
grand honneur
CHAPITRE 12 :
Tournés vers Sion
CHAPITRE 13 : Par
tous les moyens
possibles
CHAPITRE 14 :
Difficulté de la
séparation
CHAPITRE 15 : Par
tempête et par beau
temps
CHAPITRE
16 :
Sans douter
CHAPITRE 17 :
Réforme de la famille
CHAPITRE
18 :
Trop tard
CHAPITRE 19 : Dans
les chambres du
Seigneur
CHAPITRE 20 :
L'Écriture vue sur le
mur
CHAPITRE 21 : Une
même oeuvre et un même esprit
CHAPITRE 22
: Comme des
charbons ardents
CHAPITRE 23 : Un
tout harmonieux
TROISIÈME
PARTIE : L'heure de
l'épreuve
CHAPITRE 24 : Une
oeuvre immense
CHAPITRE 25 : La
dignité de l'appel
CHAPITRE 26 : Pour
le plus grand
profit de Sion
CHAPITRE 27 : Comme
un feu de prairie
CHAPITRE 28 :
Jusqu'à la venue du
Fils de l'Homme
CHAPITRE 29 :
Mourir sous le harnais
CHAPITRE 30 : Une
marche constante
CHAPITRE 31 : Les
fragments de ma vie
CHAPITRE
32 :
Relever notre col et
subir la pluie
CHAPITRE 33
:Jusqu'à ce que l'orage
soit passé
CHAPITRE 34
: Rien à craindre
des méchants
CHAPITRE 35 : Un
jour d'épreuve
CHAPITRE 36 : Les
choses faibles du
monde
QUATRIÈME
PARTIE : Un temple au coeur des montagnes
CHAPITRE 37 : Vers
le trône de la
grâce
CHAPITRE 38 : Quand
je le jugerai bon
CHAPITRE 39 : Entre
les mains de Dieu
CHAPITRE
40 :
C'était la chose à faire
CHAPITRE 41 : Si
longtemps submergé
CHAPITRE 42 : À la
fontaine divine
CHAPITRE 43 : Un
plus grand besoin
d'unité
CHAPITRE 44 : Une
paix bienheureuse
À PROPOS DES SOURCES
SOURCES
REMERCIEMENTS
PREMIÈRE
PARTIE
: Lève-toi
et va
(octobre
1845 - août 1852)
CHAPITRE
1 : Réunissez
un convoi
Des
milliers de saints des derniers jours font silence lorsque la voix de
Lucy Mack Smith résonne dans la grande salle du premier étage
du temple de Nauvoo presque achevé.
C’est
le matin du 8 octobre 1845, le troisième et dernier jour de la
conférence d’automne de l’Église de
Jésus-Christ des saints des derniers jours. Sachant qu’elle
n’aura plus beaucoup d’occasions de s’adresser aux
saints (surtout maintenant qu’ils prévoient de quitter
Nauvoo pour un nouveau foyer dans l’Ouest lointain), Lucy parle
avec une puissance dépassant son frêle corps de
soixante-dix ans.
Elle
témoigne : « Le 22 septembre dernier, cela a fait
dix-huit ans que Joseph a déterré les plaques, et lundi
dernier, cela a fait dix-huit ans que Joseph Smith, le prophète
de Dieu… »
Elle
se tait en pensant à lui, son fils martyr. Les saints dans la
salle savent comment un ange du Seigneur l’a conduit jusqu’à
un jeu de plaques d’or enterré dans une colline appelée
Cumorah. Ils savent qu’il a traduit les plaques par le don et
le pouvoir de Dieu et publié les annales sous le titre de
Livre de Mormon. Pourtant, combien d’entre eux l’ont
véritablement connu ?
Lucy
se souvient encore du moment où Joseph, alors âgé
de vingt et un ans, lui a dit pour la première fois que Dieu
lui avait confié les plaques. Elle s’était
inquiétée toute la matinée, craignant qu’il
ne revienne de la colline les mains vides, comme les quatre années
précédentes. Mais en arrivant, il l’avait
rapidement apaisée. Il avait dit : « Ne t’inquiète
pas. Tout va bien. » Puis, en guise de preuve, il lui avait
tendu un mouchoir dans lequel étaient enveloppés les
interprètes que le Seigneur avait fournis pour la traduction
des plaques.
Il
n’y avait qu’une poignée de croyants à
l’époque, dont la plupart étaient membres de la
famille Smith. Maintenant, plus de onze mille saints venant
d’Amérique du Nord et d’Europe vivent à
Nauvoo, en Illinois, où l’Église se rassemble
depuis six ans. Certains sont de nouveaux membres et n’ont pas
eu l’occasion de faire la connaissance de Joseph ni de son
frère Hyrum avant que les émeutiers ne tirent sur les
deux hommes en juin 1844 et ne les assassinent. C’est la raison
pour laquelle Lucy veut parler des défunts. Elle veut
témoigner de l’appel prophétique de Joseph et du
rôle de sa famille dans le rétablissement de l’Évangile
avant que les saints ne déménagent.
Depuis
plus d’un mois, des émeutiers incendiaient leurs maisons
et leurs entreprises dans les colonies voisines. Craignant pour leur
vie, de nombreuses familles s’étaient enfuies vers la
sécurité relative de Nauvoo. Mais les émeutiers
n’avaient fait que recevoir des renforts et s’organiser
davantage au fil des semaines et assez vite, des escarmouches armées
avaient éclaté entre les saints et eux. En attendant,
les autorités de l’état et le gouvernement
national ne faisaient rien pour protéger les droits des
saints.
Croyant
que ce n’était qu’une question de temps avant que
les émeutiers n’attaquent Nauvoo, les dirigeants de
l’Église avaient négocié un accord de paix
fragile en acceptant d’évacuer les saints du comté
pour le printemps.
Guidés
par la révélation divine, Brigham Young et les autres
membres du Collège des douze apôtres envisageaient de
les installer à plus de mille six cents kilomètres à
l’ouest, au-delà des montagnes Rocheuses, juste en
dehors de la frontière des États-Unis. En qualité
de collège président de l’Église, les
Douze avaient annoncé cette décision aux saints le
premier jour de la conférence d’automne.
L’apôtre
Pratt (Parley) avait déclaré : « Le Seigneur
envisage de nous guider vers un champ d’action plus large où
nous pourrons jouir des principes purs de la liberté et de
l’égalité des droits. »
Lucy
savait que les saints l’aideraient à faire le voyage si
elle décidait de partir. Des révélations leur
commandaient de se réunir en un seul endroit et les Douze
étaient déterminés à exécuter la
volonté du Seigneur. Mais Lucy était âgée
et croyait qu’elle n’en avait plus pour longtemps à
vivre. À sa mort, elle souhaitait être enterrée à
Nauvoo, près de Joseph, d’Hyrum et des autres membres de
sa famille décédés, dont son mari, Joseph Smith,
père.
De
plus, la majorité des membres vivants de sa famille restaient
à Nauvoo. William, le dernier de ses fils encore en vie, avait
été membre du Collège des Douze, mais avait
rejeté leur direction et refusait de se rendre dans l’Ouest.
Ses trois filles, Sophronia, Katharine et Lucy, restaient aussi en
arrière, tout comme sa belle-fille Emma, la veuve du prophète.
En
parlant à l’assemblée, elle exhorta son auditoire
à ne pas se faire du souci pour le voyage. Elle dit : «
Ne vous découragez pas en disant que vous n’arrivez pas
à avoir de chariots ni de matériel. » En dépit
de la pauvreté et des persécutions, sa famille avait
mené à bien le commandement du Seigneur de publier le
Livre de Mormon. Elle les encouragea à obéir à
leurs dirigeants et à se traiter mutuellement avec égards.
Elle
dit : « Comme dit Brigham, vous devez être entièrement
honnêtes ou vous n’arriverez pas à destination. Si
vous vous fâchez, vous allez avoir des problèmes. »
Lucy
reparla de sa famille, des persécutions terribles qu’ils
avaient endurées au Missouri et en Illinois, et des épreuves
qui attendaient les saints. Elle dit : « Je prie que le
Seigneur bénisse les chefs de l’Église, Brigham
Young et les autres. Lorsque j’irai dans un autre monde, je
veux vous y retrouver tous. »
Un
peu plus d’un mois plus tard, Wilford Woodruff, apôtre et
président de la mission britannique de l’Église,
trouva une lettre de Brigham Young qui l’attendait dans son
bureau à Liverpool, en Angleterre. Brigham disait à son
ami : « Nous avons eu pas mal de chagrin et d’ennuis ici
cet automne. Il est donc souhaitable de notre part de nous retirer,
ceci étant la seule condition pour avoir la paix. »
Wilford
fut inquiet mais pas surpris. Il avait lu dans les journaux des
rapports d’attaques d’émeutiers aux environs de
Nauvoo. Toutefois, jusque-là, il ne mesurait pas la gravité
de la situation. Après avoir lu la lettre, il se dit : «
Nous vivons à une époque bien étrange. »
Le gouvernement des États-Unis prétendait protéger
les opprimés et offrir un refuge aux exilés, mais
Wilford ne se souvenait pas d’une occasion où les saints
en eussent bénéficié.
Il
écrivit dans son journal : « L’État
d’Illinois et l’ensemble des États-Unis ont rempli
leur coupe d’iniquité et c’est une bonne chose que
les saints s’en retirent. »
Heureusement,
la plupart des membres de sa famille étaient hors de danger.
Sa femme, Phebe, et leurs plus jeunes enfants, Susan et Joseph,
étaient avec lui en Angleterre. Leur autre fille, Phebe
Amelia, était chez des parents dans l’est des
États-Unis, à plus de mille six cents kilomètres
de la menace.
Par
contre, Willy, leur fils aîné, était encore à
Nauvoo, sous la garde d’amis proches. Dans sa lettre, Brigham
mentionnait que le garçon était en sécurité,
mais Wilford avait quand même hâte de réunir sa
famille.
En
qualité de président de collège, Brigham lui
communiquait quelques instructions sur la suite à donner. Il
conseillait : « Ne nous envoie plus d’émigrants,
mais fais-les attendre en Angleterre jusqu’à ce qu’ils
puissent faire la traversée de l’Océan Pacifique.
» Quant aux missionnaires américains, il voulait que
ceux qui n’avaient pas encore reçu leurs ordonnances du
temple retournent immédiatement à Nauvoo pour les
recevoir.
Les
jours suivants, Wilford écrivit aux frères américains
qui prêchaient en Angleterre, les informant des persécutions
à Nauvoo. Bien que Phebe et lui eussent déjà
reçu leurs ordonnances, ils décidèrent de
rentrer également chez eux.
Dans
un discours d’adieu aux saints britanniques, il expliqua : «
Ma famille est dispersée sur trois mille kilomètres à
travers les États-Unis. Il me paraît actuellement de mon
devoir de repartir là-bas et de réunir mes enfants afin
qu’ils puissent partir avec le camp des saints. »
Wilford
appela Reuben Hedlock, le président de mission précédent,
à présider de nouveau en Grande-Bretagne. Bien qu’il
n’eût pas totalement confiance en lui à cause de
sa mauvaise gestion des fonds de l’Église par le passé,
personne d’autre en Angleterre n’avait plus d’expérience
pour diriger une mission. En outre, Wilford disposait de peu de temps
pour trouver un meilleur remplaçant. Après avoir
rejoint le Collège des Douze, il recommanderait qu’on
appelle un autre homme pour prendre la place de Reuben.
Pendant
que sa femme et lui se préparaient à retourner à
Nauvoo, Samuel Brannan, l’ancien présidant l’Église
à New York City, entendit une rumeur selon laquelle le
gouvernement des États-Unis préférait désarmer
et exterminer les saints plutôt que de leur permettre de
quitter le pays et de s’entendre avec le Mexique ou la
Grande-Bretagne, deux nations qui revendiquaient de vastes régions
dans l’Ouest. Inquiet, Sam écrivit immédiatement
à Brigham Young pour l’avertir du danger.
Sa
lettre arriva à Nauvoo au milieu de nouveaux périls.
Brigham et les autres apôtres venaient d’être
assignés en justice, étant faussement accusés de
contrefaçons, et des hommes de loi cherchaient maintenant à
les arrêter. Après avoir lu la lettre de Sam, les
apôtres prièrent pour être protégés,
demandant au Seigneur de guider les saints en sécurité
hors de la ville.
Peu
après, Thomas Ford, le gouverneur d’Illinois, sembla
confirmer le rapport de Sam. Il avertit : « Il est très
probable que le gouvernement à Washington DC. interfère
pour empêcher les saints de se rendre à l’ouest
des montagnes Rocheuses. De nombreuses personnes intelligentes
croient sincèrement qu’ils se joindront aux Britanniques
s’ils vont là-bas et causeront plus de tumulte que
jamais. »
En
janvier 1846, Brigham se réunit souvent avec le Collège
des Douze et le conseil des cinquante, une organisation qui
supervisait les préoccupations matérielles du royaume
de Dieu ici-bas, pour planifier le meilleur moyen d’évacuer
rapidement les saints de Nauvoo et d’établir un nouveau
lieu de rassemblement. Heber Kimball, son collègue apôtre,
recommanda de conduire dès que possible un petit convoi de
saints vers l’ouest.
Il
conseilla : « Réunissez un convoi qui a les moyens de
s’équiper et qui sera prêt à partir à
tout moment afin de préparer un endroit pour recevoir ses
familles et les pauvres. »
L’apôtre
Pratt (Orson) fit remarquer : « Si l’on veut qu’un
convoi parte en avant-garde et fasse les semailles ce printemps, il
faudra qu’il se mette en route dès le début
février. » Il se demandait s’il ne serait pas plus
sage de s’installer un peu plus près afin de planter
plus tôt.
L’idée
déplut à Brigham. Le Seigneur avait déjà
commandé aux saints de s’installer près du Grand
Lac Salé. Le lac faisait partie du Grand Bassin, une immense
région en forme de bol bordée de montagnes. La terre de
la plus grande partie du bassin était aride et difficile à
cultiver, la rendant inintéressante pour de nombreux
Américains en route vers l’ouest.
Brigham
raisonna : « Si nous allons entre les montagnes, à
l’endroit que nous envisageons, aucune nation ne nous
jalousera. » Il savait que la région était déjà
habitée par des peuples indigènes. Il espérait
quand même que les saints pourraient s’installer
paisiblement parmi eux.
Au
fil des années, les saints avaient essayé de parler de
l’Évangile aux Amérindiens aux États-Unis
et ils comptaient faire de même avec les peuples indigènes
de l’Ouest. Comme la plupart des blancs aux États-Unis,
de nombreux saints considéraient que leur culture était
supérieure à celle des Indiens et ne savaient pas
grand-chose de leurs langues ni de leurs coutumes. Néanmoins,
ils les considéraient aussi comme étant membres de la
maison d’Israël et alliés potentiels, et ils
espéraient tisser des liens d’amitié avec les
Utes, les Shoshones et d’autres tribus occidentales.
Le
13 janvier, Brigham se réunit de nouveau avec les conseils
afin de savoir combien de saints étaient prêts à
quitter Nauvoo avec un préavis de six heures. Il était
certain que la plupart d’entre eux seraient en sécurité
dans la ville jusqu’à l’échéance du
printemps. Pour s’assurer que le convoi d’avant-garde se
déplace rapidement, il y voulait aussi peu de familles que
possible.
Il
dit : « Tous ces hommes qui sont en danger et risquent d’être
poursuivis en justice, allez et prenez leurs familles. » Tous
les autres devaient attendre le printemps pour partir dans l’Ouest,
après que le convoi d’avant-garde aurait atteint les
montagnes et fondé la nouvelle colonie.
L’après-midi
du 4 février 1846, la lumière du soleil dansait sur le
port de New York alors qu’une foule se pressait sur le quai
pour dire au revoir au Brooklyn, un navire de quatre cent cinquante
tonnes partant pour la baie de San Francisco, sur la côte
californienne, une région faiblement colonisée du
nord-ouest du Mexique. Sur le pont du navire, plus de deux cents
saints, dont la plupart étaient trop pauvres pour faire le
voyage vers l’ouest en chariot, faisaient des signes de la main
à leurs parents et amis.
Sam
Brannan, vingt-six ans, était à leur tête. Après
la conférence d’octobre, les Douze avaient commandé
à Sam d’affréter un navire et d’escorter un
convoi de saints de l’Est jusqu’en Californie où
ils attendraient le rendez-vous avec le groupe principal de l’Église
quelque part dans l’Ouest.
Orson
Pratt avait averti : « Fuyez hors de Babylone ! Nous ne voulons
pas qu’un seul saint soit laissé aux États-Unis.
»
Sam
affréta rapidement le Brooklyn à un prix raisonnable et
des ouvriers construisirent trente-deux petites cabines pour
installer les passagers. Il demanda aux saints d’emporter des
charrues, des pelles, des houes, des fourches et d’autres
outils dont ils auraient besoin pour cultiver la terre et construire
des maisons. Ne sachant ce qui les attendait, ils chargèrent
une réserve ample de nourriture et de provisions, du bétail,
trois moulins à grain, des meulières, des tours, des
clous, une presse d’imprimerie et des armes à feu. Une
société caritative avait donné suffisamment de
livres pour constituer une bonne bibliothèque sur le navire.
Pendant
que Sam se préparait au voyage, un politicien qu’il
connaissait à Washington l’avertit que les États-Unis
étaient toujours déterminés à empêcher
les saints de quitter Nauvoo. Il lui dit également qu’un
homme d’affaires et lui-même, ayant des intérêts
en Californie, étaient disposés à faire pression
sur le gouvernement en faveur de l’Église en échange
de la moitié des terres acquises par les saints dans l’Ouest.
