LES SAINTS
Histoire
de l’Église de Jésus-Christ des saints des
derniers jours
TOME 1
L’ÉTENDARD DE LA VÉRITÉ
1815-1846
CHAPITRE
7 : Compagnons
de service
CHAPITRE
8 : L’émergence de l’Église du
Christ
DEUXIÈME PARTIE :
Une maison de foi (avril 1830 - avril 1836)
CHAPITRE 9 : Pour la vie ou pour la mort
CHAPITRE 10
: Rassemblés
CHAPITRE 11
: Vous recevrez ma loi
CHAPITRE 12
: Après beaucoup de tribulations
CHAPITRE 13
: Le don revient
CHAPITRE 14
: Visions et cauchemars
CHAPITRE 15
: En des lieux saints
CHAPITRE 16
: Ce n'est que le prélude
CHAPITRE 17
: Même s'ils nous tuent
CHAPITRE 18
: Le camp d'Israël
CHAPITRE 19
: Vous serez des intendants
CHAPITRE 20
: Ne me rejette pas
CHAPITRE 21
: L'Esprit de Dieu
TROISIÈME PARTIE : Jeté dans l'abîme (avril 1836 -
avril 1839)
CHAPITRE 22
: Mettre le Seigneur à l'épreuve
CHAPITRE 23
: Tous les pièges
CHAPITRE 24
: La vérité triomphera
CHAPITRE 25
: Partez dans l'Ouest
CHAPITRE 26
: Une terre sainte
CHAPITRE 27
: Nous revendiquons la liberté
CHAPITRE 28
: Nous avons suffisamment essayé
CHAPITRE 29
: Dieu et la liberté
CHAPITRE 30
: Battez-vous
CHAPITRE 31
: Comment cela finira-t-il ?
CHAPITRE 32
: Quand même l'enfer se déchaînerait
CHAPITRE 33
: Ô Dieu, où es-tu ?
QUATRIÈME PARTIE : La plénitude des temps (avril 1839
- février 1846)
CHAPITRE 34
: Édifier une ville
CHAPITRE 35
: Un lieu magnifique
CHAPITRE 36
: Incitation à se rassembler
CHAPITRE 37
: Nous les mettrons à l'épreuve
CHAPITRE 38
: Traître ou honnête homme
CHAPITRE 39
: Même dans les profondeurs de l'angoisse
CHAPITRE 40
: Unis en une alliance éternelle
CHAPITRE 41
: À Dieu le jugement
CHAPITRE 42
: Endosser le fardeau
CHAPITRE 43
: Une nuisance publique
CHAPITRE 44
: Comme un agneau à l'abattoir
CHAPITRE 45
: Une puissante fondation
CHAPITRE 46
: Dotés de pouvoir
À PROPOS DES SOURCES
SOURCES
REMERCIEMENTS
PRÉFACE
Lorsqu’elles sont bien racontées, les histoires vraies peuvent
inspirer, mettre en garde, amuser et instruire. Brigham Young
comprenait le pouvoir d’une bonne histoire lorsqu’il recommanda aux
historiens de l’Église de ne pas se contenter d’enregistrer les faits
arides du passé. Il leur a conseillé « d’employer un style narratif »
et de n’écrire qu’environ un dixième des textes.
Ce qui suit est un récit historique conçu pour donner aux lecteurs une
compréhension fondamentale de l’histoire de l’Église. Chaque scène,
chaque réplique, chaque personnage est basé sur des sources historiques
qui sont citées à la fin du livre. Les personnes qui souhaitent lire
ces sources, mieux comprendre les sujets apparentés et découvrir
d’autres histoires trouveront des liens vers d’autres ressources en
ligne sur le site history.lds.org.
Ce livre est le premier de quatre tomes sur l’histoire de l’Église de
Jésus-Christ des saints des derniers jour. Ensemble, les tomes
relatent l’histoire du Rétablissement de l’Évangile de Jésus-Christ
depuis les premiers jours de l’Église jusqu’à nos jours. Ils sont
écrits dans un style captivant et accessible aux saints du monde entier.
L’Église a déjà publié deux ouvrages historiques en plusieurs tomes. Le
premier était un documentaire historique commencé par Joseph Smith dans
les années 1830 et publié au début de l’année 1842. Le deuxième a été
écrit par un historien adjoint de l’Église, B. H. Roberts, et publié en
1930. Depuis, la portée mondiale de l’Évangile rétabli et le
commandement du Seigneur de tenir continuellement l’histoire « pour le
bien de l’Église et pour les générations montantes » signalent que le
moment est venu de faire une mise à jour et d’inclure davantage de
saints dans le récit.
Plus encore que dans les histoires précédentes, Les saints présente la
vie et l’histoire d’hommes et de femmes ordinaires dans l’Église. Il
donne aussi de nouveaux détails et de nouvelles perceptions au sujet de
personnes et d’événements mieux connus de l’histoire de l’Église.
Chaque chapitre permettra aux lecteurs de comprendre et d’apprécier les
saints qui ont fait de l’Église ce qu’elle est aujourd’hui.
Entremêlées, leurs histoires constituent la belle tapisserie du
Rétablissement.
Les livres Les saints ne sont pas des Écritures mais, comme les
Écritures, chaque tome contient des vérités divines et des histoires de
personnes imparfaites s’efforçant de devenir des saints grâce à
l’Expiation de Jésus-Christ. Leurs histoires, comme celles de tous les
saints, passés et présents, rappellent au lecteur combien le Seigneur a
été miséricordieux envers son peuple lorsqu’il s’est uni dans le monde
entier pour faire avancer l’œuvre de Dieu.
PREMIÈRE PARTIE :
Mon serviteur Joseph
(avril 1815 - avril 1830)
CHAPITRE
1 : Demande avec foi
En
1815, l’île indonésienne de Sumbawa est luxuriante
et verdoyante suite aux précipitations récentes. Les
familles se préparent pour la saison sèche à
venir, comme elles le font depuis des générations,
cultivant des rizières à l’ombre d’un
volcan appelé le Tambora.
Le
5 avril, après des décennies de sommeil, la montagne se
réveille en rugissant, crachant de la cendre et du feu. À
des centaines de kilomètres de distance, des témoins
entendent ce qui ressemble à des coups de canon. De petites
éruptions subsistent pendant des jours. Puis, dans la soirée
du 10 avril, la montagne entière explose. Trois colonnes de
flammes s’élèvent vers le ciel et fusionnent en
provoquant une énorme déflagration. Du feu liquide
dévale les flancs de la montagne, enveloppant le village à
sa base. Des tourbillons font rage dans toute la région,
arrachant des arbres et emportant des habitations.
Le
chaos persiste toute cette nuit-là jusqu’à la
suivante. Les cendres recouvrent des kilomètres de terre et de
mer, sur une hauteur de plus de cinquante centimètres par
endroits. À midi, on se croirait à minuit. Les mers
démontées se soulèvent par-dessus le littoral,
détruisant les récoltes et inondant les villages.
Pendant des semaines, le Tambora fait pleuvoir de la cendre, des
pierres et du feu.
Au
fil des mois suivants, les effets de la déflagration se
propagent à travers le globe. Des couchers de soleil
spectaculaires font l’admiration de spectateurs du monde
entier. Mais les couleurs éclatantes masquent les effets
meurtriers des cendres du volcan qui tournent autour de la terre.
L’année suivante, les conditions météorologiques
deviennent imprévisibles et dévastatrices.
L’éruption
fait chuter les températures en Inde, et le choléra
fait des milliers de victimes, décimant des familles entières.
Dans les vallées fertiles de la Chine, le climat
habituellement tempéré fait place à des tempêtes
de neige en été, et des pluies torrentielles détruisent
les récoltes. En Europe, la diminution des provisions
alimentaires entraîne la famine et la panique.
Partout,
les gens cherchent des explications aux souffrances et aux morts que
les phénomènes climatiques étranges provoquent.
En Inde, des hommes saints font résonner les temples
hindouistes de prières et de mélopées. Les
poètes chinois se perdent en questions sur le sujet de la
souffrance et de la perte de tout. En France et en Grande-Bretagne,
les citoyens tombent à genoux, craignant que les calamités
terribles prédites dans la Bible ne soient sur eux. En
Amérique du Nord, les ecclésiastiques prêchent
que Dieu est en train de punir les chrétiens rebelles, et ils
les incitent à raviver leurs sentiments religieux.
Dans
tout le pays, les gens accourent vers les églises et les
réveils religieux, désireux de savoir comment ils
peuvent être sauvés de la destruction à venir.
L’année
suivante, l’éruption du Tambora continue d’affecter
le climat en Amérique du Nord. Le printemps fait place à
des chutes de neige et à des gelées dévastatrices,
et 1816 reste gravé dans les mémoires comme étant
l’année sans été.
Dans le Vermont, à l’angle nord-est des États-Unis,
les collines rocailleuses rendent depuis des années la vie
dure à un fermier appelé Joseph Smith, père.
Mais cette saison-là, en regardant leurs récoltes se
flétrir sous les gelées impitoyables, sa femme, Lucy
Mack Smith, et lui, savent que s’ils restent là, ils
auront à affronter la faillite et un avenir incertain.
À
quarante-cinq ans, Joseph, père, n’est plus un jeune
homme et la perspective de tout recommencer sur une nouvelle terre
est décourageante. Il sait que ses fils aînés,
Alvin, dix-huit ans, et Hyrum, seize ans, peuvent l’aider à
défricher, construire une maison, planter et récolter.
Sa fille de treize ans, Sophronia, est suffisamment grande pour
assister Lucy dans ses tâches domestiques et ses travaux de la
ferme. Ses fils plus jeunes, Samuel, huit ans et William, cinq ans,
commencent à se rendre utiles et Katherine, trois ans, et le
bébé, Don Carlos, seront un jour suffisamment grands
pour donner un coup de main.
Pour
ce qui est de son troisième fils, Joseph, dix ans, c’est
une autre histoire. Quatre ans plus tôt, celui-ci a subi une
intervention chirurgicale pour ôter une infection logée
dans sa jambe. Depuis lors, il marche avec une béquille. Bien
que sa jambe recommence à être solide, Joseph boite
péniblement et son père ne sait pas s’il
deviendra aussi robuste qu’Alvin et Hyrum.
Certains
de pouvoir compter les uns sur les autres, les membres de la famille
Smith abandonnent leur maison dans le Vermont en quête d’une
meilleure terre. Comme bon nombre de ses
voisins, Joseph, père, décide de prendre la direction
du sud-ouest, vers l’État de New York, où il
espère acheter à crédit une bonne ferme. Il
enverra alors chercher Lucy et les enfants, et la famille pourra tout
recommencer.
Lorsque
Joseph, père, prend la route vers New York, Alvin et Hyrum
l’accompagnent un bout de chemin avant de lui dire au revoir.
Joseph, père, aime tendrement sa femme et ses enfants, mais
n’a jamais réussi à leur assurer une grande
stabilité dans la vie. La malchance et les investissements
hasardeux ont maintenu la famille dans un état de dénuement
et d’errance. Peut-être que ce sera différent à
New York.
L’hiver
suivant, Joseph, fils, clopine à travers la neige avec sa
mère, ses frères et ses sœurs en direction de
l’ouest, vers un village du nom de Palmyra, près de
l’endroit où Joseph, père, a trouvé une
bonne terre et attend sa famille.
Puisque
son mari ne peut aider au déménagement, Lucy a embauché
un homme appelé M. Howard pour conduire leur chariot. Sur la
route, ce dernier manipule leurs affaires sans ménagement et
dilapide l’argent qu’on lui a donné dans le jeu et
la boisson. Et après avoir rejoint une autre famille se
dirigeant vers l’ouest, il chasse Joseph du chariot afin que
les filles de l’autre famille puissent s’asseoir à
côté de lui pendant qu’il conduit l’attelage.
Sachant
combien Joseph souffre lorsqu’il marche, Alvin et Hyrum tentent
à plusieurs reprises de résister à M. Howard.
Mais chaque fois, il les fait tomber avec le manche de son fouet.
S’il
était plus grand, Joseph essaierait probablement lui-même
de lui tenir tête. Sa jambe malade l’a empêché
de travailler et de jouer, mais la force de sa volonté
compense la faiblesse de son corps. Lorsque les médecins lui
ont ouvert la jambe et ont extrait les morceaux d’os infectés,
ils ont voulu l’attacher, ou au moins lui faire boire de
l’eau-de-vie pour atténuer la douleur, mais Joseph a
demandé que seul son père le tienne dans ses bras.
Il
est resté éveillé et conscient pendant toute la
durée de l’opération, le visage blême et
dégoulinant de sueur. Sa mère, habituellement si forte,
s’est presque effondrée en entendant ses cris. Après
cela, elle s'est probablement dit qu’elle pourra supporter
n’importe quoi.
Tandis
qu’il boite à côté du chariot, Joseph voit
bien qu’elle fait de son mieux pour supporter M. Howard. Ils
ont déjà parcouru trois cents kilomètres et
jusque-là, elle a été plus que patiente à
l’égard du mauvais comportement du conducteur.
À
environ cent cinquante kilomètres de Palmyra, Lucy se prépare
à passer une journée de plus sur les routes lorsqu’elle
voit Alvin accourir vers elle. M. Howard a jeté leurs affaires
et leurs bagages dans la rue et est sur le point de s’enfuir
avec leurs chevaux et leur chariot.
Lucy
retrouve l’homme dans un bar. Elle déclare : « Le
Dieu des cieux m’est témoin que ce chariot et ces
chevaux, ainsi que les affaires qui les accompagnent,
m’appartiennent. »
Elle
promène son regard dans le bar. Il est rempli d’hommes
et de femmes, dont la plupart sont des voyageurs comme elle. Les yeux
braqués sur eux, elle dit : « Cet homme est décidé
à me déposséder de tout moyen de poursuivre mon
voyage, me laissant avec huit jeunes enfants dans le dénuement
complet. »
M.
Howard dit qu’il a déjà dépensé
l’argent qu’elle lui a donné pour conduire le
chariot et qu’il ne peut pas aller plus loin.
Lucy
dit : « Vous ne m’êtes d’aucune utilité.
Je m’occuperai moi-même de l’attelage. »
Elle
abandonne M. Howard dans le bar et fait serment de réunir ses
enfants à leur père quoi qu’il advienne.
Les
routes sont déjà boueuses et froides, mais Lucy conduit
les siens sains et saufs jusqu’à Palmyra. En voyant ses
enfants s’accrocher à leur père et l’embrasser,
elle se sent récompensée pour tout ce qu’elle a
enduré pour arriver là.
Les
Smith louent rapidement une petite maison en ville et discutent de la
manière d’acquérir leur propre ferme.
Ils décident que le meilleur plan est de travailler jusqu’à
ce qu’ils aient réuni suffisamment de fonds pour verser
un acompte sur des terres situées dans un bois voisin. Joseph,
père, et les fils aînés creusent des puits,
fendent des planches pour en faire des clôtures et ramassent
les foins en échange d’espèces, pendant que Lucy
et les filles confectionnent et vendent des tartes, de la racinette,
et des napperons, pour acheter de la nourriture.
En
grandissant, Joseph, fils, devient plus solide sur ses jambes et peut
facilement se déplacer dans Palmyra. En ville, il rencontre
des gens de toute la région, et beaucoup se tournent vers la
religion pour satisfaire leurs désirs de spiritualité
et trouver une explication aux épreuves de la vie. Joseph et
sa famille n’appartiennent à aucune Église, mais
nombre de leurs voisins fréquentent l’une des hautes
églises presbytériennes, dans le lieu de réunion
des baptistes ou la salle des quakers, ou bien dans le camp où
des prédicateurs méthodistes itinérants viennent
de temps en temps.
Lorsque
Joseph a douze ans, les débats religieux balaient la campagne.
Il n’est pas un grand lecteur, mais il aime analyser
profondément les idées. Il écoute les
prédicateurs, espérant en apprendre davantage sur son
âme immortelle, mais leurs sermons lui laissent souvent une
sensation de malaise. Ils lui disent qu’il est pécheur
dans un monde pécheur, désemparé sans la grâce
salvatrice de Jésus-Christ. Et, bien que Joseph croit au
message et regrette ses péchés, il ne sait comment
obtenir le pardon.
Il
pense qu’aller à l’église pourra lui être
utile, mais il n’arrive pas à décider où
il doit rendre le culte. Les différentes Églises se
disputent sans cesse sur la manière dont les gens peuvent être
délivrés du péché. Après avoir
écouté ces débats pendant quelque temps, Joseph
se sent perdu de voir les gens lire la même Bible et en arriver
à des conclusions différentes quant à ce qu’elle
veut dire. Il croit que la vérité de Dieu est là,
quelque part, mais il ne sait comment la trouver.
Ses
parents n’en sont pas sûrs non plus. Lucy et Joseph,
père, sont issus de familles chrétiennes et tous les
deux croient en la Bible et en Jésus-Christ. Sa mère va
plus fréquemment à l’église et amène
souvent ses enfants aux réunions. Depuis la mort de sa sœur,
de nombreuses années auparavant, elle recherche la véritable
Église de Jésus-Christ.
Peu
avant la naissance de Joseph, après être tombée
gravement malade, elle a eu peur de mourir avant d’avoir trouvé
la vérité. Elle a senti un gouffre sombre et solitaire
entre elle et le Sauveur, et su qu’elle n’était
pas préparée pour la vie prochaine.
Ne
pouvant trouver le sommeil, toute la nuit elle a invoqué Dieu
et lui a promis que s’il lui laissait la vie sauve, elle
trouverait l’Église de Jésus-Christ. Pendant
qu’elle priait, la voix du Seigneur lui est parvenue,
l’assurant que si elle cherchait, elle trouverait. Elle a
exploré davantage d’Églises depuis lors, mais n’a
toujours pas trouvé la bonne. Cependant, même
lorsqu’elle a eu le sentiment que l’Église du
Sauveur n’était plus sur la terre, elle a continué
de chercher, confiante qu’il vaut quand même mieux aller
à l’église.
Comme
sa femme, Joseph, père, est assoiffé de vérité.
Mais il pense qu’il vaut mieux n’aller à aucune
église que d’aller à la mauvaise. Suivant les
conseils de son père, Joseph, père, sonde les
Écritures, prie sincèrement, et croit que Jésus-Christ
est venu sauver le monde. Cependant, il
n’arrive pas à relier ce qui lui semble vrai à la
confusion et à la discorde qu’il voit dans les Églises
autour de lui. Une nuit, il a rêvé que les prédicateurs
qui s’affrontaient ressemblaient à du bétail,
mugissant tout en fouillant la terre de leurs cornes, ce qui a
intensifié son sentiment que ceux-ci ne savent pas grand chose
du royaume de Dieu.
Le
mécontentement de ses parents vis-à-vis des Églises
locales ne fait qu’aggraver le trouble chez Joseph, fils.
Son âme est en jeu, mais personne ne peut lui fournir de
réponses satisfaisantes.
Après
avoir économisé pendant plus d’une année,
la famille Smith a assez d’argent pour verser un acompte sur
quarante hectares de forêt à Manchester, au sud de
Palmyra. Là, entre leurs travaux de journaliers, ils
entaillent des érables pour en recueillir la sève
sucrée, plantent un verger et défrichent des parcelles
à cultiver.
Tout
en travaillant la terre, le jeune Joseph continue de se préoccuper
de ses péchés et du bien-être de son âme. À
Palmyra et dans toute la région, le réveil religieux a
commencé à perdre de son intensité, mais les
prédicateurs continuent de se disputer les convertis. Jour et nuit,
Joseph regarde le soleil, la lune et les étoiles
se mouvoir avec ordre et majesté dans les cieux et admire la
beauté de la terre grouillant de vie. Il regarde également
les gens autour de lui et s’émerveille de la force et de
l’intelligence de la vie humaine. Tout semble témoigner
que Dieu existe et a créé le genre humain à son
image. Mais comment Joseph peut-il l’atteindre ?
Durant
l’été 1819, alors que Joseph a treize ans, des
pasteurs méthodistes se réunissent pour une conférence
à quelques kilomètres de la ferme de la famille Smith
et se déploient dans la campagne pour inciter les familles
telles que celle de Joseph à se convertir. Le succès
rencontré par ces prédicateurs inquiète les
autres pasteurs de la région et rapidement, la course aux
convertis devient intense.
Joseph
assiste aux réunions, écoute les sermons émouvants
et voit les convertis pousser des cris de joie. Il voudrait crier
avec eux mais souvent il se sent au cœur d’une guerre de
mots et d’idées. Il se demande : « Lequel de tous
ces partis a raison ; ou ont-ils tous tort ? Si l’un d’entre
eux a raison, lequel est-ce, et comment le saurais-je ? » Il
sait qu’il a besoin de la grâce et de la miséricorde
du Christ, mais avec tant de gens et d’Églises
s’affrontant sur les questions de religion, il ne sait pas où
les trouver.
L’espoir
de trouver des réponses et la paix de l’âme semble
lui échapper. Il se demande comment quiconque peut découvrir
la vérité au milieu d’un tel tumulte.
En
écoutant un sermon, Joseph entend un pasteur citer, dans le
Nouveau Testament, le premier chapitre de Jacques qui dit : «
Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il
la demande à Dieu, qui donne à tous simplement et sans
reproche. »
Joseph
rentre chez lui et recherche le passage dans la Bible. Plus tard, il
se souvient : « Jamais aucun passage de l’Écriture
ne toucha le cœur de l’homme avec plus de puissance que
celui-ci ne toucha alors le mien. Il me sembla qu’il pénétrait
avec une grande force dans toutes les fibres de mon cœur. J’y
pensais constamment, sachant que si quelqu’un avait besoin que
Dieu lui donne la sagesse, c’était bien moi. » Il
a sondé la Bible avant comme si elle détenait toutes
les réponses. Mais maintenant, elle lui dit qu’il peut
s’adresser directement à Dieu pour avoir la réponse
à ses questions.
Joseph
décide de prier. Il ne l’a encore jamais fait à
haute voix, mais il est confiant dans la promesse de la Bible. Elle
enseigne : « Demande avec foi, sans douter. »
Dieu entendra ses questions, même s’il les formule
maladroitement.
CHAPITRE
2 : Écoute-le
Un
matin du printemps de 1820, Joseph se lève de bonne heure et
se dirige vers les bois près de chez lui. C’est une
belle et claire journée et les rayons du soleil filtrent à
travers les branches. Il veut être seul pour prier, et il
connaît un endroit tranquille où il vient d’abattre
des arbres. Il y a laissé sa hache, coincée dans une
souche.
Retrouvant
le lieu, Joseph regarde autour de lui afin de s’assurer qu’il
est désert. Il est inquiet à l’idée de
prier à haute voix et ne veut pas être interrompu.
Convaincu
qu’il est seul, il s’agenouille sur la terre fraîche
et commence à exprimer les désirs de son cœur à
Dieu. Il demande miséricorde et pardon, ainsi que de la
sagesse pour trouver la réponse à ses questions. Il dit
: « Oh, Seigneur, à quelle Église dois-je me
joindre ? »
Pendant
qu’il prie, sa langue semble enfler jusqu’à
l’empêcher de parler. Il entend des pas derrière
lui, mais ne voit personne lorsqu’il se retourne. Il essaie de
prier de nouveau, mais le bruit de pas se rapproche, comme si
quelqu’un venait l’attaquer. Il bondit sur ses pieds et
se retourne, mais ne voit toujours personne.
Soudain,
une puissance invisible le saisit. Il essaie de nouveau de parler
mais sa langue est encore liée. Des ténèbres
épaisses l’enveloppent jusqu’à occulter la
lumière du soleil. Des doutes et des images affreuses lui
traversent l’esprit, le troublant et le gênant. Il a
l’impression qu’un être terrible, réel et
immensément puissant, cherche à le détruire.
Rassemblant
toutes ses forces, il fait une fois de plus appel à Dieu. Sa
langue se délie et il supplie d’être délivré.
Mais il se voit sombrer dans le désespoir, submergé par
les ténèbres insupportables et prêt à
s’abandonner à la destruction.
À
ce moment-là, une colonne de lumière apparaît
au-dessus de sa tête. Elle descend lentement et semble
incendier le bois. Lorsqu’elle tombe sur lui, Joseph sent la
puissance invisible relâcher son emprise. L’Esprit de
Dieu prend sa place, l’emplissant d’une paix et d’une
joie ineffables.
Regardant
dans la lumière, il voit Dieu le Père se tenant
au-dessus de lui dans les airs. Son visage est plus brillant et plus
glorieux que tout ce que Joseph a jamais vu. Dieu l’appelle par
son nom, montre un autre être qui est apparu à côté
de lui et déclare : « Voici mon Fils bien-aimé.
Écoute-le ! »
Joseph
contemple le visage de Jésus-Christ. Il est aussi brillant et
glorieux que celui du Père.
Le
Sauveur dit : « Joseph, tes péchés te sont
pardonnés. »
Son
fardeau allégé, Joseph réitère sa
question : « À quelle Église dois-je me joindre ?
»
Le
Sauveur lui répond : « Ne te joins à aucune.
Elles enseignent pour doctrine des commandements d’hommes,
ayant une forme de piété, mais elles en nient la
puissance. »
Le
Seigneur lui dit que le monde baigne dans le péché. Il
explique : « Il n’en est aucun qui fasse le bien. Les
gens se sont détournés de l’Évangile et ne
gardent pas mes commandements. » Des vérités
sacrées ont été perdues ou corrompues, mais il
promet qu’il lui révélera, dans un avenir proche,
la plénitude de son Évangile.
Pendant
que le Sauveur parle, Joseph voit des armées d’anges, et
la lumière qui les entoure est plus brillante que le soleil à
son zénith. Le Seigneur dit : « Voici, je viens
rapidement, revêtu de la gloire de mon Père. »
Joseph
s’attend à voir les bois dévorés par
l’éclat, mais les arbres brûlent comme le buisson
de Moïse, sans être consumés.
Quand
la lumière s’estompe, Joseph se retrouve allongé
sur le dos, regardant au ciel. La colonne de lumière
disparaît, et la culpabilité et le trouble de Joseph le
quittent. Des sentiments d’amour divin lui remplissent le
cœur. Dieu le Père et Jésus-Christ lui ont
parlé, et il a appris comment trouver la vérité
et le pardon.
Trop
affaibli par la vision pour se mouvoir, il reste allongé dans
les bois jusqu’à ce qu’il ait recouvré
quelques forces. Il rentre ensuite péniblement chez lui et
s’appuie sur le manteau de la cheminée. Sa mère
le voit et lui demande ce qui ne va pas.
Il
répond : « Tout va bien. Je ne me sens pas mal. »
Quelques
jours plus tard, pendant qu’il converse avec un prédicateur,
il lui raconte ce qu’il a vu dans les bois. Le prédicateur
a participé aux récents réveils religieux et
Joseph s’attend à ce qu’il prenne sa vision au
sérieux.
Dans
un premier temps, le prédicateur prend ses paroles à la
légère. De temps à autre, des gens affirment
avoir des visions célestes. Mais ensuite, il se mit en
colère et est sur la défensive, et il dit à
Joseph que son histoire est du diable. Il ajoute que le temps des
visions et des révélations est révolu depuis
longtemps et qu’il ne reviendra jamais.
Joseph
est surpris, et il découvre rapidement que personne ne croit à
sa vision. Pourquoi le devraient-ils ? Il n’a que quatorze
ans et n’est pratiquement jamais allé à l’école.
Il est issu d’une famille pauvre et s’attend à
passer le reste de sa vie à travailler la terre et à
faire de menus travaux pour un maigre salaire.
Et
pourtant, son témoignage ennuie suffisamment certaines
personnes pour qu’elles le ridiculisent. Joseph se dit qu’il
est étrange qu’un garçon sans importance pour le
monde puisse attirer autant d’amertume et de mépris. Il
veit demander : « Pourquoi me persécuter pour avoir dit
la vérité ? Pourquoi le monde pense-t-il me faire
renier ce que j’ai vraiment vu ? »
Toute
sa vie, ces questions déconcertent Joseph. Il écrira :
« J’avais réellement vu une lumière, et au
milieu de cette lumière, je vis deux Personnages, et ils me
parlèrent réellement ; et quoique je fusse haï et
persécuté pour avoir dit que j’avais eu cette
vision, cependant c’était la vérité. »
Il
ajoutera : « Je le savais, et je savais que Dieu le savait, et
je ne pouvais le nier. »
Une
fois que Joseph a découvert que le récit de sa vision
ne fait que tourner ses voisins contre lui, il le garde
principalement pour lui, satisfait de la connaissance que Dieu lui a
donnée. Plus tard, après avoir déménagé
loin de New York, il essaie de coucher par écrit son
expérience sacrée dans les bois. Il décrit son
désir ardent d’obtenir le pardon et rapporte la mise en
garde du Sauveur à un monde en grand besoin de repentir. Il
rédige lui-même les mots, dans un langage hésitant,
essayant avec ferveur de décrire la majesté de
l’instant.
Dans
les années qui suivront, il racontera la vision plus
publiquement, faisant appel à des secrétaires qui
l’aideront à mieux exprimer ce qui défie toute
description. Il parlera de son désir de trouver la véritable
Église et décrira Dieu le Père apparaissant en
premier pour présenter le Fils. Il parlera moins de sa quête
du pardon et davantage du message universel porté par le
Sauveur, celui de la vérité et de la nécessité
d’un rétablissement de l’Évangile.
À
chaque récit de son expérience, Joseph témoignera
que le Seigneur a entendu et exaucé sa prière. Ainsi,
dans sa jeunesse, il apprend que l’Église du Sauveur
n’est plus sur la terre. Mais le Seigneur lui promet qu’au
moment voulu, il en révélerait davantage au sujet de
son Évangile. Alors Joseph décide de faire confiance à
Dieu, de rester fidèle au commandement qu’il a reçu
dans les bois et d’attendre patiemment les autres
directives.
CHAPITRE
3 : Les plaques d'or
Trois
années passent. Joseph défriche, laboure ou travaille
comme journalier afin de réunir la somme nécessaire au
remboursement annuel du crédit sur la propriété
familiale. Le travail ne lui permet pas d’aller à
l’école très souvent et il passe la majeure
partie de son temps libre avec sa famille et d’autres ouvriers.
Ses
amis et lui sont jeunes et enjoués. Parfois, ils font des
erreurs, et Joseph découvre que le fait d'avoir reçu le
pardon une fois ne signifie pas qu’il n’aura plus jamais
besoin de se repentir. La vision glorieuse qu'il a reçue ne
répond pas à toutes ses questions ni ne met
définitivement fin à sa perplexité. Alors il
s'efforce de rester proche de Dieu. Il lit la Bible, fait confiance
au pouvoir de Jésus-Christ pour son salut et obéit au
commandement du Seigneur de ne se joindre à aucune Église.
Comme
bon nombre d’habitants de la région, notamment son père,
il croit que Dieu peut révéler de la connaissance par
l’intermédiaire d’objets tels que des bâtons
et des pierres, comme il l’a fait avec Moïse, Aaron et
d’autres. Un jour, pendant qu’il aide un voisin à
creuser un puits, il tombe sur une petite pierre enfouie profondément
dans la terre. Sachant que des gens ont parfois utilisé des
pierres pour rechercher des objets perdus ou des trésors
cachés, Joseph se demande s’il n'en aurait pas trouvé
une de ce genre. Lorsqu’il regarde à l’intérieur,
il voit des choses invisibles à l’œil nu.
Les
membres de sa famille sont impressionnés par le don qu’il
a pour utiliser la pierre ; ils le considèrent comme un signe
de faveur divine. Mais bien qu’il possède le don d’un
voyant, il n’est toujours pas certain que Dieu est satisfait de
lui. Il ne sent plus le pardon et la paix qu’il a ressentis
après sa vision du Père et du Fils. Au contraire, il se
sent souvent condamné à cause de ses faiblesses et de
ses imperfections.
Le
21 septembre 1823, Joseph, alors âgé de dix-sept ans,
est allongé dans la chambre qu’il partage avec ses
frères dans les combles. Il a veillé ce soir-là,
écoutant sa famille discuter de différentes Églises
et des points de doctrine qu’elles enseignent. À
présent, tout le monde est endormi et la maison est
silencieuse.
Dans
l’obscurité de sa chambre, Joseph commence à
prier, implorant Dieu avec ferveur de lui accorder le pardon de ses
péchés. Il aspire à entrer en communion avec un
messager céleste qui pourrait le rassurer quant à sa
situation devant le Seigneur et lui donner la connaissance qu’il
lui a promise dans le bosquet. Il sait que Dieu a précédemment
exaucé sa prière, et il est sûr qu’il
l’exaucera de nouveau.
Pendant
qu’il prie, une lumière apparaît à côté
de son lit et devient de plus en plus brillante jusqu’à
en inonder les combles. Joseph lève les yeux et voit un ange
debout dans les airs. Il porte une tunique blanche sans couture qui
lui descend jusqu’aux poignets et jusqu’aux chevilles. La
lumière émane de lui, et son visage brille comme
l’éclair.
Au
début, Joseph a peur, mais il est rapidement envahi par la
paix. L’ange l’appelle par son nom et se présente
comme étant Moroni. Il lui dit que Dieu lui a pardonné
ses péchés et qu’il a maintenant une œuvre
à accomplir. Il déclare qu’on parlerait en bien
et en mal du nom de Joseph parmi toutes les nations.
Il
parla de plaques d’or enterrées dans une colline
voisine. Sur celles-ci sont gravées les annales d’un
peuple qui a vécu autrefois sur le continent américain.
Le récit parle des origines de ce peuple et raconte que
Jésus-Christ leur a rendu visite et leur a enseigné la
plénitude de l’Évangile. Moroni dit que deux
pierres de voyant sont enterrées avec les plaques. Plus tard,
Joseph les appellera l’urim et le thummim, ou les interprètes.
Le Seigneur les a préparées pour aider Joseph à
traduire les annales. Les pierres sont transparentes, sont reliées
l’une à l’autre et fixées à un
pectoral.
Pendant
le reste de sa visite, Moroni cite des prophéties tirées
des livres bibliques d’Ésaïe, de Joël, de
Malachie et des Actes. Il explique que le Seigneur va bientôt
venir et que la famille humaine ne remplira pas l’objectif de
sa création à moins que l’ancienne alliance de
Dieu ne soit d’abord renouvelée. Moroni dit que Dieu
a choisi Joseph pour renouveler l’alliance et que s’il
décide d’être fidèle aux commandements de
Dieu, il sera celui qui révélera les annales compilées
sur les plaques.
Avant
de partir, l’ange lui commande de prendre soin des plaques et
de ne les montrer à personne, sauf indication contraire,
l’avertissant qu’il serait détruit s’il
désobéissait à ce conseil. La lumière se
rassemble ensuite autour de Moroni qui monte ensuite aux ciel.
Alors
que Joseph est allongé et réfléchit à la
vision, une lumière inonde de nouveau la pièce et
Moroni réapparaît, remettant le même message que
précédemment. Il part ensuite pour réapparaître
une fois de plus et remettre son message une troisième fois.
Il
dit : « Maintenant, Joseph, prends garde. Lorsque tu iras
chercher les plaques, ton esprit sera rempli de ténèbres
et toutes sortes de mauvaises pensées s’y bousculeront
pour t’empêcher de respecter les commandements de Dieu. »
Moroni l’exhorte à parler de ses visions à son
père qu'il désigne comme quelqu’un qui lui
apportera son soutien.
Le
lendemain matin, Joseph ne parle pas de Moroni, bien qu’il
sache que son père croit aussi aux visions et aux anges. Au
lieu de cela, Alvin et lui passent la matinée à
moissonner un champ voisin.
Mais
le travail est difficile. Joseph essaie de manier sa faux aussi vite
que son frère dans un champ de hautes céréales,
mais les visites de Moroni l’ont empêché de dormir
pendant toute la nuit et il pense continuellement aux annales
anciennes et à la colline où elles sont cachées.
Bientôt,
il cesse de travailler. Alvin le remarque et interpelle Joseph,
disant : « Nous devons continuer sinon nous n’aurons pas
terminé notre tâche. »
Joseph
essaie de travailler plus dur et plus vite, mais quoi qu’il
fasse, il ne peut soutenir le rythme d’Alvin. Au bout d’un
moment, Joseph, père, voit que son fils est pâle et
s'est arrêté à nouveau de travailler. Pensant
qu’il est malade, il lui dit : « Rentre à la
maison. »
Joseph
obéit et se dirige en titubant vers la maison. Mais en
essayant de franchir une clôture, il s’effondre sur le
sol, épuisé.
Alors
qu'il est allongé là, il voit une fois de plus Moroni,
au-dessus de lui, entouré de lumière. Moroni demande :
« Pourquoi n’as-tu pas rapporté à ton père
ce que je t’ai dit ? »
Joseph
répond qu’il a eu peur que son père ne le croie
pas.
Moroni
lui assure que son père le croira et lui répète
à nouveau son message de la veille.
Joseph,
père, pleure lorsque son fils lui parle de l’ange et de
son message. Il dit : « C’est une vision de Dieu. Fais ce
qu’il te dira. »
Joseph
prend immédiatement la route de la colline. Pendant la nuit,
Moroni lui a montré en vision l’endroit où les
plaques sont cachées ; il sait donc où aller. La
colline, l’une des plus grandes de la région, est à
environ cinq kilomètres de chez lui. Les plaques sont
enterrées sous une grande pierre arrondie, sur le flanc ouest
de la colline, non loin du sommet.
Tout
en marchant, Joseph pense aux plaques. Il sait qu’elles sont
sacrées, mais il a du mal à s’empêcher de
s’interroger sur leur valeur marchande. Il a entendu des
légendes concernant des trésors cachés que
protégent des esprits gardiens, mais Moroni et les plaques
qu’il décrit sont différents de ces histoires.
Moroni est un messager céleste désigné par Dieu
pour remettre les annales au voyant divinement choisi. Les plaques
sont précieuses, non parce qu’elles sont en or, mais
parce qu’elles témoignent de Jésus-Christ.
Malgré
cela, Joseph ne peut s’empêcher de penser qu’il
sait maintenant exactement où trouver assez de richesses pour
libérer sa famille de l’indigence.
Arrivant
à la colline, il localise l’endroit qu’il a vu en
vision et commence à creuser à la base de la pierre
pour en dégager les bords. Il trouve ensuite une grosse
branche d’arbre et s’en servit de levier pour soulever la
pierre et la faire glisser sur le côté.
Sous
la pierre se trouve une boîte dont les côtés et le
fond sont en pierre. Regardant à l’intérieur,
Joseph voit les plaques d’or, les pierres de voyant et le
pectoral. Les plaques sont couvertes d’écrits
anciens et reliées d’un côté par trois
anneaux. Chaque plaque est fine et mesure environ quinze centimètres
de largeur sur vingt centimètres de longueur. Une partie des
plaques semble également scellée, afin que personne ne
puisse les lire.
Étonné,
Joseph se demande de nouveau combien elles valent. Il tend la main
comme pour les prendre et sent une onde de choc le traverser. Il
retire brusquement la main, mais essaie encore à deux reprises
d’atteindre les plaques ; à chaque fois, il reçoit
un choc.
Il
s’écrie alors : « Pourquoi ne puis-je obtenir ce
livre ? »
«
Parce que tu n’as pas respecté les commandements de Dieu
», répond une voix non loin de lui.
Joseph
se retourne et voit Moroni. Le message de la veille lui revient à
l’esprit, et il comprend qu’il a oublié le
véritable objectif des annales. Il commence à prier, et
son esprit et son âme s’éveillent à
l’Esprit-Saint.
Moroni
commande : « Regarde ! » Une autre vision s’ouvre à
lui et il voit Satan entouré de son armée innombrable.
L’ange déclare : « Tout cela t’est montré,
le bien et le mal, le sacré et l’impur, la gloire de
Dieu et le pouvoir des ténèbres, afin que tu connaisses
dorénavant les deux pouvoirs et ne sois jamais influencé
ni vaincu par ce malin. »
Il
dit à Joseph de se purifier le cœur et de se fortifier
l’esprit pour recevoir les annales. Il explique : « Ces
objets sacrés ne pourront jamais être obtenus autrement
que par la prière et l’obéissance fidèle
au Seigneur. Ils ne sont pas déposés là en vue
d’accumuler des richesses pour la gloire de ce monde. Ils ont
été scellés par la prière de la foi.
»
Joseph
demande quand il pourra obtenir les plaques.
«
Le 22 septembre prochain, dit Moroni, si tu es accompagné de
la bonne personne. »
«
Qui est la bonne personne ? » demanda Joseph.
«
Ton frère aîné. »
Depuis
qu’il est enfant, Joseph sait qu’il peut compter sur son
frère aîné. Alvin a vingt-cinq ans et aurait pu
s’acheter sa propre exploitation s’il l’avait
voulu. Mais il a choisi de rester à la ferme familiale parce
qu’il veut que ses parents soient établis et en sécurité
sur leurs terres lorsqu’ils prendront de l’âge. Il
est sérieux et travailleur et Joseph a un grand amour et une
grande admiration pour lui.
Peut-être
que Moroni sent que Joseph a besoin de la sagesse et de la force de
son frère pour devenir le genre de personne à qui le
Seigneur peut confier les plaques.
En
rentrant chez lui ce soir-là, Joseph est fatigué. Mais
sa famille s’attroupe autour de lui dès qu’il a
franchi le seuil de la porte, impatiente de savoir ce qu’il a
trouvé dans la colline. Il commence à parler des
plaques, mais Alvin l’interromp lorsqu’il remarque
combien il a l’air épuisé.
«
Allons nous coucher, dit-il, et nous irons travailler tôt
demain matin. » Ils auront le temps le lendemain d’entendre
le reste de l’histoire de Joseph. « Si maman nous sert le
souper de bonne heure, dit-il, nous aurons ensuite une longue soirée
pour nous rassembler et t’écouter. »
Le
lendemain soir, Joseph raconte ce qui s'est passé à la
colline, et Alvin le croit. En tant que fils aîné, il
s’est toujours senti responsable du bien-être matériel
de ses parents vieillissants. Ses frères et lui ont même
commencé à construire une maison plus grande afin que
la famille soit installée plus confortablement.
Il
semble maintenant que Joseph s’occupe de leur bien-être
spirituel. Soirée après soirée, il fascine la
famille en parlant des plaques d’or et des récits
qu’elles contiennent. La famille devient plus unie et leur
foyer est paisible et heureux. Tout le monde sent que quelque chose
de merveilleux est sur le point de se produire.
Puis,
un matin d’automne, moins de deux mois après la visite
de Moroni, Alvin rentre à la maison, souffrant terriblement de
l’estomac. Courbé de douleur, il supplie son père
d’appeler de l’aide. Lorsqu’enfin un médecin
arrive, il lui administre une dose importante de médicament,
mais cela ne fait qu’aggraver son état.
Alvin
reste alité pendant des jours, à se tordre de douleur.
Sachant qu’il va probablement mourir, il fait appeler Joseph et
lui dit : « Fais tout ce qui est en ton pouvoir pour obtenir
les annales. Obéis fidèlement aux instructions que tu
reçois et respecte scrupuleusement chaque commandement qui
t’est donné. »
Il
meurt peu après et le chagrin s’abat sur la maisonnée.
Lors des obsèques, un prédicateur laisse entendre
qu’Alvin est parti en enfer, se servant de sa mort pour mettre
les gens en garde contre ce qui arrive sans l’intervention de
Dieu pour les sauver. Joseph, père, est furieux. Son fils a
été un bon jeune homme et il n’arrive pas à
croire que Dieu puisse le damner.
Le
décès d’Alvin met un terme aux discussions au
sujet des plaques. Il a été un partisan tellement loyal
de l’appel divin de Joseph que toute mention du sujet ravive le
souvenir de sa mort. La famille ne peut le supporter.
Alvin
manque terriblement à Joseph et sa mort est une épreuve
très difficile pour lui. Il a espéré trouver
auprès de son frère aîné de l’aide
pour obtenir les annales. Maintenant, il se sent abandonné.
Quand
le jour où il doit retourner à la colline arrive enfin,
il s’y rend seul. Sans Alvin, il n’est pas sûr que
le Seigneur lui confie les plaques. Mais il pense qu’il peut
garder tous les commandements que le Seigneur lui a donnés,
comme son frère le lui a conseillé. Les instructions de
Moroni pour récupérer les plaques sont claires. L’ange
a dit : « Tu dois les prendre dans les mains, rentrer
directement chez toi sans tarder et les mettre sous clé. »
À
la colline, Joseph soulève la pierre à l’aide
d’un levier, plonge les mains dans la boîte en pierre et
en sort les plaques. Une pensée lui traverse alors l’esprit
: les autres objets dans la boîte ont de la valeur et doivent
être dissimulés avant qu’il ne rentre chez lui. Il
pose les plaques sur le sol et se retourne pour refermer la boîte.
Mais lorsqu’il fait demi-tour, les plaques n’y sont plus.
Alarmé, il tombe à genoux et supplie pour savoir où
elles sont.
Moroni
apparaît et lui dit qu’il a encore désobéi
aux instructions. Non seulement il a posé les plaques par
terre avant de les mettre en sécurité, mais il les a
également quittées des yeux. Aussi disposé que
le jeune voyant puisse être à exécuter l’œuvre
du Seigneur, il n’est pas encore capable de protéger les
annales.
Joseph
s’en veut, mais Moroni lui demande de revenir chercher les
plaques l’année suivante. Il l’instruit également
davantage au sujet du plan du Seigneur pour le royaume de Dieu et de
la grande œuvre en train de se dérouler.
Ainsi,
après le départ de l’ange, Joseph redescend
furtivement la colline, inquiet de ce que sa famille va penser en le
voyant rentrer à la maison les mains vides. Lorsqu’il
entre, elle l’attend. Son père lui demande immédiatement
s’il a les plaques.
«
Non, dit-il, je n’ai pas pu les obtenir.
—
Les
as-tu vues ?
—
Je
les ai vues mais je n’ai pas pu les prendre.
—
À
ta place, je les aurais prises.
—
Tu
ne sais pas ce que tu dis. Je n’ai pas pu les prendre parce que
l’ange du Seigneur ne me l’a pas permis. »
CHAPITRE
4 : Sois vigilant
Emma
Hale, vingt et un ans, entend parler de Joseph Smith pour la première
fois lorsque ce dernier vient travailler chez Josiah Stowell, à
l’automne 1825. Josiah a embauché le jeune homme et son
père pour l’aider à trouver des trésors
cachés sur ses terres. Des légendes locales
affirment qu’une bande d’explorateurs a découvert
un gisement d’argent et dissimulé le trésor dans
la région des centaines d’années auparavant.
Sachant que Joseph a un don pour se servir de pierres de voyant,
Josiah lui a offert un bon salaire et une part du butin s’il
participe aux recherches.
Le
père d’Emma, Isaac, est favorable à l’idée.
Lorsque Joseph et son père arrivent chez les Stowell, à
Harmony, en Pennsylvanie, un village à environ deux cent
cinquante kilomètres au sud de Palmyra, Isaac sert de témoin
à la signature des contrats. Il permet également aux
ouvriers de vivre chez lui.
Emma
rencontre Joseph peu après. Il est plus jeune qu’elle,
mesure plus d’un mètre quatre-vingts et ressemble à
quelqu’un qui a l’habitude de travailler dur. Il a les
yeux bleus, le teint clair, et boite légèrement. Sa
maîtrise de la grammaire laisse à désirer et il
emploie parfois trop de mots pour s’exprimer, mais il fait
preuve d’une intelligence naturelle lorsqu’il parle. Son
père et lui sont des hommes bons qui préfèrent
adorer seuls plutôt que d’aller à l’église
où Emma et sa famille rendent leur culte.
Joseph
et Emma se plaisent à être en plein air. Depuis son
enfance, Emma aime monter à cheval et faire du canoë sur
la rivière près de chez elle. Joseph n’est pas un
cavalier accompli, mais il excelle en lutte et aux jeux de ballon. Il
est à l’aise en présence des gens, sourie
facilement et raconte souvent des blagues ou des histoires drôles.
Emma est plus réservée, mais elle aime une bonne blague
et peut parler avec n’importe qui. Elle apprécie aussi
la lecture et le chant.
Au
fur et à mesure que les semaines passent et qu’Emma fait
plus ample connaissance avec Joseph, ses parents commencent à
s’inquiéter de leur relation. Joseph est un pauvre
ouvrier d’un autre État, et ils espèrent que leur
fille se désintéressera de lui et épousera un
homme issu de l’une des familles prospères de leur
vallée. Le père d’Emma se méfie maintenant
de la chasse au trésor et du rôle que Joseph y joue. Le
fait que Joseph ait tenté de convaincre Josiah Stowell de
cesser la chasse lorsqu’il est devenu évident qu’elle
n’aboutirait à rien ne semble pas être important
aux yeux d’Isaac Hales.
Emma
préfère Joseph à tous les autres hommes qu’elle
connaît et ne cesse pas de passer du temps avec lui. Lorsque
Joseph réussit à convaincre Josiah d’arrêter
les recherches concernant le filon d’argent, il reste à
Harmony pour travailler à la ferme de ce dernier. Parfois, il
est aussi embauché par Joseph et Polly Knight, une autre
famille de fermiers de la région. Quand il ne travaille pas,
il rend visite à Emma.
Joseph
et sa pierre de voyant deviennent rapidement un sujet de commérages
à Harmony. Les villageois plus âgés croient aux
voyants, mais beaucoup de leurs enfants et petits-enfants n’y
croient pas. Le neveu de Josiah, convaincu que Joseph a profité
de son oncle, traîne le jeune homme devant un tribunal et
l’accuse d’être un imposteur.
Joseph
se tient devant le juge local et explique comment il a trouvé
la pierre. Joseph, père, témoigne qu’il a demandé
constamment à Dieu de leur montrer sa volonté quant au
don merveilleux de voyant de Joseph. Enfin, Josiah se présente
devant la cour et déclare que Joseph ne l’a pas
escroqué.
Le
juge dit : « Est-ce que je comprends que vous croyez que le
prisonnier voit à l’aide de la pierre ? »
«
J’en suis absolument convaincu », insiste Josiah.
Josiah
est un homme respecté dans la collectivité et les gens
acceptent ses paroles. À la fin, l’audience ne produit
aucune preuve que Joseph a profité de lui ; le juge rejette
donc l’accusation.
En
septembre 1826, Joseph retourne à la colline chercher les
plaques, mais Moroni dit qu’il n’esdt pas encore prêt.
L’ange lui dit : « Arrête de fréquenter les
chercheurs d’or. » Il y a des hommes méchants
parmi eux. Moroni lui donne une année de plus pour mettre
sa volonté en adéquation avec celle de Dieu. S’il
ne le fait pas, les plaques ne lui seront jamais confiées.
L’ange
lui dit également d’amener quelqu’un avec lui la
prochaine fois. C’est la même demande que celle qu’il
a faite à la fin de la première visite de Joseph à
la colline. Mais comme Alvin est décédé, Joseph
est perplexe.
Il
demande : « Qui est la bonne personne ? »
Moroni
dit : « Tu le sauras. »
Joseph
cherche à être guidé par le Seigneur grâce
à sa pierre de voyant et découvre que la bonne personne
est Emma.
Il
a été attiré par elle dès leur première
rencontre. Comme Alvin, Emma une personne qui peut l’aider à
devenir l’homme dont le Seigneur a besoin pour accomplir son
œuvre. Mais il n’y a pas que cela. Il l’aime et
veut l’épouser.
En
décembre, Joseph a vingt et un ans. Par le passé, il
s’est laissé entraîner ici et là à
la demande de personnes qui voulaient tirer profit de son don.
Mais depuis sa dernière visite à la colline, il sait
qu’il doit faire davantage d’efforts pour se préparer
à recevoir les plaques.
Avant
de retourner à Harmony, Joseph parle avec ses parents. «
J’ai pris la décision de me marier, leur dit-il, et, si
vous n’y voyez pas d’inconvénient, Mademoiselle
Emma Hale sera mon choix. » Ses parents sont heureux de sa
décision, et sa mère insiste pour qu’ils viennent
habiter avec eux après leur mariage.
Cet
hiver-là, Joseph passe autant de temps qu’il peut avec
Emma, empruntant parfois le traîneau des Knight lorsque les
neiges de l’hiver rendent impraticable la route menant chez les
Hale. Mais les parents d’Emma ne l’aiment toujours pas,
et ses efforts pour les conquérir échouent.
En
janvier 1827, Emma se rend chez les Stowell où elle et Joseph
peuvent passer du temps ensemble loin des regards désapprobateurs
de sa famille. C’est là que Joseph demande Emma en
mariage. Emma semble déconcertée de prime abord. Elle
sat que ses parents s’y opposeront. Mais Joseph l’incite
à y réfléchir. Ils pourraient s’enfuir
immédiatement pour se marier.
Emma
considère la demande. Ses parents seraient déçus,
mais la décision lui appartient, et elle aime Joseph.
Peu
de temps après, le 18 janvier 1827, Joseph et Emma se marient
chez le juge de paix local. Ensuite, ils se rendent à
Manchester et commencent leur vie commune chez les parents de Joseph.
La nouvelle maison est confortable, mais Joseph, père, et Lucy
y ont fait trop de dépenses, sont en retard dans les
remboursements et en ont perdu la possession. Maintenant les nouveaux
propriétaires la leur louent.
Les
parents Smith sont contents d’avoir Joseph et Emma chez eux.
Mais l’appel divin de leur fils leur cause du souci. Des
personnes de la région ont entendu parler des plaques d’or
et se mettent parfois à leur recherche.
Un
jour, Joseph part faire une course en ville. Ses parents sont très
inquiets en ne le voyant pas rentrer pour dîner. Ils attendent
des heures, incapables de trouver le sommeil. Enfin, Joseph ouvre la
porte et s’effondre sur une chaise, épuisé.
Son
père demanda : « Comment se fait-il que tu rentres si
tard ? »
Joseph
dit : « J’ai reçu la plus belle correction de ma
vie. »
Son
père exige de savoir qui l’a corrigé.
Joseph
répond : « C’est l’ange du Seigneur. Il a
dit que j’étais négligent. » Le jour de sa
prochaine rencontre avec Moroni approche. Il dit : « Il faut
que je m’y mette. Il faut que je m’occupe de ce que Dieu
m’a commandé de faire ».
Après
la récolte d’automne, Josiah Stowell et Joseph Knight se
rendent dans la région de Manchester pour affaire. Les deux
hommes savent que le quatrième anniversaire de la visite de
Joseph à la colline est imminent, et ils sont impatients de
savoir si Moroni va enfin lui confier les plaques.
Les
chercheurs de trésors aussi savent que le moment est venu. Ces
derniers temps, un homme du nom de Samuel Lawrence rôde sur la
colline à la recherche des plaques. Inquiet que Samuel cause
problème, Joseph a envoyé son père chez lui le
soir du 21 septembre pour le tenir à l’œil et
l’affronter s’il a l’air de vouloir se rendre à
la colline.
Ensuite,
Joseph se prépare à aller récupérer les
plaques. Sa visite annuelle à la colline doit avoir lieu le
lendemain, mais, pour avoir une longueur d’avance sur les
chasseurs de trésors, il a l’intention d’y arriver
peu après minuit, juste au début du matin du 22
septembre, au moment où personne ne s’attendra à
ce qu’il soit dehors.
Mais
il lui faut encore trouver un moyen de protéger les plaques
une fois qu’il les aura. Lorsque la plupart des membres de la
famille sont partis se coucher, il demande tout doucement à sa
mère si elle a un coffre. Lucy n’en a pas et s’inquiète.
Joseph
dit : « Ne t’en fais pas. Je peux très bien me
débrouiller sans pour l’instant. »
Emma
se présente peu après, habillée pour partir, et
Joseph et elle grimpent dans la calèche et s’éloignent
dans la nuit. Lorsqu’ils arrivent à la colline, elle
attend avec la calèche pendant qu’il grimpe jusqu’à
l’endroit où les plaques sont cachées.
Moroni
apparaît et Joseph sort les plaques d’or et les pierres
de voyant de la boîte en pierre. Avant que Joseph ne descende
la colline, Moroni lui rappelle de ne montrer les plaques à
personne, excepté à ceux que le Seigneur a désignés,
lui promettant que les plaques seront protégées s’il
fait tout son possible pour les préserver.
Moroni
lui dit : « Tu devras être vigilant et fidèle à
ta charge sinon des hommes méchants l’emporteront sur
toi, parce qu’ils vont manigancer tous les complots et
stratagèmes possibles pour te les subtiliser. Et si tu ne fais
pas continuellement attention, ils réussiront. »
Joseph
porte les plaques jusqu’au pied de la colline, mais avant
d’arriver à la calèche, il les met à
l’abri dans un tronc creux où elles seront en sécurité
jusqu’à ce qu’il se procure un coffre. Il rejoint
ensuite Emma et ils rentrent à la maison au moment où
le soleil commence à se lever.
Chez
les Smith, Lucy les attend avec impatience tout en servant le
petit-déjeuner à Joseph, père, à Joseph
Knight et à Josiah Stowell. Elle vaque à ses
occupations, le cœur battant, craignant que son fils ne
revienne sans les plaques.
Peu
après, Joseph et Emma entrent dans la maison. Lucy regarde si
Joseph a les plaques, mais quitte la pièce en tremblant
lorsqu’elle le voit les mains vides.
Joseph
la suit. Il dit : « Maman, ne t’inquiète pas. »
Il lui tend un objet enveloppé dans un mouchoir. À
travers le tissu, Lucy palpe ce qui semble être une grosse
paire de lunettes. C’est l’urim et le thummim, les
pierres de voyant que le Seigneur a préparées pour
traduire les plaques.
Lucy
est folle de joie. On dirait qu’on a ôté un poids
énorme des épaules de Joseph. Mais lorsqu’il
rejoint les autres dans la maison, il prend un air abattu et mange
son petit-déjeuner en silence. Lorsqu’il a terminé,
l’air triste, il se prend la tête dans les mains. «
Je suis déçu », dit-il à Joseph Knight.
«
Je suis désolé », dit le vieil homme.
«
Je suis terriblement déçu », répète
Joseph, le visage s’éclairant d’un sourire. «
C’est dix fois mieux que je n’osais l’espérer
! » Il continue en décrivant la taille et le poids des
plaques et parle avec enthousiasme de l’urim et du thummim.
Il
dit : « Je peux tout voir. Elles sont prodigieuses. »
Le
jour après avoir reçu les plaques, Joseph va réparer
un puits dans une ville voisine afin de réunir l’argent
nécessaire pour acheter un coffre. Ce matin-là, pendant
qu’il fait une course de l’autre côté de la
colline par rapport à chez lui, Joseph, père, surprend
un groupe d’hommes en train de comploter pour voler les
plaques. L’un d’eux dit : « Nous ferons main basse
sur ces plaques, en dépit de Joe Smith ou de tous les diables
de l’enfer. »
Inquiet,
Joseph, père, rentre à la maison et en parle à
Emma. Elle dit qu’elle ne sait pas où sont les plaques,
mais qu’elle est certaine que Joseph les a protégées.
«
Oui, répondit Joseph, père, mais souviens-toi que pour
une petite chose Ésaü a perdu sa bénédiction
et son droit d’aînesse. Il peut en être de même
pour Joseph. »
Pour
s’assurer de la sécurité des plaques, Emma fait
plus d’une heure de cheval pour se rendre à la ferme où
Joseph travaille. Elle le trouve à côté du puits,
couvert de boue et de sueur après une journée de
labeur. Informé du danger, il regarde dans l’urim et
thummim et voit que les plaques sont en sécurité.
Chez
lui, Joseph, père, fait les cent pas dehors, jetant à
chaque instant un coup d’œil vers la route jusqu’à
ce qu’il voie Joseph et Emma.
«
Père, dit Joseph en arrivant, tout est parfaitement en
sécurité, il n’y a pas de raison de s’inquiéter.
»
Mais
il est temps d’agir.
Joseph
se dirige en hâte vers la colline, trouve le tronc qui
dissimule les plaques et il les enveloppe soigneusement dans une
chemise. Il plonge ensuite dans les bois en direction de la
maison, le regard à l’affût du danger. La forêt
le dissimule aux yeux des gens sur la route principale, mais elle
offre aux voleurs de multiples cachettes.
Sous
le poids des plaques, Joseph marche d’un pas lourd aussi
rapidement qu’il le peut à travers les bois. Un arbre
abattu bloque le sentier devant lui et au moment où il saute
par-dessus, il sent quelque chose de dur le heurter de derrière.
Faisant volte-face, il voit un homme l’attaquer, brandissant un
fusil comme une massue.
Les
plaques coincées sous un bras, Joseph envoie l’homme à
terre d’un coup de poing et s’enfonce précipitamment
dans le fourré. Il cour pendant environ un kilomètre
lorsqu’un autre homme bondit de derrière un arbre et le
frappe avec la crosse de son fusil. Joseph se débarrasse de
lui et part comme une flèche, voulant à tout prix
sortir des bois. Mais il n’est pas allé bien loin qu’un
troisième homme l’attaque, lui assénant un
violent coup de poing qui le fait chanceler. Rassemblant ses forces,
Joseph le frappe durement et rentre en courant chez lui.
De
retour chez lui, il fait irruption par la porte avec son lourd paquet
coincé sous un bras. « Père, s’écrie-t-il,
j’ai les plaques. »
Katherine,
sa sœur de quatorze ans, l’aide à déposer
le paquet sur la table pendant que le reste de la famille se
rassemble autour de lui. Joseph voit bien que son père et son
jeune frère William ont envie de déballer les plaques,
mais il les arrête.
«
Ne peut-on pas les voir ? » demande Joseph, père.
«
Non », dit Joseph. « J’ai été
désobéissant la première fois, mais j’ai
l’intention d’être fidèle cette fois-ci. »
Il
leur dit qu’ils peuvent les toucher à travers le tissu,
et son frère William soulève le paquet. Il est plus
lourd que de la pierre, et William sent qu’il y a des feuilles
qui bougent comme les pages d’un livre. Joseph envoie
également son jeune frère, Don Carlos, chercher un
coffre chez Hyrum, qui habite à deux pas avec sa femme Jerusha
et leur bébé.
Hyrum
arrive peu après et une fois les plaques en sécurité
dans le coffre, Joseph s’effondre sur un lit voisin et commence
à parler à sa famille des hommes dans les bois.
Pendant
qu’il parle, il se rend compte qu’il a mal à la
main. À un moment donné, pendant les attaques, il s’est
déboîté un pouce.
Il
dit soudain : « Il faut que j’arrête de parler,
père, et que je te demande de me remettre le pouce en place.
»
CHAPITRE
5 : Tout est perdu
Joseph
ayant rapporté les plaques d’or chez lui, des chercheurs
de trésors tentent pendant des semaines de les lui dérober.
Pour préserver les annales, il doit sans cesse les déplacer,
les cachant sous le foyer de la cheminée, sous le plancher de
l’atelier de son père, et dans des piles de grain. Il ne
doit jamais baisser sa garde.
Des
voisins curieux s’arrêtent à la maison et le
supplient de leur montrer les plaques. Joseph refuse
systématiquement, même lorsque quelqu’un lui offre
de le payer. Il est décidé à en prendre soin,
confiant en la promesse du Seigneur que s’il fait tout son
possible, elles seront protégées.
Ces
interruptions l’empêchent souvent d’examiner les
plaques et d’en apprendre davantage sur l’urim et le
thummim. Il sait que les interprètes sont censés
l’aider à traduire les plaques, mais il n’a jamais
utilisé de pierres de voyant pour lire une langue ancienne. Il
est pressé de commencer l’œuvre, mais il ne sait
pas vraiment comment s’y prendre.
Tandis
qu’il étudie les plaques, Martin Harris, propriétaire
terrien respecté de Palmyra, s’intéresse à
son projet. Martin est suffisamment âgé pour être
le père de Joseph et il l’a parfois embauché pour
l’aider sur ses terres. Il a entendu parler des plaques d’or,
mais n’y a pas prêté grande attention jusqu’à
ce que la mère de Joseph lui propose de discuter avec son
fils.
Celui-ci
travaille ailleurs lorsque Martin passe ; il interroge donc Emma et
d’autres membres de la famille au sujet des plaques. Lorsque
Joseph est de retour, Martin l’attrape par le bras et demande
d’autres détails. Joseph lui parle des plaques d’or
et des instructions qu’il a reçues de Moroni de les
traduire et d’en publier le contenu.
Martin
dit : « Si c’est l’œuvre du diable, je ne
veux pas y être mêlé. » Mais si c’est
l’œuvre du Seigneur, il veut aider Joseph à la
proclamer au monde.
Joseph
lui permet de soupeser les plaques dans le coffre. Il sent bien qu’il
y a là quelque chose de lourd, mais il n’est pas
convaincu qu’il s’agit d’un jeu de plaques d’or.
Il dit à Joseph : « Ne m’en veux pas de ne pas te
croire. »
Lorsqu’il
rentre chez lui après minuit, il pénètre sans
bruit dans sa chambre et prie, promettant à Dieu de donner
tout ce qu’il possède pour savoir si Joseph fait une
œuvre divine.
Pendant
qu’il prie, il sent une petite voix douce parler à son
âme. Il sait alors que les plaques viennent de Dieu, et il sait
qu’il doit aider Joseph à diffuser leur message.
Vers
la fin de l’année 1827, Emma apprend qu’elle est
enceinte et écrit à ses parents. Elle est mariée
depuis près d’un an, et son père et sa mère
sont encore mécontents. Mais les Hale acceptent de laisser le
jeune couple revenir à Harmony afin qu’Emma puisse
accoucher près de sa famille.
Bien
que cela l’éloigne de ses parents et de ses frères
et sœurs, Joseph a hâte de partir. Il y a encore des gens
à New York qui essaient de voler les plaques et l’emménagement
dans un nouvel endroit lui donnera la paix et la discrétion
dont il a besoin pour faire l’œuvre du Seigneur.
Malheureusement, il est endetté et n’a pas d’argent
pour le déménagement.
Espérant
remettre de l’ordre dans ses finances, Joseph va en ville
régler certaines de ses dettes. Pendant qu’il t dans un
magasin pour un paiement, Martin Harris s’avance vers lui. Il
dit : « Tenez, M. Smith, voici cinquante dollars. Je vous les
donne pour faire l’œuvre du Seigneur. »
Joseph
est gêné d’accepter l’argent et promet de le
rembourser, mais Martin lui dit de ne pas s’en inquiéter.
L’argent est un cadeau, et il prend toutes les personnes
présentes à témoin qu’il le lui a donné
librement.
Peu
après, Joseph rembourse ses dettes et charge son chariot. Emma
et lui partent pour Harmony avec les plaques d’or cachées
dans un tonneau de haricots.
Environ
une semaine plus tard, le couple arrive dans la maison spacieuse des
Hale. Peu de temps après, le père d’Emma exige
de voir les plaques d’or, mais Joseph dit qu’il ne peut
lui montrer que le coffre où il les conserve. Agacé, il
le soulève, le soupèse, mais demeure néanmoins
sceptique. Il dit à Joseph qu’il ne peut pas le garder
dans la maison s’il ne lui en montre pas le contenu.
Avec
le père d’Emma autour d’eux, il n’est pas
facile de tradure, mais Joseph fait de son mieux, et avec l’aide
d’Emma, il recopie de nombreux caractères étranges
sur du papier. Puis, pendant plusieurs semaines, il essaie de les
traduire avec l’urim et le thummim. Il ne suffit pas de
regarder dans les interprètes. Il doit se montrer humble et
faire preuve de foi pendant qu’il étudie les
caractères.
Quelques
mois plus tard, Martin vient à Harmony. Il dit qu’il
sent que le Seigneur l’appelle à aller jusqu’à
New York afin de consulter des experts en langues anciennes. Il
espère que ceux-ci pourront traduire les caractères.
Joseph
copie plusieurs autres caractères des plaques, écrit sa
traduction et remet le papier à Martin. Emma et lui regardent
leur ami prendre la direction de l’est pour consulter
d’éminents savants.
Lorsque
Martin arrive à New York, il va voir Charles Anthon,
professeur de latin et de grec à l’université de
Columbia. C’est un jeune homme (environ quinze ans de moins que
Martin) surtout célèbre pour sa publication d’une
encyclopédie populaire sur les cultures grecque et romaine. Il
a également commencé à rassembler des histoires
au sujet des Amérindiens.
Anthon
est un érudit inflexible qui n’apprécie pas les
interruptions, mais il fait bon accueil à Martin et étudie
les caractères et la traduction que Joseph a fournis. Bien
qu’il ne connaît pas l’égyptien, le
professeur a lu des études sur la langue et sait à quoi
elle ressemble. En regardant les caractères, il voit des
similarités avec l’égyptien et dit à
Martin que la traduction est correcte.
Ce
dernier lui montre d’autres caractères et il les
examine. Il dit que les caractères sont issus de plusieurs
langues anciennes et donne à Martin un certificat attestant de
leur authenticité. Il lui recommande également de les
montrer à un autre spécialiste nommé Samuel
Mitchill, qui enseignait autrefois à Columbia.
Anthon
dit : « Il est très instruit dans ces langues anciennes,
et je suis certain qu’il vous donnera satisfaction. »
Martin
place le certificat dans sa poche et, au moment de partir, Anthon le
rappelle. Il veut savoir comment Joseph a trouvé les plaques
d’or.
Martin
dit : « Un ange de Dieu le lui a révélé. »
Il témoigne que la traduction des plaques changera le monde et
le sauvera de la destruction. Et maintenant qu’il a la preuve
de leur authenticité, il a l’intention de vendre sa
ferme et de donner l’argent afin que la traduction puisse être
publiée.
Anthon
dit : « Montrez-moi ce certificat. »
Martin
le prend dans sa poche et le lui donne. Anthon le déchire en
petits morceaux et dit que le ministère d’anges n’existe
pas. Si Joseph veut que les plaques soient traduites, il peut les
apporter à Columbia et le faire faire par un spécialiste.
Martin
explique qu’une partie des plaques est scellée et que
Joseph n’est pas autorisé à les montrer à
qui que ce soit.
Anthon
dit : « Je ne peux pas lire un livre scellé. » Il
avertit Martin que Joseph est probablement en train de le duper. Il
dit : « Prenez garde à la canaille. »
Martin
prend congé du professeur Anthon et rend visite à
Samuel Mitchill. Ce dernier reçoit Martin poliment, écoute
son histoire et regarde les caractères et la traduction. Il ne
les comprend pas, mais il dit qu’ils lui rappellent les
hiéroglyphes égyptiens et sont les écrits d’une
nation disparue.
Martin
quitte la ville peu de temps après et retourne à
Harmony, plus convaincu que jamais que Joseph a des plaques d’or
antiques et le pouvoir de les traduire. Il raconte à Joseph
ses entretiens avec les professeurs et en déduit que si
certains des hommes les plus instruits des États-Unis ne
peuvent pas traduire le livre, c’est à Joseph de le
faire.
Joseph
dit : « Je ne peux pas, car je ne suis pas instruit. »
Mais il sait que le Seigneur a préparé les interprètes
afin qu’il puisse traduire les plaques.
Martin
acquièsce. Il décide de retourner à Palmyra, de
régler ses affaires et de revenir dès que possible pour
servir de secrétaire à Joseph.
En
avril 1828, Emma et Joseph vivent dans une maison au bord de la
Susquehanna, non loin de la maison des parents d’Emma.
Maintenant dans sa grossesse avancée, elle sert souvent de
secrétaire à Joseph lorsqu’il commence à
traduire les annales. Un jour, pendant qu’il traduit, il pâlit
soudain. Il demande : « Emma, y avait-il un mur autour de
Jérusalem ? »
«
Oui », dit-elle, se souvenant de descriptions dans la Bible.
«
Ah ! » dit Joseph avec soulagement, « j’ai eu peur
d’avoir été trompé »
Emma
s’étonne que l’absence de connaissances de son
mari en histoire et dans les Écritures n’empêche
pas la traduction. Joseph peut difficilement rédiger une
lettre cohérente. Pourtant, heure après heure elle est
assise près de lui pendant qu’il dicte le document sans
l’aide d’aucun livre ou manuscrit. Elle sait que seul
Dieu peut l’inspirer pour traduire comme il le fait.
Plus
tard, Martin revient de Palmyra et prend la relève comme
secrétaire, offrant à Emma la possibilité de se
reposer avant l’arrivée du bébé. Mais
se reposer s’avère une chose compliquée. Lucy, la
femme de Martin, a insisté pour l’accompagner à
Harmony, et tous deux ont du caractère. Lucy se méfie
du souhait de Martin de vouloir soutenir Joseph financièrement
et lui en veut d’être parti sans elle à New York.
Lorsqu’il lui apprend qu’il va à Harmony aider
Joseph à la traduction, elle s’invite, déterminée
à voir les plaques.
Lucy
perd l’ouïe et lorsqu’elle ne comprend pas ce que
les gens disent, elle suppose qu’ils la critiquent. Elle n’a
pas non plus un grand respect pour la vie privée des autres.
Lorsque Joseph refuse de lui montrer les plaques, elle commence à
fouiller la maison, furetant dans les coffres, les placards et les
malles de la famille. Bientôt, Joseph n’a pas d’autre
solution que de les cacher dans les bois.
Peu
après, Lucy quitte la maison et est logée chez un
voisin. Emma récupère ses coffres et ses placards, mais
maintenant Lucy raconte aux voisins que Joseph cherche à
soutirer de l’argent à Martin. Après avoir causé
des ennuis pendant des semaines, Lucy rentre chez elle à
Palmyra.
Une
fois la paix retrouvée, Joseph et Martin traduisent
rapidement. Joseph progresse dans son rôle divin de voyant et
révélateur. Regardant dans les interprètes ou
une autre pierre de voyant, il peut traduire les plaques, qu’elles
soient posées sur la table devant lui ou enveloppées
dans l’une des nappes d’Emma.
Pendant
les mois d’avril, de mai et le début du mois de juin,
Emma écoute le rythme de la dictée des annales par
Joseph. Il parle lentement, mais clairement, faisant
occasionnellement des pauses en attendant que Martin dise «
écrit » lorsqu’il a fini de noter ce que Joseph a
dit. Emma relaye aussi Martin et s’étonne de la
manière dont Joseph, après les interruptions et les
pauses, reprend toujours là où il a arrêté,
sans le moindre rappel.
Le
moment de la naissance du bébé d’Emma approche.
La liasse de manuscrits s’est épaissie, et Martin est
persuadé que s’il fait lire la traduction à sa
femme, elle en verra la valeur et cessera d’interférer
dans leur travail. Il espère également que Lucy
sera contente de voir qu’il a consacré son temps et son
argent à la parution de la parole de Dieu.
Un
jour, Martin demande à Joseph la permission d’emporter
le manuscrit à Palmyra pendant quelques semaines. Se
souvenant du comportement de Lucy Harris lorsqu’elle a passé
la maison en revue, Joseph se méfie de l’idée.
Cependant, il veut faire plaisir à Martin, qui a cru en lui
quand tant d’autres ont douté de ses paroles.
Ne
sachant quoi faire, Joseph prie pour être guidé, et le
Seigneur lui dit de ne pas laisser Martin emporter les pages.
Mais ce dernier est certain qu’en les montrant à sa
femme, cela changera les choses, et il supplie Joseph de redemander.
Il le fait, mais la réponse est la même. Martin le
presse de demander une troisième fois, et cette fois-ci, Dieu
leur permet de faire à leur guise.
Joseph
dit à Martin qu’il peut emporter les pages pendant deux
semaines s’il fait alliance de les garder sous clé et de
ne les montrer qu’à certains membres de sa famille.
Martin promet et retourne à Palmyra, le manuscrit à la
main.
Après
le départ de Martin, Moroni apparaît à Joseph et
lui reprend les interprètes.
Le
lendemain, Emma accouche dans des douleurs atroces et donne naissance
à un garçon. Le bébé est frêle et
chétif et il ne vit pas longtemps. Après cette épreuve,
Emma est épuisée physiquement et dévastée
émotionnellement, et pendant un certain temps, il semble
qu’elle aussi va mourir. Joseph est constamment aux petits
soins pour elle, ne quittant jamais bien longtemps son chevet.
Au
bout de deux semaines, la santé d’Emma commence à
s’améliorer et elle se met à penser à
Martin et au manuscrit. Elle dit à Joseph : « Je me sens
tellement mal à l’aise que je n’arrive pas à
me reposer et je ne serai soulagée que quand je saurai ce
qu’en a fait M. Harris. »
Elle
incite Joseph à aller voir Martin, mais il ne veut pas la
quitter. Elle dit : « Fais venir ma mère et elle restera
avec moi pendant que tu seras parti. »
Joseph
prend une diligence en direction du nord. Il mange et dort peu
pendant le voyage, craignant d’avoir offensé le Seigneur
en n’obéissant pas lorsqu’il a dit de ne pas
laisser Martin prendre le manuscrit.
Le
soleil commence à poindre lorsqu’il arrive chez ses
parents, à Manchester. Les Smith préparent le petit
déjeuner et invitent Martin à se joindre à eux.
À 8 h, le repas est sur la table, mais Martin n’arrive
pas. Joseph et la famille commencent à éprouver un
certain malaise en l’attendant.
Enfin,
au bout de plus de quatre heures, Martin apparaît au loin,
marchant lentement en direction de la maison, les yeux fixés
sur le sol devant lui. Au portail il s’arrête,
s’assoit sur la barrière, et baisse son chapeau sur ses
yeux. Ensuite il entre et s’assoit pour manger en silence.
La
famille regarde Martin lorsqu’il prend ses couverts, comme s’il
s’apprêtait à manger, et les laissa tomber. Les
mains pressant ses tempes, il s’écrie : « J’ai
perdu mon âme ! J’ai perdu mon âme. »
Joseph
se lève d’un bond. « Martin, avez-vous perdu ce
manuscrit ? »
Martin
dit : « Oui. Il a disparu et je ne sais pas où. »
Serrant
les poings, Joseph gémit : « Oh, mon Dieu, mon Dieu.
Tout est perdu ! »
Il
commence à faire les cent pas. Il ne sait pas quoi faire. Il
commande à Martin : « Retournez-y. Cherchez encore. »
Martin
s’écrie : « C’est tout à fait
inutile. J’ai cherché partout dans la maison. J’ai
même éventré les matelas et les coussins, et je
sais qu’il n’y est pas. »
«
Dois-je retourner auprès de ma femme et lui annoncer une telle
nouvelle ? » Joseph craint que cela ne la tue. « Et
comment vais-je me présenter devant le Seigneur ? »
Sa
mère essaie de le réconforter. Elle dit que peut-être
le Seigneur lui pardonnera s’il se repent humblement. Mais
Joseph sanglote maintenant, furieux contre lui-même de n’avoir
pas obéi au Seigneur la première fois. Il peut à
peine manger le reste de la journée. Il passe la nuit là
et repart le lendemain matin pour Harmony.
En
le regardant partir, Lucy a le cœur lourd. Il semble que tout
ce qu’ils ont espéré en tant que famille, tout ce
qui leur a apporté de la joie ces quelques dernières
années s’est volatilisé en un instant.
CHAPITRE
6 : Le don et le pouvoir de Dieu
Lorsque
Joseph revient à Harmony au cours de l’été
1828, Moroni lui apparaît de nouveau et lui reprend les
plaques. L’ange dit : « Si tu es suffisamment humble et
pénitent, tu les recevras de nouveau le vingt-deux septembre.
»
Des
ténèbres obscurcissent l’esprit de Joseph. Il
sait qu’il a eu tort d’ignorer la volonté de Dieu
et de confier le manuscrit à Martin. Maintenant Dieu ne peut
plus lui confier les plaques ni les interprètes. Joseph a le
sentiment qu’il mérite tout châtiment que les
cieux lui infligeront.
Écrasé
par la culpabilité et les regrets, il s’agenouille,
confesse son péché et implore le pardon. Il réfléchit
au moment où il a fait fausse route et à ce qu’il
peut mieux faire si le Seigneur lui permet de nouveau de traduire.
Un
jour de juillet, tandis que Joseph marche non loin de chez lui,
Moroni lui apparaît. L’ange lui remet les interprètes,
et Joseph voit à l’intérieur un message venant de
Dieu : « On ne peut faire échouer l'œuvre, le
dessein et l'intention de Dieu ni les réduire à néant.
»
Les
paroles sont rassurantes, mais elles cèdent rapidement la
place à la réprimande : « Comme ils étaient
stricts, les commandements qui t’avaient été
donnés, dit le Seigneur. Tu n’aurais pas dû
craindre l’homme plus que Dieu. » Il commande à
Joseph de faire plus attention aux choses sacrées. Les annales
contenues sur les plaques d’or sont plus importantes que la
réputation de Martin ou que le désir de Joseph de faire
plaisir aux gens. Dieu les a préparées pour renouveler
son ancienne alliance et pour enseigner à tous les peuples
qu’ils doivent se reposer sur Jésus-Christ pour obtenir
le salut.
Le
Seigneur exhorte Joseph à se souvenir de sa miséricorde.
Il commande : « Repens-toi de ce que tu as fait, tu es toujours
celui que j’ai choisi. » Une fois de plus, il appelle
Joseph à être son prophète et voyant. Il lui
enjoint cependant de prêter attention à sa parole.
Il
déclare : « Mais si tu ne le fais pas, tu seras
abandonné, tu deviendras comme les autres hommes, et tu
n’auras plus de don. »
Cet
automne-là, les parents de Joseph se rendent à Harmony.
Près de deux mois viennent de s’écouler depuis
que Joseph est parti de chez eux à Manchester et ils n’ont
eu aucune nouvelle de lui. Ils craignent que les tragédies de
l’été ne l’aient anéanti. En
l’espace de quelques semaines, il a perdu son premier enfant, a
failli perdre sa femme et a perdu les pages du manuscrit. Ils veulrnt
s’assurer qu’Emma et lui vont bien.
À
environ un kilomètre de leur destination, Joseph, père,
et Lucy sont ravis de voir Joseph debout sur la route devant eux,
l’air calme et heureux. Il leur raconte comment il a perdu la
confiance de Dieu, s’est repenti et a reçu la
révélation. La réprimande du Seigneur l’a
blessé, mais, comme les prophètes de jadis, il couche
la révélation sur papier afin que d’autres
puissent la lire. C’est la première fois qu’il
enregistre la parole du Seigneur qui lui est adressée
personnellement.
Il
informe également ses parents que depuis, Moroni lui a rendu
les plaques et les interprètes. L’ange semble satisfait,
rapporte Joseph. « Il m’a dit que le Seigneur m’aimait
pour ma fidélité et mon humilité. »
Les
annales sont maintenant rangées en sécurité dans
la maison, cachées dans une malle. « Emma écrit
pour moi maintenant, leur dit-il, mais l’ange a dit que le
Seigneur m’enverrait quelqu’un pour le faire, et je suis
sûr qu’il en sera ainsi. »
Le
printemps suivant, Martin Harris se rend à Harmony, porteur de
mauvaises nouvelles. Sa femme a porté plainte devant les
tribunaux affirmant que Joseph est un imposteur qui prétend
traduire des plaques d’or. Martin s’attend maintenant à
recevoir une citation à comparaître pour témoigner
devant le tribunal. Il devra déclarer que Joseph l’a
dupé, sinon Lucy, sa femme, l’accusera aussi de
tromperie.
Martin
fait pression sur Joseph pour qu’il lui donne d’autres
preuves que les plaques sont réelles. Il veut tout raconter
devant le tribunal au sujet de la traduction mais il craint que les
gens ne le croient pas. Après tout, Lucy a fouillé
entièrement la maison des Smith et n’a jamais trouvé
les annales. Et, bien qu’il ait servi de secrétaire à
Joseph pendant deux mois, il n’a jamais vu les plaques non plus
et ne peut pas témoigner qu’il les a vues.
Joseph
présente la question au Seigneur et reçoit une réponse
pour son ami. Le Seigneur ne veut pas révéler à
Martin ce qu’il doit dire devant le tribunal ni lui fournir de
preuves supplémentaires tant qu’il ne décidera
pas de se montrer humble et de faire preuve de foi. Il dit : «
S’ils ne veulent pas croire mes paroles, ils ne te croiraient
pas, mon serviteur Joseph, même s’il t’était
possible de leur montrer toutes ces choses que je t’ai
confiées. »
Le
Seigneur promet de faire preuve de miséricorde à
l’égard de Martin s’il fait ce que Joseph a fait
cet été-là et s’humilie, fait confiance à
Dieu et apprend de ses erreurs. Il dit qu’au moment opportun,
trois témoins fidèles verront les plaques et que Martin
pourra être l’un d’eux s’il cesse de
rechercher l’approbation des autres.
Avant
de terminer, le Seigneur fait une déclaration. Il dit : «
Si cette génération ne s’endurcit pas le cœur,
j’établirai mon Église parmi elle. »
Joseph
médite ces paroles pendant que Martin recopie la révélation.
Ensuite, pendant que Martin la relit, Emma et Joseph écoutent
pour en vérifier l’exactitude. Pendant la lecture, le
père d’Emma entre dans la pièce et écoute.
Lorsqu’ils ont terminé, il demande de qui sont ces
paroles.
«
Ce sont les paroles de Jésus-Christ », expliquent Joseph
et Emma.
Isaac,
le père d'Emma, dit : « Je considère que tout
cela n’est que délire. Laissez tomber. »
Ignorant
le père d’Emma, Martin prend son exemplaire de la
révélation et monte dans la diligence pour rentrer chez
lui. Il est venu à Harmony à la recherche de preuves de
l’existence des plaques et il en repart avec une révélation
témoignant de leur réalité. Il ne peut pas s’en
servir devant les tribunaux, mais il rentre à Palmyra sachant
que le Seigneur le connaît.
Plus
tard, lorsqu’il se tint devant le juge, il rend un témoignage
simple et puissant. La main levée vers le ciel, il témoigne
de l’authenticité des plaques d’or et déclare
qu’il a donné de plein gré à Joseph
cinquante dollars pour faire l’œuvre du Seigneur. N’ayant
aucune preuve pour confirmer les accusations de Lucy, le tribunal
classe l’affaire sans suite.
Pendant
ce temps, Joseph poursuit la traduction, priant que le Seigneur lui
envoie vite un autre secrétaire.
À
Manchester, un jeune homme du nom d’Oliver Cowdery loge chez
les parents de Joseph. Oliver a un an de moins que Joseph et, à
l’automne 1828, il a commencé à enseigner à
l’école qui se trouve à environ un kilomètre
au sud de la ferme des Smith.
Les
instituteurs sont souvent hébergés par les familles de
leurs élèves et lorsqu’Oliver a entendu des
rumeurs au sujet de Joseph et des plaques d’or, il a demandé
s’il pouvait rester chez les Smith. Au début, il n’a
glané que quelques détails auprès de la famille.
Le manuscrit volé et les commérages locaux les ont
rendus méfiants au point de garder le silence.
Mais
au cours de l’hiver 1828-1829, en instruisant les enfants
Smith, il gagne la confiance de ses hôtes. Vers cette
époque-là, Joseph, père, est revenu d’un
voyage à Harmony avec une révélation déclarant
que le Seigneur est sur le point de commencer une œuvre
merveilleuse. Entre-temps, Oliver s’est avéré
être quelqu'un qui cherche sincèrement la vérité
et les parents de Joseph s’ouvrent à lui et lui parlent
de l’appel divin de leur fils.
Oliver
est captivé par ce qu’ils disent et il désire
ardemment participer à la traduction. Comme Joseph, il est
mécontent des Églises modernes et croit en un Dieu de
miracles qui révèle encore sa volonté à
son peuple. Mais Joseph et les plaques sont loin et Oliver ne
sait pas comment se rendre utile à l’œuvre en
restant à Manchester.
Un
jour du printemps 1829, alors que la pluie tambourine contre le toit
de la maison des Smith, il dit à la famille qu’il veut
se rendre à Harmony aider Joseph lorsque le trimestre scolaire
sera terminé. Lucy et Joseph, père, l’exhortent à
demander au Seigneur si son désir est juste.
Se
retirant jusqu’à son lit, Oliver prie en privé
pour savoir si ce qu’il a entendu au sujet des plaques d’or
est vrai. Le Seigneur lui montre en vision les plaques d’or et
les efforts de Joseph pour les traduire. Un sentiment de paix repose
sur lui et il sait alors qu’il doit offrir ses services de
secrétaire à Joseph.
Il
ne parle à personne de sa prière. Mais dès la
fin du trimestre scolaire, il part avec Samuel, le frère de
Joseph, à pied pour Harmony, à plus de cent cinquante
kilomètres de là. Il fait froid et les pluies
printanières ont rendu les routes boueuses si bien qu’Oliver
a un orteil gelé lorsque Samuel et lui arrivent chez Joseph et
Emma. Néanmoins, il est pressé de rencontrer le couple
et de voir par lui-même comment le Seigneur opère par
l’intermédiaire du jeune prophète.
Lorsqu’Oliver
arrive à Harmony, c'est comme s’il avait toujours été
là. Joseph parle avec lui jusqu’à une heure
avancée, écoute son histoire et répond à
ses questions. Il est évident qu’il est instruit et
Joseph accepte volontiers son offre de lui servir de secrétaire.
Après
son arrivée, la première tâche de Joseph est de
trouver un endroit où travailler. Il demande à Oliver
d’ébaucher un contrat dans lequel Joseph promet de payer
son beau-père pour la petite maison en rondins où il
vit avec Emma, ainsi que pour la grange, les terres cultivables et la
source à proximité. Soucieux du bien-être de
leur fille, les parents d’Emma acceptent les conditions et
promettent d’apaiser les craintes des voisins au sujet de
Joseph.
En
attendant, Joseph et Oliver commencent à traduire. Ils
travaillent bien ensemble des semaines d’affilée,
fréquemment avec Emma dans la même pièce, occupée
à ses tâches quotidiennes. Parfois, Joseph traduit
en regardant à travers les interprètes et en lisant en
anglais les caractères sur les plaques.
Souvent,
il trouve plus pratique d’utiliser une seule pierre de voyant.
Il la met dans son chapeau, avance son visage dans le chapeau pour
bloquer la lumière et regarde la pierre. La lumière de
la pierre brille dans l’obscurité, révélant
des mots que Joseph dicte pendant qu’Oliver les copie
rapidement.
Sous
la direction du Seigneur, Joseph n’essaie pas de retraduire ce
qu’il a perdu. Au lieu de cela, Oliver et lui continuent
d’avancer dans les annales. Le Seigneur révèle
que Satan a incité des hommes méchants à prendre
les pages, à en altérer les mots et à les
utiliser pour jeter un doute sur la traduction. Mais le Seigneur
assure à Joseph qu’il a inspiré les prophètes
d’autrefois qui ont préparé les plaques à
y inclure un autre récit, plus complet que les pages
perdues.
Il
lui dit : « Je confondrai ceux qui ont altéré mes
paroles. Je leur montrerai que ma sagesse est plus grande que la ruse
du diable. »
Oliver
est enchanté d’être le secrétaire de
Joseph. Jour après jour, il écoute son ami dicter
l’histoire complexe de deux grandes civilisations, les Néphites
et les Lamanites. Il est question de rois justes ou méchants,
de peuples réduits en captivité et délivrés,
d’un prophète d’autrefois qui utilise des pierres
de voyant pour traduire des annales récupérées
dans des champs remplis d’ossements. Comme Joseph, ce prophète
est un révélateur et un voyant à qui a été
accordé le don et le pouvoir de Dieu.
Le
récit témoigne sans cesse de Jésus-Christ, et
Oliver voit comment les anciens prophètes dirigeaient une
Église et comment des hommes et des femmes ordinaires
accomplissaient l’œuvre de Dieu.
Pourtant,
Oliver se pose encore beaucoup de questions sur l’œuvre
du Seigneur. Il est avide de réponses. Joseph cherche une
révélation pour lui par l’intermédiaire de
l’urim et du thummim, et le Seigneur répond : « Si
vous me demandez, vous recevrez… Si tu m’interroges, tu
connaîtras des mystères qui sont grands et merveilleux.
»
Le
Seigneur exhorte aussi Oliver à se souvenir du témoignage
qu’il a reçu avant de venir à Harmony et qu’il
a gardé secret. « N’ai-je pas apaisé ton
esprit à ce sujet ? Quel témoignage plus grand peux-tu
avoir que celui de Dieu ? » demande le Seigneur. « Si je
t’ai dit des choses que nul ne connaît, n’as-tu pas
reçu un témoignage ? »
Oliver
est stupéfait. Il raconte immédiatement à Joseph
sa prière secrète et le témoignage divin qu’il
a reçu. « Personne n’aurait pu être au
courant si ce n’est Dieu », dit-il. Maintenant, il sait
que l’œuvre était vraie.
Ils
se remettent au travail et Oliver commence à se demander si
lui aussi pourrait traduire. Il croit que Dieu peut œuvrer
grâce à des instruments tels que des pierres de voyant,
et il lui est arrivé d’utiliser un bâton de devin
pour trouver de l’eau et des minéraux. Pourtant il n’est
pas sûr que son bâton opère par la puissance de
Dieu. Le processus de révélation était encore un
mystère pour lui.
Joseph
présente de nouveau les questions d’Oliver au Seigneur
et le Seigneur dit à Oliver qu’il a le pouvoir
d’acquérir la connaissance s’il demande avec foi.
Il confirme que le bâton d’Oliver opère par le
pouvoir de Dieu, comme celui d’Aaron dans l’Ancien
Testament. Il instruit davantage Oliver au sujet de la révélation.
« Je te le dirai dans ton esprit et dans ton cœur par le
Saint-Esprit », déclara-t-il. « Voici, c’est
là l’Esprit de révélation. »
Il
lui dit également qu’il peut traduire les annales comme
le fait Joseph, tant qu’il fait appel à la foi. Le
Seigneur dit : « Souviens-toi que sans la foi, tu ne peux rien
faire. »
Après
cette révélation, Oliver est impatient de traduire. Il
suit l’exemple de Joseph, mais lorsque les mots ne viennent pas
facilement, il est contrarié et troublé.
Joseph
voit les difficultés de son ami et a de la compassion.
Lui-même a mis du temps à mettre son cœur et son
esprit en accrod avec le travail de traduction, mais Oliver semble
penser qu’il peut le maîtriser rapidement. Il ne suffit
pas d’avoir un don spirituel. Il faut du temps pour le cultiver
et le développer afin de pouvoir l’utiliser dans l’œuvre
de Dieu.
Oliver
abandonne rapidement le projet de traduire et demande à Joseph
pourquoi il n’a pas réussi.
Joseph
interroge le Seigneur. Le Seigneur répond : « Tu as
pensé que je te le donnerais, alors que ton seul souci était
de me le demander. Tu dois l’étudier dans ton esprit ;
alors tu dois me demander si c’est juste. »
Le
Seigneur commande à Oliver d’être patient. Il dit
: « Il n’est pas opportun que tu traduises en ce moment.
L’œuvre que tu es appelé à faire consiste à
écrire pour mon serviteur Joseph. » Il promet à
Oliver d’autres occasions de traduire plus tard, mais pour
l’instant il est le secrétaire et Joseph est le
voyant.
CHAPITRE
7 : Compagnons de service
Le
printemps 1829 est froid et humide jusque dans le courant du mois de
mai. Tandis que les fermiers des environs d’Harmony restent à
l’abri, reportant leurs semailles de printemps jusqu’à
ce que le temps s’améliore, Joseph et Oliver avancent
tant qu’ils pouvent dans la traduction des annales.
Ils
arrivent au récit de ce qui se produisit parmi les Néphites
et les Lamanites lorsque Jésus mourut à Jérusalem.
Il est question d'énormes tremblements de terre et de
violentes tempêtes qui anéantissent le peuple et
modifient l’aspect du paysage. Certaines villes sont englouties
dans la terre, tandis que d’autres sont consumées par le
feu. Des éclairs remplissent le ciel pendant des heures et le
soleil disparaît, enveloppant les survivants d’épaisses
ténèbres. Pendant trois jours le peuple crie et pleure
ses morts.
Enfin,
la voix de Jésus-Christ pénètre l’obscurité
: « N’allez-vous pas maintenant revenir à moi,
demanda-t-il, et vous repentir de vos péchés, et être
convertis, afin que je vous guérisse ? » Il disperse
les ténèbres et le peuple se repent. Peu après,
beaucoup de gens se réunissent autour d’un temple dans
un pays appelé Abondance, où ils s’entretiennent
des changements incroyables qui se sont produits à la surface
du pays.
Pendant
que les gens en parlent, ils voient le Fils de Dieu descendre des
cieux. « Je suis Jésus-Christ, dit-il, dont les
prophètes ont témoigné qu’il viendrait au
monde. » Il reste quelque temps parmi eux, enseigne son
Évangile et leur commande d'être baptisés par
immersion pour la rémission des péchés.
«
Et quiconque croit en moi et est baptisé, celui-là sera
sauvé, déclara-t-il, et ce sont ceux-là qui
hériteront le royaume de Dieu. » Avant de remonter
aux cieux, il donne à des hommes justes l’autorité
de baptiser les personnes qui croient en lui.
Pendant
qu’ils traduisent, Joseph et Oliver sont frappés par ces
enseignements. Comme son frère Alvin, Joseph n’a jamais
été baptisé et il veut en savoir davantage sur
le baptême et sur l’autorité nécessaire
pour le célébrer.
Le
15 mai 1829, les pluies cessent et Joseph et Oliver se rendent dans
les bois près de la Susquehanna. Agenouillés, ils
interrogent Dieu au sujet du baptême et de la rémission
des péchés. Alors qu’ils prient, la voix du
Rédempteur les apaise et un ange apparaît dans une nuée
de lumière. Il se présente sous le nom de Jean-Baptiste
et pose les mains sur leur tête. Ils ont le cœur rempli
de joie pendant qu’ils sont enveloppés de l’amour
de Dieu.
Jean
déclare : « À vous, mes compagnons de service, au
nom du Messie, je confère la Prêtrise d’Aaron, qui
détient les clés du ministère d’anges, de
l’Évangile de repentir et du baptême par immersion
pour la rémission des péchés. »
La
voix de l’ange est douce mais elle les transperce jusqu’au
cœur. Il expliqua que la prêtrise d’Aaron les
autorise à accomplir des baptêmes et il leur commande de
se baptiser mutuellement après son départ. Il ajoute
qu’ils recevront plus tard un autre pouvoir de la prêtrise
qui leur donnera l’autorité de se conférer le don
du Saint-Esprit l’un à l’autre, ainsi qu’aux
personnes qu’ils baptiseront.
Après
le départ de Jean Baptiste, Joseph et Oliver se dirigent vers
le fleuve et entrent dans l’eau. Joseph baptise Oliver en
premier et, dès qu’il sort de l’eau, Oliver
commence à prophétiser au sujet de ce qui va bientôt
arriver. Ensuite il baptise Joseph, qui sort du fleuve en
prophétisant la naissance de l’Église du Christ
que le Seigneur a promis d’établir parmi eux.
Conformément
aux instructions de Jean-Baptiste, ils retournent dans les bois et
s’ordonnent mutuellement à la Prêtrise d’Aaron.
Au cours de leur étude de la Bible, ainsi que de leur
traduction des annales anciennes, ils ont souvent lu des choses
relatives à l’autorité d’agir au nom de
Dieu. Maintenant, eux-mêmes détiennent cette autorité.
Après
leur baptême, ils découvrent que des Écritures
qui leur paraissaient absconses et mystérieuses deviennent
soudain plus claires. La vérité et la compréhension
inondent leur esprit.
À
New York, l’ami d’Oliver, David Whitmer, est impatient
d’en apprendre davantage sur l’œuvre de Joseph.
Bien que David vive à Fayette, à environ cinquante
kilomètres de Manchester, Oliver et lui sont devenus amis
pendant qu’Oliver enseignait à l’école et
logeait chez les Smith. Ils discutaient souvent des plaques d’or
et lorsqu’Oliver a emménagé à Harmony, il
a promis de lui écrire au sujet de la traduction.
Des
lettres ont commencé à arriver peu de temps après.
Oliver écrivit que Joseph connaissait des détails sur
sa vie que personne ne pouvait connaître si ce n’était
par révélation de Dieu. Il décrivit les paroles
du Seigneur à Joseph et la traduction des annales. Dans l’une
de ses lettres, il recopia quelques lignes de la traduction,
témoignant de sa véracité.
Une
autre lettre informait David que la volonté de Dieu était
qu’il vienne à Harmony avec son attelage et son chariot
afin d’aider Joseph, Emma et Oliver à déménager
à Fayette, chez les Whitmer, où ils termineraient la
traduction. Les habitants d’Harmony étaient devenus
moins accueillants à l’égard des Smith. Certains
hommes avaient même menacé de les attaquer et, sans
l’influence de la famille d’Emma, ils auraient pu être
gravement blessés.
David
fait part des lettres d’Oliver à ses parents et à
ses frères et sœurs, qui acceptent d’accueillir
Joseph, Emma et Oliver chez eux. Les Whitmer sont descendants de
colons germanophones et ont la réputation d’être
vaillants et pieux. Leur ferme est suffisamment proche de la maison
des Smith pour se rendre visite mais suffisamment loin pour empêcher
les voleurs de les léser.
David
veut se rendre immédiatement à Harmony mais son père
lui rappelle qu’il a deux journées de dur labeur à
faire avant de pouvoir partir. C’est la saison des semailles et
il doit labourer huit hectares et fertiliser le sol avec du plâtre
de Paris afin de favoriser la croissance de leur blé. Son père
lui dit qu’il doit d’abord prier pour savoir s’il
est absolument nécessaire qu’il parte maintenant.
David
suit le conseil de son père et, pendant qu’il prie sent
l’Esprit lui dire de terminer son travail chez lui avant
d’aller à Harmony.
Le
lendemain matin, il va dans les champs et voit des sillons sombres
zébrer un sol qui n’a pas été labouré
la veille au soir. Examinant les parcelles plus en détail, il
voit qu’environ deux hectares et demi ont été
labourés pendant la nuit, et la charrue l’attend dans le
dernier sillon, prête pour lui.
Le
père de David est étonné lorsqu’il apprend
ce qui s’est produit. « Il doit y avoir une main qui
gouverne tout dans cette affaire, dit-il, et je pense que tu ferais
mieux d’aller en Pennsylvanie dès que ton plâtre
de Paris sera répandu. »
David
travaille dur pour labourer les champs restants et préparer
les sols pour des semailles fructueuses. Lorsqu’il a fini, il
attelle son chariot à une paire de chevaux robustes et part
pour Harmony plus tôt que prévu.
Joseph,
Emma et Oliver emménagent à Fayette, après quoi
la mère de David est débordée de travail. Mary
Whitmer et son mari, Peter, ont déjà huit enfants de
quinze à trente ans, et ceux qui ne vivent plus chez eux
demeurent dans le voisinage. Mary passe ses journées à
veiller à leurs besoins et les trois invités lui
donnent un surcroît de travail. Mais elle a foi en l’appel
de Joseph et ne se plaint pas, bien qu'elle fatigue.
La
chaleur à Fayette cet été-là est
étouffante. Pendant que Mary fait la lessive et prépare
les repas, Joseph dicte la traduction dans une pièce à
l’étage. Oliver écrit habituellement pour lui,
mais de temps en temps, Emma ou l’un des Whitmer prend la
plume. Parfois, lorsqu’ils sont las de traduire, Joseph et
Oliver sortent marcher jusqu’à un étang voisin et
font des ricochets sur l'eau.
Mary
a peu de temps pour se détendre et le surcroit de travail et
la pression sont pénibles à supporter.
Un
jour, alors qu’elle est dehors à côté de la
grange où l’on traie les vaches, elle voit un homme aux
cheveux blancs avec un sac en bandoulière. Son apparition
soudaine l’effraye, mais tout en s’approchant il lui
parle d’une voix aimable qui la rassure.
«
Je m’appelle Moroni, dit-il. Tu t’es beaucoup fatiguée
avec tout le travail supplémentaire que tu as à faire.
» Il dégage son épaule du sac à dos et
Mary regarde pendant qu’il commence à l’ouvrir.
Il
continue : « Tu as travaillé avec fidélité
et diligence. Il est donc convenable que tu reçoives un
témoignage afin que ta foi soit fortifiée. »
Moroni
ouvre son sac et en retire les plaques d’or. Il les tient
devant Mary et tourne les pages afin qu’elle puisse voir les
inscriptions. Après avoir tourné la dernière, il
l’exhorte à être patiente et fidèle pendant
qu’elle assumera cette charge supplémentaire pendant
encore quelque temps. Il lui promet qu’elle en sera bénie.
Le
vieil homme disparaît un instant plus tard, laissant Mary
seule. Elle a encore du travail à faire, mais cela ne la
trouble plus.
Chez
les Whitmer, Joseph traduit rapidement, mais certains jours sont
difficiles. Son esprit vagabonde vers d’autres préoccupations
et il n’arrive plus à se concentrer sur les choses
spirituelles. La petite maison des Whitmer est toujours animée
et pleine de distractions. En emménageant là, Emma et
lui ont perdu l’intimité relative qu’ils avaient à
Harmony.
Un
matin, alors qu’il s’apprête à traduire,
Joseph se fâche avec Emma. Plus tard, lorsqu’il rejoint
Oliver et David dans la pièce de l’étage où
ils travaillent, il ne peut pas traduire une syllabe.
Il
quitte la pièce et se rend dans le verger. Il est absent
environ une heure, occupé à prier. Lorsqu’il
revient, il présente ses excuses à Emma et lui demande
pardon. Il se remet ensuite à traduire comme d’habitude.
Il
traduit maintenant la dernière partie des annales, connue sous
le nom de petites plaques de Néphi, qui sera en fin de compte
placée au début du livre. Révélant une
histoire analogue à celle que Martin et lui ont traduite et
perdue, les petites plaques parlent d’un jeune homme nommé
Néphi, dont la famille a été guidée par
Dieu depuis Jérusalem jusqu’à une terre promise.
Elle explique les origines des annales et les premiers conflits entre
les peuples néphite et lamanite. Chose plus importante encore,
elle rend un témoignage puissant de Jésus-Christ et de
son expiation.
Lorsque
Joseph traduit les écrits de la dernière plaque, il
découvre qu’elle explique l’objectif des annales
et lui donne le titre de Livre de Mormon, d’après
l’ancien prophète historien qui a compilé le
livre.
Depuis
qu’il a commencé à traduire le Livre de Mormon,
Joseph a beaucoup appris sur son rôle futur dans l’œuvre
de Dieu. Dans ses pages, il a reconnu les enseignements fondamentaux
qu’il a appris dans la Bible, ainsi que de nouvelles vérités
et de nouvelles idées sur Jésus-Christ et sur son
Évangile. Il a également découvert des passages
relatifs aux derniers jours qui prophétisent qu’un
voyant choisi, nommé Joseph, fera paraître la parole du
Seigneur et rétablira des connaissances et des alliances
perdues.
Dans
les annales, il a vu que Néphi développe la prophétie
d’Ésaïe au sujet d’un livre scellé que
des hommes instruits ne peuvent pas lire. En la lisant, il pense à
l’entretien de Martin Harris avec le professeur Anthon. Les
annales affirment que seul Dieu peut faire sortir le livre de la
terre et établir l’Église du Christ dans les
derniers jours.
Lorsque
Joseph et son ami ont fini la traduction, ils songent à une
promesse que le Seigneur a faite dans le Livre de Mormon et dans ses
révélations : montrer les plaques à trois
témoins. Les parents de Joseph et Martin Harris sont en visite
chez les Whitmer à ce moment-là et, un matin, Martin,
Oliver et David supplient Joseph de leur permettre d’être
les témoins. Joseph prie et le Seigneur répond, disant
que s’ils se reposent sur lui de tout leur cœur et
s’engagent à témoigner de la vérité,
ils pourront voir les plaques.
«
Il faut que vous vous humiliiez devant votre Dieu aujourd’hui,
dit Joseph à Martin en particulier, et que vous obteniez si
possible le pardon de vos péchés. »
Plus
tard ce jour-là, Joseph conduit les trois hommes dans les bois
à proximité de la maison des Whitmer. Ils
s’agenouillent et prient à tour de rôle pour que
les plaques leur soient montrées, mais il ne se produit rien.
Ils essaient une deuxième fois, mais il ne se produit rien non
plus. Enfin, Martin se lève et s’éloigne, disant
que c’est de sa faute si les cieux restent clos.
Joseph,
Oliver et David se remettent à prier et bientôt un ange
apparaît au-dessus d’eux dans une lumière
éclatante. Il a les annales à la main et les
feuillette, une plaque à la fois, montrant aux hommes les
symboles gravés sur chaque page. Une table apparaît à
côté de lui et il s’y trouve les objets antiques
décrits dans le Livre de Mormon : les interprètes, le
pectoral, une épée et le compas miraculeux qui a guidé
la famille de Néphi depuis Jérusalem jusqu’à
la terre promise.
Les
hommes entendent la voix de Dieu déclarer : « Ces
plaques ont été révélées et
traduites par le pouvoir de Dieu. Leur traduction, que vous avez vue,
est correcte et je vous commande de témoigner de ce que vous
voyez et entendez maintenant. »
Lorsque
l’ange part, Joseph s’enfonce plus profondément
dans les bois et trouve Martin agenouillé. Ce dernier lui dit
qu’il n’a pas encore reçu de témoignage du
Seigneur, mais qu’il veut toujours voir les plaques. Il demande
à Joseph de prier avec lui. Il s’agenouille à
côté de lui, et à peine ont-ils prononcé
quelques mots qu’ils voient le même ange montrer les
plaques et les autres objets antiques.
«
C’est assez ! C’est assez ! s’écrie Martin.
Mes yeux ont vu ! Mes yeux ont vu ! »
En
fin d’après-midi, Joseph et les trois témoins
retournent chez les Whitmer. Mary Whitmer devise avec les parents de
Joseph lorsque celui-ci entre précipitamment dans la pièce.
« Père ! Mère ! dit-il. Vous n’imaginez pas
combien je suis heureux ! »
Il
s’élance vers sa mère. « Le Seigneur a fait
en sorte que les plaques soient montrées à trois autres
hommes, à part moi, dit-il. Ils savent par eux-mêmes que
je ne suis pas en train de tromper les gens. »
Il
a l’impression qu’un fardeau a été ôté
de ses épaules. « Ils auront dorénavant un rôle
à jouer, dit-il. Je n’ai plus à être
entièrement seul au monde. »
Martin
entre ensuite dans la pièce, au comble de la joie. «
J’ai maintenant vu un ange du ciel ! s’écrie-t-il.
Je bénis Dieu dans la sincérité de mon âme
d’avoir condescendu à faire de moi un témoin de
la grandeur de son œuvre ! »
Quelques
jours plus tard, les Whitmer rejoignent les Smith chez eux, à
Manchester. Sachant que le Seigneur a promis d’établir
sa parole « par la bouche d’autant de témoins
qu’il lui semble bon », Joseph se rend dans les bois avec
son père, Hyrum et Samuel, ainsi que quatre des frères
de David : Christian, Jacob, Peter et John et leur beau-frère
Hiram Page.
Les
hommes se réunissent dans un endroit où la famille
Smith vient souvent prier en privé. Avec la permission du
Seigneur, Joseph découvre les plaques et les montre au groupe.
Ils ne voient pas d’ange comme les trois témoins, mais
Joseph leur permet de tenir les annales dans leurs mains, de tourner
les pages et d’examiner les écrits anciens. La
manipulation des plaques confirme en eux que l’histoire de
Joseph au sujet de l’ange et des annales anciennes est
véridique.
Maintenant
que la traduction est terminée et qu’il a des témoins
pour corroborer son témoignage, Joseph n’a plus besoin
des plaques. Lorsque les hommes ont quitté les bois et sont
rentrés dans la maison, l’ange apparaît et Joseph
remet les annales sacrées à ses soins.
CHAPITRE
8 : L’émergence de l’Église du Christ
Au
début du mois de juillet 1828, avec le manuscrit en main,
Joseph sait que le Seigneur veut qu’il publie le Livre de
Mormon et diffuse son message dans le monde entier. Mais ni sa
famille ni lui ne s’y connaissent en publication. Il doit
garder le manuscrit en sécurité, trouver un imprimeur
et, d’une manière ou d’une autre, remettre le
livre entre les mains de personnes disposées à
envisager la possibilité qu’il s’agisse de
nouvelles Écritures.
La
publication d’un livre de la longueur du Livre de Mormon ne
sera pas bon marché. Les finances de Joseph ne se sont pas
améliorées depuis qu’il a commencé la
traduction et tout l’argent qu’il gagne sert à
subvenir aux besoins de sa famille. Il en est de même de ses
parents qui sont toujours de pauvres fermiers travaillant une terre
qui ne leur appartient. Le seul ami de Joseph qui puisse financer le
projet est Martin Harris.
Joseph
se met rapidement au travail. Avant d’avoir terminé la
traduction, il dépose une demande afin de détenir les
droits d’auteur et ainsi protéger le texte du vol ou du
plagiat. Avec l’aide de Martin, il commence également
à chercher un imprimeur qui acceptera de publier le livre.
Ils
s’adressent d’abord à Egbert Grandin, un imprimeur
de Palmyra qui a le même âge que Joseph. Celui-ci décline
immédiatement l’offre, persuadé que le livre est
une imposture. Sans se démonter, Joseph et Martin continuent à
chercher et trouvent dans une ville voisine un imprimeur consentant.
Mais avant d’accepter son offre, ils retournent à
Palmyra et redemandent à Grandin s’il veut publier le
livre.
Cette
fois-ci, il semble plus disposé à accepte le projet,
mais avant même de commencer le travail, il veut percevoir
trois mille dollars pour imprimer et relier cinq mille exemplaires.
Martin a déjà promis de participer au paiement de
l’impression, mais pour débourser une telle somme, il se
rend compte qu’il devra probablement hypothéquer sa
ferme. C’est un fardeau énorme pour lui, mais il sait
qu’aucun des autres amis de Joseph ne pourra lui procurer
l’argent.
Troublé,
Martin commence à remettre en question la sagesse de financer
le Livre de Mormon. Il a l’une des meilleures fermes de la
région. S’il hypothéque ses terres, il risque de
les perdre. Ce qu'il a passé une vie entière à
gagner peut disparaître en un instant si le Livre de Mormon ne
se vend pas bien.
Il
parle de ses préoccupations à Joseph et lui demande de
rechercher une révélation pour lui. En réponse,
le Sauveur parle de son sacrifice pour faire la volonté de son
Père, quel qu’en soit le coût. Il décrit sa
souffrance extrême pour payer le prix du péché
afin que tous puissent se repentir et recevoir le pardon. Il commande
ensuite à Martin de sacrifier ses propres intérêts
pour réaliser le plan de Dieu.
«
Je te commande de ne pas convoiter tes propres biens, dit le
Seigneur, mais de les consacrer libéralement à
l’impression du Livre de Mormon. » Le Seigneur lui assure
que le livre contient la parole de Dieu et permettra à
d’autres personnes de croire en l’Évangile.
Au
risque que ses voisins ne comprennent pas sa décision, Martin
obéit au Seigneur et hypothèque sa ferme afin de
garantir le paiement.
Grandin
signe un contrat et commence à organiser l’énorme
projet. Joseph a traduit le texte du Livre de Mormon en trois
mois, aidé d’un secrétaire à la fois. Il
faut à Grandin et à une douzaine d’hommes sept
mois pour imprimer et relier les premiers exemplaires de l’ouvrage
de 590 pages.
Après
avoir trouvé l'imprimeur, Joseph retourne à Harmony en
octobre 1829 pour s’occuper de sa ferme et être avec
Emma. Pendant ce temps, Oliver, Martin et Hyrum superviseront
l’impression et lui enverront régulièrement des
nouvelles de l'avancement des travaux de Grandin.
Se
souvenant du désespoir qu’il a éprouvé
après avoir perdu les premières pages qu’il a
traduites, Joseph demande à Oliver de recopier intégralement
le manuscrit à d'apporter la copie à l’imprimeur
pour que celui-ci puisse ajouter la ponctuation et faire la
composition typographique.
Oliver
a plaisir à recopier le livre, et les lettres qu’il
écrit à ce moment-là sont empreintes du langage
du livre. Faisant écho à Néphi, Jacob et Amulek,
personnages du Livre de Mormon, il écrit à Joseph sa
reconnaissance pour l’expiation infinie du Christ.
«
Lorsque je commence à écrire au sujet des miséricordes
de Dieu, dit-il, je ne sais m’arrêter que lorsque je suis
à court de temps et de papier. »
L'esprit
du Livre de Mormon attire d’autres personnes pendant son
impression. Thomas Marsh, un ancien apprenti imprimeur, a essayé
de trouver sa place dans d’autres Églises, mais aucune
ne prêche l’Évangile qu’il trouve dans la
Bible. Il croit qu’une nouvelle Église apparaîtra
prochainement et qu’elle enseignera la vérité
rétablie.
Cet
été-là, Thomas se sent poussé par
l’Esprit à parcourir des centaines de kilomètres
depuis sa maison à Boston jusqu’à l’ouest
de l’État de New York. Il reste trois mois dans la
région avant de rentrer chez lui, se demandant pourquoi il a
fait un aussi long voyage. Cependant, lors d’une étape
le long du chemin de retour, sa logeuse lui demande s’il a
entendu parler de la « Bible d’or » de Joseph
Smith. Il lui répondit que non et se sent poussé à
s’en informer.
Elle
lui conseille de s’adresser à Martin Harris et lui
indique la direction de Palmyra. Il s’y rend immédiatement
et le trouva dans la boutique de Grandin. L’imprimeur lui remet
seize pages du Livre de Mormon, et il les ramène à
Boston, pressé de communiquer à sa femme, Elizabeth, un
avant-goût de cette nouvelle religion.
Elle
lit les pages et elle aussi croit qu’elles sont la parole de
Dieu.
Cet
automne-là, pendant que les imprimeurs font régulièrement
avancer l’impression du Livre de Mormon, un ancien juge appelé
Abner Cole commence à publier un journal sur la presse de
Grandin. Travaillant de nuit dans la boutique, après le départ
des employés, Abner a accès aux pages imprimées
et non reliées du Livre de Mormon qui n’est pas encore
prêt pour la vente.
Il
commence à se moquer de la « bible d’or »
dans son journal et, au cours de l’hiver, publie des extraits
du Livre accompagnés de commentaires sarcastiques.
Lorsqu’Hyrum
et Oliver apprennent ce que fait Abner, ils vont le voir. « De
quel droit imprimez-vous le Livre de Mormon de cette manière ?
demande Hyrum. Ne savez-vous pas que nous en avons les droits
d’auteur ? »
«
Cela ne vous regarde pas, dit Abner. J’ai loué la presse
et j’imprimerai ce qui me plaît. »
«
Dorénavant, je vous interdis d’imprimer un quelconque
extrait de ce livre dans votre journal », dit Hyrum.
«
Je m’en moque », dit Abner.
Ne
sachant pas exactement quoi faire, Hyrum et Oliver informent Joseph
qui se trouve à Harmony et qui revient immédiatement à
Palmyra. Il trouve Abner à l’imprimerie, lisant
tranquillement son journal.
«
Vous avez l’air de travailler d’arrache-pied », dit
Joseph.
«
Comment allez-vous, M. Smith », réplique sèchement
Abner.
«
M. Cole, dit Joseph, le Livre de Mormon et les droits de publication
m’appartiennent et je vous interdis d’y toucher. »
Abner
se débarrasse de son manteau et retrousse ses manches. «
Voulez-vous vous battre, monsieur ? hurle-t-il en frappant ses poings
l’un contre l’autre. Si vous voulez vous battre, venez. »
Joseph
sourit. « Vous feriez mieux de remettre votre manteau, dit-il.
Il fait froid et je ne vais pas me battre avec vous. » Il
ajoute calmement : « Mais vous devez cesser d’imprimer
mon livre. »
«
Si vous pensez être le meilleur, dit Abner, ôtez votre
manteau et voyons ce que vous savez faire. »
«
La loi existe, répond Joseph, et vous le découvrirez, à
vos dépens, si vous ne le savez pas déjà. Mais
je ne me battrai pas avec vous, car cela n’apportera rien. »
Abner
sait que la loi était contre lui. Il se calme et cesse
d’imprimer des extraits du Livre de Mormon dans son
journal.
Solomon
Chamberlin, un prédicateur en route pour le Canada, entend
parler pour la première fois de la « bible d’or »
chez des gens qui l’hébergent près de Palmyra.
Comme Thomas Marsh, il est passé d’Église en
Église tout au long de sa vie, mais est mécontent de ce
qu’il a vu. Certaines prêchent des principes de
l’Évangile et croient aux dons spirituels, mais elles
n’ont ni les prophètes de Dieu ni sa prêtrise.
Solomon sent que le moment où le Seigneur fera paraître
son Église approche.
En
écoutant la famille parler de Joseph Smith et des plaques
d’or, il est galvanisé des pieds à la tête
et décide de trouver les Smith et de s’informer du
livre.
Il
prend la route pour se rendre chez eux et rencontre Hyrum à la
porte. « La paix soit sur cette maison », dit Solomon.
«
J’espère que ce sera la paix », répondit
Hyrum.
«
Y a-t-il quelqu’un ici, demanda Solomon, qui croit aux visions
et aux révélations ? »
«
Oui, dit Hyrum, nous sommes une famille de visionnaires. »
Solomon
lui relate une vision qu’il a eue sept ans auparavant. Un ange
lui a dit que Dieu n’a pas d’Église sur la terre,
mais qu’il en suscitera bientôt une qui aura du pouvoir
comme celle des apôtres d’autrefois. Hyrum et les autres
personnes dans la maison comprennent ce que dit Solomon et lui disent
qu’ils croient la même chose.
«
J’aimerais que vous me fassiez part de certaines de vos
découvertes, dit Solomon. Je pense être apte à
les accepter. »
Hyrum
l’invite à séjourner chez eux et lui montre le
manuscrit du Livre de Mormon. Solomon l’étudie pendant
deux jours et se rend avec Hyrum à l’imprimerie Grandin
où l’imprimeur lui remet soixante-quatre pages
imprimées. Les pages volantes à la main, Solomon
poursuit sa route vers le Canada, prêchant en chemin tout ce
qu’il sait au sujet de la nouvelle religion.
Le
26 mars 1830, les premiers exemplaires du Livre de Mormon sont reliés
et disponibles à la vente au rez-de-chaussée de
l’imprimerie Grandin. Ils sont étroitement reliés
en vélin brun et sentent le cuir, la colle, le papier et
l’encre. Les mots Livre de Mormon figurent sur la tranche en
lettres d’or.
Lucy
Smith chérit les nouvelles Écritures et y voit le signe
que Dieu va bientôt rassembler ses enfants et rétablir
son ancienne alliance. La page de titre déclare que l’objectif
du livre est de montrer les grandes choses que Dieu a faites pour son
peuple par le passé et d’offrir ces mêmes
bénédictions à son peuple aujourd’hui et
de convaincre le monde entier que Jésus-Christ est le Sauveur
du monde.
Au
dos du livre se trouvent les témoignages des trois et des huit
témoins, déclarant au monde qu’ils ont vu les
plaques et savent que la traduction est véridique.
En
dépit de ces témoignages, Lucy sait que certaines
personnes pensent que le Livre est une invention. Beaucoup de ses
voisins disent que la Bible leur suffit comme Écriture, ne se
rendant pas compte que Dieu a accordé sa parole à plus
d’une nation. Elle sait aussi que des gens rejettent son
message parce qu’ils croient que Dieu a parlé une fois
pour toutes au monde par la Bible et qu'il ne lui reparlerat plus.
Pour
ces raisons et bien d’autres, la plupart des habitants de
Palmyra n’achetent pas le livre. Mais certains le lisent,
ressentent la puissance de ses enseignements et s’agenouillent
pour demander à Dieu s’il est vrai. Lucy sait que le
Livre de Mormon est la parole de Dieu et veut en parler aux
autres.
Presque
immédiatement après la publication du Livre de Mormon,
Joseph et Oliver se préparent à organiser l’Église
de Jésus-Christ. Quelques mois plus tôt, les anciens
apôtres du Seigneur, Pierre, Jacques et Jean leur sont apparus
et leur ont conféré la Prêtrise de Melchisédek,
comme l’avait promis Jean-Baptiste. Cette autorité
supplémentaire leur permet de conférer le don du
Saint-Esprit aux personnes qu’ils baptisent. Pierre, Jacques et
Jean les ont également ordonnés à l’office
d’apôtres de Jésus-Christ.
Pendant
qu'ils séjournaient chez les Whitmer, ils ont prié pour
en apprendre davantage sur cette autorité. En réponse,
la voix du Seigneur leur a commandé de s’ordonner
mutuellement à l’office d’anciens de l’Église,
mais pas avant que des croyants ne consentent à les suivre en
qualité de dirigeants dans l’Église du Sauveur.
Il leur a également été dit d’ordonner
d’autres officiers de l’Église et de conférer
le don du Saint-Esprit à ceux qui ont été
baptisés.
Le
6 avril 1830, Joseph et Oliver se réunissent chez les Whitmer
pour respecter le commandement du Seigneur et organiser son Église.
Conformément aux exigences de la loi civile, ils choisissent
six personnes pour devenir les premiers membres de la nouvelle
Église. Environ quarante autres se pressent également
dans et autour de la petite maison pour être témoins de
l’événement.
Par
obéissance aux instructions préalables données
par le Seigneur, Joseph et Oliver demandent à l’assemblée
de les soutenir en tant que dirigeants dans le royaume de Dieu et
d’indiquer s’il leur semble juste de s’organiser en
Église. Tous les membres de l’assemblée marquent
leur consentement et Joseph pose les mains sur la tête d’Oliver
et l’ordonne ancien de l’Église. Ils échangent
leurs places et Oliver ordonne Joseph.
Puis,
ils administrent le pain et le vin de la Sainte-Cène en
souvenir de l’expiation du Christ. Ils imposent ensuite les
mains aux personnes qui ont été baptisées et les
confirment membres de l’Église et leur confèrent
le don du Saint-Esprit. L’Esprit du Seigneur est déversé
sur les participants, et certains membres de l’assemblée
commencent à prophétiser. D’autres louent le
Seigneur et tous se réjouissent ensemble.
Joseph
reçoit également la première révélation
adressée à l’ensemble de la nouvelle Église.
« Voici, un registre sera tenu parmi vous », commande le
Seigneur, rappelant à son peuple qu’il doit enregistrer
son histoire sacrée, préserver le récit de ses
actions et témoigner du rôle de Joseph en tant que
prophète, voyant et révélateur.
Le
Seigneur déclare : « C’est lui que j’ai
inspiré à faire avancer la cause de Sion avec une
grande puissance pour le bien : Vous recevrez sa parole, en toute
patience et avec une foi absolue, comme si elle sortait de ma propre
bouche. Car, si vous faites ces choses, les portes de l’enfer
ne prévaudront pas contre vous. »
Plus
tard, Joseph se tient près d’un ruisseau et est témoin
du baptême de son père et de sa mère dans
l’Église. Après avoir pris pendant des années
des chemins différents dans leur quête de la vérité,
ils sont enfin unis dans la foi. Lorsque son père sort de
l’eau, Joseph le prend par la main, l’aide à
regagner la berge et le serre dans ses bras.
«
Mon Dieu, s’écrie-t-il, enfouissant son visage dans la
poitrine de son père, j’ai vécu pour voir mon
père baptisé dans la véritable Église de
Jésus-Christ ! »
Ce
soir-là, Joseph s’éclipse dans des bois voisins,
le cœur gonflé d’émotion. Il veut être
seul, loin du ragard de ses amis et de sa famille. Pendant les dix
années qui ont suivi sa première vision, il a vu les
cieux ouverts, ressenti l’Esprit de Dieu et a été
formé par des anges. Il a également péché
et perdu son don, pour se repentir ensuite, bénéficier
de la miséricorde de Dieu et traduire le Livre de Mormon par
le pouvoir et la grâce de Dieu.
Maintenant
Jésus-Christ a rétabli son Église et accordé
à Joseph la même autorité de la prêtrise
que celle que détenaient les apôtres d’autrefois
lorsqu’ils portaient l’Évangile au monde. Il
ne peut contenir le bonheur qu’il éprouve et lorsque
Joseph Knight et Oliver le retrouvent plus tard ce soir-là, il
pleure.
Sa
joie est pleine. L’œuvre a commencé.
DEUXIÈME
PARTIE : Une maison de foi (avril 1830 - avril 1836)
CHAPITRE 9 : Que
ce soit pour la vie ou pour la mort
Le dimanche qui suit l’organisation de l’Église, Oliver prêche à la
famille Whitmer et à leurs amis à Fayette. Nombre d’entre eux ont
soutenu la traduction du Livre de Mormon mais ne se sont pas encore
joints à l’Église. Lorsqu’Oliver a fini de parler, six personnes lui
demandent de les baptiser dans un lac voisin.
Au fur et à mesure que les gens se joignnt à la nouvelle Église,
Joseph se sentaécrasé par l’immensité de la tâche que le Seigneur
lui a confiée d’apporter l’Évangile au monde. Il a publié le
Livre de Mormon et organisé l’Église du Seigneur, mais le livre se
vend mal et les personnes qui veulent être baptisées sont
essentiellement de ses amis et de sa famille. Et Joseph a encore
beaucoup à apprendre au sujet des cieux et de la terre.
Les personnes qui deviennent membres de l’Église recherchent souvent
les dons de l’Esprit et d’autres miracles, comme ceux qu’ils ont
lus dans le Nouveau Testament. Mais l’Évangile rétabli promet aux
croyants quelque chose de plus grand encore que des prodiges et des
signes. Benjamin, prophète et roi sage du Livre de Mormon, a enseigné
aux gens que s’ils se rendent aux persuasions du
Saint-Esprit, ils pourront se débarrasser de leur nature charnelle et
devenir des saints par l’expiation de Jésus-Christ.
Pour Joseph, la difficulté consiste maintenant à faire avancer
l’œuvre du Seigneur. Oliver et lui savent qu’ils doivent prêcher le
repentir à tout le monde, que le champ est prêt pour la moisson et
que la valeur de chaque âme est grande aux yeux de Dieu. Mais comment
deux jeunes apôtres, un fermier et un instituteur, ces deux derniers
âgés d’à peine plus de vingt ans, pourraient-ils faire avancer une
aussi grande œuvre ?
Et comment une petite Église, dans la campagne de l’État de New York,
pourrait-elle s’élever au-dessus de ses humbles débuts et grandir
jusqu’à remplir le monde entier ?
Après les baptêmes à Fayette, Joseph entame le voyage de cent soixante
kilomètres pour rentrer chez lui à Harmony. Aussi occupé qu’il est
avec la nouvelle Église, il doit ensemencer ses champs rapidement
s’il veut une moisson abondante en automne. Il a déjà pris du
retard dans les versements qu’il fait au père d’Emma ; si les
récoltes étaient mauvaises, il lui faudrait trouver une autre solution
pour rembourser sa dette.
En chemin, il s’arrête chez Joseph et Polly Knight, à Colesville, New
York. Les Knight le soutiennent depuis longtemps mais ne sont pas
encore devenus membres de l’Église. Joseph Knight, pour sa part,
veut lire le Livre de Mormon avant d’accepter la nouvelle religion.
Joseph passe quelques jours à Colesville où il prêche l’Évangile aux
Knight et à leurs amis. Newel Knight, l’un des fils de Joseph et Polly,
en discute souvent avec le prophète. Un jour, Joseph lui demande de
prier lors d’une réunion, mais Newel dit qu’il préfère prier seul
dans les bois.
Le lendemain matin, il se rend dans les bois et tente de prier. Il
est envahi d’un sentiment de malaise qui empire lorsqu’il prend le
chemin de la maison. Lorsqu’il arrive chez lui, il se sent tellement
oppressé qu’il supplie sa femme, Sally, d’aller chercher le prophète.
Joseph se précipite aux côtés de Newel et y trouve des membres de la
famille et des voisins qui regardent avec effroi le visage, les bras
et les jambes du jeune homme se contorsionner follement. Lorsque Newel
voit Joseph, il s’écrie : « Chasse le démon ! »
Joseph n’a jamais essayé de réprimander le diable ni de guérir
quelqu’un auparavant, mais il sait que Jésus a promis à ses
disciples le pouvoir de le faire. Agissant rapidement, il saisit Newel
par la main et dit : « Au nom de Jésus-Christ, sors de cet homme. »
Aussitôt les contorsions cessent. Newel s’affaisse
sur le sol, épuisé mais indemne, marmonnant qu’il a vu le diable
quitter son corps.
Les Knight et leurs voisins sont ébahis par ce que Joseph a fait.
Pendant qu’il les aide à transporter Newel jusqu’au lit, Joseph leur
dit que c’est le premier miracle accompli dans l’Église.
Il témoigne : « Il a été fait par Dieu et par le pouvoir de la
divinité. »
À des centaines de kilomètres à l’ouest, un fermier du nom de Parley
Pratt sent l’Esprit le pousser à quitter son foyer et sa famille pour
prêcher les prophéties et les dons spirituels qu’il trouve dans la
Bible. Il vend sa ferme à perte et est confiant que Dieu le
bénira pour avoir tout abandonné pour le Christ.
Avec seulement quelques vêtements et juste assez d’argent pour faire le
voyage, sa femme, Thankful, et lui, partnt en direction de l’est
afin de rendre visite à de la famille avant de prendre la route pour
prêcher. Alors qu’ils voyagent en bateau, Parley se tourne vers
Thankful et lui demande de continuer sans lui. Il sent l’Esprit lui
commander de débarquer.
Il promet : « Je reviens vite. J’ai un travail à accomplir dans cette
région. »
Parley descend du bateau et parcourt une quinzaine de kilomètres
dans la campagne où il se retrouve par hasard chez un diacre baptiste
qui lui parle d’un nouveau livre étrange qu’il vient d’acheter. Ce
dernier se présente comme un recueil d’annales anciennes, dit
l’homme, traduites à partir de plaques d’or avec l’aide d’anges et de
visions. Le diacre n’a pas le livre sous la main, mais il promet à
Parley de le lui montrer le lendemain.
Le lendemain matin, Parley retourne chez le diacre. Il ouvre le livre
avec empressement et en lit la page de titre. Il va ensuite à la fin
du livre et lit le témoignage de plusieurs témoins. Les mots
l’attirent et il commence le livre depuis le début. Les heures
passent sans qu’il puisse s’arrêter de lire. Manger et dormir sont
un fardeau. L’Esprit du Seigneur est sur lui et il reçoit la certitude
que le livre
était vrai.
Il se rend peu après au village voisin de Palmyra, décidé à
rencontrer le traducteur du livre. Les villageois lui indiquent une
ferme à quelques kilomètres de là. Pendant qu’il marche dans cette
direction, il voit un homme et lui demande où il peut trouver Joseph
Smith. L’homme lui apprend que Joseph habite à Harmony, à cent
soixante kilomètres au sud, mais se déclare être Hyrum Smith, frère du
prophète.
Ils parlent la plus grande partie de la nuit et Hyrum témoigne du
Livre de Mormon, du rétablissement de la prêtrise et de l’œuvre du
Seigneur dans les derniers jours. Le lendemain matin, Parley a des
rendez-vous pour prêcher. Hyrum lui remet donc un exemplaire du livre
et le laisse repartir.
Parley ouvre le livre à la première occasion et découvre, à sa grande
joie, que le Seigneur ressuscité est apparu au peuple de l’Amérique
ancienne et lui a enseigné l’Évangile. Il se rend compte que le
message du livre a plus de valeur que toutes les richesses de la
terre.
Ses rendez-vous terminés, il retourne chez les Smith. Hyrum
l’accueille à nouveau et l’invitechez les Whitmer où il pourra
rencontrer une assemblée grandissante de membres de l’Église.
Pressé d’en apprendre davantage, Parley accepte l’invitation. Quelques
jours plus tard, il est baptisé.
Fin juin 1830, Emma accompagne Joseph et Oliver jusqu’à Colesville. La
nouvelle du miracle que Joseph a accompli ce printemps-là s’est
propagée dans toute la région et maintenant, les Knight et plusieurs
autres familles veulent se joindre à l’Église.
Emma aussi est prête à se faire baptiser. Comme les Knight, elle
croit en l’Évangile rétabli et en l’appel de son mari comme prophète,
mais elle ne s’est pas encore jointe à l’Église.
Après être arrivé à Colesville, Joseph travaille avec d’autres
personnes à la construction d’un barrage dans un ruisseau voisin afin
de pouvoir y tenir un service de baptême le lendemain. Le matin, ils
découvrent que quelqu’un l’a démoli pendant la nuit pour empêcher
les baptêmes de s’accomplir.
Déçus, ils tiennent une réunion du sabbat et Oliver prêche le baptême
et
le Saint-Esprit. Après le sermon, un prédicateur local et quelques
membres de son Église les interrompent et essaient d’entraîner l’un
des croyants à leur suite.
Emma connaît bien l’opposition dont Joseph et son message fontl’objet.
Certaines personnes le traitent d’escroc et l’accusent
d’essayer de tirer profit de ses adeptes. D’autres se moquent d’eux
et les traitent de « mormonites ». Sur leurs gardes, Emma et les
autres retournent au ruisseau de bonne heure le lendemain matin et
réparent le barrage. Une fois que l’eau est assez profonde, Oliver y
entre et baptisa Emma, Joseph et Polly Knight, et dix autres personnes.
Pendant les baptêmes, certains hommes, debout sur la berge à une petite
distance, raillent les croyants. Emma et les autres tentent de les
ignorer mais lorsque le groupe repart vers la ferme des Knight, les
hommes suivent, proférant en cours de route des menaces à l’égard du
prophète. Chez les Knight, Joseph et Oliver veulent confirmer les
hommes et les femmes nouvellement baptisés, mais le groupe de
perturbateurs grossit et devient un attroupement bruyant de cinquante
personnes.
Inquiets à l’idée qu’ils pourraient être attaqués, les croyants
s’enfuirent dans une maison voisine, espérant terminer les
confirmations dans la paix. Mais avant que les ordonnances ne puissent
être accomplies, un agent de police arrête Joseph et le conduisit en
prison sous prétexte qu’il cause un tumulte dans la collectivité en
prêchant le Livre de Mormon.
Joseph passe la nuit en garde à vue, ne sachant pas trop si les
émeutiers vont le capturer et mettre leurs menaces à exécution.
Pendant ce temps, Emma attendt avec anxiété chez sa sœur, tout en
priant avec leurs amis de Colesville pour la libération de Joseph.
Au cours des deux jours qui suivent, Joseph comparaît devant un
tribunal et est acquitté, pour être arrêté de nouveau et jugé pour des
faits similaires. Après sa deuxième audience, il est libéré et Emma et
lui retournent chez eux à Harmony avant que les saints de Colesville
et elle n’aient pu être confirmés membres de l’Église.
De retour chez lui, Joseph essaie à nouveau de travailler sur sa
propriété, mais le Seigneur lui donne une nouvelle révélation relative
à la manière dont il doit occuper son temps. Le Seigneur déclare : «
Tu consacreras tout ton service à Sion. Tu n’auras pas de force pour
les travaux temporels, car ce n’est pas là ton appel. » Il lui est dit
d’ensemencer ses champs et de partir ensuite confirmer les nouveaux
membres à New York.
La révélation laisse Emma dans une grande incertitude quant à son
quotidien. Comment gagneront-ils leur vie si Joseph consacre tout
son temps aux saints ? Et que fera-t-elle pendant qu’il sera absent
pour servir l’Église ? Est-elle censée rester à la maison ou est-ce
que le Seigneur veut qu’elle aille avec lui ? Et s’il le veut,
quel sera son rôle dans l’Église ?
Connaissant le désir d’Emma d’être guidée, le Seigneur s’adresse à elle
dans une révélation donnée par l’intermédiaire de Joseph. Il lui
accorde le pardon de ses péchés et lui donne le nom de « dame élue ».
Il lui commande d’accompagner Joseph dans ses voyages et lui promet : «
Tu seras ordonnée sous sa main pour expliquer les Écritures et pour
exhorter l’Église. »
Il apaise également ses craintes au sujet de leurs finances. « Tu n’as
rien à craindre car ton mari te soutiendra. »
Il lui demande ensuite de faire un recueil de cantiques sacrés pour
l’Église. Il dit : « Car mon âme met ses délices dans le chant du cœur.
»
Peu après la révélation, Joseph et Emma se rendent à Colesville où
Emma et les saints de là-bas sont enfin confirmés. Lorsque les
nouveaux membres reçoivent le don du Saint-Esprit, l’Esprit du Seigneur
emplit la pièce. Chacun se réjouit et loue Dieu.
Plus tard cet été-là, Joseph et Emma finissent de payer leur ferme avec
l’aide d’amis et s’installent à Fayette afin que Joseph puisse
consacrer davantage de temps à l’Église. Cependant, à leur arrivée, ils
apprennent qu’Hiram Page, l’un des huit témoins et instructeur dans la
Prêtrise d’Aaron, a commencé à rechercher des révélations pour
l’Église par l’intermédiaire de ce qu’il pense être une pierre de
voyant. De nombreux saints, notamment Oliver et certains membres de la
famille Whitmer, croient que ces révélations viennent de Dieu.
Joseph sait qu’il faisait face à une crise. Les révélations d’Hiram
simulent le langage des Écritures. Elles traitent de
l’établissement de Sion et de l’organisation de l’Église mais, parfois,
elles contredist le Nouveau Testament et les vérités que le
Seigneur ava révélées par l’intermédiaire de Joseph.
Ne sachant pas ce qu’il doit faire, Joseph prie, jusque tard dans la
nuit, suppliant Dieu de le guider. Il a connu l’adversité
auparavant, mais jamais de la part de ses amis. S’il s’oppose trop
violemment aux révélations d’Hiram, il risque d’offenser les
personnes qui y croient ou de décourager des saints fidèles de
rechercher personnellement la révélation. Mais s’il ne dénonce pas
les fausses révélations, elles pourraient saper l’autorité de la parole
du Seigneur et diviser les saints.
Après de nombreuses heures d’insomnie, Joseph reçoit une révélation
adressée à Oliver. Le Seigneur déclare : « Nul ne sera désigné pour
recevoir des commandements et des révélations dans cette Église, si ce
n’est mon serviteur Joseph Smith […] car tout doit se faire avec ordre
et par consentement commun dans l’Église. » Le Seigneur commande à
Oliver d’enseigner ce principe à Hiram.
La révélation l’appelle ensuite à se rendre à l’extrémité occidentale
des États-Unis, à quelque mille cinq cents kilomètres, pour prêcher
l’Évangile rétabli aux Amérindiens, qui sont un reste de la maison
d’Israël. Le Seigneur dit que la ville de Sion sera bâtie près de ce
peuple, faisant écho à la promesse du Livre de Mormon que Dieu
établira la Nouvelle Jérusalem sur le continent américain avant la
seconde venue du Christ. Il n’indique pas l’endroit exact où se
situera la ville, mais il promet de le révéler ultérieurement.
Quelques jours plus tard, lors d’une conférence de l’Église, les saints
renient les révélations d’Hiram et soutiennent à l’unanimité Joseph
comme étant la seule personne qui peut recevoir des révélations pour
l’Église.
Le Seigneur appelle Peter Whitmer, fils, Ziba Peterson et Parley Pratt
à
accompagner Oliver en mission dans l’Ouest. En attendant, Emma et
d’autres femmes commencent à confectionner des vêtements pour les
missionnaires. Travaillant pendant de longues heures, elles filent la
laine, la tissent ou la tricotent pour en faire de l’étoffe et en
cousent les morceaux un à un.
Parley est récemment revenu à Fayette avec Thankful après avoir parlé
de l’Évangile avec elle et d’autres membres de sa famille. Lorsqu’il
part pour l’Ouest, elle emménage chez Mary Whitmer, qui l’accueille
avec joie chez elle.
En route vers le Missouri, Parley a l’intention d’emmener les
autres missionnaires en Ohio, où demeure Sidney Rigdon, son ancien
pasteur. Parley espère qu’il sera intéressé par leur message.
Cet été-là, dans une ville située à deux jours de voyage de Fayette,
Rhoda Greene trouve, sur le seuil de sa porte, Samuel Smith, le frère
du prophète. Rhoda a rencontré Samuel plus tôt cette année-là
lorsqu’il a laissé chez elle un exemplaire du Livre de Mormon. Son
mari, John, prédicateur d’une autre religion, a trouvé que le livre
est absurde mais promet de l’emporter dans sa tournée et de
recueillir le nom des personnes intéressées par son message.
Rhoda invite Samuel à entrer et lui dit que pour l’instant, personne
n’a manifesté le moindre intérêt pour le Livre de Mormon. Elle dit
: « Vous allez devoir reprendre ce livre. Mr. Greene ne semble pas
disposé à l’acheter. »
Samuel prend le Livre de Mormon et s’apprête à partir lorsque Rhoda
mentionne le fait qu’elle l’a lu et qu’il lui a plu. Samuel
s’interromp. Il dit : « Je vous le donne. L’Esprit de Dieu m’interdit
de le reprendre. »
Rhoda est bouleversée lorsqu’elle reprend le livre. Samuel dit : «
Demandez à Dieu de vous donner un témoignage de la véracité de l’œuvre
et vous sentirez votre sein brûler, ce qui est l’Esprit de Dieu. »
Plus tard, lorsque son mari rentre à la maison, elle lui parle de la
visite de Samuel. Au début, John est réticent à l’idée de prier au
sujet du livre mais sa femme le convainc de faire confiance à la
promesse de Samuel.
Elle dit : « Je suis certaine qu’il ne mentirait pas. Je suis persuadée
que c’est un homme bon s’il en est. »
Rhoda et John prient au sujet du livre et reçoivent un témoignage de
sa véracité. Ils en parlent ensuite à leur famille et à leurs
voisins, notamment à Brigham Young, frère cadet de Rhoda, et à son ami,
Heber Kimball.
À l’automne, Sidney Rigdon, trente-huit ans, écoute poliment Parley
Pratt et ses trois collègues témoigner d’un nouvel ouvrage canonique,
le Livre de Mormon. Mais il n’est pas intéressé. Pendant des années,
il a exhorté les habitants de Kirtland (Ohio) et des environs à
lire la Bible et à revenir aux principes de l’Église du Nouveau
Testament. Il dit aux missionnaires que la Bible a toujours guidé
sa vie, et cela lui suffit.
Parley rappelle à Sidney : « Tu m’as apporté la vérité. Je te demande
maintenant, en tant qu’ami, de lire ceci pour me faire plaisir. »
Sidney insiste : « On ne doit pas se quereller à ce sujet. Mais je vais
lire ton livre et voir ce qu’il apporte à ma foi. »
Parley demande à Sydney s’ils peuvent prêcher l’Évangile à son
assemblée. Bien qu’il soit sceptique quant à leur message, Sidney leur
en donne l’autorisation.
Après le départ des missionnaires, Sidney lit des parties du livre et
découvre qu’il ne peut le rejeter. Quand Parley et Oliver
prêchent l’Évangile à son assemblée, il n’a déjà plus le moindre
désir de mettre qui que ce soit en garde contre le livre. Lorsqu’il se
lève pour prendre la parole à la fin de la réunion, il cite la Bible.
Il dit : « Examinez toutes choses ; retenez ce qui est bon. »
Mais Sidney n’est pas sûr de ce qu’il doit faire. Accepter le Livre
de Mormon veut dire perdre son emploi de pasteur. Il a une
bonne assemblée, et elle subvient confortablement à ses besoins et à
ceux de sa femme, Phebe, et de leurs six enfants. Certains d’entre ses
fidèles sont même en train de leur construire une maison. Peut-il
réellement demander à sa famille de renoncer au confort dont elle
jouit ?
Sidney prie jusqu’à ce qu’un sentiment de paix repose sur lui. Il
sait que le Livre de Mormon est vrai. Il s’exclame : « Ce ne sont
pas la chair et le sang qui m’ont révélé cela, mais c’est mon Père qui
est dans les cieux. »
Il fait part de ses sentiments à Phebe. Il dit : « Ma chérie, tu m’as
déjà suivi dans la pauvreté. Es-tu de nouveau disposée à faire de même
? »
Elle réplique : « J’ai déjà pris cela en considération. Mon désir est
de faire la volonté de Dieu, que ce soit pour la vie ou pour la mort. »
CHAPITRE
10 : Rassemblés
À l’automne 1830, non loin de Kirtland, Lucy Morley, quinze ans, achève
ses tâches ménagères habituelles et prend place à côté de son
employeur,
Abigail Daniels. Pendant qu’Abigail travaille sur son métier à
tisser, faisant aller et venir une navette entre des fils entrecroisés,
Lucy enroule la laine sur de fines bobines. L’étoffe qu’elles
tissent seraremise à la mère de Lucy en échange des services que
cette dernière rend chez les Daniels. Avec de nombreux enfants sous
son toit et aucune fille adolescente, Abigail compte sur Lucy pour
l’aider à faire le ménage, la lessive et la cuisine.
Pendant qu’elles travaillnt côte à côte, elles entendient frapper à
la porte. Abigail crie : « Entrez. »
Levant les yeux de sa bobine, Lucy voit trois hommes pénétrer dans la
pièce. Ce sont des étrangers, mais ils sont bien habillés et
ont l’air amicaux. Tous trois semblent avoir quelques années de
moins qu’Abigail, laquelle est au début de la trentaine.
Lucy se lève et apporte des chaises supplémentaires dans la pièce.
Lorsque les hommes sont installés, elle prend leurs chapeaux et
retourne s’asseoir. Ils se présentent comme étant Oliver Cowdery,
Parley Pratt et Ziba Peterson, prédicateurs de New York, de passage
dans la ville, en route vers l’Ouest. Ils disent que le Seigneur a
rétabli son véritable Évangile par l’intermédiaire de leur ami, un
prophète du nom de Joseph Smith.
Pendant qu’ils parlent, Lucy poursuit silencieusement sa tâche.
Les hommes parlent d’anges et d’un jeu de plaques d’or que le
prophète a traduites par révélation. Ils témoignent que Dieu les
a envoyés en mission pour prêcher l’Évangile une dernière fois
avant la seconde venue de Jésus-Christ.
Lorsqu’ils ont remis leur message, le cliquetis rythmique du métier
à tisser d’Abigail cesse et la femme se retourne sur son banc. Agitant
avec colère la navette dans leur direction, elle dit : « Je vous
interdis d’enseigner votre maudite doctrine chez moi. »
Les hommes tentent de la persuader, témoignant de la véracité de leur
message, mais Abigail leur intime l’ordre de partir, disant qu’elle ne
veut pas qu’ils polluent ses enfants avec de la fausse doctrine. Ils
demandent si, au moins, elle leur donnerait à manger. Ils ont faim et
n’ont pas mangé de toute la journée.
Elle répond d’un ton sec : « Vous n’aurez rien à manger chez moi. Je
ne nourris pas les imposteurs. »
Tout à coup, Lucy prend la parole, horrifiée qu’Abigail puisse parler
aussi grossièrement à des serviteurs de Dieu. Elle dit : « Mon père
habite à moins de deux kilomètres d’ici. Il ne refuse jamais
l’hospitalité à quelqu’un qui a faim. Allez-y, vous y serez nourris et
l’on s’occupera bien de vous. »
Elle va chercher leurs chapeaux et les suit dehors pour leur
indiquer le chemin qui conduit chez ses parents. Les hommes la
remercient et prennent la route en disant : « Que Dieu vous bénisse. »
Lorsqu’ils sont hors de vue, elle rentre dans la maison. Abigail
est de nouveau à son métier à tisser, faisant aller et venir la
navette. Visiblement irritée, elle dit à Lucy : « J’espère que tu te
sens mieux maintenant. »
Lucy réplique : « Oui, en effet. »
Comme Lucy l’a promis, les trois missionnaires trouvent chez les
Morley un repas copieux. Ses parents, Isaac et Lucy, sont membres de
l’assemblée de Sidney Rigdon et croient que les disciples du Christ
doivent partager leurs biens les uns avec les autres, comme au sein
d’une grande famille. Suivant l’exemple des saints dans le Nouveau
Testament qui essayaient d’avoir « tout en commun », ils ont ouvert
l’accès à leur grande ferme à d’autres familles qui veulent vivre
ensemble et pratiquer leurs croyances, loin du monde de compétition et
souvent d’égoïsme qui les entoure.
Ce soir-là, les missionnaires instruisent les Morley et leurs amis.
Les familles donnent suite au message des missionnaires qui dit de
préparer le retour du Sauveur et son règne millénaire et, vers minuit,
dix-sept personnes sont baptisées.
Les jours suivants, plus de cinquante personnes de Kirtland et des
environs afflunt aux réunions des missionnaires et demandet à se
joindre à l’Église. Nombre d’entre elles habitent sur la propriété
des Morley, notamment Pete, un esclave affranchi dont la mère est
arrivée d’Afrique occidentale. Même Abigail Daniels, qui a si
rapidement rejeté les missionnaires, accepte leur message après les
avoir entendus prêcher alors qu’elle accompagne son mari.
Oliver rapporta à Joseph la bonne nouvelle de la progression de
l’Église en Ohio, en particulier parmi les adeptes de Sidney. Tous les
jours, de nouvelles personnes demandent à entendre leur message. Il
écrit : « Ici, la demande de livres est considérable. J’aimerais que
tu m’en envoies cinq cents. »
En dépit de la satisfaction que lui procure leur réussite en Ohio,
Oliver sait néanmoins que le Seigneur les a appelés à prêcher
l’Évangile aux Amérindiens qui vivnt au-delà de la frontière
occidentale des États-Unis. Les missionnaires et lui quittent peu
après Kirtland, emmenant avec eux un nouveau converti du nom de
Frederick Williams. Frederick est médecin et, à quarante-trois ans,
il est le doyen de la compagnie.
Se dirigeant vers l’ouest à la fin de l’automne 1830, ils traversent
péniblement des plaines et des collines ondulantes enneigées. Ils
s’arrêtent brièvement au centre de l’Ohio afin de prêcher l’Évangile
aux indiens Wyandot avant de monter à bord d’un bateau à vapeur à
destination du Missouri, l’État le plus occidental du pays.
Les missionnaires progressnt régulièrement le long du fleuve jusqu’à
ce qu’ils soient bloqués par la glace. Déterminés, ils débarquèent et
parcourent des centaines de kilomètres à pied le long de la berge
gelée. Entre temps, une épaisse couche de neige est ombée, rendant
plus difficiles les déplacements à travers les vastes prairies.
Parfois, les vents qui balaient le paysage sont d’un froid si
coupant qu’ils leur meurtrissent le visage.
Pendant que les missionnaires se dirigent vers l’ouest, Sidney et
son ami Edward Partridge, trente-sept ans, fabriquant de chapeaux,
voyagent en direction de l’est. Les deux hommes se rendent à
Manchester, à cinq cents kilomètres de Kirtland, pour rencontrer
Joseph. Sidney s’est déjà joint à l’Église mais Edward veut faire
la connaissance du prophète avant de prendre sa décision.
À leur arrivée, ils vont d’abord chez les parents de Joseph, pour
apprendre que les Smith ont emménagé plus près de Fayette. Avant
d’entreprendre les quarante kilomètres supplémentaires, Edward veut
inspecter soigneusement la propriété, pensant que les labeurs des Smith
révèleront peut-être quelque chose de leur personnalité. Sidney et
lui voient les vergers bien entretenus, leurs maisons et dépendances et
les murs de pierre bas qu’ils ont construits. Chaque élément
témoigne de l’ordre et de la diligence de la famille.
Edward et Sidney reprennentla route et marchent toute la journée,
arrivant chez les Smith en soirée. Une réunion de l’Église est en
cours lorsqu’ils arrivent. Ils se glissent à l’intérieur de la
maison et se joignent à l’assemblée qui écoute Joseph prêcher.
Lorsque le prophète a terminé, il dit que toute personne présente
dans la pièce peut se lever et prendre la parole si elle se sent
inspirée à le faire.
Edward se lève et dit aux saints ce qu’il a vu et ressenti au cours
de son voyage. Ensuite, il ajoute : « Je suis prêt à me faire baptiser,
frère Joseph. Pouvez-vous me baptiser ? »
Joseph dit : « Vous avez fait un long voyage. Je pense que vous feriez
mieux de vous reposer et de manger, et vous vous ferez baptiser demain
matin. »
« Comme vous l’entendez, répliqua Edward, je suis prêt à tout moment. »
Avant le baptême, Joseph reçoit une révélation appelant Edward à
prêcher
et à se préparer pour le jour où le Christ viendra dans son temple.
Edward est baptisé et part promptement faire connaître l’Évangile à
ses parents et aux autres membres de sa famille. Pendant ce temps,
Sidney reste à Fayette pour servir de secrétaire à Joseph et se
retrouva rapidement enrôlé dans un nouveau projet.
Des mois plus tôt, Joseph et Oliver ont commencé une traduction
inspirée de la Bible. Ils ont appris, grâce au Livre de Mormon, que
des vérités précieuses ont été corrompues au fil des siècles et
ôtées de l’Ancien et du Nouveau Testament. À l’aide de la Bible
qu’Oliver a achetée à la librairie Grandin, ils ont commencé à
étudier le livre de la Genèse, recherchant l’inspiration au sujet des
passages qui semblent incomplets ou confus.
Bientôt, le Seigneur révèle à Joseph une vision qu’a d’abord eue
Moïse et qui manque dans l’Ancien Testament. Dans la nouvelle version
rétablie des Écritures, Dieu montre à Moïse des « mondes sans nombre
», lui dit qu’il a créé toutes choses spirituellement avant de
les créer physiquement et enseigne que l’objectif de cette création
splendide est de permettre aux hommes et aux femmes de recevoir la
vie éternelle.
Après le départ d’Oliver en mission dans l’Ouest, Joseph a continué
de traduire avec John Whitmer et Emma comme secrétaires jusqu’à
l’arrivée de Sidney. Dernièrement, le Seigneur a commencé à
dévoiler d’autres pans de l’histoire du prophète Hénoc dont la vie et
le ministère ne sont mentionnés que brièvement dans la Genèse.
Pendant que Sidney écrit sous la dictée de Joseph, ils apprennent
qu’Hénoc est un prophète qui a réuni un peuple obéissant et béni.
Comme les Néphites et les Lamanites qui, après la visite du Sauveur en
Amérique, ont fondé une société juste, le peuple d’Hénoc a
appris à vivre ensemble dans la paix. L’Écriture rapporte qu’ils
étaient d’un seul cœur et d’un seul esprit, et qu’ils demeuraient dans
la justice
; et il n’y avait pas de pauvres parmi eux.
Sous la direction d’Hénoc, le peuple a bâti une ville sainte
appelée Sion, que Dieu a fini par recevoir en sa présence. Là,
Hénoc a parlé avec Dieu, alors qu’ils regardaient la terre, et Dieu
a pleuré sur la méchanceté et les souffrances de ses enfants. Il
a dit à Hénoc que le jour viendrait où la vérité sortirait de la
terre et où son peuple bâtirait une autre ville de Sion pour les justes.
En réfléchissant à la révélation, Sidney et Joseph ont la certitude que
le jour
où le Seigneur établira de nouveau Sion sur la terre est arrivé.
Comme le peuple d’Hénoc, les saints doivent e préparer, s’unir de
cœur et d’esprit afin d’être prêts à bâtir la ville sainte et son
temple dès que le Seigneur en révélera l’emplacement.
À la fin du mois de décembre, il commande à Joseph et à Sidney
d’interrompre leur travail de traduction. Il déclare : « Je donne à
l’Église le commandement qu’il m’est opportun qu’elle se rassemble en
Ohio. » Ils doivent se rassembler avec les nouveaux convertis de la
région de Kirtland et attendre le retour des missionnaires partis dans
l’Ouest.
Le Seigneur déclare : « Il y a là de la sagesse, et que chacun
choisisse pour lui-même jusqu’à ce que je vienne. »
L’appel des saints à s’installer en Ohio rend plus proche
l’accomplissement des prophéties d’autrefois relatives au rassemblement
du peuple de Dieu. La Bible et le Livre de Mormon promettent tous les
deux que le Seigneur rassemblera son peuple d’alliance pour le
protéger des périls des derniers jours. Dans une révélation récente, le
Seigneur a dit à Joseph que ce rassemblement est imminent.
Mais l’appel est quand même un choc. À l’occasion de la troisième
conférence de l’Église, tenue chez les Whitmer peu après le jour de
l’An, beaucoup de saints sont troublés ; ils se posent de
nombreuses questions au sujet du commandement. L’Ohio est aiblement
colonisé et à des centaines de kilomètres de distance. La plupart des
membres de l’Église ne savent pas grand-chose de cet endroit.
Beaucoup ont aussi travaillé dur pour valoriser leurs propriétés et
cultiver des fermes prospères à New York. S’ils déménagent en groupe
en Ohio, il faudra qu’ils vendent rapidement leurs possessions et ils
perdront probablement de l’argent. Certains risquent même de se
ruiner financièrement, surtout si la terre en Ohio s’avère être moins
riche et fertile que celle de New York.
Espérant apaiser les craintes au sujet du rassemblement, Joseph se
réunit avec les saints et reçoit une révélation. Le Seigneur déclare :
«
Je vous propose et daigne vous donner de plus grandes richesses, même
une terre de promission […] et je vous la donnerai pour pays de votre
héritage, si vous la recherchez de tout votre cœur. » En se
rassemblant, les saints pourront s’épanouir en un peuple juste et
être protégés des méchants.
Le Seigneur promet deux bénédictions supplémentaires aux personnes
qui se rassemblent en Ohio. Il dit : « Je vous y donnerai ma loi ; et
vous y serez dotés du pouvoir d’en haut. »
La révélation apaisel’esprit de la plupart des saints dans la pièce
mais quelques personnes refusent de croire qu’elle vient de Dieu. La
famille de Joseph, les Whitmer et les Knight font partie des
personnes qui croient et décident d’y obéir.
En tant que dirigeant de la branche de Colesville, Newel Knight rentre
chez lui et commença à vendre ce qu’il peut. Il passe également une
grande partie de son temps à rendre visite aux membres de l’Église.
Suivant l’exemple du peuple d’Hénoc, lui et d’autres saints de
Colesville travaillent ensemble et font des sacrifices pour
s’assurer que les pauvres pourront faire le voyage avant le printemps.
Entretemps, Joseph ressent le besoin urgent d’aller à Kirtland et de
rencontrer les nouveaux convertis. Bien qu’Emma soit enceinte de
jumeaux
et en train de récupérer suite à une longue maladie, elle grimpa à bord
du traîneau, déterminée à l’accompagner.
En Ohio, l’Église est en difficulté. Après le départ des
missionnaires vers l’Ouest, le nombre de convertis à Kirtland a
continué d’augmenter, mais beaucoup de saints ne sont as certains de
la manière de pratiquer leur nouvelle religion. La plupart consultent
le Nouveau Testament pour être guidés, comme ils l’ont fait avant
de se joindre à l’Église, mais sans la direction d’un prophète, il
semble y avoir autant de façons d’interpréter le Nouveau Testament
que de saints à Kirtland.
Elizabeth Ann Whitney faisait partie des personnes qui aspiraient à
connaître les dons spirituels de l’Église chrétienne primitive. Avant
la venue des missionnaires à Kirtland, Ann et son mari, Newel, avaient
prié de nombreuses fois pour savoir comment ils pouvaient recevoir le
don du Saint-Esprit.
Un soir, pendant qu’ils prient pour être guidés, ils ont la
vision d’un nuage reposant sur leur foyer. L’Esprit remplit la pièce et
leur maison disparaît lorsque le nuage l’enveloppe. Ils entendent une
voix venant des cieux : « Préparez-vous à recevoir la parole du
Seigneur, car elle arrive. »
Ann n’a pas grandi dans un foyer religieux et ses parents
ne vont ni l’un ni l’autre à l’église. Son père n’aime pas les
ecclésiastiques et sa mère est toujours occupée à des tâches
ménagères ou à prendre soin des jeunes frères et sœurs d’Ann. Ils
l’ont tous les deux encouragée à profiter de la vie plutôt qu’à
rechercher Dieu.
Mais Ann a toujours été attirée par le spirituel, et lorsqu’elle
a épousé Newel, elle a exprimé le désir de trouver une Église.
Devant son insistance, ils se sont joints à l’assemblée de Sidney
Rigdon parce qu’elle croit que ses principes sont ceux qui se
rapprochent le plus de ceux qu’elle trouve dans les Écritures. Plus
tard, la première fois qu’elle entend Parley Pratt et ses compagnons
prêcher l’Évangile rétabli, elle est convaincue que ce qu’ils ont
enseigné
est vrai.
Ann se joint à l’Église et se réjouit de sa nouvelle religion, mais
elle est troublée par les façons différentes dont les gens la
pratiquent. Ses amis, Isaac et Lucy Morley continuent d’inviter les
gens à vivre dans leur ferme et à partager leurs biens. Leman Copley,
propriétaire d’une grande ferme à l’est de Kirtland, conserve des
enseignements du temps où il faisait partie des Shakers, une communauté
religieuse installée dans les environs.
Certains des saints de Kirtland poussent leurs croyances à des
extrêmes débridés, se délectant de ce qu’ils prennentpour des dons de
l’Esprit. Plusieurs personnes prétendent avoir des visions qu’elles
ne peuventpas expliquer. Certaines croient que le Saint-Esprit les
fait glisser ou filer sur le sol. Un homme saute d’une pièce à
l’autre ou se balance aux solives chaque fois qu’il pense qu’il
ressent l’Esprit. Un autre se prend pour un babouin.
Voyant ces comportements, certains convertis se découragent et
abandonnent la nouvelle Église. Ann et Newel continunt de prier,
confiants que le Seigneur leur indiquera la voie à suivre.
Le 4 février 1831, un traîneau arrive à Kirtland, devant le magasin
dont Newel est propriétaire et gérant. Un homme âgé d’environ
vingt-cinq ans en descend, bondit à l’intérieur et lui tend la main
par-dessus le comptoir. Il s’écrie : « Vous devez être Newel K.
Whitney ! »
Newel lui serre la main. Il dit : « Vous avez un avantage sur moi. Je
ne pourrais pas vous appeler par votre nom comme vous venez de le faire
pour moi. »
L’homme s’exclame : « Je suis Joseph, le prophète. Vous avez prié pour
que je vienne ici, maintenant dites-moi ce que vous attendez de moi. »
CHAPITRE 11 :
Vous
recevrez ma loi
Ann et Newel Whitney sont reconnaissants d’avoir Joseph et Emma à
Kirtland. Bien qu’ayant trois jeunes enfants et hébergeant une tante,
ils invitent les Smith à rester chez eux jusqu’à ce qu’ils se
trouvent un logement. Du fait que la grossesse d’Emma est avancée,
Ann et Newel emménagent dans une pièce à l’étage afin que Joseph et
elle puissent avoir la chambre au rez-de-chaussée.
Après son installation chez les Whitney, Joseph commence à rendre
visite aux nouveaux convertis. Kirtland se résume à un petit
agglomérat de maisons et de boutiques sur une colline au sud du magasin
des Whitney. Un petit ruisseau longe la ville, alimentant des
moulins et se jetant au nord dans un cours d’eau plus important.
Environ un millier de personnes habitent là.
En rendant visite aux membres de l’Église, Joseph voit leur engouement
pour les dons spirituels et leur désir sincère de modeler leur vie sur
celle des saints du Nouveau Testament. Joseph aime beaucoup les dons
de l’Esprit et sait qu’ils ont un rôle à jouer dans l’Église
rétablie mais il s’inquiète parce que certains saints à Kirtland les
recherchent exagérément.
Il voit qu’il a fort à faire. Grâce aux saints de Kirtland, la
population de l’Église a plus que doublé, mais il est clair que
ceux-ci ont besoin de directives supplémentaires de la part du
Seigneur.
À mille deux cents kilomètres à l’ouest, Oliver et les autres
missionnaires arrivent dans la petite ville d’Independence, dans le
comté de Jackson, au Missouri, à la frontière ouest des États-Unis. Ils
trouvt un logement et du travail pour subvenir à leurs besoins et
ensuite, dressèrent des plans pour rendre visite aux Indiens Delaware
qui habitent à quelques kilomètres à l’ouest de la ville.
Les Delaware viennent de s’installer sur le territoire après avoir été
chassés de leurs terres par les mesures de délocalisation
gouvernementales américaines. Leur chef, Kikthawenund, est un homme
âgé qui a lutté pendant plus de vingt-cinq ans afin de préserver la
cohésion parmi son peuple pendant que les colons et l’armée américaine
les repoussaient vers l’ouest.
Un matin froid de janvier 1831, Oliver et Parley entreprennent de
rencontrer Kikthawenund. Ils le trouvent assis près d’un feu, au
centre d’une grande hutte, dans le camp des Delaware. Le chef leur
serre chaleureusement la main et les invite à prendre place sur des
couvertures.Ses épouses placent devant les missionnaires une
casserole en fer blanc fumante, remplie de haricots et de maïs, et ils
mangent avec une cuillère de bois.
À l’aide d’un interprète, Oliver et Parley parlent à Kikthawenund du
Livre de Mormon et demandent l’autorisation de faire part de son
contenu à son conseil des gouverneurs. En règle générale, Kikthawenund
ne permet pas aux missionnaires de parler à son peuple, mais il
leur dit qu’il va y réfléchir et qu’il leur fera rapidement part
de sa décision.
Le lendemain matin, les missionnaires reviennent à la hutte et après
discussion, le chef réunit un conseil et invite les missionnaires à
prendre la parole.
Les remerciant, Oliver scrute les visages de son auditoire. Il dit : «
Nous avons voyagé dans le désert, traversé des fleuves profonds et
larges, cheminé dans la neige épaisse pour vous communiquer une grande
connaissance qui vient juste d’arriver à nos oreilles et à notre cœur. »
Il présente le Livre de Mormon comme étant une histoire des ancêtres
des Amérindiens. Il explique : « Le livre a été écrit sur des plaques
d’or et transmis de père en fils pendant de nombreux siècles. » Il
raconte comment Dieu a aidé Joseph à trouver et à traduire les
plaques afin que leur contenu puisse être publié et communiqué à tout
le monde, y compris aux Indiens.
Après avoir fini de parler, Olivier tend à Kikthawenund un Livre de
Mormon et attend que le conseil et lui l’examinent. Le vieil
homme dit : « Nous sommes vraiment reconnaissants à nos amis blancs
d’avoir fait un si long voyage et de s’être donné tant de mal pour nous
apporter de bonnes nouvelles, et en particulier cette dernière nouvelle
au sujet du livre de nos ancêtres. »
Il explique que les rigueurs de l’hiver ont été pénibles pour son
peuple. Leurs abris sont médiocres et leurs animaux meurent. Ils
doivent construire des maisons et des barrières, préparer des fermes
pour le printemps. Pour l’instant, ils ne sont pas prêts à héberger
des missionnaires.
Kikthawenund promet : « Nous construirons une maison pour le conseil et
vous nous lirez le livre de nos ancêtres et nous instruirez à son sujet
et au sujet de la volonté du grand Esprit. »
Quelques semaines plus tard, Oliver envoie un rapport à Joseph. Après
avoir décrit la rencontre des missionnaires avec Kikthawenund, il admet
qu’il n’est toujours pas sûr que les Delaware accepteront le Livre de
Mormon. Il écrivit : « Je suis incertain quant au dénouement de
l’affaire avec cette tribu. »
Joseph demeure optimiste au sujet de la mission chez les Indiens, tout
en se consacrant à affermir l’Église à Kirtland. Peu après avoir
rencontré les saints en ce lieu, il reçoit une révélation à leur
attention. Le Seigneur promet de nouveau : « Vous recevrez ma loi, par
la prière de votre foi, afin de savoir comment gouverner mon Église et
avoir tout en ordre devant moi. »
D’après son étude de la Bible, Joseph sait que Dieu a donné à
Moïse une loi pendant que ce dernier conduisait son peuple vers la
terre promise. Il sait aussi que Jésus-Christ est venu sur la terre
et a précisé le sens de sa loi tout au long de son ministère.
Maintenant, il peut, une fois de plus, la divulguer au peuple de son
alliance.
Dans la nouvelle révélation, le Seigneur félicite Edward Partridge de
la pureté de son cœur et l’appelle à être le premier évêque de
l’Église. Il ne décrit pas en détail les devoirs d’un évêque mais il
dit qu’Edward doit consacrer tout son temps à l’Église et aider les
saints à obéir à la loi que le Seigneur leur donnera.
Une semaine plus tard, le 9 février, Edward se réunit avec Joseph et
d’autres anciens de l’Église pour prier afin de la recevoir. Les
anciens posent à Joseph une série de questions au sujet de la loi et
le Seigneur révèle les réponses par son intermédiaire. Certaines de ces
réponses réitèrent des vérités familières, affirmant les principes
relatifs aux dix commandements et aux enseignements de Jésus. D’autres
donnent aux saints de nouvelles idées sur la manière de les respecter
et d’aider les personnes qui les enfreignent.
Le Seigneur donne aussi des commandements pour aider les saints à
devenir semblables au peuple d’Hénoc. Au lieu de mettre leurs biens en
commun comme le font les gens installés chez les Morley, ils
doivent considérer toutes leurs terres et leurs richesses comme une
intendance sacrée confiée par Dieu pour prendre soin de leur famille,
soulager les pauvres et édifier Sion.
Les saints qui décident d’obéir à la loi doivent consacrer leurs
possessions à l’Église en en transférant la propriété à l’évêque. Ce
dernier leur redonna ensuite des terres et des biens sous forme
d’héritage en Sion, en fonction des besoins de leur famille. Les saints
qui reçoivent un héritage doivent agir en qualité d’intendants de
Dieu, utilisant les terres et les outils qu’ils ont reçus et
remettant ce qu’ils n’utilisent pas pour aider les nécessiteux,
édifier Sion et bâtir le temple.
Le Seigneur exhorte les saints à obéir à cette loi et à continuer de
chercher la vérité. Il promet : « Si tu le demandes, tu recevras
révélation sur révélation, connaissance sur connaissance, afin que tu
connaisses les mystères et les choses paisibles, ce qui apporte la
joie, ce qui apporte la vie éternelle. »
Joseph reçoit d’autres révélations qui mettent de l’ordre dans
l’Église.
Suite aux comportements extrêmes de certains saints, le Seigneur
affirme que de faux esprits se sont répandus sur la terre, trompant
les gens en leur faisant croire que le Saint-Esprit est responsable
de leurs folles actions. Il dit que l’Esprit n’alarme pas et
n’embrouille pas les gens mais les édifie et les instruit.
Il déclare : « Ce qui n’édifie pas n’est pas de Dieu. »
Peu de temps après que le Seigneur a révélé sa loi à Kirtland, les
saints de New York font les derniers réparatifs pour se rassembler
en Ohio. Ils vendent leurs terres et leurs possessions à perte,
chargent leurs biens sur des chariots et disent au revoir à leur
famille et à leurs amis.
Elizabeth et Thomas Marsh font partie des saints qui se
préparent à déménager. Après avoir reçu les pages du Livre de Mormon
et être rentré chez lui à Boston, Thomas a emménagé à New York avec
sa famille afin de se rapprocher de Joseph et de l’Église. L’appel à se
rassembler en Ohio arrive à peine quelques mois plus tard et Elizabeth
et Thomas remballent leurs affaires, déterminés à se rassembler avec
les saints et à édifier Sion où que le Seigneur le commande.
La détermination d’Elizabeth découlait de sa conversion. Bien que
croyant que le Livre de Mormon est la parole de Dieu, elle ne se fait
pas baptiser tout de suite. Cependant, après avoir accouché d’un fils à
Palmyra, elle demande au Seigneur un témoignage de la véracité de
l’Évangile. Peu de temps après, elle reçoit le témoignage qu’elle
recherche et se join à l’Église, ne pouvant renier ce qu’elle
sait et prête à apporter son aide à l’œuvre.
Peu avant de quitter l’Ohio, Elizabeth écrit à la sœur de Thomas : «
Un grand changement s’est produit en moi, aussi bien dans mon corps que
dans mon esprit. J’éprouve le désir d’être reconnaissante de ce que
j’ai reçu et d’en rechercher encore davantage. »
Dans la même lettre, Thomas annonce la nouvelle du rassemblement. Il
déclare : « Le Seigneur appelle tout le monde au repentir et à se
rassembler rapidement en Ohio. » Il ne sait pas si les saints se
rendent en Ohio pour édifier Sion ou s’ils se préparent à un
déménagement plus ambitieux à l’avenir. Mais cela n’a aucune
importance. Si le Seigneur leur commande de se rassembler au
Missouri, ou même dans les montagnes Rocheuses à mille cinq cents
kilomètres de la frontière occidentale du pays, il est prêt à partir.
Il explique à sa sœur : « Nous ne savons rien de ce que nous devons
faire, à moins que cela ne nous soit révélé. Mais nous savons au moins
ceci : une ville sera construite en terre promise. »
Une fois la loi du Seigneur révélée et les saints de New York en cours
de rassemblement en Ohio, Joseph et Sidney se remettent à la traduction
inspirée de la Bible. Ils passent du récit d’Hénoc à l’histoire du
patriarche Abraham, à qui le Seigneur fait la promesse qu’il sera le
père de nombreuses nations.
Le Seigneur ne révèle pas de changements considérables dans le texte
mais, en lisant l’histoire d’Abraham, Joseph médite beaucoup sur la vie
de ce dernier. Pourquoi le Seigneur n’a-t-il pas condamné Abraham et
d’autres patriarches de l’Ancien Testament pour avoir épousé plusieurs
femmes, une pratique que les lecteurs américains de la Bible exècrent
?
Le Livre de Mormon donnee une réponse. À l’époque de Jacob, frère
cadet de Néphi, le Seigneur commande aux Néphites de n’avoir qu’une
femme. Mais il déclare également qu’il peut altérer ce commandement,
si la situation l’exige, afin d’élever des enfants justes.
Joseph prie à ce sujet et le Seigneur révèle que parfois, il commande
à son peuple de pratiquer le mariage plural. Le moment de rétablir ce
principe n’est pas encore arrivé mais le jour viendra où il
demandera à certains saints d’y obéir.
Le sol est encore froid lorsque le premier groupe de saints quitte
New York. Le deuxième groupe, comprenant Lucy Smith et environ
quatre-vingts autres personnes, part peu après. Il embarque sur un
chaland qui va le transporter jusqu’à un grand lac à l’ouest. Au
lac, il va prendre un bateau à vapeur qui l’acheminera jusqu’à un
port non loin de Kirtland. De là, il va voyager par voie de terre
pour la dernière partie de son voyage de quelque cinq cents kilomètres.
Au début, le voyage se déroule sans incident, mais à mi-chemin vers le
lac, une écluse cassée bloque le groupe de Lucy à quai. Comme elles ne
s’attendent pas à être retardées, de nombreuses personnes n’ont pas
emporté suffisamment de nourriture. La faim et l’inquiétude au
sujet du rassemblement amènent certaines d’entre elles à se plaindre.
Lucy leur dit : « Soyez patients et cessez de murmurer. Je n’ai aucun
doute que la main du Seigneur soit sur nous. »
Le lendemain matin, des ouvriers réparent le canal et les saints
recommencent à avancer. Ils arrivent au lac quelques jours plus
tard mais, à leur grand dam, une épaisse couche de glace bloque le
port, les empêchant d’aller plus loin.
La compagnie espère louer une maison en ville pendant qu’elle
attend, mais elle ne trouve qu’une seule grande pièce à se partager.
Heureusement, Lucy rencontre un capitaine de bateau à vapeur qui
connaî son frère et elle s’arrangea pour que son groupe emménage
sur son bâtiment en attendant que la glace se rompe.
Sur le bateau, les saints paraissent découragés. Beaucoup ont
faim et tout le monde est mouillé et a froid. Ils ne voient
aucune solution pour avancer et commencent à se quereller. Les propos
vifs attirent l’attention des badauds. Inquiète que les saints se
donnent en spectacle, Lucy les réprimande.
Elle demande : « Où est votre foi ? Où est votre confiance en Dieu ? Si
vous voulez tous exprimer vos désirs aux cieux, afin que la glace se
rompe et que nous soyons libres, aussi sûr que le Seigneur vit, cela se
fera. »
À cet instant, Lucy entend un bruit semblable à un coup de tonnerre
et la glace du port s’ouvre suffisamment pour laisser passer le bateau
à vapeur. Le capitaine ordonna à ses hommes de prendre leur poste et
ils dirigent le navire à travers l’étroite ouverture passant
dangereusement près de la glace de part et d’autre.
Stupéfaits et reconnaissants, les saints s’unissent en prière sur le
pont.
Pendant que sa mère et les saints de New York voyagent en direction
de l’ouest, Joseph s’installe avec Emma dans un petit chalet sur la
propriété des Morley. Sa direction et la nouvelle loi révélée ont
apporté davantage d’ordre, de compréhension et d’harmonie parmi les
saints en Ohio. Maintenant, de nombreux anciens et leur famille
font de grands sacrifices pour répandre l’Évangile dans les villes
et villages voisins.
Au Missouri, l’œuvre missionnaire est moins fructueuse. Pendant un
certain temps, Oliver a cru que ses collègues et lui faisaient des
progrès avec Kikthawenund et son peuple. Il a rapporté à Joseph : «
Le grand chef dit qu’il croit en chacune des paroles du livre, et de
nombreuses personnes de la tribu croient. » Mais après l’intervention
d’un agent du gouvernement qui menace d’arrêter les missionnaires pour
avoir prêché l’Évangile aux Indiens sans autorisation, Oliver et ses
compagnons doivent mettre un terme à leurs efforts.
Oliver envisage l’idée d’apporter le message à une autre tribu
indienne, les Navajo, qui habitent à mille six cents kilomètres à
l’ouest, mais il ne se sent pas autorisé à voyager aussi loin. Au
lieu de cela, il renvoie Parley vers l’est afin d’obtenir du
gouvernement un permis l’autorisant à prêcher pendant que les autres
missionnaires et lui essaient de convertir des colons à Independence.
Sur ces entrefaites, Joseph et Emma affrontent une nouvelle tragédie.
Le dernier jour du mois d’avril, Emma, aidée de femmes de la famille
Morley, accouche de jumeaux, une fille et un garçon. Mais, comme leur
frère avant eux, les bébés sont frêles et meurent quelques heures
après leur naissance.
Le même jour, une convertie récente appelée Julia Murdock décède après
avoir donné naissance à des jumeaux. Lorsque Joseph l’apprend, il
envoie
un message à son mari, John, l’informant que sa femme et lui sont
disposés à les élever. Le cœur brisé par le deuil et incapable de
prendre soin des nouveau-nés, John accepte l’offre.
Joseph et Emma sont fous de joie d’accueillir les bébés chez eux. Et
lorsque la mère de Joseph arrive saine et sauve de New York, elle peut
tenir tendrement ses nouveaux petits-enfants dans ses bras.
CHAPITRE 12 :
Après beaucoup de tribulations
Au
printemps de 1831, Emily Partridge, sept ans, habite une ville au
nord-est de Kirtland avec ses parents, Edward et Lydia, et ses quatre
sœurs. Ils possèdent une belle maison en bois de charpente avec une
grande pièce et deux chambres à coucher au rez-de-chaussée. En haut, il
y a une chambre, une autre grande pièce et un placard où ils
rangeent leurs vêtements. Au sous-sol il y a une cuisine ainsi
qu’une cave où l’on entrepose les légumes et qui est si sombre
qu’Emily en a peur.
Dehors, le grand jardin lui offre un endroit pour jouer et explorer.
Ils ont un jardin de fleurs, des arbres fruitiers, une grange et un
terrain vague où son père a l’intention de bâtir un jour une maison
encore plus belle. Sa chapellerie se situee aussi dans les environs.
Sous le comptoir du magasin, elle trouve toujours des rubans colorés
et d’autres trésors. Le bâtiment entier est rempli d’outils et de
machines que son père utilise pour teindre les étoffes et les
fourrures et en faire des chapeaux pour ses clients.
Il ne passe plus beaucoup de temps à confectionner des chapeaux
maintenant qu’il est évêque de l’Église. Avec le rassemblement des
saints de New York en Ohio, il doit les aider à s’installer dans des
logements et à trouver du travail. Parmi les nouveaux arrivants, il y
a la famille Knight et leur branche de l’Église de Colesville.
Sachant qu’à une trentaine de kilomètres au nord-est de Kirtland, Leman
Copley aune grande ferme qu’il a accepté de consacrer au
Seigneur, le père d’Emily envoie les saints de Colesville s’y installer.
Certains saints de New York arrivèrent en Ohio avec la rougeole et
comme ils séjournent souvent chez les Partridge, il ne faut pas
longtemps pour qu’Emily et ses sœurs aient une forte fièvre et des
boutons. Emily guérit au bout de quelque temps mais sa sœur de onze
ans, Eliza, contracte une pneumonie. Bientôt, ses parents regardent
impuissants sa respiration devenir de plus en plus laborieuse et sa
fièvre monter en flèche.
Pendant que la famille s’occupe d’Eliza, son père assiste à une
importante conférence de l’Église dans une école non loin de la ferme
des Morley. Il est absent pendant plusieurs jours et lorsqu’il revient,
il dit à la famille qu’il doit repartir. Joseph a reçu une
révélation qui dit que la prochaine conférence aura lieu au
Missouri. Plusieurs dirigeants de l’Église, dont son père, sont
appelés à s’y rendre dès que possible.
De nombreuses personnes commencent à élaborer des plans pour le
voyage. Dans la révélation, le Seigneur qualifie le Missouri de pays
d’héritage des saints, faisant écho à des descriptions bibliques d’une
terre promise « où coulent le lait et le miel ». C’est là que les
saints doivent construire la ville de Sion.
Le père d’Emily n’est pas désireux de quitter sa famille. Eliza est
encore malade et risque de mourir pendant son absence. Emily voit
bien que sa mère aussi est inquiète. Aussi engagée que soit Lydia
Partridge envers la cause de Sion, elle n’a pas l’habitude de
s’occuper seule des enfants et de la maison. Elle semble se douter
que ses épreuves ne font que commencer.
Polly Knight est malade lorsque les saints de Colesville et elle
s’établissent sur les terres de Leman Copley. La propriété compte deux
cent quatre-vingts hectares d’excellentes terres, offrant suffisamment
d’espace pour permettre à de nombreuses familles de construire des
maisons, des granges et des boutiques. Ici les Knight pourraient
repartir à zéro et pratiquer leur nouvelle religion en paix, même si
beaucoup craignent que Polly ne reste pas longtemps parmi eux.
Le mari et les fils de Polly se mettent rapidement au travail,
construisant des clôtures et ensemençant les champs pour exploiter la
terre. Joseph et l’évêque Partridge encouragent également les saints
de Colesville à consacrer leurs possessions conformément à la loi du
Seigneur.
Cependant, après que l’installation a commencé à prendre forme, Leman
se retire de l’Église et dit aux saints de Colesville de s’en aller de
ses terres. N’ayant nulle part où aller, les saints expulsés
demandent à Joseph de s’enquérir de la volonté du Seigneur à leur
égard.
Le Seigneur leur dit : « [Vous] entreprendr[ez] [votre] voyage vers les
régions de l’Ouest, vers le pays de Missouri. »
Maintenant qu’ils savent que Sion sera au Missouri et non en Ohio,
les saints de Colesville se rendent compte qu’ils seron parmi les
premiers membres de l’Église à s’y installer. Ils commencent à se
préparer pour le voyage et, environ deux semaines après la révélation,
Polly et le reste de la branche quittent la région de Kirtland et
montent à bord de bateaux qui les acheminent vers l’ouest.
Pendant que sa famille et elle descendent le fleuve, elle exprime son
désir le plus grand, qui est d’atteindre Sion avant de mourir. Elle
a cinquante-cinq ans et sa santé décline. Son fils, Newel, est déjà
descendu à terre afin d’acheter du bois pour un cercueil au cas où
elle mourrait avant d’arriver au Missouri.
Mais Polly est déterminée à être enterrée en Sion et nulle part
ailleurs.
Peu après le départ des saints de Colesville, le Prophète, Sidney et
Edward Partridge se mettent en route pour le Missouri avec plusieurs
anciens de l’Église. Ils voyagent essentiellement par voie terrestre,
prêchant l’Évangile en chemin et parlant des espoirs qu’ils fondent
en Sion.
Joseph parle avec optimisme de l’Église à Independence. Il dit à
certains des anciens qu’Oliver et les autres missionnaires sont sûrs
d’y avoir établi une branche forte de l’Église, comme ils l’ont
fait à Kirtland. Certains des anciens prennent ces propos pour une
prophétie.
En approchant du comté de Jackson, les hommes admirent les prairies
ondulantes qui les entourent. Le Missouri, avec toutes ces terres sur
lesquelles les saints peuvent se disséminer, semble être l’endroit
idéal pour Sion. Et Independence, ville située à proximité d’un grand
fleuve et des territoires indiens, pourrait être le lieu parfait pour
rassembler le peuple de l’alliance de Dieu.
Mais lorsqu’ils arrivent en ville, les frères ne sont pas
impressionnés par ce qu’ils voient. Ezra Booth, ancien prédicateur qui
s’est joint à l’Église après avoir vu Joseph guérir le bras paralysé
d’une femme, trouve l’endroit lugubre et inexploité. Il y a un
tribunal, quelques magasins, plusieurs maisons de rondins, et pas
grand-chose de plus. Les missionnaires n’ont baptisé qu’une poignée
de personnes dans la région donc la branche n’est pas aussi forte que
ce à quoi Joseph s’attendait. Se sentant induits en erreur, Ezra et
d’autres commencent à remettre en question les dons de prophète de
Joseph.
Joseph aussi est déçu. Fayette et Kirtland sont de petits villages,
mais Independence n’est rien de plus qu’un comptoir d’échange
arriéré. La localité est le point de départ de pistes en direction de
l’ouest et de ce fait elle attire des trappeurs et des transporteurs
ainsi que des fermiers et de petits hommes d’affaires. Toute sa vie,
Joseph a connu des gens exerçant ces métiers mais il trouve les
hommes d’Independence particulièrement impies et brutaux. De plus, les
agents du gouvernement de la ville se méfient des missionnaires et
vont probablement rendre la prédication aux Indiens difficile,
peut-être même impossible.
Découragé, Joseph présente ses inquiétudes au Seigneur. Il demande : «
Quand le désert fleurira-t-il comme une rose ? Quand Sion sera-t-elle
établie dans sa gloire, et où le temple se tiendra-t-il ? »
Le 20 juillet, six jours après son arrivée, les prières de Joseph
sont exaucées. Le Seigneur lui dit : « Ce pays […] est le pays que
j’ai désigné et consacré pour le rassemblement des saints. »
Ils n’ont aucune raison de regarder ailleurs. Le Seigneur déclare : «
C’est
pourquoi, c’est le pays de promission et le lieu pour la ville de Sion.
» Les saints doivent acheter autant de terres disponibles qu’ils le
peuvent, construire des maisons et ensemencer des champs. Et sur un
promontoire à l’ouest du tribunal, ils doivent bâtir un temple.
Même après que le Seigneur a révélé sa volonté pour Sion, certains
saints demeurent sceptiques au sujet d’Independence. Comme Ezra
Booth, Edward s’est attendu à trouver une grande branche de l’Église
dans la région. Au lieu de cela, les saints et lui doivent édifier
Sion dans un lieu où les gens se méfient d’eux et ne s’intéressent
pas du tout à l’Évangile rétabli.
Il comprend également qu’en qualité d’évêque de l’Église, la
responsabilité de jeter les fondements de Sion repose en grande
partie sur ses épaules. Afin de préparer la terre promise pour les
saints, il doit en acheter autant que possible à distribuer en
héritage aux personnes qui arrivent en Sion et respectent la loi de
consécration. Cela signifie qu’il devra rester au Missouri et
installer sa famille en Sion de façon permanente.
Edward veut participer à l’établissement de Sion, mais il se pose des
questions sur la révélation, sur ses nouvelles
responsabilités et sur la région. Un jour, pendant qu’il inspecte les
terres d’Independence et des alentours, il fait remarquer à Joseph
qu’elles ne sont pas aussi bonnes que d’autres dans les environs. Il
perd patience avec le prophète et ne voit pas comment les saints
pourraient établir Sion à cet endroit.
Joseph témoigne : « Moi je le vois, et il en sera ainsi. »
Quelques jours plus tard, le Seigneur révèle de nouveau sa parole à
Joseph, à Edward et aux autres anciens de l’Église. Il déclare : « Pour
le moment, vous ne pouvez pas voir de vos yeux naturels le dessein de
votre Dieu concernant ces choses qui viendront plus tard et la gloire
qui suivra beaucoup de tribulations. Car c’est après beaucoup de
tribulations que viennent les bénédictions. »
Dans la révélation, le Seigneur réprimande également Edward pour son
incrédulité. Il dit de l’évêque : « S’il ne se repent pas de ses
péchés, […] qu’il prenne garde de peur de tomber. Voici, sa mission lui
est donnée et elle ne sera pas donnée de nouveau. »
La mise en garde remplit Edward d’humilité. Il demandeau Seigneur de
pardonner son aveuglement de cœur et dit à Joseph qu’il resteraià
Independence et préparera les terres de Sion pour les saints. Il
s’inquiète cependant encore de ne pas être à la hauteur de la tâche
énorme qui l’attend.
Dans une lettre adressée à Lydia, il confesse : « Je crains que mon
poste soit au-delà de ce que je suis capable d’accomplir à la
satisfaction de mon Père céleste. Prie pour moi afin que je ne tombe
pas. »
Au bout de trois semaines de voyage, Polly Knight arrive à Independence
avec les saints de Colesville. Elle se tien faiblement sur ses
jambes, reconnaissante d’avoir atteint le pays de Sion. Néanmoins, son
corps s’affaiblit rapidement et deux convertis récents de la région
l’hébergent afin qu’elle puisse se reposer dans un confort relatif.
En explorant la région en quête d’un endroit où s’installer, les Knight
trouvent la campagne belle et agréable, avec une terre riche qu’ils
pourraient exploiter et cultiver. Les gens aussi paraissent amicaux à
leur égard, bien qu’ils soient des étrangers. Contrairement aux anciens
de Kirtland, les membres de Colesville croient que les saints
peuvent édifier Sion en ce lieu.
Le 2 août, les saints du Missouri se réunissent à plusieurs kilomètres
à
l’ouest d’Independence pour commencer à construire la première maison
en Sion. Joseph et douze hommes de la branche de Colesville, qui
représentent symboliquement les tribus d’Israël, posent le premier
rondin du bâtiment. Sidney consacre ensuite le pays de Sion pour le
rassemblement des saints.
Le lendemain, sur une parcelle à l’ouest du tribunal d’Independence,
Joseph pose soigneusement une pierre unique pour marquer l’angle du
futur temple. Quelqu’un ouvre alors une Bible et lit dans le
quatre-vingt-septième psaume : « L’Éternel aime les portes de Sion plus
que toutes les demeures de Jacob. Des choses glorieuses ont été dites
sur toi, Ville de Dieu ! »
Quelques jours plus tard, Polly meurt, louant le Seigneur de l’avoir
soutenue dans sa souffrance. Le prophète prononce l’éloge funèbre et
son mari ensevelit le corps dans un bosquet non loin du site du temple.
Elle est la première sainte à reposer en Sion.
Le même jour, Joseph reçoit une autre révélation : « Bénis, dit le
Seigneur, sont ceux qui sont venus dans ce pays, ayant l’œil fixé
uniquement sur ma gloire, conformément à mes commandements. Car ceux
qui vivent hériteront la terre, et ceux qui meurent se reposeront de
tous leurs labeurs. »
Peu après les obsèques, Ezra et d’autres anciens de l’Église reprennent
la route de Kirtland avec Joseph, Oliver et Sidney. Ezra est soulagé
de rentrer chez lui en Ohio. Contrairement à Edward, il n’a pas
connu de changement de cœur au sujet de Joseph et de l’emplacement de
Sion.
Les hommes mettent des canoës à l’eau sur le vaste Missouri, juste au
nord d’Independence, et le descendent. À la fin de la première
journée de voyage, ils sont de bonne humeur et savournt sur la
berge un dindon sauvage en guise de dîner. Le lendemain, par contre, il
fait chaud en ce mois d’août et le fleuve est agité et difficile à
naviguer. Les hommes sont rapidement fatigués et commencent à se
critiquer mutuellement.
Oliver finit par crier aux hommes : « Aussi vrai que l’Éternel est
vivant, si vous ne vous conduisez pas mieux, vous allez avoir un
accident. »
Joseph prend la direction de son canoë le lendemain après-midi, mais
certains des anciens sont en colère contre lui et Oliver, et ils
refusent de pagayer. Dans un méandre dangereux du fleuve, ils
percutent un arbre immergé et manquent de chavirer. Craignant pour la
vie de tous les membres de la compagnie, Joseph et Sidney ordonnent
aux hommes de quitter le fleuve.
Après avoir installé le camp, Joseph, Oliver et Sidney essaient de
parler au groupe et d’apaiser les tensions. Irrités, les hommes
traitent Joseph et Sidney de lâches pour avoir quitté le fleuve, se
moquent de la manière dont Oliver manœuvrait son canoë et accusent
Joseph de se prendre pour un dictateur. La querelle dure jusque tard
dans la soirée.
Au lieu de rester debout avec la compagnie, Ezra se couche tôt,
critiquant sévèrement Joseph et les anciens. Pourquoi, se demandait-il,
le Seigneur confierait-il les clés de son royaume à des hommes comme
ceux-ci ?
Plus tard cet été-là, Lydia Partridge reçoit la lettre d’Edward
provenant du Missouri. En plus de ses inquiétudes au sujet de son
appel, il explique qu’il ne va pas rentrer à la maison comme prévu
mais restera au comté de Jackson afin d’acheter des terres pour
les saints. Il joint à la lettre un exemplaire de la révélation
qui lui est adressée, commandant à sa famille de s’installer en Sion.
Lydia est surprise. Lorsqu’il est arti, il av dit à leurs amis
qu’il reviendrait en Ohio dès que son travail au Missouri serait
terminé. Maintenant, avec tant de responsabilités en Sion, il n’est as
sûr de pouvoir rentrer pour aider Lydia et les enfants à faire le
voyage. Cependant, il sait que d’autres familles en Ohio vont déménager
au Missouri cet automne-là, notamment ses conseillers dans
l’épiscopat. C’est aussi le cas pour Sidney Gilbert, un commerçant de
Kirtland, et William Phelps, un imprimeur, qui vont tous deux créer
des entreprises pour l’Église en Sion.
Edward écrit : « Il serait
probablement préférable que tu fasses le
voyage avec eux. »
Sachant qu’Independence offre peu de produits de luxe, iledonne à
Lydia une longue liste d’articles à emporter et d’articles à
abandonner. Il la met en garde : « Nous devons souffrir et subirons
pendant quelque temps des privations auxquelles toi et moi n’avons pas
été habitués. »
Lydia commence à préparer le déménagement. Les enfants sont
maintenant en assez bonne santé pour voyager et elle s’arrange pour
faire la route avec les familles Gilbert et Phelps. Lorsqu’elle met la
propriété familiale en vente, ses voisins expriment leur incrédulité
de voir qu’Edward et elle abandonnent leur maison et leur entreprise
prospère pour suivre un jeune prophète dans le désert.
Lydia n’a pas le moindre désir de tourner le dos au commandement du
Seigneur d’édifier Sion. Elle sait qu’abandonner leur belle maison
sera une épreuve, mais elle croit qu’aider à jeter les fondations
de la ville de Dieu sera un honneur.
CHAPITRE 13 : Le
don est revenu
À la fin du
mois d’août 1831, lorsque Joseph rentre à Kirtland, il
reste quelques tensions entre lui et des anciens qui ont fait le
voyage avec lui jusqu’à Independence. Après leur querelle sur les
berges du Missouri, Joseph et la plupart des frères qui
l’accompagnent se sont humiliés, ont confessé leurs péchés et
demandé pardon. Le lendemain matin, le Seigneur le leur a accordé
et a offert des propos rassurants et encourageants.
Il a dit : « Puisque vous vous êtes humiliés devant moi, les
bénédictions du royaume sont à vous. »
D’autres anciens, dont Ezra Booth, ne fon aucun cas de la révélation
et ne réglènt pas non plus leur différend avec Joseph. De retour à
Kirtland, Ezra continue de critiquer ce dernier et de se plaindre de
ses actions pendant la mission. Une conférence de saints a tôt fait
de révoquer son permis l’autorisant à prêcher et il commence à écrire à
ses amis des lettres critiquant sévèrement la personnalité de Joseph.
Début septembre, le Seigneur réprimande ce comportement agressif et
appelle les anciens à cesser de condamner Joseph pour ses erreurs et de
le critiquer sans raison. Le Seigneur reconnaît : « Il a péché, mais en
vérité, je vous le dis, moi, le Seigneur, je pardonne les péchés à ceux
qui les confessent devant moi et en demandent le pardon. »
Le Seigneure xhorte les saints à être cléments, eux aussi. Il déclare :
« Moi,
le Seigneur, je pardonne à qui je veux pardonner, mais de vous il est
requis de pardonner à tous les hommes. »
Il les exhorte également à faire le bien et à édifier Sion au lieu de
laisser leurs désaccords les désunir. Il leur rappelle : « Ne vous
lassez pas de bien faire, car vous posez les fondements d’une grande
œuvre. Le Seigneur exige le cœur, et un esprit bien disposé ; et celui
qui est bien disposé et obéissant mangera l’abondance du pays de Sion
en ces derniers jours. »
Avant de conclure, le Seigneur appelle quelques membres de l’Église à
vendre leurs possessions et à se rendre au Missouri. La plupart des
saints doivent cependant rester en Ohio et continuer d’y proclamer
l’Évangile. Il est dit à Joseph : « Car moi, le Seigneur, je désire
conserver une place forte dans la région de Kirtland pendant encore
cinq ans. »
Elizabeth Marsh écoute attentivement les anciens décrire le pays de
Sion à leur retour. Ils parlent de terres profondes et noires, de
prairies ondulantes aussi vastes que l’océan et d’un fleuve
tourbillonnant qui semble avoir une vie bien à lui. Bien qu’ayant peu
de bien à dire des Missouriens, beaucoup des anciens reviennent animés
d’optimisme quant à l’avenir de Sion.
Dans une lettre adressée à sa belle-sœur à Boston, Elizabeth relate
tout ce qu’elle sait au sujet de la terre promise. Elle rapporte : «
Ils ont érigé une pierre pour le temple et pour la ville et ont acheté
des terres en aussi grande quantité que la situation le permettait
comme héritage pour les fidèles. » Le site du temple proprement dit
est dans une forêt à l’ouest du tribunal, accomplissant les
prophéties bibliques selon lesquelles la forêt « se changera en verger
» et « la solitude s’égaiera ».
Thomas, le mari d’Elizabeth, est encore au Missouri en train de
prêcher l’Évangile et sa femme s’attend à le voir rentrer à la maison
au
bout d’un mois environ. D’après les anciens, la plupart des personnes
au Missouri ne s’intéressent pas au message qu’il proclame mais des
missionnaires baptisent des gens ailleurs et les envoient rejoindre
Sion.
Sous peu, des centaines de saints se rassembleront à Independence.
À des centaines de kilomètres au sud-ouest de Kirtland, William
McLellin, vingt-cinq ans, se recueille sur la tombe de sa femme,
Cinthia Ann, et de leur bébé. Ils étaient mariés depuis moins de deux
ans
lorsque le bébé et elle sont morts. En qualité d’instituteur,
William a l’esprit vif et un don pour écrire. Mais il ne trouve
rien qui puisse le réconforter pendant les heures solitaires qui
s’écoulent depuis qu’il a perdu sa famille.
Un jour, après la classe, il entend deux hommes parler du Livre de
Mormon. L’un d’eux, David Whitmer, déclare qu’il a vu un ange
témoigner que le Livre de Mormon est vrai. L’autre, Harvey Whitlock,
étonne William tant sa prédication est puissante et claire.
William invite les hommes à lui en dire davantage et il est de nouveau
frappé par les paroles d’Harvey. Il écrit dans son journal : « De
toute ma vie, je n’ai jamais entendu une telle prédication. La gloire
de Dieu semble entourer l’homme. »
Impatient de rencontrer Joseph Smith et d’examiner ses allégations,
William suit David et Harvey jusqu’à Independence. Lorsqu’ils
arrivent, Joseph est déjà reparti pour Kirtland mais William
rencontre Edward Partridge, Martin Harris et Hyrum Smith et entend
leur témoignage. Il parle également à d’autres hommes et femmes en Sion
et s’émerveille de l’amour et de la paix qui règnent parmi eux.
Un jour, à l’occasion d’une longue marche dans les bois, il parle avec
Hyrum du Livre de Mormon et des débuts de l’Église. William veut
croire mais, en dépit de tout ce qu’il a entendu jusque là, il
n’est toujours pas convaincu qu’il doit se joindre à l’Église. Il
veut recevoir un témoignage de la part de Dieu qu’il a trouvé la
vérité.
Tôt le lendemain matin, il prie pour être guidé. Réfléchissant à son
étude du Livre de Mormon, il se rend compte qu’elle lui a ouvert
l’esprit à une nouvelle lumière. Il reçoit alors la connaissance que le
livre était vrai
et se sent tenu à en témoigner, son honneur en dépend. Il est
certain d’avoir trouvé l’Église vivante de Jésus-Christ.
Plus tard ce jour-là, Hyrum le baptise et le confirme, et les deux
hommes prennent la route de Kirtland. Pendant qu’ils prêchent en
chemin, William découvre qu’il a du talent pour tenir les
auditoires en haleine et pour argumenter avec les hommes d’Église.
Cependant, il se montrait parfois arrogant lorsqu’il prêche et se
sent mal lorsque ses vantardises chassent l’Esprit.
Une fois arrivé à Kirtland, William est pressé de parler à
Joseph. Il a plusieurs questions précises qu’il souhaite lui
soumettre mais il les garde pour lui, priant pour que Joseph les
discerne et lui en révèle la réponse. William est maintenant
incertain de ce qu’il doit faire de sa vie et de l’endroit où il
doit aller. Sans famille, il peut se consacrer pleinement à
l’œuvre du Seigneur. Mais une partie de lui veut d’abord assurer son
propre bien-être.
Ce soir-là, il rentre chez lui en compagnie de Joseph et lui demande
une révélation de la part du Seigneur. Il sait que de nombreuses
autres personnes l’ont fait. Joseph accepte et tandis qu’il
reçoit la révélation, William entend le Seigneur répondre à chacune
de ses questions. L’inquiétude cède la place à la joie. Il sait qu’il
a trouvé un prophète de Dieu.
Quelques jours plus tard, le 1er novembre 1831, Joseph réunit un
conseil de dirigeants de l’Église. Ezra Booth a récemment publié
une lettre dans un journal local accusant Joseph de faire de fausses
prophéties et de cacher ses révélations au public. La lettre a été
largement diffusée et de nombreuses personnes commencent à se méfier
des saints et de leur message.
De nombreux membres de l’Église veulent également lire eux-mêmes la
parole du Seigneur. Puisqu’il n’y a que des exemplaires manuscrits
des révélations reçues par Joseph, la plupart d’entre eux ne les
connaissent pas très bien. Les anciens qui veulent les utiliser
dans l’œuvre missionnaire doivent les recopier à la main.
Sachant cela, Joseph propose que les révélations soient publiées dans
un livre. Il est confiant qu’un tel livre aidera les missionnaires
à diffuser plus facilement la parole du Seigneur et fournira aux
voisins curieux des renseignements exacts au sujet de l’Église.
Le conseil en discute pendant des heures. David Whitmer et quelques
autres s’opposent à la publication des révélations, craignant qu’une
divulgation plus ouverte des plans du Seigneur pour Sion ne cause des
problèmes aux saints dans le comté de Jackson. Joseph et Sidney
ne sont pas du même avis, insistant sur le fait que le Seigneur
veut que l’Église publie ses paroles.
Après délibération, le conseil se met d’accord pour publier dix mille
exemplaires d’un recueil des révélations intitulé « Livre des
commandements ». Ils confient à Sidney, Oliver et William McLellin la
tâche de rédiger une préface pour le livre des révélations et de la
leur présenter plus tard dans la journée.
Les trois hommes se mettent immédiatement au travail mais lorsqu’ils
reviennent avec la préface, le conseil n’en est pas satisfait. Ils la
relisent, la décortiquent ligne par ligne, et demandent à Joseph de
demander la volonté du Seigneur à ce sujet. Joseph prie et le Seigneur
révèle une nouvelle préface pour le livre. Sidney enregistre ses
paroles au fur et à mesure que Joseph les prononce.
Dans la nouvelle préface, le Seigneur commande à tout le monde
d’écouter sa voix. Il déclare qu’il a donné ces commandements à
Joseph pour permettre à ses enfants de faire grandir leur foi et leur
confiance en lui, et qu'ils doivent recevoir et proclamer la plénitude
de son
Évangile et son alliance éternelle. Il parle aussi des craintes des
personnes telles que David qui s’inquiètent du contenu des
révélations.
Il déclare : « Ce que moi, le Seigneur, ai dit, je l’ai dit, et je ne
m’en excuse pas ; et même si les cieux et la terre passent, ma parole
ne passera pas, mais s’accomplira entièrement, que ce soit par ma voix
ou par la voix de mes serviteurs, c’est la même chose. »
Lorsque Joseph a prononcé les paroles de la préface, plusieurs
membres du conseil disent qu’ils sont disposés à témoigner de la
véracité des révélations. D’autres dans la pièce sont encore
réticents à publier les révélations dans leur forme actuelle. Ils
savent que Joseph est un prophète, et ils savent que les
révélations sont vraies, mais ils sont gênés que la parole du
Seigneur leur soit parvenue à travers le filtre du vocabulaire limité
et de la grammaire déficiente de Joseph.
Le Seigneur ne partage pas leur inquiétude. Dans sa préface, il
témoigne que les révélations viennent de lui, données à ses
serviteurs « dans leur faiblesse, selon leur langage ». Afin de faire
comprendre aux hommes que les révélations viennent de lui, il en fait
une nouvelle qui lance au conseil le défi de choisir l’homme le plus
sage dans la pièce pour écrire une révélation comme celles que Joseph
a reçues.
Si l’homme est incapable de le faire, toutes les personnes présentes
sauront et devront témoigner que les révélations du Seigneur à
Joseph sont vraies, en dépit de leurs imperfections.
Prenant de quoi écrire, William essaie de rédiger une révélation,
confiant en sa maîtrise de la langue. Lorsqu’il a terminé, il sait, et
les autres hommes présents savent que ce qu’il a écrit ne vient pas du
Seigneur. Ils admettent leur erreur et signent une déclaration
attestant que les révélations ont été données au prophète sous
l’inspiration de Dieu.
En conseil, ils décident que Joseph révisera les révélations et
corrigera les erreurs qu’il pourra découvrir par le Saint-Esprit.
Vers cette époque, Elizabeth Marsh accueille chez elle, à Kirtland,
une prédicatrice itinérante du nom de Nancy Towle. Nancy est une
femme petite et maigre avec de grands yeux qui brillent sous
l’intensité de ses convictions. À trente-cinq ans, elle s’est déjà
fait une réputation en prêchant à de grandes assemblées de femmes et
d’hommes dans des écoles, des églises et des réunions de camp dans tous
les États-Unis. Après lui avoir parlé, Elizabeth voit bien qu’elle est
instruite et ferme dans ses convictions.
Nancy est venue à Kirtland avec un objectif. Bien qu’elle garde
habituellement un esprit ouvert vis-à-vis des autres Églises
chrétiennes, même si elle n’est pas du même avis, Nancy est persuadée
qu’on a berné les saints. Elle veut en savoir plus sur
eux afin d’aider d’autres personnes à résister à leurs enseignements.
Elizabeth n’est pas favorable à une telle mission mais elle
comprend que Nancy défende ce qu’elle pense être la vérité. Elle
écoute leurs prédications et assista à quelques baptêmes dans une
rivière voisine. Plus tard dans la journée, elle accompagne Elizabeth à
une réunion de confirmation avec Joseph, Sidney et d’autres dirigeants
de l’Église.
À la réunion, William Phelps attaque Nancy sur ses doutes au sujet de
la véracité du Livre de Mormon. Il lui dit : « Vous ne serez pas sauvée
si vous ne croyez pas en ce livre. »
Nancy lui lance des regards furieux. Elle dit : « Si j’avais ce livre,
monsieur, je le brûlerais. » Nancy est choquée que tant de personnes
talentueuses et intelligentes puissent suivre Joseph Smith et croire au
Livre de Mormon.
S’adressant au prophète, elle dit : « M. Smith, pouvez-vous, en la
présence du Dieu Tout-Puissant, donner votre parole par serment qu’un
ange du ciel vous a montré l’endroit de ces plaques ? »
Joseph dit avec ironie : « Je ne jurerai pas du tout. » Au lieu de
cela, il s’approche des personnes qui viennent juste de se faire
baptiser, leur impose les mains et les confirme.
Se tournant vers Nancy, Elizabeth témoigne de sa propre confirmation.
Elle dit : « À l’instant où il a placé ses mains sur ma tête, j’ai
senti le Saint-Esprit déferler sur moi comme de l’eau chaude. »
Nancy est vexée, comme si Elizabeth l’avait accusée de ne pas connaître
les sensations associées à l’Esprit du Seigneur. Elle regarde de
nouveau Joseph et dit : « N’avez-vous pas honte d’avoir de telles
prétentions ? Vous, qui n’êtes rien de plus qu’un laboureur ignorant de
notre pays ! »
Joseph témoigne simplement : « Le don est revenu, comme autrefois, à
des pêcheurs illettrés. »
CHAPITRE 14 : Visions et cauchemars
En janvier 1832, Joseph, Emma et les jumeaux logent chez Elsa et John
Johnson à Hiram, en Ohio, à environ quarante-cinq kilomètres au sud de
Kirtland. Les Johnson ont approximativement le même âge que les
parents de Joseph, donc la plupart de leurs enfants sont mariés et
ont quitté leur grande maison, laissant à Joseph beaucoup d’espace
pour se réunir avec les dirigeants de l’Église et travailler à la
traduction de la Bible
Avant leur baptême, Elsa et John faisaient partie des fidèles d’Ezra
Booth. En fait, c’est la guérison miraculeuse d’Elsa opérée par
Joseph qui a amené Ezra à se joindre à l’Église. Mais tandis que ce
dernier aperdu sa foi, les Johnson continuent de soutenir le
prophète, tout comme les Whitmer et les Knight l’ont fait à New
York.
Cet hiver-là, Joseph et Sidney passent la plus grande partie de leur
temps à traduire dans une pièce à l’étage de la maison des Johnson. À
la mi-février, en lisant dans l’évangile de Jean un passage traitant de
la résurrection des âmes justes et injustes, Joseph se demandes’il n’y
av pas davantage de choses à savoir au sujet des cieux ou du salut
du genre humain. Si Dieu récompense ses enfants en fonction de leurs
actions sur la terre, les notions traditionnelles du ciel et de l’enfer
sont-elles trop simplistes ?
Le 16 février, Joseph, Sidney et une douzaine d’hommes sont assis
dans une pièce à l’étage de la maison des Johnson. L’Esprit repose sur
Joseph et Sidney et ils s’immobilisent lorsqu’une vision s’ouvre à
leurs yeux. Ils sont enveloppés par la gloire du Seigneur et voient
Jésus-Christ à la droite de Dieu. Des anges adorent à son trône et
une voix témoigne que Jésus est le Fils unique du Père.
« Que vois-je ? » demandeJoseph alors que Sidney et lui
s’émerveillent des prodiges dont ils sont témoins. Il décri alors ce
qu’il voit et Sidney dit : « Je vois la même chose.
» Sidney pose ensuite la même question et décrit la scène devant
lui. Lorsqu’il termine, Joseph dit : « Je vois la même chose. »
Ils parlent ainsi pendant une heure et leur vision révèle que le plan
de salut de Dieu commence avant la vie sur la terre et que ses
enfants ressusciteront après la mort par le pouvoir de Jésus-Christ.
Ils décrivent également les cieux d’une manière qu’aucune des
personnes présentes n’a jamais imaginée. Au lieu d’être un seul
royaume, les cieux organisés en divers royaumes de gloire.
Joseph et Sidney voient chaque royaume et en donnent
des détails précis. Le Seigneur prépare une gloire téleste pour les
personnes qui ont été méchantes et impénitentes sur la terre. La
gloire terrestre est réservée à celles qui ont mené une vie
honorable mais n’ont pas pleinement obéi à l’Évangile de
Jésus-Christ. La gloire céleste est réservée à celles qui acceptnt
le Christ, contractent et respectent les alliances de l’Évangile et
héritent de la plénitude de la gloire de Dieu.
Le Seigneur révèle à Joseph et Sidney davantage d’éléments au sujet des
cieux et de la résurrection mais leur dit de ne pas les écrire. Il
explique : « Ils ne peuvent être vus et compris que par le pouvoir de
l’Esprit-Saint que Dieu confère à ceux qui l’aiment et se purifient
devant lui. »
Lorsque la vision prend fin, Sidney est sans force et pâle, écrasé par
ce qu’il a vu. Joseph sourit et dit : « Sidney n’y est pas aussi
habitué que moi. »
Pendant que les saints de Kirtland sont mis au courant de la grande
vision des cieux de Joseph, William Phelps installe l’imprimerie de
l’Église à Independence. Il a été rédacteur d’un journal pendant la
plus grande partie de sa vie d’adulte et en plus de travailler sur le
Livre des commandements, il espère publier un mensuel pour les saints
et leurs voisins au Missouri.
Usant d’un ton puissant et confiant, William annonce publiquement le
journal qu’il a l’intention d’appeler : The Evening and the Morning
Star (L’étoile du soir et du matin, ndt). Il déclare : « L’Étoile
empruntera sa lumière à des sources sacrées et sera consacrée aux
révélations de Dieu. » Il croit les derniers jours arrivés et veut
que son journal avertisse les justes comme les méchants du
rétablissement de l’Évangile et du retour imminent du Sauveur sur la
terre.
Il veut également publier d’autres éléments intéressants, notamment
des reportages et de la poésie. Mais bien qu’étant un homme aux
convictions fermes qui laisse rarement passer l’occasion de donner
son avis, William insiste sur le fait que le journal ne se mêlerani
de la politique ni des disputes locales.
Il a été un rédacteur politiquement actif pour d’autres journaux et
a parfois pimenté ses articles et ses éditoriaux d’opinions qui
irritaient ses adversaires. Il sera difficile de rester au-dessus de
la mêlée au Missouri. Néanmoins, il est enchanté à l’idée d’écrire
des articles sur l’actualité et des éditoriaux.
William a sincèrement l’intention de se concentrer sur l’Évangile
dans son journal et il comprend qu’en tant qu’imprimeur de l’Église,
la priorité revient à la publication des révélations. Il promet à ses
lecteurs : « Dès que la sagesse le dictera, on peut s’attendre à ce que
sortent de cette presse de nombreux ouvrages sacrés. »
En Ohio, la vision de Joseph et Sidney fait sensation. De nombreux
saints adoptent rapidement les nouvelles vérités révélées au sujet
des cieux mais d’autres ont du mal à concilier la vision avec leurs
croyances chrétiennes traditionnelles. Est-ce que ce nouveau concept du
ciel sauve trop d’âmes ? Quelques saints rejettent la révélation et
quittent l’Église.
La vision ajoute au trouble de certains de leurs voisins qui sont déjà
perturbés par les lettres qu’Ezra Booth a publiées dans un
journal local. Pendant que celles-ci colportent les critiques d’Ezra
à l’encontre de Joseph, d’autres anciens membres de l’Église
suscitent des questions dans l’esprit des personnes dont des membres
de la famille ou des amis adorent avec les saints.
Au coucher du soleil, à la fin du mois de mars 1832, un groupe d’hommes
se réunit dans une briqueterie à huit cents mètres de chez les Johnson.
Ils allument un feu dans le four afin de chauffer du goudron de pin.
Lorsque le ciel s’assombrit, ils se couvrent le visage de suie et se
glissent dans la nuit.
Emma est au lit, éveillée, lorsqu’elle entend frapper légèrement à
la fenêtre. Le bruit a été assez fort pour attirer son attention
mais pas inhabituel. Elle n’y fait pas attention.
Joseph est allongé tout près sur un lit gigogne, sa respiration
régulière prouvant qu’il était endormi. Les jumeaux ont la rougeole
et plus tôt dans la soirée, Joseph s’est occupé du plus malade des
deux afin qu’Emma puisse dormir. Au bout d’un moment, elle s'est réveillée, lui a pris le bébé et lui a dit de se reposer. Il
doit prêcher le lendemain matin.
Elle est en train de s’assoupir lorsque la porte de la chambre
s’ouvre à la volée et une douzaine d’hommes font irruption dans la
pièce. Ils saisissent Joseph par les bras et les jambes et commencent
à le traîner hors de la maison. Emma hurle.
Joseph se débat farouchement et les hommes resserrèrent leur prise.
Quelqu’un l’attrappe par les cheveux et le tire violemment vers la
porte. Libérant l’une de ses jambes, Joseph donne à l’un d’eux un coup de
pied au visage. Ce dernier trébuche en arrière et tombe à la renverse
sur le pas de la porte, se tenant le nez ensanglanté. Avec un rire
rauque, il se remet sur pied et aplatit sa main ensanglantée sur le
visage de Joseph.
Il hurle : « Je vais te faire la peau. »
Les hommes se débattent pour le sortir de la maison et l’emmener dans
le jardin. Il lutte contre leur étreinte afin de libérer ses membres
puissants mais quelqu’un lui saisit la gorge et la serre jusqu’à ce que
son corps cesse de résister.
Il se réveille dans une prairie à quelque distance de la maison des
Johnson. Les hommes le tiennent encore fermement, un peu au-dessus du
sol, afin qu’il ne puisse pas leur échapper. À quelques pas, il voit la
silhouette à demi-nue de Sidney Rigdon, étendue sur l’herbe. Il
semble mort.
Joseph les implore : « Ayez pitié. Épargnez-moi la vie. »
Quelqu’un crie : « Appelle ton Dieu à l’aide. » Joseph regarde autour
de lui et voit d’autres hommes rejoindre les émeutiers. Un individu
sort d’un verger voisin avec une planche et les autres l’y
allongent et le transportent plus loin dans la prairie.
Après s’être éloignés de la maison, ils déchirent ses vêtements et le
maintiennent allongé pendant que l’un d’eux s’approche de lui avec un
couteau affûté pour le mutiler. L’homme regarde Joseph et finalement
refuse d’utiliser son couteau.
Un autre hurle : « Maudit sois-tu. » Il saute sur Joseph et lacère la
peau du prophète avec ses ongles acérés, laissant la chair à vif. Il
dit : « C’est comme cela que le Saint-Esprit tombe sur les gens. »
Joseph en entend d’autres un peu plus loin en train de se disputer
au sujet de ce qu’ils vont faire de lui et de Sidney. Il n’entend
pas tout ce qu’ils disent mais il lui semble entendre un nom familier
ou deux.
Une fois la querelle terminée, quelqu’un dit : « Goudronnons-lui la
bouche. » Des mains dégoûtantes lui ouvrent la bouche de force
pendant que quelqu’un tente de lui verser une bouteille d’acide dans
la gorge. La bouteille se brise sur ses dents, lui en ébréchant une.
Un autre tente de lui enfoncer une spatule de goudron collant dans la
bouche mais Joseph secoue la tête. L’homme cria : « Maudit sois-tu.
Arrête de bouger. » Il enfonça la spatule jusqu’à ce que le goudron
déborde de ses lèvres.
D’autres hommes arrivent avec un bac entier de goudron et le renversèrent sur
lui. Le goudron coule sur sa peau lacérée et dans ses cheveux. Ils le
couvrent de plumes et le renversent sur le sol froid avant de
s’enfuir.
Après leur départ, Joseph arrache le goudron de ses lèvres et prend une
profonde inspiration. Il essaie de se remettre debout mais les forces
lui manquent. Il tente de nouveau et réussit à tenir sur ses jambes.
Des plumes volent autour de lui.
Lorsqu’elle le voit arriver en trébuchant à la porte des Johnson, Emma
s’évanouit, certaine que les émeutiers l’ont mutilé au point de le
rendre définitivement méconnaissable. En entendant le tumulte,
plusieurs femmes du voisinage ont accouru à la maison. Joseph
demande une couverture pour envelopper son corps meurtri.
Le reste de la nuit, des gens prennent soin de lui et de Sidney, qui
est resté étendu longtemps dans la prairie, respirant à peine. Emma
racle le goudron des membres, de la poitrine et du dos de Joseph.
Pendant ce temps, Elsa Johnson utilise du lard de son cellier pour
assouplir le goudron durci afin de le décoller de la peau et des
cheveux de Joseph.
Le lendemain, Joseph s’habille et fait un sermon depuis le seuil de la
porte des Johnson. Il reconnaît certains des émeutiers dans l’assemblée
mais ne leur dit rien. L’après-midi, il baptise trois personnes.
L’agression a quand même causé de nombreux dommages. Il a le
corps meurtri et endolori par les coups. Sidney est couché, en proie
au délire, oscillant entre la vie et la mort. Les émeutiers l’ont
sorti de chez lui en le traînant par les talons, laissant la tête sans
protection rebondir sur les marches et le sol froid de mars.
Les bébés de Joseph et d’Emma souffrent également. Tandis que la
santé de Julia s’améliore régulièrement, celle de son jumeau, le
petit Joseph décline de plus en plus et il meurt plus tard cette
semaine-là. Le prophète attribue la mort de son fils à l’air froid qui
est entré dans la maison quand les émeutiers l’ont traîné dehors.
Quelques jours après l’enterrement du bébé, Joseph se remet au travail
en dépit de son chagrin. Par obéissance au commandement du Seigneur, il
prend la route du Missouri le 1er avril avec Newel Whitney et Sidney,
qui est encore affaibli par l’agression mais a suffisamment
récupéré pour faire le voyage. Le Seigneur vient d’appeler Newel à
servir comme évêque en Ohio et lui a commandé de consacrer les
excédents financiers de ses entreprises lucratives pour soutenir le
magasin, l’imprimerie et les achats fonciers à Independence.
Le Seigneur veut que les trois hommes se rendent au Missouri et
fassent alliance de coopérer économiquement avec les dirigeants en Sion
pour le profit de l’Église et pour mieux s’occuper des pauvres. Il
veut également qu’ils fortifient les saints afin qu’ils ne perdent
pas de vue leur responsabilité sacrée d’édifier la ville de Sion.
Lorsqu’ils arrivent à Independence, Joseph convoque un conseil de
dirigeants de l’Église et lit une révélation qui lui demande, à lui,
à Edward Partridge, à Newel Whitney et à d’autres dirigeants de
l’Église de faire alliance ensemble de gérer les soucis économiques de
l’Église.
Le Seigneur déclare : « Je vous donne ce commandement de vous lier par
cette alliance, […] chacun cherchant l’intérêt de son prochain et
faisant tout, l’œil fixé uniquement sur la gloire de Dieu. » Ainsi
liés, ils prennent le nom de Firme unie.
Pendant qu’il est au Missouri, Joseph rend également visite aux
membres de l’ancienne branche de Colesville et à d’autres qui se sont
installés dans la région. Les dirigeants de l’Église semblent
travailler bien ensemble, la nouvelle imprimerie se prépare à publier
le premier numéro de The Evening and the Morning Star et de nombreux
membres de l’Église sont impatients de développer la ville.
Mais Joseph sent que certains saints, y compris certains de leurs
dirigeants, ont de mauvais sentiments à son égard. Ils semblent
lui en vouloir d’avoir choisi de rester à Kirtland au lieu de
s’installer de façon permanente au Missouri. Et certains semblent
encore contrariés au sujet de ce qui s’est passé lors de sa dernière
visite dans la région, lorsque certains des anciens et lui ont été
en désaccord concernant l’emplacement de Sion au Missouri.
Leur rancœur le surprend. Ne se rendent-ils pas compte qu’il a
quitté sa famille endeuillée et parcouru mille trois cents kilomètres
juste pour les aider ?
Pendant que Joseph rend visite aux saints à Independence, William
McLellin faiblit spirituellement en Ohio. Après avoir été appelé
comme missionnaire, il a passé l’hiver à prêcher l’Évangile,
d’abord dans des villes et des villages à l’est de Kirtland et plus
tard au sud. Bien qu’il ait eu un certain succès au début, des soucis de
santé, le mauvais temps et des gens indifférents ont fini par avoir
raison de son courage.
En tant qu’instituteur, il a l’habitude d’avoir des élèves
obéissants qui écoutnt ses leçons et ne répondent pas. Par contre,
en qualité de missionnaire, il est souvent en désaccord avec les
personnes qui ne respectent pas son autorité. Un jour, pendant qu’il
fait un long sermon, il est interrompu plusieurs fois et traité de
menteur.
Après des mois de revers, il commence à se demander si c’est le
Seigneur ou bien Joseph Smith qui l’a appelé en mission. Incapable
de résoudre la question, il abandonne le champ de la mission et trouve
un emploi de commis dans un magasin. Pendant son temps libre, il
examine la Bible pour trouver des preuves du rétablissement de
l’Évangile et argumente avec les sceptiques au sujet de la religion.
Au bout d’un certain temps, il décide de ne pas repartir en mission. Au
lieu de cela, il épouse une membre de l’Église du nom d’Emeline Miller
et décide de se joindre à un groupe d’une centaine de saints qui se
rendent dans le comté de Jackson où des terres sont immédiatement
disponibles. Dans une révélation à Joseph, Dieu réprimande William pour
avoir abandonné sa mission mais ce dernier pense qu’il peut
recommencer à zéro en Sion.
Cependant, il veut le faire à sa façon. L’été 1832, sa compagnie et
lui partent pour le Missouri sans recommandation des dirigeants de
l’Église, laquelle est exigée du Seigneur afin que Sion ne grandisse
pas trop rapidement et que ses ressources ne s’épuisent pas. Lorsqu’il
arrive, il ne se rend pas chez l’évêque Partridge pour consacrer ses
possessions ou recevoir un héritage. Au lieu de cela, il achète au
gouvernement deux parcelles à Independence.
L’évêque Partridge et ses conseillers sont submergés par l’arrivée de
William et des autres. Parmi les nouveaux arrivants, beaucoup sont
pauvres et ont peu de biens à consacrer. L’évêque fait de son mieux
pour les accommoder mais il est difficile d’organiser des logements,
des fermes et des emplois alors que l’économie de Sion est encore
fragile.
William, cependant, croit que sa grande compagnie accomplit la
prophétie d’Ésaïe selon laquelle de nombreuses personnes iront en
Sion. Il trouve un emploi d’instituteur et écrit à sa famille au
sujet de sa foi.
Il témoigne : « Nous croyons que Joseph Smith est un véritable prophète
ou voyant du Seigneur et qu’il a du pouvoir et reçoit des révélations
de Dieu et que ces révélations, lorsqu’elles sont reçues, sont
d’autorité divine dans l’Église du Christ. »
Toutefois, de telles notions commencent à déranger ses voisins au
Missouri, surtout lorsqu’ils entendent des membres de l’Église dire
que Dieu a désigné Independence comme point central de leur terre
promise. Avec l’arrivée de la compagnie de William, le nombre de saints
en Sion approche des cinq cents. Les ressources commencent déjà à
se faire rares, créant une hausse du prix des marchandises locales.
Tandis que d’autres saints s’installent autour d’elle, une femme fait
cette réflexion : « Ils nous envahissent. Je pense vraiment qu’ils
doivent être punis. »
CHAPITRE 15 : Des lieux saints
Nous sommes en août 1832. Phebe Peck regarde fièrement trois de ses enfants se
faire baptiser près de chez eux au Missouri. Ils font partie des
onze enfants baptisés en Sion ce jour-là. Avec ceux de Lydia et Edward
Partridge et ceux de Sally et William Phelps, ils appartiennent à la
première génération de jeunes saints à grandir dans un pays consacré
par le Seigneur.
Phebe et ses enfants ont emménagé un an plus tôt en Sion avec les
saints de Colesville. Benjamin, le défunt mari de Phebe, était le frère
de Polly Knight. Elle a donc sa place dans la famille élargie des
Knight. Mais sa propre famille lui manque encore, ainsi que ses amies
de New York qui ne se sont pas jointes à l’Église.
Peu après le baptême de ses enfants, elle écrit à deux d’entre elles
au sujet de Sion. Elle dit à son amie Anna : « Tu ne trouverais pas que
c’est une épreuve de venir ici parce que le Seigneur révèle les
mystères du royaume céleste à ses enfants. »
William Phelps vient juste de publier la vision des cieux de Joseph et
Sidney dans The Evening and the Morning Star et Phebe relate à Anna sa
promesse selon laquelle les personnes qui sont baptisées et restent
vaillantes dans le témoignage du Christ recevront le plus haut degré de
gloire et la plénitude des bénédictions de Dieu.
Avec une telle promesse à l’esprit, Phebe exhorte une autre amie,
Patty, à écouter le message de l’Évangile. Elle écrit : « Si
seulement tu pouvais voir et croire comme moi, les portes s’ouvriraient
et tu viendrais dans ce pays, et on pourrait se revoir et se réjouir
des choses de Dieu. »
Phebe témoigne de la vision du prophète récemment révélée et de la paix
qu’elle lui procure, encourageant Patty à la lire si jamais
l’occasion se présente.
Elle dit à son amie : « J’espère que tu liras d’un cœur attentif et
adonné à la prière car ces choses valent la peine qu’on y prête
attention et je désire que tu les examines. »
Cet automne-là, Joseph se rend à New York City en compagnie de Newel
Whitney pour prêcher l’Évangile et faire des achats pour la Firme unie.
Le Seigneur a appelé Newel à avertir les gens des grandes villes
des calamités qui arriveront dans les derniers jours. Joseph
l’accompagne pour l’aider à obéir au commandement du Seigneur.
Dernièrement, Joseph a senti le besoin de plus en plus urgent de
prêcher l’Évangile et de fortifier les lieux de rassemblement des
saints. Peu avant de quitter Kirtland, il a reçu une révélation selon
laquelle les détenteurs de la prêtrise ont la responsabilité de
prêcher l’Évangile et de conduire les fidèles vers la sécurité de Sion
et du temple où le Seigneur promet de les visiter de sa gloire.
La prêtrise s’accompagne donc du devoir d’administrer les ordonnances
en faveur des personnes qui acceptent le Christ et son Évangile. Le
Seigneur enseigne que c’est uniquement grâce à ces ordonnances que
ses enfants peuvent être prêts à recevoir son pouvoir et à retourner
en sa présence.
Toutefois Joseph est parti en voyage avec des raisons de s’inquiéter au
sujet du projet de bâtir Sion au Missouri. L’Église en Ohio est
florissante en dépit de l’opposition d’anciens membres mais, au
Missouri, elle a du mal à faire respecter l’ordre quand de plus en
plus de personnes emménagent dans la région sans permission. Avec
les tensions qui persistent entre lui et certains dirigeants de Sion,
il faut faire quelque chose pour unir l’Église.
En arrivant à New York City, Joseph est sidéré par sa taille. Des édifices
élevés surplombent des rues étroites qui s’étendent sur des
kilomètres. De tous côtés, il voit des magasins proposant des
marchandises chères, de grandes maisons et des immeubles de bureaux
imposants, et des banques où des hommes riches font affaire. Des
gens de toutes sortes d’origines ethniques, de métiers et de classes
sociales variés passent près de lui avec hâte, apparemment
indifférents aux personnes qui les entourent.
Newel et lui prennent une chambre dans un hôtel à trois étages près des
entrepôts où Newel espère faire ses achats pour la Firme unie. Joseph
trouve fastidieuse la recherche de marchandises et est découragé
par l’orgueil et la méchanceté qu’il voit dans la ville. Il
retourne donc souvent à l’hôtel pour lire, méditer et prier. Il est
rapidement sujet au mal du pays. Emma est sur le point de terminer
une nouvelle grossesse et il lui tarde d’être auprès d’elle et de
leur fille.
Il écrit : « À force de penser à la maison, à Emma et à Julia, c’est
comme si un raz-de-marée me submergeait au point de me faire souhaiter
être un moment avec elles. »
Parfois, Joseph quitte l’hôtel et part explorer et prêcher. New
York City compte plus de deux cent mille habitants et Joseph a le
sentiment que le Seigneur est satisfait de l’architecture
merveilleuse et des inventions extraordinaires de ces derniers.
Pourtant, personne ne semble rendre gloire à Dieu pour les merveilles
qui l’entourent ni s’intéresser à l’Évangile rétabli de Jésus-Christ.
Sans se laisser démonter, Joseph continue de parler de son message.
Il écrit à Emma : « Je suis décidé à élever la voix et à en confier
le dénouement à Dieu qui tient toutes choses entre ses mains. »
Un mois plus tard, après le retour de Joseph et de Newel en Ohio,
Brigham Young, trente et un ans, arrive à Kirtland avec son frère aîné,
Joseph, et son meilleur ami, Heber Kimball. Ce sont des convertis
récents originaires du centre de l'État de New York, non loin de l’endroit où
Joseph Smith a grandi. Dès qu’il a eu connaissance du Livre de
Mormon, Brigham a voulu rencontrer le prophète. Maintenant qu’il
est à Kirtland, il a l’intention de lui serrer la main, de le
regarder dans les yeux et d’évaluer son cœur. Depuis son baptême,
Brigham prêcheà partir du Livre de Mormon, mais il ne sait pas
grand chose de l’homme qui l’a traduit.
Joseph et Emma logent maintenant dans l’appartement situé au-dessus
du magasin des Whitney à Kirtland, mais lorsque les trois hommes s’y
arrêtent, le prophète est à l'extérieur, parti abattre du bois pour le feu dans
une forêt à plus d’un kilomètre de là. Ils partent immédiatement dans
cette direction, se demandant ce qu’ils trouveront en arrivant.
Brigham et les autres marchent dans les bois et arrivent à une
clairière où Joseph est en train de fendre des bûches. Il est plus
grand que Brigham et porte des vêtements de travail simples. À voir
la dextérité avec laquelle Joseph manœuvre la hache, Brigham voit bien
que le travail manuel ne lui est pas étranger.
Il s’approche du prophète et se présente. Joseph pose sa hache et lui serre
la main en disant : « Je suis content de vous voir. »
Pendant qu’ils parlent, Brigham propose de fendre le bois pendant que
son frère et Heber chargeront une charrette. Le prophète semble
enjoué, travailleur et amical. Comme Brigham, ses origines sont
humbles mais il n’est pas grossier comme le sont d’autres ouvriers.
Brigham est immédiatement convaincu qu’il a affaire à un prophète de Dieu.
Au bout d’un certain temps, Joseph invite les hommes à manger chez lui.
Lorsqu’ils arrivent, il les présente à Emma qui est au lit et
tient tendrement dans ses bras un petit garçon en bonne santé. Le bébé
est né quelques jours plus tôt, quelques heures à peine avant le
retour de Joseph et de Newel de New York. Emma et Joseph l’ont
appelé Joseph Smith 3.
Après le repas, Joseph organise une petite réunion et invite Brigham à
prier. Lorsqu’il incline la tête, ce dernier sent l’Esprit le pousser
à parler dans une langue inconnue. Les personnes présentes sont
surprises. Au cours de l’année écoulée, de nombreuses personnes ont
simulé les dons de l’Esprit par des comportements insensés. Ce que fait
Brigham est différent.
Sentant leur malaise, Joseph dit : « Frères, je ne me suis jamais
opposé à quoi que ce soit qui vienne du Seigneur. Cette langue est de
Dieu. »
Joseph parle ensuite dans la même langue, déclarant que c’est celle
qu’Adam parlait dans le jardin d’Éden et encourageant les saints à
rechercher le don des langues, comme Paul l’a fait dans le Nouveau
Testament, pour le profit des enfants de Dieu.
Brigham quitte Kirtland une semaine plus tard alors qu’un hiver
paisible s’installe sur le petit village. Cependant, quelques jours
avant Noël, un journal local publie des rapports selon lesquels les
autorités gouvernementales de l’État de Caroline du Sud s’opposent à
des impôts sur les marchandises importées et menacent de se déclarer
indépendant des États-Unis. Certaines personnes exigent la guerre.
Lorsque Joseph lit les commentaires sur la crise, il pense à la
méchanceté et aux destructions que la Bible annonce avant la seconde
venue du Sauveur. Le Seigneur vient de lui dire que le monde entier
gémit sous la servitude du péché et que Dieu va bientôt
intervenir avec colère contre les méchants, anéantissant les royaumes
de la terre et faisant trembler les cieux.
Après avoir prié pour en savoir davantage sur ces calamités, Joseph
reçoit une révélation le jour de Noël. Le Seigneur lui dit que le moment
va venir où la Caroline du Sud et d’autres États du Sud se
rebelleront contre le reste de la nation. Les États rebelles feront
appel à d’autres pays et les esclaves se dresseront contre leurs
maîtres. La guerre et les catastrophes naturelles se déverseront sur
toutes les nations, répandant le malheur et la mort sur toute la terre.
La révélation est un rappel lugubre que les saints ne peuvent plus
retarder l’édification de Sion et la construction du temple. Ils
doivent se préparer maintenant s’ils espèrent échapper aux
dévastations à venir.
Le Seigneur les exhorte : « Tenez-vous en des lieux saints et ne vous
laissez pas ébranler jusqu’à ce que le jour du Seigneur vienne. »
Deux jours après avoir reçu la révélation au sujet de la guerre, Joseph
se réunit avec les dirigeants de l’Église dans le magasin de Newel
Whitney. Il croit que les saints du Missouri critiquent de plus en
plus sa façon de diriger. S’ils ne se repentent pas et ne
rétablissent pas l’harmonie dans l’Église, il craint qu’ils ne
perdent leur héritage en Sion et leur chance de bâtir le temple.
Après avoir ouvert la réunion, Joseph demande aux dirigeants de
l’Église de prier afin de connaître la volonté de Dieu quant à
l’édification de Sion. Les hommes inclinent la tête et prient,
chacun exprimant sa bonne volonté à respecter les commandements de
Dieu. Joseph reçoit ensuite une révélation que son nouveau secrétaire,
Frederick Williams, couche sur papier.
C’est un message de paix pour les saints, les exhortant à se
sanctifier. Le Seigneur commande : « Sanctifiez-vous donc afin que
votre esprit se fixe uniquement sur Dieu. » À leur grande surprise, il
leur commande de construire un temple à Kirtland et de se préparer à
recevoir sa gloire.
Le Seigneur dit : « Organisez-vous, préparez tout ce qui est nécessaire
et établissez une maison qui sera une maison de prière, une maison de
jeûne, une maison de foi, une maison de connaissance, une maison de
gloire, une maison d’ordre, une maison de Dieu. »
Il leur conseilla également d’inaugurer une école. Il déclare : « Et
comme tous n’ont pas la foi, cherchez diligemment et enseignez-vous les
uns aux autres des paroles de sagesse ; oui, cherchez des paroles de
sagesse dans les meilleurs livres ; cherchez la connaissance par
l’étude et aussi par la foi. »
Joseph envoie un exemplaire de la révélation à William Phelps, au
Missouri, la qualifiant de « feuille d’olivier » et de « message de
paix du Seigneur » aux saints de Kirtland. Il avertit les saints en
Sion que s’ils ne se sanctifiaient pas comme le Seigneur le leur
commande, ce dernier choisira d’autres personnes pour construire
son temple.
Joseph implore : « Prêtez l’oreille à la voix d’avertissement de Dieu,
sans quoi Sion tombera. Les frères à Kirtland prient sans cesse pour
vous car, connaissant les terreurs du Seigneur, ils ont de grandes
craintes à votre sujet. »
Le 22 janvier 1833, Joseph et les saints de Kirtland organisent
l’école des prophètes dans le magasin des Whitney. Orson Hyde, l’un des
secrétaires de Joseph, est désigné pour enseigner. Comme Joseph et la
plupart des autres étudiants, Orson a passé la majorité de son
enfance à travailler au lieu d’aller à l’école. Il était orphelin et
son tuteur n’avait autorisé sa scolarisation qu’en hiver, après les
moissons et avant les nouvelles semailles. Néanmoins, Orson avait une
bonne mémoire et apprenait vite et adulte, il est allé dans une école
privée des environs.
À l’école des prophètes, il donne aux hommes des leçons spirituelles
en plus de cours d’histoire, de grammaire et d’arithmétique, comme le
Seigneur l’a commandé. Ceux qui assistent à ses cours ne sont
pas simplement des élèves. Ils s’adressent les uns aux autres sous le
titre de frères et son liés par une alliance de communion
fraternelle. Ils étudient ensemble, discutent ensemble et prient
ensemble.
Un jour, Joseph invite Orson et d’autres membres de la classe à se
déchausser. Suivant l’exemple du Christ, il s’agenouilla devant chacun
et lui lave les pieds.
Lorsqu’il a fini, il dit : « Comme j’ai fait, faites de même. » Il
leur demande de se servir mutuellement et de se préserver des péchés du
monde.
Pendant que les cours se donnent, Emma regarde les étudiants
arriver et monter l’escalier jusqu’à la petite pièce pleine de monde où
ils se réunissent. Certains hommes viennent propres et bien habillés,
par respect pour la nature sacrée de l’école. Certains font aussi
l’impasse sur le petit-déjeuner pour arriver à la réunion en jeûnant.
Une fois les cours terminés et les hommes partis pour la journée, Emma
et certaines jeunes femmes embauchées pour aider nettoient la salle
de classe. Du fait que les hommes fument la pipe et chiquent
pendant les cours, lorsqu’ils partent la pièce est enfumée et le sol est jonché de
tabac à chiquer. Emma astique le plancher de
toutes ses forces mais le tabac laisse des traces sur le sol.
Elle s’en plaint à Joseph. Habituellement, il n’utilise pas de
tabac lui-même mais cela ne le gêne pas que les autres hommes le
fassent. Cependant, les plaintes d’Emma l’amènent à se demander si
l’usage du tabac est convenable aux yeux de Dieu.
Emma n’est pas la seule à s’en soucier. Des réformateurs aux
États-Unis et dans d’autres pays du monde trouvent que fumer, chiquer
et boire de l’alcool sont des habitudes répugnantes. Mais certains
médecins croient que le tabac peut guérir une foule de maux. Des
affirmations semblables sont faites au sujet de la consommation
d’alcool et de boissons brûlantes telles que le café et le thé, à
laquelle les gens s’adonnent généreusement.
Lorsque Joseph soumet le sujet au Seigneur, il reçoit une révélation,
une « parole de sagesse pour le profit des saints en ces derniers jours
». Le Seigneur y met son peuple en garde contre la consommation
d’alcool, déclarant que les liqueurs distillées servent à laver le
corps et que le vin est réservé à des occasions comme la Sainte-Cène.
Il les met également en garde contre le tabac et les boissons brûlantes.
Le Seigneur insiste sur un régime alimentaire sain, encourageant les
saints à consommer des céréales, des légumes, des fruits et de la
viande avec modération. Aux personnes qui choisiront d’obéir, il
promet la santé, la connaissance et la force.
La révélation n’est pas un commandement mais un avertissement. De
nombreuses personnes auront du mal à abandonner ces substances
puissantes et Joseph n’insiste pas sur une obéissance stricte. Il
continue de boire occasionnellement de l’alcool et Emma et lui boivent
parfois du café et du thé.
Toutefois, lorsque Joseph lit la révélation à l’école des prophètes,
les hommes dans la pièce jettent leur pipe et leur cartouche de
tabac à chiquer dans le feu pour montrer qu’ils sont disposés à
obéir aux recommandations du Seigneur.
La première session de l’école des prophètes s’achève en mars et ses
membres se dispersent pour faire des missions ou s’acquitter d’autres
responsabilités. Pendant ce temps, les dirigeants de l’Église à
Kirtland travaillent pour acheter une briqueterie et lever des fonds
pour construire le temple.
À peu près à cette époque-là, Joseph reçoit une lettre en provenance du
Missouri. Après avoir lu la « feuille d’olivier », Edward et d’autres
ont exhorté les saints à se repentir et à se réconcilier avec
l’Église de Kirtland. Leurs efforts ont abouti et les concernés demandent
maintenant à Joseph de leur accorder son pardon.
Prêt à mettre le conflit derrière lui, Joseph cherche comment respecter
les commandements du Seigneur à l’égard de Sion. En juin, il prie avec
Sidney Rigdon et Frederick Williams pour savoir comment construire un
temple. Pendant qu’ils prient, ils ont une vision du temple et
examinent son aspect extérieur, la structure de ses
fenêtres, de son toit et de sa flèche. Le temple semble ensuite se
déplacer au-dessus d’eux et ils se retrouvent à l’intérieur,
observant ses vastes pièces.
Après leur vision, les hommes dessinent des plans pour les temples de
Kirtland et d’Independence. De l’extérieur, les bâtiments
ressemblent à de grandes églises, mais à l’intérieur, ils ont
deux grandes salles de réunion, l’une au premier étage et l’autre au
rez-de-chaussée, où les saints pourront se réunir et apprendre.
Joseph se concentre ensuite sur l’aide à apporter aux saints en Sion
pour transformer leur colonie (dont la taille a plus que doublé
depuis sa dernière visite) en ville. Avec l’aide de Frederick et de
Sidney, il dessine les plans d’une ville de 2,5 kilomètres carrés. La
carte est un croisillon de rues longues et droites avec des maisons
de briques et de pierres bâties loin des routes sur des lots profonds
comportant des bosquets à l’avant et de l’espace pour cultiver un
potager à l’arrière.
Les terres doivent être divisées en lots de 0,2 hectares chacun, les
mêmes pour les riches que pour les pauvres. Les agriculteurs
habiteront en ville et iront travailler dans les champs en
périphérie. Au centre se trouvera le temple et d’autres édifices
sacrés destinés au culte, à l’éducation, à l’administration et au soin
des pauvres. Les mots « Sainteté au Seigneur » devront être gravés
sur chaque bâtiment public.
La ville pourra héberger quinze mille personnes ; en cela elle sera
nettement plus petite que la ville de New York mais sera quand-même l’une
des plus grandes villes du pays. Lorsqu’elle sera pleine, le plan
pourra être reproduit jusqu’à ce que tous les
saints aient un héritage en Sion. Joseph commande : « Disposez-en une
autre de la même manière et remplissez ainsi le monde en ces derniers
jours. »
En juin 1833, Joseph, Sidney et Frederick envoient le plan de la
ville de Kirtland à Independence, ainsi que les instructions détaillées
pour la construction du temple.
Dans une lettre qui accompagne les plans, ils rapportent : « Nous
avons commencé à bâtir la maison du Seigneur en ce lieu et le projet
avance rapidement. Nuit et jour nous prions pour le salut de Sion. »
CHAPITRE 16 : Seulement un prélude
Pendant que les plans pour Sion et pour le temple sont acheminés par
courrier vers le Missouri, Emily Partridge, neuf ans, saute hors du lit
et se précipite dehors en chemise de nuit. Dans la cour derrière chez
elle, non loin du site du temple d’Independence, elle voit l’une des
grandes meules de foin de sa famille dévorée par des flammes. Le feu
monte très haut dans le ciel nocturne, son flamboiement jaune jetant
de longues ombres derrière les personnes, debout à côté, qui
regardent le brasier avec impuissance.
Les incendies accidentels sont courants dans la région mais celui-ci
n’en est pas un. Tout au long de l’été 1833, de petits groupes
d’émeutiers ont vandalisé les possessions des saints, espérant les
décourager de s’installer dans le comté de Jackson. Pour l’instant,
personne n’a subi de dommages corporels mais à chaque attaque, les
émeutiers se montrent de plus en plus agressifs.
Emily ne comprend pas toutes les raisons pour lesquelles les
habitants du comté de Jackson veulent que les saints partent. Elle
sait que sa famille et ses amis sont différents de leurs voisins à
bien des égards. Les Missouriens qu’elle entend parler dans les rues
emploient un autre langage et les femmes portent des robes d’un
autre genre. Certains circulent pieds nus l’été et
lavent leurs vêtements avec de gros battoirs au lieu des planches à
laver dont elle avait l’habitude en Ohio.
Ces différences sont anodines mais il y a aussi d’importants
désaccords dont Emily est peu au courant. Les habitants
d’Independence ne sont pas contents que les saints prêchent
l’Évangile aux Indiens et désapprouvent l’esclavage. Dans les États du
Nord, où la plupart des saints ont vécu, il est illégal de
posséder des esclaves. Mais au Missouri, l’esclavage des noirs est
légal et les colons de longue date défendent résolument cette loi.
Le fait que les saints restent habituellement entre eux éveille les
soupçons. Lorsqu’il en arrive de nouveaux en Sion, ils travaillent
ensemble pour construire et meubler les maisons, cultiver les fermes et
élever les enfants. Ils sont impatients de poser les fondements
d’une ville sainte qui résistera jusqu’au millénium.
La maison des Partridge, située au centre d’Independence, représente
déjà un pas en avant vers la transformation de la ville en Sion.
C’est une maison simple, d’un étage, dépourvue de l’élégance que
possède l’ancienne demeure d’Emily en Ohio, mais elle indique que
les saints sont à Independence avec l’intention d’y rester.
Comme le montre la meule en feu, cette maison les désigne aussi comme cible.
Voyant les tensions s’accroître entre les saints et leurs voisins dans
le comté de Jackson, William Phelps décide d’utiliser les pages du
journal de l’Église local pour apaiser les craintes. Dans le numéro de
juillet 1833 de The Evening and the Morning Star, il publia une lettre
adressée aux membres de l’Église qui immigrent, leur conseillant de
solder leurs dettes avant d’arriver en Sion afin de ne pas être un
fardeau pour la collectivité.
En écrivant cela et d’autres conseils, il espère que les habitants du
comté de Jackson liront le journal eux aussi et verront que les
saints sont des citoyens respectueux des lois et que leurs croyances ne
représentent aucune menace, ni pour eux, ni pour l’économie locale.
Phelps parle aussi de l’attitude des membres de l’Église à l’égard des
noirs. Bien qu’il sympathise avec les personnes qui souhaitent
libérer les esclaves, il veut que ses lecteurs sachent que les
saints obéiront aux lois du Missouri restreignant les droits des
noirs libres. L’Église ne compte que quelques saints noirs et Phelps
leur conseille, s’ils choisissent de s’installer en Sion, d’agir
avec prudence et de placer leur confiance en Dieu.
Il écrit sans autre précision : « Tant que nous n’avons pas de règle
particulière dans l’Église relative aux personnes de couleur, que la
prudence soit notre guide. »
En lisant la lettre dans The Evening and the Morning Star, Samuel
Lucas, juge et colonel dans la milice du comté de Jackson, se met en
colère. D’après ce qu’il comprend, Phelps invite les noirs libres
à devenir membres de l'Église et à s’installer au Missouri. Les
déclarations de Phelps décourageant les saints noirs d’emménager au
Missouri
n’apaisent en rien les craintes de Lucas.
Avec les émeutiers qui harcèlent déjà les saints à Independence et
dans les colonies environnantes, Samuel Lucas n’a aucun mal à trouver
d’autres personnes de son avis. Pendant plus d’une année, les élus
locaux ont dressé leurs administrés contre les saints. Certains
ont distribué des prospectus et organisé des réunions pour inciter
les gens à chasser les nouveaux arrivants de la région.
Au début, la plupart des autochtones pensaient que les saints étaient
des fanatiques inoffensifs qui prétendaient recevoir des révélations,
guérir par l’imposition des mains et opérer d’autres miracles. Mais au
fur et à mesure que des membres de l’Église s’installent dans le
comté, affirmant que Dieu leur a donné Independence comme terre
promise, Samuel Lucas et les autres élus locaux commencent à les
considérer, eux et leurs révélations, comme des menaces contre leurs
possessions et leur pouvoir politique.
Et maintenant, la lettre de Phelps alimente l’une de leurs plus
grandes craintes. À peine deux ans auparavant, dans un autre État, des
dizaines d’esclaves se sont rebellés et ont tué plus de cinquante
blancs, hommes et femmes, en moins de deux jours. Les propriétaires
d’esclaves, au Missouri et dans tous les États du Sud, redoutent que
quelque chose de semblable ne se produise dans leur localité. Certains
craignent que si les saints invitent les noirs libres à s’installer
dans le comté de Jackson, leur présence n’incite les esclaves à aspirer
à la liberté et à se rebeller.
Samuel Lucas et les autres se rendent compte que, puisque les lois
protégègent les libertés d’expression et de religion des saints, ils
ne pourront pas mettre un terme à cette menace par des moyens légaux.
Mais ils ne seront pas la première ville à user de violence pour
chasser les indésirables du milieu d’eux. En agissant de concert, ils
pourront expulser les saints du comté en toute impunité.
Les élus se réunissent rapidement pour prendre des mesures contre les
nouveaux arrivants. Lucas et les autres dressent la liste de leurs
doléances à l’encontre des saints et la présentent aux habitants
d’Independence.
Le document déclare l’intention des élus de chasser les saints du
comté de Jackson par tous les moyens nécessaires. Ils choisissent le 20
juillet pour organiser une réunion au tribunal afin de décider de ce
qu’il faut faire d’eux. Des centaines de résidents du comté de
Jackson apposent leur signature sur le document.
Lorsqu’il a vent de l’émeute, William Phelps tente désespérément de
réparer toute offense imputable à l’article de son journal. Le Livre de
Mormon déclare que le Christ invite tout le monde à lui, « noirs et
blancs, esclaves et libres », mais le fait que tout le comté se
retourne contre les saints l’inquiète.
Agissant rapidement, il imprime un tract d’une page abjurant ce qu’il
a écrit au sujet de l’esclavage. Il insiste : « Nous nous opposons
à l’admission de personnes de couleur libres dans l’État et nous disons
qu’aucune ne sera admise dans l’Église. » Le tract donne une image
inexacte de la position de l’Église sur le baptême des membres noirs,
mais il espère empêcher ainsi d’autres manifestations de violence.
Le 20 juillet, William Phelps, Edward Partridge et d’autres dirigeants de l’Église se
rendent au tribunal du comté de Jackson pour rencontrer les élus du
comté. Le temps est exceptionnellement doux pour un mois de juillet
et des centaines de personnes quittent leurs maisons, leurs fermes et
leurs entreprises pour assister à la réunion et se préparer à prendre
des mesures contre les saints.
Décidant de donner aux dirigeants de l’Église un avertissement de
dernière minute avant d’avoir recours à la violence, Samuel Lucas et
douze autres hommes représentant la collectivité exigent que William Phelps
cesse d’imprimer The Evening and the Morning Star et que les saints
quittent immédiatement le comté.
En qualité d’évêque en Sion, Edward Partridge sait quelle lourde perte ce
serait pour les saints de céder aux exigences. La fermeture de
l’imprimerie retarderait la publication du Livre des commandements, qui
est presque achevée. Et quitter le comté signifierait non seulement
perdre des biens de valeur mais également abandonner leur héritage en
terre promise.
Edward Partridge demande un délai de trois mois pour étudier la proposition et
demander conseil à Joseph à Kirtland. Mais les dirigeants du comté de
Jackson refusent d’accéder à sa demande. Il demande dix jours pour
consulter les autres saints du Missouri. Les élus lui accordent
quinze minutes.
Peu disposés à ce qu’on fasse pression sur eux pour prendre une
décision, les saints mettent fin aux négociations. Lorsque la délégation
du comté de Jackson sort, un homme se tourne vers Edward Partridge et lui dit
que l’œuvre de destruction va commencer immédiatement.
Plus loin sur la rue du tribunal, Sally Phelps est à la maison, au
rez-de-chaussée de l’imprimerie de l’Église, en train de s’occuper de
son bébé malade. Ses quatre autres enfants sont près d’elle. William
est parti quatre heures plus tôt pour assister à la réunion au
tribunal. Il n’est toujours pas rentré et Sally attend avec
anxiété des nouvelles de la discussion.
Un bruit sourd secoue la porte d’entrée, les faisant sursauter, les
enfants et elle. Dehors, des émeutiers tentent d’enfoncer la porte à l’aide
d’un gros rondin de bois. Un attroupement d’hommes, de femmes et
d’enfants se forme autour de l’imprimerie, certains encourageant les émeutiers, d’autres regardant en silence.
Une fois la porte enfoncée, des hommes armés se précipitent à
l’intérieur de la maison et font sortir Sally et les enfants dans la
rue. Ils jettent les meubles et les affaires de la famille par la
porte et brisent les fenêtres. Certains des attaquants montnt au
premier étage de l’imprimerie et renverset les caractères et l’encre
sur le sol pendant que d’autres démolissent le bâtiment.
Debout avec ses enfants blottis autour d’elle, Sally regarde les
hommes fracturer la fenêtre de l’étage de l’imprimerie et jeter le
papier et les caractères. Ils soulèvent ensuite la presse et
l’envoient par la fenêtre s’écraser au sol.
Dans le chaos, quelques hommes sortent du bâtiment les bras chargés
de pages non reliées du Livre des commandements. L’un d’eux, les jetant
dans la rue, cria à la foule : « Voilà le livre des révélations des
damnés mormons. »
Accroupies ensemble près d’une barrière voisine, Mary Elizabeth
Rollins, quinze ans, et sa sœur Caroline, treize ans, regardent les
hommes éparpiller les pages du Livre des commandements. Mary en avait vu certaines auparavant.
Caroline et elle sont des
nièces de Sidney Gilbert, le gérant du magasin des saints à
Independence. Un soir, chez leur oncle, Mary a écouté les
dirigeants de l’Église lire et commenter les révélations rapportées sur
les pages nouvellement imprimées. Pendant que les hommes conversaient,
l’Esprit s’était manifesté au cours de la réunion et certains avaient
parlé en langues et Mary avait interprété leurs propos. Elle éprouve
maintenant un profond respect pour les révélations et est mécontente
de les voir joncher la rue.
Se tournant vers Caroline, elle dit qu’elle veut récupérer les pages
avant qu’elles ne soient détériorées. Les hommes ont commencé à
arracher le toit de l’imprimerie. Ils auront tôt fait d’abattre les
murs et de ne laisser que des décombres.
Caroline veut sauver les pages mais elle a peur des émeutiers.
Elle dit : « Ils vont nous tuer. »
Mary est consciente du danger mais elle dit à Caroline qu’elle est
décidée à récupérer les pages. Peu disposée à se séparer de sa sœur,
Caroline accepte de l’aider.
Les jeunes filles attendent que les hommes aient tourné le dos puis
elles bondissent hors de leur cachette et attrapent autant de pages
qu’elles peuvent en tenir dans leurs bras. Lorsqu’elles font
demi-tour pour battre en retraite vers la barrière, certains émeutiers
les aperçoivent et leur ordonnent de s’arrêter. Les sœurs serrent
les pages encore plus fort contre elles et, poursuivies par deux
d’entre des émeutiers, elles coururent aussi vite qu’elles le peuvent vers un
champ de maïs voisin.
Le maïs mesure un mètre quatre-vingts et Mary et Caroline ne voient
pas où elles se dirigent. Se jetant sur le sol, elles cachent les
pages sous elles et écoutent en haletant les hommes aller et venir
d’un pas lourd dans le champ. Les sœurs les entendent approcher de
plus en plus mais, au bout d’un moment, ils abandonnent leurs
recherches et sortent du champ.
Emily Partridge et sa sœur Harriet sont sorties chercher de l’eau à
une source lorsqu’elles ont vu une cinquantaine d’hommes armés
approcher de chez elles. Se cachant près du point d’eau, les fillettes
les ont regardés avec terreur encercler la maison, en chasser leur père
et l’emmener de force avec eux.
Ils l'ont conduit sur la place publique où une foule de plus de deux
cents personnes entourent Charles Allen, un autre saint capturé. Russell Hicks, l’instigateur de la réunion qui a eu lieu
plus tôt ce jour-là, s’approche d’Edward et lui dit de quitter le comté
ou d’en assumer les conséquences.
Edward répond : « Si je dois souffrir pour ma religion, ce n’est rien
de plus que ce que d’autres ont fait avant moi. » Il dit à Hicks qu’il
n’a rien fait de mal et qu’il refuse de quitter la ville.
Quelqu'un crie : « Invoque ton Jésus ! » La foule fait tomber Edward et
Charles, et Hicks commence à déshabiller l’évêque. Ce dernier résiste
et quelqu’un dans la foule exige que Hicks laisse l’évêque garder sa
chemise et son pantalon.
Il cède et arrache à Edward son chapeau, son manteau et sa veste qu’il
remet à la foule. Deux hommes s’avancent et enduisent les
prisonniers de la tête aux pieds de goudron et de plumes. Le goudron
brûle, leur rongeant la peau comme un acide.
Non loin, une convertie du nom de Vienna Jaques ramasse les pages
éparpillées du Livre des commandements dans la rue. Elle a consacré
ses économies, une somme considérable, à l’édification de Sion et
maintenant tout s’effondre.
Pendant qu’elle agrippe les pages non reliées, un homme s’approche
d’elle et dit : « Ce n’est qu’un prélude à ce que vous devez endurer. »
Il montre du doigt la silhouette défaite d’Edward. « Voilà votre
évêque, couvert de goudron et de plumes. »
Vienna lève les yeux et voit l'évêque s’éloigner en boitant. Seuls son visage
et les paumes de ses mains ont échappé au goudron. Elle s’exclame :
« Dieu soit loué ! Il recevra une couronne de gloire pour le goudron et
les plumes. »
Sally Phelps n’a plus de maison où s’abriter ce soir-là. Elle
trouve refuge dans une étable en rondins abandonnée à côté d’un champ
de maïs. Avec l’aide de ses enfants, elle rassemble des broussailles
pour confectionner des lits.
Pendant qu’elle travaille avec les enfants, deux silhouettes
sortent du champ de maïs. Dans la pénombre, Sally voit qu’il
s’agit de Caroline et Mary Rollins. Les sœurs tiennent des piles de
papier serrées dans leurs bras. Sally leur demande ce qu’elles ont
et elles lui montrent les pages qu’elles ont ramassées du Livre
des commandements.
Sally les leur prend et les met en sécurité sous la pile de broussailles
qui doit lui servir de lit. La nuit tombe et elle ne sait pas ce
que le lendemain réserve à Sion.
CHAPITRE 17 : Même si les émeutiers nous tuent
Lorsque la violence éclate dans les rues d’Independence, William
McLellin s’enfuit de chez lui et se cache dans les bois, terrifié par
les émeutiers. Après avoir détruit l’imprimerie de l’Église, les
habitants du comté de Jackson ont saccagé le magasin de Sidney
Gilbert et chassé de nombreux saints de chez eux. Certains hommes
ont été capturés et fouettés jusqu’au sang.
Espérant échapper à leur sort, William reste caché dans les bois
pendant des jours. Lorsqu’il apprend que les émeutiers offrent une
récompense à quiconque le capturera lui ou d’autres membres éminents de
l’Église, il s’éclipse jusqu’à la colonie de la famille Whitmer, le
long de la Big Blue, à plusieurs kilomètres à l’ouest, et reste à
couvert.
Seul et apeuré, il est assailli par des doutes. Il est arrivé à
Independence convaincu que le Livre de Mormon est la parole de Dieu.
Mais maintenant, sa tête est mise à prix. Que se passerait-il si des
émeutiers le trouvaient ? Pourrait-il rester fidèle à son témoignage du
Livre de Mormon à ce moment-là ? Pourrait-il affirmer sa foi en
l’Évangile rétabli ? Est-il disposé à souffrir ou à mourir pour cela ?
Tandis qu’il ressasse ces questions, il rencontre David Whitmer et
Oliver Cowdery dans les bois. Bien qu’il y ait aussi une récompense
pour la capture d’Oliver, les hommes ont des raisons de croire que
le pire est passé. Les habitants d’Independence sont toujours
décidés à chasser les saints hors du comté mais les attaques ont
cessé et certains membres de l’Église rentrent chez eux.
Cherchant à se rassurer, William se tourne vers ses amis. Il leur dit :
« Je n’ai jamais eu de vision de ma vie mais vous, vous dites que vous
en avez eu. » Il faut qu’il sache la vérité. Il demande : «
Dites-moi, dans la crainte de Dieu, est-ce que le Livre de Mormon est
vrai ? »
Oliver le regarde et dit : « Dieu nous a envoyé son saint ange pour
nous déclarer l’authenticité de sa traduction et donc, nous savons. Et
même si les émeutiers nous tuent, nous mourrons en
déclarant sa véracité. »
David ajoute : « Oliver t’a dit la vérité solennelle. En
toute sincérité, j’atteste de sa véracité. »
William dit : « Je vous crois. »
Le 6 août 1833, avant d’être mis au courant de l’ampleur des actes de
violence au Missouri, Joseph reçoit une révélation au sujet des
persécutions en Sion. Le Seigneur dit aux saints de ne pas craindre. Il
a entendu et enregistré leurs prières et promettait par alliance de
les exaucer. Le Seigneur leur offre cette assurance : « Toutes les
afflictions que vous avez subies concourront à votre bien. »
Trois jours plus tard, Oliver arrive à Kirtland avec un rapport
complet des attaques perpétrées au Missouri. Afin d’apaiser les
émeutiers, Edward Partridge et d’autres dirigeants de l’Église ont
signé un engagement promettant aux habitants d’Independence que les
saints quitteront le comté de Jackson dès le printemps. Aucun d’eux
ne veut abandonner Sion mais le refus de signer l’engagement
ne servirait qu’à mettre les saints en plus grand danger.
Horrifié par tant de violence, Joseph approuve la décision
d’évacuation. Le lendemain, Oliver écrit aux dirigeants de l’Église
du Missouri, leur commandant de chercher un autre endroit à coloniser.
Il conseille : « Faites preuve de sagesse dans votre choix. Recommencer
dans un autre lieu ne fera, en fin de compte, aucun mal à Sion. »
Joseph ajoute à la fin de la lettre : « Si j’étais avec vous, je
prendrais activement part à vos souffrances. Mon esprit ne
m’autoriserait pas à vous abandonner. »
Par la suite, Joseph est bouleversé pendant des jours. La terrible
nouvelle est arrivée pendant qu’il faisait l’objet de critiques
sévères à Kirtland. Cet été-là, un membre de l’Église du nom de Doctor
Philastus Hurlbut a été excommunié pour conduite immorale en
mission. Peu après, Hurlbut a commencé à critiquer Joseph dans des
réunions rassemblant de nombreux participants et à réunir de l’argent
des détracteurs. Avec cet argent, il a l’intention de se rendre à
New York pour collecter des histoires qu’il pourrait utiliser pour
mettre l’Église dans l’embarras.
Cependant, aussi urgents que sont les problèmes en Ohio, Joseph
sait que la situation au Missouri exige toute son attention.
Songeant aux actes de violence, Joseph se rend compte que le Seigneur
n’a ni révoqué son commandement d’édifier Sion à Independence, ni
autorisé les saints à abandonner leurs terres dans le comté de Jackson.
S’ils renonçaient à leurs biens maintenant, ou les vendaient à leurs
ennemis, il serait presque impossible de les récupérer.
Désirant de toutes ses forces recevoir des directives précises pour les
saints du Missouri, Joseph invoque le Seigneur. Il demanda : «
Qu’exiges-tu de plus de leur part avant de venir les sauver ? » Il
attend une réponse mais le Seigneur ne lui donne aucune nouvelle
instruction pour Sion.
Le 18 août, Joseph écrit personnellement à Edward et aux autres
dirigeants au Missouri. Il admet : « Je ne sais pas quoi vous dire. »
Il leur a envoyé un exemplaire de la révélation du 6 août et leur
assure que Dieu les délivrera du danger. Il témoigne : « J’ai son
alliance immuable qu’il en sera ainsi mais il plaît à Dieu de ne pas me
dévoiler comment cela se fera. »
Joseph exhorte les saints à faire, en attendant, confiance aux
promesses que le Seigneur leur a déjà faites. Il leur conseille
d’être patients, de reconstruire l’imprimerie et le magasin et de
trouver des moyens légaux de recouvrer leurs pertes. Il les implore
également de ne pas abandonner la terre promise et leur envoie un plan
plus détaillé de la ville.
Il écrit : « Il est contraire à la volonté du Seigneur qu’un seul
arpent de terre acheté soit donné ou vendu aux ennemis de Dieu. »
La lettre de Joseph parvient à Edward début septembre et l’évêque
convient que les saints ne doivent pas vendre leurs possessions dans le
comté de Jackson. Bien que les chefs des émeutiers aient proféré des
menaces contre eux s’ils cherchaient à être dédommagés de leurs pertes,
Edward recueille les récits des mauvais traitements subis cet été-là
et les envoie au gouverneur du Missouri, Daniel Dunklin.
Le gouverneur Dunklin éprouve personnellement du mépris pour les
saints mais il les encourage à porter plainte. Il leur dit : « Notre
gouvernement repose sur des lois. » Si les tribunaux du comté de
Jackson ne les exécutent pas pacifiquement, ils peuvent l’en
informer et il interviendra. Il leur recommande de faire entretemps
confiance aux lois du pays.
La lettre du gouverneur redonneespoir à Edward et aux saints. Ils
commencent à reconstruire leur communauté et Edward et d’autres
dirigeants de l’Église en Sion embauchent des avocats d’un comté
voisin pour plaider leur cause. Ils prennent la résolution de se
défendre et de défendre leurs biens s’ils sont attaqués.
Les élus à Independence sont furieux. Le 26 octobre, un groupe de
plus de cinquante habitants vote pour les expulser du comté de Jackson
dès qu’ils le pourront.
Cinq jours plus tard, au coucher du soleil, les saints de la colonie
Whitmer apprennent que des hommes armés d’Independence se dirigent
vers eux. Lydia Whiting et son mari, William, s’enfuient de chez eux
avec leur fils de deux ans et leurs jumelles qui viennent de naître
vers une maison où d’autres membres de l’Église se rassemblent pour
se défendre.
À vingt-deux heures, Lydia entend du vacarme dehors. Les hommes
d’Independence sont arrivés et démolissent des cabanes. Ils
s’éparpillent dans tout le campement, jetant des pierres à travers
des fenêtres et enfonçant des portes. Ils grimpent sur des maisons et
arrachent les toits. D’autres chassent des familles hors de chez
elles avec des bâtons.
Lydia entend les émeutiers approcher. Non loin de là, ils enfoncent
la porte de la maison de Peter et Mary Whitmer où de nombreux membres
de l’Église se sont réfugiés. Des cris fusent lorsque les hommes
armés de bâtons forcent l’entrée de la maison. Les femmes se ruent
vers leurs enfants et implorent la miséricorde de leurs attaquants.
Les émeutiers font sortir les hommes, les battent et les
fouettent.
Dans la maison où se cache Lydia, les saints sont paralysés par la
peur et la confusion. Munis de peu d’armes à feu et d’aucun plan de
défense, certaines personnes paniquent et s’enfuient dans les bois
avoisinants. Craignant pour sa famille, Lydia confie ses jumelles à
deux filles blotties à côté d’elle et leur dit de courir se mettre à
l’abri. Elle prendensuite son fils dans les bras et les suit.
Dehors, c’était le chaos. Des femmes et des enfants passent devant
elle en courant pendant que les émeutiers démolissent d’autres
maisons et renversent des cheminées. Des hommes gisent au sol,
violemment battus et en sang. Lydia serre son fils contre sa poitrine
et cout vers les bois, perdant de vue son mari et les filles qui
portent ses bébés.
Lorsqu’elle atteint le couvert des arbres, Lydia ne retrouve que
l’une de ses jumelles. Elle prend le bébé et s’assoit avec son petit
garçon, frissonnant dans la fraîcheur automnale. Depuis leur cachette,
ils peuvent entendre les émeutiers détruire leur maison. Elle passe
une longue nuit sans avoir la moindre idée si son mari a réussi à
s’échapper de la colonie.
Au matin, elle sort prudemment des bois et cherche, parmi les saints hagards de la colonie, son mari et son
bébé disparus. À son grand
soulagement, le bébé est sain et sauf et William n’a pas été
capturé par les émeutiers.
Ailleurs dans la colonie, d’autres familles se retrouvent. L’attaque
n’a fait aucun mort mais près d’une douzaine de maisons ont été
rasées. Le reste de la journée, les saints fouillent les décombres
pour essayer de sauver ce qui reste de leurs biens et prennent soin
des blessés.
Pendant les quatre jours suivants, les dirigeants de Sion disent aux
saints de se rassembler en grands groupes pour se défendre des
attaques. Des émeutiers d’Independence chevauchent dans toute la
campagne, terrorisant les colonies isolées. Les dirigeants de l’Église
supplient un juge local de les stopper mais il les ignore. Les
habitants du comté de Jackson sont déterminés à chasser de chez eux
tous les saints jusqu’au dernier.
Peu après, les émeutiers frappent de nouveau la colonie Whitmer,
cette fois plus violemment. Lorsque Philo Dibble, vingt-sept ans,
entend un coup de feu en direction de la colonie, lui et d’autres
saints des environs se précipitent pour la défendre. Ils trouvent
cinquante hommes armés à cheval, piétinant les champs de maïs et
dispersant les saints effrayés dans les bois.
Apercevant Philo et sa compagnie, les hommes tirent, blessant
mortellement un homme. Les saints ripostent, tuant deux de leurs
attaquants et dispersant le reste. La fumée de leurs armes à poudre
noire remplit l’air.
Tandis que les émeutiers se dispersent, Philo sent une douleur à
l’abdomen. Baissant la tête, il voit que ses vêtements sont déchirés
et ensanglantés. Une bille de plomb et de la chevrotine l’ont
atteint.
Les mains encore crispées sur son fusil et sa poudre, il titube jusqu’à
chez lui. En chemin, il voit des femmes et des enfants blottis dans des
maisons dévastées, se cachant des émeutiers qui menacent de tuer
quiconque se porte au secours des blessés. Faible et assoiffé, il
continue de tituber jusqu’à la maison où sa famille se terre.
Cecelia, sa femme, voit sa blessure et part en courant dans les bois
chercher de l’aide. Elle se perd et ne trouve personne. Lorsqu’elle
revient à la maison, elle dit que la plupart des saints se sont enfuis
en direction de la colonie où habitent les saints de Colesville, à
cinq kilomètres de là.
D’autres sont dispersés dans la campagne, se cachent dans les
champs de maïs ou errent dans la campagne.
Pendant que les saints luttent contre les émeutiers le long de la Big
Blue, Sidney Gilbert se présente devant un juge dans le tribunal
d’Independence en compagnie d’Isaac Morley, John Corrill, William
McLellin et quelques autres saints. Ils ont été arrêtés après qu’un
homme qu’ils ont pris en train de voler dans le magasin de Sidney
les a accusés d’agression et de séquestration quand ils ont
essayé de le faire arrêter.
La salle d’audience est pleine lorsque le juge entend leur cas.
Avec la ville entière qui proteste contre la décision des saints de
défendre leurs droits et leurs biens, Sidney et ses amis ont peu de
raisons d’espérer une audience impartiale.
Le procès ressemble à une
comédie.
Pendant que le juge entend les témoignages, de fausses rumeurs
parviennent à Independence selon lesquelles les saints ont massacré
vingt Missouriens à la Big Blue. La colère et la confusion remplissent
la salle d’audience lorsque les spectateurs crient qu’il faut
lyncher les prisonniers. Refusant de les remettre à la foule, l’un des
greffiers du tribunal ordonne que les hommes soient ramenés en prison
pour être protégés avant que les émeutiers ne puissent les assassiner.
Ce soir-là, une fois le scandale apaisé, William reste en prison
pendant que le shérif et deux adjoints escortent Sidney, Isaac et
John à une réunion avec Edward Partridge. Les dirigeants de l’Église
discutent des options qui s’offrnt à eux. Ils savent qu’ils
doivent quitter rapidement le comté de Jackson mais l’idée de laisser
leurs terres et leurs maisons entre les mains de leurs ennemis leur
répugne. Ils décident finalement qu’il vaut mieux perdre leurs
biens que leur vie. Ils doivent abandonner Sion.
Leur discussion prend fin à deux heures du matin et le shérif les
ramèneen prison. Lorsqu’ils arrivent, une demi-douzaine d’hommes armés
les
attendent.
« Ne tirez pas ! Ne tirez pas ! » s’écrie le shérif en voyant les
émeutiers.
Ces derniers mettent les prisonniers en joue et John et Isaac
s’enfuient. Certains tirent sur eux et les manquent. Sidney tient
bon lorsque deux hommes s’approchent de lui et pointent leur arme
sur sa poitrine. Maintenant sa position, Sidney entend les chiens des fusils
claquer et voit un éclair de poudre.
Surpris, il examine son corps pour voir où il est blessé mais ne
trouve rien. L’un des pistolets s’est cassé et l’autre s’est enrayé. Le
shérif et ses adjoints se dépêchent de le ramener dans la
sécurité de la cellule.
Une grande partie du comté de Jackson se mobilise pour la bataille.
Des messagers battent la campagne pour enrôler des hommes armés afin
de chasser les saints de la région. Pendant ce temps, un membre de
l’Église nommé Lyman Wight conduit une compagnie de cent saints,
certains armés de pistolets et d’autres de bâtons, en direction
d’Independence pour secourir les prisonniers.
Pour éviter d’autres effusions de sang, Edward commence à préparer les
saints à quitter le comté. Le shérif libère les prisonniers et Lyman
disperse sa compagnie. La milice du comté est sollicitée pour maintenir
l’ordre pendant que les saints quittent leurs maisons mais comme la
plupart des miliciens ont participé aux attaques des colonies, ils
ne font pas grand-chose pour empêcher la violence.
Il ne reste pas d’autre solution aux saints que celle de s’enfuir.
Le 6 novembre, William Phelps écrit aux dirigeants de l’Église à
Kirtland. Il leur dit : « C’est horrible. Les hommes, les femmes et les
enfants sont en train de s’enfuir ou de se préparer à s’enfuir dans
toutes les directions. »
La plupart des saints marchent péniblement en direction du nord,
traversant en bateau le Missouri glacé, vers le comté voisin de Clay où
les familles éparpillées se retrouvent. Le vent et la pluie font
rage et bientôt la neige se met à tomber. Une fois que les saints
ont traversé le fleuve, Edward et les autres dirigeants montent
des tentes et construisent des abris sommaires pour les protéger des
éléments.
Trop blessé pour fuir, Philo Dibble dépérit chez lui, près de la
colonie Whitmer. Un médecin lui dit qu’il va mourir mais il
s’accroche à la vie. Avant de partir en direction du nord, David
Whitmer lui envoie un message disant qu’il lui promet qu’il
vivra. Newel Knight vient ensuite, s’assoit à côté de son lit et place
en silence sa main sur sa tête.
Philo sent l’Esprit du Seigneur reposer sur lui. Lorsque cette
sensation s'est répandue dans tout son corps, il sait qu’il sera guéri. Il se lève et du sang et des bouts de tissu déchiquetés
s’écoulent de ses blessures. Puis il s’habille et sort pour la
première fois depuis la bataille. Il voit au-dessus de sa tête un nombre
incalculable d’étoiles filantes dans le ciel nocturne.
Dans le camp le long du Missouri, les saints sortent de leurs tentes
et de leurs masures pour voir la pluie de météores. Edward et sa fille
Emily regardent avec délice les étoiles qui semblent tomber en
cascade autour d’eux comme une grosse pluie d’été. Pour Emily, c’est
comme si Dieu avait envoyé les lumières réjouir les saints dans leurs
afflictions.
Son père croit qu’elles sont des signes de la présence de Dieu,
une raison de se réjouir au milieu de tant de tribulations.
À Kirtland, un coup à la porte réveilla le prophète. Il entend une
voix dire : « Frère Joseph, levez-vous et venez voir les signes dans le
ciel. »
Joseph se lève, regarde dehors et voit les météores tomber du ciel comme
de la grêle. « Combien tes œuvres sont merveilleuses, ô Seigneur ! »
s’exclama-t-il en se souvenant des prophéties du Nouveau Testament au
sujet d’étoiles tombant des cieux avant la Seconde Venue, lorsque le
Seigneur reviendra et régnera pendant mille ans dans la paix.
Il fait ensuite cette prière : « Je te remercie pour ta miséricorde
envers moi, ton serviteur. Ô Seigneur, sauve-moi dans ton royaume. »
CHAPITRE 18 : Le camp d’Israël
Pendant des jours après la pluie d’étoiles filantes, Joseph attend
que quelque chose de miraculeux se produise. Mais la vie reprend son
cours habituel et aucun autre signe ne se manifeste dans les cieux. Il
confie dans son journal : « Mon cœur est quelque peu attristé. » Plus
de trois mois se sont écoulés depuis la dernière révélation du
Seigneur adressée aux saints en Sion et Joseph ne sait toujours pas
comment les aider. Les cieux semblent fermés.
À son désarroi s’ajoute le retour de
Palmyra et Manchester de Philastus Hurlbut avec des histoires, certaines fausses, d’autres
exagérées, au sujet des jeunes années de Joseph. Pendant que ces récits
circulent à Kirtland, Hurlbut jure également qu’il se lavera les
mains dans le sang du prophète. Celui-ci se met à avoir recours à des
gardes du corps.
Le 25 novembre 1833, un peu plus d’une semaine après la pluie d’étoiles
filantes, Orson Hyde arrive à Kirtland et rapporte l’expulsion des
saints du comté de Jackson. La nouvelle est consternante. Joseph ne
comprend pas pourquoi Dieu a laissé les saints souffrir et perdre
la terre promise. Il n’arrive pas non plus à présager l’avenir de
Sion. Il prie pour être guidé mais le Seigneur lui dit simplement de
rester calme et de lui faire confiance.
Joseph écrit immédiatement à Edward Partridge. Il témoigne : « Je sais
que Sion, au moment où le Seigneur le jugera opportun, sera rachetée,
mais combien de jours durera sa purification, ses tribulations et ses
afflictions, le Seigneur me le cache. »
N’ayant pas grand-chose d’autre à proposer, Joseph essaie de
réconforter ses amis au Missouri, en dépit des mille trois cents
kilomètres qui les séparent. Il écrit : « Lorsque nous avons appris
vos souffrances, cela a éveillé toute la compassion de notre cœur. Que
Dieu accorde qu’en dépit de vos grandes afflictions et tourments, rien
ne nous sépare de l’amour du Christ. »
Joseph continue de prier et, en décembre, il reçoit enfin une révélation
à l’attention des saints en Sion. Le Seigneur déclare qu’ils ont
été affligés à cause de leurs péchés mais qu’il a compassion d’eux
et promet qu’ils ne seront pas abandonnés. Il explique à Joseph :
« Il faut qu’ils soient châtiés et mis à l’épreuve comme Abraham…
car tous ceux qui ne supportent pas le châtiment, mais me renient, ne
peuvent être sanctifiés. »
Comme il l’a fait précédemment, le Seigneur commande aux saints
d’acheter des terres en Sion et de trouver des moyens légaux et
pacifiques de récupérer ce qu’ils ont perdu. Il déclare : « Sion ne
sera pas enlevée de sa place… Ceux qui restent et ont le cœur pur
retourneront et viendront à leur héritage. »
Tout en incitant à des négociations pacifiques avec les habitants
d’Independence, la révélation du Seigneur indique aussi que Sion
peut être reconquise par le pouvoir. Il raconte une parabole au
sujet d’une vigne qui a été prise à des serviteurs paresseux et
détruite par un ennemi. Lorsque le seigneur de la vigne a vu la
destruction, il a réprimandé les serviteurs pour leur négligence et
les a poussés à agir.
Il a commandé à l’un d’eux : « Va rassembler le reste de mes
serviteurs et prends toute la force de ma maison… et allez
directement dans la terre de ma vigne et rachetez ma vigne. » Le
Seigneur n’interpréte pas la parabole mais il dit aux saints qu’elle
reflète sa volonté quant à la rédemption de Sion.
Deux mois plus tard, Parley P. Pratt et Lyman Wight arrivent à Kirtland
avec d’autres nouvelles du Missouri. Des gens amicaux habitant de
l’autre côté du fleuve, en face du comté de Jackson, ont donné de
la nourriture et des vêtements aux saints en échange de travail mais
ces derniers sont toujours dispersés et découragés. Ils veulent savoir quand et comment Sion sera sauvée de ses ennemis.
En entendant le compte-rendu, Joseph se lève de sa chaise et annonce
qu’il y part. Pendant six mois, il a envoyé des paroles
encourageantes et pleines d’espoir aux saints de là-bas pendant qu’il
affrontait d’autres difficultés à Kirtland. Maintenant, il veut faire
quelque chose pour eux ; et il veut savoir qui se joindra à lui.
En avril 1834, au cours d’une réunion dans une petite branche de New
York, Wilford Woodruff, vingt-sept ans, entend Parley P. Pratt relater
la toute dernière révélation du Seigneur à Joseph Smith. Elle appelle
les saints à rassembler cinq cents hommes pour marcher avec le prophète
jusqu’au Missouri. Le Seigneur déclare : « Il faut que la rédemption de
Sion vienne par le pouvoir. Que nul ne craigne de donner sa vie à cause
de moi. »
Parley invite les jeunes hommes et ceux d’âge moyen de la branche à se
rendre en Sion. Il est attendu de tous ceux dont on peut se passer
qu’ils y aillent.
À la fin de la réunion, Wilford se présente à Parley. Wilford et son frère aîné
Azmon se sont joints à l’Église trois mois plus tôt et ils
sont tous deux instructeurs dans la Prêtrise d’Aaron. Wilford dit
qu’il est disposé à se rendre en Sion mais qu’il a des factures à
régler et des sommes à percevoir avant de pouvoir partir. Parley lui
dit qu’il est de son devoir de mettre de l’ordre dans ses finances et
de se joindre à l’expédition.
Ensuite, Wilford en parle à Azmon. Bien que le Seigneur ait fait appel
à tous les hommes valides de l’Église, Azmon décide de rester,
réticent à l’idée de quitter son foyer, sa famille et sa ferme. Wilford
par contre est célibataire et désireux d’aller en Sion avec le
prophète.
Il arrive à Kirtland quelques semaines plus tard et rencontre Brigham
Young et Heber C. Kimball qui ont récemment emménagé en Ohio avec leur
famille. Heber exerce la profession de potier et sa femme, Vilate, et
lui, ont deux enfants. Brigham est charpentier et a deux filles. Il vient juste d’épouser Mary Ann Angell, une
convertie, après le décès de sa première femme, Miriam. Les deux hommes
sont disposés à se joindre à l’expédition en dépit des sacrifices
que leur famille aura à faire.
Les cousins de Mary Ann, Joseph et Chandler Holbrook sont aussi du
voyage, avec leurs femmes, Nancy et Eunice, et leurs jeunes enfants.
Nancy et Eunice ont l’intention d’aider les quelques autres femmes
du camp à cuisiner, à laver le linge et à soigner les malades et les
blessés le long du chemin vers le Missouri.
Les femmes qui restent à la maison trouvent d’autres manières de
soutenir le projet. Juste avant de partir pour Sion, Joseph dit : « Je
veux de l’argent pour aider à équiper Sion et je sais que je l’aurai. »
Le lendemain, il reçoit cent cinquante dollars de la part de sœur Vose
de Boston.
Wilford et une poignée de saints partent pour Sion le 1er mai.
Joseph, Brigham, Heber et les Holbrook, ainsi qu’une centaine d’autres
volontaires, quittent Kirtland quelques jours plus tard et
rattrapent Wilford en chemin.
Une fois réunie, la force n’est qu’une petite fraction des cinq cents
que le Seigneur a exigés. Mais ils partent de bonne humeur en
direction de l’ouest, résolus à assurer l’accomplissement de la parole
du Seigneur.
Joseph fond de grands espoirs sur sa petite troupe qu’il appelle le
camp d’Israël. Bien qu’ils soient armés et disposés à se battre, comme
l’ont été les Israélites d’autrefois pour le pays de Canaan, Joseph
veut résoudre le conflit pacifiquement. Des représentants du
gouvernement du Missouri ont dit aux dirigeants de l’Église de
là-bas que le gouverneur Dunklin est prêt à envoyer la milice de
l’État raccompagner les saints sur leurs terres perdues. Il ne peut
cependant pas promettre d’empêcher des émeutiers de les chasser de
nouveau.
Joseph a l’intention de solliciter l’aide du gouverneur une fois
que le camp d’Israël sera arrivé au Missouri et de collaborer ensuite
avec la milice pour ramener les saints dans le comté de Jackson. Le
camp restera en Sion pendant une année pour les protéger contre leurs
ennemis.
Afin de s’assurer que les besoins de chacun sont pourvus, les
membres du camp réunissent leurs fonds. Sur le modèle de l’Ancien
Testament, Joseph a organisé les hommes en compagnies, chacune
élisant un capitaine.
Tandis que le camp d’Israël avance vers l’ouest, Joseph a des
appréhensions à pénétrer en territoire ennemi avec sa petite troupe.
Son frère Hyrum et Lyman Wight ont recruté d’autres hommes parmi
les branches de l’Église au nord-ouest de Kirtland mais ils n’ont
pas encore rejoint le camp d’Israël et Joseph ne sait pas où ils se
trouvent. Ce qui l’inquiète aussi, c’est que des espions
surveillent les mouvements du camp et en dénombrent les effectifs.
Le 4 juin, après avoir marché pendant un mois, ils atteignent le
Mississippi. Joseph est fatigué et courbaturé par le voyage mais il
se sent prêt à faire face aux difficultés qui l’attendent. Il
apprend que des rapports et des rumeurs sur les mouvements du camp
sont déjà arrivés au Missouri et que des centaines de colons se
préparent à la bataille. Il se demande si les saints sont suffisamment forts pour les affronter.
Assis sur les berges du fleuve, il écrit à Emma : « Le camp est en
aussi bon état qu’on pourrait s’y attendre mais notre nombre et nos
moyens sont trop petits. »
Le lendemain, le camp d’Israël se prépare à traverser le fleuve pour
atteindre le Missouri sous une chaleur humide et étouffante. Le
Mississipi mesure près de deux kilomètres de large et le camp ne
dispose que d’un seul bateau pour le traverser. Pendant qu’ils
attendent, certains membres du camp chassent et pêchent tandis
que d’autres s’ennuient et cherchent de l’ombre pour échapper au
soleil estival.
Il faut deux journées pénibles pour que le camp traverse le fleuve. À
la fin de la deuxième journée, les hommes sont fatigués et tendus.
Maintenant qu’ils sont arrivés au Missouri, nombre d’entre eux
craignent des attaques surprise. Ce soir-là, le chien de garde de
Joseph surprend tout le monde en se mettant à aboyer après la dernière
compagnie qui arrive au camp.
Sylvester Smith, leur capitaine, menace de le tuer s’il n’arrête pas.
Joseph calme l’animal mais Sylvester et sa compagnie s’en plaignent
encore le lendemain matin.
Entendant leurs lamentations, Joseph réunit les membres du camp. Il
annonce : « Je vais m’abaisser au niveau de l’esprit qui est dans le
camp car je veux l’en chasser. » Il commence à imiter le comportement
que Sylvester a eu la veille, répétant les menaces qu’il a
proférées contre le chien. Il dit : « Cet esprit entretient la division
et les effusions de sang dans le monde entier. »
Cela ne fait pas rire Sylvester, qui n’a aucun lien de parenté avec
Joseph. Il dit : « Si ce chien me mord, je le tue. »
Joseph répond : « Si tu tues ce chien, je te fouette. »
Sylvester dit : « Si tu le fais, je me défendrai ! »
Le camp regarde les deux hommes se dévisager. Jusque-là, aucune bagarre
n’a éclaté entre eux mais ils sont tous à bout de nerfs après
ces semaines de marche.
Joseph finit par se détourner de Sylvester et demande aux saints s’ils
ont aussi honte que lui du sentiment qui habite le camp. Il dit
qu’ils se conduisent comme des chiens et non comme des hommes. Il dit
: « Les hommes ne devraient jamais se mettre au niveau des bêtes. Ils
devraient être au-dessus. »
Après cet incident, l’humeur du camp s’apaise et la petite troupe
s’enfonce dans le Missouri. Nancy et Eunice Holbrook demeurent
occupées par leurs tâches quotidiennes mais elles se rendent compte
que chaque pas en direction du comté de Jackson les met en plus
grand danger.
Peu après la traversée du Mississipi, Hyrum Smith et Lyman Wight
arrivent avec leurs recrues, ajoutant plus de deux cents volontaires
au nombre des membres du camp. Leurs dirigeants craignent quand même
une attaque et Joseph dit aux hommes qui sont accompagnés de leur
famille de chercher un refuge pour leur femme et leurs enfants.
Plusieurs femmes du camp objectent à l’idée de rester en arrière et
au moment où les hommes s’apprêtent à partir, Joseph réunit tout le
monde. Il dit : « Si les sœurs sont disposées à subir un siège avec le
camp, elles peuvent toutes continuer de l’accompagner. »
Nancy, Eunice et les autres femmes disent qu’elles y sont disposées,
heureuses que Joseph leur permette de choisir de poursuivre le voyage.
Plusieurs jours plus tard, Parley P. Pratt et Orson Hyde arrivent au
camp avec une fâcheuse nouvelle : le gouverneur Dunklin a refusé
aux saints le soutien de la milice. Les hommes savent que sans l’aide
du gouverneur, ils ne pourront pas aider les saints du Missouri à
retourner pacifiquement sur leurs terres en Sion. Joseph et ses
capitaines décident de poursuivre leur route. Ils espèrent
rejoindre les saints exilés dans le comté de Clay, au nord du fleuve,
et les aider à négocier un compromis avec les habitants du comté de
Jackson.
Le camp d’Israël coupe à travers les prairies du centre du Missouri. À
environ une journée de voyage de leur destination, une femme noire,
sans doute une esclave, les interpelle nerveusement. Elle dit : « Il y
a un groupe d’hommes ici qui compte vous tuer ce matin, lorsque vous
traverserez. »
Le camp continue d’avancer prudemment. Ralentis par des problèmes de
chariots, ils sont forcés de s’arrêter pour la nuit sur une colline
qui surplombe une bifurcation de la Fishing River. Ils sont encore
à une quinzaine de kilomètres des saints exilés. Pendant qu’ils
plantent leurs tentes, ils entendent un martèlement de sabots et
voient cinq hommes arriver à cheval dans le camp. Les étrangers
brandissent leurs armes et fanfaronnent que plus de trois cents hommes
sont en chemin pour décimer les saints.
L’inquiétude se propage dans le camp d’Israël. Sachant qu’ils sont
moins nombreux, Joseph poste des gardes autour du secteur, certain
qu’une attaque est imminente. Un homme le supplie de devancer
l’attaque des émeutiers.
Joseph dit : « Non. Tenez-vous là et voyez le salut de Dieu. »
Au-dessus d’eux les nuages semblaient lourds et noirs. Vingt minutes
plus tard, une pluie torrentielle déferle sur le camp, chassant les
hommes qui se ruent hors de leurs tentes en quête d’un meilleur abri.
Les berges de la Fishing River disparaissent sous la montée déferlante
des eaux. Le vent fouette le camp, déracinant des arbres et arrachant
des tentes. Des éclairs éblouissants zèbrent le ciel.
Wilford Woodruff et d’autres dans le camp trouvent une petite église
dans les environs et se blottissent à l’intérieur pendant que la grêle
martèle le toit. Au bout d’un moment, Joseph entre précipitamment
dans l’église, épongeant l’eau de son chapeau et de ses vêtements. Il
s’exclame : « Les gars, tout ceci n’est pas anodin. C’est Dieu qui est
dans cet orage ! »
Incapables de trouver le sommeil, les saints s’allongent sur les
bancs et chantent des cantiques pendant toute la nuit. Le matin, ils
retrouvent leurs tentes et leurs affaires trempées et éparpillées
dans tout le camp mais rien n’est irréparable et aucune attaque
n’a eu lieu.
La rivière est encore en crue et empêche leurs ennemis de parvenir
jusqu’à eux depuis l’autre berge.
Pendant les jours qui suivent, le camp d’Israël prend contact avec les
saints au comté de Clay pendant que Joseph rencontre des élus des
comtés voisins pour expliquer l’objectif de leur expédition et plaider
en faveur des saints en Sion. Joseph leur dit : « Nous sommes désireux
de résoudre les difficultés qui existent entre nous. Nous voulons vivre
en paix avec tout le monde et tout ce que nous exigeons, ce sont des
droits égaux. »
Les élus acceptent d’aider à apaiser la colère de leurs concitoyens
mais avertissent le camp qu’il ne deva pas aller au comté de Jackson.
Si les saints essaient d’entrer à Independence, une bataille
sanglante éclatera.
Le lendemain, 22 juin, lors d’un conseil de dirigeants de l’Église,
Joseph reçoit une révélation pour le camp d’Israël. Le Seigneur
accepte les sacrifices consentis par ses membres mais réoriente
leurs efforts vers l’obtention d’un pouvoir divin. Il déclare : « Sion
ne peut être édifiée que sur les principes de la loi du royaume
céleste. »
Le Seigneur dit aux saints qu’ils devront attendre pour racheter Sion
de s’être préparés par l’étude et l’expérience à faire la volonté de
Dieu. Il explique : « Et cela ne pourra se réaliser que lorsque mes
anciens seront dotés de pouvoir d’en haut. » Cette dotation doit se
faire dans la maison du Seigneur, le temple de Kirtland.
Le Seigneur est néanmoins satisfait des membres du Camp d’Israël. Il
dit : « J’ai entendu leurs prières et j’accepterai leur offrande ; et
il m’est opportun qu’ils soient amenés jusqu’ici pour que leur foi soit
mise à l’épreuve. »
En entendant la révélation, certains membres du camp l’acceptent
comme étant la parole du Seigneur. D’autres protestent, trouvant que
cela les prive de l’occasion d’en faire plus pour les saints du
Missouri. D’autres sont en colère et honteux de devoir rentrer chez eux sans s’être battus.
Le camp est démantelé peu après et le peu d’argent restant est
redistribué entre ses membres. Certaines personnes du camp ont
l’intention de rester au Missouri pour travailler et aider les saints à
recommencer alors que Brigham, Heber et d’autres se préparent à
retourner auprès de leurs familles, à achever le temple et à être dotés
de pouvoir.
Bien que le camp n’ait pas racheté Sion, Wilford Woodruff est
reconnaissant de la connaissance acquise au cours de l’expédition. Il
a parcouru près de mille six cents kilomètres en compagnie du
prophète et l’a vu révéler la parole de Dieu. L’expérience lui
donne envie de prêcher l’Évangile.
Wilford ne sait pas encore si la prédication fait partie de son
avenir mais il décide de rester au Missouri et de faire tout ce que le
Seigneur exigera de lui.
CHAPITRE 19 : Intendants dans ce ministère
Au moment du démantèlement du camp d’Israël, une épidémie de choléra
dévastatrice frappe ses rangs. Des saints qui sont en bonne santé
quelques heures plus tôt s’effondrent, incapables de bouger. Ils
ont des vomissements à répétition, et sont en proie à de
violentes douleurs d’estomac. Les plaintes des malades emplissent le
camp et de nombreux hommes sont trop faibles pour monter la garde.
Nancy Holbrook est l’une des premières personnes atteintes. Sa
belle-sœur, Eunice, la rejoint rapidement, accablée d’atroces crampes
musculaires. Wilford Woodruff passe la plus grande partie de la nuit et
de la journée du lendemain à soigner un homme de sa compagnie. Joseph
et les anciens du camp donnent des bénédictions mais peu après, ils
sont nombreux à être frappés à leur tour. Au bout de quelques jours,
Joseph tombe malade et dépérit dans sa tente, se demandant s’il
survivra.
Lorsque des personnes commencent à mourir, Heber Kimball, Brigham
Young et d’autres enveloppent les corps dans des couvertures et les
enterrent le long d’un ruisseau voisin.
L’épidémie suit son cours pendant plusieurs jours et se dissipe début
juillet. Entre-temps, plus de soixante saints sont tombés malades.
Joseph se rétablit ; Nancy, Eunice et la plupart des membres du camp
aussi, mais plus d’une douzaine de saints meurent, notamment Sidney
Gilbert et Betsy Parrish, l’une des rares femmes du camp. Joseph pleure
pour les victimes et leur famille. La dernière personne à s’éteindre
est Jesse Smith, son cousin.
Ayant lui-même frôlé la mort, Joseph se souvient de la facilité avec
laquelle sa vie peut lui être ôtée. À vingt-huit ans, il craint
de plus en plus de ne pas venir à bout de sa mission divine. S’il
mourait maintenant, qu’adviendrait-il de l’Église ? Est-elle assez
forte pour lui survivre ?
Suivant les indications du Seigneur, Joseph a déjà apporté des
changements dans la direction de l’Église afin de répartir le
fardeau administratif. À cette époque-là, Sidney Rigdon et Frederick
Williams servent à ses côtés dans la présidence de l’Église. Il a
aussi désigné Kirtland comme pieu de Sion, ou lieu officiel de
rassemblement des saints.
Plus récemment, après avoir eu une vision de la manière dont Pierre
avait autrefois organisé l’Église du Seigneur, Joseph a institué un
grand conseil composé de douze grands prêtres à Kirtland pour l’aider à
gouverner le pieu et le diriger en son absence.
Peu après la fin de l’épidémie de choléra, Joseph poursuit
l’organisation de l’Église. En juillet 1834, en réunion avec les
dirigeants au comté de Clay, il forme un grand conseil au Missouri et
nomme David Whitmer pour présider l’Église là-bas avec l’aide de deux
conseillers, William Phelps et John Whitmer. Il prend ensuite la route
pour Kirtland, impatient de terminer le temple et d’obtenir la dotation
de pouvoir qui permettra aux saints de racheter Sion.
Il sait que d’importants problèmes l’attendent. Lorsqu’il a
quitté Kirtland ce printemps-là, les murs de grès du temple avaient un
mètre vingt de haut et l’arrivée de plusieurs ouvriers qualifiés lui
avait permis d’espérer que les saints mèneraient à bien les plans du
Seigneur pour sa maison. Mais les pertes dans et autour d’Independence
(l’imprimerie, le magasin et de nombreux hectares de terres) les
ont affaiblis financièrement. Joseph, Sidney et d’autres dirigeants
de l’Église se sont lourdement endettés afin d’acheter le terrain du
temple de Kirtland et de financer le camp d’Israël.
Avec les entreprises de l’Église peu ou pas opérationnelles et aucun
moyen fiable de collecter les dons des saints, l’Église ne peut pas
financer le temple. Si Joseph et les autres dirigeants prennent du
retard dans leurs remboursements, l’édifice sacré risque de tomber
entre les mains des créanciers. Et s’ils perdent le temple, comment
pourront-ils recevoir la dotation de pouvoir et racheter Sion ?
De retour à Kirtland, Sidney Rigdon est aussi anxieux que Joseph de
voir le temple achevé. Il dit aux saints : « Nous devons déployer tous
les efforts nécessaires pour réaliser ce bâtiment dans le temps
imparti. Le salut de l’Église en dépend, ainsi que celui du monde. »
Sidney a surveillé les progrès du chantier pendant que Joseph était
au Missouri. À cours de jeunes hommes, Artemus Millet, le maître
d’œuvre, a enrôlé des hommes plus âgés ainsi que des femmes et des
enfants pour travailler sur le bâtiment. De nombreuses femmes font
des travaux habituellement réservés aux hommes, aidant les maçons et
conduisant les attelages entre la carrière et le chantier pour apporter
des pierres pour le temple. Lorsque Joseph et le camp d’Israël
rentrent à Kirtland, les murs mesurent un mètre de plus.
Le retour du camp stimule la construction pendant l’été et l’automne
1834. Jour après jour, les saints extraient des pierres, les
apportent sur le chantier et élèvent les murs du temple. Joseph
travaille côte à côte avec les ouvriers lorsqu’ils taillnt les
blocs de pierre d’un ruisseau voisin. Certains besognent dans la
scierie de l’Église pour préparer le bois pour les poutres, les
plafonds et les planchers. D’autres aident à le hisser, ainsi que les
pierres, en haut des échafaudages, là où on en a besoin.
Pendant ce temps, Emma et les autres femmes confectionnent des
vêtements pour les ouvriers et les approvisionnent en nourriture.
Vilate Kimball, la femme d’Heber, file quarante-cinq kilos de laine
qu’elle tisse pour en faire de l’étoffe et confectionner des vêtements
pour les travailleurs, ne se réservant pas même une paire de
chaussettes pour son usage personnel.
L’enthousiasme des saints pour achever le temple encourage Sidney
mais les dettes de l’Église augmentent quotidiennement et, ayant
apposé sa signature sur la plupart des emprunts les plus lourds, il
sait qu’il sera ruiné financièrement si l’Église ne parvient pas à
les rembourser. En voyant la pauvreté des saints et les sacrifices
qu’ils consentent pour achever le temple, il craint également
qu’ils n’aient jamais les moyens ni la détermination nécessaires pour
en venir à bout.
Accablé d’inquiétude, il grimpe parfois sur les murs du temple et
supplie Dieu d’envoyer aux saints les fonds nécessaires pour terminer
les travaux. Pendant qu’il prie, des larmes coulent de ses yeux sur
les pierres à ses pieds.
À huit cents kilomètres au nord-est de Kirtland, Caroline Tippets,
vingt et un ans, range soigneusement une grosse somme d’argent parmi
les vêtements et autres affaires qu’elle emporte de New York au
Missouri. Son frère cadet et elle déménagent dans l’ouest, espérant
s’installer non loin du comté de Jackson. Ils ont entendu parler
des persécutions que les saints subissent là-bas mais ils veulent
obéir au commandement du Seigneur de se rassembler au Missouri et
d’acheter des terres en Sion avant que les ennemis de l’Église ne s’en
soient emparés.
Le commandement fait partie de la révélation que Joseph a reçue
après avoir été informé de l’expulsion des saints de Sion. On y lit
: « Achete… toutes les terres qui peuvent être achetées au comté
de Jackson et dans les comtés alentour. » Les fonds doivent être issus
de dons. Le Seigneur commande : « Que toutes les Églises rassemblent
tout leur argent… et que des hommes honorables, oui, des hommes
sages, soient désignés, et envoyez-les acheter ces terres. »
Lorsque les dirigeants de la branche de Caroline sont mis au courant
de la révélation, ils demandent au petit groupe de saints de jeûner
et de prier afin que le Seigneur les aide à réunir des fonds pour
acheter des terres au Missouri. Certains membres de la branche font
des dons importants en espèces et en biens. D’autres donnent quelques
dollars.
Caroline dispose d’environ deux cent cinquante dollars qu’elle
peut ajouter. C’est une somme supérieure à toutes celles que les
autres membres de la branche ont offertes et probablement
supérieure à ce que quiconque attend d’elle, mais elle sait que
cela aidera les saints à racheter la terre promise. Lorsqu’elle
ajoute sa contribution aux fonds, le total des dons est de huit cent
cinquante dollars, une somme d’argent considérable.
Après la réunion, Harrison et son cousin John sont choisis pour se
rendre au Missouri et acheter des terres. Caroline décide de les
accompagner afin de veiller sur sa contribution. John met de l’ordre
dans ses affaires et les membres de leur famille leur préparent un
attelage et un chariot. Les trois jeunes gens sont
alors prêts à prendre la route du Missouri.
Caroline est impatiente de commencer une nouvelle vie dans l’Ouest
lorsqu’elle grimpe dans le chariot. Comme les Tippets ont prévu de
s’arrêter à Kirtland en chemin, les dirigeants de leur branche leur
remettent une lettre de recommandation adressée au prophète expliquant
la provenance de l’argent et ce qu’ils ont l’intention d’en faire.
Tout au long de l’automne 1834, Joseph et les autres dirigeants de
l’Église prennent de plus en plus de retard dans leurs remboursements du
crédit pour le terrain du temple et les intérêts continuent de
s’accumuler. Certains ouvriers offrent de travailler gratuitement,
allégeant quelque peu le fardeau financier de l’Église. Lorsque des
familles ont un surplus d’argent liquide ou de biens, elles
l’offrent parfois à l’Église pour le projet du temple.
D’autres personnes, dans et hors de l’Église, consentent des crédits,
prêtant de l’argent pour permettre l’avancée des travaux. Les dons et
les emprunts financent les matériaux et donnent du travail à des
personnes qui autrement seraient sans emploi.
Ces efforts permettent aux murs du temple de continuer de s’élever et,
les derniers mois de l’année, ils sont suffisamment hauts pour
permettre aux artisans de commencer à poser les poutres qui
soutiendront l’étage supérieur. Mais l’argent est toujours rare et
les dirigeants de l’Église prient sans cesse pour en recevoir.
Début décembre, la famille Tippets arrive à Kirtland et Harrison et
John remettent la lettre de leur branche au grand conseil. L’hiver
approchant, ils demandent au conseil s’ils doivent poursuivre leur
route jusqu’au Missouri ou passer la saison à Kirtland. Après
discussion, le grand conseil recommande à la famille de rester en Ohio
jusqu’au printemps.
Ayant désespérément besoin d’argent, le conseil demande également aux
jeunes gens d’en prêter à l’Église, promettant de rembourser la somme
avant leur départ au printemps. Harrison et John acceptent de prêter
à l’Église une partie des huit cent cinquante dollars provenant de leur
branche. Comme une partie conséquente de la somme appartient à
Caroline, le conseil la convoque à la réunion et explique les termes de
l’accord, qu’elle accepte de bon cœur.
Le lendemain, Joseph et Oliver se réjouissent en remerciant le Seigneur
du soulagement financier que les Tippets ont apporté.
Cet hiver-là, l’Église reçoit d’autres prêts et dons mais Joseph sait
qu’ils ne suffiront pas pour couvrir le coût de plus en plus élevé du
temple. Cependant, Caroline Tippets et sa famille ont prouvé que de
nombreux saints dans les branches reculées de l’Église veulent faire
leur part dans l’œuvre du Seigneur. À l’aube de la nouvelle année,
Joseph se rend compte qu’il doit trouver un moyen d’affermir ces
branches et de solliciter leur aide pour achever le temple afin que les
saints puissent être dotés de pouvoir.
La solution se trouve dans une révélation que Joseph a reçue
plusieurs années auparavant qui commande à Oliver Cowdery et à David
Whitmer de rechercher douze apôtres pour prêcher l’Évangile au monde.
Comme les apôtres du Nouveau Testament, ces hommes doivent être des
témoins spéciaux du Christ, baptiser en son nom et rassembler les
convertis en Sion et dans ses branches.
En tant que collège, les douze apôtres doivent former un grand conseil
voyageur et servir dans les régions qui ne sont pas sous la
juridiction des grands conseils d’Ohio et du Missouri. Dans ce rôle,
ils peuvent diriger l’œuvre missionnaire, superviser des branches et
collecter des fonds pour Sion et le temple.
Un dimanche du début du mois de février, Joseph invite Brigham et
Joseph Young chez lui. Il dit aux frères : « Je désire que vous disiez
à tous les frères qui habitent dans les branches, à une distance
raisonnable de cet endroit, de se réunir pour une conférence générale,
samedi prochain. » Lors de cette conférence, il explique que douze
hommes seront désignés pour faire partie du nouveau collège.
Joseph dit à Brigham : « Et toi, tu seras l’un d’eux. »
La semaine suivante, le 14 février 1835, les saints de Kirtland se
réunissent pour la conférence. Oliver,
David et leur collègue et témoin du Livre de Mormon, Martin Harris,
sous la direction de Joseph, annoncent le nom des membres du Collège des douze apôtres. Chacun des
hommes appelés a fait une mission de prosélytisme et huit d’entre
eux ont participé à l’expédition du camp d’Israël.
Thomas Marsh et David Patten, tous deux dans la trentaine, sont les
plus âgés des Douze. Thomas est l’un des plus anciens convertis,
ayant acquis un témoignage du Livre de Mormon alors que les premiers
exemplaires étaient encore en cours d’impression. David a fait une
mission après l’autre pendant les trois années depuis sa conversion.
Comme Joseph l’a déclaré une semaine plus tôt, Brigham est aussi
appelé au Collège. Heber Kimball, son meilleur ami, l'est également.
Les deux hommes ont servi fidèlement en qualité de capitaines dans
le camp d’Israël. Maintenant, Brigham va de nouveau abandonner son
établi de menuisier et Heber son tour de potier afin de partir en
mission pour le Seigneur.
Comme les apôtres du Nouveau Testament, Pierre et André, et Jacques et
Jean, deux fratries sont appelées aux Douze : Parley et Orson Pratt
ont propagé l’Évangile d’est en ouest et doivent maintenant se
consacrer au service des branches de l’Église partout. Luke et Lyman
Johnson ont prêché du sud au nord et doivent repartir, maintenant
investis de l’autorité apostolique.
Le Seigneur choisit des personnes instruites et d’autres qui ne
le sont pas. Orson Hyde et William McLellin ont enseigné à
l’école des prophètes et apportent leur intelligence vive au Collège.
Bien que n’ayant que vingt-trois ans, John Boynton a rencontré un
grand succès en tant que missionnaire et est le seul des apôtres à
être allé à l’université. William, le jeune frère de Joseph, n’a
pas eu la même chance de faire des études mais c’est un orateur
passionné, intrépide face à l’adversité et prompt à défendre les
nécessiteux.
Après avoir appelé les apôtres, Oliver leur confie une responsabilité
particulière. Il leur dit : « Ne vous relâchez jamais dans vos efforts
tant que vous n’avez pas vu Dieu face à face. Affermissez votre foi,
débarrassez-vous de vos doutes, de vos péchés et de votre incrédulité ;
et rien ne pourra vous empêcher d’aller à Dieu. »
Il leur promet qu’ils prêcheront l’Évangile dans des pays éloignés et
rassembleront de nombreux enfants de Dieu dans la sécurité de Sion.
Il témoigne : « Vous serez des intendants dans ce ministère. Nous avons
une œuvre à accomplir que personne d’autre ne peut accomplir. Vous
devez proclamer l’Évangile dans sa simplicité et dans sa pureté et nous
vous recommandons à Dieu et à la parole de sa grâce. »
Deux semaines après l’organisation des Douze, Joseph forme un autre
collège de la prêtrise qui se joindra aux apôtres pour propager
l’Évangile, fortifier les branches et collecter les dons pour l’Église.
Les membres de ce nouveau collège, appelé Collège des soixante-dix,
sont tous des vétérans du camp d’Israël. Ils doivent voyager
partout, sur le modèle des soixante-dix disciples du Nouveau Testament
qui se rendaient deux par deux dans chaque ville pour y prêcher la
parole de Jésus.
Le Seigneur choisit sept hommes pour présider le Collège, notamment
Joseph Young et Sylvester Smith, le capitaine de compagnie qui s’est
querellé avec le prophète pendant la marche du camp d’Israël. Avec
l’aide du grand conseil de Kirtland, les deux hommes ont résolu
leur différend cet été-là et ont fait la paix.
Peu après leur appel, le prophète s’adresse aux nouveaux collèges. Il
dit : « Certains d’entre vous sont en colère contre moi parce qu’ils ne
se sont pas battus au Missouri. Mais laissez-moi vous dire que Dieu ne
voulait pas que vous vous battiez. » Il expliqua que Dieu les avait
appelés au Missouri pour éprouver leur disposition à faire des
sacrifices et à consacrer leur vie pour Sion et pour faire grandir la
puissance de leur foi.
Il enseigne : « Il ne pouvait organiser son royaume avec douze hommes
pour ouvrir la porte de l’Évangile aux nations de la terre, et
soixante-dix autres sous leur direction pour suivre leurs pas, qu’en
les choisissant parmi un groupe d’hommes qui avaient offert leur vie et
qui avaient fait un sacrifice aussi grand que celui d’Abraham. »
CHAPITRE 20 : Ne me rejette pas
Pendant l’été 1835, alors que les apôtres partent en mission dans les
États de l’est et au Canada, les saints travaillent ensemble pour
finir le temple et se préparer à la dotation de pouvoir. Exemptée de la
violence et des pertes essuyées par les saints du Missouri, Kirtland
s'accroit et prospère spirituellement au fur et à mesure que les
convertis se rassemblent dans la ville et prêtent main forte à
l’œuvre du Seigneur.
En juillet, une affiche faisant de la publicité pour des « Antiquités
égyptiennes » paraît en ville. Elle rapporte la découverte de
centaines de momies dans un tombeau égyptien. Certaines d’entre elles,
ainsi que plusieurs rouleaux de papyrus antiques, ont été exhibés
dans tous les États-Unis, attirant des foules de spectateurs.
Michael Chandler, l’exposant, a entendu parler de Joseph et est
venu à Kirtland voir s’il veut les acheter. Joseph examine les
momies mais les rouleaux l’intéressent davantage. Ils sont
recouverts d’une écriture et d’images étranges de personnes, de
bateaux, d’oiseaux et de serpents.
Chandler autorise le prophète à les emporter chez lui et à les étudier
dans la soirée. Joseph sait que l’Égypte joue un rôle important
dans la vie de plusieurs prophètes de la Bible. Il sait également que
Néphi, Mormon et d’autres auteurs du Livre de Mormon ont enregistré
leurs paroles dans ce que Moroni appelle de « l’égyptien réformé ».
En examinant les écrits couchés sur les parchemins, il comprend qu’ils
contiennent des enseignements vitaux d’Abraham, le patriarche de
l’Ancien Testament. Le lendemain, il demande à Chandler combien il
veut pour les rouleaux. Ce dernier dit qu’il ne les vendra qu’avec
les momies pour un montant de deux mille quatre cents dollars.
Le prix est bien supérieur à ce que Joseph peut se permettre. Les
saints ont du mal à achever le temple avec les fonds limités dont
ils disposent et peu de personnes à Kirtland ont de l’argent à
lui prêter. Néanmoins, il croit que la valeur des rouleaux justifie
leur prix et lui et d’autres collectent rapidement suffisamment
d’argent pour acheter les artéfacts.
L’enthousiasme se propage dans toute l’Église lorsque Joseph et ses
secrétaires commencent à déchiffrer les symboles antiques, confiants
que le Seigneur révèlera bientôt leur message aux saints.
Lorsque Joseph n’est pas en train d’examiner les parchemins, il les
expose avec les momies. Emma est vivement intéressée par les
artéfacts et elle écoute attentivement lorsque Joseph explique ce
qu’il comprend des écrits d’Abraham. Lorsque des personnes curieuses
demandent à voir les momies, c’est souvent elle qui les présente,
répétant ce que Joseph lui a enseigné.
À cette époque, la vie à Kirtland est palpitante. Même si des
détracteurs de l’Église harcèlent encore les saints et si les dettes
continuent de préoccuper Joseph et Sidney, Emma voit les
bénédictions du Seigneur tout autour d’elle. Les ouvriers du temple
achèvent le toit en juillet et se lancent immédiatement dans la
construction d’un clocher élevé. Joseph et Sidney commencent à tenir
des réunions de sabbat dans l’édifice inachevé, y attirant parfois une
foule pouvant aller jusqu’à mille personnes pour les entendre prêcher.
Emma et Joseph habitent maintenant dans une maison proche du temple
et, de son jardin, elle peut voir Artemus Millet et Joseph Young
recouvrir les murs extérieurs de stuc gris-bleu qu’ils rainent pour
imiter des blocs de pierre taillée. Sous la direction d’Artemus, les
enfants collectèrent des morceaux de verre ou de vaisselle brisés afin
de les broyer en minuscules éclats et de les mélanger au stuc. Dans la
lumière du soleil couchant, ces éclats font briller les murs du
temple comme les facettes d’un joyau.
La maison d’Emma est toujours en effervescence. De nombreuses
personnes logent chez les Smith, y compris certains des hommes qui
travaillent dans la nouvelle imprimerie de l’Église. En plus
d’imprimer un nouveau journal de l’Église, le Latter Day Saints’
Messenger and Advocate, ces hommes travaillent sur plusieurs autres
projets, notamment le livre de cantiques qu’Emma a compilé avec
l’aide de William Phelps.
Le livre d’Emma comprend de nouveaux chants composés par des saints
ainsi que des œuvres plus anciennes venant d’autres Églises
chrétiennes. William écrit certains des nouveaux morceaux ; Parley
Pratt et Eliza Snow, une convertie récente, en écrivent également. Le
dernier cantique est celui de William : « L’Esprit du Dieu saint brûle
comme une flamme », un hymne de louanges à Dieu pour le rétablissement
de l’Évangile.
Emma sait également que les imprimeurs publient un nouveau recueil
de révélations appelé Doctrine et Alliances. Compilées sous la
supervision de Joseph et d’Oliver, les Doctrine et Alliances sont
une combinaison de révélations non publiées dans le Livre des
commandements, de révélations plus récentes, ainsi qu’une série
d’exposés sur la foi que les dirigeants de l’Église ont donnés aux
anciens. Les saints considèrent les Doctrine et Alliances comme un
ouvrage d’Écritures aussi important que la Bible et le Livre de Mormon.
Cet automne-là, pendant que ces projets touchent à leur fin, les
dirigeants de l’Église du Missouri arrivent à Kirtland pour se
préparer pour la consécration du temple et la dotation de pouvoir. Le
29 octobre, Emma et Joseph organisent un dîner en l’honneur d’Edward
Partridge et d’autres personnes qui sont arrivées. Pendant qu’ils se
réjouissent ensemble des sentiments qui les unissent, Newel Whitney
dit à Edward qu’il espère dîner avec lui l’année suivante en Sion.
Regardant ses amis, Emma dit qu’elle espère que tous les convives
pourront se joindre également à eux en terre promise.
Joseph dit : « Amen. Que Dieu nous l’accorde ! »
Après dîner, Joseph et Emma assistent à une réunion du grand conseil
de Kirtland. William, le jeune frère de Joseph, a accusé une femme
de l’Église de sévices physiques à l’encontre de sa belle-fille. Parmi
les témoins qui doivent prendre la parole il y a Lucy Smith, mère de Joseph et William. Lorsqu’elle commence à parler de quelque
chose que le conseil a déjà entendu et résolu, Joseph l’interrompt.
Se levant d’un bond, William l’accuse Joseph douter des paroles de leur
mère. Joseph se tourne vers son frère et lui dit de s’asseoir. William
l’ignore et reste debout.
Essayant de rester calme, Joseph répète : « Assieds-toi. »
William dit qu’il ne s’assoira pas à moins que Joseph ne le frappe.
Irrité, Joseph fait demi-tour pour quitter la pièce mais son père
l’arrête et lui demanda de rester. Joseph déclare de nouveau la séance
ouverte et achève l’audience. À la fin de la réunion, il est
suffisamment apaisé pour dire cordialement au revoir à son frère mais
ce dernier fulmine, toujours convaincu que Joseph a eu tort.
Vers cette époque-là, Hyrum Smith et sa femme, Jerusha, embauchent
Lydia Bailey, une convertie âgée de vingt-deux ans, pour les aider à
s’occuper de leur pension de famille. Joseph a baptisé Lydia deux
ou trois ans plus tôt au cours d’une brève mission qu’il a faite
avec Sidney au Canada. Lydia s’est installée à Kirtland peu de temps
après et Hyrum et Jerusha lui ont promis de prendre soin d’elle
comme si elle faisait partie de la famille.
Lydia est absorbée par son travail. Avec la présence des dirigeants
de l’Église du Missouri en ville pour la consécration du temple,
Jerusha et elle passent leur temps à cuisiner, à faire les lits et à
nettoyer la maison. Elle a rarement le temps de parler aux
pensionnaires quoique Newel Knight, un ami de longue date des Smith,
ait attiré son attention.
Un jour, pendant qu’elles travaillaient, Jerusha lui dit : « Frère
Knight est veuf. »
« Oh », dit Lydia, prétendant l’indifférence.
Jerusha dit : « Il a perdu sa femme l’automne dernier. Il a le cœur
pratiquement brisé. »
En apprenant le deuil de Newel, Lydia se souvient du sien. À l’âge de
seize ans, elle a épousé un jeune homme du nom de Calvin Bailey.
Après leur mariage, Calvin s’était mis à boire beaucoup et parfois, il
frappait sa femme et sa fille.
Avec le temps, ils ont perdu leur ferme à cause du penchant de Calvin
pour la boisson, ce qui les a obligés à louer une maison plus petite. Lydia y
a accouché d’un fils mais le bébé n'a vécut qu’un jour. Calvin l’a abandonnée
peu après et elle est retournée s’installer chez ses parents avec sa fille.
Les choses semblaient aller mieux lorsque cette dernière tomba malade.
Lorsqu’elle mourut, c’était comme si les derniers espoirs de bonheur de
Lydia étaient morts avec elle. Afin de l’aider à surmonter son chagrin,
ses parents l’envoyèrent chez des amis au Canada. Là-bas, elle entendit
l’Évangile et se fit baptiser et depuis, sa vie est plus heureuse et
l’espoir renaît. Cependant, elle se sent seule et aspire à la
compagnie de quelqu’un.
Un jour, dans une pièce de l’étage chez les Smith, Newel s’approche
d’elle. Lui prenant la main, il dit : « Je crois que, tout comme moi,
vous êtes bien seule. Nous pourrions peut-être nous tenir compagnie. »
Lydia reste assise en silence puis dit tristement : « Je suppose
que vous êtes au courant de ma situation. Je ne sais pas du tout où se
trouve mon mari, ni s’il est mort ou vivant. » Sans être divorcée de
Calvin, elle ne se sent pas en droit d’épouser Newel.
Avant de quitter la pièce, elle lui dit : « Je préférerais sacrifier
tous mes sentiments, et même ma vie, plutôt que m’écarter du chemin de
la vertu ou offenser mon Père céleste. »
Le lendemain de sa dispute avec son frère, Joseph reçoit une lettre de
celui-ci. William est irrité parce que c’est lui que le grand
conseil tient pour responsable de la dispute et non Joseph. Croyant
qu’il a eu raison de réprimander son frère devant le grand conseil,
William insiste pour qu’ils se rencontrent en tête à tête afin de pouvoir
expliquer ses actes.
Joseph accepte de le rencontrer, proposant que chacun raconte sa
version des faits, reconnaisse ses erreurs et présente des excuses pour
ses torts. Comme Hyrum, leur frère aîné, a une influence apaisante sur la famille,
Joseph l’invite à se joindre à eux afin de rendre un jugement impartial.
Le lendemain, William arrive chez Joseph et chacun à tour de rôle s'explique. Joseph dit qu’il en veut à William d’avoir
fait des remarques déplacées devant le conseil et d’avoir manqué de
respect à sa position de président de l’Église. William nie
l’accusation et soutient que Joseph a eu tort.
Hyrum écoute attentivement ses frères. Lorsqu’ils ont terminé, il
commence à donner son avis mais William lui coupe la parole, les
accusant, Joseph et lui, de rejeter toute la faute sur lui. Ses frères
tentent de le calmer mais il sort de la maison en claquant la
porte. Plus tard ce jour-là, il renvoie à Joseph son permis l’autorisant
à prêcher.
Très vite, tout Kirtland est au courant de la dispute. Elle divise la
famille Smith, habituellement très unie, en montant les frères et sœurs
de Joseph les uns contre les autres. Inquiet que ses détracteurs
n’utilisent la querelle contre lui et l’Église, Joseph se tient à
l’écart de William en espérant que la colère de son frère s’apaise.
Mais les premières semaines de novembre, ce dernier continue de
vitupérer contre Joseph et rapidement certains saints prennent également
parti. Les apôtres condamnent sa conduite et menacent de l’expulser
du Collège des Douze. Cependant, Joseph reçoit une révélation
l’exhortant à se montrer patient avec lui.
Le prophèteest attristé de voir des divisions parmi eux. Cet été-là,
les saints ont travaillé ensemble avec détermination et bonne
humeur et le Seigneur leur a accordé les annales égyptiennes et de
grands progrès sur le temple mais, maintenant que la dotation de
pouvoir est presque à leur
portée, ils n’arrivent pas à être unis de cœur et d’esprit.
Tout au long de l’automne 1835, Newel Knight maintient sa détermination
d’épouser Lydia Bailey. Croyant que la loi en Ohio permet aux
femmes abandonnées par leur mari de se remarier, il l’incite à tirer un
trait sur son passé. Mais, aussi grand que soit son désir de l’épouser,
elle a besoin de savoir que cela est juste aux yeux de Dieu.
Newel jeûne et prie pendant trois jours. Le troisième jour, il demande
à Hyrum de questionner Joseph pour savoir s’il est convenable qu’il
épouse Lydia. Hyrum accepte de parler à son frère et Newel part
travailler sur le temple l’estomac vide.
Il est toujours à la tâche lorsque Hyrum va le trouver plus tard ce
jour-là. Il lui dit que Joseph a interrogé le Seigneur et reçu
comme réponse que Lydia et Newel doivent se marier. Joseph a dit :
« Le plus tôt sera le mieux. Dis-leur qu’aucune loi ne leur fera de
tort. Nul besoin de craindre la loi de Dieu ni celle des hommes. »
Newel est enchanté. Il laisse tomber ses outils, court jusqu’à la
pension de famille et rapporte à Lydia ce que Joseph a dit. Elle
est folle de joie et ensemble ils remercient Dieu pour sa bonté. Newel
demande à Lydia de l’épouser et elle accepte. Ensuite, il se précipite
à la
salle à manger pour rompre son jeûne.
Hyrum et Jerusha acceptent d’organiser les noces chez eux le
lendemain. Lydia et Newel veulent que Joseph se charge de la
cérémonie mais ils savent qu’il n’a encore jamais célébré de
mariage et ne sont pas sûrs qu’il a l’autorité légale de le faire.
Cependant, le lendemain, pendant qu’Hyrum convie des invités à la
cérémonie, il dit à Joseph qu’il cherche encore quelqu’un pour marier
le couple. « Arrête ! » s’exclame Joseph. « Je vais les marier moi-même
! »
La loi en Ohio autorise les ecclésiastiques d’Églises organisées
officiellement à marier les couples. Chose plus importante, Joseph
croit que son office dans la Prêtrise de Melchisédek l’autorise à
célébrer des mariages. Il déclare : « Le Seigneur Dieu d’Israël m’a
donné l’autorité d’unir les gens dans les liens sacrés du mariage et
dorénavant j’utiliserai ce droit. »
Par une soirée glaciale de novembre, Hyrum et Jerusha accueillent les
convives chez eux. Les effluves du festin de noces emplissent la
pièce tandis que les saints prient et chantent pour fêter
l’occasion. Joseph se lève et demande à Lydia et à Newel de le
rejoindre à l’avant de la pièce et de se prendre par la main. Il
explique que le mariage a été institué par Dieu dans le jardin
d’Éden et doit être célébré par la prêtrise éternelle.
Se tournant vers Lydia et Newel, il leur fait contracter l’alliance
d’être des compagnons, mari et femme pour la vie. Il déclare qu’ils
sont mariés et les encourage à avoir des enfants, invoquant sur eux
les bénédictions de la longévité et de la prospérité.
Les noces de ce couple sont un point positif pendant un hiver par
ailleurs difficile pour Joseph. Depuis sa querelle avec William, il
n’a pas réussi à se concentrer sur les rouleaux égyptiens ni sur la
préparation des saints à la dotation de pouvoir. Il essaie de diriger
joyeusement, suivant l’Esprit du Seigneur. Mais le tumulte au sein de
sa famille et la charge de diriger l’Église peuvent être pesants et
parfois, il parle durement aux gens lorsqu’ils font des erreurs.
En décembre, William commence à organiser chez lui des débats sans
caractère officiel. Espérant que ces derniers donnent des occasions
d’apprendre et d’enseigner par l’Esprit, Joseph décide de participer.
Les deux premières réunions se déroulent sans heurt mais au cours de
la troisième, la tension monte lorsque William coupe la parole à un
autre apôtre pendant un débat.
Son interruption amène certaines personnes à se demander si ces
réunions doivent se poursuivre. Il se met en colère et une querelle
éclate. Joseph intervient et l’instant d’après les deux hommes
s’insultent. Joseph, père, tente de calmer ses fils mais ni l’un ni
l’autre ne cède et William se jette sur son frère.
Dans sa précipitation pour se défendre, Joseph tente d’ôter sa veste
mais il reste les bras coincés dans les manches. William frappe fort,
encore et encore, aggravant une blessure que Joseph a reçue
lorsqu’il a été enduit de goudron et de plumes. Avant que certains
des hommes n’aient réussi à contenir William, Joseph est étendu au
sol, pouvant à peine bouger.
Quelques jours plus tard, alors qu’il se remet de leur rixe, Joseph
reçoit un message de son frère. William déclare : « Je sens qu’il est
de mon devoir de faire une humble confession. » Craignant d’être
indigne de son appel, il demande à Joseph de le retirer du Collège des
Douze.
Il supplie : « Ne me rejette pas à cause de ce que j’ai fait mais
efforce-toi de me sauver. Je me repens sincèrement de ce que je t’ai
fait. »
Joseph répond à la lettre, exprimant son espoir qu’ils puissent se
réconcilier. Il déclare : « Puisse Dieu ôter l’inimitié entre nous et
puissent toutes les bénédictions être rétablies et le passé oublié à
jamais. »
Le premier jour de la nouvelle année, les frères se réunissent avec leur
père et leur frère Hyrum. Joseph, père, prie pour ses fils et les supplie de
s’accorder un pardon mutuel. Pendant qu’il parle, Joseph voit à quel
point sa querelle avec William a peiné leur père. L’Esprit de Dieu
emplit la pièce et le cœur de Joseph fond. William aussi a l’air
contrit. Il confesse sa faute et demande à nouveau à Joseph de lui
pardonner.
Sachant que lui aussi a des torts, Joseph présente ses excuses à
son frère. Ils font ensuite alliance de faire plus d’efforts pour se
soutenir et résoudre humblement leurs différends.
Joseph invite Emma et sa mère dans la pièce et William et lui
réitérèrent leur alliance. Des larmes de joie ruissellent sur leur
visage. Ils inclinent la tête et Joseph prie, reconnaissant de ce que
sa famille est de nouveau unie.
CHAPITRE 21 : L’Esprit du Dieu saint
Après s’être réconcilié avec son frère, Joseph se concentre de nouveau
sur l’achèvement du temple. Bien que modeste comparé aux cathédrales
élancées d’Europe, le temple est plus haut et plus imposant que la
plupart des édifices d’Ohio. Les voyageurs en route pour Kirtland
peuvent facilement repérer son clocher coloré et son toit rouge
rutilant au-dessus des arbres. Les murs en stuc étincelant, les portes
d’un vert vif et les fenêtres pointues de style gothique rendent le
spectacle éblouissant.
Vers la fin janvier 1836, l’intérieur du temple est presque terminé
et Joseph prépare les dirigeants de l’Église pour la dotation de
pouvoir divin que le Seigneur a promis de leur donner. Personne ne
sait avec certitude à quoi ressemblera la dotation mais Joseph
a expliqué qu’elle viendrait après qu’il aura administré les
ordonnances symboliques du lavement et de l’onction aux hommes ordonnés
à la prêtrise, comme Moïse a lavé et oint les prêtres d’Aaron dans
l’Ancien Testament.
Les saints ont également lu des passages du Nouveau Testament qui
donnent une idée de la dotation. Après sa résurrection, Jésus a
recommandé à ses apôtres de ne pas quitter Jérusalem pour prêcher
l’Évangile avant d’être « revêtus de la puissance d’en haut ». Ensuite,
le jour de la Pentecôte, ils ont reçu ce pouvoir lorsque l’Esprit
est descendu sur eux comme un vent impétueux et qu’ils ont parlé
en langues.
En se préparant pour leur dotation, les saints s’attendent à un
déversement spirituel semblable.
L’après-midi du 21 janvier, Joseph, ses conseillers et son père
empruntent l’escalier jusqu’aux combles de l’imprimerie, derrière le
temple. Là, les hommes se lavent symboliquement avec de l’eau propre
et se bénissnt mutuellement au nom du Seigneur. Une fois lavés, ils se
rendent au temple, juste à côté, où ils sont rejoints par les
épiscopats de Kirtland et de Sion et ils s’oignent avec de l’huile
consacrée et se bénissent les uns les autres.
Lorsque vient le tour de Joseph, son père lui oint la tête et le
bénit afin qu’il dirige l’Église comme un Moïse des derniers jours,
et prononce sur sa tête les bénédictions d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.
Les conseillers de Joseph lui imposent ensuite les mains et lui
donnent une bénédiction.
Lorsque les hommes ont terminé l’ordonnance, les cieux s’ouvrent
et Joseph a une vision de l’avenir. Il voit le royaume céleste, son
beau portail flamboyant devant lui comme un cercle de feu. Il voit Dieu
le Père et Jésus-Christ assis sur de magnifiques trônes. Adam et
Abraham, les prophètes de l’Ancien Testament, sont là aussi, ainsi
que sa mère, son père et son frère aîné Alvin.
La vue de son frère l’étonne. Il est mort peu après la
première visite de Moroni et n’a jamais eu l’occasion d’être
baptisé par l’autorité appropriée. Comment peut-il hériter la gloire
céleste ? Sa famille a refusé de croire qu’il est en enfer, comme
un prédicateur l’a un jour suggéré, mais son destin éternel
demeurait un mystère.
Tandis que Joseph s’étonne en voyant son frère, il entend la voix
du Seigneur dire : « Tous ceux qui sont morts sans connaître
l’Évangile, qui l’auraient reçu s’il leur avait été permis de demeurer,
seront héritiers du royaume céleste de Dieu. »
Le Seigneur explique qu’il jugera chaque personne selon ses œuvres et
les désirs de son cœur. Les gens dans la situation d’Alvin ne seront
pas damnés parce que les occasions ne se sont jamais présentées à eux
sur terre. Le Seigneur enseigne également que les petits enfants qui
meurent avant d’atteindre l’âge de responsabilité, comme les quatre
bébés que Joseph et Emma ont enterrés, seront sauvés dans le
royaume céleste.
Lorsque la vision se referme, Joseph et ses conseillers oignent les
membres des grands conseils de Kirtland et de Sion qui ont attendu
en priant dans une autre pièce. Lorsque les hommes reçoivent
l’ordonnance, d’autres visions célestes s’ouvrent à leurs yeux.
Certains voient des anges et d’autres voient le visage du Christ.
Remplis de l’Esprit, les hommes prophétisent de choses à venir et
glorifient Dieu jusque tard dans la nuit.
Deux mois plus tard, le matin du 27 mars 1836, Lydia Knight est
assise côte à côte avec d’autres saints dans la salle inférieure du
temple. Les gens, tout autour d’elle, se serrent les uns contre les
autres tandis que les huissiers casent d’autres personnes sur les
bancs. Environ un millier de saints sont déjà dans la salle et de
nombreux autres encombrent les entrées, espérant que les portiers les
laisseront entrer.
Lydia s'est rendue plusieurs fois au temple depuis son mariage avec
Newel quatre mois plus tôt. De temps en temps, ils y sont allés pour
entendre un sermon ou une conférence. Mais cette visite est
différente. Aujourd’hui, les saints se sont réunis pour consacrer le
temple au Seigneur.
Depuis sa place, Lydia peut regarder les dirigeants s’installer
derrière trois rangées de chaires richement sculptées aux deux
extrémités de la salle. Devant elle, sur l’aile ouest du bâtiment, se
trouvent les chaires de la Première Présidence et d’autres dirigeants
de la Prêtrise de Melchisédek. Derrière elle, le long du mur est, se
trouvent celles des épiscopats et des dirigeants de la Prêtrise
d’Aaron. En qualité de membre du grand conseil du Missouri, Newel est
assis dans une rangée de loges, à côté de ces tribunes.
En attendant que la consécration commence, Lydia peut également admirer
les boiseries le long des chaires et la rangée de colonnes élancées qui
s’étendent sur toute la longueur de la salle. Il est encore tôt et la
lumière du soleil se déverse dans la salle par les hautes fenêtres le
long des murs. Au-dessus sont suspendus de grands rideaux de toile
qui peuvent être déployés entre les bancs pour scinder momentanément
l’espace en différentes pièces.
Lorsque les huissiers ne peuvent plus glisser qui que ce soit dans la
pièce, Joseph se lève et s’excuse auprès des personnes qui n’ont
pas pu trouver de place assise. Il leur propose de se réunir dans la
salle de classe voisine, au premier étage de l’imprimerie.
Quelques minutes plus tard, lorsque l’assemblée est installée, Sidney
ouvre la réunion et parle avec une grande puissance pendant plus de
deux heures. Après un bref entracte pendant lequel presque tout le
monde reste assis, Joseph se lève et fait la prière de consécration
qu’il a préparée la veille avec l’aide d’Oliver et de Sidney.
Joseph dit : « Nous te demandons, ô Seigneur, d’accepter cette maison,
l’œuvre de nos mains, à nous, tes serviteurs, maison que tu nous as
commandé de bâtir. » Il demande au Seigneur d’armer les missionnaires de
pouvoir lorsqu’ils sortiront propager l’Évangile jusqu’aux extrémités
de la terre. Il demande une bénédiction sur les saints du Missouri, sur
les dirigeants des nations du monde et sur Israël dispersé.
Il demande également au Seigneur de doter les saints de pouvoir. Il dit
: « Que l’onction de tes ministres soit scellée sur eux avec du pouvoir
d’en haut. Place sur tes serviteurs le témoignage de l’alliance, afin
que lorsqu’ils iront proclamer ta parole, ils scellent la loi et
préparent le cœur de tes saints. » Il demande au Seigneur de remplir le
temple de sa gloire, comme le vent impétueux que les anciens apôtres
ont connu.
Il supplie : « Ô entends, ô entends, ô entends-nous, ô Seigneur !
Exauce ces supplications et accepte que te soit dédiée cette maison. »
Dès que Joseph a prononcé son dernier « amen », le chœur interprète
le nouveau cantique de William Phelps :
L’Esprit du Dieu saint brûle comme une flamme.
La gloire déjà revêt les derniers jours.
Les dons d’autrefois réjouissent notre âme.
Les anges reviennent à notre secours.
Lydia sent la gloire de Dieu remplir le temple. Elle se lève avec les
autres saints dans la pièce et, unit sa voix à la leur pour crier : «
Hosanna ! Hosanna ! Hosanna à Dieu et à l’Agneau ! »
Après la consécration du temple, des manifestations de l’Esprit et de
la puissance du Seigneur enveloppent Kirtland. Le soir de la
consécration, Joseph se réunit avec les dirigeants de l’Église dans le
temple et les hommes commencent à parler en langues, comme les
apôtres du Sauveur l’ont fait lors de la Pentecôte. Certaines des
personnes présentes à la réunion voient un feu céleste reposer sur
celles qui parlent. D’autres voient des anges. À l’extérieur, les
saints voient une nuée lumineuse et une colonne de feu reposer sur le
temple.
Le 30 mars, Joseph et ses conseillers se réunirent au temple pour laver les
pieds d’environ trois cents dirigeants de l’Église, notamment les
Douze, les soixante-dix et d’autres hommes appelés en mission, tout
comme le Sauveur l’a fait avec ses disciples avant sa crucifixion.
Joseph déclare : « C’est une année de jubilé pour nous et un temps pour
nous réjouir. » Les hommes sont venus au temple en jeûnant et il
demande à quelques-uns d’entre eux d’acheter du pain et du vin pour
plus tard. Il demande à d’autres d’apporter des baquets d’eau.
Joseph et ses conseillers lavent d’abord les pieds des membres du
Collège des Douze, continuent en lavant les pieds des membres des
autres collèges et les bénissent au nom du Seigneur. Au fil des heures,
les hommes se bénissent les uns les autres, prophétisent et poussent
des hosannas jusqu’à ce que le pain et le vin arrivent en début de
soirée.
Joseph parle pendant que les Douze rompent le pain et versent le
vin. Il leur dit que leur court séjour à Kirtland touche à sa fin. Le
Seigneur est en train de les doter de pouvoir et il les enverra
ensuite en mission. Il dit : « Allez en toute humilité et tempérance
prêcher Jésus-Christ. » Il leur recommande d’éviter les querelles au
sujet des convictions religieuses et les exhorte à rester fidèles aux
leurs.
Il dit aux apôtres : « Apportez les clés du royaume à toutes les
nations, ouvrez-les et faites appel aux soixante-dix afin qu’ils
suivent. » Il dit que l’organisation de l’Église est dorénavant
complète et que les hommes dans la pièce ont reçu toutes les
ordonnances que le Seigneur a préparées pour eux à ce moment-là.
Il dit : « Partez édifier le royaume de Dieu. »
Joseph et ses conseillers rentrent chez eux, laissant aux Douze la
responsabilité de la réunion. L’Esprit descend de nouveau sur les
hommes dans le temple et ils commencent à prophétiser, à parler en
langues et à s’exhorter mutuellement dans l’Évangile. Des anges
apparaissent à certains et quelques autres ont des visions du Sauveur.
Le déversement de l’Esprit se poursuit jusqu’aux premières heures du
matin. Lorsqu’ils quittent le temple, les saints s’extasient sur les
merveilles et la gloire dont ils viennent juste d’être témoins. Ils se
sentent dotés de pouvoir et prêts à apporter l’Évangile au monde.
Une semaine après la consécration, le dimanche après-midi de Pâques, un
millier de saints vont de nouveau adorer au temple. Lorsque les
Douze ont administré le repas du Seigneur à l’assemblée, Joseph et
Oliver abaissent les rideaux de toile autour de la chaire la plus
élevée sur le côté ouest de la salle inférieure et s’agenouillent
derrière afin de prier en silence, hors de la vue des saints.
Après leurs prières, le Sauveur apparaît devant eux, le visage plus
brillant que l’éclat du soleil. Ses yeux sont comme du feu et ses
cheveux comme de la neige. Sous ses pieds, la balustrade de la chaire
ressemble à de l’or pur.
De sa voix qui ressemble à un déferlement de grandes eaux, le
Seigneur déclare : « Que le cœur de tout mon peuple se réjouisse, mon
peuple qui a bâti de toutes ses forces cette maison à mon nom. Voici,
j’ai accepté cette maison, et mon nom sera ici ; et je me manifesterai
avec miséricorde à mon peuple dans cette maison. » Il exhorte les
saints à préserver le caractère sacré de sa maison et confirme qu’ils ont reçu
une dotation de pouvoir.
Il déclare : « Le cœur de milliers et de dizaines de milliers sera dans
une grande allégresse à cause des bénédictions qui seront déversées et
de la dotation que mes serviteurs ont reçue dans cette maison. »
Finalement, il promet : « La renommée de cette maison se répandra dans
les pays étrangers, et c’est là le commencement de la bénédiction qui
sera déversée sur la tête de mon peuple. »
La vision se referme sur Joseph et Oliver mais instantanément, les
cieux s'ouvrent à nouveau. Ils voient debout devant eux Moïse qui leur
remet les clés du rassemblement d’Israël afin que les saints puissent
apporter l’Évangile au monde et ramener les justes en Sion.
Élias apparaît ensuite et leur remet la dispensation de l’Évangile
d’Abraham, disant que toutes les générations seront bénies à travers
eux et tous ceux qui viendront après eux.
Après le départ d’Élias, Joseph et Oliver ont une autre vision
extraordinaire. Ils voient Élie, le prophète de l’Ancien Testament qui
est monté au ciel dans un char de feu.
Faisant allusion à la prophétie de l’Ancien Testament selon laquelle il
tournera le cœur des pères vers les enfants et celui des enfants vers
les pères, Élie déclare : « Le temps est pleinement arrivé, ce temps
dont il a été parlé par la bouche de Malachie… Les clés de cette dispensation sont remises entre vos mains, et vous
saurez, par là, que le jour du Seigneur, jour grand et redoutable, est
proche, et même à la porte. »
La vision se referme, laissant Joseph et Oliver seuls. La lumière du
soleil filtre à travers la fenêtre en ogive située derrière la chaire
mais la balustrade devant eux ne brille plus comme de l’or. Les voix
célestes qui les ont secoués comme le tonnerre cèdent la place au
bourdonnement sourd des saints de l’autre côté du rideau.
Joseph sait que les messagers lui ont remis d’importantes clés de
la prêtrise. Plus tard, il enseigne aux saints que les clés de la
prêtrise rétablies par Élie scelleront les familles éternellement,
liant dans les cieux ce qui est lié sur la terre, reliant les parents
à leurs enfants et les enfants à leurs parents.
Les jours qui suivent la consécration, fortifiés par la dotation de
pouvoir, les missionnaires partent prêcher l’Évangile dans toutes les
directions. L’évêque Partridge et les autres saints qui sont venus
du Missouri reprennent la route vers l’ouest avec une détermination
renouvelée de bâtir Sion.
Lydia et Newel Knight veulent également se rendre dans l’Ouest mais
ils ont besoin d’argent. Newel a passé le plus clair de son
temps à Kirtland à travailler bénévolement à la construction du temple
et Lydia a prêté presque tout son argent à Joseph et à l’Église
lorsqu’elle est arrivée en ville. Ni l’un ni l’autre ne regrette
son sacrifice mais Lydia ne peut s’empêcher de penser que la somme
qu’elle a prêtée aura largement couvert les frais du voyage.
Pendant qu’ils réfléchissent à la manière de financer leur périple,
Joseph leur rendit visite. Il dit : « Alors Newel, tu es sur le point
de partir vers ton foyer dans l’Ouest. Disposes-tu de quoi couvrir
amplement tes besoins ? »
Newel dit : « Pour l’instant, notre budget est assez restreint. »
Joseph dit à Lydia : « Je n’ai pas oublié avec quelle générosité tu
m’as aidé lorsque j’étais en difficulté. » Il sort de la maison et
revient peu de temps après avec une somme supérieure à celle qu’elle lui
a prêtée.
Il leur dit d’acheter ce dont ils ont besoin pour faire
confortablement le voyage jusqu’à leur nouveau foyer. Hyrum leur
fournit aussi un attelage de chevaux pour les emmener jusqu’à l’Ohio où
ils pourront prendre un bateau à vapeur jusqu’au Missouri.
Avant leur départ, ils rendent visite à Joseph Smith, père, afin que
Lydia puisse recevoir une bénédiction. Plus d’un an plus tôt, le
Seigneur a appelé Joseph à être le patriarche de l’Église, lui conférant
l’autorité de donner aux saints des bénédictions patriarcales, comme
Abraham et Jacob en ont donné à leurs enfants dans la Bible.
Il pose les mains sur la tête de Lydia et prononce les paroles de la
bénédiction. Il lui dit : « Tu as été très affligée par le passé et ton
cœur a souffert mais tu seras consolée. »
Il lui dit que le Seigneur l’aime et lui a donné Newel pour la
réconforter. « Vos âmes seront unies et rien ne pourra les disjoindre.
Ni la détresse ni la mort ne vous sépareront » promet-il. « Votre vie
sera préservée et vous voyagerez rapidement et en toute sécurité
jusqu’au pays de Sion. »
Peu après la bénédiction, Lydia et Newel partent pour le Missouri,
optimistes quant à l’avenir de l’Église et de Sion. Le Seigneur a
doté les saints de pouvoir et Kirtland s’épanouit sous la flèche
élancée du temple. Les visions et dons de cette époque leur ont
donné un avant-goût des cieux. Le voile entre la terre et le ciel
semble prêt à s’ouvrir à leurs yeux.
TROISIÈME PARTIE :
Jeté dans l’abîme (avril 1836 - avril 1839)
CHAPITRE 22 : Mets le Seigneur à l’épreuve
Après la consécration du temple, Joseph se délecta de l’espérance et de
la bonne volonté qui reposaient sur Kirtland. Les saints furent témoins
d’un déversement de dons spirituels tout au long du printemps 1836.
Nombre d’entre eux virent des armées d’anges, vêtues d’un blanc
étincelant, debout sur le toit du temple, et certains se demandèrent si
le millénium avait commencé.
Joseph voyait partout des preuves des bénédictions du Seigneur.
Lorsqu’il avait emménagé à Kirtland cinq ans plus tôt, l’Église était
désorganisée et indisciplinée. Depuis, les saints avaient embrassé plus
pleinement la parole du Seigneur et avaient transformé un simple
village en un pieu de Sion solide. Le temple représentait un témoignage
de ce qu’ils pouvaient accomplir en obéissant à Dieu et en travaillant
ensemble.
Mais tout en se réjouissant du succès de Kirtland, Joseph ne pouvait
oublier les saints du Missouri qui étaient toujours regroupés en
petites communautés le long du fleuve, juste à côté du comté de
Jackson. Ses conseillers et lui avaient confiance en la promesse du
Seigneur de racheter Sion une fois que les anciens auraient reçu leur
dotation de pouvoir. Pour l’instant, nul ne savait comment ni quand il
le ferait.
Tournant leur attention vers Sion, les dirigeants de l’Église jeûnèrent
et prièrent pour connaître la volonté du Seigneur. Joseph rappela
ensuite la révélation dans laquelle le Seigneur avait demandé aux
saints d’acheter toutes les terres du comté de Jackson et des
alentours. Ils avaient déjà commencé à en acheter dans le comté de Clay
mais, comme toujours, le problème était de trouver l’argent pour faire
de nouvelles acquisitions.
Au début du mois d’avril, Joseph se réunit avec le personnel de
l’imprimerie de l’Église pour discuter des finances de l’imprimerie.
Les hommes croyaient qu’ils devaient donner tous leurs biens pour la
rédemption de Sion et ils recommandèrent à Joseph et à Oliver
d’organiser une collecte de fonds pour acheter d’autres terres au
Missouri.
Malheureusement, les dettes de l’Église se comptaient en dizaines de
milliers de dollars du fait de la construction du temple et de l’achat
antérieur de terres, et l’argent était encore rare à Kirtland, malgré
les dons que collectaient les missionnaires. La plupart des richesses
des saints étaient foncières, ce qui signifiait que peu de personnes
pouvaient faire des dons en espèces. Et sans liquidités, l’Église
pouvait difficilement se sortir des dettes et acheter d’autres terres
en Sion.
Une fois encore, Joseph devait trouver un moyen de financer l’œuvre du
Seigneur.
À trois cents kilomètres au nord, Parley P. Pratt se trouvait aux
abords d’une ville appelée Hamilton, au sud du Canada. Il était en
route pour Toronto, l’une des plus grandes villes de la province, pour
remplir sa première mission depuis sa dotation de pouvoir. Il n’avait
pas d’argent, pas d’amis dans la région et pas la moindre idée de la
manière d’accomplir ce que le Seigneur l’avait envoyé faire.
Quelques semaines plus tôt, lorsque les Douze et les soixante-dix
avaient quitté Kirtland pour prêcher l’Évangile, Parley avait prévu de
rester chez lui avec sa famille. Comme de nombreux saints de Kirtland,
il s’était lourdement endetté pour l’achat d’un terrain et la
construction d’une maison dans la région. Il s’inquiétait également
pour sa femme, Thankful, qui était malade et avait besoin de ses soins.
Aussi impatient qu’il ait pu être de prêcher, une mission semblait hors
de question.
Par la suite, Heber C. Kimball lui a rendu visite et lui a donné une
bénédiction en qualité d’ami et d’apôtre à apôtre. Il a dit à Parley :
« Pars en mission, sans douter. Ne t’inquiète ni de tes dettes ni des
nécessités de la vie, car le Seigneur te fournira amplement les moyens
de faire face à tout. »
Parlant sous inspiration, Heber dit à Parley d’aller à Toronto,
promettant qu’il y trouverait des personnes prêtes à recevoir la
plénitude de l’Évangile. Il dit qu’il poserait les fondements d’une
mission en Angleterre et trouverait de quoi alléger ses dettes. Il
prophétisa : « Des richesses, de l’argent et de l’or t’attendent à tel
point que tu répugneras à les dénombrer. »
Il parla également de Thankful. Il promit : « Ta femme guérira dès cet
instant et elle t’enfantera un fils. »
La bénédiction était merveilleuse, mais ses promesses semblaient
impossibles. Parley avait eu beaucoup de succès dans le champ de la
mission, mais il ne connaissait pas Toronto. Il n’avait jamais gagné
beaucoup d’argent et il était improbable qu’il en reçoive assez en
mission pour liquider ses dettes.
Les promesses au sujet de Thankful étaient les plus improbables de
toutes. Elle avait presque quarante ans et avait toujours été frêle et
d’une petite santé. Au bout de dix années de mariage, ils n’avaient
toujours pas d’enfants.
Mais, poussé par sa foi dans les promesses du Seigneur, Parley partit
en direction du nord-est, circulant en diligence sur des routes
boueuses. Lorsqu’il eut atteint les chutes du Niagara et traversé la
frontière canadienne, il fit le chemin à pied jusqu’à Hamilton. En
pensant à son foyer et à l’immensité de sa mission, il se sentit vite
dépassé et désira ardemment savoir comment faire preuve de foi en une
bénédiction dont les promesses paraissaient aussi inaccessibles.
L’Esprit lui chuchota soudain : « Mets le Seigneur à l’épreuve et vois
s’il y a quoi que ce soit de trop difficile pour lui. »
Pendant ce temps, au Missouri, Emily Partridge, douze ans, était
soulagée de voir le printemps revenir dans le comté de Clay. Avec son
père à Kirtland pour la consécration du temple, elle et sa famille
partageaient la seule pièce d’une cabane en rondins avec Margaret et
John Corrill, le conseiller de son père dans l’épiscopat. Avant que les
deux familles n’y emménagent, la cabane avait servi d’étable, mais son
père et frère Corrill avaient débarrassé le fumier qui en recouvrait le
sol et avaient rendu l’endroit habitable. Il y avait une grande
cheminée et les familles avaient passé l’hiver glacial blotties autour
de sa chaleur.
Ce printemps-là, le père d’Emily revint au Missouri reprendre ses
fonctions d’évêque. D’autres dirigeants de l’Église et lui avaient reçu
la dotation de pouvoir à Kirtland et ils semblaient optimistes quant à
l’avenir de Sion.
Au fur et à mesure que le temps se réchauffait, Emily se préparait à
retourner à l’école. Peu après leur arrivée dans le comté de Clay, les
saints en avaient installé une dans une cabane près d’un verger. Emily
aimait beaucoup jouer avec ses amis dans le verger et manger les fruits
qui tombaient des branches. Lorsqu’ils n’étudiaient pas, ils se
construisaient des cabanes avec des bâtons et se servaient de lianes
pour sauter à la corde.
La plupart des camarades d’Emily étaient membres de l’Église, mais
certains étaient des enfants de colons installés dans la région depuis
longtemps. Ils étaient souvent mieux habillés qu’Emily et les autres
enfants pauvres et certains se moquaient des jeunes saints et de leurs
vêtements en lambeaux. Mais en règle générale, tout le monde
s’entendait relativement bien, en dépit de leurs différences.
Il n’en allait pas de même de leurs parents. Plus le nombre de saints
qui emménageaient et achetaient de grandes étendues de terres dans le
comté de Clay grandissait, plus les colons de longue date étaient mal à
l’aise et impatients. À l’origine, ils avaient accueilli les saints
dans leur comté et ne leur avaient offert un refuge qu’en attendant
qu’ils repartent chez eux, de l’autre côté du fleuve. Personne ne
s’attendait à ce qu’ils s’installent définitivement dans le comté de
Clay.
Au début, les tensions entre les saints et leurs voisins eurent peu
d’influence sur la routine scolaire d’Emily. Mais tandis que le
printemps s’écoulait lentement et que les voisins devenaient plus
hostiles, Emily et sa famille eurent des raisons de croire que le
cauchemar du comté de Jackson allait se répéter et qu’ils allaient de
nouveau se retrouver sans abri.
Tandis que Parley poursuivait son voyage vers le nord, il demanda au
Seigneur de l’aider à parvenir à destination. Peu après, il rencontra
un homme qui lui donna dix dollars et une lettre d’introduction à
l’attention d’une personne à Toronto du nom de John Taylor. Parley se
servit de l’argent pour réserver une place à bord d’un bateau à vapeur
en partance pour la ville et arriva peu après chez John Taylor.
John et Leonora Taylor étaient un jeune couple originaire d’Angleterre.
En bavardant avec eux, Parley apprit qu’ils appartenaient à un groupe
de chrétiens de la région qui rejetait toute doctrine non étayée par la
Bible. Ils venaient récemment de prier et de jeûner pour que Dieu leur
envoie un messager de sa véritable Église.
Parley leur parla de l’Évangile rétabli, mais ils ne manifestèrent que
peu d’intérêt. Le lendemain matin, il laissa son sac chez eux et se
présenta aux hommes d’Église de la ville espérant qu’ils le laissent
prêcher à leurs assemblées. Il rencontra ensuite les autorités
municipales pour voir si elles lui permettraient d’organiser une
réunion dans le palais de justice ou un autre lieu public. Personne
n’accéda à sa demande.
Découragé, Parley se rendit dans les bois avoisinants et fit une
prière. Il retourna ensuite chez les Taylor récupérer son sac.
Lorsqu’il fut sur le point de partir, John l’arrêta et lui parla de son
amour pour la Bible. Il dit : « M. Pratt, si vous avez des principes à
soumettre, quels qu’ils soient, j’aimerais, si vous le pouvez, que vous
les étayiez avec ce livre. »
Parley dit : « Je pense pouvoir y arriver. » Il demanda à John s’il
croyait aux apôtres et aux prophètes.
Ce dernier répondit : « Oui, parce que la Bible m’enseigne toutes ces
choses. »
Parley dit : « Nous enseignons le baptême au nom de Jésus-Christ pour
la rémission des péchés et l’imposition des mains pour le don du
Saint-Esprit. »
« Qu’en est-il de Joseph Smith et du Livre de Mormon et de certaines de
vos nouvelles révélations ? » demanda John.
Parley témoigna que Joseph Smith était un honnête homme et un prophète
de Dieu. Il dit : « Quant au Livre de Mormon, je peux vous en témoigner
avec autant de force que vous pouvez le faire de l’authenticité de la
Bible. »
Pendant qu’ils discutaient, ils entendirent Leonora parler à une
voisine, Isabella Walton, dans une autre pièce. Leonora dit à Isabella
: « Il y a un monsieur ici des États-Unis qui dit que le Seigneur l’a
envoyé en ville prêcher l’Évangile. Je suis désolée qu’il s’en aille. »
Isabella dit : « Dis à l’étranger qu’il est le bienvenu chez moi. J’ai
une chambre d’ami et de la nourriture en abondance. » Elle avait aussi
un endroit où il pourrait prêcher à ses amis et à ses parents ce
soir-là. Elle dit : « Je ressens par l’Esprit que c’est un homme envoyé
du Seigneur avec un message qui nous fera du bien. »
Après sa conversation avec Parley, John Taylor commença à lire le Livre
de Mormon et à en comparer ses enseignements avec ceux de la Bible. Il
avait étudié la doctrine d’autres églises avant, mais quelque chose
l’attirait dans le Livre de Mormon et les principes que Parley
enseignait. Tout était clair et en accord avec la parole de Dieu.
John présenta rapidement Parley à ses amis. Il annonça : « Voici un
homme qui vient en réponse à nos prières et il dit que le Seigneur a
établi la véritable Église. »
Quelqu’un demanda : « Vas-tu devenir mormon ? »
John répondit : « Je ne sais pas. Je vais étudier la question et prier
le Seigneur de m’aider. S’il y a du vrai dans cette affaire, j’y
adhérerai ; si elle est fausse, je ne veux en aucun cas y être mêlé. »
Peu après, Parley et lui se rendirent dans un village rural voisin où
habitait la parenté d’Isabella Walton. L’ami de John, Joseph Fielding,
y demeurait également avec ses sœurs Mercy et Mary. Eux aussi étaient
originaires d’Angleterre et leurs opinions religieuses ressemblaient à
celles des Taylor.
Lorsque John et Parley arrivèrent à cheval chez les Fielding, ils
virent Mercy et Mary partir en courant chez des voisins. Leur frère
sortit et les salua froidement. Il dit qu’il aurait préféré qu’ils ne
viennent pas. Ses sœurs et de nombreuses autres personnes en ville ne
voulaient pas les entendre prêcher.
« Pourquoi vous opposez-vous au mormonisme ? » demanda Parley.
Joseph dit : « Je ne sais pas. Le nom est d’une consonance tellement
abjecte. » Il dit qu’ils ne cherchaient aucune nouvelle révélation ni
doctrine qui contredise les enseignements de la Bible.
Parley dit : « Oh, si c’est uniquement cela, nous allons vous
débarrasser de vos préjugés. » Il dit à Joseph de rappeler ses sœurs.
Il savait qu’une réunion religieuse était organisée dans le village ce
soir-là et il voulait prêcher à cette occasion.
Parley dit : « Je dînerai avec vous et nous irons tous ensemble à la
réunion. Si vous et vos sœurs êtes d’accord, j’accepte de prêcher
l’Évangile de la vieille Bible et d’omettre toutes les nouvelles
révélations qui s’y opposent. »
Ce soir-là, Joseph, Mercy et Mary Fielding prirent place dans une pièce
surpeuplée et furent captivés par le sermon de Parley. Rien de ce qu’il
disait au sujet de l’Évangile rétabli et du Livre de Mormon ne
contredisait les enseignements de la Bible.
Peu après, Parley baptisa les Taylor, les Fielding et suffisamment de
monde dans la région pour organiser une branche. Les promesses que le
Seigneur lui avait faites dans sa bénédiction commençaient à
s’accomplir et il était impatient de retourner auprès de Thankful.
Certaines de ses dettes arrivaient à échéance et il devait encore
gagner l’argent pour les régler.
Lorsque Parley fut sur le départ, il serra la main de ses nouveaux
amis. Un par un, ils lui glissèrent de l’argent, une somme s’élevant à
plusieurs centaines de dollars. Le montant était suffisant pour
liquider ses dettes les plus urgentes.
Lorsque Parley arriva à Kirtland, il trouva Thankful en bonne santé,
l’accomplissement d’une autre promesse du Seigneur. Une fois certaines
dettes réglées, il réunit des brochures et des exemplaires du Livre de
Mormon et retourna au Canada pour poursuivre sa mission, cette fois
accompagné de sa femme. Le voyage la fatigua et lorsque les saints
canadiens virent sa fragilité, ils doutèrent qu’elle soit suffisamment
forte pour porter le fils promis dans la bénédiction. Cependant, peu de
temps après, Parley et Thankful attendaient leur premier enfant.
En l’absence des Pratt, leurs amis, Caroline et Jonathan Crosby
louèrent leur maison à Kirtland. Les Crosby étaient un jeune couple qui
s’était installé à Kirtland quelques mois avant la consécration du
temple. Ils se réunissaient souvent avec des amis pour adorer, chanter
des cantiques ou prendre un repas.
Une fois le temple achevé, davantage de saints s’installèrent à
Kirtland. Il y avait beaucoup de terres dans la région, mais la plupart
étaient inexploitées. Les saints se dépêchaient de construire d’autres
maisons, souvent à crédit, car il n’y avait pas beaucoup de liquidités
dans la collectivité. Mais ils n’arrivaient pas à construire
suffisamment vite pour loger les nouveaux arrivants donc les familles
établies ouvraient souvent leur porte à ces personnes ou louaient les
pièces inoccupées.
Lorsque le logement en ville se fit rare, John Boynton, l’un des
apôtres, demanda aux Crosby de lui louer la maison des Pratt. Il leur
offrit plus que ce qu’ils payaient aux Pratt.
L’offre était généreuse et Caroline savait que Jonathan et elle avaient
besoin d’argent pour payer la maison qu’ils construisaient. Mais ils
aimaient vivre seuls et Caroline attendait maintenant leur premier
enfant. S’ils quittaient la maison des Pratt, ce serait pour emménager
avec une voisine âgée, Sabre Granger, dont la petite maison encombrée
ne comptait qu’une chambre.
Jonathan demanda à Caroline de prendre la décision. Elle ne voulait pas
quitter le confort et l’espace dont elle disposait chez les Pratt et
était réticente à l’idée d’emménager avec sœur Granger. L’argent ne la
préoccupait pas beaucoup, même si Jonathan et elle en avaient bien
besoin.
Mais savoir qu’ils permettraient à la grande famille Boynton de se
rassembler à Kirtland, cela valait le petit sacrifice qu’elle devait
faire. Quelques jours plus tard, elle dit à son mari qu’elle était
disposée à déménager.
Vers la fin du mois de juin, William Phelps et d’autres dirigeants de
l’Église du comté de Clay écrivirent au prophète que des autorités
locales avaient convoqué les dirigeants de l’Église au palais de
justice pour discuter de l’avenir des saints dans leur comté. Les
autorités avaient parlé calmement et poliment, mais leurs propos ne
laissaient aucune place aux compromis.
Du fait que les saints ne pouvaient pas retourner dans le comté de
Jackson, les autorités leur recommandèrent de chercher un nouvel
endroit, un endroit où ils pourraient être seuls. Les dirigeants de
l’Église du comté de Clay acceptèrent de partir pour ne pas risquer une
autre expulsion violente.
La nouvelle anéantit l’espoir de Joseph de retourner au comté de
Jackson cette année-là, mais il ne pouvait en vouloir aux saints du
Missouri pour ce qui se passait. Il répondit : « Vous êtes plus au
courant de votre situation que nous ne le sommes et avez bien sûr été
dirigés en sagesse dans votre décision de quitter le comté. »
Les saints du Missouri ayant besoin d’un nouvel endroit où s’installer,
Joseph sentit encore plus fortement l’obligation de lever des fonds
pour acheter des terres. Il décida d’ouvrir un magasin de l’Église près
de Kirtland et emprunta davantage d’argent pour acheter des
marchandises à y vendre. Le magasin connut une certaine réussite, mais
les saints profitèrent de la gentillesse et de la confiance de Joseph,
sachant qu’il ne leur refuserait pas de faire leurs achats à crédit.
Plusieurs insistèrent pour faire du troc pour ce dont ils avaient
besoin, compliquant ainsi la tâche de faire du profit en espèces sur
les marchandises.
Fin juillet, ni le magasin ni les autres tentatives des dirigeants de
l’Église n’avaient allégé la dette de cette dernière. Désespéré, Joseph
quitta Kirtland avec Sidney, Hyrum et Oliver et se rendit à Salem, une
ville de la côte est, après avoir écouté un membre de l’Église qui
pensait savoir où trouver un dépôt secret d’argent caché. Lorsqu’ils
arrivèrent dans la ville, la piste n’amena aucun argent et Joseph se
tourna vers le Seigneur pour être guidé.
« Moi, le Seigneur, votre Dieu, je ne suis pas mécontent, en dépit de
vos folies, que vous ayez entrepris ce voyage, » fut la réponse. « Ne
vous souciez pas de vos dettes, car je vous rendrai capables de les
payer. Ne vous souciez pas de Sion, car je serai miséricordieux envers
elle. »
Les hommes rentrèrent à Kirtland environ un mois plus tard, encore
préoccupés par les finances de l’Église. Mais, cet automne-là, Joseph
et ses conseillers proposèrent un nouveau projet qui pourrait bien
fournir l’argent dont ils avaient besoin pour Sion.
