LES SAINTS


Histoire de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours



TOME 1

TOME 2


TOME 3





TOME 1

L’ÉTENDARD DE LA VÉRITÉ

1815-1846







PRÉFACE

PREMIÈRE PARTIE :
Mon serviteur Joseph (avril 1815 - avril 1830)
CHAPITRE 1 : Demande avec foi
CHAPITRE 2 : Écoute-le
CHAPITRE 3 : Les plaques d’or
CHAPITRE 4 : Sois vigilant
CHAPITRE 5 : Tout est perdu
CHAPITRE 6 : Le don et le pouvoir de Dieu

CHAPITRE 7 : Compagnons de service
CHAPITRE 8 : L’émergence de l’Église du Christ

DEUXIÈME PARTIE : Une maison de foi (avril 1830 - avril 1836)
CHAPITRE 9 : Pour la vie ou pour la mort
CHAPITRE 10 : Rassemblés
CHAPITRE 11 : Vous recevrez ma loi
CHAPITRE 12 : Après beaucoup de tribulations
CHAPITRE 13 : Le don revient
CHAPITRE 14 : Visions et cauchemars
CHAPITRE 15 : En des lieux saints
CHAPITRE 16 : Ce n'est que le prélude
CHAPITRE 17 : Même s'ils nous tuent
CHAPITRE 18 : Le camp d'Israël
CHAPITRE 19 : Vous serez des intendants
CHAPITRE 20 : Ne me rejette pas
CHAPITRE 21 : L'Esprit de Dieu

TROISIÈME PARTIE : Jeté dans l'abîme (avril 1836 - avril 1839)
CHAPITRE 22 : Mettre le Seigneur à l'épreuve
CHAPITRE 23 : Tous les pièges
CHAPITRE 24 : La vérité triomphera
CHAPITRE 25 : Partez dans l'Ouest
CHAPITRE 26 : Une terre sainte
CHAPITRE 27 : Nous revendiquons la liberté
CHAPITRE 28 : Nous avons suffisamment essayé
CHAPITRE 29 : Dieu et la liberté
CHAPITRE 30 : Battez-vous
CHAPITRE 31 : Comment cela finira-t-il ?
CHAPITRE 32 : Quand même l'enfer se déchaînerait
CHAPITRE 33 : Ô Dieu, où es-tu ?

QUATRIÈME PARTIE : La plénitude des temps (avril 1839 - février 1846)
CHAPITRE 34 : Édifier une ville
CHAPITRE 35 : Un lieu magnifique
CHAPITRE 36 : Incitation à se rassembler
CHAPITRE 37 : Nous les mettrons à l'épreuve
CHAPITRE 38 : Traître ou honnête homme
CHAPITRE 39 : Même dans les profondeurs de l'angoisse
CHAPITRE 40 : Unis en une alliance éternelle
CHAPITRE 41 : À Dieu le jugement
CHAPITRE 42 : Endosser le fardeau
CHAPITRE 43 : Une nuisance publique
CHAPITRE 44 : Comme un agneau à l'abattoir
CHAPITRE 45 : Une puissante fondation
CHAPITRE 46 : Dotés de pouvoir

À PROPOS DES SOURCES
SOURCES
REMERCIEMENTS

 



PRÉFACE

Lorsqu’elles sont bien racontées, les histoires vraies peuvent inspirer, mettre en garde, amuser et instruire. Brigham Young comprenait le pouvoir d’une bonne histoire lorsqu’il recommanda aux historiens de l’Église de ne pas se contenter d’enregistrer les faits arides du passé. Il leur a conseillé « d’employer un style narratif » et de n’écrire qu’environ un dixième des textes.

Ce qui suit est un récit historique conçu pour donner aux lecteurs une compréhension fondamentale de l’histoire de l’Église. Chaque scène, chaque réplique, chaque personnage est basé sur des sources historiques qui sont citées à la fin du livre. Les personnes qui souhaitent lire ces sources, mieux comprendre les sujets apparentés et découvrir d’autres histoires trouveront des liens vers d’autres ressources en ligne sur le site history.lds.org.

Ce livre est le premier de quatre tomes sur l’histoire de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jour. Ensemble, les tomes relatent l’histoire du Rétablissement de l’Évangile de Jésus-Christ depuis les premiers jours de l’Église jusqu’à nos jours. Ils sont écrits dans un style captivant et accessible aux saints du monde entier.

L’Église a déjà publié deux ouvrages historiques en plusieurs tomes. Le premier était un documentaire historique commencé par Joseph Smith dans les années 1830 et publié au début de l’année 1842. Le deuxième a été écrit par un historien adjoint de l’Église, B. H. Roberts, et publié en 1930. Depuis, la portée mondiale de l’Évangile rétabli et le commandement du Seigneur de tenir continuellement l’histoire « pour le bien de l’Église et pour les générations montantes » signalent que le moment est venu de faire une mise à jour et d’inclure davantage de saints dans le récit.

Plus encore que dans les histoires précédentes, Les saints présente la vie et l’histoire d’hommes et de femmes ordinaires dans l’Église. Il donne aussi de nouveaux détails et de nouvelles perceptions au sujet de personnes et d’événements mieux connus de l’histoire de l’Église. Chaque chapitre permettra aux lecteurs de comprendre et d’apprécier les saints qui ont fait de l’Église ce qu’elle est aujourd’hui. Entremêlées, leurs histoires constituent la belle tapisserie du Rétablissement.

Les livres Les saints ne sont pas des Écritures mais, comme les Écritures, chaque tome contient des vérités divines et des histoires de personnes imparfaites s’efforçant de devenir des saints grâce à l’Expiation de Jésus-Christ. Leurs histoires, comme celles de tous les saints, passés et présents, rappellent au lecteur combien le Seigneur a été miséricordieux envers son peuple lorsqu’il s’est uni dans le monde entier pour faire avancer l’œuvre de Dieu.



PREMIÈRE PARTIE : Mon serviteur Joseph (avril 1815 - avril 1830)


CHAPITRE 1 : Demande avec foi

En 1815, l’île indonésienne de Sumbawa est luxuriante et verdoyante suite aux précipitations récentes. Les familles se préparent pour la saison sèche à venir, comme elles le font depuis des générations, cultivant des rizières à l’ombre d’un volcan appelé le Tambora.

Le 5 avril, après des décennies de sommeil, la montagne se réveille en rugissant, crachant de la cendre et du feu. À des centaines de kilomètres de distance, des témoins entendent ce qui ressemble à des coups de canon. De petites éruptions subsistent pendant des jours. Puis, dans la soirée du 10 avril, la montagne entière explose. Trois colonnes de flammes s’élèvent vers le ciel et fusionnent en provoquant une énorme déflagration. Du feu liquide dévale les flancs de la montagne, enveloppant le village à sa base. Des tourbillons font rage dans toute la région, arrachant des arbres et emportant des habitations.

Le chaos persiste toute cette nuit-là jusqu’à la suivante. Les cendres recouvrent des kilomètres de terre et de mer, sur une hauteur de plus de cinquante centimètres par endroits. À midi, on se croirait à minuit. Les mers démontées se soulèvent par-dessus le littoral, détruisant les récoltes et inondant les villages. Pendant des semaines, le Tambora fait pleuvoir de la cendre, des pierres et du feu.

Au fil des mois suivants, les effets de la déflagration se propagent à travers le globe. Des couchers de soleil spectaculaires font l’admiration de spectateurs du monde entier. Mais les couleurs éclatantes masquent les effets meurtriers des cendres du volcan qui tournent autour de la terre. L’année suivante, les conditions météorologiques deviennent imprévisibles et dévastatrices.

L’éruption fait chuter les températures en Inde, et le choléra fait des milliers de victimes, décimant des familles entières. Dans les vallées fertiles de la Chine, le climat habituellement tempéré fait place à des tempêtes de neige en été, et des pluies torrentielles détruisent les récoltes. En Europe, la diminution des provisions alimentaires entraîne la famine et la panique.

Partout, les gens cherchent des explications aux souffrances et aux morts que les phénomènes climatiques étranges provoquent. En Inde, des hommes saints font résonner les temples hindouistes de prières et de mélopées. Les poètes chinois se perdent en questions sur le sujet de la souffrance et de la perte de tout. En France et en Grande-Bretagne, les citoyens tombent à genoux, craignant que les calamités terribles prédites dans la Bible ne soient sur eux. En Amérique du Nord, les ecclésiastiques prêchent que Dieu est en train de punir les chrétiens rebelles, et ils les incitent à raviver leurs sentiments religieux.

Dans tout le pays, les gens accourent vers les églises et les réveils religieux, désireux de savoir comment ils peuvent être sauvés de la destruction à venir.

L’année suivante, l’éruption du Tambora continue d’affecter le climat en Amérique du Nord. Le printemps fait place à des chutes de neige et à des gelées dévastatrices, et 1816 reste gravé dans les mémoires comme étant l’année sans été. Dans le Vermont, à l’angle nord-est des États-Unis, les collines rocailleuses rendent depuis des années la vie dure à un fermier appelé Joseph Smith, père. Mais cette saison-là, en regardant leurs récoltes se flétrir sous les gelées impitoyables, sa femme, Lucy Mack Smith, et lui, savent que s’ils restent là, ils auront à affronter la faillite et un avenir incertain.

À quarante-cinq ans, Joseph, père, n’est plus un jeune homme et la perspective de tout recommencer sur une nouvelle terre est décourageante. Il sait que ses fils aînés, Alvin, dix-huit ans, et Hyrum, seize ans, peuvent l’aider à défricher, construire une maison, planter et récolter. Sa fille de treize ans, Sophronia, est suffisamment grande pour assister Lucy dans ses tâches domestiques et ses travaux de la ferme. Ses fils plus jeunes, Samuel, huit ans et William, cinq ans, commencent à se rendre utiles et Katherine, trois ans, et le bébé, Don Carlos, seront un jour suffisamment grands pour donner un coup de main.

Pour ce qui est de son troisième fils, Joseph, dix ans, c’est une autre histoire. Quatre ans plus tôt, celui-ci a subi une intervention chirurgicale pour ôter une infection logée dans sa jambe. Depuis lors, il marche avec une béquille. Bien que sa jambe recommence à être solide, Joseph boite péniblement et son père ne sait pas s’il deviendra aussi robuste qu’Alvin et Hyrum.

Certains de pouvoir compter les uns sur les autres, les membres de la famille Smith abandonnent leur maison dans le Vermont en quête d’une meilleure terre. Comme bon nombre de ses voisins, Joseph, père, décide de prendre la direction du sud-ouest, vers l’État de New York, où il espère acheter à crédit une bonne ferme. Il enverra alors chercher Lucy et les enfants, et la famille pourra tout recommencer.

Lorsque Joseph, père, prend la route vers New York, Alvin et Hyrum l’accompagnent un bout de chemin avant de lui dire au revoir. Joseph, père, aime tendrement sa femme et ses enfants, mais n’a jamais réussi à leur assurer une grande stabilité dans la vie. La malchance et les investissements hasardeux ont maintenu la famille dans un état de dénuement et d’errance. Peut-être que ce sera différent à New York.

L’hiver suivant, Joseph, fils, clopine à travers la neige avec sa mère, ses frères et ses sœurs en direction de l’ouest, vers un village du nom de Palmyra, près de l’endroit où Joseph, père, a trouvé une bonne terre et attend sa famille.

Puisque son mari ne peut aider au déménagement, Lucy a embauché un homme appelé M. Howard pour conduire leur chariot. Sur la route, ce dernier manipule leurs affaires sans ménagement et dilapide l’argent qu’on lui a donné dans le jeu et la boisson. Et après avoir rejoint une autre famille se dirigeant vers l’ouest, il chasse Joseph du chariot afin que les filles de l’autre famille puissent s’asseoir à côté de lui pendant qu’il conduit l’attelage.

Sachant combien Joseph souffre lorsqu’il marche, Alvin et Hyrum tentent à plusieurs reprises de résister à M. Howard. Mais chaque fois, il les fait tomber avec le manche de son fouet.

S’il était plus grand, Joseph essaierait probablement lui-même de lui tenir tête. Sa jambe malade l’a empêché de travailler et de jouer, mais la force de sa volonté compense la faiblesse de son corps. Lorsque les médecins lui ont ouvert la jambe et ont extrait les morceaux d’os infectés, ils ont voulu l’attacher, ou au moins lui faire boire de l’eau-de-vie pour atténuer la douleur, mais Joseph a demandé que seul son père le tienne dans ses bras.

Il est resté éveillé et conscient pendant toute la durée de l’opération, le visage blême et dégoulinant de sueur. Sa mère, habituellement si forte, s’est presque effondrée en entendant ses cris. Après cela, elle s'est probablement dit qu’elle pourra supporter n’importe quoi.

Tandis qu’il boite à côté du chariot, Joseph voit bien qu’elle fait de son mieux pour supporter M. Howard. Ils ont déjà parcouru trois cents kilomètres et jusque-là, elle a été plus que patiente à l’égard du mauvais comportement du conducteur.

À environ cent cinquante kilomètres de Palmyra, Lucy se prépare à passer une journée de plus sur les routes lorsqu’elle voit Alvin accourir vers elle. M. Howard a jeté leurs affaires et leurs bagages dans la rue et est sur le point de s’enfuir avec leurs chevaux et leur chariot.

Lucy retrouve l’homme dans un bar. Elle déclare : « Le Dieu des cieux m’est témoin que ce chariot et ces chevaux, ainsi que les affaires qui les accompagnent, m’appartiennent. »

Elle promène son regard dans le bar. Il est rempli d’hommes et de femmes, dont la plupart sont des voyageurs comme elle. Les yeux braqués sur eux, elle dit : « Cet homme est décidé à me déposséder de tout moyen de poursuivre mon voyage, me laissant avec huit jeunes enfants dans le dénuement complet. »

M. Howard dit qu’il a déjà dépensé l’argent qu’elle lui a donné pour conduire le chariot et qu’il ne peut pas aller plus loin.

Lucy dit : « Vous ne m’êtes d’aucune utilité. Je m’occuperai moi-même de l’attelage. »

Elle abandonne M. Howard dans le bar et fait serment de réunir ses enfants à leur père quoi qu’il advienne.

Les routes sont déjà boueuses et froides, mais Lucy conduit les siens sains et saufs jusqu’à Palmyra. En voyant ses enfants s’accrocher à leur père et l’embrasser, elle se sent récompensée pour tout ce qu’elle a enduré pour arriver là.

Les Smith louent rapidement une petite maison en ville et discutent de la manière d’acquérir leur propre ferme. Ils décident que le meilleur plan est de travailler jusqu’à ce qu’ils aient réuni suffisamment de fonds pour verser un acompte sur des terres situées dans un bois voisin. Joseph, père, et les fils aînés creusent des puits, fendent des planches pour en faire des clôtures et ramassent les foins en échange d’espèces, pendant que Lucy et les filles confectionnent et vendent des tartes, de la racinette, et des napperons, pour acheter de la nourriture.

En grandissant, Joseph, fils, devient plus solide sur ses jambes et peut facilement se déplacer dans Palmyra. En ville, il rencontre des gens de toute la région, et beaucoup se tournent vers la religion pour satisfaire leurs désirs de spiritualité et trouver une explication aux épreuves de la vie. Joseph et sa famille n’appartiennent à aucune Église, mais nombre de leurs voisins fréquentent l’une des hautes églises presbytériennes, dans le lieu de réunion des baptistes ou la salle des quakers, ou bien dans le camp où des prédicateurs méthodistes itinérants viennent de temps en temps.

Lorsque Joseph a douze ans, les débats religieux balaient la campagne. Il n’est pas un grand lecteur, mais il aime analyser profondément les idées. Il écoute les prédicateurs, espérant en apprendre davantage sur son âme immortelle, mais leurs sermons lui laissent souvent une sensation de malaise. Ils lui disent qu’il est pécheur dans un monde pécheur, désemparé sans la grâce salvatrice de Jésus-Christ. Et, bien que Joseph croit au message et regrette ses péchés, il ne sait comment obtenir le pardon.

Il pense qu’aller à l’église pourra lui être utile, mais il n’arrive pas à décider où il doit rendre le culte. Les différentes Églises se disputent sans cesse sur la manière dont les gens peuvent être délivrés du péché. Après avoir écouté ces débats pendant quelque temps, Joseph se sent perdu de voir les gens lire la même Bible et en arriver à des conclusions différentes quant à ce qu’elle veut dire. Il croit que la vérité de Dieu est là, quelque part, mais il ne sait comment la trouver.

Ses parents n’en sont pas sûrs non plus. Lucy et Joseph, père, sont issus de familles chrétiennes et tous les deux croient en la Bible et en Jésus-Christ. Sa mère va plus fréquemment à l’église et amène souvent ses enfants aux réunions. Depuis la mort de sa sœur, de nombreuses années auparavant, elle recherche la véritable Église de Jésus-Christ.

Peu avant la naissance de Joseph, après être tombée gravement malade, elle a eu peur de mourir avant d’avoir trouvé la vérité. Elle a senti un gouffre sombre et solitaire entre elle et le Sauveur, et su qu’elle n’était pas préparée pour la vie prochaine.

Ne pouvant trouver le sommeil, toute la nuit elle a invoqué Dieu et lui a promis que s’il lui laissait la vie sauve, elle trouverait l’Église de Jésus-Christ. Pendant qu’elle priait, la voix du Seigneur lui est parvenue, l’assurant que si elle cherchait, elle trouverait. Elle a exploré davantage d’Églises depuis lors, mais n’a toujours pas trouvé la bonne. Cependant, même lorsqu’elle a eu le sentiment que l’Église du Sauveur n’était plus sur la terre, elle a continué de chercher, confiante qu’il vaut quand même mieux aller à l’église.

Comme sa femme, Joseph, père, est assoiffé de vérité. Mais il pense qu’il vaut mieux n’aller à aucune église que d’aller à la mauvaise. Suivant les conseils de son père, Joseph, père, sonde les Écritures, prie sincèrement, et croit que Jésus-Christ est venu sauver le monde. Cependant, il n’arrive pas à relier ce qui lui semble vrai à la confusion et à la discorde qu’il voit dans les Églises autour de lui. Une nuit, il a rêvé que les prédicateurs qui s’affrontaient ressemblaient à du bétail, mugissant tout en fouillant la terre de leurs cornes, ce qui a intensifié son sentiment que ceux-ci ne savent pas grand chose du royaume de Dieu.

Le mécontentement de ses parents vis-à-vis des Églises locales ne fait qu’aggraver le trouble chez Joseph, fils. Son âme est en jeu, mais personne ne peut lui fournir de réponses satisfaisantes.

Après avoir économisé pendant plus d’une année, la famille Smith a assez d’argent pour verser un acompte sur quarante hectares de forêt à Manchester, au sud de Palmyra. Là, entre leurs travaux de journaliers, ils entaillent des érables pour en recueillir la sève sucrée, plantent un verger et défrichent des parcelles à cultiver.

Tout en travaillant la terre, le jeune Joseph continue de se préoccuper de ses péchés et du bien-être de son âme. À Palmyra et dans toute la région, le réveil religieux a commencé à perdre de son intensité, mais les prédicateurs continuent de se disputer les convertis. Jour et nuit, Joseph regarde le soleil, la lune et les étoiles se mouvoir avec ordre et majesté dans les cieux et admire la beauté de la terre grouillant de vie. Il regarde également les gens autour de lui et s’émerveille de la force et de l’intelligence de la vie humaine. Tout semble témoigner que Dieu existe et a créé le genre humain à son image. Mais comment Joseph peut-il l’atteindre ? 

Durant l’été 1819, alors que Joseph a treize ans, des pasteurs méthodistes se réunissent pour une conférence à quelques kilomètres de la ferme de la famille Smith et se déploient dans la campagne pour inciter les familles telles que celle de Joseph à se convertir. Le succès rencontré par ces prédicateurs inquiète les autres pasteurs de la région et rapidement, la course aux convertis devient intense.