Sam
savait que les termes du marché n’étaient pas
bons, mais il croyait que ces hommes étaient ses amis et
qu’ils pouvaient protéger les saints. Quelques jours
avant de monter à bord du Brooklyn, Sam fit rédiger un
contrat et l’envoya à Brigham en le pressant de le
signer. Il promit : « Tout ira bien. »
Il
l’informa également de son intention de fonder une ville
dans la baie de San Francisco, peut-être comme nouveau lieu de
rassemblement pour les saints. Il écrivit : « Je
choisirai l’endroit le plus adapté. Avant que vous y
arriviez, si telle est la volonté du Seigneur, j’aurai
tout préparé pour vous. »
Lorsque
le Brooklyn largua ses amarres, Sam était certain d’avoir
assuré la sécurité des saints qui quittaient
Nauvoo et d’avoir organisé un voyage sans encombre pour
son convoi. La route du bateau suivrait les courants marins autour de
la pointe méridionale tumultueuse de l’Amérique
du Sud et jusqu’au cœur du Pacifique. En arrivant en
Californie, ils fonderaient leur ville et commenceraient une nouvelle
vie dans l’Ouest.
Pendant
qu’un bateau à vapeur guidait le Brooklyn loin du quai,
la foule des proches sur la jetée lança un triple
hourra aux saints qui répondirent de la même façon.
Le vaisseau fit ensuite route jusqu’à l’embouchure
étroite du port, largua ses huniers et fut poussé par
la brise vers l’océan Atlantique.
Le
jour même où le Brooklyn mettait les voiles en direction
de la Californie, les quinze chariots du convoi d’avant-garde
traversaient le Mississippi jusqu’au Territoire de l’Iowa,
juste à l’ouest de Nauvoo, et installaient le campement
à Sugar Creek.
Quatre
jours plus tard, Brigham Young se réunit une dernière
fois avec les apôtres dans le temple de Nauvoo. Bien que le
temple dans son ensemble n’eût pas été
consacré, les combles l’étaient et ils y avaient
administré la dotation à plus de cinq mille saints
avides. Ils avaient également scellé environ mille
trois cents couples pour le temps et pour l’éternité.
Certains de ces scellements étaient des mariages pluraux que
quelques saints fidèles avaient commencé de pratiquer
en privé à Nauvoo, en accord avec un principe que le
Seigneur avait révélé à Joseph Smith au
début des années 1830.
Brigham
avait prévu d’arrêter d’accomplir les
ordonnances le 3 février, la veille du départ des
premiers chariots, mais les saints avaient envahi le temple toute la
journée, impatients de recevoir les ordonnances avant de
partir. D’abord, il les avait congédiés. Il avait
insisté : « Nous bâtirons d’autres temples
et aurons d’autres occasions de recevoir les bénédictions
du Seigneur. Nous avons été abondamment récompensés
dans ce temple, si cela s’arrête là. »
S’attendant
à ce que la foule se disperse, Brigham s’était
mis en route pour rentrer chez lui. Mais il n’était pas
allé loin avant de faire demi-tour et de trouver le temple
regorgeant de personnes affamées et assoiffées de la
parole du Seigneur. Ce jour-là, deux cent quatre-vingt-quinze
saints supplémentaires reçurent leurs bénédictions
du temple.
Une
fois les ordonnances achevées, les apôtres
s’agenouillèrent autour de l’autel et prièrent
pour faire bon voyage vers l’Ouest. Nul n’aurait pu
prédire les épreuves qui les attendraient dans les
semaines et les mois à venir. Les guides et les cartes
décrivaient des pistes non balisées sur une grande
partie du chemin jusqu’aux montagnes. Les fleuves et les
rivières étaient nombreux le long du chemin et beaucoup
de bisons et de gibier vagabondaient dans les plaines. Les saints
n’avaient encore jamais voyagé sur un terrain semblable.
Refusant
de laisser qui que ce soit en danger, ils avaient fait alliance les
uns avec les autres d’aider quiconque voulait partir pour
l’Ouest, en particulier les pauvres, les malades ou les
personnes veuves. Lors de la conférence d’octobre, dans
le temple, Brigham leur avait promis : « Si vous êtes
fidèles à votre alliance, je prophétise
maintenant que le grand Dieu déversera sur ce peuple des
moyens permettant d’accomplir cela à la lettre. »
Le
15 février, le fardeau de cette alliance pesait lourdement sur
Brigham tandis qu’il franchissait le Mississippi. Cet
après-midi-là, il poussa et tira des chariots jusqu’au
sommet d’une colline enneigée et boueuse à six
kilomètres à l’ouest du fleuve. Il ne restait que
quelques heures avant que la tombée de la nuit n’assombrisse
le chemin devant lui, mais Brigham restait déterminé à
ne pas se reposer tant que chaque chariot de saints des derniers
jours ne serait pas arrivé en sécurité à
Sugar Creek.
Le
projet d’envoyer un petit convoi d’avant-garde vers les
montagnes cette année-là prenait déjà du
retard. Brigham et les autres dirigeants de l’Église
avaient quitté la ville plus tard que prévu et certains
saints, ne tenant aucun compte du conseil de rester à Nauvoo,
avaient franchi le fleuve et campaient avec le convoi d’avant-garde
à Sugar Creek. Après s’être enfuies aussi
rapidement de la ville, de nombreuses familles sur la piste étaient
désorganisées, mal équipées et mal
préparées.
Brigham
ne savait pas encore quoi faire. Ces saints ralentiraient
certainement les autres, mais il ne voulait pas les renvoyer à
la ville maintenant qu’ils en étaient partis. Dans son
esprit, Nauvoo était devenue une prison, un endroit indigne du
peuple de Dieu. La route de l’Ouest était la liberté.
Les
Douze et lui devraient simplement aller de l’avant, confiants
que le Seigneur les aiderait à trouver une solution.
CHAPITRE
2 : Une
gloire suffisante
Un
vent froid soufflait lorsque Brigham Young arriva à Sugar
Creek le soir du 15 février 1846. Dispersés dans un
bosquet enneigé, non loin d’un ruisseau glacé,
des centaines de saints, enveloppés de manteaux et de
couvertures humides, frissonnaient. De nombreuses familles se
rassemblaient autour de feux ou sous des tentes bricolées avec
des draps ou des bâches de chariot. D’autres se
blottissaient ensemble dans des charrettes ou des chariots pour se
tenir chaud.
Brigham
sut immédiatement qu’il devait organiser le camp. Avec
l’aide d’autres dirigeants de l’Église, il
répartit les saints en compagnies et nomma des capitaines pour
les diriger. Il les avertit qu’ils ne devaient pas faire de
trajets inutiles jusqu’à Nauvoo, être paresseux,
ni emprunter sans permission. Les hommes devaient continuellement
protéger le camp et en surveiller la propreté, et
chaque famille devait prier matin et soir.
Un
bon esprit s’installa rapidement parmi eux. Les saints sortis
sains et saufs de la ville, s’inquiétaient moins des
émeutiers ou des menaces du gouvernement d’empêcher
l’exode. Le soir, une fanfare jouait de la musique entraînante
pendant que les hommes et les femmes dansaient. Les saints qui
pratiquaient le mariage plural devenaient aussi moins circonspects et
commençaient à parler ouvertement du principe et de la
manière dont leurs familles étaient liées.
Entre-temps,
Brigham passait des heures à peaufiner les plans pour le
déplacement vers l’Ouest. Peu avant de quitter Nauvoo,
alors qu’il jeûnait et priait dans le temple, il avait eu
une vision de Joseph montrant du doigt un drapeau flottant au sommet
d’une montagne. Joseph lui avait commandé : «
Construis en dessous de l’endroit où les couleurs se
posent et vous prospérerez et aurez la paix. » Brigham
savait que le Seigneur avait préparé un endroit pour
l’Église, mais y guider des milliers de saints serait
une tâche monumentale.
Pendant
ce temps, des lettres de Sam Brannan, qui était maintenant en
route pour la Californie sur le Brooklyn, arrivèrent au camp.
Parmi elles se trouvait le contrat promettant aux saints un exode en
toute sécurité en échange de terres dans
l’Ouest. Brigham le lut attentivement avec les apôtres.
S’ils ne le signaient pas, les lettres de Sam laissaient
entendre que le président des États-Unis pouvait
ordonner aux saints de rendre les armes et de cesser de se
rassembler.
Brigham
était sceptique. Malgré sa méfiance à
l’égard du gouvernement, il avait déjà
décidé de collaborer avec lui au lieu de s’opposer
à lui. En fait, peu avant de quitter Nauvoo, il avait demandé
à Jesse Little, le nouvel ancien présidant les États
de l’Est, de faire pression pour l’Église et
d’accepter n’importe quelle offre honorable du
gouvernement fédéral de soutenir l’exode des
saints. Les apôtres et lui comprirent vite que le contrat
n’était rien d’autre qu’un stratagème
sophistiqué conçu pour favoriser les hommes qui
l’avaient élaboré. Au lieu de signer l’accord,
les apôtres décidèrent de faire confiance à
Dieu et de compter sur sa protection.
Au
fil du mois, les températures devinrent négatives et la
surface du Mississippi gela, facilitant sa traversée. Peu
après, environ deux mille personnes campaient à Sugar
Creek, bien que certaines retournassent à Nauvoo à de
multiples reprises pour une affaire ou une autre.
Les
allées et venues ennuyaient Brigham qui croyait que ces saints
négligeaient leur famille et se préoccupaient trop de
leurs biens en ville. La migration vers l’ouest étant
déjà en retard sur le programme, il décida qu’il
était temps que les saints quittent Sugar Creek, même si
le matériel dont disposaient les convois était
insuffisant.
Le
1er mars, cinq cents chariots prirent la direction de l’ouest à
travers la prairie de l’Iowa. Brigham comptait toujours envoyer
un convoi d’avant-garde au-delà des montagnes Rocheuses
cette année-là, mais les saints avaient d’abord
besoin de toutes les ressources disponibles pour éloigner le
campement de Nauvoo.
Pendant
que Brigham et les saints quittaient Sugar Creek, Louisa Pratt,
quarante-trois ans, restait à Nauvoo et se préparait à
quitter la ville avec ses quatre filles. Trois ans plus tôt, le
Seigneur avait appelé son mari, Addison, en mission dans les
îles du Pacifique. Depuis lors, il avait été
difficile de rester en contact avec lui du fait du service postal peu
fiable entre Nauvoo et Tubuai, l’île de Polynésie
française où il servait. La plupart de ses lettres
dataient de plusieurs mois lorsqu’elles arrivaient, et
certaines de plus d’un an.
Sa
dernière lettre disait clairement qu’il ne rentrerait
pas à temps pour se rendre dans l’Ouest avec elle. Les
Douze lui avaient commandé de rester dans les îles du
Pacifique jusqu’à ce qu’ils le relèvent ou
envoient des missionnaires pour le remplacer. À un moment
donné, Brigham avait espéré en envoyer d’autres
dans les îles, après que les saints avaient reçu
la dotation, mais l’exode de Nauvoo avait différé
ce projet.
Louisa
était disposée à entreprendre le voyage sans son
mari, mais quand elle y réfléchissait, elle était
inquiète. Elle détestait quitter Nauvoo et le temple et
l’idée de franchir les montagnes Rocheuses en chariot ne
la séduisait pas. Elle voulait aussi voir ses parents âgés
au Canada, probablement pour la dernière fois, avant de se
rendre dans l’Ouest.
Si
elle vendait son attelage de bœufs, elle aurait assez d’argent
pour rendre visite à ses parents et réserver une place
pour sa famille sur un navire en partance pour la côte
californienne, échappant ainsi complètement à la
traversée du continent.
Elle
était presque résolue à aller au Canada, mais
elle éprouvait comme un malaise. Elle décida d’évoquer
ses inquiétudes sur la traversée du continent et son
désir de voir ses parents dans une lettre adressée à
Brigham Young.
Elle
écrivit : « Si vous dites que l’expédition
avec l’attelage de bœufs est la meilleure voie du salut,
alors je m’y engagerai de tout mon cœur et de toutes mes
forces, et je crois que je peux le supporter sans maugréer
aussi longtemps que n’importe quelle autre femme. »
Peu
de temps plus tard, un messager arriva avec la réponse de
Brigham. Il lui dit : « Allez, le salut de l’attelage de
bœufs est la voie la plus sûre. Frère Pratt nous
rejoindra dans le désert à l’endroit où
nous nous établirons et il sera amèrement déçu
si sa famille n’est pas avec nous. »
Louisa
prit le conseil en considération, rassembla son courage en vue
du voyage difficile et décida de suivre le corps principal des
saints, à la vie ou à la mort.
Ce
printemps-là, les saints traversant l’Iowa commencèrent
à se donner le nom de Camp d’Israël, d’après
les Hébreux d’autrefois que le Seigneur avait conduits
hors de captivité en Égypte. Jour après jour,
ils luttaient contre les éléments alors que la neige et
la pluie incessantes rendaient le sol de la prairie spongieux et
boueux. L’eau des fleuves et des rivières était
haute et impétueuse. Les chemins de terre se dissolvaient en
bourbiers. Les saints avaient prévu de traverser la majeure
partie du territoire en un mois, mais dans ce laps de temps, ils
n’avaient couvert qu’un tiers de la distance.
Le
6 avril, seizième anniversaire de l’organisation de
l’Église, il plut toute la journée. Brigham passa
des heures avec de la boue jusqu’aux genoux à aider les
saints le long de la piste à atteindre un endroit appelé
Locust Creek. Là, il aida à disposer les chariots, à
planter les tentes et à couper du bois jusqu’à ce
que tous les saints soient installés dans le campement. Une
femme qui le voyait dans la boue, poussant et tirant pour dégager
un chariot embourbé, trouva qu’il avait l’air
aussi heureux qu’un roi, en dépit des difficultés
qui l’entouraient.
Ce
soir-là, une pluie glacée et de la grêle
bombardèrent le campement, le recouvrant de glace. Le matin,
William Clayton, secrétaire de Brigham et chef de la fanfare,
trouva tout sens dessus dessous. De nombreuses tentes s’étaient
affaissées sur le sol gelé. Un arbre abattu avait
écrasé un chariot. Certains hommes de la fanfare
étaient aussi à court de provisions.
Il
partagea ce qu’il avait avec sa fanfare, bien que sa propre
famille disposât de peu. Étant l’un des premiers
saints à avoir pratiqué le mariage plural, il voyageait
avec trois femmes et quatre enfants. Une autre épouse,
Diantha, était encore à Nauvoo, sous la garde de sa
mère. Elle était enceinte de son premier enfant et sa
santé fragile ajoutait à l’anxiété
de William sur la piste.
Pendant
que les Clayton se reposaient à Locust Creek avec le Camp
d’Israël, Brigham proposa d’établir un relais
à mi-chemin de l’Iowa où les saints pourraient
patienter jusqu’à ce que le temps s’améliore,
construire des cabanes et semer pour ceux qui viendraient plus tard.
Certains s’occuperaient ensuite du relais pendant que d’autres
retourneraient à Nauvoo pour guider des convois à
travers l’Iowa. Le reste du camp avancerait avec lui jusqu’au
Missouri.
Le
14 avril, William passa la nuit dehors à rassembler les
chevaux et le bétail qui s’étaient échappés.
Le matin, il avait besoin de sommeil, mais quelqu’un au camp
avait reçu une lettre mentionnant Diantha et la naissance de
son bébé. Ce soir-là, William célébra
l’événement en chantant et en jouant de la
musique avec la fanfare jusque tard dans la nuit.
Le
lendemain matin, les cieux étaient dégagés et
William entrevit des jours meilleurs pour le Camp d’Israël.
Assis avec de l’encre et du papier, il écrivit un
cantique d’encouragement pour les saints :
Venez,
venez, sans craindre le devoir,
Travailler
au progrès !
Si
le chemin à vos yeux paraît noir,
Le
secours est tout près.
Mieux
vaut lutter de tout son cœur,
Pour
acquérir le vrai bonheur
Venez,
joyeux, ne craignez rien,
Tout
est bien ! Tout est bien ! »
Cent
cinquante kilomètres à l’est, debout sur le pont
d’un bateau voguant sur le Mississippi, Wilford Woodruff
contemplait le temple de Nauvoo à l’aide d’une
longue-vue. La dernière fois qu’il l’avait vu, ses
murs étaient encore inachevés. Maintenant, il avait un
toit, des fenêtres étincelantes et une tour majestueuse
surmontée d’une girouette en forme d’ange. Des
parties du temple étaient déjà consacrées
pour l’accomplissement des ordonnances et le bâtiment
serait bientôt achevé et prêt à être
consacré au Seigneur.
Son
voyage de retour de Grande-Bretagne avait été semé
d’embûches. Des vagues et des vents violents avaient
ballotté le navire. Wilford avait eu le mal de mer et avait
été malheureux, mais il avait tenu bon. Sur le moment,
il avait maugréé : « Tout homme qui vend sa ferme
et part en mer pour gagner sa vie a des goûts différents
des miens. »
Phebe
avait fait voile en premier, emmenant leurs enfants Susan et Joseph à
bord d’un navire rempli de saints qui émigraient aux
États-Unis. Wilford était resté un peu plus
longtemps à Liverpool pour régler quelques questions
financières, transférer la direction de l’Église
au nouveau président de mission et solliciter des fonds pour
terminer la construction du temple.
Il
avait rappelé aux membres de l’Église : «
La construction du temple de Dieu concerne tous les saints loyaux, où
que le sort les ait placés. » Bien que le temple doive
être abandonné peu après son achèvement,
les saints des deux côtés de l’Atlantique étaient
déterminés à le finir pour obéir au
commandement du Seigneur donné en 1841.