CHAPITRE 23 : Tous les pièges
Tout au long de l’automne 1836, Jonathan Crosby travailla sur sa
nouvelle maison à Kirtland. En novembre, il avait monté les murs et le
toit, mais le sol n’était pas fini et la maison n’avait ni portes ni
fenêtres. Avec l’arrivée imminente du bébé, Caroline le pressait de la
terminer le plus rapidement possible. Tout se passait bien avec leur
propriétaire, sœur Granger, mais elle était impatiente de quitter le
logement exigu et de s’installer chez elle.
Pendant que Jonathan travaillait fiévreusement à rendre la maison
habitable avant l’arrivée du bébé, les dirigeants de l’Église
annoncèrent leur intention d’inaugurer la Kirtland Safety Society, une
banque de village conçue pour relancer l’économie chancelante de
Kirtland et lever des fonds pour l’Église. Comme d’autres petites
banques aux États-Unis, elle offrirait des prêts aux emprunteurs afin
qu’ils puissent acheter des propriétés et des biens, permettant ainsi à
l’économie locale de prospérer. Lorsque les emprunteurs les
rembourseraient avec un intérêt, la banque réaliserait un bénéfice.
Les prêts seraient consentis sous forme de billets de banque garantis
par la réserve limitée de pièces d’argent et d’or de la Safety Society.
Pour consolider cette réserve, la banque vendrait des actions aux
investisseurs qui s’engageraient à les payer au fil du temps.
Début novembre, la Kirtland Safety Society avait plus de trente
actionnaires, dont Joseph et Sidney, qui y investirent la plus grande
partie de leur argent personnel. Les actionnaires élurent Sidney comme
président de l’établissement et Joseph comme trésorier, le rendant
responsable des comptes de la banque.
Une fois les plans élaborés, Oliver se rendit dans l’Est pour acheter
le matériel nécessaire à l’impression des billets de banque et Orson
Hyde partit demander au corps législatif de l’État une charte
permettant à l’établissement de fonctionner légalement. Pendant ce
temps, Joseph incita tous les saints à investir dans la Safety Society,
citant des Écritures de l’Ancien Testament qui demandaient aux
Israélites d’autrefois d’apporter leur or et leur argent au Seigneur.
Joseph sentait que Dieu approuvait leurs efforts et promit que tout se
passerait bien s’ils obéissaient aux commandements du Seigneur. Faisant
confiance à la parole du prophète, d’autres saints investirent dans la
Safety Society, mais certains étaient méfiants quant à l’idée d’acheter
des actions dans une banque qui n’avait pas fait ses preuves. Les
Crosby envisagèrent l’idée d’en acquérir, mais le coût de la
construction de leur maison était tellement élevé qu’ils ne disposaient
pas d’argent dont ils pouvaient se passer.
Vers le début du mois de décembre, Jonathan avait enfin installé les
fenêtres et les portes de leur maison et Caroline et lui emménagèrent.
L’intérieur n’était pas encore achevé, mais ils avaient une bonne
cuisinière pour se chauffer et se nourrir. Jonathan avait également
creusé un puits à proximité d’où ils pouvaient facilement tirer de
l’eau.
Caroline était heureuse d’avoir un foyer à elle et le 19 décembre, elle
donna le jour à un petit garçon en pleine santé pendant qu’une tempête
de neige aveuglante tourbillonnait à l’extérieur.
L’hiver enveloppa Kirtland et en janvier 1837, la Kirtland Safety
Society ouvrit ses portes. Le premier jour, Joseph distribua des
billets de banque tout neufs, fraîchement sortis de la planche à
billets, avec le nom de l’établissement et sa signature sur le devant.
Au fur et à mesure que les saints firent des emprunts, utilisant leurs
terres comme caution, les billets commencèrent à circuler à Kirtland et
ailleurs.
Phebe Carter, qui venait d’arriver du nord-est des États-Unis,
n’investit pas dans la Safety Society et ne fit pas d’emprunt non plus.
Mais elle comptait profiter de la prospérité que celle-ci promettait.
Elle avait presque trente ans, était célibataire et n’avait aucune
parenté à Kirtland sur laquelle elle pouvait compter pour la soutenir.
Comme d’autres femmes dans sa situation, ses options professionnelles
étaient limitées, mais elle pouvait gagner un revenu modeste en cousant
et en enseignant à l’école, comme elle l’avait fait avant d’emménager
en Ohio. Si l’économie de Kirtland s’améliorait, davantage de personnes
auraient de l’argent à dépenser dans de nouveaux vêtements et des
études.
Sa décision de venir là n’avait pas été économique mais spirituelle.
Ses parents s’étaient opposés à son baptême et après avoir annoncé ses
intentions de rejoindre les saints, sa mère avait protesté. Elle avait
dit : « Phebe, me reviendras-tu si tu découvres que le mormonisme est
faux ? »
Elle promit : « Oui, mère. »
Mais elle savait qu’elle avait trouvé l’Évangile rétabli de
Jésus-Christ. Quelques mois après son arrivée à Kirtland, elle avait
reçu une bénédiction patriarcale des mains de Joseph Smith, père, lui
garantissant de grandes récompenses ici-bas et dans les cieux. Le
Seigneur lui avait dit : « Sois consolée car tes ennuis sont finis. Tu
auras une longue vie et tu connaîtras de beaux jours. »
La bénédiction confirmait les sentiments qui l’habitaient lorsqu’elle
était partie de chez elle. Trop triste pour dire au revoir en personne,
elle avait écrit une lettre et l’avait laissée sur la table familiale.
Elle disait : « Ne vous inquiétez pas de votre enfant. Je crois que le
Seigneur prendra soin de moi et me donnera ce qu’il y a de meilleur. »
Elle avait foi aux promesses de sa bénédiction patriarcale. Celle-ci
disait qu’elle serait la mère de nombreux enfants et qu’elle épouserait
un homme doté de sagesse, de connaissance et de compréhension. Mais
pour l’instant, Phebe n’avait aucun projet de mariage et elle savait
qu’elle était plus âgée que la plupart des femmes qui se mariaient et
commençaient à avoir des enfants.
Un soir de janvier 1837, tandis qu’elle rendait visite à des amis, elle
rencontra un homme brun aux yeux bleu clair. Il avait quelques jours de
plus qu’elle et venait juste de revenir à Kirtland après avoir
participé à la marche du camp d’Israël et avoir fait une mission dans
le sud des États-Unis.
Elle apprit qu’il s’appelait Wilford Woodruff.
Tout au long de l’hiver, les saints continuèrent d’emprunter de grosses
sommes d’argent pour acheter des propriétés et des biens. Parfois, les
employeurs payaient les ouvriers en billets de banque qui pouvaient
être utilisés comme monnaie d’échange ou convertis en monnaie physique
au bureau de la Kirtland Safety Society.
Peu après l’ouverture de cette dernière, un homme appelé Grandison
Newell avait commencé à thésauriser les billets. Résidant de longue
date d’une ville voisine, il détestait Joseph et les saints. Il avait
joui d’une certaine notoriété dans le comté avant leur arrivée et
maintenant, il cherchait souvent des moyens, légaux ou autres, pour les
harceler.
Si des membres de l’Église venaient lui demander du travail, il
refusait de les embaucher. Si des missionnaires prêchaient près de chez
lui, il réunissait un groupe d’hommes pour les bombarder d’œufs. Quand
le docteur Philastus Hurlbut avait commencé à collecter des
déclarations calomnieuses à l’encontre de Joseph, il avait financé son
projet.
Néanmoins, en dépit de ses efforts, les saints continuaient de se
rassembler dans la région.
L’ouverture de la Kirtland Safety Society offrait à Grandison un nouvel
angle d’attaque. Inquiet du nombre croissant de banques en Ohio, le
corps législatif avait refusé d’accorder une charte à Orson Hyde. Sans
cette approbation, la Safety Society ne pouvait pas obtenir
l’appellation de banque, mais elle pouvait tout de même accepter des
dépôts et accorder des prêts. Sa réussite dépendait des paiements
effectués par les actionnaires afin que l’établissement puisse
conserver ses réserves. Cependant, peu d’entre eux avaient suffisamment
d’argent pour le faire et Grandison se doutait que les réserves de
l’établissement étaient trop faibles et ne dureraient pas longtemps.
Espérant que l’affaire fasse faillite si suffisamment de personnes
échangeaient les billets contre des pièces d’or ou d’argent, Grandison
parcourait la campagne pour acheter les billets de la Safety Society.
Il en apportait ensuite des liasses au bureau de l’établissement et
exigeait des espèces en retour. Si les employés ne les échangeaient
pas, il menaçait de porter plainte.
Acculés, Joseph et les employés n’eurent pas d’autre choix que celui
d’échanger les billets et de prier pour l’arrivée de nouveaux
actionnaires.
Bien qu’il n’eût que peu d’argent, Wilford Woodruff acheta vingt
actions dans la Kirtland Safety Society. Son ami Warren Parrish en
était le secrétaire. Wilford avait fait route vers l’ouest avec Warren
et sa femme Betsy dans le camp d’Israël. À la mort de Betsy lors de
l’épidémie de choléra, Warren et Wilford avaient fait une mission
ensemble puis Warren était rentré à Kirtland et était devenu le
secrétaire de Joseph et un ami de confiance.
Depuis sa mission, Wilford avait déménagé de lieu en lieu, vivant
souvent aux dépens de la gentillesse d’amis tels que Warren. Mais après
avoir rencontré Phebe Carter, il commença à songer au mariage, et
l’investissement dans la Safety Society était un moyen d’accéder à
l’autonomie financière avant de fonder une famille.
Fin janvier toutefois, l’établissement affrontait une crise. Pendant
que Grandison Newell essayait d’en épuiser les réserves, les journaux
locaux publiaient des articles mettant en doute sa légitimité. Comme
d’autres dans le pays, certains saints avaient également spéculé sur
des terres et des biens, espérant s’enrichir facilement. D’autres
avaient négligé les paiements exigés par leurs actions. Rapidement, de
nombreux ouvriers et entreprises de Kirtland et des alentours
refusèrent les billets de la Safety Society.
Craignant la faillite, Joseph et Sidney fermèrent temporairement
l’établissement et se rendirent dans une autre ville pour tenter de
s’associer à une banque bien établie. Mais le mauvais départ de la
Safety Society avait ébranlé la foi de nombreux saints, les amenant à
remettre en question la direction spirituelle du prophète qui les avait
incités à investir.
Par le passé, le Seigneur avait révélé des Écritures par
l’intermédiaire de Joseph, leur simplifiant la tâche d’exercer leur foi
en sa qualité de prophète de Dieu. Mais lorsque ses déclarations au
sujet de la Safety Society ne s’accomplirent pas et que leurs
investissements commencèrent à perdre de leur valeur, de nombreux
saints furent troublés et le critiquèrent.
Wilford continua de croire en la réussite de l’établissement. Après
s’être associé à une autre banque, le prophète revint à Kirtland et
répondit aux plaintes de ses détracteurs. Plus tard, lors de la
conférence générale, il parla aux saints des raisons pour lesquelles
l’Église empruntait de l’argent et fondait des établissements tels que
la Safety Society.
Il leur rappela qu’ils avaient commencé l’œuvre des derniers jours dans
le dénuement et le Seigneur leur avait pourtant demandé de sacrifier
leur temps et leurs talents pour se rassembler en Sion et construire un
temple. Ces efforts, bien que coûteux, étaient indispensables au salut
des enfants de Dieu. Pour faire avancer l’œuvre du Seigneur, les
dirigeants de l’Église devaient trouver une solution pour la financer.
Joseph regrettait tout de même tout ce qu’ils devaient à leurs
créanciers. Il admit : « Il est certain que nous leur sommes
redevables, mais il suffit que nos frères et sœurs à l’étranger
arrivent avec leur argent. » Il croyait que si des saints se
rassemblaient à Kirtland et consacraient leurs biens au Seigneur, cela
allégerait grandement les dettes de l’Église.
Pendant que Joseph parlait, Wilford sentit la puissance de ses paroles.
Il pensa : « Oh puissent-elles être gravées à jamais sur notre cœur à
l’aide d’une pointe d’acier afin que nous puissions les mettre en
pratique. » Il se demandait comment quiconque pouvait entendre le
prophète parler et douter encore qu’il soit appelé de Dieu.
Pourtant, les doutes subsistèrent. Mi-avril, l’économie de Kirtland
empira tandis qu’une crise financière submergeait la nation. Des années
de prêts excessifs avaient affaibli les banques en Angleterre et aux
États-Unis causant une crainte généralisée d’un effondrement
économique. Les banques demandaient le remboursement des dettes et
certaines arrêtèrent même de consentir des prêts. Telle une traînée de
poudre, la panique se propagea de ville en ville, les banques
fermaient, les entreprises faisaient faillite et le chômage montait en
flèche.
Dans ce climat, un établissement en difficulté tel que la Kirtland
Safety Society avait peu de chances de s’en sortir. Le prophète ne
pouvait pas faire grand-chose pour régler le problème, mais certains
trouvèrent quand même plus facile de l’accuser lui plutôt que la crise
économique nationale.
Très vite, des créanciers se mirent à harceler constamment Joseph et
Sidney. Un homme porta plainte contre eux pour une dette non acquittée
et Grandison Newell engagea des poursuites pénales à l’encontre du
prophète, affirmant que ce dernier conspirait contre lui. Les jours
passants, le prophète craignait de plus en plus d’être arrêté ou
assassiné.
Wilford et Phebe étaient maintenant fiancés et avaient demandé à Joseph
de les marier. Mais le jour de leur mariage, on ne le trouva nulle part
et c’est Frederick Williams qui accomplit la cérémonie.
Peu après sa disparition soudaine, Emma reçut une lettre de sa main lui
assurant qu’il était en sécurité. Sidney et lui avaient fui Kirtland,
mettant ainsi de la distance entre eux et les personnes qui leur
voulaient du mal. Leur lieu de refuge était secret, mais Newel Whitney
et Hyrum savaient comment les contacter et les tenaient ainsi informés
de loin.
Emma comprenait les dangers que courait Joseph. Lorsque sa lettre
arriva, des hommes (probablement des amis de Grandison Newell)
examinèrent le cachet de la poste pour tenter de découvrir l’endroit où
il se trouvait. D’autres espionnaient son magasin en difficulté.
Bien qu’elle restât optimiste, elle était inquiète pour les enfants.
Frederick, leur fils d’un an, était trop jeune pour comprendre ce qui
se passait, mais à quatre et six ans, Joseph et Julia furent troublés
lorsqu’ils apprirent que leur père n’allait pas rentrer tout de suite à
la maison.
Emma savait qu’elle devait faire confiance au Seigneur, surtout
maintenant que de nombreuses personnes à Kirtland optaient pour le
doute et l’incrédulité. À la fin du mois d’avril, elle écrivit à Joseph
: « Si je n’avais pas plus confiance en Dieu que certaines personnes
que je pourrais nommer, ce serait bien triste en effet. Mais je crois
encore que si nous nous humilions et sommes aussi fidèles que nous le
pouvons, nous serons délivrés de tous les pièges placés à nos pieds. »
Elle était tout de même inquiète que les créanciers de Joseph profitent
de son absence pour saisir tous les biens ou l’argent qu’ils pouvaient.
Elle déplora : « Il m’est impossible de faire quoi que ce soit tant que
tout le monde a plus de droits que moi sur tout ce qui est censé
t’appartenir. »
Elle était pressée qu’il rentre. Il y avait maintenant peu de personnes
à qui elle faisait confiance et elle n’était pas disposée à donner quoi
que ce soit à qui que ce soit sinon pour liquider les dettes de Joseph.
Et pour aggraver les choses, elle craignait que ses enfants aient été
exposés aux oreillons.
Elle écrivit : « J’aimerais que tu puisses être à la maison s’ils sont
malades. Tu dois penser à eux, car ils pensent tous à toi. »
Au milieu de ce tumulte, Parley et Thankful revinrent à Kirtland pour
la naissance de leur bébé. Comme Heber l’avait prophétisé, Thankful mit
au monde un petit garçon à qui ils donnèrent le nom de Parley. Mais
elle souffrit énormément pendant l’accouchement et mourut quelques
heures plus tard. Incapable de prendre soin de son nouveau-né, il le
confia à une femme qui pouvait l’allaiter et repartit au Canada.
Là-bas, il commença à envisager une mission en Angleterre avec l’aide
de saints tels que Joseph Fielding qui avait envoyé des lettres au
sujet de l’Évangile rétabli à des amis et des parents de l’autre côté
de l’océan.
Après avoir terminé sa mission au Canada, Parley retourna en Ohio et
épousa une jeune veuve appelée Mary Ann Frost. Il reçut également une
lettre de Thomas Marsh, le président du Collège des Douze, l’exhortant
à reporter sa mission en Angleterre jusqu’à ce que les apôtres puissent
se réunir en collège cet été-là à Kirtland.
Pendant qu’il attendait que les autres apôtres se rassemblent, Joseph
et Sidney revinrent à Kirtland pour régler leurs dettes et apaiser les
tensions parmi les saints.
Quelques jours plus tard, Sidney rendit visite à Parley et lui dit
qu’il était venu chercher les arriérés d’une dette. Quelque temps plus
tôt, Joseph lui avait prêté deux mille dollars pour acheter des terres
à Kirtland. Pour alléger ses propres dettes, Joseph les avait vendues
depuis à la Safety Society et Sidney venait maintenant réclamer
l’argent.
Parley lui dit qu’il n’avait pas les deux mille dollars, mais proposa
de restituer les terres. Sidney lui répondit qu’il faudrait qu’il
abandonne sa maison aussi pour solder la dette.
Parley fut hors de lui. Lorsqu’il lui avait vendu les terres, Joseph
lui avait dit qu’il ne serait pas lésé dans la transaction. Et qu’en
était-il de la bénédiction d’Heber Kimball lui promettant des richesses
incalculables et l’affranchissement de ses dettes ? Maintenant, Parley
avait le sentiment que Joseph et Sidney lui enlevaient tout ce qu’il
possédait. S’il perdait ses terres et sa maison, qu’est-ce que sa
famille et lui allaient devenir ?
Le lendemain, il envoya une lettre cinglante à Joseph. « Je suis
maintenant totalement convaincu que toute la scène de spéculation dans
laquelle nous sommes engagés est du diable, ce qui a donné libre cours
au mensonge, à la tromperie et à l’abus de son prochain. » Il dit à
Joseph qu’il croyait toujours au Livre de Mormon et aux Doctrine et
Alliances, mais qu’il était troublé par ses actes.
Il exigeait que Joseph se repente et accepte les terres pour solder la
dette. Autrement, il devrait l’attaquer en justice.
Il l’avertit : « Je me verrai dans l’obligation douloureuse de porter
plainte contre toi pour extorsion, convoitise et abus de ton prochain. »
Le 28 mai, quelques jours après que Parley eut envoyé sa lettre à
Joseph, Wilford Woodruff se rendit au temple pour une réunion
dominicale. Alors que les dissidences augmentaient à Kirtland, il
demeurait l’un des alliés les plus loyaux du prophète. Même Warren
Parrish, qui avait travaillé pendant des années aux côtes de Joseph,
avait commencé à le critiquer pour son rôle dans la crise financière et
était rapidement devenu un dirigeant parmi les dissidents.
Wilford priait pour que l’esprit de contention dans l’Église se
dissipe. Mais il n’allait pas rester à Kirtland beaucoup plus longtemps
pour aider. Ces derniers temps, il s’était senti poussé à apporter
l’Évangile aux îles Fox, au large de la côte du Maine, un État du
Nord-Est, non loin de chez les parents de Phebe. En route, il espérait
avoir la chance d’enseigner l’Évangile à ses propres parents et à sa
jeune sœur. Phebe l’accompagnerait pour faire la connaissance de sa
famille et l’emmènerait plus au nord rencontrer la sienne.
Aussi impatient qu’il était d’être avec sa famille, Wilford ne pouvait
s’empêcher de s’inquiéter au sujet de Joseph et de la situation de
l’Église à Kirtland. Prenant place dans le temple, il vit Joseph au
pupitre. Devant tant d’adversité, le prophète semblait abattu. Il avait
perdu des milliers de dollars dans la faillite de la Safety Society,
bien plus que quiconque. Et, contrairement à beaucoup d’autres, il
n’avait pas abandonné l’établissement quand il avait commencé à fléchir.
Les yeux balayant l’assemblée, Joseph se défendit contre ses
détracteurs en parlant au nom du Seigneur.
Pendant qu’il écoutait, Wilford put voir que le pouvoir et l’Esprit de
Dieu reposaient sur Joseph. Il le sentit également descendre sur Sidney
et d’autres lorsqu’ils prirent la parole et témoignèrent de l’intégrité
de Joseph. Mais, avant la fin de la réunion, Warren se leva et dénonça
Joseph devant l’assemblée.
Le cœur de Wilford se serra pendant qu’il écoutait la tirade. Il
déplora : « Oh, Warren, Warren. »
CHAPITRE 24 : La vérité triomphera
Vers la fin du printemps 1837, les apôtres Thomas Marsh, David Patten
et William Smith quittèrent leur foyer au Missouri et prirent la route
de Kirtland. De nombreux saints en Sion étaient maintenant installés le
long d’une rivière appelée Shoal Creek, à environ quatre-vingts
kilomètres au nord-est d’Independence. Là, ils avaient fondé une petite
ville nommée Far West, utilisant comme modèle à leur installation le
plan de Joseph pour la ville de Sion. Espérant trouver une solution
pacifique aux problèmes continuels des saints avec leurs voisins, le
corps législatif du Missouri avait créé le comté de Caldwell, qui
englobait les terres autour de Far West et de Shoal Creek pour
l’établissement des saints.
Thomas était impatient de retrouver le reste des Douze, surtout
lorsqu’il fut informé du désir de Parley d’apporter l’Évangile en
Angleterre. La prédication de l’Évangile outre-mer était une étape
importante dans l’œuvre du Seigneur et, en qualité de président du
collège, Thomas voulait réunir les apôtres et planifier ensemble la
mission.
Il s’inquiétait également au sujet des rapports, qu’il recevait,
relatifs aux désaccords à Kirtland. Trois des dissidents, Luke et Lyman
Johnson et John Boynton, étaient membres de son collège. À moins que
les Douze ne soient plus unis, Thomas craignait que la mission en
Angleterre soit infructueuse.
En Ohio, Heber Kimball voyait bien à quel point le Collège des Douze
était divisé depuis l’ouverture de la Kirtland Safety Society six mois
plus tôt. Lorsque les efforts de Joseph pour sortir l’Église des dettes
avaient échoué, Orson Hyde, William McLellin et Orson Pratt avaient
aussi commencé à lui en vouloir. Et maintenant avec Parley Pratt qui
s’élevait contre lui, Brigham Young et Heber étaient les seuls apôtres
loyaux restant à Kirtland.
Un jour, pendant qu’Heber était assis à côté du prophète à la chaire du
temple, Joseph se pencha vers lui et dit : « Frère Heber, l’Esprit du
Seigneur m’a murmuré : ‘Que mon serviteur Heber aille en Angleterre
proclamer mon Évangile et ouvrir la porte du salut à cette nation.’ »
Heber fut stupéfait. Il n’était qu’un potier très peu instruit.
L’Angleterre était la nation la plus puissante du monde et ses
habitants étaient réputés pour leur instruction et leur dévouement
religieux. Il pria : « Ô, Seigneur, je suis un homme à la langue mal
assurée et tout à fait impropre à une telle œuvre. Comment puis-je
aller prêcher dans ce pays ? »
Et sa famille ? Heber supportait difficilement l’idée de quitter Vilate
et leurs enfants pour aller prêcher outre-mer. Il était certain que
d’autres apôtres étaient plus qualifiés pour diriger la mission. Thomas
Marsh était le doyen des apôtres et faisait partie des premiers à avoir
lu le Livre de Mormon et à s’être joint à l’Église. Pourquoi le
Seigneur ne l’enverrait-il pas lui ?
Ou pourquoi pas Brigham ? Heber demanda à Joseph si Brigham pouvait au
moins l’accompagner en Angleterre. Brigham était avant lui par ordre
d’ancienneté dans le collège parce qu’il était plus âgé.
Joseph dit non. Il voulait que Brigham reste à Kirtland.
Heber accepta l’appel avec réticence et se prépara à partir. Il pria
quotidiennement au temple, demandant au Seigneur protection et pouvoir.
La nouvelle de son appel se répandit rapidement dans tout Kirtland et
d’autres soutinrent avec empressement sa décision de partir. Ils lui
dirent : « Fais comme le prophète t’a dit et que le pouvoir te soit
accordé de faire une œuvre merveilleuse. »
John Boynton était moins encourageant. Il se moqua : « Si tu es assez
idiot pour répondre à l’appel d’un prophète déchu, ne compte pas sur
moi pour t’aider. » Lyman Johnson aussi s’y opposait, mais, en voyant
la détermination d’Heber, il retira son manteau et le lui plaça sur les
épaules.
Peu après, Joseph Fielding arriva à Kirtland avec un groupe de saints
canadiens et lui et plusieurs autres furent affectés à la mission,
accomplissant la prophétie d’Heber que le service de Parley au Canada
poserait les fondements d’une mission en Angleterre. Orson Hyde se
repentit de sa désaffection et se joignit également au groupe. Enfin,
Heber invita le cousin de Brigham, Willard Richards, à les accompagner.
Le jour du départ, Heber s’agenouilla avec Vilate et leurs enfants. Il
pria Dieu de lui accorder de traverser l’océan en toute sécurité, de le
rendre utile dans le champ de la mission et de pourvoir aux besoins de
sa famille en son absence. Ensuite, les larmes coulant le long de ses
joues, il bénit chacun de ses enfants et partit pour les Îles
Britanniques.
La crise économique nationale se poursuivit jusqu’à l’été 1837.
Jonathan Crosby, n’ayant plus d’argent et plus beaucoup de nourriture,
cessa de travailler sur sa maison et se joignit à une équipe qui en
construisait une pour Joseph et Emma. Mais Joseph ne pouvait payer les
ouvriers qu’avec des billets de la Safety Society que de moins en moins
d’entreprises à Kirtland acceptaient comme moyen de paiement. Les
billets n’auraient bientôt plus aucune valeur.
Petit à petit, les hommes de l’équipe partirent à la recherche
d’emplois mieux rémunérés. Mais avec la crise financière, il en restait
peu à Kirtland et dans les environs ainsi que dans le reste du pays.
Par conséquent, le coût des marchandises augmenta et la valeur des
terres chuta brutalement. Peu de personnes à Kirtland avaient les
moyens de subvenir à leurs besoins ou d’embaucher. Pour payer les
dettes de l’Église, Joseph dut hypothéquer le temple, au risque qu’il
soit saisi.
Pendant que Jonathan travaillait sur la maison du prophète, sa femme,
Caroline, était souvent couchée, se remettant d’un mauvais rhume. Une
infection au sein l’empêchait d’allaiter son fils et voyant leur
réserve de nourriture diminuer, elle se demandait d’où viendrait le
prochain repas. Ils avaient un petit potager qui produisait quelques
légumes, mais pas de vache, ce qui les obligeait à acheter du lait à
des voisins pour nourrir leur fils.
Caroline savait que beaucoup de leurs amis étaient dans la même
situation. De temps à autre, quelqu’un partageait sa nourriture avec
eux, mais avec tant de saints ayant du mal à joindre les deux bouts, il
semblait que personne n’avait de quoi partager.
Au fil du temps, Caroline vit Parley Pratt, les Boynton et d’autres
amis proches imputer leurs difficultés à l’Église. Jonathan et elle
n’avaient pas perdu d’argent avec la Safety Society, mais la crise ne
les avait pas épargnés non plus. Comme de nombreuses autres personnes,
ils s’en sortaient à peine pourtant, ni elle ni Jonathan n’avaient le
désir de quitter l’Église ou d’abandonner le prophète.
En fait, Jonathan travailla sur la maison des Smith jusqu’à ce qu’il
soit le dernier de l’équipe. Lorsqu’ils n’eurent plus de nourriture, il
prit une journée de congé pour trouver des provisions pour sa famille,
mais rentra bredouille à la maison.
Qu’allons-nous faire maintenant ? demanda Caroline.
Jonathan savait qu’en dépit de leurs difficultés financières, Joseph et
Emma avaient parfois de la nourriture à donner aux personnes qui en
avaient moins qu’eux. Il dit : « Demain matin, j’irai dire à Emma où
nous en sommes. »
Le lendemain, Jonathan repartit travailler sur la maison des Smith,
mais avant qu’il ait eu l’occasion de parler à Emma, elle vint vers
lui. Elle dit : « Je ne sais pas où vous en êtes de vos provisions,
mais vous êtes venu travailler alors que tous les autres étaient
partis. » Elle tenait un gros jambon dans les mains. « J’avais envie de
vous faire un cadeau. »
Surpris, Jonathan la remercia et mentionna son garde-manger vide et la
maladie de Caroline. Lorsqu’elle entendit cela, elle lui dit d’aller
chercher un sac et de prendre autant de farine qu’il pouvait en porter.
Plus tard ce jour-là, Jonathan rapporta la nourriture à la maison et
lorsque Caroline prit son premier repas depuis des jours, elle trouva
que rien n’avait jamais été aussi savoureux.
Fin juin, à Kirtland, les dissidents devinrent plus agressifs. Menés
par Warren Parrish, ils perturbaient les réunions du dimanche dans le
temple et accusaient Joseph de toutes sortes de péchés. Si des saints
tentaient de défendre le prophète, les dissidents les faisaient taire
en criant plus fort et en les menaçant d’attenter à leurs jours.
Mary Fielding, qui s’était installée à Kirtland avec son frère avant
qu’il ne parte pour l’Angleterre, était consternée par l’agitation qui
régnait en Ohio. Lors d’une réunion dans le temple un matin, Parley
Pratt appela Joseph au repentir et déclara que presque toute l’Église
s’était détournée de Dieu.
Ses propos firent de la peine à Mary. La même voix qui lui avait
enseigné l’Évangile condamnait maintenant le prophète de Dieu et
l’Église. La lettre cinglante de Parley à Joseph avait circulé dans
tout Kirtland et Parley lui-même ne taisait pas ses griefs. Un jour que
John Taylor était en ville, il l’avait pris à part et l’avait averti
qu’il ne devait pas suivre Joseph.
John lui rappela : « Avant de quitter le Canada tu as témoigné
puissamment que Joseph était un prophète de Dieu et tu as dit que tu le
savais par révélation et par le don du Saint-Esprit. »
John a alors témoigné : « J’ai maintenant le même témoignage que celui
dont tu te réjouissais alors. Si l’œuvre était vraie il y a six mois,
elle est vraie aujourd’hui. Si Joseph Smith était un prophète alors, il
en est un maintenant. »
Sur ces entrefaites, Joseph tomba malade et ne put quitter le lit. Il
était torturé de douleurs intenses et devint trop faible pour soulever
sa tête. Emma et son médecin restaient à son chevet tandis qu’il
perdait régulièrement connaissance. Sidney dit qu’il croyait que Joseph
ne tarderait pas à mourir.
Ses détracteurs se délectaient de ses souffrances, disant que Dieu le
châtiait pour ses péchés. Beaucoup d’amis du prophète, cependant,
allèrent au temple et prièrent toute la nuit pour sa guérison.
Avec le temps, il commença à récupérer et Mary lui rendit visite
accompagnée de Vilate Kimball. Il dit que le Seigneur l’avait
réconforté pendant sa maladie. Mary était contente de voir qu’il allait
mieux et l’invita à rendre visite aux saints qui habitaient au Canada
lorsqu’il serait rétabli.
Le dimanche suivant, elle assista à une autre réunion dans le temple.
Joseph était encore trop faible pour participer donc Warren Parrish
marcha à grandes enjambées vers la chaire et s’assit à la place du
prophète. Hyrum, qui dirigeait la réunion, ne réagit pas à la
provocation, mais prêcha un long sermon sur la situation de l’Église.
Mary admira l’humilité avec laquelle il rappelait aux saints leurs
alliances.
Il dit à l’assemblée : « J’ai le cœur doux, j’ai l’impression d’être un
petit enfant. » La voix remplie d’émotion, il leur promit que l’Église
allait à l’instant même commencer à se relever.
Quelques jours plus tard, Mary écrivit à sa sœur Mercy. Elle dit : « Je
me sens vraiment poussée à espérer que sous peu l’ordre et la paix
seront rétablis dans l’Église. Unissons-nous tous de tout cœur en
prière pour cela. »
Un mois plus tard, Joseph Fielding, le frère de Mary, descendait d’une
diligence dans les rues de Preston. La petite ville, nichée au cœur de
prairies verdoyantes, était le centre industriel de l’Angleterre
occidentale. De hautes cheminées s’élevant au-dessus des nombreuses
usines et moulins de la ville crachaient des nuages de fumée grise qui
dissimulaient les flèches de multiples églises dans un brouillard de
suie. La Ribble fendait le centre de la ville, ondulant jusqu’à la mer.
Les missionnaires pour l’Angleterre étaient arrivés au port de
Liverpool deux jours plus tôt. Suivant l’inspiration de l’Esprit, Heber
avait commandé aux hommes de se rendre à Preston où le frère de Joseph
Fielding, James, était prédicateur. Joseph et ses sœurs avaient
correspondu avec lui, lui racontant leur conversion et témoignant de
l’Évangile rétabli de Jésus-Christ. James avait paru s’intéresser à ce
qu’ils avaient écrit et avait parlé à son assemblée de Joseph Smith et
des saints des derniers jours.
Les missionnaires arrivèrent à Preston le jour d’une élection et,
pendant qu’ils marchaient le long des rues, des ouvriers déployèrent
une bannière par une fenêtre juste au-dessus de leurs têtes. Son
message, écrit en lettres d’or, n’était pas à leur intention, mais il
les encouragea tout de même : La vérité triomphera.
Ils s’écrièrent : « Amen ! Louange à Dieu, la vérité triomphera ! »
Joseph Fielding partit immédiatement à la recherche de son frère.
Depuis son départ de Kirtland, il avait prié pour que le Seigneur
prépare James à recevoir l’Évangile. Comme lui, il chérissait le
Nouveau Testament et cherchait à vivre conformément à ses préceptes.
S’il acceptait l’Évangile rétabli, il pourrait être d’une grande aide
aux missionnaires et à l’œuvre du Seigneur.
Lorsque Joseph et les missionnaires le trouvèrent chez lui, il les
invita à prêcher le lendemain matin depuis sa chaire dans la chapelle
de Vauxhall. Joseph croyait que l’intérêt de son frère dans leur
message était l’œuvre du Seigneur, mais il comprenait également tout ce
qu’il pouvait perdre en leur ouvrant ses portes.
La prédication était son gagne-pain. S’il acceptait l’Évangile rétabli,
il se retrouverait sans emploi.
Sur la route entre Far West et Kirtland, Thomas Marsh, David Patten et
William Smith furent surpris de rencontrer Parley Pratt qui partait
dans la direction opposée. Essayant de compenser ses pertes, Parley
avait vendu des terres, encaissé ses actions dans la Safety Society et
partait seul pour le Missouri.
Toujours décidé à rétablir l’unité au sein du Collège des Douze, Thomas
l’exhorta à retourner à Kirtland avec eux. Ce dernier n’était pas
pressé de retourner là où il avait subi tant de chagrins et de
déceptions. Néanmoins, Thomas insista pour qu’il revienne sur sa
décision, convaincu qu’il pouvait se réconcilier avec le prophète.
Parley y réfléchit. Lorsqu’il avait écrit la lettre à Joseph, il
s’était dit que c’était pour le bien du prophète. Mais il savait qu’il
se leurrait. Il n’avait pas appelé Joseph au repentir dans un esprit
d’humilité. Il l’avait plutôt agressé verbalement en représailles.
Il se rendit également compte que son sentiment de trahison l’avait
rendu aveugle aux épreuves du prophète. Il avait eu tort de le
condamner et de l’accuser d’égoïsme et de cupidité.
Honteux, Parley décida de retourner à Kirtland avec Thomas et les
autres apôtres. Une fois arrivés, ils se rendirent chez Joseph. Il
était encore en convalescence, mais il reprenait des forces. Parley
pleura lorsqu’il le vit et s’excusa pour tout ce qu’il avait dit et
fait pour le blesser. Joseph lui pardonna, pria pour lui et lui donna
une bénédiction.
Pendant ce temps, Thomas tentait de rétablir l’unité parmi les autres
membres des Douze. Il réussit à réconcilier Orson Pratt et Joseph, mais
William McLellin avait déménagé et les frères Johnson et John Boynton
ne voulaient rien savoir.
Thomas lui-même commença à maugréer lorsqu’il apprit que Joseph avait
envoyé Heber Kimball et Orson Hyde en Angleterre sans le consulter. En
qualité de président des Douze, la direction de l’œuvre missionnaire et
de la mission en Angleterre n’était-elle pas sa responsabilité ?
N’était-il pas venu à Kirtland pour mobiliser les Douze et les envoyer
outre-mer ?
Il pria pour Heber et Orson et l’œuvre qu’ils accomplissaient à
l’étranger, mais il avait du mal à réprimer son ressentiment et son
orgueil froissé.
Le 23 juillet, il en parla à Joseph. Ils résolurent leur différend
pendant leur rencontre et Joseph reçut une révélation à son intention.
Le Seigneur lui assura : « Tu es l’homme que j’ai choisi pour détenir
les clefs de mon royaume, en ce qui concerne les Douze, au dehors,
parmi toutes les nations. » Il lui pardonna ses péchés et l’exhorta à
se réjouir.
Mais il affirma que les Douze agissaient sous l’autorité de Joseph et
de ses conseillers dans la Première Présidence, même dans les affaires
relatives à l’œuvre missionnaire. Le Seigneur dit : « Va en quelque
lieu qu’ils t’envoient, et je serai avec toi. » Il dit à Thomas que
l’obéissance aux recommandations de la Première Présidence ouvrirait la
voie à un plus grand succès dans le champ de la mission.
Il promit : « En quelque lieu que tu proclames mon nom, une porte
efficace te sera ouverte pour qu’ils reçoivent ma parole. »
Le Seigneur lui fit également savoir comment réparer son collège
divisé. Il dit : « Sois humble, et le Seigneur, ton Dieu, te conduira
par la main et te donnera la réponse à tes prières. »
Il exhorta Thomas et les Douze à mettre de côté leurs différends avec
Joseph et à se concentrer sur leur mission. Il continua : « Veillez à
ne pas vous faire de souci concernant les affaires de l’Église en ce
lieu […] mais purifiez-vous le cœur devant moi et allez ensuite dans le
monde entier prêcher mon Évangile à toutes les créatures. »
Il dit : « Voyez comme votre appel est grand. »
CHAPITRE 25 : Partez vous installer dans l’Ouest
Pendant le petit séjour de Jennetta Richards à Preston, en Angleterre,
en août 1837, elle entendit ses amis Ann et Thomas Walmesley beaucoup
parler d’un groupe de missionnaires venus d’Amérique.
Ann était malade depuis des années, dépérissant jusqu’à ce qu’il ne lui
reste plus que la peau sur les os. Lorsque Heber Kimball l’avait
instruite, il avait promis qu’elle serait guérie si elle faisait preuve
de foi, se repentait et entrait dans les eaux du baptême. Ann s’était
fait baptiser dans la nouvelle Église, ainsi que huit autres personnes,
et sa santé s’améliorait constamment.
Parmi les personnes qui se faisaient baptiser, beaucoup avaient
appartenu à l’assemblée de James Fielding. Bien qu’il ait autorisé les
missionnaires à prêcher dans son église, le révérend Fielding refusa le
baptême et fut mécontent de perdre ses paroissiens.
Jennetta était intriguée par le message des missionnaires américains.
Elle habitait dans le petit village rural de Walkerfold, à plus de
vingt kilomètres des cheminées et des rues encombrées de Preston. Son
propre père était un pasteur chrétien du village et elle avait donc
grandi avec la parole de Dieu dans son foyer.
Maintenant, à quelques semaines de son vingtième anniversaire, elle
était curieuse d’en apprendre davantage sur la vérité de Dieu.
Lorsqu’elle rendit visite aux Walmesley, elle rencontra Heber et fut
frappée par ce qu’il dit au sujet d’anges, d’annales anciennes gravées
sur des plaques d’or et d’un prophète vivant qui recevait des
révélations de Dieu, comme les prophètes de jadis.
Heber invita Jennetta à l’écouter prêcher ce soir-là. Elle y alla,
écouta et voulut en entendre davantage. Le lendemain, elle l’écouta de
nouveau prêcher et sut que ses paroles étaient vraies.
Le matin suivant, elle demanda à Heber de la baptiser. Accompagné
d’Orson Hyde, il la suivit sur les berges de la Ribble et il la plongea
dans l’eau. Ensuite, les deux hommes la confirmèrent sur les berges du
fleuve.
Après son baptême, Jennetta voulait rester à Preston avec les autres
saints, mais elle devait retourner auprès de ses parents à Walkerfold.
Elle était impatiente de leur parler de sa nouvelle religion, mais ne
savait pas comment son père réagirait en apprenant sa décision de se
joindre aux saints.
Heber lui dit : « Le Seigneur adoucira le cœur de ton père. J’aurai
même la chance de prêcher dans son église. »
Espérant qu’il ait raison, Jennetta lui demanda de prier pour elle.
Cet été-là, Joseph se rendit au Canada pour rendre visite aux saints à
Toronto. En son absence, lors de la réunion du dimanche dans le temple
de Kirtland, Joseph, père, parla de la Safety Society chancelante. Il
prit la défense de son fils et condamna les actions des dissidents qui
étaient assis à l’autre bout de la pièce.
Pendant que le patriarche s’adressait aux saints, Warren Parrish se
leva et exigea la parole. Joseph, père, lui dit de ne pas l’interrompre
mais Warren traversa la pièce en courant et força le passage jusqu’à la
chaire. Il saisit Joseph, père, et essaya de le déloger du pupitre. Le
patriarche appela Oliver Cowdery au secours, lequel était juge de paix
local, mais celui-ci ne fit rien pour venir en aide à son vieil ami.
Voyant son père en danger, William Smith bondit sur ses pieds, ceintura
Warren et le traîna en bas de l’estrade. John Boynton se jeta sur
William en dégainant une épée. Il pointa la lame sur sa poitrine et
menaça son collègue apôtre de le transpercer s’il faisait un pas de
plus. D’autres dissidents sortirent des couteaux et des pistolets de
leurs poches et encerclèrent William.
Le temple fut plongé dans le chaos. Des gens se ruèrent vers les portes
ou s’échappèrent par des fenêtres voisines. Des policiers firent
irruption dans la pièce, se frayèrent un passage dans la foule en fuite
et luttèrent contre les hommes armés.
Quelques semaines plus tard, lorsque Joseph revint à Kirtland et apprit
ce qui s’était passé, il convoqua les saints en urgence à une
conférence et demanda un vote de soutien pour chacun des dirigeants de
l’Église. Les saints le soutinrent, lui et la Première Présidence, mais
démirent John Boynton, Luke Johnson et Lyman Johnson de leur appel de
membre du Collège des Douze.
Le vote de confiance était rassurant, mais Joseph savait que les
problèmes de Kirtland étaient loin d’être terminés. Étant le seul pieu
dans l’Église, Kirtland était censé offrir aux saints un lieu de
rassemblement. Mais, économiquement et spirituellement, la ville était
en difficulté, et les dissidents montaient les membres vulnérables
contre lui. Pour de nombreuses personnes, Kirtland avait cessé d’être
un lieu de paix et de force spirituelle.
Récemment, dans une vision, le Seigneur avait exhorté Joseph à créer de
nouveaux pieux de Sion et à élargir les frontières de l’Église. Joseph
et Sidney croyaient que le moment était maintenant venu d’aller au
Missouri, d’inspecter la nouvelle colonie à Far West et de créer
d’autres pieux comme lieux de rassemblement pour les saints.
Joseph devait aussi rendre visite au Missouri pour d’autres raisons. Il
craignait que l’apostasie à Kirtland n’ait affecté les dirigeants de
l’Église en Sion. Quand ils avaient fondé Far West, John Whitmer et
William Phelps n’avaient pas consulté l’épiscopat ni le grand conseil,
comme la révélation le commandait. Ils avaient également acheté des
terres en leur nom avec l’argent des dons et les avaient vendues pour
leur bénéfice personnel.
Bien que les deux hommes aient reconnu leur faute, Joseph et d’autres
dirigeants de l’Église les soupçonnaient d’être encore malhonnêtes dans
leur gestion des terres au Missouri.
Joseph s’inquiétait également de l’influence des membres de la Première
Présidence qui s’apprêtaient à emménager à Far West. Frederick Williams
et lui s’étaient affrontés au sujet de la gestion de la Kirtland Safety
Society et leur amitié en avait souffert. Entre-temps, Oliver était
troublé de voir Joseph prendre plus activement part à l’économie et à
la politique locales. David Whitmer, le président de l’Église au
Missouri, et lui, trouvaient que Joseph exerçait une trop grande
influence sur les affaires temporelles dans son rôle de prophète.
Bien que ces hommes n’aient pas pactisé avec Warren Parrish et les
autres dissidents, leur loyauté à l’égard du prophète avait faibli au
cours des huit derniers mois et Joseph s’inquiétait qu’ils ne causent
des problèmes en Sion.
Avant de quitter Kirtland, Joseph demanda à son frère Hyrum et à Thomas
Marsh de le précéder à Far West pour avertir les saints fidèles du
désaccord croissant qui existait entre lui et ces hommes. Pour Hyrum,
cela signifiait laisser sa femme, Jerusha, alors qu’elle était à
quelques semaines à peine d’accoucher de leur sixième enfant, mais il
accepta la mission.
La dispute d’Oliver avec le prophète allait au-delà des désaccords
quant à la manière de diriger l’Église. Depuis qu’il avait pris
connaissance du mariage plural dans sa traduction inspirée de la Bible,
Joseph avait su que parfois, Dieu commandait à son peuple de pratiquer
ce principe. Joseph n’avait pas immédiatement agi, mais quelques années
plus tard un ange du Seigneur lui avait commandé d’épouser une autre
femme.
Après avoir reçu le commandement, Joseph avait eu du mal à vaincre son
aversion naturelle pour l’idée. Il pouvait prévoir les épreuves qui
découleraient du mariage plural et il voulait s’en détourner. Mais
l’ange l’exhorta à agir et lui commanda de ne faire part de cette
révélation qu’aux personnes dont l’intégrité était indéfectible. L’ange
lui commanda aussi d’en préserver la confidentialité jusqu’à ce que le
Seigneur juge bon de rendre la pratique publique par l’intermédiaire de
ses serviteurs choisis.
Pendant les années où Joseph vécut à Kirtland, une jeune fille appelée
Fanny Alger travaillait chez les Smith. Joseph connaissait bien sa
famille et lui faisait confiance. Ses parents étaient des saints
fidèles qui s’étaient joints à l’Église dans sa première année. Son
oncle, Levi Hancock, avait participé à l’expédition du camp d’Israël.
Suivant le commandement du Seigneur, Joseph demanda Fanny en mariage
avec l’aide de Levi et l’approbation des parents de la jeune fille.
Fanny accepta les enseignements de Joseph et sa demande, et son oncle
accomplit la cérémonie.
Puisque le moment n’était pas encore venu d’enseigner le mariage plural
dans l’Église, le mariage de Joseph et Fanny resta confidentiel, comme
l’ange l’avait commandé. Mais les rumeurs circulaient parmi certaines
personnes à Kirtland. À l’automne 1836, Fanny avait déménagé.
Oliver critiquait sévèrement la relation de Joseph avec Fanny, mais
rien de ce qu’il savait n’était très clair. Nous ne savons pas non plus
exactement si Emma était au courant du mariage. Avec le temps, Fanny
épousa un autre homme et vécut loin du groupe principal de saints. Plus
tard, elle reçut une lettre de son frère l’interrogeant sur son mariage
plural avec Joseph.
Elle répondit : « C’est une affaire qui ne regarde que nous et je n’ai
rien à déclarer. »
À l’automne 1837, pendant que Joseph et Sidney partaient pour Far West,
Wilford Woodruff était missionnaire parmi des pêcheurs et des
baleiniers sur les îles Fox dans l’océan Atlantique Nord. Lui et son
collègue, Jonathan Hale, étaient arrivés sur l’une de ces îles battues
par les éléments les dernières semaines d’août. Aucun des deux ne
savait grand-chose de l’endroit, qui était recouvert d’épaisses forêts
de conifères, mais ils voulaient participer à l’accomplissement de la
prophétie d’Ésaïe que le peuple du Seigneur se rassemblerait des îles
de la mer.
Avant que les deux hommes ne partent, certains dissidents avaient tenté
de décourager Jonathan d’aller sur les îles Fox, prédisant qu’il n’y
baptiserait personne. Il ne voulait pas leur donner raison.
Wilford et Jonathan travaillaient ensemble depuis quelques mois déjà.
Après avoir quitté Kirtland, ils avaient essayé de parler de l’Évangile
à la famille de Wilford, dans le Connecticut, mais son oncle, sa tante
et son cousin étaient les seuls à s’être fait baptiser. Phebe Woodruff
les avait rejoints peu après et ils avaient longé la côte jusque chez
ses parents dans le Maine où elle resta pendant qu’ils poursuivaient
leur mission.
L’un des premiers contacts de Wilford et de Jonathan sur les îles fut
un pasteur appelé Gideon Newton. Wilford et Jonathan avaient pris un
repas avec sa famille et lui avaient donné un Livre de Mormon. Ensuite,
les missionnaires étaient allés dans son église et Wilford avait prêché
en s’appuyant sur le Nouveau Testament.
Les quelques jours qui suivirent, ils prêchèrent quotidiennement,
souvent dans des écoles. Ils trouvèrent les habitants des îles
intelligents, vaillants et aimables. Gideon et sa famille participaient
à la plupart de leurs réunions. Le pasteur étudia le Livre de Mormon et
sentit l’Esprit témoigner de sa véracité. Mais il ne savait pas s’il
pouvait l’accepter, surtout si cela signifiait abandonner ses fidèles.
Un matin, après plus d’une semaine sur les îles, Wilford prêcha un
sermon à une grande assemblée dans l’église de Gideon. L’accueil
chaleureux que le sermon reçut inquiéta le pasteur qui fit front aux
missionnaires plus tard ce jour-là. Il leur dit qu’il avait
suffisamment lu le Livre de Mormon et qu’il ne pouvait pas y adhérer.
Il avait l’intention d’user de toute son influence sur les îles pour
mettre un terme à leur prédication.
Il partit à l’église prêcher son propre sermon, laissant Wilford et
Jonathan dubitatifs quant à leur succès futur sur l’île. Mais quand
Gideon arriva à son église, il la trouva déserte. Personne n’était venu
l’entendre prêcher.
Ce soir-là, Wilford et Jonathan logèrent chez le capitaine Justus Eames
et sa femme, Betsy. Les Eames s’intéressèrent au message des
missionnaires et après une réunion du dimanche, Wilford les invita à se
faire baptiser. À sa grande joie, ils acceptèrent.
Se tournant vers Jonathan, Wilford lui rappela que les dissidents de
Kirtland avaient prédit leur échec sur les îles. Désignant Justus, il
dit : « Va le baptiser et prouve-leur qu’ils sont de faux prophètes. »
Occupé à sa tâche à Far West, Hyrum attendit l’arrivée de son frère,
espérant chaque jour que Joseph rapporterait des nouvelles de Jerusha.
Hyrum et Thomas avaient trouvé la ville de Far West florissante. Les
saints avaient tracé des rues larges et des lots spacieux pour les
maisons et les jardins. Les enfants riaient et jouaient dans les rues,
évitant les chevaux, les chariots et les charrettes qui passaient près
d’eux. La ville comptait des maisons, des cabanes, un hôtel et
plusieurs boutiques et magasins, notamment celui de l’évêque. Un site
réservé au temple se trouvait en son centre.
Joseph et Sidney arrivèrent à Far West début novembre, mais ils
n’avaient pas de nouvelles pour Hyrum. Quand ils avaient quitté
Kirtland quelques semaines auparavant, Jerusha n’avait toujours pas
accouché.
Joseph convoqua rapidement une conférence à Far West pour discuter des
moyens d’aménager la ville en vue d’une expansion future. Sidney et lui
voyaient que la région avait suffisamment d’espace pour permettre aux
saints de se rassembler en plus grand nombre sans empiéter sur leurs
voisins et risquer d’autres actes de violence. Lors de la conférence,
Joseph annonça leurs plans d’expansion et reporta les travaux sur le
nouveau temple jusqu’à ce que le Seigneur révèle sa volonté concernant
le bâtiment.
Le prophète demanda aux saints de Far West un vote de soutien en faveur
des dirigeants de l’Église. Cette fois-ci, Frederick Williams fut démis
de son office dans la Première Présidence et Sidney Rigdon nomma Hyrum
à sa place. Les saints approuvèrent la nomination.
Quelques jours plus tard, Hyrum reçut les nouvelles tant attendues dans
une lettre provenant de Kirtland. Mais elle était écrite par son frère
Samuel, et non par Jerusha. Elle commençait : « Cher frère Hyrum, ce
soir, c’est par devoir que je m’assois pour t’écrire, sachant que tout
homme raisonnable veut savoir exactement comment va sa famille. »
Les yeux d’Hyrum balayaient la page. Jerusha avait mis au monde une
petite fille en bonne santé, mais l’accouchement l’avait affaiblie. La
famille Smith avait essayé de la soigner, mais elle était décédée au
bout de quelques jours.
Hyrum et Joseph commencèrent immédiatement à se préparer à retourner à
Kirtland. Avant de partir, Joseph rencontra Thomas et Oliver en privé.
Ils parlèrent des objections d’Oliver contre le mariage de Joseph à
Fanny Alger, mais leur différend ne fut pas résolu. Finalement, Joseph
tendit la main à Oliver et dit qu’il voulait abandonner tout désaccord
entre eux. Oliver lui serra la main et ils se séparèrent.
Joseph, Sidney et Hyrum arrivèrent à Kirtland quelques semaines plus
tard. Hyrum retrouva chez des parents ses cinq enfants pleurant encore
la disparition soudaine de leur mère, qui était enterrée dans le
cimetière à côté du temple. Il ne savait pas du tout comment il allait
pouvoir s’occuper d’eux, seul, et avec ses nouvelles responsabilités
dans la Première Présidence.
Joseph encouragea son frère à se remarier et lui recommanda Mary
Fielding. Elle était aimable, cultivée et engagée envers l’Église. Elle
ferait une compagne excellente pour Hyrum et une mère attentionnée pour
ses enfants.
Hyrum demanda Mary en mariage peu de temps après. À trente-six ans, on
lui avait fait plus d’une demande en mariage, mais elle avait toujours
refusé. Une fois, sa mère l’avait mise en garde de ne jamais épouser un
veuf avec des enfants. Si elle acceptait d’épouser Hyrum, elle devenait
instantanément mère de six enfants.
Mary réfléchit à la demande et accepta. Elle admirait déjà la famille
Smith, considérait Joseph comme un frère et respectait Hyrum pour son
humilité. Ils se marièrent la veille de Noël.
Beaucoup de saints furent soulagés d’avoir Joseph de retour à Kirtland,
mais tout espoir qu’il puisse rétablir la bonne entente au sein de
l’Église s’évanouit très vite. Warren Parrish, Luke Johnson et John
Boynton se réunissaient chaque semaine avec Grandison Newell et
d’autres ennemis de l’Église pour condamner la Première Présidence.
D’anciens piliers, tels que Martin Harris, se joignirent rapidement à
eux et à la fin de l’année, les principaux dissidents avaient fondé
leur propre église.
Peu après, Vilate Kimball écrivit à son mari en Angleterre à propos de
la situation de l’Église en Ohio. Connaissant l’amour d’Heber pour Luke
Johnson et John Boynton, qui avaient été membres du collège comme lui,
Vilate hésitait à lui annoncer les terribles nouvelles.
Elle écrivit : « Je ne doute pas que cela te fasse mal au cœur. Ils
prétendent croire au Livre de Mormon et aux Doctrine et Alliances, mais
leurs œuvres prouvent le contraire. »
À la fin de la lettre, Marinda Hyde ajouta un mot pour son mari, Orson.
Luke Johnson était son frère aîné et son apostasie lui brisait
également le cœur. Elle écrivit : « Tu n’as jamais vu une situation à
Kirtland comme celle dans laquelle nous sommes maintenant car il semble
que toute confiance mutuelle ait disparu. » Elle devait veiller et
prier pour savoir la marche à suivre dans ces temps périlleux.
Elle dit à son mari : « S’il y a un moment de ma vie où j’ai voulu te
voir, c’est bien maintenant. »
Rien ne semblait modérer les sentiments des dissidents. Ils affirmaient
que Joseph et Sidney avaient mal géré la Kirtland Safety Society et
escroqué les saints.. Warren croyait qu’un prophète devait être plus
pieux que les autres personnes et il se servit de la faillite de la
Safety Society pour montrer à quel point Joseph en était loin.
Après avoir essayé pendant des mois de se réconcilier avec les chefs
des dissidents, le grand conseil de Kirtland les excommunia. Ceux-ci
s’emparèrent du temple pour leurs propres réunions et menacèrent de
chasser de Kirtland toute personne qui se montrait loyale à l’égard de
Joseph.
Vilate croyait qu’ils avaient tort de tourner le dos aux saints mais
c’est plus du chagrin qu’elle éprouvait pour eux que de la colère. Elle
écrivit à Heber : « Après tout ce que j’ai dit au sujet de ce groupe de
dissidents, j’aime certains d’entre eux et je les plains sincèrement. »
Elle savait que l’effondrement de la Safety Society les avait éprouvés
spirituellement et matériellement. Elle aussi avait pensé que Joseph
avait fait des erreurs dans sa gestion de l’établissement mais elle
n’avait pas perdu confiance au prophète.
Elle dit à Heber : « J’ai toutes les raisons de croire que Joseph s’est
humilié devant le Seigneur et s’est repenti. » Et elle était sûre que
l’Église tiendrait le coup.
Elle écrivit : « Le Seigneur dit : celui qui ne supporte pas le
châtiment mais me renie ne peut être sanctifié. » Cela voulait
peut-être dire qu’elle serait seule face à l’hostilité à Kirtland mais
les enfants et elle attendaient qu’Heber rentre de mission. Ou, si la
situation empirait, cela pouvait signifier abandonner leur maison et
partir s’installer au Missouri.
Elle dit à Heber : « Si nous devons fuir, je le ferai. »
À l’aube de la nouvelle année, les dissidents de Kirtland se firent
plus amers et agressifs. Les menaces des émeutiers planaient sur
l’Église et le prophète était harcelé par les dettes et les poursuites
judiciaires sans fondement. Très vite, un shérif local armé d’un mandat
d’arrêt commença à le rechercher. S’il était attrapé, Joseph risquait
un procès coûteux et peut-être l’emprisonnement.
Le 12 janvier 1838, le prophète rechercha l’aide du Seigneur et reçut
une révélation. Le Seigneur commanda : « Que la présidence de mon
Église prenne chacun sa famille et déménage dans l’Ouest, aussi loin
que le chemin est tracé. »
Le Seigneur exhorta les amis de Joseph et leur famille à se rassembler
aussi au Missouri. Il déclara : « Soyez en paix les uns avec les
autres, sinon vous ne serez pas en sécurité. »
Les Smith et les Rigdon organisèrent immédiatement leur fuite. Les deux
hommes se glisseraient hors de Kirtland cette nuit-là et leur famille
suivrait peu après en chariot.
Ce soir-là, bien après la tombée de la nuit, Joseph et Sidney
grimpèrent sur leurs chevaux et quittèrent la ville. Ils voyagèrent en
direction du sud jusqu’au matin, parcourant quelque cent kilomètres.
Lorsque leurs chevaux furent épuisés, les hommes s’arrêtèrent et
attendirent leur femme et leurs enfants.
Ni Joseph ni Sidney ne pensaient revoir Kirtland un jour. Lorsque leurs
familles arrivèrent, les hommes montèrent avec elles dans les chariots
et prirent la route de Far West.
CHAPITRE 26 : Une
terre sainte et consacrée
L’hiver 1838 fut long et froid. Pendant que les familles de Joseph et
de Sidney avançaient vers l’ouest, Oliver Cowdery parcourait
péniblement le nord du Missouri, luttant contre la neige et la pluie
pour chercher des lieux susceptibles d’accueillir de nouveaux pieux de
Sion. Les terres faisaient partie des plus belles qu’il eût jamais vues
et il prospecta des dizaines d’endroits où les saints pourraient bâtir
des villes et des fabriques. Cependant, il trouva peu de nourriture
dans ces contrées faiblement colonisées et la nuit, il n’avait que de
la terre humide pour s’allonger.
Quand il revint à Far West trois semaines plus tard, il était épuisé.
Lorsqu’il eut repris des forces, il apprit que Thomas Marsh, David
Patten et le grand conseil enquêtaient sur lui et sur la présidence de
l’Église du Missouri (David Whitmer, John Whitmer et William Phelps)
pour cause de mauvaise conduite.
Les accusations portaient sur leur gestion des terres de la région.
Quelque temps auparavant, John et William avaient vendu des propriétés
de l’Église à Far West et s’étaient approprié les bénéfices ; l’affaire
n’avait jamais été élucidée. De plus, Oliver, John et William avaient
récemment vendu une partie de leurs terres dans le comté de Jackson.
Même s’ils avaient légalement le droit de vendre ces terres, qui leur
appartenaient, elles avaient été consacrées au Seigneur et une
révélation leur interdisait de le faire. Non seulement les trois hommes
avaient rompu l’alliance sacrée mais ils avaient fait preuve d’un
manque de foi en Sion.
Lorsqu’il comparut devant le grand conseil du Missouri, Oliver insista
sur le fait qu’ils pouvaient vendre selon leur bon plaisir puisque lui
et les autres avaient payé les terres du comté de Jackson avec leur
propre argent. En privé, il remit en question les motivations de
certains membres du conseil. Il se méfiait des hommes comme Thomas
Marsh et d’autres, qui semblaient briguer les postes et l’autorité.
Oliver les soupçonnait d’avoir dressé Joseph contre lui, ajoutant une
tension à son amitié déjà fragilisée avec le prophète.
Il confia à son frère : « Une telle course au pouvoir me rend malade.
Je suis venu dans cette région pour être en paix. Si je n’y parviens
pas, j’irai où je peux. »
Du fait qu’Oliver était membre de la Première Présidence, il était hors
de la juridiction du grand conseil et conserva son appel. En revanche,
David, John et William furent démis de leur poste.
Quatre jours plus tard, Oliver rencontra les trois hommes et plusieurs
autres qui étaient impatients de se séparer de l’Église. Beaucoup
d’entre eux étaient des partisans de Warren Parrish et de sa nouvelle
église à Kirtland. Comme lui, ils étaient décidés à s’opposer au
prophète.
Jour après jour, alors que les saints attendaient le retour de Joseph à
Far West, le mépris d’Oliver pour les dirigeants de l’Église
grandissait. Il doutait qu’ils comprennent pourquoi il agissait comme
il le faisait. Il ricanait : « Nous ne nous attendons pas à être
applaudis ou approuvés par les déraisonnables et les ignorants. »
Il avait toujours foi dans le Livre de Mormon et le rétablissement de
l’Évangile, et il ne pouvait pas oublier ni nier les expériences
sacrées qu’il avait vécues avec le prophète. Ils avaient été frères et
meilleurs amis, compagnons de service de Jésus-Christ.
Mais à présent, ces jours n’étaient plus qu’un lointain souvenir.
Une fois que Jennetta Richards fut de retour chez elle à Walkerfold, en
Angleterre, ses parents, John et Ellin Richards, manifestèrent de
l’intérêt pour Heber Kimball et son baptême. Prenant de quoi écrire,
son père rédigea une courte lettre à l’attention du missionnaire,
l’invitant à prêcher dans son église.
Il écrivit : « Vous êtes attendu ici dimanche prochain. Bien que nous
soyons étrangers l’un pour l’autre, j’espère que nous ne sommes pas
étrangers à notre Rédempteur béni. »
Heber arriva le samedi suivant et le révérend l’accueillit
chaleureusement. Il dit : « Si j’ai bien compris, vous êtes le pasteur
arrivé récemment d’Amérique. Que Dieu vous bénisse ! » Il fit entrer
Heber chez lui et lui offrit à manger.
La famille discuta avec lui jusque tard dans la soirée. En regardant
les deux hommes faire connaissance, Jennetta remarqua leurs
différences. Son père avait soixante-douze ans et avait prêché à la
chaire de Walkerfold pendant plus de quarante ans. Il était petit,
portait une perruque brune et lisait le grec et le latin. Heber, en
revanche, était grand, large d’épaules et chauve. Il n’avait pas encore
quarante ans, était peu instruit et manquait de raffinement.
Pourtant, ils devinrent de très bons amis. Le lendemain matin, les deux
hommes marchèrent ensemble jusqu’à la chapelle de Walkerfold. Sachant
qu’un missionnaire américain allait prêcher, il vint plus de gens que
d’habitude à la réunion et la minuscule chapelle était bondée. Une fois
que le révérend eut ouvert la réunion avec un chant et une prière, il
invita Heber à prêcher.
Ce dernier prit la chaire et s’adressa à l’assemblée avec le
vocabulaire d’un homme ordinaire. Il parla de l’importance de la foi en
Jésus-Christ et du repentir sincère. Il dit qu’il fallait se faire
baptiser par immersion et recevoir le don du Saint-Esprit par quelqu’un
qui avait l’autorité appropriée de Dieu.
Comme les convertis au Canada un an plus tôt, les habitants de
Walkerfold acceptèrent facilement le message, lequel était conforme à
leur compréhension de la Bible. Cet après-midi-là, d’autres personnes
vinrent écouter Heber prêcher de nouveau. Lorsqu’il eut terminé,
l’assemblée était en larmes et le père de Jennetta l’invita à prêcher
le lendemain.
Bientôt Jennetta ne fut plus la seule croyante de Walkerfold. Après le
sermon du lundi, l’assemblée le supplia de prêcher de nouveau le
mercredi. À la fin de la semaine, il avait baptisé six membres de
l’assemblée et les habitants de Walkerfold étaient vivement désireux
d’en entendre davantage.
Le 14 mars 1838, Joseph, Emma et leurs trois enfants arrivèrent à Far
West après presque deux mois de voyage. Impatients d’accueillir le
prophète en Sion, les saints reçurent la famille avec joie. Leurs
paroles amicales et leurs étreintes chaleureuses furent un changement
heureux après les dissidences et l’hostilité que Joseph avait laissées
à Kirtland. Les saints qui se pressaient autour de lui étaient unis et
l’amour abondait entre eux.
Joseph voulait prendre un nouveau départ au Missouri. Les saints de
Kirtland et des branches de l’Église dans l’est des États-Unis et du
Canada allaient bientôt arriver. Pour les recevoir, l’Église avait
besoin d’établir des pieux de Sion où ils pourraient se rassembler dans
la paix et avoir la chance de prospérer.
Oliver avait déjà exploré la région en quête de nouveaux lieux de
rassemblement et son rapport était prometteur. Mais Joseph savait qu’il
devait régler le problème de dissidence croissante à Far West avant que
les saints ne puissent commencer à s’installer. Cela le peinait de voir
des amis comme Oliver s’éloigner de l’Église mais il ne pouvait
permettre à la discorde de prospérer au Missouri comme cela avait été
le cas à Kirtland.
Joseph attribuait les mérites de la paix relative de Far West à la
direction de Thomas Marsh et du grand conseil. Après avoir démis
William Phelps et John Whitmer de leur office, le grand conseil les
avait excommuniés et Joseph approuvait sa décision. Maintenant, il
pensait qu’il était temps de s’occuper de l’apostasie d’Oliver.
Le 12 avril, Edward Partridge réunit un conseil d’évêque pour examiner
le statut d’Oliver dans l’Église. L’opposition de ce dernier n’était
plus un secret. Il avait cessé d’aller aux réunions de l’Église,
ignorait les conseils des autres dirigeants et avait écrit des lettres
insultantes à Thomas et au grand conseil. Il était aussi accusé d’avoir
vendu ses terres dans le comté de Jackson contrairement à la
révélation, d’avoir incriminé faussement Joseph d’adultère et d’avoir
abandonné la cause de Dieu.
Oliver choisit de ne pas assister à l’audience mais envoya à l’évêque
Partridge une lettre à lire pour sa défense. Dans cette dernière, il ne
niait pas la vente de ses terres dans le comté de Jackson ni son
opposition aux dirigeants de l’Église. Il insistait plutôt sur le fait
qu’il avait légalement le droit de les vendre en dépit de toute
révélation, alliance ou commandement. Il renonçait également à son
appartenance à l’Église.
Pendant le reste de la journée, le conseil examina les preuves et
entendit plusieurs saints témoigner des actions d’Oliver. Joseph se
leva, parla de son ancienne confiance en ce dernier et, en réponse à
ses accusations, expliqua sa relation avec Fanny Alger.
Après avoir entendu d’autres témoignages, le conseil discuta du cas
d’Oliver. Comme lui, ils chérissaient les principes du libre arbitre et
de la liberté. Néanmoins, depuis près d’une décennie, le Seigneur avait
aussi exhorté les saints à être unis, à mettre de côté leurs désirs
personnels pour consacrer ce qu’ils avaient à l’édification du royaume
de Dieu.
Oliver s’était détourné de ces principes et se reposait plutôt sur son
propre jugement, traitant l’Église, ses dirigeants et les commandements
du Seigneur avec mépris. Après avoir examiné les accusations une fois
de plus, l’évêque Partridge et son conseil prirent la décision
douloureuse d’excommunier Oliver de l’Église.
Dans la vallée de la Ribble, en Angleterre, le printemps mit fin au
grand froid de l’hiver. Voyageant à travers de verts pâturages près
d’une ville voisine de Walkerfold, Willard Richards cueillit une petite
fleur blanche d’une haie qui bordait la route. Il visitait les branches
de l’Église de la région et comptait écouter Heber Kimball et Orson
Hyde prêcher cet après-midi-là, lors d’une réunion à huit kilomètres de
là.
Depuis son arrivée en Angleterre, huit mois auparavant, Willard et ses
collègues avaient baptisé plus de mille personnes dans les villes et
les villages de la vallée. Beaucoup de nouveaux membres étaient de
jeunes ouvrières et ouvriers attirés par le message d’espoir et de paix
de l’Évangile de Jésus-Christ. Les manières simples d’Heber les
mettaient à l’aise et il gagnait rapidement leur confiance.
Mieux instruit qu’Heber et formé en médecine naturelle, il manquait à
Willard l’attrait du parler direct de son collègue missionnaire, lequel
devait lui rappeler parfois de simplifier son message et de se
concentrer sur les premiers principes de l’Évangile. Mais Willard avait
établi une branche forte de l’Église au sud de Preston, près de la
ville de Manchester, en dépit de l’opposition. De nombreuses personnes
qu’il avait baptisées travaillaient de longues heures dans des usines
où l’air était vicié et le salaire déplorable. En entendant l’Évangile
rétabli, elles ressentirent l’Esprit et se réjouirent de sa promesse
que le jour de la venue du Seigneur était proche.
En arrivant chez un membre de l’Église, Willard entra dans la cuisine
et suspendit la fleur blanche juste avant que deux jeunes filles
n’entrent dans la pièce. Il apprit que l’une d’elles était Jennetta
Richards.
Il avait entendu parler d’elle. Bien qu’ils aient le même nom de
famille, ils n’étaient pas parents. Lorsqu’elle était devenue membre de
l’Église, Heber avait écrit à Willard à son sujet. Il avait noté : «
Aujourd’hui, j’ai baptisé ta femme. »
Avec ses trente-trois ans, Willard était nettement plus âgé que la
plupart des hommes célibataires de l’Église. Il ne savait pas ce
qu’Heber avait dit à Jennetta à son sujet (en admettant qu’il ait dit
quelque chose).
Puisque les jeunes filles se rendaient à la même réunion que lui, il
les accompagna à pied, ce qui leur donna amplement le temps de bavarder.
Pendant qu’ils marchaient, il dit : « Richards est un joli nom. Je ne
veux jamais en changer. » Puis il ajouta audacieusement : « Et vous,
Jennetta ? »
Elle répondit : « Moi non plus. Et je pense que je n’en changerai
jamais. »
Après cela, Willard et Jennetta passèrent davantage de temps ensemble.
Ils étaient tous les deux à Preston quelques semaines plus tard lorsque
Heber et Orson annoncèrent qu’ils retournaient aux États-Unis.
Comme ils se préparaient à partir, les apôtres organisèrent une
conférence pendant une journée entière dans un grand bâtiment où les
saints de Preston se réunissaient souvent. Entre les sermons et les
cantiques, les missionnaires confirmèrent quarante personnes, bénirent
plus de cent enfants et ordonnèrent plusieurs hommes à la prêtrise.
Avant de dire au revoir aux saints, Heber et Orson mirent Joseph
Fielding à part comme nouveau président de la mission et appelèrent
Willard et un jeune commis d’usine du nom de William Clayton comme
conseillers. Puis, en signe d’unité entre les saints d’Angleterre et
d’Amérique, ils serrèrent la main de la nouvelle présidence
Ce printemps-là, à Far West, le prophète reçut une révélation. Le
Seigneur dit aux saints : « Levez-vous, brillez, afin que votre lumière
soit une bannière pour les nations. » Il proclama que le nom de
l’Église serait l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jour
et affirma que Far West était une terre sainte et consacrée.
Il déclara : « Ma volonté est que la ville de Far West soit construite
rapidement par le rassemblement de mes saints ; et aussi que d’autres
lieux soient désignés pour être des pieux dans les régions alentour. »
Il commanda aux saints de construire un temple à Far West et d’en poser
les fondations le 4 juillet 1838.
Peu de temps après, Joseph et plusieurs hommes se rendirent au comté de
Daviess, au nord du comté de Caldwell, pour visiter une colonie de
membres de l’Église dans un endroit appelé Spring Hill. Joseph espérait
que la région serait un lieu de rassemblement convenable pour les
saints arrivant au Missouri.
Bien que le comté de Caldwell eût été créé spécialement pour les saints
des derniers jours, le gouvernement avait déjà arpenté la plupart des
terres, ce qui les rendait trop chères pour les saints les plus
pauvres. Dans le comté de Daviess, par contre, de vastes étendues de
terres inhabitées n’avaient pas encore été arpentées. Les membres de
l’Église pouvaient s’y installer gratuitement et d’ici à ce que le
gouvernement arpente la région, ils auraient déjà travaillé les terres
et obtenu suffisamment d’argent pour les acheter.
Déplacer les saints dans le comté voisin comportait toutefois des
risques. Croyant qu’ils avaient promis de se cantonner au comté de
Caldwell, certains hommes du comté de Daviess avaient averti les saints
de la région qu’ils ne devaient pas s’y installer, mais comme aucune
loi ne les en empêchait, les protestations cessèrent rapidement.
Tandis qu’il voyageait vers le nord, Joseph s’émerveillait de la beauté
de la région qui l’entourait. D’après ce qu’il voyait, le comté de
Daviess offrait une liberté sans limite ainsi que tout ce dont les
saints avaient besoin pour établir de nouvelles colonies.
Bien que la plaine fût faiblement boisée, le gibier paraissait
abondant. Joseph vit des dindes, des poules, des cerfs et des wapitis
sauvages. Des ruisseaux et des rivières préservaient la richesse et la
fertilité des terres. La Grand River, la plus grande rivière du comté,
était suffisamment large et profonde pour permettre à un bateau à
vapeur d’y circuler, ce qui faciliterait les voyages et le commerce
pour les saints qui se rassemblaient.
Joseph et ses compagnons poussèrent leurs chevaux le long des berges du
fleuve sur une quinzaine de kilomètres jusqu’à Spring Hill. La petite
colonie était située à la base d’un promontoire surplombant une vallée
verdoyante et spacieuse. Lyman Wight, le dirigeant de l’avant-poste,
gagnait modestement sa vie en exploitant un bac sur la Grand River.
Les hommes escaladèrent le promontoire et installèrent leur campement,
puis ils redescendirent jusqu’au bac. Joseph revendiqua la région pour
les saints et dit qu’il voulait bâtir une ville près du fleuve. Le
Seigneur lui révéla que cette vallée était celle d’Adam-ondi-Ahman, où
Adam, le premier homme, avait béni ses enfants avant de mourir. Joseph
expliqua que dans cette vallée, comme le prophète Daniel l’avait
prophétisé, Adam viendrait rendre visite à son peuple lorsque le
Sauveur reviendrait sur la terre.
La colonie était tout ce que Joseph avait espéré. Le 28 juin 1838, dans
un bosquet près de chez Lyman, il organisa un nouveau pieu de Sion sur
la terre sacrée et commanda aux saints de se rassembler.
CHAPITRE 27 : Nous revendiquons la liberté
Mi-juin 1838, Wilford Woodruff se tenait sur le seuil de la maison de
ses parents, déterminé une fois de plus à leur parler de l’Évangile
rétabli de Jésus-Christ. Après avoir organisé une branche sur les îles
Fox, il était revenu sur le continent pour rendre visite à Phebe, qui
allait bientôt donner naissance à leur premier enfant. Il avait ensuite
passé du temps à prêcher à Boston, à New York et dans d’autres villes
le long de la côte. La maison de ses parents était son dernier arrêt
avant de retourner dans le Nord.
Wilford n’avait d’autre désir que celui de voir sa famille embrasser la
vérité. Son père, Aphek, avait passé sa vie à la rechercher en vain. Sa
sœur Eunice aspirait aussi à davantage de lumière dans sa vie. Mais en
parlant pendant plusieurs jours avec eux au sujet de l’Église, il
sentit que quelque chose les empêchait d’accepter ses enseignements.
Il nota : « Ce sont des jours de grande incertitude. » Son temps chez
eux était compté. S’il y restait plus longtemps, il risquait de manquer
la naissance du bébé.
Wilford pria plus intensément pour sa famille mais elle devint encore
plus réticente à accepter le baptême. Il confia dans son journal : « Le
diable est tombé sur toute la maisonnée avec une grande colère et de
grandes tentations. »
Le 1er juillet, il instruisit encore une fois sa famille, annonçant les
paroles du Christ avec autant de ferveur que possible. Enfin, ses
propos atteignirent le cœur des siens et leurs inquiétudes se
dissipèrent. Ils ressentirent l’Esprit de Dieu et surent que Wilford
avait dit la vérité. Ils étaient prêts à agir.
Wilford les conduisit immédiatement vers un canal près de chez eux. Au
bord de l’eau, ils chantèrent un cantique et il offrit une prière. Il
entra ensuite dans l’eau et baptisa son père, sa belle-mère et sa sœur,
ainsi qu’une tante, un cousin et un ami de la famille.
Lorsqu’il sortit la dernière personne de l’eau, Wilford remonta sur la
rive du canal en se réjouissant. Il se dit : « N’oublie pas cela.
Considère ce moment comme une grâce de ton Dieu. »
Les cheveux et les vêtements dégoulinants, ils rentrèrent à la maison.
Wilford imposa les mains à chacun d’eux et les confirma membres de
l’Église.
Deux jours plus tard, il dit au revoir à ses parents et se hâta de
regagner le Maine, espérant arriver à temps pour accueillir son premier
enfant dans le monde.
Ce printemps et cet été-là, les saints se rassemblèrent en masse au
Missouri. John Page, un missionnaire qui avait connu un succès énorme
au Canada, partit pour Sion à la tête d’une grande compagnie de
convertis de la région de Toronto. À Kirtland, le collège des
soixante-dix, œuvrait pour préparer les familles pauvres à voyager
ensemble jusqu’au Missouri. En partageant leurs ressources et en
s’entraidant le long du chemin, ils espéraient arriver sains et saufs
en terre promise.
Les saints de Far West organisèrent un défilé le 4 juillet pour
célébrer la fête nationale et poser les pierres angulaires du nouveau
temple. En tête du défilé se trouvaient Joseph Smith, père, et une
petite unité militaire. Derrière eux venaient la Première Présidence et
d’autres dirigeants de l’Église, y compris l’architecte du temple. Une
unité de cavalerie fermait fièrement la marche.
En défilant avec les saints, Sidney Rigdon voyait bien qu’ils étaient
unis. Ces dernières semaines, l’Église avait pourtant pris des mesures
disciplinaires à l’encontre d’autres dissidents. Peu après l’audience
d’Oliver, le grand conseil avait excommunié David Whitmer et Lyman
Johnson. Peu de temps après, le conseil de l’évêque avait réprimandé
William McLellin pour sa perte de confiance en la Première Présidence
et pour s’être livré à des désirs lascifs.
Depuis, ce dernier avait quitté l’Église et déménagé loin de Far West
mais Oliver, David et d’autres dissidents étaient restés dans la
région. En juin, Sidney avait condamné publiquement ces hommes. Faisant
écho au langage du sermon sur la montagne, il les avait comparés à du
sel qui avait perdu sa saveur, n’étant plus bon à rien qu’à être jeté
dehors et foulé aux pieds. Ensuite, Joseph avait appuyé la réprimande
tout en exhortant les saints à obéir à la loi lorsqu’ils avaient
affaire à de la dissidence.
Le sermon de Sidney en avait enhardi certains qui s’étaient ligués une
semaine plus tôt pour défendre l’Église contre les dissidents. Ces
hommes portaient plusieurs noms mais ils étaient mieux connus sous
celui de Danites, d’après la tribu de Dan dans l’Ancien Testament. Ce
ne fut pas Joseph qui organisa le groupe mais il sanctionna
probablement certaines de ses actions.
Dans leur ardeur à défendre l’Église, les Danites firent le vœu de
protéger les saints contre ce qu’ils considéraient être des menaces
venant de l’intérieur et de l’extérieur de l’Église. Beaucoup d’entre
eux avaient vu comment la dissidence avait causé l’effondrement de la
communauté à Kirtland, mis Joseph et d’autres personnes en danger
d’attaques d’émeutiers et mis en péril les idéaux de Sion. Ensemble,
ils s’engagèrent à protéger la collectivité de Far West contre toute
menace similaire.
À peu près à l’époque de la condamnation publique des dissidents par
Sidney, les Danites avaient averti Oliver, David et d’autres que s’ils
ne quittaient pas le comté de Caldwell, ils en subiraient de graves
conséquences. En l’espace de quelques jours à peine, les hommes avaient
fui la région pour de bon.
Lorsque la parade du 4 juillet arriva sur la place de la ville, les
saints hissèrent le drapeau américain au sommet d’une longue perche et
firent le tour du site du temple. Depuis le bord de l’excavation faite
pour les fondations, ils regardèrent les ouvriers mettre soigneusement
en place les pierres angulaires. Sidney monta ensuite sur une estrade
voisine pour s’adresser à l’assemblée.
Suivant la tradition américaine des discours enflammés et émotionnels
de la fête nationale, Sidney parla avec véhémence aux saints de
liberté, des persécutions qu’ils avaient endurées et du rôle important
des temples dans leur éducation spirituelle. À la fin du discours, il
avertit les ennemis de l’Église de laisser les saints tranquilles.
Il affirma : « Nos droits ne seront plus foulés aux pieds en toute
impunité. L’homme ou le groupe d’hommes qui s’y essayera le fera aux
dépens de sa vie. »
Il assura à son auditoire que les saints ne seraient pas les agresseurs
mais qu’ils défendraient leurs droits. Il s’écria : « Si des émeutiers
viennent nous attaquer, cela déclenchera une guerre d’extermination car
nous les poursuivrons jusqu’à ce que la dernière goutte de leur sang
soit versée ou qu’ils nous aient exterminés. »
Les saints n’abandonneraient plus leurs maisons et leurs récoltes. Pas
plus qu’ils ne supporteraient passivement leurs persécutions. Sidney
déclara : « Aujourd’hui nous revendiquons la liberté avec une
détermination inébranlable ! Non, jamais nous ne céderons !! »
Les saints acclamèrent : « Hosanna ! Hosanna ! »
Tandis que les saints se rassemblaient à Far West, un missionnaire
appelé Elijah Able prêchait dans l’est du Canada, à des centaines de
kilomètres. Une nuit, il fit un rêve troublant. Il vit Eunice Franklin,
une femme qu’il avait baptisée à New York, assaillie par des doutes au
sujet du Livre de Mormon et de Joseph Smith. Son incertitude
l’empêchait de dormir. Elle ne mangeait plus. Elle avait l’impression
qu’on avait abusé d’elle.
Elijah partit immédiatement pour New York. Ce printemps-là, il avait
rencontré Eunice et son mari, Charles, en prêchant dans leur ville. Son
sermon avait été brusque et sans manières. En tant que noir né dans la
pauvreté, il avait eu peu d’occasions de s’instruire.
Mais, comme d’autres missionnaires, il avait été ordonné à la Prêtrise
de Melchisédek, avait participé aux ordonnances du temple de Kirtland
et avait reçu la dotation de pouvoir. Ce qui lui manquait en
instruction, il le compensait en foi et en puissance de l’Esprit.
Son sermon avait enthousiasmé Eunice mais Charles s’était ensuite levé
et lui avait cherché querelle. Elijah s’était approché de lui, lui
avait mis la main sur l’épaule et avait dit : « Demain, je viendrai
vous voir et nous en discuterons. »
Le lendemain, Elijah avait rendu visite aux Franklin et leur avait
parlé de Joseph Smith mais Charles était resté sceptique.
Elijah demanda : « C’est d’un signe dont vous avez besoin pour vous
convaincre ? »
Charles répondit : « Oui. »
Elijah lui dit : « Vous aurez ce que vous avez demandé, mais cela vous
fera de la peine. »
Lorsqu’Elijah revint peu de temps après, il apprit que Charles avait
subi beaucoup de chagrins avant de finalement prier pour obtenir le
pardon. Depuis, Eunice et lui étaient prêts à se joindre à l’Église et
Elijah les baptisa.
Eunice était sûre de sa foi à l’époque. Que lui était-il arrivé depuis ?
Peu de temps plus tard, un dimanche matin, Eunice eut la surprise de
trouver Elijah debout sur le seuil de sa porte. Elle avait préparé une
liste de choses à lui dire quand elle le reverrait. Elle voulait lui
dire que le Livre de Mormon était une invention et que Joseph Smith
était un faux prophète. Mais au lieu de cela, quand elle le vit à sa
porte, elle l’invita à l’intérieur.
Elijah lui dit, après quelques échanges : « Sœur, vous n’avez pas été
tentée aussi longtemps que le Sauveur l’a été après son baptême. Il
était tenté d’une manière et vous d’une autre. » Il dit à Eunice et
Charles qu’il allait prêcher l’après-midi dans une école des environs.
Il leur demanda de le dire à leurs voisins puis leur dit au revoir.
Eunice ne voulait pas aller à la réunion mais dans l’après-midi, elle
se tourna vers son mari et dit : « J’irai pour voir ce qu’il en
ressort. »
Lorsqu’elle prit place dans l’école, elle fut de nouveau touchée par
les paroles d’Elijah. Il prêcha à partir d’un verset du Nouveau
Testament. On y lisait : « Bien-aimés, ne soyez pas surpris, comme
d’une chose étrange qui vous arrive, de la fournaise qui est au milieu
de vous pour vous éprouver. » La voix d’Elijah et le message de
l’Évangile rétabli ouvrirent le cœur d’Eunice à l’Esprit. La certitude
qu’elle avait eue un jour l’inonda à nouveau. Elle sut que Joseph Smith
était un prophète de Dieu et que le Livre de Mormon était vrai.
Elijah lui promit qu’il reviendrait dans deux semaines. Mais après son
départ, elle vit des prospectus dans la ville accusant faussement
Elijah du meurtre d’une femme et de cinq enfants. Une récompense était
offerte pour sa capture.
Certains de ses voisins lui demandèrent : « Et maintenant, que
penses-tu de ton missionnaire mormon ? » Ils juraient qu’Elijah serait
arrêté avant d’avoir une autre occasion de prêcher dans leur ville.
Eunice ne croyait pas qu’il eût assassiné qui que ce soit. Elle dit : «
Il viendra remplir sa mission et Dieu le protégera. »
Elle soupçonnait les ennemis de l’Église d’avoir inventé l’histoire. Il
n’était pas rare pour des blancs de répandre des mensonges au sujet des
noirs, même dans les endroits où l’esclavage était illégal. Des lois et
des coutumes strictes limitaient les interactions entre les blancs et
les noirs et parfois les gens trouvaient des moyens cruels de les
appliquer.
Comme promis, Elijah revint au bout de deux semaines pour faire un
autre sermon. L’école était bondée. Tout le monde, semblait-il, voulait
le voir arrêté ou pire.
Il prit place. Après quelques instants, il se leva et dit : « Mes amis,
on raconte que j’ai assassiné une femme et cinq enfants et une grande
récompense est offerte pour ma capture. Maintenant me voilà. »
Eunice regarda autour d’elle. Personne ne bougea.
Elijah continua : « Si quelqu’un a quelque chose à voir avec moi, c’est
le moment. Mais une fois que j’aurai commencé à prêcher, ne vous avisez
pas de porter la main sur moi. »
Elijah se tut, attendant une réaction. L’assemblée le dévisagea dans un
silence surpris. Au bout d’un moment il chanta un cantique, offrit une
prière et fit un sermon puissant.
Avant de quitter la ville, il parla à Eunice et Charles. Il leur fit la
recommandation suivante : « Vendez tous vos biens et allez plus loin
vers l’ouest. » Les préjugés contre les saints augmentaient dans la
région et il y avait une branche de l’Église soixante kilomètres plus
loin. Le Seigneur ne voulait pas que son peuple vive sa religion seul.
Eunice et Charles suivirent ses conseils et rejoignirent peu après la
branche.
Au Missouri, Joseph était optimiste quant à l’avenir de l’Église. Il
publia le discours prononcé le 4 juillet par Sidney dans une brochure.
Il voulait que tous les habitants du Missouri sachent que les saints ne
se laisseraient plus intimider par des émeutiers et des dissidents.
Néanmoins de vieux problèmes le taraudaient. Une grande partie de la
dette de l’Église n’était pas réglée et beaucoup de saints étaient
démunis du fait des persécutions continuelles, des problèmes
économiques nationaux, de la faillite financière de Kirtland et du
déménagement coûteux au Missouri. En outre, le Seigneur avait interdit
à la Première Présidence d’emprunter davantage d’argent. L’Église avait
besoin de fonds mais n’avait toujours pas de système fiable pour les
collecter.
Récemment, les évêques de l’Église, Edward Partridge et Newel Whitney,
avaient proposé la dîme comme moyen d’obéir à la loi de consécration.
Joseph savait que les saints devaient consacrer leurs biens mais il ne
savait pas quelle portion le Seigneur exigeait en dîme.
Il s’inquiétait aussi du Collège des Douze. Deux jours plus tôt, une
lettre d’Heber Kimball et Orson Hyde était parvenue à Far West,
signalant que les deux apôtres étaient arrivés sains et saufs à
Kirtland après leur mission en Angleterre. Heber avait retrouvé Vilate
et leurs enfants et ils se préparaient maintenant à venir s’installer
au Missouri. Six autres apôtres, Thomas Marsh, David Patten, Brigham
Young, Parley et Orson Pratt et William Smith, étaient au Missouri ou
en mission, toujours fermes dans la foi. Mais les quatre apôtres
restants avaient quitté l’Église, laissant des postes vacants dans le
Collège.
Le 8 juillet, Joseph et d’autres dirigeants prièrent au sujet de ces
problèmes et reçurent un flot de révélations. Le Seigneur désigna un
saint dénommé Oliver Granger pour représenter la Première Présidence
dans la liquidation des dettes de l’Église. Les propriétés que les
saints avaient abandonnées à Kirtland allaient être vendues et
décomptées de la dette.
Le Seigneur répondit ensuite aux questions de Joseph sur la dîme. « Je
requiers d’eux qu’ils remettent entre les mains de l’évêque de mon
Église, en Sion, tout le surplus de leurs biens, pour la construction
de ma maison, pour la pose des fondations de Sion. » Après avoir offert
ce dont ils pouvaient se passer, continuait le Seigneur, les saints
devaient payer un dixième de leurs revenus année après année.
« Si mon peuple n’observe pas cette loi pour la sanctifier […], il ne
sera pas pour vous un pays de Sion. »
Concernant les Douze, le Seigneur commanda à Thomas Marsh de rester à
Far West pour aider aux publications de l’Église et appela les autres
apôtres à prêcher. Le Seigneur promit : « S’ils le font en toute
humilité de cœur, avec douceur, modestie et longanimité, […] je
pourvoirai aux besoins de leurs familles et dorénavant une porte
efficace leur sera ouverte. »
Le Seigneur voulait que les Douze partent à l’étranger l’année
suivante. Il commanda au Collège de se réunir sur le site du temple de
Far West le 26 avril 1839, un peu moins d’un an plus tard, et de partir
de là pour une autre mission en Angleterre.
Finalement, le Seigneur nomma quatre hommes pour remplir les postes
vacants du Collège. Deux nouveaux apôtres, John Taylor et John Page,
étaient au Canada. Un autre, Willard Richards, était dans la présidence
de mission d’Angleterre. Le quatrième, Wilford Woodruff, était dans le
Maine, à quelques jours seulement de devenir père.
Phebe Woodruff donna naissance à une fille, Sarah Emma, le 14 juillet.
Wilford était fou de joie que le bébé soit en bonne santé et que sa
femme ait supporté l’accouchement. Pendant qu’elle récupérait, Wilford
tuait le temps en faisant des travaux pour Sarah, la sœur veuve de
Phebe. Il rapporta dans son journal : « J’ai passé la journée à tondre
la pelouse. C’était une tâche assez nouvelle et le soir j’étais
fatigué. »
Quelques jours plus tard, un message de Joseph Ball, un missionnaire
travaillant dans les îles Fox, rapportait que des dissidents de
Kirtland avaient écrit aux convertis de Wilford pour tenter d’ébranler
leur foi. La plupart d’entre eux avaient ignoré les lettres mais
certains avaient quitté l’Église, notamment des personnes que Wilford
voulait emmener au Missouri plus tard cette année-là.
Deux semaines après la naissance de Sarah Emma, Wilford se rendit
précipitamment dans les îles Fox afin de fortifier les saints et de les
aider à se préparer au voyage vers Sion. En quittant le chevet de
Phebe, Wilford pria : « Ô mon Dieu, permets-moi de réussir. En mon
absence, bénis ma femme et le bébé que tu nous as donné. »
Lorsqu’il arriva dans les îles un peu plus d’une semaine plus tard, une
lettre de Thomas Marsh au Missouri l’attendait. Elle disait : « Le
Seigneur a commandé que les Douze se rassemblent dès que possible en ce
lieu. Sachez par la présente, frère Woodruff, que vous êtes appelé à
remplir le poste de l’un des douze apôtres. » Le Seigneur exigeait que
Wilford vienne à Far West dès que possible pour se préparer à partir en
mission en Angleterre.
Wilford n’était pas entièrement surpris par la nouvelle. Quelques
semaines auparavant, il avait reçu l’inspiration qu’il allait être
appelé comme apôtre mais il ne l’avait dit à personne. Tout de même, il
était resté éveillé cette nuit-là, un millier de pensées se bousculant
dans son esprit.
CHAPITRE 28 : Nous avons essayé suffisamment
longtemps
Le 6 août 1838 était le jour des élections au Missouri. Ce matin-là,
John Butler se rendit à Gallatin, siège du gouvernement du comté de
Daviess, pour voter.
Il était membre de l’Église depuis quelques années. Cet été-là, sa
femme, Caroline, et lui avaient emménagé dans une petite colonie près
d’Adam-ondi-Ahman. Il était capitaine dans la milice locale et Danite.
Fondée juste un an auparavant, Gallatin n’était guère plus qu’un
regroupement de maisons et de bars. Lorsqu’il arriva sur la place du
village, il la trouva grouillant d’habitants de tout le comté. Un
bureau de vote avait été installé dans une petite maison en bordure de
la place. Pendant que les hommes faisaient la queue pour voter, les
candidats se mêlaient à la foule à l’extérieur.
John se joignit à un petit groupe de saints qui se tenaient à l’écart
de l’attroupement principal. Dans le comté de Daviess, l’opinion
générale n’avait jamais été en faveur des saints. Après que Joseph
avait établi un pieu à Adam-ondi-Ahman, la colonie avait prospéré et
plus de deux cents maisons avaient été construites. Les saints étaient
maintenant en mesure d’influencer le vote du comté et cela contrariait
de nombreux colons. Pour éviter les problèmes, John et ses amis avaient
prévu de voter ensemble et de rentrer rapidement chez eux.
Lorsque John s’approcha du bureau de vote, William Peniston, candidat
au poste de représentant de l’État, grimpa sur un baril de whisky pour
faire un discours. Plus tôt cette année-là, il avait essayé de
courtiser le vote des saints mais lorsqu’il avait appris que la plupart
préféraient l’autre candidat, il s’était déchaîné contre eux.
Il hurla à l’attention des hommes assemblés : « Les dirigeants mormons
sont un lot de voleurs de chevaux, de menteurs et de faussaires. » Cela
mit John mal à l’aise. Il ne faudrait pas grand chose pour que William
dresse la foule contre ses amis et lui. La plupart des hommes étaient
déjà en colère contre eux et beaucoup buvaient du whisky depuis
l’ouverture du scrutin.
William avertit les électeurs que les saints allaient leur voler leurs
biens et provoquer un raz-de-marée électoral. Ils n’étaient pas les
bienvenus dans le comté et, dit-il, n’avaient aucun droit de participer
aux élections. Se tournant vers John et les autres saints, il
fanfaronna : « J’ai dirigé un groupe d’émeutiers pour vous chasser du
comté de Clay et je ne ferai rien pour empêcher qu’on vous attaque
maintenant .»
Le whisky circulait parmi la foule. John entendit des hommes maudire
les saints. Il commença à reculer. Il mesurait plus d’un mètre
quatre-vingts et était solidement bâti mais il était venu à Gallatin
pour voter et non pour se battre.
Soudain, un homme tenta de donner un coup de poing à l’un des saints
des derniers jours. Un autre saint bondit pour le défendre mais la
foule le renversa. Un troisième attrapa un morceau de bois sur une pile
voisine et frappa l’attaquant sur la tête. L’homme tomba aux pieds de
John. Des deux côtés, des hommes attrapèrent des gourdins et sortirent
des couteaux et des fouets.
Les saints se retrouvaient à quatre contre un mais John était décidé à
protéger ses amis et leurs dirigeants. Repérant une pile de traverses
de clôture, il attrapa un solide morceau de chêne et se rua dans la
mêlée. Il s’écria : « Ah oui, les Danites, voilà un travail pour nous !
»
Il frappa les hommes qui attaquaient les saints, mesurant chacun de ses
gestes pour assommer et non tuer ses adversaires. Ses amis se
défendirent également, improvisant des armes avec des bâtons et des
pierres. Ils assommèrent tous ceux qui se jetaient sur eux, mettant fin
à la bagarre en deux minutes.
Reprenant son souffle, John balaya la place du regard. Des hommes
blessés étaient allongés sur le sol, immobiles. D’autres s’échappaient
furtivement. William Peniston avait sauté de son baril de whisky et
s’était enfui vers une colline voisine.
Un homme de la foule s’approcha de John et dit que les saints pouvaient
maintenant voter. Il dit : « Posez votre bâton. Il ne sert plus à rien.
»
John agrippa la traverse plus fermement. Il voulait voter mais il
savait qu’on le piégerait s’il entrait désarmé dans la petite maison et
essayait de le faire. Au lieu de cela, il se retourna et commença de
s’éloigner.
Un autre homme cria : « Nous devons vous faire prisonnier. » Il dit que
certains de ceux que John avait frappés allaient probablement mourir.
Ce dernier dit : « Je suis un homme respectueux des lois mais je n’ai
pas l’intention d’être jugé par une bande d’émeutiers. » Il remonta en
selle et quitta la ville.
Le lendemain, il se rendit à Far West et informa Joseph de la bagarre.
Des bruits de décès à Gallatin circulèrent rapidement dans tout le nord
du Missouri et des émeutiers se préparèrent à attaquer les saints.
Craignant que John ne soit la cible de représailles, Joseph lui demanda
s’il avait déjà évacué sa famille hors du comté de Daviess.
Il répondit que non.
Joseph lui dit : « Alors vas-y et évacue-la immédiatement. Ne dormez
pas une nuit de plus là-bas. »
John répondit : « Mais je n’aime pas être un lâche. »
Joseph dit : « Va et fais ce que je te dis. »
John se rendit immédiatement chez lui et Joseph chevaucha rapidement
avec un groupe de volontaires armés pour défendre les saints du comté
de Daviess. Quand ils arrivèrent à Adam-ondi-Ahman, ils apprirent que
la bagarre de Gallatin n’avait fait aucune victime ni d’un côté ni de
l’autre. Soulagé, Joseph et son groupe passèrent la nuit chez Lyman
Wight.
Le lendemain matin, Lyman et un groupe de saints armés se rendirent
chez Adam Black, le juge de paix local. Des rumeurs affirmaient qu’il
rassemblait des émeutiers pour attaquer les saints. Lyman voulait qu’il
signe une déclaration disant qu’il garantirait un traitement équitable
des saints dans le comté de Daviess mais il refusa.
Plus tard ce jour-là, Joseph et plus de cent saints retournèrent chez
Black. Sampson Avard, un chef danite de Far West, entra avec trois de
ses hommes dans la petite maison et tenta d’obliger le juge de paix à
signer la déclaration. Black refusa de nouveau, exigeant de voir
Joseph. À ce stade, le prophète se joignit aux négociations et régla la
question pacifiquement, acceptant de laisser le juge rédiger et signer
sa propre déclaration.
Mais la paix ne dura pas longtemps. Peu de temps après la réunion,
Black exigea que Joseph et Lyman soient arrêtés pour avoir encerclé sa
cabane avec des forces armées et l’avoir menacé. Joseph évita
l’arrestation en demandant à être jugé dans le comté de Caldwell où il
résidait et non dans celui de Daviess où tant de citoyens étaient
révoltés contre les saints.
Entre-temps, dans tout le nord du Missouri, les gens organisaient des
réunions pour discuter des bruits venus de Gallatin et du nombre
croissant de saints qui s’installaient chez eux. De petits groupes
d’émeutiers vandalisaient les maisons et les granges de membres de
l’Église et prenaient leurs colonies avoisinantes pour cible.
Début septembre, pour apaiser les tensions, Joseph retourna au comté de
Daviess pour répondre aux accusations portées contre lui. Pendant
l’audience, Black admit que Joseph ne l’avait pas forcé à signer la
déclaration. Malgré cela, le juge ordonna au prophète de revenir dans
deux mois pour un procès.
Les saints avaient des alliés dans le gouvernement du Missouri et
bientôt la milice de l’État fut rassemblée pour disperser les groupes
d’autodéfense. Mais les habitants du comté de Daviess et des environs
étaient toujours décidés à les chasser hors de leurs frontières.
Joseph écrivit à un ami : « Au Missouri, les oppresseurs des saints ne
dorment pas. »
On était au dernier jour du mois d’août et Phebe et Wilford Woodruff
chevauchaient le long d’une plage de sable blanc à proximité de la
maison des parents de Phebe, dans le Maine. C’était marée basse. Les
vagues de l’océan Atlantique roulaient et s’écrasaient sur le rivage.
Non loin de l’horizon, des bateaux glissaient silencieusement, leurs
lourdes voiles gonflées par la brise. Un vol d’oiseaux décrivit un
cercle au-dessus d’eux et se posa sur l’eau.
Arrêtant son cheval, Phebe en descendit et ramassa des coquillages
dispersés sur le sable. Elle voulait les emporter en souvenir lorsque
Wilford et elle partiraient vers l’ouest s’installer en Sion. Phebe
avait vécu près de l’océan la majeure partie de sa vie et les
coquillages faisaient partie du paysage qui lui était familier.
Depuis son appel au Collège des Douze, Wilford était impatient
d’arriver au Missouri. Sa visite récente dans les îles Fox n’avait duré
que le temps d’exhorter le petit groupe de saints à accompagner sa
femme et lui en Sion. Il était déçu en revenant sur le continent.
Certains membres de la branche avaient accepté de les accompagner.
D’autres, notamment Justus et Betsy Eames, les premières personnes
baptisées sur les îles, ne suivraient pas.
Wilford dit : « Il sera trop tard lorsqu’ils se rendront compte de leur
folie. »
Mais Phebe n’était pas non plus particulièrement pressée de partir.
Elle avait beaucoup aimé vivre de nouveau avec ses parents. Leur maison
était confortable, chaleureuse et familière. Si elle restait dans le
Maine, elle ne serait jamais loin de sa famille et de ses amis. Le
Missouri, en revanche, était à deux mille cinq cents kilomètres. Si
elle partait, elle risquait de ne plus les revoir. Était-elle prête à
faire ce sacrifice ?
Phebe se confia à Wilford. Il compatissait avec son chagrin de quitter
sa famille mais il n’était pas aussi attaché qu’elle à son foyer. Il
savait, comme elle, que Sion était un lieu de sécurité et de protection.
Il nota dans son journal : « J’irais au pays de Sion ou n’importe où
ailleurs où Dieu m’enverrait même si je devais pour cela abandonner
autant de pères, de mères, de frères et de sœurs qu’on pourrait en
aligner entre le Maine et le Missouri ; et même si je devais n’avoir
que des herbes bouillies pour me sustenter. »
Pendant le mois de septembre, Phebe et Wilford attendirent que les
membres de la branche des îles Fox arrivent sur le continent pour
commencer leur voyage vers l’ouest. Mais au fil des jours qui
passaient, Wilford s’impatientait en ne les voyant pas venir. L’année
était très avancée. Plus ils retardaient leur départ, plus ils
risquaient de trouver du mauvais temps sur la route.
Phebe avait d’autres raisons d’hésiter. Leur fille, Sarah Emma,
souffrait d’une vilaine toux et Phebe se demandait s’il était sage de
lui faire faire un si long voyage dans le froid. Puis, un rapport
exagéré de la bagarre du jour des élections dans le lointain comté de
Daviess fut publié dans le journal local. La nouvelle surprit tout le
monde.
Les voisins dirent à Phebe et à Wilford : « Il n’est pas prudent de
partir. Vous allez être tués. »
Quelques jours plus tard, une cinquantaine de saints arrivèrent des
îles Fox, prêts à entreprendre le voyage vers Sion. Phebe savait qu’il
était temps de partir, que Wilford devait rejoindre les Douze au
Missouri. Mais elle se sentait très attachée à son foyer et à sa
famille. La route jusqu’au Missouri serait pénible et Sarah Emma
n’était pas encore entièrement rétablie. Et il n’y avait aucune
certitude qu’ils seraient en sécurité une fois qu’ils seraient arrivés
dans leur nouvelle patrie.
Pourtant, elle croyait au rassemblement. Elle avait déjà quitté son
foyer pour suivre le Seigneur et elle était disposée à recommencer.
Lorsqu’elle dit au revoir à ses parents, elle eut l’impression d’être
Ruth dans l’Ancien Testament, abandonnant son foyer et sa famille pour
sa religion.
Aussi difficile que fût le départ, elle plaça sa confiance en Dieu et
grimpa sur le chariot.
Fin septembre, Charles Hales, vingt et un ans, arriva avec un groupe de
saints canadiens à De Witt (Missouri). Un parmi des milliers à répondre
à l’appel à se rassembler en Sion, il avait quitté Toronto avec ses
parents, ses frères et ses sœurs plus tôt cette année-là. De Witt était
à plus de cent kilomètres au sud-est de Far West et offrait aux convois
de chariots un endroit pour se reposer et se réapprovisionner avant de
pousser jusqu’au comté de Caldwell.
Mais lorsque Charles arriva, la ville était assiégée. Environ quatre
cents saints vivaient à De Witt et leurs voisins dans et autour de la
colonie faisaient pression sur eux pour qu’ils quittent la région,
insistant pour qu’ils s’en aillent avant le 1er octobre sous peine
d’être expulsés. George Hinkle, le dirigeant des saints de De Witt,
refusait de partir. Il disait que les saints resteraient et
défendraient leur droit d’habiter là.
Des rumeurs que les Danites se préparaient à déclarer la guerre aux
Missouriens nourrissaient les tensions à De Witt. Beaucoup de citoyens
avaient commencé à se mobiliser et campaient maintenant autour de De
Witt, prêts à attaquer la ville à tout moment. Les saints avaient fait
appel à Lilburn Boggs, gouverneur du Missouri, pour avoir sa protection.
La plupart des saints canadiens, désireux d’éviter les conflits,
continuèrent leur route jusqu’à Far West, mais George demanda à Charles
de rester défendre De Witt contre les émeutiers. Fermier et musicien,
Charles était plus habitué à manier la charrue ou le trombone que le
fusil. Mais George avait besoin d’hommes pour édifier des
fortifications autour de De Witt et préparer le combat.
Le 2 octobre, le lendemain de la date à laquelle les saints devaient
quitter la colonie, les émeutiers commencèrent à tirer sur eux. Au
début, ils ne ripostèrent pas. Mais au bout de deux jours, Charles et
deux douzaines d’hommes prirent position le long de leurs
fortifications et ripostèrent, faisant un blessé.
Les émeutiers chargèrent les fortifications, obligeant Charles et les
autres à se ruer à l’abri dans les maisons de rondins voisines. Les
émeutiers bloquèrent les routes menant à De Witt, privant ainsi les
assiégés de nourriture et d’autres marchandises.
Deux soirs plus tard, le 6 octobre, Joseph et Hyrum Smith se glissèrent
dans la ville avec Lyman Wight et un petit groupe d’hommes armés. Les
saints n’avaient presque plus de vivres ni d’autres provisions. Si le
siège ne prenait pas bientôt fin, la faim et la maladie les
affaibliraient avant que les émeutiers n’aient à tirer un autre coup de
feu.
Lyman était prêt à défendre De Witt jusqu’à la fin mais, après avoir vu
combien la situation était désespérée, Joseph voulut négocier une
solution pacifique. Il était certain que si des Missouriens étaient
tués pendant le siège, les émeutiers fondraient sur la ville et en
extermineraient les occupants.
Joseph demanda l’aide du gouverneur Boggs, faisant appel à un
Missourien amical pour acheminer la demande. Le messager revint quatre
jours plus tard avec la nouvelle que le gouverneur ne les défendrait
pas contre les attaques. Boggs insistait que le conflit était entre eux
et les émeutiers.
Il disait : « Ils doivent régler la question en se battant. »
Avec des ennemis s’assemblant de presque tous les comtés voisins et les
saints ne recevant aucun soutien fiable de la milice de l’État, Joseph
sut qu’il devait mettre un terme au siège. Il détestait céder aux
émeutiers mais les saints de De Witt étaient épuisés et désespérément
inférieurs en nombre. Défendre la colonie plus longtemps pourrait
s’avérer être une erreur fatale. À contrecœur, il décida qu’il était
temps d’abandonner De Witt et de battre en retraite à Far West.
Le matin du 11 octobre, les saints chargèrent le peu de biens qu’ils
pouvaient transporter dans des chariots et se mirent en route à travers
la prairie. Charles voulait les accompagner mais un saint canadien qui
n’était pas encore prêt à partir lui demanda de l’attendre et de
l’aider. Il accepta, pensant que son ami et lui auraient tôt fait de
rattraper le reste du convoi.
Mais lorsqu’ils s’éclipsèrent finalement hors de la ville, son ami fit
demi-tour quand son cheval montra des signes de faiblesse. Réticent à
l’idée de rester plus longtemps en territoire ennemi, Charles partit à
pied dans cette prairie qu’il ne connaissait pas. Il prit la direction
du nord-ouest, celle du comté de Caldwell, n’ayant qu’une vague idée du
chemin à suivre.
Le 15 octobre, quelques jours après l’arrivée des saints de De Witt à
Far West, Joseph convoqua tous les hommes présents dans la ville. Des
centaines de saints s’étaient repliés à Far West, fuyant les hostilités
des émeutiers dans tout le nord du Missouri. Maintenant, beaucoup
d’entre eux vivaient dans des chariots ou des tentes éparpillés dans
toute la ville. Le temps s’était refroidi et ils étaient à l’étroit et
malheureux.
Joseph vit que la situation empirait de façon incontrôlable. Il
recevait des rapports selon lesquels leurs ennemis se rassemblaient de
tous côtés. Quand les émeutiers les avaient attaqués dans les comtés de
Jackson et de Clay, les saints avaient essayé de le supporter
humblement, se retirant des conflits et comptant sur les hommes de loi
et les juges pour rétablir leurs droits. Mais où est-ce que cela les
avait menés ? Il était fatigué d’être harcelé et voulait durcir sa
position contre leurs ennemis. Les saints n’avaient plus de choix.
Joseph cria aux hommes qui l’entouraient : « Nous avons essayé
suffisamment longtemps. Qui est assez insensé pour crier : ‘La loi ! La
loi !’ alors qu’elle est toujours appliquée à nos dépens, jamais en
notre faveur ? »
Les années de terres volées et de crimes impunis à l’encontre des
saints avaient sapé sa confiance aux politiciens et aux hommes de loi
et le refus du gouverneur de les aider ne faisait que consolider cette
opinion. Il dit : « Nous allons régler nos affaires nous-mêmes. Nous
avons fait appel au gouverneur et il ne fera rien pour nous. Nous avons
essayé la milice du comté et elle ne bougera pas. »
Il pensait que l’État lui-même ne valait guère mieux que les émeutiers.
Il dit : « Nous avons capitulé devant les émeutiers à De Witt et
maintenant, ils se préparent à frapper à Daviess. » Il refusait que
quoi que ce soit d’autre soit volé aux saints.
Le prophète déclara qu’ils se défendraient ou qu’ils mourraient en
essayant.
CHAPITRE 29 : Dieu et la liberté
Après la chute de De Witt, les assiégeants partirent en direction du
nord jusqu’à Adam-ondi-Ahman. Dans les comtés voisins, d’autres
émeutiers se rassemblaient pour attaquer Far West et les colonies
situées le long de Shoal Creek, jurant de chasser les saints du comté
de Daviess vers celui de Caldwell et de Caldwell vers l’enfer. Le
général Alexander Doniphan, officier de la milice d’État qui avait
offert une aide juridique à l’Église dans le passé, encouragea vivement
la milice du comté de Caldwell, une unité composée principalement de
saints des derniers jours, à défendre leurs communautés contre les
forces ennemies.
Sachant que les saints du comté de Daviess étaient en grand danger,
Joseph et Sidney commandèrent à la milice du comté de Caldwell et
d’autres hommes armés de se rendre à Adam-ondi-Ahman. Hyrum et Joseph
chevauchèrent avec le groupe en direction du nord.
Le 16 octobre 1838, pendant que les troupes installaient leur campement
à l’extérieur d’Adam-ondi-Ahman, un épais manteau de neige recouvrit le
comté. En aval de la rivière, Agnes Smith se préparait pour la nuit.
Agnes était mariée au plus jeune frère de Joseph, Don Carlos, qui était
absent. Elle était seule dans la maison avec ses deux petites filles.
Peu avant minuit, un groupe d’hommes fit irruption chez elle et
l’encercla. Terrifiée, Agnes rassembla ses filles tandis que les
émeutiers les chassaient dehors, dans la neige, à la pointe de leurs
fusils.
Sans manteaux ni couvertures pour se réchauffer, Agnes et les filles se
blottirent les unes contre les autres pendant que les hommes mettaient
le feu à la maison. L’incendie se propagea rapidement, dégageant une
lourde fumée noire dans le ciel nocturne. Tout ce qu’Agnes possédait
eut tôt fait d’être englouti par les flammes.
Elle savait qu’elle devait s’enfuir. L’endroit le plus sûr était
Adam-ondi-Ahman, à cinq kilomètres seulement, mais il faisait nuit,
elle avait de la neige jusqu’aux chevilles et ses filles étaient trop
petites pour marcher longtemps. Le trajet prendrait des heures mais
quel autre choix avait-elle ? Elle ne pouvait pas rester chez elle.
Une fille sur chaque bras, Agnes marcha péniblement en direction de
l’ouest pendant que les émeutiers chassaient d’autres saints dans la
neige et mettaient le feu à leurs maisons. Elle avait les pieds
mouillés et engourdis par le froid, et elle avait mal aux bras et au
dos à force de porter ses enfants.
Bientôt, elle arriva devant une rivière gelée qui s’étirait sur des
kilomètres de chaque côté. L’eau était profonde mais on pouvait quand
même traverser à gué. Il était dangereux de se mouiller par un froid
pareil mais à quelques kilomètres de là, elle trouverait de l’aide. Il
ne restait plus que cette solution pour mettre ses filles en sécurité.
Les soulevant encore plus haut, elle entra dans l’eau jusqu’à ce que le
courant se referme sur elle et qu’elle en ait jusqu’à la taille.
Très tôt le matin du 17 octobre, Agnes et ses filles arrivèrent en
titubant à Adam-ondi-Ahman, désespérément glacées et fatiguées.
D’autres victimes de l’attaque arrivèrent dans une détresse similaire.
Beaucoup d’entre elles étaient des femmes et des enfants portant
simplement des vêtements de nuit. Elles disaient que les émeutiers les
avaient chassées de leurs terres, avaient incendié leurs maisons et
dispersé leur bétail, leurs chevaux et leurs moutons.
Joseph fut horrifié à la vue des réfugiés. Dans son discours de la fête
nationale, Sidney avait dit que les saints n’attaqueraient pas. Mais si
on laissait le champ libre à leurs ennemis, ce qui était arrivé à De
Witt pourrait se reproduire à Adam-ondi-Ahman.
Espérant affaiblir les émeutiers et mettre rapidement fin au conflit,
les saints décidèrent de marcher sur des colonies voisines qui
soutenaient et équipaient leurs ennemis. Répartissant leurs hommes en
quatre unités, les dirigeants de l’Église et de la milice ordonnèrent
un raid sur Gallatin et sur deux autres colonies. La quatrième unité
patrouillerait la région alentour à pied.
La matinée du lendemain, 18 octobre, fut enveloppée de brouillard.
David Patten partit à cheval d’Adam-ondi-Ahman avec une centaine
d’hommes armés en direction de Gallatin. Lorsqu’ils arrivèrent au
village, ils le trouvèrent désert à l’exception de quelques passants
qui s’enfuirent à leur approche.
Une fois les rues dégagées, les hommes entrèrent par effraction dans le
magasin général et repartirent les bras chargés de vivres et de
fournitures dont les réfugiés avaient besoin à Adam-ondi-Ahman.
Plusieurs hommes sortirent du magasin portant de lourdes caisses et des
tonneaux qu’ils chargèrent sur des chariots qu’ils avaient apportés
avec eux. Lorsque les étagères furent vides, les hommes entrèrent dans
d’autres boutiques et dans des logements, emportant couvertures,
literie, manteaux et vêtements.
Le raid dura plusieurs heures. Une fois qu’ils eurent entassé tout ce
qu’ils pouvaient transporter, les hommes incendièrent le magasin et
d’autres bâtiments et quittèrent le village.
Du haut de la colline surplombant Adam-ondi-Ahman, les saints virent un
ruban de fumée au loin, ondulant dans le ciel au-dessus de Gallatin.
Thomas Marsh, qui était arrivé à la colonie avec la milice, redoutait
de tels signes de conflit, certain que les raids dresseraient le
gouvernement contre l’Église et que des innocents en subiraient les
conséquences. Il pensait que Joseph et Sidney avaient surfait les
menaces d’attaques d’émeutiers dans leurs discours et sermons
enflammés. Même lorsque les réfugiés malmenés avaient déferlé dans le
camp, il avait refusé de croire que les attaques étaient autre chose
que des cas isolés.
Depuis quelque temps, Thomas était rarement d’accord avec Joseph.
L’année précédente, lorsqu’il s’était rendu à Kirtland pour préparer
les apôtres à la mission en Angleterre, il avait été déçu d’apprendre
qu’elle avait commencé sans lui. Le Seigneur lui avait conseillé de
faire preuve d’humilité et de ne pas se rebeller contre le prophète. Il
avait quand même continué de douter de la réussite de la mission
britannique et il doutait qu’elle soit fructueuse sans lui pour la
diriger.
Plus tard, après avoir emménagé au Missouri, sa femme, Elizabeth,
s’était querellée avec une autre femme sur un accord passé entre elles
relatif à un échange de lait pour fabriquer du fromage. L’évêque et le
grand conseil avaient entendu l’affaire et s’étaient prononcés contre
Elizabeth, et Thomas avait fait appel devant Joseph et la Première
Présidence. Eux aussi s’étaient prononcés contre elle.
L’incident avait blessé son orgueil et il avait du mal à cacher sa
rancœur. Il était en colère et il voulait que tout le monde le soit.
Deux fois déjà Joseph lui avait demandé s’il allait apostasier. Il
avait répondu : « Quand tu me verras quitter l’Église, tu verras un
brave gars partir. »
Il ne lui fallut que peu de temps pour en arriver à ne voir que le pire
chez le prophète. Il accusa Joseph de la crise au Missouri et critiqua
sa réaction à la violence. Il connaissait également d’autres personnes
qui partageaient ses sentiments, notamment Orson Hyde dont la foi avait
recommencé à chanceler après son retour d’Angleterre.
Peu après le retour des bandes de pilleurs à Adam-ondi-Ahman, des
rapports arrivèrent annonçant que des émeutiers se rapprochaient de Far
West. Alarmées, les forces armées des saints se hâtèrent de regagner le
comté de Caldwell pour protéger la ville et leurs familles.
Thomas revint avec eux mais pas pour défendre la ville. Au lieu de
cela, il empaqueta ses effets personnels et quitta Far West sous le
couvert de la nuit. Il croyait que le châtiment divin était sur le
point de se déverser sur Joseph et sur les saints qui le suivaient. Il
pensait que si les émeutiers ou le gouvernement rasaient Far West,
c’était parce que Dieu voulait qu’il en soit ainsi.
Voyageant en direction du sud, il cherchait à s’éloigner du Missouri.
Mais avant de quitter l’État, il dut rédiger un document.
Pendant que les raids et les combats faisaient rage dans le nord du
Missouri, Charles Hales était perdu. Après être parti de De Witt, il
avait erré dans la prairie, ne sachant si la route qu’il suivait
conduisait à Far West. Cela faisait des semaines qu’il n’avait pas vu
sa famille. Il n’avait aucun moyen de savoir si elle avait réussi à
atteindre Far West ni si elle était à l’abri des émeutiers.
Ce qu’il avait de mieux à faire était de continuer d’avancer en évitant
toute confrontation directe et d’espérer rencontrer quelqu’un qui
pourrait lui indiquer le bon chemin.
Un soir, il vit un homme récoltant du maïs dans un champ. Il avait
l’air d’être seul et sans armes. S’il était hostile aux saints, le pire
qu’il puisse faire serait de le chasser de ses terres. Mais s’il
s’avérait être amical, il pourrait lui offrir un abri pour la nuit et
de quoi manger.
S’approchant du fermier, Charles demanda s’il pouvait le loger pour la
nuit. Le fermier ne répondit pas à la question mais lui demanda s’il
était mormon.
Sachant que cela pourrait lui coûter un repas et un endroit chaud où
dormir, ce dernier confirma qu’il l’était. Le fermier dit que dans ce
cas, il n’avait rien à lui offrir et lui dit qu’il était très loin de
Far West.
Charles dit au fermier : « Je ne connais absolument rien dans le comté.
» Il expliqua qu’il s’était perdu et qu’il ne pouvait plus continuer de
marcher. Il avait des ampoules aux pieds et en souffrait. Le soleil
était sur le point de se coucher et c’était une nuit froide de plus
dans la prairie qui l’attendait.
Le fermier sembla le prendre en pitié. Il lui raconta que des hommes
étaient restés chez lui pendant le siège de De Witt. C’étaient des
émeutiers et ils lui avaient fait jurer de ne jamais héberger un mormon.
Mais il lui dit où il pourrait trouver refuge dans les environs et lui
indiqua le chemin de Far West. Ce n’était pas grand-chose mais c’était
tout ce qu’il avait à offrir.
Charles remercia l’homme et reprit la route dans la lumière déclinante
du jour.
Le soir du 24 octobre, Drusilla Hendricks regardait avec crainte par la
fenêtre de sa maison au comté de Caldwell. Dans les environs de Far
West, les saints étaient sur le qui-vive. Leurs raids dans le comté de
Daviess avaient retourné beaucoup de leurs alliés de la milice du
Missouri contre eux et ceux-ci les tenaient pour responsables de tout
le conflit. Maintenant, à quelques kilomètres au sud de chez Drusilla,
des émeutiers avaient commencé d’allumer des feux, rendant la prairie
noire de fumée.
Plongés dans l’incertitude, Drusilla et son mari, James, se préparaient
à abandonner leur maison et à s’enfuir à Far West. Sachant que la
nourriture pourrait venir à manquer dans les semaines à venir, ils
ramassèrent les choux de leur jardin, les découpèrent en lanières et
les recouvrirent de sel pour en faire de la choucroute.
Ils travaillèrent jusque tard dans la soirée. Vers vingt-deux heures,
ils allèrent chercher une pierre dans la cour pour tasser les choux et
les maintenir immergés dans la saumure. Marchant derrière James,
Drusilla voyait sa haute silhouette se dessiner distinctement dans la
faible lumière du clair de lune. Elle fut frappée par la hauteur de sa
taille et sursauta quand la pensée lui vint qu’elle pourrait ne plus
jamais le voir se tenir aussi droit.
Plus tard, une fois que le travail fut terminé et que Drusilla et James
furent couchés, leur voisin, Charles Rich, frappa à la porte. Il
rapporta que des émeutiers avaient attaqué des colonies au sud. Les
familles de saints avaient été chassées de chez elles et deux ou trois
hommes avaient été battus et faits prisonniers. David Patten et lui
organisaient maintenant une équipe de secours pour les délivrer.
Drusilla se leva et alluma un feu pendant que James allait chercher son
cheval. Ensuite, elle attrapa les pistolets de son mari et les lui
plaça dans les poches de son manteau. Quand il revint, elle lui attacha
soigneusement son épée autour de la taille. Enfilant son manteau, James
dit au revoir et monta en selle. Drusilla lui tendit ensuite une autre
arme.
Elle dit : « Ne te fais pas tirer dans le dos. »
À peine débarqué à Far West, Charles Hales fut invité à se joindre à
l’équipe de secours. Bien qu’épuisé et les pieds meurtris, Charles
emprunta un cheval et un fusil et se mit en route avec quarante autres
hommes.
Ils chevauchèrent en direction du sud, rassemblant des volontaires des
colonies voisines jusqu’à ce que leur force compte environ
soixante-quinze hommes. Les prisonniers étaient détenus dans un camp au
bord de la Crooked River, à une vingtaine de kilomètres de Far West.
Parmi les hommes qui chevauchaient avec Charles se trouvait Parley
Pratt, l’apôtre qui l’avait baptisé au Canada.
La nuit était sombre et solennelle. Les seuls bruits qu’ils entendaient
étaient le grondement des sabots et le cliquetis des armes dans leurs
fourreaux et leurs étuis. Au loin, ils voyaient la lueur des feux de
prairie. De temps à autre, un météore étincelait au-dessus d’eux
Les hommes arrivèrent à la Crooked River avant l’aube. En approchant du
camp ennemi, ils descendirent de cheval et se rangèrent par compagnies.
Une fois qu’ils furent assemblés, David Patten dit : « Faites confiance
au Seigneur pour la victoire. » Il leur commanda de le suivre jusqu’au
gué.
Charles et les autres hommes gravirent en silence une petite colline
jusqu’à ce qu’ils voient des feux de camp le long de la rivière. Au
moment où ils atteignaient le sommet, ils entendirent la voix sévère de
la sentinelle : « Qui va là ? »
David dit : « Des amis. »
— Êtes-vous armés ?
— Oui.
— Alors, posez vos armes à terre.
— Venez les chercher.
— Posez-les à terre ! »
Dans la confusion qui suivit, la sentinelle tira sur les saints et un
jeune homme qui se tenait près de Charles s’écroula lorsque la balle
l’atteignit au torse. La sentinelle battit instantanément en retraite,
dévalant la colline.
David cria : « Battez-vous pour la liberté. Chargez, les gars ! »
Charles et les hommes dégringolèrent la colline et formèrent des rangs
le long d’une route, derrière une rangée d’arbres et de touffes de
noisetiers. Au-dessous d’eux, les hommes du camp se précipitaient hors
de leurs tentes et se réfugiaient le long des berges de la rivière.
Avant que l’équipe de secours n’ait pu tirer une salve, ils entendirent
le capitaine ennemi crier : « Les gars, mettez-leur en plein la tête. »
Les tirs ennemis sifflèrent au-dessus de la tête de Charles sans lui
faire de mal mais James Hendricks, qui avait pris position au bord de
la route, prit une balle dans la nuque et s’affaissa à terre.
« Au feu ! » David Patten cria : « Tirez ! », et le matin éclata en
coups de feu.
Pendant que les hommes des deux côtés rechargeaient leurs armes, un
silence inquiétant reposa sur le champ de bataille. Charles Rich
s’écria : « Dieu et la liberté ! » et les saints lui firent écho encore
et encore jusqu’à ce que David Patten ordonne une autre salve.
Les saints dévalèrent la colline pendant que les Missouriens tiraient
de nouveau avant de se replier de l’autre côté de la rivière. Pendant
qu’il chargeait, David distingua un homme isolé et courut après lui.
L’homme pivota, aperçut son manteau blanc et tira sur l’apôtre à bout
portant. La balle lui déchira l’abdomen et il tomba.
Une fois les Missouriens dispersés, l’escarmouche prit fin. Un membre
du camp et l’un des saints étaient morts. David Patten et un autre
saint étaient mourants. James Hendricks était encore conscient mais il
n’avait plus aucune sensation au-dessous de la nuque.
Charles Hales et la plupart des hommes étaient sains et saufs ou
souffraient de blessures légères. Ils fouillèrent le camp ennemi et
trouvèrent les saints prisonniers. Ils transportèrent ensuite James et
David jusqu’à un chariot au sommet de la colline avec le reste des
blessés.
Au lever du soleil, ils étaient à nouveau en selle, chevauchant vers
Far West.
Des rapports exagérés de l’escarmouche de la Crooked River arrivèrent
sur le bureau du gouverneur du Missouri, Lilburn Boggs, peu après la
fin de l’affrontement. Certains affirmaient que les saints avaient
massacré cinquante Missouriens dans le combat. D’autres disaient que le
nombre de victimes était plus près de soixante. Avec tant de rumeurs au
sujet de la bataille, Boggs n’avait aucun moyen de savoir ce qui
s’était réellement passé.
Dans les moments de conflit sur la frontière ouest, les milices
hâtivement organisées se conduisaient sans foi ni loi. Ce matin-là, les
saints n’avaient pas attaqué des émeutiers, comme ils le supposaient,
mais un groupe de la milice de l’État du Missouri. Et cela était
considéré comme une insurrection contre l’État.
Résidant d’Independence de longue date, Boggs avait soutenu l’expulsion
des saints du comté de Jackson et n’avait aucune envie de protéger
leurs droits. Il était pourtant resté neutre jusque-là, en dépit du
fait que les deux côtés l’aient supplié de les aider. Au fur et à
mesure de la propagation des rapports sur l’agression des mormons, les
citoyens de tout l’État lui écrivirent, l’incitant à prendre des
mesures contre les saints.
Au milieu des lettres et des messages qui passèrent sur le bureau du
gouverneur se trouvait une déclaration sous serment d’un apôtre de
l’Église, Thomas Marsh, affirmant que Joseph avait l’intention
d’envahir l’État, la nation et finalement le monde.
Thomas faisait cette mise en garde : « Chaque véritable mormon croit
que les prophéties de Smith sont supérieures à la loi du pays. » Une
déclaration d’Orson Hyde attestant de la véracité de ces propos y était
attachée.
Ces documents donnèrent à Boggs tout ce dont il avait besoin pour
justifier une action contre les saints. Peu après l’affrontement de la
Crooked River, il commanda à plusieurs divisions de miliciens
missouriens de mater les forces mormones et d’amener les saints à se
soumettre. Il envoya aussi un décret au général de la première division
du Missouri.
Le 27 octobre 1838, le gouverneur écrivit : « Des informations des plus
alarmantes placent les mormons dans une situation de rébellion ouverte
et armée contre les lois et de faits de guerre contre les habitants de
cet État. Vous avez donc l’ordre d’opérer en toute hâte. Les mormons
doivent être traités comme des ennemis et doivent être exterminés ou
chassés de l’État. »
CHAPITRE 30 : Battez-vous comme des anges
L’après-midi du 30 octobre 1838 était frais et plaisant à Hawn’s Mill,
une petite colonie du comté de Caldwell. Les enfants s’ébattaient sur
les berges de Shoal Creek sous le ciel bleu. Les femmes lavaient le
linge à la rivière et préparaient le repas. Certains hommes étaient
dans les champs, moissonnant les récoltes pour l’hiver, tandis que
d’autres travaillaient dans les moulins le long de la rivière.
Amanda Smith était assise sous une tente pendant que ses filles, Alvira
et Ortencia, jouaient à proximité. Son mari, Warren, était chez le
forgeron avec leurs trois jeunes fils, Willard, Sardius et Alma.
Les Smith étaient de passage à Hawn’s Mill. Ils faisaient partie de la
compagnie de saints pauvres qui avait quitté Kirtland plus tôt cet
été-là. Un problème après l’autre les avait retardés, les obligeant à
se séparer du groupe. La plupart des membres de la compagnie étaient
déjà arrivés à Far West et Amanda et Warren étaient pressés de
reprendre la route.
Pendant qu’elle se reposait sous la tente, elle vit un mouvement furtif
à l’extérieur et ne fit plus un geste. Un groupe d’hommes armés, le
visage noirci, fondait sur la colonie.
Comme d’autres saints dans la région, Amanda avait craint des attaques
d’émeutiers. Avant de faire halte à Hawn’s Mill, des hommes avaient
accosté sa petite compagnie, pillant ses chariots, confisquant ses
armes et la plaçant en garde à vue pendant trois jours avant de la
libérer.
Lorsqu’elle était arrivée à Hawn’s Mill, les dirigeants locaux lui
avait assuré qu’elle était en sécurité. David Evans, le dirigeant des
saints à cet endroit-là, avait passé un accord de trêve avec leurs
voisins qui disaient vouloir vivre en paix avec eux. Mais, par mesure
de précaution, il avait posté des gardes autour de la colonie.
Maintenant, les saints étaient en danger à Hawn’s Mill. Empoignant
rapidement ses petites filles, Amanda courut vers les bois qui
jouxtaient la retenue d’eau du moulin. Elle entendit un coup de feu
derrière elle et une volée de balles siffla près d’elle et d’autres
personnes qui se précipitaient vers les arbres.
Près de la forge, David agita son chapeau et cria pour demander un
cessez-le-feu. Les émeutiers l’ignorèrent et continuèrent d’avancer,
tirant à nouveau sur les saints en fuite.
Se cramponnant à ses filles, Amanda dévala un ravin pendant que les
balles sifflaient autour d’elle. Lorsqu’elles atteignirent le fond, les
filles et elle se hâtèrent de franchir la retenue sur une planche
servant de pont et commencèrent à gravir la colline de l’autre côté.
Mary Stedwell, une femme qui courait à côté d’elle, leva les mains vers
les émeutiers et implora la paix. Ils tirèrent de nouveau et une balle
lui déchira la main.
Amanda cria à Mary de se mettre à l’abri derrière un arbre couché. Ses
filles et elle s’enfoncèrent en courant dans les bois et plongèrent
derrière des buissons de l’autre côté de la colline.
Hors de vue des émeutiers, Amanda serra ses filles contre elle et
écouta les coups de feu résonner dans toute la colonie.
Lorsque la fusillade avait commencé, Alma, le fils d’Amanda, âgé de six
ans, et son frère aîné Sardius avaient suivi leur père dans la forge où
les saints avaient stocké le peu d’armes qu’ils possédaient. À
l’intérieur, des dizaines d’hommes essayaient désespérément de se
défendre contre les attaquants, la forge faisant office de fort. Ceux
qui avaient des fusils tiraient sur les émeutiers par les interstices
entre les rondins.
Terrifiés, Alma et Sardius rampèrent sous les soufflets avec un autre
jeune garçon. Les émeutiers encerclèrent la forge et se rapprochèrent
des saints. Certains hommes sortirent précipitamment, criant à la paix,
mais ils furent abattus par des tirs meurtriers.
Alma resta caché sous les soufflets tandis que les coups de feu
devenaient de plus en plus bruyants et intenses. Les émeutiers
entourèrent la forge, forcèrent leurs fusils dans les interstices des
murs et tirèrent sur les hommes à bout portant. L’un après l’autre, les
saints tombèrent à terre avec des impacts de balles dans la poitrine,
les bras et les cuisses. De dessous les soufflets, Alma les entendait
gémir de douleur.
Les émeutiers prirent l’entrée d’assaut, tirant sur d’autres hommes qui
essayaient de s’échapper. Trois balles touchèrent le garçon qui se
cachait à côté d’Alma et son corps devint inerte. Un homme aperçut Alma
et tira sur lui, lui ouvrant une plaie béante dans la hanche. Un autre
repéra Sardius et le traîna dehors. Il plaça sans ménagement le canon
de son fusil contre la tête de l’enfant de dix ans et appuya sur la
gâchette, le tuant instantanément.
L’un des émeutiers détourna la tête. Il dit : « C’est une honte de tuer
ces petits garçons. »
Un autre répliqua : « Les lentes deviennent des poux. »
Ignorant l’ordre d’extermination du gouverneur, les saints de Far West
gardaient espoir que Boggs enverrait de l’aide avant que les émeutiers
n’assiègent leur ville. Le 30 octobre, lorsqu’ils virent au loin une
armée d’environ deux cent cinquante hommes, une vague de joie déferla
sur eux. Ils pensaient que le gouverneur avait enfin envoyé la milice
de l’État pour les protéger.
Le général Alexander Doniphan, qui avait aidé les saints par le passé,
commandait le régiment. Il positionna ses troupes en rang en face des
forces des saints stationnées juste à l’extérieur de Far West et ces
dernières hissèrent le drapeau blanc. Le général attendait encore des
ordres écrits de la part du gouverneur mais ses troupes et lui
n’étaient pas venus protéger Far West. Ils étaient là pour mater les
saints.
Bien qu’il sût que leurs forces étaient supérieures en nombre à celles
du Missouri, George Hinkle, le saint des derniers jours responsable du
régiment du comté de Caldwell, se sentit mal à l’aise et commanda à ses
troupes de se replier. Pendant que les hommes battaient en retraite,
Joseph remonta les rangs à cheval, troublé par l’ordre de George.
Il s’exclama : « Vous vous repliez ? Et où donc, au nom de Dieu,
allons-nous nous replier ? » Il dit aux hommes de retourner sur le
champ de bataille et de reformer les rangs.
Des messagers de la milice du Missouri approchèrent ensuite les saints
avec ordre d’assurer l’évacuation d’Adam Lightner et de sa famille en
toute sécurité. Adam n’était pas membre de l’Église mais il était marié
avec Mary Rollins, âgée de vingt ans, la jeune femme qui avait
soustrait les pages du Livre des commandements des mains des émeutiers
des années plus tôt à Independence.
On fit sortir Adam et Mary de Far West, ainsi que la sœur d’Adam,
Lydia, et son mari, John Cleminson. Lorsqu’ils apprirent ce que
voulaient les soldats, Mary se tourna vers Lydia et lui demanda ce
qu’elles devaient faire, à son avis.
Lydia dit : « Nous ferons ce que tu diras. »
Mary demanda aux messagers si les femmes et les enfants de Far West
pouvaient partir avant l’attaque.
Ils répondirent que non.
Elle demanda : « Laisserez-vous la famille de ma mère sortir ? »
Il lui fut répondu que selon les ordres du gouverneur, seules leurs
deux familles pouvaient partir.
Mary dit : « Si tel est le cas, je refuse de m’en aller. Je mourrai là
où ils mourront car je suis une mormone pur-sang et je n’ai pas honte
de l’affirmer. »
Les messagers dirent : « Pensez à votre mari et à votre enfant. »
Elle répondit : « Il peut partir et prendre l’enfant avec lui s’il
veut. Pour ma part, je souffrirai avec le reste. »
Pendant que les messagers se retiraient, Joseph avança vers eux et leur
dit : « Dites à cette armée de battre en retraite d’ici cinq minutes ou
nous allons leur flanquer une volée ! »
Les miliciens regagnèrent leurs rangs et les troupes se replièrent
rapidement vers leur camp principal. Plus tard dans la journée, mille
huit cents soldats supplémentaires arrivèrent sous le commandement du
général Samuel Lucas qui, cinq ans plus tôt, avait été un meneur dans
l’expulsion des saints du comté de Jackson.
Ils étaient tout au plus trois cents saints armés dans Far West mais
ils étaient déterminés à défendre leurs familles et leurs foyers. Le
prophète rassembla leurs forces sur la place de la ville et leur dit de
se préparer à se battre.
Il leur dit : « Battez-vous comme des anges. » Il croyait que si la
milice du Missouri attaquait, le Seigneur leur enverrait deux anges
pour chaque homme qui leur manquait.
Mais le prophète ne voulait pas passer à l’offensive. Ce soir-là, les
saints empilèrent tout ce qu’ils pouvaient, construisant une barricade
qui s’étendait sur plus de deux kilomètres le long des limites est, sud
et ouest de la ville. Pendant que les hommes calaient des traverses de
clôture entre des rondins et des chariots, les femmes rassemblaient des
vivres en prévision de l’attaque.
Des hommes montèrent la garde toute la nuit.
À Hawn’s Mill, Willard Smith, onze ans (le fils aîné d’Amanda) reparut
de derrière un gros arbre près de la retenue et se glissa dans la
forge. Lorsque l’attaque avait débuté, il avait essayé de rester avec
son père et ses frères mais il n’avait pas réussi à se frayer un
passage jusqu’à la forge et s’était réfugié derrière une pile de bois.
Lorsque les émeutiers s’étaient déployés et l’avaient localisé, il
avait couru de maison en maison, esquivant les balles, jusqu’à ce
qu’ils quittent la colonie.
À la forge, il trouva le corps sans vie de son père affaissé à
l’entrée. Il vit celui de son frère Sardius dont la tête avait été
horriblement mutilée par le coup de feu. À l’intérieur, d’autres corps,
plus d’une douzaine, étaient entassés sur le sol. Willard chercha parmi
eux et retrouva son frère Alma. Le garçon était inerte dans la
poussière mais il respirait encore. Son pantalon était couvert de sang
à l’endroit où on lui avait tiré dessus.
Il le prit dans ses bras et le transporta à l’extérieur. Il vit sa mère
sortir des bois et arriver vers eux. Quand elle les vit, Amanda s’écria
: « Ils ont tué mon petit Alma ! »
Willard dit : « Non, maman, mais papa et Sardius sont morts. »
Il porta son frère jusqu’à leur campement et le déposa délicatement.
Les émeutiers avaient saccagé la tente, éventré les matelas et
éparpillé la paille. Amanda en lissa une certaine quantité et la
couvrit de linge pour faire un lit pour Alma. Elle découpa ensuite son
pantalon pour examiner les dégâts.
La chair était à vif et la blessure effrayante. L’articulation de la
hanche avait entièrement disparu. Amanda n’avait pas la moindre idée de
la manière de l’aider.
Elle pouvait peut-être envoyer Willard chercher du secours mais où
irait-il ? À travers la toile fine de sa tente, elle entendait les
plaintes des blessés et les pleurs des saints qui avaient perdu maris
et pères, fils et frères. Toutes les personnes qui auraient pu lui
venir en aide étaient déjà en train de s’occuper de quelqu’un d’autre
ou de pleurer. Elle sut qu’elle devrait compter sur Dieu.
Lorsque Alma reprit connaissance, elle lui demanda s’il pensait que
Dieu pouvait lui faire une nouvelle hanche. Alma dit que si c’était ce
qu’elle pensait, lui aussi.
Elle réunit ses trois autres enfants autour de lui. Elle pria : « Oh,
mon Père céleste, tu vois mon pauvre garçon blessé et tu connais mon
manque d’expérience. Oh, Père céleste, indique-moi ce que je dois
faire. »
Elle termina sa prière et entendit une voix diriger chacun de ses
gestes. Le feu familial se consumait encore dehors et elle mélangea
rapidement ses cendres avec de l’eau pour faire du savon. Elle trempa
un linge propre dans la solution et lava doucement la plaie d’Alma,
répétant maintes fois la procédure jusqu’à ce qu’elle soit propre.
Elle envoya ensuite Willard chercher des racines d’orme. Lorsqu’il
revint, elle les broya pour en faire de la pâte qu’elle modela en un
cataplasme. Elle le plaça sur la plaie d’Alma et l’enveloppa de tissu.
Elle dit à son fils : « Maintenant, reste allongé comme cela et ne
bouge pas, et le Seigneur te fera une autre hanche. »
Une fois qu’elle sut qu’il était endormi et que les autres enfants
étaient en sécurité dans la tente, elle sortit et pleura.
Le lendemain matin, 31 octobre, George Hinkle et d’autres dirigeants de
la milice des saints rencontrèrent le général Doniphan sous le couvert
d’un drapeau blanc. Doniphan n’avait toujours pas reçu les ordres du
gouverneur mais il savait que ceux-ci autorisaient l’extermination des
saints. Il expliqua que toute négociation pacifique devait attendre
qu’il ait vu les ordres. Il dit aussi à George que le général Lucas,
leur vieil ennemi, commandait maintenant la milice.
De retour à Far West, George rapporta à Joseph ce qu’il avait appris. À
peu près à ce moment-là, des messagers arrivèrent de Hawn’s Mill et
l’informèrent du massacre. Dix-sept personnes avaient été tuées et plus
d’une douzaine blessées.
Les deux rapports écœurèrent Joseph. Le conflit avec les Missouriens
avait dégénéré au-delà des raids et des escarmouches. Si les émeutiers
et les miliciens ouvraient une brèche dans la barricade des saints, les
habitants de Far West pourraient connaître le même sort que ceux de
Haun’s Mill.
Joseph exhorta George : « Implore la paix à tout prix. » Le prophète
dit qu’il préférait mourir ou aller en prison pendant vingt ans plutôt
que voir les saints se faire massacrer.
Plus tard dans la journée, les ordres du gouverneur arrivèrent et
George et les autres dirigeants de la milice donnèrent rendez-vous au
général Lucas sur une colline près de Far West. Le général arriva dans
l’après-midi et lut à voix haute l’ordre d’extermination. Les saints
furent choqués. Ils savaient que leur ville était encerclée par près de
trois mille miliciens du Missouri dont la plupart rêvaient de se
battre. Tout ce que Lucas avait à faire était de sonner l’ordre et ses
troupes envahiraient la ville.
Pourtant, le général dit qu’ils étaient disposés à faire preuve d’un
peu de miséricorde si les saints livraient leurs dirigeants et leurs
armes, et acceptaient de vendre leurs terres et de quitter l’État pour
de bon. Il accorda une heure à George pour convenir des conditions.
Sinon, rien n’empêcherait ses troupes d’annihiler les saints.
George rentra à Far West cet après-midi-là en se demandant si Joseph
s’engagerait à respecter les conditions. En tant que commandant de la
milice de Caldwell, il avait l’autorité de négocier avec l’ennemi.
Néanmoins, Joseph voulait qu’il consulte la Première Présidence avant
d’accepter une proposition quelconque des troupes de l’État.
Le temps étant compté et la milice prête à attaquer la ville, George
dit à Joseph que le général Lucas voulait parler de la fin des
hostilités avec lui et d’autres dirigeants de l’Église. Pressé de
mettre les saints hors de danger, Joseph accepta de négocier sous le
couvert d’un drapeau blanc. Bien que n’étant pas membre de la milice,
il voulait faire tout ce qu’il pouvait pour résoudre le conflit.
George et lui quittèrent Far West peu avant le coucher du soleil avec
Sidney Rigdon, Parley Pratt, Lyman Wight et George Robinson. À
mi-chemin vers le camp du Missouri, ils virent le général Lucas venir à
leur rencontre avec plusieurs soldats et un canon. Joseph supposa
qu’ils venaient les escorter jusqu’au camp en assurant leur sécurité.
Le général arrêta son cheval devant les hommes et ordonna à ses troupes
de les encercler. George Hinkle s’avança vers le général et dit : «
Voici les prisonniers que j’ai accepté de livrer. »
Le général Lucas tira son épée. Il dit : « Messieurs, vous êtes mes
prisonniers. » Les troupes explosèrent en cris de guerre stridents et
se rapprochèrent des prisonniers.
Joseph était stupéfait. Qu’est-ce que George avait fait ? La confusion
du prophète se mua en colère et il exigea de parler au général Lucas
mais celui-ci l’ignora et s’éloigna à cheval.
Les troupes escortèrent Joseph et les autres hommes au camp du
Missouri. Une foule de soldats les gratifia de menaces et d’insultes
virulentes. Pendant que Joseph et ses amis passaient entre leurs rangs,
les hommes hurlaient triomphalement et leur crachaient au visage et sur
les vêtements.
Le général Lucas plaça Joseph et ses amis sous bonne garde et les força
à dormir sur la terre froide. L’époque où ils étaient des hommes libres
était révolue. Ils étaient maintenant prisonniers de guerre.
CHAPITRE 31 : Comment cela va-t-il se terminer ?
En entendant les hurlements sauvages provenant du camp du Missouri,
Lydia Knight craignit le pire. Elle savait que le prophète y était allé
pour négocier des accords de paix. Mais ce qu’elle entendait
ressemblait à une meute de loups avides devant une proie.
Regardant anxieusement par la fenêtre, elle vit son mari arriver en
courant vers la maison. Newel lui dit : « Prie comme tu n’as jamais
prié de ta vie. » La milice avait capturé le prophète.
Lydia se sentit défaillir. La veille, deux vétérans de l’escarmouche de
la Crooked River avaient frappé à sa porte en quête d’un lieu où se
terrer. La milice du Missouri avait juré de punir les saints qui
avaient participé à la bataille ; elle mettait donc sa famille en
danger en abritant ces hommes. Mais elle ne pouvait pas les refouler et
elle les avait cachés chez elle.
Maintenant, elle se demandait s’ils étaient bien en sécurité. Newel
était de nouveau de garde ce soir-là. Si la milice entrait dans la
ville en son absence et les trouvait chez elle, les soldats risquaient
de les tuer. Et que leur feraient-ils à elle et à ses enfants ?
Lorsqu’il partit pour la nuit, Newel lui recommanda de se montrer
prudente. Il dit : « Ne sors pas. Il y a des rôdeurs. »
Une fois qu’il fut parti, elle commença à prier. Lorsque son mari et
elle étaient venus dans l’Ouest après la consécration du temple, ils
avaient fait leur chez-eux et avaient maintenant deux enfants. La vie
était belle avant que les attaques des émeutiers ne commencent. Elle ne
voulait pas que tout s’effondre.
Elle entendait encore les cris perçants des Missouriens. Le son lui
donnait la chair de poule mais la prière l’apaisait. Elle savait que
Dieu gouvernait les cieux. Quoi qu’il se passe, rien ne pourrait
changer cela.
Le lendemain matin, 1er novembre 1838, Newel passa brièvement à la
maison. George Hinkle avait commandé aux forces des saints de se
rassembler sur la place. La milice du Missouri était alignée à
l’extérieur de leur camp et en position pour envahir Far West.
Lydia demanda : « Comment cela va-t-il se terminer ? J’ai le cœur
déchiré par la crainte et pourtant l’Esprit me dit que tout finira
bien. »
Ramassant son fusil, Newel dit : « Que Dieu nous l’accorde. Au revoir
et que Dieu te protège. »
Pendant que les forces des saints se rassemblaient sur la place, le
général Lucas fit avancer ses troupes jusqu’à une prairie au sud-est de
Far West et leur ordonna de se tenir prêtes à abattre toute résistance.
À dix heures ce matin-là, George Hinkle conduisit ses propres troupes
hors de la place et les positionna près du rang ennemi. Il s’avança
ensuite vers le général, retira l’épée et les pistolets de sa ceinture
et les lui remit.
Les Missouriens apportèrent un bureau et le placèrent devant leur rang.
George retourna auprès de ses hommes et leur ordonna d’aller, un par
un, livrer leurs armes à deux agents de la milice du Missouri.
Encerclés et largement surpassés en nombre, Newel et les saints
n’avaient guère d’autre choix que d’obtempérer. Lorsque vint son tour
de livrer son arme, Newel avança vers le bureau lançant des regards
furieux au général Lucas. Il dit : « Monsieur, ce fusil m’appartient en
propre. Personne n’a le droit de me le prendre. »
Le général dit : « Pose ton arme ou je te fais fusiller. »
Furibond, Newel abandonna son fusil et rejoignit les rangs.
Lorsque tous les saints furent désarmés, la ville était sans défense.
Le général Lucas escorta les forces des saints à Far West et les tint
prisonnières sur la place.
Il ordonna ensuite à ses troupes de s’emparer de la ville.
Sans perdre un instant, la milice du Missouri s’introduisit dans les
maisons et les tentes, fouilla les coffres et les tonneaux, cherchant
des armes et des objets de valeur. Ils emportèrent de la literie, des
vêtements, de la nourriture et de l’argent. Certains allumèrent des
feux de joie avec des rondins et des traverses de clôture et
incendièrent des granges. D’autres tirèrent sur le bétail, les moutons
et les cochons et les laissèrent périr dans les rues.
Chez les Knight, Lydia se tenait prête lorsque trois miliciens
arrivèrent à la porte. L’un d’eux demanda : « Avez-vous des hommes dans
la maison ? »
Bloquant l’entrée, elle répondit : « C’est vous qui gardez nos hommes.
» Si elle les laissait pénétrer à l’intérieur, ils trouveraient les
hommes qu’elle cachait.
Il demanda : « Avez-vous des armes dans la maison ? »
Elle dit : « Mon mari a emporté son fusil. » Derrière elle, les enfants
se mirent à pleurer, effrayés à la vue de l’étranger. Rassemblant son
courage, Lydia se retourna vers l’homme. Elle cria : « Allez-vous-en !
Ne voyez-vous pas combien mes petits sont terrifiés ? »
L’homme dit : « Bien, vous n’avez ni hommes ni armes chez vous ? »
Lydia dit : « Je vous répète, mon mari est prisonnier sur la place et
il a pris son fusil avec lui. »
L’homme maugréa et partit avec les autres, furieux.
Lydia rentra dans sa maison. Elle tremblait mais les miliciens étaient
partis et tout le monde chez elle était en sécurité.
Sur la place, sous étroite surveillance avec le reste des troupes des
saints, Heber Kimball entendit une voix familière l’interpeler. Levant
les yeux, il vit William McLellin, l’ancien apôtre, venir vers lui. Il
était vêtu d’un chapeau et d’une chemise ornée de motifs rouge criard.
Il dit : « Frère Heber, que penses-tu maintenant de Joseph Smith, le
prophète déchu ? » William était accompagné d’un groupe de soldats. Ils
étaient passés de maison en maison, pillant la ville à loisir.
Il continua : « Regarde et tu le vois toi-même. Pauvre, ta famille
dépouillée et dépossédée et tes frères en sont au même point. Es-tu
satisfait de Joseph ? »
Heber ne pouvait pas nier que l’avenir s’annonçait mal pour les saints.
Joseph était prisonnier et ces derniers étaient désarmés et assaillis.
Mais il savait qu’il ne pouvait pas abandonner Joseph et les saints,
comme l’avaient fait William, Thomas Marsh et Orson Hyde. Il était
resté loyal à Joseph dans toutes les épreuves qu’ils avaient traversées
ensemble et il était déterminé à le rester même si cela devait lui
coûter tout ce qu’il possédait.
Où es-tu ? » Retournant la question à William, Heber demanda : « Où
es-tu ? Qu’est-ce que tu fais ? » Son témoignage de l’Évangile rétabli
de Jésus-Christ et son refus d’abandonner les saints répondirent à la
question de William.
Heber continua : « Je suis cent fois plus satisfait de lui que jamais
auparavant. Je te dis que le mormonisme est vrai et que Joseph est un
véritable prophète du Dieu vivant. »
Lorsque la milice pilla la ville, le général Lucas ne fit rien pour
empêcher ses troupes de terroriser les saints et de leur prendre leurs
biens. Dans le camp, ils les chassaient de chez eux, les insultant
pendant qu’ils s’enfuyaient dans les rues. Ils fouettèrent et battirent
ceux qui leur résistaient. Certains soldats agressèrent et violèrent
des femmes qu’ils trouvèrent cachées dans les maisons. Le général Lucas
croyait les saints coupables d’insurrection et il voulait qu’ils paient
pour leurs actions et tâtent de la puissance de son armée.
Tout au long de la journée, les officiers de Lucas rassemblèrent
d’autres dirigeants de l’Église. Avec l’aide de George Hinkle, les
troupes entrèrent par la force chez Mary et Hyrum Smith. Hyrum était
malade mais ils le chassèrent hors de chez lui à la pointe d’une
baïonnette et le mirent avec Joseph et les autres prisonniers.
Ce soir-là, pendant que le général Lucas se préparait à les juger en
cour martiale, un officier de la milice appelé Moses Wilson prit Lyman
Wight à part, espérant le convaincre de témoigner contre Joseph lors du
procès.
Il lui dit : « Nous ne souhaitons pas te faire de mal ni te tuer. Si tu
viens déposer contre lui, nous t’épargnerons la vie et te donnerons le
grade que tu veux. »
Lyman dit avec véhémence : « Joseph Smith n’est pas un ennemi du genre
humain. Si je n’écoutais pas ses conseils, je vous aurais déjà fait
votre fête. »
Moses dit : « Tu es un homme étrange. Il y aura une cour martiale ce
soir, y assisteras-tu ? »
« Non, à moins d’y être forcé. »
Moses repoussa Lyman avec les autres prisonniers et peu après, le
général Lucas convoqua la cour. Plusieurs officiers de la milice y
participaient, y compris George Hinkle. Le général Doniphan, le seul
avocat présent, s’opposa au procès, soutenant que la milice n’avait
aucune autorité pour juger des civils tels que Joseph.
Ne lui prêtant aucune attention, le général Lucas poursuivit, expédiant
l’audience sans qu’aucun des prisonniers ne soit présent. George
voulait que Lucas se montre magnanime envers les prisonniers mais au
contraire, il les condamna à être fusillés pour trahison. Une majorité
d’officiers présents soutinrent la sentence.
Après le procès, Moses annonça le verdict à Lyman. Il dit : « Ton
compte est bon. »
Lyman le regarda avec mépris. Il dit : « Tirez et allez au diable. »
Plus tard ce soir-là, le général Lucas ordonna au général Doniphan
d’escorter Joseph et les autres prisonniers sur la place à neuf heures
le lendemain matin et de les exécuter devant les saints. Doniphan était
outré.
Il dit en aparté aux prisonniers : « Il est hors de question que j’en
retire le moindre honneur ou la moindre disgrâce. » Il dit qu’il avait
l’intention de se retirer avec ses troupes avant le lever du soleil.
Il envoya ensuite un message au général Lucas. Il déclara : « C’est un
meurtre de sang-froid. Je n’obéirai pas à votre ordre. Je vous jure
devant Dieu que si vous exécutez ces hommes, je vous en tiendrai pour
responsable devant un tribunal terrestre ! »
Comme promis, le lendemain matin, les forces du général Doniphan
avaient disparu. Au lieu d’exécuter Joseph et les autres prisonniers,
le général Lucas ordonna à ses hommes de les escorter jusqu’à son
quartier général au comté de Jackson.
Encadré par des gardes armés, Joseph fut conduit à travers les rues
dévastées de Far West jusque chez lui pour prendre quelques effets
personnels. Emma et les enfants étaient en larmes lorsqu’il arriva mais
ils furent soulagés de constater qu’il était toujours vivant. Joseph
supplia ses gardes de le laisser seul quelques instants avec les siens
mais ils refusèrent.
Emma et les enfants étaient cramponnés à lui et ne voulaient pas le
lâcher. Les gardes tirèrent leurs épées et les séparèrent. Joseph, cinq
ans, serrait son père très fort dans ses bras. Il sanglotait : «
Pourquoi tu ne peux pas rester avec nous ? »
Un garde menaça le garçonnet de son épée. « Éloigne-toi, sale gosse, ou
je te transperce ! »
De retour dehors, les troupes escortèrent les prisonniers à travers une
foule de saints et leur ordonnèrent de grimper dans un chariot bâché.
La milice encercla ensuite le véhicule, formant un mur d’hommes armés
entre les saints et leurs dirigeants.
Pendant qu’il attendait que le chariot se mette en branle, Joseph
entendit une voix familière au-dessus des bruits de la foule. Lucy
Smith criait : « Je suis la mère du prophète. N’y a-t-il pas un
gentleman ici qui va m’aider à me frayer un passage à travers cet
attroupement ? »
La bâche épaisse empêchait les prisonniers de voir à l’extérieur mais à
l’avant du chariot, Hyrum glissa la main sous la toile et prit celle de
sa mère. Les gardes lui ordonnèrent immédiatement de reculer, menaçant
de la tuer. Hyrum sentit la main de sa mère lâcher prise et il semblait
que le chariot allait se mettre en mouvement d’un moment à l’autre.
Juste à ce moment-là, Joseph, qui était assis à l’arrière, entendit une
voix de l’autre côté de la bâche. « Monsieur Smith, votre mère et votre
sœur sont ici. »
Joseph glissa la main sous la toile et sentit celle de sa mère. Il
l’entendit dire : « Joseph, je ne peux pas supporter l’idée de m’en
aller tant que je n’ai pas entendu ta voix. »
Juste avant avant le départ brusque du chariot, Joseph dit : « Que Dieu
te bénisse, maman. »
Plusieurs nuits plus tard, les prisonniers étaient allongés sur le sol
d’une maison de rondins à Richmond, Missouri. Après les avoir emmenés
au comté de Jackson, le général Lucas les avait exhibés comme des
animaux avant de recevoir l’ordre de les envoyer à Richmond pour
comparaître devant un juge.
Maintenant, chacun essayait de dormir avec un fer enserrant sa cheville
et une lourde chaîne le reliant aux autres prisonniers. Le sol était
froid et dur et les hommes n’avaient pas de feu pour se réchauffer.
Allongé et éveillé, Parley Pratt était malade d’entendre les gardes
raconter des histoires obscènes de viols et de meurtres perpétrés
contre les saints. Il voulait se lever et réprimander les hommes (dire
quelque chose qui les obligerait à se taire) mais il garda le silence.
Soudain, il entendit les chaînes cliqueter à côté de lui lorsque Joseph
se mit debout. Le prophète tonna : « Silence, démons du gouffre
infernal ! Au nom de Jésus-Christ, je vous réprimande et je vous
commande de vous taire ! Je ne vivrai pas un instant de plus pour
entendre un pareil langage ! »
Les gardes étonnés empoignèrent leurs armes et levèrent les yeux.
Joseph, rayonnant de majesté, les regarda fixement. Il commanda : «
Cessez ce genre de conversation ou bien vous ou moi mourrons à
l’instant ! »
Le silence revint dans la pièce et les gardes baissèrent leurs fusils.
Certains se tapirent dans les coins. D’autres s’accroupirent de peur à
ses pieds. Le prophète resta debout immobile, calme et digne. Les
gardes implorèrent son pardon et se turent jusqu’à l’arrivée de la
relève.
Le 12 novembre 1838, Joseph et plus de soixante autres saints furent
conduits jusqu’au tribunal de Richmond pour décider s’il y avait
suffisamment de preuves pour les accuser de trahison, de meurtre,
d’incendie criminel, de vol, de cambriolage et de larcin. Le juge,
Austin King, déciderait si les prisonniers feraient l’objet d’un procès.
Le procès dura plus de deux semaines. Le témoin clé contre Joseph était
Sampson Avard, qui avait été un dirigeant danite. Pendant le siège de
Far West, Sampson avait tenté de fuir le Missouri mais la milice
l’avait capturé et menacé de le poursuivre en justice s’il refusait de
témoigner contre les prisonniers.
Anxieux de sauver sa peau, Sampson affirma que tout ce qu’il avait fait
en tant que Danite, il l’avait fait sur ordre de Joseph. Il témoigna
que ce dernier croyait que, selon la volonté de Dieu, les saints
devaient se battre contre le gouvernement du Missouri et la nation pour
préserver leurs droits.
Il dit aussi que Joseph croyait que l’Église était comme la pierre dont
parle Daniel dans l’Ancien Testament qui remplirait toute la terre et
consumerait ses royaumes.
Inquiet, le juge King questionna Joseph au sujet de la prophétie de
Daniel et il témoigna qu’il y croyait.
Le juge dit à son greffier : « Notez cela. C’est une preuve solide de
trahison. »
L’avocat de Joseph fit objection. Il dit : « Monsieur le juge, c’est
plutôt la Bible que vous devriez qualifier de trahison. »
On fit appel à plus de quarante témoins pour témoigner contre les
prisonniers, notamment plusieurs anciens dirigeants de l’Église.
Craignant d’être eux-mêmes poursuivis en justice, John Corrill, William
Phelps, John Whitmer et d’autres avaient conclu avec l’État du Missouri
le marché de témoigner contre Joseph en échange de leur liberté. Sous
serment, ils décrivirent les méfaits dont ils avaient été témoins
pendant le conflit et tous accusèrent Joseph.
En revanche, la défense des saints se résumait à quelques témoins qui
n’eurent pas une grande influence sur l’opinion du juge. D’autres
auraient pu parler en faveur de Joseph mais ils furent harcelés ou
chassés de la salle d’audience.
À la fin de la séance, cinq saints dont Parley Pratt furent emprisonnés
à Richmond en attendant d’être jugés pour meurtre lors de la bataille
de la Crooked River.
Les autres, Joseph et Hyrum Smith, Sidney Rigdon, Lyman Wight, Caleb
Baldwin et Alexander McRae, furent transférés dans une prison de la
ville appelée Liberty, en attendant d’être jugés pour trahison. S’ils
étaient inculpés, ils seraient exécutés.
Un forgeron enchaîna les six hommes ensemble et les conduisit vers un
grand chariot. Les prisonniers grimpèrent et s’assirent sur le bois
brut, la tête dépassant à peine des montants du véhicule.
Le voyage dura toute la journée. Lorsqu’ils arrivèrent à Liberty, le
chariot traversa le centre de la ville, passa devant le tribunal puis
arriva à une petite prison de pierre au nord. La porte était ouverte,
attendant les hommes dans le froid de cette journée de décembre.
Un par un, les prisonniers descendirent du chariot et gravirent les
marches jusqu’à l’entrée de la prison. Une foule de curieux se pressa
autour d’eux, espérant apercevoir les détenus.
Joseph fut le dernier homme à descendre. Lorsqu’il arriva à la porte,
il regarda la foule et souleva son chapeau en guise de salut poli. Il
fit ensuite volte-face et descendit dans la sombre prison.
CHAPITRE 32 : Quand même l’enfer tout entier se
déchaînerait
Mi-novembre 1838, à Far West, les saints souffrirent de la faim et du
froid. La milice du Missouri avait détruit des maisons et vidé la
plupart des réserves de nourriture de la ville. Les quelques récoltes
subsistant dans les champs étaient gelées.
Le général John Clark, qui remplaçait le général Lucas à la tête des
forces du Missouri à Far West, n’avait pas plus de sympathie pour les
saints que son prédécesseur. Il les accusait d’être les agresseurs et
de s’opposer à la loi. Il leur dit : « Vous vous êtes attiré ces
problèmes par votre hostilité et votre refus de respecter les lois. »
Comme l’hiver menaçait, il accepta qu’ils restent à Far West jusqu’au
printemps mais leur conseilla de se disperser ensuite. Il les avertit :
« Ne vous organisez jamais plus avec des évêques et des présidents
sinon vous risquez d’attiser la jalousie des gens et de faire de
nouveau l’objet des mêmes désastres que ceux qui vous sont arrivés. »
La situation à Hawn’s Mill était encore pire. Le lendemain du massacre,
les émeutiers ordonnèrent aux saints de quitter l’État sous peine
d’être tués. Amanda Smith et les autres survivants voulaient partir
mais ils leur avaient volé les chevaux, les vêtements, la nourriture et
les autres fournitures dont ils avaient besoin pour effectuer le long
voyage. De nombreux blessés, dont Alma, le fils d’Amanda, n’étaient pas
en état de faire un si long périple.
Les femmes du camp organisèrent des réunions de prière, demandant au
Seigneur de guérir leurs blessés. Lorsque les émeutiers en furent
informés, ils menacèrent de massacrer le camp si elles continuaient.
Après cela, elles prièrent en silence, essayant désespérément de ne pas
attirer l’attention sur elles tandis qu’elles se préparaient à partir.
Au bout de quelque temps, Amanda quitta sa tente et emménagea avec sa
famille dans une cabane. Tout en continuant de pleurer son mari et son
fils assassinés, elle devait s’occuper seule de ses quatre jeunes
enfants. Elle craignait de devoir rester trop longtemps à Hawn’s Mill
en attendant que son fils guérisse. Et même si elle pouvait s’en aller
avec ses enfants, où iraient-ils ?
C’est une question que les saints dans tout le nord du Missouri se
posaient. Ils craignaient que la milice n’exécute l’ordre
d’extermination du gouverneur s’ils ne partaient pas au printemps.
Cependant, sans dirigeants pour les guider, ils n’avaient pas la
moindre idée de la manière de procéder pour quitter le Missouri ni de
l’endroit où se rassembler ensuite.
Pendant que les saints abandonnaient Far West, Phebe Woodruff,
souffrant de violentes migraines et de fièvre, était allongée dans une
auberge en bord de route à l’ouest de l’Ohio. Depuis deux mois, Wilford
et elle voyageaient vers l’ouest avec les saints des îles Fox,
pataugeant dans la neige et la pluie pour atteindre Sion. De nombreux
enfants étaient tombés malades, notamment sa fille, Sarah Emma. Deux
familles s’étaient déjà retirées du convoi, convaincues qu’elles ne
réussiraient pas à arriver en Sion cet hiver-là.
Avant de s’arrêter à l’auberge, Phebe avait souffert atrocement à
chaque secousse du chariot sur la route cahoteuse. Un jour où elle
avait presque cessé de respirer, Wilford avait arrêté le convoi afin
qu’elle puisse se remettre.
Phebe était certaine qu’elle allait mourir. Il lui fit une bénédiction
et fit tout son possible pour soulager sa souffrance mais la fièvre
empira. Finalement, elle appela son mari à son chevet, témoigna de
l’Évangile de Jésus-Christ et l’exhorta à avoir la foi malgré ses
épreuves. Le lendemain, sa respiration cessa complètement et elle
sentit son esprit la quitter.
Elle regarda Wilford fixer son corps sans vie. Elle vit deux anges
entrer dans la chambre. L’un d’eux lui dit qu’elle devait faire un
choix. Elle pouvait les accompagner pour se reposer dans le monde des
esprits ou revenir à la vie et endurer les épreuves qui l’attendaient.
Phebe savait que si elle restait, le parcours ne serait pas facile.
Voulait-elle retourner à sa vie accablée de soucis et à son avenir
incertain ? Elle vit les visages de Wilford et de Sarah Emma et elle
répondit rapidement :
« Oui, je vais y retourner ! »
Au moment où elle prit sa décision, la foi de Wilford fut renouvelée.
Il l’oignit d’huile consacrée, lui imposa les mains et réprimanda le
pouvoir de la mort. Quand il eut fini, elle recommença à respirer. Elle
ouvrit les yeux et regarda les deux anges quitter la pièce.
Au Missouri, Joseph, Hyrum et les autres détenus de la prison de
Liberty se serraient les uns contre les autres pour se tenir chaud. Le
petit cachot humide aux murs de pierre et de bois épais de plus d’un
mètre était en grande partie en sous-sol. Deux minuscules fenêtres près
du plafond laissaient entrer un peu de clarté mais étaient
insuffisantes pour évacuer la puanteur rance du lieu. Des piles de
paille sale sur le sol de pierre servaient de lits aux prisonniers et
quand les hommes étaient assez désespérés pour manger les repas
immondes qu’on leur servait, la nourriture les faisait parfois vomir.
Début décembre, Emma rendit visite à Joseph, rapportant des nouvelles
des saints à Far West. En écoutant le récit de leurs souffrances, il
sentait son indignation envers ceux qui l’avaient trahi grandir. Il
dicta une lettre aux saints, condamnant la perfidie de ces hommes et
encourageant les saints à persévérer.
Il leur assura : « Sion vivra, bien qu’elle semble être morte. Le Dieu
de paix vous accompagnera et ouvrira la voie pour que vous échappiez à
l’adversaire de votre âme. »
En février 1839, Marie, la femme d’Hyrum, et sa sœur Mercy rendirent
visite aux prisonniers avec le fils nouveau-né d’Hyrum, Joseph F.
Smith. Mary n’avait pas revu Hyrum depuis novembre, avant la naissance.
L’accouchement et un gros rhume l’avaient laissée presque trop faible
pour se rendre à Liberty. Toutefois, Hyrum lui avait demandé de venir
et elle ne savait pas si elle aurait une autre occasion de le voir.
Dans la prison, le geôlier ouvrit la trappe et les femmes descendirent
dans le cachot pour passer la nuit avec les prisonniers. Il referma le
battant derrière elles et le condamna avec un gros verrou.
Cette nuit-là, personne ne dormit beaucoup. La vue de Joseph, d’Hyrum
et des autres prisonniers, émaciés et sales dans leur logement exigu,
choqua les femmes. Hyrum tint son bébé et parla doucement avec Mary.
Les autres prisonniers et lui étaient inquiets. Le geôlier et les
gardes étaient toujours sur le qui-vive, certains que Joseph et Hyrum
étaient en train de comploter une évasion.
Le lendemain matin, Mary et Mercy leur dirent au revoir et se hissèrent
hors du cachot. Tandis que les gardes les escortaient vers la sortie,
les charnières de la trappe grincèrent lorsqu’elle se referma
brutalement.
Cet hiver-là, à Far West, Brigham Young et Heber Kimball reçurent une
lettre de Joseph. Il déclarait : « La direction des affaires de
l’Église repose sur vous, c’est-à-dire, les Douze. » Il les enjoignait
de nommer le plus vieux des apôtres originels pour remplacer Thomas
Marsh en tant que président du Collège. David Patten aurait été le plus
âgé mais il avait succombé à ses blessures suite à la bataille de la
Crooked River, ce qui signifiait que c’était Brigham, maintenant âgé de
trente-sept ans, qui devait conduire les saints hors du Missouri.
Brigham avait déjà enrôlé l’aide du grand conseil du Missouri pour
maintenir l’ordre dans l’Église et prendre les décisions en l’absence
de Joseph. Mais il y avait encore d’autres choses à faire.
Le général Clark avait donné aux saints jusqu’au printemps pour quitter
l’État mais des émeutiers armés circulaient à cheval dans toute la
ville, promettant de tuer quiconque serait encore là fin février.
Effrayés, beaucoup de ceux qui en avaient les moyens s’enfuirent dès
que possible, laissant les pauvres se débrouiller.
Le 29 janvier, Brigham exhorta les saints de Far West à faire alliance
de s’aider les uns les autres à évacuer l’État. Il leur dit : « Nous
n’abandonnerons jamais les pauvres tant qu’ils ne sont pas hors de
portée de l’ordre d’extermination. »
Pour s’assurer que tout le monde soit pris en charge, les autres
dirigeants de Far West et lui nommèrent un comité de sept hommes pour
organiser l’évacuation. Le comité réunit des dons et des vivres pour
les pauvres et fit une évaluation minutieuse des besoins des saints.
Plusieurs hommes explorèrent des pistes dans tout l’État, sans
s’écarter des routes bien tracées et en évitant les endroits hostiles.
Les routes choisies convergeaient toutes vers le Mississippi, la
frontière est de l’État, à deux cent soixante kilomètres.
Ils décidèrent que l’exode hors du Missouri devait commencer
immédiatement.
Début février, Emma quitta Far West avec ses quatre enfants : Julia,
huit ans, Joseph III, six ans, Frederick, deux ans et Alexander, sept
mois. Presque tout ce que Joseph et elle possédaient avait été volé ou
abandonné à Far West. Elle voyagea donc avec des amis qui lui
fournirent un chariot et des chevaux pour le voyage. Elle transporta
également les papiers importants de Joseph.
La famille voyagea sur le sol gelé du Missouri pendant plus d’une
semaine. En chemin, l’un de leurs chevaux mourut. Lorsqu’ils
atteignirent le Mississippi, ils découvrirent qu’à cause du froid
implacable de l’hiver, une couche de glace s’était formée sur toute la
largeur du fleuve. Aucun bac ne pouvait fonctionner mais la glace était
juste assez épaisse pour permettre au groupe de traverser à pied.
Avec Frederick et Alexander dans les bras, Emma s’avança sur le fleuve
gelé. Le petit Joseph se cramponnait à un côté de sa jupe pendant que
Julia tenait fermement l’autre. Ils marchèrent tous les trois
prudemment sur le chemin glissant jusqu’à atteindre enfin la rive
distante.
Saine et sauve hors du Missouri, Emma trouva les gens de la ville
voisine (Quincy, en Illinois) plus aimables qu’elle ne s’y attendait.
Ils aidèrent les saints à franchir le fleuve gelé, donnèrent de la
nourriture et des vêtements, et offrirent un abri et un emploi aux plus
démunis.
Peu après son arrivée, elle écrivit à son mari : « Je suis encore en
vie et toujours disposée à souffrir davantage pour toi si telle est la
volonté des cieux aimants. » Les enfants allaient bien aussi, à part
Frederick, qui était malade.
Elle dit : « Seul Dieu connaît les pensées de mon esprit et les
sentiments de mon cœur lorsque j’ai abandonné notre maison et notre
foyer et tout ce que nous possédions si ce n’est nos petits enfants et
que j’ai quitté l’État du Missouri en te laissant enfermé dans cette
prison solitaire. »
Elle était quand même confiante en la justice divine et espérait des
jours meilleurs. Elle écrivit : « Si Dieu ne prend pas note de nos
souffrances et ne venge pas nos torts sur les coupables, je me trompe
lourdement. »
Tandis que les saints fuyaient le Missouri, la blessure d’Alma Smith
empêchait toujours sa famille de quitter Hawn’s Mill. Amanda prenait
soin de son fils, toujours confiante que le Seigneur lui réparerait la
hanche.
Un jour, il lui demanda : « Tu crois que le Seigneur peut le faire,
maman ? »
Elle lui répondit : « Oui, mon fils. Il m’a tout montré en vision. »
Au bout d’un moment, les émeutiers voisins du camp se montrèrent
davantage hostiles et fixèrent une date limite à laquelle les saints
devaient partir. Lorsque le jour arriva, la hanche d’Alma était encore
à vif et Amanda refusa de s’en aller. Apeurée et désirant ardemment
prier à haute voix, elle se cacha dans un faisceau de tiges de maïs et
demanda au Seigneur force et aide. Lorsqu’elle eut terminé sa prière,
une voix s’adressa à elle, répétant un couplet d’un cantique connu :
L’âme qui s’appuie sur Jésus pour se reposer,
À ses ennemis, je ne l’abandonnerai ;
Cette âme, que l’enfer s’évertue à secouer,
Jamais, non jamais je ne l’abandonnerai !
Les paroles fortifièrent Amanda et elle eut l’impression qu’il ne
pouvait rien lui arriver de mal. Peu après, pendant qu’elle puisait de
l’eau dans un ruisseau, elle entendit ses enfants crier dans la maison.
Terrifiée, elle se précipita à la porte et vit Alma courir autour de la
pièce.
Il criait : « Je vais bien, maman, je vais bien ! » Un cartilage souple
s’était formé à la place de sa hanche, lui permettant de marcher.
Alma étant en mesure de voyager, Amanda rassembla ses affaires, se
rendit chez le Missourien qui lui avait volé son cheval et exigea qu’il
le lui rende. Il lui dit qu’elle pouvait le reprendre si elle payait
cinq dollars pour le dédommager de l’avoir nourri.
Ne faisant aucun cas de ses dires, Amanda alla dans la cour, prit son
cheval et partit pour l’Illinois avec ses enfants.
Comme il y avait des saints qui quittaient Far West jour après jour,
Drusilla Hendricks s’inquiétait d’être abandonnée avec sa famille.
Isaac Leany, un autre saint qui avait reçu quatre balles à Hawn’s Mill,
lui assura que ce ne serait pas le cas mais Drusilla ne voyait pas
comment son mari pourrait faire le voyage.
Depuis sa blessure à la nuque à la bataille de la Crooked River, James
était paralysé. Après le combat, elle l’avait trouvé chez des voisins,
allongé parmi les blessés. Bien qu’accablée de chagrin, elle s’était
ressaisie, l’avait ramené à la maison et avait essayé différents
remèdes pour redonner de la sensation à ses membres. Rien ne semblait y
faire.
Pendant les semaines qui suivirent la capitulation de Far West, elle
avait vendu leurs terres et travaillé pour gagner de l’argent pour
déménager. Elle en avait suffisamment pour acheter quelques provisions
et un petit chariot mais pas d’attelage d’animaux pour le tirer.
Sans rien pour tracter son chariot, Drusilla savait qu’ils seraient
bloqués au Missouri. James avait récupéré un peu de mobilité dans les
épaules et les jambes après avoir reçu une bénédiction de la prêtrise
mais il ne pouvait pas marcher très loin. Pour le conduire en sécurité
hors de l’État, ils avaient besoin d’un attelage.
L’inquiétude de Drusilla augmentait à mesure que la date limite de
l’évacuation approchait. Les émeutiers commencèrent à la menacer,
l’avertissant qu’ils allaient venir tuer son mari.
Un soir, alors qu’elle allaitait son bébé sur le lit à côté de James,
elle entendit un chien aboyer dehors. William, son fils aîné, cria : «
Maman ! Les émeutiers arrivent ! » Un instant plus tard, elle entendit
frapper à la porte.
Elle demanda qui c’était. Une voix venant de dehors lui dit que cela ne
la regardait pas et menaça d’enfoncer la porte si elle ne l’ouvrait
pas. Elle dit à l’un de ses enfants d’ouvrir et peu après, la pièce fut
remplie d’hommes armés portant de fausses barbes pour dissimuler leur
visage.
Ils ordonnèrent à Drusilla de se lever.
Craignant qu’ils ne tuent James si elle s’éloignait de lui, elle ne
bougea pas. Un homme attrapa une bougie sur une table voisine et
commença à fouiller la maison. Les hommes dirent qu’ils cherchaient un
Danite dans la région.
Ils cherchèrent sous le lit et dans les pièces à l’arrière. Ensuite,
ils retirèrent les couvertures de dessus James et tentèrent de
l’interroger mais il était trop faible pour dire quoi que ce soit. Dans
la pénombre, il avait l’air fragile et pâle.
Ils demandèrent de l’eau et Drusilla leur dit où en trouver. Pendant
qu’ils buvaient, ils chargèrent leurs pistolets. L’un d’eux dit : «
Tout est prêt. »
Elle regarda les hommes placer le doigt sur la gâchette de leur arme.
Ils se levèrent et Drusilla se prépara à une volée de balles. Les
hommes s’attardèrent dans la pièce pendant une minute puis sortirent et
s’éloignèrent.
Un peu plus tard, un docteur prit James en pitié et donna à Drusilla
des conseils sur la manière de l’aider. James reprit lentement des
forces. Leur ami Isaac trouva également un attelage de bœufs pour la
famille.
C’était tout ce dont ils avaient besoin pour quitter définitivement le
Missouri.
Lorsque Wilford et Phebe Woodruff arrivèrent en Illinois avec la
branche des îles Fox, ils furent informés de l’expulsion des saints du
Missouri. Mi-mars, alors que davantage de membres de l’Église
s’installaient à Quincy, les Woodruff prirent la route de la ville
pleine d’animation pour retrouver les saints et les dirigeants de
l’Église.
Edward Partridge, qui avait souffert pendant des semaines dans une
prison du Missouri, aidait à diriger l’Église à Quincy en dépit de sa
mauvaise santé. Pendant ce temps, Heber et d’autres dirigeants généraux
continuaient de superviser l’évacuation du Missouri.
Wilford et Phebe trouvèrent Emma et ses enfants chez Sarah et John
Cleveland, un juge local. Ils virent également les parents et les
frères et sœurs du prophète qui habitaient maintenant à Quincy et dans
les environs, tout comme Brigham et Mary Ann Young et John et Leonora
Taylor.
Le lendemain, Brigham annonça que le comité d’évacuation à Far West
avait besoin d’argent et d’attelages pour aider cinquante familles
pauvres à quitter le Missouri. Bien que les saints de Quincy le fussent
aussi, il leur demanda de faire preuve de charité envers ceux qui
étaient encore plus démunis qu’eux. En retour, les saints donnèrent
cinquante dollars et plusieurs attelages.
Wilford se rendit sur les berges du Mississipi le lendemain pour rendre
visite à un camp de membres de l’Église nouvellement arrivés. Il
faisait froid et il pleuvait et les réfugiés étaient en petits groupes
dans la boue, fatigués et affamés. Aussi aimables que fussent les
habitants de Quincy, Wilford savait que les saints auraient vite besoin
d’un endroit à eux.
Heureusement, l’évêque Partridge et d’autres avaient parlé à un homme
nommé Isaac Galland, qui voulait leur vendre des terres marécageuses le
long d’un méandre du fleuve au nord de Quincy. Elles ressemblaient
difficilement aux terres où coulent le lait et le miel qu’ils avaient
imaginées pour Sion mais elles étaient disponibles immédiatement et
pouvaient offrir aux saints un nouveau lieu de rassemblement.
CHAPITRE 33 : Ô Dieu, où es-tu ?
Pour les détenus de la prison de Liberty, les journées étaient
interminables. Durant leurs premiers mois de prison, ils reçurent
souvent des visites de leur famille et de leurs amis qui leur
apportaient des paroles réconfortantes, des vêtements et de la
nourriture. À la fin de l’hiver, le nombre de lettres et de visites
amicales chuta brusquement lorsque les saints s’enfuirent en Illinois,
laissant les prisonniers encore plus esseulés.
En janvier 1839, ils avaient essayé de plaider leur cause devant un
juge de comté mais seul Sidney Rigdon, qui était gravement malade,
avait été libéré sous caution. Les autres (Joseph, Hyrum, Lyman Wight,
Alexander McRae et Caleb Baldwin) retournèrent dans leur cachot en
attendant le procès prévu au printemps.
La vie en prison minait Joseph. Des chahuteurs essayaient de le voir à
travers les barreaux des fenêtres pour le regarder comme une bête
curieuse ou lui crier des obscénités. Les autres prisonniers et lui
n’avaient souvent qu’un peu de pain de maïs à manger. La paille qu’ils
utilisaient comme couchage depuis décembre était maintenant tassée et
n’offrait aucun confort. Quand ils allumaient un feu pour se
réchauffer, le cachot se remplissait d’une fumée irrespirable.
Le jour du procès arrivait rapidement et chaque homme savait qu’il
avait de grandes chances d’être inculpé par un jury partial et d’être
exécuté. Ils essayèrent plus d’une fois de s’évader mais leurs gardes
les attrapaient systématiquement.
Depuis son appel divin, Joseph avait persévéré en dépit de
l’opposition, s’efforçant d’obéir au Seigneur et de rassembler les
saints. Bien que l’Église ait prospéré au fil des années, elle semblait
maintenant être sur le point de s’effondrer.
Les émeutiers avaient chassé les saints hors de Sion dans le comté de
Jackson. Des querelles intestines avaient divisé l’Église à Kirtland et
laissé le temple entre les mains de créanciers. Maintenant, après une
terrible guerre avec leurs voisins, les saints étaient dispersés le
long de la rive est du Mississipi, découragés et sans abri.
Si seulement les habitants du Missouri les avaient laissés tranquilles,
pensa Joseph, il n’y aurait eu que paix et calme dans l’État. Les
saints étaient de bonnes personnes qui aimaient Dieu. Ils ne méritaient
pas d’être chassés de chez eux, battus et abandonnés à leur sort.
L’injustice irritait Joseph. Dans l’Ancien Testament, le Seigneur avait
souvent secouru son peuple du danger, vainquant ses ennemis avec la
force de son bras.Maintenant que les saints étaient menacés
d’extermination, il n’était pas intervenu.
Pourquoi ?
Pourquoi un Père céleste aimant laissait-il tant d’hommes, de femmes et
d’enfants innocents souffrir alors que ceux qui les chassaient de chez
eux, volaient leurs terres et commettaient des actes de violence
indescriptibles envers eux étaient libres et impunis ? Comment
pouvait-il laisser ses serviteurs fidèles moisir dans une prison
épouvantable, loin de leurs proches ? Quelle utilité cela pouvait-il
avoir d’abandonner les saints au moment même où ils avaient le plus
besoin de lui ?
Joseph s’écria : « Ô Dieu, où es-tu ? Combien de temps retiendras-tu ta
main ? »
Pendant que Joseph luttait avec le Seigneur, les apôtres à Quincy
devaient prendre une décision importante, mettant potentiellement leur
vie en jeu. L’année précédente, le Seigneur leur avait commandé de se
retrouver le 26 avril 1839 sur le site du temple de Far West, où ils
devaient continuer d’en poser les fondations avant de partir pour une
nouvelle mission en Angleterre. À un peu plus d’un mois de la date
fixée, Brigham Young insista pour que les apôtres retournent à Far West
et accomplissent à la lettre le commandement du Seigneur.
Plusieurs dirigeants de l’Église à Quincy croyaient qu’il ne leur était
plus nécessaire d’obéir à la révélation et pensaient qu’il était
absurde de retourner là où les émeutiers avaient juré de tuer les
saints. Certainement, raisonnaient-ils, le Seigneur n’attendait pas
d’eux qu’ils risquent leur vie à faire des centaines de kilomètres
aller-retour en territoire ennemi alors qu’on avait tant besoin d’eux
en Illinois.
De plus, leur collège était en déroute. Thomas Marsh et Orson Hyde
avaient apostasié, Parley Pratt était en prison et Heber Kimball et
John Page étaient toujours au Missouri. Wilford Woodruff, Willard
Richards et George A. Smith, le cousin de Joseph, apôtres récemment
appelés, n’avaient pas encore été ordonnés et Willard prêchait
l’Évangile en Angleterre.
Pourtant, Brigham estimait qu’ils étaient en mesure de se réunir à Far
West comme le Seigneur l’avait commandé et qu’ils devaient essayer de
le faire.
Il voulait que les apôtres de Quincy prennent la décision à
l’unanimité. Pour faire le voyage, ils devaient laisser leur famille à
un moment où l’avenir de l’Église était incertain. Si les apôtres
étaient capturés ou tués, leurs femmes et leurs enfants seraient seuls
pour affronter les épreuves à venir.
Mesurant l’enjeu, Orson Pratt, John Taylor, Wilford Woodruff et George
A. Smith acceptèrent de faire tout ce qui était exigé pour suivre le
commandement du Seigneur.
Après avoir pris leur décision, Brigham dit : « Le Seigneur Dieu a
parlé. Il est de notre devoir d’obéir et de laisser le dénouement entre
ses mains. »
Dans la prison de Liberty, Joseph était consumé par ses soucis pour les
saints et les torts qu’ils avaient subis. Le soir du 19 mars, il reçut
des lettres d’Emma, de son frère Don Carlos et de l’évêque Partridge.
Elles le consolèrent un peu, ainsi que les autres détenus, mais il ne
pouvait oublier qu’il était prisonnier dans un cachot dégoûtant pendant
que les saints étaient dispersés et avaient besoin d’aide.
Le lendemain de l’arrivée des lettres, il commença à rédiger deux
épîtres aux saints épanchant son âme comme il ne l’avait jamais fait
par écrit. Dictant à un autre prisonnier qui lui servait de secrétaire,
le prophète tenta de les réconforter dans leur désespoir.
Il leur assura : « Toute espèce de méchanceté ou de cruauté perpétrée
contre nous ne fera que lier nos cœurs et les sceller ensemble dans
l’amour. »
Il ne pouvait néanmoins pas ignorer les mois de persécutions qui les
avaient conduits dans la situation désespérée où ils se trouvaient. Il
vitupéra contre le gouverneur Boggs, la milice et ceux qui avaient fait
du mal aux saints. Il fit appel au Seigneur en priant : « Que ta colère
s’allume contre nos ennemis ; et dans la furie de ton cœur, venge-nous,
par ton épée, des injustices que nous avons subies. »
Joseph savait néanmoins que leurs ennemis n’étaient pas les seuls
fautifs. Certains saints, notamment des dirigeants de l’Église, avaient
essayé de couvrir leurs péchés, d’assouvir leur orgueil et leur
ambition et d’employer la force pour contraindre les saints à leur
obéir. Ils avaient abusé de leur pouvoir et de leur position parmi eux.
Sous l’inspiration, Joseph dit : « Nous avons appris par triste
expérience qu’il est de la nature et des dispositions de presque tous
les hommes de commencer à exercer une domination injuste aussitôt
qu’ils reçoivent un peu d’autorité ou qu’ils croient en avoir. »
Les saints justes devaient agir conformément à des principes plus
élevés. Le Seigneur déclara : « Aucun pouvoir, aucune influence ne
peuvent ou ne devraient être exercés en vertu de la prêtrise autrement
que par la persuasion, par la longanimité, par la gentillesse et la
douceur, et par l’amour sincère. Les personnes qui essayaient de faire
autrement perdaient l’Esprit et l’autorité de faire du bien à leur
prochain avec la prêtrise.
Joseph plaida quand même en faveur des innocents. Il demanda : « Ô
Seigneur, combien de temps souffriront-ils ces injustices et ces
oppressions illégales avant que ton cœur ne s’adoucisse envers eux et
que tes entrailles ne soient émues de compassion envers eux ? »
Le Seigneur répondit : « Mon fils, que la paix soit en ton âme ! Ton
adversité et tes afflictions ne seront que pour un peu de temps ; et
alors, si tu les supportes bien, Dieu t’exaltera en haut ; tu
triompheras de tous tes ennemis. »
Il lui assura qu’il ne l’oubliait pas. Il lui dit : « Si la gueule même
de l’enfer ouvre ses mâchoires béantes pour t’engloutir, sache, mon
fils, que toutes ces choses te donneront de l’expérience et seront pour
ton bien. »
Le Sauveur lui rappela que les saints ne pouvaient pas souffrir plus
que lui. Il les aimait et pouvait mettre un terme à leurs afflictions
mais il avait plutôt choisi de les endurer avec eux, portant leur
chagrin lors de son sacrifice expiatoire. Une telle souffrance l’avait
rempli de miséricorde, lui donnant le pouvoir de secourir et de
raffiner tous ceux qui se tournaient vers lui dans leurs épreuves. Il
exhorta Joseph à persévérer et promit de ne jamais l’abandonner.
Il lui assura : « Tes jours sont connus et tes années ne seront pas
diminuées ; c’est pourquoi, ne crains pas ce que l’homme peut faire,
car Dieu sera avec toi pour toujours et à jamais. »
Pendant que le Seigneur apaisait Joseph en prison, Heber Kimball et
d’autres saints au Missouri faisaient inlassablement pression sur la
cour suprême de l’État pour obtenir la libération du prophète. Les
juges semblaient favorables aux supplications d’Heber et certains
doutaient même de la légalité de l’emprisonnement mais, au bout du
compte, ils refusèrent d’intervenir.
Découragé, Heber retourna à Liberty pour faire rapport à Joseph. Les
gardes refusèrent de le laisser entrer dans le cachot, alors il se tint
à l’extérieur de la fenêtre de la prison et de là appela ses amis. Il
leur dit qu’il avait fait de son mieux mais que cela n’avait rien
changé.
Joseph répliqua : « Ne t’en fais pas et éloigne tous les saints le plus
vite possible. »
Quelques jours plus tard, Heber entra subrepticement à Far West, se
méfiant des dangers qui planaient encore dans la région. À part une
poignée de dirigeants et quelques familles, la ville était déserte. Sa
famille était partie deux mois plus tôt et depuis, il n’avait aucune
nouvelle d’elle. En pensant à elle, aux prisonniers et à ceux qui
avaient souffert et étaient morts à cause des émeutiers, il se sentit
abattu et seul. Comme Joseph, il lui tardait que les tribulations
cessent.
Tandis qu’il pensait à la situation désolante où ils se trouvaient et à
ses échecs pour obtenir la libération de Joseph, il fut rempli de
l’amour et de la reconnaissance du Seigneur. Appuyant un morceau de
papier sur ses genoux, il nota les impressions qui lui venaient à
l’esprit.
Il entendit le Seigneur dire : « Souviens-toi que je suis toujours avec
toi, même jusqu’à la fin. Mon Esprit sera dans ton cœur pour
t’enseigner les choses paisibles du royaume. »
Il lui dit de ne pas s’inquiéter pour sa famille. Il promit : « Je la
nourrirai, la vêtirai et lui susciterai des amis. La paix reposera sur
elle à jamais si tu es fidèle et pars prêcher mon Évangile aux nations
de la terre. »
Lorsqu’il eut fini d’écrire, il eut le cœur et l’esprit en paix.
Après que le Seigneur lui eut parlé dans le cachot sombre et misérable,
Joseph ne craignit plus que Dieu l’ait oublié ou ait oublié l’Église.
Dans des lettres adressées à Edward Partridge et aux saints, il
témoigna hardiment de l’œuvre des derniers jours. Il déclara : «
L’enfer peut déverser sa rage pareille à la lave brûlante du Vésuve, le
mormonisme y résistera. » Il en était certain.
Il s’exclama : « La vérité est le mormonisme. Dieu en est l’auteur. Il
est notre bouclier. C’est par lui que nous avons reçu notre naissance.
C’est par sa voix que nous avons été appelés à une dispensation de son
Évangile au début de la plénitude des temps. »
Il exhorta les saints à dresser une liste officielle des torts subis au
Missouri afin de pouvoir la porter à l’attention du président des
États-Unis et d’autres dirigeants du gouvernement. Il croyait que les
saints avaient le devoir de chercher par des moyens légaux réparation
de leurs dommages.
Il conseilla : « Faisons de bon gré tout ce qui est en notre pouvoir ;
alors nous pourrons nous tenir là avec la plus grande assurance pour
voir le salut de Dieu, et voir son bras se révéler. »
Quelques jours après qu’il eut envoyé ses lettres, ses codétenus et lui
quittèrent la prison pour comparaître devant un grand jury. Avant de
partir, Joseph écrivit une lettre à Emma : « Je veux voir petit
Frederick, Joseph, Julia et Alexander. Dis-leur que leur père a pour
eux un amour parfait et qu’il fait tout ce qu’il peut pour échapper aux
émeutiers afin de les rejoindre ».
Lorsque les prisonniers arrivèrent à Gallatin, certains des avocats qui
étaient dans la salle étaient en train de boire pendant qu’une foule
d’hommes musardait dehors, jetant des coups d’œil nonchalants par les
fenêtres. Le juge qui siégeait avait été l’avocat qui avait plaidé
contre les saints lors de leur audience de novembre.
Convaincus qu’ils ne pourraient pas obtenir de jugement équitable au
comté de Daviess, Joseph et les autres prisonniers demandèrent une
délocalisation. La requête fut accordée et ils prirent la route pour le
tribunal d’un autre comté avec un shérif et quatre nouveaux gardes.
Ces derniers furent indulgents avec les prisonniers et ils furent bien
traités pendant leur voyage jusqu’au nouveau lieu du procès. À
Gallatin, Joseph avait gagné leur respect en battant le plus fort
d’entre eux lors d’une lutte amicale. L’opinion publique au sujet des
saints évoluait aussi. Certains habitants du Missouri étaient de plus
en plus incommodés par l’ordre d’extermination du gouverneur et
voulaient tout simplement laisser tomber l’affaire et être débarrassés
des prisonniers.
Le lendemain de leur départ du comté de Daviess, les hommes
s’arrêtèrent à un relais et les détenus achetèrent du whisky pour leurs
gardes. Plus tard dans la soirée, le shérif s’approcha des prisonniers.
Il leur dit : « Je vais boire un bon coup et aller me coucher et vous
pouvez faire comme bon vous semble. »
Pendant que le shérif et trois des gardes s’enivraient, Joseph et ses
amis sellèrent deux chevaux avec l’aide du garde restant et prirent
dans la nuit la direction de l’est.
Deux jours plus tard, pendant que Joseph et les autres prisonniers
s’enfuyaient pour se mettre en lieu sûr, cinq apôtres partaient dans la
direction opposée, traversant le Mississippi en route pour Far West.
Brigham Young, Wilford Woodruff et Orson Pratt voyageaient dans une
calèche, pendant que John Taylor, George A. Smith et Alpheus Cutler, le
maître d’œuvre du temple, voyageaient dans une autre.
Ils traversèrent rapidement la prairie, pressés d’arriver à Far West le
jour désigné. En chemin, ils rencontrèrent fortuitement l’apôtre John
Page qui partait avec sa famille s’installer hors du Missouri et ils le
persuadèrent de se joindre à eux.
Au bout de sept jours de voyage, les apôtres s’introduisirent dans Far
West le soir du 25 avril, au clair de lune. L’herbe avait déjà poussé
sur ses rues désertées et le silence régnait. Heber Kimball, qui était
retourné à Far West en apprenant la nouvelle de l’évasion de Joseph,
sortit de sa cachette et leur souhaita la bienvenue en ville.
Les hommes passèrent quelques heures ensemble. Ensuite, lorsque la
lumière du soleil parut à l’horizon, ils chevauchèrent silencieusement
vers la place de la ville et marchèrent jusqu’au site du temple avec
les quelques saints qui étaient restés là. Ils chantèrent un cantique
et Alpheus roula une grosse pierre jusqu’à l’angle sud-est du site,
accomplissant le commandement du Seigneur de recommencer à poser les
fondations du temple.
Wilford s’assit sur la pierre et les apôtres formèrent un cercle autour
de lui. Ils lui imposèrent les mains et Brigham l’ordonna à
l’apostolat. Lorsqu’il eut fini, George prit la place de Wilford sur la
pierre et fut ordonné à son tour.
Conscients d’avoir fait tout ce qu’ils pouvaient, les apôtres
inclinèrent la tête et prièrent à tour de rôle dans la lumière de
l’aube. Lorsqu’ils eurent fini, ils chantèrent « Adam-ondi-Ahman », un
cantique célébrant la seconde venue de Jésus-Christ et le jour où la
paix de Sion s’étendrait sur toute la prairie du Missouri déchirée par
la guerre et remplirait le monde.
Alpheus fit de nouveau rouler la pierre jusqu’à l’endroit où il l’avait
trouvée, laissant les fondements entre les mains du Seigneur jusqu’au
jour où il préparerait la voie pour permettre aux saints de retourner
en Sion.
Le lendemain, les apôtres parcoururent cinquante kilomètres pour
rattraper les dernières familles qui s’efforçaient de quitter le
Missouri. Ils pensaient partir prochainement pour la Grande-Bretagne
mais ils voulaient d’abord retrouver leurs êtres chers en Illinois et
les installer dans le nouveau lieu de rassemblement, où qu’il soit.
À peu près à cette époque-là, un bac accosta à Quincy et plusieurs
passagers aux allures de voyous débarquèrent. L’un d’eux, un homme
mince et pâle, portait un chapeau à larges bords et une veste bleue
dont le col relevé dissimulait son visage barbu. Ses pantalons en
loques étaient rentrés dans ses bottes usées.
Dimick Huntington, ancien shérif parmi les saints à Far West, regarda
l’étranger hirsute grimper sur la berge. Quelque chose de familier dans
son visage et dans sa façon de se tenir attira son attention. Il ne
pouvait cependant pas dire ce qu’il en était avant d’y regarder de plus
près.
Il s’exclama : « Est-ce vous, frère Joseph ? »
Joseph leva les mains pour faire taire son ami. Prudemment, il dit : «
Chut. Où est ma famille ? »
Depuis leur évasion, Joseph et les autres prisonniers avaient été sur
le qui-vive et en fuite, suivant les routes du Missouri jusqu’au
Mississipi et à la liberté qui les attendait de l’autre côté du fleuve,
hors de portée des autorités du Missouri.
Toujours sous le choc d’avoir vu le prophète, Dimick expliqua qu’Emma
et les enfants habitaient à six kilomètres de là.
Joseph dit : « Conduis-moi à ma famille aussi vite que tu peux. »
Dimick et Joseph traversèrent la ville en empruntant de petites ruelles
pour se rendre chez les Cleveland sans être vus. Lorsqu’ils arrivèrent,
Joseph mit pied à terre et s’avança vers la maison.
Emma apparut à la porte et le reconnut immédiatement. Elle se mit à
courir et le serra dans ses bras à mi-chemin de l’entrée.
QUATRIÈME PARTIE :
La plénitude des temps (avril 1839 - février 1846)
CHAPITRE 34 : « Édifie une ville »
Vers la fin du mois d’avril 1839, quelques jours après avoir retrouvé
les saints, Joseph chevaucha en direction du nord pour inspecter des
terres que les dirigeants de l’Église voulaient acheter dans et autour
de Commerce, ville située à quatre-vingts kilomètres de Quincy. Pour la
première fois depuis plus de six mois, le prophète circulait sans
escorte armée et aucune menace de violences ne planait au-dessus de
lui. Il se retrouvait enfin parmi ses amis, dans un État où les
habitants faisaient bon accueil aux saints et semblaient respecter
leurs croyances.
En prison, il avait écrit à un homme qui vendait des terres aux
alentours de Commerce, exprimant le souhait d’y installer l’Église. Il
lui avait dit : « Si personne ne manifeste un intérêt particulier pour
cette acquisition, nous la ferons. »
Toutefois, après la chute de Far West, de nombreux saints doutaient de
la sagesse de se rassembler en un seul lieu. Edward Partridge se
demandait si le meilleur moyen d’éviter les conflits et de pourvoir aux
besoins des pauvres n’était pas de se rassembler en petites communautés
dispersées dans tout le pays, mais Joseph savait que le Seigneur
n’avait pas révoqué le commandement donné aux saints de se rassembler.
En arrivant à Commerce, il vit une plaine marécageuse qui s’élevait
doucement jusqu’à un promontoire boisé surplombant une large courbe du
Mississippi. La région était parsemée de quelques maisons. De l’autre
côté du fleuve, sur le territoire de l’Iowa, près d’une ville du nom de
Montrose, se trouvaient quelques casernes militaires abandonnées et
d’autres terres à vendre.
Joseph croyait que les saints pouvaient bâtir des pieux de Sion
florissants dans cette région. Les terres n’étaient pas les plus belles
qu’il ait jamais vues mais le Mississippi était navigable jusqu’à
l’océan, faisant de Commerce un bon endroit pour rassembler les saints
arrivant de l’étranger et établir des entreprises commerciales. De
plus, la région était peu colonisée.
Il était tout de même risqué de s’y rassembler. Si l’Église
grandissait, comme Joseph l’espérait, leurs voisins s’alarmeraient et
se retourneraient contre eux, comme ils l’avaient fait au Missouri.
Joseph pria : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? »
Le Seigneur répondit : « Édifie une ville et appelle mes saints à venir
en ce lieu. »
Ce printemps-là, Wilford et Phebe Woodruff emménagèrent dans les
casernes de Montrose. Brigham et Mary Ann Young et Orson et Sarah Pratt
faisaient partie de leurs nouveaux voisins. Après avoir installé leurs
familles, les trois apôtres avaient l’intention de partir en mission en
Grande-Bretagne avec le reste du Collège.
Rapidement, des milliers de saints emménagèrent dans le nouveau lieu de
rassemblement, montant des tentes ou vivant dans des chariots, le temps
de construire des maisons, d’acheter de la nourriture et des vêtements
et de défricher des terres cultivables de part et d’autre du fleuve.
Alors que la nouvelle colonie se développait, les Douze se réunissaient
souvent avec Joseph qui prêchait avec une vigueur renouvelée pour les
préparer à leur mission. Le prophète enseigna que Dieu ne lui
révélerait rien qu’il ne révélerait également aux Douze. Il déclara : «
Même le moindre des saints peut tout savoir aussi vite qu’il est
capable de le supporter. »
Il les instruisit au sujet des premiers principes de l’Évangile, de la
Résurrection, du jugement et de l’édification de Sion. Se souvenant de
la trahison d’anciens apôtres, il les exhorta également à être fidèles.
Il dit : « Veillez à ne pas trahir les cieux, à ne pas trahir
Jésus-Christ, à ne pas trahir vos frères et à ne pas trahir les
révélations de Dieu. »
Vers cette époque-là, Orson Hyde exprima le désir de revenir dans le
Collège des Douze, honteux d’avoir dénoncé Joseph au Missouri et
d’avoir abandonné les saints. Craignant qu’il ne les trahisse à nouveau
à la prochaine difficulté, Sidney Rigdon répugnait à lui redonner son
office d’apôtre mais Joseph l’accueillit et lui redonna sa place parmi
les Douze. En juillet, Parley Pratt s’évada de prison au Missouri et
retrouva les apôtres.
À ce moment-là, des nuages de moustiques s’élevèrent des marécages pour
se régaler des nouveaux colons et de nombreux saints furent victimes de
fièvres palustres mortelles et de violents frissons. La plupart des
Douze furent bientôt trop malades pour partir en Grande-Bretagne.
Le matin du 22 juillet, Wilford entendit la voix de Joseph venant de
l’extérieur : « Frère Woodruff, suivez-moi. »
Wilford sortit de chez lui et le vit accompagné d’un groupe d’hommes.
Toute la matinée, ils étaient allés de maison en maison, de tente en
tente, prenant les malades par la main et les guérissant. Après avoir
béni les saints de Commerce, ils avaient pris le bac pour franchir le
fleuve et guérir ceux de Montrose.
Wilford les accompagna jusqu’à chez son ami Elijah Fordham, de l’autre
côté de la place du village. Il avait les yeux enfoncés et le teint
grisâtre. Sa femme, Anna, préparait en pleurant des habits pour sa
sépulture.
Joseph s’approcha de lui et lui prit la main. Il demanda : « Frère
Fordham, n’avez-vous pas la foi pour être guéri ?
— Je crains qu’il ne soit trop tard.
— Ne croyez-vous pas que Jésus est le Christ ?
— Oui, je le crois, frère Joseph.
— Elijah, je vous commande, au nom de Jésus de Nazareth, de vous lever
et d’être guéri ! »
Les mots semblèrent ébranler la maison. Le visage d’Elijah reprit des
couleurs et il se leva. Il s’habilla, demanda quelque chose à manger et
suivit Joseph dehors pour aller bénir de nombreuses autres personnes.
Plus tard ce soir-là, Phebe Woodruff fut stupéfaite lorsqu’elle leur
rendit visite. À peine quelques heures plus tôt, Anna était quasiment
sûre de perdre son mari. Maintenant, il disait qu’il se sentait
suffisamment fort pour travailler dans son jardin. Phebe ne doutait pas
que sa guérison était l’œuvre de Dieu.
Les efforts de Joseph pour bénir et guérir les malades ne mirent pas
fin à l’épidémie à Commerce et à Montrose et quelques saints périrent.
Lorsque d’autres personnes moururent, Zina Huntington, dix-huit ans,
s’inquiéta que sa mère ne mourût aussi.
Elle la soignait quotidiennement, comptant sur le soutien de son père
et de ses frères mais rapidement, toute la famille fut malade. Joseph
passait de temps en temps voir ce qu’il pouvait faire pour eux ou pour
soulager la mère de Zina.
Un jour, cette dernière appela sa fille. Elle dit d’une voix faible : «
Mon heure est venue. Je n’ai pas peur. » Elle lui témoigna de la
Résurrection. « Je me lèverai triomphante lorsque le Sauveur viendra
avec les justes à la rencontre des saints sur la terre. »
Lorsque sa mère mourut, Zina fut submergée de chagrin. Connaissant les
souffrances de la famille, Joseph continua de veiller sur elle.
Lors de l’une de ses visites, Zina lui demanda : « Est-ce que je saurai
que ma mère était ma mère lorsque j’arriverai de l’autre côté ? »
Il dit : « Non seulement cela, mais tu rencontreras et feras la
connaissance de ta Mère éternelle, la femme de ton Père céleste.
— « Alors j’ai une Mère céleste ? » demanda Zina.
— « Certainement. » lui répondit Joseph Il ajouta : « Comment un Père
pourrait-il prétendre à son titre s’il n’y avait pas une Mère avec lui
pour partager ce rôle de parent ? »
Début août, Wilford partit pour l’Angleterre avec John Taylor, le
premier des apôtres à partir pour la nouvelle mission. À l’époque,
Phebe attendait un autre enfant et Leonora, la femme de John, ainsi que
leurs trois enfants, souffraient de fièvres.
Parley et Orson Pratt furent les prochains apôtres à partir, bien
qu’Orson et Sarah fussent encore endeuillés par la perte de leur fille
Lydia décédée onze jours plus tôt. Mary Ann Pratt, la femme de Parley,
accompagnait les apôtres en mission et prit donc la route avec eux. En
1897, George A. Smith, le plus jeune des apôtres, était encore malade
lorsqu’il entreprit sa mission, reportant son mariage avec sa fiancée,
Bathsheba Bigler.
Mi-septembre, Mary Ann Young fit ses adieux à Brigham. Il était de
nouveau malade mais déterminé à faire ce qui était exigé de lui.
Elle-même était souffrante et disposait de peu d’argent pour subvenir
aux besoins de leurs cinq enfants en l’absence de son mari mais elle
voulait qu’il s’acquitte de son devoir.
Elle dit : « Va et remplis ta mission et le Seigneur te bénira. Je
ferai de mon mieux pour moi-même et pour les enfants. »
Quelques jours après son départ, elle apprit qu’à peine arrivé chez les
Kimball, de l’autre côté du Mississippi, il s’était effondré
d’épuisement. Elle traversa immédiatement le fleuve pour prendre soin
de lui jusqu’à ce qu’il fut suffisamment rétabli pour partir.
Chez les Kimball, elle trouva Vilate alitée avec deux de ses fils, ne
laissant personne d’autre que leur petit garçon de quatre ans pour
rapporter du puits les lourds brocs d’eau. Heber était trop malade pour
tenir debout mais était résolu à partir avec Brigham le lendemain.
Mary Ann s’occupa de son mari jusqu’à l’arrivée d’un chariot le matin
suivant. En se levant pour partir, Heber semblait désemparé. Il
embrassa Vilate, alitée et tremblante de fièvre puis prit congé de ses
enfants avant de grimper en vacillant dans le chariot.
Brigham tenta en vain d’avoir l’air en forme lorsqu’il fit ses adieux à
Mary Ann et à sa sœur Fanny qui le pressaient d’attendre d’être guéri.
Il dit : « Je ne me suis jamais senti aussi bien de ma vie. »
Fanny répondit : « Tu mens. »
Il grimpa péniblement dans le véhicule et prit place à côté d’Heber.
Lorsque le chariot descendit la colline, Heber se sentit très mal à
l’idée de laisser sa famille alors qu’elle était si malade. Il se
tourna vers le conducteur et lui dit d’arrêter. Il dit à Brigham : «
C’est très dur. Levons-nous et encourageons-les. »
Un bruit venant de l’extérieur fit sortir Vilate du lit. Chancelant
jusqu’à la porte, elle se joignit à Mary Ann et à Fanny qui regardaient
quelque chose à une petite distance. Vilate regarda aussi et un sourire
se dessina sur ses lèvres.
C’étaient Brigham et Heber, s’appuyant l’un sur l’autre pour tenir
debout à l’arrière du chariot. Agitant leur chapeau, les hommes
crièrent : « Hourra ! Hourra pour Israël ! »
Les femmes répliquèrent : « Au revoir ! Que Dieu vous bénisse ! »
Pendant que les apôtres partaient pour la Grande-Bretagne, les saints
en Illinois et dans l’Iowa rédigeaient des déclarations détaillant les
mauvais traitements subis au Missouri, comme Joseph leur avait demandé
de le faire pendant qu’il était en prison. À l’automne, les dirigeants
de l’Église avaient récolté des centaines de récits et préparé une
pétition officielle. Au total, les saints réclamaient plus de deux
millions de dollars de dédommagement pour les logements, les terres,
les bestiaux et les autres biens qu’ils avaient perdus. Joseph avait
l’intention de remettre personnellement ces réclamations au président
des États-Unis et au Congrès.
Il considérait le président Martin Van Buren comme un homme d’État à
l’âme noble, quelqu’un qui défendrait les droits des citoyens. Il
espérait que le président et d’autres législateurs à Washington D.C.
liraient le récit des souffrances des saints et accepteraient de les
dédommager pour les terres et les biens qu’ils avaient perdus au
Missouri.
Le 29 novembre 1839, après avoir parcouru mille six cents kilomètres
depuis chez lui en Illinois, Joseph arriva à la porte du palais
présidentiel à Washington. À ses côtés se trouvaient son ami et
conseiller juridique, Elias Higbee, et John Reynolds, membre du Congrès
d’Illinois.
Un portier les accueillit à la porte et les fit entrer. Le palais
venait d’être redécoré, et Joseph et Elias furent émerveillés par
l’élégance de ses pièces, qui contrastait nettement avec les logements
délabrés des saints dans l’Ouest.
Leur guide les conduisit à l’étage où le président Van Buren recevait
ses visiteurs. Pendant qu’ils attendaient devant l’entrée, la pétition
et plusieurs lettres d’introduction en main, Joseph demanda à Reynolds
de le présenter simplement en tant que « saint des derniers jours ». Le
membre du Congrès sembla surpris et amusé par la requête mais il
accepta de respecter le désir de Joseph. Bien que peu enclin à aider
les saints, il savait que leur nombre important pouvait avoir une
influence sur la politique de l’Illinois.
Joseph ne s’était pas attendu à rencontrer le président avec une si
petite délégation. En octobre, lorsqu’il avait quitté l’Illinois, il
avait prévu de laisser Sidney Rigdon prendre la direction de ces
réunions mais ce dernier était trop malade pour voyager et s’était
arrêté en chemin.
Enfin, les portes du petit salon s’ouvrirent et les trois hommes
pénétrèrent dans la pièce. Comme Joseph, Martin Van Buren était le fils
d’un fermier de l’État de New York mais il était beaucoup plus âgé.
Petit et trapu, il avait le teint clair et sa chevelure blanche lui
encadrait presque tout le visage.
Comme promis, John Reynolds présenta Joseph comme étant un saint des
derniers jours. Le président sourit en entendant ce titre inhabituel et
serra la main du prophète.
Après avoir salué le président, Joseph lui tendit les lettres
d’introduction et attendit. Van Buren les lut et fronça les sourcils.
Il dit dédaigneusement : « Vous aider ? Comment puis-je vous aider ? »
Joseph ne sut quoi dire. Il ne s’était pas attendu à ce que le
président les congédie si rapidement. Elias et lui l’encouragèrent au
moins à lire le récit des souffrances des saints avant de rejeter leur
appel.
Le président insista : « Je ne peux rien faire pour vous, messieurs. Si
je vous soutenais, il faudrait que je m’oppose à tout l’État du
Missouri et cet État s’opposerait à moi à la prochaine élection. »
Déçus, Joseph et Elias quittèrent le palais et remirent leur pétition
au Congrès sachant qu’il faudrait des semaines aux législateurs pour
l’examiner et en débattre.
En attendant, Joseph décida de rendre visite aux branches de l’Église
de l’est. Il prêcherait également à Washington et dans les villes et
villages environnants.
Wilford Woodruff et John Taylor arrivèrent à Liverpool, en Angleterre,
le 11 janvier 1840. C’était le premier voyage de Wilford en Angleterre
mais John était de retour parmi des membres de sa famille et des amis.
Après avoir récupéré leurs bagages, ils se rendirent chez le beau-frère
de John, George Cannon. George et sa femme, Ann, furent surpris de les
voir et les invitèrent à dîner.
Les Cannon avaient cinq enfants. Leur aîné, George, était un garçon
brillant de treize ans qui aimait lire. Après le souper, Wilford et
John donnèrent à la famille un Livre de Mormon et Une voix
d’avertissement, une brochure missionnaire de la taille d’un livre que
Parley Pratt avait publiée à New York quelques années auparavant. John
enseigna à la famille les premiers principes de l’Évangile et l’invita
à lire les livres.
Les Cannon acceptèrent d’entreposer les bagages des missionnaires
pendant qu’ils prenaient le train pour aller retrouver Joseph Fielding
et Willard Richards à Preston. Ces derniers avaient tous les deux
épousé des saintes britanniques depuis que Heber Kimball et Orson Hyde
avaient quitté la mission un an plus tôt. Comme Heber l’avait prédit,
Willard avait épousé Jennetta Richards.
Après les retrouvailles à Preston, John repartit pour Liverpool pendant
que Wilford fit route en direction du sud-est, vers la région de
Staffordshire où il créa rapidement une branche. Un soir, pendant qu’il
était en réunion avec les saints, il sentit l’Esprit reposer sur lui.
Le Seigneur lui dit : « C’est ta dernière réunion avec ces personnes
avant longtemps. »
Le message lui parut surprenant. Le travail dans le Staffordshire ne
faisait que commencer et il avait de nombreux rendez-vous pour prêcher
dans la région. Le lendemain matin, il pria pour être guidé et l’Esprit
l’incita à aller plus au sud, où de nombreuses âmes attendaient la
parole de Dieu.
Il partit le lendemain avec William Benbow, l’un des saints du
Staffordshire et ils se rendirent chez John et Jane Benbow, le frère et
la belle-sœur de William. John et Jane étaient les propriétaires d’une
grande maison en briques blanches dressée sur une exploitation agricole
de cent vingt hectares. Lorsque Wilford et William arrivèrent, ils
parlèrent du Rétablissement avec les Benbow jusqu’à deux heures du
matin.
Le couple était financièrement prospère mais spirituellement
insatisfait. Récemment, ils s’étaient détachés de leur église avec
d’autres personnes pour rechercher le véritable Évangile de
Jésus-Christ. Se donnant le nom de Frères Unis, le groupe avait
construit des églises à Gadfield Elm, à plusieurs kilomètres au sud de
la ferme des Benbow, et dans d’autres endroits. Ils choisissaient des
prédicateurs parmi eux et demandaient à Dieu de les éclairer.
Ce soir-là, en écoutant Wilford, ils crurent avoir enfin trouvé la
plénitude de l’Évangile. Le lendemain, Wilford prêcha chez les Benbow
un sermon à un groupe important de voisins et baptisa peu après John et
Jane dans un étang proche.
Les semaines suivantes, Wilford baptisa plus de cent cinquante membres
des Frères Unis, y compris quarante-six ministres laïques. Comme
d’autres personnes demandaient à se faire baptiser, il écrivit à
Willard Richards pour lui demander de l’aide.
Il s’exclama : « On m’appelle pour baptiser trois ou quatre fois par
jour. Je ne peux pas faire ce travail seul ! »
Le 5 février, Matthew Davis, soixante-sept ans, apprit que Joseph
Smith, le prophète mormon, prêchait ce soir-là à Washington. Matthew
était un correspondant pour un journal à grand tirage de New York.
Sachant que sa femme, Mary, était intriguée par les saints des derniers
jours, il était impatient d’entendre le prophète parler et de lui
relater ses enseignements.
Pendant son sermon, Matthew découvrit que Joseph était un fermier
habillé simplement, solidement bâti, doté d’un beau visage et d’une
allure digne. Sa prédication révélait qu’il n’avait pas suivi de cursus
scolaire mais on voyait qu’il avait une forte personnalité et qu’il
était instruit. Il semblait sincère, sans un soupçon de frivolité ou de
fanatisme dans la voix.
Il commença son sermon ainsi : « Je vais vous énoncer nos croyances
dans la mesure du temps dont je dispose. » Il témoigna de Dieu et de
ses attributs. Il déclara : « Il règne sur tout dans les cieux et sur
la terre. Il a préordonné la chute de l’homme mais, dans sa miséricorde
infinie, il a préordonné simultanément un plan de rédemption pour toute
l’humanité.
Je crois en la divinité de Jésus-Christ et qu’il est mort pour les
péchés de tous les hommes qui, en Adam, sont tombés. » Il déclara que
tous les hommes naissaient purs et que tous les enfants qui mouraient
en bas âge allaient aux cieux parce qu’ils ne discernaient pas le bien
du mal et étaient incapables de pécher.
Matthew écouta, impressionné par ce qu’il entendait. Joseph enseigna
que Dieu est éternel, sans commencement ni fin, tout comme l’est
l’esprit de chaque homme et chaque femme. Matthew remarqua que le
prophète parla très peu des récompenses ou des châtiments dans la vie
suivante si ce n’est qu’il croyait que les châtiments de Dieu avaient
un commencement et une fin.
Au bout de deux heures, il termina son sermon en témoignant du Livre de
Mormon. Il déclara qu’il n’était pas l’auteur du livre mais qu’il
l’avait reçu de Dieu, directement des cieux.
En réfléchissant à son sermon, Matthew prit conscience qu’il n’avait
rien entendu ce soir-là qui soit néfaste pour la société. Le lendemain,
dans une lettre adressée à sa femme, il écrivit : « Il y a de
nombreuses choses dans ses préceptes qui, s’ils étaient suivis,
adouciraient les aspérités de l’homme à l’égard de l’homme et
tendraient à faire de lui un être plus rationnel. »
Matthew n’avait aucunement l’intention d’accepter les enseignements du
prophète mais il appréciait son message de paix. Il écrivit : « Il n’y
a ni violence, ni furie, ni dénonciation. Sa religion semble être la
religion de la douceur, de l’humilité et de la persuasion aimable.
J’ai changé d’avis au sujet des mormons. »
En attendant que le Congrès examine la pétition des saints, Joseph se
lassait d’être séparé de sa famille. Cet hiver-là, il écrivit : « Ma
chère Emma, mon cœur est enlacé autour de toi et des petits. Dis à tous
les enfants que je les aime et que je rentrerai à la maison dès que je
pourrai. »
Lorsque Joseph avait épousé Emma, il avait cru que leur union se
terminerait à la mort, mais depuis, le Seigneur avait révélé que le
mariage et la famille pouvaient perdurer au-delà du tombeau par le
pouvoir de la prêtrise. Récemment, pendant qu’il visitait avec Parley
Pratt des branches de l’Église dans les États de l’est, Joseph lui
avait dit que les saints justes pouvaient cultiver des relations
familiales éternelles, leur permettant de progresser en affection. Peu
importe la distance qui séparait les familles fidèles sur terre, elles
pouvaient faire confiance à la promesse selon laquelle un jour, elles
seraient réunies dans le monde à venir.
Pendant qu’il attendait à Washington, Joseph en eut assez d’entendre
les politiciens prononcer de grands discours emprunts d’un langage
ampoulé et de promesses creuses. Il écrivit à son frère Hyrum : « Cela
les démange tellement d’exhiber leurs talents oratoires dans les
occasions les plus triviales et d’user de tant d’étiquette, de
courbettes et de gesticulations pour afficher leurs traits d’esprit.
Cela ressemble davantage à une manifestation de sottise que de
substance ou de gravité. »
Suite à un entretien infructueux avec John C. Calhoun, l’un des
sénateurs les plus influents de la nation, Joseph se rendit compte
qu’il perdait son temps à Washington et décida de rentrer chez lui.
Tout le monde parlait de liberté et de justice mais personne ne
semblait disposé à tenir les habitants du Missouri pour responsables
des mauvais traitements infligés aux saints.
Après le retour du prophète en Illinois, Elias Higbee continua de
chercher des indemnisations pour les pertes essuyées. En mars, le Sénat
examina la pétition et autorisa les délégués du Missouri à défendre les
actions de leur État. Après avoir étudié le cas, les législateurs
décidèrent de ne rien faire. Ils reconnaissaient la détresse des saints
mais croyaient que le Congrès n’avait pas le pouvoir d’interférer avec
les actions du gouvernement de l’État. Seul le Missouri pouvait
dédommager les saints.
Déçu, Elias écrivit à Joseph : « Nos affaires s’arrêtent là. J’ai fait
tout ce que j’ai pu. »
CHAPITRE 35 : Un bel endroit
À Commerce, l’épidémie de paludisme dura jusqu’en 1840 et Emily
Partridge et sa sœur Harriet continuèrent de visiter les tentes, les
chariots et les maisons inachevées des malades. Maintenant âgée de
seize ans, Emily était habituée à la rudesse de ces conditions de vie.
Pendant près d’une décennie, sa famille avait été chassée d’une modeste
demeure à l’autre sans jamais jouir de la vie familiale stable qu’elle
avait connue en Ohio.
Les sœurs soignèrent les malades jusqu’à ce qu’à leur tour, elles
fussent prises de fièvres et de frissons. Conscients que la vie de
leurs filles était en péril, Edward et Lydia Partridge les évacuèrent
d’une tente et les installèrent dans une petite pièce louée dans un
entrepôt abandonné, non loin du fleuve. Edward se mit ensuite à bâtir
une maison pour sa famille sur une parcelle à un kilomètre et demi de
là.
Mais les épreuves du Missouri avaient ruiné la santé de l’évêque et il
n’était pas en état de travailler. Peu après, il fut à son tour victime
de la fièvre qu’il soigna avec des médicaments jusqu’à ce qu’il se
sente suffisamment fort pour travailler une semaine ou deux de plus à
la construction de la maison. Lorsqu’il retomba malade, il reprit des
médicaments et se remit au travail.
Entre-temps, le séjour dans la pièce encombrée et étouffante de
l’entrepôt fut néfaste pour Emily, Harriet et leurs frères et sœurs qui
tombèrent également malades. La fièvre d’Emily demeura constante
pendant le printemps de 1840 mais celle d’Harriet empira. Elle mourut à
la mi-mai, à l’âge de dix-huit ans.
Son décès anéantit les Partridge. Après les obsèques, Edward tenta
d’installer la famille sur ses terres, dans une étable inachevée,
espérant qu’elle offrirait un meilleur abri. L’effort l’épuisa et il
s’évanouit. Pour leur venir en aide, d’autres saints, William et Jane
Law, prirent Emily et ses frères et sœurs chez eux et les soignèrent.
Edward languit dans son lit pendant plusieurs jours avant de décéder,
une semaine et demi après la mort d’Harriet. Emily fut accablée de
chagrin. Elle avait été proche de sa sœur et elle savait que son père
avait tout sacrifié pour pourvoir aux besoins de sa famille et de
l’Église, même lorsque des saints grognons, des dissidents déloyaux et
des voisins hostiles l’avaient mis à bout.
Avec le temps, elle émergea du brouillard de maladie et de chagrin qui
l’avait terrassée mais sa vie était différente maintenant. Pour
soutenir leur famille démunie, sa sœur Eliza, dix-neuf ans, et elle,
devaient trouver du travail. Eliza avait les compétences nécessaires
pour se faire embaucher comme couturière mais Emily n’avait pas de
métier. Elle savait faire la vaisselle, balayer, récurer les sols et
accomplir d’autres tâches ménagères bien sûr, mais presque tout le
monde dans la colonie pouvait en faire autant.
Heureusement, les saints n’avaient pas oublié les nombreux sacrifices
que son père avait consentis pour l’Église. Dans le Times and Seasons,
le nouveau périodique des saints, la notice nécrologique disait : «
Personne ne jouissait plus que lui de la confiance de l’Église. Sa
religion était tout pour lui. Il lui a consacré sa vie et il la lui a
donnée. »
Pour honorer sa mémoire et prendre soin de sa famille, les saints
finirent la maison que l’évêque avait commencée, donnant à sa famille
un lieu bien à elle.
Au printemps de 1840, la nouvelle ville sur le Mississippi connut des
débuts prometteurs. Les saints creusèrent des fossés et des canaux pour
drainer les marécages le long du fleuve et rendre le lieu plus
habitable. Ils tracèrent des rues, posèrent des fondations,
construisirent des maisons, plantèrent des jardins et cultivèrent des
champs. En juin, quelque deux cent cinquante nouvelles maisons
témoignaient de leur dur labeur.
Comme le nom de Commerce lui déplaisait, très peu de temps après son
arrivée, Joseph renomma l’endroit Nauvoo. Dans une proclamation de la
Première Présidence, il expliqua : « Le nom de notre ville est
d’origine hébraïque et signifie bel endroit ; il comprend aussi une
notion de repos. » Joseph espérait que Nauvoo porte bien son nom et
offre aux saints un répit des conflits des dernières années.
Il savait pourtant que la paix et le repos ne s’obtiendraient pas
facilement. Pour éviter les dissidences et les persécutions qu’ils
avaient connues en Ohio et au Missouri, les saints devaient tisser des
liens plus solides entre eux et nouer des liens d’amitié durables avec
leurs voisins.
Vers cette époque-là, Joseph reçut une lettre de William Phelps, qui
avait déménagé en Ohio après avoir abandonné l’Église et avoir témoigné
contre Joseph dans un tribunal du Missouri. Il écrivait : « Je connais
ma situation, vous la connaissez et Dieu la connaît, et je veux être
sauvé si mes amis acceptent de m’aider. »
Sachant qu’en dépit de ses fautes, William était un homme sincère,
Joseph répondit peu de temps après : « Il est vrai que nous avons
beaucoup souffert des conséquences de votre comportement. Toutefois la
coupe a été bue, la volonté de notre Père a été faite, et nous sommes
toujours en vie. » Heureux de tourner le dos aux jours sombres du
Missouri, Joseph lui accorda son pardon et le remit au travail dans
l’Église.
Il écrivit : « Venez, cher frère, puisque la guerre est finie, car les
amis du début sont enfin de nouveau amis. »
Joseph sentait également l’urgence de donner aux saints davantage de
direction spirituelle. Dans la prison de Liberty, le Seigneur lui avait
dit que ses jours étaient comptés et il avait confié à ses amis qu’il
ne pensait pas atteindre la quarantaine. Avant qu’il ne soit trop tard,
il devait enseigner aux saints plus de ce que Dieu lui avait révélé.
Toutefois, la construction d’une ville et la gestion des problèmes
matériels de l’Église consommaient la majeure partie de son temps. Il
avait toujours joué un rôle actif dans les affaires de l’Église et
depuis longtemps, il comptait sur des hommes tels que l’évêque
Partridge pour l’aider à supporter le fardeau. Maintenant qu’Edward
était parti, Joseph commençait à s’appuyer davantage sur l’évêque Newel
Whitney et sur les autres évêques appelés à Nauvoo. Cependant, il
savait qu’il aurait besoin d’encore plus d’aide pour diriger l’aspect
temporel de l’administration de l’Église s’il voulait se concentrer sur
son ministère spirituel.
Peu de temps plus tard, il reçut une autre lettre, cette fois d’un
étranger du nom de John Cook Bennett. Il disait qu’il avait l’intention
de s’installer à Nauvoo, de devenir membre de l’Église et d’offrir ses
services aux saints. Il était médecin et officier supérieur dans la
milice de l’État de l’Illinois, et il avait aussi été pasteur et
professeur. Il dit : « Je crois que je serai beaucoup plus heureux
auprès de vous. Écrivez-moi immédiatement. »
Les jours suivants, Joseph reçut deux autres lettres de sa part. Il
promettait : « Vous pouvez compter sur moi. J’espère que le jour
viendra rapidement où votre peuple sera mon peuple et votre Dieu mon
Dieu. » Il lui dit que sa rhétorique et son énergie débordante seraient
un bienfait inestimable pour les saints.
Il insista : « Mon empressement à vous rejoindre augmente
quotidiennement. Je vais immédiatement liquider mes affaires
professionnelles et me rendre dans votre logis bienheureux si vous
estimez que c’est la meilleure solution. »
Joseph examina les lettres, réconforté qu’une personne avec de telles
qualifications veuille s’unir aux saints. Un homme doté de ses
compétences pourrait certainement aider l’Église à s’établir en
Illinois.
Il lui écrivit : « Si vous pouviez venir cette saison affronter
l’adversité avec le peuple de Dieu, personne n’en serait plus heureux
et ne vous souhaiterait la bienvenue plus cordialement que moi. »
Au fur et à mesure que Nauvoo prenait forme, l’esprit de Joseph
s’attachait au rassemblement. En Angleterre, les apôtres avaient
récemment envoyé une compagnie de quarante et un saints traverser
l’océan en direction de Nauvoo. Joseph s’attendait à en recevoir encore
plus dans les mois et années à venir.
Ce mois de juillet-là, il annonça dans un sermon : « Voici le lieu
principal de rassemblement. Que tous ceux qui le veulent viennent et
prennent part librement à la pauvreté de Nauvoo ! »
Il savait que l’expulsion du Missouri et l’échec de la pétition auprès
du gouvernement avaient laissé de nombreuses personnes dans
l’incertitude quant à l’avenir de Sion et au rassemblement. Il voulait
leur faire comprendre que Sion n’était pas simplement une parcelle de
terrain dans le comté de Jackson. Il déclara : « Sion se trouve là où
les saints se rassemblent. »
Le Seigneur leur commandait maintenant d’établir des pieux à Nauvoo et
dans les régions avoisinantes. Avec le temps, au fur et à mesure que
les saints se rassembleraient en Sion, l’Église créerait d’autres pieux
et le Seigneur bénirait le pays.
Avant de conclure son sermon, il annonça : « Je me dois de construire
un temple aussi grand que celui de Salomon, si l’Église veut bien me
soutenir. » Il tendit le bras et indiqua un endroit, vers le sommet du
promontoire, où les saints bâtiraient l’édifice sacré. Il ajouta : « Si
Dieu permettait que je vive suffisamment longtemps pour contempler ce
temple achevé […], je dirais : ‘O Seigneur, cela suffit. Seigneur,
laisse ton serviteur s’en aller en paix.’ »
Quelques semaines plus tard, alors que les températures élevées
accablaient encore Nauvoo et que la maladie faisait de nouvelles
victimes, Seymour Brunson, l’ami de Joseph, décéda. Lors des obsèques,
il offrit des paroles de réconfort à Harriet, sa veuve, et aux milliers
de saints réunis. Pendant qu’il parlait, il regarda Jane Neyman, dont
le fils adolescent, Cyrus, était décédé avant de s’être fait baptiser.
Sachant qu’elle s’inquiétait pour le bien-être de l’âme de son fils, il
décida de parler de ce que le Seigneur lui avait appris au sujet du
salut des personnes qui, comme son frère Alvin, étaient mortes sans
baptême.
Ouvrant la Bible, il lut les paroles de l’apôtre Paul aux Corinthiens :
« Autrement que feraient ceux qui se font baptiser pour les morts ? Si
les morts ne ressuscitent absolument pas, pourquoi se font-ils baptiser
pour eux ? » Il fit remarquer que les paroles de Paul étaient la preuve
qu’une personne vivante pouvait se faire baptiser par procuration pour
une personne décédée, étendant les avantages du baptême à celles dont
le corps était mort mais dont l’esprit continuait de vivre.
Il dit que le plan du salut de Dieu était conçu pour sauver tous ceux
qui étaient disposés à obéir à la loi de Dieu, notamment le nombre
incalculable de ceux qui étaient morts sans jamais connaître
Jésus-Christ ni ses enseignements.
Peu après le sermon, Jane se dirigea vers le fleuve avec un ancien de
l’Église et se fit baptiser en faveur de Cyrus. Plus tard ce soir-là,
lorsque Joseph en entendit parler, il demanda quelles étaient les
paroles que l’ancien avait prononcées pour l’ordonnance. Lorsqu’on les
lui répéta, il confirma que ce dernier avait accompli correctement le
baptême.
John Bennett arriva à Nauvoo en septembre 1840 et Joseph lui demanda
avidement conseil au sujet de la gestion des problèmes légaux et
politiques de Nauvoo et de l’Église. Il avait à peu près le même âge
que lui mais il était plus instruit. Il était petit et ses cheveux
noirs grisonnaient ; il avait les yeux foncés et un visage fin et beau.
Il accepta volontiers le baptême.
Lucy Smith était trop préoccupée par la santé défaillante de son mari
pour faire cas de la popularité du nouveau venu. Comme l’évêque
Partridge, Joseph, père, avait quitté le Missouri en mauvais état et le
climat estival malsain de Nauvoo n’avait fait que l’affaiblir. Elle
espérait qu’il finisse par guérir mais lorsqu’un jour il vomit du sang,
elle craignit que sa mort ne soit imminente.
Lorsque Joseph et Hyrum furent informés de l’aggravation de l’état de
santé de leur père, ils se précipitèrent à son chevet.
Lucy fit part de la nouvelle au reste de la famille pendant que Joseph
lui tenait compagnie. Il lui parla du baptême pour les morts et de la
bénédiction qu’il offrait à tous les enfants de Dieu. Au comble de la
joie, Joseph, père, le supplia d’accomplir l’ordonnance en faveur
d’Alvin.
Peu après, Lucy s’assit avec la plupart de ses enfants autour du lit de
leur père. Il voulait donner une bénédiction à chacun d’eux tant qu’il
avait la force de parler. Lorsque ce fut le tour de Joseph, il plaça
les mains sur la tête de son fils.
Il dit : « Persévère fidèlement et tu seras béni, et ta famille sera
bénie et tes enfants après toi. Tu vivras pour achever ton œuvre.
— Oh, père, c’est vrai ?
— Oui, et tu exposeras le plan de toute l’œuvre que Dieu exige de toi.
»
Lorsque Joseph, père, eut fini de bénir ses enfants, il se tourna vers
Lucy. Il dit : « Mère, tu es l’une des femmes les plus exceptionnelles
du monde. »
Lucy protesta mais son mari poursuivit : « Nous avons souvent souhaité
mourir en même temps mais tu ne dois pas le désirer maintenant car tu
dois rester réconforter les enfants lorsque je serai parti. »
Après une pause, il s’exclama : « Je vois Alvin. » Il joignit les mains
et se mit à respirer lentement jusqu’à ce que son souffle devienne de
plus en plus court puis il rendit l’âme paisiblement.
Quelques semaines après sa mort, les saints se rassemblèrent à Nauvoo
pour la conférence générale d’octobre 1840. Joseph enseigna plus
complètement le baptême pour les morts, expliquant que les morts
devenus esprits attendaient que leur parenté reçoive l’ordonnance
salvatrice en leur faveur.
Entre les sessions de la conférence, les saints se précipitèrent vers
le Mississippi où plusieurs anciens se tinrent dans l’eau jusqu’à la
taille et leur firent signe de venir se faire baptiser pour leurs
grands-parents, pères, mères, frères, sœurs et enfants décédés. Peu
après, Hyrum se fit baptiser pour son frère Alvin.
En regardant les anciens dans le fleuve, Vilate Kimball souhaita
ardemment se faire baptiser pour sa mère qui était décédée plus de dix
ans plus tôt. Elle aurait aimé qu’Heber revienne d’Angleterre pour
accomplir l’ordonnance mais puisque Joseph avait exhorté les saints à
racheter leurs morts aussi vite que possible, elle décida de se faire
baptiser immédiatement pour sa mère.
Emma Smith pensait également à sa famille. Son père, Isaac Hale, était
décédé en janvier 1839. Il ne s’était jamais réconcilié avec elle et
Joseph. Quelques années avant sa mort, il avait même permis à des
détracteurs de publier une lettre qu’il avait écrite condamnant Joseph
et traitant le Livre de Mormon de « tissu idiot de mensonges et de
méchanceté ».
Emma aimait quand même son père et se fit baptiser pour lui dans le
fleuve. Dans cette vie, il n’avait pas accepté l’Évangile rétabli mais
elle espérait qu’il n’en serait pas ainsi pour toujours.
Cet automne-là, Joseph et John Bennett ébauchèrent une charte de lois
pour Nauvoo. Le document était conçu pour offrir aux saints autant de
liberté que possible pour se gouverner et se protéger du genre
d’injustices qui les avaient affligés au Missouri. Si le corps
législatif de l’État approuvait la charte, les citoyens de Nauvoo
pourraient voter leurs propres lois, gérer leurs tribunaux locaux,
fonder une université et créer une milice.
Les projets de Joseph pour l’Église continuaient de se multiplier.
Anticipant l’arrivée d’un nombre toujours croissant de saints, le
prophète créa plusieurs pieux dans de nouvelles colonies près de
Nauvoo. Il appela également Orson Hyde et John Page en mission en
Palestine où ils consacreraient Jérusalem pour le rassemblement des
enfants d’Abraham. Pour arriver jusque là-bas, les apôtres devraient
traverser l’Europe, ce qui leur donnerait la possibilité de prêcher
l’Évangile dans nombre de ses villes.
Joseph et la Première Présidence proclamèrent : « Nous pouvons nous
attendre à voir bientôt affluer en ce lieu des gens de toute nation, de
toute langue, de toute couleur qui adoreront avec nous le Seigneur des
armées dans son saint temple. »
Début décembre, John Bennett réussit à faire pression sur le corps
législatif de l’État d’Illinois afin qu’il approuve la charte de
Nauvoo, accordant aux saints le pouvoir de mener à bien leurs ambitions
pour la ville. Lorsqu’il revint triomphant à Nauvoo, Joseph saisit
chaque occasion qui se présentait de le féliciter.
Environ un mois plus tard, le 19 janvier 1841, le Seigneur accorda une
nouvelle révélation aux saints. Il leur assura qu’il avait accueilli
Edward Partridge et Joseph Smith, père, en son sein, ainsi que David
Patten, qui avait été tué lors de l’escarmouche de la Crooked River.
Hyrum Smith fut appelé à prendre la place de son père en qualité de
patriarche de l’Église et fut aussi appelé à servir aux côtés de Joseph
comme prophète, voyant et révélateur, remplissant le rôle qu’avait tenu
Oliver Cowdery.
De plus, le Seigneur commandait à John Bennett de soutenir Joseph et de
continuer de parler de l’Église aux gens de l’extérieur en faveur des
saints, lui promettant des bénédictions à condition qu’il produise des
œuvres de justice. Le Seigneur déclara : « Sa récompense ne fera pas
défaut, s’il accepte les conseils. J’ai vu le travail qu’il a fait, que
j’accepte s’il continue. »
Le Seigneur acceptait également les efforts des saints pour édifier
Sion dans le comté de Jackson mais leur commandait maintenant d’édifier
Nauvoo, de créer de nouveaux pieux et de bâtir un hôtel appelé la
maison de Nauvoo, qui offrirait aux visiteurs un endroit pour se
reposer et songer à la parole de Dieu et à la gloire de Sion.
Plus important encore, le Seigneur leur commandait de construire le
nouveau temple. Il déclara : « Que cette maison soit bâtie à mon nom,
afin que je puisse y révéler mes ordonnances à mon peuple. »
Le baptême pour les morts en était une. Jusque-là, il avait permis aux
saints de faire les baptêmes dans le Mississippi mais il leur
commandait maintenant de cesser jusqu’à ce qu’ils aient consacré des
fonts baptismaux spéciaux dans le temple. Il déclara : « Cette
ordonnance appartient à ma maison. »
D’autres ordonnances du temple et d’autres nouvelles vérités
suivraient. Il promit : « Je daigne révéler à mon Église des choses qui
ont été cachées dès avant la fondation du monde, des choses qui ont
trait à la dispensation de la plénitude des temps. Je montrerai à mon
serviteur Joseph tout ce qui a trait à cette maison, à sa prêtrise. »
Promettant de récompenser leur diligence et leur obéissance, le
Seigneur exhorta les saints à travailler de toutes leurs forces à la
construction du temple. « Bâti[ssez] une maison à mon nom, en ce lieu,
afin que vous fassiez la preuve devant moi que vous êtes fidèles dans
toutes les choses que je vous commande de faire, afin que je vous
bénisse et vous couronne d’honneur, d’immortalité et de vie éternelle. »
À l’aube de la nouvelle année, l’avenir semblait prometteur pour les
saints. Le 1er février 1841, ils élurent John Bennett comme maire de
Nauvoo, ce qui faisait également de lui le juge en chef du tribunal de
la ville. Il devint également président de la nouvelle université,
général de division de la milice et conseiller adjoint de la Première
Présidence. Joseph et d’autres dirigeants de l’Église avaient confiance
en sa capacité de diriger la ville et de la mettre en valeur.
Lorsque l’autorité et les responsabilités de John s’étendirent, Emma
fut obligée d’avouer qu’il avait énormément aidé les saints. Néanmoins,
elle ne partageait pas leur engouement pour lui. Elle trouvait qu’il
paradait en ville comme un général pompeux et lorsqu’il n’était pas en
train de tenter d’impressionner Joseph, il paraissait égocentrique et
indélicat.
Malgré tous ses talents et son utilité, il y avait quelque chose chez
John Bennett qui l’inquiétait.
CHAPITRE 36 : Incite-les à se rassembler
Au printemps de 1841, Mary Ann Davis contempla le visage de son mari
pour la dernière fois avant que le couvercle de son cercueil ne soit
refermé, puis ses amis portèrent sa dépouille jusqu’à un coin
tranquille du cimetière de l’église à Tirley, en Angleterre. John Davis
était mort dans la fleur de l’âge ; il n’avait que vingt-cinq ans. En
regardant les hommes emporter son cercueil, Mary se sentit tout à coup
très seule, debout dans sa robe noire, dans un village où elle était
maintenant l’unique sainte des derniers jours.
John était mort à cause de ses convictions. Un an plus tôt, Mary et lui
s’étaient rencontrés lors d’une réunion de saints, peu après que
Wilford Woodruff eut baptisé des centaines de Frères Unis dans la
région voisine du Herefordshire. Ni l’un ni l’autre n’avait fait partie
des Frères Unis mais l’Évangile rétabli s’était répandu rapidement dans
la région, attirant l’attention de nombreuses personnes.
Mary et John avaient ouvert leur porte aux missionnaires qui espéraient
établir une assemblée dans la région. La mission britannique
grandissait de plus en plus et en quatre ans à peine, l’Angleterre et
l’Écosse comptaient plus de six mille saints. Même à Londres, où les
prédicateurs de rue de nombreuses dénominations se disputaient les âmes
avec acharnement, les missionnaires avaient créé une branche d’une
quarantaine de membres, dirigée par un jeune frère américain nommé
Lorenzo Snow.
Dans tout le pays, l’opposition restait néanmoins forte. Des brochures
bon marché jonchaient les rues de la plupart des villes, proclamant
toutes sortes d’idées religieuses. Certaines étaient des rééditions de
tracts anti-mormons provenant des États-Unis et mettant les lecteurs en
garde contre les saints des derniers jours.
Espérant rectifier les rapports falsifiés, Parley Pratt avait commencé
à rédiger ses propres brochures et à éditer un journal mensuel,
Latter-day Saints’ Millennial Star, qui donnait des nouvelles des
saints de Nauvoo et de toute la Grande-Bretagne. Brigham Young
s’arrangea également pour faire imprimer un livre de cantiques et le
Livre de Mormon pour les saints britanniques.
À Tirley, Mary et John avaient fait face à l’hostilité dès que les
missionnaires avaient commencé à prêcher chez eux. Des brutes
interrompaient souvent les réunions et chassaient les missionnaires.
Les choses n’avaient fait qu’empirer jusqu’au jour où ils avaient jeté
John à terre et l’avaient impitoyablement roué de coups de pied. Il ne
s’en était jamais remis. Peu de temps après, il fit une mauvaise chute
et commença de cracher du sang. Les missionnaires essayèrent de rendre
visite au couple mais des voisins hostiles les en empêchèrent. Cloué au
lit, John s’affaiblit et finit par mourir.
Après l’enterrement, Mary décida de se joindre au rassemblement à
Nauvoo. Plusieurs apôtres, dont Brigham Young et Heber Kimball, avaient
récemment annoncé qu’ils rentraient chez eux au printemps, emmenant
avec eux une grande compagnie de saints britanniques. Mary avait
l’intention de partir pour l’Amérique du Nord peu après, avec une
compagnie plus petite.
Étant la seule membre de l’Église de sa famille, elle rendit visite à
ses parents et à ses frères et sœurs pour leur dire au revoir. Elle
s’attendait à ce que son père proteste mais il lui demanda simplement
quand et sur quel bateau elle partirait.
Le jour où elle prit la route pour la ville portuaire de Bristol, elle
était malade de chagrin. En passant devant l’église où elle s’était
mariée avec John quelques mois plus tôt, elle pensa à tout ce qui lui
était arrivé depuis.
À vingt-quatre ans, elle était veuve et partait seule dans un nouveau
pays se ranger avec le peuple de Dieu.
À Nauvoo, Thomas Sharp, rédacteur en chef d’un journal, s’installa à
côté de Joseph Smith sur une estrade et balaya du regard une foule de
plusieurs milliers de saints. C’était le 6 avril 1841, le onzième
anniversaire de l’Église et le premier jour d’une conférence générale.
Une fanfare couvrait les bavardages de l’assemblée. Dans quelques
instants, les saints allaient commémorer ce jour important en posant
les pierres angulaires d’un nouveau temple.
Thomas n’appartenait pas à leur Église mais John Bennett, le maire de
Nauvoo, l’avait invité à passer la journée avec les saints. Il était
facile de deviner pourquoi. En tant que rédacteur en chef, Thomas
pouvait faire ou briser une réputation avec une poignée de mots et il
avait été convié à Nauvoo comme allié potentiel.
Comme les saints, il était nouveau dans la région. À presque
vingt-trois ans, il était arrivé dans l’Ouest l’année précédente pour
travailler comme avocat et s’était installé dans la ville de Warsaw, à
environ une journée de voyage au sud de Nauvoo. Quelques mois après son
arrivée, il était devenu le rédacteur du seul journal non-mormon du
comté et s’était fait une réputation pour son écriture percutante.
Il fut indifférent aux enseignements des saints et moyennement
impressionné par leur dévouement envers leur religion mais il dut
admettre que les événements du jour étaient frappants.
La journée avait commencé par une volée assourdissante de coups de
canon suivie d’une parade de la milice municipale, appelée la légion de
Nauvoo, constituée de six cent cinquante hommes. Joseph Smith et John
Bennett, vêtus de l’uniforme bleu aux épaulettes dorées des officiers
militaires, avaient fait défiler la légion à travers la ville jusqu’aux
fondations fraîchement creusées du temple, sur le promontoire. Par
respect, les saints avaient placé Thomas vers la tête du cortège, non
loin de Joseph et de ses miliciens.
Sidney Rigdon ouvrit la cérémonie de la pierre angulaire avec un
discours émouvant d’une heure au sujet des tribulations récentes des
saints et de leurs efforts pour bâtir des temples. Après son discours,
Joseph se leva et commanda aux ouvriers d’abaisser l’énorme pierre dans
l’angle sud-est des fondations.
Il annonça : « La pierre principale de l’angle, qui représente la
Première Présidence, est maintenant dûment posée en l’honneur du grand
Dieu afin que les saints aient un lieu où l’adorer et que le Fils de
l’homme ait un endroit où reposer sa tête. »
Après la cérémonie sacrée, Joseph convia Thomas et d’autres invités
d’honneur chez lui pour dîner. Il voulait qu’ils sachent qu’ils étaient
les bienvenus à Nauvoo. S’ils ne partageaient pas sa foi, il espérait
qu’ils accepteraient au moins son hospitalité.
Il fut heureux d’apprendre que le lendemain, Thomas fit paraître dans
son journal un article favorable à propos de la cérémonie de la pierre
angulaire. Pour la première fois depuis l’organisation de l’Église, les
saints semblaient avoir la sympathie de leurs voisins, le soutien du
gouvernement et des amis haut placés.
Pour autant qu’il savourait ce moment de paix et de bonne volonté à
Nauvoo, Joseph savait cependant que le Seigneur attendait de lui qu’il
obéisse à tous ses commandements, même si cela devait mettre la foi des
saints à l’épreuve. Et aucun commandement ne serait plus éprouvant que
celui du mariage plural.
Grâce à la révélation, il comprenait que le mariage et la famille
étaient au centre du plan de Dieu. Le Seigneur avait envoyé Élie le
prophète au temple de Kirtland pour rétablir les clés de la prêtrise et
sceller ensemble les générations, à l’image des maillons d’une chaîne.
Sous la direction du Seigneur, Joseph avait enseigné à davantage de
saints que mari et femme pouvaient être scellés pour le temps et pour
l’éternité, devenir héritiers des bénédictions d’Abraham et accomplir
le plan éternel de Dieu pour ses enfants.
Dans le Livre de Mormon, le prophète Jacob enseignait que les hommes ne
devaient pas avoir « plus d’une épouse », sauf commandement contraire
de Dieu. Comme le montrait l’histoire d’Abraham et de Sarah, Dieu
commandait parfois à ses disciples fidèles de pratiquer le mariage
plural de manière à étendre ses bénédictions à plus de personnes et à
lui susciter un peuple d’alliance. En dépit des épreuves qu’il avait
provoquées, le mariage plural d’Abraham et Agar avait suscité une
grande nation. Il serait aussi une épreuve pour les saints qui le
pratiqueraient mais le Seigneur promettait de les exalter pour leur
obéissance et leur sacrifice.
Les années qui avaient suivi le départ de Joseph de Kirtland avaient
été tumultueuses et il n’en avait pas parlé aux saints à cette
époque-là mais la situation était différente à Nauvoo où ils avaient
enfin trouvé une mesure de sécurité et de stabilité.
Joseph faisait confiance à la constitution des États-Unis qui
protégeait le libre exercice de la religion. Plus tôt cette année-là,
le conseil municipal de Nauvoo avait affirmé ce droit lorsqu’il avait
adopté un arrêté stipulant que tous les groupes religieux pouvaient
adorer librement à Nauvoo. La loi s’appliquait aussi bien aux chrétiens
qu’aux non-chrétiens. Bien que personne ne fut musulman à Nauvoo,
l’arrêté protégeait, en particulier, les musulmans, qui pratiquaient
quelquefois la polygamie. Bien que les politiciens de la capitale
l’aient déçu, Joseph croyait aux principes fondateurs de la république
américaine et leur faisait confiance pour protéger son droit de vivre
en accord avec la volonté de Dieu.
Il était tout de même conscient que la pratique du mariage plural
choquerait les gens et il répugnait à l’enseigner ouvertement. Quand
d’autres communautés religieuses et utopiques adoptaient souvent
différentes formes de mariage, les saints avaient toujours prêché la
monogamie. La plupart d’entre eux, comme la plupart des américains,
associaient la polygamie aux sociétés qu’ils considéraient moins
civilisées que la leur.
Joseph ne laissa aucune trace de son opinion sur le mariage plural ni
sur ses difficultés à obéir à ce commandement. Emma ne dévoila pas non
plus le moment où elle prit connaissance de cette pratique ni l’impact
qu’elle eut sur son mariage. Cependant, les écrits de leurs proches
montrent bien que ce fut source d’angoisse pour tous les deux.
Pourtant, Joseph sentait l’urgence de l’enseigner aux saints malgré les
risques et ses propres réserves. S’il présentait ce principe en privé à
des hommes et à des femmes fidèles, il pourrait obtenir leur soutien en
vue du moment où il pourrait l’enseigner ouvertement. Pour l’accepter,
les gens devaient vaincre leurs préjugés, reconsidérer les coutumes
sociales et faire preuve d’une grande foi pour obéir à un commandement
de Dieu aussi étranger à leurs traditions.
Vers l’automne 1840, Joseph avait commencé à en parler à Louisa Beaman,
âgée de vingt-cinq ans. Sa famille faisait partie des premières à avoir
cru au Livre de Mormon et à avoir accepté l’Évangile rétabli. À la mort
de ses parents, elle avait emménagé avec sa sœur aînée Mary et son
mari, Bates Noble, un vétéran du camp d’Israël.
Bates était présent lorsque Joseph discuta du mariage plural avec
Louisa. Joseph lui dit : « En vous révélant ces choses, j’ai placé ma
vie entre vos mains. Dans un mauvais moment, ne me dénoncez pas à mes
ennemis. »
Quelque temps plus tard, Joseph demanda Louisa en mariage. Elle ne
laissa pas de trace de sa réaction à la proposition, ni quand ou
pourquoi elle l’accepta mais le soir du 5 avril 1841, la veille de la
conférence générale, Joseph retrouva Louisa et Bates pour la cérémonie.
Avec son autorisation, Bates les scella, répétant les mots de
l’ordonnance que Joseph lui dictait.
Cet été-là, les saints se réjouirent lorsque John Bennett fut nommé à
un poste important dans le système judiciaire du comté mais d’autres
habitants furent outrés, redoutant le pouvoir politique croissant des
saints. Ils considéraient la nomination de John comme une tentative de
politiciens rivaux de gagner le vote des saints.
Thomas Sharp, qui était membre du parti adverse, remit ouvertement en
question les qualifications de John pour le poste, sa réputation et la
sincérité de son récent baptême. Dans un éditorial, il incita les
citoyens à s’opposer à sa nomination.
Il exagéra aussi le mécontentement des centaines de saints britanniques
rassemblés dans la région. Il rapporta : « On dit que beaucoup sont
décidés à partir et qu’ils ont envoyé des lettres en Angleterre
avertissant leurs amis qui avaient prévu d’émigrer du triste état des
affaires dans la ville de l’Église. » Il affirmait qu’au cœur de leur
mécontentement se trouvait un manque de foi en la mission du prophète.
Après avoir lu l’éditorial, Joseph, livide, dicta une lettre et
l’envoya à Thomas, résiliant son abonnement :
Monsieur, veuillez annuler mon abonnement à votre journal. Son contenu
est calculé pour me nuire, et être client de cet immonde torchon, ce
tissu de mensonges, ce gouffre d’iniquité, est une disgrâce pour la
probité de n’importe quel homme.
Avec mon mépris absolu,
Joseph Smith
P.S : P. S. Veuillez s’il vous plaît publier la note ci-dessus dans
votre journal détestable.
Irrité par la lettre, Thomas l’imprima dans le numéro suivant
accompagné d’un commentaire sarcastique au sujet de l’appel de prophète
de Joseph. Certaines personnes l’avaient accusé d’utiliser son journal
pour flatter les saints. Il voulait maintenant que ses lecteurs sachent
qu’il les considérait comme une menace politique croissante pour les
droits des autres citoyens du comté.
Comme preuve, il réimprima une proclamation que Joseph avait récemment
publiée et qui appelait les saints de partout à se rassembler et à
édifier Nauvoo. Il avertissait ses lecteurs : « Si sa volonté doit être
leur loi, que peuvent, non, que vont devenir vos droits les plus chers
et vos privilèges les plus précieux ? »
Comme il devenait de plus en plus critique, Joseph craignit qu’il
n’incite d’autres habitants du comté à s’en prendre aux saints. L’enjeu
était si grand maintenant que les pierres angulaires du temple étaient
en place et que des bateaux entiers d’immigrants britanniques
arrivaient. Ils ne pouvaient pas se permettre de perdre Nauvoo comme
ils avaient perdu Independence et Far West.
Des voiliers grands et petits encombraient les quais animés du port de
Bristol, au sud-ouest de l’Angleterre. Montant à bord du bateau qui
l’emmènerait en Amérique du Nord, Mary Ann Davis trouva son lit propre
et ne vit aucun signe de puces. Les autres passagers et elle n’avaient
l’autorisation de garder qu’une malle à côté de leur lit et le reste de
leurs affaires devait être entreposé dans la cale.
Mary resta à Bristol pendant une semaine le temps d’affréter le navire.
Pour plus d’intimité, les autres passagers et elle pendirent des
rideaux entre leurs lits, séparant la grande pièce en minuscules
cabines. Ils explorèrent également les rues étroites de Bristol,
s’imprégnant de la vue et des odeurs de la ville.
Mary s’attendait à ce que ses parents arrivent d’un jour à l’autre pour
lui dire au revoir. Pour quelle autre raison son père aurait-il voulu
connaître le nom du bateau et le lieu de départ ?
Mais ils ne vinrent jamais. Par contre, des avocats embauchés par son
père pour l’obliger à débarquer commencèrent à inspecter
quotidiennement le navire à la recherche d’une jeune veuve aux yeux
foncés, portant une robe noire. Déçue mais déterminée à rejoindre Sion,
Mary rangea ses habits de deuil et commença à s’habiller comme les
autres jeunes femmes à bord.
Peu après, le bateau fit voile vers le Canada. Lorsqu’il accosta deux
mois plus tard, Mary et sa compagnie voyagèrent vers le sud par bateau
à vapeur, train et péniche jusqu’à un port non loin de Kirtland.
Impatients de se retrouver parmi les saints, Mary et ses amis prirent
le chemin de la ville où ils trouvèrent William Phelps qui dirigeait
une petite branche de l’Église.
La ville de Kirtland n’était plus que l’ombre de ce qu’elle avait été
autrefois. Le dimanche, William tenait des réunions dans le temple,
s’asseyant souvent seul à la chaire. Depuis sa place dans l’assemblée,
Mary trouva que le temple avait l’air abandonné.
Quelques semaines plus tard, une autre compagnie de saints britanniques
arriva. L’un de ses membres, Peter Maughan, avait l’intention de
continuer en prenant un bateau à vapeur pour traverser les grands lacs
jusqu’à Chicago et en voyageant ensuite par voie de terre jusqu’à
Nauvoo. Impatients de terminer leur voyage, Mary et plusieurs autres
saints l’accompagnèrent, lui et ses six jeunes enfants.
En route, Mary et Peter firent plus ample connaissance. Il était veuf
et avait travaillé dans les mines de plomb au nord-ouest de
l’Angleterre. Sa femme, Ruth, était morte en couche peu de temps avant
le moment où la famille avait prévu d’émigrer. Peter avait envisagé la
possibilité de rester en Angleterre mais Brigham Young l’avait
convaincu de se rendre à Nauvoo.
Lorsque Mary arriva à Nauvoo, elle fouilla la ville à la recherche
d’amis d’Angleterre. Longeant les rues, elle vit un homme juché sur un
baril, en train de prêcher, et elle s’arrêta pour écouter. Le
prédicateur était enjoué et son sermon spontané captivait la petite
audience. De temps à autre, il se penchait en avant et posait les mains
sur les épaules d’un homme de haute taille, debout devant lui, comme
s’il s’appuyait sur un bureau.
Mary sut immédiatement qu’il s’agissait de Joseph Smith. Après cinq
mois de voyage, elle se tenait enfin parmi les saints, en présence du
prophète de Dieu.
Entre-temps, de l’autre côté du monde, Orson Hyde fut submergé
d’émotion lorsqu’il contempla Jérusalem pour la première fois.
L’ancienne ville se dressait au sommet d’une colline bordée de vallées
et entourée d’un épais mur d’enceinte. En approchant de la porte ouest,
las de voyager, Orson aperçut ses murs et les tours qui se profilaient
derrière.
Il avait espéré pénétrer dans Jérusalem avec John Page mais ce dernier
était rentré chez lui avant même de quitter les États-Unis. Orson était
parti seul, avait traversé l’Angleterre et l’Europe, passant par
certaines des grandes villes du continent. Il avait ensuite pris la
direction du sud-est jusqu’à Constantinople et avait pris un bateau à
vapeur jusqu’à la ville côtière de Jaffa où il avait organisé son
voyage jusqu’à Jérusalem en compagnie d’un gentilhomme anglais et de
ses serviteurs lourdement armés.
Les quelques jours suivants, Orson avait déambulé dans les rues
cahoteuses et poussiéreuses et avait rencontré les dirigeants religieux
et municipaux. Environ dix mille personnes, la plupart parlant arabe,
habitaient à Jérusalem. La ville était délabrée, avec des parties en
ruine après des siècles de conflits et de négligence.
Malgré tout, en visitant les endroits mentionnés dans la Bible, Orson
était émerveillé par la cité et son histoire sacrée. En regardant les
gens se livrer aux tâches quotidiennes décrites dans les paraboles du
Sauveur, il s’imagina ramené à l’époque de Jésus. À Gethsémané, il
coupa une brindille d’un olivier et médita sur l’Expiation.
Le 24 octobre 1841, il se leva avant l’aube et descendit à pied une
pente près de l’endroit où Jésus avait marché la veille de sa
crucifixion. Gravissant le mont des Oliviers, il regarda Jérusalem, de
l’autre côté de la vallée, et vit le spectaculaire dôme du Rocher,
dressé près du site où se tenait le temple à l’époque du Sauveur.
Sachant que le Seigneur avait promis que certains descendants d’Abraham
se rassembleraient à Jérusalem avant la Seconde Venue, l’apôtre s’assit
et rédigea une prière, demandant à Dieu de guider les restes dispersés
vers leur terre promise.
Il pria : « Incite-les à se rassembler dans ce pays selon ta parole.
Qu’ils viennent comme des nuages et comme des colombes à leurs
fenêtres. »
Lorsqu’il eut achevé sa prière, il éleva un monticule de pierres à cet
endroit et traversa la vallée pour en empiler d’autres sur le mont de
Sion en guise de monument simple attestant de la réussite de sa
mission. Ensuite, il entreprit le long voyage qui le ramènerait chez
lui.
CHAPITRE 37 : « Nous les mettrons à l’épreuve »
Le 5 janvier 1842, Joseph ouvrit un magasin à Nauvoo et accueillit
joyeusement ses nombreux clients. Dans une lettre à un ami, il écrivit
: « J’aime servir les saints et être le serviteur de tous, en espérant
être exalté au moment où le Seigneur le jugera bon. »
La doctrine de l’exaltation pesait lourdement sur son esprit. En
février, il reporta son attention sur les rouleaux égyptiens qu’il
avait achetés à Kirtland et la traduction inachevée des écrits
d’Abraham. Les nouvelles Écritures enseignaient que Dieu avait envoyé
ses enfants sur terre pour tester leur fidélité et leur bonne volonté à
obéir à ses commandements.
Avant la création de la terre, le Sauveur déclara : « Nous les mettrons
ainsi à l’épreuve, pour voir s’ils feront tout ce que le Seigneur, leur
Dieu, leur commandera. » Ceux qui obéissaient à ses commandements
seraient exaltés vers une gloire supérieure. Ceux qui décidaient de ne
pas obéir à Dieu perdraient ces bénédictions éternelles.
Joseph voulait faire comprendre ces vérités aux saints afin qu’ils
puissent progresser vers l’exaltation et entrer en la présence de Dieu.
À Kirtland, la dotation de pouvoir avait fortifié de nombreux hommes
contre les rigueurs du champ de la mission mais Dieu avait promis de
conférer une dotation spirituelle plus grande dans le temple de Nauvoo.
En révélant des ordonnances et des connaissances supplémentaires aux
hommes et aux femmes fidèles de l’Église, le Seigneur ferait d’eux des
rois et des reines, des prêtres et des prêtresses, comme Jean le
Révélateur l’avait prophétisé dans le Nouveau Testament.
Joseph exhorta les Douze et d’autres amis de confiance à être
obéissants au Seigneur pendant qu’il les préparait à recevoir cette
dotation de pouvoir divin. Il enseigna également le principe du mariage
plural à d’autres saints et témoigna de son origine divine. L’été
précédent, moins d’une semaine après le retour des apôtres
d’Angleterre, il avait enseigné le principe à quelques-uns d’entre eux
et leur avait commandé d’y obéir comme à un commandement du Seigneur.
Bien que le mariage plural ne soit pas nécessaire à l’exaltation ou à
la dotation supérieure de pouvoir, l’obéissance au Seigneur et la
disposition à lui consacrer sa vie l’étaient.
Au début, comme Joseph, les apôtres s’opposèrent au nouveau principe.
Brigham était si angoissé à l’idée d’épouser une autre femme qu’il
languissait de mourir jeune. Heber Kimball, John Taylor et Wilford
Woodruff voulaient retarder l’échéance le plus longtemps possible.
Suivant le commandement du Seigneur, Joseph avait aussi été scellé à
d’autres épouses depuis son mariage avec Louisa Beaman. Lorsqu’il
enseignait le mariage plural à une femme, il lui demandait de chercher
de son côté la confirmation spirituelle qu’il était juste qu’elle soit
scellée à lui. Toutes n’acceptèrent pas son invitation mais plusieurs
le firent.
À Nauvoo, certains saints contractèrent des mariages pluraux pour le
temps et pour l’éternité, ce qui signifiait que le scellement durerait
pendant toute cette vie et pendant la suivante. Comme les mariages
monogames, ces mariages impliquaient les relations sexuelles et la
procréation d’enfants. D’autres mariages pluraux étaient uniquement
pour l’éternité et les participants comprenaient que leur scellement
n’entrerait en vigueur que dans la vie suivante.
Dans certains cas, une femme qui était mariée pour le temps à un saint
apostat, à un homme qui n’était pas membre de l’Église ou même à un
membre en règle pouvait être scellée pour l’éternité à un autre. Après
la cérémonie de scellement, elle continuait de vivre avec son mari
actuel en attendant les bénédictions du mariage éternel et de
l’exaltation dans la vie à venir.
Au début de l’année 1842, Joseph proposa un scellement de ce genre à
Mary Lightner, dont le mari, Adam, n’était pas membre de l’Église. Au
cours de la conversation, Joseph dit à Mary que le Seigneur leur
commandait d’être scellés l’un à l’autre pour la vie future.
Mary demanda : « Si Dieu vous l’a dit, pourquoi ne me le dit-il pas ? »
Joseph répliqua : « Priez avec ferveur car l’ange m’a dit que vous
devriez en avoir le témoignage. »
Mary fut troublée par l’invitation de Joseph. En lui expliquant le
mariage plural, il avait décrit les bénédictions éternelles de
l’alliance du mariage éternel. Lorsqu’elle avait épousé Adam, ils
s’étaient fait des promesses pour cette vie uniquement. Maintenant,
elle comprenait qu’elle ne pouvait pas contracter d’alliances
éternelles avec lui tant qu’il n’acceptait pas d’abord de se faire
baptiser par l’autorité compétente.
Elle lui parla du baptême, le suppliant de se joindre à l’Église. Adam
lui dit qu’il respectait Joseph mais ne croyait pas en l’Évangile
rétabli et ne se ferait pas baptiser.
Désirant ardemment les bénédictions du mariage éternel mais sachant
qu’elle ne pouvait pas les recevoir avec Adam, Mary se demanda ce
qu’elle devait faire. Son esprit fut envahi par le doute. Finalement,
elle pria pour que le Seigneur envoie un ange lui confirmer que
l’invitation de Joseph était juste.
Une nuit, pendant qu’elle logeait chez sa tante, Mary vit une lumière
apparaître dans sa chambre. Se redressant dans son lit, elle fut
stupéfaite de voir un ange, vêtu de blanc, debout à côté d’elle. Son
visage était lumineux et beau et ses yeux la transpercèrent comme des
éclairs.
Effrayée, elle s’enfouit sous les couvertures et l’ange partit.
Le dimanche suivant, Joseph lui demanda si elle avait reçu une réponse.
Elle admit : « Je n’ai pas eu de témoignage mais j’ai vu quelque chose
que je n’avais encore jamais vu. J’ai vu un ange et j’étais presque
morte de peur. Je n’ai pas parlé. »
Joseph dit : « C’était un ange du Dieu vivant. Si vous êtes fidèle,
vous verrez des choses encore plus grandes. »
Mary continua de prier. Elle avait vu un ange, ce qui avait renforcé sa
foi aux paroles de Joseph. Elle reçut d’autres témoignages spirituels
les jours suivants qu’elle ne put nier ni ignorer. Adam serait toujours
son mari dans cette vie mais elle voulait s’assurer de recevoir toutes
les bénédictions à sa portée dans la vie à venir.
Elle accepta peu après l’invitation de Joseph, et Brigham Young les
scella pour la vie suivante.
Sous la direction de Joseph, John Taylor et Wilford Woodruff
commencèrent à publier ses traductions du livre d’Abraham dans les
numéros de Times and Seasons de mars 1842. En lisant les publications,
les saints furent très heureux de découvrir de nouvelles vérités sur la
création du monde, l’objectif de la vie et la destinée éternelle des
enfants de Dieu. Ils apprirent qu’Abraham avait possédé un urim et
thummim et avait parlé face à face avec le Seigneur. Ils lurent que la
terre et tout ce qui s’y trouve avaient été organisés à partir de
matériaux existants pour réaliser l’exaltation des enfants d’esprit du
Père.
Au milieu de l’enthousiasme pour le livre d’Abraham et la doctrine
enrichissante qu’il enseignait, les saints continuaient de faire des
sacrifices afin d’édifier leur nouvelle ville et de construire le
temple.
À cette époque, Nauvoo comptait plus de mille cabanes en rondins, de
nombreuses maisons à ossature en bois et d’autres en briques solides
achevées ou en travaux. Afin de mieux organiser la ville, Joseph
l’avait divisée en quatre unités appelées paroisses et avait nommé un
évêque pour présider chacune. Il était attendu de chacune qu’elle
contribue aux travaux sur la maison du Seigneur en envoyant des
ouvriers tous les dix jours.
Margaret Cook, une femme célibataire qui gagnait sa vie comme
couturière à Nauvoo, regardait la construction progresser. Elle
travaillait pour Sarah Kimball, l’une des premières converties à
l’Église, qui avait épousé un commerçant prospère qui n’était pas
membre.
Pendant que Margaret travaillait, Sarah et elle discutaient parfois de
la construction du temple. Les murs n’étaient pas encore bien hauts
mais déjà les artisans avaient aménagé temporairement un espace dans le
sous-sol et installé de grands fonts pour les baptêmes pour les morts.
Ils étaient faits de planches de sapin habilement découpées, de forme
ovale, et reposaient sur le dos de douze bœufs sculptés à la main et
dont les finitions étaient faites de belles moulures. Une fois les
fonts consacrés, les saints recommencèrent à accomplir des baptêmes
pour les morts.
Désireuse de faire sa part, Margaret remarqua que de nombreux ouvriers
manquaient de chaussures, de pantalons et de chemises adaptés. Elle
proposa une collaboration à Sarah pour offrir de nouvelles chemises aux
ouvriers. Sarah dit qu’elle pouvait fournir le matériel pour les
chemises si Margaret se chargeait de les coudre. Elles pourraient aussi
enrôler d’autres femmes de Nauvoo et organiser une société pour diriger
le projet.
Peu après, Sarah invita une douzaine de femmes chez elle pour discuter
de la nouvelle société. Elles demandèrent à Eliza Snow, connue pour ses
talents d’écrivain, d’ébaucher une constitution. Cette dernière se mit
immédiatement au travail sur le document et le montra au prophète
lorsqu’elle eut terminé.
Joseph dit que c’était la meilleure constitution dans son genre. Il
ajouta : « Mais ce n’est pas ce que vous voulez. Dites aux sœurs que
leur offrande est acceptée par le Seigneur et qu’il a quelque chose de
mieux pour elles. » Il demanda à la société de se réunir avec lui
quelques jours plus tard, au magasin.
Il dit : « Je vais organiser les femmes sous l’égide de la prêtrise,
sur le modèle de la prêtrise. J’ai maintenant la clé pour le faire. »
Le jeudi suivant, le 17 mars 1842, Emma Smith gravit l’escalier jusqu’à
la grande pièce au-dessus du magasin. Dix-neuf autres femmes, notamment
Margaret Cook, Sarah Kimball et Eliza Snow, étaient venues organiser la
nouvelle société. Joseph y assistait également avec Willard Richards,
qui avait commencé de travailler comme secrétaire du prophète à son
retour d’Angleterre, et John Taylor.
Sophia Marks, quinze ans, était la plus jeune personne présente. La
plus âgée, Sarah Cleveland, avait cinquante-quatre ans. La plupart des
femmes avaient à peu près le même âge qu’Emma. À part Leonora Taylor,
qui était née en Angleterre, elles venaient toutes de l’Est des
États-Unis et étaient arrivées dans l’Ouest avec les saints.
Quelques-unes, telles que Sarah Kimball et Sarah Cleveland, étaient
aisées alors que d’autres ne possédaient guère plus que la robe
qu’elles portaient.
Elles se connaissaient bien. Philinda Merrick et Desdemona Fullmer
avaient survécu au massacre de Hawn’s Mill. Athalia Robinson et Nancy
Rigdon étaient sœurs. Emma Smith et Bathsheba Smith étaient cousines
par alliance, tout comme Eliza Snow et Sophia Packard. Sarah Cleveland
et Ann Whitney avaient aidé Emma dans des moments difficiles de sa vie,
l’hébergeant avec sa famille lorsqu’elle n’avait pas d’autre choix.
Elvira Cowles logeait chez Emma et s’occupait de ses enfants.
Emma aimait l’idée de mettre sur pied une société pour les femmes à
Nauvoo. Récemment, Joseph et d’autres hommes étaient devenus membres
d’une confrérie, vieille de plusieurs siècles, appelée la
franc-maçonnerie, après que des francs-maçons de longue date tels
qu’Hyrum Smith et John Bennett avaient créé une loge maçonnique dans la
ville. Toutefois, les femmes de Nauvoo auraient une société d’une autre
nature.
Tout le monde chanta « L’Esprit du Dieu saint » et John Taylor offrit
une prière. Joseph se leva et expliqua que la nouvelle société devait
encourager les femmes à chercher les nécessiteux et à s’en occuper, à
corriger en justice les personnes dans l’erreur et à fortifier la
collectivité. Il les invita ensuite à choisir une présidente qui, à son
tour, choisirait deux conseillères, exactement comme dans les collèges
de la prêtrise. Pour la première fois, les femmes auraient une autorité
officielle et des responsabilités dans l’Église.
Ann Whitney, l’amie d’Emma, la nomma présidente et les femmes présentes
approuvèrent à l’unanimité. Emma nomma ensuite Sarah Cleveland et Ann
comme conseillères.
Joseph lut la révélation qu’il avait reçue pour Emma en 1830 et fit
remarquer qu’elle avait été ordonnée et mise à part à l’époque pour
expliquer les Écritures et instruire les femmes de l’Église. Il
expliqua que le Seigneur l’avait qualifiée de « dame élue » parce
qu’elle avait été choisie pour présider.
John Taylor ordonna ensuite Sarah et Ann comme conseillères d’Emma et
confirma cette dernière dans son nouvel appel, la bénissant afin
qu’elle ait la force dont elle aurait besoin. Après avoir offert
quelques instructions supplémentaires, Joseph lui confia la direction
de la réunion puis John leur proposa de décider du nom que porterait la
société.
Les conseillères d’Emma recommandèrent le nom de Société de Secours des
femmes de Nauvoo mais John proposa plutôt celui de Société de
Bienveillance des femmes de Nauvoo, faisant ainsi écho à d’autres
sociétés de femmes dans le pays.
Emma dit qu’elle préférait « secours » à « bienveillance » mais Eliza
Snow dit que « secours » dénotait une réaction extraordinaire à une
grande catastrophe. Leur société n’allait-elle pas se concentrer
davantage sur les problèmes de la vie quotidienne ?
Emma insista : « Nous allons accomplir des choses merveilleuses. Quand
un bateau est coincé dans les rapides avec de nombreux mormons à bord,
nous considérons que c’est un appel au secours retentissant. Nous nous
attendons à avoir des occasions extraordinaires et des appels
pressants. »
Ses paroles résonnèrent dans la pièce. John dit : « Je dois vous le
concéder. Vos arguments sont si puissants que je ne peux y résister. »
Toujours attentive à la poésie des mots, Eliza conseilla un léger
changement de nom. Au lieu de la Société de Secours des femmes de
Nauvoo, elle proposa, la « Société de Secours féminine de Nauvoo ».
Toutes furent d’accord.
Emma leur dit : « Chaque membre devrait avoir l’ambition de faire le
bien. » Par-dessus tout, leur société devrait être motivée par la
charité. Comme Paul l’enseigne dans le Nouveau Testament, les bonnes
œuvres ne leur serviraient à rien si la charité n’abondait pas dans
leur cœur.
Ce printemps-là, Joseph se réunit souvent avec la Société de Secours.
L’organisation grandit rapidement, incluant des membres de longue date
et des immigrantes nouvellement baptisées. À la troisième réunion, le
magasin de Joseph était à peine assez grand pour accueillir toutes les
femmes qui désiraient y assister. Joseph voulait que la Société de
Secours prépare ses membres à la dotation de pouvoir qu’elles
recevraient dans le temple. Il enseigna aux femmes qu’elles devaient
former une société de choix, se démarquant du mal et opérant sur le
modèle de la prêtrise antique.
Entre-temps, Joseph fut troublé par des rapports selon lesquels
quelques hommes de Nauvoo avaient des relations sexuelles en dehors du
mariage et affirmaient que cela était autorisé dans la mesure où
celles-ci restaient secrètes. Les séductions, qui pervertissaient les
enseignements du Seigneur sur la chasteté, étaient perpétrées par des
hommes qui n’avaient aucun égard pour les commandements. Si on ne les
freinait pas, ils deviendraient une importante pierre d’achoppement
pour les saints.
Le 31 mars, Joseph demanda à Emma de lire une lettre à la Société de
Secours informant les sœurs que les autorités de l’Église n’avaient
jamais approuvé de telles actions. La lettre déclarait : « Nous voulons
y mettre un terme car nous souhaitons respecter les commandements de
Dieu en toutes choses. »
Plus que tout, Joseph voulait que les saints soient dignes des
bénédictions de l’exaltation. Ce printemps-là, il leur dit : « Si vous
voulez aller là où est Dieu, vous devez être comme lui ou maîtriser les
principes que Dieu maîtrise. Dans la mesure où nous nous éloignons de
Dieu, nous descendons vers le diable et perdons la connaissance, et
sans connaissance, nous ne pouvons pas être sauvés. »
Il faisait confiance à la présidence de la Société de Secours pour
diriger les femmes de l’Église et pour les aider à nourrir en elle
cette connaissance et cette droiture.
Il déclara : « Cette société doit recevoir de l’instruction selon
l’ordre que Dieu a établi, par l’intermédiaire des personnes nommées
pour la diriger, et je vous remets maintenant la clé, au nom de Dieu,
et cette société se réjouira, et la connaissance et l’intelligence se
déverseront sur elle à partir de maintenant. »
Le 4 mai 1842, Brigham Young, Heber Kimball et Willard Richards
trouvèrent la pièce au-dessus du magasin de Joseph changée. Devant eux
se trouvait une nouvelle fresque murale. De petits arbres et des
plantes étaient posés à côté, laissant imaginer un jardin. Une autre
partie de la pièce était cloisonnée par un tapis pendu en guise de
rideau.
Joseph avait invité les trois apôtres à venir ce matin-là pour une
réunion spéciale. Il avait convié son frère Hyrum et William Law, ainsi
que les deux membres de la Première Présidence et deux de ses
conseillers les plus proches. Étaient présents également les évêques
Newel Whitney et George Miller, le président du pieu de Nauvoo, William
Marks et un dirigeant de l’Église, James Adams.
Le reste de l’après-midi, le prophète présenta l’ordonnance aux hommes.
Une partie comprenait les ablutions et les onctions, comme les
ordonnances données dans le temple de Kirtland et l’ancien tabernacle
hébreu. Il leur fut remis un sous-vêtement sacré qui leur couvrait le
corps et leur rappelait leurs alliances.
La nouvelle ordonnance que Dieu avait révélée à Joseph enseignait des
vérités exaltantes. Elle puisait dans les récits scripturaires de la
Création, du jardin d’Éden, notamment dans celui de la nouvelle
traduction d’Abraham, pour guider les hommes pas à pas à travers le
plan du salut. Comme Abraham et d’autres prophètes d’autrefois, ils
reçurent la connaissance qui leur permettrait de retourner dans la
présence de Dieu. Au cours de la cérémonie, les hommes firent alliance
de mener une vie juste et chaste et de se consacrer au service du
Seigneur.
Joseph donna à l’ordonnance le nom de dotation et comptait sur les
hommes pour ne pas révéler la connaissance spéciale qu’ils avaient
reçue ce jour-là. Comme la dotation de pouvoir à Kirtland, l’ordonnance
était sacrée et destinée aux personnes dont l’esprit était tourné vers
le spirituel. Néanmoins, c’était plus qu’un déversement de dons
spirituels et de pouvoir divin sur les anciens de l’Église. Dès que le
temple serait achevé, les hommes et les femmes pourraient tous recevoir
l’ordonnance, affermir leur relation d’alliance avec Dieu et trouver
plus de puissance et de protection en consacrant leur vie au royaume de
Dieu.
Lorsque la cérémonie fut terminée, Joseph donna quelques instructions à
Brigham. Il dit à l’apôtre : « Cela n’a pas été fait correctement mais
nous avons fait de notre mieux dans notre situation et je souhaite que
tu prennes cette affaire en main et que tu organises et systématises
toutes ces cérémonies. »
En quittant le magasin ce jour-là, les hommes étaient subjugués par les
vérités qu’ils avaient apprises dans la dotation. Certains aspects de
l’ordonnance rappelaient à Heber Kimball les cérémonies
franc-maçonniques. Lors des réunions franc-maçonniques, les hommes
mettaient en scène une histoire allégorique sur l’architecture du
temple de Salomon. Les francs-maçons apprenaient des gestes et des mots
qu’ils promettaient de garder secrets, le tout symbolisait qu’ils
bâtissaient un fondement solide et y ajoutaient petit à petit lumière
et connaissance.
En revanche, la dotation était une ordonnance de la prêtrise destinée
aux hommes et aux femmes et elle enseignait des vérités sacrées qui
n’existaient pas dans la franc-maçonnerie et qu’Heber était impatient
que d’autres découvrent.
Il écrivit à Parley et Mary Ann Pratt en Angleterre : « Par
l’intermédiaire du prophète, nous avons reçu des choses précieuses sur
la prêtrise qui réjouiraient votre âme. Je ne peux pas vous les
communiquer sur papier parce qu’elles ne sont pas écrites. Vous devrez
donc venir personnellement les obtenir.
CHAPITRE 38 : Un traître ou un honnête homme
Le soir du 6 mai 1842, une pluie battante se déversait sur les rues
d’Independence, au Missouri. Lilburn Boggs finit son dîner et
s’installa dans un fauteuil pour lire le journal.
Bien que son mandat de gouverneur du Missouri eût pris fin plus d’un an
auparavant, il participait encore activement à la vie politique et
était maintenant candidat pour un poste à pourvoir au sénat de l’État.
Au fil des années, il s’était fait de nombreux ennemis et son élection
était peu probable. En plus de le critiquer pour son ordre
d’extermination qui avait chassé des milliers de saints de l’État,
certains habitants du Missouri étaient mécontents de sa gestion
agressive d’un conflit frontalier avec l’Iowa. D’autres
s’interrogeaient sur la manière dont il avait levé des fonds pour un
nouveau capitole.
Assis dos à une fenêtre, Boggs survolait les gros titres. Dehors, il
faisait frais et noir ce soir-là et il entendait le léger crépitement
de la pluie.
À cet instant, à son insu, quelqu’un se faufila silencieusement dans
son jardin boueux et pointa un gros calibre par la fenêtre. Un éclat de
lumière jaillit du canon et Boggs s’affaissa sur son journal. Du sang
coulait de sa tête et de son cou.
En entendant le coup de feu, son fils se rua dans la pièce et appela à
l’aide. Entre-temps, le tireur avait jeté son arme à terre et s’était
enfui incognito, ne laissant derrière lui que des traces de pas dans la
boue.
Pendant que les enquêteurs tentaient de retrouver la trace de
l’assassin de Boggs, Hyrum Smith enquêtait à Nauvoo sur des crimes
d’une autre nature. Les premières semaines de mai, plusieurs femmes
avaient accusé John Bennett, le maire, d’actions consternantes. En
présence d’un conseiller municipal, elles racontèrent que John était
venu les voir secrètement en insistant sur le fait que ce n’était pas
un péché d’avoir des relations sexuelles avec lui tant qu’elles n’en
parlaient à personne. Appelant cette pratique « l’adjonction de femmes
spirituelles », il leur avait menti en leur assurant que Joseph
approuvait ce comportement.
Au début, elles avaient refusé de le croire mais il avait insisté et
avait demandé à ses amis de jurer aux femmes qu’il disait la vérité.
S’il mentait, le péché retomberait directement sur lui. Et si elles
tombaient enceinte, il promettait qu’en qualité de médecin, il les
ferait avorter. Les femmes finirent par céder à ses avances, et à
celles de quelques-uns de ses amis lorsqu’ils vinrent présenter des
requêtes semblables.
Hyrum était horrifié. Il savait depuis quelque temps que John n’était
pas l’homme intègre qu’il avait initialement affirmé être. Des rumeurs
sur son passé avaient fait surface peu après son installation à Nauvoo
et son élection en tant que maire. Joseph avait envoyé l’évêque George
Miller enquêter sur les rumeurs et ce dernier avait bientôt appris que
John était connu pour déménager de lieu en lieu, utilisant ses nombreux
talents pour profiter des gens.
Il avait également découvert qu’il avait des enfants et était encore
marié à une femme qu’il avait maltraitée et trompée pendant de
nombreuses années.
Une fois que William Law et Hyrum eurent vérifié ces trouvailles,
Joseph lui demanda des comptes et le réprimanda pour sa méchanceté
passée. John promit de changer mais le prophète perdit confiance en lui
et ne compta plus sur lui comme avant.
Maintenant, en écoutant le témoignage des femmes, Hyrum savait qu’il
fallait prendre d’autres mesures. Ensemble, Hyrum, Joseph et William
rédigèrent un document excommuniant John de l’Église et d’autres
dirigeants le signèrent. Du fait qu’ils enquêtaient encore sur
l’ampleur des péchés de John et espéraient régler l’affaire sans
générer de scandale public, ils décidèrent de ne pas divulguer la
notification d’excommunication.
Une chose était certaine, le maire était devenu un danger pour la ville
et pour les saints et Hyrum se voyait dans l’obligation de le stopper.
John paniqua lorsqu’il fut informé de l’enquête menée par Hyrum. Le
visage ruisselant de larmes, il se rendit dans le bureau de ce dernier
et implora sa miséricorde. Il dit qu’il serait perdu à tout jamais si
les gens apprenaient qu’il avait dupé tant de femmes. Il voulait parler
à Joseph et faire amende honorable.
Les deux hommes sortirent et John vit le prophète traverser la cour en
direction de son magasin. Se tournant vers lui, il cria : « Frère
Joseph, je suis coupable. » Il avait les yeux rougis par les larmes. «
Je le reconnais et je te supplie de ne pas me dévoiler au grand jour. »
Joseph demanda : « Pourquoi te sers-tu de mon nom pour te livrer à ta
méchanceté infernale ? T’ai-je jamais enseigné quoi que ce soit qui ne
soit pas vertueux ?
— Jamais !
— As-tu jamais eu connaissance de quoi que ce soit d’immoral ou
d’injuste dans ma conduite ou mes actions à aucun moment, en public ou
en privé ?
— Non.
— Es-tu prêt à en faire le serment devant un conseiller municipal ?
— Oui. »
John suivit Joseph dans son bureau et un secrétaire lui tendit un stylo
et une feuille. Lorsque le conseiller municipal arriva, Joseph sortit
de la pièce pendant que John, penché sur le bureau, rédigeait une
confession déclarant que le prophète ne lui avait pas enseigné quoi que
ce soit de contraire aux lois de Dieu. Il démissionna ensuite de ses
fonctions de maire de Nauvoo.
Deux jours plus tard, le 19 mai, le conseil municipal accepta la
démission de John et nomma Joseph à sa place. Avant de conclure la
réunion, Joseph demanda à John s’il avait quelque chose à dire.
Il déclara : « Je n’ai aucun problème avec les chefs de l’Église, j’ai
l’intention de rester avec vous et j’espère que le moment viendra où je
retrouverai toute votre confiance et tous mes droits. Si un jour j’ai
la possibilité de prouver ma foi, on saura alors si je suis un traître
ou un honnête homme. »
Le samedi suivant, un journal de l’Illinois donnait des nouvelles des
blessures de Lilburn Boggs. Il rapportait que l’ancien gouverneur
s’accrochait toujours à la vie en dépit de graves lésions à la tête.
Les enquêtes policières sur l’identité du tireur s’étaient avérées
infructueuses. Certaines personnes accusaient les adversaires
politiques de Boggs d’avoir appuyé sur la gâchette mais le journal
soutenait que les saints en étaient responsables, affirmant que Joseph
avait un jour prophétisé que Boggs connaîtrait une fin violente.
Il proclamait : « De ce fait, la rumeur est largement fondée. »
Joseph fut offensé par l’article. Il était fatigué d’être accusé de
crimes qu’il n’avait pas commis. Il écrivit à l’éditeur du journal «
Vous avez commis une injustice flagrante en m’accusant d’avoir prédit
la mort de Lilburn W Boggs ». J’ai les mains nettes et le cœur pur du
sang de tous les hommes. »
L’accusation arriva à un moment où il disposait de peu de temps pour se
défendre publiquement. Il avait passé la semaine entière à enquêter sur
les actions de John Bennett. Jour après jour, la Première Présidence,
le Collège des Douze et le grand conseil de Nauvoo écoutaient les
témoignages des victimes de John. En entendant leurs histoires, Joseph
découvrit à quel point John avait déformé les lois de Dieu, se moquant
des relations d’alliances éternelles que Joseph avait essayé
d’inculquer aux saints.
Pendant les audiences, il entendit le témoignage de Catherine Warren,
la veuve d’une victime du massacre de Haun’s Mill. Mère de cinq
enfants, elle était désespérément pauvre et avait du mal à pourvoir aux
besoins de sa famille.
Elle dit que John Bennett était le premier homme à avoir profité d’elle
à Nauvoo. Elle dit au grand conseil : « Il disait qu’il voulait que ses
désirs soient assouvis. Je lui ai dit que je ne me rendrais pas
coupable d’une conduite pareille et que je pensais que l’Église serait
déshonorée si je tombais enceinte. » Elle céda lorsqu’il lui mentit en
disant que les dirigeants de l’Église approuvaient.
Peu après, des amis de John usèrent des mêmes mensonges pour profiter
d’elle.
Elle dit au grand conseil : « L’hiver dernier, je me suis inquiétée de
ma conduite. » Lorsqu’elle apprit que Joseph et les autres dirigeants
de l’Église n’approuvaient pas ce que faisait John, elle décida de le
dénoncer. Joseph et le grand conseil l’écoutèrent. Catherine garda son
statut de membre de l’Église mais ils excommunièrent les hommes qui
l’avaient dupée.
À la fin de l’enquête, John reçut aussi la notification officielle de
son excommunication. Une fois de plus, il implora la miséricorde et
poussa le conseil à traiter son châtiment dans la discrétion. Il dit
que la nouvelle briserait le cœur de sa mère âgée et la tuerait
sûrement de chagrin.
Comme Hyrum, Joseph était dégoûté par les péchés de John mais avec les
accusations au sujet de Boggs planant sur la tête des saints et les
éditeurs de journaux avides de scandale à Nauvoo, lui et les autres
dirigeants de l’Église agirent prudemment pour éviter d’attirer
l’attention sur l’affaire. Ils décidèrent de ne pas publier
l’excommunication de John et d’attendre de voir s’il réformerait ses
voies.
Joseph s’inquiétait tout de même des femmes que John avait dupées. Il
n’était pas rare au sein des communautés d’ostraciser les femmes
qu’elles pensaient coupables d’immoralité sexuelle, même si ces
dernières étaient innocentes. Joseph exhorta les femmes de la Société
de Secours à être charitables et lentes à condamner.
Il conseilla : « Repentez-vous, changez, mais faites-le de manière à ne
pas détruire tout autour de vous. » Il ne voulait pas que les sœurs
tolèrent l’iniquité mais il ne voulait pas non plus qu’elles fuient les
gens. e cœur plus pur, être Il leur rappela : « Soyez pures de cœur.
Jésus a l’intention de sauver les gens de leurs péchés. Il a dit :
‘Vous ferez les œuvres que vous me voyez faire.’ Voilà les grands mots
clés selon lesquels la société doit agir. »
Emma était du même avis : « Toutes les rumeurs vaines et les discours
oiseux doivent être abandonnés. » Néanmoins, elle se méfiait d’une
discipline discrète. Elle dit aux femmes : « Les péchés ne doivent pas
être couverts, surtout ceux qui vont à l’encontre de la loi de Dieu et
des lois du pays. » Elle croyait qu’il valait mieux dévoiler les
pécheurs au grand jour afin d’éviter que d’autres commettent les mêmes
erreurs.
Toutefois, Joseph continua de gérer l’affaire en privé. La conduite
passée de John montrait qu’il avait tendance à se retirer d’une
communauté une fois qu’il était découvert et dépouillé d’autorité.
Peut-être que s’ils attendaient patiemment, il quitterait simplement la
ville de son plein gré.
Le 27 mai 1842, la Société de Secours se réunit pour la dixième fois
près d’un bosquet où les saints se rendaient souvent pour leurs
services de culte. Des centaines de sœurs appartenaient maintenant à
l’organisation, notamment Phebe Woodruff, qui en était devenue membre
un mois auparavant avec Amanda Smith, Lydia Knight, Emily Partridge et
des dizaines d’autres.
Les réunions hebdomadaires étaient l’occasion pour Phebe d’oublier les
soucis de sa vie trépidante, d’être informée des besoins des personnes
qui l’entouraient et d’écouter des sermons préparés spécifiquement pour
les femmes de l’Église.
Joseph et Emma prenaient souvent la parole lors de ces réunions mais ce
jour-là, l’évêque Newel Whitney parla aux femmes des bénédictions que
le Seigneur leur accorderait bientôt. Il venait juste de recevoir la
dotation et les exhorta à rester concentrées sur l’œuvre du Seigneur et
à se préparer à recevoir son pouvoir. Il déclara : « Sans les femmes,
tout ne peut pas être rétabli sur terre. »
Il leur promit que Dieu avait de nombreuses choses précieuses à
conférer aux saints fidèles. « Nous devons perdre de vue les choses
vaines et nous souvenir que l’œil de Dieu est sur nous. Si nous nous
efforçons de faire ce qui est juste, bien que nous commettions des
erreurs de jugement de nombreuses fois, nous serons néanmoins justifiés
aux yeux de Dieu si nous faisons de notre mieux. »
Deux jours après le sermon de Newel, Phebe et Wilford gravissaient le
promontoire en direction du temple inachevé. Leur famille avait bravé
l’adversité, notamment la mort de leur fille Sarah Emma pendant que
Wilford était en Angleterre. Ils étaient maintenant mieux installés que
jamais depuis leur mariage et ils avaient deux nouveaux enfants.
Wilford dirigeait le bureau du Times and Seasons, ce qui lui offrait un
emploi stable lui permettant de subvenir aux besoins de leur famille.
Les Woodruff habitaient un logis modeste en ville et faisaient
construire une maison de briques sur une parcelle au sud du temple. Ils
avaient de nombreux amis à qui rendre visite dans la région, dont John
et Jane Benbow, qui avaient vendu leur grosse exploitation agricole en
Angleterre pour se rassembler avec les saints.
De toute façon, comme l’évêque Whitney l’avait enseigné, les saints
devaient continuer de s’efforcer de faire le bien, de s’engager dans
l’œuvre du Seigneur et d’éviter les distractions qui risquaient de les
égarer.
Le temple devenait de plus en plus indispensable pour fixer leur
attention sur ces points. Le 29 mai, Phebe descendit au sous-sol, entra
dans les fonts baptismaux et fut baptisée pour son grand-père, sa
grand-mère et son grand-oncle. Pendant que Wilford l’immergeait, elle
avait la foi que ses ancêtres décédés accepteraient l’Évangile rétabli,
feraient alliance de suivre Jésus-Christ et se souviendraient de son
sacrifice.
Deux semaines après avoir été informé de son excommunication, John
Bennett était toujours à Nauvoo. Entre-temps, la Société de Secours
avait mis en garde les femmes de la ville contre ses crimes et avaient
ardemment condamné le genre de mensonges qu’il avait répandus sur les
dirigeants de l’Église. D’autres renseignements crapuleux sur son passé
avaient également fait surface et Joseph se rendit compte qu’il était
temps d’annoncer l’excommunication de l’ancien maire et d’exposer
publiquement ses dangereux péchés.
Le 15 juin, il publia une courte notification au sujet de son
excommunication dans le Times and Seasons. Quelques jours plus tard,
dans un sermon prononcé sur le site du temple, il parla ouvertement à
plus d’un millier de saints des mensonges de John et de son
exploitation des femmes.
Trois jours plus tard, furieux, ce dernier quitta Nauvoo, disant que
les saints étaient indignes de sa présence et menaçant d’envoyer des
émeutiers après la Société de Secours. Imperturbable, Emma proposa que
la Société de Secours édite une brochure révélant la personnalité de
John. Elle dit aux femmes : « Tout ce que nous avons à faire, c’est
craindre Dieu et respecter ses commandements, ainsi nous prospérerons. »
Joseph publia une inculpation supplémentaire à l’encontre de John,
détaillant la longue histoire de déviance de l’ancien maire. Il déclara
: « Au lieu de faire preuve d’un esprit de repentir, il s’est montré
indigne jusqu’au bout de la confiance ou des égards de toute personne
honnête en mentant pour tromper l’innocent et commettant l’adultère
d’une manière des plus abominables et dépravées. »
Pendant ce temps, John loua une chambre dans une ville voisine et
envoya à un grand journal de l’Illinois des lettres cinglantes sur
Joseph et les saints. Il accusait le prophète d’une foule de crimes,
dont beaucoup de ceux qu’il avait lui-même commis et inventa des
histoires grotesques et exagérées pour corroborer ses dires et couvrir
ses péchés.
Dans une lettre, il l’accusa d’avoir ordonné l’assassinat de Lilburn
Boggs au mois de mai, répétant l’histoire relatée dans le journal que
le prophète avait prédit que Boggs connaîtrait une mort violente et
ajoutant qu’il avait envoyé son ami et garde du corps Porter Rockwell
au Missouri pour « accomplir la prophétie ».
Les saints voyaient bien que les écrits de John n’étaient qu’un tissu
de mensonges mais les lettres nourrissaient un feu qui brûlait déjà
parmi les détracteurs au Missouri. Après s’être remis de l’attaque,
Boggs exigea que son présumé assassin soit amené devant la justice.
Lorsqu’il apprit que Porter Rockwell rendait visite à sa famille à
Independence à ce moment-là, il accusa Joseph d’être complice de la
tentative de meurtre. Il pressa ensuite Thomas Reynolds, le nouveau
gouverneur du Missouri, de demander aux dirigeants de l’Illinois
d’arrêter Joseph et de le renvoyer au Missouri pour être jugé.
Le gouverneur accepta et exigea à son tour que Thomas Carlin, le
gouverneur de l’Illinois, traite le prophète comme un fugitif recherché
par la justice, ayant fui le Missouri après le crime.
Sachant qu’il n’était pas retourné au Missouri depuis qu’il s’en était
échappé trois ans auparavant et qu’il n’y avait aucune preuve de son
rôle dans l’affaire, les saints furent outrés. Le conseil municipal de
Nauvoo et un groupe de citoyens de l’Illinois qui leur étaient
favorables envoyèrent immédiatement une pétition au gouverneur afin
qu’il n’arrête pas Joseph. Emma, Eliza Snow et Amanda Smith se
rendirent à Quincy pour rencontrer le gouverneur et lui remettre
personnellement une pétition de la Société de Secours en sa faveur. Le
gouverneur Carlin écouta leurs instances mais finit malgré tout par
émettre un mandat d’arrêt pour Joseph et Porter.
Le 8 août, un shérif adjoint et deux officiers arrivèrent à Nauvoo et
arrêtèrent les deux hommes, accusant Porter d’avoir tiré sur Boggs et
Joseph d’avoir été complice. Avant que le shérif n’ait pu les emmener,
le conseil municipal de Nauvoo exigea le droit d’examiner le mandat.
Joseph avait été accusé faussement auparavant, et la charte de Nauvoo
accordait aux saints le pouvoir de se protéger des abus du système
judiciaire.
Ne sachant pas si le conseil avait le droit de remettre le mandat en
question, le shérif avait livré Joseph et Porter au capitaine de
gendarmerie et avait quitté la ville pour demander au gouverneur ce
qu’il devait faire. Deux jours plus tard, il était revenu chercher ses
prisonniers mais ne les avait trouvés nulle part.
CHAPITRE 39 : La septième angoisse
Le 11 août 1842, un petit croissant de lune se reflétait dans le
courant sombre du Mississippi pendant que Joseph et son ami Erastus
Derby pagayaient silencieusement. Devant eux, ils distinguaient le
contour de deux îles boisées dans le tronçon de fleuve séparant Nauvoo
de Montrose. Manœuvrant entre elles, les hommes aperçurent une autre
barque amarrée le long de la berge et ramèrent dans sa direction.
La veille, Joseph et Porter s’étaient glissés hors de Nauvoo pour ne
pas être arrêtés, craignant de ne pouvoir faire l’objet d’un procès
impartial. Porter était parti vers l’est pour quitter l’État et Joseph
s’était dirigé vers l’ouest, traversant le fleuve jusqu’à chez son
oncle John en Iowa, hors de la juridiction du shérif de l’Illinois et
de ses hommes. Il s’y était caché toute la journée mais était pressé de
voir sa famille et ses amis.
Quand Joseph et Erastus accostèrent sur l’île, Emma, Hyrum et quelques
amis proches de Joseph les accueillirent. Tenant Emma par la main,
Joseph écouta le groupe assis dans le bateau parler à voix basse de la
situation à Nauvoo.
Le danger était plus grand qu’il ne l’avait pensé. Ses amis avaient
entendu dire que le gouverneur de l’Iowa avait émis un mandat d’arrêt
contre lui et Porter, ce qui signifiait qu’il n’était plus en sécurité
chez son oncle. Ils s’attendaient maintenant à ce que les shérifs des
deux cotés du fleuve se mettent à sa recherche.
Ses amis pensaient toujours que les tentatives d’arrestation étaient
illégales, un complot éhonté de ses ennemis au Missouri pour le
capturer. Pour le moment, la meilleure chose qu’il pouvait faire était
de se cacher dans la ferme d’un de ses amis du côté Illinois du fleuve
et d’attendre que les choses se calment.
Il quitta l’île le cœur débordant de gratitude. D’autres l’avaient
abandonné et trahi maintes et maintes fois face à l’adversité mais ces
amis-là étaient venus l’aider en pleine nuit, choisissant de se tenir à
ses côtés et de défendre les vérités qu’il chérissait.
Il pensa : « Ce sont mes frères et je vivrai. »
Mais c’est pour Emma qu’il éprouvait le plus de reconnaissance. Il se
dit : « À nouveau elle est là, même dans la septième angoisse, brave,
ferme, immuable et affectueuse Emma ! »
Au fil des jours et des semaines qui suivirent, elle communiqua
régulièrement avec lui. Lorsqu’ils ne pouvaient se rencontrer, ils
correspondaient. Quand elle pouvait échapper aux hommes de loi qui
surveillaient chacun de ses gestes, elle le rejoignait dans un abri sûr
et ils planifiaient leur prochaine action. Elle transmettait souvent
des messages entre lui et les saints à qui il faisait confiance,
évitant ceux qui lui voulaient du mal.
Les shérifs menaçant de fouiller chaque maison de l’Illinois si
nécessaire, Joseph savait que les saints craignaient qu’il ne soit
rapidement capturé et ramené au Missouri. Certains amis l’incitaient à
s’échapper vers les forêts de pins au nord de l’État, là où les saints
coupaient du bois pour le temple.
Joseph détestait l’idée de fuir, préférant rester en Illinois et voir
le bout de la crise. Néanmoins, il était disposé à partir si c’était ce
qu’Emma voulait faire. Il écrivit : « Ma sécurité est avec toi. Si les
enfants et toi ne venez pas avec moi, je n’irai pas. »
Une part de lui aspirait à emmener sa famille ailleurs, au moins pour
un peu de temps. Il dit à Emma : « Je suis las de la méchanceté, de la
bassesse et de la grossièreté de certaines parties de la société dans
laquelle nous vivons et si je pouvais avoir un répit d’environ six mois
avec ma famille, ce serait un véritable bonheur. »
Emma répondit à sa lettre plus tard dans la journée. Elle écrivit : «
Je suis prête à t’accompagner si tu es obligé de partir mais je suis
sûre que tu peux être protégé sans quitter ce pays. Il y a plusieurs
manières de s’occuper de toi. »
Le soir suivant, elle écrivit au gouverneur Thomas Carlin l’assurant de
l’innocence de Joseph. Ce dernier ne se trouvait pas au Missouri
lorsque la tentative de meurtre avait eu lieu, raisonnait-elle, et il
était innocent des accusations portées contre lui. Elle croyait qu’il
ne ferait jamais l’objet d’un procès impartial au Missouri et qu’au
contraire, il serait probablement assassiné.
Elle supplia : « Je vous supplie d’épargner à mes enfants innocents le
chagrin de voir de nouveau leur père condamné injustement à la prison
ou à mort. »
Le gouverneur lui répondit peu après. Sa lettre était polie et les mots
soigneusement pesés. Il insistait sur le fait que les mesures qu’il
prenait à l’encontre de Joseph étaient uniquement motivées par son sens
du devoir. Il exprimait son espoir de voir Joseph se soumettre à la loi
et ne donnait pas la moindre indication sur ses dispositions à changer
d’avis sur le sujet.
Sans se démonter, Emma écrivit une deuxième lettre, cette fois
expliquant pourquoi il était illégal d’arrêter son mari.
Elle demanda au gouverneur : « Quel bien peut rejaillir sur cet État ou
sur les États-Unis, ou n’importe quelle partie de cet État ou des
États-Unis, ou sur vous-même ou sur quiconque le fait de continuer de
persécuter ce peuple ou M.Smith ? » Smith !
Elle envoya la lettre et attendit une réponse.
Pendant ce temps, la plupart des saints ne savaient pas que Joseph se
cachait à quelques kilomètres à peine. Certains croyaient qu’il était
retourné à Washington. D’autres pensaient qu’il était parti en Europe.
En regardant le shérif et ses officiers rôder dans les rues de Nauvoo à
la recherche d’indices sur le lieu où il se cachait, les saints
commencèrent à craindre pour sa sécurité. Toutefois, ils comptaient sur
le Seigneur pour protéger son prophète et continuèrent à vaquer à leurs
occupations quotidiennes.
Comme d’autres immigrants britanniques, Mary Davis était encore en
train de s’habituer à son nouveau foyer à Nauvoo. Depuis son arrivée,
elle avait épousé Peter Maughan, le jeune veuf qu’elle avait rencontré
à Kirtland, devenant la belle-mère de ses enfants. Ensemble, ils
louaient la maison d’Orson Hyde, qui était encore en mission à
Jérusalem, et avaient du mal à trouver un emploi adéquat pour subvenir
aux besoins de leur famille.
Nauvoo offrait de nombreux emplois aux ouvriers agricoles et à ceux du
bâtiment mais moins de possibilités pour les ouvriers qualifiés comme
Peter, qui avait vécu et travaillé dans des centres d’exploitation
minière bourdonnants en Angleterre. Des entrepreneurs locaux essayaient
de créer des moulins, des usines et des fonderies à Nauvoo mais ces
entreprises ne faisaient que démarrer et ne pouvaient embaucher tous
les ouvriers qualifiés affluant d’Angleterre.
Sans emploi stable, Mary et Peter avaient survécu à leur premier hiver
en vendant certains de leurs biens pour acheter de la nourriture et du
bois de chauffage. Lorsque Joseph apprit que Peter était mineur en
Angleterre, il l’embaucha pour extraire un filon de charbon découvert
sur des terres qu’il possédait au sud de Nauvoo. Le charbon s’avéra
être d’une excellente qualité et Peter en récupéra trois chariots
pleins pour Joseph avant d’avoir épuisé le filon.
Certaines familles d’immigrants pauvres quittèrent Nauvoo pour trouver
des emplois mieux rémunérés dans des villes voisines mais Mary et Peter
décidèrent de rester et de se contenter de ce qu’ils avaient. Ils
disposèrent des planches sur le sol inachevé de la maison des Hyde et
confectionnèrent des matelas de plumes pour les lits. Un coffre leur
servit de table et ils stockèrent leur vaisselle à l’air libre parce
qu’ils n’avaient pas de placards.
L’été, à Nauvoo, la chaleur pouvait être étouffante mais lorsqu’en fin
d’après-midi ou en soirée la température fléchissait, les familles
comme les Maughan abandonnaient leurs corvées et se promenaient
ensemble dans la ville. Les rues étaient souvent pleines de monde en
train de discuter de politique, des nouvelles locales et de l’Évangile.
Parfois, les saints organisaient des conférences, assistaient à des
pièces de théâtre ou écoutaient la fanfare nouvellement organisée
emplir l’air de la musique populaire de l’époque. Non loin se
trouvaient toujours des groupes d’enfants en train de jouer aux billes,
de sauter à la corde et de faire d’autres jeux de plein air jusqu’à ce
que le soleil se couche derrière le Mississippi et que les étoiles
scintillent dans le ciel nocturne.
Fin août, les lettres que John Bennett avait publiées plus tôt cet
été-là furent réimprimées dans des journaux de tout le pays, nuisant à
la réputation de l’Église et compliquant la tâche des missionnaires de
faire connaître le message de l’Évangile rétabli. Pour lutter contre la
mauvaise presse, les dirigeants de l’Église appelèrent des centaines
d’anciens en mission.
Le 29 août, ils se réunirent dans un bosquet près du site du temple
pour recevoir des instructions. Pendant le discours d’Hyrum, Joseph fit
sensation dans l’assemblée lorsqu’il grimpa sur l’estrade et prit
place. De nombreux frères ne l’avaient pas revu depuis qu’il était
parti se cacher plus tôt ce mois-là.
Les autorités de l’Illinois le poursuivaient toujours mais ils avaient
récemment quitté la région, lui permettant de relâcher quelque peu sa
garde. Depuis un peu plus d’une semaine, il habitait tranquillement
chez lui avec sa famille, se réunissant en privé avec les Douze et
d’autres dirigeants de l’Église.
Deux jours après la conférence avec les anciens, il se sentit
suffisamment en sécurité pour assister à une réunion de la Société de
Secours. Il parla aux femmes de ses récentes épreuves et des
accusations portées contre lui. Il dit : « Bien que j’aie des torts, je
n’ai pas ceux dont on m’accuse. Mes torts viennent de la faiblesse de
la nature humaine, comme les autres hommes. Personne ne mène une vie
exempte d’erreurs. »
Il remercia Emma et les autres femmes de le défendre et d’avoir envoyé
une pétition au gouverneur en sa faveur. Il dit : « La Société Féminine
de Secours a pris la part la plus active contre mes ennemis. Si ces
mesures n’avaient pas été prises, des conséquences plus graves auraient
suivi. »
Ce week-end-là, Emma et lui reçurent John Boynton, l’ancien apôtre.
Bien
qu’il ait été un dissident, et ait même menacé le frère de Joseph avec
une épée dans le temple de Kirtland, il avait mis ses différends avec
Joseph de côté. Pendant que la famille déjeunait, un shérif de
l’Illinois et deux officiers armés firent irruption dans la maison avec
de nouveaux ordres d’arrêter le prophète. John fit diversion, donnant
ainsi à Joseph le temps de s’esquiver par la porte arrière, de
traverser la plantation de maïs de son jardin et d’aller se réfugier
dans son magasin.
À la maison, Emma exigea que le shérif lui montre son mandat de
perquisition. Il lui dit qu’il n’en avait pas et passa derrière elle
avec ses hommes. Ils fouillèrent les pièces une à une, cherchant
derrière chaque porte et chaque rideau mais ne trouvèrent rien.
Cette nuit-là, lorsque les hommes de loi eurent quitté la ville, Joseph
s’installa chez ses amis, Edward et Ann Hunter. Quelques jours plus
tard, il écrivit aux saints : « J’ai trouvé opportun et sage de quitter
les lieux pendant un peu de temps, pour ma sécurité et celle de ce
peuple. » Il ne désirait pas s’attarder sur ses épreuves et leur fit
part d’une nouvelle révélation sur le baptême pour les morts.
Elle disait : « En vérité, ainsi dit le Seigneur : Que l’œuvre de mon
temple et toutes les œuvres que je vous ai assignées soient poursuivies
et ne cessent pas. » Le Seigneur commandait aux saints de tenir des
annales des baptêmes par procuration qu’ils accomplissaient et de
prévoir des témoins pour y assister afin que la rédemption des morts
puisse être enregistrée sur terre et dans les cieux.
Quelques jours plus tard, il leur envoya d’autres instructions
concernant l’ordonnance. Paraphrasant Malachie, il écrivit : « La terre
sera frappée de malédiction à moins qu’il y ait un chaînon d’une sorte
ou d’une autre qui rattache les pères et les enfants. » Il expliqua que
les générations passées et présentes devaient collaborer pour racheter
les morts et réaliser la plénitude des temps, lorsque le Seigneur
révélerait toutes les clés, les pouvoirs et les gloires qu’il gardait
en réserve pour les saints, notamment des choses qu’il n’avait encore
jamais révélées.
Joseph ne se contenait plus de la joie qu’il éprouvait pour la
miséricorde de Dieu envers les vivants et les morts. Même caché,
pourchassé injustement par ses ennemis, il exultait dans l’Évangile
rétabli de Jésus-Christ.
Il demanda aux saints : « Qu’entendons-nous dans l’Évangile ? Une voix
d’allégresse ! Une voix de miséricorde venant du ciel et une voix de
vérité sortant de la terre. » Jubilant, il écrivit au sujet du Livre de
Mormon, des anges rétablissant la prêtrise et ses clés, et de Dieu
révélant son plan ligne sur ligne et précepte sur précepte.
Il demanda : « Ne persévérerons-nous pas dans une si grande cause ? Que
votre cœur se réjouisse et soit dans l’allégresse ! Que la terre éclate
en chants. Que les morts chantent des hymnes de louanges éternelles au
roi Emmanuel. » Toutes les créations témoignaient de Jésus-Christ, et
sa victoire sur le péché et la mort était certaine.
Joseph se réjouit : « Qu’elle est merveilleuse la voix que nous
entendons du ciel. »
À l’automne de 1842, le gouverneur Carlin répondit à la deuxième lettre
d’Emma, exprimant son admiration pour son dévouement envers son mari
mais refusant en fin de compte de l’aider. Vers la même époque, John
Bennett publia un exposé de la longueur d’un livre sur Joseph et les
saints. Il commença aussi à faire des conférences sur ce qu’il appelait
« Le système des femmes secrètes à Nauvoo », captivant les auditoires
par les rumeurs extravagantes qu’il avait entendues (dont beaucoup
qu’il avait inventées lui-même) sur les mariages pluraux de Joseph.
La campagne agressive de John battant son plein et le gouverneur Carlin
refusant d’intervenir, Joseph se sentait de plus en plus acculé. Il
savait qu’il ne pouvait se rendre et faire l’objet d’un procès tant que
ses ennemis au Missouri voulaient sa mort. Mais il ne pouvait pas non
plus rester caché le reste de sa vie. Combien de temps pourrait-il
échapper à une arrestation avant que l’État ne se retourne contre sa
famille et contre les saints qui le protégeaient ?
En décembre, après que Joseph se fut caché pendant trois mois, le
mandat du gouverneur Carlin prit fin. Bien que le nouveau gouverneur,
Thomas Ford, refusât d’intervenir directement dans le cas de Joseph, il
exprima de la sympathie pour la détresse du prophète et affirma que les
tribunaux se prononceraient en sa faveur.
Joseph ne savait pas s’il pouvait lui faire confiance mais il n’avait
pas de meilleure solution. Le lendemain de Noël 1842, il se livra à
Wilson Law, général de la légion de Nauvoo et frère de William Law. Ils
se rendirent ensuite à Springfield, capitale de l’État, pour une
audience visant à déterminer si la demande d’arrestation de Joseph par
le gouverneur du Missouri était légale et s’il serait renvoyé au
Missouri pour être jugé.
L’arrivée de Joseph à Springfield causa un tumulte. Des spectateurs
curieux s’entassèrent dans le tribunal situé en face du nouveau
capitole, tendant le cou pour apercevoir l’homme qui se disait prophète
de Dieu.
Quelqu’un demanda : « Lequel est Joe Smith ? Est-ce cet homme de haute
taille ? »
Quelqu’un d’autre dit : « Quel nez pointu ! Il est trop souriant pour
être un prophète ! »
Le juge Nathaniel Pope, l’un des hommes les plus respectés de
l’Illinois, présidait la séance. Joseph s’assit avec son avocat, Justin
Butterfield, à l’avant du tribunal. Non loin, Willard Richards, son
secrétaire, était penché sur un carnet et prenait note du déroulement.
Plusieurs autres saints se pressaient dans la pièce.
Dans l’esprit du juge Pope, la question n’était pas de savoir si Joseph
était complice de la tentative d’assassinat de Boggs mais s’il était au
Missouri lorsque le crime s’était produit et avait ensuite fui l’État.
Josiah Lamborn, jeune procureur d’Illinois, mit dès ses premières
remarques l’accent sur la prophétie présumée de Joseph sur la mort de
Boggs. Il en déduisait que si Joseph avait prophétisé le meurtre de ce
dernier, c’était donc qu’il devait en être tenu pour responsable et
jugé au Missouri.
Lorsque M. Lamborn eut terminé, l’avocat de Joseph soutint que les
accusations du gouverneur Boggs étaient erronées puisque Joseph n’était
pas au Missouri lorsque le crime avait été commis. M.Butterfield
insista : « Il n’y a pas une once de témoignage que Joseph s’est enfui
du Missouri. Il ne peut être extradé tant qu’il n’est pas prouvé que
c’est un fugitif. Ils doivent prouver qu’il s’est enfui ! »
Il présenta ensuite à la cour des témoins attestant de l’innocence de
Joseph. Il termina : « Je ne pense pas que le prévenu doive en aucun
cas être livré au Missouri. »
Le lendemain matin, le 5 janvier 1843, le tribunal bourdonnait
d’impatience lorsque Joseph et ses avocats vinrent entendre le verdict
du juge. Les saints attendaient avec anxiété sachant que si le juge
Pope se prononçait contre Joseph, le prophète pourrait facilement se
retrouver entre les mains de ses ennemis à la tombée de la nuit.
Le juge arriva peu après neuf heures. Prenant place, il remercia les
avocats et commença à exposer sa décision. Il avait beaucoup à dire sur
le cas et pendant qu’il parlait, Willard Richards s’empressa de noter
chaque mot.
Comme l’avocat de la défense l’avait argumenté la veille, le juge
conclut que Joseph avait été convoqué illégalement pour être jugé au
Missouri. Ne voyant aucune raison de détenir Joseph plus longtemps, il
déclara : « Smith doit être relâché. »
Joseph se leva et s’inclina devant la cour. Après avoir vécu caché
pendant cinq mois, il était enfin libre.
CHAPITRE 40 : Uni dans une alliance éternelle
Le 10 avril 1843, lorsque Joseph revint à Nauvoo, des amis et des
parents s’attroupèrent chez lui pour le féliciter. Peu après, Emma et
lui organisèrent un dîner de fête pour célébrer sa victoire et leur
seizième anniversaire de mariage. Wilson Law et Eliza Snow composèrent
des chansons pour l’occasion et Joseph et Emma servirent le repas
pendant que leurs convives riaient et racontaient des histoires.
Joseph était heureux de se retrouver parmi ses êtres chers. Peu après,
il songea : « Si je n’avais aucun espoir de revoir ma mère, mes frères
et sœurs et mes amis, j’en aurais le cœur instantanément brisé. » Cela
le réconfortait de savoir que le baptême pour les vivants et les morts,
la dotation et le mariage éternel offraient aux saints la possibilité
de contracter des alliances sacrées qui les scellaient ensemble et
assuraient que leurs relations familiales perdureraient au-delà du
tombeau.
Pourtant, jusqu’à maintenant, aucune femme et uniquement une poignée
d’hommes avaient reçu la dotation, et de nombreux saints ne
connaissaient toujours pas l’alliance du mariage éternel. Joseph se
raccrochait à la promesse qu’il vivrait assez longtemps pour achever sa
mission et il désirait ardemment que le temple soit fini afin qu’il
puisse faire découvrir ces ordonnances aux saints. Il lui semblait
toujours que le temps lui était compté.
Il sprintait donc, exhortant les saints à suivre l’allure. Il croyait
que des bénédictions extraordinaires attendaient les personnes qui
recevaient les ordonnances sacrées et obéissaient aux lois de Dieu.
Maintenant plus que jamais, son but était d’impartir la connaissance
divine qu’il avait reçue à davantage de saints, afin de les aider à
contracter et respecter des alliances qui les édifieraient et les
exalteraient.
Cet hiver-là, le Mississippi fut recouvert d’une solide couche de
glace, bloquant la circulation habituelle des canots et des bateaux. Il
neigeait souvent et des vents glacials balayaient les plaines et le
promontoire. Peu de saints restaient longtemps dehors car nombre
d’entre eux n’avaient que des chaussures basses, des vestes légères et
des châles élimés pour se protéger du froid et de la neige fondue.
Vers la fin de l’hiver, l’air était encore très frais tandis qu’Emily
Partridge lavait le linge et s’occupait des enfants chez les Smith.
Depuis plus de deux ans, sa sœur aînée, Eliza, et elle, vivaient et
travaillaient chez eux, non loin de l’endroit où leur mère habitait
avec son nouveau mari.
Emily appartenait à la Société de Secours et parlait souvent avec les
femmes autour d’elle. Occasionnellement, elle entendait chuchoter au
sujet du mariage plural. Plus d’une trentaine de saints avaient
discrètement adopté la pratique, notamment deux de ses demi-sœurs et
l’un de ses demi-frères. Elle-même n’en savait rien personnellement.
Un an plus tôt, Joseph avait pourtant mentionné qu’il avait quelque
chose à lui dire. Il avait proposé de l’écrire dans une lettre mais
elle lui avait demandé de ne pas le faire, craignant que cela ait un
lien avec le mariage plural. Après coup, elle avait regretté sa
décision et avait parlé à sa sœur de cette conversation, révélant le
peu qu’elle savait au sujet de la pratique. Eliza semblait contrariée
alors elle n’en parla plus.
Sans pouvoir se confier, elle avait l’impression de se débattre en eaux
profondes. Elle se tourna vers le Seigneur et pria pour savoir quoi
faire. Au bout de quelques mois, elle reçut la confirmation divine
qu’elle devait écouter ce que Joseph avait à lui dire, même si cela
avait à voir avec le mariage plural.
Le 4 mars, quelques jours après son dix-neuvième anniversaire, Joseph
demanda à lui parler chez Heber Kimball. Elle s’y rendit dès qu’elle
eut fini son travail, mentalement prête à accepter le principe du
mariage plural. Comme elle s’y attendait, Joseph le lui enseigna et lui
demanda si elle voulait être scellée à lui. Elle accepta et Heber
accomplit l’ordonnance.
Quatre jours plus tard, sa sœur Eliza était elle aussi scellée à
Joseph. Les sœurs pouvaient maintenant se parler de ce qu’elles
comprenaient et ressentaient à propos des alliances qu’elles avaient
contractées.
Les saints continuaient de défendre Joseph contre les accusations
contenues dans l’exposé de John Bennett. Une grande partie de ce qu’il
avait écrit était enjolivé ou catégoriquement erroné mais son
affirmation que Joseph avait épousé plusieurs femmes était vraie.
Ignorant ce fait, Hyrum Smith et William Law s’acharnèrent à nier
toutes les déclarations de John et condamnèrent les actions des saints
qui pratiquaient docilement le mariage plural.
Brigham Young en fut mal à l’aise. Il pensait que tant que les membres
de la Première Présidence n’étaient pas au courant de la pratique, leur
condamnation de la polygamie empêcherait Joseph et d’autres d’obéir au
commandement du Seigneur.
Joseph avait déjà essayé en vain d’enseigner le mariage plural à son
frère et à William. Un jour, lors d’un conseil, il avait à peine abordé
le sujet quand William l’avait interrompu. Il avait dit : « Si un ange
des cieux me révélait qu’un homme devait avoir plus d’une épouse, je le
tuerais ! »
Brigham voyait bien que les réactions d’Hyrum et de William épuisaient
Joseph. Un dimanche, alors que Brigham finissait ses tâches du soir,
Joseph arriva à l’improviste à sa porte. Il dit : « Je veux que tu
ailles chez moi et que tu prêches. »
Habituellement, Brigham aimait se réunir avec les saints mais il savait
que Hyrum prêcherait aussi ce soir-là. Il dit : « Je préfèrerais ne pas
y aller. »
Brigham et sa femme, Mary Ann, avaient tous les deux appris, par la
prière et l’inspiration, qu’ils devaient pratiquer le mariage plural.
Avec le consentement de Mary Ann, Brigham avait été scellé à une femme
appelée Lucy Ann Decker en juin 1842, un an après que Joseph lui eut
enseigné ce principe. Lucy était séparée de son premier mari et avait
de jeunes enfants à charge.
Joseph insista : « Frère Brigham, si tu ne viens pas avec moi, je
n’irai pas chez moi ce soir. »
À contrecœur, Brigham accepta de prêcher et il partit avec le prophète.
Ils trouvèrent Hyrum près de la cheminée, s’adressant à une salle
comble. Il avait la Bible, le Livre de Mormon et les Doctrine et
Alliances à la main et déclarait que ces ouvrages étaient la loi que
Dieu leur avait donnée pour édifier son royaume.
Il dit : « Quoi que ce soit de plus que cela vient de l’homme et n’est
pas de Dieu. »
Brigham écouta le sermon d’Hyrum, les émotions à fleur de peau. À ses
côtés, Joseph était assis, le visage enfoui dans les mains.
Lorsqu’Hyrum eut terminé, Joseph donna un petit coup de coude à Brigham
et dit : « Lève-toi. »
Il se mit debout et prit les Écritures qu’Hyrum avait posées. Il plaça
un par un les livres devant lui afin que chaque personne dans la pièce
puisse les voir. Il déclara : « Ces trois ouvrages n’ont pas la moindre
valeur à mes yeux sans les oracles vivants de Dieu. » Il dit que sans
un prophète vivant, les saints ne seraient pas en meilleure posture
qu’avant que Dieu ne révèle l’Évangile par l’intermédiaire de Joseph
Smith.
Quand il eut terminé, Brigham nota que son sermon avait touché Hyrum.
Se levant, ce dernier demanda humblement aux saints de lui pardonner.
Il affirma que Brigham avait raison. Aussi précieuses que soient les
Écritures, elles ne remplaçaient pas un prophète vivant.
Ce printemps-là, Joseph quittait souvent Nauvoo pour rendre visite aux
pieux plus petits de l’Église dans les environs. Partout où il allait,
il était accompagné par son nouveau secrétaire, William Clayton, un
jeune homme brillant venu d’Angleterre. En 1840, il avait rejoint
Nauvoo avec sa femme Ruth et avait été embauché par le prophète peu
après.
Le 1er avril, William avait voyagé une demi-journée avec Joseph et
Orson Hyde, récemment rentré de Jérusalem, pour se rendre à une réunion
dans une ville appelée Ramus. Le lendemain matin, William écouta Orson
prêcher que le Père et le Fils demeureraient dans le cœur des saints
jusqu’à la Seconde Venue et que c’était un privilège pour ces derniers.
Plus tard, alors qu’ils savouraient un repas chez Sophronia, la sœur de
Joseph, ce dernier dit : « Frère Hyde, je vais me permettre quelques
rectifications. »
Orson répondit : « Elles seront reçues avec reconnaissance. »
Joseph expliqua : « L’idée que le Père et le Fils demeurent dans le
cœur de l’homme est une vieille notion sectaire et est fausse. Nous le
verrons tel qu’il est. Nous verrons qu’il est un homme comme nous. »
Joseph avait d’autres choses à dire sur le sujet lorsque la conférence
se poursuivit plus tard ce soir-là. Il enseigna : « Le Père a un corps
de chair et d’os aussi tangible que celui de l’homme, le Fils aussi ;
mais le Saint-Esprit est un personnage d’esprit. »
Tandis qu’il parlait, William notait tout ce qu’il pouvait dans son
journal. Il était attiré par les vérités profondes que le prophète
enseignait et était avide d’en apprendre davantage.
Il enregistra les enseignements de Joseph selon lesquels la
connaissance et l’intelligence acquises dans cette vie se lèveraient
avec soi dans la Résurrection. Le prophète expliqua : « Si, par sa
diligence et son obéissance, une personne acquiert dans cette vie plus
de connaissance et d’intelligence qu’une autre, elle en sera avantagée
d’autant dans le monde à venir. »
Un mois plus tard, Joseph et William retournèrent à Ramus et furent
hébergés chez Benjamin et Melissa Johnson. Joseph enseigna aux Johnson
qu’une femme et un homme pouvaient être scellés pour l’éternité dans la
nouvelle alliance éternelle du mariage. Il expliqua qu’ils ne pouvaient
obtenir l’exaltation qu’en entrant dans cette alliance qui était un
ordre de la prêtrise. Sinon, leur relation cesserait au-delà du
tombeau, mettant fin à leur progression et à leur accroissement
éternels.
William était émerveillé par la description que Joseph faisait du
mariage éternel. Il écrivit dans son journal : « Je suis désireux
d’être uni à ma femme dans une alliance éternelle et je prie qu’il en
soit bientôt ainsi. »
Le retour de Jérusalem d’Orson Hyde signifiait que Peter et Mary
Maughan devaient quitter son domicile à Nauvoo. N’ayant nul autre
endroit où aller, ils campèrent sur une parcelle de la ville qu’ils
achetèrent au comité du temple, étant entendu que Peter participerait
aux travaux pour la payer. Pendant ce temps, Mary troquait des bobines
de coton qu’elle avait rapportées d’Angleterre contre de la nourriture.
Peter commença bientôt comme tailleur de pierre, découpant et sculptant
des blocs de calcaire pour le temple. Maintenant, les murs mesuraient
près de quatre mètres par endroits et un plancher temporaire avait été
posé pour permettre aux saints d’y tenir des réunions.
Le bâtiment allait être plus grand et imposant que celui que Peter et
Mary avaient visité à Kirtland. Il disposerait également de salles de
réunion au rez-de-chaussée et au premier étage mais l’extérieur serait
orné de sculptures élaborées représentant des étoiles, des lunes et des
soleils, évoquant les royaumes de gloire décrits dans la vision de
Joseph de la Résurrection, ainsi que dans la description de Jean le
Révélateur de l’Église comme étant « une femme enveloppée du soleil, la
lune sous ses pieds et une couronne de douze étoiles sur sa tête ».
Semaine après semaine, les ouvriers utilisaient de la poudre à canon
pour extraire les pierres des carrières au nord de la ville. Ensuite,
ils les taillaient en forme de blocs et, à l’aide de chariots tirés par
des bœufs, ils les transportaient jusqu’à l’atelier situé près du
temple. Là, des hommes comme Peter les découpaient et les polissaient à
la bonne taille pendant que des artisans qualifiés sculptaient les plus
décoratives. Lorsqu’une pierre était prête, les ouvriers l’attachaient
à une grue et la hissaient à sa place.
Avec un emploi stable et une parcelle à eux, Peter et Mary plantèrent
un jardin potager, travaillèrent à la construction de leur maison et
attendirent avec impatience des jours meilleurs.
Deux mois après son scellement avec Joseph, Emily Partridge continuait
de travailler chaque jour chez les Smith, lavant et reprisant les
vêtements et s’occupant des enfants. Julia Smith eut douze ans ce
printemps-là et prenait des leçons de peinture. Les garçons aussi
grandissaient. Le jeune Joseph avait dix ans, Frederick six et
Alexander presque cinq. Les aînés allaient à l’école avec Lydia, la
jeune sœur d’Emily. Le jeune Joseph jouait aussi avec Edward, fils, son
jeune frère.
En acceptant d’être scellée à Joseph, Emily faisait confiance en son
témoignage qu’elle obéissait au commandement du Seigneur. Sa sœur Eliza
et elle continuaient de garder leur mariage secret. Elles et les autres
personnes qui pratiquaient le mariage plural ne le qualifiaient jamais
de polygamie, qu’elles considéraient comme un terme profane et non une
ordonnance de la prêtrise. Lorsque Joseph ou quelqu’un d’autre
condamnait « la polygamie » ou « l’adjonction de femmes spirituelles »
en public, celles qui pratiquaient le mariage plural comprenaient qu’il
ne faisait pas allusion à leurs relations d’alliance.
À part dans la Bible, Joseph n’avait pas de modèles ou de précédents à
suivre et le Seigneur ne lui donnait pas toujours d’instructions
précises sur la manière d’obéir à sa parole. Comme avec les autres
commandements et révélations, il devait avancer en exerçant au mieux
son jugement. Ce n’est que de nombreuses années plus tard qu’Emily et
d’autres écrivirent leurs souvenirs de l’obéissance de Joseph au
principe et leurs propres expériences avec le mariage plural à Nauvoo.
Leurs récits sont souvent succincts et parcellaires.
Du fait que ni Joseph ni Emma ne mirent par écrit leurs sentiments au
sujet du mariage plural, de nombreuses questions restent sans réponse.
Dans ses écrits, Emily relata certaines de leurs difficultés. Par
moments, Emma rejetait totalement la pratique alors qu’à d’autres elle
l’acceptait avec réticence comme étant un commandement. Tiraillé entre
la demande du Seigneur de pratiquer le mariage plural et l’opposition
d’Emma, Joseph épousait parfois des femmes sans qu’elle le sache,
mettant toutes les personnes concernées dans une situation éprouvante.
Début mai, Emma prit Emily et Eliza à part et leur expliqua le principe
du mariage plural. Elle avait dit à Joseph qu’elle accepterait qu’il
soit scellé à deux épouses supplémentaires si elle pouvait les choisir
et elle avait choisi Emily et Eliza, ignorant apparemment qu’il était
déjà scellé à elles.
Au lieu de mentionner son scellement précédent, Emily crut qu’il valait
mieux garder le silence. Quelques jours plus tard, Eliza et elle furent
de nouveau scellées à Joseph, cette fois avec Emma comme témoin.
Le 14 mai, pendant que Joseph assistait à une autre conférence, Hyrum
prêcha dans le temple contre le principe selon lequel un homme pouvait
avoir plus d’une femme. Faisant référence à la condamnation de Jacob
dans le Livre de Mormon des mariages pluraux non autorisés, Hyrum
traita la pratique d’abomination devant Dieu.
Après le sermon, il commença à douter de ce qu’il enseignait. Le sujet
du mariage plural tourbillonnait dans Nauvoo et les rumeurs que Joseph
avait plusieurs épouses circulaient librement.
Hyrum voulait croire que ce n’était pas le cas mais il se demandait si
Joseph ne lui cachait pas quelque chose. Après tout, il y avait eu des
moments où il avait fait allusion à la pratique, peut-être pour voir
comment il réagirait. De plus, il sentait que Joseph disait aux Douze
des choses qu’il ne lui avait pas enseignées.
Un jour, peu après le sermon, il vit Brigham près de chez lui et lui
demanda s’il pouvait lui parler. Il dit : « Je sais qu’il y a quelque
chose que je ne comprends pas et qui a été révélé aux Douze. N’est-ce
pas ? »
Les hommes s’assirent sur une pile de traverses de clôture. Brigham
répondit prudemment : « Je ne sais pas combien tu en sais mais je sais
ce que je sais.
— Depuis longtemps j’ai des doutes à propos d’une révélation que
Joseph a reçue selon laquelle un homme doit avoir plusieurs femmes.
— Je vais t’en parler si tu me jures devant Dieu, la main levée, que
tu ne t’opposeras plus à Joseph, à ses actions et aux points de
doctrine qu’il prêche. »
Hyrum se leva. Il dit : « Je le ferai de tout mon cœur. Je veux savoir
la vérité. »
Pendant que Brigham l’instruisait au sujet de la révélation du Seigneur
sur le mariage plural, Hyrum pleura, convaincu que Joseph avait agi
selon le commandement.
Fin mai 1843, Emma et Joseph furent scellés pour l’éternité dans une
pièce au-dessus du magasin de Joseph, officialisant enfin ce qu’ils
désiraient depuis longtemps. Joseph invita ensuite Brigham et Mary Ann
Young, Willard et Jennetta Richards, Hyrum et Mary Fielding Smith et la
sœur veuve de Mary, Mercy Thompson, à le retrouver le lendemain matin
pour recevoir la même ordonnance.
Avant la réunion, Hyrum s’inquiéta de sa situation familiale
compliquée. Si les bénédictions du mariage éternel n’appartenaient
qu’aux personnes qui avaient été scellées par la prêtrise,
qu’adviendrait-il de sa première femme, Jerusha, qui était décédée six
ans auparavant ?
Joseph dit : « Elle peut être scellée à toi selon le même principe qui
te permet de te faire baptiser pour les morts. »
Hyrum demanda : « Que puis-je faire pour la deuxième épouse ? »
Il dit : « Tu peux aussi faire alliance avec elle pour l’éternité. »
Mary accepta de représenter Jerusha pour le scellement spécial. Elle
dit à Hyrum : « Je serai moi aussi scellée à toi pour l’éternité. Je
t’aime et je ne veux pas être séparée de toi. »
Le matin du 29 mai, Joseph et les autres se réunirent au-dessus de son
magasin et chaque couple fut scellé, s’unissant pour l’éternité. Seule
veuve dans la pièce, Mercy Thompson ne pouvait s’empêcher de se sentir
différente des autres. Toutefois, en apprenant qu’elle pouvait quand
même être scellée à son défunt mari, Robert, qui était mort du
paludisme quelques années plus tôt, elle eut le sentiment que Dieu se
souciait d’elle et de sa situation.
Lorsque ce fut son tour de recevoir l’ordonnance, Joseph dit qu’il ne
trouvait personne de mieux placé que son beau-frère, Hyrum, pour
représenter Robert. Il la scella à Robert et scella ensuite Hyrum à
Jerusha, représentée par Mary.
Brigham termina la réunion par un cantique et une prière et les amis
passèrent le reste de la matinée à parler des choses de Dieu. Une douce
harmonie semblait apaiser tout ce qui avait troublé les saints ces
quelques dernières années.
CHAPITRE 41 : « C’est à Dieu d’en juger »
Le 1er juin, Addison et Louisa Pratt se rendirent à pied avec leurs
filles jusqu’à l’un des débarcadères de Nauvoo. Ce jour-là, Addison
partait pour une mission de trois ans dans les îles hawaïennes. Il
portait Anne, leur cadette, dans les bras, pendant que ses trois
aînées, Ellen, Frances et Loïs suivaient tristement, redoutant le
départ de leur père.
Récemment, en parlant avec Brigham Young, Addison avait évoqué avec
attendrissement Hawaï et ses années de jeune baleinier sur l’océan
Pacifique. Puisque l’Église n’y était pas représentée, Brigham lui
demanda s’il serait disposé à ouvrir une mission là-bas. Il dit qu’il
voulait bien si d’autres l’accompagnaient. Peu après, Joseph et les
Douze l’appelèrent à conduire un groupe d’anciens jusqu’aux îles.
Louisa pleura pendant trois jours en apprenant l’affectation d’Addison.
Hawaï était à des milliers de kilomètres, dans une partie du monde qui
avait l’air étrange et dangereuse. Elle n’avait pas de logement à elle
à Nauvoo, pas d’argent et peu de biens à troquer. Ses filles auraient
besoin de vêtements et d’instruction et, sans son mari, ce serait à
elle de pourvoir à tous leurs besoins.
En marchant avec sa famille jusqu’au bateau à vapeur, elle avait encore
mal au cœur mais elle avait fini par se réjouir qu’Addison soit digne
de son appel. Elle n’était pas l’unique femme de la ville qui serait
seule pendant que son mari irait prêcher l’Évangile. Cet été-là, des
missionnaires partaient dans toutes les directions et Louisa avait pris
la résolution d’affronter ses épreuves et de faire confiance au
Seigneur.
Addison avait du mal à contenir ses émotions. Arrivé sur le pont du
bateau qui l’emporterait loin de sa famille, il sortit un mouchoir et
s’essuya les yeux. À terre, ses filles se mirent également à pleurer.
Frances dit qu’elle pensait ne jamais le revoir.
Connaissant la mer comme il la connaissait, Addison était conscient des
dangers qui l’attendaient. Toutefois, lorsque les Douze l’avaient mis à
part pour sa mission, ils l’avaient béni afin qu’il ait du pouvoir sur
les éléments et du courage face aux tempêtes. Ils lui promirent par
l’Esprit que s’il se montrait fidèle, il rentrerait sain et sauf auprès
des siens.
Plusieurs jours plus tard, Emma, Joseph et leurs enfants quittèrent
Nauvoo pour rendre visite à la sœur d’Emma, à Dixon, en Illinois, à
plusieurs jours de voyage au nord. Avant de partir, elle recommanda à
Ann Whitney d’encourager les femmes de la Société de Secours à
continuer d’aider les pauvres ainsi que les hommes qui bâtissaient le
temple.
Récemment, Joseph avait parlé aux saints des ordonnances du temple,
leur enseignant qu’ils le construisaient afin que le Seigneur puisse
leur donner la dotation. Emma avait dit à Ann que depuis lors, elle
s’intéressait sincèrement au projet et voulait que la Société de
Secours discute de ce qu’elle pouvait faire pour faire avancer les
travaux plus rapidement.
Elle suggéra : « Nous pourrions parler au comité du temple et faire ce
qu’il veut que nous fassions. »
Cette responsabilité à l’esprit, Ann ouvrit la première réunion de la
Société de Secours de l’année et demanda aux femmes de proposer des
idées pour faire avancer le projet du temple. Certaines dirent qu’elles
voulaient bien demander des dons et récolter de la laine et d’autres
matériaux pour faire de nouveaux vêtements. D’autres dirent qu’elles
étaient disposées à tricoter, coudre ou réparer les vieux vêtements le
cas échéant. L’une d’elle proposa de fournir de la laine à des femmes
plus âgées afin qu’elles tricotent des chaussettes pour les ouvriers
avant l’hiver.
Polly Stringham et Louisa Beaman dirent qu’elles pouvaient leur
confectionner des vêtements. Mary Felshaw dit qu’elle pouvait donner du
savon. Philinda Stanley proposa de donner du lin ainsi qu’un litre de
lait par jour pour le projet. Esther Gheen offrit de donner du fil
qu’elle filait elle-même.
Félicitant les femmes pour leur bonne volonté à participer à la
construction de la maison du Seigneur, sœur Chase témoigna : « Les
anges se réjouissent à votre sujet ! »
Avant de conclure la réunion, Ann exhorta les mères dans l’assemblée à
préparer leurs filles à entrer dans le temple. Instruisez-les avec
amour, conseilla-t-elle, et apprenez-leur à se conduire avec sérieux et
bienséance à l’intérieur de ses murs sacrés.
Trois cents kilomètres plus loin, le 21 juin, la visite des Smith chez
la sœur d’Emma fut interrompue par William Clayton et Stephen Markham
qui apportaient des nouvelles alarmantes. Le gouverneur du Missouri
exigeait de nouveau que Joseph y soit jugé, cette fois pour les
vieilles accusations de trahison, et Ford, le gouverneur de l’Illinois,
avait émis un autre mandat d’arrestation à l’encontre du prophète.
Joseph dit : « Je n’ai rien à craindre. Les habitants du Missouri ne
peuvent me nuire. »
Deux jours plus tard, deux hommes affirmant être des saints des
derniers jours frappèrent à la porte pendant que la famille dînait. Le
beau-frère d’Emma leur dit que Joseph était dehors dans le jardin, près
de la grange.
Quelques instants plus tard, Emma et la famille entendirent du vacarme
dehors. Se précipitant à la porte, ils virent les hommes mettre la
poitrine de Joseph en joue. Un autre le tenait par le col. Il grogna :
« Si tu bouges d’un pouce, je tire ! »
Mettant sa poitrine en évidence, Joseph dit : « Allez-y. Je n’ai pas
peur de vos pistolets. »
Stephen Markham fonça en courant sur les hommes. Surpris, ils
tournèrent leurs armes dans sa direction mais les ramenèrent rapidement
sur Joseph, lui enfonçant le canon dans les côtes. Ils crièrent à
Stephen : « Arrête-toi. »
Ils chargèrent avec difficulté Joseph à l’arrière de leur chariot et le
retinrent là. Joseph dit : « Messieurs, je désire obtenir une
ordonnance d’habeas corpus ». Celle-ci permettrait à un juge local de
décider si l’arrestation de Joseph était légale.
Le frappant de nouveau dans les côtes avec leurs pistolets, ils dirent
: « Maudit sois-tu ! Tu n’en auras pas ! »
Stephen bondit vers le chariot et saisit les chevaux par le mors
pendant qu’Emma se précipitait à l’intérieur et attrapait le manteau et
le chapeau de Joseph. À cet instant, Joseph vit un homme passer devant
la maison. Il cria : « On m’enlève ! » Lorsque l’homme continua de
marcher, il se tourna vers Stephen et lui dit d’aller chercher de
l’aide.
Il cria : « Vas-y ! »
Les ravisseurs de Joseph étaient des officiers de police d’Illinois et
du Missouri. Cet après-midi-là, ils l’enfermèrent dans une taverne
voisine et lui refusèrent le droit de s’entretenir avec un avocat.
Agissant rapidement, Stephen rapporta les mauvais traitements subis par
Joseph aux autorités locales qui eurent tôt fait d’arrêter les
officiers pour enlèvement et mauvais traitements. Il réussit ensuite à
obtenir une ordonnance d’habeas corpus d’un fonctionnaire du tribunal.
Celle-ci exigeait que Joseph assiste à une audience à cent kilomètres
de là.
Lorsqu’ils apprirent que le juge n’était pas en ville, Joseph, ses
ravisseurs, et les officiers locaux se mirent en route pour trouver un
autre tribunal qui pourrait remettre de l’ordre dans cette pagaille
juridique.
À Nauvoo, Wilson Law et Hyrum furent informés de la capture de Joseph
et enrôlèrent plus d’une centaine d’hommes pour le secourir. Ils en
envoyèrent certains sur un bateau à vapeur qui remontait le fleuve et
commandèrent à d’autres d’aller à cheval dans toutes les directions et
de chercher le prophète.
Lorsque ses deux premiers sauveteurs furent en vue, Joseph fut soulagé.
Il dit à ses ravisseurs : « Je ne vais pas au Missouri cette fois.
Voilà mes garçons. » Rapidement, le nombre de sauveteurs passa de deux
à vingt, puis davantage. Ils détournèrent le convoi vers Nauvoo où ils
croyaient que la cour municipale pouvait décider de la légalité du
mandat.
À midi, le prophète approcha de la ville, flanqué de quelques hommes de
loi et de ses sauveteurs en selle. Emma, qui était déjà de retour à
Nauvoo avec les enfants, arriva à cheval accompagnée d’Hyrum à la
rencontre de Joseph pendant que la fanfare de Nauvoo jouait des chants
patriotiques et que des gens célébraient son retour en tirant des coups
de feu et de canon. Un défilé de chariots tirés par des chevaux décorés
de fleurs des champs se joignit bientôt à eux.
Des foules étaient alignées des deux côtés de la rue pour acclamer le
retour sain et sauf du prophète pendant que le cortège passait devant
elles, se frayant lentement un chemin jusqu’au domicile de Joseph.
Lorsqu’il arriva, Lucy Smith embrassa son fils, et ses enfants se
ruèrent hors de la maison pour le voir.
Frederick, sept ans, dit : « Papa, les Missouriens ne vont pas te
reprendre, n’est-ce pas ? »
Grimpant sur une clôture pour s’adresser aux centaines de saints qui
s’étaient rassemblés autour de lui, Joseph dit : « Je suis de nouveau
délivré des mains des Missouriens, Dieu merci. Je vous remercie à tous
pour votre gentillesse et votre amour envers moi. Je vous bénis tous au
nom de Jésus-Christ. »
Comme on s’y attendait, la cour de Nauvoo déclara que l’arrestation de
Joseph était illégale. Hors d’eux, les deux officiers qui l’avaient
arrêté exigèrent que le gouverneur conteste la décision mais Ford
refusa d’interférer, mettant les détracteurs de tout l’État en colère.
Ils commençaient à craindre que Joseph n’échappe de nouveau aux
poursuites judiciaires.
Entre-temps, des centaines de saints continuaient de se rassembler à
Nauvoo et dans les pieux avoisinants. Au Connecticut, un État de l’Est,
une jeune femme appelée Jane Manning monta avec sa mère, plusieurs
frères et sœurs et d’autres membres de sa branche à bord d’un bateau
pour entreprendre le voyage jusqu’à Nauvoo. Charles Wandell, un
missionnaire qui avait été leur président de branche, les conduisait.
Contrairement aux autres membres de leur branche, qui étaient tous
blancs, Jane et sa famille étaient des saints noirs et libres. Jane
était née et avait grandi dans le Connecticut, et elle avait travaillé
la plus grande partie de sa vie pour un couple blanc aisé. Elle était
devenue membre d’une église chrétienne mais en avait rapidement été
mécontente.
Lorsqu’elle avait appris qu’un saint des derniers jours prêchait dans
la région, elle avait voulu l’entendre. Son pasteur lui avait dit de ne
pas assister au sermon mais elle y était allée quand même, convaincue
d’avoir trouvé le véritable Évangile. La plus grande branche de la
région n’était qu’à quelques kilomètres et elle se fit baptiser et fut
confirmée le dimanche suivant.
Jane était une nouvelle convertie fervente. Trois semaines après son
baptême, elle reçut le don des langues pendant qu’elle priait.
Maintenant, un an plus tard, sa famille et elle se rassemblaient en
Sion.
Sur le canal, ils traversèrent l’État de New York sans incident. De là,
ils pensaient voyager avec leur branche en direction du sud à travers
l’Ohio puis l’Illinois, mais les responsables du canal refusèrent de
les laisser continuer tant qu’ils ne payaient pas leur titre de
transport.
Jane fut troublée. Elle pensait que sa famille n’aurait rien à payer
avant d’atteindre l’Ohio. Pourquoi fallait-il qu’elle paie maintenant ?
Aucun des membres blancs de la branche n’était obligé de payer son
voyage d’avance.
Les Manning comptèrent leur argent mais ils n’en avaient pas assez. Ils
se tournèrent vers frère Wandell pour qu’il les aide mais il refusa.
Lorsque le bateau s’éloigna et disparut, Jane et sa famille n’avaient
presque pas d’argent et plus de mille trois cents kilomètres les
séparaient de Nauvoo. N’ayant rien d’autre que ses pieds pour la
transporter vers l’ouest, Jane décida de conduire la petite compagnie
jusqu’en Sion.
Le matin du 12 juillet, William Clayton était dans le bureau de Joseph
lorsque le prophète et Hyrum entrèrent. Hyrum dit à Joseph : « Si tu
rédiges la révélation, je l’apporterai et la lirai à Emma et je crois
pouvoir la convaincre de son authenticité. Ensuite, tu auras la paix. »
Joseph dit : « Tu ne connais pas Emma aussi bien que moi. » Ce
printemps et cet été-là, il avait été scellé à d’autres femmes, dont
quelques-unes qu’Emma avait choisies personnellement. Néanmoins, le
fait d’aider Joseph à choisir des épouses ne lui avait pas facilité la
tâche d’obéir au principe.
Hyrum dit : « La doctrine est tellement évidente. Je peux convaincre
n’importe quel homme ou femme raisonnable de sa véracité, de sa pureté
et de son origine divine. »
Joseph dit : « Tu verras. » Il demanda à William de prendre une feuille
et d’écrire sous sa dictée la parole du Seigneur.
Joseph connaissait déjà une grande partie de la révélation. Elle
décrivait la nouvelle alliance éternelle du mariage ainsi que les
bénédictions et promesses associées. Elle révélait également les termes
gouvernant le mariage plural que Joseph avait appris pendant qu’il
traduisait la Bible en 1831. Le reste contenait de nouveaux conseils
pour lui et Emma traitant de leurs questions et de leurs difficultés
actuelles avec le mariage plural.
Le Seigneur révélait que pour qu’un mariage perdure au-delà du tombeau,
l’homme et la femme devaient être mariés par l’autorité de la prêtrise,
leur alliance devait être scellée par le Saint-Esprit de promesse et
ils devaient rester fidèles à leur alliance. Les personnes qui
respectaient ces conditions hériteraient des bénédictions glorieuses de
l’exaltation.
Le Seigneur déclara : « Alors ils seront dieux, parce qu’ils n’ont pas
de fin ; alors, ils seront au-dessus de tout, parce que tout leur est
soumis. »
Il continua de parler du mariage plural et de son alliance d’accorder
une postérité innombrable à Abraham pour sa fidélité. Depuis le
commencement, le mariage entre un homme et une femme était ordonné du
Seigneur pour accomplir son plan. Cependant, parfois, il autorisait les
mariages pluraux pour permettre d’élever des enfants dans des familles
justes et réaliser leur exaltation.
Bien que la révélation s’adressât aux saints, elle se terminait par des
conseils pour Emma au sujet des épouses plurales de Joseph. Le Seigneur
commandait : « Que ma servante, Emma Smith, reçoive toutes celles qui
ont été données à mon serviteur Joseph. » Il lui commandait également
de pardonner à Joseph, de rester avec lui et de respecter ses
alliances, promettant de la bénir, de la multiplier et de lui donner
des raisons de se réjouir si elle le faisait. Il la mit également en
garde contre les conséquences désastreuses que subiraient les personnes
qui enfreignaient leurs alliances et désobéissaient à la loi du
Seigneur.
Lorsque Joseph eut fini de dicter la révélation, William avait écrit
dix pages. Il posa le stylo et la relut à Joseph. Le prophète dit
qu’elle était correcte et Hyrum l’apporta à Emma.
Plus tard dans la journée, il retourna au bureau de Joseph et dit à son
frère que de sa vie, personne ne lui avait jamais parlé aussi
sévèrement. Lorsqu’il avait lu la révélation à Emma, elle s’était mise
en colère et l’avait rejetée.
Joseph dit à voix basse : « Je t’avais dit que tu ne connaissais pas
Emma aussi bien que moi. » Il plia la révélation et la mit dans sa
poche.
Le lendemain, il eut une discussion déchirante avec sa femme qui dura
des heures. Peu avant midi, il appela William Clayton pour qu’il vienne
jouer le rôle de médiateur entre eux. Ils étaient dans un dilemme sans
issue. Chacun aimait profondément l’autre et voulait honorer l’alliance
éternelle qu’il avait contractée mais la lutte qu’ils menaient pour
respecter le commandement du Seigneur les divisait.
Emma semblait particulièrement inquiète pour l’avenir. Que se
passerait-il si les ennemis de Joseph étaient informés du mariage
plural ? Irait-il de nouveau en prison ? Serait-il tué ? Les enfants et
elle dépendaient de lui pour subvenir à leurs besoins mais leurs
finances familiales étaient emmêlées avec celles de l’Église. Comment
se débrouilleraient-ils s’il lui arrivait quelque chose ?
Joseph et Emma pleurèrent pendant qu’ils parlaient mais à la fin de la
journée, ils avaient résolu leurs problèmes. Pour fournir à Emma et aux
enfants une sécurité financière supplémentaire, Joseph leur transmit
des propriétés par un acte notarié et, à partir de cet automne-là, il
ne contracta plus de mariages pluraux.
À la fin du mois d’août 1843, les Smith emménagèrent dans une maison à
étage près du fleuve. Appelée la Nauvoo Mansion, elle était
suffisamment spacieuse pour loger leurs quatre enfants, la mère âgée de
Joseph et les personnes qui travaillaient pour eux et qu’ils
hébergeaient. Joseph avait l’intention d’utiliser une grande partie de
la demeure comme hôtel.
Plusieurs semaines plus tard, lorsque l’été se changea en automne à
Nauvoo, Jane Manning arriva avec sa famille à leur porte, cherchant le
prophète et un endroit où loger. Entrez ! Emma dit au groupe fatigué :
« Entrez ! » Joseph leur montra où ils pouvaient passer la nuit et
trouva des sièges pour tout le monde.
Il dit à Jane : « Vous avez été le chef de ce petit groupe, n’est-ce
pas ? J’aimerais que vous nous racontiez votre voyage. »
Jane relata à Joseph et Emma leur long périple depuis l’État de New
York. Elle dit : « Nous avons marché jusqu’à ce que nos chaussures
soient usées et que nous ayons les pieds meurtris, fendus et
sanguinolents. Nous avons demandé à Dieu le Père éternel de les guérir
et nos prières ont été exaucées. Nos pieds ont guéri. »
Ils avaient dormi à la belle étoile ou dans des granges en bordure de
route. En chemin, des hommes avaient menacé de les jeter en prison
parce qu’ils n’avaient pas de papiers justifiant qu’ils étaient «
libres » et n’étaient pas des esclaves en fuite. À un autre moment, ils
avaient franchi une rivière profonde sans pont. Ils avaient enduré des
nuits sombres, des matins glacials et avaient aidé des gens quand ils
avaient pu. Non loin de Nauvoo, ils avaient béni un enfant malade et
leur foi l’avait guéri.
« Nous avons fait la route en nous réjouissant, en chantant des
cantiques et en remerciant Dieu de son infinie bonté et de sa
miséricorde à notre égard. »
Joseph dit : « Que Dieu vous bénisse. Vous êtes parmi des amis
maintenant. »
Les Manning restèrent chez les Smith pendant une semaine. Pendant ce
temps, Jane entreprit des recherches pour retrouver une malle qu’elle
avait expédiée à Nauvoo mais pour autant qu’elle le sache, elle avait
été perdue ou volée en route. Entre-temps, les membres de sa famille
trouvèrent du travail et un logement et déménagèrent rapidement.
Un matin, Joseph remarqua que Jane pleurait et lui demanda pourquoi.
Elle dit : « Tous les miens sont partis et se sont trouvé un logis mais
pas moi. »
Joseph lui assura qu’elle avait un foyer ici-même si elle voulait. Il
prit Jane pour aller voir Emma et expliqua la situation. Il dit : «
Elle n’a pas de foyer. N’en as-tu pas un pour elle ? »
Emma dit : « Oui, si elle en veut un. »
Jane s’intégra rapidement dans la vie animée de la maisonnée et les
autres membres de la famille et pensionnaires lui firent bon accueil.
Sa malle ne réapparut jamais mais Joseph et Emma lui procurèrent de
nouveaux vêtements dans le magasin.
Cet automne-là, alors que sa famille s’installait dans la nouvelle
maison, Emma était de plus en plus perturbée par le mariage plural.
Dans une révélation adressée à elle treize ans plus tôt, le Seigneur
avait promis de la couronner de justice si elle honorait ses alliances
et respectait continuellement les commandements. Il avait dit : « Si tu
ne le fais pas, tu ne peux pas venir là où je suis. »
Elle voulait respecter les alliances qu’elle avait contractées avec
Joseph et le Seigneur mais le mariage plural lui paraissait souvent
trop lourd à supporter. Bien qu’elle ait autorisé certaines des femmes
plurales de Joseph à vivre chez elle, elle n’appréciait pas leur
présence et leur rendait parfois la vie difficile.
Finalement, elle exigea qu’Emily et Eliza Partridge quittent
définitivement la maison. Avec Joseph à ses côtés, elle appela les deux
sœurs dans sa chambre et leur dit qu’elles devaient mettre
immédiatement un terme à leur relation avec lui.
Se sentant rejetée, Emily quitta la pièce, en colère contre Emma et
Joseph. Elle se dit : « Lorsque le Seigneur commande, il ne faut pas
prendre sa parole à la légère. » Elle avait l’intention de faire comme
Emma le souhaitait mais refusait de rompre son alliance de mariage.
Joseph suivit les sœurs hors de la chambre et trouva Emily au
rez-de-chaussée. Il demanda : « Comment te sens-tu Emily ? »
Elle lui jeta un coup d’œil et répondit : « Je suppose que je me sens
comme n’importe qui se sentirait dans la même situation. » Il eut l’air
de vouloir disparaître sous terre et Emily fut désolée pour lui. Elle
aurait voulu ajouter quelque chose mais il quitta la pièce avant
qu’elle ne puisse parler.
Des décennies plus tard, lorsqu’elle fut une vieille femme, elle
repensa à ces jours douloureux. Avec le recul, elle comprenait mieux
les sentiments compliqués d’Emma au sujet du mariage plural et la
douleur qu’il lui causait.
Elle écrivit : « Je sais qu’à cette époque, ce fut dur pour Emma et
toutes les femmes de contracter des mariages pluraux et je ne sais pas
si quelqu’un aurait pu faire mieux que n’a fait Emma dans la situation.
»
Elle conclut : « C’est à Dieu d’en juger, pas à moi. »
CHAPITRE 42 : Redressez les épaules
Au début du mois de novembre 1843, Phebe Woodruff retrouva Wilford qui
rentrait d’une mission de quatre mois dans les États de l’Est. Il
arrivait avec des cadeaux pour sa famille et un chariot rempli de
fournitures pour le bureau du Times and Seasons où Phebe et les enfants
avaient logé.
Phebe avait accouché d’une autre fille en juillet et attendait depuis
environ un mois l’arrivée de son mari. Les Woodruff étaient très
proches et détestaient être séparés pendant les missions de Wilford.
Toutefois, contrairement à d’autres apôtres et leurs femmes, ils
n’avaient pas encore été scellés pour le temps et pour l’éternité et
ils étaient impatients de recevoir l’ordonnance.
Lors de l’une de ses absences, elle lui écrivit, lui demandant s’il
pensait que leur amour serait un jour séparé dans l’éternité. Il
répondit par un poème exprimant son espérance de le voir s’épanouir
au-delà du tombeau.
Le 11 novembre, une semaine après le retour de Wilford, les Woodruff se
rendirent chez John et Leonora Taylor. Là, Hyrum Smith enseigna la
résurrection, la rédemption et l’exaltation grâce à la nouvelle
alliance éternelle. Il scella ensuite Phebe et Wilford pour le temps et
pour toute l’éternité et ils passèrent tous une agréable soirée
ensemble. Les Woodruff se mirent rapidement à se préparer à recevoir la
dotation.
Plus tôt cet automne-là, pour la première fois depuis plus d’un an,
Joseph avait commencé de doter d’autres saints. Comme promis, les
femmes pouvaient dorénavant recevoir la dotation et le 28 septembre, il
administra l’ordonnance à Emma dans la « Nauvoo Mansion ». Peu après,
cette dernière lava et oignit Jane Law, Rosannah Marks, Elizabeth
Durfee et Mary Fielding Smith. C’était la première fois qu’une femme
officiait dans les ordonnances du temple dans les derniers jours.
Au cours des semaines qui suivirent, elle accomplit l’ordonnance pour
Lucy Smith, Ann Whitney, Mercy Thompson, Jennetta Richards, Leonora
Taylor, Mary Ann Young et d’autres. Bientôt, d’autres femmes le firent
sous sa supervision.
En décembre, Phebe et Wilford furent lavés, oints et dotés.
Quarante-deux femmes et hommes reçurent la dotation avant la fin de
l’année. Ils se réunissaient souvent dans la pièce au-dessus du magasin
de Joseph pour prier et apprendre les choses relatives à l’éternité.
Cet automne-là, alors qu’il participait régulièrement aux réunions avec
les saints dotés, William Law cacha à Joseph et Hyrum qu’il était
coupable d’adultère. En commettant le péché, il avait eu l’impression
de transgresser contre sa propre âme.
Vers cette époque-là, Hyrum lui donna un exemplaire de la révélation
sur le mariage. Il lui commanda : « Emporte-la chez toi et lis-la,
ensuite prends-en soin et rapporte-la. » William l’étudia et la montra
à sa femme, Jane. Il doutait de son authenticité mais pas elle.
Il l’apporta à Joseph qui confirma qu’elle était vraie. William le
supplia de renoncer à ses enseignements mais Joseph témoigna que le
Seigneur lui avait commandé d’enseigner le mariage plural aux saints et
qu’il serait condamné s’il désobéissait.
À ce moment donné, William tomba malade et finit par confesser son
adultère à Hyrum, expliquant à son ami qu’il ne se sentait pas digne de
vivre ni de mourir. Il voulait néanmoins être scellé pour l’éternité à
Jane et demanda à Joseph si ce serait possible. Ce dernier présenta la
question au Seigneur qui révéla qu’il ne pouvait recevoir l’ordonnance
parce qu’il était coupable d’adultère.
Le cœur de William commença de se consumer de colère contre le
prophète. Fin décembre, Jane et lui cessèrent de se réunir avec les
saints dotés. Jane conseilla de vendre discrètement leur propriété et
de partir simplement de Nauvoo mais William voulait briser Joseph. Il
se mit à comploter en secret avec d’autres adversaires du prophète et
peu de temps plus tard, perdit son poste dans la Première Présidence.
Il déclara qu’il était content d’être débarrassé de sa collaboration
avec Joseph mais au lieu de quitter Nauvoo et de passer à autre chose,
comme Jane l’avait suggéré, il fut plus déterminé à faire obstacle au
prophète et à provoquer sa chute.
Son apostasie était contrariante mais n’était pas sans précédent. Par
un dimanche matin froid du début de l’année 1844, Joseph dit à une
assemblée : « Depuis un certain nombre d’années, j’essaie de préparer
l’esprit des saints à recevoir les choses de Dieu mais, fréquemment,
nous en voyons qui, après avoir beaucoup souffert pour l’œuvre de Dieu,
se brisent comme du verre dès que survient quelque chose de contraire à
leurs traditions. »
Depuis l’organisation de l’Église, Joseph avait vu des hommes et des
femmes abandonner la foi lorsqu’ils étaient en désaccord avec les
principes qu’il enseignait ou lorsque, selon eux, il ne se montrait pas
à la hauteur de ce qu’un prophète devait être. Ceux qui se séparaient
de l’Église la quittaient souvent paisiblement mais parfois, comme Ezra
Booth, Warren Parrish et John Bennett l’avaient montré, il arrivait que
des hommes qui apostasiaient luttent contre le prophète, l’Église et
ses enseignements, provoquant souvent des actes de violence à
l’encontre des saints. Il restait à voir la direction que William
prendrait.