Joseph assiste aux réunions, écoute les sermons émouvants et voit les convertis pousser des cris de joie. Il voudrait crier avec eux mais souvent il se sent au cœur d’une guerre de mots et d’idées. Il se demande : « Lequel de tous ces partis a raison ; ou ont-ils tous tort ? Si l’un d’entre eux a raison, lequel est-ce, et comment le saurais-je ? » Il sait qu’il a besoin de la grâce et de la miséricorde du Christ, mais avec tant de gens et d’Églises s’affrontant sur les questions de religion, il ne sait pas où les trouver.

L’espoir de trouver des réponses et la paix de l’âme semble lui échapper. Il se demande comment quiconque peut découvrir la vérité au milieu d’un tel tumulte.

En écoutant un sermon, Joseph entend un pasteur citer, dans le Nouveau Testament, le premier chapitre de Jacques qui dit : « Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu, qui donne à tous simplement et sans reproche. »

Joseph rentre chez lui et recherche le passage dans la Bible. Plus tard, il se souvient : « Jamais aucun passage de l’Écriture ne toucha le cœur de l’homme avec plus de puissance que celui-ci ne toucha alors le mien. Il me sembla qu’il pénétrait avec une grande force dans toutes les fibres de mon cœur. J’y pensais constamment, sachant que si quelqu’un avait besoin que Dieu lui donne la sagesse, c’était bien moi. » Il a sondé la Bible avant comme si elle détenait toutes les réponses. Mais maintenant, elle lui dit qu’il peut s’adresser directement à Dieu pour avoir la réponse à ses questions.

Joseph décide de prier. Il ne l’a encore jamais fait à haute voix, mais il est confiant dans la promesse de la Bible. Elle enseigne : « Demande avec foi, sans douter. » Dieu entendra ses questions, même s’il les formule maladroitement.


CHAPITRE 2 : Écoute-le

Un matin du printemps de 1820, Joseph se lève de bonne heure et se dirige vers les bois près de chez lui. C’est une belle et claire journée et les rayons du soleil filtrent à travers les branches. Il veut être seul pour prier, et il connaît un endroit tranquille où il vient d’abattre des arbres. Il y a laissé sa hache, coincée dans une souche.

Retrouvant le lieu, Joseph regarde autour de lui afin de s’assurer qu’il est désert. Il est inquiet à l’idée de prier à haute voix et ne veut pas être interrompu.

Convaincu qu’il est seul, il s’agenouille sur la terre fraîche et commence à exprimer les désirs de son cœur à Dieu. Il demande miséricorde et pardon, ainsi que de la sagesse pour trouver la réponse à ses questions. Il dit : « Oh, Seigneur, à quelle Église dois-je me joindre ? »

Pendant qu’il prie, sa langue semble enfler jusqu’à l’empêcher de parler. Il entend des pas derrière lui, mais ne voit personne lorsqu’il se retourne. Il essaie de prier de nouveau, mais le bruit de pas se rapproche, comme si quelqu’un venait l’attaquer. Il bondit sur ses pieds et se retourne, mais ne voit toujours personne.

Soudain, une puissance invisible le saisit. Il essaie de nouveau de parler mais sa langue est encore liée. Des ténèbres épaisses l’enveloppent jusqu’à occulter la lumière du soleil. Des doutes et des images affreuses lui traversent l’esprit, le troublant et le gênant. Il a l’impression qu’un être terrible, réel et immensément puissant, cherche à le détruire.

Rassemblant toutes ses forces, il fait une fois de plus appel à Dieu. Sa langue se délie et il supplie d’être délivré. Mais il se voit sombrer dans le désespoir, submergé par les ténèbres insupportables et prêt à s’abandonner à la destruction.

À ce moment-là, une colonne de lumière apparaît au-dessus de sa tête. Elle descend lentement et semble incendier le bois. Lorsqu’elle tombe sur lui, Joseph sent la puissance invisible relâcher son emprise. L’Esprit de Dieu prend sa place, l’emplissant d’une paix et d’une joie ineffables.

Regardant dans la lumière, il voit Dieu le Père se tenant au-dessus de lui dans les airs. Son visage est plus brillant et plus glorieux que tout ce que Joseph a jamais vu. Dieu l’appelle par son nom, montre un autre être qui est apparu à côté de lui et déclare : « Voici mon Fils bien-aimé. Écoute-le ! »

Joseph contemple le visage de Jésus-Christ. Il est aussi brillant et glorieux que celui du Père.

Le Sauveur dit : « Joseph, tes péchés te sont pardonnés. »

Son fardeau allégé, Joseph réitère sa question : « À quelle Église dois-je me joindre ? »

Le Sauveur lui répond : « Ne te joins à aucune. Elles enseignent pour doctrine des commandements d’hommes, ayant une forme de piété, mais elles en nient la puissance. »

Le Seigneur lui dit que le monde baigne dans le péché. Il explique : « Il n’en est aucun qui fasse le bien. Les gens se sont détournés de l’Évangile et ne gardent pas mes commandements. » Des vérités sacrées ont été perdues ou corrompues, mais il promet qu’il lui révélera, dans un avenir proche, la plénitude de son Évangile.

Pendant que le Sauveur parle, Joseph voit des armées d’anges, et la lumière qui les entoure est plus brillante que le soleil à son zénith. Le Seigneur dit : « Voici, je viens rapidement, revêtu de la gloire de mon Père. »

Joseph s’attend à voir les bois dévorés par l’éclat, mais les arbres brûlent comme le buisson de Moïse, sans être consumés.

Quand la lumière s’estompe, Joseph se retrouve allongé sur le dos, regardant au ciel. La colonne de lumière disparaît, et la culpabilité et le trouble de Joseph le quittent. Des sentiments d’amour divin lui remplissent le cœur. Dieu le Père et Jésus-Christ lui ont parlé, et il a appris comment trouver la vérité et le pardon.

Trop affaibli par la vision pour se mouvoir, il reste allongé dans les bois jusqu’à ce qu’il ait recouvré quelques forces. Il rentre ensuite péniblement chez lui et s’appuie sur le manteau de la cheminée. Sa mère le voit et lui demande ce qui ne va pas.

Il répond : « Tout va bien. Je ne me sens pas mal. »

Quelques jours plus tard, pendant qu’il converse avec un prédicateur, il lui raconte ce qu’il a vu dans les bois. Le prédicateur a participé aux récents réveils religieux et Joseph s’attend à ce qu’il prenne sa vision au sérieux.

Dans un premier temps, le prédicateur prend ses paroles à la légère. De temps à autre, des gens affirment avoir des visions célestes. Mais ensuite, il se mit en colère et est sur la défensive, et il dit à Joseph que son histoire est du diable. Il ajoute que le temps des visions et des révélations est révolu depuis longtemps et qu’il ne reviendra jamais.

Joseph est surpris, et il découvre rapidement que personne ne croit à sa vision. Pourquoi le devraient-ils ? Il n’a que quatorze ans et n’est pratiquement jamais allé à l’école. Il est issu d’une famille pauvre et s’attend à passer le reste de sa vie à travailler la terre et à faire de menus travaux pour un maigre salaire.

Et pourtant, son témoignage ennuie suffisamment certaines personnes pour qu’elles le ridiculisent. Joseph se dit qu’il est étrange qu’un garçon sans importance pour le monde puisse attirer autant d’amertume et de mépris. Il veit demander : « Pourquoi me persécuter pour avoir dit la vérité ? Pourquoi le monde pense-t-il me faire renier ce que j’ai vraiment vu ? »

Toute sa vie, ces questions déconcertent Joseph. Il écrira : « J’avais réellement vu une lumière, et au milieu de cette lumière, je vis deux Personnages, et ils me parlèrent réellement ; et quoique je fusse haï et persécuté pour avoir dit que j’avais eu cette vision, cependant c’était la vérité. »

Il ajoutera : « Je le savais, et je savais que Dieu le savait, et je ne pouvais le nier. »

Une fois que Joseph a découvert que le récit de sa vision ne fait que tourner ses voisins contre lui, il le garde principalement pour lui, satisfait de la connaissance que Dieu lui a donnée. Plus tard, après avoir déménagé loin de New York, il essaie de coucher par écrit son expérience sacrée dans les bois. Il décrit son désir ardent d’obtenir le pardon et rapporte la mise en garde du Sauveur à un monde en grand besoin de repentir. Il rédige lui-même les mots, dans un langage hésitant, essayant avec ferveur de décrire la majesté de l’instant.

Dans les années qui suivront, il racontera la vision plus publiquement, faisant appel à des secrétaires qui l’aideront à mieux exprimer ce qui défie toute description. Il parlera de son désir de trouver la véritable Église et décrira Dieu le Père apparaissant en premier pour présenter le Fils. Il parlera moins de sa quête du pardon et davantage du message universel porté par le Sauveur, celui de la vérité et de la nécessité d’un rétablissement de l’Évangile.

À chaque récit de son expérience, Joseph témoignera que le Seigneur a entendu et exaucé sa prière. Ainsi, dans sa jeunesse, il apprend que l’Église du Sauveur n’est plus sur la terre. Mais le Seigneur lui promet qu’au moment voulu, il en révélerait davantage au sujet de son Évangile. Alors Joseph décide de faire confiance à Dieu, de rester fidèle au commandement qu’il a reçu dans les bois et d’attendre patiemment les autres directives.



CHAPITRE 3 : Les plaques d'or

Trois années passent. Joseph défriche, laboure ou travaille comme journalier afin de réunir la somme nécessaire au remboursement annuel du crédit sur la propriété familiale. Le travail ne lui permet pas d’aller à l’école très souvent et il passe la majeure partie de son temps libre avec sa famille et d’autres ouvriers.

Ses amis et lui sont jeunes et enjoués. Parfois, ils font des erreurs, et Joseph découvre que le fait d'avoir reçu le pardon une fois ne signifie pas qu’il n’aura plus jamais besoin de se repentir. La vision glorieuse qu'il a reçue ne répond pas à toutes ses questions ni ne met définitivement fin à sa perplexité. Alors il s'efforce de rester proche de Dieu. Il lit la Bible, fait confiance au pouvoir de Jésus-Christ pour son salut et obéit au commandement du Seigneur de ne se joindre à aucune Église.

Comme bon nombre d’habitants de la région, notamment son père, il croit que Dieu peut révéler de la connaissance par l’intermédiaire d’objets tels que des bâtons et des pierres, comme il l’a fait avec Moïse, Aaron et d’autres. Un jour, pendant qu’il aide un voisin à creuser un puits, il tombe sur une petite pierre enfouie profondément dans la terre. Sachant que des gens ont parfois utilisé des pierres pour rechercher des objets perdus ou des trésors cachés, Joseph se demande s’il n'en aurait pas trouvé une de ce genre. Lorsqu’il regarde à l’intérieur, il voit des choses invisibles à l’œil nu.

Les membres de sa famille sont impressionnés par le don qu’il a pour utiliser la pierre ; ils le considèrent comme un signe de faveur divine. Mais bien qu’il possède le don d’un voyant, il n’est toujours pas certain que Dieu est satisfait de lui. Il ne sent plus le pardon et la paix qu’il a ressentis après sa vision du Père et du Fils. Au contraire, il se sent souvent condamné à cause de ses faiblesses et de ses imperfections.

Le 21 septembre 1823, Joseph, alors âgé de dix-sept ans, est allongé dans la chambre qu’il partage avec ses frères dans les combles. Il a veillé ce soir-là, écoutant sa famille discuter de différentes Églises et des points de doctrine qu’elles enseignent. À présent, tout le monde est endormi et la maison est silencieuse.

Dans l’obscurité de sa chambre, Joseph commence à prier, implorant Dieu avec ferveur de lui accorder le pardon de ses péchés. Il aspire à entrer en communion avec un messager céleste qui pourrait le rassurer quant à sa situation devant le Seigneur et lui donner la connaissance qu’il lui a promise dans le bosquet. Il sait que Dieu a précédemment exaucé sa prière, et il est sûr qu’il l’exaucera de nouveau.

Pendant qu’il prie, une lumière apparaît à côté de son lit et devient de plus en plus brillante jusqu’à en inonder les combles. Joseph lève les yeux et voit un ange debout dans les airs. Il porte une tunique blanche sans couture qui lui descend jusqu’aux poignets et jusqu’aux chevilles. La lumière émane de lui, et son visage brille comme l’éclair.

Au début, Joseph a peur, mais il est rapidement envahi par la paix. L’ange l’appelle par son nom et se présente comme étant Moroni. Il lui dit que Dieu lui a pardonné ses péchés et qu’il a maintenant une œuvre à accomplir. Il déclare qu’on parlerait en bien et en mal du nom de Joseph parmi toutes les nations.

Il parla de plaques d’or enterrées dans une colline voisine. Sur celles-ci sont gravées les annales d’un peuple qui a vécu autrefois sur le continent américain. Le récit parle des origines de ce peuple et raconte que Jésus-Christ leur a rendu visite et leur a enseigné la plénitude de l’Évangile. Moroni dit que deux pierres de voyant sont enterrées avec les plaques. Plus tard, Joseph les appellera l’urim et le thummim, ou les interprètes. Le Seigneur les a préparées pour aider Joseph à traduire les annales. Les pierres sont transparentes, sont reliées l’une à l’autre et fixées à un pectoral.

Pendant le reste de sa visite, Moroni cite des prophéties tirées des livres bibliques d’Ésaïe, de Joël, de Malachie et des Actes. Il explique que le Seigneur va bientôt venir et que la famille humaine ne remplira pas l’objectif de sa création à moins que l’ancienne alliance de Dieu ne soit d’abord renouvelée. Moroni dit que Dieu a choisi Joseph pour renouveler l’alliance et que s’il décide d’être fidèle aux commandements de Dieu, il sera celui qui révélera les annales compilées sur les plaques.

Avant de partir, l’ange lui commande de prendre soin des plaques et de ne les montrer à personne, sauf indication contraire, l’avertissant qu’il serait détruit s’il désobéissait à ce conseil. La lumière se rassemble ensuite autour de Moroni qui monte ensuite aux ciel.

Alors que Joseph est allongé et réfléchit à la vision, une lumière inonde de nouveau la pièce et Moroni réapparaît, remettant le même message que précédemment. Il part ensuite pour réapparaître une fois de plus et remettre son message une troisième fois.

Il dit : « Maintenant, Joseph, prends garde. Lorsque tu iras chercher les plaques, ton esprit sera rempli de ténèbres et toutes sortes de mauvaises pensées s’y bousculeront pour t’empêcher de respecter les commandements de Dieu. » Moroni l’exhorte à parler de ses visions à son père qu'il désigne comme quelqu’un qui lui apportera son soutien.

Le lendemain matin, Joseph ne parle pas de Moroni, bien qu’il sache que son père croit aussi aux visions et aux anges. Au lieu de cela, Alvin et lui passent la matinée à moissonner un champ voisin.

Mais le travail est difficile. Joseph essaie de manier sa faux aussi vite que son frère dans un champ de hautes céréales, mais les visites de Moroni l’ont empêché de dormir pendant toute la nuit et il pense continuellement aux annales anciennes et à la colline où elles sont cachées.

Bientôt, il cesse de travailler. Alvin le remarque et interpelle Joseph, disant : « Nous devons continuer sinon nous n’aurons pas terminé notre tâche. »

Joseph essaie de travailler plus dur et plus vite, mais quoi qu’il fasse, il ne peut soutenir le rythme d’Alvin. Au bout d’un moment, Joseph, père, voit que son fils est pâle et s'est arrêté à nouveau de travailler. Pensant qu’il est malade, il lui dit : « Rentre à la maison. »

Joseph obéit et se dirige en titubant vers la maison. Mais en essayant de franchir une clôture, il s’effondre sur le sol, épuisé.

Alors qu'il est allongé là, il voit une fois de plus Moroni, au-dessus de lui, entouré de lumière. Moroni demande : « Pourquoi n’as-tu pas rapporté à ton père ce que je t’ai dit ? »

Joseph répond qu’il a eu peur que son père ne le croie pas.

Moroni lui assure que son père le croira et lui répète à nouveau son message de la veille.

Joseph, père, pleure lorsque son fils lui parle de l’ange et de son message. Il dit : « C’est une vision de Dieu. Fais ce qu’il te dira. »

Joseph prend immédiatement la route de la colline. Pendant la nuit, Moroni lui a montré en vision l’endroit où les plaques sont cachées ; il sait donc où aller. La colline, l’une des plus grandes de la région, est à environ cinq kilomètres de chez lui. Les plaques sont enterrées sous une grande pierre arrondie, sur le flanc ouest de la colline, non loin du sommet.

Tout en marchant, Joseph pense aux plaques. Il sait qu’elles sont sacrées, mais il a du mal à s’empêcher de s’interroger sur leur valeur marchande. Il a entendu des légendes concernant des trésors cachés que protégent des esprits gardiens, mais Moroni et les plaques qu’il décrit sont différents de ces histoires. Moroni est un messager céleste désigné par Dieu pour remettre les annales au voyant divinement choisi. Les plaques sont précieuses, non parce qu’elles sont en or, mais parce qu’elles témoignent de Jésus-Christ.

Malgré cela, Joseph ne peut s’empêcher de penser qu’il sait maintenant exactement où trouver assez de richesses pour libérer sa famille de l’indigence.

Arrivant à la colline, il localise l’endroit qu’il a vu en vision et commence à creuser à la base de la pierre pour en dégager les bords. Il trouve ensuite une grosse branche d’arbre et s’en servit de levier pour soulever la pierre et la faire glisser sur le côté.

Sous la pierre se trouve une boîte dont les côtés et le fond sont en pierre. Regardant à l’intérieur, Joseph voit les plaques d’or, les pierres de voyant et le pectoral. Les plaques sont couvertes d’écrits anciens et reliées d’un côté par trois anneaux. Chaque plaque est fine et mesure environ quinze centimètres de largeur sur vingt centimètres de longueur. Une partie des plaques semble également scellée, afin que personne ne puisse les lire.

Étonné, Joseph se demande de nouveau combien elles valent. Il tend la main comme pour les prendre et sent une onde de choc le traverser. Il retire brusquement la main, mais essaie encore à deux reprises d’atteindre les plaques ; à chaque fois, il reçoit un choc.

Il s’écrie alors : « Pourquoi ne puis-je obtenir ce livre ? »

« Parce que tu n’as pas respecté les commandements de Dieu », répond une voix non loin de lui.

Joseph se retourne et voit Moroni. Le message de la veille lui revient à l’esprit, et il comprend qu’il a oublié le véritable objectif des annales. Il commence à prier, et son esprit et son âme s’éveillent à l’Esprit-Saint.

Moroni commande : « Regarde ! » Une autre vision s’ouvre à lui et il voit Satan entouré de son armée innombrable. L’ange déclare : « Tout cela t’est montré, le bien et le mal, le sacré et l’impur, la gloire de Dieu et le pouvoir des ténèbres, afin que tu connaisses dorénavant les deux pouvoirs et ne sois jamais influencé ni vaincu par ce malin. »

Il dit à Joseph de se purifier le cœur et de se fortifier l’esprit pour recevoir les annales. Il explique : « Ces objets sacrés ne pourront jamais être obtenus autrement que par la prière et l’obéissance fidèle au Seigneur. Ils ne sont pas déposés là en vue d’accumuler des richesses pour la gloire de ce monde. Ils ont été scellés par la prière de la foi. »

Joseph demande quand il pourra obtenir les plaques.

« Le 22 septembre prochain, dit Moroni, si tu es accompagné de la bonne personne. »

« Qui est la bonne personne ? » demanda Joseph.

« Ton frère aîné. »

Depuis qu’il est enfant, Joseph sait qu’il peut compter sur son frère aîné. Alvin a vingt-cinq ans et aurait pu s’acheter sa propre exploitation s’il l’avait voulu. Mais il a choisi de rester à la ferme familiale parce qu’il veut que ses parents soient établis et en sécurité sur leurs terres lorsqu’ils prendront de l’âge. Il est sérieux et travailleur et Joseph a un grand amour et une grande admiration pour lui.

Peut-être que Moroni sent que Joseph a besoin de la sagesse et de la force de son frère pour devenir le genre de personne à qui le Seigneur peut confier les plaques.

En rentrant chez lui ce soir-là, Joseph est fatigué. Mais sa famille s’attroupe autour de lui dès qu’il a franchi le seuil de la porte, impatiente de savoir ce qu’il a trouvé dans la colline. Il commence à parler des plaques, mais Alvin l’interromp lorsqu’il remarque combien il a l’air épuisé.