Par
l’intermédiaire de Joseph Smith, le Seigneur avait
déclaré : « Je vous accorde suffisamment de temps
pour me bâtir une maison […] et si vous ne faites pas
cela à la fin du temps qui vous est désigné,
vous serez, vous, l’Église, rejetés avec vos
morts, dit le Seigneur, votre Dieu. »
Bien
que de nombreux saints britanniques fussent appauvris, Wilford les
avait encouragés à donner ce qu’ils pouvaient
pour financer le temple, promettant des bénédictions
pour leur sacrifice. Ils avaient été généreux
et Wilford était reconnaissant de leur consécration.
En
arrivant aux États-Unis, il récupéra sa fille
Phebe Amelia dans le Maine et se rendit dans le sud pour rendre
visite à ses parents, qu’il persuada de l’accompagner
dans l’Ouest.
Après
avoir débarqué à Nauvoo, il retrouva sa femme et
rencontra Orson Hyde, l’apôtre président dans la
ville, qui avait peu de bonnes nouvelles à lui annoncer. Parmi
les saints restés à Nauvoo, certains étaient
agités et se sentaient abandonnés. Certains doutaient
même du droit que les Douze revendiquaient à la
direction de l’Église. Parmi eux se trouvaient la sœur
de Wilford, Eunice, et son mari Dwight Webster.
La
nouvelle le chagrina pendant des jours. Il avait instruit et baptisé
sa sœur et son beau-frère une décennie plus tôt.
Récemment, ils avaient été attirés par un
homme du nom de James Strang qui affirmait que Joseph Smith l’avait
secrètement désigné comme successeur. Son
affirmation était fausse, mais son charisme avait rallié
certains saints de Nauvoo, notamment les anciens apôtres John
Page et William Smith, le jeune frère du prophète
Joseph, .
Le
18 avril, Wilford fut furieux quand il apprit que Dwight et Eunice
essayaient de convaincre ses parents de suivre Strang au lieu de
partir pour l’Ouest. Il réunit sa famille et dénonça
le faux prophète. Il sortit ensuite charger ses chariots.
Il
écrivit dans son journal : « J’ai beaucoup à
faire et peu de temps pour le faire. »
Ce
printemps-là, les ouvriers s’empressèrent de
terminer le temple avant sa consécration publique le 1er mai.
Ils installèrent un sol de brique autour des fonts baptismaux,
posèrent des boiseries décoratives et peignirent les
murs. Le travail se poursuivait toute la journée et souvent
pendant la nuit. Du fait que l’Église disposait de peu
d’argent pour rémunérer les ouvriers, beaucoup
sacrifièrent une partie de leur salaire pour veiller à
ce que le temple soit prêt à être consacré
au Seigneur.
Deux
jours avant la consécration, les ouvriers finirent de peindre
la grande salle du premier étage. Le lendemain, ils balayèrent
la poussière et les débris hors de la pièce et
préparèrent la réunion. Ils ne purent mettre la
touche finale à chaque pièce, mais ils savaient que
cela n’empêcherait pas le Seigneur d’accepter le
temple. Sûrs d’avoir exécuté son
commandement, ils peignirent le long du mur est de la salle,
au-dessus des chaires, les mots : « Le Seigneur a vu notre
sacrifice. »
Conscients
de la dette qu’ils avaient envers les ouvriers, les dirigeants
de l’Église annoncèrent que la première
session de consécration serait une démarche de
bienfaisance. Une somme d’un dollar fut demandée aux
participants pour aider à rémunérer les ouvriers
appauvris.
Le
matin du 1er mai, Elvira Stevens, quatorze ans, quitta le camp à
l’ouest du Mississippi et traversa le fleuve pour assister à
la consécration. Orpheline dont les parents étaient
décédés peu après l’arrivée
de la famille à Nauvoo, Elvira vivait maintenant chez sa sœur
mariée. Puisque personne d’autre de son camp ne pouvait
l’accompagner à la consécration, elle s’y
rendit seule.
Sachant
qu’il pourrait se passer des années avant qu’un
autre temple ne soit construit dans l’Ouest, les apôtres
avaient administré la dotation à certains jeunes
célibataires, notamment Elvira. Trois mois plus tard, elle
gravit de nouveau les marches jusqu’aux portes du temple, donna
son dollar et trouva une place dans la grande salle.
La
session commença par un chant interprété par le
chœur. Orson Hyde offrit ensuite la prière de
consécration. Il implora : « Fais que ton Esprit demeure
ici et que tous puissent sentir par une influence sacrée dans
leur cœur que sa main a participé à cette œuvre.
»
Elvira
perçut une puissance céleste dans la pièce.
Après la session, elle retourna au campement mais revint deux
jours plus tard pour la session suivante, espérant ressentir
de nouveau la même puissance. Orson Hyde et Wilford Woodruff
firent des discours sur l’œuvre du temple, la prêtrise
et la résurrection. Avant de conclure la réunion,
Wilford félicita les saints d’avoir achevé le
temple bien qu’ils dussent l’abandonner.
Il
dit : « Des milliers de saints y ont reçu leur dotation
et la lumière ne s’éteindra pas. C’est une
gloire suffisante pour justifier la construction du temple. »
Après
la session, Elvira retourna à son campement, franchissant le
fleuve une dernière fois. Entre-temps, les saints de Nauvoo
passèrent le reste de la journée et de la nuit à
emballer les affaires et à vider le temple des chaises, des
tables et du reste du mobilier, puis ils le laissèrent entre
les mains du Seigneur.
Quelques
semaines après la consécration, Louisa Pratt et ses
filles prirent la route de l’Ouest avec un convoi de saints.
Ellen avait maintenant quatorze ans, Frances douze, Lois neuf et Ann
cinq. Elles avaient deux attelages de bœufs, deux vaches et un
chariot rempli de vêtements neufs et de provisions.
Avant
de franchir le fleuve pour se rendre en Iowa, Louisa passa au bureau
de poste et y trouva une longue lettre d’Addison datée
du 6 janvier 1846, cinq mois plus tôt. Addison racontait qu’il
était maintenant à Tahiti avec des amis de Tubuai
(Nabota et Telii, le couple marié), en route pour aider un
collègue missionnaire, Benjamin Grouard, dans l’œuvre
missionnaire sur l’atoll voisin d’Anaa. Il avait envoyé
soixante dollars à Louisa et des paroles aimantes à son
attention et à celle des enfants.
Il
s’attendait à servir parmi les saints de l’île
pendant de nombreuses années à venir, mais pas sans sa
famille. Il écrivit : « Si tu peux te procurer des
livres et as un peu de temps libre, je pense que les enfants et toi
devriez vous mettre à étudier le tahitien, car à
mon avis, il se peut que tu en aies besoin d’ici quelques
années. »
La
lettre fit plaisir à Louisa et elle trouva son voyage vers
l’Ouest étonnamment joyeux. Les pluies printanières
avaient cessé et elle aimait monter à cheval sous un
ciel dégagé pendant qu’un homme qu’elle
avait engagé conduisait ses chariots. Elle se levait tôt
chaque matin, rassemblait le bétail errant et aidait à
le conduire pendant la journée. De temps en temps, elle
s’inquiétait de la distance de plus en plus grande qui
la séparait de ses parents et des autres membres de sa
famille, mais sa croyance en Sion la réconfortait. Les
révélations qualifiaient Sion de lieu de refuge, de
lieu de paix. C’est ce qu’elle attendait de la vie.
Le
10 juin, elle écrivit dans son journal : « Parfois, je
me sens joyeuse. Le Seigneur nous a appelés et nous a désigné
un endroit où nous pouvons vivre en paix et être
débarrassés de l’effroi de nos persécuteurs
cruels ! »
Cinq
jours plus tard, Louisa et sa compagnie arrivèrent au mont
Pisgah, l’un des deux grands relais que les saints avaient
établis le long de la piste de l’Iowa. Le camp enserrait
le pied de collines basses couronnées d’un petit bois de
chêne. Comme Brigham l’avait imaginé, les saints
habitaient là dans des tentes ou des cabanes de rondins et
cultivaient la terre pour nourrir les convois qui arriveraient plus
tard. D’autres parties du campement offraient des pâturages
pour le bétail.
Louisa
choisit l’ombre de quelques chênes pour y installer sa
famille. L’endroit était magnifique, mais le soleil
tapait sur les saints dans le camp dont beaucoup étaient
épuisés par leur lutte contre la pluie et la boue ce
printemps-là.
Louisa
pensa : « Que le Seigneur les récompense pour tous leurs
sacrifices ! »
Plus
loin sur la piste, Brigham et le Camp d’Israël firent
halte à un endroit appelé Mosquito Creek, non loin du
Missouri. Ils étaient affamés, avaient deux mois de
retard et étaient désespérément pauvres.
Brigham insistait encore pour envoyer le convoi d’avant-garde
au-delà des montagnes Rocheuses. Il croyait qu’un groupe
de saints devait terminer le voyage cette saison, car tant que
l’Église errait sans foyer, ses ennemis essaieraient de
la disperser ou de lui bloquer le passage.
Il
savait pourtant qu’équiper un tel groupe grèverait
les ressources des saints. Peu de personnes disposaient d’argent
ou de provisions dont elles pouvaient se passer et les possibilités
de trouver du travail rémunéré en Iowa étaient
limitées. Pour survivre sur la prairie, de nombreux saints
avaient vendu des biens précieux le long de la piste ou occupé
divers emplois pour gagner de l’argent pour de la nourriture et
du matériel. Au fur et à mesure que le camp avançait
vers l’ouest et que les colonies étaient plus
clairsemées, ces occasions se feraient de plus en plus rares.
Brigham
avait aussi d’autres préoccupations. Les saints qui
n’appartenaient pas au convoi d’avant-garde avaient
besoin d’un endroit où passer l’hiver. Les Omaha
et d’autres peuples indigènes qui habitaient à
l’ouest du Missouri étaient disposés à
laisser les saints camper là pendant l’hiver, mais les
agents du gouvernement hésitaient à leur permettre de
s’installer pendant un long moment sur des terres indiennes
protégées.
Brigham
savait aussi que les saints malades et appauvris de Nauvoo comptaient
sur l’Église pour les emmener dans l’Ouest.
Pendant un certain temps, il avait espéré les aider en
vendant des propriétés de valeur à Nauvoo, dont
le temple. Mais jusque-là, cet effort était sans
résultat.
Le
29 juin, Brigham apprit que trois officiers de l’armée
des États-Unis arrivaient à Mosquito Creek. Les
États-Unis avaient déclaré la guerre au Mexique
et James Polk, le président, avait autorisé les hommes
à recruter un bataillon de cinq cents saints pour une campagne
militaire sur la côte californienne.
Le
lendemain, Brigham discuta de la nouvelle avec Heber Kimball et
Willard Richards. Aucun conflit n’opposait Brigham au Mexique
et l’idée d’aider les États-Unis
l’exaspérait. Mais l’Ouest pourrait devenir un
territoire américain si les États-Unis remportaient la
guerre et aider l’armée pourrait améliorer les
rapports des saints avec la nation. De plus, la solde des hommes
enrôlés pourrait aider l’Église à
financer sa migration vers l’ouest.
Brigham
parla aux officiers dès qu’ils arrivèrent. Il
apprit que les ordres étaient arrivés après que
Thomas Kane, un jeune homme de la côte Est ayant de bonnes
relations, avait entendu parler de la détresse des saints et
avait présenté Jesse Little à des représentants
importants à Washington DC. Après quelques pressions,
Jesse avait rencontré le président Polk et l’avait
persuadé d’aider les saints à s’installer
dans l’Ouest en enrôlant certains d’entre eux au
service militaire.
Voyant
les avantages de l’arrangement, Brigham appuya les ordres de
tout cœur. Il déclara : « C’est la toute
première offre du gouvernement qui nous profite. Je propose
que cinq cents volontaires soient rassemblés et je ferai de
mon mieux pour m’assurer qu’on fasse avancer leurs
familles, dans la mesure de mon influence, et qu’elles soient
nourries tant que j’aurai quelque chose à manger
moi-même. »
Drusilla
Hendricks fut furieuse lorsqu’elle apprit la décision de
Brigham de coopérer avec les États-Unis. Son mari,
James, avait reçu une balle dans la nuque lors d’une
escarmouche avec les Missouriens en 1838, le laissant partiellement
paralysé. Comme d’autres personnes dans le camp, elle en
voulait encore au gouvernement de ne pas avoir aidé les saints
à cette époque. Bien que son fils William fût en
âge de se porter volontaire pour le bataillon, elle ne voulait
pas l’y autoriser. Avec la paralysie de son mari, elle comptait
sur l’aide de ce dernier.
Des
recruteurs passaient quotidiennement dans le camp, souvent avec
Brigham ou d’autres apôtres. Brigham témoignait :
« Si nous voulons le privilège d’adorer Dieu selon
les inspirations de notre conscience, nous devons former le
bataillon. » De nombreux saints ravalèrent leur
ressentiment et soutinrent l’action, mais Drusilla ne
supportait pas l’idée de se séparer de son fils.
Parfois
l’Esprit lui murmurait : « As-tu peur de faire confiance
au Dieu d’Israël ? N’a-t-il pas été à
tes côtés dans toutes tes épreuves ? Ne t’a-t-il
pas accordé ce que tu voulais ? » Elle reconnaissait la
bonté de Dieu, mais ensuite, lorsqu’elle se remémorait
la cruauté du gouvernement, la colère reprenait le
dessus.
Le
jour du départ du bataillon, William se leva tôt pour
rentrer les vaches. Drusilla le regarda marcher dans l’herbe
haute et mouillée et s’inquiéta que son manque de
foi ne lui fasse plus de mal que de bien. Il pouvait être
blessé en voyageant sur la piste avec sa famille tout aussi
facilement qu’en marchant avec le bataillon. Et si cela se
produisait, elle regretterait de l’avoir obligé à
rester.
Elle
commença à préparer le petit-déjeuner, ne
sachant quoi faire au sujet de William. Grimpant sur le chariot pour
chercher la farine, elle sentit de nouveau l’Esprit murmurer :
Ne désires-tu pas les plus grandes bénédictions
du Seigneur ?
«
Oui », dit-elle à haute voix.
L’Esprit
demanda : « Alors, comment peux-tu les obtenir sans faire le
plus grand sacrifice ? Laisse ton fils partir avec le bataillon. »
«
C’est trop tard », dit-elle. « Il devait partir ce
matin. »
William
revint et la famille se réunit pour le petit-déjeuner.
Drusilla sursauta lorsqu’un homme interrompit le camp pendant
que James bénissait la nourriture. Il cria : « Allez,
les hommes ! Il nous en manque encore quelques-uns dans le bataillon.
»
Elle
ouvrit les yeux et vit William qui la regardait. Elle étudia
son visage, mémorisant chaque trait. Elle sut alors qu’il
allait se joindre au bataillon. Elle se dit : « Si je ne te
revois plus avant le matin de la première résurrection,
je te reconnaîtrai et saurai que tu es mon enfant. »
Après
le petit-déjeuner, elle pria seule. Elle supplia : «
Épargne-lui la vie et permet qu’il me revienne et
revienne au sein de l’Église. »
L’Esprit
chuchota : « Il te sera fait comme il fut fait à Abraham
lorsqu’il offrit Isaac sur l’autel. »
Drusilla
chercha William et le trouva assis dans le chariot, le visage enfoui
dans les mains. Elle demanda : « Veux-tu partir avec le
bataillon ? Si tu le veux, j’ai eu le témoignage qu’il
est bien que tu y ailles. »
William
répondit : « Le président Young dit que c’est
pour le salut de ce peuple et j’aimerais autant en faire partie
que quiconque. »
Elle
dit : « Je t’en ai empêché, mais si tu veux
y aller, je ne t’en empêcherai plus. »
CHAPITRE
3
: La
parole et la volonté du Seigneur
Wilford
et Phebe Woodruff arrivèrent au bord du Missouri avec leurs
enfants au début du mois de juillet 1846. N’ayant pas
réussi à persuader sa sœur et son beau-frère
de suivre les apôtres et non James Strang, Wilford avait quitté
Nauvoo peu après la consécration du temple avec ses
parents et d’autres saints.
Leur
arrivée au camp coïncida avec le départ de William
Hendricks et d’autres recrues de l’armée. Le
Bataillon mormon, comme on l’appelait, comptait plus de cinq
cent hommes. Il employait vingt femmes à l’entretien du
linge. D’autres accompagnaient leur mari pendant la marche et
certaines avaient pris leurs enfants. Au total, plus d’une
trentaine de femmes escortaient le bataillon.
Au
premier abord, Wilford se méfia de l’effort du
gouvernement de recruter des saints des derniers jours. Cependant, il
changea rapidement d’avis, surtout après la visite de
Thomas Kane au camp. Bien qu’il ne soit que modérément
curieux de l’Évangile rétabli, il avait joué
un rôle décisif pour persuader le gouvernement d’aider
l’Église. La lutte contre l’injustice lui tenait
très à cœur et il était sincèrement
désireux d’aider les saints dans leur situation
désespérée.
Thomas
fit immédiatement bonne impression aux apôtres. Wilford
nota dans son journal : « D’après les
renseignements qu’il nous avait donnés, nous étions
convaincus que Dieu avait commencé de toucher le cœur du
président et d’autres personnes dans ce pays. »
Trois
jours avant le départ du bataillon, Brigham Young parla à
ses officiers. Il leur recommanda de veiller à leur hygiène,
d’être chastes et de porter leurs sous-vêtements du
temple s’ils étaient dotés. Il leur dit de se
comporter honorablement à l’égard des Mexicains
et de ne pas se disputer avec eux. Il dit : « Traitez les
prisonniers avec les plus grands égards et ne prenez jamais
une vie si vous pouvez faire autrement. »
Il
assura cependant aux hommes qu’ils n’auraient pas à
se battre. Il les exhorta à accomplir leurs devoirs sans
murmurer, à prier tous les jours et à emporter leurs
Écritures.