Entre-temps, Joseph continuait de préparer les saints à recevoir les
ordonnances salvatrices du temple. S’adressant à une vaste assemblée
d’hommes et de femmes, il dit : « Plût à Dieu que ce temple soit d’ores
et déjà achevé afin que nous puissions y entrer. Je conseillerais à
tous les saints de s’y rendre avec ardeur et d’y réunir toute leur
parenté en vie afin d’être scellés ensemble et sauvés. »
Cependant, il savait qu’ils ne pourraient le faire que s’ils arrivaient
à terminer le temple. Il s’inquiétait déjà de l’agitation croissante
manifestée dans les communes voisines de Nauvoo. L’été précédent, après
une élection au niveau de l’État, ses détracteurs s’étaient réunis pour
protester, l’accusant d’influencer le vote des saints. Ils déclarèrent
: « Une telle personne ne manquera pas de devenir extrêmement
dangereuse, surtout si elle arrive à se positionner à la tête d’une
horde nombreuse. »
Sachant à quelle vitesse les tensions pouvaient s’exacerber, Joseph
espérait trouver des alliés dans le gouvernement national qui
pourraient défendre les saints dans l’arène publique. Quelques mois
plus tôt, il avait écrit à cinq candidats aux élections présidentielles
suivantes, espérant découvrir s’ils soutiendraient les efforts des
saints pour recouvrer leurs pertes au Missouri. Trois d’entre eux
répondirent. Deux soutinrent que l’affaire était du ressort de l’État
et non du président. Le troisième fut compatissant mais en fin de
compte évasif.
Contrarié par la mauvaise volonté des candidats, il décida de présenter
sa propre candidature aux élections présidentielles. Il était peu
probable qu’il l’emporte mais il voulait profiter de l’occasion pour
rendre les griefs des saints publics et défendre les droits d’autres
personnes traitées injustement. Il s’attendait à ce que des centaines
de saints fissent campagne pour lui dans tout le pays.
Le 29 janvier 1844, le Collège des Douze désigna officiellement Joseph
comme candidat à la présidence et il accepta leur nomination. Il promit
: « Si j’obtiens le poste de président, je protégerai les droits et les
libertés du peuple. »
Pendant ce temps, sur un baleinier au large des côtes d’Afrique du Sud,
Addison regardait ses compagnons de bord abaisser quatre petites
barques sur l’océan et ramer de toutes leurs forces à la poursuite
d’une grosse baleine. Approchant leurs embarcations des flancs de la
bête, les hommes lui tirèrent des harpons dans le dos. En réaction, la
bête plongea profondément et fit franchir à leurs barques la crête de
vagues colossales.
Le mouvement rapide sectionna le câble de remorquage et la baleine
refit surface, cette fois-ci non loin du bateau. Grimpant au sommet du
mât pour mieux y voir, Addison vit l’imposante créature se débattre,
mugir et cracher de l’eau tandis qu’elle essayait de se dégager des
deux harpons accrochés dans sa chair puissante. Lorsque les barques se
rapprochèrent, elle replongea pour esquiver un nouvel assaut, refaisant
surface plus loin. Les hommes tentèrent de la poursuivre une fois de
plus mais elle s’échappa.
En regardant la chasse, cela rappela à Addison la bénédiction
patriarcale qu’il avait reçue peu après avoir emménagé à Nauvoo. Hyrum
Smith lui avait promis qu’il « sortirait et rentrerait et irait sur la
surface de la terre ». Après la bénédiction, Hyrum avait dit : « Je
suppose que tu vas devoir aller pêcher la baleine. »
Addison et ses collègues missionnaires étaient maintenant en mer depuis
plusieurs mois. Ils avaient traversé l’Atlantique, contourné le cap de
Bonne-Espérance et voguaient en direction des îles au-delà de
l’Australie. Comme ils n’avaient pas réussi à trouver de navire en
partance pour Hawaï, ils avaient réservé des places sur un baleinier
qui allait plus au sud, à Tahiti. Le voyage durerait pratiquement une
année et Addison et les missionnaires avaient déjà essayé de discuter
de l’Évangile rétabli avec leurs compagnons.
La plupart des journées à bord étaient plaisantes mais des rêves de
mauvais augure troublaient parfois les nuits d’Addison. Une fois, il
rêva que Joseph et les saints étaient à bord d’un bateau plongeant tout
droit dans une tempête. L’embarcation rencontra un brisant et heurta le
fond, déchiquetant la coque. Lorsque l’eau s’y engouffra, la proue
commença de couler. Certains saints se noyèrent tandis que d’autres
réussirent à fuir le navire en perdition mais se firent dévorer par des
requins affamés.
Dans un autre rêve, quelques nuits plus tard, il vit sa famille et
l’Église quitter Nauvoo. Il chercha longtemps avant de les trouver
installés dans une vallée fertile. Dans le rêve, Louisa et les enfants
vivaient à flanc de coteau, dans une petite cabane entourée de champs
labourés. Elle salua Addison et l’invita à l’accompagner pour voir
l’étable et le pré à l’extrémité supérieure du champ. Le jardin n’était
pas clôturé et les cochons lui causaient des problèmes mais elle avait
un bon chien pour surveiller la propriété.
Addison se réveilla de ces rêves, inquiet pour sa famille. Il craignait
que des ennemis ne soient de nouveau en train d’affliger les saints.
Cet hiver-là, dans le cadre du projet de levée de fonds pour le temple,
Mercy Fielding Thompson et Mary Fielding Smith firent une collecte de
centimes auprès des femmes de Nauvoo. Vers la fin de l’année
précédente, pendant qu’elle priait pour savoir quoi faire pour
participer à l’édification de Sion, Mercy s’était sentie poussée à
lancer cette collecte. L’Esprit lui avait murmuré : « Essaie de
convaincre les sœurs de s’engager à verser un centime par semaine pour
acheter du verre et des clous pour le temple. »
Mercy soumit l’idée à Joseph qui lui dit qu’il fallait le faire et que
le Seigneur la bénirait. Les femmes réagirent avec enthousiasme au plan
de Mercy. Chaque semaine, Mary et elle collectaient les centimes et
notaient minutieusement le nom des femmes qui avaient promis leur
soutien.
Hyrum les aida également et donna à la campagne la pleine approbation
de la Première Présidence. Il déclara que chaque femme qui versait des
centimes aurait son nom dans le Livre de loi du Seigneur, là où Joseph
et ses secrétaires enregistraient la dîme, les révélations et d’autres
écrits sacrés.
Une fois que la collecte de centimes fut opérationnelle à Nauvoo, les
sœurs écrivirent au bureau du Millennial Star, en Angleterre, pour
réclamer des centimes aux femmes de l’Église là-bas. Elles écrivirent :
« Nous vous informons par la présente qu’ici nous avons pris un petit
abonnement hebdomadaire pour le profit des fonds du temple. Un millier
de personnes sont déjà inscrites mais nous attendons encore beaucoup
plus de monde. Ainsi, nous sommes certaines de faire bien avancer la
grande œuvre. »
Peu après, les femmes de la mission britannique envoyaient leurs
centimes de l’autre côté de l’océan, jusqu’à Nauvoo.
Aidé par William Phelps, Joseph développa une plateforme présidentielle
indépendante et ébaucha une brochure pour la promouvoir dans tout le
pays. Il proposa d’accorder au président davantage de pouvoir pour
maîtriser les émeutiers, de libérer les esclaves en dédommageant leurs
propriétaires, de transformer les prisons en lieu d’apprentissage et de
réforme et d’agrandir le pays vers l’ouest mais uniquement avec
l’accord total des Amérindiens. Il voulait que les électeurs sachent
qu’il était le défenseur de tous, pas uniquement celui des saints des
derniers jours.
Il croyait qu’une démocratie théocratique, où les gens décidaient de
vivre en accord avec les lois de Dieu, pourrait engendrer une société
juste et paisible qui préparerait le monde à la Seconde Venue.
Néanmoins, si sa campagne devait échouer et les opprimés rester sans
protection, il voulait coloniser une contrée où les protéger dans les
derniers jours, en dehors des États-Unis.
Les menaces constantes émanant du Missouri et de l’Illinois, ainsi que
le nombre toujours croissant de saints, l’avaient récemment poussé à
regarder vers l’ouest pour trouver un tel lieu. Il n’avait pas
l’intention d’abandonner Nauvoo mais il s’attendait à ce que l’Église
devienne si importante que la ville ne pourrait plus l’accueillir. Il
voulait trouver un endroit où les saints pourraient établir le royaume
de Dieu et instituer des lois justes qui gouverneraient le peuple du
Seigneur jusqu’au millénium.
Avec cette idée en tête, il pensa à des régions telles que la
Californie, l’Oregon et le Texas, qui étaient alors en dehors des
frontières des États-Unis. Il commanda aux Douze : « Envoyez une
délégation examiner ces emplacements. Trouvez une contrée accueillante
où nous pourrons nous retirer lorsque le temple sera terminé, bâtir une
ville en un jour et avoir un gouvernement à nous dans un climat sain. »
Les 10 et 11 mars, le prophète forma un conseil d’hommes qui
superviseraient l’établissement du royaume du Seigneur sur terre. Le
conseil prit le nom de conseil du royaume de Dieu ou conseil de
cinquante. Joseph voulait des débats vigoureux au sein du conseil et
encouragea ses membres à dire ce qu’ils pensaient et ce qu’ils avaient
sur le cœur.
Avant la fin de leur première réunion, ils parlaient avec enthousiasme
de la création d’un gouvernement à eux régi par une nouvelle
constitution qui refléterait la volonté de Dieu. Ils croyaient qu’elle
servirait de modèle pour les gens et serait l’accomplissement de la
prophétie d’Ésaïe selon laquelle le Seigneur établirait un étendard
pour les nations afin de rassembler ses enfants dans les derniers jours.
Pendant cette période, lors des réunions avec les dirigeants de
l’Église, Joseph avait l’air déprimé. Il croyait que quelque chose
d’important était sur le point de se produire. Il dit : « Peut-être mes
ennemis vont-ils me tuer. Si c’est le cas et si les clés de l’autorité
qui reposent en moi ne vous sont pas transmises, elles seront perdues
sur la terre. » Il dit qu’il se sentait poussé à conférer aux douze
apôtres toutes les clés de la prêtrise afin de pouvoir avoir
l’assurance que l’œuvre du Seigneur se poursuivrait.
Il leur dit : « C’est donc sur les épaules des Douze que doit reposer
la responsabilité de diriger l’Église jusqu’à ce que vous en nommiez
d’autres pour vous succéder. C’est ainsi que ce pouvoir et ces clés
peuvent être perpétués sur la terre. »
Joseph les avertit que le chemin qui les attendait ne serait pas
facile. Il dit : « Si vous êtes appelés à donner votre vie, mourez
comme des hommes. Une fois qu’ils vous ont tué, ils ne peuvent plus
vous faire de mal. Si vous devez être en péril et entre les mâchoires
de la mort, ne craignez pas le mal. Jésus-Christ est mort pour vous. »
Joseph scella sur leur tête toutes les clés de la prêtrise dont ils
auraient besoin pour poursuivre l’œuvre du Seigneur sans lui, notamment
les clés sacrées du pouvoir de scellement. Il dit : « Je transfère le
fardeau et la responsabilité de la direction de cette Église de mes
épaules aux vôtres. Maintenant, redressez les épaules et endossez-le
comme des hommes ; car le Seigneur va me laisser me reposer un certain
temps. »
Joseph n’avait plus l’air déprimé. Il avait le visage lumineux et plein
de puissance. Il dit aux hommes : « Je me sens aussi léger qu’un
bouchon de liège. Je me sens libre. Je remercie mon Dieu de cette
délivrance. »
CHAPITRE 43 : Une nuisance publique
Après son renvoi de la Première Présidence, William Law évita Joseph.
Fin mars 1844, Hyrum tenta de réconcilier les deux hommes mais William
refusa de reconnaître ses torts tant que le prophète maintenait le
mariage plural. Vers la même époque, ce dernier entendit dire que
William et plusieurs autres personnes en ville complotaient de le tuer,
ainsi que sa famille.
Il dénonça les conspirateurs avec confiance, disant aux saints : « Je
ne vais pas signer de mandat contre eux parce que je ne crains aucun
d’eux. Ils n’effraieraient même pas une vieille poule qui couve. »
Néanmoins, la dissidence croissante à Nauvoo le préoccupait et les
menaces de mort ne faisaient qu’exacerber le sentiment que le temps
dont il disposait pour instruire les saints touchait à sa fin.
Ce printemps-là, un membre de l’Église appelé Emer Harris l’informa que
les conspirateurs l’avaient invité, ainsi que son fils de dix-neuf ans,
Denison, à assister à leurs réunions. Joseph dit : « Frère Harris, je
vous conseille de ne pas y aller et de ne pas y prêter attention. » Il
voulait par contre que Denison y assiste et découvre ce qu’il pouvait
au sujet des conjurés.
Plus tard, Joseph s’entretint avec lui et son ami Robert Scott pour les
préparer à leur tâche. Sachant que les conspirateurs étaient dangereux,
il avertit les jeunes gens qu’ils devaient en dire le moins possible
pendant qu’ils seraient là-bas et n’offenser personne.
Le 7 avril 1844, le deuxième jour de la conférence générale de
l’Église, Joseph mit ses soucis de côté pour s’adresser aux saints.
Lorsqu’il prit la parole, un vent fort soufflait dans l’assemblée. Le
prophète éleva la voix pour couvrir le tumulte : « J’aurai du mal à me
faire entendre de tous à moins que vous ne soyez très attentifs. » Il
annonça qu’il allait parler de son ami, King Follett, qui était décédé
récemment, et allait offrir des paroles réconfortantes à tous ceux qui
avaient perdu des êtres chers.
Il désirait aussi donner à chaque saint un aperçu de ce qui l’attendait
dans le monde à venir. Il voulait écarter le voile spirituel, ne
serait-ce qu’un instant, et lui enseigner son potentiel divin et la
véritable nature de Dieu.
Il demanda : « Quel genre de personnage est Dieu ? Est-ce qu’un homme
ou une femme le sait ? Est-ce que quelqu’un parmi vous l’a vu, l’a
entendu, a communié avec lui ? » Joseph laissa ses questions planer sur
l’assemblée. Il dit : « Si le voile était déchiré aujourd’hui et si
vous deviez voir le grand Dieu qui maintient notre monde dans son
orbite et qui soutient toutes choses par son pouvoir, vous le verriez
dans toute la personne, l’image et la forme mêmes d’un homme. »
Il expliqua que la recherche de la connaissance et le respect des
alliances aideraient les saints à accomplir le plan suprême du Père
pour eux. Il dit : « Il faut que vous appreniez comment être vous-mêmes
des dieux en passant d’un petit degré à l’autre et d’une petite
capacité à une plus grande ; de grâce en grâce, d’exaltation en
exaltation, jusqu’à ce que vous soyez capables de demeurer dans les
embrasements éternels et de siéger en gloire. »
Il leur rappela que ce plan l’emportait sur la mort. Il dit : « Quelle
consolation pour une personne endeuillée de savoir que, bien que
l’enveloppe terrestre se dissolve, nos êtres chers se relèveront en
gloire immortelle pour ne plus être affligés, souffrir ou mourir, mais
pour être héritiers de Dieu et cohéritiers de Jésus-Christ ! »
Le processus prendrait du temps et exigerait beaucoup de patience, de
foi et d’apprentissage. Il assura aux saints : « On ne peut pas le
comprendre entièrement ici-bas. Il faudra beaucoup de temps au-delà du
tombeau pour tout saisir. »
Alors que son sermon touchait à sa fin, Joseph devint songeur. Il parla
de membres de sa famille et d’amis décédés. Il dit : « Ils ne sont
absents que pour un temps. Ils sont en esprit et lorsque nous
partirons, nous saluerons nos mères, nos pères, nos amis et tous les
êtres que nous aimons. » Il assura aux mères qui avaient perdu des
enfants en bas âge qu’elles les retrouveraient. Dans les éternités,
dit-il, les saints ne vivront plus dans la crainte des émeutiers mais
demeureront dans la joie et le bonheur.
Debout devant l’assemblée, Joseph n’était plus le jeune fermier sans
instruction ni raffinement qui avait cherché la sagesse dans un
bosquet. Jour après jour, année après année, le Seigneur l’avait poli
comme une pierre, le façonnant petit à petit afin qu’il devienne un
meilleur instrument entre ses mains. Pourtant, les saints comprenaient
si peu de sa vie et de sa mission.
Il dit : « Vous n’avez jamais connu mon cœur. Je ne vous en veux pas de
ne pas croire à mon histoire. Si je ne l’avais pas vécue, je n’aurais
pas pu y croire moi-même. » Il espérait qu’un jour, lorsque sa vie
serait pesée dans la balance, les saints le connaîtraient mieux.
Lorsqu’il eut terminé, il prit place et le chœur chanta un cantique. Il
venait de parler pendant presque deux heures et demie.
Son sermon fut une inspiration pour les saints et les remplit de
l’Esprit. Une semaine après la conférence, Ellen Douglas écrivit à ses
parents en Angleterre : « Les enseignements que nous avons entendus
nous ont réjoui le cœur. » Ellen, son mari et leurs enfants faisaient
partie des premiers convertis britanniques à s’être rendus en bateau à
Nauvoo en 1842 et les vérités que Joseph avait enseignées dans son
sermon leur rappelaient pourquoi ils avaient tant sacrifié pour se
rassembler avec les saints.
Comme de nombreux convertis britanniques, les Douglas avaient dépensé
la plus grande partie de leurs économies pour immigrer à Nauvoo, les
laissant dans le dénuement. George, le mari d’Ellen, était mort peu
après leur arrivée et une fièvre terrible l’avait mise dans
l’incapacité de s’occuper de ses huit enfants. Une amie lui recommanda
sans tarder de se faire aider par la Société de Secours à laquelle elle
s’était jointe à son arrivée en ville.
Dans la lettre qu’elle envoya à ses parents après la conférence, elle
raconta : « J’ai refusé mais elle a dit qu’il le fallait parce que
j’étais malade depuis si longtemps et que si je ne le faisais pas, elle
le ferait à ma place. » Ellen savait que ses enfants avaient besoin de
nombreuses choses, surtout de vêtements ; elle finit donc par accepter
de demander de l’aide à une membre de la Société de Secours.
Ellen expliqua : « Elle m’a demandé ce dont j’avais le plus besoin, a
pris le chariot et est allée me chercher un présent comme je n’en avais
jamais reçu avant, où que ce soit dans le monde. »
Ses enfants et elle possédaient maintenant une vache et élevaient des
dizaines de poulets sur la parcelle qu’ils louaient, tout en
économisant pour s’acheter des terres. Elle dit à ses parents : « Je ne
me suis jamais sentie aussi bien que maintenant. Je me réjouis et je
loue Dieu d’avoir envoyé les anciens d’Israël en Angleterre et de
m’avoir donné un cœur disposé à les croire. »
Elle termina la lettre en rendant témoignage du prophète Joseph Smith.
Elle dit à ses parents : « Le jour viendra où vous saurez que je vous
ai dit la vérité. »
Ce printemps-là, Denison Harris et Robert Scott assistèrent aux
réunions secrètes de William Law et rapportèrent à Joseph ce qu’ils
avaient appris. William se considérait maintenant comme un réformateur.
Il prétendait toujours croire au Livre de Mormon et aux Doctrine et
Alliances mais le mariage plural et les récents enseignements de Joseph
sur la nature de Dieu le rendaient furieux.
Parmi les conspirateurs, les jeunes gens reconnurent Jane, la femme de
William, et le frère aîné de ce dernier, Wilson. Ils virent également
Robert et Charles Foster, qui avaient été amis avec Joseph jusqu’à ce
qu’ils se disputent avec lui à propos de l’aménagement des terres
autour du temple. Les anciens alliés de John Bennett, Chauncey et
Francis Higbee, étaient présents également, ainsi qu’une brute locale
appelée Joseph Jackson.
Le prophète fut touché que Denison et Robert soient prêts à risquer
leur vie pour lui. Après leur deuxième réunion avec les conspirateurs,
il demanda aux jeunes gens d’y assister une fois de plus. Il conseilla
: « Soyez parfaitement discrets et ne faites aucune promesse de
comploter contre moi ou une partie quelconque de la communauté. » Il
les avertit que les conjurés risquaient de tenter de les tuer.
Le dimanche suivant, Denison et Robert trouvèrent des hommes armés de
mousquets et de baïonnettes qui montaient la garde devant le lieu
habituel de réunion. Les deux jeunes entrèrent dans la maison et
écoutèrent en silence les débats. Tout le monde était d’accord qu’il
fallait que Joseph meure mais personne ne parvenait à convenir d’un
plan.
Avant la fin de la réunion, Francis Higbee fit prêter un serment de
solidarité à chaque conspirateur. Un par un, les hommes et les femmes
dans la pièce levèrent une Bible dans la main droite et prêtèrent
serment. Lorsque ce fut le tour de Denison et de Robert, ils refusèrent
de s’avancer.
Les conjurés raisonnèrent : « N’avez-vous pas entendu le témoignage
ferme de tous les participants contre Joseph Smith ? Nous jugeons qu’il
est de notre devoir solennel de le détruire et de secourir le peuple de
ce péril. »
Les jeunes gens dirent : « Nous sommes venus à vos réunions parce que
nous croyions que vous étiez nos amis. Nous ne pensions pas à mal. »
Les dirigeants commandèrent à des gardes de se saisir d’eux et de les
escorter jusqu’à la cave. Là, on leur donna une dernière chance de
prêter serment. On leur dit : « Si vous vous entêtez à refuser, nous
devrons verser votre sang. »
Les jeunes gens refusèrent de nouveau et se préparèrent à mourir.
Quelqu’un dans la cave cria : « Attendez un peu ! Discutons-en d’abord.
»
L’instant d’après, les conspirateurs se disputaient de nouveau et les
jeunes hommes entendirent quelqu’un dire qu’il serait trop dangereux de
les tuer. Il avançait : « Les parents des garçons pourraient lancer une
enquête qui serait très dangereuse pour nous. »
Denison et Robert furent emmenés au bord du fleuve par des gardes armés
et relâchés. Ces derniers les avertirent : « Si vous ouvrez la bouche,
nous vous tuerons, de nuit comme de jour, là où nous vous trouverons. »
Les jeunes gens partirent et firent immédiatement rapport à Joseph et à
un garde du corps qui était avec lui. En écoutant leur histoire, il fut
reconnaissant qu’ils soient sains et saufs et une expression grave
passa sur son visage. Il dit : « Frères, je ne sais pas comment cela va
se terminer. »
Le garde du corps demanda : « Tu penses qu’ils vont te tuer ? Vont-ils
te tuer ? »
Joseph ne répondit pas directement à la question mais il assura aux
jeunes hommes que William Law et les autres conjurés se trompaient à
son égard. Il témoigna : « Je ne suis pas un faux prophète. Je n’ai pas
reçu de révélations obscures. Je n’ai pas reçu de révélations du
diable. »
Au milieu du tumulte du printemps, Joseph se réunissait régulièrement
avec le conseil de cinquante pour discuter des caractéristiques idéales
d’une démocratie théocratique et des lois et pratiques qui la
gouvernaient. Lors d’une réunion, peu après la conférence d’avril, le
conseil vota pour accepter Joseph en tant que prophète, prêtre et roi.
Les hommes n’ayant aucune autorité politique, la motion n’avait aucune
conséquence temporelle mais elle entérinait les offices et
responsabilités de Joseph dans la prêtrise en qualité de chef du
royaume terrestre du Seigneur avant la Seconde Venue.. IElle faisait
également allusion au témoignage de Jean le Révélateur que Christ avait
fait des saints justes un royaume, des sacrificateurs pour Dieu,
donnant une nouvelle dimension au titre de Roi des rois du Sauveur.
Plus tard cet après-midi-là, Joseph nota que quelques membres du
conseil n’étaient pas membres de l’Église. Il proclama que dans le
conseil de cinquante, on ne consultait pas les hommes sur leurs
opinions religieuses, quelles qu’elles aient pu être. Il dit : « Nous
agissons selon le principe large et libéral que tous les hommes ont des
droits égaux et doivent être respectés. Chacun dans cette organisation
a la chance de choisir délibérément son Dieu et ce qui lui plaît en
matière de religion. »
Tout en parlant, Joseph attrapa une longue règle et fit de grands
gestes, comme aurait pu le faire un maître d’école : « Lorsqu’un homme
se sent un tant soit peu tenté par une telle intolérance, il doit s’y
refuser. » Il dit que l’intolérance religieuse avait inondé la terre de
sang. Il déclara : « Dans tout gouvernement ou toute transaction
politique, les opinions religieuses ne devraient jamais être mises en
cause. » On devrait être jugé selon la loi, sans préjudice religieux.
Lorsqu’il eut fini de parler, sans faire exprès, il cassa la règle en
deux, à la grande surprise de toutes les personnes présentes.
Brigham Young lança malicieusement : « Comme la règle a été cassée dans
les mains de notre président, puissent tous les gouvernements
tyranniques se briser devant nous. »
Fin avril, les désaccords avec William et Jane Law s’ébruitant de plus
en plus, un conseil de trente-deux dirigeants de l’Église fut amené à
les excommunier, ainsi que Robert Foster, pour conduite non chrétienne.
Du fait que personne ne les avait convoqués pour se défendre lors de
l’audience, William fut scandalisé et rejeta la décision du conseil.
Après cela, les détracteurs de l’Église se firent de plus en plus
entendre au fur et à mesure que plusieurs apôtres et des dizaines
d’anciens quittaient Nauvoo pour des missions et pour la campagne
présidentielle de Joseph. Robert Foster et Chauncey Higbee firent des
recherches pour trouver des alibis qui permettraient de poursuivre le
prophète en justice. Le 21 avril, William Law organisa une réunion
publique au cours de laquelle il accusa Joseph d’être un prophète déchu
et organisa une nouvelle Église.
Pendant la réunion, ses partisans l’intronisèrent en tant que président
de la nouvelle Église. Après cela, ils se réunirent chaque dimanche et
échafaudèrent des plans pour rallier d’autres saints mécontents à leur
cause.
Pendant ce temps, Thomas Sharp, le jeune éditeur qui s’en était pris
aux saints peu après leur arrivée en Illinois, remplissait son journal
de critiques à l’encontre de Joseph et de l’Église.
Pour justifier ses attaques, il déclarait : « Vous ne savez rien des
nombreuses insultes et blessures dont nos citoyens ont été victimes de
la part des chefs de l’Église mormone. Vous n’en savez rien, sinon vous
n’essaieriez pas de nous sermonner parce que nous tentons de démasquer
cette bande de hors-la-loi, de tricheurs et de profiteurs. »
Puis, le 10 mai, William et ses partisans annoncèrent leur intention de
publier un journal appelé le Nauvoo Expositor, qui, comme ils le
formulaient, serait un « énoncé complet, franc et sommaire des faits,
tels qu’ils existent vraiment dans la ville de Nauvoo ». Francis Higbee
porta également plainte contre Joseph, l’accusant d’avoir diffamé sa
réputation en public, pendant que William et Wilson utilisaient les
mariages pluraux comme motifs pour l’accuser d’adultère.
Alors que les fausses accusations s’accumulaient contre lui, Joseph dit
aux saints : « Le diable établit toujours son royaume exactement au
même moment en opposition avec Dieu. » Plus tard, d’autres saints dotés
et lui se réunirent au-dessus de son magasin et prièrent pour être
délivrés de leurs ennemis. Joseph voulait éviter l’arrestation mais il
ne voulait pas repartir se cacher. Emma était enceinte et très malade
et il hésitait à quitter son chevet.
Finalement, fin mai, il décida qu’il valait mieux aller à Carthage, le
siège du comté, et affronter une enquête légale sur les accusations
dont il faisait l’objet. Plus d’une vingtaine d’amis l’accompagnèrent
en ville. Lorsque le cas fut présenté à un juge, il manquait un témoin
aux procureurs et ils ne purent poursuivre l’enquête. Les audiences
furent reportées de plusieurs mois et le shérif permit à Joseph de
rentrer chez lui.
Sa libération fit enrager Thomas Sharp. Il déclara dans un éditorial :
« Nous en avons vu et entendu suffisamment pour nous convaincre que Joe
Smith n’est pas en sécurité hors de Nauvoo et nous ne serions pas
surpris d’apprendre sous peu qu’il a succombé à une mort violente. La
tension dans ce pays a maintenant atteint une intensité extrême et elle
se déversera dans sa furie à la moindre provocation. »
Tandis que l’opposition contre Joseph s’intensifiait, les saints
continuaient d’édifier leur ville. Louisa Pratt avait du mal à abriter
et nourrir ses quatre filles pendant que son mari était en mission dans
le Pacifique Sud. Avant de partir, Addison avait acheté du bois mais
pas assez pour permettre à Louisa de construire une maison sur leur
terrain. Comme elle possédait des terres dans un État voisin, elle se
rendit dans une scierie des environs et demanda à acheter du bois à
crédit, avec ses terres en garantie.
Inquiète de voir son crédit refusé du fait de son sexe, elle dit : «
Vous avez sans doute besoin d’une femme. En général, elles sont plus
ponctuelles que les hommes. »
Le propriétaire de la scierie n’eut aucun scrupule à lui vendre du bois
à crédit et Louisa en eut bientôt assez pour construire une petite
maison. Malheureusement, elle était continuellement déçue par les
hommes qu’elle employait pour faire le travail, l’obligeant à en
embaucher d’autres jusqu’à ce qu’elle trouve des ouvriers fiables.
Pendant les travaux, elle travaillait comme couturière. Lorsque ses
filles attrapèrent la rougeole, elle veilla sur elles nuit et jour,
priant pour leur guérison jusqu’à ce qu’elles soient rétablies. En
apparence, elle semblait bien se débrouiller dans la situation.
Pourtant, elle se sentait souvent seule, incompétente et inapte à
porter le fardeau qui pesait sur ses épaules.
Une fois que la maison fut terminée, Louisa y emménagea avec ses
enfants. Elle installa un tapis qu’elle avait confectionné elle-même et
meubla la maison d’articles achetés avec ses revenus.
Les mois passant, Louisa et les filles survécurent sur son petit
salaire, troquant et achetant à crédit tout en payant leur dette au
propriétaire de la scierie. Lorsque la nourriture manqua et que Louisa
eut de nouvelles dettes à régler, les enfants demandèrent : «
Qu’allons-nous faire, mère ? »
Elle répondit sèchement : « Nous plaindre au Seigneur. » Elle se
demanda à quoi ressemblerait sa prière. Se plaindrait-elle des gens qui
lui devaient de l’argent ? Pesterait-elle contre ceux qui ne l’avaient
pas payée pour le travail qu’ils lui avaient confié ?
À ce moment-là, un homme arriva avec un gros chargement de bois qu’elle
a pu vendre. Un autre arriva ensuite avec cinquante kilos de farine et
une douzaine de kilos de porc.
Sa fille Frances dit : « Oh mère, que tu as de la chance ! »
Submergée de reconnaissance, Louisa décida de taire ses doléances.
Comme William Law l’avait promis, le Nauvoo Expositor apparut dans les
rues de Nauvoo début juin. En avant-propos il déclarait : « Nous
cherchons sincèrement à faire exploser les principes dangereux de
Joseph Smith qui, nous le savons bien, ne sont pas en accord avec les
principes de Jésus-Christ et des apôtres. »
Dans le journal, William et ses partisans affirmaient que Joseph avait
dévié de l’Évangile rétabli en introduisant la dotation, la pratique du
mariage plural et l’enseignement de nouveaux points de doctrine sur
l’exaltation et la nature de Dieu.
Il avertissait aussi les citoyens du comté du pouvoir politique
grandissant des saints. Ils reprochaient à Joseph de brouiller les
rôles de l’Église et de l’état et condamnaient sa candidature à la
présidence.
Ils menaçaient : « Levons-nous dans la majesté de notre force et
balayons l’influence des tyrans et des mécréants de la surface du pays.
»
Le lendemain de la parution du journal, Joseph réunit le conseil
municipal de Nauvoo pour discuter de ce qu’il fallait faire de
l’Expositor. Beaucoup de voisins des saints étaient déjà hostiles à
l’Église et il s’inquiétait que l’Expositor ne les incite à la
violence. Il dit : « Il n’est pas prudent que de telles choses existent
du fait de l’esprit d’émeute qu’elles ont tendance à produire. »
Hyrum rappela au conseil municipal les émeutiers qui les avaient
chassés du Missouri. Comme Joseph, il craignait que le journal ne monte
les gens contre les saints, à moins qu’ils ne passent une loi pour y
mettre un terme.
Il était tard le samedi soir et les hommes ajournèrent la réunion
jusqu’au lundi. Ce jour-là, le conseil municipal se réunit du matin
jusqu’au soir, discutant de nouveau de ce qu’ils pouvaient faire.
Joseph proposa de déclarer le journal « nuisance publique » et de
détruire la presse qui l’imprimait.
John Taylor approuva. En qualité d’éditeur du Times and Seasons, il
reconnaissait la valeur de la liberté de presse et d’expression mais
Joseph et lui croyaient qu’ils avaient constitutionnellement le droit
de se protéger des écrits diffamatoires. La destruction de l’Expositor
et sa presse serait controversée mais ils croyaient que les lois leur
permettaient de le faire légalement.
Joseph lut à haute voix la constitution de l’État d’Illinois sur la
liberté de la presse afin que toutes les personnes présentes
comprennent la loi. Attrapant un livre de droit respecté, un autre
conseiller lut la justification légale permettant de détruire une
nuisance troublant la paix de la collectivité. Une fois le raisonnement
légal avancé, Hyrum réitéra la proposition de Joseph de détruire la
presse et d’éparpiller les caractères.
William Phelps dit au conseil qu’il avait examiné la constitution des
États-Unis, la charte de la ville de Nauvoo et les lois du pays. Selon
lui, la ville était totalement et légalement justifiée en déclarant que
la presse était une nuisance et en la détruisant immédiatement.
Le conseil vota la destruction de la presse et Joseph envoya au marshal
de la ville l’ordre d’exécuter la mesure.
Ce soir-là, ce dernier arriva au bureau de l’Expositor avec une
centaine d’hommes. Ils entrèrent par effraction dans la boutique avec
une masse, traînèrent la presse d’imprimerie dans la rue et la mirent
en pièces. Ils vidèrent ensuite les tiroirs contenant les caractères et
mirent le feu aux décombres. Tous les exemplaires du journal qu’ils
trouvèrent furent ajoutés au brasier.
Le lendemain, Thomas Sharp rapporta la destruction de la presse dans
une édition inédite de son journal. Il écrivit : « La guerre et
l’extermination sont inévitables ! Citoyens levez-vous tous !!! » Nous
n’avons pas le temps de faire de commentaires, chaque homme se fera sa
propre opinion. Puisse-t-elle être faite de poudre et de balles !!! »
CHAPITRE 44 : Un agneau à l’abattoir
Après que Thomas Sharp eut fait retentir l’appel aux armes, la colère
contre les saints de Nauvoo se propagea dans la région comme une
traînée de poudre. Des citoyens se rallièrent à Warsaw et Carthage,
deux villes voisines, pour protester contre la destruction de
l’Expositor. Les dirigeants politiques mobilisèrent les hommes de la
région pour se dresser contre les saints. En deux jours, trois cents
émeutiers armés étaient réunis à Carthage, prêts à attaquer Nauvoo et à
anéantir les saints.
À cent cinquante kilomètres au nord-est, Peter Maughan et Jacob Peart
étaient attablés pour prendre un repas dans un hôtel. Sous la direction
de Joseph, ils étaient venus dans la région acheter un gisement de
charbon. Joseph croyait qu’il serait rentable d’extraire le charbon et
de l’expédier par le bateau à vapeur de l’Église, la Maid of Iowa, via
le Mississippi.
Pendant qu’il attendait sa nourriture, Peter ouvrit le journal et lut
un article affirmant qu’une bataille importante avait fait des milliers
de victimes à Nauvoo. Choqué et inquiet pour Mary et leurs enfants, il
montra l’article à Jacob.
Les deux hommes prirent le bateau suivant pour rentrer chez eux.
Arrivés à une quarantaine de kilomètres de leur destination, ils
apprirent, à leur grand soulagement, qu’aucune bataille n’avait eu lieu
mais il semblait que ce n’était plus qu’une question de temps avant que
la violence n’éclate.
En dépit de la décision mûrement réfléchie de détruire la presse
d’imprimerie, le conseil municipal avait sous-estimé le tollé qui
s’ensuivrait. William Law avait fui la ville mais certains de ses
partisans menaçaient maintenant de détruire le temple, de mettre le feu
chez Joseph et de raser l’imprimerie de l’Église. Francis Higbee
accusait le prophète et d’autres membres du conseil municipal d’avoir
provoqué une émeute lors de la destruction de la presse. Il jurait que
d’ici une dizaine de jours, il ne resterait plus un seul mormon à
Nauvoo.
Le 12 juin, un policier de Carthage arrêta Joseph et d’autres membres
du conseil municipal. Le tribunal de Nauvoo trouva les accusations sans
fondement et relâcha les hommes, mettant les détracteurs de Joseph
encore plus en colère. Le lendemain, le prophète apprit que trois cents
hommes étaient rassemblés à Carthage, prêts à attaquer Nauvoo.
Espérant éviter une autre guerre ouverte avec leurs voisins, comme au
Missouri, Joseph et d’autres écrivirent en urgence au gouverneur Ford
pour expliquer les actions du conseil municipal et implorer son aide
contre les attaques d’émeutiers. Joseph parla aux saints, les exhortant
à rester calmes, à se préparer à défendre la ville et à ne faire aucune
émeute. Ensuite, il regroupa la légion de Nauvoo et mit la ville sous
loi martiale, suspendant le gouvernement habituel et mettant les
militaires aux commandes.
L’après-midi du 18 juin, la légion se rassembla devant la Nauvoo
Mansion. En qualité de chef de la milice, Joseph revêtit son uniforme
complet et monta sur une estrade voisine, d’où il s’adressa aux hommes.
Il dit : « Certains pensent que nos ennemis se satisferaient de ma
destruction mais je vous dis que dès qu’ils auront versé mon sang, ils
auront soif du sang de chaque personne dans le cœur de laquelle demeure
la moindre étincelle de l’esprit de la plénitude de l’Évangile. »
Tirant son épée et la levant vers le ciel, Joseph exhorta les hommes à
défendre les libertés dont on les avait privés dans le passé. Il
demanda : « Resterez-vous à mes côtés jusqu’à la mort et
soutiendrez-vous, au péril de votre vie, les lois de notre pays ? »
« Oui ! » rugit la foule.
Il dit : « Je vous aime de tout mon cœur. Vous êtes restés à mes côtés
dans les heures sombres et je suis disposé à sacrifier ma vie pour
épargner la vôtre. »
Après avoir entendu de la bouche de Joseph les raisons pour lesquelles
le conseil municipal avait détruit la presse, le gouverneur Ford
comprit que les saints avaient agi de bonne foi. Il y avait des raisons
légales et des précédents pour déclarer et détruire des nuisances dans
une communauté. Néanmoins, il n’était pas d’accord avec la décision du
conseil et ne croyait pas que ses actions puissent être justifiées. La
destruction légale d’un journal, après tout, était rare à une époque où
les collectivités confiaient habituellement ce genre de tâche à des
émeutiers, comme lorsqu’ils avaient détruit le journal des saints dans
le comté de Jackson plus d’une décennie auparavant.
Le gouverneur avait attaché beaucoup d’importance à la protection de la
liberté d’expression dans la constitution de l’État d’Illinois,
indépendamment de ce que la loi aurait pu permettre. Il écrivit au
prophète : « Votre conduite dans la destruction de la presse est un
très gros affront aux lois et aux libertés du peuple. Le journal était
peut-être rempli de calomnies mais cela ne vous autorisait pas à le
détruire. »
Le gouverneur soutenait en outre que la charte de la ville de Nauvoo
n’accordait pas aux tribunaux locaux autant de pouvoir que ce que le
prophète pouvait penser. Il lui conseilla à lui et aux autres membres
du conseil municipal qui avaient été accusés d’émeute de se livrer et
de se soumettre aux tribunaux en dehors de Nauvoo. Il leur dit : « Je
tiens à conserver la paix. Une petite indiscrétion pourrait déclencher
la guerre. » Si les dirigeants de la ville se livraient et passaient en
justice, il promettait de les protéger.
Sachant que Carthage grouillait d’hommes qui détestaient les saints,
Joseph doutait que le gouverneur soit en mesure de tenir sa promesse.
D’un autre côté, rester à Nauvoo ne ferait que faire enrager ses
détracteurs et attirerait des émeutiers en ville, mettant les saints en
danger. Il semblait de plus en plus évident que le meilleur moyen de
les protéger était de quitter Nauvoo pour l’Ouest ou d’aller chercher
de l’aide à Washington.
Écrivant au gouverneur, Joseph lui parla de son projet de quitter la
ville. Il écrivit : « Au nom de tout ce qui est sacré, nous implorons
Votre Excellence de s’assurer que nos femmes et nos enfants sans
défense soient protégés de la violence des émeutiers. » Il insista sur
le fait que si les saints avaient fait quoi que ce soit de
répréhensible, ils feraient tout ce qui était en leur pouvoir pour
réparer leur erreur.
Ce soir-là, après avoir dit au revoir à sa famille, Joseph grimpa avec
Hyrum, Willard Richards et Porter Rockwell dans une barque et traversa
le Mississippi. La barque prenait l’eau donc les deux frères et Willard
écopaient avec leurs bottes pendant que Porter ramait. Des heures plus
tard, le matin du 23 juin, ils arrivèrent en Iowa et Joseph demanda à
Porter de retourner à Nauvoo et de leur ramener des chevaux.
Avant qu’il ne parte, il lui remit une lettre adressée à Emma, lui
demandant de vendre leur propriété si nécessaire pour pourvoir à ses
besoins et à ceux des enfants et de sa mère. Il lui dit : « Ne
désespère pas. Si Dieu m’en donne la possibilité, je te reverrai. »
Plus tard ce matin-là, elle envoya Hiram Kimball et son neveu Lorenzo
Wasson en Iowa pour convaincre son mari de rentrer à la maison et de se
livrer. Ils dirent à Joseph que le gouverneur avait l’intention
d’occuper Nauvoo avec des troupes jusqu’à ce que lui et son frère Hyrum
se rendent. Porter revint peu après avec Reynolds Cahoon et une lettre
d’Emma le suppliant à nouveau de revenir. Hiram Kimball, Lorenzo et
Reynolds traitèrent tous Joseph de lâche pour avoir quitté Nauvoo et
exposé les saints au danger.
Le prophète dit : « Plutôt mourir que d’être traité de lâche. Si ma vie
n’a pas de valeur pour mes amis, elle n’en a pas pour moi. » Il savait
maintenant que quitter Nauvoo ne protègerait pas les saints mais il ne
savait pas s’il survivrait en allant à Carthage. Il demanda à Porter :
« Que dois-je faire ? »
Porter dit : « Tu es l’aîné, c’est toi qui devrais savoir. »
Se tournant vers son frère, Joseph dit : « C’est toi l’aîné. Que
devons-nous faire ? »
Hyrum répondit : « Retournons, livrons-nous et finissons-en. »
Joseph dit : « Si tu y retournes, j’irai avec toi mais nous allons être
massacrés. »
Hyrum répondit : « Si nous vivons ou si nous devons mourir, nous
accomplirons notre destin. »
Joseph y réfléchit un instant puis demanda à Reynolds d’aller chercher
un bateau. Ils allaient se livrer.
Le cœur d’Emma se serra lorsque Joseph arriva à la maison en fin
d’après-midi. Maintenant qu’elle le revoyait, elle craignait de l’avoir
rappelé pour le faire mourir. Le prophète aspirait à prêcher une fois
de plus aux saints mais il resta chez lui avec sa famille. Emma et lui
réunirent leurs enfants et il leur donna une bénédiction.
Tôt le lendemain matin, Joseph, Emma et les enfants sortirent de la
maison. Il embrassa chacun d’eux.
À travers ses larmes, Emma dit : « Tu vas revenir. »
Joseph enfourcha son cheval et partit pour Carthage avec Hyrum et les
autres hommes. Il leur dit : « Je vais comme un agneau à l’abattoir
mais je suis calme comme un matin d’été. J’ai la conscience libre de
toute faute envers Dieu et envers tous les hommes. »
Les cavaliers gravirent la colline vers le temple tandis que le soleil
se levait, teintant les murs inachevés du bâtiment d’une lumière dorée.
Joseph arrêta son cheval et balaya la ville du regard. Il dit : « C’est
le plus bel endroit et le meilleur peuple sous les cieux. Ils sont bien
loin de se douter des épreuves qui les attendent. »
Il ne fut pas absent bien longtemps. Trois heures après avoir quitté
Nauvoo, ses amis et lui rencontrèrent des troupes qui avaient ordre du
gouverneur de confisquer les armes que l’État avait fournies à la
légion de Nauvoo. Le prophète décida de faire demi-tour et de s’assurer
que l’ordre était exécuté. Il savait que si les saints résistaient,
cela donnerait aux émeutiers des raisons de les attaquer.
De retour à Nauvoo, il rentra chez lui pour revoir Emma et leurs
enfants. Il leur dit encore au revoir et demanda à sa femme si elle
l’accompagnerait mais elle savait qu’elle devait rester avec les
petits. Joseph semblait solennel et pensif, tristement certain de son
destin. Avant qu’il ne parte, Emma lui demanda une bénédiction. N’ayant
plus le temps, il lui demanda d’écrire celle qu’elle désirait et promit
de la signer à son retour.
Dans la bénédiction qu’elle rédigea, elle demanda à notre Père céleste
la sagesse et le don de discernement. Elle écrivit : « Je désire
l’Esprit de Dieu pour me connaître et me comprendre. Je désire un
esprit fécond et actif, afin d’être capable de comprendre les desseins
de Dieu. »
Elle demandait la sagesse pour élever ses enfants, notamment le bébé
qu’elle devait mettre au monde en novembre et exprimait son espérance
en son alliance éternelle du mariage. Elle écrivit : « Je désire de
tout mon cœur honorer et respecter mon mari, jouir à jamais de sa
confiance et, en agissant de concert avec lui, conserver la place que
Dieu m’a donnée à ses côtés. »
Finalement, elle priait pour avoir l’humilité et espérait se réjouir
des bénédictions que Dieu avait préparées pour ses enfants obéissants.
Elle écrivit : « Je désire que quel que soit mon lot dans la vie, je
sois à même de reconnaître la main de Dieu en toutes choses. »
Des hurlements et des jurons accueillirent les frères Smith lorsqu’ils
arrivèrent à Carthage peu avant minuit le lundi 24 juin. L’unité de la
milice qui avait récupéré les armes des saints à Nauvoo les escortait
maintenant à travers l’agitation qui régnait dans les rues de Carthage.
Une autre unité, appelée les Carthage Grey, était postée sur la place
publique, près de l’hôtel où les frères avaient l’intention de passer
la nuit.
Lorsque Joseph passa devant les Carthage Grey, les troupes se
bousculèrent pour l’apercevoir. Un homme cria : « Où est le maudit
prophète ? Poussez-vous et laissez-nous voir Joe Smith ! » Les soldats
poussaient des cris et jetaient leurs armes en l’air.
Le lendemain matin, Joseph et ses amis se livrèrent à un agent de
police. Peu après neuf heures, le gouverneur Ford invita Joseph et
Hyrum à marcher avec lui au milieu des troupes assemblées. La milice et
les émeutiers qui se pressaient autour d’eux furent silencieux jusqu’à
ce qu’un groupe de Grey se remette à les huer, jetant leurs chapeaux
dans les airs et tirant leurs épées. Comme la veille au soir, ils
poussèrent des hurlements et insultèrent les frères.
Ce jour-là, au tribunal, Joseph et Hyrum furent relâchés en attendant
d’être jugés pour avoir causé une émeute mais avant qu’ils n’aient pu
quitter la ville, deux des associés de William Law déposèrent plainte
contre eux pour avoir décrété la loi martiale à Nauvoo. Ils furent
accusés de trahison contre le gouvernement et le peuple d’Illinois, une
offense capitale qui empêchait les hommes d’être libérés sous caution.
Ils furent incarcérés dans une prison du comté, enfermés ensemble pour
la nuit dans une cellule. Plusieurs de leurs amis décidèrent de rester
avec eux pour les protéger et leur tenir compagnie. Cette nuit-là,
Joseph écrivit à Emma une lettre contenant des nouvelles
encourageantes. Il rapportait : « Le gouverneur vient juste d’accepter
d’envoyer son armée à Nauvoo et je l’accompagnerai. »
Le lendemain, les prisonniers furent installés dans une pièce plus
confortable au premier étage de la prison de Carthage. Elle comportait
trois grandes fenêtres, un lit et une porte de bois munie d’un loquet
cassé. Ce soir-là, Hyrum lut un passage du Livre de Mormon et Joseph
rendit aux gardes en service un témoignage puissant de son authenticité
divine. Il témoigna que l’Évangile de Jésus-Christ avait été rétabli,
que des anges servaient encore l’humanité et que le royaume de Dieu
était une fois de plus sur la terre.
Après le coucher du soleil, Willard Richards resta longtemps debout à
écrire, jusqu’à ce que sa bougie fût consumée. Joseph et Hyrum étaient
allongés sur le lit pendant que deux visiteurs, Stephen Markham et John
Fullmer, étaient couchés sur un matelas posé au sol. À côté d’eux, à
même le plancher, étaient couchés John Taylor et Dan Jones, un
capitaine de bateau d’origine galloise qui était devenu membre de
l’Église un peu plus d’un an auparavant.
Peu avant minuit, les hommes entendirent un coup de feu à l’extérieur
de la fenêtre la plus proche de la tête de Joseph. Le prophète se leva
et s’installa sur le sol, à côté de Dan. Joseph lui demanda doucement
s’il avait peur de mourir.
Dan demanda avec son accent gallois prononcé : « Le moment est-il venu
? Engagé dans une telle cause, je ne pense pas que la mort soit bien
effrayante. »
Le prophète chuchota : « Tu verras le pays de Galles et rempliras la
mission qui t’échoit avant de mourir. »
Vers minuit, Dan fut réveillé par le bruit de troupes marchant à côté
de la prison. Il se leva et regarda par la fenêtre. Il vit une foule
d’hommes réunis dehors. Il entendit quelqu’un demander : « Combien vont
entrer ? »
Très surpris, Dan réveilla rapidement les autres prisonniers. Ils
entendirent des bruits de pas montant l’escalier et se jetèrent contre
la porte. Quelqu’un prit une chaise en guise d’arme au cas où les
hommes tenteraient d’entrer. Un silence de mort les entourait alors
qu’ils attendaient d’être attaqués.
Joseph finit par crier : « Allez ! Nous sommes prêts à vous recevoir ! »
Dan et les autres prisonniers entendirent à travers la porte les hommes
bouger, comme s’ils hésitaient entre attaquer ou se retirer.
L’agitation perdura jusqu’à l’aube lorsqu’enfin ils entendirent les
hommes redescendre l’escalier.
Le lendemain, 27 juin 1844, Emma reçut une lettre de Joseph, rédigée de
la main de Willard Richards. Le gouverneur Ford et une unité de la
milice étaient en route pour Nauvoo mais, en dépit de sa promesse, il
n’avait pas pris Joseph avec lui. Au contraire, il avait démobilisé une
unité de milice à Carthage et n’avait conservé qu’un petit groupe de
Greys pour garder la prison, laissant les détenus plus vulnérables en
cas d’attaque.
Joseph voulait quand même que les saints traitent le gouverneur
cordialement et ne sonnent pas l’alarme. La lettre disait : « Nous ne
risquons aucunement un ordre d’extermination mais prudence est mère de
sureté. »
À la fin de la lettre, Joseph avait écrit de sa main un post-scriptum
qui disait : « Je suis totalement réconcilié avec mon sort, sachant que
je suis justifié et ai fait au mieux de ce qui pouvait être fait. » Il
lui demandait de transmettre son amour aux enfants et à ses amis. Il
ajoutait : « Pour la question de trahison, je n’en ai commis aucune et
ils ne peuvent rien prouver de la sorte. » Il lui disait de ne pas
s’inquiéter de ce qui pouvait leur arriver de fâcheux à lui et à Hyrum.
Pour terminer, il avait écrit : « Que Dieu vous bénisse tous ! »
Le gouverneur Ford arriva à Nauvoo plus tard ce jour-là et s’adressa
aux saints. Il leur reprocha la crise et menaça de les tenir pour
responsables de ses répercussions. Il déclara : « La destruction de la
presse de l’Expositor et le placement de la ville sous loi martiale
sont un grand crime. Il s’ensuivra une expiation sévère, préparez-vous.
»
Il avertit les saints que la ville de Nauvoo pouvait être réduite en
cendres et ses habitants exterminés s’ils se rebellaient. Il dit : «
Vous pouvez y compter. La moindre inconduite des citoyens et la torche
qui est déjà allumée sera appliquée. »
Les saints furent offensés par le discours mais puisque Joseph leur
avait demandé de préserver la paix, ils firent serment de tenir compte
de l’avertissement du gouverneur et de soutenir les lois de l’État.
Satisfait, ce dernier termina son discours et fit défiler ses troupes
sur Main Street. En marchant, elles tiraient leurs épées et les
faisaient tournoyer d’un air menaçant.
Le temps s’écoula lentement dans la prison de Carthage cet
après-midi-là. Dans la chaleur estivale, les hommes abandonnèrent leurs
vestes et ouvrirent les fenêtres pour laisser entrer la brise. À
l’extérieur, huit hommes des Carthage Grey gardaient la prison pendant
que le reste de la milice campait dans les environs. Un autre garde
était assis juste de l’autre côté de la porte.
Stephen Markham, Dan Jones et d’autres faisaient des courses pour
Joseph. Des hommes qui étaient restés là la nuit précédente, seuls
Willard Richards et John Taylor étaient encore avec Joseph et Hyrum.
Plus tôt dans la journée, des visiteurs avaient fait passer
clandestinement deux pistolets aux prisonniers : un revolver à six
coups et un pistolet à un coup, en cas d’attaque. Stephen avait aussi
laissé une canne solide qu’il appelait le « correcteur de voyous ».
Pour remonter le moral et faire passer le temps, John chanta un
cantique britannique qui était récemment devenu populaire parmi les
saints. Ses paroles parlaient d’un humble étranger dans le besoin qui
finit par s’avérer être le Sauveur.
Le vagabond, en un instant,
Se transforma devant mes yeux
Jésus se tenait souriant
Devant moi pour rentrer aux cieux.
Il dit en prononçant mon nom :
« Mon fils, au pauvre tu fus bon !
Et tes actions parlent pour toi ;
Un jour tu seras avec moi ! »
Lorsqu’il eut terminé, Hyrum lui demanda de le rechanter.
À quatre heures de l’après-midi eut lieu la relève de la garde. Joseph
entama la conversation avec un garde à la porte pendant qu’Hyrum et
Willard parlaient doucement ensemble. Au bout d’une heure, leur geôlier
entra dans la pièce et demanda aux prisonniers s’ils voulaient être
installés dans une cellule plus sûre en cas d’attaque.
Joseph dit : « Nous irons après souper. » Le geôlier partit et Joseph
se tourna vers Willard. Il demanda : « Si nous allons dans la prison,
iras-tu avec nous ?
— Penses-tu que je vous abandonnerais maintenant ? Si vous êtes
condamnés à être pendus pour trahison, je serai pendu à votre place et
vous serez libérés.
— Tu ne peux pas.
— Je le ferai. »
Quelques minutes plus tard, les prisonniers entendirent un bruissement
à la porte et trois ou quatre coups de feu. Willard jeta un coup d’œil
par la fenêtre ouverte et vit une centaine d’hommes, le visage noirci
de boue et de poudre à canon, prendre l’entrée de la prison d’assaut.
Joseph attrapa l’un des pistolets pendant qu’Hyrum saisissait l’autre.
John et Willard prirent les cannes et les empoignèrent comme des
massues. Les quatre hommes se pressèrent contre la porte pendant que
les émeutiers se ruaient en haut des marches et tentaient de forcer le
passage.
On entendit un coup de feu dans la cage d’escalier lorsque les
émeutiers tirèrent sur la porte. Joseph, John et Willard bondirent de
part et d’autre de celle-ci au moment où une balle faisait voler le
bois en éclat. Elle frappa Hyrum au visage et il se retourna et
s’éloigna en titubant de la porte. Une autre l’atteignit dans le bas du
dos. Son pistolet se déchargea et il tomba sur le sol.
Joseph s’écria : « Ô mon frère Hyrum ! » Attrapant son six coups, il
ouvrit la porte de quelques centimètres et tira. D’autres balles de
mousquet volèrent dans la pièce et Joseph tira au hasard sur les
émeutiers pendant que John se servait d’une canne pour abaisser les
canons des pistolets et les baïonnettes qui pointaient par la porte
entrebâillée.
Lorsque le pistolet de Joseph s’enraya deux ou trois fois, John courut
à la fenêtre et essaya de grimper sur le large rebord. Une balle de
mousquet traversa la pièce et l’atteignit à la jambe, lui faisant
perdre l’équilibre. Son corps se paralysa, il s’écrasa contre le rebord
de la fenêtre brisant sa montre à gousset à dix-sept heures seize.
Il cria : « Je suis touché ! »
Il se traîna sur le sol et roula sous le lit tandis que les émeutiers
tiraient encore et encore. Une balle lui déchira la hanche, lui
arrachant un morceau de chair. Deux autres balles l’atteignirent au
poignet et à l’os juste au-dessus du genou.
De l’autre côté de la pièce, Joseph et Willard s’efforçaient d’appuyer
de tout leur poids sur la porte pendant que Willard détournait les
canons des mousquets et les baïonnettes devant lui. Soudain, Joseph
laissa tomber son revolver sur le sol et se précipita vers la fenêtre.
Au moment où il enjamba le rebord, deux balles l’atteignirent dans le
dos. Une autre arriva par la fenêtre et le transperça au-dessous du
cœur.
Il cria : « Oh Seigneur, mon Dieu ! » Son corps bascula vers l’avant et
il plongea la tête la première par la fenêtre.
Willard se précipita de l’autre côté de la pièce et passa la tête à
l’extérieur tandis que les balles sifflaient autour de lui. Il vit les
émeutiers s’agglutiner autour du corps sanguinolent de Joseph. Le
prophète était étendu sur son côté gauche, à côté d’un puits en
pierres. Willard regarda, espérant voir un signe que son ami était
encore en vie. Les secondes passèrent et il ne vit aucun mouvement.
Joseph Smith, le prophète et voyant du Seigneur était mort.
CHAPITRE 45 : Une fondation toute-puissante
Le 28 juin, avant le lever du soleil, Emma répondit à un coup pressant
à la porte. Elle trouva son neveu, Lorenzo Wasson, debout sur le seuil,
couvert de poussière. Ses paroles confirmèrent ses pires craintes.
Rapidement, la ville entière fut réveillée par Porter Rockwell qui
parcourait les rues à cheval en criant la nouvelle de la mort de
Joseph. Une foule se rassembla presque immédiatement devant chez les
Smith mais Emma resta à l’intérieur avec ses enfants et uniquement une
poignée d’amis et de pensionnaires. Sa belle-mère, Lucy Smith, faisait
les cent pas dans sa chambre en regardant par la fenêtre d’un air
absent. Les enfants étaient blottis les uns contre les autres dans une
autre pièce.
Emma était assise, seule, pleurant en silence. Au bout d’un moment,
elle s’enfouit le visage dans les mains et cria : « Pourquoi suis-je
veuve et mes enfants orphelins ? »
En entendant ses sanglots, John Greene, le marshal de Nauvoo, entra
dans la pièce. Essayant de la consoler, il dit que ses afflictions
seraient pour elle une couronne de vie.
Elle répondit d’un ton sec : « Mon mari était ma couronne de vie.
Pourquoi, Ô Dieu, suis-je ainsi abandonnée ? »
Plus tard ce jour-là, Willard Richards et Samuel Smith arrivèrent à
Nauvoo avec les chariots transportant les corps de Joseph et d’Hyrum.
Pour les protéger de la chaleur du soleil d’été, ils avaient été placés
dans des cercueils de bois et recouverts de broussailles.
Willard et Samuel étaient profondément ébranlés par l’attaque de la
veille. Samuel avait essayé de rendre visite à ses frères en prison
mais avant de pouvoir atteindre Carthage, des émeutiers avaient tiré
sur lui et l’avaient poursuivi à cheval pendant plus de deux heures.
Pendant ce temps, Willard avait survécu à l’attaque avec uniquement une
petite blessure au lobe de l’oreille, accomplissant une prophétie que
Joseph avait faite un an plus tôt selon laquelle des balles
siffleraient autour de lui, frappant ses amis à droite et à gauche mais
sans faire le moindre trou à ses vêtements.
John Taylor, par contre, oscillait entre la vie et la mort dans un
hôtel à Carthage, trop blessé pour quitter la ville. La veille au soir,
Willard et John avaient écrit une courte lettre aux saints les
implorant de ne pas se venger du meurtre de Joseph et d’Hyrum. Lorsque
Willard avait terminé la lettre, John était tellement affaibli par tout
le sang qu’il avait perdu qu’il put à peine la signer.
En approchant du temple, Willard et Samuel furent accueillis par un
groupe de saints qui suivirent les chariots en ville. Presque tous les
habitants de Nauvoo se joignirent au cortège alors que les chariots
dépassaient lentement le site du temple et descendaient la colline
jusqu’à la Nauvoo Mansion. Les saints traversaient la ville en pleurant
ouvertement.
Lorsque le cortège arriva chez les Smith, Wilford monta sur l’estrade
d’où Joseph s’était adressé pour la dernière fois à la légion de
Nauvoo. Balayant du regard une foule de dix mille personnes, Willard
vit que beaucoup étaient en colère contre le gouverneur et les
émeutiers.
Il implora : « Faites confiance à la loi pour les réparations. Laissez
la vengeance au Seigneur. »
Ce soir-là, Lucy Smith s’arma de courage pendant qu’elle attendait avec
Emma, Mary et ses petits-enfants hors de la salle à manger de la Nauvoo
Mansion. Plus tôt, plusieurs hommes y avaient apporté les corps de
Joseph et d’Hyrum pour les laver et les habiller. Depuis, Lucy et sa
famille avaient attendu de pouvoir les voir. Lucy arrivait à peine à se
contenir et priait pour avoir la force de voir ses fils assassinés.
Lorsque les corps furent prêts, Emma entra la première mais s’affaissa
rapidement sur le sol et dut être portée hors de la pièce. Mary la
suivit, tremblante tandis qu’elle marchait. Avec ses deux plus jeunes
enfants accrochés à elle, elle s’agenouilla à côté d’Hyrum, lui prit la
tête dans les bras et sanglota. Lissant ses cheveux, elle dit : «
Est-ce qu’ils t’ont tué mon cher Hyrum ? » Le chagrin la submergea.
Aidée d’amis, Emma revint bientôt dans la pièce et rejoignit Mary aux
côtés d’Hyrum. Elle posa la main sur le front froid de son beau-frère
et lui parla doucement. Ensuite, se tournant vers ses amis, elle dit :
« Maintenant, je peux le voir. Je suis forte maintenant. »
Elle se leva et marcha sans aide vers le corps de Joseph.
S’agenouillant près de lui, elle posa la main sur sa joue et dit : «
Oh, Joseph, Joseph. Ont-ils fini par t’arracher à moi ! » Le jeune
Joseph s’agenouilla et embrassa son père.
Lucy était tellement bouleversée par la tristesse autour d’elle qu’elle
ne put parler. Elle pria en silence : « Mon Dieu. Pourquoi as-tu
abandonné cette famille ? » Son esprit fut envahi par le souvenir des
épreuves que sa famille avait traversées mais en regardant le visage
sans vie de ses fils, ils semblaient être en paix. Elle savait que
Joseph et Hyrum étaient maintenant hors de portée de leurs ennemis.
Elle entendit une voix dire : « Je les ai pris auprès de moi afin
qu’ils se reposent. »
Le lendemain, des milliers de personnes firent la queue à l’extérieur
de la Nauvoo Mansion pour rendre hommage aux deux frères. C’était une
journée d’été chaude et sans nuage. Heure après heure, les saints
entrèrent par une porte, passèrent à côté des cercueils et sortirent
par une autre porte. Les frères avaient été installés dans de beaux
cercueils habillés de tissu blanc et de velours noir et doux. Une
plaque de verre permettait aux amis des défunts de les voir une
dernière fois.
Après la visite, William Phelps prononça l’éloge funèbre du prophète
devant des milliers de saints. Il demanda : « Que dirai-je de Joseph le
voyant ? Il n’est pas arrivé dans le tourbillon de l’opinion publique
mais simplement au nom de Jésus-Christ.
Il est venu donner les commandements et la loi du Seigneur, bâtir des
temples et apprendre aux hommes à progresser en amour et en grâce. Il
est venu établir notre Église ici-bas, sur les principes purs et
éternels de la révélation, des prophètes et des apôtres. »
Après les obsèques, Mary Ann Young raconta la tragédie à Brigham qui
était à des centaines de kilomètres à l’est en train de faire campagne
pour Joseph avec plusieurs membres des Douze. Elle raconta : « Nous
avons subi de grandes afflictions ici depuis que tu es parti. Notre
cher frère Joseph Smith et Hyrum sont tombés, victimes d’émeutiers
féroces. » Elle assura à son mari que leur famille était en bonne santé
mais qu’elle ne savait pas à quel point elle était en sécurité. Les
trois dernières semaines, le courrier avait pratiquement cessé
d’arriver et les menaces d’attaques d’émeutiers étaient constantes.
Elle écrivit : « J’ai eu la bénédiction de ne pas céder à l’affolement
pendant la tempête. J’espère que tu seras prudent lors du trajet de
retour à la maison et que tu ne te montreras pas aux personnes qui
pourraient mettre ta vie en danger.
Le même jour, Vilate Kimball écrivit à Heber. Elle lui dit : « Jusqu’à
présent, je n’ai jamais pris la plume pour t’écrire en me trouvant dans
une situation aussi éprouvante que celle que nous connaissons
actuellement. Dieu me préserve d’être jamais témoin de quoi que ce soit
de semblable. »
Vilate avait entendu dire que William Law et ses partisans cherchaient
toujours à se venger des dirigeants de l’Église. Craignant pour la
sécurité de son mari, elle envisageait son retour à la maison avec
réticence. Elle écrivit : « Ma prière constante maintenant est que le
Seigneur nous protège et nous permette de tous nous retrouver. Je ne
doute pas qu’on cherche à attenter à ta vie mais puisse le Seigneur te
donner la sagesse d’échapper à leurs mains. »
Peu de temps après, Phebe Woodruff écrivit à ses parents et décrivit
l’attaque à Carthage. Elle témoigna : « Ces choses ne feront pas
davantage cesser l’œuvre que ne l’a fait la mort du Christ mais elles
la feront avancer avec encore plus de rapidité. Je crois que Joseph et
Hyrum sont là où ils peuvent maintenant faire encore plus de bien à
l’Église que lorsqu’ils étaient avec nous.
Je suis plus ferme que jamais dans ma foi. Je n’abandonnerai pas le
vrai mormonisme même si cela devait me coûter la vie dans l’heure qui
suit, car je sais avec certitude qu’il s’agit de l’œuvre de Dieu. »
Pendant que les lettres de Mary Ann, Vilate et Phebe voyageaient vers
l’est, Brigham Young et Orson Pratt entendaient des rumeurs selon
lesquelles Joseph et Hyrum avaient été tués mais personne ne pouvait le
confirmer. Puis, le 16 juillet, un membre de l’Église de la branche de
Nouvelle-Angleterre à qui ils rendaient visite reçut une lettre de
Nauvoo détaillant les tragiques nouvelles. Lorsqu’il lut la lettre,
Brigham eut l’impression que sa tête allait exploser. Il n’avait jamais
connu un tel désespoir.
Ses pensées se tournèrent immédiatement vers la prêtrise. Joseph avait
détenu toutes les clés nécessaires pour doter les saints et les sceller
pour l’éternité. Sans ces clés, l’œuvre du Seigneur ne pouvait pas
avancer. Pendant un instant, il craignit que le prophète ne les ait
emportées au tombeau.
Puis, dans un éclair de révélation, il se souvint qu’il les avait
conférées aux douze apôtres. Se frappant d’un coup sec sur les genoux,
il dit : « Les clés du royaume sont ici-même avec l’Église. »
Brigham et Orson se rendirent à Boston pour se réunir avec les autres
apôtres qui se trouvaient dans les États de l’Est. Ils décidèrent de
rentrer immédiatement chez eux et conseillèrent à tous les
missionnaires qui avaient une famille à Nauvoo de faire de même.
Brigham dit aux saints de la région : « Réjouissez-vous. Lorsque Dieu
envoie un homme faire une œuvre, les démons de l’enfer ne peuvent le
tuer avant qu’il n’ait terminé. » Il témoigna qu’avant sa mort, Joseph
avait conféré aux Douze toutes les clés de la prêtrise, laissant aux
saints tout ce dont ils avaient besoin pour continuer.
À Nauvoo, tout en pleurant son mari, Emma commença à se demander
comment elle allait subvenir seule aux besoins de ses enfants et de sa
belle-mère. Joseph avait fait de nombreuses démarches légales pour
séparer les biens de sa famille de ceux de l’Église mais il laissait
quand même derrière lui des dettes importantes et aucun testament. Elle
craignait qu’à moins que l’Église ne nomme rapidement un administrateur
pour remplacer Joseph en tant que gestionnaire des biens de celle-ci,
sa famille ne soit laissée dans le dénuement.
L’opinion des dirigeants de l’Église à Nauvoo divergeait quant au choix
de la ou des personnes ayant l’autorité de faire cette nomination.
Certains croyaient que la responsabilité incombait à Samuel Smith,
l’aîné des frères de Joseph en vie, mais ce dernier était tombé malade
après que les émeutiers l’avaient chassé de Carthage et était mort
subitement à la fin du mois de juillet. D’autres croyaient que les
dirigeants de pieu locaux devaient choisir le nouvel administrateur.
Willard Richards et William Phelps voulaient reporter la décision
jusqu’à ce que les Douze soient rentrés de mission dans les États de
l’Est afin qu’ils puissent participer au choix.
Cependant, Emma était impatiente qu’une décision soit prise et voulait
que les dirigeants de l’Église désignent immédiatement un
administrateur. Elle jeta son dévolu sur William Marks, le président du
pieu de Nauvoo. L’évêque Whitney s’opposa fermement au choix car
William avait rejeté le mariage plural et se souciait peu des
ordonnances du temple.
En privé, il déclara : « Si Marks est nommé, nos bénédictions
spirituelles seront détruites puisqu’il n’est pas en faveur des
affaires les plus importantes. » Sachant que l’Église était bien plus
qu’une société avec des participations financières et des obligations
légales, il croyait que le nouvel administrateur devait être quelqu’un
qui soutenait entièrement ce que le Seigneur avait révélé à Joseph.
Vers cette époque-là, John Taylor se remit suffisamment de ses
blessures pour revenir à Nauvoo. Parley Pratt rentra aussi de mission
et se joignit à John, Willard Richards et William Phelps pour exhorter
Emma et William Marks à attendre le retour des autres apôtres. Ils
croyaient qu’il était nettement plus important de choisir le nouvel
administrateur par l’autorité compétente que de parvenir rapidement à
une décision.
Ensuite, le 3 août, Sidney Rigdon revint à Nauvoo. En tant que
colistier de Joseph dans la campagne présidentielle, Sidney s’était
installé dans un autre État afin de satisfaire aux exigences de la loi
relatives à sa candidature. En apprenant la mort du prophète, Sidney
s’était précipité en Illinois, certain que son poste dans la Première
Présidence lui donnait le droit de diriger l’Église.
Pour donner du poids à sa revendication, il annonça également qu’il
avait reçu de Dieu une vision lui montrant que l’Église avait besoin
d’un gardien, quelqu’un qui s’occuperait d’elle en l’absence de Joseph
et continuerait de parler en son nom.
L’arrivée de Sidney inquiéta Parley et les autres apôtres à Nauvoo. La
dispute au sujet de l’administrateur montrait clairement que l’Église
avait besoin d’une autorité présidente pour prendre les décisions
importantes. Néanmoins, ils savaient que Sidney, comme William Marks,
avait rejeté de nombreux enseignements et pratiques que le Seigneur
avait révélés à Joseph. Chose plus importante, ils savaient que ces
dernières années, Joseph avait compté de moins en moins sur Sidney et
ne lui avait pas conféré toutes les clés de la prêtrise.
Le lendemain de son arrivée, Sidney offrit publiquement de diriger
l’Église. Il ne parla pas d’achever le temple ni de doter les saints de
puissance spirituelle. Il les mit plutôt en garde contre des temps
difficiles à venir et leur promit de les guider courageusement à
travers les derniers jours.
Plus tard, lors d’une réunion des dirigeants de l’Église, il insista
pour qu’on réunisse les saints deux jours plus tard afin de choisir un
nouveau dirigeant et de nommer un administrateur. Alarmés, Willard et
les autres apôtres exigèrent plus de temps afin d’examiner les
affirmations de Sidney et d’attendre le retour du reste du collège.
William Marks trouva un compromis en programmant la réunion pour le 8
août, quatre jours plus tard.
Le soir du 6 août, la nouvelle se répandit rapidement que Brigham
Young, Heber Kimball, Orson Pratt, Wilford Woodruff et Lyman Wight
étaient arrivés à Nauvoo par bateau à vapeur. Bientôt, les saints
saluaient les apôtres dans les rues tandis qu’ils rentraient chez eux.
Le lendemain après-midi, les apôtres nouvellement arrivés rejoignirent
Willard Richards, John Taylor, Parley Pratt, et George A. Smith à une
réunion avec Sidney et les autres conseils de l’Église. À ce moment-là,
Sidney avait changé d’avis sur le choix du nouveau dirigeant le 8 août.
Au lieu de cela, il dit qu’il voulait faire une réunion de prière avec
les saints ce jour-là, reportant la décision jusqu’à ce que les
dirigeants de l’Église puissent s’unir et « se réchauffer mutuellement
le cœur ».
Il insistait quand même sur le fait qu’il était de son droit de diriger
l’Église. Il dit aux conseils : « Il m’a été montré que cette Église
doit être édifiée en hommage à Joseph et que toutes les bénédictions
que nous recevons doivent venir par son intermédiaire. » Il dit que sa
vision récente n’était que la continuité de la grande vision des cieux
qu’il avait eue avec Joseph plus de dix ans auparavant.
Faisant allusion à une révélation que le prophète avait reçue en 1833,
il poursuivit : « J’ai été ordonné comme porte-parole de Joseph et je
dois venir à Nauvoo m’assurer que l’Église est gouvernée correctement. »
Les paroles de Sidney n’impressionnèrent pas Wilford. Il nota dans son
journal : « C’était un genre de vision de deuxième classe. »
Lorsque Sidney eut fini de parler, Brigham se leva et témoigna que
Joseph avait conféré toutes les clés et tous les pouvoirs de
l’apostolat aux Douze. Il dit : « Peu m’importe qui dirige l’Église,
mais il y a une chose que je dois savoir, c’est ce que Dieu en dit. »
Le 8 août, le jour de la réunion de prière de Sidney, Brigham manqua
une réunion matinale avec son collège, chose qu’il n’avait jamais
faite. En sortant de chez lui, il vit que des milliers de saints
s’étaient rassemblés dans le bosquet près du temple. Il y avait du vent
ce matin-là et Sidney, debout dans un chariot, lui tournait le dos. Au
lieu d’une réunion de prière, il proposait de nouveau d’être le gardien
de l’Église.
Il parla pendant plus d’une heure, témoignant que Joseph et Hyrum
détiendraient leur autorité de la prêtrise tout au long de l’éternité
et avaient suffisamment organisé les conseils de l’Église pour la
diriger après leur mort. Il déclara : « Chaque homme se tiendra à sa
place et assumera son appel devant Jéhovah. » Il proposa de nouveau que
sa place et son appel soient celui de porte-parole de Joseph. Il ne
souhaitait pas de vote de l’assemblée à ce sujet mais il voulait que
les saints connaissent son opinion.
Lorsqu’il eut terminé, Brigham demanda à la foule de rester quelques
instants de plus. Il dit qu’il aurait voulu avoir le temps de pleurer
le décès de Joseph avant de régler les affaires de l’Église mais qu’il
sentait l’urgence parmi les saints de choisir un nouveau dirigeant. Il
craignait que certains d’entre eux ne s’emparent du pouvoir à
l’encontre de la volonté de Dieu.
Pour résoudre la question, il leur demanda de revenir plus tard, dans
l’après-midi, soutenir un nouveau dirigeant de l’Église. Ils voteraient
par collège et en tant que corps de l’Église. Il dit : « Nous pouvons
traiter l’affaire en cinq minutes. Nous n’allons pas agir au détriment
les uns des autres et chaque homme et chaque femme dira amen. »
Cet après-midi-là, Emily Hoyt retourna au bosquet pour la réunion.
Cousine du prophète, Emily approchait la quarantaine et était diplômée
de l’académie des enseignants. Ces quelques dernières années, son mari,
Samuel, et elle, s’étaient attachés à Joseph et Hyrum et la mort subite
des frères les avait attristés. Bien qu’ils habitassent de l’autre côté
du fleuve, en Iowa, Emily et Samuel étaient venus à Nauvoo ce jour-là
pour assister à la réunion de prière de Sidney.
Vers quatorze heures, les collèges et conseils de la prêtrise prirent
place ensemble sur l’estrade et autour. Brigham Young se leva ensuite
pour s’adresser aux saints. « On a beaucoup parlé du président Rigdon
devenant président de l’Église mais je vous dis que le Collège des
Douze détient les clés du royaume de Dieu dans le monde entier. »
En écoutant Brigham parler, Emily se surprit à lever les yeux vers lui
pour s’assurer que ce n’était pas Joseph qui était en train de parler.
Il avait des expressions de ce dernier, sa méthode de raisonnement et
même le son de sa voix.
« Frère Joseph, le prophète, a posé les fondements d’une grande œuvre
et nous allons bâtir par-dessus. C’est un fondement tout-puissant qui a
été posé et nous pouvons bâtir un royaume tel qu’il n’en a jamais
existé dans le monde. Nous pouvons bâtir un royaume plus vite que Satan
ne peut éliminer les saints. »
Mais ils doivent collaborer, déclara Brigham, en suivant la volonté du
Seigneur et en vivant par la foi. Il dit : « Si vous voulez que Sidney
Rigdon ou William Law vous dirige, ou n’importe qui d’autre, vous êtes
libres de les avoir mais je vous dis au nom du Seigneur qu’aucun homme
ne peut en placer un autre entre les Douze et le prophète Joseph.
Pourquoi ? Il a remis entre nos mains les clés du royaume dans cette
dernière dispensation, pour le monde entier. »
Sentant que l’Esprit et la puissance qui avaient reposé sur Joseph
reposaient maintenant sur Brigham, Emily regarda l’apôtre demander aux
saints de soutenir les Douze en qualité de dirigeants de l’Église. Il
dit : « Chaque homme, chaque femme, chaque collège est maintenant en
place. Que tous ceux qui sont en faveur de cela dans toute l’assemblée
des saints le manifestent en levant la main droite. »
Emily et toute l’assemblée levèrent la main.
Brigham dit : « Il y a beaucoup à faire. Le fondement est posé par
notre prophète et nous bâtirons dessus. Aucun autre fondement que
celui-là ne peut être posé et si telle est la volonté de Dieu, nous
aurons notre dotation. »
Sept ans plus tard, Emily enregistra le moment où elle vit Brigham
parler aux saints sur l’estrade, témoignant à quel point ses traits et
sa voix ressemblaient à ceux de Joseph. Dans les années qui suivirent,
des dizaines de saints ajoutèrent leur témoignage au sien, décrivant
comment ils virent le manteau de prophète de Joseph retomber sur
Brigham ce jour-là.
Emily écrivit : « Si quelqu’un doute du droit qu’avait Brigham de gérer
les affaires pour les saints, tout ce que j’ai à lui dire c’est
d’obtenir l’Esprit de Dieu et de chercher à savoir par lui-même. Le
Seigneur pourvoira aux besoins des siens. »
Le lendemain de la conférence, Wilford sentit que la tristesse planait
toujours sur la ville. Il écrivit dans son journal : « Le prophète et
le patriarche sont partis et il semble qu’il y ait peu d’ambition de
faire quoi que ce soit. » Tout de même, Wilford et les Douze se mirent
immédiatement au travail. Ils se réunirent cet après-midi-là et
nommèrent les évêques Newel Whitney et George Miller pour servir
d’administrateurs de l’Église et résoudre les problèmes relatifs aux
finances de Joseph.
Trois jours plus tard, ils appelèrent Amasa Lyman au Collège des Douze
et divisèrent l’Est des États-Unis et le Canada en districts présidés
par des grands prêtres. Brigham, Heber et Willard appelleraient des
hommes à ces postes et superviseraient l’Église en Amérique pendant que
Wilford se rendrait avec Phebe en Angleterre pour présider la mission
britannique et gérer son imprimerie.
Pendant que Wilford se préparait pour sa mission, les autres apôtres
s’efforçaient de fortifier l’Église à Nauvoo. Lors de la réunion du 8
août, les saints avaient soutenu les Douze mais certains hommes
tentaient déjà de diviser l’Église et de détourner des gens. L’un
d’eux, James Strang, était un nouveau membre qui prétendait être en
possession d’une lettre de Joseph le désignant comme véritable
successeur. James avait un foyer dans le Wisconsin et il voulait que
les saints s’y rassemblent.
Brigham les avertit de ne pas suivre les dissidents. Il les exhorta : «
Ne vous éparpillez pas. Restez ici à Nauvoo, édifiez le temple et
obtenez votre dotation. »
L’achèvement du temple restait l’objectif central de l’Église. Le 27
août, la veille de leur départ pour l’Angleterre, Wilford et Phebe
visitèrent le temple avec des amis. Debout au pied de ses murs qui
atteignaient presque le haut du premier étage, Wilford et Phebe
admirèrent la manière dont le clair de lune faisait ressortir la
grandeur et la sublimité de l’édifice.
Ils gravirent une échelle jusqu’au sommet des murs et s’agenouillèrent
pour prier. Wilford exprima sa reconnaissance au Seigneur d’avoir donné
aux saints le pouvoir de construire le temple et l’implora pour qu’ils
soient en mesure de le terminer, de recevoir la dotation et de planter
l’œuvre de Dieu dans le monde entier. Il lui demanda également de
protéger Phebe et lui-même dans le champ de la mission.
Il pria : « Permets-nous d’accomplir notre mission en justice et de
pouvoir revenir dans ce pays et fouler les cours de la maison du
Seigneur en paix. »
Le lendemain, juste avant le départ des Woodruff, Brigham donna une
bénédiction à Phebe pour l’œuvre qui l’attendait. Il promit : « Tu
seras bénie pendant la mission que tu fais en commun avec ton mari et
il se fera par toi beaucoup de bien. Si tu pars en toute humilité, tu
seras protégée pour pouvoir revenir et retrouver les saints dans le
temple du Seigneur et tu t’y réjouiras. »
Plus tard dans l’après-midi, Wilford et Phebe prirent la route de
l’Angleterre. Parmi les missionnaires qui les accompagnaient se
trouvaient Dan Jones et Jane, sa femme qui partaient pour le pays de
Galles pour accomplir la prophétie de Joseph.
CHAPITRE 46 : Dotés de pouvoir
À l’automne 1844, le Collège des Douze envoya une épître à tous les
saints de partout. Il annonça : « Le temple exige nécessairement notre
plus grande attention. » Il les encouragea à envoyer de l’argent, des
fournitures et des ouvriers pour accélérer les travaux. Une dotation de
pouvoir les attendait. Tout ce dont ils avaient besoin, c’était d’un
endroit où la recevoir.
Les saints en ressentaient également l’urgence. Fin septembre, Peter
Maughan écrivit à Willard Richards au sujet de leur nouvelle mine de
charbon, à cent soixante kilomètres en amont du Mississippi. Peter et
Mary avaient récemment vendu leur maison à Nauvoo, utilisé l’argent
pour acheter la mine pour l’Église et installé leur famille dans une
cabane rustique près du lieu de travail. Néanmoins, Peter aspirait déjà
à être de retour à Nauvoo à tailler la pierre pour la maison du
Seigneur.
Il dit à Willard : « La seule chose qui me taraude est que les travaux
du temple se poursuivent et que je suis privé de l’honneur d’y
participer. »
Les murs du temple s’élevant, Brigham était déterminé à poursuivre
l’œuvre que Joseph avait commencée. Suivant l’exemple du prophète, il
priait souvent avec les saints dotés et demandait au Seigneur de
protéger et d’unir l’Église. Les baptêmes pour les morts, qui avaient
cessé au décès de Joseph, reprirent au sous-sol du temple. Des anciens
et des soixante-dix repartirent en plus grand nombre dans le champ de
la mission.
Mais les difficultés n’étaient jamais loin. En septembre, Brigham et
les Douze apprirent que Sidney Rigdon complotait contre eux et
dénonçait Joseph comme prophète déchu. Ils l’accusèrent d’apostasie et
l’évêque Whitney et le grand conseil l’excommunièrent. Il quitta Nauvoo
peu après, prédisant que les saints n’achèveraient jamais le temple.
Toujours soucieuse du bien-être de sa famille, Emma Smith refusa
également d’accorder son plein appui aux apôtres. Elle coopéra avec les
administrateurs qu’ils avaient nommés pour s’occuper de la succession
de Joseph mais les disputes pour les papiers et autres possessions de
son mari l’énervaient. Cela la dérangeait également que les apôtres
continuent d’enseigner et de pratiquer le mariage plural en privé.
Les femmes scellées à Joseph en tant qu’épouses plurales ne
prétendirent pas à sa succession. Après sa mort, certaines retournèrent
auprès de leur famille. D’autres épousèrent des membres des Douze qui
firent alliance de s’occuper d’elles et de pourvoir à leurs besoins en
l’absence du prophète. Discrètement, les apôtres continuaient
d’enseigner le mariage plural à d’autres saints, épousaient de
nouvelles femmes plurales et fondaient des familles avec elles.
Au début de l’année 1845, les plus gros problèmes des saints venaient
de l’extérieur de l’Église. Thomas Sharp et huit autres hommes avaient
été accusés du meurtre de Joseph et d’Hyrum mais personne ne
s’attendait à ce qu’ils soient condamnés. Pendant ce temps, les
législateurs de l’État essayèrent d’affaiblir la puissance politique
des membres de l’Église en révoquant la charte de la ville de Nauvoo.
Le gouverneur Ford soutint leur démarche et, à la fin du mois de
janvier 1845, le corps législatif dépouilla les saints de leur droit
d’adopter et de faire respecter les lois et fit dissoudre la légion de
Nauvoo ainsi que les forces de police locales.
Sans ces protections, Brigham craignait que les saints ne soient à la
merci des attaques de leurs ennemis. Pourtant, le temple était loin
d’être terminé et s’ils fuyaient la ville, ils pouvaient difficilement
s’attendre à recevoir leur dotation. Ils avaient besoin de temps pour
achever l’œuvre que le Seigneur leur avait confiée mais rester à Nauvoo
ne serait-ce qu’une année risquait de mettre la vie de tout le monde en
danger.
Brigham se mit à genoux et pria pour savoir ce que les saints devaient
faire. Le Seigneur répondit simplement : « Rester et finir le temple. »
Le matin du 1er mars, Lewis Dana, trente-huit ans, fut le premier
Amérindien à devenir membre du conseil de cinquante. À la mort de
Joseph, les réunions de conseil avaient cessé mais, une fois que la
charte de Nauvoo fut révoquée et que les saints eurent pris conscience
que leurs jours à Nauvoo étaient comptés, les Douze convoquèrent le
conseil pour aider à gouverner la ville et planifier son évacuation.
Membre de la nation Oneida, Lewis s’était fait baptiser avec sa famille
en 1840. Il avait fait plusieurs missions, notamment une dans le
territoire indien à l’ouest des États-Unis et s’était aventuré
jusqu’aux montagnes Rocheuses. Sachant qu’il avait des amis et des
parents parmi les nations indiennes de l’Ouest, Brigham l’invita à se
joindre au conseil et à parler de ce qu’il savait des gens et des
terres là-bas.
Lewis dit au conseil : « Au nom du Seigneur, je suis disposé à faire
tout ce que je peux. »
Au fil des années, les saints étaient de plus en plus aigris contre le
gouvernement de leur nation pour avoir refusé son aide. Les dirigeants
de l’Église étaient maintenant déterminés à quitter le pays et à mettre
en œuvre le plan de Joseph d’établir un nouveau lieu de rassemblement
où ils pourraient élever une bannière pour les nations, comme le
prophète Ésaïe l’avait prédit, et respecter les lois de Dieu en paix.
Comme Joseph, Brigham voulait que le nouveau lieu de rassemblement se
situe dans l’Ouest, parmi les Indiens, qu’il espérait rassembler comme
une branche dispersée d’Israël.
S’adressant au conseil, il proposa d’envoyer Lewis et plusieurs autres
membres en expédition vers l’ouest pour rencontrer les Indiens de
plusieurs nations et expliquer l’objectif des saints en s’installant
dans l’Ouest. Ils découvriraient aussi des lieux de rassemblement
possibles.
Heber Kimball approuva le plan. Il dit : « Le temps que ces hommes
cherchent cet endroit, le temple sera terminé et les saints auront reçu
leur dotation. »
Le conseil approuva l’expédition et Lewis accepta de la diriger. En
mars et avril, il assista aux réunions du conseil et suggéra à ses
collègues des idées sur la meilleure façon de s’équiper pour
l’expédition et d’atteindre son objectif. Fin avril, le conseil désigna
quatre hommes pour accompagner Lewis dans son périple, notamment
Phineas, le frère de Brigham, et un converti récent appelé Solomon
Tindall, un Mohegan adopté par les Delaware.
Le convoi quitta Nauvoo peu après, traversant le Missouri en direction
du territoire au sud-ouest.
Sur l’île de Tubuai, dans le Pacifique Sud, Addison Pratt calcula que
cela faisait presque deux ans qu’il avait laissé sa femme et ses
enfants à Nauvoo. Louisa lui avait certainement écrit, tout comme il
l’avait fait à chaque occasion, mais il n’avait reçu aucun courrier de
sa famille.
Malgré cela, il était reconnaissant envers le peuple de Tubuai qui lui
avait permis de se sentir chez lui. La petite île comptait environ deux
cents habitants et Addison avait travaillé dur, apprit leur langue et
s’était fait de nombreux amis. Au bout d’une année sur l’île, il avait
baptisé soixante personnes, dont Repa, la fille aînée du roi local. Il
avait aussi baptisé un couple appelé Nabota et Telii, qui avaient
partagé tout ce qu’ils avaient avec lui et l’avaient traité comme un
membre de la famille. Pour Addison, c’était un festin spirituel que
d’entendre Nabota et Telii prier pour les saints de Nauvoo et remercier
le Seigneur de l’avoir envoyé en mission.
Même s’il avait le mal du pays en pensant à Louisa et à ses filles,
cela lui donnait aussi l’occasion de réfléchir à la raison de leur
sacrifice. Il était à Tubuai en raison de son amour pour Jésus-Christ
et de son désir de sauver les enfants de Dieu. En sillonnant l’île pour
rendre visite aux saints de Tubuai, il sentait souvent une chaleur et
un amour qui émouvaient les personnes qui l’entouraient et lui-même
jusqu’aux larmes.
Il écrivit dans son journal : « J’ai fait des amitiés ici que rien
d’autre que les liens de l’Évangile éternel n’aurait pu créer. »
Trois mois plus tard, en juillet 1845, il apprit la mort de Joseph et
d’Hyrum dans une lettre de Noah Rogers, son collègue missionnaire, qui
servait alors plus loin à Tahiti. En lisant le récit des meurtres, son
sang se glaça dans ses veines.
Environ une semaine plus tard, Noah lui écrivit de nouveau. L’œuvre
missionnaire à Tahiti et sur les îles environnantes avait rencontré
moins de succès qu’à Tubuai et les nouvelles de Nauvoo le perturbaient.
Il avait une femme et neuf enfants à la maison et s’inquiétait pour
leur sécurité. Ils avaient beaucoup souffert pendant le conflit du
Missouri et il ne voulait pas qu’ils endurent d’autres épreuves sans
lui. Il avait l’intention de prendre le prochain bateau de retour.
Addison avait toutes les raisons de le suivre. Avec la disparition de
Joseph, il s’inquiétait lui aussi pour sa famille et pour l’Église. Il
écrivit dans son journal : « Ce que seront les résultats, le Seigneur
seul le sait. »
Noah partit quelques jours plus tard mais Addison décida de rester avec
les saints de Tubuai. Le dimanche suivant, il prêcha trois sermons dans
le dialecte local et un en anglais.
En Illinois, Louisa Pratt rendit visite à ses amis Erastus et Ruhamah
Derby à Bear Creek, une petite colonie au sud de Nauvoo. Pendant
qu’elle y était, des émeutiers incendièrent une colonie de saints
voisine. Erastus partit immédiatement les défendre, laissant les deux
femmes garder la maison au cas où des émeutiers attaqueraient aussi
Bear Creek.
Cette nuit-là, Ruhamah fut trop effrayée pour dormir et insista pour
monter la garde pendant que Louisa dormait. Lorsqu’elle se réveilla le
matin, Louisa trouva son amie épuisée mais toujours sur le qui-vive.
Une journée tendue se déroula sans incident et lorsque la nuit revint,
Louisa essaya de convaincre Ruhamah de la laisser monter la garde. Au
début, cette dernière semblait trop effrayée pour lui faire confiance
mais elle finit par la persuader de dormir.
Lorsqu’Erastus revint quelques jours plus tard, les deux femmes étaient
éreintées mais saines et sauves. Il leur dit que les membres de la
colonie voisine vivaient sous des tentes et dans des chariots, exposés
à la pluie et à la fraîcheur de la nuit. Lorsque Brigham eut vent de la
nouvelle, il demanda aux saints qui habitaient hors de Nauvoo de se
rassembler dans la sécurité de la ville. Espérant juguler la violence
des émeutiers et gagner du temps pour accomplir le commandement du
Seigneur de terminer le temple, il promit au gouverneur Ford qu’ils
quitteraient la région d’ici le printemps.
Lorsque Louisa apprit cela, elle ne sut que faire. Avec Addison de
l’autre côté du globe, elle avait l’impression de n’avoir ni les
capacités ni les moyens de déplacer sa famille. Plus elle pensait à
abandonner Nauvoo, plus elle était anxieuse.
Après une semaine de pluie, les cieux au-dessus de Nauvoo
s’éclaircirent à temps pour la conférence de l’Église d’octobre 1845.
La journée était inhabituellement chaude tandis que les saints de tous
les coins de la ville gravissaient la colline jusqu’au temple et
prenaient place dans la nouvelle salle de réunion du rez-de-chaussée.
Bien que le reste de son intérieur fût largement inachevé, les murs
extérieurs et le toit du bâtiment étaient terminés et le clocher
étincelait au soleil.
En regardant les saints entrer en file dans la salle de réunion,
Brigham se sentit déchiré. Il ne voulait pas abandonner le temple ni
Nauvoo mais les attaques récentes des émeutiers n’étaient qu’un
avant-goût de ce qui arriverait s’ils restaient en ville plus
longtemps. Ce printemps-là, les hommes accusés du meurtre de Joseph et
d’Hyrum avaient également été acquittés, prouvant une nouvelle fois aux
saints que leurs droits et leurs libertés ne seraient pas respectés en
Illinois.
Les comptes-rendus de Lewis Dana sur l’expédition chez les Indiens
furent positifs et au fil des quelques dernières semaines, les apôtres
et le conseil de cinquante avaient discuté de nouveaux lieux de
rassemblement possibles. Les dirigeants de l’Église s’intéressaient à
la vallée du Grand Lac Salé, de l’autre côté des montagnes Rocheuses.
Les descriptions de la vallée du Lac Salé étaient prometteuses et
Brigham croyait que les saints pourraient s’installer près de là puis
se disperser et coloniser la côte Pacifique.
Malgré tout, la vallée se trouvait à deux mille deux cents kilomètres,
de l’autre côté d’un désert vaste et inconnu avec peu de routes et
presque aucun magasin où ils pourraient acheter de la nourriture et du
matériel. Les saints savaient déjà qu’ils devaient quitter Nauvoo mais
pouvaient-ils entreprendre un voyage aussi long et aussi
potentiellement dangereux ?
Brigham était certain qu’ils pouvaient le faire avec l’aide du Seigneur
et il avait l’intention de profiter de la conférence pour motiver et
rassurer les membres de l’Église. Parley Pratt parla le premier lors de
la session de l’après-midi, faisant allusion au projet de l’Église de
s’installer dans l’Ouest. Il déclara : « Le Seigneur a l’intention de
nous conduire vers un champ d’action plus étendu, où il y aura
davantage de place pour permettre aux saints de se multiplier et où
nous pourrons jouir des principes purs de la liberté et de droits
égaux. »
En 1897, George Q. GeorgeA. Smith se tint ensuite à la chaire et parla
des persécutions que les saints avaient subies au Missouri. Menacés par
un ordre d’extermination, ils avaient évacué l’État ensemble, faisant
alliance de n’abandonner personne. Il voulait qu’ils fassent la même
chose maintenant, qu’ils donnent tout ce qu’ils avaient pour aider ceux
qui ne pouvaient pas faire le voyage par leurs propres moyens.
Lorsqu’il eut terminé, Brigham proposa qu’ils fassent alliance les uns
avec les autres et avec le Seigneur de n’abandonner aucune personne qui
souhaitait aller dans l’Ouest. Heber Kimball demanda un vote de soutien
et les saints levèrent la main en signe de leur bonne volonté de
respecter leur serment.
Brigham promit : « Si vous êtes fidèles à votre alliance, je prophétise
maintenant que le grand Dieu déversera sur ce peuple des moyens
permettant d’accomplir cela à la lettre. »
Dans les mois qui suivirent la conférence, les saints firent usage de
chaque scie, marteau, enclume et aiguille à coudre pour fabriquer et
équiper les chariots pour le périple vers l’ouest. Les ouvriers
redoublèrent aussi d’efforts sur le temple afin qu’il soit suffisamment
achevé pour permettre aux saints de recevoir les ordonnances avant de
quitter la ville.
Pendant qu’ils préparaient les combles pour la dotation et les
scellements, les baptêmes pour les morts se poursuivaient au sous-sol.
Sous la direction du Seigneur, Brigham demanda que les hommes ne soient
plus baptisés en faveur de femmes ni les femmes en faveur d’hommes.
Plus tôt cette année-là, il avait enseigné aux saints : « Pendant sa
vie, Joseph n’a pas reçu toute chose en relation avec la doctrine de la
rédemption, mais il a laissé la clé à ceux qui comprennent comment
obtenir et enseigner à ce grand peuple tout ce qui est nécessaire à son
salut et son exaltation dans le royaume céleste de notre Dieu. »
La modification de l’ordonnance montrait que le Seigneur continuait de
révéler sa volonté à son peuple. Brigham déclara : « Pendant tout ce
temps, le Seigneur a dirigé ce peuple, de cette manière, en lui donnant
un peu ici et un peu là. Il le fait ainsi progresser en sagesse et
celui qui reçoit un peu et en est reconnaissant recevra davantage et
davantage et davantage. »
En décembre, les combles du temple furent achevés et les apôtres les
préparèrent pour la dotation. Avec l’aide d’autres saints, ils
suspendirent de lourds rideaux pour diviser la grande salle en
plusieurs pièces ornées de plantes et de peintures murales. À
l’extrémité est, ils cloisonnèrent un grand espace réservé à la salle
céleste, l’endroit le plus sacré du temple, et le décorèrent de
miroirs, de tableaux, de cartes et d’une magnifique horloge en marbre.
Les apôtres invitèrent ensuite les saints à entrer dans le temple
recevoir leurs bénédictions. Les hommes et les femmes qui avaient été
précédemment dotés remplirent tour à tour les divers rôles de la
cérémonie. Guidant les saints d’une pièce à l’autre, ils les
instruisirent davantage sur le plan de Dieu pour ses enfants et leur
firent contracter des alliances supplémentaires de vivre l’Évangile et
de se consacrer à l’édification de son royaume.
Vilate Kimball et Ann Whitney administraient les ordonnances de
l’ablution et de l’onction aux femmes. Eliza Snow, aidée par d’autres
femmes précédemment dotées, les guidait ensuite à travers le reste des
ordonnances. Brigham appela Mercy Thompson à s’installer à plein-temps
dans le temple pour participer à l’œuvre qui s’y déroulait.
Au début de la nouvelle année, les apôtres commencèrent à sceller les
couples pour le temps et l’éternité. Bientôt, plus d’un millier de
couples reçurent la nouvelle alliance éternelle du mariage. Parmi eux
se trouvaient Sally et William Phelps, Lucy et Isaac Morley, Ann et
Philo Dibble, Caroline et Jonathan Crosby, Lydia et Newel Knight,
Drusilla et James Hendricks et d’autres hommes et femmes qui avaient
suivi l’Église de lieu en lieu et consacré leur vie à Sion.
Les apôtres scellèrent également des enfants à leurs parents et des
hommes et des femmes à leur conjoint décédé. Joseph Knight, père, qui
s’était réjoui avec Joseph le matin où il avait rapporté les plaques
d’or à la maison, fut scellé par procuration à sa femme, Polly, la
première membre enterrée dans le comté de Jackson, au Missouri.
Certains participèrent à des scellements spéciaux d’adoption qui les
unissaient à la famille éternelle d’amis proches.
Le plan du Seigneur de former une chaîne soudée de saints et leur
famille, liés à lui et les uns aux autres par la prêtrise, devenait
avec chaque ordonnance une réalité.
Cet hiver-là, les ennemis de l’Église étaient en effervescence,
sceptiques que les saints tiennent leur promesse de partir au
printemps. Brigham et d’autres apôtres furent accusés faussement de
crimes, ce qui les obligea à rester hors de vue et même parfois à se
cacher dans le temple. Des rumeurs circulaient selon lesquelles le
gouvernement américain doutait de la loyauté des saints et voulait
envoyer des troupes pour les empêcher de quitter le pays et de se
liguer avec les puissances étrangères qui contrôlaient les terres
occidentales.
La pression pour partir était si intense que les apôtres décidèrent que
les dirigeants de l’Église, leurs familles et les autres personnes
ciblées par les persécutions devaient s’en aller dès que possible. Ils
croyaient qu’en traversant le Mississippi jusqu’en Iowa, cela
retiendrait leurs ennemis un peu plus longtemps et éviterait d’autres
actes de violence.
Début janvier 1846, les apôtres finalisèrent leurs plans pour l’exode
avec le conseil de cinquante. Avant de partir, ils nommèrent des agents
pour gérer les propriétés qu’ils abandonnaient et vendre ce qu’ils
pouvaient pour aider les plus pauvres à faire le voyage. Ils voulaient
également laisser quelques hommes sur place pour finir et consacrer le
temple.
Brigham et les Douze étaient maintenant décidés à rassembler les saints
dans les vallées derrières les montagnes Rocheuses. Après avoir jeûné
et prié quotidiennement dans le temple, Brigham avait eu une vision de
Joseph, l’index pointé vers le sommet d’une montagne où flottait une
bannière. Il lui avait dit de bâtir une ville à l’ombre de cette
montagne.
Brigham croyait que peu de gens convoiteraient la région qui était
moins fertile que les plaines à l’est des montagnes. Il espérait aussi
que ces dernières les protègeraient contre leurs ennemis et offriraient
un climat tempéré. Il souhaitait également qu’une fois installés dans
la vallée, ils établissent des ports sur la côte Pacifique pour
recevoir les émigrants arrivant d’Angleterre et de l’Est des États-Unis.
Le conseil fut de nouveau convoqué deux jours plus tard et Brigham
repensa au désir de Joseph d’accomplir la prophétie d’Ésaïe et de
hisser une bannière pour les nations. Il dit au conseil : « La parole
des prophètes ne se vérifiera jamais à moins qu’une maison du Seigneur
ne soit élevée aux sommets des montagnes et que la fière bannière de la
liberté ne flotte au-dessus des vallées encaissées dans les montagnes.
Je sais où se trouve l’endroit et je sais comment faire le drapeau. »
Le 2 février, après que des milliers de saints eurent reçu les
ordonnances du temple, les apôtres annoncèrent qu’ils allaient cesser
d’œuvrer dans le temple et préparer plutôt des bateaux pour transporter
les chariots de l’autre côté du Mississippi gelé. Brigham envoya des
messagers aux capitaines des compagnies leur commandant de se tenir
prêts sous quatre heures. Il continua ensuite à administrer la dotation
aux saints jusque tard dans la soirée, exigeant la présence des
greffiers du temple jusqu’à ce que chaque ordonnance soit correctement
enregistrée.
Lorsqu’il se leva le lendemain, une foule de saints vinrent à sa
rencontre à l’extérieur du temple, impatients de recevoir leur
dotation. Il leur dit qu’il n’était pas sage de retarder leur départ.
S’ils restaient pour faire d’autres dotations, ils risquaient d’être
gênés ou empêchés de sortir de la ville. Il promit qu’ils
construiraient d’autres temples et auraient d’autres possibilités de
recevoir leurs bénédictions dans l’Ouest.
Puis, il s’éloigna, s’attendant à ce que les saints se dispersent mais,
au contraire, ils gravirent les marches du temple et remplirent les
salles. Il fit demi-tour et les suivit à l’intérieur. En lisant
l’inquiétude sur leurs visages, il changea d’avis. Ils savaient qu’ils
avaient besoin de la dotation de pouvoir pour supporter les difficultés
qui les attendaient, vaincre l’aiguillon de la mort et retourner dans
la présence de Dieu.
Le reste de la journée, les servants du temple administrèrent les
ordonnances à des centaines de saints. Le lendemain, 4 février 1846,
cinq cents saints reçurent leur dotation pendant que les premiers
chariots quittaient Nauvoo.
Enfin, le 8 février, Brigham et les apôtres se réunirent à l’étage
supérieur du temple. Ils s’agenouillèrent autour de l’autel et
prièrent, invoquant la bénédiction de Dieu sur le peuple en partance
pour l’Ouest et sur ceux qui resteraient à Nauvoo pour achever le
temple et le lui consacrer.
Les jours et les semaines suivantes, des compagnies de saints
chargèrent leurs chariots et leurs bœufs sur des bacs et leur firent
traverser le fleuve, rejoignant ceux qui avaient déjà fait la
traversée. En grimpant sur le promontoire à quelques kilomètres à
l’ouest du fleuve, de nombreux saints regardèrent Nauvoo et firent avec
émotion leurs adieux au temple.
Jour après jour, Louisa Pratt regarda ses amis et ses voisins quitter
la ville. Elle redoutait toujours l’idée de partir vers l’ouest sans
l’aide ni la compagnie d’Addison. Tout le monde s’attendait à ce que le
voyage soit rempli de dangers imprévus mais jusqu’à présent, personne
ne lui avait demandé si elle était prête à le faire. Et aucun des
hommes qui avait appelé Addison en mission n’avait offert de l’aider à
déménager.
Le lendemain du jour où elle exprima ses sentiments, une amie dit : «
Sœur Pratt, ils s’attendent à ce que tu sois assez maline pour y aller
sans aide et même pour aider les autres. »
Louisa y réfléchit pendant un instant. Elle dit : « Bon, je vais leur
montrer ce dont je suis capable. »
La neige tournoyant autour d’elle, Emily Partridge frissonnait tandis
qu’elle était assise sur un arbre abattu le long de la berge
occidentale du Mississippi. Sa mère et ses sœurs avaient franchi le
fleuve six jours plus tôt et campaient dans les environs mais Emily ne
savait pas où. Comme de nombreux saints qui avaient quitté Nauvoo, elle
était fatiguée, affamée et appréhendait le voyage qui l’attendait.
C’était la quatrième fois qu’elle était chassée de chez elle à cause de
sa foi.
D’aussi loin que remontaient ses souvenirs, elle était sainte des
derniers jours. Enfant, elle avait regardé son père et sa mère endurer
persécution et pauvreté pour servir Jésus-Christ et établir Sion. À
seize ans, lorsque des émeutiers avaient chassé sa famille du Missouri,
Emily avait déjà passé une grande partie de sa vie à chercher un lieu
de refuge et de paix.
À presque vingt-deux ans, elle avait entrepris un autre voyage. À la
mort de Joseph, elle avait épousé Brigham Young en tant que femme
plurale. En octobre dernier, ils avaient eu un fils, Edward Partridge
Young, du nom du père d’Emily. Deux mois plus tard, elle entra dans le
temple et reçut sa dotation.
Si son bébé survivait au périple, il grandirait dans les montagnes, à
l’abri des émeutiers de la jeunesse de sa mère. Par contre, il ne
saurait jamais, comme Emily le savait, ce que c’était de vivre dans le
comté de Jackson ou à Nauvoo. Il ne rencontrerait jamais Joseph Smith
ni ne l’entendrait prêcher aux saints un dimanche après-midi.
Avant de franchir le fleuve, Emily était passée à la Nauvoo Mansion
pour voir le bébé de Joseph et Emma, David Hyrum, né cinq mois après la
mort du prophète. Les mauvais sentiments qui avaient existé entre Emma
et Emily avaient disparu et Emma l’invita à rentrer et la traita avec
gentillesse.
Emma et les enfants ne partaient pas vers l’ouest. Sa lutte pour
accepter le mariage plural et les disputes continuelles sur des biens
continuaient de compliquer ses rapports avec l’Église et les Douze.
Elle croyait toujours au Livre de Mormon et avait un puissant
témoignage de l’appel de prophète de son mari mais au lieu de suivre
les apôtres, elle avait choisi de rester à Nauvoo avec d’autres membres
de la famille Smith.
Assise au bord du Mississippi, Emily avait de plus en plus froid tandis
que de gros flocons s’accumulaient sur ses vêtements. Brigham était
encore à Nauvoo, en train de superviser l’exode, donc elle se leva et
porta son bébé d’un feu de camp à l’autre, à la recherche de chaleur et
d’un visage familier. Sous peu, elle retrouva sa sœur Eliza et se
joignit à elle dans un camp de saints installé dans un endroit appelé
Sugar Creek. Là, elle vit des familles blotties dans des tentes et des
chariots, se cramponnant les uns aux autres pour se tenir chaud et se
consoler du froid et d’un avenir incertain.
Nul dans le camp ne savait ce que le matin leur réserverait. Néanmoins,
ils ne s’élançaient pas aveuglément vers l’inconnu. Ils avaient fait
alliance avec Dieu dans le temple, ce qui fortifiait leur foi en son
pouvoir de les guider et de les soutenir pendant leur voyage. Chacun
était confiant que, quelque part dans l’Ouest, au creux des montagnes
Rocheuses, ils trouveraient un lieu où se rassembler, bâtir un autre
temple et établir le royaume de Dieu sur terre.
TOME
2
AUCUNE MAIN
IMPIE
1846-1893
PREMIÈRE PARTIE : Lève-toi
et va
(octobre
1845 - août 1852)
CHAPITRE 1 : Faites
un convoi
CHAPITRE 2 : Une
gloire suffisante
CHAPITRE 3 : La
volonté
du Seigneur
CHAPITRE 4 : Une
bannière pour les
nations
CHAPITRE 5 : Écrasé
par le fardeau
CHAPITRE 6 : Comme
sept tonnerres
CHAPITRE 7 :
Gardons courage
CHAPITRE 8 : Époque
de pénurie
CHAPITRE 9 :
Selon ce que
dicte l'Esprit
CHAPITRE 10 : La
vérité et la justice
DEUXIÈME
PARTIE : Préparez le
chemin du Seigneur
CHAPITRE 11 : Un
grand honneur
CHAPITRE 12 :
Tournés vers Sion
CHAPITRE 13 : Par
tous les moyens
possibles
CHAPITRE 14 :
Difficulté de la
séparation
CHAPITRE 15 : Par
tempête et par beau
temps
CHAPITRE
16 :
Sans douter
CHAPITRE 17 :
Réforme de la famille
CHAPITRE
18 :
Trop tard
CHAPITRE 19 : Dans
les chambres du
Seigneur
CHAPITRE 20 :
L'Écriture vue sur le
mur
CHAPITRE 21 : Une
même oeuvre et un même esprit
CHAPITRE 22
: Comme des
charbons ardents
CHAPITRE 23 : Un
tout harmonieux
TROISIÈME
PARTIE : L'heure de
l'épreuve
CHAPITRE 24 : Une
oeuvre immense
CHAPITRE 25 : La
dignité de l'appel
CHAPITRE 26 : Pour
le plus grand
profit de Sion
CHAPITRE 27 : Comme
un feu de prairie
CHAPITRE 28 :
Jusqu'à la venue du
Fils de l'Homme
CHAPITRE 29 :
Mourir sous le harnais
CHAPITRE 30 : Une
marche constante
CHAPITRE 31 : Les
fragments de ma vie
CHAPITRE
32 :
Relever notre col et
subir la pluie
CHAPITRE 33
:Jusqu'à ce que l'orage
soit passé
CHAPITRE 34
: Rien à craindre
des méchants
CHAPITRE 35 : Un
jour d'épreuve
CHAPITRE 36 : Les
choses faibles du
monde
QUATRIÈME
PARTIE : Un temple au coeur des montagnes
CHAPITRE 37 : Vers
le trône de la
grâce
CHAPITRE 38 : Quand
je le jugerai bon
CHAPITRE 39 : Entre
les mains de Dieu
CHAPITRE
40 :
C'était la chose à faire
CHAPITRE 41 : Si
longtemps submergé
CHAPITRE 42 : À la
fontaine divine
CHAPITRE 43 : Un
plus grand besoin
d'unité
CHAPITRE 44 : Une
paix bienheureuse
À PROPOS DES SOURCES
SOURCES
REMERCIEMENTS
PREMIÈRE
PARTIE
: Lève-toi
et va
(octobre
1845 - août 1852)
CHAPITRE
1 : Réunissez
un convoi
Des
milliers de saints des derniers jours font silence lorsque la voix de
Lucy Mack Smith résonne dans la grande salle du premier étage
du temple de Nauvoo presque achevé.
C’est
le matin du 8 octobre 1845, le troisième et dernier jour de la
conférence d’automne de l’Église de
Jésus-Christ des saints des derniers jours. Sachant qu’elle
n’aura plus beaucoup d’occasions de s’adresser aux
saints (surtout maintenant qu’ils prévoient de quitter
Nauvoo pour un nouveau foyer dans l’Ouest lointain), Lucy parle
avec une puissance dépassant son frêle corps de
soixante-dix ans.
Elle
témoigne : « Le 22 septembre dernier, cela a fait
dix-huit ans que Joseph a déterré les plaques, et lundi
dernier, cela a fait dix-huit ans que Joseph Smith, le prophète
de Dieu… »
Elle
se tait en pensant à lui, son fils martyr. Les saints dans la
salle savent comment un ange du Seigneur l’a conduit jusqu’à
un jeu de plaques d’or enterré dans une colline appelée
Cumorah. Ils savent qu’il a traduit les plaques par le don et
le pouvoir de Dieu et publié les annales sous le titre de
Livre de Mormon. Pourtant, combien d’entre eux l’ont
véritablement connu ?
Lucy
se souvient encore du moment où Joseph, alors âgé
de vingt et un ans, lui a dit pour la première fois que Dieu
lui avait confié les plaques. Elle s’était
inquiétée toute la matinée, craignant qu’il
ne revienne de la colline les mains vides, comme les quatre années
précédentes. Mais en arrivant, il l’avait
rapidement apaisée. Il avait dit : « Ne t’inquiète
pas. Tout va bien. » Puis, en guise de preuve, il lui avait
tendu un mouchoir dans lequel étaient enveloppés les
interprètes que le Seigneur avait fournis pour la traduction
des plaques.
Il
n’y avait qu’une poignée de croyants à
l’époque, dont la plupart étaient membres de la
famille Smith. Maintenant, plus de onze mille saints venant
d’Amérique du Nord et d’Europe vivent à
Nauvoo, en Illinois, où l’Église se rassemble
depuis six ans. Certains sont de nouveaux membres et n’ont pas
eu l’occasion de faire la connaissance de Joseph ni de son
frère Hyrum avant que les émeutiers ne tirent sur les
deux hommes en juin 1844 et ne les assassinent. C’est la raison
pour laquelle Lucy veut parler des défunts. Elle veut
témoigner de l’appel prophétique de Joseph et du
rôle de sa famille dans le rétablissement de l’Évangile
avant que les saints ne déménagent.
Depuis
plus d’un mois, des émeutiers incendiaient leurs maisons
et leurs entreprises dans les colonies voisines. Craignant pour leur
vie, de nombreuses familles s’étaient enfuies vers la
sécurité relative de Nauvoo. Mais les émeutiers
n’avaient fait que recevoir des renforts et s’organiser
davantage au fil des semaines et assez vite, des escarmouches armées
avaient éclaté entre les saints et eux. En attendant,
les autorités de l’état et le gouvernement
national ne faisaient rien pour protéger les droits des
saints.
Croyant
que ce n’était qu’une question de temps avant que
les émeutiers n’attaquent Nauvoo, les dirigeants de
l’Église avaient négocié un accord de paix
fragile en acceptant d’évacuer les saints du comté
pour le printemps.
Guidés
par la révélation divine, Brigham Young et les autres
membres du Collège des douze apôtres envisageaient de
les installer à plus de mille six cents kilomètres à
l’ouest, au-delà des montagnes Rocheuses, juste en
dehors de la frontière des États-Unis. En qualité
de collège président de l’Église, les
Douze avaient annoncé cette décision aux saints le
premier jour de la conférence d’automne.
L’apôtre
Pratt (Parley) avait déclaré : « Le Seigneur
envisage de nous guider vers un champ d’action plus large où
nous pourrons jouir des principes purs de la liberté et de
l’égalité des droits. »
Lucy
savait que les saints l’aideraient à faire le voyage si
elle décidait de partir. Des révélations leur
commandaient de se réunir en un seul endroit et les Douze
étaient déterminés à exécuter la
volonté du Seigneur. Mais Lucy était âgée
et croyait qu’elle n’en avait plus pour longtemps à
vivre. À sa mort, elle souhaitait être enterrée à
Nauvoo, près de Joseph, d’Hyrum et des autres membres de
sa famille décédés, dont son mari, Joseph Smith,
père.
De
plus, la majorité des membres vivants de sa famille restaient
à Nauvoo. William, le dernier de ses fils encore en vie, avait
été membre du Collège des Douze, mais avait
rejeté leur direction et refusait de se rendre dans l’Ouest.
Ses trois filles, Sophronia, Katharine et Lucy, restaient aussi en
arrière, tout comme sa belle-fille Emma, la veuve du prophète.
En
parlant à l’assemblée, elle exhorta son auditoire
à ne pas se faire du souci pour le voyage. Elle dit : «
Ne vous découragez pas en disant que vous n’arrivez pas
à avoir de chariots ni de matériel. » En dépit
de la pauvreté et des persécutions, sa famille avait
mené à bien le commandement du Seigneur de publier le
Livre de Mormon. Elle les encouragea à obéir à
leurs dirigeants et à se traiter mutuellement avec égards.
Elle
dit : « Comme dit Brigham, vous devez être entièrement
honnêtes ou vous n’arriverez pas à destination. Si
vous vous fâchez, vous allez avoir des problèmes. »
Lucy
reparla de sa famille, des persécutions terribles qu’ils
avaient endurées au Missouri et en Illinois, et des épreuves
qui attendaient les saints. Elle dit : « Je prie que le
Seigneur bénisse les chefs de l’Église, Brigham
Young et les autres. Lorsque j’irai dans un autre monde, je
veux vous y retrouver tous. »
Un
peu plus d’un mois plus tard, Wilford Woodruff, apôtre et
président de la mission britannique de l’Église,
trouva une lettre de Brigham Young qui l’attendait dans son
bureau à Liverpool, en Angleterre. Brigham disait à son
ami : « Nous avons eu pas mal de chagrin et d’ennuis ici
cet automne. Il est donc souhaitable de notre part de nous retirer,
ceci étant la seule condition pour avoir la paix. »
Wilford
fut inquiet mais pas surpris. Il avait lu dans les journaux des
rapports d’attaques d’émeutiers aux environs de
Nauvoo. Toutefois, jusque-là, il ne mesurait pas la gravité
de la situation. Après avoir lu la lettre, il se dit : «
Nous vivons à une époque bien étrange. »
Le gouvernement des États-Unis prétendait protéger
les opprimés et offrir un refuge aux exilés, mais
Wilford ne se souvenait pas d’une occasion où les saints
en eussent bénéficié.
Il
écrivit dans son journal : « L’État
d’Illinois et l’ensemble des États-Unis ont rempli
leur coupe d’iniquité et c’est une bonne chose que
les saints s’en retirent. »
Heureusement,
la plupart des membres de sa famille étaient hors de danger.
Sa femme, Phebe, et leurs plus jeunes enfants, Susan et Joseph,
étaient avec lui en Angleterre. Leur autre fille, Phebe
Amelia, était chez des parents dans l’est des
États-Unis, à plus de mille six cents kilomètres
de la menace.
Par
contre, Willy, leur fils aîné, était encore à
Nauvoo, sous la garde d’amis proches. Dans sa lettre, Brigham
mentionnait que le garçon était en sécurité,
mais Wilford avait quand même hâte de réunir sa
famille.
En
qualité de président de collège, Brigham lui
communiquait quelques instructions sur la suite à donner. Il
conseillait : « Ne nous envoie plus d’émigrants,
mais fais-les attendre en Angleterre jusqu’à ce qu’ils
puissent faire la traversée de l’Océan Pacifique.
» Quant aux missionnaires américains, il voulait que
ceux qui n’avaient pas encore reçu leurs ordonnances du
temple retournent immédiatement à Nauvoo pour les
recevoir.
Les
jours suivants, Wilford écrivit aux frères américains
qui prêchaient en Angleterre, les informant des persécutions
à Nauvoo. Bien que Phebe et lui eussent déjà
reçu leurs ordonnances, ils décidèrent de
rentrer également chez eux.
Dans
un discours d’adieu aux saints britanniques, il expliqua : «
Ma famille est dispersée sur trois mille kilomètres à
travers les États-Unis. Il me paraît actuellement de mon
devoir de repartir là-bas et de réunir mes enfants afin
qu’ils puissent partir avec le camp des saints. »
Wilford
appela Reuben Hedlock, le président de mission précédent,
à présider de nouveau en Grande-Bretagne. Bien qu’il
n’eût pas totalement confiance en lui à cause de
sa mauvaise gestion des fonds de l’Église par le passé,
personne d’autre en Angleterre n’avait plus d’expérience
pour diriger une mission. En outre, Wilford disposait de peu de temps
pour trouver un meilleur remplaçant. Après avoir
rejoint le Collège des Douze, il recommanderait qu’on
appelle un autre homme pour prendre la place de Reuben.
Pendant
que sa femme et lui se préparaient à retourner à
Nauvoo, Samuel Brannan, l’ancien présidant l’Église
à New York City, entendit une rumeur selon laquelle le
gouvernement des États-Unis préférait désarmer
et exterminer les saints plutôt que de leur permettre de
quitter le pays et de s’entendre avec le Mexique ou la
Grande-Bretagne, deux nations qui revendiquaient de vastes régions
dans l’Ouest. Inquiet, Sam écrivit immédiatement
à Brigham Young pour l’avertir du danger.
Sa
lettre arriva à Nauvoo au milieu de nouveaux périls.
Brigham et les autres apôtres venaient d’être
assignés en justice, étant faussement accusés de
contrefaçons, et des hommes de loi cherchaient maintenant à
les arrêter. Après avoir lu la lettre de Sam, les
apôtres prièrent pour être protégés,
demandant au Seigneur de guider les saints en sécurité
hors de la ville.
Peu
après, Thomas Ford, le gouverneur d’Illinois, sembla
confirmer le rapport de Sam. Il avertit : « Il est très
probable que le gouvernement à Washington DC. interfère
pour empêcher les saints de se rendre à l’ouest
des montagnes Rocheuses. De nombreuses personnes intelligentes
croient sincèrement qu’ils se joindront aux Britanniques
s’ils vont là-bas et causeront plus de tumulte que
jamais. »
En
janvier 1846, Brigham se réunit souvent avec le Collège
des Douze et le conseil des cinquante, une organisation qui
supervisait les préoccupations matérielles du royaume
de Dieu ici-bas, pour planifier le meilleur moyen d’évacuer
rapidement les saints de Nauvoo et d’établir un nouveau
lieu de rassemblement. Heber Kimball, son collègue apôtre,
recommanda de conduire dès que possible un petit convoi de
saints vers l’ouest.
Il
conseilla : « Réunissez un convoi qui a les moyens de
s’équiper et qui sera prêt à partir à
tout moment afin de préparer un endroit pour recevoir ses
familles et les pauvres. »
L’apôtre
Pratt (Orson) fit remarquer : « Si l’on veut qu’un
convoi parte en avant-garde et fasse les semailles ce printemps, il
faudra qu’il se mette en route dès le début
février. » Il se demandait s’il ne serait pas plus
sage de s’installer un peu plus près afin de planter
plus tôt.
L’idée
déplut à Brigham. Le Seigneur avait déjà
commandé aux saints de s’installer près du Grand
Lac Salé. Le lac faisait partie du Grand Bassin, une immense
région en forme de bol bordée de montagnes. La terre de
la plus grande partie du bassin était aride et difficile à
cultiver, la rendant inintéressante pour de nombreux
Américains en route vers l’ouest.
Brigham
raisonna : « Si nous allons entre les montagnes, à
l’endroit que nous envisageons, aucune nation ne nous
jalousera. » Il savait que la région était déjà
habitée par des peuples indigènes. Il espérait
quand même que les saints pourraient s’installer
paisiblement parmi eux.
Au
fil des années, les saints avaient essayé de parler de
l’Évangile aux Amérindiens aux États-Unis
et ils comptaient faire de même avec les peuples indigènes
de l’Ouest. Comme la plupart des blancs aux États-Unis,
de nombreux saints considéraient que leur culture était
supérieure à celle des Indiens et ne savaient pas
grand-chose de leurs langues ni de leurs coutumes. Néanmoins,
ils les considéraient aussi comme étant membres de la
maison d’Israël et alliés potentiels, et ils
espéraient tisser des liens d’amitié avec les
Utes, les Shoshones et d’autres tribus occidentales.
Le
13 janvier, Brigham se réunit de nouveau avec les conseils
afin de savoir combien de saints étaient prêts à
quitter Nauvoo avec un préavis de six heures. Il était
certain que la plupart d’entre eux seraient en sécurité
dans la ville jusqu’à l’échéance du
printemps. Pour s’assurer que le convoi d’avant-garde se
déplace rapidement, il y voulait aussi peu de familles que
possible.
Il
dit : « Tous ces hommes qui sont en danger et risquent d’être
poursuivis en justice, allez et prenez leurs familles. » Tous
les autres devaient attendre le printemps pour partir dans l’Ouest,
après que le convoi d’avant-garde aurait atteint les
montagnes et fondé la nouvelle colonie.
L’après-midi
du 4 février 1846, la lumière du soleil dansait sur le
port de New York alors qu’une foule se pressait sur le quai
pour dire au revoir au Brooklyn, un navire de quatre cent cinquante
tonnes partant pour la baie de San Francisco, sur la côte
californienne, une région faiblement colonisée du
nord-ouest du Mexique. Sur le pont du navire, plus de deux cents
saints, dont la plupart étaient trop pauvres pour faire le
voyage vers l’ouest en chariot, faisaient des signes de la main
à leurs parents et amis.
Sam
Brannan, vingt-six ans, était à leur tête. Après
la conférence d’octobre, les Douze avaient commandé
à Sam d’affréter un navire et d’escorter un
convoi de saints de l’Est jusqu’en Californie où
ils attendraient le rendez-vous avec le groupe principal de l’Église
quelque part dans l’Ouest.
Orson
Pratt avait averti : « Fuyez hors de Babylone ! Nous ne voulons
pas qu’un seul saint soit laissé aux États-Unis.
»
Sam
affréta rapidement le Brooklyn à un prix raisonnable et
des ouvriers construisirent trente-deux petites cabines pour
installer les passagers. Il demanda aux saints d’emporter des
charrues, des pelles, des houes, des fourches et d’autres
outils dont ils auraient besoin pour cultiver la terre et construire
des maisons. Ne sachant ce qui les attendait, ils chargèrent
une réserve ample de nourriture et de provisions, du bétail,
trois moulins à grain, des meulières, des tours, des
clous, une presse d’imprimerie et des armes à feu. Une
société caritative avait donné suffisamment de
livres pour constituer une bonne bibliothèque sur le navire.
Pendant
que Sam se préparait au voyage, un politicien qu’il
connaissait à Washington l’avertit que les États-Unis
étaient toujours déterminés à empêcher
les saints de quitter Nauvoo. Il lui dit également qu’un
homme d’affaires et lui-même, ayant des intérêts
en Californie, étaient disposés à faire pression
sur le gouvernement en faveur de l’Église en échange
de la moitié des terres acquises par les saints dans l’Ouest.
Sam
savait que les termes du marché n’étaient pas
bons, mais il croyait que ces hommes étaient ses amis et
qu’ils pouvaient protéger les saints. Quelques jours
avant de monter à bord du Brooklyn, Sam fit rédiger un
contrat et l’envoya à Brigham en le pressant de le
signer. Il promit : « Tout ira bien. »
Il
l’informa également de son intention de fonder une ville
dans la baie de San Francisco, peut-être comme nouveau lieu de
rassemblement pour les saints. Il écrivit : « Je
choisirai l’endroit le plus adapté. Avant que vous y
arriviez, si telle est la volonté du Seigneur, j’aurai
tout préparé pour vous. »
Lorsque
le Brooklyn largua ses amarres, Sam était certain d’avoir
assuré la sécurité des saints qui quittaient
Nauvoo et d’avoir organisé un voyage sans encombre pour
son convoi. La route du bateau suivrait les courants marins autour de
la pointe méridionale tumultueuse de l’Amérique
du Sud et jusqu’au cœur du Pacifique. En arrivant en
Californie, ils fonderaient leur ville et commenceraient une nouvelle
vie dans l’Ouest.
Pendant
qu’un bateau à vapeur guidait le Brooklyn loin du quai,
la foule des proches sur la jetée lança un triple
hourra aux saints qui répondirent de la même façon.
Le vaisseau fit ensuite route jusqu’à l’embouchure
étroite du port, largua ses huniers et fut poussé par
la brise vers l’océan Atlantique.
Le
jour même où le Brooklyn mettait les voiles en direction
de la Californie, les quinze chariots du convoi d’avant-garde
traversaient le Mississippi jusqu’au Territoire de l’Iowa,
juste à l’ouest de Nauvoo, et installaient le campement
à Sugar Creek.
Quatre
jours plus tard, Brigham Young se réunit une dernière
fois avec les apôtres dans le temple de Nauvoo. Bien que le
temple dans son ensemble n’eût pas été
consacré, les combles l’étaient et ils y avaient
administré la dotation à plus de cinq mille saints
avides. Ils avaient également scellé environ mille
trois cents couples pour le temps et pour l’éternité.
Certains de ces scellements étaient des mariages pluraux que
quelques saints fidèles avaient commencé de pratiquer
en privé à Nauvoo, en accord avec un principe que le
Seigneur avait révélé à Joseph Smith au
début des années 1830.
Brigham
avait prévu d’arrêter d’accomplir les
ordonnances le 3 février, la veille du départ des
premiers chariots, mais les saints avaient envahi le temple toute la
journée, impatients de recevoir les ordonnances avant de
partir. D’abord, il les avait congédiés. Il avait
insisté : « Nous bâtirons d’autres temples
et aurons d’autres occasions de recevoir les bénédictions
du Seigneur. Nous avons été abondamment récompensés
dans ce temple, si cela s’arrête là. »
S’attendant
à ce que la foule se disperse, Brigham s’était
mis en route pour rentrer chez lui. Mais il n’était pas
allé loin avant de faire demi-tour et de trouver le temple
regorgeant de personnes affamées et assoiffées de la
parole du Seigneur. Ce jour-là, deux cent quatre-vingt-quinze
saints supplémentaires reçurent leurs bénédictions
du temple.
Une
fois les ordonnances achevées, les apôtres
s’agenouillèrent autour de l’autel et prièrent
pour faire bon voyage vers l’Ouest. Nul n’aurait pu
prédire les épreuves qui les attendraient dans les
semaines et les mois à venir. Les guides et les cartes
décrivaient des pistes non balisées sur une grande
partie du chemin jusqu’aux montagnes. Les fleuves et les
rivières étaient nombreux le long du chemin et beaucoup
de bisons et de gibier vagabondaient dans les plaines. Les saints
n’avaient encore jamais voyagé sur un terrain semblable.
Refusant
de laisser qui que ce soit en danger, ils avaient fait alliance les
uns avec les autres d’aider quiconque voulait partir pour
l’Ouest, en particulier les pauvres, les malades ou les
personnes veuves. Lors de la conférence d’octobre, dans
le temple, Brigham leur avait promis : « Si vous êtes
fidèles à votre alliance, je prophétise
maintenant que le grand Dieu déversera sur ce peuple des
moyens permettant d’accomplir cela à la lettre. »
Le
15 février, le fardeau de cette alliance pesait lourdement sur
Brigham tandis qu’il franchissait le Mississippi. Cet
après-midi-là, il poussa et tira des chariots jusqu’au
sommet d’une colline enneigée et boueuse à six
kilomètres à l’ouest du fleuve. Il ne restait que
quelques heures avant que la tombée de la nuit n’assombrisse
le chemin devant lui, mais Brigham restait déterminé à
ne pas se reposer tant que chaque chariot de saints des derniers
jours ne serait pas arrivé en sécurité à
Sugar Creek.
Le
projet d’envoyer un petit convoi d’avant-garde vers les
montagnes cette année-là prenait déjà du
retard. Brigham et les autres dirigeants de l’Église
avaient quitté la ville plus tard que prévu et certains
saints, ne tenant aucun compte du conseil de rester à Nauvoo,
avaient franchi le fleuve et campaient avec le convoi d’avant-garde
à Sugar Creek. Après s’être enfuies aussi
rapidement de la ville, de nombreuses familles sur la piste étaient
désorganisées, mal équipées et mal
préparées.
Brigham
ne savait pas encore quoi faire. Ces saints ralentiraient
certainement les autres, mais il ne voulait pas les renvoyer à
la ville maintenant qu’ils en étaient partis. Dans son
esprit, Nauvoo était devenue une prison, un endroit indigne du
peuple de Dieu. La route de l’Ouest était la liberté.
Les
Douze et lui devraient simplement aller de l’avant, confiants
que le Seigneur les aiderait à trouver une solution.
CHAPITRE
2 : Une
gloire suffisante
Un
vent froid soufflait lorsque Brigham Young arriva à Sugar
Creek le soir du 15 février 1846. Dispersés dans un
bosquet enneigé, non loin d’un ruisseau glacé,
des centaines de saints, enveloppés de manteaux et de
couvertures humides, frissonnaient. De nombreuses familles se
rassemblaient autour de feux ou sous des tentes bricolées avec
des draps ou des bâches de chariot. D’autres se
blottissaient ensemble dans des charrettes ou des chariots pour se
tenir chaud.
Brigham
sut immédiatement qu’il devait organiser le camp. Avec
l’aide d’autres dirigeants de l’Église, il
répartit les saints en compagnies et nomma des capitaines pour
les diriger. Il les avertit qu’ils ne devaient pas faire de
trajets inutiles jusqu’à Nauvoo, être paresseux,
ni emprunter sans permission. Les hommes devaient continuellement
protéger le camp et en surveiller la propreté, et
chaque famille devait prier matin et soir.
Un
bon esprit s’installa rapidement parmi eux. Les saints sortis
sains et saufs de la ville, s’inquiétaient moins des
émeutiers ou des menaces du gouvernement d’empêcher
l’exode. Le soir, une fanfare jouait de la musique entraînante
pendant que les hommes et les femmes dansaient. Les saints qui
pratiquaient le mariage plural devenaient aussi moins circonspects et
commençaient à parler ouvertement du principe et de la
manière dont leurs familles étaient liées.
Entre-temps,
Brigham passait des heures à peaufiner les plans pour le
déplacement vers l’Ouest. Peu avant de quitter Nauvoo,
alors qu’il jeûnait et priait dans le temple, il avait eu
une vision de Joseph montrant du doigt un drapeau flottant au sommet
d’une montagne. Joseph lui avait commandé : «
Construis en dessous de l’endroit où les couleurs se
posent et vous prospérerez et aurez la paix. » Brigham
savait que le Seigneur avait préparé un endroit pour
l’Église, mais y guider des milliers de saints serait
une tâche monumentale.
Pendant
ce temps, des lettres de Sam Brannan, qui était maintenant en
route pour la Californie sur le Brooklyn, arrivèrent au camp.
Parmi elles se trouvait le contrat promettant aux saints un exode en
toute sécurité en échange de terres dans
l’Ouest. Brigham le lut attentivement avec les apôtres.
S’ils ne le signaient pas, les lettres de Sam laissaient
entendre que le président des États-Unis pouvait
ordonner aux saints de rendre les armes et de cesser de se
rassembler.
Brigham
était sceptique. Malgré sa méfiance à
l’égard du gouvernement, il avait déjà
décidé de collaborer avec lui au lieu de s’opposer
à lui. En fait, peu avant de quitter Nauvoo, il avait demandé
à Jesse Little, le nouvel ancien présidant les États
de l’Est, de faire pression pour l’Église et
d’accepter n’importe quelle offre honorable du
gouvernement fédéral de soutenir l’exode des
saints. Les apôtres et lui comprirent vite que le contrat
n’était rien d’autre qu’un stratagème
sophistiqué conçu pour favoriser les hommes qui
l’avaient élaboré. Au lieu de signer l’accord,
les apôtres décidèrent de faire confiance à
Dieu et de compter sur sa protection.
Au
fil du mois, les températures devinrent négatives et la
surface du Mississippi gela, facilitant sa traversée. Peu
après, environ deux mille personnes campaient à Sugar
Creek, bien que certaines retournassent à Nauvoo à de
multiples reprises pour une affaire ou une autre.
Les
allées et venues ennuyaient Brigham qui croyait que ces saints
négligeaient leur famille et se préoccupaient trop de
leurs biens en ville. La migration vers l’ouest étant
déjà en retard sur le programme, il décida qu’il
était temps que les saints quittent Sugar Creek, même si
le matériel dont disposaient les convois était
insuffisant.
Le
1er mars, cinq cents chariots prirent la direction de l’ouest à
travers la prairie de l’Iowa. Brigham comptait toujours envoyer
un convoi d’avant-garde au-delà des montagnes Rocheuses
cette année-là, mais les saints avaient d’abord
besoin de toutes les ressources disponibles pour éloigner le
campement de Nauvoo.
Pendant
que Brigham et les saints quittaient Sugar Creek, Louisa Pratt,
quarante-trois ans, restait à Nauvoo et se préparait à
quitter la ville avec ses quatre filles. Trois ans plus tôt, le
Seigneur avait appelé son mari, Addison, en mission dans les
îles du Pacifique. Depuis lors, il avait été
difficile de rester en contact avec lui du fait du service postal peu
fiable entre Nauvoo et Tubuai, l’île de Polynésie
française où il servait. La plupart de ses lettres
dataient de plusieurs mois lorsqu’elles arrivaient, et
certaines de plus d’un an.
Sa
dernière lettre disait clairement qu’il ne rentrerait
pas à temps pour se rendre dans l’Ouest avec elle. Les
Douze lui avaient commandé de rester dans les îles du
Pacifique jusqu’à ce qu’ils le relèvent ou
envoient des missionnaires pour le remplacer. À un moment
donné, Brigham avait espéré en envoyer d’autres
dans les îles, après que les saints avaient reçu
la dotation, mais l’exode de Nauvoo avait différé
ce projet.
Louisa
était disposée à entreprendre le voyage sans son
mari, mais quand elle y réfléchissait, elle était
inquiète. Elle détestait quitter Nauvoo et le temple et
l’idée de franchir les montagnes Rocheuses en chariot ne
la séduisait pas. Elle voulait aussi voir ses parents âgés
au Canada, probablement pour la dernière fois, avant de se
rendre dans l’Ouest.
Si
elle vendait son attelage de bœufs, elle aurait assez d’argent
pour rendre visite à ses parents et réserver une place
pour sa famille sur un navire en partance pour la côte
californienne, échappant ainsi complètement à la
traversée du continent.
Elle
était presque résolue à aller au Canada, mais
elle éprouvait comme un malaise. Elle décida d’évoquer
ses inquiétudes sur la traversée du continent et son
désir de voir ses parents dans une lettre adressée à
Brigham Young.
Elle
écrivit : « Si vous dites que l’expédition
avec l’attelage de bœufs est la meilleure voie du salut,
alors je m’y engagerai de tout mon cœur et de toutes mes
forces, et je crois que je peux le supporter sans maugréer
aussi longtemps que n’importe quelle autre femme. »
Peu
de temps plus tard, un messager arriva avec la réponse de
Brigham. Il lui dit : « Allez, le salut de l’attelage de
bœufs est la voie la plus sûre. Frère Pratt nous
rejoindra dans le désert à l’endroit où
nous nous établirons et il sera amèrement déçu
si sa famille n’est pas avec nous. »
Louisa
prit le conseil en considération, rassembla son courage en vue
du voyage difficile et décida de suivre le corps principal des
saints, à la vie ou à la mort.
Ce
printemps-là, les saints traversant l’Iowa commencèrent
à se donner le nom de Camp d’Israël, d’après
les Hébreux d’autrefois que le Seigneur avait conduits
hors de captivité en Égypte. Jour après jour,
ils luttaient contre les éléments alors que la neige et
la pluie incessantes rendaient le sol de la prairie spongieux et
boueux. L’eau des fleuves et des rivières était
haute et impétueuse. Les chemins de terre se dissolvaient en
bourbiers. Les saints avaient prévu de traverser la majeure
partie du territoire en un mois, mais dans ce laps de temps, ils
n’avaient couvert qu’un tiers de la distance.
Le
6 avril, seizième anniversaire de l’organisation de
l’Église, il plut toute la journée. Brigham passa
des heures avec de la boue jusqu’aux genoux à aider les
saints le long de la piste à atteindre un endroit appelé
Locust Creek. Là, il aida à disposer les chariots, à
planter les tentes et à couper du bois jusqu’à ce
que tous les saints soient installés dans le campement. Une
femme qui le voyait dans la boue, poussant et tirant pour dégager
un chariot embourbé, trouva qu’il avait l’air
aussi heureux qu’un roi, en dépit des difficultés
qui l’entouraient.
Ce
soir-là, une pluie glacée et de la grêle
bombardèrent le campement, le recouvrant de glace. Le matin,
William Clayton, secrétaire de Brigham et chef de la fanfare,
trouva tout sens dessus dessous. De nombreuses tentes s’étaient
affaissées sur le sol gelé. Un arbre abattu avait
écrasé un chariot. Certains hommes de la fanfare
étaient aussi à court de provisions.
Il
partagea ce qu’il avait avec sa fanfare, bien que sa propre
famille disposât de peu. Étant l’un des premiers
saints à avoir pratiqué le mariage plural, il voyageait
avec trois femmes et quatre enfants. Une autre épouse,
Diantha, était encore à Nauvoo, sous la garde de sa
mère. Elle était enceinte de son premier enfant et sa
santé fragile ajoutait à l’anxiété
de William sur la piste.
Pendant
que les Clayton se reposaient à Locust Creek avec le Camp
d’Israël, Brigham proposa d’établir un relais
à mi-chemin de l’Iowa où les saints pourraient
patienter jusqu’à ce que le temps s’améliore,
construire des cabanes et semer pour ceux qui viendraient plus tard.
Certains s’occuperaient ensuite du relais pendant que d’autres
retourneraient à Nauvoo pour guider des convois à
travers l’Iowa. Le reste du camp avancerait avec lui jusqu’au
Missouri.
Le
14 avril, William passa la nuit dehors à rassembler les
chevaux et le bétail qui s’étaient échappés.
Le matin, il avait besoin de sommeil, mais quelqu’un au camp
avait reçu une lettre mentionnant Diantha et la naissance de
son bébé. Ce soir-là, William célébra
l’événement en chantant et en jouant de la
musique avec la fanfare jusque tard dans la nuit.
Le
lendemain matin, les cieux étaient dégagés et
William entrevit des jours meilleurs pour le Camp d’Israël.
Assis avec de l’encre et du papier, il écrivit un
cantique d’encouragement pour les saints :
Venez,
venez, sans craindre le devoir,
Travailler
au progrès !
Si
le chemin à vos yeux paraît noir,
Le
secours est tout près.
Mieux
vaut lutter de tout son cœur,
Pour
acquérir le vrai bonheur
Venez,
joyeux, ne craignez rien,
Tout
est bien ! Tout est bien ! »
Cent
cinquante kilomètres à l’est, debout sur le pont
d’un bateau voguant sur le Mississippi, Wilford Woodruff
contemplait le temple de Nauvoo à l’aide d’une
longue-vue. La dernière fois qu’il l’avait vu, ses
murs étaient encore inachevés. Maintenant, il avait un
toit, des fenêtres étincelantes et une tour majestueuse
surmontée d’une girouette en forme d’ange. Des
parties du temple étaient déjà consacrées
pour l’accomplissement des ordonnances et le bâtiment
serait bientôt achevé et prêt à être
consacré au Seigneur.
Son
voyage de retour de Grande-Bretagne avait été semé
d’embûches. Des vagues et des vents violents avaient
ballotté le navire. Wilford avait eu le mal de mer et avait
été malheureux, mais il avait tenu bon. Sur le moment,
il avait maugréé : « Tout homme qui vend sa ferme
et part en mer pour gagner sa vie a des goûts différents
des miens. »
Phebe
avait fait voile en premier, emmenant leurs enfants Susan et Joseph à
bord d’un navire rempli de saints qui émigraient aux
États-Unis. Wilford était resté un peu plus
longtemps à Liverpool pour régler quelques questions
financières, transférer la direction de l’Église
au nouveau président de mission et solliciter des fonds pour
terminer la construction du temple.
Il
avait rappelé aux membres de l’Église : «
La construction du temple de Dieu concerne tous les saints loyaux, où
que le sort les ait placés. » Bien que le temple doive
être abandonné peu après son achèvement,
les saints des deux côtés de l’Atlantique étaient
déterminés à le finir pour obéir au
commandement du Seigneur donné en 1841.
Par
l’intermédiaire de Joseph Smith, le Seigneur avait
déclaré : « Je vous accorde suffisamment de temps
pour me bâtir une maison […] et si vous ne faites pas
cela à la fin du temps qui vous est désigné,
vous serez, vous, l’Église, rejetés avec vos
morts, dit le Seigneur, votre Dieu. »
Bien
que de nombreux saints britanniques fussent appauvris, Wilford les
avait encouragés à donner ce qu’ils pouvaient
pour financer le temple, promettant des bénédictions
pour leur sacrifice. Ils avaient été généreux
et Wilford était reconnaissant de leur consécration.
En
arrivant aux États-Unis, il récupéra sa fille
Phebe Amelia dans le Maine et se rendit dans le sud pour rendre
visite à ses parents, qu’il persuada de l’accompagner
dans l’Ouest.
Après
avoir débarqué à Nauvoo, il retrouva sa femme et
rencontra Orson Hyde, l’apôtre président dans la
ville, qui avait peu de bonnes nouvelles à lui annoncer. Parmi
les saints restés à Nauvoo, certains étaient
agités et se sentaient abandonnés. Certains doutaient
même du droit que les Douze revendiquaient à la
direction de l’Église. Parmi eux se trouvaient la sœur
de Wilford, Eunice, et son mari Dwight Webster.
La
nouvelle le chagrina pendant des jours. Il avait instruit et baptisé
sa sœur et son beau-frère une décennie plus tôt.
Récemment, ils avaient été attirés par un
homme du nom de James Strang qui affirmait que Joseph Smith l’avait
secrètement désigné comme successeur. Son
affirmation était fausse, mais son charisme avait rallié
certains saints de Nauvoo, notamment les anciens apôtres John
Page et William Smith, le jeune frère du prophète
Joseph, .
Le
18 avril, Wilford fut furieux quand il apprit que Dwight et Eunice
essayaient de convaincre ses parents de suivre Strang au lieu de
partir pour l’Ouest. Il réunit sa famille et dénonça
le faux prophète. Il sortit ensuite charger ses chariots.
Il
écrivit dans son journal : « J’ai beaucoup à
faire et peu de temps pour le faire. »
Ce
printemps-là, les ouvriers s’empressèrent de
terminer le temple avant sa consécration publique le 1er mai.
Ils installèrent un sol de brique autour des fonts baptismaux,
posèrent des boiseries décoratives et peignirent les
murs. Le travail se poursuivait toute la journée et souvent
pendant la nuit. Du fait que l’Église disposait de peu
d’argent pour rémunérer les ouvriers, beaucoup
sacrifièrent une partie de leur salaire pour veiller à
ce que le temple soit prêt à être consacré
au Seigneur.
Deux
jours avant la consécration, les ouvriers finirent de peindre
la grande salle du premier étage. Le lendemain, ils balayèrent
la poussière et les débris hors de la pièce et
préparèrent la réunion. Ils ne purent mettre la
touche finale à chaque pièce, mais ils savaient que
cela n’empêcherait pas le Seigneur d’accepter le
temple. Sûrs d’avoir exécuté son
commandement, ils peignirent le long du mur est de la salle,
au-dessus des chaires, les mots : « Le Seigneur a vu notre
sacrifice. »
Conscients
de la dette qu’ils avaient envers les ouvriers, les dirigeants
de l’Église annoncèrent que la première
session de consécration serait une démarche de
bienfaisance. Une somme d’un dollar fut demandée aux
participants pour aider à rémunérer les ouvriers
appauvris.
Le
matin du 1er mai, Elvira Stevens, quatorze ans, quitta le camp à
l’ouest du Mississippi et traversa le fleuve pour assister à
la consécration. Orpheline dont les parents étaient
décédés peu après l’arrivée
de la famille à Nauvoo, Elvira vivait maintenant chez sa sœur
mariée. Puisque personne d’autre de son camp ne pouvait
l’accompagner à la consécration, elle s’y
rendit seule.
Sachant
qu’il pourrait se passer des années avant qu’un
autre temple ne soit construit dans l’Ouest, les apôtres
avaient administré la dotation à certains jeunes
célibataires, notamment Elvira. Trois mois plus tard, elle
gravit de nouveau les marches jusqu’aux portes du temple, donna
son dollar et trouva une place dans la grande salle.
La
session commença par un chant interprété par le
chœur. Orson Hyde offrit ensuite la prière de
consécration. Il implora : « Fais que ton Esprit demeure
ici et que tous puissent sentir par une influence sacrée dans
leur cœur que sa main a participé à cette œuvre.
»
Elvira
perçut une puissance céleste dans la pièce.
Après la session, elle retourna au campement mais revint deux
jours plus tard pour la session suivante, espérant ressentir
de nouveau la même puissance. Orson Hyde et Wilford Woodruff
firent des discours sur l’œuvre du temple, la prêtrise
et la résurrection. Avant de conclure la réunion,
Wilford félicita les saints d’avoir achevé le
temple bien qu’ils dussent l’abandonner.
Il
dit : « Des milliers de saints y ont reçu leur dotation
et la lumière ne s’éteindra pas. C’est une
gloire suffisante pour justifier la construction du temple. »
Après
la session, Elvira retourna à son campement, franchissant le
fleuve une dernière fois. Entre-temps, les saints de Nauvoo
passèrent le reste de la journée et de la nuit à
emballer les affaires et à vider le temple des chaises, des
tables et du reste du mobilier, puis ils le laissèrent entre
les mains du Seigneur.
Quelques
semaines après la consécration, Louisa Pratt et ses
filles prirent la route de l’Ouest avec un convoi de saints.
Ellen avait maintenant quatorze ans, Frances douze, Lois neuf et Ann
cinq. Elles avaient deux attelages de bœufs, deux vaches et un
chariot rempli de vêtements neufs et de provisions.
Avant
de franchir le fleuve pour se rendre en Iowa, Louisa passa au bureau
de poste et y trouva une longue lettre d’Addison datée
du 6 janvier 1846, cinq mois plus tôt. Addison racontait qu’il
était maintenant à Tahiti avec des amis de Tubuai
(Nabota et Telii, le couple marié), en route pour aider un
collègue missionnaire, Benjamin Grouard, dans l’œuvre
missionnaire sur l’atoll voisin d’Anaa. Il avait envoyé
soixante dollars à Louisa et des paroles aimantes à son
attention et à celle des enfants.
Il
s’attendait à servir parmi les saints de l’île
pendant de nombreuses années à venir, mais pas sans sa
famille. Il écrivit : « Si tu peux te procurer des
livres et as un peu de temps libre, je pense que les enfants et toi
devriez vous mettre à étudier le tahitien, car à
mon avis, il se peut que tu en aies besoin d’ici quelques
années. »
La
lettre fit plaisir à Louisa et elle trouva son voyage vers
l’Ouest étonnamment joyeux. Les pluies printanières
avaient cessé et elle aimait monter à cheval sous un
ciel dégagé pendant qu’un homme qu’elle
avait engagé conduisait ses chariots. Elle se levait tôt
chaque matin, rassemblait le bétail errant et aidait à
le conduire pendant la journée. De temps en temps, elle
s’inquiétait de la distance de plus en plus grande qui
la séparait de ses parents et des autres membres de sa
famille, mais sa croyance en Sion la réconfortait. Les
révélations qualifiaient Sion de lieu de refuge, de
lieu de paix. C’est ce qu’elle attendait de la vie.
Le
10 juin, elle écrivit dans son journal : « Parfois, je
me sens joyeuse. Le Seigneur nous a appelés et nous a désigné
un endroit où nous pouvons vivre en paix et être
débarrassés de l’effroi de nos persécuteurs
cruels ! »
Cinq
jours plus tard, Louisa et sa compagnie arrivèrent au mont
Pisgah, l’un des deux grands relais que les saints avaient
établis le long de la piste de l’Iowa. Le camp enserrait
le pied de collines basses couronnées d’un petit bois de
chêne. Comme Brigham l’avait imaginé, les saints
habitaient là dans des tentes ou des cabanes de rondins et
cultivaient la terre pour nourrir les convois qui arriveraient plus
tard. D’autres parties du campement offraient des pâturages
pour le bétail.
Louisa
choisit l’ombre de quelques chênes pour y installer sa
famille. L’endroit était magnifique, mais le soleil
tapait sur les saints dans le camp dont beaucoup étaient
épuisés par leur lutte contre la pluie et la boue ce
printemps-là.
Louisa
pensa : « Que le Seigneur les récompense pour tous leurs
sacrifices ! »
Plus
loin sur la piste, Brigham et le Camp d’Israël firent
halte à un endroit appelé Mosquito Creek, non loin du
Missouri. Ils étaient affamés, avaient deux mois de
retard et étaient désespérément pauvres.
Brigham insistait encore pour envoyer le convoi d’avant-garde
au-delà des montagnes Rocheuses. Il croyait qu’un groupe
de saints devait terminer le voyage cette saison, car tant que
l’Église errait sans foyer, ses ennemis essaieraient de
la disperser ou de lui bloquer le passage.
Il
savait pourtant qu’équiper un tel groupe grèverait
les ressources des saints. Peu de personnes disposaient d’argent
ou de provisions dont elles pouvaient se passer et les possibilités
de trouver du travail rémunéré en Iowa étaient
limitées. Pour survivre sur la prairie, de nombreux saints
avaient vendu des biens précieux le long de la piste ou occupé
divers emplois pour gagner de l’argent pour de la nourriture et
du matériel. Au fur et à mesure que le camp avançait
vers l’ouest et que les colonies étaient plus
clairsemées, ces occasions se feraient de plus en plus rares.
Brigham
avait aussi d’autres préoccupations. Les saints qui
n’appartenaient pas au convoi d’avant-garde avaient
besoin d’un endroit où passer l’hiver. Les Omaha
et d’autres peuples indigènes qui habitaient à
l’ouest du Missouri étaient disposés à
laisser les saints camper là pendant l’hiver, mais les
agents du gouvernement hésitaient à leur permettre de
s’installer pendant un long moment sur des terres indiennes
protégées.
Brigham
savait aussi que les saints malades et appauvris de Nauvoo comptaient
sur l’Église pour les emmener dans l’Ouest.
Pendant un certain temps, il avait espéré les aider en
vendant des propriétés de valeur à Nauvoo, dont
le temple. Mais jusque-là, cet effort était sans
résultat.
Le
29 juin, Brigham apprit que trois officiers de l’armée
des États-Unis arrivaient à Mosquito Creek. Les
États-Unis avaient déclaré la guerre au Mexique
et James Polk, le président, avait autorisé les hommes
à recruter un bataillon de cinq cents saints pour une campagne
militaire sur la côte californienne.
Le
lendemain, Brigham discuta de la nouvelle avec Heber Kimball et
Willard Richards. Aucun conflit n’opposait Brigham au Mexique
et l’idée d’aider les États-Unis
l’exaspérait. Mais l’Ouest pourrait devenir un
territoire américain si les États-Unis remportaient la
guerre et aider l’armée pourrait améliorer les
rapports des saints avec la nation. De plus, la solde des hommes
enrôlés pourrait aider l’Église à
financer sa migration vers l’ouest.
Brigham
parla aux officiers dès qu’ils arrivèrent. Il
apprit que les ordres étaient arrivés après que
Thomas Kane, un jeune homme de la côte Est ayant de bonnes
relations, avait entendu parler de la détresse des saints et
avait présenté Jesse Little à des représentants
importants à Washington DC. Après quelques pressions,
Jesse avait rencontré le président Polk et l’avait
persuadé d’aider les saints à s’installer
dans l’Ouest en enrôlant certains d’entre eux au
service militaire.
Voyant
les avantages de l’arrangement, Brigham appuya les ordres de
tout cœur. Il déclara : « C’est la toute
première offre du gouvernement qui nous profite. Je propose
que cinq cents volontaires soient rassemblés et je ferai de
mon mieux pour m’assurer qu’on fasse avancer leurs
familles, dans la mesure de mon influence, et qu’elles soient
nourries tant que j’aurai quelque chose à manger
moi-même. »
Drusilla
Hendricks fut furieuse lorsqu’elle apprit la décision de
Brigham de coopérer avec les États-Unis. Son mari,
James, avait reçu une balle dans la nuque lors d’une
escarmouche avec les Missouriens en 1838, le laissant partiellement
paralysé. Comme d’autres personnes dans le camp, elle en
voulait encore au gouvernement de ne pas avoir aidé les saints
à cette époque. Bien que son fils William fût en
âge de se porter volontaire pour le bataillon, elle ne voulait
pas l’y autoriser. Avec la paralysie de son mari, elle comptait
sur l’aide de ce dernier.
Des
recruteurs passaient quotidiennement dans le camp, souvent avec
Brigham ou d’autres apôtres. Brigham témoignait :
« Si nous voulons le privilège d’adorer Dieu selon
les inspirations de notre conscience, nous devons former le
bataillon. » De nombreux saints ravalèrent leur
ressentiment et soutinrent l’action, mais Drusilla ne
supportait pas l’idée de se séparer de son fils.
Parfois
l’Esprit lui murmurait : « As-tu peur de faire confiance
au Dieu d’Israël ? N’a-t-il pas été à
tes côtés dans toutes tes épreuves ? Ne t’a-t-il
pas accordé ce que tu voulais ? » Elle reconnaissait la
bonté de Dieu, mais ensuite, lorsqu’elle se remémorait
la cruauté du gouvernement, la colère reprenait le
dessus.
Le
jour du départ du bataillon, William se leva tôt pour
rentrer les vaches. Drusilla le regarda marcher dans l’herbe
haute et mouillée et s’inquiéta que son manque de
foi ne lui fasse plus de mal que de bien. Il pouvait être
blessé en voyageant sur la piste avec sa famille tout aussi
facilement qu’en marchant avec le bataillon. Et si cela se
produisait, elle regretterait de l’avoir obligé à
rester.
Elle
commença à préparer le petit-déjeuner, ne
sachant quoi faire au sujet de William. Grimpant sur le chariot pour
chercher la farine, elle sentit de nouveau l’Esprit murmurer :
Ne désires-tu pas les plus grandes bénédictions
du Seigneur ?
«
Oui », dit-elle à haute voix.
L’Esprit
demanda : « Alors, comment peux-tu les obtenir sans faire le
plus grand sacrifice ? Laisse ton fils partir avec le bataillon. »
«
C’est trop tard », dit-elle. « Il devait partir ce
matin. »
William
revint et la famille se réunit pour le petit-déjeuner.
Drusilla sursauta lorsqu’un homme interrompit le camp pendant
que James bénissait la nourriture. Il cria : « Allez,
les hommes ! Il nous en manque encore quelques-uns dans le bataillon.
»
Elle
ouvrit les yeux et vit William qui la regardait. Elle étudia
son visage, mémorisant chaque trait. Elle sut alors qu’il
allait se joindre au bataillon. Elle se dit : « Si je ne te
revois plus avant le matin de la première résurrection,
je te reconnaîtrai et saurai que tu es mon enfant. »
Après
le petit-déjeuner, elle pria seule. Elle supplia : «
Épargne-lui la vie et permet qu’il me revienne et
revienne au sein de l’Église. »
L’Esprit
chuchota : « Il te sera fait comme il fut fait à Abraham
lorsqu’il offrit Isaac sur l’autel. »
Drusilla
chercha William et le trouva assis dans le chariot, le visage enfoui
dans les mains. Elle demanda : « Veux-tu partir avec le
bataillon ? Si tu le veux, j’ai eu le témoignage qu’il
est bien que tu y ailles. »
William
répondit : « Le président Young dit que c’est
pour le salut de ce peuple et j’aimerais autant en faire partie
que quiconque. »
Elle
dit : « Je t’en ai empêché, mais si tu veux
y aller, je ne t’en empêcherai plus. »
CHAPITRE
3
: La
parole et la volonté du Seigneur
Wilford
et Phebe Woodruff arrivèrent au bord du Missouri avec leurs
enfants au début du mois de juillet 1846. N’ayant pas
réussi à persuader sa sœur et son beau-frère
de suivre les apôtres et non James Strang, Wilford avait quitté
Nauvoo peu après la consécration du temple avec ses
parents et d’autres saints.
Leur
arrivée au camp coïncida avec le départ de William
Hendricks et d’autres recrues de l’armée. Le
Bataillon mormon, comme on l’appelait, comptait plus de cinq
cent hommes. Il employait vingt femmes à l’entretien du
linge. D’autres accompagnaient leur mari pendant la marche et
certaines avaient pris leurs enfants. Au total, plus d’une
trentaine de femmes escortaient le bataillon.
Au
premier abord, Wilford se méfia de l’effort du
gouvernement de recruter des saints des derniers jours. Cependant, il
changea rapidement d’avis, surtout après la visite de
Thomas Kane au camp. Bien qu’il ne soit que modérément
curieux de l’Évangile rétabli, il avait joué
un rôle décisif pour persuader le gouvernement d’aider
l’Église. La lutte contre l’injustice lui tenait
très à cœur et il était sincèrement
désireux d’aider les saints dans leur situation
désespérée.
Thomas
fit immédiatement bonne impression aux apôtres. Wilford
nota dans son journal : « D’après les
renseignements qu’il nous avait donnés, nous étions
convaincus que Dieu avait commencé de toucher le cœur du
président et d’autres personnes dans ce pays. »
Trois
jours avant le départ du bataillon, Brigham Young parla à
ses officiers. Il leur recommanda de veiller à leur hygiène,
d’être chastes et de porter leurs sous-vêtements du
temple s’ils étaient dotés. Il leur dit de se
comporter honorablement à l’égard des Mexicains
et de ne pas se disputer avec eux. Il dit : « Traitez les
prisonniers avec les plus grands égards et ne prenez jamais
une vie si vous pouvez faire autrement. »
Il
assura cependant aux hommes qu’ils n’auraient pas à
se battre. Il les exhorta à accomplir leurs devoirs sans
murmurer, à prier tous les jours et à emporter leurs
Écritures.
Une
fois le bataillon parti, Brigham reporta son attention sur l’étape
suivante du voyage des saints. La coopération avec les
États-Unis lui avait permis de recevoir l’autorisation
d’établir un camp d’hiver sur les terres indiennes
à l’ouest du Missouri. Il avait maintenant l’intention
de les installer dans un endroit appelé Grand Island, à
trois cents kilomètres à l’ouest et, de là,
d’envoyer le convoi d’avant-garde au-delà des
montagnes Rocheuses.
Pendant
que les apôtres tenaient conseil, Wilford parla d’autres
affaires importantes de l’Église qui nécessitaient
leur attention immédiate. Reuben Hedlock, l’homme qu’il
avait désigné pour présider la mission
britannique, avait éloigné de nombreux saints
britanniques en dilapidant des fonds qu’ils avaient consacrés
à l’émigration. Wilford prévoyait des
problèmes au sein de la mission, notamment la perte de
nombreux nouveaux convertis, si Reuben n’était pas
relevé et remplacé par un dirigeant plus responsable.
Le
collège savait également que des saints appauvris
étaient encore à Nauvoo à la merci des émeutiers
et des faux prophètes. Si les apôtres ne faisaient pas
plus d’efforts pour les aider, comme ils avaient promis de le
faire dans le temple lors de la conférence d’octobre, le
collège briserait une alliance solennelle faite avec les
saints et le Seigneur.
Agissant
de manière décisive, le collège résolut
d’envoyer trois des apôtres du camp : Parley Pratt, Orson
Hyde et John Taylor, en Angleterre pour diriger la mission
britannique. Ils envoyèrent ensuite des chariots, des
attelages et des provisions à Nauvoo pour évacuer les
pauvres.
Lorsque
le collège renvoya des hommes et des provisions vers l’est,
Brigham prit conscience que son projet d’avancer vers l’ouest
cette année-là n’était plus réalisable,
surtout depuis que le bataillon avait réduit le nombre
d’hommes valides. Thomas Kane recommanda qu’ils
installent leur camp d’hiver au bord du Missouri et Brigham
finit par accepter.
Le
9 août 1846, les apôtres annoncèrent que les
saints passeraient l’hiver dans un campement provisoire juste à
l’ouest du fleuve. Brigham voulait franchir les montagnes
Rocheuses et construire un temple dès que possible, mais avant
cela, il rassemblerait les saints et s’occuperait des pauvres.
Environ
à cette époque, le brouillard enveloppait le Brooklyn
tandis qu’il entrait dans la baie de San Francisco, six longs
mois après avoir quitté le port de New York. Debout sur
le pont, Sam Brannan scruta la brume et aperçut une côte
accidentée. Juste à l’intérieur de la
baie, il vit un fort mexicain en ruines. Au sommet, poussé par
la brise, flottait un drapeau américain.
Sam
craignait que quelque chose comme cela n’arrive. Le drapeau
était un signe certain que les États-Unis s’étaient
emparés de San Francisco. Il avait été informé
de la guerre avec le Mexique pendant que le Brooklyn était
amarré dans les îles d’Hawaï. Là, le
commandant d’un navire de guerre américain avait dit aux
saints que l’on comptait sur eux pour aider l’armée
à prendre la Californie aux Mexicains. La nouvelle les avait
irrités, car ils n’avaient pas voyagé vers
l’ouest pour se battre pour une nation qui les avait rejetés.
En
s’enfonçant dans la baie, Sam vit des arbres le long du
littoral sablonneux et quelques animaux errants. Au loin, bordée
de collines, se trouvait Yerba Buena, une vieille ville espagnole.
Le
Brooklyn mit à quai dans le port et les saints débarquèrent
plus tard cet après-midi-là. Ils montèrent leurs
tentes sur les collines à l’extérieur de Yerba
Buena ou se réfugièrent dans des maisons abandonnées
ou une vieille caserne militaire voisine. Avec le matériel
qu’ils avaient apporté de New York, ils installèrent
des moulins et une imprimerie. Quelques-uns trouvèrent du
travail parmi les colons.
Bien
que déçu que la côte californienne appartînt
maintenant aux États-Unis, Sam était déterminé
à y établir le royaume de Dieu. Il envoya un groupe
d’hommes vers une vallée à plusieurs jours de
voyage à l’est de la baie pour fonder une colonie
appelée New Hope. Ils y construisirent une scierie et une
cabane puis défrichèrent des terres et semèrent
des hectares de blé et autres cultures.
Sam
voulait aller avec quelques hommes vers l’est à la
rencontre de Brigham et conduire le reste des saints en Californie
dès que la neige aurait fondu des montagnes l’année
suivante. Sous le charme du climat sain, du sol fertile et du bon
port, il croyait que le peuple du Seigneur ne pouvait pas demander de
meilleur endroit pour se rassembler.
Cet
été-là, Louisa Pratt et ses filles campèrent
au relais du mont Pisgah sur la piste de l’Iowa. L’endroit
était magnifique, mais l’eau était tiède
et nauséabonde. La maladie envahit rapidement le campement et
de nombreux saints moururent. Début août, la famille de
Louisa s’échappa en bonne santé, mais elle se
sentait très mal de laisser derrière elle tant d’amis
malades.
Peu
après, sa compagnie campa près d’une crique
infestée de moustiques et elle et d’autres furent
rapidement victimes de fièvres. Le convoi s’arrêta
pour se reposer puis continua jusqu’au Missouri où une
longue file de chariots attendait d’être transportée
de l’autre côté. Lorsque ce fut enfin le tour de
Louisa, quelque chose effraya le bétail, provoquant beaucoup
de tumulte sur le bac et aggravant son état de santé.
De
l’autre côté du fleuve, sa fièvre monta en
flèche, la privant de sommeil. Vers minuit, ses gémissements
réveillèrent la femme du passeur qui la trouva en bien
mauvais état. Elle demanda rapidement aux filles de Louisa de
se faire un lit séparé afin que leur mère puisse
se reposer. Elle lui donna ensuite du café chaud et un peu de
nourriture pour la ranimer.
Le
lendemain, le convoi arriva dans le nouveau campement de saints,
Winter Quarters, la plus grande de plusieurs colonies de saints
installées le long du Missouri. Environ deux mille cinq cents
personnes habitaient à Winter Quarters sur des terres que les
Omaha et d’autres tribus indigènes locales partageaient
avec elles. La plupart des saints occupaient des cabanes faites de
rondins et de terre, mais certains habitaient dans des tentes, des
chariots ou des genres de caves appelées tranchées-abris.
Les
femmes de Winter Quarters entourèrent immédiatement
Louisa, impatientes de lui venir en aide. Elles lui donnèrent
de l’eau-de-vie et du sucre en guise de médicaments et
sur le moment, elle se sentit mieux, mais rapidement la fièvre
empira et elle commença à trembler violemment.
Craignant de mourir, elle implora la miséricorde du Seigneur.
Certaines
des femmes qui s’occupaient d’elle l’oignirent et
lui imposèrent les mains, la bénissant par le pouvoir
de leur foi. À Nauvoo, Joseph Smith avait enseigné à
la Société de secours que la guérison était
un don de l’Esprit, un signe qui suivait tous les croyants en
Christ. La bénédiction réconforta Louisa, lui
donnant la force d’endurer sa maladie, et elle embaucha
rapidement une infirmière pour prendre soin d’elle
jusqu’à ce que la fièvre tombe.
Elle
donna également cinq dollars à un homme pour qu’il
lui construise une cabane de terre et de saule. La cabane n’avait
qu’une couverture en guise de porte, mais elle était
bien éclairée et suffisamment grande pour permettre à
Louisa de s’asseoir sur un rocking-chair à côté
de sa cheminée le temps de recouvrer ses forces.
À
Winter Quarters, les saints labouraient et ensemençaient des
champs, bâtissaient des moulins près d’un ruisseau
voisin et fondaient des magasins et des boutiques. La colonie était
organisée en lots semblables au modèle établi
par le Seigneur pour la ville de Sion, tel qu’il avait été
révélé à Joseph Smith en 1833. Au nord de
la ville, Brigham, Heber Kimball et Willard Richards construisirent
des maisons près d’un petit bâtiment municipal où
le Collège des Douze et le grand conseil nouvellement appelé
de Winter Quarters se réunissaient. Près du centre de
la ville se trouvait une place où l’on pouvait prêcher
et tenir d’autres réunions de la collectivité.
La
traversée de l’Iowa avait épuisé de
nombreux saints et nourrir, vêtir et abriter leur famille
continuait de saper leurs forces. De plus, les mouches et les
moustiques provenant de la berge boueuse grouillaient souvent dans la
nouvelle colonie et la malaria et les fièvres harassaient les
saints durant des jours et des semaines à la fois.
Pendant
ces épreuves, la plupart des saints obéissaient aux
commandements, mais certains volaient, trichaient et critiquaient la
façon de diriger des apôtres et refusaient de payer la
dîme. Brigham avait peu de patience pour ces comportements. Il
déclara : « Les hommes s’égarent
progressivement, jusqu’à ce que le diable prenne
possession de leur tabernacle et qu’ils soient emmenés
captifs selon sa volonté. »
Pour
encourager la droiture, Brigham exhorta les saints à
travailler ensemble, à respecter les alliances et à
éviter le péché. Il dit : « Nous ne
pouvons pas être sanctifiés tout d’un coup, mais
nous devons être éprouvés et placés dans
toutes sortes de situations, jusqu’aux plus extrêmes,
pour voir si nous servirons le Seigneur jusqu’à la fin.
»
Il
les organisa aussi en petites paroisses, nomma des évêques
et commanda au grand conseil de faire respecter un code de conduite
strict. Certains saints se réunirent également par
familles adoptives. À l’époque, les saints
n’étaient pas scellés à leurs parents
décédés s’ils ne s’étaient
pas joints à l’Église de leur vivant. Avant de
quitter Nauvoo, Brigham avait donc encouragé environ deux
cents saints à être scellés, ou adoptés
spirituellement, comme fils et filles dans les familles des
dirigeants de l’Église qui étaient des amis ou
des guides dans l’Évangile.
Ces
scellements d’adoption étaient accomplis par une
ordonnance dans le temple. Les parents adoptifs offraient souvent
leur soutien matériel et émotionnel, et les fils et
filles adoptifs, dont certains n’avaient pas d’autres
membres de leur famille dans l’Église, réagissaient
avec fidélité et dévotion.
Certains
des problèmes à Winter Quarters et dans d’autres
colonies temporaires étaient impossibles à éviter.
Lorsque le froid s’installa, plus de neuf mille saints
habitaient dans la région, dont trois mille cinq cents à
Winter Quarters. Les accidents, la maladie et la mort tourmentaient
chaque colonie. Environ une personne sur dix succombait à la
malaria, à la tuberculose, au scorbut ou à d’autres
maladies. La moitié des victimes étaient des
nourrissons et des enfants.
La
famille de Wilford Woodruff souffrit comme les autres. En octobre,
pendant que ce dernier coupait du bois, un arbre le heurta en tombant
et lui brisa des côtes. Peu après, son petit garçon,
Joseph, prit sérieusement froid. Wilford et Phebe s’occupèrent
continuellement de lui, mais rien de ce qu’ils faisaient
n’aidait et peu après ils l’enterrèrent
dans le cimetière nouvellement tracé de la colonie.
Quelques
semaines après la mort de Joseph, Phebe accoucha prématurément
d’un bébé qui mourut deux jours plus tard. Un
soir, Wilford rentra à la maison et trouva sa femme,
bouleversée, en train de regarder un portrait d’elle
tenant Joseph. La perte de l’enfant leur fit de la peine à
tous les deux et Wilford était impatient de voir arriver le
jour où les saints trouveraient un foyer, vivraient en paix et
profiteraient des bénédictions et de la sécurité
de Sion.
Il
écrivit dans son journal : « Je prie mon Père
céleste de prolonger mes jours pour que je voie la maison de
Dieu érigée au sommet des montagnes et l’étendard
de la liberté dressé comme une bannière pour les
nations. »
Au
milieu des souffrances à Winter Quarters, Brigham fut informé
qu’environ un millier d’émeutiers avaient attaqué
une petite colonie de saints encore à Nauvoo. Environ deux
cents d’entre eux avaient riposté, mais ils avaient été
vaincus au bout de quelques jours. Les dirigeants de la ville
négocièrent une évacuation paisible des saints
dont beaucoup étaient pauvres et malades. Néanmoins,
lorsqu’ils quittèrent la ville, les émeutiers les
harcelèrent et pillèrent leurs maisons et leurs
chariots. Ils s’emparèrent du temple, en profanèrent
l’intérieur et les ridiculisèrent tandis qu’ils
s’enfuyaient vers des campements de l’autre côté
du fleuve.
Lorsque
Brigham apprit le désespoir des réfugiés, il
expédia des lettres aux dirigeants de l’Église,
rappelant l’alliance qu’ils avaient contractée à
Nauvoo d’aider les pauvres et de secourir tous les saints qui
voulaient se rendre dans l’Ouest.
Il
déclara : « Les frères et sœurs pauvres,
veufs, orphelins, malades et démunis se trouvent maintenant
sur la berge ouest du Mississippi. C’est maintenant qu’il
faut travailler. Que le feu de l’alliance que vous avez
contractée dans la maison du Seigneur brûle dans votre
cœur comme une flamme inextinguible ! »
Bien
qu’ils eussent déjà envoyé vingt chariots
de secours à Nauvoo deux semaines plus tôt et bien
qu’ils n’eussent que peu de nourriture et d’équipement
dont ils pouvaient se passer, les saints de Winter Quarters et des
colonies voisines renvoyèrent des chariots supplémentaires,
des attelages de bœufs, de la nourriture et d’autres
denrées à Nauvoo. Newel Whitney, l’évêque
président de l’Église, acheta également de
la farine pour les saints appauvris.
Lorsque
les équipes de secours trouvèrent les réfugiés,
ils étaient fébriles, mal équipés pour le
froid et désespérément affamés. Le 9
octobre, pendant qu’ils se préparaient à faire le
voyage jusqu’au Missouri, les saints virent une volée de
cailles remplir le ciel et se poser sur leurs chariots ou autour. Les
hommes et les garçons se ruèrent sur les volatiles, les
attrapant à la main. Beaucoup se souvinrent comment Dieu avait
aussi envoyé des cailles à Moïse et aux enfants
d’Israël dans leur moment de détresse.
Thomas
Bullock, secrétaire de l’Église, écrivit
dans son journal : « Ce matin, nous avons eu une preuve directe
de la miséricorde et de la bonté de Dieu. Les frères
et les sœurs ont loué et glorifié son nom pour
nous avoir manifesté dans notre persécution ce qu’il
a déversé sur les enfants d’Israël dans le
désert.
Chaque
homme, femme et enfant a eu de la caille pour dîner. »
Pendant
ce temps, à des milliers de kilomètres de là,
sur l’atoll Anaa dans l’océan Pacifique, un
détenteur de la prêtrise d’Aaron nommé
Tamanehune s’adressait à une assemblée de plus de
huit cents saints des derniers jours. Il proposait : « Une
lettre devrait être expédiée à l’Église
en Amérique lui demandant de nous envoyer immédiatement
entre cinq et cent missionnaires. » Ariipaea, membre de
l’Église et dirigeant local du village, appuya la
proposition et les saints du Pacifique Sud levèrent la main
pour manifester leur approbation.
Présidant
la conférence, Addison Pratt était de tout cœur
d’accord avec Tamanehune. Au cours des trois années
passées, Benjamin Grouard et lui avaient baptisé plus
de mille personnes. Dans ce laps de temps, ils n’avaient reçu
qu’une lettre d’un des Douze et elle ne donnait aucune
instruction quant à leur retour chez eux.
Au
cours des six mois précédant l’arrivée de
la lettre, les deux missionnaires n’avaient eu aucune nouvelle
de leurs familles, de leurs amis, ni des dirigeants de l’Église.
Chaque fois qu’un journal arrivait sur l’île, ils
en scrutaient les pages à la recherche de nouvelles des
saints. Ils en avaient lu un qui affirmait que la moitié des
saints de Nauvoo avait été massacrée pendant que
l’autre avait été forcée de s’enfuir
en Californie.
Impatient
de connaître le sort de Louisa et de ses filles, Addison décida
de retourner aux États-Unis. Il se dit : « Même si
la vérité n’est pas bonne à savoir, c’est
mieux que de rester dans le doute et l’anxiété. »
Ses
amis, Nabota et Telii, le mari et la femme qui avaient servi avec lui
sur Anaa, décidèrent de retourner à Tubuai où
Telii était une enseignante spirituelle bien-aimée de
ses sœurs de l’Église. Benjamin comptait rester
sur les îles pour diriger la mission.
Lorsque
les saints du Pacifique furent informés du départ
prochain d’Addison, ils l’exhortèrent à
revenir bientôt et à ramener d’autres
missionnaires avec lui. Comme il avait déjà prévu
de retourner sur les îles avec Louisa et ses filles, dans la
mesure où elles étaient encore en vie, il accepta sans
réserve.
Un
navire arriva sur l’île un mois plus tard et il partit
avec Nabota et Telii pour Papeete (Tahiti) où il espérait
prendre un bateau pour Hawaï puis la Californie. Lorsqu’ils
arrivèrent à Tahiti, à son grand désarroi,
il apprit qu’on lui avait fait suivre un paquet de lettres de
Louisa, de Brigham Young et des saints du Brooklyn sur l’île
d’Anaa.
Il
se lamenta dans son journal : « Je pensais être devenu
insensible aux déceptions, mais celle-ci m’a fait une
impression que je n’avais encore jamais éprouvée.
»
Pendant
qu’un froid plus vif s’installait sur Winter Quarters,
Brigham priait souvent pour savoir comment préparer l’Église
pour le périple au-delà des montagnes Rocheuses. Après
presque une année passée sur la piste, il avait appris
qu’organiser et équiper les saints pour la route qui les
attendait était indispensable à leur réussite.
Néanmoins, l’enchaînement de contretemps lui avait
montré combien il était important de s’appuyer
sur le Seigneur et de suivre ses directives. Comme du temps de
Joseph, lui seul pouvait diriger son Église.
Peu
après le début d’une nouvelle année,
Brigham sentit le Seigneur ouvrir son intelligence à une
lumière et à une connaissance nouvelles. Le 14 janvier
1847, lors d’une réunion avec le grand conseil et les
Douze, il commença à noter une révélation
du Seigneur aux saints. Avant que Brigham ne se couche, le Seigneur
lui donna d’autres instructions pour le voyage à venir.
Sortant la révélation inachevée, il continua de
noter les directives du Seigneur à l’attention des
saints.
Le
lendemain, il présenta la révélation aux Douze.
Appelée « La parole et la volonté du Seigneur »,
elle soulignait la nécessité d’organiser les
saints en convois sous la direction des apôtres. Dans la
révélation, le Seigneur commandait aux saints de
pourvoir à leurs propres besoins et d’unir leurs efforts
pendant le voyage pour s’occuper des veuves, des orphelins et
des familles des membres du Bataillon mormon.
La
révélation commandait : « Que chacun use de toute
son influence et de tous ses biens pour déplacer ce peuple
vers le lieu où le Seigneur situera un pieu de Sion. Si vous
faites cela d’un cœur pur, en toute humilité, vous
serez bénis. »
Le
Seigneur commandait aussi à son peuple de se repentir et de
s’humilier, de faire preuve de gentillesse les uns envers les
autres et de cesser de se livrer à l’ivrognerie et à
la médisance. Ses paroles étaient présentées
sous forme d’alliance, commandant aux saints de « marcher
dans toutes les ordonnances du Seigneur », respectant les
promesses faites dans le temple de Nauvoo.
Il
déclara : « Je suis le Seigneur votre Dieu, oui, le Dieu
de vos pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de
Jacob. Je suis celui qui a fait sortir les enfants d’Israël
du pays d’Égypte, et mon bras est étendu dans les
derniers jours. »
Comme
les Israélites d’autrefois, les saints devaient louer le
Seigneur et invoquer son nom dans les moments de détresse. Ils
devaient chanter et danser avec une prière de reconnaissance
dans le cœur. Ils ne devaient pas craindre l’avenir, mais
faire confiance à Dieu et supporter leurs afflictions.
Le
Seigneur déclara : « Mon peuple doit être mis à
l’épreuve en tout, pour qu’il soit préparé
à recevoir la gloire que j’ai pour lui, c’est-à-dire
la gloire de Sion. »
Les
apôtres présentèrent la nouvelle révélation
aux saints à Winter Quarters quelques jours plus tard et
nombre d’entre eux se réjouirent en l’entendant.
Une femme écrivit à son mari en Angleterre : « Le
Seigneur s’est une fois de plus souvenu de ses serviteurs et
leur a accordé une révélation de sa volonté.
» Elle s’exclama : « La paix et l’unité
règnent parmi nous et l’Esprit de Dieu prévaut
parmi nous ! »
Cependant,
certains problèmes perduraient à Winter Quarters.
Depuis leur départ de Nauvoo, les apôtres avaient
continué d’accomplir des adoptions spirituelles parmi
les saints. Brigham remarqua que quelques saints incitaient des amis
à se faire adopter dans leur famille, croyant que leur gloire
éternelle dépendait du nombre de personnes scellées
à eux. La jalousie et les rivalités naquirent
lorsqu’ils se mirent à se disputer pour savoir qui
aurait la plus grande famille dans les cieux. Les querelles firent
douter Brigham qu’aucun d’eux n’y parvienne.
En
février, pendant qu’il parlait de la pratique de
l’adoption spirituelle, il admit qu’il ne savait toujours
pas grand-chose à ce sujet. Il aimait profondément les
dizaines de saints qui avaient été adoptés dans
sa famille grâce à l’ordonnance. Il se sentait
néanmoins ignorant de cette pratique et de sa signification.
Il
promit aux saints : « Je vais m’enquérir de ce
sujet et par conséquent je serai plus en mesure de l’enseigner
et de le pratiquer. »
Le
lendemain, il tomba malade et resta couché. Pendant qu’il
dormait, il rêva qu’il voyait Joseph Smith assis sur un
fauteuil devant une grande fenêtre. Prenant la main droite de
Joseph, il demanda à son ami pourquoi il ne pouvait pas être
avec les saints.
Se
levant de son fauteuil, Joseph dit : « Ce n’est pas
grave. »
Brigham
dit : « Les frères sont impatients de comprendre la loi
d’adoption ou les principes de scellement. Si tu as un conseil
à me donner, je serais heureux de le recevoir. »
Joseph
répondit : « Dis au peuple d’être humble et
fidèle et de veiller à garder l’Esprit du
Seigneur. S’il le fait, il se retrouvera organisé
exactement comme notre Père céleste l’avait
organisé avant qu’il ne vienne au monde. »
Quand
Brigham se réveilla, les paroles de Joseph résonnaient
encore dans son esprit : « Dis au peuple de veiller à
garder l’Esprit du Seigneur et de le suivre et il le guidera
comme il se doit. » Le conseil ne répondait pas à
sa question sur les scellements d’adoption, mais lui rappelait
d’obéir à l’Esprit afin que les saints et
lui puissent être amenés à une meilleure
compréhension.
Pendant
le reste de l’hiver, les apôtres continuèrent de
rechercher la révélation pendant qu’ils se
préparaient à envoyer des convois de chariots au-delà
des montagnes Rocheuses. Sous leur direction, un petit convoi
d’avant-garde quitterait Winter Quarters au printemps,
franchirait les montagnes et établirait un nouveau lieu de
rassemblement pour les saints. Pour obéir au commandement du
Seigneur et accomplir une prophétie, il dresserait une
bannière pour les nations et commencerait la construction d’un
temple. Des convois plus grands, composés principalement de
familles, le suivraient rapidement, obéissant à la
parole et à la volonté du Seigneur pendant leur voyage.
Avant
de quitter Nauvoo, le Collège des Douze et le conseil des
cinquante avaient envisagé de s’installer dans la vallée
du lac Salé ou au nord, dans la vallée de la Bear
River. Les deux vallées étaient de l’autre côté
des montagnes Rocheuses et les descriptions étaient
prometteuses. Brigham avait eu une vision de l’endroit où
les saints s’installeraient, mais il n’avait qu’une
idée générale de son emplacement. Il priait
quand même Dieu de le conduire lui et le convoi d’avant-garde
au bon lieu de rassemblement pour l’Église.
Le
convoi d’avant-garde était composé de cent
quarante-trois hommes choisis par les apôtres. Harriet Young,
la femme du frère de Brigham, Lorenzo, demanda si elle et ses
deux jeunes fils pouvaient accompagner ce dernier. Brigham demanda
ensuite à sa femme Clara qui était la fille d’un
premier mariage d’Harriet de se joindre aussi à la
compagnie. Ellen, une immigrante de Norvège et épouse
plurale d’Heber Kimball, s’associa aussi au convoi.
Juste
au moment où celui-ci se préparait à partir,
Parley Pratt et John Taylor revinrent à Winter Quarters de
leur mission en Angleterre. Avec Orson Hyde, qui supervisait encore
l’Église en Grande-Bretagne, ils avaient nommé de
nouveaux dirigeants de mission et rétabli l’ordre parmi
les saints. Maintenant, croyant qu’ils avaient été
séparés de leur famille depuis trop longtemps, Parley
et John déclinèrent les instances de Brigham de se
joindre au reste du collège dans la migration vers l’ouest.
Brigham leur confia donc la responsabilité de Winter Quarters.
L’après-midi
du 16 avril 1847, le convoi d’avant-garde commença son
voyage sous un ciel froid et triste. Dans une lettre d’au
revoir aux saints de Winter Quarters, les apôtres déclarèrent
: « Nous avons l’intention d’ouvrir la voie du
salut aux cœurs honnêtes de toutes les nations ou
sacrifier tout ce qui est de notre intendance. Au nom du Dieu
d’Israël nous avons l’intention de conquérir
ou de mourir en essayant. »
CHAPITRE
4
: Une
bannière pour les nations
En
avril 1847, Sam Brannan et trois autres hommes quittèrent la
baie de San Francisco et partirent à la recherche de Brigham
Young et du corps principal des saints. Ils ne savaient pas
exactement où les trouver, mais la plupart des émigrants
suivaient la même piste vers l’ouest. Si Sam et son petit
convoi la suivaient vers l’est, ils finiraient par se croiser.
Après
une brève halte pour s’approvisionner à New Hope,
les hommes prirent la direction des contreforts de la Sierra Nevada.
Les gens qui connaissaient bien ces montagnes avaient averti Sam
qu’il ne fallait pas les franchir si tôt dans l’année.
Ils avaient dit que le col serait encore enfoui sous la neige, ce qui
signifiait que le périple pouvait se transformer en un
calvaire de deux mois.
Sam
était pourtant sûr de pouvoir les franchir rapidement.
Poussant leurs animaux de bât, ses hommes et lui grimpèrent
pendant des heures. La neige était profonde, mais compacte,
leur permettant de prendre appui plus facilement le long du chemin.
Par contre, l’eau des ruisseaux était haute, ce qui les
obligeait à courir des risques en les traversant à la
nage ou en empruntant des détours.
De
l’autre côté de la chaîne de montagnes, la
piste les conduisit le long de rochers de granit escarpés et
massifs jusqu’à une vue sur une belle vallée
couverte de pins et ornée d’un lac aussi bleu que le
ciel. Descendant dans la vallée, ils trouvèrent
quelques cabanes abandonnées dans un camp jonché de
dépouilles humaines. Des mois plus tôt, un convoi à
destination de la Californie était resté bloqué
dans la neige. Les émigrants avaient construit des cabanes
pour attendre la fin d’une tempête hivernale, mais,
démunis de tout, beaucoup moururent lentement de faim ou de
froid tandis que d’autres eurent recours au cannibalisme.
Leur
histoire était un sombre rappel des dangers de la traversée
par voie terrestre, mais Sam refusa de se laisser effrayer par leur
tragédie. Il était captivé par la contrée
inapprivoisée. Il exulta : « Un homme ne peut se
connaître tant qu’il n’a pas parcouru ces montagnes
sauvages. »
Mi-mai,
Brigham Young et le convoi d’avant-garde avaient couvert plus
de quatre cent cinquante kilomètres. Chaque matin, le clairon
réveillait le camp à cinq heures et ils se mettaient en
route à sept heures. Parfois, la progression du convoi était
retardée, mais la plupart du temps, ils arrivaient à
parcourir entre vingt-cinq et trente kilomètres par jour. Le
soir, ils disposaient les chariots en cercle, se réunissaient
pour la prière et éteignaient les feux de camp.
Quelquefois,
la vue de bisons rompait la monotonie. Ces animaux massifs au poil
épais se déplaçaient en immenses troupeaux,
martelant les collines et les plaines avec tant de fluidité
qu’on aurait dit que la prairie elle-même se mouvait. Les
hommes étaient impatients de chasser l’animal, mais
Brigham leur recommanda de ne le faire qu’en cas de nécessité
et de ne jamais en gaspiller la viande.
Le
convoi voyagea le long d’une piste que d’autres colons
partis pour l’Ouest avaient tracée quelques années
plus tôt. Au fil des kilomètres, la plaine herbeuse céda
lentement la place à une région vallonnée et
désertique. Du haut d’un escarpement, le paysage avait
l’air aussi accidenté qu’une mer démontée.
La piste longeait la Platte River et traversait plusieurs criques
offrant de l’eau pour boire et se laver. Le sol était
pourtant sablonneux. De temps en temps, le convoi repérait un
arbre ou un carré d’herbe verte le long du chemin, mais,
à perte de vue, le terrain était désolé
et menaçant.
Parfois,
un membre du convoi demandait à Brigham où ils
allaient. Il répondait : « Je vous montrerai quand on
sera arrivés. J’ai vu l’endroit, je l’ai vu
en vision, et lorsque mes yeux naturels le verront, je le saurai. »
Chaque
jour, William Clayton estimait la distance parcourue par le convoi et
corrigeait les cartes quelquefois imprécises qui les
guidaient. Peu après le début du voyage, Orson Pratt et
lui avaient fabriqué avec Appleton Harmon, un artisan habile,
un « routomètre », dispositif de bois qui mesurait
les distances avec exactitude grâce à un système
de roues dentées fixées sur une roue de chariot.
En
dépit des progrès du convoi, Brigham était
souvent contrarié en voyant les actions de certains membres du
convoi. La plupart étaient dans l’Église depuis
des années, avaient fait des missions et avaient reçu
les ordonnances du temple. Néanmoins, beaucoup ignoraient ses
recommandations et chassaient ou gaspillaient leur temps libre en
faisant des paris, de la lutte et en dansant jusque tard dans la
nuit. Parfois Brigham était réveillé le matin
par ceux qui se disputaient à propos de quelque chose qui
s’était passé pendant la nuit. Il craignait que
ces querelles ne dégénèrent en coups de poing ou
pire.
Le
matin du 29 mai, il demanda aux hommes : « Pensez-vous que nous
allons chercher un foyer pour les saints, un lieu de repos, un lieu
de paix où ils pourront bâtir le royaume et accueillir
les nations avec un esprit méprisable, méchant, sale,
insignifiant, envieux et inique ? » Il déclara que
chacun d’eux devait être un homme de foi, réfléchi,
adonné à la prière et à la méditation.
Il
dit : « Voilà l’occasion pour chacun de faire ses
preuves, de savoir s’il priera et se souviendra de son Dieu
sans qu’on lui demande chaque jour de le faire. » Il les
exhorta à servir le Seigneur, à se souvenir de leurs
alliances du temple et à se repentir de leurs péchés.
Après
cela, les hommes se regroupèrent par collèges de la
prêtrise et firent alliance, à main levée, de
faire le bien et de marcher humblement devant Dieu. Le lendemain,
lorsqu’ils prirent la Sainte-Cène, un nouvel esprit
prévalait.
Heber
Kimball nota dans son journal : « Depuis le début du
voyage, je n’ai jamais vu les frères aussi calmes et
sérieux un dimanche. »
Pendant
que le convoi d’avant-garde avançait vers l’ouest,
environ la moitié des saints de Winter Quarters équipaient
leurs chariots et emballaient des provisions pour le voyage. Le soir,
après avoir terminé leurs préparatifs, ils se
rassemblaient souvent pour chanter et danser au son du violon et le
dimanche, ils se réunissaient pour entendre des sermons et
parler de leur migration à venir.
Cependant,
tout le monde n’était pas pressé de partir pour
l’Ouest. James Strang et d’autres dissidents continuaient
d’appâter les saints par des promesses de nourriture,
d’abris et de paix. Strang et ses partisans avaient fondé
une communauté dans le Wisconsin, un territoire faiblement
colonisé à quelque quatre cent cinquante kilomètres
au nord-est de Nauvoo, où certains saints mécontents se
rassemblaient. Plusieurs familles à Winter Quarters avaient
déjà chargé leurs chariots et étaient
parties les rejoindre.
En
tant qu’apôtre président à Winter Quarters,
Parley Pratt les suppliait d’ignorer les apostats et de suivre
les apôtres autorisés du Seigneur. Il leur rappelait : «
Le Seigneur nous a appelés à nous rassembler et non à
nous disperser tout le temps. » Il leur dit que John Taylor et
lui voulaient envoyer des convois vers l’ouest à la fin
du printemps.
Parley
dut pourtant retarder le projet. Avant le départ du convoi
d’avant-garde, les Douze avaient organisé plusieurs
convois selon la révélation. Ceux-ci se composaient
surtout de familles qui avaient été scellées par
adoption à Brigham Young et à Heber Kimball. Les
apôtres leur avaient commandé d’emporter
suffisamment de provisions pour l’année à venir
et d’emmener avec eux des saints pauvres et les familles des
hommes du Bataillon mormon. Si ces personnes ne voulaient pas
respecter l’alliance de pourvoir aux besoins des nécessiteux,
leurs chariots pouvaient être confisqués et donnés
à celles qui le feraient.
Mais
Parley voyait des problèmes dans l’exécution du
projet du collège. De nombreux saints dans ces convois,
notamment des capitaines, n’étaient pas prêts à
partir. Certains manquaient de moyens pour faire le voyage et sans
provisions suffisantes, ils seraient un lourd fardeau pour les autres
membres du convoi qui avaient à peine assez de provisions pour
leur famille. D’autre part, il y avait d’autres saints
qui n’avaient pas été organisés en
convois, mais qui étaient prêts et impatients de partir,
car ils craignaient que d’autres êtres chers ne
succombent à la maladie s’ils passaient un autre hiver à
Winter Quarters.
Parley
et John décidèrent de réorganiser les convois,
adaptant le projet original aux quelque mille cinq cents saints qui
étaient prêts à se rendre dans l’Ouest.
Quand certains saints objectèrent aux changements, remettant
en question l’autorité de Parley de modifier le plan des
Douze, les deux apôtres essayèrent de raisonner avec
eux.
John
expliqua qu’en l’absence de Brigham, l’apôtre
ayant le plus d’ancienneté avait autorité pour
diriger les membres de l’Église. Puisque Brigham n’était
pas à Winter Quarters, John avait le sentiment que Parley
avait la responsabilité et le droit de prendre des décisions
pour la colonie.
Parley
était d’accord. Il dit : « Je pense qu’il
vaut mieux agir en fonction de notre situation. »
Pendant
que Wilford Woodruff voyageait vers l’ouest avec le convoi
d’avant-garde, il réfléchissait souvent à
sa mission sacrée. Il écrivit dans son journal : «
Il faut comprendre que nous essayons une route que la maison d’Israël
empruntera pendant de nombreuses années à venir. »
Une
nuit, il rêva que le convoi arrivait au nouveau lieu de
rassemblement. Pendant qu’il contemplait le pays, un magnifique
temple apparut devant lui. Il semblait fait de pierres blanches et
bleues. Se tournant vers des hommes qui étaient debout près
de lui dans le rêve, il leur demanda s’ils le voyaient.
Ils dirent que non, mais cela ne diminua en rien la joie que Wilford
ressentit en le regardant.
En
juin, il se mit à faire chaud. L’herbe courte qui
nourrissait leur bétail devint brune dans l’air sec et
le bois se fit plus rare. Souvent, le seul combustible pour les feux
était de la bouse de bison séchée. Le convoi
resta néanmoins diligent à respecter les commandements
comme Brigham avait demandé et Wilford vit des preuves des
bénédictions de Dieu dans la préservation de
leurs réserves de nourriture, de leurs animaux et de leurs
chariots.
Il
écrivit dans son journal : « La paix et l’unité
règnent parmi nous. Cette mission produira beaucoup de bonnes
choses si nous sommes fidèles à respecter les
commandements de Dieu. »
Le
27 juin, le convoi d’avant-garde rencontra sur la piste un
explorateur célèbre nommé Moses Harris. Harris
dit aux saints qu’il n’était pas judicieux de
s’installer dans la vallée de Bear River ni dans celle
du lac Salé. Il leur recommanda un endroit appelé Cache
Valley, au nord-est du Grand Lac Salé.
Le
lendemain, le convoi rencontra un autre explorateur, Jim Bridger.
Contrairement à Harris, Bridger dit beaucoup de bien des
vallées de Bear River et du lac Salé, bien qu’il
les avertît que les nuits froides de Bear River les
empêcheraient probablement de cultiver du maïs. Il dit que
la terre de la vallée du lac Salé était bonne,
qu’il s’y trouvait plusieurs ruisseaux d’eau claire
et qu’il y pleuvait tout au long de l’année. Il
vanta également les mérites de la vallée d’Utah,
au sud du Grand Lac Salé, mais les avertit de ne pas déranger
les Utes qui vivaient dans cette région.
Les
propos de Bridger sur la vallée du lac Salé étaient
encourageants. Bien que Brigham ne fût pas disposé à
identifier un point d’arrêt tant qu’il ne l’avait
pas vu, lui et les autres membres du convoi étaient surtout
intéressés par l’exploration de la vallée
du lac Salé. Et si ce n’était pas l’endroit
où le Seigneur voulait qu’ils s’installent, ils
pourraient au moins s’y arrêter, ensemencer les terres et
fonder une colonie provisoire jusqu’à ce qu’ils
trouvent leur foyer permanent dans le bassin.
Deux
jours plus tard, pendant que les hommes du convoi d’avant-garde
construisaient des radeaux pour traverser des rapides, Sam Brannan et
ses compagnons débarquèrent dans le camp juste avant le
coucher du soleil, surprenant tout le monde. Le convoi écouta
avidement pendant que Sam les amusait avec des histoires du Brooklyn,
de la colonisation de New Hope et de son propre voyage périlleux
à travers les montagnes et les plaines pour venir à
leur rencontre. Il leur dit que les saints en Californie avaient
planté des hectares de blé et de pommes de terre en vue
de leur arrivée.
L’enthousiasme
de Sam pour le climat et le sol californiens était contagieux.
Il exhorta le convoi à revendiquer la région de la baie
de San Francisco avant que d’autres colons n’arrivent.
C’était le lieu idéal pour installer une colonie
et des hommes éminents en Californie étaient favorables
à la cause des saints et prêts à les accueillir.
Brigham
écouta Sam, légèrement sceptique devant la
proposition. Les attraits de la côte californienne étaient
incontestables, mais il savait que le Seigneur voulait que les saints
établissent leur nouveau lieu de rassemblement plus près
des montagnes Rocheuses. Il déclara : « Notre
destination est le Grand Bassin. »
À
peine plus d’une semaine plus tard, le convoi quitta la piste
bien marquée qu’il avait suivie pour en prendre une plus
effacée en direction de la vallée du lac Salé.
Cet
été-là, Louisa Pratt installa sa famille dans
une cabane qu’elle avait achetée pour cinq dollars.
C’était le troisième logement qu’elle
occupait à Winter Quarters. Lorsque la cheminée avait
cessé de fonctionner dans sa cabane de boue séchée,
elle avait emménagé avec sa famille dans une
tranchée-abri humide, laquelle n’était rien
d’autre qu’un trou d’un mètre cinquante dans
la terre avec des fuites au toit.
Dans
la nouvelle maison, Louisa paya des hommes pour lui installer un
plancher de bois. Elle fit ensuite construire une tonnelle devant
chez elle où l’on pouvait asseoir vingt-cinq personnes,
et avec sa fille Ellen elles ouvrirent une école. Pendant ce
temps, sa fille Frances entretenait un potager et coupait du bois
pour chauffer la maison et cuisiner.
Louisa
était encore en mauvaise santé. Après s’être
remise de la fièvre et des tremblements, elle se blessa au
genou lors d’une mauvaise chute sur la neige et la glace.
Pendant qu’elle habitait dans la tranchée-abri, elle
avait contracté le scorbut et avait perdu ses incisives. Mais
ses filles et elle avaient moins souffert que de nombreux saints.
Tout le monde avait des voisins ou des amis qui avaient succombé
aux maladies qui sévissaient dans le camp.
Après
avoir acheté le logement et effectué les réparations,
il ne lui restait que peu d’argent. Lorsque ses réserves
de nourriture furent presque épuisées, elle rendit
visite à ses voisins et leur demanda s’ils souhaitaient
acheter son lit de plumes, mais ils n’avaient pas d’argent
non plus. En parlant avec eux, elle mentionna le fait qu’il ne
restait rien à manger chez elle.
L’un
d’eux dit : « Tu n’as pas l’air inquiète.
Que comptes-tu faire ? »
Elle
répondit : « Oh, je ne m’inquiète pas. Je
sais que la délivrance arrivera de manière inattendue.
»
Sur
le chemin de retour, elle s’arrêta chez une autre
voisine. Dans la conversation, cette dernière mentionna la
vieille crémaillère de Louisa qui servait à
maintenir les marmites dans la cheminée. La voisine dit : «
Si tu veux la vendre, je te donnerai deux boisseaux de semoule de
maïs. » Louisa accepta le troc, reconnaissant que le
Seigneur la bénissait une fois de plus.
Ce
printemps-là, elle se sentit en meilleure forme et se risqua à
adorer avec les saints. Les femmes de la colonie avaient commencé
à se réunir pour se fortifier mutuellement en exerçant
leurs dons spirituels. Lors d’une réunion, elles
parlèrent en langues pendant qu’Elizabeth Ann Whitney
qui, depuis de nombreuses années, était une dirigeante
spirituelle parmi les saints, interprétait. Elizabeth Ann dit
que Louisa se remettrait, traverserait les montagnes Rocheuses et
aurait la joie d’y retrouver son mari.
Louisa
fut surprise. Elle avait supposé qu’elle serait réunie
à Addison à Winter Quarters et ferait ensuite la route
vers l’ouest avec lui. Sans son aide, elle ne voyait aucun
moyen, physiquement ou financièrement, de faire le voyage.
Au
fur et à mesure que les membres du convoi d’avant-garde
s’enfonçaient vers le cœur des montagnes
Rocheuses, la piste devenait plus pentue et les hommes et les femmes
se fatiguaient plus facilement. Devant eux, clairement visibles
au-dessus des plaines ondulantes, se trouvaient des pics enneigés
nettement plus hauts que toutes les montagnes qu’ils avaient
vues dans l’Est des États-Unis.
Une
nuit du début juillet, Clara la femme de Brigham, se réveilla
avec de la fièvre, un mal de tête et des douleurs
intenses dans les hanches et dans le dos. Rapidement, d’autres
personnes se plaignirent des mêmes symptômes et elles
eurent du mal à ne pas se laisser distancer par le reste du
convoi. Chaque pas qu’elles faisaient sur le sol rocailleux
était atrocement douloureux pour leurs membres affaiblis.
Au
fil des jours, Clara se sentit mieux. L’étrange maladie
semblait attaquer rapidement puis se dissiper peu après. Le 12
juillet, Brigham fut fiévreux. Pendant la nuit, il délira.
Le lendemain, il se sentit un peu mieux, mais les apôtres et
lui décidèrent que la majeure partie du convoi devait
se reposer pendant qu’Orson Pratt continuait avec un groupe de
quarante-deux hommes.
Environ
une semaine plus tard, Brigham demanda à Willard Richards,
George A. Smith, Erastus Snow et d’autres de continuer et de
rattraper le convoi d’avant-garde d’Orson. Il commanda :
« Après avoir atteint la vallée du lac Salé,
arrêtez-vous au premier endroit convenable et mettez en terre
nos semences de pommes de terre, de sarrasin et de navets sans tenir
compte de notre destination finale. » Se souvenant du rapport
de Jim Bridger sur la région, il les avertit de ne pas aller
vers le sud, dans la vallée d’Utah, tant qu’ils
n’auraient pas fait plus ample connaissance avec les Utes qui
l’habitaient.
Clara,
ses deux jeunes demi-frères et leur mère restèrent
en arrière avec Brigham et les autres pionniers malades. Une
fois que le convoi se sentit suffisamment fort pour continuer, il
suivit une piste grossière sur un sol inégal obstrué
de broussailles. À certains endroits, les parois du canyon
étaient tellement hautes qu’une épaisse poussière
restait suspendue dans l’air, bouchant la vue.
Le
23 juillet, Clara et le convoi malade gravirent une piste escarpée
jusqu’au sommet d’une colline. De là, ils
descendirent à travers un bosquet épais, serpentant le
long d’un chemin plein de souches abandonnées par les
personnes qui avaient tracé la piste. Dans la descente, un
kilomètre plus bas, le chariot qui transportait les frères
de Clara se renversa dans un ravin et s’écrasa contre un
rocher. Les hommes découpèrent rapidement la toile et
extirpèrent les garçons.
Pendant
que le convoi se reposait au pied de la colline, deux cavaliers de
celui d’Orson arrivèrent dans le camp annonçant
que la vallée du lac Salé n’était plus
très loin. Épuisées, Clara et sa mère
continuèrent d’avancer avec le reste du convoi jusqu’en
début de soirée. Au-dessus d’eux, un orage
menaçait.
Le
lendemain matin, 24 juillet 1847, Wilford conduisit son attelage sur
plusieurs kilomètres dans un ravin. Brigham était
allongé derrière lui, trop fiévreux et faible
pour marcher. Peu après, ils roulèrent le long d’une
crique à travers un autre canyon jusqu’à ce
qu’ils arrivent sur un replat d’où l’on
voyait la vallée du lac Salé.
Wilford
contempla, émerveillé, le vaste pays qui s’étendait
sous lui. Des prairies fertiles, vertes et épaisses, arrosées
par des ruisseaux de montagne clairs se déployaient sur des
kilomètres devant eux. Les ruisseaux se jetaient dans une
longue rivière étroite qui traversait le fond de la
vallée dans sa longueur. Une bordure de montagnes élevées,
leurs pics irréguliers hauts dans les nuages, entourait la
vallée telle une forteresse. À l’ouest,
scintillant comme un miroir dans la lumière du soleil, se
trouvait le Grand Lac Salé.
Après
un voyage de plus de mille cinq cents kilomètres à
travers la prairie, le désert et les canyons, la vue était
époustouflante. Wilford imaginait les saints s’installant
là et établissant un autre pieu de Sion. Ils pourraient
construire des maisons, cultiver des vergers et des champs et
rassembler le peuple de Dieu du monde entier. Et sous peu, la maison
du Seigneur serait établie dans les montagnes et s’élèverait
par-dessus les collines, tout comme Ésaïe l’avait
prophétisé.
Comme
Brigham n’arrivait pas à voir clairement la vallée,
Wilford fit tourner le chariot pour permettre à son ami d’en
avoir une meilleure vue. Balayant la vallée du regard, Brigham
l’étudia pendant plusieurs minutes.
«
Cela suffit. C’est le bon endroit », dit-il à
Wilford. « Avance. »
Brigham
reconnut l’endroit dès qu’il le vit. À
l’extrémité nord de la vallée se trouvait
le pic montagneux de sa vision. Il avait prié pour être
conduit directement à cet endroit et le Seigneur avait exaucé
ses prières. Il ne voyait aucune utilité à
regarder ailleurs.
Au-dessous,
le fond de la vallée frémissait déjà
d’activité. Avant même que Brigham, Wilford et
Heber Kimball ne descendent de la montagne, Orson Pratt, Erastus Snow
et d’autres hommes avaient établi un camp de base et
commencé à labourer, planter et irriguer. Wilford se
joignit à eux dès son arrivée au camp, plantant
un demi-boisseau de pommes de terre avant de prendre son repas du
soir et de s’installer pour la nuit.
Le
lendemain était le sabbat et les saints rendirent grâces
au Seigneur. Le convoi se réunit pour entendre des sermons et
prendre la Sainte-Cène. Bien que faible, Brigham prit
brièvement la parole pour l’encourager à honorer
le jour du sabbat, à s’occuper des terres et à
respecter les biens les uns des autres.
Le
lundi matin, 26 juillet, Brigham était encore en convalescence
dans le chariot de Wilford lorsqu’il se tourna vers ce dernier
et dit : « Frère Woodruff, je voudrais aller marcher. »
Wilford
dit : « D’accord. »
Ils
partirent ce matin-là avec huit autres hommes, en direction
des montagnes au nord. Brigham fit une partie du chemin sur le
chariot de Wilford, serrant autour de ses épaules une cape
verte. Avant d’atteindre les contreforts, le terrain s’aplanit.
Brigham descendit du chariot et marcha lentement sur la terre légère
et riche.
Les
hommes le suivaient, admirant le paysage, lorsqu’il s’arrêta
brusquement et enfonça sa canne dans le sol. Il dit : «
C’est ici que se tiendra le temple de notre Dieu. » Il le
voyait déjà en vision devant lui, ses six flèches
s’élevant au-dessus du fond de la vallée.
Les
paroles de Brigham firent à Wilford l’effet d’un
coup de foudre. Alors que les hommes étaient sur le point de
passer leur chemin, il leur demanda d’attendre. Il cassa une
branche d’une armoise voisine et la planta dans le sol pour
marquer l’endroit.
Ensuite,
ils continuèrent, imaginant la ville que les saints bâtiraient
dans la vallée.
Plus
tard ce jour-là, Brigham indiqua le pic montagneux situé
au nord de la vallée. Il dit : « Je veux gravir ce pic,
car je suis convaincu qu’il s’agit de celui que j’ai
vu en vision. » Le pic rocheux arrondi était facile à
gravir et clairement visible de tous les côtés de la
vallée. C’était l’endroit idéal pour
élever une bannière pour les nations, signaler au monde
que le royaume de Dieu était de nouveau sur la terre.
Brigham
se mit immédiatement en route vers le sommet avec Wilford,
Heber Kimball, Willard Richards et d’autres. Wilford fut le
premier à atteindre le sommet. Depuis le pic, il voyait la
vallée s’étendre devant lui. Avec ses hautes
montagnes et sa plaine spacieuse, elle pouvait protéger les
saints de leurs ennemis pendant qu’ils essayaient de respecter
les lois de Dieu, de rassembler Israël, de construire un autre
temple et d’établir Sion. Dans ses réunions avec
les Douze et le conseil de cinquante, Joseph Smith avait souvent
exprimé le désir de trouver un tel endroit pour les
saints.
Les
amis de Wilford le rejoignirent rapidement. Ils appelèrent
l’endroit Ensign Peak, évoquant la prophétie
d’Ésaïe selon laquelle les exilés d’Israël
et les dispersés de Juda s’assembleraient des quatre
coins de la terre sous une bannière commune.
Un
jour, ils voulaient faire flotter un énorme drapeau au-dessus
du pic. Mais sur le moment, ils firent de leur mieux pour marquer
l’occasion. Ce qui s’est passé est incertain, mais
un homme se souvient qu’Heber Kimball a sorti un bandana jaune,
l’a attaché à l’extrémité de
la canne de Willard Richards et l’a agité dans l’air
chaud de la montagne.
CHAPITRE 5
: Écrasé
jusqu’au tombeau
L’été
1847, Jane Manning James fit la route vers l’Ouest avec son
mari, Isaac, et deux fils, Sylvester et Silas, avec une grande
caravane d’environ mille cinq cents saints. Les apôtres
Parley Pratt et John Taylor la conduisaient avec l’aide de
plusieurs capitaines qui supervisaient des compagnies de cent
cinquante à deux cents personnes. Parley et John avaient
organisé la caravane vers la fin du printemps, après
avoir décidé de modifier le projet original de
migration du Collège des Douze.
Elle
quitta Winter Quarters à la mi-juin, environ deux mois après
le départ du convoi d’avant-garde. Bien qu’elle
n’eût qu’une vingtaine d’années, Jane
était habituée aux longs périples à
pieds. En 1843, après s’être vue refuser l’accès
à bord d’un chaland du fait de la couleur de sa peau, un
petit groupe de saints des derniers jours noirs et elle avaient
parcouru à pied presque mille trois cents kilomètres
depuis l’ouest de l’État de New York jusqu’à
Nauvoo. Plus tard, Isaac et elle avaient traversé à
pied les prairies boueuses de l’Iowa avec le camp d’Israël.
Pendant la plus grande partie du voyage, Jane était enceinte
de son fils, Silas, qui naquit pendant le voyage.
Le
trajet par voie terrestre était rarement passionnant. Les
journées étaient longues et fatigantes. Le paysage des
plaines était monotone, à moins de voir une formation
rocheuse inhabituelle ou un troupeau de bisons se profiler à
l’horizon. Un jour, pendant qu’elle longeait la berge de
la North Platte River, la compagnie de Jane fut surprise lorsqu’un
troupeau de bisons la chargea. Elle rassembla ses chariots et son
bétail pendant que des hommes criaient et faisaient claquer
des fouets devant la cavalcade. Juste avant de piétiner le
convoi, le troupeau se divisa par le milieu, certains bisons partant
vers la droite pendant que d’autres déviaient vers la
gauche. En fin de compte, personne ne fut blessé.
Jane,
Isaac et leurs enfants étaient les seuls saints noirs de leur
compagnie de près de cent quatre-vingt-dix personnes. Il y en
avait pourtant d’autres dans des paroisses et branches dans
toute l’Église. Elijah Able, un soixante-dix qui avait
fait une mission à New York et au Canada, et sa femme Mary Ann
faisaient partie d’une branche du Midwest. Un autre homme,
Walker Lewis, que Brigham Young avait décrit comme «
l’un des meilleurs anciens » de l’Église,
faisait partie, avec sa famille, d’une branche de la côte
Est.
De
nombreux membres de l’Église s’opposaient à
l’esclavage et Joseph Smith avait été candidat à
la présidence des États-Unis avec un programme qui
incluait le projet de mettre un terme à l’institution.
Les efforts missionnaires de l’Église avaient néanmoins
conduit au baptême de quelques propriétaires d’esclaves
et de quelques esclaves. Trois membres du convoi d’avant-garde
: Green Flake, Hark Lay et Oscar Crosby comptaient parmi ces
derniers.
En
1833, le Seigneur avait déclaré : « Il n’est
pas juste qu’un homme soit asservi à un autre. »
Mais après que les saints avaient été chassés
du comté de Jackson (Missouri), en partie parce que certains
s’opposaient à l’esclavage et faisaient preuve de
sympathie à l’égard des noirs libres, les
dirigeants de l’Église avaient averti les missionnaires
de ne pas semer le trouble entre les esclaves et les propriétaires.
À l’époque, aux États-Unis, l’esclavage
était l’un des problèmes les plus intensément
débattus et, pendant de nombreuses années, il avait
divisé les Églises ainsi que le pays.
Ayant
passé toute sa vie dans le nord des États-Unis, où
l’esclavage était illégal, Jane n’avait
jamais été asservie. Elle avait travaillé chez
Joseph Smith et Brigham Young et savait qu’en règle
générale, les saints acceptaient les noirs dans le
troupeau. Cependant, comme d’autres chrétiens de
l’époque, de nombreux saints blancs les considéraient
à tort comme inférieurs, croyant que la peau noire
était le résultat de la malédiction de Dieu à
l’encontre des personnages bibliques Caïn et Cham.
Certains avaient même commencé à enseigner l’idée
erronée que la peau noire était la preuve de la
mauvaise conduite d’une personne dans la vie prémortelle.
Brigham
Young partageait quelque peu ces avis, mais avant de quitter Winter
Quarters, il avait aussi dit à un métis que tous les
gens étaient pareils pour Dieu. Il avait dit : « D’un
seul sang, Dieu a fait toute chair. Nous ne prêtons pas
attention à la couleur. »
L’établissement
de Sion au-delà des montagnes Rocheuses offrait aux saints la
possibilité de fonder une nouvelle société où
Jane, sa famille, et d’autres personnes comme elle seraient
accueillies en tant que concitoyens et saints. Cependant, les
préjugés étaient tenaces et le changement
paraissait improbable dans un avenir proche.
Le
26 août, Wilford Woodruff chevaucha entre les rangées de
maïs et de pommes de terre jusqu’aux contreforts
surplombant la vallée du lac Salé. De là, il
pouvait voir les prémices d’une grande colonie. En
l’espace d’un mois, le convoi d’avant-garde et lui
avaient commencé à construire un fort solide, à
planter des hectares de cultures et à dessiner les plans du
nouveau lieu de rassemblement. Au centre de la colonie, à
l’endroit où Brigham avait enfoncé sa canne dans
le sol, se trouvait un carré de terre qu’ils appelaient
maintenant le « quartier du temple ».
Les
premiers jours de Wilford dans la vallée avaient été
remplis d’émerveillement. Un troupeau d’antilopes
paissait sur le côté ouest du bassin. Des troupeaux de
chèvres de montagne jouaient dans les collines. Wilford et les
autres pionniers avaient trouvé des sources d’eau chaude
sulfureuse près d’Ensign Peak. Dans le Grand Lac Salé,
les hommes flottaient et roulaient comme des rondins sur l’eau
saumâtre et chaude, essayant en vain de s’enfoncer sous
sa surface.
Quatre
jours après son arrivée dans la vallée, Wilford
chevauchait seul à plusieurs kilomètres du camp quand
il avait vu vingt Amérindiens sur une crête devant lui.
En venant dans l’Ouest, les saints savaient qu’ils
rencontreraient des peuples indigènes le long de la piste et
dans le Grand Bassin. Ils s’attendaient pourtant à
trouver la vallée du lac Salé essentiellement
inoccupée. En réalité, les Shoshones, les Utes
et quelques autres tribus y venaient souvent pour chasser et
collecter de la nourriture.
Faisant
faire prudemment volte-face à son cheval, Wilford reprit le
chemin du camp au petit trot. L’un des Indiens galopa après
lui et lorsqu’il fut à une centaine de mètres,
Wilford arrêta sa monture, se tourna pour faire face au
cavalier et essaya de communiquer dans un langage des signes
improvisé. L’homme était amical et Wilford apprit
qu’il était Ute, voulait la paix avec les saints et
souhaitait faire du commerce avec eux. À partir de ce
moment-là, les saints établirent d’autres
contacts avec les Indiens, notamment avec les Shoshones du nord.
Maintenant
que le mauvais temps n’était plus qu’à
quelques semaines, Wilford, Brigham, Heber Kimball et d’autres
membres du convoi d’avant-garde planifièrent de
retourner auprès de leurs familles à Winter Quarters et
de les ramener dans l’Ouest au printemps. Heber avait dit : «
Plût à Dieu que nous n’ayons pas à
repartir. C’est le paradis ici pour moi. C’est l’un
des plus beaux endroits que je n’aie jamais vus. »
Tout
le monde n’était pas de son avis. En dépit de ses
ruisseaux et de ses prairies, la nouvelle colonie était plus
sèche et plus désolée que tous les endroits où
les saints s’étaient rassemblés jusque-là.
Depuis son arrivée, Sam Brannan avait supplié Brigham
de continuer jusqu’aux champs verdoyants et au sol fertile de
la côte californienne.
Brigham
lui avait dit : « Je vais m’arrêter ici même.
Je vais construire une ville ici. Je vais bâtir un temple ici.
» Il savait que le Seigneur voulait que les saints s’installent
dans la vallée du lac Salé, loin des autres colonies de
l’ouest des États-Unis, où il était sûr
que d’autres émigrants ne tarderaient pas à
s’établir. Brigham nomma Sam président de
l’Église en Californie et le renvoya vers la baie de San
Francisco avec une lettre adressée aux saints.
Il
nota dans sa lettre : « Vous êtes libres de choisir de
rester là où vous êtes. » Néanmoins,
il les invitait à se joindre à eux dans les montagnes.
Il leur dit : « Nous souhaitons faire de ce lieu une place
forte, un point de ralliement, un lieu de rassemblement plus immédiat
qu’aucun autre. » La Californie, en revanche, devait être
un relais pour ceux qui se rendaient dans la vallée.
Pour
sa part, Wilford n’avait jamais vu un meilleur endroit pour
fonder une ville que la vallée du lac Salé et il était
impatient que d’autres saints arrivent. Les Douze et lui
avaient passé tout l’hiver à planifier une
migration ordonnée, une migration qui offrirait à tous,
indépendamment de leur position ou de leur fortune, un moyen
d’arriver jusqu’à la vallée. Il était
maintenant temps que le plan se déroule pour le bien de Sion.
Quand
Addison Pratt quitta Tahiti en mars 1847, il avait espéré
trouver sa famille en Californie avec le reste des saints. Néanmoins,
n’ayant reçu aucune nouvelle d’elle (ni de
quiconque dans l’Église) au cours de l’année
écoulée, il ne savait pas si elle serait là. Il
écrivit dans son journal : « Me dire que je suis en
route pour la retrouver est une pensée agréable. Mais
la pensée suivante est : Où est-elle ? Où
dois-je la retrouver ? »
Addison
arriva dans la baie de San Francisco en juin. Il y trouva les saints
du Brooklyn attendant le retour de Sam Brannan et l’arrivée
du corps principal de l’Église. Croyant que Louisa et
leurs enfants étaient en route pour la côte, Addison se
porta volontaire pour aller à la colonie des saints, New Hope,
avec quatre autres hommes, moissonner le blé de l’Église.
Le
groupe partit peu de temps après en bateau. New Hope se
situait à cent cinquante kilomètres à
l’intérieur des terres, sur un affluent de la San
Joaquin River. Pendant des jours, les hommes voguèrent le long
de terres basses marécageuses. De hauts joncs poussaient près
des berges. Plus près de la colonie, le sol se durcit et ils
firent le reste du chemin à pied le long de prairies
verdoyantes.
La
zone de New Hope était belle, mais une rivière voisine
avait débordé peu de temps auparavant, emportant une
partie du blé des saints et laissant derrière elle des
flaques d’eau stagnante. Le soir, lorsqu’Addison se
coucha, des nuées de moustiques assaillirent la colonie.
Addison et les autres tentèrent de les chasser en les écrasant
ou en les enfumant, mais sans succès. Et pour aggraver les
choses, des coyotes et des chouettes hurlèrent et hululèrent
jusqu’à l’aube, privant les colons fatigués
de paix et de tranquillité.
La
moisson du blé commença le lendemain matin. Mais la
nuit blanche d’Addison le rattrapa à midi et il fit une
sieste à l’ombre d’un arbre. Cela devint la
routine quotidienne du fait des moustiques et du vacarme des animaux
sauvages qui le tenaient éveillé nuit après
nuit. Lorsque la moisson fut terminée, Addison était
content de partir.
Il
écrivit dans son journal : « Si ce n’était
pas la question des moustiques, je me serais bien plu là-bas.
»
De
retour dans la baie de San Francisco, il commença à
préparer un logement pour sa famille. Entre-temps, des membres
du Bataillon mormon étaient arrivés en Californie et
avaient reçu une relève honorable. Sam Brannan était
aussi de retour dans la baie, toujours convaincu que Brigham était
insensé de s’installer dans la vallée du lac
Salé. Il dit à des vétérans du bataillon
: « Lorsqu’il aura un peu essayé, il découvrira
que j’avais raison et qu’il avait tort. »
Il
remit quand même la lettre aux saints et nombre de ceux qui
avaient voyagé sur le Brooklyn ou marché avec le
Bataillon mormon décidèrent d’émigrer dans
la vallée du lac Salé au printemps. Sam avait aussi une
lettre de Louisa pour Addison. Elle était encore à
Winter Quarters, mais elle aussi avait l’intention d’aller
dans la vallée au printemps et de s’installer avec
l’ensemble des saints.
Addison
modifia immédiatement ses projets. Au printemps, il partirait
en direction de l’est avec ceux qui s’y rendaient et
retrouverait sa famille.
Brigham
Young était encore malade à la fin du mois d’août
lorsqu’il quitta la vallée du lac Salé avec la
compagnie qui retournait à Winter Quarters. Pendant les trois
jours suivants, le petit groupe voyagea rapidement à travers
des canyons poussiéreux et les cols escarpés des
montagnes Rocheuses. Lorsqu’ils arrivèrent de l’autre
côté, Brigham fut content d’apprendre que la
grande caravane de Parley Pratt et John Taylor n’était
qu’à quelques centaines de kilomètres.
Sa
joie se dissipa peu après lorsqu’il apprit qu’elle
comprenait quatre cents chariots de plus que ce qu’il
attendait. Les Douze avaient passé tout l’hiver à
organiser les saints en compagnies, conformément à la
volonté révélée du Seigneur. Il semblait
maintenant que Parley et John n’avaient pas tenu compte de
cette révélation et agi de leur propre chef.
Quelques
jours plus tard, Brigham et son groupe rencontrèrent la
caravane. Comme Parley était dans l’une des compagnies
de tête, Brigham convoqua rapidement un conseil de dirigeants
de l’Église pour lui demander pourquoi John et lui
avaient désobéi aux instructions du collège.
Parley
dit au conseil : « Si j’ai fait quelque chose de mal, je
suis disposé à le réparer. » Il insistait
quand même pour dire qu’ils avaient agi dans le cadre de
leur autorité d’apôtres. Des centaines de saints
étaient morts cette année-là à Winter
Quarters et dans d’autres colonies le long du Missouri, et de
nombreuses familles tenaient désespérément à
quitter la région avant l’arrivée d’une
autre saison meurtrière. Puisque certains saints dans les
compagnies que les Douze avaient organisées n’étaient
pas encore prêts à partir, John et lui avaient choisi
d’en former de nouvelles pour tenir compte de ceux qui
l’étaient.
Brigham
rétorqua : « Nos compagnies étaient parfaitement
organisées et si elles ne pouvaient pas y arriver, nous étions
responsables d’elles. » La parole et la volonté du
Seigneur commandaient clairement à chaque compagnie de «
pren[dre] en charge, en proportion de sa part de biens », les
pauvres et les familles des hommes servant dans le Bataillon mormon.
Pourtant, Parley et John avaient délaissé beaucoup de
ces personnes.
Brigham
n’était pas non plus d’accord que deux apôtres
annulent la décision du collège. Il dit : « Si le
Collège des Douze fait une chose, deux d’entre eux n’ont
pas le pouvoir de la mettre en pièces. Lorsque nous avons
lancé la machine, vous n’aviez pas à mettre vos
doigts dans les pignons pour arrêter la roue. »
Parley
répondit : « J’ai fait de mon mieux. Tu dis que
j’aurais pu mieux faire et si je dois être tenu pour
responsable et si tu dis que j’ai mal agi, j’ai mal agi.
Je suis coupable d’une erreur et j’en suis désolé.
»
Brigham
répliqua : « Je te pardonne. » Et il ajouta : «
Et si je me conduis mal, je veux que tous les hommes me corrigent
afin que je puisse vivre dans le bonheur de l’Évangile.
Je me sens écrasé jusqu’au tombeau par le fardeau
de ce grand peuple. »
Son
visage et son corps décharné trahissaient chez lui une
lassitude évidente. Il dit : « Je me considère
comme un pauvre petit homme faible. C’est la providence de Dieu
qui m’a appelé à présider. Je veux que tu
ailles directement dans le royaume céleste avec moi. »
«
Je veux savoir si les frères sont satisfaits de moi »,
répondit Parley.
«
Que Dieu te bénisse pour toujours et à jamais, n’y
pense même plus », lui répondit Brigham.
Drusilla
Hendricks et sa famille campaient plus en arrière du convoi
lorsque Brigham et son groupe arrivèrent. La plupart des
familles des membres du Bataillon mormon étaient encore à
Winter Quarters, mais les Hendricks et quelques autres avaient réuni
suffisamment de moyens pour accompagner ceux qui partaient pour
l’Ouest. Plus d’une année s’était
écoulée depuis qu’elle avait regardé son
fils William entamer sa marche avec le bataillon et elle était
impatiente de le retrouver dans la vallée, ou avant.
Son
convoi avait déjà rencontré le long de la piste
des soldats qui rentraient. Le visage de nombreux saints, pressés
de voir leurs êtres chers, s’illuminait d’espoir
lorsqu’ils voyaient les troupes. Malheureusement, William
n’était pas parmi elles.
Un
mois plus tard, il en vint d’autres. Ces hommes captivèrent
l’attention des saints lorsqu’ils décrivirent le
Grand Bassin et leur firent goûter du sel qu’ils avaient
rapporté du Grand Lac Salé. Mais William n’était
pas non plus avec ce groupe.
Au
fil des semaines suivantes, Drusilla et sa famille avancèrent
péniblement sur des pistes montagneuses, traversèrent
des rivières et des ruisseaux, gravirent des collines
escarpées et se frayèrent un chemin à travers
des canyons. Ils avaient les mains, les cheveux et le visage
incrustés de poussière et de crasse. Leurs vêtements,
déjà en lambeaux du fait du long voyage, les
protégeaient peu du soleil, de la pluie et de la poussière.
Lorsqu’ils atteignirent la vallée au début du
mois d’octobre, certains membres du convoi étaient trop
malades ou épuisés pour s’en réjouir.
Cela
faisait plus d’une semaine que Drusilla et sa famille étaient
arrivés dans la vallée et ils n’avaient toujours
aucune nouvelle de William. Après l’arrivée du
bataillon sur la côte californienne, certains vétérans
étaient restés pour travailler et gagner de l’argent
alors que d’autres avaient repris la route en direction de la
vallée du lac Salé ou de Winter Quarters. Pour l’heure,
William pouvait se trouver n’importe où entre l’océan
Pacifique et le Missouri.
Avec
l’arrivée de l’hiver, Drusilla et sa famille
avaient très peu de vêtements chauds, peu de nourriture
et aucun moyen de construire une maison. Leur situation s’annonçait
mal, mais elle faisait confiance à Dieu que tout irait bien.
Une nuit, elle rêva du temple que les saints construiraient
dans la vallée, comme Wilford Woodruff en avait rêvé
quelques mois plus tôt. Joseph Smith se tenait debout à
son sommet et ressemblait exactement à celui qu’il
était. Drusilla appela son mari et ses enfants à ses
côtés et dit : « Voilà Joseph. » Le
prophète leur parla et deux colombes descendirent en volant
vers la famille.
En
se réveillant, Drusilla pensa que les colombes représentaient
l’Esprit du Seigneur, un signe que Dieu approuvait les
décisions que sa famille et elle avaient prises. Elle pensa
que leurs sacrifices n’étaient pas passés
inaperçus.
Plus
tard ce jour-là, un groupe de vétérans du
bataillon aux pieds meurtris arriva dans la vallée. Cette
fois-ci, William était parmi eux.
Pendant
que les membres de la famille Hendricks se retrouvaient dans la
vallée du lac Salé, les hommes de la compagnie de
Brigham s’aventuraient vers l’est sur la piste. Ils
s’étaient déplacés rapidement, si bien
qu’ils étaient maintenant épuisés et
n’avaient quasiment plus de nourriture. Leurs chevaux
faiblissaient et commençaient à flancher. Le matin,
certains avaient besoin d’aide pour se remettre sur pied.
Au
milieu de ces difficultés, Brigham était toujours
perturbé par sa rencontre avec Parley. Il avait accordé
le pardon à son collègue apôtre et lui avait dit
d’oublier l’affaire, mais leur désaccord révélait
la nécessité de précisions et peut-être de
changements dans la direction et l’organisation actuelles de
l’Église.
Du
temps de Joseph, la Première Présidence l’avait
présidée. À la mort du prophète,
cependant, la Première Présidence avait été
dissoute laissant les Douze présider à sa place.
D’après la révélation, les douze apôtres
formaient un collège égal à la Première
Présidence en termes d’autorité. Pourtant, ils
avaient aussi le devoir sacré de servir en qualité de
conseil voyageur et d’apporter l’Évangile au
monde. En tant que collège, pouvaient-ils remplir correctement
cette mission tout en assumant les devoirs de la Première
Présidence ?
De
temps en temps, Brigham avait envisagé de réorganiser
la Première Présidence, mais il n’avait jamais
pensé que le moment était opportun. Depuis qu’il
avait quitté la vallée du lac Salé, des
questions sur l’avenir de la direction de l’Église
tournoyaient dans son esprit. Il y réfléchissait
silencieusement sur la route de Winter Quarters et sentait de plus en
plus l’Esprit l’exhorter à agir.
Un
jour, pendant qu’il se reposait à côté
d’une rivière, il se tourna vers Wilford Woodruff et
demanda si l’Église devait appeler des membres des Douze
pour former une nouvelle Première Présidence.
Wilford
pesa la question. Modifier le Collège des Douze, un collège
établi par révélation, était une décision
grave.
Wilford
fit la remarque suivante : « Il faudrait une révélation
pour altérer l’ordre de ce collège. Peu importe
ce que le Seigneur t’incite à faire à ce propos,
je suis avec toi. »
CHAPITRE
6 : Sept
tonnerres retentissants
À
l’automne 1847, Oliver Cowdery habitait avec sa femme,
Elizabeth Ann, et leur fille Marie Louise dans une petite ville du
Territoire du Wisconsin, à près de huit cents
kilomètres de Winter Quarters. Il avait quarante et un ans et
pratiquait le droit avec son frère aîné. Presque
vingt ans s’étaient écoulés depuis qu’il
avait servi de secrétaire à Joseph Smith pour la
traduction du Livre de Mormon. Il croyait toujours en l’Évangile
rétabli, pourtant, il vivait à l’écart des
saints depuis neuf ans.
Phineas
Young, le frère aîné de Brigham, était
marié à la jeune sœur d’Oliver, Lucy, et
les deux hommes étaient proches et correspondaient souvent.
Phineas disait fréquemment à Oliver qu’il avait
toujours une place dans l’Église.
D’autres
anciens amis lui tendaient aussi la main. Sam Brannan, son ancien
apprenti à l’imprimerie de Kirtland, l’avait
invité à prendre la mer avec les saints sur le
Brooklyn. William Phelps, qui avait une fois brièvement quitté
l’Église après une dispute avec Joseph Smith,
l’avait également invité à se rendre dans
l’Ouest. Il avait écrit : « Si tu crois que nous
sommes Israël, viens avec nous et nous te ferons du bien. »
Mais
la rancœur d’Oliver était profonde. Il pensait que
Thomas Marsh, Sidney Rigdon et d’autres dirigeants de l’Église
avaient tourné Joseph et le grand conseil contre lui au
Missouri. Et il craignait que sa désaffection à l’égard
de l’Église n’ait nui à sa réputation
parmi les saints. Il voulait qu’ils se souviennent des bonnes
choses qu’il avait faites, surtout de son rôle dans la
traduction du Livre de Mormon et le rétablissement de la
prêtrise.
Un
jour, il écrivit à Phineas : « Je suis
susceptible à ce sujet. Tu le serais, dans ces circonstances,
si tu t’étais tenu en présence de Jean avec notre
défunt frère Joseph pour recevoir la moindre prêtrise
et en présence de Pierre pour recevoir la prêtrise
supérieure. »
Oliver
n’était pas sûr non plus que le Collège des
Douze ait l’autorité de présider l’Église.
Il respectait Brigham Young et les autres apôtres qu’il
connaissait, mais il n’avait pas le témoignage qu’ils
étaient appelés de Dieu pour diriger les saints. Pour
le moment, il pensait que l’Église était dans un
état de torpeur, en attendant un dirigeant.
En
juillet, à peu près au moment où le convoi
d’avant-garde entrait dans la vallée du lac Salé,
William McLellin, ancien apôtre, lui avait rendu visite. Il
voulait fonder une nouvelle Église au Missouri, basée
sur l’Évangile rétabli, et il espérait
qu’Oliver se joindrait à lui. La visite incita Oliver à
écrire à David Whitmer, le frère de sa femme,
autre témoin du Livre de Mormon. Il savait que William avait
l’intention d’aller le voir et il voulait savoir ce qu’il
pensait de lui et de son projet.
David
lui répondit six semaines plus tard, l’informant que
William lui avait en effet rendu visite. Il annonçait : «
Nous avons établi, ou commencé à établir,
de nouveau l’Église du Christ et la volonté de
Dieu est que tu sois l’un de mes conseillers dans la présidence
de l’Église. »
Oliver
pesa la proposition. Former une nouvelle présidence de
l’Église avec David et William au Missouri lui donnerait
une autre chance de prêcher l’Évangile rétabli.
Mais était-ce le même Évangile que celui qu’il
avait embrassé en 1829 ? Et David et William avaient-ils
l’autorité de Dieu d’établir une nouvelle
Église ?
De
bonne heure le matin du 19 octobre 1847, les apôtres Wilford
Woodruff et Amasa Lyman aperçurent au loin sept hommes
émergeant de derrière des bouquets d’arbres.
Normalement, les étrangers sur la piste ne constituaient pas
une menace, mais leur soudaine apparition inquiéta Wilford.
Les
deux jours précédents, Amasa et lui avaient chassé
le bison avec plusieurs autres hommes pour nourrir le convoi démuni
de Brigham. Winter Quarters, leur destination, se trouvait encore à
plus d’une semaine. Sans la viande de bison empilée dans
les trois chariots des chasseurs, la compagnie serait bien en peine
d’achever son périple. Nombre d’entre eux étaient
déjà malades.
Les
apôtres regardèrent attentivement les étrangers,
se demandant au début s’ils étaient indiens.
Lorsque les silhouettes approchèrent, ils virent qu’il
s’agissait d’hommes blancs, peut-être de soldats, à
cheval. Et ils fonçaient au grand galop sur eux.
Wilford
et les chasseurs dégainèrent leurs armes pour se
défendre, mais lorsque les cavaliers approchèrent,
Wilford fut surpris et ravi de voir le visage de Hosea Stout, le chef
de la police de Winter Quarters. Les saints avaient été
informés de la situation désespérée de
leur compagnie et Hosea et ses hommes avaient été
envoyés approvisionner les voyageurs et leurs animaux.
L’aide
les raviva et ils continuèrent d’avancer. Le 31 octobre,
lorsqu’ils furent à un kilomètre de la colonie,
Brigham leur fit signe de s’arrêter et de s’assembler.
La dure journée de voyage était presque terminée
et les hommes étaient impatients de revoir leurs familles,
mais il voulait leur dire quelques mots avant de se séparer.
Il
dit : « Merci de votre gentillesse et de votre bonne volonté
à obéir aux ordres. » En un peu plus de six mois,
ils avaient parcouru plus de trois mille kilomètres sans
accident majeur ni mort. Il déclara : « Nous ne nous
attendions pas à accomplir autant. Les bénédictions
du Seigneur nous ont accompagnés. »
Il
congédia les hommes et ils retournèrent à leurs
chariots. Le convoi parcourut le dernier kilomètre jusqu’à
Winter Quarters. Lorsque les voyageurs firent irruption dans le camp
peu avant le coucher du soleil, les saints émergèrent
de leurs cabanes et baraques pour les accueillir. Des foules se
formèrent le long des rues pour leur serrer la main et se
réjouir de tout ce qu’ils avaient accompli grâce à
la main du Seigneur qui les avait guidés.
Wilford
était fou de joie de revoir sa femme et ses enfants. Trois
jours plus tôt, Phebe avait donné naissance à une
petite fille en bonne santé. Maintenant, les Woodruff avaient
quatre enfants en vie : Willy, Phebe Amelia, Susan et la petite
Shuah. Il avait aussi un fils, James, avec son épouse plurale,
Mary Ann Jackson, qu’il avait épousée peu après
son retour d’Angleterre. Mary Ann et James étaient
partis pour la vallée du lac Salé plus tôt cette
année-là avec le père de Wilford.
Wilford
écrivit à propos de son retour à la maison : «
Tout était joyeux et heureux et nous avons estimé que
c’était une bénédiction de nous retrouver.
»
Cet
hiver-là, les neuf apôtres à Winter Quarters et
dans les colonies voisines tinrent souvent conseil. Au cours de ces
réunions, Brigham songeait souvent à l’avenir du
collège. Pendant le voyage de retour de la vallée du
lac Salé, l’Esprit lui avait révélé
que le Seigneur voulait que les Douze réorganisent la Première
Présidence afin que les apôtres soient libres de
proclamer l’Évangile de Jésus-Christ dans le
monde entier.
Brigham
répugnait depuis longtemps à parler de ce sujet au
collège. Il comprenait que ses responsabilités de
président des Douze le différenciaient des autres
apôtres, lui donnant l’autorité de recevoir la
révélation pour le collège et toutes les
personnes sous son intendance.
Cependant,
il comprenait également qu’il ne pouvait pas agir seul.
En 1835, le Seigneur avait révélé que les Douze
devaient prendre des décisions à l’unanimité
ou pas du tout. Par décret divin, les apôtres étaient
censés agir « en toute justice, en sainteté, avec
humilité de cœur » lorsqu’ils prenaient des
décisions. S’ils allaient faire quoi que ce soit en tant
que collège, ils devaient le faire dans l’unité
et l’harmonie.
Le
30 novembre, Brigham parla enfin au collège de la
réorganisation de la Première Présidence,
certain que la volonté de Dieu était qu’ils
avancent. Orson Pratt mit immédiatement en doute la nécessité
du changement. Il dit : « J’aimerais voir les Douze
rester parfaitement unis. »
Il
pensait que les Douze pouvaient diriger l’Église en
l’absence d’une Première Présidence du fait
qu’une révélation déclarait que les deux
collèges étaient égaux en autorité.
Joseph Smith, le prophète, avait aussi enseigné qu’une
majorité des Douze pouvait prendre des décisions
faisant autorité lorsque le collège entier n’était
pas présent. Selon Orson, cela signifiait que sept apôtres
pouvaient rester au siège de l’Église pour
gouverner les saints pendant que les cinq autres apportaient
l’Évangile aux nations.
Brigham
l’écouta, mais désapprouva sa conclusion. Il
demanda : « Qu’est-ce qui vaut mieux : délier les
pieds des Douze et les laisser aller vers les nations ou en garder
toujours sept à la maison ? »
Orson
dit : « À mon sentiment, il ne doit pas y avoir une
Première Présidence de trois membres ; les Douze
constituent la Première Présidence. »
Pendant
qu’Orson et Brigham parlaient, Wilford tournait et retournait
la question dans son esprit. Il était disposé à
soutenir une nouvelle Première Présidence si telle
était la volonté révélée du
Seigneur, mais il s’inquiétait également des
conséquences d’un tel changement. Si trois des Douze
formaient une Première Présidence, qui seraient les
trois nouveaux apôtres appelés à prendre leur
place dans le collège ? Et quelle influence la réorganisation
de la présidence aurait-elle sur le rôle des Douze dans
l’Église ?
Pour
l’instant, il voulait que les Douze continuent comme ils
étaient. Scinder le collège donnait l’impression
de couper un corps en deux.
À
l’automne 1847, les montagnes bordant la vallée du lac
Salé semblèrent s’embraser lorsque leur feuillage
prit de vives teintes rouges, jaunes et brunes. De là où
sa famille campait parmi d’autres sur le quartier du temple,
Jane Manning James voyait la plupart des montagnes et une grande
partie de la nouvelle colonie que les saints avaient commencé
d’appeler Great Salt Lake City, ou simplement Salt Lake City. À
environ un kilomètre au sud-ouest de sa tente se trouvait un
fort carré où certains saints construisaient des
cabanes pour leur famille. Comme la vallée comptait peu
d’arbres, ils érigeaient ces édifices avec du
bois provenant de canyons voisins ou avec des briques dures en adobe.
Lorsque
Jane était arrivée dans la vallée, les saints
qui étaient venus avec le convoi d’avant-garde n’avaient
presque plus de nourriture. Les nouveaux arrivants, comme Jane,
avaient peu de provisions dont ils pouvaient se passer. Le lait de la
plupart des vaches dans la vallée s’était tari et
le bétail était fatigué et efflanqué.
John Smith, le président nouvellement nommé du pieu de
Salt Lake, dirigeait le grand conseil et les évêques
pour subvenir aux besoins de tout le monde jusqu’à ce
que les cultures soient prêtes à être moissonnées,
mais peu de personnes allaient se coucher le ventre plein.
Pourtant,
malgré le manque de nourriture, la colonie se développa
rapidement. Les femmes et les hommes travaillaient ensemble pour
construire des logements et améliorer le confort de leur
environnement. Les hommes se risquaient en haut des canyons pour
couper du bois puis le descendaient dans la vallée. N’ayant
pas de scierie, chaque rondin devait être débité
à la main. Les toits étaient faits de perches et
d’herbe sèche. Les fenêtres étaient souvent
faites de papier gras et non de verre.
À
cette époque, les femmes de l’Église continuaient
de se réunir officieusement. Elizabeth Ann Whitney et Eliza
Snow, anciennes dirigeantes de la Société de secours de
Nauvoo, organisaient souvent des réunions pour les mères,
ainsi que pour les jeunes filles et les fillettes. De même
qu’elles l’avaient fait à Winter Quarters, les
femmes exerçaient des dons spirituels et se fortifiaient
mutuellement.
Comme
d’autres saints, Jane et son mari, Isaac, travaillaient
ensemble pour bâtir un foyer dans la vallée. Le fils de
Jane, Sylvester, était assez grand pour aider aux corvées.
Et il y avait toujours quelque chose à faire. Les enfants
pouvaient aider leur mère à ramasser des panais
sauvages, des chardons et des racines de fleurs de sego pour pallier
la diminution des provisions. Les saints pouvaient difficilement se
permettre de gaspiller la nourriture. Lorsqu’une vache était
tuée, ils mangeaient tout ce qu’ils pouvaient, de la
tête aux sabots.
Au
début de novembre, la neige commença à tomber,
enveloppant la cime des montagnes d’un manteau de poudre
blanche. Les températures chutèrent dans la vallée
et les saints se préparèrent pour leur premier hiver.
Par
une journée couverte de fin novembre, les apôtres à
Winter Quarters se réunirent pour parler d’Oliver
Cowdery. La plupart l’avaient connu à Kirtland et
avaient entendu son témoignage puissant du Livre de Mormon.
Avec David Whitmer et Martin Harris, il avait aidé Joseph
Smith, le prophète, à appeler certains d’entre
eux au Collège des Douze et leur avait enseigné leurs
responsabilités. Phineas Young leur avait aussi assuré
qu’il était dévoué à la cause de
Sion et que son cœur s’était adouci à
l’égard de l’Église.
Willard
Richards jouant le rôle de secrétaire, les apôtres
rédigèrent une lettre à l’attention
d’Oliver. Ils écrivirent : « Viens, et retourne
dans la demeure de notre Père, dont tu t’es éloigné.
» Décrivant Oliver comme un fils prodigue bien-aimé,
ils l’invitèrent à se refaire baptiser et à
être de nouveau ordonné à la prêtrise.
Ils
déclarèrent : « Si tu désires servir Dieu
de tout ton cœur et prendre part aux bénédictions
du royaume céleste, fais ces choses. Ton âme sera
remplie de joie. »
Ils
donnèrent la lettre à Phineas et lui demandèrent
de la remettre en main propre.
Peu
de temps plus tard, Brigham se réunit avec huit autres apôtres
chez Orson Hyde, qui était rentré de mission en
Angleterre. Il dit : « Je veux qu’on prenne une décision.
Depuis mon arrivée à Great Salt Lake City jusqu’à
présent, l’Esprit n’a cessé de me murmurer
que l’Église devait maintenant être organisée.
» Il témoigna que l’Église devait soutenir
une Première Présidence pour la gouverner afin que les
apôtres puissent diriger l’œuvre missionnaire à
l’étranger.
Il
conseilla : « Je veux que chaque homme acquière la
conviction du Seigneur. Découvrez simplement dans quel sens va
le Seigneur et suivez-le. Un ancien qui résiste à
l’inspiration de l’Esprit se fait du tort à
lui-même. »
Heber
Kimball et Orson Hyde étaient aussi d’avis qu’il
était temps de réorganiser la Première
Présidence. Mais Orson Pratt exprima de nouveau ses
inquiétudes. Il craignait que la Première Présidence
ne consulte pas le Collège des Douze et que les Douze s’en
remettent trop rapidement à l’autorité de la
présidence, acceptant ses décisions avant d’avoir
examiné les questions eux-mêmes. Il se disait que
l’Église avait bien fonctionné sous leur
direction. Pourquoi changer maintenant ?
Brigham
demanda à entendre l’avis de chacun des membres du
collège présents. Lorsque son tour vint, Wilford
Woodruff fit part de ses hésitations à l’idée
de créer une Première Présidence, mais il
exprima son désir de conformer sa volonté à
celle de Dieu. Il dit : « Notre président semble inspiré
par l’Esprit. Il se tient entre Dieu et nous et, pour ma part,
je ne veux pas qu’il ait les mains liées par moi. »
Ensuite,
George A. Smith dit : « Je ne veux pas voir ce collège
divisé. » Il souhaitait reporter la décision
jusqu’à ce qu’il soit certain de la volonté
de Dieu, mais il était ouvert à l’idée du
changement. Il déclara : « Si c’est la volonté
du Seigneur que nous prenions cette voie, je m’y résoudrai.
»
Brigham
dit : « J’ai exactement les mêmes sentiments que
toi. Je ne veux pas plus que toi que nos avis divergent ni que nous
soyons séparés. » Pourtant, il connaissait la
volonté du Seigneur. Il déclara : « C’est
en moi comme sept tonnerres retentissants. Dieu nous a conduits où
nous en sommes et nous devons le faire. »
Amasa
Lyman et Ezra Benson, les deux nouveaux apôtres, étaient
d’accord avec lui. Ezra dit : « Je veux aider le Collège
des Douze et j’ai l’intention de rester fidèle à
frère Brigham. » Il se compara à une machine dans
un moulin, toujours prête à remplir sa fonction. Il dit
qu’il était parfaitement disposé à se
laisser guider par la Première Présidence comme le
Seigneur le jugeait bon.
«
Amen ! » dirent plusieurs apôtres.
Orson
Pratt se leva. Il dit : « Je ne pense pas que nous devions agir
comme des machines. Si nous devons être gouvernés de
cette manière en tout, nous n’aurons plus la moindre
latitude pour examiner une chose de cette façon. »
Brigham
dit à Orson : « Il est important maintenant que nous
organisions l’Église. Ce que nous avons fait est à
peine une ébauche de ce qu’il nous reste à faire.
Si tu nous mets des bâtons dans les roues, nous ne pourrons
rien faire. »
Les
paroles de Brigham résonnèrent dans la pièce et
le Saint-Esprit fut déversé sur les apôtres.
Orson sut que ce que Brigham avait dit était vrai. Les apôtres
soumirent la question de la réorganisation à un vote et
chaque membre du collège leva la main pour soutenir Brigham
Young comme président de l’Église de Jésus-Christ
des saints des derniers jours.
Orson
dit : « Je propose que frère Young désigne ses
deux conseillers ce soir. »
Trois
semaines plus tard, le 27 décembre 1847, environ un millier de
saints venant de colonies installées le long du Missouri se
réunirent pour une conférence spéciale. Pour
l’occasion, ils avaient construit un tabernacle en rondins sur
la berge orientale du fleuve, dans un endroit qui serait appelé
plus tard Kanesville. Le bâtiment était plus grand que
n’importe quelle cabane des environs, mais il ne pouvait pas
contenir toutes les personnes qui voulaient assister à la
conférence.
À
l’intérieur, les saints étaient assis épaule
contre épaule sur des bancs de bois durs. Bien que l’hiver
eût été intensément froid jusque-là,
lorsqu’ils arrivèrent au tabernacle, le temps était
anormalement plaisant pour la saison. La veille, Heber Kimball leur
avait promis que s’ils venaient à la réunion, ils
passeraient l’une de leurs meilleures journées et un feu
serait allumé qui ne s’éteindrait jamais.
Les
apôtres étaient assis avec le grand conseil de Winter
Quarters sur une estrade à l’avant de la pièce.
La réunion commença par un chant et une prière,
suivis de sermons prononcés par certains apôtres et
autres dirigeants de l’Église. Orson Pratt parla de
l’importance de la Première Présidence.
Convaincu
maintenant de la volonté de Dieu, il dit : « Il est
temps que les Douze aient les mains libres pour aller jusqu’aux
extrémités de la terre. S’il n’y a pas de
Première Présidence, cela confine trop les Douze en un
seul endroit. » Il témoigna que la réorganisation
de la présidence permettrait à l’Église de
tourner son regard vers les parties lointaines de la terre où
des milliers de personnes pouvaient attendre l’Évangile.
Après
les sermons, il fut proposé de soutenir Brigham Young comme
président de l’Église. Les saints levèrent
alors la main à l’unisson pour le soutenir. Prenant la
chaire, Brigham proposa qu’Heber Kimball et Willard Richards
soient soutenus comme conseillers.
Il
dit aux saints : « C’est l’un des plus beaux jours
de ma vie. » Le chemin devant eux ne serait pas facile, mais en
qualité de dirigeant des saints, il se consacrerait totalement
à accomplir la volonté du Seigneur.
Il
promit : « Je ferai ce qui est juste. Ce qu’il dictera,
je l’accomplirai. »
CHAPITRE
7
: Gardons
courage
Au
printemps de 1848, la vallée du lac Salé vit l’arrivée
de températures plus douces et de quelques pluies
torrentielles. Des toits fuyaient et le sol devenait mou et boueux.
Des serpents ondulaient à travers les cabanes, prenant les
adultes au dépourvu et terrifiant les enfants. De minuscules
souris, les dents aussi pointues que des aiguilles, détalaient
sur les planchers et rongeaient au passage les sacs de nourriture,
les malles et les manches des manteaux. Parfois, la nuit, les saints
étaient réveillés en sursaut par des rongeurs
qui couraient sur eux.
L’un
des hommes les plus âgés de la vallée était
John Smith et il avait soixante-six ans. C’était l’oncle
de Joseph, le prophète, et le père de l’apôtre
George A. Smith. Après s’être fait baptiser en
1832, il avait été membre du grand conseil de Kirtland
et présidé des pieux au Missouri et en Illinois. Il
était maintenant président du pieu de Salt Lake City et
de ce fait responsable du bien-être de la colonie.
De
petite santé, John assumait ses nouveaux devoirs avec l’aide
de ses deux conseillers plus jeunes, Charles Rich et John Young, et
d’un grand conseil nouvellement formé. En tant que
président de pieu, il supervisait l’aménagement
urbain, la répartition des terres et les projets de
construction des bâtiments publics. La maladie l’empêchait
parfois d’assister aux conseils, mais il était attentif
à tout ce qui se passait dans la vallée et réagissait
rapidement en cas de problèmes.
Dans
ses lettres à Brigham, John ne disait que du bien des saints à
Salt Lake City. Il notait : « Compte tenu de la situation,
l’unité et l’harmonie règnent parmi nous. »
Dans toute la colonie, les gens cultivaient la terre ou fabriquaient
des tables, des chaises, des lits, des bassines, des barattes pour
faire le beurre et d’autres articles ménagers. De
nombreuses familles avaient maintenant une cabane dans ou autour du
fort. Dans les champs, le long des ruisseaux ou des canaux
d’irrigation, le blé d’hiver était sorti et
des hectares de nouvelles récoltes avaient été
ensemencés pour l’été.
Pourtant,
dans ses lettres John parlait aussi ouvertement des difficultés
dans la ville. Plusieurs saints, déjà mécontents
de la vie dans la vallée, étaient partis pour la
Californie. Cet hiver-là, un groupe d’Indiens qui
avaient longtemps chassé pour se nourrir dans la vallée
d’Utah avaient dispersé et tué quelques têtes
de bétail appartenant aux saints. On en était presque
venu aux mains, mais les partis avaient négocié un
accord de paix.
Toutefois,
ce qui le préoccupait le plus était le manque de
nourriture. En novembre, John avait autorisé un groupe
d’hommes à se rendre sur la côte californienne
pour acheter du bétail, du grain et d’autres produits
mais le groupe n’était pas encore revenu et les denrées
alimentaires commençaient à manquer. Il y avait déjà
mille sept cents saints à nourrir et des milliers d’autres
étaient en route. Une mauvaise récolte mettrait la
colonie au bord de la famine.
John
avait foi aux desseins du Seigneur pour la vallée. Il était
certain qu’il finirait par pourvoir aux besoins de son peuple.
Mais la vie à Salt Lake City restait fragile. Si quelque chose
venait à bouleverser sa paix et sa stabilité précaires,
les saints auraient de gros ennuis.
«
De l’or », criait Sam Brannan en courant à travers
les rues de San Francisco. « De l’or de l’American
River ! » Agitant frénétiquement son chapeau dans
les airs, il brandissait une petite bouteille dont le contenu
sablonneux étincelait au soleil. « De l’or »,
criait-il. « De l’or ! »
Pendant
des semaines, Sam et les saints de Californie avaient entendu des
rumeurs selon lesquelles on avait trouvé de l’or à
un endroit appelé Sutter’s Mill, le long de l’American
River, à plus de deux cents kilomètres au nord-est de
San Francisco. Cependant, Sam ne sut que les rumeurs étaient
fondées qu’après avoir parlé à un
groupe de vétérans du Bataillon mormon qui étaient
présents lorsqu’on avait découvert l’or. Il
se rendit rapidement sur les lieux et trouva des hommes accroupis
dans l’eau peu profonde, plongeant des paniers et des batées
dans le lit limoneux de la rivière. En l’espace de cinq
minutes, il vit quelqu’un sortir de l’eau de l’or
d’une valeur de huit dollars.
La
ville de San Francisco fut prise de frénésie devant la
poussière d’or contenue dans la bouteille de Sam. Des
hommes quittèrent leur emploi, vendirent leurs terres et se
précipitèrent vers la rivière. Entre-temps, Sam
faisait des manigances pour faire fortune. Il n’y avait qu’à
se baisser pour trouver de l’or en Californie, mais il n’avait
pas besoin de fournir ce travail dur et souvent infructueux pour
devenir riche. Il lui suffisait de vendre des pelles, des batées
et d’autres accessoires aux chercheurs d’or. La demande
de ce matériel serait toujours élevée tant que
durerait la ruée.
Comme
de nombreux autres saints de Californie, Addison Pratt rechercha de
l’or à un endroit appelé Mormon Island en
attendant que fonde la neige sur la piste franchissant la Sierra
Nevada. Pour gagner davantage d’argent, Sam convainquit les
vétérans de lui donner trente pour cent de tout l’or
découvert dans la région, soi-disant pour acheter du
bétail pour les saints dans la vallée du lac Salé.
Addison
doutait que l’argent de Mormon Island serve un jour à
aider l’Église. Pendant les mois qu’il avait
passés à San Francisco, il avait remarqué que
Sam, en dépit de toutes ses professions de foi et de
dévouement, s’intéressait de plus en plus à
ses intérêts personnels et à son enrichissement
et de moins en moins au royaume de Dieu.
Heureusement,
Addison n’eut pas à attendre longtemps ; quatre jours
plus tard, les cols étaient dégagés. Il se
procura un chariot et un attelage pour le tirer et se mit rapidement
en route pour la vallée en compagnie d’une cinquantaine
de saints du Brooklyn et du Bataillon mormon.
Lorsque
Harriet Young était arrivée dans la vallée du
lac Salé avec le convoi d’avant-garde, elle avait balayé
du regard le nouveau lieu de rassemblement avec consternation. Il
avait l’air aride, stérile et désolé. Elle
avait dit : « Aussi faible et lasse que je sois, je préférerais
faire mille cinq cents kilomètres de plus que rester dans un
endroit aussi perdu que celui-ci. » Son mari, Lorenzo, était
du même avis. Il nota dans son journal : « Mes sentiments
sont tels que je ne puis les décrire. Tout à l’air
lugubre et je suis dégoûté. »
Harriet
et Lorenzo construisirent un logement près de la parcelle du
temple pendant l’hiver doux et déménagèrent
du fort qui était exigu. Dès le mois de mars, ils
plantèrent du blé de printemps, de l’avoine, du
maïs, des pommes de terre, des haricots et des petits pois pour
nourrir leur famille. Quelques semaines plus tard, une forte gelée
sévit dans la vallée, endommageant les récoltes
et compromettant la réussite de la moisson. Le gel persista
jusqu’au mois de mai, mais, en travaillant ensemble, les Young
réussirent à sauver la plus grande partie de leur
récolte.
Lorenzo
écrivit dans son journal : « Nous avons du courage et
espérons que tout ira pour le mieux. » Comme c’était
le cas pour tous les habitants de la vallée, leurs provisions
étaient maigres et ils avaient besoin d’une moisson
abondante pour renflouer leurs réserves de nourriture.
Malheureusement,
le 27 mai 1848, des nuées de sauterelles venant des montagnes
s’abattirent sur la vallée et ravagèrent le
jardin des Young à une vitesse alarmante. Elles étaient
grandes, noires et munies d’une carapace semblable à une
armure ainsi que de longues antennes. Ce ne fut qu’une question
de minutes pour qu’elles consomment le carré de haricots
et de petits pois des Young. Harriet et Lorenzo tentèrent de
les chasser à l’aide de poignées de broussailles,
mais elles étaient trop nombreuses.
Les
insectes se propagèrent de tous côtés, se
nourrissant voracement des récoltes et ne laissant que des
tiges sèches là où il y avait eu du maïs et
du blé. Les saints utilisaient tous les moyens imaginables
pour arrêter les sauterelles. Ils les écrasaient. Ils
les brûlaient. Ils frappaient des marmites et des casseroles
les unes contre les autres espérant que le bruit les ferait
fuir. Ils creusaient de profondes tranchées et essayaient de
les noyer ou de leur faire obstacle. Ils priaient pour recevoir de
l’aide. Rien ne semblait fonctionner.
Alors
que la destruction se poursuivait, le président John Smith
mesura l’étendue des dégâts. Le gel et les
sauterelles avaient anéanti des champs entiers de cultures et
maintenant, d’autres saints envisageaient sérieusement
de quitter la vallée. L’un de ses conseillers l’exhorta
à écrire immédiatement à Brigham. «
Dis-lui de ne pas faire venir d’autres personnes ici, car s’il
le fait, elles mourront toutes de faim. »
John
se tut pendant quelques instants, plongé dans ses réflexions.
Il finit par dire : « Le Seigneur nous a conduits ici et il ne
nous y a pas conduits pour mourir de faim. »
Entre-temps,
à Winter Quarters, Louisa Pratt ne pensait pas pouvoir se
permettre de faire le voyage jusqu’à la vallée du
lac Salé ce printemps-là, mais Brigham Young lui dit
qu’elle le devait. Les femmes à Winter Quarters lui
avaient promis que le Seigneur la réunirait à son mari
dans la vallée. En outre, l’automne précédent,
Addison lui avait écrit, ainsi qu’à Brigham, pour
les informer de son projet de partir pour Salt Lake City au
printemps. Il serait déçu si sa famille n’y était
pas.
Addison
avait écrit : « J’espère que je verrai ma
chère famille. La séparation a été longue
et pénible pour moi, mais jusqu’à présent,
le Seigneur m’a aidé à la supporter, et je vis
toujours dans l’espoir de les revoir. »
Brigham
demanda à Louisa de fournir tout ce qu’elle pouvait pour
subvenir aux besoins de sa famille et il lui promit de l’aider
avec le reste. Elle commença à vendre des articles dont
elle n’avait plus besoin tout en priant pour avoir la force et
le courage de faire le voyage. Après cinq années de
séparation, elle était pressée de revoir
Addison. Cinq ans, c’était une durée
particulièrement longue pour une mission dans l’Église.
La plupart des anciens ne partaient que pour un an ou deux à
la fois. Louisa se demandait si son mari reconnaîtrait ses
enfants. Ellen, Frances, Lois et Ann avaient tellement grandi en son
absence ! Seule Ellen, l’aînée, se souvenait bien
de son père. Ann, la benjamine, ne s’en souvenait pas du
tout.
Il
est certain que si les filles le croisaient dans la rue, elles ne le
reconnaîtraient pas. Et Louisa, le reconnaîtrait-elle ?
Louisa
réussit à vendre ses affaires à un prix
raisonnable. Conscient de sa pauvreté et des grands sacrifices
qu’Addison et elle avaient faits, Brigham fit équiper
son chariot et lui fournit cinq cents kilos de farine et un autre
attelage de bœufs. Il embaucha également un homme pour
la conduire et lui fit cadeau d’articles de magasin d’une
valeur de cinquante dollars, dont de nouveaux vêtements pour
ses filles et elle.
Brigham
était prêt à guider le convoi vers l’Ouest
la première semaine de juin. La plupart de ses femmes et de
ses enfants émigraient avec lui. Au même moment, Heber
Kimball quittait Winter Quarters avec un convoi d’environ sept
cents personnes, dont sa famille. Willard Richards suivrait un mois
plus tard avec un convoi de presque six cents.
Quoique
bien approvisionnée pour son voyage, Louisa redoutait quand
même le long périple qui l’attendait. Elle
s’efforça néanmoins de sourire, donna sa cabane à
un voisin et prit la route de l’Ouest. Dans son convoi, les
chariots avançaient à trois de front en une file qui
s’étirait à perte de vue. Au début, Louisa
ne trouvait rien de bien joyeux au voyage. Mais rapidement, elle prit
plaisir à voir l’herbe verte des prairies, les fleurs
sauvages colorées et les parcelles de terre chamarrées
le long des berges.
Elle
nota : « Petit à petit, ma morosité s’est
dissipée et il n’y eut pas de femme plus joyeuse dans
tout le convoi. »
Début
juin, les sauterelles dévoraient encore les récoltes
dans la vallée du lac Salé. De nombreux saints
jeûnaient et priaient pour être délivrés,
mais d’autres se demandaient s’ils devaient cesser leur
travail, charger leurs chariots et abandonner la colonie. Un homme
informa John Smith : « J’ai arrêté de
construire mon moulin. Il n’y aura pas de grain à
moudre. »
Fermement,
John répondit : « Nous n’allons pas être
vaincus. Continue ton moulin et si tu le fais, tu seras béni
et il sera une source sans fin de joie et de profit pour toi. »
Cependant,
les saints continuaient de parler de déménager en
Californie. En chariot, il fallait deux mois pour arriver à la
baie de San Francisco et, pour certains, l’idée
d’entreprendre un autre long voyage était préférable
à celle de mourir lentement de faim.
Charles
Rich, l’un des conseillers de John, était d’accord
avec ceux qui voulaient partir. Si les sauterelles continuaient de se
nourrir de leurs récoltes, il ne resterait pas grand-chose à
manger pour les saints. En l’état actuel des choses, ils
survivaient en se nourrissant de racines, de tiges de chardon et de
soupes de vieilles peaux de bœuf bouillies.
Le
jour du sabbat, Charles convoqua les saints à une réunion.
Le ciel était dégagé et bleu, mais la foule
était d’humeur solennelle. Dans les champs voisins, les
sauterelles se cramponnaient avec ténacité aux tiges de
blé et de maïs et dévoraient les récoltes.
Charles grimpa sur un chariot ouvert et éleva la voix. Il dit
: « Nous ne voulons pas que vous vous sépariez de vos
chariots et de vos attelages, car nous risquons d’en avoir
besoin. »
Pendant
qu’il parlait, la foule entendit un bruit strident venant du
ciel. Levant les yeux, elle vit un petit vol de mouettes arrivant du
Grand Lac Salé survoler la vallée. Quelques minutes
plus tard, un vol plus important descendit et se posa dans les champs
et les jardins des saints. Au début, les oiseaux semblaient
s’attaquer au reste des récoltes, achevant la
dévastation commencée par le gel et les sauterelles.
Mais en regardant de plus près, les saints virent que les
mouettes se faisaient un festin des sauterelles, régurgitant
celles qu’elles ne pouvaient pas digérer et retournant
en manger d’autres.
Le
9 juin, John Smith rapporta à Brigham : « Les mouettes
sont venues en nombre du lac et enlèvent les sauterelles au
passage. Il semble que la main du Seigneur soit en notre faveur. »
Il y avait davantage de sauterelles que les mouettes ne pouvaient en
manger, mais les oiseaux contenaient les insectes. Les saints les
voyaient comme des anges envoyés par Dieu et ils remerciaient
le Seigneur d’avoir exaucé leurs prières à
temps pour sauver leurs champs endommagés et resemer.
Deux
semaines plus tard, John nota : « Les sauterelles sont encore
assez nombreuses et voraces, mais entre les mouettes, nos efforts et
la croissance de nos récoltes, nous produirons beaucoup de
grain malgré elles. » La moisson ne serait pas aussi
abondante qu’ils l’avaient espéré, mais
personne ne mourrait de faim dans la vallée. De plus, le
convoi que John avait envoyé en Californie en novembre était
de retour avec près de deux cents têtes de bétail,
divers fruits et quelques semences.
John
signala avec plaisir : « Nous acquérons une somme de
connaissances et la grande majorité d’entre nous en est
encouragée et satisfaite. »
Au
bout de deux mois de voyage, Louisa et ses filles s’arrêtèrent
à Independence Rock, un monolithe de granit massif qui se
tenait comme une énorme carapace de tortue au bord de la
Sweetwater River. Escaladant le rocher avec difficulté, elles
virent le nom de voyageurs gravés ou peints sur la pierre. Le
long de la piste, étant toujours entre eux, Louisa avait
souvent pensé que les saints étaient seuls dans ce
grand désert. Mais les noms, si nombreux et si étranges,
lui rappelaient qu’ils n’étaient pas les premiers
à passer par là, ni probablement les derniers.
Bien
qu’elle et sa famille aient été chassées
de Nauvoo, ce sentiment d’être un paria commençait
à se dissiper. Des bénédictions avaient découlé
de leur exil. Elle se rendit compte que si les saints ne s’étaient
pas enfuis dans le désert, ils n’auraient pas vu à
quel point la nature était belle.
De
son promontoire, elle distinguait clairement les environs. Le convoi
de Brigham campait au pied du rocher ; les chariots étaient
installés en cercle, comme d’habitude. Plus loin, la
Sweetwater River ondulait tel un serpent à travers les
plaines, sa surface bleue argentée disparaissant derrière
Devil’s Gate, une paire de falaises imposantes à huit
kilomètres à l’ouest.
Cela
lui rappelait que Dieu avait fait un monde magnifique pour le plaisir
de ses enfants. L’une des révélations disait : «
Toutes les choses qui viennent de la terre […] sont faites
pour le profit et l’usage de l’homme, pour plaire à
l’œil et pour réjouir le cœur »
Louisa
et les autres membres de sa compagnie gravèrent leur nom sur
Independence Rock puis suivirent une fissure dans un passage étroit
qui les conduisit vers une source naturelle d’eau fraîche.
Ils burent et burent, si reconnaissants que ce ne soit pas l’eau
trouble des rivières dont ils dépendaient depuis qu’ils
avaient quitté Winter Quarters. Satisfaits, ils quittèrent
la source et rebroussèrent chemin jusqu’au campement.
Les
semaines suivantes, Louisa et ses filles se frayèrent un
chemin dans de hauts canyons, de la boue profonde et des
broussailles. Ses filles tenaient le rythme, devenant chaque jour
plus indépendantes et n’étant un fardeau pour
personne. Un matin, Frances, treize ans, se réveilla et fut la
première du camp à allumer un feu. Rapidement, des gens
s’approchèrent pour la complimenter et emprunter une
flamme pour allumer le leur.
Louisa
écrivit dans son journal : « Nous avançons
lentement, progressant un peu chaque jour. J’ai le sentiment
que je pourrais faire encore un millier de kilomètres. »
CHAPITRE
8
: Cette
époque de pénurie
Louisa
Pratt et ses filles arrivèrent dans la vallée du lac
Salé avec le convoi de chariots de Brigham Young l’après-midi
du 20 septembre 1848. Toute la matinée, elles avaient rêvé
de manger des légumes frais dans la terre promise et enfin,
après que leurs anciens amis les eurent saluées et leur
eurent serré la main, elles s’assirent pour savourer le
maïs récolté dans la vallée.
Comme
le convoi d’Addison n’était pas encore arrivé
de Californie, Mary Rogers, la femme d’un homme qui avait aidé
Louisa à Winter Quarters, invita la famille à loger
chez elle. Louisa ne connaissait pas bien Mary, mais accepta
l’invitation avec joie. Cette dernière était sur
le point d’accoucher et loger chez elle en attendant Addison
donnait à ses filles et elle l’occasion de l’aider
et de la remercier de sa gentillesse à l’égard de
leur famille.
Les
jours passèrent sans nouvelles de lui. Mary accoucha et Louisa
prit soin d’elle et de son bébé nuit et jour.
Puis, le 27 septembre, des vétérans du Bataillon mormon
arrivèrent en ville en annonçant qu’Addison était
à une journée de là. Les filles étaient
folles de joie. Ann, huit ans, avait dit à ses amis : «
On me dit que j’ai un père, mais je ne le connais pas.
N’est-ce pas étrange d’avoir un père et de
ne pas le connaître ? »
Le
lendemain matin, la journée s’annonçait belle et
claire et Louisa alla dans son chariot s’habiller pour les
retrouvailles. Pendant qu’Ellen, seize ans, récurait à
quatre pattes le plancher des Rogers, un ami de la famille entra dans
la cabane. « Ellen, dit-il, voici ton père. »
Ellen
se leva d’un bond en voyant un homme hirsute et basané
entrer dans la pièce. Lui prenant les mains, Ellen dit : «
Alors papa, tu es arrivé ? » Après plus de cinq
années, elle le reconnaissait à peine.
Frances
et Lois firent irruption dans la pièce et furent surprises de
l’allure négligée de leur père. Elles
appelèrent Ann qui jouait dehors. Elle entra dans la cabane,
dévisagea Addison avec méfiance, les mains dans le dos.
L’une de ses sœurs dit : « C’est papa. »
Elles l’encouragèrent à lui serrer la main, mais
elle s’enfuit hors de la pièce
en
criant : « Non, ce n’est pas lui. »
Louisa
arriva bientôt et vit le visage buriné de son mari. Il
avait presque l’air d’un étranger et elle ne
savait pas quoi dire. La tristesse l’envahit en voyant combien
sa famille avait changé en son absence. Elle pensa que seule
l’édification du royaume de Dieu pouvait justifier une
aussi longue séparation.
Addison
fut bouleversé à son tour. Ses filles n’étaient
plus les fillettes dont il se souvenait, surtout Ann, qui n’avait
que trois ans quand il était parti. La voix de Louisa avait
changé à cause des dents qu’elle avait perdues à
Winter Quarters en attrapant le scorbut. Il avait l’impression
d’être un étranger et il lui tardait de refaire
connaissance avec sa famille.
Le
lendemain matin, Ann n’avait toujours pas adressé la
parole à son père ; alors il l’emmena jusqu’à
son chariot, ouvrit le coffre et plaça plusieurs coquillages
et autres curiosités en tas à côté d’elle.
En posant chaque objet, il lui dit d’où il provenait et
qu’il l’avait ramassé juste pour elle. Il déversa
ensuite des prunes confites, des raisins secs et des bonbons à
la cannelle sur la pile.
Il
demanda : « Crois-tu maintenant que je suis ton père ? »
Ann
contempla les cadeaux et le regarda de nouveau. « Oui ! »
s’exclama-t-elle.
Le
mois suivant, Oliver Cowdery monta sur une estrade pour s’adresser
aux saints à l’occasion d’une conférence
près de Kanesville, sur la berge orientale du Missouri. Parmi
les personnes présentes, beaucoup lui étaient
inconnues. L’Église avait grandi rapidement depuis qu’il
l’avait quittée une décennie plus tôt. Son
beau-frère, Phineas Young, était l’une des rares
qu’il connaissait à la conférence.
C’était
en partie la détermination de ce dernier qui avait amené
Oliver à rencontrer les saints dans les colonies le long du
Missouri. De son côté, Oliver était parvenu à
la conclusion que la nouvelle église de David Whitmer ne
détenait pas l’autorité compétente. La
prêtrise était avec l’Église de
Jésus-Christ des saints des derniers jours.
Sur
l’estrade, assis près de lui se trouvait Orson Hyde,
l’apôtre président de Kanesville. Près de
quatorze ans auparavant, Orson avait fait partie des premiers apôtres
modernes qu’Oliver avait ordonnés. Comme ce dernier,
Orson avait quitté l’Église au Missouri, mais il
était revenu peu après et s’était
réconcilié en tête-à-tête avec
Joseph Smith.
Après
avoir rassemblé ses idées, Oliver s’adressa aux
saints. Il dit : « Je m’appelle Cowdery, Oliver Cowdery.
À l’exception de quelques pages, j’ai écrit
tout le Livre de Mormon de ma plume tel qu’il est sorti de la
bouche du prophète, pendant qu’il le traduisait par le
don et le pouvoir de Dieu. » Il témoigna que le Livre de
Mormon était vrai et qu’il contenait les principes du
salut. Il déclara : « Si vous marchez selon sa lumière
et obéissez à ses préceptes, vous serez sauvés
dans le royaume éternel de Dieu. »
Il
parla ensuite du rétablissement de la prêtrise et de
l’appel de prophète de Joseph Smith. Il témoigna
: « Cette sainte prêtrise que nous avons conférée
à de nombreuses personnes est tout aussi légitime que
si Dieu l’avait conférée lui-même. »
Tout
en parlant aux saints, Oliver désirait vivement avoir de
nouveau les bénédictions de la prêtrise dans sa
vie. Il comprenait qu’il n’occuperait pas le même
poste d’autorité qu’il avait détenu
autrefois dans l’Église, mais c’était sans
importance. Il voulait être rebaptisé et accueilli de
nouveau en humble membre de l’Église de Jésus-Christ.
Deux
semaines après la conférence, il rencontra des
dirigeants de l’Église dans le tabernacle en rondins de
Kanesville. Il reconnut : « J’ai été séparé
de vous pendant un certain nombre d’années. Je désire
maintenant revenir. » Il savait que le baptême était
la porte d’entrée du royaume de Dieu et il voulait y
entrer. Il dit : « J’ai le sentiment de pouvoir revenir
honorablement. »
Toutefois,
quelques personnes doutaient de sa sincérité. À
celles-ci, il répondit : « Mon retour et ma demande
humble de devenir membre en passant par la porte efface toutes mes
erreurs. Je reconnais cette autorité. »
Orson
Hyde soumit la décision à un vote. Il dit : «
Nous proposons que frère Oliver soit reçu par le
baptême et que tout ce qui est passé soit oublié.
»
Les
hommes votèrent à l’unanimité en sa
faveur. Une semaine plus tard, Orson le baptisa et lui souhaita de
nouveau la bienvenue dans le troupeau de l’Évangile.
Pendant
ce temps, les rumeurs d’or en Californie se répandaient
comme une traînée de poudre dans les villes et les
campagnes autour de la planète, incitant les gens à
abandonner foyer, emploi et famille pour aller s’enrichir
facilement. À l’automne 1848, des milliers de personnes,
de jeunes hommes pour la plupart, fourmillaient sur la côte
californienne, espérant faire fortune.
Sachant
que l’or tenterait les saints appauvris, Brigham Young évoqua
le sujet peu après son retour à Salt Lake City. Il leur
dit : « Si nous devions aller à San Francisco et
déterrer des pépites d’or, cela nous ruinerait. »
Il les exhorta à rester sur les terres que le Seigneur leur
avait données. Il dit : « Quand j’entends parler
de quitter cette vallée pour une quelconque raison, cela me
rend malade. »
Déterminé
à rester dans la vallée quoi qu’il arrive,
Brigham commença à mettre de l’ordre dans
l’Église et dans la ville. Lors de la conférence
d’octobre 1848, les saints le soutinrent une fois de plus,
ainsi qu’Heber Kimball et Willard Richards, comme Première
Présidence de l’Église. Peu après, il
réunit de nouveau le Conseil des Cinquante pour gérer
la ville pendant que les saints déposaient une requête
auprès du Congrès des États-Unis pour établir
un gouvernement territorial dans la région.
Dans
le cadre du traité mettant fin à la guerre récente
avec le Mexique, les États-Unis avaient acquis les territoires
du nord du Mexique. Rapidement, les colons et les politiciens avaient
projeté avidement de former de nouveaux territoires et États,
sans grande considération pour la situation des peuples
indigènes ni des anciens citoyens mexicains de la région.
Voulant
que les saints aient la liberté de se gouverner, Brigham et
les autres dirigeants de l’Église espéraient
organiser un territoire dans le Grand Bassin. Cependant, la création
d’un territoire comprenait des risques. Contrairement aux États
qui garantissaient aux citoyens le droit d’élire leurs
propres dirigeants, les territoires comptaient sur le président
des États-Unis pour choisir certains des membres les plus
importants du gouvernement. Si le président nommait des
personnes hostiles à l’Église, les saints
risquaient de nouvelles persécutions.
Le
Conseil des Cinquante se réunit régulièrement
cet hiver-là pour discuter des besoins des saints et rédiger
une première version de leur pétition au Congrès.
Le territoire qu’ils proposaient couvrait une grande partie du
Grand Bassin et une partie du sud de la côte californienne, une
vaste région qui offrait de grands espaces pour de nouvelles
colonies et un port sur l’océan pour faciliter le
rassemblement. Les saints appelèrent le territoire proposé
« Déséret », mot du Livre de Mormon qui
désigne l’abeille, symbole de dur labeur, de diligence
et de coopération.
Le
conseil acheva la rédaction de la pétition en janvier
pendant que la vallée du lac Salé frissonnait sous
l’étreinte d’un hiver très rigoureux. Dans
certains endroits, les saints eurent à supporter un mètre
de neige et un vent glacial. La neige encore plus profonde dans les
montagnes compliquait la tâche de ramasser du bois. Les
réserves de grain étaient de nouveau presque épuisées
et le bétail succombait à la faim et au froid. Certains
saints semblaient ne survivre que grâce à leur foi.
D’autres se remirent à parler d’aller profiter du
climat plus doux et des terres aurifères de la Californie,
avec ou sans la bénédiction de la Première
Présidence.
Le
25 février 1849, Brigham prophétisa que les saints qui
restaient prospéreraient et fonderaient des colonies
florissantes. Il témoigna : « Dieu m’a montré
que c’est l’endroit où installer son peuple. Il
tempérera les éléments pour le bien de ses
saints. Il réprimandera le gel et la stérilité
du sol et la terre deviendra fertile. »
Il
dit aux saints que ce n’était pas le moment de chercher
de l’or. Il dit : « Il est de notre devoir de prêcher
l’Évangile, de rassembler Israël, de payer notre
dîme et de construire des temples. » La richesse
viendrait plus tard.
Il
dit : « La pire crainte que j’aie en ce qui concerne ce
peuple c’est qu’il devienne riche dans ce pays, oublie
Dieu et son peuple, s’engraisse, et s’exclue de l’Église
et aille en enfer. »
Peu
après, dans un sermon, Heber Kimball abonda dans le même
sens : « Je ne suis pas troublé par votre pauvreté.
» Il prophétisa que les marchandises seraient bientôt
moins chères dans la vallée que dans les grandes villes
de l’Est des États-Unis. Il promit : « Si vous
êtes fidèles, tous les désirs de votre cœur
vous seront accordés. »
Cet
hiver-là, Eliza Partridge Lyman, vingt-huit ans, habitait dans
une petite pièce en rondins dans le fort avec son fils
nouveau-né, sa mère veuve, Lydia, ses sœurs
Emily, Caroline et Lydia, son frère Edward Partridge, fils, et
quelquefois son mari, l’apôtre Amasa Lyman, qui
répartissait son temps entre elle et ses autres épouses.
Francis Lyman, neuf ans, fils aîné d’Amasa et de
sa première femme, Louisa Tanner, habitait aussi dans la pièce
afin de pouvoir aller à l’école dans le fort.
Environ
quatre mille saints s’étaient installés dans la
vallée et beaucoup habitaient encore dans des chariots et des
tentes. La pièce d’Eliza les abritait quelque peu du
vent glacial, même si le toit fuyait lorsqu’il pleuvait
ou neigeait. Par contre, elle n’offrait aucune protection
contre la maladie et la faim. Cet hiver-là, le fils et le
frère d’Eliza contractèrent la coqueluche et les
provisions de la famille s’amenuisaient de jour en jour.
La
pénurie était présente partout et les saints
devaient manger frugalement s’ils voulaient survivre à
l’hiver. Les Timpanogos, leurs voisins utes de la vallée
d’Utah, avaient faim, eux aussi. L’arrivée des
saints avait grevé les ressources naturelles de la région,
surtout les eaux poissonneuses sur lesquelles les Timpanogos
comptaient pour se nourrir. Bien que les deux peuples aient essayé
de maintenir des relations cordiales, quelques Timpanogos ne
tardèrent pas à commencer à s’attaquer au
bétail des saints pour soulager leur propre faim. Désireux
de maintenir la paix, Brigham exhorta ces derniers à ne pas
chercher à se venger, mais au contraire, à prêcher
l’Évangile aux Indiens.
Oliver
Huntington, demi-frère d’Eliza, servait parfois
d’interprète et d’éclaireur parmi les Utes.
Comme les attaques continuaient, Little Chief, un chef des
Timpanogos, demanda à Oliver et à Brigham de punir les
pillards avant que leurs actions ne retournent les saints contre son
peuple. Brigham réagit en envoyant Oliver et une compagnie
armée dans la vallée d’Utah pour faire cesser les
attaques.
Avec
l’aide de Little Chief, elle localisa la bande de pillards,
l’encercla et lui ordonna de se rendre. Ceux-ci refusèrent
d’abandonner et lancèrent une attaque contre la
compagnie. Une escarmouche éclata et la compagnie tua quatre
pillards.
Les
attaques cessèrent avec l’escarmouche, mais la faim et
la pénurie se poursuivirent. Le 8 avril, Eliza écrivit
dans son journal : « Nous avons fait cuire notre dernière
farine aujourd’hui et nous n’avons aucun espoir d’en
avoir d’autre avant la prochaine moisson. » Vers cette
époque, la Première Présidence appela son mari
en mission à San Francisco pour superviser les branches de
Californie et collecter la dîme. Il devait ensuite conduire un
convoi de saints californiens jusqu’à la vallée à
l’automne.
Amasa
partit cinq jours plus tard, trop pauvre pour racheter de la farine à
sa famille. Le 19 avril, Eliza et une partie des siens déménagèrent
hors du fort et s’installèrent dans des tentes et des
chariots sur une parcelle. Elle filait des mèches de bougie et
les vendait pour acheter du maïs et de la farine qu’elle
partageait entre les membres de la grande famille Lyman.
D’autres
l’aidaient aussi. Sa sœur Emily, qui était l’une
des épouses de Brigham Young, rapporta sept kilos de farine à
la famille lorsque ce dernier apprit qu’elle était à
court de pain. Le 25 avril, Jane Manning James, qui avait connu Eliza
et Emily lorsque les deux sœurs habitaient la Nauvoo Mansion et
étaient les épouses plurales de Joseph Smith, donna à
Eliza un kilo de farine, la moitié de ce qu’elle
possédait.
Eliza
fila d’autres mèches de bougies, organisa un potager et
fit planter des arbres fruitiers sur son lopin de terre. Le vent et
les tempêtes de neige continuèrent de tourmenter la
vallée jusque dans le courant du mois de mai et un jour, la
tente d’Eliza fut réduite en cendres pendant qu’elle
rendait visite à sa mère. Néanmoins, vers la fin
du mois, les champs des saints en train de mûrir lui
redonnèrent des raisons d’espérer.
Elle
écrivit dans son journal : « J’ai vu un épi
de blé, ce qui est encourageant en cette époque de
pénurie. »
Au
long du rigoureux hiver de 1848-1849, Louisa Pratt regarda son mari
s’efforcer de s’adapter à la vie après sa
mission. Beaucoup de choses avaient changé dans l’Église
en son absence. Les saints avaient reçu la dotation du temple,
embrassé la doctrine du mariage éternel et de
l’exaltation, et avaient créé de nouvelles
relations d’alliances avec Dieu et entre eux. Le mariage
plural, pratiqué en privé parmi les saints, était
aussi nouveau pour lui.
Il
lui arrivait de ne pas être du même avis que Louisa sur
les nouveaux principes révélés. Ce qui était
familier à Louisa lui paraissait étrange. Cela
l’ennuyait aussi que les saints dans la vallée ne
respectent pas strictement les mises en garde de la Parole de sagesse
contre les boissons brûlantes et le tabac. Louisa était
quand même contente de l’avoir à la maison. Il
assistait aux réunions du sabbat avec la famille et servait en
qualité de président de son collège des
soixante-dix.
Les
Pratt passèrent l’hiver dans le fort. La sœur de
Louisa, Caroline, et son beau-frère, Jonathan Crosby, logèrent
chez eux jusqu’à ce qu’ils aient leur propre
logement. Addison travaillait pour subvenir aux besoins de sa famille
et enseignait le tahitien aux futurs missionnaires.
Lorsque
le printemps arriva, la Première Présidence et le
Collège des Douze appelèrent Addison et sa famille dans
les Îles du Pacifique avec onze autres missionnaires, dont six
familles. Les Pratt étaient contents d’y aller et ils se
préparèrent à partir après la moisson
d’automne. Le 21 juillet, Addison reçut la dotation au
sommet d’Ensign Peak, que les dirigeants de l’Église
avaient consacré à cette fin à défaut
d’avoir un temple. La famille commença ensuite à
se défaire des marchandises et des biens dont elle n’avait
pas besoin.
Entre-temps,
des milliers de chercheurs d’or venant des États de
l’Est se ruèrent à travers les montagnes
Rocheuses pour se rendre en Californie. Rapidement, Salt Lake City
devint l’endroit privilégié pour se reposer et se
réapprovisionner avant de continuer vers les terrains
aurifères. La plupart des chercheurs d’or étaient
de jeunes fermiers, ouvriers ou marchands. Nombre d’entre eux
ne s’étaient jamais aventurés loin de chez eux et
encore moins à l’autre bout d’un continent.
Leur
venue accomplit la prophétie d’Heber Kimball bien plus
tôt qu’on ne s’y attendait. Les chercheurs d’or
avaient de la farine, du sucre, des denrées alimentaires en
tout genre, des chaussures, des vêtements, du tissu et des
outils. En quête désespérée de légumes
frais, de chariots plus légers et d’animaux de bât,
beaucoup s’arrêtaient au fort pour faire du troc.
Souvent, ils vendaient aux saints des marchandises difficiles à
trouver à des prix dérisoires. Parfois, ils jetaient ou
donnaient des articles qu’ils étaient fatigués de
transporter.
Les
chercheurs d’or stimulèrent l’économie à
Salt Lake City, mais en revanche, ils épuisèrent les
pâturages entre Salt Lake et la Californie quand ils partirent,
rendant les déplacements impossibles en fin de saison. En
outre, des histoires circulaient selon lesquelles des hommes
dangereux s’attaquaient aux voyageurs. La route n’était
donc plus sûre pour les familles. Louisa n’avait pas peur
des rumeurs, mais Brigham était inquiet pour la sécurité
des familles qui partaient et bientôt, les dirigeants de
l’Église décidèrent d’envoyer
Addison sans sa femme ni ses enfants.
La
famille eut le cœur brisé. Frances insistait : «
Papa ne sera pas en sécurité. Les brigands sont plus
susceptibles de piller un homme seul et de lui prendre son attelage
que s’il a sa famille.
Sa
mère répondit : « Ma pauvre enfant, tu connais
mal les brigands. »
Louisa
comprenait que l’Évangile exige des sacrifices et, quand
on lui posait la question, elle disait qu’elle était
tout à fait disposée à laisser Addison partir.
Toutefois, elle pensait que sa famille n’était pas en
état d’être séparée de nouveau une
année seulement après leurs retrouvailles.
Brigham
envisagea de reporter la mission jusqu’au printemps, lorsque
les pâturages seraient meilleurs et les chercheurs d’or
moins nombreux sur la route. Cependant, cet automne-là, un
convoi passant à travers Salt Lake City embaucha le capitaine
Jefferson Hunt, un vétéran du Bataillon mormon, pour le
conduire sain et sauf en Californie par un chemin moins fréquenté
au sud-ouest. Lorsque Brigham en fut informé, il demanda à
Addison et à deux missionnaires de les accompagner pour aider
le capitaine Hunt et ensuite de prendre un bateau pour les îles
une fois qu’ils auraient atteint la Californie.
Louisa
eut l’impression que les cieux et la terre se liguaient contre
elle. Addison et elle se parlaient à peine. Lorsqu’elle
était seule, elle priait et épanchait son chagrin et sa
douleur à Dieu. Elle gémissait : « Mes
souffrances ne finiront-elles jamais ? »
Le
jour où Addison quitta la vallée, Louisa et Ellen
chevauchèrent avec lui jusqu’à son campement et y
passèrent la nuit. Le matin, il leur fit une bénédiction
et leur dit au revoir. Bien qu’elle eût redouté
les adieux pendant des semaines, Louisa se sentit réconfortée
lorsqu’elle retourna au fort, le cœur plus léger
qu’il ne l’avait été depuis quelque temps.
CHAPITRE
9
: Selon
ce que dicte l’Esprit
Le
6 octobre 1849, premier jour de la conférence d’automne
de l’Église, la Première Présidence et le
Collège des Douze annoncèrent le projet missionnaire le
plus ambitieux depuis la mort de Joseph Smith. Dans son discours
d’ouverture, Heber Kimball déclara : « Le moment
est venu. Nous voulons que, tout comme nous, ce peuple prenne à
cœur d’apporter le royaume à toutes les nations de
la terre. »
Depuis
leur arrivée dans la vallée, les saints avaient
consacré leur énergie à s’installer et à
survivre. Cependant, la moisson abondante de cette année-là
avait produit suffisamment de nourriture pour l’hiver. Après
que les saints eurent entrepris de quitter le fort et de construire
des logements dans la ville, les dirigeants de l’Église
les répartirent en vingt-trois paroisses, chacune présidée
par un évêque. De nouvelles colonies parsemaient la
vallée du lac Salé et celles au nord et au sud, et de
nombreux saints se mirent à construire des magasins, des
moulins et des usines. Le lieu de rassemblement commençait à
prospérer tandis que les saints le préparaient à
accueillir le peuple de Dieu.
Les
Douze allaient diriger le nouvel effort missionnaire. Plus tôt
cette année-là, Brigham avait appelé Charles
Rich, Lorenzo Snow, Erastus Snow et Franklin Richards à
remplir les vacances dans le collège. La Première
Présidence envoya Charles en Californie pour aider Amasa
Lyman, Lorenzo en Italie avec Joseph Toronto, un saint italien,
Erastus au Danemark avec Peter Hansen, un saint danois, Franklin en
Grande-Bretagne et l’apôtre vétéran John
Taylor en France.
À
la conférence, Heber parla également du fonds perpétuel
d’émigration, nouveau programme conçu pour
permettre aux saints de respecter l’alliance qu’ils
avaient contractée dans le temple de Nauvoo d’aider les
pauvres. Il dit : « Nous sommes ici, en bonne santé, et
nous avons largement de quoi manger, boire et faire. » En
revanche, de nombreux saints appauvris étaient bloqués
dans les colonies du Missouri, les relais de l’Iowa, à
Nauvoo et en Grande-Bretagne. Parfois, ils se décourageaient
et quittaient l’Église.
Il
demanda : « Allons-nous respecter cette alliance ou pas ? »
Dans
le cadre du nouveau programme, les saints donnaient de l’argent
pour aider les pauvres à se rassembler en Sion. Les émigrants
recevaient alors un prêt du montant du voyage, qu’ils
devaient rembourser une fois qu’ils étaient installés
en Sion. Néanmoins, pour que le programme fonctionne, il
fallait un apport d’argent, ce que peu de saints pouvaient
fournir dans une économie de troc. La Première
Présidence fit appel à eux pour qu’ils donnent
leur surplus au fonds, mais elle discuta également de la
possibilité d’envoyer des missionnaires chercher de l’or
en Californie.
Brigham
se méfiait de cette option. Il pensait que la soif de l’or
corrompait les braves gens et détournait leur attention de la
cause de Sion. Pourtant, l’or remplirait un objectif sacré
s’il permettait de financer l’Église et
l’émigration. S’il appelait des missionnaires à
aller sur les terrains aurifères de Californie, ils pourraient
probablement collecter les fonds indispensables à l’œuvre
de Dieu.
Mais
de tels missionnaires devaient être des hommes bons et justes,
qui n’attachaient pas plus de valeur à l’or qu’à
la poussière sous leurs pieds.
À
première vue, George Q. Cannon ressemblait à tous les
chercheurs d’or qui martelaient le sol de la vallée du
lac Salé en route pour la Californie. Il avait vingt-deux ans,
était célibataire et plein d’ambition juvénile.
Mais il n’avait pas le moindre désir de partir de chez
lui. Il aimait les grandes montagnes et l’esprit paisible de la
vallée. Et il n’était pas du genre à
perdre son temps à chercher de l’or. Pour lui, chaque
minute comptait. Il voulait lire des livres, construire une maison en
adobe sur sa parcelle et, un jour, épouser une jeune femme du
nom d’Elizabeth Hoagland.
Deux
ans auparavant, George et Elizabeth avaient fait route vers l’Ouest
dans le même convoi. Orphelin depuis son adolescence, il était
venu avec sa tante et son oncle, Leonora et John Taylor, afin de
préparer un logement pour le reste de sa famille. Ses jeunes
frères et sœurs devaient arriver dans la vallée
d’un jour à l’autre. Ils voyageaient avec sa sœur
aînée et son beau-frère, Mary Alice et Charles
Lambert, qui les avaient accueillis lorsque leurs parents étaient
morts. George était impatient de les retrouver.
Cependant,
avant leur arrivée, les dirigeants de l’Église
l’appelèrent en mission en Californie pour chercher de
l’or. L’appel lui causa un choc et Elizabeth n’était
pas contente. Essayant de la consoler, George lui dit : « Je
suis seulement appelé pour une année. Préférerais-tu
que je parte peut-être trois ans en France ? »
Elizabeth
répondit : « Je préférerais que tu partes
sauver des âmes et non chercher de l’or, même si
cela devait durer plus longtemps. »
George
ne pouvait pas la contredire. Dans sa jeunesse en Angleterre, il
avait admiré les missionnaires comme son oncle John et Wilford
Woodruff, en attendant le jour où lui aussi ferait une
mission. Mais un appel à chercher de l’or n’était
pas du tout ce qu’il avait imaginé.
Après
le premier jour de la conférence d’octobre, George se
réunit avec les missionnaires nouvellement appelés et
d’autres. Brigham leur parla longuement d’honorer les
choses de Dieu. Il enseigna : « Un homme doit toujours vivre
avec l’amour de la prêtrise dans le cœur et non
l’amour des choses de ce monde. »
Les
jours suivants, George s’affaira à se préparer
pour sa mission. Le 8 octobre, John Taylor, Erastus Snow et Franklin
Richards le bénirent pour qu’il prospère en
mission et soit un bon exemple pour les autres missionnaires. Ils lui
promirent que des anges veilleraient sur lui et qu’il
rentrerait sain et sauf chez lui.
Trois
jours plus tard, il partait en compagnie des autres missionnaires de
l’or accablé par la tristesse et la crainte. Il avait
déménagé plusieurs fois dans sa vie, mais
n’avait jamais passé plus d’un jour ou deux loin
d’un membre de sa famille. Il ne savait à quoi
s’attendre.
Les
missionnaires de l’or projetaient de rattraper Addison Pratt et
Jefferson Hunt et de les suivre jusqu’en Californie. En sortant
de la vallée, ils s’arrêtèrent à une
fête organisée en l’honneur des frères qui
partaient pour l’Europe. Une centaine de saints s’étaient
réunis pour leur dire au revoir. Certains festoyaient à
des tables garnies de toutes sortes de mets pendant que d’autres
dansaient sous une grande tente faite de bâches de chariots.
Alors qu’il s’approchait de la fête sur son cheval,
George vit la calèche de Brigham Young se diriger vers lui.
Elle
s’arrêta et George mit pied à terre pour serrer la
main de Brigham. Celui-ci dit qu’il se souviendrait de lui et
prierait pour lui en son absence. Reconnaissant des paroles gentilles
du prophète, George profita, une soirée de plus, de la
bonne humeur et de la camaraderie qui existaient entre les saints. Le
matin, les missionnaires de l’or et lui montèrent en
selle et partirent pour la Californie.
En
mars 1850, Mary Ann, la femme de Brigham, rendit visite à
Louisa Pratt pour voir si elle avait besoin d’une aide
quelconque de l’Église. Louisa ne sut quoi répondre.
Les amis comme Mary Ann offraient souvent leur aide ou l’invitaient
à dîner, mais la vie sans Addison était plus
solitaire que jamais et rien ne semblait y faire.
Mary
Ann demanda : « Désires-tu rejoindre ton mari ? »
Louisa
répondit qu’un ami avait déjà proposé
d’emmener sa famille en Californie si l’Église
décidait un jour de l’envoyer dans les îles du
Pacifique. En confiant cela à Mary Ann, elle craignait de
s’être montrée trop impatiente de partir. Si elle
restait à Salt Lake City, elle serait probablement séparée
d’Addison cinq ans de plus. Mais le rejoindre dans les îles
n’était pas sans risques. Ellen et Frances seraient
bientôt en âge de se marier. Était-ce le meilleur
moment de les retirer de la vallée ?
Elle
priait souvent pour connaître la volonté du Seigneur.
D’un côté elle voulait simplement qu’Addison
lui écrive et lui demande de venir. Ce serait plus facile pour
elle de décider si elle savait qu’il le voulait. Mais
d’un autre côté, elle se demandait s’il
voulait même qu’elle le rejoigne. Avait-il accepté
son dernier appel en mission simplement parce qu’il voulait de
nouveau s’en aller ?
Un
jour, elle dit à Willard Richards : « Si j’étais
un ancien, je ne consentirais jamais à rester si longtemps
séparé de ma famille. » Elle dit qu’elle
remplirait sa mission aussi vite que possible et qu’elle
rentrerait ensuite chez elle. Willard sourit et ne dit rien, mais
elle pensa qu’il était d’accord avec elle.
Le
matin du 7 avril, Louisa assista à la conférence.
George A. Smith parla pendant près de deux heures. Lorsqu’il
eut fini, Heber Kimball prit la chaire. Il dit : « Voici
quelques affectations de frères aux nations. » Heber
appela deux hommes à se rendre dans les Îles du
Pacifique, mais ne mentionna ni Louisa ni ses filles. Il dit ensuite
: « Nous proposons que Thomas Tompkins aille dans les îles
où Addison Pratt a travaillé et qu’il lui amène
sa famille. »
Un
sentiment indescriptible envahit Louisa et elle n’entendit pas
grand-chose d’autre de cette réunion. Après la
session, elle chercha Mary Ann dans la foule et l’incita à
demander à Brigham d’envisager d’appeler aussi sa
sœur et son beau-frère Caroline et Jonathan Crosby, à
la mission. Mary Ann accepta et les Crosby reçurent l’appel
le lendemain.
Peu
avant de partir, Louisa et ses filles rendirent visite à
Brigham. Il lui dit qu’elle était appelée et mise
à part pour aller dans les îles et aider Addison à
instruire les gens. Il la bénit ensuite afin que tous ses
désirs soient satisfaits, qu’elle ait du pouvoir sur
l’adversaire, fasse du bon travail et rentre de mission en
paix.
Pendant
que les Pratt et les Crosby prenaient la route des îles, les
missionnaires nouvellement appelés en Europe débarquaient
en Angleterre et les apôtres faisaient rapidement le tour de la
mission britannique, qui comprenait des branches au Pays de Galles et
en Écosse. Entre-temps, Peter Hansen, missionnaire danois de
trente et un ans, était impatient de poursuivre sa route
jusqu’au Danemark, en dépit des instructions données
par Erastus Snow de ne pas y aller avant que les autres missionnaires
scandinaves et lui puissent l’accompagner.
Peter
respectait son président de mission, mais cela faisait sept
ans qu’il avait quitté sa terre natale et il désirait
grandement être le premier missionnaire à y prêcher
l’Évangile. Un bateau à vapeur à
destination de Copenhague était amarré dans un port
voisin et Peter décida qu’il ne pouvait pas attendre un
instant de plus.
Il
arriva dans la capitale danoise le 11 mai 1850. Marchant dans ses
rues, il était heureux d’être de retour dans son
pays d’origine. Cependant, il était troublé à
la pensée qu’en ces lieux, personne ne jouissait de
l’Évangile rétabli. Sept ans plus tôt,
lorsqu’il avait quitté le Danemark, la nation n’avait
aucune loi protégeant la liberté de culte et elle
interdisait la prédication de toute doctrine autre que celle
de l’église reconnue par l’État.
Ces
restrictions avaient hérissé Peter dans sa jeunesse, si
bien que lorsqu’il avait appris que son frère aux
États-Unis avait embrassé une nouvelle religion, il
avait tout fait pour le rejoindre. Une décision qui lui valut
la colère de son père, un homme sévère
aux convictions inflexibles. Le jour du départ de Peter, il
avait fracassé sa valise et brûlé le contenu.
Peter
était parti quand même, sans un regard en arrière.
Il avait emménagé aux États-Unis et était
devenu membre de l’Église. Il avait ensuite commencé
à traduire le Livre de Mormon en danois et avait voyagé
avec le convoi d’avant-garde jusqu’à la vallée
du lac Salé. Entre-temps, au Danemark, les législateurs
avaient accordé à toutes les églises le droit de
diffuser leurs croyances.
Espérant
que ses efforts bénéficieraient de ce nouveau climat de
liberté religieuse, Peter se mit à la recherche de
membres d’églises qui avaient des convictions communes
avec les saints. En parlant avec un pasteur baptiste, il apprit que
l’église d’État persécutait encore
les gens pour leurs convictions religieuses, en dépit de la
nouvelle loi. Peter compatit avec eux, ayant subi des persécutions
pour ses croyances aux États-Unis. Il commença bientôt
à parler de l’Évangile rétabli avec le
pasteur et son assemblée.
Par
devoir, il se mit également à la recherche de son père,
qui avait été informé de son arrivée en
tant que missionnaire. Un jour, Peter le remarqua dans la rue et le
salua. L’homme lui lança un regard vide. Peter lui dit
qui il était et son père leva la main pour le
repousser.
Il
dit : « Je n’ai pas d’enfants. Et toi, tu es venu
troubler l’ordre public dans ce pays. »
Peter
reprit son travail ni étonné ni perturbé par la
colère de son père. Il écrivit à Erastus
en Angleterre et l’informa de ses activités dans la
mission et continua son travail de traduction du Livre de Mormon. Il
rédigea et publia aussi une brochure en danois et traduisit
plusieurs cantiques dans sa langue maternelle.
Erastus
n’était pas heureux de la décision de Peter de
désobéir à ses instructions, mais quand il
arriva à Copenhague, le 14 juin, il fut content qu’il
ait posé les fondations permettant à l’œuvre
du Seigneur d’avancer.
Le
24 septembre 1850, l’apôtre Charles Rich pénétra
à cheval dans un campement minier au centre de la Californie,
à la recherche des missionnaires de l’or. C’était
le soir, le moment où les chercheurs d’or retournaient à
leurs tentes et leurs baraques, allumaient les lanternes et les
poêles et retiraient leurs vêtements mouillés. Le
long de la berge où ils travaillaient, le terrain avait été
défoncé par des milliers de pelles et de pioches.
Cela
faisait presque une année que les missionnaires de l’or
avaient quitté Salt Lake City. Jusque-là, personne
n’avait fait fortune. Certains en avaient trouvé
suffisamment pour en renvoyer de petites quantités à
Salt Lake City, dont une partie avait été fondue et
battue en monnaie. Mais ils avaient utilisé la plus grande
partie de ce qu’ils avaient trouvé pour couvrir le coût
élevé de la nourriture et du matériel. En
attendant, certains saints locaux qui s’étaient enrichis
pendant la ruée vers l’or n’étaient pas
d’une grande aide. Sam Brannan devint rapidement l’un des
hommes les plus riches de Californie, mais il avait cessé de
payer la dîme et reniait toute affiliation avec l’Église.
Charles
trouva les missionnaires de l’or dans leur camp. La dernière
fois qu’il avait visité le campement minier, plusieurs
mois auparavant, les missionnaires et d’autres chercheurs d’or
étaient en train de construire un barrage, espérant
mettre l’or à nu sur le fond limoneux de la rivière.
La plupart d’entre eux passaient encore leurs journées à
travailler sur le barrage ou à chercher de l’or. George
Q. Cannon s’occupait du magasin du camp.
Le
matin, Charles parla aux hommes de l’avenir de la mission. Le
meilleur de la saison minière était presque passé
et l’absence de réussite avait donné raison aux
réserves de Brigham concernant la recherche d’or. Au
lieu de passer l’hiver en Californie où le coût de
la vie était élevé, Charles proposa que certains
d’entre eux terminent leur mission dans les îles Hawaï.
Ils pourraient vivre là-bas à peu de frais tout en
prêchant aux nombreux colons anglophones.
George
dit à Charles qu’il était prêt à
faire avec exactitude tout ce qui semblerait bon aux dirigeants de
l’Église. S’ils voulaient qu’il aille à
Hawaï, il irait. De plus, les terrains miniers étaient un
endroit éprouvant pour un jeune saint des derniers jours. Il
n’était pas rare d’entendre parler de vols et même
de meurtres dans les camps. George lui-même s’était
fait agresser par des mineurs qui lui avaient versé de force
du whisky dans le gosier.
Avant
de quitter le campement, Charles mit les missionnaires à part
pour leur nouvelle mission. Il leur dit : « Quand vous
arriverez dans les îles, agissez selon ce que dicte l’Esprit
pour vous acquitter de vos devoirs. » Il dit que l’Esprit
connaissait mieux que lui la marche à suivre en arrivant.
Les
missionnaires retournèrent à la rivière pour
terminer le barrage et continuer à chercher de l’or.
Quelques semaines plus tard, ils en avaient trouvé
suffisamment pour recevoir chacun plus de sept cents dollars. Après
cela, ils n’en trouvèrent plus.
Peu
après, ils quittèrent le camp minier et prirent la
direction de la côte. Un soir, ils organisèrent une
réunion pour les saints californiens et d’autres
personnes qui s’intéressaient à l’Évangile.
George était tendu. On comptait sur les missionnaires pour
prendre la parole à l’occasion de tels rassemblements,
mais il n’avait jamais prêché à des
non-croyants. Il savait qu’il finirait par devoir parler, mais
il ne voulait pas passer en premier.
Cependant,
une fois que la réunion commença, le frère qui
la dirigeait lui demanda de prêcher. George se leva avec
réticence. Il se dit : « Je me suis engagé, il ne
convient pas que je me dérobe. » Il ouvrit la bouche et
les mots lui vinrent assez facilement. Il dit : « Combien le
monde est prétendument impatient de se saisir de la vérité
! Combien nous devrions être reconnaissants de la détenir
et reconnaissants du principe selon lequel nous pouvons progresser
d’une vérité à l’autre ! »
Il
parla cinq minutes de plus puis ses pensées s’embrouillèrent,
il avait la tête vide et il bafouilla pendant le reste de son
sermon. Honteux, il s’assit, certain que sa première
expérience missionnaire de prédication n’aurait
pas pu se dérouler plus mal.
Pourtant,
il n’était pas complètement découragé.
Il était en mission et il n’allait pas flancher ni
faillir à ses responsabilités.
Vers
cette même époque, Frances Pratt apercevait l’île
de Tubuai depuis le pont du navire qui transportait plus d’une
vingtaine de saints jusqu’à la mission d’Océanie.
Elle, qui avait été mécontente et renfermée
pendant presque tout le voyage, s’égaya instantanément.
Elle explora l’île à l’aide d’une
longue-vue, espérant entrevoir son père sur le rivage.
Sa sœur aînée, Ellen, était certaine qu’il
monterait à bord dès que le navire accosterait.
Louisa
aussi était impatiente de retrouver Addison, mais elle avait
eu le mal de mer pendant tout le voyage et ne pensait qu’à
la terre ferme, un bon repas et un lit moelleux. Sa sœur
Caroline souffrait à ses côtés, nauséeuse
et à peine capable de marcher.
Après
deux journées passées à lutter contre des vents
contraires et à éviter des récifs dangereux, le
navire jeta l’ancre près de l’île et deux
hommes vinrent à la rame les accueillir. Lorsqu’ils
montèrent à bord, Louisa demanda si Addison était
sur l’île. Non, répondit l’un d’eux.
Il était sur l’île de Tahiti, prisonnier du
gouverneur français qui se méfiait de tous les
missionnaires étrangers qui n’appartenaient pas à
l’Église catholique.
Louisa
s’était préparée à entendre de
mauvaises nouvelles, mais pas ses filles. Ellen s’assit et
croisa les mains sur les genoux, le visage de marbre. Les autres
firent les cent pas sur le pont.
Peu
après, un autre bateau arriva et deux Américains
montèrent à bord. L’un d’eux était
Benjamin Grouard. La dernière fois que Louisa l’avait vu
à Nauvoo, c’était un jeune homme plein d’allant.
Maintenant, après sept années de service missionnaire
dans le Pacifique, il avait l’air solennel et digne. Les yeux
écarquillés de joie et de surprise, il accueillit
chaleureusement les nouveaux arrivants et les invita à
débarquer.
Sur
la plage, les saints de Tubuai accueillirent Louisa et les autres
passagers. Louisa demanda si elle pouvait rencontrer Nabota et Telii,
les amis d’Addison pendant sa première mission. Un homme
la prit par la main.Il dit : « ‘O vau te arata‘i ia
‘oe. » Je vais vous y conduire.
Il
partit vers l’intérieur de l’île et Louisa
le suivit, essayant de son mieux de communiquer avec lui. Le reste de
la foule les suivit de près en riant. Louisa s’émerveilla
des grands palmiers au-dessus d’eux et de la végétation
luxuriante qui recouvrait l’île. De loin en loin, elle
vit des logements bas enduits de chaux blanche extraite des coraux.
Telii
fut au comble de la joie de rencontrer les nouveaux missionnaires.
Bien qu’elle fût en convalescence, elle se leva de son
lit et commença à préparer un festin. Elle fit
rôtir du porc dans une fosse, fit frire du poisson, fit du pain
avec une farine extraite d’une racine de l’île et
disposa un choix de fruits frais. Elle n’avait pas encore fini
de cuisiner que tous les saints de l’île s’étaient
rassemblés pour faire la connaissance des nouveaux arrivants.
La
compagnie festoya pendant que la lune, qui était pleine,
s’élevait dans le ciel. Ensuite, les saints de Tubuai se
pressèrent les uns contre les autres dans la maison et
s’assirent sur des nattes pendant que les saints américains
chantaient des cantiques en anglais. À leur tour, ils
chantèrent des cantiques dans leur propre langue, leurs voix
puissantes et claires en parfaite harmonie.
Tout
en savourant la musique, Louisa jeta un coup d’œil dehors
et admira le superbe paysage. De grands arbres ombreux aux fleurs
d’un jaune éclatant entouraient la maison. Les branches
filtraient le clair de lune en dessinant un millier de formes
différentes. Louisa pensa à la distance que sa famille
avait parcourue et aux souffrances qu’elle avait endurées
pour arriver dans ce si bel endroit et elle sut que la main de Dieu y
était pour quelque chose.
Deux
mois après l’arrivée de Louisa à Tubuai,
les missionnaires de l’or gravirent un flanc de montagne
surplombant Honolulu sur l’île d’Oahu et
consacrèrent les îles hawaïennes à l’œuvre
missionnaire. Le lendemain soir, le président de mission
envoya George Q. Cannon travailler sur l’île de Maui, au
sud-est d’Oahu, avec James Keeler et Henry Bigler.
L’île
de Maui était légèrement plus grande que celle
d’Oahu. Lahaina, la ville principale, s’étendait
le long d’une plage et n’avait pas de port. Depuis
l’océan, la majeure partie de l’agglomération
était cachée par les palmiers et le feuillage dense.
Une haute chaîne montagneuse se profilait au loin, derrière
la ville.
Les
missionnaires se mirent au travail et découvrirent rapidement
qu’il y avait moins de colons blancs qu’ils ne le
pensaient sur l’île. George se découragea. Les
missionnaires de l’or étaient venus à Hawaï
pensant instruire des colons anglophones, mais aucun d’eux ne
semblait s’intéresser à l’Évangile
rétabli. Ils se rendirent compte que s’ils ne prêchaient
qu’à la population blanche, leur mission serait brève
et infructueuse.
Un
jour, ils discutèrent des possibilités qui s’offraient
à eux. Ils se demandèrent : « Allons-nous limiter
notre travail aux blancs ? » On ne leur avait jamais demandé
de prêcher aux Hawaïens, mais on ne leur avait pas non
plus dit de ne pas le faire. En Californie, Charles Rich leur avait
simplement conseillé de s’en remettre aux directives de
l’Esprit.
George
pensait que son appel et son devoir étaient de faire connaître
l’Évangile à tout le monde. Si les autres
missionnaires et lui faisaient l’effort d’apprendre la
langue du pays, comme Addison Pratt l’avait fait à
Tubuai, ils pourraient magnifier leur appel et toucher le cœur
et l’esprit de davantage de personnes. Henry et James étaient
du même avis.
Les
missionnaires découvrirent rapidement qu’ils avaient du
mal à comprendre l’hawaïen. Chaque mot semblait se
fondre dans le suivant. Cependant, de nombreux Hawaïens étaient
désireux de les aider à apprendre. Du fait qu’il
y avait peu de manuels sur Maui, les missionnaires en commandèrent
quelques-uns à Honolulu. George avait un très grand
désir de parler et il ne manquait jamais une occasion de s’y
entraîner. Parfois il passait la journée entière
avec les autres à la maison à lire et à étudier
la langue.
Petit
à petit, il commença à prendre confiance. Un
soir, alors qu’il était assis chez lui avec ses
collègues et leurs voisins, en train de parler hawaïen,
il se rendit compte tout à coup qu’il comprenait la
plupart de ce qu’ils disaient. Se levant d’un bond, il
mit les mains sur les deux côtés de sa tête et
s’exclama qu’il avait reçu le don d’interprétation
des langues.
Il
ne comprenait pas chaque mot qu’ils disaient, mais il
saisissait le sens général. Rempli de reconnaissance,
il sut que le Seigneur l’avait béni .
CHAPITRE
10
: La
vérité et la justice
George
Q. Cannon agrippa son sac de voyage lorsqu’il entra dans un
ruisseau qui serpentait à travers la vallée verdoyante
de ‘lao, à Maui (Hawaii). C’était le 8 mars
1851, la saison des pluies touchait presque à sa fin. Quatre
jours plus tôt, il était parti de chez lui, à
Lahaina, et s’était mis à marcher en direction du
nord, le long du littoral. Il avait dit à ses collègues
missionnaires : « Je dois m’avancer vers les indigènes
et commencer à leur prêcher l’Évangile. »
Il était impatient d’améliorer sa maîtrise
de l’hawaïen et de rendre son témoignage. Le
Seigneur lui avait révélé que des personnes à
Maui étaient prêtes à recevoir la vérité.
George ne savait pas de qui il s’agissait, mais il s’attendait
à les reconnaître dès qu’il les trouverait.
Il
avait maintenant parcouru une soixantaine de kilomètres sans
succès. Les nuages noirs et les pluies diluviennes l’avaient
amené à se demander s’il n’avait pas choisi
le mauvais moment de l’année pour entreprendre son
voyage.
En
pataugeant plus loin dans le ruisseau, il glissa et tomba. Se
relevant, il sortit de l’eau et grimpa sur une colline voisine
jusqu’à Wailuku, petit village composé de
quelques maisons, une école pour les femmes et une haute
église en pierres volcaniques.
Plusieurs
missionnaires protestants habitaient le village et George voulait
leur rendre témoignage. Cependant, il était fatigué
et ses vêtements mouillés et sales lui faisaient honte.
Il se dit qu’il valait peut-être mieux rentrer à
Lahaina qu’essayer de proclamer l’Évangile dans
des conditions météorologiques aussi déplorables.
Il
trouva la route pour sortir du village et entreprit de rentrer chez
lui. Juste à l’extérieur de Wailuku, alors qu’il
s’était arrêté pour changer de chemise et
se raser, il se sentit tout à coup poussé à
rebrousser chemin. Il fit rapidement demi-tour et, lorsqu’il
passa devant le jardin de l’église, deux femmes
sortirent d’une maison voisine. Elles crièrent en
direction de quelqu’un dans leur maison : « E ka haole !
» Oh, l’homme blanc !
Trois
hommes apparurent à la porte derrière elles et
s’approchèrent de la barrière au moment où
George passait. L’un d’eux lui demanda où il
allait. Il expliqua qu’il envisageait de retourner à
Lahaina à cause du mauvais temps. L’homme dit qu’il
vaudrait mieux attendre quelques jours et l’invita à
rester chez lui.
Il
s’appelait Jonathan Napela. C’était un juge
respecté dans la région et l’un des aliʻi,
ou nobles de l’île. Les deux hommes, William Uaua et H.
K. Kaleohano, et lui, avaient fréquenté les meilleures
écoles de l’île. En leur parlant, George sut
immédiatement qu’il avait trouvé les personnes
que Dieu avait préparées.
Le
lendemain, il parla à Napela du Livre de Mormon et de Joseph
Smith, le prophète. Il expliqua : « Nous ne prenons pas
le Livre de Mormon pour la Bible, mais nous prouvons l’un à
l’aide de l’autre. » Le message de George
intéressait Napela, mais il dit qu’il voulait savoir par
lui-même si cela était vrai.
George
dut bientôt retourner à Lahaina. Cependant, il promit de
revenir à Wailuku pour instruire Napela et ses amis. Il
témoigna qu’il leur avait dit la vérité et
les invita à étudier l’Évangile rétabli.
Citant
la Bible, il dit : « Examinez toutes choses ; retenez ce qui
est bon. »
Pendant
que George retournait à Lahaina, Brigham Young se préparait
à des changements dans la vallée du lac Salé.
Après que les saints eurent déposé une requête
auprès du Congrès pour avoir un gouvernement
territorial, Thomas Kane, qui s’était précédemment
montré amical envers eux et les avait aidés à
lever le Bataillon mormon, envoya une lettre à Brigham lui
conseillant de demander plutôt le statut d’État.
Contrairement aux territoires, qui comptaient sur le président
des États-Unis pour désigner les principaux membres du
gouvernement, les États permettaient aux électeurs de
choisir leurs propres dirigeants, donnant au peuple un plus grand
contrôle sur le gouvernement.
L’Assemblée
législative rédigea rapidement une requête pour
obtenir le statut d’État. Afin de s’assurer
qu’elle parvienne à temps au Congrès, l’assemblée
créa un rapport d’une convention constitutionnelle qui
n’avait jamais eu lieu et l’envoya avec d’autres
documents à leurs délégués à
Washington D.C. La Première Présidence avait espéré
envoyer Oliver Cowdery à Washington pour faire du lobbying en
faveur du statut d’État, mais ce dernier était
tombé malade pendant un séjour dans la famille de sa
femme au Missouri et il était mort en mars 1850. Phineas Young
était à ses côtés lorsqu’il était
décédé.
Peu
après, il avait écrit à Brigham : « Son
dernier témoignage ne sera jamais oublié. Il a dit à
son ami que le salut n’était que dans la vallée
et grâce à la prêtrise qui s’y trouvait. »
Lorsque
la requête arriva à Washington, le Congrès était
empêtré dans un long débat litigieux sur
l’esclavage et son extension dans les terres acquises dans
l’ouest après la guerre avec le Mexique. Le débat
éclipsa la requête et finalement le Congrès
organisa un territoire dans le Grand Bassin dans le cadre d’un
compromis plus vaste visant à pacifier les factions ennemies
au sein du gouvernement.
Le
Congrès rejeta le nom de Déséret et appela le
nouveau territoire Utah, d’après les Utes. L’Utah
était beaucoup plus petit que ce que les saints avaient
proposé et il manquait un port sur l’océan, mais
le territoire comprenait quand même de vastes étendues
de terres. À la satisfaction des saints, le président
confia à des membres de l’Église plus de la
moitié des postes principaux dans le gouvernement, notamment
celui de gouverneur, qui échut à Brigham Young. Les
affectations restantes furent attribuées à des
dignitaires qui n’habitaient pas dans le territoire et
n’étaient pas membres de l’Église. Parmi
eux, il y avait deux des trois membres de la nouvelle Cour suprême
du territoire, limitant le pouvoir des saints de faire appliquer
leurs propres lois.
À
l’été 1851, Brigham et les saints les
accueillirent prudemment en Utah. Ils venaient de l’Est et
étaient ambitieux, mais néanmoins réticents à
s’installer dans ce territoire perdu. Leurs premières
réunions avec les saints furent tendues et délicates.
Les persécutions passées avaient rendu ces derniers
méfiants et ces dignitaires eurent le sentiment d’être
ignorés et peu respectés lorsqu’ils arrivèrent.
Ils ne savaient pas non plus grand chose des saints et de leurs
croyances à part les rumeurs qu’ils avaient entendues au
sujet du mariage plural dans l’Église.
À
l’époque, les saints n’en avaient pas encore parlé
publiquement. Lorsque le Seigneur commanda à Joseph Smith de
le pratiquer, un ange l’avait chargé d’en
préserver la confidentialité et de ne l’enseigner
qu’aux saints dotés d’une intégrité
indéfectible. Les premiers membres de l’Église
considéraient la monogamie comme la seule forme légitime
de mariage et toute alternative était choquante, mais le
Seigneur avait promis d’exalter ces saints pour leur obéissance
et leur sacrifice.
Au
moment de son décès, Joseph avait épousé
certaines femmes plurales pour le temps et pour l’éternité.
Il avait été scellé à d’autres
uniquement pour l’éternité, ce qui signifiait que
leur relation conjugale ne commencerait qu’après cette
vie. Il avait également enseigné le mariage plural à
ses associés les plus proches et ils avaient continué
d’en préserver la confidentialité après sa
mort. Pour Joseph et les premiers saints, c’était un
principe religieux solennel et non une manière de satisfaire
les désirs charnels.
À
l’été 1851, lorsque les dignitaires fédéraux
arrivèrent dans le territoire le mariage plural était
devenu plus courant dans l’Église, compliquant la tâche
de le dissimuler aux visiteurs. En fait, à l’occasion de
fêtes ou d’autres rencontres en société,
ils firent la connaissance des femmes de Brigham Young et d’Heber
Kimball, qui ne firent aucun effort pour cacher leurs relations.
Le
24 juillet 1851, les dignitaires se joignirent aux saints pour
célébrer le quatrième anniversaire de l’arrivée
des pionniers dans la vallée. La fête débuta par
un coup de canon, de la musique patriotique et une parade. Le général
Daniel Wells, membre éminent de l’Église et
commandant de la milice territoriale, parla ensuite des épreuves
passées et prédit qu’un jour les États-Unis
seraient maudits pour leur mauvaise volonté à aider
l’Église. Les saints aimèrent beaucoup le
discours, mais les dignitaires en furent offensés.
Plusieurs
semaines plus tard, un autre magistrat, le juge Perry Brocchus,
arriva des États de l’Est. Brocchus avait accepté
sa nomination en Utah dans l’espoir d’être élu
par les saints pour les représenter au Congrès
américain. Cependant, lorsqu’il arriva dans le
territoire, il fut déçu d’apprendre qu’un
membre de l’Église appelé John Bernhisel avait
déjà été élu à cette
fonction. Il fut aussi alarmé et écœuré
par ce que les autres dignitaires rapportèrent du discours du
24 juillet de Daniel Wells.
En
septembre, il demanda la permission de prendre la parole à
l’occasion d’une conférence spéciale de
l’Église. Il affirma qu’il voulait solliciter des
fonds pour un monument en l’honneur de George Washington, le
premier président des États-Unis. Brigham se méfiait
de la requête, mais il accepta de laisser le juge parler.
Brocchus
commença par louer la générosité des
saints. Il cita le Livre de Mormon et parla de son désir de
les servir et de se lier d’amitié avec eux. Il mit
longtemps à en venir à ce qu’il voulait dire.
Quand enfin il invita les saints à faire des dons pour le
monument, il insinua que les épouses plurales devaient
abandonner leur mariage avant de contribuer. Il dit : « Vous
devez devenir vertueuses et enseigner à vos filles à le
devenir. »
Insultée,
l’assemblée exigea que Brocchus s’assoie.
Cependant, le juge continua de parler. Il condamna le discours de
Daniel Wells du 24 juillet et accusa les saints de déloyauté.
Il dit : « Le gouvernement des États-Unis ne vous a pas
fait de tort. C’est au Missouri qu’il faut demander
réparation, et à l’Illinois aussi. »
Ses
paroles firent bondir les saints. Que savait-il de leurs souffrances
passées ? Des sifflements et des cris de colère
éclatèrent parmi les saints et ils demandèrent à
Brigham de répondre aux insultes.
Lorsque
Brocchus eut terminé son discours, Brigham se leva et fit les
cent pas sur l’estrade. Il rugit : « Le juge Brocchus est
soit profondément ignorant soit vicieusement méchant.
Nous aimons le gouvernement et la Constitution, mais nous n’aimons
pas les maudits coquins qui administrent le gouvernement. »
Loin
du tumulte régnant dans le territoire d’Utah, l’Église
continuait de grandir dans le Pacifique Sud. Après avoir été
détenus pendant des semaines, Addison Pratt et son collègue,
James Brown, reçurent enfin l’autorisation du gouverneur
français de Tahiti de rester sur l’île tant qu’ils
obéissaient à certaines restrictions concernant la
manière dont ils proclamaient l’Évangile et
dirigeaient l’Église.
Selon
celles-ci, les missionnaires ne pouvaient pas prêcher contre la
religion d’État ni se mêler des affaires
politiques ou civiles. Elles limitaient également la manière
dont ils pouvaient subvenir à leurs besoins, corriger les
membres de l’Église indociles, acheter des terrains pour
l’Église et organiser les réunions. S’ils
n’obtempéraient pas, ils pouvaient être expulsés
du pays.
Addison
confia à James une branche voisine tandis qu’il
retournait à Tubuai retrouver sa famille et diriger la
mission. Le voyage de retour dura sept jours. Lorsque son bateau
arriva en vue de l’île, il sortit sa longue-vue et vit
ses filles sur la plage en train de le guetter, elles aussi, à
l’aide d’une longue-vue. Des rubans de fumée
apparurent bientôt sur l’île lorsque les saints de
Tubuai commencèrent à préparer un festin en
l’honneur de son arrivée.
Quand
le bateau approcha de la côte, un canoë vint à sa
rencontre pour ramener Addison sur le rivage. Impatient de retrouver
sa famille, il était prêt à sauter à bord,
mais l’aumônier l’arrêta. Il dit : «
Personne ne quitte l’embarcation tant que nous n’avons
pas remercié le Seigneur. »
Addison
s’agenouilla avec les autres passagers et l’aumônier
fit une prière. Dès qu’il entendit « Amen
», il sauta dans le canoë et fut rapidement ramené
dans les bras de sa famille et de ses amis. Il fut de nouveau surpris
de voir combien ses filles avaient grandi. Tout le monde avait l’air
bien et prêt à célébrer son retour sain et
sauf. Louisa était soulagée de le retrouver.
De
façon détachée, elle lui dit : « J’ai
eu le mal de mer pendant la traversée depuis la Californie,
mais je suis maintenant en bonne santé et de bonne humeur. »
Addison
emménagea dans la maison familiale entourée d’une
barrière et d’un petit jardin. Benjamin Grouard et les
autres anciens construisaient un bateau, le Ravaai, dans une ville
voisine, afin de pouvoir visiter les îles reculées de la
mission. Addison se mit rapidement à confectionner des voiles
pour l’embarcation.
Pendant
ce temps, Louisa et sa sœur Caroline faisaient l’école
dans le lieu de réunion des saints, une pièce bien
aérée, percée de six grandes fenêtres sur
chaque mur. La classe commençait tôt le matin et Louisa
initiait des garçons et des fillettes remuants à
l’anglais en leur enseignant les nombres, les jours de la
semaine et les mois de l’année. Les saints de Tubuai, à
leur tour, passaient leurs soirées à enseigner le
tahitien à Louisa et aux autres missionnaires.
Louisa
était impressionnée par leur foi. Ils aimaient prier et
lire leur Bible. Ils se levaient souvent avant l’aube,
réunissant leur famille pour des dévotions matinales.
Une cloche sonnait chaque dimanche matin à sept heures et une
centaine de saints se réunissaient, la Bible sous le bras.
Pour la Sainte-Cène, ils utilisaient parfois des fruits et du
lait de coco.
De
nombreux saints de Tubuai auraient aimé rejoindre ceux des
États-Unis, mais aucun ne pouvait s’offrir le voyage.
Lorsqu’une famille de missionnaires, les Tompkins, décida
de rentrer au bout de huit mois de mission sur l’île,
Addison leur demanda de lever des fonds pour rassembler les saints
insulaires au sud de la Californie.
Lorsque
le Ravaai fut achevé, les missionnaires se dispersèrent
dans les îles. Ellen partit avec Addison pendant que Louisa
restait sur place pour continuer l’école. Ils revinrent
six semaines plus tard et Louisa accompagna souvent son mari pour
œuvrer sur l’île, ce qui lui permit de pratiquer la
langue et de méditer sur l’œuvre du Seigneur.
Parfois
elle s’interrogeait sur l’utilité de ce qu’elle
faisait. Elle écrivit : « J’espère qu’il
sortira beaucoup de bien de ma venue ici bien que cela ne soit pas
visible à présent. Je me suis efforcée de
planter de bonnes semences ; on en récoltera peut-être
le fruit dans de nombreux jours. »
Dans
l’Est des États-Unis, la nouvelle que le juge Brocchus
avait fait l’objet d’une réprimande cinglante de
Brigham Young provoqua un tollé. Des journaux accusèrent
l’Église de rébellion ouverte contre la nation.
Un éditorialiste recommanda l’envoi de militaires pour
occuper l’Utah et maintenir la paix.
C’était
Brocchus lui-même qui était à la source de
l’information. Bien que Brigham eût essayé de
faire la paix avec lui après la conférence, il avait
refusé de présenter ses excuses aux saints et avait
rédigé un rapport cinglant sur la réaction de
Brigham à son discours. Il avait écrit : « Le
ferment créé par ses paroles fut véritablement
effrayant. On aurait dit que la population (je veux dire une grande
partie d’entre elle) était prête à se jeter
sur moi comme des hyènes et à me détruire. »
Le
Deseret News, le journal de l’Église, rejeta les
accusations comme étant sans fondement. Néanmoins,
consciente du tort que le récit de Brocchus pouvait faire à
l’Église, la Première Présidence demanda
l’aide de Thomas Kane, espérant que ses talents de
lobbyiste et d’écrivain leur permettraient d’échapper
au scandale. Entre-temps, Brocchus et deux dignitaires quittèrent
l’Utah et commencèrent immédiatement à
raconter leur histoire, dressant l’opinion publique contre les
saints.
Thomas
Kane accepta d’intervenir et travailla en étroite
collaboration avec John Bernhisel, le représentant de l’Utah
au Congrès, pour raconter la version des saints au président
des États-Unis et à d’autres représentants
du gouvernement. Brigham envoya également Jedediah Grant, le
maire de Salt Lake City, qui n’avait pas sa langue en poche et
qui était un saint des derniers jours de confiance, à
Washington D.C. pour aider Thomas.
Jedediah
arriva prêt à défendre l’Église. Le
public étant résolument contre les saints, de
nombreuses personnes exigeaient du président qu’il
démette Brigham de sa charge de gouverneur. De plus, Brocchus
et les autres dignitaires avaient adressé au président
un rapport détaillé de leur mandat en Utah. Ce rapport
affirmait que Brigham et l’Église dominaient la région,
contrôlaient l’esprit et les biens des membres de
l’Église et pratiquaient la polygamie.
Après
la publication du rapport, Jedediah en apporta un exemplaire à
Thomas et ils l’examinèrent ensemble. Thomas lut les
affirmations sur la polygamie et les écarta purement et
simplement. Selon lui, ce n’était rien d’autre que
d’absurdes rumeurs.
Jedediah
se sentit mal à l’aise. Il dit à Thomas qu’elles
n’étaient pas toutes fausses. En fait, les saints
pratiquaient le mariage plural depuis aussi longtemps que Thomas les
connaissait.
Celui-ci
fut stupéfait. Depuis cinq ans, il avait aimé et
défendu les saints, mettant souvent sa réputation en
danger pour eux. Pourquoi ne lui avaient-ils jamais dit qu’ils
pratiquaient le mariage plural ? Il se sentit trahi et humilié.
Pendant
des jours, il tourna et retourna cette information dans son esprit,
hésitant à continuer d’aider les saints. Il
supposait que la polygamie désavantageait les femmes et
menaçait la cellule familiale. Il craignait qu’en
défendant les saints, son nom soit à jamais associé
à la pratique.
Pourtant,
il admirait également les saints et chérissait leur
amitié. Il voulait secourir les personnes opprimées et
incomprises dans leurs moments de difficultés et il ne pouvait
pas abandonner les saints maintenant.
Le
29 décembre, il envoya à John Bernhisel un plan pour
contrer le rapport des dignitaires. Il déclara : « Étant
donné le respect et l’amitié que j’ai
encore pour vous, je me tiens prêt à vous aider si vous
le souhaitez. »
Cependant,
il exhorta les saints à faire deux choses : cesser de tenir le
mariage plural secret et expliquer la pratique au public.
Au
bout d’une année passée à Tubuai, Louisa
Pratt et Caroline Crosby se sentirent suffisamment à l’aise
avec le tahitien pour organiser régulièrement des
réunions de prière avec les femmes de l’Église.
À ces occasions, elles chantaient ensemble des cantiques et
discutaient de l’Évangile. Louisa et Caroline
s’attachèrent aux femmes de l’Église,
surtout à la reine Pitomai, la femme du roi Tamatoa de Tubuai.
Du
fait qu’Ellen Pratt avait rapidement maîtrisé la
langue, sa mère et sa tante comptaient souvent sur elle pour
interpréter leurs paroles lors des réunions de prière.
Toutefois, à la réunion du 30 octobre, Caroline chanta
le cantique d’ouverture en tahitien avec deux femmes de Tubuai
et Louisa fit un sermon dans la langue.
Le
sujet était le Livre de Mormon. Avant la réunion, elle
avait rédigé son discours et Benjamin Grouard l’avait
traduit en tahitien. Pendant qu’elle le lisait, les femmes dans
la pièce semblaient la comprendre et lui demandèrent
ensuite de leur parler davantage des Néphites d’autrefois.
En
prenant confiance dans sa maîtrise de la langue, Louisa fut
plus désireuse de parler de l’Évangile. Un jour,
peu après son quarante-neuvième anniversaire, elle
enseigna le baptême pour les morts à un groupe de
femmes. Elle fut surprise d’avoir aussi bien réussi.
Elle fit la réflexion suivante : « Nous n’avons
aucune idée de ce que nous sommes capables de faire tant que
nous n’avons pas sincèrement essayé. J’en
suis à plus de la moitié de ma vie et je viens
d’apprendre une nouvelle langue. »
Plusieurs
semaines plus tard, le 29 novembre, le Ravaai s’arrêta à
Tubuai, en route vers d’autres îles. L’un des
missionnaires à bord était James Brown, qui était
de nouveau prisonnier du gouvernement français de Tahiti. Il
avait été arrêté sur l’atoll d’Anaa
après que des prêtres français l’avaient
surpris en train d’encourager les saints à se rassembler
aux États-Unis. Estimant que ses paroles étaient de
l’ordre de la politique, les autorités françaises
l’avaient accusé d’insurrection et banni du pays.
James
pensait qu’il allait devoir rester sur le Ravaai et vivre
uniquement de pain et d’eau jusqu’à ce que
l’équipage le dépose sur une île hors de la
juridiction française, mais la reine Pitomai monta à
bord du navire et l’invita à en descendre. Elle dit : «
C’est mon île. J’assumerai tous les problèmes
qui pourront se présenter. »
James
resta sur Tubuai pendant dix jours puis partit œuvrer sur une
île juste en dehors de la juridiction française. Son
bannissement était la preuve que le gouvernement français
devenait plus sévère, rendant le travail des
missionnaires étrangers de nombreuses religions presque
impossible à faire. Le découragement et la frustration,
conjugués au mal du pays, assaillirent bientôt les
saints des États-Unis et ils décidèrent qu’il
était temps de rentrer au pays.
Louisa
savait que de nombreux saints fidèles de Tubuai voulaient les
accompagner aux États-Unis. Telii, l’amie la plus proche
des Pratt, avait l’intention de faire le voyage, mais des
responsabilités familiales sur l’île l’en
empêchèrent. Louisa voulait aussi emmener certains de
ses élèves à Salt Lake City, mais leurs parents
s’y opposèrent. D’autres, qui souhaitaient partir,
n’avaient pas l’argent pour se payer le voyage.
Lors
de la réunion de prière du 11 mars, Louisa dit aux
femmes : « Lorsque nous serons chez nous, nous intercéderons
afin que vous soyez rassemblées avec l’Église. En
attendant, vous devez prier pour vous-mêmes et pour nous. »
Trois
semaines plus tard, les femmes se réunirent avec Louisa et
Caroline pour leur dernière réunion de prière.
Caroline fut profondément émue en pensant que c’était
la dernière fois qu’elles se réunissaient. Elle
voyait bien que certaines femmes étaient tristes de les voir
partir. Néanmoins, la réunion fut remplie de l’Esprit
et les femmes parlèrent et prièrent ensemble jusque
tard le soir. Louisa dit au revoir à ses élèves
et les confia à Telii. Caroline donna une couverture piquée
qu’elle avait confectionnée à la reine Pitomai
qui lui offrit une belle robe en retour.
Le
6 avril 1852, les missionnaires de Tubuai montèrent à
bord du Ravaai. Les saints insulaires vinrent leur dire au revoir sur
la plage, apportant de la nourriture pour le voyage. Louisa leur dit
: « Consolez-vous. Je vais prier pour qu’un jour vous
puissiez vous rassembler avec l’Église du Christ en
Amérique, à savoir Sion dans la vallée des
montagnes Rocheuses. » Tout le monde pleura et ils se serrèrent
la main une dernière fois.
Le
Ravaai fit voile vers quatre heures de l’après-midi. Les
saints entrèrent dans l’eau et accompagnèrent le
bateau dans l’océan aussi longtemps que possible,
bénissant les missionnaires. Alors que le bateau glissait
silencieusement sur les eaux calmes et que l’île
disparaissait progressivement, les missionnaires continuaient de
percevoir les au- revoir des saints sur le rivage.
«
‘Ia ora na ‘outou. » La paix soit avec vous.
Quelques
mois plus tard, Brigham se réunit avec ses conseillers les
plus proches à Salt Lake City. Grâce à Thomas
Kane, John Bernhisel et Jedediah Grant, la controverse avec les
dignitaires territoriaux était pour l’instant terminée.
Brigham resta gouverneur et de nouveaux dignitaires fédéraux
furent envoyés remplacer Brocchus et ceux qui avaient quitté
l’Utah. Néanmoins, les dirigeants de l’Église
n’avaient toujours pas fait de déclaration officielle
sur le mariage plural comme Thomas leur avait vivement conseillé
de le faire.
Brigham
réfléchissait à la meilleure manière
d’annoncer la pratique. Avec son siège en Utah
solidement établi, l’Église n’avait jamais
été aussi forte. De plus, le mariage plural jouait
maintenant un rôle essentiel dans la vie de nombreux saints,
influençant grandement la façon dont ils comprenaient
leur relation et leur alliance avec Dieu et leur famille. Il semblait
à la fois impossible et inutile d’en préserver la
confidentialité plus longtemps. Le moment était venu de
le rendre public et ils décidèrent de l’expliquer
plus complètement aux saints et au reste du monde à
l’occasion d’une prochaine conférence de deux
jours sur l’œuvre missionnaire.
La
conférence débuta le 28 août 1852. Ce jour-là,
la Première Présidence appela cent sept hommes en
mission en Inde, au Siam, en Chine, en Afrique du Sud, en Jamaïque,
sur l’île de la Barbade et dans d’autres endroits
du monde. George A. Smith lança par boutade : « Les
appels en mission que nous allons annoncer lors de cette conférence
seront généralement de courte durée. Les hommes
ne seront probablement pas séparés de leur famille
pendant plus de trois à sept ans. »
On
attendait des missionnaires qu’ils apportent l’Évangile
de Jésus-Christ aux peuples du monde. Heber Kimball conseilla
: « Que la vérité et la justice soient votre
devise. Partez dans le monde avec pour seuls objectifs de prêcher
l’Évangile, d’édifier le royaume de Dieu et
de rassembler les brebis dans le troupeau. »
Le
lendemain, Orson Pratt se leva et fit un discours sur le mariage
plural. Ses paroles furent publiées dans le Deseret News et
d’autres journaux du monde réimprimèrent
rapidement l’article. Dans son sermon, il expliquait aux
missionnaires le fondement doctrinal du mariage plural afin qu’ils
puissent enseigner et défendre la pratique dans le champ de la
mission.
Il
déclara en chaire : « Les saints des derniers jours ont
embrassé la doctrine de la pluralité des épouses
dans le cadre de leur religion. Nous allons nous efforcer de
présenter à cette assemblée éclairée
certaines des causes et le pourquoi de la chose. »
Il
parla pendant deux heures, s’appuyant sur sa propre
compréhension de la pratique. Les Écritures offraient
peu de déclarations doctrinales sur le mariage plural. La
Bible évoquait des hommes et des femmes justes, tels
qu’Abraham et Sara, qui avaient obéi au principe, mais
ne révélait pas grand-chose sur les raisons pour
lesquelles ils l’avaient fait. Par contre, le Livre de Mormon
expliquait que Dieu commandait parfois au peuple de pratiquer le
mariage plural afin d’élever des enfants pour lui.
Orson
enseigna à l’assemblée que le mariage plural
n’était pas une question d’abandon aux pulsions
sexuelles, comme beaucoup hors de l’Église le
supposaient, mais plutôt de participation à
l’accomplissement de l’œuvre éternelle de
Dieu ici-bas. Il laissa entendre que le Seigneur demandait parfois à
son peuple de pratiquer le mariage plural afin de multiplier et
remplir la terre, diffuser les promesses et les bénédictions
de l’alliance abrahamique et faire venir au monde davantage
d’enfants d’esprit de notre Père céleste.
Dans ces familles, les enfants apprenaient l’Évangile
auprès de parents pratiquant la justice et grandissaient pour
établir le royaume de Dieu.
Orson
fit aussi observer que le Seigneur gouvernait la pratique avec des
lois strictes. Seul le prophète détenait les clés
de l’alliance du mariage et nul ne pouvait célébrer
de mariage plural sans son consentement. De plus, il était
attendu des personnes qui le pratiquaient qu’elles respectent
leurs alliances et mènent une vie juste.
À
la fin de son discours, il déclara : « Nous ne pouvons
qu’ébaucher ce vaste sujet. » Il ajouta que les
saints fidèles étaient héritiers de tout ce que
Dieu possédait. En contractant et en respectant les alliances
éternelles du mariage, ils pourraient élever une
postérité aussi nombreuse que les grains de sable au
bord de la mer.
Il
dit : « J’ai envie de chanter alléluia à
son saint nom, car il règne dans les cieux et il exaltera son
peuple afin qu’il s’assoie avec lui sur des trônes
de puissance pour régner pour toujours et à jamais. »
Plus
tard ce jour-là, Brigham parla aux saints de la révélation.
Il fit remarquer que certaines des révélations du
Seigneur étaient difficiles à accepter au début.
Il relata les difficultés qu’il avait eues, vingt ans
plus tôt, à accepter la vision de Joseph Smith de la vie
après la vie et des trois royaumes de gloire.
Il
admit : « Quand j’en ai été informé,
c’était exactement à l’opposé de mon
éducation et de mes traditions. Je ne l’ai pas rejetée,
mais je n’arrivais pas à la comprendre. » Sa foi
en la révélation grandit lorsqu’il rechercha des
précisions auprès du Seigneur. Il dit aux saints : «
J’ai réfléchi et prié, j’ai lu et
réfléchi, j’ai prié et médité
jusqu’à ce que je sache et comprenne par moi-même,
grâce aux visions de l’Esprit-Saint. »
Il
témoigna ensuite de la révélation du Seigneur à
Joseph Smith sur le mariage éternel, ajoutant que Dieu
révélait encore ses paroles à l’Église.
Il dit : « S’il fallait les écrire, nous écririons
continuellement. Nous préférons que le peuple vive de
façon à recevoir les révélations pour
lui-même et fasse ensuite le travail que nous sommes appelés
à faire. Cela nous suffit. »
Ensuite,
son secrétaire, Thomas Bullock, lut la révélation
du Seigneur sur le mariage plural à une immense assemblée.
La plupart des saints, y compris certains de ceux qui le
pratiquaient, n’avaient encore jamais lu la révélation.
Certains se réjouirent de pouvoir enfin proclamer librement le
principe au monde.
Immédiatement
après la conférence, les missionnaires nouvellement
appelés se réunirent pour recevoir des instructions
afin de s’en aller prêcher sur tous les continents
habités. L’enthousiasme remplit la pièce tandis
que les hommes pensaient à cette nouvelle impulsion dans
l’œuvre du Seigneur. L’été étant
presque fini, ils avaient peu de temps à perdre.
Brigham
leur dit : « Je veux que vous partiez dès que possible
et franchissiez les plaines avant les premières chutes de
neige. »
DEUXIÈME
PARTIE
: Préparez
du Seigneur le chemin
(septembre
1852 - mai 1869)
CHAPITRE
11
: Un
grand honneur
Presque
tous les matins, Ann Eliza Secrist entendait Moroni, son fils de deux
ans, appeler son père. Elle devait accoucher dans les jours à
venir et jusqu’à récemment, son mari, Jacob,
s’occupait lui-même du garçon. Cependant, le 15
septembre 1852, ses trois jeunes enfants et elle s’étaient
tenus à la porte de leur maison inachevée à Salt
Lake City et avaient regardé Jacob gravir avec son attelage
une colline située à l’est de la ville. Au
sommet, il avait agité son chapeau dans leur direction, avait
contemplé une fois de plus la ville et avait ensuite disparu
derrière la colline.
Il
faisait partie des dizaines de missionnaires appelés lors de
la conférence d’août 1852. Ayant reçu la
directive de partir dès que possible, il se joignit à
un convoi de quatre-vingts anciens à destination
principalement de la Grande-Bretagne et d’autres nations
européennes. Il fut l’un des quatre missionnaires
envoyés en Allemagne, où il fut appelé à
œuvrer pendant trois ans.
Jusque-là,
Ann Eliza avait fait face à l’absence de son mari du
mieux qu’elle le pouvait. Jacob et elle avaient grandi ensemble
dans une petite ville de l’est des États-Unis. Pendant
qu’ils se fréquentaient, Jacob avait travaillé
dans un autre État et durant leur séparation, ils
avaient échangé de longues lettres d’amour. Ils
s’étaient mariés en 1842, étaient devenus
membres de l’Église peu après et avaient ensuite
suivi les saints vers l’ouest. Ils avaient tous les deux un
solide témoignage de l’Évangile rétabli et
Ann Eliza ne voulait pas se plaindre de l’appel en mission de
Jacob. Cependant, le temps passait lentement en son absence et elle
était accablée de chagrin.
Treize
jours après le départ de son mari, elle accoucha d’un
petit garçon aux cheveux noirs. Le lendemain, elle écrivit
à Jacob. Elle raconta : « Nous avons pesé le bébé
et il fait quatre kilos et demi. Il n’a pas encore de nom. Si
tu en as un pour lui, note-le dans ta lettre. »
Elle
n’avait aucune idée du temps qu’il faudrait pour
que son mari reçoive la nouvelle. Le courrier arrivait
sporadiquement dans la vallée la plupart des mois de l’année,
mais la distribution cessait totalement l’hiver lorsque la
neige sur les plaines rendait les routes impraticables. Elle avait
peu de raisons de s’attendre à une réponse avant
le printemps.
Cependant,
peu après la naissance du bébé, elle reçut
une lettre que Jacob avait envoyée alors qu’il était
encore sur la piste vers l’est. D’après le
contenu, elle devinait qu’il n’avait pas encore reçu
sa lettre. Il lui disait qu’il avait rêvé de leur
famille. Les trois enfants jouaient ensemble sur le sol pendant
qu’Ann Eliza était au lit avec un petit garçon
nouveau-né.
Jacob
avait écrit que si elle donnait naissance à un fils, il
voulait qu’elle l’appelle Néphi.
Ann
Eliza avait sa réponse. Elle appela le bébé
Heber Néphi Secrist.
L’été
de 1852, Johan Dorius, vingt-deux ans, arriva dans le district de
Vendyssel, situé au nord du Danemark. Apprenti cordonnier
originaire de Copenhague, il avait délaissé ses outils
pour faire une mission dans son pays natal. Il était devenu
membre de l’Église avec son père, Nicolai, et sa
jeune sœur Augusta, peu après l’arrivée au
Danemark des premiers missionnaires saints des derniers jours. Carl,
son frère aîné, était devenu membre un peu
plus d’un an plus tard.
L’Église
avait grandi rapidement au Danemark depuis que Peter Hansen et
Erastus Snow avaient ouvert la mission. En moins de deux ans, ils
avaient publié le Livre de Mormon en danois (première
édition du livre dans une langue autre que l’anglais) et
avaient fondé un journal mensuel appelé le
Skandinaviens Stjerne. Le Danemark comptait maintenant plus de cinq
cents saints organisés en douze branches.
Par
contre, la mère de Johan, Ane Sophie, méprisait la
nouvelle Église impopulaire et se servit de l’appartenance
de son mari comme motif de divorce. Au moment où Ane Sophie et
Nicolai se séparaient, Johan fut appelé avec d’autres
nouveaux convertis à faire une mission localement et Augusta
quitta le Danemark avec le premier groupe de saints scandinaves pour
se rassembler en Sion.
À
Vendsyssel, Johan se rendit dans le sud pour rencontrer des saints
dans un village appelé Bastholm. Ils se réunirent chez
un membre local. Johan se sentait joyeux et inspiré lorsqu’il
s’adressa à l’assemblée. Ayant déjà
prêché dans la région, il connaissait presque
toutes les personnes présentes.
Vers
midi, juste avant la fin de la réunion, une foule d’ouvriers
agricoles armés d’outils et de gourdins entra dans la
maison et se posta autour de la porte. Plus tôt cette année-là,
les saints danois avaient adressé à l’Assemblée
législative une demande de protection contre les émeutiers,
mais rien n’avait été fait. De nouveaux convertis
dans la Suède voisine avaient affronté une adversité
semblable, incitant certains à préférer se faire
baptiser dans la cuve d’un tanneur plutôt que de prendre
le risque d’être vus dans une rivière.
Une
fois la réunion fut terminée, Johan se dirigea vers la
porte pour partir. Les émeutiers se rapprochèrent et
Johan sentit quelque chose lui piquer la jambe. Il ignora la douleur
et sortit, mais presque immédiatement, les ouvriers agricoles
l’attrapèrent par derrière et le frappèrent
dans le dos à coups de gourdin. Une douleur fulgurante lui
traversa le corps lorsque les hommes le piquèrent avec des
bâtons et des outils pointus jusqu’à ce qu’il
ait la chair à vif.
Tant
bien que mal, il réussit à leur échapper et à
s’enfuir chez un membre de l’Église du nom de
Peter Jensen qui n’habitait pas loin. Là, ses amis lui
ôtèrent ses vêtements déchirés,
pansèrent ses blessures et le mirent au lit. Un homme l’oignit
et le bénit et une femme âgée veilla sur lui dans
sa chambre. Cependant, au bout d’une heure et demie, des hommes
ivres tambourinèrent à la porte. La vieille femme tomba
à genoux et pria pour avoir de l’aide. Elle dit à
Johan : « Ils devront me battre avant de pouvoir te battre. »
Un
instant plus tard, les hommes ivres faisaient irruption dans la
pièce. La femme essaya de les arrêter, mais ils la
poussèrent contre le mur. Ils encerclèrent le lit et
rouèrent de coups le corps contusionné et lacéré
de Johan. Voulant à tout prix rester conscient et calme, Johan
pensa à Dieu, mais les émeutiers lui saisirent les
bras, le traînèrent hors du lit et l’emportèrent
dans la nuit.
Soren
Thura passait près de chez les Jensen lorsqu’il vit la
foule transportant Johan vers une rivière voisine. Certains
des hommes criaient et juraient sauvagement. D’autres
beuglaient des chansons. Soren s’approcha à grandes
enjambées et joua des coudes pour se glisser entre eux. Leur
haleine empestait l’alcool. Il jeta un coup d’œil à
Johan. Le jeune homme avait l’air petit et frêle dans sa
chemise de nuit.
Les
hommes reconnurent immédiatement Soren. C’était
un vétéran de la cavalerie danoise et à
Bastholm, il avait la réputation d’être un athlète
puissant. Supposant qu’il allait se joindre à eux, les
hommes lui dirent qu’ils avaient attrapé un «
prédicateur mormon » et qu’ils allaient le jeter à
la rivière. Ils dirent : « Nous allons montrer à
ce prêtre mormon comment baptiser. »
Soren
dit : « Libérez-le. Je vais m’occuper de ce garçon
et je vous défie de m’en empêcher, bande de
lâches. » Il était bien plus grand et plus fort
qu’aucun d’entre eux ; ils laissèrent donc tomber
le missionnaire, lui assénèrent quelques coups
supplémentaires et détalèrent.
Soren
le ramena chez les Jensen et revint le lendemain prendre de ses
nouvelles. Johan croyait que Dieu avait envoyé Soren à
son secours. Il témoigna : « Ce n’est rien de plus
que ce qui est arrivé au peuple de Dieu autrefois et de tels
châtiments sont censés nous humilier devant le Seigneur.
»
Soren
fut ému par le message de Johan et revint, jour après
jour, parler avec le jeune homme et lui poser des questions sur sa
mission et l’Évangile rétabli.
Pendant
que Johan se remettait de sa rossée, Augusta, sa sœur de
quatorze ans, traversait les montagnes Rocheuses avec un convoi de
chariots d’une centaine de saints émigrants. La piste
qu’ils suivaient était sablonneuse et bien battue après
cinq années de grandes migrations vers la vallée du lac
Salé. Pourtant, bien qu’elle fût bien marquée,
les saints étaient inquiets en pensant au chemin qui les
attendait. L’automne était arrivé sur les
plaines. Un vent glacial balayait la campagne et les températures
étaient presque insupportables.
Pour
ne rien arranger, les bœufs commençaient à
fatiguer et les saints avaient utilisé tout ce qui leur
restait de farine, ce qui les obligea à envoyer un cavalier en
avant en quête de provisions. N’ayant aucun moyen de
savoir combien de temps les secours mettraient pour arriver, les
saints continuèrent d’avancer, le ventre vide. Ils
étaient encore à plus de deux cents kilomètres
de Salt Lake City et la partie la plus abrupte de leur voyage était
encore devant eux.
Augusta
et ses amies marchaient souvent loin devant le convoi puis
attendaient qu’il les rattrape. En chemin, elles pensaient aux
maisons qu’elles avaient abandonnées. Les vingt-huit
Danois du convoi avaient fait la traversée jusqu’aux
États-Unis avec Erastus Snow, qui était déjà
parti en avant jusqu’à Salt Lake City, pendant
qu’Augusta et le reste de la compagnie suivaient dans un autre
convoi. La plupart des émigrants scandinaves, dont Augusta, ne
connaissaient pas un mot d’anglais, mais tous les matins et
tous les soirs, ils se joignaient aux saints anglophones pour prier
et chanter des cantiques.
Le
voyage jusqu’à Salt Lake City s’avérait
être plus dur et plus long que ce qu’Augusta avait
imaginé. En écoutant les Américains parler leur
langue incompréhensible, elle réalisa combien elle
savait peu de choses de son nouveau foyer. Elle eut aussi le mal du
pays. En plus de ses frères Carl et Johan, elle avait trois
sœurs plus jeunes appelées Caroline, Rebekke et
Nicolena. Elle voulait que tous les membres de sa famille la
rejoignent un jour en Sion, mais elle ne savait pas si cela
arriverait un jour, surtout depuis le divorce de ses parents.
Sur
la piste vers l’ouest, Augusta survécut grâce à
de maigres rations tandis que le convoi gravissait des crêtes,
s’enfonçait dans de profonds ravins et traversait
d’étroits ruisseaux de montagne. À l’entrée
d’Echo Canyon, à environ soixante kilomètres de
Salt Lake City, des femmes du convoi aperçurent l’homme
qui avait été envoyé en avant en quête de
provisions. Peu après, un chariot chargé de pain, de
farine et de biscuits salés arriva et les capitaines de la
compagnie distribuèrent les victuailles aux saints soulagés.
Quelques
jours plus tard, le convoi arriva à Salt Lake City. Erastus
Snow salua les saints danois lorsqu’ils entrèrent dans
la ville et les invita à manger chez lui du pain aux raisins
et du riz. Après avoir passé des mois à ne
manger que du pain fade et de la viande de bison, Augusta estima
n’avoir jamais rien goûté de plus délicieux.
Le
8 novembre 1852, George Q. Cannon ouvrit son petit journal marron et
écrivit : « Très occupé à écrire.
» Il était resté penché toute la journée
sur une table chez Jonathan et Kitty Napela à traduire le
Livre de Mormon en hawaïen. En réfléchissant à
son travail de la journée, il demanda au Seigneur de l’aider
à terminer le projet.
Il
nota, songeur, dans son journal : « J’estime que c’est
un grand honneur. J’ai envie de me réjouir pendant que
je le fais et mon cœur brûle et se gonfle lorsque je
médite les principes merveilleux qui y sont contenus. »
En
mars 1851, lorsque George rencontra Jonathan Napela, jamais il
n’aurait imaginé l’importance de Napela dans
l’œuvre du Seigneur à Hawaï. Pourtant, ce ne
fut qu’en janvier 1852 (presque une année après
leur première rencontre) que Napela accepta le baptême.
Il savait que l’Évangile rétabli était
vrai, mais l’opposition des membres de la collectivité
et de l’Église protestante locale l’empêchait
de devenir immédiatement membre de l’Église.
Entre temps, George avait réussi à baptiser de
nombreuses personnes et à organiser quatre branches à
Maui.
Avec
l’aide et les encouragements de Napela, il avait commencé
à traduire le Livre de Mormon peu après le baptême
de celui-ci. Heure après heure, George étudiait des
passages du livre et s’efforçait de rédiger de
son mieux une traduction hawaïenne sur une feuille de papier. Il
lisait ensuite ce qu’il avait écrit à Napela qui
l’aidait à parfaire la traduction. Avocat instruit,
Napela était excellemment qualifié pour guider George à
travers les complexités de sa langue maternelle. Il avait
également étudié très attentivement les
principes de l’Évangile et saisissait rapidement la
vérité.
Le
processus fut lent au début, mais leur désir de faire
connaître le message du Livre de Mormon aux Hawaïens les
incita à avancer. Ils sentirent bientôt l’Esprit
reposer sur eux et ils se surprirent à progresser rapidement
dans leur travail, même lorsqu’ils rencontraient des
passages exprimant des points de doctrine et des idées
complexes. L’hawaïen de George s’améliorait
de jour en jour tandis que Napela lui enseignait de nouveaux mots et
de nouvelles expressions.
Le
11 novembre, des collègues missionnaires qui travaillaient sur
une autre île apportèrent à George trois lettres
et sept numéros du Deseret News d’Utah. Avide de
nouvelles de chez lui, George lut les lettres et les journaux dès
qu’il en eut l’occasion. Dans une lettre, il apprit que
l’apôtre Orson Pratt avait lu aux saints une révélation
sur le mariage plural et l’avait prêché
publiquement. La nouvelle ne le surprit pas.
Il
nota dans son journal : « Je m’y attendais. Je crois que
le moment est opportun. »
Une
autre lettre rapportait que les dirigeants de l’Église
avaient été informés de la traduction du Livre
de Mormon et approuvaient le projet. La troisième lettre lui
apprenait que l’apôtre John Taylor, son oncle, était
récemment rentré de sa mission en France et qu’il
voulait que George rentre aussi. Elizabeth Hoagland, la jeune fille
qu’il avait courtisée avant de partir en mission,
attendait également impatiemment son retour. Néanmoins,
Willard Richards, de la Première Présidence, voulait
qu’il envisage l’idée de terminer la traduction
avant de rentrer.
George
savait qu’il avait fait une mission honorable. Le jeune homme
qui avait le mal du pays et des difficultés à
s’exprimer était devenu un missionnaire et un
prédicateur puissant. S’il décidait de rentrer
maintenant, personne ne pourrait dire qu’il n’avait pas
magnifié l’appel que le Seigneur lui avait donné.
Il
croyait cependant que les ancêtres du peuple hawaïen
avaient prié pour que leurs descendants aient la chance
d’entendre l’Évangile et de profiter des
bénédictions qui l’accompagnent. En outre, il
aspirait à se réjouir avec ses frères et sœurs
hawaïens dans le royaume céleste. Comment pouvait-il
quitter Hawaï avant d’avoir terminé sa traduction ?
Il allait rester et achever son œuvre.
Quelques
jours plus tard, après avoir passé la matinée
avec des saints sur Maui, George pensa à la bonté de
Dieu et son cœur se remplit d’une joie et d’un
bonheur ineffables.
Il
s’exclama dans son journal : « Je n’ai pas les mots
pour exprimer les sentiments que j’éprouve en
réfléchissant à l’œuvre du Seigneur.
Oh, que ma langue, mon temps, mes talents et tout ce que je possède
puissent être employés pour l’honorer et le
glorifier, pour glorifier son nom et propager la connaissance de ses
attributs où que le sort m’envoie ! »
Cet
automne-là, Johan Dorius et d’autres missionnaires
danois furent envoyés en Norvège pour y prêcher
l’Évangile. Comme le Danemark, la Norvège
accordait une certaine liberté religieuse aux chrétiens
qui n’appartenaient pas à l’église d’État,
mais depuis plus de dix ans, des livres et des journaux mettaient les
Norvégiens en garde contre les dangers que représentaient
les saints des derniers jours, dressant l’opinion publique
contre l’Église.
Un
jour, Johan et son collègue organisèrent une réunion
dans une petite maison non loin de la ville de Fredrikstad.
L’assemblée chanta « L’Esprit du Dieu saint
» puis Johan parla des origines de l’Église et
déclara que Dieu s’était de nouveau révélé
à l’humanité. Lorsqu’il eut fini, une jeune
femme exigea qu’il prouve la véracité de ses
paroles avec la Bible. Il le fit, et elle fut impressionnée
par ce qu’il dit.
Deux
jours plus tard, Johan et son collègue firent halte pour la
nuit dans une auberge en dehors de Fredrikstad. L’aubergiste
leur demanda de décliner leur identité et les jeunes
gens se présentèrent sous le titre de missionnaires
saints des derniers jours. L’aubergiste devint méfiant.
Les autorités du comté lui avaient formellement
interdit de loger des saints des derniers jours.
Pendant
que les missionnaires parlaient à l’aubergiste, un agent
de police sortit d’une pièce voisine et exigea de voir
le passeport de Johan. Celui-ci expliqua qu’il était
resté à Fredrikstad.
«
Vous êtes en état d’arrestation », dit
l’agent, qui se tourna ensuite vers le collègue de Johan
et lui demanda son passeport. Comme le missionnaire ne pouvait le
présenter, l’agent l’arrêta aussi et
conduisit les deux hommes dans une pièce pour attendre
l’interrogatoire. À leur grande surprise, Johan et son
collègue trouvèrent la pièce remplie de saints
norvégiens (femmes et hommes) qui avaient aussi été
arrêtés. Parmi eux se trouvaient plusieurs missionnaires
danois, notamment un qui était en garde à vue depuis
deux semaines.
Dernièrement,
les autorités régionales avaient commencé à
rassembler et à interroger les missionnaires et les membres de
l’Église. De nombreux Norvégiens se méfiaient
fortement des saints et croyaient que leur foi au Livre de Mormon les
disqualifiait de la protection accordée par les lois
nationales relatives à la liberté religieuse.
La
nouvelle que les membres de l’Église aux États-Unis
pratiquaient le mariage plural avait aussi amené certains
Norvégiens à voir les saints comme des fauteurs de
troubles qui voulaient corrompre la foi et les valeurs
traditionnelles du peuple norvégien. En interrogeant et en
emprisonnant les saints des derniers jours, les autorités
espéraient les dénoncer comme non chrétiens et
mettre fin à la propagation de la nouvelle religion.
Johan
fut bientôt transporté à Fredrikstad et
emprisonné avec quatre autres missionnaires, dont Christian
Larsen, dirigeant de l’Église en Norvège. Le
geôlier et sa famille traitèrent les missionnaires avec
civilité, leur permettant de prier, de lire et d’écrire,
de chanter et de parler de l’Évangile. Néanmoins,
personne n’était libre de s’en aller.
Au
bout de plusieurs semaines, le juge du comté et d’autres
autorités interrogèrent certains des missionnaires. Le
juge traita les hommes comme des criminels, écouta à
peine ce qu’ils disaient et refusa de leur accorder la parole
lorsqu’ils essayèrent d’expliquer que leur message
était en harmonie avec la chrétienté et la
Bible.
Les
autorités demandèrent à Christian : « Dans
quel but êtes-vous venu dans ce pays ? »
Il
répondit : « Pour enseigner aux gens le véritable
Évangile de Jésus-Christ.
—
Retournerez-vous au Danemark si
vous êtes libéré de prison ?
—
Pas tant que Dieu ne me le
relève pas par l’intermédiaire de ses serviteurs
qui m’ont envoyé ici.
—
Vous abstiendrez-vous de
prêcher et de baptiser ?
—
Si vous ou n’importe
lequel de vos prêtres pouvez me convaincre que notre doctrine
et notre foi ne sont pas en accord avec la doctrine du Christ, car je
désire obtenir le salut et faire la volonté de Dieu.
—
Nous considérons qu’une
discussion avec vous serait indigne de nos prêtres », dit
l’interrogateur en chef. « Je vous interdis d’induire
d’autres âmes en erreur avec vos fausses doctrines. »
En
attendant leur procès, Johan et les missionnaires partagèrent
la cellule de Johan Andreas Jensen. Capitaine de vaisseau, c’était
un homme profondément religieux qui avait donné ses
biens aux pauvres et avait commencé à prêcher
dans les rues et à appeler les gens au repentir. Dans son
enthousiasme pour la proclamation de la parole de Dieu, il avait
essayé de faire connaître ses opinions religieuses à
Oscar Ier, roi de Suède et Norvège, mais avait été
refoulé chaque fois qu’il avait sollicité une
audience. Contrarié, Jensen avait qualifié le roi de «
pécheur exalté » et avait été
promptement arrêté et emprisonné.