« Allons nous coucher, dit-il, et nous irons travailler tôt demain matin. » Ils auront le temps le lendemain d’entendre le reste de l’histoire de Joseph. « Si maman nous sert le souper de bonne heure, dit-il, nous aurons ensuite une longue soirée pour nous rassembler et t’écouter. »

Le lendemain soir, Joseph raconte ce qui s'est passé à la colline, et Alvin le croit. En tant que fils aîné, il s’est toujours senti responsable du bien-être matériel de ses parents vieillissants. Ses frères et lui ont même commencé à construire une maison plus grande afin que la famille soit installée plus confortablement.

Il semble maintenant que Joseph s’occupe de leur bien-être spirituel. Soirée après soirée, il fascine la famille en parlant des plaques d’or et des récits qu’elles contiennent. La famille devient plus unie et leur foyer est paisible et heureux. Tout le monde sent que quelque chose de merveilleux est sur le point de se produire.

Puis, un matin d’automne, moins de deux mois après la visite de Moroni, Alvin rentre à la maison, souffrant terriblement de l’estomac. Courbé de douleur, il supplie son père d’appeler de l’aide. Lorsqu’enfin un médecin arrive, il lui administre une dose importante de médicament, mais cela ne fait qu’aggraver son état.

Alvin reste alité pendant des jours, à se tordre de douleur. Sachant qu’il va probablement mourir, il fait appeler Joseph et lui dit : « Fais tout ce qui est en ton pouvoir pour obtenir les annales. Obéis fidèlement aux instructions que tu reçois et respecte scrupuleusement chaque commandement qui t’est donné. »

Il meurt peu après et le chagrin s’abat sur la maisonnée. Lors des obsèques, un prédicateur laisse entendre qu’Alvin est parti en enfer, se servant de sa mort pour mettre les gens en garde contre ce qui arrive sans l’intervention de Dieu pour les sauver. Joseph, père, est furieux. Son fils a été un bon jeune homme et il n’arrive pas à croire que Dieu puisse le damner.

Le décès d’Alvin met un terme aux discussions au sujet des plaques. Il a été un partisan tellement loyal de l’appel divin de Joseph que toute mention du sujet ravive le souvenir de sa mort. La famille ne peut le supporter.

Alvin manque terriblement à Joseph et sa mort est une épreuve très difficile pour lui. Il a espéré trouver auprès de son frère aîné de l’aide pour obtenir les annales. Maintenant, il se sent abandonné.

Quand le jour où il doit retourner à la colline arrive enfin, il s’y rend seul. Sans Alvin, il n’est pas sûr que le Seigneur lui confie les plaques. Mais il pense qu’il peut garder tous les commandements que le Seigneur lui a donnés, comme son frère le lui a conseillé. Les instructions de Moroni pour récupérer les plaques sont claires. L’ange a dit : « Tu dois les prendre dans les mains, rentrer directement chez toi sans tarder et les mettre sous clé. »

À la colline, Joseph soulève la pierre à l’aide d’un levier, plonge les mains dans la boîte en pierre et en sort les plaques. Une pensée lui traverse alors l’esprit : les autres objets dans la boîte ont de la valeur et doivent être dissimulés avant qu’il ne rentre chez lui. Il pose les plaques sur le sol et se retourne pour refermer la boîte. Mais lorsqu’il fait demi-tour, les plaques n’y sont plus. Alarmé, il tombe à genoux et supplie pour savoir où elles sont.

Moroni apparaît et lui dit qu’il a encore désobéi aux instructions. Non seulement il a posé les plaques par terre avant de les mettre en sécurité, mais il les a également quittées des yeux. Aussi disposé que le jeune voyant puisse être à exécuter l’œuvre du Seigneur, il n’est pas encore capable de protéger les annales.

Joseph s’en veut, mais Moroni lui demande de revenir chercher les plaques l’année suivante. Il l’instruit également davantage au sujet du plan du Seigneur pour le royaume de Dieu et de la grande œuvre en train de se dérouler.

Ainsi, après le départ de l’ange, Joseph redescend furtivement la colline, inquiet de ce que sa famille va penser en le voyant rentrer à la maison les mains vides. Lorsqu’il entre, elle l’attend. Son père lui demande immédiatement s’il a les plaques.

« Non, dit-il, je n’ai pas pu les obtenir.

Les as-tu vues ?

Je les ai vues mais je n’ai pas pu les prendre.

À ta place, je les aurais prises.

Tu ne sais pas ce que tu dis. Je n’ai pas pu les prendre parce que l’ange du Seigneur ne me l’a pas permis. »


CHAPITRE 4 : Sois vigilant

Emma Hale, vingt et un ans, entend parler de Joseph Smith pour la première fois lorsque ce dernier vient travailler chez Josiah Stowell, à l’automne 1825. Josiah a embauché le jeune homme et son père pour l’aider à trouver des trésors cachés sur ses terres. Des légendes locales affirment qu’une bande d’explorateurs a découvert un gisement d’argent et dissimulé le trésor dans la région des centaines d’années auparavant. Sachant que Joseph a un don pour se servir de pierres de voyant, Josiah lui a offert un bon salaire et une part du butin s’il participe aux recherches.

Le père d’Emma, Isaac, est favorable à l’idée. Lorsque Joseph et son père arrivent chez les Stowell, à Harmony, en Pennsylvanie, un village à environ deux cent cinquante kilomètres au sud de Palmyra, Isaac sert de témoin à la signature des contrats. Il permet également aux ouvriers de vivre chez lui.

Emma rencontre Joseph peu après. Il est plus jeune qu’elle, mesure plus d’un mètre quatre-vingts et ressemble à quelqu’un qui a l’habitude de travailler dur. Il a les yeux bleus, le teint clair, et boite légèrement. Sa maîtrise de la grammaire laisse à désirer et il emploie parfois trop de mots pour s’exprimer, mais il fait preuve d’une intelligence naturelle lorsqu’il parle. Son père et lui sont des hommes bons qui préfèrent adorer seuls plutôt que d’aller à l’église où Emma et sa famille rendent leur culte.

Joseph et Emma se plaisent à être en plein air. Depuis son enfance, Emma aime monter à cheval et faire du canoë sur la rivière près de chez elle. Joseph n’est pas un cavalier accompli, mais il excelle en lutte et aux jeux de ballon. Il est à l’aise en présence des gens, sourie facilement et raconte souvent des blagues ou des histoires drôles. Emma est plus réservée, mais elle aime une bonne blague et peut parler avec n’importe qui. Elle apprécie aussi la lecture et le chant.

Au fur et à mesure que les semaines passent et qu’Emma fait plus ample connaissance avec Joseph, ses parents commencent à s’inquiéter de leur relation. Joseph est un pauvre ouvrier d’un autre État, et ils espèrent que leur fille se désintéressera de lui et épousera un homme issu de l’une des familles prospères de leur vallée. Le père d’Emma se méfie maintenant de la chasse au trésor et du rôle que Joseph y joue. Le fait que Joseph ait tenté de convaincre Josiah Stowell de cesser la chasse lorsqu’il est devenu évident qu’elle n’aboutirait à rien ne semble pas être important aux yeux d’Isaac Hales.

Emma préfère Joseph à tous les autres hommes qu’elle connaît et ne cesse pas de passer du temps avec lui. Lorsque Joseph réussit à convaincre Josiah d’arrêter les recherches concernant le filon d’argent, il reste à Harmony pour travailler à la ferme de ce dernier. Parfois, il est aussi embauché par Joseph et Polly Knight, une autre famille de fermiers de la région. Quand il ne travaille pas, il rend visite à Emma.

Joseph et sa pierre de voyant deviennent rapidement un sujet de commérages à Harmony. Les villageois plus âgés croient aux voyants, mais beaucoup de leurs enfants et petits-enfants n’y croient pas. Le neveu de Josiah, convaincu que Joseph a profité de son oncle, traîne le jeune homme devant un tribunal et l’accuse d’être un imposteur.

Joseph se tient devant le juge local et explique comment il a trouvé la pierre. Joseph, père, témoigne qu’il a demandé constamment à Dieu de leur montrer sa volonté quant au don merveilleux de voyant de Joseph. Enfin, Josiah se présente devant la cour et déclare que Joseph ne l’a pas escroqué.

Le juge dit : « Est-ce que je comprends que vous croyez que le prisonnier voit à l’aide de la pierre ? »

« J’en suis absolument convaincu », insiste Josiah.

Josiah est un homme respecté dans la collectivité et les gens acceptent ses paroles. À la fin, l’audience ne produit aucune preuve que Joseph a profité de lui ; le juge rejette donc l’accusation.

En septembre 1826, Joseph retourne à la colline chercher les plaques, mais Moroni dit qu’il n’esdt pas encore prêt. L’ange lui dit : « Arrête de fréquenter les chercheurs d’or. » Il y a des hommes méchants parmi eux. Moroni lui donne une année de plus pour mettre sa volonté en adéquation avec celle de Dieu. S’il ne le fait pas, les plaques ne lui seront jamais confiées.

L’ange lui dit également d’amener quelqu’un avec lui la prochaine fois. C’est la même demande que celle qu’il a faite à la fin de la première visite de Joseph à la colline. Mais comme Alvin est décédé, Joseph est perplexe.

Il demande : « Qui est la bonne personne ? »

Moroni dit : « Tu le sauras. »

Joseph cherche à être guidé par le Seigneur grâce à sa pierre de voyant et découvre que la bonne personne est Emma.

Il a été attiré par elle dès leur première rencontre. Comme Alvin, Emma une personne qui peut l’aider à devenir l’homme dont le Seigneur a besoin pour accomplir son œuvre. Mais il n’y a pas que cela. Il l’aime et veut l’épouser.

En décembre, Joseph a vingt et un ans. Par le passé, il s’est laissé entraîner ici et là à la demande de personnes qui voulaient tirer profit de son don. Mais depuis sa dernière visite à la colline, il sait qu’il doit faire davantage d’efforts pour se préparer à recevoir les plaques.

Avant de retourner à Harmony, Joseph parle avec ses parents. « J’ai pris la décision de me marier, leur dit-il, et, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, Mademoiselle Emma Hale sera mon choix. » Ses parents sont heureux de sa décision, et sa mère insiste pour qu’ils viennent habiter avec eux après leur mariage.

Cet hiver-là, Joseph passe autant de temps qu’il peut avec Emma, empruntant parfois le traîneau des Knight lorsque les neiges de l’hiver rendent impraticable la route menant chez les Hale. Mais les parents d’Emma ne l’aiment toujours pas, et ses efforts pour les conquérir échouent.

En janvier 1827, Emma se rend chez les Stowell où elle et Joseph peuvent passer du temps ensemble loin des regards désapprobateurs de sa famille. C’est là que Joseph demande Emma en mariage. Emma semble déconcertée de prime abord. Elle sat que ses parents s’y opposeront. Mais Joseph l’incite à y réfléchir. Ils pourraient s’enfuir immédiatement pour se marier.

Emma considère la demande. Ses parents seraient déçus, mais la décision lui appartient, et elle aime Joseph.

Peu de temps après, le 18 janvier 1827, Joseph et Emma se marient chez le juge de paix local. Ensuite, ils se rendent à Manchester et commencent leur vie commune chez les parents de Joseph. La nouvelle maison est confortable, mais Joseph, père, et Lucy y ont fait trop de dépenses, sont en retard dans les remboursements et en ont perdu la possession. Maintenant les nouveaux propriétaires la leur louent.

Les parents Smith sont contents d’avoir Joseph et Emma chez eux. Mais l’appel divin de leur fils leur cause du souci. Des personnes de la région ont entendu parler des plaques d’or et se mettent parfois à leur recherche.

Un jour, Joseph part faire une course en ville. Ses parents sont très inquiets en ne le voyant pas rentrer pour dîner. Ils attendent des heures, incapables de trouver le sommeil. Enfin, Joseph ouvre la porte et s’effondre sur une chaise, épuisé.

Son père demanda : « Comment se fait-il que tu rentres si tard ? »

Joseph dit : « J’ai reçu la plus belle correction de ma vie. »

Son père exige de savoir qui l’a corrigé.

Joseph répond : « C’est l’ange du Seigneur. Il a dit que j’étais négligent. » Le jour de sa prochaine rencontre avec Moroni approche. Il dit : « Il faut que je m’y mette. Il faut que je m’occupe de ce que Dieu m’a commandé de faire ».

Après la récolte d’automne, Josiah Stowell et Joseph Knight se rendent dans la région de Manchester pour affaire. Les deux hommes savent que le quatrième anniversaire de la visite de Joseph à la colline est imminent, et ils sont impatients de savoir si Moroni va enfin lui confier les plaques.

Les chercheurs de trésors aussi savent que le moment est venu. Ces derniers temps, un homme du nom de Samuel Lawrence rôde sur la colline à la recherche des plaques. Inquiet que Samuel cause problème, Joseph a envoyé son père chez lui le soir du 21 septembre pour le tenir à l’œil et l’affronter s’il a l’air de vouloir se rendre à la colline.

Ensuite, Joseph se prépare à aller récupérer les plaques. Sa visite annuelle à la colline doit avoir lieu le lendemain, mais, pour avoir une longueur d’avance sur les chasseurs de trésors, il a l’intention d’y arriver peu après minuit, juste au début du matin du 22 septembre, au moment où personne ne s’attendra à ce qu’il soit dehors.

Mais il lui faut encore trouver un moyen de protéger les plaques une fois qu’il les aura. Lorsque la plupart des membres de la famille sont partis se coucher, il demande tout doucement à sa mère si elle a un coffre. Lucy n’en a pas et s’inquiète.

Joseph dit : « Ne t’en fais pas. Je peux très bien me débrouiller sans pour l’instant. »

Emma se présente peu après, habillée pour partir, et Joseph et elle grimpent dans la calèche et s’éloignent dans la nuit. Lorsqu’ils arrivent à la colline, elle attend avec la calèche pendant qu’il grimpe jusqu’à l’endroit où les plaques sont cachées.

Moroni apparaît et Joseph sort les plaques d’or et les pierres de voyant de la boîte en pierre. Avant que Joseph ne descende la colline, Moroni lui rappelle de ne montrer les plaques à personne, excepté à ceux que le Seigneur a désignés, lui promettant que les plaques seront protégées s’il fait tout son possible pour les préserver.

Moroni lui dit : « Tu devras être vigilant et fidèle à ta charge sinon des hommes méchants l’emporteront sur toi, parce qu’ils vont manigancer tous les complots et stratagèmes possibles pour te les subtiliser. Et si tu ne fais pas continuellement attention, ils réussiront. »

Joseph porte les plaques jusqu’au pied de la colline, mais avant d’arriver à la calèche, il les met à l’abri dans un tronc creux où elles seront en sécurité jusqu’à ce qu’il se procure un coffre. Il rejoint ensuite Emma et ils rentrent à la maison au moment où le soleil commence à se lever.

Chez les Smith, Lucy les attend avec impatience tout en servant le petit-déjeuner à Joseph, père, à Joseph Knight et à Josiah Stowell. Elle vaque à ses occupations, le cœur battant, craignant que son fils ne revienne sans les plaques.

Peu après, Joseph et Emma entrent dans la maison. Lucy regarde si Joseph a les plaques, mais quitte la pièce en tremblant lorsqu’elle le voit les mains vides.

Joseph la suit. Il dit : « Maman, ne t’inquiète pas. » Il lui tend un objet enveloppé dans un mouchoir. À travers le tissu, Lucy palpe ce qui semble être une grosse paire de lunettes. C’est l’urim et le thummim, les pierres de voyant que le Seigneur a préparées pour traduire les plaques.

Lucy est folle de joie. On dirait qu’on a ôté un poids énorme des épaules de Joseph. Mais lorsqu’il rejoint les autres dans la maison, il prend un air abattu et mange son petit-déjeuner en silence. Lorsqu’il a terminé, l’air triste, il se prend la tête dans les mains. « Je suis déçu », dit-il à Joseph Knight.

« Je suis désolé », dit le vieil homme.

« Je suis terriblement déçu », répète Joseph, le visage s’éclairant d’un sourire. « C’est dix fois mieux que je n’osais l’espérer ! » Il continue en décrivant la taille et le poids des plaques et parle avec enthousiasme de l’urim et du thummim.

Il dit : « Je peux tout voir. Elles sont prodigieuses. »

Le jour après avoir reçu les plaques, Joseph va réparer un puits dans une ville voisine afin de réunir l’argent nécessaire pour acheter un coffre. Ce matin-là, pendant qu’il fait une course de l’autre côté de la colline par rapport à chez lui, Joseph, père, surprend un groupe d’hommes en train de comploter pour voler les plaques. L’un d’eux dit : « Nous ferons main basse sur ces plaques, en dépit de Joe Smith ou de tous les diables de l’enfer. »

Inquiet, Joseph, père, rentre à la maison et en parle à Emma. Elle dit qu’elle ne sait pas où sont les plaques, mais qu’elle est certaine que Joseph les a protégées.

« Oui, répondit Joseph, père, mais souviens-toi que pour une petite chose Ésaü a perdu sa bénédiction et son droit d’aînesse. Il peut en être de même pour Joseph. »

Pour s’assurer de la sécurité des plaques, Emma fait plus d’une heure de cheval pour se rendre à la ferme où Joseph travaille. Elle le trouve à côté du puits, couvert de boue et de sueur après une journée de labeur. Informé du danger, il regarde dans l’urim et thummim et voit que les plaques sont en sécurité.

Chez lui, Joseph, père, fait les cent pas dehors, jetant à chaque instant un coup d’œil vers la route jusqu’à ce qu’il voie Joseph et Emma.

« Père, dit Joseph en arrivant, tout est parfaitement en sécurité, il n’y a pas de raison de s’inquiéter. »
Mais il est temps d’agir.

Joseph se dirige en hâte vers la colline, trouve le tronc qui dissimule les plaques et il les enveloppe soigneusement dans une chemise. Il plonge ensuite dans les bois en direction de la maison, le regard à l’affût du danger. La forêt le dissimule aux yeux des gens sur la route principale, mais elle offre aux voleurs de multiples cachettes.

Sous le poids des plaques, Joseph marche d’un pas lourd aussi rapidement qu’il le peut à travers les bois. Un arbre abattu bloque le sentier devant lui et au moment où il saute par-dessus, il sent quelque chose de dur le heurter de derrière. Faisant volte-face, il voit un homme l’attaquer, brandissant un fusil comme une massue.

Les plaques coincées sous un bras, Joseph envoie l’homme à terre d’un coup de poing et s’enfonce précipitamment dans le fourré. Il cour pendant environ un kilomètre lorsqu’un autre homme bondit de derrière un arbre et le frappe avec la crosse de son fusil. Joseph se débarrasse de lui et part comme une flèche, voulant à tout prix sortir des bois. Mais il n’est pas allé bien loin qu’un troisième homme l’attaque, lui assénant un violent coup de poing qui le fait chanceler. Rassemblant ses forces, Joseph le frappe durement et rentre en courant chez lui.

De retour chez lui, il fait irruption par la porte avec son lourd paquet coincé sous un bras. « Père, s’écrie-t-il, j’ai les plaques. »

Katherine, sa sœur de quatorze ans, l’aide à déposer le paquet sur la table pendant que le reste de la famille se rassemble autour de lui. Joseph voit bien que son père et son jeune frère William ont envie de déballer les plaques, mais il les arrête.

« Ne peut-on pas les voir ? » demande Joseph, père.

« Non », dit Joseph. « J’ai été désobéissant la première fois, mais j’ai l’intention d’être fidèle cette fois-ci. »

Il leur dit qu’ils peuvent les toucher à travers le tissu, et son frère William soulève le paquet. Il est plus lourd que de la pierre, et William sent qu’il y a des feuilles qui bougent comme les pages d’un livre. Joseph envoie également son jeune frère, Don Carlos, chercher un coffre chez Hyrum, qui habite à deux pas avec sa femme Jerusha et leur bébé.

Hyrum arrive peu après et une fois les plaques en sécurité dans le coffre, Joseph s’effondre sur un lit voisin et commence à parler à sa famille des hommes dans les bois.