Une
fois le bataillon parti, Brigham reporta son attention sur l’étape
suivante du voyage des saints. La coopération avec les
États-Unis lui avait permis de recevoir l’autorisation
d’établir un camp d’hiver sur les terres indiennes
à l’ouest du Missouri. Il avait maintenant l’intention
de les installer dans un endroit appelé Grand Island, à
trois cents kilomètres à l’ouest et, de là,
d’envoyer le convoi d’avant-garde au-delà des
montagnes Rocheuses.
Pendant
que les apôtres tenaient conseil, Wilford parla d’autres
affaires importantes de l’Église qui nécessitaient
leur attention immédiate. Reuben Hedlock, l’homme qu’il
avait désigné pour présider la mission
britannique, avait éloigné de nombreux saints
britanniques en dilapidant des fonds qu’ils avaient consacrés
à l’émigration. Wilford prévoyait des
problèmes au sein de la mission, notamment la perte de
nombreux nouveaux convertis, si Reuben n’était pas
relevé et remplacé par un dirigeant plus responsable.
Le
collège savait également que des saints appauvris
étaient encore à Nauvoo à la merci des émeutiers
et des faux prophètes. Si les apôtres ne faisaient pas
plus d’efforts pour les aider, comme ils avaient promis de le
faire dans le temple lors de la conférence d’octobre, le
collège briserait une alliance solennelle faite avec les
saints et le Seigneur.
Agissant
de manière décisive, le collège résolut
d’envoyer trois des apôtres du camp : Parley Pratt, Orson
Hyde et John Taylor, en Angleterre pour diriger la mission
britannique. Ils envoyèrent ensuite des chariots, des
attelages et des provisions à Nauvoo pour évacuer les
pauvres.
Lorsque
le collège renvoya des hommes et des provisions vers l’est,
Brigham prit conscience que son projet d’avancer vers l’ouest
cette année-là n’était plus réalisable,
surtout depuis que le bataillon avait réduit le nombre
d’hommes valides. Thomas Kane recommanda qu’ils
installent leur camp d’hiver au bord du Missouri et Brigham
finit par accepter.
Le
9 août 1846, les apôtres annoncèrent que les
saints passeraient l’hiver dans un campement provisoire juste à
l’ouest du fleuve. Brigham voulait franchir les montagnes
Rocheuses et construire un temple dès que possible, mais avant
cela, il rassemblerait les saints et s’occuperait des pauvres.
Environ
à cette époque, le brouillard enveloppait le Brooklyn
tandis qu’il entrait dans la baie de San Francisco, six longs
mois après avoir quitté le port de New York. Debout sur
le pont, Sam Brannan scruta la brume et aperçut une côte
accidentée. Juste à l’intérieur de la
baie, il vit un fort mexicain en ruines. Au sommet, poussé par
la brise, flottait un drapeau américain.
Sam
craignait que quelque chose comme cela n’arrive. Le drapeau
était un signe certain que les États-Unis s’étaient
emparés de San Francisco. Il avait été informé
de la guerre avec le Mexique pendant que le Brooklyn était
amarré dans les îles d’Hawaï. Là, le
commandant d’un navire de guerre américain avait dit aux
saints que l’on comptait sur eux pour aider l’armée
à prendre la Californie aux Mexicains. La nouvelle les avait
irrités, car ils n’avaient pas voyagé vers
l’ouest pour se battre pour une nation qui les avait rejetés.
En
s’enfonçant dans la baie, Sam vit des arbres le long du
littoral sablonneux et quelques animaux errants. Au loin, bordée
de collines, se trouvait Yerba Buena, une vieille ville espagnole.
Le
Brooklyn mit à quai dans le port et les saints débarquèrent
plus tard cet après-midi-là. Ils montèrent leurs
tentes sur les collines à l’extérieur de Yerba
Buena ou se réfugièrent dans des maisons abandonnées
ou une vieille caserne militaire voisine. Avec le matériel
qu’ils avaient apporté de New York, ils installèrent
des moulins et une imprimerie. Quelques-uns trouvèrent du
travail parmi les colons.
Bien
que déçu que la côte californienne appartînt
maintenant aux États-Unis, Sam était déterminé
à y établir le royaume de Dieu. Il envoya un groupe
d’hommes vers une vallée à plusieurs jours de
voyage à l’est de la baie pour fonder une colonie
appelée New Hope. Ils y construisirent une scierie et une
cabane puis défrichèrent des terres et semèrent
des hectares de blé et autres cultures.
Sam
voulait aller avec quelques hommes vers l’est à la
rencontre de Brigham et conduire le reste des saints en Californie
dès que la neige aurait fondu des montagnes l’année
suivante. Sous le charme du climat sain, du sol fertile et du bon
port, il croyait que le peuple du Seigneur ne pouvait pas demander de
meilleur endroit pour se rassembler.
Cet
été-là, Louisa Pratt et ses filles campèrent
au relais du mont Pisgah sur la piste de l’Iowa. L’endroit
était magnifique, mais l’eau était tiède
et nauséabonde. La maladie envahit rapidement le campement et
de nombreux saints moururent. Début août, la famille de
Louisa s’échappa en bonne santé, mais elle se
sentait très mal de laisser derrière elle tant d’amis
malades.
Peu
après, sa compagnie campa près d’une crique
infestée de moustiques et elle et d’autres furent
rapidement victimes de fièvres. Le convoi s’arrêta
pour se reposer puis continua jusqu’au Missouri où une
longue file de chariots attendait d’être transportée
de l’autre côté. Lorsque ce fut enfin le tour de
Louisa, quelque chose effraya le bétail, provoquant beaucoup
de tumulte sur le bac et aggravant son état de santé.
De
l’autre côté du fleuve, sa fièvre monta en
flèche, la privant de sommeil. Vers minuit, ses gémissements
réveillèrent la femme du passeur qui la trouva en bien
mauvais état. Elle demanda rapidement aux filles de Louisa de
se faire un lit séparé afin que leur mère puisse
se reposer. Elle lui donna ensuite du café chaud et un peu de
nourriture pour la ranimer.
Le
lendemain, le convoi arriva dans le nouveau campement de saints,
Winter Quarters, la plus grande de plusieurs colonies de saints
installées le long du Missouri. Environ deux mille cinq cents
personnes habitaient à Winter Quarters sur des terres que les
Omaha et d’autres tribus indigènes locales partageaient
avec elles. La plupart des saints occupaient des cabanes faites de
rondins et de terre, mais certains habitaient dans des tentes, des
chariots ou des genres de caves appelées tranchées-abris.
Les
femmes de Winter Quarters entourèrent immédiatement
Louisa, impatientes de lui venir en aide. Elles lui donnèrent
de l’eau-de-vie et du sucre en guise de médicaments et
sur le moment, elle se sentit mieux, mais rapidement la fièvre
empira et elle commença à trembler violemment.
Craignant de mourir, elle implora la miséricorde du Seigneur.
Certaines
des femmes qui s’occupaient d’elle l’oignirent et
lui imposèrent les mains, la bénissant par le pouvoir
de leur foi. À Nauvoo, Joseph Smith avait enseigné à
la Société de secours que la guérison était
un don de l’Esprit, un signe qui suivait tous les croyants en
Christ. La bénédiction réconforta Louisa, lui
donnant la force d’endurer sa maladie, et elle embaucha
rapidement une infirmière pour prendre soin d’elle
jusqu’à ce que la fièvre tombe.
Elle
donna également cinq dollars à un homme pour qu’il
lui construise une cabane de terre et de saule. La cabane n’avait
qu’une couverture en guise de porte, mais elle était
bien éclairée et suffisamment grande pour permettre à
Louisa de s’asseoir sur un rocking-chair à côté
de sa cheminée le temps de recouvrer ses forces.
À
Winter Quarters, les saints labouraient et ensemençaient des
champs, bâtissaient des moulins près d’un ruisseau
voisin et fondaient des magasins et des boutiques. La colonie était
organisée en lots semblables au modèle établi
par le Seigneur pour la ville de Sion, tel qu’il avait été
révélé à Joseph Smith en 1833. Au nord de
la ville, Brigham, Heber Kimball et Willard Richards construisirent
des maisons près d’un petit bâtiment municipal où
le Collège des Douze et le grand conseil nouvellement appelé
de Winter Quarters se réunissaient. Près du centre de
la ville se trouvait une place où l’on pouvait prêcher
et tenir d’autres réunions de la collectivité.
La
traversée de l’Iowa avait épuisé de
nombreux saints et nourrir, vêtir et abriter leur famille
continuait de saper leurs forces. De plus, les mouches et les
moustiques provenant de la berge boueuse grouillaient souvent dans la
nouvelle colonie et la malaria et les fièvres harassaient les
saints durant des jours et des semaines à la fois.
Pendant
ces épreuves, la plupart des saints obéissaient aux
commandements, mais certains volaient, trichaient et critiquaient la
façon de diriger des apôtres et refusaient de payer la
dîme. Brigham avait peu de patience pour ces comportements. Il
déclara : « Les hommes s’égarent
progressivement, jusqu’à ce que le diable prenne
possession de leur tabernacle et qu’ils soient emmenés
captifs selon sa volonté. »
Pour
encourager la droiture, Brigham exhorta les saints à
travailler ensemble, à respecter les alliances et à
éviter le péché. Il dit : « Nous ne
pouvons pas être sanctifiés tout d’un coup, mais
nous devons être éprouvés et placés dans
toutes sortes de situations, jusqu’aux plus extrêmes,
pour voir si nous servirons le Seigneur jusqu’à la fin.
»
Il
les organisa aussi en petites paroisses, nomma des évêques
et commanda au grand conseil de faire respecter un code de conduite
strict. Certains saints se réunirent également par
familles adoptives. À l’époque, les saints
n’étaient pas scellés à leurs parents
décédés s’ils ne s’étaient
pas joints à l’Église de leur vivant. Avant de
quitter Nauvoo, Brigham avait donc encouragé environ deux
cents saints à être scellés, ou adoptés
spirituellement, comme fils et filles dans les familles des
dirigeants de l’Église qui étaient des amis ou
des guides dans l’Évangile.
Ces
scellements d’adoption étaient accomplis par une
ordonnance dans le temple. Les parents adoptifs offraient souvent
leur soutien matériel et émotionnel, et les fils et
filles adoptifs, dont certains n’avaient pas d’autres
membres de leur famille dans l’Église, réagissaient
avec fidélité et dévotion.
Certains
des problèmes à Winter Quarters et dans d’autres
colonies temporaires étaient impossibles à éviter.
Lorsque le froid s’installa, plus de neuf mille saints
habitaient dans la région, dont trois mille cinq cents à
Winter Quarters. Les accidents, la maladie et la mort tourmentaient
chaque colonie. Environ une personne sur dix succombait à la
malaria, à la tuberculose, au scorbut ou à d’autres
maladies. La moitié des victimes étaient des
nourrissons et des enfants.
La
famille de Wilford Woodruff souffrit comme les autres. En octobre,
pendant que ce dernier coupait du bois, un arbre le heurta en tombant
et lui brisa des côtes. Peu après, son petit garçon,
Joseph, prit sérieusement froid. Wilford et Phebe s’occupèrent
continuellement de lui, mais rien de ce qu’ils faisaient
n’aidait et peu après ils l’enterrèrent
dans le cimetière nouvellement tracé de la colonie.
Quelques
semaines après la mort de Joseph, Phebe accoucha prématurément
d’un bébé qui mourut deux jours plus tard. Un
soir, Wilford rentra à la maison et trouva sa femme,
bouleversée, en train de regarder un portrait d’elle
tenant Joseph. La perte de l’enfant leur fit de la peine à
tous les deux et Wilford était impatient de voir arriver le
jour où les saints trouveraient un foyer, vivraient en paix et
profiteraient des bénédictions et de la sécurité
de Sion.
Il
écrivit dans son journal : « Je prie mon Père
céleste de prolonger mes jours pour que je voie la maison de
Dieu érigée au sommet des montagnes et l’étendard
de la liberté dressé comme une bannière pour les
nations. »
Au
milieu des souffrances à Winter Quarters, Brigham fut informé
qu’environ un millier d’émeutiers avaient attaqué
une petite colonie de saints encore à Nauvoo. Environ deux
cents d’entre eux avaient riposté, mais ils avaient été
vaincus au bout de quelques jours. Les dirigeants de la ville
négocièrent une évacuation paisible des saints
dont beaucoup étaient pauvres et malades. Néanmoins,
lorsqu’ils quittèrent la ville, les émeutiers les
harcelèrent et pillèrent leurs maisons et leurs
chariots. Ils s’emparèrent du temple, en profanèrent
l’intérieur et les ridiculisèrent tandis qu’ils
s’enfuyaient vers des campements de l’autre côté
du fleuve.
Lorsque
Brigham apprit le désespoir des réfugiés, il
expédia des lettres aux dirigeants de l’Église,
rappelant l’alliance qu’ils avaient contractée à
Nauvoo d’aider les pauvres et de secourir tous les saints qui
voulaient se rendre dans l’Ouest.
Il
déclara : « Les frères et sœurs pauvres,
veufs, orphelins, malades et démunis se trouvent maintenant
sur la berge ouest du Mississippi. C’est maintenant qu’il
faut travailler. Que le feu de l’alliance que vous avez
contractée dans la maison du Seigneur brûle dans votre
cœur comme une flamme inextinguible ! »
Bien
qu’ils eussent déjà envoyé vingt chariots
de secours à Nauvoo deux semaines plus tôt et bien
qu’ils n’eussent que peu de nourriture et d’équipement
dont ils pouvaient se passer, les saints de Winter Quarters et des
colonies voisines renvoyèrent des chariots supplémentaires,
des attelages de bœufs, de la nourriture et d’autres
denrées à Nauvoo. Newel Whitney, l’évêque
président de l’Église, acheta également de
la farine pour les saints appauvris.
Lorsque
les équipes de secours trouvèrent les réfugiés,
ils étaient fébriles, mal équipés pour le
froid et désespérément affamés. Le 9
octobre, pendant qu’ils se préparaient à faire le
voyage jusqu’au Missouri, les saints virent une volée de
cailles remplir le ciel et se poser sur leurs chariots ou autour. Les
hommes et les garçons se ruèrent sur les volatiles, les
attrapant à la main. Beaucoup se souvinrent comment Dieu avait
aussi envoyé des cailles à Moïse et aux enfants
d’Israël dans leur moment de détresse.
Thomas
Bullock, secrétaire de l’Église, écrivit
dans son journal : « Ce matin, nous avons eu une preuve directe
de la miséricorde et de la bonté de Dieu. Les frères
et les sœurs ont loué et glorifié son nom pour
nous avoir manifesté dans notre persécution ce qu’il
a déversé sur les enfants d’Israël dans le
désert.
Chaque
homme, femme et enfant a eu de la caille pour dîner. »
Pendant
ce temps, à des milliers de kilomètres de là,
sur l’atoll Anaa dans l’océan Pacifique, un
détenteur de la prêtrise d’Aaron nommé
Tamanehune s’adressait à une assemblée de plus de
huit cents saints des derniers jours. Il proposait : « Une
lettre devrait être expédiée à l’Église
en Amérique lui demandant de nous envoyer immédiatement
entre cinq et cent missionnaires. » Ariipaea, membre de
l’Église et dirigeant local du village, appuya la
proposition et les saints du Pacifique Sud levèrent la main
pour manifester leur approbation.
Présidant
la conférence, Addison Pratt était de tout cœur
d’accord avec Tamanehune. Au cours des trois années
passées, Benjamin Grouard et lui avaient baptisé plus
de mille personnes. Dans ce laps de temps, ils n’avaient reçu
qu’une lettre d’un des Douze et elle ne donnait aucune
instruction quant à leur retour chez eux.
Au
cours des six mois précédant l’arrivée de
la lettre, les deux missionnaires n’avaient eu aucune nouvelle
de leurs familles, de leurs amis, ni des dirigeants de l’Église.
Chaque fois qu’un journal arrivait sur l’île, ils
en scrutaient les pages à la recherche de nouvelles des
saints. Ils en avaient lu un qui affirmait que la moitié des
saints de Nauvoo avait été massacrée pendant que
l’autre avait été forcée de s’enfuir
en Californie.
Impatient
de connaître le sort de Louisa et de ses filles, Addison décida
de retourner aux États-Unis. Il se dit : « Même si
la vérité n’est pas bonne à savoir, c’est
mieux que de rester dans le doute et l’anxiété. »
Ses
amis, Nabota et Telii, le mari et la femme qui avaient servi avec lui
sur Anaa, décidèrent de retourner à Tubuai où
Telii était une enseignante spirituelle bien-aimée de
ses sœurs de l’Église. Benjamin comptait rester
sur les îles pour diriger la mission.
Lorsque
les saints du Pacifique furent informés du départ
prochain d’Addison, ils l’exhortèrent à
revenir bientôt et à ramener d’autres
missionnaires avec lui. Comme il avait déjà prévu
de retourner sur les îles avec Louisa et ses filles, dans la
mesure où elles étaient encore en vie, il accepta sans
réserve.
Un
navire arriva sur l’île un mois plus tard et il partit
avec Nabota et Telii pour Papeete (Tahiti) où il espérait
prendre un bateau pour Hawaï puis la Californie. Lorsqu’ils
arrivèrent à Tahiti, à son grand désarroi,
il apprit qu’on lui avait fait suivre un paquet de lettres de
Louisa, de Brigham Young et des saints du Brooklyn sur l’île
d’Anaa.
Il
se lamenta dans son journal : « Je pensais être devenu
insensible aux déceptions, mais celle-ci m’a fait une
impression que je n’avais encore jamais éprouvée.
»
Pendant
qu’un froid plus vif s’installait sur Winter Quarters,
Brigham priait souvent pour savoir comment préparer l’Église
pour le périple au-delà des montagnes Rocheuses. Après
presque une année passée sur la piste, il avait appris
qu’organiser et équiper les saints pour la route qui les
attendait était indispensable à leur réussite.