Les
missionnaires lui parlèrent de l’Évangile
rétabli. Au début, le capitaine ne s’intéressa
pas au message, mais il priait pour eux et eux priaient pour lui. Un
jour, pendant qu’ils lui rendaient témoignage, tous les
occupants de la cellule furent remplis de joie. Jensen pleura
intensément et son visage resplendit. Il déclara qu’il
savait que l’Évangile rétabli était vrai.
Les
missionnaires demandèrent à la cour de relâcher
Jensen juste le temps de se faire baptiser, mais leur demande fut
rejetée. Jensen assura aux missionnaires qu’il se ferait
baptiser dès qu’il serait libéré de
prison.
Johan
nota dans son journal : « Cela nous amena tous à
remercier humblement Dieu et ce fut véritablement une
magnifique journée pour nous. Nous chantâmes et louâmes
Dieu pour sa bonté ».
CHAPITRE
12
: Le
visage tourné vers Sion
Le
matin du 6 avril 1853, Brigham Young se tenait avec ses conseillers,
Heber Kimball et Willard Richards, devant les fondations
partiellement creusées du nouveau temple à Salt Lake
City. Cela faisait des mois, voire des années qu’il
attendait ce jour et il n’aurait pas pu souhaiter un ciel d’un
bleu plus pur. L’Église fêtait son vingt-troisième
anniversaire et c’était également le premier jour
de sa conférence générale de printemps. Des
milliers de saints étaient venus à l’emplacement
du temple, comme ils le faisaient deux fois par an, pour entendre les
paroles de leurs dirigeants. Cependant, aujourd’hui, c’était
différent. Aujourd’hui ils étaient venus assister
à la pose des pierres angulaires du temple.
Brigham
se réjouissait. Il avait ouvert le chantier et Heber avait
consacré l’emplacement deux mois et demi plus tôt.
Depuis lors, les ouvriers n’avaient pas eu assez de temps pour
creuser entièrement les imposantes fondations, mais ils
avaient ouvert le long de ses murs des tranchées profondes et
suffisamment larges pour y loger les énormes pierres
angulaires en grès. Il faudrait encore deux mois de labeur
pour terminer l’excavation.
Une
fois les saints assemblés, Brigham et ses conseillers posèrent
l’une des pierres à l’angle sud-est des
fondations. Chacune d’elles pesait plus de deux tonnes. Le
temple aurait six flèches et serait beaucoup plus haut que les
temples de Kirtland et de Nauvoo, nécessitant des fondations
solides pour supporter son poids. Lors d’une réunion
avec Truman Angell, l’architecte, Brigham avait fait un croquis
du temple sur une ardoise et expliqué que les trois flèches
à l’est représenteraient la Prêtrise de
Melchisédek tandis que les trois flèches à
l’ouest représenteraient la Prêtrise d’Aaron.
Après
la pose des pierres angulaires, Thomas Bullock, un greffier de
l’Église, lut un sermon préparé par
Brigham Young sur l’objectif des temples. De nombreux saints
avaient reçu la dotation dans le temple de Nauvoo ou dans la
Council House, un bâtiment à Salt Lake City où
Brigham avait temporairement autorisé l’accomplissement
de l’œuvre du temple, mais la plupart d’entre eux
n’avaient accompli l’ordonnance qu’une seule fois
et n’en avaient peut-être pas saisi toute la beauté
et l’importance. D’autres, notamment de nombreux saints
européens arrivés récemment, n’avaient pas
eu l’occasion de recevoir la dotation. Afin de leur faire
comprendre la nature sacrée de l’ordonnance et son
importance, Brigham en fit une description.
Le
sermon expliquait : « Votre dotation au temple consiste à
recevoir dans la maison du Seigneur toutes les ordonnances qui vous
seront nécessaires, lorsque vous aurez quitté cette
vie, pour vous permettre de rentrer dans la présence du Père,
en passant devant les anges qui se tiennent en sentinelles, étant
capables de leur donner les mots-clefs, les signes et les symboles
qui appartiennent à la sainte prêtrise et d’acquérir
votre exaltation éternelle en dépit de la terre et de
l’enfer. »
Avant
même d’arriver dans la vallée, Brigham avait prévu
de construire un autre temple dès que l’Église
aurait trouvé un nouveau lieu de rassemblement. Une fois
arrivé, il en avait eu une vision. Lors de la conférence,
il témoigna aux saints : « Il y a cinq ans, en juillet
dernier, j’ai vu ici la pierre angulaire du temple à
moins de trois mètres de l’endroit où nous
l’avons placée. Je ne peux jamais regarder cet
emplacement sans que la vision soit devant mes yeux. »
Brigham
promit que tant que les saints se consacreraient au projet et
paieraient leur dîme, le temple s’élèverait
en beauté et majesté, surpassant tout ce qu’ils
avaient vu ou imaginé.
Peu
après la cérémonie de la pose de la pierre
angulaire, Ann Eliza Secrist reçut quatre lettres de son mari,
Jacob. Chacune d’elle relatait une étape différente
de son voyage jusqu’au champ de la mission. La plus récente,
datait du 28 janvier 1853 et indiquait qu’il était enfin
arrivé à Hambourg, une ville de la confédération
allemande.
Huit
mois après son départ, Ann Eliza se sentait en paix
malgré son absence. Le Deseret News imprimait souvent des
lettres de missionnaires du monde entier, informant ainsi les saints
de l’œuvre missionnaire dans des endroits aussi éloignés
que l’Australie, la Suède, l’Italie ou l’Inde.
Parfois, ces rapports faisaient état de l’opposition
féroce qu’ils rencontraient. En fait, deux jours avant
l’arrivée des lettres de Jacob, Ann Eliza avait lu dans
le Deseret News que le gouvernement s’employait à
expulser un missionnaire d’Hambourg.
Au
lieu de se faire du souci pour lui, elle lui écrivit une
lettre encourageante. Elle témoigna : « Il est inutile
d’essayer de stopper cette œuvre, car elle continuera
d’avancer en dépit de tous les démons sur terre
et en enfer et rien ne peut empêcher sa progression. »
Chaque
fois qu’elle écrivait à son mari, elle parlait de
la santé de leurs enfants. Cet hiver-là, ils avaient
tous attrapé la scarlatine, mais avaient guéri avant le
printemps. Ils avaient ensuite attrapé la varicelle, qui les
avait tourmentés pendant un mois. Pendant cette période,
les enfants mentionnaient souvent leur père, surtout
lorsqu’ils mangeaient un plat qu’ils savaient qu’il
aurait aimé.
Elle
lui parlait aussi de la ferme familiale, située à
environ trente kilomètres au nord de Salt Lake City. Jacob et
Ann Eliza avaient embauché des hommes pour s’en occuper
pendant que la famille habitait en ville et récemment, l’un
des ouvriers agricoles avait demandé à Ann Eliza du
verre, des clous et du bois de construction pour terminer une maison
sur la propriété. Elle avait pris des matériaux
de sa maison en ville bien qu’elle soit inachevée, elle
aussi. Plus tard, ce même homme avait demandé à
être rémunéré pour le travail qu’il
avait au départ accepté de faire gratuitement. Sans
argent ni blé sous la main, Ann Eliza avait vendu une vache
pour le payer.
Toutefois,
dans la lettre suivante, elle notait avec satisfaction qu’une
bonne récolte s’annonçait, assurant la prospérité
de la ferme. Elle ajouta également qu’elle avait la
nette impression que les enfants et elle devraient retourner à
la ferme, bâtir une petite maison sur la propriété
et habiter là-bas. Elle ne voulait cependant pas prendre une
décision aussi importante sans d’abord le consulter.
Elle écrivit : « Je veux connaître ton avis sur le
sujet et je veux que tu m’écrives le plus vite possible
à ce propos. »
Elle
accompagna la demande de propos aimants et rassurants. Elle écrivit
: « Bien que nous soyons séparés par de grands
océans, de vastes prairies et des montagnes aux cimes
enneigées, je pense continuellement à toi et à
ton bien-être. Ne t’inquiète de rien pour moi, car
je crois que Dieu, au service duquel tu es, me protégera. »
Ce
printemps-là, sur l’île de Maui, des articles de
journaux sur le sermon d’Orson Pratt d’août 1852 au
sujet du mariage plural déclenchèrent un tollé.
Les Hawaïens avaient jadis pratiqué la polygamie, mais le
gouvernement avait proscrit la pratique et poursuivait maintenant en
justice ceux qui violaient la loi. Des missionnaires protestants
s’étaient rapidement emparés des enseignements du
sermon d’Orson et les avaient déformés pour
ridiculiser les saints et mettre l’Église en doute.
Convaincu
que la vérité et la franchise étaient le
meilleur moyen de répondre aux mensonges et aux idées
fausses sur l’Église, George Q. Cannon mit de côté
la traduction du Livre de Mormon, traduisit la révélation
sur le mariage plural et prêcha la pratique à une foule
d’un millier de personnes. Son sermon mit fin à la
confusion sur le mariage plural et précisa que seules les
personnes à qui le Seigneur le commandait étaient
censées le pratiquer.
Avant
son discours, George avait montré sa traduction de la
révélation à Jonathan Napela. Ce dernier en
était satisfait. Avant son baptême en 1852, Napela
s’était senti poussé par ses amis protestants à
abandonner l’Église. Son étroite collaboration
avec George dans l’Église avait affermi sa foi. Bien que
la traduction du Livre de Mormon fût une tâche ardue, de
temps à autre, George et lui s’arrêtaient et
discutaient du livre. Napela sentait que sa vie était en train
de changer. C’était comme le passage dans le livre
d’Alma : une semence avait été plantée et
maintenant elle poussait. L’Évangile rétabli de
Jésus-Christ lui semblait juste et bon et il voulait le faire
connaître aux autres.
Il
commença à accompagner les missionnaires lors de leurs
visites et prêchait l’Évangile avec puissance et
éloquence. Un jour, il écrivit même à
Brigham Young pour lui raconter l’histoire de sa conversion. Il
témoigna : « Il est parfaitement évident pour
nous qu’il s’agit de l’Église de Dieu et je
me réjouis à l’idée d’aller chez
vous quand le moment sera venu. »
Lorsque
de nouveaux missionnaires arrivèrent sur les îles, leur
maladresse avec la langue était presque comique. Napela offrit
de leur donner des cours, une proposition qu’ils acceptèrent
volontiers. Il mit à leur disposition des Bibles et des
dictionnaires hawaïens, un endroit pour étudier et de la
nourriture. Chaque matin et chaque soir, les frères récitaient
des passages de la Bible en hawaïen et Napela les faisait
travailler sur les rudiments de sa langue. À la fin de chaque
journée, ses élèves étaient épuisés.
Un
missionnaire dit : « J’ai toujours été
travailleur, mais ceci est le travail le plus dur que j’aie
jamais fait. »
Après
quelques jours de cours avec Napela, les frères arrivaient à
prononcer quelques mots, même s’ils ne comprenaient rien
de ce qu’ils lisaient. Au bout d’un mois, ils emportaient
leurs livres dans des endroits tranquilles dans les bois et
pratiquaient la langue en traduisant des chapitres de la Bible
anglaise en hawaïen simple.
Lorsqu’il
eut fini de les instruire, ils se dispersèrent dans les îles,
mieux équipés pour remplir leur mission. Peu après,
Napela fut ordonné à l’office d’ancien,
devenant l’un des premiers Hawaïens à détenir
la Prêtrise de Melchisédek. L’Évangile
avait pris racine en lui et en partie grâce à ses
efforts, il commençait à prendre racine à Hawaï.
Le
18 avril 1853, William Walker aperçut Le Cap (Afrique du Sud)
pour la première fois. La ville s’étendait à
l’extrémité sud-ouest d’une baie, située
au pied d’une montagne élevée et dont le sommet
était plat. Un autre pic, presque aussi haut que l’autre,
se dressait à l’ouest de la ville. Depuis le pont du
navire sur lequel il se tenait, à plus d’un kilomètre
de la côte, le pic ressemblait à un énorme lion
étendu sur le ventre.
Huit
mois plus tôt, William et ses collègues, Jesse Haven et
Leonard Smith, avaient fait partie des cent huit hommes appelés
en mission lors de la conférence spéciale d’août
1852. Lorsque son appel avait été annoncé,
William coupait du bois dans les montagnes au sud-est de Salt Lake
City pour construire une scierie. Quelques jours plus tard, il se
rendait en ville afin d’embaucher des hommes pour travailler à
la scierie et, en chemin, il avait été informé
de sa nouvelle tâche.
Vétéran
du bataillon mormon profondément dévoué à
la cause de Sion, William avait immédiatement commencé
à se préparer pour sa mission. À trente-deux
ans, il laissait derrière lui deux femmes, deux jeunes enfants
et une maison à étage en adobe en ville. Il vendit sa
part de la scierie, acheta suffisamment de provisions pour subvenir
aux besoins de sa famille pendant une année et quitta Salt
Lake City quinze jours plus tard.
Une
fois que leur navire eut jeté l’ancre au Cap, William et
ses collègues débarquèrent et se trouvèrent
dans un univers différent de l’Utah. Le Cap était
une ancienne colonie hollandaise qui depuis était passée
sous la domination britannique. Les colons britanniques blancs et les
Afrikaners (descendants des premiers colons hollandais) formaient une
partie des trente mille habitants de la ville, tandis que près
de la moitié de sa population était métisse ou
noire et comptait de nombreux musulmans et des anciens esclaves.
Le
soir du 25 avril, les missionnaires organisèrent leur première
réunion à l’hôtel de ville. Jesse ouvrit
son Nouveau Testament et, s’appuyant sur Galates, prêcha
à une assemblée approbatrice. Leonard continua avec un
sermon sur Joseph Smith, le Livre de Mormon et la révélation.
Certaines personnes commencèrent à faire du bruit et à
interpeller les missionnaires. Une émeute éclata et la
réunion se termina dans le chaos. Lorsque les missionnaires
retournèrent à l’hôtel de ville le
lendemain pour une autre réunion, les portes étaient
verrouillées.
Ils
jeûnèrent et prièrent pour que le Seigneur ouvre
le cœur des personnes afin qu’elles reçoivent la
vérité et fassent preuve d’un peu d’hospitalité
à leur égard. La plupart du temps, les frères se
couchaient le ventre vide. William nota dans son journal : «
Nos amis semblent être très rares. Le diable est décidé
à nous affamer pour nous faire partir. »
La
race était un autre élément qui leur compliquait
la tâche. Une année auparavant, la législature de
l’Utah avait débattu du statut de l’esclavage des
noirs. Ni Brigham Young ni les législateurs ne voulaient que
l’esclavage se développe dans la région, mais
plusieurs saints du sud des États-Unis avaient déjà
emmené des esclaves sur le territoire. Brigham croyait que
tous les peuples faisaient partie du genre humain et s’opposait
à l’esclavage tel qu’il existait dans le Sud des
États-Unis, où les hommes et les femmes étaient
considérés comme de la marchandise et étaient
privés des droits fondamentaux. Néanmoins, comme la
plupart des gens du nord des États-Unis, il croyait que les
noirs étaient faits pour l’asservissement.
Pendant
les débats, Brigham déclara publiquement pour la
première fois que les descendants des noirs africains ne
pourraient plus être ordonnés à la prêtrise.
Avant cela, quelques hommes noirs avaient été ordonnés
et aucune restriction n’existait alors ni depuis pour les
autres races ou appartenances ethniques. En expliquant la
restriction, Brigham répéta l’idée
répandue, mais erronée selon laquelle Dieu avait maudit
les descendants des noirs africains. Cependant, il déclara
aussi qu’à une époque future, les saints noirs «
jouiraient de tous les privilèges » dont jouissaient les
autres membres de l’Église.
L’apôtre
Orson Pratt, qui faisait partie du gouvernement local, était
contre l’esclavage dans le territoire et mit les autorités
en garde contre un esclavage non autorisé par Dieu. Il demanda
: « Alors, prendrons-nous l’Africain innocent qui n’a
commis aucun péché et le condamnerons-nous à
l’esclavage sans avoir reçu l’autorité des
cieux pour le faire ? »
De
même, Orson Spencer, ancien président de mission ayant
fait partie du gouvernement local, avait soulevé la question
de l’effet de cette restriction sur l’œuvre
missionnaire. Il avait demandé : « Comment l’Évangile
peut-il être apporté en Afrique ? Nous ne pouvons pas
leur donner la prêtrise. Comment vont-ils l’avoir ? »
Ces
questions sur les restrictions de la prêtrise restèrent
sans réponse et les autorités finirent par voter la
création d’un système d’asservissement des
noirs dans le territoire.
Si
le discours de Brigham influença directement les actions de
William et de ses collègues missionnaires en Afrique du Sud,
leurs écrits n’en laissent rien paraître. Le
discours n’interdisait pas aux hommes et aux femmes noirs de
devenir membres de l’Église. Toutefois, tandis que les
autres Églises cherchaient à faire des convertis parmi
les populations noires, William, Jesse et Leonard se concentraient
principalement sur les habitants blancs de la ville.
Après
un mois de prédication infructueuse, William s’éloigna
un jour de plusieurs kilomètres de la ville en quête de
nouveaux endroits pour prêcher. Il pleuvait à torrents,
et son pantalon et ses chaussures furent rapidement trempés.
Au bout d’un moment, il s’arrêta dans une auberge
et se présenta comme missionnaire saint des derniers jours.
L’aubergiste
le dévisagea d’un air ahuri. « Au diable qui vous
êtes, dit-il, tant que vous payez ce que vous devez. »
William
commença à expliquer : « Nous voyageons et
prêchons l’Évangile sans bourse ni sac »,
mais l’aubergiste le refoula promptement.
Fatigué,
William s’enfonça péniblement dans la nuit
pluvieuse, les pieds endoloris et couverts d’ampoules. Peu
après, le vent se mit à souffler et il mendia un toit à
chaque maison devant laquelle il passait. Quand il arriva à
Mowbray, une ville située à six kilomètres du
Cap, il avait été rejeté seize fois.
À
Mowbray, il s’arrêta devant une maison et deux hommes
apparurent à la porte. William demanda au plus jeune des deux
s’il avait une chambre ou un lit de libre. Le jeune homme
voulait l’aider, mais n’avait pas de quoi le loger pour
la nuit.
Déçu,
William ressortit sous la pluie, mais l’homme plus âgé
le rattrapa rapidement et lui offrit un endroit où dormir chez
lui. Pendant qu’ils marchaient, il se présenta en disant
qu’il s’appelait Nicholas Paul et qu’il était
l’associé de l’autre homme, Charles Rawlinson. Ils
venaient d’Angleterre et étaient entrepreneurs en
bâtiment. Ils s’étaient installés en
Afrique du Sud pour travailler.
William
et Nicholas arrivèrent chez ce dernier un peu après
vingt et une heures. Comme les vêtements de William étaient
trempés, Harriet, la femme de Nicholas, alluma rapidement un
feu. Elle servit ensuite un repas chaud et William chanta un cantique
et pria. Ils parlèrent ensuite pendant deux heures jusqu’à
ce que le sommeil les gagne et qu’ils aillent se coucher.
Quelques
jours après avoir rencontré Nicholas et Harriet Paul,
William prit des arrangements pour prêcher à des détenus
dans une prison près de chez Paul. Nicholas assista au sermon
avec Charles Rawlinson et les deux hommes furent impressionnés
par le message de William. Harriet dit au missionnaire qu’il
était le bienvenu chez eux à tout moment. Peu après,
les Paul proposèrent d’organiser une réunion de
l’Église chez eux.
Nicholas
avait quarante à cinquante employés à Mowbray et
il avait une bonne réputation. Pourtant, quand certaines
personnes en ville furent informées de la réunion,
elles menacèrent de briser les fenêtres et les portes et
d’y mettre fin. Nicholas dit que tout le monde pouvait venir,
mais il menaça de tirer sur quiconque tenterait d’insulter
William ou qui que ce soit d’autre dans la maison. Lorsque le
jour de la réunion arriva, William prêcha sans
interruption devant une salle comble.
Avec
l’aide de Nicholas, l’Église au Cap commença
à grandir. Un soir, peu de temps après la première
réunion chez les Paul, William dit à Nicholas de ne pas
reporter son baptême s’il était convaincu de la
vérité. Ce dernier dit qu’il était prêt
à se faire baptiser, mais du fait qu’il faisait nuit et
qu’il pleuvait, il ne pensait pas que William sortirait par un
temps pareil.
William
dit : « Bien sûr que si. Ni la pluie ni la nuit ne
m’arrêtent jamais. »
Il
baptisa immédiatement Nicholas et les jours suivants, il
baptisa également Harriet, Charles, et sa femme, Hannah. Entre
temps, Jesse Haven rédigea plusieurs brochures sur la doctrine
de l’Église et le principe du mariage plural, et les
missionnaires les distribuèrent dans toute la ville.
Aux
premiers jours de septembre, les missionnaires saints des derniers
jours avaient baptisé plus de quarante personnes et organisé
deux branches au sud-est du Cap. Parmi elles se trouvaient deux
femmes noires, Sarah Hariss et Raichel Hanable, et une Afrikaner
appelée Johanna Provis.
Avec
deux branches organisées, les missionnaires réunirent
les saints sud-africains le 13 septembre et appelèrent cinq
hommes et trois femmes à faire une mission au Cap ou à
distribuer des brochures dans leur quartier. Cependant, Jesse Haven
pensait que la région avait besoin de davantage de
missionnaires.
Il
écrivit à la Première Présidence : «
Si nous avions six missionnaires de plus ici, ils auraient beaucoup
de travail à faire. Les personnes qui ont été
baptisées sont bien unies et décidées à
bien faire. Elles se réjouissent d’avoir vécu
pour voir ce jour arriver et ont le visage tourné vers Sion. »
À
peu près à cette époque, George Q. Cannon et
Jonathan Napela achevèrent la traduction du Livre de Mormon en
hawaïen. George pouvait à peine contenir sa joie. Rien
dans sa mission ne lui avait procuré plus de plaisir et de
croissance spirituelle. Après avoir commencé le projet,
il avait senti l’Esprit plus fortement lorsqu’il
prêchait, plus de puissance lorsqu’il témoignait
et plus de foi lorsqu’il administrait les ordonnances de la
prêtrise. Son cœur débordait de reconnaissance.
Plusieurs
jours plus tard, lors d’une conférence réunissant
vingt missionnaires à Wailuku, George et les autres frères
discutèrent de la meilleure manière de publier le
livre. George avait travaillé comme apprenti dans l’imprimerie
du Times and Seasons à Nauvoo et mesurait l’envergure du
projet. Ils pouvaient soit embaucher un imprimeur sur les îles
soit acheter une presse et du matériel et publier le livre
eux-mêmes.
George
dit : « Pour ma part, je ne peux pas considérer que ma
mission est accomplie tant que je n’ai pas vu le Livre de
Mormon imprimé. »
Les
missionnaires se mirent d’accord et décidèrent
d’imprimer eux-mêmes le livre. Ils chargèrent
George et deux autres hommes de parcourir les îles et de lever
des fonds pour la publication en collectant des dons auprès
des saints et en vendant des exemplaires du livre avant sa parution.
Ensuite,
les hommes discutèrent du rassemblement des saints. Depuis
l’arrivée des missionnaires sur les îles trois ans
plus tôt, plus de trois mille Hawaïens étaient
devenus membres de l’Église, mais leur pauvreté
et les lois strictes régissant l’émigration leur
interdisaient de quitter définitivement le royaume. Lorsqu’il
fut informé du problème, Brigham Young conseilla aux
saints hawaïens de trouver une « île ou portion
d’île adaptée » et de s’y rassembler
en attendant que la voie s’ouvre pour qu’ils puissent
venir en Utah.
Francis
Hammond, l’un des missionnaires désignés pour
trouver un lieu de rassemblement temporaire, recommanda le bassin de
Palawai sur Lanai, une île juste à l’ouest de
Maui. La première fois qu’il avait vu la région,
il avait fait le commentaire suivant : « Je n’ai jamais
vu un endroit mieux agencé que celui-ci pour la colonisation
des saints sur ces îles. » Son seul défaut,
croyait-il, était l’absence de pluies pendant une partie
de l’année, mais si les saints construisaient des
réservoirs, comme ils l’avaient fait à Salt Lake
City, ils auraient suffisamment d’eau pendant la saison sèche.
Le
lendemain, les saints hawaïens votèrent pour soutenir la
décision de publier le Livre de Mormon et celle de trouver un
lieu de rassemblement dans les îles. Deux semaines plus tard,
George, Napela et plusieurs missionnaires se rendirent à Lanai
pour explorer le bassin de Palawai. Ils partirent le 20 octobre,
après le petit-déjeuner, et gravirent la pente escarpée
d’une montagne jusqu’à un petit plateau
surplombant le bassin. Celui-ci faisait environ trois kilomètres
de large, avait une belle forme et était à l’écart
de la vue de la mer.
George
écrivit dans son journal : « C’est un coin de
terre splendide et il semble être bien adapté pour un
lieu de rassemblement. Il me fait penser à Deseret. »
CHAPITRE
13
: Par
tous les moyens possibles
À
l’automne 1853, cela faisait environ un an qu’Augusta
Dorius habitait à Salt Lake City. La ville était loin
d’être aussi grande que Copenhague. La plupart des
bâtiments étaient des cabanes en rondins ou des
structures en adobe d’un ou deux étages. Outre le grand
bâtiment du Council House où se tenaient de nombreuses
réunions du gouvernement et de l’Église, les
saints avaient construit un bureau et un parc à bestiaux pour
collecter la dîme, et une salle des fêtes pour les bals,
les pièces de théâtre et les autres
manifestations de la communauté. Non loin de là, dans
le quartier du temple, se trouvaient divers ateliers pour la
construction de ce dernier et un nouveau tabernacle en adobe où
près de trois mille personnes pouvaient prendre place.
Comme
d’autres jeunes immigrantes dans la vallée, Augusta
avait été embauchée par une famille. Le fait de
vivre et de travailler avec eux lui permit d’apprendre
rapidement l’anglais. Tout de même, le Danemark et sa
famille lui manquaient. Son frère Johan avait été
libéré de prison en Norvège et maintenant, Carl
et lui prêchaient l’Évangile au Danemark et en
Norvège, faisant parfois équipe. Son père
prêchait également l’Évangile dans tout le
Danemark lorsqu’il n’était pas en train de
s’occuper des trois jeunes sœurs d’Augusta. La mère
d’Augusta habitait à Copenhague et ne s’intéressait
toujours pas à l’Église.
Plus
tard en septembre, Augusta eut la joie de voir arriver à Salt
Lake City un convoi de plus de deux cents saints danois. Sa famille
n’en faisait pas partie, mais l’arrivée de ses
concitoyens lui permit de se sentir plus à sa place en Utah.
Néanmoins, presque aussitôt, Brigham Young les appela à
coloniser une autre partie du territoire.
Depuis
leur arrivée dans les montagnes Rocheuses, les saints avaient
fondé des colonies au-delà de la vallée du lac
Salé, notamment Ogden au nord et Provo au sud. D’autres
villes étaient apparues entre et au-delà de ces
colonies. Brigham avait aussi envoyé des familles construire
une fonderie au sud de l’Utah afin de fabriquer des produits en
fer et favoriser l’autonomie du territoire.
Il
envoya les Danois renforcer les colonies de la vallée de
Sanpete, à environ cent cinquante kilomètres au sud-est
de Salt Lake City. Les premiers colons s’y étaient
installés à l’automne 1849, sur l’invitation
de Walkara, un chef ute puissant qui fut baptisé au printemps
suivant. Vers cette époque, cependant, des problèmes
s’étaient posés lorsque trois colons de la vallée
voisine d’Utah avaient tué un Ute appelé Old
Bishop dans une querelle au sujet d’une chemise.
Lorsque
les Utes avaient contre-attaqué, Brigham avait d’abord
exhorté les colons à ne pas riposter. Sa politique
générale était d’apprendre aux saints à
vivre en paix avec leurs voisins indiens. Toutefois, après
avoir tenu conseil avec le dirigeant de la colonie de Provo qui lui
avait caché le meurtre d’Old Bishop, Brigham fini par
commander à la milice de mener une campagne contre les
attaquants utes. Au début de 1850, la milice attaqua un camp
d’environ soixante-dix Utes le long de la Provo River. Après
deux jours de combats, le camp se dispersa et la milice poursuivit la
plus grande partie de la bande jusqu’à l’extrémité
sud d’Utah Lake où elle encercla et tua les Utes
restants.
La
campagne rapide et sanglante avait mis un terme aux combats autour de
Provo. Mais la tension créée se propagea rapidement
dans la vallée de Sanpete où les colons avaient
revendiqué des parcelles de choix, empêchant les Indiens
d’accéder aux terrains de pêche et de chasse.
Affamés et désespérés, certains
commencèrent à rafler du bétail ou à
réclamer de la nourriture aux colons.
Les
dirigeants du territoire avaient aussi mis Walkara et son peuple en
colère en réglementant le commerce dans la région,
notamment la pratique ancienne de certains Indiens qui consistait à
faire des prisonniers d’autres tribus et à les vendre
comme esclaves. Bien que les lois d’Utah interdissent aux
Indiens de vendre leurs prisonniers aux marchands d’esclaves
espagnols et mexicains, Walkara et d’autres Indiens pouvaient
encore les vendre aux saints en servitude sous contrat. Nombre de ces
captifs étaient des femmes et des enfants et les saints les
achetaient souvent en croyant les secourir de la torture, du manque
de soins ou de la mort. Certains les employaient comme ouvriers et
d’autres les traitaient comme des membres de leur famille.
La
perte du marché avec les Espagnols et les Mexicains portait
gravement atteinte aux moyens de subsistance des Utes, surtout depuis
qu’ils s’étaient mis à compter davantage
sur le commerce d’esclaves après l’annexion de
leurs terres par les nouvelles colonies.
En
juillet 1853, les tensions atteignirent un point de rupture lorsqu’un
homme de la vallée d’Utah tua un Ute au cours d’une
bagarre et que Walkara contre-attaqua. Les chefs de la milice à
Salt Lake City commandèrent aux unités de réagir
de façon défensive et de s’abstenir de tuer des
Utes, mais certains colons agirent à l’encontre des
ordres et les deux côtés s’attaquèrent
brutalement.
Bien
qu’en s’installant dans la vallée de Sanpete, elle
allât se retrouver au milieu de ce conflit, Augusta décida
de se joindre aux saints danois. En se rendant dans le Sud, ils
virent que les colons, sur leurs gardes, avaient abandonné les
petites fermes et les petits villages et avaient construit des forts.
Le
convoi s’installa dans un endroit appelé Spring Town,
dans la vallée de Sanpete. Les quinze familles de la ville
avaient disposé leurs cabanes en un cercle serré. Comme
aucune n’était disponible, Augusta et les autres
nouveaux colons habitèrent dans leurs chariots. Chaque matin
et chaque soir, un battement de tambour commandait aux habitants de
la colonie de se réunir pour faire l’appel et à
cette occasion l’évêque, Reuben Allred, désignait
les gardes et distribuait d’autres tâches. Augusta ayant
appris l’anglais pendant qu’elle travaillait pour la
famille à Salt Lake City, l’évêque
l’embaucha comme interprète pour les saints danois.
Avec
le temps, les réserves de nourriture de la colonie
s’épuisèrent et l’évêque
envoya des cavaliers rapides demander de l’aide à la
ville voisine de Manti. Lorsque le groupe revint, il annonça
que Walkara avait déménagé vers le sud et ne
constituait plus une menace. Dans d’autres parties du
territoire, la guerre semblait toucher à sa fin.
Cependant,
du fait d’importantes chutes de neige et de températures
glaciales cet hiver-là, les colons et les Utes furent plus que
jamais aux abois au fur et à mesure que leurs réserves
s’épuisaient. Craignant une attaque imminente de leur
ville, les dirigeants de Spring Town décidèrent que
tout le monde devait aller se réfugier à Manti. En
décembre, Augusta et les autres colons abandonnèrent la
ville pendant qu’une tempête de neige tourbillonnait
autour d’eux.
Pendant
qu’Augusta s’installait à Manti et que le conflit
avec le peuple de Walkara demeurait en suspens, Matilda Dudley,
trente-cinq ans, se réunissait avec plusieurs amies à
Salt Lake City pour discuter de ce qu’elles pouvaient faire
pour aider les femmes et les enfants indiens.
Depuis
le début du conflit avec Walkara, Brigham Young et d’autres
dirigeants de l’Église avaient exhorté les saints
à mettre fin aux hostilités envers les Utes et les
autres peuples indigènes. Il implorait : « Cherchez par
tous les moyens possibles à atteindre les Indiens avec un
message de paix. »
Lors
de la conférence générale d’octobre 1853,
Brigham avait fait remarquer que les missionnaires parcouraient le
globe pour rassembler Israël alors que des Indiens, restes de la
maison d’Israël, vivaient déjà parmi eux. Il
avait ensuite appelé plus de vingt missionnaires à
passer l’hiver à apprendre les langues indiennes afin de
pouvoir servir parmi eux au printemps.
De
même, il avait conseillé aux saints de ne pas chercher à
se venger si des Indiens leur prenaient des chevaux, du bétail
ou d’autres biens. Il dit : « Honte à vous, si
vous avez envie de les tuer. Au lieu de les assassiner, prêchez-leur
l’Évangile. » Parley Pratt exhorta également
les saints à nourrir et vêtir les femmes et les enfants
indiens.
Ces
paroles avaient motivé Matilda, mère seule ayant un
fils. Lorsqu’elle était bébé, dans l’est
des États-Unis, des Indiens avaient tué son père
et les avaient ensuite kidnappées, sa mère et elle.
Cependant, un Indien âgé avait fait preuve de compassion
en intervenant pour leur sauver la vie. Depuis, elle chérissait
les valeurs que sont l’unité, l’humilité et
l’amour. Elle croyait donc qu’il était important
que ses amies et elle organisent une société de femmes
pour confectionner des vêtements pour les Indiens.
L’une
de ses amies, Amanda Smith, accepta de l’aider. Amanda était
une rescapée du massacre de Haun’s Mill et une ancienne
membre de la Société de secours féminine de
Nauvoo. Bien que Brigham Young eût suspendu les réunions
de la Société de secours neuf mois après la mort
de Joseph Smith, Amanda et d’autres femmes de l’Église
avaient continué de servir leur collectivité et
savaient le bien que les Sociétés de Secours pouvaient
faire.
Le
9 février 1854, Matilda convoqua la première réunion
officielle de sa nouvelle organisation de secours. Des femmes de
différentes parties de la ville se réunirent chez elle
et élurent des représentantes du groupe. Matilda devint
leur présidente et trésorière et demanda à
chaque femme de payer vingt-cinq cents pour devenir membre de la
société. Elle leur proposa également de
fabriquer un tapis avec des chiffons et de le vendre pour lever des
fonds afin d’acheter du tissu pour confectionner des vêtements
pour les femmes et les enfants indiens.
Les
femmes commencèrent à se réunir hebdomadairement
pendant le reste de l’hiver et le printemps, cousant des
chiffons pour le tapis et profitant de la compagnie les unes des
autres. Amanda Smith nota : « L’Esprit du Seigneur était
avec nous et l’unité régnait. »
Lorsque
le printemps arriva dans la vallée du lac Salé, les
hommes appelés en mission auprès des Indiens partirent
en direction du sud, accompagnés d’un groupe de vingt
missionnaires affectés aux îles Hawaï. Vers la même
époque, Brigham Young et plusieurs dirigeants de l’Église
quittèrent également Salt Lake City pour aller visiter
les colonies du Sud et rencontrer Walkara. Le chef ute avait
récemment promis de mettre un terme au conflit en échange
de cadeaux et de la promesse de lever l’opposition du
territoire au commerce d’esclaves.
Sachant
que le conflit se poursuivrait tant que les colons et les Utes
n’honoreraient pas les lois territoriales et ne respecteraient
pas leurs droits mutuels, Brigham organisa une rencontre avec Walkara
en un lieu appelé Chicken Creek, non loin de la colonie de
Salt Creek où des colons avaient tué neuf Utes
l’automne précédent.
Le
groupe de Brigham arriva à Chicken Creek le 11 mai. Dans le
camp ute, une douzaine de personnes, dont la fille de Walkara, était
malade. Plusieurs guerriers gardaient la tente de Walkara. Avec la
permission des Utes, Brigham et les autres dirigeants de l’Église
entrèrent dans la tente et trouvèrent Walkara enroulé
dans une couverture et allongé sur le sol de terre battue.
D’autres chefs utes venant de vallées voisines étaient
assis non loin.
Walkara
avait l’air malade et de mauvaise humeur. « Je ne veux
pas parler. Je veux entendre le président Young parler »,
dit-il. « Je n’ai ni cœur ni esprit et j’ai
peur. »
Brigham
dit : « Je vous ai apporté du bétail. Je veux que
vous tuiez un animal afin que nous fassions un festin pendant que
nous sommes ici. » Il aida Walkara à s’asseoir
puis s’assit à côté de lui.
Walkara
dit : « Frère Brigham, imposez-moi les mains, car mon
esprit s’en est allé et je veux qu’il revienne. »
Brigham lui fit une bénédiction et Walkara sembla aller
mieux, mais refusa quand même de parler.
Brigham
dit aux autres hommes dans la tente : « Laissez-le dormir et se
reposer un moment, ensuite, il parlera peut-être. » Il
donna aux Utes du bétail, du tabac et de la farine et ce
soir-là, tout le camp festoya.
Le
lendemain matin, Brigham fit une bénédiction à
la fille de Walkara et le médecin du convoi lui donna des
médicaments ainsi qu’aux autres personnes malades du
camp. Brigham promit ensuite de rester ami avec les Utes et offrit de
leur fournir de la nourriture et des vêtements s’ils
promettaient de ne pas se battre. Néanmoins, il refusa de
lever l’interdiction sur le commerce d’esclaves.
Walkara
accepta de ne plus attaquer les colons. Il dit : « Maintenant,
nous nous comprenons. Tous peuvent dorénavant circuler sans
crainte sur les routes. » Les deux hommes se serrèrent
la main et fumèrent le calumet de la paix.
En
route vers le sud, Brigham, accompagné de son groupe de
dirigeants de l’Église et de missionnaires, parla des
Indiens, une colonie après l’autre. Il dit à une
assemblée : « Le Seigneur m’a dit qu’il est
du devoir de ce peuple de sauver les restes de la maison d’Israël,
qui sont nos frères. »
Il
leur rappela, qu’avant de venir dans l’Ouest, de nombreux
saints avaient prophétisé ou eu des visions dans
lesquelles ils parlaient de l’Évangile aux Indiens et
leur enseignaient des techniques telles que la couture et
l’agriculture. Mais maintenant, ces mêmes personnes ne
voulaient plus rien avoir à faire avec eux. Il déclara
: « Le moment est venu de mener à bien ce que vous avez
vu il y a de cela des années et des années. »
Après
avoir visité Cedar City, la colonie la plus méridionale
du territoire, Brigham se sépara des hommes qui partaient en
mission auprès des Indiens et des Hawaïens. Il profita de
son premier dimanche de retour au nord pour inviter les femmes de
Salt Lake City à organiser dans chaque paroisse une société
de secours comme celle de Matilda pour vêtir les femmes et les
enfants indiens.
Les
paroisses de la vallée du lac Salé eurent tôt
fait d’organiser plus de vingt Sociétés de
Secours indiennes. Les femmes passèrent dans les maisons et
demandèrent des dons en tissu ou tapis, matériel de
couture et articles qu’elles pouvaient revendre pour avoir de
l’argent liquide.
Parmi
les missionnaires qui partirent en direction du sud avec Brigham
Young se trouvait Joseph F. Smith, âgé de quinze ans, le
plus jeune fils d’Hyrum Smith, le patriarche martyr. Le soir du
20 mai 1854, après le départ de Brigham, Joseph étendit
une couverture à Cedar City et s’allongea sur le sol
dur. Il avait marché tout l’après-midi,
traversant le territoire en direction de la côte californienne.
Néanmoins, il n’arrivait pas à dormir. Il regarda
le ciel, vit les innombrables étoiles de la Voie lactée
et eut le mal du pays.
Joseph
était le plus jeune des vingt missionnaires qui partaient à
Hawaï. Bien que deux cousins de son père eussent été
appelés avec lui, il se sentait coupé de toutes les
personnes qu’il aimait et révérait. Les jeunes
gens de son âge n’étaient habituellement pas
appelés en mission. Joseph était un cas particulier.
Cela
faisait presque dix ans, depuis le meurtre de son père et de
son oncle, qu’il bouillait de colère. Et cela n’avait
fait qu’empirer tandis qu’il grandissait parce qu’il
s’était mis dans la tête que les gens n’avaient
pas fait preuve du respect auquel sa mère, Mary Fielding
Smith, avait droit. Il trouvait qu’elle avait souvent été
oubliée après la mort de son mari, surtout pendant le
voyage vers l’ouest.
Il
se rappelait que le capitaine de leur compagnie s’était
plaint que Mary et ses enfants ralentiraient son convoi. Elle avait
juré que sa famille arriverait avant lui dans la vallée
et Joseph avait voulu l’aider à tenir sa promesse. Bien
que seulement âgé de neuf ans à l’époque,
il avait conduit le chariot, veillé sur le bétail et
fait tout ce que sa mère lui avait demandé de faire.
Finalement, grâce à sa volonté et à sa
foi, ils étaient arrivés dans la vallée avant le
capitaine, comme elle l’avait dit.
La
famille s’était installée au sud de Salt Lake
City et Mary était décédée d’une
infection pulmonaire à l’automne 1852. Joseph s’était
évanoui en apprenant la nouvelle. Pendant un certain temps, sa
jeune sœur, Martha Ann, et lui, avaient vécu dans une
ferme avec une gentille femme, mais elle aussi était décédée.
Leur tante, Mercy Thompson, s’était alors occupée
de Martha Ann et l’apôtre George A. Smith, le cousin de
leur père, avait pris Joseph sous son aile.
Ce
dernier comptait aussi sur le soutien de ses frères et sœurs
plus âgés. Bien que sa sœur aînée,
Lovina, fût restée en Illinois avec son mari et ses
enfants, son frère aîné, John, et ses sœurs
plus âgées, Jerusha et Sarah habitaient dans les
environs.
Comme
de nombreux jeunes gens de son âge, Joseph travaillait comme
gardien de troupeaux, veillant sur le bétail et les moutons de
sa famille. Mais, même avec ce travail pour l’occuper, il
devint rapidement violent et versatile. Lorsqu’il reçut
son appel en mission, il aurait pu le rejeter, comme d’autres
hommes le faisaient, et glisser sur la pente de sa colère dans
une autre direction. Cependant, l’exemple de ses parents était
trop précieux pour lui. Ce ne fut qu’une question de
semaines pour qu’il soit ordonné à la Prêtrise
de Melchisédek, doté et mis à part pour prêcher
l’Évangile de Jésus-Christ.
Allongé
sous les étoiles à Cedar City, il ne savait pas
grand-chose de sa destination ni de ce à quoi s’attendre
en y arrivant. Après tout, il n’avait que quinze ans.
Par moments, il se sentait fort et important, mais à d’autres
moments, il percevait ses faiblesses et son insignifiance.
Que
savait-il du monde ou de la prédication de l’Évangile
?
Une
paix ténue s’installa dans la vallée de Sanpete
pendant l’été de 1854. À ce moment-là,
Augusta Dorius s’était jointe à un convoi de
quinze familles dirigé par l’évêque Reuben
Allred, pour construire un fort à une dizaine de kilomètres
au nord de Manti. La plupart des personnes étaient danoises et
venaient de Spring Town, mais un saint canadien nommé Henry
Stevens, sa femme, Mary Ann, et leurs quatre enfants étaient
partis avec elles. Henry et Mary Ann étaient membres de
l’Église depuis de nombreuses années et faisaient
partie des derniers pionniers arrivés dans la vallée de
Sanpete.
L’évêque
Allred installa la compagnie le long d’un ruisseau près
d’une crête montagneuse peu élevée.
L’endroit paraissait idéal pour une colonie bien que la
crainte d’être attaqués par les Indiens qui
vivaient de ces terres eût tenu la plupart des gens à
l’écart de la région.
Les
saints commencèrent immédiatement à construire
leur fort. Extrayant des roches calcaires des montagnes voisines, ils
construisirent des murs de trois mètres de haut avec des
meurtrières tous les sept mètres pour se défendre.
Sur l’avant de l’édifice, qu’ils appelèrent
fort Éphraïm, ils construisirent une tour et une porte
massive d’où des gardes pouvaient guetter les dangers. À
l’intérieur, le fort était suffisamment grand
pour y rassembler les chevaux, le bétail et les moutons
pendant la nuit. Le long des murs intérieurs se trouvaient des
maisons faites de boue et de rondins pour les colons.
Augusta
habitait avec l’évêque Allred et sa femme, Lucy
Ann. Les Allred avaient sept enfants avec eux, en comptant Rachel,
une jeune Indienne qu’ils avaient adoptée. Bien que les
colons d’Éphraïm fussent pauvrement équipés,
ils étaient confiants en l’avenir de leur nouvelle
colonie. La journée, les enfants jouaient dans le fort pendant
que les femmes et les hommes travaillaient.
Plus
de deux années s’étaient écoulées
depuis qu’Augusta avait quitté le Danemark. Plusieurs
familles l’avaient hébergée et s’étaient
occupées d’elle, mais elle voulait fonder sa propre
famille. À seize ans, elle avait atteint l’âge
auquel certaines femmes se mariaient dans la région. Elle
avait même eu plusieurs demandes en mariage, mais elle s’était
sentie trop jeune pour accepter.
Puis
Henry Stevens lui fit sa demande et elle y réfléchit
sérieusement. Certaines femmes s’épanouissaient
au sein de mariages pluraux, mais d’autres trouvaient la
pratique difficile et se sentaient parfois seules. Celles qui
décidaient de vivre le principe le faisaient souvent davantage
pour des raisons de foi que d’amour romantique. Depuis la
chaire et en privé, les dirigeants de l’Église
conseillaient fréquemment aux personnes qui pratiquaient le
mariage plural de cultiver l’abnégation et l’amour
pur du Christ dans leur foyer.
Dans
la vallée de Sanpete, environ un quart des colons
appartenaient à des familles qui le pratiquaient. En
réfléchissant au principe, Augusta sentit qu’il
était juste. Elle connaissait à peine Henry et Mary
Ann, qui était frêle et souvent malade, mais elle
croyait que c’étaient de bonnes personnes qui voulaient
prendre soin d’elle et pourvoir à ses besoins. S’unir
à leur famille serait quand même un acte de foi.
Augusta
finit par accepter la demande d’Henry et ils se rendirent
bientôt à Salt Lake City pour être scellés
à la Council House. Lorsqu’ils retournèrent au
fort Éphraïm, Augusta prit sa place au sein de la
famille. Comme la plupart des femmes mariées, elle trayait les
vaches, fabriquait des bougies, du beurre et du fromage, filait de la
laine et tissait, et confectionnait des vêtements pour la
famille, ornant parfois ceux des femmes de beaux ouvrages au crochet.
Ne
possédant pas de cuisinière, Augusta et Mary Ann
préparaient les repas dans la cheminée, qui servait
également à chauffer et éclairer leur modeste
logis. Le soir, la famille allait parfois à des bals ou
d’autres activités avec ses voisins.
Le
26 septembre, la pluie empêchait Joseph F. Smith et les autres
missionnaires en route pour le port de Honolulu d’apercevoir
les îles Hawaï. En fin d’après-midi, elle
cessa et le soleil fit son apparition, offrant une vue magnifique de
l’île la plus proche. Depuis le pont du navire, les
missionnaires virent les eaux de pluie ruisseler le long d’un
étroit canyon jusqu’à l’océan
Pacifique.
Ils
arrivèrent à Honolulu le lendemain et Joseph fut envoyé
chez Francis et Mary Jane Hammond, sur l’île de Maui. La
plupart des premiers missionnaires à Hawaï, y compris
George Q. Cannon, étaient déjà rentrés
aux États-Unis. Sous la direction de Francis, l’œuvre
continuait de prospérer sur l’île, bien que de
nombreux saints fussent en train de se préparer pour partir
vers le nouveau lieu de rassemblement sur Lanai, où ils
avaient fondé une colonie dans la vallée de Palawai.
Presque
immédiatement après son arrivée chez les
Hammond, Joseph contracta ce que les missionnaires appelaient la «
fièvre de Lahaina ». Mary Jane, qui dirigeait une école
pour les Hawaïens pendant que son mari prêchait, commença
à soigner Joseph et à le présenter aux membres
de l’Église locaux.
Le
8 octobre 1854, le premier dimanche de Joseph sur Maui, elle l’emmena
à une réunion dominicale avec six saints hawaïens.
Ayant entendu dire qu’il était le neveu de Joseph Smith,
le prophète, les saints étaient impatients de
l’entendre prêcher. Ils s’attachèrent
immédiatement à lui bien qu’il ne pût pas
leur dire la moindre phrase dans leur langue.
Les
jours suivants, son état de santé empira. Après
avoir enseigné à l’école, Mary Jane donna
à Joseph une infusion et lui baigna les pieds pour essayer de
faire tomber la fièvre. Il transpira toute la nuit et le
matin, il se sentit mieux.
Peu
après, Francis lui fit visiter Lanai. Une centaine de saints
seulement y avaient élu domicile, mais les missionnaires en
attendaient plus d’un millier dans les mois à venir.
Pour préparer leur arrivée, certains missionnaires
avaient commencé à labourer, semer et tracer les plans
d’une ville.
Après
avoir visité Lanai, Joseph retourna à Maui où
habitaient Jonathan et Kitty Napela. Voulant être un bon
missionnaire, Joseph se consacra à l’œuvre, étudia
la langue et se réunit souvent avec les saints hawaïens.
Il
écrivit à George A. Smith : « Je suis heureux de
dire que je suis prêt à tout pour cette cause dans
laquelle je suis engagé, et j’espère sincèrement
me montrer fidèle jusqu’à la fin ; je prie pour
cela. »
CHAPITRE
14
: Difficile
d’être séparés
Fin
mars 1855, Ann Eliza Secrist était sans nouvelles de son mari,
Jacob, depuis neuf mois. Du courrier avait été détruit
pendant le récent conflit avec Walkara. De plus, la fermeture
hivernale de l’acheminement postal était certainement en
partie responsable de ce silence. Elle voulait lui écrire,
mais elle ne savait pas où expédier ses lettres. Aux
dernières nouvelles, il prêchait l’Évangile
en Suisse. Toutefois, une lettre récente de Daniel Tyler,
dirigeant de mission dans ce pays, indiquait qu’il ne savait
pas où Jacob servait.
Plus
d’une année auparavant, ce dernier avait écrit
qu’il retournerait bientôt en Utah. Le troisième
anniversaire de son appel en mission aurait lieu dans six mois et Ann
Eliza pensait qu’il rentrerait aux environs de cette date.
D’autres missionnaires qui avaient quitté le territoire
avec lui étaient déjà de retour et les enfants
commençaient à demander pourquoi leur père
n’était pas encore rentré lui aussi.
Il
s’était passé beaucoup de choses dernièrement
dans la famille. Lorsque le conflit avait éclaté entre
les colons et les Utes, Ann Eliza avait décidé de ne
pas s’installer dans la ferme, mais de rester à Salt
Lake City où elle était davantage en sécurité.
Pendant quelque temps, elle avait loué une partie de leur
maison en ville à une famille d’immigrants écossais
nouvellement arrivée. Elle avait aussi élevé
deux cochons gras qui avaient fourni une grande partie de la
nourriture pour les siens pendant l’hiver. Les enfants allaient
à l’école, apprenaient à lire et
étudiaient l’Évangile. Tout au long de l’absence
de Jacob, elle avait pris soin des ressources familiales et avait
essayé d’éviter les dettes.
Le
25 mars 1855, trois saints suisses rendirent visite à Ann
Eliza et aux enfants. L’un d’eux s’appelait Serge
Louis Ballif et était l’un des premiers convertis du
pays. Il était dirigeant dans la mission suisse lorsque Jacob
était arrivé. Avant le départ de Serge et de sa
famille pour Sion, Jacob lui avait remis un récit écrit
de sa mission et des cadeaux pour Ann Eliza et les enfants.
À
la fin de son histoire, il avait noté quelques réflexions
sur son service missionnaire. Il avait écrit : « J’ai
fait peu pour l’instant et combien de bien je ferai pendant que
je suis en Suisse, seul le temps nous le dira. J’ai vu quelques
personnes se réjouir de mes paroles et je suis sûr que
je verrai, pendant que je suis encore dans ce pays, des saints se
réjouir de mes enseignements, qui sont simples. »
Il
avait envoyé à Louisa et Mary Elizabeth une paire de
ciseaux chacune, en leur recommandant de les garder brillantes. À
Moroni, il avait envoyé une petite boîte remplie de
petits soldats et de billes à partager avec Néphi, son
frère âgé de deux ans. Il promettait également
aux garçons de leur rapporter d’Europe des épées.
Après
avoir lu les expériences de Jacob, Ann Eliza lui expédia
une lettre au bureau de la mission à Liverpool, en Angleterre.
N’étant pas sûre que la missive lui parvienne,
elle écrivit peu. Comme toujours, elle donnait des nouvelles
des enfants et de la ferme.
Elle
écrivit : « Depuis que tu es parti, j’ai toujours
fait de mon mieux. Je prie Dieu de te bénir et de te protéger.
C’est le désir sincère de ta femme aimante. »
Le
5 mai 1855, George Q. Cannon se réveilla par un matin frais de
printemps dans la vallée du lac Salé. Il était
rentré d’Hawaï fin novembre. Douze jours après
son retour, il avait emprunté un costume peu seyant et avait
épousé Elizabeth Hoagland dans la maison de ses parents
; un moment qu’Elizabeth et lui attendaient depuis avant son
départ pour sa première mission.
Maintenant,
cinq mois après leur mariage, le couple avait été
invité à assister à la consécration de la
maison des dotations, un nouveau bâtiment dans le quartier du
temple où les saints pouvaient recevoir les ordonnances
sacrées le temps de la construction du temple.
Après
la consécration, Elizabeth recevrait sa dotation et serait
scellée à George. Le couple partirait ensuite à
San Francisco où George avait été appelé
en mission pour publier la traduction du Livre de Mormon en hawaïen.
George
et Elizabeth arrivèrent à la maison des dotations peu
avant huit heures. C’était un édifice simple,
sans fioritures, avec des murs solides en adobe, quatre cheminées
et des fondations en grès. À l’intérieur,
la maison était divisée en plusieurs pièces
destinées aux dotations et aux ordonnances de scellement.
Brigham
Young convoqua la cérémonie à l’étage
et Heber Kimball offrit la prière de consécration. La
prière terminée, Brigham déclara que l’édifice
était pur et était la maison du Seigneur. Heber, Eliza
Snow et d’autres administrèrent la dotation à
cinq hommes et trois femmes, dont Elizabeth. Ensuite, Heber scella
George et Elizabeth pour le temps et pour l’éternité.
Comme
prévu, le couple dit au revoir à sa famille plus tard
ce jour-là. George s’attendait à ce que la
séparation soit difficile pour Elizabeth, une institutrice qui
n’avait jamais quitté les siens, mais elle resta très
calme. Abraham Hoagland, son père et l’un des évêques
de Salt Lake City, les bénit et les encouragea à faire
le bien. Il dit à George : « Prends soin d’Elizabeth
et sois gentil avec elle. »
Le
couple prit la route du sud, celle que George avait prise en 1849
pour aller en Californie. Le 19 mai, ils arrivèrent à
Cedar City en même temps que la Première Présidence,
qui était venue inspecter l’industrie sidérurgique
naissante de la ville. George fut impressionné par les progrès
accomplis par les saints de l’endroit. Outre l’établissement
des fonderies, ils avaient construit des maisons confortables, une
église et un mur d’enceinte autour de la ville.
Le
lendemain, Brigham organisa un pieu et appela un homme du nom d’Isaac
Haight à le présider.
Plus
tard, chez les Haight, George et Elizabeth s’entretinrent avec
Brigham Young et Jedediah Grant, qui avait été appelé
à la Première Présidence à la mort de
Willard Richards en 1854. Brigham et Jedediah bénirent George
afin qu’il écrivît et publiât avec sagesse
et inspiration, et parlât sans crainte. Ils bénirent
également Elizabeth afin qu’elle fît du bon
travail aux côtés de son mari et qu’elle fût
un jour réunie à ses êtres chers dans la vallée.
Ensuite,
Brigham encouragea George à cultiver le plus possible ses
talents en rédaction. « Roah ! » ajouta Jedediah.
« Montre-leur que tu es un Cannon. »
Au
moment où les Cannon partaient pour la Californie, Martha Ann
Smith recevait une lettre de son frère aîné,
Joseph F. Smith, à Hawaï. Il écrivait avec entrain
: « Je vais bien, je suis en pleine forme et j’ai bien
grandi depuis la dernière fois que tu m’as vu. »
Il
ne précisait pas s’il parlait de sa croissance physique
ou spirituelle. Il semblait nettement plus enclin à donner des
conseils fraternels à sa jeune sœur qu’à
décrire sa nouvelle vie de missionnaire dans le Pacifique.
Il
déclarait pompeusement : « Je pourrais te donner
beaucoup de conseils, Marty, qui te seraient bénéfiques
aussi longtemps que tu vivras sur cette terre. » Il
l’encouragea à écouter ses frères et sœurs
aînés et à ne pas se disputer avec ses sœurs.
Il lui recommanda : « Sois sérieuse et adonnée à
la prière et tu grandiras sur les pas de ta mère. »
Martha
Ann était reconnaissante des conseils de son frère.
Elle avait à peine onze ans au décès de sa mère
et ses souvenirs étaient encore vifs. En grandissant, elle
avait rarement vu sa mère veuve sourire. En fait, si Martha
Ann ou ses frères ou sœurs parvenaient à faire
rire leur mère, ils estimaient avoir accompli un exploit. Mary
avait néanmoins été une mère aimante et
le monde de Martha Ann paraissait maintenant vide sans elle.
Martha
Ann se souvenait encore moins de son père, Hyrum Smith. Elle
n’avait que trois ans lorsqu’il était mort, mais
elle se souvenait encore d’une occasion où sa mère
lui avait confectionné un pantalon. Après l’avoir
enfilé, il avait arpenté fièrement la pièce,
les mains dans les poches. Elle se souvenait qu’il était
aimant, gentil et affectueux avec ses enfants.
Peu
après leur arrivée dans la vallée du lac Salé,
les Smith s’étaient installés à côté
d’un ruisseau, non loin d’un canyon au sud-est de la
ville, et ils avaient travaillé ensemble pour aménager
une ferme. Quelques années plus tard, leurs voisins et eux
faisaient partie de la paroisse de Sugar House, sous la direction de
l’évêque Abraham Smoot, l’un des premiers
convertis de Wilford Woodruff. La paroisse devait son nom à
l’usine de la région qui appartenait à l’Église,
était gérée par l’évêque
Smoot et produisait de la mélasse à partir de
betteraves.
Martha
Ann et ses frères et sœurs se soutenaient mutuellement
lorsqu’ils devaient affronter de nouvelles épreuves.
L’hiver doux de 1854-1855 avait provoqué une sécheresse
dans tout le territoire d’Utah, qui dépendait de la
fonte des neiges abondantes de la montagne pour approvisionner ses
ruisseaux et ses rivières. La famille de Martha Ann, comme
toutes les autres, en souffrit. Au fil des semaines et des pluies peu
abondantes, la terre de la vallée devint plus sèche et
les cultures plantées plus tôt dans l’année
furent anéanties. Les ruisseaux d’irrigation
commencèrent à se tarir et à craquer.
Pour
aggraver les choses, des hordes de sauterelles infestèrent les
colonies, dévorant les maigres cultures et anéantissant
la perspective d’une bonne récolte. Les saints de Sugar
House et d’autres colonies tentèrent de planter d’autres
semences, mais la sécheresse rendait le travail de la terre
difficile et les sauterelles ne cessaient de venir.
Les
épreuves s’accumulaient sur les Smith et nul ne mesurait
les répercussions de la sécheresse et de l’infestation
sur les saints. Étant la benjamine de sa famille, Martha Ann
n’avait pas les mêmes responsabilités que ses
aînés. Néanmoins, il était attendu de
chaque saint qu’il collabore pour surmonter l’adversité
et établir Sion. Que pouvait-elle faire ?
Joseph
offrit de nouveaux conseils dans sa lettre suivante. Il écrivit
: « Fais preuve de patience et de longanimité. Sois une
mormone jusqu’au bout des ongles et tu seras bénie. »
Dans
les plaines, à mille six cents kilomètres à
l’est, dans une petite colonie d’émigrants appelée
Mormon Grove, Nicolai Dorius, un converti danois, et un convoi de
près de quatre cents saints originaires du Danemark, de la
Norvège, de la Nouvelle-Écosse et de l’Angleterre,
prenaient la route de la vallée du lac Salé. Les
dirigeants de la compagnie estimaient que le périple durerait
quatre mois, ce qui signifiait que Nicolai pouvait s’attendre à
retrouver sa fille, Augusta, maintenant âgée de dix-sept
ans, dès septembre.
Six
mois auparavant, il avait quitté Copenhague avec ses trois
jeunes filles, Caroline, Rebekke et Nicolena. Ses fils, Johan et
Carl, étaient encore en mission en Norvège ; il n’avait
donc pas pu leur dire au revoir en personne.
Les
émigrants, tels que Nicolai, étaient impatients de se
rendre en Sion, non seulement à cause de leur foi en
l’Évangile rétabli de Jésus-Christ, mais
également parce qu’ils voulaient échapper à
la méchanceté du monde et se construire une vie
meilleure dans la terre promise avec leur famille. Motivés par
la description enthousiaste que les missionnaires américains
faisaient de l’Utah, nombre d’entre eux s’imaginaient
que la vallée du lac Salé était un jardin d’Éden
et consentaient à tous les sacrifices pour y parvenir.
Il
leur avait fallu environ six semaines pour traverser l’océan.
Peter Hansen, le premier missionnaire au Danemark, avait pris la
compagnie en main à bord du navire. Ses deux conseillers et
lui avaient organisé les saints en sept districts et appelé
des anciens pour maintenir l’ordre et la propreté dans
chaque unité. Lorsque le navire avait accosté à
La Nouvelle-Orléans, son capitaine les avait félicités
pour leur bonne conduite.
Il
avait dit : « À l’avenir, si cela ne tient qu’à
moi, je ne transporterai plus que des saints des derniers jours. »
À
La Nouvelle-Orléans, Nicolai et ses filles étaient
montés à bord d’un bateau à vapeur et
avaient remonté le Mississippi gelé avec leur
compagnie. La tragédie avait frappé et Nicolena, six
ans, était tombée malade et décédée
peu après avoir quitté La Nouvelle-Orléans.
D’autres personnes avaient péri les jours suivants.
Lorsque Nicolai était arrivé à Mormon Grove,
Caroline, quatorze ans, était décédée
aussi, le laissant seul avec Rebekke, onze ans, pour retrouver
Augusta lorsqu’ils arriveraient en Utah.
À
Mormon Grove, les saints émigrants avaient trouvé des
emplois temporaires leur permettant de gagner assez d’argent
pour acheter des bœufs, des chariots et des provisions pour le
voyage vers l’ouest. Ils furent aussi organisés par
compagnies. Nicolai, Rebekke et les autres saints danois et
norvégiens appartenaient à une compagnie dirigée
par Jacob Secrist. Après avoir été séparé
de sa femme et de ses quatre enfants pendant presque trois ans, Jacob
était impatient de les retrouver en Utah. Du fait qu’il
ne parlait pas danois, la langue la plus répandue dans la
compagnie, il comptait sur Peter Hansen pour interpréter.
Le
convoi quitta Mormon Grove le 13 juin 1855. Pendant les déplacements,
Jacob perdait souvent patience avec les émigrants scandinaves.
La plupart n’avaient jamais conduit un attelage de bœufs
et il fallait parfois quatre hommes pour faire avancer deux bœufs
en ligne droite. La santé des saints émigrants était
plus inquiétante encore. Généralement, ils
avaient peu ou pas de morts dans leurs compagnies, mais le premier
jour de voyage de la compagnie Secrist, un homme mourut du choléra.
Huit autres décès survinrent au fil des deux semaines
suivantes.
Les
anciens du camp jeûnaient et donnaient des bénédictions
de santé et de réconfort aux malades, mais le choléra
continuait de faire des victimes. Vers la fin du mois de juin, Jacob
lui-même fut trop malade pour voyager au rythme du convoi.
D’autres dirigeants de compagnies renvoyèrent un chariot
le chercher et lorsqu’il rejoignit le camp, les anciens lui
donnèrent une bénédiction. Sa santé
continua néanmoins de décliner et il mourut
l’après-midi du 2 juillet. Les émigrants
voulaient rapporter sa dépouille à sa femme et à
ses enfants dans la vallée, mais n’ayant aucun moyen de
conserver le corps, ils l’enterrèrent le long de la
piste.
Nicolai,
Rebekke et le reste de la compagnie continuèrent d’avancer
pendant tout le mois d’août et les premières
semaines de septembre. Il n’y eut plus d’épidémie
de choléra parmi eux. Le 6 septembre, ils gravirent le dernier
col et campèrent près d’un ruisseau, non loin de
leur destination.
Le
lendemain matin, les émigrants se lavèrent et
enfilèrent des vêtements propres en prévision de
leur arrivée dans la vallée du lac Salé. Peter
Hansen dit qu’ils auraient mieux fait de se laver après
avoir rejoint la ville, car le reste de la route était
poussiéreux, mais les émigrants préféraient
risquer la poussière.
Ils
parcoururent les quelques derniers kilomètres remplis
d’espoir, impatients de voir l’endroit dont ils avaient
tant entendu parler, mais en entrant dans la vallée, ils ne
virent pas de jardin d’Éden. Ils trouvèrent un
bassin frappé par la sécheresse, couvert d’armoises
et de résidus de sel blanc, et des sauterelles à perte
de vue.
La
nouvelle de la mort de Jacob Secrist fut publiée dans le
Deseret News le 8 août, environ un mois avant l’arrivée
de sa compagnie dans la vallée. Sa mort était rapportée
en même temps que celle de deux autres missionnaires, Albert
Gregory et Andrew Lamoreaux, qui étaient morts pendant leur
voyage de retour en Utah. L’article déclarait : «
Nos frères étaient en train de rentrer à la
maison, le cœur battant joyeusement, Mais suite aux décrets
d’une Providence pleine de sagesse, comme de bons soldats, ils
se sont inclinés humblement, encore revêtus de leur
armure, et se reposent maintenant de leurs labeurs ; leurs œuvres
les suivront. »
Aux
environs de cette date, Ann Eliza reçut sa dernière
lettre de Jacob. Elle venait de Saint-Louis et était datée
du 21 mai. Elle disait, entre autres : « Je suis en bonne santé
et sur le point de remonter le Missouri. Puisse le Dieu d’Israël
t’accorder les bénédictions de son Esprit, de la
santé, de la foi et d’une longue vie. »
À
l’arrivée de sa compagnie début septembre, deux
hommes remirent à Ann Eliza les effets personnels de Jacob et
un cheval. Comme promis, Jacob avait rapporté une épée
à chacun des garçons, ainsi que de l’étoffe
pour confectionner de jolis costumes. Pour les filles, il avait
rapporté des robes noires et du tissu. Son wagon contenait
aussi ses lettres, d’autres documents et une année de
réserves pour la famille.
Comme
elle avait prévu de le faire quelques années plus tôt,
Ann Eliza s’installa avec ses enfants dans la ferme située
au nord de Salt Lake City. Les lettres qu’elle avait échangées
avec Jacob furent rangées et conservées. Dans l’une
d’elles, qu’Ann Eliza avait envoyée pendant la
première année de la mission de Jacob, elle commentait
le sacrifice qu’ils avaient été appelés à
faire.
Elle
avait écrit : « Être séparés des
êtres qui nous sont le plus chers au monde semble difficile,
mais quand je réfléchis à la cause dans laquelle
ils sont engagés, à savoir l’avancement du
royaume de Dieu, je n’ai aucune raison de me plaindre ou de
murmurer.
Ni
n’ai-je besoin de le faire, sachant que mon exaltation sera
grande dans ce monde où les chagrins et les pleurs cesseront,
et où toutes les larmes seront essuyées de nos yeux. »
À
la conférence générale d’octobre 1855,
Brigham Young savait que les saints du territoire d’Utah
étaient en péril. Les sauterelles avaient ravagé
la plupart des jardins et des champs et la sécheresse avait
détruit ce qu’elles avaient épargné. Des
nuages de poussière se soulevaient dans toute la vallée
et des incendies consumaient le fourrage du bétail dans les
canyons arides. N’ayant plus les moyens de nourrir les
attelages de bœufs qui transportaient les pierres sur le site
du temple, les travaux de la maison du Seigneur cessèrent.
Brigham
et ses conseillers pensaient que la sécheresse et
l’infestation étaient une « douce réprimande
» de la part du Seigneur. Cet automne-là, ils firent aux
saints les recommandations suivantes : « Prêtez l’oreille
aux murmures de l’Esprit et ne tentez pas le Seigneur de nous
infliger une correction plus pesante, afin que nous puissions plus
totalement échapper à ces jugements du Roi des hauts
cieux. »
Ce
qui préoccupait davantage Brigham était l’effet
de la dévastation sur le rassemblement. Si les missions en
Inde, en Chine et au Siam avaient obtenu peu de convertis, celles en
Europe et en Afrique du Sud avaient produit des branches de saints
qui voulaient maintenant se rassembler en Sion. L’émigration
était cependant coûteuse et la plupart des nouveaux
convertis étaient pauvres et avaient besoin de prêts du
fonds perpétuel d’émigration.
Malheureusement,
la sécheresse avait ruiné l’économie en
Utah, laquelle dépendait presque entièrement de bonnes
récoltes. Privés de leurs moyens de subsistance, de
nombreux saints ne pouvaient ni payer la dîme ni rembourser
leur prêt. Très vite, l’Église s’enfonça
dans les dettes pour aider à financer le déplacement de
longs convois de chariots qui arrivaient cette année-là.
Dans
son épître aux saints d’octobre 1855, la Première
Présidence rappela aux membres de l’Église que
les dons qu’ils faisaient au fonds d’émigration
aidaient à emmener leurs frères et sœurs dans un
endroit où ils pourraient profiter de leur industrie et de
leur travail honnête. Elle déclarait : « Telle est
la véritable charité, non seulement nourrir l’affamé
et vêtir le nu, mais les placer dans une situation où
ils pourront pourvoir eux-mêmes à leurs besoins grâce
à leur travail. »
Brigham
et ses conseillers exhortèrent les saints à donner ce
qu’ils pouvaient au fonds perpétuel d’émigration.
Conscients que la plupart ne pouvaient pas donner grand-chose, ils
proposèrent également un moyen plus économique
de se rassembler. Au lieu de se rendre en Sion avec des chariots et
des bœufs onéreux, les futurs émigrants
arriveraient en charrettes à bras.
La
Première Présidence expliquait que la traversée
des plaines en tirant des charrettes à bras serait plus rapide
et économique qu’en chariots. Chaque charrette se
composerait d’une caisse en bois reposant sur un axe et deux
roues de chariot. Étant plus petites, les émigrants ne
pourraient pas transporter autant de matériel et de
provisions. Par contre, les chariots de la vallée pourraient
aller à leur rencontre à mi-chemin et offrir leur aide
le cas échéant.
La
Première Présidence déclara : « Que tous
les saints qui le peuvent se réunissent en Sion et viennent
tant que la voie est ouverte devant eux. Qu’ils viennent à
pied, avec des charrettes à bras ou des brouettes ; qu’ils
se ceignent les reins et avancent, et rien ne leur fera obstacle ni
ne les arrêtera. »
Brigham
fit immédiatement part du plan à l’apôtre
Franklin Richards, président de mission d’Europe. Il
écrivit : « Je veux vraiment le voir essayé. Si
on l’essaye une fois, il deviendra l’un des moyens de
transport préférés à travers les plaines.
»
CHAPITRE
15
: Dans
les tempêtes et dans les accalmies
Le
26 janvier 1856, l’apôtre Franklin Richards publia
l’épître de la Première Présidence
dans le Latter-day Saints’ Millennial Star, le journal de
l’Église en Angleterre. En qualité de rédacteur,
il offrit son soutien enthousiaste au projet des charrettes à
bras. Il se réjouit : « Les fidèles pauvres en
terre étrangère ont la consolation de savoir qu’on
ne les oublie pas. »
Depuis
les premiers jours de l’Église, le Seigneur avait
commandé aux saints de se rassembler pour se préparer
aux tribulations précédant la seconde venue de
Jésus-Christ. Franklin croyait que cette adversité
était imminente et que les saints européens devaient
agir rapidement pour y échapper.
Sachant
qu’ils s’inquiétaient de la difficulté de
se rassembler au moyen de charrettes à bras, il présenta
le projet sous forme d’épreuve de foi. Il leur rappela
également que les ordonnances de l’exaltation les
attendaient dans la maison des dotations. Il déclara : «
Venez, vous tous qui êtes fidèles, qui avez tenu bon
dans les tempêtes et dans les accalmies. Nous sommes prêts
à vous accueillir et à vous conférer ces
bénédictions auxquelles vous aspirez depuis longtemps.
»
Son
mandat de président de mission presque échu, Franklin
prévoyait lui aussi de retourner en Utah. Il conseilla à
d’autres missionnaires sur le point de rentrer d’aider
les émigrants en charrettes à bras jusqu’à
ce que tous soient arrivés sains et saufs dans la vallée.
Il
exhorta : « Pendant votre voyage, cherchez constamment comment
les aider par votre expérience, les guider et les réconforter
par vos conseils, les encourager par votre présence, affermir
leur foi et maintenir un esprit d’unité et de paix parmi
eux. »
Il
écrivit : « Les saints ont de la considération
pour vous et ils en ont le droit puisque vous êtes les anges
libérateurs. Acquittez-vous de votre responsabilité,
tels des hommes de Dieu, car elle vous incombe. »
Cet
hiver-là, Jesse Haven se rendit à Londres après
avoir servi pendant presque trois ans comme président de la
mission d’Afrique du Sud. Ses collègues, William Walker
et Leonard Smith, étaient déjà arrivés en
Angleterre quelques mois auparavant avec quinze saints sud-africains
en route pour Sion. Quelques jours plus tard, William et Leonard
embarqueraient à Liverpool avec quelque cinq cents membres de
l’Église émigrants.
Impatient
de retrouver sa famille, il tardait à Jesse de rentrer à
la maison. Malgré tout, les saints sud-africains lui
manquaient déjà. Dans une région aussi vaste et
diversifiée, il avait été constamment difficile
de trouver des personnes à instruire, pourtant, ses collègues
et lui avaient remporté un grand succès et avaient
laissé de nombreux amis. Plus de cent soixante-dix personnes
avaient été baptisées en Afrique du Sud et la
plupart étaient toujours fidèles.
Jesse
aurait aimé faire plus pendant sa mission, mais il croyait que
l’Église en Afrique du Sud grandirait avec le temps et
que bien plus de ses membres se rendraient en Sion.
Dans
son rapport officiel à la Première Présidence,
il écrivit : « Il n’est pas aussi facile qu’on
peut le supposer dès l’abord d’établir
l’Évangile dans un pays où les gens parlent trois
ou quatre langues différentes, où ils sont de tout
genre, tout niveau, toute caste et toute couleur et où deux ou
trois cent mille habitants sont dispersés sur un territoire
deux fois plus grand que l’Angleterre. »
Par
une journée ensoleillée de mars, peu après
l’arrivée de Jesse en Grande-Bretagne, un autre groupe
d’environ cinq cents saints quitta Liverpool à
destination de Sion. Ils venaient du Royaume-Uni, de Suisse, du
Danemark, d’Inde de l’Est et d’Afrique du Sud.
Avant leur départ, Jesse dit au revoir aux émigrants
sud-africains, peiné de ne pouvoir les accompagner. Il était
censé quitter l’Angleterre deux mois plus tard avec un
groupe encore plus important d’émigrants.
Nombre
d’entre eux comptaient se déplacer en charrettes à
bras lorsqu’ils auraient atteint les grandes plaines. Depuis
son arrivée en Angleterre, Jesse avait beaucoup entendu parler
des charrettes à bras, mais il hésitait à les
utiliser. Il confia dans son journal : « Elles feront peut-être
très bien l’affaire, mais je ne leur fais pas grande
confiance. Je suis tenté de penser que le projet s’avérera
être un échec, néanmoins, étant donné
que le président Young le recommande, je le soutiendrai et je
le recommanderai aussi. »
Le
25 mai, Jesse quitta l’Angleterre à bord d’un
navire transportant plus de huit cent cinquante membres de l’Église
dont la plupart étaient des saints Britanniques membres de
longue date qui avaient reçu une aide financière du
fonds perpétuel d’émigration. Ils formaient à
ce jour le plus grand groupe de saints à traverser l’océan
Atlantique. Avant leur départ, l’apôtre Franklin
Richards appela Edward Martin pour les diriger et nomma Jesse comme
conseiller. Dirigeant compétent, Edward était l’un
des premiers convertis britanniques, un vétéran du
bataillon mormon et l’un des nombreux missionnaires envoyés
dans le monde en 1852.
Franklin
et d’autres dirigeants de mission dirent au revoir aux saints
depuis les quais de Liverpool. Avant que le navire ne hisse les
voiles, ils les acclamèrent à trois reprises. Ces
derniers firent de même et Franklin et les autres dirigeants
les saluèrent, les acclamant une dernière fois en guise
de bénédiction.
Le
navire arriva à Boston un peu plus d’un mois plus tard.
Comme d’autres à bord, Elizabeth et Aaron Jackson
étaient membres depuis des années. Ses parents à
elle s’étaient joints à l’Église en
1840, peu après l’arrivée des premiers
missionnaires en Angleterre, et elle s’était fait
baptiser un an plus tard, à l’âge de quinze ans.
Elle avait épousé Aaron, un ancien dans l’Église,
en 1848. Tous deux avaient travaillé dans des filatures de
soie britanniques.
Les
Jackson étaient accompagnés de leurs trois enfants :
Martha, sept ans, Mary, quatre ans et Aaron Jr, deux ans, ainsi que
de la sœur d’Elizabeth, Mary Horrocks, âgée
de dix-neuf ans.
À
Boston, la famille monta dans un train avec la plupart de sa
compagnie et se rendit à Iowa City, un point de départ
des saints vers l’ouest. Elizabeth et Aaron s’attendaient
à trouver en arrivant des charrettes à bras prêtes
pour eux, mais le nombre de saints en partance pour l’Ouest
cette saison-là avait dépassé les prévisions.
Trois convois avaient déjà quitté Iowa City cet
été-là et un quatrième, dirigé par
un missionnaire de retour, James Willie, était sur le point de
partir. Il n’y avait pas assez de charrettes prêtes pour
tout le monde.
Sachant
qu’ils devaient partir rapidement pour arriver dans la vallée
du lac Salé avant l’hiver, les nouveaux émigrants
aidèrent à en fabriquer. Ils se divisèrent en
deux convois, l’un dirigé par Edward Martin et l’autre
par Jesse Haven. D’autres se joignirent à deux convois
de chariots dirigés aussi par des missionnaires de retour.
Les
quatre compagnies quittèrent Iowa City fin juillet et début
août. En moyenne cinq personnes étaient affectées
à chaque charrette à bras et elle pouvait transporter
sept kilos d’effets personnels par individu. Une fois chargée,
elle pesait une centaine de kilos. Chaque convoi de charrettes à
bras était escorté par des attelages de mules et de
chariots remplis de tentes et de victuailles.
Vers
la fin du mois d’août, les convois firent halte dans une
ville appelée Florence, non loin de l’ancien site de
Winter Quarters. Franklin Richards, qui voyageait avec une compagnie
plus petite et rapide de missionnaires de retour, était déjà
arrivé et se préparait à poursuivre sa route
vers l’Utah pour la prochaine conférence générale.
Lors d’une réunion, il discuta avec les dirigeants des
compagnies pour décider si les émigrants devaient
passer l’hiver à Florence ou continuer jusqu’en
Sion, en dépit du risque de mauvais temps plus loin sur la
piste.
Dans
leurs épîtres aux saints du monde entier, la Première
Présidence les avait mis en garde à maintes reprises
contre les dangers de partir pour la vallée tard dans la
saison. Les convois de chariots devaient quitter Florence au
printemps ou au début de l’été au plus
tard pour arriver à Salt Lake City en août ou septembre.
Les dirigeants de l’Église croyaient que les convois de
charrettes à bras pouvaient se déplacer plus rapidement
que ceux de chariots, mais personne n’en était certain
puisque le premier se trouvait encore sur la piste. Si la compagnie
Martin quittait Florence fin août, elle serait encore sur la
piste fin octobre ou début novembre, lorsqu’il
commençait parfois à neiger.
Sachant
cela, certains hommes incitèrent Franklin à conseiller
à la compagnie de passer l’hiver à Florence.
D’autres lui recommandèrent d’envoyer les
émigrants jusqu’en Sion, en dépit du danger. Deux
semaines auparavant, le convoi de charrettes à bras Willie
s’était trouvé devant le même dilemme et la
plupart des membres avaient décidé de poursuivre leur
route, sur les conseils du capitaine Willie et d’autres
dirigeants, qui avaient promis que Dieu les protégerait de
tout mal. Franklin avait aussi la foi que Dieu préparerait la
voie pour que les émigrants arrivent sains et saufs dans la
vallée, mais il voulait qu’ils décident eux-mêmes
de rester ou de partir.
Rassemblant
les compagnies, il les avertit des dangers de voyager si tard dans la
saison. Il dit que des nourrissons et des personnes âgées
périraient certainement. D’autres membres de la
compagnie seraient victimes de maladies ou d’épuisement.
S’ils le voulaient, les émigrants pouvaient passer
l’hiver à Florence et vivre des provisions déjà
achetées pour leur voyage. Il proposa même d’en
acheter d’autres pour leur séjour.
Plusieurs
missionnaires de retour prirent la parole après lui. La
plupart encouragèrent les saints à poursuivre leur
route jusqu’à la vallée. Joseph Young, le fils de
Brigham, les exhorta à ne pas continuer maintenant. Il dit : «
Cela serait source de souffrances indicibles, de maladie et de perte
de nombreuses vies humaines. Je ne veux rien de tout cela sur ma
conscience et je souhaite que vous restiez tous ici pour passer
l’hiver et repreniez la route au printemps. »
Lorsque
les missionnaires eurent terminé, Franklin se leva de nouveau
et demanda aux émigrants de voter. Il dit : « Si vous
saviez que vous alliez être engloutis par des tempêtes,
vous arrêteriez-vous ou feriez-vous demi-tour ? »
Avec
des acclamations, la plupart des émigrants ôtèrent
leur chapeau, levèrent la main et votèrent pour
continuer vers Sion. Franklin réunit les deux convois de
charrettes à bras sous la direction d’Edward Martin et
confia à Jesse Haven la tâche de conduire un convoi de
chariots avec le capitaine William Hodgetts. Les compagnies
quittèrent Florence quelques jours plus tard avec un grand
troupeau de bétail.
Bien
qu’Elizabeth et Aaron Jackson fussent jeunes et en bonne santé,
l’effort quotidien de tirer une lourde charrette sur une piste
rocailleuse, et par endroits sur du sable profond et à travers
des rivières, laissa vite ses marques sur leur corps. Certains
émigrants avaient aussi du mal à suivre le convoi
lorsque des charrettes mal fabriquées se brisaient. À
la fin de chaque journée, les saints arrivaient au camp
affamés et certains du travail éreintant qui les
attendrait dès le lendemain matin.
En
septembre 1856, pendant que les convois de charrettes à bras
et de chariots voyageaient en direction de l’ouest, la Première
Présidence et le Collège des Douze commencèrent
à prêcher le repentir et la réforme morale dans
tout le territoire d’Utah. De nombreux saints menaient une vie
juste, mais les dirigeants de l’Église étaient
inquiets, car trop d’entre eux ne s’efforçaient
pas activement de devenir un peuple de Sion ni de se préparer
pour la Seconde Venue. Ils s’inquiétaient aussi de
l’influence des habitants du territoire qui n’appartenaient
pas à l’Église, de la foi et de l’engagement
faibles de certains émigrants et des personnes qui avaient
quitté l’Église et luttaient maintenant contre
elle.
Jedediah
Grant, deuxième conseiller dans la Première Présidence,
menait des campagnes de réforme sous la direction de Brigham
Young. Début septembre, il exhorta les saints à
renoncer au mal et à se refaire baptiser pour renouveler leurs
alliances et obtenir le pardon de leurs péchés. Très
vite, d’autres dirigeants de l’Église se
joignirent à lui, diffusant le message partout jusqu’à
ce qu’un esprit de réforme emplisse l’air.
Leurs
sermons étaient souvent enflammés. Le 21 septembre, à
Salt Lake City, Jedediah proclama : « Je vous parle au nom du
Dieu d’Israël. Vous devez vous faire rebaptiser et être
purifiés de vos péchés, de vos infidélités,
de votre apostasie, de vos impuretés, de vos mensonges, de vos
jurons, de vos convoitises et de tout ce qui est mal aux yeux du Dieu
d’Israël. »
Dans
la paroisse de Sugar House, Martha Ann Smith cherchait déjà
à s’améliorer, en partie grâce aux conseils
qu’elle recevait constamment de la part de son frère
Joseph à Hawaï. Au début, elle pensa qu’il
lui serait profitable d’aller à l’école.
Comme le territoire ne disposait pas d’un système
scolaire public, elle alla à une école dirigée
par sa paroisse. Cependant, maintenant que l’année
scolaire était terminée, elle cherchait d’autres
moyens de s’améliorer.
Au
printemps, elle avait emménagé avec son frère
aîné John et sa famille, et son nouveau foyer lui
donnait l’occasion de progresser. Pour autant qu’elle
aimait John, elle n’aimait pas trop sa femme, Hellen, ni la
famille de cette dernière. Elle confia dans une lettre à
Joseph : « Ils disent des mensonges dans mon dos et se moquent
de tes sœurs et les traitent de menteuses. » Sachant
qu’il risquait de la réprimander pour avoir dit du mal
de la famille, elle ajouta : « Si tu les connaissais aussi bien
que moi, tu me comprendrais. »
Cet
été-là, cependant, une lettre de l’Est
détourna l’attention de Martha Ann des querelles
familiales. Lovina, sa sœur aînée, écrivait
qu’elle allait finalement venir s’installer dans la
vallée avec son mari et leurs quatre enfants. Presque
immédiatement, John prit la route de l’Est pour leur
apporter des provisions et les aider sur la piste.
Martha
Ann et ses sœurs pensaient qu’ils reviendraient avec l’un
des convois de charrettes à bras ou de chariots attendus cet
automne-là. Cependant, lorsque les premiers arrivèrent,
John et Lovina ne s’y trouvaient pas. En fait, des nouvelles de
leur localisation ne leur parvinrent que début octobre, avec
le troisième convoi de charrettes à bras.
Martha
Ann informa Joseph : « Le convoi de charrettes à bras
est arrivé dans la vallée et ils disent que celui de
John est à trois semaines derrière eux. »
Ils
n’avaient aucune nouvelle de Lovina et de sa famille.
John
Smith ne se trouvait pas trois semaines derrière eux. Il
arriva dans la vallée deux jours plus tard avec Franklin
Richards et la petite compagnie de missionnaires de retour. Pendant
qu’il était en route vers l’est, John les avait
croisés à Independence Rock, à environ cinq cent
cinquante kilomètres de Salt Lake City. Il avait appris que la
famille de Lovina avait atteint Florence tard dans la saison et avait
décidé de ne pas aller plus loin cette année-là.
Déçu,
John avait envisagé de poursuivre sa route. Il faisait encore
bon sur les plaines. Il pouvait couvrir les mille cent kilomètres
restants jusqu’à Florence, passer l’hiver avec
Florina et sa famille et les aider à faire le voyage au
printemps. S’il choisissait cette option, il laissait Hellen et
leurs enfants se débrouiller en Utah. John demanda à
Franklin ce qu’il devait faire et l’apôtre lui
conseilla de retourner dans la vallée avec sa compagnie et
lui.
Le
4 octobre, le soir où ils arrivèrent à Salt Lake
City, Franklin dit à la Première Présidence que
les compagnies Willie et Martin, ainsi que deux convois de chariots
se trouvaient à huit ou neuf cents kilomètres de là.
En tout, plus de mille saints étaient encore à l’est
des montagnes Rocheuses et Franklin ne pensait pas que la compagnie
Martin puisse arriver à destination avant la fin du mois de
novembre.
Son
rapport alarma la présidence. Sachant que certaines compagnies
avaient quitté l’Angleterre tard dans la saison, elle
avait supposé que Franklin et les agents de l’émigration
leur recommanderaient d’attendre le printemps avant de partir
pour l’Ouest. L’Église n’avait envoyé
aucun ravitaillement vers l’est pour réapprovisionner
les compagnies restantes, ce qui voulait dire que les émigrants
n’auraient pas suffisamment de nourriture pour se sustenter
pendant le voyage. S’ils ne périssaient pas dans le gel
et la neige, ils mourraient de faim ; à moins que les saints
de la vallée ne partent à leur rescousse.
Lors
des réunions de l’Église du lendemain, Brigham
parla avec insistance des émigrants en péril. Il
déclara : « Ils doivent être ramenés ici ;
nous devons leur porter secours. Voilà ma religion ; voilà
ce que me dicte le Saint-Esprit que je possède. Il faut sauver
ces gens. »
Brigham
demanda aux évêques de rassembler immédiatement
des attelages de mules et des provisions. Il demanda aux hommes
d’être prêts à partir dès que
possible et aux femmes de commencer à organiser des collectes
de couvertures, de vêtements et de chaussures.
Il
dit : « Votre foi, votre religion et votre profession de foi ne
sauveront pas une seule de vos âmes dans le royaume céleste
de notre Dieu si vous n’appliquez pas les principes que je vous
enseigne maintenant. Allez maintenant chercher ces gens dans les
plaines. »
Avant
de quitter la réunion, des femmes ôtèrent leurs
collants chauds, leurs jupons et tout ce dont elles pouvaient se
passer et les empilèrent dans des chariots. D’autres
femmes et hommes commencèrent à collecter de la
nourriture et du matériel et à se préparer pour
prendre soin des émigrants une fois qu’ils arriveraient.
Deux
jours plus tard, plus de cinquante hommes et vingt chariots de
secours quittèrent la vallée et commencèrent à
gravir les montagnes. Au fil des semaines suivantes, d’autres
suivirent. Parmi les premiers sauveteurs se trouvaient cinq des
missionnaires qui étaient revenus avec la compagnie de
Franklin Richards à peine trois jours plus tôt.
CHAPITRE
16
: Sans
douter ni désespérer
Pendant
que les premiers attelages de secours se précipitaient vers
l’est, la compagnie d’Edward Martin campait non loin des
convois de chariots de Jesse Haven et de Hodgetts à Fort
Laramie, un relais militaire situé à mi-chemin entre
Florence et Salt Lake City. Les réserves alimentaires des
émigrants s’amenuisaient et aucun attelage de secours de
la vallée n’était en vue.
Le
responsable du fort ouvrit ses magasins aux saints qui vendirent
leurs montres et autres possessions pour acheter un peu plus de
farine, de bacon et de riz. Malgré tout, leurs provisions
restaient insuffisantes pour satisfaire leurs besoins pendant les
huit cents kilomètres qu’il leur restait à
parcourir.
Jesse
Haven était inquiet pour les saints des charrettes à
bras. Une livre de farine par jour ne suffisait pas à nourrir
une personne tirant une charrette sur des pistes sablonneuses et des
sentiers escarpés, et cette ration devrait rapidement être
réduite. L’effort était particulièrement
pénible pour les saints âgés ; un nombre alarmant
d’entre eux commençaient à succomber.
Dans
une lettre à Brigham Young, Jesse rapporta : « Ce sont
vraiment de pauvres gens affligés. Ils me brisent le cœur.
»
Les
émigrants continuaient d’avancer. Le convoi de chariots
de Jesse voyageait à côté de la compagnie Martin,
donnant un coup de main lorsque cela était possible. Les
charrettes avançaient plus lentement. Peu après avoir
quitté le fort, Aaron Jackson, l’ouvrier de la filature
de soie britannique, eut de la fièvre. La maladie minait ses
forces et il semblait perdre la volonté d’avancer.
Il
voulait manger plus que sa ration, mais il n’y avait pas
suffisamment de nourriture. Après avoir examiné les
réserves alimentaires de la compagnie, le capitaine Martin
avait réduit la ration quotidienne à trois cents
grammes de farine par personne. La famille et les amis d’Aaron
essayèrent de le maintenir en mouvement, mais l’effort
l’épuisa encore davantage.
Le
matin du 19 octobre, il s’assit pour se reposer à côté
de la piste pendant que les autres continuaient vers la North Platte
River. À midi, il se sentait encore trop faible pour bouger.
La température avait considérablement chuté
depuis quelques jours et la neige commençait à tomber.
S’il ne se levait pas et ne rejoignait pas sa compagnie
rapidement, il mourrait de froid.
Un
peu plus tard, deux hommes de la compagnie le trouvèrent et le
chargèrent dans un chariot avec d’autres saints malades
pour l’amener jusqu’à la North Platte. Il trouva
sa famille au bord de la rivière, se préparant à
faire traverser sa charrette. Du fait que les bœufs du chariot
étaient trop faibles pour tirer sans risque leur chargement
dans le courant, Aaron dut descendre et traverser la rivière à
pied.
Il
avança faiblement dans l’eau glacée pendant que
sa femme, Elizabeth, et sa belle-sœur, Mary, restaient auprès
des enfants et de la charrette. Il réussit à couvrir
une faible distance puis il marcha sur un banc de sable et
s’effondra, épuisé. Mary pataugea jusqu’à
lui et le remit sur pied pendant qu’un homme à cheval
s’avançait. Il le souleva et le transporta jusqu’à
l’autre rive.
Un
vent du nord se mit à souffler sur la compagnie et la grêle
commença à tomber. Mary retourna à la charrette
et aidée d’Elizabeth, elles lui firent franchir le cours
d’eau. Lorsque d’autres émigrants avaient du mal à
traverser, des femmes et des hommes retournaient dans la rivière
pour secourir leurs amis. Certains portaient ceux qui étaient
trop âgés, trop jeunes ou trop malades pour traverser
seuls. Sarah Ann Haight, dix-neuf ans, pataugea dans l’eau
glacée encore et encore, aidant ainsi plusieurs personnes à
traverser.
Incapable
de faire un pas de plus, Aaron Jackson fut installé dans une
charrette et transporté jusqu’au campement du soir, les
pieds pendants à l’arrière du véhicule.
Elizabeth et Mary arrivèrent peu après, prêtes à
s’occuper de lui dès qu’elles auraient atteint le
camp. Derrière elles, dans la lumière déclinante
du jour, des saints avançaient en chancelant, leurs vêtements
en lambeaux gelés plaqués au corps.
Ce
soir-là, Elizabeth aida son mari à se coucher et
s’endormit à côté de lui. Lorsqu’elle
se réveilla quelques heures plus tard, elle tendit l’oreille
pour écouter la respiration d’Aaron, mais n’entendit
rien. Alarmée, elle posa la main sur lui et sentit son corps
froid et raide.
Elle
appela à l’aide, mais personne ne pouvait rien pour
elle. Elle envisagea d’allumer un feu afin de pouvoir regarder
Aaron, mais elle n’avait rien pour l’allumer.
Allongée
à côté du corps sans vie de son mari, elle
n’arrivait pas à dormir. Elle attendit et pria, pleurant
tout en guettant les premiers signes de l’aube. Les heures
s’écoulèrent lentement. Elle savait qu’elle
devait encore s’occuper de ses enfants et qu’elle avait
sa sœur Mary pour l’aider, mais même Mary
commençait à être malade. La seule personne sur
laquelle elle pouvait vraiment compter était le Seigneur.
Cette nuit-là, elle lui demanda de l’aide, confiante
qu’il la consolerait et aiderait ses enfants.
Lorsque
le matin arriva, les émigrants trouvèrent plusieurs
centimètres de neige sur le sol et en furent démoralisés.
Un groupe d’hommes transporta Aaron ainsi que treize autres
personnes qui étaient décédées pendant la
nuit. Le sol étant trop dur pour pouvoir creuser, ils
enveloppèrent les corps dans des couvertures et les
recouvrirent de neige.
Le
capitaine Martin commanda à la compagnie de continuer
d’avancer, en dépit du mauvais temps. Les émigrants
poussèrent et tirèrent leurs charrettes sur des
kilomètres de neige de plus en plus profonde dans une bise
glaciale. La neige mouillée collait aux roues, rendant les
charrettes plus lourdes et plus difficiles à tirer.
Le
jour suivant, la compagnie progressa péniblement dans une
neige encore plus profonde. Beaucoup n’avaient pas de
chaussures ou de bottes adéquates pour se protéger du
froid. Ils avaient les pieds à vif à cause de gelures.
Ils essayaient de garder le moral en chantant des cantiques. Quatre
jours après avoir traversé la North Platte, ils
n’avaient pourtant pas beaucoup avancé.
Faibles
et émaciés, ils avaient du mal à continuer de
bouger. La farine était maintenant presque épuisée.
Le bétail mourait, mais était trop maigre pour fournir
beaucoup de nourriture. Certaines personnes n’avaient plus
assez de forces pour monter leurs tentes et dormaient dans la neige.
Le
23 octobre, le capitaine Martin décida de laisser la compagnie
se reposer dans un endroit appelé Red Buttes. Au fil des
jours, la situation ne fit qu’empirer. La température
continuait de chuter et le nombre de morts dans la compagnie
atteignit bientôt cinquante. La nuit, des loups se faufilaient
dans le camp, creusaient les tombes et se nourrissaient des cadavres.
Chaque
jour, le capitaine Martin et les saints se réunissaient pour
prier afin d’être délivrés et pour demander
une bénédiction sur les malades et les affligés
du camp. Il avait l’air fatigué et triste, mais il
assurait aux saints que de l’aide était en route.
Le
soir du 27 octobre, Elizabeth s’assit sur un rocher en serrant
ses enfants contre elle. À des milliers de kilomètres
de l’Angleterre, démunie et bloquée par la neige
dans une région montagneuse, elle était de plus en plus
abattue. Elle se retrouvait maintenant veuve. Ses enfants étaient
sans père. Ils n’avaient rien pour se protéger
des tempêtes hivernales si ce n’est des vêtements
élimés et quelques couvertures.
Parfois,
la nuit, elle s’endormait et rêvait qu’Aaron était
debout près d’elle. Il disait : « Réjouis-toi,
Elizabeth, la délivrance est imminente. »
Le
lendemain, après avoir mangé un petit-déjeuner
sommaire, les émigrants aperçurent trois silhouettes
descendant à cheval d’une colline voisine. Lorsqu’elles
s’approchèrent, ils reconnurent Joseph Young, le fils de
Brigham, âgé de vingt-deux ans, qui avait fait une
mission de trois ans en Angleterre. Il était accompagné
de Daniel Jones et d’Abel Garr, deux hommes de la vallée
du lac Salé. Ils chevauchèrent jusqu’au camp,
rassemblèrent tout le monde et distribuèrent la
nourriture et le matériel qu’ils transportaient sur
leurs animaux.
Joseph
annonça : « Il y a plein de nourriture et de vêtements
qui vous sont destinés sur la route, mais demain matin, vous
devez partir d’ici. » D’autres sauveteurs étaient
à soixante-dix kilomètres dans des wagons remplis de
victuailles, d’habits et de couvertures. Si les saints
avançaient, ils se retrouveraient dans quelques jours.
Les
émigrants acclamèrent les hommes, les serrèrent
dans leurs bras et les embrassèrent sur les joues. Les
familles se mirent à rire et à s’étreindre,
les yeux ruisselants de larmes. Ils s’écrièrent :
« Amen ! »
Ils
chantèrent un cantique et, le soir venu, chacun se retira dans
sa tente. Ils reprendraient la route de l’Ouest dès le
matin.
Trois
jours plus tard, le 31 octobre, la compagnie Martin rencontra les
autres sauveteurs sur la piste. George D. Grant, le dirigeant de la
petite équipe, fut frappé par ce qu’il vit. Cinq
ou six cents saints tiraient leurs charrettes à bras alignés
irrégulièrement sur quelque cinq kilomètres. On
voyait qu’ils étaient éreintés après
avoir tiré leurs charrettes toute la journée dans la
neige et dans la boue. Certaines personnes étaient allongées
dans les charrettes, trop malades ou épuisées pour
bouger. Certains enfants pleuraient tandis qu’ils avançaient
péniblement dans la neige à côté de leurs
parents. Tout le monde avait l’air d’avoir froid et les
membres de certaines personnes étaient raides et saignaient à
force d’être exposés à la neige.
Au
fil des quelques jours suivants, les sauveteurs aidèrent la
compagnie Martin à avancer vers l’ouest. Espérant
la protéger du mauvais temps, l’équipe de secours
voulait l’installer dans une crique non loin de deux hautes
falaises appelées Devil’s Gate. Toutefois, pour y
arriver, il fallait franchir les eaux glaciales de la Sweetwater. Se
souvenant avec horreur de leur dernière traversée, de
nombreux émigrants furent terrifiés à cette
idée. Certains purent franchir la rivière dans des
chariots. D’autres le firent à pied. Plusieurs
sauveteurs et quelques émigrants portèrent des
personnes de l’autre côté du courant glacial. Cinq
jeunes sauveteurs, David P. Kimball, George W. Grant, Allen
Huntington, Stephen Taylor et Ira Nebeker, passèrent des
heures dans l’eau glacée, aidant héroïquement
la compagnie à faire la traversée.
Une
fois que les émigrants furent installés dans la crique,
qu’ils nommèrent plus tard Martin’s Cove, il
recommença à neiger. Il faisait un froid insupportable
dans le camp et d’autres personnes moururent. Un émigrant
qualifia la crique de « tombeau surpeuplé ».
Le
9 novembre, Jesse Haven et les autres saints des deux convois de
chariots avaient rejoint la compagnie Martin dans la crique. Le ciel
s’était éclairci et les sauveteurs décidèrent
de continuer de faire avancer la compagnie vers l’ouest, en
dépit du fait qu’ils n’avaient pas suffisamment de
victuailles pour nourrir chaque émigrant pendant les cinq
cents kilomètres restants. Ceux-ci se débarrassèrent
de la plupart de leurs charrettes à bras et de presque toutes
leurs possessions, ne conservant que ce qu’ils avaient pour
lutter contre le froid. Environ un tiers des saints de la compagnie
Martin pouvaient marcher. Les sauveteurs chargèrent les autres
dans des chariots.
George
D. Grant comprenait que les émigrants avaient besoin de
davantage d’aide que celle que ses hommes pouvaient apporter.
Dans une lettre à Brigham, il rapporta : « Nous
continuons à faire notre possible, sans douter ni désespérer.
Je n’ai jamais vu une telle énergie et une telle foi
parmi les ‘garçons’, ni un aussi bon esprit parmi
ceux qui sont venus avec moi.
Nous
avons prié sans cesse, témoigna-t-il, et la bénédiction
de Dieu nous a accompagnés. »
Ephraim
Hanks, Arza Hinckley et d’autres sauveteurs trouvèrent
le groupe à l’ouest de Martin’s Cove et fournirent
de la nourriture et un soutien supplémentaires aux émigrants.
Dix autres chariots de secours les rejoignirent à un endroit
appelé Rocky Ridge, à encore quatre cents kilomètres
de Salt Lake City. À ce moment-là, plus de trois cent
cinquante hommes de la vallée s’étaient aventurés
dans la neige profonde pour leur porter secours. Ils installaient des
campements le long de la piste, dégageaient la neige,
allumaient des feux et fournissaient des chariots afin que personne
n’ait à marcher. Les sauveteurs préparaient aussi
des repas pour les émigrants et dansaient et chantaient pour
les distraire de leurs souffrances.
Le
mauvais temps persista, mais les saints ressentirent le soutien de
Dieu. Joseph Simmons, l’un des sauveteurs, écrivit à
un ami dans la vallée : « Des tempêtes menaçantes
surgissent presque quotidiennement et en les regardant on penserait
qu’il va être impossible d’y résister. Sans
l’aide des cieux, cela fait longtemps que nous serions bloqués
par la neige dans les montagnes. »
Lorsque
d’autres renseignements parvinrent à Brigham au sujet
des saints qui étaient encore sur la piste, il eut du mal à
se concentrer sur autre chose que leur souffrance. Le 12 novembre, il
dit à une assemblée : « Mon esprit est là-bas,
dans la neige. Je ne peux pas sortir ou entrer sans penser à
eux toutes les deux minutes. »
Le
30 novembre, alors qu’il présidait une réunion
dominicale à Salt Lake City, il apprit que des chariots de
secours transportant des membres de la compagnie Martin arriveraient
plus tard dans la journée. Il annula rapidement le reste des
réunions du jour. Il dit : « Quand ces personnes
arrivent, je veux qu’elles soient réparties dans la
ville chez des familles qui ont de bonnes maisons confortables. »
Les
émigrants arrivèrent en ville à midi. À
ce stade, ils étaient totalement démunis. Plus de cent
personnes de la compagnie étaient mortes. De nombreux
survivants avaient les mains et les pieds gelés, certains
devaient être amputés. Si les sauveteurs n’étaient
pas arrivés au moment où ils sont arrivés,
beaucoup d’autres personnes auraient péri.
Les
saints du territoire accueillirent les nouveaux émigrants chez
eux. Elizabeth Jackson et ses enfants s’installèrent
chez son frère, Samuel, à Ogden, au nord de Salt Lake
City, où ils se reposèrent et récupérèrent
de leur cruel voyage.
Jesse
Haven, qui arriva à Salt Lake City deux semaines après
la compagnie Martin, pleura en voyant la vallée pour la
première fois depuis quatre ans. Il alla directement voir ses
femmes, Martha et Abigail, et son fils, Jesse, qui était né
pendant qu’il était en Afrique du Sud. Il rendit ensuite
visite à Brigham Young, reconnaissant que le prophète
ait envoyé des équipes à la rescousse des
saints.
Peu
après être arrivé dans la vallée, il
écrivit dans son journal : « Je me souviendrai longtemps
de l’automne 1856. Je suis dans cette Église depuis
dix-neuf ans. J’ai vu plus de souffrance l’automne
dernier que jamais auparavant parmi les saints. »
Patience
Loader, membre de la compagnie Martin, se souvint plus tard à
quel point le Seigneur l’avait bénie en lui accordant la
force de supporter le voyage. Elle témoigna : « Je peux
dire que nous avons placé notre confiance en Dieu. Il a
entendu et exaucé nos prières et nous a permis
d’arriver jusqu’aux vallées. »
CHAPITRE
17
: La
famille se réforme
Pendant
que l’hiver 1856-1857 apportait la neige et le gel dans la
vallée du lac Salé, Joseph F. Smith œuvrait sur
la grande île d’Hawaï. Comme George Q. Cannon, il
avait rapidement appris l’hawaïen et était devenu
un dirigeant dans la mission. Maintenant, presque trois ans après
avoir reçu son appel, il avait dix-huit ans et aspirait à
continuer de servir le Seigneur.
Il
écrivit à sa sœur Martha Ann : « Je n’ai
pas encore le sentiment d’avoir accompli ma mission et je ne
veux pas rentrer à la maison tant qu’il en est ainsi. »
Peu
après, il reçut une lettre de son frère John, en
Utah. John rapportait : « Noël est passé et le
Nouvel An a suivi de près. Il n’y a pas eu d’amusements.
» Alors que les saints organisaient habituellement de grands
bals et de grandes réjouissances pendant les fêtes, les
dirigeants de l’Église avaient découragé
de telles manifestations cette année-là. La réforme
morale que Jedediah Grant avait entamée l’automne
précédent était toujours d’actualité
et de telles festivités étaient jugées
inconvenantes.
John
expliqua : « Nous nous sommes laissés aller et endormis.
Nous avons mis notre religion de côté et sommes partis
nous amuser de choses matérielles. » Appelé
récemment comme patriarche de l’Église, un office
que son père et son grand-père avaient détenu,
John, vingt-quatre ans, soutenait totalement la réforme, même
si son extrême timidité l’empêchait de se
joindre à d’autres dirigeants pour prêcher en
public.
D’autres
lettres de la maison décrivaient la réforme à
Joseph. Depuis septembre, les dirigeants de l’Église
rebaptisaient les saints pénitents dans n’importe quelle
réserve d’eau, même s’ils devaient briser la
glace à la surface pour ce faire. De plus, la Première
Présidence avait demandé aux évêques de
cesser d’administrer la Sainte-Cène dans leurs paroisses
jusqu’à ce que davantage de saints soient rebaptisés
et prouvent leur volonté de respecter leurs alliances.
Mercy
Thompson, la tante de Joseph, croyait que la réforme avait un
effet positif sur elle et sur les saints. Elle lui écrivit : «
Je m’étonne de la façon d’agir du Seigneur
avec moi. J’ai vraiment le sentiment qu’il a plus que
tenu les promesses qu’il m’avait faites. »
Pour
encourager la droiture, les dirigeants de l’Église
exhortaient les saints à confesser publiquement leurs péchés
lors des réunions de paroisse. Dans une lettre adressée
à Joseph, Mercy parla d’Allen Huntington, l’un des
jeunes hommes qui avaient aidé à porter les émigrants
pour franchir la Sweetwater. Allen avait toujours été
un jeune homme débridé, mais peu après le
sauvetage des convois de charrettes à bras, il s’était
levé dans la paroisse de Sugar House, avait reconnu ses péchés
passés et avait parlé du changement de cœur que
le sauvetage avait provoqué chez lui.
Elle
rapporta : « Il a tellement vu le pouvoir de Dieu qu’il
s’est réjoui de voyager à la rencontre des
compagnies et de les ramener ici. Il a exhorté ses jeunes
camarades à se détourner de leurs bêtises et à
chercher à édifier le royaume de Dieu. Sa mère
pleurait de joie. Son père s’est levé et a
déclaré que c’était le plus beau moment de
sa vie. »
Certains
hommes étaient aussi appelés comme «
missionnaires au foyer », pour rendre visite aux familles dans
l’Église. Au cours de ces visites, ils posaient une
série de questions formelles afin de savoir si la famille
respectait bien les dix commandements, s’aimait et aimait ses
voisins et si elle adorait bien Dieu avec les membres de sa paroisse.
Tout
en encourageant une plus grande droiture, les dirigeants de l’Église
appelaient davantage d’hommes et de femmes à pratiquer
le mariage plural. Peu après le début de la réforme,
Brigham Young incita John Smith à épouser une deuxième
femme. La pensée de John épousant une autre femme
troubla profondément la sienne, Hellen. Néanmoins, si
le Seigneur voulait qu’elle et John obéissent au
principe, alors elle préférait qu’on en finisse
dès que possible avec la cérémonie de mariage.
Le respect du principe serait peut-être plus facile après.
John
épousa une femme appelée Melissa Lemmon. Hellen écrivit
à Joseph à Hawaï : « C’était
une épreuve pour moi, mais grâce au Seigneur, c’est
terminé maintenant. Le Seigneur va éprouver son peuple
en toutes choses et je pense que ceci est la plus grande épreuve.
Je prie cependant notre Père céleste de me donner la
sagesse et la force mentale de résister à chacune au
fur et à mesure qu’elles se présenteront. »
Joseph
eut aussi d’autres renseignements sur la réforme dans
des lettres de sa sœur Martha Ann. En février, elle
écrivit : « Je me suis fait baptiser et je commence à
vivre selon ma religion. Je commence juste à voir mes fautes
et à m’amender. » Après des mois de
querelles avec Hellen, Martha Ann avait enfin fait la paix avec sa
belle-sœur.
Elle
dit à Joseph : « La famille se réforme et me
traite bien maintenant. Nous sommes tous bons amis. »
Voyant
de nombreux jeunes de sa paroisse se marier, Martha Ann se demandait
si le moment était venu pour elle d’en faire autant.
Elle était secrètement amoureuse de William Harris, le
beau-fils de l’évêque Abraham Smoot. Elle confia à
Joseph : « J’ai les mains qui tremblent quand je dis
amour, mais c’est pourtant le cas, tellement le cas. C’est
un bon jeune homme et il a toute mon affection. »
Elle
supplia son frère de garder le secret. Elle écrivit : «
N’en parle dans aucune de tes lettres, sauf dans celles qui me
sont destinées, et dis-moi ce que tu en penses. »
Toutefois,
William devait bientôt partir en mission en Europe, ce que
Martha Ann considérait comme une épreuve douloureuse.
Elle se lamenta dans la lettre : « Je m’en remets
maintenant, c’est-à-dire j’essaie de m’en
remettre. Je suppose que ce sera entièrement bénéfique.
»
Au
printemps 1857, Brigham Young et les autres dirigeants de l’Église
étaient satisfaits de la réforme des saints et ils
réinstituèrent la Sainte-Cène dans toute
l’Église. Brigham dit et répéta que les
saints formaient un « peuple béni de Dieu ».
Pourtant,
des problèmes étaient survenus au cours de la réforme.
Des dirigeants avaient parlé sévèrement des
apostats et des résidents qui n’étaient pas
membres de l’Église. Intimidés, certains avaient
quitté le territoire. Les évêques, les
missionnaires au foyer et des membres de l’Église
s’affrontaient parfois lorsque les fréquentes visites au
foyer et confessions publiques s’avéraient
embarrassantes, perturbantes ou intimidantes. Avec le temps, les
dirigeants de l’Église commencèrent à
encourager les entretiens et les confessions en privé.
Ils
employaient généralement un langage édifiant
dans leurs sermons pour encourager les saints à faire mieux.
Le Livre de Mormon donnait des exemples clairs des effets de la
prédication énergique pour inciter les gens à se
réformer et cet hiver-là, les dirigeants avaient
souvent employé un langage excessif pour appeler les saints au
repentir. Par moments, Brigham et d’autres s’étaient
même appuyés sur des passages de l’Ancien
Testament pour enseigner que certains péchés graves ne
pouvaient être pardonnés que par l’effusion du
sang du pécheur.
De
tels enseignements évoquaient le langage des feux de l’enfer
des prédicateurs du renouveau protestants qui essayaient
d’effrayer les pécheurs pour les pousser à se
réformer. Brigham comprenait que parfois ses sermons enflammés
allaient trop loin et il n’était pas question de mettre
des gens à mort pour leurs péchés.
Un
jour, il reçut une lettre d’Isaac Haight, président
de pieu à Cedar City, au sujet d’un homme qui avait
confessé un péché sexuel commis avec sa fiancée
après avoir reçu sa dotation. L’homme avait
depuis épousé la femme et disait qu’il ferait
n’importe quoi pour réparer son péché,
même si cela signifiait verser son sang.
Isaac
demanda : « Me direz-vous ce que je dois lui dire ? »
Brigham
répondit : « Dites au jeune homme d’aller et de ne
plus pécher, de se repentir de tous ses péchés
et de se faire baptiser à cet effet. » Entre les
admonestations dures, il conseillait souvent aux dirigeants d’aider
les pécheurs à se repentir et à rechercher la
miséricorde. Sa prédication énergique et ses
conseils sur la miséricorde étaient censés aider
les saints à se repentir et à se rapprocher du
Seigneur.
Lorsque
leur période de réforme prit fin, les saints furent de
nouveau contrariés par leurs représentants du
gouvernement territorial. Début 1857, la législature de
l’Utah demanda à James Buchanan, le président des
États-Unis nouvellement élu, de lui accorder une plus
grande liberté de nommer ses propres représentants du
gouvernement.
Elle
avertit : « Nous nous opposerons à toute tentative des
représentants du gouvernement de mépriser nos lois
territoriales ou de nous imposer celles qui ne sont pas applicables
et de ce fait, pas en vigueur dans ce territoire. »
De
leur côté, les représentants locaux du
gouvernement étaient tout aussi contrariés par le
dédain des saints pour les étrangers, leurs manœuvres
d’intimidation visant les dirigeants fédéraux
désignés et le manque de séparation de l’Église
et de l’État dans le gouvernement territorial. En mars,
certains démissionnèrent et retournèrent dans
l’Est avec des histoires sur le mariage plural des saints et
sur le gouvernement en apparence peu démocratique, tout comme
l’avaient fait Perry Brocchus et d’autres quelques années
plus tôt.
Au
début de cet été-là, lorsque les plaines
enneigées dégelèrent et que l’acheminement
du courrier reprit, les saints apprirent que le ton exigeant de leur
pétition et de leurs rapports sur le traitement subi par
d’anciens représentants du territoire avait profondément
alarmé et irrité le président Buchanan et ses
conseillers. Le président percevait leurs actions comme de la
rébellion et il nomma de nouveaux hommes aux postes vacants en
Utah. Au même moment, des journaux et des politiciens de l’Est
exigeaient qu’il emploie la force militaire pour évincer
Brigham du poste de gouverneur, réprimer la prétendue
rébellion des saints et s’assurer que les nouveaux
représentants fédéraux étaient en poste
et protégés.
De
l’avis de ses détracteurs, le projet semblait excessif
et cher, mais des rumeurs selon lesquelles le président avait
l’intention de l’exécuter circulèrent
rapidement. Buchanan considérait qu’il était de
son devoir d’établir une autorité fédérale
en Utah. À l’époque, les États-Unis
connaissaient des tensions importantes au sujet de l’esclavage
et de nombreuses personnes craignaient que les propriétaires
d’esclaves des États du Sud ne forment un jour leur
propre pays. L’envoi d’une armée en Utah aurait pu
dissuader d’autres régions de défier le
gouvernement fédéral.
Son
mandat de gouverneur étant terminé, Brigham s’attendait
maintenant à ce que le président tente de nommer un
étranger pour le remplacer. Cela ne changerait rien à
sa position auprès des saints, mais cela réduirait sa
capacité de les aider politiquement. Si le président le
destituait de ses fonctions et envoyait une armée pour imposer
le changement, les saints auraient peu d’espoir de se gouverner
de façon autonome. Ils seraient de nouveau sujets aux caprices
d’hommes qui méprisaient le royaume de Dieu.
Environ
un mois après avoir entendu les rumeurs sur les intentions du
président Buchanan, Brigham apprit que l’apôtre
Parley Pratt avait été assassiné. Son meurtrier,
Hector McLean, était le mari dont était séparée
Eleanor McLean, l’une des femmes plurales de Parley. Eleanor
était devenue membre de l’Église en Californie
après des années de souffrances causées par les
sévices et l’alcoolisme d’Hector. Ce dernier avait
accusé Parley lorsqu’Eleanor l’avait quitté
et il avait envoyé leurs enfants habiter chez des parents dans
le sud des États-Unis. Eleanor avait tenté de retrouver
ses enfants et Parley avait suivi peu après pour l’aider.
En mai 1857, cependant, Hector avait pris Parley en chasse et l’avait
sauvagement abattu.
Le
meurtre de Parley bouleversa Brigham et les saints. Pendant plus de
vingt-cinq ans, Parley avait été un écrivain et
un missionnaire éminents. Sa brochure Une voix d’avertissement
avait aidé un nombre incalculable de personnes à
devenir membres de l’Église. La perte de son service
infatigable et de sa voix incomparable peinait profondément
les saints.
Pourtant,
les rédacteurs de journaux de toute la nation se réjouissaient
du meurtre de Parley. Selon eux, Hector McLean avait à juste
titre éliminé l’homme qui avait brisé son
foyer. Un journal recommandait même au président
Buchanan de nommer Hector comme nouveau gouverneur d’Utah.
Comme
les personnes qui avaient persécuté les saints au
Missouri et en Illinois, le meurtrier de Parley ne fut jamais traduit
en justice.
Alors
que les tensions s’accentuaient entre les saints et le
gouvernement des États-Unis, Martha Ann Smith se préparait
à dire au revoir à William Harris, qui s’apprêtait
à partir pour la mission européenne. Martha Ann
comptait l’épouser à son retour. Le jour de
l’entretien de William avec la Première Présidence
pour être mis à part pour sa mission, elle aidait sa
mère, Emily Smoot, à préparer ses affaires pour
le voyage.
Pendant
qu’elles travaillaient, William fit irruption dans la pièce.
Il dit : « Attrape ton chapeau, Martha, et viens. »
Pendant qu’il le mettait à part, Brigham Young lui avait
proposé de faire venir Martha Ann en ville et de l’épouser
avant de partir pour l’Europe.
Surprise,
cette dernière s’était tournée vers Emily.
« Que vais-je faire ? Que vais-je faire ? »,
demanda-t-elle.
Emily
dit : « Ma chérie, enfile ta robe de calicot et vas-y. »
Elle
se changea rapidement et grimpa dans le chariot à côté
de William. Ils furent mariés dans la maison des dotations et
Martha Ann emménagea chez la famille Smoot. Deux jours plus
tard, William chargea ses affaires dans une charrette à bras
et quitta la vallée en compagnie de soixante-dix autres
missionnaires.
Lorsqu’ils
arrivèrent à New York après plusieurs semaines
de voyage, William fut surpris par l’hostilité des gens
envers les saints. Il écrivit à Joseph F. Smith, son
nouveau beau-frère : « Nous entendons toutes sortes
d’insultes sur les mormons et les autorités de l’Église.
Le sujet des conversations est l’Utah et l’Utah est dans
tous les journaux. Ils disent qu’ils vont envoyer un gouverneur
et des troupes en Utah et qu’il y imposera la loi des
États-Unis, libérera les femmes et si le vieux Young
résiste, ils le pendront par le cou. »
Le
24 juillet 1857, à l’occasion du dixième
anniversaire de l’arrivée des saints dans la vallée,
la famille Smoot se joignit à Brigham Young et à deux
mille autres saints pour un pique-nique au bord d’un lac de
montagne, à l’est de Salt Lake City. Des fanfares venant
de diverses colonies jouèrent pendant que les saints passaient
la matinée à pêcher, danser et bavarder ensemble.
Des drapeaux américains flottaient au sommet de deux grands
arbres. Tout au long de la matinée, les saints tirèrent
des coups de canon, regardèrent les manœuvres de la
milice territoriale et entendirent des discours.
Vers
midi, cependant, Abraham Smoot et Porter Rockwell chevauchèrent
jusqu’au camp, interrompant les festivités. Abraham
rentrait juste d’un voyage d’affaires pour l’Église
dans l’est des États-Unis. En chemin, il avait vu des
chariots de marchandises roulant vers l’ouest pour ravitailler
une troupe de mille cinq cents soldats que le président
envoyait maintenant officiellement en Utah, avec un nouveau
gouverneur. Le gouvernement avait également interrompu le
service postal du territoire d’Utah, coupant efficacement la
communication entre les saints et l’Est.
Le
lendemain, Brigham et les saints retournèrent en ville pour se
préparer à l’invasion. Le 1er août, Daniel
Wells, le commandant de la milice territoriale, ordonna à ses
officiers de préparer chaque colonie pour la guerre. Les
saints devaient faire des réserves, ne rien gaspiller. Il leur
interdit de vendre des céréales ou d’autres
denrées aux convois de chariots en route pour la Californie.
Si l’armée assiégeait les vallées, les
saints auraient besoin de chaque gramme de leurs provisions pour
survivre.
Brigham
exigea aussi que les présidents de mission et les dirigeants
de l’Église des branches et colonies périphériques
renvoyassent les missionnaires et autres saints chez eux, en Utah.
Il
demanda à George Q. Cannon, qui présidait maintenant la
mission du Pacifique à San Francisco : « Relevez tous
les anciens qui sont en mission depuis longtemps. Incitez autant de
jeunes gens que possible à rentrer, car leurs parents sont
extrêmement impatients de les voir. »
Brigham
avait entendu des rumeurs selon lesquelles le général
William Harney, réputé pour sa cruauté,
conduisait l’armée en Utah. Il avait beau affirmer qu’il
n’éprouvait aucune hostilité à l’égard
de la plupart des saints, il était apparemment déterminé
à punir Brigham et d’autres dirigeants de l’Église.
Brigham
spéculait : « Reste à savoir si je serai pendu
avec ou sans procès. »
Pendant
que les saints dans et autour de Salt Lake City se préparaient
pour une invasion, George A. Smith rendait visite aux colonies du sud
du territoire pour les informer de l’arrivée de l’armée.
Le 8 août, il arriva à Parowan, une ville qu’il
avait aidé à fonder six ans auparavant. Les saints de
là-bas l’aimaient et lui faisaient confiance.
La
nouvelle de l’armée leur était déjà
parvenue et tout le monde était sur les nerfs. Ils craignaient
que des troupes supplémentaires de Californie n’envahissent
le sud de l’Utah, attaquant les colonies plus faibles avant de
remonter vers le nord. Les colonies appauvries comme Parowan,
existant à la limite de la survie, n’auraient aucune
chance contre l’armée.
George
était inquiet pour la sécurité de sa famille et
de ses amis dans la région. Il leur dit que l’armée
avait l’intention de mener une guerre d’extermination
contre l’Église. Pour assurer leur survie, il les
exhorta à donner tout leur surplus de céréales à
leur évêque afin qu’il le stocke en vue des temps
d’incertitude à venir. Ils devaient aussi utiliser toute
leur laine pour confectionner des vêtements.
Le
lendemain, George parla plus énergiquement. Il affirma qu’à
l’Est, on détestait l’Église. Si les saints
ne faisaient pas confiance à Dieu, l’armée les
diviserait en deux et les vaincrait aisément.
Il
commanda : « Prenez soin de vos provisions, car nous en aurons
besoin. » Il savait que les saints seraient tentés
d’aider et de nourrir les soldats lorsqu’ils viendraient,
que ce soit par générosité ou intérêt.
Il
demanda : « Leur vendrez-vous des céréales ou du
fourrage ? Je dis, maudit soit l’homme qui leur verse de
l’huile et de l’eau sur la tête. »
CHAPITRE
18
: Trop
tard, trop tard
Au
cours de l’été 1857, Johan et Carl Dorius firent
route vers Sion au sein d’un convoi de charrettes à bras
d’environ trois cents saints scandinaves. La plupart étaient
arrivés dans l’est des États-Unis en mai. Étant
resté pour prêcher l’Évangile en Norvège
et au Danemark longtemps après l’émigration de
son père et de ses sœurs en Sion, Johan eut le cœur
en fête lorsqu’il vit enfin les États-Unis. À
terre, cependant, sa compagnie et lui apprirent bien vite que Parley
Pratt avait été assassiné et qu’une armée
de mille cinq cents soldats était en route pour soumettre les
saints en Utah.
Ils
apprirent également que des émigrants des convois de
charrettes à bras avaient péri sur la piste l’année
précédente. Comme Brigham l’avait prévu,
ce mode de transport, en situation normale, s’avérait
être plus rapide et économique que les traditionnels
convois de chariots. Des cinq compagnies arrivées dans la
vallée, les trois premières n’avaient pas eu
d’incident majeur. Quant à l’issue tragique des
deux autres, elle aurait pu être évitée si
certains agents de l’émigration avaient élaboré
de meilleurs plans et donné de meilleurs conseils. Pour éviter
de nouvelles catastrophes, ces derniers s’assuraient maintenant
que tous les convois de charrettes à bras disposaient de
suffisamment de temps pour atteindre la vallée en toute
sécurité.
Fin
août, Johan, Carl et leur compagnie voyagèrent un
certain temps près des soldats bien armés et équipés
marchant vers l’Utah. De nombreuses personnes croyaient que la
troupe voulait soumettre et opprimer les saints, mais les émigrants
ne furent ni harcelés ni maltraités pendant qu’ils
voyageaient côte à côte.
Un
jour, à environ trois cents kilomètres de la vallée
du lac Salé, les émigrants trouvèrent l’un
des bœufs de l’armée sur la piste, blessé à
la patte. Le chef des chariots de victuailles des soldats dit : «
Vous pouvez avoir ce bœuf. Je suppose que vous avez besoin d’un
peu de viande. »
Les
saints acceptèrent l’animal avec joie. Les chariots de
secours de la vallée étaient censés être
en route, mais ils n’étaient pas encore arrivés.
Presque à court d’autres sources de nourriture, les
saints considérèrent le bœuf comme une
bénédiction de Dieu.
Les
charrettes à bras finirent par distancer l’armée.
En approchant de l’Utah, Johan était impatient de
commencer le travail important qui l’attendait. Pendant la
traversée de l’Atlantique, il avait épousé
une sainte norvégienne appelée Karen Frantzen. Au même
moment, son frère Carl en avait épousé une autre
appelée Elen Rolfsen. En Utah, les anciens missionnaires
avaient l’intention de se poser pour la première fois
depuis des années, probablement près du reste de la
famille Dorius, et de profiter de leur nouvelle vie en Sion.
Certaines
incertitudes se profilaient cependant à l’horizon. Sur
la piste, les soldats avaient traité les saints avec égards.
Feraient-ils de même en marchant sur le territoire ?
Le
25 août 1857, Jacob Hamblin, le président de la mission
indienne au sud de l’Utah, raccompagna George A. Smith à
Salt Lake City. Ils voyagèrent en direction du nord avec un
groupe de chefs païutes. Sachant que les Païutes pouvaient
s’allier aux saints si des violences éclataient avec
l’armée, Brigham avait invité les chefs à
un conseil en ville. Jacob servirait d’interprète au
cours des réunions.
À
mi-chemin de Salt Lake City, la petite compagnie campa près
d’un ruisseau tandis qu’un convoi de chariots en
provenance essentiellement de l’Arkansas, un État du sud
des États-Unis, campait de l’autre. Après le
coucher du soleil, quelques hommes approchèrent du camp et se
présentèrent.
Leur
compagnie se composait d’environ cent quarante personnes, la
plupart jeunes et impatientes de débuter une nouvelle vie en
Californie. Plusieurs étaient mariées et voyageaient
avec de jeunes enfants. Leurs dirigeants s’appelaient Alexander
Fancher et John Baker. Le capitaine Fancher, qui s’était
déjà rendu en Californie, était un dirigeant né,
connu pour son intégrité et son courage. Sa femme,
Eliza et lui avaient neuf enfants, tous présents dans la
compagnie. Le capitaine Baker voyageait avec trois de ses enfants
adultes et un petit-fils en bas âge.
La
compagnie disposait de mules, de chevaux et de bœufs pour tirer
leurs chariots et leurs calèches. Elle était aussi
accompagnée de centaines de têtes de bétail
qu’elle pourrait vendre en dégageant un profit
lorsqu’elle arriverait en Californie, dans la mesure où
elle veillait à les nourrir et à en prendre soin sur la
piste.
À
l’époque où le capitaine Fancher avait fait son
premier voyage en Californie, la route du sud qui traversait l’Utah
était jalonnée de pâturages et de points d’eau.
Depuis lors, de nouvelles colonies le long de la piste revendiquaient
ces terres si bien que les grands convois de chariots avaient du mal
à prendre soin de leur bétail sans la collaboration des
saints. Maintenant que l’armée approchait, nombre
d’entre eux traitaient les étrangers avec suspicion et
hostilité. Beaucoup suivaient aussi le conseil de ne pas
vendre de provisions aux étrangers.
L’indifférence
des saints inquiétait le convoi d’Arkansas. La suite du
chemin traversait l’une des régions les plus chaudes et
arides des États-Unis. Le voyage serait difficile sans un lieu
pour se ravitailler, nourrir et abreuver les animaux, et se reposer.
Jacob
Hamblin leur indiqua de bons endroits pour camper le long de la
piste. Le meilleur était une vallée luxuriante, juste
au sud de son ranch, où ils trouveraient abondance d’eau
et de fourrage pour le bétail. C’était un lieu
paisible appelé Mountain Meadows.
Plusieurs
jours plus tard, le convoi d’Arkansas fit halte à Cedar
City, à quatre cents kilomètres au sud de Salt Lake
City, pour s’approvisionner avant de continuer jusqu’à
Mountain Meadows. Cedar City était la dernière colonie
importante au sud de l’Utah et était le fief de
l’industrie sidérurgique des saints, actuellement en
difficulté. Ses habitants étaient pauvres et
relativement isolés.
Le
convoi trouva un homme hors de la ville disposé à lui
vendre cinquante boisseaux de blé non moulu. Certains membres
du convoi apportèrent le blé et du maïs qu’ils
avaient achetés à des Indiens à un moulin
exploité par Philip Klingensmith, l’évêque
local, qui leur demanda un prix exceptionnellement élevé
pour moudre le grain.
Entre-temps,
d’autres essayèrent de faire quelques achats dans un
magasin de la ville. Il est difficile de dire ce qui se passa
ensuite. Des années plus tard, les colons de Cedar City se
souvinrent que le commis n’avait pas les articles dont les
émigrants avaient besoin, ou qu’il avait tout simplement
refusé de les vendre. Certaines personnes se souvinrent de
quelques membres du convoi se mettant en colère et menaçant
d’aider les soldats à exterminer les saints une fois que
l’armée serait arrivée. Un colon dit qu’un
des membres du convoi affirmait posséder le fusil qui avait
tué Joseph Smith, le prophète.
Le
capitaine Fancher tenta de maîtriser les hommes irrités,
mais certains trouvèrent apparemment la maison du maire, Isaac
Haight, qui était aussi président de pieu et commandant
dans la milice territoriale et proférèrent des menaces
à son encontre. Isaac sortit de chez lui par la porte arrière,
alla trouver John Higbee, le capitaine de gendarmerie, et l’exhorta
à arrêter les hommes.
Higbee
leur fit face et leur dit que les lois locales interdisaient de
troubler la paix et d’employer un langage grossier. Les hommes
le défièrent de les arrêter. Ensuite, ils
quittèrent la ville.
Plus
tard dans la journée, Isaac Haight et d’autres
dirigeants de Cedar City envoyèrent un message à
William Dame, commandant de la milice de district et président
du pieu voisin de Parowan, demandant des conseils sur la marche à
suivre avec les émigrants. La vaste majorité d’entre
eux n’avait pas causé de tumulte et aucun des résidents
n’avait été blessé physiquement,
néanmoins, les habitants de la ville fulminaient lorsque les
émigrants partirent. Certains avaient même commencé
à comploter de se venger.
William
lut le message d’Isaac à un conseil de dirigeants de
l’Église et de la municipalité et ils décidèrent
que le convoi d’Arkansas était probablement inoffensif.
Dans une lettre, William donna à Isaac le conseil suivant : «
Ne tenez pas compte de leurs menaces. Les mots ne sont que du vent,
ils ne blessent personne. »
Mécontent,
Isaac envoya chercher John D. Lee, un saint des derniers jours d’une
ville voisine. John enseignait l’agriculture aux Païutes
locaux et avait de bons rapports avec eux. C’était un
travailleur acharné et il aspirait à faire ses preuves
dans les colonies du Sud.
En
attendant son arrivée, Isaac se réunit avec d’autres
dirigeants de Cedar City pour exposer son projet de vengeance. Au sud
de Mountain Meadows, le long de la route vers la Californie, se
trouvait un canyon étroit d’où les Païutes
pourraient attaquer le convoi de chariots, tuer certains hommes ou
tous, et prendre leur bétail. Les Païutes étaient
généralement paisibles et certains étaient
devenus membres de l’Église, mais Isaac croyait que John
pouvait les convaincre d’attaquer la compagnie.
Lorsque
ce dernier arriva, Isaac lui parla des émigrants, répétant
la rumeur selon laquelle l’un d’eux s’était
vanté d’avoir le fusil qui avait tué le prophète
Joseph. Il dit : « Si on n’agit pas pour les en empêcher,
les émigrants mettront leurs menaces à exécution
et détrousseront chacune des colonies à l’entour
dans le sud. »
Il
demanda à John de convaincre les Païutes d’attaquer
le convoi. Il dit : « S’ils tuent une partie d’entre
eux ou même tous, ce serait encore mieux. » Par contre,
personne ne devait savoir que les colons blancs avaient ordonné
l’assaut.
Les
Païutes devaient être tenus pour responsables.
L’après-midi
du dimanche 6 septembre, les dirigeants de Cedar City se réunirent
de nouveau pour discuter du convoi d’Arkansas, installé
maintenant à Mountain Meadows. Convaincus qu’un membre
de la compagnie était impliqué dans le meurtre de
Joseph et d’Hyrum Smith ou que certains voulaient aider l’armée
à tuer les saints, quelques conseillers municipaux soutinrent
le projet de persuader les Païutes d’attaquer la
compagnie.
D’autres
membres du conseil recommandèrent la prudence et très
vite, davantage d’hommes émirent des réserves au
sujet du plan. Contrarié, Isaac bondit de son siège et
sortit de la pièce en claquant la porte. Entre-temps, le
conseil proposa d’envoyer un coursier demander l’avis de
Brigham Young. Le lundi à midi, aucun cavalier n’avait
encore été envoyé.
Ce
même jour, le 7 septembre, Isaac reçut un message de
John D. Lee. Ce matin-là, John et un groupe de Païutes
avaient attaqué les émigrants à Mountain
Meadows. Au début, les Païutes s’étaient
montrés réticents, mais John et d’autres
dirigeants locaux leur avaient promis une part du butin s’ils
se joignaient à l’attaque.
En
apprenant la nouvelle, Isaac fut abasourdi. D’après le
plan, l’attaque devait avoir lieu après le départ
de la compagnie de Mountain Meadows et non pas avant. John rapportait
maintenant que sept émigrants avaient été tués
et seize autres blessés. Ces derniers avaient positionné
leurs chariots en cercles, s’étaient défendus et
avaient tué au moins un Païute.
Avec
un siège en cours à Mountain Meadows, Isaac écrivit
à Brigham Young pour lui demander conseil. Il rapporta que les
Païutes avaient attaqué un convoi de chariots. Il fit
remarquer que les émigrants avaient menacé les saints à
Cedar City, mais il omit de mentionner le rôle des colons dans
la conspiration et l’exécution de l’attaque.
Isaac
tendit la lettre à James Haslam, un jeune membre de la milice,
et lui commanda de chevaucher jusqu’à Salt Lake City
aussi rapidement que possible. Il écrivit ensuite à
John : « Fais tout ton possible pour que les Indiens ne
s’approchent pas des émigrants et pour les protéger
jusqu’à nouvel ordre. »
Ce
soir-là, Isaac apprit qu’après l’attaque de
John et des Païutes, des saints des derniers jours armés
avaient fouillé la région à la recherche de deux
membres de la compagnie qui avaient quitté Mountain Meadows
plus tôt pour rassembler du bétail errant. Les hommes
avaient trouvé les émigrants et avaient tué l’un
d’eux. L’autre s’était échappé
et était retourné au camp, conscient que deux hommes
blancs l’avaient attaqué.
Si
jusque-là les émigrants n’avaient pas su que les
saints des derniers jours étaient impliqués dans
l’attaque de leur camp, maintenant, ils le savaient.
Deux
jours plus tard, le 9 septembre, Isaac s’entretint avec le
capitaine de gendarmerie, John Higbee, qui revenait juste du siège.
Depuis les premiers meurtres, John D. Lee avait mené des
assauts de moindre envergure. Higbee savait que les émigrants
finiraient par manquer d’eau et de provisions. Cependant,
d’autres convois passeraient par la région, peut-être
dans les quelques jours à venir, et risqueraient de découvrir
le rôle des saints.
Pour
dissimuler la participation des colons, Isaac et Higbee décidèrent
que la milice locale devait mettre fin au siège. Tous les
membres de la compagnie pouvant compromettre les attaquants devaient
être tués.
Après
la réunion, Isaac alla à Parowan pour obtenir la
permission de William Dame d’ordonner à la milice
d’attaquer les émigrants. Croyant toujours que ces
derniers étaient victimes d’une attaque d’Indiens,
William et son conseil voulaient envoyer la milice à Mountain
Meadows pour protéger la compagnie et l’aider à
reprendre la route.
Cependant,
lors d’un entretien privé avec William, Isaac avoua que
les saints des derniers jours avaient été impliqués
dans les attaques et que les émigrants le savaient. Il dit que
la seule alternative était de tuer tout survivant suffisamment
âgé pour témoigner contre les colons.
Pesant
ces paroles, William écarta la décision de son conseil
et autorisa une attaque.
Le
lendemain, le 10 septembre, Brigham Young s’entretint avec
Jacob Hamblin à Salt Lake City pour apprendre comment les
Païutes conservaient la nourriture. Si les saints devaient fuir
vers les montagnes à l’arrivée de l’armée,
Brigham voulait savoir comment survivre en terrain difficile.
Toutefois,
l’armée semblait déjà moins menaçante
que ce que les saints avaient imaginé à l’abord.
Un représentant était venu récemment en ville et
avait déclaré que les soldats n’avaient pas
l’intention de leur nuire. De plus, les probabilités que
la majorité de l’armée arrive dans la région
avant l’hiver étaient faibles.
Pendant
que Brigham et Jacob discutaient, le messager de Cedar City, James
Haslam, interrompit la réunion avec un message au sujet du
siège de Mountain Meadows. Brigham lut la note et regarda
ensuite le jeune homme. James avait parcouru quatre cents kilomètres
à cheval en trois jours, quasiment sans dormir. Conscient
qu’il n’y avait pas un instant à perdre, Brigham
lui demanda s’il pouvait rapporter sa réponse à
Cedar City. Il répondit qu’il le pouvait.
Brigham
lui dit d’aller dormir et de revenir chercher sa missive. James
partit et Brigham écrivit sa réponse. Il commanda : «
Concernant les convois d’émigrants qui traversent nos
colonies, nous ne devons pas agir contre eux avant de leur avoir
demandé de se tenir à l’écart. Ne vous
mêlez pas de leurs affaires. Les Indiens, nous pouvons nous y
attendre, feront comme ils veulent, mais vous devez vous efforcer de
conserver de bons sentiments envers eux. »
Il
insista : « Laissez-les tranquillement passer. »
Une
heure plus tard, Brigham tendit la lettre à James et
l’accompagna au poteau d’attache à l’extérieur
de son bureau. Il dit : « Frère Haslam, je veux que vous
chevauchiez comme si votre vie en dépendait. »
Les
saints de Salt Lake City ne s’attendaient plus à ce que
les soldats envahissent leurs rues à cette époque, mais
ceux du sud de l’Utah n’étaient pas au courant des
déclarations de paix de l’armée, ni des
instructions de Brigham selon lesquelles ils ne devaient rien avoir
affaire avec les convois d’émigration. Les saints de
Cedar City croyaient toujours que les soldats avaient l’intention
de les détruire.
Pendant
plus d’une semaine, les femmes de la ville avaient vu les
hommes de leur famille de plus en plus agités à propos
des émigrants d’Arkansas. Ils rentraient tard, tenaient
conseil et ourdissaient des plans pour régler la situation. La
milice était actuellement en train de marcher sur Mountain
Meadows.
L’après-midi
du 10 septembre, les femmes s’assemblèrent pour leur
réunion mensuelle de Société de secours.
Certaines s’étaient senties menacées lorsque les
émigrants avaient traversé Cedar City. Quelques-unes,
notamment Annabella Haight et Hannah Klingensmith, étaient
mariées aux dirigeants qui avaient pris part aux événements
de la semaine dernière.
Annabella
dit aux femmes : « C’est une époque tempétueuse
et nous devrions prier secrètement pour nos maris, nos fils,
nos pères et nos frères. »
Lydia
Hopkins, la présidente de la Société de secours,
convint : « Priez spécialement pour les frères
qui sont impliqués dans notre défense. » Ses
conseillères et elle instruisirent ensuite les femmes et
désignèrent plusieurs membres pour aller rendre visite
à d’autres femmes dans toute la ville.
Avant
de terminer la réunion, elles chantèrent un cantique.
Repentez-vous
et soyez purifiés du péché,
Et
vous gagnerez ensuite une couronne de vie ;
Car
le jour que nous recherchons est proche, très proche.
Pendant
ce temps, à Mountain Meadows, entre soixante et soixante-dix
miliciens de Cedar City et des colonies avoisinantes avaient rejoint
John D. Lee au ranch de Jacob Hamblin, lequel n’était
pas encore revenu de Salt Lake City. Certains étaient
adolescents, mais la plupart avaient une vingtaine ou une trentaine
d’années. Quelques-uns pensaient qu’ils étaient
venus enterrer les morts.
Dans
la soirée, John Higbee, John D. Lee, Philip Klingensmith et
d’autres dirigeants passèrent en revue le plan d’attaque
avec les miliciens. Un par un, les hommes l’approuvèrent,
convaincus que s’ils laissaient filer le convoi d’Arkansas,
les ennemis de l’Église découvriraient la vérité
sur le siège.
Le
lendemain matin, le 11 septembre, Néphi Johnson, vingt-trois
ans, était au sommet d’une colline surplombant Mountain
Meadows. Du fait qu’il parlait couramment la langue des
Païutes, on lui avait commandé de mener l’attaque
des Indiens. Il voulait attendre d’avoir reçu la réponse
de Brigham Young, mais la milice insistait pour qu’on frappe
maintenant. Néphi croyait qu’il n’avait d’autre
choix que celui de coopérer.
Il
regarda un sergent de la milice, portant un drapeau blanc,
s’entretenir avec l’un des émigrants à
l’extérieur de la barricade du convoi et offrir son aide
aux survivants. Une fois qu’ils eurent accepté l’offre,
John D. Lee s’approcha de la barricade pour négocier les
termes du sauvetage. Il commanda au convoi de cacher ses fusils dans
les chariots et de laisser son bétail et ses biens en
offrandes aux Païutes.
John
ordonna aux émigrants de le suivre. Deux chariots transportant
les malades, les blessés et les jeunes enfants ouvrirent la
voie, suivis d’une file de femmes et d’enfants plus
grands. Les garçons plus âgés et les hommes
marchaient plus loin derrière, chacun escorté par un
milicien. Certains hommes et femmes portaient de jeunes enfants dans
les bras.
Néphi
savait ce qui allait se passer ensuite. Les émigrants se
dirigeraient vers le ranch Hamblin. Au signal d’Higbee, chaque
milicien se tournerait vers celui qui marchait à son côté
et le tuerait. Néphi ordonnerait ensuite aux Païutes
d’attaquer.
Peu
après, John D. Lee et les émigrants passèrent
au-dessous de l’endroit où étaient cachés
Néphi et les Païutes. Néphi attendit le signal
d’Higbee, mais il ne vint pas. Troublés, les Indiens
avaient du mal à rester cachés tout en se dépêchant
de suivre le cortège. Enfin, Higbee retourna son cheval pour
faire face à la milice.
Il
cria : « Halte ! »
Lorsque
les miliciens entendirent le signal, la plupart d’entre eux
mirent les hommes et les garçons en joue et les tuèrent
instantanément. Un seul grand coup de feu sembla résonner
dans la prairie enveloppant les émigrants de fumée de
canon. Néphi fit signe aux Païutes d’attaquer et
ils bondirent hors de leurs cachettes et tirèrent sur les
émigrants les plus proches.
Ceux
qui avaient survécu à la première salve
s’enfuirent pour sauver leur vie. Higbee et d’autres
hommes à cheval leur coupèrent la route pendant que des
attaquants au sol les pourchassaient et les massacraient, n’épargnant
que les plus jeunes enfants. Dans le chariot des malades et des
blessés, John D. Lee s’assura que personne ne survive
pour témoigner.
Après
cela, l’odeur nauséabonde du sang et de la poudre à
canon flotta sur Mountain Meadows. Plus de cent vingt émigrants
avaient été tués depuis la première
attaque quatre jours plus tôt. Pendant que certains attaquants
pillaient les corps, Philip Klingensmith rassembla dix-sept jeunes
enfants et les charroya jusqu’au ranch Hamblin. Lorsque Rachel
Hamblin, la femme de Jacob, vit les enfants, la plupart en pleurs et
couverts de sang, elle eut le cœur brisé. L’une
des plus jeunes, une petite fille d’un an, avait reçu un
coup de fusil dans le bras.
John
D. Lee voulait séparer la fillette blessée de ses deux
sœurs, mais Rachel le persuada de ne pas le faire. Ce soir-là,
pendant qu’elle s’occupait des enfants tourmentés,
John se coucha hors de la maison et s’endormit.
Tôt
le lendemain matin, Isaac Haight et William Dame arrivèrent au
ranch. C’était la première fois qu’ils
venaient à Mountain Meadows depuis le début du siège.
En apprenant combien de personnes avaient été tuées,
William fut choqué. Il dit : « Je dois faire rapport de
cette affaire aux autorités. »
Isaac
répondit : « Et être mêlé avec les
autres. Tout a été fait sur vos ordres. »
Ensuite,
John D. Lee conduisit les deux hommes sur les lieux du massacre.
L’endroit était jonché de traces du carnage et
certains hommes étaient en train d’enterrer les corps
dans des tombes peu profondes.
Le
visage pâle, William dit : « Je ne pensais pas qu’il
y avait tant de femmes et d’enfants. »
Isaac
dit à John, la voix remplie de colère : « Le
colonel Dame m’a conseillé et ordonné de faire
cela et maintenant il veut faire marche arrière et se
retourner contre moi. Il faut qu’il assume ce qu’il a
fait, comme un petit homme. »
William
dit : « Isaac, je ne savais pas qu’ils étaient
aussi nombreux. »
Isaac
répondit : « Cela ne change rien. »
Plus
tard, lorsque les morts furent enterrés, Philip Klingensmith
et Isaac dirent aux miliciens de taire leur rôle dans le
massacre. James Haslam, le messager envoyé à Salt Lake
City, revint peu après avec les instructions de Brigham Young
de laisser tranquillement passer le convoi.
Isaac
commença à pleurer. « Trop tard », dit-il.
« Trop tard. »
CHAPITRE
19
: Les
chambres du Seigneur
Le
13 septembre 1857, Johan et Carl Dorius, côte à côte
avec leurs femmes, Karen et Elen, tirèrent leurs charrettes à
bras dans Salt Lake City. S’étant débarrassés
de tout bagage superflu le long de la piste pour alléger leur
chargement, ils entrèrent avec leur convoi dans la ville vêtus
des mêmes haillons élimés qu’ils portaient
depuis des semaines. Certaines femmes avaient remplacé leurs
souliers usés par de la toile de jute grossière dont
elles s’étaient enveloppé les pieds. Après
des mois sur la piste, les émigrants étaient tout de
même reconnaissants d’être en Sion et faisaient
fièrement flotter le drapeau danois de leur charrette de tête.
Alors
qu’ils pénétraient dans la ville, les saints
apportèrent des gâteaux et du lait pour leur souhaiter
la bienvenue. Les frères Dorius eurent tôt fait de
repérer leur père dans la foule. Nicolai les salua
joyeusement et leur présenta sa nouvelle femme, Hannah
Rasmusen, qui était aussi originaire du Danemark. Les frères
et leur famille tirèrent leurs charrettes jusqu’à
un terrain de camping dans la ville, déchargèrent leurs
maigres possessions et suivirent Nicolai et Hannah jusqu’à
une petite maison confortable au sud de la ville.
Deux
ans auparavant, le couple avait fait route vers l’ouest dans le
même convoi de chariots. À l’époque, Hannah
était mariée mais son époux l’avait
abandonnée en route, elle et leur adolescent, Lewis.
Connaissant la douleur d’un mariage raté, Nicolai
compatit avec elle. Ils furent scellés dans la maison des
dotations le 7 août 1857 et Lewis adopta vite le nom de Dorius.
Pendant
que Johan, Carl et leurs femmes se reposaient de leur voyage, les
saints de tout le territoire se préparaient pour la venue de
l’armée. Ne voulant prendre aucun risque, Brigham Young
imposa la loi martiale le 15 septembre et publia une proclamation
interdisant à l’armée d’entrer sur le
territoire. Les messagers de cette dernière insistaient sur le
fait que les troupes venaient simplement introniser un nouveau
gouverneur du territoire, mais des espions étaient passés
dans leurs camps et avaient entendu des soldats se vanter de ce
qu’ils feraient aux saints une fois qu’ils auraient
atteint l’Utah.
Hanté
par le souvenir des milices et des émeutiers pillant les
maisons, brûlant les colonies et tuant les saints au Missouri
et en Illinois, Brigham était prêt à évacuer
la vallée et brûler Salt Lake City si l’armée
envahissait la ville. Mi-septembre, il déclara : « Avant
de subir ce que j’ai subi par le passé, je ne laisserai
pas un bâtiment, un morceau de bois, un bâton, un arbre,
un brin d’herbe ou de foin susceptible de brûler à
la portée de nos ennemis. »
Il
revint sur le sujet au fil des jours précédant la
conférence d’octobre. Il dit aux saints : «
Marchons selon les préceptes de notre Sauveur. Je sais que
tout finira par s’arranger et qu’une providence pleine de
sagesse et de suprématie nous donnera la victoire. »
Johan
et Carl Dorius ne parlaient pas l’anglais, mais ils assistèrent
à la conférence générale pour la première
fois le 7 octobre. À la fin de la réunion, Brigham fit
la prière. Il dit : « Bénis tes saints dans les
vallées des montagnes. Cache-nous dans les chambres du
Seigneur, où tu as rassemblé ton peuple, où nous
nous sommes reposés en paix pendant de nombreuses années.
»
Une
semaine plus tard, Nicolai et Hannah emménagèrent à
Fort Éphraïm, dans la vallée de Sanpete, où
habitaient les filles de Nicolai : Augusta et Rebekke. Pendant ce
temps, Johan et Karen restèrent en ville avec Carl et Elen.
Comme la plupart des saints qui émigraient dans la vallée,
ils se firent de nouveau baptiser pour renouveler leurs alliances.
Ils se préparèrent également à recevoir
les ordonnances du temple dans la maison des dotations.
Johan
et Carl étaient aussi sur place pour défendre la ville.
À
peu près à cette époque, John D. Lee rencontra
Brigham Young et Wilford Woodruff à Salt Lake City pour faire
rapport du massacre qui s’était produit à
Mountain Meadows. La majeure partie de ce que John leur dit sur le
convoi d’Arkansas était trompeuse. Il mentit : «
Nombre d’entre eux faisaient partie des émeutiers du
Missouri et de l’Illinois. Tout en voyageant le long de la
piste sud, ils maudissaient Brigham Young, Heber C. Kimball et les
chefs de l’Église. »
John
répéta également une rumeur erronée selon
laquelle les émigrants avaient empoisonné du bétail
et provoqué les Païutes. Sans mentionner la participation
des saints, il affirma : « Les Indiens les ont combattus
pendant cinq jours jusqu’à ce qu’ils aient tué
tous leurs hommes. Ils se sont ensuite précipités dans
leur corral et ont égorgé leurs femmes et tous leurs
enfants à part huit ou dix qu’ils ont rapportés
et vendus aux blancs. »
Dissimulant
son rôle dans l’attaque, il affirma qu’il était
allé sur les lieux uniquement après le massacre pour
aider à ensevelir les corps. Il rapporta : « C’était
horrible. L’odeur était pestilentielle. »
Croyant
le rapport, Brigham dit : « Cela me brise le cœur. »
John rédigea sa version du massacre deux mois plus tard et
l’envoya à Salt Lake City. Brigham inclut ensuite de
longs extraits de la lettre dans son rapport officiel au commissaire
des affaires indiennes à Washington D.C.
Entre-temps,
les rumeurs se propagèrent jusqu’en Californie. Moins
d’un mois plus tard, le premier récit détaillé
de la tuerie fut publié dans un journal de Los Angeles.
D’autres journaux reprirent rapidement l’histoire. La
plupart de ces articles laissaient entendre que les saints avaient
été impliqués dans l’attaque. Un éditorial
demandait : « Qui est aveugle au point de ne pas voir que les
mains des mormons sont tachées par ce sang ? »
Ignorant
le rôle majeur des saints de Cedar City dans le massacre,
George Q. Cannon traita ces rapports avec mépris. Rédacteur
du Western Standard, le journal de l’Église à San
Francisco, il accusa les reporters d’attiser la haine contre
les saints. Il écrivit : « Nous sommes fatigués
d’entendre des propos désobligeants et de fausses
accusations. Nous savons que les mormons à Deseret sont un
peuple industrieux et pacifique, qui craint Dieu et qui a été
très lâchement maltraité et calomnié. »
Sur
ces entrefaites, les missionnaires du monde entier commencèrent
à rentrer pour répondre à l’appel de
Brigham Young à aider leur famille et à protéger
Sion contre l’armée. Le 22 octobre, Joseph F. Smith,
dix-huit ans, et d’autres frères de la mission hawaïenne
arrivèrent sans un sou au bureau du Western Standard. George
donna à Joseph un manteau et une couverture chaude et les fit
repartir.
Un
peu plus d’un mois plus tard, le 1er décembre, les
apôtres Orson Pratt et Ezra Benson arrivèrent à
San Francisco avec des frères de la mission britannique.
Sachant que le président des États-Unis avait déclaré
les saints en état de rébellion ouverte contre le
gouvernement, les apôtres avaient voyagé sous un nom
d’emprunt pour éviter de se faire repérer en
route. En ville, ils rendirent visite à George et le
pressèrent de retourner avec eux en Sion.
Devant
tant d’hostilité dirigée contre les saints en
Californie, George n’eut pas besoin qu’on le pousse. Il
avait déjà fini de publier le Livre de Mormon en
hawaïen, l’un des principaux objectifs de sa mission. Il
écrivit dans son journal : « Je quitte San Francisco
sans le moindre regret. »
Entre-temps,
de nombreux saints fuirent la Californie par petites compagnies en
apprenant que des groupes d’hommes attaquaient les membres de
l’Église pour se venger du massacre de Mountain Meadows.
Joseph F. Smith se fit embaucher pour conduire un attelage de bœufs
jusqu’en Utah. Un jour, alors qu’il ramassait du bois
pour le feu, des hommes à cheval arrivèrent jusqu’au
camp et menacèrent de tuer tout « mormon » qu’ils
trouveraient.
Certains
des hommes du camp se cachèrent dans les buissons bordant un
ruisseau voisin. Joseph était sur le point de s’enfuir à
son tour dans les bois, mais il se ressaisit. Un jour, il avait
encouragé Martha Ann à « être une mormone
jusqu’au bout des ongles ». Ne devrait-il pas en faire
autant ?
Joseph
s’approcha du camp les bras chargés de bois pour le feu.
L’un des cavaliers s’approcha de lui au trot, un pistolet
à la main. Il demanda : « Es-tu mormon ? »
Joseph
le regarda dans les yeux, persuadé que l’homme allait
tirer. Il dit : « Oui, monsieur, jusqu’au tréfonds
de mon être, entièrement, des pieds à la tête.
»
L’homme
fixa Joseph, dérouté. Il baissa son pistolet et sembla
être paralysé pendant un instant. Tendant la main, il
dit ensuite : « Serre-moi la main, mon garçon, je suis
content de voir un homme qui défend ses convictions. »
Les
autres cavaliers et lui firent demi-tour et quittèrent le
camp. Joseph et la compagnie remercièrent le Seigneur de les
avoir délivrés du danger.
Tandis
que de nombreux saints de Californie partaient immédiatement
pour l’Utah, d’autres n’étaient pas préparés
à partir. Plusieurs familles avaient également bâti
des maisons et monté des entreprises fructueuses à San
Bernardino, la plus grande colonie de saints de Californie. Elles
étaient fières de leurs belles fermes et de leurs beaux
vergers. Aucune n’était pressée de voir des
années de travail se perdre.
Parmi
elles se trouvaient Addison et Louisa Pratt, qui habitaient cette
ville depuis leur retour des îles du Pacifique en 1852. Louisa
était disposée à déménager de
nouveau même si elle était très attachée à
sa maison et à son verger en Californie. Addison par contre
était plus hésitant. La crise en Utah pesait lourdement
sur lui et il était devenu maussade.
Il
avait essuyé de nombreuses déceptions au cours des cinq
dernières années. Il avait essayé de faire une
autre mission dans le Pacifique Sud, mais le Protectorat français
à Tahiti lui avait ni plus ni moins interdit de prêcher.
De plus, Benjamin Grouard, son ancien collègue, s’était
éloigné de l’Église.
Il
préférait aussi le climat chaud de la Californie à
la météo souvent imprévisible de l’Utah.
Et il était farouchement loyal envers les États-Unis.
Si des soldats américains envahissaient l’Utah, il ne
pensait pas pouvoir se battre contre eux en toute bonne conscience.
Sa
réticence à déménager ennuyait Louisa.
Leurs trois filles aînées étaient maintenant
mariées. Deux d’entre elles, Ellen et Lois, avaient
l’intention de partir s’installer en Utah avec leurs
maris. Ann, leur benjamine, voulait aussi y aller. Seuls Frances et
son mari restaient en Californie.
La
nuit, pendant que tout San Bernardino dormait, Louisa sortait souvent
arroser les arbres de son verger, qui commençaient juste à
porter des fruits. Elle se demanda : « Dois-je partir et les
laisser ? » Au nord, une route serpentait vers le col d’une
montagne sombre. De l’autre côté s’étendaient
des centaines de kilomètres de désert stérile.
La décision de faire le rude voyage jusqu’en Utah serait
plus facile à prendre si Addison était plus désireux
de partir.
En
réfléchissant au choix qui se présentait à
elle, Louisa sentit son cœur se gonfler d’amour pour
l’Église. À son baptême, elle avait promis
de s’unir aux saints. Elle savait aussi que si les membres de
l’Église commençaient à aller chacun de
leur côté, ils deviendraient vite une communauté
d’étrangers. La décision lui parut claire. Elle
retournerait en Utah.
Louisa
et Ann quittèrent la Californie au début du mois de
janvier avec Ellen, Lois et leurs familles. Rien de ce que Louisa dit
ne convainquit Addison de les accompagner. Il se contenta de dire
qu’il les rejoindrait dans la vallée l’année
suivante, en amenant peut-être Frances et son mari. Il fit
ensuite la route avec sa famille jusqu’à l’autre
côté de la montagne et s’assura qu’elle ait
une place dans un convoi de chariots.
Pendant
les jours qui suivirent, Louisa et ses filles pleurèrent pour
les êtres chers qu’elles avaient quittés.
Fin
mars 1858, les troupes des États-Unis, maintenant sous le
commandement du général Albert Sidney Johnston,
campaient en bordure du territoire d’Utah. Pour essayer de
ralentir leurs progrès, la milice des saints avait passé
une partie de l’automne à piller les réserves de
l’armée et à brûler des chariots et des
forts. Les raids avaient contrarié et humilié les
soldats, qui avaient passé l’hiver tapis dans la neige à
côté des vestiges carbonisés de leurs chariots,
survivant sur de maigres rations et maudissant les saints.
Cet
hiver-là, Thomas Kane, l’allié de confiance des
saints à l’Est, était aussi venu à Salt
Lake City, faisant la traversée risquée par l’isthme
de Panama vers la Californie et ensuite par voie terrestre jusqu’en
Utah. Avec le soutien non officiel du président James
Buchanan, il rencontra Brigham et d’autres dirigeants de
l’Église avant de se rendre dans les camps de l’armée
pour essayer de négocier un accord de paix. Les chefs de
l’armée, cependant, ricanèrent en entendant les
propos de Thomas.
Lors
d’une conférence spéciale à Salt Lake
City, Brigham dit aux saints : « Nos ennemis sont décidés
à nous supprimer s’ils le peuvent. » Pour sauver
des vies et attirer peut-être la sympathie d’alliés
potentiels dans les États de l’Est, il annonça le
projet de déplacer les saints habitant Salt Lake City et les
régions voisines vers Provo et d’autres colonies plus
loin au sud. La décision audacieuse chamboulerait la vie de
nombreux membres de l’Église et Brigham n’était
pas entièrement sûr que ce soit le bon choix.
«
‘Un prophète ou un apôtre peut-il faire erreur ?’
Ne me posez pas une telle question, car je l’admets tout le
temps », déclara-t-il. « Cependant je n’admets
pas qu’on dise que je détourne délibérément
ce peuple ne serait-ce que d’un cheveu de la vérité.
De plus, je commets beaucoup d’erreurs, mais jamais sciemment.
»
Brigham
croyait qu’il était préférable d’agir
fermement que de prendre le risque de laisser les saints subir les
mêmes horreurs que celles qu’ils avaient connues au
Missouri et en Illinois. En l’espace de quelques jours, il
appela cinq cents familles à déménager
immédiatement vers le sud et à ensemencer des cultures
pour les milliers de saints qui suivraient. Il envoya également
des hommes explorer la région pour trouver un nouvel endroit
où s’installer et demanda aux saints des villes du sud
de se préparer à recevoir les exilés. Peu après,
les habitants de la vallée du lac Salé chargeaient des
chariots et se préparaient à partir.
Quelques
semaines plus tard, sur invitation de Thomas Kane, Alfred Cumming, le
nouveau gouverneur du territoire d’Utah, arriva à Salt
Lake City. En signe de paix, il vint sans être escorté
par l’armée. Alfred avait cinquante-cinq ans et avait
occupé divers postes dans le gouvernement au cours de sa
carrière. Il semblait aussi être exempt des préjugés
habituels à l’égard des saints.
En
entrant dans Salt Lake City, il vit des gens charger des meubles et
des provisions dans des chariots, rassembler du bétail et
prendre la route du sud. Il leur cria : « Ne partez pas ! Aucun
mal ne vous sera fait. Je ne serai pas gouverneur si vous ne voulez
pas de moi ! » Ses paroles n’eurent aucun effet sur leur
décision.
Pendant
qu’ils étaient à Salt Lake City, Alfred et Thomas
examinèrent certaines des accusations de rébellion
portées à l’encontre des saints et se réunirent
avec Brigham et d’autres dirigeants de l’Église.
Au bout de quelques jours, Alfred fut convaincu que les accusations
étaient exagérées.
Plus
d’une semaine après son arrivée, il s’adressa
à une assemblée à Salt Lake City. Il dit aux
saints : « Si je fais erreur dans mon administration, je
désire, mes amis, que vous veniez me voir et me conseilliez. »
Il reconnut que l’image des saints avait été
grossièrement faussée hors d’Utah et promit de
s’acquitter de sa responsabilité en toute bonne foi.
Lorsqu’il
eut fini, les saints étaient encore méfiants, mais
Brigham se leva et verbalisa son soutien. L’accueil était
tiède, mais Alfred avait des raisons d’espérer
que les saints l’accepteraient comme nouveau gouverneur.
En
dépit de ses propos rassurants, la route de Provo était
encombrée sur une soixantaine de kilomètres de
chariots, de calèches et de bétail. La famille de
Brigham occupait plusieurs bâtiments à Provo. D’autres
saints n’avaient aucune idée de l’endroit où
ils vivraient une fois qu’ils seraient arrivés dans les
colonies du sud. Il n’y avait pas assez de maisons pour tout le
monde et certaines familles n’avaient que des chariots ou des
tentes pour se loger. Et avec l’armée encore en marche,
de nombreuses personnes se demandaient dans combien de temps elles
verraient de la fumée s’élever au-dessus de la
vallée du lac Salé.
Le
7 mai, Martha Ann Smith Harris emménagea avec sa belle-mère
et le reste de la famille Smoot dans un endroit appelé Pond
Town, à une vingtaine de kilomètres au sud de Provo.
Avant de quitter Salt Lake City, frère Smoot disposa cinq fûts
de poudre à canon dans les fondations de sa maison afin de
faciliter sa destruction si l’armée s’emparait de
la ville. D’autres membres de la paroisse de Sugar House
suivirent les Smoot à Pond Town et frère Smoot et ses
conseillers recommandèrent bientôt l’organisation
d’une nouvelle paroisse en ce lieu.
Le
déménagement interrompit la routine habituelle de
Martha Ann qui consistait à filer et tisser, traire les
vaches, fabriquer du beurre, faire l’école et aider sa
belle-mère à apprendre à lire et à
écrire. Il lui donna à elle et à tous les autres
membres de la famille, de nouvelles tâches à accomplir.
Les saints de Pond Town et des autres colonies se rassemblèrent
près des points d’eau douce et construisirent des abris,
ensemencèrent des champs et des potagers et établirent
des boutiques et des moulins.
Au
début, les vents printaniers étaient froids et les
abris rudimentaires les protégeaient peu des éléments.
Les eaux de mauvaise qualité et les maigres provisions
tracassaient les colonies temporaires, mais la plupart des saints se
satisfaisaient du fait d’être loin de l’armée.
Avec le temps, ils s’adaptèrent à leur nouveau
foyer.
La
majorité de la famille de Martha Ann, du côté
Smith, déménagea vers le sud, mais son frère
Joseph, récemment rentré d’Hawaï, resta à
Salt Lake City pour servir dans la milice avec d’autres jeunes
hommes, notamment Johan et Carl Dorius. Joseph rapporta dans une
lettre : « Maintenant, ici, je ne fais rien ou presque. La
ville, les maisons et la campagne ont l’air désertées
et solitaires. »
Martha
Ann avait peu de nouvelles de son mari, William, qui était
encore en mission en Angleterre. Sa dernière lettre datait de
fin novembre 1857, peu après que Brigham Young avait rappelé
les missionnaires. William avait écrit : « Ma chère
Martha, les pensées se bousculent dans ma tête et je ne
sais même pas par où commencer. Aux dernières
nouvelles, je devrais traverser sous peu l’océan qui me
sépare de mon foyer dans l’Ouest. »
Il
avait ajouté : « Alors au revoir, mon amour, jusqu’à
ce que nous nous retrouvions. »
Dans
sa lettre, il avait indiqué qu’il rentrerait au
printemps. Toutefois, le printemps était presque terminé
et Martha Ann n’avait aucune nouvelle de lui.
Avant
le déplacement vers le sud, environ huit mille personnes
habitaient Salt Lake City. Mi-juin, il n’en restait que mille
cinq cents environ. La plupart des maisons et des boutiques avaient
été abandonnées et leurs portes et fenêtres
barricadées. Les jardins des saints étaient verdoyants
et les cultures poussaient bien malgré le manque de soins.
Parfois, le seul bruit dans la ville était le faible
gargouillis des canaux d’irrigation longeant les rues.
Une
commission pour la paix avec le gouvernement arriva à cette
époque-là et offrit à Brigham Young et aux
saints une grâce totale de la part du président pour
leurs crimes, quels qu’ils soient, en échange
d’obéissance au gouvernement. Les saints ne croyaient
pas avoir commis de crimes, mais ils acceptèrent néanmoins
la grâce.
Dans
l’est des États-Unis, la méfiance était
toujours de mise à l’égard des saints ; ils
étaient mal compris. Cependant, maintenant que les
représentants du gouvernement avaient visité l’Utah
et que Brigham avait cédé pacifiquement son poste de
gouverneur à Alfred Cumming, de nombreux habitants de l’Est
ne croyaient plus les saints en état de rébellion. Les
rédacteurs de journaux qui avaient critiqué Brigham
Young critiquaient maintenant le président Buchanan.
Un
reporter écrivit : « La guerre mormone a
incontestablement été un amoncellement d’impairs
du début à la fin. Quel que soit l’angle sous
lequel on l’examine, c’est un monceau de stupides bévues.
»
Le
26 juin 1858, l’armée marcha sur Salt Lake City.
L’endroit ressemblait à une ville fantôme. L’herbe
poussait dans les rues et dans l’arrière-cour des
maisons. Avant de partir, les saints avaient enterré les
fondations du temple pour les protéger des pilleurs de
l’armée. Lorsque les troupes longèrent le site du
temple, ce qu’ils virent ressemblait à un champ labouré.
À
la fin de la guerre d’Utah, qui est le nom qu’on donna à
la crise, Brigham Young encouragea tout le monde à rentrer
chez soi. De nombreux saints reprirent la route du nord début
juillet. Dans un passage étroit où les montagnes
divisaient les vallées d’Utah et de Salt Lake, ils
regardèrent l’armée marcher vers eux. Les troupes
se dirigeaient vers Camp Floyd, un nouveau relais dans une région
reculée appelée Cedar Valley, à soixante
kilomètres au sud-ouest de Salt Lake City.
Lorsque
l’armée passa près des saints, certains soldats
tourmentèrent les jeunes femmes ou les hommes qui voyageaient
en calèche avec leurs épouses plurales. La route finit
par être trop encombrée donc les saints attendirent
pendant trois heures que l’armée fût passée.
Lorsque la route fut dégagée, les saints reprirent leur
chemin.
Le
déplacement vers le sud avait éparpillé l’Église
dans toutes les vallées du sud et il faudrait du temps et des
moyens pour la rassembler de nouveau au nord. En rentrant chez eux,
les saints trouvèrent leurs maisons, leurs fermes et leurs
édifices publics en désordre. De nombreuses paroisses
avaient cessé de fonctionner. La plupart des Sociétés
de Secours et des Écoles du Dimanche étaient tout
simplement dissoutes.
Lorsque
la famille Smoot quitta Pond Town mi-juillet, Martha Ann conduisait
un attelage de chevaux pour ses beaux-parents. Le 12 juillet, alors
qu’elle faisait le tour de la montagne et se dirigeait vers la
vallée du lac Salé, elle vit une silhouette au loin
venir à sa rencontre à dos de mule blanche. Elles se
rapprochèrent et à la grande surprise de Martha Ann, le
cavalier était son mari, William, de retour de mission.
CHAPITRE
20
: L’Écriture
sur le mur
L’été
1858, à peu près au moment où l’armée
traversait Salt Lake City, un instituteur du nom de Karl Maeser reçut
une offre alléchante de la part de John Tyler, ancien
président des États-Unis. Cela faisait des mois qu’il
donnait des leçons de musique aux enfants de John et Julia
Tyler dans une vaste plantation du sud du pays. Immigrant allemand,
Karl les avait impressionnés par son degré
d’instruction, ses bonnes manières et son humour subtil.
Ils voulaient maintenant lui verser un salaire pour habiter près
d’eux et continuer d’instruire leurs enfants.
L’offre
était presque trop généreuse pour être
refusée. Une crise financière avait paralysé
l’économie peu après l’arrivée
d’Allemagne de Karl et de sa femme, Anna. Des dizaines de
milliers de personnes avaient perdu leur emploi dans des villes des
États-Unis, du Canada et d’Europe. Pendant un certain
temps, Karl et Anna avaient eu du mal à trouver du travail et
à faire vivre leur famille. Instruire les enfants Tyler
donnait aux Maeser et à leur fils de trois ans, Reinhard, une
stabilité financière.
Néanmoins,
Karl n’avait pas l’intention d’accepter leur offre.
Un jour, il avait dit à Julia Tyler que tout ce dont il avait
besoin pour être heureux était d’une petite maison
et d’un jardin pour sa famille. Ce qu’il ne lui avait pas
dit, c’était qu’Anna et lui étaient des
saints des derniers jours venus aux États-Unis pour faire
partie du rassemblement en Sion. L’une des raisons pour
lesquelles Karl avait cherché du travail dans le Sud, en plus
de pourvoir aux besoins de sa famille, était de gagner assez
d’argent pour pouvoir émigrer vers l’ouest.
Karl
avait entendu parler de l’Église pour la première
fois lorsqu’il habitait en Allemagne. Après avoir lu un
livre hostile à l’Église et à son message,
il avait contacté les dirigeants de la mission européenne.
L’apôtre Franklin Richards et un missionnaire appelé
William Budge s’étaient promptement rendus en Allemagne
et avaient enseigné l’Évangile à sa
famille. Karl et Anna l’avaient rapidement accepté.
Puisqu’il
était illégal de devenir membre de l’Église
en Allemagne, Franklin avait baptisé l’instituteur de
nuit. Lorsque Karl était sorti de l’eau, il avait levé
les mains vers les cieux et avait prié : « Père,
si ce que je viens juste de faire est agréable à tes
yeux, donne-moi un témoignage, et tout ce que tu exigeras de
moi, je le ferai. »
Karl
ne parlait pas l’anglais à l’époque donc
Franklin et lui avaient communiqué par l’intermédiaire
d’un interprète mais tout en cheminant en direction de
la ville, ils commencèrent soudain à se comprendre,
comme s’ils parlaient tous les deux la même langue. Cette
manifestation du don des langues était le témoignage
que Karl recherchait et il avait l’intention de tenir parole,
quel qu’en soit le coût.
Maintenant,
trois ans plus tard, il s’efforçait encore de tenir la
promesse qu’il avait faite à son baptême. Décidé
à se rendre en Sion, il refusa l’offre des Tyler et
installa sa famille à Philadelphie, grande ville du nord-est
des États-Unis, où il fut rapidement appelé à
présider une petite branche de l’Église.
Avant
la crise récente en Utah, de telles branches avaient joué
un rôle crucial dans le soutien de l’œuvre
missionnaire et de l’émigration, dans la défense
de l’Église contre ses détracteurs et dans le
travail d’influence du gouvernement en faveur de l’Église.
Mais après que Brigham Young eut rappelé les
missionnaires chez eux et incité les saints de l’Est à
venir dans l’Ouest, de nombreuses branches n’eurent plus
assez de membres ni de fonds pour poursuivre ces activités.
Il
pouvait être éprouvant d’être un saint des
derniers jours dans l’Est. Au cours des dix dernières
années, la réputation de l’Église s’était
effondrée. De nombreuses personnes continuaient de penser que
les saints étaient rebelles et antipatriotiques. À New
York, un dirigeant de l’Église avait reçu une
menace de mort et certains saints avaient été couverts
de goudron et de plumes à cause de leurs croyances. D’autres
taisaient leur appartenance à l’Église pour
éviter d’être persécutés.
À
Philadelphie, Anna gagnait de l’argent en faisant de la couture
et du ménage pendant que Karl s’occupait des membres de
la branche, assistait aux conférences régionales de
l’Église et aidait à la planification de la
prochaine saison d’émigration. Ils faisaient leur
possible pour fortifier leur petite branche. Toutefois, pour que
l’Église prospère là et dans le monde
entier, les saints devaient s’opposer aux nombreuses idées
erronées et aux incompréhensions les concernant.
Et
ils avaient besoin que davantage de missionnaires retournent dans le
champ de la mission et continuent l’œuvre du salut.
Début
septembre 1858, George Q. Cannon publiait le Deseret News dans une
ville du centre de l’Utah appelée Fillmore. Le siège
du journal était normalement à Salt Lake City, mais
lorsque les saints avaient déménagé dans le Sud
plus tôt cette année-là, George et sa famille
avaient emballé le lourd matériel d’imprimerie et
l’avaient transporté jusqu’à Fillmore, à
environ deux cent cinquante kilomètres.
Maintenant
qu’il était sans danger de retourner à Salt Lake
City, George décida d’y rapporter l’imprimerie. Le
9 septembre, son jeune frère, David, et lui, chargèrent
le matériel sur des chariots et reprirent la route de la ville
avec la famille de George qui s’agrandissait. George et
Elizabeth avaient maintenant un fils d’un an, John, et un autre
bébé en route. George avait aussi épousé
une deuxième femme, Sarah Jane Jenne, et elle aussi était
enceinte.
Quatre
jours après avoir quitté Fillmore, les Cannon
s’arrêtèrent pour se reposer dans une ville à
une centaine de kilomètres de Salt Lake City. Pendant que
George dételait ses bêtes, un homme assis dans une
calèche tirée par une mule s’approcha de lui.
C’était un messager envoyé par Brigham Young et
il cherchait George depuis la veille. Il dit que Brigham pensait
qu’il serait déjà en ville. L’Église
renvoyait de nouveau des frères en mission et une compagnie
l’attendait pour partir dans l’Est des États-Unis.
George
était perplexe. Quelle mission dans l’Est ? En moins
d’une demi-heure, Elizabeth et lui avaient bouclé une
petite valise et se précipitaient à Salt Lake City avec
John pendant que David suivait de près avec Sarah Jane et le
matériel d’imprimerie. George arriva en ville à
cinq heures le lendemain matin et se rendit au bureau de Brigham
immédiatement après le petit-déjeuner. Brigham
le salua et demanda : « Es-tu prêt ? »
George
dit : « Je le suis. »
Brigham
se tourna vers l’un des hommes à côté de
lui et dit : « Je te l’avais dit. » Un greffier
tendit à George les instructions pour sa mission.
Une
fois de plus la législature territoriale envoyait une pétition
au Congrès des États-Unis pour devenir un État
et avoir le droit d’élire ou de nommer tous les
représentants locaux du gouvernement. Sachant que la pétition
n’aboutirait pas si l’opinion publique sur l’Église
restait médiocre, Brigham voulait que George aille en mission
spéciale pour présider les saints de l’Est,
publier des articles de journaux positifs sur l’Église
et améliorer sa réputation dans tout le pays.
George
ressentit immédiatement le poids de sa mission. Il devait
partir le lendemain, ce qui lui laissait à peine le temps
d’installer sa famille dans la vallée. Il croyait
cependant que le Seigneur ouvrirait la voie pour lui permettre
d’exécuter sa volonté. Les expériences de
George à Hawaï et en Californie l’avaient préparé
pour une mission de cette envergure. Il savait aussi que ses frères
et sœurs et autres parents, dont sa tante et son oncle Leonora
et John Taylor, seraient en mesure d’aider ses femmes et ses
enfants.
Brigham
le bénit et le mit à part comme missionnaire. George
fit à son tour une bénédiction à
Elizabeth et John et les remit aux bons soins du Seigneur, ainsi que
Sarah Jane qui était encore sur la route. Le lendemain
après-midi, il prit la direction de l’est à
travers les montagnes Rocheuses avec un petit groupe de
missionnaires.
Entre-temps,
à Fort Éphraïm dans la vallée de Sanpete,
Augusta Dorius Stevens avait enfin presque toute sa famille autour
d’elle. Ses belles-sœurs, Elen et Karen, avaient suivi
son père, Nicolai, jusqu’à Fort Éphraïm
lorsque les saints s’étaient déplacés vers
le sud. Ses frères aînés, Carl et Johan, étaient
arrivés peu après, dès qu’ils avaient été
relevés de leur tour de garde à Salt Lake City. Sa
jeune sœur, Rebekke, habitait aussi en ville. Seule leur mère,
Ane Sophie, était encore au Danemark et n’était
pas membre de l’Église.
Depuis
qu’elle avait épousé Henry Stevens quatre ans
plus tôt, Augusta s’était occupée de la
maison et avait pris soin de Mary Ann, la première femme
souffrante d’Henry, qu’elle aimait tendrement. À
dix-neuf ans, Augusta était aussi devenue la première
présidente de la Société de secours de Fort
Éphraïm. Outre le soin aux malades et aux affligés,
ses sœurs de la Société de secours et elle
tissaient, confectionnaient des couvertures piquées, offraient
nourriture et abri aux nécessiteux et s’occupaient des
orphelins. Lorsque quelqu’un en ville mourait, elles le
lavaient et l’habillaient, confectionnaient des vêtements
funéraires, réconfortaient les parents et amis du
défunt et conservaient le corps avant les obsèques avec
de la glace provenant de la San Pitch River.
Peu
avant que la famille Dorius fût réunie, Augusta donna
naissance à un garçon nommé Jason qui mourut
lors d’une épidémie avant son premier
anniversaire. En dépit de son chagrin, Augusta avait trouvé
un foyer et un certain confort au sein de la grande colonie de saints
scandinaves dans la vallée de Sanpete, colonie qui puisait
dans des coutumes, des traditions et une langue communes la force de
supporter les épreuves de son nouveau foyer. Pendant leur
mission, ses frères avaient instruit et baptisé nombre
de ces saints, ce qui renforçait sans nul doute ses liens avec
eux.
Lorsque
Carl et Johan arrivèrent à Fort Éphraïm en
1858, ils s’essayèrent au métier d’agriculteur,
mais les sauterelles détruisirent leurs récoltes.
D’autres colons plus expérimentés, comme Augusta
et Henry, avaient rencontré les mêmes difficultés
en cultivant la vallée de Sanpete. Les premiers saints arrivés
dans la région avaient connu plusieurs années de gelées
dévastatrices et d’invasions d’insectes. Pour
survivre, ils avaient vécu ensemble dans deux forts, cultivé
une parcelle commune et partagé l’eau d’irrigation.
Lorsqu’ils avaient enfin eu une bonne récolte, ils
avaient rempli leurs granges et stocké d’autres
aliments.
L’été
1859, la vie d’Augusta changea lorsque Brigham Young appela
plusieurs familles de Sanpete à s’installer près
de l’ancienne colonie de Spring Town, où elle avait
brièvement vécu peu après son arrivée
dans la vallée. Augusta et Henry y emménagèrent
peu de temps plus tard. Des hommes firent le relevé d’un
site pour une ville et une surface cultivable de deux cent soixante
hectares. Les terres furent ensuite divisées en lots de deux
et de quatre hectares et réparties entre les familles. Peu
après, des maisons, des cabanes et une église en
rondins ornèrent la nouvelle colonie. Avec tous ces Danois
dans la région, les habitants surnommèrent le lieu
Petit Danemark.
Après
s’être installé à Spring Town, Henry
entreprit la construction d’un moulin à blé.
Pendant qu’il coupait et transportait du bois dans les
montagnes cet hiver-là, il attrapa un vilain rhume et fut pris
d’une toux persistante. Lorsqu’elle se transforma en
asthme, il lui devint difficile de travailler. Comme il n’y
avait pas de médecin en ville, Augusta essaya tous les remèdes
qu’elle trouvait pour aider Henry à respirer. Rien n’y
faisait.
Environ
un an après l’installation d’Augusta et d’Henry
à Spring Town, la Première Présidence rappela
Johan et Carl en mission en Scandinavie. Du fait qu’aucun des
deux frères n’avait les moyens de faire le voyage, les
saints de Fort Éphraïm et de Spring Town leur fournirent
un chariot, un cheval et une mule.
L’été
1860, quelques mois après le départ en mission des
frères Dorius, George Q. Cannon fut relevé de sa
mission dans l’Est. Au cours des deux années écoulées,
Thomas Kane, l’allié de longue date des saints, et lui,
avaient publié dans les journaux plusieurs articles positifs
au sujet de l’Église et avaient influencé
l’opinion publique en sa faveur. Travaillant en étroite
collaboration avec Karl Maeser et d’autres dirigeants de
l’Église, George avait aussi fortifié les saints
de New York, Boston, Philadelphie et d’autres branches de
l’Est.
L’opinion
publique restait pourtant résolument contre l’Église.
Un nouveau parti politique, les Républicains, s’était
récemment formé pour mettre un terme à
l’esclavage et à la polygamie, qualifiant ces pratiques
de « vestiges barbares jumeaux ». Les Républicains
les associaient parce qu’ils supposaient à tort que les
femmes étaient forcées de contracter un mariage plural
et n’avaient aucun moyen d’y échapper. Des deux
objets de litige, cependant, c’est l’esclavage qui
causait le plus grand clivage dans la nation, amenant de nombreuses
personnes, dont George, à prédire une catastrophe
nationale.
Dans
une lettre adressée à Brigham Young, il écrivit
: « Aucun homme aimant la liberté et les institutions
libérales ne peut être témoin de ces choses sans
sentir que la gloire de notre nation est rapidement en train de
s’estomper. La destruction du gouvernement des États-Unis
est inévitable. C’est uniquement une question de temps.
»
Pendant
sa mission, George reçut aussi une lettre de Brigham au sujet
d’une décision récente de la Première
Présidence et du Collège des Douze. Lors d’une
réunion en octobre 1859, Brigham avait proposé l’appel
d’un nouvel apôtre pour remplacer Parley Pratt. Il
demanda aux Douze de faire des recommandations. Il leur dit : «
Tout homme qui sera fidèle aura l’intelligence
suffisante pour magnifier son appel. »
Orson
Pratt, le jeune frère de Parley, demanda : « J’aimerais
connaître le principe selon lequel les hommes doivent être
choisis. »
Brigham
répondit : « Si l’on me suggère un homme
plein de bon sens qui n’a d’autre qualification qu’une
fidélité et une humilité suffisantes pour
rechercher auprès du Seigneur toute la connaissance dont il a
besoin et qui lui fait confiance pour avoir la force, je le
préférerais à une personne instruite et
talentueuse. »
Orson
dit : « Si le Seigneur devait désigner un garçon
de douze ans, c’est la personne que nous serions tous disposés
à soutenir. Mais si c’était à moi de
choisir, je prendrais un homme expérimenté, qui a été
éprouvé en divers lieux, fidèle, diligent,
talentueux et apte à défendre l’Église
dans quelque position qu’il se trouve. »
Brigham
écouta les apôtres recommander plusieurs hommes pour le
poste. Ensuite, il dit : « Je nomme George Q. Cannon en tant
que l’un des Douze. Il est modeste, mais je ne pense pas qu’il
laissera la modestie réprimer son sens du devoir. »
L’appel
de George fut annoncé lors de la conférence générale
de printemps, pendant qu’il se préparait à
rentrer chez lui. Il le reçut avec la conscience de sa propre
faiblesse et indignité. Peu après en avoir été
informé, cet homme de trente-trois ans écrivit à
Brigham : « Je tremble d’épouvante et de joie en
pensant à la bonté et la faveur du Seigneur et à
l’amour et la confiance de mes frères. »
Pendant
le voyage de retour chez lui, il devança rapidement plusieurs
convois de chariots et deux convois de charrettes à bras qu’il
avait organisés avec des saints des branches de l’Est,
d’Europe et d’Afrique du Sud.
Conscient
de la tragédie des charrettes à bras de 1856, il envoya
judicieusement la dernière au-devant de plusieurs convois de
chariots. Il informa Brigham : « Je me suis efforcé de
prendre toutes les mesures possibles pour éviter tout incident
et je suis sincèrement confiant qu’avec la bénédiction
du Seigneur, tous atteindront leur destination sains et saufs. »
Parmi
les saints faisant route vers l’ouest avec George cette
année-là se trouvait le patriarche John Smith. Ce
dernier était venu dans l’Est fin 1859 pour tenter une
fois de plus d’aider sa sœur Lovina et sa famille à
se rassembler en Utah. En attendant la période d’émigration,
Lovina et lui avaient rendu visite à des membres de leur
famille à Nauvoo, notamment leur tante Emma et ses enfants.
Emma
menait une vie tranquille à Nauvoo. Elle habitait toujours
dans la Nauvoo Mansion et était propriétaire d’anciens
biens de l’Église que Joseph lui avait donnés
avant sa mort en 1844. Il lui avait cédé les terres en
toute bonne foi, mais certains de ses créanciers exigèrent
plus tard que la propriété fût vendue pour les
rembourser, croyant qu’il les avait escroqués. Ils ne
réussirent pas à fournir de preuves pour soutenir leurs
accusations. L’affaire fut réglée en 1852
lorsqu’un juge fédéral décréta que
toutes les terres de plus de quatre hectares que Joseph avait
possédées en qualité d’administrateur de
l’Église pouvaient être vendues pour régler
ses dettes. En tant que veuve, Emma reçut un sixième du
produit de la vente, qu’elle utilisa pour racheter une partie
des terres afin de pourvoir aux besoins de sa famille.
John
et Lovina trouvèrent leur parenté en bonne santé,
mais divisée en matière de religion. Leur cousine Julia
avait épousé un catholique et s’était
convertie à la religion de son mari. Les quatre fils de Joseph
et Emma se considéraient toujours comme saints des derniers
jours, mais rejetaient certains principes enseignés par leur
père à Nauvoo, en particulier le mariage plural.
Cela
ne surprit pas du tout John. Bien qu’Emma sût que son
mari avait enseigné et pratiqué en privé le
mariage plural, son fils Joseph Smith III croyait que Brigham Young
avait exposé le principe aux saints après la mort du
prophète Joseph. Lorsque la famille de John avait fui Nauvoo
en 1848, ce dernier avait essayé de convaincre Joseph III de
partir vers l’ouest avec lui et de poursuivre l’œuvre
de leurs pères. Joseph III avait refusé
catégoriquement.
Il
avait répondu : « Si tu entends par là que je
dois soutenir l’adjonction de femmes spirituelles et les autres
institutions qui ont été établies depuis leur
décès, assurément je serai ton adversaire le
plus invétéré. »
Pendant
de nombreuses années, Joseph III n’avait aucun désir
de diriger une église. Cependant, le 6 avril 1860, après
la visite de John et de Lovina, Joseph III et Emma avaient assisté
à une conférence d’une « Nouvelle
organisation » de saints qui avaient rejeté la direction
de Brigham Young et étaient restés dans le Midwest. Au
cours de cette réunion, Joseph III avait accepté la
direction de la Nouvelle organisation et avait pris ses distances
avec les saints en Utah en condamnant le mariage plural.
Quelques
mois plus tard, John prit la route de l’ouest avec Lovina et sa
famille. Karl et Anna Maeser voyageaient avec leur compagnie. N’étant
pas habitué à la vie sur la piste accidentée, le
jeune instituteur faisait de son mieux pour conduire un attelage de
bœufs, mais il finit par embaucher un homme pour le faire à
sa place. Une épidémie de coqueluche frappa les enfants
de la compagnie pendant une partie du voyage, mais la plupart du
temps, le périple se déroula sans incident.
Le
17 août, à environ deux cent cinquante kilomètres
de Salt Lake City, Hyrum Walker, le fils de quatorze ans de Lovina,
se tira accidentellement dans le bras. Espérant sauver la vie
de son neveu, sinon son bras, John confia rapidement la
responsabilité de la compagnie à un autre homme, plaça
Hyrum dans une calèche tirée par une mule et accompagné
de Lovina, se précipita vers la vallée.
La
calèche arriva à Salt Lake City neuf jours plus tard et
un médecin réussit à soigner le bras d’Hyrum.
Son neveu en sécurité, John retourna auprès de
son convoi et arriva avec lui dans la ville le 1er septembre.
Le
4 novembre 1860, Wilford Woodruff accueillit le retour d’un
homme du nom de Walter Gibson. Walter était un globe-trotter
et un aventurier. Jeune homme, il s’était rendu au
Mexique et en Amérique du Sud, avait parcouru les océans
et s’était évadé d’une prison
hollandaise sur l’île de Java.
Selon
lui, il avait entendu une voix en prison l’incitant à
fonder un royaume puissant dans le Pacifique. Il cherchait depuis des
années un peuple disposé à l’aider dans
cette mission, mais il n’avait jamais réussi à
trouver le bon groupe jusqu’à ce qu’il entende
parler des saints des derniers jours. En mai 1859, il avait écrit
à Brigham Young et avait proposé le projet de
rassembler l’Église dans les îles du Pacifique. Il
s’était rendu à Salt Lake City avec ses trois
enfants et peu après, en janvier 1860, était devenu
membre de l’Église.
Wilford
s’était lié d’amitié avec lui cet
hiver-là, assistant souvent aux exposés sur ses voyages
ou le retrouvant à l’occasion de rencontres sociales. La
proposition de Walter d’un nouveau lieu de rassemblement
n’intéressait aucunement Brigham, mais il avait perçu
du potentiel chez le nouveau converti. Il semblait bien renseigné,
éloquent et désireux de servir dans l’Église.
En avril 1860, la Première Présidence l’avait
appelé à faire une mission brève dans l’Est,
ce qu’il avait accepté avec enthousiasme.
Maintenant,
six mois plus tard, il rentrait en Utah avec des nouvelles
palpitantes. Pendant qu’il était à New York, il
avait parlé des saints à un membre de l’ambassade
du Japon et avait reçu une invitation à aller au Japon.
Croyant pouvoir établir de bons rapports avec les Japonais,
Walter voulait accepter l’invitation et préparer la voie
de l’œuvre missionnaire dans ce pays. De là, il
pensait que l’Évangile rétabli pourrait se
propager au Siam et dans d’autres nations de la région.
Le
18 novembre, lors d’une réunion, il dit aux saints : «
Je serai gouverné, comme cela m’a été
commandé, entièrement par l’Esprit de Dieu. J’ai
l’impression que je serai chez moi parmi toutes les nations des
enfants de la famille humaine. »
Wilford
se réjouissait de la perspective d’envoyer Walter en
Asie. Il nota dans son journal : « Le Seigneur lui a ouvert une
porte d’une manière merveilleuse. »
Brigham
était d’accord. Lors de la réunion, il dit aux
saints : « Frère Gibson va nous quitter maintenant pour
partir en mission. Pour autant que je le sache, il est venu ici parce
que le Seigneur l’y a conduit. »
Le
lendemain, Heber Kimball et Brigham Young posèrent les mains
sur la tête de Walter. Heber déclara : « Dans la
mesure où ton œil sera fixé uniquement sur la
gloire de Dieu et où tu invoqueras son nom, rechercheras sa
sagesse, t’humilieras devant le Seigneur et te concentreras sur
le bien des enfants des hommes, tu seras grandement béni, tu
rassembleras la maison d’Israël et amèneras
beaucoup d’âmes au repentir, au baptême et à
la confirmation du Saint-Esprit. »
Deux
jours plus tard, Walter et sa fille Talula prirent la direction du
Pacifique.
Un
mois après leur départ, la Caroline du Sud, un État
du Sud, se retira de la nation, craignant que l’élection
récente d’Abraham Lincoln à la présidence
des États-Unis n’altère l’équilibre
économique et politique du pouvoir dans le pays et ne mette
fin à l’esclavage. Wilford Woodruff reconnut
immédiatement que l’événement alarmant
était l’accomplissement d’une révélation
reçue par Joseph Smith vingt-huit ans plus tôt. Le jour
de Noël 1832, le Seigneur avait averti le prophète qu’une
rébellion commencerait bientôt en Caroline du Sud et se
terminerait par la mort et le malheur de nombreuses personnes.
Le
Seigneur avait déclaré : « À cause de
l’épée et de l’effusion de sang, les
habitants de la terre se lamenteront ; et la famine, la peste, les
tremblements de terre, le tonnerre du ciel, ainsi que l’éclair
foudroyant et fulgurant feront sentir aux habitants de la terre la
colère, l’indignation et la main vengeresse d’un
Dieu Tout-Puissant, jusqu’à ce que la destruction
décrétée ait mis complètement fin à
toutes les nations. »
Le
1er janvier 1861, Wilford écrivit dans son journal : «
Nous pouvons nous préparer à un moment horrible aux
États-Unis. L’écriture a été vue
sur le mur et notre nation est condamnée à la
destruction. »
CHAPITRE
21
: La
même grande œuvre
Au
printemps 1861, Orson Pratt et Erastus Snow écrivirent à
Brigham Young : « L’excitation de la guerre rend les gens
fous. Les armées engagent, font des manœuvres, défilent
et se concentrent pour le terrible conflit. Et le temps risque
bientôt d’arriver où aucun homme ne sera autorisé
à rester dans le Nord ou dans le Sud sans se battre. »
La
sortie spectaculaire de la Caroline du Sud des États-Unis
avait déclenché une rébellion qui s’était
propagée dans tout le Sud. Dans les mois qui suivirent, dix
autres États du Sud quittèrent la nation et le
gouvernement américain s’empressa de renforcer ses bases
militaires. Les forces sudistes s’emparèrent rapidement
de tous les forts les plus importants et le président Lincoln
recruta soixante-quinze mille soldats pour mater la rébellion,
mais cette force s’avéra vite trop petite pour maîtriser
la crise.
Orson
avait vu le conflit escalader depuis qu’Erastus et lui
s’étaient rendus dans l’Est à l’automne
pour superviser la mission. Dans les années 1830, lorsqu’il
était jeune missionnaire, Orson avait gardé dans sa
poche un exemplaire de la prophétie de Joseph Smith sur la
guerre et l’avait parfois lue à des assemblées. À
l’époque, la plupart des gens pensaient que c’étaient
des absurdités, mais maintenant, elle faisait un effet
différent. Orson lut la révélation en public et
s’arrangea pour qu’elle soit publiée dans le New
York Times. D’autres journaux s’en saisirent.
Un
journal de Philadelphie, qui publia la révélation,
demanda : « N’avons-nous pas un prophète parmi
nous ? Au vu des événements actuels, cette prédiction
semble être en voie d’accomplissement, que Joe Smith soit
un charlatan ou pas. »
Lorsque
les armées du Nord et du Sud se mobilisèrent pour une
guerre civile, les missionnaires sous la supervision d’Orson et
d’Erastus regroupèrent les saints de l’Est pour un
rassemblement en Sion. Les dirigeants de l’Église
ratissèrent les villes et les campagnes à la recherche
de ceux qui s’étaient éloignés du troupeau
et les exhortèrent à revenir.
La
réaction fut impressionnante. En juin, environ un millier de
saints de Philadelphie, New York et Boston montèrent à
bord d’un train à destination de Florence. Orson
rapporta à Brigham : « Le train était tellement
long et lourd qu’il a fallu deux motrices pour le traîner.
» Cinq cents membres de l’Église des États
du Midwest prirent aussi la direction de l’Ouest à pied
ou en chariot.
Mais
la migration massive ne se limita pas aux Américains. Au
printemps 1861, une foule de saints arrivèrent depuis l’autre
côté de l’océan Atlantique. L’année
précédente, la Première Présidence avait
appelé George Q. Cannon à se joindre à Amasa
Lyman et à Charles Rich pour présider la mission
britannique et diriger l’émigration. Cette saison-là,
ils envoyèrent en Sion deux mille saints d’Europe et
d’Afrique du Sud.
Au
lieu de fournir des charrettes à bras aux nombreux émigrants
qui ne pouvaient pas financer leur voyage en Utah, l’Église
envoya deux cents chariots et mille sept cents bœufs (la
plupart offerts par les paroisses d’Utah) jusqu’au fleuve
Missouri. Les saints nécessiteux furent alors répartis
en quatre convois « aller-retour » de chariots qui les
transportèrent en Utah pour la somme relativement faible de
quatorze dollars par adulte et sept par enfant.
Pendant
ce temps, tout le monde dans le pays se demandait si l’Utah
resterait dans l’Union, se joindrait aux rebelles sudistes ou
formerait une nation indépendante. De nombreux saints
reprochaient encore au gouvernement des États-Unis de n’avoir
accordé aucune réparation pour les pertes subies au
Missouri et en Illinois. Ils n’acceptaient pas non plus les
représentants désignés par le gouvernement, la
présence de l’armée en Utah et le refus du
Congrès de leur accorder le statut d’État.
Pourtant,
Brigham Young croyait que la bonne voie était de rester dans
la nation, en dépit de sa politique hostile envers les saints.
Il assura aux législateurs de l’Est : « L’Utah
n’a pas fait sécession, mais reste fermement en faveur
de la Constitution et des lois de notre pays autrefois heureux. »
Lorsque
la guerre de Sécession éclata dans l’Est, des
rapports réguliers de batailles sanglantes arrivèrent
dans l’Ouest avec le courrier. Les récits brutaux
parlaient de centaines et parfois de milliers de victimes. Certaines
personnes dans l’Église croyaient que Dieu punissait les
États-Unis pour la façon dont ils avaient traité
les saints.
Une
poignée d’entre eux partirent dans l’Est pour
prendre part à la guerre, mais la plupart des membres de
l’Église se contentèrent de rester en Utah et
d’édifier Sion. Cet été-là, Brigham
Young proposa d’exhumer les fondations du temple restées
enfouies depuis la retraite vers le sud et de commencer à
monter les murs. Il annonça aussi le projet, déjà
en cours, de construire un grand théâtre à
quelques rues du site du temple.
Le
Social Hall de la ville servait déjà de petite salle de
spectacles, mais Brigham voulait un théâtre qui
stimulerait l’esprit et l’imagination des saints. L’art
dramatique avait une façon d’instruire et d’édifier
les gens que les sermons n’avaient pas. La présence d’un
théâtre magnifique à Salt Lake City montrerait
également aux visiteurs que les saints étaient un
peuple cultivé et raffiné, contrant ainsi l’image
négative relayée par de nombreux journaux.
Cette
idée lui était venue plus tôt cette année-là.
Heber Kimball et lui avaient assisté à une pièce
de théâtre chez les Bowring, qui avaient aménagé
une petite scène au rez-de-chaussée de leur maison.
Henry et Marian Bowring étaient membres de l’association
Mechanic’s Dramatic, une troupe théâtrale composée
essentiellement de saints britanniques, dont certains étaient
des pionniers issus des convois de charrettes à bras. Marian
elle-même était arrivée avec sa fille, Emily,
dans le convoi Martin.
Brigham
et Heber avaient beaucoup aimé la représentation au
théâtre Bowring et le lendemain soir, ils étaient
venus voir une autre pièce avec leurs familles. Rapidement,
Brigham proposa de fusionner les associations Mechanics’
Dramatic et Deseret Dramatic et de construire un théâtre
plus grand afin que davantage de saints puissent bénéficier
des meilleurs divertissements du territoire.
Il
croyait en la valeur du travail, mais il encourageait également
les saints à se reposer et à profiter de la vie. Il
déclara : « Les gens doivent s’amuser. » Il
croyait que les loisirs et l’exercice physique étaient
importants à la fois pour le corps et pour l’âme.
Pour
financer le théâtre, il réaffecta des fonds
réservés à un projet de construction en attente
: la Maison de la Science des soixante-dix. Le projet du théâtre
reçut des fonds supplémentaires cet été-là
lorsque les troupes de l’armée américaine
stationnées dans la Cedar Valley furent réaffectées
dans l’Est pour prendre part à la guerre de Sécession.
Avant le départ des soldats, Brigham envoya Hiram Clawson, son
beau-fils et le directeur du nouveau théâtre, acheter à
l’armée leur fer, leur bétail, leurs denrées
non périssables et autres accessoires à prix réduit.
Brigham revendit ensuite ces articles à un prix plus élevé
pour financer la construction du théâtre.
Le
5 août, la Première Présidence et ses greffiers
se rendirent sur le chantier du théâtre. Descendant de
la calèche, Brigham inspecta les fondations en pierre avec
Heber. Ce dernier dit : « La pierre semble être de nature
très solide. »
Brigham
fut du même avis. « J’ai toujours plaisir à
voir des travaux de construction en cours. »
Au
fil des semaines et des mois qui suivirent, le théâtre
sortit rapidement de terre. Ignorantes de la planification minutieuse
qui avait lieu en coulisse pour la structure plus grande et plus
complexe du temple, certaines personnes déploraient que la
construction de la maison du Seigneur avançât beaucoup
plus lentement que celle du théâtre. Les ouvriers
n’avaient commencé que récemment à exhumer
les fondations enfouies et à tailler de larges blocs de granit
dans une nouvelle carrière à trente kilomètres
au sud. Pourquoi les saints consacraient-ils tant de temps et
d’argent à un théâtre alors que la maison
du Seigneur était encore à la traîne ?
Leurs
objections ne dérangeaient pas Brigham. Il ne voulait pas
précipiter les travaux du temple et ne s’inquiétait
pas du coût de sa construction, tant qu’il était
fait correctement. Avant l’ensevelissement des fondations en
1858, les ouvriers avaient mal disposé les blocs de pierre. De
ce fait, une partie des fondations en grès risquait de se
fissurer sous le poids énorme du temple. Une fois les
fondations exhumées, il leur demanda de réparer les
blocs de grès endommagés et de remplacer ceux qui
étaient irréparables par du granit de la carrière.
Il
dit au contremaître : « Faites du bon travail sur ce
temple. » Il voulait que les ouvriers prennent le temps de le
faire correctement. Il déclara : « Je veux le voir
construit de telle sorte qu’il durera pendant le millénium.
Ce n’est pas le seul temple que nous construirons. Nous en
construirons et en consacrerons des centaines au Seigneur. »
Le
théâtre de Salt Lake City ouvrit le 6 mars 1862 pour une
réunion de consécration spéciale avec une prière
et des discours des dirigeants de l’Église. Ensuite, la
troupe joua une comédie intitulée L’orgueil du
marché. Deux soirs plus tard, le théâtre ouvrait
ses portes au public. Des centaines de personnes désireuses
d’avoir une place s’attroupèrent à
l’extérieur deux heures avant la représentation.
Lorsque le rideau se leva, la salle était comble.
L’enthousiasme
des saints pour le théâtre fit plaisir à Brigham.
Pendant les festivités, il déclara : « L’enfer
est loin de nous et nous ne pourrons jamais arriver là-bas à
moins de modifier notre route, car la voie que nous poursuivons
actuellement conduit au ciel et au bonheur. »
Le
5 mai, George Q. Cannon reçut un mystérieux télégramme
de Salt Lake City. Il était au bureau de la mission
britannique et européenne à Liverpool, dont il était
président depuis un an et demi.
Le
télégramme disait : « Rejoins le sénateur
Hooper à Washington. Le vingt-cinq mai. »
Un
frisson lui parcourut le corps et il dut prendre appui sur un bureau
voisin pour se stabiliser. Il avait du mal à respirer. Une
fois de plus, une tâche venant de Salt Lake City le prenait par
surprise. Et le manque de précision la rendait encore plus
troublante. Pourquoi avait-on besoin de lui à Washington D.C.
?
Il
savait que la législature territoriale de l’Utah avait
récemment esquissé une nouvelle pétition pour le
Congrès des États-Unis. Cela voulait dire que deux
sénateurs seraient élus pour aller au Congrès
représenter l’État proposé et faire
pression en faveur de la pétition. Le télégramme
semblait suggérer que William Hooper, l’ancien délégué
d’Utah au Congrès, était l’un des
sénateurs. Avait-il été élu pour être
l’autre ?
George
avait un penchant pour la politique. Jeune garçon, il avait
reçu une bénédiction lui promettant qu’un
jour, il occuperait un poste important dans le gouvernement. Malgré
son désir de représenter l’Utah au Congrès,
il le mit de côté au cas où les dirigeants de
l’Église auraient besoin de lui à Washington pour
une autre raison.
Récemment,
Justin Morrill, membre de la Chambre des représentants des
États-Unis, avait présenté au Congrès une
loi qui interdirait la bigamie, ou le mariage à plus d’une
épouse en même temps, dans tous les territoires.
Peut-être que les saints avaient besoin que George fasse
pression pour qu’ils préservent leur droit de pratiquer
le mariage plural. Si elle passait, la loi Morrill ferait de George
et des autres saints qui pratiquaient le principe des criminels. Elle
limiterait aussi l’influence de l’Église en Utah
en restreignant la quantité de biens qu’elle pouvait
posséder.
Le
jour de son départ, George bénit sa femme Elizabeth et
sa fille, Georgiana, qui était née pendant que le
couple était en Angleterre. Ni Elizabeth ni le bébé
n’étant en assez bonne santé pour l’accompagner,
George les confia aux soins de leurs nouveaux amis en Angleterre
pendant son absence.
Lorsqu’il
arriva aux États-Unis deux semaines plus tard, il apprit qu’il
avait en effet été élu au Sénat avec
William Hooper, si la pétition pour le statut d’État
était approuvée. La nomination ne leur donnait aucune
autorité officielle, mais ils pouvaient essayer de persuader
les législateurs de voter contre le projet de loi anti-bigamie
de Morrill et en faveur de la demande de l’Utah de devenir un
État.
Le
13 juin, George et William rendirent visite au président
Lincoln, espérant obtenir son appui pour leur pétition.
George s’attendait à le voir fatigué et soucieux
après plus d’une année de guerre civile, mais
Lincoln bavarda et plaisanta amicalement avec eux. Il était
grand, barbu, assez quelconque et avait des gestes maladroits. Il
écouta poliment George et William plaider leur cause, mais ne
fit aucune promesse de soutien à leur pétition.
Ils
quittèrent la Maison-Blanche déçus. La réunion
s’était déroulée comme d’autres
discussions qu’ils avaient eues avec des politiciens à
Washington. La plupart des législateurs semblaient ouverts à
l’idée du statut d’État, mais ils étaient
peu enclins à promettre leur vote. Croyant qu’ils ne
pouvaient pas soutenir cette idée après avoir voté
en faveur de la loi anti-bigamie, quelques législateurs
refusaient d’envisager d’accorder le statut d’État
à l’Utah tant que sa constitution n’interdirait
pas le mariage plural.
L’indignation
au sujet du massacre de Mountain Meadows empêchait aussi
certaines personnes de soutenir les saints et leur demande. Environ
un an après le rapport du massacre fait par John D. Lee, des
enquêteurs de l’Église avaient découvert
que John et d’autres membres étaient impliqués
dans l’attaque. Peu après, des représentants du
gouvernement avaient mené leur propre enquête. John D.
Lee, Isaac Haight, John Higbee et d’autres furent traduits en
justice, mais aucun témoin ne s’avança pour
déposer contre eux. Les enquêteurs localisèrent
les onze fillettes et les six garçons qui avaient survécu
à l’attaque et les remirent à des parents ou à
des amis au cours de l’été 1859.
George
et William espéraient que leur diligence à gagner du
soutien pour la pétition ferait bonne impression sur les
législateurs à Washington. Néanmoins, aucun des
deux ne savait si leurs efforts seraient suffisants pour permettre
aux habitants de l’Utah d’obtenir le statut d’État.
Pendant
que la pétition était examinée à
Washington, l’œuvre missionnaire au Danemark, en Norvège
et en Suède prospérait. Plus de deux années
s’étaient écoulées depuis que Johan et
Carl Dorius avaient quitté la vallée de Sanpete pour
leur deuxième mission en Scandinavie. La plupart de ce
temps-là, Carl avait présidé les saints en
Norvège avec Johan comme premier conseiller.
Lorsque
les frères étaient arrivés en Scandinavie, Johan
était parti immédiatement en Norvège. Carl, pour
sa part, avait rendu visite à leur mère, Ane Sophie, à
Copenhague, avec qui ils étaient brouillés. De prime
abord, elle n’avait pas reconnu son fils. Cependant, une fois
qu’il lui avait révélé son identité,
elle l’avait embrassé encore et encore sur le front,
folle de joie qu’il soit de retour d’Amérique.
Comme Nicolai, son ex-mari et le père de Carl, elle s’était
remariée. Son mari, Hans Birch, et elle avaient adopté
une fillette appelée Julia, qui avait maintenant huit ans.
Tandis
que Carl et Ane Sophie se parlaient pour la première fois
depuis trois ans, il s’émerveilla des changements qui
s’étaient opérés en elle. Avant leur
départ pour Sion, elle avait honte de marcher à côté
de ses fils en public. Depuis lors, la réputation de l’Église
s’était bien améliorée au Danemark et le
lendemain de l’arrivée de Carl, non seulement elle
accepta de se montrer en public avec lui, mais également
d’assister à une réunion de l’Église.
Lorsque
mère et fils pénétrèrent dans la salle où
les saints se réunissaient, elle était comble. Dans
l’assemblée, Carl reconnut de nombreux visages qu’il
avait connus lors de sa première mission et après qu’il
se fut adressé au groupe, plusieurs personnes s’avancèrent
pour lui serrer la main et lui souhaiter la bienvenue de retour au
pays.
Les
jours suivants, Ane Sophie s’éloigna rarement de son
fils. Après avoir visité le siège de l’Église
au Danemark, Carl eut un peu honte de mettre encore le même
costume élimé qu’il portait lors de sa mission
précédente. Sa mère l’emmena en acheter un
nouveau et l’accompagna ensuite pour passer chez d’anciens
amis en ville. Pendant qu’ils parlaient ensemble, il vit bien
que sa mère s’intéressait davantage à
l’Église que jamais auparavant.
Après
sa visite, il rejoignit Johan en Norvège. Les frères
découvrirent que les effectifs de nombreuses branches
norvégiennes avaient diminué du fait de l’émigration,
mais il restait environ six cents saints en Norvège, dont
environ deux cent cinquante dans la capitale, Christiania. Le
gouvernement norvégien n’ayant pas encore légalisé
la liberté religieuse, les missionnaires étaient
prudents lorsqu’ils enseignaient ou baptisaient en public.
Début
1862, pendant que Carl prêchait dans le sud de la Norvège,
la police l’arrêta, ainsi que dix autres missionnaires,
les questionna devant une foule moqueuse et les menaça
d’amendes et d’emprisonnement. Ce genre de harcèlement
n’eut aucun effet sur la progression de l’œuvre. Au
printemps de cette année-là, 1 556 saints scandinaves
se préparaient à émigrer en Sion, la plus grande
émigration jusque-là.
Vers
cette époque, Carl retourna à Copenhague rendre de
nouveau visite à sa mère. Ane Sophie avait une bonne
attitude. Elle semblait plus sérieuse et s’intéressait
toujours à l’Église. De nouveau, elle assista aux
réunions avec lui, de temps en temps accompagnée de
Julia.
En
juin 1862, il les emmena toutes les deux à Christiania pour un
bref séjour. Les préjugés et l’hostilité
qu’Ane Sophie avait autrefois entretenus à l’égard
des saints avaient disparu et Julia et elle acceptèrent que
Carl les baptisât et les confirmât membres de l’Église.
Lorsque les ordonnances furent accomplies, les saints norvégiens
la comblèrent d’attention, heureux de rencontrer enfin
la mère de leur dirigeant de mission.
Le
20 juillet, Elizabeth Cannon reçut une lettre de George. Son
travail à Washington était terminé et il était
impatient de retourner à Liverpool sur l’un des deux
prochains bateaux à vapeur en partance pour l’Angleterre.
La lettre ne donnait pas beaucoup d’espoir à Elizabeth
de voir George attraper le premier bateau, mais elle serait contente
de le voir quand il arriverait.
Le
lendemain, elle se rendit avec Georgiana jusqu’à une
colline verdoyante surplombant Liverpool et la regarda jouer dans
l’herbe. Ayant confié ses petits garçons, John et
Abraham, à de la famille en Utah, elle était
reconnaissante d’avoir sa fille avec elle. Le lendemain, elle
nota dans son journal : « Elle est d’un grand réconfort
pour moi en l’absence de mon cher mari. Si je ne l’avais
pas, je n’aurais aucune paix. »
Elle
n’aurait jamais imaginé, lorsque George était
parti pour sa première mission en Californie et à
Hawaï, combien les séparations seraient dures. Aider à
rassembler le peuple de Dieu était une partie vitale de
l’œuvre des derniers jours, mais pesait lourdement sur
les femmes qui restaient derrière pour prendre soin des
enfants, de la maison et des biens en l’absence de leurs maris.
Elizabeth avait eu la chance d’accompagner George dans
certaines de ses missions, ce dont peu de femmes de missionnaires
pouvaient se vanter. Cela ne facilitait pas pour autant les longues
séparations lorsqu’elles se produisaient.
Quelques
jours après avoir reçu la lettre de George, Elizabeth
rangeait la maison pendant que Georgiana jouait avec Rosina Mathews,
une fillette britannique que les Cannon avaient prise chez eux.
Pendant qu’elle jouait, celle-ci jeta un coup d’œil
par la fenêtre. Elle s’écria : « Voilà
papa. »
Elizabeth
dit : « Tu dois te tromper. »
Elle
insista : « Il est dans une calèche, à la porte.
»
À
cet instant, elle entendit le bruit familier des pas de son mari sur
les marches. Lorsqu’elle le vit, son cœur bondit de joie
et elle en eut le souffle coupé. Georgiana courut à sa
rencontre et il la prit dans ses bras. Il avait bonne mine après
son long voyage et était content de voir que sa femme était
en meilleure forme que quand il était parti.
Cet
après-midi-là, la famille fit une promenade. Elizabeth
écrivit dans son journal : « Nous avons eu beaucoup de
plaisir à nous retrouver tous après une si longue
séparation. Le bonheur est de nouveau dans notre foyer. »
Malgré
tous les efforts de George, son lobbying à Washington n’avait
connu aucun succès. Le 8 juillet, le président Lincoln
signa le projet de loi anti-bigamie. Peu après, les
législateurs informèrent George et William que le
Congrès avait des affaires plus pressantes que le statut
d’État de l’Utah, notamment le fait que la guerre
de Sécession ne faisait que s’envenimer.
Maintenant
qu’il était de retour en Europe, George voulait faire le
tour de la mission avec Elizabeth. Ils quittèrent Liverpool en
septembre en compagnie de John Smith, le patriarche de l’Église,
qui passait par l’Angleterre en route pour une mission en
Scandinavie. En chemin, ils prirent le frère de John, Joseph
F. Smith, et son cousin, Samuel Smith, qui faisaient des missions à
Londres depuis 1860. Jesse Smith, un autre cousin, qui présidait
la mission de Scandinavie avait invité ses cousins à
lui rendre visite dès que John serait arrivé en Europe.
Le
groupe quitta l’Angleterre le 3 septembre et passa par
Hambourg, en Allemagne, pour se rendre au Danemark. Joseph et Samuel
avaient l’air fatigués et amaigris par la surcharge de
travail, mais ils semblaient récupérer au fil des
jours. Au Danemark, Elizabeth se sentit parfois mal à l’aise
de voyager dans un pays dont elle ne connaissait pas la langue. En
revanche, lorsqu’elle assista à une conférence
dans la ville d’Aalborg, elle eut plaisir à se mêler
aux saints.
George
et les autres missionnaires s’adressèrent à
l’assemblée avec l’aide d’interprètes
et ensuite ils se retrouvèrent sur une colline surplombant la
ville pour parler et chanter ensemble. La plupart des chants étaient
en anglais et en danois, mais George et Joseph amusèrent les
saints en chantant aussi en hawaïen. La joie qu’ils
éprouvèrent en tant que frères et sœurs,
en dépit des différences de langue et de nationalité,
formait un contraste frappant avec la discorde qui affligeait les
États-Unis.
Ce
jour-là, Elizabeth écrivit dans son journal : «
Je me suis vraiment beaucoup amusée et les gens m’ont
beaucoup plu. Je n’ai pas pu me faire comprendre, pourtant nous
sommes dans la même grande œuvre et partageons le même
esprit. »
CHAPITRE
22
: Comme
des charbons de feu ardents
La
journée du 5 juin 1863 touchait à sa fin lorsque T. B.
H. Stenhouse rencontra le président Abraham Lincoln. T. B. H.
Stenhouse, trente-neuf ans, directeur de journal, d’origine
écossaise, était un saint des derniers jours hautement
respecté des deux côtés de l’Atlantique.
Jeune
homme, il avait fait des missions en Angleterre, en Italie et en
Suisse. Plus tard, il avait été dirigeant de mission
dans l’Est des États-Unis et avait écrit des
articles pour le New York Herald, un journal à grand tirage,
et pour le Deseret News. Sa femme, Fanny, et lui étaient très
appréciés des saints à Salt Lake City et étaient
souvent présentés lorsque des visiteurs éminents
venaient dans la vallée.
En
s’entretenant avec Lincoln, Stenhouse voulait jauger la
disposition du président à laisser les saints se
gouverner. Peu de personnes en Utah s’attendaient à ce
qu’il fasse appliquer la nouvelle loi anti-bigamie. Pour qu’un
membre de l’Église en soit reconnu coupable, les
procureurs devaient prouver qu’un mariage plural avait eu lieu,
une tâche presque impossible du fait que ceux-ci se faisaient
en privé dans la maison des dotations et que les autorités
civiles n’avaient pas accès à ses registres. De
plus, les procureurs d’Utah auraient du mal à accuser
quelqu’un de bigamie tant que les membres de l’Église
feraient partie du jury.
Néanmoins,
de nombreux saints étaient mécontents des hommes que
Lincoln avait désignés pour les gouverner en Utah.
Alfred Cumming, qui avait remplacé Brigham Young au poste de
gouverneur en 1858, avait démissionné en 1861, en bons
termes avec les saints. John Dawson, celui que Lincoln avait choisi
pour le remplacer, avait vite perdu la faveur des saints lorsqu’il
avait essayé de faire échouer la pétition de
1862 réclamant le statut d’État pour l’Utah.
Stephen Harding, le candidat suivant de Lincoln, était
originaire de Palmyra, dans l’État de New York, et avait
connu Joseph Smith dans sa jeunesse. En dépit de ce lien,
Harding offensa rapidement les saints lorsqu’il essaya de
renforcer la loi anti-bigamie en proposant des lois pour empêcher
les membres de l’Église de faire partie de jurys.
Le
président écouta Stenhouse. Il plaisanta en disant
qu’il ne se souvenait pas du nom du gouverneur Harding et
exprima l’espoir que les représentants qu’il
enverrait en Utah se conduiraient mieux.
Quoi
qu’il en soit, la guerre de Sécession entrait dans sa
troisième année sanglante et le visage de Lincoln était
marqué et soucieux. Pour retourner la situation sur le plan
militaire, il avait récemment publié une proclamation
libérant les esclaves de tous les États du Sud et
permettant aux noirs de se joindre à l’armée des
États-Unis. Néanmoins les sudistes venaient de
l’emporter sur les forces fédérales au cours
d’une grande bataille coûteuse à cent kilomètres
au sud-ouest de Washington, lui causant des problèmes plus
importants que les disputes entre les saints et les représentants
du gouvernement.
Il
dit à Stenhouse : « Quand j’étais jeune,
j’étais en train de labourer une parcelle récemment
défrichée quand je suis arrivé devant un gros
rondin. Je ne pouvais pas labourer par-dessus, car il était
trop haut, je ne pouvais pas l’enlever, car il était
trop lourd et je ne pouvais pas le brûler, car il était
trop mouillé. Je me suis planté devant, l’ai
examiné et ai fini par en conclure que je devais le
contourner. »
Le
président poursuivit : « Rentrez chez vous et dites à
Brigham Young que s’il me laisse tranquille, je le laisserai
tranquille. »
Peu
après, Lincoln congédia le gouverneur Harding et nomma
un politicien plus modéré pour le remplacer.
Au
mois de janvier suivant, Alma Smith, trente-trois ans, reçut
une lettre de l’île de Lanai. La missive, brève et
urgente, était signée par six membres de l’Église
hawaïens. Parmi eux se trouvait Solomona, un ancien qui avait
été mis à part comme dirigeant de l’Église
sur Lanai lorsqu’Alma et tous les autres missionnaires d’Utah
avaient quitté Hawaï en 1858.
Alma
lut la lettre, traduisant soigneusement les mots hawaïens en
anglais. Elle disait : « L’affaire au sujet de laquelle
nous souhaitons vous écrire concerne notre prophète qui
habite ici, Walter M. Gibson. Est-il exact qu’il est notre
dirigeant ? »
Il
n’était pas surprenant d’apprendre que Walter
Gibson était sur Lanai. Par contre, le mot « prophète
» était alarmant. En 1861, la Première Présidence
avait envoyé le célèbre aventurier faire une
mission ambitieuse au Japon et dans d’autres nations d’Asie
et de l’océan Pacifique. Peu après, il l’avait
informée que sa fille, Talula, et lui s’étaient
installés avec les saints sur Lanai.
Depuis
lors, il avait tenu Brigham Young au courant de la croissance
prometteuse de la mission et de la colonie de Lanai. Un article de
journal hawaïen datant de 1862, repris par le Deseret News, ne
tarissait pas d’éloges sur le travail de Walter parmi
les saints hawaïens. Tout de même, pourquoi les saints de
là-bas l’appelaient-ils leur prophète ? Walter
n’était rien de plus qu’un missionnaire.
Alma
continua de lire. La lettre rapportait que Walter rejetait l’autorité
de Brigham Young et avait établi sur l’île sa
propre forme de prêtrise. Solomona et les autres saints
expliquaient : « Il a ordonné un collège de douze
apôtres, ainsi qu’un collège de soixante-dix, un
certain nombre d’évêques et de grands prêtres.
Les certificats d’ordination ne s’obtiennent que contre
paiement en argent et si l’argent n’est pas versé,
le candidat n’est pas ordonné. »
Sa
gestion des terres de l’Église était aussi
inquiétante. Au moyen de dons faits par les saints hawaïens,
il avait acheté des terres en son nom et les revendiquait
maintenant pour lui-même. Les saints hawaïens rapportaient
: « Gibson dit que ces terres ne sont pas pour l’Église
et que les frères n’ont aucun droit sur elles. Elles lui
appartiennent en exclusivité. »
Les
saints demandaient à Alma de montrer leur lettre à
Brigham Young. Ils expliquaient : « Nous sommes grandement
surpris par cet étranger. Nous n’avons pas la moindre
confiance en lui. »
Alma
apporta la lettre à Brigham qui la lut au Collège des
Douze le 17 janvier 1864. Les apôtres se mirent d’accord
pour prendre immédiatement des mesures. Walter se faisait
passer pour un prophète, avait escroqué des terres à
l’Église et opprimait les saints hawaïens.
Brigham
dit : « Je veux que deux des Douze prennent plusieurs jeunes
frères qui sont déjà allés là-bas
et aillent sur les îles remettre de l’ordre dans les
églises. »
Il
choisit les apôtres Ezra Benson et Lorenzo Snow pour diriger la
mission. Il demanda ensuite à Alma Smith et deux autres
anciens missionnaires d’Hawaï, Joseph F. Smith et William
Cluff, de les accompagner et de les aider.
Il
commanda : « Faites le nécessaire. »
Le
matin du 31 mars 1864, une goélette transportant les deux
apôtres et les trois missionnaires jeta l’ancre dans le
port extérieur de Lahaina, à Maui, dans les îles
Hawaï. Pendant que Joseph F. Smith restait à bord avec
les bagages du groupe, une barque fut mise à l’eau et
Ezra Benson, Lorenzo Snow, William Cluff, Alma Smith et le capitaine
du navire grimpèrent à bord et commencèrent à
voguer vers le rivage.
Au
loin, plus près de la plage, de grosses vagues gonflaient
dangereusement bien au-dessus des récifs. Ayant navigué
dans et hors du port de nombreuses fois lorsqu’il était
missionnaire, William craignit que l’eau ne soit trop agitée
pour la barque. Le capitaine lui assura qu’ils n’avaient
rien à craindre s’ils maintenaient leur trajectoire.
Peu
après, une énorme vague heurta la barque, soulevant
l’arrière hors de l’eau. La barque fonça
vers les récifs où une autre vague souleva l’arrière
tellement haut que les rames ne touchaient plus l’eau.
Lorsqu’elle se brisa, la barque fit demi-tour et chavira,
plongeant les hommes dans la houle agitée.
Pendant
un instant, on ne vit aucun signe des passagers, puis William, Ezra
et Alma refirent surface, haletants, et nagèrent en direction
de la barque renversée. Les hommes cherchèrent des yeux
Lorenzo et le capitaine, mais ne les virent nulle part.
Des
Hawaïens, ayant vu l’accident depuis le rivage, vinrent
immédiatement à la rescousse. Pendant que des
sauveteurs repêchaient William, Ezra et Alma, d’autres
plongeaient à la recherche des deux disparus. Ils trouvèrent
rapidement le capitaine allongé au fond de l’océan,
mais toujours aucun signe de Lorenzo.
Soudain,
William repéra un Hawaïen qui nageait vers leur barque,
tirant derrière lui le corps de l’apôtre. Ils
retournèrent la barque et William et Alma sortirent Lorenzo de
l’eau et l’allongèrent à plat ventre sur
leurs genoux. Son corps était froid et raide. Il ne respirait
pas.
Lorsqu’ils
atteignirent le rivage, William et Alma le transportèrent sur
la plage, l’étendirent en travers d’un tonneau et
le firent rouler en avant et en arrière jusqu’à
ce que l’eau sortît de sa bouche. Ils lui frottèrent
ensuite les bras et la poitrine d’une huile à l’odeur
forte et le firent de nouveau rouler sur le tonneau pour s’assurer
que toute l’eau était sortie. Lorenzo ne montrait
toujours aucun signe de vie.
Un
homme du rivage qui les assistait dit : « Nous avons fait tout
ce qui pouvait l’être. Il est impossible de sauver votre
ami. »
Ni
William ni Alma n’étaient disposés à
croire que Dieu lui avait fait faire tout le chemin jusqu’à
Hawaï pour le laisser périr. Petit garçon, Alma
lui-même avait failli mourir lorsque des émeutiers
avaient attaqué sa famille à Haun’s Mill, au
Missouri. Ils avaient tué son père et son frère
et lui avaient tiré dans la hanche, lui détruisant
l’articulation. Il avait failli se vider de son sang dans la
forge remplie de fumée où il avait été
blessé, mais sa mère avait imploré l’aide
de Dieu et l’Esprit lui avait montré comment soigner sa
blessure.
Agissant
avec foi, William et Alma tentèrent une fois de plus de
ranimer Lorenzo. Une idée traversa l’esprit de William
et il plaça sa bouche sur celle de l’apôtre et lui
souffla de toutes ses forces dans les poumons. Il souffla encore et
encore jusqu’à entendre un léger bruit dans la
gorge de l’apôtre. Encouragé, il souffla encore
jusqu’à ce que le bruit se muât en gémissement.
Lorenzo
finit par murmurer : « Que se passe-t-il ? »
William
dit : « Vous vous êtes noyé. » Il lui
demanda s’il le reconnaissait.
Il
dit : « Oui, frère William, je savais que vous ne
m’abandonneriez pas. Est-ce que tous les frères sont
sains et saufs ? »
William
dit : « Frère Snow, nous le sommes tous. »
Le
dimanche suivant, Joseph F. Smith accompagna ses collègues
jusqu’à la colonie de l’Église à
Lanai. Lorsqu’ils arrivèrent, certains saints Hawaïens
reconnurent les anciens missionnaires et leur souhaitèrent
chaleureusement la bienvenue.
Walter
accueillit les apôtres et les missionnaires au portail de sa
grande maison au toit de chaume. Il ne s’attendait pas à
les voir et son regard était inquiet et inquisiteur. Il leur
serra la main avec froideur et leur présenta sa fille, Talula,
âgée d’une vingtaine d’années. Il les
fit ensuite entrer chez lui et leur servit un petit-déjeuner
copieux composé de patates douces, de chèvre bouillie
et d’autres aliments. Il se conduisit de manière
distante et formelle tout au long de leur entretien.
Après
le petit-déjeuner, il emmena les hommes à sa réunion
de sabbat avec les saints hawaïens. Un « évêque
suprême » habillé de façon sophistiquée
fit sonner une cloche pour réunir l’assemblée.
Lorsque les gens entrèrent, une quinzaine ou une vingtaine
d’hommes portant des colliers de fleurs et de feuilles vertes
s’assirent sur un banc à l’avant de la salle.
Dix-sept garçons et dix-sept filles, chacun revêtu d’un
uniforme, prirent ensuite place près d’une table où
l’évêque était assis avec des hommes que
Walter avait mis à part comme apôtres.
Lorsque
ce dernier entra dans la pièce, l’assemblée se
leva et s’inclina respectueusement pendant qu’il passait
et allait s’asseoir en tête de table. Après la
prière d’ouverture, il se leva et salua la présence
des cinq visiteurs venus d’Utah. Il dit : « Je ne sais
pas ce qu’ils sont venus faire, mais ils vont peut-être
nous le dire. Ce que je dirai, c’est que je suis venu ici parmi
vous, vous ai acheté des terres et ici je resterai
inébranlablement, et en cela je ne céderai pas ! »
Les
deux jours suivants, les apôtres s’entretinrent en privé
avec Walter. Ils apprirent que ses méfaits allaient bien
au-delà de la vente des ordinations à la prêtrise.
C’était presque trop étrange pour être
crédible.
Lorsqu’il
était arrivé à Lanai, il avait vu l’occasion
d’inaugurer le vaste empire du Pacifique qu’il rêvait
de fonder depuis longtemps. Il avait persuadé les saints
hawaïens de lui faire don de leur bétail et de leurs
biens personnels afin de s’acheter des terres sur l’île.
Insufflant chez eux son rêve d’empire, il avait organisé
une milice sur l’île et entraînait ses membres pour
l’invasion des autres îles. Il avait également
envoyé des missionnaires dans les Samoa et dans d’autres
îles polynésiennes pour préparer ces terres à
son règne.
Le
peuple avait rapidement commencé à le traiter comme un
roi. Nul n’entrait chez lui pour lui parler autrement qu’à
quatre pattes. Pour susciter l’admiration, il avait marqué
une roche creuse près de chez lui comme pierre angulaire d’un
temple. Il y avait placé un Livre de Mormon et d’autres
documents, l’avait recouverte de broussailles et avait averti
les saints qu’ils seraient frappés s’ils s’en
approchaient.
Lorsque
les apôtres et les missionnaires eurent terminé leur
enquête, Ezra Benson et Lorenzo Snow réunirent les
saints pour parler de l’avenir de Walter en tant que dirigeant.
Avec Joseph comme interprète, Ezra condamna la saisie des
terres de l’Église et l’abus de l’autorité
de la prêtrise dont il était coupable.
Ezra
déclara : « Il est de notre devoir de le disqualifier
et, s’il ne rectifie pas sa trajectoire et ne se repent pas, de
le retrancher de l’Église. »
Walter
murmura quelque chose à l’oreille de Talula et elle
partit vite chercher une pile de papiers décorés de
sceaux et de rubans. Montrant trois signatures au bas d’une
page, il dit : « Messieurs, voici mon autorité. Vous ne
manquerez pas de reconnaître le nom de Brigham Young et de ses
deux conseillers ici. »
Lorenzo
lut le document. C’était un simple permis missionnaire
de prêcher l’Évangile aux îles de la mer.
Lorenzo dit : « Ce document ne vous désigne pas comme
président de la mission hawaïenne. Vous vous êtes
approprié cette autorité. »
Walter
répondit : « J’ai vu le président Young. Il
m’a imposé les mains et m’a béni. Et le
Dieu Tout-Puissant a abondamment déversé son Esprit sur
moi, avant que je ne le voie, lorsque j’étais allongé
dans cette prison, et m’a révélé que
j’avais une grande œuvre à accomplir. »
Walter
parlait rapidement, implorant avec ferveur les Hawaïens présents
dans la pièce. Il disait : « Je suis votre patriarche.
Ces hommes sont venus prendre vos terres et envoyer vos revenus au
loin. Est-ce cela l’amour ? Qui vous aime ? N’est-ce pas
moi ? Alors, qui sont mes enfants et mes amis ? Qu’ils se
lèvent ! »
Joseph
F. Smith regarda l’assemblée. Elle était émue
par les paroles de Walter et presque tout le monde se leva. Joseph
eut le cœur rempli de tristesse et ses espoirs pour la colonie
furent compromis.
Walter
se montra étrangement aimable envers les cinq hommes après
la réunion. Lorsqu’ils décidèrent de
quitter l’île le lendemain soir, il leur offrit des
chevaux pour aller jusqu’à la plage ainsi que son bateau
personnel et un équipage pour les ramener à Maui. Il
fit même cadeau à Ezra Benson d’une jolie canne et
de 9,75 dollars, tout l’argent qu’il avait dans la poche.
Cependant, il refusa catégoriquement de remettre son permis de
prêcher et de restituer les terres qu’il avait escroquées
aux saints.
Après
avoir quitté Lanai, Ezra Benson et Lorenzo Snow retournèrent
en Utah et Joseph F. Smith resta pour présider la mission
hawaïenne. Puisque les missionnaires ne pouvaient pas récupérer
légalement les terres que Walter avait prises aux saints de
Lanai, ils décidèrent de raviver la foi sur les autres
îles. Joseph envoya Alma Smith travailler sur Maui et la grande
île d’Hawaï pendant qu’il travaillait sur Oahu
et William Cluff sur Kauai.
Certains
saints regrettèrent d’avoir précédemment
soutenu Walter. Jonathan Napela, qui avait aidé George Q.
Cannon à traduire le Livre de Mormon, avait servi en qualité
de président des douze apôtres de Walter pendant les
deux années écoulées. Mais il se sentit trompé
lorsqu’il prit conscience que ce dernier n’avait jamais
eu l’autorité de l’ordonner à cet office.
Napela
commença à se réunir avec les saints sur Maui.
La plupart étaient déçus par Walter. Il avait
revendu la majorité de leurs églises et leur
interdisait d’adorer ensemble, de prêcher l’Évangile,
de lire les Écritures et de prier en famille. Par conséquent,
ils étaient faibles spirituellement et découragés
à cause de tout ce qu’il leur avait pris.
Alma
passa également la plus grande partie de son temps à
sillonner les terres rocailleuses de Maui pour rendre visite aux
saints éparpillés. Dès le début de l’été,
il vit bien que l’influence de Walter déclinait.
Davantage de saints quittaient Lanai, souvent pour venir à
Maui avec pas grand-chose d’autre que les vêtements
qu’ils avaient sur le dos. Le temps passé avec Walter
avait néanmoins mis leur foi à l’épreuve
et peu de membres de l’Église respectaient encore leurs
alliances du baptême lorsqu’ils revinrent.
Joseph
se plaignit à Brigham Young dans un rapport : « On ne
voit même pas que l’Évangile leur a fait une once
de bien, parce qu’aucun d’eux ne l’a respecté
! Avec notre exemple continuellement sous les yeux et notre
enseignement résonnant dans leurs oreilles, on pourrait
s’attendre à ce que quelques-uns fassent mieux, mais ce
n’est pas le cas. »
Brigham
recommanda à Joseph et aux autres missionnaires américains
de rentrer à la maison si l’Esprit les y poussait. Il
croyait qu’au bout du compte, les saints hawaïens étaient
responsables de leur progression spirituelle. Il écrivit à
Joseph et aux autres missionnaires : « Il me semble que vous
pouvez laisser les affaires de la mission entre les mains des frères
indigènes. » Les saints Hawaïens avaient reçu
l’Évangile et la prêtrise de nombreuses années
auparavant et avaient toutes les ressources nécessaires pour
diriger seuls l’Église.
Au
moment où le conseil de Brigham arriva à Hawaï,
l’attitude de Joseph vis-à-vis des saints hawaïens
s’était adoucie. Il écrivit à Brigham : «
Nous n’avons pas envie de déserter la mission. »
Par contre, il voulait bien réduire le nombre de missionnaires
sur les îles et appeler des anciens Hawaïens à
présider les diverses îles de la mission.
En
octobre, à l’occasion d’une conférence de
toute la mission à Honolulu, il annonça le changement
et confia à des Hawaïens des postes de dirigeants. Après
son discours, Kaloa, un ancien hawaïen, témoigna de sa
détermination à servir dans l’Église. Il
dit : « J’étais un jeune garçon lorsque ces
frères sont venus pour la première fois sur les îles.
Maintenant, je suis un homme. Ne soyons plus des enfants, mais des
hommes de foi et de bonnes œuvres. »
Napela
se leva à son tour et exhorta les saints à mener une
vie juste. Il dit : « Nous avons été trompés
et égarés par les fourberies de Gibson et, de ce fait,
nous avons rompu les alliances sacrées que nous avions
contractées. On nous a maintenant détrompés ;
renouvelons donc nos alliances et soyons fidèles. »
Kanahunahupu,
un autre ancien hawaïen, témoigna également : «
Les paroles prononcées aujourd’hui sont comme des
charbons de feu ardents. »
À
la fin de la conférence, Joseph F. Smith et William Cluff
annoncèrent qu’ils retourneraient bientôt en Utah.
Quelques semaines plus tard, Brigham informa Joseph qu’il avait
l’intention d’appeler Francis Hammond, l’ancien
dirigeant de mission de Joseph à Hawaï, pour le
remplacer.
Depuis
qu’ils avaient perdu la colonie de Lanai, Joseph et les autres
missionnaires cherchaient un nouveau lieu de rassemblement pour les
saints. Pendant l’été, ils avaient trouvé,
sur la Grande île d’Hawaï, un endroit qui semblait
prometteur, mais les saints hawaïens n’avaient pas les
moyens de se l’offrir.
En
outre, depuis l’échec de la colonie de Lanai, nombre
d’entre eux hésitaient à risquer encore de
l’argent dans un autre lieu de rassemblement. Les familles
voulaient la nouvelle colonie sur leur île et près de
chez eux.
Toutefois,
après la conférence d’octobre, Brigham Young
autorisa les dirigeants de mission à acheter des terres avec
l’argent de l’Église. Indécis au sujet de
la parcelle sur la Grande île, Joseph et William continuèrent
de chercher des lieux de rassemblement potentiels à
recommander à Francis pendant qu’ils faisaient une
dernière fois le tour des branches sur Kauai et Oahu.
Un
jour, sur Oahu, pendant que Joseph et William visitaient une petite
branche près d’une plantation appelée Laie,
William partit marcher seul. La plantation couvrait deux mille cinq
cents hectares au pied d’une haute montagne boisée, le
long du rivage nord-est de l’île. Contrairement à
la colonie de Lanai, Laie avait facilement accès à
l’eau.
Se
sentant déprimé et quelque peu esseulé, William
s’agenouilla dans un fourré voisin pour prier. Il se
leva, toujours aussi privé d’énergie, et trouva
un sentier qui serpentait à travers des parcelles herbeuses et
des broussailles denses. Il le suivit un moment puis, à sa
grande surprise, il eut une vision de Brigham Young remontant le
chemin.
William
le salua comme s’il était réellement là et
ils s’assirent dans l’herbe. Brigham parla de la beauté
de la plantation, de la richesse du sol, des montagnes verdoyantes et
du bruit des vagues s’écrasant doucement sur la plage.
Il finit par dire : « C’est un endroit des plus
agréables. Frère William, c’est ici que nous
voulons nous assurer d’installer le siège de cette
mission. »
William
se retrouva alors seul, rempli d’étonnement et
d’émerveillement, mais confiant d’avoir trouvé
le bon lieu de rassemblement pour les saints hawaïens.
CHAPITRE
23
: Un
tout harmonieux
Susie
Young avait toujours eu une petite santé lorsqu’elle
était enfant. Au printemps 1865, âgée d’à
peine neuf ans, elle avait déjà survécu à
une pneumonie, la coqueluche et à d’autres maladies
graves. Lorsqu’elle courait trop vite ou jouait trop
intensément, elle avait du mal à respirer. Parfois, son
père, Brigham Young, la prenait gentiment dans ses bras, la
serrait contre lui et disait doucement : « Attends un instant,
ma fille. Ne sois pas si pressée. Prends le temps de respirer.
»
Susie
avait rarement un instant à perdre. Il se passait toujours
quelque chose dans le logement qu’elle occupait avec nombre des
femmes de son père et la plupart de ses jeunes enfants. La
longue maison à deux niveaux s’appelait la Lion House,
et elle jouxtait le bureau de son père, tout près du
site du temple à Salt Lake City. L’étage
supérieur comptait de nombreuses chambres et salons pour les
membres de la famille. Au rez-de-chaussée se trouvaient
d’autres chambres et un grand salon où l’on
recevait les invités et faisait les prières en famille.
Au sous-sol, il y avait des pièces d’entreposage, des
caves, une buanderie, une cuisine et une salle à manger
suffisamment spacieuse pour toute la famille.
Sur
le balcon, à l’avant de la maison, veillant sur la rue,
était tapie la statue majestueuse d’un lion.
À
une certaine période, près de trente des cinquante-cinq
frères et sœurs de Susie habitaient là. Parfois,
la famille avait recueilli des orphelins, notamment Ina Maybert, une
fillette originaire d’Inde. Un garçon du quartier appelé
Heber Grant jouait souvent à la maison avec les frères
de Susie et se joignait aux Young pour les prières en famille.
Il était le fils unique de Rachel Ivins et de l’ancien
conseiller de Brigham, Jedediah Grant. En hiver, Heber aimait
s’agripper au traîneau de Brigham et se faire tirer sur
la glace.
La
famille Young essayait de maintenir l’ordre chez elle avec des
horaires stricts pour les repas, les études et les prières.
Cependant, cela n’empêchait pas Susie et ses frères
et sœurs de monter les escaliers en courant, de glisser sur la
rampe et de jouer à cache-cache. Petite fille, Susie pensait
qu’il était parfaitement normal que sa famille fût
aussi grande et que son père vécût avec plus
d’une douzaine de femmes. En fait, sa famille était
atypique même parmi les familles plurales, qui étaient
habituellement bien plus petites en comparaison. Contrairement à
son père, la plupart des hommes qui pratiquaient le mariage
plural dans l’Église n’avaient que deux femmes.
Sa
propre mère, Lucy Bigelow Young, lui était très
dévouée et la comblait de soins et d’amour. Zina
Huntington Young et Emily Partridge Young, deux des femmes de son
père qui vécurent quelque temps à la Lion House,
étaient aussi comme des mères pour elle. Il en allait
de même de Clara Decker Young, qui veillait souvent tard pour
discuter avec Susie et ses sœurs et leur faire des
recommandations.
Une
autre femme, Eliza Snow, était une poétesse qui
étudiait les livres durant son temps libre et encourageait la
créativité naissante de Susie. Eliza était
intelligente, éloquente et extrêmement disciplinée.
Sa chambre, son salon et sa table de travail étaient
soigneusement rangés. Certaines personnes la trouvaient froide
et distante mais Susie savait qu’elle était aimable et
tendre, surtout lorsqu’elle soignait les malades.
La
Lion House n’était pas toujours exempte de conflits,
mais la famille essayait de s’adapter de son mieux à ce
mode de vie. Brigham n’aimait pas comparer le mariage plural
aux coutumes du monde. Il disait aux saints : « Cela vient des
cieux. Le Seigneur l’a expressément institué dans
le but d’élever une nation royale, un sacerdoce saint,
un peuple acquis, un peuple qui pourrait lui appartenir et qu’il
pourrait bénir. »
De
plus, il témoigna : « Si ma foi a été mise
à l’épreuve ici-bas, c’est bien lorsque
Joseph Smith m’a révélé ce point de
doctrine. J’ai dû prier continuellement et j’ai dû
faire preuve de foi, ensuite le Seigneur m’en a révélé
la véracité et cela m’a suffi. »
La
joie qu’il a éprouvée en élevant ses
nombreux enfants dans l’Évangile du Christ était
l’un des fruits de cette foi. Le soir, il faisait sonner une
cloche pour rassembler tout le monde pour la prière. Parlant
au Seigneur avec douceur et amour, il disait souvent : « Nous
te remercions pour ces vallées paisibles et ces montagnes
isolées que tu as préservées afin qu’elles
soient un lieu de rassemblement pour ton peuple. Bénis les
pauvres, les nécessiteux, les malades et les affligés.
Réconforte les cœurs attristés. Sois un soutien
pour les personnes âgées et un guide pour les jeunes. »
Brigham
réfléchissait souvent au bien-être des saints.
Les temps changeaient et un chemin de fer qui traverserait l’Amérique
du Nord était maintenant en cours de construction. Il avait
investi de l’argent dans cette entreprise, certain que grâce
à la voie ferrée, les déplacements des
missionnaires et des émigrants vers et hors d’Utah
seraient plus rapides, moins chers et moins fatigants. Il savait, par
contre, qu’elle apporterait davantage de tentations dans le
territoire et il voulait préparer les saints spirituellement
et économiquement à son arrivée.
Il
voulait aussi fortifier sa propre famille et, ce printemps-là,
Susie et ses frères et sœurs apprirent qu’il avait
embauché Karl Maeser comme instituteur privé.
L’enseignement du professeur Maeser irrita certains frères
de Susie et ils quittèrent l’école, mais Susie
était captivée par ses cours.
Les
livres, surtout les Écritures, prenaient vie en classe. Le
professeur Maeser encourageait les enfants Young à poser des
questions et à trouver des solutions aux problèmes.
Bien que toujours avide d’apprendre quelque chose de nouveau,
Susie était parfois contrariée lorsqu’elle
commettait des erreurs dans son travail scolaire.
Le
professeur Maeser était patient. Il lui disait : « Les
personnes qui apprennent les leçons et les vérités
qui en valent la peine sont uniquement celles qui ont le courage de
commettre des erreurs. »
Ce
printemps-là, Johan Dorius exerçait le métier de
cordonnier à Fort Éphraïm. Son frère Carl
et lui étaient rentrés depuis deux ans de leur mission
en Scandinavie. Avant de quitter le Danemark, ils avaient espéré
ramener leur mère avec eux, mais comme son nouveau mari
n’était pas disposé à quitter Copenhague,
elle y avait renoncé. Quelques jours plus tard, déçus,
les deux frères avaient embarqué au Danemark avec une
compagnie de trois cents saints.
Depuis
son retour en Utah, Johan essayait de gagner de l’argent. En
son absence, sa femme, Karen, avait construit un deux-pièces
sur leur parcelle à Spring Town et avait cultivé la
terre et gardé une cour pleine de bétail. Elle avait
attendu avec impatience les jours heureux où son mari et leurs
enfants seraient dans leur nouvelle maison, mais peu après le
retour de Johan, il avait reçu la permission d’épouser
une deuxième femme, une convertie norvégienne appelée
Gunild Torgersen. Karen fut cruellement éprouvée par
cette nouvelle situation, mais elle fut soutenue par sa foi au
Seigneur. Puisque leur maison s’avérait maintenant trop
petite, la famille s’installa au cours de l’année
à Éphraïm, sur une grande parcelle de la ville.
Vers
cette époque-là, dans la vallée de Sanpete, les
tensions entre les saints et les Utes empiraient. Le nombre
d’émigrants en Utah étant toujours croissant, les
villes grandissaient rapidement et les nouvelles colonies privaient
souvent les Utes de leurs réserves habituelles de nourriture
et d’eau. Certains colons entretenaient aussi de grands
troupeaux de bétail sur des hectares de prairies au centre de
l’Utah, repoussant encore les Utes hors de la région.
Conscient
de ces problèmes, Brigham Young exhorta les saints à
nourrir les Indiens et à les traiter avec gentillesse. Il
écrivit à un dirigeant de l’Église : «
Nous sommes installés sur leurs terres, ce qui matériellement
nuit à la réussite de leur chasse, de leur pêche,
etc. Pour ces raisons, le devoir nous incombe de faire preuve de
toute la gentillesse et de toute la patience possibles. »
En
dépit de l’espoir de Brigham d’inspirer une plus
grande compassion à l’égard des Indiens, la
nourriture était déjà rare dans certaines
colonies et peu de saints étaient désireux de partager
leurs provisions. Lorsque les colons refusaient de le faire, les Utes
avaient souvent recours au vol de bétail pour se nourrir.
Des
violences finirent par éclater au printemps de 1865 dans la
vallée de Sanpete, lorsque des négociations de paix
entre les saints et les Utes se terminèrent mal. Quelques
semaines plus tard, un groupe d’Utes dirigé par un homme
du nom de Black Hawk commença à voler du bétail
et à tuer des colons. Le conflit empira à l’approche
de l’été. En juin, Brigham et le gouvernement des
États-Unis tentèrent de persuader les chefs utes
d’installer la tribu dans une réserve, mais les attaques
sur les colonies continuèrent. Brigham commanda alors à
la milice d’arrêter les voleurs, mais sans faire de mal
aux femmes, aux enfants et aux Utes pacifiques. Malgré cela,
les deux côtés attaquèrent plus férocement.
L’après-midi
du 17 octobre, Johan Dorius regarda avec horreur Black Hawk et ses
hommes attaquer un jeune couple de Danois et leur bébé,
ainsi qu’une jeune Suédoise, alors qu’ils étaient
dans les champs entourant Éphraïm. Johan et plusieurs
saints s’y précipitèrent une fois que les Indiens
furent partis voler le bétail de la colonie. Le couple était
mort et la Suédoise mourante, mais curieusement, le petit
garçon était sain et sauf. Johan le prit dans ses bras
et le ramena en ville.
Avec
la milice aux trousses de la bande de Black Hawk, les dirigeants de
l’Église commandèrent aux saints de la vallée
de Sanpete et des régions avoisinantes d’agir avec
prudence et de rester sur la défensive. Cependant, envahis de
peur et de méfiance, certains saints, au cœur du
conflit, ne tinrent pas compte de leurs paroles.
Six
mois après l’attaque de Fort Éphraïm, les
membres de l’Église d’une petite colonie mal
protégée appelée Circleville capturèrent
une vingtaine de Païutes pacifiques qu’ils soupçonnaient
d’être des espions de Black Hawk. Les colons lièrent
les hommes et ils furent détenus dans l’église
locale. Pendant ce temps, les femmes et les enfants furent placés
dans une cave vide. Lorsque certains hommes tentèrent de
s’évader, les colons leur tirèrent dessus et
exécutèrent les prisonniers restant l’un après
l’autre y compris les femmes et les enfants plus âgés.
Brigham
condamna vigoureusement cet acte de violence. Il dit : «
Lorsqu’un homme tire sur un Indien innocent, il est coupable de
meurtre. » Il tint les saints, et non les Indiens, pour
responsables du conflit. Il dit : « Si les anciens d’Israël
avaient traité les Indiens comme ils auraient dû, je
crois que nous n’aurions jamais eu le moindre problème
avec eux. »
Pendant
encore une année, la violence généralisée
continua de faire rage entre les saints et les Indiens au centre de
l’Utah. Les saints qui habitaient dans les petites colonies
emménagèrent dans des localités plus grandes et
postèrent des gardes pour protéger leur bétail.
Après que les saints eurent mis un terme à un grand
raid indien en juillet 1867, Black Hawk et deux chefs se livrèrent
aux agents du gouvernement. Certains Utes continuèrent de
voler du bétail aux saints, mais le conflit était
quasiment terminé.
Le
6 octobre de cette année, la conférence générale
eut lieu dans le nouveau tabernacle spacieux situé à
l’ouest du site du temple. En 1863, la Première
Présidence avait annoncé la construction d’un
lieu de réunion plus grand dans le quartier du temple. Le
bâtiment ovale était recouvert d’un dôme en
forme de carapace de tortue. Henry Grow, constructeur de ponts à
la retraite, l’avait fabriqué en formant un treillis de
pièces de bois retenues solidement ensemble par des chevilles
et des lamelles de cuir, le tout reposant sur quarante-quatre
colonnes de grès. Puisque la conception innovante ne
comprenait pas de colonnes intérieures pour soutenir le
plafond massif, les saints, lors des conférences, avaient une
vue dégagée des orateurs à la chaire.
Cet
automne-là, Brigham continua de suivre les progrès du
chemin de fer. La guerre de Sécession s’était
terminée par la victoire du Nord au printemps de 1865, donnant
au projet de la voie ferrée une nouvelle impulsion lorsque la
nation s’était tournée vers l’ouest, en
quête de possibilités nouvelles. Brigham faisait partie
du conseil d’administration de l’une des compagnies de
chemin de fer, mais son soutien à l’entreprise ne
l’empêchait pas de s’inquiéter des
changements qu’elle apporterait au territoire et à son
économie.
Dans
les Doctrine et Alliances, le Seigneur commandait à son peuple
d’être « un », de partager les fardeaux
économiques et de « reste[r] indépendant
par-dessus toutes les autres créations en dessous du monde
céleste ». Au fil des années, Brigham et d’autres
dirigeants avaient employé divers moyens pour unir les saints
et fortifier leurs liens. L’un d’eux était
l’alphabet de Deseret, un système phonétique
conçu pour régler un supposé problème
d’orthographe en anglais, enseigner la lecture aux jeunes
saints et aider les immigrants à apprendre rapidement la
langue afin de se sentir chez eux en Utah.
De
plus, pour obtenir l’indépendance économique en
Sion, Brigham commença à promouvoir un mouvement
coopératif parmi les saints. Dans ses sermons, il les
encourageait fréquemment à cultiver leur nourriture, à
confectionner leurs vêtements et à construire des
moulins, des usines et des fonderies. Il critiquait également
les marchands dans et hors de l’Église qui venaient dans
le territoire vendre à profit des produits difficiles à
trouver et qui s’enrichissaient eux-mêmes au lieu
d’enrichir la cause de Sion.
Sachant
que le chemin de fer amènerait encore plus de marchands et de
produits pour faire concurrence aux entreprises locales, Brigham
implora les membres de l’Église de soutenir ces
dernières et de rester financièrement indépendants
des marchés extérieurs. Pour lui, leur salut économique
était aussi important que leur salut spirituel. Une attaque
contre l’économie de Sion était une attaque
contre Sion elle-même.
Il
commença également à chercher comment affermir
les membres grâce à des institutions au sein de
l’Église. En 1849, Richard Ballantyne, un saint
écossais, avait organisé la première École
du dimanche de la vallée. Depuis lors, de nombreuses paroisses
tenaient indépendamment les unes des autres une École
du dimanche, utilisant souvent de la documentation et des manuels
différents. De son côté, George Q. Cannon avait
récemment créé le Juvenile Instructor, un
magazine illustré proposant des leçons sur l’Évangile
que les Écoles du Dimanche pouvaient utiliser à moindre
coût pour les instructeurs et les élèves. En
novembre 1867, Brigham et d’autres dirigeants de l’Église
nommèrent George président d’une union de l’École
du dimanche pour encourager les paroisses et les branches dans toute
l’Église à organiser la leur.
Les
classes élémentaires de l’École du
dimanche étaient essentiellement destinées aux jeunes
garçons et filles de l’Église. Pour les hommes
adultes, Brigham décida d’organiser une École des
prophètes dans chacune des villes principales du territoire.
Environ trente-cinq ans plus tôt, le Seigneur avait commandé
à Joseph Smith d’organiser de telles écoles à
Kirtland et au Missouri afin de favoriser l’unité et la
foi parmi les détenteurs de la prêtrise de la jeune
Église et de préparer les hommes à la
proclamation de l’Évangile.
Brigham
espérait que la nouvelle École des prophètes
permettrait une plus grande unité et une plus grande dévotion
spirituelles chez les hommes de l’Église. Il croyait
pouvoir ainsi leur faire comprendre l’importance de la
coopération économique, du respect des alliances et de
l’édification de Sion avant l’arrivée du
chemin de fer.
Une
École des prophètes ouvrit ses portes à Salt
Lake City le 2 décembre 1867. Au fil des semaines qui
suivirent, Brigham exhorta ses membres à gérer leurs
affaires de façon à ce que les saints en profitent et
non les marchands venus de l’extérieur. Il enseigna : «
Nous devons être unis et nous comprendre. » Il condamna
les membres de l’Église qui achetaient des marchandises
à l’endroit et au moment qui leur plaisait, sans tenir
compte des besoins de Sion.
Il
déclara : « Ils n’ont rien à faire dans ce
royaume. »
Six
jours après l’organisation de l’École des
prophètes à Salt Lake City, Brigham parla aux évêques
de la réorganisation des Sociétés de Secours de
paroisse, qui s’étaient en grande partie dissoutes lors
des menaces de conflit avec l’armée des États-Unis
dix ans auparavant. Il espérait qu’elles encourageraient
une plus grande unité parmi les saints en aidant les membres
les plus nécessiteux.
Du
fait que les évêques ne savaient pas grand-chose de
l’objectif des Sociétés de Secours, il demanda à
Eliza Snow de les aider à en organiser une dans leur paroisse.
Eliza en fut honorée. Peu de gens comprenaient l’objectif
de la Société de secours aussi bien qu’elle. En
qualité de secrétaire de la Société de
secours des Femmes de Nauvoo, elle avait soigneusement rédigé
le procès-verbal des réunions, enregistré les
enseignements de Joseph Smith aux femmes et les avait conservés
dans un registre.
Elle
eut plaisir à collaborer avec les évêques et ils
furent reconnaissants de son aide. Lorsqu’au printemps suivant
Brigham lui dit qu’il avait une autre mission à lui
confier, elle ne demanda pas de quoi il s’agissait. Elle dit
simplement : « Je m’efforcerai de m’en acquitter. »
Il
lui dit : « Je veux que tu instruises les sœurs. »
Il pensait que les femmes de l’Église avaient besoin
d’elle pour comprendre le rôle de la Société
de secours dans l’édification de Sion.
Eliza
sentit les battements de son cœur s’accélérer.
Instruire les femmes de l’Église était une tâche
énorme. Dans l’Église, les femmes ne prenaient
habituellement pas la parole lors des réunions publiques,
excepté lors des réunions de témoignage. Eliza
devait maintenant rendre visite à chaque colonie du
territoire, rencontrer chaque Société de secours de
paroisse et de branche et parler en public.
Peu
après son entretien avec Brigham, elle publia un article dans
le Deseret News. Elle demanda à ses lecteurs : « Quel
est l’objectif de la Société de secours des
femmes ? Je répondrais : faire le bien, puiser dans toutes les
capacités que nous possédons pour faire le bien, non
seulement pour soulager les pauvres mais pour sauver les âmes.
»
S’appuyant
sur les annales de la Société de secours de Nauvoo,
elle exhorta les femmes à s’avancer et à prendre
leurs devoirs à cœur. Elle écrivit : « Au
cas où des filles et des mères en Israël auraient
le sentiment d’être quelque peu limitées dans leur
sphère actuelle, elles trouveront maintenant de nombreuses
possibilités d’utiliser tous les pouvoirs et toutes les
capacités qu’elles ont de faire le bien. »
L’après-midi
du 30 avril 1868, Eliza visita la Société de secours
des femmes de la treizième paroisse de Salt Lake City. Quelque
vingt-cinq sœurs étaient présentes dont Zina
Huntington Young, Emily Partridge Young et Bathsheba Smith, qui
avaient toutes appartenu à la Société de secours
de Nauvoo. La nouvelle présidente de la Société
de secours de paroisse, Rachel Grant, dirigeait la réunion
avec ses deux conseillères, les sœurs jumelles Annie
Godbe et Margaret Mitchell.
Rachel
Grant, maintenant âgée de quarante-sept ans, avait vécu
à Nauvoo au début des années 1840, mais elle
n’avait pas appartenu à la Société de
secours d’origine. Sa foi avait été sévèrement
éprouvée lorsqu’elle avait pris connaissance du
mariage plural et, à la mort de Joseph Smith, elle était
retournée vivre avec sa famille dans les États de
l’Est. Elle était cependant restée en contact
avec les missionnaires et d’autres membres de l’Église
et avait décidé de venir en Utah en 1853 après
beaucoup de prières et un profond examen de conscience. Deux
ans plus tard, elle épousa Jedediah Grant, en tant que femme
plurale, et mit au monde son seul enfant, Heber, neuf jours avant le
décès prématuré de son mari. Depuis lors,
elle prenait soin d’Heber avec ses modestes revenus de
couturière.
Après
avoir ouvert la réunion de la Société de
secours, Rachel demanda à Eliza d’instruire les femmes.
Elle leur dit : « Joseph Smith, le prophète, attendait
de grands résultats de la formation des Sociétés
féminines de Secours ; il pensait que beaucoup de bien
pourrait être fait par les sœurs lorsqu’elles
rendraient visite aux malades et aux affligés. » Elle
les encouragea à s’assurer du déroulement ordonné
des réunions, à faire de bonnes œuvres et à
prendre soin les unes des autres.
Elle
expliqua : « La Société devrait être comme
une mère avec son enfant. Elle ne le tient pas à
distance, mais l’attire près d’elle et le serre
contre sa poitrine, montrant le besoin d’unité et
d’amour. »
Lorsqu’elle
eut fini de parler, Rachel dit qu’elle était fière
des femmes et qu’elle espérait qu’en se
réunissant, elles deviendraient plus fortes. Eliza les
encouragea ensuite à ouvrir la bouche. Elle témoigna
qu’elles trouveraient de la force en se parlant les unes aux
autres.
Elle
dit : « L’ennemi est toujours satisfait lorsque nous ne
surmontons pas notre timidité et nous retenons de prononcer
des paroles d’encouragement et de détermination. Dès
que cette réserve est vaincue, nous prenons rapidement
confiance. »
Elle
promit : « Le temps viendra où nous nous tiendrons à
des postes de responsabilité importants. »
Pendant
que les paroisses et les branches organisaient des Sociétés
de Secours, Eliza s’entretenait avec Sarah Kimball, une autre
membre fondatrice de la société de Nauvoo, pour exposer
les devoirs des officiers de la Société de secours.
Ensuite, elle commença à visiter les Sociétés
de Secours de tout le territoire, puisant souvent dans les
procès-verbaux de la Société de secours
originale pour informer les femmes de leurs devoirs. Elle leur
enseigna : « Cette organisation appartient à
l’organisation de l’Église du Christ dans toutes
les dispensations lorsque celle-ci est complète. » Quand
elle ne pouvait pas visiter des Sociétés de Secours
personnellement, elle leur écrivait des lettres.
Pendant
ce temps, Brigham organisait d’autres annexes de l’École
des prophètes et conseillait à leurs membres d’étudier
toutes sortes de matières et de devenir d’un seul cœur
et d’un seul esprit. En avril 1868, il alla à Provo
fonder une école sous la direction d’Abraham Smoot,
qu’il avait envoyé, accompagné de John Taylor,
Wilford Woodruff, Joseph F. Smith et d’autres, réformer
une ville indisciplinée. Pendant leur séjour en ville,
Brigham et Abraham exhortèrent les membres de l’école
de Provo à faire essentiellement affaire entre eux, conservant
ainsi leurs ressources et leurs profits parmi les saints.
Abraham
dit : « Chaque membre a une influence et nous devons l’utiliser
dans la bonne direction. »
Quelques
semaines plus tard, Heber Kimball, conseiller de Brigham, fut victime
d’un accident de boquet à Provo. Il fut violemment
projeté hors de la carriole et sa tête heurta le sol. Il
resta allongé là pendant un certain temps, exposé
au froid, jusqu’à ce qu’un ami le trouve. Brigham
espérait qu’Heber, l’un de ses plus anciens amis,
se remettrait de l’accident. Cependant, Heber eut un AVC début
juin et mourut plus tard ce mois-là, entouré de membres
de sa famille.
Son
décès eut lieu huit mois jour pour jour après
celui de sa femme Vilate. Au moment de sa disparition, il avait
prophétisé : « Je la suivrai bientôt. »
Lors de ses obsèques, Brigham décida de rendre un
hommage simple à la droiture de son ami et conseiller.
Il
déclara : « C’était un homme d’une
intégrité inégalée. »
Au
moment du décès d’Heber, les ouvriers du chemin
de fer, parmi lesquels se trouvaient de nombreux immigrants chinois,
d’anciens esclaves et d’anciens combattants de la guerre
de Sécession, se dépêchaient d’achever la
ligne transcontinentale. En août, Brigham encouragea les hommes
de l’Église à participer à la
construction. Une fois que les deux tronçons seraient réunis
au nord du Grand Lac Salé, il espérait construire une
voie passant par Salt Lake City et reliant d’autres villes au
sud pour faciliter les déplacements entre les colonies et
transporter les pierres pour le temple.
Un
soir, après la prière en famille, il fit néanmoins
part de son inquiétude au sujet du chemin de fer à
certaines de ses femmes, à quelques amis et à ses
enfants plus âgés. Il dit : « Nous avons quitté
le monde, mais le monde vient à nous. » L’École
du dimanche, l’École des prophètes et la Société
de secours étaient en place pour soutenir et affermir les
saints, mais est-ce que lui et sa génération avaient
fait assez pour préparer les jeunes à ce qui arrivait ?
Il
dit : « Ils n’auront pas le même genre d’épreuves
que celles que leurs pères et mères ont traversées.
Ils seront éprouvés par l’orgueil, la folie et
les plaisirs d’un monde pécheur. » Si sa
génération n’aidait pas les jeunes à
cultiver la foi en Jésus-Christ, les tentations du monde les
égareraient.
En
fin de compte, Brigham était tout de même persuadé
que l’Évangile de Jésus-Christ continuerait
d’unir et de protéger le peuple de Dieu, y compris les
jeunes.
Au
début de l’année 1869, il se dit que l’Évangile
rétabli avait « envoyé ses instructeurs jusqu’aux
extrémités de la terre, avait rassemblé des gens
de presque toutes les langues et religions du monde, de niveau
d’études divers et de traditions des plus opposées
et les avait soudés en un tout harmonieux. »
Il
déclara : « Une religion qui peut prendre une foule
hétérogène et la transformer en un peuple
heureux, satisfait et uni a un pouvoir en son sein que les nations
ignorent. Ce pouvoir est le pouvoir de Dieu. »
En
mars 1869, les habitants d’Ogden s’amassèrent sur
de hautes falaises pour regarder les ouvriers du rail poser la voie
ferrée. Elle était enfin arrivée au cœur
du territoire, une traverse et un rail à la fois. Les trains
ne tarderaient pas à arriver, crachant de la fumée
noire et de la vapeur grise dans le ciel.
Plus
tard cette année-là, Brigham rendit visite aux saints
dans les colonies du Sud. L’École du dimanche, l’École
des prophètes et la Société de secours
fonctionnaient dans nombre des villes qu’il visita. À sa
demande, les saints ouvrirent également de nouveaux magasins
appelés coopératives ou « coops » pour
promouvoir la coopération économique et non la
concurrence parmi eux. Brigham voulait que chaque ville ait une coop
pour satisfaire aux besoins des saints à un prix équitable.
Début
mai, il conseilla à ceux qui habitaient au centre de l’Utah
de vivre selon toute parole de Dieu. Il dit : « Le fait de
vivre dans ces vallées ne prouve pas que nous sommes les
saints de Dieu. Si nous voulons prouver à Dieu ou aux hommes
que nous sommes des saints, nous devons vivre pour Dieu et personne
d’autre. »
Le
10 mai 1869, dans une vallée à l’ouest d’Ogden,
les lignes de chemin de fer se rencontrèrent enfin. Les
compagnies de chemin de fer connectèrent les câbles du
télégraphe aux marteaux qui enfonçaient les
dernières pointes dans les traverses. Chaque coup de marteau
envoyait une impulsion électrique le long du câble
jusqu’à Salt Lake City et d’autres villes de la
nation, proclamant qu’un chemin de fer reliait maintenant les
côtes Atlantique et Pacifique des États-Unis d’Amérique.
Les
saints de Salt Lake City célébrèrent l’événement
dans le nouveau tabernacle du quartier du temple. Ce soir-là,
tous les bureaux et bâtiments publics laissèrent leurs
lumières allumées bien après leur fermeture afin
d’illuminer la ville. Sur une colline au nord de la cité,
les saints allumèrent un feu de joie visible à des
kilomètres.
TROISIÈME
PARTIE
: À
l’heure de l’épreuve
(mai
1869 - juillet 1887)
CHAPITRE
24
: Une
œuvre immense
Le
19 mai 1869, dans un éditorial du Deseret Evening News, George
Q. Cannon écrivit : « Des magasins coopératifs
ont vu le jour dans presque tous les coins du territoire, partout où
l’on avait besoin d’un magasin. Que toutes les femmes du
territoire se servent dans ces magasins, le commerce y affluera tout
naturellement ! »
Sarah
Kimball, présidente de la Société de secours de
la Quinzième paroisse de Salt Lake City, fut impressionnée
par l’opinion exprimée dans l’éditorial sur
les femmes et leur importance dans le mouvement coopératif.
Pour devenir un peuple autonome, la coopération entre les
saints était cruciale. Les femmes fabriquaient une grande
partie des marchandises vendues dans les coopératives et
achetaient souvent des actions dans les institutions.
Brigham
Young enseignait que tous les efforts fournis pour édifier
Sion, aussi bassement matériels fussent-ils, faisaient partie
de l’œuvre sacrée du Seigneur. Récemment,
il avait exhorté les saints à faire leurs achats
uniquement dans les coopératives et autres entreprises où
l’expression « Sainteté au Seigneur »
figurait quelque part sur l’établissement. En soutenant
ces magasins, les femmes œuvraient pour le bien des saints, et
non pour celui des marchands extérieurs.
Sarah
et sa Société de secours s’efforçaient
déjà de promouvoir les idéaux de la coopération.
L’année précédente, elles avaient commencé
à construire un centre de Société de secours
dans leur paroisse. Suivant le modèle du magasin de Joseph
Smith à Nauvoo, où la première Société
de secours avait été organisée, le nouveau
centre s’étendait sur deux niveaux. À l’étage,
les femmes disposeraient d’un atelier consacré au culte,
aux arts et à la science. Au rez-de-chaussée, elles
installeraient une coopérative qui vendrait et échangerait
des lainages, des bobines de coton, des tapis, des fruits secs, des
mocassins et d’autres marchandises fabriquées par des
membres de la Société de secours. En tant que petite
coopérative, elle servirait aussi de détaillant pour la
plus grande coopérative de la ville, Zion’s Cooperative
Mercantile Institution (Z.C.M.I.).
Lorsqu’il
serait achevé, le centre de Société de secours
serait le premier en son genre dans l’Église. Les
Sociétés de Secours se réunissaient
habituellement chez des particuliers ou dans des églises.
Cependant Sarah, qui avait été l’une des
fondatrices de la première Société de secours à
Nauvoo, voulait un endroit où les femmes de la Quinzième
paroisse pourraient cultiver et fortifier les pouvoirs et les
capacités que Dieu leur avait donnés.
Tout
au long de l’année, elle avait été le
moteur derrière la construction du bâtiment. Bien qu’un
homme eût proposé de faire don d’un terrain pour
le projet, les autres femmes de la société et elle
avaient insisté pour le payer cent dollars. Plus tard, après
l’ouverture du chantier, Sarah avait utilisé un maillet
et une truelle en argent pour aider un maçon à poser la
pierre angulaire.
Debout
sur la pierre, elle avait déclaré : « L’objectif
du bâtiment est de permettre à la société
de conjuguer plus efficacement ses travaux, ses moyens, ses goûts
et ses talents pour progresser (physiquement, socialement,
moralement, intellectuellement, spirituellement) et se rendre plus
utile. »
Pendant
les six mois écoulés, les femmes avaient embauché
des ouvriers et supervisé les travaux qui touchaient
maintenant à leur fin. Dans un esprit de coopération,
elles avaient levé des fonds et réuni leurs ressources
pour agrémenter le centre de volets et de moquettes. Lorsque
certaines personnes demandèrent comment la Société
de secours de la Quinzième paroisse avait si bien réussi,
étant donné que la paroisse était loin d’être
la plus riche de l’Église, Sarah avait simplement
répondu : « C’est parce que nous avons agi d’un
commun accord et avons immédiatement réinvesti ce que
nous recevions. »
Le
lendemain de la parution de l’éditorial du Deseret
Evening News, Sarah en fit la lecture à sa Société
de secours. Il était écrit : « Avec la
participation de la femme à la grande cause de la réforme,
que de changements merveilleux peuvent être effectués !
Donnez-lui des responsabilités et elle prouvera qu’elle
est capable de grandes choses. »
Sarah
pensait que les femmes étaient à l’aube d’un
jour nouveau. Elle dit à sa Société de secours :
« Nous n’avons jamais entendu parler des femmes et de
leurs capacités et devoirs en public et en privé comme
nous l’entendons actuellement. »
Pendant
que la Société de secours de la Quinzième
paroisse construisait son centre, de puissantes locomotives à
vapeur acheminaient rapidement des passagers et des marchandises à
travers le pays. Bien que se méfiant de l’arrivée
des influences profanes dans le territoire, la Première
Présidence pensait que le chemin de fer transcontinental
permettrait d’envoyer les frères en mission et de
rassembler les gens en Sion plus facilement et moins onéreusement.
Donc, une semaine après la fin des travaux sur la ligne
transcontinentale, Brigham Young ouvrit le chantier d’une voie
ferrée reliant Salt Lake City à Ogden.
Pendant
ce temps, Joseph F. Smith occupait le poste de secrétaire au
bureau de l’historien de l’Église à Salt
Lake City. Il avait trente ans et avait plus de responsabilités
dans l’Église que jamais. Trois ans auparavant, peu
après son retour d’Hawaï, il avait été
appelé à l’apostolat et mis à part comme
conseiller dans la Première Présidence.
Maintenant,
à l’approche de l’été, il se
préparait pour une nouvelle difficulté. Ses cousins,
Alexander et David Smith, allaient bientôt arriver dans le
territoire. Fils de Joseph Smith, le prophète, ils habitaient
l’Illinois et appartenaient à l’Église
réorganisée de Jésus-Christ des saints des
derniers jours. Alexander et David soutenaient leur frère
aîné, Joseph Smith III, comme prophète et
héritier légitime de l’œuvre de leur père.
Comme
lui, ils croyaient que ce dernier n’avait jamais enseigné
ni pratiqué le mariage plural. Ils affirmaient au contraire
que Brigham Young avait introduit le principe après le décès
de leur père.
Bien
que Joseph F. correspondît parfois avec ses cousins, ils
n’étaient pas très proches. La dernière
fois qu’il avait vu Alexander, c’était trois ans
plus tôt, en 1866, lorsque celui-ci s’était arrêté
pour prêcher à Salt Lake City, tandis qu’il était
en route pour une mission en Californie. Sachant que les saints
contesteraient ses affirmations sur son père et le mariage
plural, il était venu muni de déclarations que son père
et Hyrum Smith avaient publiées dans le Times and Seasons, le
journal de l’Église à Nauvoo, et qui semblaient
condamner le mariage plural et nier l’existence de cette
pratique parmi les saints.
En
1866, Joseph F. avait voulu contrer les affirmations de son cousin,
mais en avait été incapable. À sa grande
surprise, il ne trouvait que peu de preuves écrites de
l’implication de Joseph Smith dans le mariage plural. Il savait
qu’il avait enseigné le principe à plusieurs
saints fidèles, dont Brigham Young et d’autres, qui
habitaient maintenant sur le territoire d’Utah, mais il
découvrit qu’ils n’avaient laissé presque
aucune trace de l’expérience.
Il
y avait également la révélation sur le mariage,
enregistrée par Joseph Smith en 1843 et publiée pour la
première fois en 1852. La révélation décrivait
comment un homme et une femme pouvaient être scellés
pour l’éternité par l’autorité de la
prêtrise. Elle expliquait également que Dieu commandait
parfois la pratique du mariage plural pour élever des enfants
dans des familles justes et soutenir l’accomplissement de
l’alliance d’accorder à Abraham une postérité
innombrable.
La
révélation était une preuve conséquente
que Joseph Smith avait enseigné et pratiqué le mariage
plural, mais Alexander avait refusé d’en accepter
l’authenticité et Joseph F. avait été
incapable de trouver d’autres preuves écrites des
mariages pluraux du prophète. Il avait reconnu devant son
cousin : « Pour ce qui est des livres, ils sont en ta faveur. »
En
apprenant que ce dernier revenait en Utah accompagné de David,
il s’était remis à chercher des preuves des
mariages pluraux de Joseph Smith. Le mariage plural faisait partie
intégrante de sa vie et il était résolu à
le défendre. Quelques années plus tôt, sa
première femme, Levira, avait demandé le divorce, en
partie à cause de son mariage avec sa deuxième femme,
Julina Lambson, qui avait accentué les tensions déjà
existantes dans leur relation. Depuis, il avait épousé
une troisième femme, Sarah Ellen Richards. Pour lui, en
attaquant le principe, on menaçait les relations d’alliance
qui formaient le fondement de sa famille.
Au
cours des trois dernières années, il avait aussi mieux
compris comment son oncle et son père avaient réagi aux
graves dangers qui les menaçaient à Nauvoo. Pour se
défendre, eux et l’Église, des détracteurs,
ils avaient parfois détourné les rumeurs sur le mariage
plural à Nauvoo en publiant des déclarations qui
dénonçaient soigneusement les fausses pratiques sans
condamner la pratique autorisée. Cette précaution
expliquait pourquoi il n’existait presque aucune preuve
permettant de faire le lien entre le prophète et Hyrum, et la
pratique.
Pour
remédier à cette lacune dans le récit
historique, Joseph F. commença à collecter des
déclarations signées de personnes impliquées
dans les premiers mariages pluraux. Certaines des femmes à qui
il parla avaient été scellées à Joseph
Smith pour cette vie et la suivante. D’autres l’avaient
été uniquement pour l’éternité.
Joseph F. rassembla également des renseignements sur ce que sa
tante Emma savait de la pratique. Sa sœur aînée,
Lovina, avait vécu quelque temps avec elle après le
départ de la plupart des saints pour l’Ouest. Elle
témoigna qu’Emma lui avait dit un jour qu’elle
avait consenti au scellement de son mari à certaines de ses
femmes plurales et y avait assisté.
Pendant
les premières semaines de l’été, Joseph F.
continua de collecter les déclarations, attendant chaque jour
l’arrivée de ses cousins.
Le
22 juillet 1869, Sarah Kimball ouvrit la première réunion
dans le centre de la Société de secours de la Quinzième
paroisse nouvellement achevé. Elle annonça aux femmes
dans la pièce : « Le centre a été
construit pour le bien de tous. »
Deux
semaines plus tard, le 5 août, la Première Présidence
consacra le bâtiment. Lors de la cérémonie, un
chœur chanta un nouveau cantique, qu’Eliza Snow avait
écrit, sur le rôle du centre de la Société
de secours dans la protection de Sion :
Que
l’unité demeure dans ce centre
Avec
force et compétence à l’image de Dieu :
Et
Père, que ta sagesse guide
Et
remplisse chaque salle.
Nous
te consacrons cette maison,
Un
havre d’amour et de travail :
Que
le bien-être de Sion soit toujours
La
raison première de son existence.
La
Première Présidence était contente que le
bâtiment épouse les idéaux de la coopération
économique et de la fabrication locale. Dans son discours à
la société, Brigham souligna l’importance, pour
le bien de Sion, de la collaboration entre les femmes et les hommes.
Il dit : « Il faut révolutionner la terre. Il y a une
œuvre immense à accomplir et tous les moyens, talents et
aides que l’on peut se procurer seront nécessaires. »
Il
ajouta : « Le soutien des femmes est aussi indispensable que
celui des hommes. Nos Sociétés de Secours sont pour le
bien des pauvres et pour le bien des riches. Elles sont pour le bien
de chacun, quelle que soit sa situation, et pour le bien de toute la
communauté des saints des derniers jours. »
Plus
tard ce mois-là, lors d’une réunion, Sarah ajouta
son témoignage sur la valeur de la coopération. Elle
enseigna que cela faisait partie du modèle établi par
le Seigneur pour Sion. Dans son esprit, la fabrication locale était
essentielle au bien-être des saints.
Elle
insista : « Nous ne devons pas perdre de vue le sujet, ne
serait-ce que pendant une seule réunion. »
Alexander
et David Smith arrivèrent à Salt Lake City cet été-là
et passèrent la première nuit chez John, le frère
aîné de Joseph F. et le patriarche de l’Église,
et sa femme Hellen. Deux jours plus tard, ils se présentèrent
au bureau de Brigham Young, espérant obtenir la permission de
prêcher dans le tabernacle, qui était parfois mis à
la disposition d’autres groupes religieux pour leurs réunions.
Brigham examina la demande des frères, mais d’autres
dirigeants de l’Église et lui se méfiaient de
leurs intentions et ils n’accédèrent pas à
leur demande.
Dans
le bureau de l’historien de l’Église, Joseph F.
Smith continuait de rassembler des preuves que Joseph Smith avait
enseigné et pratiqué le mariage plural, augmentant
considérablement les connaissances que l’Église
et lui avaient du mariage plural à Nauvoo. Outre la collecte
de déclarations, il passait au peigne fin les journaux de
William Clayton, qui avait été le secrétaire,
l’ami et le confident du prophète. Le journal de William
était l’un des rares documents de Nauvoo qui donnait des
détails sur les débuts du mariage plural et prouvait
que le prophète y avait participé.
Lorsque
Joseph F. n’était pas au bureau de l’historien ou
avec sa famille, il officiait dans la maison des dotations. Début
août, George Q. Cannon et lui avaient présenté la
dotation à leur ami Jonathan Napela, qui était venu
d’Hawaï jusqu’à Salt Lake City fin juillet
pour recevoir l’ordonnance, visiter le siège de l’Église
et rencontrer Brigham Young et d’autres saints.
Pendant
ce temps-là, Alexander et David Smith étaient encore en
ville et attiraient les foules dès qu’ils parlaient.
Espérant affaiblir l’autorité de Brigham Young,
de riches marchands opposés au mouvement coopératif de
l’Église louèrent une grande église
protestante où les frères purent donner des conférences
et critiquer la façon de diriger de Brigham et l’Église.
Comme Alexander l’avait fait trois ans plus tôt, ils
s’appuyaient beaucoup sur des citations du Times and Seasons
pour nier le fait que leur père avait été
impliqué dans le mariage plural.
Simultanément,
Joseph F. Smith et d’autres dirigeants de l’Église
faisaient des sermons sur le mariage plural à Nauvoo dans tous
les bâtiments de l’Église de la ville. Le 8 août,
Joseph F. s’adressa à une assemblée à Salt
Lake City. Il présenta certaines des preuves qu’il avait
réunies sur les premiers mariages pluraux et parla des
déclarations de son père et de son oncle dans le Times
and Seasons.
Il
dit à l’assemblée : « Je ne connais que ces
faits. Tout le monde sait que les gens de l’époque
n’étaient pas préparés pour ces choses et
il fallait faire preuve de prudence. Ils étaient entourés
d’ennemis et dans un État où cette doctrine les
aurait envoyés en prison. »
Il
croyait que son père et son oncle avaient fait ce qu’ils
avaient fait pour se protéger, eux ainsi que les autres hommes
et femmes qui pratiquaient le mariage plural. Il poursuivit : «
Les frères n’étaient pas aussi libres qu’ils
le sont ici. Le diable faisait rage à Nauvoo et les traîtres
fourmillaient. »
En
septembre, un directeur de journal membre de l’Église
appelé Elias Harrison se moqua de la mission d’Alexander
et de David Smith dans une colonne du Utah Magazine, un périodique
qu’il publiait grâce au soutien financier de son ami
William Godbe, l’un des plus riches marchands de l’Église.
D’une plume implacable, Elias dénigra l’Église
réorganisée et accusa les frères Smith d’être
« singulièrement ignorants » du ministère
de leur père.
Il
écrivit : « Leur zèle particulier est employé
à essayer de prouver que leur père n’a pas
pratiqué la polygamie, fondant leurs arguments sur certaines
affirmations tirées du Livre de Mormon, des Doctrine et
Alliances et du Times and Seasons. Mais quel est le résultat ?
David et Alexander peuvent prouver que Joseph Smith a nié la
polygamie et nous pouvons prouver qu’il l’a pratiquée.
»
Si
Elias défendait souvent l’Église dans ses écrits,
il le faisait pour dissimuler les véritables raisons de
publier l’Utah Magazine. Depuis le début du mouvement
coopératif, William Godbe et lui s’étaient
discrètement opposés au conseil de la Première
Présidence de soutenir les autres saints et d’éviter
les marchands qui n’utilisaient pas leurs bénéfices
pour renforcer l’économie locale. Pour William,
s’opposer à la Première Présidence
exigeait beaucoup de subtilité. Outre sa réussite dans
les affaires, il était l’un des conseillers municipaux
de Salt Lake City et membre de l’épiscopat de la
Treizième paroisse. De plus, il était gendre et ami
intime de Brigham Young.
Comme
Elias, William pensait que le prophète était démodé
et exerçait une trop grande influence sur la vie des saints.
Avant que le mouvement coopératif ne commençât,
les marchands tels que William avaient une plus grande emprise sur le
commerce local, ce qui leur permettait de fixer des prix élevés
et de s’enrichir. En revanche, avec le nouveau système,
l’Église cherchait à modérer les prix afin
d’avantager les saints pauvres et les coopératives
locales.
Sentant
son emprise sur le marché s’affaiblir, William était
agacé d’entendre Brigham insister sur la nature sacrée
de la coopération. Elias et lui utilisaient de plus en plus
l’Utah Magazine pour préparer d’autres personnes
du même avis qu’eux à échafauder une
révolte au sein de l’Église.
Leur
désir de révolte avait pris forme un an auparavant lors
d’un voyage d’affaires à New York. À
l’époque, les deux hommes avaient essayé de
communiquer avec les morts par des séances spirites. Le
spiritisme avait pris de l’essor à l’issue de la
guerre de Sécession lorsque les gens avaient aspiré à
communiquer avec leurs êtres chers morts au combat. Les
dirigeants de l’Église avaient depuis longtemps condamné
de telles pratiques, les qualifiant de révélations
fausses de l’adversaire.
Ne
tenant aucun compte de ces mises en garde, William et Elias s’étaient
plongés dans des séances et avaient fini par croire
qu’ils avaient parlé avec les esprits de Joseph Smith,
d’Heber Kimball, des apôtres Pierre, Jacques et Jean, et
même avec le Sauveur. Convaincus de l’authenticité
de ces communications, ils se sentaient revêtus de la mission
spéciale de débarrasser l’Église de tout
ce qu’ils estimaient être faux. De retour en Utah, ils
commencèrent à publier dans l’Utah Magazine des
critiques nuancées sur les dirigeants et les règles de
l’Église en parallèle avec des colonnes plus
positives.
Peu
après la publication de son article sur les frères
Smith, Elias devint plus belliqueux dans ses attaques contre Brigham
Young et les règles de l’Église. Il soutenait que
le mouvement coopératif privait les saints de l’esprit
de compétition nécessaire pour stimuler l’économie
de l’Utah qui, selon lui, était trop faible pour vivre
de fabrications locales. Il avançait que les saints étaient
trop égoïstes pour sacrifier leurs propres intérêts
au profit de la collectivité.
Puis,
le 16 octobre, il publia un éditorial exhortant les saints à
développer l’industrie minière de l’Utah.
Au fil des ans, Brigham Young avait approuvé quelques projets
d’extraction, mais il craignait que la découverte de
minerais de valeur ne causât davantage de problèmes
sociaux et de divisions de classes dans le territoire. Ce souci
l’avait amené à prêcher de façon
agressive contre les entreprises minières indépendantes.
Il
devint rapidement évident qu’Elias et William
conspiraient contre l’Église. Le 18 octobre, Orson
Pratt, Wilford Woodruff et George Q. Cannon se réunirent avec
les deux hommes et certains de leurs amis. Elias était rempli
d’amertume et aucun des deux n’était disposé
à soutenir la Première Présidence. Cinq jours
plus tard, lors d’une réunion de l’école
des prophètes de Salt Lake City, William déclara qu’il
avait suivi, au mépris du bon sens, le conseil de Brigham en
matière d’économie et qu’il ne pensait pas
que le prophète eût le droit de guider les saints dans
les affaires commerciales. Sur un ton de défi, il s’éleva
contre la façon de diriger de Brigham. Il cria : « C’est
faux ! C’est faux ! »
Quelques
jours plus tard, le grand conseil de Salt Lake City convoqua Elias et
William à la mairie. Elias accusa les dirigeants de l’Église
d’agir comme si eux et leurs paroles étaient
infaillibles. En rejetant leurs recommandations, William affirmait
qu’Elias et lui ne faisaient que suivre une autorité
spirituelle supérieure, allusion à leurs séances
spirites.
Il
insista : « Ce n’est pas du tout que nous ne tenons pas
compte de la prêtrise, mais nous admettons qu’il existe
un pouvoir derrière le voile d’où viennent et
sont toujours venues des influences et des instructions grâce
auxquelles la volonté peut être guidée dans son
avancée. »
Après
avoir entendu les deux hommes, Brigham s’adressa au conseil. Il
dit : « Je n’ai jamais recherché autre chose dans
ce royaume que d’obtenir des hommes et des femmes qu’ils
obéissent en tout au Seigneur Jésus-Christ. »
Il
affirma que chaque personne avait le droit de penser par elle-même,
tout comme les dirigeants de l’Église avaient le droit
de les conseiller par révélation. Il déclara : «
Nous travaillons de concert avec notre Sauveur. Il travaille de
concert avec son Père et nous collaborons avec le Fils pour
notre salut et celui de la famille humaine. »
Il
rejeta également l’idée selon laquelle les
dirigeants de l’Église ne pouvaient pas commettre
d’erreurs. Il déclara : « Les hommes qui
détiennent la prêtrise ne sont pas infaillibles et je ne
prétends pas l’être. » Mais sa faillibilité
ne signifiait pas que Dieu ne pouvait pas agir par son intermédiaire
en faveur des saints.
Si
William et Elias voulaient continuer de critiquer l’Église
dans l’Utah Magazine, Brigham estimait qu’ils étaient
libres de le faire. Quoi qu’eux et les marchands extérieurs
fassent ou disent, il continuerait de prêcher et de pratiquer
la coopération. Il dit : « Je laisserai aux gens la
prérogative de faire ce qu’ils veulent. J’ai le
droit de leur donner des conseils et ils ont le droit de les suivre
ou pas. »
À
la fin de l’audience, le président de pieu proposa
d’excommunier William et Elias de l’Église pour
cause d’apostasie. Tous les membres du grand conseil, à
l’exception de six personnes, toutes associées à
Elias et William, soutinrent la décision.
CHAPITRE
25
: La
dignité de notre appel
Le
30 octobre 1869, cinq jours après leur réunion avec le
grand conseil, Elias Harrison et William Godbe publièrent des
déclarations dans l’Utah Magazine niant les accusations
d’apostasie qui pesaient contre eux. Ils accusèrent les
dirigeants de l’Église de tyrannie et se plaignirent que
les saints n’avaient pas la liberté de penser ni d’agir
par eux-mêmes. Convaincus que des esprits leur avaient parlé
au cours de séances spirites, les deux hommes se croyaient
appelés à réformer l’Église. De
plus, ils étaient résolus à continuer de publier
leur magazine et de rallier les saints à leur cause.
Elias
promit : « Il reste à faire flotter à partir des
vallées de notre montagne une bannière frappée
d’une croyance plus large, d’un christianisme plus noble,
d’une foi plus pure que tout ce que la terre a jamais vu. »
Brigham
Young mit les saints en garde contre la lecture de l’Utah
Magazine, mais ne fit aucun effort pour le faire fermer. Au fil de
ses quarante années d’appartenance à l’Église,
il avait vu les mouvements d’opposition se former puis se
dissoudre sans succès durable. Pendant qu’Elias et
William vitupéraient contre lui, il quitta Salt Lake City pour
rendre visite aux colonies situées dans les vallées
d’Utah et de Sanpete.
Au
cours de son voyage vers le sud, il vit de nouvelles villes
florissantes là où autrefois il n’y avait que de
petits forts et des cahutes en adobe. Certains saints exploitaient
des ateliers et des usines pour fabriquer des biens. Bien qu’aucune
ville ne se suffît entièrement à elle-même,
quelques-unes avaient fondé des coopératives qui
fonctionnaient.
Chaque
fois qu’il visitait une colonie, les saints lui offraient ce
qu’ils avaient de meilleur, organisant parfois de somptueux
festins. Il acceptait poliment ces repas, mais préférait
des mets plus simples qui donnaient moins de travail aux personnes
qui les préparaient. Des années plus tôt, alors
qu’il dînait avec des saints pendant sa mission en
Angleterre, il avait mangé tout simplement avec une tasse, un
couteau de poche et une tranche de pain en guise d’assiette. Il
n’avait fallu que cinq minutes pour tout nettoyer après
le repas, laissant aux saints plus de temps pour bavarder ensemble.
Pendant
son voyage à travers l’Utah en direction du sud, il
remarqua que de nombreuses femmes manquaient les réunions de
l’Église parce qu’elles étaient occupées
à préparer des repas élaborés ou à
nettoyer ensuite. Il déplora aussi le fait que de nombreux
hommes et femmes de l’Église avaient adopté un
mode de vie extravagant, parfois au détriment de leur
bien-être spirituel. Il voulait que tous les saints, lui
inclus, se tempèrent ou simplifient leur mode de vie.
Il
déclara : « Les habitudes paresseuses et l’extravagance
dépensière des hommes sont ridicules dans notre
communauté. »
À
l’école des prophètes, Brigham conseilla aux
hommes de ne pas suivre la mode du monde, mais de créer leur
propre style avec du tissu fabriqué dans le territoire. À
d’autres moments, il encouragea les femmes à s’abstenir
de confectionner des robes sophistiquées dans des tissus chers
provenant des États de l’Est au lieu du tissu produit
localement. Selon lui, l’extravagance attisait la compétitivité
parmi les saints et les détournait de leur progression
spirituelle. Il trouvait que c’était un signe de
matérialisme incompatible avec l’esprit coopératif
de Sion.
Ces
préoccupations lui occupaient encore l’esprit lorsque
son groupe arriva à Gunnison, une ville située à
l’extrémité sud de la vallée de Sanpete.
Pendant qu’il était là, il s’entretint avec
Mary Isabella Horne, une résidente de Salt Lake City en visite
chez son fils. Mary Isabella avait la réputation d’être
une dirigeante déterminée et fidèle des femmes
de l’Église. Comme Brigham, elle était membre
depuis les années 1830 et avait connu sa part de privations à
cause de l’Évangile. Elle était maintenant
présidente de la Société de secours de la
Quatorzième paroisse de Salt Lake City.
Brigham
dit : « Sœur Horne, je vais vous confier une mission, à
commencer lorsque vous rentrerez chez vous, la mission d’enseigner
la tempérance parmi les femmes et les filles d’Israël.
Il n’est pas convenable qu’elles consacrent autant de
temps à la préparation des repas et à
l’ornementation de leur corps et négligent leur
éducation spirituelle. »
Mary
Isabella hésita à accepter la responsabilité.
Enseigner la tempérance signifiait encourager les femmes à
simplifier leur travail et leur mode de vie. Pourtant, la préparation
de bons repas et la confection de beaux habits pour elles et leur
famille étaient source de motivation, de satisfaction et
d’estime personnelle. Leur demander de simplifier leur travail
revenait à leur demander de changer la manière dont
elles se percevaient et dont elles percevaient leur contribution à
la vie de la collectivité.
Brigham
l’exhorta pourtant à accepter la mission, pensant que
cela donnerait aux femmes plus de possibilités de progresser
spirituellement. Il dit : « Rassemblez les sœurs de la
Société de secours et demandez-leur de réformer
leur façon de cuisiner et d’entretenir leur foyer. Je
voudrais parvenir à une société dont les membres
accepteraient de prendre un petit-déjeuner léger le
matin, eux et les enfants, sans cuisiner quarante plats différents.
»
Toujours
incertaine quant à la manière d’entreprendre une
telle mission, Mary Isabella accepta l’appel.
Vers
cette époque-là, James Crockett se rendit à
Kirtland (Ohio, États-Unis) avec son cousin William Homer.
James n’était pas saint des derniers jours, mais William
venait d’achever une mission en Europe et avait l’intention
de visiter l’ancien lieu de rassemblement des saints avant de
rentrer chez lui en Utah. Kirtland était à moins de
cent cinquante kilomètres de chez James et les cousins
décidèrent d’entreprendre le voyage ensemble.
À
Kirtland, William souhaita rendre visite à Martin Harris, l’un
des trois témoins du Livre de Mormon, qui s’était
autoproclamé gardien du temple de Kirtland. Le fils de Martin
avait épousé la sœur de William et ce dernier
espérait persuader le vieil homme de rejoindre sa famille en
Utah.
Les
rapports de Martin avec l’Église étaient
toutefois tendus. Après la faillite de la Kirtland Safety
Society plus de trente ans auparavant, Martin s’était
dressé contre Joseph Smith et avait erré d’un
groupe d’anciens saints des derniers jours à l’autre.
Lorsque sa femme, Caroline, avait émigré avec leurs
enfants en Utah dans les années 1850, il avait refusé
de les accompagner.
Arrivés
à Kirtland, James et William se présentèrent
chez lui. Il était petit, mal habillé, avait le visage
maigre et buriné, et le regard mécontent. William dit
qu’il était un missionnaire d’Utah et le
beau-frère du fils de Martin.
Celui-ci
grogna : « Vous êtes l’un de ces mormons
brighamites. »
William
essaya de lui donner des nouvelles de sa famille en Utah, mais le
vieil homme ne semblait pas l’entendre. Il dit : «
Voulez-vous voir le temple ? »
William
répondit : « Si vous le permettez. »
Martin
alla chercher une clé et conduisit James et William au temple.
L’extérieur du bâtiment était en assez bon
état. Le crépi sur les murs extérieurs était
toujours intact et le bâtiment avait un nouveau toit et
quelques fenêtres neuves. À l’intérieur,
par contre, James constata que des lambeaux de plâtre se
détachaient du plafond et des murs et qu’une partie des
boiseries était souillée et abîmée.
Passant
d’une pièce à l’autre, Martin témoigna
des événements sacrés qui s’étaient
déroulés dans le temple. Toutefois, au bout d’un
moment, il se sentit gagné par la fatigue et ils s’arrêtèrent
pour se reposer.
William
demanda à Martin : « Croyez-vous toujours que le Livre
de Mormon est vrai et que Joseph Smith est un prophète ? »
Le
vieil homme sembla renaître à la vie. Il déclara
d’une voix vibrante de sincérité et de conviction
: « J’ai vu les plaques. J’ai vu l’ange. J’ai
entendu la voix de Dieu. Autant douter de ma propre existence que de
douter de l’authenticité divine du Livre de Mormon ou de
l’appel divin de Joseph Smith ! »
Le
témoignage électrifia la pièce. Bien qu’étant
incroyant lorsqu’il arriva à Kirtland, James fut touché
par ce qu’il entendit. En un instant, le vieil homme aigri
s’était transformé en un homme aux convictions
nobles, inspiré de Dieu et doté de connaissance.
William
demanda à Martin comment il pouvait rendre un témoignage
aussi puissant après avoir quitté l’Église.
Il
répondit : « Je n’ai jamais quitté
l’Église. C’est l’Église qui m’a
quitté. »
William
demanda : « Aimeriez-vous revoir votre famille ? Le président
Young serait très heureux de vous fournir le moyen de vous
rendre en Utah. »
Martin
ricana : « Il ne ferait rien de bien. »
William
dit : « Adressez-lui un message, je le lui remettrai. »
Martin
examina la proposition. Il dit : « Allez voir Brigham Young et
dites-lui que j’aimerais visiter l’Utah et voir ma
famille, mes enfants. J’accepterais volontiers l’aide de
l’Église, mais je ne veux pas de faveur personnelle. »
William
accepta de transmettre le message et Martin dit au revoir à
ses visiteurs. Lorsque les cousins furent sortis, James posa les
mains sur les épaules de William et le regarda droit dans les
yeux.
Il
dit : « Il y a quelque chose en moi qui me dit que le vieil
homme dit la vérité. Je sais que le Livre de Mormon est
vrai. »
Pendant
que William Homer retournait en Utah avec le message de Martin, des
législateurs à Washington DC. proposaient de nouvelles
lois pour appuyer la loi anti-bigamie de Morrill datant de 1862. En
décembre 1869, le sénateur Aaron Cragin proposa un
projet de loi qui, entre autres, refuserait aux saints le droit à
un procès devant un jury dans les cas de polygamie. Plus tard
ce mois-là, le député Shelby Cullom présenta
un autre projet de loi qui condamnerait les saints des derniers jours
qui pratiquaient le mariage plural à une amende et permettrait
de les emprisonner et de leur refuser la citoyenneté.
Le
6 janvier 1870, trois jours après l’arrivée d’un
exemplaire du projet de loi Cullom en Utah, Sarah Kimball et les
femmes de la Société de secours de la quinzième
paroisse de Salt Lake City se réunirent au premier étage
de leur bâtiment pour organiser une pétition contre
ledit projet. Elles trouvaient que les lois contre la polygamie
violaient la liberté religieuse, empiétaient sur leur
sens moral et cherchaient à avilir les saints.
Sarah
dit : « Nous serions indignes du nom que nous portons et du
sang qui coule dans nos veines si nous restions silencieuses plus
longtemps alors qu’un projet aussi infâme est à
l’étude à la Maison-Blanche. »
Les
femmes esquissèrent des résolutions pour utiliser leur
influence morale afin de contrer les projets de loi. Elles
exprimèrent leur indignation envers les hommes qui avaient
proposé les lois au Congrès et décidèrent
d’adresser une pétition au gouverneur de l’Utah
demandant que les femmes du territoire aient le droit de voter. Elles
prirent également la décision d’envoyer deux
femmes à Washington DC. pour faire pression en faveur des
saints.
Au
bout d’une heure de réunion, Eliza Snow arriva auprès
d’elles pour proposer son soutien. Elle croyait que les membres
de la Société de secours avaient le devoir envers
elles-mêmes et leurs enfants de défendre l’Église
et leur mode de vie. Trop souvent, les détracteurs utilisaient
les journaux populaires, les bandes dessinées politiques, les
romans et les discours pour faire passer les femmes de l’Église
pour des victimes opprimées par le mariage plural. Elle dit
aux femmes : « Nous devons nous manifester dans la dignité
de notre appel et parler par nous-mêmes. »
Il
faisait froid et il neigeait la semaine suivante, mais le 13 janvier,
plus de trois mille femmes bravèrent les éléments
pour se rassembler dans l’ancien tabernacle en adobe de Salt
Lake City pour une « grande réunion d’indignation
» afin de protester contre les projets de loi Cragin et Cullom.
Sarah Kimball présidait la réunion. À part une
poignée de journalistes, aucun homme n’était
présent.
Une
fois la réunion ouverte, Sarah s’avança vers la
chaire. Bien que dans tout le pays, des femmes eussent souvent pris
la parole en public sur des problèmes politiques, en
particulier le droit de vote des femmes et l’abolition de
l’esclavage, cela restait une démarche controversée.
Pourtant, Sarah était décidée à donner
aux saintes des derniers jours la possibilité d’être
entendues en public. Elle apostropha l’assemblée : «
Avons-nous transgressé la moindre loi des États-Unis ?
»
«
Non ! », crièrent les femmes.
Elle
demanda : « Alors pourquoi sommes-nous ici aujourd’hui ?
Nous avons été chassées de lieu en lieu, et
pourquoi ? Uniquement pour avoir cru aux recommandations de Dieu
telles qu’elles sont contenues dans l’Évangile des
cieux et pour les avoir mises en pratique. »
Un
comité réunissant plusieurs présidentes de
Société de secours, dont Isabella Horne, Rachel Grant
et Margaret Smoot, présenta une déclaration officielle
protestant contre les projets de loi anti-polygamie. Elles
affirmaient : « Nous exerçons à l’unisson
tous les pouvoirs moraux et tous les droits dont nous avons hérité
en qualité de filles de citoyens américains pour
empêcher l’adoption de tels projets de loi, sachant
qu’ils apposeraient, de manière inévitable, une
marque d’infamie sur notre gouvernement républicain en
mettant en danger la liberté et la vie de ses citoyens les
plus loyaux et les plus pacifiques. »
Au
cours de la réunion, d’autres femmes parlèrent
avec fermeté. Amanda Smith décrivit le meurtre de son
mari et de son fils et les blessures subies par son autre fils lors
du massacre de Haun’s Mill trente ans auparavant. Elle cria,
tandis que les applaudissements retentissaient dans le tabernacle : «
Défendons la vérité, même au péril
de notre vie ! »
Phebe
Woodruff en voulait aux États-Unis de refuser la liberté
religieuse aux saints. Elle déclara : « Si les
dirigeants de notre nation s’écartent de l’esprit
et de la lettre de notre magnifique constitution au point de priver
nos prophètes, apôtres et anciens de leur citoyenneté
et de les emprisonner pour avoir obéi à cette loi,
qu’ils nous accordent notre dernière demande, celle de
faire des prisons suffisamment grandes pour recevoir leurs femmes
parce que là où ils iront, nous irons aussi. »
Eliza
Snow fut la dernière à prendre la parole. Elle dit : «
Je désire qu’en tant que mères et sœurs en
Israël, nous défendions la vérité et la
justice et soutenions ceux qui la prêchent. Appliquons-nous
avec plus d’énergie à nous instruire et à
cultiver cette force de caractère moral qui n’a pas son
égal sur toute la surface de la terre.
Les
jours suivants, les journaux de tout le pays firent un compte-rendu
complet de la « grande réunion d’indignation ».
Peu après, le Deseret News rapporta des discours prononcés
dans d’autres réunions d’indignation, dans des
colonies de tout le territoire. Du fait que les projets de loi Cragin
et Cullom faisaient passer le mariage plural pour une forme
d’esclavage, les nombreuses femmes qui prirent la parole lors
de ces réunions insistèrent sur leur droit d’épouser
l’homme de leur choix.
Pendant
ce temps, lors des réunions du corps législatif
territorial, Joseph F. Smith et d’autres membres de la Chambre
des représentants de l’Utah étudiaient la
question du droit de vote des femmes dans le territoire. Les
États-Unis étaient en train d’accorder ce droit à
tous les citoyens masculins, y compris aux anciens esclaves.
Cependant, de tout le pays, seul le territoire du Wyoming permettait
aux femmes de voter, en dépit d’un mouvement national
croissant visant à offrir ce droit à tous les citoyens
de plus de vingt et un ans.
Plusieurs
mois plus tôt, quelques législateurs américains
avaient proposé de l’accorder aux femmes d’Utah,
persuadés qu’elles voteraient la proscription du mariage
plural. De nombreux saints du territoire, hommes et femmes, étaient
en faveur du suffrage féminin, précisément parce
qu’ils croyaient que de ce fait, les saints seraient plus en
mesure de faire passer des lois préservant la liberté
religieuse au sein de leur communauté.
Le
29 janvier 1870, Joseph assista à une réunion de
l’école des prophètes de Salt Lake City où
Orson Pratt, apôtre comme lui et haut dirigeant dans le corps
législatif territorial, affirma son soutien pour le droit de
vote des femmes. Quelques jours plus tard, le corps législatif
vota à l’unanimité l’adoption de la loi.
Joseph en envoya une copie officielle au gouverneur par intérim,
qui la signa, lui donnant force de loi.
Bien
que cette nouvelle loi fût source de réjouissance parmi
les saints, elle n’apaisa guère leurs inquiétudes
au sujet des projets de loi anti-polygamie à l’étude
à Washington que le Congrès pouvait faire passer avec
ou sans le soutien des électeurs d’Utah.
À
cela s’ajoutait l’opposition croissante à l’Église
à l’intérieur du territoire. Les cousins de
Joseph, Alexander et David, avaient quitté l’Utah
quelques mois plus tôt, leur mission moins fructueuse qu’ils
ne l’avaient espéré. Par contre, William Godbe et
Elias Harrison avaient récemment fondé avec leurs
partisans « l’Église de Sion » et
s’autoproclamaient précurseurs d’un «
Nouveau mouvement » pour réformer l’Église
et la prêtrise. Ils lancèrent également la
publication d’un journal, le Mormon Tribune, et se rangèrent
aux côtés de marchands de la ville pour former le «
parti libéral » et combattre la domination politique des
saints dans le territoire.
Face
à cette opposition, Joseph et d’autres apôtres
continuèrent de soutenir Brigham Young dans son rôle de
dirigeant. Wilford Woodruff témoigna à l’école
des prophètes : « Si Dieu a une révélation
à communiquer à l’homme, il ne me la communiquera
pas à moi ni à Billy Godbe, elle viendra par
l’intermédiaire du président Young. Dieu parlera
par l’intermédiaire de son porte-parole. »
Quelques
hommes démissionnèrent de l’école pour se
joindre au Nouveau mouvement. D’autres, notamment T. B. H.
Stenhouse, un missionnaire autrefois vaillant, commencèrent à
vaciller.
Le
23 mars, la Chambre des représentants des États-Unis
adopta le projet de loi Cullom et l’envoya au sénat pour
ratification. Trois jours plus tard, lorsque la nouvelle alarmante
parvint à Salt Lake City, certains hommes de l’école
des prophètes craignirent que le conflit avec les États-Unis
ne fût imminent.
George
Q. Cannon les exhorta à la prudence : « L’esprit
de conflit est aisément avivé lorsque la situation s’y
prête. Tenons notre langue en bride et ne nous compromettons
pas par des propos insensés. »
Daniel
Wells, conseiller dans la Première Présidence, pensait
qu’il serait avisé de se préparer discrètement
au combat Mais il se demandait tout haut si les saints ne s’étaient
pas attiré cette opposition en négligeant de respecter
les principes de la coopération. Il demanda : « Combien
dans cette école même font aujourd’hui commerce et
soutiennent nos ennemis jurés dans cette ville au lieu de
soutenir les serviteurs de Dieu en suivant leurs recommandations ?
Repentons-nous et tâchons de nous amender. »
Joseph
F. Smith fit écho à ces paroles dans une lettre
adressée à sa sœur Martha Ann. Il écrivit
: « Cela ne me poserait aucun problème s’il n’y
avait le fait que je ne crois pas que notre peuple ait vécu
aussi proche de Dieu qu’il l’aurait dû. Il se peut
que le Seigneur nous ait préparé un fléau à
cause de cela. »
Lorsque
Mary Isabella Horne retourna à Salt Lake City, elle recruta
Eliza Snow et Margaret Smoot pour l’aider dans sa nouvelle
mission de tempérance. Elle invita une douzaine de présidentes
de Sociétés de Secours chez elle et demanda à
Eliza et Margaret de travailler avec Sarah Kimball à la
rédaction des principes directeurs de la société
de tempérance et de coopération des dames. Selon les
instructions reçues, elles allaient fonder une société
pour aider les femmes de l’Église à simplifier
les repas et la mode, ce qui leur permettrait de disposer de
davantage de temps pour se concentrer sur leur progression
spirituelle et intellectuelle.
Mary
Isabella pensait que la tempérance placerait toutes les femmes
de l’Église sur un pied d’égalité
sociale. Certaines hésitaient à se lier d’amitié
avec des voisins plus aisés parce qu’elles étaient
gênées de ne pas servir des repas plus élaborés.
Mary Isabella voulait qu’elles soient libres de se fréquenter
et de s’instruire mutuellement. Elle croyait que toute table
bien mise et proposant une nourriture saine était respectable,
aussi simple fût-elle.
Tandis
que la tempérance prenait racine parmi les femmes de l’Église,
Susie Young, fille de Brigham Young, âgée de quatorze
ans, remarqua que les femmes de son père s’habillaient
plus simplement et préparaient des repas plus modestes.
Cependant, ses sœurs et elle aimaient porter des robes ornées
de dentelle, de rubans, de boutons et de nœuds élégants
achetés au magasin.
Un
soir de mai 1870, après la prière en famille, son père
parla à certaines de ses filles à la Lion House de
l’idée de créer une association de tempérance.
Brigham dit : « J’aimerais que vous créiez votre
propre mode. Abandonnez tout ce qui est mauvais et sans valeur et
améliorez-vous dans tout ce qui est bon et beau. Ne soyez pas
malheureuses, mais vivez de manière à être
véritablement heureuses dans cette vie et dans la vie à
venir. »
Les
jours suivants, Eliza leur exposa les principes de la tempérance
et leur demanda de retirer de leurs vêtements les ornements
inutiles. Le résultat fut tout sauf élégant. À
la place des rubans et des nœuds, on voyait des pans de tissu
qui n’avaient pas décoloré. Si la tempérance
était censée leur donner l’air d’être
différentes du reste du monde, c’était un franc
succès.
Néanmoins,
Susie et ses sœurs comprirent que la tempérance, comme
la coopération, était censée offrir aux saints
un nouveau modèle de vie, les débarrassant des
tendances et des modes du monde afin qu’elles soient libres de
respecter les commandements de tout leur cœur.
Quelques
jours après leur réunion avec leur père,
certaines des sœurs de Susie organisèrent le premier
auxiliaire des jeunes filles de l’association de coopération
et de tempérance des femmes. Accueillant aussi bien les jeunes
femmes mariées que celles qui étaient célibataires,
elles prirent toutes la résolution de s’habiller avec
modestie, de se soutenir dans les bonnes œuvres et d’être
de bons exemples pour le monde. Ella Empey, l’une des sœurs
mariées de Susie, fut choisie comme présidente et Susie
fut présentée le lendemain comme rapporteuse générale
de la société.
Elles
décidèrent : « Puisque l’Église de
Jésus-Christ est comparée à une ville située
sur une montagne pour être une lumière pour les nations,
il est de notre devoir de montrer l’exemple aux autres, et non
de chercher à les imiter. »
CHAPITRE
26
: Pour
le plus grand profit de Sion
Au
cours du printemps et de l’été 1870, la
tempérance se répandit de Salt Lake City vers toutes
les Sociétés de Secours du territoire, même dans
les collectivités rurales où les saints menaient déjà
une vie simple. Désireuses d’imiter leurs sœurs de
la ville, la présidente de la Société de secours
de Santaquin et les sœurs de l’unité organisèrent
un pique-nique dans leur école. Elles préparèrent
un repas simple de pain brun et de soupe aux haricots, passèrent
un agréable moment ensemble et filèrent vingt écheveaux
de fil pour fabriquer du tissu.
Le
besoin de tempérance devint encore plus pressant après
qu’une nouvelle invasion de sauterelles eut ravagé les
récoltes des saints dans de nombreuses colonies. Lors d’une
réunion du mois de mai de l’école des prophètes
de Salt Lake City, George A. Smith déplora le fait que peu de
personnes avaient tenu compte du conseil répété
de la Première Présidence de faire des réserves
de grain. Il compara ensuite les sauterelles aux détracteurs
de l’Église dans le gouvernement local et national.
Il
dit : « Beaucoup s’attendent à s’engraisser
de notre perte et à curer les os des mormons. Ils peuvent
décider d’envoyer des armées pour nous détruire,
nous disperser et dévaster nos habitations, mais cela ne
prouvera en rien que notre religion est fausse. »
L’étude
du projet de loi Cullom au sénat attira les regards des
législateurs de la nation sur les saints. George pensait que
les détracteurs présents à Salt Lake City
essayaient de dresser l’opinion publique contre l’Église.
Il conseilla aux hommes de l’école d’être
patients et sages, et de n’offenser personne. Il les avertit
également de ne pas compter sur des hommes méchants
pour diriger les saints.
Il
ne mentionna pas nominativement William Godbe ni Elias Harrison, mais
ils faisaient probablement partie des hommes auxquels il pensait.
Après avoir organisé leur Église de Sion, ces
derniers avaient parlé d’un « homme à venir
» qui dirigerait leur Nouveau mouvement. William avait contacté
Joseph Smith III, peut-être pour le recruter comme dirigeant,
mais ce dernier n’avait pas adhéré à leur
cause.
Ce
printemps-là, Amasa Lyman annonça sa décision de
se joindre à l’Église de Sion. Des rumeurs selon
lesquelles il la dirigerait se mirent immédiatement à
circuler. Amasa avait été relevé du Collège
des Douze en 1867 pour cause d’apostasie et peu de personnes
furent surprises de le voir s’affilier au Nouveau mouvement.
Néanmoins, Francis Lyman, son fils aîné, resta
interdit en apprenant la décision de son père. Il
essaya de le raisonner, mais fut vite trop peiné pour en
discuter. Il quitta brusquement la pièce et pleura pendant des
heures.
Brigham
encouragea les membres de l’école des prophètes à
laisser de tels dissidents tranquilles et à s’abstenir
de les critiquer. Il fit également le serment de continuer
d’édifier le royaume de Dieu. Il déclara : «
J’ai l’intention d’utiliser mon influence pour
affermir Israël jusqu’à ce que règne Jésus,
à qui revient ce droit. »
En
juillet, il demanda aux hommes de l’école des prophètes
de faire part de leurs sentiments à l’égard de
l’expiation de Jésus-Christ. Après les avoir
écoutés, il témoigna du sacrifice du Sauveur et
reconnut les dangers auxquels les saints faisaient face, notamment la
défection d’anciens piliers. Il dit : « Nous avons
l’Évangile, mais si nous espérons en recevoir les
bienfaits, nous devons vivre en accord avec ses préceptes. »
Il
exhorta les hommes à suivre les recommandations des serviteurs
du Seigneur, promettant que Dieu les bénirait s’ils le
faisaient.
Cet
été-là, Martin Harris arriva en Utah par le
chemin de fer transcontinental. Après avoir été
informé du désir de ce dernier de venir dans l’Ouest,
Brigham fut vivement désireux d’aider celui qui avait
autrefois donné tant de temps et d’argent à
l’Église. Il demanda à Edward Stevenson, un
missionnaire expérimenté, de collecter des dons pour
Martin et d’aider ensuite le vieil homme à faire le long
voyage depuis Kirtland. Brigham lui dit : « Allez le chercher,
même si cela doit me coûter jusqu’à mon
dernier dollar. »
L’arrivée
de Martin à Salt Lake City fit sensation, même s’il
n’était pas le premier ancien membre de l’Église
à venir dans le territoire. Thomas Marsh, le premier président
du Collège des Douze, avait été rebaptisé
et était venu dans l’Ouest treize ans plus tôt, le
cœur rempli de regrets d’avoir quitté l’Église
en 1838. Toutefois, le statut de témoin du Livre de Mormon
faisait de Martin un homme à part. Âgé de
quatre-vingt-sept ans, il était l’un des derniers
protagonistes vivants de certains des premiers miracles de la
nouvelle dispensation
Peu
après son arrivée en ville, il rendit visite à
Brigham Young et le prophète l’invita à prendre
la parole dans le tabernacle le 4 septembre. Ce jour-là, il se
tint à la chaire pendant une demi-heure et parla d’un
ton calme de sa quête de la vérité pendant les
réveils religieux de la fin des années 1810.
Il
témoigna : « L’Esprit m’avait dit de ne me
joindre à aucune des églises, car aucune ne détenait
l’autorité du Seigneur. L’Esprit m’avait dit
que je pouvais tout aussi bien me plonger moi-même dans l’eau
que demander à l’une des sectes de me baptiser, donc
j’attendis jusqu’à ce que l’Église
fût organisée par Joseph Smith, le prophète. »
Les
semaines suivantes, Martin fut réuni à sa femme, ses
enfants et d’autres membres de sa famille dans le territoire.
Emer, son frère aîné, était décédé
l’année précédente dans la vallée
de Cache, au nord de l’Utah, mais sa sœur veuve, Naomi
Bent, vivait dans la vallée. Le 17 septembre, elle se rendit
avec Martin à la maison des dotations où Edward
Stevenson le rebaptisa, après quoi Orson Pratt, John Taylor,
Wilford Woodruff et Joseph F. Smith le reconfirmèrent membre
de l’Église. Martin et Naomi furent ensuite baptisés
et confirmés en faveur de plusieurs de leurs ancêtres.
Le
mois suivant, lors de la conférence générale
d’octobre de l’Église, il rendit témoignage
de la véracité et de l’origine divine du Livre de
Mormon. Ensuite, George A. Smith s’avança vers la chaire
et dit : « Il est remarquable d’avoir le témoignage
de Martin Harris. Le Livre de Mormon contient cependant une promesse.
Celle-ci s’est accomplie et les personnes qui ont fait la
volonté de Dieu ont pu savoir que la doctrine est vraie.
Le
Livre de Mormon a donc des milliers de témoins. »
Fin
novembre 1870, Susie Young chantait et jouait de la guitare tandis
qu’elle voyageait en calèche vers le sud de l’Utah
pour se rendre dans une colonie de saints située à St.
George. Sa mère, Lucy, et sa jeune sœur, Mabel,
faisaient route avec elle. Après des années de vie
débordante d’activité, dans la Lion House, elles
déménageaient dans un logement à elles, à
St. George. Brigham Young, le père de Susie, venait lui aussi,
mais pas de façon permanente. Maintenant âgé de
près de soixante-dix ans, il souffrait d’arthrite et
préférait passer l’hiver dans le climat plus doux
de St. George.
Susie
chantait en partie pour ramener la bonne humeur dans la calèche.
Le 3 octobre, quelques jours avant la conférence d’automne
de l’Église, Dora, sa sœur de dix-huit ans, et
elle s’étaient discrètement éclipsées
de la fête d’anniversaire de leur mère pour
retrouver le fiancé de Dora, Morley Dunford. Ensemble, les
trois jeunes gens s’étaient rendus chez un pasteur
protestant (il y en avait plusieurs dans la vallée) et il
avait marié Dora et Morley pendant que Susie faisait le guet.
Pour
Susie, cette fugue amoureuse semblait tout droit sortie d’un
roman ou d’une pièce de théâtre palpitante,
mais ses parents en avaient été consternés. Dora
était fiancée à Morley depuis deux ans. Il était
beau et venait d’une famille de marchands saints des derniers
jours fidèle. Cependant, il avait un problème de
boisson, et Brigham et Lucy pensaient qu’il n’était
pas un bon parti pour leur fille. En fait, l’une des raisons
pour lesquelles ils voulaient installer leurs filles à St.
George était justement pour mettre cinq cents kilomètres
entre Dora et Morley.
Mais
leur mariage signifiait qu’elle n’irait pas s’installer
dans le sud avec le reste de la famille. Susie voyait bien à
quel point cela attristait leur mère. Elle avait beau chanter
et plaisanter avec les autres passagers de la calèche, ses
yeux trahissaient son chagrin. Susie fit de son mieux pour remonter
le moral de sa mère, mais rien ne semblait y faire.
Sans
chemin de fer entre Salt Lake City et St. George, le voyage dura
quatorze jours, sur des routes cahoteuses. St. George se trouvait
dans une vaste vallée fluviale entourée de falaises
rouges escarpées. Lors d’un tour de la région une
dizaine d’années plus tôt, Brigham avait balayé
la vallée du regard et prophétisé qu’une
ville en sortirait avec des maisons, des flèches et des
clochers. Peu de temps plus tard, il envoya l’apôtre
Erastus Snow et plus de trois cents familles en mission dans la
région pour y cultiver du coton, une culture qui avait connu
un certain succès dans d’autres colonies du sud de
l’Utah.
Depuis
lors, les saints de St. George avaient travaillé dur pour
permettre à la prophétie de Brigham de se réaliser.
La région était extrêmement chaude pendant une
grande partie de l’année et la neige était rare.
Grâce à la construction de barrages, les deux fleuves
avoisinants fournissaient juste assez d’eau pour faire pousser
des cultures et des arbres fruitiers au milieu des broussailles du
désert. Lorsqu’il pleuvait, c’était parfois
à torrents, emportant les barrages des colons. Le bois était
également rare, les saints utilisaient donc la pierre et
l’adobe comme matériaux de construction. Beaucoup de
ceux qui étaient venus coloniser la vallée partirent
peu après leur arrivée. Ceux qui restèrent se
cramponnèrent à leur foi, confiants que Dieu les
aiderait à fonder un foyer.
Depuis
lors, ils avaient tracé de larges rues, bâti plusieurs
belles maisons, un tribunal et une usine de coton. Au centre de la
ville, ils étaient en train de construire un imposant
tabernacle en grès où ils pourraient se rassembler et
adorer ensemble.
Lorsque
Susie et sa famille arrivèrent à St. George, elles
s’installèrent dans une maison confortable en ville et
firent la connaissance de leurs nouveaux voisins. Pendant ce temps,
son père se mettait à réfléchir aux
besoins de la colonie et des saints de partout. Le temple à
Salt Lake City était encore à des années de son
achèvement et la maison des dotations, qui ne proposait que
certaines des ordonnances du temple, était une solution
temporaire à un besoin à long terme. Les saints avaient
besoin d’un temple en service où ils pourraient
contracter des alliances avec notre Père céleste et
accomplir toutes les ordonnances nécessaires pour les vivants
et pour les morts.
En
janvier 1871, juste avant son retour prévu à Salt Lake
City, il assista à un conseil de dirigeants locaux chez
Erastus Snow, qui présidait l’Église dans la
région. Alors que la réunion touchait à sa fin,
Brigham demanda aux hommes ce qu’ils pensaient de l’idée
de construire un temple à St. George.
L’enthousiasme
envahit la pièce. Erastus s’exclama : « Alléluia
! Merveilleux ! »
Une
fois de retour à Salt Lake City, Brigham lui envoya ses plans
pour le nouveau temple. Il serait plus petit et moins décoré
que celui de Salt Lake City. Il serait fait de pierre et stuqué
à l’intérieur et à l’extérieur.
Comme le temple de Nauvoo, il aurait une seule tour s’élevant
de l’une des extrémités du toit et des fonts
baptismaux au sous-sol.
Il
écrivit : « Nous souhaitons que les saints du sud
unissent leurs efforts, d’un seul cœur et d’un seul
esprit, pour l’exécution de cette œuvre. »
Il
lui tardait de retourner à St. George à l’automne
pour commencer la construction du temple, mais en attendant, l’Église
dans d’autres parties du territoire avait besoin de son
attention. Au fil de l’année écoulée,
Amasa Lyman avait prêché pour l’Église de
Sion et assisté à des séances spirites où
des médiums avaient affirmé parler de la part de Joseph
et d’Hyrum Smith, du chef Walkara et d’autres saints
décédés. Des gens rapportèrent que
pendant les réunions, ils avaient entendu des coups frappés
ou vu une table léviter.
Ces
séances attirèrent quelques saints vers le Nouveau
mouvement, mais la plupart s’en méfiaient et l’Église
de Sion fut rapidement en difficulté. Lorsque Brigham rentra à
Salt Lake City en février 1871, le Nouveau mouvement
ressemblait davantage à un groupe de personnes ayant
l’objectif commun de mettre fin à l’influence de
l’Église dans la région qu’à une
organisation religieuse.
En
avril, les dirigeants du Nouveau mouvement changèrent le nom
de leur journal et le Mormon Tribune devint le Salt Lake Tribune.
Puis, en juillet, ils consacrèrent l’Institut libéral,
un lieu de réunion spacieux où ils pouvaient prononcer
des discours, tenir des séances de spiritisme, des conférences
et des réunions du parti politique libéral. Le Nouveau
mouvement avait aussi réussi à éloigner les
anciens amis de Brigham, T. B. H. et Fanny Stenhouse, qui depuis
plusieurs mois étaient sur le point de quitter l’Église.
Cependant,
le Nouveau mouvement ne représentait pas pour l’Église
une menace aussi inquiétante que James McKean, le président
de la Cour suprême de l’Utah nouvellement désigné.
Le juge McKean était déterminé à
éradiquer ce qu’il considérait être une
théocratie en Utah. Vers l’époque de sa
nomination, le projet de loi anti-polygamie Cullom n’avait pas
obtenu la ratification du sénat et le président des
États-Unis, Ulysses Grant, avait envoyé McKean en Utah
précisément pour faire appliquer la loi anti-polygamie
existante.
Peu
après son arrivée, ce dernier déclara : «
Dans ce pays, un homme peut adhérer à la religion qui
lui plaît, mais nul ne doit violer nos lois et invoquer la
religion comme excuse. »
À
l’automne 1871, environ un mois avant son retour prévu à
St. George, Brigham apprit que Robert Baskin, le procureur des
États-Unis pour l’Utah et l’un des auteurs du
projet de loi Cullom, avait l’intention de l’inculper,
lui et d’autres dirigeants de l’Église, pour
divers délits. Un ancien membre de l’Église
appelé Bill Hickman avait même accepté d’essayer
d’impliquer Brigham et d’autres dirigeants de l’Église
dans un meurtre qu’il avait commis pendant la guerre d’Utah
quatorze ans auparavant.
Bill
Hickman était actuellement en état d’arrestation
pour un autre meurtre et il avait conclu un marché avec la
cour qui s’engageait à être clémente à
son égard en échange de son témoignage. C’était
un homme sans foi ni loi dont la parole ne tiendrait jamais devant un
tribunal impartial, surtout du fait que plusieurs personnes réputées
étaient au courant des faits relatifs au crime et niaient la
participation de Brigham. John Taylor, qui avait été
emprisonné à Carthage avec Joseph Smith, exhorta quand
même Brigham à ne pas se livrer à la cour.
Doutant de connaître le même sort que Joseph, Brigham dit
: « Les choses sont bien différentes de ce qu’elles
étaient à l’époque. »
Les
premières inculpations eurent lieu le 2 octobre, lorsqu’un
marshal des États-Unis arrêta Brigham parce qu’il
vivait avec plus d’une épouse. Daniel Wells et George Q.
Cannon furent également arrêtés sur la même
inculpation.
Les
arrestations déclenchèrent une tempête de
rumeurs. Hors du territoire, les journaux prédirent qu’une
guerre civile allait éclater à Salt Lake City et
rapportèrent que les saints stockaient des fusils et avaient
positionné un canon au pied des montagnes. En réalité,
les rues de Salt Lake City étaient tranquilles. Les dirigeants
de l’Église coopérèrent avec les hommes de
loi et les avocats commencèrent à se préparer à
répondre aux inculpations qui seraient lancées contre
Brigham la semaine suivante.
Le
jour venu, le tribunal était bondé. Des milliers de
gens se tenaient debout dans la rue, à l’extérieur
du bâtiment. Brigham arriva un quart d’heure avant le
juge et s’assit patiemment, son calme désarmant ses
détracteurs.
Lorsque
le juge McKean arriva, les avocats de Brigham tentèrent de
faire arrêter le procès sous prétexte que les
agents n’avaient pas respecté la procédure
appropriée lorsqu’ils avaient convoqué un grand
jury sans un seul membre de l’Église. Lorsque McKean
rejeta cette demande, les avocats essayèrent de montrer les
failles dans les inculpations elles-mêmes dans l’espoir
de faire abandonner les poursuites. Le juge rejeta de nouveau leur
demande.
Pendant
l’audience, McKean révéla qu’il ne
considérait pas le cas comme un procès permettant de
statuer sur l’innocence ou la culpabilité de Brigham,
mais comme une bataille cruciale dans une guerre entre les
révélations des saints et la loi fédérale.
Il déclara : « Bien que l’affaire en cause soit
appelée Le Peuple contre Brigham Young, son véritable
titre est L’autorité fédérale contre la
théocratie polygame. » Cela lui importait peu d’être
un juge impartial. À ses yeux, le prophète était
déjà coupable.
Supposant
que le procès ne serait pas programmé avant le mois de
mars, durant le mandat suivant de la cour, Brigham partit pour St.
George environ deux semaines plus tard. Quelques jours après,
un mandat d’arrêt fut émie contre lui et d’autres
dirigeants de l’Église, cette fois-ci pour la fausse
inculpation de meurtre.
Le
9 novembre 1871, après une période de temps froid et de
pluie, le ciel au-dessus de St. George était dégagé
et agréable. Juste au sud de la ville, Susie Young était
assemblée avec une foule de personnes pour l’ouverture
de chantier du temple, sur une parcelle dont on venait de faire le
relevé.
Brigham
ne s’était pas beaucoup montré en public depuis
son arrivée à St. George cet automne-là. Avec la
maladie et la perspective d’une comparution devant un tribunal,
il devait se montrer prudent. Certaines personnes craignaient que des
marshals ne tentent de le capturer et de le traîner jusqu’à
Salt Lake City. La nuit, il restait chez Erastus Snow où des
hommes armés montaient la garde pour le protéger.
Sur
la parcelle du temple, Susie serrait contre elle un crayon et un
cahier, prête à prendre des notes pendant la cérémonie.
Avant d’emménager à St. George, elle avait été
la meilleure élève de l’un des sténodactylos
de son père, et elle était fière d’être
rapporteuse. De l’endroit où elle se trouvait dans la
foule, elle pourrait enregistrer tout ce qui se passerait. Elle
pouvait facilement voir son père et sa mère debout l’un
près de l’autre et sa sœur Mabel cramponnée
à la main de sa mère.
Après
le cantique d’ouverture interprété par le chœur,
George A. Smith s’agenouilla et offrit la prière de
consécration, demandant au Seigneur de protéger le
prophète de ses ennemis et de prolonger ses jours. Susie vit
ensuite son père et d’autres dirigeants de l’Église
donner le premier coup de pelle à l’angle sud-est de la
parcelle.
Les
saints chantèrent « L’Esprit du Dieu saint »
puis Brigham grimpa sur une chaise afin que tout le monde puisse
l’entendre donner les instructions pour le « cri du
Hosanna », un cri solennel poussé lors des cérémonies
de consécration et d’événements publics
depuis l’époque du temple de Kirtland.
Suivant
son exemple, les saints levèrent la main droite et crièrent
trois fois : « Hosanna, Hosanna, Hosanna à Dieu et à
l’Agneau ! »
Quelques
semaines plus tard, Brigham fut informé que le juge McKean
avait fixé la date de son procès au 4 décembre
alors qu’il savait que le prophète était loin de
Salt Lake City. Brigham était cependant réticent à
quitter St. George et le juge reporta la date à début
janvier. Entre temps, Brigham tint conseil avec ses avocats et
consultants sur la marche à suivre. Il savait qu’il
serait arrêté dès qu’il retournerait à
Salt Lake City et il était maintenant plus soucieux de sa
sécurité qu’auparavant. Il voulait être
certain qu’il ne serait pas tué au cours de sa garde à
vue.
Pendant
un certain temps, il envisagea de se cacher, comme Joseph l’avait
fait à Nauvoo. Le meurtre était passible de peine
capitale et si un jury partial le trouvait coupable, il pouvait être
exécuté. Cependant, à la mi-décembre, ses
avocats l’exhortèrent à retourner en ville,
confiants qu’il serait en sécurité. Des membres
du Collège des Douze et d’autres amis avaient un autre
avis, mais ils étaient d’accord pour dire qu’il
devait agir comme lui le jugeait bon.
Une
nuit, Brigham rêva que deux hommes essayaient de prendre la
direction d’une importante réunion de saints. Lorsqu’il
se réveilla, il sut ce qu’il devait faire. Il dit à
ses amis : « J’ai envie de rentrer à la maison et
de diriger la réunion, avec l’aide de Dieu et de mes
frères ! »
Sur
le chemin de retour, il fit une halte pour la nuit dans une petite
colonie. Les saints de l’endroit étaient très
inquiets qu’il ait décidé d’aller au
tribunal, sachant que le juge McKean l’avait pratiquement
reconnu coupable. Un homme se mit même à sangloter en
apprenant ce que Brigham avait l’intention de faire. Le
prophète comprenait sa crainte, mais il savait ce qu’il
devait faire.
Il
dit : « Dieu l’emportera pour le plus grand bien de Sion.
»
CHAPITRE
27
: Feu
de prairie
Les
rumeurs sur le retour de Brigham Young à Salt Lake City
allèrent bon train pendant les semaines qui précédèrent
son procès dont la date était fixée à
janvier 1872. Les procureurs du territoire étaient certains
qu’il préférerait fuir la justice plutôt
que de comparaître devant un juge.
Cependant,
fin décembre, Daniel Wells reçut un pli urgent du
prophète. Il l’informait : « Nous serons présents
au moment voulu pour comparaître au tribunal. » Le
lendemain de Noël, il parcourut plus de cent kilomètres
dans des tempêtes de neige pour retrouver Daniel à
Draper, une ville située à une trentaine de kilomètres
au sud de Salt Lake City. De là, ils prirent le train et
Brigham arriva chez lui peu avant minuit.
Un
marshal des États-Unis arrêta le prophète une
semaine plus tard et l’escorta jusqu’à la salle
d’audience du juge McKean. Brigham demeura calme et confiant
tout au long de l’instruction. Faisant état de son âge
avancé et de sa mauvaise santé, ses avocats demandèrent
au juge de le libérer sous caution. McKean rejeta la demande
et le plaça en détention.
Le
procès était prévu peu de temps après et
le Salt Lake Tribune prédisait que tous les journaux des
États-Unis et de Grande-Bretagne en publieraient le
déroulement. Le « Grand procès » fut
cependant reporté et les jours devinrent des semaines. Brigham
restait chez lui la plupart du temps, en général sous
la surveillance de marshals. Toutefois, il assistait parfois à
des activités. Il se rendit par exemple dans le bâtiment
de la Quatorzième paroisse, accompagné d’un
officier de police, et assista à une soirée surprise en
l’honneur de l’anniversaire d’Eliza Snow.
George
Q. Cannon lui envoyait régulièrement des rapports
depuis Washington sur une affaire que les saints avaient soumise à
la Cour suprême des États-Unis, le plus haut tribunal du
pays. Ils soutenaient que la méthode du juge McKean consistant
à exclure les saints des grands jurys dans le territoire
d’Utah était illégale. Si la Cour suprême
se prononçait contre la méthode du juge, toutes les
accusations portées par un grand jury formé
incorrectement, y compris les accusations contre le prophète,
seraient immédiatement abandonnées.
La
Cour suprême statua sur l’affaire en avril. Le juge
McKean et George étaient tous deux présents pour
entendre le verdict. Certains de ses associés étaient
confiants que la décision de la Cour serait en faveur de
Brigham, mais McKean avait l’air inquiet pendant que le
président du tribunal lisait la décision de la Cour.
Il
déclara : « Dans l’ensemble, nous sommes d’avis
que le jury n’a pas été choisi ni convoqué
conformément à la loi dans cette affaire. »
Le
juge McKean quitta la pièce en maudissant le verdict et
insista en disant que Brigham n’avait rien fait de mal. Les
télégraphes eurent tôt fait de relayer la
nouvelle jusqu’en Utah. Toutes les accusations pénales
portées par de grands jurys formés illégalement
dans le territoire étaient effacées. Brigham Young
était libre.
Plus
tard ce jour-là, dans une lettre adressée au prophète,
George se réjouit : « La Cour suprême s’est
élevée au-dessus des préjugés religieux
et des influences politiques. » Il était pourtant
inquiet que le verdict n’ait fait qu’aigrir encore
davantage les ennemis des saints.
Il
écrivit : « Je serais surpris qu’on ne redouble
pas d’efforts pour s’assurer que la loi soit contre nous.
»
Ce
mois d’avril là, les saints de tout Hawaï allèrent
à Oahu pour une conférence à Laie, leur lieu de
rassemblement depuis sept ans. Environ quatre cents saints y
habitaient à longueur d’année. Il s’y
trouvait une petite église, une école et une grande
exploitation agricole où les saints du lieu et les
missionnaires d’Utah cultivaient la canne à sucre.
Pendant
la conférence, treize missionnaires locaux témoignèrent
de leurs expériences récentes. Sous la direction de
Jonathan Napela, qui avait été appelé à
superviser le prosélytisme sur les îles, les
missionnaires avaient baptisé plus de six cents personnes. Le
nombre de saints à Hawaï dépassait maintenant
largement les deux mille.
Chaque
frère témoigna des miracles qu’il avait vus dans
le champ de la mission. Récemment, le Seigneur avait guéri
un paralytique après que les missionnaires eurent exercé
leur foi et prié pour lui. Un autre homme, qui s’était
cassé le bras en tombant de sa mule, avait été
totalement guéri après que deux missionnaires lui
eurent donné une bénédiction. D’autres en
avaient donné plusieurs à une petite fille qui ne
pouvait pas marcher. Après chacune, son état s’était
amélioré jusqu’à ce qu’elle puisse
de nouveau courir et jouer.
Après
la conférence, les missionnaires continuèrent de
prêcher l’Évangile et de guérir les
malades. Parmi les personnes qui vinrent demander de l’aide se
trouvait Keʻelikōlani, le gouverneur de la Grande-Île
d’Hawaï. Elle demanda aux saints de prier pour son
demi-frère, le roi Kamehameha V, qui était sur le point
de mourir. Napela connaissait bien le roi ; aussi, accompagné
de H. K. Kaleohano, un membre de l’Église de longue
date, il se rendit au palais et proposa de prier pour lui.
Ils
dirent : « Nous avons été informés de
votre grande adversité et nous désirons sincèrement
votre rétablissement. » Le roi accepta leur offre et les
missionnaires inclinèrent respectueusement la tête.
Kaleohano offrit ensuite une prière fervente.
Lorsque
les missionnaires eurent terminé, Kamehameha semblait aller
bien mieux. Il dit aux frères que certains membres du
gouvernement avaient fait pression sur lui pour qu’il empêchât
les saints de prêcher sur les îles, mais il avait refusé
de les écouter. La constitution d’Hawaï accordait
la liberté religieuse aux gens et il comptait bien la faire
respecter.
Le
roi conversa amicalement avec Napela et Kaleohano pendant un long
moment. Alors que les anciens étaient sur le point de partir,
des hommes arrivèrent avec du poisson pour la maisonnée
du roi. Lorsque Kamehameha les vit, il montra Napela et Kaleohano du
doigt et dit : « N’oubliez pas ces rois. »
Il
donna à chaque frère un panier de poissons et leur dit
au revoir.
Vers
l’époque de la conférence d’avril à
Laie, les journaux de tous les États-Unis se repaissaient d’un
exposé sur le mariage plural nouvellement publié par
Fanny Stenhouse, qui était devenue la femme la plus éminente
du Nouveau mouvement. Dans le livre, elle présentait les
saintes des derniers jours comme des femmes opprimées et
mécontentes.
Les
femmes de l’Église furent atterrées par ce
tableau. Croyant qu’il valait mieux que les saintes des
derniers jours se décrivent elles-mêmes au lieu d’être
présentées sous un faux jour par d’autres
personnes, Lula Greene, vingt-trois ans, commença de publier
un journal pour les femmes d’Utah. Elle l’appela le
Woman’s Exponent.
Lula
avait une belle plume, et était présidente de
l’association de tempérance des Jeunes Filles dans une
petite branche. Après avoir publié la poésie de
la jeune femme, le rédacteur du Salt Lake Daily Herald lui
avait demandé d’écrire pour son journal, mais
comme son personnel avait rechigné à l’embaucher,
il lui avait suggéré l’idée de lancer son
propre journal.
Cela
l’avait intriguée. Les récentes réunions
de protestation avaient montré l’influence puissante que
les saintes des derniers jours pouvaient avoir lorsqu’elles
parlaient franchement des questions qui leur importaient. Cependant,
les femmes dans et hors de l’Église avaient rarement
l’occasion d’exprimer leur opinion aussi publiquement. De
plus, beaucoup des bonnes choses dites et faites par la Société
de secours et l’association de tempérance l’étaient
à l’insu de tous, en particulier des personnes
extérieures au territoire.
Lula
fit tout d’abord part du projet à Eliza Snow, qui
consulta ensuite Brigham Young, le grand-oncle de Lula. Tous les deux
affirmèrent leur soutien. À sa demande, Brigham lui
confia la mission spéciale de rédactrice du journal.
Le
premier numéro du Woman’s Exponent fut publié en
juin 1872. Le journal proposait des nouvelles locales, nationales et
mondiales, ainsi que des éditoriaux, de la poésie et
des comptes rendus de réunions de Société de
secours et de tempérance. Lula publia également des
lettres à la rédaction, offrant aux saintes des
derniers jours un lieu où elles racontaient leurs histoires et
exprimaient leurs opinions.
En
juillet, elle publia la lettre d’une Anglaise nommée
Mary, qui comparait la vie dure de servante qu’elle avait menée
à Londres et à New York à sa vie en Utah. Elle
déclarait : « Nous, les ‘femmes mormones’,
devrions écrire et dire au monde (libre à lui de nous
croire ou pas) que nous ne sommes pas les pauvres êtres
opprimés que l’on décrit. Je n’ai pas été
opprimée ici, mais j’ai été libre de
venir, libre de partir, libre de travailler ou de ne rien faire. »
Elle
ajouta : « Pour l’instant, j’aime beaucoup
l’Exponent. Il parle de bon sens. »
Entre-temps,
au nord de l’Utah, les tribus de la nation shoshone du
nord-ouest étaient sur le point de mourir de faim. Près
de dix mille colons blancs, la plupart saints des derniers jours,
habitaient les terres indigènes des Shoshones dans la Cache
Valley et les régions avoisinantes, épuisant les
ressources naturelles de nourriture de la région.
À
leur arrivée dans la Cache Valley au milieu des années
1850, un chef shoshone nommé Sagwitch avait établi de
bons rapports avec les dirigeants locaux de l’Église, en
particulier avec l’évêque Peter Maughan, qui
parfois leur donnait un peu d’aide venant du bureau des dîmes.
Les tensions entre les deux groupes s’étaient exacerbées
vers la fin des années 1850 au fur et à mesure que
d’autres saints s’installaient dans la vallée et
que le gibier se faisait plus rare.
Pour
se nourrir et nourrir leurs familles, certains Shoshones avaient
commencé à voler le bétail des saints,
considérant leurs actions comme un dédommagement pour
les terres perdues et les ressources épuisées. Espérant
sans doute faire cesser les raids, les saints avaient essayé à
contrecœur de nourrir les Shoshones en leur offrant de la
farine et du bœuf, mais ces cadeaux ne compensaient pas les
privations que les colons leur faisaient subir en s’installant
dans la vallée.
Au
cours de cette période, les Shoshones avaient également
eu plusieurs différends avec le gouvernement des États-Unis.
Le colonel Patrick Connor, commandant des troupes armées
américaines basées à Salt Lake City, se servit
du conflit comme motif pour attaquer les Shoshones. Un matin de
janvier 1863, pendant que Sagwitch et son peuple campaient près
de la Bear River, ils trouvèrent à leur réveil
les soldats marchant contre eux. Les Shoshones se replièrent
vers leurs lieux de refuge et tentèrent de les repousser, mais
l’armée les encercla et, de sa position, tira
impitoyablement sur eux.
Environ
quatre cents hommes, femmes et enfants moururent suite à
l’assaut du camp. Sagwitch survécut, ainsi que sa fille
qui était bébé, et trois fils, mais sa femme,
Dadabaychee, et deux beaux-fils se trouvaient parmi les victimes.
Après
le massacre, les saints des colonies voisines vinrent porter secours
aux Shoshones blessés. Cependant, l’attaque avait rendu
Sagwitch profondément méfiant à l’égard
des saints. Porter Rockwell, un saint des derniers jours qui servait
parfois d’éclaireur à l’armée, avait
conduit les soldats jusqu’au camp shoshone. Certains saints de
la Cache Valley avaient aussi assisté au déroulement du
massacre depuis le sommet d’une colline proche, et d’autres
avaient abrité et nourri les soldats après l’attaque.
Même Peter Maughan, qui traita l’action des soldats «
d’inhumaine », croyait que les Shoshones avaient provoqué
l’affrontement. Certains saints allèrent jusqu’à
qualifier l’assaut d’intervention divine.
Maintenant,
dix ans après le massacre, Sagwitch et son peuple en voulaient
encore aux colons blancs. La bonne volonté des saints
d’utiliser les ressources de l’Église pour fournir
de la nourriture et du matériel aux Shoshones leur valut de
regagner un peu de leur confiance, mais la perte de vies innocentes,
de terres et de ressources les mettait dans une situation désespérée.
Au
printemps 1873, un chef shoshone respecté appelé
Ech-up-wy eut une vision dans laquelle trois Indiens entraient dans
sa hutte. Le plus grand, un bel homme, large d’épaules,
lui dit que le Dieu des saints était le même que celui
que les Shoshones adoraient. Avec l’aide des saints, ils
construiraient des maisons, cultiveraient la terre et recevraient le
baptême.
Dans
la vision, il vit aussi les Shoshones cultiver de petites
exploitations avec quelques hommes blancs à leurs côtés.
L’un d’eux était George Hill, un saint des
derniers jours qui avait fait une mission parmi eux quinze ans
auparavant. Il parlait leur langue et leur distribuait parfois de la
nourriture et d’autres marchandises.
Après
avoir entendu parler de la vision d’Ech-up-wy, un groupe de
Shoshones prit la route de la maison de George à Ogden.
Peu
de temps après, George Hill apprit à son réveil
qu’un groupe de Shoshones attendait devant chez lui de pouvoir
lui parler. Lorsqu’il accueillit ses visiteurs, l’un de
leurs chefs lui expliqua qu’ils avaient appris par inspiration
que les saints étaient le peuple du Seigneur. Il dit : «
Nous voulons que vous veniez à notre camp pour nous prêcher
l’Évangile et nous baptiser. »
George
estimait qu’il ne pouvait pas le faire sans la permission de
Brigham Young. Déçus, les Shoshones rentrèrent
chez eux, mais revinrent plus tard et redemandèrent le
baptême. Une fois de plus, George leur dit qu’il devait
attendre les instructions du prophète.
Peu
après, il le rencontra à Salt Lake City. Brigham dit :
« Voilà quelque temps qu’un fardeau pèse
sur mes épaules. J’ai essayé de m’en
débarrasser. Maintenant, je vais te le donner. Dorénavant,
ce fardeau sera le tien. Je veux que tu prennes la responsabilité
de la mission aux Indiens dans tout le nord de ce pays. »
Il
lui conseilla d’établir un lieu de rassemblement pour
les Shoshones et de leur enseigner l’agriculture. Il dit : «
Je ne sais pas comment tu dois t’y prendre, mais tu trouveras
un moyen. »
Le
5 mai 1873, George se rendit en train dans une localité située
à une cinquantaine de kilomètres au nord d’Ogden.
De là, il continua à pied jusqu’au camp de
Sagwitch, vingt kilomètres plus loin. Il n’avait pas
fait deux kilomètres qu’un vieux Shoshone appelé
Tig-we-tick-er s’approcha de lui en riant. Il dit que ce
matin-là, Sagwitch avait prophétisé que George
leur rendrait visite au camp.
Tig-we-tick-er
lui indiqua la route et promit de revenir promptement pour l’entendre
prêcher. George continua de marcher et rencontra deux autres
Shoshones qui répétèrent les paroles de
Sagwitch. Étonné, il se demanda comment ce dernier
avait fait pour connaître exactement le jour et l’heure
de son arrivée. Ce fut pour lui un signe que l’œuvre
du Seigneur avait véritablement commencé parmi les
Shoshones.
Peu
après, il vit Sagwitch approcher à cheval, conduisant
un autre cheval derrière lui. Il dit : « Je pensais que
tu serais fatigué alors je t’ai amené un cheval à
monter. »
Ils
chevauchèrent ensemble jusqu’au camp. Des dizaines de
personnes attendaient d’être instruites. George prêcha
pendant une heure ou deux et apprit que nombre d’entre elles
voulaient se joindre à l’Église. Cet
après-midi-là, il baptisa cent un Shoshones, dont
Sagwitch, et les confirma sur la berge. Il quitta ensuite le camp
juste à temps pour prendre le dernier train à
destination d’Ogden.
Le
lendemain, il envoya une lettre à Brigham Young. Il écrivit
: « Jamais de ma vie, je ne me suis senti aussi bien ni n’ai
passé une journée plus heureuse. » Il nota que
les Shoshones aussi avaient l’air heureux et avaient
l’intention d’organiser des réunions de prière
chaque soir. Mentionnant leur besoin impérieux de provisions,
il demanda des sacs de farine pour eux.
Dans
une lettre, George parla ensuite des baptêmes à son ami
Dimick Huntington qui connaissait aussi la langue des Shoshones.
George déclara : « Mon seul désir est d’avoir
l’aide de l’Esprit de Dieu afin d’être
capable d’accomplir l’œuvre que l’on exige de
moi. »
Il
supplia : « Dimick, fais tout ton possible pour m’aider.
L’œuvre se propage comme un feu de prairie. »
Au
moment où les Shoshones du nord-ouest embrassaient l’Évangile
rétabli, Jonathan Napela apprenait que sa femme, Kitty, avait
reçu l’ordre de se rendre sur l’île de
Molokai après avoir contracté la maladie d’Hansen,
ou lèpre. Espérant endiguer la propagation de la
maladie sur Hawaï, le roi Kamehameha V avait fondé une
colonie sur la péninsule de Kalaupapa, à Molokai, pour
mettre en quarantaine les personnes qui présentaient des
signes d’infection. Du fait que l’on pensait que la lèpre
était incurable, le bannissement à la colonie était
habituellement une sentence à perpétuité.
Soucieux
d’être séparé de Kitty, Napela prit le
poste de superviseur adjoint de la colonie de Kalaupapa. Parmi ses
nouvelles responsabilités, il devait distribuer les rations et
faire des rapports réguliers au conseil de la santé. Ce
travail le mettait en contact étroit avec les personnes
contaminées, augmentant le risque de contracter lui aussi la
maladie.
Lorsque
Kitty et lui arrivèrent à la colonie au printemps de
1873, Napela commença à prêcher l’Évangile
et à tenir des réunions chaque dimanche avec les saints
lépreux. Il se lia également d’amitié avec
le père Damien, prêtre catholique œuvrant à
Kalaupapa, et Peter Kaeo, un membre de la famille royale hawaïenne
qui était atteint de la maladie et était arrivé
peu après Kitty et Napela.
Dans
la colonie, Peter vivait dans un confort relatif, dans une petite
maison qui surplombait la péninsule. Il avait des serviteurs,
recevait des cadeaux de sa famille aisée et était peu
en contact avec la souffrance de l’île. Lorsqu’il
apprit qu’un homme était mort, il en fut apparemment
choqué et en parla à Kitty.
Elle
répondit : « Ce n’est pas une grande nouvelle. Il
en meurt presque chaque jour. »
Le
30 août 1873, Peter se joignit à Napela pendant qu’il
évaluait les besoins des habitants de la colonie. Le ciel
matinal était couvert pendant qu’ils parcouraient la
péninsule d’une hutte ou d’un abri à
l’autre. Napela s’arrêta d’abord dans une
grotte et parla de leurs rations à trois hommes, trois femmes
et un petit garçon. Peter fut horrifié. La maladie
avait complètement défiguré certains d’entre
eux. Il manquait des doigts à d’autres.
Plus
tard, Napela et Peter rencontrèrent une femme qui avait une
jambe gravement enflée. Cela faisait trois ans qu’elle
était sur Molokai et ses robes et sous-vêtements étaient
en lambeaux. Napela lui dit de venir chercher de nouveaux vêtements
au magasin de la colonie le lundi.
En
octobre, le conseil de la santé apprit que Napela distribuait
de la nourriture à des personnes nécessiteuses qui n’y
avaient pas droit. Ils le renvoyèrent de son poste et lui
ordonnèrent de quitter Kalaupapa. Napela en informa
immédiatement Kitty. Plus tard, Peter trouva le couple qui
pleurait. Ces derniers temps, Kitty ne se sentait pas bien et Napela
ne voulait pas la laisser.
Napela
demanda au conseil de la santé de lui permettre de rester en
qualité de soignant de Kitty. Il écrivit : « Je
fais le serment de prendre soin de ma femme dans la santé et
dans la maladie, et ce jusqu’à ce que la mort nous
sépare. J’ai soixante ans et je n’en ai plus pour
longtemps. Durant le peu de temps qu’il me reste, je veux être
avec ma femme. »
Le
conseil approuva la demande.
En
décembre 1873, après avoir fait pression pendant des
années en faveur de l’Église et de l’Utah à
Washington, George Q. Cannon fut assermenté comme délégué
du territoire à la Chambre des représentants des
États-Unis. Il s’était préparé
spirituellement pour ce moment. La veille, il s’était
senti faible et seul, mais après avoir prié pour
obtenir de l’aide, il avait reçu de la joie, du
réconfort et de la force.
Il
nota la réflexion suivante dans son journal : « Je suis
ici sans la moindre âme qui soit solidaire avec moi, mais j’ai
un Ami qui est plus puissant qu’eux tous. En cela je me
réjouis. »
Au
début des années 1870, l’opinion publique de
l’Église aux États-Unis était plus
déplorable que jamais. Ulysses Grant, le président,
était déterminé à mettre un terme au
mariage plural en Utah, ayant déjà promis qu’il
ferait obstacle à tout effort pour accéder au statut
d’État tant que les mariages continueraient. Au
printemps 1874, le sénateur Luke Poland présenta un
autre projet de loi conçu pour renforcer la loi anti-bigamie
de Morrill en exerçant une plus grande emprise sur les
tribunaux d’Utah.
Entre-temps,
Fanny et T. B. H. Stenhouse continuaient de critiquer l’Église
par écrit et de s’élever contre le mariage plural
devant des auditoires de tout le pays. De même, Ann Eliza
Young, femme plurale séparée de Brigham Young qui avait
intenté un procès contre lui pour divorce, avait
commencé à faire des discours en public pour condamner
l’Église. Après une présentation à
Washington où elle censura l’élection de George
Q. Cannon au Congrès, le président Grant parla avec
elle et fut tout à fait de son avis.
Jeûnant
et priant pour être guidé, George essaya d’user de
son influence pour empêcher le projet de loi Poland. Il
rechercha également l’aide d’alliés.
Dernièrement, Thomas Kane et sa femme, Elizabeth, avaient
passé l’hiver avec Brigham Young en Utah. Influencée
par les livres et les articles de journaux hostiles, Elizabeth était
arrivée dans le territoire, s’attendant à y
trouver des femmes opprimées et désespérées.
En réalité, elle les trouva aimables, sincères
et dévouées à leur religion. Peu après le
voyage, les impressions laissées par les saints sur Elizabeth
furent publiées dans un livre. Elle les y décrivait
impartialement, tout en continuant de s’opposer au mariage
plural.
C’est
en partie grâce à son livre que George persuada ses
collègues législateurs d’adoucir certains aspects
du projet de loi Poland. Mais aucun de ses efforts n’empêcha
le président Grant de le ratifier mi-juin.
Cet
été et cet automne-là, William Carey, le
procureur des États-Unis en Utah, prit des mesures pour
commencer à traduire en justice les saints éminents qui
pratiquaient le mariage plural. George retourna en Utah à
cette époque et, en octobre, il fut arrêté sur
des accusations relatives à ses mariages pluraux. Devant la
perspective d’autres arrestations parmi les saints, les
dirigeants de l’Église décidèrent de
monter une action en justice probatoire pour contester la légalité
de la loi anti-polygamie Morrill.
Concluant
un marché avec Carey, ils acceptèrent de le laisser
condamner un homme pour polygamie afin de permettre aux avocats de
l’Église de porter l’affaire devant un tribunal
supérieur. En échange, le procureur général
promit de ne traduire personne d’autre en justice jusqu’à
la conclusion de la procédure d’appel. En faisant ce
marché, les dirigeants de l’Église espéraient
que le tribunal supérieur déciderait que la loi
anti-polygamie violait les droits religieux des saints et annulerait
la condamnation.
George
Q. Cannon fut libéré sous caution peu après son
arrestation. Ce soir-là, il rencontra George et Amelia
Reynolds qui se promenaient le long de l’enceinte de la
parcelle du temple. George Reynolds était un jeune saint
britannique qui servait comme secrétaire de Brigham Young. Cet
été-là, il avait épousé Amelia, sa
première femme plurale. Le connaissant bien, George Cannon le
recommanda comme candidat idéal pour contester la loi
anti-polygamie.
Reynolds
accepta. Puisque l’affaire probatoire ne pouvait avancer que
s’il était condamné, Reynolds fournit rapidement
une liste de personnes qui pouvaient témoigner contre lui
devant les tribunaux. Il fut arrêté peu après
pour bigamie. Le juge le relâcha sous caution et fixa la date
de son procès.
CHAPITRE
28
: Jusqu’à
la venue du Fils de l’Homme
Le
19 juin 1875, Brigham Young quitta Salt Lake City pour visiter des
colonies implantées au centre de l’Utah. Il venait juste
de fêter ses soixante-quatorze ans et les déplacements
lui devenaient de plus en plus pénibles. Du fait de son
arthrite, chaque mouvement le faisait souffrir. Pourtant, la visite
des colonies le rapprochait des saints et mettait une distance
bienvenue entre lui et les récentes difficultés
juridiques de l’Église.
Après
l’inculpation de George Reynolds pour bigamie, le procureur des
États-Unis, William Carey, n’avait pas tenu la promesse
qu’il avait faite aux dirigeants de l’Église et
avait également inculpé George Q. Cannon pour la même
chose. Le cas de George Cannon fut plus tard classé sans
suite, mais Reynolds fut jugé, déclaré coupable
et condamné à une amende de trois cents dollars et à
une année de prison. Néanmoins, la cour suprême
territoriale annula sa condamnation lorsque ses avocats firent valoir
le fait qu’il avait été inculpé par un
grand jury formé illégalement. Une fois que Reynolds
fut libéré, les procureurs firent le serment de le
poursuivre à nouveau en justice.
De
plus, Ann Eliza Young, la femme dont Brigham était séparé,
s’était récemment alliée à des
détracteurs de l’Église pour intenter une action
en justice contre le prophète. Lorsqu’elle exigea plus
de deux cent mille dollars pour une pension alimentaire et autres
réclamations, les avocats de Brigham rejetèrent son
procès, l’estimant extravagant. Ils firent également
valoir le fait qu’Ann Eliza ne pouvait pas divorcer devant un
tribunal puisque le mariage plural n’était pas reconnu
légalement aux États-Unis. Le juge James McKean donna
pourtant raison à Ann Eliza et envoya Brigham passer une nuit
en prison lorsque, sur les conseils de ses avocats, il refusa de
payer tant qu’ils n’auraient pas fait appel auprès
d’un tribunal supérieur.
Les
journaux de tout le pays estimèrent que les actions du juge
étaient une combine pour mettre Brigham dans l’embarras
et ils condamnèrent et ridiculisèrent McKean pour cela.
Quelques jours plus tard, le président des États-Unis
le remplaça par un autre juge et Brigham dut payer les trois
mille dollars de frais juridiques d’Ann Eliza.
Deux
jours après avoir quitté Salt Lake City, Brigham et
ceux qui l’accompagnaient se réunirent avec la Société
de secours à Moroni, une petite ville de la vallée de
Sanpete. Eliza Snow et Mary Isabella Horne, qui faisaient partie du
groupe, encouragèrent les femmes à continuer de
coopérer et à être matériellement
autonomes. Mary Isabella les exhorta à donner la priorité
dans leur vie au royaume de Dieu. Elle dit : « Ce que nous nous
attendons à recevoir, nous devons travailler pour l’obtenir.
»
Eliza
parla ensuite d’éducation religieuse. Certaines familles
de la vallée de Sanpete envoyaient leurs enfants dans une
nouvelle école dirigée par un missionnaire d’une
autre confession et les dirigeants de l’Église
s’inquiétaient du fait que ses leçons ne
contredisent ce que les enfants apprenaient auprès de leurs
parents et de l’Église.
Eliza
dit aux femmes : « Sion devrait être l’endroit où
nous éduquons les enfants de Sion. Assurez-vous que les
enfants comprennent que votre religion a la priorité absolue
dans votre esprit. »
Dans
d’autres colonies de Sanpete, Brigham encouragea les saints à
adopter un système économique plus coopératif.
Deux ans plus tôt, une dépression nationale avait nui à
l’économie de l’Utah. Toutefois, plusieurs
coopératives et industries du territoire avaient résisté
à la crise financière, confortant Brigham dans ses
convictions à cet égard.
Depuis
lors, il avait appelé les saints à vivre comme l’ancien
peuple d’Hénoc, qui était uni de cœur et
d’esprit et parmi lequel il n’y avait pas de pauvres. Le
système, portant le nom d’Ordre uni d’Hénoc,
rappelait la révélation du Seigneur sur la loi de
consécration. Les membres de l’ordre devaient pourvoir
aux besoins les uns des autres comme une famille, offrant
libéralement leur travail et leurs biens personnels pour
promouvoir l’industrie et améliorer l’économie
locales.
De
nombreux saints avaient déjà organisé un ordre
uni dans leur collectivité. Quoique la structure fût
différente de l’un à l’autre, ils avaient
en commun les valeurs que sont la coopération économique,
l’autonomie et la simplicité.
Pendant
qu’il était en réunion avec les saints de
Sanpete, l’apôtre Erastus Snow parla des bienfaits de
l’ordre uni dans les colonies du sud de l’Utah. Il fit
remarquer : « Nous avons tendance à travailler de cette
manière égoïste qui tend à exalter quelques
personnes au détriment de nombreux pauvres. C’est
malsain en soi. »
Plus
tard ce jour-là, Brigham ajouta : « L’ordre uni
nous sert à apprendre quoi faire des biens que nous possédons
et à donner de nous-mêmes pour l’accomplissement
des desseins de Dieu. »
Avant
de terminer sa tournée à Sanpete, Brigham parla avec
les dirigeants locaux de l’Église. Il leur dit : «
Nous pouvons construire des temples ici pour un coût inférieur
à celui de Salt Lake. Vous sentez-vous capables de prendre le
projet en charge et d’en construire un ici ? »
Chaque
homme présent dans la pièce leva la main pour
manifester son soutien et ils convinrent que le prophète
devrait choisir le site. Brigham avait visité plusieurs
endroits possibles et il annonça sa décision le
lendemain :
«
Je dirais que mes pensées se tournent totalement vers l’éperon
montagneux pointant vers Manti. »
Lorsque
Brigham rentra de son voyage au centre de l’Utah, un homme
appelé Meliton Trejo était à Salt Lake City en
train de traduire le Livre de Mormon en espagnol. Vétéran
originaire d’Espagne, Meliton était arrivé en
ville depuis les Philippines vers la fin de l’été
1874. Revêtu de son uniforme militaire, il avait rapidement
attiré le regard des passants.
À
son arrivée dans le territoire, il ne connaissait pas
grand-chose sur l’Église. Il avait entendu parler des
saints dans les montagnes Rocheuses et voulait leur rendre visite un
jour. Une nuit, aux Philippines, après avoir prié pour
être guidé, il avait été poussé
dans un rêve à entreprendre le voyage. Il démissionna
de l’armée, cousit tout l’argent qu’il
possédait à l’intérieur de sa veste et fit
voile pour San Francisco.
Une
fois arrivé à Salt Lake City, il rencontra un
hispanophone qui lui présenta Brigham Young et d’autres
dirigeants de l’Église. Brigham avait récemment
demandé à deux hommes, Daniel Jones et Henry Brizzee,
de se préparer à faire une mission au Mexique. Il
croyait que certains des descendants des peuples du Livre de Mormon y
habitaient et il aspirait à leur transmettre l’Évangile.
Il croyait aussi que lorsque Parley Pratt avait essayé
d’apporter l’Évangile en Amérique latine en
1851, son effort avait été infructueux en partie du
fait que le Livre de Mormon n’était pas disponible en
espagnol.
Dans
le cadre de la préparation de Daniel et d’Henry, Brigham
leur avait demandé d’étudier la langue et de
traduire un jour le Livre de Mormon. Les deux hommes parlaient un peu
l’espagnol, mais l’idée de traduire un livre
d’Écritures était effrayante. Ni l’un ni
l’autre ne le maîtrisait assez bien. Ils avaient besoin
de l’aide de quelqu’un dont c’était la
langue maternelle.
Daniel
et Henry considérèrent l’arrivée de
Meliton comme un don du ciel. Ils lui enseignèrent l’Évangile
et il accepta le baptême de tout cœur. Daniel l’invita
ensuite à passer l’hiver chez lui pour travailler à
la traduction.
Meliton
passa plusieurs mois à traduire le texte sacré.
Lorsqu’il fut à court d’argent, Daniel reçut
la permission de Brigham Young de demander des dons aux saints. Plus
de quatre cents personnes contribuèrent pour subvenir aux
besoins de Meliton et financer la publication.
Après
avoir révisé la traduction, Daniel prit les
dispositions nécessaires pour l’impression d’une
centaine de pages sous le nom de Trozos selectos del Libro de Mormon
(N.D.T. « Morceaux choisis du Livre de Mormon »). Brigham
voulut cependant que Daniel s’assure que la traduction était
correcte, alors celui-ci s’organisa pour relire la traduction
avec Meliton. Pendant qu’ils lisaient, Daniel demandait à
Dieu de l’aider à trouver les erreurs dans leur travail.
Chaque fois qu’il trouvait un passage malheureux dans le texte,
il demandait l’aide de Meliton. Meliton examinait alors la
traduction attentivement et trouvait la correction à apporter.
Daniel sentait que le Seigneur guidait leur travail.
Peu
après la publication de Trozos selectos, Daniel et d’autres
missionnaires furent appelés au Mexique. Meliton ne fut pas
des leurs, mais il espérait voir les efforts des missionnaires
porter des fruits.