Pendant qu’il parle, il se rend compte qu’il a mal à la main. À un moment donné, pendant les attaques, il s’est déboîté un pouce.

Il dit soudain : « Il faut que j’arrête de parler, père, et que je te demande de me remettre le pouce en place. »



CHAPITRE 5 : Tout est perdu

Joseph ayant rapporté les plaques d’or chez lui, des chercheurs de trésors tentent pendant des semaines de les lui dérober. Pour préserver les annales, il doit sans cesse les déplacer, les cachant sous le foyer de la cheminée, sous le plancher de l’atelier de son père, et dans des piles de grain. Il ne doit jamais baisser sa garde.

Des voisins curieux s’arrêtent à la maison et le supplient de leur montrer les plaques. Joseph refuse systématiquement, même lorsque quelqu’un lui offre de le payer. Il est décidé à en prendre soin, confiant en la promesse du Seigneur que s’il fait tout son possible, elles seront protégées.

Ces interruptions l’empêchent souvent d’examiner les plaques et d’en apprendre davantage sur l’urim et le thummim. Il sait que les interprètes sont censés l’aider à traduire les plaques, mais il n’a jamais utilisé de pierres de voyant pour lire une langue ancienne. Il est pressé de commencer l’œuvre, mais il ne sait pas vraiment comment s’y prendre.

Tandis qu’il étudie les plaques, Martin Harris, propriétaire terrien respecté de Palmyra, s’intéresse à son projet. Martin est suffisamment âgé pour être le père de Joseph et il l’a parfois embauché pour l’aider sur ses terres. Il a entendu parler des plaques d’or, mais n’y a pas prêté grande attention jusqu’à ce que la mère de Joseph lui propose de discuter avec son fils.

Celui-ci travaille ailleurs lorsque Martin passe ; il interroge donc Emma et d’autres membres de la famille au sujet des plaques. Lorsque Joseph est de retour, Martin l’attrape par le bras et demande d’autres détails. Joseph lui parle des plaques d’or et des instructions qu’il a reçues de Moroni de les traduire et d’en publier le contenu.

Martin dit : « Si c’est l’œuvre du diable, je ne veux pas y être mêlé. » Mais si c’est l’œuvre du Seigneur, il veut aider Joseph à la proclamer au monde.

Joseph lui permet de soupeser les plaques dans le coffre. Il sent bien qu’il y a là quelque chose de lourd, mais il n’est pas convaincu qu’il s’agit d’un jeu de plaques d’or. Il dit à Joseph : « Ne m’en veux pas de ne pas te croire. »

Lorsqu’il rentre chez lui après minuit, il pénètre sans bruit dans sa chambre et prie, promettant à Dieu de donner tout ce qu’il possède pour savoir si Joseph fait une œuvre divine.

Pendant qu’il prie, il sent une petite voix douce parler à son âme. Il sait alors que les plaques viennent de Dieu, et il sait qu’il doit aider Joseph à diffuser leur message.

Vers la fin de l’année 1827, Emma apprend qu’elle est enceinte et écrit à ses parents. Elle est mariée depuis près d’un an, et son père et sa mère sont encore mécontents. Mais les Hale acceptent de laisser le jeune couple revenir à Harmony afin qu’Emma puisse accoucher près de sa famille.

Bien que cela l’éloigne de ses parents et de ses frères et sœurs, Joseph a hâte de partir. Il y a encore des gens à New York qui essaient de voler les plaques et l’emménagement dans un nouvel endroit lui donnera la paix et la discrétion dont il a besoin pour faire l’œuvre du Seigneur. Malheureusement, il est endetté et n’a pas d’argent pour le déménagement.

Espérant remettre de l’ordre dans ses finances, Joseph va en ville régler certaines de ses dettes. Pendant qu’il t dans un magasin pour un paiement, Martin Harris s’avance vers lui. Il dit : « Tenez, M. Smith, voici cinquante dollars. Je vous les donne pour faire l’œuvre du Seigneur. »

Joseph est gêné d’accepter l’argent et promet de le rembourser, mais Martin lui dit de ne pas s’en inquiéter. L’argent est un cadeau, et il prend toutes les personnes présentes à témoin qu’il le lui a donné librement.

Peu après, Joseph rembourse ses dettes et charge son chariot. Emma et lui partent pour Harmony avec les plaques d’or cachées dans un tonneau de haricots.

Environ une semaine plus tard, le couple arrive dans la maison spacieuse des Hale. Peu de temps après, le père d’Emma exige de voir les plaques d’or, mais Joseph dit qu’il ne peut lui montrer que le coffre où il les conserve. Agacé, il le soulève, le soupèse, mais demeure néanmoins sceptique. Il dit à Joseph qu’il ne peut pas le garder dans la maison s’il ne lui en montre pas le contenu.

Avec le père d’Emma autour d’eux, il n’est pas facile de tradure, mais Joseph fait de son mieux, et avec l’aide d’Emma, il recopie de nombreux caractères étranges sur du papier. Puis, pendant plusieurs semaines, il essaie de les traduire avec l’urim et le thummim. Il ne suffit pas de regarder dans les interprètes. Il doit se montrer humble et faire preuve de foi pendant qu’il étudie les caractères.

Quelques mois plus tard, Martin vient à Harmony. Il dit qu’il sent que le Seigneur l’appelle à aller jusqu’à New York afin de consulter des experts en langues anciennes. Il espère que ceux-ci pourront traduire les caractères.

Joseph copie plusieurs autres caractères des plaques, écrit sa traduction et remet le papier à Martin. Emma et lui regardent leur ami prendre la direction de l’est pour consulter d’éminents savants.

Lorsque Martin arrive à New York, il va voir Charles Anthon, professeur de latin et de grec à l’université de Columbia. C’est un jeune homme (environ quinze ans de moins que Martin) surtout célèbre pour sa publication d’une encyclopédie populaire sur les cultures grecque et romaine. Il a également commencé à rassembler des histoires au sujet des Amérindiens.

Anthon est un érudit inflexible qui n’apprécie pas les interruptions, mais il fait bon accueil à Martin et étudie les caractères et la traduction que Joseph a fournis. Bien qu’il ne connaît pas l’égyptien, le professeur a lu des études sur la langue et sait à quoi elle ressemble. En regardant les caractères, il voit des similarités avec l’égyptien et dit à Martin que la traduction est correcte.

Ce dernier lui montre d’autres caractères et il les examine. Il dit que les caractères sont issus de plusieurs langues anciennes et donne à Martin un certificat attestant de leur authenticité. Il lui recommande également de les montrer à un autre spécialiste nommé Samuel Mitchill, qui enseignait autrefois à Columbia.

Anthon dit : « Il est très instruit dans ces langues anciennes, et je suis certain qu’il vous donnera satisfaction. »

Martin place le certificat dans sa poche et, au moment de partir, Anthon le rappelle. Il veut savoir comment Joseph a trouvé les plaques d’or.

Martin dit : « Un ange de Dieu le lui a révélé. » Il témoigne que la traduction des plaques changera le monde et le sauvera de la destruction. Et maintenant qu’il a la preuve de leur authenticité, il a l’intention de vendre sa ferme et de donner l’argent afin que la traduction puisse être publiée.

Anthon dit : « Montrez-moi ce certificat. »

Martin le prend dans sa poche et le lui donne. Anthon le déchire en petits morceaux et dit que le ministère d’anges n’existe pas. Si Joseph veut que les plaques soient traduites, il peut les apporter à Columbia et le faire faire par un spécialiste.

Martin explique qu’une partie des plaques est scellée et que Joseph n’est pas autorisé à les montrer à qui que ce soit.

Anthon dit : « Je ne peux pas lire un livre scellé. » Il avertit Martin que Joseph est probablement en train de le duper. Il dit : « Prenez garde à la canaille. »

Martin prend congé du professeur Anthon et rend visite à Samuel Mitchill. Ce dernier reçoit Martin poliment, écoute son histoire et regarde les caractères et la traduction. Il ne les comprend pas, mais il dit qu’ils lui rappellent les hiéroglyphes égyptiens et sont les écrits d’une nation disparue.

Martin quitte la ville peu de temps après et retourne à Harmony, plus convaincu que jamais que Joseph a des plaques d’or antiques et le pouvoir de les traduire. Il raconte à Joseph ses entretiens avec les professeurs et en déduit que si certains des hommes les plus instruits des États-Unis ne peuvent pas traduire le livre, c’est à Joseph de le faire.

Joseph dit : « Je ne peux pas, car je ne suis pas instruit. » Mais il sait que le Seigneur a préparé les interprètes afin qu’il puisse traduire les plaques.

Martin acquièsce. Il décide de retourner à Palmyra, de régler ses affaires et de revenir dès que possible pour servir de secrétaire à Joseph.

En avril 1828, Emma et Joseph vivent dans une maison au bord de la Susquehanna, non loin de la maison des parents d’Emma. Maintenant dans sa grossesse avancée, elle sert souvent de secrétaire à Joseph lorsqu’il commence à traduire les annales. Un jour, pendant qu’il traduit, il pâlit soudain. Il demande : « Emma, y avait-il un mur autour de Jérusalem ? »

« Oui », dit-elle, se souvenant de descriptions dans la Bible.

« Ah ! » dit Joseph avec soulagement, « j’ai eu peur d’avoir été trompé »

Emma s’étonne que l’absence de connaissances de son mari en histoire et dans les Écritures n’empêche pas la traduction. Joseph peut difficilement rédiger une lettre cohérente. Pourtant, heure après heure elle est assise près de lui pendant qu’il dicte le document sans l’aide d’aucun livre ou manuscrit. Elle sait que seul Dieu peut l’inspirer pour traduire comme il le fait.

Plus tard, Martin revient de Palmyra et prend la relève comme secrétaire, offrant à Emma la possibilité de se reposer avant l’arrivée du bébé. Mais se reposer s’avère une chose compliquée. Lucy, la femme de Martin, a insisté pour l’accompagner à Harmony, et tous deux ont du caractère. Lucy se méfie du souhait de Martin de vouloir soutenir Joseph financièrement et lui en veut d’être parti sans elle à New York. Lorsqu’il lui apprend qu’il va à Harmony aider Joseph à la traduction, elle s’invite, déterminée à voir les plaques.

Lucy perd l’ouïe et lorsqu’elle ne comprend pas ce que les gens disent, elle suppose qu’ils la critiquent. Elle n’a pas non plus un grand respect pour la vie privée des autres. Lorsque Joseph refuse de lui montrer les plaques, elle commence à fouiller la maison, furetant dans les coffres, les placards et les malles de la famille. Bientôt, Joseph n’a pas d’autre solution que de les cacher dans les bois.

Peu après, Lucy quitte la maison et est logée chez un voisin. Emma récupère ses coffres et ses placards, mais maintenant Lucy raconte aux voisins que Joseph cherche à soutirer de l’argent à Martin. Après avoir causé des ennuis pendant des semaines, Lucy rentre chez elle à Palmyra.

Une fois la paix retrouvée, Joseph et Martin traduisent rapidement. Joseph progresse dans son rôle divin de voyant et révélateur. Regardant dans les interprètes ou une autre pierre de voyant, il peut traduire les plaques, qu’elles soient posées sur la table devant lui ou enveloppées dans l’une des nappes d’Emma.

Pendant les mois d’avril, de mai et le début du mois de juin, Emma écoute le rythme de la dictée des annales par Joseph. Il parle lentement, mais clairement, faisant occasionnellement des pauses en attendant que Martin dise « écrit » lorsqu’il a fini de noter ce que Joseph a dit. Emma relaye aussi Martin et s’étonne de la manière dont Joseph, après les interruptions et les pauses, reprend toujours là où il a arrêté, sans le moindre rappel.

Le moment de la naissance du bébé d’Emma approche. La liasse de manuscrits s’est épaissie, et Martin est persuadé que s’il fait lire la traduction à sa femme, elle en verra la valeur et cessera d’interférer dans leur travail. Il espère également que Lucy sera contente de voir qu’il a consacré son temps et son argent à la parution de la parole de Dieu.

Un jour, Martin demande à Joseph la permission d’emporter le manuscrit à Palmyra pendant quelques semaines. Se souvenant du comportement de Lucy Harris lorsqu’elle a passé la maison en revue, Joseph se méfie de l’idée. Cependant, il veut faire plaisir à Martin, qui a cru en lui quand tant d’autres ont douté de ses paroles.

Ne sachant quoi faire, Joseph prie pour être guidé, et le Seigneur lui dit de ne pas laisser Martin emporter les pages. Mais ce dernier est certain qu’en les montrant à sa femme, cela changera les choses, et il supplie Joseph de redemander. Il le fait, mais la réponse est la même. Martin le presse de demander une troisième fois, et cette fois-ci, Dieu leur permet de faire à leur guise.

Joseph dit à Martin qu’il peut emporter les pages pendant deux semaines s’il fait alliance de les garder sous clé et de ne les montrer qu’à certains membres de sa famille. Martin promet et retourne à Palmyra, le manuscrit à la main.

Après le départ de Martin, Moroni apparaît à Joseph et lui reprend les interprètes.

Le lendemain, Emma accouche dans des douleurs atroces et donne naissance à un garçon. Le bébé est frêle et chétif et il ne vit pas longtemps. Après cette épreuve, Emma est épuisée physiquement et dévastée émotionnellement, et pendant un certain temps, il semble qu’elle aussi va mourir. Joseph est constamment aux petits soins pour elle, ne quittant jamais bien longtemps son chevet.

Au bout de deux semaines, la santé d’Emma commence à s’améliorer et elle se met à penser à Martin et au manuscrit. Elle dit à Joseph : « Je me sens tellement mal à l’aise que je n’arrive pas à me reposer et je ne serai soulagée que quand je saurai ce qu’en a fait M. Harris. »

Elle incite Joseph à aller voir Martin, mais il ne veut pas la quitter. Elle dit : « Fais venir ma mère et elle restera avec moi pendant que tu seras parti. »

Joseph prend une diligence en direction du nord. Il mange et dort peu pendant le voyage, craignant d’avoir offensé le Seigneur en n’obéissant pas lorsqu’il a dit de ne pas laisser Martin prendre le manuscrit.

Le soleil commence à poindre lorsqu’il arrive chez ses parents, à Manchester. Les Smith préparent le petit déjeuner et invitent Martin à se joindre à eux. À 8 h, le repas est sur la table, mais Martin n’arrive pas. Joseph et la famille commencent à éprouver un certain malaise en l’attendant.

Enfin, au bout de plus de quatre heures, Martin apparaît au loin, marchant lentement en direction de la maison, les yeux fixés sur le sol devant lui. Au portail il s’arrête, s’assoit sur la barrière, et baisse son chapeau sur ses yeux. Ensuite il entre et s’assoit pour manger en silence.

La famille regarde Martin lorsqu’il prend ses couverts, comme s’il s’apprêtait à manger, et les laissa tomber. Les mains pressant ses tempes, il s’écrie : « J’ai perdu mon âme ! J’ai perdu mon âme. »

Joseph se lève d’un bond. « Martin, avez-vous perdu ce manuscrit ? »

Martin dit : « Oui. Il a disparu et je ne sais pas où. »

Serrant les poings, Joseph gémit : « Oh, mon Dieu, mon Dieu. Tout est perdu ! »

Il commence à faire les cent pas. Il ne sait pas quoi faire. Il commande à Martin : « Retournez-y. Cherchez encore. »

Martin s’écrie : « C’est tout à fait inutile. J’ai cherché partout dans la maison. J’ai même éventré les matelas et les coussins, et je sais qu’il n’y est pas. »

« Dois-je retourner auprès de ma femme et lui annoncer une telle nouvelle ? » Joseph craint que cela ne la tue. « Et comment vais-je me présenter devant le Seigneur ? »

Sa mère essaie de le réconforter. Elle dit que peut-être le Seigneur lui pardonnera s’il se repent humblement. Mais Joseph sanglote maintenant, furieux contre lui-même de n’avoir pas obéi au Seigneur la première fois. Il peut à peine manger le reste de la journée. Il passe la nuit là et repart le lendemain matin pour Harmony.

En le regardant partir, Lucy a le cœur lourd. Il semble que tout ce qu’ils ont espéré en tant que famille, tout ce qui leur a apporté de la joie ces quelques dernières années s’est volatilisé en un instant.



CHAPITRE 6 : Le don et le pouvoir de Dieu

Lorsque Joseph revient à Harmony au cours de l’été 1828, Moroni lui apparaît de nouveau et lui reprend les plaques. L’ange dit : « Si tu es suffisamment humble et pénitent, tu les recevras de nouveau le vingt-deux septembre. »

Des ténèbres obscurcissent l’esprit de Joseph. Il sait qu’il a eu tort d’ignorer la volonté de Dieu et de confier le manuscrit à Martin. Maintenant Dieu ne peut plus lui confier les plaques ni les interprètes. Joseph a le sentiment qu’il mérite tout châtiment que les cieux lui infligeront.

Écrasé par la culpabilité et les regrets, il s’agenouille, confesse son péché et implore le pardon. Il réfléchit au moment où il a fait fausse route et à ce qu’il peut mieux faire si le Seigneur lui permet de nouveau de traduire.

Un jour de juillet, tandis que Joseph marche non loin de chez lui, Moroni lui apparaît. L’ange lui remet les interprètes, et Joseph voit à l’intérieur un message venant de Dieu : « On ne peut faire échouer l'œuvre, le dessein et l'intention de Dieu ni les réduire à néant. »

Les paroles sont rassurantes, mais elles cèdent rapidement la place à la réprimande : « Comme ils étaient stricts, les commandements qui t’avaient été donnés, dit le Seigneur. Tu n’aurais pas dû craindre l’homme plus que Dieu. » Il commande à Joseph de faire plus attention aux choses sacrées. Les annales contenues sur les plaques d’or sont plus importantes que la réputation de Martin ou que le désir de Joseph de faire plaisir aux gens. Dieu les a préparées pour renouveler son ancienne alliance et pour enseigner à tous les peuples qu’ils doivent se reposer sur Jésus-Christ pour obtenir le salut.

Le Seigneur exhorte Joseph à se souvenir de sa miséricorde. Il commande : « Repens-toi de ce que tu as fait, tu es toujours celui que j’ai choisi. » Une fois de plus, il appelle Joseph à être son prophète et voyant. Il lui enjoint cependant de prêter attention à sa parole.

Il déclare : « Mais si tu ne le fais pas, tu seras abandonné, tu deviendras comme les autres hommes, et tu n’auras plus de don. »

Cet automne-là, les parents de Joseph se rendent à Harmony. Près de deux mois viennent de s’écouler depuis que Joseph est parti de chez eux à Manchester et ils n’ont eu aucune nouvelle de lui. Ils craignent que les tragédies de l’été ne l’aient anéanti. En l’espace de quelques semaines, il a perdu son premier enfant, a failli perdre sa femme et a perdu les pages du manuscrit. Ils veulrnt s’assurer qu’Emma et lui vont bien.

À environ un kilomètre de leur destination, Joseph, père, et Lucy sont ravis de voir Joseph debout sur la route devant eux, l’air calme et heureux. Il leur raconte comment il a perdu la confiance de Dieu, s’est repenti et a reçu la révélation. La réprimande du Seigneur l’a blessé, mais, comme les prophètes de jadis, il couche la révélation sur papier afin que d’autres puissent la lire. C’est la première fois qu’il enregistre la parole du Seigneur qui lui est adressée personnellement.

Il informe également ses parents que depuis, Moroni lui a rendu les plaques et les interprètes. L’ange semble satisfait, rapporte Joseph. « Il m’a dit que le Seigneur m’aimait pour ma fidélité et mon humilité. »

Les annales sont maintenant rangées en sécurité dans la maison, cachées dans une malle. « Emma écrit pour moi maintenant, leur dit-il, mais l’ange a dit que le Seigneur m’enverrait quelqu’un pour le faire, et je suis sûr qu’il en sera ainsi. »

Le printemps suivant, Martin Harris se rend à Harmony, porteur de mauvaises nouvelles. Sa femme a porté plainte devant les tribunaux affirmant que Joseph est un imposteur qui prétend traduire des plaques d’or. Martin s’attend maintenant à recevoir une citation à comparaître pour témoigner devant le tribunal. Il devra déclarer que Joseph l’a dupé, sinon Lucy, sa femme, l’accusera aussi de tromperie.