Néanmoins, l’enchaînement de contretemps lui avait
montré combien il était important de s’appuyer
sur le Seigneur et de suivre ses directives. Comme du temps de
Joseph, lui seul pouvait diriger son Église.
Peu
après le début d’une nouvelle année,
Brigham sentit le Seigneur ouvrir son intelligence à une
lumière et à une connaissance nouvelles. Le 14 janvier
1847, lors d’une réunion avec le grand conseil et les
Douze, il commença à noter une révélation
du Seigneur aux saints. Avant que Brigham ne se couche, le Seigneur
lui donna d’autres instructions pour le voyage à venir.
Sortant la révélation inachevée, il continua de
noter les directives du Seigneur à l’attention des
saints.
Le
lendemain, il présenta la révélation aux Douze.
Appelée « La parole et la volonté du Seigneur »,
elle soulignait la nécessité d’organiser les
saints en convois sous la direction des apôtres. Dans la
révélation, le Seigneur commandait aux saints de
pourvoir à leurs propres besoins et d’unir leurs efforts
pendant le voyage pour s’occuper des veuves, des orphelins et
des familles des membres du Bataillon mormon.
La
révélation commandait : « Que chacun use de toute
son influence et de tous ses biens pour déplacer ce peuple
vers le lieu où le Seigneur situera un pieu de Sion. Si vous
faites cela d’un cœur pur, en toute humilité, vous
serez bénis. »
Le
Seigneur commandait aussi à son peuple de se repentir et de
s’humilier, de faire preuve de gentillesse les uns envers les
autres et de cesser de se livrer à l’ivrognerie et à
la médisance. Ses paroles étaient présentées
sous forme d’alliance, commandant aux saints de « marcher
dans toutes les ordonnances du Seigneur », respectant les
promesses faites dans le temple de Nauvoo.
Il
déclara : « Je suis le Seigneur votre Dieu, oui, le Dieu
de vos pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de
Jacob. Je suis celui qui a fait sortir les enfants d’Israël
du pays d’Égypte, et mon bras est étendu dans les
derniers jours. »
Comme
les Israélites d’autrefois, les saints devaient louer le
Seigneur et invoquer son nom dans les moments de détresse. Ils
devaient chanter et danser avec une prière de reconnaissance
dans le cœur. Ils ne devaient pas craindre l’avenir, mais
faire confiance à Dieu et supporter leurs afflictions.
Le
Seigneur déclara : « Mon peuple doit être mis à
l’épreuve en tout, pour qu’il soit préparé
à recevoir la gloire que j’ai pour lui, c’est-à-dire
la gloire de Sion. »
Les
apôtres présentèrent la nouvelle révélation
aux saints à Winter Quarters quelques jours plus tard et
nombre d’entre eux se réjouirent en l’entendant.
Une femme écrivit à son mari en Angleterre : « Le
Seigneur s’est une fois de plus souvenu de ses serviteurs et
leur a accordé une révélation de sa volonté.
» Elle s’exclama : « La paix et l’unité
règnent parmi nous et l’Esprit de Dieu prévaut
parmi nous ! »
Cependant,
certains problèmes perduraient à Winter Quarters.
Depuis leur départ de Nauvoo, les apôtres avaient
continué d’accomplir des adoptions spirituelles parmi
les saints. Brigham remarqua que quelques saints incitaient des amis
à se faire adopter dans leur famille, croyant que leur gloire
éternelle dépendait du nombre de personnes scellées
à eux. La jalousie et les rivalités naquirent
lorsqu’ils se mirent à se disputer pour savoir qui
aurait la plus grande famille dans les cieux. Les querelles firent
douter Brigham qu’aucun d’eux n’y parvienne.
En
février, pendant qu’il parlait de la pratique de
l’adoption spirituelle, il admit qu’il ne savait toujours
pas grand-chose à ce sujet. Il aimait profondément les
dizaines de saints qui avaient été adoptés dans
sa famille grâce à l’ordonnance. Il se sentait
néanmoins ignorant de cette pratique et de sa signification.
Il
promit aux saints : « Je vais m’enquérir de ce
sujet et par conséquent je serai plus en mesure de l’enseigner
et de le pratiquer. »
Le
lendemain, il tomba malade et resta couché. Pendant qu’il
dormait, il rêva qu’il voyait Joseph Smith assis sur un
fauteuil devant une grande fenêtre. Prenant la main droite de
Joseph, il demanda à son ami pourquoi il ne pouvait pas être
avec les saints.
Se
levant de son fauteuil, Joseph dit : « Ce n’est pas
grave. »
Brigham
dit : « Les frères sont impatients de comprendre la loi
d’adoption ou les principes de scellement. Si tu as un conseil
à me donner, je serais heureux de le recevoir. »
Joseph
répondit : « Dis au peuple d’être humble et
fidèle et de veiller à garder l’Esprit du
Seigneur. S’il le fait, il se retrouvera organisé
exactement comme notre Père céleste l’avait
organisé avant qu’il ne vienne au monde. »
Quand
Brigham se réveilla, les paroles de Joseph résonnaient
encore dans son esprit : « Dis au peuple de veiller à
garder l’Esprit du Seigneur et de le suivre et il le guidera
comme il se doit. » Le conseil ne répondait pas à
sa question sur les scellements d’adoption, mais lui rappelait
d’obéir à l’Esprit afin que les saints et
lui puissent être amenés à une meilleure
compréhension.
Pendant
le reste de l’hiver, les apôtres continuèrent de
rechercher la révélation pendant qu’ils se
préparaient à envoyer des convois de chariots au-delà
des montagnes Rocheuses. Sous leur direction, un petit convoi
d’avant-garde quitterait Winter Quarters au printemps,
franchirait les montagnes et établirait un nouveau lieu de
rassemblement pour les saints. Pour obéir au commandement du
Seigneur et accomplir une prophétie, il dresserait une
bannière pour les nations et commencerait la construction d’un
temple. Des convois plus grands, composés principalement de
familles, le suivraient rapidement, obéissant à la
parole et à la volonté du Seigneur pendant leur voyage.
Avant
de quitter Nauvoo, le Collège des Douze et le conseil des
cinquante avaient envisagé de s’installer dans la vallée
du lac Salé ou au nord, dans la vallée de la Bear
River. Les deux vallées étaient de l’autre côté
des montagnes Rocheuses et les descriptions étaient
prometteuses. Brigham avait eu une vision de l’endroit où
les saints s’installeraient, mais il n’avait qu’une
idée générale de son emplacement. Il priait
quand même Dieu de le conduire lui et le convoi d’avant-garde
au bon lieu de rassemblement pour l’Église.
Le
convoi d’avant-garde était composé de cent
quarante-trois hommes choisis par les apôtres. Harriet Young,
la femme du frère de Brigham, Lorenzo, demanda si elle et ses
deux jeunes fils pouvaient accompagner ce dernier. Brigham demanda
ensuite à sa femme Clara qui était la fille d’un
premier mariage d’Harriet de se joindre aussi à la
compagnie. Ellen, une immigrante de Norvège et épouse
plurale d’Heber Kimball, s’associa aussi au convoi.
Juste
au moment où celui-ci se préparait à partir,
Parley Pratt et John Taylor revinrent à Winter Quarters de
leur mission en Angleterre. Avec Orson Hyde, qui supervisait encore
l’Église en Grande-Bretagne, ils avaient nommé de
nouveaux dirigeants de mission et rétabli l’ordre parmi
les saints. Maintenant, croyant qu’ils avaient été
séparés de leur famille depuis trop longtemps, Parley
et John déclinèrent les instances de Brigham de se
joindre au reste du collège dans la migration vers l’ouest.
Brigham leur confia donc la responsabilité de Winter Quarters.
L’après-midi
du 16 avril 1847, le convoi d’avant-garde commença son
voyage sous un ciel froid et triste. Dans une lettre d’au
revoir aux saints de Winter Quarters, les apôtres déclarèrent
: « Nous avons l’intention d’ouvrir la voie du
salut aux cœurs honnêtes de toutes les nations ou
sacrifier tout ce qui est de notre intendance. Au nom du Dieu
d’Israël nous avons l’intention de conquérir
ou de mourir en essayant. »
CHAPITRE
4
: Une
bannière pour les nations
En
avril 1847, Sam Brannan et trois autres hommes quittèrent la
baie de San Francisco et partirent à la recherche de Brigham
Young et du corps principal des saints. Ils ne savaient pas
exactement où les trouver, mais la plupart des émigrants
suivaient la même piste vers l’ouest. Si Sam et son petit
convoi la suivaient vers l’est, ils finiraient par se croiser.
Après
une brève halte pour s’approvisionner à New Hope,
les hommes prirent la direction des contreforts de la Sierra Nevada.
Les gens qui connaissaient bien ces montagnes avaient averti Sam
qu’il ne fallait pas les franchir si tôt dans l’année.
Ils avaient dit que le col serait encore enfoui sous la neige, ce qui
signifiait que le périple pouvait se transformer en un
calvaire de deux mois.
Sam
était pourtant sûr de pouvoir les franchir rapidement.
Poussant leurs animaux de bât, ses hommes et lui grimpèrent
pendant des heures. La neige était profonde, mais compacte,
leur permettant de prendre appui plus facilement le long du chemin.
Par contre, l’eau des ruisseaux était haute, ce qui les
obligeait à courir des risques en les traversant à la
nage ou en empruntant des détours.
De
l’autre côté de la chaîne de montagnes, la
piste les conduisit le long de rochers de granit escarpés et
massifs jusqu’à une vue sur une belle vallée
couverte de pins et ornée d’un lac aussi bleu que le
ciel. Descendant dans la vallée, ils trouvèrent
quelques cabanes abandonnées dans un camp jonché de
dépouilles humaines. Des mois plus tôt, un convoi à
destination de la Californie était resté bloqué
dans la neige. Les émigrants avaient construit des cabanes
pour attendre la fin d’une tempête hivernale, mais,
démunis de tout, beaucoup moururent lentement de faim ou de
froid tandis que d’autres eurent recours au cannibalisme.
Leur
histoire était un sombre rappel des dangers de la traversée
par voie terrestre, mais Sam refusa de se laisser effrayer par leur
tragédie. Il était captivé par la contrée
inapprivoisée. Il exulta : « Un homme ne peut se
connaître tant qu’il n’a pas parcouru ces montagnes
sauvages. »
Mi-mai,
Brigham Young et le convoi d’avant-garde avaient couvert plus
de quatre cent cinquante kilomètres. Chaque matin, le clairon
réveillait le camp à cinq heures et ils se mettaient en
route à sept heures. Parfois, la progression du convoi était
retardée, mais la plupart du temps, ils arrivaient à
parcourir entre vingt-cinq et trente kilomètres par jour. Le
soir, ils disposaient les chariots en cercle, se réunissaient
pour la prière et éteignaient les feux de camp.
Quelquefois,
la vue de bisons rompait la monotonie. Ces animaux massifs au poil
épais se déplaçaient en immenses troupeaux,
martelant les collines et les plaines avec tant de fluidité
qu’on aurait dit que la prairie elle-même se mouvait. Les
hommes étaient impatients de chasser l’animal, mais
Brigham leur recommanda de ne le faire qu’en cas de nécessité
et de ne jamais en gaspiller la viande.
Le
convoi voyagea le long d’une piste que d’autres colons
partis pour l’Ouest avaient tracée quelques années
plus tôt. Au fil des kilomètres, la plaine herbeuse céda
lentement la place à une région vallonnée et
désertique. Du haut d’un escarpement, le paysage avait
l’air aussi accidenté qu’une mer démontée.
La piste longeait la Platte River et traversait plusieurs criques
offrant de l’eau pour boire et se laver. Le sol était
pourtant sablonneux. De temps en temps, le convoi repérait un
arbre ou un carré d’herbe verte le long du chemin, mais,
à perte de vue, le terrain était désolé
et menaçant.
Parfois,
un membre du convoi demandait à Brigham où ils
allaient. Il répondait : « Je vous montrerai quand on
sera arrivés. J’ai vu l’endroit, je l’ai vu
en vision, et lorsque mes yeux naturels le verront, je le saurai. »
Chaque
jour, William Clayton estimait la distance parcourue par le convoi et
corrigeait les cartes quelquefois imprécises qui les
guidaient. Peu après le début du voyage, Orson Pratt et
lui avaient fabriqué avec Appleton Harmon, un artisan habile,
un « routomètre », dispositif de bois qui mesurait
les distances avec exactitude grâce à un système
de roues dentées fixées sur une roue de chariot.
En
dépit des progrès du convoi, Brigham était
souvent contrarié en voyant les actions de certains membres du
convoi. La plupart étaient dans l’Église depuis
des années, avaient fait des missions et avaient reçu
les ordonnances du temple. Néanmoins, beaucoup ignoraient ses
recommandations et chassaient ou gaspillaient leur temps libre en
faisant des paris, de la lutte et en dansant jusque tard dans la
nuit. Parfois Brigham était réveillé le matin
par ceux qui se disputaient à propos de quelque chose qui
s’était passé pendant la nuit. Il craignait que
ces querelles ne dégénèrent en coups de poing ou
pire.
Le
matin du 29 mai, il demanda aux hommes : « Pensez-vous que nous
allons chercher un foyer pour les saints, un lieu de repos, un lieu
de paix où ils pourront bâtir le royaume et accueillir
les nations avec un esprit méprisable, méchant, sale,
insignifiant, envieux et inique ? » Il déclara que
chacun d’eux devait être un homme de foi, réfléchi,
adonné à la prière et à la méditation.
Il
dit : « Voilà l’occasion pour chacun de faire ses
preuves, de savoir s’il priera et se souviendra de son Dieu
sans qu’on lui demande chaque jour de le faire. » Il les
exhorta à servir le Seigneur, à se souvenir de leurs
alliances du temple et à se repentir de leurs péchés.
Après
cela, les hommes se regroupèrent par collèges de la
prêtrise et firent alliance, à main levée, de
faire le bien et de marcher humblement devant Dieu. Le lendemain,
lorsqu’ils prirent la Sainte-Cène, un nouvel esprit
prévalait.
Heber
Kimball nota dans son journal : « Depuis le début du
voyage, je n’ai jamais vu les frères aussi calmes et
sérieux un dimanche. »
Pendant
que le convoi d’avant-garde avançait vers l’ouest,
environ la moitié des saints de Winter Quarters équipaient
leurs chariots et emballaient des provisions pour le voyage. Le soir,
après avoir terminé leurs préparatifs, ils se
rassemblaient souvent pour chanter et danser au son du violon et le
dimanche, ils se réunissaient pour entendre des sermons et
parler de leur migration à venir.
Cependant,
tout le monde n’était pas pressé de partir pour
l’Ouest. James Strang et d’autres dissidents continuaient
d’appâter les saints par des promesses de nourriture,
d’abris et de paix. Strang et ses partisans avaient fondé
une communauté dans le Wisconsin, un territoire faiblement
colonisé à quelque quatre cent cinquante kilomètres
au nord-est de Nauvoo, où certains saints mécontents se
rassemblaient. Plusieurs familles à Winter Quarters avaient
déjà chargé leurs chariots et étaient
parties les rejoindre.
En
tant qu’apôtre président à Winter Quarters,
Parley Pratt les suppliait d’ignorer les apostats et de suivre
les apôtres autorisés du Seigneur. Il leur rappelait : «
Le Seigneur nous a appelés à nous rassembler et non à
nous disperser tout le temps. » Il leur dit que John Taylor et
lui voulaient envoyer des convois vers l’ouest à la fin
du printemps.
Parley
dut pourtant retarder le projet. Avant le départ du convoi
d’avant-garde, les Douze avaient organisé plusieurs
convois selon la révélation. Ceux-ci se composaient
surtout de familles qui avaient été scellées par
adoption à Brigham Young et à Heber Kimball. Les
apôtres leur avaient commandé d’emporter
suffisamment de provisions pour l’année à venir
et d’emmener avec eux des saints pauvres et les familles des
hommes du Bataillon mormon. Si ces personnes ne voulaient pas
respecter l’alliance de pourvoir aux besoins des nécessiteux,
leurs chariots pouvaient être confisqués et donnés
à celles qui le feraient.
Mais
Parley voyait des problèmes dans l’exécution du
projet du collège. De nombreux saints dans ces convois,
notamment des capitaines, n’étaient pas prêts à
partir. Certains manquaient de moyens pour faire le voyage et sans
provisions suffisantes, ils seraient un lourd fardeau pour les autres
membres du convoi qui avaient à peine assez de provisions pour
leur famille. D’autre part, il y avait d’autres saints
qui n’avaient pas été organisés en
convois, mais qui étaient prêts et impatients de partir,
car ils craignaient que d’autres êtres chers ne
succombent à la maladie s’ils passaient un autre hiver à
Winter Quarters.
Parley
et John décidèrent de réorganiser les convois,
adaptant le projet original aux quelque mille cinq cents saints qui
étaient prêts à se rendre dans l’Ouest.
Quand certains saints objectèrent aux changements, remettant
en question l’autorité de Parley de modifier le plan des
Douze, les deux apôtres essayèrent de raisonner avec
eux.
John
expliqua qu’en l’absence de Brigham, l’apôtre
ayant le plus d’ancienneté avait autorité pour
diriger les membres de l’Église. Puisque Brigham n’était
pas à Winter Quarters, John avait le sentiment que Parley
avait la responsabilité et le droit de prendre des décisions
pour la colonie.
Parley
était d’accord. Il dit : « Je pense qu’il
vaut mieux agir en fonction de notre situation. »
Pendant
que Wilford Woodruff voyageait vers l’ouest avec le convoi
d’avant-garde, il réfléchissait souvent à
sa mission sacrée. Il écrivit dans son journal : «
Il faut comprendre que nous essayons une route que la maison d’Israël
empruntera pendant de nombreuses années à venir. »
Une
nuit, il rêva que le convoi arrivait au nouveau lieu de
rassemblement. Pendant qu’il contemplait le pays, un magnifique
temple apparut devant lui. Il semblait fait de pierres blanches et
bleues. Se tournant vers des hommes qui étaient debout près
de lui dans le rêve, il leur demanda s’ils le voyaient.