Ceux-ci
partirent à l’automne 1875. Juste avant, Daniel et les
autres chargèrent méthodiquement mille cinq cents
exemplaires de Trozos selectos sur le dos de mules de bât. Ils
prirent ensuite un chemin de terre, impatients de présenter le
Livre de Mormon aux Mexicains.
Vers
cette époque-là, Salt Lake City était en
effervescence, car une visite du président Grant était
imminente. Aucun président des États-Unis n’avait
jamais visité le territoire et une délégation de
représentants du gouvernement territorial, de dignitaires de
la ville et de simples citoyens se forma rapidement pour
l’accueillir. Brigham Young fut invité à se
joindre à la délégation, ainsi que John Taylor
et Joseph F. Smith.
Grant
arriva dans le territoire en octobre et Brigham le rencontra, ainsi
que sa femme, Julia, dans un train à Ogden. Brigham salua
brièvement le groupe puis le président s’excusa
pour aller visiter le wagon d’observation du train.
Grant
expliqua : « Je suis impatient de voir le pays. »
Lorsque
le président fut parti, Julia dit : « Je n’ai pas
la moindre idée de la manière dont je dois m’adresser
à vous, M. Young. »
Brigham
répondit : « On m’appelle parfois gouverneur,
parfois président et également Général
Young. » Il avait reçu ce dernier titre des années
auparavant lorsqu’il était officier dans la Légion
de Nauvoo.
Julia
dit : « J’ai l’habitude du titre militaire, c’est
celui que j’utiliserai. » Son mari, héros de la
Guerre de Sécession, avait été officier dans
l’armée pendant une grande partie de sa vie.
«
Eh bien, Madame, dit Brigham, vous allez maintenant avoir l’occasion
de voir ce pauvre peuple méprisé et haï.
—
Oh non, Général
Young. Au contraire, votre peuple ne peut qu’être
respecté et admiré pour son endurance, sa persévérance
et sa foi. » Elle ajouta : « Il n’y a qu’une
chose à lui reprocher, à vous reprocher, Général.
»
Julia
n’eut pas besoin de verbaliser son objection ; son mari était
un ardent opposant au mariage plural. Brigham répondit : «
Eh bien, sans cela, nous n’aurions pas la population que nous
avons.
—
Cela est interdit par les lois
du pays et aurait été éliminé depuis
longtemps par le bras puissant du gouvernement s’il n’avait
été retenu par sa charité envers les jeunes et
innocents qui nécessairement en auraient souffert. »
Avant
que Brigham ne pût répondre, un officier de l’état-major
l’invita à se joindre au président dans le wagon
d’observation et il prit congé de la première
dame.
Plus
tard, après être arrivé à Salt Lake City,
Brigham se sépara des Grant en leur souhaitant une agréable
visite. Après avoir quitté le dépôt de
chemin de fer, le couple fit le tour de la ville en compagnie de
George Emery, le gouverneur du territoire. En passant près de
la parcelle du temple, ils virent des rangées d’enfants
vêtus de blanc, alignés le long des rues et accompagnés
de leurs instructeurs de l’École du dimanche. Lorsque la
calèche des Grant passa, ils lancèrent des fleurs et
chantèrent en l’honneur des visiteurs.
Impressionné,
le président Grant demanda : « À qui sont ces
enfants ? »
Le
gouverneur répondit : « Ce sont des enfants mormons. »
Le
président se tut pendant quelques secondes. Tout ce qu’il
avait entendu au sujet des saints l’avait amené à
croire qu’ils étaient un peuple dégénéré,
mais la tenue et la conduite de ces enfants laissaient penser le
contraire.
Il
murmura : « On m’a trompé. »
Cet
hiver-là, Samuel Chambers se leva pour témoigner lors
d’une réunion du collège des diacres du pieu de
Salt Lake City. Comme les hommes assis autour de lui, il était
entre deux âges. Il leur dit : « Je suis venu ici pour ma
religion. Je me suis défait de tout ce que je possédais
pour venir ici et aider à édifier le royaume de Dieu. »
Samuel
était membre de l’Église depuis plus de trente
ans. Né en esclavage dans le sud des États-Unis, il
s’était fait baptiser à l’âge de
treize ans après qu’un missionnaire lui avait enseigné
l’Évangile. Étant esclave, il n’avait pas
pu se joindre au reste des saints à Nauvoo. Il avait eu peu de
contact avec l’Église dans les années qui avaient
suivi ; mais il avait gardé la foi grâce à
l’influence du Saint-Esprit.
À
la fin de la Guerre de Sécession, lorsque les esclaves aux
États-Unis furent libérés, sa femme, Amanda, et
lui n’avaient pas d’argent pour aller s’installer
en Utah. Ils travaillèrent pendant cinq ans, économisant
chaque centime pour pouvoir entreprendre le voyage. Ils arrivèrent
en Utah en avril 1870, avec Peter, le fils de Samuel. Edward et Susan
Leggroan, frère et belle-sœur d’Amanda, ainsi que
leurs trois enfants, s’y installèrent aussi.
Les
familles Chambers et Leggroan s’établirent côte à
côte dans la Première paroisse de Salt Lake City.
Richard et Johanna Provis, un couple interracial d’Afrique du
Sud, vivaient aussi dans la paroisse. Les Leggroan devinrent membres
de l’Église en 1873 et, peu après, déménagèrent
avec les Chambers dans la Huitième paroisse où
habitaient Jane Manning James, son mari, Frank Perkins, et quelques
autres saints noirs.
Dans
ces paroisses, les saints noirs et les saints blancs rendaient le
culte côte à côte. À cette époque,
l’Église ne conférait pas la prêtrise aux
saints noirs, mais Samuel servait sans ordination comme assistant du
collège des diacres et chaque semaine, il rendait son
témoignage lors des réunions de collège. Amanda
participait avec Jane à la Société de secours.
Ils payaient leur dîme et leurs offrandes et assistaient
régulièrement aux réunions de l’Église.
Lorsque l’appel aux dons pour le temple de St George leur
parvint, Samuel donna cinq dollars et Jane et Franck donnèrent
cinquante cents chacun.
Récemment,
Samuel et Amanda, ainsi que plusieurs autres saints noirs, avaient
participé à des baptêmes pour les morts dans la
maison des dotations. Ils avaient été baptisés
en faveur de plus d’une vingtaine d’amis et de parents.
Edward Leggroan fut baptisé en faveur du premier mari de sa
femme. Jane Manning James le fut pour une amie d’enfance.
Samuel
chérissait son appartenance à l’Église et
l’occasion de rendre son témoignage au collège
des diacres. Il dit : « Si je ne rends pas mon témoignage,
comment vais-je savoir ce que je ressens ou ce que vous ressentez ?
Mais si je me lève et si je parle, je sais que j’ai un
ami, et si je vous entends parler comme je parle, je sais que nous
sommes un. »
Tard
dans l’après-midi du 5 avril 1873, un coup de tonnerre
retentit dans l’air printanier au-dessus de Salt Lake City. Une
boule de feu géante s’éleva de la colline située
au nord, là où des bunkers de pierre abritaient de la
poudre noire. Quelque chose avait mis le feu aux explosifs et détruit
l’arsenal.
Dans
l’école de la Vingtième paroisse où Karl
Maeser faisait cours, des morceaux de plâtre se détachèrent
du plafond suite à l’explosion. Comme une conférence
était prévue dans l’établissement ce
soir-là, Karl décida immédiatement de parler des
dégâts à son évêque.
Il
le trouva en réunion avec Brigham Young, dans le bureau de ce
dernier. Il signala les dommages importants subis par l’établissement
scolaire et leur dit que les cours ne pourraient pas continuer tant
que les réparations ne seraient pas faites.
Brigham
dit : « Vous avez entièrement raison, frère
Maeser. J’ai une autre mission pour vous. »
Le
cœur de Karl se serra dans sa poitrine. Quelques années
à peine s’étaient écoulées depuis
sa mission en Allemagne et en Suisse. Son emploi stable dans l’école
de la Vingtième paroisse était une bénédiction
pour sa famille. Ils étaient confortablement installés
à Salt Lake City et s’y sentaient chez eux.
Mais
Brigham ne voulait pas l’envoyer loin. Comme Eliza Snow,
Brigham et d’autres dirigeants de l’Église
s’inquiétaient de l’éducation de la
génération montante dont la foi n’avait pas été
éprouvée par les persécutions initiales contre
l’Église ni consolidée par l’expérience
de la conversion et de l’immigration.
Brigham
n’avait rien contre la connaissance profane ni contre les
études supérieures ; certains de ses fils étaient
même allés à l’université dans l’est
des États-Unis. Il s’inquiétait néanmoins
de savoir que les jeunes saints en Utah étaient instruits par
des personnes profondément critiques envers l’Évangile
rétabli. L’université de Deseret, fondée
en 1850, acceptait des élèves d’autres
confessions et n’enseignait pas les croyances des saints des
derniers jours dans le cadre de son programme d’étude.
Brigham voulait que les jeunes de l’Église eussent la
possibilité de recevoir une éducation qui renforcerait
leur foi et les aiderait à créer une société
de Sion.
À
cette fin, il avait récemment fondé une école à
Provo appelée l’académie Brigham Young. Le
premier semestre touchait à sa fin et il invita Karl à
en prendre la direction.
Karl
ne répondit pas immédiatement à l’invitation
de Brigham, mais deux semaines plus tard, après avoir accepté
la nomination, il rendit visite au prophète. Il dit : «
Je suis sur le point de partir pour Provo, frère Young, pour
commencer mon travail à l’académie. Avez-vous des
instructions à me donner ? »
Brigham
dit : « Frère Maeser, je veux que vous vous souveniez
que vous ne devez jamais enseigner ne serait-ce que l’alphabet
ou les tables de multiplication sans l’Esprit de Dieu. »
Plus
tard cette année-là, chaque paroisse de Salt Lake City
organisa une fête pour lever des fonds afin d’achever le
temple de St George. Sachant qu’Heber Grant, vingt-trois ans,
était un jeune homme fiable et ayant beaucoup d’amis,
Edwin Woolley, l’évêque de la Treizième
paroisse, lui demanda d’organiser la leur. Il lui dit : «
Je tiens à ce que cela soit une réussite. »
L’année
précédente, Heber avait été appelé
comme conseiller dans la présidence de la Société
d’Amélioration Mutuelle (S.A.M.) pour les Jeunes Gens,
une nouvelle organisation formée en 1875 après que
Brigham Young eut demandé aux paroisses d’organiser
leurs jeunes gens comme elles avaient organisé leurs jeunes
filles. En tant que dirigeant de la S.A.M., Heber avait la
responsabilité d’aider les jeunes gens à cultiver
leurs talents et à affermir leur témoignage de
l’Évangile.
La
demande de l’évêque Woolley lui causait un peu
d’appréhension. Il dit : « Je ferai de mon mieux,
mais vous devez m’assurer que si l’argent ne rentre pas,
vous comblerez la différence. »
Il
expliqua que les jeunes gens voulaient assister à des bals où
ils pourraient valser. Pour réaliser cette danse populaire,
les partenaires se tenaient étroitement et tournaient sur
eux-mêmes en décrivant de grands cercles. Certaines
personnes trouvaient la valse plus inconvenante que les quadrilles
traditionnels, mais Brigham Young avait la réputation
d’autoriser trois valses par bal. L’évêque
Woolley désapprouvait cette danse et l’avait interdite
dans les bals de la Treizième paroisse.
«
Bon, dit-il, vous pouvez avoir vos trois valses. »
Heber
ajouta : « Il y a autre chose. » Sans un bon orchestre
pour le bal, il aurait du mal à vendre les tickets. «
Vous ne voulez pas que l’orchestre Olsen Quadrille joue dans
votre paroisse parce qu’un jour, le flûtiste était
saoul. Or, il n’y a qu’un seul orchestre à cordes
de première classe et c’est l’orchestre Olsen. »
L’évêque
accepta à contrecœur d’autoriser Heber à
embaucher le groupe. En s’éloignant, il dit : «
J’ai accordé à ce jeune homme tout ce qu’il
a demandé. Je le ferai rôtir en public si la fête
n’est pas un franc succès. »
Heber
recruta Eddie, le fils de l’évêque, pour l’aider
à vendre les tickets et à préparer le bâtiment
de la paroisse pour la fête. Ils retirèrent les bureaux
d’une grande pièce, disposèrent sur le sol des
tapis qu’ils avaient empruntés et accrochèrent
aux murs des photos de Brigham Young et d’autres dirigeants de
l’Église. Ils recrutèrent ensuite plusieurs
jeunes hommes pour faire de la publicité pour le bal sur leurs
lieux de travail.
Le
jour du bal, Heber s’assit à la porte avec la liste
alphabétique de toutes les personnes qui avaient acheté
des tickets. Personne ne fut autorisé à entrer sans
avoir payé son dollar et demi. Puis Brigham Young se présenta…
sans ticket.
Il
dit : « Si je comprends bien, c’est au profit du temple
de St George. » Il jeta dix dollars. « Est-ce assez pour
mon ticket ? »
«
Largement », dit Heber, se demandant s’il devait rendre
la monnaie au prophète.
Ce
soir-là, Heber compta l’argent pendant que Brigham
comptait les valses. La paroisse collecta quatre-vingts dollars pour
le temple, plus que n’importe quelle autre paroisse. Et les
jeunes gens valsèrent à trois reprises.
Toutefois,
avant la fin de la fête, Heber demanda à voix basse au
chef d’orchestre de jouer un quadrille valsé, une valse
contenant des éléments du quadrille traditionnel.
Lorsque
le groupe se mit à jouer, Heber prit place à côté
de Brigham pour entendre ce qu’il dirait en voyant une
quatrième valse. En effet, dès que les jeunes gens
commencèrent à danser, Brigham dit : « Ils
valsent.
—
Non, expliqua Heber, lorsqu’ils
valsent, ils valsent tout autour de la pièce. C’est un
quadrille. »
Brigham
regarda Heber et rit. « Oh, vous les garçons, vous les
garçons. »
Peu
après le bal de la Treizième paroisse, Brigham prit la
direction du sud avec Wilford Woodruff pour consacrer des parties du
temple de St George. Il ne serait terminé qu’au
printemps, mais certaines salles d’ordonnances étaient
prêtes à être utilisées. Dans le temple de
Nauvoo et dans la maison des dotations, les saints n’avaient
accompli que des dotations pour les vivants. Lorsque le temple de St
George serait consacré, ils accompliraient pour la première
fois des dotations pour les morts.
En
approchant de la colonie, Brigham aperçut le temple sans
difficulté. De loin, il ressemblait à celui de Nauvoo,
mais de près, son aspect extérieur était plus
simple. Des rangées de hautes fenêtres et des
contreforts sans ornements soutenaient ses hauts murs blancs. Une
tour en forme de dôme s’élevait au-dessus des
créneaux qui entouraient le toit.
Le
jour de l’an 1877, plus de mille deux cents personnes se
pressèrent les unes contre les autres dans le sous-sol du
temple pour la consécration du baptistère. Après
avoir grimpé jusqu’à la marche la plus élevée
des fonts baptismaux, Wilford Woodruff attira l’attention des
saints. Il dit : « Je comprends bien que cette assemblée
ne peut pas s’agenouiller dans un espace aussi réduit,
mais vous pouvez incliner la tête et le cœur devant Dieu.
»
Après
la prière de consécration, l’assistance monta à
l’étage et se rendit dans une salle de réunion.
Dernièrement, l’arthrite de Brigham lui rendait la
marche quasiment impossible si bien que trois hommes le portèrent
jusque dans la salle. Erastus Snow la consacra et les trois hommes
portèrent ensuite Brigham jusqu’à une salle de
scellement située à un autre étage.
Lorsqu’il
revint dans la salle de réunion, il se tint péniblement
debout à la chaire. Prenant appui sur sa canne en noyer, il
dit : « Je ne peux pas me résoudre à quitter cet
édifice sans exercer ma force, la force de mes poumons, celle
de mon estomac et de mes muscles phonateurs. »
Il
exhorta les saints à se consacrer à la rédemption
des morts. Il déclara : « Quand je pense à ce
thème, je voudrais que la langue de sept tonnerres éveille
le peuple. Les pères peuvent-ils être sauvés sans
nous ? Non. Pouvons-nous être sauvés sans eux ? Non. Et
si nous ne nous réveillons pas et ne cessons pas d’aspirer
aux choses de cette terre, nous nous découvrirons
individuellement en route pour l’enfer. »
Il
déplora le fait que de nombreux saints prisaient les choses
matérielles. Il dit : « Si nous sommes conscients de
l’importance de ce point de doctrine, à savoir le salut
de la famille humaine, cette maison sera bondée, comme nous
l’espérons, du lundi matin au samedi soir. »
À
la fin de son sermon, il leva sa canne en l’air et déclara
: « Je ne sais pas si les gens sont satisfaits des services de
consécration du temple ou pas. Je ne le suis qu’à
moitié et je ne m’attends pas à l’être
tant que le diable n’est pas fouetté et chassé de
la surface de la terre. »
Pendant
qu’il parlait, il frappa la chaire avec tant de force qu’il
laissa une entaille dans le bois.
Il
dit : « Si j’abîme la chaire, certains de ces bons
artisans peuvent la réparer. »
Le
9 janvier, Wilford Woodruff entra dans les fonts baptismaux du temple
avec Susie, la fille de Brigham, qui avait maintenant dix-huit ans et
était mariée à un jeune homme du nom d’Alma
Dunford. Appuyé sur une béquille et une canne, Brigham
se tint comme témoin pendant que Wilford baptisait Susie pour
l’une de ses amies décédées, le premier
baptême pour les morts dans le temple de St George. Ensuite,
Wilford et Brigham lui imposèrent les mains et la confirmèrent
en faveur de la défunte.
Deux
jours plus tard, ils supervisèrent les premières
dotations pour les morts accomplies dans un temple. Wilford passa
ensuite presque chaque journée à œuvrer dans le
temple. Il se mit à porter un costume blanc ; c’était
la première fois que quelqu’un portait des vêtements
blancs pour les cérémonies du temple. Lucy, la mère
de Susie, qui se consacrait également à l’œuvre
du temple, portait une robe blanche pour montrer l’exemple aux
femmes.
Pendant
que Wilford travaillait dans le temple, Brigham lui demanda, ainsi
qu’à d’autres dirigeants de l’Église,
de consigner la cérémonie de la dotation et les autres
ordonnances du temple. Depuis l’époque de Joseph Smith,
les paroles des ordonnances n’avaient été
préservées qu’oralement. Maintenant qu’elles
allaient être accomplies loin du siège de l’Église,
Brigham voulait mettre les cérémonies par écrit
afin de veiller à ce qu’elles fussent accomplies de la
même façon dans chaque temple.
En
uniformisant les ordonnances, Brigham s’acquittait d’une
responsabilité que Joseph Smith lui avait confiée après
les premières dotations à Nauvoo. À l’époque,
il lui avait dit : « Ceci n’est pas organisé
correctement, mais nous avons fait au mieux dans la situation
actuelle. Je veux que tu te charges de cela et que tu systématises
toutes ces cérémonies. »
Wilford
et d’autres consacrèrent des semaines à cette
tâche. Après avoir consigné les cérémonies,
ils les lurent à Brigham qui les accepta ou les révisa
selon les directives de l’Esprit. Lorsqu’ils eurent
terminé, il dit à Wilford : « Tu as maintenant
devant toi un exemple pour exécuter la dotation dans tous les
temples jusqu’à la venue du Fils de l’Homme. »
CHAPITRE
29
: Mourir
sous le harnais
Brigham
Young quitta les falaises rouges du sud de l’Utah mi-avril
1877. Tandis qu’il retournait à Salt Lake City, il
savait que ses jours étaient comptés. Avant de partir,
il dit aux saints de St George : « Je me dis souvent que je ne
pourrai pas vivre une heure de plus. Je ne sais pas si le messager va
bientôt venir me rappeler, mais j’ai l’intention de
mourir sous le harnais. »
Quelques
jours plus tard, il fit halte à Cedar City pour parler de John
D. Lee et du massacre de Mountain Meadows à un journaliste. Le
gouvernement fédéral avait passé plus d’une
décennie à enquêter sur les personnes qui avaient
commis les meurtres. John et d’autres hommes, dont le président
du pieu de Parowan, William Dame, avaient été arrêtés
plusieurs années auparavant pour être jugés pour
leur rôle dans le massacre, attirant de nouveau l’attention
de la nation sur un crime commis vingt ans plus tôt. Les
accusations contre William et d’autres avaient depuis été
abandonnées, mais John était passé deux fois
devant les tribunaux avant d’être reconnu coupable et
exécuté par un peloton pour son rôle majeur dans
l’attaque.
Pendant
les procès, les procureurs et journalistes avaient espéré
qu’il impliquerait le prophète. Cependant, bien qu’il
fût en colère contre Brigham de ne pas l’avoir
soustrait au châtiment, John avait refusé de le tenir
pour responsable des meurtres.
L’exécution
avait éveillé la fureur nationale parmi les personnes
qui supposaient à tort que Brigham avait ordonné la
tuerie. Dans certains endroits, du fait de la colère contre
l’Église, les missionnaires avaient du mal à
trouver des personnes à instruire et certains préférèrent
rentrer chez eux. En général, Brigham ne répondait
pas à ce genre d’attaque contre lui ou contre l’Église,
mais il voulut faire une déclaration officielle au sujet du
massacre et accepta de répondre aux questions du journaliste.
Ce
dernier lui demanda si John avait reçu l’ordre du siège
de l’Église de tuer les émigrants. Brigham
répliqua : « Pour autant que je sache, non, et
assurément pas de ma part. » Il dit que s’il avait
été informé du plan, il aurait tenté de
le faire avorter.
Il
dit : « Je me serais rendu dans ce camp et je me serais battu
contre les Indiens et les blancs qui ont pris part à ce
massacre plutôt que de laisser commettre un tel acte. »
Quelques
jours plus tard, Brigham fit halte dans la vallée de Sanpete
pour consacrer le site du temple de Manti. Pendant qu’il était
là-bas, l’Esprit lui chuchota qu’il devait
réorganiser le fonctionnement de la prêtrise dans
l’Église.
Il
avait déjà commencé à opérer
quelques changements dans l’organisation de l’Église.
Deux ans plus tôt, il avait restructuré le Collège
des Douze pour accorder l’ancienneté aux apôtres
qui étaient restés fidèles à leur
témoignage depuis le moment de leur appel. Cette mesure avait
permis à John Taylor et à Wilford Woodruff de précéder
Orson Hyde et Orson Pratt qui avaient tous deux brièvement
quitté le Collège du vivant de Joseph Smith. Ce
changement faisait de John Taylor le membre le plus ancien des Douze
et le successeur potentiel de Brigham à la présidence
de l’Église.
Mais
sur la route et pendant les réunions avec les dirigeants
locaux de l’Église, ce dernier entrevit d’autres
changements nécessaires. Certains des treize pieux de l’Église
étaient supervisés par des présidents de pieu
tandis que d’autres étaient présidés par
des membres des Douze, parfois aidés de conseillers ou de
grands conseils. Certaines paroisses avaient des évêques
et d’autres avaient des évêques présidents
et personne ou presque ne savait en quoi les deux appels différaient.
Quelques paroisses n’avaient pas du tout d’évêque.
Les
collèges de la Prêtrise d’Aaron étaient
également désorganisés. Les détenteurs de
la Prêtrise d’Aaron prenaient soin des bâtiments de
paroisse, rendaient visite aux familles et enseignaient l’Évangile.
Cependant, de nombreuses paroisses n’avaient pas suffisamment
de détenteurs de la Prêtrise d’Aaron pour former
des collèges, souvent parce que seuls les hommes adultes
recevaient la Prêtrise d’Aaron et qu’ils étaient
en général ordonnés à la Prêtrise
de Melchisédek peu après.
Pendant
le printemps et l’été 1877, Brigham, ses
conseillers et le Collège des Douze travaillèrent
ensemble à la réorganisation des paroisses et des pieux
et au renforcement des collèges de la Prêtrise d’Aaron
et de Melchisédek. Ils décrétèrent que
tous les membres de l’Église devaient appartenir à
une paroisse où un évêque, avec l’aide de
deux conseillers, veillerait sur eux. Edward Hunter fut le seul
évêque président nommé dans l’Église.
La
Première Présidence et les Douze demandèrent
également aux dirigeants locaux de la prêtrise
d’ordonner les jeunes gens à des offices dans la
Prêtrise d’Aaron. Ils demandèrent expressément
aux instructeurs et prêtres adultes d’emmener de jeunes
hommes avec eux en visite chez les saints pour former ainsi les
garçons à leurs devoirs dans la prêtrise. Il fut
demandé à chaque colonie d’organiser une Société
d’Amélioration Mutuelle (S.A.M.) pour les jeunes filles
et les jeunes gens.
Voyageant
dans tout le territoire semaine après semaine, la Première
Présidence et les Douze relevèrent les apôtres
des présidences de pieu et appelèrent de nouveaux
présidents de pieu à leur place. Ils veillèrent
à ce que chacun ait deux conseillers et qu’un grand
conseil soit organisé dans chaque pieu. Ils demandèrent
également à chaque pieu de tenir une conférence
trimestrielle.
L’effort
de voyager et de prêcher épuisa rapidement Brigham. Il
était pâle et avait l’air fatigué. Il admit
: « Dans mon impatience de voir la maison de Dieu mise en
ordre, j’ai quelque peu présumé de mes forces. »
Le
20 juin, Francis Lyman reçut un télégramme de
George Q. Cannon, qui était maintenant conseiller dans la
Première Présidence. Il disait : « Le président
demande si vous êtes disposé à servir comme
président du pieu de Tooele ? Si oui, pouvez-vous être
ici pour accompagner les Douze samedi matin ? »
Francis
habitait à Fillmore, en Utah. Le pieu de Tooele était
situé à cent cinquante kilomètres au nord. Il
n’y avait jamais habité et connaissait peu de membres de
ce pieu. À Fillmore, où il avait vécu pendant
plus de dix ans, il avait occupé des postes élevés
dans le gouvernement local. S’il acceptait d’œuvrer
à Tooele, il devrait déraciner sa famille et déménager
avec elle dans un nouvel endroit.
Et
il ne restait plus que trois jours jusqu’au samedi matin.
À
trente-sept ans, Francis était un saint des derniers jours
engagé qui avait fait une mission dans les Îles
Britanniques et avait participé activement dans son collège
de la prêtrise. Il avait aussi fait la généalogie
de sa famille, impatient de voir venir le moment où les
ordonnances pourraient être accomplies dans la maison du
Seigneur.
Un
jour, il avait noté dans son journal : « Ma plus grande
ambition est de mener la vie d’un saint des derniers jours et
d’amener ma famille à faire de même. »
Il
avait toutefois toujours du mal à accepter la décision
de son père, Amasa Lyman, de se joindre au Nouveau mouvement
de William Godbe. Il avait toujours espéré qu’il
reviendrait à l’Église. Ils avaient travaillé
ensemble à leur généalogie et avaient
dernièrement passé des moments heureux. Néanmoins,
Amasa était toujours séparé de l’Église
lorsqu’il était décédé en février.
Vers
la fin, Francis était allé au chevet de son père
malade. Amasa avait dit : « Ne t’en va pas. Je veux que
tu sois près de moi. »
Francis
avait demandé : « Combien de temps ? »
Il
avait murmuré : « Pour toujours. »
Après
sa mort, Francis était impatient que l’appartenance à
l’Église et la prêtrise de son père soient
rétablies, ce qui permettrait à la famille de se sentir
de nouveau complète. En avril, il avait demandé à
Brigham Young ce qui pouvait être fait. « Rien pour
l’instant », avait-il répondu. L’affaire
était entre les mains du Seigneur.
Francis
avait accepté la décision de Brigham et avait entrepris
de bon cœur d’assumer la nouvelle tâche que le
prophète lui avait confiée à Tooele. Il envoya à
George Q. Cannon le télégramme suivant : « Je
serai avec les Douze samedi matin. »
Le
pieu de Tooele fut créé le 24 juin 1877 et Francis fut
mis à part comme président ce jour-là. Avant
cette date, les six colonies principales de la région de
Tooele étaient organisées en branches de l’Église
supervisées par un évêque président appelé
John Rowberry. Au moment de la création du nouveau pieu,
chacune des branches devint une paroisse dont la taille variait de
vingt-sept à deux cents familles.
Conscient
que certains saints de Tooele risquaient d’être
mécontents de ce que leur nouveau président fût
un jeune homme d’un autre pieu, Francis acheta rapidement une
maison au centre de la ville et appela deux hommes de la région
comme conseillers. Il invita ensuite l’évêque
Rowberry à l’accompagner pour rendre visite aux diverses
paroisses où ils organisèrent de nouveaux collèges
de la prêtrise et de nouvelles présidences, et
encouragèrent les saints à adorer le Seigneur.
Francis
enseigna la chose suivante aux membres de son nouveau pieu : «
Les intérêts matériels et spirituels du royaume
sont inséparablement liés. Soyons humbles devant le
Seigneur et possédons la lumière de son Saint-Esprit
comme guide constant. »
Mi-juillet
1877, Jane Richards était assise sur l’estrade à
côté de Brigham Young dans le tabernacle du pieu de
Weber, à Ogden. C’était à l’occasion
d’une conférence de la Société de secours
et de la Société des Jeunes Filles. Jane, présidente
de la Société de secours de la paroisse d’Ogden,
avait organisé la manifestation et invité Brigham à
y prendre la parole.
La
direction d’un groupe de femmes aussi important n’avait
pas toujours été chose facile pour elle. Elle était
devenue membre de la Société de secours à Nauvoo
alors qu’elle n’était encore qu’une jeune
fille. Cependant, lorsqu’elle avait été appelée
à diriger celle de la paroisse d’Odgen, elle avait
hésité. Sa santé avait toujours été
précaire, en dépit de la force qu’elle puisait
dans les bénédictions de la prêtrise, et elle
était particulièrement mauvaise au moment de son appel.
Un
jour, son amie Eliza Snow lui avait rendu visite. Eliza l’avait
exhortée à vivre, certaine que Jane avait encore des
choses à accomplir. Tout en s’occupant d’elle,
elle lui avait promis que si elle acceptait l’appel de diriger
la Société de secours à Ogden, le Seigneur lui
accorderait la santé et des bénédictions.
Jane
avait guéri peu après par le pouvoir de Dieu, mais elle
avait quand même passé des semaines à se demander
si elle devait accepter l’appel. Finalement, son évêque
et ses sœurs de la Société de secours la
supplièrent de le faire. Elles dirent : « Le Seigneur
t’a relevée de la maladie pour nous faire du bien et
nous voulons que tu acceptes le poste. » Jane se rendit alors
compte, aussi fatiguée et inquiète fût-elle, que
son service contribuait au bien commun.
Maintenant,
cinq ans plus tard, le tabernacle du pieu de Weber était bondé
de femmes et d’hommes impatients d’entendre le prophète.
Après le discours de Brigham, d’autres dirigeants de
l’Église prirent la parole. Parmi eux se trouvait le
mari de Jane, l’apôtre Franklin Richards, qui venait
d’être relevé récemment de son appel de
président du pieu de Weber, dans le cadre de la réorganisation
de la prêtrise.
Pendant
un discours, Brigham se tourna vers Jane et lui demanda en chuchotant
ce qu’elle pensait de l’idée d’organiser des
Sociétés de Secours de pieu et de leur demander de
tenir des conférences trimestrielles. Il avait récemment
envisagé de le faire pendant qu’il essayait de mieux
organiser l’Église et il avait déjà
consulté plusieurs personnes à ce titre, notamment
Bathsheba Smith, une autre femme active dans la direction de la
Société de secours.
La
question prit Jane par surprise, mais pas parce que l’idée
d’une Société de secours de pieu était
difficile à imaginer. Les Sociétés de Secours ne
fonctionnaient actuellement qu’au niveau des paroisses, mais
ses conseillères et elle, de la paroisse d’Ogden,
agissaient déjà comme une présidence de Société
de secours de pieu non officielle lorsqu’elles conseillaient
des Sociétés de Secours plus petites de la région.
Ce qui la surprenait vraiment, c’était la notion de
conférences régulières de la Société
de secours.
Jane
n’eut pas beaucoup de temps pour se faire à l’idée.
Avant la fin de la conférence, Brigham l’appela comme
présidente de la Société de secours du pieu de
Weber et lui demanda de collecter les rapports des présidentes
de Société de secours de paroisse, relatifs à la
situation spirituelle et financière des femmes de leur
assemblée. Si sa santé le lui permettait, il avait
l’intention de se réunir avec elle lors de leur
prochaine conférence et d’entendre leurs rapports.
Suite
à la conférence, Brigham demanda à Jane de se
joindre à son groupe pour visiter les colonies avoisinantes.
En chemin, il lui enseigna les devoirs liés à son
nouvel appel et l’importance de tenir des annales minutieuses
de ce que la Société de secours et elle
accomplissaient. La direction d’une Société de
secours de pieu serait une tâche considérable. Avant la
récente réorganisation de l’Église, Jane
avait conseillé trois Sociétés de Secours à
Ogden. Par contre, le pieu de Weber nouvellement formé
comptait seize paroisses !
Lorsque
Jane retourna à Ogden, elle se réunit avec sa Société
de secours. Elle dit : « J’aimerais entendre toutes les
sœurs et savoir ce qu’elles pensent de ce que le
président Young nous a dit. »
Pendant
le reste de la réunion, Jane écouta les femmes rendre
témoignage et raconter ce qu’elles avaient vécu
lors de la conférence. Beaucoup exprimèrent leur amour
de l’Évangile. Elle dit aux sœurs : « Nous
avons la lumière et la connaissance du Saint-Esprit, et
lorsque nous les perdons, grandes sont les ténèbres. »
Quelques
jours plus tard, lors de la réunion suivante, Jane ajouta son
témoignage. Elle déclara : « J’ai le désir
de vivre selon ma religion et de faire tout le bien que je peux. »
Cet
été-là, pendant que l’Église
subissait une réorganisation importante, Susie Young Dunford
se demandait s’il n’était pas temps de prendre un
tournant dans sa vie. Son mari, Alma, venait juste de partir en
mission en Grande-Bretagne. Il ne lui manquait pas, elle était
même reconnaissante qu’il soit parti.
Son
mariage avait été malheureux presque depuis le début.
Comme son cousin Morley, qui avait épousé Dora, la sœur
de Susie, Alma buvait régulièrement. La Parole de
sagesse avait été révélée en 1833,
mais de nombreux saints n’avaient pas respecté
attentivement ses recommandations. En 1867, Brigham Young, le père
de Susie, avait commencé à exhorter les saints à
y être plus obéissants en s’abstenant de café,
de thé, de tabac et de liqueurs fortes.
Tout
le monde n’avait pas accepté le conseil et Alma était
souvent sur la défensive quand on en parlait. Parfois, il
devenait même violent. Un soir, après avoir bu, il avait
chassé sa femme et Leah, leur fille âgée de six
mois, hors de la maison en leur criant de ne jamais revenir.
Susie
était revenue en espérant que les choses changent. Ils
avaient maintenant aussi un fils, Bailey, et elle voulait réussir
son mariage. Mais rien ne changea. Lorsqu’Alma reçut son
appel en mission, elle fut soulagée. Parfois, les jeunes
hommes comme Alma étaient envoyés en mission pour leur
permettre de progresser et de réformer leur conduite.
Susie
savoura la nouvelle ère de paix et de calme dans son foyer.
Plus elle passait de temps loin de son mari, moins elle avait envie
de le revoir.
La
famille d’Alma habitait à côté de Bear
Lake, près de la frontière nord de l’Utah, et
Susie avait l’intention de lui rendre visite cet été-là.
Avant de s’y rendre, elle alla parler à son père
d’un autre sujet qui la préoccupait.
Récemment,
à New York City, des saints avaient publié un livre
appelé The Women of Mormondom pour riposter au portrait des
saintes des derniers jours dressé dans les livres et les
exposés de Fanny Stenhouse, Ann Eliza Young et autres
détracteurs de l’Église. The Women of Mormondom
contenait le témoignage de plusieurs femmes éminentes
dans l’Église et présentait leurs expériences
sous un jour favorable.
Pour
aider à promouvoir le livre, Susie voulait faire une tournée
nationale de conférences avec deux des femmes de son père,
Eliza Snow et Zina Young, et sa sœur, Zina Presendia Williams.
Susie avait toujours aspiré à être une grande
oratrice et un grand écrivain, et elle était vivement
désireuse de parcourir le pays et de donner des conférences.
Brigham
lui parla favorablement de la tournée, mais il voulait qu’elle
l’entreprenne pour les bonnes raisons. Il la savait ambitieuse
et il avait toujours essayé de l’aider à cultiver
ses talents en la scolarisant auprès de certains des meilleurs
enseignants du territoire. Mais il ne voulait pas qu’elle
recherche les louanges du monde aux dépens de sa famille.
Il
lui dit : « Si tu devais devenir la femme la plus prestigieuse
du monde et négliger tes devoirs d’épouse et de
mère, tu te réveillerais au matin de la première
résurrection pour découvrir que tu as échoué
à tous points de vue. »
Comme
d’habitude, son père ne mâchait pas ses mots.
Néanmoins, Susie ne se sentit pas réprimandée.
Il était aimable et compréhensif dans ses manières
et semblait lire dans son cœur. Il la rassura : « Tout ce
que tu peux faire après avoir satisfait aux exigences
légitimes de ton foyer et de ta famille rejaillira à
ton avantage et sera à l’honneur et à la gloire
de Dieu. »
Pendant
qu’ils continuaient de parler, elle avoua : « J’aimerais
tant savoir si l’Évangile est vrai. » Elle voulait
le savoir au plus profond de son âme, comme ses parents le
savaient.
Brigham
se contenta de dire : « Il n’y a qu’une façon
d’obtenir le témoignage de la vérité, et
c’est de cette façon que j’ai obtenu le mien et ta
mère le sien. À genoux devant le Seigneur, prie, il
t’entendra et t’exaucera. »
Un
frisson la parcourut et elle sut que ce que son père disait
était vrai. Il lui dit ensuite : « Sans le mormonisme,
je serais aujourd’hui charpentier dans un village de campagne.
»
Brigham
avait mis son métier de côté longtemps avant la
naissance de Susie, mais il était toujours le même homme
de foi qui avait quitté son foyer à New York pour
serrer la main d’un prophète de Dieu à Kirtland.
Avant qu’il ne décède, Susie voulait qu’il
sache ce qu’il représentait à ses yeux.
Elle
dit : « Combien je suis fière et reconnaissante qu’il
m’ait été permis de venir ici-bas en étant
ta fille ! »
Le
soir du 23 août 1877, Brigham était assis avec Eliza
Snow dans la pièce où sa famille avait l’habitude
de prier. Ils parlaient du projet d’envoyer Eliza, Zina, Zina
Presendia et Susie dans l’Est pour promouvoir The Women of
Mormondom et offrir aux gens une meilleure compréhension de
l’Église.
Brigham
dit : « C’est un essai, mais un essai que j’aimerais
tenter. »
Il
se leva et prit sa bougie. Plus tôt dans la soirée, il
avait parlé avec des évêques de Salt Lake City,
leur demandant de veiller à ce que les prêtres et les
instructeurs rencontrent mensuellement chaque membre de leur
paroisse. Il avait ensuite nommé un comité chargé
de superviser la construction d’une salle de conférence
à côté du temple de Salt Lake City. À
présent, il était fatigué.
Il
dit à Eliza : « Maintenant, je pense que je vais aller
me reposer. »
Pendant
la nuit, il fut saisi de vives douleurs à l’abdomen. Le
matin, son fils, Brigham Young, fils, se précipita à
son chevet et lui prit la main. Il demanda : « Comment te
sens-tu ? Penses-tu que tu vas t’en sortir ? »
Brigham
dit : « Je ne sais pas. Demande au Seigneur. »
Il
resta au lit pendant deux jours, endurant des douleurs atroces
entrecoupées de courts sommes. En dépit de la
souffrance, il racontait des blagues pour essayer d’atténuer
l’inquiétude de sa famille et de ses amis qui s’étaient
réunis autour de lui. Chaque fois que quelqu’un lui
demandait s’il avait mal, il disait : « Non, je ne peux
pas dire que j’ai mal. »
Des
apôtres et d’autres dirigeants de l’Église
lui donnèrent des bénédictions, qui l’aidèrent
à reprendre ses esprits. Mais au bout de quatre jours, il
commença à avoir des pertes de conscience. Les
symptômes s’aggravèrent et le médecin tenta
en vain de l’opérer de l’abdomen.
Le
29 août, il lui administra un médicament contre la
douleur et rapprocha son lit de la fenêtre pour le faire
profiter de l’air frais. Dehors, une foule de saints se tenait
dans un silence respectueux dans le jardin de la Lion House. En
attendant, la famille de Brigham priait à genoux autour de son
lit.
Allongé
près de la fenêtre, il reprit vie un instant. Il ouvrit
les yeux et regarda le plafond. « Joseph, dit-il, Joseph,
Joseph, Joseph. »
Sa
respiration se fit de moins en moins profonde jusqu’à
s’arrêter.
CHAPITRE
30
: Une
marche en avant constante
Lorsque
Wilford Woodruff arriva à Salt Lake City trois jours après
le décès de Brigham, des milliers de personnes
endeuillées défilaient dans le tabernacle devant la
dépouille de celui-ci. Le cercueil du prophète était
simple et le couvercle était muni d’un panneau de verre
permettant de voir son visage une dernière fois.
Les
saints en Utah pensaient que sous sa direction, le désert
avait fleuri comme un narcisse, accomplissant ainsi la prophétie
d’Ésaïe. Ils avaient irrigué les vallées
des montagnes, acheminant l’eau vers les fermes, les jardins,
les vergers et les prairies qui pourvoyaient aux besoins de plusieurs
centaines de colonies de saints des derniers jours. La plupart
d’entre elles avaient pris racine, donnant le jour à des
communautés qui s’efforçaient de respecter les
principes de l’unité et de la coopération.
Quelques-unes, comme Salt Lake City, étaient rapidement en
train de devenir des centres urbains de manufacture et de commerce.
Cependant,
la réussite de Brigham dans son rôle d’organisateur
et de pionnier ne surpassait pas son service en qualité de
prophète de Dieu. Parmi les personnes qui l’honorèrent
ce matin-là, beaucoup l’avaient entendu parler ou
l’avaient vu au milieu des saints dans le territoire. Certaines
l’avaient connu lorsqu’il était missionnaire dans
l’Est des États-Unis et en Angleterre. D’autres se
souvenaient de la prudence avec laquelle il avait guidé
l’Église au milieu de l’incertitude qui avait
suivi le décès de Joseph Smith. D’autres encore
avaient traversé les Grandes Plaines et les montagnes
Rocheuses à ses côtés. De nombreux saints,
notamment les dizaines de milliers qui s’étaient
rassemblés en Utah, venant d’Europe et d’autres
parties du monde, n’avaient jamais connu l’Église
sans lui.
En
se penchant sur le cercueil, Wilford trouva que son vieil ami avait
l’air naturel. Le lion du Seigneur était au repos.
Le
lendemain, 2 septembre 1877, les saints emplirent le tabernacle à
l’occasion des obsèques de Brigham pendant que des
milliers d’autres étaient debout dehors. Des rangées
de guirlandes pendaient à la voûte du tabernacle et
l’orgue était drapé de tissu noir. Contrairement
aux coutumes américaines, les saints n’étaient
pas vêtus de noir. Brigham leur avait demandé de ne pas
le faire.
La
nouvelle Première Présidence n’avait pas encore
été soutenue : c’est donc en tant que président
du Collège des Douze que John Taylor dirigea la réunion.
Plusieurs apôtres rendirent hommage au défunt prophète.
Wilford parla du vif désir de ce dernier de bâtir des
temples et de racheter les morts. Il dit : « Il sentait le
poids de cette dispensation reposer sur lui. Je me réjouis
qu’il ait vécu suffisamment longtemps pour entrer dans
un temple, s’occuper de sa consécration et commencer
l’œuvre des autres. »
John
témoigna que Dieu continuerait de guider l’Église
au milieu du tumulte des derniers jours. Le Salt Lake Tribune avait
déjà prédit que la mort du prophète
susciterait des disputes parmi les dirigeants de l’Église
et des défections parmi les saints. D’autres détracteurs
espéraient voir les tribunaux provoquer la ruine de l’Église.
George Reynolds, qui avait été jugé de nouveau
et inculpé pour bigamie, interjetait maintenant appel auprès
de la Cour suprême des États-Unis. Si la Cour maintenait
sa condamnation, les saints n’auraient quasiment plus aucun
recours pour défendre leur mode de vie.
John
n’avait pourtant pas peur de l’avenir. Il déclara
: « L’œuvre dans laquelle nous sommes engagés
n’est pas l’œuvre de l’homme. Joseph Smith
n’en est pas l’instigateur, et Brigham Young non plus.
Elle émane de Dieu. Il en est l’auteur.
C’est
maintenant à nous, saints des derniers jours, de magnifier
notre appel afin que, au fur et à mesure que les scènes
changeantes auxquelles nous nous attendons passeront sur toutes les
nations (une révolution après l’autre), nous
puissions maintenir une marche en avant constante, guidée par
le Seigneur. »
Après
la mort de son père, Susie Young Dunford eut du mal à
savoir quoi faire concernant son mariage en perdition. Lorsque son
mari, Alma, était parti en mission, elle avait espéré
le voir transformé par l’expérience, mais dans
ses lettres, il continuait d’être en colère et sur
la défensive.
Ne
voulant pas agir imprudemment, Susie examina ses options, priant
continuellement au sujet de son dilemme. Peu avant sa mort, son père
lui avait rappelé que les rôles d’épouse et
de mère étaient indispensables à sa réussite
dans la vie. Susie voulait s’en acquitter avec justice. Mais
cela signifiait-il qu’elle devait rester avec un mari violent ?
Une
nuit, elle rêva qu’Alma et elle rendaient visite à
son père à la Lion House. Brigham avait une tâche
à leur confier, mais contrairement à son habitude
lorsqu’il était vivant, il la confia à Susie et
non à Alma. En partant pour s’en acquitter, Susie
rencontra Eliza Snow dans le couloir. Elle lui demanda pourquoi son
père lui avait donné la tâche à elle alors
qu’auparavant, il l’avait toujours donnée à
Alma ?
Dans
le rêve, Eliza répondit : « À l’époque,
il ne comprenait pas. Mais maintenant oui. »
À
son réveil, Susie se souvint des paroles d’Eliza. Elle
fut réconfortée de savoir que son père pouvait
avoir un avis différent dans le monde des esprits de celui
qu’il avait dans la vie.
Elle
demanda le divorce peu après et en rentrant d’Angleterre,
Alma commença à consulter des avocats. Souvent, les
dirigeants de l’Église tentaient de réconcilier
les couples qui voulaient divorcer, mais ils savaient également
que n’importe quelle femme qui voulait mettre fin à un
mariage malheureux devait pouvoir le faire. C’était tout
aussi vrai des femmes qui avaient du mal à s’adapter aux
difficultés du mariage plural. Ces mariages n’étant
pas reconnus par le système judiciaire local, les dirigeants
locaux de l’Église s’occupaient des cas de divorce
des femmes plurales.
Du
fait que Susie était la seule femme d’Alma, le sien
était différent. En tant qu’épouse d’un
mari violent, elle pouvait s’attendre à avoir gain de
cause, mais Alma et elle devaient comparaître devant un
tribunal. À cette époque, tous les tribunaux des
États-Unis et d’Europe se rangeaient habituellement du
côté des hommes dans les cas de divorce. Les dirigeants
de l’Église conseillaient aux maris de pourvoir
amplement aux besoins de leur ex-femme et de leurs enfants, mais Alma
insista pour obtenir leur garde et pour conserver presque tous les
biens de la famille.
L’audience
dura deux jours. Finalement, il obtint la garde complète de
Leah, leur fille de quatre ans. Du fait que leur fils, Bailey,
n’avait que deux ans, le tribunal le confia aux soins de Susie
tout en nommant Alma tuteur légal.
La
perte de ses enfants lui déchira le cœur et elle quitta
le tribunal bouleversée par le verdict. Du fait qu’elle
était privée de ses biens et de tout soutien financier,
elle eut peu de temps pour s’appesantir sur son chagrin. Elle
avait sérieusement besoin d’un plan à adopter.
Peu
après le divorce, elle parla au président Taylor de son
avenir. Elle avait quitté l’école à l’âge
de quatorze ans et maintenant, elle voulait y retourner. Frère
Taylor se montra coopératif et offrit de l’aider à
démarrer dans l’établissement d’enseignement
secondaire local. En quittant son bureau, elle croisa l’apôtre
Erastus Snow.
Il
dit : « Si tu veux aller à l’école, je vais
te dire où tu dois aller. C’est un endroit où tu
peux te remplir l’âme de la lumière riche de
l’inspiration tout en te remplissant l’esprit de la
connaissance des anciens et des modernes. Cet endroit est l’académie
Brigham Young à Provo. »
Le
lendemain, Susie prit le train pour aller voir l’académie.
Bien que son père en fût le fondateur, elle ne savait
pas grand-chose de cet établissement ni de ses objectifs.
Lorsqu’elle arriva, elle rencontra le directeur, son ancien
instituteur, Karl Maeser. Il la salua chaleureusement et ajouta son
nom à la liste des élèves.
Entre-temps,
sur la péninsule de Kalaupapa de l’île Molokai, la
santé de Jonathan Napela s’était dégradée.
Lorsqu’il était venu vivre parmi les lépreux sur
la péninsule, il n’était pas atteint de la
maladie qui affligeait tant d’autres Hawaïens, dont sa
femme, Kitty. Maintenant, près de cinq ans plus tard, lui
aussi l’avait contractée. Il avait le visage enflé
au point d’être méconnaissable et la plupart de
ses dents étaient tombées. Ses mains, qui avaient béni
un nombre incalculable de personnes pendant plus de vingt ans,
étaient couvertes de plaies.
Le
26 janvier 1878, Napela et Kitty reçurent chez eux deux
missionnaires, Henry Richards et Keau Kalawaia, ainsi que Nehemia
Kahuelaau, l’autorité présidente de l’Église
à Molokai. Keau et Nehemia étaient tous deux membres de
longue date et avaient fait plusieurs missions. Henry était le
plus jeune frère de l’apôtre Franklin Richards et
avait fait sa première mission sur les îles dans les
années 1850, quelques années après le baptême
de Napela. La dernière fois qu’il l’avait vu,
c’était à Salt Lake City, en 1869, mais
maintenant, moins de dix ans plus tard, il était surpris de
voir combien ce dernier avait changé.
Le
lendemain était jour de sabbat et Napela avait l’intention
d’emmener ses invités visiter les branches de la
péninsule. En dépit de sa maladie, il continuait de
diriger l’Église sur Kalaupapa, supervisant
soixante-dix-huit saints répartis en deux branches. Toutefois,
avant qu’Henry ne puisse voyager dans toutes les colonies, il
devait présenter un permis de visiteur au père Damien,
le prêtre catholique qui servait en tant que surintendant de la
colonie. Du fait que le conseil hawaïen de la santé
recommandait aux visiteurs de ne pas passer la nuit avec des
personnes qui avaient la lèpre, Henry allait rester chez le
père Damien jusqu’au matin.
En
fait, celui-ci avait déjà contracté la maladie,
mais elle était à un stade précoce et personne
n’était au courant. Comme Napela, il avait consacré
sa vie à se soucier du bien-être spirituel et physique
des exilés sur Kalaupapa. Bien qu’ils ne fussent pas
d’accord sur certaines questions de religion, les deux hommes
étaient devenus de bons amis.
Le
matin, Napela et Henry assistèrent à une réunion
chez Lepo, le président de branche des saints vivant sur la
côte est de la péninsule. Quarante à cinquante
personnes, dont beaucoup n’étaient pas membres, étaient
présentes. Certaines avaient l’air d’être en
bonne santé. D’autres étaient couvertes de plaies
de la tête aux pieds. La vue de leurs souffrances émut
Henry aux larmes. Keau et lui parlèrent chacun pendant
quarante-cinq minutes. Lorsqu’ils eurent terminé,
Nehemia et Napela prirent brièvement la parole.
Après
la réunion, Napela emmena Henry et Keau visiter l’autre
branche de la péninsule. Henry, accompagné du père
Damien, passa ensuite le reste de la soirée et la matinée
suivante à rendre visite aux personnes les plus malades de la
colonie.
Napela,
Nehemia et Keau l’attendaient lorsqu’il rentra. Avant le
départ de ses visiteurs, Napela leur demanda une bénédiction.
Kitty et lui seraient alités sous peu et ils ne reverraient
probablement jamais Henry.
Lui
posant les mains sur la tête, il prononça les paroles de
la bénédiction. Le cœur lourd, les vieux amis se
dirent au revoir et Henry, Keau et Nehemia repartirent par le sentier
montagneux escarpé.
Plus
tard cet été-là, dans le village de Farmington
(Utah), Aurelia Rogers dînait avec deux dirigeantes éminentes
de la Société de secours de Salt Lake City : Eliza Snow
et Emmeline Wells. Ces sœurs étaient venues à
Farmington pour une conférence de la Société de
secours et Aurelia, secrétaire locale de l’organisation,
avait une idée dont elle était pressée de leur
faire part.
Aurelia
était parfaitement consciente des besoins des enfants. Elle
avait douze ans lorsque sa mère était morte, lui
laissant, avec sa sœur aînée, quatre jeunes frères
et sœurs à charge pendant que leur père faisait
une mission. Maintenant dans la quarantaine, elle avait sept enfants
en vie, le plus jeune étant un petit garçon d’à
peine trois ans. Ces derniers temps, elle s’inquiétait
pour les jeunes garçons de la collectivité. Ils étaient
indisciplinés et restaient souvent dehors tard le soir.
Au
cours du dîner, Aurelia demanda : « Comment nos filles
vont-elles trouver de bons maris ? Ne pourrait-il pas y avoir une
organisation pour les petits garçons qui les forme pour en
faire de meilleurs hommes ? »
Cela
piqua l’intérêt d’Eliza. Elle convint que
les jeunes garçons avaient besoin d’être davantage
guidés qu’ils ne l’étaient à l’École
du dimanche ou pendant leurs journées d’école.
Elle
soumit l’idée à John Taylor, qui donna son
approbation. Elle sollicita également le soutien de l’évêque
d’Aurelia, John Hess. Eliza lui parla de l’organisation
proposée et, très vite, il appela Aurelia comme
présidente de la nouvelle Société d’Amélioration
Mutuelle de la Primaire.
En
réfléchissant à la manière de s’y
prendre avec les garçons de la paroisse, elle se rendit compte
que leurs réunions seraient incomplètes sans les
filles. Elle écrivit à Eliza, lui demandant si elle
devait aussi inviter les filles à prendre part à la
Primaire.
Eliza
répondit : « Nous devons avoir les filles aussi bien que
les garçons. Ils doivent être formés ensemble. »
Un
dimanche d’août 1878, Aurelia et l’évêque
Hess se réunirent avec des parents à Farmington pour
organiser la Primaire. L’évêque prit la parole en
premier. Il dit : « Chers parents, j’espère que
vous mesurez l’importance de cette initiative. Si quelque chose
doit mobiliser l’attention des parents, c’est bien le
soin à donner à leurs enfants. » Il mit Aurelia
et ses conseillères à part et Aurelia insista sur la
nécessité d’une organisation qui soutienne les
parents dans l’éducation de leurs enfants.
Elle
dit : « Je pense que cette mesure sera d’un grand profit.
» Elle compara ensuite les enfants de Farmington à un
verger de jeunes arbres. Elle dit : « Il faut s’occuper
des racines, car si les racines sont saines, l’arbre sera sain,
et les branches causeront peu de problèmes. »
Plus
de deux cents enfants se rassemblèrent deux dimanches plus
tard pour la première réunion de la Primaire. Aurelia
fit de son mieux pour maintenir l’ordre. Elle forma des classes
en fonction de l’âge des enfants et confia aux plus
grands le rôle de surveillant dans chacune. À la réunion
suivante, elle invita les enfants à lever la main pour la
soutenir, ainsi que les autres dirigeantes.
Ses
enseignements étaient simples et sincères : aucun
enfant n’est meilleur qu’un autre. Évitez de vous
disputer. Rendez le bien pour le mal.
En
septembre 1878, environ un mois après l’organisation de
la Primaire, le président Taylor envoya les apôtres
Orson Pratt et Joseph F. Smith en mission pour réunir d’autres
renseignements sur les débuts de l’histoire de l’Église.
Orson était l’historien de l’Église et
Joseph travaillait depuis longtemps au bureau de l’historien.
En
route vers l’est, ils firent halte au Missouri pour rendre
visite à David Whitmer, l’un des trois témoins du
Livre de Mormon. Les apôtres voulaient l’interviewer et
voir s’il leur vendrait le manuscrit utilisé par
l’imprimeur pour composer la première édition du
Livre de Mormon. Martin Harris était décédé
en Utah en 1875 et David était le dernier des trois témoins
encore en vie.
Il
accepta de parler aux apôtres dans leur chambre d’hôtel.
Depuis son excommunication en 1838, il n’était jamais
revenu dans l’Église, mais dernièrement, il avait
participé à la fondation d’une Église qui
utilisait le Livre de Mormon comme Écriture. Maintenant âgé
de plus de soixante-dix ans, David manifesta sa surprise lorsqu’Orson
se présenta. En 1835, David avait assisté Joseph Smith,
Oliver Cowdery et Martin Harris lors de l’appel d’Orson
parmi les premiers apôtres de la dispensation. À
l’époque, c’était un jeune homme timide et
mince. Maintenant, il avait un tour de taille avantageux, les tempes
dégarnies et une longue barbe blanche.
Peu
après le début de l’entretien, Orson demanda à
David s’il se souvenait du moment où il avait vu les
plaques d’or que Joseph Smith avait utilisées pour
traduire le Livre de Mormon.
David
dit : « C’était en juin 1829. C’était
juste comme si Joseph, Oliver et moi étions assis ici sur un
rondin, lorsque nous fûmes enveloppés de lumière.
» David raconta qu’un ange était alors apparu avec
les anciennes annales, l’urim et le thummim et les autres
artefacts néphites.
Frappant
le lit à côté de lui de la main, il dit : «
Je les ai vus aussi clairement que je vois ce lit. J’ai
distinctement entendu la voix du Seigneur déclarer que les
annales des plaques du Livre de Mormon avaient été
traduites par le don et le pouvoir de Dieu. »
Orson
et Joseph posèrent d’autres questions sur le passé
de l’Église et David répondit en donnant autant
de détails qu’il le put. Ils s’enquirent du
manuscrit de l’imprimeur, du Livre de Mormon, qu’Oliver
lui avait donné. Orson demanda : « Le céderiez-vous
à un éventuel acquéreur ? »
David
répondit : « Non. Oliver m’a confié la
tâche de le garder. Je considère que ces choses sont
sacrées et je ne veux ni m’en séparer ni les
troquer contre de l’argent. »
Le
lendemain, il montra le manuscrit aux apôtres. Ce faisant, il
fit remarquer que le Seigneur avait commandé à ses
serviteurs d’apporter le Livre de Mormon au monde entier.
Joseph
répondit : « Oui, et nous avons envoyé ce livre
aux Danois, aux Suédois, aux Espagnols, aux Italiens, aux
Français, aux Allemands, aux Gallois et dans les îles de
la mer.
Ainsi,
père Whitmer, l’Église n’a pas chômé.
»
Plus
tard cet automne-là, Ane Sophie Dorius, soixante-sept ans, se
rendit au temple de St George avec Carl, son fils aîné.
Trente ans s’étaient écoulés depuis
qu’elle avait divorcé du père de Carl, Nicolai,
après qu’il était devenu saint des derniers
jours. Depuis, elle avait mis de côté son amertume
contre l’Église et accepté l’Évangile
éternel, puis elle avait quitté son Danemark natal pour
se rassembler en Sion. Elle était maintenant sur le point de
participer à des ordonnances sacrées qui commenceraient
à raccommoder sa famille brisée.
Ane
Sophie avait émigré en Utah en 1874, deux ans après
le décès de Nicolai. Avant de mourir, ce dernier avait
exprimé l’espoir qu’elle et lui fussent scellés
pour l’éternité.
En
arrivant en Utah, elle s’était installée dans la
vallée de Sanpete, auprès de ses trois enfants vivants
: Carl, Johan et Augusta. Au cours des années passées,
elle avait vu ses fils pendant leurs différentes missions en
Scandinavie. Par contre, lorsqu’elle avait retrouvé
Augusta, qui avait trente-six ans et sept enfants, c’était
la première fois qu’elles se revoyaient depuis plus de
vingt ans.
Emménageant
à Ephraim, une nouvelle vie de mère et grand-mère
commença pour elle. Lorsque Brigham Young et d’autres
dirigeants de l’Église réorganisèrent les
paroisses et les pieux en 1877, ils partagèrent la paroisse
d’Ephraim en deux et appelèrent Carl comme évêque
de la paroisse du sud. Depuis, chaque fois qu’Ane Sophie
assistait à une pièce de théâtre ou à
un spectacle musical en ville, elle entrait sans billet en proclamant
simplement, le sourire aux lèvres : « Je suis la mère
de l’évêque Dorius. »
Au
Danemark, elle avait très bien réussi dans son métier
de pâtissière et après son arrivée, sa
famille en Utah profita de ses talents. Elle aimait être bien
habillée à l’occasion des activités où
l’on servait des pâtisseries danoises. Pour son
anniversaire, elle portait une fleur de géranium rouge à
la boutonnière, faisait un gros gâteau et invitait toute
sa famille et ses amis à célébrer l’événement
avec elle.
Ane
Sophie et Carl entrèrent dans le temple de St George le 5
novembre et elle fut baptisée pour sa mère et sa sœur
qui étaient décédées lorsqu’elle
était jeune. Carl le fut pour son grand-père maternel.
Ane Sophie reçut sa dotation le lendemain et accomplit ensuite
l’ordonnance en faveur de sa mère et de sa sœur
pendant que Carl le faisait en faveur de son grand-père. Les
parents d’Ane Sophie furent également scellés,
avec Carl et elle comme représentants.
Le
jour où elle reçut sa dotation, elle fut scellée
à Nicolai, représenté par Carl, rétablissant
ainsi le lien qui avait été rompu dans la condition
mortelle. Carl fut ensuite scellé à ses parents.
L’apôtre Erastus Snow, l’un des premiers
missionnaires au Danemark, représentait son père.
Début
janvier 1879, Emmeline Wells et Zina Presendia Williams, l’une
des filles de Brigham Young, quittèrent l’Utah pour
assister à un congrès national des chefs de file des
droits des femmes à Washington DC.. Depuis les réunions
de protestation de 1870, les saintes des derniers jours continuaient
de défendre publiquement ces droits en Utah et dans le reste
du pays. Leur travail avait même attiré l’attention
de certaines des militantes les plus éminentes de la nation,
notamment Susan B. Anthony et Elizabeth Cady Stanton, qui vinrent
ensemble à Salt Lake City et parlèrent avec des saintes
des derniers jours durant l’été 1871.
Pendant
qu’elles assistaient au colloque à Washington, Emmeline
et Zina Presendia avaient l’intention de faire pression sur le
congrès en faveur de l’Église et des femmes
d’Utah. Dernièrement, certains législateurs
s’efforçaient continuellement d’affaiblir
politiquement les saints en proposant de retirer le droit de vote aux
femmes d’Utah. Emmeline et Zina Presendia voulaient défendre
leur droit de voter, dénoncer les efforts du gouvernement pour
interférer avec l’Église et rechercher un soutien
politique au moment où la condamnation de George Reynolds pour
bigamie était examinée par la Cour suprême des
États-Unis.
Ce
n’était pas la première fois qu’Emmeline
entreprenait une vaste démarche pour l’Église. En
1876, au plus fort d’une infestation de sauterelles, Brigham
Young, Eliza Snow et des dirigeantes du mouvement de tempérance
l’avaient appelée à diriger un programme de
stockage de céréales dans le territoire. Sous sa
direction, à la fin de l’année 1877, les Sociétés
de Secours et les organisations des Jeunes Filles avaient collecté
plus de dix mille boisseaux de grain (environ 350 tonnes N.D.T.) et
bâti deux silos à Salt Lake City. Suivant ses
directives, de nombreuses Sociétés de Secours du
territoire avaient aussi stocké dans leurs centres de Société
de secours ou leurs bâtiments de paroisse des céréales
dans des coffres.
Emmeline,
femme plurale de Daniel Wells, était aussi connue pour la
ferveur avec laquelle elle défendait le mariage plural et les
droits des saintes des derniers jours. En 1877, elle devint
rédactrice du Woman’s Exponent et utilisa ses colonnes
pour exprimer ses opinions sur divers sujets, aussi bien politiques
que spirituels. Bien que submergée de travail depuis qu’elle
avait pris la direction du journal, elle croyait que sa publication
était indispensable à la cause des saints des derniers
jours.
Peu
après avoir repris le Woman’s Exponent, elle nota dans
son journal : « Notre journal est un bienfait pour la société.
Je désire faire tout ce qui est en mon pouvoir pour améliorer
la vie de mon propre peuple, surtout celle des femmes. »
Lorsqu’Emmeline
et Zina Presendia arrivèrent à Washington, George Q.
Cannon, Susan B. Anthony et Elizabeth Cady Stanton leur souhaitèrent
la bienvenue. Elles avaient également appris deux jours
auparavant que la cour suprême maintenait à l’unanimité
la condamnation de George Reynolds, jugeant que la Constitution des
États-Unis protégeait les convictions religieuses, mais
pas nécessairement les actes religieux. La décision de
la cour, qui ne pouvait faire l’objet d’aucun recours,
signifiait que le gouvernement fédéral était
dorénavant libre d’adopter et de faire appliquer des
lois interdisant le mariage plural.
Au
cours des jours suivants, Emmeline et Zina Presendia assistèrent
au congrès des femmes, défendant le mariage plural et
leur droit de vote. Emmeline déclara : « Les femmes
d’Utah n’ont jamais enfreint la moindre loi de ce
territoire et il serait injuste ainsi que politiquement malavisé
de les priver de ce droit. »
Zina
Presendia ajouta : « Les femmes d’Utah ne proposent pas
de renoncer à leurs droits, mais d’aider leurs sœurs
dans tout le pays. »
Le
13 janvier, Emmeline, Zina Presendia et deux autres femmes du congrès
se rendirent à la Maison-Blanche pour y rencontrer le
président Rutheford Hayes. Ce dernier fit entrer le groupe
dans sa bibliothèque et écouta poliment les femmes qui
lisaient les résolutions prises lors de leur congrès,
notamment certaines qui lui reprochaient de ne pas en faire davantage
pour soutenir les droits des femmes.
Emmeline
et Zina Presendia lui dirent de se garder de faire appliquer la loi
anti-polygamie Morrill de 1862. Elles ajoutèrent : « Des
milliers de femmes deviendraient ainsi des parias et leurs enfants
des enfants illégitimes aux yeux du monde. »
Le
président Hayes exprima sa sympathie, mais ne fit aucune
promesse. Sa femme entra peu après dans la pièce,
écouta poliment la requête d’Emmeline et de Zina
Presendia et fit visiter la Maison-Blanche au groupe.
Les
semaines suivantes, Emmeline et Zina Presendia témoignèrent
devant un comité du Congrès et parlèrent à
divers chefs politiques en faveur des saints. Elles présentèrent
également une pétition au Congrès demandant la
révocation de la loi Morrill. Dans la pétition, elles
lui demandaient d’adopter des lois qui reconnaîtraient le
statut légal des femmes et des enfants des mariages pluraux
existants. Certaines personnes furent impressionnées par le
courage dont elles firent preuve pour défendre les croyances
des saints. D’autres les considérèrent comme des
curiosités ou se plaignirent de ce que des femmes plurales
étaient autorisées à prendre la parole lors du
congrès national des droits des femmes.
Avant
de quitter Washington, Emmeline et Zina Presendia assistèrent
à deux fêtes organisées par Lucy Hayes. En dépit
de leurs efforts, elles n’avaient pas réussi à
modifier l’opinion que le président se faisait des
saints et il demeurait déterminé à détruire
le « pouvoir temporel » de l’Église en Utah.
Toutefois, Emmeline fut reconnaissante de la gentillesse de Lucy et
admira ses goûts simples, le charme de ses manières et
la fermeté de son refus de servir de l’alcool à
la Maison-Blanche.
Lors
de la réception du 18 janvier, elle lui offrit un exemplaire
de The Women of Mormondom et une lettre personnelle. À
l’intérieur du livre, elle avait écrit un petit
message :
«
Veuillez accepter ce témoignage de l’estime d’une
épouse mormone. »
CHAPITRE
31
: Les
fragments brisés de ma vie
Par
une journée froide de janvier 1879, Ovando Hollister prit
place dans le bureau de John Taylor. Ovando était collecteur
d’impôts dans le territoire d’Utah et il écrivait
parfois des articles pour un journal de l’Est des États-Unis.
Suite à la décision prise par la Cour suprême
dans l’affaire George Reynolds, le journal voulait savoir ce
que John, l’apôtre le plus ancien de l’Église,
en pensait.
Habituellement
ce dernier n’accordait pas d’interviews aux journalistes,
mais puisque c’était un représentant du
gouvernement qui le demandait, il se sentit obligé de faire
connaître son opinion sur la liberté religieuse et la
décision de la Cour suprême. Il dit à Ovando : «
Une conviction religieuse n’a aucune valeur s’il ne nous
est pas permis de la vivre. » Il expliqua que la décision
de la cour était injuste du fait qu’elle limitait le
droit des saints de mettre leurs croyances en pratique. Il dit : «
Je ne pense pas que la Cour suprême ni le Congrès des
États-Unis aient un droit quelconque d’interférer
et de s’immiscer dans mes opinions religieuses. »
Ovando
demanda s’il valait la peine de poursuivre la pratique du
mariage plural si cela signifiait une opposition constante de la part
du gouvernement.
John
dit : « Je dirais, avec tout le respect qui se doit, que
l’antagonisme ne vient pas de nous. » Il croyait que la
Constitution des États-Unis protégeait le droit des
saints de pratiquer le mariage plural. Il en avait conclu qu’en
votant une loi anticonstitutionnelle, le Congrès avait créé
les tensions qui existaient entre l’Église et la nation.
Il dit : « Cela revient maintenant à décider si
nous devons obéir à Dieu ou à l’homme. »
Ovando
demanda : « Ne pourriez-vous pas tout simplement abandonner la
polygamie du fait qu’il n’y a aucun espoir de changer
l’opinion et la loi du pays à son encontre ? » Il
pensait que l’Église ne pourrait pas survivre beaucoup
plus longtemps si elle continuait de s’opposer à la loi
anti-polygamie.
John
dit : « Nous laissons cela entre les mains de Dieu. C’est
son travail de prendre soin de ses saints. »
Ce
printemps-là, à l’académie Brigham Young,
les cours de Susie Young commençaient tous les matins à
huit heures et demie. Les élèves se réunissaient
dans un bâtiment de briques à deux niveaux, rue du
centre, à Provo. Toutes les tranches d’âge y
étaient représentées, depuis les jeunes enfants
jusqu’aux jeunes femmes et hommes d’une vingtaine
d’années. La plupart n’avaient pas l’habitude
d’aller tous les jours à l’école ni de
commencer à l’heure, mais Karl Maeser, le directeur,
insistait sur la ponctualité.
Susie
aimait beaucoup le temps qu’elle passait à l’académie.
L’un de ses camarades de classe, James Talmage, était un
immigrant récent venu d’Angleterre et était
passionné de sciences. Un autre, Joseph Tanner, travaillait à
la filature de laine de Provo et avait persuadé le directeur
de mettre en place des cours du soir pour les ouvriers de l’usine.
Abraham Smoot, le président de la filature, dirigeait le
conseil d’administration de l’académie. Durant une
partie de la journée, Anna Christina, sa fille, donnait des
cours aux élèves les plus jeunes tout en poursuivant
ses propres études. Reed, son frère cadet, était
aussi inscrit et préparait une carrière dans les
affaires.
Le
directeur Maeser nourrissait l’amour de ses élèves
pour l’Évangile et pour l’instruction. Brigham
Young lui avait demandé de se servir de la Bible, du Livre de
Mormon et des Doctrine et Alliances comme manuels scolaires. Outre
les matières habituelles, les élèves suivaient
des cours sur les principes de l’Évangile. Tous les
mercredis après-midi, le directeur les rassemblait pour une
réunion spirituelle. Après une prière, ils
rendaient témoignage et parlaient de ce qu’ils avaient
appris en classe.
Comme
il l’avait fait des années auparavant lorsqu’il
enseignait chez les Young à Salt Lake City, il incita Susie à
développer son potentiel. Il l’encouragea à
écrire et lui rappela qu’elle devait chercher à
produire du travail de haute qualité. Il lui confia aussi la
tâche de s’occuper des procès-verbaux officiels
des réunions spirituelles.
Du
fait que l’Utah disposait de peu d’enseignants qualifiés,
le directeur Maeser en recrutait souvent parmi ses élèves
les plus âgés. Un jour, pendant qu’il rentrait de
l’école à pied en compagnie de Susie et de sa
mère, Lucy, il s’arrêta brusquement au milieu de
la route
et
demanda : « Est-ce que mademoiselle Susie comprend suffisamment
bien la musique pour donner des leçons ? »
Lucy
répondit : « Bien sûr. Elle en donne depuis l’âge
de quatorze ans. »
Le
directeur dit : « Je dois y réfléchir. »
Quelques
jours plus tard, Susie commença à organiser le
département de musique de l’académie sous la
direction de frère Maeser. Comme il n’y avait pas de
piano, elle en acheta un que ses élèves et elle
utiliseraient. Une fois qu’elle eut une salle de classe, James
Talmage l’aida à programmer les heures d’enseignement,
de répétition pour les concerts et les cours
particuliers pour ses élèves. Elle passa alors la
plupart de son temps à enseigner la musique.
Susie
avait beau aimer l’académie, elle avait du mal à
accepter son divorce. Bailey, son fils, était avec elle à
Provo, mais son ex-mari avait envoyé leur fille, Leah, vivre
avec sa famille à Bear Lake, à plus de deux cent
cinquante kilomètres au nord. Susie craignait de s’être
gâché la vie et se demandait si elle n’avait pas
détruit toutes ses chances de connaître le bonheur.
Dernièrement,
pourtant, elle avait commencé à correspondre avec Jacob
Gates, un ami de St George en mission à Hawaï. Au début,
leurs lettres n’étaient rien de plus que des échanges
amicaux, mais au fur et à mesure, ils avaient commencé
à se confier de plus en plus l’un à l’autre.
Elle parlait de ses regrets au sujet de son premier mariage, de sa
joie dans l’académie et de son aspiration à faire
autre chose de sa vie que de donner des leçons de musique.
Elle
lui dit dans une lettre : « Non, Jake, je ne serais pas
maîtresse d’école. J’espère être
écrivain un jour. Quand j’en saurai assez. »
Susie
avait l’intention d’aller à Hawaï à la
fin du semestre visiter des Sociétés de Secours avec
Zina Young, l’une des veuves de son père qu’elle
appelait son « autre mère ». Elle espérait
voir Jacob pendant qu’elle serait là-bas. Elle craignait
d’être passée à côté de sa
vie, mais elle avait tout de même foi que les cieux se
souciaient d’elle.
Elle
écrivit à Jacob : « Dieu est bon et il m’aidera
à ramasser les fragments brisés de ma vie et à
les recoller pour en faire quelque chose d’utile. »
Après
quatre jours de voyage en train, George Reynolds arriva à la
prison d’État du Nebraska, à environ mille cinq
cents kilomètres à l’est de Salt Lake City, pour
purger sa peine de deux ans pour bigamie. À l’intérieur,
les gardes lui confisquèrent tout ce qu’il avait, y
compris ses vêtements et ses sous-vêtements du temple.
Après un bain, ils lui coupèrent les cheveux courts et
lui rasèrent la barbe.
On
lui attribua une cellule et une chemise en tissu grossier, une paire
de chaussures, une casquette et un uniforme de prisonnier rayé
bleu et blanc. Trois fois par jour, il était escorté en
silence avec les autres prisonniers jusqu’à une table où
il récupérait son repas et retournait ensuite dans sa
cellule le manger seul. Quelques jours plus tard, les agents
pénitentiaires lui rendirent ses sous-vêtements du
temple et il fut reconnaissant que ses convictions religieuses
fussent respectées au moins à cet égard.
Dix
heures par jour, six jours par semaine, Reynolds travaillait comme
comptable à la mercerie de la prison. Le dimanche, il
assistait à une courte cérémonie religieuse
organisée pour les prisonniers. Tous les quinze jours, la
réglementation de la prison l’autorisait à écrire
à ses deux femmes, Mary Ann et Amelia. Il leur demanda de lui
écrire aussi souvent qu’elles le pouvaient, mais de ne
pas oublier que leurs lettres seraient ouvertes et lues avant de lui
être remises.
Au
bout d’un mois, il fut transféré à la
prison territoriale en Utah, transfert pour lequel George Q. Cannon
avait fait pression à Washington.
À
Odgen, sa famille l’embrassa lorsqu’il changea de train
pour prendre celui de Salt Lake City. Ses enfants les plus jeunes ne
le reconnurent pas sans sa barbe.
Plus
tard, il écrivit à sa famille : « Soyez assurés
qu’il y a de nombreux endroits bien pires dans le monde que la
prison pour motif de conscience. Cela ne peut dérober la paix
qui règne dans mon cœur. »
Cet
été-là, au sud des États-Unis, Rudger
Clawson, vingt-deux ans, et Joseph Standing, son collègue
missionnaire, prêchaient dans une région rurale de
l’État de Géorgie. Rudger, ancien employé
au bureau de Brigham Young, était missionnaire depuis peu. Par
contre, Joseph, vingt-quatre ans, avait déjà fait une
mission et présidait maintenant les branches de l’Église
dans la région.
L’endroit
où ils travaillaient avait été dévasté
par la guerre de Sécession et de nombreuses personnes se
méfiaient des étrangers. Depuis la décision
prise dans l’affaire George Reynolds, la région était
devenue plus hostile à l’égard des saints des
derniers jours. Des prédicateurs et des journaux faisaient
circuler des rumeurs au sujet des missionnaires « mormons »
et des émeutiers pénétraient de force chez les
gens qu’ils soupçonnaient de les accueillir.
Joseph
était terrifié à l’idée d’être
capturé par des émeutiers sachant que parfois, ils
attachaient leurs victimes à un poteau et les fouettaient. Il
dit à Rudger qu’il préférait mourir plutôt
que d’être fouetté.
Le
matin du 21 juillet 1879, Rudger et Joseph virent une douzaine
d’hommes devant eux sur la route. Trois d’entre eux
étaient à cheval et les autres à pied. Chacun
portait une arme à feu ou une matraque. Les missionnaires
s’arrêtèrent pendant que les hommes les
regardaient en silence. Puis, d’un seul mouvement rapide, ces
derniers se débarrassèrent de leurs chapeaux et
foncèrent sur eux. L’un d’eux cria : « Vous
êtes nos prisonniers. »
Joseph
dit : « Si vous avez un mandat d’arrestation, nous
aimerions le voir. » Sa voix était forte et claire, mais
il était pâle.
Un
homme dit : « Les États-Unis d’Amérique
sont contre vous. Il n’y a aucune loi en Géorgie pour
les mormons. »
L’arme
au poing, les émeutiers conduisirent les missionnaires dans
les profondeurs des bois environnants. Joseph essaya de parler à
leurs chefs. Il dit : « Nous n’avons pas l’intention
de rester dans cette partie de l’État. Nous prêchons
ce que nous comprenons comme étant la vérité et
nous laissons les gens l’embrasser ou pas. »
Ses
paroles furent sans effet. Les émeutiers se séparèrent
rapidement et certains hommes emmenèrent Rudger et Joseph dans
un endroit proche d’une source d’eau limpide.
Un
homme plus âgé dit : « Je veux que vous compreniez
que je suis le capitaine de ce groupe. Si jamais je vous retrouve
dans cette partie du pays, je vous pends par le cou comme des chiens.
»
Pendant
une vingtaine de minutes, les missionnaires écoutèrent
les hommes les accuser de venir en Géorgie pour enlever leurs
femmes et leurs filles et les emmener en Utah. Les bruits qui
couraient dans le Sud au sujet des missionnaires étaient
fondés sur une conception totalement fausse du mariage plural
et certains hommes se sentaient tenus par l’honneur de protéger
les femmes de leur famille par tous les moyens nécessaires.
La
discussion s’acheva lorsque les trois cavaliers arrivèrent
à la source. Un homme portant un fusil dit : «
Suivez-nous. »
Joseph
bondit sur ses pieds. Allaient-ils le fouetter ? L’un des
émeutiers avait laissé un pistolet sur une souche et
Joseph s’en empara.
Il
cria aux émeutiers : « Rendez-vous ! »
Un
homme à sa gauche se leva et lui tira au visage. Joseph resta
un instant immobile, tituba et s’effondra sur le sol de la
forêt. De la fumée et de la poussière s’élevèrent
autour de lui.
Le
capitaine montra Rudger du doigt et cria : « Abattez cet homme
! » Rudger regarda autour de lui. Tous les hommes armés
le visaient à la tête.
Croisant
les bras, Rudger dit : « Tirez. » Il avait les yeux
ouverts, mais le monde semblait s’assombrir.
Changeant
d’avis, le chef des émeutiers cria : « Ne tirez
pas. » Les hommes baissèrent leurs armes et Rudger
s’accroupit à côté de son collègue.
Joseph avait roulé sur le dos. Il avait un large trou sur le
front.
Un
émeutier dit : « N’est-ce pas terrible qu’il
se soit tiré une balle ? »
Rudger
savait que ce qui venait de se passer n’était pas un
suicide, mais un meurtre, néanmoins, il n’osa pas le
contredire. Il répondit : « Oui, c’est terrible.
Nous devons aller chercher de l’aide. » Personne ne
bougea et Rudger s’impatienta. Il insista : « Vous devez
y aller ou m’y envoyer. »
Un
homme lui dit : « Vas-y, va chercher de l’aide. »
Le
dimanche 3 août, John Taylor contempla dix mille visages
solennels depuis la chaire du tabernacle à Salt Lake City.
Derrière lui, les gradins étaient drapés de
tissu noir et ornés de compositions florales. Des hommes
ordonnés à la prêtrise étaient assis par
collège tandis que d’autres saints occupaient les sièges
vacants du parterre et des balcons. Près des gradins, bien à
la vue de l’assemblée, se trouvait le cercueil de Joseph
Standing, décoré de fleurs.
Après
avoir été libéré par les émeutiers,
Rudger Clawson avait trouvé de l’aide auprès d’un
ami habitant dans les environs et avait envoyé un télégramme
à Salt Lake City pour faire rapport du meurtre de Joseph. Il
était ensuite retourné sur les lieux avec un médecin
légiste pour récupérer le corps de son collègue
qui, en son absence, avait été défiguré
par des balles supplémentaires. Une semaine et demie plus
tard, Rudger ramena la dépouille en train jusqu’en Utah
dans une lourde boîte de métal. La nouvelle du meurtre
s’était rapidement propagée dans tous les coins
du territoire.
John
était aussi scandalisé et peiné que les saints,
mais il pensait qu’en plus d’être tristes, ils
devaient être fiers. Joseph était mort dignement dans la
cause de Sion. Son assassinat n’empêcherait pas l’œuvre
de Dieu d’avancer. Les saints continueraient de bâtir des
temples, d’envoyer des missionnaires dans le monde entier et
d’élargir les frontières de Sion.
Sous
la direction de Brigham Young, ils avaient fondé des centaines
de colonies dans l’Ouest des États-Unis, se déployant
hors d’Utah vers les États voisins du Nevada, du
Wyoming, du Nouveau-Mexique et d’Idaho. Durant la dernière
année de sa vie, Brigham avait envoyé deux cents colons
s’installer le long de la rivière Little Colorado, au
nord-est de l’Arizona.
Plus
récemment, suivant l’appel de John Taylor, soixante-dix
convertis du sud-est des États-Unis s’étaient
unis à des saints scandinaves pour fonder une ville appelée
Manassa dans l’État voisin du Colorado. Au sud-est de
l’Utah, une grande compagnie de saints traversait les profondes
gorges du pays pour aller s’installer le long de la rivière
San Juan.
John
savait que les principes de la vérité continueraient de
remplir le monde en dépit des mains impies qui essayaient de
les abattre. Il déclara : « Les hommes peuvent réclamer
nos biens, ils peuvent réclamer notre sang tout comme d’autres
l’ont fait d’autres fois, mais au nom du Dieu d’Israël,
Sion perdurera et prospérera. »
Le
vent soufflait à travers les champs de taro tandis que Zina et
Susie Young franchissaient en calèche les hautes montagnes
divisant l’île d’Oahu. Elles avaient quitté
Honolulu et se rendaient à Laie, lieu de rassemblement des
saints hawaïens. La route longeait un précipice si
profond qu’une barre de fer avait été installée
d’un côté du chemin pour empêcher les
voyageurs de tomber. De plus, il fallut l’aide de deux hommes
tirant sur une forte corde pour stabiliser la calèche le temps
de la descente vers la vallée verdoyante.
L’Église
était maintenant bien établie sur les îles
hawaïennes ; environ un Hawaïen sur douze en était
membre. Lorsque Zina et Susie arrivèrent à Laie, les
saints les accueillirent avec un étendard, de la musique et
des danses. Ils leur offrirent à un repas de bienvenue et
chantèrent un chant qu’ils avaient écrit
spécialement pour l’occasion.
Pendant
qu’elle s’installait pour un séjour de deux mois,
Zina rencontra des saints qui étaient, comme elle, des
pionniers grisonnants. Parmi eux se trouvait Mary Kapo, présidente
de la Société de secours, belle-sœur de Jonathan
Napela, l’inébranlable missionnaire et dirigeant hawaïen
de l’Église. Plus tôt cet été-là,
il était décédé sur Molokai, ferme dans
son témoignage, juste deux mois avant sa femme, Kitty.
Zina
aima beaucoup le temps qu’elle passa avec les saints hawaïens.
Susie et elle se réunissaient souvent avec la Société
de secours et les Jeunes Filles. Lors de leur première
réunion, les sœurs hawaïennes apportèrent un
melon, un petit sac de patates douces, un concombre, des œufs,
un poisson et un chou. Zina écrivit dans son journal : «
Je croyais que c’était pour les pauvres, mais c’était
un témoignage de leur amitié pour nous. »
Un
soir, des saints se rassemblèrent dans une maison pour
entendre Jacob Gates, l’ami missionnaire de Susie, jouer «
Ô mon Père » sur un orgue que Zina avait acheté
pour les saints à Laie. En écoutant les Hawaïens
chanter, Zina pensa à son amie, Eliza Snow, qui avait écrit
le cantique à Nauvoo tant d’années auparavant. Il
parlait de parents célestes et d’autres vérités
que Zina avait découvertes pour la première fois auprès
de Joseph Smith, le prophète. Le chant était maintenant
interprété dans un endroit du monde tout à fait
différent.
Trois
jours plus tard, Susie et Jacob firent ensemble une excursion vers le
haut du canyon. Susie lui avait écrit une courte lettre
d’amour deux semaines plus tôt, pendant qu’il
passait la journée loin de Laie, occupé à
l’œuvre missionnaire.
Elle
avait écrit : « Je pense à toi maintenant,
là-haut sur les collines. Souhaites-tu, comme moi, qu’il
n’y ait pas de travail à faire aujourd’hui afin
que nous puissions parler de l’avenir et exprimer de mille
manières ce que nous avons à l’esprit ? »
Pendant
que Susie et Jacob se faisaient la cour, Zina prévoyait de
célébrer le deuxième anniversaire du décès
de Brigham Young avec les saints hawaïens. Le 29 août, les
membres de l’Église de tout Laie marquèrent
l’événement avec Susie et elle. De jeunes garçons
et filles décorèrent l’église pendant que
des sœurs de la Société de secours achetaient du
bœuf pour un festin et que d’autres saints creusaient une
fosse pour y cuire la viande.
Zina
était reconnaissante de leurs efforts. Non seulement ils
honoraient son défunt mari, mais également les
principes qu’il s’était efforcé d’établir
parmi les saints.
Le
dimanche suivant, Zina aida à organiser une nouvelle Société
de secours avec trente membres. Susie et elle partirent le lendemain.
Tandis qu’elles s’éloignaient de plus en plus de
l’île, Zina demanda à Susie si elle était
contente de rentrer à la maison. Susie était partagée.
Elle était impatiente de revoir ses enfants, mais elle
aspirait aussi à être avec l’homme qu’elle
espérait maintenant épouser.
Pendant
le voyage, elle écrivit à Jacob : « J’aimerais
pouvoir me plier dans une enveloppe et t’être expédiée.
Je ne peux pas te voir maintenant et tout ce que je peux faire c’est
m’asseoir et rêver, rêver du bonheur passé
et d’un avenir heureux. »
Meliton
Trejo habitait le sud de l’Arizona lorsqu’il reçut
l’appel du président Taylor à partir en mission à
Mexico. Cela faisait plus de trois ans qu’il avait dit au
revoir aux premiers missionnaires en route pour le Mexique. Pendant
leur voyage, ceux-ci avaient distribué des centaines
d’exemplaires de la traduction de passages du Livre de Mormon
faite par Meliton. Rapidement, les dirigeants de l’Église
avaient commencé à recevoir des lettres de lecteurs des
Trozos Selectos (Morceaux choisis) demandant l’envoi d’autres
missionnaires.
Meliton
avait fait ses preuves grâce à son travail de traduction
et il se préparait maintenant à accompagner James
Stewart et Moses Thatcher, un apôtre nouvellement appelé,
à Mexico, la capitale du pays.
Les
trois missionnaires se retrouvèrent en novembre à La
Nouvelle-Orléans où ils embarquèrent sur un
bateau à vapeur à destination de Veracruz. De là,
ils prirent le train jusqu’à Mexico. Le lendemain de
leur arrivée, Plotino Rhodakanaty, un dirigeant d’une
vingtaine de croyants à Mexico, vint les trouver à leur
hôtel. Plotino, originaire de Grèce, leur souhaita une
chaleureuse bienvenue. Ses lettres avaient joué un rôle
déterminant dans la décision du président Taylor
et des apôtres d’envoyer des missionnaires dans la ville.
Pendant que Plotino les attendait, d’autres convertis non
baptisés et lui avaient fondé un journal sur l’Évangile
rétabli appelé La voz del desierto (La voix du désert).
Plus
tard cette semaine-là, les missionnaires se rendirent dans une
oliveraie paisible, juste à l’extérieur de la
ville, et Moses baptisa Plotino et son ami Silviano Arteaga dans le
bassin d’une source d’eau tiède. Moses écrivit
dans son journal : « Toute la nature souriait autour de nous et
je crois que les anges se réjouissaient. »
En
quelques jours, Meliton baptisa six autres personnes. Les
missionnaires organisèrent une branche et commencèrent
à tenir des réunions chez Plotino. Ils s’enseignaient
mutuellement l’Évangile et donnaient des bénédictions
aux malades. Moses appela Plotino comme président de branche,
avec Silviano et Jose Ybarola, un autre converti récent, comme
conseillers.
Après
avoir mûrement réfléchi et prié, les
missionnaires décidèrent de traduire la Voix
d’avertissement de Parley Pratt et d’autres brochures de
l’Église. Devenir membre de l’Église
pouvait être lourd de conséquences, Plotino l’apprit
lorsqu’il perdit son emploi d’instituteur parce qu’il
refusa de renier sa nouvelle religion. Néanmoins, la petite
branche grandissait et les missionnaires, tout comme les convertis,
avaient l’impression de prendre part à quelque chose de
grandiose.
Meliton,
James et Plotino achevèrent la traduction de la Voix
d’avertissement le 8 janvier 1880. Quelques jours plus tard,
Moses écrivit au président Taylor pour faire rapport
des progrès de la mission.
Il
lui assura : « Nous saisirons toutes les occasions d’acquérir
des connaissances utiles et en même temps nous ferons tout
notre possible pour faire connaître les vérités
de l’Évangile. Nous croyons que le Seigneur nous a aidés
et qu’il continuera à le faire. »
CHAPITRE
32 : Relever
notre col et ramasser la douche
Au
début de l’année 1880, George Q. Cannon et sa
femme, Elizabeth, étaient à Washington. Une nouvelle
session du Congrès allait commencer et George occupait
toujours le poste de représentant du territoire d’Utah.
Cette année-là, ils avaient emmené avec eux
leurs deux fillettes. Ils espéraient améliorer
l’opinion des politiciens et des rédacteurs de journaux
de la nation concernant les familles de saints des derniers jours.
De
nombreuses personnes savaient, bien sûr, que George et
Elizabeth pratiquaient le mariage plural. En fait, George avait
quatre femmes et vingt enfants vivants. Pourtant, comme le fit
remarquer un journaliste, les Cannon ne correspondaient pas à
la caricature populaire des saints. Un journaliste écrivit : «
Si les vertus d’une institution devaient être mesurées
par leurs résultats en matière de raffinement et
d’intelligence, il n’y aurait aucun préjugé
contre la polygamie. »
Pourtant,
les préjugés concernant les saints n’avaient fait
qu’empirer depuis la décision de la Cour suprême
des États-Unis un an plus tôt dans l’affaire
George Reynolds. En décembre 1879, dans son discours annuel à
la nation, le président Hayes avait condamné la
pratique et incité les forces de l’ordre à faire
respecter la loi anti-polygamie Morrill.
Le
discours du président donna à quelques membres du
Congrès le courage de s’opposer plus agressivement au
mariage plural. Un législateur présenta un projet de
loi proposant un amendement à la Constitution proscrivant la
polygamie. Un autre annonça son intention d’expulser
George Q. Cannon du Congrès. Entre-temps, des citoyens de tout
le pays commencèrent à faire pression sur leurs
représentants pour qu’ils s’emploient davantage à
éradiquer le mariage plural.
Le
13 janvier, George écrivit à John Taylor : « Le
ciel s’assombrit autour de nous. Si le Seigneur ne nous fournit
pas de paratonnerres pour détourner l’électricité
vers une autre direction, ce que je suis sûr qu’il fera,
je ne vois aucune autre issue pour nous que de relever notre col et
ramasser la douche. »
Une
nuit, vers cette époque-là, Desideria Quintanar de
Yáñez eut un rêve où elle vit qu’un
livre appelé Voz de amonestación (La voix
d’avertissement) était en cours d’impression à
Mexico. Lorsqu’elle se réveilla, elle sut qu’elle
devait le trouver.
Desideria,
descendante du chef aztèque Cuauhtémoc, était
très respectée à Nopala, la ville où son
fils, José, et elle vivaient. Ils appartenaient à une
assemblée protestante locale bien que la plupart des Mexicains
fussent catholiques.
Desideria
eut l’impression qu’elle devait se rendre à Mexico
pour y chercher le mystérieux livre, mais la ville était
à près de cent vingt kilomètres. Elle pouvait
faire une partie du voyage en train, mais la plus grande partie
devait se faire à pied par des chemins de terre. Desideria
avait la soixantaine et n’était pas en état
d’entreprendre un tel périple.
Déterminée
à trouver le livre, elle raconta le rêve à son
fils. José la crut et peu après, il partit pour Mexico
à la recherche du livre inconnu.
À
son retour, il raconta son incroyable expérience à sa
mère. Il avait trouvé la ville grouillante de centaines
de milliers de personnes et sa recherche du livre semblait vouée
à l’échec. Un jour, pendant qu’il marchait
dans les rues encombrées, il avait rencontré Plotino
Rhodakanaty qui lui avait parlé d’un ouvrage appelé
Voz de amonestación.
Plotino
l’avait envoyé à un hôtel pour s’entretenir
avec le missionnaire James Stewart. Là, il avait appris que
Voz de amonestación était la traduction d’un
livre appelé Voice of Warning [Une voix d’avertissement]
que des missionnaires saints des derniers jours utilisaient depuis
des décennies pour présenter leur religion aux
anglophones. Il témoignait du rétablissement de
l’Évangile du Christ et de la parution du Livre de
Mormon, des annales sacrées des habitants de l’Amérique
ancienne.
Voz
de amonestación n’était pas encore sorti de chez
l’imprimeur, mais James donna à José des
brochures religieuses à rapporter chez lui. Il les remit à
sa mère qui les étudia attentivement. Elle demanda
ensuite aux missionnaires de venir à Nopala la baptiser.
Meliton
Trejo arriva en ville en avril et, à leur demande, baptisa
Desideria, José et Carmen, fille de José. Quelques
jours plus tard, José retourna à Mexico et reçut
la Prêtrise de Melchisédek. Il revint chez lui les bras
chargés de brochures et de livres, dont dix exemplaires de Voz
de amonestación tout juste imprimés.
Le
souvenir le plus lointain d’Ida Hunt était celui de son
grand-père, Addison Pratt, la faisant sauter sur ses genoux. À
l’époque, la famille d’Ida habitait une ferme non
loin de San Bernardino (Californie). Ses parents, John et Lois Pratt
Hunt, s’étaient installés là lorsqu’Ida
avait environ un an. Quelques années plus tard, Louisa Pratt,
grand-mère d’Ida, insista pour que sa famille
s’installât à Beaver, petite ville du sud de
l’Utah, où Louisa habitait depuis 1858.
Addison
était décédé en Californie en 1872.
Louisa et lui n’avaient jamais résolu leurs différends
et ils avaient vécu séparés la plus grande
partie des quinze dernières années de leur mariage,
mais ils avaient toujours beaucoup d’affection pour leurs
filles et leurs petits-enfants. Ida les aimait tendrement tous les
deux.
Elle
habitait à un pâté de maisons de chez Louisa et
passait des après-midi sans nombre à apprendre aux
côtés de sa grand-mère. En 1875, elle eut
dix-sept ans et sa famille et elle quittèrent Beaver. Trois
ans plus tard, les dirigeants de l’Église les appelèrent
à déménager à nouveau. Cette fois-ci, ils
devaient s’installer à Snowflake, une ville du
territoire d’Arizona. Au lieu d’aller avec sa famille,
Ida décida de retourner à Beaver vivre pendant quelque
temps avec sa grand-mère.
De
retour là-bas, elle fut indispensable à cette dernière
et à ses deux tantes, Ellen et Ann, qui habitaient dans les
environs. Elle participait aux corvées et prenait soin des
membres de la famille lorsqu’ils étaient malades. Elle
ne passait quand même pas tout son temps à la maison.
Ses soirées étaient souvent occupées par des
dîners, des fêtes et des concerts. Elle commença
bientôt à fréquenter un jeune homme appelé
Johnny.
Au
printemps de 1880, ses amis et sa famille de Snowflake l’implorèrent
de rentrer à la maison et Ida prit la décision
difficile de quitter Beaver. Les mots manquèrent à
Louisa lorsqu’elle dut dire au revoir à sa petite-fille
et lui souhaiter bon voyage. Sa seule consolation était l’idée
que sa relation avec Johnny la ramènerait peut-être à
Beaver.
Ida
fit le voyage jusqu’à Snowflake avec la famille de Jesse
Smith, président du pieu de l’Est de l’Arizona. Il
y avait, entre Emma et Augusta, deux de ses femmes, quelque chose de
sacré et de désintéressé dans leurs
rapports qui inspira de l’admiration chez Ida. Comme ses
propres parents ne pratiquaient pas le mariage plural, elle n’avait
guère d’expérience sur la façon dont cela
se passait. Cependant, plus elle passait de temps avec les Smith,
plus elle envisageait de le pratiquer.
En
faisant cela, elle se distinguerait des saints de son âge. La
plupart des membres de l’Église acceptaient et
défendaient le mariage plural, mais le nombre de familles
plurales déclinait. La pratique se limitait essentiellement
aux saints vivant dans l’Ouest américain. Parmi ceux qui
vivaient en Europe, à Hawaï ou ailleurs dans le monde,
aucun mariage plural n’était célébré.
À
la fin des années 1850, au moment où la pratique était
la plus répandue, environ la moitié des personnes
résidant en Utah pouvaient s’attendre à faire
partie d’une famille plurale. Ce chiffre était depuis
descendu à vingt ou trente pour cent et il continuait de
baisser. Du fait que le mariage plural n’était pas exigé
des membres de l’Église, les saints pouvaient rester en
règle avec Dieu et avec l’Église s’ils
choisissaient de ne pas y prendre part.
Plusieurs
mois après son arrivée à Snowflake, Ida fut
informée que sa grand-mère était décédée.
Accablée de chagrin, elle regretta de l’avoir quittée.
Si elle était restée à Beaver, se disait-elle,
elle aurait pu la réconforter pendant les derniers moments de
sa vie.
À
peu près à cette époque-là, elle reçut
également une lettre de Johnny. Il voulait venir en Arizona et
l’épouser, mais elle espérait alors trouver un
homme qui fût disposé à pratiquer le mariage
plural. Johnny n’avait pas assez foi en l’Évangile
et elle savait qu’il n’était pas un bon parti pour
elle.
En
1880, l’Église fêta son cinquantième
anniversaire. Se souvenant que l’Israël de jadis fêtait
tous les cinquante ans un jubilé pour annuler les dettes et
libérer les gens de la servitude, le président Taylor
annula la dette de milliers de saints pauvres qui s’étaient
rassemblés en Sion avec de l’argent emprunté au
fonds perpétuel d’émigration. Il demanda aux
saints qui possédaient des banques et des entreprises
d’annuler une partie des dettes qu’on leur devait et
exhorta les membres de l’Église à faire cadeau de
têtes de bétail aux nécessiteux.
Il
demanda également à Emmeline Wells, présidente
du comité des céréales de la Société
de secours, de prêter aux évêques autant de blé
des silos de la Société de secours que nécessaire
pour nourrir les pauvres de leur paroisse.
En
juin, le président Taylor assista à une conférence
de la Société de secours du pieu de Salt Lake.La
réunion incluait des représentants de la Société
de la Primaire et de la Société d’Amélioration
Mutuelle des Jeunes Filles (S.A.M.J.F.), qui étaient
considérées comme des auxiliaires de la Société
de secours. Pendant la réunion, Eliza Snow chargea Louie Felt,
une présidente de Primaire de paroisse, de superviser la
Primaire dans toute l’Église. L’assemblée
la soutint et donna également son accord pour le choix de ses
deux conseillères.
Un
peu plus tard au cours de la réunion, le président
Taylor demanda à une secrétaire de lire le récit
de l’organisation de la Société de secours de
Nauvoo en 1842. Il avait assisté à cette première
réunion où Emma Smith avait été élue
présidente de la société. Il avait également
donné à ses conseillères, Sarah Cleveland et
Elizabeth Ann Whitney, l’autorité d’agir dans leur
appel.
Lorsque
la secrétaire eut achevé sa lecture, le président
Taylor parla des pouvoirs et des devoirs que la Société
de secours donnait aux femmes. Mary Isabella Horne proposa ensuite
qu’il nomme Eliza Snow présidente de toutes les Sociétés
de Secours de l’Église. Elle avait été
secrétaire de la Société de secours originelle
et elle donnait des conseils à toutes les Sociétés
de Secours de paroisse depuis plus d’une décennie, mais
il n’y avait plus eu de présidente générale
de la Société de secours depuis qu’Emma Smith
avait dirigé l’organisation dans les années 1840.
Le
président Taylor nomma Eliza présidente générale
de la Société de secours et l’assemblée la
soutint. Elle choisit ensuite Zina Young et Elizabeth Ann Whitney
comme conseillères, Sarah Kimball comme secrétaire et
Mary Isabella Horne comme trésorière. Comme elle, elles
avaient toutes été membres de la Société
de secours de Nauvoo et avaient servi dans l’organisation
depuis son rétablissement en Utah.
Plus
tard cet après-midi-là, lors de la dernière
réunion de la conférence, Eliza nomma Elmina Taylor,
l’une des conseillères de Mary Isabella Horne à
la présidence de Société de secours de pieu,
comme présidente générale de la Société
d’Amélioration Mutuelle des Jeunes Filles. Elmina fut
soutenue avec ses conseillères, une secrétaire et une
trésorière.
Les
femmes de tout le territoire se réjouirent de ces nouvelles
présidences générales.
Un
mois plus tard, lors d’une réunion de la Société
de secours, Phebe Woodruff déclara : « Je suis très
heureuse de voir mes sœurs évoluer dans un tel ordre. »
Belinda Pratt, une présidente de Société de
secours de pieu, écrivit dans son journal : « Quelle
époque ! Que les responsabilités des sœurs de
l’Église sont grandes ! Quel travail elles accomplissent
! »
D’autres
changements inspirés se produisirent dans l’Église
cette année-là. Depuis la mort de Brigham Young trois
ans plus tôt, le Collège des Douze dirigeait l’Église
sans Première Présidence. Après avoir discuté
du sujet et prié, le collège soutint à
l’unanimité John Taylor comme président de
l’Église, et George Q. Cannon et Joseph F. Smith comme
conseillers. Plus tard, lors d’une session bondée de la
conférence générale d’octobre, les saints
levèrent la main pour soutenir la nouvelle présidence.
Suite
au soutien, George Q. Cannon se leva et proposa que la Perle de grand
prix, une collection de traductions et écrits inspirés
de Joseph Smith, devînt un nouvel ouvrage canonique de
l’Église. Les missionnaires avaient utilisé les
éditions de la Perle de grand prix depuis sa publication en
1851, mais c’était la première fois qu’on
demandait aux membres de l’Église de l’accepter
comme livre d’Écritures.
Puis,
le président Taylor dit : « Cela fait plaisir de voir
l’unanimité de sentiment manifestée dans nos
votes. Continuez maintenant d’être unis dans les autres
choses, comme vous l’avez été dans celle-là,
et Dieu se tiendra dorénavant à vos côtés.
»
Six
mois plus tard, dans la ville côtière trépidante
de Trondheim (Norvège) Anna Widtsoe émergeait d’un
fjord glacé. Elle venait de se faire baptiser dans l’Église
de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Son corps était
gelé, mais la flamme de l’Évangile brûlait
en elle et elle était remplie d’amour pour les saints
qui l’entouraient.
Son
parcours vers le baptême n’avait pas été
facile. Son mari était mort subitement trois ans auparavant,
la laissant seule avec leurs deux jeunes fils, John et Osborne. Ils
vivaient maintenant d’une petite indemnité et de
l’argent qu’elle gagnait en confectionnant des robes. À
la mort de son mari, elle s’était tournée vers
Dieu et elle se demandait pourquoi il lui avait enlevé son
mari.
Elle
lisait la Bible depuis qu’elle était enfant et
connaissait ses histoires. Maintenant, elle l’étudiait
en quête de réponses. Ce faisant, elle avait senti
qu’elle se rapprochait de Dieu. Cependant, quelque chose dans
les points de doctrine de l’église qu’elle
fréquentait lui paraissait incomplet et la laissait
insatisfaite.
Un
jour, un cordonnier du nom d’Olaus Johnsen lui rapporta une
paire de souliers qu’elle lui avait demandé de réparer.
À l’intérieur de chacun se trouvait une brochure
religieuse. Elle les lut et souhaita en apprendre davantage. C’est
ainsi que peu de temps après, par une chaude journée de
printemps, elle apporta une autre paire de chaussures au cordonnier.
Dans sa boutique, elle hésita toutefois à lui poser
trop de questions. Au moment où elle ouvrait la porte pour
s’en aller, il l’interpella :
«
Je peux vous donner quelque chose qui a plus de valeur que des
semelles pour les souliers de votre enfant. »
Elle
demanda : « Qu’est-ce que vous, un cordonnier, pouvez
bien me donner ? »
Il
répondit : « Je peux vous apprendre comment trouver le
bonheur dans cette vie et vous préparer pour la joie éternelle
dans la vie à venir. »
Anna
demanda : « Qui êtes-vous ? »
Olaus
dit : « Je suis membre de l’Église du Christ. On
nous appelle les mormons. Nous détenons la vérité
de Dieu. »
Là-dessus,
Anna s’enfuit de la boutique. En Norvège, les saints des
derniers jours avaient la réputation d’être des
fanatiques. Mais la brochure l’intriguait et elle ne tarda pas
à assister à une réunion avec les saints de
Trondheim chez Olaus et sa femme, Karen. La société
norvégienne était caractérisée par des
distinctions de classe rigides et Anna fut perturbée par
l’humble maison des Johnsen et la pauvreté des personnes
qui s’y réunissaient pour le culte. Du vivant de son
mari, elle avait appartenu à une classe plus aisée et
elle avait tendance à considérer les pauvres de haut.
Au
fil des deux années suivantes, en dépit de ses
réserves, elle rencontra régulièrement les
missionnaires. Un jour qu’elle était chez elle, elle
ressentit puissamment l’Esprit. Les distinctions de classes
sociales ne signifiaient rien pour le Seigneur, mais elle avait des
préjugés profondément ancrés à
l’égard de cette Église impopulaire, de ses
membres et de leur pauvreté. Elle se demanda : « Dois-je
m’abaisser jusque-là ? »
Elle
répondit ensuite à sa propre question : « Oui, si
c’est la vérité, c’est ce que je dois
faire. »
Entre-temps,
aux États-Unis, James Garfield succédait à
Rutherford Hayes comme président de la nation. Comme son
prédécesseur, il condamna l’Église et
chargea le Congrès de mettre fin au mariage plural une bonne
fois pour toutes. Lorsqu’un homme mécontent tira sur lui
quelques mois après le début de son mandat, certains
prétendirent que le coupable était un saint des
derniers jours. Mais l’accusation était fausse. John
Taylor manifesta rapidement sa désapprobation, exprima sa
sympathie pour le président souffrant et refusa de le blâmer
pour la position politique qu’il avait prise contre l’Église.
Il
dit aux saints : « Comme chacun d’entre nous, c’est
un être faillible. Nous le sommes tous, et ce n’est pas
tout le monde qui peut résister à la pression exercée
sur lui. »
Le
président Garfield mourut de sa blessure quelques mois plus
tard. Son successeur, Chester Arthur, était tout aussi
déterminé à mettre un terme au mariage plural.
En tant que délégué d’Utah au Congrès,
George Q. Cannon sentit immédiatement la pression. En décembre
1881, le sénateur George Edmunds présenta un projet de
loi qui faciliterait les poursuites en justice des saints qui
pratiquaient le mariage plural.
Si
la loi était adoptée, ils pourraient être
emprisonnés pour « cohabitation illégale »,
ce qui voulait dire que les tribunaux n’auraient plus besoin de
prouver qu’un mariage plural avait eu lieu. Tout membre de
l’Église qui semblait pratiquer le mariage plural
pourrait être poursuivi en vertu de la loi. Les couples pluraux
qui vivaient dans la même maison ou étaient vus ensemble
en public risqueraient l’arrestation.
La
loi priverait aussi ces hommes et ces femmes du droit de vote, et ils
seraient soumis à des amendes et à des peines de
prison. De plus, ils seraient empêchés de faire partie
de jurys et d’être titulaires de charges politiques.
George
subissait des tensions supplémentaires du fait que sa femme,
Elizabeth, atteinte d’une pneumonie, était de retour en
Utah. Il voulait être auprès d’elle, mais le 24
janvier 1882, il reçut un télégramme de sa part.
Elle l’exhortait : « Reste à ton poste. Dieu peut
me relever en réponse aux prières que tu fais là-bas
aussi bien que si tu les faisais ici. »
Deux
jours plus tard, il reçut un autre télégramme.
Il lui annonçait qu’Elizabeth était décédée.
George écrivit dans son journal : « La pensée que
nous sommes séparés pour le reste de cette vie et que,
dans la chair, je ne reverrai plus son visage ni n’aurai le
plaisir de ses attentions affectueuses et de sa douce compagnie me
paralyse presque. »
La
loi Edmunds fut adoptée peu de temps après, le
disqualifiant du poste de membre du Congrès. Le 19 avril, il
s’adressa pour la dernière fois à la Chambre des
représentants. Il était plus calme que d’habitude,
mais était outré par la décision de ses
collègues d’adopter la loi Edmunds. Il dit que les
saints pratiquaient le mariage plural parce que Dieu le leur avait
commandé. Ils n’avaient aucun désir d’imposer
leur croyance à quiconque, mais souhaitaient simplement qu’on
leur accorde le droit d’obéir à Dieu comme il
leur semblait bon.
Il
ajouta : « Pour ce qui est d’être condamnés
par le monde, nous sommes disposés à l’être
au même titre qu’Abraham. »
Lorsqu’il
eut terminé, plusieurs membres du Congrès le
complimentèrent pour son discours. D’autres confessèrent
qu’on les avait incités à s’opposer à
lui. La plupart semblaient satisfaits de le voir partir.
La
loi Edmunds ne fit pas changer Ida Hunt d’avis sur le mariage
plural. À l’automne 1881, cela faisait quelque temps
qu’elle vivait avec Ella et David Udall dans la ville de St
Johns, en Arizona, à environ soixante-dix kilomètres de
Snowflake. Pendant cette période, elle avait travaillé
à la coopérative locale avec David, qui était
l’évêque de St Johns, et elle était devenue
comme une sœur pour Ella.
Peu
après que David était devenu évêque, Ella
et lui en étaient arrivés à la conclusion qu’il
était temps pour eux de pratiquer le mariage plural. Un peu
plus tard, David demanda Ida en mariage avec le consentement d’Ella.
Ida voulait accepter sa demande, mais elle voyait bien qu’Ella
avait encore du mal à se faire à l’idée de
partager son mari. Donc, au lieu de répondre à la
demande de David, elle retourna à Snowflake, le cœur
troublé.
Plus
tard, elle écrivit à Ella pour connaître les
véritables sentiments de cette dernière à
l’égard de la demande en mariage. Elle dit à son
amie : « Je ne peux pas laisser les choses aller plus loin sans
d’abord être certaine que tu acceptes de bon gré
cette demande. Tu as non seulement le droit, mais également le
devoir impérieux de formuler toutes les objections que tu peux
avoir.
Je
te promets de ne pas en être offensée. »
Six
semaines plus tard, Ella envoya une réponse brève. Elle
écrivit : « Le sujet en question m’a causé
énormément de douleur et de chagrin, plus peut-être
que tu ne peux l’imaginer. Pourtant, j’ai le même
sentiment qu’au début : si telle est la volonté
du Seigneur, je suis parfaitement disposée à essayer de
le supporter et je suis sûre que les choses s’arrangeront
pour le plus grand bien de tous. »
Le
6 mai 1882, Ida quitta Snowflake pour un voyage de dix-huit jours
jusqu’au temple de St George avec David, Ella et leur petite
fille, Pearl. Pendant qu’ils roulaient lentement à
travers le désert, Ida voyait qu’Ella était
encore mécontente du mariage. Ida faisait attention à
ses paroles et à ses actions pour ne pas dire ou faire quelque
chose qui puisse peiner Ella encore davantage. Elles lurent ensemble
des livres à haute voix et jouèrent avec Pearl pour
meubler les silences gênants.
Un
soir, elle parla en privé à David, inquiète de
la tristesse d’Ella et craignant d’avoir fait le mauvais
choix en acceptant sa demande en mariage. Ses paroles aimantes et
encourageantes lui redonnèrent espoir. Cette nuit-là,
elle alla se coucher, rassurée que Dieu les soutienne dans
leurs épreuves s’ils essayaient d’être
obéissants.
Ida
et David furent scellés au temple de St George le 25 mai. Face
à l’incertitude de l’avenir, Ida sentit qu’elle
pouvait compter sur David pour prendre soin d’elle et elle pria
pour que son amour pour lui ne cesse de grandir. Ella sembla aussi
puiser du réconfort dans les propos et les conseils de l’homme
qui accomplit la cérémonie.
Cette
nuit-là, la famille resta chez l’une des sœurs
d’Ella. Lorsque tout le monde fut couché, Ella, ne
pouvant trouver le sommeil, se glissa dans la chambre d’Ida.
Pour la première fois, les deux femmes parlèrent
ouvertement de leur nouvelle relation, de leurs espoirs et de leurs
désirs pour l’avenir.
Elles
étaient persuadées que le mariage d’Ida à
David était la volonté de Dieu. Néanmoins,
maintenant que la loi Edmunds était en vigueur, les événements
du jour avaient mis leur famille encore plus en porte-à-faux
avec le gouvernement.
Ce
soir-là, Ida écrivit dans son journal : « Le
mariage dans les circonstances ordinaires est un acte sérieux
et important, mais le mariage plural, dans ces temps périlleux,
l’est doublement. »
CHAPITRE
33
: Jusqu’à
ce que l’orage soit passé
La
veille de Noël 1882, Hare Teimana, chef maori, se tenait au bord
d’une falaise à côté de son village, près
de Cambridge (Nouvelle-Zélande). Au-dessous, il voyait un
homme escalader résolument la paroi. Mais pourquoi cet
étranger grimpait-il vers le village alors qu’il lui
aurait été plus facile d’emprunter la route ?
Pourquoi était-il si pressé d’atteindre le sommet
? Avait-il quelque chose d’important à dire ?
Tout
en regardant l’étranger escalader, Hare se rendit compte
qu’il le connaissait. Une nuit, quelques mois plus tôt,
l’apôtre Pierre, vêtu de blanc, lui était
apparu dans sa chambre. Il lui avait dit qu’un homme allait
venir auprès du peuple maori avec le même Évangile
que celui que Jésus-Christ avait prêché pendant
qu’il était sur la terre. Pierre avait dit que Hare
reconnaîtrait cet homme quand il le verrait.
Avant
les années 1850, la plupart des Maoris avaient été
convertis au christianisme par des missionnaires protestants et
catholiques. Hare connaissait donc le rôle de Pierre dans
l’ancienne Église du Christ. Il croyait également
à la réalité des visions et des révélations.
Les Maoris comptaient sur leur matakite, ou voyant, pour être
guidés directement par Dieu. Même après s’être
convertis au christianisme, certains matakite, chefs de tribu et
patriarches familiaux, avaient continué d’avoir des
visions et de recevoir des directives de Dieu pour leur peuple.
En
fait, l’année précédente, les dirigeants
maoris avaient demandé à Pāora Te Pōtangaroa,
un matakite respecté, à quelle église les Maoris
devaient se joindre. Après avoir jeûné et prié
pendant trois jours, Pāora avait dit que l’église à
laquelle ils devaient se joindre n’était pas encore
arrivée. Il dit qu’elle arriverait aux alentours de 1882
ou 1883.
Reconnaissant
en l’homme sur la falaise la personne dont Pierre parlait dans
sa vision, Hare fut impatient d’entendre ce qu’il avait à
dire. Le grimpeur était épuisé lorsqu’il
atteignit le village et Hare dut attendre qu’il reprenne son
souffle. Lorsqu’enfin il parla, c’était en maori.
Il dit qu’il s’appelait William McDonnel et qu’il
était missionnaire de l’Église de Jésus-Christ
des saints des derniers jours. Il donna quelques brochures
religieuses à Hare et témoigna qu’elles
contenaient le même Évangile que celui que le Christ
avait enseigné durant son ministère. Il parla également
du Christ chargeant Pierre de proclamer l’Évangile après
son ascension.
La
curiosité de Hare était éveillée, mais
William était impatient de rejoindre ses deux collègues
missionnaires qui avaient emprunté la route pour venir au
village. Alors qu’il s’apprêtait à s’en
aller, Hare l’attrapa par le col de son manteau. Il exigea : «
Arrêtez-vous tout de suite et dites-moi tout sur l’Évangile.
»
William
commença à dire tout ce qu’il savait pendant que
Hare continuait de le maintenir étroitement par le col. Quinze
minutes passèrent et William repéra ses collègues,
William Bromley, le président de mission, et Thomas Cox, qui
étaient arrivés au village par la route principale. Il
agita son chapeau bien haut dans les airs pour attirer leur attention
et Hare le lâcha enfin. Ensuite, avec William servant
d’interprète, les hommes parlèrent à Hare,
exprimant leur désir de se réunir avec les Maoris de
cette région.
Hare
les invita à revenir plus tard ce jour-là. Il dit : «
Nous pouvons organiser une réunion chez moi. »
Ce
soir-là, William McDonnel s’assit avec le président
Bromley et Thomas Cox chez Hare Teimana. Irlandais de naissance,
William avait déménagé en Nouvelle-Zélande
lorsqu’un capitaine de navire lui avait dit que c’était
un bon pays. Plus tard, il s’était installé parmi
des Maoris pendant plusieurs années et avait appris leur
langue. Il avait ensuite déménagé à
Auckland (Nouvelle-Zélande) où il s’était
marié en 1874 et était devenu membre de l’Église
quelques années plus tard.
Depuis
le début des années 1850, des missionnaires avaient été
appelés à prêcher en Nouvelle-Zélande et
en Australie, mais l’Église restait petite là-bas.
Au fil des trente années écoulées, au moins cent
trente membres s’étaient rassemblés dans la
vallée du lac Salé, appauvrissant les branches de
Nouvelle-Zélande, comme cela avait été le cas
dans d’autres pays.
La
plupart des membres étaient des immigrants européens
comme William. Mais, peu après le baptême de ce dernier,
le président Bromley était allé en
Nouvelle-Zélande avec la mission de porter l’Évangile
au peuple maori, mission confiée par Joseph F. Smith, le
nouveau deuxième conseiller dans la Première
Présidence. Le président Bromley avait prié pour
trouver les bonnes personnes à envoyer et il avait le
sentiment que William était l’une d’elles. Six
mois plus tard, ce dernier baptisa le premier Maori à recevoir
l’ordonnance en Nouvelle-Zélande, un homme du nom de
Ngataki.
Maintenant,
assis au milieu d’hommes et de femmes maoris chez Hare, les
missionnaires s’acquittaient de la mission confiée par
Joseph F. Smith. Le président Bromley lisait un passage de la
Bible en anglais et William prenait ce même passage dans la
Bible maorie et le donnait à lire à quelqu’un. Le
groupe écouta attentivement le message et William dit qu’il
reviendrait le lendemain soir.
Avant
le départ des missionnaires, Hare l’emmena voir sa fille
Mary. Elle était malade depuis des semaines et les médecins
disaient qu’elle n’en avait plus pour longtemps à
vivre. William venait juste d’enseigner que les anciens
détenant la prêtrise de Dieu pouvaient donner des
bénédictions de santé et Hare demanda s’ils
béniraient sa fille.
La
fillette avait l’air d’être sur le point de mourir
d’un moment à l’autre. William, le président
Bromley et Thomas s’agenouillèrent à côté
d’elle et lui imposèrent les mains. La pièce fut
imprégnée d’un bon esprit et Thomas la bénit
pour qu’elle vive.
Cette
nuit-là, William fut incapable de trouver le sommeil. Il avait
foi que Mary pouvait être guérie. Mais si jamais ce
n’était pas la volonté de Dieu ? Quelle influence
cela aurait-il sur la foi de Hare et des autres Maoris si elle
mourait ?
Dès
l’aube, il prit le chemin de la maison de Hare. Il vit au loin
une femme du village venir à sa rencontre. Lorsqu’elle
le rejoignit, elle le souleva de terre dans une étreinte, lui
prit ensuite la main et le tira jusqu’à chez Hare.
Il
demanda : « Comment va la fillette ? »
La
femme répondit : « Très bien ! »
Lorsqu’il
entra dans la maison, il trouva Mary assise sur son lit en train de
regarder la pièce autour d’elle. Il lui serra la main et
demanda à sa mère de lui donner quelques fraises à
manger.
Ce
soir-là, Hare et sa femme, Pare, acceptèrent le baptême
; une autre personne du village en fit autant. Le groupe se rendit à
la rivière Waikato et William entra dans l’eau, leva le
bras droit à angle droit et immergea chacun d’eux.
Ensuite, il rentra chez lui à Auckland et Thomas Cox et sa
femme, Hannah, continuèrent de servir le peuple maori à
Cambridge.
Deux
mois plus tard, le 25 février 1883, la première branche
maorie de l’Église fut organisée.
Après
son baptême, Anna Widtsoe était impatiente d’obéir
à l’appel du Seigneur à se rassembler en Sion.
Anthon Skanchy, l’un des missionnaires qui lui avaient enseigné
l’Évangile, écrivait souvent pour l’encourager
à les rejoindre, lui et les autres saints scandinaves, en
Utah, avec ses jeunes fils. Ayant déjà immigré à
Logan (Utah) où les saints achevaient un temple d’aspect
et de taille similaires à celui de Manti, il comprenait son
désir de quitter la Norvège.
Il
lui assura dans une lettre : « Tout concourra à votre
bien. Vous et vos petits ne serez pas oubliés. »
Aussi
pressée qu’elle était de déménager
en Utah, elle savait bien que son pays natal lui manquerait. Son
défunt mari y était enterré et elle se souciait
sincèrement des autres membres de l’Église de sa
ville. Souvent, quand les saints européens quittaient leurs
branches pour aller en Sion, ils laissaient des postes de direction
vacants, ce qui gênait la progression des petites assemblées.
Anna était conseillère à la Société
de secours de sa branche et si elle décidait de s’installer
en Utah, elle manquerait inévitablement à ce petit
groupe de femmes.
Elle
devait aussi tenir compte de ses deux fils. John, onze ans, et
Osborne, cinq ans, étaient des garçons intelligents et
bien élevés. En Utah, il leur faudrait apprendre une
nouvelle langue et s’adapter à une nouvelle culture, ce
qui les mettrait en retard par rapport aux autres enfants de leur
âge. Et comment subviendrait-elle à leurs besoins ?
Depuis son baptême, son entreprise de confection de robes avait
prospéré. Si elle quittait la Norvège, elle
perdrait la retraite de son mari et devrait réimplanter son
entreprise dans un nouvel endroit.
Anna
avait aussi retrouvé Hans, un ancien galant, qui semblait
vouloir raviver leur idylle. Il n’était pas membre de
l’Église, mais la soutenait dans sa foi. Elle n’avait
cependant pas grand espoir qu’il s’unisse aux saints, car
il semblait porter plus d’intérêt à la
recherche du profane qu’à celle du royaume de Dieu.
En
tournant et retournant ces questions dans son esprit, elle se rendit
compte que si elle restait dans son pays, cela ne ferait que les
freiner, elle et ses fils. L’Église n’était
pas reconnue officiellement en Norvège et le gouvernement ne
la considérait pas comme étant chrétienne. Les
pasteurs la critiquaient fréquemment dans leurs sermons et
leurs brochures et des émeutiers harcelaient les
missionnaires. À part Petroline, sa jeune sœur, qui s’y
intéressait, la famille d’Anna l’avait rejetée
une fois qu’elle était devenue membre de l’Église.
À
l’automne 1883, Anna décida de quitter la Norvège.
En septembre, elle écrivit à Petroline : « Je
vais me rendre chez moi, en Utah, dès que je le pourrai. Si
nous ne pouvons pas tout abandonner, même notre vie si
nécessaire, nous ne sommes pas des disciples. »
L’argent
restait tout de même un obstacle. Sa famille ne l’aiderait
en aucun cas à déménager et Anna ne savait pas
comment elle financerait le coût de l’émigration.
C’est alors que deux missionnaires récemment rentrés
et un saint norvégien lui donnèrent de l’argent.
Hans lui en donna aussi pour le voyage de sa famille et l’Église
lui permit d’utiliser une partie de sa dîme pour payer la
traversée de la famille.
Lors
de sa dernière réunion avec la Société de
secours, elle déclara combien elle était heureuse que
le royaume de Dieu fût de nouveau sur la terre et d’avoir
la possibilité de participer à son édification.
En écoutant les témoignages de ses sœurs de la
Société de secours, elle souhaita qu’elles toutes
vivent toujours de manière à bénéficier
de la compagnie et de la lumière de l’Esprit de Dieu.
En
octobre 1883, Anna, John et Osborne embarquèrent à Oslo
en direction de l’Angleterre. Sur le quai, leurs frères
et sœurs norvégiens agitaient leurs mouchoirs en signe
d’adieu. La côte majestueuse norvégienne ne lui
avait jamais semblé aussi belle. Pour autant qu’elle le
sache, elle ne la reverrait jamais.
Au
début de l’été 1884, Ida Hunt Udall était
présidente de la Société d’Amélioration
Mutuelle des Jeunes Filles dans le pieu de l’Est de l’Arizona,
un appel qui exigeait qu’elle veille sur les jeunes filles de
Snowflake, de St John et d’autres colonies, et les instruise.
Elle ne pouvait pas visiter chaque société du pieu très
souvent, mais elle ressentait de la joie lorsqu’elles se
retrouvaient pour des conférences trimestrielles.
Depuis
son mariage à David Udall, elle s’était de
nouveau installée à St John où les saints
rencontraient beaucoup d’opposition. La ville était
dirigée par des citoyens puissants qui ne voulaient pas que
des saints s’installent dans le comté. Le groupe, qui se
donnait le nom de Ring, harcelait les membres de l’Église
et essayait de les empêcher de voter. Il publiait également
un journal qui encourageait ses lecteurs à les terroriser.
Un
article demandait : « Comment le Missouri et l’Illinois
se sont-ils débarrassés des mormons ? En utilisant le
fusil et la corde. »
Chez
elle, en compagnie de David et d’Ella, Ida avait pourtant
trouvé la paix. Pendant quelque temps, Ella avait eu du mal à
s’habituer au nouveau statut d’Ida à la maison,
mais les deux femmes s’étaient rapprochées en
s’entraidant dans la maladie et les autres difficultés
quotidiennes. Depuis qu’elle était devenue membre de la
famille, Ida avait aidé Ella à accoucher de ses deux
filles, Erma et Mary. Pour sa part, elle n’avait toujours pas
d’enfant.
Le
10 juillet 1884, cinq jours après la naissance de Mary, Ida
débarrassait la table après le dîner lorsque le
beau-frère de David, Ammon Tenney, était apparu à
la porte. Il avait été mis en examen pour polygamie et
sa femme, Eliza, la sœur de David, avait été
assignée à comparaître pour témoigner
contre lui. Au lieu de se soumettre à la loi et d’être
un témoin clé au procès de son mari, elle avait
décidé de se cacher des policiers.
Ammon
avertit Ida : « La prochaine fois, cela pourrait être
toi. » En tant qu’évêque de St John et
polygame notoire, son mari serait une cible de choix pour des
poursuites. Si un policier muni d’une assignation à
comparaître attrapait Ida, elle pouvait être forcée
de témoigner contre David au tribunal. Selon la loi Edmunds,
il pouvait se voir infliger une amende de trois cents dollars et une
peine de six mois de prison pour cohabitation illégale. Le
châtiment pour polygamie était encore plus sévère.
Si David était reconnu coupable, l’amende pourrait
s’élever à cinq cents dollars et la peine de
prison à cinq ans.
Ida
pensa d’abord à Ella qui se remettait de son
accouchement. Elle avait encore besoin de son aide et elle ne voulait
pas la laisser, mais si elle restait à la maison, cela ne
ferait que mettre la famille en plus grand danger.
Ida
jeta hâtivement un châle sur ses épaules et se
glissa silencieusement dehors. Eliza et d’autres femmes se
cachaient de la police chez un voisin et Ida les rejoignit. La
plupart des femmes avaient laissé des enfants derrière
elles sans autre choix que celui de confier leurs petits aux bons
soins d’autres personnes.
Jour
après jour, elles surveillaient attentivement la route,
plongeant sous un lit ou derrière des rideaux chaque fois
qu’un étranger approchait de la maison.
Ida
était chez les voisins depuis six jours lorsqu’un ami
proposa de les transporter secrètement, les autres femmes et
elle, à Snowflake. Avant de quitter la ville, elle rentra chez
elle et rassembla rapidement quelques effets personnels pour le
voyage. En embrassant Ella et les enfants, elle eut l’impression
que de nombreux jours s’écouleraient avant qu’elle
ne les revoie.
Le
souvenir de son épreuve à St John était encore
frais lorsqu’elle parla à l’organisation des
Jeunes Filles de la paroisse de Snowflake peu après son
arrivée. Elle témoigna : « Les personnes qui sont
persécutées pour l’amour de l’Évangile
jouissent d’une paix et d’une satisfaction auxquelles
elles n’auraient jamais pu s’attendre. Nous ne pouvons
pas nous attendre à ce que notre vie dans cette Église
soit un long fleuve tranquille sans épreuves. Notre vie sera
sans nul doute mise en danger. »
À
la fin de l’été, plusieurs saints du territoire
d’Utah avaient été arrêtés en vertu
de la loi Edmunds, mais personne n’avait été
condamné ni emprisonné. Parmi les personnes arrêtées,
il y avait Rudger Clawson, qui avait été témoin
du meurtre de son collègue missionnaire, Joseph Standing, cinq
ans plus tôt. Rudger était marié à deux
femmes, Florence Dinwoody et Lydia Spencer. Après son
arrestation, Lydia se cacha, privant l’accusation de témoin
clé.
Le
procès de Rudger débuta en octobre. Lors de l’audience,
les témoins saints des derniers jours, dont le président
Taylor, tentèrent d’être aussi inutiles à
la cour que possible. Lorsque les procureurs demandèrent au
prophète à quel endroit se trouvaient les registres de
mariage de l’Église, ses réponses furent vagues.
Un
avocat lui demanda : « Si vous vouliez le voir, y a-t-il un
moyen quelconque de savoir où il est ?
—
Je pourrais le savoir en
cherchant, répondit le président Taylor.
—
Auriez-vous la bonté de
le faire ?
—
Eh bien, je n’ai pas
cette bonté-là », dit ironiquement le prophète.
Un rire général fusa dans la salle d’audience.
Après
une semaine passée à entendre des témoignages de
ce genre, les douze hommes composant le jury ne parvinrent à
aucune décision et le juge ajourna l’audience.
Néanmoins, ce même soir, un agent de police localisa
Lydia Clawson et l’assigna à comparaître pour
témoigner contre Rudger devant le tribunal.
Bientôt
un nouveau procès débuta. Après avoir entendu le
témoignage de plusieurs témoins qui s’étaient
présentés à l’audience précédente,
le procureur appela Lydia à la barre. Elle était pâle,
mais déterminée. Lorsque le greffier essaya de lui
faire prêter serment, elle refusa.
Le
juge lui demanda : « Ne savez-vous pas que c’est mal de
ne pas prêter serment ?
—
Peut-être.
—
Vous risquez la prison.
—
Cela dépend de vous.
—
Vous prenez une effrayante
responsabilité en entreprenant de défier le
gouvernement. » Il la confia ensuite à la garde du
marshal et ajourna l’audience.
Ce
soir-là, après avoir été transférée
au pénitencier d’État, elle reçut un
message de Rudger. Il la suppliait de témoigner contre lui.
Elle était enceinte et si elle refusait de coopérer
avec le tribunal, elle risquait d’accoucher dans une prison
fédérale à des centaines de kilomètres de
son foyer et de sa famille.
Le
lendemain matin, le policier l’accompagna à la salle
d’audience bondée où des procureurs l’appelèrent
de nouveau à la barre. Cette fois-ci, elle ne résista
pas lorsque le greffier lui fit prêter serment. Ensuite, le
procureur lui demanda si elle était mariée.
Lydia
répondit presque dans un murmure que oui.
Il
insista : « À qui ? »
Elle
répondit : « Rudger Clawson. »
Les
membres du jury mirent moins de vingt minutes pour prononcer un
verdict de culpabilité, le premier en vertu de la loi Edmunds.
Neuf jours plus tard, Rudger comparut devant le juge pour déterminer
la peine. Avant de donner sa décision, ce dernier lui demanda
s’il avait quelque chose à dire.
Rudger
dit : « Je regrette énormément que les lois de
mon pays entrent en conflit avec les lois de Dieu, mais à
chaque fois que ce sera le cas, je choisirai invariablement ces
dernières. »
Le
juge se cala dans son fauteuil. Il avait eu l’intention d’être
indulgent avec le jeune homme, mais sa bravade l’avait fait
changer d’avis. Avec un regard solennel, il le condamna à
quatre années de prison et une amende de cinq cents dollars
pour polygamie et trois cents pour cohabitation illégale.
La
salle d’audience garda le silence. Un marshal escorta Rudger
hors de la pièce, lui permit de dire au revoir à ses
amis et aux membres de sa famille et l’emmena ensuite au
pénitencier. Il passa sa première nuit en prison
incarcéré avec une cinquantaine des détenus
endurcis du territoire.
Cet
hiver-là, dans les colonies de tout le territoire d’Utah,
des marshals continuèrent de harceler les saints chez eux,
espérant prendre par surprise des familles plurales. Jour et
nuit, des pères et des mères regardèrent avec
horreur des hommes de loi mettre leur maison sens dessus dessous et
sortir leurs enfants du lit. Certains marshals se glissaient
furtivement par les fenêtres ou menaçaient d’enfoncer
les portes. S’ils trouvaient une épouse plurale, ils
pouvaient l’arrêter si elle refusait de témoigner
contre son mari.
John
Taylor voulait encourager les saints à continuer de vivre leur
religion, mais il voyait bien que des familles étaient
déchirées et il se sentait responsable de leur
bien-être. Il ne tarda pas à commencer à parler
avec les dirigeants de l’Église de l’idée
de déplacer les saints hors des États-Unis pour éviter
les arrestations et trouver une plus grande liberté.
En
janvier 1885, Joseph F. Smith et lui quittèrent Salt Lake City
avec quelques apôtres et amis de confiance pour rendre visite
aux saints du territoire d’Arizona, juste au nord du Mexique.
De nombreux saints vivaient là dans la crainte et certains
s’étaient déjà enfuis au Mexique pour
échapper aux marshals.
Impatients
de voir par eux-mêmes si davantage de saints pouvaient trouver
refuge dans ce pays, John, Joseph et leurs collègues
franchirent la frontière. Ils localisèrent quelques
endroits prometteurs et suffisamment près de points d’eau
pour approvisionner des colonies. Lorsque le groupe revint en Arizona
quelques jours plus tard, John et ses collègues tinrent
conseil sur la suite à donner.
Ils
décidèrent finalement d’acheter des terres et
d’établir des colonies dans l’État mexicain
de Chihuahua. John demanda à quelques hommes de commencer à
lever des fonds. Lui et les autres continuèrent le voyage en
train jusqu’à San Francisco. Une fois arrivé,
John reçut un télégramme urgent de George Q.
Cannon. Il l’avertissait que les ennemis étaient actifs
chez eux et qu’un plan avait été élaboré
pour l’arrestation de la Première Présidence.
Plusieurs
hommes le pressèrent de rester en Californie jusqu’à
ce que le danger fût passé. Ne sachant que faire, le
prophète pria pour être guidé. Il annonça
ensuite qu’il retournait à Salt Lake City et envoya
Joseph F. Smith à Hawaï faire une autre mission. Quelques
hommes protestèrent, certains que John et d’autres
seraient arrêtés s’ils rentraient chez eux, mais
dans l’esprit de John, il était clair que sa place était
en Utah.
Il
arriva chez lui quelques jours plus tard et réunit un conseil
spécial avec des dirigeants de l’Église. Il leur
parla de son projet d’acheter des terres au Mexique et annonça
son intention d’éviter d’être capturé
en se cachant. Il avait conseillé aux saints de faire tout ce
qui était en leur pouvoir, hormis par la violence, pour éviter
les poursuites judiciaires. Il allait maintenant en faire autant.
Ce
dimanche-là, John s’adressa publiquement aux saints dans
le tabernacle, en dépit des menaces d’arrestation. Il
rappela à l’assemblée qu’ils avaient
affronté l’oppression avant. Il lui conseilla : «
Remontez le col de votre veste et boutonnez-la pour vous préserver
du froid jusqu’à ce que l’orage soit passé.
Cet orage passera, comme les précédents. »
Ayant
encouragé les saints du mieux qu’il pouvait, il quitta
le tabernacle, grimpa dans une calèche et s’enfonça
dans la nuit.
CHAPITRE
34
: Rien
à craindre des méchants
Le
8 mars 1885, il faisait un soleil magnifique lorsqu’Ida Udall
se réveilla le jour de son vingt-septième anniversaire.
Cependant, aussi heureuse fût-elle d’accueillir une
journée tiède en cette fin d’hiver, Ida savait
qu’elle devait prendre garde si elle sortait. La plupart du
temps, elle devait rester à l’intérieur jusqu’au
coucher du soleil, sinon elle risquait de se faire repérer par
un marshal.
Cela
faisait maintenant huit mois qu’elle avait quitté St
Johns, en Arizona, pour passer dans la « clandestinité
», un terme que les saints commençaient à
utiliser pour décrire le fait de se cacher de la loi. C’est
à cette époque que son mari, David, avait été
mis en examen pour polygamie et avait comparu devant les tribunaux
avec cinq autres saints. Près de quarante hommes avaient
témoigné aux procès et plusieurs avaient porté
de faux témoignages contre les saints. À l’époque,
David avait écrit à Ida : « Il semble qu’il
n’y ait ni loi ni justice pour les mormons en Arizona. »
À
la fin du procès, cinq des six hommes avaient été
reconnus coupables de polygamie. Trois d’entre eux avaient été
condamnés à trois ans et demi de détention dans
un pénitencier de Detroit (Michigan), à trois mille
kilomètres de là. David était le seul à
avoir échappé à la condamnation, mais uniquement
parce que son procès avait été reporté de
six mois, le temps de chercher d’autres témoins contre
lui, dont Ida.
Après
avoir quitté l’Arizona, elle s’était
installée avec le père et la belle-mère de son
mari à Néphi, une ville située à cent
vingt kilomètres au sud de Salt Lake City. Sa famille et ses
amis les plus proches étaient les seuls à savoir où
elle se trouvait.
N’ayant
jusque-là jamais passé de temps avec ses beaux-parents,
elle eut au départ l’impression de vivre avec des
étrangers. Depuis, elle avait appris à les aimer et
s’était liée d’amitié avec ses
nouveaux voisins, notamment d’autres femmes plurales qui se
cachaient pour protéger leurs familles. Elle pouvait
maintenant agrémenter ses longues journées solitaires
en assistant aux réunions de l’Église et en
passant du temps avec ses amis.
Le
jour de son anniversaire, ceux-ci et sa famille organisèrent
une fête en son honneur. Cependant, les personnes les plus
chères à son cœur : ses parents, David et Ella,
la première femme de David, se trouvaient à des
centaines de kilomètres. Cela faisait presque six mois qu’elle
n’avait pas vu son mari. Son absence était d’autant
plus difficile à supporter que leur premier enfant devait
naître dans les semaines à venir.
Peu
après l’anniversaire, Ida reçut un exemplaire
d’un journal d’Arizona. Lorsqu’elle l’ouvrit,
elle eut la stupéfaction de voir un titre annonçant le
décès de sa mère Lois Pratt Hunt. Celle-ci
n’avait que quarante-huit ans et Ida n’était pas
préparée à la perdre.
Ses
amis lui prirent gentiment le journal des mains et restèrent
assis près d’elle jusqu’au crépuscule.
Quelques heures plus tard, les premières contractions se
firent sentir et elle donna naissance à une petite fille aux
yeux bleus, en bonne santé, qu’elle appela Pauline.
Les
semaines qui suivirent furent un mélange de chagrin et de
joie, mais Ida était reconnaissante d’avoir Pauline avec
elle. Elle écrivit dans son journal : « Je suis bénie
d’avoir une chère petite fille à moi. Je remercie
Dieu d’avoir maintenant une raison de vivre et de travailler. »
Ce
printemps-là, au nord de l’Utah, Sagwitch, sa femme
Moyogah, et seize autres Shoshones gravirent la colline qui menait au
temple de Logan. L’édifice avait été
achevé et consacré une année auparavant, un
témoignage de la foi et du dur labeur des saints du nord de
l’Utah et du sud de l’Idaho. Sagwitch et d’autres
saints shoshones comptaient parmi ceux qui avaient travaillé
inlassablement à sa construction.
Les
Shoshones avaient parcouru un long chemin pour arriver au temple.
Douze années s’étaient écoulées
depuis que Sagwitch et plus de deux cents autres Shoshones étaient
devenus membres de l’Église. Ils adoraient dans leur
propre paroisse et dans leur langue. Sagwitch et Moyogah avaient été
scellés dans la maison des dotations et le fils de Sagwitch,
Frank Timbimboo Warner, avait été appelé comme
missionnaire parmi les Shoshones.
Cependant,
l’attaque de leur camp par l’armée américaine
le long de la Bear River hantait encore les survivants et d’autres
épreuves continuaient de les tourmenter. Après être
devenus membres de l’Église, Sagwitch et son peuple
avaient reçu des terres au sud de l’Idaho pour s’y
installer et les cultiver. Toutefois, quelques mois après leur
arrivée, des gens d’une ville voisine, qui n’étaient
pas membres de l’Église, avaient commencé à
craindre que les saints blancs n’incitent les Indiens à
les attaquer. Les habitants de la ville avaient menacé les
Shoshones et les avaient forcés à abandonner leurs
terres, juste au moment où ils commençaient la moisson.
Ils y étaient retournés l’année suivante,
mais des sauterelles et du bétail errant avaient envahi les
champs et mangé leurs récoltes.
Agissant
sous la direction du président Taylor, les dirigeants de
l’Église leur avaient rapidement trouvé des
terres le long de la frontière nord de l’Utah.
Maintenant, leur petite ville, Washakie, regroupait plusieurs foyers,
des corrals, une forge, une coopérative et une école.
Les
exigences liées à leur nouvelle vie n’avaient pas
empêché Sagwitch et son peuple de prendre part aux
travaux du temple. Pendant le peu de temps libre qu’ils
avaient, les hommes de la collectivité se rendaient à
Logan avec des attelages ou en train et aidaient à transporter
les pierres. À d’autres moments, ils préparaient
le mortier qui maintenait les murs du temple ou le mélange
d’enduits qui recouvrait les cloisons intérieures. Au
moment de sa consécration, le nombre d’heures de travail
que les Shoshones avaient passées à la construction de
l’édifice sacré se comptait par milliers.
Sagwitch
prenait de l’âge et ses mains portaient les cicatrices du
massacre de la Bear River, mais lui aussi avait fait sa part. Le
carnage n’était jamais bien loin des pensées de
son peuple. De nombreux survivants calculaient maintenant leur âge
en fonction du nombre d’années écoulées
depuis le terrible événement. Ils ne pouvaient oublier
les parents, frères et sœurs, maris, femmes, enfants et
petits-enfants qu’ils avaient perdus.
Le
jour du massacre, Sagwitch n’avait pas réussi à
empêcher les soldats de tuer son peuple, mais au printemps
1885, d’autres Shoshones et lui passèrent quatre jours
dans le temple à accomplir des ordonnances en faveur de leurs
parents décédés, dont beaucoup avaient été
tués à la Bear River.
En
juin 1885, Joseph Smith III et son frère Alexander vinrent
faire une autre mission en Utah pour l’Église
réorganisée de Jésus-Christ des saints des
derniers jours. Comme les missionnaires précédents de
leur église avaient essayé de le faire, les frères
voulaient convaincre les saints en Utah et ailleurs que Joseph Smith,
le prophète, n’avait jamais pratiqué le mariage
plural.
Parmi
ceux qui remarquèrent leur arrivée il y avait Helen
Whitney, âgée de cinquante-six ans et fille de Heber et
Vilate Kimball. Elle connaissait bien le message des frères
Smith. En fait, un jour, elle avait publié une brochure
intitulée Le mariage plural tel que Joseph Smith, le prophète,
l’a enseigné pour riposter aux affirmations de Joseph
III à propos de son père. Ayant été
elle-même femme plurale de Joseph Smith, elle savait avec
certitude que le prophète avait pratiqué le principe.
Elle
avait quatorze ans lorsque son père le lui avait enseigné
et lui avait demandé si elle voulait être scellée
à Joseph. Elle avait initialement trouvé l’idée
révoltante et avait répondu avec indignation, mais au
fil de la journée, en pensant à ce qu’il y avait
lieu de faire, elle en avait conclu que son père l’aimait
trop pour lui enseigner quoi que ce soit de contraire à la
volonté de Dieu. Elle avait accepté le scellement,
croyant que l’union les exalterait, elle et sa famille, et les
unirait à Joseph Smith dans les éternités.
À
presque tous les points de vue, l’arrangement était peu
conventionnel. Helen était jeune pour être mariée,
même si, aux États-Unis, à cette époque,
certaines femmes de son âge l’étaient déjà.
Comme certaines autres épouses de Joseph, elle ne fut scellée
au prophète que pour l’éternité. Joseph et
elle interagissaient rarement en société et elle
n’indiqua jamais qu’ils aient eu une quelconque intimité
physique. Elle continuait d’habiter chez ses parents et, comme
d’autres femmes plurales, tenait son scellement confidentiel.
Cependant elle avait l’âge où certaines jeunes
filles commençaient à fréquenter, et elle avait
eu du mal à expliquer à ses amis pourquoi elle avait
cessé de participer à certaines rencontres sociales.
À
la mort du prophète, elle avait épousé Horace
Whitney, un fils de Newel et Elizabeth Ann Whitney. Elle avait
dix-sept ans et lui vingt-deux à l’époque, et ils
étaient profondément amoureux. Le jour du mariage, ils
promirent de rester attachés l’un à l’autre
pendant le reste de leur vie et, si possible, dans les éternités.
Cependant, à l’autel du temple de Nauvoo, ils furent
mariés uniquement pour cette vie puisque Helen avait déjà
été scellée à Joseph Smith pour
l’éternité.
Plus
tard, après leur installation en Utah, elle avait consenti aux
mariages d’Horace avec Lucy Bloxham et Mary Cravath. Lucy était
décédée peu après, mais Mary et Helen
habitaient l’une à côté de l’autre et
s’entendaient bien. Helen et Horace furent heureux en ménage
pendant trente-huit ans et elle donna naissance à onze
enfants. Il mourut le 22 novembre 1884 et Helen passa dès lors
une partie de son temps à écrire pour le Deseret News
et le Woman’s Exponent.
Le
mariage plural n’avait jamais été facile pour
elle, mais elle le défendait vigoureusement. Elle écrivit
: « Si je n’avais pas reçu un témoignage
puissant de la part du Seigneur, je ne crois pas que j’aurais
pu m’y soumettre un seul instant. »
Quelques
années après avoir écrit Le mariage plural tel
qu’enseigné par Joseph Smith, le prophète, elle
publia une deuxième brochure intitulée Pourquoi nous
pratiquons le mariage plural, qui répondait aux critiques
courantes à l’encontre du principe. Elle disait à
ses lecteurs : « Il ne peut rien y avoir de mal dans quelque
chose qui incite à la prière, chasse l’égoïsme
du cœur, fait croître la capacité d’aimer,
amenant la personne à faire davantage d’actes de
gentillesse en dehors de son propre petit cercle. »
L’écriture
l’épuisait parfois, mais le salaire payait son
abonnement au journal et couvrait d’autres dépenses. Ses
éditoriaux réprimandaient les persécuteurs de
l’Église qui, d’un côté, défendaient
la liberté, dont la liberté religieuse, et d’un
autre, menaient une campagne impitoyable contre l’Église.
Ses paroles étaient aussi source d’encouragement pour
les saints.
En
août 1885, elle rassura ses lecteurs : « Si ce peuple
fait sa part, les pouvoirs du Tout-Puissant se manifesteront en sa
faveur. Nous n’avons rien à craindre des méchants.
»
Helen
considérait les efforts de Joseph Smith III pour distancer son
père du mariage plural comme une attaque contre la vérité.
Un jour, pendant qu’elle traversait le centre de l’Utah
en train, elle remarqua un homme qui était monté dans
son wagon et s’était assis devant elle. Il ne
ressemblait pas à un membre de l’Église et elle
se demandait s’il s’agissait d’un représentant
du gouvernement qui venait là pour faire appliquer les lois
anti-polygamie. Lorsque l’étranger descendit du train,
elle eut un choc en apprenant qu’il s’agissait de Joseph
Smith III.
Elle
écrivit dans son journal : « Si j’avais su que
c’était lui, je l’aurais critiqué plus
ouvertement et j’aurais tenté de me faire connaître.
»
Helen
avait passé la plus grande partie de sa vie mariée à
Horace, mais elle savait qu’elle avait été
scellée à Joseph Smith, le prophète. Elle ne
comprenait pas toujours clairement ce qu’il adviendrait de ses
relations dans l’au-delà, mais elle avait l’intention
de revendiquer toutes les bénédictions éternelles
que Dieu avait promises à sa famille. Il l’avait
toujours aidée à traverser la fournaise de l’adversité
et elle continuait de croire qu’il arrangerait tout à la
fin.
Elle
écrivit : « J’ai appris depuis longtemps à
m’en remettre en tout à celui qui sait mieux que nous ce
qui nous rendra heureux. »
Quelques
mois après la naissance de sa fille, Ida Udall était de
nouveau sur les chemins. Voyageant sous un nom d’emprunt, elle
restait quelques semaines à la fois chez différents
amis et parents en Utah. Le procès de David était prévu
pour le mois d’août 1885. Du fait que les procureurs
n’arrivaient pas à monter un procès convaincant
contre lui pour polygamie, ils s’étaient rabattus sur de
fausses accusations de parjure que ses ennemis de St Johns avaient
formulées contre lui quelque temps plus tôt.
David
et Ida s’étaient vus pour la dernière fois en mai
1885, deux mois après la naissance de Pauline. Depuis lors,
elle avait reçu une lettre de lui où il exprimait son
regret pour tout ce qu’elle avait enduré à cause
de lui.
Il
écrivit : « J’ai parfois eu le sentiment qu’il
aurait mieux valu que je sois emprisonné que de t’obliger
à porter un autre nom et courir d’un côté
et de l’autre par crainte d’être reconnue. »
Ida
espérait cependant que son sacrifice en vaudrait la peine,
surtout du fait que de nombreuses personnes pensaient que David
serait acquitté. En attendant des nouvelles du procès
en Arizona, elle se consolait en s’occupant de Pauline.
Satisfaire les besoins du bébé était parfois la
seule chose qui la distrayait de l’attente épuisante.
Le
17 août, elle apprit que son mari avait été
reconnu coupable des accusations de parjure et condamné à
trois ans de prison. Elle était consternée, mais elle
espérait au moins pouvoir retourner auprès de sa
famille en Arizona. L’apôtre George Teasdale lui
déconseilla cependant de sortir de la clandestinité. Si
David était gracié lors de son procès peu
convaincant de parjure, ses ennemis tenteraient de nouveau de
l’attaquer pour polygamie.
Ida
suivit le conseil de l’apôtre et ne retourna pas en
Arizona, mais jour après jour, elle fut de plus en plus
pressée d’avoir des nouvelles de son mari en prison. Il
n’avait le droit d’écrire qu’une lettre par
mois à sa famille, par conséquent elle dépendait
d’Ella pour lui en envoyer une copie. Cette dernière
avait ses propres difficultés, surtout lorsque sa cadette,
Mary, décéda en octobre 1885.
Pendant
trois mois, Ida ne reçut aucune lettre de David. Lorsqu’une
liasse de ses lettres arriva enfin, elle découvrit qu’il
avait commencé à utiliser un nom de code pour elle.
Soucieux de ne pas s’incriminer, il l’appelait du nom de
sa mère, Lois Pratt.
Cet
automne-là, pendant qu’il se cachait des marshals au sud
de Salt Lake City, le président Taylor appela Jacob Gates à
faire une autre mission à Hawaï. Cela faisait six ans
qu’il était rentré de sa première mission
sur les îles. À ce moment-là, il avait épousé
Susie Young, qui portait maintenant le surnom de Susa. Ils habitaient
Provo, élevaient ensemble leurs trois enfants et en
attendaient un autre. Bailey, le fils du premier mariage de Susa,
vivait également avec eux. Par contre, sa fille, Leah,
habitait toujours avec la famille de son père au nord de
l’Utah.
L’appel
inattendu en mission de son mari laissa Susa inquiète et
interrogative. La lettre demandait à Jacob de partir pour
Hawaï dans trois semaines à peine, lui laissant peu de
temps pour mettre de l’ordre dans ses affaires
professionnelles. Elle ne précisait pas non plus s’il
pouvait emmener sa famille, comme cela était parfois permis
aux missionnaires.
Susa
voulait l’accompagner avec les enfants, mais elle avait peu
d’espoir. Le lendemain, elle écrivit à sa mère
: « D’après le ton de la lettre, il ne pense pas
qu’on voudra que j’y aille. Je te laisse imaginer ce qui
m’attend pendant les trois prochaines années. »
Jacob
accepta promptement l’appel, mais il demanda au président
Taylor si Susa et les enfants pouvaient l’accompagner. Il
écrivit : « Je préférerais qu’ils
viennent avec moi. » Il rappela au prophète que Susa
était déjà allée à Hawaï et
connaissait bien la région.
Aucune
réponse n’arriva immédiatement et Susa se prépara
à laisser son mari partir seul. Elle apprit que trois autres
missionnaires avaient déjà reçu la permission
d’emmener leur famille à Laie, où l’accès
au logement était limité ; elle ne s’attendait
donc pas à la même bénédiction. Puis,
juste une semaine avant son départ d’Utah, Jacob reçut
une lettre lui accordant la permission d’être accompagné
de sa famille.
Susa
et lui se dépêchèrent de se préparer.
Entre autres choses, ils écrivirent à Alma Dunford,
l’ex-mari de Susa, pour demander si Bailey, âgé de
dix ans, pouvait aller avec eux à Hawaï. Au lieu de
répondre, Alma attendit que la famille soit sur le point de
partir. Il la confronta à la gare de Salt Lake City avec un
agent de police et une ordonnance du tribunal invoquant son droit de
garder Bailey avec lui en Utah.
Ce
dernier avait toujours vécu avec elle, mais à cause de
l’ordonnance, elle n’avait aucun moyen d’empêcher
Alma de l’emmener. Tandis que, le cœur brisé, elle
faisait ses adieux à son fils, le garçon cria et essaya
de retourner auprès d’elle.
Susa
et Jacob partirent peu après pour Hawaï avec leurs autres
enfants. Accablée de chagrin, Susa fut malade pendant le
voyage. Lorsque le navire jeta l’ancre à Honolulu,
Joseph F. Smith, qui vivait en exil sur l’île pour ne pas
être arrêté, leur souhaita la bienvenue. Le
lendemain matin, ils se rendirent à Laie où une foule
de saints les accueillirent avec un dîner et un concert.
Susa
et Jacob s’établirent rapidement à Laie. Susa
admirait les beaux paysages qui l’entouraient, mais elle avait
du mal à s’adapter aux logements missionnaires qui
étaient infestés de vermine. Dans un article
humoristique pour le Woman’s Exponent, elle écrivit : «
Si, pour quelque raison que ce soit, je me sens un peu seule, j’ai
plein de compagnies : des souris, des rats, des scorpions, des
mille-pattes, des cafards, des puces, des moustiques, des lézards
et des millions de fourmis. »
C’était
surtout l’Utah qui lui manquait. Toutefois, quelques mois après
son arrivée, elle reçut une lettre de Bailey. Il
écrivait : « J’aurais aimé que tu restes
ici. Je pense à toi dans mes prières. »
Susa
pouvait au moins trouver du réconfort dans ces prières.
Lorsque
John Taylor alla se cacher au début de l’année
1885, il rejoignit George Q. Cannon qui était entré
dans la clandestinité quelques semaines auparavant. Pour
l’instant, ils avaient trouvé refuge chez quelques
saints fidèles dans et autour de Salt Lake City, déménageant
chaque fois que des voisins commençaient à se montrer
méfiants ou que John se sentait mal à l’aise. Du
fait d’une traque continuelle de la police, ils ne pouvaient
jamais baisser leur garde.
N’étant
pas en mesure de rencontrer les saints en personne, la Première
Présidence essayait de gérer les affaires de l’Église
par courrier. Lorsque certaines ne pouvaient être réglées
de cette manière, elle se réunissait en secret avec
d’autres dirigeants de l’Église à Salt Lake
City. Chaque voyage en ville était dangereux. Aucun dirigeant
de l’Église qui pratiquait le mariage plural n’était
en sécurité.
En
novembre, des agents fédéraux arrêtèrent
l’apôtre Lorenzo Snow, qui avait soixante et onze ans et
une santé fragile. Avant son arrestation, Lorenzo avait décidé
de vivre avec uniquement l’une de ses familles pour éviter
d’être accusé de cohabitation illégale,
mais l’un des juges impliqués dans l’affaire avait
dit qu’il devait cesser totalement d’être un mari
pour ses femmes. Lorenzo avait déclaré : « Je
préférerais mourir de mille fois plutôt que de
renoncer à mes femmes et violer ces obligations sacrées.
»
En
janvier 1886, le juge condamna Lorenzo à dix-huit mois de
prison pour trois inculpations de cohabitation illégale. Le
mois suivant, le capitaine Elwin Ireland et plusieurs agents firent
une descente dans la ferme de George Q. Cannon et signifièrent
des citations à comparaître aux membres de la famille
qui y habitaient. Ireland offrit ensuite une récompense de
cinq cents dollars pour l’arrestation de George.
Lorsque
ce dernier fut informé de la récompense, il sut qu’une
meute de « limiers humains » allait le prendre en chasse.
Désireux de ne pas mettre le prophète en danger, il
décida de se séparer de lui pendant un temps. John
accepta et lui conseilla d’aller au Mexique. Quelques jours
plus tard, George se rasa la barbe et monta à bord d’un
train, espérant se glisser hors d’Utah incognito.
Néanmoins,
d’une manière ou d’une autre, le bruit courut
qu’il avait quitté la ville et un shérif monta à
bord du train et l’arrêta. Le marshal Ireland arriva
ensuite pour l’escorter jusqu’à Salt Lake City.
Pendant
que le train avançait dans un bruit de ferraille, un membre de
l’Église s’approcha de George et lui chuchota
qu’un groupe de saints avait l’intention de le secourir
avant que le train n’atteigne la ville. George se leva et se
dirigea vers la plate-forme extérieure d’un wagon. Il ne
voulait pas que qui que ce soit fût arrêté ou tué
à cause de lui.
En
regardant le paysage hivernal, il envisagea l’idée de
sauter du train. Mais le désert de l’ouest était
un lieu désolé. S’il sautait au mauvais moment,
il risquait de se retrouver à des kilomètres de la
ville la plus proche. Parcourir ce pays désolé à
pied pouvait s’avérer mortel, surtout pour quelqu’un
qui approchait des soixante ans.
Soudain,
le train fit une embardée, faisant basculer George par-dessus
bord. Sa tête et son côté gauche heurtèrent
violemment le sol tandis que le train avançait péniblement,
disparaissant dans la grisaille lointaine et froide.
Allongé
à demi conscient sur la terre gelée, George sentit la
douleur lui vriller la tête et le corps. Il avait l’arête
du nez fracturée et déplacée sur un côté.
Son visage et ses vêtements étaient recouverts de sang à
cause d’une entaille à l’arcade sourcilière
ouverte jusqu’au crâne.
Se
relevant, il commença à marcher lentement le long de la
voie. Bientôt, il vit un adjoint venir à sa rencontre.
Le marshal Ireland avait remarqué sa disparition et ordonné
l’arrêt du train. George alla en boitant jusqu’au
policier qui l’escorta jusqu’à une localité
voisine.
De
là, il envoya un télégramme demandant qu’aucun
saint ne se mêle de son arrestation. Il était maintenant
entre les mains du Seigneur.
CHAPITRE
35
: Un
jour d’épreuve
Une
grande foule attendait sur le quai de la gare de Salt Lake City
lorsque George Q. Cannon et ses ravisseurs arrivèrent le 17
février 1886. Le capitaine Ireland escorta George hors du
train jusqu’à un bureau en ville où une autre
foule s’était rassemblée pour témoigner sa
sympathie au prisonnier meurtri. À l’intérieur,
le capitaine donna un matelas à George et le laissa se reposer
en attendant l’arrivée de son avocat et d’autres
visiteurs.
Son
procès était prévu pour le 17 mars et un juge le
libéra sous caution pour un montant de quarante-cinq mille
dollars. Entre-temps, un grand jury commença à
interroger ses femmes et ses enfants afin de rassembler des preuves
qu’il avait enfreint la loi Edmunds.
Lorsqu’il
fut informé de l’agressivité de l’interrogatoire,
George déclara : « Ces hommes sont dénués
de toute compassion humaine. Ils sont aussi impitoyables que les
pirates les plus dépravés et les plus mauvais. »
Après
sa libération, George retrouva en secret le président
Taylor. Il avait presque déjà décidé
d’aller en prison, mais il avait prié afin que le
prophète puisse connaître la volonté du Seigneur
à son sujet. Lors de leur rencontre, George expliqua sa
situation et le président Taylor convint qu’il devait se
soumettre à la loi. S’il ne comparaissait pas en
justice, il perdrait la caution de quarante-cinq mille dollars que
ses amis avaient généreusement accepté de payer
pour lui.
Ce
soir-là, cependant, le Seigneur révéla au
président Taylor que son premier conseiller devait retourner
se cacher. La révélation lui parvint comme un éclair
et immédiatement après, le prophète s’agenouilla
à côté de son lit pour offrir une prière
de reconnaissance. Quelques années auparavant, le Seigneur
l’avait inspiré à investir de l’argent de
l’Église qui ne provenait pas de la dîme dans une
compagnie minière afin de créer un fonds spécial
pour l’Église. Le président Taylor pensait que la
réserve devait être utilisée pour rembourser les
hommes qui avaient payé la caution de George.
Ce
dernier estima que la révélation était la
réponse à ses prières. Le président
Taylor et lui la soumirent aux quatre apôtres qui étaient
en ville et ils approuvèrent l’exécution du
projet.
George
se demandait néanmoins si c’était convenable de
sa part de retourner dans la clandestinité quand d’autres
hommes étaient allés en prison pour leurs convictions.
Il ne voulait pas être considéré comme un lâche
par qui que ce soit dans ou hors de l’Église. Néanmoins,
il connaissait maintenant la volonté du Seigneur à son
égard et il décida de lui faire confiance.
Il
écrivit dans son journal : « Si Dieu me dicte une marche
à suivre, je désire la suivre et laisser le résultat
entre ses mains. »
Aux
alentours de l’époque où George Q. Cannon
retourna se cacher, Emmeline Wells faisait de nouveau le voyage
jusqu’à Washington pour traiter des affaires de
l’Église. Sept années s’étaient
écoulées depuis sa rencontre avec le président
Rutherford Hayes et sa femme, Lucy. Depuis lors, l’opposition
contre l’Église n’avait fait qu’augmenter,
surtout maintenant que le Congrès essayait de réformer
la loi Edmunds en y ajoutant une mesure législative encore
plus dure, qui allait devenir la loi Edmunds-Tucker.
Celle-ci
cherchait, entre autres, à déposséder les femmes
d’Utah de leur droit de vote et Emmeline estimait qu’elle
se devait de la dénoncer. Elle espérait pouvoir
persuader des gens raisonnables (surtout ses alliés dans la
lutte pour les droits des femmes) de voir l’injustice de la
mesure.
À
Washington, elle parla à des législateurs et à
des militants favorables à sa cause. Certains s’indignèrent
de ce que les femmes d’Utah puissent perdre leur droit de vote.
D’autres désapprouvèrent la partie de la loi qui
permettait au gouvernement de confisquer les biens privés des
saints. En revanche, l’opposition au mariage plural
refroidissait l’enthousiasme de tous, même de ceux
qu’Emmeline appelait ses amis.
Après
plusieurs semaines passées à Washington, elle prit un
train pour l’Ouest, croyant avoir fait tout ce qu’elle
pouvait pour les saints. Pendant le trajet, elle apprit que deux
mille femmes s’étaient attroupées dans le théâtre
de Salt Lake City pour protester contre la façon dont le
gouvernement traitait les familles plurales. Lors de la réunion,
Mary Isabella Horne avait demandé aux femmes de protester
contre l’injustice. Elle demanda : « Devons-nous, femmes
de l’Église de Jésus-Christ des saints des
derniers jours, nous soumettre encore aux insultes et aux mauvais
traitements sans élever la voix ? »
Emmeline
était enthousiaste devant la force de ses sœurs dans
l’Évangile et il lui tardait de les retrouver, mais en
route, elle reçut un télégramme du président
Taylor lui demandant de retourner à Washington. Un comité
de saintes des derniers jours avait rédigé des
résolutions demandant aux dirigeants de la nation de cesser
leur croisade à l’encontre des saints. Les résolutions
imploraient également les épouses et mères de
tous les États-Unis de venir en aide aux femmes d’Utah.
Le prophète voulait qu’Emmeline présente les
résolutions à Grover Cleveland, président des
États-Unis. Ellen Ferguson, sainte des derniers jours, médecin
et chirurgienne à Salt Lake City, allait se joindre à
elle.
À
peine quelques jours plus tard, Emmeline était de retour à
Washington. Ellen et elle rencontrèrent le président
Cleveland dans la bibliothèque de la Maison-Blanche. Il
n’était pas aussi intimidant que ce à quoi elles
s’attendaient, mais elles savaient qu’il serait difficile
de le persuader de soutenir leur cause. Un an auparavant, il avait
rencontré une délégation de saints des derniers
jours d’Utah et leur avait dit : « Ne pourriez-vous pas,
vous autres là-bas être comme tout le monde ? »
Le
président écouta attentivement Emmeline et Ellen et
promit d’examiner sérieusement leurs résolutions.
Il avait beau sembler favorable à leur cause, il ne l’était
pas assez pour prendre le risque d’offenser les législateurs
opposés à la polygamie.
Peu
de temps après, Emmeline écrivit dans le Woman’s
Exponent : « Tout ce qui peut être fait ici pour
présenter les faits et chercher à éliminer les
préjugés n’est qu’une goutte d’eau
dans l’océan de l’opinion publique. Nous ne devons
cependant pas nous lasser de faire le bien, même si les
possibilités semblent maigres et l’hostilité
forte. »
Entre-temps,
dans la vallée de Sanpete (Utah), les marshals avaient
commencé à arrêter les saints polygames à
Ephraim, à Manti et dans les villes avoisinantes. En tant que
présidente de la Primaire de la paroisse d’Ephraim Sud,
Augusta Dorius Stevens avait appris aux enfants comment réagir
si des marshals essayaient de les interroger. Les enfants peu
méfiants étaient souvent des sources de renseignements
faciles. Il leur fallait donc apprendre comment reconnaître les
marshals et créer la confusion pour égarer les
enquêtes.
Plus
de trente années s’étaient écoulées
depuis qu’Augusta avait quitté sa famille à
Copenhague (Danemark) pour venir en Utah. Elle avait quatorze ans à
l’époque. Sa mère détestait l’Église
à ce moment-là et venait juste de divorcer de son père.
Si quelqu’un lui avait dit qu’un jour sa famille serait
de nouveau réunie en Sion, avec ses parents scellés par
procuration au temple, elle ne l’aurait probablement pas cru.
C’est
pourtant exactement ce qui était arrivé et, dans la
vallée de Sanpete, la famille Dorius comptait un nombre
considérable de personnes. Le père d’Augusta et
la plupart de ses frères et sœurs étaient décédés
depuis longtemps, mais sa mère, Ane Sophie, était
maintenant une septuagénaire très fière des
enfants dont l’appartenance à l’Église lui
avait fait honte autrefois. Carl et Johan, les frères
d’Augusta, avaient chacun une grande famille plurale à
laquelle année après année s’ajoutaient
d’autres enfants et petits-enfants. Lewis, son demi-frère,
le fils d’Hannah, seconde épouse de son père,
avait aussi une grande famille plurale. Julia, sa demi-sœur,
que sa mère avait adoptée au Danemark, était
également mariée et élevait ses enfants dans la
vallée.
Le
mariage plural des frères Dorius leur faisait courir le risque
d’être arrêtés ; par contre Henry, le mari
d’Augusta, était en sécurité. Sa première
épouse était décédée en 1864 et
depuis, Augusta et lui ne le pratiquaient plus. Ils avaient eu huit
enfants ensemble, dont cinq encore vivants. Aucun de leurs enfants
mariés ne le pratiquaient non plus.
Du
fait de son emploi de sage-femme et infirmière, Augusta
restait quand même une personne intéressante pour les
policiers. Conscients de la nécessité de fournir de
meilleurs soins médicaux parmi les saints, Brigham Young et
Eliza Snow avaient commencé, dans les années 1870, à
inciter les saintes des derniers jours à faire des études
de médecine. Augusta était devenue sage-femme en 1876,
après avoir reçu une formation en Utah. Avec
l’encouragement des dirigeants de l’Église et de
la Société de secours, d’autres femmes avaient
fréquenté des facultés de médecine dans
l’Est des États-Unis. Certaines d’entre elles
avaient également aidé la Société de
secours à fonder le Deseret Hospital à Salt Lake City
en 1882.
Aux
yeux des policiers, les enfants étaient des preuves de
cohabitation illégale, sinon de mariage plural, et les
sages-femmes comme Augusta pouvaient servir de témoins au
tribunal. Celle-ci continuait malgré tout d’aider les
femmes à accoucher et de rendre visite aux malades, allant de
porte en porte avec le sourire, et une sacoche noire à la
main.
À
la Primaire, elle rappelait souvent aux enfants combien ils étaient
bénis de grandir en Sion en dépit des dangers actuels.
Les réunions de la Primaire leur offraient un endroit sûr
où apprendre l’Évangile. Augusta leur apprenait à
être gentils avec les personnes âgées et les
personnes handicapées. Elle les encourageait à être
polis et à faire leur possible pour prendre part aux
bénédictions du temple.
Comme
d’autres dirigeants de l’Église, elle soulignait
également l’importance de prendre chaque semaine la
Sainte-Cène dignement, ce que les enfants faisaient à
l’École du dimanche. Elle leur enseignait ce qui suit :
« Nous ne devons pas prendre la Sainte-Cène si nous
avons de mauvais sentiments dans le cœur à l’égard
de nos compagnons de jeu ou de qui que ce soit. Nous devons être
adonnés à la prière et avoir l’Esprit de
Dieu afin de nous aimer les uns les autres. Si nous détestons
notre camarade ou notre frère ou notre sœur, nous ne
pouvons pas aimer Dieu. »
Elle
rappelait aussi aux enfants de la Primaire de ne pas oublier les
personnes qui étaient harcelées par les marshals. Elle
dit : « C’est un jour d’épreuve et nous
devons nous souvenir de prier humblement pour nos frères en
prison et pour tous les saints. »
Cet
hiver-là, alors qu’elle vivait dans la clandestinité
en Utah, Ida Udall reçut un télégramme de son
mari, David. Le président Cleveland l’avait gracié
et il rentrait à la maison.
Elle
fut au comble de la joie pour lui, mais peinée de ne pouvoir
le retrouver à St Johns (Arizona). Elle se lamenta dans son
journal : « Combien je me sens seule et nostalgique à la
pensée de ne pouvoir me joindre à aucune des
réjouissances qui doivent accueillir le retour de mon propre
mari ! »
Elle
continua de vivre à Néphi, luttant souvent contre la
solitude et la frustration causées par son exil. En septembre
1886, alors que David avait dû retarder une visite attendue
depuis longtemps, elle lui écrivit une lettre pleine de colère
et la posta avant d’avoir le temps de changer d’avis.
Plus
tard, elle fulmina dans son journal : « Je lui ai dit de ne pas
se donner la peine de venir pour moi. Je trouve que cela fait
suffisamment longtemps que je prends des risques pour quelqu’un
qui n’en a rien à faire de moi. »
Peu
après, allongée éveillée dans son lit,
Ida pleurait, regrettant d’avoir envoyé la lettre. Puis,
par un message de sa belle-sœur, elle apprit que David priait
pour son bien-être et celui de Pauline. Elle fut touchée
en pensant qu’il priait pour elle et leur fille et elle lui
écrivit à nouveau, cette fois pour lui demander de
l’excuser pour sa lettre pleine de colère.
Elle
reçut rapidement une réponse de sa part lui assurant
qu’il était son « mari aimant et dévoué
» suivie d’une autre, plus longue, remplie de paroles
d’espérance, d’amour et de contrition. Il
implorait : « Pardonne tous mes gestes, mes paroles et mes
pensées peu gentilles et ma négligence apparente. J’ai
un témoignage que le jour de la délivrance est imminent
et que nous aurons de la joie sur terre. »
En
décembre, l’accusation de polygamie menaçant
David fut rejetée, ce qui permit à Ida de revenir en
Arizona. Il vint à Néphi en mars 1887 pour ramener
Pauline et elle juste à temps pour le deuxième
anniversaire de la fillette. Ne connaissant pas son père, elle
réagissait violemment chaque fois qu’il tentait
d’étreindre Ida. Elle mit sa mère en garde : «
Ne le laisse pas te toucher ! »
Le
voyage de la famille jusqu’en Arizona dura trois semaines. Ida
n’avait jamais passé autant de temps seule avec son mari
au cours des cinq années de leur union.
Un
an après avoir accompagné son mari dans le champ de la
mission, Susa Gates s’était habituée à son
foyer à Hawaï. Jacob exerçait le métier de
raffineur de sucre, transformant la récolte de cannes à
sucre de la colonie en un produit que l’on pouvait vendre. Susa
faisait de son mieux pour répondre aux exigences de la vie
domestique. Elle était de nouveau enceinte et en plus de faire
la lessive et de préparer les repas, elle confectionnait des
chemises pour Jacob, des robes vichy pour Lucy, leur fille de six
ans, des chemises et des pantalons pour Jay et Karl, respectivement
âgés de quatre et trois ans, et de nouveaux bavoirs pour
bébé Joseph. Elle était souvent fatiguée
en fin de journée, mais trouvait toujours le temps d’écrire
et de soumettre des articles à des journaux d’Utah et de
Californie.
Un
matin de février 1887, le petit Jay se réveilla avec de
la fièvre et se mit à tousser. Au début, Susa et
Jacob pensèrent qu’il avait pris froid, mais les
symptômes s’aggravèrent au fil de la semaine
suivante. Ils firent de leur mieux pour prendre soin de lui et
appelèrent Joseph F. Smith et d’autres frères
pour lui donner une bénédiction. Susa fut émerveillée
par la foi exercée en faveur de son fils. Néanmoins,
l’état de Jay ne s’améliora pas.
Le
soir du 22 février, elle resta avec lui, lui massant le ventre
avec de l’huile pour soulager sa souffrance. Il avait la
respiration laborieuse et haletante. Il lui dit : « Ne me
laisse pas ce soir, Maman. Reste ce soir. »
Elle
promit de le faire, mais après minuit, Jacob l’incita à
prendre du repos pendant qu’il veillait sur leur fils. Jay
avait l’air profondément endormi. Elle partit donc se
coucher, ne voulant pas croire que son petit garçon pouvait
mourir. Il était en mission avec sa famille, se disait-elle,
et les gens ne mouraient pas en mission.
Jay
se réveilla plus tard et murmura « Maman » maintes
et maintes fois tout au long de la nuit. Au matin, il avait l’air
encore plus mal et la famille fit appeler Joseph F. et Julina Smith.
Les Smith passèrent le reste de la journée avec la
famille Gates. La santé de Jay continua de décliner et
cet après-midi-là, il s’endormit paisiblement et
décéda peu avant quatorze heures.
Le
chagrin de Susa était inexprimable, mais son deuil avait à
peine commencé que Karl contracta la même maladie. Quand
son état empira, les saints des environs de Laie jeûnèrent
et prièrent, mais rien n’y fit. La famille fut mise en
quarantaine pour enrayer la contagion et Karl mourut peu après.
De
nombreuses familles vinrent en aide à Susa et Jacob, mais
Joseph F. et Julina Smith furent continuellement à leurs
côtés. Ils avaient perdu leur fille aînée,
Josephine, lorsqu’elle avait environ l’âge des
garçons, et ils comprenaient l’angoisse de leurs amis.
Lorsque les garçons moururent, Joseph était présent
à leur chevet. Julina lava les corps, confectionna leurs
vêtements funéraires et les habilla pour la dernière
fois.
Les
jours suivants, Jacob pleura ses fils, mais Susa était trop
choquée pour pleurer. Elle craignait que ses autres enfants
n’attrapent la maladie. Depuis le décès de Karl,
elle n’avait senti aucun mouvement du bébé dans
son ventre. Jay avait vu l’enfant en rêve juste avant de
mourir, mais Susa se demandait s’il était encore en vie.
Puis,
un jour, elle sentit une légère palpitation, un petit
signe de vie. Elle écrivit à sa mère : «
Un très faible mouvement me réconforte en me laissant
espérer qu’il reste encore de la vie sous mon cœur
attristé. » Elle ne comprenait pas pourquoi ses fils
étaient morts, mais elle puisait de la force dans la
connaissance que Dieu veillait sur elle.
Elle
écrivit à sa mère : « Avec tout cela, nous
savons que Dieu gouverne dans les cieux. Dieu m’a bénie
et m’a aidée à porter mes fardeaux. Que son nom
soit loué à jamais ! »
Début
1887, le Congrès vota la loi Edmunds-Tucker. Cette nouvelle
loi donnait aux tribunaux encore plus de pouvoir pour poursuivre et
punir les familles plurales. Les femmes du territoire perdirent leur
droit de vote et les enfants nés de mariages pluraux furent
dépouillés de leurs droits de succession. Il fut requis
des futurs électeurs, jurés et représentants du
gouvernement, de prêter un serment anti-polygamie. L’Église
et le fonds perpétuel d’émigration cessèrent
d’exister en tant qu’entités légales et le
gouvernement reçut l’autorité de confisquer
certains biens de l’Église estimés à une
valeur supérieure à cinquante mille dollars.
John
Taylor, George Q. Cannon et d’autres dirigeants de l’Église
s’efforçaient de garder une longueur d’avance sur
les policiers. De plus en plus de saints se réfugiaient dans
de petites colonies de l’Église à Chihuahua, au
Mexique, notamment la colonie Díaz et la colonie Juárez.
D’autres saints avaient fondé une colonie au Canada
appelée Cardston. Ces femmes et ces hommes étaient
disposés à déménager à des
centaines de kilomètres dans des endroits isolés hors
des États-Unis pour protéger leurs familles, respecter
les commandements de Dieu et honorer leurs alliances sacrées
du temple.
Ce
printemps-là, la santé de John Taylor déclina
sensiblement et George commença à s’inquiéter
du bien-être du prophète. Toujours cachés, les
deux hommes avaient passé les six derniers mois avec une
famille dans une ferme isolée de Kaysville, à environ
trente kilomètres au nord de Salt Lake City. Dernièrement,
John souffrait de douleurs thoraciques, d’essoufflement et
d’insomnie. Sa mémoire commençait à
défaillir et il avait du mal à se concentrer. George le
poussa à consulter un médecin, mais à part
quelques infusions, John ne voulait prendre aucun médicament.
Le
24 mars, il ne se sentit pas assez bien pour s’occuper des
affaires de l’Église et il demanda à George de le
faire. D’autres questions furent soulevées et John
demanda à George de les résoudre. Lorsqu’un
message arriva demandant conseil sur une importante question
politique, John demanda à George de se rendre à Salt
Lake City pour la traiter.
Les
pensées de George se tournaient souvent vers Joseph F. Smith,
qui était toujours en exil à Hawaï. L’automne
précédent, il lui avait écrit pour lui parler
des difficultés que John et lui rencontraient. Il avait dit :
« Je ne peux pas te dire le nombre de fois où j’ai
souhaité que tu sois là. J’ai l’impression
que la Première Présidence ressemble à un oiseau
à qui il manque une aile. »
Plus
récemment, il l’avait informé de la mauvaise
santé de John. Il avait noté dans une lettre : «
Comme tu le sais, il est d’une volonté indomptable. »
Cependant, le prophète n’était plus un jeune
homme et son corps ralentissait. George avait promis à Joseph
que si son état empirait, il le ferait venir.
Le
moment était maintenant arrivé. Il savait que ce serait
risqué de le faire rentrer au pays, mais il lui envoya tout de
même un message, le priant de revenir en Utah.
Il
écrivit : « J’ai pris cette décision sans
en parler à personne de crainte d’inquiéter
inutilement ou de te mettre en danger. Je ne peux que te recommander
la plus grande prudence. »
George
commença la matinée du 18 juillet en signant des
recommandations pour entrer dans le temple, une tâche
normalement réservée au président de l’Église.
À présent, John Taylor quittait rarement sa chambre et
avait à peine la force de parler. Le fardeau entier des
responsabilités de la Première Présidence
reposait sur George.
Plus
tard cet après-midi-là, un chariot bâché
approcha de la maison à Kaysville. Lorsqu’il s’arrêta,
une silhouette familière en émergea et un immense
soulagement et une joie débordante envahirent George lorsqu’il
reconnut Joseph F. Smith. Il le conduisit à l’intérieur
pour voir le prophète et ils le trouvèrent assis sur un
fauteuil dans sa chambre, à peine conscient. Joseph prit la
main de John et lui parla. Ce dernier sembla reconnaître son
conseiller.
George
lui dit : « C’est la première fois que la Première
Présidence est réunie depuis deux ans et huit mois. Que
ressens-tu ? »
John
murmura : « Le désir de remercier le Seigneur. »
La
semaine suivante, son état empira. Un soir, George et Joseph
s’occupaient des affaires de l’Église lorsqu’ils
furent soudain appelés dans la chambre de John. Il était
allongé, immobile, et respirait faiblement. Quelques minutes
plus tard, sa respiration cessa totalement. Cela se produisit
tellement paisiblement que George pensa à un bébé
en train de s’endormir.
Pour
lui, perdre John était comme perdre son meilleur ami. Il avait
été un père pour lui. Ils n’avaient pas
toujours été du même avis, mais il le considérait
comme l’un des hommes des plus nobles qu’il avait connus.
Il pensa aux retrouvailles de la Première Présidence à
peine une semaine auparavant et voilà qu’ils étaient
de nouveau séparés.
George
et Joseph commencèrent rapidement à prendre des
dispositions pour informer les apôtres. George avait déjà
parlé de la santé déclinante du prophète
dans une lettre adressée à Wilford Woodruff, le
président du Collège des Douze, et ce dernier faisait
lentement route de St George à Salt Lake City, en prenant soin
d’éviter les marshals. La plupart des autres apôtres
étaient encore dans la clandestinité.
En
leur absence, George savait qu’il se trouvait dans une position
délicate. Le président de l’Église étant
décédé, Joseph et lui ne pouvaient plus agir en
qualité de membres de la Première Présidence.
Pourtant, l’Église était toujours confrontée
à de graves dangers et avait besoin d’être
dirigée. S’il continuait de s’occuper des affaires
de l’Église indépendamment des Douze, il risquait
de leur déplaire. Mais quel choix lui restait-il ? Le Collège
était dispersé et certaines affaires ne pouvaient tout
simplement pas être reportées ni ignorées.
Il
savait également que Joseph et lui devaient agir rapidement.
Si la nouvelle de la mort de John s’ébruitait trop vite,
les marshals risquaient d’apprendre où ils se trouvaient
et de venir les chercher. Ils n’étaient plus en
sécurité.
George
annonça : « Nous devons lever le camp et partir d’ici
dès que possible. »
QUATRIÈME
PARTIE : Un
temple de Dieu (juillet
1887 - mai 1893)
CHAPITRE
36
: Les
choses faibles du monde
Le
29 juillet 1887, Wilford Woodruff était debout à la
fenêtre du bureau du président de l’Église
à Salt Lake City avec George Q Cannon et Joseph F. Smith. Ils
regardaient ensemble le cortège funèbre de John Taylor
traverser lentement la ville. Une multitude de personnes
s’attroupaient le long des rues où passaient plus d’une
centaine de calèches, carrioles et chariots. Emmeline Wells
exprima ce que de nombreux saints ressentaient lorsqu’elle
écrivit que le président Taylor « était un
dirigeant sur lequel le peuple avait toujours pu compter et dont il
pouvait à juste titre être fier ».
Seules
les menaces d’arrestation empêchaient Wilford et les deux
autres apôtres de sortir rendre hommage à leur ami et
prophète. Comme la plupart des membres de son collège,
Wilford se montrait rarement en public afin d’éviter
d’être arrêté pour polygamie ou cohabitation
illégale. En 1885, lorsque sa femme, Phebe, était
décédée, il été allé à
son chevet. Cependant, trois jours plus tard, il n’avait pas
assisté à ses obsèques, craignant d’être
capturé. Maintenant, étant le président du
Collège des Douze et le dirigeant le plus ancien de l’Église,
il constituait une cible de choix pour les marshals.
Wilford
n’avait jamais aspiré à diriger l’Église.
Lorsqu’il avait appris la nouvelle du décès de
John, le poids des responsabilités avait pesé
lourdement sur ses épaules. Il avait prié : «
Merveilleuses sont tes voies, ô Seigneur Dieu Tout-Puissant,
car tu as assurément choisi les choses faibles du monde pour
accomplir ton œuvre ici-bas. »
Quelques
jours après les funérailles, il réunit les Douze
pour discuter de l’avenir de l’Église. Comme cela
avait été le cas après la mort de Joseph Smith
et de Brigham Young, le collège n’organisa pas
immédiatement la nouvelle Première Présidence.
Au contraire, dans une déclaration, Wilford réaffirma
qu’en l’absence d’une Première Présidence,
les douze apôtres avaient l’autorité de diriger
l’Église.
Les
quelques mois suivants, ceux-ci accomplirent bien des choses sous la
direction de Wilford. Le temple de Manti était presque prêt
à être consacré, mais celui de Salt Lake City,
plus grand et plus ambitieux, était encore loin d’être
terminé. Les plans originaux prévoyaient deux grandes
salles de réunion aux étages supérieur et
inférieur du bâtiment. Toutefois, pendant sa
clandestinité, John Taylor avait réfléchi à
une alternative qui éliminerait la salle de réunion du
bas et libérerait beaucoup d’espace pour des salles de
dotation. Maintenant, Wilford et les Douze consultaient des
entrepreneurs sur la meilleure manière d’exécuter
le projet. Ils approuvèrent également la proposition de
terminer les six tours du temple en granit et non en bois comme cela
était prévu à l’origine.
Wilford
et d’autres dirigeants de l’Église se préparaient
discrètement à faire une nouvelle tentative d’obtenir
pour l’Utah le statut d’État. Puisque ces trois
dernières années, les saints n’avaient pas eu de
conférence générale à Salt Lake City du
fait des efforts déployés pour arrêter les
dirigeants de l’Église, les Douze négocièrent
également avec les marshals locaux pour permettre à
Wilford et aux apôtres, qui n’avaient pas été
accusés de polygamie ni de cohabitation illégale, de
sortir de la clandestinité et d’en organiser une dans la
ville.
Lorsque
les apôtres se réunirent, Wilford remarqua que des
discordes commençaient à poindre. Plusieurs nouveaux
apôtres avaient été appelés au collège
depuis le décès de Brigham Young une décennie
auparavant, notamment Moses Thatcher, Francis Lyman, Heber Grant et
John W. Taylor. Chacun d’eux semblait maintenant avoir
d’importantes réserves à l’égard de
George Q Cannon. Ils trouvaient qu’il avait pris de piètres
décisions en tant qu’homme d’affaires, politicien
et dirigeant de l’Église.
Ils
étaient préoccupés, entre autres, par la mesure
disciplinaire récente qu’il avait prise à
l’encontre de son fils, dirigeant éminent de l’Église,
qui avait commis l’adultère. Ils n’aimaient pas
non plus le fait qu’il ait pris seul des décisions pour
l’Église pendant la fin de la maladie de John Taylor. Il
leur déplaisait aussi de le voir donner des conseils à
Wilford sur la gestion des affaires de l’Église alors
que la Première Présidence était dissoute et
qu’il avait repris sa place parmi les Douze. Dans l’esprit
des jeunes apôtres, George pensait avant tout à lui-même
et les excluait des décisions à prendre.
De
son côté, George trouvait qu’on le jugeait mal. Il
admettait avoir commis de petites erreurs de temps à autre,
mais les accusations portées contre lui étaient fausses
ou fondées sur des renseignements incomplets. Wilford
comprenait la pression immense qui avait pesé sur lui ces
quelques dernières années et il continuait de lui
manifester sa confiance et de compter sur sa sagesse et son
expérience.
Le
5 octobre, la veille de la conférence générale,
Wilford réunit les apôtres dans un effort de
réconciliation. Il dit : « De tous les hommes sous les
cieux, c’est nous qui devrions être les plus unis. »
Ensuite, il écouta pendant des heures les plus jeunes apôtres
formuler leurs griefs. Lorsqu’ils eurent terminé,
Wilford parla de Joseph Smith, Brigham Young et John Taylor qu’il
avait bien connus et avec qui il avait étroitement collaboré.
Aussi grands qu’aient été ces hommes, il avait vu
chez eux des imperfections, mais ils n’avaient pas de comptes à
lui rendre. C’est à Dieu, leur juge, qu’ils
avaient des comptes à rendre.
Il
dit : « Nous devons faire preuve de considération à
l’égard de frère Cannon. Il a ses faiblesses.
S’il n’en avait pas, il ne serait pas avec nous. »
George
ajouta : « Si je vous ai blessés, je vous demande
humblement pardon. »
La
réunion prit fin après minuit, à quelques heures
seulement de la prière d’ouverture de la conférence
générale. Bien que George eût demandé
pardon, Moses Thatcher et Heber Grant pensaient toujours qu’il
n’avait pas assumé convenablement ses erreurs et ils
dirent aux frères qu’ils ne se sentaient pas encore
réconciliés.
Dans
son journal, Wilford décrivit la soirée en trois mots :
« Ce fut pénible. »
Vers
cette époque-là, Samuela Manoa manœuvrait son
canoë sur l’eau turquoise du port de Pago-Pago. Derrière
lui, les monts escarpés de Tutuila, une île des Samoa,
se dressaient vers le ciel. Droit devant, un grand voilier attendait
à l’entrée du port qu’un marin de la région
vienne guider le bateau à travers les récifs.
Habitant
l’île voisine de Aunu‘u, Samuela connaissait bien
le port. Lorsque son canoë atteignit enfin le voilier en
attente, il offrit son aide au capitaine. Ce dernier jeta une échelle
de corde par-dessus bord et lui souhaita la bienvenue.
Il
suivit le capitaine jusqu’à son bureau sur le pont
inférieur. Il était tôt et le capitaine se
demandait si Samuela aimerait se faire cuire du jambon et des œufs
avant de se frayer un chemin à travers le port. Celui-ci le
remercia et on lui donna de vieux journaux pour allumer le feu pour
cuisiner.
Samuela
lisait un peu l’anglais et vit que l’un des journaux
venait de Californie. Alors qu’il allait mettre le journal au
feu, un titre se détacha dans la lumière vacillante.
C’était l’annonce d’une conférence
pour les membres de l’Église de Jésus-Christ des
saints des derniers jours. Le cœur de Samuela fit un bond ;
Samuela saisit le journal et éteignit les flammes.
La
date de la conférence était passée depuis
longtemps, mais Samuela était plus intéressé par
le nom de l’Église que par l’événement
lui-même. Cette Église était son Église et
maintenant, pour la première fois depuis des années, il
savait qu’elle prospérait encore aux États-Unis.
Dans
les années 1850, alors qu’il était jeune homme,
il avait été baptisé par des missionnaires
saints des derniers jours à Hawaï. Cependant, en 1861,
Walter Gibson avait pris le contrôle de la colonie des saints
sur Lanai et avait dit à Samuela et aux autres que l’Église
en Utah avait été détruite par l’armée
des États-Unis. Ignorant qu’il s’agissait d’une
supercherie de Walter, Samuela l’avait cru et l’avait
soutenu comme dirigeant. Lorsque Walter l’avait envoyé
en mission aux Samoa en 1862 avec un autre saint hawaïen, Kimo
Belio, il avait accepté l’appel.
Samuela
et Kimo étaient les premiers missionnaires saints des derniers
jours aux Samoa et ils avaient baptisé une cinquantaine de
personnes pendant les premières années qu’ils
avaient passées là-bas. Le service postal étant
peu fiable, ils avaient eu du mal à maintenir le contact avec
les saints à Hawaï. Du fait que les dirigeants de
l’Église en Utah n’avaient pas ouvert de mission
aux Samoa, aucun nouveau missionnaire n’avait été
envoyé soutenir Samuela et Kimo et l’assemblée de
saints périclitait.
Depuis,
Kimo était décédé, mais Samuela était
resté sur les îles et s’y était établi.
Il s’était marié et avait monté une
entreprise. Ses voisins le considéraient toujours comme le
missionnaire saint des derniers jours d’Hawaï, mais
certains avaient commencé à douter de l’existence
de l’Église qu’il prétendait représenter.
Samuela
s’était longtemps demandé si Walter lui avait
menti au sujet de la destruction de l’Église aux
États-Unis. Maintenant, vingt-cinq ans après son
arrivée aux Samoa, il avait enfin une raison d’espérer
que s’il écrivait au siège de l’Église,
quelqu’un répondrait.
Empoignant
le journal, Samuela s’empressa de trouver le capitaine du
bateau pour lui demander de l’aider à rédiger une
lettre destinée aux dirigeants de l’Église en
Utah. Il y demandait que des missionnaires soient envoyés dès
que possible aux Samoa. Il écrivit qu’il attendait
depuis plusieurs années et qu’il était impatient
de voir l’Évangile prêché de nouveau parmi
les Samoans.
À
l’automne 1887, cela faisait presque quatre ans qu’Anna
Widtsoe et ses deux fils, John et Osborne, habitaient Logan, une
ville du nord de l’Utah. Petroline, sa sœur, était
aussi devenue membre de l’Église en Norvège et
était venue s’installer en Utah, à Salt Lake
City, à cent trente kilomètres au sud.
Anna
exerçait maintenant le métier de couturière,
travaillant de longues heures afin de gagner suffisamment d’argent
pour subvenir aux besoins de ses fils. Elle voulait qu’ils
soient instituteurs, comme leur défunt père, et
veillait à ce que les études soient une priorité
dans leur vie. Depuis l’âge de quinze ans, John
travaillait à la coopérative du coin pour contribuer
aux revenus de la famille. Il ne pouvait donc pas aller à
l’école la journée. Dans ses moments libres, il
étudiait seul l’algèbre et prenait des cours
particuliers d’anglais et de latin avec une sœur
britannique. Osborne, neuf ans, allait à l’école
du quartier et y excellait.
Peu
d’années avant l’arrivée des Widtsoe,
Brigham Young avait donné des terres pour une école
dans la région qui serait semblable à celle qu’il
avait fondée à Provo. Le Brigham Young College ouvrit
ses portes à Logan en 1878 et Anna était déterminée
à y envoyer ses fils dès qu’ils seraient prêts,
même si cela voulait dire que John ne pourrait plus travailler
à la coopérative. Certaines personnes pensaient qu’elle
avait tort de donner la préséance aux études
plutôt qu’au travail manuel, mais elle croyait que le
développement de l’intellect était aussi
important que celui du corps.
Elle
s’assurait également que les garçons participent
aux programmes et aux réunions de l’Église. Le
dimanche, ils assistaient à la réunion de Sainte-Cène
et à l’École du dimanche. Osborne allait à
la Primaire de paroisse pendant la semaine et John aux réunions
de la Prêtrise d’Aaron le lundi soir. En tant que diacre,
il avait coupé du bois pour des veuves et aidé à
l’entretien du tabernacle de pieu où se tenaient les
réunions de la paroisse. Maintenant qu’il était
prêtre, il se réunissait avec l’épiscopat
et d’autres prêtres et rendait chaque mois visite à
quelques familles en qualité « d’instructeur de
paroisse ». Il appartenait aussi à la Société
d’Amélioration Mutuelle des Jeunes Gens.
Anna
allait aux réunions de la Société de secours le
jeudi. Les saints de Logan venaient de tous les coins des États-Unis
et d’Europe, mais leur foi en l’Évangile rétabli
les unissait. Lors des réunions de la Société de
secours, il n’était pas rare d’entendre des femmes
parler ou témoigner dans leur langue maternelle pendant que
d’autres interprétaient pour elles. Au bout d’une
année passée à Logan, Anna parlait l’anglais,
mais il y avait tant de saints scandinaves dans la région
qu’elle avait de nombreuses occasions de parler le norvégien.
Grâce
aux réunions de l’Église, elle apprit et comprit
mieux l’Évangile rétabli. En Norvège, on
ne lui avait pas enseigné la Parole de sagesse et elle
continuait de boire du café et du thé en Utah, surtout
lorsqu’elle devait travailler tard le soir. Pendant deux mois,
elle s’efforça en vain de renoncer à ces
boissons. Puis un jour, elle s’approcha brusquement de ses
placards, sortit ses paquets de café et de thé et les
jeta au feu en disant : « Plus jamais. »
Anna
et ses fils participaient aussi à l’œuvre du
temple. En 1884, John et elle avaient été témoins
de la consécration de celui de Logan par le président
Taylor. Quelques années plus tard, John avait été
baptisé et confirmé au temple en faveur de son père,
John Widtsoe. Le même jour, Osborne et lui avaient aussi été
baptisés et confirmés en faveur d’autres parents
décédés, notamment leurs grands-pères et
arrière-grands-pères. Anna et sa sœur Petroline
allèrent ensuite au temple recevoir leur dotation. Anna y
retourna pour se faire baptiser et confirmer en faveur de sa mère
et d’autres parents décédés.
Le
temple de Logan était devenu précieux à ses
yeux. Les cieux avaient semblé s’ouvrir le jour de sa
consécration, la récompensant pour tous les sacrifices
qu’elle avait consentis pour aller à Sion.
Toute
l’année 1887 vit la santé d’Eliza Snow
décliner. Maintenant âgée de quatre-vingt-trois
ans, la poétesse bien-aimée et présidente
générale de la Société de secours avait
déjà survécu à de nombreux saints de sa
génération et elle savait que sa mort approchait. Elle
rappela à ses amis : « Le choix entre le fait de vivre
ou celui de mourir ne me revient pas. Je suis parfaitement disposée
à partir ou à rester, comme notre Père céleste
le commandera. Je suis entre ses mains. »
Au
fil de l’année, sa santé se détériora.
Zina Young et d’autres amis proches veillaient continuellement
sur elle. Le 4 décembre 1887, John Smith, le patriarche, se
rendit à son chevet à la Lion House à Salt Lake
City. Il lui demanda si elle le reconnaissait. Elle sourit et dit : «
Bien sûr. » Il lui donna une bénédiction et
elle le remercia. Tôt le lendemain matin, elle décéda
paisiblement avec son frère Lorenzo à ses côtés.
En
qualité de dirigeante des saints des derniers jours, elle
avait organisé et œuvré dans les Sociétés
de Secours, les Sociétés d’Amélioration
Mutuelle des Jeunes Filles et les Primaires de presque toutes les
colonies du territoire. Elle avait aussi présidé
l’œuvre du temple pour les femmes dans la maison des
dotations pendant plus de trente ans. Dans chacune de ces situations,
elle les avait incitées à employer leurs talents à
aider Dieu à sauver la famille humaine.
Un
jour, elle leur avait enseigné la chose suivante : « Il
est du devoir de chacune de nous d’être une sainte femme.
Nous considérerons que nous sommes appelées à
accomplir des devoirs importants. Personne n’en est exempté.
Aucune sœur n’est à ce point isolée et n’a
une sphère d’influence si limitée qu’elle
ne puisse faire beaucoup pour l’établissement du royaume
de Dieu sur la terre. »
Dans
le numéro du 15 décembre du Woman’s Exponent,
Emmeline Wells lui rendit hommage en la qualifiant de « dame
élue » et de « poétesse de Sion ».
Elle écrivit : « Sœur Eliza a toujours été
courageuse, forte et indéfectible dans les postes qu’elle
a occupés. Les filles de Sion devraient imiter son exemple de
sagesse et marcher sur ses traces. »
Au
mois d’avril suivant, les saints soutinrent Zina Young, amie
d’Eliza, comme nouvelle présidente générale
de la Société de secours. Comme elle, Zina avait été
l’une des femmes plurales de Joseph Smith et de Brigham Young.
En 1880, lorsqu’Eliza était devenue présidente
générale de la Société de secours, elle
l’avait choisie comme conseillère. Au fil des années,
les deux femmes avaient travaillé, voyagé et vieilli
ensemble.
Zina
était connue pour son service aimant et individuel et pour ses
dons spirituels puissants. Pendant des années, elle avait
présidé la Deseret Silk Association, l’un des
programmes coopératifs de la Société de secours.
Elle était également une sage-femme accomplie et la
vice-présidente du Deseret Hospital, établissement de
Salt Lake City géré par la Société de
secours. Elle accepta son nouvel appel avec appréhension, mais
bien décidée à aider la Société de
secours à prospérer, comme cela avait été
le cas sous la direction d’Eliza.
Peu
après, elle se rendit au Canada pour rendre visite à sa
fille unique, Zina Presendia Card. Avant de mourir, John Taylor avait
demandé à Charles, son mari, d’y fonder une
colonie pour les saints polygames en exil. Jusque-là, la
maladie et la saison hivernale avaient empêché Zina de
rendre visite à sa fille, mais celle-ci attendait un bébé
et sa mère voulait être à ses côtés.
Elle
arriva à Cardston, la nouvelle colonie canadienne, juste au
moment où les fleurs sauvages commençaient à
fleurir. Entourée de champs d’herbes ondulantes, la
ville semblait parfaitement située pour s’épanouir.
Zina
vit que sa fille s’épanouissait aussi en dépit
d’années d’adversité. Veuve à
trente-quatre ans, elle avait élevé seule deux jeunes
fils pendant plusieurs années jusqu’à ce que
Tommy, son cadet, ne meure de la diphtérie à l’âge
de sept ans. Trois ans plus tard, elle était devenue l’une
des femmes plurales de Charles.
Bien
qu’elle ne fût pas habituée à la vie à
la frontière, elle avait confortablement aménagé
sa petite cabane en rondins. Elle avait recouvert l’intérieur
grossier de la cabane d’une douce flanelle qu’elle avait
elle-même confectionnée, chaque pièce ayant une
couleur différente. À l’arrivée du
printemps, elle essayait aussi de maintenir un bouquet de fleurs
fraîches sur la table de la salle à manger.
Zina
Young passa environ trois mois à Cardston. Pendant son séjour,
elle se réunit régulièrement avec la Société
de secours. Le 11 juin, elle dit aux femmes que Cardston avait été
tenu en réserve pour les saints de Dieu. Il y avait un esprit
d’unité parmi les personnes, dit-elle, et le Seigneur
avait de grandes bénédictions en réserve pour
elles.
Le
lendemain de la réunion, Zina Presendia ressentit les
premières contractions. Zina était à ses côtés
en tant que sage-femme et mère. Au bout d’à peine
trois heures, elle accoucha d’une fillette en bonne santé
et grassouillette, sa première fille.
La
mère, la grand-mère et l’arrière-grand-mère
du bébé s’appelaient toutes Zina. Il semblait
logique de lui donner le même prénom.
Avant
même que la lettre de Samuela Manoa n’arrive à
Salt Lake City, l’Esprit avait inspiré les dirigeants de
l’Église d’étendre l’œuvre
missionnaire jusqu’aux Samoa. Au début de l’année
1887, l’apôtre Franklin Richards avait appelé
Joseph Dean, trente et un ans, et sa femme, Florence, en mission à
Hawaï. Lorsqu’il les avait mis à part, il leur
avait donné pour instructions de porter aussi l’Évangile
à d’autres îles du Pacifique, notamment aux Samoa.
Joseph
avait été envoyé dans le Pacifique en partie
pour le protéger, lui et sa famille, des marshals. Dix ans
auparavant, il avait fait une mission à Hawaï avec Sally,
sa première femme. De retour sur le continent, il en avait
épousé une deuxième, Florence, et plus tard,
avait séjourné en prison pour cohabitation illégale.
Les autorités judiciaires continuèrent de le traquer
jusqu’à son départ pour Hawaï avec Florence.
Entre-temps, Sally resta à Salt Lake City avec les cinq
enfants qu’elle avait de Joseph.
Ce
dernier écrivit à Samuela plusieurs mois après
être arrivé à Hawaï et il ne tarda pas à
lui répondre, impatient de participer à l’œuvre.
En mai 1888, quelques mois après la naissance d’un petit
garçon qu’ils nommèrent Jasper, Joseph envoya une
lettre à Samuela l’informant que sa famille et lui
arriveraient aux Samoa le mois suivant. Peu de temps après,
Susa et Jacob Gates organisèrent une fête pour les Dean,
et Joseph, Florence et leur bébé partirent pour les
Samoa peu après.
La
première étape de leur voyage de trois mille kilomètres
fut sans histoire, mais le capitaine de leur bateau à vapeur
n’avait aucune intention d’aller sur l’île de
Aunu‘u, où habitait Samuela. Il arrêta le navire
près de Tutuila, à environ trente kilomètres à
l’ouest de Aunu‘u.
Joseph
ne connaissait personne à Tutuila. Inquiet, il chercha du
regard un dirigeant parmi les personnes qui étaient venues à
la rencontre du bateau. Repérant un homme qui semblait être
un responsable, Joseph lui tendit la main et prononça l’un
des quelques mots de samoan qu’il connaissait : « Talofa
! »
Surpris,
l’homme lui rendit son salut. Joseph essaya ensuite de lui dire
en hawaïen où il voulait aller avec sa famille, insistant
sur les mots « Aunu‘u » et « Manoa ».
Soudain,
le regard de l’homme s’éclaira. Il demanda en
anglais : « Vous ami de Manoa ? »
«
Oui », répondit Joseph, soulagé.
Il
s’appelait Tanihiili. Samuela l’avait envoyé
chercher Joseph et sa famille pour les transporter en toute sécurité
jusqu’à Aunu‘u. Il les conduisit vers une barque
avec un équipage de douze autres Samoans. Lorsque les Dean
furent à bord, dix hommes commencèrent à ramer
vers le large tandis que deux autres écopaient et que
Tanihiili barrait. Luttant contre des vents contraires, les rameurs
manœuvrèrent la barque par-dessus les vagues menaçantes
jusqu’à la sécurité du port de Aunu‘u.
Samuela
Manoa et sa femme, Fasopo, accueillirent Joseph, Florence et Jasper
sur le rivage. Samuela était un homme mince, beaucoup plus âgé
que Joseph, et assez chétif. Les larmes coulaient sur son
visage buriné tandis qu’il leur souhaitait la bienvenue
en hawaïen. Il dit : « Je suis grandement béni que
Dieu nous ait réunis et m’ait permis de faire la
connaissance de son bon serviteur ici, aux Samoa. »
Fasopo
prit Florence par la main et la conduisit vers la maison de trois
pièces où ils allaient tous loger. Le dimanche suivant,
Joseph fit son premier sermon aux Samoa dans une maison remplie de
voisins curieux. Il parlait en hawaïen et Samuela interprétait.
Le lendemain, Joseph rebaptisa et reconfirma Samuela, comme les
saints le faisaient parfois à cette époque pour
renouveler leurs alliances.
Une
femme appelée Malaea faisait partie des personnes rassemblées
pour regarder l’ordonnance. Touchée par l’Esprit,
elle demanda à Joseph de la baptiser. Il avait déjà
retiré ses vêtements de baptême mouillés
pour la confirmation, mais il les remit et entra dans l’eau.
Au
cours des semaines qui suivirent, quatorze autres Samoans se firent
baptiser. Rempli d’enthousiasme, Joseph écrivit à
Wilford Woodruff le 7 juillet pour raconter l’expérience
de sa famille. Il rapporta : « J’ai envie de prophétiser
au nom du Seigneur que des milliers de personnes accepteront la
vérité. C’est mon témoignage aujourd’hui
et je crois que je vivrai pour le voir se réaliser. »
CHAPITRE 37 : Vers
le trône de grâce
Wilford
Woodruff et George Q Cannon arrivèrent au temple de Manti au
milieu de la nuit du 15 mai 1888. Ils avaient quitté Salt Lake
City quelques jours plus tôt, voyageant après le coucher
du soleil pour échapper aux marshals. Pour la dernière
partie de leur voyage, ils firent soixante kilomètres en
calèche sur des routes escarpées et hostiles. Roulant
dans le noir, le conducteur avait à deux reprises quitté
la route et failli envoyer les apôtres s’écraser
sur le flanc de la montagne.
Wilford
était venu dans la vallée de Sanpete pour consacrer le
troisième temple d’Utah. Du fait qu’il était
dangereux pour George et les autres dirigeants de l’Église
de se montrer en public, Wilford avait décidé de
consacrer le temple au cours d’une petite cérémonie
privée. Ensuite, les saints organiseraient sans lui une
consécration publique avec ceux qui détenaient une
recommandation spéciale de leur évêque ou de leur
président de pieu.
Le
temple était d’une beauté saisissante. Façonné
dans le calcaire couleur crème des montagnes voisines, il se
dressait au sommet d’une colline surplombant un océan de
champs de blé. Des garnitures délicatement sculptées
et des fresques colorées ornaient l’intérieur.
Deux magnifiques escaliers en spirale, sans le soutien du moindre
pilier, semblaient être suspendus dans les airs.
L’achèvement
du temple était un moment radieux dans une période par
ailleurs difficile pour Wilford. La désunion au sein du
Collège des Douze nuisait à leur capacité de
diriger efficacement l’Église. Huit mois s’étaient
écoulés depuis la mort de John Taylor et certains des
jeunes apôtres avaient encore des griefs contre George. Wilford
était prêt à organiser la Première
Présidence, mais il ne pouvait pas le faire tant que le
collège était divisé.
Les
apôtres avaient fait quelques progrès pour combler la
brèche dans leur collège. En mars, Wilford les avait
réunis plusieurs fois pour essayer de résoudre leurs
différends. Au cours d’une réunion, il leur
rappela qu’ils devaient se laisser guider par l’humilité
et l’amour. Il confessa humblement ses propres méfaits
lorsqu’il avait parfois parlé trop sévèrement
et incita chaque apôtre à confesser ses péchés
et à demander pardon aux autres. Malgré tout cela,
quelques membres du collège étaient toujours réticents
à soutenir la formation de la nouvelle Première
Présidence.
De
plus, la loi Edmunds-Tucker continuait de menacer l’Église.
Avec le pouvoir de confisquer les biens de celle-ci évalués
à plus de cinquante mille dollars, les officiers fédéraux
avaient pris le contrôle du bureau des dîmes, du bureau
du président de l’Église et du quartier du
temple, qui comprenait le temple inachevé de Salt Lake City.
Le gouvernement avait ensuite proposé de donner le quartier du
temple en location pour un montant gracieux d’un dollar par
mois. Wilford avait trouvé la proposition insultante, mais il
l’avait acceptée pour permettre aux travaux de se
poursuivre.
La
nouvelle loi avait aussi remis la supervision des écoles
publiques d’Utah entre les mains d’une commission
fédérale et les apôtres craignaient que les
enseignants saints des derniers jours ne soient écartés
lorsqu’ils chercheraient du travail. Plus tôt cette
année-là, George avait proposé de fonder
d’autres académies de l’Église pour
employer ces professeurs et enseigner les principes de l’Évangile
aux étudiants. Wilford et les apôtres avaient
unanimement approuvé le projet et le 8 avril, ils annoncèrent
l’organisation d’une commission de l’éducation
pour diriger le nouveau système.
Avec
ces affaires pesant sur l’Église, Wilford consacra le
temple de Manti le 17 mai 1888. Dans la salle céleste, il
s’agenouilla à un autel et offrit une prière,
remerciant Dieu pour la bénédiction extraordinaire d’un
autre temple en Sion.
Il
dit : « Tu as vu les labeurs de tes saints dans la construction
de cette maison. Leurs motivations et leurs efforts te sont tous
connus. Nous te la présentons aujourd’hui, ô
Seigneur notre Dieu. Elle est le fruit des dîmes et offrandes
volontaires de ton peuple. »
Ce
jour-là, après la consécration, Wilford reçut
un rapport selon lequel le marshal fédéral Frank Dyer
exigeait que l’Église remît tous les biens qu’elle
possédait à Logan, notamment la maison des dîmes,
le tabernacle et le temple. Wilford nota une prière simple
dans son journal, demandant à Dieu de défendre les
temples contre les personnes qui souhaitaient les profaner.
La
semaine suivante, l’apôtre Lorenzo Snow présida la
consécration publique du temple de Manti. Avant le début
de la première session, de nombreux saints assis dans la salle
de réunion de l’édifice entendirent des voix
d’anges chanter dans toute la pièce. À d’autres
moments, certains virent des halos ou des manifestations de lumières
éclatantes autour des orateurs. Des personnes dirent avoir vu
Joseph Smith, Brigham Young, John Taylor et d’autres
personnages. Pendant que Lorenzo lisait la prière de
consécration, quelqu’un dans l’assemblée
entendit une voix dire : « Alléluia, alléluia, le
Seigneur soit loué. »
Pour
les saints, ces manifestations spirituelles étaient des signes
du soin vigilant de Dieu. Un témoin de ces déversements
écrivit : « Ils réconfortent les gens, prouvant
que même dans les périodes les plus troublées, le
Seigneur est avec eux. »
Pendant
qu’ils étaient encore en mission à Hawaï,
Susa et Jacob Gates commencèrent à réfléchir
à ce qu’ils feraient lorsqu’ils retourneraient en
Utah. Un jour du début de l’année 1888, Jacob dit
: « Su, j’aimerais que tu sois embauchée comme
rédactrice adjointe de l’Exponent. » Susa avait
déjà publié des articles dans le Woman’s
Exponent sous le pseudonyme de « Homespun » (« Fait
maison », ndt) et Jacob était convaincu de son talent
pour l’écriture.
Susa
voulait l’utiliser pour aider l’Église. Un jour,
Eliza Snow l’avait encouragée ainsi : « N’écris
jamais la moindre ligne ni le moindre mot qui ne soit pas calculé
pour le profit de ce royaume. » Susa s’efforçait
de suivre ce conseil. Dernièrement, elle avait petit à
petit eu l’idée d’écrire des articles
favorables à l’Église pour des magazines de l’est
des États-Unis. Par contre, jusque-là, elle n’avait
jamais envisagé de travailler comme rédactrice.
À
dire vrai, elle avait du mal à trouver le temps d’écrire.
La plupart du temps, elle était debout à six heures
pour s’occuper des trois enfants et des tâches
domestiques qui n’en finissaient jamais. Une année à
peine s’était écoulée depuis le décès
de ses petits garçons, Jay et Karl, et elle était
encore affligée de les avoir perdus, souhaitant parfois
quitter Laie juste pour empêcher ses pensées de divaguer
vers les deux tombes situées sur la colline au-dessus de chez
eux. Elle était anxieuse dès que l’un de ses
enfants se mettait à tousser. Le moment était-il bien
choisi pour assumer encore d’autres responsabilités ?
Mais
une fois l’idée de travailler pour l’Exponent
semée dans son esprit, elle prit rapidement racine. Elle
écrivit à Zina Young et décrivit son désir
de transformer le Woman’s Exponent en un mensuel imprimé
sur du papier fin, comme les magazines populaires de l’époque
destinés aux femmes.
Elle
écrivit : « Mon âme tout entière aspire à
l’édification de ce royaume. Je veux travailler de
toutes mes forces pour aider mes sœurs. Le travail sera une
œuvre d’amour parce que tu sais combien j’aime
écrire. »
Simultanément,
elle envoya une lettre à Emmeline Wells, la rédactrice
du journal, et à d’autres personnes qu’elle
estimait, leur demandant conseil. Romania Pratt, l’une des
rares femmes médecins du territoire et auteure régulière
d’articles pour le Woman’s Exponent, fut la première
à répondre.
Elle
écrivit : « Ma chère jeune et talentueuse amie,
j’ai le sentiment que le rôle de membre ou de partenaire
de l’Exponent ne serait pas à votre plus grand avantage.
» Elle expliqua qu’Emmeline aimait gérer le
journal à sa façon et verrait d’un mauvais œil
la participation de Susa. Elle lui suggéra de lancer plutôt
un nouveau magazine destiné aux jeunes filles de l’Église.
Susa
fut emballée par l’idée et en parla à son
ami Joseph F. Smith dans une lettre. Il répondit peu après,
manifestant tout son soutien. Il imaginait un magazine écrit
et produit entièrement par des saintes des derniers jours et
il encouragea Susa à chercher des « conseillères
bonnes et sages » pour l’aider.
Il
écrivit : « Aucune personne compétente ne doit se
voir refuser le privilège de faire de son mieux. Notre
communauté est différente des autres. Notre prospérité
repose sur notre unité, notre coopération et nos
efforts communs. Nul n’est indépendant. »
Sur
les conseils de Joseph, Susa écrivit à Wilford Woodruff
et à la présidence de la Société
d’Amélioration Mutuelle des Jeunes Filles pour obtenir
leur soutien pour le magazine. Wilford donna son approbation quelques
mois plus tard. La présidence de la S.A.M.J.F. offrit
également son soutien.
Susa
écrivit dans son journal : « Eh bien, c’est entre
les mains du Seigneur. » Dès son retour aux États-Unis,
elle essaierait de concrétiser son projet.
À
l’automne 1888, George Q. Cannon décida qu’il
était dans son intérêt et dans celui de l’Église
d’aller en prison. Les mois précédant le décès
de John Taylor, le Seigneur avait révélé que
George devait retourner se cacher avec le prophète pour
s’occuper des affaires de l’Église. Maintenant
qu’il était décédé et que la
direction de l’Église était entre les mains des
Douze, George n’était plus tenu de rester caché.
Wilford
Woodruff croyait aussi que les saints devaient se réconcilier
avec le gouvernement des États-Unis afin d’obtenir le
statut d’État pour l’Utah. Avec le statut d’état,
les saints pourraient utiliser leur vote majoritaire pour élire
des dirigeants qui protégeraient leurs libertés
religieuses. Du fait que la loi Edmunds-Tucker ne s’appliquait
qu’aux territoires, si l’Utah devenait un État,
elle n’aurait plus le pouvoir de faire du mal à
l’Église. Néanmoins, il était peu probable
que le Congrès des États-Unis accorde ce statut à
l’Utah tant qu’un apôtre éminent se
soustrayait à la justice.
Lorsqu’il
apprit que le procureur des États-Unis était disposé
à recommander la clémence, George commença à
se demander à quel point il serait profitable aux saints qu’il
se rende. Sa reddition pourrait servir de rameau d’olivier aux
législateurs de Washington. Il espérait également
que ses actions aideraient d’autres hommes à se résoudre
à affronter des accusations semblables.
Le
17 septembre, il plaida coupable de deux chefs d’accusation de
cohabitation illégale, conscient qu’il risquait de
passer presque une année en prison. Le juge en chef qui,
disait-on, était plus modéré que les juges
précédents, dans sa façon de traiter les saints,
le condamna à une peine relativement courte de cent
soixante-quinze jours derrière les barreaux.
George
voulut commencer à purger sa peine dès que possible si
bien que le jour même de la condamnation, il fut transporté
au pénitencier territorial d’Utah. La prison, battue par
les éléments, se dressait sur une colline à Salt
Lake City. Normalement, quand de nouveaux prisonniers entraient dans
la cour, les détenus aimaient les chahuter en criant : «
Poisson frais ! » Mais lorsque George entra, personne ne cria.
Au contraire, les hommes l’entourèrent, surpris et
curieux de voir un apôtre en prison.
À
l’intérieur, celui-ci trouva trois niveaux de petites
cellules. Le geôlier lui en attribua une au dernier étage
et lui dit qu’il pouvait rester à l’intérieur
sans verrouiller les lourdes portes métalliques. George ne
cherchait pourtant pas à obtenir de faveurs. Il portait le
même uniforme rayé blanc et noir et respectait les mêmes
règles que le reste des détenus.
Au
bout de peu de temps, il organisa un cours sur la Bible. Plus de
soixante hommes assistèrent à la première
réunion du dimanche, notamment plusieurs qui n’étaient
pas membres de l’Église. Les prisonniers lurent les cinq
premiers chapitres de Matthieu et en discutèrent. George
écrivit dans son journal : « Il régnait un esprit
des plus plaisants. »
Les
semaines s’enchaînèrent et George trouva son
séjour en prison plus heureux qu’il ne s’y
attendait. Les jours de visite, il s’occupait des affaires de
l’Église et se réunissait avec les autres
apôtres, notamment Heber Grant dont le cœur commençait
à s’adoucir à son égard. Il recevait
également la visite d’amis et de membres de sa famille
et il passait beaucoup de temps à soutenir psychologiquement
ses codétenus.
Il
écrivit dans son journal : « Ma cellule m’a semblé
être un lieu céleste. J’ai l’impression que
des anges s’y sont tenus. »
Pendant
que George Q. Cannon purgeait sa peine, Joseph F. Smith se rendait à
Washington pour aider l’avocat de l’Église,
Franklin S. Richards, à faire pression pour l’obtention
du statut d’État. Toujours fugitif, Joseph se demandait
parfois s’il ne devrait pas suivre l’exemple de George et
se rendre aux autorités. Cependant, Wilford Woodruff l’avait
chargé de superviser les activités politiques de
l’Église à Washington et Joseph croyait que seuls
le statut d’État ou l’intervention divine
pourraient offrir une liberté religieuse durable aux saints.
À
Washington, Joseph était libre de déambuler en ville,
mais il veillait à éviter les couloirs du Congrès
où quelqu’un risquait de le reconnaître. Il passa
plusieurs jours à aider Franklin à préparer un
discours à l’attention du comité qui en fin de
compte recommanderait au Congrès de voter pour ou contre
l’attribution du statut d’État pour l’Utah.
Ensuite, quelques heures avant le discours, il fit une bénédiction
à Franklin afin qu’un bon esprit l’accompagne.
Pendant
le discours, Franklin présenta le mariage plural comme une
pratique mourante. Il dit que souvent, les cas de polygamie que le
gouvernement traitait en justice impliquaient des hommes âgés
qui avaient contracté ces mariages des années
auparavant. Il soutenait aussi que les habitants d’Utah, dont
la grande majorité ne pratiquait pas le mariage plural,
devraient avoir la liberté d’élire leurs propres
représentants sous un gouvernement d’état.
Après
des jours de délibérations, le comité décida
de ne faire aucune recommandation au Congrès. Joseph fut déçu,
mais apprécia tellement le discours de Franklin qu’il en
envoya un exemplaire à plus de trois mille législateurs
et personnes éminentes dans tout le pays.
Peu
après, il reçut un télégramme l’informant
que George Peters, le procureur des États-Unis pour l’Utah,
avait l’intention de convoquer les membres de la famille de
Joseph pour témoigner contre lui devant un grand jury.
Joseph
considéra la démarche comme une trahison. Quelques mois
plus tôt, Peters avait extorqué cinq mille dollars à
l’Église en promettant d’être clément
à l’avenir lors des poursuites judiciaires à
l’encontre de saints des derniers jours. Bien qu’à
cette époque, aux États-Unis, les faveurs politiques
fussent achetées et vendues, Joseph était révulsé
à la pensée de payer Peters. Après en avoir
discuté avec Wilford, il avait décidé que céder
au chantage pourrait protéger les saints.
Il
répondit immédiatement au télégramme,
indiquant où ses femmes et ses enfants pouvaient se cacher. Il
fut cependant inquiet tout le reste de la journée. Il écrivit
dans son journal : « Je prie Dieu de protéger ma famille
des griffes de l’ennemi impitoyable et fanatique. »
Tout
au long de l’hiver 1888-1889, le Collège des Douze fut
incapable de se mettre d’accord sur la formation de la nouvelle
Première Présidence. En attendant, les marshals
fédéraux continuaient d’appréhender les
dirigeants de l’Église. En décembre, l’apôtre
Francis Lyman se rendit aux autorités et rejoignit George Q.
Cannon en prison. En tant que président des Douze, Wilford
Woodruff était obligé de diriger l’Église
avec de moins en moins d’apôtres à ses côtés.
Il
passait une partie de son temps à exploiter sa ferme, à
écrire des lettres et à signer des recommandations pour
les saints voulant se rendre aux temples de Logan, Manti ou St
George. En février 1889, George Q. Cannon fut libéré
de prison après y avoir passé cinq mois. Wilford
l’invita, ainsi que plusieurs amis, à son bureau le
lendemain pour fêter son retour. Des membres du Chœur du
Tabernacle transportèrent un orgue et le chœur chanta
des cantiques. Ensuite, des saints hawaïens qui avaient immigré
en Utah interprétèrent trois chants, dont deux composés
pour l’occasion. L’un des hommes, Kanaka, avait plus de
quatre-vingt-dix ans. George l’avait baptisé pendant
qu’il était en mission à Hawaï au début
des années 1850.
Ce
soir-là, Wilford se joignit à la famille Cannon pour
manger de la dinde au dîner. Il dit à l’un des
fils de George : « Ton père est le plus grand cerveau et
le meilleur penseur de tous les hommes du royaume. » Maintenant
que celui-ci était libéré de prison, Wilford
espérait que tous les apôtres reconnaîtraient que
c’était quelqu’un de bien et iraient ensemble de
l’avant pour diriger l’Église.
Lorsque
Zina Young rentra à Salt Lake City après sa visite à
Cardston, elle ressentit tout le poids de ses nouvelles
responsabilités de présidente générale de
la Société de secours. Elle était maintenant à
la tête de plus de vingt-deux mille femmes dispersées
dans des centaines de paroisses et de branches du monde entier. Outre
son rôle de dirigeante spirituelle, elle supervisait plusieurs
institutions telles que le Deseret Hospital et de multiples actifs,
notamment plus de huit cent soixante-dix tonnes de blé en
réserve.
Elle
avait choisi Jane Richards et Bathsheba Smith, deux dirigeantes
expérimentées de la Société de secours,
pour la soutenir comme conseillères, mais les exigences de son
appel lui paraissaient malgré tout écrasantes. Sa
fille, Zina Presendia, lui avait fait penser à une autre
personne pour l’aider. Elle avait écrit : « Va
voir tante Em. Elle a l’âme d’un général.
»
Zina
Presendia faisait allusion à Emmeline Wells, qui était
secrétaire de la Société de secours. Dans ce
rôle, elle était chargée de la communication, des
transactions commerciales et de l’organisation des visites aux
Sociétés de Secours de tout le territoire. Les tâches
d’Emmeline, en tant que rédactrice du Woman’s
Exponent, l’occupaient déjà extrêmement.
Malgré tout, elle accepta de bon cœur de soutenir Zina
dans ses nouvelles responsabilités.
Elle
écrivit dans son journal : « Je vais évidemment
avoir encore plus de travail à l’avenir. Les
responsabilités pleuvent dru sur les femmes de Sion. »
Zina
et Emmeline tenaient à ce que les femmes aient le droit de
voter, un droit que la loi Edmunds-Tucker leur avait confisqué.
L’hiver 1889, elles s’entretinrent avec Wilford Woodruff
et d’autres dirigeants de l’Église au sujet de la
formation d’une association pour le suffrage féminin en
Utah. Wilford et les autres membres du Collège des Douze
approuvèrent entièrement.
Bientôt,
des réunions du suffrage féminin suivirent les réunions
habituelles de la Société de secours dans les paroisses
de tout l’Utah et de l’Idaho. Emmeline publiait souvent
des comptes rendus de ces réunions dans le Woman’s
Exponent. Entre-temps, Zina appelait le gouvernement des États-Unis
à rendre aux femmes d’Utah le « droit de vote
donné par Dieu ». Elle dit : « Grâce à
lui, nous serons en mesure de faire beaucoup de bien dans le monde. »
Elle déclara également qu’elle s’engageait
à collaborer avec les femmes extérieures à
l’Église. Elle dit : « Nous voulons nous ouvrir
aux femmes d’Amérique et dire que nous sommes de tout
cœur avec elles dans cette grande lutte. »
Comme
la Société de secours grandissait, Zina s’inquiéta
de l’éclatement des pieux par rapport aux dirigeantes
générales de la Société de secours et les
unes par rapport aux autres. La solution qu’elle proposa était
d’inviter à une conférence les Sociétés
de Secours des pieux extérieurs à Salt Lake City. La
Société d’Amélioration Mutuelle des Jeunes
Gens avait organisé avec succès des rencontres de ce
genre.
La
première conférence générale de la
Société de secours fut programmée pour le 6
avril 1889, pour coïncider avec la conférence générale.
Ce soir-là, Zina se leva dans l’Assembly Hall de Temple
Square devant des femmes venues de nombreuses nations pour se
rassembler en Sion. Pendant les quarante années écoulées,
plus de quatre-vingt mille saints des derniers jours avaient traversé
les mers pour émigrer en Amérique. La plupart
arrivaient du Royaume-Uni, mais beaucoup d’autres venaient de
Scandinavie et des régions germanophones d’Europe.
D’autres encore étaient venus de Nouvelle-Zélande,
d’Australie et d’autres îles du Pacifique.
Zina
encouragea les diverses assemblées à aller aux réunions
des unes des autres et à faire connaissance. Elle promit : «
Cela favorisera l’unité et l’harmonie, encouragera
la confiance et fortifiera les liens qui nous unissent, car il y a
plus de différences dans notre manière de nous exprimer
que dans les motivations de notre cœur. »
Elle
dit : « Sœurs, restons soudées et défendons
le bien. Ne doutez pas de la bonté de Dieu ni de la véracité
de l’œuvre dans laquelle nous sommes engagées. »
Le
premier vendredi d’avril 1889, Wilford Woodruff réunit
les apôtres. Cela faisait presque deux ans que John Taylor
était décédé et Wilford avait attendu
patiemment que le collège trouve l’unité. Il
avait dirigé, comme les révélations le
commandaient, avec gentillesse et douceur, avec longanimité et
amour sincère. Maintenant, à la veille de la conférence
générale d’avril, il estimait que le moment était
venu de réorganiser la Première Présidence.
Au
cours des mois précédents, les apôtres étaient
peu à peu convenus que la formation de la Première
Présidence était dans l’intérêt de
l’Église et que Wilford était le choix du
Seigneur pour les diriger, quels que fussent les conseillers qu’il
choisirait. Wilford avait même écrit à Francis
Lyman en prison et reçu son soutien.
Les
apôtres acceptèrent à l’unanimité de
former une nouvelle Première Présidence. Wilford nomma
George Q. Cannon et Joseph F. Smith comme premier et deuxième
conseillers.
George
dit : « Je ne peux accepter ce poste qu’en sachant qu’il
m’est confié par la volonté du Seigneur et avec
l’approbation pleine et entière de mes frères. »
Wilford
assura : « J’ai prié à ce sujet et je sais
que c’est la volonté du Seigneur. »
En
dépit de questions sur George restées en suspens, Moses
Thatcher vota favorablement. Il dit : « Lorsque je voterai pour
lui, je le ferai librement et j’essaierai de le soutenir de
toutes mes forces. » Heber Grant manifesta également son
soutien pour le choix du président Woodruff en dépit de
quelques réserves mineures.
Le
reste des apôtres soutint la nouvelle présidence de tout
cœur et Wilford fut heureux que le collège fût
enfin uni. Il dit : « Je n’ai jamais vu un moment où
l’Église avait autant besoin du service des Douze
qu’aujourd’hui. »
Le
dimanche, des milliers de saints entrèrent les uns après
les autres dans le tabernacle pour la session du dimanche après-midi
de la conférence générale. Lors de cette
assemblée solennelle, les membres de l’Église
eurent l’occasion de soutenir leur nouvelle Première
Présidence. À la lecture du nom de Wilford et de ses
conseillers, un océan de mains se leva pour les soutenir.
Plus
tard dans la réunion, Wilford dit aux saints : « Je
désire vivement qu’en tant que peuple nous soyons unis
de cœur, que nous ayons foi aux révélations de
Dieu et que nous attendions ces choses qui nous ont été
promises. » Il rendit ensuite témoignage de
Jésus-Christ.
Il
dit : « Doux et humble de cœur, il œuvra fidèlement
pendant qu’il demeurait dans la chair pour exécuter la
volonté de son Père. Retracez l’histoire de
Jésus-Christ, le Sauveur du monde, de la crèche à
la croix, en passant par la souffrance mêlée de sang
jusqu’au trône de grâce, et voilà un exemple
pour les anciens d’Israël, un exemple pour toutes les
personnes qui suivent le Seigneur Jésus-Christ. »
CHAPITRE
38
: Quand
et comme je le jugerai bon
Début
1889, Joseph Dean avait du mal à trouver des personnes à
instruire aux Samoa. Peu après que sa femme Florence et lui
étaient arrivés sur l’île d’Aunu‘u
l’été précédent, l’œuvre
avait progressé rapidement et l’île avait compté
suffisamment de saints pour former une branche avec une École
du dimanche et une Société de secours. De nouveaux
missionnaires avaient également été envoyés
de Salt Lake City pour aider les Dean et les saints samoans.
Cependant,
les Samoa étaient au cœur d’une guerre civile et
de dangereuses batailles éclataient dans toutes les îles
dont les factions se disputaient le contrôle. Pour ne rien
arranger, le roi était contre l’Église. Le bruit
courait qu’il avait rendu le baptême illégal et
que quiconque se faisait baptiser serait jeté en prison.
Maintenant, de moins en moins de personnes demandaient le baptême.
En
dépit de ces difficultés, les saints samoans bâtirent
une église, couvrant le toit de feuilles de cocotier et le sol
de galets blancs et de coquillages. Chaque vendredi, Florence Dean et
Louisa Lee, une autre femme en mission avec son mari, se réunissaient
avec la Société de secours. Pendant ce temps, les
frères achetèrent un petit voilier afin de pouvoir
prêcher l’Évangile sur d’autres îles
des Samoa. Ils nommèrent le nouveau bateau Faa‘aliga, ce
qui veut dire « révélation » en samoan.
Fin
1888, Joseph, Florence, leur jeune fils et plusieurs missionnaires
déménagèrent d’Aunu‘u pour Tutuila,
une île voisine plus grande. L’île comptait
cependant peu d’habitants et la plupart de ses hommes étaient
partis à la guerre. Peu de gens s’intéressaient à
l’Évangile et Joseph trouva vite que les autres
missionnaires et lui ne faisaient plus de progrès. Il décida
de se rendre sur l’île d’Upolu et de visiter Apia,
une ville au cœur du gouvernement et du commerce samoans.
Sur
Upolu, il avait l’intention de prendre contact avec le consulat
américain et de discuter des prétendues menaces contre
les saints. Il voulait aussi trouver un homme appelé Ifopo,
qui avait été baptisé vingt-cinq ans auparavant
par Kimo Belio, un missionnaire hawaïen. Ifopo avait déjà
envoyé deux lettres à Joseph et il était
impatient de rencontrer des missionnaires qui aideraient à
établir l’Église sur son île.
Le
soir du 11 mars, Joseph et ses deux collègues, Edward Wood et
Adelbert Beesley, firent voile pour Upolu, un voyage de plus de cent
kilomètres. Ils comprenaient le danger que représentaient
trois marins inexpérimentés dans un petit bateau sur
des eaux potentiellement agitées. Joseph avait pourtant le
sentiment que le Seigneur voulait qu’ils entreprennent le
voyage.
Après
une nuit de navigation difficile, les missionnaires arrivèrent
en vue d’Upolu, mais en s’approchant du rivage, ils
furent surpris par un violent coup de vent. Le bateau chavira et se
remplit immédiatement d’eau. Les hommes tentèrent
de se tenir aux rames, aux caisses et aux malles qui dansaient à
côté d’eux sur les vagues. Lorsqu’ils
aperçurent une autre embarcation à quatre cents mètres,
ils crièrent et sifflèrent jusqu’à ce
qu’enfin elle fasse demi-tour.
Les
Samoans qui arrivèrent à la rescousse des missionnaires
passèrent plus d’une heure à redresser leur
bateau, à plonger sous les vagues pour récupérer
ses voiles et son ancre et à aider les missionnaires à
rassembler leurs affaires. Joseph était désolé
de ne pas avoir d’argent à donner aux hommes pour leur
service, mais ils acceptèrent gentiment une poignée de
main et il demanda au Seigneur de les bénir.
Lorsque
ses collègues et lui arrivèrent à Apia, ils
étaient épuisés. Ils offrirent une prière
de reconnaissance à Dieu pour les avoir protégés
durant leur voyage. Les jours suivants, ils partirent à la
recherche du consulat américain et d’Ifopo.
En
Utah, Lorena Larsen, vingt-neuf ans, attendait son quatrième
enfant. Son mari, Bent, venait de finir de purger une peine de six
mois de prison pour cohabitation illégale. Étant femme
plurale, sa grossesse prouvait que Bent avait de nouveau enfreint la
loi. Pour la sécurité de sa famille, elle décida
de se cacher.
D’abord,
elle trouva refuge dans le service au temple de Manti. Le temple se
trouvait à une centaine de kilomètres de Monroe (Utah),
sa ville natale, et on avait demandé à sa paroisse de
fournir des servants des ordonnances du temple. Elle s’installa
à Manti et travailla quelque temps dans le temple, mais cela
lui coûtait d’être séparée de ses
enfants qui avaient été confiés aux soins de
Bent et d’autres membres de la famille. Après avoir
frôlé la fausse couche, elle fut honorablement relevée
par Daniel Wells, le président du temple.
Lorena
et Bent décidèrent ensuite de louer un logement pour
elle et ses enfants dans la ville de Redmond, à mi-chemin
entre Monroe et Manti. Comme il y avait des dénonciateurs
partout, elle ne devait pas dévoiler son identité. Elle
dit à ses enfants qu’elle s’appelait maintenant
Hannah Thompson et que si leur père leur rendait visite, ils
devaient l’appeler « Tonton Thompson ». Elle
insista encore et encore sur l’importance de ne pas révéler
leurs vrais noms.
Lorsque
la famille arriva à Redmond, Lorena évita les lieux
publics et passa la plus grande partie de son temps chez elle. Un
après-midi, cependant, elle rejoignit un groupe de sœurs
amicales de la Société de secours et elles lui dirent
que lorsqu’elles avaient demandé à sa fille
comment elle s’appelait, elle avait répondu : «
Tonton Thompson ».
Les
gentils saints de Redmond furent prompts à servir la famille
de Lorena. Le dimanche de Pâques, elle trouva un seau d’œufs
frais et une livre de beurre sur son seuil. Pourtant, sa maison de
Monroe lui manquait. Enceinte et seule, elle avait du mal à
s’occuper chaque jour de trois enfants dans une ville
étrangère.
Puis,
une nuit, elle fit un rêve. Elle vit sa pelouse à Monroe
couverte de broussailles et de plantes grimpantes. Peinée de
voir sa maison à l’abandon, elle se mit immédiatement
à arracher les mauvaises herbes de son jardin. En commençant
à tirer sur des racines profondes, elle se trouva tout à
coup près d’un bel arbre, chargé des plus beaux
fruits qu’elle avait jamais vus. Elle entendit une voix dire :
« L’arbre souterrain porte aussi d’excellents
fruits. »
Dans
le rêve, elle fut aussitôt entourée de ses êtres
chers. Ses enfants, maintenant adultes, venaient vers elle portant
des plats, des saladiers et de petits paniers. Ensemble, ils
remplissaient les récipients de fruits délicieux et les
distribuaient à la foule, Lorena constata que parmi la foule
se trouvaient certains de ses descendants.
Elle
se réveilla le cœur rempli de joie et de reconnaissance.
Peu
après leur arrivée à Apia, Joseph Dean et ses
collègues rencontrèrent le vice-consul américain
aux Samoa, William Blacklock, et demandèrent si les rumeurs au
sujet de l’emprisonnement des saints des derniers jours samoans
étaient vraies. Le vice-consul leur assura que ce n’était
rien d’autre qu’un boniment. Un traité entre les
factions en guerre sur les îles permettait aux gens de
pratiquer comme bon leur semblait.
La
menace de conflit planait quand même toujours au-dessus des
îles. Sept navires de guerre étaient ancrés dans
le port d’Apia : trois venant d’Allemagne, trois des
États-Unis et un de Grande-Bretagne. Chaque nation était
déterminée à défendre ses intérêts
dans le Pacifique.
Impatients
de trouver Ifopo, les missionnaires avaient la ferme intention de se
rendre en bateau jusqu’à son village, Salea‘aumua,
à l’extrémité orientale de l’île,
lorsqu’une tempête s’abattit sur Apia. Des vents
hurlants et des déferlantes firent fuir Joseph et ses
collègues vers un abri. S’étant réfugiés
dans le fenil d’une grange appartenant à un commerçant
local, les missionnaires sentirent le bâtiment branlant secoué
par la tempête grandissante et ils craignirent qu’il ne
s’écroule.
Les
vents se renforcèrent et les missionnaires, debout à
une fenêtre, regardèrent avec horreur le cyclone frapper
les énormes navires de guerre dans le port. Des vagues
colossales s’écrasèrent sur le pont de l’un
d’eux, balayant des hommes à la mer. Certains marins sur
un autre bateau se ruèrent en haut des mâts et du
gréement, s’accrochant comme des araignées aux
cordages pendant que d’autres sautaient dans l’océan
bouillonnant pour essayer de nager vers la sécurité.
Les navires avaient beau n’être qu’à cent
mètres du rivage, on ne pouvait rien faire pour aider les
hommes. Tout ce que Joseph pouvait faire était d’implorer
la miséricorde de Dieu.
Suite
à la tempête, des débris jonchaient la plage et
environ deux cents personnes avaient péri. Les missionnaires
étaient réticents à l’idée de
reprendre la mer. Pendant la saison des cyclones, un autre pouvait
arriver sans crier gare. Néanmoins, faisant taire leurs
appréhensions, ils firent voile vers Salea‘aumua pour
trouver Ifopo.
Lorsqu’ils
arrivèrent, un groupe de Samoans vint les accueillir à
la rame et l’un des hommes se présenta comme étant
Ifopo. Pendant vingt ans, il était resté fidèle
à son témoignage de l’Évangile rétabli
sans savoir si de nouveaux missionnaires viendraient un jour sur son
île. Joseph et ses collègues étaient maintenant
arrivés et il était temps de célébrer
l’événement. Ils firent la connaissance de
Matalita, sa femme, et se régalèrent de porc rôti
et de fruits.
Les
jours suivants, ils rencontrèrent les amis et les voisins
d’Ifopo. Lors d’une réunion, une centaine de
personnes se rassembla pour entendre Joseph parler et l’Esprit
fut puissant. Elles étaient sincères dans leur
questionnement et étaient impatientes d’en apprendre
davantage sur l’Évangile.
Un
après-midi, Ifopo et les missionnaires allèrent à
pied jusqu’à un cours d’eau voisin. Ifopo s’était
déjà fait baptiser, mais de nombreuses années
s’étaient écoulées depuis et il demanda à
l’être de nouveau. Joseph entra dans l’eau avec son
nouvel ami et l’immergea. Ifopo s’agenouilla ensuite sur
la berge et les missionnaires le confirmèrent membre de
l’Église.
Quelques
jours plus tard, le vent changea de direction, permettant à
Joseph et à ses collègues de rebrousser chemin jusqu’à
Tutuila. Ifopo les raccompagna jusque derrière le récif
pour leur indiquer le chemin. Lorsque le moment de dire au revoir
arriva, il appuya son nez sur celui de chaque missionnaire tour à
tour et les salua d’un baiser samoan.
Au
printemps de 1889, Bent, le mari de Lorena Larsen, décida
d’échapper aux marshals fédéraux en
s’enfuyant vers la sécurité relative du Colorado,
un état voisin où la loi Edmunds-Tucker ne s’appliquait
pas. Sa première femme, Julia, resterait à Monroe avec
le reste de sa famille, mais il voulait que Lorena et ses enfants
restent en Utah avec son frère jusqu’à ce qu’il
soit suffisamment bien installé au Colorado pour les faire
venir.
Lorena
n’aimait pas ce plan. Elle rappela à Bent que son frère
était pauvre et que sa belle-sœur se remettait tout
juste de la typhoïde. Ils n’étaient pas en mesure
de les aider, ses enfants et elle. De plus, elle était dans
les derniers mois de sa grossesse et voulait son mari à ses
côtés.
Bent
accepta et ses enfants et elle firent bientôt la route avec lui
jusqu’au Colorado. Le périple de plus de huit cents
kilomètres leur fit traverser des déserts et franchir
des montagnes. C’étaient des terres sauvages et les
hommes qu’ils rencontraient en chemin avaient souvent l’air
dangereux. À un endroit de la piste, la seule eau disponible
était contenue dans les creux du flanc rocailleux de la
montagne. Bent partit en chercher pendant que Lorena conduisait
lentement le chariot à travers le canyon, l’appelant
régulièrement par son nom afin de s’assurer de ne
pas le perdre dans l’obscurité.
Elle
fut reconnaissante lorsque sa famille arriva enfin à Sanford,
Colorado, et se joignit à une petite communauté de
saints. Lorsque les premières contractions se firent sentir,
elle était encore affaiblie par le voyage. Son accouchement
fut tellement pénible que certaines personnes pensèrent
qu’elle allait mourir. Enoch naquit le 22 août et la
sage-femme déclara que c’était le plus gros bébé
qu’elle avait mis au monde en vingt-six ans.
En
attendant, les lois et les pratiques conçues pour faire du
tort à l’Église continuaient de peser sur des
familles telles que celle des Larsen. Même les saints qui ne
pratiquaient pas le mariage plural étaient affectés.
En
Idaho, la législation territoriale avait passé une loi
exigeant que les futurs électeurs jurent qu’ils
n’appartenaient pas à une église qui enseignait
ou encourageait la polygamie. Que les électeurs pratiquent le
principe ou pas n’avait aucune importance. Cette disposition
empêchait efficacement tous les saints d’Idaho, soit
presque un quart de la population, de voter ou de se faire élire.
Les immigrants saints des derniers jours étaient également
traités différemment des autres par les autorités
gouvernementales et par les juges qui refusaient de leur permettre de
devenir citoyens des États-Unis.
Des
cas remettant en question la légalité de ces mesures
circulaient dans le système judiciaire des États-Unis,
mais l’opinion publique était contre l’Église
et les jugements en sa faveur étaient rares. Les avocats de
l’Église avaient contesté la légalité
de la loi Edmunds-Tucker peu après qu’elle avait été
votée par le Congrès et les saints espéraient
voir la Cour suprême l’invalider. La Cour avait récemment
commencé à entendre l’affaire, mais n’avait
pas encore rendu sa décision, laissant les saints dans le
suspense.
Même
dans une ville aussi isolée que Sanford, Lorena savait que sa
famille et l’Église seraient éparpillées
et inquiétées tant que le gouvernement continuerait de
priver les saints de leurs droits religieux.
Pendant
que les Larsen et d’autres membres de l’Église se
cachaient pour protéger leur famille et pratiquer leur
religion, la Première Présidence cherchait de nouvelles
manières de protéger la liberté religieuse des
saints. Déterminé à gagner des alliés à
Washington et à enfin obtenir le statut d’État
pour l’Utah, Wilford Woodruff avait commencé à
encourager les éditeurs de journaux saints des derniers jours
à cesser d’attaquer le gouvernement dans leurs
publications. Il exhorta les dirigeants de l’Église à
ne plus parler du mariage plural en public pour ne pas provoquer les
détracteurs de l’Église dans le gouvernement. Il
avait aussi demandé au président du temple de Logan de
ne plus célébrer de mariages pluraux dans la maison du
Seigneur.
Avec
ces nouvelles règles, de moins en moins de saints
contractèrent de nouveaux mariages pluraux. Pourtant, certains
espéraient encore suivre le principe tel qu’il avait été
précédemment enseigné. Habituellement, on les
encourageait à se rendre au Mexique ou au Canada où,
hors de portée du gouvernement des États-Unis, les
dirigeants de l’Église mariaient discrètement les
couples. Néanmoins, occasionnellement, des mariages pluraux
étaient encore célébrés sur le territoire
de l’Utah.
En
septembre 1889, pendant qu’ils rendaient visite les saints au
nord de Salt Lake City, Wilford Woodruff et George Q. Cannon
rencontrèrent un président de pieu qui demanda s’il
devait donner une recommandation à l’usage du temple aux
saints qui voulaient contracter un mariage plural.
Wilford
ne répondit pas immédiatement à la question. Au
lieu de cela, il lui rappela qu’un jour, on avait demandé
aux saints de bâtir un temple dans le comté de Jackson
(Missouri), mais qu’ils avaient été obligés
d’abandonner le projet lorsque l’opposition était
devenue trop forte. Le Seigneur avait malgré tout accepté
leur offrande et les conséquences du fait que le temple n’ait
pas été construit étaient retombées sur
les personnes qui l’avaient empêchée.
Wilford
dit : « Ainsi en est-il avec cette nation et les conséquences
retomberont sur les personnes qui prennent ces mesures pour nous
empêcher d’obéir à ce commandement. »
Il
répondit ensuite directement à la question du président
de pieu : « Il n’est pas convenable que de tels mariages
soient contractés sur ce territoire [Utah] en ce moment. »
Puis, indiquant George, il ajouta : « Voici le président
Cannon. Il peut donner son avis. »
George
fut abasourdi. Il n’avait jamais entendu Wilford parler aussi
directement du sujet et il n’était pas sûr d’être
d’accord avec lui. L’Église devrait-elle cesser de
célébrer des mariages pluraux sur le territoire d’Utah
? Personnellement, il n’était pas aussi prêt que
Wilford à répondre à cette question. Il ne
répliqua donc rien et laissa la conversation dévier sur
d’autres sujets.
Plus
tard, pendant que George enregistrait la conversation dans son
journal, il continua de s’interroger sur ce que Wilford avait
dit. Il écrivit : « Selon moi, c’est une question
extrêmement grave et, à ma connaissance, c’est la
première fois que quelque chose de ce genre a été
prononcé par quelqu’un détenant les clés.
»
Au
milieu des interrogations grandissantes sur l’avenir de
l’Église, Susa Gates publia le premier numéro du
Young Woman’s Journal en octobre 1889.
Jacob
et elle étaient rentrés en Utah plus tôt cette
année-là et elle avait commencé à faire
la publicité du magazine. En juin, sa sœur, Maria
Dougall, conseillère dans la présidence générale
de la Société d’Amélioration Mutuelle des
Jeunes Filles, avait encouragé les jeunes filles de Salt Lake
City à soutenir le nouveau magazine et à y participer.
Quelques mois plus tard, plusieurs journaux imprimaient l’annonce
de sa publication imminente.
Susa
avait aussi invité plusieurs auteurs saints des derniers jours
à envoyer au journal leurs poèmes et leur prose.
Pendant des années, les saints ayant des talents littéraires
avaient parfait leurs compétences en rédaction dans des
journaux et magazines parrainés par l’Église tels
que le Woman’s Exponent, le Juvenile Instructor et le
Contributor. En Europe, des saints avaient aussi fourni des articles
au Millennial Star de la mission britannique, au Skandinaviens
Stjerne et au Nordstjarnan de la mission scandinave, et à Der
Stern de la mission suisse-allemande.
Les
saints qualifiaient parfois ce genre de rédaction de «
littérature domestique », un terme qui faisait penser à
la notion de « fabrications domestiques » de Brigham
Young ou de productions locales telles que le sucre, le fer et la
soie. Dans un discours prononcé en 1888, l’évêque
Orson Whitney avait encouragé les jeunes de l’Église
à produire davantage de littérature domestique pour
mettre en relief les plus grands talents littéraires des
saints et témoigner de l’Évangile de
Jésus-Christ.
Il
les avait exhortés ainsi : « Écrivez pour les
journaux, écrivez pour les magazines, surtout pour nos
publications. Produisez des livres qui seront non seulement un
honneur pour vous et pour le pays et le peuple d’où vous
êtes sortis, mais aussi un bienfait pour l’humanité.
»
Dans
le premier numéro du Young Woman’s Journal, Susa publia
les travaux de certains des auteurs les plus connus dans l’Église,
notamment Josephine Spencer, Ruby Lamont, Lula Greene Richards, M. A.
Y. Greenhalgh et les sœurs Lu Dalton et Ellen Jakeman. Elle y
ajouta certains de ses écrits, une lettre de la présidence
générale de la S.A.M.J.F. et une colonne sur la santé
et l’hygiène rédigée par Romania Pratt.
Dans
le premier éditorial du journal, elle exprima son souhait que
le magazine propose bientôt des articles rédigés
par des jeunes filles de toute l’Église. Elle écrivit
: « Rappelez-vous, mesdemoiselles, que c’est votre
magazine. Que son utilité s’étende du Canada au
Mexique, de Londres aux îles Sandwich. »
Plus
tard cet automne-là, un juge fédéral en Utah
refusa la citoyenneté américaine à plusieurs
immigrants européens parce qu’ils étaient saints
des derniers jours et de ce fait, dans l’esprit du juge,
déloyaux envers les États-Unis. Pendant les audiences,
des membres apostats de l’Église affirmèrent que
les saints prêtaient des serments hostiles au gouvernement dans
leurs temples. Des procureurs de district citèrent également
des discours d’une époque où les dirigeants de
l’Église avaient parlé énergiquement
contre les autorités corrompues du gouvernement et les gens
qui avaient quitté l’Église. Ces sermons, ainsi
que d’autres enseignements de l’Église sur les
derniers jours et le royaume de Dieu, furent interprétés
comme autant de preuves que les saints méprisaient l’autorité
du gouvernement.
Wilford
et les autres dirigeants de l’Église savaient qu’ils
devaient répondre à ces affirmations, mais il était
difficile de répondre à ce qui se disait à
propos des ordonnances du temple dont les saints avaient fait la
promesse solennelle de ne pas discuter.
Fin
novembre, Wilford se réunit avec des avocats qui conseillèrent
aux dirigeants de l’Église de fournir à la Cour
davantage de renseignements sur le temple. Ils conseillèrent
également de faire une annonce officielle disant que l’Église
ne célébrerait plus de mariages pluraux. Wilford ne
savait pas comment répondre à la demande des avocats.
Ces actions étaient-elles véritablement nécessaires,
juste pour apaiser les ennemis de l’Église ? Il avait
besoin de temps pour rechercher la volonté de Dieu.
La
nuit était tombée lorsque les avocats le laissèrent
seul. Pendant des heures, il médita et pria pour être
guidé. Les saints et lui étaient venus dans la vallée
du lac Salé en 1847 en quête d’une nouvelle
occasion d’établir Sion et de rassembler les enfants de
Dieu dans la paix et la sécurité de ses frontières.
Maintenant, plus de quarante ans plus tard, les adversaires de
l’Église déchiraient les familles, dépouillaient
les femmes et les hommes de leur droit de vote, créaient des
obstacles à l’immigration et au rassemblement en privant
les gens du droit de citoyenneté simplement parce qu’ils
appartenaient à l’Église.
Sous
peu, les saints risquaient de perdre encore plus, y compris les
temples. Qu’adviendrait-il alors du salut et de l’exaltation
des enfants de Dieu des deux côtés du voile ?
Pendant
qu’il priait, le Seigneur lui répondit. Il dit : «
Moi, Jésus-Christ, le Sauveur du monde, je suis au milieu de
vous. Tout ce que j’ai révélé, promis et
décrété concernant la génération
dans laquelle vous vivez arrivera et aucun pouvoir n’arrêtera
ma main. »
Le
Sauveur ne dit pas exactement à Wilford quoi faire, mais il
promit que tout irait bien si les saints suivaient l’Esprit.
Le
Sauveur dit : « Ayez foi en Dieu. Il ne vous abandonnera pas.
Moi, le Seigneur, je délivrerai mes saints de la domination
des méchants en mon temps et à ma façon. »
CHAPITRE
39
: Entre
les mains de Dieu
Le
14 décembre 1889, Anthon Lund, apôtre récemment
appelé, reçut un télégramme de la
Première Présidence chez lui à Ephraim (Utah).
Troublée par les récents cas de saints nés à
l’étranger à qui l’on refusait la
citoyenneté américaine, la présidence voulait
répondre à l’accusation selon laquelle il était
impossible que les saints soient des citoyens loyaux. Les dirigeants
de l’Église avaient esquissé une déclaration
niant cela et d’autres fausses allégations et voulaient
y apposer le nom d’Anthon en sa qualité de membre du
Collège des Douze.
Anthon
avait défendu l’Église contre les fausses
informations depuis son enfance. Après qu’il fut devenu
membre lorsqu’il était enfant dans son Danemark natal,
ses camarades de classe l’avaient battu à cause de ses
convictions. Au lieu de réagir avec colère, il avait
fait preuve de patience et de gentillesse à leur égard
et avait fini par gagner leur amitié et leur respect. À
l’âge de dix-huit ans, il avait quitté le Danemark
pour rejoindre les saints en Utah et au fil des décennies
suivantes, sa femme, Sanie, leurs six enfants et lui avaient beaucoup
sacrifié pour édifier le royaume de Dieu.
Anthon
répondit immédiatement au télégramme de
la Première Présidence, prêtant son nom à
leur déclaration. Bien qu’il eût occupé de
nombreux postes à responsabilités dans l’Église,
notamment en faisant partie de la présidence du temple de
Manti, c’était la première fois que son nom
allait être présenté au monde entier en tant que
celui d’apôtre de Jésus-Christ.
Contrairement
aux autres membres du Collège des Douze, il n’avait
jamais pratiqué le mariage plural. Il était aussi le
premier apôtre moderne dont la langue maternelle n’était
pas l’anglais. Wilford Woodruff était sûr que ces
différences seraient des atouts dans le collège et il
savait que l’appel d’Anthon représentait la
volonté de Dieu. Sa douceur et sa connaissance de plusieurs
langues pourraient aider à diriger l’Église dans
le siècle à venir.
Lorsque
Anthon fut appelé au sein des Douze, Wilford demanda à
George Q. Cannon de lui confier une mission apostolique pour le
préparer à ses nouvelles responsabilités. Il lui
dit : « Il faudra le travail de toute ta vie pour remplir
convenablement cet appel. Tu ressentiras, comme tu ne l’as
probablement jamais ressenti, le besoin de vivre près de Dieu,
d’invoquer son pouvoir et d’avoir sa protection par ses
anges autour de toi. »
Grâce
à cette mission, Anthon apprit qu’il avait le droit, en
tant qu’apôtre, de découvrir la volonté de
Dieu. Il devrait rester loyal envers les révélations
qu’il recevrait, même lorsqu’elles semblaient
contraires à son bon sens. George lui avait rappelé
qu’il ne serait jamais trop humble. Il devrait exprimer
librement son opinion tout en écoutant humblement le prophète
du Seigneur. George avait dit : « Nous devons être
disposés à regarder l’Esprit de Dieu agir sur cet
homme que Dieu a choisi. »
Le
jour où Anthon répondit au télégramme, la
Première Présidence et le Collège des Douze
publièrent leur déclaration dans le Deseret News. En
termes clairs, ils proclamaient que l’Église détestait
la violence et avait l’intention de vivre en paix avec le
gouvernement des États-Unis en dépit des épreuves
que ses membres avaient endurées sous les lois anti-polygamie
de la nation.
La
déclaration affirmait : « Nous ne réclamons
aucune liberté religieuse que nous ne sommes pas disposés
à accorder aux autres. Nous désirons être en
accord avec le gouvernement et le peuple des États-Unis en
tant que partie intégrante de la nation. »
Cet
hiver-là, pendant que les dirigeants de l’Église
cherchaient à faire comprendre leurs convictions à la
nation, Jane Manning James écrivait à Joseph F. Smith
pour demander des précisions la concernant. Elle avait
maintenant plus de soixante ans et s’inquiétait de ce
que la vie suivante lui réservait. La plupart des saints en
Utah avaient reçu les ordonnances du temple qui les scellaient
à leurs êtres chers dans cette vie et la suivante, mais
Jane comprenait qu’elle, sainte des derniers jours noire,
n’était pas autorisée à participer à
ces ordonnances supérieures.
Tout
de même, elle savait que Dieu avait promis de bénir
toutes les nations de la terre par l’intermédiaire
d’Abraham. Elle se disait que cette promesse devait
certainement s’appliquer à elle.
Ce
qui ajoutait à son inquiétude pour la vie future,
c’était l’état actuel de sa famille. Au
printemps 1870, son mari, Isaac et elle avaient divorcé. Vers
1874, elle avait épousé Frank Perkins, un autre saint
des derniers jours noir, mais leur mariage n’avait pas duré.
Au cours de ces années, la maladie avait emporté trois
de ses enfants et plusieurs petits-enfants. Quatre de ses enfants
étaient encore en vie, mais aucun n’était aussi
dévoué qu’elle envers l’Église.
Seraient-ils
avec elle dans la vie suivante ? Sinon, y avait-il un endroit et une
famille pour elle là-bas ?
Jeune
femme, elle avait vécu et travaillé chez Joseph et Emma
Smith à Nauvoo. À cette époque-là, Emma
avait proposé de l’adopter comme leur fille, mais Jane
n’avait jamais donné de réponse directe avant le
décès de Joseph. Elle comprenait maintenant que les
saints pouvaient être adoptés dans des familles grâce
à un scellement spécial au temple. Elle croyait qu’Emma
l’avait de cette façon invitée à se
joindre à la leur.
Début
1883, Jane avait rendu visite au président Taylor pour
demander la permission de recevoir sa dotation. Ils en avaient parlé
ensemble, mais il ne pensait pas que le moment fût déjà
venu pour les saints noirs de recevoir les ordonnances supérieures
du temple. Il avait examiné la question plusieurs années
auparavant lorsqu’un autre saint noir, Elijah Able, avait
demandé à recevoir ses ordonnances du temple. Les
recherches du président Taylor confirmaient bien qu’Able
avait reçu la Prêtrise de Melchisédek dans les
années 1830 ; néanmoins, les autres dirigeants de
l’Église et lui décidèrent de décliner
la demande à cause de sa race.
Près
de deux ans après avoir parlé au président
Taylor, Jane l’avait de nouveau imploré par courrier. À
l’époque, elle avait écrit : « Je suis
consciente de ma race et de ma couleur et je ne peux m’attendre
à recevoir ma dotation. » Elle avait fait remarquer que
Dieu avait cependant promis de bénir toute la postérité
d’Abraham. Elle demanda : « Puisque ceci est la plénitude
de toutes les dispensations, n’y a-t-il aucune bénédiction
pour moi ? Vous connaissez mon histoire. J’ai fait de mon mieux
pour respecter toutes les lois de l’Évangile. »
Elle rapporta alors l’invitation d’Emma et exprima son
désir d’être adoptée dans la famille de
Joseph Smith. Elle fit la remarque suivante : « Si je pouvais
être adoptée en tant qu’enfant, mon âme
serait satisfaite. »
Peu
après que Jane avait envoyé sa lettre, le président
Taylor avait quitté Salt Lake City pour visiter les colonies
du Sud et du Mexique et il ne lui avait jamais répondu avant
de décéder. Quatre ans plus tard, le président
de pieu de Jane lui avait signé une recommandation pour
accomplir des baptêmes pour les morts au temple. Il avait écrit
: « Vous devez vous contenter de ce privilège en
attendant de nouvelles instructions du Seigneur à ses
serviteurs. » Peu après, elle s’était
rendue au temple de Logan et s’était fait baptiser en
faveur de sa mère, de sa grand-mère, de sa fille et
d’autres parents décédés.
Maintenant,
dans sa lettre à Joseph F. Smith, elle redemandait la
possibilité de recevoir les ordonnances du temple, y compris
l’adoption dans la famille Smith. Elle demanda : « Est-ce
que cela peut se faire et quand ? »
Ne
recevant aucune réponse à sa lettre, elle écrivit
de nouveau en avril. Encore une fois, elle ne reçut aucune
réponse. Jane continua d’avoir foi en l’Évangile
rétabli et aux prophètes, priant pour recevoir le salut
dans le royaume du Seigneur. Un jour, elle avait dit à sa
Société de secours : « Je sais que c’est
l’œuvre de Dieu. À aucun moment je n’ai eu
envie de faire marche arrière. »
Elle
faisait également confiance aux promesses qu’elle avait
récemment reçues dans sa bénédiction
patriarcale prononcée par John Smith, le frère aîné
de Joseph F. Smith.
La
bénédiction assurait : « Tiens tes alliances pour
sacrées, car le Seigneur a entendu tes prières. Sa main
a été au-dessus de toi pour le bien et, en vérité,
tu recevras ta récompense.
Tu
achèveras ta mission et recevras ton héritage parmi les
saints. Ton nom passera à postérité et sera tenu
honorablement en mémoire. »
Par
un après-midi boueux de la fin du mois d’avril 1890,
Emily Grant alla rendre visite à son amie Josephine Smith. Les
deux femmes habitaient à Manassa, une petite ville du Colorado
située à plusieurs kilomètres au sud de Sanford,
où vivaient Lorena et Bent Larsen. Loin des grandes colonies
de saints en Utah, Manassa était devenu un refuge pour les «
veuves polygames » ou les femmes plurales clandestines. Emily
s’y sentait seule, mais elle s’efforçait de
s’établir dans cette ville balayée par le vent
pour sa fille de quatre ans, Dessie, et pour son bébé
Grace.
Pendant
le court trajet en calèche jusque chez Josephine, Dessie
s’était agitée et avait pleuré, attristée
que son « Tonton Eli » bien-aimé ne puisse se
joindre à elles. Emily aussi était triste. «
Tonton Eli » était le nom de code d’Emily pour
l’apôtre Heber Grant, son mari et le père de
Dessie et Grace. En tant que troisième épouse, elle
employait ce nom dans ses lettres et devant les enfants afin de
protéger l’identité de son mari.
Plus
tôt dans la journée, il était rentré chez
lui, à Salt Lake City, après avoir passé deux
jours avec Emily et les filles. Emily espérait qu’une
visite à Josephine lui remonterait le moral, mais dès
leur arrivée, elle fondit en larmes. Josephine comprenait les
sentiments de son amie. Elle-même était une épouse
plurale de John Henry Smith, qui venait juste d’arriver en
ville pour une courte visite.
Emily
trouvait que les visites d’Heber n’étaient jamais
assez longues. Ils avaient grandi ensemble dans la treizième
paroisse de Salt Lake City et ils s’étaient mariés
au printemps de 1884 après de longues fiançailles. En
tant que femme plurale, Emily ne pouvait pas rendre son mariage
public et elle avait souvent déménagé pendant
les six années suivantes, passant du temps au sud de l’Idaho,
en Angleterre et dans un appartement dissimulé dans la maison
de sa mère à Salt Lake City.
Elle
résidait maintenant à Manassa et espérait que
ces longues séparations se termineraient un jour. Habituée
à vivre en ville, elle était encore en train de
s’adapter à la vie dans un village et avait parfois
l’impression d’être à des milliers de
kilomètres de la civilisation. Heber avait essayé de
l’aider en lui fournissant un logement meublé, un
attelage de chevaux, quelques vaches et poules, un employé et
un abonnement au Salt Lake Herald. Rachel Grant, sa belle-mère,
était aussi venue la rejoindre dans le village isolé.
Dans
une lettre envoyée depuis Manassa, elle avait écrit à
son mari : « J’ai maintenant ici tout ce que je veux.
Sauf toi. »
Environ
deux semaines après la visite d’Heber, Emily lui écrivit
et lui parla d’une réunion à Manassa où
deux dirigeants de l’Église avaient dit que les «
veuves » de la ville risquaient de ne jamais pouvoir retourner
en Utah. Elle rapporta : « Ils ont dit que la prochaine
initiative du Congrès serait de confisquer les biens des
dirigeants de l’Église et qu’alors nous serions
très contentes d’être venues nous installer ici. »
Emily
n’était pas convaincue de pouvoir un jour être
heureuse dans ce village. Quelques mois plus tard, elle lui écrivit
: « Je continue de prier pour arriver à me contenter de
mon sort, mais je suis encore découragée et déprimée.
N’oublie pas de prier pour moi, très cher, car sans
l’aide de mon Père céleste, je ne supporterai pas
cela beaucoup plus longtemps sans perdre la raison. »
Le
dimanche 17 août, Wilford Woodruff et ses conseillers rendirent
visite à la colonie. Entre-temps, la Cour suprême des
États-Unis avait rendu sa décision sur la légalité
de la loi Edmunds-Tucker. La Cour était divisée dans
l’affaire, mais une faible majorité de juges avait voté
en faveur de la loi en dépit des affirmations des saints
qu’elle violait leur liberté religieuse. La décision
donnait aux autorités gouvernementales toute latitude pour
appliquer les sanctions de la loi, offrant la possibilité de
saisir encore d’autres biens de l’Église.
Au
cours d’une réunion avec les saints de Manassa, George
Q. Cannon recommanda aux familles de faire preuve de prudence.
Certains hommes du village vivaient avec plus d’une femme et
ils risquaient d’attirer les problèmes et les
persécutions sur toute la collectivité. La remarque mit
certains hommes en colère et ils se présentèrent
devant George le lendemain pour lui dire combien il était dur
pour leurs familles de vivre séparés.
Avant
le départ de Wilford et de ses conseillers, Emily les reçut,
ainsi que d’autres amis, pour le petit-déjeuner.
Ensuite, les autres femmes et elle raccompagnèrent les
visiteurs à la gare. Le train était en retard, ce qui
donna l’occasion à Emily de discuter un peu plus
longtemps avec la Première Présidence. Lorsque le train
arriva enfin, elle serra la main de chacun d’eux. Ils se dirent
les uns aux autres : « Que Dieu vous bénisse. La paix
soit avec vous. »
Emily
aussi aspirait à quitter Manassa. Elle écrivit à
Heber : « Ils sont partis et nous sommes retournées dans
cet endroit désolé. »
Fin
août, la Première Présidence rentra à Salt
Lake City juste à temps pour célébrer le premier
anniversaire de Iosepa, la première colonie de saints hawaïens
en Utah. Le nom Iosepa était leur version du prénom
Joseph.
Lorsque
les Hawaïens avaient commencé à se joindre à
l’Église en 1850, le royaume d’Hawaï avait
empêché son peuple de quitter les îles, incitant
les dirigeants de l’Église à fonder pour eux un
lieu de rassemblement à Laie. Cependant, petit à petit,
les lois s’étaient adoucies et, dans les années
1880, certains, désireux de recevoir les bénédictions
du temple, avaient commencé à se rassembler dans le
territoire d’Utah.
En
1889, la Première Présidence avait organisé un
comité, qui comprenait trois hommes hawaïens, pour
trouver un lieu convenable en Utah où les saints hawaïens
pourraient installer des logements et des fermes. Après avoir
évalué différents endroits, le groupe avait
proposé plusieurs possibilités, notamment un ranch de
huit cents hectares au sud-ouest de Salt Lake City. La Première
Présidence avait examiné les trouvailles du comité
et décida d’acheter le ranch pour la nouvelle colonie.
Tout
au long de l’année suivante, les saints de Iosepa
avaient travaillé dur pour construire des maisons, ensemencer
les terres et s’occuper du bétail. Le premier hiver
avait été rude, surtout comparé au climat
tropical d’Hawaï, mais les colons avaient persévéré,
espérant que le sol riche de Iosepa et les réserves
d’eau provenant des montagnes voisines produisent une moisson
estivale abondante.
Le
jour de la fête était chaud et lumineux. En approchant
de la colonie, les membres de la Première Présidence,
chacun accompagné de l’une de ses femmes, trouvèrent
un oasis de verdure au milieu d’un paysage désertique.
Les pieds de maïs des champs environnants étaient hauts,
avec de gros épis qui faisaient éclater leur enveloppe
de feuilles, et le foin des champs moissonnés était
rassemblé en grands tas jaunes.
Les
saints hawaïens s’attroupèrent autour de leurs
visiteurs, impatients de saluer leur prophète et ses
conseillers, George Q. Cannon et Joseph F. Smith qui, jeunes hommes,
avaient tous deux fait une mission à Hawaï. La soirée
fut remplie de musique joyeuse tandis que les saints de Iosepa
chantaient et jouaient de la guitare, de la mandoline et du violon.
La
fête se poursuivit le lendemain par une parade puis par un
festin de viande rôtie à la broche au déjeuner.
Lorsque George bénit les aliments, il le fit en hawaïen.
C’était la première fois depuis trente-six ans
qu’il priait dans cette langue.
Plus
tard dans la journée, tout le monde se rassembla pour une
réunion spéciale. Solomona, un nonagénaire que
George avait baptisé des décennies auparavant, offrit
une prière d’ouverture fervente. Un saint, Kaelakai
Honua, parla de la miséricorde de Dieu manifestée par
le rassemblement des habitants des îles de la mer en Sion. Un
autre, Kauleinamoku, se désola que certaines personnes aient
quitté Iosepa pour retourner dans le Pacifique. Il exhorta les
saints à être fidèles et à ne pas céder
à l’esprit de mécontentement.
Dans
tout Iosepa, les gens se réjouissaient ensemble et Wilford,
George et Joseph étaient heureux de leur bonheur. George ne
savait plus parler en hawaïen, mais il s’émerveilla
d’avoir compris presque tout ce qui s’était dit
pendant les festivités.
Quelques
jours après son retour de Iosepa, la Première
Présidence apprit que Henry Lawrence, le nouveau représentant
fédéral désigné pour saisir les biens de
l’Église conformément à la loi
Edmunds-Tucker, menaçait maintenant de confisquer les temples
de Logan, Manti et St George.
Ancien
membre de l’Église, il était un adversaire
acharné des saints depuis plus de deux décennies. Il
avait appartenu au Nouveau mouvement de William Godbe et Elias
Harrison et avait témoigné contre l’Église
lors du récent procès empêchant les saints
immigrants d’accéder à la citoyenneté.
Il
savait que la loi Edmunds-Tucker protégeait les bâtiments
utilisés « exclusivement dans le but d’adorer Dieu
», mais il avait l’intention de montrer que les temples
étaient utilisés à d’autres fins et
pouvaient donc être saisis avec les autres propriétés.
Le
2 septembre, la Première Présidence apprit qu’il
avait réussi à obtenir une assignation à
comparaître, ordonnant à Wilford de témoigner
devant le tribunal au sujet des biens de l’Église.
Cherchant à éviter la comparution, la présidence
se rendit en Californie pour consulter plusieurs hommes influents
sensibles à la détresse des saints. Ces hommes ne
laissèrent que peu d’espoir de voir le gouvernement des
États-Unis ou le peuple américain changer d’avis
sur l’Église tant que les saints continueraient de
pratiquer le mariage plural.
Quelques
semaines plus tard, Wilford et ses conseillers retournèrent en
Utah et apprirent que la Commission d’Utah, un groupe
d’autorités fédérales qui gérait
les élections d’Utah et s’assurait que les saints
respectaient les lois anti-polygamie, venait juste d’envoyer
son rapport annuel au gouvernement fédéral. Cette
année, le rapport prétendait à tort que les
dirigeants de l’Église encourageaient et permettaient
encore officiellement le mariage plural. Il affirmait aussi sans
preuve que quarante et un mariages pluraux avaient été
célébrés en Utah au cours de l’année
écoulée.
Pour
éradiquer une bonne fois pour toutes le mariage plural, la
commission recommandait que le Congrès vote des lois encore
plus sévères contre l’Église.
Le
rapport rendit Wilford furieux. Bien qu’il n’eût
pas fait de déclaration publique sur le statut du mariage
plural dans l’Église, il avait déjà décidé
qu’on ne devait plus en célébrer en Utah ni
ailleurs aux États-Unis. De plus, contrairement aux
affirmations du rapport, il avait beaucoup fait durant l’année
écoulée pour décourager les nouveaux mariages
pluraux.
Le
22 septembre, il se réunit avec ses conseillers dans la Gardo
House, la résidence officielle du président de l’Église
à Salt Lake City, pour discuter de la suite à donner au
rapport. George Q. Cannon proposa la publication d’un démenti.
Il dit : « C’est peut-être la meilleure occasion
qui nous soit donnée de publier officiellement, en tant que
dirigeants de l’Église, notre opinion concernant la
doctrine et la loi qui a été décrétée.
»
Plus
tard, après les réunions de la journée, Wilford
pria pour être guidé. Si l’Église ne
cessait pas de célébrer des mariages pluraux, le
gouvernement continuerait de voter des lois contre les saints dont la
majorité ne pratiquait même pas le principe. Le chaos et
la confusion régneraient en Sion. Davantage d’hommes
iraient en prison et le gouvernement confisquerait les temples. Les
saints avaient accompli des centaines de milliers d’ordonnances
pour les morts depuis la consécration des nouveaux temples. Si
le gouvernement saisissait ces bâtiments, combien d’enfants
de Dieu, vivants et morts, seraient privés des ordonnances
sacrées de l’Évangile ?
Le
lendemain, Wilford dit à George qu’il croyait qu’il
était de son devoir en tant que président de l’Église
de publier un manifeste, ou une déclaration publique, à
la presse. Il fit ensuite venir son secrétaire personnel dans
une pièce privée pendant que George attendait à
l’extérieur.
Entre-temps,
l’apôtre Franklin Richards arriva à la Gardo House
à la recherche du prophète. George lui dit qu’il
était occupé et qu’on ne pouvait pas le déranger.
Peu après, Wilford sortit de la pièce avec une
déclaration qu’il venait tout juste de dicter.
L’agitation qu’avait provoquée le rapport de la
commission d’Utah était dissipée. Il avait le
visage lumineux et l’air satisfait.
Il
fit lire le document à haute voix. La déclaration niait
que de nouveaux mariages pluraux aient eu lieu pendant l’année
écoulée et affirmait la volonté de l’Église
de collaborer avec le gouvernement. Elle déclarait : «
Dans la mesure où la nation a adopté une loi
interdisant le mariage plural, nous nous sentons tenus d’obéir
à cette loi et de laisser les événements entre
les mains de Dieu. »
George
dit : « J’ai le sentiment que cela va faire du bien. »
Il ne pensait pas que la déclaration fût prête à
être publiée, mais les idées qu’elle
contenait étaient justes.
Le
lendemain, la Première Présidence demanda à
trois écrivains talentueux : le secrétaire George
Reynolds, le rédacteur Charles Penrose et le conseiller dans
l’Épiscopat président, John Winder, de peaufiner
le langage de la déclaration et de la préparer à
la publication. Wilford présenta le document révisé
aux apôtres Franklin Richards, Moses Thatcher et Marriner
Merrill, et ils recommandèrent quelques révisions
supplémentaires.
Une
fois révisé, le Manifeste, comme il fut appelé,
annonçait la fin des futurs mariages pluraux et soulignait la
détermination de Wilford d’obéir aux lois du pays
et de persuader les saints d’en faire autant.
On
y lisait entre autres : « Nous n’enseignons pas la
polygamie ni le mariage plural, et nous ne permettons à
personne de se livrer à sa pratique. Je déclare par la
présente mon intention de me soumettre à ces lois et
d’user de mon influence auprès des membres de l’Église
que je préside pour qu’ils fassent de même. »
Les
apôtres présents approuvèrent le document et
l’envoyèrent par télégramme à la
presse.
George
Q. Cannon nota ce jour-là dans son journal : « Toute
cette affaire est du ressort du président Woodruff. Il a
affirmé que le Seigneur lui a bien fait comprendre que c’était
son devoir, et il était parfaitement clair dans son esprit que
c’était la chose à faire. »
Wilford
fit aussi allusion au Manifeste dans son journal. Il écrivit :
« Je suis arrivé à un point dans l’histoire
de ma vie, en qualité de président de l’Église
de Jésus-Christ des saints des derniers jours, où je me
trouve dans la nécessité d’agir pour le salut
temporel de l’Église. »
Il
savait que le gouvernement avait pris une position ferme à
l’encontre du mariage plural. Il avait donc prié pour
recevoir l’inspiration de l’Esprit et le Seigneur avait
révélé sa volonté pour les saints.
CHAPITRE
40 : La
chose à faire
En
se réveillant le matin du 26 septembre 1890, B. H. Roberts,
l’un des sept présidents du premier conseil des
soixante-dix, s’attendait à être presque arrivé
chez lui.
Le
train qu’il avait pris pour se rendre vers le nord était
censé arriver à Salt Lake City à dix heures ce
matin-là. Cependant, au lieu d’avoir roulé
pendant la nuit, il s’était arrêté quelque
part dans le désert couvert de broussailles du centre de
l’Utah. Un train en direction du sud avait déraillé
à quelques kilomètres de là et les rails étaient
tordus tout autour de lui. B. H. et ses compagnons de voyage, quatre
membres du Collège des Douze, étaient bloqués.
N’ayant
rien d’autre à faire qu’attendre, B. H. et
l’apôtre John W. Taylor décidèrent de
marcher jusqu’à l’endroit de l’accident. À
leur arrivée, ils virent que seuls les wagons de marchandises
du train étaient renversés. Les voitures de passagers
étaient toujours intactes et B. H. et John W. commencèrent
à bavarder avec les passagers bloqués.
Dans
l’un des wagons, John W. fit signe à B. H. et lui tendit
un journal. B. H. le prit et lut les gros titres avec étonnement.
Le président Woodruff avait publié une déclaration
officielle affirmant qu’il avait l’intention de se
soumettre aux lois du pays et de ne plus autoriser de nouveaux
mariages pluraux.
Pendant
un instant, B. H. sentit un éclair de lumière lui
traverser le corps. Les mots « c’est bien » lui
traversèrent l’esprit et s’adressèrent
directement à son âme. Un sentiment de paix et de
compréhension subsista brièvement. Mais ensuite, en y
réfléchissant, son esprit analytique commença à
s’agiter et les questions se bousculèrent dans sa tête.
Il
pensa au temps qu’il avait passé en prison pour le
mariage plural et aux sacrifices consentis par ses femmes à
cause du principe. Qu’en était-il de tout ce que les
saints avaient souffert pour honorer et défendre la pratique ?
Qu’en était-il des nombreux sermons prononcés au
fil des décennies pour la soutenir ? B. H. croyait que Dieu
soutiendrait les saints dans toutes les difficultés qu’ils
rencontreraient à cause de la pratique. Étaient-ils en
train de céder par lâcheté ?
B.
H. et John W. furent bientôt rejoints par les autres apôtres
qui voyageaient avec eux. Abraham Cannon, fils de George Q. Cannon,
ne sembla pas surpris par la nouvelle. Francis Lyman aussi resta
imperturbable, expliquant que le président Woodruff avait déjà
découragé les nouveaux mariages pluraux aux États-Unis.
À son avis, le Manifeste ne faisait que rendre publique la
position de l’Église sur le sujet. B. H. voyait pourtant
bien que l’apôtre John Henry Smith était troublé,
exactement comme John W. Taylor et lui-même.
Après
avoir parlé aux passagers du train en route vers le sud, B. H.
et les apôtres parcoururent une petite distance vers le nord de
l’accident et prirent un nouveau train en direction de Salt
Lake City. Pendant que le train roulait, le Manifeste était le
principal sujet de conversation. B. H. sentait le désarroi
grandir en lui et il finit par s’éloigner complètement
des apôtres.
Tandis
qu’il était assis seul, les pensées se
bousculaient dans sa tête. Pour chaque raison que ses collègues
donnaient de soutenir le Manifeste, il lui en venait dix pour
lesquelles les saints auraient dû persister dans le principe du
mariage plural, même si cela aboutissait à
l’annihilation même de l’Église.
Quelques
jours plus tard, le 30 septembre, Heber Grant discuta du Manifeste
avec d’autres membres du Collège des Douze lors d’une
réunion à la Gardo House. Il croyait que la publication
de la déclaration était la chose à faire de la
part de l’Église, mais il n’était pas sûr
que cela mette un terme aux épreuves des saints.
La
déclaration disait clairement que l’Église
n’enseignerait plus la polygamie ou mariage plural et ne
permettrait à personne de la pratiquer, mais certaines
questions restaient sans réponse, aussi bien pour les saints
que pour le gouvernement.
Lors
des conversations, Heber entendit plusieurs apôtres dire que le
Manifeste était une mesure temporaire, suspendant le mariage
plural jusqu’à ce que les saints puissent le pratiquer
légalement. Lorenzo Snow, le président du collège,
croyait que c’était une étape nécessaire
pour gagner la bienveillance des autres. Il dit : « Le
Manifeste fera naître dans le cœur des honnêtes
gens un sentiment d’amitié et de respect pour nous. Je
vois clairement le bien-fondé du Manifeste et je suis
reconnaissant que nous l’ayons. »
Franklin
Richards ajouta : « Je suis convaincu que Dieu était
avec le président Woodruff lorsqu’il a préparé
le Manifeste pour le publier. Lorsqu’il a été lu,
j’ai senti que c’était la chose à faire et
qu’il était donné au bon moment. »
Le
Manifeste perturbait toujours John W. Taylor, qui avait été
appelé au Collège des Douze peu de temps après
Heber. À la mort de son père, le président
Taylor, John W. avait trouvé parmi les papiers du prophète
une prétendue révélation sur le mariage. Datée
du 27 septembre 1886, elle semblait faire croire à John W. que
le commandement de pratiquer le mariage plural ne serait jamais
révoqué.
Bien
qu’elle n’eût jamais été présentée
au Collège des Douze ni acceptée comme Écriture
par les saints, John W. croyait qu’elle représentait la
parole de Dieu à son père. Pourtant, il savait que la
révélation était continue, répondant aux
nouvelles situations et aux nouveaux problèmes lorsqu’ils
se présentaient, et il avait foi que Dieu avait parlé à
Wilford aussi. Il dit : « Je sais que le Seigneur a donné
ce manifeste au président Woodruff et il peut l’enlever
lorsque le moment sera venu ou il peut le redonner. »
Le
lendemain, d’autres apôtres exprimèrent leurs
sentiments à l’égard du Manifeste. Comme John W.
Taylor, John Henry Smith avait encore du mal à l’accepter.
Il dit : « Je suis disposé à soutenir la décision
du président de publier le Manifeste bien que je ne sois pas
vraiment certain que ce soit sage de le faire. Je crains que cela ne
fasse plus de mal que de bien à notre peuple. »
Anthon
Lund, le seul monogame du collège, n’était pas
d’accord. Il dit : « Je pense que le Manifeste produira
de bons résultats. J’approuve ce qui a été
fait. »
Heber
dit aussi au collège qu’il était content de la
déclaration. Il dit : « Il n’y a aucune raison
qu’un tel document ne soit pas publié. Le président
Woodruff a simplement dit au monde ce que nous faisons depuis quelque
temps. »
Le
lendemain, les apôtres se réunirent avec la Première
Présidence et chaque homme soutint le Manifeste comme étant
la volonté de Dieu. Ensuite, certains apôtres
exprimèrent leur inquiétude que les détracteurs
de l’Église restent insatisfaits et continuent de
poursuivre en justice les hommes qui ne se séparaient pas ou
ne divorçaient pas de leurs femmes plurales.
Wilford
dit : « Il est impossible de savoir ce que nous devrons faire à
l’avenir, mais pour l’instant, nous devons rester loyaux
envers nos épouses. »
Pour
Heber, la perspective d’être obligé d’abandonner
ses femmes plurales, Augusta et Emily, était inconcevable. Ce
jour-là, il écrivit dans son journal : « Je
confesse que ce serait une grande épreuve pour moi. Je crois
que je ne pourrais pas approuver une telle mesure. »
Le
6 octobre, George Q. Cannon arriva au tabernacle pour la troisième
journée de la conférence générale
d’automne de l’Église. Peu après le début
de la réunion, il se leva et présenta Orson Whitney,
évêque de la dix-huitième paroisse de Salt Lake
City, à qui l’on avait demandé de lire le
Manifeste aux milliers de saints présents.
Pendant
qu’il écoutait la déclaration, George n’était
pas sûr de ce qu’il dirait si Wilford lui demandait de
prendre la parole. Le prophète avait précédemment
émis l’idée que George pourrait parler, mais
celui-ci n’avait pas le moindre désir d’être
le premier à s’adresser aux saints au sujet du
Manifeste. De toutes ses années de prise de parole en public,
jamais on ne lui avait demandé de faire quelque chose d’aussi
difficile.
La
veille, il avait fait un discours sur la Première Présidence
et la révélation, préparant les saints à
cette réunion. Il avait dit : « La présidence de
l’Église doit marcher tout comme vous marchez. Elle doit
procéder par étapes, tout comme vous. Elle doit s’en
remettre aux révélations de Dieu qui lui sont données.
Elle ne peut pas voir la fin dès le début, comme le
Seigneur la voit. »
Il
ajouta : « Tout ce que nous pouvons faire, c’est chercher
à connaître la volonté de Dieu, et quand cela
nous est révélé, même si cela entre en
conflit avec tous les sentiments que nous avions jusque-là,
nous n’avons pas d’autre choix que de faire ce que Dieu
nous montre et de lui faire confiance. »
Lorsque
Orson eut fini de lire le Manifeste, Lorenzo Snow le présenta
aux saints pour leur vote de soutien. Des mains se levèrent
dans toute la salle, certaines résolument, d’autres avec
plus de réticence. D’autres ne se levèrent pas du
tout. Il n’y avait apparemment pas d’opposition directe,
mais les yeux de beaucoup de saints étaient embués de
larmes.
Wilford
se tourna ensuite vers George et l’invita à prendre la
parole. George s’avança vers la chaire avec une prière
dans le cœur, mais l’esprit vide. Cependant, lorsqu’il
se mit à parler, la crainte le quitta et les paroles et les
idées affluèrent librement. Il ouvrit les Écritures
à Doctrine et Alliances 124:49, le passage auquel Wilford
avait fait allusion lorsqu’il l’avait entendu pour la
première fois expliquer la nouvelle position de l’Église
sur le mariage plural.
«
Lorsque je donne le commandement à des fils des hommes de
faire une œuvre pour mon nom, et que ces fils des hommes
mettent toutes leurs forces et tout ce qu’ils ont à
accomplir cette œuvre et ne cessent d’être
diligents, si leurs ennemis tombent sur eux et les empêchent
d’accomplir cette œuvre, voici, il me convient de ne plus
la requérir de la part de ces fils des hommes, mais d’accepter
leurs offrandes. »
Après
avoir lu le verset à haute voix, il dit à l’assemblée
que les saints avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir
pour obéir au commandement de Dieu. Maintenant, par
l’intermédiaire de son prophète, le Seigneur leur
avait donné de nouvelles directives. Il dit : « Lorsque
Dieu fait connaître sa volonté, j’espère
que tous les saints des derniers jours, moi compris, s’inclineront
et se soumettront. »
Sachant
que certains saints doutaient de l’origine divine du Manifeste
et se demandaient pourquoi le prophète ne l’avait pas
publié plus tôt et évité ainsi les
souffrances et les persécutions de ces dernières
années, il leur conseilla de chercher à obtenir un
témoignage personnel du document.
Il
les exhorta : « Allez dans vos lieux secrets. Demandez à
Dieu et implorez-le, au nom de Jésus, de vous donner un
témoignage comme il nous en a donné un, et je vous
promets que vous n’en ressortirez ni bredouilles ni mécontents.
»
Lorsqu’il
eut fini de parler, Wilford s’avança à la chaire.
Il dit : « Le Seigneur prépare un peuple à
recevoir son Royaume et son Église et à édifier
son œuvre. Cela, frères et sœurs, est notre tâche.
»
Afin
de rassurer les saints qui doutaient de l’origine divine du
Manifeste, il ajouta : « Le Seigneur ne me permettra jamais, ni
à aucun autre homme qui détient le poste de président
de l’Église, de vous égarer. Ce n’est pas
dans le programme. Ce n’est pas la volonté de Dieu. Si
je m’aventurais à faire une telle chose, le Seigneur
m’ôterait de ma place. »
Il
bénit ensuite les saints et retourna à sa place sur
l’estrade.
Ce
jour-là, de nombreuses personnes quittèrent le
tabernacle, reconnaissantes pour le Manifeste et remplies de l’espoir
qu’il atténuerait les persécutions dont l’Église
était victime. Elles avaient ressenti de la force spirituelle
et de la paix pendant la réunion. D’autres, par contre,
se sentaient indécises, perturbées et même
trahies.
En
dépit des problèmes importants qui y étaient
liés, dont certains étaient profondément
douloureux, le mariage plural avait été une bénédiction
pour de nombreux saints. Pendant deux générations, la
pratique avait permis à presque toutes les personnes qui
désiraient se marier de le faire. Elle avait permis à
beaucoup de saints d’élever de nombreux enfants fidèles
qui devinrent des parents, des membres de l’Église, des
dirigeants et des missionnaires dévoués. Elle avait
entraîné de nombreux mariages entre cultures, unissant
la population diversifiée d’immigrants.
De
plus, elle avait réuni les saints dans un combat commun contre
la persécution et les avait aidés à se forger
une identité de peuple acquis, de peuple de l’alliance
de Dieu. Plus de deux mille saints avaient été accusés
de polygamie, de cohabitation illégale ou d’autres
comportements associés au mariage plural. Environ neuf cent
trente étaient allés en prison pour leurs convictions.
Belle Harris, une petite-nièce de Martin Harris qui avait
refusé de témoigner contre son mari avait été
envoyée en prison pendant qu’elle allaitait son bébé.
Pour de nombreux saints, de tels outrages étaient des
sacrifices qu’ils avaient été disposés à
faire en tant que disciples du Christ.
B.
H. Roberts vécut l’un des moments les plus difficiles de
sa vie lorsqu’il écouta la lecture du Manifeste à
la chaire. Bien qu’il n’eût aucun désir de
s’opposer ouvertement à la déclaration, son
assurance précédente que c’était bien
n’était pas revenue et il ne put lever la main pour la
soutenir.
Zina
Young, la présidente générale de la Société
de secours, soutint le Manifeste, mais il lui en coûta. Ce
soir-là, elle écrivit dans son journal : « Nous
nous confions en Dieu et nous nous soumettons. »
Joseph
Dean, qui était rentré de sa mission aux Samoa un mois
plus tôt, était également présent dans le
tabernacle ce jour-là. Il pensait que le Manifeste était
une action pénible, mais nécessaire. Il écrivit
dans son journal : « De nombreux saints semblaient sidérés
et troublés et avaient du mal à savoir comment voter.
Un grand nombre de sœurs pleuraient en silence et semblaient
souffrir davantage que les frères. »
Le
jour suivant se leva froid et humide. Pendant que la pluie crépitait
sur les toits, certains saints se demandaient comment le Manifeste
allait affecter leur quotidien. La déclaration n’indiquait
pas précisément comment les saints déjà
impliqués dans un mariage plural devaient procéder.
Certaines femmes plurales craignaient d’être abandonnées.
D’autres étaient optimistes et espéraient que le
Manifeste apaiserait le gouvernement et mettrait fin à la peur
et à l’incertitude de la vie dans la clandestinité.
D’autres saints décidèrent simplement de rester
cachés jusqu’à ce que les dirigeants de l’Église
expliquent plus en détail comment adapter le Manifeste au cas
par cas.
Lorsque
la nouvelle arriva à Cardston (Canada), Zina Presendia Card et
ses voisins en furent abasourdis, mais se rendirent rapidement compte
que le Manifeste était précisément ce dont
l’Église avait besoin. Elle écrivit dans le
Woman’s Exponent : « Nous avons le sentiment que notre
véritable position est maintenant connue et comprise comme
elle ne pouvait l’être avant la publication du Manifeste.
L’ensemble des saints d’ici estime que nos dirigeants
conduisent l’œuvre du Christ à la victoire et sont
un avec les saints du pays de Sion. »
Plus
tard, dans le Young Woman’s Journal, Susa Gates avertit les
jeunes filles qu’elles ne devaient pas parler à la
légère du Manifeste. Elle leur rappela que le mariage
plural avait permis à des femmes qui ne l’auraient pas
pu autrement de contracter l’alliance du mariage et d’avoir
des enfants. Ces possibilités n’existeraient dorénavant
plus.
«
Vous, les jeunes filles de Sion, êtes aussi concernées
par cette affaire que le sont vos mères et vos pères. »
Elle conseilla : « Veillez à ce qu’aucune parole
de réjouissance stupide ne franchisse vos lèvres au
sujet de ce qui a été fait. Si vous en parlez, que ce
soit dans l’esprit le plus solennel et le plus sacré. »
À
Manassa, lorsque Emily Grant entendit parler pour la première
fois du Manifeste, elle fut pleine de gravité, mais ses idées
noires cédèrent la place à la joie lorsqu’elle
reçut le témoignage que la déclaration était
juste. Elle écrivit à son mari : « Il m’a
semblé voir percer le premier rayon de lumière à
travers nos difficultés. »
Vers
cette époque-là, Lorena et Bent Larsen décidèrent
de retourner en Utah après avoir essayé pendant des
mois de gagner leur vie au Colorado. Les terres de Sanford n’avaient
pas produit grand-chose et il avait été presque
impossible à Bent de trouver un autre emploi. Il avait
maintenant l’intention de vivre avec sa première femme,
Julia, et leur famille élargie à Monroe (Utah), pendant
que Lorena et ses enfants vivaient avec la famille de son frère
dans une ville située à environ cent cinquante
kilomètres.
Après
les jours passés à voyager seuls à travers les
canyons rocailleux, la beauté sauvage du désert de Moab
(Utah) offrait un lieu de repos bienvenu.
Au
cours de leur arrêt précédent, ils avaient appris
que les dirigeants de l’Église avaient publié une
déclaration au sujet du mariage plural, mais ils n’en
savaient pas plus. Mais à Moab, ils rencontrèrent des
gens qui avaient assisté à la conférence à
Salt Lake City. Pendant que Lorena restait dans la tente familiale,
Bent alla se renseigner au sujet du Manifeste.
Lorsqu’il
revint, il dit à sa femme que la Première Présidence
et le Collège des Douze avaient annoncé que l’Église
avait cessé de célébrer des mariages pluraux et
avait l’intention de se soumettre aux lois du pays.
Lorena
n’arrivait pas à croire ce qu’elle entendait. Elle
avait accepté le mariage plural parce qu’elle croyait
que c’était la volonté de Dieu pour elle et pour
les saints. Les sacrifices qu’elle avait faits pour pratiquer
le principe lui avaient causé du chagrin et des épreuves,
mais ils l’avaient poussée à vivre à un
niveau supérieur, à surmonter ses faiblesses et à
aimer son prochain. Pourquoi Dieu demanderait-il maintenant aux
saints de se détourner de la pratique ?
Lorena
chercha du réconfort auprès de Bent mais au lieu de la
rassurer, il se retourna et quitta la tente. Elle pensa : « Oh,
oui. C’est facile pour toi. Tu peux retourner auprès de
ton autre famille et être heureux avec elle, et moi je dois
être comme Agar, renvoyée. »
Des
ténèbres obscurcirent l’esprit de Lorena. Elle
pensa : « Si le Seigneur et les autorités de l’Église
ont fait marche arrière sur ce principe, il peut en être
de même au sujet de n’importe quel aspect de l’Évangile.
» Elle avait cru que le mariage plural était une
doctrine aussi immuable que Dieu lui-même. Si ce n’était
pas le cas, pourquoi devait-elle avoir foi en quoi que ce soit
d’autre ?
Elle
pensa ensuite à sa famille. Que signifiait le Manifeste pour
elle et pour ses enfants ? Et que signifiait-il pour les autres
femmes et enfants dans le même cas ? Pouvaient-ils toujours
compter sur leurs maris et pères pour les aimer et les
soutenir ? Ou seraient-ils laissés à la dérive
simplement parce qu’ils avaient essayé de servir le
Seigneur et de respecter ses commandements ?
Lorena
s’effondra sur sa couche. Les ténèbres autour
d’elle semblaient impénétrables et elle souhaita
que la terre s’ouvre et l’engouffre, elle et ses enfants.
Puis, soudain, elle sentit une présence puissante dans la
tente. Une voix lui dit : « Ce n’est pas plus
déraisonnable que le commandement du Seigneur à Abraham
d’offrir son fils Isaac. Lorsque le Seigneur voit que tu es
disposée à obéir en tout, l’épreuve
est retirée. »
Une
lumière brillante enveloppa l’âme de Lorena et
elle éprouva de la paix et du bonheur. Elle comprit que tout
se passerait bien.
Peu
de temps plus tard, Bent revint à la tente. Elle lui parla de
la présence qui avait chassé son angoisse. Il confessa
: « Je savais que je ne pouvais rien dire pour te réconforter
alors je suis allé jusqu’à un bouquet de saules
et j’ai demandé au Seigneur de t’envoyer un
consolateur. »
CHAPITRE
41
: Si
longtemps submergé
L’après-midi
du 25 février 1891, Jane Richards, première conseillère
dans la présidence générale de la Société
de secours, se préparait à prendre la parole à
Washington à l’occasion de la première conférence
du Conseil national des femmes. Au cours des deux dernières
journées et demie, elle avait eu plaisir à écouter
des femmes de tous les États-Unis parler de leurs réussites
dans les domaines de l’éducation, des œuvres
caritatives, de la réforme et de la culture. L’heure
était maintenant venue de faire son discours et des centaines
de personnes étaient venues écouter ce que la sainte
des derniers jours avait à dire.
Pendant
la plus grande partie de son demi-siècle d’existence, la
Société de secours s’était attachée
à répondre aux besoins des saints. Cependant, Zina
Young, la présidente générale de la Société
de secours, était persuadée que les organisations de
femmes dans l’Église devaient coopérer avec
d’autres groupes pour soutenir des causes telles que le
suffrage féminin. En participant au Conseil national des
femmes, les dirigeantes de la Société de secours et de
la Société d’Amélioration Mutuelle des
Jeunes Filles auraient l’occasion de rencontrer des personnes
ayant des valeurs et des objectifs communs et de collaborer avec
elles.
Jane
avait été choisie parce qu’Emmeline Wells voulait
envoyer des femmes instruites et très au courant des problèmes
des femmes en Utah. Elle voulait aussi envoyer quelqu’un de
courageux, une qualité dont Jane, selon elle, était
abondamment pourvue.
Emmeline,
Sarah Kimball et d’autres dirigeantes de l’Église
se joignirent à elle à Washington. Avant de partir, ces
femmes avaient été bénies et mises à part
par un apôtre ou un membre de la Première Présidence
pour représenter leur organisation.
Contrairement
aux visites précédentes d’éminentes
saintes des derniers jours à Washington, elles n’allaient
pas faire pression en faveur des saints. Elles s’y rendaient en
qualité de dirigeantes d’organisations de femmes qui
voulaient parler de leur travail, non seulement en Utah, mais
également dans tous les autres lieux où les Sociétés
de Secours et la S.A.M. étaient établies.
Avant
que Jane et les autres déléguées d’Utah ne
puissent rejoindre le conseil, un comité avait délibéré
au sujet de leur admission. La plupart des femmes du comité
avaient reconnu les efforts de la Société de secours
pour promouvoir le suffrage féminin, organiser les femmes à
l’échelle nationale et internationale et établir
de bons rapports avec les dirigeantes éminentes du mouvement
national des femmes. Cependant une femme s’était opposée
à leur admission, croyant qu’elles étaient venues
prêcher la polygamie.
D’autres
membres du comité avaient pris la défense des saints,
citant le Manifeste comme preuve que la délégation
d’Utah était digne de confiance. Finalement, le comité
avait voté à l’unanimité l’admission
de la Société de secours et de la S.A.M. dans leur
organisation.
Lorsque
ce fut le tour de Jane de parler, elle fut brève. Elle dit à
l’assemblée que la Société de secours
croyait qu’il fallait offrir amour, bienveillance, paix et joie
à tout le monde. Elle remercia également les femmes de
partout qui croyaient en ces mêmes valeurs.
Elle
dit : « Nos avis peuvent diverger sur certains points, mais
notre objectif principal est de faire du bien à tous. »
Pendant
qu’elle était à Washington, elle parla de la
Société de secours et des saints à de nombreuses
personnes. Elle fut en admiration devant les femmes qu’elle
rencontra et devant le travail qu’elles accomplissaient. Elle
aurait bien aimé avoir cinq cents exemplaires du Manifeste à
distribuer aux personnes qui s’interrogeaient au sujet du
mariage plural. Avant de rentrer, elle invita nombre de ses nouvelles
amies à visiter l’Utah.
Si
elles voulaient faire connaissance avec les saints des derniers
jours, le mieux était de passer du temps parmi eux.
Cet
hiver-là, Emily Grant eut de plus en plus de difficultés
à supporter seule le vent violent et glacial du Colorado.
Depuis la publication du Manifeste, les rapports de l’Église
avec le gouvernement des États-Unis avaient commencé à
s’améliorer. Priver les saints de leur droit de vote ou
confisquer les temples n’intéressait plus les autorités
de Washington, y compris le président. Et la Cour suprême
américaine décréta que les enfants de mariages
polygames pouvaient de nouveau hériter des biens.
Néanmoins,
les lois fédérales anti-polygamie restaient en vigueur.
Les marshals continuaient d’arrêter les gens pour
polygamie et cohabitation illégale, mais le nombre
d’arrestations ne cessait de diminuer. Si Emily quittait la
sécurité relative de Manassa, son mariage plural à
Heber Grant risquait de s’ébruiter et de mettre leur
famille en péril.
Daniel
Wells, le père d’Emily, décéda en mars
1891. Elle retourna à Salt Lake City avec ses filles, Dessie
et Grace, pour les obsèques et Heber accepta qu’elle se
réinstalle en ville. Il pensait que tant qu’ils
gardaient leur mariage secret, habitaient dans des maisons séparées
et ne se montraient pas ensemble en public, ils pouvaient vivre plus
près les uns des autres.
La
famille et les amis d’Emily voulaient organiser une fête
pour célébrer son retour à Salt Lake City, mais
elle préféra être discrète. Elle dit à
Heber : « Je veux juste rendre visite à mes parents et
amis sans attirer l’attention sur moi. » Elle emménagea
chez sa mère, à quelques rues de chez Heber, et
continua de communiquer avec lui essentiellement par courrier. Ce
n’était pas exactement la vie dont elle rêvait,
mais c’était bien mieux que d’habiter à des
centaines de kilomètres.
Ce
printemps-là, Dessie, leur fille, fêta ses cinq ans. En
plus de se faire appeler « Mary Harris » et d’appeler
Heber « Tonton Eli », Emily appelait Dessie «
Pattie Harris » pour se protéger, sa famille et elle,
des marshals. Maintenant que la situation s’améliorait,
Emily et Heber avaient arrêté les faux-semblants et
commencé à utiliser leurs vrais noms dans leur
correspondance.
À
l’anniversaire de Dessie, Emily lui mit une nouvelle robe, lui
frisa les cheveux et les attacha avec un nouveau ruban bleu. Emily
dit : « Maintenant que tu es une si grande fille, je vais te
dire un secret. » Elle révéla à l’enfant
qu’elle s’appelait Dessie et lui dit que tonton Eli était
en réalité son père.
Peu
après, Dessie apprit que deux de ses nouvelles amies, Rachel
et Lutie, étaient ses sœurs, les filles de leur père
et de sa femme, Lucy. Un jour, Lutie, âgée de dix ans,
arriva chez Emily avec son poney jaune, Flaxy, attelé à
une petite carriole. Elle voulait emmener ses sœurs en
promenade. Emily n’était pas sûre qu’il soit
prudent de laisser les fillettes partir, mais elle accepta. Dessie et
Grace grimpèrent dans la minuscule carriole qui bringuebala en
emportant les sœurs.
Emily
était reconnaissante d’être enfin de retour chez
elle à Salt Lake City. Il lui déplaisait de cacher son
union avec Heber et elle aurait aimé que sa famille eût
la liberté de déambuler en ville à sa guise,
mais elle voyait la main de Dieu dans ses retrouvailles avec son mari
et elle savait qu’ils étaient heureux dans leur amour
mutuel.
Elle
écrivit : « Le simple fait que j’aie pu tout
supporter me paraît remarquable et je prie pour avoir la force
de supporter ce que l’avenir me réserve. »
Ce
printemps-là, John Widtsoe, dix-neuf ans, célébra
la remise de son diplôme du Brigham Young College de Logan.
Lors de la cérémonie, il reçut une récompense
spéciale pour son excellence en rhétorique, allemand,
chimie, algèbre et géométrie.
Pendant
ses années universitaires, il s’était
enthousiasmé chaque fois qu’il avait découvert
une nouvelle bribe de connaissance. L’établissement
était encore nouveau et disposait de peu d’ouvrages dans
sa bibliothèque et d’équipement dans son
laboratoire. Les professeurs n’avaient pas non plus fait
d’études universitaires poussées bien qu’ils
fussent d’excellents enseignants qui savaient simplifier un
sujet pour l’enseigner à leurs élèves.
Le
directeur, Joseph Tanner, était un ancien élève
de Karl Maeser, le célèbre directeur de l’académie
Brigham Young de Provo qui était maintenant surintendant de
plus de trois douzaines d’écoles de l’Église.
Ancien missionnaire en Europe et au Moyen-Orient, il donnait
également les cours de religion, enseignant à John et à
ses camarades le plan du salut et le rétablissement de
l’Évangile. La théologie devint l’une des
matières préférées de John. Elle façonna
sa personnalité et son attitude à l’égard
de la vie et le rendit plus sensible aux différences entre le
bien et le mal.
Aux
environs de la remise des diplômes, Joseph invita John à
se joindre à lui et à un groupe de saints des derniers
jours érudits pour s’inscrire cet été-là
à Harvard, l’université la plus ancienne et la
plus respectée des États-Unis. Joseph voulait que les
érudits reçoivent un enseignement de premier choix
qu’ils utiliseraient ensuite pour améliorer la qualité
de l’enseignement donné dans les écoles d’Utah.
Harvard
était exactement le genre d’endroit où Anna, la
mère de John, avait toujours voulu qu’il aille et elle
soutint sa décision de s’y rendre, confiante qu’il
excellerait dans ses études. Pour payer ses frais de
scolarité, il fit un emprunt auprès d’une banque
locale. Cinq amis de la famille, dont Anthon Skanchy, le missionnaire
qui avait baptisé Anna en Norvège, lui apportèrent
également leur soutien financier.
John
partit pour Harvard moins d’un mois après avoir reçu
son diplôme. Peu après, Anna négocia un prêt
sur sa maison, la mit en location et déménagea à
Salt Lake City où son jeune fils, Osborne, et elle purent
trouver davantage de travail pour subvenir aux besoins de la famille
et payer les études de John.
Anna
lui écrivit souvent. Dans une lettre, elle lui dit : «
Tu rencontreras probablement de nombreuses petites difficultés
et déceptions au début, mais elles te seront toutes
très utiles à l’avenir. »
Elle
promit : « Dieu est avec toi et il t’accordera le double
de ce que tu oses imaginer ou demander en prière. Incline-toi
devant le Seigneur au moment que tu as choisi et chaque fois que tu
en as envie, le cœur reconnaissant et humble. »
À
Salt Lake City, Joseph F. Smith continuait de vivre dans la
clandestinité bien que les menaces d’arrestation et de
poursuites eussent diminué. Contrairement aux mariages pluraux
d’Heber Grant, les siens étaient de notoriété
publique et son poste dans la Première Présidence
faisait depuis longtemps de lui la cible des marshals fédéraux.
Les
jours de semaine, il rendait visite à ses femmes et à
ses enfants à la nuit tombée, puis retournait dormir
dans son bureau à la Gardo House. En fin de semaine, il se
risquait à des séjours plus longs et passait un
week-end à tour de rôle chez chacune de ses cinq femmes.
Vivre comme un fugitif était décourageant. Il écrivit
à sa tante, Mercy Thompson : « À moins que le
Seigneur ne me décharge d’une manière que je
n’arrive pas à concevoir actuellement, je suis condamné
à rester caché pour un bon bout de temps. »
En
juin 1891, il écrivit une lettre au président des
États-Unis, Benjamin Harrison, demandant une amnistie ou la
suppression de toutes les accusations pénales portées
contre lui. Les bons sentiments s’améliorant entre
l’Église et le gouvernement des États-Unis,
Joseph pensait pouvoir recevoir une grâce.
En
recherchant l’amnistie, il ne promettait cependant pas
d’abandonner ses femmes. Le Manifeste n’indiquait pas
comment les saints impliqués dans les mariages pluraux
existants devaient se comporter, mais Wilford Woodruff avait tenu
conseil en privé avec des présidences de pieu et des
Autorités générales sur la manière
d’interpréter son message. Il dit : « Le Manifeste
ne concerne que les futurs mariages et non les situations passées.
Je n’ai pas promis, et je ne pouvais ni ne voulais promettre
que vous abandonneriez vos femmes et vos enfants. Vous ne pouvez
faire cela en tout honneur. »
Quelques
personnes décidèrent quand même de mettre fin à
leurs mariages pluraux, mais la plupart se conformèrent au
Manifeste de manière moins radicale. Certains hommes
s’efforcèrent de leur mieux de continuer de soutenir
leurs familles plurales financièrement et émotionnellement,
sans vivre avec elles. D’autres continuèrent de vivre
avec leurs familles comme si rien n’avait changé, même
si de ce fait ils risquaient les poursuites et l’emprisonnement.
Pour
sa part, Joseph choisit de continuer de prendre soin de ses familles
comme toujours, croyant qu’il respectait le Manifeste tout en
obéissant à la loi interdisant la cohabitation.
Début
septembre, il fut informé qu’un article de journal
annonçait que le président Harrison lui avait accordé
l’amnistie. Il ne voulait cependant ni fêter l’événement
ni se montrer en public tant qu’il n’avait pas les
documents en main. Dans une lettre adressée à un ami,
il écrivit : « Il y a si longtemps que je suis noyé
sous la déferlante des événements que si
j’obtiens une libération quelconque, j’aurai
l’impression de ressusciter ou de naître de nouveau, avec
de nouvelles expériences à vivre et tout à
réapprendre. »
La
lettre d’amnistie arriva peu après. Rempli de
reconnaissance, il espérait que son recours en grâce
entraînerait l’amnistie générale pour tous
les saints ayant contracté un mariage plural avant le
Manifeste. Il savait cependant qu’une telle grâce
n’empêcherait pas le gouvernement de porter de nouvelles
accusations contre les hommes qui continuaient de vivre avec les
femmes qu’ils avaient épousées longtemps
auparavant. Par mesure de sécurité, il décida de
passer ses nuits au bureau de la Première Présidence
tout en instruisant ses enfants et en pourvoyant aux besoins de sa
grande famille. Ses cinq femmes et lui continuèrent d’avoir
des enfants.
Le
dimanche suivant l’amnistie, Joseph assista à l’École
du dimanche de la Seizième paroisse de Salt Lake City. Il
parla aux enfants en classe et bavarda ensuite avec d’anciens
amis et d’anciennes connaissances. Plus tard dans la journée,
il assista à une réunion d’après-midi dans
le tabernacle où il fut appelé à prendre la
parole.
En
balayant l’assemblée du regard, il fut presque submergé
par l’émotion. Il dit : « Cela fait plus de sept
ans que je n’ai pas eu le privilège de me tenir devant
une assemblée dans ce tabernacle. » Tant de choses
avaient changé en son absence qu’il avait l’impression
d’être un enfant éloigné de chez lui depuis
longtemps.
Il
témoigna du Rétablissement affirmant que c’était
l’œuvre du Seigneur. Il déclara : « Je
remercie Dieu, le Père éternel, d’avoir mis ce
témoignage dans mon cœur et dans mon âme, car il
me donne une lumière, une joie, une espérance et une
consolation qu’aucun homme ne peut donner ou ôter. »
Il
pria aussi pour que Dieu aide les saints à faire ce qui est
bien et honorable devant le Seigneur et devant la loi. Il dit : «
Nous devons vivre au milieu du monde tels que nous sommes. Nous
devons tirer le meilleur parti de la situation dans laquelle nous
sommes placés. C’est ce que le Seigneur exige de la part
des saints des derniers jours. »
Peu
après l’amnistie de Joseph F. Smith, Wilford Woodruff
déclara que Dieu voulait que les saints achèvent le
temple. Deux ans auparavant, les ouvriers avaient couvert le
bâtiment, permettant aux menuisiers et autres artisans de
travailler à longueur d’année. Il restait quand
même beaucoup à faire sur l’extérieur de
l’édifice, notamment installer une grande statue d’un
ange sur la flèche la plus élevée du temple. La
statue serait sculptée par l’artiste renommé
Cyrus Dallin, qui avait grandi en Utah et avait bénéficié
d’une formation artistique poussée dans l’Est des
États-Unis et à Paris.
Début
octobre, des dizaines de responsables de l’Église se
mirent d’accord pour lever cent mille dollars pour la
construction, sachant qu’il en faudrait probablement davantage
pour la terminer. Vers cette époque-là, la Première
Présidence et plusieurs apôtres firent aussi appel pour
que les biens de l’Église confisqués par le
gouvernement en application de la loi Edmunds-Tucker et estimés
à près de quatre cent mille dollars soient restitués.
Si
les saints reprenaient possession de ces biens, cela soulagerait de
manière importante leur fardeau financier, mais cela
obligerait la Première Présidence et les Douze à
se présenter pour une audience et à répondre à
des questions d’avocats du gouvernement sur l’engagement
de l’Église à obéir aux lois
anti-polygamie.
Au
cours des semaines précédant l’audience, les
avocats de l’Église posèrent à la Première
Présidence et aux membres des Douze les questions que ceux du
gouvernement risquaient de leur poser. Plusieurs apôtres
s’inquiétaient de la manière de répondre
aux questions sur l’avenir du mariage plural dans l’Église.
La pratique était-elle terminée pour de bon ou le
Manifeste était-il une mesure temporaire ? Et si on leur
demandait si les maris devaient continuer de vivre avec leurs femmes
plurales et subvenir à leurs besoins, comment devaient-ils
répondre ?
En
fonction de la manière dont ils répondraient, les
dirigeants de l’Église couraient le risque de perdre la
bonne volonté du gouvernement et de troubler, ou même
d’offenser, les saints.
Le
jour de l’audience, le 19 octobre 1891, Charles Varian, avocat
du gouvernement des États-Unis, interrogea Wilford pendant
plusieurs heures. Ses questions étaient conçues pour
l’obliger à préciser la position de l’Église
à l’égard du mariage plural et l’objectif
du Manifeste. Il chercha à répondre honnêtement
sans parler de façon définitive du statut des unions
existantes.
Lorsque
l’interrogatoire débuta, Charles Varian lui demanda ce
que signifiait le Manifeste pour les personnes déjà
unies par un mariage plural. Étaient-elles censées
cesser de se fréquenter en tant que mari et femme ?
Wilforfd
ne répondit pas directement à la question. Il dit : «
Mon intention était que la proclamation couvre tout le
terrain, afin d’obéir entièrement aux lois du
pays. » Il savait que les saints impliqués dans les
mariages pluraux avaient contracté des alliances sacrées
avec Dieu, et il ne leur demanderait jamais d’enfreindre leurs
vœux de mariage. Cependant, chaque personne était
personnellement responsable de son obéissance aux lois du
pays, selon sa conscience.
«
L’unique raison de cette déclaration était-elle
ces lois ? », demanda Charles Varian, essayant de mesurer la
sincérité des dirigeants de l’Église en
proclamant le Manifeste.
Wilford
répondit : « Lorsque j’ai été nommé
président de l’Église, j’ai réfléchi
à cette question et cela fait un bon moment que je pense que
le mariage plural doit cesser dans cette Église. »
Il
décrivit ensuite comment les lois anti-polygamie punissaient
non seulement le petit pourcentage de saints qui le pratiquaient,
mais également les dizaines de milliers qui ne le pratiquaient
pas. Il expliqua : « C’est pour ces raisons que j’ai
publié le Manifeste, je dirais par inspiration. »
Charles
Varian demanda : « Pourquoi n’avez-vous pas qualifié
ce Manifeste de révélation pour votre Église au
lieu de le qualifier de recommandation personnelle ? »
Wilford
répondit : « Selon moi, l’inspiration est
révélation. Elle vient de la même source. Je
pense qu’on n’est pas toujours obligé de dire :
‘Ainsi dit le Seigneur.’ »
Charles
Varian lui demanda ensuite si le Manifeste était le résultat
direct des privations subies par les saints à cause de la loi.
Wilford
déclara : « Le Seigneur exige, et a exigé à
maintes reprises que son peuple accomplisse une œuvre qu’il
a été empêché d’accomplir à
cause de la situation dans laquelle il se trouvait. C’est sur
cette base, si vous me comprenez, que je considère la position
où nous sommes aujourd’hui. »
Le
lendemain de l’audience, le Deseret News et d’autres
journaux locaux publièrent des transcriptions du témoignage
de Wilford à la cour. Certaines personnes, ne saisissant pas
la prudence avec laquelle le prophète avait précisé
le sens du Manifeste, comprirent erronément qu’il
attendait des maris qu’ils abandonnent leurs femmes plurales.
Un
homme de St George écrivit : « Cette annonce du
président de l’Église a provoqué un
malaise parmi le peuple et certains pensent qu’il a renié
la révélation sur le mariage plural avec ses alliances
et ses obligations. » Certains hommes se servirent même
du témoignage comme excuse pour abandonner leurs familles
plurales.
Lors
de réunions privées, Wilford reconnut que ses réponses
avaient été vagues, mais il insista sur le fait qu’il
n’aurait pas pu répondre autrement à l’avocat.
Il répéta également aux Douze que tout homme qui
déserterait ou négligerait ses femmes ou ses enfants à
cause du Manifeste ne serait pas digne d’être membre de
l’Église.
Il
ne condamna pas ceux qui, tels Joseph F. Smith et George Q. Cannon,
continuaient d’avoir des enfants avec leurs femmes plurales,
mais il croyait également que les hommes pouvaient obéir
à la loi et respecter leurs alliances en vivant séparément
de leurs familles plurales tout en continuant d’assurer leur
bien-être. Pour sa part, il continuait de vivre en public avec
sa femme Emma, tout en pourvoyant aux besoins de ses autres femmes,
Sarah et Delight, et de leurs enfants.
Lorsqu’il
apprit que certaines personnes se demandaient s’il n’était
pas en train d’égarer l’Église, il décida
de reparler du sujet. Lors d’une conférence de pieu à
Logan, il reconnut que de nombreux saints avaient du mal à
accepter le changement. Il posa une question : aurait-il été
plus sage de continuer de célébrer des mariages
pluraux, quelles qu’en soient les conséquences ? Ou de
respecter les lois du pays afin que les saints puissent jouir des
bénédictions du temple et éviter la prison ?
Il
dit : « Si nous n’avions pas mis un terme à la
pratique, toutes les ordonnances auraient cessé dans tout le
pays de Sion. La confusion aurait régné partout en
Israël et beaucoup d’hommes auraient été
faits prisonniers. Cette épreuve serait tombée sur
l’Église tout entière et nous aurions été
obligés de mettre fin à la pratique. »
Il
ajouta : « Mais je tiens à dire ceci. J’aurais
laissé tous les temples nous échapper, je serais allé
moi-même en prison et aurais laissé tous les autres
hommes y aller, si le Dieu du ciel ne m’avait pas commandé
de faire ce que j’ai fait ; et lorsque l’heure est venue
où il m’a été commandé de le faire,
c’était tout à fait clair pour moi. Je suis allé
devant le Seigneur et j’ai écrit ce que le Seigneur m’a
dit d’écrire. »
CHAPITRE
42
: Inspiration
à la fontaine divine
Début
janvier 1892, Zina Young et Emmeline Wells se réunirent à
Salt Lake City avec d’autres membres du bureau général
de la Société de secours pour organiser un «
jubilé » à l’occasion du cinquantième
anniversaire de l’organisation. Le bureau voulait inviter les
saintes des derniers jours du monde entier à se joindre à
la fête et envoya donc une lettre à toutes les Sociétés
de Secours de l’Église, les encourageant à
organiser leur propre jubilé.
Après
avoir « salué de tout cœur » toutes les
sœurs, la lettre demandait à la présidence de
chaque Société de secours d’inviter ses membres
et ses dirigeants de la prêtrise au jubilé et de nommer
un comité pour organiser l’événement. La
réunion devait commencer le 17 mars à dix heures, jour
anniversaire de l’organisation de la Société de
secours à Nauvoo, et se terminer deux heures plus tard par une
« prière commune de louanges à Dieu ».
Zina
comptait beaucoup sur Emmeline pour organiser celui de Salt Lake City
à la satisfaction de toutes les personnes concernées.
C’est ainsi que début mars Emmeline se retrouva en
pleine activité d’organisation. Elle écrivit dans
son journal : « J’essaie de faire tout ce que je peux
pour préparer le jubilé. Je suis plus occupée
que jamais. »
Le
bureau de la Société de secours avait l’intention
de célébrer le jubilé dans le tabernacle. Pour
le décorer, il voulait suspendre de grands portraits de Joseph
Smith, d’Emma Smith, d’Eliza R. Snow et de Zina Young
derrière l’estrade.
Du
fait qu’Emma Smith, première présidente de la
Société de secours, était restée en
Illinois et était devenue membre de l’Église
réorganisée de Jésus-Christ des saints des
derniers jours, certaines personnes pensaient que son portrait
n’avait pas sa place dans le tabernacle. Quand la discussion
s’envenima, Zina demanda son avis au président Woodruff.
Il dit : « Quiconque s’y oppose doit vraiment être
étroit d’esprit. »
Le
jour du jubilé, les quatre portraits étaient suspendus
aux tuyaux de l’orgue du tabernacle. À côté
se trouvait un arrangement floral en forme de clé, symbolisant
celle que Joseph Smith avait remise aux femmes en 1842. Zina et
Emmeline étaient assises sur l’estrade avec Bathsheba
Smith, Sarah Kimball, Mary Isabella Horne et d’autres femmes
ayant pris part à l’accomplissement de la mission de la
Société de secours au cours des cinquante années
écoulées. Des milliers de sœurs de la Société
de secours étaient présentes dans le tabernacle. De
nombreux hommes aussi, notamment Joseph F. Smith et deux membres des
Douze.
Zina
ouvrit le jubilé avec une pensée pour les femmes de
toute l’Église qui célébraient
l’événement. Elle dit : « Que j’aimerais
que mes paroles puissent être entendues par tout le monde, non
seulement par vous mes frères et sœurs dans ce
tabernacle, mais dans tout l’Utah et que j’aimerais
qu’elles soient entendues et comprises par tous les peuples de
ce continent, et non seulement ceux de ce continent, mais ceux
d’Europe, d’Asie, d’Afrique, ainsi que des îles
de la mer.
En
tant que sœurs dans cette organisation, nous avons été
mises à part dans le but de réconforter et de consoler
les malades, les affligés et les pauvres. Si nous continuons à
le faire dans cet esprit, le Seigneur, au moment où il
rassemblera ses joyaux, nous approuvera. »
À
la fin de la réunion, elle demanda à l’assemblée
: « Que signifie ce jubilé des femmes ? Non seulement
qu’il y a cinquante ans, cette organisation a été
fondée par un prophète de Dieu, mais également
que la femme se libère de l’erreur, de la superstition
et de l’obscurité ; que la lumière est venue dans
le monde et que l’Évangile l’a libérée,
que la clé de la connaissance a été tournée
et qu’elle a bu l’inspiration à la fontaine
divine. »
Vers
cette époque-là, Charles Eliot, le président de
l’université d’Harvard, passa par Salt Lake City à
l’occasion d’un voyage à travers l’Ouest des
États-Unis. Il avait été impressionné par
le petit groupe de saints des derniers jours qui était venu à
Harvard l’année précédente et il avait
accepté l’invitation à prendre la parole dans le
tabernacle.
Sept
mille personnes vinrent écouter son bref discours. Il défendit
la liberté religieuse et loua les saints pour leur travail
acharné et leur diligence, les comparant favorablement aux
premiers colons anglais qui avaient fondé Harvard. Plus tard,
après que le Salt Lake Tribune et d’autres journaux
eurent critiqué son opinion favorable des saints, il continua
de les défendre.
Il
déclara : « Je crois qu’ils devraient maintenant
être traités, en ce qui concerne leurs droits de
propriété et leur liberté de pensée et de
culte, exactement comme les catholiques romains, les juifs, les
méthodistes ou n’importe quelle autre confession
religieuse. »
Il
y avait, dans l’assemblée, Anna Widtsoe, sa sœur
Petroline et Osborne, le fils de quatorze ans d’Anna. Cela
faisait presque une année que John, le fils aîné
d’Anna, était à Harvard et elle était
impressionnée par l’orateur distingué qui avait
une si haute opinion des étudiants saints des derniers jours
de Harvard.
Les
Widtsoe habitaient maintenant avec Petroline dans la Treizième
paroisse de Salt Lake City, laquelle comptait suffisamment de
Scandinaves pour que la réunion de témoignage soit un
événement multilingue. Osborne travaillait au magasin
de la Zion’s Cooperative Mercantile Institution sur Main Street
et Anna et Petroline étaient couturières. Osborne et sa
mère assistaient aussi à des conférences
hebdomadaires à l’académie de leur pieu.
Pendant
le premier week-end d’avril, il neigea à Salt Lake City
; on se serait cru en plein cœur de l’hiver. Le mercredi
6 avril au matin, le temps était pourtant clair et lumineux
tandis qu’Anna et Osborne rejoignaient plus de quarante mille
personnes dans et autour de Temple Square pour voir installer la
pierre de faîte du temple de Salt Lake City au sommet de la
flèche centrale, côté est. La pierre en forme de
dôme était conçue pour supporter le poids de la
sculpture de trois mètres cinquante d’un ange, qui
serait fixée dessus un peu plus tard dans la journée.
Une fois la pierre de faîte et l’ange en place,
l’extérieur du temple serait achevé ; il ne
resterait plus que l’intérieur à terminer avant
la consécration.
Les
rues autour du temple étaient bondées de buggys.
Certains spectateurs étaient debout sur des chariots, d’autres
grimpaient sur des poteaux de télégraphe ou
escaladaient des toitures afin d’avoir une meilleure vue. Les
Widtsoe, debout au milieu de la foule grouillante, voyaient le
président Woodruff et d’autres dirigeants de l’Église
sur une estrade au pied du temple.
Après
un morceau joué par la fanfare et un chant du Chœur du
Tabernacle, Joseph F. Smith fit la prière d’ouverture.
L’architecte de l’Église, Joseph Don Carlos Young,
fils de Brigham Young et d’Emily Partridge, cria alors depuis
l’échafaudage au sommet du temple : « La pierre de
faîte est maintenant prête à être posée
! »
Le
président Woodruff s’avança jusqu’au bord
de l’estrade, balaya les saints du regard et leva haut les
bras. Il dit : « Vous toutes, nations de la terre. Nous allons
maintenant poser la pierre de faîte du temple de notre Dieu ! »
Il appuya sur un bouton et un courant électrique libéra
un loquet qui fit descendre la pierre de faîte à sa
place.
Ensuite,
les saints poussèrent le cri du Hosanna et chantèrent «
L’Esprit du Dieu saint », puis l’apôtre
Francis Lyman se leva pour s’adresser à la foule. Il dit
: « Je propose que cette assemblée s’engage,
collectivement et individuellement, à fournir aussi vite que
possible tout l’argent dont on aura besoin pour achever le
temple le plus rapidement possible, afin que la consécration
ait lieu le 6 avril 1893. »
La
date proposée coïncidait avec le quarantième
anniversaire du jour où Brigham Young avait posé les
pierres angulaires du temple. George Q. Cannon proposa aux saints un
vote de soutien pour la proposition et ils levèrent la main
droite en criant : « Oui ! »
Francis
s’engagea à fournir une grosse somme de son argent
personnel pour terminer le temple. Anna promit cinq dollars de sa
part et dix de la part d’Osborne. Sachant que John voudrait
participer aussi, elle ajouta dix dollars en son nom.
Ce
printemps-là, Joseph F. Smith se rendit chez James Brown,
soixante-trois ans. Lorsqu’il était beaucoup plus jeune,
ce dernier avait marché avec le bataillon mormon, puis avait
fait une mission à Tahiti et dans les îles voisines avec
Addison et Louisa Pratt, Benjamin Grouard et d’autres. En 1851,
pendant qu’il travaillait sur l’atoll d’Anaa, il
avait été arrêté sur de fausses
accusations de sédition et emmené à Tahiti où
il avait été emprisonné et finalement banni des
îles. Le gouvernement avait également obligé les
autres missionnaires à partir et la mission était
fermée depuis.
Maintenant,
quelque quarante ans plus tard, les dirigeants de l’Église
commençaient à élargir l’œuvre
jusqu’au Pacifique Sud. En juillet 1891, la mission des Samoa
avait envoyé deux jeunes missionnaires, Brigham Smoot et Alva
Butler, prêcher aux Tonga. Six mois plus tard, deux autres, de
la mission des Samoa, Joseph Damron et William Seegmiller,
relancèrent l’œuvre en Polynésie française,
servant les saints de Tahiti et des alentours isolés depuis
longtemps.
Cependant,
Joseph Damron ne se sentait pas bien et William et lui avaient
découvert que presque tous les saints des derniers jours de la
région étaient devenus membres de l’Église
réorganisée de Jésus-Christ des saints des
derniers jours, qui avait envoyé des missionnaires dans le
Pacifique Sud plusieurs années plus tôt. Les deux hommes
pensaient que la mission avait besoin de quelqu’un de plus
expérimenté pour diriger l’œuvre.
Chez
James, à Salt Lake City, Joseph F. sortit une lettre qu’il
avait reçue de la part des missionnaires de Tahiti. Il lui
demanda : « Cela te plairait-il de repartir en mission dans
l’archipel de la Société ? »
James
lui dit : « Je souhaite qu’aucun homme ne m’appelle
en mission. » Il était maintenant âgé avec
trois femmes et de nombreux enfants et petits-enfants. Il était
en mauvaise santé et, des années auparavant, il avait
perdu une jambe lors d’un accident avec une arme à feu.
Aller dans le sud du Pacifique serait une entreprise de taille pour
quelqu’un dans son état.
Joseph
F. lui tendit la lettre et lui demanda de la lire. Il partit ensuite
en promettant de revenir le lendemain pour savoir ce qu’il en
pensait.
James
lut la lettre. Il était clair que les jeunes missionnaires
étaient en difficulté. Étant le dernier des
premiers missionnaires encore en vie, il était quelque peu
accoutumé aux gens et à leur langue, ce qui lui
permettrait de faire beaucoup de bien. Si la Première
Présidence lui demandait de se rendre dans le Pacifique, il
irait. Il avait foi que Dieu ne lui demanderait pas de faire quelque
chose sans lui donner le moyen d’être à la hauteur
de la tâche.
Lorsque
Joseph F. Smith revint le lendemain, James accepta l’appel en
mission. Quelques semaines plus tard, il dit au revoir à sa
famille et quitta la ville avec son fils, Elando, qui était
appelé à servir avec lui.
James,
Elando et un autre missionnaire arrivèrent à Tahiti le
mois suivant. Les frères Damron et Seegmiller escortèrent
les nouveaux missionnaires chez un Tahitien appelé Tiniarau,
qui offrit un lit où James et son fils purent dormir. Après
le voyage épuisant, James resta dans sa chambre pendant des
jours.
Des
visiteurs ne tardèrent cependant pas à arriver. L’un
venait d’Anaa et dit qu’il reconnaissait James à
sa voix. L’homme dit que d’autres le reconnaîtraient
de la même manière, même s’ils ne le
connaissaient pas de vue. Certains étaient nés après
le départ de James, mais ils étaient tout de même
heureux de faire sa connaissance. Une femme âgée le
reconnut et lui serra la main avec tant d’insistance qu’il
se demanda si elle allait jamais la lui lâcher. Il apprit
qu’elle était sur Anaa lorsque les officiers français
l’avaient arrêté, emmené de l’atoll
et fait monter à bord de leur navire de guerre.
Un
soir, il rencontra Pohemiti, un autre homme d’Anaa, qui se
souvenait de lui. Pohemiti était devenu membre de l’Église
réorganisée, mais il se réjouissait de revoir
James et lui apporta de la nourriture. Il promit au missionnaire que
s’il allait à Anaa, les insulaires là-bas
l’écouteraient.
À
l’université d’Harvard, John Widtsoe recevait une
lettre après l’autre de sa mère et de son frère
à Salt Lake City. Elles étaient toujours remplies de
conseils et de paroles d’encouragement. Un jour, Osborne
écrivit : « Maman dit que tu dois faire attention en
chimie. Elle a lu qu’un professeur a perdu les deux yeux à
cause d’une explosion ou quelque chose de ce genre. »
Anna
écrivit de façon plus rassurante : « Tout ira
bien pour toi. Attache-toi simplement à faire du bien à
tous avec tout ce que tu as et tout ce que tu auras, afin de servir
le Créateur de toutes bonnes choses et qui ne se lasse pas de
rendre toutes choses meilleures et plus belles pour ses enfants. »
Un
an plus tôt, lorsque John arriva à Harvard et descendit
d’un tramway tiré par des chevaux, il avait été
émerveillé par l’histoire et les traditions de
l’école. La nuit, il rêvait d’acquérir
toutes les connaissances du monde sans avoir à s’inquiéter
du temps qu’il lui faudrait pour maîtriser chaque
matière.
En
commençant à étudier pour ses examens d’entrée
à l’université qu’il devrait passer à
l’automne, il se sentit écrasé par tout ce qu’il
devait apprendre. Il emprunta des brassées de livres à
la bibliothèque du campus et les sonda, mais il fut pris de
découragement en se rendant compte à quel point il
serait difficile de maîtriser ne serait-ce qu’un seul
domaine. Est-ce que lui, pauvre immigrant norvégien, pourrait
rivaliser avec ses camarades ? Beaucoup avaient reçu un
enseignement de premier choix dans les meilleurs établissements
préparatoires des États-Unis. Est-ce que ses études
en Utah l’avaient préparé à ce qui
l’attendait ?
Pendant
ces premiers mois, le mal du pays ne fit qu’ajouter à
son mal-être et il envisagea de rentrer chez lui, mais
finalement, il décida de rester. Il réussit ses examens
d’entrée, y compris son examen d’anglais alors que
c’était sa deuxième langue.
Maintenant,
avec une année d’études derrière lui, il
était plus confiant. Il louait une maison avec d’autres
jeunes saints des derniers jours qui étudiaient à
Harvard et dans les écoles voisines. Après avoir
beaucoup prié, il choisit de se consacrer essentiellement à
la chimie. Quelques saints des derniers jours aspiraient à une
carrière scientifique, d’autres étudiaient
l’ingénierie, le droit, la médecine, la musique,
l’architecture et le commerce. Comme beaucoup d’étudiants
universitaires, ces jeunes gens se délectaient de débats
bruyants entre eux sur des sujets savants.
En
juillet 1892, James Talmage, collègue chimiste et savant
respecté dans l’Église, se rendit à Boston
pour chercher et rassembler des instruments de laboratoire pour une
université de l’Église à Salt Lake City.
Susa Gates, son amie et ancienne camarade de classe, se rendit aussi
à Harvard pour suivre un cours d’anglais donné
pendant l’été.
John
fut impressionné de voir qu’elle était une bonne
oratrice et un écrivain talentueux. De son côté,
elle fut impressionnée par sa nature raffinée et
artistique et ils se lièrent rapidement d’amitié.
Dans une lettre à sa fille, Leah, qui avait environ l’âge
de John, Susa écrivit : « Il y a un jeune homme ici,
beau et calme, studieux et réservé. Il a une excellente
personnalité et est vraiment le plus savant d’eux tous.
Je crois qu’il te plairait. »
Susa
déplora : « Je doute qu’il sache danser, mais il a
un cerveau aussi développé que celui de James Talmage
et, en prime, un beau visage à mes yeux. »
Après
avoir passé plus de deux ans dans la clandestinité,
Lorena Larsen et ses enfants avaient de nouveau une maison à
eux à Monroe (Utah), non loin de l’endroit où son
mari, Bent, vivait avec son autre femme, Julia. Bien que Monroe fût
sa ville natale, elle ne s’y sentait pas toujours la bienvenue.
Dans
toute l’Église, de nombreuses familles plurales
continuaient de vivre comme elles avaient toujours vécu,
assurées qu’elles accomplissaient la volonté de
Dieu. Cependant, certains membres de l’Église de Monroe
croyaient que c’était un péché de la part
d’un homme de continuer d’avoir des enfants avec ses
femmes plurales. Lorsqu’il parut évident que Lorena
attendait un autre bébé, certains de ses voisins et des
membres de sa famille commencèrent à la mépriser.
La
mère de Bent craignait que son fils ne soit de nouveau jeté
en prison à cause de Lorena. La sœur de cette dernière
dit qu’une femme plurale enceinte ne valait pas mieux que
quelqu’un qui avait commis l’adultère. Et un jour,
sa propre mère, qui était aussi présidente de
Société de secours de paroisse, vint la voir chez elle
et la réprimanda de continuer d’avoir des enfants avec
Bent.
Ce
soir-là, après que son mari eut coupé du bois
pour elle et les enfants, Lorena lui rapporta ce que sa mère
avait dit. Au lieu de se montrer compréhensif, il lui dit
qu’il était d’accord avec sa belle-mère. Il
avait discuté du sujet avec des amis et ils en avaient conclu
qu’un homme qui avait des femmes plurales n’avait d’autre
choix que celui de rester avec sa première et de se séparer
des autres. Lorena et lui resteraient scellés, mais ils
devraient attendre jusqu’à la vie suivante pour être
de nouveau ensemble.
Lorena
en était restée bouche bée. Depuis le Manifeste,
Bent lui avait dit et répété qu’il ne
l’abandonnerait jamais. Et maintenant, il allait la laisser,
elle et les enfants, se débrouiller, et ce, à quelques
semaines à peine de son accouchement.
Le
couple parla toute la nuit. Lorena pleura et Bent lui dit que les
larmes ne changeraient pas la réalité de leur
situation.
Elle
lui dit : « Si je ne croyais pas que tu pensais obéir à
Dieu, je ne pourrais jamais te pardonner. »
Après
son départ, Lorena pria pour recevoir force et sagesse. Au
moment où le soleil commençait à se lever
au-dessus des montagnes, elle trouva Bent en train de travailler dans
une étable à l’arrière de la maison de
Julia et lui dit qu’il devait l’épauler au moins
jusqu’à la naissance du bébé. Après
cela, dit-elle, il pouvait aller où il voulait. Dieu était
maintenant son seul ami et elle trouverait de l’aide auprès
de lui.
Deux
semaines plus tard, elle donna naissance à une fille. Le bébé
avait cinq jours lorsque Lorena rêva qu’elle mourait et
se réveilla paniquée. Si elle mourait, pouvait-elle
compter sur Bent pour prendre soin des enfants ? Comme promis, il
avait pourvu à ses besoins et à ceux des enfants tout
au long de sa grossesse. Mais il jouait rarement avec eux et
lorsqu’il le faisait, ses visites étaient tellement
rapides et tendues que ceux-ci avaient plutôt l’impression
qu’un étranger était venu passer la soirée
chez eux.
Lorsque
Lorena lui parla de sa prémonition, il n’en fit aucun
cas. Il dit : « Ce n’est qu’un rêve. »
Toujours inquiète, elle pria souvent pendant le mois suivant,
promettant au Seigneur qu’elle supporterait ses épreuves
avec patience et ferait son possible pour faire avancer son œuvre,
notamment celle du temple.
Cinq
semaines après le rêve, un marshal les arrêta,
Bent et elle, pour cohabitation illégale. La cour les libéra
sous caution, comptant sur elle pour témoigner contre son mari
lorsque son procès aurait lieu plus tard cette année-là.
L’arrestation
et le mépris que Lorena ressentit de la part de sa famille et
de ses amis lui furent insupportables. Ne sachant que faire, elle se
confia à l’apôtre Anthon Lund, président du
temple de Manti. Anthon pleura en écoutant son histoire. Il
lui conseilla : « Marche droit devant toi au milieu des
ricanements et des railleries de tout le monde. Tu as entièrement
raison. »
Suivant
la recommandation de l’apôtre, Lorena prit sa vie en
main. Son rêve alarmant et les prières qui s’ensuivirent
l’aidèrent à devenir plus patiente, à
mieux supporter ses épreuves et à être plus
reconnaissante au Seigneur pour sa vie. Bent vit aussi que sa
négligence l’avait fait souffrir intensément et
ils finirent par décider de rester ensemble, sachant que ce ne
serait jamais facile.
Ce
mois de septembre, Bent plaida coupable à l’accusation
de cohabitation illégale et le juge le condamna à un
mois de prison. La sentence n’était pas aussi sévère
qu’elle l’avait été des années
auparavant, quand il avait purgé une peine de six mois sur une
accusation semblable. En fait, depuis le Manifeste, les sentences
pour cohabitation illégale étaient souvent plus courtes
qu’avant. Mais c’était un rappel que si Lorena et
Bent poursuivaient leur relation, les conséquences risquaient
d’être pénibles.
C’était
tout de même un risque que le couple était maintenant
disposé à prendre.
CHAPITRE
43
: Un
plus grand besoin d’unité
En
septembre 1892, Francis Lyman et Anthon Lund arrivèrent à
St George (Utah). Pendant plusieurs semaines, les deux apôtres
avaient visité les paroisses et conseillé les saints du
Centre et du Sud de l’Utah. Vers la fin de la construction du
temple de Salt Lake City, la Première Présidence et les
Douze commencèrent à encourager les membres de l’Église
à faire preuve d’unité, mais Francis et Anthon
trouvèrent des paroisses et des branches où régnait
la discorde, et dépourvues d’harmonie et de bonne
volonté. St George ne faisait pas exception.
Une
grande partie des querelles était d’origine politique.
Pendant des décennies, les saints d’Utah avaient voté
pour les candidats locaux du Parti populiste, un parti politique
composé majoritairement de membres de l’Église.
Cependant, en 1891, les dirigeants de l’Église le
démantelèrent et encouragèrent les membres à
se joindre aux démocrates ou aux républicains, les deux
partis qui dominaient le paysage politique des États-Unis. Ces
dirigeants espéraient qu’une plus grande diversité
politique parmi les saints accroîtrait leur influence dans les
élections locales et à Washington. Ils croyaient aussi
que la diversité aiderait l’Église à
atteindre des buts tels que l’obtention du statut d’État
et l’amnistie générale pour tous ceux qui avaient
contracté un mariage plural avant le Manifeste.
Mais
maintenant, pour la première fois, les saints luttaient
âprement les uns contre les autres à cause d’opinions
politiques divergentes. Le conflit troublait Wilford Woodruff et,
lors de la conférence générale d’avril
1892, il les avait incités à cesser leurs querelles.
Il
avait déclaré : « Chaque homme (prophète,
apôtre, saint et pécheur) a le droit d’avoir ses
opinions politiques et ses convictions religieuses. Ne jetez ni
grossièretés ni bêtises à la figure des
autres en raison de divergences politiques. »
Il
avertit : « Cet esprit nous conduira à la ruine. »
À
St George, comme ailleurs, la plupart des saints croyaient qu’ils
devaient se joindre au parti démocrate, car le parti
républicain avait très largement contribué à
la campagne contre la polygamie. Dans beaucoup de collectivités,
on pensait généralement qu’un bon saint des
derniers jours ne pouvait pas être républicain.
Wilford
Woodruff et d’autres dirigeants de l’Église
voulaient contester cette idée, surtout parce qu’à
l’époque les États-Unis étaient gouvernés
par une administration républicaine. En découvrant la
situation à St George, Anthon et Francis voulurent faire
comprendre aux saints que les différences d’opinions
politiques ne devaient pas engendrer d’agressivité ni de
division au sein de l’Église.
Au
cours d’une réunion de la prêtrise tenue
l’après-midi, Francis rappela aux hommes que l’Église
avait besoin de membres dans les deux partis. Il les rassura : «
Nous ne disons pas que celui qui est démocrate doit changer de
parti. » Cependant, il dit que les saints qui n’éprouvaient
aucun intérêt pour le parti démocrate devraient
envisager de se joindre aux républicains. Il fit remarquer : «
Les différences entre les deux partis sont bien moins
nombreuses qu’il n’y paraît. »
Il
exprima ensuite son amour pour tous les saints, quelle que soit leur
opinion politique. Il insista : « Nous ne pouvons pas nous
permettre de nourrir des sentiments hostiles les uns envers les
autres. »
Deux
jours plus tard, Francis et Anthon se rendirent au temple de St
George. Ils participèrent à des baptêmes, à
des dotations et à d’autres ordonnances. Un esprit
édifiant régnait dans le bâtiment.
C’était
le genre d’esprit dont les saints avaient besoin alors qu’ils
se préparaient à consacrer un autre temple au Seigneur.
À
Salt Lake City, des charpentiers, des électriciens et d’autres
ouvriers expérimentés travaillaient rapidement pour
s’assurer que l’intérieur du temple de Salt Lake
City soit prêt pour la consécration prévue en
avril 1893. Le 8 septembre, la Première Présidence
visita le bâtiment avec l’architecte Joseph Don Carlos
Young et d’autres personnes. Tandis qu’ils allaient de
salle en salle, inspectant les travaux en cours, les membres de la
présidence étaient contents de ce qu’ils
voyaient.
Dans
son journal, George Q. Cannon fit la remarque suivante : « Tout
est réalisé avec les plus belles finitions. »
Il
était particulièrement impressionné par les
caractéristiques modernes du temple. Il écrivit : «
Je suis stupéfait de voir les changements apportés
depuis l’ébauche du premier plan du temple, du fait des
dernières inventions. » Truman Angell, l’architecte
original du temple, avait prévu de le chauffer avec des poêles
et de l’éclairer à la bougie. Grâce aux
nouvelles technologies, les saints allaient équiper tout le
bâtiment d’un éclairage électrique et d’un
système de chauffage à vapeur. Les ouvriers étaient
également en train d’installer deux ascenseurs pour
aider les usagers à se déplacer facilement d’un
étage à l’autre.
Cependant,
les fonds pour la construction étaient épuisés
et certaines personnes doutaient que l’Église ait les
moyens de terminer les travaux dans les six mois. Au début de
l’année 1890, la Première Présidence avait
investi massivement dans une usine de betteraves sucrières au
sud de Salt Lake City. Ce faisant, elle espérait créer
une culture commerciale pour les fermiers locaux et de nouveaux
emplois pour les personnes qui, en quête de meilleures
possibilités professionnelles, pourraient être amenées
à quitter l’Utah. Cet investissement et la perte des
biens de l’Église confisqués par le gouvernement
fédéral privaient ses dirigeants de ressources
précieuses qu’ils auraient pu utiliser pour achever le
temple.
Les
Sociétés de Secours, les Sociétés
d’Amélioration Mutuelle, les Primaires et les Écoles
du Dimanche essayaient d’alléger le fardeau financier en
collectant des dons pour le fonds du temple. Mais il fallait faire
bien plus.
Le
10 octobre, au dernier étage du temple, dans la grande salle
de réunion partiellement terminée, la Première
Présidence et le Collège des Douze se réunirent
avec d’autres dirigeants de l’Église, notamment
des présidents de pieu et des évêques. Le but de
la réunion était de recruter les dirigeants locaux pour
aider à lever des fonds pour le temple.
Peu
de temps après que George Q. Cannon eut ouvert la réunion,
John Winder, conseiller dans l’Épiscopat Président,
dit à l’assemblée qu’il faudrait au moins
cent soixante-quinze mille dollars de plus pour terminer les travaux.
La décoration de l’intérieur coûterait
encore plus.
Wilford
Woodruff parla de son désir sincère de voir le temple
achevé à la date prévue. George incita ensuite
les hommes présents à user de leur influence pour lever
les fonds nécessaires. Chaque pieu était censé
collecter un certain montant en fonction de sa taille et des moyens
de chaque famille.
Les
hommes dans la pièce ressentirent l’Esprit avec
puissance et acceptèrent d’aider. L’un d’eux,
John R. Murdock, recommanda que toutes les personnes présentes
énoncent le montant qu’elles étaient disposées
à donner. Un par un, les dirigeants de l’Église
s’engagèrent généreusement, promettant une
contribution totale de plus de cinquante mille dollars.
Avant
la fin de la réunion, George dit : « À mon avis,
il n’y a jamais eu, et ce depuis l’organisation de
l’Église, de moment où nous ayons eu un plus
grand besoin d’unité qu’aujourd’hui. »
Il témoigna que la Première Présidence était
unie et cherchait constamment à connaître la volonté
du Seigneur quant à la manière de diriger l’Église.
Il
déclara : « Le Seigneur nous a bénis et a tenu
compte de nos efforts. Il nous a clairement indiqué, jour
après jour, le chemin que nous devions suivre. »
Joseph
Dean, l’ancien président de la mission des Samoa, était
l’un des charpentiers qui travaillaient sur le temple. Il était
revenu du Pacifique deux ans plus tôt. Pendant un certain
temps, il avait eu du mal à trouver un travail stable pour
subvenir aux besoins de ses femmes, Sally et Florence, et de leurs
sept enfants. En février 1892, quand il fut embauché
pour travailler au temple, ce fut une grande bénédiction,
mais son salaire et celui que touchait Sally en cousant et en
confectionnant des robes étaient à peine suffisants
pour nourrir, loger et vêtir leur grande famille.
À
l’automne de 1892, la Première Présidence accorda
une augmentation de dix pour cent aux ouvriers du temple afin de
s’aligner sur les salaires des autres ouvriers de l’industrie.
Pour certains, c’était le salaire le plus élevé
qui leur avait jamais été versé. Joseph et ses
épouses étaient reconnaissants de l’augmentation,
mais ils avaient toujours du mal à joindre les deux bouts.
Cependant,
ils payaient leur dîme avec fidélité et donnèrent
même vingt-cinq dollars au fonds du temple.
Le
1er décembre, Joseph toucha son salaire mensuel de
quatre-vingt-dix-huit dollars et dix-sept cents. Après le
travail, il se rendit au magasin voisin pour régler une dette
de cinq dollars. Le propriétaire du magasin était son
évêque et au lieu de se contenter d’accepter le
paiement, il lui dit que leur président de pieu avait
récemment demandé à chaque famille du pieu de
donner une somme d’argent précise à l’Église
pour la construction du temple. On demandait à Joseph et aux
siens de verser cent dollars.
Joseph
fut abasourdi. Sally venait tout juste d’accoucher et il devait
payer le médecin. Il devait aussi de l’argent à
cinq autres magasins et le loyer de la maison de Florence. Le
règlement du cumul de toutes ses dettes dépassait son
salaire mensuel, qui lui-même était inférieur au
don demandé par le pieu. Comment pourrait-il verser autant,
surtout après avoir fait don de vingt-cinq dollars au prix de
grands sacrifices de la part de sa famille ?
Aussi
difficile qu’il en serait de s’acquitter de son
obligation, Joseph accepta de trouver un moyen de réunir
l’argent. Ce soir-là, dans son journal, il écrivit
: « Je ferai de mon mieux et je ferai confiance au Seigneur
pour m’en sortir. »
Ce
mois de janvier, Maihea, dirigeant âgé des saints sur
les îles Tuamotu, organisa une conférence sur Faaite, un
atoll à cinq cents kilomètres au nord-est de Tahiti.
Les jours précédant la conférence, il plut
abondamment, mais les saints étaient déterminés
et ne laissèrent pas le mauvais temps les empêcher de
venir.
Un
matin peu avant la conférence, une brise vigoureuse amena
quatre bateaux à Faaite depuis Takaroa, un atoll situé
à deux jours au nord. Maihea apprit que parmi les saints
nouvellement arrivés se trouvaient quatre hommes blancs qui
affirmaient être des missionnaires de l’Église,
ayant l’autorité d’enseigner l’Évangile
rétabli.
Maihea
était méfiant. Sept ans plus tôt, un missionnaire
de l’Église réorganisée de Jésus-Christ
des saints des derniers jours était venu dans son village sur
l’atoll Anaa voisin. Il avait invité les saints d’Anaa
à se joindre à lui pour le culte, prétendant que
Brigham Young et les saints d’Utah s’étaient
éloignés de la véritable Église du
Christ. Beaucoup avaient accepté son invitation, mais Maihea
et d’autres avaient refusé, se rappelant que c’était
Brigham Young qui avait envoyé les missionnaires qui leur
avaient enseigné l’Évangile.
Ne
sachant pas si ces nouveaux venus étaient de véritables
représentants de l’Église, Maihea et les saints
de Tuamotu les accueillirent froidement, ne leur laissant qu’une
noix de coco verte à manger. Cependant, peu de temps après,
Maihea apprit que le missionnaire le plus âgé était
un unijambiste du nom de James Brown, ou Iakabo, qui était le
nom de l’un des missionnaires qui lui avaient enseigné
l’Évangile. Même les saints qui étaient
trop jeunes pour l’avoir connu personnellement avaient entendu
la génération précédente mentionner son
nom.
Étant
aveugle, Maihea ne pouvait pas reconnaître le missionnaire, il
lui posa donc des questions. Il dit : « Si vous êtes bien
la personne qui était parmi nous avant, vous avez perdu une
jambe, car le Iakabo que je connaissais en avait deux. »
Maihea
lui demanda ensuite s’il enseignait la même doctrine que
l’homme qui l’avait baptisé tant d’années
auparavant.
James
répondit que oui.
Les
questions de Maihea se poursuivirent : Êtes-vous venu de Salt
Lake City ? Qui est le président de l’Église
maintenant que Brigham Young est mort ? Quelle main levez-vous quand
vous baptisez ? Est-ce vrai que vous croyez au mariage plural ?
James
répondit à chaque question, mais Maihea demeurait
insatisfait. Il demanda : « Quel était le nom du village
où les Français vous ont arrêté ? »
Une fois de plus, James répondit correctement à la
question.
Finalement,
la peur de Maihea se dissipa et il serra la main de James avec joie.
Désignant les missionnaires qui l’accompagnaient, il dit
: « Si tu n’étais pas venu et n’avais pas
prouvé que tu étais bel et bien le même homme que
celui qui était là avant, il aurait été
inutile d’envoyer ces jeunes gens ici, car nous ne les aurions
pas reçus.
Mais
maintenant, nous te souhaitons la bienvenue. Nous souhaitons
également la bienvenue à ces jeunes gens. »
Ce
même mois, à la demande de la Première
Présidence, Anthon Lund, Francis Lyman et B. H. Roberts
visitèrent Manassa (Colorado). Quatre mois s’étaient
écoulés depuis qu’Anthon et Francis avaient
demandé aux saints de St George de cesser de se quereller en
raison des divergences politiques. Depuis lors, des conflits
similaires continuaient de perturber Manassa et d’autres
communautés de saints. À présent, à moins
de deux mois de la consécration du temple de Salt Lake City,
les dirigeants de l’Église craignaient que ces
communautés ne soient pas préparées à la
consécration si elles ne parvenaient pas à retrouver
l’unité et l’amour.
À
Manassa, divers saints rencontrèrent les trois dirigeants de
l’Église pour exposer leurs griefs. Certains jours,
Anthon passait jusqu’à dix heures à écouter
accusations et ripostes en rapport avec des divergences politiques,
professionnelles et personnelles. Il dénombra soixante-cinq
conflits que les saints de Manassa espéraient voir résolus
par les dirigeants de l’Église.
Après
avoir examiné chaque cas, ses collègues et lui
essayèrent de résoudre les plus graves. Certains saints
réglèrent leurs différends en privé ou
acceptèrent de présenter publiquement des excuses pour
ce qu’ils avaient dit et fait. D’autres, bien que
mécontents des solutions recommandées, promirent
humblement de les adopter.
Au
bout de deux semaines, Anthon, Francis et B. H. pensaient avoir fait
tout ce qu’ils pouvaient pour aider les saints de Manassa. Ils
savaient pourtant que de nombreux désaccords mineurs
subsistaient. Ils donnèrent l’exhortation suivante à
la présidence de pieu : « Nous vous demandons de faire
tout votre possible pour résoudre tous les différends
qui existent encore et pour unir le peuple dans l’esprit de
l’Évangile. »
B.
H. raccompagna Anthon et Francis jusqu’à leur train,
mais il ne repartit pas avec eux. Sa deuxième femme, Celia, et
leurs enfants vivaient à Manassa et il voulait passer quelques
jours de plus avec eux.
De
retour en Utah, B. H. se mit à son journal pour réfléchir
à ses efforts pour surmonter les conflits et trouver la paix
dans sa vie. Depuis plus d’un an, il était tourmenté
par ses difficultés à soutenir le Manifeste. Petit à
petit, son cœur s’était adouci en se souvenant de
la confirmation spirituelle qu’il avait reçue comme un
éclair de lumière quand il avait entendu parler du
changement.
Il
écrivit : « Peut-être ai-je péché en
rejetant le premier témoignage que j’en avais reçu
et en permettant à mes préjugés personnels, à
mon manque de vision et à la raison humaine de s’opposer
à l’inspiration de Dieu.
Je
ne comprenais pas les objectifs de la publication du Manifeste. »
Il continua : « À ce jour, je ne les comprends toujours
pas, mais je suis sûr que tout est bien. Je suis certain que
Dieu a un objectif et, qu’en temps voulu, il nous sera
manifesté. »
Le
5 janvier 1893, Joseph Dean apprit que le président des
États-Unis, Benjamin Harrison, avait signé une amnistie
générale, graciant tous les saints qui avaient pratiqué
le mariage plural et qui depuis le Manifeste avaient cessé de
vivre sous le même toit.
Quelques
mois plus tôt, le président avait prévenu les
dirigeants de l’Église qu’il allait la signer.
Dans la même dépêche, il avait demandé à
la Première Présidence de prier pour sa femme,
Caroline, qui était sur son lit de mort. Après des
années de conflit entre les saints et le gouvernement, la
Première Présidence fut surprise par la demande et
honorée de la satisfaire.
Pour
Joseph, l’amnistie eut peu d’effet puisqu’il
n’avait pas abandonné sa famille plurale après le
Manifeste. Le Deseret News et d’autres journaux d’Utah
reconnurent l’importance symbolique du geste, et des articles
incitèrent les saints à être reconnaissants
envers le président Harrison de l’avoir proclamée
en toute bonne foi.
Pendant
ce temps, Joseph et d’autres ouvriers prolongeaient leurs
journées de travail de deux heures afin de terminer le temple
de Salt Lake City avant le 6 avril. La Première Présidence
visitait régulièrement le site, vérifiant les
détails et encourageant les artisans dans leurs efforts.
Joseph,
pour sa part, était déterminé à faire de
son mieux pour construire le temple et tenir sa promesse de donner
cent dollars en vue de son achèvement. En février,
l’apôtre John W. Taylor annula le paiement de cent
dollars d’intérêt pour un prêt qu’il
avait consenti à Joseph et ce dernier le vit immédiatement
comme une bénédiction. Il écrivit dans son
journal : « J’estime que le Seigneur m’a remboursé.
»
Mi-mars,
Joseph avait payé soixante-quinze dollars pour la construction
du temple et espérait verser les vingt-cinq restants en avril,
juste avant l’achèvement des travaux. Il emmena aussi
deux de ses enfants voir l’intérieur du temple. Dans le
baptistère, il leur montra une grande cuve reposant sur le dos
de douze bœufs en fonte, un spectacle qui effraya Jasper, son
fils de cinq ans, qui pensait que les animaux étaient réels.
Dans
une salle de dotation du sous-sol, des artistes peignaient de
magnifiques fresques représentant le jardin d’Éden,
avec des cascades, des prairies herbeuses et des collines vallonnées.
Une cage d’escalier partait de cette pièce et menait à
une autre salle de dotation où d’autres fresques de
déserts, de falaises escarpées, d’animaux
sauvages et de nuages sombres illustraient la vie après la
Chute. Avant de commencer les peintures murales, la plupart des
artistes avaient été mis à part par la Première
Présidence et reçu une formation de classe
internationale auprès de professeurs à Paris.
Vers
la fin du mois de mars 1893, l’évêque John Winder
rassembla les ouvriers et les exhorta à régler les
griefs ou les sentiments négatifs qui existaient parmi eux. Le
temple devait être physiquement prêt pour la
consécration, mais les ouvriers devaient l’être
aussi spirituellement.
Pour
aider tous les saints à se réconcilier avec Dieu et les
uns avec les autres, la Première Présidence organisa un
jeûne spécial douze jours avant la consécration.
Dans
une lettre adressée à tous les membres de l’Église,
elle écrivit : « Avant d’entrer dans le temple
pour nous présenter devant le Seigneur en assemblée
solennelle, nous nous débarrasserons de tout mauvais sentiment
à l’égard d’autrui. »
Le
jour du jeûne, un samedi, Sally et Florence Dean se
rassemblèrent avec d’autres saints pour chanter, parler
et prier, mais Joseph ne put se joindre à eux. Il y avait trop
à faire dans le temple et ses collègues et lui
travaillèrent toute la journée, tout en jeûnant.
Au
cours des jours qui suivirent, il aida à installer des lattes
de plancher tandis que les équipes chargées des
moquettes, des tentures, des peintures, des dorures et de
l’électricité s’empressaient d’accomplir
les tâches de dernière minute. Un comité d’hommes
et de femmes orna ensuite les pièces de meubles élégants
et d’autres décorations. Parmi les articles à
disposition, il y avait des napperons de soie pour recouvrir les
autels et d’autres objets artisanaux donnés par les
femmes des paroisses de la ville.
Il
resterait encore du travail à faire après la
consécration, mais Joseph était sûr que le temple
serait prêt à ouvrir ses portes le jour convenu. Il
écrivit : « En fin de compte, tout semble très
bien s’articuler. »
Le
jour du jeûne général, Susa Gates reçut
une lettre de Leah, sa fille de dix-neuf ans, qui cherchait à
se réconcilier avec elle. À cette époque, Susa
vivait à Provo tandis que Leah faisait ses études à
Salt Lake City. Leah écrivit : « Je n’avais pas
imaginé que ce serait auprès de ma chère mère
que je devrais implorer le pardon pour les sentiments et les fautes
passés. »
Plus
tôt dans la semaine, Susa s’était disputée
avec elle au sujet d’Alma Dunford, le père de celle-ci.
Des années auparavant, ils avaient divorcé quand elle
n’avait plus pu supporter son penchant pour la boisson et ses
mauvais traitements. Alma avait pourtant obtenu la garde de Leah, si
bien qu’elle avait grandi avec la famille de son père,
loin de Susa.
Depuis,
il s’était remarié et avait eu d’autres
enfants. Bien qu’il ait continué à avoir du mal à
respecter la Parole de sagesse, il était devenu un mari et un
père bienveillant qui avait bien subvenu aux besoins de sa
famille et avait élevé ses enfants en tant que membres
de l’Église. Leah l’aimait et le voyait
différemment de sa mère. Elle dit à Susa : «
Tu connais mes sentiments et je ne peux m’empêcher de les
exprimer. J’aime ma mère plus que je ne saurais le dire,
mais j’aime aussi mon père. »
Après
la dispute, elle avait quand même senti qu’elle devait
s’excuser. Elle écrivit : « Je me repens
humblement et sincèrement et je te supplie de me pardonner et
d’oublier. »
En
lisant la lettre, Susa fut désolée que sa fille ait été
accablée de remords. Son père, Brigham Young, lui avait
conseillé de toujours placer sa famille en premier, promettant
que tout ce qu’elle accomplirait ensuite ajouterait à sa
gloire. Depuis, elle avait connu la réussite dans et hors de
son foyer. À trente-sept ans, elle avait un mariage heureux,
six enfants en vie et un autre en route, et était reconnue
comme l’un des écrivains les plus talentueux et les plus
prolifiques de l’Église.
Malgré
ce succès, elle avait quand même parfois le sentiment de
ne pas être à la hauteur de ses attentes élevées
en matière de maternité. Sa relation avec Leah avait
été particulièrement difficile. Pendant de
nombreuses années après le divorce, elles n’avaient
pas pu se fréquenter. Cependant, quand Leah eut quinze ans,
Susa avait arrangé une rencontre à la Lion House où
elles s’étaient embrassées et avaient pleuré
de joie. Depuis, elles avaient des rapports aimants et affectueux et
elles se considéraient parfois davantage comme des sœurs
que comme mère et fille.
Le
samedi 25 mars, Susa assista à la réunion de jeûne
spéciale avec les autres saints de Provo. Leah n’était
jamais loin de ses pensées. Elle se rendit compte que
l’adversaire ferait tout ce qu’il pouvait pour briser les
liens d’amour qui s’étaient développés
si récemment entre elle et sa fille aînée, et
elle ne le permettrait pas.
Dès
qu’elle le put, elle répondit à sa lettre. Elle
écrivit : « Ma fille chérie, sache que je t’aime
davantage chaque jour. » À son tour, elle demanda pardon
à Leah et promit de faire mieux. Elle admit : « Je sais
que je suis loin d’être parfaite. Le plus blessant dans
tes paroles est peut-être le fait que, dans une certaine
mesure, je les méritais.
Grâce
à la prière et à un petit effort de notre part,
apprenons à laisser ces choses de côté.
Embrasse-moi et enterre-les à jamais. »
CHAPITRE
44
: Une
paix bienheureuse
L’animation
et l’agitation régnaient pendant les jours précédant
la consécration du temple de Salt Lake City. Les travaux
étaient encore en cours la veille de l’ouverture des
portes. D’autre part, les rues de la ville étaient
bondées de visiteurs arrivant toutes les heures en train, en
buggy et à cheval. Les dirigeants de l’Église
avaient décidé d’organiser deux sessions de
consécration par jour jusqu’à ce que tous les
membres qui le souhaitaient aient pu y assister. Des dizaines de
milliers de saints avaient l’intention de se rendre à
Salt Lake City ce printemps-là pour voir la maison du Seigneur
de leurs propres yeux.
La
veille de la première session, les dirigeants de l’Église
offrirent une visite guidée aux journalistes locaux et
nationaux, ainsi qu’aux dignitaires qui n’étaient
pas membres. Nombre d’entre eux firent l’éloge du
travail superbe effectué sur le temple, de ses élégants
escaliers en colimaçon jusqu’à son sol
délicatement carrelé. Même les détracteurs
les plus farouches de l’Église furent étonnés.
Un
journaliste du Salt Lake Tribune écrivit : « L’intérieur
est une telle révélation de beauté que les
visiteurs s’arrêtent et demeurent involontairement
immobiles, totalement captivés par ce qui les entoure. »
Le
lendemain matin, le 6 avril 1893, le jour se leva, clair, mais froid.
Plusieurs heures avant le début de la première session,
plus de deux mille saints munis de recommandations commencèrent
à faire la queue devant les portes du temple. Une fois
qu’elles furent ouvertes et que certains furent entrés,
le temps se refroidit et une forte bise se mit à souffler.
Bientôt, une pluie glaciale se mit à tomber et la bise
se transforma en un vent hurlant qui soufflait sur les saints
rassemblés patiemment dans la queue.
Tout
comme le temple de Kirtland qui n’avait pu accueillir toutes
les personnes qui voulaient assister à sa consécration,
la spacieuse salle de réunion de celui de Salt Lake City était
trop petite pour contenir toutes celles qui avaient fait la queue.
Même après la fermeture des portes, une foule de saints
resta près du bâtiment. Vers dix heures, à
l’heure prévue pour le début de la session, le
vent reprit, faisant voler graviers et débris. Pour certains,
le diable lui-même semblait faire rage contre les saints et le
temple qu’ils avaient construit.