Martin fait pression sur Joseph pour qu’il lui donne d’autres preuves que les plaques sont réelles. Il veut tout raconter devant le tribunal au sujet de la traduction mais il craint que les gens ne le croient pas. Après tout, Lucy a fouillé entièrement la maison des Smith et n’a jamais trouvé les annales. Et, bien qu’il ait servi de secrétaire à Joseph pendant deux mois, il n’a jamais vu les plaques non plus et ne peut pas témoigner qu’il les a vues.

Joseph présente la question au Seigneur et reçoit une réponse pour son ami. Le Seigneur ne veut pas révéler à Martin ce qu’il doit dire devant le tribunal ni lui fournir de preuves supplémentaires tant qu’il ne décidera pas de se montrer humble et de faire preuve de foi. Il dit : « S’ils ne veulent pas croire mes paroles, ils ne te croiraient pas, mon serviteur Joseph, même s’il t’était possible de leur montrer toutes ces choses que je t’ai confiées. »

Le Seigneur promet de faire preuve de miséricorde à l’égard de Martin s’il fait ce que Joseph a fait cet été-là et s’humilie, fait confiance à Dieu et apprend de ses erreurs. Il dit qu’au moment opportun, trois témoins fidèles verront les plaques et que Martin pourra être l’un d’eux s’il cesse de rechercher l’approbation des autres.

Avant de terminer, le Seigneur fait une déclaration. Il dit : « Si cette génération ne s’endurcit pas le cœur, j’établirai mon Église parmi elle. »

Joseph médite ces paroles pendant que Martin recopie la révélation. Ensuite, pendant que Martin la relit, Emma et Joseph écoutent pour en vérifier l’exactitude. Pendant la lecture, le père d’Emma entre dans la pièce et écoute. Lorsqu’ils ont terminé, il demande de qui sont ces paroles.

« Ce sont les paroles de Jésus-Christ », expliquent Joseph et Emma.

Isaac, le père d'Emma, dit : « Je considère que tout cela n’est que délire. Laissez tomber. »

Ignorant le père d’Emma, Martin prend son exemplaire de la révélation et monte dans la diligence pour rentrer chez lui. Il est venu à Harmony à la recherche de preuves de l’existence des plaques et il en repart avec une révélation témoignant de leur réalité. Il ne peut pas s’en servir devant les tribunaux, mais il rentre à Palmyra sachant que le Seigneur le connaît.

Plus tard, lorsqu’il se tint devant le juge, il rend un témoignage simple et puissant. La main levée vers le ciel, il témoigne de l’authenticité des plaques d’or et déclare qu’il a donné de plein gré à Joseph cinquante dollars pour faire l’œuvre du Seigneur. N’ayant aucune preuve pour confirmer les accusations de Lucy, le tribunal classe l’affaire sans suite.

Pendant ce temps, Joseph poursuit la traduction, priant que le Seigneur lui envoie vite un autre secrétaire.

À Manchester, un jeune homme du nom d’Oliver Cowdery loge chez les parents de Joseph. Oliver a un an de moins que Joseph et, à l’automne 1828, il a commencé à enseigner à l’école qui se trouve à environ un kilomètre au sud de la ferme des Smith.

Les instituteurs sont souvent hébergés par les familles de leurs élèves et lorsqu’Oliver a entendu des rumeurs au sujet de Joseph et des plaques d’or, il a demandé s’il pouvait rester chez les Smith. Au début, il n’a glané que quelques détails auprès de la famille. Le manuscrit volé et les commérages locaux les ont rendus méfiants au point de garder le silence.

Mais au cours de l’hiver 1828-1829, en instruisant les enfants Smith, il gagne la confiance de ses hôtes. Vers cette époque-là, Joseph, père, est revenu d’un voyage à Harmony avec une révélation déclarant que le Seigneur est sur le point de commencer une œuvre merveilleuse. Entre-temps, Oliver s’est avéré être quelqu'un qui cherche sincèrement la vérité et les parents de Joseph s’ouvrent à lui et lui parlent de l’appel divin de leur fils.

Oliver est captivé par ce qu’ils disent et il désire ardemment participer à la traduction. Comme Joseph, il est mécontent des Églises modernes et croit en un Dieu de miracles qui révèle encore sa volonté à son peuple. Mais Joseph et les plaques sont loin et Oliver ne sait pas comment se rendre utile à l’œuvre en restant à Manchester.

Un jour du printemps 1829, alors que la pluie tambourine contre le toit de la maison des Smith, il dit à la famille qu’il veut se rendre à Harmony aider Joseph lorsque le trimestre scolaire sera terminé. Lucy et Joseph, père, l’exhortent à demander au Seigneur si son désir est juste.

Se retirant jusqu’à son lit, Oliver prie en privé pour savoir si ce qu’il a entendu au sujet des plaques d’or est vrai. Le Seigneur lui montre en vision les plaques d’or et les efforts de Joseph pour les traduire. Un sentiment de paix repose sur lui et il sait alors qu’il doit offrir ses services de secrétaire à Joseph.

Il ne parle à personne de sa prière. Mais dès la fin du trimestre scolaire, il part avec Samuel, le frère de Joseph, à pied pour Harmony, à plus de cent cinquante kilomètres de là. Il fait froid et les pluies printanières ont rendu les routes boueuses si bien qu’Oliver a un orteil gelé lorsque Samuel et lui arrivent chez Joseph et Emma. Néanmoins, il est pressé de rencontrer le couple et de voir par lui-même comment le Seigneur opère par l’intermédiaire du jeune prophète.

Lorsqu’Oliver arrive à Harmony, c'est comme s’il avait toujours été là. Joseph parle avec lui jusqu’à une heure avancée, écoute son histoire et répond à ses questions. Il est évident qu’il est instruit et Joseph accepte volontiers son offre de lui servir de secrétaire.

Après son arrivée, la première tâche de Joseph est de trouver un endroit où travailler. Il demande à Oliver d’ébaucher un contrat dans lequel Joseph promet de payer son beau-père pour la petite maison en rondins où il vit avec Emma, ainsi que pour la grange, les terres cultivables et la source à proximité. Soucieux du bien-être de leur fille, les parents d’Emma acceptent les conditions et promettent d’apaiser les craintes des voisins au sujet de Joseph.

En attendant, Joseph et Oliver commencent à traduire. Ils travaillent bien ensemble des semaines d’affilée, fréquemment avec Emma dans la même pièce, occupée à ses tâches quotidiennes. Parfois, Joseph traduit en regardant à travers les interprètes et en lisant en anglais les caractères sur les plaques.

Souvent, il trouve plus pratique d’utiliser une seule pierre de voyant. Il la met dans son chapeau, avance son visage dans le chapeau pour bloquer la lumière et regarde la pierre. La lumière de la pierre brille dans l’obscurité, révélant des mots que Joseph dicte pendant qu’Oliver les copie rapidement.

Sous la direction du Seigneur, Joseph n’essaie pas de retraduire ce qu’il a perdu. Au lieu de cela, Oliver et lui continuent d’avancer dans les annales. Le Seigneur révèle que Satan a incité des hommes méchants à prendre les pages, à en altérer les mots et à les utiliser pour jeter un doute sur la traduction. Mais le Seigneur assure à Joseph qu’il a inspiré les prophètes d’autrefois qui ont préparé les plaques à y inclure un autre récit, plus complet que les pages perdues.

Il lui dit : « Je confondrai ceux qui ont altéré mes paroles. Je leur montrerai que ma sagesse est plus grande que la ruse du diable. »

Oliver est enchanté d’être le secrétaire de Joseph. Jour après jour, il écoute son ami dicter l’histoire complexe de deux grandes civilisations, les Néphites et les Lamanites. Il est question de rois justes ou méchants, de peuples réduits en captivité et délivrés, d’un prophète d’autrefois qui utilise des pierres de voyant pour traduire des annales récupérées dans des champs remplis d’ossements. Comme Joseph, ce prophète est un révélateur et un voyant à qui a été accordé le don et le pouvoir de Dieu.

Le récit témoigne sans cesse de Jésus-Christ, et Oliver voit comment les anciens prophètes dirigeaient une Église et comment des hommes et des femmes ordinaires accomplissaient l’œuvre de Dieu.

Pourtant, Oliver se pose encore beaucoup de questions sur l’œuvre du Seigneur. Il est avide de réponses. Joseph cherche une révélation pour lui par l’intermédiaire de l’urim et du thummim, et le Seigneur répond : « Si vous me demandez, vous recevrez… Si tu m’interroges, tu connaîtras des mystères qui sont grands et merveilleux. »

Le Seigneur exhorte aussi Oliver à se souvenir du témoignage qu’il a reçu avant de venir à Harmony et qu’il a gardé secret. « N’ai-je pas apaisé ton esprit à ce sujet ? Quel témoignage plus grand peux-tu avoir que celui de Dieu ? » demande le Seigneur. « Si je t’ai dit des choses que nul ne connaît, n’as-tu pas reçu un témoignage ? »

Oliver est stupéfait. Il raconte immédiatement à Joseph sa prière secrète et le témoignage divin qu’il a reçu. « Personne n’aurait pu être au courant si ce n’est Dieu », dit-il. Maintenant, il sait que l’œuvre était vraie.

Ils se remettent au travail et Oliver commence à se demander si lui aussi pourrait traduire. Il croit que Dieu peut œuvrer grâce à des instruments tels que des pierres de voyant, et il lui est arrivé d’utiliser un bâton de devin pour trouver de l’eau et des minéraux. Pourtant il n’est pas sûr que son bâton opère par la puissance de Dieu. Le processus de révélation était encore un mystère pour lui.

Joseph présente de nouveau les questions d’Oliver au Seigneur et le Seigneur dit à Oliver qu’il a le pouvoir d’acquérir la connaissance s’il demande avec foi. Il confirme que le bâton d’Oliver opère par le pouvoir de Dieu, comme celui d’Aaron dans l’Ancien Testament. Il instruit davantage Oliver au sujet de la révélation. « Je te le dirai dans ton esprit et dans ton cœur par le Saint-Esprit », déclara-t-il. « Voici, c’est là l’Esprit de révélation. »

Il lui dit également qu’il peut traduire les annales comme le fait Joseph, tant qu’il fait appel à la foi. Le Seigneur dit : « Souviens-toi que sans la foi, tu ne peux rien faire. »

Après cette révélation, Oliver est impatient de traduire. Il suit l’exemple de Joseph, mais lorsque les mots ne viennent pas facilement, il est contrarié et troublé.

Joseph voit les difficultés de son ami et a de la compassion. Lui-même a mis du temps à mettre son cœur et son esprit en accrod avec le travail de traduction, mais Oliver semble penser qu’il peut le maîtriser rapidement. Il ne suffit pas d’avoir un don spirituel. Il faut du temps pour le cultiver et le développer afin de pouvoir l’utiliser dans l’œuvre de Dieu.

Oliver abandonne rapidement le projet de traduire et demande à Joseph pourquoi il n’a pas réussi.

Joseph interroge le Seigneur. Le Seigneur répond : « Tu as pensé que je te le donnerais, alors que ton seul souci était de me le demander. Tu dois l’étudier dans ton esprit ; alors tu dois me demander si c’est juste. »

Le Seigneur commande à Oliver d’être patient. Il dit : « Il n’est pas opportun que tu traduises en ce moment. L’œuvre que tu es appelé à faire consiste à écrire pour mon serviteur Joseph. » Il promet à Oliver d’autres occasions de traduire plus tard, mais pour l’instant il est le secrétaire et Joseph est le voyant.


CHAPITRE 7 : Compagnons de service

Le printemps 1829 est froid et humide jusque dans le courant du mois de mai. Tandis que les fermiers des environs d’Harmony restent à l’abri, reportant leurs semailles de printemps jusqu’à ce que le temps s’améliore, Joseph et Oliver avancent tant qu’ils pouvent dans la traduction des annales.

Ils arrivent au récit de ce qui se produisit parmi les Néphites et les Lamanites lorsque Jésus mourut à Jérusalem. Il est question d'énormes tremblements de terre et de violentes tempêtes qui anéantissent le peuple et modifient l’aspect du paysage. Certaines villes sont englouties dans la terre, tandis que d’autres sont consumées par le feu. Des éclairs remplissent le ciel pendant des heures et le soleil disparaît, enveloppant les survivants d’épaisses ténèbres. Pendant trois jours le peuple crie et pleure ses morts.

Enfin, la voix de Jésus-Christ pénètre l’obscurité : « N’allez-vous pas maintenant revenir à moi, demanda-t-il, et vous repentir de vos péchés, et être convertis, afin que je vous guérisse ? » Il disperse les ténèbres et le peuple se repent. Peu après, beaucoup de gens se réunissent autour d’un temple dans un pays appelé Abondance, où ils s’entretiennent des changements incroyables qui se sont produits à la surface du pays.

Pendant que les gens en parlent, ils voient le Fils de Dieu descendre des cieux. « Je suis Jésus-Christ, dit-il, dont les prophètes ont témoigné qu’il viendrait au monde. » Il reste quelque temps parmi eux, enseigne son Évangile et leur commande d'être baptisés par immersion pour la rémission des péchés.

« Et quiconque croit en moi et est baptisé, celui-là sera sauvé, déclara-t-il, et ce sont ceux-là qui hériteront le royaume de Dieu. » Avant de remonter aux cieux, il donne à des hommes justes l’autorité de baptiser les personnes qui croient en lui.

Pendant qu’ils traduisent, Joseph et Oliver sont frappés par ces enseignements. Comme son frère Alvin, Joseph n’a jamais été baptisé et il veut en savoir davantage sur le baptême et sur l’autorité nécessaire pour le célébrer.

Le 15 mai 1829, les pluies cessent et Joseph et Oliver se rendent dans les bois près de la Susquehanna. Agenouillés, ils interrogent Dieu au sujet du baptême et de la rémission des péchés. Alors qu’ils prient, la voix du Rédempteur les apaise et un ange apparaît dans une nuée de lumière. Il se présente sous le nom de Jean-Baptiste et pose les mains sur leur tête. Ils ont le cœur rempli de joie pendant qu’ils sont enveloppés de l’amour de Dieu.

Jean déclare : « À vous, mes compagnons de service, au nom du Messie, je confère la Prêtrise d’Aaron, qui détient les clés du ministère d’anges, de l’Évangile de repentir et du baptême par immersion pour la rémission des péchés. »

La voix de l’ange est douce mais elle les transperce jusqu’au cœur. Il expliqua que la prêtrise d’Aaron les autorise à accomplir des baptêmes et il leur commande de se baptiser mutuellement après son départ. Il ajoute qu’ils recevront plus tard un autre pouvoir de la prêtrise qui leur donnera l’autorité de se conférer le don du Saint-Esprit l’un à l’autre, ainsi qu’aux personnes qu’ils baptiseront.

Après le départ de Jean Baptiste, Joseph et Oliver se dirigent vers le fleuve et entrent dans l’eau. Joseph baptise Oliver en premier et, dès qu’il sort de l’eau, Oliver commence à prophétiser au sujet de ce qui va bientôt arriver. Ensuite il baptise Joseph, qui sort du fleuve en prophétisant la naissance de l’Église du Christ que le Seigneur a promis d’établir parmi eux.

Conformément aux instructions de Jean-Baptiste, ils retournent dans les bois et s’ordonnent mutuellement à la Prêtrise d’Aaron. Au cours de leur étude de la Bible, ainsi que de leur traduction des annales anciennes, ils ont souvent lu des choses relatives à l’autorité d’agir au nom de Dieu. Maintenant, eux-mêmes détiennent cette autorité.

Après leur baptême, ils découvrent que des Écritures qui leur paraissaient absconses et mystérieuses deviennent soudain plus claires. La vérité et la compréhension inondent leur esprit.

À New York, l’ami d’Oliver, David Whitmer, est impatient d’en apprendre davantage sur l’œuvre de Joseph. Bien que David vive à Fayette, à environ cinquante kilomètres de Manchester, Oliver et lui sont devenus amis pendant qu’Oliver enseignait à l’école et logeait chez les Smith. Ils discutaient souvent des plaques d’or et lorsqu’Oliver a emménagé à Harmony, il a promis de lui écrire au sujet de la traduction.

Des lettres ont commencé à arriver peu de temps après. Oliver écrivit que Joseph connaissait des détails sur sa vie que personne ne pouvait connaître si ce n’était par révélation de Dieu. Il décrivit les paroles du Seigneur à Joseph et la traduction des annales. Dans l’une de ses lettres, il recopia quelques lignes de la traduction, témoignant de sa véracité.

Une autre lettre informait David que la volonté de Dieu était qu’il vienne à Harmony avec son attelage et son chariot afin d’aider Joseph, Emma et Oliver à déménager à Fayette, chez les Whitmer, où ils termineraient la traduction. Les habitants d’Harmony étaient devenus moins accueillants à l’égard des Smith. Certains hommes avaient même menacé de les attaquer et, sans l’influence de la famille d’Emma, ils auraient pu être gravement blessés.

David fait part des lettres d’Oliver à ses parents et à ses frères et sœurs, qui acceptent d’accueillir Joseph, Emma et Oliver chez eux. Les Whitmer sont descendants de colons germanophones et ont la réputation d’être vaillants et pieux. Leur ferme est suffisamment proche de la maison des Smith pour se rendre visite mais suffisamment loin pour empêcher les voleurs de les léser.

David veut se rendre immédiatement à Harmony mais son père lui rappelle qu’il a deux journées de dur labeur à faire avant de pouvoir partir. C’est la saison des semailles et il doit labourer huit hectares et fertiliser le sol avec du plâtre de Paris afin de favoriser la croissance de leur blé. Son père lui dit qu’il doit d’abord prier pour savoir s’il est absolument nécessaire qu’il parte maintenant.

David suit le conseil de son père et, pendant qu’il prie sent l’Esprit lui dire de terminer son travail chez lui avant d’aller à Harmony.

Le lendemain matin, il va dans les champs et voit des sillons sombres zébrer un sol qui n’a pas été labouré la veille au soir. Examinant les parcelles plus en détail, il voit qu’environ deux hectares et demi ont été labourés pendant la nuit, et la charrue l’attend dans le dernier sillon, prête pour lui.

Le père de David est étonné lorsqu’il apprend ce qui s’est produit. « Il doit y avoir une main qui gouverne tout dans cette affaire, dit-il, et je pense que tu ferais mieux d’aller en Pennsylvanie dès que ton plâtre de Paris sera répandu. »

David travaille dur pour labourer les champs restants et préparer les sols pour des semailles fructueuses. Lorsqu’il a fini, il attelle son chariot à une paire de chevaux robustes et part pour Harmony plus tôt que prévu.

Joseph, Emma et Oliver emménagent à Fayette, après quoi la mère de David est débordée de travail. Mary Whitmer et son mari, Peter, ont déjà huit enfants de quinze à trente ans, et ceux qui ne vivent plus chez eux demeurent dans le voisinage. Mary passe ses journées à veiller à leurs besoins et les trois invités lui donnent un surcroît de travail. Mais elle a foi en l’appel de Joseph et ne se plaint pas, bien qu'elle fatigue.

La chaleur à Fayette cet été-là est étouffante. Pendant que Mary fait la lessive et prépare les repas, Joseph dicte la traduction dans une pièce à l’étage. Oliver écrit habituellement pour lui, mais de temps en temps, Emma ou l’un des Whitmer prend la plume. Parfois, lorsqu’ils sont las de traduire, Joseph et Oliver sortent marcher jusqu’à un étang voisin et font des ricochets sur l'eau.

Mary a peu de temps pour se détendre et le surcroit de travail et la pression sont pénibles à supporter.

Un jour, alors qu’elle est dehors à côté de la grange où l’on traie les vaches, elle voit un homme aux cheveux blancs avec un sac en bandoulière. Son apparition soudaine l’effraye, mais tout en s’approchant il lui parle d’une voix aimable qui la rassure.