Ils dirent que non, mais cela ne diminua en rien la joie que Wilford
ressentit en le regardant.
En
juin, il se mit à faire chaud. L’herbe courte qui
nourrissait leur bétail devint brune dans l’air sec et
le bois se fit plus rare. Souvent, le seul combustible pour les feux
était de la bouse de bison séchée. Le convoi
resta néanmoins diligent à respecter les commandements
comme Brigham avait demandé et Wilford vit des preuves des
bénédictions de Dieu dans la préservation de
leurs réserves de nourriture, de leurs animaux et de leurs
chariots.
Il
écrivit dans son journal : « La paix et l’unité
règnent parmi nous. Cette mission produira beaucoup de bonnes
choses si nous sommes fidèles à respecter les
commandements de Dieu. »
Le
27 juin, le convoi d’avant-garde rencontra sur la piste un
explorateur célèbre nommé Moses Harris. Harris
dit aux saints qu’il n’était pas judicieux de
s’installer dans la vallée de Bear River ni dans celle
du lac Salé. Il leur recommanda un endroit appelé Cache
Valley, au nord-est du Grand Lac Salé.
Le
lendemain, le convoi rencontra un autre explorateur, Jim Bridger.
Contrairement à Harris, Bridger dit beaucoup de bien des
vallées de Bear River et du lac Salé, bien qu’il
les avertît que les nuits froides de Bear River les
empêcheraient probablement de cultiver du maïs. Il dit que
la terre de la vallée du lac Salé était bonne,
qu’il s’y trouvait plusieurs ruisseaux d’eau claire
et qu’il y pleuvait tout au long de l’année. Il
vanta également les mérites de la vallée d’Utah,
au sud du Grand Lac Salé, mais les avertit de ne pas déranger
les Utes qui vivaient dans cette région.
Les
propos de Bridger sur la vallée du lac Salé étaient
encourageants. Bien que Brigham ne fût pas disposé à
identifier un point d’arrêt tant qu’il ne l’avait
pas vu, lui et les autres membres du convoi étaient surtout
intéressés par l’exploration de la vallée
du lac Salé. Et si ce n’était pas l’endroit
où le Seigneur voulait qu’ils s’installent, ils
pourraient au moins s’y arrêter, ensemencer les terres et
fonder une colonie provisoire jusqu’à ce qu’ils
trouvent leur foyer permanent dans le bassin.
Deux
jours plus tard, pendant que les hommes du convoi d’avant-garde
construisaient des radeaux pour traverser des rapides, Sam Brannan et
ses compagnons débarquèrent dans le camp juste avant le
coucher du soleil, surprenant tout le monde. Le convoi écouta
avidement pendant que Sam les amusait avec des histoires du Brooklyn,
de la colonisation de New Hope et de son propre voyage périlleux
à travers les montagnes et les plaines pour venir à
leur rencontre. Il leur dit que les saints en Californie avaient
planté des hectares de blé et de pommes de terre en vue
de leur arrivée.
L’enthousiasme
de Sam pour le climat et le sol californiens était contagieux.
Il exhorta le convoi à revendiquer la région de la baie
de San Francisco avant que d’autres colons n’arrivent.
C’était le lieu idéal pour installer une colonie
et des hommes éminents en Californie étaient favorables
à la cause des saints et prêts à les accueillir.
Brigham
écouta Sam, légèrement sceptique devant la
proposition. Les attraits de la côte californienne étaient
incontestables, mais il savait que le Seigneur voulait que les saints
établissent leur nouveau lieu de rassemblement plus près
des montagnes Rocheuses. Il déclara : « Notre
destination est le Grand Bassin. »
À
peine plus d’une semaine plus tard, le convoi quitta la piste
bien marquée qu’il avait suivie pour en prendre une plus
effacée en direction de la vallée du lac Salé.
Cet
été-là, Louisa Pratt installa sa famille dans
une cabane qu’elle avait achetée pour cinq dollars.
C’était le troisième logement qu’elle
occupait à Winter Quarters. Lorsque la cheminée avait
cessé de fonctionner dans sa cabane de boue séchée,
elle avait emménagé avec sa famille dans une
tranchée-abri humide, laquelle n’était rien
d’autre qu’un trou d’un mètre cinquante dans
la terre avec des fuites au toit.
Dans
la nouvelle maison, Louisa paya des hommes pour lui installer un
plancher de bois. Elle fit ensuite construire une tonnelle devant
chez elle où l’on pouvait asseoir vingt-cinq personnes,
et avec sa fille Ellen elles ouvrirent une école. Pendant ce
temps, sa fille Frances entretenait un potager et coupait du bois
pour chauffer la maison et cuisiner.
Louisa
était encore en mauvaise santé. Après s’être
remise de la fièvre et des tremblements, elle se blessa au
genou lors d’une mauvaise chute sur la neige et la glace.
Pendant qu’elle habitait dans la tranchée-abri, elle
avait contracté le scorbut et avait perdu ses incisives. Mais
ses filles et elle avaient moins souffert que de nombreux saints.
Tout le monde avait des voisins ou des amis qui avaient succombé
aux maladies qui sévissaient dans le camp.
Après
avoir acheté le logement et effectué les réparations,
il ne lui restait que peu d’argent. Lorsque ses réserves
de nourriture furent presque épuisées, elle rendit
visite à ses voisins et leur demanda s’ils souhaitaient
acheter son lit de plumes, mais ils n’avaient pas d’argent
non plus. En parlant avec eux, elle mentionna le fait qu’il ne
restait rien à manger chez elle.
L’un
d’eux dit : « Tu n’as pas l’air inquiète.
Que comptes-tu faire ? »
Elle
répondit : « Oh, je ne m’inquiète pas. Je
sais que la délivrance arrivera de manière inattendue.
»
Sur
le chemin de retour, elle s’arrêta chez une autre
voisine. Dans la conversation, cette dernière mentionna la
vieille crémaillère de Louisa qui servait à
maintenir les marmites dans la cheminée. La voisine dit : «
Si tu veux la vendre, je te donnerai deux boisseaux de semoule de
maïs. » Louisa accepta le troc, reconnaissant que le
Seigneur la bénissait une fois de plus.
Ce
printemps-là, elle se sentit en meilleure forme et se risqua à
adorer avec les saints. Les femmes de la colonie avaient commencé
à se réunir pour se fortifier mutuellement en exerçant
leurs dons spirituels. Lors d’une réunion, elles
parlèrent en langues pendant qu’Elizabeth Ann Whitney
qui, depuis de nombreuses années, était une dirigeante
spirituelle parmi les saints, interprétait. Elizabeth Ann dit
que Louisa se remettrait, traverserait les montagnes Rocheuses et
aurait la joie d’y retrouver son mari.
Louisa
fut surprise. Elle avait supposé qu’elle serait réunie
à Addison à Winter Quarters et ferait ensuite la route
vers l’ouest avec lui. Sans son aide, elle ne voyait aucun
moyen, physiquement ou financièrement, de faire le voyage.
Au
fur et à mesure que les membres du convoi d’avant-garde
s’enfonçaient vers le cœur des montagnes
Rocheuses, la piste devenait plus pentue et les hommes et les femmes
se fatiguaient plus facilement. Devant eux, clairement visibles
au-dessus des plaines ondulantes, se trouvaient des pics enneigés
nettement plus hauts que toutes les montagnes qu’ils avaient
vues dans l’Est des États-Unis.
Une
nuit du début juillet, Clara la femme de Brigham, se réveilla
avec de la fièvre, un mal de tête et des douleurs
intenses dans les hanches et dans le dos. Rapidement, d’autres
personnes se plaignirent des mêmes symptômes et elles
eurent du mal à ne pas se laisser distancer par le reste du
convoi. Chaque pas qu’elles faisaient sur le sol rocailleux
était atrocement douloureux pour leurs membres affaiblis.
Au
fil des jours, Clara se sentit mieux. L’étrange maladie
semblait attaquer rapidement puis se dissiper peu après. Le 12
juillet, Brigham fut fiévreux. Pendant la nuit, il délira.
Le lendemain, il se sentit un peu mieux, mais les apôtres et
lui décidèrent que la majeure partie du convoi devait
se reposer pendant qu’Orson Pratt continuait avec un groupe de
quarante-deux hommes.
Environ
une semaine plus tard, Brigham demanda à Willard Richards,
George A. Smith, Erastus Snow et d’autres de continuer et de
rattraper le convoi d’avant-garde d’Orson. Il commanda :
« Après avoir atteint la vallée du lac Salé,
arrêtez-vous au premier endroit convenable et mettez en terre
nos semences de pommes de terre, de sarrasin et de navets sans tenir
compte de notre destination finale. » Se souvenant du rapport
de Jim Bridger sur la région, il les avertit de ne pas aller
vers le sud, dans la vallée d’Utah, tant qu’ils
n’auraient pas fait plus ample connaissance avec les Utes qui
l’habitaient.
Clara,
ses deux jeunes demi-frères et leur mère restèrent
en arrière avec Brigham et les autres pionniers malades. Une
fois que le convoi se sentit suffisamment fort pour continuer, il
suivit une piste grossière sur un sol inégal obstrué
de broussailles. À certains endroits, les parois du canyon
étaient tellement hautes qu’une épaisse poussière
restait suspendue dans l’air, bouchant la vue.
Le
23 juillet, Clara et le convoi malade gravirent une piste escarpée
jusqu’au sommet d’une colline. De là, ils
descendirent à travers un bosquet épais, serpentant le
long d’un chemin plein de souches abandonnées par les
personnes qui avaient tracé la piste. Dans la descente, un
kilomètre plus bas, le chariot qui transportait les frères
de Clara se renversa dans un ravin et s’écrasa contre un
rocher. Les hommes découpèrent rapidement la toile et
extirpèrent les garçons.
Pendant
que le convoi se reposait au pied de la colline, deux cavaliers de
celui d’Orson arrivèrent dans le camp annonçant
que la vallée du lac Salé n’était plus
très loin. Épuisées, Clara et sa mère
continuèrent d’avancer avec le reste du convoi jusqu’en
début de soirée. Au-dessus d’eux, un orage
menaçait.
Le
lendemain matin, 24 juillet 1847, Wilford conduisit son attelage sur
plusieurs kilomètres dans un ravin. Brigham était
allongé derrière lui, trop fiévreux et faible
pour marcher. Peu après, ils roulèrent le long d’une
crique à travers un autre canyon jusqu’à ce
qu’ils arrivent sur un replat d’où l’on
voyait la vallée du lac Salé.
Wilford
contempla, émerveillé, le vaste pays qui s’étendait
sous lui. Des prairies fertiles, vertes et épaisses, arrosées
par des ruisseaux de montagne clairs se déployaient sur des
kilomètres devant eux. Les ruisseaux se jetaient dans une
longue rivière étroite qui traversait le fond de la
vallée dans sa longueur. Une bordure de montagnes élevées,
leurs pics irréguliers hauts dans les nuages, entourait la
vallée telle une forteresse. À l’ouest,
scintillant comme un miroir dans la lumière du soleil, se
trouvait le Grand Lac Salé.
Après
un voyage de plus de mille cinq cents kilomètres à
travers la prairie, le désert et les canyons, la vue était
époustouflante. Wilford imaginait les saints s’installant
là et établissant un autre pieu de Sion. Ils pourraient
construire des maisons, cultiver des vergers et des champs et
rassembler le peuple de Dieu du monde entier. Et sous peu, la maison
du Seigneur serait établie dans les montagnes et s’élèverait
par-dessus les collines, tout comme Ésaïe l’avait
prophétisé.
Comme
Brigham n’arrivait pas à voir clairement la vallée,
Wilford fit tourner le chariot pour permettre à son ami d’en
avoir une meilleure vue. Balayant la vallée du regard, Brigham
l’étudia pendant plusieurs minutes.
«
Cela suffit. C’est le bon endroit », dit-il à
Wilford. « Avance. »
Brigham
reconnut l’endroit dès qu’il le vit. À
l’extrémité nord de la vallée se trouvait
le pic montagneux de sa vision. Il avait prié pour être
conduit directement à cet endroit et le Seigneur avait exaucé
ses prières. Il ne voyait aucune utilité à
regarder ailleurs.
Au-dessous,
le fond de la vallée frémissait déjà
d’activité. Avant même que Brigham, Wilford et
Heber Kimball ne descendent de la montagne, Orson Pratt, Erastus Snow
et d’autres hommes avaient établi un camp de base et
commencé à labourer, planter et irriguer. Wilford se
joignit à eux dès son arrivée au camp, plantant
un demi-boisseau de pommes de terre avant de prendre son repas du
soir et de s’installer pour la nuit.
Le
lendemain était le sabbat et les saints rendirent grâces
au Seigneur. Le convoi se réunit pour entendre des sermons et
prendre la Sainte-Cène. Bien que faible, Brigham prit
brièvement la parole pour l’encourager à honorer
le jour du sabbat, à s’occuper des terres et à
respecter les biens les uns des autres.
Le
lundi matin, 26 juillet, Brigham était encore en convalescence
dans le chariot de Wilford lorsqu’il se tourna vers ce dernier
et dit : « Frère Woodruff, je voudrais aller marcher. »
Wilford
dit : « D’accord. »
Ils
partirent ce matin-là avec huit autres hommes, en direction
des montagnes au nord. Brigham fit une partie du chemin sur le
chariot de Wilford, serrant autour de ses épaules une cape
verte. Avant d’atteindre les contreforts, le terrain s’aplanit.
Brigham descendit du chariot et marcha lentement sur la terre légère
et riche.
Les
hommes le suivaient, admirant le paysage, lorsqu’il s’arrêta
brusquement et enfonça sa canne dans le sol. Il dit : «
C’est ici que se tiendra le temple de notre Dieu. » Il le
voyait déjà en vision devant lui, ses six flèches
s’élevant au-dessus du fond de la vallée.
Les
paroles de Brigham firent à Wilford l’effet d’un
coup de foudre. Alors que les hommes étaient sur le point de
passer leur chemin, il leur demanda d’attendre. Il cassa une
branche d’une armoise voisine et la planta dans le sol pour
marquer l’endroit.
Ensuite,
ils continuèrent, imaginant la ville que les saints bâtiraient
dans la vallée.
Plus
tard ce jour-là, Brigham indiqua le pic montagneux situé
au nord de la vallée. Il dit : « Je veux gravir ce pic,
car je suis convaincu qu’il s’agit de celui que j’ai
vu en vision. » Le pic rocheux arrondi était facile à
gravir et clairement visible de tous les côtés de la
vallée. C’était l’endroit idéal pour
élever une bannière pour les nations, signaler au monde
que le royaume de Dieu était de nouveau sur la terre.
Brigham
se mit immédiatement en route vers le sommet avec Wilford,
Heber Kimball, Willard Richards et d’autres. Wilford fut le
premier à atteindre le sommet. Depuis le pic, il voyait la
vallée s’étendre devant lui. Avec ses hautes
montagnes et sa plaine spacieuse, elle pouvait protéger les
saints de leurs ennemis pendant qu’ils essayaient de respecter
les lois de Dieu, de rassembler Israël, de construire un autre
temple et d’établir Sion. Dans ses réunions avec
les Douze et le conseil de cinquante, Joseph Smith avait souvent
exprimé le désir de trouver un tel endroit pour les
saints.
Les
amis de Wilford le rejoignirent rapidement. Ils appelèrent
l’endroit Ensign Peak, évoquant la prophétie
d’Ésaïe selon laquelle les exilés d’Israël
et les dispersés de Juda s’assembleraient des quatre
coins de la terre sous une bannière commune.
Un
jour, ils voulaient faire flotter un énorme drapeau au-dessus
du pic. Mais sur le moment, ils firent de leur mieux pour marquer
l’occasion. Ce qui s’est passé est incertain, mais
un homme se souvient qu’Heber Kimball a sorti un bandana jaune,
l’a attaché à l’extrémité de
la canne de Willard Richards et l’a agité dans l’air
chaud de la montagne.
CHAPITRE 5
: Écrasé
jusqu’au tombeau
L’été
1847, Jane Manning James fit la route vers l’Ouest avec son
mari, Isaac, et deux fils, Sylvester et Silas, avec une grande
caravane d’environ mille cinq cents saints. Les apôtres
Parley Pratt et John Taylor la conduisaient avec l’aide de
plusieurs capitaines qui supervisaient des compagnies de cent
cinquante à deux cents personnes. Parley et John avaient
organisé la caravane vers la fin du printemps, après
avoir décidé de modifier le projet original de
migration du Collège des Douze.
Elle
quitta Winter Quarters à la mi-juin, environ deux mois après
le départ du convoi d’avant-garde. Bien qu’elle
n’eût qu’une vingtaine d’années, Jane
était habituée aux longs périples à
pieds. En 1843, après s’être vue refuser l’accès
à bord d’un chaland du fait de la couleur de sa peau, un
petit groupe de saints des derniers jours noirs et elle avaient
parcouru à pied presque mille trois cents kilomètres
depuis l’ouest de l’État de New York jusqu’à
Nauvoo. Plus tard, Isaac et elle avaient traversé à
pied les prairies boueuses de l’Iowa avec le camp d’Israël.
Pendant la plus grande partie du voyage, Jane était enceinte
de son fils, Silas, qui naquit pendant le voyage.