Pourtant,
les personnes qui se tenaient à l’extérieur
virent un signe qui leur rappela une manifestation antérieure
des soins attentifs de Dieu. Levant les yeux, elles aperçurent
un grand vol de mouettes virevoltant dans le ciel, encerclant les
flèches du temple au milieu de la tempête.
À
l’intérieur, Susa Gates prit place à la table des
greffiers, à l’extrémité est de la salle
de réunion. Étant l’une des journalistes
officielles des sessions de consécration, elle allait faire le
compte rendu de la réunion en sténographie. Bien
qu’elle ne fût qu’à quelques semaines
d’accoucher, elle avait l’intention d’assister à
chacune des dizaines de sessions prévues et d’en faire
le rapport.
Des
centaines de lampes électriques disposées sur cinq
lustres suspendus éclairaient la pièce d’un éclat
éblouissant. La salle pouvait accueillir deux mille deux cents
personnes et occupait tout l’étage. Parmi celles qui se
trouvaient là, il y avait Jacob, le mari de Susa, et Lucy
Young, sa mère. Des chaises en velours rouge remplissaient la
majorité de l’espace et des rangées de hautes
estrades destinées aux dirigeants de l’Église
étaient situées à l’est et à
l’ouest de la salle. Tous les sièges disponibles étaient
occupés et certaines personnes étaient debout.
Bientôt,
les trois cents membres du Chœur du Tabernacle se levèrent,
les hommes vêtus de costumes noirs et les femmes de vêtements
blancs. Leurs voix résonnèrent tandis qu’ils
entonnaient « Let All Israel Join and Sing » [Que tout
Israël s’unisse et chante], un cantique de Joseph Daynes,
organiste du chœur.
Le
président Woodruff se leva ensuite pour s’adresser aux
saints. Il dit : « Cela fait cinquante ans que j’attends
ce jour avec impatience. » Quand il était jeune, il
avait eu une vision où il s’était vu en train de
consacrer un magnifique temple dans les montagnes de l’Ouest.
Plus récemment, il avait rêvé que Brigham Young
lui donnait un jeu de clés pour le temple de Salt Lake City.
Brigham
avait dit : « Va déverrouiller ce temple et laisse
entrer le peuple, tous ceux qui veulent le salut. »
Après
avoir raconté ces visions aux saints, il s’agenouilla
sur un tabouret rembourré pour lire la prière de
consécration. Parlant d’une voix forte et claire, il
supplia Dieu d’appliquer le sang expiatoire du Sauveur et de
pardonner aux saints leurs péchés. Il pria : «
Permets que les bénédictions que nous recherchons nous
soient accordées, oui, au centuple, étant donné
que nous cherchons avec pureté de cœur et détermination
totale à faire ta volonté et à glorifier ton
nom. »
Pendant
plus de trente minutes, il rendit grâces à Dieu et le
loua. Il présenta le bâtiment au Seigneur, lui demandant
de veiller sur lui et de le protéger. Il pria pour les
collèges de la prêtrise, la Société de
secours, les missionnaires, les jeunes et les enfants de l’Église.
Il pria pour les dirigeants des nations et pour les pauvres, les
affligés et les opprimés. Enfin, il demanda que tout le
monde puisse avoir le cœur adouci et être libre
d’accepter l’Évangile rétabli.
Avant
de conclure, il demanda au Seigneur de fortifier la foi des saints.
Il fit cette prière : « Fortifie-nous par le souvenir
des glorieuses délivrances passées, par le souvenir des
alliances sacrées que tu as faites avec nous, afin que,
lorsque le mal nous enveloppe, lorsque les ennuis nous environnent,
lorsque nous traversons la vallée de l’humilité,
nous ne faiblissions ni ne doutions, mais qu’avec la force de
ton saint nom, nous accomplissions tous tes justes desseins. »
Après
la prière, Lorenzo Snow, le président du Collège
des douze apôtres, dirigea l’assemblée dans un cri
du Hosanna rempli de liesse. Le chœur et l’assemblée
chantèrent ensuite « L’Esprit du Dieu Saint ».
Susa
fut profondément émue par la consécration. Son
père avait donné le premier coup de pioche quelques
années avant sa naissance. Toute sa vie, elle avait donc vu
des femmes et des hommes fidèles y consacrer leur argent,
leurs moyens et leurs labeurs. Récemment, sa propre mère
avait anonymement fait don de cinq cents dollars au fonds du temple.
Elle
pensait qu’ils étaient tous sûrs de recevoir des
bénédictions pour avoir placé leurs offrandes
sur l’autel du sacrifice et de l’amour chrétien.
Joseph
F. Smith parla plus tard au cours de la cérémonie, le
visage baigné de larmes il dit : « Tous les habitants de
la terre sont le peuple de Dieu et nous avons le devoir de leur
apporter les paroles de vie et de salut et de racheter ceux qui sont
morts sans connaître la vérité. Cette maison a
été érigée au nom de Dieu dans ce but. »
Une
lumière radieuse semblait émaner de lui et Susa pensa
qu’un rayon de soleil avait filtré par la fenêtre
pour lui illuminer le visage. Elle chuchota à l’homme
qui se trouvait à côté d’elle : « Les
rayons du soleil produisent un effet bien étrange. Regarde ! »
L’homme
répondit sur le même ton : « Il n’y a pas de
soleil dehors, rien que de la grisaille. »
Susa
jeta un coup d’œil par la fenêtre et vit le ciel
rempli de nuages noirs. Elle se rendit alors compte que la lumière
qui se dégageait du visage de Joseph était le
Saint-Esprit, qui était descendu sur lui.
Ce
même jour, Rua et Tematagi, jeune couple de l’atoll
d’Anaa, assistaient à une conférence avec
d’autres saints des îles Tuamotu. La réunion,
présidée par James Brown, président de mission,
commença à sept heures du matin, au moment où la
première session de consécration commençait à
Salt Lake City.
Depuis
plusieurs jours, des missionnaires et d’autres membres de
l’Église se rassemblaient à Putuahara, ce même
endroit d’Anaa où Addison Pratt avait réuni plus
de huit cents saints près de cinquante ans plus tôt. Les
vents violents avaient récemment mis l’océan en
fureur, mais les bourrasques avaient cessé et un soleil tiède
se levait maintenant sur le village.
Rua
et Tematagi étaient devenus membres de l’Église
quelques mois après la venue de James Brown dans les îles.
À son arrivée, il avait trouvé l’atoll
violemment divisé par la religion, mais son fils Elando et lui
avaient baptisé quelques nouveaux saints. En acceptant le
baptême, Rua et Tematagi unissaient leur foi à celle de
la sœur cadette de Rua, Terai, et de son mari, Tefanau, qui
étaient devenus membres de l’Église neuf ans plus
tôt. Teraupua, le père de Rua, était aussi membre
et avait récemment été ordonné à
la Prêtrise de Melchisédek.
Au
début de la conférence, James Brown parla de la
consécration du temple et de son importance. Joseph Damron,
l’un des anciens qui avaient rouvert la mission tahitienne,
parla de la construction des temples dans les derniers jours. Bien
que celui de Salt Lake City fût à des milliers de
kilomètres, les saints de Tuamotu célébrèrent
ce jour historique et en apprirent davantage sur le rôle des
temples dans la rédemption des vivants et des morts.
À
la fin de la réunion, ils empruntèrent un sentier
menant à l’océan pour regarder Elando baptiser
cinq nouveaux convertis dans l’eau chaude du Pacifique. Parmi
les saints baptisés, il y avait Mahue, Rua et la fille de
Tematagi, âgée de neuf ans. Après le baptême,
elle fut confirmée par son oncle Tefanau. Rua fut ensuite
ordonné ancien dans la Prêtrise de Melchisédek
par Terogomaihite, dirigeant local de l’Église. Deux
autres saints des îles furent ordonnés anciens et mis à
part comme présidents de branche.
La
conférence se termina deux jours plus tard et les saints
convinrent de se réunir de nouveau trois mois plus tard.
Joseph Damron et d’autres habitants des îles voisines
dirent ensuite au revoir à leurs amis d’Anaa. Avant le
départ de Joseph, Rua lui offrit un petit bijou.
Le
9 avril, la neige jonchait le sol de Temple Square lorsqu’une
cinquantaine de saints hawaïens de la colonie de Iosepa se
rassemblèrent aux portes du temple pour montrer leur
recommandation.
Plus
de deux ans s’étaient écoulés depuis que
la Première Présidence avait visité la colonie
pour en célébrer la fondation. Depuis, les saints
avaient continué de travailler dur pour cultiver leurs terres.
Bien qu’ils en eussent acheté plus de trois cents
hectares supplémentaires et qu’ils eussent réussi
à produire une grande variété de cultures,
l’argent était encore rare. Malgré cela, quand la
Première Présidence avait demandé des dons pour
achever le temple, ils avaient réuni mille quatre cents
dollars.
Lorsqu’ils
apprirent qu’une date était prévue pour qu’ils
assistent à la consécration, les habitants de Iosepa
furent remplis d’un regain d’énergie. Ils
travaillèrent sans relâche pour effectuer leurs
semailles de printemps avant de faire les deux jours de voyage
jusqu’à Salt Lake City. Toutes les charrues, les herses
et les semoirs furent mis à contribution jusqu’à
ce que les saints fussent prêts à partir.
Bien
qu’une recommandation pour la consécration n’exigeât
rien de plus que l’appartenance à l’Église
et le désir d’y assister, les saints de Iosepa voulaient
s’assurer qu’ils étaient spirituellement prêts
à entrer dans le temple. Près de trente d’entre
eux demandèrent à être rebaptisés et un
service de baptême spécial eut lieu dans le réservoir
de la ville.
Après
avoir présenté leur recommandation aux portes du
temple, les saints de Iosepa entrèrent dans le bâtiment
et parcoururent ses nombreuses salles. Les saints de Laie avaient
envoyé une petite table incrustée de feuillus hawaïens
pour le temple et deux perches ornées de plumes d’oiseaux
hawaïens étaient exposées dans un coin de la salle
céleste. Les femmes de la Société de secours
hawaïenne avaient fabriqué les perches, appelées
kāhili, qui symbolisent la royauté et la protection
spirituelle.
Bientôt,
les saints de Iosepa et plus de deux mille autres prirent place dans
la salle de réunion. Ensemble, ils chantèrent,
écoutèrent la prière de consécration et
poussèrent le cri de Hosanna. Après un autre cantique,
Wilford Woodruff remercia les gens de leur contribution au temple et
témoigna de Jésus-Christ.
Il
demanda ensuite à George Q. Cannon de prendre la parole.
George dit : « Notre mission est bien plus grande que celle des
personnes qui nous ont précédés. Les saints sont
en train de poser les fondements d’une œuvre dont ils ne
peuvent saisir l’étendue. »
Avant
de conclure, il s’adressa aux saints de Iosepa dans leur propre
langue.
Il
dit : « Il y a des millions d’esprits qui sont morts,
mais qui ne sont pas en mesure d’aller auprès de Dieu
parce qu’ils ne possèdent pas la clé. » Il
faisait allusion aux Hawaïens de l’autre côté
du voile qui accepteraient l’Évangile et témoigna
que l’Église avait besoin que les saints hawaïens
accomplissent les ordonnances du temple pour leurs ancêtres
décédés.
Plus
tard, lors d’une réunion de la branche de Iosepa, un
homme nommé J. Mahoe parla de son expérience lors de la
consécration et de la leçon importante qu’il
avait apprise là-bas. Il dit : « Je me réjouis
d’avoir pu aller au temple et d’avoir été
témoin des événements qui s’y sont
déroulés. Nous devons nous occuper de notre généalogie.
»
Le
19 avril, à dix heures du matin, la Première Présidence
organisa une réunion spéciale au temple pour toutes les
Autorités générales et les présidences de
pieu. Une fois que les hommes furent assemblés, elle leur
demanda de faire part de leurs sentiments concernant la consécration
du temple et l’œuvre de Dieu dans la vie des saints.
Toute
la matinée, un homme après l’autre rendit un
témoignage puissant. Quand ils eurent fini, Wilford se leva et
ajouta le sien. Il dit : « J’ai davantage ressenti le
Saint-Esprit dans cette consécration que jamais auparavant, à
l’exception d’une occasion. » Il parla ensuite de
l’époque où Joseph Smith avait confié pour
la dernière fois leur mission aux apôtres à
Nauvoo.
Il
témoigna : « Il s’est tenu devant nous pendant
trois heures environ. La pièce semblait remplie d’un feu
dévorant et le visage de Joseph brillait comme de l’ambre.
»
Il
raconta également qu’il avait vu Brigham Young et Heber
Kimball dans une vision après leur mort. Les deux hommes se
rendaient à la conférence dans une calèche et
ils l’avaient invité à se joindre à eux.
Wilford était monté et avait demandé à
Brigham de parler.
Brigham
lui avait dit : « J’ai fini de prêcher sur la
terre, mais je suis venu pour te faire comprendre ce que Joseph
m’avait dit à Winter Quarters, à savoir : cherche
toujours l’Esprit de Dieu et il te guidera dans la bonne
direction. »
Le
message de Wilford aux Autorités générales était
le même. Il dit : « Assurez-vous que le Saint-Esprit vous
guide. Enseignez au peuple à obtenir le Saint-Esprit et
l’Esprit du Seigneur, et gardez-le avec vous et vous
prospérerez. »
Lorsqu’elle
était jeune fille, Zina Young, présidente générale
de la Société de secours, avait entendu des anges
chanter dans le temple de Kirtland. Des décennies plus tard,
elle avait servi fidèlement dans la maison des dotations de
Salt Lake City et dans les temples de St George, Logan et Manti.
Dorénavant, elle allait superviser toutes les servantes des
ordonnances dans le temple de Salt Lake City.
Le
soir suivant la première session de consécration, elle
rendit témoignage du temple lors d’une conférence
de la Société de secours. Elle dit aux femmes : «
Il n’y a jamais eu une telle journée en Israël. À
partir d’aujourd’hui, l’œuvre du Seigneur va
s’accélérer. »
Sa
secrétaire, Emmeline Wells, témoigna de la même
chose dans les pages du Woman’s Exponent. Elle écrivit :
« Aucun événement moderne n’est aussi
important que l’ouverture de ce saint édifice consacré
à l’accomplissement des ordonnances pour les vivants et
les morts, les dotations et les alliances unissant le passé et
le présent, les familles et leurs ancêtres par des liens
inséparables. »
Ce
printemps-là, après la dernière session de
consécration, Zina et Emmeline firent leurs derniers
préparatifs avant de se rendre à Chicago pour assister
à une conférence de femmes lors de l’exposition
universelle de 1893, un salon monumental destiné à
présenter les merveilles de la science et de la culture de
nombreux pays. Comme la première conférence du Conseil
national des femmes deux ans plus tôt, l’exposition
allait donner aux dirigeantes de la Société de secours
et de la Société d’Amélioration Mutuelle
des Jeunes Filles l’occasion de représenter l’Église
et de rencontrer les femmes influentes du monde entier.
Les
deux amies partirent pour Chicago le 10 mai. Cinquante ans plus tôt,
lorsque les premiers saints étaient arrivés dans la
vallée du lac Salé, il leur avait fallu des semaines
pour parcourir la distance que leur train couvrit en quelques jours à
peine. Traversant le Mississippi, Emmeline fut submergée par
l’émotion en pensant au passé. Bien que les
saints eussent enduré de nombreuses épreuves au cours
du demi-siècle qui venant de s’écouler, ils
avaient également connu de nombreuses victoires.
Zina
aussi se surprit à penser au passé. Plus tard, elle dit
à Emmeline : « Le manteau du temps enveloppe rapidement
beaucoup d’entre nous. Lorsqu’après nos sacrifices
indescriptibles, nous irons dans l’au-delà vers notre
repos, puisse cela ressembler aux plus beaux couchers de soleil de
l’Utah et qu’à l’avenir, de nombreuses
personnes aient des raisons de louer Dieu pour les nobles femmes de
cette génération. »
À
peu près à l’époque où Zina Young
et Emmeline Wells se rendaient à l’exposition
universelle, Anna Widtsoe reçut une lettre de son fils, John,
qui étudiait à Harvard. Depuis près d’un
mois, il attendait avec impatience du courrier de sa mère et
de son frère cadet, Osborne, au sujet de la consécration
du temple. Mais jusqu’à présent, rien n’était
arrivé.
Il
écrivit : « Je suis fatigué de lire les nouvelles
de la consécration dans le journal. Je veux en entendre parler
plus personnellement parce qu’il y a plus de vie dans une
lettre que dans les journaux du monde entier. »
La
famille lui avait bien entendu déjà écrit au
sujet de la consécration, mais le service postal, aussi rapide
qu’il fût devenu au fil des ans, ne l’était
toujours pas assez pour lui.
Anna
et Osborne avaient assisté ensemble à une session de
consécration. Plus tard, Osborne avait assisté à
une session spéciale pour les enfants et les jeunes de l’École
du dimanche. Tandis qu’il parcourait le temple, il avait vu un
tableau de trois pionnières, dont l’une était
norvégienne. Le tableau était un hommage à la
foi et au sacrifice de nombreuses immigrantes qui comme Anna avaient
quitté leur pays natal pour se rassembler en Sion.
Près
de dix ans s’étaient écoulés depuis que
les Widtsoe avaient fait le voyage jusqu’en Utah. Maintenant, à
Salt Lake City, ils avaient un petit logement confortable situé
à quelques rues du magasin où Osborne travaillait. Anna
avait un atelier de couture et assistait aux réunions de la
Société de secours de sa paroisse. Elle se réunissait
aussi régulièrement avec d’autres saints
scandinaves dans l’ancienne salle polyvalente. Elle avait
trouvé un foyer parmi les saints et elle chérissait sa
foi en l’Évangile rétabli. Avant de l’embrasser,
elle était comme une aveugle de naissance. Maintenant, elle
voyait.
Mais
elle s’inquiétait pour John. Il lui avait récemment
parlé de ses difficultés à croire en certains
aspects de l’Évangile. À Harvard, il avait appris
beaucoup de choses auprès de ses professeurs. Mais leurs cours
l’avaient aussi amené à remettre sa foi en
question. Ses doutes le perturbaient grandement. Certains jours, il
niait l’existence de Dieu. D’autres jours, il
l’affirmait.
Anna
priait quotidiennement pour son fils, profondément bouleversée
par ses doutes, mais elle savait qu’il devait acquérir
son propre témoignage de l’Évangile. Elle lui
écrivit : « Si tu n’as pas encore ton propre
témoignage, c’est le moment d’en obtenir un. Si tu
cherches sincèrement et mènes une vie pure, tu le
recevras. Mais tout ce que nous avons, nous devons le mériter.
»
Pour
Anna, le temple fortifiait sa foi aux promesses de Dieu à ses
enfants. Avant même de partir de Nauvoo, les saints avaient
fondé leurs espoirs en la prophétie d’Ésaïe
selon laquelle toutes les nations se rassembleraient dans la maison
du Seigneur sur le sommet des montagnes. Fin avril 1893, plus de
quatre-vingt mille hommes, femmes et enfants, dont beaucoup
d’immigrants d’Europe et des îles de la mer,
vinrent assister à une session de consécration. Un
esprit d’amour et d’unité régna sur chaque
réunion et les saints eurent l’impression que la parole
du Seigneur s’était accomplie.
Maintenant,
aux portes d’un nouveau siècle, ils pouvaient s’attendre
à un avenir plus radieux et plus audacieux. Les quatre temples
de l’Utah, qui représentaient tant de sacrifices et de
foi, n’étaient que le début. Brigham Young avait
déclaré un jour : « Combien l’œuvre
qui est devant nous est grande si nous sommes fidèles ! Nous
serons en mesure de construire des temples, oui, des milliers, et
d’en construire dans tous les pays du monde. »
En
pénétrant dans celui de Salt Lake City, Anna avait
ressenti le caractère sacré des lieux. Dans une lettre
à John, elle écrivit : « J’ai essayé
de rester dans la salle céleste aussi longtemps que possible.
Je l’ai vue et j’ai eu l’impression que j’étais
baignée dans la lumière et qu’aucun endroit sur
la terre n’avait plus de valeur pour moi. »
Elle
témoigna : « Tout est si magnifique ici, il y règne
une paix bienheureuse qu’aucune langue ne peut expliquer. Seuls
ceux qui y sont entrés et ont reçu la sainteté
de la sainteté la comprenne. »
TOME 3
HARDIMENT, NOBLEMENT ET EN TOUTE INDÉPENDANCE
1893-1955
PREMIÈRE PARTIE : Un fondement ferme
CHAPITRE 1 : Des jours meilleurs et plus radieux
CHAPITRE 2 : Si nous nous montrons prêts
CHAPITRE 3 : Le chemin de la justice
CHAPITRE 4 : Beaucoup de bien
CHAPITRE 5 : Une condition essentielle
CHAPITRE 6 : Notre souhait et notre mission
CHAPITRE 7 : Sur la sellette
CHAPITRE 8 : Le rocher de la révélation
CHAPITRE 9 : Lutter et se battre
DEUXIÈME PARTIE : Sur toute la terre (1911-1930)
CHAPITRE 10 : Donne-moi la force
CHAPITRE 11 : Une responsabilité trop lourde
CHAPITRE 12 : Cette guerre terrible
CHAPITRE 13 : Héritiers du salut
CHAPITRE 14 : Des sources de lumière et d’espérance
CHAPITRE 15 : Pas de plus grande récompense
CHAPITRE 16 : Écrit dans les cieux
CHAPITRE 17 : Préservés l’un pour l’autre
CHAPITRE 18 : N’importe quel endroit sur la terre
CHAPITRE 19 : L’Évangile du Maître
TROISIÈME PARTIE : Au cœur de la bataille (1930-1945)
CHAPITRE 20 : Des temps difficiles
CHAPITRE 21 : Une meilleure compréhension
CHAPITRE 22 : Récompense éternelle
CHAPITRE 23 : Tout ce qu’il faut
CHAPITRE 24 : Le but de l’Église
CHAPITRE 25 : Pas de temps à perdre
CHAPITRE 26 : Les rejetons immondes de la guerre
CHAPITRE 27 : Dieu est à la barre
CHAPITRE 28 : Notre effort commun
CHAPITRE 29 : Reste avec nous, Seigneur
CHAPITRE 30 : Tant de souffrances
QUATRIÈME PARTIE : Couronnés de gloire (1945-1955)
CHAPITRE 31 : Sur la bonne voie
CHAPITRE 32 : Frères et sœurs
CHAPITRE 33 : La main de notre Père
CHAPITRE 34 : Va le voir
CHAPITRE 35 : Nous ne pouvons pas échouer
CHAPITRE 36 : Attentivement et à l’aide de la prière
CHAPITRE 37 : Avec une intention réelle
CHAPITRE 38 : Plus de force, plus de lumière
CHAPITRE 39 : Une ère nouvelle
À PROPOS DES SOURCES
SOURCES
REMERCIEMENTS
PREMIÈRE PARTIE : Un fondement ferme (1893-1911)
Chapitre 1 : Des jours meilleurs et plus radieux
Evan Stephens et le Tabernacle Choir
allaient avoir la chance de leur vie. On était au mois de mai 1893 et
l’Exposition universelle venait de s’ouvrir à Chicago, métropole en
pleine expansion du Midwest américain. Pendant les six mois suivants,
des millions de personnes du monde entier viendraient visiter
l’Exposition. Sur près de deux cent cinquante hectares s’étendaient des
parcs verdoyants, des lagunes et des canaux chatoyants, et des palais
étincelants couleur ivoire. À chaque détour, les visiteurs entendaient
de magnifiques concerts, respiraient de nouveaux arômes alléchants et
admiraient des expositions impressionnantes présentées par les
quarante-six pays participants.
Evan savait que, pour attirer l’attention du monde, il n’y avait pas de scène plus grande que celle de l’Exposition universelle.
En tant que chef de chœur, il avait
hâte de se produire à l’Eisteddfod international, concours prestigieux
de chant gallois qui aurait lieu à l’automne dans le cadre de
l’Exposition. Comme ses choristes et lui étaient gallois ou avaient des
ancêtres gallois, ils étaient imprégnés des traditions musicales de
leur terre natale. Mais ce concours ne leur donnait pas simplement
l’occasion de faire honneur à leur héritage. Un concert à Chicago était
l’occasion parfaite pour le Tabernacle Choir, ensemble choral principal
de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, de montrer
ses talents et de faire connaître l’Église à davantage de personnes.
À de nombreuses reprises, de fausses
informations circulant sur les saints leur avaient causé du tort et
avaient été à l’origine de conflits avec leurs voisins. Un demi-siècle
plus tôt, ils s’étaient réfugiés dans la vallée du lac Salé, loin de
leurs oppresseurs. Mais la paix avait été éphémère, surtout à partir du
moment où les saints avaient commencé à pratiquer ouvertement le
mariage plural. Au cours des décennies suivantes, le gouvernement des
États-Unis avait mené une campagne implacable contre le mariage plural.
Les détracteurs de l’Église s’étaient acharnés à détruire son image
publique et à dépeindre les saints comme un peuple grossier et peu
éclairé.
En 1890, Wilford Woodruff, président
de l’Église, avait publié le Manifeste, une déclaration officielle qui
avait mis fin à la pratique du mariage plural parmi les saints. Dès
lors, l’opposition du gouvernement fédéral vis-à-vis de l’Église
s’était atténuée. Cependant, le changement était lent et les
incompréhensions persistaient. Maintenant, à la fin du siècle, les
saints voulaient montrer au monde qui ils étaient et ce en quoi ils
croyaient.
Malgré son désir fervent de voir le
chœur représenter l’Église à l’Exposition, Evan faillit être obligé de
laisser passer cette chance. Une crise financière venait de frapper les
États-Unis, paralysant la situation économique de l’Utah. Beaucoup de
membres du chœur étaient pauvres et Evan ne voulait pas qu’ils
utilisent leurs revenus pour le voyage. Il craignait aussi qu’ils ne
soient pas prêts pour le concours. Bien qu’ils aient chanté tels des
anges lors de la récente consécration du temple de Salt Lake City, ils
n’étaient qu’un chœur d’amateurs. S’ils n’étaient pas à la hauteur des
autres chœurs, ils nuiraient à l’image de l’Église.
En fait, plus tôt dans l’année, Evan
et la Première Présidence de l’Église avaient finalement renoncé à
participer au concours. Mais l’Eisteddfod avait alors envoyé des
représentants à Salt Lake City. Après avoir écouté le chœur, ils dirent
à George Q. Cannon, premier conseiller dans la Première Présidence, que
les saints pouvaient gagner la compétition.
Le président Cannon, se tournant vers Evan, lui demanda : « Pensez-vous que notre chœur a des chances de gagner ? »
Evan lui répondit : « Je ne le pense pas, mais nous pouvons faire une bonne impression. »
Cela suffit au président Cannon.
D’autres saints désireux de représenter au mieux l’Église étaient déjà
partis à Chicago. Les dirigeantes de la Société de Secours et de la
Société d’Amélioration Mutuelle (SAM) des jeunes femmes s’adresseraient
au congrès des organisations représentatives des femmes organisé dans
le cadre de l’Exposition et qui allait être la plus grande assemblée de
femmes dirigeantes jamais tenue. B. H. Roberts, l’un des sept
présidents des soixante-dix, espérait parler de l’Église au parlement
des religions qui se tiendrait aussi dans le cadre de l’Exposition.
À la demande de la Première
Présidence, le chœur commença immédiatement à répéter et à réunir des
fonds pour le voyage. Evan devait réaliser l’impossible et cela, en
moins de trois mois.
Ce printemps-là, la crise économique qui posait des problèmes au Tabernacle Choir menaça également l’Église de ruine financière.
Six ans plus tôt, au plus fort de sa
campagne contre la polygamie, le congrès des États-Unis avait adopté la
loi Edmunds-Tucker autorisant la confiscation des biens de l’Église.
Craignant que le gouvernement ne saisisse leurs dons, de nombreux
saints avaient cessé de payer la dîme, réduisant considérablement la
principale source de financement de l’Église. Pour couvrir ses pertes,
l’Église avait emprunté de l’argent et investi dans des entreprises
commerciales afin de disposer de suffisamment de fonds pour continuer à
faire avancer l’œuvre du Seigneur. Elle avait également contracté des
prêts afin de pouvoir terminer la construction du temple de Salt Lake
City.
Le 10 mai 1893, la Première
Présidence demanda à l’apôtre Heber J. Grant de partir immédiatement
vers l’est pour négocier de nouveaux emprunts afin de soulager les
fardeaux financiers de l’Église. En Utah, les banques faisaient
faillite et les prix agricoles s’effondraient. Bientôt, l’Église ne
serait plus en mesure de payer ses secrétaires, ses agents
administratifs et ses autres employés. Puisque Heber était président
d’une banque à Salt Lake City et avait de nombreux amis dans le secteur
financier, les dirigeants de l’Église espéraient qu’il obtiendrait de
l’argent.
Une fois que Heber eut accepté
d’entreprendre ce voyage, frère Cannon lui donna une bénédiction,
promettant que des anges le soutiendraient. Heber prit alors le train
en direction de la côte est, le poids de l’Église reposant sur ses
épaules. S’il échouait, l’Église ne pourrait pas rembourser ses prêts
et perdrait la confiance de ses créanciers. Elle ne pourrait pas
emprunter l’argent dont elle avait besoin pour continuer à fonctionner.
Peu après son arrivée à New York,
Heber renouvela plusieurs prêts et emprunta vingt-cinq mille dollars
supplémentaires. Il contracta ensuite un autre emprunt, obtenant
finalement cinquante mille dollars supplémentaires Malheureusement, ses
efforts ne suffisaient pas à maintenir les finances de l’Église à flot.
Les jours passaient et il ne
parvenait pas à trouver d’autres prêteurs. La crise effrayait tout le
monde. Personne ne voulait prêter de l’argent à une institution déjà
lourdement endettée.
Heber n’arrivait plus à dormir. Il
craignait que sa santé ne lui fît défaut avant la fin de sa mission. Il
écrivit dans son journal : « Je mesure plus d’un mètre quatre-vingts et
je ne pèse que soixante-trois kilos. Il n’y a donc pas beaucoup
d’excédent dans lequel puiser. »
Le matin du 19 mai, Emmeline Wells
était nerveuse. À dix heures, elle-même et d’autres dirigeantes de la
Société de Secours présenteraient leur organisation au congrès mondial
des organisations représentatives des femmes, à l’Exposition
universelle de Chicago.
Elle espérait que leurs discours
corrigeraient les stéréotypes néfastes concernant les femmes dans
l’Église. Comme la majeure partie des deux cent mille membres de
l’Église vivaient dans l’ouest américain, peu de gens avaient déjà
rencontré une sainte des derniers jours. Ce qu’ils savaient d’elles
provenait généralement de livres, de magazines et de brochures qui
répandaient de fausses informations sur l’Église et les décrivaient
comme étant sans éducation et opprimées.
À dix heures, les huit cents sièges
de la salle n’étaient pas tous occupés. Le public avait été bien
informé de la session de la Société de Secours, mais d’autres réunions
importantes se tenaient en même temps, attirant des personnes qui,
sinon, seraient peut-être venues écouter les femmes d’Utah. Emmeline
reconnut quelques visages parmi le public, notamment des saints venus
pour les soutenir. Toutefois, elle repéra dans l’assistance une
personnalité importante, qui n’était pas membre de l’Église : la
journaliste Etta Gilchrist.
Dix ans plus tôt, Etta avait écrit un
roman condamnant le mariage plural et les saints. Mais depuis, Emmeline
et elle avaient trouvé une cause commune dans la défense du droit de
vote des femmes et Emmeline avait publié un article de la journaliste
sur ce sujet dans le Woman’s Exponent, journal dont elle était la
rédactrice en chef en Utah. Si Etta rédigeait un rapport positif, cela
serait certainement favorable à la réputation des saints.
La session commença par
l’interprétation du cantique « O mon Père » écrit par Eliza R. Snow.
Zina Young, présidente générale de la Société de Secours, et d’autres
dirigeantes prononcèrent ensuite de brefs discours sur l’œuvre de la
Société de Secours et l’histoire de l’Église. Parmi les oratrices,
certaines étaient des pionnières arrivées en Utah, d’autres y étaient
nées. Lorsqu’Emmeline prit la parole, elle fit l’éloge du raffinement
dont faisait preuve les femmes de lettres d’Utah et décrivit la longue
expérience de la Société de Secours en matière de stockage des céréales.
S’adressant au public, elle dit : « Si jamais il y a une famine, venez à Sion. »
Avant la fin de la réunion, Emmeline
appela Etta sur l’estrade. Elle se leva et vint s’asseoir à côté de
Zina. Elle serra la main de chaque femme venant d’Utah, émue par leur
bienveillance à son égard malgré le fait qu’elle les ait autrefois
dénigrées.
Quelques jours plus tard, le rapport
d’Etta concernant la réunion de la Société de Secours parut dans le
journal. On y lisait : « Les mormons sont visiblement un peuple très
fervent. Leur foi dans leurs croyances est merveilleuse. »
Décrivant l’accueil que lui avaient
réservé les saints, elle avait ajouté : « Pour moi, cette seule réunion
valait la peine de venir à Chicago. »
Emmeline fut reconnaissante de ce compliment.
Alors que les banques et les
entreprises d’Utah faisaient faillite, Leah Dunford, dix-neuf ans,
s’inquiétait pour les membres de sa famille. Ils n’étaient pas riches
et sa mère, Susa Gates, fille de Brigham Young, avait vendu un terrain
qui lui était cher afin que Leah puisse étudier la médecine et le sport
lors de cours d’été organisés sur le campus de l’université de Harvard
à Cambridge, dans le Massachusetts. Elle ne savait pas si elle devait
s’y rendre. Elle se demandait s’il était juste de profiter du sacrifice
de sa mère.
Susa voulait que Leah assiste aux
cours d’été, quel que soit le prix à payer. À l’époque, de nombreux
jeunes saints des derniers jours quittaient l’Utah pour étudier dans
des universités prestigieuses de l’est des États-Unis. L’année passée,
Susa avait suivi les cours d’été et elle espérait que sa fille vive une
aussi bonne expérience qu’elle. Elle pensait également que l’un des
étudiants qu’elle avait rencontrés là-bas, un jeune saint des derniers
jours norvégien nommé John Widtsoe, serait un compagnon idéal pour Leah.
Abstraction faite de ses
préoccupations financières, Leah était impatiente de poursuivre ses
études. Sa mère croyait que les jeunes saintes des derniers jours
devaient faire de bonnes études et avoir une formation professionnelle.
Tant que le mariage plural était pratiqué, il permettait à quasiment
toutes les saintes des derniers jours qui le souhaitaient de contracter
cette alliance. Cependant, la génération de Leah, la première à
atteindre l’âge adulte après le Manifeste, n’avait plus cette garantie
ni celle du soutien financier que le mariage apportait alors aux femmes.
Même si, dans de nombreuses régions
du monde, les femmes avaient maintenant davantage de possibilités
d’études et de carrière professionnelle, dans l’Église, les parents
craignaient souvent que cela n’amène leurs filles à épouser un
non-membre et à se détourner de la foi. C’était pour cette raison que
les dirigeantes de la Société d’Amélioration Mutuelle des jeunes femmes
commencèrent à mettre l’accent sur l’importance d’obtenir un témoignage
fort et de prendre les décisions importantes dans un esprit de prière.
Susa avait déjà incité Leah à jeûner
et prier au sujet de sa relation avec John Widtsoe. Elle-même avait
divorcé du père de Leah qui, à l’époque, buvait beaucoup. Elle
souhaitait ardemment que sa fille ait un mariage heureux avec un jeune
homme juste. Bien sûr, il fallait déjà que Leah rencontre John. Jusque
là, ils n’avaient échangé que quelques lettres.
En juin 1893, Leah parcourut plus de
trois mille kilomètres pour se rendre à Harvard en compagnie de quatre
femmes venant d’Utah. Comme elles arrivèrent tard dans la maison où
vivaient John et d’autres étudiants saints des derniers jours, elles
n’eurent pas l’occasion de les rencontrer. Toutefois, le lendemain
matin, Leah remarqua un jeune homme silencieux, assis seul dans un
coin. Elle lui dit : « Je suppose que vous êtes frère Widtsoe. Ma mère
m’a parlé de vous. »
Elle l’avait toujours imaginé comme
étant un grand scandinave bien bâti. Au lieu de cela, il était petit et
mince. Que voyait donc sa mère en lui ?
Peu impressionnée, Leah ne fit pas
attention à lui jusqu’à l’heure du dîner. On demanda alors à John de
découper la viande. La jeune femme pensa qu’au moins, il était utile.
Puis, quand tout le monde s’agenouilla pour bénir la nourriture, John
fit la prière Celle-ci toucha profondément le cœur de Leah.
Elle se dit : « C’est lui. »
À partir de ce moment-là, Leah et
John ne se quittèrent presque plus. Un après-midi, alors qu’ils se
promenaient ensemble dans un parc, ils s’arrêtèrent sur une petite
colline surplombant un étang. Là, John raconta à Leah son enfance en
Norvège et ses jeunes années à Logan, en Utah.
Comme il se mettait à pleuvoir, ils
s’abritèrent dans une tour voisine où Leah parla à John de sa vie. Ils
montèrent ensuite au sommet de la tour et parlèrent pendant une heure
et demie de leurs espoirs pour l’avenir.
John Widtsoe était amoureux de Leah
Dunford mais il ne voulait pas l’admettre. Dès son arrivée à l’école,
il voulut l’ignorer. Il était très occupé et n’était pas intéressé par
une idylle à cette période de sa vie. Il avait de grands projets pour
l’avenir. Leah était une distraction.
Pourtant, il aimait le fait qu’elle
sache jouer de plusieurs instruments et qu’elle parle avec légèreté ou
gravité, en fonction de la situation. Il appréciait qu’elle aide la
gouvernante tandis que les autres étudiants restaient assis sans rien
faire. Plus que tout, il aimait son ambition.
Il écrivit à sa mère, Anna, à Salt
Lake City : « Elle a le désir de faire quelque chose dans le monde.
Elle sera une femme éminente dans l’éducation en Utah. »
D’après ses calculs, il devrait
travailler au moins deux ou trois ans pour rembourser son emprunt
souscrit pour payer ses études à Harvard. Il lui faudrait ensuite
quatre ans pour obtenir un diplôme en Europe et quatre ans de plus pour
rembourser cette dette-là. Puis il lui faudrait encore au moins trois
ans pour gagner assez d’argent pour pouvoir envisager d’épouser Leah.
Par ailleurs, John n’était pas encore
certain de ses croyances religieuses. Il avait foi en la pureté de
Jésus et en sa bonté. À son arrivée à Harvard, il avait reçu un fort
témoignage du fait que Dieu l’avait aidé à réussir ses examens
d’entrée. Cependant, il n’était pas aussi confiant au sujet de
l’Église. Plus tôt dans l’année, il avait écrit une lettre à sa mère
mentionnant les questions qu’il se posait sur l’Église et ses
dirigeants. La lettre avait tant inquiété Anna qu’elle lui avait
répondu immédiatement, certaine qu’il avait perdu son témoignage.
Dans sa lettre suivante, John avait
essayé de s’expliquer. Comme d’autres saints de son âge, il était en
proie aux doutes. Les dirigeants de l’Église lui avaient toujours
enseigné qu’il vivait dans les derniers jours, époque où le Seigneur
délivrerait son peuple de ses ennemis. Cependant, au cours des trois
dernières années, il avait vu les saints abandonner le mariage plural
et se diviser avec amertume sur des sujets politiques. Maintenant, il
se demandait si les saints réussiraient un jour à édifier Sion.
Il avait dit à sa mère : « Rien ne semble aller comme prévu. »
Dans ses lettres, John avait aussi
essayé d’expliquer que le fait de croire en quelque chose ne lui
suffisait pas. Il devait savoir pourquoi il y croyait. Il avait écrit :
« Il ne sert à rien de dire ‘j’y crois’ et de ne plus y penser. » Il
continuait néanmoins à prier pour obtenir une meilleure compréhension
des choses relatives à l’Église.
Le 23 juillet, il vécut une
expérience spirituelle puissante. Une femme méthodiste assistait à une
réunion dominicale des étudiants saints des derniers jours, au cours de
laquelle on demanda à John d’improviser un sermon. Surpris, il se leva,
ne sachant pas ce qu’il dirait. Il choisit de parler de la personnalité
de Dieu, espérant que ses paroles aideraient la visiteuse à comprendre
les croyances des saints. Tandis qu’il parlait, il n’était pas confus
et ne se répétait pas, comme il le faisait parfois lorsqu’il
s’adressait à une assemblée. Au lieu de cela, il prêcha un sermon clair
et intelligible pendant plus de trente minutes.
Il écrivit à sa mère : « J’ai ressenti l’Esprit de Dieu. Je n’ai jamais su autant de choses sur lui et sur sa personnalité. »
Après la réunion, John passa le reste
de la journée avec Leah. Pendant leur conversation, il lui dit qu’il
voulait qu’elle rencontre sa mère. Il avait déjà tellement parlé d’elle
à Anna. Il voulait maintenant qu’elles se rencontrent en personne.
Le 1er septembre 1893, peu avant
minuit, Heber J. Grant était allongé, éveillé, dans sa chambre d’hôtel
à New York. Plus tôt dans la journée, il avait reçu un télégramme
terrifiant. La banque d’épargne et société fiduciaire de Sion,
l’institution financière la plus importante de l’Église, était au bord
de la faillite. Il en était de même de la banque d’État de l’Utah,
qu’il présidait. S’il ne parvenait pas à transférer de l’argent vers
ces banques le lendemain, elles ne rouvriraient pas. Aux yeux des
créanciers, la réputation de Heber et celle de l’Église seraient alors
ternies, peut-être pour toujours.
Heber s’agitait dans son lit. Plus
tôt dans l’année, George Q. Cannon avait promis que des anges
l’aideraient. Plus récemment, Joseph F. Smith, deuxième conseiller dans
la Première Présidence, lui avait promis un succès dépassant toutes ses
attentes. À ce stade, il était impossible à Heber de croire que
quelqu’un lui prêterait suffisamment d’argent pour sauver les banques.
Il pria pour obtenir de l’aide,
suppliant Dieu tandis que les larmes lui coulaient sur le visage.
Finalement, vers trois heures du matin, il s’endormit sans vraiment
savoir comment résoudre ce dilemme.
Il se réveilla plus tard que
d’habitude. C’était un samedi et les banques fermaient à midi ; il
devait se dépêcher. S’agenouillant pour prier, il demanda au Seigneur
de trouver quelqu’un qui soit disposé à lui prêter deux cent mille
dollars. Il dit qu’il était prêt à faire n’importe quel sacrifice, y
compris de donner au prêteur une commission importante.
À la fin de sa prière, Heber était
soulagé, certain que le Seigneur l’aiderait. Il décida de rendre visite
à John Claflin, chef d’une grande entreprise commerciale, mais il ne le
trouva pas dans son bureau. À court de temps, Heber monta dans un train
à destination du quartier financier de la ville, dans l’espoir de se
rendre dans une autre banque. Pendant le trajet, il s’absorba dans la
lecture du journal et manqua son arrêt. En descendant du train, il se
mit en route sans trop savoir où aller. Il se retrouva devant le bureau
d’une connaissance et y entra. Là, il tomba sur John Claflin, l’homme
qu’il cherchait.
Connaissant la situation difficile de
Heber, John accepta de prêter deux cent cinquante mille dollars à
l’Église, à condition de recevoir vingt pour cent de commission. Malgré
le coût élevé, Heber sut que le Seigneur avait répondu à ses prières.
Il envoya immédiatement l’argent à Salt Lake City.
Les fonds arrivèrent juste à temps pour sauver les banques de la faillite.
Evan Stephens dit aux membres du
Tabernacle Choir : « Ne prêtez pas attention à vos concurrents avant
d’avoir chanté. Restez sereins. »
C’était l’après-midi du 8 septembre.
Le chœur venait de finir sa répétition générale pour l’Eisteddfod. Dans
quelques heures, les chanteurs prendraient place sur scène pour
interpréter les trois morceaux qu’ils avaient répétés presque tous les
jours cet été-là. Evan ne savait toujours pas s’ils étaient en mesure
de gagner mais s’ils faisaient de leur mieux, cela lui suffirait.
Le chœur, accompagné de la Première
Présidence, était arrivé à Chicago cinq jours plus tôt. Pour répondre
aux exigences du concours, Evan avait réduit le chœur à deux cent
cinquante chanteurs. Leur soprano vedette, Nellie Pugsley, avait
accouché quelques semaines avant le concert et ne pensait pas pouvoir
se produire à l’Exposition. Toutefois, des dispositions furent prises
pour que sa sœur s’occupe du bébé pendant qu’elle chanterait.
Le financement du voyage pendant
cette période de dépression économique s’avéra aussi compliqué que de
préparer le chœur à chanter. Les dirigeants du chœur essayèrent, sans
succès, de collecter des fonds auprès des hommes d’affaires de Salt
Lake City. Après cet échec, ils décidèrent d’organiser plusieurs
concerts en espérant que la vente des billets couvrirait les coûts. Ils
donnèrent deux concerts en Utah et quatre dans des grandes villes
situées entre Salt Lake City et Chicago.
Ce fut un véritable succès financier
mais cela mit à rude épreuve la voix des chanteurs. Le chœur continua
de se préparer à Chicago, attirant des centaines de spectateurs à ses
répétitions dans le bâtiment de l’Utah, grand hall d’exposition où
étaient présentés des objets venant du territoire.
À la fin de la répétition générale,
Evan et les chanteurs se réunirent dans le sous-sol de la salle de
concert. Pendant qu’ils attendaient leur tour pour monter sur scène,
John Nuttall, le secrétaire du chœur, fit une prière, rappelant à
chaque chanteur qu’il représentait l’Église et son peuple à
l’Exposition.
Il implora : « Permets-nous au moins
de faire honneur à ton œuvre et à ton peuple grâce à nos efforts pour
les représenter ici devant le monde, ce monde qui nous considère
souvent comme ignorants et incultes. »
Lorsque leur tour arriva, Evan prit
place sur le podium du chef d’orchestre. Près de dix mille personnes
remplissaient la salle et très peu d’entre elles étaient membres de
l’Église. Par le passé, un saint des derniers jours aurait risqué de se
faire insulter devant un tel public mais Evan ne sentit aucune inimitié
de leur part.
Une fois que les chanteurs se furent
installés sur la scène, le silence se fit dans la salle. Le chœur
commença alors à chanter « Worthy Is the Lamb [L’agneau est digne] » de
Haendel :
L’Agneau qui a été immolé
et nous a rachetés par son sang,
est digne de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force,
l’honneur, la gloire et la louange.
Leurs voix étaient puissantes ; Evan
les trouvait splendides. Une fois le morceau terminé, le public
applaudit à tout rompre. Le chœur chanta ensuite deux autres morceaux
et, bien qu’Evan entendît la fatigue dans certaines voix, les chanteurs
terminèrent leur prestation avec succès.
Evan déclara plus tard à la Première Présidence : « Nous avons fait de notre mieux. Je suis satisfait. »
Lorsque les résultats furent
annoncés, le Tabernacle Choir prit la deuxième place, à un demi-point
seulement du vainqueur. L’un des juges déclara que les saints auraient
dû gagner la compétition. Mais frère Cannon pensait que le chœur avait
accompli quelque chose de plus grandiose encore. Il fit remarquer : «
En tant qu’entreprise missionnaire, cette performance a toutes les
chances d’être une réussite car elle donnera à des milliers de
personnes l’occasion de connaître un peu de vérité à notre sujet. »
Evan était lui aussi satisfait de
tout ce que ses chanteurs avaient accompli. La nouvelle que le « chœur
mormon » avait remporté un prix à l’Exposition universelle parut dans
les journaux du monde entier. Il n’aurait pas pu souhaiter de plus
grande récompense.
Le lendemain du concert, le président
Woodruff parla des saints lors d’un banquet officiel à l’Exposition. Il
dit d’une voix forte : « Venez nous voir. Si vous n’avez jamais visité
Salt Lake City, vous êtes tous les bienvenus. » Il invita aussi des
dirigeants d’autres confessions religieuses à venir faire des discours
dans leur ville. Il déclara : « S’il n’y a pas de place dans les
églises, nous vous donnerons notre tabernacle. »
Le prophète retourna en Utah dix
jours plus tard, ressourcé par la bienveillance manifestée envers les
saints à Chicago. Le seul incident ayant entaché l’expérience de
l’Église à l’Exposition se produisit lorsque les organisateurs du
parlement des religions empêchèrent B. H. Roberts de parler de l’Église
à leur assemblée. Leurs actions furent un triste rappel que les
préjugés contre l’Église existaient toujours. Toutefois, les dirigeants
croyaient que les gens de tout le pays commençaient à voir les saints
sous un jour nouveau. L’accueil chaleureux reçu par la Société de
Secours et le Tabernacle Choir lors de l’Exposition faisait naître
l’espoir que les persécutions des soixante dernières années touchaient
à leur fin.
Le 5 octobre, la veille de la
conférence générale de l’Église, lors d’une petite réunion au temple de
Salt Lake City, la Première Présidence et le Collège des douze apôtres
prirent ensemble la Sainte-Cène.
George Q. Cannon déclara : « J’ai l’impression profonde que des jours meilleurs et plus radieux nous attendent. »
Chapitre 2 : Si nous nous montrons prêts
Tandis qu’aux États-Unis les saints
bénéficiaient d’une période de paix, un missionnaire du nom de John
James affrontait des agitateurs dans le sud-ouest de l’Angleterre. Au
cours d’une réunion, un homme déclara que les saints d’Utah étaient des
meurtriers. Une autre fois, quelqu’un affirma que les missionnaires
étaient venus en Angleterre pour séduire des jeunes femmes et les
emmener afin d’avoir plusieurs femmes. Un peu plus tard, quelqu’un
d’autre essaya de convaincre la foule que John et ses compagnons ne
croyaient pas en la Bible alors même qu’ils l’avaient utilisée pour
prêcher pendant la réunion.
Lors d’un rassemblement, un homme
interrompit les missionnaires pour dire qu’il était allé à Salt Lake
City et avait vu deux cents femmes rassemblées dans un hangar où
Brigham Young lui-même était venu choisir autant d’épouses qu’il
voulait. John, qui était né et avait grandi en Utah, savait que cette
histoire était absurde. Pourtant, la foule refusa d’écouter ses paroles.
John pensait que la plupart de ce que
ces critiques prétendaient connaître de l’Église venait de William
Jarman. À la fin des années 1860, William et sa femme, Maria, étaient
devenus membres de l’Église en Angleterre. Peu de temps après, ils
émigrèrent à New York avec leurs enfants et Emily Richards, l’apprentie
de Maria dans son activité de couturière. À l’insu de cette dernière,
Emily attendait un enfant de William. La famille finit par s’installer
en Utah, où William épousa Emily dans le cadre du mariage plural et se
lança dans le commerce de produits alimentaires secs, produits qu’il
avait apparemment volés à son employeur à New York.
La vie à Sion ne transforma pas
l’homme. Il s’avéra être un mari violent et Maria divorça, ainsi
qu’Emily. Il fut également accusé de vol qualifié, pour lequel il fut
emprisonné jusqu’à ce que le tribunal classe l’affaire. Déçu par
l’Église, il commença à donner des conférences contre elle pour gagner
sa vie puis il retourna en Angleterre. Souvent, il émouvait le public
jusqu’aux larmes avec une histoire déchirante, accusant les saints
d’avoir assassiné son fils aîné, Albert.
Quand John James arriva en
Grande-Bretagne, cela faisait des années que William tenait des
conférences. Il avait publié un livre critiquant l’Église, et ses
partisans agressaient parfois les missionnaires. Dans une ville, ils
avaient lancé des pierres sur des missionnaires, blessant l’un d’eux à
l’œil.
Malgré le danger, John était
déterminé à proclamer l’Évangile en Grande-Bretagne. Dans son rapport
aux dirigeants de la mission, il dit : « Nous avons rencontré beaucoup
d’opposition de la part des hommes qui ont écouté Jarman. Je pense que
nous leur avons bien répondu jusqu’à maintenant et nous avons
l’intention de continuer à organiser des réunions. »
L’apôtre Anthon Lund écrivit à sa
femme, Sanie, restée en Utah : « Jarman tient toujours des conférences
contre nous et il utilise un langage des plus odieux. » Appelé peu
avant président de la mission européenne, dont le siège était à
Liverpool, en Angleterre, Anthon était bien conscient de la menace que
William Jarman représentait pour l’œuvre du Seigneur. De nombreux
missionnaires considéraient qu’il était fou, mais lui le percevait
comme un critique rusé dont les tromperies ne devaient pas être
sous-estimées.
Étant devenu membre de l’Église au
Danemark lorsqu’il était enfant, Anthon savait combien il était
difficile d’être un saint des derniers jours en Europe. Lorsqu’ils
rencontraient de l’opposition, les saints d’Utah trouvaient du
réconfort et de la force dans leurs grandes localités peuplées de
membres de l’Église. De ce côté de l’Atlantique, huit mille saints des
derniers jours étaient dispersés dans toute l’Europe occidentale et la
Turquie. Nombre d’entre eux étaient des convertis récents qui
fréquentaient de minuscules branches souvent dirigées et soutenues par
des missionnaires. Ces branches étaient particulièrement vulnérables
face aux attaques contre l’Église menées par des hommes tels que Jarman.
Au cours de l’été et de l’automne
1893, Anthon avait été témoin des difficultés rencontrées par les
branches dans lesquelles il s’était rendu en Grande-Bretagne, en
Scandinavie et aux Pays-Bas. Même en Angleterre, où l’Église était plus
forte, les saints avaient du mal à se soutenir mutuellement parce
qu’ils vivaient éloignés les uns des autres. Parfois, les missionnaires
rencontraient des saints qui avaient perdu le contact avec l’Église
depuis vingt ou trente ans.
Ailleurs en Europe, Anthon constata
des problèmes semblables. Il apprit qu’un pasteur célèbre tenait des
conférences contre l’Église au Danemark. En Norvège et en Suède, il
rencontra des missionnaires et des membres de l’Église en proie à
l’opposition provenant de gouvernements locaux ou d’autres Églises. Aux
Pays-Bas, les saints étaient en difficulté car, en dehors du Livre de
Mormon, ils n’avaient pratiquement aucune documentation de l’Église
dans leur langue.
Sur tout le continent, les saints
étaient dévoués à la cause de l’Évangile. Malheureusement, peu de
branches étaient vraiment florissantes et le nombre de membres
diminuait dans certaines régions.
Pendant des décennies, les saints
européens s’étaient rassemblés en Utah, où l’Église était mieux
établie. Mais, à la fin des années 1880, le gouvernement américain,
espérant mettre un terme à la pratique du mariage plural, avait mis fin
au fonds perpétuel d’émigration, empêchant ainsi l’Église de prêter de
l’argent aux saints démunis qui voulaient s’installer en Utah. Plus
récemment, la crise économique mondiale avait plongé de nombreux
Européens dans une extrême pauvreté. Certains saints qui avaient
économisé de l’argent pour émigrer furent contraints d’abandonner leur
projet.
L’entrée aux États-Unis était
attentivement contrôlée par les responsables de l’immigration. Comme il
y avait encore des gens qui craignaient que les saints européens ne
viennent en Utah pour pratiquer le mariage plural, les dirigeants de
l’Église demandèrent aux émigrants de traverser l’Atlantique en petits
groupes afin de ne pas attirer l’attention. En effet, peu après
l’arrivée d’Anthon en Europe, les membres de la Première Présidence lui
avaient reproché d’avoir envoyé un groupe de cent trente-huit saints en
Utah. Ils lui conseillèrent de ne pas envoyer plus de cinquante
émigrants à la fois.
Ne disposant pas des ressources ni de
l’autorité nécessaires pour diriger une émigration massive, Anthon
parlait rarement en public du rassemblement. En privé, par contre, il
incitait les saints à émigrer s’ils en avaient les moyens. À la fin du
mois de novembre, de retour en Angleterre, il rencontra une femme âgée
qui avait économisé suffisamment d’argent pour se rendre en Utah. Il
lui conseilla de s’installer à Manti, non loin de l’endroit où vivait
sa propre famille.
Il pensa : « Elle pourrait travailler dans le temple et profiter de ses vieux jours. »
Pendant ce temps, Leah Dunford était
rentrée à Salt Lake City. Elle écrivait de longues lettres à John
Widtsoe, à l’université de Harvard. Comme promis, elle alla rendre
visite à sa mère, Anna, une veuve de quarante-quatre ans qui vivait au
sud du temple de Salt Lake City. Lors de cette visite, Anna lui montra
une étagère fabriquée par John. Surprise par les compétences en
menuiserie de l’étudiant, Leah dit : « Parfait, je vais pouvoir
taquiner John à ce sujet. »
Anna s’exclama alors : « Oh, vous lui écrivez ? »
Leah acquiesça, tout en s’inquiétant
soudain que la veuve ne désapprouve. Mais Anna affirma qu’elle était
heureuse que John et elle soient amis.
Ayant terminé sa formation sur la
santé et la forme physique, Leah envisageait de poursuivre ses études
dans une université du Midwest des États-Unis. Mais sa mère en avait
discuté avec Joseph F. Smith et George Q. Cannon et elle jugea
préférable de ne pas l’envoyer seule dans un endroit où l’Église
n’était pas établie.
Déçue, Leah s’inscrivit dans une
école gérée par l’Église à Salt Lake City, où elle suivit des cours de
sciences naturelles et de chimie donnés par James E. Talmage, le
président de l’école et l’érudit le plus respecté de l’Église. Leah
appréciait ses leçons et apprenait beaucoup de choses grâce à ses
professeurs, mais elle enviait les possibilités offertes à John à
Harvard.
Elle lui dit : « Comme j’aimerais
être un homme ! Les hommes peuvent tout faire sur terre, mais si les
femmes pensent à autre chose qu’à les servir ou à préparer leurs repas,
‘elles outrepassent leurs droits’. »
Elle trouva un immense soutien auprès
du professeur Talmage, qui lui confia qu’il souhaitait que davantage de
jeunes femmes aspirent à enseigner dans les établissements scolaires de
l’Église. John lui apporta aussi son soutien. Il écrivit : « Je ne
saurais trop louer votre détermination à vous dévouer au bien-être
d’autrui. Je vous apporterai toute l’aide possible par la foi et la
prière. »
En décembre 1893, un dimanche, Anna
se rendit chez Leah. Elle lui parla de sa conversion en Norvège et de
ses premières expériences au sein de l’Église. Leah en parla à John : «
Cette visite a été très agréable. Je me sens tellement égoïste et
indigne quand j’entends parler des sacrifices que d’autres personnes
ont faits pour leur religion. »
Leah se désolait du fait que les
saints de son âge semblaient généralement plus intéressés par l’argent
que par leur progression spirituelle. Dans les années 1870, l’Église
avait mis en place les Sociétés d’Amélioration Mutuelle (SAM) des
jeunes gens et des jeunes femmes pour fortifier la génération montante.
Les jeunes de ces organisations se réunissaient régulièrement un soir
par semaine pour étudier l’Évangile, cultiver leurs talents et les
bonnes manières, et savourer le plaisir d’être ensemble. Ces
organisations publiaient également deux magazines : le Young Woman’s
Journal et le Contributor, ainsi que des manuels pour aider les
dirigeants des jeunes à préparer des leçons sur les Écritures,
l’histoire de l’Église, la santé, la science et la littérature.
Les jeunes hommes pouvaient également
envisager de faire une mission afin de progresser spirituellement. Mais
cette possibilité n’était pas officiellement offerte aux femmes. Elles
pouvaient rendre service à leur prochain en devenant membres de la
Société de Secours, mais les jeunes femmes de la génération de Leah
percevaient cette organisation comme démodée et réservée à leurs mères.
Pour obtenir plus de force spirituelle, Leah participait au culte avec
son assemblée locale, jeûnait régulièrement et cherchait des occasions
d’étudier l’Évangile.
Le soir du nouvel an, Leah assista à
une réunion spéciale à Provo avec les membres de la classe de l’École
du Dimanche que sa mère instruisait. Zina Young et Mary Isabella Horne,
qui avaient toutes deux fait partie de la Société de Secours de Nauvoo,
étaient présentes à la réunion. Elles parlèrent des débuts de l’Église
et de l’appel de Joseph Smith en tant que prophète.
Leah écrivit à John : « Nous avons
fait un festin spirituel. » L’une après l’autre, toutes les femmes
présentes dans la salle rendirent leur témoignage. Leah écrivit : «
C’était la première fois de ma vie que je rendais témoignage ou même
que je parlais à une assemblée d’un sujet religieux. Nous avons toutes
beaucoup apprécié cette soirée. »
Le premier jour de l’année 1894,
George Q. Cannon se réveilla rempli de reconnaissance envers le
Seigneur pour le bien-être de sa famille. Il nota dans son journal : «
Nous avons de la nourriture, des vêtements et un toit. Notre maison est
confortable et nous n’avons besoin de rien de plus pour notre confort
physique. »
L’année passée avait été favorable à
l’Église. Les saints avaient consacré le temple de Salt Lake City, la
Société de Secours et le Tabernacle Choir avaient obtenu du succès à
l’Exposition universelle de Chicago. De plus, l’Église avait évité de
justesse la ruine financière. Fin décembre, la chambre des
représentants des États-Unis avait autorisé le territoire de l’Utah à
demander le statut d’État, rapprochant ainsi les saints d’un objectif
qu’ils poursuivaient depuis 1849.
« Qui aurait pu oser imaginer qu’une
telle chose se produirait en faveur de l’Utah ? écrivit George dans son
journal. Seule la puissance du Tout-Puissant aurait pu causer cela. »
Au début de cette nouvelle année,
George et d’autres dirigeants de l’Église affrontaient de nouveaux
problèmes. Le 12 janvier, le gouvernement américain restitua environ
quatre cent trente-huit mille dollars qui avaient été confisqués à
l’Église en vertu de la loi Edmunds-Tucker. Malheureusement, les fonds
récupérés ne suffisaient pas à rembourser les emprunts. Les dirigeants
de l’Église étaient reconnaissants pour l’argent restitué, mais ils
étaient convaincus que le gouvernement avait rendu moins de la moitié
de ce qu’il avait pris aux saints.
Les fonds manquant toujours, la
Première Présidence continua de contracter des prêts pour financer le
fonctionnement de l’Église. Dans l’espoir de créer des emplois stables
et d’engendrer des revenus pour le territoire, l’Église investit
également dans plusieurs entreprises locales. Certains de ces
investissements permirent aux saints de trouver du travail. D’autres
furent un échec, alourdissant encore la dette de l’Église.
Au début du mois de mars, Lorenzo
Snow, le président du Collège des douze apôtres, demanda l’avis de la
Première Présidence sur la manière d’accomplir l’œuvre du temple pour
ses ancêtres proches. Il s’intéressait tout particulièrement au
scellement des enfants à leurs parents n’ayant pas accepté l’Évangile
au cours de leur vie.
Le premier scellement d’enfants aux
parents avait été accompli à Nauvoo. À l’époque, plusieurs saints dont
les parents n’étaient pas membres de l’Église avaient préféré être
scellés par adoption à des dirigeants de l’Église. Ils croyaient qu’en
agissant ainsi, ils s’assureraient une place dans une famille éternelle
et s’uniraient à la communauté des saints dans la prochaine vie.
Ce n’est qu’en 1877, après la
consécration du temple de Saint George, que des scellements d’adoption
et des scellements d’enfants à leurs parents furent accomplis en Utah.
Par la suite, de nombreux saints avaient aussi choisi d’être scellés
par adoption à la famille d’un apôtre ou d’un autre dirigeant de
l’Église. Habituellement, on ne scellait pas une femme à un homme qui
n’avait pas accepté l’Évangile de son vivant. De ce fait, une veuve
sainte des derniers jours ne pouvait pas être scellée à son mari décédé
s’il n’était jamais devenu membre de l’Église. Cette pratique était
parfois douloureuse à accepter.
Depuis de nombreuses années, George
était mal à l’aise avec les scellements d’adoption. Jeune homme, à
Nauvoo, il avait été scellé par adoption à la famille de son oncle,
John Taylor, alors que ses parents étaient des membres fidèles de
l’Église. D’autres membres avaient également choisi d’être scellés à
des apôtres plutôt qu’à leurs parents, fidèles saints des derniers
jours. Maintenant, George pensait que cette pratique avait favorisé une
forme de sectarisme parmi les saints. En 1890, ses frères et sœurs et
lui demandèrent l’annulation de leur scellement à la famille Taylor
pour être scellés dans le temple de Saint-George à leurs parents
décédés, confirmant les liens d’affection naturelle au sein de leur
famille.
Tandis que la Première Présidence
discutait du cas de la famille de Lorenzo, George proposa une solution
: « Pourquoi ne pas sceller son père et ses frères à son grand-père
puis sceller son grand-père et ses frères et sœurs à leurs parents, et
ainsi de suite en remontant aussi loin que possible ? »
Cette proposition sembla convenir à
Wilford Woodruff et à Joseph F. Smith. Les deux hommes nourrissaient
leurs propres réserves au sujet des scellements d’adoption. Toutefois,
le président Woodruff n’était pas prêt à approuver un changement dans
cette pratique. George gardait espoir que le Seigneur révélerait
bientôt sa volonté à ce sujet.
Il écrivit dans son journal : « Le
fait est que nous ne savons pas grand-chose sur cette doctrine de
l’adoption. Nous avons le privilège de savoir ces choses, et j’espère
que le Seigneur sera bon avec nous et nous donnera la connaissance. »
Albert Jarman, le fils du critique le
plus virulent de l’Église en Angleterre, n’avait pas été victime d’un
horrible assassinat. Au printemps 1894, il faisait une mission en
Grande-Bretagne et sa seule présence était la preuve des mensonges de
son père.
En arrivant dans le champ de la
mission, il avait voulu s’opposer immédiatement à son père. Toutefois,
Anthon Lund, le président de mission, voyait bien qu’il n’était pas
prêt à affronter quelqu’un d’aussi rusé et sournois. Il préféra envoyer
le jeune homme à Londres, l’incitant à étudier l’Évangile et à se
préparer aux attaques de son père. Il lui conseilla aussi de lui
adresser une lettre bienveillante.
Dès qu’il fut installé à Londres,
Albert écrivit à son père : « Mon cher père, j’espère sincèrement que
vous vous rendrez bientôt compte de l’erreur que vous avez commise en
disant aux gens que les mormons ont assassiné votre fils. Je prie pour
cela.
Vous avancez maintenant en âge et je
suis très peiné quand je lis ce que vous avez dit et entends les gens
le répéter. Je serais heureux de serrer la main d’un père repentant, et
fier de vous respecter et d’être vôtre à nouveau. »
En attendant la réponse de son père,
Albert prêcha à Londres. Il fit savoir à sa mère, Maria Barnes, qu’il
étudiait au mieux de ses capacités : « Je ne suis pas encore un grand
prédicateur mais j’espère en devenir un avant de rentrer à la maison. »
Albert reçut bientôt une réponse brève de son père : « Tu ferais bien de venir. Je serai ravi de te voir. »
Sachant à quel point William pouvait
être violent, Maria s’inquiétait pour son fils. Ce dernier la rassura,
lui disant que son père ne lui ferait aucun mal. « Il n’en aura pas le
pouvoir », lui affirma-t-il. Il était surtout désireux de parler avec
William ou avec tout autre parent qu’il avait en Angleterre.
Il écrivit : « Je veux avoir la possibilité de leur rendre mon témoignage, si c’est la volonté de Dieu. »
À Salt Lake City, Wilford Woodruff
annonça à ses conseillers et au Collège des douze apôtres qu’il avait
reçu une révélation sur la loi de l’adoption. La veille de la
conférence générale d’avril 1894, il déclara : « J’ai l’impression que
nous sommes trop stricts en ce qui concerne certaines de nos
ordonnances du temple, notamment concernant les maris et les parents
décédés. »
Il ajouta : « Le Seigneur m’a dit
qu’il était bon que les enfants soient scellés à leurs parents, et
ceux-ci à leurs parents, aussi loin que nous puissions obtenir les
archives. Il est également juste que les femmes soient scellées à leur
mari, même s’il n’a jamais entendu l’Évangile. »
Le président Woodruff estimait qu’il
y avait encore beaucoup à apprendre au sujet des ordonnances du temple.
Il affirma : « Dieu nous donnera de la connaissance si nous nous
montrons prêts à la recevoir. »
Le dimanche suivant, lors de la
conférence générale, le président Woodruff demanda à George Q. Cannon
de lire à l’assemblée un extrait de la section 128 des Doctrine et
Alliances. Dans cette section, Joseph Smith parlait d’Élie qui
ramènerait le cœur des pères à leurs enfants et le cœur des enfants à
leurs pères dans les derniers jours. Joseph, le prophète, avait alors
déclaré : « La terre sera frappée de malédiction à moins qu’il y ait un
chaînon d’une sorte ou d’une autre qui rattache les pères et les
enfants. »
Le président Woodruff reprit ensuite
la parole. Il déclara : « Nous n’avons pas fini de recevoir des
révélations. Nous n’avons pas terminé l’œuvre de Dieu. » Il parla de la
façon dont Brigham Young avait poursuivi l’œuvre de Joseph Smith en
construisant des temples et en mettant en place les ordonnances du
temple. Il rappela à l’assemblée : « Cependant, il n’a pas reçu toutes
les révélations se rapportant à cette œuvre, pas plus que le président
Taylor, ni Wilford Woodruff. Cette œuvre ne prendra pas fin tant
qu’elle ne sera pas rendue parfaite. »
Après avoir indiqué que les saints
avaient agi selon toute la lumière et la connaissance qu’ils avaient
reçues, le président Woodruff expliqua que lui-même et d’autres
dirigeants de l’Église croyaient depuis longtemps que le Seigneur avait
encore des choses à révéler sur l’œuvre du temple. Il déclara : « Nous
voulons qu’à partir de maintenant, les saints des derniers jours
fassent leur généalogie en remontant aussi loin que possible et qu’ils
soient scellés à leurs ancêtres. Faites sceller les enfants à leurs
parents et prolongez cette chaîne aussi loin que vous le pouvez. »
Il annonça également la fin de la
règle qui empêchait une femme d’être scellée à son mari s’il était
décédé sans avoir reçu l’Évangile. Il dit : « Le cœur de nombreuses
femmes a été meurtri par cette pratique. Pourquoi priver une femme
d’être scellée à son mari parce qu’il n’a jamais entendu l’Évangile ?
Que savons-nous à son sujet ? N’entendra-t-il pas l’Évangile dans le
monde des esprits, et ne l’acceptera-t-il pas ? »
Il rappela aux saints la vision que
Joseph Smith avait eue de son frère Alvin, dans le temple de Kirtland.
Le Seigneur avait enseigné : « Tous ceux qui sont morts sans connaître
l’Évangile, qui l’auraient reçu s’il leur avait été permis de demeurer,
seront héritiers du royaume céleste de Dieu. »
« Ainsi en sera-t-il de vos pères,
affirma le président Woodruff en parlant des personnes dans le monde
des esprits. Il y en aura très peu, s’il y en a, qui n’accepteront pas
l’Évangile. »
Avant de terminer son sermon, il
exhorta les saints à méditer sur ses paroles et à rechercher leurs
morts. Il dit : « Frères et sœurs, continuons avec nos registres,
remplissons-les de manière juste devant Dieu et mettons en application
ce principe. Alors les bénédictions de Dieu nous seront accordées et
les personnes rachetées nous béniront dans les temps à venir. »
Chapitre 3 : Le chemin de la justice
Anthon Lund visitait des branches de
l’Église en Allemagne lorsque la mission européenne reçut la nouvelle
de la révélation de Wilford Woodruff sur les scellements. Quand il
l’apprit, il s’exclama : « Cette révélation donnera de la joie à de
nombreux cœurs ! »
Cette nouvelle pratique avait une
signification particulière pour plusieurs frères de sa mission. Depuis
le jour où le Seigneur avait révélé à Joseph Smith que les saints
pouvaient accomplir des ordonnances essentielles pour les morts, ils
avaient commencé à rechercher leurs ancêtres et à œuvrer en leur
faveur. Certains missionnaires, fils de saints immigrés, étaient venus
en Europe dans l’espoir de recueillir davantage de renseignements sur
leurs ancêtres auprès de leurs proches et dans les archives.
La révélation du président Woodruff
donnait un sens supplémentaire à leurs recherches. En fait, de nombreux
saints étaient de plus en plus désireux de retrouver leurs lignées
familiales afin de sceller les générations dans une chaîne
ininterrompue. Franklin Richards, apôtre et historien de l’Église,
avait même prévu d’organiser une bibliothèque généalogique parrainée
par l’Église.
Néanmoins, en raison des difficultés
économiques qui frappaient l’Europe et les États-Unis, de nombreux
saints européens avaient peu d’espoir d’émigrer en Utah, le seul
endroit où il y avait des temples et où l’on pouvait accomplir les
ordonnances pour les ancêtres. À cause de la crise financière aux
États-Unis, il était pratiquement impossible pour les saints arrivant
en Utah de trouver du travail. Les dirigeants de l’Église craignaient
que les immigrants ne fuient le territoire à la recherche d’un emploi.
Les difficultés financières en avaient déjà conduits à quitter le
bercail.
En juillet 1894, Anthon apprit la
gravité de la situation en Utah. Dans une lettre urgente adressée à la
mission européenne, la Première Présidence expliquait que les charges
financières de l’Église étaient devenues presque impossibles à gérer
tandis que de plus en plus de paroisses et de pieux se tournaient vers
l’Église pour obtenir une aide financière.
Elle écrivait : « Au regard de notre
situation actuelle, nous jugeons sage de vous demander de suspendre
l’émigration pour le moment. »
Cette demande ne mettait pas un terme
au rassemblement d’Israël. Pendant plus de quarante ans, les saints
avaient sincèrement cherché à obéir aux révélations leur commandant de
se rassembler. Les missionnaires avaient exhorté les nouveaux convertis
du monde entier à s’installer en Utah, à proximité de la maison du
Seigneur. Mais cette pratique ne pouvait pas se poursuivre tant que la
situation économique ne s’améliorait pas.
Dans sa lettre, la Première
Présidence déclarait : « Nous prions constamment pour le rassemblement
d’Israël et nous nous réjouissons de voir les saints venir à Sion mais
nous devons faire preuve d’une grande sagesse afin de préserver au
mieux les intérêts d’Israël rassemblé et non rassemblé. »
La Première Présidence demandait à
Anthon de renforcer l’Église en Europe jusqu’à ce que la situation
s’améliore en Utah. Elle soulignait : « Que les saints considèrent
comme leur devoir moral et religieux de faire tout ce qui est en leur
pouvoir pour aider les missionnaires à créer des branches et à les
maintenir. »
Anthon envoya immédiatement des
exemplaires de la lettre aux dirigeants de la mission, les chargeant de
suivre les conseils qu’elle contenait.
Le 16 juillet 1894, le congrès
américain et le président des États-Unis, Grover Cleveland,
autorisèrent les citoyens de l’Utah à rédiger une constitution d’État.
Ce jour-là, la Première Présidence se réjouit lorsqu’elle reçut un
télégramme des alliés de l’Église à Washington ; il disait : « Statut
d’État autorisé par la loi. Votre peuple est libre ; notre travail est
terminé. »
En 1849, quand les saints avaient
demandé pour la première fois un gouvernement d’État, le gouvernement
fédéral leur avait accordé à la place un gouvernement territorial. En
tant que citoyens d’un territoire, les habitants de l’Utah n’étaient
pas autorisés à choisir un gouverneur ni de hauts fonctionnaires du
gouvernement. Ils devaient compter sur le président des États-Unis pour
leur désigner des fonctionnaires. Au fil des ans, ce système avait
conduit à de nombreux conflits entre les saints, les autres habitants
de l’Utah et le gouvernement américain. Il empêchait également les
saints d’occuper certains postes gouvernementaux. Sous un gouvernement
d’État, les habitants de l’Utah seraient enfin en mesure de se
gouverner eux-mêmes.
Mais le travail ne faisait que
commencer. Alors que les délégués se réunissaient à Salt Lake City pour
rédiger la constitution, Emmeline Wells et d’autres femmes dirigeantes
rédigèrent une pétition demandant que la nouvelle constitution
rétablisse le droit de vote des femmes en Utah. La plupart des États et
des territoires des États-Unis interdisaient aux femmes de voter mais,
en 1870, l’Utah avait accordé le suffrage à ses citoyennes. Puis,
dix-sept ans plus tard, la loi Edmunds-Tucker avait révoqué ce droit
afin d’affaiblir le pouvoir politique des saints sur le territoire.
Cette loi avait indigné Emmeline et
d’autres femmes de l’Utah. Elles avaient alors organisé dans tout le
territoire des associations défendant le suffrage des femmes. Elles
avaient aussi travaillé avec des organisations de suffrage nationales
et internationales pour militer en faveur du droit de vote pour toutes
les femmes. Emmeline considérait que le droit de vote, comme d’autres
droits, avait un objectif sacré. Pour elle, la liberté était un
principe de l’Évangile de Jésus-Christ. La Société de Secours incitait
vivement ses membres à être autonomes et à développer leurs
compétences. Dans le cadre des réunions de l’Église, les femmes
votaient également pour les questions ecclésiastiques. Pourquoi ne
bénéficieraient-elles pas du même privilège dans la sphère publique ?
La question du droit de vote des
femmes était largement débattue. Elle opposait même les dirigeants de
l’Église. Les opposants au suffrage des femmes affirmaient généralement
que ces dernières étaient trop émotives pour prendre des décisions
d’ordre politique. Selon eux, elles n’avaient pas besoin de voter
puisque leur mari, leur père et leurs frères les représentaient devant
les urnes. C’était aussi l’avis de B. H. Roberts, qui était délégué à
la convention. Il s’opposait également à l’inclusion du suffrage
féminin dans la constitution car il pensait que cela rendrait le
document trop controversé pour être approuvé par les électeurs de
l’Utah.
Au printemps 1895, une convention
constitutionnelle débuta à Salt Lake City. Les personnes ne pouvant pas
voter n’avaient pas non plus le droit de participer officiellement aux
débats. Les femmes chargèrent le mari d’une des suffragettes de
présenter leur pétition aux délégués.
Le 28 mars, B. H. Roberts aborda ce
sujet lors de la convention. Il déclara : « Je concède qu’une majorité
de la population de ce territoire est favorable au suffrage des femmes.
Néanmoins, nombre de personnes n’y sont pas favorables, y sont même
fermement opposées et voteront contre cette constitution si elle
contient une clause l’accordant. »
Deux jours plus tard, Orson Whitney,
depuis longtemps évêque à Salt Lake City, s’adressa à la convention au
nom des suffragettes. Il déclara que le destin des femmes était de
participer au gouvernement et il exhorta les délégués à soutenir leur
droit de vote. Il dit : « Je considère leur implication comme l’un des
grands leviers par lesquels le Tout-Puissant élève ce monde déchu, le
rapprochant du trône de son Créateur. »
Dans un éditorial pour le Woman’s
Exponent, Emmeline manifesta elle aussi son désaccord avec les
opposants au suffrage des femmes. Elle écrivit : « Il est pitoyable de
voir que les hommes opposés au suffrage des femmes essaient de leur
faire croire que c’est en raison de la grande admiration qu’ils leur
vouent et parce qu’ils ont une trop haute opinion d’elles. Les femmes
de l’Utah n’ont jamais échoué dans les épreuves, quelles qu’elles aient
été ; leur intégrité est incontestée. »
Le 4 avril, lors de la réunion de la
Société de Secours à l’occasion de la conférence générale, Emmeline
parla de nouveau du suffrage des femmes, confiante que les délégués à
la convention l’incluraient dans la nouvelle constitution de l’État.
L’oratrice suivante, Jane Richards, invita les femmes de l’assemblée
qui étaient favorables au suffrage à se lever. Toutes se levèrent.
À la demande d’Emmeline, Zina Young,
présidente de la Société de Secours, fit la prière en demandant au
Seigneur de bénir leur cause.
Tandis qu’en Utah les femmes
réclamaient le droit de vote, Albert Jarman quittait Londres pour le
sud-ouest de l’Angleterre afin de rendre témoignage à son père. Il
espérait le faire changer d’avis sur l’Église et mettre fin à ses
conférences malveillantes. Il pensait que ses paroles, présentées de
manière claire et compréhensible, lui seraient bénéfiques, à condition
qu’il veuille bien l’écouter.
Albert trouva William confortablement
installé dans la ville d’Exeter. Il était en bonne santé, même si ses
cheveux blancs et sa barbe hirsute le faisaient paraître plus âgé. Plus
de dix ans s’étaient écoulés depuis qu’ils s’étaient vus et William
sembla d’abord douter de l’identité d’Albert. Il affirma qu’après son
retour en Angleterre, il avait entendu dire qu’Albert avait été
assassiné ; il avait écrit à la Première Présidence à ce sujet. N’ayant
pas reçu de réponse, il avait cru au pire.
Cependant, après leur rencontre,
Albert le convainquit de son erreur. Il avait été sage de la part du
président Lund de conseiller au jeune homme d’étudier l’Évangile avant
d’aller discuter avec William. En rencontrant son père, Albert constata
que c’était un homme intelligent.
William ne se montra ni désobligeant
ni violent à son égard. L’hiver 1894-1895 fut rude en Angleterre, et
les problèmes respiratoires qu’Albert avait développés s’aggravèrent.
William lui permit de rester chez lui avec sa famille pour se rétablir
en attendant que le temps soit plus clément. Sa femme, Ann, fit aussi
tout ce qu’elle put pour aider le jeune homme à se rétablir.
Pendant son séjour, il tenta de
rendre témoignage à son père, sans succès. Dans ces moments, il ne
savait pas si ce dernier mentait délibérément au sujet de l’Église ou
s’il était tellement habitué à dire des absurdités qu’il avait fini par
les croire.
Un jour, William dit à Albert qu’il
était prêt à mettre fin à ses attaques contre les saints, à condition
que l’Église lui verse mille livres. Il affirma qu’en échange de cette
petite somme, il admettrait publiquement qu’il s’était trompé
concernant les saints et qu’il n’entrerait plus jamais dans une salle
de conférence pour critiquer l’Église. Albert transmit la proposition
au président Lund mais la Première Présidence la rejeta.
Quelques semaines plus tard,
incapable de faire changer son père d’avis sur l’Église, Albert quitta
Exeter. Avant de se séparer, William et lui se rendirent dans le studio
d’un photographe pour se faire prendre en photo ensemble. Sur l’une des
photos, William était assis à une table, désignant de sa main droite la
page d’un livre ouvert, tandis qu’Albert se tenait derrière lui. Sur
une autre, les deux hommes se tenaient côte à côte. On percevait
l’ombre d’un sourire derrière les moustaches de William.
La convention constitutionnelle de
Salt Lake City s’acheva en mai. À la grande joie d’Emmeline Wells et
d’innombrables autres habitants de l’Utah, les délégués votèrent pour
l’adoption du suffrage des femmes dans la constitution.
Après la convention, B. H. Roberts
resta engagé sur la scène politique malgré ses responsabilités à plein
temps dans l’Église. Ses discours opposés au droit de vote des femmes
avaient été impopulaires dans tout l’État. Toutefois, il garda une
bonne réputation de prédicateur et d’orateur tant dans l’Église qu’en
dehors. En septembre, deux mois avant les élections, les démocrates de
l’Utah le choisirent comme candidat à la Chambre des représentants des
États-Unis.
Pendant des décennies, les dirigeants
de l’Église avaient souvent occupé des postes importants au sein du
gouvernement de l’Utah. En outre, les saints votaient en bloc,
sacrifiant parfois leurs convictions politiques individuelles pour
protéger l’influence de l’Église sur le territoire. Cependant, au début
des années 1890, après que les saints eurent rejoint différents partis
politiques, les dirigeants de l’Église devinrent plus sensibles à la
séparation de l’Église et de l’État, reconnaissant que tout le monde en
Utah n’avait pas les mêmes opinions politiques. À cette époque, la
Première Présidence et le Collège des douze apôtres s’accordèrent sur
le fait que les Autorités générales ne devaient pas influencer les
électeurs en parlant publiquement de politique.
Pendant la convention
constitutionnelle, la Première Présidence avait toutefois
temporairement levé cette consigne, permettant à B. H. Roberts et à
d’autres Autorités générales d’occuper le poste de délégués. Par la
suite, lorsque B. H. Roberts reçut l’investiture du parti démocrate, il
ne pensa pas avoir tort de l’accepter. Il ne perçut pas non plus
d’objections de la part de la Première Présidence. L’apôtre Moses
Thatcher eut les mêmes impressions lorsque les démocrates le
désignèrent pour se présenter au Sénat des États-Unis.
Cependant, lors de la réunion
générale de la prêtrise d’octobre 1895, Joseph F. Smith réprimanda
publiquement les deux hommes pour avoir accepté les nominations sans
avoir préalablement consulté les membres de leurs collèges. Il rappela
à l’assemblée : « Au sein de l’Église, nous disposons d’oracles
vivants, et nous devons leur demander conseil. Dès qu’un homme revêtu
d’autorité décide d’agir comme il l’entend, il s’engage sur un terrain
dangereux. »
Dans ses remarques, le président
Smith ne critiqua pas les convictions politiques de B. H. Roberts. Il
réaffirma plutôt la neutralité politique de l’Église ainsi que ses
règles selon lesquelles les dirigeants ecclésiastiques à plein temps
devaient consacrer leur temps et leurs efforts à leur ministère.
Cependant, après la réunion, les membres du parti républicain
profitèrent de l’occasion pour attaquer la campagne de B. H. Roberts.
Joseph F. Smith étant républicain, de nombreux démocrates l’accusèrent
d’utiliser son rôle dans l’Église pour nuire à leur parti.
Peu de temps après, dans une
interview accordée à un journal, B. H. Roberts parla de son respect
pour l’autorité de l’Église et coupa court aux accusations qui
affirmaient que la Première Présidence avait essayé de nuire à sa
campagne. Toutefois, il insista sur son droit de briguer un poste
politique malgré les objections de la Première Présidence, car il
estimait n’avoir enfreint aucune règle de l’Église. Plus tard, il
s’exprima plus ouvertement. Lors d’un rassemblement politique, il
condamna les hommes qui utilisaient leur position dans l’Église pour
influencer les électeurs.
Le jour du scrutin, les républicains
de tout le pays remportèrent des victoires écrasantes contre les
démocrates, parmi lesquels B. H. Roberts et Moses Thatcher. Les
électeurs de l’Utah approuvèrent la nouvelle constitution avec sa
clause accordant le droit de vote aux femmes.
B. H. Roberts essaya de garder le
sourire en public. Il savait, ainsi que les membres de son parti, qu’il
y aurait un perdant. Il dit : « Il semble qu’il échoit à notre parti de
perdre cette fois-ci. »
Mais sa défaite le rongeait à l’intérieur.
Le 4 janvier 1896, l’Utah devint le
quarante-cinquième État des États-Unis d’Amérique. À Salt Lake City,
les gens tirèrent des salves de fusil et donnèrent des coups de
sifflets. Les cloches résonnaient dans le ciel bleu et vif et la foule
se pressait dans les rues, brandissant drapeaux et bannières.
Heber J. Grant continuait cependant
de s’inquiéter pour ses amis B. H. Roberts et Moses Thatcher. Les deux
hommes avaient refusé de s’excuser de ne pas avoir consulté leurs
dirigeants de la prêtrise avant de se présenter à des fonctions
publiques. La Première Présidence et les Douze en avaient conclu qu’ils
faisaient passer leur carrière politique avant leur service dans
l’Église. Les membres de la Première Présidence considéraient également
que B. H. Roberts les avait injustement critiqués, eux et l’Église,
dans certains discours politiques et certaines interviews.
Le 13 février, la Première Présidence
et une majorité des Douze se réunirent au temple de Salt Lake City avec
B. H. Roberts et d’autres présidents des soixante-dix. Au cours de la
réunion, les apôtres l’interrogèrent sur ses déclarations contre la
Première Présidence. B. H. Roberts confirma tout ce qu’il avait dit et
fait, sans rien retirer.
Le cœur de Heber s’alourdissait à
mesure que la réunion avançait. L’un après l’autre, les dirigeants le
supplièrent de s’humilier, mais leurs paroles furent sans effet.
Lorsque Heber J. Grant se leva pour s’adresser à son ami, l’émotion le
submergea, étouffant ses paroles.
Une fois que chaque apôtre et chaque
soixante-dix eut parlé, B. H. Roberts se leva et dit qu’il préférait
perdre sa place dans la présidence des soixante-dix que de s’excuser
pour ce qu’il avait fait. Il demanda ensuite aux hommes présents de
prier pour qu’il ne perde pas sa foi.
L’apôtre Brigham Young, fils, s’enquit : « Allez-vous prier pour vous-même ?
– À vrai dire, lui répondit frère Roberts, je n’en ai pas très envie maintenant. »
À la fin de la réunion, Heber fit la
prière de clôture. B. H. Roberts essaya alors de quitter la pièce, mais
Heber le rattrapa et le prit dans ses bras. L’homme se dégagea de
l’étreinte et s’éloigna rapidement, le visage fermé.
Quelques semaines plus tard, le 5
mars, la Première Présidence et le Collège des Douze apôtres tinrent
une nouvelle réunion avec B. H. Roberts, qui resta sur ses positions.
Le président Woodruff lui accorda trois semaines pour réfléchir. S’il
restait impénitent, il serait relevé de son poste au sein des
soixante-dix et il n’aurait plus le droit d’utiliser la prêtrise.
La semaine suivante, Heber J. Grant
et Francis Lyman, son collègue apôtre, se réunirent en privé avec B. H.
Roberts. Au cours de leur conversation, il leur dit qu’il ne changerait
pas d’avis. Il déclara que, si la Première Présidence avait besoin de
le remplacer au sein de la présidence des soixante-dix, elle était
libre de le faire.
Il enfila son manteau, sur le point
de partir. Il dit : « Je veux que vous sachiez que les mesures qui
seront prises à mon encontre me causent beaucoup de chagrin. Ne pensez
pas que je n’ai pas conscience de tout ce que je vais perdre. »
Heber remarqua des larmes dans les
yeux de son ami et lui demanda de s’asseoir. B. H. Roberts évoqua alors
les fois où les dirigeants de l’Église l’avaient offensé en public et
avaient prêché en faveur du parti républicain. Pendant deux heures,
Heber et Francis répondirent à ses inquiétudes et le supplièrent de
changer de cap. Heber sentit que Francis et lui étaient bénis car ils
trouvaient les mots justes.
Lorsqu’ils finirent de parler, B. H.
Roberts dit à ses amis qu’il voulait réfléchir à sa situation ce
soir-là et qu’il leur ferait part de sa décision le lendemain matin.
Heber prit alors congé de son ami en priant le Seigneur de le bénir.
Le lendemain matin, B. H. Roberts
envoya un bref courrier à Heber J Grant et Francis Lyman. On y lisait :
« Je me soumets à l’autorité de Dieu manifestée par l’intermédiaire des
frères. Puisqu’ils pensent que j’ai tort, je vais m’incliner devant eux
et me remettre entre leurs mains de serviteurs de Dieu. »
Heber fit immédiatement une copie de la lettre et courut l’apporter au bureau du président Woodruff, de l’autre côté de la rue.
Deux semaines plus tard, dans le
temple de Salt Lake City, B. H. Roberts présenta ses excuses à la
Première Présidence, reconnaissant son erreur de ne pas avoir demandé
la permission de se présenter à un poste politique. Il était désolé que
les paroles qu’il avait prononcées en public aient causé des
dissensions parmi les saints et il promit de faire amende honorable
pour toutes ses offenses.
Il déclara également que lors de sa
conversation avec Heber J. Grant et Francis Lyman, des pensées ayant
trait à ses ancêtres lui avaient adouci le cœur.
Il expliqua : « Je suis le seul
représentant masculin dans l’Église du côté de mon père, et aussi du
côté de ma mère. L’idée de perdre la prêtrise et de laisser mes
ancêtres reposer sans représentant a grandement influencé mes
sentiments. »
Il ajouta : « Je me suis tourné vers
le Seigneur et j’ai reçu la lumière. Par son Esprit, j’ai reçu le
commandement de me soumettre à l’autorité de Dieu. Je vous exprime mon
désir et ma prière de pouvoir vous apporter satisfaction, et de passer
par toute l’humiliation que vous jugerez bon de me faire subir, dans
l’espoir de conserver au moins la prêtrise de Dieu et d’avoir le
privilège de faire le travail de mes pères dans cette sainte maison. »
La Première Présidence accepta ses
excuses. Dix jours plus tard, sous la direction du président Woodruff,
George Q. Cannon rédigea une déclaration clarifiant la position de
l’Église sur l’implication de ses dirigeants dans la politique. Il la
présenta ensuite à la Première Présidence et aux Autorités générales de
l’Église pour qu’elles l’approuvent.
Le lendemain, lors de la conférence
générale d’avril 1896, Heber J. Grant lut la déclaration aux saints.
Toutes les Autorités générales de l’Église l’avaient signée, à
l’exception d’Anthon Lund, qui était encore en Europe, et de Moses
Thatcher, qui avait refusé de se réconcilier avec la Première
Présidence et avec ses collègues apôtres.
Appelée le « Manifeste politique »,
cette déclaration affirmait que l’Église croyait au principe de
séparation entre l’Église et l’État. Elle exigeait également que toutes
les Autorités générales qui s’engageaient à servir à plein temps dans
l’œuvre du Seigneur obtiennent l’approbation des dirigeants de leur
collège avant de rechercher ou d’accepter un poste politique.
Lors de la conférence, B. H. Roberts
exhorta les saints à soutenir leurs dirigeants ecclésiastiques et
témoigna de l’œuvre continue du Seigneur. Il déclara : « Dans cette
dispensation, la parole indéfectible de Dieu est la garantie de la
stabilité de l’œuvre, malgré les imperfections des personnes.
Même si certains ont trébuché dans
les ténèbres, ils peuvent toujours revenir sur le chemin de la justice,
en profitant de sa direction infaillible vers le bien qui mène au
salut. »
Chapitre 4 : Beaucoup de bien
Le 31 mai 1896, Susa Gates prit la
parole à Salt Lake City lors de la première conférence réunissant les
Sociétés générales d’Amélioration Mutuelle (SAM) des jeunes femmes et
des jeunes gens. Les deux organisations tenaient depuis longtemps leurs
propres conférences annuelles et trimestrielles. Mais, au cours des
dernières années, de nombreux jeunes hommes avaient cessé de participer
régulièrement à leurs réunions. Des dirigeants de la SAM des jeunes
gens proposèrent alors de donner un nouveau souffle à leur organisation
en fusionnant avec la SAM des jeunes femmes.
Cette idée ne plaisait pas à Elmina
Taylor, présidente générale de la SAM des jeunes femmes, ni à ses
conseillères. Certaines SAM avaient déjà fusionné avec succès au niveau
des paroisses. Toutefois, la Société générale d’Amélioration Mutuelle
des jeunes femmes était en plein essor et ses dirigeantes se
demandaient si un regroupement serait bénéfique pour les jeunes femmes.
Finalement, la décision fut prise de ne pas fusionner tout en
reconnaissant qu’il serait profitable d’avoir plus d’activités mixtes,
notamment cette conférence annuelle.
Pour la première conférence, les
dirigeants des SAM répartirent équitablement le programme entre les
orateurs de chacune des organisations. Susa, l’avant-dernière oratrice,
incita ses auditeurs à avoir bon caractère et à mener une vie juste.
C’était pour elle une expérience assez nouvelle car, à l’époque, les
femmes de l’Église n’avaient pas l’habitude de s’adresser à un public
mixte, sauf pour témoigner. Avec d’autres dirigeantes, elle avait
désormais l’occasion de prêcher à la fois aux hommes et aux femmes.
Après la conférence, Susa discuta
avec son ami et ancien camarade de classe Joseph Tanner, qui était le
président de l’université d’agriculture (Agricultural College) de
Logan. Pendant la conversation, il lui demanda si Leah, récemment
diplômée de l’université d’Utah, était toujours amoureuse de John
Widtsoe. Ce dernier avait obtenu son diplôme de chimie à Harvard et
travaillait maintenant au sein de la faculté de Joseph.
Susa ne sut que répondre. Depuis
qu’il était rentré chez lui, John évitait Leah. Récemment, lorsqu’elle
lui avait écrit pour lui demander si, à son avis, elle devait retourner
dans l’Est pour étudier l’économie domestique à l’Institut Pratt,
université réputée de New York, John avait répondu par une lettre brève
et au ton indifférent.
Il lui avait dit : « Faites ce qui
sera dans votre intérêt à long terme. » Il exprima ensuite son regret
qu’ils soient tombés amoureux si jeunes. Il voulait épouser Leah mais
il ne voulait pas qu’elle soit la femme d’un homme démuni. Il avait une
dette d’environ deux mille dollars à cause de ses études et la majeure
partie de son petit salaire d’enseignant était destinée à sa mère et
son jeune frère.
Leah avait répondu immédiatement.
Elle avait écrit : « On ne peut pas vivre sans argent, j’en suis bien
consciente, mais pour l’amour du ciel, ne le laissez pas altérer votre
amour. Si je vous aime, que vous ayez un capital ou une dette de
milliers de dollars, je vous aime. »
John ne changea pas d’avis et, en
septembre 1896, Leah partit pour l’Institut Pratt. Elle voyagea en
compagnie de son amie Donnette Smith, qui étudiait à Pratt pour devenir
enseignante en maternelle. Avant le départ des jeunes femmes, le père
de Donnette, Joseph F. Smith, bénit Leah pour qu’elle s’accroche à sa
foi face à la tentation et lui promit que son témoignage deviendrait
plus fort que jamais.
À New York, Leah et Donnette vécurent
des expériences que la génération de leurs mères aurait difficilement
pu imaginer. En règle générale, les saintes des derniers jours de la
génération précédente, comme les autres femmes américaines de l’époque,
n’avaient reçu qu’une éducation de niveau primaire. Certaines étaient
allées dans l’Est pour étudier la médecine et le métier de sage-femme,
mais la plupart s’étaient mariées jeunes, avaient eu des enfants et
avaient aidé à établir des foyers et des entreprises familiales dans
leurs villages. Beaucoup n’avaient jamais quitté l’Utah.
Leah et Donnette, en revanche,
étaient des jeunes femmes célibataires vivant dans une grande pension
de famille, dans une ville animée, à plus de trois mille kilomètres de
chez elles. En semaine, elles assistaient aux cours de l’Institut Pratt
et rencontraient des personnes de religions et de milieux différents.
Le dimanche, elles allaient à l’église dans une petite branche d’une
douzaine de saints.
Leah et Donnette résolurent de vivre
leur religion fidèlement. Elles priaient ensemble le dimanche et
lisaient le Livre de Mormon chaque soir, avant de se coucher. Leah
écrivit à sa mère : « Mon témoignage de la vérité de notre Évangile se
renforce chaque jour. Je vois la force de la bénédiction de frère
Smith. »
Contrairement à la vie en Utah, elles
avaient l’occasion de parler de leurs croyances avec des personnes qui
connaissaient peu les saints des derniers jours. Elles se lièrent
d’amitié avec deux étudiantes en art, Cora Stebbins et Catherine Couch,
qui se montrèrent plutôt intéressées par l’Église. Un jour, Leah et
Donnette eurent la chance de parler avec elles du temple et du Livre de
Mormon. Leah expliqua comment Joseph Smith avait trouvé et traduit les
plaques d’or. Elle parla aussi des témoins du Livre de Mormon, de la
révélation continue et de l’organisation de l’Église.
Elle raconta à sa mère : « Tu aurais
dû voir à quel point elles étaient captivées. Elles sont restées
assises pendant deux bonnes heures avant que nous ne nous rendions
compte du temps qui s’était écoulé. »
Le 13 octobre 1896, Mere Whaanga,
sainte des derniers jours maorie, se rendit au temple de Salt Lake City
pour accomplir les baptêmes de dix amis décédés de Nouvelle-Zélande,
son pays d’origine. Depuis leur installation à Salt Lake City plus tôt
dans l’année, son mari, Hirini, et elle étaient connus pour leur
assiduité au temple. Comme de nombreux saints vivant en dehors des
États-Unis, la famille Whaanga avait immigré en Utah pour se rapprocher
du temple et de ses ordonnances. Étant les seuls maoris dotés, ils
étaient le lien entre leur peuple et la maison du Seigneur.
Comme il n’y avait que quatre temples
dans le monde, les saints qui vivaient en dehors des États-Unis
envoyaient le nom de leurs proches décédés à des parents en Utah afin
qu’ils effectuent les ordonnances du temple à leur place. Cependant, au
moment de leur baptême en 1884, Mere et Hirini n’avaient aucun parent
en Utah. Ils avaient rapidement éprouvé un profond désir de venir à
Sion et de se rendre au temple.
Dès le début, leurs enfants et
petits-enfants s’étaient opposés à leur projet de déménagement. L’Utah
était à onze mille kilomètres de Nuhaka, leur village d’origine, situé
sur la côte est de l’île du Nord de la Nouvelle-Zélande. Hirini avait
des responsabilités importantes en tant que président de branche et
dirigeant de la tribu maorie Ngāti Kahungunu. Quant à Mere, elle était
la seule fille en vie de ses parents. Pourtant, le désir de la famille
Whaanga de se rendre à Sion grandissait de jour en jour.
Au cours des décennies précédentes,
les saints des îles du Pacifique n’avaient pas été fortement incités à
se rendre en Sion. Au moment où Mere et Hirini envisageaient de
déménager, les dirigeants de l’Église avaient déjà commencé à
décourager tous les saints en dehors des États-Unis de se rassembler en
Utah, car les emplois se faisaient rares et les immigrants risquaient
d’être déçus. La Première Présidence autorisa cependant un petit nombre
de Maoris à venir, après que le président de la mission de
Nouvelle-Zélande se fut porté garant de leur capacité à travailler et
de leurs compétences.
Mere et Hirini arrivèrent en Utah en
juillet 1894 avec quelques membres de leur famille élargie. Ils
s’installèrent à Kanab, ville isolée du sud de l’Utah, où le jeune
neveu de Hirini, Pirika Whaanga, s’était installé quelques années après
leur baptême. Ils pensaient qu’ils s’adapteraient facilement au climat
chaud du sud de l’Utah mais, lorsque Mere vit le paysage sec et
austère, elle fondit en larmes. Peu de temps après, elle apprit le
décès de sa mère.
Le temps passait mais la situation de
la famille ne s’améliorait pas. Un missionnaire qu’ils avaient connu en
Nouvelle-Zélande persuada Hirini d’investir de l’argent dans une
entreprise commerciale médiocre. Après avoir entendu des rumeurs
concernant ce procédé malhonnête, la Première Présidence envoya William
Paxman, qui avait été président de mission en Nouvelle-Zélande, aider
Mere et Hirini à déménager dans une région où leurs voisins ne
profiteraient pas d’eux.
La famille Whaanga vivait désormais à
Salt Lake City. Elle participait aux réunions de l’association maorie
de Sion, qui regroupait d’anciens missionnaires de Nouvelle-Zélande, et
se réunissait tous les vendredis soirs avec quelques membres du groupe.
La Première Présidence autorisa également la famille Whaanga à
accomplir les ordonnances du temple en faveur des parents décédés de
tous les saints maoris de Nouvelle-Zélande.
Bien qu’analphabète à son arrivée en
Utah, Mere apprit seule à lire et à écrire pour pouvoir étudier les
Écritures et envoyer des lettres à sa famille. Hirini écrivait
également des lettres d’encouragement à des parents et à des amis,
faisant de son mieux pour fortifier les saints de son pays. En
Nouvelle-Zélande, l’Église se développait parmi les habitants européens
et les Maoris. Le pays comptait des dizaines de branches, avec des
collèges de prêtrise, des Sociétés de Secours, des Écoles du Dimanche
et des Sociétés d’Amélioration Mutuelle.
De nombreux Néo-zélandais étaient des
convertis récents. Après avoir entendu les rumeurs sur les
malveillances commises à l’encontre de la famille Whaanga à Kanab, les
missionnaires craignirent que cela n’ébranle la foi des saints maoris.
Des récits exagérés se répandaient déjà en Nouvelle-Zélande. Si on ne
mettait pas fin à de telles histoires, la mission risquait d’être face
à une crise.
L’année suivante, Elizabeth McCune,
riche sainte des derniers jours de Salt Lake City, entreprit un voyage
en Europe avec sa famille. Au cours de leur visite du Royaume-Uni, où
son fils Raymond était en mission, elle aida souvent les missionnaires
à prêcher l’Évangile rétabli, en compagnie de Fay, sa fille.
Un jour, à la fin du mois de juin
1897, toutes deux se rendirent à Hyde Park, à Londres, pour chanter
avec un chœur de missionnaires. La reine Victoria fêtait le soixantième
anniversaire de son accession au trône. Des prédicateurs de toute la
Grande-Bretagne étaient venus dans le parc pour tenir des réunions en
plein air et se disputer l’âme des personnes qui faisaient la fête dans
la ville.
Elizabeth, accompagnée de sa fille,
prit place parmi les missionnaires. Elle se félicitait, et félicitait
silencieusement le chœur, tandis que de plus en plus de gens se
rassemblaient autour d’eux. Soudain, un homme bien habillé et portant
monocle s’approcha et les observa.
Il s’exclama : « Oh non ! Oh là là ! Ils font vraiment un vacarme horrible dans notre parc ! »
À ces mots, la fierté qu’Elizabeth
ressentait pour la prestation du chœur en prit un coup. Cependant, cela
ne refréna pas son désir de faire connaître l’Évangile. Avant de
quitter l’Utah, Elizabeth avait reçu une bénédiction de Lorenzo Snow
lui promettant qu’elle serait un instrument entre les mains du Seigneur
pendant son périple.
Il l’avait bénie ainsi : « Ton esprit sera aussi clair que celui d’un ange lorsque tu expliqueras les principes de l’Évangile. »
Elle voulait faire de son mieux pour
soutenir le travail des missionnaires. Son fils avait commencé sa
mission en organisant des réunions dans des parcs et des rues du centre
de l’Angleterre. À cette période, William Jarman avait recommencé à
tenir des conférences contre les saints. Il ne disait plus aux foules
que son fils Albert avait été assassiné, mais il continuait à provoquer
des attaques contre les missionnaires, les obligeant à faire appel à la
police pour être protégés. Des émeutiers avaient blessé des
missionnaires dans la région où se trouvait Raymond.
Elizabeth accompagnait souvent les
missionnaires à Londres, tenant leurs chapeaux et leurs livres pendant
les réunions. Elle éprouvait le désir ardent de prêcher. Bien qu’elle
ne puisse pas être appelée à faire une mission, elle s’imaginait
appelée par Dieu et tenant des conversations religieuses paisibles avec
les gens chez eux. En fait, elle pensait que les femmes missionnaires
attireraient davantage l’attention que les jeunes hommes et que cela
ferait avancer l’œuvre.
Quelques mois après avoir chanté à
Hyde Park, Elizabeth assista à la conférence semestrielle de l’Église à
Londres. Au cours de la session du matin, Joseph McMurrin, conseiller
dans la présidence de la mission, dénonça les critiques de William
Jarman à l’égard des saints. Il insista particulièrement sur l’habitude
de William de faire des déclarations peu flatteuses sur les saintes des
derniers jours.
Il annonça : « Nous avons justement
parmi nous une dame d’Utah. Nous allons demander à sœur McCune de
prendre la parole ce soir et de vous parler de son expérience en Utah.
» Il incita ensuite tous les participants à inviter leurs amis pour
venir l’écouter.
L’annonce prit Elizabeth de court.
Elle avait le désir de prêcher mais elle s’inquiétait de son
inexpérience. Elle pensa : « Si seulement nous avions une de nos bonnes
oratrices de l’Utah, quel bien elle pourrait faire ! » Les
missionnaires promirent de prier pour elle et elle décida de solliciter
l’aide de son Père céleste.
La nouvelle qu’Elizabeth allait
prendre la parole ce soir-là se répandit rapidement. Les missionnaires
installèrent des sièges supplémentaires dans la salle et ouvrirent
l’étage supérieur, s’attendant à accueillir une grande foule. L’heure
de la réunion approchant, la salle était comble.
Elizabeth fit une prière silencieuse
avant de s’avancer à la chaire. Elle parla de sa famille à l’assemblée.
Elle était née en Angleterre en 1852 et avait émigré en Utah quand ses
parents étaient devenus membres de l’Église. Elle avait voyagé aux
États-Unis et en Europe. Elle témoigna : « Je n’ai trouvé nulle part
des femmes tenues en aussi haute estime que chez les mormons d’Utah. »
Elle poursuivit : « Les maris sont
fiers de leurs femmes et de leurs filles. Ils leur donnent toutes les
occasions d’assister à des réunions et à des conférences, de
s’intéresser à tout ce qui les éduquera et les instruira. Notre
religion nous enseigne que le mari et la femme se tiennent côte à côte.
»
À la fin de la réunion, des inconnus
serrèrent la main d’Elizabeth. L’un d’entre eux déclara : « Si
davantage de vos femmes venaient ici, cela ferait beaucoup de bien. »
Un autre lui dit : « Madame, vous portez la vérité dans votre voix et vos paroles. »
Le 7 septembre 1897, John Widtsoe
attendait qu’une réunion du corps enseignant de l’académie Brigham
Young à Provo se termine. Plus tôt dans la journée, Leah Dunford avait
accepté à contrecœur de le voir après la réunion. Elle était maintenant
instructrice en sciences domestiques à l’académie, enseignant ce
qu’elle avait appris pendant l’année passée à l’Institut Pratt. John
rentrait d’un déplacement professionnel dans les déserts du sud de
l’Utah et il s’était arrêté à Provo pour se réconcilier avec Leah.
John s’inquiétait toujours de ses
dettes, mais il aimait Leah et voulait l’épouser. Toutefois, ils
avaient pratiquement cessé de s’écrire. En fait, un jeune président de
mission célibataire que Leah avait rencontré à New York était sur le
point de la demander en mariage.
La réunion des professeurs devait se
terminer à 20 h 30 ce soir-là, mais elle dura une heure de plus. Leah
fit ensuite attendre John encore une heure afin d’assister à une
réunion du comité qui préparait une activité étudiante. Quand la
réunion se termina enfin, John raccompagna Leah chez elle.
Sur le chemin, il lui demanda s’il
pouvait la revoir le lendemain. Elle répondit : « Vous ne pourrez pas
me voir du tout. Je serai occupée jusqu’à cinq heures.
– Eh bien, je pourrais tout aussi bien rentrer chez moi demain matin alors, répliqua-t-il.
– Certainement.
– Je pense que je vais rester, si je peux vous voir le soir. »
Le lendemain soir, John passa prendre
Leah à l’académie dans une voiture à cheval. Il la conduisit au nord de
la ville. Il lui dit qu’il était prêt pour une relation sérieuse mais
elle n’était pas aussi prête que lui. Elle lui dit qu’il avait un an
pour lui prouver son amour. Peu lui importait comment il le ferait mais
elle ne se réconcilierait pas avec lui avant.
La nuit était claire et John avait
arrêté la carriole à un endroit surplombant la vallée. En contemplant
la lune resplendissante, ils parlèrent franchement des nombreuses fois
où ils s’étaient blessés mutuellement au cours des quatre dernières
années. Ils essayèrent de comprendre pourquoi leur relation avait pris
une telle tournure. Sans s’en rendre compte, ils avaient cessé de
contempler la lune ; ils se regardaient l’un l’autre.
Finalement, John passa son bras
autour de Leah et lui demanda de l’épouser. Sa détermination à lui
faire prouver son amour s’envola et elle promit de l’épouser à la fin
du trimestre scolaire, à condition que ses parents soient d’accord.
Comme la mère de Leah était en Idaho
pour s’occuper de la SAM des jeunes femmes, c’est à son père que John
parla en premier. Dentiste à Salt Lake City, Alma Dunford pensa d’abord
que John était venu le voir pour un problème dentaire. Une fois que le
jeune homme eut expliqué la raison de sa présence, les yeux d’Alma se
remplirent de larmes et il parla de son amour et de son admiration pour
Leah. Il consentit au mariage, exprimant sa confiance dans la décision
de sa fille.
De son côté, Leah écrivit à sa mère
au sujet des fiançailles et reçut une réponse peu favorable. Elle
disait : « L’homme que tu as choisi a beaucoup d’ambition, non pas pour
faire le bien et édifier Sion mais pour devenir célèbre, ajouter de
nouveaux lauriers à son propre front et te traîner dans son sillage,
réduisant ton utilité future à lui-même et à ses désirs égoïstes. »
Contrarié, John écrivit à son tour à
Susa. Elle lui répondit un mois plus tard, donnant son consentement au
mariage mais réitérant ses critiques sur son manque apparent
d’engagement dans l’Église.
La lettre blessa John. En tant que
scientifique, il aspirait à être reconnu dans son domaine. Il avait
effectivement consacré une grande partie de son temps et de ses talents
à l’avancement de sa carrière. Pourtant, même à l’époque où il se
débattait avec ses croyances à Harvard, il n’avait jamais fui ses
responsabilités dans l’Église. Il savait qu’il avait le devoir
d’utiliser ses connaissances et sa formation au profit de Sion.
Susa semblait en attendre davantage
de lui. Sa génération de saints, comme celle de ses parents, croyait
que l’ambition personnelle était incompatible avec l’édification du
royaume. Jusqu’à présent, John avait réussi à garder l’équilibre entre
sa carrière scientifique et son appel de conseiller et d’instructeur au
collège des anciens. Mais son dévouement à l’Église n’était pas connu
en dehors de son assemblée locale, à Logan.
Il reconnut devant Leah : « Je n’ai
pas été appelé à être évêque, ni président de pieu, ni officier de
pieu, ni président de soixante-dix, ni apôtre, ni à occuper aucun des
offices importants de l’Église qui prennent tout le temps d’un homme. »
Il déclara : « Je peux dire
honnêtement que je suis aujourd’hui prêt à faire tout ce que l’Église
me demandera. Aussi humble que soit le travail qui me sera confié, je
l’accomplirai avec joie. »
Leah n’avait pas besoin d’être
convaincue. C’était la simple prière de John, prononcée ce premier
matin à Harvard, qui l’avait attirée vers lui. Susa, elle, avait besoin
de passer plus de temps avec le jeune homme pour connaître son cœur et
sa foi.
En décembre, les Gates invitèrent
John à passer Noël avec eux. Pendant cette période, les paroles et les
actions quotidiennes de John impressionnèrent Susa, lui rappelant
pourquoi, au début, elle avait voulu que Leah et lui se connaissent.
Après le séjour, elle dit à John : « J’ai toujours pensé que vous étiez
étroit d’esprit et égoïste mais certaines de vos expressions pendant
que vous étiez avec nous ont dissipé cette impression. »
Elle ne redoutait plus le mariage. Elle écrivit : « Je sens dans mon esprit le témoignage que tout est bien. »
Chapitre 5 : Une condition essentielle
Alors que son navire entrait dans le
port de Liverpool, en Angleterre, Inez Knight, âgée de vingt et un ans,
aperçut William, son frère aîné, en train d’attendre au milieu d’un
groupe de missionnaires sur le quai. C’était le 22 avril 1898. Inez et
sa collègue, Jennie Brimhall, arrivaient dans la mission britannique.
Elles étaient les premières à être mises à part en tant que « femmes
missionnaires » pour l’Église. Comme Will et les autres missionnaires,
elles prêcheraient aux gens dans la rue et feraient du porte-à-porte
pour faire connaître l’Évangile rétabli de Jésus-Christ.
La décision d’appeler des femmes en
tant que missionnaires était en partie la conséquence de la prédication
d’Elizabeth McCune l’année précédente. Après avoir constaté l’effet
qu’elle avait eu sur le public, Joseph McMurrin, dirigeant de la
mission, avait écrit au président Woodruff. « Si quelques femmes
brillantes et intelligentes étaient appelées en mission en Angleterre,
les résultats seraient excellents. »
La Première Présidence accepta.
Louisa Pratt, Susa Gates et d’autres femmes mariées avaient œuvré avec
succès en mission aux côtés de leur mari, sans avoir été officiellement
appelées à servir. Les dirigeantes de la Société de Secours et de la
SAM des jeunes femmes avaient également été de bonnes ambassadrices de
l’Église lors de manifestations telles que l’Exposition universelle de
1893. De nombreuses jeunes femmes célibataires avaient acquis de
l’expérience dans l’enseignement et l’art de diriger lors des réunions
de la SAM des jeunes femmes, les préparant ainsi à prêcher la parole de
Dieu.
Après avoir retrouvé Will, Inez se
rendit avec lui et Jennie au siège de la mission, bâtiment de quatre
étages que les saints occupaient depuis les années 1850. Ils y
rencontrèrent le président McMurrin. Celui-ci déclara : « Je veux que
chacune de vous comprenne que vous avez été appelées ici par le
Seigneur. » Pendant qu’il parlait, Inez prit conscience pour la
première fois de la grande responsabilité qui pesait sur ses épaules.
Le lendemain, les deux jeunes femmes
accompagnèrent le président McMurrin et d’autres missionnaires à
Oldham, ville industrielle située à l’est de Liverpool. Dans la soirée,
ils formèrent un cercle à l’angle d’une rue animée, offrirent une
prière et chantèrent des cantiques jusqu’à ce qu’une foule s’attroupe
autour d’eux. Le président McMurrin annonça alors qu’une réunion
spéciale se tiendrait le lendemain. Il invita tout le monde à venir
écouter les prédications de « femmes mormones en chair et en os ».
En l’entendant, Inez commença à se
sentir mal à l’aise. Elle était inquiète à l’idée de s’adresser à une
grande assemblée. Toutefois, au milieu des missionnaires en costumes
noirs et chapeaux de soie, elle n’avait jamais été aussi fière d’être
une sainte des derniers jours.
Le lendemain soir, Inez tremblait en
attendant de prendre la parole. Ayant entendu les mensonges terribles
de William Jarman et d’autres détracteurs de l’Église sur les saintes
des derniers jours, les gens étaient curieux d’écouter les femmes qui
s’exprimeraient lors de la réunion. Sarah Noall et Caroline Smith,
respectivement épouse et belle-sœur d’un des missionnaires,
s’adressèrent les premières à l’assemblée. Inez prit ensuite la parole
malgré sa peur et fut surprise de réussir aussi bien.
Elle fut bientôt affectée avec Jennie
à la ville de Cheltenham. Elles firent du porte à porte et témoignèrent
souvent lors de rassemblements dans la rue. Elles acceptèrent aussi de
rencontrer les gens chez eux. Elles étaient généralement bien traitées
même si parfois on se moquait d’elles ou les accusait de mentir.
Les efforts visant à corriger les
fausses informations furent largement soutenus par James E. Talmage,
érudit saint des derniers jours né en Angleterre, qui parcourut le
Royaume-Uni pour donner des conférences publiques sur l’Utah, l’Ouest
américain et les saints. Elles se tenaient dans des salles bien connues
et attiraient des centaines de personnes. Pendant qu’il parlait, James
utilisait un projecteur « stereopticon », appareil projetant des images
de haute qualité sur un grand écran. Il montra l’Utah, donnant au
public une image claire des personnes et des lieux. Après une
présentation, un homme repartit en disant : « C’était totalement
différent de la conférence de Jarman. »
Inez et Jennie, quant à elles,
espéraient voir davantage de femmes faire une mission. Elles
expliquèrent à leurs dirigeants : « Nous avons le sentiment que le
Seigneur nous bénit dans nos efforts pour dissiper les préjugés et
répandre la vérité. Nous espérons que de nombreuses jeunes femmes de
Sion dignes seront autorisées à bénéficier du même privilège car nous
pensons qu’elles feront beaucoup de bien. »
Au moment où Inez Knight et Jennie
Brimhall partaient pour l’Angleterre, Hirini Whaanga arrivait à
Wellington, en Nouvelle-Zélande, en tant que missionnaire à plein
temps. La Première Présidence lui avait proposé cet appel au début de
l’année 1898 et Hirini avait immédiatement accepté. Il affirma : « Je
ferai tous les préparatifs nécessaires et je m’efforcerai d’être à la
hauteur de mon appel en tant que missionnaire de l’Église de
Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. »
L’appel en mission de Hirini, comme
celui des femmes célibataires, marquait une étape importante dans
l’histoire de l’Église. Bien que des « missionnaires locaux » maoris
aient parfois aidé les missionnaires en Nouvelle-Zélande, Hirini était
le premier maori appelé à servir à plein temps. L’appel lui fut proposé
après que Benjamin Goddard et Ezra Stevenson, qui avaient été
missionnaires en Nouvelle-Zélande, eurent conseillé au président
Woodruff de l’envoyer en mission. Comme il était l’un des Maoris les
plus aimés et respectés de l’Église, Hirini pourrait accomplir une
grande œuvre parmi ses compatriotes, notamment en rassemblant leur
généalogie et en témoignant de l’œuvre sacrée que sa femme, Mere, et
lui accomplissaient dans le temple de Salt Lake City. Les histoires
exagérées des difficultés de sa famille à Kanab avaient perturbé
certains saints maoris. Il pourrait donc aussi donner le vrai récit de
sa vie en Utah.
Conscients des difficultés
financières de la famille Whaanga, les membres de l’association maorie
de Sion promirent de financer la mission de Hirini. La onzième paroisse
de Salt Lake City organisa également un concert de bienfaisance afin de
récolter des fonds pour lui.
Quittant sa famille en Utah, Hirini
se rendit en Nouvelle-Zélande avec d’autres missionnaires. Alors âgé de
soixante-dix ans, il avait des dizaines d’années de plus que tous ses
collègues. Ezra Stevenson, qui venait de perdre sa femme et son seul
enfant, dirigeait le groupe en qualité de nouveau président de mission.
Peu de temps avant son appel, il avait été secrétaire de l’association
maorie de Sion et parlait bien la langue, contrairement aux nouveaux
missionnaires américains.
Le lendemain de leur arrivée en
Nouvelle-Zélande, Hirini et ses collègues participèrent à une
conférence à environ quatre-vingts kilomètres au nord-est de
Wellington. Sachant que frère Whaanga serait là, de nombreux saints
maoris redoublèrent d’efforts pour s’y rendre. En compagnie des saints
néozélandais, ils accueillirent les missionnaires avec une fanfare et
les accompagnèrent dans la rue jusqu’au lieu de la conférence. Là, les
nouveaux arrivants furent salués par un haka, une danse cérémonielle
maorie.
Pendant le reste de la journée, les
larmes coulèrent abondamment. Les saints partagèrent un repas et les
proches de Hirini lui serrèrent la main et pressèrent leur front et
leur nez contre les siens, selon la tradition. Le président de mission
conduisit ensuite les saints à une terrasse couverte, où ils se
rassemblèrent autour de Hirini et lui adressèrent des discours de
bienvenue pour son retour dans l’île du Nord. Ils ne se retirèrent
qu’après deux heures du matin.
Le lendemain, Hirini parla aux saints
de Joseph Smith, de l’autorité de la prêtrise et du travail de
l’association maorie de Sion. Il leur demanda également de rassembler
leurs renseignements généalogiques et de faire en sorte que les
ordonnances du temple soient accomplies en faveur de leurs morts.
Après la conférence, les saints rentrèrent chez eux, et Hirini et Ezra commencèrent la visite de la mission.
Au printemps 1898, l’explosion d’un
cuirassé américain au large de la Havane, à Cuba, fit naître des
tensions entre les États-Unis et l’Espagne. Les journaux accusaient
l’Espagne d’être responsable de l’explosion et publiaient des récits
déchirants sur la lutte des Cubains pour leur indépendance vis-à-vis de
la domination espagnole. Dans tous les États-Unis, les citoyens
indignés demandèrent au Congrès d’intervenir en faveur de Cuba.
En Utah, les dirigeants de l’Église
étaient divisés concernant l’entrée en guerre contre l’Espagne. À
l’exception du bataillon mormon lors de la guerre mexico-américaine de
1846-1848, l’Église n’avait jamais incité les saints à s’engager dans
l’armée lors de conflits. George Q. Cannon était favorable à une action
contre l’Espagne tandis que Joseph F. Smith déplorait la frénésie
guerrière qui gagnait la nation. Dans le Woman’s Exponent, Emmeline
Wells publia des articles de soutien et d’opposition à la guerre.
Aucun dirigeant de l’Église ne fut
plus virulent dans son opposition à la guerre que l’apôtre Brigham
Young, fils. Lors d’une réunion dans le tabernacle de Salt Lake, il
déclara : « La mission de l’Évangile est la paix et les saints des
derniers jours doivent s’efforcer de la créer et de la maintenir. »
Qualifiant le conflit naissant de « gouffre creusé par des hommes en
mal d’inspiration », il exhorta les jeunes saints à ne pas s’engager
dans les forces armées.
Généralement, quand des controverses
surgissaient dans l’Église, Wilford Woodruff se tournait vers ses
conseillers, George Q. Cannon et Joseph F. Smith, et leur demandait : «
Eh bien, mes frères, que pensez-vous de cela ? » Cependant, après avoir
été informé des paroles de Brigham, fils, le prophète le réprimanda
promptement. Depuis peu, l’Église était en bons termes avec les
États-Unis. Le président Woodruff ne voulait pas que des dirigeants
éminents de l’Église paraissent déloyaux envers la nation.
Il déclara : « De telles remarques
étaient très imprudentes et n’auraient pas dû être faites. Nous faisons
maintenant partie de la nation et nous sommes dans l’obligation de
faire notre part, comme les autres citoyens du gouvernement. »
Le 25 avril 1898, le lendemain du
discours de Brigham, fils, les États-Unis déclarèrent la guerre à
l’Espagne. Le journal Deseret Evening News publia un éditorial
affirmant la loyauté des saints envers les États-Unis. On y lisait : «
Même si les saints n’aiment pas la guerre et ne sont pas assoiffés de
sang, ils sont néanmoins fermement et résolument avec et pour notre
pays dans toute cause juste. » Peu après, plus de six cents citoyens
d’Utah s’enrôlèrent dans les forces armées américaines pour participer
à la guerre. Celle-ci ne dura que quelques mois.
À cette époque, la santé de Wilford
Woodruff commença à décliner. Début juin, George Q. Cannon souffrit
d’une attaque cérébrale légère. À l’invitation d’amis membres de
l’Église en Californie, les deux hommes se rendirent à San Francisco,
espérant que la douceur du climat les aiderait à se reposer et à
récupérer. Là-bas, ils consultèrent des médecins, rendirent visite à
des amis et se réunirent avec la branche locale de l’Église.
Le 29 août, Wilford et George firent
une promenade en calèche dans un parc au bord de l’océan Pacifique.
Alors qu’ils regardaient les vagues se briser contre le rivage, Wilford
parla du temps où il était missionnaire, peu après l’organisation de
l’Église. Il avait parlé de l’Évangile à son père et à sa belle-mère,
et ceux-ci s’étaient fait baptiser juste avant la naissance de son
premier enfant.
Un an et demi plus tard, il avait
fait la connaissance de George. Wilford était un jeune apôtre et
faisait sa première mission en Angleterre. George était un garçon de
treize ans qui aimait lire.
À présent, assis côte à côte près de
soixante ans plus tard, ils parlaient de l’Évangile et du bonheur qu’il
leur avait apporté. Ils s’accordèrent à dire que rendre témoignage de
l’œuvre de Dieu avait été un travail très agréable.
Trois jours plus tard, le 2 septembre, George envoya un télégramme de San Francisco à Joseph F. Smith, à Salt Lake City :
Le président Woodruff est décédé. Il
nous a quitté ce matin à 6 h 40. Faites-le savoir à sa famille. Il a
dormi paisiblement toute la nuit et est décédé sans bouger.
Lorenzo Snow se trouvait chez lui,
dans le nord de l’Utah, lorsqu’il apprit le décès du prophète. Il prit
immédiatement un train en direction de Salt Lake City, inquiet pour
l’avenir. En tant que doyen des apôtres, il savait qu’il devait
s’attendre à être le prochain président de l’Église. De fait, six ans
plus tôt, le président Woodruff lui avait fait connaître la volonté du
Seigneur à son égard, en tant que prochain prophète.
Il lui avait dit : « Quand je
partirai, je veux, frère Snow, que vous organisiez la Première
Présidence sans tarder. Prenez George Q. Cannon et Joseph F. Smith
comme conseillers. Ce sont des hommes bons, sages et expérimentés. »
Lorenzo était néanmoins inquiet à
l’idée d’assumer cet appel, surtout lorsqu’il pensait à l’état des
finances de l’Église. Malgré les efforts de Heber J. Grant et d’autres
personnes, l’Église était toujours enlisée dans les dettes. Certains
supposaient qu’elle devait au moins un million de dollars à ses
créanciers. Lorenzo, lui, craignait que la dette ne s’élève à trois
millions de dollars.
Dans les jours qui suivirent la mort
du président Woodruff, Lorenzo dirigea les affaires de l’Église en tant
que président du Collège des douze apôtres. Pourtant, il se sentait
profondément incompétent. Le 9 septembre, le lendemain des funérailles,
Lorenzo se réunit avec les Douze. Ne se sentant toujours pas à la
hauteur de l’appel, il proposa de quitter la présidence du collège.
Mais les apôtres votèrent pour continuer de le soutenir comme leur
dirigeant.
Un soir, Lorenzo chercha à connaître
la volonté du Seigneur dans le temple de Salt Lake City. Il était
déprimé et découragé par ses nouvelles responsabilités. Après avoir
revêtu ses vêtements du temple, il supplia le Seigneur d’éclairer son
esprit. Le Seigneur répondit à sa prière, lui indiquant clairement de
suivre le conseil du président Woodruff et de réorganiser immédiatement
la Première Présidence. George Q. Cannon et Joseph F. Smith seraient
ses conseillers.
Lorenzo ne parla pas de sa révélation
aux autres apôtres. Il préféra attendre, espérant qu’ils recevraient le
même témoignage spirituel.
Le collège se réunit à nouveau le 13
septembre pour discuter des finances de l’Église. Sans le président
Woodruff, l’Église n’avait plus de fiduciaire pour s’occuper de ses
affaires temporelles. Les apôtres savaient que cette responsabilité
incomberait au prochain président de l’Église. Or, ils avaient toujours
attendu plus d’un an avant de réorganiser la Première Présidence. Pour
l’instant, ils devaient désigner quelqu’un pour s’occuper des affaires
de l’Église jusqu’à ce que les saints soutiennent un nouveau président.
Tandis que les apôtres cherchaient
des solutions, Heber J. Grant et Francis Lyman suggérèrent de
simplement organiser une nouvelle Première Présidence. Francis déclara
: « Si le Seigneur devait vous faire savoir, président Snow, que c’est
ce que nous devons faire maintenant, je suis prêt à voter non seulement
pour un fiduciaire mais aussi pour le président de l’Église. »
Les autres apôtres se rallièrent
immédiatement à cette idée. Joseph F. Smith proposa de désigner Lorenzo
comme nouveau président. Tous manifestèrent leur soutien.
Lorenzo affirma : « C’est à moi de
faire de mon mieux et de compter sur le Seigneur. » Il raconta ensuite
aux apôtres la révélation qu’il avait reçue dans le temple. Il dit : «
Je n’en ai parlé à personne, ni homme ni femme. Je voulais voir si le
même esprit que le Seigneur m’a manifesté était en vous. »
Maintenant que les apôtres avaient
reçu ce témoignage, Lorenzo était prêt à accepter l’appel du Seigneur à
servir comme président de l’Église.
Un mois plus tard, lors de la
conférence générale d’octobre 1898, les saints soutinrent la nouvelle
Première Présidence, composée de Lorenzo Snow, George Q. Cannon et
Joseph F. Smith.
Le président Snow fit du redressement
de la situation financière de l’Église sa priorité absolue. Il mit à
exécution un plan approuvé par Wilford Woodruff avant sa mort, qui
consistait à vendre des obligations à long terme et à faible taux
d’intérêt pour couvrir les dépenses immédiates de l’Église. Il organisa
un comité d’apurement pour évaluer les finances de l’Église et institua
un nouveau système de comptabilité. Il chercha également à produire de
nouveaux revenus : il fit en sorte que l’Église devienne propriétaire à
part entière du Deseret News, auparavant géré par des particuliers.
Ces efforts améliorèrent la situation
financière de l’Église mais ne suffirent pas. Lors de la conférence
générale d’avril 1899, le président Snow et d’autres dirigeants de
l’Église parlèrent de la dîme, une loi que les saints avaient négligée
depuis que le gouvernement avait saisi de nombreux biens de l’Église,
plus de dix ans auparavant. Le prophète conseilla également aux saints
de ne pas s’endetter.
Il déclara : « Portez vos vieux
chapeaux jusqu’à ce que vous puissiez vous en acheter un nouveau. Votre
voisin a peut-être les moyens d’acheter un piano pour sa famille, mais
attendez de pouvoir le payer avant de vous en procurer un. »
Il demanda également aux dirigeants
locaux d’utiliser les fonds de l’Église avec sagesse. Il affirma : « Il
peut y avoir des circonstances qui justifieraient que nous nous
endettions, mais elles sont relativement peu nombreuses. En règle
générale, c’est mal. »
Tôt un matin du mois de mai, le
président Snow était assis dans son lit lorsque son fils, LeRoi, entra
dans sa chambre. Il venait de terminer sa mission en Allemagne et
travaillait comme secrétaire personnel de son père. Le prophète le
salua et lui annonça : « Je vais à Saint George. »
LeRoi fut surpris. Saint George était
au sud-ouest de l’État, à près de cinq cents kilomètres. Pour s’y
rendre, il fallait prendre le train aussi loin que possible vers le sud
puis faire le reste du chemin en calèche. Ce serait un voyage long et
éprouvant pour un homme de quatre-vingt-cinq ans.
Ils partirent un peu plus tard dans
le mois, en compagnie de plusieurs amis et dirigeants de l’Église.
Lorsqu’ils arrivèrent à Saint George, couverts de poussière et fatigués
par le voyage, ils se rendirent chez le président de pieu, Daniel
McArthur, où ils passèrent la nuit. Intrigué, il leur demanda la raison
de leur visite.
Le président Snow répondit : « En
réalité, je ne sais pas ce que nous sommes venus faire à Saint George,
je sais seulement que l’Esprit nous a dit de venir. »
Le lendemain, le 17 mai, le prophète
assista à une réunion avec les saints dans le tabernacle de Saint
George, un bâtiment en grès rouge situé à plusieurs pâtés de maisons au
nord-ouest du temple. Il avait eu une nuit agitée mais il semblait
alerte en attendant le début de la réunion. Il était le premier
orateur. Lorsqu’il se leva pour s’adresser aux saints, sa voix était
claire.
Il déclara : « Nous pouvons
difficilement exprimer la raison de notre venue, mais je suppose que le
Seigneur aura quelque chose à nous dire. » Il n’était pas venu dans
cette ville depuis treize ans et il exprima combien il était heureux de
voir les saints accorder plus d’importance au royaume de Dieu qu’à la
recherche de la richesse. Il les exhorta à écouter la voix de l’Esprit
et à prêter bien attention à ses paroles.
Il leur dit : « Pour aller aux cieux,
nous devons d’abord apprendre à obéir aux lois des cieux. Nous nous
approcherons du royaume de Dieu aussi vite que nous apprendrons à obéir
à ses lois. »
Pendant le sermon, le président Snow
s’interrompit et la salle entière resta silencieuse. Ses yeux
s’illuminèrent et son visage brilla. Quand il ouvrit la bouche, sa voix
était plus puissante. L’inspiration de Dieu semblait remplir la salle.
Il parla alors de la dîme. La plupart
des saints de Saint George obéissaient complètement à cette loi et le
prophète reconnut leur fidélité. Il fit aussi remarquer que les pauvres
étaient les plus généreux. Il déplora le fait que de nombreux saints
hésitaient à payer une dîme complète malgré la fin de la récente crise
financière et la reprise de l’économie. Il voulait que tous les saints
observent strictement ce principe. Il déclara : « C’est une condition
essentielle pour établir Sion. »
Le lendemain après-midi, le président
Snow prit de nouveau la parole au tabernacle. Il annonça à l’assemblée
: « Le temps est maintenant venu pour chaque saint des derniers jours
qui cherche à être prêt pour l’avenir et à s’établir sur un fondement
ferme, de faire la volonté du Seigneur et de payer entièrement la dîme.
C’est la parole que le Seigneur vous adresse et ce sera la parole du
Seigneur pour chaque assemblée dans tout le pays de Sion. »
Sur le chemin de retour vers Salt
Lake City, le président Snow s’arrêta dans des villages et des villes
pour témoigner de la volonté révélée du Seigneur. Dans une ville, il
dit aux saints : « Nous connaissons la loi de la dîme depuis soixante
et un ans mais nous n’avons pas encore appris à y obéir. Nous sommes
dans une situation grave. À cause de cela, l’Église est en servitude.
Le soulagement ne viendra que si les saints observent cette loi. » Il
les incita à obéir pleinement à la loi et promit que le Seigneur
récompenserait leurs efforts. Il annonça aussi que le paiement de la
dîme serait désormais une condition requise pour entrer dans le temple.
Lorsqu’il arriva à Salt Lake City, il
continua d’exhorter les saints à payer la dîme, promettant que le
Seigneur pardonnerait leur désobéissance passée à cette loi,
sanctifierait leur terre et les protégerait du mal. Le 2 juillet, dans
le temple de Salt Lake City, il parla de cette loi lors d’une réunion
avec les Autorités générales, les officiers généraux de l’Église, les
présidences de pieu et les évêques.
Il expliqua : « Le Seigneur nous a
pardonné notre négligence à payer la dîme par le passé, mais il ne nous
pardonnera plus. Si nous n’obéissons pas à cette loi, nous serons
dispersés comme l’ont été les saints du comté de Jackson. »
Avant de clore la réunion, le
prophète demanda à chacun de se lever, de lever la main droite et de
s’engager à accepter et à respecter la loi de la dîme comme étant la
parole du Seigneur. S’adressant aux saints, il dit : « Nous voulons que
vous obéissiez à cette loi avec diligence et que vous veilliez à ce que
ces instructions soient transmises à toute l’Église. »
Chapitre 6 : Notre souhait et notre mission
Le visage de Hirini Whaanga
s’illumina lorsqu’un groupe de saints maoris l’accueillit, avec ses
collègues missionnaires, à Te Horo, village situé sur l’île du Nord, en
Nouvelle-Zélande. Les saints locaux l’aimaient comme on aime un
grand-père et étaient fiers de son travail en tant que missionnaire à
plein temps. Chaque fois qu’il se rendait dans leurs villages, ils
l’accueillaient, ainsi que ses collègues, de la même salutation
familière : « Haere mai ! » Entrez !
À Te Horo, certaines personnes
avaient cru aux histoires parlant des mauvais traitements subis par la
famille Whaanga en Utah. Certains avaient même entendu dire que Hirini
était décédé. Balayant ces rumeurs, il demanda : « Ai-je l’air mort ?
Ai-je l’air maltraité1 ? »
Les missionnaires tinrent une
conférence de deux jours avec les saints des dix branches de la région.
Lorsque ce fut le tour de Hirini de s’adresser à l’assemblée, il se
sentit poussé à parler du salut des morts. Par la suite, la plupart des
saints présents lui donnèrent les noms de leurs ancêtres décédés afin
qu’il accomplisse, avec les membres de sa famille, l’œuvre du temple
pour eux.
Peu après la conférence, Hirini se
rendit dans un village isolé appelé Mangamuka en compagnie d’Ezra
Stevenson, le président de mission, et de deux missionnaires. Quelques
années auparavant, les missionnaires avaient été sommés de quitter le
village et de ne jamais revenir. Mais comme Hirini avait un parent du
nom de Tipene qui vivait là, ils décidèrent de le solliciter.
Les missionnaires s’approchèrent
prudemment de Mangamuka. Lorsqu’ils demandèrent à parler à Tipene, on
les fit attendre à l’extérieur du village. Hirini était découragé ; ils
étaient accueillis ici bien moins chaleureusement qu’ils ne l’avaient
été ailleurs au cours de leur voyage.
Tipene finit par sortir du village
et, les yeux pleins de larmes, étreignit Hirini. Ils mangèrent ensemble
puis le villageois conduisit les missionnaires dans une habitation
confortable. Dans le village, l’atmosphère devenait plus amicale et les
frères furent invités à parler aux personnes qui s’étaient assemblées.
Avant de prendre la parole, Ezra leur
assura qu’il ne cherchait pas à les condamner mais plutôt à leur
proposer de découvrir la vérité apportée par son message. L’assemblée
écouta avec attention et plusieurs hommes reçurent ses paroles avec
joie. Hirini prit également la parole, prêchant avec hardiesse jusqu’à
minuit, heure à laquelle ses collègues se retirèrent pour aller dormir.
Il ne s’arrêta de parler qu’aux premières heures du matin.
Le lendemain matin, Ezra et l’un des
missionnaires durent partir mais les villageois demandèrent à Hirini et
à l’autre missionnaire, George Judd, de continuer à les instruire. Ils
restèrent quatre jours, tinrent cinq réunions et baptisèrent deux
jeunes hommes. Hirini et George prêchèrent ensuite dans d’autres
villages. Quand ils rejoignirent Ezra, quelques semaines plus tard, ils
avaient baptisé dix-huit personnes de plus.
Frère Whaanga continua de voyager
avec le président de mission, instruisant les saints et rassemblant
leurs généalogies. Souvent, lorsqu’Ezra l’écoutait prêcher, il
s’émerveillait de la capacité de son ami à toucher le cœur des Maoris.
Il nota dans son journal : « Il rend un témoignage puissant et fait une
grande impression sur les gens. Il sait exactement comment toucher le
cœur des Maoris, et ce, beaucoup mieux que nous.
En avril 1899, Hirini fut relevé avec
honneur de sa mission. Un article de journal annonçant son retour à
Salt Lake City faisait l’éloge de son service en Nouvelle-Zélande. On y
lisait : « Un grand élan a été donné à l’œuvre dans ce pays lointain.
Dans chaque district, des renseignements généalogiques ont été
recueillis et la foi et le zèle des saints maoris ont été fortifiés et
accrus. »
Ce printemps-là, John Widtsoe
étudiait la chimie à l’université de Göttingen, dans le centre de
l’Allemagne. Suite à son travail à l’université d’agriculture de Logan,
il avait commencé à faire des recherches sur les glucides. À Göttingen,
il avait eu l’occasion d’étudier sous la direction du plus grand
scientifique dans ce domaine. Il n’était plus qu’à quelques mois de
l’obtention de son doctorat.
John avait épousé Leah Dunford au
temple de Salt Lake City le 1er juin 1898, deux mois avant que le
couple déménage en Europe. Avant de partir, John avait été mis à part
en tant que missionnaire en Europe par l’oncle de Leah, Brigham Young,
fils, qui lui avait conféré l’autorité de prêcher l’Évangile lorsqu’il
n’était pas occupé par ses études. L’Allemagne étant réputée pour ses
conservatoires, la sœur de Leah, Emma Lucy Gates, âgée de dix-sept ans,
les avait accompagnés pour étudier la musique. Depuis le 2 avril 1899,
John et Leah étaient également les heureux parents d’une petite fille,
Anna Gaarden Widtsoe, ainsi nommée en l’honneur de la mère de John.
Bien qu’il subvienne toujours aux
besoins de sa mère et de son frère cadet, Osborne, qui faisait une
mission à Tahiti, John avait les moyens de vivre en Europe avec Leah,
grâce notamment à une généreuse bourse de Harvard. Göttingen était une
ancienne ville universitaire entourée de collines boisées et de terres
agricoles. Étant les seuls saints des derniers jours de la ville, John,
Leah et Lucy organisaient leurs propres réunions de Sainte-Cène et
étudiaient l’Évangile ensemble. De temps en temps, des missionnaires de
la mission d’Allemagne leur rendaient visite.
Dans ce pays, l’Église comptait
environ un millier de membres. Les ouvrages canoniques étaient
disponibles en allemand et l’Église publiait un magazine bimensuel :
Der Stern. Toutefois, seuls cinq saints allemands détenaient la
Prêtrise de Melchisédek et la croissance de l’Église était lente. En
Allemagne, de nombreuses personnes étaient sceptiques vis-à-vis des
églises étrangères et les missionnaires étaient souvent bannis des
villes. Les saints devaient parfois se réunir en secret ou sous la
surveillance de la police.
À la fin du printemps, Lucy partit
étudier au conservatoire de musique de Berlin. Sa grand-mère, Lucy
Bigelow Young, vint d’Utah pour vivre avec elle. Lorsque John eut
terminé sa thèse, il les rejoignit à Berlin avec Leah et la petite
Anna. Il commença alors à étudier pour passer son examen de doctorat,
dernière étape avant l’obtention de son diplôme. Il fit également un
voyage de six semaines en Norvège et au Danemark pour prêcher
l’Évangile, rendre visite à des parents et faire des recherches
généalogiques.
N’étant pas revenu en Norvège depuis
l’âge de onze ans, John était ravi de se retrouver en famille. En
septembre, il écrivit à Leah : « J’ai passé un excellent moment avec la
famille de ma mère. J’ai été reçu comme un roi et traité comme
quelqu’un d’important. »
Lorsque John rentra en Allemagne, il
retourna à Göttingen pour passer son examen tandis que Leah et le bébé
restaient à Berlin. Ses professeurs semblaient optimistes quant à sa
réussite mais le jeune homme craignait de les décevoir.
Dans une lettre du 20 novembre, jour
de l’examen, il expliqua à sa femme : « Cet examen est entre les mains
du Seigneur. Si je ne l’obtiens pas – à Dieu ne plaise ! – je n’aurai
aucun reproche à me faire. Le jeûne et les prières de vous tous
m’encouragent plus que je ne saurais le dire. »
Lorsque le moment de son examen
arriva, John se présenta devant un jury composé de plus d’une dizaine
de professeurs, tous prêts à l’interroger sur ses recherches. John fit
de son mieux pour leur donner des réponses satisfaisantes. Deux ou
trois heures plus tard, quand ils eurent terminé, ils le firent sortir
de la pièce, le temps de délibérer.
Plus tard dans la soirée, après avoir
terminé son jeûne, Leah reçut un télégramme de John. On y lisait : «
Magna, grâce à Dieu. » Elle sut exactement ce que cela voulait dire :
John avait réussi son examen et obtenu son doctorat avec mention, «
magna cum laude ».
Quelques semaines plus tard, le 4
décembre 1899, B. H. Roberts attendait nerveusement à Washington, D.C.,
afin de prêter serment en tant que représentant nouvellement élu de
l’Utah au Congrès des États-Unis. Vingt-huit rouleaux de papier, chacun
d’environ soixante centimètres de diamètre, étaient empilés à l’entrée
de la Chambre des représentants. B. H. Roberts savait que les noms de
sept millions de ses opposants y étaient inscrits.
Trois ans après avoir perdu les
élections de 1895, B. H. Roberts s’était à nouveau présenté au Congrès,
cette fois avec le consentement de la Première Présidence. Sa campagne
avait été une réussite mais les détracteurs de l’Église s’étaient
immédiatement emparés de cette victoire pour saper l’image émergente
des saints en tant que peuple respectueux des lois, patriotique et
monogame. Les pasteurs protestants et les organisations féminines
avaient mené l’assaut, déclarant à qui voulait l’entendre que B. H.
Roberts, dirigeant polygame de l’Église, avait eu des enfants dans le
cadre du mariage plural après le Manifeste et venait à Washington pour
défendre la polygamie, corrompre les mœurs publiques et étendre le
pouvoir politique de l’Église.
Alors que l’indignation suscitée par
l’élection grandissait, le rédacteur en chef William Randolph Hearst se
joignit à la bataille. Désireux de se servir de la polémique pour
augmenter les ventes de son journal new-yorkais, il publia des articles
cinglants sur B. H. Roberts et sur l’Église, les dépeignant tous deux
comme des menaces pour les mœurs américaines. En fait, c’était William
Hearst qui était à l’origine de la pétition se trouvant à l’entrée de
la Chambre et signée par sept millions de personnes. Son objectif était
de faire pression sur les législateurs afin qu’ils refusent à B. H.
Roberts son siège au Congrès.
Peu après midi, B. H. Roberts fut
convoqué pour prêter serment. Tandis qu’il se dirigeait vers l’avant de
la Chambre, un membre du Congrès se leva et proposa calmement de
l’exclure en raison de ses mariages multiples. Un autre membre du
Congrès appuya la motion. Il déclara : « C’est un polygame. Son
élection est une attaque contre le foyer américain. »
Le lendemain, B. H. Roberts essaya de
rassurer les législateurs en expliquant qu’il n’avait aucun désir
d’utiliser sa nouvelle fonction pour défendre le mariage plural. Il dit
: « Je ne suis pas ici pour soutenir le mariage plural. Il n’y a aucune
raison de défendre cette cause. Cette question est réglée. »
Peu convaincue, la Chambre chargea un
comité de membres du Congrès d’étudier la situation de B. H. Roberts et
la nature de ses mariages pluraux. Ils étaient particulièrement
troublés par le fait qu’il ait continué à vivre avec ses femmes et à
avoir des enfants avec elles. Lorsque le comité apporta la preuve de
ces relations, B. H. Roberts insista sur le fait qu’il n’avait pas
ouvertement défié la loi. De nombreux saints des derniers jours avaient
continué à vivre discrètement avec les femmes qu’ils avaient épousées
avant le Manifeste. Ils ne considéraient pas que cela violait leur
accord d’obéir aux lois des États-Unis à partir de ce moment-là.
Néanmoins, le comité ne fut pas de cet avis et, le 25 janvier 1900, une
majorité écrasante de la Chambre des représentants vota en faveur de
l’exclusion de B. H. Roberts.
Son renvoi de la Chambre des
représentants fit la une des journaux dans tout le pays. En Utah, la
Première Présidence salua l’audace avec laquelle frère Roberts avait
défendu ses principes à Washington mais elle regretta le contrecoup que
son élection avait sur les saints des derniers jours. La presse
américaine portait à nouveau un regard critique sur l’Église.
Une partie de ce que les journaux
rapportaient était inexacte, mais la critique essentielle était fondée
: le mariage plural existait toujours dans l’Église. Non seulement les
hommes et les femmes étaient restés fidèles à leur mariage plural après
le Manifeste, mais de nombreux saints ne pouvaient pas imaginer vivre
sans, l’ayant vécu, enseigné et ayant souffert pour cette cause pendant
plus d’un demi-siècle. En fait, certains membres des Douze, ayant reçu
l’approbation de George Q. Cannon, de Joseph F. Smith ou de leurs
intermédiaires, avaient discrètement officié lors de nouveaux mariages
pluraux au cours des huit années qui avaient suivi le Manifeste.
Pendant cette période, quatre apôtres avaient eux-mêmes épousé d’autres
femmes.
Les saints qui s’étaient mariés après
le Manifeste croyaient que le Seigneur n’avait pas complètement renoncé
au mariage plural. Ils pensaient qu’il ne commandait simplement plus
aux saints de le défendre comme étant une pratique de l’Église. En
outre, dans le Manifeste, Wilford Woodruff avait préconisé aux saints
de se soumettre aux lois américaines contre la polygamie. Par contre,
il n’avait rien dit concernant les lois du Mexique et du Canada. La
plupart des nouveaux mariages pluraux avaient été célébrés dans ces
pays et seulement un petit nombre l’avait été aux États-Unis.
Au vu des retombées de l’élection de
B. H. Roberts, les dirigeants de l’Église commençaient à voir le mal
qu’il y avait à consentir à ce qu’un saint polygame se présente à un
poste fédéral. Ils n’avaient pas l’intention de commettre cette erreur
à nouveau.
En avril 1900, Zina Presendia Card,
fille de Zina Young, présidente générale de la Société de Secours,
rentrait chez elle à Cardston, au Canada, après avoir passé plusieurs
semaines à Salt Lake City auprès de sa mère âgée de soixante-dix-neuf
ans. Au cours de cette visite, elles s’étaient rendues dans le pieu
d’Oneida, dans le sud de l’Idaho, pour prendre la parole lors d’une
conférence de la Société de Secours.
Elle rapporta à sa petite sœur, Susa
Gates : « Elle a bien supporté le voyage et s’est adressé aux sœurs
comme un ange. Je suis très fière d’elle. »
Pourtant, Zina Presendia s’inquiétait
de l’âge avancé de sa mère. Mille cents kilomètres séparaient Cardston
de Salt Lake City. Si la santé de sa mère se détériorait soudainement,
Zina Presendia risquait de ne pas pouvoir la revoir avant son décès.
De retour à Cardston, Zina Presendia
retrouva ses responsabilités de présidente de la SAM des jeunes femmes
du pieu d’Alberta. Quatorze ans s’étaient écoulés depuis le jour où
John Taylor, président de l’Église, avait demandé à son mari, Charles
Card, de conduire un groupe de saints polygames au Canada. Depuis lors,
les saints avaient établi une douzaine de colonies dans le sud de
l’Alberta. Le pieu de Cardston avait été fondé en 1895, Charles en
étant le président. L’ère de la colonisation par les saints des
derniers jours avait pris fin, mais de nouvelles familles et
entreprises continuaient de s’installer dans la région, contribuant
ainsi à l’édification de l’Église. Il y avait maintenant beaucoup de
jeunes saints qui atteignaient l’âge adulte dans la région ; Zina
Presendia se faisait beaucoup de souci pour eux.
Cardston était une ville relativement
isolée mais les jeunes n’étaient pas à l’abri de maux tels que les jeux
d’argent et l’abus d’alcool. Elle savait que certains adultes en ville
étaient de mauvais exemples pour la jeune génération.
De plus, il était évident que les
jeunes de Cardston et d’autres localités avaient besoin d’être plus
instruits au sujet de la chasteté. Avant le Manifeste, les jeunes
femmes avaient davantage d’occasions de se marier, ce qu’elles
faisaient souvent à un âge plus précoce. Cependant, la génération
montante avait maintenant tendance à se marier plus tard. D’ailleurs,
certains, en particulier les femmes, ne se mariaient pas du tout. Cela
signifiait qu’ils devaient rester chastes pendant plus longtemps.
Au début du mois de mai, Zina
Presendia aborda ces sujets lors d’une réunion commune des SAM des
jeunes gens et des jeunes femmes de la paroisse de Cardston. Elle
avertit les jeunes : « Les plaisirs d’un instant apportent souvent le
chagrin de toute une vie. Recherchons l’humilité et la charité ;
essayons de faire aux autres ce que nous voudrions qu’ils nous fassent.
»
Ce printemps et cet été-là, elle
assista également à plusieurs réunions de la SAM des jeunes femmes de
la paroisse de Cardston. Elles avaient lieu tous les mercredis
après-midi. Mamie Ibey, présidente de la SAM de la paroisse, âgée de
vingt-trois ans, dirigeait souvent les réunions tandis que d’autres
présentaient des leçons. Tous les deux mois, les jeunes femmes
organisaient une réunion de témoignage, donnant à chaque membre du
groupe l’occasion de témoigner.
Tout au long de l’année 1900, le
Young Woman’s Journal publia une série de leçons en douze parties
intitulée « Éthique pour les jeunes filles [Ethics for Young Girls] ».
Chaque mois, une nouvelle leçon était proposée, chacune étant conçue
pour aider les jeunes femmes à distinguer le bien du mal. L’honnêteté,
la maîtrise de soi, le courage, la chasteté et le recueillement
faisaient partie des sujets abordés. Plusieurs questions étaient posées
après chaque leçon, incitant les jeunes femmes à la revoir et à en
discuter.
Zina Presendia pensait que la
participation régulière à la SAM renforcerait les jeunes et aurait un
effet bénéfique sur leur comportement. Lors de ces réunions, les jeunes
femmes étaient incitées à se détourner des voies du monde et de
l’erreur. Zina Presendia leur expliqua : « Nous ne devrions jamais
avoir honte de la vérité ni d’avouer que nous sommes mormones. »
Elle exhorta également leurs parents
à être des guides sur le chemin de la droiture. Plus tôt cette
année-là, alors qu’elle visitait un pieu en Idaho, elle avait entendu
sa mère répéter une chose que Joseph Smith avait enseignée à la Société
de Secours de Nauvoo : « Plantez de bonnes idées dans l’esprit des
enfants. Ils remarquent notre exemple. » Zina Presendia estimait que
cette vérité s’appliquait de la même manière à Cardston.
En juillet, elle rappela à d’autres
dirigeants : « Nous devons montrer le bon exemple à nos enfants, les
prendre dans nos bras, les porter dans notre cœur et leur apprendre à
fuir tout mal. »
Dans l’après-midi du 10 décembre
1900, George Q. Cannon vit l’archipel d’Hawaï pour la première fois
depuis qu’il y avait fait sa mission dans les années 1850. Alors âgé de
vingt-trois ans, il était le plus jeune des dix premiers missionnaires
saints des derniers jours à y être envoyé. Maintenant, en qualité de
conseiller dans la Première Présidence, il revenait pour commémorer le
cinquantième anniversaire de leur arrivée et le début de l’organisation
de l’Église à Hawaï.
Quelques heures après avoir repéré
les îles, George et ses compagnons de voyage accostèrent à Honolulu,
sur l’île d’Oahu. Il passa la nuit chez Abraham et Minerva Fernandez,
saints des derniers jours hawaïens. Le lendemain, il participa à une
réception comptant environ mille saints rassemblés dans une église.
Parmi les personnes présentes, certaines avaient été baptisées par
George pendant sa mission. D’autres étaient les enfants et
petits-enfants de personnes qu’il avait instruites.
George se réveilla le lendemain
matin, le 12 décembre, mal à l’aise à l’idée de prendre la parole lors
de la commémoration. En tant que jeune missionnaire, il avait été
admiré pour sa capacité à parler le hawaïen et à l’écrire. Ayant
rarement pratiqué cette langue depuis son retour chez lui, il redoutait
que sa maladresse ne soit une déception pour les saints.
La fête eut lieu dans le tout nouveau
théâtre d’Honolulu. Les dirigeants locaux de l’Église avaient recruté
un excellent orchestre, deux chœurs d’Honolulu et de Laie ainsi que
d’autres ensembles musicaux. Dans un bâtiment gouvernemental voisin,
les saints avaient également préparé un énorme festin composé de plats
hawaïens, auquel ils avaient convié toute la collectivité. Il semblait
à George que la ville entière se joignait à la célébration.
Lorsque ce fut son tour de prendre la
parole, il commença son discours en anglais, se remémorant les premiers
jours de sa mission, lorsque plusieurs de ses compagnons de service
avaient abandonné l’œuvre et que les habitants anglophones des îles
n’avaient montré aucun intérêt pour l’Évangile. Il raconta : « C’est
alors que j’ai protesté et que je me suis déclaré déterminé à rester
dans ces îles et à travailler parmi leurs habitants. »
Tandis qu’il parlait, George sentit
la puissance de l’Esprit reposer sur lui. Soudain, des mots lui
revinrent en mémoire ; son sentiment de malaise se dissipa et il
commença à parler en hawaïen. Les saints étaient à la fois étonnés et
ravis. Quelqu’un déclara : « Comme c’est merveilleux qu’après toutes
ces années, il se souvienne de notre langue ! »
La commémoration se poursuivit le
lendemain ; George, confiant, s’adressa à nouveau aux saints dans leur
langue. Il déclara : « Aujourd’hui plus que jamais, je ressens les
liens qui unissent le peuple de Dieu. Là où les gens croient en
l’Évangile et descendent dans les eaux du baptême, ils apprennent à
s’aimer les uns les autres. »
George passa un peu plus de trois
semaines avec les saints à Hawaii. Pendant son séjour sur l’île de
Maui, il se rendit dans la ville de Wailuku, où il avait connu son
premier succès en tant que missionnaire. La ville était méconnaissable
mais il trouva facilement la maison de ses amis Jonathan et Kitty
Napela, tous deux décédés des décennies plus tôt. Ils avaient été comme
une famille pour George, et Jonathan avait traduit avec lui le Livre de
Mormon en hawaïen.
En visitant les îles, George se fit
de nombreux nouveaux amis, dont Tomizo Katsunuma, un Japonais devenu
membre de l’Église pendant qu’il étudiait à l’université d’agriculture
de l’Utah. Il rencontra aussi des saints de longue date qui, malgré
leur fidélité, n’avaient jamais reçu les ordonnances du temple. Ému par
leur situation, il les exhorta à vivre de manière à être dignes
d’entrer dans le temple et à avoir la foi que le Seigneur inspirerait
son prophète pour leur apporter les bénédictions du temple.
Le jour du départ de George, des
centaines de saints et une fanfare locale accueillirent sa carriole à
l’embarcadère d’Honolulu. Dans un dernier geste d’amour, une vingtaine
d’enfants et de saints âgés se précipitèrent vers lui et le couvrirent
de leis de fleurs colorés. Il monta ensuite à bord de son navire et la
fanfare entonna un air d’adieu.
En regardant les saints rassemblés
sur le quai, George savait qu’il ne les oublierait jamais. Ils lui
crièrent : « Aloha nui », en signe d’amour et d’adieu. « Aloha nui. »
« Aujourd’hui, un nouveau siècle se lève sur le monde. »
La voix de LeRoi Snow résonna dans le
tabernacle de Salt Lake tandis qu’il lisait les premiers mots d’un
message que son père, Lorenzo Snow, avait écrit aux peuples de toute la
terre.
C’était le 1er janvier 1901, le
premier jour du vingtième siècle. Ce matin-là, il faisait un froid
glacial mais plus de quatre mille personnes avaient quitté la chaleur
de leur foyer pour assister à une réunion spéciale avec le prophète,
des Autorités générales et le Tabernacle Choir. Le tabernacle lui-même
était décoré pour l’occasion et un faisceau de lumières électriques
épelant le mot « Bienvenue » était suspendu aux tuyaux de l’orgue.
Assis sur l’estrade, non loin de
LeRoi, se trouvait le président Snow, aphone en raison d’un gros rhume.
Comme les autres saints, il écoutait attentivement son fils lire le
message. Intitulé simplement « Salutations au monde », le discours
évoquait les découvertes scientifiques stupéfiantes et les progrès
technologiques des cent dernières années et exprimait l’optimisme du
président Snow à l’égard du siècle à venir.
Dans ce message, il appelait les
dirigeants mondiaux à renoncer à la guerre et à rechercher le «
bien-être de l’humanité » plutôt que « l’enrichissement d’une race ou
l’extension d’un empire ». Il déclara : « Vous avez entre vos mains le
pouvoir d’ouvrir la voie au Roi des rois, qui arrive, dont la
domination s’étendra sur toute la terre. » Il les exhortait à
promouvoir la paix, à mettre fin à l’oppression, à lutter ensemble
contre la pauvreté et à édifier les foules.
Il appelait en outre les riches comme
les pauvres à rechercher des modes de vie meilleurs et plus
charitables. S’adressant aux pauvres, il déclara : « Le jour de votre
rédemption approche. Soyez prévoyants dans les périodes de prospérité.
» Il conseillait aux riches d’être généreux : « Ouvrez vos coffres et
vos bourses ; lancez-vous dans des entreprises qui donneront du travail
aux chômeurs et soulageront la misère qui conduit au vice et au crime,
qui affligent vos grandes villes et qui empoisonnent l’atmosphère
morale qui vous entoure. »
Il témoigna du Seigneur et de son
Évangile rétabli. Il affirma : « Il accomplira assurément son œuvre et
le vingtième siècle marquera son avancement. »
Finalement, le président Snow bénit
les peuples du monde, où qu’ils soient. Il dit : « Puissent les rayons
du soleil vous être favorables. Puisse la lumière de la vérité chasser
de votre âme les ténèbres. Puisse la justice croître et l’iniquité
diminuer au fil des années de ce siècle. Puisse la justice triompher et
la corruption être éliminée. »
Il ajouta : « Que ces sentiments
parviennent au monde entier comme étant la voix des ‘mormons’ dans les
montagnes de l’Utah, et que tous les peuples sachent que notre souhait
et notre mission sont de bénir et de sauver tout le genre humain. »
Chapitre 7 : Sur la sellette
Au début de l’année 1901, comme la
santé de George Q. Cannon se dégradait, Joseph F. Smith commença à
assumer davantage de responsabilités au sein de la Première Présidence.
En mars, George se rendit sur la côte californienne avec sa famille,
dans l’espoir que l’air marin le revigorerait. Pendant ce temps, Joseph
soutenait son ami de loin.
Il lui écrivit : « Notre
collaboration de toujours dans l’œuvre du ministère a lié mon cœur, mon
âme, mon amour et mes sympathies à vous d’une affection aussi forte que
l’amour de la vie, que rien ne peut briser1».
Cependant, la santé de George
continua à décliner. Ses fils envoyaient régulièrement à Salt Lake City
des rapports sur la santé défaillante de leur père. Joseph ne fut donc
pas surpris lorsque, le 12 avril, un télégramme arriva, annonçant la
mort de George. Cette perte le peina néanmoins profondément. Ce
jour-là, Joseph nota dans son journal : « Il était à la fois un homme
humble et grand, un dirigeant puissant dans les conseils de ses frères.
Tout Israël pleurera sa mort. »
Malgré son chagrin, Joseph se
concentra sur son rôle élargi au sein de la Première Présidence. Cette
année-là, le président Snow et lui chargèrent trois apôtres de diriger
les efforts missionnaires dans certaines régions du monde. Ils
appelèrent Francis Lyman à présider la mission européenne, John Henry
Smith à donner un nouvel élan à la mission du Mexique et Heber J. Grant
à diriger la première mission au Japon. Désireux d’étendre l’œuvre du
Seigneur à d’autres régions du monde, les dirigeants de l’Église
envisageaient également d’envoyer des missionnaires en Amérique du Sud
et de construire un petit temple pour les colonies des saints d’Arizona
et du nord du Mexique. Cependant, l’Église étant encore endettée, ces
projets ne furent pas suivis d’effet à ce moment-là.
La même année, les saints pleurèrent
deux autres personnes. En août, la présidente générale de la Société de
Secours, Zina Young, eut un malaise tandis qu’elle rendait visite à sa
fille, Zina Presendia Card, au Canada. Celle-ci la ramena d’urgence à
Salt Lake City, où elle mourut paisiblement chez elle. Tout au long de
sa vie, Zina avait été exemplaire dans sa manière de placer le royaume
de Dieu avant toute autre chose.
Deux semaines avant sa mort,
s’adressant à la Société de Secours de Cardston, elle avait affirmé : «
Chaque jour, je me réjouis davantage de la grandeur des principes
auxquels nous croyons. Nous recevons bien plus de bénédictions que nous
ne pouvons l’exprimer. Rien n’est comparable aux bénédictions dont nous
jouissons en nous en remettant à Dieu. »
Deux mois plus tard, le président
Snow tomba soudainement malade. Plusieurs apôtres prirent fidèlement
soin de lui et, à la demande de Joseph F. Smith, s’agenouillèrent
autour de son lit pour prier en sa faveur. Il décéda peu de temps après.
Lors des funérailles du président
Snow, Joseph rendit hommage à l’homme et à son témoignage inébranlable
de la vérité. Il déclara : « À l’exception du prophète Joseph, je ne
crois pas qu’il y ait jamais eu un homme sur cette terre qui ait rendu
un témoignage plus fort et plus clair de Jésus-Christ. »
Quelques jours plus tard, le 17
octobre 1901, le Collège des douze apôtres soutint Joseph F. Smith en
tant que sixième président de l’Église. Celui-ci appela John Winder,
membre de l’épiscopat président, et Anthon Lund pour être ses
conseillers. Les apôtres posèrent ensuite les mains sur Joseph et John
Smith, son frère aîné et patriarche de l’Église, le mit à part.
Le 10 novembre 1901, lors d’une
réunion exceptionnelle tenue dans le tabernacle de Salt Lake City, les
saints soutinrent la nouvelle Première Présidence. Le président Smith
déclara à l’assemblée : « Il est de notre devoir de nous emparer de
l’œuvre avec énergie, le cœur pleinement résolu à la faire avancer,
avec l’aide du Seigneur et selon l’inspiration de son Esprit. » À
l’aube d’un nouveau siècle, il voulait insuffler aux membres de
l’Église de l’espoir en l’avenir.
Il dit : « Nous avons été chassés de
nos maisons, calomniés et dénigrés partout. Le Seigneur a l’intention
de changer cette situation et de nous faire connaître au monde sous
notre vrai jour : en tant que véritables adorateurs de Dieu. »
Lors de cette réunion, le président
Smith demanda aux saints de soutenir Bathsheba Smith en tant que
quatrième présidente générale de la Société de Secours. C’était la
première fois que l’on demandait aux collèges de la prêtrise de
manifester leur soutien à une nouvelle présidence générale de la
Société de Secours.
Emmeline Wells remarqua : « Les
femmes intéressées par la mise en avant des sœurs ont été très
satisfaites de voir les mains des frères de tous les différents
collèges de la sainte prêtrise se lever pour soutenir ces sœurs. »
Âgée de soixante-dix-neuf ans,
Bathsheba Smith était l’une des rares fondatrices de la Société de
Secours de Nauvoo encore vivantes. Après être devenue membre de
l’Église à l’âge de quinze ans, elle s’était jointe au rassemblement
des saints au Missouri puis à Nauvoo. En 1841, elle avait épousé
l’apôtre George A. Smith puis était devenue servante des ordonnances du
temple de Nauvoo. Elle avait travaillé activement au sein de la Société
de Secours, plus récemment en tant que deuxième conseillère de Zina
Young dans la présidence générale.
Deux mois après avoir été soutenue
par les saints, Bathsheba adressa un message d’amour et de bonne
volonté à toutes les sœurs de la Société de Secours. Elle déclara : «
Chères sœurs, cherchez à créer des liens entre les membres de votre
société grâce à l’amour et l’unité. Allons dès maintenant de l’avant
avec des résolutions renouvelées pour entreprendre l’œuvre de
soulagement et d’amélioration. »
Avec ses conseillères, Annie Hyde et
Ida Dusenberry, elle prônait le service en faveur des pauvres et des
nécessiteux, et encourageait le stockage des céréales et la production
de soie. Afin de récolter des fonds pour l’aide humanitaire, elle
incita les membres de la société à collecter des dons en organisant des
ventes de charité, des concerts et des danses. Elle envoya des
déléguées aux organisations nationales de femmes et aida les femmes à
se former pour devenir infirmières et sages-femmes. Elle commença
également à rassembler des fonds et à faire des plans pour un « Woman’s
Building (bâtiment de la femme) » en face du temple de Salt Lake City,
sur un terrain que Lorenzo Snow avait consacré au profit de la Société
de Secours avant sa mort.
Comme les dirigeantes qui les avaient
précédées, Bathsheba et ses conseillères estimaient qu’il était
important de se rendre dans chaque Société de Secours. Elles comptaient
souvent sur les épouses des présidents de mission pour visiter ces
organisations en Europe et en Océanie. Toutefois, elles-mêmes ou des
membres du bureau général de la Société de Secours essayaient de rendre
visite aux saintes des derniers jours dans l’ouest des États-Unis, au
Mexique et au Canada au moins deux fois par an. Comme l’Église comptait
des dizaines de pieux dans cette région, il était plus difficile de
visiter tout le monde. Elles appelèrent donc six femmes supplémentaires
pour les aider dans ce travail.
Lors de leurs visites dans les pieux,
les dirigeantes de la Société de Secours remarquèrent un manque
d’intérêt de la part des jeunes femmes. Comme beaucoup d’entre elles
étaient de jeunes mères, la présidence générale incita les Sociétés de
Secours de pieu à rendre leurs réunions plus attrayantes pour la jeune
génération. Comme il n’y avait pas de programme d’enseignement défini à
cette époque, Bathsheba sollicita les pieux pour qu’ils conçoivent des
cours d’éducation pour les mères. Elle demanda que chaque Société de
Secours s’appuie sur les expériences personnelles de ses membres plus
âgés et sur l’étude des ouvrages scientifiques sur l’éducation des
enfants, sujet qui intéressait la nouvelle génération. Bientôt, le
Woman’s Exponent publia des plans de cours pour aider les pieux à
mettre en place leur programme d’enseignement.
En août 1903, Bathsheba envoya Ida
Dusenberry, âgée de trente ans, à Cardston pour aider Zina Presendia
Card et les présidences locales de la Société de Secours à préparer les
cours pour les mères. Ida leur demanda de s’impliquer dans le programme
et d’utiliser les magazines et d’autres publications de l’Église dans
leurs leçons.
« Jusqu’à quel point devons-nous nous
appuyer sur l’aspect scientifique dans les cours pour les mères ? »
demanda Zina Presendia.
Ayant suivi une formation
universitaire pour être institutrice à la maternelle et administratrice
scolaire, Ida était impatiente de faire connaître les idées novatrices
concernant l’éducation des enfants. Elle comprit cependant qu’il y
avait beaucoup à apprendre de l’expérience des sœurs plus âgées de la
Société de Secours.
Elle expliqua : « Nous voulons que
vous abordiez les besoins d’une mère et son devoir envers ses enfants
de manière générale. Pour l’aspect pratique, nous apprendrons beaucoup
les unes des autres. »
Pendant qu’Ida Dusenberry visitait
Cardston, son frère aîné, Reed Smoot, se préparait à une bataille
politique au Sénat des États-Unis. Récemment appelé au Collège des
douze apôtres, Reed avait été élu au Sénat plus tôt cette année-là,
après avoir obtenu l’aval de la Première Présidence. Sa femme, Allie,
soutenait également son désir de travailler au Sénat, certaine qu’il
pouvait faire beaucoup pour les habitants de l’Utah. Elle lui dit: « Je
souhaite profondément que tu réussisses. Je sens que Dieu nous bénira
tous les deux et nous aidera. »
Comme on pouvait s’y attendre, la
victoire de Reed suscita de l’indignation et des protestations.
L’Église s’était efforcée d’améliorer son image publique après
l’élection de B. H. Roberts à la Chambre des représentants en 1898, qui
avait suscité de vives réactions à l’échelle nationale. Depuis,
l’Église avait ouvert un bureau d’information (Bureau of Information) à
Temple Square pour aider les gens à mieux connaître les saints. Il
était tenu par des bénévoles, dont beaucoup venaient des SAM des jeunes
gens et des jeunes femmes, qui distribuaient de la documentation et
répondaient aux questions sur l’Église et ses croyances. Jusqu’à
présent, ils avaient accueilli des milliers de visiteurs à Salt Lake
City, leur donnant des renseignements exacts. Pourtant, leur travail ne
fit pas changer d’avis les opposants les plus farouches de l’Église, en
Utah et ailleurs.
Les critiques les plus virulents de
Reed étaient les membres de l’association ministérielle de Salt Lake
(Salt Lake Ministerial Association), regroupant des hommes d’affaires,
des avocats et des pasteurs protestants d’Utah. Peu après l’élection,
ils déposèrent une requête officielle, demandant au Sénat de refuser à
Reed son siège. Ils affirmaient que la Première Présidence et le
Collège des douze apôtres exerçaient une autorité politique et
économique suprême sur les saints et exigeaient d’eux une obéissance
absolue. Ils prétendaient que les dirigeants de l’Église continuaient
de prêcher, de pratiquer et de soutenir le mariage plural, malgré le
Manifeste. Ils concluaient en déclarant que ces facteurs rendaient les
saints antidémocratiques et déloyaux envers la nation.
Les membres de l’association
ministérielle craignaient que Reed se serve de son appel d’apôtre de
l’Église pour promouvoir le mariage plural et protéger les personnes
qui le pratiquaient. L’un d’eux accusa même Reed, qui était monogame,
de pratiquer le mariage plural en secret. Il insista sur le fait qu’il
serait un pion entièrement soumis aux directives de la Première
Présidence.
Les dirigeants du Sénat examinèrent
les demandes et désignèrent un comité de treize sénateurs pour tenir
une audience sur les revendications de l’association ministérielle. Ils
autorisèrent néanmoins Reed à prêter serment, lui permettant d’occuper
le poste de sénateur au moins jusqu’à la fin des audiences.
Malgré la menace d’une enquête qui
planait sur l’Église, Joseph F. Smith estimait que Reed devait
conserver son apostolat et son siège au Sénat, convaincu qu’il pouvait
faire plus de bien à Washington que nulle part ailleurs. Pour le
président Smith, cette enquête était l’occasion de montrer aux gens le
vrai visage des saints et leurs croyances.
Comme Reed n’avait jamais pratiqué le
mariage plural, il ne s’inquiétait pas de l’enquête du comité sur sa
vie personnelle. Par contre, il redoutait la manière dont l’Église
serait montrée pendant l’audience. Les rumeurs de nouveaux mariages
pluraux abondaient en Utah ; depuis l’élection de B. H. Roberts, des
doutes subsistaient dans l’esprit des gens quant à l’engagement de
l’Église à délaisser cette pratique. En tant que dirigeant dans
l’Église, Reed devait répondre des règles établies par celle-ci. Il
savait que le comité enquêterait de manière approfondie sur les
mariages pluraux accomplis après le Manifeste. Il supposait également
que les sénateurs l’interrogeraient, lui et d’autres témoins, sur
l’implication de l’Église dans la politique et sur la loyauté des
saints envers les États-Unis.
Si le comité démontrait que l’Église
incitait au non-respect de la loi, Reed perdrait son poste et la
réputation des saints en souffrirait.
Le 4 janvier 1904, il déposa une
réfutation auprès du comité, niant formellement les accusations de
l’association ministérielle. Il espérait concentrer l’attention des
membres du comité sur lui et sa conduite. Cependant, lorsqu’il les
rencontra une semaine plus tard, il était clair que les sénateurs
étaient déterminés à enquêter sur l’Église. Ils étaient
particulièrement désireux d’interroger Joseph F. Smith et d’autres
Autorités générales concernant leur influence politique sur les saints
et la pratique du mariage plural après le Manifeste.
Le président du comité lui déclara :
« Monsieur Smoot, ce n’est pas vous qui êtes sur la sellette. C’est
l’église mormone sur laquelle nous avons l’intention d’enquêter, et
nous allons veiller à ce que ces hommes respectent la loi. »
Le 25 février 1904, Joseph F. Smith
fut cité à comparaître devant le comité du Sénat afin de témoigner aux
audiences de Reed Smoot. Deux jours plus tard, il partit pour
Washington, DC, confiant dans le fait que l’Église parviendrait à faire
face à l’examen minutieux qui s’annonçait. Reed l’avait prévenu que les
sénateurs lui poseraient des questions sur tous les aspects de sa vie
familiale et exigeraient des détails sur ses mariages multiples. En
tant que président de l’Église, il serait également interrogé sur son
rôle de prophète, voyant et révélateur. Le comité voudrait savoir
quelle influence lui-même et ses révélations auraient sur Reed et ses
actions au Sénat.
Le 2 mars, premier jour des
interrogatoires, la salle du comité était bondée de sénateurs,
d’avocats et de témoins. Des membres d’organisations de femmes opposées
à l’élection de Reed Smoot étaient également présentes. Le président du
comité fit asseoir Joseph F. Smith à une longue table face à lui. Ses
cheveux gris et sa longue barbe étaient soigneusement peignés, il
portait un modeste manteau noir et des lunettes à monture dorée. Il
avait épinglé à son revers un petit portrait de Hyrum Smith, son père
mort en martyr.
Robert Tayler, l’avocat représentant
l’association ministérielle, commença par poser des questions sur la
vie du président Smith. Portant ensuite son attention sur la révélation
et son influence sur les décisions individuelles des membres de
l’Église, l’avocat demanda au prophète d’expliquer à partir de quel
moment les membres étaient obligés d’obéir à la révélation du président
de l’Église. S’il parvenait à faire dire au prophète que tous les
membres étaient tenus d’obéir à ses révélations, il démontrerait que
Reed Smoot n’était pas vraiment libre de prendre des décisions au sein
du Sénat.
Le président Smith lui répondit : «
Aucune révélation donnée par l’intermédiaire du chef de l’Église ne
devient contraignante ni ne fait autorité tant qu’elle n’a pas été
présentée à l’Église et acceptée par elle.
– Voulez-vous dire que l’Église en
conférence peut vous dire, à vous, Joseph F. Smith, président de
l’Église, ‘Nous nions le fait que Dieu vous ait dit de nous dire ceci’
? demanda Robert Tayler.
– Ils peuvent dire cela s’ils le
veulent, répliqua le prophète. Tout homme a le droit d’avoir sa propre
opinion, son point de vue et sa conception du bien et du mal, tant
qu’ils n’entrent pas en conflit avec les principes de base de l’Église.
»
À titre d’exemple, il fit remarquer
que seule une partie des saints avait pratiqué le mariage plural. Il
ajouta : « Tous les autres membres de l’Église se sont abstenus de
cette pratique et n’y ont pas pris part. Plusieurs milliers d’entre eux
ne l’ont jamais reçue ni crue. Ils n’ont pas, pour autant, été rejetés
de l’Église.
– Vous avez des révélations, n’est-ce
pas ? » s’enquit le président du comité. Il voulait savoir à partir de
quel moment une révélation du prophète du Seigneur serait considérée
comme une doctrine fondamentale de l’Église, à laquelle un saint des
derniers jours fidèle comme Reed Smoot se sentirait obligé d’obéir.
Le président Smith choisit
soigneusement ses mots. Il recevait fréquemment des révélations
personnelles par l’intermédiaire du Saint-Esprit. En qualité de
prophète, il recevait aussi des directives inspirées destinées aux
saints. Cependant, il n’avait jamais reçu de révélation pour l’Église
entière de la voix du Seigneur, comme celles que l’on trouve dans les
Doctrine et Alliances.
Il répondit : « Je n’ai jamais dit
que j’avais reçu une révélation, si ce n’est que Dieu m’a montré que le
‘mormonisme’ est sa vérité divine. C’est tout. »
Le président Smith continua de
répondre aux questions jusqu’à ce que la commission soit ajournée, en
fin d’après-midi. Lorsque l’audience reprit le lendemain, le comité
concentra ses questions sur le mariage plural et le Manifeste. Tout en
cherchant à répondre avec précision à ses questions, le président Smith
évita de mentionner ce que lui-même et d’autres dirigeants de l’Église
savaient au sujet des nouveaux mariages pluraux. Il savait que le
Congrès les condamnerait, lui et l’Église, si cette information était
révélée lors de l’enquête.
En outre, ses réponses prudentes aux
questions du comité étaient fondées sur sa compréhension du fait que
les saints ayant pratiqué le mariage plural après le Manifeste
l’avaient fait à leurs dépens. Pour cette raison, il ne pensait pas que
le Manifeste lui avait interdit, à lui, à ses épouses, ou à tout autre
couple plural, de continuer discrètement à honorer leurs engagements
sacrés de mariage contractés au temple.
Lorsque Robert Tayler lui demanda
s’il pensait que c’était mal de continuer à vivre avec plusieurs
femmes, le président Smith répondit : « C’est contraire à la règle de
l’Église et à la loi du pays. » Cependant, il parla ensuite ouvertement
de son refus d’abandonner sa grande famille. Il dit : « Je vis avec mes
femmes. Elles m’ont donné des enfants depuis 1890. »
– Puisque c’était une violation de la loi, rétorqua Tayler, pourquoi l’avez-vous fait ?
– J’ai préféré encourir les sanctions de la loi plutôt qu’abandonner ma famille. »
Essayant de trouver le nom des hommes
qui avaient épousé des femmes dans le cadre du mariage plural après le
Manifeste, les sénateurs l’interrogèrent sur les mariages des apôtres
et de plusieurs autres membres de l’Église. Le président du comité lui
demanda également s’il avait lui-même officié pour des mariages pluraux
après le Manifeste.
Il répondit : « Non monsieur, jamais.
» Il ajouta ensuite une déclaration soigneusement formulée, destinée à
éviter tout examen approfondi. « Il n’y a pas eu de mariages pluraux
célébrés par l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours,
avec son consentement ou à sa connaissance.
– Depuis le Manifeste ? s’enquit un sénateur.
– C’est ce que je voulais dire, oui.
» En faisant cette déclaration, il ne niait pas l’existence de mariages
pluraux ayant été contractés après le Manifeste. Il établissait plutôt
une distinction subtile entre les pratiques approuvées par l’Église et
ses conseils, et celles que les membres choisissaient de suivre selon
leur conscience. Les saints avaient en effet soutenu le Manifeste en
1890, de sorte que les mariages pluraux célébrés par les dirigeants de
l’Église avaient eu lieu sans le consentement de l’Église dans son
ensemble.
Un autre sénateur demanda : « Si un
apôtre de l’Église avait officié lors d’une telle cérémonie,
considéreriez-vous que ce soit avec l’autorité de votre Église ?
– Si un apôtre ou tout autre homme
faisait une telle chose, revendiquant en avoir l’autorité, il serait
non seulement passible de poursuites, de lourdes amendes et
d’emprisonnement dans l’État en vertu de la loi mais il serait
également soumis à une action disciplinaire au sein de l’Église et à
l’excommunication, » affirma le président Smith.
Après son audition, qui dura cinq
jours, le président Smith sentit qu’il avait suivi l’inspiration divine
dans son rôle de témoin. Il déclara : « Je crois fermement que le
Seigneur a fait du mieux qu’il pouvait avec l’instrument dont il devait
se servir. »
Pourtant, son témoignage provoqua un
tollé lorsqu’il fut publié dans les journaux. Dans tous les États-Unis,
les gens étaient stupéfaits d’apprendre que le président Smith vivait
toujours avec ses cinq épouses. Ils doutaient également de sa
crédibilité et de sa sincérité en tant que témoin et affirmaient que
les dirigeants de l’Église étaient des menteurs et des hors-la-loi.
Le secrétaire de la Première
Présidence confia à l’un de ses amis : « Une avalanche de critiques
publiques défavorables est en train de balayer notre communauté. La
seule chose que nous avons envie de faire en ce moment est de boutonner
le col de notre manteau, de tourner le dos à la tempête et d’attendre
patiemment. »
Alors que l’audition au Sénat se
poursuivait à Washington, DC, le prophète rentra à Salt Lake City,
résolu à prendre les mesures nécessaires pour restaurer la confiance en
lui et en l’Église. Il avait assuré au comité que les responsables de
l’Église engageraient des actions disciplinaires contre les saints qui
officieraient dans de nouveaux mariages pluraux, allant à l’encontre du
Manifeste. Il était désormais tenu de donner au Sénat une preuve plus
sérieuse que lui-même et les saints étaient réellement opposés à de
nouveaux mariages pluraux.
Le 6 avril 1904, dernier jour de la
conférence générale, il se tint à la chaire du tabernacle et lut une
nouvelle déclaration officielle sur le mariage plural dans l’Église. Il
déclara : « Puisque de nombreux rapports circulent selon lesquels des
mariages pluraux ont été contractés, contrairement à la déclaration
officielle du président Woodruff, j’annonce que ces mariages sont
interdits. »
Cette déclaration ne condamnait pas
les quelque deux cents couples qui avaient contracté un mariage plural
après le Manifeste ni ne censurait ceux qui avaient continué à vivre
avec leur famille plurale depuis lors. Elle confirmait cependant que
les nouveaux mariages pluraux étaient interdits, même en dehors des
frontières des États-Unis. Il dit : « Si un officier ou un membre de
l’Église, quel qu’il soit, décide de célébrer ou de contracter un
mariage de ce genre, il sera considéré comme transgresseur à l’encontre
de l’Église. Il sera jugé conformément aux règles et aux lois de
celle-ci et en sera excommunié. »
Après avoir lu la déclaration, qui
devint connue sous le nom de « Second Manifeste », le président Smith
exhorta les saints à soutenir cette nouvelle déclaration et à regagner
la confiance du gouvernement à leur égard. Le Manifeste avait révélé
que le mariage plural n’était plus un commandement auquel l’Église
était soumise ; cette nouvelle déclaration était destinée à empêcher la
célébration de nouveaux mariages pluraux à partir de ce moment-là. Il
espérait que cela mettrait fin aux allégations selon lesquelles les
membres de l’Église n’étaient pas des citoyens respectueux de la loi.
Il déclara : « Aujourd’hui, je veux
voir si les saints des derniers jours représentant l’Église dans cette
assemblée solennelle ne scelleront pas par leur vote ces accusations
comme étant fausses. »
Comme un seul homme, les saints présents dans le tabernacle levèrent la main pour soutenir ses paroles.
Chapitre 8 : Le rocher de la révélation
Au printemps de l’année 1904, John
Widtsoe suivait de loin les audiences de Reed Smoot. Joseph Tanner, son
ami et mentor, aujourd’hui responsable des établissements scolaires de
l’Église et conseiller dans la présidence générale de l’École du
Dimanche, faisait partie des saints appelés à témoigner devant le
comité du Sénat. Ayant épousé plusieurs femmes après le Manifeste, il
refusa de se soumettre à l’enquête et se réfugia au Canada.
Fin avril, il écrivit à John sous un
pseudonyme : « Je ne suis pas du tout inquiet. Quand l’affaire Smoot
sera terminée, nous aurons du repos, peut-être pour un moment. »
Comme d’autres saints, John pensait
que les audiences de Smoot n’étaient qu’une nouvelle épreuve de foi
pour l’Église. Il était de retour à Logan avec sa femme, Leah, et leurs
enfants. En plus de leur fille, Anna, ils avaient maintenant un fils,
Marsel, et Leah était enceinte. En février 1902, un autre de leurs
enfants, John fils, était décédé quelques mois avant son premier
anniversaire.
Les autres membres de la famille
Widtsoe vivaient loin. En 1903, la mère de John, Anna, et sa tante,
Petroline Gaarden, avaient quitté l’Utah pour faire une mission en
Norvège, leur pays natal. Dans une lettre à Leah, Anna décrivit leur
travail : « Nous avons retrouvé nombre de vieux amis et leur avons
parlé de l’Évangile ; beaucoup d’entre eux n’avaient jamais eu de
conversation avec un saint des derniers jours auparavant. Nous frappons
à la porte de la ‘tradition’ mais elle n’est pas facile à ouvrir. »
Osborne, le frère cadet de John,
venait de terminer une mission à Tahiti. Il étudiait désormais la
littérature anglaise à Harvard.
Leah travaillait à la maison avec les
enfants et œuvrait au sein du bureau de la Société d’Amélioration
Mutuelle des jeunes femmes de son pieu. Elle écrivait également des
leçons mensuelles sur l’économie domestique pour le Young Woman’s
Journal. Chaque leçon faisait partie d’un programme annuel que les
jeunes femmes de l’Église étudiaient et dont elles discutaient lors de
leurs réunions de la SAM des jeunes femmes. Leah abordait chaque thème
de manière scientifique, s’appuyant sur sa formation universitaire pour
enseigner à ses lectrices la cuisine, l’aménagement de la maison, les
premiers secours et les soins médicaux de base.
John enseignait la chimie à
l’université d’agriculture, dirigeait la station d’expérimentation de
l’école et faisait des recherches sur les moyens d’améliorer
l’agriculture malgré le climat sec de l’Utah. Son travail le conduisait
dans les villes rurales de tout l’État, où il enseignait aux
agriculteurs comment obtenir de meilleures récoltes grâce à la science.
De plus, il était président de la SAM des jeunes gens de sa paroisse et
membre du bureau de l’École du Dimanche de pieu. Comme Leah, il
écrivait régulièrement des articles pour les magazines de l’Église.
John éprouvait de la compassion à
l’égard des jeunes saints qui avaient du mal, comme lui autrefois, à
concilier la connaissance de l’Évangile et l’apprentissage profane. De
plus en plus de personnes adhéraient à l’idée que la science et la
religion étaient incompatibles. Pourtant, il croyait qu’elles étaient
toutes deux sources de principes divins et éternels et qu’elles
pouvaient s’accorder.
Depuis peu, il avait commencé à
publier une série d’articles intitulée « Joseph Smith, homme de science
[Joseph Smith as Scientist] » dans le magazine officiel de la SAM des
jeunes gens, l’Improvement Era. Chaque article expliquait comment
l’Évangile rétabli laissait présager certaines découvertes
scientifiques modernes majeures. Dans son article « Le temps géologique
[Geological Time] », John expliquait, par exemple, comment des passages
du livre d’Abraham confirmaient le point de vue scientifique selon
lequel la terre avait bien plus de six mille ans, contrairement aux
estimations de certains biblistes. Dans un autre article, il soulignait
les points communs entre des aspects de la théorie controversée de
l’évolution et la doctrine de la progression éternelle.
Ses articles furent très appréciés.
Joseph F. Smith, rédacteur en chef de l’Improvement Era, en fit l’éloge
dans une lettre qu’il lui envoya. Son seul regret était de ne pas
pouvoir le rémunérer pour ce travail. Il expliqua : « Comme certains
d’entre nous, vous devrez, pour le moment du moins, considérer que
votre salaire est la certitude que vous avez fait du bon travail qui
profitera aux garçons et aux filles de Sion. »
L’apôtre Francis Lyman nota dans son
journal : « Nous sommes désormais dans une situation très critique. »
Le témoignage de Joseph F. Smith lors de l’audience de Reed Smoot
n’avait pas rassuré le comité du Sénat concernant les mariages pluraux
contractés dans l’Église après le Manifeste. À cela s’ajoutait le
départ à l’étranger des apôtres John W. Taylor et Matthias Cowley, qui,
sur les conseils des dirigeants de l’Église, étaient partis peu après
avoir été convoqués par le comité pour témoigner lors des auditions.
Comme Joseph Tanner et d’autres membres de l’Église, les deux hommes
avaient épousé plusieurs femmes après le Manifeste. Ils avaient
également officié lors de nombreux mariages pluraux et avaient incité
les saints à continuer de vivre cette pratique.
En tant que président des Douze,
Francis Lyman avait décidé que tous les membres du collège devaient se
conformer au Second Manifeste qui venait d’être publié. Il envoya des
lettres à plusieurs apôtres, les informant de la détermination de la
Première Présidence à mettre en application la déclaration. Il écrivit
: « Il est bon que nous comprenions tous de la même manière cette
question importante et que nous nous comportions en conséquence afin
qu’il n’y ait ni dissensions ni conflits parmi nous. »
Plus tard, le président Smith chargea
Francis Lyman de veiller à ce qu’il n’y ait plus de mariages pluraux
célébrés au sein de l’Église. Depuis la fin des années 1880, certains
apôtres avaient été autorisés à officier lors de scellements en dehors
des temples dans les régions éloignés. En septembre 1904, le président
Smith déclara que tous les scellements devaient désormais avoir lieu
dans le temple, empêchant ainsi les saints de contracter des mariages
pluraux légitimes au Mexique, au Canada ou ailleurs. Francis informa
rapidement les apôtres de cette décision.
En décembre, le président Smith
l’envoya auprès de John W. Taylor pour le persuader de témoigner aux
audiences de Reed Smoot. Francis Lyman trouva frère Taylor au Canada et
l’incita à suivre le conseil du prophète. Finalement, John W. Taylor
accepta de témoigner et se prépara à partir pour Washington.
Ce soir-là, Francis se coucha,
satisfait d’avoir rempli sa mission. À trois heures du matin, il se
réveilla en tremblant. La pensée de John W. Taylor témoignant à
l’audience le perturbait. Cet apôtre était profondément attaché au
mariage plural. S’il admettait qu’il avait officié lors de mariages
pluraux après la publication du Manifeste, il mettrait l’Église dans
l’embarras et anéantirait les chances de Reed Smoot de siéger au Sénat.
Un sentiment de calme et de paix
remplit l’esprit de Francis quand il envisagea de conseiller à John W.
Taylor de ne pas aller à Washington. Il demanda au Seigneur de lui
confirmer que c’était la chose à faire. Un doux sommeil l’enveloppa et
il rêva qu’il voyait le président Woodruff. Surpris et plein d’émotion,
il l’appela et le prit dans ses bras. Puis il se réveilla, confiant
dans sa nouvelle décision. Il alla immédiatement voir John W. Taylor et
lui raconta son rêve. Ce dernier s’apprêtait à partir pour Washington
mais il fut soulagé lorsque son ami lui conseilla de ne pas y aller.
Peu de temps après, Francis Lyman
rentra à Salt Lake City. Joseph F. Smith approuva le déroulement de sa
mission au Canada mais le problème des deux apôtres n’était pas réglé.
Le président Smith savait qu’il devait prouver que l’Église était
fermement décidée à mettre fin au mariage plural. Pour satisfaire le
comité du Sénat, il devait officiellement écarter John W. Taylor et
Matthias Cowley de la direction de l’Église, soit en engageant une
procédure disciplinaire, soit en leur demandant de démissionner. Aucune
des deux options ne lui plaisait.
Les dirigeants de l’Église étaient
divisés quant à la manière de gérer la crise. En octobre 1905, les
conseillers de Reed Smoot les avertirent du fait que l’Église devait
agir rapidement. Plus tôt dans l’année, le sénateur avait fait la
promesse au comité que les autorités de l’Église prendraient en
considération les accusations portées contre John W. Taylor et Matthias
Cowley. Six mois plus tard, aucune mesure n’avait été prise et
l’honnêteté de Reed était maintenant remise en question par certains
sénateurs. Si les dirigeants de l’Église repoussaient encore le moment
de s’attaquer au problème, cela reviendrait à dire au monde entier
qu’ils avaient fait preuve de mauvaise foi lorsqu’ils avaient affirmé
qu’ils s’opposaient activement à la polygamie.
Les deux apôtres furent convoqués au
siège de l’Église et, au cours de la semaine, les Douze se réunirent
chaque jour pour discuter de ce qu’il fallait faire. Au début, John W.
Taylor et Matthias Cowley justifièrent leurs actions, établissant une
distinction entre le refus de l’Église de soutenir dorénavant le
mariage plural et leur choix personnel de continuer à contracter de
nouveaux mariages. Cependant, aucun des deux hommes n’acceptait
pleinement le Second Manifeste, ce qui les mettait en porte-à-faux avec
l’Église.
Finalement, les membres du collège
demandèrent aux deux apôtres de signer une lettre de démission. John W.
Taylor refusa d’abord de le faire. Il les accusa de céder à la pression
politique. Matthias Cowley répondit de manière plus modérée, mais il
était tout aussi réticent. Finalement, les deux hommes souhaitèrent
faire ce qui était le mieux pour l’Église. Ils signèrent donc les
lettres, prêts à sacrifier leur place au sein des Douze pour le bien de
tous.
Ce jour-là, Francis Lyman écrivit
dans son journal : « Ce fut une épreuve très douloureuse et très
difficile. Nous étions tous profondément affligés par la situation. »
John W. Taylor et Matthias Cowley quittèrent la réunion avec la
bénédiction de leurs frères, qui les traitèrent avec bienveillance.
Même si les Douze leur permirent de rester membres de l’Église et de
conserver leur statut d’apôtre, ils n’étaient plus membres du collège.
Deux mois plus tard, le matin du 23
décembre 1905, Susa Gates monta dans une voiture dans le Vermont, dans
le nord-est des États-Unis. Joseph Smith, le prophète, était né
exactement cent ans plus tôt dans une ferme située à environ cinq
kilomètres à l’est, dans le petit village de Sharon. Susa et une
cinquantaine de saints s’y rendaient pour consacrer un monument à sa
mémoire.
Joseph F. Smith menait le groupe. Les
audiences de Reed Smoot étant toujours en cours, il était constamment
surveillé par des représentants du gouvernement et des journalistes.
Plus tôt cette année-là, le Salt Lake Tribune avait publié les paroles
qu’il avait prononcées lors de son audition, ainsi que d’autres
articles qui semaient le doute sur son appel de prophète et sur son
intégrité personnelle.
On y lisait : « Joseph F. Smith a
affirmé publiquement qu’il ne reçoit pas de révélations venant de Dieu
pour guider l’église mormone et qu’il n’en a jamais reçues. Jusqu’où
les mormons suivront-ils ce genre de dirigeant ? » En lisant ces
éditoriaux, certains saints furent troublés et se posèrent de
nombreuses questions.
Comme Joseph F. Smith était le neveu
de Joseph Smith, il avait des raisons très personnelles de se rendre
dans le Vermont. De surcroît, la consécration lui donnerait une
nouvelle occasion de parler publiquement de l’Église et de témoigner de
l’œuvre divine du Rétablissement.
Une fois Susa et le groupe installés
dans leurs voitures, ils se mirent en route pour le lieu de la
cérémonie de consécration. La ferme se trouvait au sommet d’une colline
voisine, et les routes de campagne escarpées étaient boueuses à cause
de la neige fondante. Des ouvriers locaux avaient transporté le
monument de cent tonnes sur les mêmes routes, morceau par morceau. À
l’origine, ils avaient prévu de faire simplement tirer le chargement
par des animaux de trait. Cependant, un attelage de vingt chevaux
puissants ne parvint pas à faire bouger l’ouvrage en pierre. Les
ouvriers passèrent alors près de deux mois exténuants à traîner le
monument en haut de la colline à l’aide d’un système de cordes et de
poulies actionné par des chevaux.
En approchant de la ferme, après le
dernier virage, le groupe ne put contenir sa surprise. Devant eux
s’élevait un obélisque en granit poli de trente-huit pieds et demi de
haut (onze mètres cinquante), un pied pour chaque année de la vie de
Joseph Smith. Le monument se tenait sur un grand piédestal sur lequel
se trouvait une inscription témoignant de la mission sacrée du
prophète. Les paroles de Jacques 1:5, le verset qui l’avait poussé à
rechercher la révélation de Dieu, ornaient le sommet du piédestal.
Junius Wells, qui avait conçu le
monument, retrouva le groupe dans une maisonnette construite sur les
fondations de l’endroit où était né Joseph Smith. En entrant dans la
maison, Susa contempla la pierre grise et plate de l’âtre, que les
constructeurs avaient conservée de la maison d’origine. La plupart des
saints qui avaient connu personnellement le prophète étaient maintenant
décédés. Mais cet âtre était un témoin durable de sa vie. Susa
l’imaginait en train de jouer devant quand il était enfant.
La cérémonie commença à onze heures.
En consacrant le monument, le président Smith rendit grâce pour le
rétablissement de l’Évangile et demanda une bénédiction particulière
sur les habitants du Vermont qui avaient participé à la construction du
monument. Il consacra le site afin qu’il soit un endroit où les gens
pourraient venir méditer, en apprendre davantage sur la mission de
Joseph Smith, le prophète, et se réjouir du Rétablissement. Il compara
les fondations du monument aux fondations de l’Église représentées par
les prophètes et les apôtres, Jésus-Christ étant la pierre angulaire.
Il fit également le parallèle entre sa base et le rocher de la
révélation sur lequel l’Église était édifiée.
Au cours des jours suivants, Susa,
Joseph F. Smith et d’autres saints visitèrent quelques sites de
l’Église dans l’est des États-Unis. Sous la direction du président
Smith, l’Église avait commencé à acheter plusieurs sites sacrés de son
histoire, notamment la prison de Carthage où le père et l’oncle de
Joseph F. Smith avaient été tués. D’autres sites historiques dans les
États de l’Est ne leur appartenaient pas. Toutefois les propriétaires
autorisaient généralement les saints à les visiter.
À Manchester, dans l’État de New
York, le groupe traversa avec recueillement les bois où Joseph Smith
avait vu le Père et le Fils pour la première fois. Pendant sa vie, le
prophète et d’autres saints avaient occasionnellement témoigné
publiquement de sa vision. Mais dans les décennies qui avaient suivi la
mort de Joseph, Orson Pratt et d’autres dirigeants de l’Église avaient
souligné le rôle essentiel qu’elle avait joué dans le rétablissement de
l’Évangile. Un compte-rendu de cet événement faisait maintenant partie
des Écritures, étant publié dans la Perle de grand prix. Les
missionnaires le citaient fréquemment dans leurs discussions avec les
non-membres.
Un profond sentiment d’émerveillement
mêlé d’admiration enveloppait Susa et les personnes qui
l’accompagnaient tandis qu’elles méditaient sur cet événement sacré. «
Ici, le garçon s’est agenouillé avec une foi absolue », pensa-t-elle. «
Ici, enfin, les fontaines de la terre ont débordé, et la vérité, somme
de l’existence, a déferlé par les rayons de la révélation directe. »
Plus tard, sur le chemin de retour
vers l’Utah, le président Smith dirigea une petite réunion de
témoignage à bord du train. Il déclara : « Ce n’est pas moi, ni aucun
homme, pas même Joseph Smith, le prophète, qui est à la tête de cette
œuvre, qui la dirige. C’est Dieu, par l’intermédiaire de son Fils,
Jésus-Christ. »
Le message émut Susa. Elle était
émerveillée par l’amour du Sauveur pour les enfants de Dieu. Elle
constata : « Les hommes ne sont que des hommes, donc faibles ! Mais
Jésus-Christ est le Seigneur du monde entier. »
Pendant que les saints participaient
à la consécration du mémorial de Joseph Smith, Anna Widtsoe et
Petroline Gaarden étaient toujours en Norvège, où elles prêchaient
l’Évangile. Plus de deux ans s’étaient écoulés depuis qu’elles avaient
quitté l’Utah. Leur appel en mission avait été inattendu mais bienvenu.
Elles étaient toutes deux enthousiastes à l’idée de retourner sur leur
terre natale pour faire connaître leur foi en l’Évangile rétabli à leur
famille et leurs amis.
En 1903, quand elles arrivèrent en
Norvège, Anthon Skanchy, l’un des missionnaires qui avaient enseigné
l’Évangile à Anna dans les années 1880, était le président de la
mission scandinave. Il les affecta à la région de Trondheim, en
Norvège, où Anna vivait lorsqu’elle était devenue membre de l’Église.
De là, les sœurs prirent un bateau pour se rendre dans leur village
natal, Titran, situé sur une grande île au large de la côte ouest de la
Norvège. En arrivant sur l’île, Anna était inquiète. Vingt ans plus
tôt, les habitants l’avaient rejetée quand elle était devenue membre de
l’Église. Les accepteraient-ils, elle et sa religion, cette fois-ci ?
La nouvelle s’était répandue
rapidement que les sœurs étaient revenues en tant que missionnaires
saintes des derniers jours. Au début, ni amis ni parents ne voulaient
les héberger. Anna et Petroline persistèrent et finalement, quelques
personnes leur ouvrirent leur porte.
Un jour, les sœurs se rendirent chez
leur oncle, Jonas Haavig, et sa famille. Tout le monde semblait sur ses
gardes, prêt à débattre des croyances des sœurs. Anna et Petroline
évitèrent le sujet de la religion et la première soirée s’acheva sans
conflit. Mais le lendemain matin, après le petit-déjeuner, leur
cousine, Marie, commença à leur poser des questions épineuses sur
l’Évangile, essayant de créer une dispute.
Anna répondit : « Marie, j’étais
déterminée à ne pas te parler de religion, mais maintenant, tu vas
écouter ce que j’ai à dire. » Elle rendit un témoignage puissant que sa
cousine écouta en silence. Pourtant, Anna sentit que ses paroles
n’avaient aucun effet. Plus tard dans la journée, elle quitta la maison
avec Petroline, le cœur brisé par ce qui s’était passé.
Un peu plus tard, elles repartirent à
Trondheim, mais elles se rendirent plusieurs fois à Titran au cours des
deux années suivantes. Avec le temps, les habitants devinrent plus
accueillants et Anna et Petroline finirent par être invitées dans
toutes les maisons du village. Leur travail dans les autres régions de
Norvège était tout aussi éprouvant mais les sœurs étaient
reconnaissantes d’avoir déjà eu l’occasion de servir au sein de
l’Église avant de partir en mission.
Elles étaient également
reconnaissantes de parler norvégien avant leur arrivée. Dans une lettre
adressée à John, Anna expliquait : « En toute occasion, nous sommes
plus promptes à parler que les jeunes missionnaires qui ne connaissent
pas la langue, ni quand ils arrivent ni quand ils rentrent chez eux. »
Même si le travail de missionnaire
rendait Anna heureuse, sa famille en Utah lui manquait. John, Osborne
et Leah lui écrivaient régulièrement. Au cours de l’été 1905, John
l’informa qu’il avait perdu son emploi à l’université d’agriculture :
l’administration de l’école l’avait congédié, lui et deux autres
membres fidèles de l’Église. L’université Brigham Young, précédemment
appelée académie Brigham Young, à Provo, l’embaucha immédiatement pour
diriger son département de chimie. Depuis sa fondation en 1875,
l’établissement était devenu l’institution d’enseignement supérieur
principale de l’Église ; John accepta le poste avec joie.
De son côté, Osborne reçut son
diplôme de Harvard et obtint un poste de directeur du département
d’anglais de l’université des saints des derniers jours à Salt Lake
City.
« Dieu a été bon avec nous, écrivit
Anna à John dans une lettre. Je crois qu’avec l’aide du Seigneur, nous
avons réussi à faire du bien. Notre travail a porté beaucoup de fruits
ici, et j’espère que Dieu nous soutiendra pendant la nouvelle année
comme il l’a fait l’année passée. Je prie pour cela. »
En janvier 1906, les dirigeants de la
mission chargèrent Anna et Petroline de rester à Trondheim pour
terminer leur mission auprès des membres de leur famille et pour faire
des recherches généalogiques. Leurs proches n’étaient toujours pas
intéressés par l’Évangile. Cependant, les sœurs ne ressentaient plus
d’hostilité ni de méfiance de leur part. Ce changement les réconforta.
Elles avaient fait leur part pour servir le Seigneur en Norvège.
Cet été-là, les saints européens
apprirent que le président Smith effectuait une brève visite sur leur
continent. La nouvelle enthousiasma Jan Roothoff, âgé de onze ans,
surtout lorsqu’il apprit que le prophète viendrait d’abord aux
Pays-Bas, où vivait le jeune garçon. Il était tellement heureux qu’il
ne parlait plus que de cela.
Plusieurs années auparavant, il avait
eu une maladie des yeux qui l’avait rendu sensible à la lumière. Sa
mère, Hendriksje, l’élevait seule. Elle ne l’envoya pas à l’école et
veilla à son confort en accrochant des rideaux pour qu’il puisse jouer
dans le noir. Il finit par devenir aveugle et les médecins dirent à sa
mère qu’il ne retrouverait jamais la vue.
Jan portait désormais des bandages
sur les yeux afin de les protéger de la lumière. Néanmoins, il savait
que si quelqu’un pouvait le guérir, c’était bien un prophète de Dieu.
Il dit : « Mère, c’est le missionnaire le plus puissant. Il suffit
qu’il me regarde dans les yeux et je serai guéri. »
La mère du garçon croyait que le
Seigneur pouvait le guérir, mais elle hésitait à l’encourager à
solliciter l’aide du président Smith. Elle expliqua : « Le président
est très occupé en ce moment. Il y a des centaines de personnes qui
veulent le voir. Tu n’es qu’un jeune garçon, mon fils, nous ne devons
pas le déranger. »
Le 9 août 1906, Jan et sa mère
assistèrent à une réunion exceptionnelle à Rotterdam, où le président
Smith s’adressa à environ quatre cents saints. En l’écoutant parler,
Jan essaya de l’imaginer. Avant de perdre la vue, il avait vu une photo
du prophète et il se souvenait de son visage bienveillant. Maintenant,
il pouvait aussi entendre la bonté dans sa voix, même s’il devait
attendre qu’un missionnaire traduise ses paroles en néerlandais pour
pouvoir le comprendre.
Le président Smith parla du pouvoir
des missionnaires. Il déclara : « Leur travail consiste à venir à vous
et à vous montrer la plus grande lumière, afin que vos yeux voient, que
vos oreilles s’ouvrent, que votre cœur soit touché par l’amour de la
vérité. »
La foi de Jan ne faiblissait pas.
Après la réunion, sa mère le conduisit vers une porte où le président
Smith et sa femme, Edna, saluaient les saints. Hendriksje dit : « C’est
le président, mon petit Jan. Il veut te serrer la main. »
En le prenant par la main, le
président Smith retira les bandages de Jan. Il toucha ensuite la tête
du garçon et regarda ses yeux enflammés. Il dit : « Que le Seigneur te
bénisse, mon garçon. Il exaucera les désirs de ton cœur. »
Jan ne comprit pas les paroles que le
président Smith prononça en anglais, mais il sentait déjà que ses yeux
allaient mieux. De retour à la maison, il ne pouvait contenir sa joie.
Il retira ses bandages et regarda vers la lumière. Il s’exclama : « Tu
vois, maman ; ils sont guéris ! Je vois ! »
Sa mère se précipita vers lui et
testa sa vision de toutes les manières possibles et imaginables. Jan
voyait en effet tout aussi bien qu’avant sa maladie.
Il demanda : « Maman, le nom du président est Joseph F. Smith, n’est-ce pas ? »
– Oui, répondit-elle. C’est le neveu de Joseph Smith, le prophète.
– Je prierai toujours pour lui. Je sais qu’il est un véritable prophète. »
Après avoir quitté Rotterdam, Joseph
F. Smith et les personnes qui l’accompagnaient se rendirent en
Allemagne, où vivaient environ trois mille saints. De toutes les
missions de l’Église, la mission suisse-allemande était celle qui
connaissait la croissance la plus rapide. Pourtant, les lois allemandes
sur la liberté religieuse ne reconnaissaient pas l’Église et ne la
protégeaient pas des persécutions, qui augmentèrent quand des rapports
scandaleux sur les audiences de Reed Smoot atteignirent l’Europe.
Certains prédicateurs allemands, piqués au vif par la perte de membres
de leurs congrégations, s’unirent à la presse pour monter l’opinion
publique contre les saints. La police chassait les missionnaires des
villes et empêchait les membres de l’Église de se réunir, d’administrer
la Sainte-Cène et d’utiliser le Livre de Mormon ou d’autres Écritures
modernes.
Après un arrêt à Berlin pour
rencontrer des membres locaux de l’Église, des missionnaires et
quelques saints des derniers jours américains venus étudier la musique,
le président Smith et les personnes qui l’accompagnaient partirent vers
le sud jusqu’en Suisse. Lors d’une conférence à Berne, le prophète
conseilla aux saints de se soumettre à leur gouvernement local et de
respecter les croyances religieuses des autres personnes. Il déclara :
« Nous ne souhaitons pas imposer nos idées aux gens mais plutôt
expliquer la vérité telle que nous la comprenons. Nous laissons les
personnes libres de l’accepter ou de la refuser. » Il expliqua que le
message de l’Évangile rétabli était la paix et la liberté.
Il ajouta : « L’un de ses effets les
plus glorieux sur les gens est qu’il les libère des chaînes de leurs
péchés, les purifie, les met en harmonie avec le ciel, en fait des
frères et sœurs au sein de l’alliance de l’Évangile et leur apprend à
aimer leurs semblables ».
Le président Smith conclut son sermon
par une prophétie : « Le temps viendra, peut-être pas de mon vivant ni
même dans la prochaine génération, où les temples de Dieu qui sont
consacrés aux saintes ordonnances de l’Évangile seront établis dans
divers pays de la terre.
Car cet Évangile doit se répandre
dans le monde entier, jusqu’à ce que la connaissance de Dieu couvre la
terre comme les eaux couvrent le grand abîme. »
Chapitre 9 : Lutter et se battre
En septembre 1906, tandis que Joseph
F. Smith revenait de son voyage en Europe, l’avenir du sénateur Reed
Smoot restait incertain. Cinq mois auparavant, lors de la conférence
générale, Francis Lyman avait annoncé publiquement la démission des
apôtres John W. Taylor et Matthias Cowley. Joseph Tanner avait
également été relevé de ses appels de dirigeant.
Ces démissions, ainsi que le décès
récent de l’apôtre Marriner Merrill, avaient laissé trois places
vacantes au sein du Collège des douze apôtres. George F. Richards,
Orson F. Whitney et David O. McKay furent appelés à les remplir.
L’annonce des démissions semblait
avoir eu un effet positif sur de nombreux collègues de Reed Smoot au
Sénat. Il avait fait ce rapport aux dirigeants de l’Église : « D’après
ce que j’ai entendu, les sénateurs estiment généralement que les
mesures prises lors de la dernière conférence sont une preuve de la
bonne foi de l’Église et particulièrement du président Smith. »
Ce n’était pas le cas des membres du
comité du Sénat chargés de l’enquête qui, pour la plupart, restaient
méfiants. Après avoir terminé leur enquête, ils votèrent en faveur de
la recommandation de démettre Reed de ses fonctions.
En février 1907, le Sénat au complet
se pencha finalement sur la question, quatre ans après le début de
l’affaire. Le comité avait constitué un dossier de plus de trois mille
pages de témoignages provenant de plus d’une centaine de témoins,
hostiles et amicaux. En examinant ce dossier, les sénateurs tinrent
également compte de leurs interactions personnelles avec Reed, qui
avait gagné le respect de beaucoup à Washington, DC. Le président des
États-Unis, Theodore Roosevelt, le soutenait ardemment et incita
fortement le Sénat à voter en sa faveur. Lorsque les sénateurs se
prononcèrent finalement sur la question, leur vote ne tint pas compte
de la recommandation du comité et ils permirent à Reed Smoot de
conserver son poste de sénateur.
Quelques jours plus tard, Joseph F.
Smith écrivit une lettre pour féliciter Reed Smoot et remercier les
sénateurs d’avoir pris une décision juste. Il souhaitait que les gens
apprennent à mieux connaître les saints. Il écrivit : « Si c’était le
cas, l’incompréhension actuelle et l’image fausse et tant répandue de
l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours disparaîtraient
à jamais. »
Quelques semaines plus tard, dans son
discours d’ouverture de la conférence générale d’avril 1907, le
président Smith annonça d’autres bonnes nouvelles. Il déclara : « La
dîme de l’année 1906 a dépassé celle de toutes les autres années.
Aujourd’hui, l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ne
doit pas un dollar qu’elle ne peut payer immédiatement. Nous sommes
enfin en mesure de payer comptant. »
Il loua la fidélité des saints et
expliqua : « Nous n’avons plus besoin d’emprunter, et nous n’aurons
plus à le faire si les saints des derniers jours continuent à vivre
leur religion et à obéir à cette loi de la dîme. »
Après son sermon, le président Smith
demanda à Orson F. Whitney de lire la déclaration publique que la
Première Présidence et les Douze avaient préparée concernant les
croyances et les valeurs des saints des derniers jours. Elle répondait
à de nombreuses accusations portées contre l’Église et ses membres au
cours des audiences de Reed Smoot. Elle fournissait également aux
saints un résumé officiel des pratiques et des principes fondamentaux
de l’Évangile. On y lisait : « Notre religion est fondée sur les
révélations de Dieu. L’Évangile rétabli sur la terre que nous
proclamons est celui du Christ. »
La déclaration décrivait les saints
comme un peuple honnête, ouvert d’esprit, intelligent et pieux. Elle
témoignait également de leur attachement au foyer et à la famille, y
compris au mariage monogame. Elle déclarait : « Le foyer ‘mormon’
typique est le temple de la famille. Le peuple ‘mormon’ s’est soumis
respectueusement aux lois promulguées contre le mariage plural. »
La déclaration expliquait en outre
les principes relatifs au libre arbitre, à la dîme et au rôle directeur
de la prêtrise. Elle attestait du patriotisme des saints, de leur
allégeance aux gouvernements de la terre et de leur engagement en
faveur de la séparation de l’Église et de l’État. Elle affirmait aussi
: « Nous souhaitons vivre en paix avec nos concitoyens de tous les
partis politiques et de toutes les religions et entretenir des
relations de confiance. »
La déclaration expliquait que
l’objectif de l’Évangile rétabli était d’édifier la société et non de
la détruire. On y lisait encore : « Notre religion est intimement liée
à notre vie, elle a formé notre caractère et la véracité de ses
principes est gravée dans notre âme. »
Quand frère Whitney eut terminé de
lire la déclaration, Francis Lyman expliqua qu’elle avait été soutenue
par le Collège des douze apôtres. Sur invitation du président Smith,
l’assemblée vota à l’unanimité pour adopter et soutenir son message.
Le 16 avril 1908, Jane Manning James,
l’une des premières saintes des derniers jours noires, décéda dans sa
maison de Salt Lake City. En septembre 1847, elle était arrivée dans la
vallée du lac Salé avec son mari et ses enfants. Ils faisaient partie
de la première compagnie de saints à suivre celle de Brigham Young vers
l’ouest. Depuis, elle était bien connue dans toute la ville. Elle était
fière de ses dix-huit petits-enfants et de ses sept
arrière-petits-enfants. Avec son frère Isaac, elle assistait aux
réunions de l’Église dans le tabernacle de Salt Lake City et tous les
deux participaient souvent aux réunions des « plus âgés » et des
pionniers de l’Église.
Ses funérailles eurent lieu dans la
huitième paroisse de Salt Lake City. La salle de culte était bondée
d’amis de Jane, noirs et blancs, venus évoquer sa vie. La salle était
remplie de fleurs pour honorer la foi et la bonté de cœur de la défunte.
Elizabeth Roundy, l’une de ses amies,
lut une ébauche autobiographique que Jane lui avait dictée quelques
années auparavant. Elle était née libre à une époque où l’esclavage
était encore légal et où les noirs du monde entier étaient souvent
considérés comme socialement inférieurs. Son autobiographie racontait
l’histoire de sa conversion dans l’est des États-Unis, la marche de sa
famille pour parcourir près de mille deux cents kilomètres jusqu’à
Nauvoo, et sa vie et son travail auprès de la famille de Joseph Smith,
le prophète. Elle mentionnait également le fait qu’à deux reprises,
Emma Smith avait invité Jane à être adoptée dans sa famille et celle de
Joseph.
Vers la fin de son autobiographie,
Jane avait rendu un témoignage fervent. À ce moment-là, elle était
veuve, avait enterré tous ses descendants, sauf deux de ses enfants et
dix de ses petits-enfants ; elle était alors presque aveugle mais
affirmait : « Le Seigneur me protège et prend bien soin de moi dans mon
impuissance ; j’affirme que ma foi en l’Évangile de Jésus-Christ tel
qu’il est enseigné au sein de l’Église de Jésus-Christ des Saints des
Derniers Jours est aussi forte aujourd’hui, non, elle est même plus
forte que le jour où je me suis fait baptiser. »
Joseph F. Smith prit la parole lors
des obsèques. Au fil des ans, Jane l’avait sollicité afin de recevoir
les ordonnances du temple pour elle-même et pour les membres de sa
famille décédés. Elle désirait ardemment recevoir sa dotation et être
scellée à une famille. Mais, depuis le début des années 1850, l’Église
avait interdit aux saints d’ascendance africaine de détenir la prêtrise
ou de recevoir les ordonnances du temple, à l’exception du baptême pour
les morts. Les explications concernant ces restrictions variaient, mais
ce n’étaient que des spéculations, et non la parole de Dieu. Brigham
Young avait promis que tous les saints, quelle que soit leur race,
recevraient un jour toutes les ordonnances et les bénédictions de
l’Évangile.
Comme d’autres saints noirs, Jane
avait accompli des baptêmes pour les morts de sa famille. Elle avait
également demandé à être dotée puis scellée par procuration à Walker
Lewis, l’un des rares saints noirs à détenir la prêtrise avant l’entrée
en vigueur de la restriction. À plusieurs reprises, elle avait demandé
à être scellée par adoption à la famille de Joseph Smith. Néanmoins, à
chaque fois qu’elle demandait à être dotée ou scellée, Joseph F. Smith
ou un autre dirigeant de l’Église confirmait la restriction de l’Église
à ce sujet.
Avec l’aide de Zina Young, présidente
générale de la Société de Secours, Jane reçut l’autorisation des
dirigeants de l’Église d’être unie pour l’éternité à la famille de
Joseph Smith. En réponse à sa demande, ils préparèrent une cérémonie
par procuration qui unissait Jane à la famille en tant que servante.
Zina Young représentait Jane tandis que Joseph F. Smith représentait
Joseph Smith, le prophète.
La cérémonie n’avait pas satisfait
Jane mais elle était restée fidèle. Elle déclara : « Je paye ma dîme et
mes offrandes, je respecte la Parole de Sagesse. Je me couche tôt et me
lève de bonne heure. Je m’efforce, à ma petite échelle, de montrer un
bon exemple à tous. »
En 1902, Jane demanda au patriarche,
John Smith, le frère aîné de Joseph F. Smith, quand elle serait
autorisée à recevoir sa dotation. Il lui répondit : « Soyez patiente et
attendez encore un peu. » Il lui certifia que le Seigneur veillait sur
elle. Il promit que le Seigneur « serait extrêmement bon avec elle,
bien plus qu’elle ne pouvait l’imaginer ». Jusqu’à la fin de sa vie,
Jane garda l’espoir de recevoir un jour toutes les bénédictions du
temple.
Après ses funérailles, Jane fut
inhumée dans le cimetière de Salt Lake City. Le magazine Deseret News
fit son éloge en ces termes : « Peu de personnes se sont distinguées
par leur foi et leur fidélité comme l’a fait Jane Manning James. Bien
qu’issue des humbles de la terre, elle avait des centaines d’amis et de
connaissances. »
En juillet 1909, le Salt Lake Tribune
commença à publier les noms d’hommes qui avaient prétendument contracté
de nouveaux mariages pluraux depuis le Manifeste. Cette démarche
inquiéta la Première Présidence et le Collège des douze apôtres. Joseph
F. Smith chargea immédiatement les apôtres Francis Lyman, John Henry
Smith et Heber J. Grant d’enquêter sur cette affaire et d’engager des
procédures disciplinaires à l’encontre des saints qui avaient enfreint
les règles de l’Église sur le mariage plural depuis le Second Manifeste.
L’enquête dura plus d’un an et deux
hommes ayant récemment contracté de nouveaux mariages pluraux ou en
ayant célébrés furent excommuniés. Par ailleurs, la Première Présidence
envoya une lettre à toutes les présidences de pieu leur demandant
d’ordonner aux évêques de sanctionner les contrevenants au Second
Manifeste. On y lisait : « Nous considérons que toute personne qui
enfreint cette règle importante non seulement commet une transgression
mais déshonore aussi l’Église. »
À cette époque, Pearson’s, magazine
populaire aux États-Unis, publia une série d’articles critiquant
l’Église. S’appuyant sur la liste des nouveaux mariages pluraux du Salt
Lake Tribune, les articles accusaient l’Église de malhonnêteté et de
corruption. Joseph F. Smith apprit également qu’un autre magazine
populaire, Everybody’s, prévoyait de publier des listes semblables
écrites par Frank Cannon, fils de George Q. Cannon.
Frank Cannon, ancien sénateur de
l’Utah, avait autrefois été consultant pour la Première Présidence.
Cependant, son alcoolisme, ses liaisons extra-conjugales et d’autres
actes répréhensibles avaient creusé un fossé entre les dirigeants de
l’Église et lui. Après la mort de son père, il devint un critique
acerbe de l’Église et de Joseph F. Smith. Or, son ancienne place parmi
les saints donnait à ses propos un semblant de crédibilité.
Lorsqu’ils apprirent les projets de
Frank Cannon, Joseph F. Smith et Anthon Lund écrivirent immédiatement
au rédacteur en chef de Everybody’s, l’avertissant que ses écrits
étaient faux et ne méritaient pas qu’on y fasse attention. Toutefois,
les rédacteurs des magazines de l’époque étaient souvent avides de
publier des histoires scandaleuses et ils commencèrent à publier les
articles de Franck Cannon. Les abonnements au magazine se multiplièrent
dans tout le pays.
Ce n’était pas la première fois qu’un
ancien saint des derniers jours attaquait publiquement l’Église. Ezra
Booth, John C. Bennett, Thomas Brown Holmes et Fanny Stenhouse, ainsi
que William Jarman avaient tous essayé de nuire à l’Église par leurs
écrits. Pourtant, la popularité croissante des articles de Frank Cannon
était décourageante.
Une fois de plus, l’Église était malmenée par l’opinion publique.
Une poignée d’étudiants saints des
derniers jours et de missionnaires de la mission suisse-allemande
applaudirent Emma Lucy Gates tandis qu’elle entrait sur la scène de
l’Opéra royal de Berlin pour son deuxième rappel. Depuis qu’elle était
arrivée en Allemagne avec John et Leah Widtsoe dix ans plus tôt, Lucy
était devenue une étoile montante de l’opéra européen. Or, c’était la
première fois qu’elle chantait dans cette salle célèbre. Elle ne déçut
pas son public.
Depuis la scène, Lucy ressentait la
foi et le soutien de ses amis saints, installés dans la galerie
supérieure. Ils l’appelaient leur « rossignol d’Utah ». Beaucoup
d’entre eux avaient prié pour que la représentation se passe bien ce
soir-là ; certains avaient même jeûné pour elle.
Les journaux saluèrent sa prestation.
Un critique écrivit : « La qualité de sa voix ne laisse rien à désirer
et sa technique fine et précise met en valeur le véritable art musical.
»
Même si certaines critiques faisaient
remarquer le manque de maîtrise de l’allemand de la jeune femme, aucune
ne mentionnait son État d’origine ni sa religion. Comme l’opposition à
l’Église continuait toujours d’augmenter en Allemagne et dans d’autres
régions d’Europe, Lucy n’avait pas fait connaître son appartenance à
l’Église à l’Opéra royal. La plupart des saints allemands étaient
harcelés dans leurs localités et les missionnaires recevaient
fréquemment des amendes ou bien étaient bannis, arrêtés et emprisonnés.
La professeur de chant de Lucy,
Blanche Corelli, l’avait suppliée de garder le secret sur sa religion
afin de protéger sa carrière. En écrivant à sa famille, Lucy raconta à
sa mère, Susa Gates, qu’elle s’était présentée à contrecœur comme
protestante à l’Opéra royal. Elle ne souhaitait pas cacher sa foi mais
elle ne voulait pas laisser les préjugés influencer son avenir.
Sa mère soutenait son choix et
l’informa qu’elle en avait parlé au président Smith, qui pensait que le
fait qu’elle garde le secret sur sa religion n’était pas gênant. Son
père, Jacob Gates, la soutenait également. Il écrivit : « Tu le fais
dans un but juste, et non parce que tu as honte de ce que tu sais être
vrai. »
Au cours de l’été 1910, l’opposition
allemande contre l’Église empira, ce qui amena Lucy à redouter de
s’afficher publiquement avec les saints de Berlin pendant le culte. La
police de la ville avait récemment arrêté vingt et un missionnaires,
touristes et étudiants saints des derniers jours. Les autorités les
libérèrent dix-huit heures plus tard et les prisonniers furent bannis
de la ville, au motif qu’ils étaient des « étrangers indésirables ».
Seuls quelques étudiants furent autorisés à rester, à condition de ne
pas fréquenter l’Église et de ne pas parler de l’Évangile.
En septembre, après avoir manqué
trois semaines de réunions à l’église, Lucy souhaitait ardemment
participer au culte avec d’autres saints et prendre la Sainte-Cène.
Elle proposa d’organiser des petites réunions de Sainte-Cène pour les
saints américains vivant à Berlin, comme elle l’avait fait avec Leah et
John à Göttingen. Mais comme toutes les réunions religieuses devaient
être enregistrées officiellement par la ville, le petit groupe se
réunit en secret.
Pendant ces réunions, les saints
américains prenaient la Sainte-Cène, chantaient des cantiques et
rendaient témoignage. En déménageant à Berlin, Lucy avait apporté
plusieurs livres de l’Église, dont les Écritures. Ainsi, au cours de
leur deuxième réunion, ils étudièrent les Doctrine et Alliances et
parlèrent de la doctrine de la résurrection pendant une heure.
Dans une lettre adressée à sa mère,
Lucy lui décrivit ces réunions et l’avertit : « S’il vous plaît, ne
parlez pas de ceci autour de vous. » Le gouvernement allemand
surveillait les nouvelles provenant de Salt Lake City. Si un article
mentionnant leurs réunions secrètes paraissait dans un journal en Utah
et que la police de Berlin l’apprenait, Lucy et ses amis courraient un
grand danger.
Elle poursuivit : « Nous pourrions être emprisonnés. Alors soyez prudents s’il vous plaît, vous tous qui lisez ceci. »
En janvier et février 1911, le
magazine McClure’s de New York publia un article en deux parties
intitulé « La résurgence de la polygamie chez les Mormons (The Mormon
Revival of Polygamy) » qui traitait du mariage plural après le
Manifeste. Avec la parution de ces articles, trois des magazines ayant
le plus grand tirage aux États-Unis attaquaient désormais l’Église. Des
millions de personnes les lisaient.
L’article de McClure’s estimait que
mille cinq cents voire deux mille mariages pluraux avaient été célébrés
au cours des vingt et une années qui avaient suivi la publication du
Manifeste. En réalité, il y en avait eu environ deux cent soixante,
mais cette inexactitude ne tempérait pas l’ardeur de l’auteur. Il
déclara : « Il semble improbable dans l’immédiat que cette pratique
disparaisse. » En fait, il pensait qu’il y avait suffisamment de jeunes
personnes qui contractaient de nouveaux mariages pluraux pour que la
pratique reste florissante pendant encore au moins cinquante ans.
L’article attira l’attention d’Ike
Russell, journaliste de New York, qui avait grandi dans une famille
membre de l’Église en Utah. Il était le petit-fils de l’apôtre Parley
P. Pratt et l’oncle de sa femme était le président de la mission de New
York. Ike s’était détourné de la religion à l’adolescence mais il se
tenait au courant de ce qu’il se passait en Utah et avait de
l’affection pour les saints.
Il était irrité par toutes les
informations fausses et trompeuses publiées dans l’article de
McClure’s. On voyait sur une page la photo de sept apôtres qui avaient
épousé d’autres femmes après le Manifeste. La légende disait : «
L’Église n’a excommunié aucun d’entre eux bien qu’ils aient enfreint la
révélation. » En fait, cinq de ces hommes étaient déjà décédés, et les
deux autres, John W. Taylor et Matthias Cowley, n’étaient plus membres
du collège. L’article ne précisait pas non plus que tous les apôtres
présentés, sauf un, avaient été remplacés depuis par des frères
monogames.
Ike écrivit au rédacteur en chef de
McClure’s pour lui signaler les nombreuses erreurs contenues dans
l’article. Il fit de même pour d’autres magazines, mais les rédacteurs
l’ignorèrent.
Il se sentit alors poussé à essayer
autre chose. L’un des articles de Pearson’s affirmait que l’ancien
président américain, Theodore Roosevelt, avait conclu un accord avec
les dirigeants de l’Église pour obtenir des votes lors d’une récente
élection. Si Ike pouvait obtenir du président Roosevelt une lettre
niant cette allégation, il pourrait alors discréditer l’article.
Il s’installa à sa machine à écrire
et commença à taper. « Je vous écris dans l’espoir que vous aurez la
gentillesse de m’aider à rétablir la vérité. »
Pendant ce temps, en Angleterre,
Rudger Clawson, apôtre et président de la mission européenne, apprenait
que le gouvernement britannique ouvrait une enquête sur le travail
missionnaire des saints des derniers jours. Connaissant les efforts
déployés par les Allemands pour bannir les missionnaires de leurs
villes, certains législateurs se demandaient si on ne devait pas faire
la même chose au Royaume-Uni. Quelques journalistes avaient plaidé pour
la tolérance religieuse vis-à-vis des saints, mais de nombreux
Britanniques continuaient de considérer les missionnaires comme les
représentants d’une église étrangère qui enseignait des idées curieuses
et cherchait à attirer les femmes britanniques vers le mariage plural.
Les détracteurs de l’Église
alimentaient ces craintes, réduisant à néant les efforts que les
saintes des derniers jours avaient faits quand elles étaient
missionnaires pour rectifier les idées fausses. Suivant l’exemple de
William Jarman, qui donnait encore quelques conférences, un autre
ancien membre de l’Église originaire des États-Unis parcourait le pays,
faisant un compte-rendu méprisant de ses expériences dans l’Église.
D’autres détracteurs publiaient des écrits hostiles et menaient
l’opposition contre les saints.
Au début de l’année 1911, Rudger
Clawson écrivit au ministre britannique de l’Intérieur, Winston
Churchill, lui promettant de coopérer avec le gouvernement. Il souligna
: « Si une enquête est menée, nous sommes prêts et disposés à vous
apporter toute l’aide possible. » Peu après, Winston Churchill ouvrit
une enquête sur l’Église et son travail missionnaire. Il déclara au
Parlement : « Je m’en occupe avec grand sérieux. »
En Grande-Bretagne, l’opposition à
l’Église resta constante jusqu’au printemps. Un dimanche d’avril, un
groupe appelé « la croisade anti-mormone de Liverpool (Liverpool
Anti-Mormon Crusade) » déclencha une émeute dans la ville de
Birkenhead, où une trentaine de saints s’étaient réunis dans une salle.
Poussés par la foule, des émeutiers se ruèrent sur un groupe de
policiers rassemblés à l’extérieur de la salle. D’autres jetèrent des
pierres sur les fenêtres.
La violence s’intensifiant, les
officiers tentèrent d’arrêter les fauteurs de troubles, mais les
émeutiers se défendirent. Certains remirent aux missionnaires une
lettre exigeant qu’ils quittent Birkenhead dans les sept jours.
Richard Young, le missionnaire qui présidait la conférence, déclara : « Je n’en tiendrai aucun compte.
– Êtes-vous prêt à en assumer les conséquences ? lui demanda un émeutier.
– Oui. »
Les journaux locaux publièrent des
articles sur l’émeute et l’ultimatum. Nombre de curieux étaient
impatients de voir ce qui allait se passer. Rudger Clawson craignait
que les missionnaires ne se fassent agresser s’ils restaient en ville.
Cependant, après avoir tenu conseil avec Richard Young et les autres
missionnaires, il accepta qu’ils restent. Si les missionnaires
abandonnaient Birkenhead, qu’est-ce qui empêcherait les émeutiers
d’essayer de chasser les missionnaires d’autres villes et villages ?
Rudger Clawson décida que le dimanche
suivant serait un jour de prière et de jeûne pour les missionnaires. Ce
jour-là, les missionnaires de Birkenhead tinrent leur première réunion
publique depuis l’émeute. La police arriva et forma un cordon devant la
salle. Une foule d’environ cinq mille personnes se rassembla et des
émeutiers défilèrent devant les policiers avec une fanfare. La foule
les acclama mais aucune violence n’éclata.
L’audace des missionnaires
impressionna quelques passants. Rudger Clawson fit ce rapport à la
Première Présidence : « On dirait que le ton a changé dans les articles
de journaux nous concernant. Pour l’instant du moins, l’atmosphère
semble débarrassée de l’esprit de violence et de malveillance envers
les saints des derniers jours. »
Durant cette période, Winston
Churchill poursuivait son enquête sur l’Église. Dans tout le pays, la
police interrogea les familles des jeunes femmes qui étaient devenues
membres de l’Église et avaient émigré en Utah. Des représentants du
gouvernement assistèrent aux services religieux. Personne ne put
prouver que l’Église ou ses missionnaires causaient du tort. Satisfait,
Winston Churchill conclut qu’il n’y avait aucune raison d’expulser les
missionnaires et il ne recommanda aucune action en justice contre les
saints.
En Utah, Joseph F. Smith reçut une
copie d’une longue lettre que Theodore Roosevelt avait écrite à Ike
Russell, réfutant les affirmations selon lesquelles il aurait conclu un
accord avec les saints pour obtenir le vote de l’Utah. Il avait écrit :
« L’accusation est non seulement fausse mais tellement ridicule qu’il
est difficile d’en parler sérieusement. »
Joseph savait qu’Ike voulait publier
la lettre dans Collier’s, un magazine lu par près d’un million de
personnes. Reed Smoot avait également exhorté Joseph à réagir à ces
attaques. Il l’avait prévenu que si personne ne faisait rien, il
doutait qu’ils puissent éviter une nouvelle enquête. Mais, jusqu’à
présent, le président de l’Église n’avait pas fait grand chose pour
répondre aux articles des magazines.
Au début du mois d’avril 1911, il
envoya un télégramme à Reed Smoot pour demander si un journal de l’est
des États-unis accepterait de publier une réponse officielle de
l’Église. Immédiatement, ce dernier prit contact avec les journaux mais
ne reçut aucune promesse. Pendant ce temps, Ike Russell faisait en
sorte que la lettre de Theodore Roosevelt paraisse dans Collier’s.
Satisfait, Joseph fit publier une brochure contenant la lettre et la
réponse de l’Église aux articles des magazines et la distribua à des
citoyens éminents aux États-Unis et en Grande-Bretagne.
Toutefois, d’autres articles
concernant l’Église continuaient d’être publiés. En mars, un quatrième
magazine, Cosmopolitan, publia une série de trois articles comparant
l’Église à une vipère prête à attaquer le foyer et la famille. Comme
les autres magazines, il affirmait que l’Église encourageait toujours
le mariage plural.
Presque au même moment, on rapporta à
Francis Lyman que John W. Taylor et Matthias Cowley avaient récemment
contracté et célébré d’autres mariages pluraux. Avec son comité, il
rencontra chacun des deux hommes. Pendant ces réunions, John W. Taylor
se montra buté. Il avait effectivement épousé une autre femme en 1909
mais il refusa de l’admettre ou de le nier. De son côté, Matthias
Cowley reconnut son erreur. Finalement, les Douze excommunièrent John
W. Taylor et interdirent à Matthias Cowley d’utiliser l’autorité de la
prêtrise.
Une fois ces mesures disciplinaires
prises à l’encontre des anciens apôtres, Joseph F. Smith se rendit à
Washington D. C. Là, il s’entretint avec un journaliste au domicile de
Reed et Allie Smoot. Le journaliste posa des questions sur la
politique, les finances de l’Église et d’autres sujets habituellement
soulevés dans les articles négatifs sur l’Église. Mais la plupart de
ses questions portaient sur le mariage plural. Joseph répondit
franchement, désireux de corriger les fausses informations qui
circulaient dans les magazines.
Il déclara : « La polygamie chez les mormons est maintenant totalement désapprouvée et interdite par l’Église.
– Comment pourrait-on démontrer que
la polygamie est désormais absolument interdite par l’Église mormone ?
s’enquit son interlocuteur.
– La meilleure preuve que nous
combattons sérieusement et consciencieusement la polygamie est
illustrée par le fait que M. Taylor, autrefois apôtre de l’Église et
membre du conseil directeur, a été excommunié. »
L’interview parut dans le journal
quelques jours plus tard et elle fut rapidement suivie par d’autres
articles positifs sur les saints. Reed Smoot dit à Joseph : « Je n’ai
entendu que de bons échos de votre visite ici. Elle a eu des effets
très positifs. »
Les magazines commencèrent à perdre
tout intérêt à publier des articles critiques sur l’Église. Au cours de
l’été, Joseph écrivit à Ike Russell, commentant l’agitation récente. Il
fit cette remarque : « Nous sommes convaincus que l’opinion publique
changera. Depuis le début, nous avons dû lutter et nous battre et nous
n’attendons rien d’autre que de l’opposition jusqu’à ce que nous
remportions la victoire. »
DEUXIÈME PARTIE : Sur toute la terre (1911-1930)
Chapitre 10 : Donne-moi la force
À l’automne 1911, Alma Richards
retourna à l’université Brigham Young avec pour objectif de participer
aux Jeux olympiques de 1912 à Stockholm, en Suède. Âgé de vingt et un
ans, il pratiquait le saut en hauteur à Parowan, petite ville du sud de
l’Utah. Quand il était arrivé à l’université Brigham Young l’année
précédente, il ne savait pratiquement rien des Jeux olympiques. Un
jour, son entraîneur lui avait dit qu’il avait peut-être une chance
d’être sélectionné.
Il lui avait promis : « Si tu t’entraînes constamment pendant un an et demi, tu pourras faire partie de l’équipe. »
Au début, Alma pensa qu’il
plaisantait. Il avait un corps naturellement athlétique mais il était
plus grand et plus lourd que la plupart des sauteurs en hauteur. De
plus, il n’avait pas beaucoup d’expérience dans cette pratique
sportive. Au lieu de sauter en ciseaux ou en glissant son corps
horizontalement au-dessus de la barre, comme le font la plupart des
sauteurs, il s’élançait maladroitement dans les airs et se roulait en
boule.
Toutefois, il mit à l’épreuve la
promesse de son entraîneur. Il s’exerça régulièrement et commença à
exceller dans les compétitions sportives locales. Il devint bientôt un
champion dans tout l’Utah.
Les manifestations sportives étaient
de plus en plus populaires parmi les jeunes du monde entier et de
nombreux établissements secondaires et universités d’Utah parrainaient
des équipes d’athlétisme masculines et féminines. Pourtant, pendant de
nombreuses années, le sport n’avait pas été inclus dans les activités
des Sociétés d’Amélioration Mutuelle. En réalité, au grand désespoir de
nombreux jeunes hommes, la SAM des jeunes gens centrait généralement
ses réunions sur l’étude de sujets religieux ou académiques à partir
d’un manuel.
De leur côté, les groupes protestants
de Salt Lake City avaient commencé à utiliser un gymnase géré par
l’Union chrétienne de jeunes gens (UCJG [YMCA]) afin d’attirer les
jeunes saints des derniers jours pour qu’ils assistent à leur école du
dimanche. Inquiets, les dirigeants de l’Église avaient décidé de
proposer des activités semblables. Ils organisèrent des rencontres
sportives pendant les conférences annuelles mixtes des SAM et
incitèrent les dirigeants de pieu et de paroisse à mettre à disposition
des jeunes la salle culturelle des lieux de culte pour des « exercices
légers de gymnastique ». En 1910, l’année où Alma Richards était arrivé
à l’université Brigham Young, l’Église avait ouvert le gymnase Deseret
(Deseret Gymnasium), un bâtiment récréatif de trois étages implanté à
l’est de Temple Square.
Comme les jeunes femmes fréquentaient
davantage les réunions de la SAM que les jeunes hommes, les dirigeants
de l’Église conclurent que le programme alors en vigueur n’intéressait
pas les garçons. Cette prise de conscience se fit alors que des efforts
étaient déployés pour définir et clarifier les devoirs des
organisations auxiliaires de l’Église et des collèges de la Prêtrise.
En 1906, un « comité de corrélation » composé de représentants des
organisations auxiliaires de l’Église décida que les réunions de la
Prêtrise d’Aaron devaient inclure une instruction doctrinale pour les
jeunes hommes. Les réunions de la SAM des jeunes gens, quant à elles,
seraient désormais centrées sur le développement de leur esprit et de
leur corps. Cela signifiait qu’elles allaient proposer à nombre de
jeunes hommes de pratiquer l’athlétisme et des activités en plein air.
Eugene Roberts, entraîneur d’Alma
Richards et directeur de l’entraînement physique à l’université Brigham
Young, était un défenseur respecté du sport au sein de l’Église. Comme
beaucoup de ses contemporains, il pensait que la technologie et la vie
urbaine avaient progressé trop rapidement au XIXe siècle, empêchant les
jeunes hommes de ressentir l’influence bénéfique de l’activité physique
et de la nature. Idéalisant la vie des pionniers saints des derniers
jours, il incita les jeunes hommes à s’inspirer de leur dévouement au
travail et de leur ferveur religieuse.
En 1911, dans un numéro de
l’Improvement Era, il écrivit : « Personne ne peut lire le récit de
leurs difficultés physiques et de leurs épreuves religieuses sans
éprouver de l’admiration. Le garçon pâle, issu de la ville, qui n’a
jamais campé dans le désert ni vu la nature, qui n’a jamais parcouru
les collines ‘à la dure’, ne peut pas réellement compatir aux
difficultés de son père. »
Eugene Roberts et les dirigeants de
la SAM des jeunes gens conseillèrent vivement à l’Église d’adopter un
programme calqué sur le mouvement scout qui venait d’être créé.
Celui-ci enseignait aux jeunes hommes à développer des principes moraux
élevés et les renforçaient physiquement et spirituellement par le biais
du camping, de la randonnée et d’autres activités en plein air. Un
autre défenseur du scoutisme, Lyman Martineau, membre du conseil
d’administration de la SAM des jeunes gens, incita les dirigeants des
jeunes à les initier aux activités physiques. Il déclara : « Si ces
activités sont bien organisées et encadrées, elles offriront des
loisirs sains et favoriseront la détermination, le courage,
l’enthousiasme, la capacité à se fixer des objectifs spirituels et
moraux, et la modération. »
Alma Richards était l’illustration
même de ces paroles. Son désir d’exceller dans son sport le conduisit à
respecter la Parole de Sagesse à une époque où l’Église recommandait de
respecter ce principe sans l’exiger. En s’abstenant de consommer de
l’alcool et du tabac, il faisait confiance à la promesse du Seigneur
affirmant que les personnes qui obéissent à la Parole de Sagesse «
courront et ne se fatigueront pas » et « marcheront et ne faibliront
pas ».
Au printemps 1912, Eugene Roberts
annonça à Alma qu’il était prêt pour se présenter aux sélections pour
les Jeux olympiques. Il lui dit : « Tu es l’un des quinze meilleurs
sauteurs en hauteur du monde et l’un des sept meilleurs des États-Unis.
» Pour financer le voyage d’Alma pour participer aux sélections, il
convainquit l’université Brigham Young d’accorder une bourse généreuse
au jeune athlète. Il voulait l’accompagner mais n’avait pas les moyens
de financer son voyage.
Avant de quitter l’Utah, Alma était
inquiet et se sentait seul. Lorsqu’il vint lui dire au revoir, Eugene
Roberts lui prodigua des paroles d’encouragement et de soutien. Avant
que le jeune homme monte dans le train, son entraîneur lui remit un
poème inspirant pour lui donner de la force et de la foi dans les
moments difficiles.
Quelques semaines plus tard, la
nouvelle arriva en Utah : Alma faisait partie de l’équipe olympique. Il
était en route pour la Suède.
Au milieu de l’année 1912, plus de
quatre mille colons saints des derniers jours vivant dans le nord du
Mexique se retrouvèrent au milieu d’une révolution. L’année précédente,
des rebelles avaient chassé Porfirio Díaz, qui était président du
Mexique depuis des années. Mais un autre soulèvement avait éclaté
contre les vainqueurs.
Junius Romney, trente-quatre ans,
président de pieu dans le nord du Mexique, déclara que les saints
n’abandonneraient pas leurs maisons, malgré le conflit. Depuis qu’ils
s’étaient réfugiés au Mexique dans les années 1880 pour échapper aux
raids contre la polygamie, les saints s’étaient généralement tenus à
l’écart de la politique du pays. Mais de nombreux rebelles les
considéraient maintenant comme des envahisseurs étrangers et
attaquaient fréquemment leurs ranchs prospères.
Dans l’espoir d’affaiblir les
rebelles, les États-Unis interdirent la vente d’armes et de munitions
au Mexique. Le sénateur Reed Smoot persuada cependant le président
américain, William Howard Taft, d’envoyer des armes supplémentaires aux
saints du nord du Mexique pour les aider à protéger leurs colonies.
Mais les chefs rebelles eurent rapidement connaissance de ladite
cargaison et exigèrent que les saints livrent leurs armes à feu.
Sachant que la Première Présidence
voulait qu’il n’arrive aucun mal aux saints, Junius Romney et d’autres
dirigeants de l’Église de la région négocièrent avec les rebelles pour
que les saints puissent conserver leurs armes à feu pour se défendre.
Les chefs rebelles promirent également de ne pas s’attaquer aux
colonies.
Mais le 27 juillet, un général
rebelle nommé José Inés Salazar convoqua à son quartier général Junius
Romney et Henry Bowman, dirigeant local de l’Église et homme
d’affaires. Il leur dit qu’il ne pouvait plus empêcher les forces
rebelles d’attaquer les saints. Alarmé, frère Romney rappela au général
qu’il avait donné l’assurance verbale et écrite que les rebelles ne
s’en prendraient pas aux colonies.
Il répondit : « Ce ne sont que des
paroles que le vent emporte. » Il déclara ensuite que les colonies
devaient rendre leurs armes.
Junius Romney répondit : « Cette
demande de vous donner nos armes ne nous paraît pas justifiée. » Il y
avait environ deux mille rebelles dans la région. Ils disposaient de
cinq ou six canons qu’ils pouvaient utiliser contre les colonies. Si
les saints donnaient leurs armes, ils seraient sans défense.
Comme le général restait insensible,
Junius lui expliqua qu’il n’avait pas l’autorité d’exiger des saints
qu’ils renoncent à leur propriété privée. En entendant cela, le général
Salazar sortit de la pièce pour discuter avec l’un de ses officiers, le
colonel Demetrio Ponce.
Une fois qu’ils furent seuls, Henry
dit à Junius : « Frère Romney, je pense qu’il n’est pas sage de mettre
le général en colère. » Il voyait que Junius fulminait et il ne voulait
pas que le conflit dégénère.
Junius répondit : « C’est décidé ;
quand Salazar reviendra, je lui dirai ce que je pense de lui, même si
cela doit me coûter la vie ! »
Le général revint dans la salle,
accompagné du colonel Ponce. Ce dernier déclara en se frottant les
mains : « De toute évidence, le général n’a pas réussi à se faire
comprendre. Ce qu’il souhaite, c’est simplement que vous leur suggériez
une telle action et ils s’exécuteront !
– Je ne ferai aucune suggestion de la
sorte », répondit Junius. Il savait que les saints se sentiraient
trahis s’il leur demandait de renoncer à leur seul moyen de défense.
Le général les avertit : « Si vos
armes et vos munitions ne me sont pas remises ici demain matin à 10
heures, nous marcherons contre vous.
– Est-ce votre dernier mot ? demanda Junius.
– C’est mon dernier mot ! s’exclama le général Je viendrai chercher vos fusils, où qu’ils soient. »
Junius Romney était choqué de la
disposition implacable du général à attaquer les colonies. Il demanda :
« Vous allez envahir nos maisons et prendre nos armes par la force ?
– Nous vous considérerons comme nos ennemis et nous vous déclarerons la guerre immédiatement », rétorqua le général Salazar.
Ce soir-là, à Colonia Juárez, l’une
des plus grandes colonies de saints des derniers jours du nord du
Mexique, Camilla Eyring, âgée de dix-sept ans, écoutait son père
décrire le danger qui menaçait leur famille.
Il expliqua que les rebelles allaient
s’emparer des armes des saints et les laisser sans défense. Les
dirigeants de l’Église avaient donc décidé d’évacuer les femmes, les
enfants et les personnes âgées des colonies. Ils parcourraient deux
cent quarante kilomètres pour se rendre à El Paso, au Texas, au nord de
la frontière américaine. Les hommes resteraient pour protéger les
maisons et le bétail.
Il n’y avait qu’à Colonia Juárez que
Camilla se sentait chez elle ; elle ne connaissait pas d’autre endroit.
Depuis trois générations, sa famille vivait dans les colonies du
Mexique ; ses grand-pères s’y étaient établis afin d’échapper aux
poursuites judiciaires liées à la pratique du mariage plural. Depuis
lors, Colonia Juárez était devenue une localité composée de dizaines de
familles de saints des derniers jours qui possédaient de magnifiques
vergers de pommiers et de beaux bâtiments en briques.
Camilla était l’aînée de onze
enfants. Son père, mari de deux épouses, gérait un grand ranch où
Camilla aidait parfois à faire du fromage. Il employait des Mexicains,
dont elle en était venue à aimer les familles. Ses amis et elle
fréquentaient la grande école de Juárez, où elle apprenait l’anglais et
l’espagnol. Quand il faisait chaud, elle enfilait l’une de ses vieilles
robes et se rendait avec ses amis à la rivière Piedras Verdes où un
point de baignade avait été aménagé. En se préparant à quitter son
foyer, elle ne savait pas si elle reviendrait, ni quand.
Chaque membre de la famille n’emporta
que ce qui pouvait être transporté dans une seule malle commune. Ils
cachèrent le reste de leurs possessions pour qu’elles ne tombent pas
entre les mains des rebelles. Camilla rangea ses documents scolaires et
ses autres souvenirs dans des endroits peu accessibles de la maison.
Pendant ce temps, son père souleva des planches à l’entrée de la maison
et y dissimula une centaine de kilos de mûres, que Camilla et ses
frères et sœurs avaient mises en bocaux avec leur mère plus tôt dans la
journée. Les biens précieux de la famille (argenterie, linge et
vaisselle) furent cachés dans le grenier.
Le lendemain matin, le 28 juillet, la
famille chargea sa malle sur une carriole et parcourut seize kilomètres
jusqu’au dépôt de train le plus proche. Des dizaines d’autres familles
attendaient devant la gare, les bras chargés de paquets et de valises.
Non loin, un groupe de rebelles à cheval se mit en formation, leurs
fusils et baïonnettes à la main.
Quand le train arriva, les saints
s’entassèrent dans les wagons. Une compagnie ferroviaire leur avait
envoyé tous les wagons disponibles pour les aider à évacuer. Certains
étaient sans fenêtre, d’autres étaient des wagons bétaillers minables.
Camilla, sa mère, ses frères et ses sœurs furent placés dans un wagon
pour les passagers de troisième classe. Agrippés à leurs ballots et
leur literie, ils étaient serrés les uns contre les autres sur des
bancs durs. C’était une chaude journée d’été ; les mouches volaient
autour d’eux. Camilla avait l’impression d’être une sardine dans une
boîte.
Le train quitta le dépôt et se
dirigea vers le nord, vers Colonia Dublán, la plus grande colonie de
saints de la région, pour prendre d’autres passagers. Une fois les
saints de Dublán montés à bord du train, le nombre de passagers s’éleva
à environ un millier. Les bagages étaient empilés dans les voitures.
Toute la journée et toute la nuit, le
train se dirigea vers le nord-est. Certains passages de la voie ferrée
avaient été endommagés pendant la révolution, obligeant le train à
avancer au ralenti. Camilla était terrifiée à l’idée que des rebelles
attaquent le train et pillent les passagers.
Le soleil se levait quand le convoi
arriva sans encombre à El Paso. Au dépôt ferroviaire, les habitants de
la ville accueillirent les saints avec des voitures et des camions. Ils
leur firent traverser la ville jusqu’à une scierie inoccupée destinée
aux réfugiés. Avec sa famille, Camilla fut conduite dans un grand
corral poussiéreux avec plusieurs stalles où les familles pouvaient
installer leur camp. Ils s’entassèrent dans une stalle et suspendirent
des couvertures pour plus d’intimité. Une odeur nauséabonde planait.
Les essaims de mouches abondaient.
Toute la journée, les habitants des
colonies arrivèrent à la scierie. Des journalistes et des photographes
vinrent les interroger et prendre des photos. Des habitants de la ville
vinrent aussi. Certains proposèrent leur aide, d’autres scrutaient les
campements pour apercevoir les saints.
Camilla était mal à l’aise. Elle pensa : « Nous sommes comme des singes en cage. »
Alma Richards avait mal aux yeux
tandis qu’il regardait la barre de saut en hauteur. C’était le
troisième jour des Jeux olympiques de 1912. La lumière du soleil qui
brillait sur le nouveau stade en briques brunes de Stockholm était
insupportable. Depuis des semaines, il souffrait d’une infection
oculaire qui lui irritait les yeux. Quand il ne sautait pas, il portait
un vieux chapeau tombant pour se protéger les yeux. C’était maintenant
à son tour. Il s’avança sur le côté du terrain et jeta son chapeau dans
l’herbe.
La compétition de saut en hauteur
avait commencé avec environ soixante athlètes originaires de dizaines
de pays. Seuls un athlète allemand, Hans Liesche, et lui étaient encore
en lice. Hans était le meilleur sauteur qu’Alma eût jamais vu. Sans
effort, il réussissait chacun des sauts du premier coup. Alma, en
revanche, avait eu toute la journée du mal à franchir la barre. Elle
était maintenant placée à 1,93 mètre. En compétition olympique,
personne n’avait jamais sauté aussi haut. Personne ne s’attendait à ce
qu’Alma franchisse la barre, pas même ses coéquipiers.
Tandis qu’il se préparait à sauter,
son esprit s’emballa. Il était là, représentant son pays dans la plus
grande compétition d’athlétisme du monde. Pourtant, il se sentait
faible, comme si le monde entier reposait sur ses épaules. Il pensa à
l’Utah, à sa famille et à sa ville natale. Il pensa à l’université
Brigham Young et aux saints. Inclinant la tête, il demanda
silencieusement à Dieu de lui donner de la force. Il pria : « S’il est
juste que je gagne, je ferai de mon mieux pour être un bon exemple tous
les jours de ma vie. »
En relevant la tête, il sentit sa
faiblesse se dissiper. Il rejeta ses épaules en arrière, s’avança
jusqu’à la ligne de départ et se mit en position. Il s’élança alors
avec un regain d’énergie et bondit, repliant ses genoux sous son
menton. Il franchit la barre, la dépassant même de quelques centimètres.
Sur le côté, Hans Liesche
s’échauffait pour son saut. Il semblait soudainement nerveux. Alma
courait en cercle pour que ses jambes restent souples. Il était certain
que son adversaire franchirait la barre. Elle serait alors placée
encore plus haut et il devrait sauter à nouveau.
Hans s’élança pour son premier saut,
tomba sur la barre et l’envoya s’écraser au sol. Frustré, il retourna
sur le terrain pour son deuxième essai. Une fois de plus, il fit tomber
la barre.
Alma voyait que son adversaire
perdait son sang-froid. Au moment où Hans se préparait pour sa dernière
tentative, un coup de pistolet retentit à proximité, signalant le début
d’une course. Il attendit que les coureurs franchissent la ligne
d’arrivée puis se prépara à sauter. Alors, une fanfare commença à jouer
et il refusa de démarrer. Finalement, au bout de neuf minutes, un
responsable de la compétition lui demanda de se dépêcher. Obligé de
sauter, Hans bondit en avant et se jeta dans les airs.
À nouveau, il ne parvint pas à franchir la barre.
Un sentiment de joie envahit Alma. La
compétition était terminée. Il avait gagné la médaille d’or et établi
un record olympique. Hans vint le féliciter chaleureusement. Il fut
ensuite acclamé par d’autres personnes. Un homme lui dit : « Vous avez
faire connaître l’Utah. ».
James Sullivan, un responsable de
l’équipe olympique américaine, fut particulièrement impressionné par le
calme d’Alma malgré la pression, et par son mode de vie sain. Il
déclara : « J’aimerais avoir une centaine de gars propres comme vous
dans notre équipe. »
Au bout de quelques jours, les
journaux américains saluèrent la victoire d’Alma, attribuant en partie
son succès à sa religion. Un journaliste écrivit : « On appelle le
vainqueur du grand saut ‘le géant mormon’ et il mérite ce titre. C’est
un athlète autodidacte et sa conquête de la renommée mondiale vient
après des années d’efforts et une détermination héritée des hommes qui
ont établi la religion mormone et fait fleurir le désert. »
Un de ses amis le taquina parce qu’il
avait prié avant son dernier saut. Alma répondit calmement : «
J’aimerais que tu n’en ries pas. J’ai prié le Seigneur de me donner la
force de franchir la barre et je l’ai franchie. »
Le 15 août 1912, deux sœurs, Jovita
et Lupe Monroy, tenaient le magasin familial à San Marcos, dans l’État
d’Hidalgo au Mexique. La petite ville était nichée au cœur du pays,
loin des violences révolutionnaires du Nord. Ce jour-là, deux jeunes
américains bien habillés entrèrent dans le magasin, commandèrent un
soda et demandèrent poliment aux deux sœurs si elles savaient où vivait
Señor Jesús Sánchez.
Elles connaissaient bien le vieil
homme et expliquèrent aux visiteurs comment se rendre chez lui. Comme
Señor Sánchez n’était pas catholique, certains habitants de la ville se
méfiaient de lui. Néanmoins, c’était un ami de Rafael, le frère aîné de
Jovita et Lupe.
Plus tard, les sœurs eurent l’occasion de discuter avec Señor Sánchez et de lui demander qui étaient ces jeunes hommes.
Il répondit : « Ce sont des
missionnaires. » Une trentaine d’années auparavant, il était devenu
membre de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Mais,
malgré des débuts prometteurs, la mission de l’Église au centre du
Mexique n’avait pas perduré ; elle avait fermé moins de dix ans après
son baptême. Elle avait ensuite rouvert et plus de mille six cents
saints mexicains vivaient désormais dans la région. Les missionnaires
parcouraient la campagne à la recherche de membres de l’Église de
longue date comme lui.
Les sœurs dirent à Señor Sánchez : «
Quand les missionnaires reviendront, amenez-les chez nous pour que nous
puissions leur poser des questions. »
Quelques mois plus tard, Señor
Sánchez vint au magasin et présenta Jovita et Lupe à deux
missionnaires, Walter Ernest Young et Seth Sirrine. Les sœurs étaient
catholiques et posèrent de nombreuses questions sur les différences
entre les croyances des missionnaires et les leurs. Elles voulaient
surtout savoir pourquoi ils ne croyaient pas au baptême des petits
enfants. Señor Sánchez prêta sa Bible aux sœurs pour qu’elles puissent
en apprendre davantage sur les principes enseignés par les
missionnaires. Dès que Jovita et Lupe avaient une minute de libre,
elles l’étudiaient.
En mars 1913, Señor Sánchez tomba
malade. Les deux sœurs aidèrent sa famille à prendre soin de lui. Comme
son état s’aggravait, Jovita et Lupe envoyèrent quelqu’un chercher les
missionnaires pour lui donner une bénédiction, mais ils se trouvaient
dans une autre ville et ne pouvaient pas venir immédiatement. Quand ils
arrivèrent, Señor Sánchez était décédé. Les missionnaires organisèrent
un service funèbre et prêchèrent un sermon sur la résurrection. Une
douzaine de personnes assistèrent au service, dont Jesusita Mera de
Monroy, la mère de Jovita et Lupe, qui était veuve. Elle invita les
missionnaires à dîner avec la famille le soir même.
Jesusita n’était pas très contente
que ses filles aient continué de parler avec les missionnaires, surtout
depuis qu’elles n’allaient plus à la messe. Le soir, elle demandait à
Dieu d’empêcher les missionnaires de venir à San Marcos afin qu’ils
n’égarent pas ses filles. Cependant, au dîner, elle traita les
missionnaires avec gentillesse. Avant de manger, l’un d’eux demanda
s’il pouvait faire la prière. Jesusita accepta et elle fut touchée par
ses paroles. Après le repas, les missionnaires chantèrent le cantique «
O mon Père », ce qui l’émut encore davantage.
Deux mois plus tard, Lupe invita son
frère et sa sœur aînés, Rafael et Natalia, à assister à une conférence
des saints près de Mexico, où l’Église était mieux établie. Une
centaine de personnes s’étaient réunies pour l’occasion.
Rafael et Natalia entendirent des
discours sur la paix et la fraternité, le Saint-Esprit, l’apostasie et
le Rétablissement. Ils rencontrèrent également Rey L. Pratt, le
président de mission, qui avait grandi dans les colonies des saints des
derniers jours du nord du Mexique. Lors de cette conférence, les
membres de la famille Monroy furent touchés. Avant de retourner à San
Marcos, Rafael rêva qu’il prêchait tout ce qu’il avait appris à la
réunion.
Quelques semaines après la
conférence, le président Pratt et frère Young rendirent visite à la
famille Monroy, à San Marcos. Ils passèrent une journée avec la
famille, se détendant chez eux et écoutant les sœurs jouer de la
musique. Dans la soirée, frère Young prêcha au sujet du baptême et le
président Pratt parla des premiers principes et ordonnances de
l’Évangile.
Le lendemain, le 11 juin 1913,
Jovita, Lupe et Rafael acceptèrent de se faire baptiser. Pour éviter
d’attirer l’attention des voisins suspicieux, ils conduisirent le
président Pratt et frère Young dans un bosquet isolé le long d’une
rivière voisine. Là, ils trouvèrent un endroit de la rivière
suffisamment profond pour accomplir l’ordonnance.
Après les baptêmes, le président
Pratt et frère Young les confirmèrent au bord de l’eau. Le président
Pratt prit des photos du groupe avec frère Young et tout le monde
retourna en ville pour dîner.
Ce fut une belle journée.
Chapitre 11 : Une responsabilité trop lourde
Le soir du 6 août 1914, Arthur
Horbach, jeune saint des derniers jours de dix-sept ans résidant à
Liège, en Belgique, s’abrita tandis que les tirs de l’artillerie
allemande s’abattaient sur la ville. Plus tôt cet été-là, un
nationaliste serbe avait assassiné l’héritier de l’empire
austro-hongrois, provoquant la guerre entre l’Autriche-Hongrie et le
royaume de Serbie. Les deux camps furent rapidement rejoints par leurs
alliés respectifs. Début août, la Serbie, la Russie, la France, la
Belgique et la Grande-Bretagne étaient en guerre contre
l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne.
La Belgique, neutre à l’origine,
s’engagea dans le conflit lorsque les troupes allemandes envahirent la
France en passant par la frontière est de la Belgique. La ville de
Liège était le premier obstacle important des envahisseurs. Les douze
forts qui entouraient la ville avaient d’abord maintenu les Allemands à
distance, mais leurs assauts étaient incessants. Des milliers de
soldats attaquaient les forts et les défenses belges commençaient à
céder.
Les troupes allemandes finirent par
franchir la ligne ennemie et envahirent Liège. Les assaillants se
répandirent dans la ville, pillant les maisons, brûlant les bâtiments
et tirant sur les civils. Arthur et sa mère, Mathilde, réussirent à
leur échapper. Les saints de Liège, qui étaient une cinquantaine,
connaissaient le même danger qu’Arthur mais ce dernier ne cessait de
penser aux missionnaires qui servaient dans la ville. Il avait passé
beaucoup de temps avec eux et les connaissait bien. Avaient-ils été
blessés dans cette attaque ?
Les jours passaient. Arthur et sa
mère vivaient dans la terreur des troupes allemandes et de l’artillerie
lourde qui bombardait les forts qui n’étaient pas tombés. Les membres
de la branche étaient dispersés dans toute la ville et certains
s’étaient rassemblés dans une cave. Un groupe de soldats s’était
installé dans la salle que la branche louait et où elle se réunissait
habituellement. Par chance, Tonia Deguée, une membre de l’Église âgée
qui parlait couramment l’allemand gagna rapidement la confiance de ces
soldats et les persuada de ne pas endommager la salle ni le mobilier.
Arthur finit par apprendre que les
missionnaires étaient en sécurité. Le consulat américain de Liège leur
avait ordonné d’évacuer la ville le premier jour du bombardement, mais
ils n’avaient pas pu informer Arthur ni personne d’autre de leur départ
à cause des barrages routiers.
En fait, les missionnaires de toute
l’Europe continentale quittaient le champ de leur mission. Joseph F.
Smith avait envoyé un télégramme aux dirigeants de la mission
européenne : « Relevez tous les missionnaires allemands et français et
faites preuve de discernement quant au transfert de tous les
missionnaires des pays neutres ou belligérants dans les missions
américaines. »
Arthur ressentit immédiatement le
vide causé par le départ des missionnaires. Depuis que Mathilde et
lui-même étaient devenus membres de l’Église, six ans plus tôt, leur
branche dépendait des missionnaires, qui étaient les principaux
dirigeants de la prêtrise. Dorénavant, les seuls détenteurs de la
prêtrise de la branche étaient un instructeur et deux diacres, dont
Arthur. Il avait reçu la Prêtrise d’Aaron moins d’un an plus tôt.
Quand la ville de Liège tomba entre
les mains des Allemands, les membres de la branche cessèrent presque de
se réunir. Les soldats qui occupaient leur salle de réunion s’étaient
installés ailleurs mais le propriétaire refusa que les saints s’y
réunissent à nouveau. Chaque jour était une lutte pour la survie. La
nourriture et les produits du quotidien se faisaient rares. La faim et
la misère pesaient sur la ville.
Arthur savait que tous les membres de
la branche souhaitaient se réunir pour prier et trouver du réconfort.
Mais sans un endroit pour se réunir ni personne autorisé à bénir la
Sainte-Cène, comment pourraient-ils reprendre leurs réunions de branche
?
Tandis que la guerre se répandait en
Europe, Ida Smith se demandait comment aider les soldats britanniques
qui partaient pour le champ de bataille. Un an plus tôt, elle avait
emménagé à Liverpool avec son mari, Hyrum M. Smith, et leurs quatre
enfants. Hyrum, le fils aîné de Joseph F. Smith, était le président de
la mission européenne. Ida soutenait l’œuvre mais elle avait décidé que
tant qu’elle aurait des jeunes enfants à la maison, elle ne
s’impliquerait pas activement dans le travail missionnaire et
n’entreprendrait pas de service en dehors de leur petite branche.
Cependant, un après-midi, Ida vit une
annonce écrite par la mairesse de Liverpool, Winifred Rathbone. Elle
appelait les organisations de femmes de la ville à se joindre aux
autres femmes bénévoles de Grande-Bretagne pour tricoter des vêtements
chauds pour les soldats. Ida savait que des centaines de milliers de
soldats britanniques, y compris des saints des derniers jours, auraient
désespérément besoin de ces vêtements pour survivre à l’hiver prochain.
Mais elle se sentait impuissante.
Elle se demandait : « Comment soutenir cette femme ? Je n’ai pas tricoté une seule maille de ma vie. »
Il lui sembla alors qu’une voix lui
disait : « Le moment est venu pour les Sociétés de Secours de la
mission européenne de se montrer et de proposer leurs services. » Ces
mots l’impressionnèrent profondément. La Société de Secours de
Liverpool ne comptait que huit membres actives mais elles pouvaient
participer.
Avec l’aide du secrétaire de la
mission, Ida Smith prit rendez-vous avec Winifred Rathbone le
lendemain. Avant l’entrevue, son cœur battait très fort. Elle se
reprochait intérieurement : « Pourquoi vas-tu voir la mairesse pour lui
proposer les services d’une poignée de femmes ? Pourquoi ne
retournes-tu pas chez toi t’occuper de tes affaires ? »
Mais elle repoussa cette pensée. Le
Seigneur était avec elle. Elle tenait une petite carte imprimée avec
des renseignements sur la Société de Secours et son objectif. Elle se
disait : « Même si ce n’est que pour lui remettre cette carte, j’irai. »
Le bureau de la mairesse se trouvait
dans un grand bâtiment, qui lui servait aussi de quartier général pour
ses activités caritatives. Elle reçut poliment Ida, dont la nervosité
s’estompa quand elle commença à parler de la Société de Secours, de
l’Église et de la petite branche de Liverpool. Elle lui expliqua : « Je
suis venue proposer nos services pour aider à coudre ou à tricoter pour
les soldats. »
Une fois son message remis, Ida était
sur le point de partir, mais Winifred l’arrêta. Elle lui dit : «
J’aimerais que vous visitiez notre bâtiment et que vous voyiez comment
se déroule notre travail. » Elle traversa avec Ida dix-sept grandes
pièces, chacune remplie d’une dizaine de femmes au travail. Elle
l’amena ensuite dans son bureau privé. Elle lui montra un livre de
compte : « C’est là que nous tenons nos archives. Tout ce que vous
ferez pour nous y sera noté comme du travail fait par la Société de
Secours de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. »
Ida la remercia. Elle lui dit : « Nous ferons de notre mieux. »
Cet automne-là, les sœurs de la
Société de Secours de Liverpool tricotèrent. Elles invitèrent aussi
leurs amies et leurs voisines à participer. Au bout d’une semaine,
elles étaient une quarantaine. Ida apprit à tricoter et commença à
travailler sur plusieurs grands cache-nez. À la demande de la
présidence générale de la Société de Secours, à Salt Lake City, le mari
d’Ida la mit à part en tant que présidente des Sociétés de Secours de
la mission européenne. Comme les voyages à travers l’Europe étaient
devenus dangereux, Ida Smith commença par parcourir la Grande-Bretagne
pour organiser de nouvelles Sociétés de Secours, former leurs membres
et les inciter à tricoter pour les soldats. Finalement, les femmes
fabriquèrent et distribuèrent deux mille trois cents articles
vestimentaires.
Ida et d’autres membres de la Société
de Secours reçurent des lettres et des éloges de hauts fonctionnaires
de toute la Grande-Bretagne. Une femme écrivit : « Si toutes les
organisations de femmes de Grande-Bretagne travaillaient comme le font
les saintes des derniers jours, nos soldats ne manqueraient de rien. »
Le 7 novembre 1914, le président
Joseph F. Smith écrivit à Hyrum M. Smith : « Les rapports sur le
carnage et la destruction qui ont lieu en ce moment en Europe sont
écœurants et déplorables. » Deux mois plus tôt, les troupes françaises
et britanniques avaient arrêté la progression des forces allemandes
lors d’une bataille sanglante sur la Marne, dans le nord-est de la
France. D’autres batailles avaient suivi, mais aucun des deux camps
n’avait réussi à porter un coup décisif. Les armées s’étaient alors
tapies dans un dédale de tranchées défensives à travers la campagne
française.
La guerre se propageait en Europe de
l’Est, en Afrique, au Moyen-Orient et jusqu’aux îles de l’océan
Pacifique. Dans les journaux, les comptes-rendus du conflit rappelèrent
au président Smith la révélation du Seigneur reçue en 1832 au sujet de
la guerre. Elle prédisait : « Et alors la guerre se déversera sur
toutes les nations. Et ainsi, à cause de l’épée et de l’effusion de
sang, les habitants de la terre se lamenteront. »
Le dimanche 24 janvier 1915, le
prophète appela les membres de l’Église aux États-Unis et au Canada à
contribuer au fonds de secours destiné aux saints européens dans le
besoin. Il déclara : « C’est la manière la plus efficace de venir en
aide aux membres de l’Église dans le besoin. » En réponse à l’appel du
prophète, plus de sept cents paroisses et branches collectèrent de
l’argent et envoyèrent des dons au bureau de l’épiscopat président de
l’Église. L’argent fut ensuite envoyé au bureau de la mission à
Liverpool pour que Hyrum M. Smith le distribue aux saints européens,
quel que soit leur camp.
Quelques mois plus tard, le président
Smith, accompagné de Charles W. Nibley, l’évêque président, alla
inspecter un coin plus paisible du monde : la ferme d’environ deux
mille quatre cents hectares de l’Église à Laie, à Hawaï. À Honolulu,
les deux hommes retrouvèrent l’apôtre et sénateur américain Reed Smoot,
qui était venu dans les îles avec sa femme, Allie, pour visiter
l’assemblée législative hawaïenne. Il espérait également que l’air de
l’île améliorerait la mauvaise santé de son épouse. En compagnie
d’Abraham et Minerva Fernandez, qui avaient accueilli George Q. Cannon
lors de sa dernière visite dans les îles, ils se rendirent à Laie et
partagèrent un festin avec quatre cents saints.
Pendant les jours qui suivirent,
tandis qu’il rencontrait les membres de l’Église et visitait la ferme,
le président Smith était heureux de voir que les saints hawaïens
prospéraient spirituellement et temporellement. Les îles comptaient
désormais près de dix mille saints. Depuis peu, les Doctrine et
Alliances et la Perle de Grand Prix étaient publiées en hawaïen. Plus
de cinquante lieux de culte de l’Église parsemaient les îles. À Laie,
il y avait même une école appartenant à l’Église. Dans cette ville, les
saints avaient également embelli leurs jardins et leurs rues avec des
fleurs et des arbres robustes.
L’Église grandissait aussi dans
d’autres régions d’Océanie. Le Livre de Mormon et d’autres
documentations de l’Église étaient disponibles en maori, samoan et
tahitien. La mission de Tahiti disposait d’une imprimerie et publiait
son propre magazine de l’Église en tahitien, Te Heheuraa Api. À Tonga,
après plus de dix années d’interruption du travail missionnaire,
l’Église prenait à nouveau racine. Les saints d’Australie, de Samoa et
de Nouvelle-Zélande participaient au culte au sein de branches fortes
comprenant des Sociétés de Secours, des Écoles du Dimanche et des
chœurs. En 1913, l’Église avait également ouvert l’université maorie
d’agriculture [Māori Agricultural College] à Hastings, en
Nouvelle-Zélande. Là, les jeunes hommes se formaient, entre autres, aux
métiers de l’agriculture.
Lors de leur dernière soirée à Laie,
le 1er juin, le président Smith se rendit dans une église située au
sommet d’une colline surplombant la ville en compagnie de frère Nibley
et de frère Smoot. Le bâtiment se dressait là depuis 1883. Son nom, I
Hemolele, signifiait « Sainteté au Seigneur », la même expression
biblique qui figurait sur les murs du temple de Salt Lake City.
Devant le bâtiment, le président
Smith informa frère Smoot d’une discussion qu’il avait eue avec frère
Nibley, au cours de laquelle ils avaient envisagé de construire une
maison des dotations ou un petit temple à Laie puisque l’Église y était
fermement établie. Il proposa de déplacer I Hemolele afin de construire
un temple à sa place.
Frère Smoot approuva. Plus tôt dans
la semaine, après avoir assisté aux funérailles d’un membre âgé qui
avait reçu sa dotation en Utah des années auparavant, il avait eu une
pensée semblable. Tout au long de son histoire, l’Église avait
construit des temples là où les saints étaient nombreux. Cependant, en
1913, le président Smith avait consacré un site pour un temple à
Cardston, en Alberta (Canada), où il y avait maintenant deux pieux.
C’était la première fois qu’on projetait de construire un temple pour
des saints vivant loin du groupe principal de membres de l’Église.
Le président Smith dit à ses
compagnons de service : « Frères, je me sens inspiré à consacrer ce
terrain pour la construction d’un temple à Dieu. Que ce terrain
devienne le lieu où les habitants des îles du Pacifique viendront
accomplir l’œuvre du temple. » Il admit qu’il n’avait pas demandé
l’avis du Collège des douze apôtres ni des autres membres de la
Première Présidence. Il ajouta : « Cependant, si vous pensez qu’il n’y
a pas d’objections, j’estime que c’est le moment de consacrer ce
terrain. »
L’idée enthousiasmait frère Smoot et frère Nibley. Le prophète fit donc une prière de consécration.
Quand arriva l’été 1915, la
révolution mexicaine n’étaient plus vraiment une menace pour les
colonies de l’Église du nord du Mexique. De nombreuses familles avaient
retrouvé leur foyer et vivaient dans une paix relative. D’autres
colons, dont la famille de Camilla Eyring, avaient choisi de rester aux
États-Unis.
À San Marcos, la situation était
différente. Rafael Monroy était désormais le président d’une branche
d’une quarantaine de saints. Le 17 juillet, un groupe de rebelles
envahit le village, installa son quartier général dans une grande
maison au centre de la ville et exigea de Rafael, éleveur prospère,
qu’il leur fournisse de la viande.
Dans l’espoir d’apaiser les troupes,
il leur offrit une vache à abattre. Les rebelles étaient des
zapatistes, des partisans d’Emiliano Zapata, l’un des chefs rebelles
qui se battaient pour contrôler le gouvernement mexicain. Pendant des
mois, ils avaient affronté les forces de Venustiano Carranza (les
carrancistes) dans la région de San Marcos. Obéissant aux conseils du
président de mission, Rey L. Pratt, Rafael et les autres saints avaient
essayé de rester en dehors du conflit, espérant que les armées les
laisseraient en paix. Avant l’arrivée des rebelles, San Marcos avait
été un refuge pour les saints qui avaient fui la violence du centre du
Mexique.
Parmi les saints de San Marcos, on
comptait Jesusita, la mère de Rafael, et Guadalupe, sa femme. Elles
s’étaient fait baptiser toutes les deux en juillet 1913. Frère Pratt,
qui était parti aux États-Unis, continuait de soutenir la branche de
loin.
Après que Rafael eut remis la vache
aux rebelles, certains de ses voisins commencèrent à leur parler. L’un
d’eux, Andres Reyes, était mécontent du nombre croissant de saints dans
la région. De nombreux Mexicains s’opposaient aux influences étrangères
dans leur pays ; Andres et d’autres habitants de la ville reprochaient
à la famille Monroy de s’être éloignée du catholicisme et d’être
devenue membre d’une Église très liée aux États-Unis. De plus, l’aînée
des sœurs, Natalia, avait épousé un Américain, ce qui ne faisait
qu’accroître la méfiance des habitants à l’égard de la famille.
En entendant cela, les soldats
suivirent Rafael jusque chez lui et l’arrêtèrent au moment où il
s’asseyait pour prendre son petit-déjeuner. Ils lui ordonnèrent
d’ouvrir le magasin familial, l’accusant, lui et son beau-frère
américain, d’être des colonels de l’armée carranciste et de cacher des
armes pour les utiliser contre les zapatistes.
Au magasin, Rafael et les rebelles
rencontrèrent Vicente Morales, un autre membre de l’Église, occupé à
divers travaux. Le prenant également pour un carranciste, les troupes
l’arrêtèrent et saccagèrent le magasin à la recherche d’armes. Rafael
et Vicente plaidèrent leur innocence, assurant aux troupes qu’ils
n’étaient pas leurs ennemis.
Les soldats ne les crurent pas. Ils
déclarèrent : « Si vous ne nous donnez pas vos armes, nous vous
pendrons à l’arbre le plus haut. »
Lorsque les zapatistes forcèrent
Rafael à sortir de chez lui, ses sœurs, Jovita et Lupe, coururent après
eux. Jovita rattrapa les soldats en premier mais ils ignorèrent ses
supplications. Quand Lupe les rejoignit, elle vit les rebelles saisir
sa sœur. Cette dernière s’écria : « Lupe, ils m’arrêtent ! »
Une foule s’était formée autour de Rafael et Vicente. Des gens brandissaient des cordes en criant : « Pendez-les ! »
Lupe s’écria : « Qu’allez-vous faire
? Mon frère est innocent ! Démolissez la maison si nécessaire mais vous
n’y trouverez pas d’armes. »
Quelqu’un parmi la foule demanda
qu’on l’arrête, elle aussi. Lupe se précipita vers un arbre et s’y
accrocha aussi fort qu’elle put mais les rebelles l’attrapèrent et l’en
arrachèrent facilement. Ils retournèrent ensuite chez la famille Monroy
et arrêtèrent Natalia.
Les rebelles emmenèrent les trois
sœurs dans leur quartier général et les enfermèrent dans des pièces
séparées. Dehors, des gens dirent aux soldats que Rafael et Vicente
étaient des « mormons » qui corrompaient la ville avec leur religion
étrange. Les soldats n’avaient jamais entendu ce mot auparavant mais
ils le comprirent dans un sens négatif. Ils conduisirent les deux
hommes à un grand arbre et firent glisser des cordes sur ses branches
solides. Ils leur passèrent ensuite la corde autour du cou. Les soldats
leur dirent que s’ils abandonnaient leur religion et se joignaient aux
zapatistes, ils seraient libérés.
Rafael répondit : « Ma religion m’est plus chère que ma vie ; je ne peux l’abandonner. »
Les soldats tirèrent alors sur les
cordes jusqu’à ce que Rafael et Vicente soient pendus par le cou et
s’évanouissent. Ils relâchèrent ensuite les cordes, ranimèrent les deux
hommes et continuèrent à les torturer.
Au magasin, les rebelles cherchaient
toujours des armes. Jesusita et Guadalupe s’évertuaient à leur dire
qu’il n’y en avait pas. La mère insistait : « Mon fils est un homme
pacifique ! Si ce n’était pas le cas, pensez-vous que vous l’auriez
trouvé chez lui ? » Quand les soldats demandèrent encore à voir les
armes de la famille, elles leur présentèrent des exemplaires du Livre
de Mormon et de la Bible.
« Ce ne sont pas des armes, répliquèrent les rebelles. Nous voulons les armes. »
Dans l’après-midi, au quartier
général zapatiste, les rebelles réunirent la fratrie de la famille
Monroy dans la même pièce. Quand Lupe vit Rafael, elle fut choquée.
Elle lui dit : « Rafa, tu as du sang sur le cou. » Il s’avança vers
l’évier dans la pièce et se lava le visage. Il avait l’air calme et ne
semblait pas en colère, malgré tout ce qui s’était passé.
Plus tard, Jesusita apporta de la
nourriture à ses enfants. Avant qu’elle parte, Rafael lui remit une
lettre qu’il avait écrite à un capitaine zapatiste de sa connaissance,
lui demandant son aide pour prouver son innocence. Sa mère prit la
lettre et s’en alla à la recherche du capitaine. La famille Monroy et
Vicente bénirent ensuite leur repas, mais avant qu’ils puissent manger,
ils entendirent des bruits de pas et d’armes derrière la porte. Les
soldats appelèrent Rafael et Vicente. Les deux hommes sortirent de la
pièce. Sur le seuil, Rafael demanda à Natalia de l’accompagner dehors
mais les gardes la repoussèrent à l’intérieur.
Les sœurs se regardèrent, le cœur battant. Le silence s’installa. Puis des coups de feu déchirèrent la nuit.
Tandis qu’il observait la situation
en Europe, Hyrum M. Smith ressentait un poids énorme sur ses épaules.
En tant que président de la mission européenne, il avait immédiatement
obéi aux directives de la Première Présidence et avait fait sortir les
missionnaires d’Allemagne et de France peu après le début de la guerre.
Cependant, il n’était pas sûr de ce qu’il fallait faire des
missionnaires qui œuvraient dans les pays neutres ou dans les zones où
il n’y avait pas de combats violents, comme la Grande-Bretagne. Les
membres de la Première Présidence n’avaient pas donné d’instructions
sur la manière de procéder. Leur lettre disait : « Nous vous laissons
le soin de prendre une décision. »
Hyrum et les missionnaires du bureau
de la mission s’étaient réunis deux fois afin de discuter de la marche
à suivre. À la suite de ces discussions, ils étaient convenus de ne
relever que les missionnaires d’Europe continentale, laissant les
missionnaires de Grande-Bretagne terminer leur mission comme prévu. Le
président Smith avait ensuite écrit aux présidents de mission du
continent, leur demandant de rester à leur poste, ainsi que leurs
assistants afin de maintenir l’Église dans leur région. Les autres
missionnaires devaient être évacués.
Une année s’était écoulée et les
journaux ne cessaient de publier des histoires d’attaques des Allemands
contre les navires de guerre et les navires transportant des passagers
britanniques. En mai 1915, un sous-marin allemand torpilla le paquebot
britannique Lusitania tuant près de mille deux cents personnes, civils
et membres d’équipage. Trois mois plus tard, les Allemands coulèrent un
autre paquebot britannique, l’Arabic, au large de l’Irlande. À son bord
se trouvait un missionnaire rentrant chez lui, qui échappa de peu à la
mort.
Hyrum M. Smith était responsable de
l’organisation de la traversée de l’Atlantique pour les missionnaires
et les saints qui émigraient, et il ne savait pas comment gérer au
mieux cette crise. De nombreux missionnaires américains en
Grande-Bretagne étaient si impatients de rentrer chez eux qu’ils
étaient prêts à braver tous les dangers. De même, les saints qui
émigraient faisaient souvent passer leur désir de se rassembler en Utah
avant leur sécurité personnelle.
L’Église avait signé un contrat avec
une compagnie maritime britannique afin qu’elle gère toutes les
traversées de l’Atlantique par des membres de l’Église, ce qui
compliquait davantage la situation. Ne parvenant pas à trouver un moyen
honnête d’annuler le contrat, le président Smith estimait que le bureau
de la mission ne pouvait pas légalement réserver des places pour des
saints sur des navires américains, même si ces derniers étaient
considérés comme plus sûrs parce que les États-Unis n’étaient pas en
guerre contre l’Allemagne.
Le 20 août 1915, il écrivit à la
Première Présidence à ce sujet. Il avait déjà réservé des places pour
plusieurs missionnaires et saints émigrants sur le Scandinavian, un
navire canado-britannique quittant Liverpool le 17 septembre. Il se
demandait maintenant s’il devait les laisser partir.
Il écrivit : « Cette responsabilité
est presque trop lourde à porter seul. Je vous prie très humblement de
me conseiller, afin que d’avoir le sentiment d’agir en parfaite
harmonie avec vos souhaits. »
Une semaine avant le départ du
Scandinavian, Hyrum reçut un télégramme de la Première Présidence : «
Les émigrants voyageant sur des navires de pays belligérants doivent en
assumer personnellement la responsabilité. » Si les saints
choisissaient de voyager sous pavillon britannique, ils le faisaient à
leurs risques et périls.
Hyrum réfléchit soigneusement aux
possibilités qui s’offraient à lui. Il était clair que la Première
Présidence ne voulait pas inciter les saints à voyager sur des navires
susceptibles d’être attaqués. Cependant, les places sur les navires
américains, plus sûrs, ne pouvaient être réservées par les saints qu’à
titre personnel. Et même s’ils faisaient ce choix, le prix élevé de la
traversée pourrait les empêcher de faire le voyage.
Il écrivit dans son journal : « Je
répugne à risquer la vie de nos saints sur l’océan. » Néanmoins, il
savait qu’il devait faire quelque chose. Il nota : « Dans la mesure où
nous n’avons pas reçu l’ordre de ne pas le faire, nous irons de l’avant
et ferons confiance au Seigneur. »
Le 17 septembre 1915, Hyrum M. Smith
fit ses adieux à quatre missionnaires et trente-sept émigrants sur le
Scandinavian46. Il ne lui restait plus qu’à attendre d’être informé de
leur arrivée à bon port.
Chapitre 12 : Cette guerre terrible
À la fin du mois de septembre 1915,
le navire Scandinavian et ses passagers accostèrent sains et saufs à
Montréal. À partir de ce moment-là, Hyrum M. Smith ne proposa plus aux
membres de l’Église de traverser l’Atlantique le temps de déterminer,
avec la Première Présidence, le moyen le plus sûr de les faire voyager.
Quand le gouvernement allemand accepta de ne plus attaquer les
paquebots britanniques, Hyrum recommença à envoyer les saints sur des
navires britanniques jusqu’au printemps 1916. Ensuite, il se sentit
poussé à ne faire voyager les saints que sur des navires appartenant à
des pays neutres.
Il écrivit dans son journal : « Il y
a trop de danger à voyager sur des navires de pays belligérants et je
ne peux pas porter plus longtemps la responsabilité de prendre de tels
risques. »
Pendant ce temps, à Liège, en
Belgique, Arthur Horbach et les autres saints s’efforçaient de faire en
sorte que les membres de leur petite branche restent unis. Depuis que
les troupes allemandes avaient pris d’assaut la Belgique, le chaos
régnait. Les Allemands avaient tué des civils, fait souffrir des
prisonniers, pillé et brûlé des maisons et des villes, et puni toute
forme de résistance. Jour et nuit, des soldats ivres terrorisaient les
villes. Personne n’était à l’abri des violences.
Pendant les dix premiers mois de
l’occupation allemande, la branche de Liège osa rarement se réunir pour
le culte. Cependant, au printemps 1915, après s’être fait discrets
pendant des mois, Arthur et les deux autres détenteurs de la prêtrise
de la branche, Hubert Huysecom et Charles Devignez, décidèrent de tenir
à nouveau des réunions régulières.
Marie Momont, une femme âgée de la
branche, proposa aux saints de se réunir chez elle. Au bout de quelques
semaines, on décida de se réunir plutôt chez Hubert et sa femme,
Augustine. Leur maison était plus grande et se trouvait à mi-chemin
entre Liège et Seraing, ce qui en faisait un lieu de rassemblement
idéal pour les saints des deux villes. En tant qu’instructeur dans la
Prêtrise d’Aaron, Hubert Huysecom détenait l’office le plus élevé de la
prêtrise dans la ville, il devint donc responsable de la branche. Il
servait aussi en qualité de président de l’École du dimanche.
Arthur Horbach fut désigné comme
secrétaire et trésorier de la branche, responsable de la tenue des
registres et des comptes. Avec un autre membre de l’Église de Seraing,
il aidait Charles Devignez à instruire les classes d’École du Dimanche.
Juliette Jeuris-Belleflamme, Jeanne Roubinet et Guillemine Collard
supervisaient la Primaire. La branche ouvrit aussi une petite
bibliothèque.
Peu de temps après, les membres de
Liège prirent contact avec deux saints des derniers jours, l’un ancien
et l’autre prêtre, vivant à Villers-le-Bouillet, petite ville située à
une trentaine de kilomètres. Les deux hommes venaient dans la branche
une fois par mois, ce qui permettait aux saints de Liège de prendre la
Sainte-Cène et de recevoir des bénédictions de la prêtrise.
Souffrant de la faim, de la misère et
des privations, certains saints de Liège se découragèrent et s’en
prirent à d’autres membres de la branche. Cet été-là, le bureau de la
mission européenne commença à envoyer des fonds pour soulager les
pauvres et les nécessiteux. Malgré les difficultés, la plupart des
saints de la branche payaient leur dîme et, tandis que les jours
sombres s’éternisaient, ils se reposaient sur l’Évangile rétabli et
l’Esprit du Seigneur, et se soutenaient mutuellement.
Ils poursuivaient également leurs
efforts pour faire connaître l’Évangile à leurs voisins et il y eut
quelques baptêmes pendant cette période de bouleversement. Cependant,
les membres de la branche regrettaient la stabilité qu’ils avaient
connue avant l’invasion.
Arthur raconta : « Pendant cette
guerre terrible, nous avons vu le pouvoir du Tout-Puissant se
manifester à de nombreuses occasions. Les branches se portent bien mais
nous aspirons au retour des missionnaires. »
Le 6 avril 1916, le premier jour de
la conférence générale annuelle de l’Église à Salt Lake City, Charles
W. Penrose parla de la divinité. Avec les autres membres de la Première
Présidence, il recevait souvent des lettres faisant état de désaccords
entre les membres de l’Église concernant des points de doctrine. La
plupart de ces différends étaient facilement résolus. Mais plus
récemment, la présidence avait été troublée par des questions sur
l’identité de Dieu le Père.
Dans son discours, frère Penrose
expliqua : « Certaines personnes pensent encore qu’Adam était et est le
Dieu Tout-Puissant et éternel. »
Cette croyance trouvait son origine
dans des déclarations faites par Brigham Young au cours du XIXe siècle.
Des détracteurs de l’Église les avaient utilisées pour affirmer que les
saints des derniers jours adoraient Adam.
Les membres de la Première Présidence
avaient tenté de clarifier la doctrine concernant la Divinité, Adam et
les origines de l’humanité. En 1909, ils avaient publié une déclaration
rédigée par l’apôtre Orson F. Whitney sur « L’origine de l’homme [The
Origin of Man] », qui témoignait des vérités sur la relation entre Dieu
et ses enfants. Ils déclaraient : « Tous les hommes et toutes les
femmes sont à la ressemblance d’un Père et d’une Mère universels et
sont littéralement les fils et les filles de la Divinité. » On y lisait
aussi qu’avant de recevoir un corps mortel et de devenir le premier
homme, le « grand ancêtre » de la famille humaine, Adam était un «
esprit dans la préexistence ».
La Première Présidence avait
également chargé les dirigeants et les érudits de l’Église de publier
de nouveaux livres de doctrine qui serviraient lors des leçons de
l’École du Dimanche et des réunions des collèges de la Prêtrise. Les
ouvrages Théologie rationnelle [Rational Theology] de John Widtsoe et
Jésus le Christ de l’apôtre James E. Talmage présentaient les
enseignements officiels de l’Église sur Dieu le Père, Jésus-Christ et
Adam. Ces deux livres faisaient clairement la distinction entre Dieu le
Père et Adam, et soulignaient la manière dont l’expiation de
Jésus-Christ avait permis de vaincre les effets négatifs de la Chute.
Lors de la conférence générale,
lorsque le président Penrose s’adressa aux saints, il cita plusieurs
versets des Écritures anciennes et modernes pour montrer que Dieu le
Père et Adam n’étaient pas le même être. Il conclut en disant : « Que
Dieu nous aide à voir et à comprendre la vérité et à éviter l’erreur !
Et n’ayons pas des sentiments trop forts en ce qui concerne nos
opinions. Essayons d’être justes. »
Peu après la conférence, la Première
Présidence et le Collège des douze apôtres s’accordèrent sur le fait
que les saints avaient besoin d’une déclaration faisant autorité
concernant la Divinité. Pendant l’été, frère Talmage rédigea « Le Père
et le Fils [The Father and the Son] », une présentation doctrinale de
la nature et de la mission de Dieu le Père, ainsi que de sa relation
avec Jésus-Christ.
Dans cette déclaration, il affirmait
que Dieu le Père était Élohim, le père des esprits de toute l’humanité.
On y lisait aussi que Jésus-Christ était Jéhovah, le premier-né du Père
et le frère aîné de tous les hommes et femmes. Comme il avait mis en
œuvre le plan de son Père au moment de la Création, Jésus était aussi
le Père du ciel et de la terre. Pour cette raison, les Écritures le
désignaient souvent comme « Père » pour décrire sa relation
particulière avec le monde et ses habitants.
Les membres de la Première Présidence
expliquaient également que Jésus était le père spirituel des personnes
qui étaient nées de nouveau grâce à son Évangile. Ils affirmaient : «
Si l’on peut dire que ceux qui acceptent et respectent l’Évangile sont
des fils et des filles du Christ, alors il est logique de dire que
Jésus-Christ est le Père des justes. »
Enfin, ils décrivaient la manière
dont Jésus-Christ avait agi au nom du Père en tant que représentant
d’Élohim. Ils déclaraient : « En ce qui concerne le pouvoir, l’autorité
et la divinité, ses paroles et ses actes étaient et sont ceux du Père. »
Le 1er juillet, la déclaration « Le
Père et le Fils » fut publiée dans le journal Deseret Evening News. Le
même jour, Joseph F. Smith écrivit à son fils Hyrum M. Smith, qui
vivait à Liverpool, pour lui demander instamment de faire connaître
cette nouvelle déclaration aux saints de l’étranger. Il expliqua : «
C’est la première fois que cette tâche est entreprise. J’espère que tu
l’approuveras et que tu imprimeras cette déclaration avec grand soin. »
Cet été-là, dans le nord-est de la
France, les armées allemande et française s’affrontaient dans une
nouvelle impasse sanglante, cette fois devant la ville fortifiée de
Verdun. Espérant briser la détermination des Français, l’armée
allemande avait bombardé les défenses de la ville et avait mené
l’assaut avec des centaines de milliers de soldats. Les Français leur
opposèrent une résistance farouche et des mois d’une vaine guerre de
tranchées s’ensuivirent.
Parmi les fantassins allemands
combattant à Verdun se trouvait Paul Schwarz, âgé de quarante ans.
Agent de recouvrement et vendeur de machines à coudre originaire
d’Allemagne occidentale, il avait été appelé sous les drapeaux l’année
précédente. À l’époque, il était le président d’une petite branche de
l’Église dans une ville appelée Barmen, où il vivait avec sa femme,
Helene, et leurs cinq jeunes enfants. Paul était un homme calme et
pacifique mais il estimait qu’il était de son devoir de servir son
pays. Un autre détenteur de la Prêtrise de Melchisédek avait été appelé
à prendre sa place dans la branche et, peu de temps après, Paul se
retrouva au front.
À Verdun, la terreur était
omniprésente. Au début de la bataille, les Allemands avaient attaqué
les lignes françaises avec de l’artillerie avant d’envoyer des troupes
équipées de lance-flammes pour dégager la voie pour la colonne
d’infanterie en marche. Cependant, les Français étaient plus forts que
ce à quoi les Allemands s’attendaient et, des deux côtés, les pertes se
comptaient par centaines de milliers. En mars 1916, peu après l’arrivée
du régiment de Paul à Verdun, leur commandant fut tué au combat. Paul
eut la vie sauve. Plus tard, tandis qu’il transportait des grenades, du
fil barbelé et d’autre matériel de guerre vers le front, il se sentit
poussé à se diriger vers l’avant de sa compagnie. Il se dépêcha de
remonter la colonne, juste avant qu’un avion ne largue des bombes à
l’endroit même où il venait de passer.
D’autres soldats saints des derniers
jours qu’il connaissait n’eurent pas autant de chance, ce qui lui
rappela que Dieu n’épargnait pas toujours les fidèles. L’année
précédente, le magazine de l’Église allemand Der Stern avait rapporté
que Hermann Seydel, âgé de dix-huit ans, avait été tué sur le front Est
de la guerre. Il venait de la branche de Paul. Dans sa notice
nécrologique, on lisait : « C’était un jeune homme exemplaire et un
membre enthousiaste de l’Église de Jésus-Christ dont se souviendront
toutes les personnes qui l’ont connu. »
Avant la guerre, Paul Schwarz avait
toujours cherché à faire connaître l’Évangile. Sa femme et lui avaient
tous les deux obtenu le témoignage du Rétablissement après avoir lu des
brochures missionnaires. À présent, Helene lui envoyait au front des
imprimés sur les saints des derniers jours, qu’il distribuait aux
hommes de son unité. Les soldats les lisaient souvent pour passer le
temps avant la prochaine attaque. Certains se sentirent même poussés à
prier.
La bataille de Verdun et les
nombreuses batailles sur les autres fronts de la guerre se
poursuivirent pendant toute l’année 1916. Les soldats se blottissaient
dans les tranchées sombres et crasseuses, livrant d’innombrables
batailles cauchemardesques dans la boue et les barbelés du « No Man’s
Land », la zone désolée située entre les armées. Paul et d’autres
soldats saints des derniers jours des deux camps se raccrochaient à
leur foi, trouvant l’espoir dans l’Évangile rétabli tout en priant pour
que le conflit se termine.
Tandis que la guerre faisait rage en
Europe, au Mexique la révolution était toujours aussi intense. À San
Marcos, les troupes zapatistes qui avaient occupé la ville un an plus
tôt étaient parties. Cependant, le souvenir de la violence pesait
toujours sur la famille Monroy et sur sa branche.
La nuit où les zapatistes avaient
envahi San Marcos, Jesusita de Monroy était partie à la recherche d’un
chef rebelle, espérant qu’il pourrait faire libérer ses enfants,
lorsqu’elle entendit les coups de feu fatidiques. Se précipitant vers
la prison, elle trouva son fils Rafael et son ami Vicente Morales
morts, victimes des balles des rebelles.
Sa détresse fut immense. Ses
hurlements déchirèrent la nuit et se firent entendre jusque dans la
pièce où ses filles étaient retenues.
Non loin, quelqu’un dit : « Quel homme courageux ! »
Un autre demanda : « Qu’ont-ils donc trouvé dans sa maison ? »
Jesusita aurait pu répondre. Les
zapatistes avaient cherché des armes chez son fils et ils n’avaient
rien trouvé. Rafael et Vicente étaient innocents.
Le lendemain matin, Jesusita et
Guadalupe, la femme de Rafael, persuadèrent le commandant rebelle de
libérer Natalia, Jovita et Lupe. Elles allèrent ensuite récupérer les
dépouilles de Rafael et Vicente. Les zapatistes avaient abandonné les
corps dehors et une foule de citadins s’était assemblée autour d’eux.
Comme personne ne semblait disposé à les aider à porter les corps
jusque chez elles, Jesusita et ses filles sollicitèrent l’aide des
quelques hommes qui travaillaient dans le ranch de Rafael.
Casimiro Gutierrez, que Rafael avait
ordonné à la prêtrise de Melchisédek, dirigea le service funèbre au
foyer des Monroy. Plus tard, quelques habitantes de la ville, dont
certaines s’étaient exprimées contre les saints, arrivèrent à la porte
avec un air coupable et présentèrent leurs condoléances. Leurs paroles
n’apportèrent aucun réconfort à la famille Monroy.
Jesusita ne savait plus que faire.
Elle envisagea pendant un temps de quitter San Marcos. Des proches
invitèrent la famille à venir vivre avec eux mais elle déclina leur
offre. Dans une lettre au président de la mission, Rey L. Pratt, elle
déclara : « Je ne peux m’y résoudre. Nous ne serions pas bien vus pour
le moment car dans ces petites villes, il n’y a ni tolérance ni liberté
religieuse. »
Jesusita voulait déménager aux
États-Unis, peut-être dans l’État frontalier du Texas. Cependant, frère
Pratt, qui supervisait la mission mexicaine depuis son domicile à
Manassa, dans le Colorado, lui conseilla de ne pas aller habiter dans
un endroit où l’Église n’était pas bien établie. Si elle jugeait
nécessaire de déménager, il lui recommandait de choisir un endroit
entouré de saints, où le climat serait agréable et où elle pourrait
gagner sa vie.
Frère Pratt l’incita également à
rester forte. Il écrivit : « Votre foi est l’une des plus grandes
sources d’inspiration de ma vie. »
Un an après la mort de son fils,
Jesusita vivait toujours à San Marcos. Casimiro Gutierrez était le
président de branche. C’était un homme sincère qui cherchait à faire ce
qui était le mieux pour la branche mais il avait parfois du mal à
mettre en pratique l’Évangile et n’avait pas le talent de Rafael pour
diriger. Heureusement, d’autres saints de la branche et des environs
firent en sorte que l’Église reste forte à San Marcos.
Le premier dimanche du mois de
juillet 1916, les saints tinrent une réunion de témoignage. Chaque
membre de la branche témoigna de l’Évangile et de l’espoir qu’il lui
donnait. Puis, le 17 juillet, un an après les tueries, les saints se
réunirent de nouveau pour se souvenir des martyrs. Ils chantèrent un
cantique sur la seconde venue de Jésus-Christ et Casimiro lut un
chapitre du Nouveau Testament. Un membre de la branche compara Rafael
et Vicente au martyr, Étienne, mort pour son témoignage du Christ.
Guadalupe Monroy prit aussi la
parole. Quand les zapatistes eurent été chassés de la région, un de
leurs rivaux, un capitaine carranciste, lui avait promis de se venger
de l’homme responsable de l’exécution de son mari. Elle lui avait
répondu : « Non ! Je ne veux pas qu’une autre femme malheureuse pleure
dans la solitude comme je le fais. » Elle croyait que Dieu rendrait
justice en son temps.
À présent, un an après la mort de son
mari, elle témoigna que le Seigneur lui avait donné la force de
persévérer malgré sa douleur. Elle déclara : « Mon cœur est rempli de
joie et d’espoir grâce aux magnifiques promesses de l’Évangile
destinées aux personnes qui meurent après avoir été fidèles à garder
ses lois et ses commandements. »
Jesusita aussi resta un pilier de foi
pour sa famille. Elle déclara à frère Pratt : « Notre chagrin a été
douloureux mais notre foi est forte et nous n’abandonnerons jamais
cette religion. »
Pendant ce temps, en Europe, l’apôtre
George F. Richards fut désigné à la place de Hyrum M. Smith pour
présider la mission européenne. Avant de rentrer aux États-Unis avec
son mari, Ida Smith écrivit une lettre d’adieu remplie de
reconnaissance pour ses sœurs de la Société de Secours en Europe.
Elle écrivit : « Au cours des deux
dernières années, nous avons assisté à un regain d’intérêt pour la
cause de la Société de Secours. Nous avons toutes les raisons d’espérer
que l’œuvre continuera de progresser et deviendra une puissance de plus
en plus grande en faveur du bien. »
La Société de secours comptait
désormais plus de deux mille femmes dans toute l’Europe. De nombreuses
unités locales avaient prospéré comme jamais auparavant, associant
leurs efforts à ceux de la Croix-Rouge et d’autres organisations afin
de réduire la pauvreté et soulager la souffrance pendant la guerre. Ida
Smith avait organisé soixante-neuf nouvelles Sociétés de secours
pendant sa mission.
Elle espérait maintenant que leur
influence s’étendrait encore davantage. Elle écrivit : « Le champ
d’action est vaste. J’espère que toutes les sœurs profiteront de chaque
occasion pour se faire connaître et exercer leur influence dans un
cercle aussi large que possible. » Comme la guerre avait privé les
branches de missionnaires et de dirigeants de la prêtrise, Ida Smith
avait incité les femmes à trouver du temps pour distribuer des
brochures missionnaires.
Elle écrivit : « Dans certains cas,
les résultats ont été magnifiques. Beaucoup de portes ont été ouvertes
à la prédication grâce à cela. »
À l’automne 1916, le président
Richards soutint les efforts des femmes de la région pour être
missionnaires dans les villes et les localités où elles vivaient. Il
demanda aux dirigeants de mission d’appeler des « femmes missionnaires
», de les soutenir lors de conférences, de les mettre à part et de leur
remettre un certificat de missionnaire. Il souhaitait aussi que l’on
confie aux femmes des responsabilités dans les branches, telles que
prier et prendre la parole pendant la réunion de Sainte-Cène, ce qui,
avant la guerre, était fait par les hommes.
À Glasgow, en Écosse, plus d’une
dizaine de femmes, dont Isabella Blake, la présidente de la Société de
Secours de la branche, furent appelées à remplir une mission locale.
Isabella éprouvait un grand respect pour Ida Smith. En suivant son
exemple, les sœurs de sa Société de Secours et elle avaient œuvré avec
d’autres églises pour fournir des vêtements aux soldats et aux marins.
Lorsqu’elles envoyaient des paquets au front, elles y joignaient des
messages d’encouragement et de reconnaissance pour les soldats. Elles
réconfortaient également les nombreuses femmes de Glasgow accablées par
la perte d’êtres chers, priant pour que ce terrible conflit se termine.
Un jour, Ida Smith avait conseillé à
Isabella Blake : « Quoi que vous fassiez, gardez toujours votre
spiritualité bien vivante. » Isabella tâchait de garder ce conseil à
l’esprit tandis qu’elle s’acquittait de ses responsabilités. Toutes les
nouvelles missionnaires travaillaient la journée et certaines étaient
épouses et mères. Elle-même était enceinte de son sixième enfant. Elles
consacraient le temps libre dont elles disposaient (leur demi-journée
de congé hebdomadaire ou le dimanche) pour distribuer des brochures,
enseigner l’Évangile, assister aux réunions de la Société de Secours ou
rendre service, par exemple en allant voir les soldats blessés dans les
hôpitaux.
Comme d’autres sœurs missionnaires
avant elles, les femmes de Glasgow touchèrent le cœur de personnes qui
se méfiaient des frères missionnaires américains. Les quartiers
ouvriers de leur ville étaient réceptifs au message de l’Évangile.
Elle-même convertie locale, Isabella Blake témoignait de sa propre
expérience de l’Évangile. En parlant avec les habitants de sa ville,
elle se rendit compte de leur gentillesse et de leur désir de trouver
la vérité.
Elle témoigna : « Nous sommes une
petite poignée de personnes dans ce monde densément peuplé à avoir
cette connaissance révélée que les relations familiales continuent de
l’autre côté. Nous savons que le Seigneur nous a ouvert la voie et
qu’en se conformant à ses exigences, la femme sera rendue à son mari et
le mari à sa femme, et ils seront de nouveau unis en Christ Jésus. »
Le bon esprit qui régnait parmi les
saints de Glasgow contribua à leur réussite. En travaillant avec les
quelques hommes restants dans leur branche, Isabella Blake et les
autres sœurs missionnaires ramenèrent à l’Église de nombreuses
personnes qui s’étaient éloignées. La Société de Secours ne se
réunissait plus deux fois par mois mais quatre fois. Isabella
appréciait particulièrement les réunions de témoignages. Elle raconta :
« Certains soirs, nous n’avions pas envie de conclure. »
En voyant le succès de la branche de
Glasgow et de ses nouvelles missionnaires, Isabella désirait que
l’Église soit mieux établie dans la ville. Dans une lettre adressée au
bureau de la mission, elle écrivit : « Si nous avions ici une petite
église à nous, édifiée dans le seul but d’adorer Dieu et d’accomplir
des baptêmes, je crois que cette branche serait la meilleure de la
mission britannique. »
Chapitre 13 : Héritiers du salut
En janvier 1917, Susa Gates alla à
New York pour rendre visite à une amie malade, Elizabeth McCune, avec
qui elle avait servi au sein du bureau général de la Société de
Secours. Cet hiver-là, Elizabeth et son mari, Alfred, avaient déménagé
à New York pour qu’Alfred puisse y traiter des affaires. Lorsque Susa
apprit que son amie était malade, elle accourut pour l’aider à se
rétablir. Mais quand elle arriva, Elizabeth se sentait déjà mieux. Elle
insista néanmoins pour que son amie reste avec elle et lui tienne
compagnie. Pendant son séjour, Susa se rendit dans les bibliothèques de
la ville pour effectuer des recherches généalogiques, auxquelles elle
consacrait désormais l’essentiel de son temps de service dans l’Église.
Au Danemark, quinze ans plus tôt,
elle était tombée gravement malade pendant une réunion du Conseil
international des femmes. Elle avait demandé une bénédiction à l’apôtre
Francis Lyman, alors président de la mission européenne. Il l’avait
bénie afin qu’elle ne craigne pas la mort et lui avait promis qu’elle
avait un travail à accomplir dans le monde des esprits. Mais au milieu
de la bénédiction, il s’était arrêté pendant quelques minutes.
Lorsqu’il avait repris, il avait dit à Susa : « Un conseil a été tenu
dans les cieux. Il a été décidé que tu vivrais afin d’accomplir l’œuvre
du temple et que tu accomplirais un travail plus important que jamais
auparavant. »
Après sa guérison, Susa s’était
consacrée à la généalogie et à l’œuvre du temple. Elle avait pris une
part active au sein de la société généalogique d’Utah, organisation
gérée par l’Église et fondée en 1894 suite à la révélation que Wilford
Woodruff avait reçue concernant les scellements du temple. Elle avait
commencé à travailler au temple de Salt Lake City, à enseigner la
généalogie et à écrire une chronique hebdomadaire sur l’histoire
familiale pour le Deseret Evening News.
En 1911, lorsque Susa Gates et
Elizabeth McCune étaient devenues membres du bureau général de la
Société de Secours, elles s’étaient attachées à faire de la généalogie
et de l’œuvre du temple une priorité pour les femmes de l’Église. Elles
s’étaient rendues dans des paroisses et des branches des États-Unis et
du Canada où elles avaient expliqué aux saints comment rechercher leurs
ancêtres. Susa avait également rédigé des leçons de généalogie pour le
magazine de la Société de Secours [Relief Society Magazine]. À la
demande du bureau général, elle écrivait actuellement un ouvrage de
référence pour aider les saints à compiler leur histoire familiale.
Tandis qu’elle était à New York, elle
en profita pour chercher aussi des noms de la famille McCune à la
bibliothèque. Elle fit également tout son possible pour accorder à
Elizabeth l’amour et l’attention dont elle avait besoin.
La veille du départ de Susa,
Elizabeth se sentait suffisamment bien pour assister à une réunion de
la Société de Secours en ville, au siège de la mission des États de
l’Est. Susa parla aux femmes des recherches généalogiques. Il y avait
peu de saintes des derniers jours à New York, mais elle ressentit avec
puissance l’Esprit parmi elles.
Sur le chemin du retour, Susa
s’arrêta dans deux autres villes pour rendre visite aux saints. Après
une réunion, un président de branche vint lui parler. Il lui dit : «
J’ai toujours apprécié le témoignage des personnes âgées et j’aime les
entendre parler de leurs expériences. »
Susa rit intérieurement. « Tu es une
personne âgée, Susa, tu entends ? » se dit-elle. Elle avait soixante
ans, mais elle avait encore des années devant elle et tellement de
travail à accomplir.
Au début de la conférence générale de
l’Église d’avril 1917, Joseph F. Smith déclara : « Nous vivons à une
époque cruciale. » En Utah, les journaux ne cessaient de publier des
articles alarmants relatant les agressions allemandes contre les
États-Unis. Pendant deux ans et demi, les États-Unis étaient restés
neutres. Cependant, l’Allemagne avait récemment opté pour une politique
de guerre sous-marine à outrance et les navires américains étaient
désormais susceptibles d’être attaqués. Les représentants du
gouvernement allemand avaient également cherché à conclure une alliance
avec le Mexique, afin de pouvoir attaquer les États-Unis par le sud. Le
Congrès des États-Unis avait réagi en autorisant le président Woodrow
Wilson à déclarer la guerre à l’Allemagne.
À la chaire du tabernacle de Salt
Lake City, le président Smith comprenait l’angoisse et la crainte de
nombreux saints de l’assemblée. Il les incita à chercher la paix, le
bonheur et le bien-être de la famille humaine. Il déclara : « Si,
aujourd’hui, nous faisons notre devoir de membres de l’Église et de
citoyens de notre État, nous n’avons pas à craindre ce que l’avenir
nous réserve. »
Plus tard dans la journée, le
président Wilson déclara officiellement la guerre. Près de cinq mille
jeunes hommes d’Utah s’enrôlèrent, dont la plupart étaient des saints
des derniers jours. Beaucoup de femmes de l’Église se joignirent à la
Croix-Rouge en tant qu’infirmières de guerre. Les saints américains qui
ne pouvaient pas s’engager dans les forces armées trouvèrent d’autres
moyens de soutenir leur pays. Ils achetaient notamment des «
obligations pour la liberté [Liberty Bonds] » émises par le
gouvernement pour financer la guerre. Betty McCune, la fille
d’Elizabeth, apprit à conduire et à entretenir une automobile, et
devint ambulancière. B. H. Roberts, des soixante-dix, se porta
volontaire pour être l’un des trois aumôniers saints des derniers jours
de l’armée.
Peu après la conférence générale,
Joseph F. Smith se rendit à Hawaï pour suivre l’avancement des travaux
du temple de Laie. Sous la direction des contremaîtres, Hamana Kalili
et David Haili, les ouvriers avaient déjà terminé l’extérieur du temple
et s’affairaient à finir l’intérieur. Construit en béton armé et en
roches de lave extraites des montagnes voisines, le temple de Hawaï
était en forme de croix et n’avait pas de clocher. Des sculptures en
ciment représentant des scènes scripturaires, réalisées par Leo et
Avard Fairbanks, artistes venus d’Utah, ornaient l’extérieur du
bâtiment.
En octobre, un mois avant son
soixante-dix-neuvième anniversaire, le prophète déclara aux saints
qu’il commençait à se sentir vieux. Il dit : « Je pense que je suis à
peu près aussi jeune d’esprit que je l’ai jamais été mais mon corps
fatigue. Permettez-moi de vous dire que, parfois, mon pauvre vieux cœur
tremble considérablement. »
Sa santé continua de se dégrader
jusqu’à la fin de l’année. Au début de l’année 1918, il commença à
consulter un médecin régulièrement. À la même époque, son fils Hyrum
tomba lui aussi malade. Seize mois s’étaient écoulés depuis qu’il avait
été relevé de son appel de président de la mission européenne. Pendant
cette période, il avait été en bonne santé et fort. Néanmoins, Joseph
s’inquiétait. Hyrum avait toujours tenu une place particulière dans son
cœur. Son dévouement et son service au Seigneur le comblaient de joie.
Il lui faisait penser à son propre père, le patriarche Hyrum Smith.
La santé de Hyrum se dégradait de
jour en jour. Il ressentait une grande douleur au niveau de l’abdomen,
symptôme d’une appendicite. Ses amis le suppliaient d’aller à l’hôpital
pour se faire opérer mais il refusait. Il disait : « J’ai obéi à la
Parole de Sagesse ; le Seigneur prendra soin de moi. »
Le 19 janvier, la douleur devint
presque insupportable. Ida, la femme de Hyrum, prévint immédiatement
Joseph qui pria avec ferveur pour la guérison de son fils. Pendant ce
temps, les apôtres Orson F. Whitney et James E. Talmage vinrent au
chevet de Hyrum et veillèrent sur lui pendant la nuit. Un groupe de
médecins et de spécialistes, dont Ralph T. Richards, le neveu de
Joseph, s’occupèrent également de lui.
Après l’avoir examiné, le docteur
Richards craignit que Hyrum n’ait attendu trop longtemps avant de se
tourner vers la médecine et il le supplia d’aller à l’hôpital. Il
l’avertit : « Si tu y vas maintenant, il n’y a qu’une chance sur mille
que tu t’en sortes. Vas-tu la saisir ?
– Oui, » répondit Hyrum.
À l’hôpital, les médecins firent deux
radios et décidèrent de retirer l’appendice de Hyrum. Pendant
l’opération, le docteur Richards découvrit que l’organe s’était rompu,
répandant des bactéries toxiques dans tout l’abdomen du malade.
Hyrum survécut mais Joseph resta
affaibli par l’angoisse et passa l’après-midi allongé, incapable de
manger. Le soir, son fils semblant reprendre des forces, il fut
réconforté. Soulagé et plein de reconnaissance, il se consacra de
nouveau à ses responsabilités de président de l’Église.
Trois jours après l’opération de
Hyrum, Joseph reçut un appel téléphonique de l’hôpital. Malgré de
nombreuses prières et le travail consciencieux des médecins, Hyrum
était décédé. Joseph était abasourdi. Il avait besoin de Hyrum.
L’Église avait besoin de Hyrum. Pourquoi sa vie n’avait-elle pas été
épargnée ?
Accablé par le chagrin, Joseph
épancha son angoisse dans son journal. Il écrivit : « Mon âme est
déchirée. Et maintenant, que puis-je faire ! Oh ! Que puis-je faire ?
Mon âme est déchirée et mon cœur brisé ! Oh ! Que Dieu me vienne en
aide ! »
Les jours suivant la mort de Hyrum,
le chagrin pesait sur la famille Smith. Des saints remettaient en cause
sa décision de ne pas se rendre immédiatement à l’hôpital. Certains
disaient : « Il aurait pu vivre s’il s’y était rendu dès qu’on le lui a
dit. » Charles Nibley, évêque président et ami proche de la famille,
était du même avis. Il fit remarquer que la foi de Hyrum dans la Parole
de Sagesse était louable mais que le Seigneur avait également mis à
leur disposition des femmes et des hommes compétents, formés
scientifiquement pour prendre soin du corps.
Cherchant du réconfort pendant ce
deuil, les membres de la famille Smith se réunirent à la Beehive
House(La Ruche), l’ancienne demeure de Brigham Young, où vivait Joseph
F. Smith. Le fait de se réunir atténua un peu leur tristesse et leur
donna l’occasion de se réjouir de la vie honorable et fidèle de Hyrum.
Cependant, tous restaient sous le choc de sa mort.
Ida, sa veuve, ne disait rien tant
elle était submergée de chagrin. Ils avaient été mariés pendant
vingt-deux ans. Hyrum lui disait parfois : « Écoute, si je meurs le
premier, je ne vais pas te laisser ici très longtemps. » C’était une
façon enjouée de lui montrer son amour et sa tendresse. Ni lui ni Ida
n’avaient imaginé qu’il mourrait si jeune et de manière si inattendue.
Le 21 mars 1918, jour du
quarante-sixième anniversaire de Hyrum, Ida invita les amis les plus
proches de son mari chez elle pour une petite fête en souvenir de lui.
Alors qu’ils évoquaient son souvenir, racontant parfois des histoires
amusantes, la conversation devint plus profonde. Orson F. Whitney, ami
de longue date du couple, récita un poème sur le plan parfait de Dieu
pour ses enfants.
Un jour, quand toutes les leçons de la vie auront été apprises,
Et quand le soleil et les étoiles pour toujours se seront couchés,
Les choses que, dans notre faible jugement, nous n’avions pas comprises,
Les choses sur lesquelles, à chaudes larmes, nous avions tant pleuré,
Hors de la nuit sombre paraîtront devant nous, devenues claires enfin,
Pareilles aux étoiles qui, dans un ciel profond, brillent encore plus belles.
Alors nous verrons que tous les plans de Dieu étaient pour notre bien,
Et que les reproches apparents cachaient l’amour le plus fidèle !
Ida fut touchée par le poème. Elle
confia à Orson qu’elle aspirait à entendre un tel message depuis la
mort de Hyrum. Cependant, la soirée mit ses émotions à rude épreuve.
Lorsque les invités se réunirent autour de la table pour manger, elle
ne put s’empêcher de pleurer en voyant la chaise vide qu’occupait
habituellement Hyrum.
Elle trouvait un peu de consolation
dans le fait qu’elle allait avoir un autre bébé. Peu après la mort de
son mari, elle avait découvert qu’elle était enceinte. Elle demanda
immédiatement à sa sœur aînée, Margaret, d’emménager avec elle pour
l’aider à s’occuper des quatre autres enfants, âgés de dix-neuf à six
ans. Margaret accepta.
Tout l’été, Ida était en bonne santé
mais elle agissait comme si elle se préparait à mourir. Margaret lui
disait : « Tu vas très bien. Tu ne vas pas mourir. »
Pourtant, vers la fin de sa
grossesse, elle semblait convaincue qu’elle ne vivrait pas longtemps
après la naissance de son enfant. Lors d’une visite chez sa belle-mère,
Edna Smith, Ida s’exprima comme si elle était impatiente d’être avec
Hyrum dans le monde des esprits. Elle disait qu’ils pourraient
accomplir une œuvre importante ensemble de l’autre côté du voile.
Le mercredi 18 septembre, Ida
accoucha d’un petit garçon en bonne santé. Plus tard, elle dit à sa
mère que Margaret l’élèverait. Elle expliqua : « Je sais que je vais
retourner chez moi, auprès de Hyrum, et que je vais devoir laisser mes
enfants. S’il vous plaît, priez pour mon bébé et mes chers enfants. Je
sais que le Seigneur les bénira. »
Le dimanche suivant, Ida eut
l’impression toute la journée que Hyrum était à ses côtés. Elle affirma
à sa famille : « J’ai entendu sa voix. J’ai senti sa présence. »
Quelques jours plus tard, son neveu
entra précipitamment chez lui et dit à sa mère : « Je viens de voir
oncle Hyrum entrer chez tante Ida.
– C’est ridicule, répondit sa mère. Il est mort.
– Je l’ai vu, insista le garçon. Je l’ai vu de mes propres yeux. »
Ils se rendirent tous les deux chez
la famille Smith, qui habitait tout près. Là, ils découvrirent le corps
sans vie d’Ida. Plus tôt dans la soirée, elle était décédée d’une
insuffisance cardiaque.
La famille de Joseph F. Smith ne lui
annonça pas immédiatement qu’Ida était décédée, de peur de l’anéantir.
La mort de Hyrum l’avait fragilisé et il s’était rarement montré en
public au cours des cinq derniers mois. Cependant, le lendemain de la
mort d’Ida, des membres de sa famille lui amenèrent le nouveau-né et il
pleura en bénissant le bébé et en lui donnant le nom de Hyrum. Ils
l’informèrent alors du décès d’Ida.
À la surprise générale, Joseph reçut
la nouvelle avec calme. Tant de souffrance et de douleur s’étaient
abattues sur le monde ces derniers temps ! Les journaux quotidiens
publiaient des rapports effroyables sur la guerre. Des millions de
soldats et de civils avaient déjà été tués, et des millions d’autres
étaient mutilés et blessés. Plus tôt cet été-là, les soldats de l’Utah
étaient arrivés en Europe et avaient été témoins de la brutalité
implacable de la guerre. D’autres jeunes saints des derniers jours se
préparaient à rejoindre le combat, y compris certains des fils de
Joseph. Son fils Calvin était déjà sur le front en France, servant aux
côtés de B. H. Roberts en tant qu’aumônier militaire.
Une souche mortelle de grippe
commençait également à faire des victimes dans le monde entier,
ajoutant à la douleur et au chagrin de la guerre. Le virus se
propageait à une vitesse alarmante. L’Utah était sur le point de fermer
ses théâtres, ses églises et ses lieux publics dans l’espoir de stopper
la vague de maladie et de mort.
Le 3 octobre 1918, Joseph F. Smith
était assis dans sa chambre, méditant sur l’expiation de Jésus-Christ
et la rédemption du monde. Il ouvrit le Nouveau Testament au premier
livre de Pierre, qui décrivait le Sauveur prêchant aux esprits dans le
monde des esprits. Il lut : « Car l’Évangile a été aussi annoncé aux
morts, afin que, après avoir été jugés comme les hommes quant à la
chair, ils vivent selon Dieu quant à l’Esprit. »
Tandis qu’il méditait sur ces
Écritures, le prophète sentit l’Esprit descendre sur lui, ouvrant les
yeux de son intelligence. Il vit une foule rassemblée dans le monde des
esprits. Des femmes et des hommes justes, morts avant le ministère
terrestre du Sauveur, attendaient avec joie son avènement pour qu’il
déclare leur libération des liens de la mort.
Le Sauveur apparut à la multitude et
les esprits des justes se réjouirent de leur rédemption. Ils
s’agenouillèrent devant lui, le reconnaissant comme leur Sauveur, celui
qui les avait délivrés de la mort et des chaînes de l’enfer. Leur
visage brillait et la lumière qui se dégageait de la présence du
Seigneur rayonnait autour d’eux. Ils chantèrent des louanges en son nom.
Émerveillé par sa vision, Joseph
repensa aux paroles de Pierre. Les esprits désobéissants était bien
plus nombreux que les justes. Comment le Sauveur avait-il pu, au cours
de sa brève visite dans le monde des esprits, prêcher son Évangile à
tous ces gens ?
Les yeux de Joseph furent à nouveau
ouverts et il comprit que le Sauveur n’avait pas visité en personne les
esprits désobéissants. Il avait organisé les esprits des justes,
désigné des messagers et les avait chargés de porter le message de
l’Évangile aux esprits dans les ténèbres. Ainsi, toutes les personnes
décédées en transgression ou sans avoir connu la vérité recevraient des
enseignements sur la foi en Dieu, le repentir, le baptême par
procuration pour la rémission des péchés, le don du Saint-Esprit et
tous les autres principes fondamentaux de l’Évangile.
En promenant son regard sur la vaste
assemblée des esprits des justes, Joseph vit Adam et ses fils Abel et
Seth. Il vit Ève avec ses filles fidèles qui avaient adoré Dieu à
travers les âges. Noé, Abraham, Isaac, Jacob et Moïse étaient également
présents, ainsi qu’Ésaïe, Ézéchiel, Daniel et d’autres prophètes de
l’Ancien Testament et du Livre de Mormon. Il y avait aussi Malachie, le
prophète qui avait prédit qu’Élie viendrait implanter dans le cœur des
enfants les promesses faites aux pères, préparant ainsi la voie à
l’œuvre du temple et à la rédemption des morts dans les derniers jours.
Joseph F. Smith vit également Joseph
Smith, Brigham Young, John Taylor, Wilford Woodruff et d’autres
personnes qui avaient posé les fondements du Rétablissement. Parmi eux
se trouvait son père martyr, Hyrum Smith, qu’il n’avait pas vu depuis
soixante-quatorze ans. Ces hommes faisaient partie des esprits nobles
et grands, choisis avant de venir sur la terre afin d’œuvrer dans les
derniers jours pour le salut de tous les enfants de Dieu.
Le prophète comprit que les frères
fidèles de cette dispensation poursuivraient leur travail après cette
vie en prêchant l’Évangile aux esprits qui se trouvaient dans les
ténèbres et sous l’emprise du péché.
Il observa : « Les morts qui se
repentent seront rachetés en obéissant aux ordonnances de la maison de
Dieu. Et, lorsqu’ils auront payé le prix de leurs transgressions et
auront été purifiés, ils recevront une récompense selon leurs œuvres,
car ils sont héritiers du salut. »
Lorsque la vision prit fin, Joseph
médita sur toutes les choses qu’il avait vues. Le lendemain matin, les
saints furent surpris de le voir participer à la première session de la
conférence générale d’octobre, malgré sa santé fragile. Déterminé à
prendre la parole devant l’assemblée, il se tint tant bien que mal à la
chaire, l’effort le faisant trembler de tout son corps. Il dit : «
Pendant plus de soixante-dix ans, j’ai travaillé à cette cause avec vos
pères et vos ancêtres. Mon cœur est tout aussi fermement attaché à vous
aujourd’hui qu’il l’a jamais été. »
N’ayant pas la force de parler de sa
vision sans être submergé par l’émotion, il se contenta d’y faire
allusion. Il déclara devant l’assemblée : « Je n’ai pas vécu seul
pendant ces cinq derniers mois. J’ai vécu dans un esprit de prière, de
supplication, de foi et de détermination et j’ai sans cesse communiqué
avec l’Esprit du Seigneur. »
Il poursuivit : « Pour moi, la réunion de ce matin est source de joie. Que Dieu Tout-Puissant vous bénisse. »
Environ un mois après la conférence
générale d’octobre, Susa et Jacob Gates se rendirent à la Beehive House
pour récupérer une caisse de pommes chez la famille Smith. À leur
arrivée, Joseph F. Smith demanda à Susa de le rejoindre dans a chambre
où il était alité, malade depuis des semaines.
Susa s’efforça de le réconforter,
tout comme il l’avait fait par le passé pour sa famille. Cependant, son
service dans l’Église était source de découragement. À l’exception
d’Elizabeth McCune, qui avait fait don d’un million de dollars à la
société généalogique d’Utah l’année précédente, peu de femmes du bureau
général de la Société de Secours semblaient enthousiasmées par
l’histoire familiale et l’œuvre du temple. Certains membres du bureau
avaient même proposé d’arrêter les leçons mensuelles de généalogie de
la Société de Secours ; les dirigeantes de la Société de Secours de
pieu estimaient qu’elles étaient trop complexes et manquaient de
spiritualité.
En parlant à Susa, Joseph la rassura : « Susa, vous faites un travail excellent. »
Embarrassée, elle répondit : « Il est vrai que je suis bien occupée. »
Il insista : « Vous faites un travail
excellent, plus grandiose que vous ne le pensez. » Il lui dit qu’il
l’aimait pour sa foi et son dévouement à la vérité. Il demanda ensuite
à Julina, sa femme, de lui apporter un document. Pendant qu’elle le
faisait, Jacob et quelques autres personnes les rejoignirent dans la
chambre.
Tandis qu’ils étaient ainsi
rassemblés, Joseph demanda à Susa de lire le document. Elle le prit et
fut étonnée par ce qu’elle lisait. En tant que prophète, Joseph s’était
toujours montré prudent lorsqu’il parlait de la révélation et d’autres
sujets spirituels. Mais ici, entre ses mains, se trouvait le récit de
la vision qu’il avait eue du monde des esprits. Dix jours après la
conférence générale, il avait dicté la révélation à l’un de ses fils,
l’apôtre Joseph Fielding Smith. Puis, le 31 octobre, la Première
Présidence et le Collège des Douze avaient lu la vision et approuvé
pleinement son contenu.
En lisant la révélation, Susa fut
émue par le fait qu’elle mentionnait Ève et d’autres femmes servant aux
côtés des prophètes dans la même grande œuvre. C’était la première
fois, à sa connaissance, qu’une révélation parlait de femmes
travaillant avec leur mari et leur père pour le Seigneur.
Plus tard, après avoir dit au revoir
à Joseph et sa famille, Susa se sentit bénie d’avoir lu la révélation
avant qu’elle soit rendue publique. Elle écrivit dans son journal : «
Oh, quel réconfort ce fut pour moi ! Savoir que les cieux sont toujours
ouverts, qu’Ève et ses filles ne sont pas oubliées, et par dessus tout,
recevoir ceci au moment où il est tellement nécessaire de promouvoir
l’œuvre du temple, d’encourager les servants du temple et de donner un
nouvel élan aux recherches généalogiques. »
Elle avait hâte qu’Elizabeth McCune
en ait connaissance. Dans une lettre, elle lui expliqua : « C’est une
vue ou une vision de tous ces grands personnages qui œuvrent de l’autre
côté pour le salut des esprits en prison. Imaginez l’impulsion que
cette révélation donnera à l’œuvre du temple dans toute l’Église ! »
En Europe, le 11 novembre 1918, les
armées signèrent l’armistice, mettant fin à quatre années de guerre.
Cependant, la pandémie de grippe continuait à se propager, laissant
dans son sillage des millions de victimes. Dans de nombreux endroits,
le rythme de la vie quotidienne avait été interrompu. Les gens
commençaient à porter des masques de tissu, se couvrant le nez et la
bouche afin de se protéger et de limiter la propagation du virus. Les
journaux publiaient régulièrement le nom des défunts.
Une semaine après le cessez-le-feu,
Heber J. Grant rendit visite à Joseph F. Smith, à la Beehive House.
Heber était maintenant président du Collège des douze apôtres, ce qui
faisait de lui le prochain homme à diriger l’Église. Il n’était pas
impatient d’endosser les responsabilités du président de l’Église. Il
avait espéré et prié pour que Joseph vive douze ans de plus, assez
longtemps pour célébrer le centième anniversaire de l’Église. Et il ne
pensait toujours pas que Joseph mourrait.
À la Beehive House, David, le fils de
Joseph, lui ouvrit la porte et le pria d’aller parler avec son père.
Heber hésita, ne voulant pas déranger le prophète.
David insista : « Vous feriez mieux d’aller le voir. C’est peut-être votre dernière chance. »
Heber trouva Joseph allongé dans son
lit, éveillé et respirant péniblement. Joseph lui prit la main et la
serra fermement. Heber le regarda dans les yeux et perçut l’amour que
le prophète éprouvait à son égard.
Joseph dit : « Que le Seigneur vous
bénisse, mon garçon. Vous avez une grande responsabilité. N’oubliez
jamais que c’est l’œuvre du Seigneur et non celle de l’homme. Le
Seigneur est plus grand que tout homme. Il sait qui il veut voir
diriger son Église et ne se trompe jamais. »
Joseph lui relâcha la main. Heber se
retira dans un bureau voisin et pleura. Il rentra chez lui, prit son
repas du soir puis retourna voir Joseph une dernière fois. Anthon Lund,
conseiller de Joseph dans la Première Présidence, était présent, avec
les épouses de Joseph et plusieurs de ses fils. Joseph ressentait des
douleurs intenses et il demanda à Heber et Anthon de lui donner une
bénédiction.
Il dit : « Frères, priez pour que je sois libéré. »
Les deux hommes et les fils de Joseph
lui placèrent leurs mains sur la tête. Ils parlèrent de la joie et du
bonheur qu’ils avaient connus en travaillant avec lui. Ensuite, ils
demandèrent au Seigneur de le rappeler à lui.
Chapitre 14 : Des sources de lumière et d’espérance
Après avoir quitté le chevet de
Joseph F. Smith, Heber J. Grant rentra chez lui. Ne parvenant pas à
dormir, il lut et relut le dernier discours de conférence du président
Smith, en pleurant à la pensée du prophète mourant. Enfant, il était
transporté lorsqu’il écoutait Joseph F. Smith, alors apôtre, s’adresser
à sa paroisse. Encore aujourd’hui, Heber était impressionné par ses
enseignements. Il trouvait ses propres discours insipides en
comparaison.
Heber s’endormit peu après six heures
et demie du matin. À son réveil, il apprit que le président Smith avait
été emporté par une pneumonie.
Quelques jours plus tard, la famille
et les amis du prophète se réunirent au cimetière. Comme la grippe
s’était propagée dans tout l’Utah, le conseil de santé de l’État avait
interdit tout rassemblement public. Les proches du défunt avaient donc
organisé des funérailles privées. Heber rendit un bref hommage à son
ami. Il déclara : « Il était le genre d’homme que j’aimerais être.
Jamais personne n’a eu un témoignage plus puissant du Dieu vivant et de
notre Rédempteur. »
Le 23 novembre 1918, le lendemain des
funérailles, les apôtres et le patriarche de l’Église mirent à part
Heber J. Grant en tant que président de l’Église, et Anthon Lund et
Charles Penrose en tant que conseillers. Ses amis affirmaient avoir
confiance en son rôle de dirigeant mais Heber doutait de sa capacité à
suivre les pas du président Smith. Il était membre du Collège des douze
apôtres depuis l’âge de vingt-cinq ans mais il n’avait jamais fait
partie de la Première Présidence. En revanche, le président Smith avait
occupé le poste de conseiller pendant des décennies avant d’être
président de l’Église.
La présidence de Joseph F. Smith
avait été marquée par de grandes réussites. Le nombre de membres de
l’Église avait presque doublé et avoisinait maintenant les cinq cent
mille. Le président Smith avait entrepris une réforme générale des
collèges de la prêtrise, clarifiant les devoirs des offices de la
Prêtrise d’Aaron et normalisant les réunions et les leçons des collèges
et des organisations de l’Église. Il avait également montré l’Église
sous un meilleur jour en donnant des interviews à la presse et en
abordant des sujets controversés sur d’anciennes pratiques et sur des
enseignements qui avaient été donnés par le passé dans l’Église. En
1915, il avait instauré la « soirée familiale », en demandant aux
familles de consacrer une soirée par mois à la prière, au chant, à
l’enseignement de l’Évangile et aux jeux.
Submergé par tous ces
accomplissements, Heber J Grant perdait petit à petit le sommeil. Pour
alléger le fardeau que représentait son nouvel appel, la Première
Présidence délégua certaines des nombreuses responsabilités qu’assumait
le président Smith. Comme ce dernier, Heber J Grant était le président
du bureau général d’éducation de l’Église, mais il appela l’apôtre
David O. McKay au poste de directeur général de l’École du Dimanche. Il
désigna l’apôtre Anthony Ivins pour diriger la Société d’Amélioration
Mutuelle des jeunes gens. En revanche, du fait de son expérience
d’homme d’affaires dans le domaine des banques et des assurances, Heber
décida de superviser lui-même les entreprises gérées par l’Église.
Cependant, l’anxiété ne l’avait pas
quitté. Ses amis et d’autres dirigeants de l’Église insistèrent pour
qu’il prenne des vacances avec sa femme, Augusta, sur la côte
californienne. Là, pour la première fois depuis la mort du président
Smith, Heber réussit à bien dormir. Quelques semaines plus tard, de
retour à Salt Lake City, il était reposé et prêt à se remettre à
l’ouvrage.
Pendant les premiers mois de l’année
1919, le président Grant ne put s’adresser aux saints aussi souvent
qu’il l’aurait souhaité, à cause de la pandémie de grippe. Plus de
mille membres de l’Église avaient déjà succombé à la maladie. Par
précaution, Heber et ses conseillers décidèrent de reporter la
conférence générale à la première semaine de juin. Avant sa mort, le
président Smith avait instauré des pratiques inspirées qui
protégeraient les saints lorsqu’ils recommenceraient à tenir
régulièrement des réunions de Sainte-Cène.
Par le passé, ils buvaient dans la
même coupe quand ils prenaient la Sainte-Cène. Cependant, au début des
années 1910, les microbes étant mieux connus, le président Smith avait
recommandé l’utilisation de gobelets de Sainte-Cène individuels, en
verre ou en métal. Heber J. Grant comprenait bien l’intérêt d’une telle
mesure pour lutter contre les maladies infectieuses.
En novembre, lorsque la pandémie se
fut calmée, Heber se rendit à Hawaï pour consacrer le temple de Laie.
Une fois de plus, il ne put s’empêcher de se comparer au président
Smith, qui s’était adressé à ce peuple dans sa langue et comprenait ses
coutumes.
Le temple était plein à craquer à
l’occasion de la consécration. Pour de nombreuses personnes, cette
journée était l’aboutissement d’années de prières sincères et de
service fidèle. Les saints qui s’étaient installés dans la colonie
hawaïenne d’Iosepa, en Utah, pour se rapprocher du temple de Salt Lake
City, étaient revenus dans leur terre natale afin d’adorer Dieu et de
le servir dans le nouveau temple.
Comme ses prédécesseurs, le président
Grant avait préparé la prière de consécration. Il avait ressenti
l’inspiration de l’Esprit en dictant la prière à son secrétaire. Il dit
à Augusta : « Elle est tellement plus grandiose que mes prières
habituelles ! Je remercie le Seigneur de tout mon cœur de m’avoir aidé
à la préparer. »
Debout dans la salle céleste, il
mentionna avec reconnaissance Joseph F. Smith, George Q. Cannon,
Jonathan Napela et les autres personnes qui avaient établi l’Église à
Hawaï. Il demanda au Seigneur de bénir les membres de l’Église dans les
îles du Pacifique en leur donnant le pouvoir de trouver leur généalogie
et d’accomplir les ordonnances salvatrices pour leurs morts.
Plus tard, Heber J. Grant écrivit à
ses filles pour leur raconter son expérience. Il avoua : « J’étais très
inquiet et je craignais que lors de ces réunions, nous ressentions
moins d’inspiration qu’en la présence du président Smith. Cependant, je
comprends maintenant que mon angoisse n’était pas justifiée. »
Pendant que Heber J. Grant était à
Hawaï, Amy Brown Lyman, secrétaire générale de la Société de Secours,
revenait d’une conférence de travailleurs sociaux professionnels où
elle avait pris la parole. Depuis trois ans, elle assistait à des
conférences de ce genre afin de se tenir au courant des dernières
méthodes pour venir en aide aux pauvres et aux nécessiteux. Elle
pensait que celles-ci seraient bénéfiques aux actions caritatives de la
Société de Secours qui, depuis peu, se reposait de plus en plus sur des
organisations extérieures, comme la Croix-Rouge, pour aider les saints
en difficulté.
Amy avait commencé à s’intéresser au
travail social des années plus tôt quand son mari, Richard Lyman,
faisait des études d’ingénierie à Chicago. À l’époque, de nombreux
citoyens américains en faveur d’une réforme faisaient la promotion de
remèdes scientifiques pour lutter contre la pauvreté, l’immoralité, la
corruption politique et d’autres problèmes sociaux. Amy avait œuvré
avec plusieurs associations caritatives à Chicago, ce qui l’avait
incitée à effectuer le même travail en Utah.
Depuis, Amy avait été désignée par le
bureau général de la Société de Secours pour diriger le nouveau
département des services sociaux de l’Église afin de superviser l’aide
apportée aux saints dans le besoin, former les membres de la Société de
Secours aux méthodes d’aide modernes et coordonner les activités avec
d’autres organisations caritatives. Cette tâche coïncidait avec son
service au sein du comité consultatif social de l’Église, composé de
membres des Douze et de représentants de chaque organisation de
l’Église. Il avait pour but de développer la moralité et le bien-être
temporel des membres de l’Église.
À l’issue de la conférence sur le
travail social, Amy essaya de mettre en pratique ce qu’elle avait
appris. Cependant, toutes les femmes membres du bureau général de la
Société de Secours n’étaient pas aussi enthousiastes. Comme certaines
travailleuses sociales étaient rémunérées, Susa Gates estimait que l’on
transformait en activité lucrative un travail qui devait être bénévole.
Elle craignait également que le travail social ne remplace le modèle
révélé de service caritatif de l’Église, les évêques étant désignés
pour collecter et distribuer l’aide aux nécessiteux. Elle craignait
surtout que le travail social ne se concentre davantage sur le
bien-être temporel que sur le développement spirituel des enfants de
Dieu, pierre angulaire du message de la Société de Secours.
Le bureau étudia les points de vue de
Susa Gates et d’Amy Lyman avant de parvenir à un compromis. Il fut
décidé que les organisations telles que la Croix-Rouge ne devaient pas
être les premiers responsables des soins accordés aux saints car
c’était le devoir sacré de la Société de Secours. Cependant, on accepta
de former les Sociétés de Secours de paroisse aux méthodes modernes de
travail social, d’employer un petit nombre de travailleuses sociales
rémunérées et d’étudier chaque demande d’assistance pour s’assurer que
l’aide était correctement distribuée. Les évêques restaient
responsables en dernier ressort de la distribution des offrandes de
jeûne mais ils coordonneraient leurs efforts avec les présidentes des
Sociétés de Secours et les travailleurs sociaux.
À partir de 1920, les membres de la
Société de Secours suivirent un cours mensuel sur le travail social. Le
comité consultatif social organisa également un cours d’institut d’été
de six semaines à l’université Brigham Young pour former de nouveaux
travailleurs sociaux. Près de soixante-dix représentantes venant de
soixante-cinq Sociétés de Secours de pieu y participèrent. Elles
apprirent à évaluer les besoins d’une personne ou d’une famille et à
déterminer la meilleure façon de lui venir en aide. Amy Lyman
supervisait les cours d’institut sur la santé, le bien-être de la
famille et d’autres sujets connexes. L’institut recruta un spécialiste
du travail social originaire de la ville de New York pour qu’il donne
des conférences.
En juillet 1920, lorsque le cours
prit fin, les femmes qui l’avaient suivi reçurent six heures de crédit
universitaire. Amy était satisfaite car elles pouvaient maintenant
retourner dans leurs Sociétés de Secours locales et transmettre ce
qu’elles avaient appris. Leur œuvre auprès des saints n’en serait que
plus efficace.
Trois mois plus tard, le président
Grant annonça que l’apôtre David O. McKay se rendrait en Asie et dans
le Pacifique pour s’informer des besoins des saints dans ces régions.
Il déclara au journal Deseret News : « Il fera une enquête générale sur
les missions, étudiera les conditions de vie et recueillera des données
et et des renseignements d’ordre général. » Hugh Cannon, président de
pieu de Salt Lake City, voyagerait avec lui.
Le 4 décembre 1920, les deux hommes
quittèrent Salt Lake City et firent un premier arrêt au Japon, où
vivaient environ cent trente saints. Ils visitèrent ensuite la
péninsule coréenne et se rendirent en Chine, où frère McKay consacra le
pays pour l’œuvre missionnaire qui s’accomplirait à l’avenir. De là,
ils se rendirent à Hawaï, où ils assistèrent à une cérémonie de lever
du drapeau effectuée par des enfants hawaïens, américains, japonais,
chinois et philippins de l’école de la mission de Laie, l’une des
dizaines de petites écoles appartenant à l’Église que frère McKay avait
l’intention d’étudier au cours de ses voyages.
Cette cérémonie inspira l’apôtre, qui
portait un intérêt tout particulier aux écoles de l’Église. Depuis peu,
le président Grant l’avait appelé en tant que commissaire à l’éducation
de l’Église, un nouveau poste qui complétait ses responsabilités de
président général de l’École du Dimanche. En tant que tel, frère McKay
gérait le département d’éducation de l’Église, qui faisait l’objet de
nombreux changements.
Pendant plus de trente ans, l’Église
avait dirigé des établissements scolaires gérés par des pieux au
Mexique, au Canada et aux États-Unis, ainsi que des écoles gérées par
des missions dans le Pacifique. Cependant, au cours de la dernière
décennie, un grand nombre de jeunes saints d’Utah et des environs
avaient commencé à fréquenter les établissements d’enseignement
secondaire publics gratuits. Ces écoles ne dispensant pas d’instruction
religieuse, de nombreux pieux avaient mis en place un « séminaire » à
proximité des établissements pour permettre aux étudiants saints des
derniers jours de continuer d’en recevoir une.
Le succès du programme du séminaire
poussa frère McKay à commencer à fermer les établissements scolaires de
pieu. Il n’en resta pas moins convaincu que l’école de Laie et d’autres
écoles internationales gérées par les missions, notamment
l’établissement scolaire du pieu de Juárez, au Mexique, faisaient un
travail essentiel et devaient conserver le soutien de l’Église.
Ils quittèrent Hawaï pour se rendre à
Tahiti, puis en Nouvelle-Zélande, sur l’île du Nord, Te Ika-a-Māui. Là,
ils montèrent dans un train en direction de Huntly, ville située près
d’une grande prairie où les saints maoris tenaient leur conférence de
l’Église et festival annuels. Aucun apôtre ne s’était rendu en
Nouvelle-Zélande auparavant et des centaines de saints se réunirent
pour entendre le discours de frère McKay. Deux grandes tentes et
plusieurs plus petites avaient été montées dans la prairie.
Quand frère McKay et le président
Cannon arrivèrent à la conférence, Sid Christy, petit-fils de Hirini et
Mere Whaanga, courut à leur rencontre. Il avait grandi en Utah et
vivait depuis peu en Nouvelle-Zélande. Il emmena les deux hommes vers
les tentes. Des cris de bienvenue retentissaient sur leur passage : «
Haere Mai ! Haere Mai !
Le lendemain, frère McKay prit la
parole devant les saints dans l’une des grandes tentes. Nombre d’entre
eux parlaient anglais, cependant il craignait que certains ne le
comprennent pas. Il s’excusa de ne pas pouvoir leur parler dans leur
langue. Il déclara : « Je vais prier pour que, tandis que je parle dans
ma propre langue, vous ayez le don de l’interprétation et du
discernement. L’Esprit du Seigneur vous témoignera de mes paroles,
prononcées sous l’inspiration du Seigneur. »
Tandis qu’il parlait de l’unité au
sein de l’Église, il remarqua que beaucoup de saints l’écoutaient
attentivement. Il vit des larmes dans leurs yeux et il sut que certains
d’entre eux avaient reçu l’inspiration afin de le comprendre. À la fin
de son sermon, Stuart Meha, son interprète maori, répéta aux saints qui
ne l’avaient pas compris les principaux points qu’il avait évoqués.
Quelques jours plus tard, frère McKay
prit de nouveau la parole. Il prêcha au sujet de l’œuvre par
procuration pour les morts. Depuis qu’un temple avait été édifié à
Hawaï, les saints néo-zélandais avaient un meilleur accès aux
ordonnances du temple. Il se situait tout de même à des milliers de
kilomètres et s’y rendre se faisait au prix d’immenses sacrifices.
Il leur dit : « Je n’ai pas le
moindre doute que vous aurez un temple. » Il voulait que les saints se
préparent pour ce jour. « Vous devez être prêts. »
Au début de l’année 1921, John
Widtsoe, âgé de quarante-neuf ans, arrivait au terme de sa cinquième
année de service en tant que président de l’université d’Utah. Après
avoir été renvoyé de l’université d’agriculture de l’Utah en 1905, il
avait enseigné pendant une courte période à l’université Brigham Young
puis était retourné à l’université d’agriculture en tant que nouveau
président. Il avait ensuite été désigné président de l’université
d’Utah en 1916. Leah et lui s’étaient donc installés à Salt Lake City
avec leurs trois enfants.
À leur arrivée, la mère de John,
Anna, sa tante Petroline et son frère, Osborne, vivaient non loin les
uns des autres. Osborne, marié et père de deux enfants, dirigeait le
département d’anglais de l’université.
Mais le temps passé ensemble fut de
courte durée. Au printemps 1919, Anna tomba malade. L’été, son état
s’aggravant, elle appela John et Osborne à son chevet. Elle leur dit :
« L’Évangile rétabli a été une source de grande joie dans ma vie. S’il
vous plaît, faites connaître ce témoignage pour moi à toutes les
personnes qui l’écouteront. »
Quelques semaines plus tard, elle
décéda, entourée de sa sœur, de ses enfants et de ses petits-enfants.
Heber J. Grant, qui avait été le président de la mission européenne
pendant qu’Anna était missionnaire en Norvège, prit la parole à ses
funérailles. En pensant à la vie de sa mère, John éprouvait une
profonde gratitude.
Il écrivit dans son journal : «
L’abnégation dont elle faisait preuve, tant pour les siens que pour les
personnes qui avaient besoin d’aide, était sans borne. Son dévouement à
la cause de la vérité était presque à son comble. »
Huit mois plus tard, Osborne fut
soudainement victime d’une hémorragie cérébrale. Il mourut le
lendemain. « Mon seul frère est mort, se lamenta John. Je me retrouve
vraiment seul. »
Le 17 mars 1921, exactement un an
après les funérailles d’Osborne, John apprit que l’apôtre Richard Lyman
avait essayé de le joindre toute la matinée. John lui téléphona
immédiatement. Richard dit avec empressement : « Venez à mon bureau
sans tarder. »
John partit immédiatement et
rencontra Richard dans le nouveau bâtiment administratif de l’Église.
Ils traversèrent la rue jusqu’au temple de Salt Lake City où la
Première Présidence et le Collège des douze apôtres étaient rassemblés.
John s’assit parmi eux, ne comprenant pas ce qu’il faisait là. En tant
que membre du bureau général de la SAM des jeunes gens, il se
réunissait souvent avec les membres des plus hauts conseils de
l’Église. Mais il s’agissait là de la réunion hebdomadaire que la
Première Présidence et les Douze tenaient tous les jeudis et à laquelle
il n’était normalement pas convié.
Le président Grant, qui dirigeait la
réunion, mentionna quelques affaires de l’Église. Il se tourna ensuite
vers John et l’appela à faire partie des Douze, afin d’occuper le siège
laissé vacant depuis peu par la mort d’Anthon Lund. « Êtes-vous disposé
à accepter l’appel ? » demanda le président Grant.
Dans l’esprit de John, le temps
sembla se figer soudainement. Des pensées concernant l’avenir
traversèrent son esprit. S’il acceptait l’appel, il offrait sa vie au
Seigneur. Sa carrière académique serait mise de côté, malgré les années
qu’il y avait consacrées. Et que dire de ses faiblesses ? Était-il
digne de l’appel ?
Toutefois, l’Évangile était la priorité de sa vie. Sans plus d’hésitation, il répondit : « Oui. »
Le président Grant l’ordonna
immédiatement, lui promettant plus de force et de puissance divine. Il
le bénit pour avoir écouté les conseils de sa mère et pour avoir
toujours été humble et capable de discerner la sagesse du monde des
vérités de l’Évangile. Il parla ensuite du travail que John
effectuerait en qualité d’apôtre. Le prophète promit : « Lorsque vous
voyagerez dans les différents pieux ou dans les nations du monde, vous
aurez l’amour et la confiance des saints des derniers jours et le
respect des personnes qui ne sont pas de notre religion et que vous
rencontrerez. »
John sortit du temple, prêt à
commencer cette nouvelle période de sa vie. Ce ne serait pas facile.
Leah et lui étaient encore endettés. Les plus âgés de ses enfants
étaient prêts à partir en mission et il allait échanger son salaire
universitaire contre la modeste allocation que les Autorités générales
recevaient pour leur service à plein temps. Cependant, il était
déterminé à tout sacrifier pour le Seigneur.
Leah aussi y était disposée. Un peu
plus tard, elle dit au président Grant : « Ma vie sera très différente,
je m’en rends compte, et je pourrais, si je me le permettais, redouter
les nombreuses séparations qui seront nécessaires. Toutefois, je me
fais un délice de la chance de travailler non seulement pour mon peuple
comme je l’ai fait dans le passé, mais plus directement avec lui. »
Elle ajouta : « Je n’éprouve aucun
regret par rapport aux changements concernant les finances, la vie
publique ou les tâches quotidiennes que je connaîtrai en tant qu’épouse
d’un homme appelé à ce magnifique service. »
Lorsque Susa Gates apprit que son
gendre avait été appelé au Collège des douze apôtres, elle était aux
anges. Depuis longtemps, elle ne craignait plus que John fasse passer
sa carrière avant sa famille et l’Église. Ses appréhensions avaient été
remplacées par un amour profond et constant pour lui et pour son
dévouement à Leah, à leurs enfants et à l’Évangile rétabli.
Elle lui écrivit une longue lettre
regorgeant de conseils, exprimant ses espoirs pour son nouveau
ministère. Elle était encore préoccupée par les changements qui se
produisaient au sein de la Société de Secours et des autres
organisations de l’Église. Elle lui dit : « Aujourd’hui, le monde est
dans un état de famine spirituelle. » Elle pensait que de plus en plus
de membres de l’Église considéraient que le salut était lié au
développement intellectuel et moral, et non à la progression
spirituelle.
Elle exhorta son gendre à réveiller
les hommes et les femmes spirituellement endormis, déjà porteurs de la
« graine de la vie éternelle ». Elle écrivit : « C’est à toi de la
cultiver comme le grand agriculteur que tu es. Car après tout, il y a
dans chacune de ces âmes un petit bassin profond de vérité et d’amour
de Dieu qui a juste besoin d’être débroussaillé de l’inactivité mentale
afin que des sources de lumière et d’espérance en jaillissent. »
Au moment où John avait été appelé,
Susa sentait sa propre influence dans l’Église s’effriter, d’autant
plus qu’Amy Lyman et d’autres sœurs dirigeaient la Société de Secours
dans de nouvelles voies. Dans l’espoir de donner un nouveau souffle de
vie à l’organisation, certaines femmes membres du bureau de la Société
de Secours avaient même discrètement demandé à Heber J. Grant de
relever Emmeline Wells de son appel de présidente générale de la
Société de Secours.
Alors âgée de quatre-vingt-treize
ans, Emmeline était la seule dirigeante de l’Église encore en vie qui
avait connu le prophète Joseph Smith. Frêle et en mauvaise santé, elle
était souvent alitée et laissait alors Clarissa Williams, sa première
conseillère, s’occuper des affaires de la Société de Secours lors des
réunions du bureau.
Les conseillers du président Grant et
les membres du Collège des Douze pensaient aussi qu’il était nécessaire
d’apporter des changements à la direction de la Société de Secours.
Pourtant, Heber J. Grant était réticent à cette idée et prôna la
patience. Depuis Eliza R. Snow, toutes les présidentes générales de la
Société de Secours étaient restées à leur poste jusqu’à leur mort. De
plus, il aimait et admirait Emmeline. Pendant les trente ans où sa mère
avait été présidente de la Société de Secours de la treizième paroisse
de Salt Lake City, Emmeline avait été sa secrétaire. La femme d’Heber
J. Grant, Emily, décédée plus de dix ans auparavant, faisait partie de
la famille Wells et Heber était profondément attaché à celle-ci.
Comment pouvait-il songer à relever Emmeline ?
Cependant, après avoir tenu conseil
avec les membres du bureau général, la Première Présidence et les Douze
décidèrent qu’il valait mieux pour la Société de Secours qu’Emmeline
soit remerciée. Heber se rendit chez elle pour lui annoncer
personnellement sa relève. Elle reçut calmement la nouvelle mais elle
en fut profondément blessée. Le lendemain, lors de la conférence du
printemps 1921 de la Société de Secours, Clarissa Williams fut soutenue
comme présidente générale de la Société de Secours. La plupart des
membres du bureau général furent relevées et d’autres femmes appelées à
leur place.
Susa Gates faisait toujours partie du
bureau général après sa réorganisation. Elle pensait que la relève
d’Emmeline était une bonne chose mais elle redoutait la suite des
événements. Le 14 avril 1921, lors de la première réunion du nouveau
bureau, Clarissa annonça plusieurs changements dans l’organisation.
Elle désigna notamment Amy Lyman au poste de directrice générale des
activités de la Société de Secours, lui confiant la responsabilité de
toutes les activités de ses départements, y compris du magazine de la
Société de Secours. Susa conserva son poste de rédactrice en chef du
périodique mais, par décision de Clarissa, ce rôle serait désormais
attribué annuellement. Susa n’était donc pas certaine de faire partie
de l’avenir du magazine.
Troublée par ces changements, elle se demanda s’ils étaient dus à son incapacité à s’accorder avec Amy sur les services sociaux.
Six jours plus tard, Susa rendit
visite à Emmeline, qui passait désormais plus de temps au lit et
pleurait souvent au sujet de sa relève. Ses filles Annie et Belle
restaient constamment à ses côtés, essayant de la consoler. Susa fit de
son mieux pour réconforter son amie. Elle dit : « Tante Em, tout le
monde t’aime.
– J’espère, répondit Emmeline. S’ils ne m’aiment pas, je n’y peux rien. »
Elle mourut paisiblement le 25 avril
et Susa lui rendit un bel hommage dans l’Improvement Era. Elle loua les
nombreuses années où Emmeline avait été poète, rédactrice du Woman’s
Exponent et fervente défenseuse du droit de vote des femmes, qui était
inscrit depuis peu dans la constitution des États-Unis. Le plus grand
éloge que lui fit Susa portait sur son travail en matière de stockage
des céréales, tâche que Brigham Young lui avait confiée en 1876. Susa
nota que les céréales de la Société de Secours avaient été utiles à des
personnes souffrantes dans le monde entier.
Elle écrivit : « Le trait de
caractère dominant de la vie de Mme Wells était sa ferme détermination.
Ses ambitions étaient grandes, ses buts élevés ; mais tout cela était
tissé sur le fil de la fidélité à son témoignage, qui l’a préservée et
qui a fait d’elle une lumière située sur une montagne. »
Chapitre 15 : Pas de plus grande récompense
Tout au long de l’année 1921, David
O. McKay et Hugh Cannon envoyèrent des rapports de leur voyage à Heber
J. Grant. Après avoir rendu visite aux saints à Samoa en mai, les deux
hommes allèrent aux Fidji puis retournèrent en Nouvelle-Zélande et se
rendirent en Australie. Ils firent escale en Asie du Sud-Est avant de
poursuivre leur route vers l’Inde, l’Égypte, la Palestine, la Syrie et
la Turquie.
En Turquie, dans la ville d’Aintab
dévastée par la guerre, ils rencontrèrent une trentaine de saints des
derniers jours arméniens qui se préparaient à fuir leur foyer. Au cours
de la décennie écoulée, de nombreux Arméniens avaient été tués dans des
localités comme Aintab, où la présidence de la branche locale et
d’autres saints des derniers jours avaient perdu la vie. En Utah, les
saints avaient jeûné pour eux et la Première Présidence avait envoyé de
l’argent pour le soutien des saints. Toutefois, la violence n’avait
fait que s’intensifier. En restant dans le pays, les saints couraient
un grand danger.
Après beaucoup d’efforts et de
prières, Joseph Booth, le président de mission, et Moses Hindoian, un
dirigeant local, obtinrent des passeports pour cinquante-trois
personnes. Les saints entreprirent alors leur voyage vers Alep, en
Syrie, où se réunissait une autre branche de l’Église, à plus de cent
dix kilomètres au sud. Leur voyage dura quatre jours, mais les réfugiés
persévérèrent malgré la pluie incessante et arrivèrent sains et saufs.
Une fois de retour aux États-Unis,
frère McKay fit un dernier rapport à la Première Présidence, louant les
saints du monde entier. Il était satisfait des écoles de l’Église. Il
recommanda d’y affecter des enseignants plus qualifiés et de fournir
des manuels et des équipements de meilleure qualité. Il exprima ses
inquiétudes concernant les présidents de mission car ils affrontaient
souvent des problèmes complexes. Il proposa de ne confier cette tâche
qu’à des dirigeants forts. Il recommanda également que les Autorités
générales voyagent plus fréquemment afin de montrer leur soutien aux
saints des autres pays.
Le prophète était du même avis que
frère McKay. Par le passé, les membres de l’Église se rassemblaient en
Utah afin d’y trouver de la force. Cependant, l’époque où les
dirigeants incitaient les saints à rejoindre Sion était révolue. Depuis
la fin de la guerre, de nombreux saints avaient quitté les petites
villes d’Utah à la recherche de meilleurs emplois dans les grandes
villes des États-Unis. Dans le monde entier, ils se tournaient de plus
en plus vers les branches et les missions locales à la recherche du
même soutien que les premiers saints recevaient dans les paroisses et
les pieux de l’Ouest américain.
Au début de l’année 1922, lors d’un
voyage en Californie du Sud, Heber J. Grant fut impressionné par la
taille des branches de l’Église à Los Angeles et dans ses environs.
Pendant la conférence générale d’avril 1922, il déclara : « La mission
de Californie grandit à toute vitesse. » Bientôt, les saints de cette
région seraient assez nombreux pour former un pieu.
Toutefois, le président Grant savait
qu’il fallait plus qu’une assemblée importante pour que les membres
restent fidèles à leur religion. Les temps changeaient et, comme
d’autres personnes de sa génération, il constatait avec inquiétude que
la société devenait plus matérialiste et permissive. Il se méfiait des
influences néfastes et exhortait les jeunes saints à participer au
programme d’amélioration mutuelle de l’Église. La SAM mettait l’accent
sur la foi en Jésus-Christ, le respect du jour du sabbat, l’importance
d’aller à l’église, le développement spirituel, l’économie et le
civisme. Il était aussi recommandé aux jeunes de respecter la Parole de
Sagesse ; c’était un principe sur lequel Heber J. Grant avait souvent
insisté depuis qu’il était devenu président de l’Église.
Il affirma : « Si nous pouvons faire
des garçons et des filles qui assistent à nos réunions de la SAM des
saints des derniers jours, alors ces organisations n’auront pas été
vaines et nos efforts seront récompensés par les bénédictions du Dieu
Tout-Puissant. »
Le président Grant ne redoutait pas
tous les aspects de la vie moderne. Le soir du 6 mai 1922, il
participa, avec sa femme Augusta, au premier programme du soir de la
station de radio KZN appartenant à l’Église et située à Salt Lake City.
Cette technologie était nouvelle et la station n’était guère plus
qu’une cabane branlante de tôle et de bois. Néanmoins les messages
étaient instantanément diffusés sur des centaines de kilomètres dans
toutes les directions.
Portant le grand émetteur d’ondes
radioélectriques à ses lèvres, Heber J. Grant lut un passage des
Doctrine et Alliances qui parlait du Sauveur ressuscité. Il rendit
ensuite un témoignage simple de Joseph Smith. C’était la première fois
qu’un prophète proclamait l’Évangile rétabli sur les ondes.
Plus tard dans le mois, lors d’une
réunion sur l’avenir du magazine de la Société de Secours, Susa Gates
sentit que d’autres changements se dessinaient. Elle éditait le
magazine depuis 1914, quand il avait remplacé le Woman’s Exponent.
Depuis le début, elle voulait qu’il soit « un phare lumineux d’espoir,
de beauté et de charité ». Pourtant, elle savait que le sort du
magazine n’était pas entre ses mains.
Au fil des mois, la présidente
générale de la Société de Secours, Clarissa Williams, et sa secrétaire,
Amy Brown Lyman, avaient joué un rôle plus important dans la production
du magazine, y insérant des articles sur le travail social et la
collaboration entre la Société de Secours et les organisations
caritatives extérieures à l’Église. Susa ne doutait pas de l’intérêt
sincère qu’Amy portait au service social. Cependant, elle craignait
qu’elle ne permette à l’Église de se mêler trop au monde.
Susa pria avec ferveur pour voir la
situation sous un autre angle, mais son désaccord avec la nouvelle
manière d’aborder l’œuvre de la Société de Secours l’empêchait de voir
les bonnes choses qu’Amy accomplissait. La Croix-Rouge et d’autres
organisations caritatives transmettaient désormais tous les cas
concernant des saints des derniers jours à la Société de Secours.
Nombre d’entre eux se rapportaient à des membres dans le besoin qui
avaient perdu le contact avec l’Église après avoir quitté leur paroisse
à la campagne pour trouver du travail en ville. Pour prendre soin
d’eux, la Société de Secours s’associait souvent avec des organismes
publics et privés œuvrant dans le domaine de la santé, de l’éducation
et de l’emploi.
De plus, Clarissa Williams avait
récemment tenu conseil avec Amy Brown Lyman et le bureau général afin
de trouver des manières de réduire le nombre de femmes et de
nourrissons saints des derniers jours qui décédaient au moment de la
naissance. Depuis longtemps, la Société de Secours se souciait de la
santé des femmes. À cette époque, l’accouchement était une
préoccupation essentielle. Aux États-Unis, le taux élevé de mortalité
des mères et des bébés conduisit le Congrès à fournir des fonds aux
organisations qui s’occupaient des femmes enceintes.