« Je m’appelle Moroni, dit-il. Tu t’es beaucoup fatiguée avec tout le travail supplémentaire que tu as à faire. » Il dégage son épaule du sac à dos et Mary regarde pendant qu’il commence à l’ouvrir.

Il continue : « Tu as travaillé avec fidélité et diligence. Il est donc convenable que tu reçoives un témoignage afin que ta foi soit fortifiée. »

Moroni ouvre son sac et en retire les plaques d’or. Il les tient devant Mary et tourne les pages afin qu’elle puisse voir les inscriptions. Après avoir tourné la dernière, il l’exhorte à être patiente et fidèle pendant qu’elle assumera cette charge supplémentaire pendant encore quelque temps. Il lui promet qu’elle en sera bénie.

Le vieil homme disparaît un instant plus tard, laissant Mary seule. Elle a encore du travail à faire, mais cela ne la trouble plus.

Chez les Whitmer, Joseph traduit rapidement, mais certains jours sont difficiles. Son esprit vagabonde vers d’autres préoccupations et il n’arrive plus à se concentrer sur les choses spirituelles. La petite maison des Whitmer est toujours animée et pleine de distractions. En emménageant là, Emma et lui ont perdu l’intimité relative qu’ils avaient à Harmony.

Un matin, alors qu’il s’apprête à traduire, Joseph se fâche avec Emma. Plus tard, lorsqu’il rejoint Oliver et David dans la pièce de l’étage où ils travaillent, il ne peut pas traduire une syllabe.

Il quitte la pièce et se rend dans le verger. Il est absent environ une heure, occupé à prier. Lorsqu’il revient, il présente ses excuses à Emma et lui demande pardon. Il se remet ensuite à traduire comme d’habitude.

Il traduit maintenant la dernière partie des annales, connue sous le nom de petites plaques de Néphi, qui sera en fin de compte placée au début du livre. Révélant une histoire analogue à celle que Martin et lui ont traduite et perdue, les petites plaques parlent d’un jeune homme nommé Néphi, dont la famille a été guidée par Dieu depuis Jérusalem jusqu’à une terre promise. Elle explique les origines des annales et les premiers conflits entre les peuples néphite et lamanite. Chose plus importante encore, elle rend un témoignage puissant de Jésus-Christ et de son expiation.

Lorsque Joseph traduit les écrits de la dernière plaque, il découvre qu’elle explique l’objectif des annales et lui donne le titre de Livre de Mormon, d’après l’ancien prophète historien qui a compilé le livre.

Depuis qu’il a commencé à traduire le Livre de Mormon, Joseph a beaucoup appris sur son rôle futur dans l’œuvre de Dieu. Dans ses pages, il a reconnu les enseignements fondamentaux qu’il a appris dans la Bible, ainsi que de nouvelles vérités et de nouvelles idées sur Jésus-Christ et sur son Évangile. Il a également découvert des passages relatifs aux derniers jours qui prophétisent qu’un voyant choisi, nommé Joseph, fera paraître la parole du Seigneur et rétablira des connaissances et des alliances perdues.

Dans les annales, il a vu que Néphi développe la prophétie d’Ésaïe au sujet d’un livre scellé que des hommes instruits ne peuvent pas lire. En la lisant, il pense à l’entretien de Martin Harris avec le professeur Anthon. Les annales affirment que seul Dieu peut faire sortir le livre de la terre et établir l’Église du Christ dans les derniers jours.

Lorsque Joseph et son ami ont fini la traduction, ils songent à une promesse que le Seigneur a faite dans le Livre de Mormon et dans ses révélations : montrer les plaques à trois témoins. Les parents de Joseph et Martin Harris sont en visite chez les Whitmer à ce moment-là et, un matin, Martin, Oliver et David supplient Joseph de leur permettre d’être les témoins. Joseph prie et le Seigneur répond, disant que s’ils se reposent sur lui de tout leur cœur et s’engagent à témoigner de la vérité, ils pourront voir les plaques.

« Il faut que vous vous humiliiez devant votre Dieu aujourd’hui, dit Joseph à Martin en particulier, et que vous obteniez si possible le pardon de vos péchés. »

Plus tard ce jour-là, Joseph conduit les trois hommes dans les bois à proximité de la maison des Whitmer. Ils s’agenouillent et prient à tour de rôle pour que les plaques leur soient montrées, mais il ne se produit rien. Ils essaient une deuxième fois, mais il ne se produit rien non plus. Enfin, Martin se lève et s’éloigne, disant que c’est de sa faute si les cieux restent clos.

Joseph, Oliver et David se remettent à prier et bientôt un ange apparaît au-dessus d’eux dans une lumière éclatante. Il a les annales à la main et les feuillette, une plaque à la fois, montrant aux hommes les symboles gravés sur chaque page. Une table apparaît à côté de lui et il s’y trouve les objets antiques décrits dans le Livre de Mormon : les interprètes, le pectoral, une épée et le compas miraculeux qui a guidé la famille de Néphi depuis Jérusalem jusqu’à la terre promise.

Les hommes entendent la voix de Dieu déclarer : « Ces plaques ont été révélées et traduites par le pouvoir de Dieu. Leur traduction, que vous avez vue, est correcte et je vous commande de témoigner de ce que vous voyez et entendez maintenant. »

Lorsque l’ange part, Joseph s’enfonce plus profondément dans les bois et trouve Martin agenouillé. Ce dernier lui dit qu’il n’a pas encore reçu de témoignage du Seigneur, mais qu’il veut toujours voir les plaques. Il demande à Joseph de prier avec lui. Il s’agenouille à côté de lui, et à peine ont-ils prononcé quelques mots qu’ils voient le même ange montrer les plaques et les autres objets antiques.

« C’est assez ! C’est assez ! s’écrie Martin. Mes yeux ont vu ! Mes yeux ont vu ! »

En fin d’après-midi, Joseph et les trois témoins retournent chez les Whitmer. Mary Whitmer devise avec les parents de Joseph lorsque celui-ci entre précipitamment dans la pièce. « Père ! Mère ! dit-il. Vous n’imaginez pas combien je suis heureux ! »

Il s’élance vers sa mère. « Le Seigneur a fait en sorte que les plaques soient montrées à trois autres hommes, à part moi, dit-il. Ils savent par eux-mêmes que je ne suis pas en train de tromper les gens. »

Il a l’impression qu’un fardeau a été ôté de ses épaules. « Ils auront dorénavant un rôle à jouer, dit-il. Je n’ai plus à être entièrement seul au monde. »

Martin entre ensuite dans la pièce, au comble de la joie. « J’ai maintenant vu un ange du ciel ! s’écrie-t-il. Je bénis Dieu dans la sincérité de mon âme d’avoir condescendu à faire de moi un témoin de la grandeur de son œuvre ! »

Quelques jours plus tard, les Whitmer rejoignent les Smith chez eux, à Manchester. Sachant que le Seigneur a promis d’établir sa parole « par la bouche d’autant de témoins qu’il lui semble bon », Joseph se rend dans les bois avec son père, Hyrum et Samuel, ainsi que quatre des frères de David : Christian, Jacob, Peter et John et leur beau-frère Hiram Page.

Les hommes se réunissent dans un endroit où la famille Smith vient souvent prier en privé. Avec la permission du Seigneur, Joseph découvre les plaques et les montre au groupe. Ils ne voient pas d’ange comme les trois témoins, mais Joseph leur permet de tenir les annales dans leurs mains, de tourner les pages et d’examiner les écrits anciens. La manipulation des plaques confirme en eux que l’histoire de Joseph au sujet de l’ange et des annales anciennes est véridique.

Maintenant que la traduction est terminée et qu’il a des témoins pour corroborer son témoignage, Joseph n’a plus besoin des plaques. Lorsque les hommes ont quitté les bois et sont rentrés dans la maison, l’ange apparaît et Joseph remet les annales sacrées à ses soins.


CHAPITRE 8 : L’émergence de l’Église du Christ

Au début du mois de juillet 1828, avec le manuscrit en main, Joseph sait que le Seigneur veut qu’il publie le Livre de Mormon et diffuse son message dans le monde entier. Mais ni sa famille ni lui ne s’y connaissent en publication. Il doit garder le manuscrit en sécurité, trouver un imprimeur et, d’une manière ou d’une autre, remettre le livre entre les mains de personnes disposées à envisager la possibilité qu’il s’agisse de nouvelles Écritures.

La publication d’un livre de la longueur du Livre de Mormon ne sera pas bon marché. Les finances de Joseph ne se sont pas améliorées depuis qu’il a commencé la traduction et tout l’argent qu’il gagne sert à subvenir aux besoins de sa famille. Il en est de même de ses parents qui sont toujours de pauvres fermiers travaillant une terre qui ne leur appartient. Le seul ami de Joseph qui puisse financer le projet est Martin Harris.

Joseph se met rapidement au travail. Avant d’avoir terminé la traduction, il dépose une demande afin de détenir les droits d’auteur et ainsi protéger le texte du vol ou du plagiat. Avec l’aide de Martin, il commence également à chercher un imprimeur qui acceptera de publier le livre.

Ils s’adressent d’abord à Egbert Grandin, un imprimeur de Palmyra qui a le même âge que Joseph. Celui-ci décline immédiatement l’offre, persuadé que le livre est une imposture. Sans se démonter, Joseph et Martin continuent à chercher et trouvent dans une ville voisine un imprimeur consentant. Mais avant d’accepter son offre, ils retournent à Palmyra et redemandent à Grandin s’il veut publier le livre.

Cette fois-ci, il semble plus disposé à accepte le projet, mais avant même de commencer le travail, il veut percevoir trois mille dollars pour imprimer et relier cinq mille exemplaires. Martin a déjà promis de participer au paiement de l’impression, mais pour débourser une telle somme, il se rend compte qu’il devra probablement hypothéquer sa ferme. C’est un fardeau énorme pour lui, mais il sait qu’aucun des autres amis de Joseph ne pourra lui procurer l’argent.

Troublé, Martin commence à remettre en question la sagesse de financer le Livre de Mormon. Il a l’une des meilleures fermes de la région. S’il hypothéque ses terres, il risque de les perdre. Ce qu'il a passé une vie entière à gagner peut disparaître en un instant si le Livre de Mormon ne se vend pas bien.

Il parle de ses préoccupations à Joseph et lui demande de rechercher une révélation pour lui. En réponse, le Sauveur parle de son sacrifice pour faire la volonté de son Père, quel qu’en soit le coût. Il décrit sa souffrance extrême pour payer le prix du péché afin que tous puissent se repentir et recevoir le pardon. Il commande ensuite à Martin de sacrifier ses propres intérêts pour réaliser le plan de Dieu.

« Je te commande de ne pas convoiter tes propres biens, dit le Seigneur, mais de les consacrer libéralement à l’impression du Livre de Mormon. » Le Seigneur lui assure que le livre contient la parole de Dieu et permettra à d’autres personnes de croire en l’Évangile.

Au risque que ses voisins ne comprennent pas sa décision, Martin obéit au Seigneur et hypothèque sa ferme afin de garantir le paiement.

Grandin signe un contrat et commence à organiser l’énorme projet. Joseph a traduit le texte du Livre de Mormon en trois mois, aidé d’un secrétaire à la fois. Il faut à Grandin et à une douzaine d’hommes sept mois pour imprimer et relier les premiers exemplaires de l’ouvrage de 590 pages.

Après avoir trouvé l'imprimeur, Joseph retourne à Harmony en octobre 1829 pour s’occuper de sa ferme et être avec Emma. Pendant ce temps, Oliver, Martin et Hyrum superviseront l’impression et lui enverront régulièrement des nouvelles de l'avancement des travaux de Grandin.

Se souvenant du désespoir qu’il a éprouvé après avoir perdu les premières pages qu’il a traduites, Joseph demande à Oliver de recopier intégralement le manuscrit à d'apporter la copie à l’imprimeur pour que celui-ci puisse ajouter la ponctuation et faire la composition typographique.

Oliver a plaisir à recopier le livre, et les lettres qu’il écrit à ce moment-là sont empreintes du langage du livre. Faisant écho à Néphi, Jacob et Amulek, personnages du Livre de Mormon, il écrit à Joseph sa reconnaissance pour l’expiation infinie du Christ.

« Lorsque je commence à écrire au sujet des miséricordes de Dieu, dit-il, je ne sais m’arrêter que lorsque je suis à court de temps et de papier. »

L'esprit du Livre de Mormon attire d’autres personnes pendant son impression. Thomas Marsh, un ancien apprenti imprimeur, a essayé de trouver sa place dans d’autres Églises, mais aucune ne prêche l’Évangile qu’il trouve dans la Bible. Il croit qu’une nouvelle Église apparaîtra prochainement et qu’elle enseignera la vérité rétablie.

Cet été-là, Thomas se sent poussé par l’Esprit à parcourir des centaines de kilomètres depuis sa maison à Boston jusqu’à l’ouest de l’État de New York. Il reste trois mois dans la région avant de rentrer chez lui, se demandant pourquoi il a fait un aussi long voyage. Cependant, lors d’une étape le long du chemin de retour, sa logeuse lui demande s’il a entendu parler de la « Bible d’or » de Joseph Smith. Il lui répondit que non et se sent poussé à s’en informer.

Elle lui conseille de s’adresser à Martin Harris et lui indique la direction de Palmyra. Il s’y rend immédiatement et le trouva dans la boutique de Grandin. L’imprimeur lui remet seize pages du Livre de Mormon, et il les ramène à Boston, pressé de communiquer à sa femme, Elizabeth, un avant-goût de cette nouvelle religion.

Elle lit les pages et elle aussi croit qu’elles sont la parole de Dieu.

Cet automne-là, pendant que les imprimeurs font régulièrement avancer l’impression du Livre de Mormon, un ancien juge appelé Abner Cole commence à publier un journal sur la presse de Grandin. Travaillant de nuit dans la boutique, après le départ des employés, Abner a accès aux pages imprimées et non reliées du Livre de Mormon qui n’est pas encore prêt pour la vente.

Il commence à se moquer de la « bible d’or » dans son journal et, au cours de l’hiver, publie des extraits du Livre accompagnés de commentaires sarcastiques.

Lorsqu’Hyrum et Oliver apprennent ce que fait Abner, ils vont le voir. « De quel droit imprimez-vous le Livre de Mormon de cette manière ? demande Hyrum. Ne savez-vous pas que nous en avons les droits d’auteur ? »

« Cela ne vous regarde pas, dit Abner. J’ai loué la presse et j’imprimerai ce qui me plaît. »

« Dorénavant, je vous interdis d’imprimer un quelconque extrait de ce livre dans votre journal », dit Hyrum.

« Je m’en moque », dit Abner.

Ne sachant pas exactement quoi faire, Hyrum et Oliver informent Joseph qui se trouve à Harmony et qui revient immédiatement à Palmyra. Il trouve Abner à l’imprimerie, lisant tranquillement son journal.

« Vous avez l’air de travailler d’arrache-pied », dit Joseph.

« Comment allez-vous, M. Smith », réplique sèchement Abner.

« M. Cole, dit Joseph, le Livre de Mormon et les droits de publication m’appartiennent et je vous interdis d’y toucher. »

Abner se débarrasse de son manteau et retrousse ses manches. « Voulez-vous vous battre, monsieur ? hurle-t-il en frappant ses poings l’un contre l’autre. Si vous voulez vous battre, venez. »

Joseph sourit. « Vous feriez mieux de remettre votre manteau, dit-il. Il fait froid et je ne vais pas me battre avec vous. » Il ajoute calmement : « Mais vous devez cesser d’imprimer mon livre. »

« Si vous pensez être le meilleur, dit Abner, ôtez votre manteau et voyons ce que vous savez faire. »

« La loi existe, répond Joseph, et vous le découvrirez, à vos dépens, si vous ne le savez pas déjà. Mais je ne me battrai pas avec vous, car cela n’apportera rien. »

Abner sait que la loi était contre lui. Il se calme et cesse d’imprimer des extraits du Livre de Mormon dans son journal.

Solomon Chamberlin, un prédicateur en route pour le Canada, entend parler pour la première fois de la « bible d’or » chez des gens qui l’hébergent près de Palmyra. Comme Thomas Marsh, il est passé d’Église en Église tout au long de sa vie, mais est mécontent de ce qu’il a vu. Certaines prêchent des principes de l’Évangile et croient aux dons spirituels, mais elles n’ont ni les prophètes de Dieu ni sa prêtrise. Solomon sent que le moment où le Seigneur fera paraître son Église approche.

En écoutant la famille parler de Joseph Smith et des plaques d’or, il est galvanisé des pieds à la tête et décide de trouver les Smith et de s’informer du livre.

Il prend la route pour se rendre chez eux et rencontre Hyrum à la porte. « La paix soit sur cette maison », dit Solomon.

« J’espère que ce sera la paix », répondit Hyrum.

« Y a-t-il quelqu’un ici, demanda Solomon, qui croit aux visions et aux révélations ? »

« Oui, dit Hyrum, nous sommes une famille de visionnaires. »

Solomon lui relate une vision qu’il a eue sept ans auparavant. Un ange lui a dit que Dieu n’a pas d’Église sur la terre, mais qu’il en suscitera bientôt une qui aura du pouvoir comme celle des apôtres d’autrefois. Hyrum et les autres personnes dans la maison comprennent ce que dit Solomon et lui disent qu’ils croient la même chose.

« J’aimerais que vous me fassiez part de certaines de vos découvertes, dit Solomon. Je pense être apte à les accepter. »

Hyrum l’invite à séjourner chez eux et lui montre le manuscrit du Livre de Mormon. Solomon l’étudie pendant deux jours et se rend avec Hyrum à l’imprimerie Grandin où l’imprimeur lui remet soixante-quatre pages imprimées. Les pages volantes à la main, Solomon poursuit sa route vers le Canada, prêchant en chemin tout ce qu’il sait au sujet de la nouvelle religion.

Le 26 mars 1830, les premiers exemplaires du Livre de Mormon sont reliés et disponibles à la vente au rez-de-chaussée de l’imprimerie Grandin. Ils sont étroitement reliés en vélin brun et sentent le cuir, la colle, le papier et l’encre. Les mots Livre de Mormon figurent sur la tranche en lettres d’or.

Lucy Smith chérit les nouvelles Écritures et y voit le signe que Dieu va bientôt rassembler ses enfants et rétablir son ancienne alliance. La page de titre déclare que l’objectif du livre est de montrer les grandes choses que Dieu a faites pour son peuple par le passé et d’offrir ces mêmes bénédictions à son peuple aujourd’hui et de convaincre le monde entier que Jésus-Christ est le Sauveur du monde.

Au dos du livre se trouvent les témoignages des trois et des huit témoins, déclarant au monde qu’ils ont vu les plaques et savent que la traduction est véridique.

En dépit de ces témoignages, Lucy sait que certaines personnes pensent que le Livre est une invention. Beaucoup de ses voisins disent que la Bible leur suffit comme Écriture, ne se rendant pas compte que Dieu a accordé sa parole à plus d’une nation. Elle sait aussi que des gens rejettent son message parce qu’ils croient que Dieu a parlé une fois pour toutes au monde par la Bible et qu'il ne lui reparlerat plus.

Pour ces raisons et bien d’autres, la plupart des habitants de Palmyra n’achetent pas le livre. Mais certains le lisent, ressentent la puissance de ses enseignements et s’agenouillent pour demander à Dieu s’il est vrai. Lucy sait que le Livre de Mormon est la parole de Dieu et veut en parler aux autres.

Presque immédiatement après la publication du Livre de Mormon, Joseph et Oliver se préparent à organiser l’Église de Jésus-Christ. Quelques mois plus tôt, les anciens apôtres du Seigneur, Pierre, Jacques et Jean leur sont apparus et leur ont conféré la Prêtrise de Melchisédek, comme l’avait promis Jean-Baptiste. Cette autorité supplémentaire leur permet de conférer le don du Saint-Esprit aux personnes qu’ils baptisent. Pierre, Jacques et Jean les ont également ordonnés à l’office d’apôtres de Jésus-Christ.