Le
trajet par voie terrestre était rarement passionnant. Les
journées étaient longues et fatigantes. Le paysage des
plaines était monotone, à moins de voir une formation
rocheuse inhabituelle ou un troupeau de bisons se profiler à
l’horizon. Un jour, pendant qu’elle longeait la berge de
la North Platte River, la compagnie de Jane fut surprise lorsqu’un
troupeau de bisons la chargea. Elle rassembla ses chariots et son
bétail pendant que des hommes criaient et faisaient claquer
des fouets devant la cavalcade. Juste avant de piétiner le
convoi, le troupeau se divisa par le milieu, certains bisons partant
vers la droite pendant que d’autres déviaient vers la
gauche. En fin de compte, personne ne fut blessé.
Jane,
Isaac et leurs enfants étaient les seuls saints noirs de leur
compagnie de près de cent quatre-vingt-dix personnes. Il y en
avait pourtant d’autres dans des paroisses et branches dans
toute l’Église. Elijah Able, un soixante-dix qui avait
fait une mission à New York et au Canada, et sa femme Mary Ann
faisaient partie d’une branche du Midwest. Un autre homme,
Walker Lewis, que Brigham Young avait décrit comme «
l’un des meilleurs anciens » de l’Église,
faisait partie, avec sa famille, d’une branche de la côte
Est.
De
nombreux membres de l’Église s’opposaient à
l’esclavage et Joseph Smith avait été candidat à
la présidence des États-Unis avec un programme qui
incluait le projet de mettre un terme à l’institution.
Les efforts missionnaires de l’Église avaient néanmoins
conduit au baptême de quelques propriétaires d’esclaves
et de quelques esclaves. Trois membres du convoi d’avant-garde
: Green Flake, Hark Lay et Oscar Crosby comptaient parmi ces
derniers.
En
1833, le Seigneur avait déclaré : « Il n’est
pas juste qu’un homme soit asservi à un autre. »
Mais après que les saints avaient été chassés
du comté de Jackson (Missouri), en partie parce que certains
s’opposaient à l’esclavage et faisaient preuve de
sympathie à l’égard des noirs libres, les
dirigeants de l’Église avaient averti les missionnaires
de ne pas semer le trouble entre les esclaves et les propriétaires.
À l’époque, aux États-Unis, l’esclavage
était l’un des problèmes les plus intensément
débattus et, pendant de nombreuses années, il avait
divisé les Églises ainsi que le pays.
Ayant
passé toute sa vie dans le nord des États-Unis, où
l’esclavage était illégal, Jane n’avait
jamais été asservie. Elle avait travaillé chez
Joseph Smith et Brigham Young et savait qu’en règle
générale, les saints acceptaient les noirs dans le
troupeau. Cependant, comme d’autres chrétiens de
l’époque, de nombreux saints blancs les considéraient
à tort comme inférieurs, croyant que la peau noire
était le résultat de la malédiction de Dieu à
l’encontre des personnages bibliques Caïn et Cham.
Certains avaient même commencé à enseigner l’idée
erronée que la peau noire était la preuve de la
mauvaise conduite d’une personne dans la vie prémortelle.
Brigham
Young partageait quelque peu ces avis, mais avant de quitter Winter
Quarters, il avait aussi dit à un métis que tous les
gens étaient pareils pour Dieu. Il avait dit : « D’un
seul sang, Dieu a fait toute chair. Nous ne prêtons pas
attention à la couleur. »
L’établissement
de Sion au-delà des montagnes Rocheuses offrait aux saints la
possibilité de fonder une nouvelle société où
Jane, sa famille, et d’autres personnes comme elle seraient
accueillies en tant que concitoyens et saints. Cependant, les
préjugés étaient tenaces et le changement
paraissait improbable dans un avenir proche.
Le
26 août, Wilford Woodruff chevaucha entre les rangées de
maïs et de pommes de terre jusqu’aux contreforts
surplombant la vallée du lac Salé. De là, il
pouvait voir les prémices d’une grande colonie. En
l’espace d’un mois, le convoi d’avant-garde et lui
avaient commencé à construire un fort solide, à
planter des hectares de cultures et à dessiner les plans du
nouveau lieu de rassemblement. Au centre de la colonie, à
l’endroit où Brigham avait enfoncé sa canne dans
le sol, se trouvait un carré de terre qu’ils appelaient
maintenant le « quartier du temple ».
Les
premiers jours de Wilford dans la vallée avaient été
remplis d’émerveillement. Un troupeau d’antilopes
paissait sur le côté ouest du bassin. Des troupeaux de
chèvres de montagne jouaient dans les collines. Wilford et les
autres pionniers avaient trouvé des sources d’eau chaude
sulfureuse près d’Ensign Peak. Dans le Grand Lac Salé,
les hommes flottaient et roulaient comme des rondins sur l’eau
saumâtre et chaude, essayant en vain de s’enfoncer sous
sa surface.
Quatre
jours après son arrivée dans la vallée, Wilford
chevauchait seul à plusieurs kilomètres du camp quand
il avait vu vingt Amérindiens sur une crête devant lui.
En venant dans l’Ouest, les saints savaient qu’ils
rencontreraient des peuples indigènes le long de la piste et
dans le Grand Bassin. Ils s’attendaient pourtant à
trouver la vallée du lac Salé essentiellement
inoccupée. En réalité, les Shoshones, les Utes
et quelques autres tribus y venaient souvent pour chasser et
collecter de la nourriture.
Faisant
faire prudemment volte-face à son cheval, Wilford reprit le
chemin du camp au petit trot. L’un des Indiens galopa après
lui et lorsqu’il fut à une centaine de mètres,
Wilford arrêta sa monture, se tourna pour faire face au
cavalier et essaya de communiquer dans un langage des signes
improvisé. L’homme était amical et Wilford apprit
qu’il était Ute, voulait la paix avec les saints et
souhaitait faire du commerce avec eux. À partir de ce
moment-là, les saints établirent d’autres
contacts avec les Indiens, notamment avec les Shoshones du nord.
Maintenant
que le mauvais temps n’était plus qu’à
quelques semaines, Wilford, Brigham, Heber Kimball et d’autres
membres du convoi d’avant-garde planifièrent de
retourner auprès de leurs familles à Winter Quarters et
de les ramener dans l’Ouest au printemps. Heber avait dit : «
Plût à Dieu que nous n’ayons pas à
repartir. C’est le paradis ici pour moi. C’est l’un
des plus beaux endroits que je n’aie jamais vus. »
Tout
le monde n’était pas de son avis. En dépit de ses
ruisseaux et de ses prairies, la nouvelle colonie était plus
sèche et plus désolée que tous les endroits où
les saints s’étaient rassemblés jusque-là.
Depuis son arrivée, Sam Brannan avait supplié Brigham
de continuer jusqu’aux champs verdoyants et au sol fertile de
la côte californienne.
Brigham
lui avait dit : « Je vais m’arrêter ici même.
Je vais construire une ville ici. Je vais bâtir un temple ici.
» Il savait que le Seigneur voulait que les saints s’installent
dans la vallée du lac Salé, loin des autres colonies de
l’ouest des États-Unis, où il était sûr
que d’autres émigrants ne tarderaient pas à
s’établir. Brigham nomma Sam président de
l’Église en Californie et le renvoya vers la baie de San
Francisco avec une lettre adressée aux saints.
Il
nota dans sa lettre : « Vous êtes libres de choisir de
rester là où vous êtes. » Néanmoins,
il les invitait à se joindre à eux dans les montagnes.
Il leur dit : « Nous souhaitons faire de ce lieu une place
forte, un point de ralliement, un lieu de rassemblement plus immédiat
qu’aucun autre. » La Californie, en revanche, devait être
un relais pour ceux qui se rendaient dans la vallée.
Pour
sa part, Wilford n’avait jamais vu un meilleur endroit pour
fonder une ville que la vallée du lac Salé et il était
impatient que d’autres saints arrivent. Les Douze et lui
avaient passé tout l’hiver à planifier une
migration ordonnée, une migration qui offrirait à tous,
indépendamment de leur position ou de leur fortune, un moyen
d’arriver jusqu’à la vallée. Il était
maintenant temps que le plan se déroule pour le bien de Sion.
Quand
Addison Pratt quitta Tahiti en mars 1847, il avait espéré
trouver sa famille en Californie avec le reste des saints. Néanmoins,
n’ayant reçu aucune nouvelle d’elle (ni de
quiconque dans l’Église) au cours de l’année
écoulée, il ne savait pas si elle serait là. Il
écrivit dans son journal : « Me dire que je suis en
route pour la retrouver est une pensée agréable. Mais
la pensée suivante est : Où est-elle ? Où
dois-je la retrouver ? »
Addison
arriva dans la baie de San Francisco en juin. Il y trouva les saints
du Brooklyn attendant le retour de Sam Brannan et l’arrivée
du corps principal de l’Église. Croyant que Louisa et
leurs enfants étaient en route pour la côte, Addison se
porta volontaire pour aller à la colonie des saints, New Hope,
avec quatre autres hommes, moissonner le blé de l’Église.
Le
groupe partit peu de temps après en bateau. New Hope se
situait à cent cinquante kilomètres à
l’intérieur des terres, sur un affluent de la San
Joaquin River. Pendant des jours, les hommes voguèrent le long
de terres basses marécageuses. De hauts joncs poussaient près
des berges. Plus près de la colonie, le sol se durcit et ils
firent le reste du chemin à pied le long de prairies
verdoyantes.
La
zone de New Hope était belle, mais une rivière voisine
avait débordé peu de temps auparavant, emportant une
partie du blé des saints et laissant derrière elle des
flaques d’eau stagnante. Le soir, lorsqu’Addison se
coucha, des nuées de moustiques assaillirent la colonie.
Addison et les autres tentèrent de les chasser en les écrasant
ou en les enfumant, mais sans succès. Et pour aggraver les
choses, des coyotes et des chouettes hurlèrent et hululèrent
jusqu’à l’aube, privant les colons fatigués
de paix et de tranquillité.
La
moisson du blé commença le lendemain matin. Mais la
nuit blanche d’Addison le rattrapa à midi et il fit une
sieste à l’ombre d’un arbre. Cela devint la
routine quotidienne du fait des moustiques et du vacarme des animaux
sauvages qui le tenaient éveillé nuit après
nuit. Lorsque la moisson fut terminée, Addison était
content de partir.
Il
écrivit dans son journal : « Si ce n’était
pas la question des moustiques, je me serais bien plu là-bas.
»
De
retour dans la baie de San Francisco, il commença à
préparer un logement pour sa famille. Entre-temps, des membres
du Bataillon mormon étaient arrivés en Californie et
avaient reçu une relève honorable. Sam Brannan était
aussi de retour dans la baie, toujours convaincu que Brigham était
insensé de s’installer dans la vallée du lac
Salé. Il dit à des vétérans du bataillon
: « Lorsqu’il aura un peu essayé, il découvrira
que j’avais raison et qu’il avait tort. »
Il
remit quand même la lettre aux saints et nombre de ceux qui
avaient voyagé sur le Brooklyn ou marché avec le
Bataillon mormon décidèrent d’émigrer dans
la vallée du lac Salé au printemps. Sam avait aussi une
lettre de Louisa pour Addison. Elle était encore à
Winter Quarters, mais elle aussi avait l’intention d’aller
dans la vallée au printemps et de s’installer avec
l’ensemble des saints.
Addison
modifia immédiatement ses projets. Au printemps, il partirait
en direction de l’est avec ceux qui s’y rendaient et
retrouverait sa famille.
Brigham
Young était encore malade à la fin du mois d’août
lorsqu’il quitta la vallée du lac Salé avec la
compagnie qui retournait à Winter Quarters. Pendant les trois
jours suivants, le petit groupe voyagea rapidement à travers
des canyons poussiéreux et les cols escarpés des
montagnes Rocheuses. Lorsqu’ils arrivèrent de l’autre
côté, Brigham fut content d’apprendre que la
grande caravane de Parley Pratt et John Taylor n’était
qu’à quelques centaines de kilomètres.
Sa
joie se dissipa peu après lorsqu’il apprit qu’elle
comprenait quatre cents chariots de plus que ce qu’il
attendait. Les Douze avaient passé tout l’hiver à
organiser les saints en compagnies, conformément à la
volonté révélée du Seigneur. Il semblait
maintenant que Parley et John n’avaient pas tenu compte de
cette révélation et agi de leur propre chef.
Quelques
jours plus tard, Brigham et son groupe rencontrèrent la
caravane. Comme Parley était dans l’une des compagnies
de tête, Brigham convoqua rapidement un conseil de dirigeants
de l’Église pour lui demander pourquoi John et lui
avaient désobéi aux instructions du collège.
Parley
dit au conseil : « Si j’ai fait quelque chose de mal, je
suis disposé à le réparer. » Il insistait
quand même pour dire qu’ils avaient agi dans le cadre de
leur autorité d’apôtres. Des centaines de saints
étaient morts cette année-là à Winter
Quarters et dans d’autres colonies le long du Missouri, et de
nombreuses familles tenaient désespérément à
quitter la région avant l’arrivée d’une
autre saison meurtrière. Puisque certains saints dans les
compagnies que les Douze avaient organisées n’étaient
pas encore prêts à partir, John et lui avaient choisi
d’en former de nouvelles pour tenir compte de ceux qui
l’étaient.
Brigham
rétorqua : « Nos compagnies étaient parfaitement
organisées et si elles ne pouvaient pas y arriver, nous étions
responsables d’elles. » La parole et la volonté du
Seigneur commandaient clairement à chaque compagnie de «
pren[dre] en charge, en proportion de sa part de biens », les
pauvres et les familles des hommes servant dans le Bataillon mormon.
Pourtant, Parley et John avaient délaissé beaucoup de
ces personnes.
Brigham
n’était pas non plus d’accord que deux apôtres
annulent la décision du collège. Il dit : « Si le
Collège des Douze fait une chose, deux d’entre eux n’ont
pas le pouvoir de la mettre en pièces. Lorsque nous avons
lancé la machine, vous n’aviez pas à mettre vos
doigts dans les pignons pour arrêter la roue. »
Parley
répondit : « J’ai fait de mon mieux. Tu dis que
j’aurais pu mieux faire et si je dois être tenu pour
responsable et si tu dis que j’ai mal agi, j’ai mal agi.
Je suis coupable d’une erreur et j’en suis désolé.
»
Brigham
répliqua : « Je te pardonne. » Et il ajouta : «
Et si je me conduis mal, je veux que tous les hommes me corrigent
afin que je puisse vivre dans le bonheur de l’Évangile.
Je me sens écrasé jusqu’au tombeau par le fardeau
de ce grand peuple. »
Son
visage et son corps décharné trahissaient chez lui une
lassitude évidente. Il dit : « Je me considère
comme un pauvre petit homme faible. C’est la providence de Dieu
qui m’a appelé à présider. Je veux que tu
ailles directement dans le royaume céleste avec moi. »
«
Je veux savoir si les frères sont satisfaits de moi »,
répondit Parley.
«
Que Dieu te bénisse pour toujours et à jamais, n’y
pense même plus », lui répondit Brigham.
Drusilla
Hendricks et sa famille campaient plus en arrière du convoi
lorsque Brigham et son groupe arrivèrent. La plupart des
familles des membres du Bataillon mormon étaient encore à
Winter Quarters, mais les Hendricks et quelques autres avaient réuni
suffisamment de moyens pour accompagner ceux qui partaient pour
l’Ouest. Plus d’une année s’était
écoulée depuis qu’elle avait regardé son
fils William entamer sa marche avec le bataillon et elle était
impatiente de le retrouver dans la vallée, ou avant.
Son
convoi avait déjà rencontré le long de la piste
des soldats qui rentraient. Le visage de nombreux saints, pressés
de voir leurs êtres chers, s’illuminait d’espoir
lorsqu’ils voyaient les troupes. Malheureusement, William
n’était pas parmi elles.
Un
mois plus tard, il en vint d’autres. Ces hommes captivèrent
l’attention des saints lorsqu’ils décrivirent le
Grand Bassin et leur firent goûter du sel qu’ils avaient
rapporté du Grand Lac Salé. Mais William n’était
pas non plus avec ce groupe.
Au
fil des semaines suivantes, Drusilla et sa famille avancèrent
péniblement sur des pistes montagneuses, traversèrent
des rivières et des ruisseaux, gravirent des collines
escarpées et se frayèrent un chemin à travers
des canyons. Ils avaient les mains, les cheveux et le visage
incrustés de poussière et de crasse. Leurs vêtements,
déjà en lambeaux du fait du long voyage, les
protégeaient peu du soleil, de la pluie et de la poussière.
Lorsqu’ils atteignirent la vallée au début du
mois d’octobre, certains membres du convoi étaient trop
malades ou épuisés pour s’en réjouir.
Cela
faisait plus d’une semaine que Drusilla et sa famille étaient
arrivés dans la vallée et ils n’avaient toujours
aucune nouvelle de William. Après l’arrivée du
bataillon sur la côte californienne, certains vétérans
étaient restés pour travailler et gagner de l’argent
alors que d’autres avaient repris la route en direction de la
vallée du lac Salé ou de Winter Quarters. Pour l’heure,
William pouvait se trouver n’importe où entre l’océan
Pacifique et le Missouri.
Avec
l’arrivée de l’hiver, Drusilla et sa famille
avaient très peu de vêtements chauds, peu de nourriture
et aucun moyen de construire une maison. Leur situation s’annonçait
mal, mais elle faisait confiance à Dieu que tout irait bien.
Une nuit, elle rêva du temple que les saints construiraient
dans la vallée, comme Wilford Woodruff en avait rêvé
quelques mois plus tôt. Joseph Smith se tenait debout à
son sommet et ressemblait exactement à celui qu’il
était. Drusilla appela son mari et ses enfants à ses
côtés et dit : « Voilà Joseph. » Le
prophète leur parla et deux colombes descendirent en volant
vers la famille.
En
se réveillant, Drusilla pensa que les colombes représentaient
l’Esprit du Seigneur, un signe que Dieu approuvait les
décisions que sa famille et elle avaient prises. Elle pensa
que leurs sacrifices n’étaient pas passés
inaperçus.