Avant même que ces fonds soient
disponibles, le bureau général de la Société de Secours collabora avec
la Première Présidence pour construire une maternité à Salt Lake City
et fournir du matériel médical aux femmes enceintes dans les régions
plus reculées. Pour financer le programme, la Société de Secours
utilisa l’argent qu’elle avait gagné pendant la guerre en vendant des
céréales au gouvernement américain.
Incapable d’accepter les nouvelles
méthodes et les changements administratifs de la Société de Secours,
Susa Gates démissionna du bureau général et du magazine de la Société
de Secours, Devant le bureau, elle affirma : « Je quitte mon travail
avec beaucoup d’amour pour mes collègues et j’espère qu’elles me
témoigneront le même amour. »
N’aimant pas l’inactivité, elle se
trouva bientôt d’autres occupations. Plus tôt dans l’année, elle avait
critiqué Edward Anderson, rédacteur en chef de l’Improvement Era pour
ses récits de l’histoire de l’Église dans lesquels il avait à peine
mentionné les femmes. Il lui avait alors demandé d’écrire l’histoire
des saintes des derniers jours. Ce projet plut à Susa, qui avait déjà
écrit l’histoire de la SAM des jeunes filles. La Première Présidence
étant également favorable à cette entreprise, Susa commença bientôt à
écrire.
Joseph Fielding Smith, fils du
président Joseph F. Smith, était apôtre et historien de l’Église. Il
invita Susa Gates à occuper une table dans le « bureau de l’historien »
pour travailler sur son récit. Peu de temps après, il l’escorta dans le
bureau de B. H. Roberts. On y trouvait un bureau, une machine à écrire,
un lavabo, deux chaises et des étagères remplies de livres et de
documents.
Frère Roberts étant à New York où il
présidait la mission des États de l’Est, frère Smith proposa à Susa
Gates d’utiliser ce bureau et lui dit que B. H. Roberts n’avait pas
besoin d’être au courant.
Susa s’exclama dans son journal : « Merci, ô mon Père divin ! Aide-moi à suivre les instructions qui me sont données ! »
Le 17 novembre 1922, Armenia Lee
acheva sa dixième année de service en tant que présidente de la SAM des
jeunes filles du pieu d’Alberta, au Canada. Pendant sa présidence, elle
avait fait face à de nombreux défis. Par tous les temps, elle avait
entrepris des voyages en carriole pour rendre visite aux jeunes filles
et à leurs dirigeantes. En Alberta, les hivers étaient extrêmement
froids et il fallait beaucoup d’énergie et de courage pour s’aventurer
à l’extérieur. Néanmoins, elle enfilait ses vêtements les plus chauds
et s’emmitouflait dans des habits de laine et des couvertures, puis
sortait affronter la neige et la glace.
C’était une tâche qui comportait des risques mais elle y tenait beaucoup.
Originaire d’Utah, Armenia avait
dix-neuf ans lorsqu’elle avait épousé William Lee, qui était alors veuf
et avait cinq jeunes enfants. Ils s’étaient installés au Canada car il
avait trouvé du travail dans un magasin à Cardston. Le déménagement fut
difficile pour la jeune femme mais le couple commença sa nouvelle vie
dans la petite ville. Ils eurent cinq autres enfants, créèrent une
entreprise de pompes funèbres et emménagèrent dans une maison de quatre
pièces. En 1911, à quelques mois de leur dixième anniversaire de
mariage, William eut une attaque et mourut. Armenia devint veuve avec
dix enfants à sa charge avant même d’avoir trente ans.
La mort de William avait été soudaine
et bouleversante, mais Armenia avait senti l’Esprit du Seigneur la
réconforter au point qu’elle puisse dire : « Que ta volonté soit faite.
» C’était une expérience sacrée qu’elle ne pouvait nier. Elle témoigna
: « Je sais sans aucun doute qu’il y a une vie après la mort et que les
liens familiaux subsistent dans l’éternité. »
Moins de deux ans après la mort de
William, Armenia Lee fut appelée à diriger la SAM des jeunes filles du
pieu. À cette époque, l’organisation destinée aux jeunes filles âgées
de quatorze ans et plus connaissait de nombreux changements. Quelques
mois avant l’appel d’Armenia, un pieu de Salt Lake City avait organisé
le premier camp d’été pour les jeunes filles de l’Église. Comme la SAM
des jeunes gens, celle des jeunes filles avait commencé à voir qu’il
était possible de se développer grâce aux loisirs. Au début, les
dirigeantes des jeunes filles avaient envisagé de s’associer à une
organisation extérieure, tout comme la SAM des jeunes gens l’avait fait
avec le programme des scouts. Mais Martha Tingey, présidente générale
de la SAM des jeunes filles, et son bureau général avaient décidé de
créer leur propre programme.
La conseillère de Martha, Ruth May
Fox, avait trouvé un nom au programme : les Abeilles. La ruche avait
toujours été le symbole du travail et de la coopération pour les saints
d’Utah. Lorsqu’Elen Wallace, membre du bureau général, lut un livre
intitulé La vie des abeilles (Life of the Bee) expliquant la façon dont
les abeilles travaillaient ensemble pour construire des ruches, les
dirigeantes comprirent que le symbole représentait tout à fait leur
organisation.
Les jeunes filles de l’Église furent
alors organisées en « essaims » sous la direction d’une « apicultrice
». Pour progresser dans le programme, elles devaient accomplir
certaines tâches en lien avec la religion, le foyer, la santé, les arts
ménagers, les activités en plein air, la vente et le service rendu à la
collectivité. Elles devenaient alors « Bâtisseuses de la ruche » puis «
Récolteuses de miel » et enfin « Gardiennes des abeilles ».
Au cours de l’été 1915, Armenia Lee
et ses conseillères se mirent à promouvoir le programme des « Abeilles
» et les paroisses de Cardston commencèrent à compter des essaims de
huit à douze jeunes filles. Un an plus tard, Armenia parla aux
Abeillles et aux jeunes gens du pieu de l’importance de l’œuvre du
temple. Le temple de Cardston était en construction et lorsqu’il serait
terminé, chacun d’eux aurait l’occasion d’y entrer. Elle leur avait
expliqué qu’une telle œuvre était un privilège.
Six ans plus tard, le temple était
presque prêt à être consacré. Implanté au sommet d’une colline au cœur
de la ville, l’édifice en granit blanc était couvert d’un toit en forme
de pyramide et entouré de rangées de colonnes carrées. À l’instar du
temple de Hawaï, il n’avait pas de flèches s’élevant vers le ciel. Il
était majestueusement implanté sur ses fondations, solide et
inébranlable comme une montagne.
John Widtsoe serra sa sacoche en
descendant du train à la gare de Waterloo à Londres. C’était le 11
juillet 1923, vers midi. La gare était bondée et la chaleur
insupportable.
Il était venu en Europe accompagné
d’un autre apôtre, Reed Smoot. Depuis la guerre, les nations
scandinaves mettaient du temps à autoriser le retour des missionnaires.
Le président Grant avait donc demandé à Reed Smoot d’user de son
influence de sénateur américain pour parler aux gouvernements du
Danemark, de la Suède et de la Norvège au nom de l’Église. Comme John
Widtsoe était norvégien et parlait plusieurs langues européennes, il
lui fut demandé de l’accompagner.
Tandis qu’il posait le pied sur le
quai, il entendit une voix familière s’écrier : « Le voilà ! » Pendant
un instant, il eut le souffle coupé tandis que son fils de vingt ans,
Marsel, l’étreignait avec force.
Cela faisait un an que Marsel servait
dans la mission britannique. Il accompagna son père et le sénateur
Smoot à l’hôtel. Plus jeune, Marsel était un étudiant sérieux et un bon
athlète. Il sembla à John que la mission l’avait encore rendu meilleur.
Il écrivit à Leah, sa femme : « Il aime profondément son service. Je
trouve qu’il est de bonne compagnie. C’est un garçon positif, réfléchi,
intelligent, affectueux et ambitieux, qui a l’intention de mener sa vie
au mieux. »
Après avoir passé quelques jours en
Angleterre, John Widtsoe et Reed Smoot se rendirent en Scandinavie avec
David O. McKay, qui avait été appelé président de la mission européenne
environ un an après son tour du monde. Comme d’habitude, des
renseignements erronés sur l’Église étaient à la source des
restrictions gouvernementales.
Leur première étape fut le Danemark.
Là, Reed Smoot accorda une interview sur l’Église à un grand journal.
Les réunions qu’ils eurent dans les autres pays, notamment avec
l’archevêque luthérien de Suède et le roi de Norvège, furent également
bénéfiques. John Widtsoe attribua leur succès à la réputation de Reed
Smoot. Vingt ans après son élection controversée, il était devenu un
législateur influent qui entretenait d’étroites relations avec le
président des États-Unis.
Une fois leur tâche terminée, John
Widtsoe rapporta à la Première Présidence que Reed Smoot et lui avaient
fait bonne impression pour l’Église et qu’ils avaient convaincu de
nombreux dirigeants européens que leur politique d’opposition à l’œuvre
missionnaire était dépassée. Cependant, cette expérience le laissa
songeur. Après une réunion fatigante, il tomba par hasard sur une
statue en bronze de Jöns Jacob Berzelius, chimiste suédois renommé
qu’il admirait.
Assis près de la statue, il se
demanda ce que serait sa vie s’il s’était, lui aussi, consacré
entièrement à la science au lieu de retourner en Utah pour instruire
les saints et servir dans l’Église. Plus tard dans la soirée, il
écrivit à Leah : « Comme je me serais délecté de la vie d’un Berzelius
car je sais qu’avec l’aide de Dieu, j’aurais connu de grands succès. »
Au lieu de cela, John avait renoncé à
sa profession et délaissé une grande partie de ses recherches
scientifiques pour servir en qualité d’apôtre de Jésus-Christ.
Pourtant, il ne regrettait pas cette voie, en dépit de la tristesse
qu’il éprouvait à renoncer à ses vieux rêves.
Il dit à Leah : « Je ne peux pas
parler ici des choses qui passent dans mon âme. Il y a des choses que
seule la promesse d’une vie dans l’au-delà justifie. »
Le 25 août 1923, peu de temps après
le retour des deux apôtres de leur mission en Scandinavie, un train
transportant Heber J. Grant, neuf apôtres et des centaines de saints de
Salt Lake City et d’autres régions arriva au Canada pour la
consécration du temple de Cardston, en Alberta. Les visiteurs
envahirent la ville, qui avait à peine assez de place pour héberger
tout ce monde. Cependant, les saints canadiens s’appliquèrent avec joie
à loger leurs invités.
Pendant cette journée agitée, Armenia
Lee eut un entretien avec Edward J. Wood, son président de pieu de
longue date qui avait été appelé comme président du nouveau temple, et
l’apôtre George F. Richards. Armenia et Edward étaient amis depuis de
nombreuses années. Depuis la mort de son mari, elle lui avait souvent
demandé conseil. Ils avaient œuvré ensemble en tant que dirigeants de
pieu et il était devenu comme un frère pour elle.
Pendant la réunion, frère Richards
demanda à Armenia Lee si elle était disposée à servir en tant
qu’intendante du nouveau temple. Si elle acceptait, elle serait chargée
de choisir les servantes du temple et de les superviser, de s’occuper
des femmes qui recevraient leurs ordonnances pour la première fois et
de s’acquitter d’une myriade d’autres tâches.
Elle était à la fois abasourdie et honorée. Elle répondit : « J’accepte cet appel en toute humilité et je ferai de mon mieux. »
Le lendemain, Anthony Ivins, de la
Première Présidence, la mit à part à l’intérieur du temple. Puis, à dix
heures du matin, elle assista à la première session de consécration.
Agenouillé devant un autel dans la salle céleste, le président Grant
prononça la prière de consécration, demandant à Dieu de sanctifier le
temple et de bénir les personnes qui ressentiraient son influence. Il
demanda également une bénédiction particulière pour les jeunes de
l’Église, si chers au cœur d’Armenia.
Il pria : « Ô Père, garde les jeunes
de ton peuple sur le chemin étroit et resserré qui conduit à toi.
Donne-leur un témoignage de la divinité de cette œuvre comme tu nous
l’as donné et préserve-les dans la pureté et dans la vérité. »
Peu de temps après, le bâtiment fut
ouvert pour les ordonnances. Au cours des années précédentes, le
président Grant avait cherché des moyens de susciter davantage de
participation à l’œuvre du temple. En 1922, il avait demandé à un
comité d’apôtres de raccourcir les sessions de dotation, qui duraient
alors jusqu’à quatre heures et demie. Les temples organisaient
désormais plusieurs sessions quotidiennes et commençaient à proposer
des sessions en soirée pour les saints qui ne pouvaient pas venir plus
tôt. Les dirigeants de l’Église mirent également un terme à la pratique
consistant à faire venir les saints au temple pour recevoir un baptême
de guérison ou une bénédiction car cela risquait d’interférer avec
l’accomplissement régulier des ordonnances.
Des changements furent également
apportés aux sous-vêtements du temple. Jusqu’alors, ils allaient
jusqu’aux chevilles et aux poignets et comportaient des cordons de
serrage et un col mais ils n’étaient pas adaptés aux vêtements portés
dans les années 1920. Le symbolisme du vêtement étant plus important
que le style, la Première Présidence demanda que des sous-vêtements
plus courts et plus simples soient proposés.
Comme Armenia passait beaucoup de
temps à remplir son appel d’intendante, elle fut relevée de la
présidence de la SAM des jeunes filles de pieu. Elle conservait
précieusement les souvenirs des moments passés avec les jeunes filles.
Cela lui manquait de travailler avec elles. Pourtant, elle découvrit
une joie nouvelle à accueillir au temple les jeunes femmes qu’elle
avait connues à la SAM et qui venaient afin d’être dotées et scellées
pour le temps et pour l’éternité à leur mari.
Les rédacteurs du Young Woman’s
Journal lui demandèrent d’exprimer ses sentiments sur sa relève après
des années de service. Elle écrivit : « Comme j’aime la jeunesse de
Sion ! Je ne demande pas de plus grande récompense que celle que j’ai
reçue en voyant nos filles grandir et devenir des femmes fidèles à leur
héritage. »
Chapitre 16 : Écrit dans les cieux
Ernst Biebersdorf piqua la curiosité
de sa sœur, Anna Kullick, en lui parlant de ses amis et collègues
saints des derniers jours. Leurs croyances lui rappelaient un rêve que
leur mère avait eu quand ils habitaient en Allemagne avant de venir
s’installer à Buenos Aires, en Argentine, au début des années 1920.
Louise Biebersdorf, qui était une
femme profondément croyante, avait vu en rêve un endroit magnifique.
Elle n’avait pas été autorisée à y entrer mais on lui avait dit que ce
serait possible un jour grâce à deux de ses enfants. Dans ce même rêve,
elle avait découvert que la véritable Église viendrait d’Amérique.
Anna commença à assister aux réunions
des saints des derniers jours à Buenos Aires avec Ernst et ses amis,
Wilhelm Friedrichs et Emil Hoppe. Depuis le bref séjour de Parley Pratt
au Chili en 1851, l’Église avait envoyé très peu de missionnaires en
Amérique du Sud et n’était pas présente officiellement sur le
continent. Wilhelm, Emil et les membres de leur famille étaient devenus
membres de l’Église en Allemagne. Ils avaient emporté avec eux ses
enseignements à Buenos Aires lorsqu’ils avaient émigré en Argentine,
comme le firent des milliers de personnes, notamment les familles
d’Anna Kullick et Ernst Biebersdorf, afin d’échapper aux difficultés
économiques engendrées par la guerre mondiale.
Le dimanche, les saints se
réunissaient dans une petite pièce chez Wilhelm. Ni Emil ni lui ne
détenaient l’autorité de la prêtrise pour bénir la Sainte-Cène. Leurs
réunions consistaient donc à étudier les Écritures et à prier. Comme il
n’y avait pas d’orgue, le fils de Wilhem les accompagnait à la
mandoline tandis qu’ils chantaient des cantiques. Ils se réunissaient
également à sept heures le jeudi soir pour étudier la Bible chez Emil.
Comme l’assemblée comptait de plus en plus de participants, ils
organisèrent une École du Dimanche, où ils étudièrent l’édition
allemande des Articles de Foi de James E. Talmage. Anna commença à
payer sa dîme, que Wilhelm envoyait au siège de l’Église à Salt Lake
City.
Désireux de faire connaître
l’Évangile rétabli, Wilhelm écrivait et distribuait des brochures, et
annonçait la tenue des réunions de l’Église dans les journaux allemands
locaux. Il écrivait aussi des articles et donnait des conférences sur
divers sujets de l’Évangile. Il ne parlait pas l’espagnol, la langue
officielle de l’Argentine, ce qui limitait son champ d’action.
Toutefois, il arrivait que des germanophones se présentent chez lui,
leur curiosité piquée par ce qu’ils avaient lu sur les saints.
Au printemps de l’année 1925, Anna
était prête à se faire baptiser. Au début, son mari, Jacob, ne voulait
pas qu’elle assiste aux réunions de l’Église mais il avait fini par y
aller aussi. Leurs trois adolescents s’intéressaient eux aussi à
l’Évangile. Ernst, le frère d’Anna, et sa femme, Marie, souhaitaient
ardemment devenir membres de l’Église mais, en Argentine, personne
n’avait l’autorité d’administrer l’ordonnance du baptême.
L’intérêt pour l’Église augmentant,
les fidèles commencèrent à se réunir dans trois endroits différents de
la ville. Wilhelm était inspiré par leur foi. Il rapporta aux
dirigeants de l’Église à Salt Lake City : « Ils ont un témoignage de
l’authenticité de cette œuvre et désirent se faire baptiser dès que
l’occasion se présentera. »
Il reçut rapidement une réponse de
Sylvester Q. Cannon, évêque président de l’Église. Elle disait : « Nous
avons discuté avec la Première Présidence de l’idée d’envoyer des
missionnaires en Argentine, mais jusqu’à présent, rien de précis n’a
été décidé. Cependant, nous recherchons des hommes sachant parler
l’allemand et l’espagnol. »
Ces nouvelles donnèrent de l’espoir à
Anna, Ernst et aux membres de leur famille. Tout le monde voulait
savoir quand des missionnaires arriveraient dans leur pays.
À cette époque, de nombreux
Américains blancs étaient de plus en plus perturbés par les changements
qui se produisaient aux États-Unis. Des millions d’Afro-Américains et
d’immigrants s’installaient dans les villes du nord des États-Unis pour
échapper à la discrimination et trouver un meilleur emploi. Leur
présence inquiétait de nombreux Blancs de la classe ouvrière, qui
craignaient de perdre leur emploi au profit des nouveaux arrivants. À
mesure que le ressentiment grandissait, dans tout le pays des personnes
se joignirent à des groupes haineux tels que le Ku Klux Klan, qui
agissait en secret et avec violence pour brutaliser les Noirs et
d’autres minorités.
Heber J. Grant observait avec
consternation la propagation des groupes haineux. Des décennies plus
tôt, des membres du Ku Klux Klan avaient agressé des missionnaires dans
le Sud américain. Ils ne s’en prenaient plus aux saints mais les
rapports récents sur les actions du Ku Klux Klan n’en étaient pas moins
troublants.
En 1924, le président de la mission
des États du Sud écrivit au président Grant : « Le nombre de coups de
fouet, de meurtres et de violences collectives imputables à cette
organisation constituent une triste page de l’histoire du Sud. Ces
crimes n’ont jamais été condamnés. L’esprit d’anarchie et de violence
qui envahit le Sud est exactement le même que celui qui a inspiré les
brigands de Gadianton. »
Tout au long des années 1920, les
groupes haineux se nourrirent du racisme généralisé qui régnait dans
tous les États-Unis et dans d’autres régions du monde. En 1896, la Cour
suprême des États-Unis avait statué que les lois des États autorisant
la séparation des Américains blancs et noirs dans les églises, les
toilettes, les wagons des trains, les écoles et les autres
établissements publics étaient légales. En outre, les romans et les
films populaires dévalorisaient les Noirs et d’autres groupes raciaux,
ethniques et religieux à coups de stéréotypes destructeurs. Aux
États-Unis, comme ailleurs, peu de gens estimaient que les Noirs et les
Blancs devaient se mélanger socialement.
Dans l’Église, les paroisses et les
branches étaient officiellement ouvertes à tous, sans distinction de
race. Cependant, toutes les assemblées n’étaient pas de cet avis. En
1920, Marie et William Graves, des saints noirs, furent bien accueillis
et pleinement intégrés par les membres de leur branche en Californie.
Toutefois, lorsque Marie se rendit dans une branche du sud des
États-Unis, on lui demanda de partir à cause de sa couleur de peau.
Dans une lettre au président Grant, elle écrivit : « De toute ma vie,
rien ne m’a jamais autant blessée. »
Les dirigeants de l’Église savaient
que pour préparer la terre pour le retour du Seigneur, l’Évangile
rétabli devait être enseigné à toutes les nations, tribus, langues et
peuples. Pendant des décennies, les saints avaient prêché activement
parmi les personnes de couleur, notamment les Amérindiens, les
habitants des îles du Pacifique et les Latino-Américains.
Malheureusement, des obstacles séculaires, dont le racisme, empêchaient
de porter l’Évangile au monde entier.
Dans le cas de Marie Graves, la
Première Présidence ne demanda pas à l’assemblée d’intégrer les Noirs,
de peur que la remise en cause des codes raciaux qui posaient problème,
tels que ceux du Sud, ne mette en danger les saints, tant noirs que
blancs. Les dirigeants de l’Église n’encouragèrent pas non plus le
prosélytisme actif au sein des communautés noires puisque, de toute
façon, les personnes d’origine africaine ne pouvaient pas recevoir la
prêtrise ni les bénédictions du temple.
Au sein de l’Église, certaines
personnes cherchèrent à déroger à la règle. Au cours de sa visite dans
les îles du Pacifique, David O. McKay avait écrit au président Grant
pour lui demander s’il était possible de faire une exception pour un
saint des derniers jours noir marié à une Polynésienne avec qui il
avait fondé une grande famille dans l’Église.
Le président Grant lui avait répondu
: « David, je suis aussi compatissant que vous mais jusqu’à ce que le
Seigneur nous donne une révélation à ce sujet, nous devons continuer à
respecter la politique de l’Église. »
Au début des années 1900, les
dirigeants de l’Église avaient commencé à enseigner que tout saint
d’ascendance africaine, aussi lointaine soit-elle, devait se soumettre
aux restrictions. Il arrivait cependant que l’identité raciale de
certains saints ne soit pas certaine ; cette règle n’était donc pas
toujours appliquée avec cohérence. Nelson Ritchie était fils d’une
femme noire et d’un homme blanc. Il ne connaissait pas l’histoire de
ses parents quand il devint membre de l’Église en Utah avec Annie, son
épouse blanche. Il avait la peau claire et beaucoup de leurs enfants
semblaient blancs. Lorsque deux de ses filles furent prêtes à se
marier, elles entrèrent dans le temple et reçurent leur dotation et
l’ordonnance du scellement.
Cependant, plus tard, quand Nelson et
Annie souhaitèrent être scellés au temple, leur évêque interrogea
Nelson sur ses ancêtres. Celui-ci lui exposa ce qu’il savait de ses
parents et l’évêque fit remonter la question à la Première Présidence
et au Collège des douze apôtres. La question fut retournée à l’évêque,
à charge pour lui de décider. Finalement, l’évêque affirma que Nelson
et Annie était de bons membres de l’Église mais refusa que Nelson
obtienne une recommandation pour le temple à cause de son ascendance.
De nombreux saints partageaient les
préjugés raciaux de l’époque, mais la plupart désapprouvait les
organisations qui agissaient dans le secret, l’anarchie et la violence
pour opprimer autrui. Au début des années 1920, quand le Ku Klux Klan
se répandit en Utah, le président Grant et d’autres dirigeants de
l’Église le dénoncèrent lors de la conférence générale et usèrent de
leur influence pour l’arrêter. Peu de membres se joignirent à ce
groupe. Lorsqu’un chef du Ku Klux Klan demanda à rencontrer les
dirigeants de l’Église, le président Grant refusa.
En avril 1925, il nota dans son
journal : « Cela dépasse mon entendement que des personnes détenant la
prêtrise puissent vouloir s’associer au Ku Klux Klan. »
Au milieu de l’année 1925, Heber J.
Grant, comme d’autres personnes dans le monde, fut captivé par le cas
de John Scopes, professeur de sciences du secondaire qui avait été
traduit en justice dans le sud des États-Unis car il avait enseigné que
les humains et les singes avaient évolué à partir d’un ancêtre commun.
Son procès provoqua une grande
division au sein des Églises chrétiennes. Certains croyants «
modernistes » estimaient que la Bible ne devait pas être considérée
comme faisant autorité sur les questions scientifiques. Ils pensaient
que la science était un guide plus fiable pour comprendre le monde
naturel et que les professeurs tels que John Scopes devaient pouvoir
enseigner l’évolution dans les écoles sans craindre de sanctions. En
revanche, les chrétiens « fondamentalistes » considéraient la Bible
comme la vérité ultime et absolue de Dieu. Pour eux, le fait de
prétendre que le genre humain, la plus grande création de Dieu, avait
évolué à partir de formes de vie moins sophistiquées était un blasphème.
Heber J. Grant éprouvait un grand
respect pour la science moderne et pour les scientifiques comme les
apôtres James E. Talmage et John Widtsoe, qui avaient brillé dans leur
domaine tout en gardant la foi en l’Évangile rétabli. Comme eux, il
était ouvert à la découverte de nouvelles vérités en dehors des
Écritures et il croyait que la science et la religion pourraient un
jour être réconciliées.
Cependant, il se faisait du souci
pour les jeunes saints des derniers jours qui avaient mis de côté leur
foi pendant qu’ils étudiaient les sciences à l’université. Dans sa
jeunesse, un scientifique s’était moqué de lui parce qu’il croyait au
Livre de Mormon. L’homme avait cité le passage de 3 Néphi dans lequel
la voix de Dieu était entendue par toutes les personnes qui avaient
survécu aux destructions à l’époque de la crucifixion du Christ. Le
scientifique avait alors affirmé qu’il était impossible qu’une voix se
fasse entendre aussi loin et que quiconque croyait le contraire était
dépourvu d’intelligence. Des années plus tard, lorsque l’invention de
la radio eut prouvé que les voix pouvaient parcourir de grandes
distances, Heber vit que la science lui avait donné raison.
Pendant le procès de John Scopes, le
président Grant et ses conseillers décidèrent de publier une version
résumée de « L’origine de l’homme », un essai rédigé par la Première
Présidence en 1909. Au lieu de condamner l’enseignement de la théorie
de l’évolution, comme le faisaient les fondamentalistes, l’essai
confirmait l’enseignement biblique selon lequel Dieu avait créé l’homme
et la femme à son image. On y lisait également la doctrine rétablie
selon laquelle, avant de naître sur terre, tous les êtres humains
avaient vécu en tant qu’enfants d’esprit de Dieu et qu’ils avaient
grandi et s’étaient développés au fil du temps.
La Première Présidence témoigna : «
L’homme, en tant qu’esprit, a été conçu par des parents célestes,
desquels il est né ; il a été élevé jusqu’à sa maturité dans les
demeures éternelles du Père. »
En conclusion, elle mentionnait un
autre type de changement dans le temps, changement qui concernait un
avenir lointain. Elle déclarait : « De même qu’un nourrisson né d’un
père et d’une mère terrestres est capable au moment voulu de devenir un
homme, de même un descendant non développé de parents célestes est
capable de devenir un Dieu, grâce à l’expérience acquise au cours du
temps et des éternités. »
Trois jours après la publication de
la déclaration de la Première Présidence, le jury du procès de John
Scopes rendit son verdict. Le professeur fut reconnu coupable et
condamné à payer une amende de cent dollars. Quand des personnes
écrivaient au président Grant pour l’interroger sur la position de
l’Église vis-à-vis de l’évolution, il leur envoyait un exemplaire de la
déclaration de la Première Présidence. Il n’avait pas à dire aux gens
ce qu’ils devaient croire. Il expliquait que, comme l’avait dit Jésus
dans son sermon sur la montagne, on reconnaissait la vérité à ses
fruits.
Len Hope était âgé de dix-sept ans
lorsqu’il assista pendant deux semaines à un réveil spirituel baptiste
près de chez lui, en Alabama, dans le sud des États-Unis. Le soir,
après avoir écouté les prédications, le jeune Noir rentrait chez lui,
s’allongeait dans un champ de coton et regardait le ciel. Il suppliait
Dieu de le guider vers une religion mais, au matin, le seul résultat de
ses efforts était des vêtements mouillés par la rosée.
Un an plus tard, Len prit la décision
de se faire baptiser dans une Église locale. Cependant, peu après, il
rêva qu’il devait se refaire baptiser. Désorienté, il commença à lire
la Bible avec tant d’ardeur que ses amis se faisaient du souci pour
lui. Ils lui disaient : « Si tu n’arrêtes pas de lire comme ça, tu
deviendras fou. L’asile est déjà plein de prédicateurs. »
Len continua de lire. Un jour, il
apprit que le Saint-Esprit pouvait le guider vers la vérité. Sur les
conseils d’un prédicateur, il se rendit dans une vieille maison vide,
cachée dans les bois au milieu des buissons. Là, il pleura pendant des
heures, suppliant Dieu de lui accorder le Saint-Esprit. Le matin, il
était prêt à s’abstenir de boire et de manger jusqu’à ce qu’il reçoive
ce don. Mais l’Esprit l’incita à ne pas le faire. Seul quelqu’un ayant
l’autorité de Dieu pouvait lui conférer le Saint-Esprit.
Quelques temps après, tandis que Len
attendait une réponse à ses nombreuses prières, un missionnaire saint
des derniers jours remit à sa sœur une brochure qui présentait le plan
divin du salut. Len la lut et crut en son message. Il découvrit
également que les missionnaires saints des derniers jours avaient
l’autorité de conférer le don du Saint-Esprit aux personnes ayant
accepté d’entrer dans les eaux du baptême.
Len alla trouver les missionnaires et leur demanda s’ils pouvaient le baptiser.
L’un d’eux répondit : « Oui, volontiers, mais à votre place, j’en lirais un peu plus. »
Len reçut un exemplaire du Livre de
Mormon, des Doctrine et Alliances, de la Perle de Grand Prix et
d’autres ouvrages de l’Église, qu’il ne tarda pas à tous lire.
Cependant, il fut enrôlé pour prendre part aux combats de la guerre
mondiale avant d’avoir eu la possibilité de se faire baptiser. L’armée
l’envoya outre-mer où il servit courageusement sur le front. De retour
chez lui, en Alabama, il fut baptisé par un membre de l’Église locale
le 22 juin 1919 et reçut enfin le don du Saint-Esprit.
Quelques jours après son baptême, des
émeutiers blancs se présentèrent de nuit devant la maison où il vivait
et l’appelèrent. Ils dirent : « On veut simplement te parler. » Ils
tenaient des fusils et des carabines.
Len sortit. Dans le Sud américain où
il vivait, des groupes armés imposaient parfois la ségrégation raciale
aux Noirs par la violence. Ces hommes pouvaient le blesser ou le tuer
là, maintenant, et n’auraient peut-être jamais à répondre de leur crime.
Un des émeutiers lui demanda pourquoi
il s’était joint aux saints des derniers jours. En Alabama, les Noirs
et les Blancs avaient le droit de pratiquer leur culte ensemble mais
l’État avait aussi des lois ségrégationnistes strictes et des codes
sociaux implicites visant à séparer les races dans les lieux publics.
Comme presque tous les saints des derniers jours en Alabama étaient
blancs, les émeutiers perçurent le baptême de Len comme un affront à la
séparation des races profondément ancrée dans la région.
Faisant allusion au service de Len
dans l’armée, l’homme poursuivit : « Tu as traversé les eaux et appris
certaines choses. Et maintenant, tu veux t’associer aux Blancs ?
– Je m’intéressais à l’Église bien
avant de partir pour la guerre, répondit finalement Len. J’ai découvert
que c’était la seule vraie Église sur la terre. Voilà pourquoi j’en
suis devenu membre.
– On veut que tu fasses rayer ton nom du registre. Sinon, on te pendra à une branche et on te transformera en charpie. »
Le lendemain matin, Len assista à une
conférence avec les saints de la région et leur parla de la menace du
groupe armé. Il connaissait les risques qu’il encourait en venant à la
réunion mais il était prêt à mourir pour sa nouvelle religion.
Les membres de l’Église le
rassurèrent : « Frère Hope, nous ne pourrions pas rayer votre nom même
si nous essayions. Il est écrit à Salt Lake City et il est écrit dans
les cieux. » Beaucoup d’entre eux lui proposèrent leur aide si les
émeutiers s’en prenaient encore à lui.
Mais ceux-ci ne revinrent jamais. Peu
après, en 1920, Len épousa Mary Pugh et ils déménagèrent à Birmingham,
grande ville du centre de l’Alabama. L’oncle de Mary, un pasteur
baptiste, prédit qu’elle deviendrait membre de l’Église avant la fin de
l’année.
Elle lut le Livre de Mormon et obtint
un témoignage de sa véracité. Cela prit un peu plus de temps que prédit
et, au bout de cinq années de mariage, elle décida de se faire
baptiser. Le 15 septembre 1925, la famille Hopes se rendit à une source
isolée près de Birmingham, accompagnée de deux missionnaires. Mary fut
baptisée sans incident, devenant enfin membre de l’Église, comme son
mari.
Elle raconta à son oncle : « Je ne pourrais pas aller mieux et je ne vois pas de meilleure Église. »
Pendant ce temps, à Buenos Aires,
Anna Kullick et sa famille accueillirent l’apôtre Melvin J. Ballard
accompagné de Rey L. Pratt et Rulon S. Wells, des soixante-dix. La
Première Présidence les avait envoyés en Argentine pour consacrer
l’Amérique du Sud au travail missionnaire, établir une branche de
l’Église et prêcher l’Évangile en allemand et en espagnol aux habitants
de la ville. La famille Kullick les attendait depuis des mois. Les
missionnaires étaient les seules personnes en Amérique du Sud à avoir
l’autorité de les baptiser dans l’Église de Jésus-Christ.
Frère Wells parlait bien l’allemand
et frère Pratt maîtrisait l’espagnol. Par contre, frère Ballard ne
parlait aucune des deux langues et semblait dépassé par son nouvel
environnement. Tout à Buenos Aires était nouveau pour lui : la langue
du pays, l’air chaud de décembre et les étoiles dans le ciel du Sud.
Les missionnaires consacrèrent leurs
premiers jours en Argentine à rencontrer les saints allemands de la
ville. Ils tinrent des réunions chez Wilhelm Friedrichs et assistèrent
à une leçon sur le Livre de Mormon chez Emil Hoppe. Puis, le 12
décembre 1925, ils baptisèrent Anna, Jacob et leur fille, Herta, âgée
de seize ans. Ernst, le frère d’Anna, et sa femme, Marie, se firent
également baptiser, ainsi que la fille adoptive de Wilhelm Friedrichs,
Elisa Plassmann. Le lendemain, les missionnaires ordonnèrent Wilhelm et
Emil à l’office de prêtre et Jacob et Ernst à celui de diacre.
Deux semaines plus tard, le matin de
Noël, les trois missionnaires se rendirent au Parque Tres de Febrero,
parc municipal bien connu composé de vastes pelouses vertes, de lacs
bleus et de bosquets apaisants de saules pleureurs. Tandis qu’ils
étaient seuls, les hommes chantèrent des cantiques puis inclinèrent la
tête pendant que frère Ballard consacrait le continent à l’œuvre du
Seigneur.
Dans sa prière, il dit : « Je tourne
la clé ; je déverrouille et j’ouvre la porte à la prédication de
l’Évangile dans toutes ces nations d’Amérique du Sud. J’ordonne à
toutes les puissances qui s’y opposeraient de rester sans effet. »
La mission de l’Amérique du Sud fut
officiellement ouverte ; les missionnaires et les membres travaillèrent
main dans la main pour faire connaître l’Évangile autour d’eux. Herta
Kullick, qui connaissait l’espagnol, parlait parfois de l’Évangile à
ses amis à l’école. Frère Ballard et frère Pratt, quant à eux,
faisaient du porte-à-porte pour distribuer des brochures et inviter les
gens aux réunions de l’Église. Le travail était épuisant. Par tous les
temps, les missionnaires devaient souvent parcourir de longues
distances à travers champs ou sur des routes boueuses.
En janvier 1926, frère Wells rentra
chez lui pour des raisons de santé. Herta fut chargée d’aider frère
Ballard et frère Pratt à communiquer avec les saints allemands. Frère
Ballard préparait un message pour les saints en anglais, frère Pratt le
traduisait en espagnol et Herta utilisait la version espagnole pour le
traduire en allemand. C’était un processus compliqué mais parfois très
amusant, et les missionnaires étaient reconnaissants de l’aide de Herta.
Pendant leurs réunions, les deux
hommes présentaient souvent des diaporamas grâce à un projecteur qu’ils
avaient apporté des États-Unis. Herta invita ses amis à assister à ces
projections, pensant que cela les intéresserait. En peu de temps, près
d’une centaine de jeunes, essentiellement hispanophones, commencèrent à
fréquenter la salle de réunion louée par les saints. Les frères
organisèrent alors une école du dimanche pour les instruire.
Les parents des jeunes, se demandant
ce que leurs enfants apprenaient, commencèrent également à venir aux
réunions. Un jour, plus de deux cents personnes se réunirent dans la
salle pour voir des diapositives sur le Rétablissement et entendre
frère Pratt enseigner dans leur langue maternelle.
Six mois après l’arrivée des trois
missionnaires à Buenos Aires, un président de mission et deux jeunes
missionnaires vinrent prendre le relais sur le long terme. Ce nouveau
président, Reinhold Stoof, et sa femme, Ella, étaient devenus membres
de l’Église en Allemagne quelques années plus tôt. L’un des
missionnaires, J. Vernon Sharp, parlait l’espagnol, ce qui allait
permettre aux Sud-Américains germanophones et hispanophones d’entendre
l’Évangile dans leur propre langue. Peu après leur arrivée, la mission
eut sa première convertie hispanophone, Eladia Sifuentes.
Le 4 juillet 1926, juste avant de
rentrer aux États-Unis, frère Ballard rendit témoignage à une petite
assemblée de saints argentins. Il déclara : « L’œuvre va commencer par
progresser lentement, comme le chêne qui pousse lentement à partir du
gland. Elle ne va pas fleurir en un jour comme le font les tournesols
qui poussent rapidement puis meurent. »
Il prophétisa : « Des milliers de
gens se joindront à vous ici. Ce pays sera divisé en plusieurs missions
et sera l’un des plus solides de l’Église. »
Chapitre 17 : Préservés l’un pour l’autre
Tandis que la croissance de l’Église
se poursuivait dans le monde entier, Heber J. Grant ne savait pas quoi
décider concernant l’avenir des établissements scolaires de l’Église.
Au cours des vingt-cinq dernières années, leur coût de fonctionnement
avait été multiplié par dix. Certains changements permirent
d’économiser de l’argent, notamment le remplacement du coûteux système
académique de pieu par le programme du séminaire. Cependant,
l’université Brigham Young, l’université des saints des derniers jours,
et d’autres établissements de l’Église étaient en pleine expansion. Si
ces institutions voulaient offrir la même qualité d’éducation que
l’université d’Utah et d’autres établissements locaux parrainés par
l’État, il leur faudrait plus d’argent que celui fourni par les fonds
de la dîme.
Cette dépense troublait constamment
le prophète. En février 1926, lors d’une réunion du bureau général de
l’éducation de l’Église, il déclara : « Rien ne m’a davantage préoccupé
depuis que je suis président. » L’université Brigham Young, à elle
seule, demandait plus d’un million de dollars pour agrandir son campus.
Le président Grant dit : « C’est tout simplement impossible. »
Certains membres du bureau, aussi
inquiets que le prophète, souhaitaient que l’Église ferme toutes ses
universités, y compris BYU. Cependant, les apôtres David O. McKay et
John Widtsoe, qui avaient tous deux fréquenté les établissements
d’enseignement de l’Église et avaient été commissaires à l’éducation de
l’Église, rétorquèrent que les jeunes adultes avaient besoin de ces
écoles car elles dispensaient une éducation religieuse importante.
En mars, lors d’une réunion du
bureau, frère McKay affirma : « Les établissements scolaires ont été
fondés pour avoir une influence sur nos enfants. » Pour lui, les
universités de l’Église jouaient un rôle essentiel car elles
façonnaient les jeunes en saints des derniers jours fidèles.
Frère Widtsoe partageait cet avis. Il
dit : « Je connais la valeur des écoles de l’Église. Elles aident les
jeunes à devenir matures. Je pense que l’Église commettrait une grande
erreur si elle ne gardait pas une institution d’enseignement supérieur.
»
À peu près à la même époque, Charles
W. Nibley, conseiller du président Grant, rencontra William Geddes,
membre de l’Église originaire d’Idaho, au nord de l’Utah. Ses filles,
Norma et Zola, faisaient partie des quelques saints des derniers jours
qui fréquentaient l’université d’Idaho. Leur petite branche louait pour
ses réunions une salle miteuse dans laquelle des soirées dansantes
étaient parfois organisées le samedi soir. Le lendemain matin, lorsque
Norma et Zola arrivaient pour les réunions de l’Église, l’endroit
empestait la fumée de cigarette et le sol était jonché de déchets et de
bouteilles d’alcool vides.
William souhaitait que ses filles
puissent se réunir dans un lieu de culte plus approprié près de leur
université. Il expliqua à frère Nibley : « À moins de disposer de
meilleurs locaux, l’université n’attirera jamais d’étudiants saints des
derniers jours. »
Le président Grant et le bureau
d’éducation réfléchirent à la situation en Idaho tandis qu’ils
discutaient de l’avenir de l’éducation de l’Église. Ils décidèrent de
continuer de financer l’université Brigham Young tout en retirant
progressivement leur soutien à la plupart des autres universités de
l’Église. Une éducation religieuse allait aussi être proposée aux
étudiants en étendant le séminaire à l’université. Le bureau envisagea
alors de faire de l’université d’Idaho un terrain d’expérimentation
pour le nouveau programme. Il ne restait plus qu’à trouver quelqu’un
qui s’installe à Moscow, la petite ville où se trouvait l’université.
En octobre, les membres de la
Première Présidence rencontrèrent Wyley Sessions, ancien agent agricole
de l’université d’Idaho, qui venait tout juste de rentrer chez lui
après avoir présidé la mission sud-africaine. Ils l’avaient recommandé
pour un poste dans une entreprise sucrière locale, mais tandis qu’ils
lui parlaient du travail, frère Nibley s’interrompit et se tourna vers
le prophète.
Il dit : « Nous sommes en train de faire une erreur.
– Je crains que oui, acquiesça le
président Grant. Je n’ai pas vraiment l’impression que nous devons
affecter frère Sessions à cette entreprise sucrière. »
Le silence régna dans la salle
pendant un instant. Frère Nibley reprit : « Frère Sessions, vous êtes
l’homme qu’il nous faut à l’université d’Idaho. Nous avons besoin que
vous preniez soin de nos garçons et de nos filles qui iront à
l’université là-bas, que vous examiniez la situation et nous disiez ce
que doit faire l’Église pour les étudiants saints des derniers jours
qui fréquentent les universités d’État.
– Oh non ! répondit Wyley. Frères,
m’appelez-vous à faire une autre mission ? » Son affectation en Afrique
du Sud avait duré sept ans et les avait laissés, lui et sa femme
Magdalen, presque sans le sou.
« Non, frère, nous ne vous appelons
pas pour une autre mission, s’amusa le prophète. Nous vous donnons une
occasion splendide de rendre service à l’Église. » Il ajouta qu’il
s’agirait d’une opportunité professionnelle, d’un emploi rémunéré.
Wyley Sessions se leva tristement. Frère Nibley se dirigea vers lui et le prit par le bras.
Il lui dit : « Ne soyez pas déçu. C’est ce que le Seigneur veut que vous fassiez. »
Le jour de l’An 1927, la neige
recouvrait Salt Lake City mais un soleil radieux inondait la maison de
la famille Widtsoe, tenant le froid à distance. Eudora, âgée de
quatorze ans, était la seule enfant qui vivait encore là, mais toute la
famille s’était réunie pour les vacances. Leah était ravie d’être
entourée de ses enfants.
Marsel avait maintenant vingt-quatre
ans. Il était fiancé et allait être diplômé de l’université d’Utah dans
quelques mois. Il espérait pouvoir entrer à l’université de Harvard,
comme son père, et y étudier l’administration des affaires. Sa sœur
aînée, Ann, quant à elle, avait épousé Lewis Wallace, jeune avocat
saint des derniers jours, et avait déménagé avec lui à Washington, DC.
Toutefois, elle était revenue en Utah parce qu’elle avait le mal du
pays. Sa mère s’inquiétait pour elle. Leah et John étaient
reconnaissants de la bonté et de la miséricorde du Seigneur à l’égard
de leur famille.
Au début de la nouvelle année, John
reprit ses fonctions au sein des Douze et Leah consacra son temps libre
à aider sa mère dans un nouveau projet d’écriture. Pendant des années,
elle l’avait vue rassembler des renseignements et noter des histoires
sur son père, Brigham Young, afin de publier un jour sa biographie.
Cependant, depuis quelque temps, Leah avait remarqué que sa mère
avançait sur d’autres projets d’écriture, comme l’histoire des saintes
des derniers jours, mais qu’elle ne travaillait plus sur la biographie.
« Mère, qu’en est-il du livre sur ton père ? lui demanda-t-elle un jour. Ne l’écris-tu plus ?
– Non, il est trop grand pour moi,
répondit Susa. Si tu te tiens à côté d’une montagne, tu ne peux pas
vraiment la décrire parce que tu es trop près pour bien la voir.
– Tout de même, tu dois le faire,
insista sa fille. Un jour, tu devras écrire ce livre sur ton père et je
serai heureuse de t’y aider. »
Depuis, Susa avait rédigé deux
manuscrits volumineux sur Brigham Young. Elle sollicita Leah pour
l’aider à en faire une seule biographie cohérente. Leah trouvait le
travail difficile, parfois long et fastidieux, mais elle savait que sa
mère avait besoin d’aide. Susa était une écrivaine née, dotée d’un
esprit fort et de beaucoup de détermination. Sa fille peaufinait le
texte et structurait l’écriture. Elles travaillaient ensemble chez Susa
et formaient une bonne équipe.
Le matin du 23 mai 1927, le quotidien
de Leah fut brutalement interrompu par une lettre arrivant de Preston,
en Idaho, où Marsel enseignait le séminaire. Après avoir porté secours
à un automobiliste en panne sur le bord de la route, Marsel avait
attrapé un méchant rhume. Ses amis pensaient qu’il allait mieux mais sa
température restait élevée. Il risquait une pneumonie qui mettrait sa
vie en danger.
Leah prit immédiatement le train pour
Preston et arriva au chevet de Marsel. Le lendemain, sa température
baissa de quelques degrés et Leah pensa qu’il allait se rétablir. Mais
son état ne s’améliora pas, et Leah recommença à s’inquiéter. John vint
aussi à Preston, implorant le Seigneur d’épargner la vie de son fils.
Il appela l’un de ses amis, médecin, pour qu’il s’occupe du jeune
homme. Des amis donnèrent à Marsel des bénédictions de la prêtrise.
D’autres le veillèrent pendant la nuit.
Épuisée, Leah s’effondra le 27 mai.
Cette nuit-là, l’état de Marsel sembla s’améliorer. Marion Hill, sa
fiancée, arriva le lendemain matin. Les poumons de Marsel semblaient se
dégager et sa température chuta à nouveau. Mais, plus tard dans la
journée, sa respiration devint plus difficile et son corps enfla. Tout
l’après-midi, Leah resta à ses côtés avec John et Marion. Les heures
passaient lentement mais il n’allait pas mieux. Il mourut dans la
soirée.
Leah était inconsolable. Elle avait
déjà perdu quatre de ses enfants. Son dernier fils, dont l’avenir
semblait si prometteur et bien tracé au début de la nouvelle année,
n’était plus là.
Ce printemps-là, à quelque deux mille
cinq cents kilomètres à l’est de Salt Lake City, Paul Bang, âgé de huit
ans, se préparait pour le baptême. Il était le sixième d’une famille de
dix enfants, quatre filles et six garçons. Ils vivaient dans une pièce
en forme de L, derrière l’épicerie que tenaient leurs parents à
Cincinnati, ville dynamique de plus de quatre cent mille habitants de
l’Ohio, dans le Midwest des États-Unis. Pour créer un semblant
d’intimité, la famille avait divisé la pièce à l’aide de rideaux.
Malgré tout, personne n’avait vraiment d’intimité. La nuit, les membres
de la famille dormaient sur des lits pliants qui prenaient tellement de
place qu’on pouvait à peine se déplacer dans la pièce.
Le père de Paul, Christian Bang,
père, était originaire d’Allemagne. Quand il était enfant, sa famille
avait déménagé à Cincinnati, comme de nombreux immigrants allemands au
XIXe siècle. En 1908, Christian avait épousé Rosa Kiefer, dont les
parents étaient également des immigrants allemands. Trois ans plus
tard, une amie de Rosa, Elise Harbrecht, lui avait donné un Livre de
Mormon. Le couple l’avait lu avec intérêt. Ils avaient eu des réunions
avec les missionnaires pendant une année puis s’étaient fait baptiser
dans un bain juif car l’Ohio était gelée.
La branche de Cincinnati ressemblait
à beaucoup de branches de l’Église de l’est des États-Unis. La ville
avait abrité une assemblée prospère de saints, mais celle-ci avait
diminué au fil des ans tandis que de plus en plus de membres de
l’Église se rassemblaient en Utah. À l’époque où les parents de Paul
étaient devenus membres de l’Église, les saints des derniers jours
étaient devenus un objet de curiosité dans la région. En 1912, lorsque
les missionnaires baptisèrent un garçon, des centaines de personnes
vinrent les observer. Le lendemain du baptême, un article dans le
journal informa les lecteurs de la présence des missionnaires dans la
région.
On y lisait : « De grands efforts seront faits ouvertement pour convertir de nombreuses autres personnes. »
Après leur baptême, les parents de
Paul assistèrent aux réunions de l’Église avec les missionnaires et
quelques autres membres dans une petite salle louée. Puis un membre de
l’Église déménagea en Utah, un autre décéda et deux cessèrent de venir.
Christian et Rosa envisagèrent de rejoindre aussi l’Utah mais ils
décidèrent finalement de rester en Ohio où se trouvaient leurs familles
et leur travail.
Comme d’autres branches éloignées de
Salt Lake City, la branche de Cincinnati eut le plaisir d’accueillir
des membres de l’Église plus expérimentés. Charles et Christine
Anderson, couple de saints des derniers jours venant d’Utah,
s’installèrent à Cincinnati et commencèrent à aller à l’église avec les
membres de la famille Bang, qui venait de se convertir.
La famille Anderson avait été dotée
et scellée dans le temple et avait œuvré dans des paroisses et des
pieux de l’Ouest américain pendant de nombreuses années. Comme beaucoup
de saints, les Anderson avaient quitté l’Utah en quête de nouvelles
possibilités. Né en Suède, Charles avait inventé un nouveau type de
serpillière et était venu dans l’Est pour la fabriquer. Il ne
connaissait rien de Cincinnati, à part le fait que c’était une grande
ville et un centre d’affaires prospère. Néanmoins, le président de
mission des États du Sud l’appela immédiatement pour réorganiser et
diriger la branche. Il choisit le père de Paul pour être son premier
conseiller.
Il n’était pas facile d’être un saint
des derniers jours à Cincinnati. Depuis des années, des articles de
presse et des manifestants s’attaquaient à l’Église. Un jour, Frank
Cannon, fils apostat de George Q. Cannon, organisa un rassemblement
dans la ville. Le journal local qualifia alors Cincinnati de « champ de
bataille de la guerre contre la propagation du mormonisme en Amérique ».
Pourtant, malgré l’opposition, les
parents de Paul s’appliquèrent à élever leurs enfants dans l’Évangile.
Ils assistaient aux réunions hebdomadaires de l’Église et servaient
fidèlement dans leur petite branche. Chaque matin, le père de Paul
réunissait toute sa famille pour prier et réciter le « Notre Père »,
une pratique courante chez les chrétiens allemands. Le lundi, sa mère
invitait souvent les missionnaires à dîner. Ils prenaient place autour
d’une grande table dans la cuisine reliée à l’arrière-boutique. La mère
de Paul ne jetait jamais rien d’utilisable ; elle cuisinait les
aliments abîmés du magasin en prenant soin de retirer les parties
pourries des fruits, des légumes ou de la viande avant de les servir.
Son père insistait pour que les missionnaires mangent à satiété.
Le couple veillait également à ce que
ses enfants se fassent baptiser à l’âge de huit ans. Le 5 juin 1927,
Paul fut baptisé dans l’Ohio en compagnie de quatre autres personnes à
Anderson’s Ferry, quartier de la ville au bord de la rivière. Ses
parents et frère Anderson étaient présents pour l’occasion, ainsi que
certains de ses amis.
Il n’y avait pas de curieux pour
assister à l’événement et aucun article de journal ne fut publié. Un
compte rendu du baptême fut fait dans le Liahona, le journal des
missionnaires [Liahona, the Elders’ Journal], qui était le magazine
officiel des missions de l’Église en Amérique du Nord. On y lisait même
le nom de Paul.
L’accueil réservé à Wyley et Magdalen
Sessions à l’université d’Idaho ne fut pas chaleureux. La ville de
Moscow se trouvait au nord de l’État, dans un endroit ou peu de membres
de l’Église vivaient. De nombreuses personnes étaient venues dans la
région pour cultiver le sol riche ou chercher fortune dans les
industries minières et forestières. Les habitants se méfiaient de
l’Église et ils étaient irrités par la présence de Wyley.
« Qui est ce type, ce Sessions ? demandaient-ils. Que vient-il faire ici ? Que cherche-t-il à faire ? »
Si on lui avait posé directement les
deux dernières questions, Wyley n’aurait pas su quoi répondre. Il avait
été chargé par la Première Présidence d’aider les étudiants saints des
derniers jours et c’était à lui de décider comment s’y prendre. Il
savait que les étudiants avaient besoin d’une instruction religieuse
donnée de manière régulière et d’un nouvel endroit pour se réunir.
Toutefois, Wyley n’avait aucune expérience dans l’instruction
religieuse en dehors de son service en tant que président de mission.
Il avait étudié l’agriculture à l’université. Si les étudiants
l’interrogeaient sur les engrais, il était capable de les instruire.
Par contre, il n’était pas un érudit de la Bible.
Peu après leur arrivée à Moscow,
Wyley et Magdalen s’inscrivirent à l’école supérieure de l’université
afin de poursuivre leurs études et de se familiariser avec
l’établissement et son corps enseignant. Wyley étudia la philosophie et
l’éducation, suivit quelques cours sur la religion et la Bible, et
commença à rédiger une thèse sur la religion dans les universités
d’État aux États-Unis. De son côté, Magdalen étudia le travail social
et l’anglais.
C. W. Chenoweth, le directeur du
département de philosophie, s’avéra être un allié. Comme eux, il
s’inquiétait du manque d’instruction religieuse dans les universités
d’État. Il avait été aumônier pendant la guerre et était désormais
pasteur dans une église près de Moscow. Il leur dit : « Vous devriez
vous préparer à la rivalité de l’université si vous proposez à ce
campus un programme religieux. »
Avec les encouragements de C. W.
Chenoweth, Wyley et Magdalen Sessions élaborèrent un programme
semblable au séminaire destiné aux étudiants saints des derniers jours
fréquentant les universités publiques. Ils basèrent leur programme
d’éducation religieuse sur ceux des autres universités et veillèrent à
respecter la séparation entre l’Église et l’État. Les cours de religion
devaient répondre aux normes de l’État concernant l’enseignement
universitaire, mais ils devaient également être totalement indépendants
de l’établissement lui-même. Si l’Église construisait un bâtiment pour
les cours, il devrait être situé en dehors du campus.
Sachant que l’université ne
soutiendrait pas le nouveau programme tant que les dirigeants locaux se
méfieraient de lui et de l’Église, Wyley Sessions devint membre de la
chambre de commerce et d’un groupe civique, afin de rencontrer des
membres influents de la collectivité. Il découvrit que des chefs
d’entreprise, des pasteurs et des professeurs avaient formé un comité
pour le surveiller et veiller à ce qu’il n’essaye pas d’asseoir
l’influence de l’Église sur l’université. Fred Fulton, agent
d’assurance, dirigeait ce comité. Chaque fois que Wyley Sessions
assistait à des manifestations de la chambre de commerce, il s’asseyait
à côté de lui et essayait de se lier d’amitié avec lui.
Un jour, Fred Fulton lui dit : «
Sacré Wyley, tu es le plus étonnant des hommes. » Il lui avoua son rôle
dans le comité. Il expliqua : « À chaque fois que je te vois, tu es
tellement sympathique que je t’apprécie de plus en plus. »
Toute la ville finit par s’adoucir à
l’égard de la famille Sessions. Avec l’aide de Wyley, l’Église trouva
un terrain près du campus et l’acheta afin d’en faire un centre d’étude
pour les saints. Wyley et un architecte de l’Église travaillèrent avec
l’université et la chambre de commerce pour concevoir le bâtiment,
l’approuver et superviser sa construction. À l’automne 1927, Wyley
commença à donner des cours de religion et l’université accepta
d’accorder des crédits universitaires aux étudiants qui les suivaient.
Magdalen, quant à elle, organisa une série d’activités sociales pour
les étudiants saints des derniers jours tels que Norma et Zola Geddes.
Un jour, alors que Wyley se promenait
avec Jay Eldridge, le doyen de la faculté, ils passèrent devant le
terrain du nouveau centre étudiant de l’Église. Le doyen dit : «
C’était intelligent de votre part de vous procurer ce terrain. » Il
demanda ensuite comment l’Église allait appeler ce nouveau programme.
Il ajouta : « Vous ne pouvez pas l’appeler ‘séminaire’. Vous utilisez
déjà ce terme pour vos séminaires d’enseignement secondaire.
– Je ne sais pas, répondit Wyley. Je n’y ai pas vraiment réfléchi. »
Jay Eldridge s’arrêta. « Je vais vous
dire comme vous allez l’appeler. Vous avez devant vous l’institut de
religion des saints des derniers jours. »
Le nom plut à Wyley Sessions ainsi qu’au bureau général d’éducation de l’Église.
En septembre 1927, Leah Widtsoe se
sentait épuisée spirituellement, mentalement et physiquement. La mort
soudaine de son fils, Marsel, l’avait plongée dans une profonde
dépression. Elle dit un jour à John : « Je me demande vraiment si cela
vaut la peine de vivre. Sans ton amour, je sais que cela ne vaudrait
pas la peine. »
Le 31 mai, Marsel avait été enterré
au cimetière de Salt Lake City. Le lendemain, c’était le vingt-neuvième
anniversaire de mariage de Leah et John. Ils passèrent la journée à
ranger après les funérailles. Dans les semaines et les mois suivants,
leurs amis et les membres de leur famille leur rendirent souvent visite
mais, malgré leur soutien et leur amour, la guérison était lente. Ils
avaient néanmoins une raison de se réjouir : leur fille, Ann, était
enceinte. Cependant, cette dernière était malheureuse dans son mariage
et elle décida de rester en Utah avec ses parents au lieu de retourner
auprès de son mari à Washington, DC.
La dépression de Leah faisait de
chaque jour un combat. Les tâches ecclésiastiques de John l’obligeaient
à être souvent en déplacement mais, lorsqu’il était à la maison, il
était auprès d’elle, lui rendant la vie supportable. Cet été-là, elle
lui confia : « Je prie pour que nous soyons préservés l’un pour
l’autre. Si tu es à mes côtés, je peux mener toutes les batailles ! »
Le 8 août 1927, Ann donna naissance à
John Widtsoe Wallace, et Leah et John devinrent grands-parents. Un mois
plus tard, Harold Shepstone, journaliste anglais en visite à Salt Lake
City, rencontra la mère de Leah. Susa Gates lui parla de la biographie
de Brigham Young qu’elle était en train d’écrire avec Leah et il
demanda à la voir. Elle lui remit une copie du manuscrit et il accepta
de l’aider à trouver un éditeur.
Il déclara : « Cet ouvrage constituera une lecture des plus intéressantes mais, bien sûr, il devra être fortement condensé. »
Toutes ces bonnes nouvelles ne
suffirent pas à consoler Leah. Susa lui proposa de l’accompagner en
Californie, espérant qu’un séjour sur la côte lui remonterait le moral.
Cependant, juste après avoir acheté les billets, le président Grant
appela John à être le nouveau président de la mission européenne.
Pendant le reste de la journée, John était abasourdi. Il ne dormit
presque pas la nuit suivante. La mission européenne était l’une des
plus anciennes et des plus vastes missions de l’Église. Son président
était responsable de neuf autres présidents de mission, établis dans
des pays s’étendant sur des milliers de kilomètres, de la Norvège à
l’Afrique du Sud. L’apôtre appelé à diriger cette mission avait
normalement beaucoup d’expérience.
Leah accepta ce nouvel appel, même
s’il l’éloignait de sa maison et de ses proches. L’année précédente
avait été cauchemardesque et ce changement était le bienvenu. Ici, tout
lui rappelait Marsel. En Europe, elle aurait la possibilité de faire
son deuil. De son côté, John était convaincu que le président Grant
avait été inspiré de les appeler en mission pour les aider à faire face
à la perte de leur fils.
Les deux mois suivants furent
consacrés à leurs préparatifs. En préparant ses affaires, Leah pensa à
Harold Shepston et à la biographie de Brigham Young. Elle ajouta le
manuscrit à ses bagages, déterminée à faire tenir au journaliste sa
promesse de trouver un éditeur.
Le 21 novembre, Leah et John Widtsoe
furent mis à part pour leur mission. Ils retournèrent ensuite chez eux
pour dire au revoir à la tante de John, Petroline, alors âgée de
soixante-quatorze ans. Ils lui avaient proposé de les accompagner en
Europe mais elle ne pensait pas en avoir la force. Cependant, elle
était heureuse que John ait la possibilité de retourner en Europe et
d’enseigner l’Évangile, comme elle l’avait fait vingt ans auparavant
avec sa mère.
Plus tard dans la journée, une foule
vint dire au revoir à Leah, John et leur fille Eudora à la gare. Susa
Gates leur remit une lettre à ouvrir dans le train. On y lisait : « Je
vous suivrai dans votre voyage et dans la grande œuvre que vous
accomplirez tous les deux. Votre tante et moi vous attendrons sur le
quai quand vous rentrerez, sereines, souriantes, heureuses du retour de
nos enfants tendrement aimés. »
Elle exhorta également Leah à se
préparer aux nombreuses difficultés qu’elle ne manquerait pas de
rencontrer pendant la mission. Elle ajouta : « Notre Père doit lui-même
être impitoyable parfois, lorsque ses enfants doivent acquérir de
l’expérience par la douleur, la pauvreté et les combats. »
Chapitre 18 : N’importe quel endroit sur la terre
En décembre 1927, Reinhold Stoof, le
président de la mission sud-américaine, était prêt à quitter
l’Argentine, ne serait-ce que temporairement.
Dix-huit mois plus tôt, en arrivant à
Buenos Aires, il s’était attendu à travailler principalement auprès des
immigrants germanophones. Cependant, ces derniers étaient dispersés
dans la ville et n’étaient pas faciles à trouver, ce qui compliquait
l’œuvre missionnaire. Pour que l’Église se développe en Amérique du Sud
tel un chêne, comme l’avait prophétisé Melvin J. Ballard, Reinhold
Stoof et ses quelques missionnaires devaient porter l’Évangile aux
hispanophones.
D’origine allemande, Reinhold Stoof
ne connaissait pas un mot d’espagnol. Il commença à étudier la langue
presque immédiatement. Toutefois, il se sentait responsable des
Allemands vivant sur ce continent. Il savait qu’il y avait de grandes
localités d’immigrés germanophones non loin de là, au Brésil. En fait,
avant de rentrer aux États-Unis, frère Ballard avait recommandé d’y
envoyer des missionnaires afin d’évaluer l’intérêt que ces personnes
pourraient porter à l’Évangile.
Reinhold Stoof connaissait quelques
saints allemands vivant déjà au Brésil et il pensait qu’avec leur aide,
ils pourraient établir des branches de l’Église dans leurs villes.
Comme le travail auprès des immigrés allemands ralentissait à Buenos
Aires, le moment semblait venu de visiter le Brésil.
Le 14 décembre, Reinhold Stoof
délégua la responsabilité du travail en Argentine à un missionnaire et
se rendit au Brésil accompagné d’un frère du nom de Waldo Stoddard. Ils
firent un premier arrêt à São Paulo, l’une des plus grandes villes du
Brésil, où ils espéraient retrouver un membre de l’Église qui y vivait
depuis qu’il était rentré de sa mission en Suisse allemande. Leurs
recherches furent vaines et le travail missionnaire dans cette ville
présentait trop de difficultés. São Paulo comptait de nombreux
immigrants allemands, mais comme à Buenos Aires, ils étaient dispersés
dans toute la ville.
Une semaine plus tard, Reinhold Stoof
et Waldo Stoddard se rendirent dans une petite ville appelée Joinville,
dans le sud du Brésil. Elle avait été fondée par des immigrants
d’Europe du Nord dans les années 1850 et de nombreux habitants
parlaient encore l’allemand. Les gens étaient aimables et semblaient
intéressés par l’Évangile. Reinhold et Waldo y distribuèrent des
brochures et organisèrent deux réunions. À chaque fois, plus d’une
centaine de personnes vinrent y assister. Les missionnaires
rencontrèrent le même intérêt lorsqu’ils prêchèrent dans d’autres
villes de la région. La veille de leur départ de Joinville, on leur
demanda de bénir deux femmes malades.
Après avoir passé trois semaines à
Joinville et dans les environs, Reinhold retourna en Argentine, ravi de
ce qu’il avait découvert au Brésil. Il expliqua à la Première
Présidence : « Le travail auprès des Allemands de Buenos Aires sera
toujours une bonne chose, mais ce n’est rien comparé au travail parmi
les Allemands du Brésil. »
Il voulait que des missionnaires
soient immédiatement envoyés à Joinville. Il reconnut : « J’ai toujours
été optimiste, mais jamais trop enthousiaste pour ne pas voir les
ombres et les obstacles. Et pourtant je le répète : le sud du Brésil
est le bon endroit ! »
Tandis que Reinhold Stoof revenait du
Brésil, John et Leah Widtsoe arrivaient à Liverpool, en Angleterre,
pour commencer leur mission. Sans tarder, ils inscrivirent Eudora dans
un établissement d’enseignement secondaire et commencèrent leur
nouvelle vie. Leah accueillit ce changement avec joie. Elle n’avait
jamais fait de mission ni consacré autant de temps à travailler en
dehors de son foyer. Chaque jour apportait son lot de nouveautés. Elle
apprit très vite à faire l’œuvre missionnaire. De plus, elle aimait
servir aux côtés de John, car la carrière et les tâches ecclésiastiques
de son mari l’avaient souvent tenue éloignée de lui.
Près de trente ans s’étaient écoulés
depuis leur séjour en Europe pour les études de John. Pendant cette
période, l’Église avait connu des changements remarquables sur tout le
continent. La fin de l’émigration massive vers l’Utah signifiait que
quelque vingt-huit mille saints vivaient désormais en Europe. Près de
la moitié d’entre eux étaient germanophones. Les détracteurs hostiles,
tels que William Jarman, avaient disparu et de nombreux journaux
publiaient des rapports honnêtes sur les conférences de l’Église ou des
commentaires favorables sur les bonnes actions des saints.
Pourtant, en visitant les branches
sur tout le continent, Leah et John perçurent de l’indifférence et de
la frustration parmi les saints. En Europe, on ne pouvait pas recevoir
sa bénédiction patriarcale ni participer au culte du temple. Puisque
l’Église n’encourageait plus l’émigration, peu de saints européens
pouvaient espérer prendre part un jour à ces ordonnances.
D’autres facteurs entravaient la
progression de l’Église. Les nouveaux missionnaires américains étaient
plus jeunes et moins expérimentés que leurs prédécesseurs. En général,
ils parlaient à peine la langue de la mission. Malgré cela, ils
dirigeaient les assemblées, même celles où il y avait des membres de
longue date, fidèles et compétents. Ces branches louaient
habituellement des salles de réunion avec les maigres revenus de la
dîme et elles se retrouvaient dans des quartiers délabrés et peu
attirants pour d’éventuels nouveaux membres. Comme il n’y avait pas de
Sociétés de Secours, de Primaires, de Sociétés d’amélioration mutuelle
ni d’Écoles du Dimanche, l’Église n’était pas vraiment attrayante pour
les saints des derniers jours et les amis de l’Église.
Comme John, Leah était impatiente de
servir les saints européens. Elle était principalement responsable de
diriger l’œuvre de la Société de Secours en Europe. Peu après son
arrivée en Angleterre, elle commença à rédiger des leçons sur le Livre
de Mormon destinées à la Société de Secours pour l’année à venir. Dans
son premier message adressé à cette organisation dans les Îles
Britanniques et publié dans le Millennial Star, elle reconnut que les
saints étaient loin du siège de l’Église mais elle expliqua que Sion
n’était pas un seul endroit.
Elle demanda : « Après tout, où est
Sion ? Sion, ce sont ‘ceux qui ont le cœur pur’ et cela peut être
n’importe quel endroit sur la terre où les hommes choisissent de servir
Dieu dans la plénitude et la vérité. »
Tandis que Leah et John parcouraient
le secteur de la mission, apprenant comment aider les Européens, leurs
pensées se tournaient sans cesse vers leur fils Marsel. Il était
difficile pour John de se rendre dans les endroits où son fils avait
servi fidèlement. Toutefois, peu après la mort de celui-ci, il avait
été réconforté lorsque l’esprit du jeune homme était venu lui assurer
qu’il était heureux et occupé à l’œuvre missionnaire de l’autre côté du
voile. John avait alors trouvé le courage d’affronter le quotidien sans
son fils.
Leah était également fortifiée par
cette assurance. Auparavant, le fait de savoir que Marsel éprouvait de
la joie en travaillant dans le monde des esprits n’avait pas suffi à la
sortir de sa dépression. La mission lui donna une nouvelle vision. Elle
écrivit à une amie en Utah : « Le fait de savoir que notre fils est
occupé à la même grande cause là-bas que nous ici m’incite à être plus
active et plus zélée. » La mort de Marsel était toujours un souvenir
douloureux mais elle trouvait l’espérance et la guérison en
Jésus-Christ.
Elle témoigna : « Rien d’autre que
l’Évangile ne pourrait rendre une telle expérience supportable. » À
présent, sa foi dans le pouvoir guérisseur du Seigneur était
inébranlable. Elle écrivit : « Ma foi a supporté cette épreuve. Ce
pouvoir est bien réel. »
À la fin du mois de mars 1929, la
pluie et le vent s’abattaient sur la maison de Bertha et Ferdinand Sell
à Joinville, au Brésil. Pour Bertha, cette tempête arrivait vraiment au
mauvais moment. Ferdinand et elle, tous deux immigrants allemands de la
deuxième génération, subvenaient aux besoins de leurs sept enfants en
vendant du lait en ville. Suite à un accident, Ferdinand ne pouvait
plus livrer le lait à leurs clients. C’était donc Bertha qui se
chargeait des livraisons, qu’il pleuve ou qu’il vente. Tant pis pour
son asthme.
Ce jour-là, Bertha passa des heures
debout, effectuant de nombreuses livraisons malgré le mauvais temps. En
rentrant chez elle, fatiguée, elle aperçut un journal sur la table.
Elle le prit et demanda : « D’où vient ce journal ? » Personne ne le
savait.
Il y avait une publicité pour une
réunion des saints des derniers jours ce soir-là à Joinville. « Comme
c’est intéressant ! Je n’ai jamais entendu parler de cette Église,
dit-elle à son mari. Nous sommes tous invités à y aller. »
Ferdinand n’était pas intéressé. Il demanda : « Qu’allons-nous faire à une réunion avec des étrangers ?
– Allons-y, insista sa femme.
– Tu es fatiguée. Tu as déjà beaucoup
marché aujourd’hui. Tu ne devrais pas y aller. » Il fallait penser à sa
santé. Elle risquait de se surmener en se rendant à la réunion.
« Mais je veux y aller, dit-elle. Quelque chose me murmure que je dois y aller. »
Ferdinand finit par céder et il
accompagna Bertha et quelques-uns de leurs enfants en ville. Il avait
plu dans la journée et les rues étaient boueuses mais la famille arriva
à la réunion à temps pour entendre deux missionnaires germanophones,
Emil Schindler et William Heinz, parler de l’Évangile rétabli de
Jésus-Christ. Six mois plus tôt, ils étaient arrivés à Joinville avec
le président Stoof, qui était revenu au Brésil pour ouvrir une branche
dans la ville.
Certains pasteurs de la ville avaient
essayé de monter la population contre eux, mais les missionnaires
avaient été prompts à défendre leurs croyances. Ils avaient distribué
des brochures et présenté des diaporamas sur l’Église à un large
auditoire. Désormais, ils tenaient des réunions régulières le soir et
une École du Dimanche pour une quarantaine de participants. Pourtant,
personne n’était encore devenu membre de l’Église à Joinville.
À la fin de la réunion, tout le monde
dit « Amen » et quitta la salle. En sortant, Bertha fut soudainement
prise d’une crise d’asthme. Ferdinand se précipita à l’intérieur du
bâtiment et demanda de l’aide aux missionnaires. Les deux hommes
accoururent et portèrent Bertha à l’intérieur. Ils lui posèrent leurs
mains sur la tête et lui donnèrent une bénédiction de la prêtrise. Elle
reprit rapidement des forces et ressortit, souriante.
Elle expliqua à sa famille : « Ils ont prié pour moi et maintenant je vais mieux. »
Les missionnaires raccompagnèrent la
famille jusqu’à son foyer et Bertha raconta immédiatement à ses voisins
ce qui s’était passé. Elle affirma à ses amis : « J’en suis certaine.
L’Église est vraie. » Elle était si heureuse ! Elle ressentait la
véracité de l’Évangile.
Le lendemain, Bertha alla trouver les missionnaires et leur dit qu’elle voulait qu’ils la baptisent, ainsi que ses enfants.
Au cours des deux semaines suivantes,
les frères rendirent des visites successives aux membres de la famille
afin de leur enseigner des leçons sur l’Évangile rétabli. Ferdinand et
l’aînée des filles, Anita, ne voulurent pas devenir membres de l’Église
à ce moment-là. Le 14 avril , Emil et William baptisèrent Bertha et
quatre de ses enfants, Theodor, Alice, Siegfried et Adele, dans la
rivière Cachoeira à proximité. Ils furent les premiers saints des
derniers jours baptisés au Brésil.
Il fallut peu de temps pour que les
amis et les voisins de Bertha assistent aux réunions avec elle et
qu’une branche de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers
Jours soit établie à Joinville.
À la même époque, au début de l’année
1929, l’Église presbytérienne mettait en vente une petite chapelle en
briques à Cincinnati, en Ohio. Le bâtiment avait environ soixante-dix
ans et se trouvait dans une petite rue à l’extrémité nord du
centre-ville. Il n’était pas aussi grandiose que d’autres églises ou
synagogues de la ville mais il se composait d’une belle entrée en arc,
d’une tour ornée et de plusieurs grandes fenêtres donnant sur la rue.
Il attira immédiatement l’attention
de Charles Anderson, le président de la branche de Cincinnati, et de
ses conseillers, Christian Bang et Alvin Gilliam. Comme de nombreux
présidents de branche de l’Église, Charles souhaitait depuis longtemps
trouver un lieu de réunion permanent pour son assemblée. À cette
époque, les dirigeants de paroisse et de branche de l’Église désiraient
vivement construire ou acheter des salles de réunion équipées de
chauffage moderne, de plomberie intérieure et d’éclairage électrique.
Charles Anderson avaient de bons souvenirs des vieux magasins et autres
salles louées dans lesquels la branche de Cincinnati s’était réunie au
fil des ans, mais il savait que ces endroits n’étaient que des lieux de
réunion temporaires pour les saints. L’assemblée finissait toujours par
devenir trop nombreuse ou le bail prenait fin et les saints devaient se
réunir ailleurs.
Ce cycle était ennuyeux. Charles
avait toujours été à la recherche de la salle la plus convenable et la
plus agréable. Pendant plusieurs années, l’Église avait eu mauvaise
réputation dans la ville et certaines personnes refusaient
catégoriquement de louer leurs biens à des saints des derniers jours.
Charles et les membres de la branche avaient conjugué leurs efforts
afin de changer la perception que les gens avaient de l’Église, en
organisant des réunions dans la rue, des concerts et des pièces de
théâtre gratuits, et en invitant les gens à se joindre à eux le
dimanche. Petit à petit, il était devenu plus facile de trouver de
nouvelles salles de réunion. Mais les déménagements fréquents
empêchaient les saints d’attirer de futurs convertis.
Conscient du problème, le président
de la mission locale avait conseillé à Charles de chercher un lieu de
culte permanent pour les saints de Cincinnati. La branche comptait
désormais environ soixante-dix personnes, essentiellement des jeunes
femmes et hommes de la classe ouvrière qui avaient grandi dans la
région. Ils étaient devenus membres de l’Église depuis peu et nombre
d’entre eux étaient les seuls convertis de leur famille. Ils
progressaient dans l’Évangile au sein des collèges de la prêtrise, de
la Société de Secours, de l’École du Dimanche, de la Primaire et de la
SAM de branche. Il ne leur manquait plus qu’un lieu de culte.
Une fois que Charles et ses
conseillers eurent fait une offre d’achat pour la chapelle
presbytérienne, le président de la mission vint à Cincinnati pour la
visiter. Il approuva l’achat et, avec Charles, s’assura d’obtenir des
fonds du siège de l’Église afin d’acquérir et de rénover le bâtiment.
Quand certains pasteurs presbytériens
apprirent que les saints des derniers jours achetaient la chapelle, ils
furent outrés. Par le passé, les presbytériens de Cincinnati faisaient
partie des détracteurs qui critiquaient et discréditaient l’Église.
Comment leur assemblée pouvait-elle envisager de vendre leur chapelle
aux saints ?
Quelques presbytériens influents de
Cincinnati soutinrent la vente, heureux de savoir que le bâtiment
resterait un lieu de culte. Toutefois, les pasteurs firent tout ce qui
était en leur pouvoir pour que les saints n’achètent pas la propriété.
Leurs efforts ayant échoué, ils demandèrent à Charles Anderson de
conclure la transaction par le biais d’un intermédiaire afin que les
registres publics ne montrent pas que les presbytériens avaient vendu
leur chapelle aux saints des derniers jours. Blessé par cette demande,
Charles fit finalement en sorte que le lieu de culte soit d’abord
transmis à un avocat, puis à l’Église.
Le printemps laissa place à l’été et
les membres de la branche comptaient les jours avant la fin des
rénovations du bâtiment. La consécration du lieu de culte promettait
d’être un bel événement. Ce n’était plus qu’une question de mois avant
que les saints de Cincinnati aient enfin un endroit à eux.
Pendant ce temps, à Tilsit, dans le
nord-est de l’Allemagne, Otto Schulzke, âgé de quarante-cinq ans, était
l’un des rares membres locaux du continent européen à avoir été appelé
président de branche.
C’était un homme de petite taille qui
travaillait dans une prison et avait la réputation d’être sévère. Plus
tôt cette année-là, environ un mois avant son appel, il avait offensé
la moitié de la branche en s’exprimant de manière trop brusque lors
d’une leçon de la SAM. Certaines personnes avaient quitté la salle en
pleurant. D’autres lui avaient répondu d’un ton sarcastique. Les
missionnaires qui dirigeaient alors la branche semblaient simplement
contrariés par son attitude.
Avant leur transfert dans une autre
ville, ils s’étaient inquiétés du fait qu’Otto devienne président de
branche. Ils s’étaient dit : « Personne ne le soutiendra. »
Mais ils sous-estimaient cet homme
plus âgé et plus expérimenté qu’eux. Le dévouement de sa famille à
l’Église était connu dans la région. Des années auparavant, son père,
Friedrich Schulzke, avait entendu des histoires terrifiantes sur les
missionnaires « mormons ». Il avait alors prié avec ferveur pour qu’ils
n’approchent pas de sa maison ni de sa famille. Quand ils se
présentèrent à sa porte, il les chassa avec un balai.
Plus tard, Friedrich rencontra deux
jeunes hommes qui se présentèrent comme des missionnaires de l’Église
de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Ils l’invitèrent à une
réunion pendant laquelle il fut si touché par ce qu’il entendit qu’il
demanda aux frères de l’instruire chez lui. Lorsqu’ils arrivèrent, il
fut surpris de voir que l’un d’eux tenait un Livre de Mormon et il sut
immédiatement qu’ils appartenaient à l’Église même qu’il cherchait à
éviter. À contrecœur, il les laissa parler et il comprit très vite
qu’ils étaient des messagers de Dieu.
Un an plus tard, il devint membre de
l’Église avec sa femme, Anna. Otto et certains de ses frères et sœurs
suivirent leur exemple.
En 1914, au début de la guerre, les
missionnaires quittèrent la région et Friedrich Schulzke devint le
nouveau président de branche. Bien que ne détenant pas la Prêtrise de
Melchizédek, il œuvra efficacement. Les membres de la branche se
réunissaient chez lui ; ensemble, ils étudiaient l’Évangile et
découvraient les merveilles que le Seigneur leur réservait. Quand il se
sentait dépassé par ses responsabilités, il s’agenouillait et demandait
l’aide du Seigneur.
Peu après la guerre, Otto avait aussi
été président de branche. À l’époque, la branche de Tilsit se remettait
de la dévastation et de nombreux membres s’étaient éloignés de
l’Église. Otto, cet homme bourru, ne semblait certainement pas être la
personne la mieux placée pour donner un nouveau souffle à la branche.
Toutefois, il se montra à la hauteur de la tâche. Au cours de sa
première année en tant que président, vingt-trois habitants de Tilsit
devinrent membres de l’Église.
La première expérience d’Otto en tant
que président ne dura que quelques années et prit fin lorsque les
missionnaires revinrent dans la région et reprirent la direction de la
plupart des branches. Maintenant, frère Widtsoe souhaitait rendre les
branches d’Europe plus autonomes. Otto Schulzke et d’autres saints
locaux furent de nouveau appelés à diriger.
La question se posait toujours : les
saints de Tilsit l’accepteraient-ils en tant que dirigeant, comme ils
l’avaient fait dans le passé ? Refuseraient-ils de le soutenir, comme
les missionnaires le pensaient ?
La branche comptait de nombreux
saints fidèles ; une soixantaine de membres assistaient aux réunions
chaque semaine et ils étaient désireux de servir le Seigneur.
Cependant, après avoir été dirigés par de jeunes missionnaires, ils
risquaient de mal réagir face à un homme plus âgé et strict, qui ne
tolérait pas les inepties.
En qualité de président de branche,
Otto Schulzke attendait des saints qu’ils mettent en pratique
l’Évangile, et il n’avait pas peur de le leur dire.
Chapitre 19 : L’Évangile du Maître
Le lundi 9 septembre 1929, une
violente tempête s’abattit sur Cincinnati, en Ohio. Un éclair brisa un
poteau électrique. L’impact provoqua un pic de surtension électrique le
long du câble jusque dans le lieu de culte des saints des derniers
jours, récemment rénové, au nord de la ville. L’isolation du câblage
s’enflamma, remplissant le bâtiment de fumée. Les pompiers arrivèrent
rapidement mais le mal était fait.
Les membres de la branche craignirent
d’abord que le câblage du bâtiment ait été détruit par l’incendie. À
moins d’une semaine de la consécration du lieu de culte, les saints
n’auraient ni le temps ni les fonds nécessaires pour effectuer
d’importantes réparations. Cependant, après une inspection minutieuse,
ils s’aperçurent que le câblage était récupérable. Ils se mirent
immédiatement au travail pour réparer et remplacer les fils. Bientôt,
le bâtiment fut à nouveau fonctionnel.
Le jour de la consécration approchait
; de plus en plus de personnes semblaient remarquer l’Église. Le 12
septembre, Christian Bang, le premier conseiller de la branche, quitta
son épicerie à l’avance afin d’accorder une interview à un journal
local. Le journaliste savait que les saints avaient autrefois été un
sujet de controverses et Christian était déterminé à corriger les idées
erronées que les gens avaient au sujet de l’Église.
Il expliqua au journaliste : « Au
cours de la dernière décennie, l’Église a vaincu de nombreux préjugés.
Les gens commencent à mettre de côté les vieilles idées et à
reconnaître les idéaux que nous défendons.
– Quelle est votre position actuelle sur la polygamie ? demanda le journaliste.
– Le sujet n’est plus d’actualité,
répondit Christian. Nous suivons strictement les normes sociales
établies. Nous croyons au paiement de la dîme et la payons, bien que
nos anciens et nos conseillers ne reçoivent pas de salaire pour leur
service. »
Trois jours plus tard, des
journalistes se présentèrent à nouveau pour la consécration du lieu de
culte. La joie des saints était évidente. Environ quatre cents
personnes, dont des missionnaires des environs, se pressaient dans le
bâtiment pour la réunion. L’apôtre Orson F. Whitney, dont les
grands-parents, Newel et Elizabeth Ann Whitney, étaient devenus membres
de l’Église en Ohio près d’un siècle plus tôt, était venu de Salt Lake
City pour offrir la prière de consécration.
Ce jour-là, personne n’était plus
enthousiaste que le président de branche, Charles Anderson. Il avait
travaillé dur avec sa femme, Christine, la famille Bang et d’autres
membres pour faire grandir la branche de Cincinnati. Quand vint son
tour de prendre la parole, il exposa les nombreuses difficultés qu’ils
avaient rencontrées lors de l’achat et de la rénovation du bâtiment.
Il déclara : « Nous avons travaillé
nuit et jour pour le préparer à la consécration. Personne ne pourrait
être plus fier que nous le sommes aujourd’hui. »
Dans son sermon, frère Whitney fit le
récit de la vision du Sauveur qu’avaient eue Joseph Smith et Oliver
Cowdery en 1836 dans le temple de Kirtland. C’était un rappel puissant
de l’histoire sacrée de l’Ohio. Tandis qu’il parlait, l’Esprit de Dieu
reposa sur lui et, lorsqu’il eut terminé le récit, il commença à prier.
Il dit : « Dieu Tout-Puissant, notre
Père céleste, que quiconque entre dans cette maison ressente
l’influence de l’Esprit de Dieu. Récompense toutes les personnes qui
ont consacré leurs moyens à sa réalisation. Montre le pouvoir de Dieu
dans ce lieu de culte. »
Il demanda une bénédiction
particulière sur les membres de la branche de Cincinnati, les
missionnaires et les dirigeants de mission qui les servaient, et sur
toutes les personnes qui vivaient à proximité. Il continua : « Répands
ton Esprit sur les personnes qui sont rassemblées ici et accepte notre
offrande. »
Un esprit de paix et de quiétude
régnait dans le bâtiment. Avant de regagner son siège, frère Whitney
déclara : « J’ai l’impression que le mormonisme sera dorénavant mieux
compris par les habitants de l’Ohio et qu’il sera accueilli avec
davantage de bienveillance. »
Le 1er novembre 1929, Heber J. Grant
nota dans son journal son souvenir du jour où il avait remplacé
l’apôtre Francis Lyman en tant que président du pieu de Tooele, en
Utah. C’était en 1880. Heber était à quelques semaines de son
vingt-quatrième anniversaire. Le président John Taylor et ses
conseillers, George Q. Cannon et Joseph F. Smith, étaient en ville pour
la conférence de pieu. Frère Lyman les accueillit chez lui avec Heber.
Pendant leur rencontre, quelqu’un
(Heber ne se rappelait plus qui) pria pour « le président Taylor, le
serviteur âgé de Dieu ». Être qualifié de personne âgée déplut au
prophète, qui allait avoir soixante-douze ans. À la fin de la prière,
il demanda : « Pourquoi n’avez-vous pas prié pour mes jeunes
conseillers ? » Heber se souvenait encore de l’agacement qu’il avait
perçu dans sa voix.
Aujourd’hui, près d’un demi-siècle
plus tard, Heber allait avoir soixante-treize ans. Il écrivit dans son
journal : « Je pense que je serais un peu choqué si quelqu’un priait
pour ‘le président Grant, le serviteur âgé de Dieu’. » Il se sentait
aussi jeune que lorsqu’il avait quarante ans et même en meilleure santé.
Il remarqua : « Le fait que nous ne semblions pas vieillir en esprit est pour moi l’une des preuves de l’immortalité de l’âme. »
Habituellement, Heber réunissait ses
enfants et leur famille pour son anniversaire. Mais sa fille, Emily,
était morte quelques mois plus tôt suite aux complications d’un
accouchement et il n’avait pas encore le cœur à faire une fête de
famille. Il préférait se préparer à visiter les pieux d’Arizona, au sud
de l’Utah. Peu avant sa mort, Brigham Young avait demandé à deux cents
volontaires de s’y installer. Depuis, les saints avaient établi des
dizaines de colonies dans tout l’État et les membres de l’Église
occupaient désormais des fonctions civiques élevées. En 1927, Heber J.
Grant y avait consacré un temple qui desservait les habitants d’Arizona
ainsi que les saints des régions voisines, dont le nord du Mexique.
Le président Grant avait également
hâte de participer à une commémoration de bien plus grande envergure.
Les saints fêteraient bientôt le centième anniversaire de
l’organisation de l’Église. Avec près de sept cent mille membres de
l’Église répartis dans presque mille huit cents paroisses et branches à
travers le monde, cette célébration serait mondiale. Pendant plus d’un
an, un petit comité dirigé par l’apôtre George Albert Smith avait
planifié un spectacle grandiose qui coïnciderait avec la conférence
générale d’avril 1930. Le président Grant avait suivi les préparatifs
du comité et fait quelques commentaires.
Le 15 novembre, il partit pour
l’Arizona et passa les dix jours suivants à rendre visite aux saints et
à savourer l’amour qu’ils lui portaient. Au cours des onze dernières
années, son sentiment d’insuffisance s’était dissipé. Contrairement à
ce qu’il redoutait, il n’avait pas déçu l’Église et il avait été à la
hauteur des présidents de l’Église qui l’avaient précédé. À mesure que
l’Église entrait dans son deuxième siècle, elle grandissait et
s’épanouissait.
En tant que président de l’Église,
Heber J. Grant avait été témoin d’une révolution technologique qui
avait permis de diffuser la conférence générale et d’autres messages de
l’Évangile sur les ondes. Désormais, tous les dimanches soirs, les
personnes vivant à des centaines de kilomètres de Salt Lake City
pouvaient écouter KSL, la station de radio de l’Église, pour entendre
les dirigeants et les instructeurs parler des sujets de l’Évangile. En
juillet 1929, le Tabernacle Choir avait également commencé à diffuser
une émission de radio hebdomadaire sur un réseau de la ville de New
York. Dans tout le pays, l’émission avait immédiatement été un succès
et des millions d’auditeurs apprirent à mieux connaître l’Église grâce
au chœur.
Heber J. Grant avait également usé de
son influence de président de l’Église pour inciter les saints à
s’instruire et à se servir mutuellement au sein de leurs paroisses et
branches. Quand il était jeune, les saints écoutaient des hommes au
rôle important prêcher et enseigner pendant les réunions du dimanche.
Mais, sous sa présidence, les paroisses et les branches étaient
devenues le cœur de l’activité de l’Église. Tout le monde devait
désormais servir. Des hommes, des femmes et des jeunes donnaient des
leçons, faisaient partie des présidences de collège et de classe et
prenaient la parole lors des réunions de Sainte-Cène. De nombreux
saints étaient également appelés comme missionnaires de pieu afin
d’aller à la recherche des membres de l’Église qui ne venaient plus.
Pour la première fois, les paroisses et les pieux envoyaient des
groupes de jeunes au temple afin d’accomplir des baptêmes pour les
morts.
Croyant que l’Église serait connue
par ses fruits, le président Grant exhortait les saints à vivre avec
droiture. À plusieurs reprises, il les incita à respecter la Parole de
Sagesse avec exactitude en s’abstenant d’alcool, de café, de thé, de
tabac et d’autres substances nocives, que les générations précédentes
de saints avaient parfois consommés. Il avait rendu l’obéissance à la
Parole de Sagesse obligatoire pour pouvoir entrer dans le temple et
faire une mission, et il avait exhorté les saints à payer une dîme
complète et à faire des offrandes.
Le matin de son soixante-treizième
anniversaire, Heber J. Grant divertit les élèves de l’établissement
secondaire de Snowflake, en Arizona, en leur contant ses efforts pour
exceller dans les jeux de billes, la pratique du baseball, l’art de la
calligraphie et le chant. Il avait souvent raconté ces histoires au fil
des ans pour inciter à la persévérance et à l’excellence et son public
ne semblait jamais s’en lasser.
Au fil de la journée, les yeux
brillants, la voix forte et le pas assuré d’Heber J. Grant témoignaient
de son excellente santé et de son énergie. Personne n’aurait pu deviner
qu’il avait traversé une bonne partie de l’État la veille, s’arrêtant
huit fois en chemin pour s’adresser à des assemblées.
Ce même automne, au nord-est de
l’Allemagne, les saints de la branche de Tilsit se réunissaient tous
les dimanches matins pour l’École du Dimanche. Otto Schulzke, le
président de branche, veillait au bon déroulement de la réunion,
faisant tout ce qu’il pouvait pour aider le responsable de l’École du
Dimanche. S’il fallait diriger la musique, la réunion ou faire quoique
ce soit d’autre, Otto s’en chargeait. De plus en plus de personnes
venaient désormais assister aux leçons chaque dimanche, y compris des
non-membres.
L’une des nombreux enfants qui
assistaient à l’École du Dimanche, Helga Meiszus, âgée de neuf ans,
aimait bien le président Schulzke, malgré sa sévérité. Sa famille et
lui faisaient partie de sa vie depuis toujours. Après sa naissance,
c’était lui qui l’avait bénie à l’église.
La famille de Helga était l’un des
piliers de la branche de Tilsit. Bien des années auparavant, sa
grand-mère maternelle, Johanne Wachsmuth, avait rencontré les
missionnaires pour la première fois. Mais ce ne fut que lorsque la
famille s’installa à Tilsit et fit la connaissance des saints locaux
qu’elle commença à assister aux réunions de la SAM et aux autres
réunions de l’Église. Au début, le grand-père de Helga se méfiait des
saints, mais il avait fini par devenir membre de l’Église, comme la
mère, la grand-mère, les tantes et l’oncle d’Helga. Son père s’était
aussi fait baptiser, juste avant sa naissance, mais, comme son
grand-père, il n’allait pas souvent à l’Église.
Helga aimait assister à l’École du
Dimanche. Quelqu’un jouait de l’orgue cinq minutes avant le début de la
réunion. C’était sa tante Gretel qui jouait jusqu’à ce qu’elle émigre
au Canada, en 1928, dans l’espoir de rejoindre un jour l’Utah. Sœur
Jonigkeit, une autre femme de la branche, l’avait remplacée pour jouer
le prélude.
L’École du Dimanche de Tilsit se
déroulait comme toutes les autres Écoles du Dimanche de l’Église. Les
réunions commençaient par un cantique, suivi d’une prière d’ouverture
et d’un autre cantique. Ensuite, les détenteurs de la prêtrise
bénissaient et distribuaient la Sainte-Cène, en particulier pour les
enfants qui n’assistaient pas à la réunion de Sainte-Cène plus tard
dans la soirée. Puis tout le monde récitait en même temps un passage
d’Écritures et apprenait un chant.
Heinrich, l’oncle de Helga, dirigeait
les leçons de chant jusqu’à ce qu’il émigre à son tour au Canada,
quelques mois après Gretel. À présent, c’était souvent le président
Schulzke qui dirigeait les leçons de chant. Helga connaissait bien le
cantique « Demeure auprès de moi, Seigneur ! ». Elle le chantait
lorsque les sirènes retentissaient, non loin, dans l’usine de papier où
travaillait son père. Chaque fois qu’elle les entendait, elle savait
que quelque chose de grave s’était produit et elle s’inquiétait pour
son père.
À la fin de l’exercice de chant, on
suspendait des rideaux pour séparer la salle en classes pour les
adultes, les jeunes et les enfants. Dans les paroisses, l’École du
Dimanche pour les enfants était séparée en deux classes, une pour les
plus petits et une pour les plus grands. Toutefois, dans les petites
branches comme celle de Tilsit, les enfants étaient dans la même classe.
Une quinzaine d’enfants assistaient à
la leçon avec Helga. Chaque semaine, ils en apprenaient plus sur Dieu
et ses œuvres, la foi en Jésus-Christ, la Seconde Venue, la mission de
Joseph Smith et sur d’autres sujets de l’Évangile. Il arrivait souvent
que des enfants qui n’étaient pas membres de l’Église soient présents.
Entre les réunions de l’Église, Helga assistait parfois à des réunions
de l’Église luthérienne avec ses amis d’école et chantait des vieux
chants luthériens. Mais son cœur était toujours avec les saints des
derniers jours.
À la fin de la leçon d’École du
Dimanche, Helga et les autres enfants retrouvaient les autres membres
pour la conclusion de la réunion. Ils chantaient un cantique et
priaient, puis c’était la fin de la réunion. Les membres se
réunissaient à nouveau le soir pour prendre la Sainte-Cène. Erika
Stephani, la secrétaire de l’École du Dimanche, notait chaque réunion
dans son livre de comptes-rendus.
En décembre 1929, Leah Widtsoe
raconta à une amie : « L’année passée m’a apporté une quantité de
travail réellement inattendue. J’ai eu peu de temps pour faire autre
chose que parcourir toute l’Europe avec mon mari, rendre visite à notre
peuple et l’instruire, et veiller au bien-être de nos sept cent
cinquante jeunes missionnaires dispersés dans ces pays. »
Elle ne se plaignait pas. Elle aimait
cette œuvre. Jusque là, John et elle avaient été témoins de nombreux
changements importants au sein de l’Église en Europe. De plus en plus
de détenteurs de la Prêtrise de Melchisédek locaux étaient présidents
de branche, ce qui laissait plus de temps aux missionnaires pour faire
connaître l’Évangile. De surcroît, les lieux de réunion des branches
étaient bien meilleurs. En juillet 1929, les membres de l’Église de la
ville de Selbongen, dans l’est de l’Allemagne, avaient terminé la
construction de la première église des saints des derniers jours en
Allemagne. Les saints de Liège et de Seraing en Belgique, ainsi que
ceux de Copenhague au Danemark, construisaient également leur église.
Cet été-là, John Widtsoe s’était rendu à Prague, en Tchécoslovaquie, où
vivait un petit groupe de saints, pour consacrer le pays à l’œuvre
missionnaire.
La vie en mission était enrichissante
mais également éprouvante. Le travail demandait beaucoup d’énergie et
Leah et John perdaient tous les deux du poids. Soucieuse de leur santé,
Leah avait commencé à surveiller attentivement leur régime alimentaire,
mettant à profit sa formation universitaire en nutrition pour veiller à
ce qu’ils mangent sainement. Elle s’intéressait également à la santé
des saints européens.
Au cours de sa première année dans la
mission, elle avait remarqué que de nombreuses personnes mangeaient des
aliments importés bon marché, peu nutritifs, causant des problèmes de
santé graves. En janvier 1929, elle commença à publier dans le
Millennial Star une série de leçons pour la Société de Secours au sujet
de la Parole de Sagesse. À cette époque, quand on parlait de la Parole
de Sagesse, on mettait souvent l’accent sur ce qu’il fallait éviter.
Dans ses leçons, Leah s’appuyait sur sa connaissance des Écritures et
de la nutrition pour insister sur le fait que la consommation de
céréales complètes, de fruits et de légumes et d’autres aliments sains
recommandés par la Parole de Sagesse rendrait une personne plus forte
physiquement, mentalement et spirituellement.
Dans sa première leçon, elle
paraphrasa Doctrine et Alliances 88:15, rappelant aux lecteurs que la
santé spirituelle et la santé physique étaient intimement liées. Elle
écrivit : « L’esprit et le corps sont l’âme de l’homme. Le véritable
Évangile doit vraiment inclure la santé et la vigueur corporelles
puisque le corps est le tabernacle de l’esprit qui habite le corps et
qui est la progéniture directe de nos parents célestes. »
John et elle incitaient également les
saints européens à faire l’œuvre généalogique. Dans un article paru le
19 septembre 1929 dans le Millennial Star, John expliqua : «
Actuellement, il n’y a aucun temple en Europe dans lequel les saints
accompliraient les véritables ordonnances de l’Évangile. Par
conséquent, dans ces pays, l’activité principale doit être la
généalogie. »
Leah commença à rédiger des leçons de
généalogie pour les saints européens et son mari conçut un programme
d’échange pour les aider à accomplir l’œuvre du temple. Il demanda à
chaque branche d’initier un cours de généalogie pour aider les saints à
rechercher l’histoire de leur famille, à préparer des tableaux
d’ascendance et à relever des noms pour les ordonnances par
procuration. Ces noms seraient ensuite envoyés aux saints des
États-Unis, qui accompliraient l’œuvre du temple pour eux. En échange,
les saints d’Europe effectueraient des recherches généalogiques pour
les saints américains qui n’avaient pas les moyens de traverser
l’Atlantique.
Pendant la même période, Leah et
John, avec l’aide de Harold Shepstone, le journaliste anglais,
cherchaient un éditeur pour la biographie de Brigham Young écrite par
Susa Gates. Elle avait fait confiance au couple pour qu’il retire
certaines parties de l’ouvrage, si nécessaire, afin qu’il soit prêt à
être publié. Elle avait dit à Leah : « Le mieux serait de l’utiliser
afin d’édifier le royaume de Dieu. »
Elle avait également insisté pour que
sa fille soit reconnue co-autrice avec elle. Elle avait écrit : « Je ne
serai pas satisfaite si mon nom seul apparaissait sur l’histoire de mon
père. Je ne trouve pas les mots pour exprimer à quel point tu m’as
aidée pour ce manuscrit et pour tous mes écrits de ces dernières
années. »
En décembre, Harold Shepstone informa
John et Leah qu’une grande maison d’édition britannique avait accepté
de publier la biographie. Cette nouvelle était la réponse aux prières
de la famille et arriva à la fin d’une année bien chargée mais
gratifiante.
Leah ne pouvait pas être plus
heureuse de son travail de missionnaire aux côtés de John. Elle écrivit
dans une lettre : « Nous ne sommes pas impatients de rentrer à la
maison, sauf pour voir nos proches et nos amis. Je crois que je
voudrais finir mes jours en mission, en essayant activement de répandre
les vérités glorieuses de l’Évangile du Maître. »
Le matin du dimanche 6 avril 1930,
Heber J. Grant se réveilla à cinq heures, prêt pour la journée
historique qui l’attendait. Dehors, les rues de Temple Square, à Salt
Lake City, resplendissaient de banderoles colorées en l’honneur du
centième anniversaire de l’organisation de l’Église.
Pendant la semaine précédente, des
dizaines de milliers de Saints avaient afflué dans la ville pour
prendre part aux festivités. Les hôtels étaient pleins à craquer et de
nombreux habitants de Salt Lake City avaient accueilli des visiteurs. À
l’exception de la consécration du temple de Salt Lake City, aucun
événement de cette envergure ne s’était produit dans la ville.
Dans le monde entier, des grands
journaux et des magazines parlaient déjà du centenaire. En outre,
quiconque se promenait dans South Temple Street tombait sur la vitrine
de Deseret Book, la librairie de l’Église, qui présentait l’histoire
des cent premières années de l’Église en six volumes que venait
d’écrire B. H. Roberts. Lorsqu’elle avait été organisée, dans le nord
de l’État de New York, l’Église n’avait guère attiré l’attention. Le
Deseret News estimait qu’un siècle plus tard, rien qu’aux États-Unis,
environ soixante-quinze millions de personnes savaient que l’Église
fêtait ses cent ans. Cette semaine-là, le portrait du président Grant
faisait la couverture du Time, l’un des magazines d’actualités les plus
populaires des États-Unis. L’article mentionnait avec respect l’œuvre
de l’Église et lui rendait même hommage.
La session d’ouverture de la
conférence générale, l’événement principal de la commémoration du
centenaire, commença à dix heures. Comme les places étaient limitées
dans le tabernacle, les dirigeants de l’Église avaient émis des billets
spéciaux pour la session et prolongé la conférence d’un jour afin que
davantage de personnes puissent y assister. Ils avaient aussi organisé
des réunions non loin dans l’Assembly Hall et dans plusieurs autres
bâtiments de la ville, pour les personnes que l’on ne pouvait pas
accueillir dans le tabernacle faute de place.
La radio KSL diffusait la conférence
dans tout l’Utah et les États voisins, ce qui permettait aux saints
habitant à des centaines de kilomètres de suivre les réunions. Dans les
régions plus éloignées du monde, on demanda aux membres de l’Église de
se rassembler au même moment pour commémorer le centenaire en plus
petit comité selon le modèle de Salt Lake City.
Le cœur du président Grant débordait
de reconnaissance lorsqu’il ouvrit la conférence en lisant un discours
préparé par la Première Présidence. Des semaines plus tôt, ses
conseillers et lui l’avaient envoyé aux pieux et aux missions de
l’Église, en leur demandant de le traduire, si nécessaire. Il annonça :
« Maintenant, dans le monde entier, ce message va être lu aux membres. »
Dans le discours, le président Grant
et ses conseillers témoignaient avec force du rétablissement de
l’Évangile, du ministère terrestre du Sauveur et de son sacrifice
rédempteur. Ils évoquaient les persécutions infligées aux premiers
chrétiens et les siècles de confusion religieuse qui suivirent. Ils
témoignaient ensuite du Livre de Mormon, du rétablissement de la
prêtrise, de l’organisation de l’Église, du rassemblement d’Israël, du
début de l’œuvre du temple pour les vivants et les morts et de la
seconde venue de Jésus-Christ.
Ils déclaraient : « Nous exhortons
nos frères et sœurs à mettre de l’ordre chez eux afin d’être préparés
pour ce qui est à venir. Abstenez-vous de faire le mal, faites ce qui
est bien. Rendez visite aux malades, consolez les personnes qui ont du
chagrin, vêtez les nus, nourrissez les affamés, prenez soin de la veuve
et de l’orphelin. »
Les saints soutinrent ensuite les
Autorités générales de l’Église. Le président Grant agita alors un
mouchoir en l’air et dirigea l’assemblée dans le cri du Hosanna. Dans
le monde entier, pendant leur propre commémoration du centenaire, des
centaines de milliers de saints accomplirent également le rite sacré,
glorifiant Dieu et l’Agneau dans leur langue maternelle.
La foule se réunit de nouveau au
tabernacle ce soir-là pour la première représentation du Message des
âges (The Message of the Ages), un spectacle somptueux retraçant
l’histoire sacrée du monde. La production avait fait appel à un millier
d’acteurs pour recréer des événements tirés des Écritures et de
l’histoire de l’Église ; des chanteurs et des musiciens interprétèrent
des cantiques et certaines des plus grandes compositions musicales de
tous les temps. Les costumes colorés avaient été confectionnés avec
soin et avec un souci d’exactitude historique. L’acteur jouant le rôle
de Joseph Smith portait un col qui avait appartenu au prophète lui-même.
Quand le soleil se coucha ce soir-là,
les sept temples de l’Église furent illuminés par des projecteurs
puissants qui venaient d’être installés. Les bâtiments brillaient en
majesté dans l’obscurité de la nuit, mettant en valeur leur beauté et
leur solennité à des kilomètres à la ronde. À Salt Lake City, la statue
étincelante de l’ange Moroni, avec sa trompette d’or élevée au-dessus
de la foule, semblait appeler les saints de toutes les extrémités de la
terre à se réjouir de ce centenaire grandiose.
TROISIÈME PARTIE : Au cœur de la bataille (1930-1945)
Chapitre 20 : Des temps difficiles
Peu après avoir obtenu son diplôme à
l’université d’agriculture d’Utah, Evelyn Hodges, âgée de vingt-deux
ans, refusa un poste rémunéré d’institutrice afin de travailler
bénévolement en tant qu’assistante sociale pour le département des
services sociaux de la Société de Secours à Salt Lake City.
Cela déplut à ses parents. Sa mère
était très active au sein de la Société de Secours mais elle ne pensait
pas que le travail social était le genre d’activité qui convenait à sa
fille. Son père préférait simplement qu’elle reste dans la ferme
familiale à Logan.
Il dit : « Je n’ai qu’une fille en
vie, je dois être en mesure de l’entretenir. Reste à la maison. Obtiens
une maîtrise, un doctorat, ce que tu veux. Mais reste à la maison. »
Evelyn trouva finalement un compromis
avec ses parents. Elle travaillerait bénévolement comme assistante
sociale pendant neuf semaines. Si la Société de Secours ne lui
proposait pas d’emploi rémunéré d’ici-là, elle reviendrait à la maison.
Le samedi de son arrivée à Salt Lake
City, Evelyn se présenta chez Amy Brown Lyman, première conseillère
dans la présidence générale de la Société de Secours et directrice des
services sociaux de la Société de Secours. Cette dernière ne
l’accueillit pas à la porte. Evelyn la trouva au deuxième étage de la
maison, assise en tailleur au milieu d’un lit, plongée dans un travail
de couture. Elle portait une robe froissée et son matériel de couture
était éparpillé autour d’elle.
Son apparence et son attitude
distante déstabilisèrent Evelyn. Elle se demanda si elle avait bien
fait de venir à Salt Lake City. Voulait-elle vraiment travailler pour
cette femme ?
Au cours des neuf semaines suivantes,
Evelyn se rendit compte que la réponse était oui. Elle travaillait en
tant qu’assistante sociale auprès d’environ quatre-vingts familles.
Elle parcourait toute la ville dont elle finit par connaître les rues
et les ruelles. Au début, elle hésitait à parler aux inconnus mais elle
trouva bien vite de la joie et de la satisfaction à aider les personnes
dans le besoin. Neuf semaines plus tard, quand ses parents arrivèrent
pour la ramener chez elle, elle était désespérée. La Société de Secours
ne lui avait toujours pas proposé de travail rémunéré.
Trois jours après son retour à Logan,
Evelyn reçut un appel téléphonique d’Amy. Une assistante sociale de la
Société de Secours venait d’accepter un poste dans un hôpital voisin et
Amy voulait savoir si Evelyn pouvait la remplacer.
Elle répondit : « Bien sûr ! » Elle ne demanda même pas combien elle serait payée.
À ce moment-là, le père d’Evelyn
était sorti. Quand il apprit qu’elle avait accepté un travail en son
absence, il fut déçu. Elle ne voulait pas lui faire de peine mais elle
était très attachée à sa nouvelle profession.
De retour à Salt Lake City, Evelyn
travailla directement avec les évêques locaux qui orientaient vers la
Société de Secours les veuves, les personnes ayant un handicap, les
familles au chômage et d’autres personnes en situation désespérée. Sous
la supervision de l’évêque, la jeune femme contribuait à l’élaboration
d’un plan de secours pour chaque situation. Elle travaillait également
avec les paroisses et le gouvernement local pour donner de l’argent aux
nécessiteux grâce aux offrandes de jeûne, aux fonds de la Société de
Secours et aux organisations caritatives du comté.
Comme les directives de l’Église
incitaient les gens à demander l’aide du gouvernement avant de se
tourner vers l’Église, de nombreuses familles avec lesquelles Evelyn
travaillait recevaient de l’aide provenant des deux sources. Toutefois,
l’aide reçue était généralement maigre ; la jeune femme demandait
toujours à ses clients quelle aide supplémentaire leurs parents, amis
ou voisins pouvaient leur apporter.
En octobre 1929, quelques mois après
le retour d’Evelyn à Salt Lake City, le marché boursier des États-Unis
s’effondra. Au début, la chute des cours de la bourse dans la lointaine
ville de New York ne semblait pas changer le nombre de dossiers
qu’Evelyn devait gérer. Au printemps 1930, la situation économique
semblait même se redresser.
Mais cette amélioration fut de courte
durée. Les particuliers et les entreprises ayant des dettes importantes
ne pouvaient pas les rembourser. Les gens commençaient à dépenser
moins, réduisant ainsi la demande de biens et de services. L’Utah fut
particulièrement touché. Son économie, qui dépendait fortement des
exportations minières et agricoles, était en difficulté avant même
l’effondrement du marché boursier. Les prix de tous les produits de
base chutaient, de sorte que les producteurs ne faisaient plus de
bénéfice et ne pouvaient plus payer les ouvriers. De nombreuses
personnes se retrouvèrent sans emploi. De moins en moins de gens
avaient de l’argent à donner aux organisations caritatives afin d’aider
les nécessiteux, ce qui n’arrangeait pas les choses. Les revenus de la
dîme et des autres offrandes de l’Église diminuèrent également.
Peu après la célébration du
centenaire de l’Église, Evelyn commença à voir plus de familles qui
n’arrivaient pas à joindre les deux bouts. La peur s’enracinait dans
leur cœur.
Le soir du 19 mai 1930, William et
Clara Daniels accueillaient chez eux, au Cap, Don Dalton, président de
la mission sud-africaine. Le couple tenait une réunion à domicile pour
parler d’un chapitre de Jésus le Christ, l’ouvrage de James E. Talmage.
Leur fille adulte, Alice, était aussi présente.
La famille Daniels tenait des
réunions chez elle le lundi soir depuis 1921. C’était l’occasion de
trouver refuge contre les tensions raciales qu’elle voyait tout autour
d’elle. Au Cap, les églises et les écoles étaient soumises à la
ségrégation : les Noirs et les « personnes de couleur », ou métis,
fréquentaient un endroit et les Blancs un autre. Cependant, la couleur
de peau n’empêchait pas les fidèles de participer aux réunions de la
famille Daniels. William et Clara, qui avaient des ancêtres originaires
d’Afrique et d’Asie du Sud-Est, accueillaient toutes les personnes qui
voulaient venir. Le président Dalton et les missionnaires qui
assistaient souvent à ces réunions étaient blancs.
William Daniels avait découvert
l’Évangile rétabli grâce à sa sœur, Phyllis, qui était devenue membre
de l’Église avec son mari et s’était installée en Utah au début des
années 1900. Quelques années plus tard, en 1915, William avait
rencontré un missionnaire saint des derniers jours qui avait attiré son
attention par sa sincérité et son dévouement à l’Évangile.
Peu de temps après s’être intéressé à
l’Église, William s’était rendu en Utah pour en savoir plus sur les
saints des derniers jours. Il avait été impressionné par ce qu’il avait
vu. Il était resté admiratif de la foi des membres de l’Église et avait
remarqué leur dévouement à Jésus-Christ et aux principes enseignés dans
le Nouveau Testament. Il avait également rencontré à deux reprises le
président de l’Église, Joseph F. Smith, qui lui avait dit que le temps
n’était pas encore venu pour que les hommes d’origine africaine
reçoivent la prêtrise.
Ces paroles avaient perturbé William.
L’église protestante qu’il fréquentait en Afrique du Sud pratiquait la
ségrégation, mais cela ne l’empêchait pas de servir en tant qu’ancien
dans son assemblée. S’il se joignait aux saints des derniers jours, il
ne pourrait pas détenir un office similaire. Toutefois, le président
Smith lui avait donné une bénédiction en lui promettant qu’il
détiendrait un jour la prêtrise, même si c’était dans la prochaine vie.
Ces mots avaient touché le cœur de William et lui avaient donné de
l’espérance. Il s’était fait baptiser en Utah et était ensuite retourné
chez lui, en Afrique du Sud.
Depuis, William se réunissait avec
les saints blancs de la branche de Mowbray, au Cap. À l’église, il
rendait témoignage et offrait des prières. Il participa également à la
collecte des fonds pour l’achat d’un nouvel orgue pour l’église. Avec
Clara, qui était devenue membre de l’Église quelques années après lui,
il accordait une attention particulière aux missionnaires. Le couple
organisait souvent des repas pour accueillir les nouveaux
missionnaires, dire au revoir à ceux qui partaient et fêter les
anniversaires. Pour que les jeunes hommes se sentent comme chez eux,
William jouait parfois l’hymne national des États-Unis sur son
tourne-disque ou organisait des parties de baseball.
Cependant, les membres de la branche
n’étaient pas tous accueillants. William avait appris récemment que
certains d’entre eux ne voulaient pas accepter sa famille comme membres
de plein droit. Le président Dalton avait été informé que des visiteurs
avaient cessé de s’intéresser à l’Église lorsqu’ils avaient remarqué la
congrégation mixte de Mowbray.
Un jour, William dit à Clara qu’il
envisageait de quitter l’Église. Elle répondit : « Écoute, tu es allé
jusqu’à Salt Lake City et tu t’es fait baptiser. Pourquoi abandonner
maintenant ? »
Les paroles de sa femme, ainsi que
les réunions du lundi soir, lui donnèrent la force de garder la foi,
malgré ses préoccupations. En cette soirée de printemps 1930, après
avoir lu à tour de rôle un extrait de Jésus le Christ, la famille
Daniels et ses invités parlèrent du Sauveur apaisant la mer agitée par
la tempête.
Cet épisode leur rappela de se
tourner vers le Christ dans les moments d’épreuve. Les capacités
humaines étaient souvent limitées. Le Christ pouvait tout arranger avec
un ordre simple : « Silence, tais-toi ! »
Dans l’après-midi du 24 juin 1930,
des grêlons gros comme des œufs de pigeon s’abattaient sur la maison de
la mission suisse-allemande, à Bâle, en Suisse. Depuis une semaine,
John et Leah Widtsoe y logeaient, formant les présidents de mission et
leurs épouses aux besoins et aux responsabilités des missionnaires.
Chaque journée était rythmée de longues réunions et de discussions
passionnantes sur l’Église en Europe. Le lourd fracas de la grêle était
une intrusion rare dans la conférence.
Leah n’avait jamais été tant occupée
pendant sa mission. Elle était chargée de former les épouses des
présidents de mission à aider les saints européens à mettre en place la
Société de Secours, la Société d’Amélioration Mutuelle des jeunes
filles et la Primaire dans leurs districts et leurs branches. Comme les
dirigeants de l’Église conseillaient aux saints de rester dans leur
pays afin que Sion soit édifiée dans le monde entier, Leah estimait que
les saints locaux devaient jouer un rôle prépondérant dans ces
organisations. Dans certaines branches, les missionnaires servaient en
qualité de présidents des Sociétés d’Amélioration Mutuelle mixtes.
Cependant, Leah demanda à ce que chaque branche dispose d’une Société
d’Amélioration Mutuelle pour les jeunes filles, avec une présidente,
deux conseillères, une secrétaire et autant d’assistantes que
nécessaire.
Il n’était pas attendu de l’épouse du
président de mission qu’elle supervise personnellement chaque
organisation. Elle ne pouvait pas, à elle seule, endosser efficacement
cette responsabilité. En fait, si elle ne déléguait pas les
responsabilités aux dirigeants locaux, elle entraverait
considérablement les organisations. Leah voulait que les dirigeants de
mission inspirent et forment les saints européens à devenir des
dirigeants à part entière.
Le 27 juin, elle parla aux femmes de
la nécessité de renforcer les SAM des jeunes filles en Europe.
L’organisation était composée de deux programmes distincts : les
Abeilles et les Glaneuses (Gleaner Girls). Le programme des Abeilles
durait désormais trois ans et était destiné à toutes les jeunes filles
de quatorze ans et plus. Une fois le programme terminé, les jeunes
filles rejoignaient les Glaneuses, un programme moins structuré destiné
à les préparer à l’âge adulte. En Europe, deux mille jeunes filles
faisaient déjà partie des Abeilles. Leah exhorta les femmes à
promouvoir le programme dans toutes les missions.
Elle annonça également que la
présidente générale de la SAM des jeunes filles, Ruth May Fox, l’avait
récemment autorisée à concevoir une édition européenne du manuel des
Abeilles. Le manuel d’origine était conçu pour fortifier les jeunes
filles grâce à diverses activités d’intérieur et de plein air.
Toutefois, une partie de son contenu était spécifiquement destiné aux
jeunes Américaines et il n’était pas adapté aux jeunes filles des
autres parties du monde. Leah présenta ses idées pour le nouveau manuel
aux épouses des présidents de mission qui, à leur tour, donnèrent leur
avis afin d’adapter le manuel aux besoins des jeunes Européennes.
Après la conférence, Leah fit rapport
de son travail à la Première Présidence. Elle écrivit : « Je pense
pouvoir légitimement faire rapport d’une certaine réussite. Dans chaque
mission, les femmes prennent de plus en plus conscience de leur besoin
de progresser et de leur responsabilité de porter une partie de
l’activité de l’Église. »
Elle savait qu’il y avait encore des
progrès à faire. Elle expliqua : « Les gens n’ont pas encore appris à
se soutenir mutuellement dans leurs appels. Ils doivent apprendre cela
ici comme chez nous. » Pour l’année à venir, elle envisageait de
souligner l’importance de soutenir les officiers et les dirigeants
locaux de l’Église.
Elle ajouta : « Chaque jour de
l’année écoulée, j’ai travaillé toute la journée, avec à peine une
heure de répit. » Pourtant, elle ne s’était jamais sentie aussi bien.
Elle expliqua : « Je me sens bien plus jeune et je suis une femme
beaucoup plus heureuse que quand je suis arrivée. Pour cela, je
remercie d’abord mon Père céleste, puis vous, nos dirigeants et amis. »
Cet automne-là, à Tilsit, en
Allemagne, Helga Meiszus, âgée de dix ans, fut baptisée dans la rivière
Memel. Il faisait froid mais le ciel était magnifique, tout illuminé
d’étoiles. En sortant de l’eau, la fillette parvenait difficilement à
contenir sa joie d’être membre de l’Église de Jésus-Christ des saints
des derniers jours.
Cette époque de sa vie était
mouvementée. Elle avait décidé de changer d’école et cela l’avait
d’abord rendue très heureuse. L’établissement était proche de chez elle
et beaucoup de ses amis et voisins s’y rendaient. Cependant, elle
regretta bientôt sa décision. Son enseignante, Mlle Maul, semblait ne
pas l’aimer.
Un jour, on demanda à Helga de
remplir pour l’école un formulaire de renseignements personnels. En
lisant son formulaire, Mlle Maul ricana quand elle vit qu’Helga était
sainte des derniers jours. Même si, à l’exception des États-Unis,
l’Allemagne était le pays qui comptait le plus de membres de l’Église,
ils n’étaient pas très connus ni très aimés.
Mlle Maul dit à Helga : « Ce n’est pas une religion. C’est une secte, et une mauvaise ! »
Le mot « secte » blessa la fillette.
Elle n’avait pas l’habitude d’être mal traitée à cause de sa religion.
Elle rentra chez elle et raconta à sa mère ce que Mlle Maul avait dit.
Sa mère prit simplement une feuille et écrivit une lettre à
l’enseignante, lui rappelant que la religion d’Helga et sa famille ne
la concernaient pas.
Peu de temps après, Mlle Maul entra
en classe suivie du directeur. Toutes les filles se levèrent. La
professeur se dirigea vers Helga, à l’avant de la classe.
Elle la pointa du doigt en disant : « La voilà. Elle fait partie de cette secte affreuse. »
Le directeur resta là un moment,
dévisageant Helga comme si elle était un monstre. La fillette garda la
tête haute. Elle aimait sa religion et n’en avait pas honte.
Suite à cet événement, nombre des
amis d’Helga cessèrent de jouer avec elle. Parfois, lorsqu’elle se
rendait à l’école ou en revenait, des élèves lui jetaient des pierres
ou lui crachaient dessus. Un jour, sur le chemin du retour, Helga se
rendit compte qu’elle avait oublié son manteau. Elle s’empressa de
rebrousser chemin et trouva son manteau là où elle l’avait laissé.
Cependant, en le décrochant, elle remarqua que quelqu’un s’était mouché
dedans.
Les camarades d’Helga continuaient de
la malmener, mais à chaque fois, elle chantait dans sa tête un cantique
qu’elle avait appris à l’église et cela lui donnait de la force. En
anglais, le chant s’intitulait « Je suis un mormon » (I Am a Mormon
Boy), mais dans la traduction allemande, il s’appliquait à tous les
enfants saints des derniers jours :
Un enfant mormon, un enfant mormon,
Je suis un enfant mormon !
Les rois m’envient,
Car je suis un enfant mormon.
Le 30 janvier 1931, Evelyn Hodges et
d’autres travailleuses sociales de la Société de Secours de Salt Lake
City se trouvaient au deuxième étage du bâtiment de l’évêque président,
dans les bureaux des services sociaux de l’organisation, et regardaient
par les fenêtres. Dans la rue en contrebas, près de mille cinq cents
manifestants marchaient en direction du capitole de l’Utah pour
demander au législateur de venir en aide au nombre croissant de
chômeurs de l’État.
En regardant les manifestants, Evelyn
fut surprise de constater qu’ils ne semblaient pas en colère. Ils
portaient deux drapeaux américains ainsi que des pancartes et des
banderoles invitant les autres travailleurs à se joindre à eux. Nombre
d’entre eux traînaient les pieds et baissaient la tête, résignés. Ils
avaient simplement l’air triste.
Avant ces moments difficiles, Evelyn
travaillait essentiellement avec des personnes sans emploi en raison de
problèmes de santé ou d’un handicap. Désormais, elle rencontrait de
plus en plus de personnes disposées à travailler qui ne trouvaient pas
d’emploi. Il y avait des ouvriers qualifiés. D’autres étaient étudiants
ou diplômés. Nombre d’entre eux avaient perdu leur estime d’eux-mêmes
et ne voulaient pas demander de l’aide.
Un homme avec qui elle s’était
entretenue avait subvenu aux besoins de sa femme et de ses enfants
pendant des années. Ils habitaient dans une maison confortable située
dans un quartier agréable. Il ne parvenait plus à trouver de travail et
sa famille commençait à désespérer. En larmes, il avait avoué à Evelyn
que la seule nourriture qu’il leur restait était de la farine et du
sel. Il était évident que cela lui coûtait de demander de l’argent pour
subvenir aux besoins de sa famille mais avait-il le choix ?
Evelyn rencontrait régulièrement ce
genre de situation. La situation économique se détériorant, la Société
de Secours n’avait pas les moyens d’employer plus de cinq travailleuses
sociales en même temps. Evelyn était donc submergée de travail.
Souvent, elle ne pouvait faire guère plus qu’une évaluation rapide de
la situation de la personne avant de remplir un formulaire pour lui
fournir des produits alimentaires de base, une aide financière pour un
mois de loyer ou un peu de charbon en hiver.
Louise Y. Robison, la présidente
générale de la Société de Secours, et ses conseillères s’entretenaient
régulièrement avec l’évêque président pour organiser les actions
d’entraide parmi les saints. De même, les évêques et les dirigeantes de
la Société de Secours œuvraient ensemble pour identifier les personnes
en difficulté dans leur paroisse et répondre à leurs besoins de base.
Les gouvernements locaux et certaines entreprises s’attachaient
également à trouver des moyens créatifs pour que les travailleurs
soient nourris et employés. Un entrepôt géré par le comté distribuait
gratuitement de la nourriture à Salt Lake City. Le conseil municipal
créa des emplois temporaires, tels que déblayer la neige ou couper du
bois, faisant ainsi travailler plus de dix mille chômeurs.
Toutefois, les dirigeants de l’Église
et de la collectivité se rendirent vite compte que leurs efforts et
leurs moyens combinés étaient insuffisants pour faire face à la crise
économique.
Evelyn se retrouva à faire encore
plus d’heures de travail aux côtés d’Amy Brown Lyman et des autres
travailleuses sociales de la Société de Secours. Parfois, les journées
paraissaient interminables. Elle ne faisait plus la distinction entre
les jours de la semaine et le week-end. Les dossiers sociaux étant
confidentiels, Evelyn essayait d’étudier les situations uniquement au
bureau. Cependant, sa charge de travail devenant plus importante, elle
emporta des documents chez elle dans une mallette pour pouvoir
travailler le samedi après-midi ou le dimanche.
Les exigences de la profession
d’Evelyn étaient épuisantes et se répercutaient sur sa santé.
Toutefois, elle ne parvenait pas à oublier le visage triste des hommes
et des femmes meurtris qui marchaient vers le capitole de l’État. Le
législateur avait ignoré leur plaidoyer et refusé d’offrir des
prestations sociales aux chômeurs. Leur désespoir était désormais gravé
dans l’esprit de la jeune femme. À chaque fois qu’elle y pensait, elle
avait envie de pleurer.
Chapitre 21 : Une meilleure compréhension
Au printemps 1931, John et Leah
Widtsoe quittèrent l’Europe pour quelques mois afin de rendre visite à
leur famille, s’entretenir avec les dirigeants de l’Église et assister
à la conférence générale. Leur fille, Ann, les attendait à la gare en
Utah. En leur absence, elle s’était réconciliée avec son mari et
attendait son troisième enfant. La mère de Leah, Susa Gates, était
également présente, prête à les accueillir, comme elle le leur avait
promis trois ans plus tôt au moment de leur départ. Dans deux jours,
elle fêterait son soixante-quinzième anniversaire. John et Leah étaient
arrivés juste à temps pour la réception chez Emma Lucy, la sœur de
Leah, et son mari, Albert Bowen.
Malheureusement, Petronile, la tante
de John, était décédée deux ans plus tôt après une longue maladie. Ann
et Rose, la veuve d’Osborne, le frère de John, étaient à son chevet
quand elle avait quitté ce monde.
Pendant son séjour en Utah, John
avait un emploi du temps bien rempli car il avait de nombreuses
réunions prévues avec les dirigeants de l’Église. La Première
Présidence et le Collège des douze apôtres débattaient d’une divergence
d’opinion entre l’apôtre Joseph Fielding Smith et B. H. Roberts, qui
était désormais le membre le plus ancien du premier conseil des
soixante-dix. B. H. Roberts avait écrit « La vérité, le chemin, la vie
[The Truth, The Way, The Life] », un manuscrit de huit cents pages
détaillant le plan du salut. Il voulait que l’Église l’adopte comme
programme d’étude pour les collèges de la Prêtrise de Melchizédek.
Joseph Fielding Smith avait exprimé de sérieuses réserves sur certaines
idées contenues dans l’ouvrage.
Il était surtout gêné par la
tentative de B. H. Roberts de faire concorder le récit scripturaire de
la Création avec les théories scientifiques sur l’origine de la vie.
D’après celui-ci, les fossiles prouvaient que des espèces semblables à
l’homme avaient vécu sur la terre pendant des millions d’années avant
que Dieu ne place Adam et Ève dans le jardin d’Éden. Joseph Fielding
Smith rétorquait que de telles croyances étaient incompatibles avec les
Écritures et la doctrine de l’Église. Il pensait que ces espèces ne
pouvaient pas avoir existé avant que la chute d’Adam n’introduise la
mort dans le monde.
Dans un discours prononcé devant la
Société généalogique d’Utah, Joseph Fielding Smith avait vigoureusement
condamné les idées de B. H. Roberts, sans toutefois le citer
directement. De son côté, ce dernier avait écrit à la Première
Présidence, cherchant à savoir si le discours de Joseph Fielding Smith
représentait la position officielle de l’Église sur le sujet ou s’il
s’agissait simplement d’une opinion personnelle.
Les Douze invitèrent les deux hommes
à présenter leur point de vue au conseil. Les apôtres envoyèrent
ensuite un rapport à la Première Présidence, qui étudia attentivement
les deux parties du différend et pria pour savoir comment le résoudre.
John Widtsoe avait récemment publié
un livre sur la réconciliation de la science et de la religion, et il
avait beaucoup réfléchi à la question. Il croyait que les dirigeants de
l’Église devaient aider les jeunes saints à faire grandir leur foi en
Jésus-Christ au milieu des tendances modernes. Il se disait que de
nombreux croyants se méfiaient de la science parce qu’ils confondaient
les faits et les interprétations. Il préférait ne pas s’appuyer
uniquement sur la science pour résoudre les controverses. En effet, la
compréhension scientifique était sujette à des changements et
négligeait souvent les concepts religieux tels que la prière et la
révélation. Il faisait tout aussi attention à ne pas se reposer sur une
interprétation des Écritures qui ne tiendrait pas compte de la manière
dont les révélations et les écrits sacrés avaient vu le jour.
Il confia en privé à Melvin J.
Ballard, qui était apôtre : « Je pense que le plus sage serait de faire
ce que nous avons fait pendant toutes ces années. Accepter tous les
faits bien établis et vérifiés, et refuser de fonder notre foi sur des
théories, qu’elles soient scientifiques ou théologiques. »
Le 7 avril, le lendemain de la
conférence générale, la Première Présidence convia les Douze et
d’autres autorités générales à se réunir pour régler le conflit. John
Widtsoe écouta les membres de la présidence exprimer leur opinion que
Joseph Fielding Smith et B. H. Roberts devaient abandonner leur
querelle. Ils déclarèrent : « La base du désaccord repose, pour les
deux partis, sur les Écritures et des déclarations d’hommes qui ont
joué un rôle important dans les affaires de l’Église. Ni l’un ni
l’autre n’a produit de preuve définitive pour étayer ses opinions. »
La Première Présidence rappela aux
collèges l’enseignement de Joseph Smith : « Déclarez les premiers
principes et laissez de côté les mystères, sinon vous serez vaincus. »
Elle les mit en garde contre le fait de présenter un avis personnel
comme étant la doctrine de l’Église, ce qui risquait de provoquer des
malentendus, de la confusion et des divisions parmi les saints : «
Quand une autorité générale de l’Église fait une déclaration formelle
portant sur un quelconque point de doctrine, elle est considérée comme
parlant au nom de l’Église, qu’elle exprime une opinion personnelle ou
non. Ses déclarations sont reçues et acceptées comme étant la doctrine
approuvée de l’Église. »
Les membres de la Première Présidence
exhortèrent les hommes à prêcher la doctrine fondamentale de l’Évangile
rétabli. Ils dirent : « Tandis que nous magnifions notre appel dans la
sphère de l’Église, laissons à la recherche scientifique la géologie,
la biologie, l’archéologie et l’anthropologie. Aucun de ces domaines
n’a de rapport avec le salut de l’âme des hommes. » Pour ce qui était
des origines de la vie, ils n’avaient rien de plus à dire que ce que la
Première Présidence avait déjà affirmé dans sa déclaration de 1909
intitulée « L’origine de l’homme ».
Pour John Widtsoe, la Première
Présidence avait réglé la question. Les dirigeants de l’Église
présents, y compris B. H. Roberts et Joseph Fielding Smith, soutinrent
la décision et acceptèrent de ne plus aborder en public la question de
la vie humaine avant Adam. Cependant, B. H. Roberts ne supportait pas
l’idée de retirer le sujet de son ouvrage « La vérité, le chemin, la
vie ». Finalement, il laissa son ouvrage de côté, sans le publier.
Plus tard cette année-là, au Cap, en
Afrique du Sud, William et Clara Daniels et une dizaine d’autres saints
des derniers jours chantaient un cantique ensemble comme ils le
faisaient chaque lundi, pendant la réunion qu’ils tenaient chez eux
pour parler de l’Évangile. Mais cette fois, ce n’était pas une réunion
comme les autres. Le président de mission, Don Dalton, les avait
convoqués pour une conférence spéciale.
Clara offrit la prière d’ouverture et
William raconta l’histoire de sa conversion et de leurs premières
petites réunions. Il dit : « Nous avons commencé par étudier les
références du Livre de Mormon (Book of Mormon Ready References) et
maintenant nous étudions Jésus le Christ. J’ai reçu de nombreuses
connaissances et je peux dire beaucoup de choses sur l’Évangile à
beaucoup de gens. »
Clara rendit aussi témoignage,
exprimant sa reconnaissance pour son appartenance à l’Église. Elle dit
: « Je prie pour que le Seigneur nous aide à rester constants. »
Plusieurs autres personnes
témoignèrent, puis le président Dalton prit la parole. Il déclara : «
J’ai la certitude que le Seigneur est à la tête de cette œuvre. Si nous
mettons en pratique les commandements, il ne nous refusera rien. » Il
parla du frère de Jared, personnage du Livre de Mormon, qui était si
proche du Seigneur que rien ne lui fut caché. Il témoigna : « Il en
sera de même pour nous. Je sais que, si je suis fidèle, je verrai des
choses extraordinaires. »
Le président Dalton se souciait
toujours de la façon dont certains membres de la branche de Mowbray
traitaient les membres « de couleur », comme la famille Daniels. La
Première Présidence lui avait conseillé de tenir compte des sentiments
de tous les saints en gérant ce genre de situation. Elle avait écrit :
« Les tensions raciales sont un problème qu’il faut traiter avec
beaucoup de précaution pour éviter d’offenser les membres de l’Église,
Noirs ou Blancs. »
Le président Dalton connaissait et
admirait la fidélité de William. Il voulait reconnaître officiellement
ses efforts. Il annonça : « Je pense qu’une branche doit être formée
ici. Frère Daniels doit avoir le privilège d’accomplir une œuvre
particulière. Je sais que, grâce à sa diligence, la barrière sera levée
et qu’il sera un dirigeant en Israël. »
William fut alors appelé à servir en
qualité de président de branche et Clara en tant que présidente de la
Société de Secours. Leur fille Alice fut appelée secrétaire de la
Société de Secours et greffière de la branche, et leur amie, Emma
Beehre, fut appelée conseillère de Clara. Frère Dalton posa les mains
sur la tête de William et le mit à part pour son nouvel appel. Il ne
conféra pas la prêtrise à William, qui ne pouvait donc pas bénir et
distribuer la Sainte-Cène ni mettre à part les membres de la branche
dans leurs appels. Cependant, ses nouvelles responsabilités allaient
lui donner de nouvelles occasions de servir et de progresser dans
l’Église.
Le président de mission ajouta : «
J’ai réfléchi à un nom pour cette branche. Je suppose que ce devrait
être ‘la branche de l’amour’. »
Lors de leur réunion du lundi
suivant, William demanda à Clara et aux autres dirigeants de la branche
nouvellement appelés de s’exprimer au sujet de leurs nouvelles
responsabilités. Clara avoua : « Je trouve cela un peu difficile mais
je sais que le Seigneur m’aidera dans mon œuvre, lui qui a aidé la sœur
qui a mis en place la première Société de secours. »
En tant que dirigeants de branche,
William et Clara continuèrent de s’occuper des missionnaires qui
assistaient aux réunions de la branche avec des visiteurs blancs de la
branche de Mowbray. William veilla à ce qu’Alice fasse des comptes
rendus précis afin d’en envoyer un exemplaire à Salt Lake City. Il ne
voulait pas qu’on oublie la branche de l’amour.
Aux États-Unis, le 14 février 1932,
Paul Bang, âgé de treize ans, fut ordonné diacre dans la branche de
Cincinnati. Depuis la fin des années 1800, les garçons de son âge
recevaient la Prêtrise d’Aaron. À cette époque, ils coupaient du bois
pour les pauvres, alimentaient des feux pour chauffer les lieux de
réunion et accomplissaient d’autres actes de service dans leurs
paroisses et leurs branches. Toutefois, ce n’est qu’au début du
vingtième siècle que Joseph F. Smith, alors président de l’Église,
avait présenté les réformes de la Prêtrise d’Aaron rendant systématique
l’ordination des jeunes gens aux offices de la prêtrise. Depuis, les
jeunes diacres avaient commencé à jouer un rôle plus important au sein
de la branche et pendant les réunions.
Désormais, en plus de s’occuper de
l’église et du terrain, Paul pouvait distribuer la Sainte-Cène,
collecter les offrandes de jeûne, être le messager du président de
branche et aider les veuves et les autres saints dans le besoin. Comme
les autres diacres de l’Église, il devait également comprendre et
savoir expliquer chacun des Articles de Foi, obéir à la Parole de
Sagesse, faire des prières d’ouverture et de clôture, payer la dîme et
connaître l’histoire du rétablissement de la Prêtrise d’Aaron.
Paul n’eut pas l’occasion de
s’acquitter tout de suite de toutes ces nouvelles responsabilités.
Depuis des décennies, les hommes adultes distribuaient la Sainte-Cène
et de nombreuses personnes étaient mal à l’aise à l’idée de laisser
cette responsabilité à de jeunes garçons. À Cincinnati, la Sainte-Cène
était toujours bénie et distribuée par deux adultes. Il s’agissait la
plupart du temps de Chris et Henry, les frères aînés de Paul.
Néanmoins, même si les nouvelles
responsabilités de Paul en lien avec la prêtrise ne l’occupaient pas
totalement, de nombreuses tâches lui incombaient à l’épicerie de ses
parents. Il aimait travailler au magasin. Le commerce ouvrait tous les
matins à six heures et ne fermait pas avant onze heures du soir. Le
garçon s’occupait des clients au comptoir, remplissait et rangeait les
étagères, balayait et huilait le plancher en bois. Lorsque son frère
Chris coupait la viande, Paul éparpillait de la sciure sur le sol pour
absorber les salissures. Une fois la découpe terminée, il frottait les
blocs de coupe avec une brosse en fer. Après l’école, Paul chargeait
des boîtes et des paniers contenant les commandes et faisait les
livraisons dans le voisinage.
À Cincinnati, au moment de la
dépression économique, le domaine de la construction était en pleine
expansion. Les travaux de construction d’un gratte-ciel de près de cent
quatre-vingts mètres ainsi que d’un nouveau terminal ferroviaire
imposant commençaient à peine. Ces projets, ainsi qu’une économie
locale diversifiée, permirent à la ville de surmonter les pires moments
de la crise. Toutefois, les salaires baissaient et le chômage était de
plus en plus important.
La famille Bang vivait dans un
quartier pauvre peuplé d’immigrants blancs qui, comme eux,
travaillaient, jouaient et étudiaient aux côtés d’Afro-Américains, de
Juifs et d’autres groupes ethniques. Lorsque les difficultés touchèrent
la ville, nombre des clients habituels de l’épicerie ne pouvaient plus
payer leurs factures. Au lieu de les renvoyer, le père de Paul leur
faisait souvent cadeau de ses produits ou leur permettait d’acheter à
crédit. Malheureusement, sa gentillesse et sa générosité ne protégèrent
pas l’entreprise familiale de la Dépression et, en avril 1932, il
déposa le bilan. Même après cela, il refusa de fermer le magasin et
continua d’aider ses voisins.
Les saints de Cincinnati
persévéraient malgré le déclin économique. Depuis peu, l’Épiscopat
président avait demandé aux paroisses et aux branches de l’Église de
commémorer chaque année le rétablissement de la Prêtrise d’Aaron,
espérant ainsi favoriser la participation des jeunes détenteurs de la
prêtrise. Le 15 mai 1932, quatre prêtres récemment ordonnés de la
branche de Cincinnati, tous âgés de dix-neuf ans ou plus, parlèrent
pendant la réunion de Sainte-Cène de l’histoire et de l’expansion de la
Prêtrise d’Aaron. Charles Anderson, le président de branche, prit
également la parole, comme il le faisait habituellement à la fin de la
réunion de Sainte-Cène.
Paul n’avait pas encore de
responsabilités dans le programme mais les occasions viendraient. Les
réunions de la branche comptaient rarement plus de cinquante personnes.
Souvent, les parents de Paul ou ses frères et sœurs plus âgés faisaient
un discours, chantaient dans le chœur, offraient une prière ou
participaient d’une quelconque autre manière aux réunions. En l’espace
de quatre semaines, son frère, Henry, avait offert la prière de clôture
lors de trois réunions de Sainte-Cène. Le jour où il n’avait pas prié,
il avait fait un discours.
Étant membre de la famille Bang, Paul s’attendait à ce que la branche lui confie des tâches à tout moment.
Pendant ce temps, en Utah, Evelyn
Hodges, assistante sociale au sein de la Société de Secours, avait
matière à s’inquiéter tandis que le monde s’enfonçait de plus en plus
dans la Dépression. Son père, qui l’avait un jour suppliée de rester à
la maison pour qu’elle n’ait pas à travailler, traversait une période
difficile du fait que les produits de sa ferme de Logan ne se vendaient
plus. Evelyn savait comment faire pour solliciter l’aide de l’Église et
de l’État, mais il refusait.
Au début de la Dépression, il lui avait affirmé : « Je peux trouver un travail. Je sais que j’en suis capable. »
Sa fille en doutait. À Salt Lake
City, elle parlait tous les jours à des gens qui disaient la même
chose. Ils répétaient : « Si je peux aller à Los Angeles, je trouverai
du travail. » En Utah, un travailleur sur trois était au chômage et
personne n’embauchait. Evelyn savait cependant que la situation n’était
guère meilleure en Californie, ni nulle part ailleurs aux États-Unis.
Elle essayait d’expliquer que les emplois se faisaient rares partout,
mais certaines familles avec lesquelles elle travaillait ne la
croyaient pas.
À l’approche de l’été 1932, elle
avait de bonnes raisons d’espérer qu’un changement était imminent. À la
suite du lancement par le gouvernement américain d’un programme d’aide
financière aux États et aux entreprises, les fonctionnaires de l’Utah
firent appel aux services sociaux de la Société de Secours pour aider
l’État à demander un prêt fédéral. Evelyn et Amy Brown Lyman passèrent
des heures à rassembler les statistiques et les dossiers individuels
pour mettre en lumière les manques au sein de l’État. Elles
présentèrent ensuite les résultats de leur recherche au capitole de
l’État où les législateurs les utilisèrent et obtinrent une aide
fédérale pour l’Utah.
Evelyn apprit beaucoup grâce à son
travail acharné auprès d’Amy. Cette dernière était franche et souvent
brusque lorsqu’elle s’adressait aux travailleuses sociales. Evelyn
appréciait le franc-parler d’Amy, mais elle devait admettre que cela
l’irritait parfois. Amy ne se privait pas de la critiquer quand elle
faisait une erreur. Cependant, Evelyn ne prenait pas cela pour une
réprimande. Amy pensait tout simplement qu’elle n’avait pas le temps
d’être délicate ou diplomate. Elle attendait de tous les membres du
bureau des services sociaux, y compris d’elle-même, qu’ils se
consacrent entièrement à leur travail. C’est pour cette raison
qu’Evelyn avait appris à l’aimer et qu’elle l’admirait.
En août 1932, les fonds de secours
fédéraux arrivèrent en Utah, redonnant espoir à de nombreux saints
affligés. Une fois de plus, l’État fit appel à la Société de Secours,
et Amy et ses travailleuses sociales jouèrent un rôle essentiel dans la
distribution de l’aide.
La plupart des fonds de secours
locaux de l’Église et du gouvernement étant épuisés, de nombreux
évêques aux côtés desquels Evelyn œuvrait souhaitaient vivement que les
membres de leur paroisse dans le besoin reçoivent l’aide du
gouvernement fédéral. Certains membres de l’Église craignaient
cependant que les saints en deviennent dépendants. Des gens refusaient
de demander l’aide de l’Église parce qu’ils ne voulaient pas que leur
évêque, qui était souvent un voisin et ami, soit au courant de leur
situation. D’autres ne voulaient pas se sentir stigmatisés en raison de
leur situation de dépendance lorsqu’ils allaient à l’église.
Cette dépendance continuait néanmoins
de s’étendre. Les dirigeants du gouvernement des États-Unis avaient
sous-estimé les dégâts économiques, et les fonds proposés ne suffirent
pas à soulager durablement le peuple américain. L’économie continuait
de s’effondrer, entraînant l’espoir avec elle. Chaque jour, des gens
perdaient leur emploi et leur logement. Evelyn voyait régulièrement
deux ou trois familles vivant ensemble dans une petite maison.
Sa propre famille était en
difficulté. Après avoir en vain essayé de subvenir aux besoins de sa
famille, son père avait cherché à vendre une partie de sa propriété
mais il ne trouva pas d’acquéreur. Finalement, il permit à sa fille de
lui envoyer trente dollars par mois de ses propres revenus. Il lui en
était reconnaissant.
La Dépression s’aggravait et Evelyn
était témoin de la misère grandissante à Salt Lake City. Elle y perçut
néanmoins l’occasion de faire preuve d’une plus grande compassion et de
progresser au sein de la collectivité. Elle pensait : « Si nous sortons
de cette lutte avec une meilleure compréhension des besoins des êtres
humains, alors la société aura progressé grâce à cette épreuve. »
À l’autre bout de la ville, Harold B.
Lee, président du pieu de Pioneer à Salt Lake City, savait qu’il devait
lui aussi faire quelque chose pour aider les gens à traverser la
Dépression. À trente-trois ans, il était l’un des plus jeunes
présidents de pieu de l’Église ; il n’avait pas autant d’expérience que
d’autres hommes ayant le même appel. Cependant, il savait qu’environ
deux tiers des sept mille trois cents saints de son pieu dépendaient,
totalement ou partiellement, d’une aide financière. Lorsque les gens
étaient affamés physiquement, il n’était pas facile de les nourrir
spirituellement.
Harold B. Lee réunit ses conseillers
pour discuter de la manière d’aider les saints sous leur
responsabilité. D’après leur étude des Doctrine et Alliances, ils
savaient que le Seigneur avait ordonné aux premiers saints d’établir un
magasin pour prendre soin des pauvres et des nécessiteux. Depuis des
décennies, les paroisses de l’Église géraient des petits « magasins de
l’évêque » en collectant et redistribuant les dons de nourriture et
d’autres articles pour aider les pauvres. Depuis les années 1910,
l’Église recevait uniquement la dîme sous forme d’argent, mais il
restait des magasins dans quelques paroisses et pieux. De même, la
présidence générale de la Société de Secours, qui avait géré des
magasins et des greniers pour aider les saints dans le besoin,
s’occupait d’un entrepôt qui fournissait des vêtements et d’autres
articles ménagers pour les pauvres. Et si le pieu de Pioneer faisait la
même chose ?
Bientôt, un programme de secours prit
forme, qui avait aussi pour but de rendre les saints plus autonomes.
Avec l’aide des évêques, le pieu d’Harold B. Lee mettrait en place un
magasin financé par la dîme et les dons. Au lieu de distribuer des
articles gratuitement, le programme permettrait aux saints du pieu sans
emploi de travailler à l’entrepôt ou à d’autres projets de service en
échange de nourriture, de vêtements, de combustible ou d’autres
produits de première nécessité.
Après en avoir parlé avec ses
conseillers, Harold B. Lee soumit le projet à la Première Présidence,
qui l’approuva. Il convia ensuite les évêques de son pieu à une réunion
afin de leur présenter le plan pour qu’ils en discutent. Un évêque posa
immédiatement une question qui était sans doute dans l’esprit de
nombreux membres de l’Église : puisque le Seigneur avait promis de
subvenir aux besoins de son peuple, pourquoi tant de saints fidèles,
qui payaient la dîme, étaient-ils démunis ?
Harold fit de son mieux pour
répondre, rappelant aux évêques que le Seigneur comptait sur eux pour
accomplir son œuvre. Il déclara : « Les promesses faites par le
Seigneur sont entre vos mains. La manière et les moyens par lesquels
elles s’accompliront dépendent de vous. » Il exhorta ensuite les
évêques à faire tout ce qui était en leur pouvoir pour que ces magasins
fonctionnent. Il témoigna que les bénédictions promises par le Seigneur
se réaliseraient.
Dans le cadre de ce projet, Harold B.
Lee et ses conseillers choisirent Jesse Drury, l’un des évêques, pour
gérer le magasin. Dans sa paroisse, de nombreux saints avaient été
durement touchés par la Dépression. Jesse lui-même avait perdu son
emploi et sa famille subvenait à peine à ses besoins grâce aux aides
gouvernementales.
Cependant, plus tôt cette année-là,
cet évêque et ses conseillers avaient décidé d’agir afin d’obtenir de
la nourriture et du travail pour les membres de leur paroisse. Au sud
de la limite de leur paroisse se trouvait une parcelle de terre fertile
et inutilisée. L’épiscopat consulta les propriétaires qui permirent aux
membres de la paroisse de cultiver la terre en échange du paiement des
impôts sur la propriété. Deux paroisses voisines du pieu de Pioneer se
joignirent à l’effort. Tous ensemble, ils trouvèrent des agriculteurs
et des dirigeants du comté disposés à faire don de semences et à
prendre en charge l’irrigation. Les membres achetèrent des plants de
légumes à prix réduit et se procurèrent des équipements agricoles et
des chevaux auprès des personnes qui soutenaient leur projet.
À présent, sous la direction d’Harold
B. Lee, Jesse Drury dirigeait un groupe de membres de l’Église au
chômage afin de transformer un vieil entrepôt en magasin de pieu. Ils
installèrent une conserverie et ouvrirent une épicerie. Il y avait
également des espaces de stockage à d’autres niveaux du bâtiment et un
espace dédié à la gestion des dons de vêtements.
À l’été 1932, le magasin était prêt à
ouvrir. Le jour de l’inauguration du bâtiment, Harold B. Lee, Jesse
Drury et le reste du pieu de Pioneer jeûnèrent pour commémorer
l’événement, apportant leurs offrandes de jeûne à la cérémonie. Des
hommes et des femmes du pieu se mirent au travail dans le magasin
tandis que d’autres parcouraient la vallée pour travailler dans les
fermes et les vergers.
Un flot de produits déferla bientôt.
Il y avait des centaines de boisseaux de pêches, des milliers de sacs
de pommes de terre et d’oignons, des tonnes de cerises et bien plus
encore. En échange de leur travail, les membres du pieu bénéficiaient
d’une partie de la récolte. Il en resta suffisamment pour que la
Société de Secours prépare des conserves en prévision de l’hiver. Les
femmes échangeaient également leur travail contre des produits de
première nécessité non périssables en raccommodant de vieux vêtements
et en collectant des chaussures usées.
Dès la fin de l’année, Harold B. Lee
vit que le Seigneur bénissait les saints de son pieu. Même si nombre
d’entre eux avaient fait face à l’adversité pendant l’année écoulée,
ils étaient restés fermes dans la conviction que Dieu les aiderait dans
leurs difficultés. De plus, ils étaient prêts et disposés à travailler
ensemble au profit des nécessiteux, malgré les ravages de la Dépression.
Chapitre 22 : Récompense éternelle
Le matin du 17 mai 1933, John et Leah
Widtsoe s’éveillèrent en regardant pour la première fois la Terre
Sainte. De la fenêtre de leur train, ils voyaient une plaine aride,
jonchée de rochers, jalonnée de champs cultivés et de vergers. John,
qui avait passé des années à étudier l’agriculture du désert, était
fasciné par le paysage. Dans son journal, il qualifia cette vision d’«
extrêmement intéressante ».
Dès leur retour à Londres à l’automne
1931, John et Leah Widtsoe avaient repris leurs responsabilités au sein
de la mission européenne. Ils étaient maintenant en route pour Haïfa,
ville située sur la côte est de la Méditerranée, pour mettre à part
Badwagan Piranian et sa femme, Bertha, en tant que dirigeants de la
mission de Palestine-Syrie de l’Église. Cette mission, qui allait
superviser quatre branches dans la région, était l’une des plus petites
de l’Église. Badwagan était arménien, comme la plupart des saints du
Moyen-Orient, et Bertha était suisse. Ils étaient tous les deux devenus
membres de l’Église au cours des dix années précédentes.
À l’origine, Leah n’avait pas prévu
d’accompagner John en Palestine. La crise économique s’était propagée
dans le monde entier, dévastant les collectivités qui se remettaient à
peine de la guerre. John et Leah avaient peu d’argent et un tel voyage
à travers le continent n’était pas bon marché. Cependant, John insista
pour que sa femme vienne avec lui.
Il lui dit : « Nous avons tout fait
ensemble, ce voyage ne doit pas faire exception. Nous sortirons de ce
‘gouffre financier’, d’une manière ou d’une autre. »
À leur arrivée à Haïfa, ils
rencontrèrent Badwagan et Bertha Piranian, et leur fille de seize ans,
Ausdrig. Le nouveau président fit très bonne impression à John.
Badwagan parlait couramment l’arménien et l’allemand ; il connaissait
également le turc, le russe et l’anglais. John rapporta : « Frère
Piranian est un homme intelligent, travailleur et sincère. »
Bertha fit également très bonne
impression à Leah. Elle avait un témoignage ferme de l’Évangile et
était désireuse d’apprendre comment inciter les femmes de la mission à
s’investir davantage à la Société de Secours et la SAM des jeunes
filles. Leah pensait que ces organisations étaient indispensables pour
édifier l’Église dans la région. Elle se disait : « Si ces femmes
deviennent pratiquantes et trouvent de la joie grâce au programme de la
Société de Secours ou celui des Abeilles et des Glaneuses, elles
deviendront des prosélytes encore plus capables de défendre la vérité. »
Il lui semblait parfois qu’elle
devait déplacer des montagnes pour persuader les épouses des présidents
de mission de laisser les femmes locales gérer leurs organisations. En
travaillant avec Leah, Bertha montra qu’elle était remplie du désir de
bien agir et d’être une bonne dirigeante. Au moment de quitter Haïfa,
Leah savait que Bertha ferait de l’excellent travail.
Le couple Widtsoe se rendit ensuite à
Tel Aviv, puis à Jérusalem. Ils avaient prévu de se rendre à pied
jusqu’au Mur des Lamentations, dernier vestige de l’ancien temple de
Jérusalem. Mais, en arrivant à leur logement, John reçut une pile de
courrier et commença à lire silencieusement deux télégrammes. Il fut
profondément bouleversé par leur contenu mais sa femme était de bonne
humeur, aussi mit-il le courrier de côté. Puis ils sortirent de l’hôtel.
Leur visite les conduisit le long de
vieilles rues tortueuses et dans des bazars colorés, bondés de monde.
Arrivés au Mur des Lamentations, ils observèrent des femmes et des
hommes juifs en train de prier et de se lamenter sur la destruction du
temple, des siècles plus tôt. Leah remarqua que certains visiteurs
glissaient entre les pierres du mur des prières écrites sur des
morceaux de papier.
Ce soir-là, ils regardèrent le soleil
se coucher depuis le Mont des Oliviers, non loin du jardin dans lequel
le Sauveur avait souffert pour les péchés de toute l’humanité. Toujours
préoccupé par les télégrammes, John ne profitait pas de ce moment mais
Leah était ravie d’être dans la ville sainte.
Plus tard, de retour dans leur
chambre, John dit finalement à Leah ce qui le troublait. C’était Heber
J. Grant, le président de l’Église, qui lui avait adressé les
télégrammes pour leur annoncer que la mère de Leah était décédée le 27
mai, le lendemain de leur départ de Haïfa. John avait retardé le moment
de le dire à sa femme car elle était très joyeuse lors de leur arrivée
à Jérusalem et il ne voulait pas lui gâcher sa joie.
La nouvelle fut un choc pour Leah.
Elle savait que Susa n’allait pas très bien mais elle ne s’était pas
doutée de la gravité de sa maladie. Son esprit devint soudainement
sombre et révolté. Pourquoi fallait-il qu’elle soit si loin de sa mère
au moment de sa mort ? Elle attendait avec impatience le moment de la
revoir et de lui raconter ses expériences de mission. Maintenant, tout
était différent. Sa joie s’était envolée.
Rongée par le chagrin, elle passa une
nuit difficile, et la journée du lendemain ne fut pas meilleure. Son
seul réconfort était d’imaginer sa mère, qui avait consacré tant de
temps à l’œuvre du temple, retrouvant avec joie ses proches décédés.
Elle se souvint d’un poème joyeux que Susa avait écrit quelque temps
auparavant :
Quand j’aurai quitté ce rivage mortel
et que je ne flânerai plus sur cette terre
Ne soyez pas en deuil, ne pleurez pas, ne soupirez pas, ne sanglotez pas
J’ai probablement trouvé un meilleur emploi.
Le 5 juin, Leah envoya une lettre au
président Grant, le remerciant de la gentillesse dont il avait toujours
fait preuve à l’égard de Susa. Elle écrivit : « La vie de ma mère a été
bien remplie et riche d’accomplissements. Je prie pour que ses enfants,
chacun d’entre nous, puissent aimer la vérité et vivre pour elle, comme
elle l’a fait. »
Plus tard cette année-là, en Afrique
du Sud, William Daniels s’acquittait fidèlement de ses tâches de
président de la branche de l’amour, au Cap. Il ne pouvait pas accomplir
les ordonnances de la prêtrise mais il présidait les réunions du lundi
soir, gérait les affaires de la branche, conseillait les saints dont il
avait la charge et assistait aux conférences des dirigeants de mission
avec d’autres présidents de branche d’Afrique du Sud.
Un jour, il tomba gravement malade.
Certain que la maladie passerait rapidement, il ne demanda pas
immédiatement une bénédiction aux missionnaires. Cependant, sa santé se
détériora, provoquant l’inquiétude de ses médecins. Il était âgé de
près de soixante-dix ans et son cœur était faible.
Il attendit encore six semaines avant
de prendre enfin contact avec le foyer de la mission pour demander une
bénédiction. En l’absence du président Dalton, un autre missionnaire
vint le bénir. Après la bénédiction, William se sentit mieux pendant un
moment, puis la maladie réapparut. Cette fois-ci, le président de
mission put venir lui donner une bénédiction.
Inquiet pour la vie de William, le
président Dalton fit venir sa femme, Geneve, et leurs enfants pour le
réconforter. En voyant l’état de William, le président Dalton pleura.
La famille s’agenouilla autour du lit, et George Dalton, âgé de cinq
ans, offrit la prière. Ensuite, le président de mission oignit William
et lui donna une bénédiction. Il lui promit qu’il pourrait recommencer
à adorer Dieu auprès des saints du Cap.
Quelques semaines plus tard, le
président Dalton revint en ville et vit que William était suffisamment
en bonne santé pour voyager. Ils se rendirent ensemble à l’École du
Dimanche de la branche de Mowbray. Là, les saints demandèrent à William
de s’adresser à eux. On l’aida à monter les marches de l’estrade et il
rendit témoignage du pouvoir guérisseur de la foi. Après la réunion,
toutes les personnes de la salle, jeunes et moins jeunes, lui serrèrent
la main. Il put bientôt reprendre pleinement ses fonctions dans la
branche de l’amour.
William était reconnaissant pour les
missionnaires et les bénédictions de guérison qu’il avait reçues d’eux.
Un jour, il déclara aux membres de la branche : « Je me sens plus béni
qu’un roi avec toutes ses richesses. Je remercie le Seigneur du
privilège de recevoir ces bonnes personnes chez moi et pour ma foi dans
l’onction faite par les missionnaires. »
Lorsque sa santé se fut améliorée,
William écrivit son témoignage pour le journal de la mission, le
Messager du Sud de Cumorah (Cumorah’s Southern Messenger). En
réfléchissant à ses expériences dans l’Église, il raconta sa
conversion, sa visite à Salt Lake City qui avait changé sa vie et son
expérience récente du pouvoir de la prêtrise.
Il écrivit : « Mon témoignage est que
je sais que Joseph Smith était un prophète de Dieu dans les derniers
jours et que l’Évangile rétabli ne contient rien d’autre que les
enseignements du Christ lui-même. »
Il ajouta : « Je sais que Dieu vit,
qu’il entend les prières et y répond. Jésus est le Rédempteur
ressuscité et réellement le Fils de notre Père céleste, personnel, vrai
et vivant. »
Peu de temps après la mort de sa
belle-mère, John Widtsoe reçut une lettre du président Grant. Elle
disait : « Concernant votre retour, je souhaite que vous m’écriviez
avec une franchise absolue. N’hésitez pas à me dire si vous préférez
rentrer chez vous pour être auprès de vos proches. Vous avez accompli
une mission exceptionnelle. »
John ne sut quoi répondre. D’un côté,
Leah et lui avaient déjà servi pendant six ans. C’était deux fois plus
longtemps que les présidents de la mission européenne précédents. John
savait aussi que sa femme et lui manquaient à leur famille en Utah.
Elle avait besoin d’eux, surtout maintenant que Susa n’était plus là.
D’un autre côté, Leah et lui se
sentaient chez eux en Europe et aimaient le service missionnaire. Le
travail manquerait certainement à Leah. Son empreinte sur l’Église en
Europe était visible partout. Elle avait renforcé les organisations
féminines locales, encouragé les personnes à suivre plus fidèlement la
Parole de sagesse et adapté les leçons de la Société de secours aux
sœurs d’Europe. Elle venait d’achever l’édition européenne du manuel
des Abeilles, ce qui avait considérablement simplifié et adapté le
programme de la SAM pour répondre aux besoins des jeunes femmes de tout
le continent.
La mission rencontrait également de
nouvelles difficultés. La récession économique s’étant propagée dans le
monde entier, les revenus de la dîme en Europe avaient chuté. Certaines
branches n’avaient plus de salles de réunion car elles ne pouvaient
plus payer le loyer. À cause de la Dépression, beaucoup de
missionnaires ne pouvaient plus partir et de nombreuses familles
avaient besoin de leurs fils à la maison pour les aider à subvenir à
leurs besoins. En 1932, seulement trois cent quatre-vingt-dix-neuf
hommes avaient pu accepter un appel en mission alors que dans les
années vingt, on avait connu un pic de mille trois cents missionnaires
par an. Avec une force missionnaire considérablement réduite, était-il
préférable pour l’Église que John et Leah, qui avaient acquis tant
d’expérience en Europe, continuent à diriger la mission européenne ?
John répondit au président Grant que
Leah et lui préféraient laisser cette décision entre les mains du
prophète. Il écrivit : « J’ai toujours constaté que la voie du Seigneur
est meilleure que la mienne. »
Le 18 juillet, John reçut un
télégramme indiquant que l’apôtre Joseph F. Merrill avait été appelé à
le remplacer en tant que président de la mission européenne. Cela
allait être difficile de partir mais John et Leah étaient satisfaits de
cette décision. En septembre, ils préparaient activement leur départ.
Leah gérait les affaires au foyer de la mission à Londres tandis que
John parcourait le continent européen pour évaluer une dernière fois la
situation.
Pour sa dernière étape, John s’arrêta
au bureau de la mission à Berlin, en Allemagne. Plus tôt dans l’année,
Adolf Hitler avait été nommé chancelier d’Allemagne et son parti nazi
resserrait son emprise sur le pays. La Première Présidence, préoccupée
par ces événements, avait demandé à John de faire un rapport de la
situation du pays et d’évaluer si les missionnaires en Allemagne
étaient en sécurité.
John lui-même suivait de près
l’ascension d’Hitler au pouvoir et son influence sur l’Allemagne. De
nombreux Allemands étaient encore irrités d’avoir perdu la guerre
quinze ans plus tôt et ils en voulaient profondément aux vainqueurs
pour les sanctions sévères qui leur avaient été infligées. John
rapporta à la Première Présidence : « Les nerfs politiques du peuple
allemand sont à vif. J’espère que lorsque l’abcès sera prêt à éclater,
le poison pourra être évacué au lieu de se diffuser dans toute la
structure sociale. »
En arrivant à Berlin, John fut frappé
par l’ampleur des changements qui s’étaient produits au cours des
décennies qui s’étaient écoulées depuis qu’il y était étudiant. La
ville ressemblait à un camp militaire, avec des symboles d’Hitler et du
parti nazi partout, y compris dans le bureau de la mission. John
expliqua à la Première Présidence : « Le drapeau nazi est accroché au
mur, non pas en signe que nous acceptons tout ce que le gouvernement
actuel fait en Allemagne, mais pour montrer que nous soutenons le
gouvernement légitime du pays dans lequel nous vivons. »
En parlant avec les présidents des
deux missions en Allemagne, John fut rassuré sur le fait que l’Église
n’était pas en danger immédiat dans le pays. La Gestapo (police secrète
nazie) avait examiné les dossiers du bureau de la mission à Berlin,
ainsi que les registres de plusieurs branches, mais, jusqu’à présent,
elle semblait satisfaite du fait que l’Église n’essayait pas de saper
son gouvernement.
John craignait toutefois qu’Hitler
entraîne le peuple allemand dans une autre guerre. Les saints locaux se
préparaient déjà à prendre en charge les branches et à veiller sur les
membres de l’Église en cas de problème. John conseilla aux présidents
de mission de se préparer à faire partir les missionnaires d’Allemagne
en deux ou trois heures si nécessaire. Il pensait qu’il valait mieux
que la Première Présidence limite à l’avenir le nombre de missionnaires
affectés en Allemagne.
Après deux jours de réunions, John
quitta le bureau de la mission à Berlin pour retourner à Londres. Il
emprunta un chemin familier le long de Unter den Linden, une rue au
cœur de Berlin nommée d’après les tilleuls qui bordaient les allées. En
se dirigeant vers la gare, il vit une grande troupe de soldats
traversant la ville au pas de l’oie pour remplacer les soldats de garde.
Tout autour d’eux, des milliers de partisans d’Hitler se pressaient dans les rues, animés d’un enthousiasme effréné.
Au printemps 1934, Len et Mary Hope,
des saints afro-américains qui étaient devenus membres de l’Église en
Alabama, vivaient dans la banlieue de Cincinnati, en Ohio. Au cours de
l’été 1928, ils avaient déménagé dans la région avec leurs enfants à la
recherche de travail. Len avait trouvé un emploi stable dans une usine.
Ils avaient cinq enfants et en attendaient un sixième.
Cincinnati était une ville du nord
qui bordait un État du sud. Dans la plupart des quartiers de la ville,
la ségrégation était aussi marquée que dans n’importe quel endroit du
sud. À cause de sa couleur de peau, la famille Hope n’était pas
autorisée à vivre dans certains quartiers, à séjourner dans certains
hôtels ou à manger dans certains restaurants. Il y avait des sièges
réservés aux spectateurs noirs dans les théâtres. Certaines écoles et
certains établissements d’enseignement supérieur et universités de la
ville excluaient les étudiants noirs ou limitaient considérablement
leurs possibilités d’études. Plusieurs dénominations religieuses
avaient des assemblées séparées pour les Blancs et pour les Noirs.
À leur arrivée en ville, la famille
Hope assista aux réunions avec la branche de Cincinnati. Au sein de
l’Église, il n’y avait pas de règles concernant la ségrégation raciale
; les paroisses et les branches avaient leurs propres règles en
fonction de la situation locale. Au début, il semblait possible que la
branche de Cincinnati fasse un bon accueil à la nouvelle famille. Mais
ensuite des membres déclarèrent au président de branche, Charles
Anderson, qu’ils cesseraient d’assister aux réunions si la famille Hope
continuait de venir.
Charles appréciait Len et Mary et il
savait que ce ne serait pas une bonne chose de leur demander de ne plus
venir à l’église. Il s’était installé à Cincinnati après avoir quitté
Salt Lake City, où un petit nombre de saints noirs fréquentait l’église
aux côtés de leurs voisins blancs. Il savait cependant que le racisme
était profondément ancré dans la région de Cincinnati et il pensait ne
pas réussir à changer les sentiments des gens.
Les frontières de la branche avaient
récemment été redéfinies et de nombreux saints du sud étaient
maintenant sous la responsabilité de Charles Anderson. Les saints du
sud n’étaient pas les seuls à s’opposer à la présence de la famille
Hope à l’église. Des membres de longue date, que Charles connaissait
depuis des années, avaient également exprimé leur crainte que cette
intégration ne donne aux détracteurs locaux de l’Église une nouvelle
raison de se moquer des saints.
Le cœur lourd, Charles Anderson se
rendit chez la famille Hope et lui fit part des objections des membres
de la branche. Il reconnut : « C’est la visite la plus pénible que
j’aie jamais faite à quelqu’un au cours de ma vie. » Il promit d’aider
la famille à rester liée à l’Église. Il affirma : « Nous ferons tout ce
que nous pourrons. Chaque mois, nous viendrons ici spécialement pour
vous apporter la Sainte-Cène et tenir un service religieux chez vous. »
Le cœur brisé par la décision de
Charles, Len et Mary cessèrent de se rendre à l’église, sauf pour les
conférences de district et d’autres événements spéciaux. Le premier
dimanche de chaque mois, ils tenaient une réunion de témoignage chez
eux pour les missionnaires et tous les membres de la branche qui
souhaitaient venir adorer avec eux. La famille se réjouissait également
des visites informelles des saints locaux. Len et Mary vivaient dans
une maison confortable de quatre pièces avec un grand perron à l’entrée
et une clôture blanche. Elle était située dans un quartier
majoritairement afro-américain, à une quinzaine de kilomètres au nord
du lieu de réunion de la branche, et le tramway de Cincinnati amenait
les visiteurs à moins de deux kilomètres de marche de la maison.
Lors de leurs réunions dominicales
mensuelles, les membres de la famille Hope prenaient la Sainte-Cène et
rendaient témoignage, du plus âgé au plus jeune. Parfois, les filles
talentueuses de la famille chantaient ou jouaient du piano. Après
chaque réunion, un délicieux repas était servi proposant de la dinde
rôtie, du pain de maïs, de la salade de pommes de terre ou d’autres
plats faits maison.
Parmi les saints qui rendaient visite
à la famille Hope, on trouvait Charles Anderson et ses conseillers,
Christian Bang et Alvin Gilliam. Parfois, Christine Anderson et Rosa
Bang accompagnaient leur mari respectif. Vernon Cahall, greffier de la
branche, son épouse, Edith, et d’autres membres tels que Robert Meier
et Raymond Chapin venaient également, souvent accompagnés de leur
famille. Les sœurs missionnaires, qui instruisaient les classes de la
Primaire chez plusieurs membres de la branche, instruisaient aussi les
enfants de la famille Hope. Elizabeth, l’aînée de la famille Bang,
apportait parfois son aide. De temps en temps, la famille Hope
retrouvait les missionnaires ou des membres de la branche dans d’autres
endroits, par exemple au zoo de Cincinnati.
Le 8 avril 1934, Mary Hope donna
naissance à un garçon. Dans le passé, le couple s’était toujours assuré
que ses bébés soient bénis et ce fut encore le cas cette fois. Deux
mois après la naissance de Vernon, Charles Anderson et le greffier de
la branche se rendirent chez la famille Hope pour une autre réunion de
Sainte-Cène. Ensuite, Charles donna une bénédiction au bébé.
Len racontait souvent l’histoire de
sa conversion à l’Évangile rétabli quand il rendait témoignage. Il
savait que sa femme et lui avaient été extrêmement bénis depuis leur
arrivée à Cincinnati. La Dépression avait mis beaucoup de ses voisins
au chômage mais lui n’avait pas perdu un seul jour de travail. Il ne
gagnait pas beaucoup d’argent mais il payait toujours une dîme complète.
Il exprima aussi sa foi en l’avenir.
Un jour, il déclara : « Je sais que je ne peux pas recevoir la prêtrise
mais je sens que, grâce à la justice de Dieu, elle me sera accordée un
jour et qu’il me sera permis d’aller vers ma récompense éternelle avec
les fidèles qui la détiennent. »
Mary et lui étaient disposés à attendre ce jour. Le Seigneur connaissait leur cœur.
Pendant ce temps à Tilsit, en
Allemagne, Helga Meiszus, âgée de quatorze ans, ne pouvait s’empêcher
de remarquer les changements qui s’étaient produits dans sa ville
depuis que les nazis avaient pris le pouvoir. Avant, elle avait peur de
rentrer de l’église à pied le soir parce que beaucoup de gens
traînaient dans la rue. La situation économique était mauvaise et
beaucoup de gens étaient sans emploi et désœuvrés. Ils n’étaient
probablement pas dangereux, mais Helga craignait toujours qu’ils
cherchent à lui faire du mal.
Puis Hitler arriva et la situation
économique s’améliora. Les emplois n’étaient plus rares et les rues
semblaient plus sûres. De plus, les gens recommençaient à être fiers
d’être allemands. Hitler était un orateur enflammé dont le message
passionné laissait croire à de nombreuses personnes que l’Allemagne
pouvait redevenir une nation puissante qui perdurerait pendant mille
ans. Quand il proférait ses mensonges, parlait de conspiration et
accusait les Juifs d’être responsables des problèmes de l’Allemagne,
beaucoup de personnes le croyaient.
Comme leurs compatriotes, les saints
des derniers jours allemands avaient des avis partagés sur Hitler.
Certains le soutenaient tandis que d’autres se méfiaient de son
ascension au pouvoir et de sa haine envers les Juifs. La famille
Meiszus ne s’intéressait pas vraiment à la politique et ne s’opposait
pas ouvertement au parti nazi. Toutefois, d’après les parents d’Helga,
Hitler était le mauvais dirigeant pour l’Allemagne. Son père, en
particulier, n’aimait pas être obligé de dire « Heil Hitler » pour
saluer. Il tenait à utiliser les expressions traditionnelles « bonjour
» ou « bonne journée » même si d’autres personnes s’y opposaient.
Helga, quant à elle, craignait de ne
pas dire « Heil Hitler » ou lever la main pour faire le salut nazi. Que
se passerait-il si quelqu’un voyait qu’elle ne le faisait pas ? Elle
risquait d’avoir des ennuis. En fait, elle avait tellement peur de se
faire remarquer qu’elle s’efforçait parfois de ne pas penser du tout à
Hitler, craignant que les nazis puissent lire dans ses pensées et la
punir.
Elle appréciait toutefois l’apparat
du parti nazi. Il y avait des danses nazies et des troupes en uniforme
qui défilaient dans la rue. Les nazis cherchaient à inculquer le
nationalisme et la loyauté aux jeunes du pays. Pour cela, ils se
servaient souvent des divertissements, de la musique entraînante et
d’autres formes de propagande pour les attirer.
À cette époque, Helga était devenue
une Abeille dans le programme que l’Église venait de renommer la
Société d’Amélioration Mutuelle des Jeunes Filles. Sous la supervision
d’une adulte, les membres de sa classe se fixaient des objectifs et
gagnaient des sceaux colorés à placer dans leur édition allemande du
manuel des Abeilles. Helga chérissait son manuel. Elle le
personnalisait en coloriant les illustrations en noir et blanc et en
marquant au crayon ou au stylo un X à côté des objectifs atteints.
Helga avait coché des dizaines
d’objectifs en travaillant avec le manuel. Elle connaissait les œuvres
de cinq grands musiciens, se couchait tôt et se levait tôt, avait
témoigné lors de trois réunions de jeûne et de témoignage et avait
reconnu les principales différences entre les enseignements de l’Église
et les autres religions chrétiennes. Elle s’était également donné un
nom d’abeille et un emblème. Le nom qu’elle avait choisi était Edelmut,
qui signifie « noblesse » en allemand. Son emblème était l’edelweiss,
une petite fleur rare qui poussait dans les hauteurs des Alpes.
Un jour, Helga rentra chez elle toute
contente. Les représentants du mouvement du parti nazi pour les jeunes
femmes (la Bund Deutscher Mädel, ou Ligue des jeunes filles allemandes)
recrutaient dans le quartier. Beaucoup de ses amies en étaient devenues
membres.
Helga dit à sa mère : « Oh, Mutti !
J’aimerais faire partie de ce groupe. » La ligue proposait toutes
sortes de leçons et d’activités et publiait son propre magazine. Il
était même question de sorties de ski subventionnées par le
gouvernement. Les filles portaient de beaux chemisiers blancs et des
jupes sombres.
Sa mère répondit : « Helgalein, tu es une Abeille. Tu n’as pas besoin d’appartenir à ce groupe. »
Helga savait que sa mère avait
raison. En ne devenant pas membre de la Ligue des jeunes filles
allemandes, elle se distinguerait une fois de plus de ses camarades.
Toutefois, le programme des Abeilles l’aidait à atteindre des buts
justes et à être une meilleure sainte des derniers jours. Ni Hitler ni
sa ligue ne pouvaient faire cela.
Chapitre 23 : Tout ce qu’il faut
Le 6 février 1935, Connie Taylor,
âgée de quinze ans, et d’autres membres de la branche de Cincinnati
étaient à l’église, attendant que James H. Wallis leur donne leur
bénédiction patriarcale.
Pendant une grande partie du siècle
précédent, les bénédictions patriarcales n’étaient accordées qu’aux
membres adultes. Il n’était pas rare qu’ils reçoivent une bénédiction
de plusieurs patriarches au cours de leur vie. Cependant, plus
récemment, les dirigeants de l’Église avaient commencé à inciter les
adolescents tels que Connie à recevoir leur bénédiction patriarcale
afin de renforcer leur foi et d’être guidés. Ils avaient également
précisé que les saints ne devaient recevoir qu’une seule bénédiction
patriarcale.
Frère Wallis, converti originaire de
Grande-Bretagne, avait été appelé par la Première Présidence pour
donner leur bénédiction patriarcale aux saints des branches éloignées
de l’Église. Il venait de terminer une mission de deux ans en Europe,
où il avait donné plus de mille quatre cents bénédictions. Il était
désormais chargé de bénir les saints de l’est des États-Unis et du
Canada. Comme les habitants de Cincinnati n’avaient pas beaucoup
d’occasions de recevoir leur bénédiction patriarcale, frère Wallis
travailla de longues heures pour s’assurer que chaque membre éligible
de la branche en ait la possibilité.
Lorsque le tour de Connie arriva,
elle s’installa dans la salle de la Société de Secours. Frère Wallis
lui plaça ses mains sur la tête et l’appela par son nom complet :
Cornelia Belle Taylor. Pendant la bénédiction, il lui assura que le
Seigneur la connaissait et veillait sur elle. Il lui promit qu’elle
serait guidée à condition de chercher le Seigneur par la prière,
d’éviter le mal et d’obéir à la Parole de Sagesse. Il l’exhorta à
s’intéresser davantage aux activités de l’Église, en mettant à profit
ses talents et son intelligence pour devenir une travailleuse bien
disposée dans le royaume de Dieu. Il lui promit enfin qu’elle irait un
jour au temple pour être scellée à ses parents.
Le patriarche lui dit : « Ne doute
pas de cette promesse. Au moment voulu par le Seigneur, son Esprit
Saint touchera le cœur de ton père, et par son influence, il verra la
lumière de la vérité et prendra part aux mêmes bénédictions que les
tiennes. »
Aussi réconfortantes que fussent ces
paroles, elles exigeaient une grande foi. Le père de Connie, un
fabricant de cigares du nom de George Taylor, était un homme aimant et
bon mais la famille dans laquelle il avait grandi détestait les saints
des derniers jours. Lorsqu’Adeline, la mère de Connie, avait exprimé
pour la première fois son intérêt pour l’Église, il avait refusé
qu’elle en devienne membre.
Mais un jour, alors que Connie avait
environ six ans, une voiture avait heurté son père tandis qu’il
traversait la rue. Pendant qu’il était à l’hôpital pour se remettre de
sa jambe cassée, Adeline lui avait demandé une fois de plus de la
laisser devenir membre de l’Église. Cette fois, il avait accepté. Il
avait continué de s’adoucir à ce sujet et, récemment, il avait autorisé
Connie et ses frères à se faire baptiser. Il n’avait pas manifesté le
moindre désir de devenir membre de l’Église ni d’assister aux réunions
avec sa famille.
Peu après avoir reçu sa bénédiction
patriarcale, Connie commença à prendre régulièrement part aux efforts
des membres de la branche pour faire connaître l’Évangile à leurs
voisins. Pour compenser la diminution du nombre de missionnaires
pendant la Dépression, les saints du monde entier étaient souvent
appelés à servir à temps partiel près de chez eux. En 1932, le
président de la branche de Cincinnati, Charles Anderson, avait organisé
un groupe qui distribuait des affichettes afin de faire avancer l’œuvre
dans la ville. Comme l’École du Dimanche avait lieu le matin et la
réunion de Sainte-Cène le soir, Connie et les autres jeunes passaient
généralement une heure dans l’après-midi à frapper aux portes et à
parler aux gens de l’Évangile rétabli.
Judy Bang distribuait les affichettes
avec elle. Depuis peu, Judy avait commencé à sortir avec le frère aîné
de Connie, Milton. Judy et Milton n’avaient pas grand-chose en commun,
à part leur appartenance à l’Église, mais ils passaient de bons moments
ensemble. De son côté, Connie avait récemment eu son premier
rendez-vous avec Henry, le frère aîné de Judy. Toutefois, elle n’aimait
pas Henry autant que son petit frère Paul, un charmant garçon de son
âge.
En mars, Judy dit à Connie que Paul
voulait lui demander de l’accompagner à une activité de patins à
roulettes de la SAM. Connie attendit toute la soirée que Paul l’invite,
mais il ne le fit pas. Le lendemain, quelques heures avant l’activité,
Henry demanda à Milton de demander à Connie si elle voulait aller faire
du patin à roulette avec Paul. C’était une façon très détournée de lui
proposer un rendez-vous, mais elle accepta.
Connie et Paul passèrent un bon
moment ensemble. Ensuite, plusieurs jeunes s’entassèrent dans la
voiture d’Henry et se rendirent dans un restaurant proche pour manger
une assiette de chili à la mode de Cincinnati. Ce soir-là, Connie
rapporta dans son journal : « J’ai passé un moment merveilleux avec
Paul. Mieux que je ne l’avais espéré. »
Plus tard au printemps, Connie reçut
une copie écrite de sa bénédiction patriarcale, lui rappelant une fois
de plus les promesses qu’elle avait reçues. On y lisait : « Chère sœur,
cette bénédiction sera un guide sur ton chemin. Elle te montrera la
voie à suivre afin que tu ne trébuches pas dans l’obscurité, mais que
tu puisses fixer ton regard sur la vie éternelle. »
Il se passait tellement de choses
dans sa vie que Connie avait besoin d’être guidée par le Seigneur.
Quand elle était devenue membre de l’Église, elle avait décidé de
toujours faire le bien. Pour elle, l’Évangile était un bouclier. Si
elle allait vers Dieu et lui demandait son aide, il la bénirait et la
protégerait tout au long de sa vie.
Pendant ce temps, à Salt Lake City,
Harold B. Lee, président de pieu, était assis dans le bureau de la
Première Présidence. Il se considérait comme un garçon de ferme
inexpérimenté issu d’une petite ville d’Idaho. Pourtant, il était là,
face à Heber J. Grant qui lui demandait son avis sur la façon de
subvenir aux besoins des pauvres.
Le prophète annonça : « Je veux prendre exemple sur le pieu de Pioneer. »
Avec ses conseillers, J. Reuben Clark
et David O. McKay, il avait suivi de près le travail d’Harold B. Lee.
Près de trois ans s’étaient écoulés depuis le lancement du programme de
secours ambitieux du pieu de Pioneer. Pendant cette période, le pieu
avait créé de nombreux emplois pour les chômeurs. Les saints avaient
cueilli des petits pois, fabriqué et raccommodé des vêtements, mis en
conserve des fruits et des légumes et construit un nouveau gymnase pour
le pieu. Le magasin du pieu était le centre de l’activité et Jesse
Drury en gérait la complexité.
Dans le même temps, la Première
Présidence s’inquiétait du nombre de membres de l’Église dépendants des
fonds publics. Elle n’était pas opposée à ce que les saints acceptent
l’aide du gouvernement lorsqu’ils n’avaient pas d’argent pour leur
nourriture ou leur loyer. Elle ne s’opposait pas non plus au fait
qu’ils reçoivent de l’aide par le biais de projets de travaux publics
fédéraux. Mais comme l’Utah était devenu l’un des États les plus
dépendants de l’aide gouvernementale, la présidence craignait que des
membres de l’Église acceptent des fonds dont ils n’avaient pas besoin.
Elle se demandait également combien de temps le gouvernement
continuerait de financer ses programmes de secours.
J. Reuben Clark exhorta le président
Grant à offrir aux saints une alternative à l’aide fédérale. D’après
lui, certains programmes de secours gouvernementaux entraînaient les
gens vers l’oisiveté et le découragement ; c’est pourquoi il appela les
membres de l’Église à assumer la responsabilité de veiller les uns sur
les autres, comme enseigné dans les Doctrine et Alliances, et à
travailler pour l’aide qu’ils recevaient lorsque c’était possible.
Le président Grant avait d’autres
préoccupations. Depuis le début de la Dépression, il avait reçu une
foule de lettres de saints des derniers jours, bons et travailleurs,
qui avaient perdu leur emploi et leur ferme. Il se sentait souvent
impuissant. Ayant lui-même grandi dans la pauvreté, il connaissait la
privation. Il avait également été très endetté pendant des dizaines
d’années ; il éprouvait donc de la compassion pour les personnes dans
la même situation. En fait, il dépensait son propre argent pour aider
des veuves, des membres de sa famille et même des inconnus à rembourser
leur hypothèque, à rester en mission ou à remplir d’autres obligations.
Cependant, il savait que ses efforts,
ainsi que ceux des programmes gouvernementaux pleins de bonnes
intentions, n’étaient pas suffisants. Il pensait qu’il était du devoir
de l’Église de prendre soin de ses pauvres et de ses chômeurs. Il
souhaitait qu’Harold B. Lee s’inspire de son expérience dans le pieu de
Pioneer pour concevoir un programme qui permettrait aux saints de
travailler ensemble afin de soulager les personnes dans le besoin.
Le président Grant déclara : « Il n’y
a rien de plus important à faire pour l’Église que de prendre soin de
son peuple dans le besoin. »
Harold était stupéfait. L’idée de
concevoir et de mettre en place un programme pour l’Église tout entière
était accablante. Après la réunion, il partit en voiture dans un canyon
voisin. Son esprit était abasourdi tandis qu’il parcourait les collines
surplombant Salt Lake City.
Il se demandait : « Comment vais-je y arriver ? »
La route le mena à la limite d’un
parc. Là, il coupa le moteur et erra entre les arbres jusque dans un
endroit retiré. Il s’agenouilla et pria pour être guidé. Il dit au
Seigneur : « Pour que ton peuple soit béni et en sécurité, j’ai besoin
de tes directives. »
Dans le silence, une impression
puissante s’imposa à lui. Harold comprit : « Il n’est pas nécessaire de
créer une nouvelle organisation pour subvenir aux besoins de ce peuple.
Tout ce qu’il faut, c’est mettre à l’œuvre la prêtrise de Dieu. »
Au cours des jours suivants, Harold
demanda conseil à de nombreuses personnes expérimentées et bien
informées, notamment l’apôtre et ancien sénateur Reed Smoot. Ensuite,
il consacra plusieurs semaines à l’élaboration d’une première
proposition, accompagnée de rapports et de tableaux détaillés, dans
laquelle il décrivait sa vision d’un programme de secours pour l’Église.
Lorsqu’Harold présenta son plan à la
Première Présidence, David O. McKay pensa qu’il était réalisable.
Pourtant, le président Grant hésita, ne sachant pas si les saints
étaient prêts à mener à bien un programme d’une telle ampleur. Après la
réunion, il pria le Seigneur pour être guidé mais ne reçut aucune
instruction.
Il dit à son secrétaire : « Je ne vais rien faire tant que je ne suis pas certain de la volonté du Seigneur. »
En attendant d’être guidé, le
président Grant se rendit à Hawaï pour organiser un pieu sur l’île
d’Oahu. Cela faisait quinze ans qu’il y avait consacré un temple, et
beaucoup de choses avaient changé. Autrefois, les jardins du temple
étaient arides et broussailleux. Ils étaient désormais magnifiques avec
les bougainvilliers en fleurs et les bassins en cascade bordés de
palmiers doucement agités par le vent.
L’Église à Hawaï était tout aussi
florissante. Quatre-vingt-cinq années s’étaient écoulées depuis que les
premiers missionnaires saints des derniers jours avaient accosté à
Honolulu. On comptait maintenant plus de treize mille membres de
l’Église à Hawaï, dont la moitié vivaient sur l’île d’Oahu.
L’assistance aux réunions de l’Église n’avait jamais été aussi élevée
et les saints avaient hâte de faire partie d’un pieu. Le pieu d’Oahu
allait être le cent treizième pieu de l’Église et le premier organisé
en dehors de l’Amérique du Nord. Pour la première fois, les saints
hawaïens auraient des évêques, des dirigeants de pieu et un patriarche.
Après avoir parlé avec les saints,
Heber J. Grant appela Ralph Woolley président de pieu. C’était lui qui
avait supervisé la construction du temple d’Hawaï. Arthur Kapewaokeao
Waipa Parker, originaire d’Hawaï, allait être l’un de ses conseillers.
Des hommes et des femmes d’ascendance polynésienne et asiatique furent
également appelés au sein du grand conseil de pieu, de la présidence de
la Société de Secours et à d’autres postes de dirigeants.
La diversité des membres de l’Église
à Hawaï impressionna le prophète. Par le passé, les efforts
missionnaires se concentraient sur les autochtones d’Hawaï mais le
filet de l’Évangile s’élargissait. Dans les années trente, les
personnes d’origine japonaise représentaient plus d’un tiers de la
population d’Hawaï. La population se composait aussi de personnes dont
les ancêtres étaient samoans, māoris, philippins et chinois.
Le 30 juin 1935, le prophète établit
le nouveau pieu. Quelques jours plus tard, il fut invité à dîner avec
des membres de l’Église japonais. Le petit groupe se réunissait chaque
semaine pour faire une leçon d’École du Dimanche en japonais. Pendant
le repas, Heber écouta les saints jouer de la musique avec des
instruments traditionnels. Il écouta les témoignages de Tomizo
Katsunuma, qui était devenu membre de l’Église pendant qu’il étudiait à
l’université agricole d’Utah, et de Tsune Nachie, une membre âgée de
soixante-dix-neuf ans qui s’était fait baptiser au Japon avant
d’émigrer à Hawaï dans les années vingt pour œuvrer dans le temple.
La nourriture, la musique et les
témoignages transportèrent le président Grant trois décennies en
arrière, à l’époque où il avait été le premier président de la mission
japonaise. Son œuvre au Japon restait source de déception. Malgré ses
efforts sincères, il n’était pas parvenu à maîtriser la langue et il
n’y avait eu que peu de convertis au sein de la mission. Les présidents
de mission suivants avaient également connu des difficultés. Quelques
années après être devenu président de l’Église, Heber J. Grant avait
fermé la mission, se demandant ce qu’il aurait pu faire de plus pour
qu’elle soit une réussite.
Un jour, il avait fait cette remarque
: « Jusqu’à la fin de ma vie, j’aurai certainement le sentiment de ne
pas avoir fait ce que le Seigneur attendait de moi et ce qu’il m’a
envoyé faire là-bas. »
En rencontrant les saints japonais et
en découvrant leur École du Dimanche, Heber comprit qu’Hawaï avait
probablement un rôle à jouer dans l’ouverture d’une nouvelle mission au
Japon. Pendant son séjour à Honolulu, il avait eu l’occasion de
confirmer deux membres japonais nouvellement baptisés. L’un d’eux,
Kichitaro Ikegami, avait enseigné l’École du Dimanche pendant deux ans
avant son baptême. Ce jeune homme impressionnant était un père dévoué
et un homme d’affaires respecté à Oahu.
Le président Grant fut frappé par le
fait qu’il avait désormais confirmé plus de saints japonais à Hawaï que
pendant toute sa mission au Japon. Peut-être que le moment venu, ces
saints pourraient être appelés en mission au Japon et permettre à
l’Église de prendre racine dans ce pays.
La vie quotidienne d’Helga Meiszus
continuait de changer. Au début de l’année 1935, Adolf Hitler avait
annoncé publiquement que l’Allemagne renforçait sa puissance militaire,
violant ainsi le traité signé à la fin de la guerre. Les pays d’Europe
ne firent pas grand-chose pour l’en empêcher. Avec l’aide de son
ministre de la propagande, Hitler soumettait l’Allemagne à sa volonté.
D’énormes rassemblements mettant en valeur la force des Nazis
attiraient des centaines de milliers de personnes. Les émissions
radiophoniques en faveur d’Hitler, la musique nationaliste et le
svastika nazi étaient omniprésents.
Au sein de l’Église, on remarquait
aussi des changements. Les Abeilles se réunissaient toujours.
Cependant, le gouvernement avait dissous le programme de scoutisme de
l’Église afin d’encourager davantage de jeunes hommes à rejoindre les
groupes de jeunesse du parti nazi. La haine des nazis envers les Juifs
avait également conduit le gouvernement à interdire aux églises
d’utiliser des termes associés au judaïsme. Les Articles de Foi furent
interdits car ils contenaient les mots « Israël » et « Sion ». D’autres
publications de l’Église, dont une brochure intitulée Autorité divine
(Divine Authority), furent interdites parce qu’elles semblaient défier
l’autorité nazie.
Les dirigeants de l’Église en
Allemagne s’étaient d’abord opposés à certains de ces changements mais
ils finirent par inciter les saints à s’adapter au nouveau gouvernement
et à s’abstenir de dire ou de faire quoi que ce soit qui puisse mettre
l’Église et ses membres en danger. La Gestapo étant apparemment
omniprésente, les saints de Tilsit savaient qu’elle risquait d’être au
courant du moindre signe de rébellion ou de résistance. La plupart des
saints allemands restaient à l’écart de la politique mais on craignait
toujours que quelqu’un dans la branche soit associé aux nazis.
De nombreux membres de la branche
pensaient donc que la chose la plus sûre à faire était de jouer le rôle
d’Allemands loyaux et obéissants. Un seul signe de déloyauté de la part
de l’un d’entre eux faisait courir à tous le risque de représailles
nazies.
Malgré tout, Helga trouvait du
réconfort, de la sécurité et des amis auprès des jeunes de l’Église,
dont son frère Siegfried et son cousin Kurt Brahtz. La branche
organisait souvent des activités avec du théâtre et de la musique, ou
des fêtes animées avec des buffets copieux de salades de pommes de
terre, de saucisses allemandes et de streuselkuchen, un savoureux
crumble. En général, les jeunes passaient toute la journée du sabbat
ensemble. Après avoir assisté à l’École du Dimanche le matin, ils se
rendaient chez un membre de l’Église, parfois chez la tante ou la
grand-mère d’Helga. S’il y avait un piano, quelqu’un s’y installait et
jouait pendant qu’on chantait les cantiques de l’Église en allemand.
Plus tard, après la réunion de
Sainte-Cène, ils se rendaient chez Heinz Schulzke, le fils adolescent
du président de branche, Otto Schulzke. Là, ils parlaient, riaient et
passaient des bons moments ensemble. Le président Schulzke était devenu
comme un deuxième père pour Helga et les autres jeunes. Il attendait
beaucoup d’eux et les exhortait souvent à se repentir et à respecter
les commandements. Il racontait aussi de nombreuses histoires et avait
un sens aigu de l’humour. Lorsque quelqu’un arrivait en retard à
l’église et que tout le monde se retournait pour voir le nouvel
arrivant, il disait : « Je vous préviendrai quand un lion entrera ;
vous n’avez pas besoin de vous retourner. »
Helga recevait aussi du réconfort et
des conseils de sa grand-mère. Comme Otto Schulzke, Johanne Wachsmuth
se montrait parfois sévère et n’était pas du genre à gâter ses
petits-enfants. C’était une femme profondément croyante qui savait
parler avec son Père céleste. Chaque fois qu’Helga séjournait chez ses
grands-parents, Johanne s’attendait à ce qu’elle prie à genoux avec
elle.
Un soir, Helga était en colère contre
sa grand-mère et refusa de prier. Au lieu de la laisser tranquille,
Johanne insista pour qu’elles prient ensemble.
Helga céda et, au moment où elle
s’agenouilla sur le sol dur, son amertume se dissipa. Sa grand-mère
était son amie, qui lui avait appris à parler avec Dieu. Finalement,
Helga fut reconnaissante de cette expérience. C’était bon de savoir
qu’elle n’avait pas laissé la colère prendre le contrôle de son cœur.
En février 1936, dix mois après sa
première rencontre avec les membres de la Première Présidence, Harold
B. Lee se retrouva à nouveau dans leur bureau. Le président Grant était
prêt à mettre en place un plan de secours pour les saints dans le
besoin. Une enquête récente menée par l’Épiscopat président auprès des
paroisses et des pieux avait révélé que près d’un membre sur cinq
recevait une aide financière, sous une forme ou une autre. Cependant,
peu d’entre eux se tournaient vers l’Église pour obtenir de l’aide,
notamment parce que, ces dernières années, le gouvernement fédéral
avait considérablement augmenté le montant de l’aide accordée aux
États. D’après l’Épiscopat président, l’Église pouvait aider tous les
membres dans le besoin si chaque saint des derniers jours faisait sa
part pour prendre soin des pauvres.
Le président Grant et ses conseillers
demandèrent à Harold B. Lee de revoir sa proposition précédente. Pour
le seconder, ils recrutèrent Campbell Brown fils, directeur du
programme d’aide sociale dans une mine de cuivre locale.
Pendant les semaines suivantes,
Harold B. Lee travailla nuit et jour, analysant les statistiques,
tenant conseil avec Campbell et remaniant le plan précédent. Le 18
mars, ils présentèrent la proposition mise à jour à David O. McKay et
la lui expliquèrent en détail. D’après le nouveau plan, les pieux de
l’Église seraient organisés en régions géographiques. Chaque région
disposerait de son propre magasin approvisionné en nourriture et en
vêtements. Ces articles seraient achetés avec les fonds des offrandes
de jeûne ou de la dîme, ou produits par des projets de travail, ou
encore par des dons en nature pour la dîme. Si une région disposait
d’un article en excédent, elle pouvait l’échanger avec une autre région
contre ce dont elle avait besoin.
Les conseils régionaux des présidents
de pieu géreraient le programme mais la responsabilité de son
fonctionnement incomberait essentiellement aux épiscopats, aux
présidences de la Société de Secours de paroisse et aux nouveaux
comités d’emploi de paroisse. Les membres de ce comité tiendraient un
registre de la situation professionnelle de tous les membres de la
paroisse, qui serait mis à jour chaque semaine. Ils organiseraient
également des projets de travail et secourraient les membres de
diverses manières.
Le plan prévoyait que les saints
reçoivent une aide en échange de leur travail, comme cela avait été
fait dans le pieu de Pioneer. Les participants auraient un entretien
avec leur évêque pour discuter de leurs besoins en nourriture,
vêtements, combustible et autres produits de première nécessité.
Ensuite, une représentante de la Société de Secours se rendrait chez
eux, évaluerait la situation de la famille et remplirait un bon de
commande à présenter au magasin du pieu. Les saints recevraient une
aide en fonction de leur situation individuelle. Ainsi, deux personnes
pourraient travailler le même nombre d’heures dans une journée mais
recevoir une quantité différente de nourriture ou d’autres articles, en
fonction de la taille de leur famille ou d’autres critères.
Après avoir terminé leur présentation, Harold B. Lee et Campbell Brown Jr virent que David O. McKay était satisfait.
En tapant sur la table, il s’exclama
: « Frères, nous avons maintenant un programme à présenter à l’Église.
Le Seigneur vous a inspirés dans votre travail. »
Chapitre 24 : Le but de l’Église
Heber J. Grant et ses conseillers
s’appliquèrent rapidement à mettre en œuvre le programme de secours de
Harold B. Lee. Le 6 avril 1936, lors d’une réunion exceptionnelle pour
les présidences de pieu et les épiscopats, ils présentèrent le plan.
Quelques jours plus tard, le président Grant nomma Harold B. Lee
directeur général du programme et lui demanda d’œuvrer aux côtés de
l’apôtre Melvin J. Ballard et d’un comité central de supervision.
L’objectif principal de l’Église pour
les mois à venir était de s’assurer qu’au 1er octobre, toutes les
familles nécessiteuses des pieux aient suffisamment de nourriture, de
vêtements et de combustible pour l’hiver. Le président Grant souhaitait
également remettre au travail les saints sans emploi pour leur remonter
le moral, leur faire retrouver leur dignité perdue et leur permettre
d’être stables financièrement.
Pour accomplir ces objectifs, le
président Grant et ses conseillers demandèrent aux saints de payer une
dîme complète et d’être plus généreux dans leurs offrandes de jeûne.
Ils sollicitèrent les dirigeants locaux de la prêtrise et de la Société
de Secours afin d’évaluer les besoins et de créer des projets de
travail pour venir en aide aux membres de leur paroisse. Dans la mesure
du possible, l’Église elle-même proposerait du travail, comme des
réparations et d’autres travaux sur ses propriétés.
La Première Présidence déclara : «
Nous devons faire tous les efforts possibles pour effacer tout
sentiment de gêne, d’embarras ou de honte de la part des personnes qui
reçoivent de l’aide. La paroisse doit être une grande famille où tout
le monde est sur un pied d’égalité. »
Au cours de la première semaine du
mois de mai, le président Grant se rendit en Californie pour organiser
un nouveau pieu et présenter aux saints le nouveau programme de
secours. Depuis l’organisation du pieu de Los Angeles en 1923, des
milliers de saints s’étaient installés en Californie à la recherche
d’un climat plus chaud et d’un meilleur travail. Il y avait également
plusieurs universités de qualité au sein de l’État où de nombreux
membres de l’Église avaient excellé. En 1927, les dirigeants de
l’Église organisèrent un pieu à San Francisco puis, quelques années
plus tard, un autre à Oakland. L’Église comptait désormais plus de
soixante mille membres répartis dans neuf pieux à travers l’État.
Le président Grant consacra sa
première soirée à Los Angeles à parler avec le président du nouveau
pieu et à rencontrer les saints locaux pour leur présenter le programme
de secours. Cependant, lorsqu’il se réveilla le lendemain matin,
c’étaient les temples qu’il avait à l’esprit, et non le programme de
secours. Depuis longtemps, les dirigeants de l’Église avaient envisagé
de construire des temples en dehors de l’Utah, dans des régions où les
saints étaient nombreux. Ils avaient récemment décidé d’en construire
un à Idaho Falls, petite ville du sud-est de l’Idaho. Le président
Grant avait maintenant le sentiment que l’Église devait construire un
temple à Los Angeles.
Les effets de la Dépression
s’atténuaient et l’Église avait les ressources financières nécessaires
pour bâtir deux temples tout en menant à bien le programme de secours.
Elle était libre de toute dette et fonctionnait selon des pratiques
financières saines. Les investissements importants que l’Église avait
faits dans le sucre à partir des années 1900 rapportaient également des
bénéfices. Pour le président Grant, il n’était pas nécessaire que les
nouveaux temples soient aussi élaborés et coûteux que celui de Salt
Lake City. Il envisageait plutôt des temples de taille modeste adaptés
aux besoins des saints locaux.
Cependant, pour le moment, la mise en
place du nouveau plan de secours était la priorité de l’Église. Le
programme faisait déjà naître des objections. Certains saints étaient
irrités par la lourde charge de travail supplémentaire que cela
imposait aux paroisses et aux pieux. Le paiement complet de la dîme et
des offrandes de jeûne n’était-il pas suffisant pour prendre soin des
membres de l’Église dans le besoin ? Ils pensaient également au fait
que le paiement de la dîme « en nature » (en apportant des biens aux
entrepôts locaux) créait des coûts supplémentaires de manutention et de
stockage. D’autres estimaient qu’en tant que contribuables, ils avaient
le droit de profiter de l’aide gouvernementale s’ils remplissaient les
conditions, même s’ils n’en avaient pas besoin.
Le président Grant savait que le
programme aurait ses détracteurs, mais il exhorta Harold B. Lee à aller
de l’avant. Les six prochains mois seraient décisifs. Pour que le plan
de secours soit mené à bien, les saints allaient devoir travailler
ensemble.
Pendant ce temps, au Mexique, Isaías
Juárez, âgé de cinquante et un ans, se battait pour que l’Église ne se
divise pas dans son pays. Depuis 1926, il était président de district
dans le centre du Mexique, dans une période où les conflits religieux
et politiques avaient conduit le gouvernement mexicain à expulser du
pays tout le clergé né à l’étranger, y compris les missionnaires
américains saints des derniers jours. Sur les conseils de Rey L. Pratt,
président de mission en exil et autorité générale de l’Église, Isaías
et d’autres saints mexicains remplirent les postes vacants des
dirigeants de l’Église afin d’empêcher les branches locales de
s’effondrer.
Dix ans plus tard, l’Église
rencontrait de nouvelles difficultés dans le pays. Après la mort
soudaine de Rey L. Pratt en 1931, la Première Présidence appela Antoine
Ivins, du premier conseil des Soixante-dix, à le remplacer en tant que
président de mission. Même s’il avait grandi dans les colonies de
saints des derniers jours du nord du Mexique et avait étudié le droit à
Mexico, il n’était pas citoyen du pays et ne pouvait pas y œuvrer
légalement. De ce fait, il travailla principalement auprès des
Mexicains-Américains qui vivaient dans le sud-ouest des États-Unis.
L’absence du président de mission
posait problème aux saints du centre du Mexique, notamment lorsque les
préoccupations locales exigeaient une réponse immédiate. Il fallait,
par exemple, construire davantage de lieux de culte car la loi
mexicaine interdisait les services religieux chez les gens ou dans des
bâtiments non religieux. Malheureusement, les dirigeants locaux de
l’Église n’avaient ni l’autorité ni les moyens nécessaires pour
résoudre eux-mêmes ce problème.
En 1932, se sentant abandonnés,
Isaías Juárez et ses conseillers, Abel Páez et Bernabé Parra,
organisèrent des réunions avec d’autres saints inquiets pour discuter
d’un plan d’action. Lors de ces réunions, que l’on appela plus tard
Première Convention et Deuxième Convention, les saints décidèrent qu’il
était préférable qu’un citoyen mexicain soit leur président de mission.
Pendant la révolution mexicaine, nombre d’entre eux s’étaient rangés du
côté des dirigeants qui luttaient contre les puissances étrangères pour
défendre les droits des autochtones et ils étaient agacés par les
dirigeants politiques étrangers qui gouvernaient à distance et
semblaient ne faire aucun cas de leurs besoins.
Les artisans des conventions
rédigèrent des lettres qu’ils envoyèrent au siège de l’Église pour
faire pression afin que des changements voient le jour. En réponse, la
Première Présidence envoya Antoine Ivins et Melvin J. Ballard à Mexico
pour parler avec Isaías Juárez et les autres pétitionnaires. Les deux
hommes leur assurèrent que la Première Présidence trouverait une
solution inspirée pour les sortir de ce dilemme. Mais Antoine Ivins les
réprimanda également pour avoir adressé leur requête directement à la
Première Présidence sans l’avoir d’abord consulté.
Lorsqu’il fut relevé au terme de son
appel de président de mission, la Première Présidence appela Harold
Pratt, le frère cadet de Rey Pratt, pour le remplacer. Né dans les
colonies mexicaines, Harold pouvait servir librement dans le pays et il
transféra le siège de la mission à Mexico. Pourtant, certains membres
de l’Église furent hostiles au fait qu’il supervise les choses de près.
D’autres étaient profondément déçus de ce qu’il n’était pas mexicain,
d’un point de vue culturel et ethnique. Ils voulaient un président de
mission qui puisse comprendre leur quotidien et les besoins des
personnes qu’il servait.
Au début de l’année 1936, la Première
Présidence décida de diviser la mission mexicaine au niveau de la
frontière nationale, ce qui lui enlevait la partie du sud-ouest des
États-Unis. Cette nouvelle donna à certains saints l’espoir qu’un
Mexicain de souche serait leur nouveau président de mission. Mais en
voyant que Harold Pratt conservait son appel, un groupe de saints déçus
décidèrent de tenir une troisième convention.
Abel Páez et son oncle Margarito
Bautista étaient à leur tête. Margarito était très fier de son héritage
mexicain et de l’idée qu’il était descendant des peuples du Livre de
Mormon. Il estimait que les saints mexicains pouvaient se gouverner
eux-mêmes et il n’appréciait pas l’ingérence des dirigeants originaires
des États-Unis.
Isaías Juárez comprenait la position
d’Abel et de Margarito mais il leur conseilla vivement de ne pas tenir
la convention. Il rappela à Abel : « L’organisation de l’Église ne
repose pas sur les réclamations de la majorité. » Lorsque la Troisième
Convention commença malgré tout à être organisée, Isaías Juárez envoya
une lettre dans toute la mission, demandant aux membres de l’Église de
ne pas y participer.
Il écrivit : « C’est une cause noble mais la façon de procéder est irrecevable car elle enfreint le principe d’autorité. »
Le 26 avril 1936, cent vingt saints
se réunirent à Tecalco pour la Troisième Convention. Pendant la
réunion, ils votèrent à l’unanimité pour soutenir la Première
Présidence. Pensant que les dirigeants de l’Église à Salt Lake City
avaient mal compris leur première lettre, ils décidèrent d’envoyer une
nouvelle requête dans laquelle ils demandaient clairement un président
de mission de leur propre race et sang (« raza y sangre »). Les
participants de la convention votèrent ensuite à l’unanimité la
décision de présenter Abel Páez comme président autochtone et
expérimenté de la mission mexicaine.
Après la réunion, Isaías Juárez et
Harold Pratt essayèrent de trouver un terrain d’entente avec Abel Páez
et les « conventionnistes », mais leurs efforts furent vains. En juin,
les conventionnistes rédigèrent une pétition de dix-huit pages adressée
à la Première Présidence. On y lisait : « C’est avec un grand respect
que nous vous demandons de nous accorder deux choses. Premièrement, que
notre Église nous accorde un président de mission qui soit mexicain, et
deuxièmement, que notre Église accepte et autorise le candidat que nous
choisissons. »
Isaías Juárez ne pouvait rien faire
de plus pour empêcher les conventionnistes d’envoyer leur pétition. À
la fin du mois, elle fut envoyée à Salt Lake City, paraphée par deux
cent cinquante et un signataires.
Le 2 octobre 1936, au début de la
conférence générale, Heber J. Grant fit rapport de l’évolution du plan
de secours, désormais appelé « programme de sécurité de l’Église ». Il
rappela aux saints que le but de l’Église était qu’au premier du mois,
tous les saints fidèles et nécessiteux de ses pieux aient suffisamment
de nourriture, de combustible et de vêtements pour passer l’hiver.
Bien que seulement trois quarts des
pieux aient atteint ce but, il était satisfait de la rapidité et de
l’efficacité dont les saints avaient fait preuve au cours des six
derniers mois. Il déclara : « Plus de quinze mille personnes ont
travaillé sur divers projets de pieu et de paroisse. Des centaines de
milliers d’heures de travail ont été consacrées à cet objectif
indispensable et louable. » Ils avaient récolté des céréales et
d’autres produits, récupéré des vêtements et confectionné des édredons
et de la literie en abondance. Les comités pour l’emploi avaient aidé
jusqu’à sept cents personnes à trouver un emploi.
Devant l’assemblée de saints, le
président Grant dit : « Le but de l’Église est d’aider les membres à se
prendre en charge. Nous ne devons pas envisager de cesser nos efforts
remarquables tant qu’il y aura des besoins et de la souffrance parmi
nous. »
Deux mois après la conférence, une
équipe de tournage vint à Salt Lake City pour réaliser un court
documentaire sur le programme de sécurité pour The March of Time, série
populaire de reportages diffusée dans les salles de cinéma de tout le
pays. Les réalisateurs filmèrent les monuments de Salt Lake City et les
saints des derniers jours travaillant la terre et faisant fonctionner
les entrepôts et les ateliers de l’Église. Avec la collaboration du
président Grant et d’autres dirigeants de l’Église, l’équipe filma
aussi des conversations et des réunions traitant du plan de sécurité.
Maintenant que les saints étaient
prêts pour la saison froide, l’attention du prophète se tourna à
nouveau vers les temples. Cet hiver-là, l’Église avait obtenu un
terrain pour bâtir un temple à Idaho Falls, le long de la rivière
Snake, où vivait une solide communauté de saints dévoués. Le président
Grant retourna ensuite à Los Angeles pour y visiter les pieux et suivre
son inspiration de bâtir un temple dans la ville.
En Californie, il rencontra des
membres de l’Église travaillant dur pour mettre en œuvre le programme
de sécurité. Comme Los Angeles était un centre urbain, cela posait des
difficultés à la mise en œuvre du plan qui dépendait de l’agriculture
et d’autres activités rurales pour fournir du travail aux saints sans
emploi. Les pieux de Californie l’avaient donc adapté à leur région.
Ils mettaient en conserve les fruits abondants des vergers de l’État
et, tandis que l’Église continuait de progresser dans la région, les
saints qui avaient besoin d’aide travaillaient à la construction des
lieux de culte.
Néanmoins, les saints de Californie
ne parvenaient pas à atteindre le but fixé d’augmenter leurs offrandes
de jeûne. S’adressant aux membres du pieu de Pasadena, au nord-est de
Los Angeles, le président Grant mit l’accent sur l’importance de ce
sacrifice. Il promit à l’assemblée : « Si, une fois par mois, tous les
saints des derniers jours s’abstenaient de prendre deux repas et
remettaient la somme ainsi économisée entre les mains de l’évêque pour
qu’elle soit distribuée aux nécessiteux, il n’y aurait pas de pénurie
parmi les membres de notre Église. »
Quand il ne se réunissait pas avec
les saints, le prophète visitait des terrains potentiels pour le
temple. Il trouva de nombreux emplacements satisfaisants mais, chaque
fois qu’il se montrait intéressé par l’achat, les propriétaires
demandaient beaucoup plus d’argent que ce qu’il estimait être la valeur
du terrain. Le meilleur endroit qu’il trouva était un terrain d’environ
dix hectares bordant l’avenue principale entre Los Angeles et
Hollywood. Il fit une offre sur la propriété mais n’obtint pas de
réponse avant son retour à Salt Lake City.
Le lendemain, il reçut un télégramme
d’un évêque de Los Angeles. Le propriétaire du terrain avait accepté
l’offre de l’Église. Le prophète débordait de joie. Il déclara à J.
Reuben Clark : « Nous possédons le meilleur terrain du pays tout
entier. »
Cette nouvelle tomba en même temps
que la sortie dans les cinémas de The March of Time, ce qui projeta une
lumière favorable sur les efforts des saints à prendre soin des
nécessiteux. Quelques semaines avant la sortie du film, un cinéma à
Salt Lake City l’avait diffusé en privé pour les dirigeants de l’Église
et de la ville. À ce moment-là, le président Grant était encore en
Californie et il n’y avait donc pas assisté. Mais David O. McKay était
présent et avait été très satisfait.
Il s’était exclamé : « C’était un
film magnifique. Il donne une image excellente et si bien présentée que
chaque homme, femme et enfant de l’Église devrait en être
reconnaissant. »
Vers cette époque, le fossé
continuait de se creuser entre la Troisième Convention de Mexico et
l’Église. Après avoir reçu la pétition des conventionnistes, la
Première Présidence répondit par une longue lettre, réitérant
l’importance de suivre les procédures habituelles du gouvernement de
l’Église dans toutes les régions du monde.
Elle déclara : « S’il n’en était pas
ainsi, des pratiques différentes se répandraient dans l’Église, qui
mèneraient à des doctrines différentes, et au bout du compte, il n’y
aurait plus d’ordre au sein de l’Église. »
Elle exhorta les conventionnistes à
se repentir. La Première Présidence ajouta : « Le temps viendra
peut-être où un président de mission de votre propre race sera appelé
mais ce ne sera que lorsque le président de l’Église, agissant sous
l’inspiration du Seigneur, le décidera. »
En novembre 1936, Santiago Mora
Gonzáles, président d’une branche du centre du Mexique, se réunit avec
d’autres partisans de la Troisième Convention pour discuter de la
meilleure façon de répondre à la lettre de la Première Présidence.
Certains d’entre eux, dont Santiago, étaient déçus de la lettre mais
souhaitaient se conformer à la décision de la Première Présidence.
D’autres étaient outrés.
Margarito Bautista, qui était assis
près de Santiago lors de la réunion, se leva d’un bond. Il s’écria : «
C’est une injustice ! » Il voulait que les conventionnistes rejettent
une fois pour toutes l’autorité de Harold Pratt. Margarito déclara : «
Il n’est plus notre président. Notre président est notre cher Abel ! »
Santiago était alarmé. Plus tôt dans
l’année, il avait demandé à Margarito ce qui se passerait si les
dirigeants de l’Église n’acceptaient pas leur pétition. Margarito lui
avait assuré que, s’ils n’obtenaient pas la réponse qu’ils désiraient,
ils continueraient de soutenir Harold Pratt en tant que président de
mission, en espérant qu’il prendrait en considération les problèmes
soulevés. Or, il semblait désormais que les conventionnistes lançaient
un appel pur et simple à la rébellion.
Santiago dit à son ami : « Ce n’est pas ce dont nous étions convenu.
– Oui, mais c’est une injustice, répondit Margarito.
– Nous ne tenons pas notre parole, » rétorqua Santiago.
Cette nuit-là, il rentra chez lui et
parla avec Dolores, sa femme. Il demanda : « Que devons-nous faire ? –
Je ne veux pas être un élément d’opposition pour l’œuvre de l’Église.
– Réfléchis-y bien », dit Dolores.
Peu de temps après, Santiago se
réunit avec plus de deux cents conventionnistes afin de parler de la
marche à suivre. Beaucoup d’entre eux étaient tout aussi furieux que
Margarito de la réponse de la Première Présidence. Mais ils étaient
également troublés par les rumeurs selon lesquelles ce dernier
courtisait plusieurs femmes en même temps, une pratique dont il avait
été témoin en tant que jeune converti dans les colonies mexicaines.
Lorsque les conventionnistes eurent confirmation de la validité de ces
rumeurs, ils s’accordèrent sur le fait que ce comportement était
inacceptable et ils expulsèrent Margarito de l’organisation.
Santiago était troublé par le fait
que Margarito, l’un des piliers de la convention, se soit égaré. Après
avoir assisté à quelques autres réunions, Santiago commença à dire à sa
femme et à d’autres personnes du groupe qu’il ne voulait plus
participer. Avec d’autres conventionnistes désabusés, il alla trouver
Harold Pratt. Ils lui firent part de leur souhait de faire de nouveau
partie du corps de l’Église et lui demandèrent ce qu’ils devaient faire.
Harold Pratt répondit : « Il n’y a
aucune condition pour vous, mes frères. Vous êtes toujours membres.
Vous êtes membres de l’Église. »
Santiago continua à servir fidèlement
en qualité de président de sa branche. La Troisième Convention fut un
mouvement de faible ampleur parmi les saints au Mexique, mais elle
attira néanmoins dans ses rangs des centaines de membres de l’Église.
Des efforts furent entrepris pour arriver à une réconciliation entre
les deux partis, mais en vain. Les dirigeants de la convention
envoyèrent une autre lettre à la Première Présidence, exprimant leur
intention de rejeter totalement la direction du président de mission.
Les dirigeants de l’Église au Mexique
réagirent peu de temps après et en mai 1937, Abel Páez, Margarito
Bautista et d’autres dirigeants de la convention furent excommuniés
pour rébellion, insubordination et apostasie.
Ce printemps-là, dans l’est des
États-Unis, Paul Bang, âgé de dix-huit ans, servait activement dans la
branche de Cincinnati. En plus d’être prêtre de la Prêtrise d’Aaron, il
était greffier de branche, secrétaire de la SAM et missionnaire local.
Chaque dimanche, il faisait du
porte-à-porte dans la ville avec d’autres missionnaires locaux pour
faire connaître l’Évangile. L’un de ses compagnons, Gus Mason, avait
l’âge d’être son père et il le surveillait de près. Lors de leur
premier jour de travail ensemble, Paul avait frappé seul à une porte et
avait été invité à entrer pour donner un message sur l’Évangile.
Pendant ce temps, Gus avait parcouru frénétiquement les rues à sa
recherche. Depuis, ils restaient ensemble pour frapper aux portes.
Paul aimait parler de l’Église aux
gens. Contrairement aux jeunes gens de l’Utah, il était entouré de
personnes aux croyances différentes des siennes. Il aimait étudier
l’Évangile rétabli et prendre des notes sur ce qu’il apprenait. Pendant
son temps libre, il lisait les Écritures et d’autres livres de
l’Église, notamment Histoire de l’Église vue par un jeune homme (A
Young Folk’s History of the Church) de Nephi Anderson, Jésus le Christ
et les Articles de Foi de James E. Talmage. Il étudiait généralement
ces livres quand il tenait le magasin le dimanche après-midi, moment où
peu de gens faisaient leurs achats.
Paul et sa petite amie, Connie
Taylor, étaient pratiquement inséparables lors des réunions de l’Église
et des activités de la SAM. Alvin Gilliam, qui avait remplacé Charles
Anderson en tant que président de branche au début de l’année 1936, les
incitait à continuer de se fréquenter. Au cours des dix dernières
années, le nombre de membres de la branche avait plus que doublé,
notamment grâce aux jeunes saints qui se mariaient, restaient dans la
branche et fondaient des familles.
La Dépression avait déraciné de
nombreuses personnes, physiquement et spirituellement, ce qui avait
augmenté l’effectif de la branche grâce aux convertis locaux et aux
saints qui venaient de régions économiquement défavorisées, comme
l’Utah ou le sud des États-Unis, pour s’installer à Cincinnati.
D’autres venaient de plus loin encore, notamment une famille de saints
allemands venus de Buenos Aires, en Argentine. Récemment, Judy, la sœur
de Paul, avait épousé Stanley Fish, un jeune homme originaire d’Arizona
qui était revenu à Cincinnati après y avoir fait sa mission.
Le 6 juin 1937, Paul, Connie et
d’autres membres de la branche parcoururent plus de cents kilomètres
pour écouter David O. McKay parler lors d’une conférence de la mission
dans un État voisin. Paul et Connie écoutèrent attentivement David O.
McKay parler à l’assemblée du caractère sacré des fréquentations et du
mariage. Ce soir-là, avant que Paul dépose Connie à l’appartement de sa
famille, elle lui dit pour la première fois qu’elle l’aimait.
Peu de temps après, le président
Gilliam parla à Paul du fait de partir en mission à plein temps. À
l’époque, il n’était pas attendu de tous les jeunes hommes qu’ils
fassent une mission et, si Paul y allait, il serait le premier
missionnaire à plein temps originaire de la branche de Cincinnati. Paul
ne savait pas s’il devait partir. Il est vrai que l’Église avait besoin
de son aide, étant donné la pénurie de missionnaires pendant la
Dépression. Mais il devait aussi penser à sa famille et au magasin. Ses
frères aînés avaient déjà quitté la maison, et il savait que ses
parents dépendaient de lui.
Finalement, Paul décida de ne pas
partir en mission à plein temps. Il resta missionnaire de branche, et
le 1er août, deux jours après avoir prêché lors d’une réunion de rue,
il baptisa six personnes dans une piscine. À l’automne, le président
Gilliam et le président de la mission des États du Nord, Bryant
Hinckley, appelèrent Connie en tant que missionnaire de branche, elle
aussi.
Paul et Connie parcouraient les rues
ensemble, distribuant de la documentation sur l’Église et prêchant à
qui voulait bien écouter. En mai 1938, pour le dix-neuvième
anniversaire de Connie, Paul lui offrit une Bible et un exemplaire de
Jésus le Christ, deux livres qu’elle pourrait utiliser dans son nouvel
appel.
Pendant un moment, il parla aussi en
plaisantant de lui trouver une bague de fiançailles. Cependant, il leur
restait à tous deux une année d’études secondaires et ils n’étaient pas
vraiment prêts à se marier.
Chapitre 25 : Pas de temps à perdre
Le soir du 11 mars 1938, Hermine
Cziep réunit ses trois enfants autour du poste de radio dans leur petit
studio situé en périphérie de Vienne, en Autriche. Kurt Schuschnigg, le
chancelier autrichien, s’adressait en direct à tout le pays. Des
troupes allemandes s’étaient regroupées le long de la frontière entre
les deux pays. À moins que le gouvernement autrichien n’accepte
l’Anschluss (le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne sous la
direction nazie), l’armée allemande prendrait le pays par la force. Le
chancelier n’avait pas d’autre choix que de démissionner et demander au
peuple de se soumettre à l’invasion allemande.
Il déclara : « Je prends donc congé du peuple autrichien. Que Dieu protège l’Autriche ! »
Hermine se mit à pleurer. Elle dit à
ses enfants : « Nous ne sommes plus l’Autriche. Tout ceci est l’œuvre
de Satan. La force entraîne la force et les nazis n’apportent rien de
bon. »
Pendant les deux jours suivants, peu
de personnes résistèrent ouvertement à l’armée d’Adolf Hitler tandis
que les Allemands pénétraient dans le pays et prenaient le contrôle des
forces de police. Hitler était né en Autriche et de nombreux
Autrichiens soutenaient son désir de rassembler tous les germanophones
dans un nouvel empire puissant, le « Troisième Reich », même si cela
signifiait perdre leur indépendance nationale.
Alois, le mari d’Hermine, se méfiait
aussi des nazis. Depuis plus de quatre ans, il était le président de la
branche de Vienne et Hermine servait à ses côtés en qualité de
présidente de la Société de Secours. C’était une petite branche de
seulement quatre-vingts membres dont certains étaient de fervents
partisans d’Hitler et de l’Anschluss. D’autres, notamment ceux ayant
des ancêtres juifs, considéraient la montée au pouvoir d’Hitler avec
crainte et appréhension. Mais les saints de Vienne étaient toujours
comme les membres d’une même famille et le couple Cziep ne voulait pas
que les nazis sèment la dissension parmi eux.
Quand Hermine et Alois étaient
devenus membres de l’Église lorsqu’ils étaient jeunes adultes, un fossé
s’était creusé entre leurs parents et eux. Le père d’Alois, un
catholique dévôt, avait déshérité son fils, lui demandant dans une
lettre de renoncer à s’associer aux saints des derniers jours. Il avait
ajouté : « Si tu décides de ne pas écouter mes paroles, je ne te
parlerai plus dans cette vie et ce que tu m’écriras finira au feu. »
Depuis, son père était décédé et, même si Alois s’entendait bien avec
ses frères et sœurs, il connaissait la douleur d’une famille brisée.
D’autres membres de l’Église à Vienne
avaient vécu ce genre d’expérience et nombre de jeunes couples de la
branche considéraient frère et sœur Cziep comme leurs parents. Comme
Hermine n’avait pas d’argent pour prendre le tramway, elle parcourait
la ville à pied plusieurs fois par semaine pour rendre visite aux
femmes de la branche. Quand un bébé naissait dans une famille, Hermine
apportait de la nourriture, aidait à faire le ménage et prenait soin
des enfants plus âgés. De son côté, Alois se déplaçait à vélo. Il
travaillait jusqu’à sept heures du soir et, souvent, il allait ensuite
s’occuper des affaires de la branche.
Trois jours après le discours du
chancelier Schuschnigg, les bannières nazies blanches et rouges portant
la croix gammée noire flottaient dans les rues de Vienne. Comme Alois
travaillait pour une grande entreprise allemande, on exigea que ses
collègues et lui sortent du magasin pour former une garde d’honneur
tandis qu’Hitler et ses troupes paradaient dans la ville. Alois
discernait à peine dans la foule le cabriolet gris d’Hitler qui
descendait la rue, entouré de voitures de police et de soldats armés en
uniforme impeccable. Partout les gens lançaient des acclamations,
levant le bras droit pour faire le salut nazi.
Le lendemain, Alois se retrouva parmi
des milliers de citoyens sur la Heldenplatz, la « Place du héros »,
tout près du palais de la Hofburg. Hitler marcha à grands pas jusqu’au
balcon du palais et déclara : « J’annonce devant l’histoire l’entrée de
mon pays natal dans le Reich allemand. »
La foule agitée fit retentir des «
Heil Hitler » dans toute la place. Alois prit conscience qu’il était
témoin d’un moment charnière de l’histoire. On n’avait encore aucune
idée de la manière dont ces événements affecteraient les saints à
Vienne.
À l’autre bout du monde, Chiye
Terazawa, vingt-trois ans, était découragée. Depuis près d’un mois,
elle servait à Honolulu (Hawaï) en tant que missionnaire parlant le
japonais. Ses parents étaient originaires du Japon mais elle était née
et avait grandi aux États-Unis et ne parlait pas le japonais. Tandis
qu’elle étudiait la langue avec d’autres missionnaires, elle s’en
voulait souvent de ne pas apprendre plus vite. Chaque journée était une
épreuve ; elle suppliait Dieu de lui délier la langue.
Cela faisait près de trois ans que
Heber J. Grant s’était senti poussé à ouvrir une mission parmi la vaste
population japonaise de Hawaï. Bien que ses conseillers et lui aient
hâte de reprendre l’œuvre missionnaire parmi les personnes parlant le
japonais, un ancien président de mission ayant servi au Japon le leur
avait déconseillé. Selon lui, trop de barrières culturelles se
dressaient sur le chemin de la réussite.
Toutefois, le président Grant
poursuivit le projet, convaincu qu’une mission japonaise à Hawaï était
le meilleur moyen d’établir des branches fortes composées de membres
parlant le japonais, qui pourraient ensuite faire connaître l’Évangile
à leurs amis et à leur famille au Japon. En novembre 1936, il appela
Hilton Robertson, qui avait aussi été président de mission au Japon, à
ouvrir la mission. Frère Robertson et son épouse, Hazel, s’installèrent
à Honolulu et furent bientôt rejoints par trois missionnaires
originaires des États-Unis. Chiye arriva ensuite, au début du mois de
février 1938.
Malgré ses difficultés avec la
langue, Chiye était une missionnaire enthousiaste. Elle était la
première missionnaire américaine d’origine japonaise à servir à plein
temps et elle chérissait profondément l’Évangile. Ses parents n’étaient
pas membres de l’Église, mais ils avaient vécu pendant de nombreuses
années parmi les saints dans le sud-est de l’Idaho. Avant son décès
causé par la pandémie de grippe de 1918, sa mère avait demandé à son
mari d’emmener Chiye et ses cinq frères et sœurs aux réunions de
l’Église.
Elle lui avait dit : « Tu ne peux pas les élever seul. L’Église sera leur mère, ainsi tu pourras remplir ton rôle de père. »
L’Église avait été à la hauteur, tant
en Idaho qu’en Californie après le déménagement de la famille. Avant le
départ de Chiye en mission, les saints de son pieu avaient organisé une
fête d’adieu comprenant des discours des dirigeants locaux, un numéro
de claquettes, un quatuor à cordes et un orchestre de musique de danse.
Étant la seule sœur missionnaire
célibataire de la mission, Chiye travaillait habituellement avec sœur
Robertson. Comme ni l’une ni l’autre ne parlait bien le japonais, elles
instruisaient des anglophones. Le président Robertson appela également
Chiye à organiser une Société d’Amélioration Mutuelle des jeunes filles
au sein de la mission et à la présider. La tâche était intimidante mais
la jeune femme reçut des conseils sur la façon de s’y prendre lorsque
Helen Williams, première conseillère dans la présidence générale de la
SAM des jeunes filles, vint rendre visite aux saints dans les îles.
Chiye choisit ses conseillères et des
dirigeantes des Abeilles et des Glaneuses. Elle travailla aussi en
étroite collaboration avec Marion Lee, le missionnaire chargé de
s’occuper des jeunes gens, afin de planifier la première réunion de la
SAM de la mission. Même si l’organisation était destinée aux jeunes de
l’Église, les personnes de tout âge pouvaient assister aux réunions de
la SAM. Ils décidèrent d’organiser une soirée où des saints locaux et
des amis de la branche présenteraient des chants, des danses et des
récits traditionnels japonais. Marion parlerait de l’objectif de la SAM
et Chiye de l’évolution du programme de la SAM des jeunes filles depuis
sa création.
Ils choisirent la date du 22 mars
pour cette réunion. Chiye craignait que personne ne vienne. Marion
s’inquiétait que le programme soit trop court. Son collègue affirmait
qu’il n’y avait pas de quoi se faire du souci. Il promit : « Le
Seigneur pourvoira. »
Lorsqu’il fut temps de commencer la
réunion, tout le monde n’était pas encore arrivé. Chiye et Marion
décidèrent malgré tout de commencer. Les missionnaires firent
l’ouverture avec un chant et une prière. Kay Ikegami, le surintendant
de l’École du Dimanche, arriva ensuite avec sa famille. Peu de temps
après, une autre famille arriva. À la fin de la réunion, on compta plus
de quarante personnes assemblées, notamment toutes celles qui œuvraient
aux côtés de Chiye dans la SAM. Un homme chanta même trois chants,
complétant ainsi le programme et dissipant toute crainte concernant la
brièveté de la réunion.
Chiye et Marion étaient soulagés. La
SAM de la mission avait pris un départ prometteur. Chiye rapporta dans
son journal : « Dieu a ouvert la voie. J’espère simplement que nous
parviendrons à mener à bien le projet. »
Cet été-là, J. Reuben Clark, de la
Première Présidence, se préparait à prendre la parole lors de la
réunion annuelle des instructeurs de religion des séminaires, des
instituts et des universités des saints des derniers jours.
Ancien avocat et diplomate, c’était
un fervent partisan de l’instruction. Comme de nombreux fidèles de sa
génération, il s’inquiétait de voir les tendances séculaires remplacer
les croyances religieuses dans les salles de classe. Il était
particulièrement gêné par les biblistes qui mettaient l’accent sur les
enseignements moraux de Jésus au lieu de s’intéresser à ses miracles,
son expiation et sa résurrection. Tout au long de sa vie d’adulte, il
avait vu des amis, des collègues de travail et même des saints des
derniers jours devenir tellement absorbés par des idées profanes qu’ils
avaient délaissé leur foi.
Le président Clark ne voulait pas que
la nouvelle génération de saints emprunte le même chemin. Les trois
universités, treize instituts et quatre-vingt-dix-huit séminaires de
l’Église avaient été fondés afin de « faire des saints des derniers
jours ». Cependant, il craignait que certains professeurs de ces écoles
n’alimentent pas la foi en l’Évangile rétabli de Jésus-Christ car ils
s’abstenaient de témoigner, pensant que cela fausserait la recherche de
la vérité de leurs élèves. Il estimait que la jeunesse de l’Église
avait besoin d’une instruction religieuse fondée sur les événements
fondateurs et la doctrine du Rétablissement.
Le matin du 8 août 1938, le président
Clark eut une réunion avec les enseignants à Aspen Grove, magnifique
lieu de villégiature dans un canyon niché dans les montagnes près de
Provo, en Utah. Alors qu’il s’apprêtait à prendre la parole, un orage
s’abattit sur la région, la pluie battante résonnant dans le pavillon
où se tenait la réunion. Imperturbable, il déclara à l’assemblée son
intention de parler franchement au nom de la Première Présidence.
Il annonça : « Nous devons exprimer
clairement ce que nous voulons dire parce que l’avenir de nos jeunes
tant ici-bas que dans l’au-delà, ainsi que le bien-être de l’Église
tout entière, sont en jeu. »
Il souligna la doctrine fondamentale
de l’Évangile rétabli. Il déclara : « Il y a, pour l’Église et pour
chacun de ses membres, deux choses primordiales à ne pas négliger,
oublier, dissimuler, ni mettre de côté : Tout d’abord, Jésus est le
Fils de Dieu, le Fils unique du Père dans la chair.
Ensuite, le Père et le Fils sont bel et bien apparus au prophète Joseph en vision dans les bois.
Il poursuivit : Sans ces deux grandes croyances, l’Église cesserait d’être l’Église. »
Il parla ensuite de l’importance
d’enseigner ces principes aux élèves. « Les jeunes de l’Église ont faim
des choses de l’Esprit. Ils veulent acquérir le témoignage de leur
véracité. »
Il estimait qu’un témoignage
personnel de l’Évangile devait être la condition essentielle pour
enseigner l’Évangile. Il ajouta : « Ni la quantité de connaissances, ni
le nombre d’heures d’étude, ni le nombre de diplômes ne remplaceront ce
témoignage. Vous n’avez pas à aborder furtivement ces jeunes
spirituellement expérimentés et à leur présenter la religion dans un
murmure. Avancez sans cérémonie, en face, et parlez avec eux
franchement. Vous n’avez pas besoin de déguiser les vérités religieuses
en choses profanes. »
Tandis que la pluie battait les
fenêtres de la salle, J. Reuben Clark exhorta les enseignants à aider
la Première Présidence à améliorer l’instruction religieuse dans
l’Église.
Il témoigna : « Vous, les
instructeurs, avez une grande mission. Votre préoccupation principale,
votre devoir quasiment unique et essentiel, consiste à enseigner
l’Évangile du Seigneur Jésus-Christ tel qu’il a été révélé dans ces
derniers jours. »
Après son discours, certains des
participants émirent des objections quant à la ligne de conduite que la
Première Présidence avait adoptée pour l’instruction dans l’Église,
estimant qu’elle limitait leur liberté d’enseigner comme bon leur
semblait. D’autres reçurent avec joie ces conseils sur l’enseignement
des vérités fondamentales et du témoignage personnel. Franklin West,
commissaire de l’éducation de l’Église, déclara à J. Reuben Clark : «
Je suis impatient de faire avancer l’œuvre. Je vous promets que vous
verrez une amélioration rapide et pertinente. »
Quelques mois plus tard, le programme du séminaire produisit un nouveau cours : « La doctrine de l’Église ».
En février 1939, Chiye Terazawa
apprit que le président de mission prévoyait de transférer deux sœurs
missionnaires dans un autre secteur de Hawaï. Cette nouvelle la
perturba. La SAM des jeunes filles se développait si bien à Honolulu
qu’elle ne voulait pas partir. Quelles sœurs seraient transférées, se
demandait-elle, et où iraient-elles ?
Il y avait désormais dans la mission
quatre sœurs missionnaires qui vivaient et œuvraient ensemble à
Honolulu. Cependant, le président Robertson avait récemment organisé
des branches de saints japonais à Maui, Kauai et sur la Grande île
d’Hawaï. Les sœurs choisies pour le transfert seraient chargées de
travailler avec les frères missionnaires pour affermir les fondations
de l’une de ces branches.
Le 3 mars 1939, le président
Robertson convoqua Chiye et sa collègue, Inez Beckstead, dans son
bureau. Il leur dit qu’il les envoyait à Hilo, une ville de la Grande
île. Chiye fut submergée d’émotions et ne put s’empêcher de pleurer.
Elle était heureuse et soulagée de ne plus avoir à se demander si elle
allait rester ou partir. Cependant, le couple Robertson et les saints
japonais d’Oahu allaient lui manquer.
Quelques jours plus tard, Chiye et
Inez dirent au revoir à une foule de missionnaires et de saints
japonais au port d’Honolulu. Plusieurs femmes couvrirent les deux sœurs
de colliers de perles et de leis. Kay Ikegami leur donna un peu
d’argent pour le voyage. Tomizo Katsunuma, un membre japonais de longue
date, leur offrit des timbres-poste.
Une personne n’était pas présente sur
le port : Tsune Nachie, servante des ordonnances du temple originaire
du Japon, qui était décédée quelques mois auparavant. Elle était connue
comme la « mère de la mission » et était devenue l’amie et le mentor de
Chiye au cours de l’année passée. Quelques heures après sa mort, le
couple Robertson avait demandé à Chiye d’aider à préparer son corps
pour l’enterrement. Tsune Nachie aurait été heureuse de savoir que deux
sœurs missionnaires se rendaient à Hilo. Quelques années plus tôt, elle
y avait elle-même fait une mission.
Au matin du 8 mars, Chiye et Inez
arrivèrent à Hilo. Malgré le mal de mer, elles étaient prêtes à
travailler. La ville était bien plus petite qu’Honolulu. Chiye et Inez
n’y virent aucun hôtel ni restaurant, à l’exception d’un café sur le
front de mer. La branche de Hilo avait été créée cinq mois plus tôt et
environ trente-cinq personnes, majoritairement des amis de l’Église,
assistaient aux réunions du dimanche. Les frères missionnaires avaient
déjà mis en place une École du Dimanche et un programme de la SAM pour
les jeunes gens mais il n’y avait pas de SAM pour les jeunes filles ni
de Primaire. Chiye accepta de diriger les jeunes filles tandis qu’Inez
servirait en tant que présidente de la Primaire.
Les deux missionnaires emménagèrent
au sous-sol d’une pension de famille pour femmes et eurent ainsi de
nombreuses occasions d’améliorer leur japonais. L’une des premières
choses qu’elles firent fut de demander à la direction et au corps
enseignant d’une école primaire japonaise locale si elles pouvaient
parler de la Primaire aux enfants. À cette époque, les missionnaires se
servaient de la Primaire pour faire connaître l’Église aux enfants et à
leur famille. Les activités proposées étant amusantes et porteuses de
valeurs chrétiennes simples, elles attiraient les enfants de nombreuses
confessions. Chiye et Inez firent bonne impression au personnel de
l’école. Bientôt, des dizaines d’enfants participaient à la Primaire le
mercredi après-midi.
Ce printemps-là, les sœurs
missionnaires firent préparer aux enfants une pièce musicale que le
bureau général de la Primaire avait choisie pour les fêtes de la
Primaire de toute l’Église. Elle s’appelait « Les cœurs joyeux ». Dans
cette pièce, le roi et la reine d’un pays imaginaire expliquaient aux
enfants que des choses désagréables telles que la pluie, les légumes et
l’heure du coucher étaient en réalité bénéfiques.
Lorsque Chiye et Inez ne frappaient
pas aux portes, n’étaient pas en train d’étudier ou de parler avec des
amis de l’Église, elles répétaient des chants, cousaient des costumes,
concevaient des accessoires ou insistaient auprès des parents pour
qu’ils permettent à leurs enfants de venir aux répétitions. Les saints
de Hilo et les frères missionnaires apportèrent leur soutien en allant
chercher les enfants absents, en fabriquant des décors et en
participant aux répétitions.
Neuf jours avant le spectacle, la
répétition fut un désastre. Chiye écrivit dans son journal : « Quel
désordre ! Je pense toutefois que tout ira bien. Du moins, il faut
l’espérer. »
Les répétitions suivantes se
déroulèrent mieux et, le jour de la représentation approchant, tout
commençait à rentrer dans l’ordre. Les missionnaires firent l’annonce
du spectacle dans le journal et terminèrent leurs travaux de confection
et de raccommodage des costumes. Tamotsu Aoki, homme d’affaires local
qui s’intéressait à l’Église avec sa famille, accepta d’être le maître
de cérémonie.
Le matin de la représentation, Chiye
se leva tôt et participa à la cueillette de fleurs, de fougères et
d’autres plantes pour décorer la scène du bâtiment de l’Église. Puis,
tandis que les membres et les frères missionnaires installaient les
chaises et disposaient les décors, elle se hâta d’aller costumer les
enfants et de les maquiller.
À sept heures du soir, environ cinq
cents personnes s’étaient rassemblées pour le spectacle. Au grand
soulagement de Chiye, les enfants jouèrent bien leur rôle. Inez et
Chiye étaient ravies qu’autant de personnes soient venues soutenir la
Primaire. À la fin du spectacle, le public écouta le chœur des enfants
chanter à l’unisson :
Où est la terre des cœurs joyeux ?
Ici et partout !
Il y a des routes larges et brillantes,
Ou un petit chemin, ou un sentier,
Pour vous y conduire sans détours.
Au cours de l’été 1939, Emmy Cziep,
onze ans, sa sœur Mimi, quinze ans, et son frère Josef, douze ans,
profitaient de vacances en Tchécoslovaquie, pays voisin au nord de leur
pays, l’Autriche.
Les enfants et leurs parents, Hermine
et Alois, y passaient les étés depuis la mort du père d’Alois. Ils
séjournaient chez deux des frères d’Alois, Heinrich et Leopold, et leur
famille en Moravie, région du centre du pays.
Comme l’Autriche, la Tchécoslovaquie
était occupée par les nazis. Peu après l’Anschluss, l’armée d’Hitler
avait envahi la région des Sudètes, à la frontière tchécoslovaque, où
vivaient un grand nombre d’Allemands. De nombreux tchécoslovaques
souhaitaient défendre leur pays mais les dirigeants de l’Italie, de la
France et de la Grande-Bretagne espéraient éviter une autre grande
guerre à l’échelle de l’Europe ; ils avaient donc accepté l’annexion.
En échange, Hitler s’engagea à s’abstenir de toute nouvelle invasion.
Mais, au bout de quelques mois, il révoqua son engagement et prit
possession du reste du pays.
Pour Emmy, le conflit semblait
lointain. Elle aimait passer du temps avec sa famille élargie. Elle
aimait jouer aux gendarmes et aux voleurs avec ses cousins, et jouer
avec eux à s’éclabousser dans un ruisseau voisin. Lorsque ses parents
durent retourner en Autriche au milieu de l’été, Emmy resta en
Tchécoslovaquie avec son frère et sa sœur quelques semaines
supplémentaires.
Le 31 août 1939, les enfants Cziep
étaient en train de déjeuner lorsque leur oncle Heinrich fit irruption
dans la pièce, le visage écarlate. Il s’écria : « Vous devez partir,
tout de suite ! Il n’y a pas de temps à perdre ! »
Emmy était désorientée et effrayée.
Leur oncle leur dit qu’Hitler semblait préparer quelque chose. Il avait
donné l’ordre de fermer les frontières ; le train de treize heures qui
traversait leur ville était probablement leur dernière chance de
rentrer à Vienne. Il expliqua qu’il était peut-être impossible de
monter dans ce train-là mais que, s’ils voulaient retourner auprès de
leurs parents, ils devaient essayer.
Plus tôt ce matin-là, Emmy, Mimi et
Josef avaient mis tous leurs vêtements dans une bassine d’eau
savonneuse pour les laver. Leur oncle et leur tante les aidèrent à les
essorer avant de les jeter, encore mouillés, dans une valise. Puis ils
coururent vers la gare.
Le bâtiment était bondé de gens
affolés, se bousculant pour quitter le pays. Emmy, son frère et sa sœur
s’entassèrent dans un wagon et se retrouvèrent immédiatement entourés
de dizaines de passagers agités et en sueur. La fillette avait du mal à
respirer. Tandis que le train s’arrêtait dans des villages sur le
trajet, les gens se jetaient sur les fenêtres en criant et en essayant
de monter, mais il n’y avait pas de place.
Il faisait nuit quand le train arriva
enfin à Vienne. En larmes, les membres de la famille Cziep se
réjouirent d’être à nouveau réunis.
Au lieu de retourner dans le
minuscule appartement où Emmy avait grandi, ils allèrent dans un nouvel
appartement dans la Taborstrasse, une belle rue du centre de la ville.
Pendant des années, Alois et Hermine avaient souhaité trouver un
meilleur logement pour leur famille qui s’agrandissait, mais leurs
faibles revenus, la pénurie de logements et les contrôles politiques
sur l’attribution des appartements avaient rendu la tâche impossible.
Depuis l’Anschluss, l’économie se portait mieux et l’activité de
l’entreprise où travaillait Alois s’était multipliée par cinq.
Avec l’aide d’un membre de l’Église
qui travaillait pour un fonctionnaire nazi, Alois et Hermine
demandèrent un nouvel appartement et en obtinrent un avec trois
chambres, une cuisine, une salle de bains et un salon. Il se situait
beaucoup plus près du lieu de réunion de la branche (à quarante-cinq
minutes à pied, au lieu des deux heures auxquelles ils étaient
habitués).
Malheureusement, cette occasion
inespérée se présenta au détriment des Juifs qui étaient autrefois les
principaux occupants de la Taborstrasse. Peu de temps après
l’Anschluss, les nazis et leurs partisans avaient vandalisé des
commerces juifs, brûlé des synagogues et arrêté et déporté des milliers
de citoyens juifs. Ceux qui avaient les moyens de fuir le pays avaient
abandonné leur maison, laissant des appartements libres pour des
familles telles que les Cziep. D’autres étaient restés dans la ville,
notamment certains membres d’origine juive de la branche de Vienne. Ils
craignaient de plus en plus pour leur vie.
Le 1er septembre, Emmy et sa famille
passèrent leur première nuit ensemble dans leur nouvel appartement.
Pendant qu’ils dormaient, un million et demi de soldats allemands
envahirent la Pologne.
Chapitre 26 : Les rejetons immondes de la guerre
Le 24 août 1939, huit jours avant
l’invasion de la Pologne, la Première Présidence avait ordonné à trois
cent vingt missionnaires nord-américains répartis dans les missions
britannique, française, ouest-allemande, est-allemande et
tchécoslovaque de partir vers le Danemark, la Suède, la Norvège ou les
Pays-Bas, c’est-à-dire vers le pays neutre le plus proche. Cet été-là,
l’apôtre Joseph Fielding Smith, qui rendait visite aux saints d’Europe
accompagné de sa femme, Jessie, resta au Danemark pour coordonner
l’évacuation depuis Copenhague.
Norman Seibold était un missionnaire
originaire d’Idaho âgé de vingt-trois ans qui servait dans la mission
d’Allemagne de l’Ouest. Après avoir reçu l’ordre d’évacuer le pays, il
veilla à ce que tous les missionnaires nord-américains de son district
quittent immédiatement le pays. Puis, au lieu de partir directement aux
Pays-Bas, il se rendit au foyer de la mission, à Francfort.
À son arrivée, il trouva son
président de mission, Douglas Wood, malade d’inquiétude. Ce dernier
avait envoyé des télégrammes demandant à tous les missionnaires
d’évacuer mais les lignes de communication du pays étaient saturées.
Seuls Norman et quelques autres missionnaires avaient accusé réception
du message. Et pour noircir encore le tableau, les autorités
néerlandaises avaient interdit à toute personne étrangère d’entrer dans
le pays, excepté les voyageurs en transit. Des dizaines de
missionnaires étaient donc probablement bloqués en Allemagne de l’Ouest
avec des billets de train inutilisables à destination des Pays-Bas et
sans argent pour s’en procurer de nouveaux.
Le président Wood et sa femme,
Evelyn, devaient partir pour superviser l’évacuation d’un groupe de
missionnaires qui étaient déjà arrivés au foyer de la mission et ils
avaient besoin que quelqu’un reste en Allemagne afin de localiser les
missionnaires restants.
Le président de mission dit à Norman
: « Votre tâche est de les trouver et de faire en sorte qu’ils quittent
le pays. Fiez-vous totalement à vos impressions. Nous ne savons pas du
tout dans quelles villes se trouvent ces trente et un missionnaires. »
Tard ce soir-là, Norman partit de
Francfort à bord d’un train bondé longeant le Rhin en direction du
nord. Il avait des billets pour le Danemark et de l’argent à remettre à
tous les missionnaires qu’il rencontrerait. Mais comment savoir où les
trouver ? Le temps pressait. Le gouvernement allemand venait d’annoncer
que l’armée avait besoin des chemins de fer pour transporter les
soldats. Les places se feraient bientôt rares pour les civils.
Quand son train s’arrêta à Cologne,
Norman sentit qu’il devait sortir. Il joua des coudes pour descendre du
wagon. La gare grouillait de monde. Il grimpa sur un chariot à bagages
pour voir au-dessus de la foule. Toutefois, il n’identifia aucun
missionnaire. Il se souvint alors du « signal des missionnaires » :
c’était la mélodie sifflée de « Fais ton devoir, voici la lumière » que
toute la mission connaissait. Norman n’était pas très doué pour la
musique, mais il siffla les quelques premières notes du mieux qu’il put.
Cela attira immédiatement
l’attention. Bientôt, Norman vit un missionnaire et un membre allemand
se diriger vers lui. Il continua de siffler et d’autres missionnaires,
ainsi qu’un couple missionnaire d’âge mûr vinrent le trouver. Après
leur avoir donné les moyens de se mettre en sécurité, il monta dans un
train en direction d’une autre ville.
Quelques heures plus tard, à
Emmerich, Norman rencontra d’autres missionnaires. Tandis qu’il leur
remettait l’argent provenant du président de mission, il attira
l’attention d’un policier qui crut que les missionnaires avaient
l’intention de faire sortir clandestinement de l’argent d’Allemagne. Le
policier exigea qu’ils lui donnent leur argent et lui expliquent ce
qu’ils étaient en train de faire. Comme Norman refusait de coopérer,
l’agent l’empoigna et le menaça de le conduire aux autorités de la
ville.
D’habitude, Norman obéissait aux
forces de l’ordre mais il ne voulait pas suivre l’homme dans la ville.
Il dit : « Vous feriez mieux de me lâcher ou il va y avoir une bagarre.
»
Un attroupement avait commencé à se
former et le policier parcourait nerveusement les gens du regard. Il
relâcha Norman et l’amena à un responsable militaire à la gare pour
qu’il explique qui il était et ce qu’il faisait. Le fonctionnaire
écouta l’histoire de Norman et ne vit aucune raison de le retenir ; il
lui rédigea même une lettre explicative à remettre à toute personne
susceptible de l’arrêter au cours de ses déplacements.
Norman poursuivit sa route,
s’arrêtant pour chercher des missionnaires selon les directives de
l’Esprit. Dans une ville isolée, il n’y avait presque personne sur le
quai de la gare et il semblait absurde de chercher des missionnaires à
cet endroit. Néanmoins, Norman sentit qu’il devait descendre du train,
alors il décida d’aller en ville. Il arriva bientôt à un petit
restaurant et trouva deux missionnaires qui buvaient du jus de pomme
acheté avec leurs dernières pièces.
Après des jours de recherche, il
avait retrouvé dix-sept missionnaires. Pour se rendre au Danemark,
Norman et ses collègues durent monter dans des trains réquisitionnés
pour le transport des troupes, donnant le change aux conducteurs et
évitant les policiers tout au long du trajet. Lorsque Norman arriva à
Copenhague, le lendemain de l’invasion de la Pologne, tous les
missionnaires nord-américains des missions allemandes étaient en
sécurité.
Le jour suivant, le 3 septembre, la France et la Grande-Bretagne déclaraient la guerre à l’Allemagne.
Lors de la conférence générale
d’octobre 1939, Heber J. Grant annonça : « La guerre depuis longtemps
menaçante et redoutée a finalement éclaté. » Depuis des années, il
observait avec inquiétude et appréhension Hitler qui conduisait
l’Allemagne sur une voie violente et dangereuse, répandant la misère et
le sang. Les forces de l’Axe, conduites par l’Allemagne nazie, étaient
désormais engagées dans un combat contre les Alliés, dirigés par le
Royaume-Uni et la France.
Le président Grant déclara aux saints
: « Dieu est attristé par la guerre. Les personnes qui la mènent de
manière injuste seront sujettes aux punitions éternelles imposées par
sa volonté. » Le prophète exhorta les dirigeants du monde et tous les
peuples à chercher des solutions pacifiques à leurs différends.
Il ajouta : « Nous condamnons tous
les rejetons immondes de la guerre : l’avarice, la cupidité, la misère,
le manque, la maladie, la cruauté, la haine, l’inhumanité, la
sauvagerie, la mort. » Le prophète était peiné de savoir que des
millions de gens souffraient et étaient endeuillés à cause du conflit.
Plusieurs milliers d’entre eux étaient des saints des derniers jours
et, parmi eux, certains étaient déjà en danger. Il dit : « Nous
implorons instamment tous les membres de l’Église d’aimer leurs frères
et sœurs. Nous demandons à tous les peuples, quels qu’ils soient et où
qu’ils soient, de bannir la haine de leur vie, de remplir leur cœur de
charité, de patience, de longanimité et de pardon. »
Pendant les semaines et les mois qui
suivirent la conférence générale, l’esprit du prophète fut accablé par
des pensées relatives à la guerre. En décembre, il écrivit à sa fille,
Rachel, au sujet de la perte inutile de vies humaines. Il expliqua : «
Cela me fait mal au cœur. Il semble bien que le Seigneur devrait ôter
de la surface de la terre les personnes qui créent et déclenchent des
guerres, comme Hitler. »
Au cours de l’hiver 1940, le
président Grant se rendit à Inglewood, un quartier de Los Angeles, où
les saints étaient impatients de l’entendre parler au cours de leur
conférence de pieu. En arrivant à l’église, il fut pris de vertige et
eut du mal à parler. En descendant de la voiture, ses jambes
tremblaient et il atteignit difficilement la porte du lieu de culte.
Son étourdissement sembla se dissiper peu après qu’il se fut assis sur
l’estrade. Il demanda cependant d’être dispensé de son discours.
Plus tard, après une sieste, il se
sentit suffisamment bien pour prendre la parole lors de la session de
l’après-midi de la conférence. Debout sur l’estrade, il s’adressa aux
membres de l’Église pendant près de quarante minutes. Pendant la nuit,
il essaya plusieurs fois de se lever mais faillit tomber. Le lendemain
matin, son côté gauche était engourdi et il ne pouvait pas lever le
bras ni bouger les doigts de ce côté. Lorsqu’il tenta de se lever, il
remarqua qu’il n’avait aucune force dans sa jambe gauche. Sa langue
était pâteuse et il avait du mal à s’exprimer.
Avec l’aide de sa famille et de ses
amis, il se rendit dans un hôpital voisin, où les médecins constatèrent
qu’il avait eu une attaque cérébrale. Il passa les mois qui suivirent
en Californie, reprenant peu à peu des forces et de la mobilité. Son
médecin lui conseilla de se reposer davantage, de manger mieux et
d’éviter toute activité intense. Au mois d’avril, le prophète allait
suffisamment bien pour retourner à Salt Lake City.
Peu après son retour, il dit à sa
fille, Grace : « J’ai été sage et paresseux, selon les instructions du
médecin. Je ne sais pas combien de temps je pourrai continuer comme
cela. »
Le 28 juin 1940, la guerre en Europe
était bien loin des pensées des saints à Cincinnati, en Ohio. Ce
soir-là, Connie Taylor, âgée de vingt et un ans, entendit les premières
notes de la « marche nuptiale » de Wagner. C’était le signal pour
qu’elle commence à traverser la salle de culte de la branche de
Cincinnati. Le bâtiment était rempli de membres de la famille et
d’amis, tous réunis pour son mariage avec Paul Bang.
Connie et Paul étaient fiancés depuis
un peu plus d’un an. Ils voulaient être scellés mais, comme de nombreux
couples vivant loin du temple, ils avaient décidé de se marier d’abord
civilement à l’église.
En se dirigeant vers l’avant de la
salle, Connie vit son père assis parmi les invités. Aux États-Unis,
lors des mariages, la tradition voulait que le père donne le bras à sa
fille pour l’accompagner à travers la salle. Mais, comme son père avait
du mal à marcher, c’était son frère, Milton, qui lui donnait le bras.
La jeune femme était simplement heureuse que son père soit présent. Sa
bénédiction patriarcale lui promettait qu’il profiterait un jour les
bénédictions de l’Évangile avec elle. Ce jour n’était pas encore
arrivé, mais il avait assisté une fois à une réunion de Sainte-Cène, un
dimanche de Pâques, et c’était bon signe.
Une fois Connie et Paul réunis à
l’avant de la salle de culte, le président de branche, Alvin Gilliam,
officia. Pour beaucoup des personnes présentes, cette soirée marquait
la fin d’une époque. Mis à part les réunions du dimanche suivant, ce
mariage était la dernière réunion de la branche de Cincinnati dans ce
petit bâtiment qu’elle possédait depuis onze ans. Comme il tombait en
ruine, la branche florissante l’avait vendu depuis peu et avait acheté
un terrain au nord de la ville pour y bâtir une nouvelle église.
Les jeunes mariés partirent le
lendemain après-midi pour les chutes du Niagara, dans l’État de New
York, à bord du camion du père de Paul. Ils avaient emporté trois
paniers de nourriture prise dans l’épicerie familiale, des vêtements et
une soixantaine de dollars en liquide.
Sur le chemin, Connie et Paul
visitèrent le temple de Kirtland. Le bâtiment servait désormais de lieu
de culte à l’Église réorganisée de Jésus-Christ des Saints des Derniers
Jours. À leur arrivée, la porte du temple était fermée à clé mais un
homme leur ouvrit le bâtiment et les laissa seuls pour visiter pendant
une heure. Ils explorèrent chaque recoin du temple, y compris le
clocher, d’où ils purent admirer le petit village où des centaines de
saints fidèles avaient vécu plus d’un siècle auparavant.
Ils partirent de Kirtland pour se
rendre aux chutes du Niagara. La station balnéaire, à la frontière des
États-Unis et du Canada, était une destination très prisée pour les
voyages de noces, mais la guerre en Europe avait mis tout le monde en
état d’alerte. Les États-Unis n’étaient pas entrés dans le conflit,
mais le Canada faisait partie du Commonwealth britannique et avait
déclaré la guerre à l’Allemagne après l’invasion de la Pologne. Avant
de laisser Connie et Paul entrer au Canada, les douaniers les
contrôlèrent soigneusement afin de s’assurer qu’ils n’étaient pas des
espions.
Après avoir visité les chutes du
Niagara, le couple parcourut cent soixante kilomètres vers l’est
jusqu’à Palmyra et Manchester, dans l’État de New York. Au fil des
années, l’Église avait acheté plusieurs sites historiques dans la
région, notamment la colline Cumorah, le Bosquet sacré et la maison de
Lucy et Joseph Smith, père. Conscients du rôle que pouvaient jouer ces
sites dans l’œuvre missionnaire, les dirigeants de l’Église avaient
commencé à les rendre accessibles aux visiteurs, signalant leur
importance historique et spirituelle sur des panneaux routiers. Au
début des années 1920, sous la direction de B. H. Roberts, des
conférences à l’échelle de la mission avaient été organisées sur la
colline de Cumorah et elles avaient donné le jour à un spectacle annuel
ouvert au public.
Pendant leur séjour à Manchester,
Connie et Paul passèrent la nuit dans la maison de la famille Smith
pour une somme modique. Ils grimpèrent sur la colline de Cumorah en
pensant aux plaques d’or enterrées là pendant si longtemps. Au sommet
de la colline se trouvait un nouveau monument représentant l’ange
Moroni. Ils s’y arrêtèrent pour le photographier et apprécier la vue
magnifique sur les environs. Plus tard, ils se promenèrent dans le
Bosquet sacré, profitant de la sainteté et de la beauté du lieu. Avant
de partir, ils s’agenouillèrent ensemble pour prier.
Les jeunes mariés passèrent par
Washington, DC, où ils assistèrent à une réunion dans un vaste lieu de
culte en marbre que l’Église avait inauguré en 1933. L’Église avait
connu une croissance importante dans la ville depuis que l’apôtre Reed
Smoot et un petit groupe de saints y avaient organisé une branche, en
1920. En fait, peu de temps avant le passage de Paul et Connie,
l’apôtre Rudger Clawson y avait organisé un pieu dont Ezra Taft Benson,
âgé de quarante ans, avait été appelé président.
Après avoir passé quelques jours à
Washington, Connie et Paul retournèrent à Cincinnati, où ils
s’installèrent dans un appartement plein de courants d’air, non loin de
l’épicerie de la famille Bang. Ils avaient dépensé tout leur argent,
sauf un penny, pour leur lune de miel, mais Paul avait toujours un
travail chez son père. Dans quelques années, après avoir économisé un
peu d’argent, ils pourraient faire un voyage encore plus long, cette
fois vers Salt Lake City et le temple.
Par une froide nuit de décembre 1940,
le bourdonnement menaçant des bombardiers nazis résonnait dans le ciel
de Cheltenham, ville du sud-ouest de l’Angleterre. Depuis six mois, des
raids de l’armée de l’air allemande, la Luftwaffe, bombardaient de
manière incessante la Grande-Bretagne. Les attaques avaient d’abord été
dirigées sur les bases aériennes et les ports, puis les bombardiers
s’étaient mis à survoler les zones civiles de Londres et au-delà.
Autrefois, Cheltenham était un endroit paisible, avec de beaux parcs et
de magnifiques jardins. Désormais, c’était une cible.
Nellie Middleton, sainte des derniers
jours de cinquante-cinq ans, vivait dans cette ville avec Jennifer, sa
fille de six ans. Afin de préparer son foyer contre les attaques
aériennes, elle avait meublé, grâce à son salaire modeste de
couturière, un espace dans le sous-sol de sa maison. Elle avait équipé
cet abri de nourriture, d’eau, de lampes à huile et d’un petit lit en
fer pour Jennifer. Suivant les instructions du gouvernement, Nellie
avait également recouvert ses fenêtres de filets pour contenir les
éclats de verre en cas d’attaque.
Dans toute la ville, on entendait les
bombes siffler dans les airs et s’écraser au sol dans un grondement de
tonnerre. Le bruit terrifiant se rapprochait constamment de la maison
de Nellie, jusqu’au jour où une explosion terrible dans une rue voisine
fit trembler ses murs, faisant voler les fenêtres en éclats et
remplissant les filets de protection de morceaux de verre tranchants
comme un rasoir.
Au matin, les rues de la ville
étaient remplies de décombres. Les bombardements avaient fait
vingt-trois morts et laissé plus de six cents personnes sans abri.
Après l’attaque, Nellie et d’autres
membres de l’Église firent de leur mieux pour aller de l’avant.
Lorsqu’un an plus tôt, Hugh B. Brown, président de la mission
britannique, et d’autres missionnaires nord-américains avaient quitté
le pays, il était devenu difficile pour la petite branche de Cheltenham
et les autres unités de remplir les appels et de faire fonctionner les
programmes de l’Église. Les hommes de la région étaient ensuite partis
faire la guerre, ne laissant aucun détenteur de la prêtrise pour bénir
la Sainte-Cène ou conduire les affaires de la branche de manière
officielle. La dissolution de la branche fut finalement inévitable.
Arthur Fletcher, détenteur de la
prêtrise de Melchisédek d’âge mur vivant à plus de trente kilomètres,
se déplaçait sur sa bicyclette rouillée pour rendre visite aux membres
de Cheltenham chaque fois qu’il le pouvait. Cependant, la plupart du
temps, c’était Nellie, l’ancienne présidente de la Société de Secours
de la branche de Cheltenham, qui s’assurait du bien-être spirituel et
temporel des membres de la région. La branche étant fermée, les membres
de l’Église ne pouvaient plus se réunir dans la salle qu’ils louaient
le dimanche. Le salon de Nellie devint l’endroit où les sœurs de la
Société de secours priaient, chantaient et étudiaient Jésus le Christ
et les Articles de foi.
Nellie veilla également à ce que sa
fille connaisse l’Évangile. Célibataire, elle était âgée de presque
cinquante ans quand elle avait adopté Jennifer. La fillette participait
désormais à l’étude avec les sœurs, qui veillaient à parler de
l’Évangile de manière à ce qu’elle comprenne. Nellie et les autres
sœurs de la Société de Secours emmenaient également Jennifer
lorsqu’elles rendaient visite aux malades ou aux personnes âgées. Dans
la branche, personne ne disposait de téléphone ou de voiture. Les sœurs
faisaient donc leurs visites à pied, apportant un pot de confiture ou
un morceau de gâteau avec un message.
Dès que le soleil se couchait, toutes
les sorties cessaient. Pour que les bombardiers allemands aient plus de
mal à voir leurs cibles, les villes du Royaume-Uni éteignaient tous les
lampadaires et tous les panneaux lumineux. Les gens drapaient leurs
fenêtres d’un tissu sombre et dévissaient les ampoules dans l’entrée.
À Cheltenham, les saints se
réfugiaient dans leur foyer. La moindre lueur représentait un danger
pour les familles et leurs voisins.
L’année suivante, Alois Cziep, le
président de la branche de Vienne, trouvait son appel de plus en plus
difficile. À cause de la guerre, les canaux de communication habituels
entre le siège de l’Église et les branches situées dans les zones
occupées par l’Axe étaient coupés. Der Stern, le magazine en allemand
de la mission, ne paraissait plus. Le président de mission suppléant,
un membre allemand du nom de Christian Heck, s’efforçait de faire
fonctionner l’Église au milieu du chaos. Alois faisait de même pour sa
branche.
Les destructions et les ravages de la
guerre n’avaient pas encore atteint les frontières de l’Autriche mais
Alois savait que les forces aériennes britanniques avaient attaqué des
villes allemandes. L’Union soviétique était désormais aussi en guerre
contre le troisième Reich. Comme en Grande-Bretagne, en Autriche les
lumières étaient éteintes la nuit pour protéger les habitants des
avions ennemis qui pouvaient rôder au-dessus de leur tête.
Au début de la guerre, la plupart des
hommes de la branche de Vienne avaient été enrôlés dans l’armée
allemande. Comme Alois avait perdu un œil quelques années auparavant à
cause d’une maladie, il était dispensé du service militaire. Malgré les
difficultés croissantes, il avait la chance d’être soutenu par deux
conseillers, plusieurs jeunes détenteurs de la Prêtrise d’Aaron, et sa
femme, Hermine. En tant que présidente de la Société de Secours,
Hermine portait une grande partie du fardeau émotionnel des femmes de
la branche, qui étaient souvent accablées, seules et effrayées, surtout
quand elles recevaient des mauvaises nouvelles de leurs proches, faits
prisonniers ou tués au combat.
Hermine les incitait à faire confiance à Dieu et à aller de l’avant, et elle s’efforçait de faire de même.
Même si, depuis le début de la
guerre, l’effectif de la branche avait diminué, les membres
continuaient d’être divisés malgré les efforts d’Alois pour qu’on ne
parle pas de sujets politiques pendant les réunions. Un jour, au début
d’une réunion de l’Église, un visiteur originaire d’Allemagne avait
prié pour Adolf Hitler. Quand il eut terminé, Alois lui dit : « Frère,
ici, on ne prie pas pour Hitler. »
Il y avait dans la branche des
membres et des sympathisants du parti nazi. Alois devait souvent faire
attention à ce qu’il disait. Il pouvait y avoir des informateurs et des
espions n’importe où, prêts à les dénoncer au gouvernement, lui et sa
famille. Hermine et lui croyaient qu’il fallait honorer la loi du pays
mais ce n’était pas toujours facile.
Deux membres de la branche, Olga
Weiss et son fils adulte, Egon, étaient des Juifs convertis qui
faisaient profiter la branche de leurs talents musicaux chaque semaine.
Quand les nazis avaient envahi l’Autriche, la famille Weiss avait
compris qu’elle devait quitter le pays sous peine de devenir la proie
de l’antisémitisme violent du régime. Même si la famille ne pratiquait
plus le judaïsme, elle était considérée comme « racialement juive » en
raison de son ascendance.
Quelques mois après l’annexion de
l’Autriche par l’Allemagne, Olga et Egon adressèrent des lettres
urgentes à la Première Présidence et à d’anciens missionnaires qu’ils
connaissaient, espérant trouver quelqu’un qui pourrait les aider, eux
et quelques-uns de leurs proches, à émigrer aux États-Unis. Dans une
lettre, Egon écrivit : « Pour nous, les Juifs, les conditions de vie
ici sont terribles. Nous devons absolument partir. »
Comme de nombreuses personnes dans le
monde, le président Grant avait reçu des rapports contradictoires sur
l’hostilité d’Hitler envers les Juifs et l’étendue du danger auquel ils
étaient exposés en Allemagne. Le prophète avait dénoncé cet
antisémitisme en public et en privé. Pourtant, les dirigeants de
l’Église n’étaient pas en mesure d’aider la famille Weiss ni tout autre
Européen qui espérait émigrer. Ils expliquaient que la loi américaine
ne permettait plus aux organisations religieuses de parrainer des
immigrants et que, depuis de nombreuses années, l’Église avait refusé
toutes les demandes d’aide de ce type. Alors que la guerre en Europe
s’intensifiait, la Première Présidence exprimait fréquemment sa
consternation devant le fait que le gouvernement américain ne lui
permettait pas d’aider les réfugiés. Lorsque le président Grant et ses
conseillers recevaient des lettres comme celle d’Egon, ils ne pouvaient
guère faire plus que de répondre avec sympathie, leur conseillant
parfois de s’adresser à des organisations qui, ils l’espéraient,
pourraient leur venir en aide.
En septembre 1941, Egon et Olga
étaient toujours à Vienne. À l’époque, les nazis exigeaient que tous
les Juifs autrichiens s’identifient en portant une étoile de David
jaune sur leurs vêtements. Lorsque des responsables nazis découvrirent
que des Juifs venaient aux réunions de la branche de Vienne, ils
ordonnèrent à Alois de le leur interdire. S’il refusait, les saints
seraient expulsés de leur lieu de réunion.
Alois comprit qu’il devait se
soumettre à leur demande. Confus et attristé, il alla trouver la
famille Weiss et lui dit qu’elle ne pouvait plus assister aux réunions.
Toutefois, comme d’autres membres de la branche, il continua fidèlement
de leur rendre visite. Jusqu’au jour où Olga et Egon furent
introuvables.
Chapitre 27 : Dieu est à la barre
« Viens chez moi ce soir ; je veux te
faire écouter quelque chose » murmura Helmuth Hübener, jeune homme de
seize ans, à son ami Karl-Heinz Schnibbe. C’était un dimanche soir de
l’été 1941 et les jeunes gens étaient en train d’assister à la réunion
de Sainte-Cène de leur branche de Hambourg, en Allemagne.
Karl-Heinz, âgé de dix-sept ans,
avait de nombreux amis au sein de la branche mais il appréciait tout
particulièrement la compagnie de Helmuth. Il était intelligent et sûr
de lui, tellement intelligent que Karl-Heinz le surnommait « le
professeur ». Son témoignage et son engagement vis-à-vis de l’Église
étaient fermes, et il répondait aisément aux questions sur l’Évangile.
Comme la mère de Helmuth avait de longues journées de travail, le jeune
homme vivait chez ses grands-parents. Son beau-père était un nazi zélé
et Helmuth n’aimait pas être avec lui.
Ce soir-là, Karl-Heinz pénétra
silencieusement chez son ami et le retrouva penché sur une radio. «
Elle capte les ondes courtes », dit Helmuth. La plupart des familles
allemandes disposaient de radios bon marché fournies par le
gouvernement nazi. Elles avaient peu de canaux et leur réception était
limitée. Le frère aîné de Helmuth, qui était soldat dans l’armée
allemande, avait ramené de France cette radio de bonne qualité après la
conquête du pays par les forces nazies au cours de la première année de
la guerre.
« Qu’est-ce que tu parviens à entendre ? demanda Karl-Heinz. La France ?
– Oui, dit Helmuth, et l’Angleterre aussi.
– Tu es fou ? » répondit Karl-Heinz.
Il savait que Helmuth s’intéressait à l’actualité et à la politique,
mais écouter les émissions de radio de l’ennemi en temps de guerre
était passible de prison ou même de mort.
Helmuth tendit à Karl-Heinz un
document qu’il avait rédigé, donnant des informations sur les succès
militaires de la Grande-Bretagne et de l’Union soviétique.
« Comment as-tu eu ces renseignements
? demanda Karl-Heinz après avoir lu la feuille. Comment cela peut-il
être possible ? C’est exactement le contraire de ce que disent nos
émissions militaires. »
Helmuth répondit en éteignant la
lumière et en allumant la radio, le volume bas. L’armée allemande
s’efforçait constamment de brouiller les signaux alliés mais Helmuth
avait installé une antenne permettant aux garçons de capter les
émissions interdites diffusées depuis la Grande-Bretagne.
À dix heures, une voix grésilla dans
l’obscurité : « La BBC de Londres présente l’actualité en allemand. »
L’émission parlait d’une offensive allemande en Union soviétique. Les
journaux nazis avaient présenté la campagne comme un triomphe, sans
reconnaître les pertes allemandes. Les Britanniques abordèrent
franchement les pertes alliées et celles de l’Axe.
Helmuth dit : « J’ai la certitude
qu’ils disent la vérité et que nous mentons. Il y a beaucoup de
vantardise et de propagande dans nos actualités. »
Karl-Heinz était stupéfait. Helmuth
disait souvent qu’on ne pouvait pas faire confiance aux nazis. À
l’église, il avait même eu des discussions politiques sur le sujet avec
des adultes. Karl-Heinz avait hésité à croire son jeune ami plutôt que
les représentants du gouvernement.
Maintenant, il lui semblait que c’était Helmuth qui avait raison.
Le 7 décembre 1941, Kay Ikegami et sa
famille attendaient que l’École du dimanche japonaise commence dans une
petite église sur King Street à Honolulu (Hawaï). Au début, lorsque Kay
avait commencé à suivre le cours avec d’autres saints nippo-américains,
le groupe était petit. Mais depuis la création de la mission japonaise
à Hawaï quatre ans plus tôt, on comptait désormais cinq Écoles du
Dimanche japonaises à Honolulu. Kay était le surintendant de l’École du
Dimanche qui se réunissait à King Street.
Il y avait moins de monde que
d’habitude en classe ce matin-là. Alors qu’ils attendaient le début de
la réunion, Jay C. Jensen, qui avait remplacé Hilton Robertson en tant
que président de la mission japonaise, franchit la porte en trombe. Il
s’exclama : « Le Japon est en train d’attaquer Pearl Harbor ! »
Kay devint blême. Il dit : « Non ! Ce n’est pas possible. »
Bien que né au Japon, Kay avait vécu
aux États-Unis depuis son enfance et y avait vu naître ses enfants.
L’idée que son pays natal attaque le pays que sa famille et lui
considéraient comme leur foyer était profondément troublante.
Ce matin-là, à huit heures, le
président Jensen avait assisté à une autre École du Dimanche japonaise
près de Pearl Harbor, qui était une grande base navale américaine
située à proximité de la ville. Dehors, des avions faisaient des allers
et retours en formation, et certains lâchaient des bombes. Il avait
supposé que l’armée américaine effectuait des manœuvres d’entraînement
; il n’avait donc pas été perturbé par le tumulte. Alors qu’il rentrait
chez lui, sa femme, Eva, s’était précipitée à sa rencontre et lui avait
annoncé que Pearl Harbor était attaqué.
Dubitatif, il avait allumé la radio,
qui avait confirmé les dires de sa femme. « Ne restez pas dans la rue !
» avait lancé un animateur de radio. Les avions japonais étaient
toujours dans le ciel et larguaient des bombes. Cependant, le couple
Jensen se faisait du souci pour Kay et sa réunion d’École du Dimanche ;
ils s’étaient donc précipités à King Street.
Le président Jensen dit à Kay : «
Rentrez vite et mettez-vous à l’abri. » L’assemblée se dispersa
rapidement et chacun évacua le bâtiment. Peu de temps après, une bombe
atterrit à une centaine de mètres de là, mettant le feu à plusieurs
édifices.
Dans les jours qui suivirent, les
États-Unis déclarèrent la guerre au Japon et à son alliée, l’Allemagne,
mettant fin à la neutralité américaine. Le gouvernement plaça Hawaï
sous une loi martiale stricte : les écoles publiques furent fermées,
les journaux censurés et le courrier sortant contrôlé. Tous les
habitants des îles étaient soumis à un couvre-feu et les Japonais qui
n’étaient pas citoyens américains devaient être chez eux à vingt
heures, une heure plus tôt que tous les autres résidents. Le
gouvernement interdit également de parler japonais en public.
Pendant ce temps, le fils de Kay,
David, âgé de quinze ans, était perturbé par le changement soudain dans
la vie de sa famille. Il rapporta dans son journal : « Les journées
sont mornes. J’aimerais pouvoir retourner à l’école. » Il essaya de se
rendre dans le bâtiment de son école afin de récupérer un livre de
bibliothèque rangé dans son casier, mais des soldats bloquaient la
route.
Redoutant d’autres attaques du Japon,
les habitants de l’île commencèrent à construire de petits abris
souterrains pour se protéger des bombes ennemies. Kay et sa femme,
Matsuye, demandèrent à David de les aider à en construire un dans leur
jardin. Un peu plus d’une semaine avant Noël, ils commencèrent à
creuser une tranchée pour l’abri. Le travail était difficile et les
progrès lents, notamment lorsqu’ils durent retirer des pierres du sol.
Après avoir reçu de l’aide, la famille réussit à terminer la
construction de l’abri le matin de Noël.
David était reconnaissant que ce
travail fatigant soit achevé, pourtant il eut du mal à profiter du
reste des vacances. « À cause de la guerre, on ne peut pas avoir
l’esprit de Noël », se lamentait-t-il.
Quelques semaines s’étaient écoulées
depuis le bombardement, sans qu’il y ait eu d’autres attaques.
Toutefois, il était difficile de ne pas scruter le ciel, à la recherche
d’avions portant l’emblème japonais du soleil levant.
En Allemagne, un dimanche soir,
Karl-Heinz Schnibbe et Rudi Wobbe attendaient l’arrivée de Helmuth
Hübener à la réunion de Sainte-Cène de la branche de Hambourg. Depuis
quelques mois, Karl-Heinz et Rudi, un garçon de quinze ans, aidaient
Helmuth à distribuer des tracts antinazis dans la ville. En tant que
greffier de branche, Helmuth gardait la machine à écrire de la branche
chez lui afin de pouvoir écrire des lettres aux soldats saints des
derniers jours. Il s’en servait souvent pour rédiger des prospectus,
qui portaient des titres en gras tels que « Ils ne vous disent pas tout
» ou « Hitler, le meurtrier ! »
La distribution de ces tracts
relevait de la haute trahison, crime passible de peine de mort, mais
les jeunes garçons avaient jusqu’à présent échappé aux autorités.
Cependant, l’absence de Helmuth à l’église était troublante. Karl-Heinz
se demandait si son ami était malade. La réunion se déroula comme à
l’accoutumée jusqu’à ce que le président de branche, Arthur Zander,
membre du parti nazi, demande à l’assemblée de rester assise après la
prière de clôture.
Il déclara : « Un membre de notre
branche, Helmuth Hübener, a été arrêté par la Gestapo. Je n’ai pas
beaucoup d’informations mais je sais que c’est pour des raisons
politiques. C’est tout. »
Karl-Heinz et Rudi échangèrent un
regard. Les saints assis près d’eux murmuraient, pleins de
stupéfaction. Qu’ils soient partisans d’Hitler ou non, beaucoup
estimaient qu’il était de leur devoir de respecter le gouvernement et
ses lois. De plus, ils savaient que, si un membre de la branche
s’opposait ouvertement aux nazis, même si c’était héroïque ou bien
intentionné, cela les mettrait tous en danger.
Sur le chemin du retour, les parents
de Karl-Heinz se demandaient à haute voix ce que Helmuth avait bien pu
faire. Karl-Heinz ne dit mot. Rudi, Helmuth et lui avaient fait un
pacte : si l’un d’entre eux venait à être arrêté, il prendrait toute la
responsabilité sur lui et ne divulguerait pas l’identité des autres.
Karl-Heinz était sûr que Helmuth respecterait leur pacte mais il avait
peur. La Gestapo avait la réputation de torturer les prisonniers afin
d’obtenir les renseignements qu’elle voulait.
Deux jours plus tard, Karl-Heinz
était au travail lorsque quelqu’un frappa à la porte. Deux agents de la
Gestapo en longs manteaux de cuir lui montrèrent leur badge.
L’un d’eux demanda : « C’est toi, Karl-Heinz Schnibbe ? »
Il acquiesça.
« Suis-nous », dirent-ils en le
guidant vers une Mercedes noire. Karl-Heinz se retrouva coincé sur la
banquette arrière entre deux agents tandis qu’ils se dirigeaient vers
son appartement. Il essaya de ne rien dire de compromettant pendant
qu’on l’interrogeait.
Quand ils arrivèrent enfin chez lui,
le jeune homme était reconnaissant que son père soit au travail et sa
mère chez le dentiste. Pendant une heure, les agents fouillèrent
l’appartement, feuilletant les livres et regardant sous les lits, mais
Karl-Heinz avait pris soin de ne pas rapporter de preuves chez lui. Ils
ne trouvèrent rien.
Néanmoins, ils ne voulurent pas le
laisser partir. Ils le firent entrer de nouveau dans la voiture. Un
agent dit : « Si tu mens, nous te réduirons en bouillie. »
Ce soir-là, Karl-Heinz fut emmené
dans une prison de la banlieue de Hambourg. On le conduisit à sa
cellule puis un officier armé d’une matraque et d’un pistolet ouvrit la
porte.
Il lui demanda : « Que fais-tu ici ? »
Karl-Heinz répondit qu’il ne savait pas.
L’homme le frappa au visage avec son trousseau de clés. Il hurla : « Tu le sais maintenant ?
– Non monsieur, répondit Karl-Heinz, terrifié. Je veux dire, oui monsieur ! »
L’officier le frappa à nouveau et,
cette fois, Karl-Heinz céda à la douleur. Il dit : « On prétend que
j’ai écouté une diffusion de la radio ennemie. »
Cette nuit-là, Karl-Heinz espérait
trouver la paix et le calme, mais les officiers n’eurent de cesse
d’ouvrir la porte à la volée, d’allumer les lumières et de le forcer à
courir vers le mur et à dire son nom. Quand ils le laissèrent
finalement dans l’obscurité, ses yeux brûlaient de fatigue. Pourtant,
il ne parvenait pas à dormir. Il pensait à ses parents et à quel point
ils devaient se faire du souci. Se doutaient-ils qu’il avait été arrêté
?
Fatigué de corps et d’esprit, Karl-Heinz enfouit son visage dans son oreiller et pleura.
En février 1942, Amy Brown Lyman
était assise face à un microphone dans le tabernacle de Salt Lake City
à peine éclairé. Elle se préparait à enregistrer un message pour le
centième anniversaire de la Société de secours. Seules quelques
personnes étaient présentes pour assister à son enregistrement. Au
cours de ses trente années de service en tant que dirigeante de la
Société de secours, elle avait eu de nombreuses occasions de parler en
public. Mais cette expérience était nouvelle et cela la rendait
nerveuse.
Amy avait été mise à part comme
présidente générale de la Société de secours le 1er janvier 1940,
quelques semaines seulement avant l’attaque cérébrale dont fut victime
Heber J. Grant. Depuis, la santé du président Grant continuait de
s’améliorer. Pourtant, la sécurité et le bien-être des habitants du
monde entier n’avaient jamais été aussi précaires. La guerre s’était
étendue à pratiquement toutes les régions du globe, le Royaume-Uni, les
États-Unis, l’Union soviétique, la Chine et leurs alliés luttant contre
les forces de l’Allemagne, de l’Italie, du Japon et de leurs alliés.
Tandis que les soldats américains se
préparaient à partir se battre à l’étranger, le gouvernement demandait
aux citoyens de faire des sacrifices pour soutenir l’effort de guerre.
En janvier, la Première Présidence annonça que les organisations de
l’Église, comme la Société de Secours, devaient annuler toutes les
conférences de pieu au Canada, au Mexique et aux États-Unis afin
d’économiser de l’argent et du carburant.
C’était la raison pour laquelle Amy
devait enregistrer son message au lieu de le présenter de vive voix. À
l’origine, les dirigeantes de la Société de Secours avaient prévu
d’organiser une grande fête en mars 1942 afin de célébrer le centenaire
de la première Société de Secours de Nauvoo. La Société de Secours
avait également prévu de tenir une conférence de trois jours en avril,
de parrainer neuf représentations d’un spectacle intitulé Un siècle de
lumière pour les femmes (Woman’s Century of Light) et d’organiser un
concert de mille cinq cents « mères chanteuses » dans le tabernacle.
Comme ces événements étaient annulés,
le bureau général de la Société de Secours incita les paroisses et les
branches à organiser leurs propres rassemblements à une échelle plus
réduite et à planter un « arbre du centenaire » pour commémorer
l’événement.
Le conseil décida également d’envoyer
à toutes les Sociétés de Secours des États-Unis, du Mexique et du
Canada un disque phonographique de trente centimètres contenant les
paroles d’Amy ainsi qu’un bref message du président Grant. Comme la
guerre rendait difficile l’envoi des enregistrements aux femmes des
autres pays, la Société de Secours envisagea de les transmettre quand
la situation s’améliorerait.
Au moment de prononcer son discours,
Amy parla clairement dans le microphone. Elle dit : « Bien que les
ombres de la guerre pèsent lourdement sur de nombreux pays, ce centième
anniversaire n’est pas oublié. » Elle mentionna ensuite l’œuvre énorme
accomplie par la Société de Secours, son histoire de service et de foi
et les difficultés actuelles.
Elle ajouta : « En 1942, alors que
nous entamons un nouveau siècle de la Société de Secours, nous vivons
dans un monde rempli de tumulte et de problèmes. Il est évident que
partout les gens devront faire des sacrifices, des sacrifices dont
beaucoup n’auraient jamais imaginé la nature et l’ampleur.
Dans ces moments difficile, les
femmes de la Société de Secours ne seront pas prises au dépourvu. Elles
ne douteront jamais que la connaissance et la paix finiront par
triompher de l’ignorance et de la guerre. »
Après avoir terminé son discours, Amy
était reconnaissante de s’être adressée à des femmes qui vivaient à des
milliers de kilomètres et qui n’auraient pas pu assister aux
conférences à Salt Lake City, même en temps de paix.
Amy avait espéré que 1942 soit une
année de réjouissances à l’échelle de l’Église pour la Société de
Secours. Au lieu de cela, il était certain que ce serait une année de
sacrifice, de souffrance et de nouvelles responsabilités. Pourtant,
elle exhorta les femmes à faire confiance au Seigneur et à œuvrer pour
sa cause.
Elle déclara : « En ce jour,
consacrons-nous à nouveau à notre œuvre et à notre mission
particulières et à la propagation de l’Évangile de notre Seigneur et
Maître, Jésus-Christ. »
Pendant ce temps à Tilsit, en
Allemagne, Helga Meiszus, âgée de vingt et un ans, soutenait l’effort
de guerre en apportant des streusels aux soldats et en rendant visite
aux blessés le dimanche entre ses réunions à l’église. Un jour, alors
qu’elle faisait des visites dans un hôpital voisin, elle rencontra un
soldat saint des derniers jours blessé, Gerhard Birth. Peu de temps
après, il commença à lui envoyer de nombreuses lettres.
Même s’ils ne s’étaient vus qu’une
seule fois, le jeune homme l’invita à venir dans sa ville natale pour
fêter Noël avec sa famille. Au début, elle pensait qu’elle ne devait
pas accepter l’invitation. Puis son frère Siegfried, qui travaillait
avec elle dans un magasin de lunettes local, la fit changer d’avis. Il
dit : « Ils sont membres de l’Église et ils t’ont invitée. Pourquoi
n’irais-tu pas ? »
Alors Helga y alla et se réjouit de
faire la connaissance de Gerhard et de sa grande famille. Il était
clair que le jeune homme était amoureux d’elle, mais elle n’imaginait
pas que leur relation pouvait évoluer vers quelque chose de plus. Face
à la guerre et à un avenir incertain, les jeunes avaient tendance à se
précipiter pour se marier. Si Helga faisait de même, Gerhard et elle
auraient probablement peu de temps à passer ensemble avant qu’il soit
renvoyé au front. De plus, la guerre ne tournait pas à l’avantage de
l’Allemagne. En juin 1941, Hitler avait envahi l’Union soviétique mais,
quelques semaines avant Noël, l’armée soviétique et un rude hiver russe
avaient repoussé les nazis à Moscou.
Peu après son retour à Tilsit, Helga
reçut une lettre de Gerhard, la demandant en mariage. Elle répondit en
prenant sa proposition à la légère. Dans sa lettre suivante, il lui
assura qu’il était sincère. Il écrivit : « Fiançons-nous. »
D’abord hésitante, Helga finit par
accepter. Elle appréciait Gerhard et l’admirait. Il était l’aîné de
onze enfants et était dévoué à ses parents et à l’Église. Il avait
également reçu une bonne éducation, avait beaucoup d’ambition et
chantait très bien. Elle pouvait s’imaginer vivre une belle vie avec
lui.
Peu de temps après, Helga rentra chez
elle un dimanche après une réunion de l’Église et trouva dans sa boîte
aux lettres un télégramme de Gerhard. Il avait été rappelé au front et,
par le plus grand des hasards, son train allait passer par Tilsit en
route vers l’Union soviétique. Gerhard voulait la retrouver à la gare
puis l’épouser en ville.
L’idée de se rendre seule à la gare
pour rencontrer un soldat mettait Helga mal à l’aise, alors elle
demanda à une amie du nom de Waltraut de l’accompagner. Le jour
convenu, elles retrouvèrent Gerhard à la gare au milieu d’un groupe de
soldats. Il avait l’air heureux de la voir mais elle le salua d’une
simple poignée de main. Helga se tourna alors vers Waltraut, comptant
sur elle pour dissiper l’embarras du moment mais son amie avait
disparu, les laissant seuls.
Gerhard reçut la permission de rester
à Tilsit quelques jours tandis que son unité partait pour le front. Le
11 février 1942, Helga et Gerhard se rendirent au palais de justice
pour se marier. Il faisait froid mais le temps était magnifique. Tandis
qu’ils marchaient, ils entendaient la neige crisser sous leurs pieds.
Au palais de justice, des membres de la famille et de la branche
étaient présents pour la cérémonie.
Le dimanche suivant, Gerhard chanta
un solo à l’église. L’effectif de la branche de Tilsit avait beaucoup
diminué depuis que de nombreux hommes avaient été appelés sous les
drapeaux. Le père d’Helga avait été enrôlé peu après l’invasion de la
Pologne mais il était de retour chez lui. Son frère, Siegfried, était
maintenant suffisamment âgé pour partir à la guerre, et bientôt, son
frère Henry le serait aussi.
En écoutant Gerhard chanter, Helga
fut émue. Les paroles de son chant rappelaient : « Les plaisirs de la
vie passent rapidement. Ses joies, au mieux, sont peu nombreuses. »
Après la réunion, Helga accompagna
son mari à la gare, où ils se dirent au revoir. Pendant un mois et
demi, Gerhard lui écrivit presque tous les jours. Puis, après quelques
semaines de silence, elle reçut la nouvelle qu’il avait été tué au
combat.
Au mois d’avril de cette année-là, J.
Reuben Clark se tenait devant une petite assemblée pour la conférence
générale, dans l’Assembly Hall à Temple Square. En raison des
restrictions de déplacement, seules les Autorités générales et les
présidences de pieu assistaient en personne à la réunion. Les saints
qui vivaient en Utah et dans les environs pouvaient écouter la
diffusion à la radio, tandis que ceux qui vivaient plus loin devaient
attendre de recevoir les discours publiés dans le rapport de conférence
de l’Église. Les saints qui vivaient dans les pays déchirés par la
guerre n’auraient pas du tout accès aux messages. Pourtant, J. Reuben
Clark estimait que son message, transmis au nom de la Première
Présidence, devait s’adresser à tous les saints des derniers jours, où
qu’ils vivent.
Il déclara : « Dans la guerre
actuelle, des membres justes de l’Église sont morts dans les deux
camps, certains faisant preuve d’un grand héroïsme, pour le bien de
leur propre pays. » Quatre mois plus tôt, son gendre, Mervyn Bennion,
avait perdu la vie lors de l’attaque japonaise de Pearl Harbor. Le
président Clark aimait Mervyn comme son propre fils ; sa mort l’avait
profondément affecté. Aussi pénible qu’ait été la mort de son gendre,
le président Clark avait été consolé par l’Esprit. Il savait qu’il ne
pouvait pas succomber à des sentiments de colère, de rancune ou de
vengeance.
Il ajouta : « Malheur à ceux qui
sèment la haine dans le cœur des jeunes et du peuple. La haine vient de
Satan, l’amour vient de Dieu. Chacun d’entre nous doit chasser la haine
de son cœur et ne plus lui permettre d’y entrer. »
Il cita ensuite un passage de la
section 98 des Doctrine et Alliances : « C’est pourquoi, renoncez à la
guerre, proclamez la paix. » Il poursuivit : « Les conflits entre les
pays doivent être réglés pacifiquement. L’Église est contre la guerre
et doit le rester. »
Le conflit était la cause de chagrin
et de souffrance parmi les membres de l’Église du monde entier et avait
entravé la croissance de celle-ci. Depuis la dernière guerre, les
saints et les missionnaires en Europe avaient passé deux décennies à
faire connaître l’Évangile et à édifier l’Église. Désormais, de
nombreuses branches luttaient pour que leurs membres restent unis.
Aux États-Unis, les saints étaient
également éprouvés, quoiqu’à un moindre degré. Le rationnement de
l’essence et du caoutchouc par le gouvernement empêchait les saints de
se réunir aussi souvent que d’habitude. Tous les hommes âgés de
dix-huit à soixante-quatre ans devaient s’inscrire au service
militaire. Bientôt, il resta très peu de jeunes disponibles pour le
service missionnaire et les dirigeants de l’Église limitèrent l’œuvre
missionnaire à plein temps à l’Amérique du Nord et du Sud, et aux îles
Hawaï.
En dépit du fait que la Première
Présidence était contre la guerre, elle comprenait que les saints des
derniers jours avaient le devoir de défendre le pays où ils vivaient.
Malgré la perte douloureuse de son gendre à cause d’une attaque ennemie
soudaine, le président Clark affirma que les saints des deux côtés du
conflit étaient justifiés de répondre à l’appel de leur nation
respective.
Il déclara : « Cette Église est une
Église mondiale. Ses membres dévoués se trouvent dans les deux camps.
De chaque côté, ils estiment qu’ils se battent pour leur foyer, leur
pays et leur liberté. Des deux côtés, nos frères prient le même Dieu,
en s’adressant à lui de la même façon, pour être victorieux. Les deux
parties ne peuvent avoir entièrement raison ; peut-être qu’aucune n’est
dépourvue de tort. »
Il ajouta : « En son temps et à sa
manière souveraine, Dieu établira ce qui est juste et droit dans ce
conflit. Dieu est à la barre. »
Chapitre 28 : Notre effort commun
Au printemps 1942, les industries
américaines s’engageaient dans l’effort de guerre. À Cincinnati, les
usines produisaient des pièces de machines et des moteurs. D’autres
entreprises de la ville fabriquaient des rideaux occultants, des
parachutes et des émetteurs radio. Dans les épiceries, comme celle de
la famille Bang, les articles étaient soigneusement rationnés car de
plus en plus de marchandises étaient destinées à nourrir et équiper les
soldats.
Les matériaux courants se faisant
rares, Paul et Connie Bang se demandaient si la branche de Cincinnati
serait en mesure de construire son nouveau lieu de culte. Depuis qu’ils
avaient vendu l’ancien bâtiment, les saints se réunissaient dans une
salle louée dans un centre voisin de l’Union chrétienne de jeunes gens
(YMCA). Paul et Connie étaient membres du comité de construction de la
branche. Avant même le début de la guerre, ils avaient collecté des
fonds pour le nouveau lieu de culte. Désormais, avec tant de pénuries,
le comité avait peu d’espoir de réaliser son projet avant la fin des
combats.
À cette époque, Paul et son
beau-frère, Milton Taylor, envisageaient d’emmener leur famille au
temple. Partout autour d’eux, la guerre divisait les familles. Maris et
femmes, fils et filles quittaient leur foyer pour servir leur pays.
Comme ils avaient une vingtaine d’années, Paul et Milton s’étaient
inscrits pour le service militaire et pouvaient être mobilisés à tout
moment. Au milieu d’un tel tumulte, le mariage éternel et les alliances
du temple étaient une source d’assurance pour eux et pour leur jeune
famille.
Un jour, Paul et Milton apprirent que
leur ami, Vaughn Ball, membre de la branche de Cincinnati originaire de
Salt Lake City, prévoyait de se rendre en Utah. Si la famille Bang et
la famille Taylor l’accompagnaient, ils pourraient réaliser leur rêve
d’être dotés et scellés dans le temple. De plus, en voyageant ensemble,
les frais seraient réduits.
Le seul problème était de trouver un
moyen de transport. Près de deux ans s’étaient écoulés depuis le
mariage de Paul et Connie Bang et ils étaient maintenant parents d’une
fille de dix mois, Sandra. Milton et sa femme, Esther, avaient
également une petite fille, Janet, âgée de deux ans.
Milton connaissait un homme qui
possédait une bonne voiture avec suffisamment de places assises. Ce
dernier accepta de la leur louer. Alors que les générations précédentes
de saints étaient parties vers l’ouest en chariot, en charrette à bras
ou en train, la famille Bang, la famille Taylor et Vaughn Ball allaient
le faire dans une DeSoto Touring Sedan de 1939.
La dernière semaine du mois d’avril,
le groupe prit la route pour l’Utah. En cette période de guerre,
l’essence n’était pas aussi rare que le caoutchouc. Le groupe pouvait
donc entreprendre son voyage à travers le pays en toute bonne
conscience, à condition de rouler lentement pour éviter une usure
prématurée des pneus.
Tandis que la DeSoto traversait les
États-Unis, les voyageurs profitaient des nombreuses routes goudronnées
et stations-service qui avaient vu le jour au cours des trente
dernières années. La nuit, ils dormaient dans des motels et ils
parvenaient toujours à convaincre les propriétaires de leur louer des
chambres pour quelques dollars de moins que le prix annoncé.
À part Vaughn, aucun des voyageurs ne
s’était aventuré aussi loin vers l’ouest auparavant. Le paysage
changeant était une nouveauté pour eux. Ils profitèrent du spectacle
jusqu’à ce que les Montagnes Rocheuses se dessinent et que les routes
deviennent plus escarpées et plus dangereuses. Vaughn aimait plus que
tout franchir les cols magnifiques mais tous les autres semblaient
terrifiés à l’idée que les pentes escarpées cèdent et les enterrent
vivants. C’est avec soulagement qu’ils arrivèrent sains et saufs dans
la vallée du lac Salé.
En ville, Paul, Connie et Sandra
furent hébergés chez la mère de Marion Hanks, un missionnaire qui
servait à Cincinnati. La famille Taylor fut logée chez la mère de
Vaughn Ball. Les deux familles visitèrent Temple Square à plusieurs
reprises, prenant en photo les bâtiments et les monuments. Ils
rendirent également visite à Charles et Christine Anderson, qui avaient
dirigé la branche de Cincinnati pendant plus de deux décennies. Ceux-ci
aimaient profondément les deux couples et espéraient depuis longtemps
les voir scellés.
Le 1er mai, Paul et Connie entrèrent
dans le temple de Salt Lake City avec Milton et Esther. Après avoir
reçu leur dotation, les couples furent conduits dans l’une des cinq
salles de scellement du temple. Charles A. Callis, apôtre qui avait
autrefois été président de la mission comprenant la branche de
Cincinnati, fit entrer tour à tour chaque couple et les scella pendant
que frère Anderson servait de témoin. Janet et Sandra furent ensuite
amenées dans la pièce, vêtues de blanc, et scellées à leurs parents
respectifs.
Quelques jours après leur scellement,
Paul, Connie, Milton et Esther se rendirent de nouveau au temple pour
faire une autre session de dotation. Paul et Connie s’émerveillèrent de
la taille et de la beauté du bâtiment tandis qu’ils en parcouraient les
salles et les couloirs. Ils étaient ravis d’être là et avaient
l’assurance qu’ils étaient scellés ensemble et à leur fille pour le
temps et l’éternité.
Ce printemps-là, près de la Haye, aux
Pays-Bas, Hanna Vlam, âgée de trente-sept ans, disait au revoir à son
mari, Pieter, alors qu’il s’apprêtait à partir à la gare. Depuis deux
ans, l’Allemagne nazie occupait les Pays-Bas. En tant qu’ancien
officier de la marine néerlandaise, Pieter était tenu de se faire
enregistrer régulièrement auprès des autorités nazies et il se rendait
dans une ville proche de la frontière allemande pour le faire.
Avant son départ, il dit à Hanna : « On se voit demain. »
L’invasion allemande avait pris Hanna
et Pieter au dépourvu. Hitler avait promis de ne pas envahir les
Pays-Bas, qui étaient neutres, et Pieter l’avait cru. Puis, une nuit de
mai 1940, le bruit d’avions de guerre larguant des bombes les avait
brusquement tirés du lit. Pieter avait rapidement revêtu son uniforme
et était parti pour aider à défendre son pays. Cependant, après cinq
jours de combat, l’armée néerlandaise avait capitulé devant la
puissance écrasante de l’Allemagne.
Il était difficile de vivre sous le
régime nazi. Pieter avait perdu sa solde de militaire mais il avait
trouvé un emploi civil pour subvenir aux besoins de sa famille. Sous
l’occupation, les saints néerlandais avaient reçu l’autorisation de
continuer à se réunir tant que des responsables nazis pouvaient
entendre ce qu’ils disaient. Les membres devaient se réunir pendant la
journée pour se conformer aux interdictions de sortie. En tant que
deuxième conseiller dans la présidence de mission des Pays-Bas, Pieter
passait presque tous les week-ends à voyager en compagnie du président
de mission, Jacob Schipaanboord, et du premier conseiller, Arie
Jongkees, tous deux néerlandais comme lui, afin de visiter des branches
dans tout le pays.
En mars 1941, Pieter et Hanna Vlam
avaient fait face à une tragédie : un train avait heurté et tué leur
fille de quatre ans, Vera. Leur seule consolation était de savoir
qu’elle était à eux pour l’éternité. Alors que Vera n’était qu’un bébé,
le couple et ses trois enfants avaient été scellés dans le temple de
Salt Lake City, en rentrant d’une mission militaire en Indonésie. Cette
certitude les aida à s’accrocher à leurs alliances et à trouver du
réconfort malgré les jours sombres qui suivirent.
Le matin où Pieter était parti se
faire enregistrer auprès des autorités nazies, Hanna n’imaginait pas
que leur séparation pourrait durer plus longtemps que ses déplacements
les weekends avec la présidence de la mission. Mais, plus tard ce jour
là, leur fille aînée, Grace, âgée de onze ans, fit irruption dans la
pièce.
Elle s’exclama : « Est-ce que c’est
vrai ? » Elle rapporta à sa mère que, selon des rumeurs, les nazis
avaient arrêté les anciens militaires qui s’étaient présentés à
l’enregistrement. Ils avaient été entassés dans des wagons à bestiaux
et transportés vers un camp de prisonniers.
Hanna était trop choquée pour parler.
Le lendemain, elle reçut par courrier la confirmation que Pieter avait
été emmené en Allemagne. Il était désormais prisonnier de guerre.
Les semaines passaient lentement ;
Hanna priait pour recevoir de la paix et de la force. Elle demandait au
Seigneur de veiller sur son mari et de le protéger. Après presque six
semaines sans nouvelles, elle reçut finalement une petite carte de
Pieter. Son écriture était serrée pour remplir tout l’espace.
On y lisait : « Je suis en bonne
santé, de corps et d’esprit. » Les nazis le détenaient dans une prison
du nom de Langwasser, dans la ville de Nuremberg. Malgré les mauvais
traitements qu’infligeaient les gardiens à ses compagnons et lui-même,
il s’en sortait. Il avait écrit : « Je pense constamment à vous tous.
Dans mon esprit, je te serre fort dans mes bras, ma chère Hanny. »
Il demandait à sa femme de lui
envoyer un peu de nourriture et ses Écritures. Hanna n’était pas sûre
que les livres passent la censure nazie, mais elle décida qu’elle
allait au moins essayer.
Pieter l’exhorta : « Sois courageuse. Dieu nous réunira à nouveau. »
Le 5 juillet 1942, David Ikegami
assistait à une conférence de la mission japonaise dans le tabernacle
du pieu d’Oahu, à Hawaï. Pour lui, cette réunion du dimanche était
particulière. Non seulement il allait être ordonné à l’office
d’instructeur dans la Prêtrise d’Aaron, mais en plus, on lui avait
demandé de prendre la parole lors de la première session de la
conférence. Plus de deux cents personnes étaient présentes, ce qui
était bien plus que l’assistance aux réunions de l’École du Dimanche
auxquelles il était habitué.
Pour son discours, David s’appuya sur
les paroles tirées de Doctrine et Alliances 38:30 : « Si vous êtes
préparés, vous ne craindrez pas ». Près de sept mois après l’attaque de
Pearl Harbor, la crainte et l’incertitude continuaient de peser sur
Hawaï. L’armée américaine avait investi les hôtels et clôturé les
plages avec des barbelés. Les soldats faisaient respecter un couvre-feu
strict et les personnes qui ne le respectaient pas risquaient d’être
abattues. Les cours avaient repris dans l’établissement scolaire de
David. Il devait toutefois avoir avec lui un masque à gaz et les élèves
faisaient souvent des exercices en prévision des raids aériens et des
attaques au gaz.
En tant que nippo-américains, David
et sa famille devaient également supporter la méfiance croissante de
leurs voisins non japonais. Certaines personnes, y compris de nombreux
responsables gouvernementaux et militaires, supposaient, sans aucune
preuve, que les américains d’origine japonaise tenteraient de saper
l’effort de guerre américain par loyauté ancestrale envers le Japon. Au
début de l’année, le gouvernement américain avait même commencé à
déplacer plus de cent mille hommes, femmes et enfants nippo-américains
de leurs foyers en Californie et dans d’autres États de la côte ouest
vers des camps d’internement dans des États à l’intérieur des terres,
comme l’Utah.
Le gouvernement ne procéda pas à des
internements aussi massifs à Hawaï, où près de quarante pour cent de la
population était d’origine japonaise. Toutefois, les autorités avaient
placé en détention environ mille cinq cents personnes de la communauté
japonaise qui occupaient des postes importants ou qui étaient
considérées comme suspectes. La plupart de ces détenus étaient
emprisonnés dans des camps sur les îles.
Pour montrer sa loyauté envers les
États-Unis et participer à l’effort de guerre, David avait rejoint un
groupe de bénévoles appelé le Kiawe Corps pour construire des sentiers
et enlever les bosquets de kiawe, arbustes à épines, pour installer les
camps militaires. Pendant ce temps, son père avait commencé à
travailler avec ses assistants de l’École du Dimanche pour organiser
une collecte de fonds pour les militaires américains, qui comptaient
dans leurs rangs des membres de leur assemblée.
Lorsque David prit la parole pendant
la conférence de mission, il cita le dernier discours de conférence
générale de John A. Widtsoe. L’apôtre avait enseigné aux saints que «
la peur est une arme majeure de Satan pour rendre l’humanité
malheureuse », leur rappelant que les personnes qui vivaient dans la
droiture et l’unité n’avaient pas à avoir peur. Il avait déclaré : « Où
que soit le peuple du Seigneur, si ceux qui le composent vivent si
dignement qu’ils puissent revendiquer le titre sacré de citoyens de la
Sion de notre Seigneur, ils sont en sécurité. »
Au cours des semaines qui suivirent
la conférence, le père de David continua de collecter des fonds au
profit des soldats américains. La collecte, intitulée « Nous sommes
unis pour la victoire », permit à un comité de cinquante Japonais de
l’île d’imprimer des milliers d’invitations et d’enveloppes de dons à
distribuer à leurs amis et voisins. En quelques mois, ils avaient
collecté onze mille dollars. Les chefs militaires en poste sur les îles
exprimèrent leur reconnaissance pour l’argent. Il serait utilisé pour
acheter des livres, des cours de langue sur phonographe et deux
projecteurs et écrans de cinéma pour remonter le moral des soldats.
Les saints de la mission japonaise
étaient heureux d’aider. Leur patriotisme et leur loyauté
transparaissaient sur les invitations distribuées dans toute la
collectivité. On y lisait : « Nous désirons faire tout ce qui est en
notre pouvoir pour préserver la liberté que nous aimons. Notre effort
commun rendra les militaires heureux. »
Quelques mois plus tard, dans une
prison de Hambourg, en Allemagne, Karl-Heinz Schnibbe attendait d’être
jugé pour trahison. Peu après son arrestation, il avait vu son ami,
Helmuth Hübener, dans une grande salle de détention blanche avec des
dizaines d’autres prisonniers. Tous avaient reçu l’ordre de garder le
nez contre le mur mais, lorsque Karl-Heinz passa près d’eux, son ami
inclina la tête, sourit et fit un petit clin d’œil. Visiblement,
Helmuth ne l’avait pas incriminé. Le visage meurtri et tuméfié du jeune
homme montrait qu’il avait été violemment battu pour avoir résisté.
Peu de temps après, Karl-Heinz vit
également son ami, Rudi Wobbe, dans la salle de détention. Ils avaient
été arrêtés tous les trois.
Au cours des premiers mois de son
emprisonnement, Karl-Heinz avait subi des interrogatoires, des menaces
et des actes de violence de la part de la Gestapo. Les enquêteurs ne
parvenaient pas à accepter l’idée qu’un garçon de dix-sept ans comme
Helmut Hübener puisse être à l’origine d’une telle conspiration et ils
avaient exigé de connaître le nom des adultes impliqués. Bien sûr, il
n’y avait pas de noms d’adultes à donner.
Le matin du 11 août 1942, Karl-Heinz
quitta sa tenue de prisonnier pour revêtir un costume et une cravate
envoyés par sa famille. Le costume pendait sur son corps amaigri comme
s’il était sur un cintre dans un placard. Karl-Heinz fut ensuite
conduit devant le Tribunal du peuple, tristement célèbre en Allemagne
nazie pour juger les prisonniers politiques et leur infliger des
punitions terribles. Ce jour-là, Karl-Heinz, Helmuth et Rudi allaient
être jugés pour conspiration, trahison et complicité avec l’ennemi.
Dans la salle d’audience, les accusés
étaient assis sur une estrade surélevée face aux juges vêtus de robes
rouges ornées d’un aigle d’or. Pendant des heures, Karl-Heinz écouta
les témoins et les agents de la Gestapo détailler les preuves de la
conspiration des garçons. Les tracts de Helmuth, qui dénonçaient Hitler
et exposaient les mensonges des nazis, furent lus à haute voix. Les
juges étaient furieux.
La cour concentra d’abord son
attention sur Karl-Heinz, Rudi et un autre jeune homme, un ancien
collègue de travail de Helmuth. Puis elle s’intéressa à Helmuth, qui ne
semblait pas intimidé par les juges.
L’un d’eux demanda : « Pourquoi avez-vous fait ce que vous avez fait ?
– Parce que je voulais que les gens
sachent la vérité », répondit Helmuth. Il dit aux juges qu’il ne
pensait pas que l’Allemagne pouvait gagner la guerre. Des exclamations
de colère et d’incrédulité remplirent la salle d’audience.
Quand les juges revinrent à leur banc
afin d’annoncer le verdict, Karl-Heinz tremblait. Le juge en chef les
qualifia de « traîtres » et d’« ordures ». Il déclara : « La vermine
dans votre genre doit être exterminée. »
Puis il se tourna vers Helmuth et le
condamna à mort pour haute trahison et complicité avec l’ennemi. Le
silence s’abattit sur la salle. Un visiteur dans la salle murmura : «
Oh non ! La peine de mort pour ce garçon ? »
Karl-Heinz fut condamné à cinq ans de
prison et Rudi à dix ans. Les garçons étaient abasourdis. Les juges
demandèrent s’ils avaient quelque chose à dire.
Helmuth prit la parole : « Vous me
tuez sans aucune raison. Je n’ai commis aucun crime. J’ai simplement
dit la vérité. Aujourd’hui c’est mon tour mais le vôtre viendra. »
Cet après-midi-là, Karl-Heinz vit
Helmuth pour la dernière fois. Ils se serrèrent d’abord la main, puis
Karl-Heinz prit son ami dans ses bras. Les yeux de Helmuth s’emplirent
de larmes.
« Au revoir », dit-il.
Le lendemain de l’exécution de
Helmuth Hübener par les nazis, Marie Sommerfeld apprit la nouvelle dans
le journal. Elle était membre de la branche du jeune homme. Son fils,
Arthur, et lui étaient amis. Pour Helmuth, elle était comme une seconde
mère. Elle n’arrivait pas à croire qu’il n’était plus de ce monde.
Elle se souvenait encore de lui,
enfant, brillant et doté d’un grand potentiel. En une occasion, il lui
avait dit : « Un jour, tu entendras quelque chose de grandiose me
concernant. » Selon elle, Helmuth n’avait pas dit cela pour se vanter.
Il voulait simplement mettre à profit son intelligence pour faire
quelque chose d’important dans le monde.
Huit mois plus tôt, Marie avait
appris l’arrestation de Helmuth avant même que le président de la
branche ne l’annonce à la chaire. C’était un vendredi, le jour où,
habituellement, elle nettoyait l’église avec Wilhelmina Sudrow, la
grand-mère de Helmuth. En entrant dans le bâtiment, Marie avait trouvé
Wilhelmina à genoux devant la chaire, les bras tendus, implorant Dieu.
« Que se passe-t-il ? » avait-elle demandé.
Wilhelmina avait répondu : « Quelque
chose de terrible est arrivé. » Elle avait alors expliqué que les
agents de la Gestapo s’étaient présentés à sa porte accompagnés de
Helmuth, avaient fouillé l’appartement et emporté certains de ses
papiers, sa radio et la machine à écrire de la branche.
Horrifiée par ce récit, Marie avait
immédiatement pensé à son fils Arthur, qui avait récemment été enrôlé
dans le service du travail du Reich à Berlin. Avait-il été impliqué
dans le plan de Helmuth avant son départ ?
Dès qu’elle put, elle se rendit à
Berlin pour demander à Arthur s’il avait participé d’une quelconque
manière. Elle fut soulagée d’apprendre que, bien qu’il ait
occasionnellement écouté la radio de Helmuth, il ne savait pas que ce
dernier et les autres garçons distribuaient des documents antinazis.
Tout au long de l’emprisonnement de
Helmuth, des membres de la branche prièrent pour lui. D’autres en
voulaient aux jeunes garçons de les avoir mis en danger, eux et
d’autres saints allemands, et d’avoir compromis la possibilité de
continuer de tenir des réunions de l’Église à Hambourg. Même les
membres de l’Église qui n’étaient pas sympathisants des nazis
craignaient que Helmuth ne leur ait fait courir le risque d’être
emprisonnés, ou pire, notamment du fait que la Gestapo était convaincue
que le jeune garçon avait été aidé par des adultes.
Le président de branche, Arthur
Zander, estima qu’il devait agir rapidement pour protéger les membres
de sa branche et prouver que les saints des derniers jours ne
conspiraient pas contre le gouvernement. Peu de temps après
l’arrestation des garçons, Arthur Zander et le président de mission
suppléant, Anthon Huck, excommunièrent Helmuth. Cette décision mit en
colère certains membres de la branche ainsi que le président de
district. Les grands-parents de Helmuth étaient effondrés.
Quelques jours après l’exécution de
Helmuth, Marie reçut une lettre qu’il lui avait écrite quelques heures
avant sa mort. « Mon Père céleste sait que je n’ai rien fait de mal,
disait-il. Je sais que Dieu vit. Il sera le véritable juge de cette
affaire. »
Il avait ajouté : « Je reste votre
ami et votre frère dans l’Évangile jusqu’au jour de nos heureuses
retrouvailles dans un monde meilleur. »
Pendant des mois, Pieter Vlam se
demandait pourquoi le Seigneur avait permis aux nazis de l’enfermer
dans un camp de prisonniers, loin de sa famille.
Les baraques délabrées du camp
étaient infestées de poux, de puces et de punaises de lit. Pieter et
les autres prisonniers s’aventuraient parfois à l’extérieur pour se
reposer sur une petite parcelle herbeuse. Un jour, alors qu’ils étaient
allongés et regardaient le ciel, un homme demanda à Pieter s’ils
pouvaient parler de sujets spirituels. Il savait que ce dernier était
saint des derniers jours et il se posait des questions sur ce qu’il y
avait après cette vie. Pieter commença à lui enseigner l’Évangile.
Bientôt, d’autres prisonniers vinrent
chercher des conseils spirituels auprès de lui. Comme les gardes ne
permettaient pas aux hommes de se réunir en grand groupe, Pieter
partait marcher autour du camp avec deux hommes à la fois, un de chaque
côté. Parmi ses compagnons de détention, tous ne croyaient pas aux
enseignements de Pieter, mais ils aimaient sa foi et apprirent à mieux
connaître l’Église.
Après avoir passé quelques mois dans
le camp allemand, les officiers néerlandais furent transférés au Stalag
371, camp de prisonniers situé en Ukraine, alors occupée par les nazis.
Leurs nouveaux quartiers se trouvaient dans un bâtiment de pierre
glacial mais les conditions de vie y étaient un peu meilleures que ce
qu’ils avaient enduré en Allemagne. Se sentant plus fort de corps et
d’esprit, Pieter continua de faire des promenades avec quiconque était
intéressé par ce qu’il enseignait. Il marchait tellement qu’il écrivit
à sa femme, Hanna, pour lui demander de lui envoyer de nouvelles
chaussures en bois pour remplacer ses chaussures usées.
Bientôt, un groupe d’une dizaine
d’hommes sollicita Pieter afin qu’il organise une École du Dimanche, ce
qu’il accepta. Comme les nazis interdisaient de telles réunions, les
prisonniers se retrouvèrent en secret dans un bâtiment désert situé
dans un coin reculé du camp. Ils couvrirent la fenêtre d’une vieille
couverture et trouvèrent de quoi faire une chaire improvisée. Par
miracle, les Écritures et le recueil de cantiques qu’Hanna avait
envoyés à son mari après son arrestation n’avaient pas été confisqués.
Pieter enseignait en s’appuyant sur la Bible et le Livre de Mormon mais
le groupe n’osait pas chanter. Au lieu de cela, Pieter lisait les
paroles des cantiques à haute voix. À la fin de leurs réunions, les
hommes s’éclipsaient, un à un, pour éviter d’être repérés.
Un pasteur protestant du Stalag 371
finit par remarquer que des hommes marchaient et parlaient avec Pieter.
Il les prit à part, un par un, et leur montra une brochure pleine de
mensonges sur l’Église. Il leur dit que Pieter se berçait d’illusions.
Cependant, les efforts du pasteur n’eurent pas le résultat escompté :
au lieu de persuader les hommes de mettre de côté Pieter et ses
enseignements, ils éveillèrent leur curiosité au sujet de l’Évangile
rétabli.
Après avoir lu la brochure, un
certain M. Callenbach décida de rejoindre le groupe. Il dit à Pieter :
« Je ne souhaite pas être converti. Je veux simplement connaître votre
version de l’histoire. »
Un dimanche, Pieter décida de parler
du principe du jeûne. Il recommanda aux hommes de donner à quelqu’un la
petite tasse de haricots qu’ils avaient reçue ce jour-là.
Il ajouta : « Si vous n’arrivez pas à
dormir la nuit, priez Dieu et demandez-lui si les choses que je vous ai
dites sont vraies. »
Le dimanche suivant, les hommes se
levèrent pour rendre témoignage. M. Callenbach fut le dernier à prendre
la parole. Les larmes aux yeux, il raconta son expérience concernant le
jeûne.
Il dit : « Cette nuit-là, j’étais
affamé. Je me suis alors souvenu de ce que M. Vlam avait dit concernant
la prière. » Il expliqua qu’il avait prié avec ferveur pour savoir si
les enseignements de Pieter étaient vrais. Il ajouta : « Un sentiment
indescriptible de paix m’a envahi et j’ai su que j’avais entendu la
vérité. »
Chapitre 29 : Reste avec nous, Seigneur
Par une nuit calme de 1943, quelqu’un
sonna à la porte de Nellie Middleton. Il faisait nuit dehors mais elle
savait qu’il ne fallait pas allumer les lumières au moment d’ouvrir la
porte. Près de trois ans s’étaient écoulés depuis que les bombes
allemandes avaient commencé à tomber près de chez elle, rue de
Saint-Paul à Cheltenham en Angleterre. Nellie continuait d’occulter ses
fenêtres la nuit pour protéger sa fille et elle-même des raids aériens.
Les lumières éteintes, elle ouvrit la
porte. Un jeune homme se tenait sur le seuil, le visage dans la
pénombre. Il tendit la main et, à voix basse, se présenta comme étant
Ray Hermansen, un frère de l’Église. Son accent américain était
facilement reconnaissable.
Nellie sentit sa gorge se nouer.
Depuis la dissolution de la branche de Cheltenham, Nellie et les autres
femmes avaient rarement eu l’occasion de prendre la Sainte-Cène. Les
États-Unis avaient récemment envoyé des troupes en Angleterre pour
préparer une offensive des Alliés contre l’Allemagne nazie. Quand
Nellie avait pris conscience que certains soldats américains basés dans
sa ville pourraient être des membres de l’Église pouvant bénir la
Sainte-Cène, elle avait demandé à Margaret, sa belle-sœur, de peindre
une représentation du temple de Salt Lake City et de l’afficher en
ville. Sous l’image, on lisait le message suivant : « Tout soldat
intéressé par ceci sera accueilli chaleureusement au 13, rue St. Paul. »
Cet américain avait-il vu son affiche ? Avait-il l’autorité de bénir la Sainte-Cène ? Nellie lui serra la main et le fit entrer.
Ray était un saint des derniers jours
de vingt ans, originaire d’Utah, et il détenait l’office de prêtre dans
la prêtrise d’Aaron. Bien que son régiment soit stationné à seize
kilomètres de là, un autre membre de l’Église lui avait parlé de la
peinture du temple de Salt Lake City et il avait obtenu la permission
de se rendre à l’adresse indiquée sur l’affiche. Il avait parcouru la
distance à pied et c’était pour cela qu’il n’était arrivé qu’à la nuit
tombée. Quand Nellie lui fit part de son souhait de prendre la
Sainte-Cène, il lui demanda à quel moment il pouvait revenir afin
d’accomplir cette ordonnance pour elle.
Le 21 novembre, Nellie, sa fille et
trois autres femmes accueillirent Ray à leur réunion dominicale. Nellie
commença la réunion par une prière et la petite assemblée chanta le
cantique « Oh, quel amour ». Ensuite, Ray bénit et distribua la
Sainte-Cène. Puis les quatre femmes présentes rendirent témoignage de
l’Évangile.
Bientôt, d’autres soldats saints des
derniers jours entendirent parler des réunions de la rue St. Paul.
Certains dimanches, il y avait tellement de monde dans le salon de
Nellie que les gens devaient s’asseoir dans les escaliers. Comme les
canaux de communication entre les nations alliées étaient toujours
ouverts, les saints de Cheltenham n’étaient pas isolés du siège de
l’Église en Utah. La mission britannique continuait de publier le
Millennial Star, ce qui fournissait aux saints de la documentation pour
leurs leçons et des articles d’actualité dont ils discutaient lors de
leurs réunions.
À cette époque, l’une des nouvelles
les plus importantes du Millennial Star était l’appel de Spencer W.
Kimball et d’Ezra Taft Benson au Collège des douze apôtres. Quand le
président Grant leur présenta cet appel, tous deux étaient présidents
de pieu en dehors de l’Utah et avaient des liens avec la mission
britannique. Heber C. Kimball, le grand-père de frère Kimball, avait
ouvert la mission en 1837. Frère Benson avait servi dans cette mission
au début des années 1920.
Lors des réunions avec les soldats,
Nellie constatait à quel point leur famille leur manquait. Comme
l’armée censurait le courrier qu’écrivaient les militaires, leurs
proches n’avaient souvent aucune idée de l’endroit où ils se
trouvaient. Nellie commença à écrire des lettres aux familles des
soldats, décrivant combien il était merveilleux d’avoir leur frère,
leur fils, leur mari ou leur fiancé chez elle. Elle indiquait son
adresse sur l’enveloppe, ce qui donnait une idée de l’endroit où
étaient déployés les soldats.
Dans une lettre adressée à la femme
d’un soldat, Nellie écrivit : « Je sais à quel point votre mari doit
vous manquer et avec quelle impatience vous attendez de ses nouvelles.
Sachez que vous auriez été très fière de la manière dont il a parlé de
vous et de l’Église. »
Elle ajouta : « Je pense que tant que
nous faisons de notre mieux, le Seigneur continuera de nous bénir. Il a
pris soin de nous et nous a protégés avec tant de bonté. Même au milieu
de toute cette misère et cette destruction, nous sommes profondément
reconnaissants de toutes nos bénédictions. »
Vers cette époque, Mary dos Santos,
âgée de trente ans, rendait visite à sa tante, Sally, qui vivait dans
une ferme près de la ville de Santa Bárbara d’Oeste, dans l’État de São
Paulo, au Brésil. Sally avait rencontré des missionnaires saints des
derniers jours originaires des États-Unis et elle avait proposé à Mary
de les rencontrer également. Cette dernière n’était pas très croyante
et ne s’intéressait pas du tout à une nouvelle Église. Cependant, elle
avait accepté de rencontrer les jeunes hommes avec son mari, Claudio, à
condition qu’ils promettent de ne pas parler de religion.
Plus tard, lorsque les missionnaires
arrivèrent à São Paulo chez Mary et Claudio, ceux-ci les trouvèrent à
la fois intéressants et amusants. Ils restèrent quatre heures et ne
parlèrent de l’Église que pour mentionner un cours d’anglais qu’ils
proposaient tous les jeudis. Le grand-père de Mary était né aux
États-Unis et avait émigré au Brésil après la guerre de Sécession, si
bien que la jeune femme avait grandi en parlant anglais à la maison.
Mais le cours intéressait Claudio, qui était brésilien lusophone et ne
connaissait que peu d’anglais. Il pensait qu’une meilleure maîtrise de
cette langue l’aiderait à progresser professionnellement.
Avant que Claudio assiste à son
premier cours, Mary le mit en garde. Elle lui dit : « Tu vas au cours
d’anglais, rien de plus. Ne fais pas attention à tout ce qui se passe
avant ou après ! »
Claudio ne tint pas compte de son
conseil. Après le cours, il resta pour assister à une activité où les
membres de l’Église et leurs amis faisaient des sketches et jouaient de
la musique. Claudio aimait la musique mais il était surtout attiré par
le bon esprit de la réunion et des participants.
Quand il rentra chez lui, sa femme l’interrogea sur le cours : « Comment ça s’est passé ?
– C’était merveilleux ! » Il lui parla de l’activité. Il avait déjà hâte d’y retourner.
Mary n’aimait pas le fait qu’il reste
après le cours mais elle le soutint, semaine après semaine. Un jour, il
la convainquit de l’accompagner et elle passa également un bon moment.
Tous deux finirent par s’intéresser à l’Évangile rétabli de
Jésus-Christ.
Au Brésil, l’Église n’en était qu’à
ses débuts. Comme l’avait recommandé le président de la mission
sud-américaine, Reinhold Stoof, la mission brésilienne créée en 1935
était germanophone. Cependant, trois ans plus tard, le président de la
République avait instauré des lois visant à affaiblir l’influence des
gouvernements étrangers et à promouvoir l’unité nationale. L’une de ces
lois interdisait qu’une autre langue que le portugais, langue
officielle du pays, soit parlée dans les réunions publiques, y compris
les services religieux.
Les saints avaient obtenu
l’autorisation de la police de tenir certaines réunions en allemand.
Toutefois, les missionnaires commencèrent à concentrer leurs efforts
sur les lusophones, dont beaucoup semblaient désireux de les
rencontrer. En 1940, l’Église publia une édition portugaise du Livre de
Mormon.
En même temps, les restrictions
linguistiques continuaient de susciter de la frustration chez les
saints germanophones. Leurs sentiments ne firent que s’intensifier au
cours de l’été 1942, lorsque des sous-marins allemands attaquèrent des
navires brésiliens. Le Brésil déclara la guerre à l’Allemagne et le
travail missionnaire en allemand fut interrompu. Certains saints
germanophones se retournèrent contre l’Église et ses dirigeants
majoritairement américains, mais beaucoup restèrent des saints des
derniers jours engagés.
Dans la branche de São Paulo, où Mary
et Claudio assistaient aux réunions et aux activités, une poignée de
saints lusophones et germanophones participaient au culte ensemble.
Mais il y avait un problème pour trouver des dirigeants.
Habituellement, c’étaient les missionnaires qui dirigeaient les
branches au Brésil mais, à cause de la guerre, il étaient moins
nombreux. Le gouvernement brésilien avait également interdit l’entrée
de nouveaux missionnaires étrangers dans le pays. Lorsque le président
de mission, William Seegmiller, était arrivé en 1942, plus de soixante
missionnaires d’Amérique du Nord œuvraient au Brésil. Au début de
l’année 1944, les derniers missionnaires étaient sur le point de
rentrer chez eux et il y avait très peu de détenteurs de la prêtrise
parlant le portugais au Brésil pour remplir les appels vacants de
dirigeants.
Les cours d’anglais suivis par
Claudio prirent fin après le retour des missionnaires aux États-Unis.
Peu de temps après la fin des cours, Ada, la femme du président
Seegmiller, rendit visite au couple. Après avoir discuté un moment,
elle dit : « Vous savez, ces missionnaires seraient très heureux si
vous vous faisiez baptiser. »
Ce soir-là, Claudio et Mary
n’acceptèrent pas le baptême, mais ils décidèrent de commencer à
assister aux réunions du dimanche. Leur intérêt pour l’Évangile
augmenta et, au début de la nouvelle année, ils décidèrent de devenir
membres de l’Église. Le 16 janvier 1944, Mary et Claudio furent
baptisés par Wan, le fils de William et Ada Seegmiller, quelques jours
seulement avant que celui-ci ne quitte le pays pour servir dans l’armée
américaine.
Quelques semaines après le début de
la nouvelle année, Helga Meiszus Birth apprit la mort de son cousin
Kurt Brahtz, soldat de l’armée allemande qui avait récemment été blessé
en Union soviétique. Elle avait grandi avec le jeune homme et le
considérait comme son frère. Elle pleura sa mort comme elle avait
pleuré celle de son mari, Gerhard, autre jeune victime de la guerre.
Elle resta inconsolable pendant quelques temps. Puis elle se força à se
reprendre. Elle dit : « Je pleure pour moi-même. »
Un peu plus tard, alors qu’elle
assistait à une conférence de district près de chez elle, Helga
rencontra Paul Langheinrich, deuxième conseiller dans la présidence de
mission. Pendant qu’ils parlaient, Paul lui demanda : « Sœur Birth, que
diriez-vous de partir en mission ? » Helga réfléchit. La plupart des
jeunes hommes étant partis à la guerre, on avait désespérément besoin
de sœurs missionnaires. Ce ne serait pas facile de faire une mission en
période de guerre et elle devrait obtenir une permission spéciale pour
déménager à Berlin. Néanmoins, elle voulait faire avancer l’œuvre du
Seigneur. Elle répondit à Paul qu’elle était prête à servir.
Les mois passèrent et elle ne reçut
pas d’appel en mission. Pendant cette période, elle se faisait de plus
en plus de souci pour son jeune frère Siegfried, qui avait été enrôlé
dans l’armée. Elle était sûre qu’il lui était arrivé quelque chose.
Lorsqu’elle reçut enfin une lettre de lui, il était dans un hôpital
militaire en Roumanie. Une bombe lui avait déchiqueté le corps, lui
mutilant le genou et la hanche. Il écrivit : « Helga, la guerre est
finie pour moi. » Il décéda quelques jours plus tard.
Le mois suivant, la branche organisa
une cérémonie en souvenir de Siegfried. La tante de Helga, Nita, de
Hambourg, vint à Tilsit pour le service. Elle y retrouva Helga, ses
grands-parents et sa tante Lusche. À la fin de la cérémonie, Lusche
attrapa Helga par le bras et lui demanda : « Pourquoi ne viens-tu pas
dormir chez moi ?
– Je ne peux pas », répondit-elle. Elle avait déjà promis à Nita et à ses grands-parents de rester avec eux cette nuit-là.
« Viens chez moi, la supplia Lusche. J’ai préparé trop de soupe aux pois ! »
Helga sentit que quelque chose la poussait à suivre Lusche. Elle accepta.
Cette nuit-là, chez sa tante, après
s’être couchée, Helga vit un flash lumineux aveuglant. Elle sut
immédiatement qu’il s’agissait d’une fusée éclairante d’un bombardier
allié, illuminant une cible. Les deux femmes se précipitèrent à la cave
tandis que les sirènes d’alerte aérienne retentissaient.
Helga connaissait bien les raids.
L’année précédente, les éclats d’une bombe ennemie l’avaient touchée à
la tête et au ventre. Elle avait senti tout son corps s’engourdir et
avait cru qu’elle allait mourir. Elle s’était dit : « Je vais retrouver
Gerhard. »
Cette nuit-là, pendant que les
nombreuses explosions faisaient trembler les murs, Helga pensait
qu’elle ne sortirait pas vivante de la cave. Blotties l’une contre
l’autre, les deux femmes chantèrent un cantique qui les réconfortait
dans leurs moments d’angoisse :
Seigneur, reste avec moi ce soir !
Voici déjà la nuit.
Le calme et la paix revinrent enfin
dans la maison. Le lendemain matin, un homme qu’Helga connaissait par
le travail, frappa à la porte de Lusche et dit : « Dépêchez-vous !
Dépêchez-vous ! Dépêchez-vous ! »
Helga suivit l’homme dans la rue où
ses grands-parents vivaient. Leur immeuble avait été complètement rasé
par les bombes des alliés. Horrifiée, Helga regarda des volontaires
fouiller les décombres à la recherche de survivants. Non loin, les
corps des défunts reposaient sous des couvertures. Helga chercha parmi
ceux-ci mais ne trouva ni ses grands-parents, ni sa tante.
Les ouvriers continuèrent de fouiller les décombres. Au bout de quelques semaines, ils retrouvèrent les corps manquants.
Helga n’arrivait pas à comprendre
pourquoi Dieu avait permis une telle chose. Sa grand-mère avait été une
membre fidèle de l’Église et son témoignage avait été une ancre pour
celui de Helga. Elle se demanda : « Fallait-il vraiment qu’ils meurent
ainsi ? »
Puis, une nuit, elle rêva de ses
grands-parents et de sa tante. Dans son rêve, elle comprit que leur
mort avait été rapide et sans souffrance. Helga fut également
réconfortée par le fait qu’ils étaient morts ensemble.
Un peu plus tard, elle reçut un appel
à servir dans le bureau de la mission de Berlin. Elle était heureuse de
quitter Tilsit. Il ne lui vint pas à l’esprit qu’elle pourrait ne
jamais revenir.
Peu après le baptême de Claudio et
Mary dos Santos à São Paulo, au Brésil, William Seegmiller, le
président de mission, demanda à Claudio s’il voulait être un ancien [«
elder » en anglais]. Quoique surpris, Claudio répondit « oui ». Il
allait à l’église depuis quelques mois seulement ; il ne savait pas
exactement ce que signifiait être un ancien. Il savait qu’on appelait
les missionnaires « Elder » et qu’ils étaient des jeunes hommes
remarquables qui consacraient leur vie à Dieu. Si c’était ça, être un
ancien, alors c’était bien ce qu’il désirait.
Le dimanche matin suivant, juste
avant l’École du Dimanche, le président Seegmiller ordonna Claudio à
l’office d’ancien dans la Prêtrise de Melchisédek. Ensuite, il lui dit
: « Maintenant, nous allons préparer la Sainte-Cène et l’École du
dimanche. »
Claudio était un peu perplexe. Tout
se passait si vite et il ne savait pas vraiment ce qu’il faisait.
Cependant, il suivit les instructions du président et remplit sa
première responsabilité dans la prêtrise.
Ce soir-là, pendant la réunion de
Sainte-Cène de la branche, le président Seegmiller sollicita à nouveau
Claudio, lui demandant cette fois d’être son interprète tandis qu’il
s’adressait aux saints en anglais. Claudio ne maîtrisait pas encore
bien l’anglais et n’avait jamais interprété auparavant, mais il accepta.
Au début de la réunion, le président
de mission demanda aux saints de soutenir l’ordination de Claudio. À sa
grande surprise, Claudio comprit clairement le président Seegmiller et
n’eut aucun mal à traduire ses paroles en portugais.
Le président de mission parla ensuite
à l’assemblée d’une lettre qu’il avait écrite à la Première Présidence
un an auparavant. Il avait exprimé sa crainte qu’au Brésil, il n’y ait
pas suffisamment d’hommes dignes parlant le portugais dans l’Église
pour être ordonnés à la prêtrise et soutenir les branches. Il avait
désormais honte d’avoir tenu ces propos.
Il déclara : « Aujourd’hui, notre
frère Claudio a été ordonné à l’office d’ancien. Voulez-vous le
soutenir en tant que premier président de branche brésilien de São
Paulo ? »
Abasourdi, Claudio interpréta ses
paroles. Il pensa à son manque d’expérience. Il se demanda : «
Qu’est-ce que j’y connais ? » Il connaissait l’histoire de Joseph Smith
mais n’avait jamais lu le Livre de Mormon. La seule chose qu’il avait à
offrir était son enthousiasme pour l’Évangile rétabli. C’était
peut-être tout ce que le Seigneur attendait de lui.
Il regarda l’assemblée et vit que les
membres levaient la main pour le soutenir dans son appel. Il était
honoré. Il ne savait peut-être pas grand-chose mais il était disposé à
œuvrer.
Ses responsabilités prirent effet
immédiatement. Il dirigea les réunions du dimanche et bénit la
Sainte-Cène. Un missionnaire lui avait appris à lire la musique et il
compila un répertoire d’une vingtaine de cantiques qu’il jouait à
l’orgue pour accompagner les saints de São Paulo. Au début, il n’avait
qu’un conseiller pour le soutenir mais les deux hommes firent de leur
mieux pour concilier leur travail et leurs responsabilités familiales
tout en prenant soin des saints dispersés dans l’immense ville.
Malgré son inexpérience, Claudio
était convaincu que Dieu avait en vue un objectif en l’appelant à
diriger la branche. Il se disait : « Si l’Église est vraie, s’il y a un
Dieu qui la dirige, il fallait qu’il choisisse quelqu’un. Il fallait
qu’il choisisse quelqu’un d’enthousiaste, qui puisse recevoir
l’autorité et accomplir l’œuvre. »
De l’autre côté de l’Atlantique,
Nellie Middleton et sa fille, Jennifer, continuaient d’accueillir les
soldats et les saints locaux chez elles à Cheltenham, en Angleterre,
pour les réunions de Sainte-Cène. Cela faisait près de cinq ans que la
guerre faisait partie du quotidien de Jennifer, presque aussi loin que
pouvait remonter sa mémoire. Âgée de dix ans, elle était habituée au
rationnement alimentaire, aux sirènes des raids aériens et à son masque
à gaz, qu’elle emportait partout dans un étui que sa mère avait
confectionné.
Elle avait aussi l’habitude d’être la
seule enfant lors des réunions de l’Église. Elle aimait les saints des
derniers jours adultes de Cheltenham et s’était liée d’amitié avec de
nombreux soldats qui venaient chez elle pour le culte. Cependant, elle
désirait être totalement unie à eux : elle souhaitait se faire baptiser
pour devenir membre de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers
Jours.
C’était son désir depuis qu’elle
avait atteint l’âge requis mais il n’y avait pas de fonts baptismaux à
Cheltenham et, en période de guerre, sa mère n’avait jamais eu
l’occasion de se rendre avec elle dans une autre ville. Cependant, au
cours de l’été 1944, Hugh B. Brown, qui avait dirigé la mission
britannique jusqu’à ce que la guerre l’oblige à partir, fut appelé à
retourner en Angleterre pour superviser les missionnaires locaux, les
membres et les soixante-dix-huit branches du pays. Quand il rendit
visite aux sœurs à Cheltenham, il collecta leur dîme, que Nellie avait
soigneusement gardée dans une boîte en fer.
Jennifer fut impressionnée par ce grand homme qui se tenait dans son salon. Il se pencha pour lui serrer la main.
Nellie dit : « Frère, je ne sais pas
quoi faire pour cette enfant. Elle désire se faire baptiser mais nous
ne pouvons pas voyager. »
Le président Brown affirma qu’il
pouvait s’arranger pour qu’elles prennent un train militaire jusqu’à la
ville de Birmingham, à quatre-vingts kilomètres au nord. Là, elles
auraient accès à des fonts baptismaux.
Jennifer demanda à Arthur Fletcher,
un homme âgé d’une branche voisine, d’accomplir le baptême, et à Harold
Watkins, un soldat américain qu’elle connaissait, de la confirmer. La
date de baptême fut fixée au 11 août 1944. Ils feraient le voyage
jusqu’à Birmingham ensemble.
Le jour venu, Jennifer se tenait sur
le quai de la gare, vêtue d’une nouvelle tenue de voyage vert émeraude
que sa mère avait confectionnée pour l’occasion. Comme, depuis peu,
l’Église demandait aux personnes se faisant baptiser d’être habillées
en blanc, Nellie avait cousu une autre robe pour l’ordonnance en
utilisant un magnifique tissu de coton blanc brodé.
Le train crachait des nuages de
vapeur en approchant du quai. Le chef de gare donna l’ordre d’embarquer
mais Harold Watkins n’était pas encore arrivé. Jennifer se glissa dans
le train bondé de soldats tout en scrutant la foule à la recherche de
son ami. Elle ne voulait pas partir sans lui.
Soudain, un soldat monté sur un vélo
rouillé arriva sur le quai. Sa casquette était glissée dans une poche
et sa cravate dans l’autre. C’était Harold ! Il jeta la bicyclette et
sauta dans le train au moment où celui-ci commençait à rouler. Jennifer
laissa échapper des exclamations de joie.
À bout de souffle, Harold leur
raconta ce qui lui était arrivé. Ce matin-là, le commandant du camp
avait ordonné que tous les hommes soient confinés dans leurs
baraquements. Harold avait promis de confirmer Jennifer et il devait
partir, quel que soit le risque. À la dernière minute, il se faufila
hors du camp, trouva une vieille bicyclette posée contre un mur et
parcourut les dix kilomètres jusqu’à la gare aussi vite que possible.
Jennifer et les personnes qui
l’accompagnaient arrivèrent sans problème à Birmingham. Deux jeunes
filles de la région assistèrent au service de baptême pour soutenir
Jennifer. L’une d’elle exprima l’idée qu’une personne qui se faisait
baptiser était comme un navire qui partait enfin pour le voyage de la
vie. Reconnaissante d’avoir enfin la possibilité de se déclarer membre
de l’Église, Jennifer était prête à entreprendre son propre voyage.
Cet été-là, à Salt Lake City, Neal
Maxwell, âgé de dix-sept ans, entra dans un bureau de recrutement de
l’armée et se porta volontaire pour partir à la guerre. Depuis le début
du conflit, il attendait de pouvoir s’enrôler. Bien qu’il n’ait pas
l’âge requis pour être admis au service militaire, il ne voulait pas
attendre plus longtemps.
Il se passait tellement de choses. Le
6 juin 1944, plus de cent soixante mille soldats des forces alliées
avaient pris d’assaut les plages du nord de la France, événement qu’on
appela « le Débarquement ». Suite à cette bataille acharnée contre les
défenses nazies, les Alliés s’implantèrent en Europe continentale et
commencèrent à se frayer un chemin vers l’Allemagne. Neal espérait que
cette invasion signifiait que les Alliés prenaient le dessus. Il
voulait aider à mener le conflit à son terme aussi vite que possible.
Il commença son service en septembre.
Ses parents, Clarence et Emma, ne comprenaient pas pourquoi il était si
pressé de faire la guerre. En apprenant qu’il ferait partie de
l’infanterie, leur inquiétude ne fit que croître. Du fait de son
affectation, il serait certainement envoyé au front.
Neal se présenta pour la formation
militaire. Il avait pris avec lui un livre intitulé Les principes de
l’Évangile. Ce livre, préparé spécialement par les dirigeants de
l’Église pour les militaires saints des derniers jours, contenait la
doctrine de l’Église, des instructions pour administrer les ordonnances
de la prêtrise, des cantiques et des conseils généraux pour le service
militaire. En introduction, la Première Présidence avait écrit : « Nous
prions pour que le Seigneur vous accorde le courage et la force d’âme
nécessaires pour accomplir pleinement votre devoir et pour être
honorable en toutes circonstances. »
Une fois que la formation commença,
Neal se rendit compte qu’il avait beaucoup à apprendre. Les autres
recrues semblaient plus âgées et expérimentées que lui. En grandissant,
il avait souvent été complexé par son apparence. Comme il était trop
petit pour jouer dans l’équipe de basket de son lycée, il s’était
orienté vers l’élevage des porcs dans le club agricole. Il avait des
cicatrices sur le visage à cause d’une acné sévère, ce qui ajoutait à
son manque de confiance. Il avait pris un peu d’assurance quand il
avait été coéditeur du journal de l’école.
Neal écrivit souvent à sa famille
pendant l’entraînement et ses lettres étaient pleines de bravade
juvénile. Depuis l’attaque de Pearl Harbor, les cinéastes d’Hollywood
soutenaient l’armée américaine en produisant des films d’action qui
idéalisaient la guerre et les Américains qui combattaient. Neal pensait
que l’armée faisait de lui un soldat résistant et fort. Il racontait
dans ses lettres qu’il tirait au fusil et faisait des randonnées de
trente kilomètres. Il expliquait : « Nos sergents sont des vétérans
d’outre-mer et ils ne sont pas avares de coups de poing. » Il ajouta
qu’une fois l’entraînement terminé, il serait « un vrai homme ».
Il lui arrivait cependant d’être
choqué par le comportement de certains des soldats qui l’entouraient et
il exprimait une reconnaissance particulière pour avoir grandi dans un
foyer humble, centré sur l’Évangile. Il écrivit à sa mère : « Notre
maison était le paradis. Maintenant, je me rends compte à quel point
vous avez été géniaux et formidables, papa et toi. »
L’entraînement de Neal se termina en
janvier 1945. Il fut envoyé sur le front du Pacifique, dans les combats
violents contre les Japonais. Quelques jours avant son départ, il eut
une conversation avec sa mère au téléphone. Elle lui parla d’un
officier qu’elle connaissait qui pourrait lui trouver le moyen
d’accomplir son devoir militaire sans avoir à se battre.
Elle ajouta : « Peut-être que tu n’as pas besoin de partir à l’étranger. »
« Maman, répondit-il, je veux y
aller. » Il savait que c’était difficile pour elle de lui dire au
revoir, mais il avait un devoir à remplir.
Chapitre 30 : Tant de souffrances
En Europe, l’hiver 1944-1945 fut
extrêmement froid. Les forces alliées progressaient vers l’Allemagne,
livrant bataille après bataille dans la neige glaciale. Hitler tenta de
lancer une dernière offensive contre les forces américaines et
britanniques sur le front de l’Ouest, mais l’assaut ne fit qu’épuiser
son armée déjà affaiblie. De leur côté, les troupes soviétiques
dominaient le front de l’Est, envahissant progressivement les
territoires nazis.
À Berlin, Helga Birth luttait contre
le froid dans le bureau de la mission d’Allemagne de l’Est. Un an plus
tôt, l’ancien bureau avait pris feu lors d’un bombardement et le siège
de la mission se situait désormais dans l’appartement du deuxième
conseiller, Paul Langheinrich, et de sa femme, Elsa. Comme les bombes
avaient détruit les fenêtres du logement, Helga et les autres
missionnaires y avaient suspendu des couvertures pour empêcher le froid
d’entrer. Il n’y avait pas de chauffage ni d’eau chaude. La nourriture
était rare et il était difficile de trouver le sommeil lorsque les
sirènes de raid aérien retentissaient la nuit.
La ville étant pratiquement en état
de siège, les missionnaires ne pouvaient pas sortir et prêcher en toute
sécurité. Toutefois, la présidence suppléante de la mission d’Allemagne
de l’Est, composée de membres de l’Église locaux, était responsable de
tous les saints de la mission. Le président de la mission, Herbert
Klopfer, et la plupart du personnel du bureau avaient été appelés sous
les drapeaux. Helga et d’autres femmes tenaient donc les rapports de la
mission et gardaient le contact avec des milliers de saints allemands
dont la vie avait été bouleversée par la guerre.
La majorité des membres de la famille
de Helga ainsi que ses amis avaient fui Tilsit tandis que l’armée
soviétique progressait vers les villes de l’est de l’Allemagne. Son
père et son plus jeune frère, Henry, avaient été incorporés dans
l’armée, et sa mère avait trouvé refuge chez un cousin qui habitait une
ferme. Les autres saints de Tilsit s’étaient entraidés aussi longtemps
qu’ils l’avaient pu en se partageant le peu de nourriture et de
vêtements qu’ils avaient. Le président de branche, Otto Schulzke, avait
perdu sa maison dans un bombardement. Sa famille avait eu la vie sauve
mais avait perdu tous ses biens. Lorsque la branche se réunit pour la
dernière fois, les membres partagèrent un repas et écoutèrent une fois
de plus frère Schulzke.
Étant donné tout ce qu’elle avait
perdu, Helga était reconnaissante d’avoir trouvé une place parmi les
saints à Berlin. À la mi-avril 1945, l’armée soviétique avait traversé
l’Allemagne de l’Est et encerclait désormais la ville. Par un dimanche
matin pluvieux, Helga se réunit avec un petit groupe de saints pour le
culte. Les bombes et les combats de rue avaient résonné dans les
quartiers toute la nuit et peu de membres de l’Église étaient venus à
la réunion. Paul Langheinrich parla de la foi. Helga était lasse mais
l’Esprit la fortifia. Elle pensa aux paroles du Sauveur rapportées dans
le livre de Matthieu : « Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom,
je suis au milieu d’eux. »
Après la réunion, Paul invita Helga à
l’accompagner ainsi que le président de branche, Bertold Patermann,
pour visiter une autre assemblée de la ville. Suite aux attaques de la
nuit, Paul voulait s’assurer que les membres étaient en sécurité.
Ils marchèrent tous les trois pendant
une heure jusqu’au lieu de culte de la branche. En approchant du
bâtiment, ils virent du sang dans les rues et une bataille aérienne
faisait rage au-dessus de leur tête. Ils pressèrent le pas, se
dirigeant tout droit dans le bâtiment de l’Église pour se mettre à
l’abri. Soudain, des explosions d’obus d’artillerie éclatèrent derrière
eux. Ils restèrent calmes et continuèrent d’avancer dans la rue. Ils
trouvèrent le bâtiment de l’Église vide. L’un de ses murs avait été
frappé de plein fouet, réduisant un côté de l’église à un tas de
gravats. On aurait dit que quelqu’un avait essayé de balayer les débris
mais s’était arrêté au milieu de la tâche.
Helga et les deux hommes qui
l’accompagnaient rendirent visite à quelques membres de l’Église vivant
non loin, puis ils décidèrent de retourner au foyer de la mission. De
retour dans les rues, ils se sentirent totalement vulnérables. Le ciel
était toujours en effervescence, et les obus continuaient de siffler et
d’exploser autour d’eux. Des avions de chasse survolaient les rues à
basse altitude et des coups de feu brisaient de vieux bâtiments et des
ponts, projetant des éclats de pierre et de brique.
Cherchant à rester à couvert, Helga,
Paul et Bertold se glissaient dans des bâtiments et dans l’embrasure de
portes. À un moment, ils ne trouvèrent rien de mieux pour se protéger
qu’un arbre nu, aux branches sombres et étiolées. Finalement, ils
arrivèrent devant un pont presque entièrement détruit ; seule une bande
étroite était intacte. Helga n’était pas sûre de pouvoir traverser.
Les deux hommes lui dirent : « N’ayez
pas peur, sœur Birth. » Elle savait qu’ils étaient en train d’œuvrer
pour Dieu et cela lui donna de l’assurance. Grâce à leurs
encouragements, elle saisit la rampe et traversa le pont. Son âme était
remplie d’une assurance tranquille tandis qu’ils rentraient chez eux.
Au cours des jours suivants, Helga et
les autres missionnaires demeurant dans l’appartement de la famille
Langheinrich évitèrent de s’aventurer dehors. On racontait que les
soldats soviétiques avaient déjà pris possession de parties de la ville
et Bertold avait mis en garde les missionnaires contre les choses
terribles qui se passaient à l’extérieur. Ils devaient faire tout leur
possible pour rester en sécurité.
Tandis que le chaos se répandait dans
les rues, des saints vinrent trouver refuge au foyer de la mission. Une
femme arriva en état de choc : on avait tiré une balle dans le ventre
de son mari et il était mort. Avec l’aide de Paul, Helga et d’autres
personnes préparèrent des chambres abandonnées pour accueillir
quiconque leur demandait de l’aide.
Le samedi 28 avril, le petit groupe
de saints se réunit pour jeûner et prier. Alors qu’ils s’agenouillaient
et priaient pour obtenir force et protection, Helga fut submergée de
reconnaissance d’être entourée de saints fidèles au milieu de tant de
terreur.
Vers la fin du jeûne, les soldats
soviétiques envahissaient les rues autour du bureau de la mission. À
Berlin, les combats faisaient toujours rage mais l’armée soviétique
s’employait à rétablir l’ordre et les services essentiels dans les
parties occupées de la ville. De nombreux soldats ne dérangeaient pas
les civils allemands mais certains pillaient les bâtiments et
agressaient les femmes. Helga et les autres missionnaires craignaient
pour leur sécurité, et les hommes du bureau de la mission montèrent
attentivement la garde.
Puis, le 2 mai, Helga se réveilla
dans un silence étrange. Cette nuit-là, il n’y avait pas eu de
bombardements et elle avait dormi d’une traite jusqu’au matin. Adolf
Hitler s’était suicidé deux jours plus tôt et l’armée soviétique avait
hissé dans la ville le drapeau portant la faucille et le marteau.
Berlin était désormais entre les mains des Soviétiques, et les autres
forces alliées occupaient chaque jour un peu plus de territoire
allemand. La guerre en Europe touchait à sa fin.
Helga essaya d’exprimer ses pensées
dans son journal de mission. Elle écrivit : « LA PAIX ! Tout le monde a
ce mot à la bouche. Je n’ai pas de sentiment particulier dans mon cœur.
En pensant au mot ‘paix’, nous avions imaginé quelque chose de tout à
fait différent, comme de la joie et des festivités, mais rien de tel ne
transparaît. »
Elle ajouta : « Je suis assise là,
loin de mes proches, ne sachant pas ce qu’il est advenu d’eux. » Tant
de ses êtres chers étaient décédés : Gerhard, son frère Siegfried et
son cousin Kurt, ses grands-parents et sa tante Nita. Elle ne savait
pas comment entrer en contact avec ses parents et cela faisait
tellement longtemps que l’on n’avait pas eu de nouvelles de son autre
frère, Henry, qu’elle ne pouvait s’attendre qu’au pire.
Ce dimanche-là, les saints se
réunirent à nouveau pour une réunion de prière. Renate Berger, la
collègue missionnaire de Helga, lut un verset des Doctrine et
Alliances. Il était question de reconnaissance pendant les tribulations
de la condition mortelle :
Et celui qui reçoit tout avec
gratitude sera rendu glorieux, et les choses de cette terre lui seront
ajoutées, et ce, au centuple, oui, davantage.
Le 8 mai 1945, les Alliés célébrèrent
le « Jour de la Victoire en Europe ». Neal Maxwell accueillit
joyeusement la nouvelle, tout comme les autres soldats américains qui
se battaient pour prendre l’île japonaise d’Okinawa. Cependant, les
réjouissances étaient assombries par la réalité de leur situation. Avec
les pilotes kamikazes qui attaquaient le port d’Okinawa et les tirs
d’artillerie qui retentissaient sur les collines de l’île, les soldats
américains savaient que leur combat était loin d’être terminé.
Neal pensa : « Voilà la vraie guerre.
» Le front était bien moins attrayant de près que ce que les journaux
et les films lui avaient laissé entendre. Le jeune homme était rempli
d’un sentiment de tristesse et de malaise.
La bataille d’Okinawa devenait l’une
des batailles les plus féroces du Pacifique. Les commandants japonais
considéraient cette île comme le dernier rempart contre une invasion
américaine du Japon et ils avaient décidé de mobiliser toutes leurs
forces militaires pour la défendre.
Neal et les soldats qui
l’accompagnaient avaient été affectés à une division pour remplacer des
soldats. Le 13 mai, il écrivit une lettre à ses proches en Utah. Il
n’était pas autorisé à donner les détails de son affectation à ses
parents, toutefois il leur assura qu’il allait bien. Il écrivit : « En
ce qui concerne les compagnons spirituels, je n’en ai aucun sauf un. Je
sais que le Sauveur est toujours avec moi. »
Neal faisait partie d’une escouade de
mortiers dont la tâche était de tirer des obus sur les positions
ennemies en retrait dans les terres. Tandis que sa troupe marchait en
file indienne vers une colline appelée Flat Top, les Japonais ouvrirent
le feu dans leur direction. Tous se jetèrent au sol et y restèrent,
immobiles, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de danger. Au bout d’un
moment, ils se relevèrent, à l’exception de Partridge, un homme
imposant qui marchait juste devant Neal.
Ce dernier lui dit : « Allez, debout.
On y va. » Comme l’homme ne bougeait toujours pas, Neal comprit qu’il
avait été tué par un éclat d’obus.
Choqué et horrifié, Neal mit des
heures à reprendre ses esprits. Plus il s’approchait du champ de
bataille, plus le paysage ravagé paraissait morne et sans vie. Les
cadavres des soldats japonais jonchaient le sol. Neal avait été prévenu
qu’il était possible que la zone soit truffée de mines. Même si le sol
n’explosait pas sous ses pieds, les tirs de fusils fendaient l’air
au-dessus de sa tête.
Neal prit position dans une tranchée
et, après des jours de combats dans tous les sens, de fortes pluies
transformèrent le paysage brûlé en bourbier. L’abri de Neal était
rempli de boue. Il essayait de dormir debout mais ne trouvait pas le
repos. Les maigres rations militaires ne le rassasiaient pas. L’eau
qu’on lui donnait était transportée dans des réservoirs d’une vingtaine
de litres et avait toujours le goût du gasoil. Beaucoup d’hommes
buvaient du café pour en couvrir le goût infect mais Neal s’y refusait,
voulant obéir à la Parole de Sagesse. Il fit de son mieux pour
recueillir l’eau de pluie et, le dimanche, il l’utilisait avec un
biscuit de ses rations pour prendre la Sainte-Cène.
Une nuit, à la fin du mois de mai,
trois obus ennemis explosèrent près de l’emplacement du mortier de
Neal. Jusqu’alors, les Japonais n’avaient pas réussi à localiser son
escouade. Il semblait désormais que les artilleurs avaient triangulé sa
position et se rapprochaient. Quand un autre obus explosa à quelques
mètres de lui, Neal craignit que le suivant n’atteigne sa cible.
Bondissant hors de son trou, il se
mit à l’abri contre un monticule. Puis, se rendant compte qu’il était
toujours en danger, il se précipita de nouveau dans le trou, attendant
de voir ce qui allait se passer.
Dans la boue et la pénombre, Neal
s’agenouilla et commença à prier. Il savait qu’il ne méritait aucun
traitement de faveur et que de nombreux hommes justes étaient morts au
combat après avoir offert des prières ferventes. Il supplia tout de
même le Seigneur de l’épargner, promettant de se consacrer à son
service s’il survivait. Il avait dans sa poche une copie tachée de sa
bénédiction patriarcale et il pensa à une promesse qu’elle contenait.
Elle disait : « Je vous scelle contre
la puissance du destructeur afin que votre vie ne soit pas écourtée et
que vous puissiez accomplir toutes les missions qui vous ont été
assignées dans la vie prémortelle. »
Neal termina sa prière et leva les
yeux vers le ciel nocturne. Le fracas des explosions avait cessé et
tout était calme. Les bombardements ne reprirent pas et il sut alors
que le Seigneur l’avait préservé.
Peu de temps après, Neal écrivit
quelques lettres à sa famille. Il disait : « Je me sens tellement seul
sans vous que j’ai parfois envie de pleurer. Tout ce que j’ai à faire,
c’est d’être digne de ma bénédiction patriarcale, de vos prières et de
ma religion. Mais le temps et tant de tumulte pèsent lourd sur l’âme
d’un homme. »
Il ajouta : « Je peux dire que si je
suis vivant, c’est parce que Dieu m’a épargné à plusieurs occasions.
J’ai un témoignage que personne ne peut détruire. »
En Europe, la guerre était terminée
pour Hanna Vlam et les autres saints néerlandais. Le jour où
l’Allemagne capitula, Hanna se rendit avec ses enfants sur la place
principale de la ville afin de se joindre à leurs amis et leurs voisins
pour chanter et danser. Ils firent un énorme feu de joie avec ce dont
ils s’étaient servi pour couvrir leurs fenêtres et se réjouirent de
voir ces mauvais souvenirs partir en fumée.
Hanna pensa : « Merci, merci, Ô Seigneur. Tu as été bon avec nous. »
Maintenant que les combats avaient
cessé, de nombreux détenus des camps de concentration et des prisons
étaient libérés. Hanna avait correspondu avec son mari pendant son
emprisonnement et elle avait des raisons de croire qu’il allait bien.
Elle savait toutefois qu’elle ne célébrerait pas véritablement la fin
de la guerre tant que Pieter n’était pas de retour à la maison.
Au début du mois de juin, un dimanche
soir, Hanna jeta un coup d’œil par la fenêtre et vit un camion
militaire s’arrêter devant chez elle. La porte du camion s’ouvrit et
Pieter en sortit. Les voisins de Hanna avaient dû guetter aussi car ils
accoururent à sa porte. Elle ne voulait pas ouvrir à tout ce monde,
alors elle attendit que Pieter entre de lui-même. Quand il franchit la
porte, elle l’accueillit joyeusement.
Les voisins de la famille Vlam
accrochèrent des drapeaux dans toute la rue pour célébrer le retour de
Pieter, sain et sauf. Heber, son fils de douze ans, vit les drapeaux et
se précipita à la maison. Il s’écria : « Mon père est de retour ! »
À la tombée de la nuit, Hanna alluma
une bougie qu’elle avait mise de côté pour le soir du retour de son
mari. La famille se réunit près de la lumière vacillante et écouta
Pieter raconter sa libération.
Quelques mois plus tôt, lorsque les
forces soviétiques avaient chassé les Allemands d’Ukraine, Pieter et
les autres prisonniers du Stalag 371 avaient été transférés dans une
nouvelle prison, au nord de Berlin. L’endroit était sale, froid et
infesté de vermine. Le bourdonnement des avions alliés emplissait l’air
et le ciel était rouge sang à cause des incendies qui brûlaient dans
toute la ville.
Un jour d’avril, un prisonnier héla
des soldats soviétiques qui passaient devant la prison à bord d’un
immense char de combat. Les soldats s’arrêtèrent, firent demi-tour et
écrasèrent la clôture de barbelés, libérant Pieter et ses compagnons.
Avant qu’ils ne se séparent, Pieter donna une bénédiction de la
prêtrise à tous ceux qui le souhaitaient. Certains des prisonniers qui
avaient étudié l’Évangile avec lui devinrent membres de l’Église après
être rentrés chez eux.
Désormais réuni à sa famille, Pieter
avait l’impression d’avoir un avant-goût du paradis. C’était comme s’il
retrouvait des êtres chers de l’autre côté du voile et il se
réjouissait des liens sacrés qui les unissaient pour l’éternité.
La première semaine d’août 1945, Neal
Maxwell était aux Philippines, où il s’entraînait en vue d’une invasion
du Japon prévue pour l’automne. En juin, les États-Unis avaient pris
possession d’Okinawa et plus de sept mille soldats américains étaient
morts, mais du côté japonais les pertes étaient vraiment stupéfiantes.
Plus de cent mille soldats et des dizaines de milliers de civils
perdirent la vie pendant la bataille.
Dans une lettre adressée à sa
famille, Neal écrivit sobrement. Sa bravade d’antan avait disparu. Il
ne souhaitait rien d’autre que la fin des combats. En parlant de la
guerre, il dit : « J’ai le profond désir de détruire cette chose qui
cause tant de souffrances. » Il était convaincu que le message de
Jésus-Christ pouvait apporter une paix durable et il désirait ardemment
le faire connaître aux gens. Il écrivit : « Je souhaite plus que tout
avoir une telle occasion. »
Après avoir quitté le front, Neal
commença à participer à des rassemblements de militaires saints des
derniers jours provenant de diverses unités. Alors qu’il était encore à
Okinawa, il s’était réjoui à l’idée de recommencer à adorer Dieu avec
d’autres membres de l’Église. Mais quand il eut enfin l’occasion
d’assister à une réunion, il vit que les hommes qu’il espérait
retrouver n’étaient pas là. L’aumônier, un saint des derniers jours
nommé Lyman Berrett, fit un discours réconfortant, mais pendant tout ce
temps, Neal gardait un œil sur la porte, attendant de voir des amis la
franchir. Certains n’arrivèrent jamais.
Pendant cette période, Neal apprit
que le président Heber J. Grant était décédé. Au cours des cinq années
qui avaient suivi son attaque cérébrale, le président Grant s’était
régulièrement réuni avec ses conseillers et avait pris la parole à
plusieurs reprises lors de conférences générales. Cependant, il ne
s’était jamais complètement rétabli et, le 14 mai 1945, à l’âge de
quatre-vingt-huit ans, il succomba à une insuffisance cardiaque. George
Albert Smith était désormais le président de l’Église.
Début août, Neal et le reste des
soldats en poste aux Philippines apprirent qu’un avion américain,
agissant sur ordre direct du président des États-Unis, avait largué une
bombe atomique sur la ville japonaise d’Hiroshima. Trois jours plus
tard, un autre avion largua le même genre de bombe sur la ville de
Nagasaki.
Lorsque Neal entendit parler des
bombardements, il fut rempli de l’espoir joyeux que ses compagnons
d’armes et lui n’auraient pas besoin d’envahir le Japon. Il se rendit
compte plus tard à quel point sa réaction avait été égocentrique. Plus
de cent mille personnes, essentiellement des civils japonais, avaient
péri dans les explosions.
Le 2 septembre 1945, le Japon
capitula et la guerre prit officiellement fin. Neal fut quand même
envoyé au Japon, en tant que membre des troupes d’occupation alliées.
Entre-temps, ses supérieurs avaient remarqué ses talents de rédacteur
et lui avaient confié la tâche d’écrire des lettres de réconfort et de
condoléances aux familles des soldats tombés au combat.
Neal écrivit à sa famille : « Le
souvenir des jours sombres reste très présent, surtout quand on doit
écrire des lettres de condoléances aux êtres chers endeuillés de ses
camarades. » Il était honoré par cette responsabilité mais n’y prenait
aucun plaisir.
Neal et près d’un million de saints
des derniers jours dans le monde entier étaient désormais confrontés à
un nouvel avenir tandis qu’ils s’efforçaient de reconstruire après
avoir connu tant de souffrances, de privations et de pertes
accablantes. Le dernier discours public du président Grant, lu à haute
voix par son secrétaire lors de la conférence générale d’avril 1945,
offrait aux saints des paroles de réconfort donnant une autre vision
des choses.
Il disait : « Le chagrin est entré
dans beaucoup de nos foyers. Puissions-nous être affermis par la
compréhension que le fait d’être bénis ne signifie pas que toutes les
déceptions et les difficultés de la vie nous seront épargnées. »
Il ajouta : « Le Seigneur entendra
les prières que nous lui adressons et y répondra. Il nous donnera ce
que nous lui demandons si c’est pour notre bien. Il n’abandonnera
jamais et n’a jamais abandonné ceux qui le servent de tout cœur, mais
nous devons toujours être prêts à dire : ‘Père, que ta volonté soit
faite’. »
QUATRIÈME PARTIE : Couronnés de gloire (1945-1955)
Chapitre 31 : Sur la bonne voie
L’après-midi du 7 octobre 1945, le
tabernacle de Salt Lake City était silencieux tandis que George Albert
Smith se levait pour prendre la parole à l’occasion de la conférence
générale. Au cours de ses quarante années d’apostolat, il s’était
adressé aux saints de nombreuses fois mais c’était la première qu’il
s’adressait à l’Église tout entière en qualité de prophète du Seigneur.