Pendant qu'ils séjournaient chez les Whitmer, ils ont prié pour en apprendre davantage sur cette autorité. En réponse, la voix du Seigneur leur a commandé de s’ordonner mutuellement à l’office d’anciens de l’Église, mais pas avant que des croyants ne consentent à les suivre en qualité de dirigeants dans l’Église du Sauveur. Il leur a également été dit d’ordonner d’autres officiers de l’Église et de conférer le don du Saint-Esprit à ceux qui ont été baptisés.

Le 6 avril 1830, Joseph et Oliver se réunissent chez les Whitmer pour respecter le commandement du Seigneur et organiser son Église. Conformément aux exigences de la loi civile, ils choisissent six personnes pour devenir les premiers membres de la nouvelle Église. Environ quarante autres se pressent également dans et autour de la petite maison pour être témoins de l’événement.

Par obéissance aux instructions préalables données par le Seigneur, Joseph et Oliver demandent à l’assemblée de les soutenir en tant que dirigeants dans le royaume de Dieu et d’indiquer s’il leur semble juste de s’organiser en Église. Tous les membres de l’assemblée marquent leur consentement et Joseph pose les mains sur la tête d’Oliver et l’ordonne ancien de l’Église. Ils échangent leurs places et Oliver ordonne Joseph.

Puis, ils administrent le pain et le vin de la Sainte-Cène en souvenir de l’expiation du Christ. Ils imposent ensuite les mains aux personnes qui ont été baptisées et les confirment membres de l’Église et leur confèrent le don du Saint-Esprit. L’Esprit du Seigneur est déversé sur les participants, et certains membres de l’assemblée commencent à prophétiser. D’autres louent le Seigneur et tous se réjouissent ensemble.

Joseph reçoit également la première révélation adressée à l’ensemble de la nouvelle Église. « Voici, un registre sera tenu parmi vous », commande le Seigneur, rappelant à son peuple qu’il doit enregistrer son histoire sacrée, préserver le récit de ses actions et témoigner du rôle de Joseph en tant que prophète, voyant et révélateur.

Le Seigneur déclare : « C’est lui que j’ai inspiré à faire avancer la cause de Sion avec une grande puissance pour le bien : Vous recevrez sa parole, en toute patience et avec une foi absolue, comme si elle sortait de ma propre bouche. Car, si vous faites ces choses, les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre vous. »

Plus tard, Joseph se tient près d’un ruisseau et est témoin du baptême de son père et de sa mère dans l’Église. Après avoir pris pendant des années des chemins différents dans leur quête de la vérité, ils sont enfin unis dans la foi. Lorsque son père sort de l’eau, Joseph le prend par la main, l’aide à regagner la berge et le serre dans ses bras.

« Mon Dieu, s’écrie-t-il, enfouissant son visage dans la poitrine de son père, j’ai vécu pour voir mon père baptisé dans la véritable Église de Jésus-Christ ! »

Ce soir-là, Joseph s’éclipse dans des bois voisins, le cœur gonflé d’émotion. Il veut être seul, loin du ragard de ses amis et de sa famille. Pendant les dix années qui ont suivi sa première vision, il a vu les cieux ouverts, ressenti l’Esprit de Dieu et a été formé par des anges. Il a également péché et perdu son don, pour se repentir ensuite, bénéficier de la miséricorde de Dieu et traduire le Livre de Mormon par le pouvoir et la grâce de Dieu.

Maintenant Jésus-Christ a rétabli son Église et accordé à Joseph la même autorité de la prêtrise que celle que détenaient les apôtres d’autrefois lorsqu’ils portaient l’Évangile au monde. Il ne peut contenir le bonheur qu’il éprouve et lorsque Joseph Knight et Oliver le retrouvent plus tard ce soir-là, il pleure.

Sa joie est pleine. L’œuvre a commencé.


DEUXIÈME PARTIE : Une maison de foi (avril 1830 - avril 1836)


CHAPITRE 9 : Que ce soit pour la vie ou pour la mort

Le dimanche qui suit l’organisation de l’Église, Oliver prêche à la famille Whitmer et à leurs amis à Fayette. Nombre d’entre eux ont soutenu la traduction du Livre de Mormon mais ne se sont pas encore joints à l’Église. Lorsqu’Oliver a fini de parler, six personnes lui demandent de les baptiser dans un lac voisin.

Au fur et à mesure que les gens se joignnt à la nouvelle Église, Joseph se sentaécrasé par l’immensité de la tâche que le Seigneur lui a confiée d’apporter l’Évangile au monde. Il a publié le Livre de Mormon et organisé l’Église du Seigneur, mais le livre se vend mal et les personnes qui veulent être baptisées sont essentiellement de ses amis et de sa famille. Et Joseph a encore beaucoup à apprendre au sujet des cieux et de la terre.

Les personnes qui deviennent membres de l’Église recherchent souvent les dons de l’Esprit et d’autres miracles, comme ceux qu’ils ont lus dans le Nouveau Testament. Mais l’Évangile rétabli promet aux croyants quelque chose de plus grand encore que des prodiges et des signes. Benjamin, prophète et roi sage du Livre de Mormon, a enseigné aux gens que s’ils se rendent aux persuasions du Saint-Esprit, ils pourront se débarrasser de leur nature charnelle et devenir des saints par l’expiation de Jésus-Christ.

Pour Joseph, la difficulté consiste maintenant à faire avancer l’œuvre du Seigneur. Oliver et lui savent qu’ils doivent prêcher le repentir à tout le monde, que le champ est prêt pour la moisson et que la valeur de chaque âme est grande aux yeux de Dieu. Mais comment deux jeunes apôtres, un fermier et un instituteur, ces deux derniers âgés d’à peine plus de vingt ans, pourraient-ils faire avancer une aussi grande œuvre ?

Et comment une petite Église, dans la campagne de l’État de New York, pourrait-elle s’élever au-dessus de ses humbles débuts et grandir jusqu’à remplir le monde entier ?

Après les baptêmes à Fayette, Joseph entame le voyage de cent soixante kilomètres pour rentrer chez lui à Harmony. Aussi occupé qu’il est avec la nouvelle Église, il doit ensemencer ses champs rapidement s’il veut une moisson abondante en automne. Il a déjà pris du retard dans les versements qu’il fait au père d’Emma ; si les récoltes étaient mauvaises, il lui faudrait trouver une autre solution pour rembourser sa dette.

En chemin, il s’arrête chez Joseph et Polly Knight, à Colesville, New York. Les Knight le soutiennent depuis longtemps mais ne sont pas encore devenus membres de l’Église. Joseph Knight, pour sa part, veut lire le Livre de Mormon avant d’accepter la nouvelle religion.

Joseph passe quelques jours à Colesville où il prêche l’Évangile aux Knight et à leurs amis. Newel Knight, l’un des fils de Joseph et Polly, en discute souvent avec le prophète. Un jour, Joseph lui demande de prier lors d’une réunion, mais Newel dit qu’il préfère prier seul dans les bois.

Le lendemain matin, il se rend dans les bois et tente de prier. Il est envahi d’un sentiment de malaise qui empire lorsqu’il prend le chemin de la maison. Lorsqu’il arrive chez lui, il se sent tellement oppressé qu’il supplie sa femme, Sally, d’aller chercher le prophète.

Joseph se précipite aux côtés de Newel et y trouve des membres de la famille et des voisins qui regardent avec effroi le visage, les bras et les jambes du jeune homme se contorsionner follement. Lorsque Newel voit Joseph, il s’écrie : « Chasse le démon ! »

Joseph n’a jamais essayé de réprimander le diable ni de guérir quelqu’un auparavant, mais il sait que Jésus a promis à ses disciples le pouvoir de le faire. Agissant rapidement, il saisit Newel par la main et dit : « Au nom de Jésus-Christ, sors de cet homme. »

Aussitôt les contorsions cessent. Newel s’affaisse sur le sol, épuisé mais indemne, marmonnant qu’il a vu le diable quitter son corps.

Les Knight et leurs voisins sont ébahis par ce que Joseph a fait. Pendant qu’il les aide à transporter Newel jusqu’au lit, Joseph leur dit que c’est le premier miracle accompli dans l’Église.

Il témoigne : « Il a été fait par Dieu et par le pouvoir de la divinité. »

À des centaines de kilomètres à l’ouest, un fermier du nom de Parley Pratt sent l’Esprit le pousser à quitter son foyer et sa famille pour prêcher les prophéties et les dons spirituels qu’il trouve dans la Bible. Il vend sa ferme à perte et est confiant que Dieu le bénira pour avoir tout abandonné pour le Christ.

Avec seulement quelques vêtements et juste assez d’argent pour faire le voyage, sa femme, Thankful, et lui, partnt en direction de l’est afin de rendre visite à de la famille avant de prendre la route pour prêcher. Alors qu’ils voyagent en bateau, Parley se tourne vers Thankful et lui demande de continuer sans lui. Il sent l’Esprit lui commander de débarquer.

Il promet : « Je reviens vite. J’ai un travail à accomplir dans cette région. »

Parley descend du bateau et parcourt une quinzaine de kilomètres dans la campagne où il se retrouve par hasard chez un diacre baptiste qui lui parle d’un nouveau livre étrange qu’il vient d’acheter. Ce dernier se présente comme un recueil d’annales anciennes, dit l’homme, traduites à partir de plaques d’or avec l’aide d’anges et de visions. Le diacre n’a pas le livre sous la main, mais il promet à Parley de le lui montrer le lendemain.

Le lendemain matin, Parley retourne chez le diacre. Il ouvre le livre avec empressement et en lit la page de titre. Il va ensuite à la fin du livre et lit le témoignage de plusieurs témoins. Les mots l’attirent et il commence le livre depuis le début. Les heures passent sans qu’il puisse s’arrêter de lire. Manger et dormir sont un fardeau. L’Esprit du Seigneur est sur lui et il reçoit la certitude que le livre était vrai.

Il se rend peu après au village voisin de Palmyra, décidé à rencontrer le traducteur du livre. Les villageois lui indiquent une ferme à quelques kilomètres de là. Pendant qu’il marche dans cette direction, il voit un homme et lui demande où il peut trouver Joseph Smith. L’homme lui apprend que Joseph habite à Harmony, à cent soixante kilomètres au sud, mais se déclare être Hyrum Smith, frère du prophète.

Ils parlent la plus grande partie de la nuit et Hyrum témoigne du Livre de Mormon, du rétablissement de la prêtrise et de l’œuvre du Seigneur dans les derniers jours. Le lendemain matin, Parley a des rendez-vous pour prêcher. Hyrum lui remet donc un exemplaire du livre et le laisse repartir.

Parley ouvre le livre à la première occasion et découvre, à sa grande joie, que le Seigneur ressuscité est apparu au peuple de l’Amérique ancienne et lui a enseigné l’Évangile. Il se rend compte que le message du livre a plus de valeur que toutes les richesses de la terre.

Ses rendez-vous terminés, il retourne chez les Smith. Hyrum l’accueille à nouveau et l’invitechez les Whitmer où il pourra rencontrer une assemblée grandissante de membres de l’Église.

Pressé d’en apprendre davantage, Parley accepte l’invitation. Quelques jours plus tard, il est baptisé.

Fin juin 1830, Emma accompagne Joseph et Oliver jusqu’à Colesville. La nouvelle du miracle que Joseph a accompli ce printemps-là s’est propagée dans toute la région et maintenant, les Knight et plusieurs autres familles veulent se joindre à l’Église.

Emma aussi est prête à se faire baptiser. Comme les Knight, elle croit en l’Évangile rétabli et en l’appel de son mari comme prophète, mais elle ne s’est pas encore jointe à l’Église.

Après être arrivé à Colesville, Joseph travaille avec d’autres personnes à la construction d’un barrage dans un ruisseau voisin afin de pouvoir y tenir un service de baptême le lendemain. Le matin, ils découvrent que quelqu’un l’a démoli pendant la nuit pour empêcher les baptêmes de s’accomplir.

Déçus, ils tiennent une réunion du sabbat et Oliver prêche le baptême et le Saint-Esprit. Après le sermon, un prédicateur local et quelques membres de son Église les interrompent et essaient d’entraîner l’un des croyants à leur suite.

Emma connaît bien l’opposition dont Joseph et son message fontl’objet. Certaines personnes le traitent d’escroc et l’accusent d’essayer de tirer profit de ses adeptes. D’autres se moquent d’eux et les traitent de « mormonites ». Sur leurs gardes, Emma et les autres retournent au ruisseau de bonne heure le lendemain matin et réparent le barrage. Une fois que l’eau est assez profonde, Oliver y entre et baptisa Emma, Joseph et Polly Knight, et dix autres personnes.

Pendant les baptêmes, certains hommes, debout sur la berge à une petite distance, raillent les croyants. Emma et les autres tentent de les ignorer mais lorsque le groupe repart vers la ferme des Knight, les hommes suivent, proférant en cours de route des menaces à l’égard du prophète. Chez les Knight, Joseph et Oliver veulent confirmer les hommes et les femmes nouvellement baptisés, mais le groupe de perturbateurs grossit et devient un attroupement bruyant de cinquante personnes.

Inquiets à l’idée qu’ils pourraient être attaqués, les croyants s’enfuirent dans une maison voisine, espérant terminer les confirmations dans la paix. Mais avant que les ordonnances ne puissent être accomplies, un agent de police arrête Joseph et le conduisit en prison sous prétexte qu’il cause un tumulte dans la collectivité en prêchant le Livre de Mormon.

Joseph passe la nuit en garde à vue, ne sachant pas trop si les émeutiers vont le capturer et mettre leurs menaces à exécution. Pendant ce temps, Emma attendt avec anxiété chez sa sœur, tout en priant avec leurs amis de Colesville pour la libération de Joseph.

Au cours des deux jours qui suivent, Joseph comparaît devant un tribunal et est acquitté, pour être arrêté de nouveau et jugé pour des faits similaires. Après sa deuxième audience, il est libéré et Emma et lui retournent chez eux à Harmony avant que les saints de Colesville et elle n’aient pu être confirmés membres de l’Église.

De retour chez lui, Joseph essaie à nouveau de travailler sur sa propriété, mais le Seigneur lui donne une nouvelle révélation relative à la manière dont il doit occuper son temps. Le Seigneur déclare : « Tu consacreras tout ton service à Sion. Tu n’auras pas de force pour les travaux temporels, car ce n’est pas là ton appel. » Il lui est dit d’ensemencer ses champs et de partir ensuite confirmer les nouveaux membres à New York.

La révélation laisse Emma dans une grande incertitude quant à son quotidien. Comment gagneront-ils leur vie si Joseph consacre tout son temps aux saints ? Et que fera-t-elle pendant qu’il sera absent pour servir l’Église ? Est-elle censée rester à la maison ou est-ce que le Seigneur veut qu’elle aille avec lui ? Et s’il le veut, quel sera son rôle dans l’Église ?

Connaissant le désir d’Emma d’être guidée, le Seigneur s’adresse à elle dans une révélation donnée par l’intermédiaire de Joseph. Il lui accorde le pardon de ses péchés et lui donne le nom de « dame élue ». Il lui commande d’accompagner Joseph dans ses voyages et lui promet : « Tu seras ordonnée sous sa main pour expliquer les Écritures et pour exhorter l’Église. »

Il apaise également ses craintes au sujet de leurs finances. « Tu n’as rien à craindre car ton mari te soutiendra. »

Il lui demande ensuite de faire un recueil de cantiques sacrés pour l’Église. Il dit : « Car mon âme met ses délices dans le chant du cœur. »

Peu après la révélation, Joseph et Emma se rendent à Colesville où Emma et les saints de là-bas sont enfin confirmés. Lorsque les nouveaux membres reçoivent le don du Saint-Esprit, l’Esprit du Seigneur emplit la pièce. Chacun se réjouit et loue Dieu.

Plus tard cet été-là, Joseph et Emma finissent de payer leur ferme avec l’aide d’amis et s’installent à Fayette afin que Joseph puisse consacrer davantage de temps à l’Église. Cependant, à leur arrivée, ils apprennent qu’Hiram Page, l’un des huit témoins et instructeur dans la Prêtrise d’Aaron, a commencé à rechercher des révélations pour l’Église par l’intermédiaire de ce qu’il pense être une pierre de voyant. De nombreux saints, notamment Oliver et certains membres de la famille Whitmer, croient que ces révélations viennent de Dieu.

Joseph sait qu’il faisait face à une crise. Les révélations d’Hiram simulent le langage des Écritures. Elles traitent de l’établissement de Sion et de l’organisation de l’Église mais, parfois, elles contredist le Nouveau Testament et les vérités que le Seigneur ava révélées par l’intermédiaire de Joseph.

Ne sachant pas ce qu’il doit faire, Joseph prie, jusque tard dans la nuit, suppliant Dieu de le guider. Il a connu l’adversité auparavant, mais jamais de la part de ses amis. S’il s’oppose trop violemment aux révélations d’Hiram, il risque d’offenser les personnes qui y croient ou de décourager des saints fidèles de rechercher personnellement la révélation. Mais s’il ne dénonce pas les fausses révélations, elles pourraient saper l’autorité de la parole du Seigneur et diviser les saints.

Après de nombreuses heures d’insomnie, Joseph reçoit une révélation adressée à Oliver. Le Seigneur déclare : « Nul ne sera désigné pour recevoir des commandements et des révélations dans cette Église, si ce n’est mon serviteur Joseph Smith […] car tout doit se faire avec ordre et par consentement commun dans l’Église. » Le Seigneur commande à Oliver d’enseigner ce principe à Hiram.

La révélation l’appelle ensuite à se rendre à l’extrémité occidentale des États-Unis, à quelque mille cinq cents kilomètres, pour prêcher l’Évangile rétabli aux Amérindiens, qui sont un reste de la maison d’Israël. Le Seigneur dit que la ville de Sion sera bâtie près de ce peuple, faisant écho à la promesse du Livre de Mormon que Dieu établira la Nouvelle Jérusalem sur le continent américain avant la seconde venue du Christ. Il n’indique pas l’endroit exact où se situera la ville, mais il promet de le révéler ultérieurement.

Quelques jours plus tard, lors d’une conférence de l’Église, les saints renient les révélations d’Hiram et soutiennent à l’unanimité Joseph comme étant la seule personne qui peut recevoir des révélations pour l’Église.

Le Seigneur appelle Peter Whitmer, fils, Ziba Peterson et Parley Pratt à accompagner Oliver en mission dans l’Ouest. En attendant, Emma et d’autres femmes commencent à confectionner des vêtements pour les missionnaires. Travaillant pendant de longues heures, elles filent la laine, la tissent ou la tricotent pour en faire de l’étoffe et en cousent les morceaux un à un.

Parley est récemment revenu à Fayette avec Thankful après avoir parlé de l’Évangile avec elle et d’autres membres de sa famille. Lorsqu’il part pour l’Ouest, elle emménage chez Mary Whitmer, qui l’accueille avec joie chez elle.

En route vers le Missouri, Parley a l’intention d’emmener les autres missionnaires en Ohio, où demeure Sidney Rigdon, son ancien pasteur. Parley espère qu’il sera intéressé par leur message.

Cet été-là, dans une ville située à deux jours de voyage de Fayette, Rhoda Greene trouve, sur le seuil de sa porte, Samuel Smith, le frère du prophète. Rhoda a rencontré Samuel plus tôt cette année-là lorsqu’il a laissé chez elle un exemplaire du Livre de Mormon. Son mari, John, prédicateur d’une autre religion, a trouvé que le livre est absurde mais promet de l’emporter dans sa tournée et de recueillir le nom des personnes intéressées par son message.

Rhoda invite Samuel à entrer et lui dit que pour l’instant, personne n’a manifesté le moindre intérêt pour le Livre de Mormon. Elle dit : « Vous allez devoir reprendre ce livre. Mr. Greene ne semble pas disposé à l’acheter. »

Samuel prend le Livre de Mormon et s’apprête à partir lorsque Rhoda mentionne le fait qu’elle l’a lu et qu’il lui a plu. Samuel s’interromp. Il dit : « Je vous le donne. L’Esprit de Dieu m’interdit de le reprendre. »

Rhoda est bouleversée lorsqu’elle reprend le livre. Samuel dit : « Demandez à Dieu de vous donner un témoignage de la véracité de l’œuvre et vous sentirez votre sein brûler, ce qui est l’Esprit de Dieu. »

Plus tard, lorsque son mari rentre à la maison, elle lui parle de la visite de Samuel. Au début, John est réticent à l’idée de prier au sujet du livre mais sa femme le convainc de faire confiance à la promesse de Samuel.