Plus
tard ce jour-là, un groupe de vétérans du
bataillon aux pieds meurtris arriva dans la vallée. Cette
fois-ci, William était parmi eux.
Pendant
que les membres de la famille Hendricks se retrouvaient dans la
vallée du lac Salé, les hommes de la compagnie de
Brigham s’aventuraient vers l’est sur la piste. Ils
s’étaient déplacés rapidement, si bien
qu’ils étaient maintenant épuisés et
n’avaient quasiment plus de nourriture. Leurs chevaux
faiblissaient et commençaient à flancher. Le matin,
certains avaient besoin d’aide pour se remettre sur pied.
Au
milieu de ces difficultés, Brigham était toujours
perturbé par sa rencontre avec Parley. Il avait accordé
le pardon à son collègue apôtre et lui avait dit
d’oublier l’affaire, mais leur désaccord révélait
la nécessité de précisions et peut-être de
changements dans la direction et l’organisation actuelles de
l’Église.
Du
temps de Joseph, la Première Présidence l’avait
présidée. À la mort du prophète,
cependant, la Première Présidence avait été
dissoute laissant les Douze présider à sa place.
D’après la révélation, les douze apôtres
formaient un collège égal à la Première
Présidence en termes d’autorité. Pourtant, ils
avaient aussi le devoir sacré de servir en qualité de
conseil voyageur et d’apporter l’Évangile au
monde. En tant que collège, pouvaient-ils remplir correctement
cette mission tout en assumant les devoirs de la Première
Présidence ?
De
temps en temps, Brigham avait envisagé de réorganiser
la Première Présidence, mais il n’avait jamais
pensé que le moment était opportun. Depuis qu’il
avait quitté la vallée du lac Salé, des
questions sur l’avenir de la direction de l’Église
tournoyaient dans son esprit. Il y réfléchissait
silencieusement sur la route de Winter Quarters et sentait de plus en
plus l’Esprit l’exhorter à agir.
Un
jour, pendant qu’il se reposait à côté
d’une rivière, il se tourna vers Wilford Woodruff et
demanda si l’Église devait appeler des membres des Douze
pour former une nouvelle Première Présidence.
Wilford
pesa la question. Modifier le Collège des Douze, un collège
établi par révélation, était une décision
grave.
Wilford
fit la remarque suivante : « Il faudrait une révélation
pour altérer l’ordre de ce collège. Peu importe
ce que le Seigneur t’incite à faire à ce propos,
je suis avec toi. »
CHAPITRE
6 : Sept
tonnerres retentissants
À
l’automne 1847, Oliver Cowdery habitait avec sa femme,
Elizabeth Ann, et leur fille Marie Louise dans une petite ville du
Territoire du Wisconsin, à près de huit cents
kilomètres de Winter Quarters. Il avait quarante et un ans et
pratiquait le droit avec son frère aîné. Presque
vingt ans s’étaient écoulés depuis qu’il
avait servi de secrétaire à Joseph Smith pour la
traduction du Livre de Mormon. Il croyait toujours en l’Évangile
rétabli, pourtant, il vivait à l’écart des
saints depuis neuf ans.
Phineas
Young, le frère aîné de Brigham, était
marié à la jeune sœur d’Oliver, Lucy, et
les deux hommes étaient proches et correspondaient souvent.
Phineas disait fréquemment à Oliver qu’il avait
toujours une place dans l’Église.
D’autres
anciens amis lui tendaient aussi la main. Sam Brannan, son ancien
apprenti à l’imprimerie de Kirtland, l’avait
invité à prendre la mer avec les saints sur le
Brooklyn. William Phelps, qui avait une fois brièvement quitté
l’Église après une dispute avec Joseph Smith,
l’avait également invité à se rendre dans
l’Ouest. Il avait écrit : « Si tu crois que nous
sommes Israël, viens avec nous et nous te ferons du bien. »
Mais
la rancœur d’Oliver était profonde. Il pensait que
Thomas Marsh, Sidney Rigdon et d’autres dirigeants de l’Église
avaient tourné Joseph et le grand conseil contre lui au
Missouri. Et il craignait que sa désaffection à l’égard
de l’Église n’ait nui à sa réputation
parmi les saints. Il voulait qu’ils se souviennent des bonnes
choses qu’il avait faites, surtout de son rôle dans la
traduction du Livre de Mormon et le rétablissement de la
prêtrise.
Un
jour, il écrivit à Phineas : « Je suis
susceptible à ce sujet. Tu le serais, dans ces circonstances,
si tu t’étais tenu en présence de Jean avec notre
défunt frère Joseph pour recevoir la moindre prêtrise
et en présence de Pierre pour recevoir la prêtrise
supérieure. »
Oliver
n’était pas sûr non plus que le Collège des
Douze ait l’autorité de présider l’Église.
Il respectait Brigham Young et les autres apôtres qu’il
connaissait, mais il n’avait pas le témoignage qu’ils
étaient appelés de Dieu pour diriger les saints. Pour
le moment, il pensait que l’Église était dans un
état de torpeur, en attendant un dirigeant.
En
juillet, à peu près au moment où le convoi
d’avant-garde entrait dans la vallée du lac Salé,
William McLellin, ancien apôtre, lui avait rendu visite. Il
voulait fonder une nouvelle Église au Missouri, basée
sur l’Évangile rétabli, et il espérait
qu’Oliver se joindrait à lui. La visite incita Oliver à
écrire à David Whitmer, le frère de sa femme,
autre témoin du Livre de Mormon. Il savait que William avait
l’intention d’aller le voir et il voulait savoir ce qu’il
pensait de lui et de son projet.
David
lui répondit six semaines plus tard, l’informant que
William lui avait en effet rendu visite. Il annonçait : «
Nous avons établi, ou commencé à établir,
de nouveau l’Église du Christ et la volonté de
Dieu est que tu sois l’un de mes conseillers dans la présidence
de l’Église. »
Oliver
pesa la proposition. Former une nouvelle présidence de
l’Église avec David et William au Missouri lui donnerait
une autre chance de prêcher l’Évangile rétabli.
Mais était-ce le même Évangile que celui qu’il
avait embrassé en 1829 ? Et David et William avaient-ils
l’autorité de Dieu d’établir une nouvelle
Église ?
De
bonne heure le matin du 19 octobre 1847, les apôtres Wilford
Woodruff et Amasa Lyman aperçurent au loin sept hommes
émergeant de derrière des bouquets d’arbres.
Normalement, les étrangers sur la piste ne constituaient pas
une menace, mais leur soudaine apparition inquiéta Wilford.
Les
deux jours précédents, Amasa et lui avaient chassé
le bison avec plusieurs autres hommes pour nourrir le convoi démuni
de Brigham. Winter Quarters, leur destination, se trouvait encore à
plus d’une semaine. Sans la viande de bison empilée dans
les trois chariots des chasseurs, la compagnie serait bien en peine
d’achever son périple. Nombre d’entre eux étaient
déjà malades.
Les
apôtres regardèrent attentivement les étrangers,
se demandant au début s’ils étaient indiens.
Lorsque les silhouettes approchèrent, ils virent qu’il
s’agissait d’hommes blancs, peut-être de soldats, à
cheval. Et ils fonçaient au grand galop sur eux.
Wilford
et les chasseurs dégainèrent leurs armes pour se
défendre, mais lorsque les cavaliers approchèrent,
Wilford fut surpris et ravi de voir le visage de Hosea Stout, le chef
de la police de Winter Quarters. Les saints avaient été
informés de la situation désespérée de
leur compagnie et Hosea et ses hommes avaient été
envoyés approvisionner les voyageurs et leurs animaux.
L’aide
les raviva et ils continuèrent d’avancer. Le 31 octobre,
lorsqu’ils furent à un kilomètre de la colonie,
Brigham leur fit signe de s’arrêter et de s’assembler.
La dure journée de voyage était presque terminée
et les hommes étaient impatients de revoir leurs familles,
mais il voulait leur dire quelques mots avant de se séparer.
Il
dit : « Merci de votre gentillesse et de votre bonne volonté
à obéir aux ordres. » En un peu plus de six mois,
ils avaient parcouru plus de trois mille kilomètres sans
accident majeur ni mort. Il déclara : « Nous ne nous
attendions pas à accomplir autant. Les bénédictions
du Seigneur nous ont accompagnés. »
Il
congédia les hommes et ils retournèrent à leurs
chariots. Le convoi parcourut le dernier kilomètre jusqu’à
Winter Quarters. Lorsque les voyageurs firent irruption dans le camp
peu avant le coucher du soleil, les saints émergèrent
de leurs cabanes et baraques pour les accueillir. Des foules se
formèrent le long des rues pour leur serrer la main et se
réjouir de tout ce qu’ils avaient accompli grâce à
la main du Seigneur qui les avait guidés.
Wilford
était fou de joie de revoir sa femme et ses enfants. Trois
jours plus tôt, Phebe avait donné naissance à une
petite fille en bonne santé. Maintenant, les Woodruff avaient
quatre enfants en vie : Willy, Phebe Amelia, Susan et la petite
Shuah. Il avait aussi un fils, James, avec son épouse plurale,
Mary Ann Jackson, qu’il avait épousée peu après
son retour d’Angleterre. Mary Ann et James étaient
partis pour la vallée du lac Salé plus tôt cette
année-là avec le père de Wilford.
Wilford
écrivit à propos de son retour à la maison : «
Tout était joyeux et heureux et nous avons estimé que
c’était une bénédiction de nous retrouver.
»
Cet
hiver-là, les neuf apôtres à Winter Quarters et
dans les colonies voisines tinrent souvent conseil. Au cours de ces
réunions, Brigham songeait souvent à l’avenir du
collège. Pendant le voyage de retour de la vallée du
lac Salé, l’Esprit lui avait révélé
que le Seigneur voulait que les Douze réorganisent la Première
Présidence afin que les apôtres soient libres de
proclamer l’Évangile de Jésus-Christ dans le
monde entier.
Brigham
répugnait depuis longtemps à parler de ce sujet au
collège. Il comprenait que ses responsabilités de
président des Douze le différenciaient des autres
apôtres, lui donnant l’autorité de recevoir la
révélation pour le collège et toutes les
personnes sous son intendance.
Cependant,
il comprenait également qu’il ne pouvait pas agir seul.
En 1835, le Seigneur avait révélé que les Douze
devaient prendre des décisions à l’unanimité
ou pas du tout. Par décret divin, les apôtres étaient
censés agir « en toute justice, en sainteté, avec
humilité de cœur » lorsqu’ils prenaient des
décisions. S’ils allaient faire quoi que ce soit en tant
que collège, ils devaient le faire dans l’unité
et l’harmonie.
Le
30 novembre, Brigham parla enfin au collège de la
réorganisation de la Première Présidence,
certain que la volonté de Dieu était qu’ils
avancent. Orson Pratt mit immédiatement en doute la nécessité
du changement. Il dit : « J’aimerais voir les Douze
rester parfaitement unis. »
Il
pensait que les Douze pouvaient diriger l’Église en
l’absence d’une Première Présidence du fait
qu’une révélation déclarait que les deux
collèges étaient égaux en autorité.
Joseph Smith, le prophète, avait aussi enseigné qu’une
majorité des Douze pouvait prendre des décisions
faisant autorité lorsque le collège entier n’était
pas présent. Selon Orson, cela signifiait que sept apôtres
pouvaient rester au siège de l’Église pour
gouverner les saints pendant que les cinq autres apportaient
l’Évangile aux nations.
Brigham
l’écouta, mais désapprouva sa conclusion. Il
demanda : « Qu’est-ce qui vaut mieux : délier les
pieds des Douze et les laisser aller vers les nations ou en garder
toujours sept à la maison ? »
Orson
dit : « À mon sentiment, il ne doit pas y avoir une
Première Présidence de trois membres ; les Douze
constituent la Première Présidence. »
Pendant
qu’Orson et Brigham parlaient, Wilford tournait et retournait
la question dans son esprit. Il était disposé à
soutenir une nouvelle Première Présidence si telle
était la volonté révélée du
Seigneur, mais il s’inquiétait également des
conséquences d’un tel changement. Si trois des Douze
formaient une Première Présidence, qui seraient les
trois nouveaux apôtres appelés à prendre leur
place dans le collège ? Et quelle influence la réorganisation
de la présidence aurait-elle sur le rôle des Douze dans
l’Église ?
Pour
l’instant, il voulait que les Douze continuent comme ils
étaient. Scinder le collège donnait l’impression
de couper un corps en deux.
À
l’automne 1847, les montagnes bordant la vallée du lac
Salé semblèrent s’embraser lorsque leur feuillage
prit de vives teintes rouges, jaunes et brunes. De là où
sa famille campait parmi d’autres sur le quartier du temple,
Jane Manning James voyait la plupart des montagnes et une grande
partie de la nouvelle colonie que les saints avaient commencé
d’appeler Great Salt Lake City, ou simplement Salt Lake City. À
environ un kilomètre au sud-ouest de sa tente se trouvait un
fort carré où certains saints construisaient des
cabanes pour leur famille. Comme la vallée comptait peu
d’arbres, ils érigeaient ces édifices avec du
bois provenant de canyons voisins ou avec des briques dures en adobe.
Lorsque
Jane était arrivée dans la vallée, les saints
qui étaient venus avec le convoi d’avant-garde n’avaient
presque plus de nourriture. Les nouveaux arrivants, comme Jane,
avaient peu de provisions dont ils pouvaient se passer. Le lait de la
plupart des vaches dans la vallée s’était tari et
le bétail était fatigué et efflanqué.
John Smith, le président nouvellement nommé du pieu de
Salt Lake, dirigeait le grand conseil et les évêques
pour subvenir aux besoins de tout le monde jusqu’à ce
que les cultures soient prêtes à être moissonnées,
mais peu de personnes allaient se coucher le ventre plein.
Pourtant,
malgré le manque de nourriture, la colonie se développa
rapidement. Les femmes et les hommes travaillaient ensemble pour
construire des logements et améliorer le confort de leur
environnement. Les hommes se risquaient en haut des canyons pour
couper du bois puis le descendaient dans la vallée. N’ayant
pas de scierie, chaque rondin devait être débité
à la main. Les toits étaient faits de perches et
d’herbe sèche. Les fenêtres étaient souvent
faites de papier gras et non de verre.
À
cette époque, les femmes de l’Église continuaient
de se réunir officieusement. Elizabeth Ann Whitney et Eliza
Snow, anciennes dirigeantes de la Société de secours de
Nauvoo, organisaient souvent des réunions pour les mères,
ainsi que pour les jeunes filles et les fillettes. De même
qu’elles l’avaient fait à Winter Quarters, les
femmes exerçaient des dons spirituels et se fortifiaient
mutuellement.
Comme
d’autres saints, Jane et son mari, Isaac, travaillaient
ensemble pour bâtir un foyer dans la vallée. Le fils de
Jane, Sylvester, était assez grand pour aider aux corvées.
Et il y avait toujours quelque chose à faire. Les enfants
pouvaient aider leur mère à ramasser des panais
sauvages, des chardons et des racines de fleurs de sego pour pallier
la diminution des provisions. Les saints pouvaient difficilement se
permettre de gaspiller la nourriture. Lorsqu’une vache était
tuée, ils mangeaient tout ce qu’ils pouvaient, de la
tête aux sabots.
Au
début de novembre, la neige commença à tomber,
enveloppant la cime des montagnes d’un manteau de poudre
blanche. Les températures chutèrent dans la vallée
et les saints se préparèrent pour leur premier hiver.
Par
une journée couverte de fin novembre, les apôtres à
Winter Quarters se réunirent pour parler d’Oliver
Cowdery. La plupart l’avaient connu à Kirtland et
avaient entendu son témoignage puissant du Livre de Mormon.
Avec David Whitmer et Martin Harris, il avait aidé Joseph
Smith, le prophète, à appeler certains d’entre
eux au Collège des Douze et leur avait enseigné leurs
responsabilités. Phineas Young leur avait aussi assuré
qu’il était dévoué à la cause de
Sion et que son cœur s’était adouci à
l’égard de l’Église.
Willard
Richards jouant le rôle de secrétaire, les apôtres
rédigèrent une lettre à l’attention
d’Oliver. Ils écrivirent : « Viens, et retourne
dans la demeure de notre Père, dont tu t’es éloigné.
» Décrivant Oliver comme un fils prodigue bien-aimé,
ils l’invitèrent à se refaire baptiser et à
être de nouveau ordonné à la prêtrise.
Ils
déclarèrent : « Si tu désires servir Dieu
de tout ton cœur et prendre part aux bénédictions
du royaume céleste, fais ces choses. Ton âme sera
remplie de joie. »
Ils
donnèrent la lettre à Phineas et lui demandèrent
de la remettre en main propre.
Peu
de temps plus tard, Brigham se réunit avec huit autres apôtres
chez Orson Hyde, qui était rentré de mission en
Angleterre. Il dit : « Je veux qu’on prenne une décision.
Depuis mon arrivée à Great Salt Lake City jusqu’à
présent, l’Esprit n’a cessé de me murmurer
que l’Église devait maintenant être organisée.
» Il témoigna que l’Église devait soutenir
une Première Présidence pour la gouverner afin que les
apôtres puissent diriger l’œuvre missionnaire à
l’étranger.
Il
conseilla : « Je veux que chaque homme acquière la
conviction du Seigneur. Découvrez simplement dans quel sens va
le Seigneur et suivez-le. Un ancien qui résiste à
l’inspiration de l’Esprit se fait du tort à
lui-même. »
Heber
Kimball et Orson Hyde étaient aussi d’avis qu’il
était temps de réorganiser la Première
Présidence. Mais Orson Pratt exprima de nouveau ses
inquiétudes. Il craignait que la Première Présidence
ne consulte pas le Collège des Douze et que les Douze s’en
remettent trop rapidement à l’autorité de la
présidenc