Il venait tout juste de consacrer le
temple d’Idaho Falls, dans le sud-est de l’Idaho, rappel que l’œuvre du
Seigneur dans les derniers jours continuait d’avancer. Il savait
toutefois que, dans le monde entier, les saints souffraient après des
années de privations et de guerre. Ils se tournaient maintenant vers
lui pour être guidés et rassurés.
Le président Smith déclara à
l’assemblée : « Ce monde aurait pu être libéré de sa détresse depuis
longtemps si les enfants des hommes avaient accepté les conseils de
celui qui a tout donné. » Il rappela aux saints l’invitation du Sauveur
d’aimer leur prochain et de pardonner à leurs ennemis. Il ajouta : «
C’est l’esprit du Rédempteur, et c’est l’esprit que tous les saints des
derniers jours doivent chercher à avoir s’ils espèrent un jour pouvoir
se tenir en sa présence et recevoir de lui un accueil glorieux au foyer
divin. »
Parmi les membres de l’Église, le
président Smith était connu pour être un dirigeant bienveillant et
épris de paix. Dans sa jeunesse, il avait créé sa propre devise pour
diriger sa vie. Il avait écrit : « Je ne veux pas forcer les gens à
être à la hauteur de mes idéaux mais plutôt les amener par l’amour à
faire ce qui est juste. Je ne veux pas blesser volontairement les
sentiments de qui que ce soit, pas même de quelqu’un qui m’a fait du
mal, mais je chercherai à lui faire du bien et à devenir son ami. »
Le regard tourné vers l’avenir, le
président Smith était particulièrement désireux de venir en aide aux
saints dont la vie avait été brisée par la guerre. Plus tôt dans
l’année, il avait demandé au comité d’entraide de l’Église d’élaborer
un plan pour envoyer de la nourriture et des vêtements en Europe. Peu
après la conférence d’octobre, il tint une réunion avec plusieurs
apôtres pour discuter de l’expédition des biens en Europe dès que
possible.
Ce projet n’était pas une tâche
facile. L’Église avait besoin de l’aide du gouvernement américain pour
coordonner ses efforts de secours avec tant de pays. Le président Smith
se rendit à Washington, DC, accompagné d’un petit groupe de dirigeants
de l’Église pour établir la manière de procéder.
Ils arrivèrent à la capitale par un
matin nuageux de début novembre. En plus des nombreuses réunions
prévues avec des représentants du gouvernement et des ambassadeurs
européens, ils avaient rendez-vous avec Harry S. Truman, président des
États-Unis. Le président les accueillit gracieusement mais il les
avertit qu’il n’était pas judicieux, d’un point de vue financier,
d’expédier de la nourriture et des vêtements en Europe, dont l’économie
était mauvaise et les devises peu fiables. Il dit au président Smith :
« Leur argent ne vaut rien. »
Le prophète expliqua que l’Église ne
cherchait pas à être payée. Il dit : « Notre peuple là-bas a besoin de
nourriture et de fournitures. Nous voulons les aider avant que l’hiver
ne s’installe. »
« Combien de temps vous faudra-t-il pour préparer ce projet ? demanda le président Truman.
– Nous sommes prêts », répondit le
prophète. Il parla des réserves de nourriture et d’autres fournitures
que les saints avaient rassemblées, ainsi que des plus de deux mille
couvertures piquées que les Sociétés de Secours avaient confectionnées
pendant la guerre. L’Église avait simplement besoin d’aide pour
transporter ces biens vers l’Europe.
Très étonné par le niveau de
préparation des saints, le président Truman déclara : « Vous êtes sur
la bonne voie. Nous serons heureux de vous aider de toutes les manières
possibles. »
Avant de prendre congé, George Albert
Smith dit au président américain que les saints des derniers jours
priaient pour lui. Il lui remit un exemplaire relié en cuir de Une voix
d’avertissement (A Voice of Warning), brochure missionnaire écrite par
l’apôtre Parley P. Pratt en 1837.
Le président Smith était frappé par
le fait qu’à l’époque de frère Pratt, les saints survivaient à peine.
Ils n’auraient jamais pu traverser l’océan pour secourir des milliers
de personnes en difficulté. Mais, au cours du siècle passé, le Seigneur
avait enseigné aux saints comment se préparer pour les périodes de
détresse, et le prophète était heureux de voir qu’ils pouvaient
désormais agir rapidement.
Pendant que l’Église se préparait à
expédier du matériel de secours en Europe, Helga Birth poursuivait son
service en tant que missionnaire à Berlin. Des mois après la guerre,
l’Allemagne était encore dans la confusion. La ville de Berlin et le
pays tout entier avaient été divisés en quatre zones, chacune occupée
par une nation différente. Comme la plupart des saints allemands
avaient perdu leur foyer en raison de la guerre, ils demandaient
souvent de l’aide à Helga et aux autres missionnaires du foyer de la
mission. Herbert Klopfer, président suppléant de la mission d’Allemagne
de l’Est, était décédé dans un camp de prisonniers soviétique.
C’étaient donc ses conseillers, Paul Langheinrich et Richard Ranglack,
qui dirigeaient les efforts déployés pour venir en aide aux réfugiés.
Ayant besoin de plus d’espace pour
héberger ces saints, les deux hommes reçurent la permission des
autorités militaires de déplacer le foyer de la mission dans une
demeure abandonnée dans la zone ouest de Berlin, contrôlée par les
Américains. Tilsit, la ville natale de Helga, se trouvait sous contrôle
soviétique. La jeune femme n’avait aucune idée de la façon de retrouver
ses parents ni son frère Henry, qui était porté disparu. Il lui était
aussi difficile de savoir où se trouvaient ses amis et les anciens
membres de la branche.
À l’automne 1945, Helga reçut une
lettre de sa tante Lusche. Plus d’un an s’était écoulé depuis le raid
aérien qui avait tué les grands-parents de Helga et sa tante Nita. La
jeune femme apprit que l’armée soviétique retenait Lusche et d’autres
réfugiés allemands dans un château désert près de la frontière
germano-polonaise. Les autorités soviétiques avaient décidé de les
libérer, mais seulement s’ils avaient de la famille pour les
accueillir. Helga répondit rapidement, invitant sa tante à venir vivre
au foyer de la mission.
Peu de temps après, Lusche arriva à
Berlin avec une femme nommée Eva, une membre de la famille éloignée qui
avait été emprisonnée avec elle. Les deux femmes étaient émaciées et
avaient le visage creusé. Helga avait connu la faim et avait beaucoup
souffert pendant la guerre, mais les récits de torture et de privation
de sa tante l’ébranlèrent. La petite fille d’Eva était morte de froid
et de faim, et Lusche avait envisagé de se suicider.
D’autres réfugiés saints des derniers
jours se rendirent au foyer de la mission et Paul Langheinrich leur
trouva un endroit où loger. Plus de cent personnes étaient hébergées et
nourries sous un même toit. Le père, la mère et le frère de Helga
restaient encore introuvables.
Les soldats américains qui avaient
été missionnaires en Allemagne rendaient souvent visite au foyer de la
mission. L’un d’eux apporta des sandwichs à partager, préparés avec du
pain blanc moelleux des États-Unis. Helga en dévora un mais cela ne
soulagea guère la faim incessante qui la tenaillait, ainsi que ses
colocataires. Ils passaient parfois des jours sans manger. Lorsque
Helga parvenait à acheter ou à récupérer un repas, les vieilles pommes
de terre et le lait dilué étaient peu nourrissants. Parfois, elle était
si faible qu’elle ne pouvait pas sortir de son lit.
En janvier 1946, elle reçut une
lettre porteuse de bonnes nouvelles de son père, Martin Meiszus. Vers
la fin de la guerre, il avait perdu son œil gauche lors d’un raid
aérien et avait passé quelque temps dans un camp de réfugiés au
Danemark. Il était maintenant de retour en Allemagne et vivait dans la
ville de Schwerin, à environ deux cents kilomètres de Berlin. Pendant
plusieurs mois, Paul et d’autres dirigeants de mission avaient parcouru
l’Allemagne à la recherche de saints déplacés, les aidant à se
regrouper pour survivre. Comme ils avaient prévu de se rendre à
Schwerin, ils proposèrent à Helga de les accompagner.
Dans le train bondé, Helga avait du
mal à se réchauffer car l’air glacial de l’hiver s’engouffrait par les
fenêtres brisées. Elle serrait dans ses mains une petite boîte
contenant quelques morceaux de chocolat américain. Les friandises étant
rares, elle avait décidé de les conserver pour son père. Elle portait
néanmoins le chocolat à son nez de temps en temps, afin d’en respirer
le délicieux arôme.
À Schwerin, Helga fut transportée de
joie d’avoir retrouvé son père. Il fut surpris quand elle lui donna le
chocolat et il voulut le partager avec elle. « Kindchen » dit-il. Chère
enfant.
« Non papa, dit Helga. J’ai déjà été
tellement nourrie. » Et c’était vrai ; elle n’avait plus faim. Elle
était rassasiée de joie.
De l’autre côté du globe, la division
de Neal Maxwell dans l’armée américaine faisait partie des forces
d’occupation du Japon. Pendant la guerre, le pays avait été dévasté par
des milliers de raids aériens et par les bombes atomiques larguées sur
Hiroshima et Nagasaki. Neal s’attendait à ce que les Japonais
l’accueillent comme un héros victorieux. Mais plus de trois cent mille
civils japonais étaient morts et son âme était déchirée en voyant ce
que la guerre avait coûté au peuple.
Neal était désormais sergent-chef
d’une compagnie d’environ trois cents hommes indisciplinés et
démoralisés, dont beaucoup ne demandaient qu’à rentrer chez eux. Il
n’avait que dix-neuf ans mais ses supérieurs avaient estimé qu’il était
l’homme idéal pour ramener l’ordre au sein du groupe. Neal n’en était
pas si sûr.
Dans une lettre à ses parents, il
écrivit . « Je fais beaucoup de choses ici qui exigent un jugement mûr
; je tremble quand je pense à cette responsabilité. Au fond de moi, je
ne suis qu’un enfant, si jeune et dépaysé qu’il ne sait pas quoi faire.
»
Il réussit néanmoins dans son rôle de
dirigeant et gagna le respect de certains de ses hommes. Il se tournait
fréquemment vers son Père céleste pour obtenir de l’aide. La nuit, il
se promenait souvent seul dehors pour prier. Il se sentait en communion
plus étroite avec Dieu sous le ciel étoilé.
Il trouva également de la force parmi
les autres soldats saints des derniers jours. Tout au long de la
guerre, les dirigeants de l’Église avaient incité les saints servant
sous les drapeaux à se réunir, à prendre la Sainte-Cène et à se
soutenir spirituellement les uns les autres. Dans le Japon de
l’après-guerre, ainsi qu’à Guam, aux Philippines et dans d’autres
endroits du monde, des centaines de militaires saints des derniers
jours se réunissaient.
Ces groupes vivaient souvent des
expériences missionnaires inattendues. Peu après la fin de la guerre,
des militaires saints des derniers jours en poste en Italie avaient
obtenu une audience avec le pape Pie XII au siège de l’Église
catholique. Ils lui parlèrent de la visite du Sauveur sur le continent
américain et lui remirent un exemplaire du Livre de Mormon.
Pendant ce temps, au Japon, les
saints locaux qui n’étaient pas allés à l’Église depuis des années
recherchaient les assemblées de militaires et assistaient à leurs
réunions. Sous le nouveau gouvernement d’occupation, les Japonais
étaient libres d’approfondir leurs croyances spirituelles, et certains
soldats saints des derniers jours invitaient leurs amis japonais à
découvrir l’Église. Les soldats américains comme Neal étaient assis à
côté de leurs anciens adversaires, prenant la Sainte-Cène et apprenant
ensemble l’Évangile de Jésus-Christ.
Il restait au jeune homme de nombreux
mois de service militaire à effectuer avant de pouvoir rentrer chez
lui. Ses expériences à Okinawa, et maintenant au Japon même,
renforcèrent son désir de faire une mission dès que possible.
Il écrivit à sa famille : « Il y a un
champ d’hommes mûrs pour l’Évangile qui sont tout aussi chrétiens que
nous mais qui ont besoin de l’Évangile pour être guidés ».
En Allemagne, Paul Langheinrich prit
contact avec le chef des forces soviétiques à Berlin. Des milliers de
réfugiés saints des derniers jours vivaient désormais dans des zones
occupées par les Soviétiques, et Paul se faisait du souci pour eux. Il
écrivit : « À cause des actions inconcevables d’Hitler, beaucoup de nos
membres sont maintenant sur les routes, sans maison ni patrie, bannis
et chassés. »
Paul demanda au commandant la
permission d’acheter de la nourriture et de l’apporter à ces saints. En
tant qu’ancien généalogiste pour le gouvernement allemand, il se sentit
également poussé à demander s’il pouvait rechercher des caches de
documents importants que les nazis avaient dissimulés dans des régions
reculées du pays pour les protéger de la destruction et des vols.
Sachant qu’un jour les saints allemands auraient besoin de ces
documents pour faire l’œuvre du temple pour leurs ancêtres, Paul
voulait les conserver.
Il écrivit au commandant : « Ces archives n’ont aucune valeur pour vous. Pour nous, elles sont inestimables. »
Une semaine plus tard, Paul reçut la
permission d’acheter toute la nourriture dont les membres de l’Église
avaient besoin. Concernant les registres généalogiques, si les saints
parvenaient à les trouver, ils pouvaient les garder.
Par la suite, Paul entendit parler
d’une collection de documents conservés dans le château de Rothenburg,
au sud-ouest de Berlin. Par un jour glacial de février 1946, il marcha
avec seize missionnaires locaux sur une route gelée jusqu’au vieux
château situé au sommet d’une colline escarpée. Une fois à l’intérieur,
ils trouvèrent des piles de registres paroissiaux, des microfilms et
des livres contenant des généalogies allemandes.
Un certain nombre de registres
dataient de plusieurs siècles et contenaient des milliers de noms et de
dates, dont certains étaient écrits d’une magnifique écriture. De longs
parchemins présentaient des arbres généalogiques illustrés aux couleurs
vives. L’endroit où ils avaient été cachés était globalement en bon
état, même si certains documents étaient recouverts de glace et de
neige et ne semblaient pas récupérables.
Une fois que Paul et les
missionnaires eurent mis les documents en sécurité, il ne restait plus
qu’à les transporter en bas de la colline. Paul avait fait louer un
camion et une remorque pour récupérer les archives et les transporter
jusque dans un wagon en partance pour Berlin. Mais le temps passait et
le camion n’arrivait pas.
Finalement, un missionnaire apparut,
grimpant difficilement la colline. Le camion était resté bloqué au
milieu de la pente car ses pneus patinaient sur les routes verglacées.
Paul pensa qu’il était temps de
prier. Il demanda à trois missionnaires de l’accompagner dans les bois,
où ils supplièrent le Seigneur de les aider. Quand ils dirent « Amen »,
ils entendirent le bruit d’un moteur et virent le camion prendre le
virage.
Le conducteur expliqua à Paul qu’il
avait détaché la remorque pour arriver jusqu’au château. Il avait
l’intention de faire demi-tour et de repartir, mais Paul le persuada de
rester et de les aider à transporter autant d’archives que possible sur
la route glissante. Mais, sans la remorque, il n’était pas possible de
transporter tous les documents. Pour que tous les registres puissent
être apportés jusqu’au wagon de marchandises le jour suivant, il
fallait que le verglas sur la route fonde. Une fois de plus, Paul et
les missionnaires se tournèrent vers Dieu en prière.
Une pluie chaude tomba cette nuit-là.
Quand Paul se réveilla, les routes étaient dégivrées. Il apprit
également que le wagon de marchandises avait été retardé de quelques
jours, ce qui laissait suffisamment de temps aux missionnaires pour
charger tous les documents récupérables. Paul ne pouvait pas nier
l’intervention de Dieu dans ce dénouement merveilleux et il était
reconnaissant d’avoir été un instrument entre ses mains.
Quand la dernière cargaison arriva à
la gare, Paul et ses compagnons firent une dernière prière. Ils dirent
: « Nous avons fait notre part. Maintenant, Ô Dieu, nous avons besoin
de toi pour que ce wagon de marchandises arrive à Berlin. »
Le 22 mai 1946, Arwell Pierce,
président de la mission du Mexique, se tenait avec George Albert Smith
au sommet de la pyramide du Soleil, site historique populaire situé au
nord-est de Mexico. La pyramide de pierre, autrefois centre d’une cité
connue sous le nom de Teotihuacán, s’élevait à une hauteur de plus de
soixante mètres et offrait une vue spectaculaire sur le paysage
environnant. Bien qu’âgé de près de quatre-vingts ans, le président
Smith avait gravi avec une certaine aisance les nombreuses marches de
la pyramide, plaisantant en chemin avec Arwell et les missionnaires qui
les accompagnaient.
Arwell était heureux que le prophète
soit venu au Mexique. C’était la première fois qu’un président de
l’Église visitait cette mission et cela signifiait énormément pour les
membres locaux. Depuis dix ans, l’Église au Mexique était divisée
entre, d’un côté, le corps principal des saints et, de l’autre, les
mille deux cents personnes qui s’étaient ralliées à la Troisième
Convention. La visite du président Smith offrait une véritable chance
de réconciliation, ce qu’Arwell avait diligemment recherché au cours
des quatre dernières années.
En 1942, quand il était devenu
président de la mission mexicaine, le fossé entre les conventionnistes
et les autres saints du Mexique était profond. Quand Arwell avait été
mis à part par la Première Présidence, J. Reuben Clark lui avait confié
la responsabilité d’essayer de combler ce fossé.
Au début, les conventionnistes se
méfiaient du nouveau président de mission. Comme ses prédécesseurs, il
était citoyen américain et les conventionnistes l’accueillirent avec
froideur. Au lieu de chercher à leur montrer leur erreur par la force,
Arwell décida de gagner leur confiance et de tisser des liens d’amitié.
Il commença à assister aux réunions
de la Troisième Convention et se lia d’amitié avec Abel Páez, le
dirigeant de l’organisation, ainsi qu’avec d’autres conventionnistes.
Plus il passait du temps avec eux, plus il lui semblait possible de
réunir les deux parties. Les conventionnistes avaient gardé leur foi
dans la doctrine fondamentale de l’Évangile rétabli. Ils continuaient
de suivre les programmes de l’Église et croyaient au Livre de Mormon.
Le président de mission pensait que, s’il arrivait à leur faire voir
tout ce qu’il leur manquait à cause de leur dissidence, ils
reviendraient. Cependant, il savait qu’il fallait avancer avec
précaution.
Il dit à la Première Présidence : «
Par le passé, nous n’avons pas obtenu beaucoup de résultats avec des
méthodes dures. Espérons que la gentillesse et le raisonnement sain et
patient porteront des fruits. »
Sous la direction de la Première
Présidence, Arwell dirigea les efforts pour construire ou rénover
plusieurs églises au Mexique, remédiant ainsi au manque de locaux qui
troublait les conventionnistes quand ils s’étaient séparés du corps de
l’Église. De plus, il discutait souvent avec Abel pour l’inciter à
chercher une réconciliation. Il dit à Abel et aux conventionnistes : «
Ce dont vous avez vraiment besoin ici au Mexique, c’est de
l’organisation d’un pieu. Et nous n’en aurons pas un si nous ne sommes
pas plus unis. »
Il rappela à Abel que son assemblée
renonçait aux bénédictions du temple. En 1945, les premières dotations
en langue espagnole avaient eu lieu dans le temple de Mesa, en Arizona.
Même si de nombreux saints mexicains n’avaient pas les moyens de se
rendre à Mesa, Arwell déclara qu’il croyait qu’un jour, il y aurait au
Mexique des temples dans lesquels Abel et tant d’autres
conventionnistes pourraient entrer.
Un jour, Abel téléphona au président
de mission. Avec d’autres dirigeants de la Troisième Convention, il
était désireux de parler avec lui d’une réconciliation. Les hommes
parlèrent pendant près de six heures. Finalement, après avoir reconnu
leurs erreurs, Abel et les autres conventionnistes décidèrent de
solliciter la Première Présidence pour être réadmis en tant que membres
de l’Église. Après avoir examiné leur demande, le président Smith et
ses conseillers déclarèrent que, si les conventionnistes étaient prêts
à se séparer de leur groupe et à soutenir le président de la mission
mexicaine, ils pourraient à nouveau être membres de l’Église de
Jésus-Christ.
À présent, en faisant le tour de la
mission, Arwell Pierce et le président Smith s’adressaient aux
conventionnistes qui avaient le désir de revenir. Le président de
l’Église fit remarquer : « Il n’y a pas eu de rébellion ici, seulement
un malentendu. »
Le 25 mai 1946, Arwell Pierce
conduisit George Albert Smith dans la branche d’Ermita, à Mexico. Plus
d’un millier de personnes, dont de nombreux membres de la Troisième
Convention, emplissaient la petite église ainsi qu’un pavillon, pour
entendre le prophète parler. Certains conventionnistes craignaient que
le président Smith ne les condamne, mais ce dernier parla plutôt
d’harmonie et de retrouvailles. Après cela, la majorité des
conventionnistes s’engagèrent à réintégrer pleinement l’Église.
Quelques jours plus tard, lors d’une
réunion de près de cinq cents saints dans la ville de Tecalco, Abel
Páez remercia le président Smith d’être venu au Mexique. Il déclara
devant l’assemblée : « Notre but est de suivre la direction et les
instructions des Autorités générales de notre Église et du président de
la mission mexicaine. Nous suivons un prophète du Seigneur. »
Chapitre 32 : Frères et sœurs
Par une soirée fraîche d’un dimanche
du mois d’août 1946, Ezra Taft Benson, accompagné de deux hommes,
parcourait les rues sinistrement calmes de Zełwągi, en Pologne, à bord
d’une jeep militaire. Toute la journée, les voyageurs avaient subi les
désagréments causés par les routes défoncées et la pluie battante mais
le ciel avait fini par s’éclaircir tandis qu’ils approchaient de leur
destination.
Zełwągi faisait autrefois partie de
l’Allemagne et s’appelait Selbongen. Mais, après la guerre, les
frontières nationales avaient été modifiées, et une grande partie de
l’Europe centrale et orientale était passée sous l’influence de l’Union
soviétique. En 1929, le premier lieu de culte de l’Église en Allemagne
avait été construit pour la branche florissante de Selbongen.
Toutefois, après six années de guerre, les saints du village
survivaient à peine.
Ezra Taft Benson était venu des
États-Unis plus tôt cette année-là pour superviser l’aide humanitaire
apportée par l’Église dans toute la mission européenne. Il était membre
du Collège des douze apôtres depuis moins de trois ans mais avait
beaucoup d’expérience en qualité de dirigeant au sein de l’Église et du
gouvernement. À quarante-sept ans, il était suffisamment jeune et en
bonne santé pour supporter ces voyages éreintants à travers plusieurs
pays européens.
Mais rien ne l’avait préparé aux
horreurs qu’il voyait tout autour de lui. Depuis son arrivée en Europe,
il avait vu les ruines laissées par la guerre, de Londres à Francfort
et de Vienne à Stockholm. En même temps, il voyait que les saints
européens s’unissaient pour s’entraider et reconstruire l’Église dans
leurs pays respectifs. En visitant le foyer de la mission de Berlin, il
fut impressionné par les montagnes de documents généalogiques que Paul
Langheinrich et ses collègues avaient récupérés, alors même qu’ils
s’efforçaient de fournir de la nourriture, des vêtements, du
combustible et un abri à plus de mille saints sous leur responsabilité.
Il avait également observé que l’aide
offerte par l’Église était vraiment utile dans toute l’Europe
occidentale. Sous la direction de Belle Spafford, la nouvelle
présidente générale de la Société de Secours, les femmes des paroisses
et des pieux des États-Unis, du Canada et du Mexique avaient coordonné
des efforts d’une grande envergure pour rassembler des vêtements, du
linge de lit et du savon à donner aux saints européens. À Hamilton, en
Ontario, une Société de Secours avait fait don de pulls, de
grenouillères et de sous-vêtements pour enfants confectionnés à partir
des chutes de tissu d’une usine de vêtements. À Los Angeles, les
membres d’une autre Société de Secours avaient fabriqué plus de mille
deux cents vêtements et fait près de quatre mille heures de bénévolat à
la Croix-Rouge.
Dans une grande partie de l’Allemagne
et dans des pays d’Europe de l’Est comme la Pologne, dont les
gouvernements sous influence soviétique refusaient l’aide occidentale,
les saints n’avaient toujours pas accès aux produits de première
nécessité. La présence même d’Ezra Taft Benson en Pologne relevait du
miracle. Comme les lignes téléphoniques ne fonctionnaient pas, ses
collègues et lui avaient eu du mal à prendre contact avec les
fonctionnaires qui pouvaient les aider à obtenir les papiers
nécessaires pour entrer dans le pays. L’apôtre parvint finalement à
obtenir les visas après nombre de prières et de demandes insistantes
auprès du gouvernement polonais.
Alors que la jeep s’approchait du
lieu de culte historique de Zełwągi, la plupart des gens dans les rues
se dispersèrent et se cachèrent. Ezra Taft Benson et ses collègues
arrêtèrent le véhicule devant le bâtiment et en sortirent. Ils se
présentèrent à une femme qui se trouvait non loin et lui demandèrent
s’ils étaient bien devant l’église des saints des derniers jours. Les
yeux de la femme se remplirent de larmes de soulagement. Elle s’écria
en allemand : « Les frères sont là ! »
En un instant, les gens sortirent de
leurs retraites, pleurant de joie et riant. Cela faisait trois ans que
les saints de Zełwągi n’avaient plus de contact avec les dirigeants
généraux de l’Église et, ce matin-là, beaucoup d’entre eux avaient
jeûné et prié pour recevoir la visite d’un missionnaire ou d’un
dirigeant. En quelques heures, une centaine de saints se réunirent pour
entendre l’apôtre parler.
Beaucoup des hommes de la branche
avaient été tués ou déportés en tant que prisonniers de guerre, et les
saints qui étaient restés étaient découragés. Depuis la fin de la
guerre, des soldats soviétiques et polonais terrorisaient la ville,
pillant les maisons et agressant les résidents. La nourriture était
rationnée et les gens payaient souvent des prix exorbitants pour les
aliments qu’ils parvenaient à se procurer au marché noir.
Ce soir-là, tandis qu’Ezra Taft
Benson s’adressait aux saints, deux soldats polonais armés entrèrent
dans l’église. Les membres de l’assemblée se raidirent de frayeur mais
l’apôtre fit signe aux soldats de prendre place à l’avant de la salle.
Pendant son discours, il mit l’accent sur l’importance de la liberté.
Les soldats écoutèrent attentivement, restèrent à leur place jusqu’au
cantique de clôture et s’en allèrent sans incident. Après la réunion,
Ezra Taft Benson eut un entretien avec le président de branche et
laissa de la nourriture et de l’argent aux saints, leur assurant que de
l’aide supplémentaire arrivait.
Peu de temps après, il écrivit à la
Première Présidence. Il était heureux de voir que l’aide de l’Église
parvenait aux membres d’Europe mais il s’inquiétait des difficultés
auxquelles ces derniers étaient encore confrontés.
Il écrivit : « Peut-être que les
multiples avantages du grand programme d’entraide de l’Église pour ces
saints et les autres saints d’Europe ne seront jamais publiquement
connus, mais il ne fait aucun doute que de nombreuses vies ont été
épargnées, et que la foi et le courage de beaucoup de nos membres
dévoués ont été grandement renforcés. »
À peu près à la même époque, en
Autriche, Emmy Cziep, âgée de dix-huit ans, se réveilla à cinq heures
et demie du matin, mangea un seul morceau de pain pour le
petit-déjeuner et entreprit sa marche habituelle d’une heure pour se
rendre à l’hôpital général de Vienne. Sept années s’étaient écoulées
depuis son pénible voyage en train hors de Tchécoslovaquie et
maintenant, elle étudiait pour devenir technicienne en radiologie.
Vienne étant une ville occupée, comme Berlin, Emmy croisait souvent des
soldats soviétiques sur le chemin de l’hôpital. Cependant, on
respectait les professionnels de santé et Emmy pensait que son brassard
de la Croix-Rouge la protégeait du harcèlement.
Vienne avait été le théâtre de
violences et de terreur pendant la guerre, mais les parents d’Emmy,
Alois et Hermine, avaient continué de diriger les réunions de la
branche et de la Société de Secours. Son père était maintenant
président du district regroupant les cinq branches de l’Église en
Autriche. Avec sa femme, il travaillait dur pour soutenir les saints.
La plupart des habitants de Vienne, dont Emmy, étaient sortis de la
guerre traumatisés et affamés. Son frère, Josef, avait servi pendant un
certain temps dans l’armée allemande. Après la guerre, il avait été
capturé et torturé par des soldats soviétiques mais il avait survécu.
La formation d’Emmy à l’hôpital était
l’une des rares choses qui lui donnaient de l’espoir. Une autre était
la visite récente d’Ezra Taft Benson, qui avait prodigué aux saints
d’Autriche les encouragements dont ils avaient tant besoin. La famille
d’Emmy s’était sentie honorée de l’accueillir chez elle. Le soir,
l’apôtre avait demandé à Emmy de lui jouer des cantiques au piano et
elle s’était sentie édifiée par sa présence.
Quelques mois après sa venue, les
cargaisons d’aide humanitaire envoyée par l’Église arrivèrent en
Autriche. En 1947, Alois supervisa la distribution de centaines de
caisses de vêtements, de blé concassé, de haricots, de pois, de sucre,
d’huile, de vitamines et d’autres produits essentiels. Emmy reçut de
nombreux articles magnifiques, notamment de belles robes sur lesquelles
étaient épinglés des petits mots écrits par les personnes qui en avait
fait don.
Dans les autres parties d’Europe, les
saints des derniers jours s’entraidaient également. La Finlande, pays
nordique qu’Ezra Taft Benson avait récemment consacré à l’œuvre
missionnaire, comptait trois branches de l’Église. En Suède, pays
voisin, les membres de l’Église découvrirent que les membres de ces
branches étaient dans le besoin et ils envoyèrent des caisses de
nourriture, de vêtements et de linge de lit.
À Vienne, quelques jours avant les
examens de fin d’étude d’Emmy, son père sollicita son aide. Nombre
d’enfants autrichiens étaient sous-alimentés et avaient besoin de
traitements médicaux qu’ils ne pouvaient pas recevoir à Vienne. Comme
la Suisse était restée neutre pendant la guerre, les membres de
l’Église de ce pays avaient plus de moyens. Ils proposèrent
d’accueillir chez eux pendant trois mois des enfants saints des
derniers jours originaires d’Autriche, le temps qu’ils reprennent des
forces.
Alois supervisait un groupe de vingt
et un enfants qui avaient besoin d’être pris en charge et il demanda à
sa fille de l’aider à les conduire en Suisse. Emmy accepta, sachant
qu’elle serait de retour à Vienne quelques jours plus tard pour passer
ses examens finaux.
Le train pour la Suisse était
tellement bondé que certains enfants durent s’asseoir sur le sol ou
dans l’espace réservé aux bagages au-dessus des sièges. Quand la pluie
commença à tomber, l’eau s’infiltrait à l’intérieur malgré les cartons
qui recouvraient les fenêtres. Beaucoup d’enfants étaient mal installés
et leurs parents leur manquaient. Emmy fit de son mieux pour les
apaiser.
Après une longue nuit peu reposante,
Emmy, son père et les enfants arrivèrent à Bâle. Ils furent accueillis
par le président de mission et son épouse, Scott et Nida Taggart, ainsi
que par des membres de la Société de Secours locale qui offrirent aux
enfants des oranges et des bananes.
Le lendemain, des familles suisses
les accueillirent dans leur foyer et Emmy leur fit ses adieux.
Cependant, avant qu’elle reparte à Vienne, frère Taggart lui proposa de
rester à Bâle pour servir en qualité de missionnaire. Il dit : « Le
Seigneur a besoin de vous. »
Emmy était stupéfaite. Elle n’avait
jamais envisagé de faire une mission auparavant. Qu’allait-il advenir
de ses examens à l’institut de radiologie ? Si elle restait, elle ne
pourrait pas terminer sa formation et n’aurait pas l’occasion de dire
au revoir à ses proches en Autriche. En Suisse, elle serait entourée
d’étrangers qui n’avaient pas connu les bombardements, la famine, le
chagrin et la mort. Pourraient-ils la comprendre ?
Malgré ces préoccupations, Emmy
sentit la réponse à la question du président Taggart s’installer dans
son cœur. Elle répondit : « Si le Seigneur veut que je reste, je
resterai. »
Ce soir-là, à un mois de son
dix-neuvième anniversaire, Emmy Cziep fut mise à part pour œuvrer dans
la mission suisse-autrichienne.
Au printemps 1947, un an et demi
après avoir retrouvé son père, Helga Birth n’était plus missionnaire à
Berlin. D’ailleurs, elle portait un nouveau nom de famille. Elle
s’appelait désormais Helga Meyer. Elle avait épousé un saint des
derniers jours allemand du nom de Kurt Meyer. Ils vivaient à Cammin,
ville rurale à environ cent trente kilomètres au nord de Berlin, et
avaient un petit garçon, Siegfried, qui portait le nom du frère de
Helga mort à la guerre.
Helga avait rencontré Kurt au début
de l’année 1946, alors qu’il rendait visite au foyer de la mission
est-allemande. Soldat dans l’armée allemande, il était rentré chez lui
à la fin de la guerre et avait appris que, lorsque l’armée soviétique
avait envahi sa ville natale, ses parents s’étaient noyés pour ne pas
être faits prisonniers ou tués.
Quand il était arrivé au foyer de la
mission, il n’était pas pratiquant, mais il souhaitait revenir à
l’église. Peu de temps après avoir rencontré Helga, il la demanda en
mariage.
La jeune femme ne savait que
répondre. Depuis la mort de son premier mari, Gerhard, les gens lui
conseillaient de se remarier. Cependant, elle n’avait pas envie de se
précipiter dans un autre mariage. Elle n’était pas amoureuse de Kurt et
ne voulait pas déménager à Cammin, la ville natale de celui-ci, d’où il
fallait prendre le train pour se rendre dans la branche de l’Église la
plus proche. Elle avait parfois le désir d’émigrer en Utah, mais elle
n’était pas encore prête à quitter l’Allemagne, du moins pas avant
d’avoir retrouvé sa mère. Si elle se mariait avec Kurt, elle pourrait
rester en Allemagne et bénéficierait d’une certaine stabilité. Le jeune
homme avait déjà une maison à Cammin, non loin d’un lac regorgeant de
poissons. Si elle l’épousait, ni elle ni son père ne se retrouveraient
sans logement ni sans nourriture.
N’ayant pas vraiment d’autre choix,
Helga décida d’accepter la demande de Kurt et la sécurité qu’elle lui
offrait. Ils se marièrent en avril 1946 et, environ un an plus tard,
ils eurent un fils.
À la fin du printemps 1947, Helga
apprit que sa mère était vivante. Après avoir été chassée de Tilsit,
Bertha Meiszus avait échappé aux forces soviétiques. Elle avait marché
pendant des jours, à moitié gelée, jusqu’à un bateau qui l’avait
emmenée dans un camp de réfugiés au Danemark. Elle y avait passé deux
ans avant d’entrer enfin en contact avec sa famille. Bientôt, elle vint
vivre avec eux à Cammin.
Un jour, vers cette époque, des
soldats soviétiques se présentèrent à la porte de Helga. Comme elle
vivait à proximité d’un lac, les soldats s’arrêtaient chez elle une ou
deux fois par semaine pour lui réclamer du poisson. Ils étaient réputés
pour être brutaux et la jeune femme avait entendu des récits de viols
et d’autres actes de violence commis à Cammin. Le bruit de la voiture
des soldats approchant de sa maison l’effrayait toujours.
Comme d’habitude, Helga laissa les
soldats entrer. Ils avaient bu de la vodka et le commandant était
manifestement ivre. Il s’assit à sa table et dit : « Frau, viens,
assieds-toi. » Les soldats ordonnèrent également à Kurt de se joindre à
eux, puis ils l’ignorèrent complètement.
Helga s’assit à côté du commandant, qui lui demanda de prendre un verre.
Elle répondit : « Je ne bois pas. »
Le chauffeur des soldats, un Allemand à l’air cruel, s’exclama : « Donne-le lui, donne-le lui. »
Helga avait peur. Les hommes ivres étaient imprévisibles. Mais elle insista : « Non, je ne bois pas. »
Le commandant s’écria : « Si tu ne bois pas, je te tire dessus ! »
Elle répondit en ouvrant les bras : « Eh bien, dans ce cas, vous devrez tirer. »
Au bout d’un moment, le commandant demanda : « Appartiens-tu à une religion ? »
Elle déclara : « Je suis mormone. »
Dès lors, le commandant et ses
soldats cessèrent leurs menaces. Quand il revint chez elle la fois
suivante, le commandant lui tapota l’épaule et l’appela « bonne Frau »
mais il ne lui demanda plus de s’asseoir avec lui. Il semblait admirer
sa force et respecter sa détermination à défendre ses croyances.
Il ne se passa pas beaucoup de temps avant que les soldats et Helga deviennent amis.
Quelques mois plus tard, en juillet
1947, des saints de toute l’Autriche se réunirent à Haag am Hausruck,
ville située à environ deux cent vingt kilomètres à l’ouest de Vienne.
Comme le mois de juillet marquait le centième anniversaire de l’arrivée
des pionniers dans la vallée du lac Salé, Alois Cziep, le président de
district, souhaitait que les saints autrichiens se réunissent pour
fêter l’événement, comme le faisaient de nombreux membres de l’Église
dans le monde. Haag am Hausruck était l’endroit idéal. La ville était
proche du lieu où la première branche de l’Église avait été organisée
en Autriche en 1902.
Plus de cent quatre-vingts saints
firent le déplacement. Comme ils étaient trop nombreux pour pouvoir
tous entrer dans le lieu de culte de la branche locale, les dirigeants
de l’Église louèrent une grande salle dans un hôtel situé à proximité
et construisirent une scène provisoire. Pendant les trois jours que
dura la commémoration, il y eut des discours, des spectacles musicaux
et une pièce de théâtre représentant des scènes du début de l’histoire
de l’Église et de l’arrivée des pionniers dans la vallée du lac Salé.
Le dimanche, les saints se réunirent
dans une carrière, où ils avaient installé une estrade pour les
orateurs et un orgue pour accompagner les chants. Juchée sur une
saillie rocheuse derrière l’estrade se dressait une réplique de plus de
deux mètres de haut du temple de Salt Lake City. Kurt Hirschmann,
membre de la branche de Frankenburg, avait passé plusieurs mois à la
fabriquer, en utilisant les cartons qui avaient précédemment servi à
emballer les articles humanitaires envoyés par l’Église.
Comme la plupart des saints présents,
Alois n’était jamais allé au temple. Avec la confusion qui régnait en
Europe et le temple le plus proche se trouvant à des milliers de
kilomètres, ils ne pouvaient qu’imaginer ce que ce serait d’être dotés
et scellés à leur famille. Mais cela n’empêchait pas Alois de
reconnaître l’importance des alliances du temple ni de ressentir
l’Esprit lorsque les saints parlèrent, chantèrent et témoignèrent.
À la tombée de la nuit, le groupe
alluma un feu de joie dont la lumière chaude et scintillante illumina
le temple en carton. Alois prit la parole à la fin de la réunion et
parla de la foi des premiers missionnaires en Autriche, les comparant
aux pionniers de 1847. Il déclara : « Combien nous devrions être
reconnaissants pour l’Évangile, la prêtrise et toutes les possibilités
merveilleuses qui sont à notre portée dans cette Église pour réaliser
notre salut et même notre exaltation ! »
À la fin de la réunion, la lumière du
feu de camp ayant faibli, un soldat américain saint des derniers jours
sauta dans sa jeep pour en allumer les phares et illuminer de nouveau
le temple dans le ciel nocturne.
Les saints autrichiens élevèrent la
voix jusqu’au ciel en faisant résonner en chœur le cantique pionnier «
Venez, venez, sans craindre le devoir » :
Recouvrons-nous du bouclier ;
Allons partout nous écrier
Que Dieu sera notre soutien.
Tout est bien ! Tout est bien !
Entouré de ses frères et sœurs dans
l’Évangile, Alois était certain que ce cantique n’avait jamais été
interprété avec tant de conviction.
Tandis que les saints du monde entier
célébraient le centenaire de l’arrivée des pionniers, Pieter Vlam,
ancien prisonnier de guerre, était missionnaire à plein temps aux
Pays-Bas. Dans le cadre de son nouvel appel, il avait déménagé à une
cinquantaine de kilomètres de chez lui pour diriger la branche
d’Amsterdam. Sa femme, Hanna, et leurs trois enfants étaient restés
chez eux.
La branche d’Amsterdam avait
terriblement souffert sous l’occupation nazie. Avant sa libération,
toute la ville était au bord de la famine. Si Ruurd Hut, le
prédécesseur de Pieter, n’avait pas été là, de nombreux membres de la
branche seraient morts de faim. Il avait fait tout ce qui était en son
pouvoir pour que les saints sous sa responsabilité ne souffrent pas de
la faim. Il avait collecté de l’argent auprès des membres de la branche
et acheté de la nourriture que la Société de Secours avait cuisinée et
distribuée aux saints en détresse.
Après cinq ans d’occupation, la
situation des Pays-Bas était déplorable. Plus de deux cent mille
Néerlandais étaient morts pendant la guerre et des centaines de
milliers de maisons avaient été endommagées ou détruites. De nombreux
saints d’Amsterdam et d’autres villes des Pays-Bas éprouvaient de la
rancune à l’égard des Allemands et des saints qui avaient collaboré
avec les occupants.
Pour favoriser l’unité, le président
de mission, Cornelius Zappey, incita les branches à accroître leurs
réserves alimentaires en lançant des projets de culture de pommes de
terre grâce à des plants fournis par le gouvernement néerlandais.
Pieter Vlam et sa branche louèrent un terrain à Amsterdam et hommes,
femmes et enfants travaillèrent ensemble pour planter des pommes de
terre et d’autres légumes. Les membres d’autres branches néerlandaises
plantèrent également des pommes de terre partout où ils pouvaient :
dans les arrière-cours, les jardins, les terrains vagues et les
terre-pleins centraux des routes.
Le moment de la récolte approchant,
Cornelius Zappey tint une conférence de mission dans la ville de
Rotterdam. Il avait rencontré Walter Stover, président de la mission
d’Allemagne de l’Est et il savait que de nombreux saints allemands
souffraient de graves pénuries de nourriture. Il voulait faire quelque
chose pour les aider. Il demanda donc aux dirigeants locaux s’ils
étaient disposés à donner une partie de leur récolte de pommes de terre
aux saints d’Allemagne.
Il reconnut : « À cause de cette
guerre, le peuple allemand fait partie de vos pires ennemis. Néanmoins,
ces gens sont désormais dans une situation beaucoup plus difficile que
la vôtre. »
Au début, certains saints néerlandais
s’opposèrent à ce projet. Pourquoi devraient-ils partager leurs pommes
de terre avec les Allemands ? Ils pensaient que Cornelius Zappey ne se
rendait pas compte des atrocités que leurs voisins leur avaient fait
subir pendant la guerre. Bien qu’il soit né aux Pays-Bas, le président
de mission avait passé la majeure partie de sa vie aux États-Unis. Il
ne savait pas ce que c’était que de voir sa maison détruite par les
bombes allemandes ou ses proches mourir de faim parce que les occupants
allemands avaient pris leur nourriture.
Cornelius Zappey restait convaincu
que le Seigneur voulait que les saints néerlandais aident leurs
voisins. Il demanda donc à Pieter Vlam de se rendre dans les branches
des Pays-Bas et de les rallier à ce projet. Pieter était un dirigeant
de l’Église expérimenté dont l’emprisonnement injuste dans un camp
allemand était connu de tous. S’il y avait bien quelqu’un dans la
mission que les saints aimaient et à qui ils faisaient confiance,
c’était Pieter Vlam.
Il accepta d’aider le président de
mission et, tandis qu’il visitait les branches, il évoqua ses
souffrances en prison. Il dit : « Vous savez ce que j’ai traversé. » Il
exhorta les membres à pardonner au peuple allemand. Il ajouta : « Je
sais à quel point il est difficile de les aimer. Toutefois, s’ils sont
nos frères et nos sœurs, nous devons les traiter en tant que tels. »
Ses paroles et celles des autres
présidents de branche émurent les saints. La colère de beaucoup d’entre
eux se dissipa tandis qu’ils récoltaient des pommes de terre pour les
saints allemands. Les désaccords au sein des branches ne disparurent
pas mais au moins les saints savaient qu’ils étaient capables de
travailler ensemble et d’aller de l’avant.
De son côté, Cornelius Zappey
s’efforçait d’obtenir les autorisations nécessaires pour transporter
les pommes de terre en Allemagne. Au début, le gouvernement néerlandais
refusa que l’on exporte des denrées alimentaires. Les demandes
insistantes du président de mission le firent céder. Quand des
fonctionnaires essayèrent de bloquer les projets d’expédition,
Cornelius leur dit : « Ces pommes de terre appartiennent au Seigneur.
Si c’est sa volonté, il veillera à ce qu’elles arrivent en Allemagne. »
Finalement, en novembre 1947, des
saints et des missionnaires néerlandais se réunirent à La Haye pour
charger plus de soixante-dix tonnes de pommes de terre dans dix
camions. Peu de temps après, les pommes de terre arrivèrent en
Allemagne afin d’être distribuées parmi les saints. Walter Stover, le
président de la mission d’Allemagne de l’Est, avait acheté des
cargaisons supplémentaires de pommes de terre pour compléter
l’approvisionnement.
La Première Présidence entendit
parler du projet des pommes de terre. Abasourdi, David O. McKay,
deuxième conseiller, dit : « C’est l’un des actes les plus grandioses
de véritable attitude chrétienne que l’on m’ait jamais rapportés. »
Chapitre 33 : La main de notre Père
Parfois, lorsque Martha Toronto, âgée
de trente-six ans, allait en ville pour faire des achats pour sa
famille et les quelques missionnaires qui vivaient au foyer de la
mission tchécoslovaque, elle se sentait observée. Au printemps de
l’année 1948, cela faisait un an qu’elle vivait à Prague avec son mari,
Wallace Toronto, qui était le président de mission. Pendant ses six
premiers mois dans la ville, Martha avait travaillé dur pour aider les
saints tchécoslovaques à reconstruire l’Église dans un pays encore
traumatisé par sept années d’occupation nazie. Puis, en février 1948,
les communistes du gouvernement, soutenus par les Soviétiques, avaient
organisé un coup d’État, forçant tous les dirigeants non communistes à
quitter leurs fonctions.
Ce coup d’État s’inscrivait dans le
cadre d’une « guerre froide » qui était en train de naître entre
l’Union soviétique et ses anciens alliés. En Tchécoslovaquie, le
gouvernement communiste se méfiait généralement des groupes religieux
et l’Église faisait l’objet d’une surveillance particulière en raison
de ses liens avec les États-Unis. Des espions du gouvernement et des
informateurs surveillaient les membres de l’Église et les
missionnaires. De plus, la famille Toronto et les autres Américains
semblaient susciter la méfiance de nombreux Tchécoslovaques. De temps
en temps, Martha voyait le rideau d’une maison voisine s’entrouvrir
discrètement à son passage. Un jour, un homme avait suivi sa fille de
treize ans, Marion, depuis l’école jusque chez eux. Quand elle s’était
retournée pour le regarder, il s’était caché derrière un arbre.
Martha savait ce que c’était de vivre
sous un régime soupçonneux et soucieux de tout contrôler. Wallace et
elle avaient déjà dirigé la mission tchécoslovaque auparavant, à partir
de 1936, quelques années après leur mariage. Au début, le couple
pouvait prêcher l’Évangile avec une certaine liberté. Mais, au début de
l’année 1939, le régime nazi avait pris le contrôle du pays, harcelant
les membres de l’Église et emprisonnant des missionnaires. Quelque
temps plus tard, quand la guerre éclata, Martha, Wallace et les
missionnaires nord-américains furent contraints d’évacuer le pays,
laissant derrière eux plus d’une centaine de saints tchécoslovaques.
Wallace laissa la mission entre les
mains de Josef Roubíček, un jeune homme de vingt et un ans, qui était
devenu membre de l’Église seulement trois ans plus tôt. En tant que
président de mission suppléant, Josef organisa des réunions et des
conférences. Il écrivit aux saints de la mission et fit de son mieux
pour leur donner du courage et fortifier leur foi. De temps en temps,
il faisait rapport de l’état de la mission à Wallace.
Peu après la fin de la guerre, la
Première Présidence appela Wallace et Martha Toronto à reprendre leurs
fonctions en Tchécoslovaquie. Étant donné les conditions de vie
difficiles dans une Europe déchirée par la guerre, Wallace partit seul
pour Prague en juin 1946, promettant à sa famille de la faire venir dès
que la situation serait plus stable. Martha s’était parfois demandé si
elle aurait mieux fait de rester en Utah avec ses enfants, mais elle ne
voulait pas qu’ils passent des années sans voir leur père. Après une
année de séparation, les membres de la famille Toronto s’étaient enfin
retrouvés.
En tant que dirigeante de mission,
Martha supervisait l’œuvre de la Société de Secours, s’occupait des
missionnaires et se réjouissait de voir de nouveaux convertis venir
chaque semaine au foyer de la mission pour les activités de la Société
d’Amélioration Mutuelle. Depuis que sa famille et l’Église étaient sous
la surveillance étroite du gouvernement communiste, Martha avait toutes
les raisons de penser que la vie en Tchécoslovaquie allait devenir plus
difficile.
Avant que Martha ne quitte les
États-Unis, J. Reuben Clark, de la Première Présidence, l’avait mise à
part pour sa mission. Il avait dit : « Les problèmes qui se
présenteront à vous seront nombreux et inhabituels. » Il lui avait
promis qu’elle aurait la force de les affronter et l’avait bénie pour
qu’elle soit patiente, charitable et longanime.
Martha se raccrochait à ces paroles tandis que sa famille et elle accomplissaient l’œuvre du Seigneur.
Pendant ce temps, loin de l’agitation
européenne, John O’Donnal, âgé de trente et un ans, s’agenouillait près
d’un arbre situé à l’écart dans un jardin botanique près de Tela, au
Honduras. Depuis six ans, il dirigeait une usine de caoutchouc au
Guatemala, pays voisin, et il se réjouissait chaque fois que son
travail le conduisait dans ce jardin magnifique. Pour quelqu’un qui
avait grandi au sein des colonies de saints des derniers jours dans les
régions désertiques du nord du Mexique, cet endroit paisible, avec sa
diversité impressionnante de flore et de faune, était un paradis
tropical.
Pourtant, John avait l’esprit
troublé. Sa femme, Carmen, et lui étaient tombés amoureux peu après
qu’il eut commencé à travailler en Amérique centrale. Carmen étant
catholique, ils avaient été mariés par un prêtre de son église.
Toutefois, à l’époque, John avait eu le sentiment qu’elle partagerait
un jour sa foi dans l’Évangile rétabli. Il souhaitait ardemment être
scellé à elle dans le temple et lui parlait souvent de l’Église, qui
n’avait pas de présence officielle au Guatemala. Mais Carmen ne
semblait pas désireuse de changer de religion et John ne voulait pas se
montrer trop insistant.
Il lui dit : « Je ne veux pas que tu
deviennes membre de mon Église pour me faire plaisir. Tu dois faire des
efforts pour obtenir ton propre témoignage. »
Carmen aimait beaucoup ce que John
lui avait enseigné concernant l’Église, mais elle voulait être sûre que
l’Évangile rétabli était fait pour elle. Enfant, elle n’avait pas été
autorisée à lire la Bible et, au début, elle ne saisissait pas
l’importance du Livre de Mormon. Elle demandait à son mari : « Pourquoi
devrais-je lire ce livre ? Il ne signifie rien pour moi. »
John n’abandonna pas. Lors d’un
voyage aux États-Unis, il lui parla du mariage éternel tandis qu’ils se
trouvaient à Mesa, en Arizona, non loin du temple. Malgré tous ses
efforts pour lui parler de l’Évangile rétabli, elle ne semblait pas en
recevoir de témoignage.
John savait qu’une partie du problème
se trouvait dans l’opposition manifestée par la famille et les amis de
sa femme, dont certains disaient du mal de l’Église. Même si Carmen
n’était pas une catholique fervente, elle chérissait les traditions
avec lesquelles elle avait grandi. Son mari regrettait d’être lui-même
parfois négligent dans la pratique de sa religion, notamment quand il
était en présence d’amis et de collègues qui n’étaient pas membres de
l’Église. C’était parfois difficile d’habiter si loin d’une branche
organisée de l’Église. Il était reconnaissant pour ses jeunes années
dans le nord du Mexique, où il avait été sous l’influence du bon
exemple de ses parents et d’autres membres de l’Église.
Vers la fin de l’année 1946, John
s’était entretenu avec le président de l’Église, George Albert Smith, à
Salt Lake City. Il l’avait supplié d’envoyer des missionnaires au
Guatemala. Le président Smith l’avait écouté avec intérêt parler de
l’état de préparation du pays à la proclamation de l’Évangile. Le
prophète et ses conseillers tenaient déjà conseil avec Frederick S.
Williams, ancien président de la mission d’Argentine, sur l’expansion
de l’œuvre missionnaire en Amérique latine.
Peu de temps après l’entretien, la
Première Présidence avait annoncé sa décision d’envoyer des
missionnaires au Guatemala. Les frères dirent à John : « Nous ne sommes
pas sûrs de la date à laquelle cela pourra se faire mais nous pensons
que ce sera dans un avenir raisonnablement proche. »
Plusieurs mois plus tard, quatre
missionnaires arrivèrent chez la famille O’Donnal à Guatemala, juste
après l’agrandissement de la mission mexicaine qui comprenait
dorénavant le Guatemala, le Costa Rica, le Salvador, le Honduras, le
Nicaragua et le Panama. Deux missionnaires poursuivirent leur route
jusqu’au Costa Rica mais les deux autres commencèrent à organiser des
réunions avec John, Carmen et leurs deux petites filles.
Ils mirent également en place une
École du Dimanche et une Primaire. Ils demandèrent même à Teresa, la
sœur de Carmen, d’être instructrice à la Primaire. Même si Carmen
assistait aux réunions de l’Église avec son mari, elle était toujours
réticente à l’idée de se faire baptiser. En fait, au moment où John
s’agenouillait dans le jardin botanique, cela faisait presque un an que
les missionnaires œuvraient au Guatemala et personne dans le pays
n’était devenu membre de l’Église.
En priant, John ouvrit son cœur,
suppliant notre Père céleste qu’il lui pardonne ses péchés et ses
faiblesses. Il pria ensuite pour Carmen qui avait des difficultés à
recevoir un témoignage. Il semblait qu’au cours des cinq dernières
années, l’adversaire avait fait tout ce qu’il pouvait pour la tenir à
l’écart de l’Église. Quand recevrait-elle sa réponse du Seigneur ?
Tandis que John O’Donnal priait au
Honduras, Emmy Cziep travaillait dur en tant que missionnaire en
Suisse. En plus des tâches habituelles des missionnaires, elle aidait
Scott Taggart, le président de mission, dans ses correspondances en
allemand. Elle traduisait aussi en allemand les manuels de leçons qui
étaient en anglais. Avant sa mission, elle ne parlait pas l’anglais
mais elle s’était améliorée en étudiant attentivement d’anciens numéros
du magazine Improvement Era et en emportant un dictionnaire partout où
elle allait.
Au cours de l’été 1948, un
fonctionnaire du gouvernement informa Emmy que son visa ne pouvait plus
être renouvelé et qu’elle devrait retourner à Vienne dans trois mois.
Sa famille lui manquait mais elle n’avait guère envie de vivre en
Autriche sous l’influence de l’Union soviétique, qui occupait encore
certaines parties de sa ville et de son pays. Elle allait peut-être
pouvoir trouver un emploi temporaire en tant qu’employée de maison en
Grande-Bretagne, mais rien n’était certain. Elle pensait souvent au
proverbe : « Confie-toi en l’Éternel de tout ton cœur, et ne t’appuie
pas sur ta sagesse. »
Un jour, Emmy fit la connaissance de
deux sœurs missionnaires de la mission britannique qui visitaient la
Suisse avant de rentrer chez elles. Elles étaient toutes deux
originaires du Canada et ne parlaient pas l’allemand ; Emmy leur servit
donc d’interprète. Dans la conversation, elle leur parla de sa
réticence à retourner à Vienne. Marion Allen, l’une des missionnaires,
lui demanda si elle ne préférait pas plutôt émigrer au Canada au lieu
d’aller en Grande-Bretagne. Au Canada, la plupart des membres de
l’Église vivaient près du temple de Cardston, en Alberta, mais on
trouvait des branches de l’Église dans tout le pays, de la
Nouvelle-Écosse à l’est jusqu’à la Colombie-Britannique à l’ouest.
Emmy pensait qu’elle avait peu de
chance de réussir à émigrer en Amérique du Nord. L’Autriche n’avait pas
encore signé de traité de neutralité et ses citoyens étaient considérés
comme des ennemis par les nations alliées. De plus, Emmy n’avait pas de
famille ni d’amis au Canada ou aux États-Unis qui pouvaient la
parrainer ou lui garantir un emploi.
Quelques semaines plus tard, le
président Taggart reçut un télégramme du père de Marion, Heber Allen,
lui demandant si Emmy désirait s’installer au Canada. Marion lui avait
parlé de la situation difficile dans laquelle se trouvait la jeune
femme et il avait pris contact avec une connaissance au sein du
gouvernement canadien pour obtenir une autorisation d’immigration.
Heber était disposé à offrir à Emmy un emploi et un logement dans leur
maison à Raymond, petite ville près de Cardston.
Emmy accepta immédiatement. Tandis
qu’elle se préparait à partir, ses parents, Alois et Hermine, obtinrent
un laissez-passer d’une journée à la frontière suisse pour lui dire au
revoir. Emmy savait que ses parents faisaient preuve de foi en
acceptant de laisser leur fille de vingt ans partir vivre parmi des
étrangers dans un pays inconnu, sans savoir s’ils la reverraient.
Ils lui dirent : « Où que tu ailles,
tu ne seras jamais seule. Ton Père céleste est là, il veille sur toi. »
Ils l’exhortèrent à être une bonne citoyenne et à rester proche de
l’Église.
Pendant la traversée de l’océan
Atlantique, Emmy avait le cœur lourd en pensant à sa famille très
soudée, aux membres de la branche de Vienne et à son Autriche
bien-aimée. Elle se mit à pleurer, se disant que si elle avait le
pouvoir de faire faire demi-tour au bateau, elle le ferait sans doute.
Deux missionnaires qui rentraient de
Tchécoslovaquie naviguaient avec Emmy. Grâce à eux, le voyage fut moins
pénible. Entre deux crises de mal de mer, chacun d’eux demanda Emmy en
mariage, mais elle n’accepta aucune des deux offres. Elle leur dit : «
Cela fait deux ans que vous n’avez pas fréquenté de jeunes filles. Dès
que vous rentrerez chez vous, vous trouverez une femme très gentille
avec laquelle vous vous marierez. »
Lorsque le navire accosta en
Nouvelle-Écosse, les deux missionnaires furent autorisés à entrer
immédiatement dans le pays mais Emmy fut conduite dans une zone
d’attente clôturée avec des dizaines d’autres émigrants. Elle apprit
que certains d’entre eux étaient des orphelins des camps de
concentration allemands.
Dans les années trente, les nazis
emprisonnaient dans ces camps les dissidents politiques et toute autre
personne qu’ils jugeaient inférieure ou dangereuse pour leur régime.
Après le début de la guerre, ils avaient continué d’arrêter ces
personnes pour finalement en assassiner des centaines de milliers.
L’antisémitisme nazi était devenu génocidaire tandis que le régime
emprisonnait et assassinait systématiquement des millions de Juifs dans
les camps de concentration. Deux tiers des Juifs d’Europe étaient morts
pendant l’Holocauste, y compris Olga Weiss et son fils, Egon, d’origine
juive, qui étaient devenus membres de l’Église et pratiquaient le culte
avec la famille d’Emmy au sein de la branche de Vienne.
Au Canada, Emmy attendit une journée
entière pendant que les fonctionnaires du gouvernement répartissaient
les émigrants par langue, puis les interrogeaient, un par un. La jeune
femme pria pour passer l’inspection sans difficulté. Elle savait que
des émigrants étaient renvoyés en Europe parce que leurs papiers
n’étaient pas en règle, qu’ils n’avaient pas assez d’argent, ou
simplement parce qu’ils étaient malades. Quand le fonctionnaire prit
son passeport pour le tamponner, sa joie était telle que son cœur
sembla bondir hors de sa poitrine.
Elle pensa : « Je suis libre, dans un pays libre. »
À la même époque, à Guatemala, Carmen
O’Donnal avait matière à réflexion. Elle venait de recevoir une lettre
de son mari, John, qui se trouvait au Honduras pour affaires. En son
absence, il voulait qu’elle demande à Dieu si l’Église de Jésus-Christ
des Saints des Derniers Jours était vraie, si Joseph Smith était un
prophète et si le Livre de Mormon était la parole de Dieu. Il la
supplia de prier à ce sujet. Il ajouta : « Je veux que ma femme et mes
enfants soient scellés à moi pour les éternités. »
Carmen avait déjà prié à ce sujet de
nombreuses fois auparavant. Il lui était particulièrement difficile, et
même pénible, de prier quand son mari n’était pas à la maison. Un
esprit terrible l’entourait et elle était témoin des démonstrations
alarmantes de la puissance de Satan. L’idée de retenter l’expérience
sans son mari à ses côtés l’effrayait.
Pourtant, un soir, elle décida
d’essayer à nouveau. Elle mit ses deux filles au lit puis s’agenouilla
dans sa chambre pour prier. Les pouvoirs des ténèbres l’enserrèrent
immédiatement. Elle avait l’impression que des milliers de visages
moqueurs emplissaient la pièce et voulaient la détruire. Elle s’enfuit
et grimpa les escaliers jusqu’au deuxième étage, où vivaient les
missionnaires. Elle leur raconta ce qu’il s’était passé et ils lui
donnèrent une bénédiction.
Quand Carmen ouvrit les yeux, elle se
sentait plus calme. Elle se rendit compte que, pour une raison
inconnue, Satan essayait de la détruire. Il était clair qu’il ne
voulait pas qu’elle obtienne un témoignage de l’Évangile rétabli.
Sinon, pourquoi s’efforcerait-il à ce point de perturber ses prières ?
Elle comprit soudain qu’elle devait se faire baptiser.
La famille O’Donnal fut bien occupée
au cours des mois suivants. Depuis le retour de John du Honduras, sa
femme et lui priaient toujours ensemble. Carmen continuait d’assister
aux réunions de Sainte-Cène et à d’autres réunions de l’Église,
acquérant une meilleure compréhension de l’Évangile. Lors d’une réunion
de témoignage avec Arwell Pierce, le président de la mission du
Mexique, elle se leva et prononça quelques mots. D’autres personnes
témoignèrent à leur tour. Ils pleurèrent ensemble, touchés et inspirés
par le Saint-Esprit.
Le 13 novembre 1948, les
missionnaires organisèrent un service de baptême pour Carmen, sa sœur
Teresa et deux autres personnes, Manuela Cáceres et Luis Gonzalez
Batres. Comme il n’y avait pas de fonts baptismaux dans la salle qu’ils
louaient pour les réunions de l’Église, des amis acceptèrent de laisser
John et les missionnaires accomplir les baptêmes dans une petite
piscine au sud de la ville.
Une semaine plus tard, Mary White et
Arlene Bean, deux missionnaires de la mission mexicaine, arrivèrent
pour organiser une Société de Secours dans la capitale, Guatemala.
Carmen en fut appelée présidente. Elle tenait des réunions le jeudi
après-midi avec les missionnaires. La plupart des femmes qui y
assistaient n’étaient pas membres de l’Église. L’une d’elles, une
professeure d’université d’âge moyen, fut d’abord embarrassée par le
fait qu’une personne aussi jeune que Carmen dirige l’organisation.
Elle dit aux missionnaires : « Je
n’ai pas la moindre idée de la raison pour laquelle vous avez appelé
cette jeune femme à être présidente. »
Carmen se sentait mal. Elle ne
pouvait pas s’empêcher de penser que cette femme avait raison. Pourquoi
n’avait-on pas appelé une professeure ou une autre femme plus âgée pour
être présidente ?
Les sœurs missionnaires la
rassurèrent : « Vous n’avez pas à éprouver ces sentiments puisque vous
n’avez pas demandé cette tâche. Vous êtes la personne qui a été appelée
à la remplir. »
La Société de Secours ne disposant
pas de manuels, Carmen improvisait les leçons et les activités. En
février 1949, deux femmes, Antonia Morales et Alicia Cáceres, devinrent
membres de l’Église. Quelques semaines plus tard, Carmen les appela,
ainsi que Gracie de Urquizú, une femme qui s’intéressait à l’Église, à
faire partie de sa présidence. Elles furent présentées lors d’une
réunion à laquelle vingt et une femmes assistèrent. C’était la première
fois qu’une de leurs réunions attirait autant de monde.
Toutes étaient heureuses et disposées à apprendre.
Pendant le printemps 1949, George
Albert Smith se réveillait souvent au bruit des grognements des phoques
et du mouvement régulier des vagues de l’océan Pacifique. Le prophète
était arrivé en Californie en janvier pour inspecter le site du temple
de Los Angeles. Le projet avait été retardé par la guerre et les
opérations de secours en faveur de l’Europe et les dirigeants de
l’Église voulaient maintenant relancer le projet de construction. Au
bout de quelques jours de réunions, le président Smith se sentit mal.
Son état s’aggrava et les médecins lui diagnostiquèrent un caillot de
sang dans la tempe droite.
Sa vie n’était pas en danger mais il
avait du mal à reprendre des forces. Lorsque les médecins le laissèrent
finalement sortir de l’hôpital, il resta en Californie pour se rétablir
au bord de la mer. La conférence générale d’avril 1949 arrivant à grand
pas, il espérait pouvoir retourner à Salt Lake City. Néanmoins, à
chaque fois qu’il s’asseyait dans son lit, il était pris d’un vertige
terrible qui semblait faire tourner la pièce et l’obligeait à se
recoucher.
Mis à part le caillot, les médecins
ne trouvaient aucune explication à la fatigue du prophète. Celui-ci
tira la conclusion suivante dans son journal : « Mes plus gros
problèmes, ce sont des nerfs fatigués et le surmenage. »
Pendant une grande partie de sa vie
d’adulte, le président Smith avait eu divers problèmes de santé dont
une mauvaise vue, des problèmes digestifs et une fatigue terrible.
Lorsqu’il avait été appelé apôtre à l’âge de trente-trois ans, il
savait déjà ce qu’il risquait s’il repoussait trop les limites de son
corps. Mais son sens du devoir et son désir d’œuvrer l’empêchaient
parfois de ralentir le rythme.
En 1909, six ans après son appel à
l’apostolat, il était anxieux et déprimé. Il n’avait plus d’énergie et
resta alité pendant des mois, incapable de faire quoi que ce soit. Sa
mauvaise vue l’empêchait de lire sur une longue durée. Il se sentait
inutile et désespéré, et il y avait des moments où il souhaitait
mourir. Pendant trois ans, il dut se retirer de ses fonctions
habituelles au sein du Collège des douze apôtres.
Le président Smith constata que la
prière, l’air frais, un régime alimentaire nutritif et de l’exercice
physique régulier l’aidaient à retrouver son énergie. Même s’il n’était
pas encore complètement guéri de ses problèmes de santé, ces premières
années difficiles en tant qu’apôtre l’avaient convaincu que le Seigneur
avait un plan pour sa vie. Il trouva du réconfort dans une lettre de
son père, John Henry Smith, alors apôtre. Il avait écrit : «
L’expérience amère que tu traverses n’est conçue que pour ta
purification, ton élévation et ta qualification pour une longue vie de
travail. »
Depuis lors, le président Smith
consacrait son énergie à soulager la souffrance, l’injustice et les
difficultés. Il fit imprimer les premiers exemplaires du Livre de
Mormon en braille et organisa la première branche de l’Église pour les
sourds. Après avoir appris que Helmuth Hübener, le jeune saint allemand
exécuté par les nazis, avait été excommunié à tort, le président Smith
et ses conseillers annulèrent l’action et demandèrent aux autorités
locales de le noter sur le certificat de membre de Helmuth. Le prophète
accorda une attention nouvelle aux Amérindiens vivant aux États-Unis,
cherchant à améliorer leurs conditions de vie et leur instruction.
Toutefois, le cœur compatissant du
prophète ajoutait souvent à son fardeau émotionnel. Un jour, il confia
à un ami : « Quand tout va bien, mes nerfs ne sont pas très solides, et
lorsque je vois des personnes tristes ou déprimées, cela m’atteint
facilement. »
À l’époque, les médecins ne
comprenaient pas bien les maladies physiques et mentales de longue
durée. Ils utilisaient souvent des termes tels que « épuisement nerveux
» pour décrire un état de fatigue chronique ou de dépression. Le
président Smith faisait de son mieux pour rester en bonne santé,
profitant de ses périodes de regain d’énergie et d’endurance, et se
reposant lorsque c’était nécessaire. Il n’éprouvait plus le genre
d’épuisement qu’il avait connu des décennies plus tôt, mais la
vieillesse et ses responsabilités immenses l’accablaient.
Le 20 mars, le prophète envoya un
courrier par avion à ses conseillers dans lequel il leur recommandait
de tenir la conférence générale sans lui. Le lendemain, J. Reuben Clark
lui téléphona, espérant qu’il serait rétabli avant la conférence. Il
dit : « Attendons de voir comment vous vous sentirez dimanche prochain.
»
La semaine suivante, le prophète
souffrait toujours de vertiges mais il sentait ses forces lui revenir
peu à peu. Le 27 mars, ses médecins confirmèrent qu’il était en
suffisamment bonne santé pour voyager. Il monta alors à bord d’un train
à destination de Salt Lake City. Il profita du trajet pour bien se
reposer et, le week-end de la conférence, il sut que le Seigneur
l’avait béni en lui donnant de la force.
Le deuxième jour de la conférence, le
président Smith se tint devant les saints, le cœur rempli d’amour et de
reconnaissance. Il dit : « Bien souvent, alors que j’étais apparemment
prêt à passer de l’autre côté, on m’a retenu ici pour une autre tâche à
accomplir. »
Ensuite, il prononça des paroles
qu’il n’avait pas prévu de dire. Il déclara : « J’ai connu beaucoup de
joie dans ma vie. Je prie pour que nous fassions des ajustements au fur
et à mesure des expériences de la vie afin de pouvoir tendre la main et
sentir celle de notre Père. »
À Prague, le président de mission,
Wallace Toronto, attendait de savoir si les sept nouveaux missionnaires
américains appelés à servir dans la mission tchécoslovaque allaient
être autorisés à entrer dans le pays. Au cours de l’année précédente,
le nombre de missionnaires en Tchécoslovaquie était passé à
trente-neuf. C’était le deuxième plus grand groupe de citoyens
américains dans le pays, juste après le personnel de l’ambassade
américaine. Cependant, dix missionnaires devaient rentrer chez eux et
il fallait les remplacer pour que la mission puisse continuer sur sa
lancée.
Le groupe de nouveaux missionnaires
était arrivé en Europe en février 1949. Comme le gouvernement
tchécoslovaque ne leur accorda pas immédiatement de visa, les
missionnaires attendirent au foyer de la mission suisse-autrichienne, à
Bâle, pendant que Wallace Toronto sollicitait un haut fonctionnaire du
gouvernement pour que les missionnaires entrent dans le pays. Après des
semaines d’attente, Wallace apprit que sa requête avait été refusée.
La réponse officielle indiquait : «
Pour l’instant, plus aucun citoyen américain ne sera admis en
Tchécoslovaquie dans le but d’y résider. »
Les missionnaires furent réaffectés à
la mission suisse-autrichienne, laissant Wallace en manque de
missionnaires, au moment même où le gouvernement communiste s’immisçait
de plus en plus dans les affaires de l’Église. Le régime exigeait
désormais que toutes les leçons et tous les discours publics soient
approuvés six semaines à l’avance. De plus, les fonctionnaires
communistes assistaient souvent aux réunions de l’Église pour
surveiller les saints, guettant un discours non approuvé. Le
gouvernement n’autorisa plus l’impression du magazine de la mission,
Novy Hlas et menaça les saints de réduire leurs rations ou de les faire
licencier de leur emploi s’ils continuaient d’aller à l’église.
Certains membres se sentaient incités à espionner les autres membres de
leur assemblée.
Des saints désemparés demandèrent
conseil à Wallace Toronto, qui leur dit qu’ils ne devaient jamais se
sentir obligés de se mettre en danger. S’ils étaient contraints par des
agents gouvernementaux de faire un rapport sur une réunion de l’Église,
ils devraient donner juste assez de renseignements pour satisfaire les
enquêteurs.
Malgré toutes ces difficultés,
certains Tchécoslovaques étaient désireux d’entendre le message de
l’Évangile. Au lieu de limiter le nombre de réunions publiques, Wallace
étendit l’influence de la mission en organisant des dizaines de
conférences dans tout le pays. Ces rassemblements attiraient de plus en
plus de monde, et de nombreux exemplaires du Livre de Mormon furent
vendus. Un soir, dans la ville de Pilsen, près de neuf cents personnes
se réunirent pour écouter.
Cependant, un tel succès entraîna un
contrôle accru du gouvernement. Dans certaines régions, notamment à
Prague, les fonctionnaires refusèrent les demandes d’organisation de
conférences. Peu de temps après la réunion à Pilsen, le gouvernement
refusa de renouveler le permis de résidence de quatre missionnaires
américains dans le pays, alléguant qu’ils représentaient « une menace
pour la paix publique, l’ordre et la sécurité de l’État ».
Wallace Toronto réitéra la demande de
permis auprès des responsables du régime, insistant sur le fait que les
missionnaires n’avaient rien fait qui puisse mettre en danger la
population. Il présenta plusieurs articles positifs sur la
Tchécoslovaquie tirés du Deseret News pour prouver que les saints
n’étaient pas des ennemis du gouvernement. Il indiqua également que,
après la guerre, l’Église avait distribué dans tout le pays de la
nourriture et des vêtements. Il souligna le fait que les missionnaires
contribuaient à l’économie tchèque.
Mais cela n’eut aucun effet. Le
gouvernement exigea que les quatre missionnaires quittent le pays avant
le 15 mai 1949. Dans son rapport de mission, Wallace fit part de sa
crainte que tous les mouvements religieux en Tchécoslovaquie ne soient
bientôt soumis à un contrôle étatique strict.
Il refusa néanmoins de se laisser
abattre. Il écrivit : « Nous prions avec l’espoir que le Seigneur
continuera de bénir son œuvre dans ce pays, quels que soient les
bouleversements politiques à venir. »
Chapitre 34 : Va le voir
Emmy Cziep n’avait pas l’habitude de
vivre dans une petite ville. Elle avait grandi dans une ville
européenne animée et, au début, sa nouvelle résidence canadienne à
Raymond, en Alberta, ne lui fit pas grande impression. La ville
comprenait quelques magasins et une sucrerie. Les routes étaient en
terre et il n’y avait aucun trottoir. En découvrant son nouveau cadre
de vie, elle pensa : « Ai-je quitté tout ce qui m’était cher pour ça ? »
Ses hôtes, Heber et Valeria Allen,
firent de leur mieux pour qu’elle se sente bien. Elle disposait d’une
chambre à l’étage supérieur de leur maison spacieuse et Heber lui avait
donné un emploi dans son magasin, le « Raymond Mercantile ». Emmy
savait qu’il n’avait pas besoin de son aide, mais cela lui permettait
de rembourser l’argent que sa femme et lui avaient dépensé pour son
émigration. Le couple faisait partie des nombreuses familles de saints
des derniers jours au Canada qui aidaient les membres de l’Église
européens. Récemment, leur pieu avait envoyé quinze mille sacs de blé
concassé aux saints allemands.
Quelques semaines après s’être
installée à Raymond, Emmy reçut une lettre de Glenn Collette, un ancien
missionnaire de la mission suisse-autrichienne. Elle avait fait sa
connaissance pendant qu’ils étaient tous les deux en mission en Suisse
et ils avaient rapidement commencé à éprouver des sentiments l’un pour
l’autre, mais ils étaient restés concentrés sur leur mission. Glenn
vivait désormais à Idaho Falls, aux États-Unis, à plus de huit cents
kilomètres au sud de Raymond, mais il voulait savoir s’il pouvait venir
voir Emmy à Noël.
La famille Allen n’aimait pas l’idée
que le jeune homme fasse tout ce chemin pour rendre visite à Emmy, mais
ils acceptèrent et il passa les vacances avec la famille. La jeune
femme était heureuse de revoir son ami et, lorsqu’il fut rentré en
Idaho, ils s’écrivirent presque tous les jours et se téléphonaient tous
les samedis soirs.
Le jour de la Saint-Valentin, Glenn
demanda Emmy en mariage au téléphone. Elle accepta. Quelques jours plus
tard, elle commença à douter, pensant qu’ils devaient prendre davantage
de temps pour faire connaissance. Elle savait que c’était un homme bon,
qui avait été un missionnaire diligent. De plus, il avait beaucoup
d’amis et semblait aimer les enfants. Toutefois, était-il sage
d’épouser un homme qu’elle avait fréquenté essentiellement au téléphone
?
Les lettres de Glenn étaient
rassurantes et elles lui permirent de mieux le connaître. Un jour, il
écrivit : « Je t’aime de tout mon être. Quoi que l’avenir me réserve,
si tu es avec moi, je ne connaîtrai que le bonheur et la joie. »
Le 24 mai 1949, six mois après son
arrivée au Canada, Emmy priait avec Glenn avant de se rendre au temple
de Cardston. Le jeune homme était nerveux et il oublia leur certificat
de mariage, ce qui les retarda un peu. Quant à Emmy, ses parents restés
en Autriche lui manquaient. Toutefois, elle savait qu’ils pensaient à
elle et comprenaient l’importance des alliances qu’elle contractait ce
jour-là.
Plus tard, tandis que le jeune couple
était agenouillé de part et d’autre de l’autel dans la salle de
scellement, Emmy était remplie de reconnaissance. Son déménagement au
Canada lui avait donné la possibilité de vivre près d’un temple et de
s’y rendre avec quelqu’un qu’elle aimait. Sans l’Évangile rétabli et
son engagement et celui de Glenn à s’y conformer, ils ne se seraient
jamais trouvés.
Après une lune de miel passée non
loin dans un parc national, Glenn retourna à Idaho Falls tandis qu’Emmy
resta à Raymond en attendant de pouvoir émigrer aux États-Unis. Un
soir, environ un mois après son mariage, elle eut l’occasion de se
rendre au temple avec un groupe de missionnaires.
Elle écrivit à Glenn : « Quand
j’entrerai dans le temple ce soir, je penserai à toi constamment. »
Elle attendait avec impatience le jour où ils retourneraient ensemble
dans la maison du Seigneur. Elle ajouta dans sa lettre : « En
attendant, sache que je te remercie et que je t’aime. »
À peu près à cette époque, à Nagoya,
au Japon, Toshiko Yanagida, âgée de vingt-neuf ans, craignait pour sa
vie. Elle venait de faire une fausse couche, à la suite de quoi son
médecin lui avait trouvé une tumeur qu’il fallait opérer. Comme le
matériel médical se faisait encore rare au Japon, suite à la Seconde
Guerre mondiale, l’opération était dangereuse. Ne sachant pas si elle y
survivrait, Toshiko se faisait du souci pour ses fils, Takao, trois
ans, et Masashi, cinq ans. Elle voulait qu’ils aient foi en Dieu mais
ni elle ni son mari, Tokichi, ne leur avaient enseigné les choses
spirituelles.
Même si la jeune femme n’était pas
particulièrement attirée par la religion, elle était convaincue qu’une
force supérieure veillait sur elle. En grandissant, elle était allée à
l’école dans un établissement protestant et avait étudié le shintoïsme
et le bouddhisme, les deux religions les plus répandues au Japon. Elle
se souvenait aussi d’avoir assisté à une réunion de l’Église de
Jésus-Christ des saints des derniers jours avec son père, Tomigoro
Takagi, qui en était devenu membre en 1915. Son père ne parlait pas
souvent de sa religion, car les grands-parents de Toshiko, qui vivaient
alors avec la famille, s’opposaient à l’Église. De plus, depuis la
fermeture de la mission japonaise en 1924, quand Toshiko avait cinq
ans, Tomigoro avait rarement eu l’occasion de se réunir avec d’autres
saints.
L’opération de Toshiko se déroula
avec succès et, lorsqu’elle eut repris suffisamment de forces pour
voyager, elle se rendit chez ses parents, près de Tokyo, et parla de
religion avec son père. Elle lui dit : « Je veux assister aux offices
d’une église. »
Tomigoro l’incita à assister à un
service de culte des saints des derniers jours. Lui-même retournait
depuis peu à l’Église. Après la guerre, les dirigeants de l’Église à
Salt Lake City étaient venus en aide aux saints japonais, leur envoyant
des cargaisons de nourriture et de vêtements dont ils avaient tant
besoin. Les groupes de militaires offraient toujours la possibilité aux
membres de l’Église japonais de se réunir avec des soldats saints des
derniers jours américains. Ces réunions connaissaient un tel succès
qu’en 1948, la Première Présidence se sentit poussée à envoyer à
nouveau des missionnaires au Japon.
Tomigoro connaissait un missionnaire
du nom de Ted Price qui servait à Narumi, à deux heures de chez
Toshiko. Il dit à sa fille : « Va le voir. Si tu lui dis que tu es la
fille de Tomigoro Takagi, cela lui fera très plaisir. »
Toshiko était quelque peu sceptique
concernant l’Église de son père. Elle ne connaissait rien de ses
enseignements et n’aimait pas le terme « mormon ». Néanmoins, un
dimanche, quelques mois après son opération, elle se rendit dans un
petit lieu de culte sur le versant d’une colline à Narumi. Elle arriva
en retard, au moment où Ted Price parlait du Livre de Mormon à une
grande assemblée. En écoutant leur discussion, elle commença à changer
d’avis concernant l’Église. Elle croyait ce qu’elle entendait et cela
lui donnait de l’espérance.
À la fin de la réunion, elle alla
voir Ted Price et son collègue, Danny Nelson. Les deux jeunes hommes
lui avaient fait bonne impression et elle avait hâte de les entendre à
nouveau parler. Pourtant, il serait difficile de se rendre à l’église à
Narumi : le trajet prenait beaucoup de temps. De plus, son mari ne
l’accompagnerait probablement pas. Le dimanche était son seul jour de
congé et il refusait de prendre part à une religion quelle qu’elle soit.
Cependant, ce que Toshiko avait
entendu ce jour-là avait fait naître en elle la foi en l’Évangile
rétabli Elle se dit : « Si je veux donner à mes garçons la même flamme,
mon mari doit changer. Comment faire pour que cela arrive ? »
Tandis que Toshiko Yanagida pensait à
l’avenir de sa famille, Adele Cannon Howells, présidente générale de la
Primaire, cherchait un moyen d’aider les petits enfants à découvrir le
Livre de Mormon. Pendant de nombreuses années, les conférences
générales et les manuels pédagogiques de l’Église n’y faisaient
référence qu’occasionnellement. Les leçons de la Primaire mettaient
plutôt l’accent sur les histoires de la Bible et sur les valeurs que
les saints avaient en commun avec les autres religions chrétiennes.
Cependant, depuis peu, les dirigeants et les instructeurs de l’Église
avaient commencé à s’appuyer de plus en plus sur le Livre de Mormon.
Des membres de l’Église souhaitaient que la Primaire revoie ses leçons
afin de faire meilleur usage de cet ouvrage canonique et des autres
enseignements propres aux saints des derniers jours.
Comme Adele savait que les images
étaient un outil efficace pour faire comprendre l’Évangile, elle
écrivit à Spencer W. Kimball, qui était apôtre, et à plusieurs
organisations de l’Église pour leur proposer de produire un livre
d’histoires illustrées du Livre de Mormon pour les enfants.
Spencer W. Kimball répondit : « Votre
proposition est très intéressante. » Toutefois, il craignait que le
projet ne soit trop onéreux.
Adele n’était pas prête à y renoncer.
Depuis qu’elle avait été appelée présidente générale de la Primaire en
1943, elle avait mené à bien plusieurs projets ambitieux, dont deux
programmes novateurs destinés aux enfants. Le premier était une
émission radiophonique de quinze minutes : L’ami des enfants sur les
ondes (Children’s Friend of the Air), qui racontait des histoires
tirées du magazine officiel de la Primaire. Le second était un
programme télévisé hebdomadaire intitulé Le conseil des cadets (Junior
Council), lancé en 1948, année où l’Église avait diffusé la conférence
générale à la télévision pour la première fois. Dans ce programme, des
enfants répondaient aux questions envoyées par des lecteurs du magazine
L’Ami des enfants ou posées par le public présent dans le studio.
Par ailleurs, pendant plusieurs
années, Adele avait travaillé à un projet de construction d’un nouvel
hôpital pour enfants à Salt Lake City. Depuis 1922, la Primaire gérait
un hôpital dans la ville mais il fallait désormais des locaux plus
grands et plus modernes. En avril 1949, les dirigeants de l’Église
posèrent la première pierre du nouvel hôpital situé au sommet d’une
colline surplombant la vallée du lac Salé. Afin de récolter les fonds
nécessaires et de permettre aux enfants de la Primaire de prendre une
part active à la construction du bâtiment, Adele créa le programme «
achète une brique ». Chaque fois qu’un enfant donnait dix cents, il
devenait propriétaire d’une brique de l’hôpital.
En réfléchissant à son projet
d’illustration du Livre de Mormon, Adele envisagea de commander une
série de peintures magnifiques à l’occasion du cinquantième
anniversaire de L’Ami des enfants. Cet événement se produirait en 1952,
dans seulement trois ans. Elle devait donc trouver sans délai l’artiste
qui pourrait réaliser les tableaux à temps.
Plusieurs artistes de l’Église
avaient déjà illustré des scènes du Livre de Mormon. Quelques décennies
plus tôt, George Reynolds, secrétaire de la Première Présidence, avait
publié un livre d’histoires du Livre de Mormon avec des illustrations
de grande qualité réalisées par des artistes locaux. Peu de temps
après, il avait publié des articles sur la vie de Néphi, illustrés par
l’artiste danois C. C. A. Christensen.
Plus récemment, l’illustrateur Phil
Dalby avait commencé à produire des bandes dessinées remarquables sur
le Livre de Mormon pour le Deseret News. Minerva Teichert, qui avait
étudié dans les meilleures écoles d’art des États-Unis, avait entrepris
une série ambitieuse de peintures du Livre de Mormon peu après avoir
achevé les peintures murales d’une salle d’ordonnance dans le temple de
Manti. Elle voulait que ses tableaux donnent vie au Livre de Mormon, et
nombre d’entre eux se composaient de scènes aux couleurs vives
représentant des femmes oubliées ou anonymes dans le récit scripturaire.
En cherchant un artiste, Adele
découvrit le travail d’Arnold Friberg, un illustrateur saint des
derniers jours de trente-six ans qui s’était installé en Utah depuis
peu. Un de ses tableaux à thème religieux lui fit grande impression. On
y voyait Richard Ballantyne, le fondateur de l’École du Dimanche, assis
devant un feu crépitant, penché en avant tandis qu’il instruisait un
groupe d’enfants très attentifs. Son travail était très minutieux,
depuis le grain du bois du plancher jusqu’à la lumière du feu qui se
reflétait sur le visage des enfants.
Après des recherches approfondies,
Adele décida qu’Arnold était le choix idéal. Il était incontestablement
talentueux et manifestement passionné par la création de tableaux
traitant de thèmes religieux. Même si la commande était coûteuse, Adele
avait les moyens de contribuer à payer les tableaux elle-même, si
nécessaire.
Convaincue de l’utilité du projet,
elle rapporta dans son journal les efforts du bureau de la Primaire,
espérant que leur rêve deviendrait réalité. Elle écrivit : « Que le
Seigneur nous aide. »
Pendant ce temps, au Japon, Toshiko
Yanagida assistait à autant de réunions de l’Église qu’elle pouvait. Le
dimanche matin, elle se rendait à Narumi pour assister à l’École du
Dimanche. La leçon était donnée par Tatsui Sato, autrefois protestant,
qui s’était fait baptiser en même temps que sa femme, Chiyo, environ un
an après la fin de la guerre. Ensuite, l’après-midi, Toshiko assistait
à la réunion de Sainte-Cène dans un autre endroit de la ville. Le
lundi, la branche organisait des réunions de la SAM ouvertes à toutes
les personnes qui souhaitaient étudier les Écritures et jouer à des
jeux. Toshiko y participa aussi. Après son opération, la jeune femme
s’était sentie vidée physiquement, émotionnellement et financièrement.
La compagnie des saints lui apportait de la joie et donnait un nouveau
sens à sa vie.
Son mari, Tokichi, n’était pas
content de ses longues absences. Quand elle commença à quitter la
maison plus souvent, parfois en le prévenant au dernier moment, il
exigea qu’elle choisisse entre son foyer et sa religion. Il lui dit : «
Si tu veux tant aller à l’église, répartissons-nous les enfants. Je
prendrai notre fils aîné et tu pourras prendre le cadet, et tu n’as
qu’à partir de cette maison. »
Toshiko avait commencé à aller à
l’église pour le bien de ses fils, elle n’allait pas permettre que cela
brise sa famille. Mais elle ne voulait pas non plus retourner à son
ancienne vie. Elle décida de travailler plus dur à la maison pour
montrer à son mari qu’elle pouvait se consacrer à l’Église sans nuire à
leur famille. Elle le supplia : « S’il te plaît, laisse-moi continuer
un peu plus longtemps. » Jour et nuit, elle priait pour que lui aussi
vienne à l’église et qu’ils pratiquent la même religion.
Un jour, Toshiko invita Ted Price et
Danny Nelson à la fête d’anniversaire de son fils, Takao. Malgré la
distance, les missionnaires furent heureux de venir. Ils apportèrent
des bonbons pour le jeune garçon.
Lors de la fête, Danny Nelson s’assit
à côté de Tokichi et lui parla de l’Église et de l’œuvre missionnaire.
Il expliqua que son collègue et lui avaient payé eux-mêmes leur mission
et qu’ils n’avaient pas reçu d’argent de l’Église. Les missionnaires
témoignèrent aussi de l’Évangile rétabli et de l’importance qu’il
pouvait avoir pour la famille de leurs hôtes. Après le repas, ils
jouèrent tous ensemble à des jeux. Avant de retourner à Narumi, les
jeunes hommes prièrent avec la famille Yanagida.
Plus tard, Tokichi dit à sa femme : «
Ces missionnaires sont différents. » Il n’aimait pas les prêtres qui
faisaient payer leur service. Il était impressionné par tout ce que les
missionnaires étaient disposés à sacrifier pour servir Dieu. Il déclara
: « Ce sont des hommes merveilleux. »
Deux mois plus tard, en août 1949,
Toshiko décida de se faire baptiser. Elle entreprit un voyage de huit
heures jusqu’à Tokyo afin que son père puisse être présent. Ted Price
accomplit le baptême et le président de mission, Edward Clissold,
confirma Toshiko. Elle était ravie d’être enfin membre de l’Église et
il était évident que son père était heureux aussi.
Peu de temps après, Tokichi dut se
rendre à Tokyo pour raisons professionnelles. Sa femme lui proposa
alors d’aller au bureau de la mission pour saluer Danny Nelson, qui s’y
trouvait depuis peu. Il répondit simplement : « Si j’ai le temps. »
Comme il n’y avait pas de téléphone
chez eux, Toshiko dut attendre trois jours que son mari rentre de son
voyage et lui donne des nouvelles. Elle était impatiente de savoir s’il
était passé au foyer de la mission. Elle demanda : « As-tu vu Nelson ? »
« Oui, répondit-il. C’est lui qui m’a
baptisé et frère Goya m’a imposé les mains. » Toshiko ne connaissait
pas Koojin Goya, l’un des nombreux missionnaires nippo-américains de
Hawaï appelés à servir au Japon.
Elle était stupéfaite. Son mari ne
l’avait jamais accompagnée à l’Église à Narumi, mais le Seigneur
l’avait quand même conduit jusqu’au baptême.
« Banzai ! » pensa-t-elle. Génial !
Après le baptême de Tokichi, le
couple décida d’aller à l’église avec la famille Sato dans une
assemblée de militaires américains qui se réunissaient dans une base de
l’armée près de chez eux, à Nagoya. Toshiko se réjouissait que les
membres de sa famille aillent désormais à l’église ensemble mais les
réunions étaient en anglais. Même si Tatsui maîtrisait bien cette
langue et traduisait pour eux, la jeune femme souhaitait que sa famille
étudie l’Évangile dans sa propre langue.
Elle écrivit une lettre au nouveau
président de mission, Vinal Mauss, demandant si des réunions en
japonais pouvaient être organisées à Nagoya.
Le 6 novembre 1949, Paul Bang baptisa
Sandra, sa fille de huit ans. Cela faisait vingt-deux ans qu’il s’était
fait baptiser dans la rivière Ohio. Depuis, il avait vu la branche de
Cincinnati grandir jusqu’à devenir l’une des assemblées de saints des
derniers jours les plus importantes de cette région des États-Unis. Sa
femme, Connie, et lui transmettaient maintenant le patrimoine de foi
qu’ils avaient eux-mêmes reçu à Sandra et à leurs autres enfants plus
jeunes.
Chaque semaine, une centaine de
membres se réunissaient pour la réunion de Sainte-Cène. Puisqu’il avait
été impossible de construire un nouveau lieu de culte pendant la
guerre, la branche avait acheté une ancienne synagogue juive. Avec
l’aide de l’entreprise de construction du président de branche, Alvin
Gilliam, ils l’avaient rénovée à l’intérieur comme à l’extérieur. Ils
avaient également embauché un étudiant en art pour peindre une fresque
représentant le Sauveur sur le mur derrière la chaire.
Dans la nouvelle église, la branche
disposait de beaucoup d’espace pour s’agrandir. Après la guerre, de
nombreux jeunes membres de la branche, notamment ceux qui avaient de la
famille proche dans la région, avaient choisi de s’installer à
Cincinnati, d’y fonder une famille et de servir dans l’Église. Pendant
un temps, Paul avait été conseiller dans la présidence de branche. Il
faisait maintenant partie du grand conseil de district avec son père,
Christian Bang. Connie était la dirigeante des Glaneuses au sein de la
SAM des jeunes filles de la branche.
Du fait de sa taille et de
l’expérience de ses membres, la branche de Cincinnati pouvait aider les
plus petites branches de la région. Chaque dimanche, des familles de
Cincinnati se rendaient à Georgetown, un village situé à soixante-cinq
kilomètres à l’est, pour apporter leur soutien à un petit groupe de
saints.
Néanmoins, malgré la force de la
branche, ses membres restaient divisés au sujet de la ségrégation
raciale. Len et Mary Hope, le seul couple afro-américain de la branche,
tenaient encore des réunions mensuelles chez eux car des membres de la
branche ne voulaient toujours pas qu’ils participent aux services
réguliers de l’Église. Ces rassemblements comptaient désormais jusqu’à
trente personnes, dont la famille Bang et des membres de leur famille
élargie. Mary ne savait jamais à l’avance combien de personnes
viendraient mais il semblait qu’elle préparait toujours assez de
nourriture pour tout le monde. Len dirigeait les réunions et
choisissait les cantiques. L’un de ses préférés était : « Seigneur,
merci pour le prophète. »
Parfois, les amis de Len lui
reprochaient d’appartenir à une église qui ne l’autorisait pas à
détenir la prêtrise ni à assister aux services. Pourtant, Mary et Len
restèrent fidèles à leur foi. Leurs amis au sein de la branche
veillaient sur eux, donnant des bénédictions de la prêtrise aux membres
de leur famille et les aidant à effectuer toutes sortes de travaux dans
leur maison. Lorsque Mary Louise Cates, l’une des amies
afro-américaines de la famille Hope, accepta l’Évangile, Paul la
baptisa. Quelques années plus tard, un membre de la branche donna une
bénédiction de nouveau-né à une petite-fille du couple Hope.
En 1947, après environ un quart de
siècle de foi inébranlable, Len et Mary entreprirent un voyage en Utah.
Ils séjournèrent chez un ancien missionnaire de Cincinnati, Marion
Hanks, qui leur fit visiter Salt Lake City et les emmena à la
conférence générale. Ils furent également accueillis par Abner et
Martha Howell, un autre couple noir de l’Église. Le voyage et l’accueil
chaleureux qui leur fut réservé ravirent Mary et Len. À présent, deux
ans plus tard, la santé de Len déclinant, il voulait déménager en Utah
pour y être enterré un jour.
Peu après le baptême de Sandra Bang,
la présidence de district appela Paul à être le président de la petite
branche de Hamilton, ville située au nord de Cincinnati. Peu de temps
après, Connie fut appelée secrétaire de la Société de Secours de la
branche de Cincinnati. Sa bénédiction patriarcale l’exhortait à être
disposée à servir dans le royaume de Dieu, ce qu’elle s’efforçait de
faire, ainsi que son mari. Tout au long de leur vie, ils avaient été
témoins des bénédictions du Seigneur.
Par l’intermédiaire du patriarche, le
Seigneur avait aussi promis à Connie que son père, George Taylor,
prendrait part avec elle à la joie de l’Évangile. Pendant de nombreuses
années, Connie n’avait eu aucune raison de penser que son père
accepterait un jour de devenir membre de l’Église. Cependant, après la
guerre, un cancer attaqua le corps déjà fragile de George. Il commença
à aller à l’église avec Adeline, la mère de Connie, participant au
culte avec les saints jusqu’à sa mort en 1947.
Plus tard, il apparut en rêve à sa
femme. Il avait l’air malade et abattu, et il boitait toujours, comme
depuis des années. Adeline fut perturbée par ce rêve et elle demanda à
un dirigeant de l’Église ce qu’il signifiait. Celui-ci lui répondit que
George voulait que l’on fasse le travail pour lui au temple.
Son épouse se rendit alors en Utah
pour recevoir les bénédictions du temple pour elle-même et faire en
sorte que George reçoive les siennes. Le 28 septembre 1949, elle fut
scellée à lui par procuration dans le temple de Salt Lake City. Peu de
temps après, il lui apparut de nouveau en rêve. Cette fois-ci, il était
heureux et en bonne santé, libéré des maux qui l’avaient accablé de son
vivant.
Il la prit dans ses bras et ils dansèrent.
Chapitre 35 : Nous ne pouvons pas échouer
Au début des années cinquante, la
guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique
s’intensifiait. Sous l’influence soviétique, les nouveaux gouvernements
communistes d’Europe de l’Est fermaient leurs frontières et modifiaient
leurs modes de vie sociaux et économiques. Simultanément, plusieurs
pays d’Europe de l’Ouest s’alignaient sur les États-Unis et le Canada
pour se défendre contre d’éventuelles attaques des pays communistes.
Une course à la fabrication et au stockage d’armes avait commencé
depuis que l’Union soviétique avait effectué son premier essai réussi
d’armes nucléaires, surprenant le monde en faisant exploser une bombe
semblable à celles que les États-Unis avaient utilisées contre le Japon
pendant la guerre.
En Tchécoslovaquie, les dirigeants de
mission, Wallace et Martha Toronto, se préparaient à une éventuelle
expulsion. Le gouvernement communiste du pays, qui continuait à les
surveiller de près, eux et leurs missionnaires, avait récemment adopté
une loi restreignant la liberté religieuse et interdisant aux étrangers
d’occuper le poste de dirigeants religieux dans le pays. Douze
missionnaires saints des derniers jours avaient déjà été contraints de
quitter le pays. Ce n’était plus qu’une question de temps avant que le
régime expulse les autres.
Wallace fit rapport de la crise à la
Première Présidence, qui lui conseilla de faire sortir sa famille et la
plupart des missionnaires de Tchécoslovaquie. George Albert Smith et
ses conseillers espéraient néanmoins que Wallace et un ou deux de ses
assistants missionnaires auraient l’autorisation de rester.
Les membres de la Première Présidence
lui dirent : « Vous avez été loyal et intrépide. Nous continuerons à
prier le Seigneur pour que vous soyez guidé, et à compter sur son
pouvoir suprême pour protéger son Église et la faire prospérer dans
cette terre de choix. »
Le lundi 30 janvier, des membres de
la branche de Prostějov informèrent Wallace que, la veille, deux
missionnaires de leur ville, Stanley Abbott et Aldon Johnson, n’étaient
pas venus à l’École du Dimanche. Les saints avaient d’abord cru que les
missionnaires avaient raté leur train ou avaient été retardés à cause
de l’abondance de neige. Ils avaient appris plus tard que l’appartement
des frères avait été fouillé et que la police secrète avait interrogé
un membre du quartier. Désormais, tout le monde redoutait le pire.
Wallace prit contact avec l’ambassade
américaine et partit immédiatement pour Prostějov. Grâce à des
relations diplomatiques, il apprit que les missionnaires avaient été
emprisonnés pour avoir tenté de rendre visite à un membre de l’Église
dans un camp de travail.
Les jours se transformèrent en
semaines. Le gouvernement tchécoslovaque refusait toujours de
communiquer directement avec Wallace. La police locale de Prostějov
interdit aux membres de tenir des réunions en ville et certains furent
interrogés et harcelés. Avant le 20 février, Wallace avait supervisé
l’évacuation de onze autres missionnaires, mais personne, dans toute la
mission, n’avait été autorisé à rendre visite ou à parler avec frère
Abbott ou frère Johnson.
Les missionnaires emprisonnés étaient
séparés et frère Abbott avait été placé en isolement. Ils recevaient
comme nourriture un morceau de pain noir le matin et un bol de soupe le
soir. Ils ne pouvaient pas se laver ni changer de vêtements. Lors des
interrogatoires, la police secrète les menaçait de les frapper avec des
barres de fer et de les emprisonner pendant des années s’ils
n’avouaient pas être des espions.
Le 24 février, Martha répondit à un
appel téléphonique de l’ambassade américaine. Le gouvernement
tchécoslovaque avait fait ramener à Prague les missionnaires
emprisonnés et était prêt à les libérer s’ils promettaient de quitter
le pays dans les deux heures. Martha réserva immédiatement deux billets
d’avion à destination de la Suisse. Elle en informa alors son mari, et
ils convinrent de se retrouver à l’aéroport où les missionnaires
seraient amenés.
Là, Wallace eut tout juste le temps
de leur donner leurs billets et quelques instructions. Pendant ce
temps, sa femme observait d’un peu plus loin. Lorsqu’elle vit la police
escorter les deux jeunes hommes vers l’avion, elle leur fit signe. Ils
étaient amaigris et débraillés. Elle les appela pour leur demander
s’ils allaient bien.
Ils répondirent oui en la saluant de
la main. Ils montèrent ensuite à bord de l’avion et Martha le regarda
disparaître dans les nuages sombres qui pesaient sur la ville.
Pendant les jours suivants, Martha se
hâta de préparer le départ de sa famille. Elle envisageait de partir
seule avec les six enfants, dont un bébé, tandis que Wallace restait en
Tchécoslovaquie aussi longtemps que le gouvernement le permettrait.
La veille de leur départ, la famille
était en train de déjeuner quand des hommes portant des vestes en cuir
se présentèrent au foyer de la mission. Ils exigèrent de parler à
Wallace. Martha sut tout de suite qu’il s’agissait de la police
secrète. Elle était malade et épuisée émotionnellement ; leur présence
ne faisait qu’aggraver son état. Après ce qui était arrivé aux
missionnaires et à de nombreux citoyens tchécoslovaques, elle n’avait
aucune idée du traitement que la police réservait à son mari.
Wallace dit : « Martha, je dois
suivre ces hommes. » Il était certain qu’ils voulaient l’interroger au
sujet des missionnaires qui avaient été expulsés récemment. Il ajouta :
« Si je ne reviens pas, emmène les enfants demain matin, comme prévu,
et ramène-les à la maison. »
Les heures passaient et elle n’avait
aucune nouvelle de Wallace. Il semblait qu’elle allait devoir partir
sans savoir ce qui lui était arrivé. Puis, sept heures après avoir été
emmené par la police, son mari rentra à temps pour accompagner sa
famille au train.
À la gare, de nombreux membres de
l’Église s’étaient rassemblés, portant des paquets remplis de fruits,
de pâtisseries et de sandwichs pour Martha et les enfants. Certains
firent passer la nourriture par les fenêtres du train alors qu’il
commençait à s’éloigner. D’autres coururent le long du quai, envoyant
des baisers. Martha les regardait, les yeux remplis de larmes, jusqu’à
ce que le train prenne un virage et qu’ils disparaissent de sa vue.
« Le président Mauss vient à Nagoya. Voulez-vous le rencontrer ? »
La question des missionnaires surprit
Toshiko Yanagida. Elle attendait des nouvelles du nouveau président de
la mission japonaise depuis qu’elle lui avait écrit pour lui demander
de créer une branche en langue japonaise à Nagoya, sa ville natale.
Sans réponse de sa part, elle n’était pas certaine qu’il ait reçu la
lettre.
Toshiko accepta de le rencontrer et
peu de temps après, accompagnée des missionnaires, elle retrouva le
président Mauss à la gare. Dès qu’il arriva, elle lui demanda s’il
avait lu sa lettre. Il dit : « Oui. C’est pour cela que je suis
venu. » Il voulait qu’elle l’aide à trouver un endroit où tenir les
réunions de l’Église en ville. Toshiko était aux anges.
Ils commencèrent immédiatement leurs
recherches. À Nagoya, ville de six cent mille habitants, les saints
étaient peu nombreux. Il y avait seulement les missionnaires, la
famille de Toshiko et une femme nommée Yoshie Adachi. Ils n’avaient
donc pas besoin d’un grand lieu de culte. Toutefois, le président Mauss
décida de louer une salle de conférence dans un grand établissement
scolaire de la ville.
Les saints de Nagoya eurent leur
première réunion d’École du Dimanche en janvier 1950. Pour attirer plus
de gens, Toshiko et les missionnaires mirent des brochures dans un
quotidien local. Le dimanche suivant, cent cinquante personnes se
présentèrent dans l’amphithéâtre. Dans le Japon de l’après-guerre, les
réunions de l’Église attiraient souvent les foules car de nombreuses
personnes étaient en quête d’espoir et de sens après le traumatisme
qu’elles avaient vécu. Mais pour la plupart des gens, leur intérêt pour
l’Église diminua à mesure que le pays devenait plus stable
économiquement. Comme de moins en moins de gens ressentaient le besoin
de se tourner vers la religion, l’assistance aux réunions diminua.
De leur côté, Toshiko et son mari,
Tokichi, rencontraient des difficultés concernant certains aspects de
leur appartenance à l’Église, notamment le paiement de la dîme. Tokichi
ne gagnait pas beaucoup d’argent et parfois, le couple se demandait
s’ils auraient assez d’argent pour payer la cantine de l’école de leur
fils. Ils espéraient également acheter une maison.
Un jour, après une réunion de
l’Église, Toshiko interrogea un missionnaire au sujet de la dîme. Elle
dit : « Depuis la fin de la guerre, les Japonais sont très pauvres.
Pour nous, il est difficile de payer la dîme. Devons-nous le faire ? »
Le missionnaire répondit que Dieu
avait commandé à tout le monde de payer la dîme et il parla des
bénédictions liées au respect de ce principe. Toshiko était sceptique
et un peu en colère. Elle se disait : « C’est un raisonnement
d’Américain. »
D’autres missionnaires l’exhortèrent
à faire preuve de foi. Une sœur missionnaire promit à Toshiko que le
fait de payer la dîme aiderait sa famille à devenir propriétaire de sa
propre maison. Désireux être obéissants, Toshiko et Tokichi choisirent
de payer leur dîme et de croire aux bénédictions promises.
À la même époque, les sœurs
missionnaires commencèrent à organiser chez elles des réunions
informelles de la Société de Secours pour Toshiko et d’autres femmes de
la région. Elles parlaient de l’Évangile, discutaient d’aspects
pratiques de la tenue d’un foyer et apprenaient ensemble à cuisiner des
plats bon marché. Comme d’autres Sociétés de Secours dans le monde,
elles organisèrent des kermesses où elles vendaient du chocolat et
d’autres articles afin de lever des fonds pour leurs activités. Environ
un an plus tard, une Société de Secours fut organisée officiellement et
Toshiko fut appelée présidente.
Son mari et elle commencèrent à
remarquer les bénédictions du paiement de la dîme. Ils achetèrent un
terrain pas trop cher en ville et dessinèrent les plans d’une maison.
Ils demandèrent ensuite un prêt immobilier dans le cadre d’un nouveau
programme du gouvernement et après avoir obtenu le permis de
construire, ils commencèrent à poser les fondations.
Tout se passait bien jusqu’à ce qu’un
inspecteur remarque que leur parcelle n’était pas accessible aux
pompiers. Il déclara : « Ce terrain n’est pas adapté à la construction
d’une maison. Vous ne pouvez pas poursuivre les travaux. »
Toshiko et Tokichi en parlèrent aux
missionnaires, ne sachant que faire. L’un d’eux leur dit : « Nous
allons prier et jeûner pour vous. Faites la même chose de votre côté. »
Pendant les deux jours suivants, la
famille Yanagida et les missionnaires jeûnèrent et prièrent. Un autre
inspecteur vint examiner à nouveau leur parcelle. Il était réputé pour
être strict et au début, il laissa entendre au couple qu’il y avait peu
d’espoir qu’il valide l’inspection. Pourtant, pendant son étude, il
remarqua une solution. En cas d’urgence, les pompiers pourraient
accéder à la propriété en retirant simplement une clôture. Finalement,
la famille Yanagida pourrait bâtir sa maison.
L’inspecteur déclara : « Je pense que
vous devez avoir fait quelque chose d’exceptionnellement bien dans le
passé. Dans toute ma vie professionnelle, je n’ai jamais été aussi
arrangeant. »
Toshiko et Tokichi étaient ravis. Ils
avaient jeûné, prié et payé leur dîme. Comme la sœur missionnaire
l’avait promis, ils allaient avoir leur maison.
Au début de l’année 1951, David O.
McKay se débattait avec les difficultés rencontrées par le programme
missionnaire de l’Église. Au cours des six derniers mois, il avait
assisté de loin à l’éclatement d’un autre conflit mondial, cette fois
en Asie orientale. Soutenue par la Chine et l’Union soviétique, la
Corée du Nord, communiste, était en guerre contre la Corée du Sud.
Craignant la propagation du communisme, les États-Unis et d’autres
alliés avaient envoyé des troupes pour soutenir les Sud-Coréens dans
leur combat.
À l’époque, l’Église comptait environ
cinq mille missionnaires à plein temps, presque tous originaires des
États-Unis. Des centaines d’autres étaient appelés chaque mois.
Malheureusement, le gouvernement américain enrôlait à nouveau des
jeunes de dix-neuf à vingt-six ans pour la guerre de Corée. C’était la
même tranche d’âge dont étaient issus les missionnaires de l’Église.
Après mûre réflexion, la Première Présidence baissa temporairement
l’âge de départ en mission de vingt à dix-neuf ans, donnant ainsi aux
jeunes hommes une chance de faire une mission avant d’être confrontés
aux tentations de la vie militaire, s’ils venaient à être enrôlés dans
l’armée.
En tant que conseiller de la Première
Présidence responsable de l’œuvre missionnaire, David O. McKay fut
bientôt sollicité de toutes parts. Il recevait des lettres de membres
de l’Église qui accusaient les dirigeants de faire preuve de
favoritisme en recommandant certains jeunes hommes pour une mission,
leur permettant ainsi de différer leur service militaire, pendant que
d’autres étaient appelés sous les drapeaux. Les citoyens locaux et les
commissions de recrutement, quant à eux, accusaient l’Église de
négliger son devoir patriotique en continuant d’appeler des jeunes
hommes en mission.
Les dirigeants de l’Église ne
voyaient pas la situation du même œil. Depuis longtemps, ils incitaient
les saints à répondre à tout moment à l’appel de leur pays. Pourtant,
après avoir consulté les fonctionnaires chargés du recrutement
militaire en Utah, la Première Présidence apporta de nouveaux
changements à la politique existante. Elle décida que, tant que la
guerre durerait, les jeunes hommes éligibles au service militaire ne
seraient plus appelés en mission à plein temps. Seuls les femmes non
mariées, les hommes âgés, les couples mariés, les anciens combattants
et les jeunes hommes réformés pourraient partir en mission. L’Église
appela également davantage de couples âgés à faire une mission.
Cet hiver-là, pendant que David O.
McKay négociait avec les fonctionnaires chargés du recrutement
militaire, la santé de George Albert Smith déclinait. Le 4 avril, David
O. McKay rendit visite au prophète le jour de son anniversaire. Il le
trouva au seuil de la mort, entouré de sa famille. Extrêmement ému, il
le bénit quelques heures seulement avant son décès.
Deux jours plus tard, le président
McKay prit la parole au début de la première session de la conférence
générale d’avril 1951. Sur l’estrade du tabernacle, il parla de la vie
exemplaire menée par George Albert Smith. Il déclara devant l’assemblée
: « C’était une âme noble. Le fait de rendre les gens heureux faisait
de lui le plus heureux des hommes. »
Au cours de cette conférence, les
saints soutinrent David O. McKay en tant que président de l’Église,
avec pour conseillers Stephen L. Richards et J. Reuben Clark. À la fin
de la conférence, il dit : « Nul ne peut présider l’Église sans être
d’abord en harmonie avec celui qui est à la tête de l’Église, notre
Seigneur et Sauveur, Jésus-Christ. Sans ses conseils divins et son
inspiration constante, nous ne pouvons pas réussir. Avec ses conseils
et son inspiration, nous ne pouvons pas échouer. »
Tandis que le nouveau prophète se
tournait vers l’avenir, il était porté par des décennies d’expérience.
Beaucoup de gens pensaient que sa haute stature, son port digne, ses
yeux perçants et ses cheveux blancs lui donnaient l’apparence d’un
prophète. Les hommes et les femmes membres ou non membres de l’Église
l’aimaient en raison de son sens de l’humour, son amour pour les gens
et sa proximité avec l’Esprit. Sa personnalité laissait encore voir
l’ancien enseignant et directeur d’école. Il était calme et savait
prendre des décisions rapides. C’était un orateur captivant qui citait
souvent des poèmes dans ses discours. Lorsqu’il n’effectuait pas de
tâches pour l’Église, il travaillait dans sa ferme familiale à
Huntsville, en Utah.
Dès le début de sa présidence, de
nombreux sujets pesaient sur son esprit. Pendant son apostolat, il
avait souvent parlé du caractère sacré du mariage, de la famille et de
l’instruction. L’attention qu’il donna à ces priorités l’aida à guider
l’Église sur le bon chemin. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il
y eut un « baby boom » aux États-Unis. Les soldats étaient rentrés chez
eux, s’étaient mariés et avaient fondé une famille. Grâce à l’aide de
l’État, nombre d’entre eux s’étaient inscrits dans des universités afin
de faire des études et suivre une formation professionnelle
indispensable. Le président McKay était désireux de leur offrir son
soutien.
Il était également préoccupé par les
horreurs de la guerre de Corée et l’expansion du communisme dans
certains endroits du monde. De nombreux dirigeants gouvernementaux et
religieux s’exprimaient contre le communisme. Comme eux, le président
McKay pensait que les régimes communistes supprimaient la religion et
restreignaient la liberté.
Peu après la conférence générale, il
déclara : « L’Église du Christ représente l’influence de l’amour qui
est, en fin de compte, la seule puissance qui apportera à l’humanité la
rédemption et la paix. »
Ce printemps-là, à Salt Lake City, la
présidente générale de la Primaire, Adele Cannon Howells, savait que sa
santé se détériorait. Elle n’avait que soixante-cinq ans, mais dans son
enfance, un rhumatisme articulaire aigu lui avait endommagé le cœur.
Malgré son état, elle refusait de cesser de travailler.
Son projet de commander une série de
peintures du Livre de Mormon pour le cinquantième anniversaire de L’Ami
des enfants se concrétisait enfin. Certains craignaient qu’embaucher un
artiste professionnel comme Arnold Friberg était une perte de temps ou
d’argent mais Adele pensait que les œuvres éveilleraient l’intérêt des
enfants pour le Livre de Mormon et qu’elles valaient bien la dépense.
Au cours des deux dernières années,
elle avait obtenu l’appui de l’École du Dimanche et avait convaincu les
membres du Collège des douze apôtres que les peintures seraient utiles.
Adele et les dirigeants de l’École du Dimanche avaient constitué un
comité pour superviser le projet et avaient transmis des esquisses
d’Arnold Friberg au président McKay et à ses conseillers.
En janvier 1951, un représentant de
l’École du Dimanche et Adele avaient participé à une réunion avec la
Première Présidence pour discuter de la proposition. Arnold Friberg et
Adele souhaitaient représenter les histoires du Livre de Mormon qui
débordaient de puissance spirituelle et d’actions captivantes, comme
les guerriers d’Hélaman partant au combat et Samuel le Lamanite
prophétisant la naissance du Sauveur. Le peintre ne voulait pas que ses
œuvres soient réalisées dans un style enfantin. Pour lui, les enfants
avaient besoin de voir la parole de Dieu comme étant puissante et
majestueuse. Il voulait que les héros du Livre de Mormon semblent
puissants physiquement, presque plus vrais que nature. Plus tard, il
expliqua : « La musculature de mes tableaux n’est que l’expression de
l’esprit qui est à l’intérieur. »
La Première Présidence était d’accord
avec Adele : Arnold Friberg était l’artiste idéal pour ce travail.
L’École du dimanche et l’entreprise Deseret Book, appartenant à
l’Église, s’engagèrent à payer deux tiers du coût initial, Adele
s’acquittant du reste avec ses fonds personnels. Au cours des mois
suivants, tandis que sa santé continuait de se détériorer, Adele fit
avec Arnold Friberg des plans pour la production des peintures.
Bientôt, elle dut rester alitée.
Dans la nuit du 13 avril, Adele prit
des dispositions pour vendre certains de ses biens afin de financer les
tableaux. Elle appela également Marion G. Romney, assistant du Collège
des douze apôtres, pour parler du Livre de Mormon et des enfants de
l’Église. Elle exprima son désir que les peintures soient terminées
l’année suivante. Elle parla de son souhait que tous les enfants au
sein de l’Église commencent à lire de Livre de Mormon dès leur plus
jeune âge.
L’après-midi suivant, Adele mourut.
Lors de ses funérailles, frère Romney rendit hommage à cette femme
créative et énergique qui avait tant donné, et sans retour, à
l’organisation de la Primaire. Il déclara : « Elle aimait profondément
l’œuvre de la Primaire. Toutes les personnes qu’elle a touchées ont
ressenti la profondeur de l’amour qu’elle portait à chaque enfant
personnellement. »
Un peu plus tard, Arnold Friberg
commença sa première peinture sur le Livre de Mormon : Le frère de
Jared voit le doigt du Seigneur.
Près de Valence, dans le sud-est de
la France, Jeanne Charrier se promenait avec sa cousine. Située sur les
rives du Rhône, Valence était une ville magnifique où l’on trouvait une
cathédrale catholique construite plusieurs siècles auparavant. La
plupart des habitants étaient catholiques mais les membres de la
famille de Jeanne faisaient partie des quelques protestants de la
ville. Depuis des générations, ils avaient risqué leur réputation et
même leur vie pour leurs convictions.
Jeanne avait grandi en pratiquant
avec dévotion la religion chrétienne, mais récemment, pendant ses
études universitaires en mathématiques et en philosophie, elle avait
été confrontée à des idées qui l’avaient amenée à douter de sa foi.
Elle avait réfléchi aux célèbres paroles du philosophe français, René
Descartes : « Je pense, donc je suis. » Cela avait fait naître encore
davantage de questions. Elle s’était demandée : « Où suis-je, comment
et pourquoi ? »
Quelque temps avant la promenade de
la jeune femme sur la colline, ses questions l’avaient amenée à
s’agenouiller et à rechercher le Seigneur. Elle avait prié : « Dieu, si
tu existes, j’attends une réponse. »
Jeanne et sa cousine n’avaient pas
emporté d’eau et elles eurent soif pendant leur marche. Elles
remarquèrent un petit groupe de personnes et allèrent leur demander à
boire. Un homme et une femme plus âgés furent heureux de répondre à
leur besoin. Ils se présentèrent comme étant Léon et Claire Fargier.
Ils étaient membres de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers
Jours et étaient accompagnés par deux jeunes missionnaires. Le groupe
remit à Jeanne et à sa cousine une brochure sur l’Église. Ensuite, Léon
les invita à une conférence missionnaire et à un concert d’un quatuor à
cordes de l’université Brigham Young.
Par curiosité, Jeanne décida d’y
aller. Pendant la conférence, on lui donna un Livre de Mormon. Une fois
de retour chez elle, elle commença à le lire et ne put s’arrêter. Elle
pensa : « C’est vraiment quelque chose ! »
Dès lors, Jeanne passa davantage de
temps avec le couple Fargier. Léon et Claire s’étaient mariés treize
ans plus tôt, en 1932, quand ils étaient devenus membres de l’Église.
Avant la Seconde Guerre mondiale, Léon avait été missionnaire et
dirigeait les réunions dominicales de la petite assemblée de saints
venant de Valence et de Grenoble, ville située à plus de soixante
kilomètres. Quand la guerre éclata et que les missionnaires américains
furent évacués, Léon se mit à superviser une zone beaucoup plus vaste.
Il parcourait toute la France, bénissant les malades et administrant la
Sainte-Cène. Parfois, il réussissait à monter à bord d’un train pour se
rendre dans une autre ville, mais le plus souvent, il marchait ou était
à vélo pendant des heures chaque jour.
Léon et Claire étaient des
missionnaires locaux quand ils firent la connaissance de Jeanne. La
petite branche de Valence, s’efforçant de se réorganiser après les
ravages de la guerre, se réunissait dans une pension de famille. Malgré
le cadre modeste, Jeanne était attirée par les réunions et désireuse
d’en savoir plus sur l’Évangile. Elle demanda davantage de livres et
reçut un exemplaire des Doctrine et Alliances. En lisant l’ouvrage,
elle ne put nier la puissance de ses paroles.
Elle conclut : « C’est la vérité. Il en est impossible autrement. »
Très vite, Jeanne voulut se faire
baptiser mais elle s’inquiétait de la réaction des membres de sa
famille. Ils s’opposaient farouchement à l’Église et elle savait qu’ils
n’approuveraient jamais sa décision. Pendant un certain temps, elle se
sentit déchirée entre sa foi et sa famille. Elle repoussa l’idée de se
faire baptiser. Elle se souvint alors de ce que Pierre et les autres
apôtres du Nouveau Testament avaient dit pendant la Pentecôte : « Il
faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. »
Leurs paroles résonnaient dans sa
tête ; elle savait ce qu’elle devait faire. Par une belle journée de
mai 1951, elle entra dans une source chaude des Cévennes et fut
baptisée par Léon Fargier. Elle voulait que ses parents soient là avec
elle mais ils étaient trop hostiles à l’égard de l’Évangile rétabli.
Elle décida donc de ne pas leur parler de son baptême.
Cependant, sa famille le découvrit
rapidement et ne voulut plus rien avoir à faire avec elle. Jeanne était
blessée par leur rejet. Âgée de seulement vingt-cinq ans, elle se
demanda si elle ne ferait pas mieux de déménager aux États-Unis et de
rejoindre les saints là-bas. Cependant, la famille Fargier la supplia
de rester. Il n’y avait que neuf cents saints en France, en Belgique et
en Suisse francophone et la famille Fargier avait besoin d’elle pour
fortifier l’Église à Valence.
À près de mille quatre cents
kilomètres de là, à Brno, en Tchécoslovaquie, Terezie Vojkůvková ouvrit
un paquet envoyé par son amie Martha Toronto, arrivée sans problème aux
États-Unis. À l’intérieur, elle y trouva des vêtements pour sa famille
et elle en fut extrêmement reconnaissante. Sa famille avait du mal à
joindre les deux bouts depuis que son mari, Otakar Vojkůvka, avait
perdu son entreprise de reliure deux ans auparavant. Des fonctionnaires
communistes avaient saisi la société et arrêté Otakar, qui était alors
un homme d’affaires prospère et le président de la branche de Brno.
Après avoir passé six mois dans un camp de travail, il gagnait
désormais un salaire de misère en tant qu’ouvrier dans une usine.
Terezie écrivit à Martha pour la
remercier du colis. Elle rapporta à son amie : « Le loyer est élevé et
l’entretien de notre maison coûte très cher. La maladie a pris sa part
dans nos revenus et il ne reste pas grand-chose pour nous vêtir. »
Dans la lettre, Terezie parlait des
nouvelles restrictions que les saints tchécoslovaques subissaient sous
le gouvernement communiste. Quelques semaines après le départ de
Martha, son mari, Wallace, fut forcé de partir aussi. Peu après, le
gouvernement communiste ordonna au président suppléant de la mission,
un saint tchécoslovaque nommé Rudolf Kubiska, de dissoudre la mission.
Dans tout le pays, les membres de l’Église reçurent l’ordre de ne plus
tenir de réunions publiques.
Ne sachant pas comment réagir aux
actions du gouvernement, certains se demandèrent s’il fallait permettre
au gouvernement de choisir les dirigeants de l’Église afin qu’ils
puissent continuer à tenir des réunions, comme cela se faisait au sein
d’autres confessions. Cependant, la présidence de la mission ne pouvait
pas envisager une telle solution.
Les réunions hebdomadaires de
l’Église manquaient beaucoup à Terezie. Elle écrivit à Martha : « Les
dimanches sont longs et moins empreints de spiritualité lorsque nous ne
pouvons pas parler de nos sentiments et rendre témoignage à d’autres
personnes. »
Pourtant, elle ne se sentait pas
délaissée. Le président Kubiska était membre du parti communiste et il
avait des relations politiques. Cela protégeait les saints
tchécoslovaques du harcèlement et des persécutions extrêmes dont
souffraient d’autres groupes religieux. Avant de partir, le président
Toronto avait laissé quelques instructions. Avec ses conseillers, il
avait discrètement établi un plan simple pour poursuivre les services
de culte.
Ils avaient expliqué aux membres
comment faire le culte chez eux. Chaque personne et chaque famille
devait prier, étudier les Écritures, mettre de côté l’argent de la dîme
et des offrandes, et apprendre l’Évangile en utilisant toute la
documentation de l’Église dont ils disposaient, notamment les derniers
numéros de l’Improvement Era que le couple Toronto avait soigneusement
vérifié afin d’éliminer toute critique éventuelle du communisme. Une
fois par mois, les saints pourraient se réunir en petits groupes chez
l’un d’eux pour prendre la Sainte-Cène. Dans la mesure du possible, les
collèges de la prêtrise se réuniraient en privé, et les dirigeants de
branche et de mission s’efforceraient de rendre visite aux saints.
Par précaution, la présidence de
mission n’écrivit pas ces instructions. Elle préféra les communiquer
par le bouche à oreille. Sans réunions publiques, de nombreux saints
tchécoslovaques se rendirent compte à quel point ils chérissaient leur
appartenance à l’Église. Ils grandissaient spirituellement et, malgré
le risque encouru, certains continuèrent de parler de l’Évangile à
leurs amis. Au cœur de l’oppression, quelques personnes se firent même
baptiser.
Avec l’aide des saints des
États-Unis, Terezie fit en sorte que l’œuvre du temple soit accomplie
pour ses parents. Elle souhaitait se rendre avec sa famille au temple
afin d’y être scellés. Elle écrivit à Martha : « Si je puis me
permettre, les membres de l’Église à Sion ne mesurent pas le grand
privilège qu’ils ont de vivre si près du temple du Seigneur. »
Elle ajouta : « La paix tant désirée
parmi les hommes existera-t-elle un jour sur la surface de la terre ?
Si seulement il était possible de nous aimer les uns les autres, nous
tous, et si seulement la guerre et la haine pouvaient cesser ! »
Chapitre 36 : Attentivement et à l’aide de la prière
Clemencia Pivaral jeta un coup d’œil
à l’horloge tandis que son train quittait la gare centrale de
Guatemala. Il était huit heures du matin, le 10 octobre 1951. Au loin,
des nuages gris annonçant la pluie assombrissaient le ciel. Au-dessus
de la gare, le ciel était clair et ensoleillé. Clemencia se disait que
la journée s’annonçait bien. Elle entamait un voyage de trois mille
kilomètres avec son fils de douze ans, Rodrigo, et deux autres saints
guatémaltèques. Ils se rendaient à une grande conférence de saints
hispanophones au temple de Mesa, en Arizona.
Chaque année depuis sept ans, des
centaines de saints du Mexique, d’Amérique centrale et de l’ouest des
États-Unis se réunissaient à Mesa pour assister à une conférence et
accomplir l’œuvre du temple. La plupart des membres qui venaient
avaient économisé pendant des années pour pouvoir entreprendre le
voyage. À leur arrivée, ils étaient accueillis par les membres locaux
de trois pieux de l’Arizona qui les logeaient et préparaient les repas
afin qu’ils puissent passer plus de temps dans le temple. Pour aider à
financer la conférence, les saints hispanophones faisaient payer
l’entrée de deux représentations d’une soirée de talents et d’une pièce
de théâtre, Le moment est venu (The Time Is Come), sur le thème de la
généalogie, écrite par Ivie Jones, l’épouse du président de la mission
hispano-américaine.
C’était la première fois que
Clemencia assistait à la conférence. Elle avait rencontré les
missionnaires au début de l’année 1950, peu après que John O’Donnal, le
président du district, eut envoyé deux missionnaires dans sa ville
natale, Quetzaltenango, la deuxième plus grande ville du Guatemala.
Âgée de vingt-neuf ans, elle était veuve. Au grand bonheur des frères
et sœurs missionnaires qui l’avaient instruite, elle accepta rapidement
les enseignements sur le baptême pour les morts, les temples et
d’autres principes de l’Évangile. Quelques mois plus tard, elle trouva
un emploi d’enseignante auprès d’élèves aveugles, sourds et de
personnes employant la communication non verbale dans la ville de
Guatemala. Elle s’y installa donc avec son fils et commença à aller à
l’église avec la famille O’Donnal et d’autres membres de la branche.
Un jour, tandis que Clemencia
étudiait les Doctrine et Alliances dans la salle de culte de la
branche, Lucian Mecham, le président de la mission du Mexique, lui
demanda si elle était membre de l’Église. « Non, avait-elle répondu.
Les missionnaires ne m’ont pas encore demandé si je voulais me faire
baptiser. »
Frère Mecham eut immédiatement un
entretien avec elle, lui demandant si elle croyait à tout ce que les
missionnaires lui avaient enseigné. Elle répondit par l’affirmative.
Il demanda alors : « Si vous êtes prête à vous faire baptiser, que diriez-vous de le faire demain ?
– Oui ! » s’était-elle exclamée.
Plus d’un an après, elle se rendait
au temple pour recevoir sa dotation. L’Église au Guatemala était peu
importante. Elle comptait moins de soixante-dix membres. Seuls quelques
Guatémaltèques avaient reçu les bénédictions du temple, dont Carmen
O’Donnal qui avait été dotée et scellée dans le temple de Salt Lake
City l’année suivant son baptême. Clemencia était heureuse de faire ce
voyage. Dans le train, la chaleur étouffante lui donnait sommeil mais
en contemplant par la fenêtre le paysage luxuriant de la côte
guatémaltèque, elle ressentait un profond enthousiasme.
Dans le train, les saints lisaient
les Écritures et parlaient de l’Évangile pour faire passer le temps.
Clemencia rencontra également une femme qui semblait désireuse de
discuter de religion. Après avoir parlé avec elle de leurs croyances
respectives, Clemencia lui remit un exemplaire de La vérité rétablie
(La verdad restaurada), une brochure missionnaire rédigée par John A.
Widtsoe. Elle l’invita également à venir à l’église la prochaine fois
qu’elle serait à Guatemala.
En arrivant à Mexico, Clemencia et
les autres saints guatémaltèques se joignirent à un groupe de membres
de l’Église mexicains qui partaient pour la conférence. Pendant trois
jours, ils voyagèrent vers le nord à bord d’une camionnette, en
chantant pendant la route. Le 20 octobre, ils arrivèrent enfin à Mesa.
Là, les membres guatémaltèques retrouvèrent John et Carmen O’Donnal qui
s’étaient rendus aux États-Unis au début du mois pour passer des
vacances.
Pendant les premiers jours de la
conférence, il y eut beaucoup de réunions et de périodes de préparation
pour le temple. Le troisième jour de la conférence, le 23 octobre, on
commença à accomplir des ordonnances dans le temple. Une foule immense
assista à la première séance de dotation de la journée, qui dura six
heures. Clemencia reçut sa dotation puis, le lendemain, elle en
effectua une autre en faveur de sa grand-mère maternelle, qui était
décédée lorsque la jeune femme était encore enfant. Plus tard ce
jour-là, elle accomplit, avec Ralph Brown, le missionnaire qui l’avait
baptisée, le scellement par procuration de ses grands-parents.
Après la conférence, Clemencia et son
fils accompagnèrent le couple O’Donnal à Salt Lake City. Ils visitèrent
Temple Square puis la jeune femme et le couple assistèrent à d’autres
sessions de dotation. John O’Donnal eut également des réunions avec des
dirigeants de l’Église concernant la construction d’une église et d’un
foyer de mission dans la ville de Guatemala.
L’œuvre du Seigneur progressait en Amérique centrale, et bientôt le Guatemala et les pays voisins auraient leur propre mission.
Le 15 janvier 1952, John Widtsoe
présenta à la Première Présidence un rapport sur l’émigration
européenne des membres de l’Église. Depuis la fin de la guerre, des
milliers de saints avaient fui leur pays. On avait demandé à John de
faire le suivi de leurs déplacements et d’évaluer leur bien-être.
Certains étaient partis en Amérique du Sud, en Afrique ou en Australie
mais la majorité s’était installée aux États-Unis ou au Canada, souvent
encouragés et aidés par des missionnaires et d’autres saints.
Le fait que les membres de l’Église
émigrés soient en lieu sûr était une bonne nouvelle, néanmoins, John
Widtsoe et d’autres dirigeants redoutaient la façon dont l’absence de
ces saints affecterait les branches européennes en difficulté. Pour que
l’Église se développe sur le continent, il fallait que les saints
restent dans leur pays. Mais pourquoi le feraient-ils, alors que tant
de difficultés les entouraient ?
Dix-huit mois plus tôt, John avait
soulevé cette question lors d’une conférence des dirigeants de mission
de l’Europe à Copenhague, au Danemark. À cette occasion, plusieurs
présidents de mission s’accordèrent à dire que les saints européens
émigraient parce qu’ils étaient terrifiés à l’idée qu’une autre guerre
éclate. Ils aspiraient à la stabilité qu’ils trouveraient et au soutien
qu’ils recevraient dans l’Église en Amérique du Nord.
Un président de mission dit : « Rien
qu’à Hambourg, nous avons perdu vingt-huit membres pendant les raids
aériens. Les gens n’oublient pas. Je ne sais pas comment nous pourrions
les décourager de vouloir s’installer en Amérique.
– C’est impossible, répondit un autre. Ils traverseraient l’océan à la nage s’il le fallait. »
John était étonné du fait que les
membres quittent même le Danemark. C’était l’un des pays européens qui
avait le moins souffert pendant la guerre. Il demanda des suggestions
aux frères.
L’un d’eux avança : « Je pense que si nous avions un temple en Europe, nous aurions moins de départs. »
C’était une idée inspirée. Avec
l’aval de John, les présidents de mission proposèrent à la Première
Présidence le projet de construire un temple en Europe. John dit aux
frères : « Une chose est sûre : Nous ne pouvons pas convertir le monde
entier et l’amener en Amérique. » L’Église devait plutôt amener les
temples au monde.
Quand John présenta son rapport sur
l’émigration, les membres de la Première Présidence n’avaient encore
fait aucune annonce concernant la construction d’un temple en Europe.
Cependant, ils avaient déjà donné l’autorisation à John de superviser
un comité de traduction de la dotation du temple en plusieurs langues
européennes. L’ordonnance n’étant disponible qu’en anglais et en
espagnol, les saints qui parlaient une autre langue participaient sans
vraiment comprendre la cérémonie.
Le comité avait recruté plusieurs
saints européens, dont Pieter Vlam des Pays-Bas, pour faire les
traductions, qui seraient utilisées lors de sessions exceptionnelles
tenues dans les temples existants. Toutefois, si l’Église venait à
construire un temple en Europe, elle pourrait proposer aux saints de
nombreuses nations les ordonnances en plusieurs langues.
Quelques mois après avoir reçu le
rapport de John, le président McKay parla de l’émigration au Collège
des douze apôtres. Après avoir reconnu la nécessité de renforcer les
branches européennes, le prophète reprit les paroles du président de la
mission britannique qui l’avait récemment exhorté à construire un
temple en Grande-Bretagne.
Il déclara devant le Collège : « Les
frères de la Première Présidence ont étudié la question attentivement
et à l’aide de la prière. Nous sommes maintenant arrivés à la
conclusion que si nous construisons un temple en Grande-Bretagne, nous
devrions en même temps en bâtir un en Suisse. » Pendant les deux
guerres mondiales, la Suisse était restée neutre, ce qui la rendait
stable politiquement. En plus, elle était près du centre de l’Europe de
l’Ouest.
Quand le président McKay eut fini de
parler, John déclara : « Les habitants de la Grande-Bretagne et des
missions de langue étrangère rêvent du jour où un temple sera érigé en
Europe. » Il exprima son soutien absolu au projet de la Première
Présidence. Toutes les personnes présentes dans la salle s’accordèrent
sur le fait que l’Église devait commencer la construction de ces
temples.
Pendant ce temps, de l’autre côté de
l’Atlantique, la ville de Berlin était au cœur de la guerre froide. En
1949, l’Allemagne avait été divisée en deux pays. La région orientale
occupée par les Soviétiques était devenue un État communiste : la
République démocratique allemande (RDA) ou Allemagne de l’Est. Le reste
du pays était devenu la République fédérale d’Allemagne (RFA), ou
Allemagne de l’Ouest. Bien que Berlin fasse partie de la RDA, la partie
ouest de la ville était sous le contrôle de la France, de la
Grande-Bretagne et des États-Unis lors de la division du pays.
Désormais, la ville elle-même était divisée, entre l’est et l’ouest,
entre les pouvoirs communistes et démocratiques.
En général, il était possible de se
déplacer sans difficulté entre Berlin-Est et Berlin-Ouest. Pourtant, ce
printemps-là, des douaniers arrêtèrent Henry Burkhardt, âgé de vingt et
un ans, tandis qu’il se rendait au siège de la mission est-allemande
dans la zone alliée. Henry était missionnaire en RDA et président du
district de Thuringe, État situé au sud-ouest de Berlin. Il s’était
rendu maintes fois à Berlin-Ouest mais, ce jour-là, les fonctionnaires
découvrirent qu’il transportait les rapports annuels de son district,
notamment les listes de dîme. Ils furent alarmés à la vue des rapports
financiers. En Allemagne de l’Est, l’économie était mauvaise. Les
dirigeants du pays avaient interdit aux citoyens d’envoyer ou de
transporter de l’argent en Allemagne de l’Ouest.
En tant que dirigeant de mission en
RDA, Henry savait qu’il devait respecter scrupuleusement les nouvelles
restrictions. Il s’appliquait donc toujours à déposer l’argent de la
dîme dans une banque est-allemande. Toutefois, le fait qu’il veuille
faire sortir les rapports du pays suffirent à éveiller les soupçons des
douaniers, qui l’arrêtèrent sur le champ.
Après l’avoir détenu trois jours, les
agents reconnurent qu’il n’avait rien fait de mal. Ils le libérèrent
après lui avoir interdit de remettre les rapports au bureau de la
mission.
Un mois plus tard, Henry retourna à
Berlin-Ouest pour assister à une conférence de l’Église. En principe,
les citoyens est-allemands étaient libres de pratiquer leur culte comme
bon leur semblait. Pourtant, le gouvernement se méfiait des influences
étrangères, notamment au niveau des religions. Comme les dirigeants
religieux non allemands avaient été expulsés de la RDA, les
missionnaires nord-américains de la mission d’Allemagne de l’Est
étaient obligés de rester à Berlin-Ouest. L’œuvre missionnaire dans le
pays reposait sur des Allemands de l’Est tels qu’Henry.
Après la fin de la conférence, le
président de mission, Arthur Glaus, demanda au jeune homme d’être le
greffier officiel de l’Église en RDA et de servir de liaison entre le
siège de la mission et les branches est-allemandes. Henry comprit qu’il
serait relevé de son appel de président du district de Thuringe peu
après la conférence afin de pouvoir se consacrer à ces nouvelles
tâches. Au bureau de la mission, il apprit également qu’il serait
peut-être appelé président du district de Berlin ou conseiller dans la
présidence de mission.
Il pensa : « Quoiqu’il arrive, ce sera la volonté du Seigneur. »
Deux mois plus tard, Henry était
toujours président du district de Thuringe quand David O. McKay vint en
Europe pour sa première tournée internationale depuis son appel de
président de l’Église. Le prophète et sa femme, Emma Ray McKay,
passèrent six semaines en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, au Danemark,
en Suède, en Norvège, en Finlande, en Suisse, en France et en
Allemagne. Un ancien président de mission lui avait déconseillé de
venir à Berlin, craignant qu’il soit dangereux de traverser la RDA,
mais il s’y rendit quand même. La ville était le lieu où les saints
venant des deux côtés de l’Allemagne pouvaient se retrouver.
Le 27 juin 1952, le président McKay
arriva à Berlin et, au cours de sa visite, le président Glaus et
lui-même demandèrent à voir Henry. Le prophète commença l’entretien en
lui posant quelques questions personnelles. Ensuite, il lui demanda : «
Êtes-vous disposé à servir en tant que conseiller dans la présidence de
mission ? »
Henry s’attendait à recevoir de
nouvelles responsabilités ; toutefois, il fut frappé comme par la
foudre. Il serait le seul conseiller d’Allemagne de l’Est au sein de la
présidence de mission. Il ne serait pas simplement un lien entre le
président de mission et les saints de la RDA. Comme le gouvernement
refusait de reconnaître la légitimité des chefs religieux étrangers, il
serait, de fait, l’autorité ecclésiastique présidente de plus de
soixante branches dans le pays. Si les responsables gouvernementaux de
l’Allemagne de l’Est avaient des problèmes avec l’Église, ils se
tourneraient vers lui.
L’appel remplit Henry d’inquiétudes.
Bien que membre de l’Église depuis sa naissance, il était encore jeune
et inexpérimenté. De plus, il était timide. Toutefois, il n’exprima pas
ses doutes. Le prophète du Seigneur venait de lui proposer un appel ;
il l’accepta donc.
Moins de deux semaines plus tard,
Henry emménagea dans la ville de Leipzig pour ouvrir un petit bureau de
la mission. Il était bien occupé et s’efforçait de tisser des liens
avec le gouvernement local et les dirigeants de la prêtrise. Ses
nouvelles responsabilités étaient néanmoins éprouvantes, au point de
l’empêcher de dormir.
Il se demandait : « Pourquoi suis-je la personne appelée à cette œuvre ? »
Après avoir passé une semaine avec
les saints et les missionnaires en Allemagne, le président McKay et sa
femme se rendirent en Suisse pour la deuxième fois de leur voyage. À
l’insu de la plupart des saints, le prophète était venu en Europe pour
choisir le site des temples britannique et suisse. En Angleterre, il
avait choisi un terrain à Newchapel dans le Surrey, au sud de Londres.
Il s’était aussi rendu à Berne, capitale de la Suisse, et avait choisi
un endroit. En route pour les Pays-Bas, il avait appris que le site
qu’il avait choisi pour le temple de Suisse avait été acheté par
quelqu’un d’autre. Il devait donc recommencer les recherches.
Le 3 juillet, Samuel et Lenora
Bringhurst, les dirigeants de la mission suisse-autrichienne,
retrouvèrent le couple McKay à l’aéroport de Zurich. Ensemble, ils se
rendirent à Berne pour visiter plusieurs propriétés à vendre. En
périphérie de la ville, dans un village appelé Zollikofen, ils
s’arrêtèrent près d’une gare. Le président McKay regarda à sa gauche et
montra la crête d’une colline près d’une forêt. Il demanda si l’on
pouvait acheter ce terrain. Samuel répondit qu’il n’était pas à vendre.
Le lendemain matin, le prophète
continua les recherches. Il trouva un grand terrain non loin du lieu de
culte de la branche de Berne. C’était un bon emplacement pour un temple
et il autorisa Samuel à l’acheter immédiatement. Sa tâche accomplie, le
président de l’Église quitta la ville le lendemain, entamant la
dernière étape de son périple. Il s’adressa à de grandes assemblées à
Bâle et à Paris avant de rentrer chez lui, à Salt Lake City, fin
juillet.
Peu après son retour, la Première
Présidence annonça le projet de construction d’un temple en Suisse. Les
saints français et suisses étaient aux anges. Dans un article du
magazine français L’Étoile, on lisait : « Cela donne la preuve tangible
et convaincante du désir de l’Église de rester en Europe et de
continuer de développer les branches des missions européennes. »
Il y avait toutefois des problèmes à
Berne. Samuel n’avait pas pu obtenir le terrain choisi pour le temple.
La propriété faisait partie d’une succession comprenant trente
héritiers, dont certains s’étaient opposés à la vente. À la
mi-novembre, Samuel écrivit au président McKay pour lui dire que la
propriété n’était plus disponible.
Le prophète lui téléphona le lendemain. Il dit : « Frère Bringhurst, une force maléfique s’oppose-t-elle à nous ? »
Samuel ne savait que répondre. Il expliqua : « Ils nous ont simplement dit qu’ils avaient changé d’avis. »
Il décrivit alors deux autres
terrains. L’un d’eux se situait près de Zollikofen : c’était l’endroit
que le président McKay avait indiqué lors de sa visite. Samuel affirma
qu’il s’agissait d’un emplacement idéal, en retrait du bruit et de la
circulation, et pourtant à seulement quatre minutes à pied de l’arrêt
de tramway. Le terrain avait été récemment mis en vente.
Au cours de la conversation, Samuel
ne parla pas de ses propres impressions spirituelles. Lenora et lui
avaient prié pour savoir laquelle des deux propriétés recommander au
président McKay. Plus tôt dans la semaine, ils avaient visité une
dernière fois la propriété près de Zollikofen. En la parcourant, ils
avaient eu le sentiment paisible que le Seigneur voulait un temple à
cet endroit.
Samuel avait dit à sa femme : « Il ne fait aucun doute que c’est le bon terrain.
– C’est aussi mon avis », avait-elle répondu.
Après avoir consulté Samuel, le
président McKay discuta avec ses conseillers, qui recommandèrent
l’achat de la propriété. Il rappela alors Samuel et l’autorisa à faire
l’acquisition du terrain.
Une semaine plus tard, une fois la
transaction terminée, le président McKay écrivit au président de
mission pour le remercier de ses efforts.
Il s’émerveilla : « Après cinq mois
de négociations pour l’ancien terrain, tous les efforts ont été vains,
et lorsque cette propriété est arrivée sur le marché, l’affaire a été
conclue en une semaine ! On ne peut nier la main du Seigneur dans ce
qui s’est passé. »
À peu près à la même époque, John
Widtsoe publia Dans un pays ensoleillé (In a Sunlit Land) qui faisait
le récit de sa naissance en Norvège jusqu’à son service au sein du
Collège des douze apôtres. Il avait écrit ce livre pour sa famille,
mais à la demande insistante de ses amis, il avait accepté à contrecœur
de le publier. Il avait dédicacé l’ouvrage à sa postérité et à « la
jeunesse courageuse » de l’Église.
John, maintenant âgé de quatre-vingts
ans, commençait à sentir le poids des années. Quelques années
auparavant, il avait eu une petite hémorragie à l’œil qui avait été
préjudiciable pour sa vue. Il était désormais obligé de lire à l’aide
d’une loupe. Il continuait à suivre un emploi du temps bien chargé
jusqu’à ce qu’il souffre de maux de dos violents. Il commença à voir
régulièrement un médecin, qui lui avait diagnostiqué un cancer.
Les médecins ne voulaient pas
l’opérer du fait de son âge. John savait qu’il était en train de mourir
mais cela ne l’empêcha pas de continuer à travailler. Il commença à
s’appuyer de plus en plus sur Leah, sa femme. Il dit à G. Homer Durham,
le mari de sa fille Eudora : « J’ai profité d’une vie riche et je suis
disposé à vivre et à servir aussi longtemps que le Seigneur le
permettra. »
John avait vécu déjà vécu dix ans de
plus que sa mère, Anna. S’il avait accompli quoique ce soit au cours de
sa longue vie, c’était grâce au choix de sa mère de devenir membre de
l’Église en Norvège. Elle avait incité son fils à faire des études et
avait alimenté sa foi. Elle aussi n’avait ralenti que rarement. Dans
les années qui avaient précédé sa mort, elle avait souvent conseillé
les immigrants qui s’installaient à Sion.
John se souvenait encore d’un nouveau
converti qui était venu la voir en se plaignant amèrement de l’Église
et des saints en Utah. Anna lui avait rapidement rappelé : « Nous
sommes venus ici pour bâtir Sion, pas pour la détruire. » Le converti
avait pris ces paroles à cœur ; elles avaient changé le cours de sa vie.
De son côté, John avait consacré une
grande partie de son existence à édifier l’Église aux côtés de sa
femme. Leurs efforts pour renforcer l’Église en Europe et former les
dirigeants avaient aidé les saints européens à surmonter la Seconde
Guerre mondiale et à s’y retrouver dans le tumulte de l’après-guerre.
La foi et la diligence de ces saints allaient être récompensées par la
construction de deux temples.
Ces derniers ancreraient l’Église en
Europe et feraient avancer une œuvre chère au cœur de John : la
généalogie. Après la guerre, l’Église avait lancé un programme
ambitieux de photographie des actes de naissance et de décès des
archives et paroisses européennes. Des millions de noms étaient
désormais accessibles pour l’œuvre du temple.
Depuis leur retour de mission, John
et Leah avaient également fortifié l’Église par l’écriture. Ensemble,
ils avaient publié un ouvrage, La Parole de Sagesse : Interprétation
moderne (The Word of Wisdom: A Modern Interpretation), qui reposait sur
leur foi en la révélation et leur compréhension scientifique de la
nutrition. Leur but était d’inciter les lecteurs à prendre mieux soin
de leur santé. À partir de 1935, John était devenu rédacteur en chef de
l’Improvement Era. Il avait rédigé une chronique régulière intitulée «
Preuves et réconciliations (Evidences and Reconciliations) » dans
laquelle il répondait aux questions des lecteurs au sujet de
l’Évangile. Il avait fini par compiler ces chroniques et en faire
plusieurs livres populaires.
Au fil de l’année, sa santé se
détériora. Leah faisait face à cette maladie avec dignité, même s’il
lui était difficile de penser que l’homme auquel elle était mariée
depuis plus de cinquante ans allait bientôt s’en aller. Tous deux
étaient des compagnons aimants et les meilleurs des amis. Tandis
qu’elle voyait la santé de John décliner, son témoignage de l’Évangile
rétabli lui donnait de la force, comme cela avait été le cas lors du
décès de leur fils Marsel.
Elle écrivit à une amie : « Je ne
sais pas ce que font les gens qui n’ont pas notre connaissance de la
vie dans l’au-delà, des relations familiales et des joies qui
perdurent. »
Le 19 novembre, John eut l’occasion
de tenir dans ses bras sa première arrière-petite-fille, Kari Widtsoe
Koplin, quelques jours après sa naissance. Il devait alors resté alité
mais il était reconnaissant de voir une nouvelle génération de la
famille Widtsoe venir au monde. Quelques jours plus tard, son médecin
lui signala une insuffisance rénale.
John déclara : « C’est ainsi que cela va finir. » Dehors, le soleil brillait sur une belle journée d’automne.
Le 29 novembre 1952, il mourut chez
lui. Sa famille et son médecin était auprès de lui. Lors des
funérailles, le président McKay déclara : « L’homme qui apporte la plus
grande contribution à l’humanité est celui qui aime et suit la vérité à
tout prix. » Il cita ensuite les derniers mots de John dans son livre
Dans un pays ensoleillé : « J’espère que l’on dira de moi que j’ai
essayé de vivre de manière désintéressée, de servir Dieu et d’aider mes
semblables, et que j’ai utilisé mon temps et mes talents avec assiduité
pour le bien de l’humanité. »
Plus tard, alors que Leah se rendait
au cimetière pour l’enterrement de John, elle aperçut des flocons de
neige par sa fenêtre. Elle s’en réjouit. Elle pensa : « John est né
pendant une violente tempête. Maintenant, l’inhumation de son corps est
bénie par une belle couverture blanche de neige. »
Chapitre 37 : Avec une intention réelle
En mars 1953, Inge Lehmann, âgée de
vingt et un ans, sortit de sa maison dans l’air frais de Bernburg, en
RDA. Elle savait que ses parents n’approuvaient pas l’endroit où elle
allait. Le fait de devenir membre d’une nouvelle église était déjà
mauvais. Mais en plus, entrer dans les eaux glacées de la Saale ? Inge
n’était pas encore bien rétablie de sa tuberculose et ses parents
s’inquiétaient pour elle.
Pourtant, on ne la ferait pas
renoncer. Cela faisait des années qu’elle assistait aux réunions de la
branche de Bernburg . Le temps était enfin venu de se faire baptiser.
Le jour faisait place à la nuit quand
Inge retrouva une petite assemblée venue assister au service de
baptême. Elle reconnut Henry Burkhardt, un missionnaire qui avait servi
dans la branche de Bernburg quelques années plus tôt. Il avait marqué
les esprits de presque toutes les personnes qu’il avait rencontrées
mais elle n’avait pas encore appris à le connaître.
Depuis son nouvel appel au sein de la
présidence de mission, la Stasi, la police secrète de la RDA, portait
une attention particulière au jeune homme. Bien que le gouvernement
est-allemand ait officiellement reconnu l’Église, il insista pour
qu’Henry cesse d’employer le nom de « mission est-allemande » ainsi que
toute activité de prosélytisme. Henry accepta ces demandes mais comme
il faisait fréquemment des allers-retours entre l’Allemagne de l’Est et
l’Allemagne de l’Ouest pour communiquer avec les dirigeants de
l’Église, le gouvernement le surveillait toujours. La Stasi le
soupçonnait déjà d’espionnage et l’avait qualifié d’« ennemi de l’État
».
Une amie d’Inge, une jeune femme du
nom d’Erika Just, se faisait également baptiser ce soir-là. Les deux
femmes étaient voisines. Au cours des années difficiles qui avaient
suivi la Seconde Guerre mondiale, plusieurs personnes de leur quartier
avaient manifesté de l’intérêt pour l’Église. Mais au fil du temps, les
gens n’avaient plus besoin de la nourriture et des fournitures offertes
par l’Église et beaucoup avaient cessé de venir. Inge et Erika
faisaient partie d’un petit groupe de jeunes qui étaient restés,
tissant des liens lors des activités de la SAM en semaine et de la
réunion de Sainte-Cène le dimanche soir.
La lumière du soleil disparut
complètement quand le groupe arriva sur les berges de la Saale. Les
nuages masquaient la lune et, ici et là, des amas de glace étaient
éparpillés à la surface sombre de la rivière. Wolfgang Süss, un
missionnaire allemand, s’avança dans l’eau. Dès que le premier des cinq
candidats au baptême le rejoignit, la lune sortit de derrière les
nuages. Son reflet scintillait à la surface de la rivière tel un signe
de l’approbation divine. Sur la rive, quelques personnes attendaient,
prêtes à envelopper chaque nouveau membre dans une couverture.
Inge entra dans la rivière. Quand frère Süss la sortit de l’eau, elle était une nouvelle personne.
Après les baptêmes, le petit groupe
retourna dans son lieu de culte, un ancien magasin de chapeaux
réaménagé pour tenir des réunions de Sainte-Cène et des classes d’École
du Dimanche. Quand vint le tour d’Inge d’être confirmée membre de
l’Église et de recevoir le Saint-Esprit, Henry Burkhardt lui posa ses
mains sur la tête et offrit la bénédiction.
Il n’avait pas vraiment remarqué la
jeune femme pendant qu’il œuvrait dans sa branche. Pourtant, quelques
jours plus tard, il la mentionna dans son journal.
Il fit allusion aux cinq personnes
qui avaient fait alliance avec leur Père céleste ce soir-là. Il écrivit
: « Je les connaissais tous, dans une certaine mesure, grâce au temps
passé à Bernburg. J’ai une confiance particulière en Inge Lehmann. »
Plus tard cette année-là, à l’automne
1953, Nan Hunter, âgée de trente-six ans, commençait chaque jour de la
même manière. Le matin, à six heures, elle se rendait dans la salle de
culte de sa paroisse à San Diego, en Californie, pour enseigner le
séminaire à environ vingt-cinq adolescents. En apparence, Nan était
bavarde et sûre d’elle. Pourtant, au fond, elle se sentait mal assurée.
Elle donnait un cours sur le Livre de Mormon et n’était pas sûre de sa
véracité.
Nan, mère de famille dont les enfants
fréquentaient le lycée, avait été enchantée quand le programme du
séminaire matinal avait été lancé pour la première fois. Dans l’ouest
des États-Unis, l’Église s’était épanouie depuis la fin de la guerre.
Le conflit avait donné aux Américains une nouvelle vision de la valeur
de la famille et de la foi. Les saints de Californie, dont beaucoup
étaient originaires d’Utah, voulaient que leurs enfants bénéficient de
tous les programmes de l’Église. En avril 1950, dix pieux de Californie
du Sud avaient demandé au département d’éducation de l’Église de les
aider à lancer un programme de séminaire pour les lycéens de leur
région. Ray Jones, instructeur du séminaire à Logan en Utah, avait
accepté de déménager à Los Angeles pour effectuer cette tâche.
En Utah, ses élèves assistaient au
séminaire pendant la journée dans un bâtiment situé près de leur école.
En Californie, il y avait moins de saints vivant à proximité les uns
des autres. Cette manière de procéder n’était donc pas envisageable.
Après avoir interrogé les parents et les dirigeants de l’Église, Ray en
avait déduit que les jeunes étaient seulement disponibles pour le
séminaire avant le début des cours. Les saints locaux devraient
enseigner la plupart des leçons car l’Église ne pouvait pas employer
beaucoup d’instructeurs de séminaire à plein temps dans cet État.
Des parents avaient dit : « Cela ne
fonctionnera jamais ! ». Ils pensaient que leurs enfants ne se
lèveraient pas avant le soleil pour assister à un cours de religion à
l’église. Pourtant, au sud de la Californie, le séminaire matinal
prospérait. En seulement trois ans, plus de mille cinq cents élèves
étaient inscrits dans cinquante-sept cours.
Nan était enthousiaste concernant le
programme du séminaire matinal mais elle avait été contrariée quand
David Milne, conseiller de l’épiscopat, lui avait demandé de prendre
une classe en charge.
Elle avait répondu : « J’en suis
simplement incapable. » Elle avait aimé assister au séminaire quand
elle était adolescente, en Utah, mais elle n’avait pas suivi de
formation ni fait d’études supérieures.
David lui avait dit de parler à Ray
Jones, qui lui avait conseillé de s’adresser à William Berrett,
vice-président du département d’éducation de l’Église. Ce dernier
l’avait rassurée, disant qu’elle était effectivement dévouée et
qualifiée. Elle était précisément la personne qu’ils recherchaient pour
enseigner un cours sur le Livre de Mormon.
« Ce livre ennuyeux ? avait demandé
Nan, abasourdie. Je ne pourrai jamais enseigner cela. Je ne l’ai jamais
lu en entier car je reste toujours bloquée aux passages d’Ésaïe. »
William l’avait regardée droit dans
les yeux. « Sœur Hunter, je voudrais vous faire une promesse. Si vous
lisez ce livre avec une intention réelle et priez à son sujet pendant
votre lecture, je vous assure que vous en obtiendrez un témoignage. »
Il lui avait promis qu’un jour, ce serait l’ouvrage canonique qu’elle
préférerait enseigner. Elle avait finalement accepté d’essayer.
Nan donnait ses cours dans la salle
de la Société de Secours où elle pouvait utiliser un piano et un
tableau. Les jeunes commencèrent à inviter leurs amis non membres de
l’Église. Elle aimait l’enthousiasme et le témoignage de ses élèves
mais était accablée par le poids de l’incertitude, ne sachant pas si le
Livre de Mormon était une écriture sainte. Comment témoigner de vérités
qu’elle ne connaissait pas par elle-même ?
Chaque soir, elle priait au sujet du
livre, comme William Berrett l’avait suggéré. Pourtant, elle ne
recevait aucune réponse. Un soir, elle décida que cela ne pouvait plus
durer. Elle devait savoir. Elle sauta des chapitres pour lire le
troisième livre de Néphi puis elle s’agenouilla devant son lit. Elle
demanda : « Père, ce livre est-il vrai ? Veux-tu vraiment que
j’instruise ces enfants ? »
Un sentiment glorieux et céleste
l’envahit, comme si quelqu’un la serrait dans ses bras. Une petite voix
douce murmura : « Oui, c’est vrai. »
Dès lors, Nan devint une toute autre
personne. Au début de l’année scolaire, elle avait passé un examen sur
le Livre de Mormon et obtenu la note de 25 %. À la fin de l’année, elle
refit l’examen et obtint la note de 98 %. À cette période, six
non-membres qui avaient assisté à son cours étaient devenus membres de
l’Église.
Pendant ce temps, à Salt Lake City,
Gordon B. Hinckley, âgé de quarante-trois ans, avait rarement un
instant à lui. Pendant la majorité de sa vie professionnelle, il avait
été employé de l’Église. Il avait commencé sa carrière en tant que
secrétaire exécutif du comité de l’Église en charge de la radio, de la
publicité et de la documentation missionnaire. Depuis deux ans, il
était secrétaire exécutif du comité missionnaire de l’Église. Il était
maintenant impliqué dans presque tous les aspects des efforts de
l’Église pour répandre l’Évangile, à commencer par la formation des
missionnaires en passant par les relations publiques. Il avait du mal à
laisser son travail au bureau.
Marjorie, sa femme, attendait leur
cinquième enfant. Pourtant, lorsque Gordon rentrait chez lui, il avait
à peine le temps de voir sa famille que le téléphone sonnait déjà.
Parfois, l’appel concernait un missionnaire qui souffrait du mal du
pays, à l’autre bout du monde. D’autres fois, il s’agissait d’une
personne contrariée par les règles de l’Église concernant les appels en
mission et le service militaire.
Bien qu’un armistice ait récemment
mis fin à la guerre entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, les
États-Unis continuaient de recruter des jeunes hommes en âge d’être
missionnaire. L’Église avait adapté les règles qu’elle appliquait
pendant la guerre afin que certains jeunes hommes puissent bénéficier
d’un sursis et partir en mission. Toutefois, cette possibilité n’était
pas garantie et créait parfois des déceptions. Malgré tout, les jeunes
hommes appelés sous les drapeaux avaient souvent l’occasion de faire
connaître l’Évangile dans les pays où ils étaient envoyés. Par exemple,
à Séoul, en Corée du Sud, des soldats saints des derniers jours se
réunissaient régulièrement avec un petit groupe de saints coréens.
Beaucoup d’entre eux étaient des réfugiés qui avaient découvert
l’Évangile rétabli après la guerre, grâce à des militaires américains.
En octobre 1953, David O. McKay
s’entretint avec Gordon B. Hinckley afin de lui confier une nouvelle
responsabilité. Il lui dit : « Comme vous le savez, nous allons bâtir
un temple en Suisse. Je voudrais que vous trouviez un moyen de proposer
l’enseignement du temple dans plusieurs langues européennes en
utilisant un minimum de servants des ordonnances du temple. »
En Europe, les temples seraient
différents de tous les autres. Dans chacun des huit temples de l’Église
en activité, plusieurs servants des ordonnances guidaient les usagers à
travers différentes salles dont les décorations murales représentaient
différentes étapes du plan de salut. Il serait difficile de trouver des
servants des ordonnances parmi les saints européens dispersés sur le
continent. La Première Présidence voulait donc utiliser la technologie
moderne pour réduire le nombre de servants du temple et l’espace
nécessaire à la dotation.
Le président McKay dit à Gordon : «
Vous avez beaucoup d’expérience dans la préparation de films et
supports de ce genre. Je laisse sur vos épaules la responsabilité de
trouver une manière d’y parvenir. » Gordon devait se mettre au travail
immédiatement. Le temple de Suisse serait opérationnel dans moins de
deux ans.
Il répondit : « Eh bien, président, nous ferons ce que nous pourrons. »
Au début de l’année suivante, le
président McKay quitta à nouveau les États-Unis en compagnie d’Emma Ray
pour rendre visite aux saints en Europe, en Afrique du Sud et en
Amérique du Sud. La première fois qu’il avait visité les missions de
l’Église dans le monde, en 1920-1921, accompagné de Hugh Cannon, il
s’était rendu compte des besoins et des préoccupations des membres de
partout. Cette fois-ci, dans le cadre de son périple, il était
particulièrement préoccupé par la mission d’Afrique du Sud. L’Église
était implantée dans le pays depuis plus de cent ans. Toutefois, elle
était confrontée à une pénurie de dirigeants en raison des restrictions
qui empêchaient les personnes d’origine africaine de détenir la
prêtrise ou de recevoir les ordonnances du temple.
Ces restrictions avaient toujours
présenté des défis particuliers en Afrique du Sud. Les missionnaires
rencontraient souvent des hommes qui ne savaient pas s’ils avaient des
ascendances mixtes africaines et européennes. On se demandait alors
s’ils pourraient être ordonnés à la prêtrise. Finalement, la Première
Présidence décida que tous les futurs détenteurs de la prêtrise du pays
devaient confirmer leur éligibilité en prouvant que leurs plus anciens
ancêtres sud-africains s’étaient installés en Afrique et n’y étaient
pas nés.
Cette méthode prenait beaucoup de
temps et était souvent source de frustration. Certains dirigeants
potentiels de branche ou de district étaient issus de familles qui
vivaient en Afrique du Sud depuis bien avant la tenue de registres
généalogiques. D’autres avaient dépensé des sommes considérables pour
rechercher leur lignée familiale mais s’étaient retrouvés bloqués. En
conséquence, le président de mission, Leroy Duncan, décida d’appeler
des missionnaires pour diriger les assemblées dans lesquelles les
hommes dignes ne pouvaient pas prouver leur ascendance.
Il informa la Première Présidence : «
Il n’y a eu que cinq hommes ordonnés à la Prêtrise de Melchisédek au
cours des cinq dernières années. L’œuvre progresserait plus rapidement
si un plus grand nombre de nos frères bons et fidèles détenaient la
prêtrise. »
Le président McKay espérait
s’attaquer au problème dès son arrivée en Afrique du Sud. Pourtant, il
restait conscient des tensions dans le pays dues aux divisions
raciales. L’Afrique du Sud était gouvernée par une minorité blanche qui
avait récemment commencé à adopter des lois oppressives visant à
traiter les Noirs et les personnes « de couleur » (ou métis) comme des
citoyens de seconde zone, totalement séparés des Blancs.
Ce système de lois, connu sous le nom
d’apartheid, faisait de la ségrégation raciale stricte un élément
central de la société sud-africaine. En réfléchissant à ce problème, le
président McKay devait prendre en compte la pratique de l’Église
consistant à agir conformément aux lois du pays. Il comprenait
également que même un changement inspiré des restrictions concernant la
prêtrise et le temple pourrait susciter la colère de membres de
l’Église blancs et des personnes étrangères à leur religion.
En janvier 1954, le couple McKay
arriva en Afrique du Sud. Ils passèrent plusieurs jours avec les saints
du pays. Le président McKay prit le temps de parler avec autant de
personnes qu’il le pouvait, en particulier celles qui semblaient
réservées ou en marge de la foule. Au Cap, il serra la main de Clara
Daniels et de sa fille, Alice, qui avaient été, des années auparavant,
les membres fondateurs de la branche de l’amour. William Daniels, mari
de Clara et président de la branche, était décédé en 1936. Depuis, les
deux femmes, qui faisaient partie des rares saints métis d’Afrique du
Sud, étaient restées fidèles.
Pendant ses voyages, le président
McKay pria sincèrement pour savoir ce qu’il fallait faire concernant
les restrictions relatives à la prêtrise dans le pays. Il observa
attentivement les membres de l’Église et réfléchit aux difficultés
qu’ils rencontraient. Il comprenait que si l’Église continuait d’exiger
des détenteurs potentiels de la prêtrise en Afrique du Sud qu’ils
trouvent leurs origines en dehors du continent, les branches risquaient
de ne pas avoir suffisamment de dirigeants locaux pour faire avancer
l’œuvre de l’Église.
Le dimanche 17 janvier, il parla des
restrictions concernant la prêtrise et le temple lors d’une réunion
avec les missionnaires au Cap. Sans faire de déclaration ferme sur
l’origine de cette pratique, il reconnut que plusieurs hommes noirs
avaient détenu la prêtrise sous les présidences de Joseph Smith et de
Brigham Young. Il parla également de ses difficultés à accepter ces
restrictions lors de son tour du monde en 1921 et il raconta qu’il
avait sollicité le président Grant en faveur d’un saint noir d’Hawaï
qui souhaitait recevoir la prêtrise.
Face à l’assemblée de missionnaires,
il dit : « Je me suis assis et j’ai parlé à ce frère. Je lui ai assuré
qu’un jour il recevrait toutes les bénédictions auxquelles il avait
droit, car le Seigneur est juste et ne fait pas acception de personne. »
Le président McKay ne savait pas
quand ce jour viendrait, et il affirma que la restriction resterait en
vigueur jusqu’à ce que le Seigneur révèle le contraire. Toutefois, il
ressentait que quelque chose devait changer.
Il déclara : « Dans la mission
d’Afrique du Sud, il y a des hommes dignes qui sont privés de la
prêtrise simplement parce qu’ils ne peuvent pas retrouver leur
généalogie hors de ce pays. J’ai le sentiment que c’est une injustice
qui est commise à leur égard. » Il ajouta qu’à partir de ce moment-là,
les membres dont l’ascendance n’était pas sûre n’auraient plus à la
prouver pour recevoir la prêtrise.
Avant de quitter l’Afrique du Sud, le
président McKay répéta que le jour viendrait où les personnes d’origine
africaine recevraient toutes les bénédictions de la prêtrise. Des Noirs
d’autres pays manifestaient déjà un intérêt accru pour l’Évangile
rétabli. Quelques années plus tôt, plusieurs Nigériens avaient écrit au
siège de l’Église pour obtenir des renseignements. D’autres demandes
avaient suivi.
À cette période, de nombreux Noirs du
monde entier cherchaient l’égalité, souvent en contestant la légalité
de la ségrégation. Tandis que leurs actions marquaient la société, de
plus en plus de personnes interrogeaient sincèrement les dirigeants de
l’Église concernant les restrictions.
Plus tard cette année-là, en
République démocratique allemande, un petit bateau remontait
paresseusement l’Elbe, un panache de fumée blanche s’élevant de
l’unique cheminée du navire. Sur le flanc du navire, on lisait un seul
mot : Einheit. Unité.
À bord du navire, Henry Burkhardt
saluait les saints de toute la RDA qui s’étaient réunis pour une
conférence des sociétés d’amélioration mutuelle. Henry avait à peu près
le même âge que beaucoup de jeunes adultes du groupe, cependant, en
tant que dirigeant de l’Église en RDA, il était aussi chargé de
superviser l’activité.
La promenade en bateau n’était que
l’une des nombreuses activités prévues pour les quelque cinq cents
jeunes adultes réunis pour la conférence. Depuis les années trente, les
missions du monde entier organisaient des conférences de SAM pour aider
à fortifier la foi des jeunes adultes et encourager les amitiés et le
mariage au sein de l’Église. Malheureusement, depuis peu, la police de
l’Allemagne de l’Est avait commencé à interdire aux groupes religieux
d’organiser des activités récréatives, comme des jeux de ballon ou des
randonnées. À cause de ces restrictions, il n’était pas facile d’être
membre de l’Église en RDA. De nombreux saints est-allemands avaient
déjà fui vers l’Allemagne de l’Ouest ou les États-Unis. Henry
connaissait de nombreux jeunes qui désiraient émigrer mais il espérait
que des activités comme celles-ci les inciteraient à rester, assurant
ainsi la présence de l’Église au sein du pays.
Le bateau à vapeur continuait de
glisser sur le fleuve, passant devant des collines boisées et de hautes
colonnes de grès gris. Dans la foule, Henry aperçut Inge Lehmann, la
jeune femme qu’il avait confirmée à Bernburg l’année précédente. Il
l’avait croisée à plusieurs reprises depuis ce jour-là. À Pâques, lors
d’une activité de la SAM, ils avaient discuté.
Henry était souvent mal à l’aise et
ne trouvait pas ses mots en présence de jeunes femmes. Lorsqu’il était
missionnaire, à dix-neuf ans, il fallait qu’il se concentre sur son
travail. Maintenant qu’il avait endossé de nouvelles responsabilités
dans l’Église, on lui demandait quand et avec qui il allait se marier.
En parlant avec Inge, Henry avait
éprouvé quelque chose de très différent de la gêne qu’il connaissait
bien. Il était déterminé à la revoir.
Au cours des mois suivants, Henry fit
son possible pour rendre visite à Inge. Il se déplaçait au sein de la
mission dans une vieille Opel Olympia et comme les voitures étaient
rares en RDA, les saints savaient quand il passait dans le quartier de
la jeune femme. L’appel d’Henry dans la mission lui prenait du temps et
il avait peu d’occasions de la voir. Pourtant, cela ne prit pas
longtemps pour que leur relation s’épanouisse.
Quand l’hiver arriva, Henry et Inge
décidèrent de se marier. Pendant les vacances de Noël, les parents
d’Inge invitèrent Henry et ses parents chez eux, à Bernburg, pour
annoncer les fiançailles. Ils avaient été contre la décision de leur
fille de devenir membre de l’Église mais leur attitude commençait à
s’adoucir. Ils avaient même tissé des liens d’amitié avec Henry.
Henry et Inge étaient heureux de
fêter leurs fiançailles mais leur avenir restait incertain. L’appel
d’Henry dans l’Église ne lui permettait pas de gagner facilement sa vie
et il se demandait comment il pourrait subvenir aux besoins d’une
famille. Henry et Inge voulaient tous les deux se marier au temple,
mais comment faire ?
À moins d’un an de l’achèvement du
temple de Suisse, leur rêve n’était pas totalement hors d’atteinte.
Pourtant, il ne suffirait pas d’économiser de l’argent pour
entreprendre le voyage. Les règles concernant les personnes autorisées
à quitter la RDA devenaient plus strictes. Henry et Inge savaient qu’il
y avait peu de chances que le gouvernement les autorise à sortir
ensemble du pays.
Chapitre 38 : Plus de force, plus de lumière
Un jour, au milieu de l’année 1954,
Jeanne Charrier emprunta la route qui menait au village de Privas, en
France, implanté à flanc de colline. Depuis son baptême, trois ans
auparavant, elle se rendait fréquemment chez Eugénie Vivier. C’était
une veuve dont les enfants étaient partis depuis longtemps. Cela
faisait près de dix ans qu’elle s’intéressait à l’Église sans jamais
s’engager dans la voie du baptême. Toutefois, Jeanne aimait lui rendre
visite. Le fait de passer du temps avec la veuve était plus un plaisir
qu’un devoir.
Quand Jeanne arriva chez Madame
Vivier, celle-ci l’accueillit avec un grand sourire. Elle fit entrer
Jeanne et prit place près d’une fenêtre ouverte.
Comme d’habitude, la jeune femme
venait avec une leçon. Son esprit érudit et son amour des idées
l’avaient amenée à étudier l’Évangile en profondeur. Quelques mois plus
tôt, elle avait rédigé un article pour le magazine L’Étoile sur le
thème de l’année de la SAM : « Demeurez dans la liberté par laquelle
vous êtes rendus libres ; ne vous empêtrez pas dans le péché, mais que
vos mains soient pures jusqu’à ce que le Seigneur vienne » (Doctrine et
Alliances 88:86).
Elle avait écrit : « En obéissant aux
lois, on obtient plus de force, plus de lumière. » Elle avait cité le
Nouveau Testament et plusieurs philosophes anciens et modernes pour
étayer ses propos. Elle avait conclu : « Être libre, c’est se
débarrasser du péché, de l’ignorance et de l’erreur et demeurer dans la
liberté de l’Évangile de Jésus-Christ. »
En plus d’être présidente de la SAM
dans sa petite branche à Valence, Jeanne enseignait l’École du Dimanche
et les leçons de la Société de Secours. Elle prenait très au sérieux
ses responsabilités d’instructrice. Elle avait un témoignage ardent de
l’Évangile rétabli et désirait le faire connaître.
Malheureusement, elle n’avait que peu
d’amis qui y étaient réceptifs. De plus, aucun membre de sa famille ne
voulait entendre parler de l’Église. Jeanne vivait toujours avec ses
parents, mais leurs relations s’étaient dégradées depuis son baptême.
Ils lui adressaient rarement la parole, et seulement pour exprimer leur
désapprobation ou l’accuser de trahir l’héritage protestant de leur
famille.
La plupart de ses amis et de ses
professeurs à l’université méprisaient toute religion. Si elle essayait
de leur parler de Joseph Smith, ils se moquaient de l’idée que
quelqu’un puisse avoir une vision.
Jeanne avait trouvé en Madame Vivier
un esprit analogue au sien. Si elle avait repoussé le baptême pendant
si longtemps, c’était notamment parce que sa famille s’y opposait.
Pourtant, comme Jeanne, elle aimait étudier les Écritures. Madame
Vivier était également l’exemple même d’une personne qui vivait une vie
simple et heureuse. Elle n’avait pas beaucoup de biens en dehors de sa
petite maison, quelques arbres fruitiers et quelques poules, mais à
chaque fois que Jeanne venait, la femme âgée sortait des œufs frais des
poches de son tablier et exhortait son amie à les prendre.
La jeune femme savait que, comme
Madame Vivier, elle devrait peut-être apprendre à se contenter d’une
vie plus solitaire. Il y avait peu de jeunes hommes saints des derniers
jours en France et Jeanne avait décidé de ne pas se marier avec un
non-membre. Elle n’était pas non plus disposée à épouser un membre de
l’Église qu’elle n’aimait pas ou qui ne l’aimait pas. Elle avait décidé
que l’Évangile rétabli valait la peine d’être vécu, même si elle devait
rester célibataire. Les vérités qu’elle apprenait, comme le plan du
salut, le rétablissement de la prêtrise et l’existence d’un prophète
vivant, remplissaient son âme de joie.
Après avoir présenté sa leçon sur
l’Évangile et rappelé à Madame Vivier de lire le Livre de Mormon,
Jeanne termina la visite en évoquant le baptême, dont elles avaient
déjà parlé de nombreuses fois. Cette fois-ci, son amie n’évita pas le
sujet et accepta de se faire baptiser.
Le cœur de Jeanne se remplit
instantanément de joie. Après avoir passé dix ans à étudier, cette
femme fidèle était prête à devenir membre de l’Église.
Peu de temps après avoir reçu la
tâche de modifier la présentation de la dotation, Gordon B. Hinckley
réunit une équipe de professionnels pour produire un film destiné aux
temples européens. Au printemps 1955, le film était loin d’être achevé
et le temple de Suisse allait être consacré dans seulement quelques
mois.
Conscient de la nature sacrée de la
dotation, le président McKay autorisa Gordon à tourner le film dans la
grande salle de réunion du temple de Salt Lake City, à l’endroit même
où, plus de soixante ans auparavant, Wilford Woodruff avait consacré le
bâtiment.
Les servants des ordonnances du
temple effectuaient habituellement la dotation en costumes et robes de
couleur blanche, mais Gordon reçut l’autorisation de filmer la
cérémonie avec des acteurs déguisés. Le comité avait accroché une
énorme toile de fond grise dans la salle de réunion et placé des
lumières pour éclairer le décor. Des rochers artificiels parsemaient le
sol au milieu de grands arbres qui avaient été hissés par les fenêtres
du temple à l’aide de poulies. Afin d’illustrer la création du monde,
Gordon avait obtenu la permission de la société Walt Disney d’insérer
un court extrait du film Fantasia dans la production.
Toutes les personnes impliquées dans
le tournage du film du temple, depuis les acteurs et l’équipe jusqu’au
monteur et à Gordon lui-même, travaillaient à cette tâche en plus de
leur emploi du temps complet habituel. Ils y consacraient des nuits et
des week-ends. À la fin du mois de mai 1955, Gordon et l’équipe de
production avaient réalisé un premier montage du film. Pourtant, Gordon
n’était pas satisfait du résultat. Le film manquait de fluidité et les
tenues de certains acteurs devaient être retravaillés.
Il prit contact avec Winnifred
Bowers, la costumière qui avait travaillé sur le film, afin d’obtenir
des conseils pour améliorer la production. Elle proposa des moyens de
lisser les transitions et de modifier légèrement les costumes. De plus,
elle était sûre que le réalisateur, Harold Hansen, pourrait aider les
acteurs à corriger leurs prestations après avoir vu le résultat à
l’écran. Winnifred ajouta : « En tout cas, frère Hinckley, je pense que
vous êtes plus proche du but que vous ne le pensez. »
Gordon et son équipe travaillèrent
encore pendant plusieurs semaines pour peaufiner le projet. Le 23 juin,
ils le montrèrent aux Autorités générales. Le président McKay était
satisfait. Il dit à Gordon et à son équipe : « Vous avez fait du bon
travail. Je pense que vous êtes sur la bonne voie. »
En effet, leur tâche n’était pas
encore terminée. L’Église ne disposant pas de l’équipement nécessaire
pour doubler les films dans d’autres langues, Gordon et son équipe
décidèrent de tourner à nouveau le film en allemand, français, danois,
néerlandais, norvégien et suédois. Heureusement, les traductions
avaient déjà été faites mais la création de six autres versions du film
prendrait des mois, même pour un réalisateur chevronné.
Gordon ne disposait pas de beaucoup
de temps. Le président McKay et tous les saints qui attendaient de
recevoir les bénédictions du temple en Suisse comptaient sur lui. Il ne
pourrait pas trouver le repos avant que chaque film soit terminé et
arrivé sans encombre en Europe.
Pendant ce temps, en RDA, Helga Meyer
jouait des cantiques sur un petit orgue dans son salon pour accueillir
sa famille et ses amis à l’École du Dimanche. Neuf ans s’étaient
écoulés depuis qu’elle avait quitté Berlin pour vivre avec son mari,
Kurt, dans le petit village de Cammin. Malgré les difficultés de la vie
en RDA, le couple Meyer avait fondé un foyer accueillant pour leurs
trois jeunes enfants. Leur porte était toujours ouverte à quiconque
voulait les voir.
Nombre de voisins d’Helga avaient
assisté avec enthousiasme aux réunions de l’École du Dimanche. Après un
cantique d’ouverture et une prière, Kurt emmenait les adultes à l’écart
pour une leçon tandis qu’Helga chantait des cantiques et racontait des
histoires de la Bible à des dizaines d’enfants enthousiastes.
Cependant, ces grands rassemblements
n’avaient pas duré. Un pasteur luthérien avait entendu parler de
l’École du Dimanche de la famille Meyer et avait interdit à ses fidèles
d’y assister. Désormais, seule une poignée de saints résidant à Cammin
et aux alentours venaient le dimanche matin. La classe était bien plus
petite que celle qu’Helga avait eu l’habitude de fréquenter enfant,
lors des classes de l’École du Dimanche de la branche de Tilsit. Helga
pouvait toujours compter sur la présence d’Elise Kuhn, une veuve d’un
village voisin, qui faisait une longue marche jusqu’à la maison de la
famille Meyer, qu’il pleuve ou qu’il neige. La famille d’Edith Tietz,
une fidèle amie d’Helga qui était devenue membre de l’Église quelques
années auparavant, y assistait aussi assidûment.
Habituellement, pendant la leçon,
Helga et Kurt enseignaient directement à partir des Écritures car ils
avaient peu d’autres documentations de leçons à utiliser. Pour les
régions anglophones du monde, le magazine de l’Église Instructeur
(Instructor), destiné aux instructeurs de l’École du Dimanche,
proposait de nombreuses aides, notamment des articles sur l’utilisation
efficace des panneaux de flanelle, des cartes, des tableaux et des
illustrations. Dans un numéro récent, on retrouvait des reproductions
en couleur des dernières peintures du Livre de Mormon d’Arnold Friberg
: Abinadi devant le roi Noé et Alma baptise dans les eaux de Mormon.
En revanche, les supports de cours en
allemand se faisaient rares après la guerre. En RDA, la censure stricte
les rendait pratiquement inaccessibles. Pour les saints d’Allemagne de
l’Est, le siège de l’Église semblait plus lointain que jamais. Helga
désirait toujours émigrer aux États-Unis, comme sa tante Lusche et
certains de ses proches l’avaient fait à la fin de la guerre.
Toutefois, elle savait combien il était dangereux pour une famille
entière de tenter de quitter la RDA. De plus, elle ne pouvait envisager
de partir sans ses parents. La santé fragile de sa mère n’avait fait
qu’empirer pendant toutes ces années à attendre qu’Henry, le frère
d’Helga, revienne de la guerre.
Dans les moments difficiles, Helga et
sa famille avaient trouvé de la force et du réconfort au sein de
l’Église. Après l’École du Dimanche, ils prenaient le train avec les
quelques membres de Cammin pour se rendre à la branche de
Neubrandenburg, à une quinzaine de kilomètres de là, afin d’assister à
la réunion de Sainte-Cène. Parfois, des étrangers venaient à la
réunion. Helga craignait qu’il s’agisse d’espions venus écouter leurs
discours et leurs témoignages.
Les saints de Neubrandenburg
faisaient de leur mieux pour ignorer ces menaces. Ils continuaient à
s’instruire mutuellement grâce aux Écritures et à chanter les cantiques
de Sion.
Au début du mois de septembre de
l’année 1955, soit une semaine avant la consécration du temple de
Suisse, Gordon B. Hinckley remit soigneusement deux valises entre les
mains d’employés d’une compagnie aérienne à l’aéroport de Salt Lake
City. À l’intérieur se trouvait le film du temple en sept langues. Cela
ne lui plaisait guère de ne pas avoir ces plus de neuf mille mètres de
film sous les yeux mais les valises étaient trop encombrantes pour être
transportées en cabine dans l’avion que sa femme, Marjorie, et lui
allaient prendre pour la première étape de leur voyage vers la Suisse.
Il se consolait avec le fait que les pistes audio étaient stockées
séparément dans deux boîtes compactes suffisamment petites pour qu’il
puisse les transporter lui-même.
Gordon avait tenu à protéger le
contenu sacré du film depuis le moment où il l’avait envoyé en
laboratoire en Californie pour le traitement final. Il avait demandé à
un ami proche qui travaillait à Hollywood d’apporter le film au
laboratoire et d’y rester afin de veiller au respect de la
confidentialité du film pendant son traitement. Gordon devait
maintenant transporter le film en toute sécurité via les aéroports de
New York et de Londres afin de le déposer en main propre au temple de
Suisse.
William Perschon, le nouveau
président de la mission suisse-autrichienne, accueillit le couple
Hinckley à Bâle à sa descente de l’avion. Ils récupérèrent le film et
Gordon remplit un formulaire de déclaration de douane, indiquant que le
film faisait partie de ses biens. Un douanier consulta le formulaire et
dit : « Je ne peux pas laisser entrer ce film. En Suisse, nous
n’autorisons pas l’entrée d’un film sans qu’il soit validé par l’office
fédéral du film. »
Gordon répondit : « Je dois le faire
rentrer d’une manière ou d’une autre. Je ne doute pas que vous
autorisez les films à entrer en Suisse.
– Avec la bonne autorisation, oui. »
Le douanier expliqua alors que l’office suisse du film devait examiner
et approuver la projection avant de la remettre à Gordon. Pour cela, il
allait d’abord l’envoyer au bureau de la douane à Berne. Comme on était
samedi, Gordon ne pourrait pas récupérer le film à la douane avant
lundi matin à l’ouverture du bureau.
Il envisagea de persuader le
fonctionnaire de le laisser apporter lui-même le film à Berne mais il
craignit qu’un conflit ne fasse empirer la situation. Il partit donc
avec Marjorie et le président Perschon au foyer de la mission,
extrêmement inquiet pour le film du temple. Le lendemain, ils jeûnèrent
et prièrent pour que la pellicule ne tombe pas entre de mauvaises mains.
Le lundi, tôt, Gordon et le président
Perschon récupérèrent les bobines au bureau des douanes et les
amenèrent directement à l’office du film. Là, un homme fit entrer
Gordon dans une pièce. Il demanda : « Quel est le titre du film ?
– Il n’a pas de titre, répondit
Gordon. Il contient simplement de la musique et des instructions à
utiliser dans le temple. » Il proposa à l’homme d’écouter la bande son.
Par précaution, il avait placé un long enregistrement de musique
d’orgue au début du film pour décourager toute personne non autorisée
d’accéder à son contenu sacré.
L’homme écouta la mélodie pendant un moment. Il demanda finalement: « Eh bien, qu’est-ce que c’est ?
– Ce sont simplement des instructions
ecclésiastiques, répéta Gordon. C’est de la musique d’église, de la
musique d’orgue sans intérêt. »
Un élan de compréhension amicale
passa dans le regard de l’homme. Il dit : « Très bien. » Il ne demanda
pas à en entendre ou en voir plus, il sortit simplement un tampon et
approuva le film.
Chapitre 39 : Une ère nouvelle
Le mardi 6 septembre 1955, Helga
Meyer monta dans un train pour Berlin-Ouest. Les membres de la branche
de Neubrandenburg avaient récemment appris que le chœur de l’Église, le
« Tabernacle Choir » venait donner un concert dans la ville. Le chœur
était en tournée en Europe depuis la mi-août, se produisant de Glasgow
à Copenhague avant la consécration du temple de Suisse. C’était
l’entreprise la plus audacieuse de la chorale depuis sa représentation
à l’exposition universelle de Chicago, six décennies plus tôt. Pour
beaucoup de spectateurs, ce fut un moment inoubliable.
Pendant longtemps, il aurait semblé
irréalisable de faire traverser l’océan à trois cent cinquante
choristes mais David O. McKay estimait qu’il était temps pour le chœur
de s’aventurer en-dehors de l’Amérique du Nord. Quand la tournée avait
été annoncée, il avait déclaré : « Il n’existe pas de force plus
puissante pour l’œuvre missionnaire que le Tabernacle Choir. »
L’organisation de la tournée était le
fruit de beaucoup de travail, de préparation et de prières. De plus, la
présence du chœur à Berlin-Ouest était particulièrement remarquable.
Des négociations dans les hautes sphères gouvernementales avaient eu
lieu entre les États-Unis et l’Union soviétique afin de permettre à
tant d’Américains de traverser la République démocratique allemande et
de se rendre dans le secteur ouest de la ville.
Quand Helga et les autres saints
est-allemands avaient appris que le chœur viendrait, ils avaient
demandé la permission de se rendre à Berlin-Ouest et l’avaient obtenue.
Même si la chorale se produisait le soir pour un concert payant, elle
proposait aux résidents de la RDA et aux réfugiés est-allemands qui
vivaient en Allemagne de l’Ouest d’assister gratuitement dans la
journée à la répétition générale. La famille Meyer n’avait pas beaucoup
de moyens financiers mais grâce au métier de pêcheur de Kurt et à
l’emploi d’Helga en tant qu’institutrice à la maternelle, ils avaient
juste assez d’argent pour que la jeune femme puisse se rendre seule à
Berlin-Ouest et acheter un billet pour le concert du soir.
Lorsque le train d’Helga arriva à
Berlin-Ouest, elle sortit de la gare et se dirigea vers le grand
gymnase de Schöneberg pour le concert gratuit de l’après-midi.
L’auditorium était bondé mais elle parvint à trouver un siège près de
la scène.
Helga, Kurt et leurs enfants avaient
passé de nombreuses soirées réunis autour de la radio, à écouter les
émissions du Tabernacle Choir. Comme le programme provenait des
États-Unis, la famille veillait à ce que le volume soit bas afin que
personne ne les entende et ne les dénonce. Aujourd’hui, elle pouvait
écouter sans crainte et laisser les paroles et la musique l’envelopper.
Le chœur commença par interpréter des
œuvres de célèbres compositeurs allemands tels que Bach, Handel et
Beethoven. Puis, les cantiques favoris des saints des derniers jours,
comme « O mon Père » et « Venez, venez, sans craindre le devoir »,
retentirent. Helga ne comprenait pas les paroles des cantiques mais
lorsque les voix des chanteurs remplirent l’espace d’un son joyeux, son
cœur s’emballa.
Elle prit conscience que c’était son peuple, qui venait de loin.
Quelques heures plus tard, elle
revint dans la salle pour le concert du soir. Cette fois, les saints
d’Allemagne de l’Ouest, les militaires américains et les représentants
du gouvernement occupaient la plupart des sièges de la salle comble. Le
concert était enregistré afin que Radio Free Europe, une station
parrainée par les États-Unis en Allemagne de l’Ouest, puisse le
diffuser aux habitants de la RDA, de la Tchécoslovaquie, de la Pologne
et d’autres pays communistes d’Europe centrale et orientale.
Une fois de plus, Helga se sentait
transportée par la musique. L’Esprit du Seigneur l’enveloppa. Comme les
personnes assises près d’elle, elle ne pouvait retenir ses larmes. Il
semblait que le paradis touchait terre.
Après le concert, le chœur quitta la
salle afin de monter dans les bus. Helga et un groupe de saints
allemands les suivirent dehors et chantèrent : « Dieu soit avec toi
jusqu’au revoir ». Ils agitèrent leur mouchoir en l’air jusqu’à ce que
le dernier bus s’éloigne.
Quelques jours plus tard, le dimanche
11 septembre 1955, le président McKay s’arrêta sur un parking bondé
dans la banlieue de Berne, en Suisse. Depuis plusieurs années, il
suivait de loin l’avancement des deux temples européens. Récemment, il
avait posé la première pierre du temple de Londres. Aujourd’hui, il
venait consacrer le temple de Suisse, terminé depuis peu.
Le président McKay sentait que
c’était un moment de triomphe. Depuis des générations, l’Europe avait
été une source de force pour l’Église. Les deux parents du prophète
étaient nés sur le sol européen. Sa famille était devenue membre de
l’Église en Écosse. La famille de sa mère faisait partie des premiers
convertis du Pays de Galles. Désormais, les saints européens n’auraient
plus besoin de traverser l’océan pour bénéficier des bénédictions du
temple, comme l’avaient fait ses parents et grands-parents.
Depuis des jours, la pluie tombait
sur Berne. Pourtant, ce matin-là, un ciel bleu et un soleil radieux
accueillirent le président McKay. L’extérieur simple et moderne du
temple se détachait sur un fond de conifères. Le bâtiment était de
couleur crème, avec des rangées de pilastres blancs. De hautes fenêtres
ornaient ses côtés. Une seule flèche dorée, soutenue par une base
blanche étincelante, s’élevait au-dessus des portes d’entrée en laiton.
Au loin, bien visibles depuis les jardins du temple, s’élevaient les
montagnes du Jura et les majestueuses Alpes suisses.
En entrant dans le temple, David O.
McKay passa sous une inscription en lettres majuscules au-dessus de la
porte. On y lisait : Das Haus des Herrn. La Maison du Seigneur. Pour la
première fois, les mots inscrits sur un temple de l’Église n’étaient
pas en anglais.
Quelques minutes plus tard, quand dix
heures sonna, le prophète se tenait à la chaire de la salle de réunion
du troisième étage. Environ six cents personnes, dont plus de la moitié
étant des membres du Tabernacle Choir, lui faisaient face. Neuf cents
autres personnes étaient assises dans d’autres salles du temple et
écoutaient la réunion grâce à des haut-parleurs.
Après un chant interprété par le
chœur et une prière, le président McKay souhaita la bienvenue à tous
les participants. Il fit remarquer que les anciens présidents de
l’Église étaient présents en esprit. Il ajouta que, parmi eux, se
trouvait Joseph F. Smith, qui avait prophétisé à Berne, un demi-siècle
auparavant, que des temples seraient un jour construits dans les pays
du monde entier.
Samuel Bringhurst, appelé depuis peu
président du temple de Suisse, prit ensuite la parole. Il raconta les
difficultés rencontrées pour obtenir un terrain et témoigna que le
Seigneur les avait guidés pour trouver cet endroit.
L’apôtre Ezra Taft Benson fut
l’orateur suivant. Il parla à l’assemblée de sa grand-mère paternelle,
Louisa Ballif, dont les parents étaient devenus membres de l’Église en
Suisse dans les années 1850 et avaient ensuite émigré en Utah.
Lorsqu’il était jeune homme et qu’il grandissait dans l’Idaho, Ezra
écoutait sa grand-mère raconter la conversion de sa famille et son
affection pour son pays d’origine.
L’apôtre déclara : « Je vous assure que j’aimais la Suisse bien avant d’y poser le pied. »
Frère Benson parla ensuite de sa
mission auprès des saints européens après la Seconde Guerre mondiale.
Il mentionna son passage à Vienne et Zełwągi. Avec émotion, il évoqua
la gentillesse des fonctionnaires du gouvernement suisse qui avaient
aidé l’Église à distribuer l’aide de l’Église.
Quand Ezra Taft Benson reprit sa
place, le président McKay se leva à nouveau afin de consacrer la maison
du Seigneur. Il pria : « O Dieu, notre Père éternel. En cette occasion
sacrée, l’achèvement et la consécration du premier temple érigé par
l’Église en Europe, nous déversons notre cœur et élevons notre voix
vers toi pour te louer et de remercier. » Il remercia le Seigneur pour
l’Évangile rétabli, pour la révélation moderne et pour le peuple suisse
qui, pendant des siècles, avait respecté le droit de chacun d’adorer
selon les inspirations de sa conscience.
Au cours de sa prière, le prophète
sembla accablé par l’incrédulité des gens dans les pays où l’Évangile
de Jésus-Christ ne pouvait pas encore être prêché. Il supplia : « Bénis
les dirigeants des nations afin que leur cœur soit débarrassé des
préjugés, de la suspicion et de l’avarice, et rempli d’un désir de paix
et de droiture. »
Le président McKay clôtura la session
de consécration du matin en menant l’assemblée dans le cri du Hosanna.
Pendant la réunion, il demanda à Ewan Harbrecht, jeune soprano du
Tabernacle Choir dont la grand-mère allemande avait été l’une des
premières converties de la branche de Cincinnati, de se lever et de
chanter.
Partout où il s’était produit en
Europe, le chœur avait été accueilli par des applaudissements
tonitruants. Toutefois, dans la Haus des Herrn, un silence paisible,
digne de l’occasion, s’installa dans la salle. Elle chanta : « Bénissez
cette maison. »
Bénissez les personnes qui s’y rendront.
Gardez-les pures et libres de tout péché.
Bénissez-nous tous afin que nous
soyons en mesure de demeurer auprès de vous, ô Seigneur.
Le jeudi suivant, Jeanne Charrier
entra dans le temple de Suisse pour assister à la dernière des neuf
sessions de consécration. Elle était honorée de se trouver dans la
maison du Seigneur, entourée des saints européens qui allaient bientôt
contracter des alliances éternelles. Auprès d’elle se trouvaient des
membres de la mission française, notamment Léon et Claire Fargier.
Le président McKay prit la parole,
comme il l’avait fait dans chacune des sessions précédentes. Jeanne
ressentit un lien particulier avec le prophète qu’elle avait eut
l’occasion de rencontrer pendant sa tournée européenne en 1952, lors
d’une conférence à Paris. À l’époque, elle n’était membre de l’Église
que depuis un an et elle souffrait du rejet récent de ses parents. Le
président McKay s’était arrêté pour lui poser des questions sur son
baptême et l’avait interrogée sur sa vie. Il l’avait serrée
chaleureusement dans ses bras, comme un grand-père, au lieu de
simplement lui serrer la main, ce qui avait contribué à dissiper son
trouble intérieur.
Tandis que le prophète accueillait
les saints de la mission française au temple, Robert Simond, un membre
suisse de l’Église de longue date qui avait servi dans la présidence de
la mission, interprétait ses paroles. Le président McKay déclara devant
l’assemblée : « Cette consécration marque une époque de l’histoire de
l’Église. À plusieurs égards, c’est le début d’une ère nouvelle. »
Il s’adressa ensuite aux membres qui
allaient bientôt recevoir leurs ordonnances préparatoires et leur
dotation. Il voulait qu’ils soient prêts à comprendre les grands
principes de vie contenus dans l’expérience du temple.
Il expliqua : « Visualiser la gloire
de l’œuvre du temple, c’est un peu comme obtenir un témoignage de la
divinité de l’œuvre du Christ. Certains perçoivent immédiatement la
gloire de la réalité de l’Évangile rétabli. Pour d’autres, cela vient
plus lentement, mais sûrement. »
Les premières sessions de dotation au
sein du temple de Suisse étaient prévues la semaine suivante.
Toutefois, quand le président McKay sut que nombre de saints devaient
rentrer dans leur pays avant cette date, il demanda à Gordon B.
Hinckley si son équipe pouvait travailler toute la nuit pour préparer
le temple en vue de la dotation dès vendredi matin.
Vendredi après-midi, Jeanne retourna
au temple accompagnée d’autres saints francophones. Les deux premières
sessions de dotation de la journée s’étaient déroulées en allemand et
comme cette ordonnance était une nouvelle expérience pour la plupart
des participants, cela prenait plus de temps que prévu. Quand la
session en français commença, le soleil était couché. Des sessions dans
d’autres langues étaient prévues ensuite.
Après avoir écouté l’apôtre Spencer
W. Kimball parler lors d’une réunion spéciale dans la chapelle du
temple, Jeanne et d’autres saints français participèrent aux
ordonnances préparatoires et à la dotation. Rassemblés dans une salle,
ils regardèrent le nouveau film du temple en français et en reçurent
des enseignements sur la création de la terre, la chute d’Adam et Ève
et l’expiation de Jésus-Christ. Ils contractèrent des alliances avec
Dieu et reçurent la promesse de grandes bénédictions dans cette vie et
dans la suivante.
Quand la session où se trouvait
Jeanne prit fin, la nuit était déjà avancée. Des saints de Suède, de
Finlande, des Pays-Bas, du Danemark et de Norvège reçurent leur
dotation pendant les sessions suivantes, qui s’enchaînèrent sans arrêt
jusque tard dans la nuit du samedi.
Comme elle avait reçu les ordonnances
du temple, Jeanne comprenait que c’était un endroit de foi et
d’espérance, qui la préparerait à entrer un jour en présence de Dieu.
Bien que sa famille terrestre ne soit pas encore prête à entendre le
message de l’Évangile, elle était impatiente d’œuvrer pour ses ancêtres
décédés qui attendaient de recevoir les bénédictions du temple.
Elle pensa : « Personne ne sera oublié. »
Pour Gordon B. Hinckley, la semaine
avait été intense. Une fois les formalités de la douane terminées, il
avait supervisé l’installation au temple des équipements de projection
et de sonorisation, synchronisé le son et le film dans chaque langue
pour s’assurer que tout fonctionnait correctement. Il avait aussi formé
le nouvel ingénieur du temple, Hans Lutscher, qui allait assumer cette
responsabilité à plein temps après avoir été lui-même doté.
Gordon et son équipe avaient
bénéficié d’un bref répit pendant les cinq jours de consécration mais
dès que le président McKay avait annoncé qu’il souhaitait que les
ordonnances du temple commencent immédiatement, ils s’étaient remis au
travail.
Ainsi, pendant près de deux jours,
depuis le vendredi matin tôt, Gordon avait fait fonctionner le
projecteur et le système de sonorisation. Il n’était pas question de se
reposer. De surcroît, la grippe qu’il avait attrapée ne faisait
qu’empirer à cause du climat automnal humide de Berne. Ses yeux et son
nez ne cessaient de couler, sa tête était lourde et son corps
douloureux.
Pourtant, pendant que les sessions se
succédaient heure après heure, il était étonné par le bon déroulement
de la session de dotation en film. Les servants des ordonnances du
temple rencontraient peu de problèmes avec la nouvelle méthode, malgré
le défi que représentait l’accueil de personnes originaires de tant de
pays différents. En observant le déroulement de la session, Gordon prit
conscience qu’il aurait été extrêmement difficile de présenter
l’ordonnance comme on le faisait habituellement en sept langues.
Le samedi soir, à la fin de la
dernière session, Gordon était épuisé. Malgré ses yeux rouges et sa
gorge endolorie, il se sentait rempli d’un élan de quelque chose de
bien plus grand. Depuis son arrivée à Berne, il avait vu des centaines
de saints européens entrer dans le temple. Beaucoup d’entre eux avaient
fait de grands sacrifices pour assister à la consécration. Il avait
remarqué que certains étaient très pauvres. D’autres avaient perdu des
membres de leur famille et des êtres chers pendant les deux guerres
mondiales. Les larmes aux yeux, ils avaient reçu leur dotation et été
témoin du scellement de leur famille pour l’éternité.
Plus que jamais, Gordon savait avec
certitude que le Seigneur avait inspiré le président McKay pour que les
bénédictions du temple soient apportées aux européens. Leur joie valait
toutes les longues nuits et les journées éprouvantes que Gordon avait
vécues ces deux dernières années.
Comme la plupart des saints vivant en
RDA, Henry Burkhardt n’avait pas pu se rendre à Berne pour la
consécration du temple ni pour les premières sessions de dotation. Il
était plutôt occupé à aménager dans un grenier de la maison de ses
parents une chambre où lui et Inge vivraient après leur mariage. Il
avait fait une demande pour avoir son propre appartement, mais il ne
savait pas si le gouvernement lui en accorderait un, ni quand. Il pensa
qu’en attendant, ils pourraient se contenter de ce petit espace non
chauffé. Il espérait qu’Inge trouverait l’endroit plus accueillant
quand il aurait posé le nouveau papier peint.
Henry et Inge ne s’étaient vus que
quelques fois au cours des neuf mois qui avaient suivi leurs
fiançailles, généralement lorsque le jeune homme se rendait dans la
région de Bernburg pour une conférence de district. Ils prévoyaient de
se marier civilement le 29 octobre et étaient déterminés à être scellés
au temple aussi vite que possible.
Même si le gouvernement est-allemand
autorisait les citoyens à se rendre en Allemagne de l’Ouest, Henry et
Inge ne pouvaient dire à personne qu’ils quittaient le pays ensemble
car les autorités risquaient de penser qu’ils partaient définitivement.
Ils obtinrent chacun leur visa pour l’Allemagne de l’Ouest dans des
villes différentes et s’arrangèrent avec le bureau de la mission à
Berlin-Ouest pour faire une demande de visas pour la Suisse. Si tout se
déroulait bien, les documents arriveraient au bureau de la mission
ouest-allemande à Francfort. Dans le cas contraire, le couple devrait
retourner en RDA sans pouvoir être scellé.
Le lendemain de leur mariage à
Bernburg, Henry et Inge se rendirent sans difficulté en Allemagne de
l’Ouest. Là, ils récupérèrent leurs visas pour la Suisse. Ils
achetèrent des billets aller-retour pour Berne et passèrent du temps
avec des amis en Allemagne de l’Ouest. Partout où ils allaient, les
gens étaient polis et amicaux. Ils se réjouissaient de la sensation
merveilleuse de pouvoir se déplacer sans restriction.
Henry et Inge arrivèrent à Berne le
soir du 4 novembre. Ils dépensèrent ce qui leur restait de la somme
qu’ils avaient économisée pour le voyage afin de louer une petite
chambre près de la gare. Le lendemain matin, le couple monta les
marches menant aux portes de la maison du Seigneur et y entra. Il prit
place dans la salle de dotation du temple et accomplit l’ordonnance
tandis que le film en allemand défilait sur un écran devant eux.
Après la session, ils entrèrent dans
une salle de scellement et s’agenouillèrent face à face devant l’autel.
Ils découvrirent les promesses glorieuses faites aux personnes qui
contractent l’alliance du scellement. Ensuite, ils furent unis ensemble
à tout jamais.
Henry pensa : « Comme c’est beau de
s’appartenir maintenant l’un à l’autre pour l’éternité. Une grande
responsabilité nous a été donnée, accompagnée de nombreuses
bénédictions. »
Le lendemain soir, Henry et Inge se
rendirent à la gare pour faire le voyage de retour dans leur chambre
mansardée en RDA. Ils savaient qu’ils n’étaient pas obligés de rentrer
s’ils ne le voulaient pas. Ils avaient des amis qui pouvaient les aider
à s’installer en Allemagne de l’Ouest. Ils pouvaient même essayer
d’émigrer aux États-Unis, comme nombre d’autres saints européens.
Pourtant, ils ne souhaitaient pas
quitter leur terre natale. La vie en RDA n’était pas toujours facile
mais leur famille était là et Dieu avait une œuvre à leur faire
accomplir.
Le train arriva et le couple monta à
bord. En quittant la Suisse, ni Henry, ni Inge ne savait s’ils
pourraient un jour retourner au temple, ni quand ils pourraient le
faire. Toutefois, ils croyaient fermement que Dieu les guiderait. Unis
pour le temps et pour l’éternité, ils étaient plus engagés que jamais à
le servir. Ils savaient qu’il ne les abandonnerait pas.
À PROPOS DES SOURCES
Cet
ouvrage est un récit non fictif fondé sur des centaines
de sources historiques. Nous avons pris le plus grand soin à
veiller à son exactitude. L’histoire de l’Église
entre 1846 et 1893 est remarquablement bien documentée grâce
à des sources allant de la correspondance personnelle au
journal intime, du rapport de presse aux archives institutionnelles
telles que les comptes rendus de réunions. Néanmoins,
le lecteur ne doit pas penser que l’histoire présentée
ici est parfaite ou complète. Les récits du passé
et notre aptitude à les interpréter dans le présent
sont limités.
Toutes
les sources de connaissance historique présentent des lacunes,
des ambiguïtés et des partis pris. Souvent, elles
n’évoquent que le point de vue de leur auteur. Par
conséquent, les témoins d’un même événement
ont un vécu et un souvenir différents et leurs divers
points de vue donnent lieu à des manières diverses
d’interpréter l’histoire. La difficulté
pour l’historien consiste à réunir les points de
vue connus et à parvenir à une compréhension
correcte du passé par une analyse et une interprétation
minutieuses.
Les
saints est un récit véridique de l’histoire de
l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers
jours, fondé sur ce que nous savons et comprenons aujourd’hui
d’après les documents historiques existants. Ce n’est
pas le seul récit possible de l’histoire sacrée
de l’Église mais les érudits qui ont fait les
recherches, écrit et édité cet ouvrage
connaissent bien les sources historiques, les ont utilisées
avec soin et les ont documentées dans les notes de fin de
document et dans la liste des sources citées. Le lecteur est
invité à évaluer lui-même les sources dont
beaucoup ont été numérisées et reliées
aux notes de fin de document. Il est probable que la découverte
d’autres sources ou de nouvelles lectures de sources existantes
donneront lieu, avec le temps, à d’autres
significations, interprétations ou points de vue possibles.
La
narration dans Les saints est fondée sur des sources primaires
et secondaires. Les sources primaires contiennent des renseignements
sur les événements rapportés par les personnes
qui en ont été les témoins. Certaines sources
primaires, comme les lettres, les journaux personnels et les comptes
rendus de discours, ont été écrites au moment
des événements qu’elles décrivent. Ces
sources contemporaines reflètent ce que les personnes
pensaient, éprouvaient et faisaient à ce moment-là,
révélant la manière dont le passé était
interprété lorsqu’il était du présent.
D’autres sources primaires, comme les autobiographies, ont été
écrites après les faits. Ces sources évocatrices
révèlent le sens qu’a fini par lui donner
l’auteur, les rendant souvent meilleures que les sources
contemporaines pour reconnaître l’importance des
événements passés. Cependant, du fait qu’elles
sont fondées sur le souvenir, les sources évocatrices
peuvent contenir des erreurs et peuvent être influencées
par la compréhension et les croyances ultérieures de
l’auteur.
Les
sources historiques secondaires contiennent des renseignements
fournis par des personnes qui n’ont pas été
témoins des événements. Parmi ces sources, on
peut mentionner les histoires familiales et les ouvrages académiques
ultérieurs. De nombreuses sources de ce genre se sont révélées
précieuses pour le contexte et l’interprétation
plus larges qu’elles ont fournis, et cet ouvrage en est
bénéficiaire.
Chaque
source de Les saints a été évaluée pour
sa crédibilité et chaque phrase a été
vérifiée plusieurs fois pour en assurer la cohérence
avec les sources. Les répliques dans les dialogues et les
autres citations sont directement issues de sources historiques. Dans
l’édition anglaise, l’orthographe, les majuscules
et la ponctuation ont été quelque peu modernisées
par souci de clarté. Dans certains cas, des modifications
importantes, comme le passage de l’emploi du temps passé
au temps présent ou la normalisation de la grammaire, ont été
apportées aux citations pour en faciliter la lecture . Le
choix des sources et de la manière d’en faire usage a
été fait par une équipe d’historiens,
d’écrivains et de réviseurs qui ont pris leurs
décisions par rapport à l’intégrité
historique et la qualité littéraire.
Certaines
sources antagonistes ont été utilisées pour
rédiger ce livre et sont citées dans les notes. Elles
servent principalement à décrire l’opposition à
l’Église pendant le dix-neuvième siècle.
Bien qu’essentiellement hostiles à l’Église,
ces documents contiennent parfois des détails qui ne figurent
nulle part ailleurs. Certains de ces détails ont été
utilisés lorsque d’autres documents en confirmaient
l’exactitude générale. Les faits contenus dans
ces documents antagonistes ont été utilisés sans
adopter leur interprétation hostile.
Récit
historique rédigé pour le grand public, cet ouvrage
présente l’histoire de l’Église dans un
format cohérent et accessible. Tout en s’inspirant des
techniques narratives populaires, il ne va pas au-delà des
renseignements trouvés dans les sources historiques. Lorsque
le texte inclut des détails mineurs tels qu’une
expression du visage ou un renseignement météorologique,
c’est parce que ces détails se trouvent dans le récit
historique ou peuvent en être raisonnablement déduits.
Pour
que le récit reste lisible, l’ouvrage traite rarement
dans le texte lui-même des problèmes d’historicité.
On trouvera ces débats sur les sources dans les traitements
par sujet sur le site saints.ChurchofJesusChrist.org. Le lecteur est
invité à les consulter pendant qu’il étudie
l’histoire de l’Église.
SOURCES
Cette
liste sert de répertoire complet de toutes les sources du
premier tome de Les saints : Histoire de l’Église de
Jésus-Christ dans les derniers jours. Dans les rubriques
traitant des sources manuscrites, les dates indiquent le moment où
celles-ci ont été créées et non la
période qu’elles couvrent. Les tomes des écrits
de Joseph Smith, The Joseph Smith Papers, sont désignés
par l’abréviation « JSP ». De nombreuses
sources sont disponibles numériquement et des liens se
trouvent dans la version électronique du livre sur le site
saints.lds.org et dans la bibliothèque de l’Évangile.
Lorsqu’une
source est citée, cela ne signifie pas qu’elle a l’aval
de l’Église. On trouvera de plus amples renseignements
sur les types de sources utilisés dans Les saints dans «
Note au sujet des sources ».
L’abréviation
suivante est utilisée dans cette liste de sources citées
:
BYU
: L. Tom Perry Special Collections, Harold B. Lee Library, Brigham
Young University, Provo, Utah
Bibliothèque
d’histoire de l’Église, Église de
Jésus-Christ des saints des derniers jours (CHL)
Bibliothèque
d’histoire familiale, Église de Jésus-Christ des
saints des derniers jours (FHL)
Account
of the Funeral Proceedings for President Brigham Young, Sept 1, 1877.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Acts,
Resolutions, and Memorials, Passed by the First Annual, and Special
Sessions, of the Legislative Assembly, of the Territory of Utah,
Begun and Held at Great Salt Lake City, on the 22nd Day of September,
A. D., 1851. Also the Constitution of the United States, and the Act
Organizing the Territory of Utah. Salt Lake City: Legislative
Assembly, 1852.
Addison
Pratt Family Collection, 1831-1924. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Adler,
Jacob et Robert M. Kamins. The Fantastic Life of Walter Murray
Gibson: Hawaii’s Minister of Everything. Honolulu: University
of Hawaii Press, 1986.
The
Admission of Utah. Arguments in Favor of the Admission of Utah as a
State, Made before the House Committee on Territories, Second
Session, Fiftieth Congress, January, 12-22, 1889. Washington, DC:
Government Printing Office, 1889.
Affidavits
about Celestial Marriage, 1869-1915. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
A
Häolé [George Washington Bates]. Sandwich Island Notes.
New York: Harper and Brothers, 1854.
Aird,
Polly. « ‘You Nasty Apostates, Clear Out’: Reasons
for Disaffection in the Late 1850s ». Journal of Mormon History
30, n° 2 (automne 2004) : p. 129-207.
Albanese,
Catherine L. A Republic of Mind and Spirit: A Cultural History of
American Metaphysical Religion. New Haven, CT: Yale University Press,
2007.
Alexander,
Thomas G. « An Experiment in Progressive Legislation: The
Granting of Woman Suffrage in Utah in 1870 ». Utah Historical
Quarterly 38, n° 1 (hiver 1970) : p. 20-30.
———.
« Federal Authority versus Polygamic Theocracy: James B. McKean
and the Mormons, 1870-1875. » Dialogue: A Journal of Mormon
Thought 1, n° 3 (automne 1966) : p. 85-100.
———.
« The Odyssey of a Latter-day Prophet: Wilford Woodruff and the
Manifesto of 1890 ». Journal of Mormon History 17 (1991) : p.
169-206.
———.
« The Odyssey of a Latter-day Prophet: Wilford Woodruff and the
Manifesto of 1890 ». Dans Banner of the Gospel: Wilford
Woodruff, édité par Alexander L. Baugh et Susan Easton
Black, p. 277-325. Provo, UT: Religious Studies Center, Brigham Young
University ; Salt Lake City: Deseret Book, 2010.
———.
« The Odyssey of a Latter-day Prophet: Wilford Woodruff and the
Manifesto of 1890 ». Dans In the Whirlpool: The Pre-Manifesto
Letters of President Wilford Woodruff to the William Atkin Family,
1885-1890, édité par Reid L. Neilson, avec
contributions de Thomas G. Alexander et Jan Shipps, p. 57-96. Norman,
OK: Arthur H. Clark, 2011.
———.
Things in Heaven and Earth: The Life and Times of Wilford Woodruff, a
Mormon Prophet. Salt Lake City: Signature Books, 1993.
Alexandria
Gazette. Alexandria, VA. 1834-1974.
Allen,
James B. et Glen M. Leonard. The Story of the Latter-day Saints. Salt
Lake City: Deseret Book, 1976.
Alley,
George. Letters, 1844-1859. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Allred,
Byron H. Journals, vers 1894 et 1898-1912. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Allred,
Reddick. Journals, 1852-1863. Daughters of Utah Pioneers Collection,
1828-1963. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
American
Penny Magazine, and Family Newspaper. New York City. 1845-1846.
American
Traveller. Boston. 1845-1885.
Anderson,
Edward H. « The Past of Mutual Improvement ». Improvement
Era 1, n° 1 (novembre 1897) : p. 1-10.
Anderson,
James A. « Salt Lake Temple ». Contributor 14, n° 6
(avril 1893) : p. 243-303.
Anderson,
Richard Lloyd. Investigating the Book of Mormon Witnesses. Salt Lake
City: Deseret Book, 1981.
———.
« Reuben Miller, Recorder of Oliver Cowdery’s
Reaffirmations ». BYU Studies 8, n° 3 (printemps 1968) : p.
277-293.
Andrew,
David S. et Laurel B. Blank. « The Four Mormon Temples in Utah
». Journal of the Society of Architectural Historians 30, n°
1 (mars 1971) : p. 51-56.
Antrei,
Albert C. T. et Ruth D. Scow, éds. The Other Forty-Niners: A
Topical History of Sanpete County, Utah, 1849-1983. Salt Lake City:
Western Epics, 1982.
Appleby,
William I. Autobiography and Journal, 1848-1856. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Archer,
Patience L. Rozsa. Reminiscences, vers 1890. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Architect’s
Office. Salt Lake Temple Architectural Drawings, 1853-1893.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Arkansas
Intelligencer. Van Buren. 1842-1859.
Arrington,
Chris Rigby. « The Finest of Fabrics: Mormon Women and the Silk
Industry in Early Utah ».Utah Historical Quarterly 46, n° 4
(automne 1978) : p. 376-396.
Arrington,
Leonard J. Brigham Young: American Moses. Urbana: University of
Illinois Press, 1986.
———.
Great Basin Kingdom: An Economic History of the Latter-day Saints,
1830-1900. Cambridge, MA: Harvard University Press, 1958.
———.
History of Idaho.2 vols. Moscow: University of Idaho Press ; Boise:
Idaho State Historical Society, 1994.
Arrington,
Leonard J., Feramorz Y. Fox et Dean L. May. Building the City of God:
Community and Cooperation among the Mormons. Salt Lake City: Deseret
Book, 1976.
Ashby,
Leland Hansen, comp. An Autobiography of Peter Olsen Hansen,
1818-1895. Salt Lake City: By the compiler, 1988.
Atkin,
Dennis H. « A History of Iosepa, the Utah Polynesian Colony ».
Master’s thesis, Brigham Young University, 1958.
Avery,
Rachel Foster, éd. Transactions of the National Council of
Women of the United States, Assembled in Washington, D.C., February
22 to 25, 1891. Philadelphia: Executive Board of the National Council
of Women, 1891.
Avery,
Valeen Tippetts. From Mission to Madness: Last Son of the Mormon
Prophet. Urbana: University of Illinois Press, 1998.
Bailey,
Langley A. Reminiscences and Journal, vers 1920-1929. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Bair,
JoAnn W. et Richard L. Jensen. « Prosecution of the Mormons in
Arizona Territory in the 1880s ». Arizona and the West 19, n°
1 (printemps 1977) : p. 25-46.
Bakken,
Gordon Morris et Alexandra Kindell, éds. Encyclopedia of
Immigration and Migration in the American West. Vol. 1, A-L. Thousand
Oaks, CA: Sage, 2006.
Ballantyne,
Richard. Journals, 1852-1896. Richard Ballantyne, Papers, 1852-1896.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Ballara,
Angela et Keith Cairns. « Te Potangaroa, Paora ».
Dictionary of New Zealand Biography, 1990. Disponible sur Te Ara: The
Encyclopedia of New Zealand, consulté le 7 février
2019, https://teara.govt.nz/en/biographies/1t57/te-potangaroa-paora.
Bancroft,
Hubert H. History of California. Vol. 6, 1848-1859. The Works of
Hubert Howe Bancroft, vol. 23. San Francisco: History Company, 1888.
———.
History of Utah, 1540-1886. The Works of Hubert Howe Bancroft, vol.
26. San Francisco: History Company, 1889.
Barber,
Ian G. « Matakite, Mormon Conversions, and Māori-Israelite
Identity Work in Colonial New Zealand ». Journal of Mormon
History 41, n° 3 (juillet 2015) : p. 167-220.
Barney,
Elvira Stevens. « Ruins of the Nauvoo Temple as Stood in 1857
», 1906. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Bashore,
Melvin L. « Life behind Bars: Mormon Cohabs of the 1880s ».
Utah Historical Quarterly 47, n° 1 (hiver 1979) : p. 22-41.
Bashore,
Melvin L., H. Dennis Tolley et BYU Pioneer Mortality Team. «
Mortality on the Mormon Trail, 1847-1868 ». BYU Studies
Quarterly 53, n° 4 (2014) : p. 109-123.
Baskin,
Robert Newton. Reminiscences of Early Utah. [Salt Lake City]: By the
author, 1914.
Bean,
George W. Autobiography, 1897. George W. Bean, Papers, 1852-1856,
1891-1897. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Bean,
Nellie Stary. « Reminiscences of the Granddaughter of Hyrum
Smith ». Relief Society Magazine 9, n° 1 (janvier 1922) :
p. 8-10.
Beecroft,
Joseph. Journals, 1844-1882. 11 vols. Beecroft Family Papers,
1842-1907. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Beesley,
Adelbert. Missionary Journals, 1888-1891. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Beesley,
Fredrick. Diary, 1885-1886. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Beeton,
Beverly. « A Feminist among the Mormons: Charlotte Ives Cobb
Godbe Kirby ». Utah Historical Quarterly 59, n° 1 (hiver
1991) : p. 22-31.
Bennett,
Richard E. The Journey West: The Mormon Pioneer Journals of Horace K.
Whitney with Insights by Helen Mar Kimball Whitney. Provo, UT:
Religious Studies Center, Brigham Young University ; Salt Lake City:
Deseret Book, 2018.
———.
« ‘Line upon Line, Precept upon Precept’:
Reflections on the 1877 Commencement of the Performance of Endowments
and Sealings for the Dead ». BYU Studies 44, n° 3 (2005) :
p. 38-77.
———.
Mormons at the Missouri, 1846-1852: « And Should We Die …
». Norman: University of Oklahoma Press, 1987.
———.
Temples Rising: A Heritage of Sacrifice. Salt Lake City: Deseret
Book, 2019.
———.
We’ll Find the Place: The Mormon Exodus, 1846-1848. Salt Lake
City: Deseret Book, 1997.
———.
« ‘Which Is the Wisest Course?’: The Transformation
in Mormon Temple Consciousness, 1870-1898 ». BYU Studies
Quarterly 52, n° 2 (2013) : p. 5-43.
Benson,
Kersten Ericksen. « Recollections of Kersten Erickson Benson
Coming to Zion in 1857 », vers 1905. Kersten E. Benson
Biographical File, non daté. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Berrett,
LaMar C., éd. Sacred Places: A Comprehensive Guide to Early
LDS Historical Sites. 6 vols. Salt Lake City: Deseret Book,
1999-2007.
Bigler,
Henry W. Reminiscences and Diaries, 1846-1850. 3 vols. Manuscrit
dactylographié. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
A
Bill in Aid of the Execution of the Laws in the Territory of Utah,
and for Other Purposes. H.R. 696, 41st Cong., 2nd Sess. (1869). Copie
à la Bibliothèque d’histoire de l’Église.
A
Bill to Discourage Polygamy in Utah by Granting the Right of Suffrage
to the Women of That Territory. H.R. 64, 41st Cong., 1st Sess.
(1869). Copie à la Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
A
Bill to Provide for the Execution of the Law against the Crime of
Polygamy in the Territory of Utah, and for Other Purposes. S. 286,
41st Cong., 2nd Sess. (1869). Copie à la Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Binder,
William Lawrence Spicer. Reminiscences, non daté. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
A
Biographical History of Eminent and Self-Made Men of the State of
Indiana. Vol. 1. Cincinnati: Western Biographical, 1880.
«
A Biographical Sketch of R. B. Pratt ». Young Woman’s
Journal 2, n° 12 (septembre 1891) : p. 531-536.
Biography
of Anne K. Smoot, 1910. BYU.
Bishop,
Patrick A. « Precept upon Precept: The Succession of John
Taylor ». Dans Champion of Liberty: John Taylor, édité
par Mary Jane Woodger, p. 233-272. Provo, UT: Religious Studies
Center, Brigham Young University, 2009.
Bitton,
Davis. George Q. Cannon: A Biography. Salt Lake City: Deseret Book,
1999.
Black,
Susan Easton. « How Large Was the Population of Nauvoo? »
BYU Studies 35, n° 2 (1995) : p. 91-94.
———.
« The Search for Early Members of the Church ». Ensign,
juillet 1989, p. 28-31.
Black,
Susan Easton et Larry C. Porter. Martin Harris: Uncompromising
Witness of the Book of Mormon. Provo, UT: BYU Studies, 2018.
Bleak,
James G. Annals of the Southern Utah Mission, vers 1903-1906.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
Journal, 1854-1860. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Board
of Health. Incoming Letters of the Board of Health, 1850-1941 (bulk
1850-1904), Series 334. Hawaii State Archives, Honolulu.
Bohman,
Lisa Bryner. « A Fresh Perspective: The Woman Suffrage
Associations of Beaver and Farmington, Utah ». Dans Battle for
the Ballot: Essays on Woman Suffrage in Utah, 1870-1896, édité
par Carol Cornwall Madsen, p. 203-219. Logan: Utah State University
Press, 1997.
Bond,
John. « Handcarts West in ’56 ». Microfilm. Utah
State Archives. Salt Lake City.
———.
Handcarts West in ’56. Lieu de publication et éditeur
inconnus, 1970.
The
Book of Mormon: Another Testament of Jesus Christ. Salt Lake City:
Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours,
2013.
Booth,
James J. St. George Temple, vers 1877. Photograph. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Booth,
John E. « A History of the Fourth Provo Ward ». Copied
1941. Copie à la Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Boreman,
Jacob S. Transcript of John D. Lee’s First Trial, non daté.
Jacob Smith Boreman, Papers, 1857-1912. Huntington Library, San
Marino, CA. Transcription accessible sur
http://mountainmeadowsmassacre.com.
———.
Transcript of John D. Lee’s Second Trial, non daté.
Jacob Smith Boreman, Papers, 1857-1912. Huntington Library, San
Marino, CA. Transcription accessible sur
http://mountainmeadowsmassacre.com.
Borrowman,
John. Diaries, 1846-1860. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Boston
Post. Boston. 1842-1956.
Bowering,
George K. Journal, 1842-1875. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Box
Elder Stake. General Minutes, 1877-1927. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Boyle,
Dessie Grant. « An Appreciation ». Relief Society
Magazine 23, n° 11 (novembre 1936) : p. 672-673.
Brackenridge,
R. Douglas. « ‘Are You That Damned Presbyterian Devil?’
The Evolution of an Anti-Mormon Story ». Journal of Mormon
History 21, n° 1 (printemps 1995) : p. 80-105.
Bradley,
Martha Sonntag. « ‘Hide and Seek’: Children on the
Underground ». Utah Historical Quarterly 51, n° 2
(printemps 1983) : p. 133-153.
Bradley,
Martha Sonntag et Mary Brown Firmage Woodward. 4 Zinas. Salt Lake
City: Signature Books, 2000.
Bradshaw,
Hazel, éd. Under Dixie Sun: A History of Washington County by
Those Who Loved Their Forebears. Illustrations by Nellie Jenson. [St.
George, UT]: Washington County Chapter Daughters of Utah Pioneers,
1950.
Briggs,
Robert H. « The Mountain Meadows Massacre: An Analytical
Narrative Based on Participant Confessions ». Utah Historical
Quarterly 74, n° 4 (automne 2006) : p. 313-333.
Brigham
Young History Documents, 1844-1866. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Brigham
Young Office Files, 1832-1878 (bulk 1844-1877). Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Britsch,
R. Lanier. « The Founding of the Samoan Mission ». BYU
Studies 18, n° 1 (automne 1977) : p. 12-26.
———.
« Maori Traditions and the Mormon Church ». New Era, juin
1981, p. 38-46.
———.
Unto the Islands of the Sea: A History of the Latter-day Saints in
the Pacific. Salt Lake City: Deseret Book, 1986.
Bromley,
William M. « Introduction of the Gospel to the Maories ».
Juvenile Instructor 22, n° 1 (1er janvier 1887) : p. 6-7.
———.
Journals and Notebook, 1871-1905. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Brooks,
Juanita, éd. Not by Bread Alone: The Journal of Martha Spence
Heywood, 1850-1856. Salt Lake City: Utah State Historical Society,
1978.
Brown,
James S. Life of a Pioneer: Being the Autobiography of James S.
Brown. Salt Lake City: George Q. Cannon et Sons, 1900.
———.
Reminiscences and Journals, 1849-1900. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Brown,
John. « An Evidence of Inspiration ». Juvenile Instructor
16, n° 23 (1er décembre 1881) : p. 269.
Brown,
John Zimmerman, éd. Autobiography of Pioneer John Brown,
1820-1896. Salt Lake City: By the author, 1941.
Brown,
Lisle G. « ‘Temple Pro Tempore’: The Salt Lake City
Endowment House ». Journal of Mormon History 34, n° 4
(automne 2008) : p. 1-68.
Brown,
Thomas D. Diary, 1854-1857. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Brown,
Zina Young Card. « A Biographical Sketch of the Life of Zina
Young Williams Card », vers 1930. Zina Card Brown Family
Collection, 1806-1972. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Buchanan,
Frederick S. « Education among the Mormons: Brigham Young and
the Schools of Utah ». History of Education Quarterly 22, n°
4 (hiver 1982) : p. 435-459.
Bullock,
Henrietta Rushton. Collection, 1836-1889, 1914. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Bullock,
Thomas. Journals, 1843-1849. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Bunker,
Gary L. et Davis Bitton. The Mormon Graphic Image, 1834-1914:
Cartoons, Caricatures, and Illustrations. Salt Lake City: University
of Utah Press, 1983.
Burlington
Hawk-Eye. Burlington, IA. 1845-185?.
Burton,
Richard F. The City of the Saints, and across the Rocky Mountains to
California. New York: Harper and Brothers, 1862.
Bush,
Lester E., Jr. « Brigham Young in Life and Death: A Medical
Overview ». Journal of Mormon History 5 (1978) : p. 79-103.
Butler,
John L. « A Short History or the Byography of John L Butler
Partly from His Own Writing », 1863. Dans John L. Butler,
Autobiography, vers 1859. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
By
James Buchanan, President of the United States of America: A
Proclamation. Washington, DC: 1858. Copie à la Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Caldwell,
Estelle Neff. « Susa Young Gates », non daté. Dans
Susa Young Gates, Papers, vers 1870-1933. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
California
Star. San Francisco. 1847-1848.
Campbell,
Eugene E. et Bruce L. Campbell. « Divorce among Mormon
Polygamists: Extent and Explanations ». Utah Historical
Quarterly 46, n° 1 (hiver 1978) : p. 4-23.
Campbell,
Karlyn Kohrs. Man Cannot Speak for Her: A Critical Study of Early
Feminist Rhetoric. Vol. 1. New York: Greenwood, 1989.
Camp
of Israel. Schedules and Reports, 1845-1849. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Canning,
Ray R. et Beverly Beeton, éds. The Genteel Gentile: Letters of
Elizabeth Cumming, 1857-1858. Salt Lake City: University of Utah
Library, 1977.
Cannon,
Abraham H. Diaries, 1879-1895. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Cannon,
Angus M. Collection, 1854-1920. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Cannon,
Brian Q. « Adopted or Indentured, 1850-1870: Native Children in
Mormon Households ». Dans Nearly Everything Imaginable: The
Everyday Life of Utah’s Mormon Pioneers, édité
par Ronald W. Walker et Doris R. Dant, p. 341-357. Provo, UT: Brigham
Young University Press, 1999.
———.
« Change Engulfs a Frontier Settlement: Ogden and Its Residents
Respond to the Railroad ». Journal of Mormon History 12 (1985)
: p. 15-28.
———.
« ‘To Buy Up the Lamanite Children as Fast as They
Could’: Indentured Servitude and Its Legacy in Mormon Society
». Journal of Mormon History 44, n° 2 (avril 2018) : p.
1-35.
Cannon,
Elizabeth Hoagland. Journal, juillet-octobre 1862. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Cannon,
George Q. Journal, septembre-décembre 1888. Dans M. Hamlin
Cannon Papers, Colorado College, Colorado Springs, CO. Également
accessible sur churchhistorianspress.org.
———.
Journals, 1849-1901. 50 vols. Bibliothèque d’histoire de
l’Église. Également accessible sur
churchhistorianspress.org.
———.
My First Mission. Faith-Promoting Series. Salt Lake City: Juvenile
Instructor, 1879.
———.
« Topics of the Times ». Juvenile Instructor 18, n°
24 (15 décembre 1883) : p. 377-378.
———.
Writings from the « Western Standard », Publié à
San Francisco, California. Liverpool: par l’auteur, 1864.
[Cannon,
George Q.]. « Twenty Years Ago: A Sketch ». Juvenile
Instructor 4, n° 1 (2 janvier 1869) : p. 6-7 ; 4, n° 2 (16
janvier 1869) : p. 13-14 ; 4, n° 3 (30 janvier 1869) : p. 21-22.
Cannon,
Jeffrey G. « Mormonism’s Jesse Haven and the Early Focus
on Proselytizing the Afrikaner at the Cape of Good Hope, 1853-1855 ».
Dutch Reformed Theological Journal/Nederduitse Gereformeerde
Teologiese Tydskrif 48, n°s 3 et 4 (septembre et décembre
2007) : p. 446-456.
Cannon,
John Q. George Cannon the Immigrant. Isle of Man, 1794—St.
Louis, U. S. A., 1844. His Ancestry, His Life, His Native Land, His
Posterity. Salt Lake City: [Deseret News], 1927.
Cannon,
Joseph J. « George Q. Cannon ». Instructor 79, n° 5
(mai 1944) : p. 206-210 ; 79, n° 8 (août 1944) : p.
367-371.
Cannon,
Lucy Grant. Autobiography, 1952. Manuscrit dactylographié.
Cannon et Willis Families Papers, 1891-2003. BYU.
Cape
of Good Hope. Census of the Colony of the Cape of Good Hope. 1865.
Cape Town, South Africa: Saul Solomon, 1866.
Cardston
News. Cardston, Alberta, Canada. 1925-1958.
Cardston
Ward, Alberta Stake. Relief Society Minutes and Records, 1887-1911. 7
vols. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Carleton,
James Henry. Report on the Subject of the Massacre at the Mountain
Meadows, in Utah Territory, in September, 1857, of One Hundred and
Twenty Men, Women and Children, Who Were from Arkansas. Little Rock,
AR: True Democrat, 1860.
Carter,
D. Robert. « Fish and the Famine of 1855-56 ». Journal of
Mormon History 27, n° 2 (automne 2001) : p. 92-124.
Carter,
Kate, comp. Heart Throbs of the West: « A Unique Volume
Treating Definite Subjects of Western History ». Vol. 6. Salt
Lake City: Daughters of Utah Pioneers, 1945.
Carvalho,
S. N. Incidents of Travel and Adventure in the Far West; with Col.
Fremont’s Last Expedition across the Rocky Mountains: Including
Three Months’ Residence in Utah, and a Perilous Trip across the
Great American Desert, to the Pacific. New York: Derby and Jackson,
1857.
Census
Bulletin. Washington, DC. 1880-1960.
Century
of Black Mormons. University of Utah, Salt Lake City. Consulté
le 30 septembre 2019.
https://exhibits.lib.utah.edu/s/century-of-black-mormons.
Chicago
Historical Society. Collection of Manuscripts about Mormons,
1832-1954. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Chicago
Tribune. Chicago. 1847-.
Christensen,
Carl Christian Anton. « Reminiscence », non daté.
Dans Richard L. Jensen, « By Handcart to Utah: The Account of
C. C. A. Christensen. »Nebraska History 66, n° 4 (hiver
1985) : p. 333-348.
Christensen,
Clinton D. « Solitary Saint in Mexico: Desideria Quintanar de
Yañez (1814-1893) ». Dans 1775-1820, édité
par Richard E. Turley Jr. et Brittany A. Chapman, p. 461-472. Vol. 1
of Women of Faith in the Latter Days. Salt Lake City: Deseret Book,
2011.
Christensen,
Scott R. Sagwitch: Shoshone Chieftain, Mormon Elder, 1822-1887.
Logan: Utah State University Press, 1999.
Christy,
Howard A. « Open Hand and Mailed Fist: Mormon-Indian Relations
in Utah, 1847-52 ». Utah Historical Quarterly 46, n° 3 (été
1978) : p. 216-235.
———.
« The Walker War: Defense and Conciliation as a Strategy ».
Utah Historical Quarterly 47, n° 4 (automne 1979) : p. 395-420.
———.
« Weather, Disaster, and Responsibility: An Essay on the Willie
and Martin Handcart Story ». BYU Studies 37, n° 1
(1997-1998) : p. 6-74.
Chronicles
of Courage. 8 vols. Salt Lake City: Daughters of Utah Pioneers,
1990-1997.
Church
History Department Pitman Shorthand Transcriptions, 2013-2017.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Circular
of the First Presidency of The Church of Jesus Christ of Latter-day
Saints. Salt Lake City: Publisher unidentified, 1877.
Clark,
David L. « The Mormons of the Wisconsin Territory: 1835-1848 ».
BYU Studies 37, n° 2 (1997-1998) : p. 57-85.
Clark,
James R., éd. Messages of the First Presidency of The Church
of Jesus Christ of Latter-day Saints, 1833-1964. Vol. 3. Salt Lake
City: Bookcraft, 1966.
Clark,
Louisa Mellor. « History of Louisa Mellor Clark », 1881.
International Society Daughters of Utah Pioneers, History Department,
Salt Lake City.
Clawson,
Margaret G. Reminiscences, part 2, circa 1904-1911. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Clawson,
Rudger. Autobiography, vers 1926-1935. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Clayton,
Diantha F. Letter to William Clayton, 10 mars 1846. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Clayton,
William. Diaries, 1846-1853. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
———.
History of the Nauvoo Temple, circa 1845. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Journals, 1842-1846. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
———.
The Latter-day Saints’ Emigrants’ Guide: Being a Table of
Distances, Showing All the Springs, Creeks, Rivers, Hills, Mountains,
Camping Places, and All Other Notable Places, from Council Bluffs, to
the Valley of the Great Salt Lake. St. Louis: Chambers et Knapp,
1848.
Cleland,
Robert Glass et Juanita Brooks. A Mormon Chronicle: The Diaries of
John D. Lee, 1848-1876. 2 vols. San Marino, CA: Huntington Library,
1955.
Clow,
Richmond L. « General William S. Harney on the Northern Plains
». South Dakota History 16, n° 3 (automne 1986) : p.
229-248.
Cluff,
Harvey H. Autobiography, 1868-1888. Harvey H. Cluff, Autobiography,
Journals, and Scrapbook, 1868-1916. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
———.
Journal, 1888-1912. Harvey H. Cluff, Autobiography, Journals, and
Scrapbook, 1868-1916. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Cluff,
W. W. « Acts of Special Providence in Missionary Experience ».
Improvement Era 2, n° 5 (mars 1899) : p. 363-365.
———.
« The Drowning of President Snow ». Juvenile Instructor
36, n° 13 (1er juillet 1901) : p. 392-395.
———.
« The Fall of Walter M. Gibson ». Juvenile Instructor 36,
n° 15 (1er août 1901) : p. 470-473.
———.
« My Last Mission to the Sandwich Islands ». Dans
Fragments of Experience, Sixth Book of the Faith-Promoting Series.
Salt Lake City: Juvenile Instructor, 1882.
Coates,
Larry C. « George Catlin, Brigham Young, and the Plains Indians
». BYU Studies 17, n° 1 (automne 1976) : p. 114-118.
Collected
Material concerning the Mountain Meadows Massacre, 1859-1961.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Collected
Material relating to William Clayton, vers 1842-1872. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
A
Compilation of the Messages and Papers of the Presidents Prepared
under the Direction of the Joint Committee on Printing, of the House
and Senate, pursuant to an Act of the Fifty-Second Congress of the
United States. … 20 vols. James D. Richardson, 1897.
Condie,
Gibson. Autobiography and Journal, 1858-1910. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
The
Congressional Globe: Containing the Debates and Proceedings of the
Second Session Forty-First Congress; together with an Appendix,
Embracing the Laws Passed at That Session. Washington, DC: Office of
the Congressional Globe, 1870.
Congressional
Record: Containing the Proceedings and Debates of the Forty-Third
Congress, First Session. Vol. 2. Washington, DC: Government Printing
Office, 1874.
Congressional
Record: Containing the Proceedings and Debates of the Forty-Seventh
Congress, First Session. Vol. 13. Washington, DC: Government Printing
Office, 1882.
The
Constitutional Act of Denmark of June 5th 1953. Traduit par Birgitte
Wern. Folketing Copenhagen, 2013.
Constitution
of the State of Deseret. Salt Lake City: Publisher unidentified,
1850.
Cooper,
William J. We Have the War upon Us: The Onset of the Civil War,
novembre 1860-avril 1861. New York: Alfred A. Knopf, 2012.
Corinne
Reporter. Corinne, UT. 1869-1871.
Cowan,
Richard O. « Steel Rails and the Utah Saints ». Journal
of Mormon History 27, n° 2 (automne 2001) : p. 177-196.
Cowdery,
Oliver. Letters to Phineas H. Young, 1843-1849. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Letter to Phineas Young, 23 mars 1846. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Cowley,
Matthew. « Maori Chief Predicts Coming of L. D. S. Missionaries
». Improvement Era 53, n° 9 (septembre 1950) : p. 696-698,
754-756. Également imprimé dans Te Karere [45], n°
11 (novembre 1950) : p. 365-368.
Cowley,
Matthias F. Journals and Autobiography, 1877-1940. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Cox,
Clarence William, Jr. « The Mormon Colonies in Chihuahua,
Mexico ». Master’s thesis, University of Southern
California, 1969.
Crawley,
Peter. « The Constitution of the State of Deseret ». BYU
Studies 29, n° 4 (automne 1989) : p. 7-22.
———.
A Descriptive Bibliography of the Mormon Church. 3 vols. Provo, UT:
Religious Studies Center, Brigham Young University, 2005.
Crocheron,
Augusta Joyce. « The Ship Brooklyn ». Tullidge’s
Monthly Magazine-The Western Galaxy 1, n° 1 (mars 1888) : p.
78-84.
Crofutt,
George A. Crofutt’s Trans-continental Tourist’s Guide. ….
Vol. 3. 2nd éd. New York: By the author, 1871.
Crosby,
Caroline Barnes. Journals, 1848-1882. Jonathan et Caroline B. Crosby,
Papers, 1848-1882. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Cumming,
Alfred. Papers, 1792-1889. David M. Rubenstein Rare Book and
Manuscript Library, Duke University, Durham, NC.
Cummings,
Benjamin Franklin. Reminiscences and Diaries, 1842-1879. Bibliothèque
d’histoire de l’Église. Des parties sont aussi
accessibles dans la Pioneer Database sur
https://history.ChurchofJesusChrist.org/overlandtravel/sources/6119/cummings-benjamin-franklin-reminiscences-and-diaries-1842-1879-fd-1-8-p.
Cummings,
Horace H. Mission Journal, 1885-1888. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Dahl,
Paul E. William Clayton: Missionary, Pioneer, and Public Servant.
Boise, ID: J. Grant Stevenson, 1964.
Daily
Alta California. San Francisco. 1849-1891.
Daily
Argus and Democrat. Madison, WI. 1857-1861.
Daily
Arkansas Gazette. Little Rock. 1866-1889.
Daily
Bulletin. Honolulu. 1882-1895.
Daily
Cleveland Herald. Cleveland. 1853-1874.
Daily
Enquirer. Provo, UT. 1889-1908.
Daily
Evening Bulletin. San Francisco. 1855-1895.
Daily
Gazette. Wilmington, DE. 1874-1883.
Daily
Missouri Republican. St. Louis. 1822-1919.
Daily
Rocky Mountain News. Denver. 1860-1879.
Daily
Union. Washington, DC. 1845-1857.
Dallin,
Cyrus E. Letter to Gaylen S. Young, 30 juillet 1938. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Damron,
Joseph W. Diaries, 1891-1945. Microfilm. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Mission Report, circa 1895. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
«
Danmark Kirkebøger, 1484-1941 ». Rigsarkivet, København,
Copenhagen. Accessible sur
https://www.familysearch.org/ark:/61903/1:1:QG88-FRYJ.
Daws,
Gavan. Holy Man: Father Damien of Molokai. Honolulu: University of
Hawaii Press, 1973.
Dawson’s
Daily Times and Union. Fort Wayne, IN. 1863-1865.
Daynes,
Kathryn M. More Wives Than One. Urbana: University of Illinois Press,
2001.
Dean,
Florence R. Journal, 1887-1888. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Dean,
Joseph H. Journals, 1876-1944. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Department
of Administrative Services, Division of Archives and Records Service.
Territorial Militia Records, 1849-1877; 1905-[vers 1917]. Series
2210. Utah State Archives and Records, Salt Lake City. Également
accessible sur
https://www.familysearch.org/search/collection/1462415.
Derr,
Jill Mulvay, Janath Russell Cannon et Maureen Ursenbach Beecher.
Women of Covenant: The Story of Relief Society. Salt Lake City:
Deseret Book; Provo, UT: Brigham Young University Press, 1992.
Derr,
Jill Mulvay et Karen Lynn Davidson, éds. Eliza R. Snow: The
Complete Poetry. Provo, UT: Brigham Young University Press ; Salt
Lake City: University of Utah Press, 2009.
Derr,
Jill Mulvay, Carol Cornwall Madsen, Kate Holbrook et Matthew J. Grow,
éds. The First Fifty Years of Relief Society: Key Documents in
Latter-day Saint Women’s History. Salt Lake City: Church
Historian’s Press, 2016.
Deseret
News. Salt Lake City. 1850-.
Dibble,
Charles E. « The Mormon Mission to the Shoshoni Indians, Part
III ». Utah Humanities Review 1 (juillet 1947) : p. 279-293.
Les
Doctrine et Alliances de l’Église de Jésus-Christ
des saints des derniers jours contenant des révélations
données à Joseph Smith, le prophète, avec
quelques ajouts de ses successeurs à la présidence de
l’Église. Salt Lake City: Église de Jésus-Christ
des saints des derniers jours, 2013.
Dorius,
Carl Christian Nikolai. « Autobiography of Carl Christian
Nicoli Dorius ». Traduit par Anne Sophia Dorius Johnson.
Présenté par Orpha Dorius Edwards. 1954. Manuscrit
dactylographié. Pioneer Memorial Museum, International Society
Daughters of Utah Pioneers, Salt Lake City.
———.
Biographical Sketch, 1955. avec Anna Sophia Dorius Johnson.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
Diary, 1860-1893. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Dorius,
Earl N. The Dorius Heritage. Salt Lake City: By the author, 1979.
Dorius,
John. « A Sketch of the Life of Nicoli Dorius and a Life
History of John Ferdinand Fredrick Dorius and His Wife Kaia Frantzen
Dorius », 1974. Manuscrit dactylographié. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Dorius,
John F. F. Autobiography and Journal, circa 1851-1853. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Dougall,
Maria Young. « Reminiscences ». Young Woman’s
Journal 30, n° 11 (novembre 1919) : p. 594-595.
Dowdle,
Brett D. « ‘What Means This Carnage?’: The Civil
War in Mormon Thought ». Dans Civil War Saints, édité
par Kenneth L. Alford, p. 107-125. Provo, UT: Religious Studies
Center, Brigham Young University ; Salt Lake City: Deseret Book,
2012.
Driggs,
Ken. « ‘There Is No Law in Georgia for Mormons’:
The Joseph Standing Murder Case of 1879 ». Georgia Historical
Quarterly 73, n° 4 (hiver 1989) : p. 745-772.
«
Dr. Karl G. Maeser ». Young Woman’s Journal 3, n° 11
(août 1892) : p. 481-486.
Duke,
K. E. « Meliton Gonzalez Trejo: Translator of the Book of
Mormon into Spanish ». Improvement Era 59, n° 10 (octobre
1956) : p. 714-715, 753.
Dunbar,
Edward E. The Romance of the Age; or, The Discovery of Gold in
California. New York: D. Appleton, 1867.
Durham,
Thomas. Journal, 1854-1871. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
«
Early Life in the Valley! » Juvenile Instructor 9, n° 1 (3
janvier 1874) : p. 9.
Eastern
Arizona Stake. Manuscript History and Historical Reports, 1878-1881.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Egan,
Howard. Journals, 1847-1856. Western Americana Collection. Beinecke
Rare Book and Manuscript Library, Yale University, New Haven, CT.
Également disponible dans Howard R. Egan, Pioneering the West
1846-1878: Major Howard Egan’s Diary. … (Richmond, UT:
By the author, 1917).
1851
England and Wales Census. Accessible sur FamilySearch.
https://www.familysearch.org/search/collection/2563939. Tiré
de « 1851, England, Scotland and Wales census ». Base de
données avec images. Findmypast. https://www.findmypast.com.
Original dans PRO HO 107, the National Archives of the United
Kingdom, Kew, Surrey.
Eighth
Ward, Liberty Stake. Relief Society Minutes and Records, 1867-1969.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Eighty-Ninth
Annual Conference of The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints.
Held in the Tabernacle and Assembly Hall, Salt Lake City, Utah, June
1st, 2nd and 3rd, 1919, with a Full Report of the Discourses. Salt
Lake City: Deseret News, 1919.
Ellsworth,
Brant W. et Kenneth L. Alford. « Mormon Motivation for
Enlisting in the Civil War ». Dans Civil War Saints, édité
par Kenneth L. Alford, p. 183-201. Provo, UT: Religious Studies
Center, Brigham Young University ; Salt Lake City: Deseret Book,
2012.
Ellsworth,
Maria S. Mormon Odyssey: The Story of Ida Hunt Udall, Plural Wife.
Urbana: University of Illinois Press, 1992.
Ellsworth,
S. George. Dear Ellen: Two Mormon Women and Their Letters. Salt Lake
City: Tanner Trust Fund, University of Utah Library, 1974.
———,
éd. The History of Louisa Barnes Pratt: Being the
Autobiography of a Mormon Missionary Widow and Pioneer, a New England
Youth, at Nauvoo and Salt Lake City, Mission to the Society Islands,
Mormon Life in California, Pioneering in Beaver, Utah. Logan: Utah
State University Press, 1998.
Embry,
Jessie L. Mormon Polygamous Families: Life in the Principle. Salt
Lake City: Greg Kofford Books, 2008.
England,
Eliza Seamons. Reminiscence, non daté. Manuscrit
dactylographié. Collected Information on the Seamons and
Related Families, circa 1980. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Ephraim
North Ward, Sanpete Stake. Relief Society Minutes and Records,
1856-1973. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Ephraim
South Ward, Sanpete South Stake. Primary Association Minutes and
Records, 1879-1973. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Erastus
Snow Correspondence, 1848-1887. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Esplin,
Ronald K. « ‘A Place Prepared’: Joseph, Brigham and
the Quest for Promised Refuge in the West ». Journal of Mormon
History 9 (1982) : p. 85-111.
Esplin,
Scott C. « Buildings on the Temple Block Preceding the
Tabernacle ». Dans An Old and Wonderful Friend, édité
par Scott C. Esplin, p. 107-136. Provo, UT: Religious Studies Center,
Brigham Young University, 2007.
———.
« ‘Have We Not Had a Prophet among Us?’: Joseph
Smith’s Civil War Prophecy ». Dans Civil War Saints,
édité par Kenneth L. Alford, p. 41-59. Provo, UT:
Religious Studies Center, Brigham Young University ; Salt Lake City:
Deseret Book, 2012.
Ettling,
Thomas, cartographer. California, Utah, Lr. California and New
Mexico. Map. [London]: Day and Son Lithographers to the Queen, 1858.
Copie à la Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Evans,
Beatrice Cannon et Janath Russell Cannon. Cannon Family Historical
Treasury. 2nd ed. Salt Lake City: George Cannon Family Association,
1995.
Evans,
Rosa Mae McClellan. « Judicial Prosecution of Prisoners for LDS
Plural Marriage: Prison Sentences, 1884-1895 ». Master’s
thesis, Brigham Young University, 1986.
The
Evening and the Morning Star. Independence, MO, juillet 1832-juillet
1833 ; Kirtland, OH, décembre 1833-septembre 1834.
Evening
Critic. Washington, DC. 1881-1885.
Everton,
Marion K. Scrapbooks, non daté. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
The
Executive Documents of the Senate of the United States for the Second
Session of the Fifty-Second Congress and the Special Session of the
Senate Convened March 4, 1893. 1892-93. Washington, DC: Government
Printing Office, 1893.
Farmer,
Jared. On Zion’s Mount: Mormons, Indians, and the American
Landscape. Cambridge, MA: Harvard University Press, 2010.
Farmington
Ward, Davis Stake. Primary Association Minutes and Records,
1878-1949. 33 vols. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Farrer,
William. Diary, 1849-1854. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Faulkner,
James. Lettre à « Dear Friends », 1er mars 1856.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Faulring,
Scott H. « The Return of Oliver Cowdery ». Dans The
Disciple as Witness: Essays on Latter-day Saint History and Doctrine
in Honor of Richard Lloyd Anderson, édité par Stephen
D. Ricks, Donald W. Parry et Andrew H. Hedges, p. 117-174. Provo, UT:
Foundation for Ancient Research and Mormon Studies, 2000.
Fielding,
Joseph. Journals, 1837-1859. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Fifteenth
Ward, Riverside Stake. Relief Society Minutes and Records, 1868-1968.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Firmage,
Edwin Brown et Richard Collin Mangrum. Zion in the Courts: A Legal
History of The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints,
1830-1900. Urbana: University of Illinois Press, 1988.
The
First Fifty Years of Relief Society. Church History Department, The
Church of Jesus Christ of Latter-day Saints.
http://churchhistorianspress.org.
First
Presidency. General Authorities Correspondence, 1887-1918.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
John Taylor Underground Letterpress Copybook, 1886-1887. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Mission Administration Correspondence, 1877-1918. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Missionary Calls and Recommendations, 1877-1918. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Political Letterpress Copybook, 1887-1902. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Temple Administration Files, 1877-1914. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
First
Presidency (John Taylor) Correspondence, 1877-1887. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Fish,
Joseph. The Life and Times of Joseph Fish, Mormon Pioneer, édité
par John H. Krenkel. Danville, IL: Interstate, 1970.
Flake,
Kathleen. The Politics of American Religious Identity: The Seating of
Senator Reed Smoot, Mormon Apostle. Chapel Hill: University of North
Carolina Press, 2004.
Flake,
Lucy H. Autobiography and Journal, mars-août 1894. Lucy H.
Flake, Journals, 1894-1899. BYU.
Fleek,
Sherman L. History May Be Searched in Vain: A Military History of the
Mormon Battalion. Spokane, WA: Arthur H. Clark, 2008.
Flower,
Judson Harold, Jr. « Mormon Colonization of the San Luis
Valley, Colorado, 1878-1900 ». Master’s thesis, Brigham
Young University, 1966.
Fluhman,
J. Spencer. « ‘A Subject That Can Bear Investigation’:
Anguish, Faith, and Joseph Smith’s Youngest Plural Wife ».
Dans No Weapon Shall Prosper: New Light on Sensitive Issues, édité
par Robert L. Millet, p. 105-119. Provo, UT: Religious Studies
Center, Brigham Young University, 2011.
Foote,
Warren. Autobiography and Journal, 1837-1879. Copie. Warren Foote,
Papers, 1837-1941. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Francaviglia,
Richard V. Over the Range: A History of the Promontory Summit Route
of the Pacific Railroad. Logan: Utah State University Press, 2008.
Frantzen,
John. Reminiscence and Journal, 1889-1892. Manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Frémont,
John C. Report of the Exploring Expedition to the Rocky Mountains in
the Year 1842, and to Oregon and North California in the Years
1843-’44. Washington, DC: Gales and Seaton, 1845.
Frontier
Guardian. Kanesville [Council Bluffs], IA. 1849-1852.
Garr,
Arnold K. « A History of Brigham Young College, Logan, Utah ».
Master’s thesis, Utah State University, 1973.
Gates,
Jacob. Journals, 1836-1861. 7 vols. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Gates,
Susa Young. « And while father is ever deliberate », non
daté. Box 1, folder 5, item [18], Susa Young Gates, Papers,
1852-1932. Utah State Historical Society, Salt Lake City.
———.
« As the families of my Aunts increased in size », non
daté. Box 1, folder 5, item [14], Susa Young Gates, Papers,
1852-1932. Utah State Historical Society, Salt Lake City.
———.
« Brigham Young and His Nineteen Wives », non daté.
Box 11, folder 1, item [3], Susa Young Gates, Papers, 1852-1932. Utah
State Historical Society, Salt Lake City.
———.
« Family Life among the Mormons ». North American Review
150 (mars 1890) : p. 339-350.
———.
« Historical Sketch of the Y. L. M. I. A. » Young Woman’s
Journal 3, n° 5 (février 1892) : p. 231-233.
———.
History of the Young Ladies’ Mutual Improvement Association of
The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints. De novembre 1869 à
juin 1910. Salt Lake City: Deseret News, 1911.
———.
« I saw just one step cut », non daté. Box 1,
folder 5, item [17], Susa Young Gates, Papers, 1852-1932. Utah State
Historical Society, Salt Lake City.
———.
Journals, 1870-1933. Journals, Notebooks, and Scrapbooks, Susa Young
Gates, Papers, circa 1870-1933. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
———.
« Life in the Lion House », non daté. Box 11,
folder 2, item [52], Susa Young Gates, Papers, 1852-1932. Utah State
Historical Society, Salt Lake City.
———.
« The Lion House », non daté. Box 10, folder 5,
item [1], Susa Young Gates, Papers, 1852-1932. Utah State Historical
Society, Salt Lake City.
———.
« Lucy Bigelow Young », non daté. Biographical
Treatment, dans Susa Young Gates, Papers, 1852-1932. Utah State
Historical Society, Salt Lake City.
———.
« More Than a Halo ». Juvenile Instructor 42, n° 22
(15 novembre 1907) : p. 683-684.
———.
« Mothers in Israel ». Relief Society Magazine 3, n°
3 (mars 1916) : p. 123-148.
———.
« Mrs. Susa Young Gates in Genealogy and Temple Work »,
non daté. Susa Young Gates, Papers, vers1870-1933.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
« My Father as His Forty Six Children Knew Him », non
daté. Box 1, folder 5, item [7], Susa Young Gates, Papers,
1852-1932. Utah State Historical Society, Salt Lake City.
———.
« My Recollections », non daté. Box 1, folder 2,
item 11, Susa Young Gates, Papers, 1852-1932. Utah State Historical
Society, Salt Lake City.
———.
« My Recollections », non daté. Box 11, folder 2,
item [16] (« unfinished fragment »), Susa Young Gates,
Papers, 1852-1932. Utah State Historical Society, Salt Lake City.
———.
« My Recollections », non daté. Box 11, folder 2,
item [48], Susa Young Gates, Papers, 1852-1932. Utah State Historical
Society, Salt Lake City.
———.
Papers, 1852-1932. Utah State Historical Society, Salt Lake City.
———.
Papers, vers 1870-1933. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
[Gates,
Susa Young]. « The Editor’s Department ». Young
Woman’s Journal 1, n° 1 (octobre 1889) : p. 32 ; 2, n°
4 (janvier 1891) : p. 190-191 ; 2, n° 6 (mars 1891) : p. 283-285
; 5, n° 9 (juin 1894) : p. 448-452.
———.
« A Precious Promise Made in the Temple ». Young Woman’s
Journal 4, n° 8 (mai 1893) : p. 376-378.
———.
« Sketch of Sister Zina D. Young ». Young Woman’s
Journal 4, n° 7 (avril 1893) : p. 292-294.
Gates,
Susa Young et Leah D. Widtsoe. The Life Story of Brigham Young:
Mormon Leader, Founder of Salt Lake City, and Builder of an Empire in
the Uncharted Wastes of Western America. London: Jarrolds, 1930.
Geilman,
Matthew G. « Taking the Gospel to Mexico: Meliton Gonzalez
Trejo: Translator, Missionary, Colonizer ». Pioneers in Every
Land, Church History Department, The Church of Jesus Christ of
Latter-day Saints. Publié le 30 octobre 2014.
https://history.ChurchofJesusChrist.org/article/meliton-trejo-translator-missionary-colonist.
Georgia
Weekly Telegraph. Macon. 1869-1880.
Gibson,
Walter M. Certificate to Jonathan W. Napela, 9 octobre 1862.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
The Prison of Weltevreden; and a Glance at the East Indian
Archipelago. New York: J. C. Riker, 1855.
Gilson,
R. P. Samoa, 1830 to 1900: The Politics of a Multi-cultural
Community. Melbourne, Australia: Oxford University Press, 1970.
Givens,
Terryl L. The Viper on the Hearth: Mormons, Myths, and the
Construction of Heresy. Updated ed. New York: Oxford University
Press, 2013.
Givens,
Terryl L. et Matthew J. Grow. Parley P. Pratt: The Apostle Paul of
Mormonism. New York: Oxford University Press, 2011.
Glines,
James H. Reminiscences and Diary, 1845-1899. Copie à la
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Godbe,
William S. « The Situation in Utah ». Medium and Daybreak
2, n° 89 (15 décembre 1871) : p. 406-407.
Godbe,
W. S. et E. L. T. Harrison. « Prospectus. The Mormon Tribune,
the Organ of Liberty and Progress, to Be Published Every Saturday,
Salt Lake City, Utah Territory, E. L. T. Harrison, Editor ».
Utah Magazine 3, n° 30 (27 novembre 1869) : p. 474-475.
«
Godbeite Movement ». Tullidge’s Quarterly Magazine 1, n°
1 (octobre 1880) : p. 14-19.
Godfrey,
Donald G. « ‘Canada’s Brigham Young’: Charles
Ora Card, Southern Alberta Pioneer ». American Review of
Canadian Studies 28, n° 2 (été 1988) : p. 223-238.
Godfrey,
Donald G. et Rebecca S. Martineau-McCarty, éds. An Uncommon
Pioneer: The Journals of James Henry Martineau, 1828-1918. Provo, UT:
Religious Studies Center, Brigham Young University, 2008.
Godfrey,
Kenneth W. Logan, Utah: A One Hundred Fifty Year History. [Logan,
UT]: Exemplar, 2010.
Gordon,
Sarah Barringer. « The Liberty of Self-Degradation: Polygamy,
Woman Suffrage, and Consent in Nineteenth-Century America ».
Journal of American History 83, n° 3 (Décembre 1996) : p.
815-847.
———.
The Mormon Question: Polygamy and Constitutional Conflict in
Nineteenth-Century America. Chapel Hill: University of North Carolina
Press, 2002.
Gospel
Herald. Voree, WI. 1847-1850.
«
Sujets de l’Évangile ». The Church of Jesus Christ
of Latter-day Saints. http://www.topics.ChurchofJesusChrist.org.
Gottfredson,
Peter, éd. et comp. History of Indian Depredations in Utah.
Salt Lake City: Skelton, 1919.
Grant,
Heber J. Collection, 1852-1945 (bulk 1880-1945). Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Gospel Standards: Selections from the Sermons and Writings of Heber
J. Grant. Compiled by G. Homer Durham under the direction of John A.
Widtsoe and Richard L. Evans. Salt Lake City: Improvement Era, 1941.
———.
Journals, 1880-1945. Heber J. Grant Collection, 1852-1945 (bulk
1880-1945). Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Grant,
Heber J. et Rachel Grant Taylor. « When Brigham Young Watched a
Waltz ». Improvement Era 44, n° 11 (novembre. 1941) : p.
654, 678.
Grant,
Rachel Ridgway Ivins. « How I Became a Mormon », vers
1898. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Gray,
J. A. C. Amerika Samoa: A History of American Samoa and Its United
States Naval Administration. Annapolis, MD: United States Naval
Institute, 1960.
Green,
Ephraim. Diary, 1852-1855. Mormon Missionary Diaries. BYU.
Greenwood,
Alma. Journal, vol. 1, 1883. Mormon Missionary Diaries. BYU.
Griggs,
Thomas C. Journal, janvier 1893-novembre 1894. Thomas C. Griggs,
Journals, 1861-1903. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Groberg,
Joseph H. « The Mormon Disfranchisements of 1882 to 1892 ».
BYU Studies 16, n° 3 (printemps 1976) : p. 399-408.
Grossberg,
Michael. Governing the Hearth: Law and the Family in
Nineteenth-Century America. Chapel Hill: University of North Carolina
Press, 1985.
Grouard,
Benjamin F. Journal, 1843-1846. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Grow,
Matthew J. « Liberty to the Downtrodden »: Thomas L.
Kane, Romantic Reformer. New Haven: Yale University Press, 2009.
Grow,
Matthew J. et Ronald W. Walker. The Prophet and the Reformer: The
Letters of Brigham Young et Thomas Kane. New York: Oxford University
Press, 2015.
Grow,
Nathan D. « One Masterpiece, Four Masters: Reconsidering the
Authorship of the Salt Lake Tabernacle ». Journal of Mormon
History 31, n° 3 (automne 2005) : p. 171-197.
Gudde,
Erwin G. Bigler’s Chronicle of the West: The Conquest of
California, Discovery of Gold, and Mormon Settlement as Reflected in
Henry William Bigler’s Diaries. Berkeley: University of
California Press, 1962.
Gunn,
Stanley R. Oliver Cowdery: Second Elder and Scribe. Salt Lake City:
Bookcraft, 1962.
Haight,
Isaac C. Journal, 1842-1850. Bibliothèque d’histoire de
l’Église. Également disponible dans la Pioneer
Database sur
https://history.ChurchofJesusChrist.org/overlandtravel/sources/6125/haight-isaac-chauncey-journal-1842-juin-1850-avril.
Hales,
Brian C. Joseph Smith’s Polygamy. 3 vols. Salt Lake City: Greg
Kofford Books, 2013.
Hall,
Charles B. Engraving Collection, non daté. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Hamblin,
Jacob. Journal, 1854-1858. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Hamilton,
Henry. Journals, 1851-1900. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Hamilton,
Henry S. Reminiscences of a Veteran. Concord, NH: Republican Press,
1897.
Hammond,
Francis A. Journals, 1852-1857, 1864-1867, 1883-1893. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Hammond,
George P., éd. Campaigns in the West, 1856-1861: The Journal
and Letters of Colonel John Van Deusen Du Bois with Pencil Sketches
by Joseph Heger. Tucson: Arizona Pioneers Historical Society, 1949.
Hammond,
Mary Jane Dilworth. Journal, vol. 1, 1853-1855. Mormon Missionary
Diaries. BYU.
Hancock,
Mosiah L. Autobiography, non daté. Manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Handy,
Moses P. The Official Directory of the World’s Columbian
Exposition, May 1st to October 30th, 1893. Chicago: World’s
Columbian Exposition, 1893.
Hansen,
Andrew. Autobiography, 1911-1932. Andrew J. and Caroline P. Hansen
Papers, 1883-1932. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Hansen,
Lorin K. « Voyage of the Brooklyn ». Dialogue: A Journal
of Mormon Thought 21, n° 3 (automne 1988) : p. 47-72.
Hansen,
Peter Olsen. Diaries, vers 1850-1895. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
———.
Journal, vers 1876. Peter Olsen Hansen, Papers, 1869-1893.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Harker,
Joseph. Reminiscences and Journal, 1855-1895. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Harrington,
Daniel. Early Procedure, Scenes and Personnel of the Brigham Young
University. Provo, UT: Brigham Young University, 1935.
Harris,
Martha Ann Smith. Autobiography, vers 1920. Manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Harris,
R. Carl, éd. Building the Kingdom in Samoa, 1888-2005. Heber,
UT: Harris Video Cases, 2006.
Harris,
Richard P. « Martha Ann Smith Harris ». Relief Society
Magazine 11 (janvier 1924) : p. 11-18.
Harris,
Ruth Mae Barney, comp. Martha Ann: Daughter of Hyrum and Mary
Fielding Smith. Orem, UT: Likes, 2002.
Harris,
Sarah Hollister. An Unwritten Chapter of Salt Lake 1851-1901. New
York: By the author, 1901.
Harrison,
Elias L. T. « An Appeal to the People ». Utah Magazine 3,
n° 26 (30 octobre 1869) : p. 406-408.
[Harrison,
Elias L. T.]. « The Josephite Platform ».Utah Magazine 3,
n° 18 (4 septembre 1869) : p. 280-283.
Harrison,
Elias L. T. et William S. Godbe. « Manifesto from W. S. Godbe
and E. L. T. Harrison ».Utah Magazine 3, n° 30 (27 novembre
1869) : p. 470-473.
Hart,
Jennie M., John W. Hart et R. Carl Harris. The Expanded Samoan
Mission History, 1888-1900. Publication place unidentified: By the
authors ; Provo, UT: Brigham Young University Media Services, 1988.
Hartley,
William G. « From Men to Boys: LDS Aaronic Priesthood Offices,
1829-1996 ». Journal of Mormon History 22, n° 1 (printemps
1996) : p. 80-136.
———.
« The Great Florence Fitout of 1861 ». BYU Studies 24, n°
3 (été 1984) : p. 341-371.
———.
« Latter-day Saint Emigration during the Civil War ».
Dans Civil War Saints, édité par Kenneth L. Alford, p.
237-265. Provo, UT: Religious Studies Center, Brigham Young
University ; Salt Lake City: Deseret Book, 2012.
———.
« Mormons, Crickets, and Gulls: A New Look at an Old Story
».Utah Historical Quarterly 38, n° 3 (été
1970) : p. 224-239.
———.
My Fellow Servants: Essays on the History of the Priesthood. Provo,
UT: BYU Studies, 2010.
———.
« The Priesthood Reorganization of 1877: Brigham Young’s
Last Achievement ». BYU.
———.
« Samuel D. Chambers ». New Era, juin 1974, p. 47-50.
Haslam,
Gerald Myron. Clash of Cultures: The Norwegian Experience with
Mormonism, 1842-1920. American University Studies. Series 9, History.
Vol. 7. New York: Peter Lang, 1984.
Hatch,
Charles M. et Todd M. Compton, éds. A Widow’s Tale: The
1884-1896 Diary of Helen Mar Kimball Whitney. Logan: Utah State
University Press, 2003.
Haven,
Jesse. Celestical Marriage, and the Plurality of Wives! Cape Town,
South Africa: W. Foelscher, [1854].
———.
Journals, 1852-92. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
Some of the Principal Doctrines or Belief of the Church of Jesus
Christ, of Latter Day Saints. Cape Town, South Africa: W. Foelscher,
[1852].
Haven,
Jesse, William H. Walker et Leonard I. Smith. A Warning to All. Cape
of Good Hope: Éditeur inconnu, [1853].
Mission
de Hawaii Honolulu. General Minutes, 1851-1972. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Manuscript History and Historical Reports, 1850-1978. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Hawley,
Asa S. Autobiography, non daté. Manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Haws,
J. B. « Joseph F. Smith’s Encouragement of His Brother,
Patriarch John Smith ». Dans Joseph F. Smith: Reflections on
the Man and His Times, édité par Craig K. Manscill,
Brian D. Reeves, Guy L. Dorius et J. B. Haws, p. 133-158. Provo, UT:
Religious Studies Center, Brigham Young University ; Salt Lake City:
Deseret Book, 2013.
Haynes,
Stephen R. Noah’s Curse: The Biblical Justification of American
Slavery. New York: Oxford University Press, 2002.
Heath,
Steven H. « The Sacred Shout ». Dialogue: A Journal of
Mormon Thought 19, n° 3 (automne 1986) : p. 115-123.
Hedges,
Andrew H. et Richard Neitzel Holzapfel. Within These Prison Walls:
Lorenzo Snow’s Record Book, 1886-1897. Provo, UT: Religious
Studies Center, Brigham Young University ; Salt Lake City: Deseret
Book, 2010.
Hefner,
Loretta L. « From Apostle to Apostate: The Personal Struggle of
Amasa Mason Lyman ». Dialogue: A Journal of Mormon Thought 16,
n° 1 (printemps 1983) : p. 90-104.
Helm,
Elsie. Reminiscences. En la possession de l’auteur. Copie dans
Public Member Photos and Scanned Documents, Matilda Matey Dudley,
1818-1895, at ancestry.com.
Henderson,
W. W. Crickets and Grasshoppers in Utah. Logan: Utah Agricultural
Experiment Station, Utah State Agricultural College, 1931.
Hendricks,
Drusilla D. Reminiscences, vers 1877. Manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Higbee,
Janelle M. « President Mrs. Kimball: A Rhetoric of Words and
Works ». Master’s thesis, Brigham Young University, 1998.
Hill,
George Washington. « A Brief Acct of the Labors of G W Hill
While Engaged on a Mission to the House of Israel », Oct.1,
1876. Dans George W. Hill, Report, 1er octobre 1876. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
« An Indian Vision ». Juvenile Instructor 12, n° 1
(1er janvier 1877) : p. 11.
———.
« My First Day’s Work ». Juvenile Instructor 10, n°
26 (25 décembre 1875) : p. 309.
Hill,
James B. « History of Utah State Prison, 1850-1952 ».
Master’s thesis, Brigham Young University, 1952.
Hill,
Joseph John. « George Washington Hill », vers 1936.
Transcription sur FamilySearch, consulté le 10 janvier 2019,
https://www.familysearch.org/photos/artifacts/36789957?p=20886584.
Historian’s
Office. Collected Historical Documents, circa 1851-1869. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Correspondence Files, 1856-1926. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
———.
General Church Minutes, 1839-1877. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
———.
History of the Church, 1839-circa1882. 69 vols. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
History of the Church, draft, 1845-1867. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Letterpress Copybooks, 1854-1879, 1885-1886. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Minutes and Reports (local units), 1840-1886. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Reports of Speeches, 1845-1885. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Historical
Department. Journal History of the Church, 1896-2001. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Office Journal, 1844-2012. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
History
of Box Elder County. Compiled by Box Elder County Daughters of the
Pioneers. [Salt Lake City: Paragon, 1938].
History
of Sanpete and Emery Counties, Utah, with Sketches of Cities, Towns,
and Villages, Chronology of Important Events, Records of Indian Wars,
Portraits of Prominent Persons, and Biographies of Representative
Citizens. Ogden, UT: W. H. Lever, 1898.
Hittell,
John S., éd. et Henry W. Bigler. « Diary of H. W. Bigler
in 1847 and 1848 ». Overland Monthly 10 (juillet-décembre
1887) 60;: p. 233-245.
Hittell,
Theodore H. History of California. Vol. 2. San Francisco: N. J.
Stone, 1897.
The
Holy Bible, Containing the Old and New Testaments Translated Out of
the Original Tongues: And with the Former Translations Diligently
Compared and Revised, by His Majesty’s Special Command.
Authorized King James Version with Explanatory Notes and Cross
References to the Standard Works of The Church of Jesus Christ of
Latter-day Saints. Salt Lake City: Église de Jésus-Christ
des saints des derniers jours, 2013.
Holzapfel,
Richard Neitzel. Every Stone a Sermon. Salt Lake City: Bookcraft,
1992.
Holzapfel,
Richard Neitzel et T. Jeffrey Cottle. « A Visit to Nauvoo:
September 1846 ». Nauvoo Journal 7, n° 1 (printemps 1995) :
p. 3-12.
Holzapfel,
Richard Neitzel et R. Q. Shupe. Joseph F. Smith: Portrait of a
Prophet. Salt Lake City: Deseret Book, 2000.
«
Home Literature ». Contributor 9, n° 8 (juin 1888) : p.
297-302.
Homer,
William Harrison. « The Passing of Martin Harris ».
Improvement Era 29, n° 5 (mars 1926) : p. 468-472.
Hoopes,
David S. et Roy Hoopes. The Making of a Mormon Apostle: The Story of
Rudger Clawson. Lanham, MD: Madison Books, 1990.
Horne,
Alice Merrill. « Cyrus Edwin Dallin ». Young Woman’s
Journal 21, n° 9 (septembre 1910) : p. 491-497.
Horne,
Mary Isabella. « Home Life in the Pioneer Fort ».
Juvenile Instructor 29, n° 6 (15 mars 1894) : p. 181-185.
———.
« Migration and Settlement of the Latter Day Saints »,
1884. Hubert H. Bancroft, Utah and the Mormons Collection, before
1889. Microfilm. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
« Pioneer Reminiscences ». Young Woman’s Journal
13, n° 7 (7 juillet 1902) : p. 292-295.
Horner,
John M. « Voyage of the Ship ‘Brooklyn’ ».
Improvement Era 9, n° 10 (août 1906) : p. 794-798.
Hovey,
Joseph G. Autobiography, 1845-1856. Joseph G. Hovey, Papers,
1845-1856, vers 1933. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Hudson,
Angela Pulley. Real Native Genius: How an Ex-slave and a White Mormon
Became Famous Indians. Chapel Hill: University of North Carolina
Press, 2015.
Hunsaker,
Curtis B. « History of the Norwegian Mission from 1851 to 1960
». Master’s thesis, Brigham Young University, 1965.
Huntington,
Dimick B. Journal, 1857-1859. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Huntington,
Oliver B. Diary and Reminiscences, 1843-1900. Manuscrit
dactylographié. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Hymns
of The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints. Salt Lake City:
The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints, 1985.
«
Important Letters ». Ensign of Liberty of the Church of Christ
1, n° 6. (mai 1848) : p. 91-93.
«
In Memory of T. B. H. Stenhouse ». Tullidge’s Quarterly
Magazine 2, n° 1 (avril 1882) : p. 91-92.
International
Film Collection. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Interviews
with Living Pioneers. Provo, UT: Brigham Young University, 1939.
Copie à la Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Iosepa
Branch. Historical Records, 1889-1917. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Irving,
Gordon. « The Law of Adoption: One Phase of the Development of
the Mormon Concept of Salvation, 1830-1900 ». BYU Studies 14,
n° 3 (printemps 1974) : p. 291-314.
The
Isaac and Leah Bailey Dunford Family Story. 2nd ed. Bountiful, UT:
Isaac and Leah Bailey Dunford Family Association, 2006.
Isaac
Dunford Family Correspondence, 1865-1882. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Ivins,
Stanley S. « Notes on Mormon Polygamy ». Utah Historical
Quarterly 35, n° 4 (automne 1967) : p. 309-321.
Jackman,
Levi. Journal, mars 1847-avril 1849. Trails of Hope: Overland Diaries
and Letters, 1846-1869. Digital Collections, Harold B. Lee Library,
Brigham Young University, Provo, UT.
Jackson,
Richard H. et Mark W. Jackson. « Iosepa: The Hawaiian
Experience in Settling the Mormon West ». Utah Historical
Quarterly 76, n° 4 (automne 2008) : p. 316-337.
Jacob
F. Secrist Family Papers, 1854-2008. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
James,
Jane Manning. Autobiography, vers 1902. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
James,
Kimberly Jensen. « ‘Between Two Fires’: Women on
the ‘Underground’ of Mormon Polygamy ». Journal of
Mormon History 8 (1981) : p. 49-61.
James
G. Willie Handcart Company. Emigrating Company Journal, mai-novembre
1856. Manuscrit dactylographié. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Jensen,
Devan et Paul A. Hoffman. « From Mormon Battalion Member to
Civil War Soldier: The Military Service of Henry Wells Jackson ».
Mormon Historical Studies 15, n° 1 (printemps 2014) : p. 85-111.
Jensen,
Juliaetta Bateman. Little Gold Pieces: The Story of My Mormon
Mother’s Life. Salt Lake City: Stanway, 1948.
Jensen,
Richard L. « Diary of J. F. Ferdinand Dorius including a Brief
Sketch of His Earlier Life », 1977. Manuscrit dactylographié.
Dans John F. F. Dorius, Autobiography and Journal, vers 1851-1853.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
« Forgotten Relief Societies, 1844-1867 ». Dialogue: A
Journal of Mormon Thought 16, n° 1 (printemps 1983) : p. 105-125.
Jensen,
Robin Scott. « Gleaning the Harvest: Strangite Missionary Work,
1846-1850 ». Master’s thesis, Brigham Young University,
2005.
Jenson,
Andrew. Collection, vers 1841-1942. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
———.
History of the Scandinavian Mission. Salt Lake City: Deseret News,
1927.
———.
Latter-day Saint Biographical Encyclopedia. 4 vols. Salt Lake City:
Deseret News, 1910-1936.
———.
« The Scandinavian Mission ». Improvement Era 12, n°
10 (août 1909) : p. 809-818.
———.
« Walter Murray Gibson: A Sketch of His Life and Adventures, in
Two Chapters ». Improvement Era 4, n° 1 (novembre 1900) :
p. 5-13 ; 4, n° 2 (décembre 1900) : p. 86-95.
Jeremy,
Thomas E. Journals, 1852-1886. 17 vols. Thomas E. Jeremy Collection,
1827-1931. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Jessee,
Dean C. « Brigham Young’s Family: The Wilderness Years ».
BYU Studies 19, n° 4 (été 1979) : p. 474-500.
———,
éd. Letters of Brigham Young to His Sons. With a foreword by
J. H. Adamson. Salt Lake City: Deseret Book, 1974.
———.
« ‘A Man of God and a Good Kind Father’: Brigham
Young at Home ». BYU Studies 40, n° 2 (2001) : p. 23-53.
Johnson,
Benjamin Franklin. « A Life Review », après 1893.
Benjamin F. Johnson, Papers, 1852-1923. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Johnson,
Inger C. Autobiography. Dans Inger C. Johnson Autobiography and
Lester F. Nielsen Journal, 1907-1909. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Johnson,
Sixtus. Journal. Manuscrit dactylographié. Dans « Leaves
from the Family Tree of Sixtus Ellis Johnson », 1955. BYU.
Jones,
Albert. Notes, vers 1906. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Jones,
Daniel W. Forty Years among the Indians: A True yet Thrilling
Narrative of the Author’s Experiences among the Natives. Salt
Lake City: Juvenile Instructor, 1890.
Jones,
Sondra. The Trial of Don Pedro León Luján: The Attack
against Indian Slavery and Mexican Traders in Utah. Salt Lake City:
University of Utah Press, 2000.
Jorgensen,
Lynne Watkins. « The Mechanics’ Dramatic Association:
London and Salt Lake City ». Journal of Mormon History 23, n°
2 (automne 1997) : p. 155-184.
The
Joseph Smith Papers. Church History Department, The Church of Jesus
Christ of Latter-day Saints. http://josephsmithpapers.org.
Journal
of Discourses. 26 vols. Liverpool: F. D. Richards, 1855-1886.
The
Journal of George Q. Cannon. 1849-1901. Church History Department,
The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints.
http://churchhistorianspress.org.
Journal
of the House of Representatives of the United States: Being the
Second Session of the Thirty-Seventh Congress; Begun and Held at the
City of Washington, December 2, 1861, the Eighty-Sixth Year of the
Independence of the United States. Washington, DC: Government
Printing Office, 1862.
Journal
of the House of Representatives of the United States, Being the
Second Session of the Forty-Sixth Congress, Begun and Held at the
City of Washington, December 1, 1879, in the One Hundred and Fourth
Year of the Independence of the United States. Washington, DC:
Government Printing Office, 1880.
JSP,
CFM / Grow, Matthew J., Ronald K. Esplin, Mark Ashurst-McGee, Gerrit
J. Dirkmaat et Jeffrey D. Mahas, éds. Council of Fifty,
Minutes, March 1844-January 1846. Administrative Records series of
The Joseph Smith Papers, édité par Ronald K. Esplin,
Matthew J. Grow et Matthew C. Godfrey. Salt Lake City: Church
Historian’s Press, 2016.
JSP,
D3 / Dirkmaat, Gerrit J., Brent M. Rogers, Grant Underwood, Robert J.
Woodford et William G. Hartley, éds. Documents, Volume 3 :
février 1833-mars 1834. Vol. 3 de la série de documents
The Joseph Smith Papers, éditée par Ronald K. Esplin et
Matthew J. Grow. Salt Lake City: Church Historian’s Press,
2014.
JSP,
D4 / Godfrey, Matthew C., Brenden W. Rensink, Alex D. Smith, Max H
Parkin et Alexander L. Baugh, éds. Documents, Volume 4: avril
1834-septembre 1835. Vol. 4 de la série de documents The
Joseph Smith Papers, éditée par Ronald K. Esplin,
Matthew J. Grow et Matthew C. Godfrey. Salt Lake City: Church
Historian’s Press, 2016.
JSP,
D5 / Rogers, Brent M., Elizabeth A. Kuehn, Christian K. Heimburger,
Max H Parkin, Alexander L. Baugh et Steven C. Harper, éds.
Documents, Volume 5: octobre 1835-janvier 1838. Vol. 5 de la série
de documents The Joseph Smith Papers, éditée par Ronald
K. Esplin, Matthew J. Grow et Matthew C. Godfrey. Salt Lake City:
Church Historian’s Press, 2017.
JSP,
J1 / Jessee, Dean C., Mark Ashurst-McGee et Richard L. Jensen, éds.
Journals, Volume 1: 1832-1839. Vol. 1 de la série de journaux
The Joseph Smith Papers, éditée par Dean C. Jessee,
Ronald K. Esplin et Richard Lyman Bushman. Salt Lake City: Church
Historian’s Press, 2008.
JSP,
J3 / Hedges, Andrew H., Alex D. Smith et Brent M. Rogers, éds.
Journals, Volume 3: mai 1843-juin 1844. Vol. 3 de la série de
journaux The Joseph Smith Papers, éditée par Ronald K.
Esplin et Matthew J. Grow. Salt Lake City: Church Historian’s
Press, 2015.
Jubilee
History of Latter-day Saints Sunday Schools. 1849-1899. Salt Lake
City: Deseret Sunday School Union, 1900.
Judd,
Lois Gunn. « History », 1924. Manuscrit dactylographié.
Pioneer Memorial Museum, International Society Daughters of Utah
Pioneers, Salt Lake City.
«
Justifiable Obedience ». Utah Magazine 3, n° 24 (16 octobre
1869) : p. 379.
Kane,
Elizabeth Wood. Twelve Mormon Homes Visited in Succession on a
Journey through Utah to Arizona. Utah, the Mormons, and the West,
édité par Everett L. Cooley, Brigham D. Madsen, S.
Lyman Tyler et Margery W. Ward, vol. 4. Salt Lake City: Tanner Trust
Fund, University of Utah Library, 1974.
Kane,
Thomas L. Collection, 1762-1982. Microfilm. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Diary, 1858. BYU.
———.
Journal, novembre 1851-septembre 1852. Thomas L. Kane Personal
Papers, 1835-1886. Kane Family Papers, 1690-1982. BYU.
———.
The Mormons, a Discourse Delivered before the Historical Society of
Pennsylvania: March 26, 1850. Philadelphia: King et Baird, 1850.
———.
Personal Papers, 1835-1886. Kane Family Papers, 1690-1982. BYU.
Karl
G. Maeser Religious Lecture Minutes. 1878-1879. BYU.
Karren,
Thomas. Journals, 1853-1854. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Kearny,
Stephen Watts. Papers, 1810-1962. Missouri Historical Society
Archives, St. Louis.
Keeler,
James. Journals, 1850-1859, 1876-1890. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Kemble,
E. C. « Confirming the Gold Discovery ». Century
Illustrated Monthly Magazine 41 (février 1891) : p. 538-539.
Kenney,
Scott G. « Before the Beard: Trials of the Young Joseph F.
Smith ». Sunstone, n° 120 (novembre 2001) : p. 20-42.
Kester,
Matthew. Remembering Iosepa: History, Place, and Religion in the
American West. New York: Oxford University Press, 2013.
Kimball,
Edward L. « Confession in LDS Doctrine and Practice ».
BYU Studies 36, n° 2 (1996-1997) : p. 7-73.
Kimball,
Edward L. et Kenneth W. Godfrey. « Law and Order in Winter
Quarters ». Journal of Mormon History 32, n° 1 (printemps
2006) : p. 172-218.
Kimball,
Heber C. Journal, novembre 1845-janvier 1846. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
King,
Carole C. Collection, 1854-1916. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
King,
Hannah Tapfield. Autobiography, circa 1864-1872. 7 vols. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Kingsford,
Elizabeth H. Autobiographical Sketch, non daté. Manuscrit
dactylographié. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Kirtland
Elders’ Certificates / Kirtland Elders Quorum. « Record
of Certificates of Membership and Ordinations of the First Members
and Elders of the Church of Jesus Christ of Latter Day Saints Dating
from March 21st 1836 to June 18th 1838 Kirtland Geauga Co. Ohio »,
1836-1838. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Knack,
Martha C. Boundaries Between: The Southern Paiutes, 1775-1995.
Lincoln: University of Nebraska Press, 2001.
Korn,
Alfons L. News from Molokai: Letters between Peter Kaeo et Queen
Emma, 1873-1876. Honolulu: University of Hawaii Press, 1976.
Krenkel,
John H., éd. Life and Times of Joseph Fish. Danville, IL:
Interstate, 1970.
Kuhre,
Martin P. Journal, 1861-1865. Manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Lanman,
Charles. A Summer in the Wilderness; Embracing a Canoe Voyage up the
Mississippi and around Lake Superior. New York: D. Appleton, 1847.
Larsen,
Bent Rolfsen. « Memories of My Father Bent Rolfsen Larsen »,
1963. B. F. Larsen Collection, 1910-1970. BYU.
Larsen,
Christian J. Journals, 1851-1914. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Larsen,
Hans P. Autobiographical Sketch, 1928. Manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Larsen,
Lorena Eugenia Washburn. Autobiography of Lorena Eugenia Washburn
Larsen. Published by her children. [Provo, UT]: Brigham Young
University Press, 1962.
———.
« The Story of Bent Rolfsen Larsen ». Manuscrit
dactylographié. Lorena W. Larsen, Papers, non daté.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Larsen,
Oluf Christian. « A Biographical Sketch of the Life of Oluf
Christian Larsen Dictated by Himself and Written by His Son Oluf
Larsen Dedicated to His Posterity Who Might Desire to Read It »,
1916. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Latter
Day Saints’ Messenger and Advocate. Kirtland, OH. 1834-1837.
Latter-day
Saints’ Millennial Star. Liverpool. 1840-1970.
Launius,
Roger D. « Methods and Motives: Joseph Smith III’s
Opposition to Polygamy, 1860-1890 ». Dialogue: A Journal of
Mormon Thought 20, n° 4 (hiver 1987) : p. 105-120.
La
voz del desierto. Periodico mormonico. Organo de la Rama mexicana de
« La Iglesia Cristiana de los Santos de los Ultimos Dias ».
Mexico City, 1879. Copie à BYU.
Leavitt,
M. B. Fifty Years in Theatrical Management. New York: Broadway, 1912.
LeCheminant,
Wilford Hill. « A Crisis Averted? General Harney and the Change
in Command of the Utah Expedition ».Utah Historical Quarterly
51, n° 1 (hiver 1983) : p. 30-45.
Lee,
John D. Journal, novembre 1846-juillet 1847. John D. Lee, Papers,
1841-1877. Huntington Library, San Marino, CA. Également
disponible dans Charles Kelly, éd., Journals of John D. Lee,
1846-1847 and 1859 (Salt Lake City: Western, 1938).
———.
Mormonism Unveiled; or, The Life and Confessions of the Late Mormon
Bishop, John D. Lee; (Written by Himself) Embracing a History of
Mormonism from Its Inception down to the Present Time, with an
Exposition of the Secret History, Signs, Symbols and Crimes of the
Mormon Church. Édité par William Bishop. St. Louis:
Bryan, Brand ; New York: W. H. Stelle, 1877.
Leonard,
Glen M. Nauvoo: A Place of Peace, a People of Promise. Salt Lake
City: Deseret Book; Provo, UT: Brigham Young University Press, 2002.
«
Letter of the Presidency ». Young Woman’s Journal 1, n°
1 (octobre 1889) : p. 19.
The
Life Incidents and Travels of Elder William Holmes Walker and His
Association with Joseph Smith, the Prophet. Lieu de publication
inconnu: Elizabeth Jane Walker Piepgrass, 1943.
«
Life Sketch of Lorena Eugenia Washburn Larsen ». Willard and
Celia Luce Collection, 1929-2008. 19th Century Western and Mormon
Manuscripts. BYU. Également disponible en tant que
Autobiography of Lorena Eugenia Washburn Larsen, published by her
children (Provo, UT: Brigham Young University Press, 1962).
Liljenquist,
Ola N. Autobiography, vers 1881. Manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Lindsay,
John S. The Mormons and the Theatre; or, The History of Theatricals
in Utah. Salt Lake City: Publisher unidentified, 1905.
Little,
James A. Jacob Hamblin, a Narrative of His Personal Experience, as a
Frontiersman, Missionary to the Indians, and Explorer, Disclosing
Interpositions of Providence, Severe Privations, Perilous Situations
and Remarkable Escapes. Salt Lake City: Juvenile Instructor, 1881.
Little,
Jesse C. Collection, 1844-1967. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Logan
First Ward, Logan Stake. Relief Society Minutes and Records,
1881-1973. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Logan
Journal. Logan, UT. 1889-1891.
Logan
Temple. Letterpress Copybook, 1877-1908. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Ward Account Book, 1881-1883. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Los
Angeles Star. Los Angeles. 1851-1864.
Love,
Andrew. Diary, 1852-1875. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Ludlow,
Daniel H., éd. Encyclopedia of Mormonism. 4 vols. New York:
Macmillan, 1992.
Lund,
Anthon. Journals, 1860-1921. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Lund,
Jennifer L. « Out of the Swan’s Nest: The Ministry of
Anthon H. Lund, Scandinavian Apostle ». Journal of Mormon
History 29, n° 2 (automne 2003) : p. 77-105.
———.
« ‘Pleasing to the Eyes of an Exile’: The
Latter-day Saint Sojourn at Winter Quarters, 1846-1848 ». BYU
Studies 39, n° 2 (2000) : p. 112-143.
Lyman,
Albert R. Biography: Francis Marion Lyman, 1840-1916, Apostle,
1880-1916. Delta, UT: Melvin A. Lyman, 1958.
Lyman,
Amasa M. Collection, 1832-1877. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
———.
Journals, 1832-1877. 44 vols. Amasa M. Lyman Collection, 1832-1877.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Lyman,
Edward Leo. Amasa Mason Lyman, Mormon Apostle and Apostate: A Study
in Dedication. Salt Lake City: University of Utah Press, 2009.
———.
« The Political Background of the Woodruff Manifesto
».Dialogue: A Journal of Mormon Thought 24, n° 3 (automne
1991) : p. 21-39.
———.
Political Deliverance: The Mormon Quest for Utah Statehood. With a
foreword by Leonard J. Arrington. Urbana: University of Illinois
Press, 1986.
Lyman,
Eliza Maria Partridge. Journal, 1846-1885. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Lyman,
Francis Marion. Journals, 1860-1916. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Mace,
Wandle. Autobiography, vers 1890. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
MacKinnon,
William P., éd. At Sword’s Point, Part 2: A Documentary
History of the Utah War, 1858-1859. Kingdom in the West: The Mormons
and the American Frontier, édité par Will Bagley, vol.
11. Norman, OK: Arthur H. Clark, 2016.
Mackley,
Jennifer Ann. Wilford Woodruff’s Witness: The Development of
Temple Doctrine. Seattle: High Desert, 2014.
Madsen,
Brigham D. Gold Rush Sojourners in Great Salt Lake City 1849 and
1850. Salt Lake City: University of Utah Press, 1983.
———.
The Shoshoni Frontier and the Bear River Massacre. Salt Lake City:
University of Utah Press, 1985.
Madsen,
Carol Cornwall. An Advocate for Women: The Public Life of Emmeline B.
Wells, 1870-1920. Provo, UT: Brigham Young University Press ; Salt
Lake City: Deseret Book, 2006.
———.
« ‘At Their Peril’: Utah Law and the Case of Plural
Wives, 1850-1900 ».Western Historical Quarterly 21, n° 4
(novembre 1990) : p. 425-444.
———.
Emmeline B. Wells: An Intimate History. Salt Lake City: University of
Utah Press, 2017.
———.
« Schism in the Sisterhood: Mormon Women and Partisan Politics,
1890-1900 ». Dans Battle for the Ballot: Essays on Woman
Suffrage in Utah, 1870-1896, édité par Carol Cornwall
Madsen, p. 245-271. Logan: Utah State University Press, 1997.
Madsen,
Susan Arrington. I Walked to Zion: True Stories of Young Pioneers on
the Mormon Trail. Salt Lake City: Deseret Book, 1994.
Madsen,
Truman G. Defender of the Faith: The B. H. Roberts Story. Salt Lake
City: Bookcraft, 1980.
Maeser,
Karl G. « How I Became a ‘Mormon.’ »
Improvement Era 3, n° 1 (novembre 1899) : p. 23-26.
———.
School and Fireside. [Provo, UT]: Skelton, 1897.
Maeser,
Reinhard. Karl G. Maeser: A Biography. Provo, UT: Brigham Young
University, 1928.
Manscill,
Craig K. « Rumors of Secession in the Utah Territory, 1847-1861
». Dans Civil War Saints, édité par Kenneth L.
Alford, p. 83-91. Provo, UT: Religious Studies Center, Brigham Young
University ; Salt Lake City: Deseret Book, 2012.
Manuscript
History of the Samoan Mission, vers 1930. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Margetts,
Phil. « Early Theatricals in Utah. » Juvenile Instructor
38, n° 10 (15 mai 1903) : p. 289-293.
Marsden,
George M. The Soul of the American University: From the Protestant
Establishment to Established Nonbelief. New York: Oxford University
Press, 1994.
Martin,
Edward. Journal, 1852-1855. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Martineau,
James Henry. Collection, 1822-1932. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
———.
« The Mountain Meadow Catastrophy », 23 juillet 1907.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Mason,
Patrick Q. The Mormon Menace: Violence and Anti-Mormonism in the
Postbellum South. New York: Oxford University Press, 2011.
Maughan,
Mary Ann Weston. Autobiography, 1894-1898. Manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Également disponible en tant que Mary Ann Weston Maughan,
Journal, dans Joel E. Ricks Collection of Transcriptions, vol. 1
(Logan: Library of the Utah State Agricultural College, 1955).
McAllister,
John D. T. Journals, 1851-1906. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
McBride,
Matthew S. A House for the Most High: The Story of the Original
Nauvoo Temple. Salt Lake City: Greg Kofford Books, 2007.
McBride,
Ralph L. « Utah Mail Service before the Coming of the Railroad,
1869 ». Master’s thesis, Brigham Young University, 1957.
McBride,
Spencer. « Mormon Beginnings in Samoa: Kimo Belio, Samuela
Manoa and Walter Murray Gibson. » Mormon Pacific Historical
Society 27, n° 1 (2006) : p. 57-73.
McCormick,
John S. et John R. Sillito. « Henry W. Lawrence: A Life in
Dissent ». Dans Differing Visions: Dissenters in Mormon
History, édité par Roger D. Launius et Linda Thatcher,
p. 220-240. Urbana: University of Illinois Press, 1994.
McDonnel,
William J. Reminiscence, circa 1889. 2 parties. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
« The Start of the Mission among the Maoris of New Zealand ».
Part 1. Manuscrit dactylographié. Dans William J. McDonnel,
Reminiscence, vers 1889. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
McIntyre,
Myron W. et Noel R. Barton, éds. Christopher Layton. [Salt
Lake City]: Christopher Layton Family Organization, 1966.
McKenzie,
George. « Cause and Origin of the Walker War ». Dans
History of Indian Depredations in Utah, compilé et édité
par Peter Gottfredson, p. 43-47. Salt Lake City: Skelton, 1919.
McLachlan,
James. American Boarding Schools: A Historical Study. New York:
Charles Scribner’s Sons, 1970.
McPherson,
James M. Battle Cry of Freedom: The Civil War Era. Édité
par C. Vann Woodward. Vol. 6 of The Oxford History of the United
States. New York: Oxford University Press, 1988.
McPherson,
Robert S. A History of San Juan County: In the Palm of Time. Salt
Lake City: Utah State Historical Society, 1995.
Mecham,
Travis Q. « Changes in Seniority to the Quorum of the Twelve
Apostles of The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints ».
Master’s thesis, Utah State University, 2009.
Meeks,
Priddy. Journal, 1879-1886. Manuscrit dactylographié.
Microfilm 161,939. U.S. and Canada Record Collection. Bibliothèque
d’histoire familiale.
———.
Reminiscences, 1879. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Meha,
Stuart. « A Prophetic Utterance of Paora Potangaroa ». Te
Karere 43, n° 10 (octobre 1948) : p. 298-299.
Memorial
of Emeline B. Wells and Zina Young Williams, of Salt Lake City, Utah
Territory, to the Senate and House of Representatives of the United
States, in Congress Assembled: Asking for a Repeal of the
Anti-polygamy Law of 1862, and for Legislation to Protect the Women
and Children of Utah Territory. Washington, DC, 1879.
Mendenhall,
William. Diaries, 1842-1896. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Merrill,
Marriner W. Journals, 1889-1906. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Merrill,
Milton R. Reed Smoot: Apostle in Politics. New York: Columbia
University, 1950.
Message
from the President of the United States, Transmitting Information in
reference to the Condition of Affairs in the Territory of Utah, Jan.
9, 1852. H.R. Ex. Doc. 25, 32nd Cong., 1st Sess. (1852).
Mexican
Mission. Manuscript History and Historical Reports, 1874-1977.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Middleton,
Charles F. Journals, 1855-1915. 12 vols. Charles F. Middleton
Collection, 1836-1941. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Miller,
Charlene et Alice Edvalson, comps. One Hundred Fifty Years of History
of the L.D.S. Sugar House Ward, 1854 to 2004. Lieu de publication et
éditeur inconnus, 2004.
Miller,
David E. Hole-in-the-Rock: An Epic in the Colonization of the Great
American West. Salt Lake City: University of Utah Press, 1966.
Miller,
Effie Secrist. « History of Jacob Foutz Secrist ». Jacob
F. Secrist Family Papers, 1854-2008. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Miller,
Reuben. Journals, 1848-1849. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
———.
Letter to Henry Sabey, 16 novembre 1848. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Mills,
H. W. « De Tal Palo Tal Astilla ». Annual Publication,
Historical Society of Southern California 10, n° 3 (1917) : p.
86-174.
Minute
Book 2 / « The Conference Minutes and Record Book of Christ’s
Church of Latter Day Saints », 1838, 1842, 1844. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
«
Minute Book of the Deacon’s Quorum Salt Lake City. 1873 ».
Vol. 2. Salt Lake Stake, Aaronic Priesthood Minutes and Records,
1857-1864, 1873-1877. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
«
Minutes of Meetings Held in the 8th. Ward G. S. L. City ».
Eighth Ward, Liberty Stake, General Minutes, 1856-1976. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Missionary
Database. Church History Department, The Church of Jesus Christ of
Latter-day Saints. http://history.ChurchofJesusChrist.org/missionary.
Missionary
Reports, 1831-1900. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Mitchell,
Martin. « Gentile Impressions of Salt Lake City, Utah,
1849-1870 ».Geographical Review 87, n° 3 (juillet 1997) :
p. 334-352.
Moffat,
Riley M., Fred E. Woods et Jeffrey N. Walker. Gathering to La‘ie.
Mormons in the Pacific Series. Laie, HI: Jonathan Napela Center for
Hawaiian and Pacific Islands Studies, 2011.
Monnett,
John D., Jr. « The Mormon Church and Its Private School System
in Utah: The Emergence of the Academies, 1880-1892 ». PhD
diss., University of Utah, 1984.
Morgan,
Dale. Overland in 1846: Diaries and Letters of the California-Oregon
Trail. Vol. 1. Lincoln: University of Nebraska Press, 1993.
Morgenstjernen.
Salt Lake City. 1882-1895.
Morison,
Samuel Eliot. Three Centuries of Harvard, 1636-1936. Cambridge, MA:
Belknap Press of Harvard University, 1936.
Mormon.
New York City. 1855-1857.
Mormon
Battalion Company C. Muster Roll, 1846. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Mormon
Tribune. Salt Lake City, 1870.
Moroni
Ward, North Sanpete Stake. Relief Society Minutes and Records,
1871-1920. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Morris,
George. Autobiography, vers 1880-1890. Manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Morris,
Thomas. Journal, 1849-1850. Manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
The
Mountain Meadows Massacre. https://mountainmeadowsmassacre.com.
Mulder,
William. Homeward to Zion: The Mormon Migration from Scandinavia.
Minneapolis: University of Minnesota Press, 2000.
Nartonis,
David K. « The Rise of 19th-Century American Spiritualism,
1854-1873 ». Journal for the Scientific Study of Religion 49,
n° 2 (juin 2010) : p. 361-373.
National
Intelligencer. Washington, DC. 1810-1869.
National
Republican. Washington, DC. 1872-1888.
Nauvoo
Legion. Great Salt Lake Military District. Nauvoo Legion (Utah)
Records, 1852-1858. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Nauvoo
Neighbor. Nauvoo, IL. 1843-1845.
Neilson,
Peter. Family Record, non daté. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Neilson,
Reid L. Exhibiting Mormonism: The Latter-day Saints and the 1893
Chicago World’s Fair. New York: Oxford University Press, 2011.
Neilson,
Reid L. et Mitchell K. Schaefer. « Excavating Early Mormon
History: The 1878 History Fact-Finding Mission of Apostles Joseph F.
Smith et Orson Pratt ». Dans Joseph F. Smith: Reflections on
the Man and His Times, édité par Craig K. Manscill,
Brian D. Reeves, Guy L. Dorius et J. B. Haws, p.359-378. Provo, UT:
Religious Studies Center, Brigham Young University ; Salt Lake City:
Deseret Book, 2013.
Neilson,
Reid L. et Nathan N. Waite, éds. Settling the Valley,
Proclaiming the Gospel: The General Epistles of the Mormon First
Presidency. New York: Oxford University Press, 2017.
Nelson,
William E. The Fourteenth Amendment: From Political Principle to
Judicial Doctrine. Cambridge, MA: Harvard University Press, 1988.
Newell,
Quincy D. Your Sister in the Gospel: The Life of Jane Manning James,
a Nineteenth-Century Black Mormon. New York: Oxford University Press,
2019.
«
New Movement ». Utah Magazine 3, n° 34 (25 décembre
1869) : p. 531.
New
North-West. Deer Lodge, MT. 1869-1897.
News
Department. « Journal of Indian Treaty Days ».Washington
Historical Quarterly 11, n° 1 (janvier 1920) : p.75-76.
Newton,
Marjorie. Mormon et Maori. Salt Lake City: Greg Kofford Books, 2014.
———.
Tiki and Temple: The Mormon Mission in New Zealand, 1854-1958. Salt
Lake City: Greg Kofford Books, 2012.
New
York Daily Tribune. New York City. 1842-1866.
New
York Herald. New York City. 1835-1924.
New-York
Messenger. New York City. 1845.
New
York Reformer. Watertown, NY. 1850-1867.
New
York Sun. New York City. 1833-1916.
New
York Times. New York City. 1851-.
New
Zealand Auckland Mission. Manuscript History and Historical Reports,
1854-1974. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Nibley,
Charles W. « Reminiscences of President Joseph F. Smith ».
Improvement Era 22, n° 3 (janvier 1919) : p. 191-198.
Nibley,
Preston. Brigham Young: The Man and His Work. Salt Lake City: Deseret
News, 1936.
———.
The Presidents of the Church. Salt Lake City: Deseret Book, 1974.
Nicholson,
John. The Martyrdom of Joseph Standing; or, The Murder of a «
Mormon » Missionary. A True Story. Salt Lake City: Deseret
News, 1886.
Nixon,
Loretta D. et L. Douglas Smoot. Abraham Owen Smoot: A Testament of
His Life. Provo, UT: Brigham Young University Press, 1994.
Norton,
Jacob. Reminiscence and Journal, 1844-1852. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Nuttall,
L. John. Diaries, 1876-1904. Microfilm. L. John Nuttall, Papers,
1854-1903. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Originals at BYU.
Oaks,
Dallin H. et Joseph I. Bentley. « Joseph Smith and Legal
Process: In the Wake of the Steamboat Nauvoo ». BYU Studies 19,
n° 2 (hiver 1979) : p. 167-199.
Oaks,
Dallin H. et Marvin S. Hill. Carthage Conspiracy: The Trial of the
Accused Assassins of Joseph Smith. Urbana: University of Illinois
Press, 1975.
«
The Old B. Y. Academy ». Young Woman’s Journal 3, n°
8 (mai 1892) : p. 336-343.
Olsen,
Andrew D. The Price We Paid: The Extraordinary Story of the Willie
and Martin Handcart Pioneers. Salt Lake City: Deseret Book, 2006.
Olsen,
Andrew D. et Jolene S. Allphin. Follow Me to Zion: Stories from the
Willie Handcart Pioneers. With art by Julie Rogers. Salt Lake City:
Deseret Book, 2013.
«
On the Canadian Frontier: Stories of Life in the Charles and Zina
Card Home ». Site Internet de l’histoire de l’Église,
The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints. Publié le 18
mai 2012.
https://history.ChurchofJesusChrist.org/article/life-in-card-home-cardston.
Openshaw,
Samuel. Diary, 1856. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Orton,
Chad M. « The Martin Handcart Company at the Sweetwater:
Another Look ». BYU Studies 45, n° 3 (2006) : p. 5-37.
Otterstrom,
F. W. « A Journey to the South: Gems from President Smith’s
Talks to the People on the Way ». Improvement Era 21, n° 2
(décembre 1917) : p. 97-111.
«
Our Workmen’s Wages ». Utah Magazine 3, n° 17 (28
août 1869) : p. 262-264.
Pace,
William B. Autobiography, 1904. Manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
Collection, vers 1857-1970. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Pacific
Commercial Advertiser. Honolulu. 1856-1888.
Pack,
John. Papers, 1833-1882. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Pack,
Marvin E. « The Sandwich Islands Country and Mission ».
Contributor 17, n° 10 (août 1896) : p. 608-614; 617, n°
11 (septembre 1896) : p. 692-696.
Panek,
Tracey E. « Life at Iosepa, Utah’s Polynesian Colony ».
Utah Historical Quarterly 60, n° 1 (hiver 1992) : p. 64-77.
———.
« Search and Seizure in Utah: Recounting the Antipolygamy Raids
».Utah Historical Quarterly 62, n° 4 (automne 1994) : p.
316-334.
Papers
relating to the Foreign Relations of the United States, Transmitted
to Congress, with the Annual Message of the President, December 5,
1881. Washington, DC: Government Printing Office, 1882.
Parker,
B. G. Recollections of the Mountain Meadows Massacre. Plano, CA: Fred
W. Reed, 1901.
«
Parley P. Pratt, 31 octobre 1852 : Report of His Mission to Chile ».
Transcribed by LaJean Purcell Carruth. Site Internet de l’histoire
de l’Église, The Church of Jesus Christ of Latter-day
Saints. Publié le 29 avril 2013.
https://history.ChurchofJesusChrist.org/article/lost-sermons-parley-p-pratt-october-1852.
Parowan
Stake. Historical Record, 1855-1860. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Parry,
John. Reminiscences and Diary, 1857-1867. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Parry,
Mae O. Timbimboo. Interview par Scott R. Christensen et A. J.
Simmonds, 9 mai 1988. Photocopie de manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Partridge,
Edward, Jr. Journals, 1854-1899. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Patterson,
Adam. Shorthand Notes of John D. Lee’s Second Trial, non daté.
Jacob S. Boreman Collection, Huntington Library, San Marino, CA.
Transcription disponible sur http://mountainmeadowsmassacre.com.
La
Perle de grand prix, choix de révélations, de
traductions et de narrations de Joseph Smith, premier prophète,
voyant et révélateur de l’Église de
Jésus-Christ des saints des derniers jours. Salt Lake City:
Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours,
2013.
Perkins,
Edward T. Na Motu; or, Reef-Rovings in the South Seas. A Narrative of
Adventures at the Hawaiian, Georgian and Society Islands; with Maps,
Twelve Original Illustrations, and an Appendix. New York: Pudney and
Russell, 1854.
Perkins,
Eric et Mary Jane Woodger. « Administration from the
Underground ». Dans Champion of Liberty: John Taylor, édité
par Mary Jane Woodger, p. 347-370./// Provo, UT: Religious Studies
Center, Brigham Young University, 2009.
Perpetual
Emigrating Fund Company. General Files, 1850-1887. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Peterson,
Charles. Take Up Your Mission: Mormon Colonizing along the Little
Colorado River, 1870-1900. Tucson: University of Arizona Press, 1973.
Peterson,
John Alton. Utah’s Black Hawk War. Salt Lake City: University
of Utah Press, 1998.
Peterson,
Paul H. The Mormon Reformation. Dissertations in Latter-day Saint
History. Provo, UT: Joseph Fielding Smith Institute for Latter-day
Saint History; BYU Studies, 2002.
———.
« The Mormon Reformation of 1856-1857: The Rhetoric and Reality
». Journal of Mormon History 15 (1989) : p. 59-87.
Peterson,
Paul H. et Ronald W. Walker. « Brigham Young’s Word of
Wisdom Legacy ». BYU Studies 42, n° 3 et 4 (2003) : p.
29-64.
Philadelphia
Sunday Mercury. Philadelphia. 1860-1863.
Phipps,
Kelly Elizabeth. « Marriage and Redemption: Mormon Polygamy in
the Congressional Imagination, 1862-1887 ».Virginia Law Review
95, n° 2 (avril 2009) : p. 435-487.
Pic-nic
Party at the Head Waters of Big Cottonwood. Great Salt Lake City: 18
juillet 1857. Copie à la Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Pioneer
Database. Church History Department, The Church of Jesus Christ of
Latter-day Saints.
http://history.ChurchofJesusChrist.org/overlandtravel.
Pitchforth,
Samuel. Diary, 1857-1861. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Platt,
Benjamin. Reminiscences, 1899-1905. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Plewe,
Brandon S., éd. Mapping Mormonism: An Atlas of Latter-day
Saint History. Provo, UT: Brigham Young University Press, 2012.
Poll,
Richard D. « The Legislative Antipolygamy Campaign ». BYU
Studies 26, n° 4 (automne 1986) : p. 107-121.
———.
« The Move South ». BYU Studies 29, n° 4 (automne
1989) : p. 65-88.
Pomeroy,
Franklin T. Statement, 11 avril 1898. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Pottawattamie
High Council. Minutes, 1846-1852. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Pottawattamie
High Priests Quorum. Minutes, 1848-1851. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Pratt,
Addison. Autobiography and Journals, 1843-1852. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Pratt,
Eleanor J. McComb. Letter to « Brother Snow », 14 mai
1857. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
Reminiscence, vers 1857. Eleanor J. McComb Pratt, Papers, vers 1857.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Pratt,
Louisa Barnes. Journal and Autobiography, 1850-1880. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Pratt,
Orson. Journal, février-juillet 1846 ; mai juillet 1847. Orson
Pratt, Autobiography and Journals, 1833-1847. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Letter to Marian Ross Pratt, 18 septembre 1878. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Pratt,
Parley P. The Autobiography of Parley Parker Pratt, One of the Twelve
Apostles of The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints,
Embracing His Life, Ministry and Travels, with Extracts, in Prose and
Verse, from His Miscellaneous Writings. Édité par
Parley P. Pratt Jr. New York: Russell Brothers, 1874.
———.
Journal, 1855-1856. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
A Voice of Warning and Instruction to All People, Containing a
Declaration of the Faith and Doctrine of the Church of the Latter Day
Saints, Commonly Called Mormons. New York: W. Sandford, 1837.
Pratt,
Stephen F. « Parley P. Pratt in Winter Quarters and the Trail
West ». BYU Studies 24 (été 1984) : p. 373-388.
President
Woodruff’s Manifesto. Proceedings at the Semi-annual General
Conference of The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints, Monday
Forenoon, October 6, 1890. [Salt Lake City]: éditeur inconnu,
1890.
Presiding
Bishopric. Bishops Meeting Minutes, 1851-1884. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Proceedings
of a Council Held by O. H. Irish with Utah Indians at Spanish Fork, 7
juin 1865. Utah American Indian Digital Archive, Main Collection, J.
Willard Marriott Library, University of Utah, Salt Lake City.
Proceedings
of the First Three Republican National Conventions of 1856, 1860 and
1864, including Proceedings of the Antecedent National Convention
Held at Pittsburg, in February, 1856, as Reported by Horace Greeley.
Minneapolis: Charles W. Johnson, 1893.
Proclamation
of the Twelve Apostles of the Church of Jesus Christ, of Latter-day
Saints. To All the Kings of the World; to the President of the United
States of America; to the Governors of the Several States; and to the
Rulers and People of All Nations. New York: [Prophet Office], 1845.
«
Prospectus of Woman’s Exponent, a Utah Ladies’ Journal ».
Dans Peter Maughan, Papers, 1848-1892. Special Collections and
Archives, Merrill-Cazier Library, Utah State University, Logan.
Provo
Daily Enquirer. Provo, UT. 1891-1897.
Provo
Second Ward, Utah Stake. Relief Society Minutes and Records,
1869-1973. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Provo
Utah Central Stake. General Minutes, 1849-1977. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Quaife,
Milo Milton, éd. The Diary of James K. Polk, during His
Presidency, 1845 à 1849. Now First Printed from the Original
Manuscript in the Collections of the Chicago Historical Society. Vol.
1. Chicago: A. C. McClurg, 1910.
Questions
to Be Asked the Latter Day Saints. [Salt Lake City: 1856]. Copie à
la Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Rasmussen,
Victor J. et Myrtle Hancock Nielson. The Manti Temple. Manti, UT:
Manti Temple Centennial Committee, 1988.
Reavis,
L. U. The Life and Military Services of Gen. William Selby Harney.
St. Louis: Bryan, Brand, 1878.
Record
of Members Collection, 1836-1970. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Records
of the Solicitor of the Treasury/National Archives Reference Service
Report, 23 septembre 1964. « Record Group 206, Records of the
Solicitor of the Treasury, and Record Group 46, Records of the United
States Senate: Records relating to the Mormons in Illinois, 1839-1848
(Records Dated 1840-1852), including Memorials of Mormons to
Congress, 1840-1844, Some of Which Relate to Outrages Committed
against the Mormons in Missouri, 1831-1839 ». Microfilm.
Washington, DC: National Archives and Records Service, General
Services Administration, 1964. Copie à la Bibliothèque
d’histoire de l’Église dans Records Related to
Church Interaction with Federal Government, 1840-1852.
Reeder,
Jennifer. « ‘To Do Something Extraordinary’: Mormon
Women and the Creation of a Usable Past ». PhD diss., George
Mason University, 2013.
Reeder,
Jennifer et Kate Holbrook, éds. At the Pulpit: 185 Years of
Discourses by Latter-day Saint Women. Salt Lake City: Church
Historian’s Press, 2017.
Reeve,
W. Paul. Religion of a Different Color: Race and the Mormon Struggle
for Whiteness. New York: Oxford University Press, 2015.
Reeves,
Brian D. « ‘Divert the Minds of the People’:
Mountain Meadows Massacre Recitals and Missionary Work ». Dans
Go Ye into All the World: The Growth and Development of Mormon
Missionary Work, édité par Reid L. Neilson et Fred E.
Woods, 291-315. Provo, UT: Religious Studies Center, Brigham Young
University, 2012.
Reiter,
Tonya. « Black Saviors on Mount Zion: Proxy Baptisms and
Latter-day Saints of African Descent ».Journal of Mormon
History 43, n° 4 (octobre 2017) : p. 100-123.
Bureau
général de la Société de secours.
Minutes, 1842-2007. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Relief
Society Historical Files. 1888-1984. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Report
of the Utah Commission to the Secretary of the Interior. 1890.
Washington, DC: Government Printing Office, 1890.
Reuben,
Julie A. The Making of the Modern University: Intellectual
Transformation and the Marginalization of Morality. Chicago:
University of Chicago Press, 1996.
Revelations
Collection, 1831-vers 1844, 1847, 1861, vers 1876. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Reynolds,
George. Journals, 1861-1881. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
———.
Papers, vers 1863-1920. BYU.
Rich,
Charles C. Diaries, 1833-62. 15 vols. Charles C. Rich Collection,
1832-1908. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Rich,
Christopher B., Jr. « The True Policy for Utah: Servitude,
Slavery, and ‘An Act in relation to Service’ ».
Utah Historical Quarterly 80, n° 1 (hiver 2012) : p. 54-74.
Rich,
Sarah P. Autobiography and Journal, 1885-1890. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Richards,
A. LeGrand. Called to Teach: The Legacy of Karl G. Maeser. Provo, UT:
Religious Studies Center, Brigham Young University; Salt Lake City:
Deseret Book, 2014.
———.
« The Educational Legacy of Karl G. Maeser ».Religious
Educator: Perspectives on the Restored Gospel 17, n° 1 (2016) :
p. 22-39.
———.
« Moritz Busch’s Die Mormonen and the Conversion of Karl
G. Maeser ». BYU Studies 45, n° 4 (2006) : p. 1-22.
Richards,
Franklin D. Journals, 1844-1899. Richards Family Collection,
1837-1961. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Richards,
Henry P. Diaries. 1854-1900. Henry P. Richards, Papers, 1854-1900.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Richards,
Jane Snyder. Autobiographical Sketch, 1881. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
History of the Relief Society in Weber County, 1887. Jane S. Richards
Papers, Richards Family Collection, 1837-1961. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Richards,
Louisa Lula Greene. « How ‘The Exponent’ Was
Started ». Relief Society Magazine 14, n° 12 (décembre
1927) : p.605-608.
———.
Papers, vers 1860-1940. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Richards,
Mary Haskin Parker. Diaries, 1846-1848. Bibliothèque
d’histoire de l’Église. Également
disponible dans Maureen Carr Ward, ed., Winter Quarters, the
1846-1848 Life Writings of Mary Haskin Parker Richards (Logan: Utah
State University, 1991), p. 63-81.
———.
Diary, mai-juillet 1846. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Richards,
Samuel W. Journal, vol. 1, 1846. Samuel W. Richards, Journals and
Family Record, 1846-1876. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
———.
Papers, vers 1847-1859. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Richards,
Willard. Journals, 1836-1852. Willard Richards, Journals and Papers,
1821-1854. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
Journals and Papers, 1821-1854. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Ricks,
Nathaniel R., éd. « My Candid Opinion »: The
Sandwich Island Diaries of Joseph F. Smith, 1856-1857. Salt Lake
City: Smith-Pettit Foundation, 2011.
Rives,
John C. The Congressional Globe: Containing the Debates and
Proceedings of the Second Session of the Thirty-Seventh Congress.
Washington, DC: Congressional Globe, 1862.
Robbins,
Louise Barnum, éd. History and Minutes of the National Council
of Women of the United States, Organized in Washington, D. C., March
31, 1888. Boston: E. B. Stillings, 1898.
Roberts,
Brigham Henry. A Comprehensive History of The Church of Jesus Christ
of Latter-day Saints: Century I. 6 vols. Salt Lake City: Deseret
News, 1930.
———.
Diary, 1890-1893. American Westward Migration Pioneer Diaries, J.
Willard Marriott Library, University of Utah, Salt Lake City.
———.
The Life of John Taylor, Third President of The Church of Jesus
Christ of Latter-day Saints. Salt Lake City: George Q. Cannon and
Sons, 1892.
———.
« The Life Story of B. H. Roberts », vers 1933.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Également disponible dans Gary James Bergera, ed., The
Autobiography of B. H. Roberts (Salt Lake City: Signature Books,
1990).
Rogers,
Aurelia Spencer. Life Sketches of Orson Spencer and Others, and
History of Primary Work. [Salt Lake City]: George Q. Cannon and Sons,
1898.
Rogers,
Brent M. Unpopular Sovereignty: Mormons and the Federal Management of
Early Utah Territory. Lincoln: University of Nebraska Press, 2017.
Rogers,
Justus H. Colusa County: Its History Traced from a State of Nature
through the Early Period of Settlement and Development, to the
Present Day with a Description of Its Resources, Statistical Tables,
Etc. Orland, CA: Éditeur inconnu, 1891.
Rogerson,
Josiah. Texte sténographié du premier procès de
John D. Lee, non daté. Josiah Rogerson, Transcripts and Notes
of John D. Lee Trials, 1875-1885. Bibliothèque d’histoire
de l’Église. Transcription disponible sur
http://mountainmeadowsmassacre.com.
Rohrbough,
Malcolm J. Days of Gold: The California Gold Rush and the American
Nation. Berkeley and Los Angeles: University of California Press,
1997.
Romney,
Miles. Journal, vers 1850-vers 1855. Manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Romney,
Thomas Cottam. The Mormon Colonies in Mexico. Salt Lake City:
University of Utah Press, 2005.
Rose,
Roger G., Sheila Conant et Eric P. Kjellgren. « Hawaiian
Standing Kāhili in the Bishop Museum: An Ethnological and
Biological Analysis ». Journal of the Polynesian Society 102,
n° 3 (septembre 1993) : p. 273-304.
Ryan,
Rebekah J. « In the World: Latter-day Saints in the National
Council of Women, 1888-1987 ». Dans Summer Fellows’
Papers 2003: Latter-day Saint Women in the Twentieth Century, édité
par Claudia L. Bushman, p. 131-147. Provo, UT: Joseph Fielding Smith
Institute for Latter-day Saint History at Brigham Young University,
2004.
Sacramento
Daily Record-Union. Sacramento, CA. février 1875-janvier 1891.
Sacramento
Daily Union. Sacramento, CA. 1851-1899.
Saint
George Utah Stake. Manuscript History and Historical Reports,
1850-1977. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Saints’
Herald. Independence, MO. 1860-.
Les
saints : L’histoire de l’Église de Jésus-Christ
dans les derniers jours.Tome 1, L’étendard de la vérité,
1815-1846. Salt Lake City: The Church of Jesus Christ of Latter-day
Saints, 2018.
Salt
Lake City Eighth Ward, Liberty Stake. Relief Society Minute Book B,
1872-1884. Eighth Ward, Liberty Stake, Relief Society Minutes and
Records, 1867-1969. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Salt
Lake Daily Telegraph. Salt Lake City. 1864-1870.
Salt
Lake Democrat. Salt Lake City. 1885-1887.
Salt
Lake Herald. Salt Lake City. 1870-1909.
Salt
Lake Stake. General Minutes, 1869-1977. 8 vols. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
High Council Minute Book of Courts, vol. 3, 1869-1872. Salt Lake
Stake, Confidential Minutes, 1869-1977. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Relief Society Record Book, 1868-1903. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Salt
Lake Telegram. Salt Lake City. 1902-1952.
Salt
Lake Temple Dedication Services, 1893. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Salt
Lake Times. Salt Lake City. 1875-1892.
Salt
Lake Tribune. Salt Lake City. 1871-.
«
Salutatory ». Juvenile Instructor 1, n° 1 (1er janvier
1866) : p. 3.
Samoa
Mission Manuscript History and Historical Reports, 1863-1966.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Sangamo
Journal. Springfield, IL. 1831-1847.
San
Luis Colorado Stake. Manuscript History and Historical Reports,
1877-1977. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Sanpete
Stake. General Minutes, 1877-1906. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
———.
Minutes, 23, 25-28 juin 1875. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Santaquin
Ward, Nebo Stake. Relief Society Minutes and Records, 1868-1920.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
«
Scandinavian Mission Emigration List ‘G’ 1881-1886 ».
European Mission Emigration Records, Scandinavian Mission, 1852-1920.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Schoenfeld,
Edward. « A Character Sketch of Dr. Karl G. Maeser ».
Juvenile Instructor 36, n° 6 (15 mars 1901) : p. 179-183.
School
of the Prophets Provo Records, 1868-1872. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
School
of the Prophets Salt Lake City Records, 1867-1872. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Scofield,
Charles J., éd. History of Hancock County. Vol. 2 of
Historical Encyclopedia of Illinois and History of Hancock County.
Chicago: Munsell, 1921.
Scott,
James A. Journal, mars-juillet 1846. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Secrist,
Jacob F. Collection, 1841-1874. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Seegmiller,
Janet Burton. A History of Iron County: Community above Self. Utah
Centennial County History Series. Salt Lake City: Utah State
Historical Society; Iron County Commission, 1998.
Seegmiller,
William A. Journals, 1891-1895, 1909-1911. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Semi-weekly
Standard. Ogden, UT. 1888-1908.
A
Series of Instructions and Remarks by President Brigham Young, at a
Special Council, Tabernacle, March 21, 1858. [Salt Lake City: 1858].
Copie à la Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Sessions,
Gene A. Mormon Thunder: A Documentary History of Jedediah Morgan
Grant. Urbana: University of Illinois Press, 1982.
Sessions,
Patty B. Diary, février 1846-décembre 1867. 6 vols.
Patty B. Sessions, Diaries and Account Book, 1846-1866, 1880.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Également disponible dans Donna Toland Smart, éd.,
Mormon Midwife: The 1846-1888 Diary of Patty Bartlett Sessions, Life
Writings of Frontier Women 2 (Logan: Utah State University Press,
1997).
Shipps,
Jan. « The Principle Revoked: Mormon Reactions to Wilford
Woodruff’s 1890 Manifesto ». Dans In the Whirlpool: The
Pre-Manifesto Letters of President Wilford Woodruff to the William
Atkin Family, 1885-1890, edited by Reid L. Neilson, with
contributions by Thomas G. Alexander and Jan Shipps, p. 112-124.
Norman, OK: Arthur H. Clark, 2011.
Shirts,
Morris A. et Kathryn H. Shirts. A Trial Furnace: Southern Utah’s
Iron Mission. Provo, UT: Brigham Young University Press, 2001.
Shumway,
Larry V. « Dancing the Buckles off Their Shoes in Pioneer Utah
». BYU Studies 37, n° 3 (1997-1998) : p. 6-50.
Sidwell,
A. B. « Death of William Luke, Sr. », 1889. Dans William
Luke Correspondence, 1849. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Sigman,
Shayna M. « Everything Lawyers Know about Polygamy Is Wrong ».
Cornell Journal of Law and Public Policy 16, n° 1 (automne 2006)
: p. 101-185.
Simmons,
Rachel W. Collection, 1862-1971. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Simon,
John Y., éd. The Personal Memoirs of Julia Dent Grant (Mrs.
Ulysses S. Grant). Carbondale: Southern Illinois University Press,
1975.
Simpson,
Thomas W. American Universities and the Birth of Modern Mormonism,
1867-1940. Chapel Hill: University of North Carolina Press, 2016.
Sjodahl,
Janne M. « Apostle Anthon H. Lund ». Juvenile Instructor
35, n° 21 (novembre 1900) : p. 707, 709-711.
Skinner,
Andrew C. « Civil War’s Aftermath: Reconstruction,
Abolition, and Polygamy ». Dans Civil War Saints, édité
par Kenneth L. Alford, p. 295-315. Provo, UT: Religious Studies
Center, Brigham Young University, 2012.
Smith,
Amanda Barnes. Notebook, 1854-1866. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Smith,
Bathsheba W. Autobiography, vers 1875-1906. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Smith,
Bill et Jared M. Tamez. « Plotino C. Rhodakanaty: Mormonism’s
Greek Austrian Mexican Socialist ». Dans Just South of Zion:
The Mormons in Mexico and Its Borderlands, édité par
Jason H. Dormady et Jared M. Tamez, p. 55-72. Albuquerque: University
of New Mexico Press, 2015.
Smith,
Charles. Reminiscences and Diary, 1842-1905. Manuscrit
dactylographié. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Smith,
Don H. « Leadership, Planning, and Management of the 1856
Mormon Handcart Emigration ». Annals of Iowa 65 (printemps/été
2006) : p 124-161.
Smith,
Elbert A. « David H. Smith in Utah ». Autumn Leaves 25,
n° 11 (novembre 1912) : p. 507-512.
Smith,
Elias. Journal, 1854-1858. Elias Smith, Journals, 1836-1888.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Smith,
George Albert. Journals, 1839-1875. George A. Smith, Papers,
1834-1877. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
Papers, 1834-1877. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
The Rise, Progress and Travels of The Church of Jesus Christ of
Latter-day Saints, Being a Series of Answers to Questions, including
the Revelation on Celestial Marriage, and a Brief Account of the
Settlement of Salt Lake Valley, with Interesting Statistics. Salt
Lake City: Deseret News, 1869.
Smith,
Inez. « Biography of Alexander Hale Smith.—Part
6 ».Autumn Leaves 25, n° 11 (novembre 1912) : p. 501-506.
Smith,
Jesse N. Autobiography and Journal, 1855-1906. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Smith,
John. Journal, 1846-1854. John Smith, Papers, 1833-1854. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Papers, 1833-1854. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Smith,
John, Charles C. Rich, John Young, and the High Council. Letter to D.
C. Davis and Jesse D. Hunter, 16 novembre 1847. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Smith,
Joseph F. Letters to Martha Ann Smith Harris, 1855-1897. Bibliothèque
d’histoire de l’Église. Également
disponible dans Richard Neitzel Holzapfel et David M. Whitchurch,
éds., My Dear Sister: Letters between Joseph F. Smith and His
Sister Martha Ann Smith Harris (Provo, UT: Religious Studies Center,
Brigham Young University, en coopération avec Deseret Book,
Salt Lake City, 2018).
———.
Lettre à Samuel L. Adams, 11 mai 1888. En la possession de
l’auteur. Copie sur http://www.sanders-mcarthurfamily.org/.
———.
Papers, 1854-1918. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
« Recollections ». Juvenile Instructor 6, n° 13 (24
juin 1871) : p. 98-99.
———.
Reminiscences, 1838-vers 1848. Joseph F. Smith, Papers, 1854-1918.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Smith,
Joseph Fielding, comp. Life of Joseph F. Smith, Sixth President of
The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints. Salt Lake City:
Deseret News, 1938.
Smith,
Lucy Mack. History, 1844-1845. 18 books. Bibliothèque
d’histoire de l’Église. Également
accessible sur le site des Joseph Smith Papers,
josephsmithpapers.org/paper-summary/lucy-mack-smith-history-1845.
Smith,
Sarah Ellen Richards. Collection, 1868-1895. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Smith,
Silas. Journal, mai 1854-juin 1855. Manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Smith,
Vida E. « Biography of Alexander H. Smith ». Journal of
History 4, n° 4 (octobre 1911) : p. 394-411.
Smithfield
Branch, Cache Stake. Young Women’s Mutual Improvement
Association Minutes and Records, 1871-1900. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Smoot,
Abraham O. Papers, 1837-1894. BYU.
Smoot,
Diana E. Autobiography, 1912. BYU. Disponible dans la Pioneer
Database,
https://history.ChurchofJesusChrist.org/overlandtravel/sources/6130/smoot-diana-eldredge-autobiography-1912-2-5-mss-sc-1587.
Snow,
Eliza R. Biography and Family Record of Lorenzo Snow, One of the
Twelve Apostles of The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints.
Salt Lake City: Deseret News, 1884.
———.
Journals, 1846-1951. Bibliothèque d’histoire de
l’Église. Également disponible dans Maureen
Ursenbach Beecher, éd., The Personal Writings of Eliza Roxcy
Snow (Logan: Utah State University Press, 2000).
———.
« Sketch of My Life », 13 avril 1885. Utah and the
Mormons Collection, non daté. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Snow,
Erastus. Autobiography, 1875. Manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
« Autobiography of Erastus Snow ». Utah Genealogical and
Historical Magazine 14, n° 3 (juillet 1923) : p. 104-113.
———.
Journals, 1835-1851, 1856-1857. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Snowflake
Arizona Stake. Relief Society Minutes and Records, 1880-1973.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
Young Women’s Mutual Improvement Association Minutes and
Records, 1882-1973. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Snowflake
Ward, Snowflake Stake. Young Women’s Mutual Improvement
Association Minutes and Records, 1880-1973. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
«
Society Islands Mission ». Dans Tahiti Papeete Mission,
Manuscript History and Historical Reports, 1843-1978. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Society
Islands Mission. Membership Records, vers 1892-1905. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Songs
of Zion. Lieu d’édition et éditeur inconnus,
[1853]. Dans John Freeman, Songbook, vers 1849. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Sonne,
Conway B. Saints on the Seas: A Maritime History of Mormon Migration,
1830-1890. Salt Lake City: University of Utah Press, 1983.
Soule,
Orson P. « Exerpts from a History by Orson P. Soule, Salt Lake
City Utah ». Jacob F. Secrist Family Papers, 1854-2008.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
South
African Mission. South Africa Mission Manuscript History and
Historical Reports, 1853-1977. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Speech
of Hon. George Q. Cannon, of Utah, in the House of Representatives,
mercredi, 19 avril 1882. Washington, DC: Éditeur inconnu,
1882.
Speech
of Hon. Justin S. Morrill, of Vermont, on Utah Territory and Its
Laws—Polygamy
and Its License; Delivered in the House of Representatives, 23
février 1857. Washington, DC: Congressional Globe, 1857.
Spencer,
Clarissa Young et Mabel Harmer. Brigham Young at Home. Salt Lake
City: Deseret Book, 1974.
———.
One Who Was Valiant. Caldwell, ID: Caxton Printers, 1940.
Spencer,
Daniel. Diaries, 1845-1857. Vol. 2. Manuscrit dactylographié.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Également disponible dans Pioneer Database sur
https://history.ChurchofJesusChrist.org/overlandtravel/sources/6131/spencer-daniel-diaries-1845-1857-vol-2.
Spring
City Ward, Sanpete North Stake. Manuscript History and Historical
Reports, 1853-1983. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Spurrier,
Joseph H. Sandwich Islands Saints: Early Mormon Converts in the
Hawaiian Islands. Lieu de publication et éditeur inconnus,
1989.
Staines,
William C. Camp Journal, juin-octobre 1847. Dans Camp of Israel,
Schedules and Reports, 1845-1849. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
———.
Diary, 1857-1859. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Staker,
Mark L. Hearken, O Ye People: The Historical Setting for Joseph
Smith’s Ohio Revelations. Salt Lake City: Greg Kofford Books,
2009.
Stampp,
Kenneth M. America in 1857: A Nation on the Brink. New York: Oxford
University Press, 1990.
Standard.
Ogden, UT. 1888-1902.
Stanley,
Reva Holdaway. « The First Utah Coins Minted from California
Gold ».California Historical Society Quarterly 15, n° 3
(septembre 1936) : p. 244-246.
Stanton,
Elizabeth Cady. Eighty Years and More (1815-1897): Reminiscences of
Elizabeth Cady Stanton. New York City: European Publishing, 1898.
Stapley,
Jonathan A. « Adoptive Sealing Ritual in Mormonism ».
Journal of Mormon History 37, n° 3 (été 2011) : p.
53-118.
The
Statutes at Large, Treaties, and Proclamations, of the United States
of America. Du 5 décembre 1859 au 3 mars 1863. Arranged in
Chronological Order and Carefully Collated with the Originals at
Washington. … Édité par George P. Sanger.
Boston: Little, Brown, 1863.
The
Statutes at Large, Treaties, and Proclamations, of the United States
of America. From December 1867, to March 1869. Arranged in
Chronological Order and Carefully Collated with the Originals at
Washington. … Vol. 15. Édité par George P.
Sanger. Boston: Little, Brown, 1869.
The
Statutes at Large of the United States, from December, 1873 to March,
1875, and Recent Treaties, Postal Conventions, and Executive
Proclamations. Vol. 18, part 3. Washington, DC: Government Printing
Office, 1875.
The
Statutes at Large of the United States of America, from December,
1881 to March, 1883, and Recent Treaties, Postal Conventions, and
Executive Proclamations. Vol. 22. Washington, DC: Government Printing
Office, 1883.
The
Statutes at Large of the United States of America, from December,
1885 to March, 1887, and Recent Treaties, Postal Conventions, and
Executive Proclamations. Vol. 24. Washington, DC: Government Printing
Office, 1887.
«
Steadying the Ark ». Utah Magazine 3, n° 19 (11 septembre
1869) : p. 295.
Steele,
John. Journal, 1846-1877. John Steele, Reminiscences and Journals,
1846-1898. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Steele,
Linda Allred. James and Elizabeth Allred. Vernal, UT: By the author,
1995.
Stenhouse,
[Fanny]. Exposé of Polygamy in Utah: A Lady’s Life among
the Mormons, a Record of Personal Experience as One of the Wives of a
Mormon Elder during a Period of More Than Twenty Years. New York:
American News, 1872.
———.
« Tell It All » : The Story of a Life’s Experience
in Mormonism. Hartford, CT: A. D. Worthington, 1874.
Stenhouse,
T. B. H. The Rocky Mountain Saints: A Full and Complete History of
the Mormons. New York: D. Appleton, 1873.
Stevens,
Augusta Dorius. Autobiography, 1922. Photocopie de Manuscrit
dactylographié. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Stevenson,
Edward. Collection, 1849-1922. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Stewart,
George R. The California Trail: An Epic with Many Heroes. New York:
McGraw-Hill, 1962.
Stewart,
James Z. Diaries, 1873-1884. James Z. Stewart, Papers, 1873-1927.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Stewart,
Richard. Leper Priest of Moloka‘i: The Father Damien Story.
Honolulu: University of Hawaii Press, 2000.
Stott,
Clifford L. Faith and Dissent: The Nicholas Paul Story. Lieu
d’édition inconnu: par l’auteur, 2007.
Stout,
Hosea. Journals, 1845-1869. Hosea Stout, Papers, 1829-1870. Utah
State Historical Society, Salt Lake City.
Stubbs,
Glen R. « A History of the Manti Temple ». Master’s
thesis, Brigham Young University, 1960.
Stuy,
Brian H., comp. et éd. Collected Discourses Delivered by
President Wilford Woodruff, His Two Counselors, the Twelve Apostles,
and Others. 5 vols. Burbank, CA: B. H. S., 1987-1891; Woodland Hills,
UT: B. H. S., 1992.
Sudweeks,
Joseph. « The Life of Laban Morrill ». Harold B. Lee
Library, Brigham Young University, Provo, UT.
Sugar
House Ward, Sugar House Stake. Manuscript History and Historical
Reports, 1849-1984. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Sunday
Herald. Salt Lake City. 1889-1895.
The
Supreme Court Decision in the Reynolds Case. Interview between
President John Taylor, and O. J. Hollister, Esq., United States
Collector of Internal Revenue for Utah Territory, and Correspondent
of the New York Tribune. [Salt Lake City]: Éditeur inconnu,
1879.
Susan
N. Grant Correspondence, vers 1849-1861. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Sutter,
John A. New Helvetia Diary: A Record of Events Kept by John A. Sutter
and His Clerks at New Helvetia, California, from September 9, 1845,
to May 25, 1848. San Francisco: Grabhorn, 1939.
Tahiti
Papeete Mission. Manuscript History and Historical Reports,
1843-1978. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Tait,
Lisa Olsen. « ‘A Modern Patriarchal Family’: The
Wives of Joseph F. Smith in the Relief Society Magazine, 1915-1919 ».
Dans Joseph F. Smith: Reflections on the Man and His Times, édité
par Craig K. Manscill, Brian D. Reeves, Guy L. Dorius et J. B. Haws,
p. 74-95. Provo, UT: Religious Studies Center, Brigham Young
University ; Salt Lake City: Deseret Book, 2013.
———.
« Mormon Culture Meets Popular Fiction: Susa Young Gates and
the Cultural Work of Home Literature ». Master’s thesis,
Brigham Young University, 1998.
Talmage,
James E. The House of the Lord: A Study of Holy Sanctuaries Ancient
and Modern, including Forty-Six Plates Illustrative of Modern
Temples. Salt Lake City: Deseret News, 1912.
———.
Journals, 1879-1933. Microfilm. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Tanner,
Annie Clark. A Mormon Mother: An Autobiography. Salt Lake City:
Deseret News, 1941.
Tanner,
J. M. A Biographical Sketch of James Jensen. Salt Lake City: Deseret
News, 1911.
Tanner,
John M. « Grammar Department. Historical Work ». Young
Woman’s Journal 3, n° 8 (mai 1892) : p. 339-340.
Tanner,
Mary Jane Mount. Autobiography and Diary, 1872-1879. Mary Jane Mount
Tanner, Papers, 1837-1908. Special Collections, J. Willard Marriott
Library, University of Utah, Salt Lake City.
Taylor,
Alonzo L. Mission Papers, 1891, 1902-1904. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Taylor,
John. Collection, 1829-1894. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
———.
Journal, 1844-1845. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Temple
Souvenir Album, April 1892, Illustrated with Portraits of the
Architects, Views of the Building, Plan of Electric Lights,
Engine-House and Grounds, including Views of Logan, Manti, Nauvoo and
Kirtland Temples, and Places of Interest in Salt Lake City. Salt Lake
City: Magazine Printing Company, 1892.
Territorial
Case Files of the U.S. District Courts of Utah, 1870-1896. National
Archives, Washington, DC.
Thatcher,
Moses. Diary and Notebook, 1884-1885, 1887, 1902. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Journal, 1866-1868, 1879-1881. 6 vols. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Third
Ward, Liberty Stake. Relief Society Minutes and Records, 1868-1967.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Thirteenth
Ward, Ensign Stake. Relief Society Minutes and Records, 1868-1906.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
Relief Society Records, 1854-1857. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Thissell,
G. W. Crossing the Plains in ’1849. Oakland, CA: Éditeur
inconnu, 1903.
Thomas,
Carrie S. « Report of the Y. L. M. I. Delegate to the Woman’s
National Council at Washington, D. C. » Young Woman’s
Journal 2, n° 8 (mai 1891) : p. 381-382.
Three
Letters to the New York Herald, from J. M. Grant, of Utah. [New
York]: Éditeur inconnu, [1852].
Thurston,
Mary Seamons. Reminiscence, non daté. Manuscrit
dactylographié. Collected Information on the Seamons and
Related Families, circa 1980. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Times
and Seasons. Commerce/Nauvoo, IL. novembre 1839-février 1846.
Tooele
Utah Stake. General Minutes, 1877-1977. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Trondheim
Branch, Scandinavian Mission. Relief Society Minutes and Records,
1882-1891, 1901-1942. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Trozos
selectos del Libro de Mormon. Salt Lake City: Impreso para Daniel W.
Jones en la imprenta del Deseret News, 1875.
«
True Development of the Territory ». Utah Magazine 3, n° 24
(16 octobre 1869) : p. 376-378.
True
Latter Day Saints’ Herald. Voir Saints’ Herald.
Tullidge,
Edward W. History of Salt Lake City. Salt Lake City: Star, 1886.
———.
Life of Brigham Young; or, Utah and Her Founders. New York: Éditeur
inconnu, 1876.
———.
« The Oracles Speak ».Utah Magazine 3, n° 33 (18
décembre 1869) : p. 521-523.
———.
Tullidge’s Histories. Vol. 2, Containing the History of all the
Northern, Eastern and Western Counties of Utah; also the Counties of
Southern Idaho. Salt Lake City: Juvenile Instructor, 1889.
———.
The Women of Mormondom. New York: Tullidge et Crandall, 1877.
[Tullidge,
Edward W.]. « Reformation in Utah ».Harper’s New
Monthly Magazine (novembre 1871) : p. 602-610.
Tullis,
F. LaMond. Mormons in Mexico: The Dynamics of Faith and Culture.
Logan: Utah State University Press, 1987.
Turley,
Richard E., Jr., Janiece L. Johnson et LaJean Purcell Carruth, éds.
Mountain Meadows Massacre: Collected Legal Papers. 2 vols. Norman:
University of Oklahoma Press, 2017.
Turley,
Richard E., Jr. et Ronald W. Walker, éds. Mountain Meadows
Massacre: The Andrew Jenson and David H. Morris Collections. Provo,
UT: Brigham Young University Press, 2009.
Tyler,
Daniel. A Concise History of the Mormon Battalion in the Mexican War,
1846-1847. Salt Lake City: Éditeur inconnu, 1881.
Udall,
David King. Arizona Pioneer Mormon: David King Udall, His Story and
His Family, 1851-1938. Written in collaboration with his daughter
Pearl Udall Nelson. Tucson: Arizona Silhouettes, 1959.
Udall,
Ida Hunt. Autobiography and Diaries, 1873-1905. 2 vols. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Udall
Family Correspondence Collection, 1859-1950. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Ulrich,
Laurel Thatcher. A House Full of Females: Plural Marriage and Women’s
Rights in Early Mormonism, 1835-1870. New York: Knopf, 2017.
Ulvund,
Frode. « Travelling Images and Projected Representations:
Perceptions of Mormonism in Norway, c. 1840-1860 ».Scandinavian
Journal of History 41, n° 2 (2016) : p. 208-230.
Underwood,
Grant. « Mormonism and the Shaping of Maori Religious Identity
». Dans Voyages of Faith: Explorations in Mormon Pacific
History, édité par Grant Underwood, 107-126. Provo, UT:
Brigham Young University, 2000.
Unruh,
John D., Jr. The Plains Across: The Overland Emigrants and the
Trans-Mississippi West, 1840-1860. Urbana: University of Illinois
Press, 1979.
U.S.
and Canada Record Collection. Bibliothèque d’histoire
familiale.
U.S.
Bureau of the Census. Population Schedules. Microfilm. Bibliothèque
d’histoire familiale.
U.S.
Reports: Reynolds v. United States, 98 U.S. 145 (1879).
Utah
Commission. The Edmunds Act, Reports of the Commission, Rules,
Regulations, and Decisions, and Population, Registration and Election
Tables, &c. Salt Lake City: Tribune, 1883.
Utah
Department of Health, Office of Vital Records and Statistics, Utah
State Archives and Records Service, Salt Lake City.
Utah
Department of Heritage and Arts, Utah Division of State History,
Cemeteries and Burials database. Consulté le 25 septembre
2019. http://history.utah.gov/cemeteries/.
Utah
Enquirer. Provo. 1888-1895.
Utah
Message from the President of the United States, Transmitting
Information in reference to the Condition of Affairs in the Territory
of Utah. Washington, DC: Publisher unidentified, 1852.
Utah
Pioneer Biographies. 1935-1964. 44 vols. Manuscrit dactylographié.
Disponible à la Bibliothèque d’histoire
familiale.
Utah
Territory. Census Returns, février 1856. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Utah
Territory and Legislative Assembly Papers, 1852-1872. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Utah
Territory Legislative Assembly. House Historical Committee Files,
1866-1868. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Valley
Tan. Salt Lake City. 1858-1860.
Van
Hoak, Stephen P. « And Who Shall Have the Children?: The Indian
Slave Trade in the Southern Great Basin, 1800-1865 ». Nevada
Historical Quarterly 41, n° 1 (printemps 1998) : p. 3-25.
Van
Orden, Bruce A. Building Zion: The Latter-day Saints in Europe. Salt
Lake City: Deseret Book, 1996.
———.
Prisoner for Conscience’ Sake: The Life of George Reynolds.
Salt Lake City: Deseret Book, 1992.
Vermont
Watchman and State Journal. Montpelier. 1836-1883.
Voree
Herald. Voree, WI. janvier-octobre 1846.
Walker,
Charles Lowell. Journals, 1854-1899. 12 vols. Charles L. Walker,
Papers, 1854-1899. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Également disponible dans A. Karl Larson and Katharine Miles
Larson, eds., Diary of Charles Lowell Walker, 2 vols. (Logan: Utah
State University Press, 1980).
Walker,
Ronald W. « The Affair of the ‘Runaways’: Utah’s
First Encounter with the Federal Officers ». Journal of Mormon
History 39, n° 4 (automne 2013) : p. 1-43.
———.
« ‘A Banner Is Unfurled’: Mormonism’s Ensign
Peak ».Dialogue: A Journal of Mormon Thought 26 (hiver 1993) :
p. 71-91.
———.
« The Commencement of the Godbeite Protest: Another View ».Utah
Historical Quarterly 42, n° 3 (été 1974) : p.
217-244.
———.
« Grant’s Watershed: Succession in the Presidency,
1887-1889 ». BYU Studies 43, n° 1 (2004) : p. 195-229.
———.
« A Mormon ‘Widow’ in Colorado: The Exile of Emily
Wells Grant ». BYU Studies 43, n° 1 (2004) : p. 175-193.
———.
Qualities That Count: Heber J. Grant as Businessman, Missionary, and
Apostle. Provo, UT: Brigham Young University Press, 2004.
———.
« Rachel R. Grant: The Continuing Legacy of the Feminine Ideal
». Dans Supporting Saints: Life Stories of Nineteenth-Century
Mormons, édité par Donald Q. Cannon et David J.
Whittaker, p. 17-42. Provo, UT: Religious Studies Center, Brigham
Young University, 1985.
———.
« The Salt Lake Tabernacle in the Nineteenth Century: A Glimpse
of Early Mormonism ». Journal of Mormon History 32, n° 3
(automne 2005) : p. 198-240.
———.
« The Stenhouses and the Making of a Mormon Image ».
Journal of Mormon History 1 (1974) : p 51-72.
———.
« Thomas L. Kane and Utah’s Quest for Self-Government,
1846-1851 ».Utah Historical Quarterly 69, n° 2 (printemps
2001) : p. 100-119.
———.
Wayward Saints: The Godbeites and Brigham Young. Urbana: University
of Illinois Press, 1998.
Walker,
Ronald W. et Matthew J. Grow. « The People Are ‘Hogaffed
or Humbugged’: The 1851-52 National Reaction to Utah’s
‘Runaway’ Officers ». Journal of Mormon History 40,
n° 1 (hiver 2014) : p. 1-52.
Walker,
Ronald W., Richard E. Turley Jr. et Glen M. Leonard. Massacre at
Mountain Meadows: An American Tragedy. Oxford: Oxford University
Press, 2008.
Walker,
Ronald W., David J. Whittaker et James B. Allen. Mormon History.
Urbana: University of Illinois Press, 2001.
Walker,
William H. Journal, 1852-1853. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Wallis,
Eileen V. « The Women’s Cooperative Movement in Utah,
1869-1915 ». Utah Historical Quarterly 71, n° 4 (automne
2003) : p. 315-331.
Ward,
Margery W. A Life Divided: The Biography of Joseph Marion Tanner,
1859-1927. Salt Lake City: Publishers Press, 1980.
Warsaw
Signal. Warsaw, IL. 1841-1842, 1844-1853.
Washakie
Ward, Malad Stake. Record of Members, 1885-1886, 1938. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Washington
County, Utah, Probate Court. Civil and Criminal Record Books,
1856-1886. Series 3168. Utah Division of Archives and Records
Service, Utah State Archives, Salt Lake City.
Watchman.
Boston. 1876-1913.
Watt,
George D. Papers, vers 1846-1865. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Weber
Stake. Stake Relief Society Minutes and Records, 1867-1968. 22 vols.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Webster,
William G. et William A. Wheeler. A Dictionary of the English
Language, Explanatory, Pronouncing, Etymological, and Synonymous. …
New York: Ivison, Blakeman, Taylor, 1874.
Wells,
Emmeline B. Diaries, 1844-1920. 47 vols. BYU. Journal personnel pour
1844-1846 également disponible dans Carol Cornwall Madsen,
Journey to Zion: Voices from the Mormon Trail (Salt Lake City:
Deseret Book, 1997), p. 113-129.
———.
« The Mission of Saving Grain ». Relief Society Magazine
2, n° 2 (février 1915) : p. 47-49.
———.
« Zina D. H. Young—a
Character Sketch ». Improvement Era 5, n° 1 (novembre 1901)
: p. 43-48.
Wells,
Junius F. « A Living Martyr ». Contributor 2, n° 5
(février 1881) : p. 154-157.
———.
« Salutation ». Contributor 1, n° 1 (octobre 1879):
p. 12.
Wells,
Merle W. « The Idaho Anti-Mormon Test Oath, 1884-1892 ».
Pacific Historical Review 24, n° 3 (août 1955) : p.
235-252.
Western
Standard. San Francisco. 1856-1857.
Whipple,
Nelson W. Autobiography and Journal, 1859-1887. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Whitaker,
John A. Autobiography and Journals, 1883-1960. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Whitchurch,
David M. et Mallory Hales Perry. « Friends and Enemies in
Washington: Joseph F. Smith’s Letter to Susa Young Gates, March
21, 1889 ». Mormon Historical Studies 13, n°. 1 et 2
(printemps/automne 2012) : p. 211-229.
White,
George A. « The Life Story of Thomas Gunn and Ann Houghton Gunn
and Their Parents and Brothers and Sisters ». Dans Thomas et
Ann Houghton Gunn Biographical Sketch, 1941. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
White,
Richard. Railroaded: The Transcontinentals and the Making of Modern
America. New York: W. W. Norton, 2011.
Whitmer,
David. An Address to All Believers in Christ. Richmond, MO: David
Whitmer, 1887.
Whitney,
Helen Mar Kimball. Autobiography, 30 mars 1881. Helen Mar Kimball
Whitney, Papers, 1881-1882. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
———.
Diaries, 1876, 1883-1885. Helen Mar Kimball Whitney Papers, Helen B.
Fleming Collection, 1836-1963. Bibliothèque d’histoire
de l’Église. Extraits disponibles dans Charles M. Hatch
et Todd M. Compton, éds., A Widow’s Tale: The 1884-1896
Diary of Helen Mar Kimball Whitney, Life Writings of Frontier Women 6
(Logan: Utah State University Press, 2003).
———.
Diaries, 1885-1896. Helen Mar Kimball Whitney Papers, 1841-1900.
Special Collections and Archives, Merrill-Cazier Library, Utah State
University, Logan. Également disponible dans Charles M. Hatch
and Todd M. Compton, éds., A Widow’s Tale: The 1884-1896
Diary of Helen Mar Kimball Whitney, Life Writings of Frontier Women 6
(Logan: Utah State University Press, 2003).
———.
Plural Marriage as Taught by the Prophet Joseph. A Reply to Joseph
Smith, Editor of the Lamoni (Iowa) « Herald ». Salt Lake
City: Juvenile Instructor, 1882.
———.
Why We Practice Plural Marriage. Salt Lake City: Juvenile Instructor,
1884.
Whitney,
Horace G. The Drama in Utah: The Story of the Salt Lake Theatre. Salt
Lake City: Deseret News, 1915.
Whitney,
Horace K. Journals, 1843 et 1846-1847. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Whitney,
Orson F. Collection, 1851-1931. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
———.
History of Utah. 4 vols. Salt Lake City: George Q. Cannon and Sons,
1892-1904.
———.
« Home Literature ». Contributor 9, n° 8 (juin 1888)
: p. 297-302.
———.
Life of Heber C. Kimball. An Apostle: The Father and Founder of the
British Mission. Salt Lake City: Kimball Family, 1888.
———.
« Pioneer Women of Utah ». Contributor 11, n° 11
(septembre 1890) : p. 404-408.
———.
Through Memory’s Halls: The Life Story of Orson F. Whitney as
Told by Himself. Independence, MO: By the author, 1930.
Whittaker,
David J. « The Bone in the Throat: Orson Pratt and the Public
Announcement of Plural Marriage ». Western Historical Quarterly
18, n° 3 (juillet 1987) : p. 293-314.
———.
« Early Mormon Imprints in South Africa ». BYU Studies
(été 1980) : p. 404-416.
Widtsoe,
John A. In a Sunlit Land: The Autobiography of John A. Widtsoe. Salt
Lake City: Milton R. Hunter et G. Homer Durham, 1953.
———.
In the Gospel Net: The Story of Anna Karine Gaarden Widtsoe. Salt
Lake City: Improvement Era, 1942.
———.
Papers, non daté. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Widtsoe,
Leah D. Interview, Salt Lake City, 1965. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Widtsoe
Family Papers, 1824-1953. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Wilkinson,
Ernest L. Brigham Young University: The First One Hundred Years. 4
vols. Provo, UT: Brigham Young University Press, 1975.
«
William S. Godbe ». Tullidge’s Quarterly Magazine 1, n°
1 (octobre 1880) : p. 64-66.
Wimmer,
Ryan E. « The Walker War Reconsidered ». Master’s
thesis, Brigham Young University, 2010.
Winkler,
Albert. « The Circleville Massacre: A Brutal Incident in Utah’s
Black Hawk War. »Utah Historical Quarterly 55, n° 1 (hiver
1987) : p. 4-21.
Winter
Quarters Municipal High Council Records, 1846-1848. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Woman’s
Exponent. Salt Lake City. 1872-1914.
Wood,
Edward J. Collection, 1884-1982. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
———.
Journals, vers 1884-1933. Edward J. Wood Collection, 1884-1982.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
« My Samoan Experience ». Juvenile Instructor 28, n°
7 (1er avril 1893) : p. 209-211.
———.
« Notable Incidents of Missionary Life ». Juvenile
Instructor 28, n° 20 (15 octobre 1893) : p. 632-635.
Woodbury,
John Stillman. Diaries, 1851-1877. 13 vols. Mormon Missionary
Diaries, 1832-vers 1960. BYU.
Woodger,
Mary Jane. « Abraham Lincoln and the Mormons ». Dans
Civil War Saints, édité par Kenneth L. Alford, p.
61-81. Provo, UT: Religious Studies Center, Brigham Young University,
2012.
Woodruff,
James Jackson. Mary Ann Jackson Woodruff Biographical Sketch, avril
1917. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Woodruff,
Wilford. « History of the St George Temple. It’s Cost and
Dedication and the Labor Thereon », 26 mars 1883. Dans David H.
Cannon Collection, 1883-1924. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
———.
Journals, 1833-1898. Wilford Woodruff, Journals and Papers,
1828-1898. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
Journals and Papers, 1828-1898. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Woods,
Fred E. « Jonathan Napela: A Noble Hawaiian Convert ».
Dans Regional Studies in Latter-day Saint Church History: The Pacific
Isles, édité par Reid L. Neilson, Steven C. Harper,
Craig K. Manscil et Mary Jane Woodger, p. 23-36. Provo, UT: Religious
Studies Center, Brigham Young University, 2008.
———.
Kalaupapa: The Mormon Experience in an Exiled Community. Provo, UT:
Religious Studies Center, Brigham Young University, 2017.
———.
« A Most Influential Mormon Islander: Jonathan Hawaii Napela.
»Hawaiian Journal of History 42 (2008) : p. 135-157.
———.
« The Palawai Pioneers on the Island of Lanai: The First
Hawaiian Latter-day Saint Gathering Place (1854-1864) ». Mormon
Historical Studies 5, n° 2 (automne 2004) : p. 3-35.
Woodworth,
Jed. « Peace and War: D&C 87 ». Dans Revelations in
Context: The Stories behind the Sections of the Doctrine and
Covenants, édité par Matthew McBride et James Goldberg,
p. 158-164. Salt Lake City: The Church of Jesus Christ of Latter-day
Saints, 2016.
Woolley,
Samuel A. Diary, juin-décembre 1852. Samuel A. Woolley,
Papers, 1846-1899. Bibliothèque d’histoire de l’Église.
The
Year of Jubilee. A Full Report of the Proceedings of the Fiftieth
Annual Conference of The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints,
Held in the Large Tabernacle, Salt Lake City, Utah, April 6th, 7th
and 8th, A. D. 1880. Salt Lake City: Deseret News, 1880.
Yorgason,
Blaine M., Richard A. Schmutz et Douglas D. Alder. All That Was
Promised: The St. George Temple and the Unfolding of the Restoration.
Salt Lake City: Deseret Book, 2013.
Young,
Ann Eliza. Wife n° 19; or, The Story of a Life in Bondage, Being
a Complete Exposé of Mormonism, and Revealing the Sorrows,
Sacrifices and Sufferings of Women in Polygamy. Hartford, CT: Dustin,
Gilman, 1876.
Young,
Brigham. Journals, 1832-1877. Brigham Young Office Files, 1832-1878
(bulk 1844-1877). Bibliothèque d’histoire de l’Église.
———.
Letter to George Q. Cannon, 3 novembre 1859. Photocopy. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
———.
Office Journal, mai-septembre 1857. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
———.
Proclamation by the Governor. Salt Lake City: Éditeur inconnu,
15 septembre 1857. Copie à la Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Young,
Brigham, Jr. Journals, 1862-1900. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Young,
Clara Decker. « A Woman’s Experiences with the Pioneer
Band », 1884. Dans Hubert H. Bancroft, Utah and the Mormons
Collection, before 1889. Microfilm. Bibliothèque d’histoire
de l’Église. Également disponible dans Clara
Decker Young, « A Woman’s Experiences with the Pioneer
Band », Utah Historical Quarterly 14 (1946) : p. 173-176.
Young,
John R. Memoirs of John R. Young, Utah Pioneer, 1847. Salt Lake City:
Deseret News, 1920.
Young,
Joseph Don Carlos. Autobiographical Notes, 1935-1936. Dans George C.
Young Collection, 1857-1963. Bibliothèque d’histoire de
l’Église.
Young,
Lorenzo Dow. Diary, 1846-1852. Lorenzo D. Young, Papers, 1846-1894.
Bibliothèque d’histoire de l’Église.
Young,
Richard W. Diary, 1877-1878, 1882-1883. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
Young,
Willard. « Some Unpublished Letters of President Brigham Young
». Utah Genealogical and Historical Magazine 17 (janvier 1926)
: p. 10-18.
Young,
Zina Diantha Huntington. Diaries and Notebooks, 1848-1897. Zina Card
Brown Family Collection, 1806-1972. Bibliothèque d’histoire
de l’Église.
Zambŭcka,
Kristin. The High Chiefess Ruth Keelikolani. Honolulu: Mana, 1977.
Zina
Card Brown Family Collection, 1806-1972. Bibliothèque
d’histoire de l’Église.
REMERCIEMENTS
Des
centaines de personnes ont participé à la réalisation
de cette nouvelle histoire de l’Église et nous
remercions chacune d’entre elles. Nous sommes redevables envers
les générations d’historiens employés par
l’Église qui ont méticuleusement collecté
et préservé les documents sur lesquels ce livre se
base. Nous remercions particulièrement James Goldberg, David
Golding, Elizabeth Mott, Jennifer Reeder et Ryan Saltzgiver pour la
création de la documentation supplémentaire disponible
en ligne. La numérisation des sources a été
dirigée par Audrey Spainhower Dunshee et réalisée
par le personnel de la préservation du département
d’histoire de l’Église et l’équipe du
traitement amélioré.
Tous
les membres du personnel, les missionnaires et les bénévoles
du département d’histoire de l’Église ont
contribué directement ou indirectement à ce livre. Nous
remercions particulièrement les personnes suivantes pour leurs
commentaires sur les versions préliminaires : Matthew Godfrey,
LaJean Purcell Carruth, Chad Foulger, David Grua, Kate Holbrook,
Jennifer Reeder et Brent Rogers, du département des
publications ; Jenny Lund, Jacob Olmstead, Chad Orton, Benjamin
Pykles, Emily Utt et Aaron West, du département des sites
historiques ; Clint Christensen, Scott Christensen et Matthew
Geilman, du département de l’assistance et des
acquisitions mondiales et Christine Cox, Emily Marie Crumpton, Keith
Erekson, Brandon Metcalf et Tyson Thorpe, du département de la
bibliothèque. Nous remercions également James Goldberg
et Angela Hallstrom d’avoir aidé à façonner
la structure littéraire du livre et Catherine Reese Newton,
Alex Hugie, Lorin Groesbeck et Petra Javadi-Evans pour leurs
contributions éditoriales. Les membres du comité de
rédaction de Church Historian’s Press ont offert un
soutien constant.
De
nombreux lecteurs experts ont examiné les chapitres.
Mentionnons Allen Andersen, Jill Andersen, Ian Barber, Laurel Barlow,
Richard Bennett, M. Joseph Brough, Claudia Bushman, Richard Lyman
Bushman, Néstor Curbelo, Kathryn Daynes, Jill Mulvay Derr,
Devin G. Durrant, Sharon Eubank, Christian Euvrard, J. Spencer
Fluhman, Jennefer Free, Fiona Givens, Terryl Givens, Melissa
Wei-Tsing Inouye, Khumbulani Mdletshe, Dmitry Mikulin, Marjorie
Newton, Andrew Olsen, Bonnie L. Oscarson, Darren Parry, W. Paul
Reeve, Carlos F. Rivas, Cristina Sanches, Jorge L. Saldivar, Russell
Stevenson, Laurel Thatcher Ulrich, Marissa A. Widdison et Jared Yang.
Nous remercions également Dean Hughes, Jay A. Parry et Larry
E. Morris d’avoir participé aux recherches et à
la rédaction des versions préliminaires de ce tome.
Sarah Clement Reed, Michael Knudson, Emily Brignone, Savannah Woolsey
Larson, Heather Olsen, Kristlynn Roth et Annie Smith ont apporté
une aide précieuse en traduisant les lettres d’Anna et
de John Widtsoe.
Greg
Newbold a réalisé les belles œuvres d’art.
John Heath, Debra Abercrombie et Miryelle Resek ont participé
à l’effort de sensibilisation. Deborah Gates, Kiersten
Olson, Jo Lyn Curtis, Cindy Pond et Debi Robins ont offert leur
assistance administrative. Nick Olvera a géré le
projet.
Des
membres de plusieurs départements de l’Église ont
également participé, notamment une équipe
interdépartementale composée de Irene Caso, Drew
Conrad, Irinna Danielson, David Dickson, Norm Gardner, Paul Murphy,
Alan Paulsen et Jen Ward. Eliza Nevin du département des
services de publication a supervisé le processus final de
publication et Patric Gerber, Katrina Cannon, Heather Claridge,
Hillary Olsen Errante, Stacie Heaps, Christopher Kugler, Lindsey
Maughan, Benson Y. Parkinson, Heather Randall, Greg Scoggin et Kat
Tilby ont participé à la publication. Parmi les autres
intervenants, on peut citer Nic A. Benner, Alan Blake, Christopher
Blake Clark, Matt Evans, Brooke Frandsen, Jeff Hatch, Jim McKenna,
Jared Moon, Casey Olson, Benjamin Peterson, Paul VanDerHoeven, Gary
Walton et Scott Welty. Des traducteurs ont soigneusement préparé
l’intégralité du texte en treize langues.
Nous
sommes reconnaissants de l’aide de Steven C. Harper, qui a
servi comme rédacteur en chef de Les saints, et de celle des
anciens dirigeants du département d’histoire de
l’Église, Elder J. Devn Cornish, Reid L. Neilson et
Richard E. Turley Jr., qui ont guidé le projet pendant de
nombreuses années. Nous remercions particulièrement
Steven E. Snow, soixante-dix Autorité générale
émérite, qui a rempli pendant sept ans les fonctions
d’historien et de greffier de l’Église et de
directeur exécutif du département d’histoire de
l’Église, et sans qui ce livre n’aurait pas pu
être publié.