Elle dit : « Je suis certaine qu’il ne mentirait pas. Je suis persuadée que c’est un homme bon s’il en est. »

Rhoda et John prient au sujet du livre et reçoivent un témoignage de sa véracité. Ils en parlent ensuite à leur famille et à leurs voisins, notamment à Brigham Young, frère cadet de Rhoda, et à son ami, Heber Kimball.

À l’automne, Sidney Rigdon, trente-huit ans, écoute poliment Parley Pratt et ses trois collègues témoigner d’un nouvel ouvrage canonique, le Livre de Mormon. Mais il n’est pas intéressé. Pendant des années, il a exhorté les habitants de Kirtland (Ohio) et des environs à lire la Bible et à revenir aux principes de l’Église du Nouveau Testament. Il dit aux missionnaires que la Bible a toujours guidé sa vie, et cela lui suffit.

Parley rappelle à Sidney : « Tu m’as apporté la vérité. Je te demande maintenant, en tant qu’ami, de lire ceci pour me faire plaisir. »

Sidney insiste : « On ne doit pas se quereller à ce sujet. Mais je vais lire ton livre et voir ce qu’il apporte à ma foi. »

Parley demande à Sydney s’ils peuvent prêcher l’Évangile à son assemblée. Bien qu’il soit sceptique quant à leur message, Sidney leur en donne l’autorisation.

Après le départ des missionnaires, Sidney lit des parties du livre et découvre qu’il ne peut le rejeter. Quand Parley et Oliver prêchent l’Évangile à son assemblée, il n’a déjà plus le moindre désir de mettre qui que ce soit en garde contre le livre. Lorsqu’il se lève pour prendre la parole à la fin de la réunion, il cite la Bible.

Il dit : « Examinez toutes choses ; retenez ce qui est bon. »

Mais Sidney n’est pas sûr de ce qu’il doit faire. Accepter le Livre de Mormon veut dire perdre son emploi de pasteur. Il a une bonne assemblée, et elle subvient confortablement à ses besoins et à ceux de sa femme, Phebe, et de leurs six enfants. Certains d’entre ses fidèles sont même en train de leur construire une maison. Peut-il réellement demander à sa famille de renoncer au confort dont elle jouit ?

Sidney prie jusqu’à ce qu’un sentiment de paix repose sur lui. Il sait que le Livre de Mormon est vrai. Il s’exclame : « Ce ne sont pas la chair et le sang qui m’ont révélé cela, mais c’est mon Père qui est dans les cieux. »

Il fait part de ses sentiments à Phebe. Il dit : « Ma chérie, tu m’as déjà suivi dans la pauvreté. Es-tu de nouveau disposée à faire de même ? »

Elle réplique : « J’ai déjà pris cela en considération. Mon désir est de faire la volonté de Dieu, que ce soit pour la vie ou pour la mort. »


CHAPITRE 10 : Rassemblés

À l’automne 1830, non loin de Kirtland, Lucy Morley, quinze ans, achève ses tâches ménagères habituelles et prend place à côté de son employeur, Abigail Daniels. Pendant qu’Abigail travaille sur son métier à tisser, faisant aller et venir une navette entre des fils entrecroisés, Lucy enroule la laine sur de fines bobines. L’étoffe qu’elles tissent seraremise à la mère de Lucy en échange des services que cette dernière rend chez les Daniels. Avec de nombreux enfants sous son toit et aucune fille adolescente, Abigail compte sur Lucy pour l’aider à faire le ménage, la lessive et la cuisine.

Pendant qu’elles travaillnt côte à côte, elles entendient frapper à la porte. Abigail crie : « Entrez. »

Levant les yeux de sa bobine, Lucy voit trois hommes pénétrer dans la pièce. Ce sont des étrangers, mais ils sont bien habillés et ont l’air amicaux. Tous trois semblent avoir quelques années de moins qu’Abigail, laquelle est au début de la trentaine.

Lucy se lève et apporte des chaises supplémentaires dans la pièce. Lorsque les hommes sont installés, elle prend leurs chapeaux et retourne s’asseoir. Ils se présentent comme étant Oliver Cowdery, Parley Pratt et Ziba Peterson, prédicateurs de New York, de passage dans la ville, en route vers l’Ouest. Ils disent que le Seigneur a rétabli son véritable Évangile par l’intermédiaire de leur ami, un prophète du nom de Joseph Smith.

Pendant qu’ils parlent, Lucy poursuit silencieusement sa tâche. Les hommes parlent d’anges et d’un jeu de plaques d’or que le prophète a traduites par révélation. Ils témoignent que Dieu les a envoyés en mission pour prêcher l’Évangile une dernière fois avant la seconde venue de Jésus-Christ.

Lorsqu’ils ont remis leur message, le cliquetis rythmique du métier à tisser d’Abigail cesse et la femme se retourne sur son banc. Agitant avec colère la navette dans leur direction, elle dit : « Je vous interdis d’enseigner votre maudite doctrine chez moi. »

Les hommes tentent de la persuader, témoignant de la véracité de leur message, mais Abigail leur intime l’ordre de partir, disant qu’elle ne veut pas qu’ils polluent ses enfants avec de la fausse doctrine. Ils demandent si, au moins, elle leur donnerait à manger. Ils ont faim et n’ont pas mangé de toute la journée.

Elle répond d’un ton sec : « Vous n’aurez rien à manger chez moi. Je ne nourris pas les imposteurs. »

Tout à coup, Lucy prend la parole, horrifiée qu’Abigail puisse parler aussi grossièrement à des serviteurs de Dieu. Elle dit : « Mon père habite à moins de deux kilomètres d’ici. Il ne refuse jamais l’hospitalité à quelqu’un qui a faim. Allez-y, vous y serez nourris et l’on s’occupera bien de vous. »

Elle va chercher leurs chapeaux et les suit dehors pour leur indiquer le chemin qui conduit chez ses parents. Les hommes la remercient et prennent la route en disant : « Que Dieu vous bénisse. »

Lorsqu’ils sont hors de vue, elle rentre dans la maison. Abigail est de nouveau à son métier à tisser, faisant aller et venir la navette. Visiblement irritée, elle dit à Lucy : « J’espère que tu te sens mieux maintenant. »

Lucy réplique : « Oui, en effet. »

Comme Lucy l’a promis, les trois missionnaires trouvent chez les Morley un repas copieux. Ses parents, Isaac et Lucy, sont membres de l’assemblée de Sidney Rigdon et croient que les disciples du Christ doivent partager leurs biens les uns avec les autres, comme au sein d’une grande famille. Suivant l’exemple des saints dans le Nouveau Testament qui essayaient d’avoir « tout en commun », ils ont ouvert l’accès à leur grande ferme à d’autres familles qui veulent vivre ensemble et pratiquer leurs croyances, loin du monde de compétition et souvent d’égoïsme qui les entoure.

Ce soir-là, les missionnaires instruisent les Morley et leurs amis. Les familles donnent suite au message des missionnaires qui dit de préparer le retour du Sauveur et son règne millénaire et, vers minuit, dix-sept personnes sont baptisées.

Les jours suivants, plus de cinquante personnes de Kirtland et des environs afflunt aux réunions des missionnaires et demandet à se joindre à l’Église. Nombre d’entre elles habitent sur la propriété des Morley, notamment Pete, un esclave affranchi dont la mère est arrivée d’Afrique occidentale. Même Abigail Daniels, qui a si rapidement rejeté les missionnaires, accepte leur message après les avoir entendus prêcher alors qu’elle accompagne son mari.

Oliver rapporta à Joseph la bonne nouvelle de la progression de l’Église en Ohio, en particulier parmi les adeptes de Sidney. Tous les jours, de nouvelles personnes demandent à entendre leur message. Il écrit : « Ici, la demande de livres est considérable. J’aimerais que tu m’en envoies cinq cents. »

En dépit de la satisfaction que lui procure leur réussite en Ohio, Oliver sait néanmoins que le Seigneur les a appelés à prêcher l’Évangile aux Amérindiens qui vivnt au-delà de la frontière occidentale des États-Unis. Les missionnaires et lui quittent peu après Kirtland, emmenant avec eux un nouveau converti du nom de Frederick Williams. Frederick est médecin et, à quarante-trois ans, il est le doyen de la compagnie.

Se dirigeant vers l’ouest à la fin de l’automne 1830, ils traversent péniblement des plaines et des collines ondulantes enneigées. Ils s’arrêtent brièvement au centre de l’Ohio afin de prêcher l’Évangile aux indiens Wyandot avant de monter à bord d’un bateau à vapeur à destination du Missouri, l’État le plus occidental du pays.

Les missionnaires progressnt régulièrement le long du fleuve jusqu’à ce qu’ils soient bloqués par la glace. Déterminés, ils débarquèent et parcourent des centaines de kilomètres à pied le long de la berge gelée. Entre temps, une épaisse couche de neige est ombée, rendant plus difficiles les déplacements à travers les vastes prairies. Parfois, les vents qui balaient le paysage sont d’un froid si coupant qu’ils leur meurtrissent le visage.

Pendant que les missionnaires se dirigent vers l’ouest, Sidney et son ami Edward Partridge, trente-sept ans, fabriquant de chapeaux, voyagent en direction de l’est. Les deux hommes se rendent à Manchester, à cinq cents kilomètres de Kirtland, pour rencontrer Joseph. Sidney s’est déjà joint à l’Église mais Edward veut faire la connaissance du prophète avant de prendre sa décision.

À leur arrivée, ils vont d’abord chez les parents de Joseph, pour apprendre que les Smith ont emménagé plus près de Fayette. Avant d’entreprendre les quarante kilomètres supplémentaires, Edward veut inspecter soigneusement la propriété, pensant que les labeurs des Smith révèleront peut-être quelque chose de leur personnalité. Sidney et lui voient les vergers bien entretenus, leurs maisons et dépendances et les murs de pierre bas qu’ils ont construits. Chaque élément témoigne de l’ordre et de la diligence de la famille.

Edward et Sidney reprennentla route et marchent toute la journée, arrivant chez les Smith en soirée. Une réunion de l’Église est en cours lorsqu’ils arrivent. Ils se glissent à l’intérieur de la maison et se joignent à l’assemblée qui écoute Joseph prêcher. Lorsque le prophète a terminé, il dit que toute personne présente dans la pièce peut se lever et prendre la parole si elle se sent inspirée à le faire.

Edward se lève et dit aux saints ce qu’il a vu et ressenti au cours de son voyage. Ensuite, il ajoute : « Je suis prêt à me faire baptiser, frère Joseph. Pouvez-vous me baptiser ? »

Joseph dit : « Vous avez fait un long voyage. Je pense que vous feriez mieux de vous reposer et de manger, et vous vous ferez baptiser demain matin. »

« Comme vous l’entendez, répliqua Edward, je suis prêt à tout moment. »

Avant le baptême, Joseph reçoit une révélation appelant Edward à prêcher et à se préparer pour le jour où le Christ viendra dans son temple. Edward est baptisé et part promptement faire connaître l’Évangile à ses parents et aux autres membres de sa famille. Pendant ce temps, Sidney reste à Fayette pour servir de secrétaire à Joseph et se retrouva rapidement enrôlé dans un nouveau projet.

Des mois plus tôt, Joseph et Oliver ont commencé une traduction inspirée de la Bible. Ils ont appris, grâce au Livre de Mormon, que des vérités précieuses ont été corrompues au fil des siècles et ôtées de l’Ancien et du Nouveau Testament. À l’aide de la Bible qu’Oliver a achetée à la librairie Grandin, ils ont commencé à étudier le livre de la Genèse, recherchant l’inspiration au sujet des passages qui semblent incomplets ou confus.

Bientôt, le Seigneur révèle à Joseph une vision qu’a d’abord eue Moïse et qui manque dans l’Ancien Testament. Dans la nouvelle version rétablie des Écritures, Dieu montre à Moïse des « mondes sans nombre », lui dit qu’il a créé toutes choses spirituellement avant de les créer physiquement et enseigne que l’objectif de cette création splendide est de permettre aux hommes et aux femmes de recevoir la vie éternelle.

Après le départ d’Oliver en mission dans l’Ouest, Joseph a continué de traduire avec John Whitmer et Emma comme secrétaires jusqu’à l’arrivée de Sidney. Dernièrement, le Seigneur a commencé à dévoiler d’autres pans de l’histoire du prophète Hénoc dont la vie et le ministère ne sont mentionnés que brièvement dans la Genèse.

Pendant que Sidney écrit sous la dictée de Joseph, ils apprennent qu’Hénoc est un prophète qui a réuni un peuple obéissant et béni. Comme les Néphites et les Lamanites qui, après la visite du Sauveur en Amérique, ont fondé une société juste, le peuple d’Hénoc a appris à vivre ensemble dans la paix. L’Écriture rapporte qu’ils étaient d’un seul cœur et d’un seul esprit, et qu’ils demeuraient dans la justice ; et il n’y avait pas de pauvres parmi eux.

Sous la direction d’Hénoc, le peuple a bâti une ville sainte appelée Sion, que Dieu a fini par recevoir en sa présence. Là, Hénoc a parlé avec Dieu, alors qu’ils regardaient la terre, et Dieu a pleuré sur la méchanceté et les souffrances de ses enfants. Il a dit à Hénoc que le jour viendrait où la vérité sortirait de la terre et où son peuple bâtirait une autre ville de Sion pour les justes.

En réfléchissant à la révélation, Sidney et Joseph ont la certitude que le jour où le Seigneur établira de nouveau Sion sur la terre est arrivé. Comme le peuple d’Hénoc, les saints doivent e préparer, s’unir de cœur et d’esprit afin d’être prêts à bâtir la ville sainte et son temple dès que le Seigneur en révélera l’emplacement.

À la fin du mois de décembre, il commande à Joseph et à Sidney d’interrompre leur travail de traduction. Il déclare : « Je donne à l’Église le commandement qu’il m’est opportun qu’elle se rassemble en Ohio. » Ils doivent se rassembler avec les nouveaux convertis de la région de Kirtland et attendre le retour des missionnaires partis dans l’Ouest.

Le Seigneur déclare : « Il y a là de la sagesse, et que chacun choisisse pour lui-même jusqu’à ce que je vienne. »

L’appel des saints à s’installer en Ohio rend plus proche l’accomplissement des prophéties d’autrefois relatives au rassemblement du peuple de Dieu. La Bible et le Livre de Mormon promettent tous les deux que le Seigneur rassemblera son peuple d’alliance pour le protéger des périls des derniers jours. Dans une révélation récente, le Seigneur a dit à Joseph que ce rassemblement est imminent.

Mais l’appel est quand même un choc. À l’occasion de la troisième conférence de l’Église, tenue chez les Whitmer peu après le jour de l’An, beaucoup de saints sont troublés ; ils se posent de nombreuses questions au sujet du commandement. L’Ohio est aiblement colonisé et à des centaines de kilomètres de distance. La plupart des membres de l’Église ne savent pas grand-chose de cet endroit.

Beaucoup ont aussi travaillé dur pour valoriser leurs propriétés et cultiver des fermes prospères à New York. S’ils déménagent en groupe en Ohio, il faudra qu’ils vendent rapidement leurs possessions et ils perdront probablement de l’argent. Certains risquent même de se ruiner financièrement, surtout si la terre en Ohio s’avère être moins riche et fertile que celle de New York.

Espérant apaiser les craintes au sujet du rassemblement, Joseph se réunit avec les saints et reçoit une révélation. Le Seigneur déclare : « Je vous propose et daigne vous donner de plus grandes richesses, même une terre de promission […] et je vous la donnerai pour pays de votre héritage, si vous la recherchez de tout votre cœur. » En se rassemblant, les saints pourront s’épanouir en un peuple juste et être protégés des méchants.

Le Seigneur promet deux bénédictions supplémentaires aux personnes qui se rassemblent en Ohio. Il dit : « Je vous y donnerai ma loi ; et vous y serez dotés du pouvoir d’en haut. »

La révélation apaisel’esprit de la plupart des saints dans la pièce mais quelques personnes refusent de croire qu’elle vient de Dieu. La famille de Joseph, les Whitmer et les Knight font partie des personnes qui croient et décident d’y obéir.

En tant que dirigeant de la branche de Colesville, Newel Knight rentre chez lui et commença à vendre ce qu’il peut. Il passe également une grande partie de son temps à rendre visite aux membres de l’Église. Suivant l’exemple du peuple d’Hénoc, lui et d’autres saints de Colesville travaillent ensemble et font des sacrifices pour s’assurer que les pauvres pourront faire le voyage avant le printemps.

Entretemps, Joseph ressent le besoin urgent d’aller à Kirtland et de rencontrer les nouveaux convertis. Bien qu’Emma soit enceinte de jumeaux et en train de récupérer suite à une longue maladie, elle grimpa à bord du traîneau, déterminée à l’accompagner.

En Ohio, l’Église est en difficulté. Après le départ des missionnaires vers l’Ouest, le nombre de convertis à Kirtland a continué d’augmenter, mais beaucoup de saints ne sont as certains de la manière de pratiquer leur nouvelle religion. La plupart consultent le Nouveau Testament pour être guidés, comme ils l’ont fait avant de se joindre à l’Église, mais sans la direction d’un prophète, il semble y avoir autant de façons d’interpréter le Nouveau Testament que de saints à Kirtland.

Elizabeth Ann Whitney faisait partie des personnes qui aspiraient à connaître les dons spirituels de l’Église chrétienne primitive. Avant la venue des missionnaires à Kirtland, Ann et son mari, Newel, avaient prié de nombreuses fois pour savoir comment ils pouvaient recevoir le don du Saint-Esprit.

Un soir, pendant qu’ils prient pour être guidés, ils ont la vision d’un nuage reposant sur leur foyer. L’Esprit remplit la pièce et leur maison disparaît lorsque le nuage l’enveloppe. Ils entendent une voix venant des cieux : « Préparez-vous à recevoir la parole du Seigneur, car elle arrive. »

Ann n’a pas grandi dans un foyer religieux et ses parents ne vont ni l’un ni l’autre à l’église. Son père n’aime pas les ecclésiastiques et sa mère est toujours occupée à des tâches ménagères ou à prendre soin des jeunes frères et sœurs d’Ann. Ils l’ont tous les deux encouragée à profiter de la vie plutôt qu’à rechercher Dieu.

Mais Ann a toujours été attirée par le spirituel, et lorsqu’elle a épousé Newel, elle a exprimé le désir de trouver une Église. Devant son insistance, ils se sont joints à l’assemblée de Sidney Rigdon parce qu’elle croit que ses principes sont ceux qui se rapprochent le plus de ceux qu’elle trouve dans les Écritures. Plus tard, la première fois qu’elle entend Parley Pratt et ses compagnons prêcher l’Évangile rétabli, elle est convaincue que ce qu’ils ont enseigné est vrai.

Ann se joint à l’Église et se réjouit de sa nouvelle religion, mais elle est troublée par les façons différentes dont les gens la pratiquent. Ses amis, Isaac et Lucy Morley continuent d’inviter les gens à vivre dans leur ferme et à partager leurs biens. Leman Copley, propriétaire d’une grande ferme à l’est de Kirtland, conserve des enseignements du temps où il faisait partie des Shakers, une communauté religieuse installée dans les environs.

Certains des saints de Kirtland poussent leurs croyances à des extrêmes débridés, se délectant de ce qu’ils prennentpour des dons de l’Esprit. Plusieurs personnes prétendent avoir des visions qu’elles ne peuventpas expliquer. Certaines croient que le Saint-Esprit les fait glisser ou filer sur le sol. Un homme saute d’une pièce à l’autre ou se balance aux solives chaque fois qu’il pense qu’il ressent l’Esprit. Un autre se prend pour un babouin.

Voyant ces comportements, certains convertis se découragent et abandonnent la nouvelle Église. Ann et Newel continunt de prier, confiants que le Seigneur leur indiquera la voie à suivre.

Le 4 février 1831, un traîneau arrive à Kirtland, devant le magasin dont Newel est propriétaire et gérant. Un homme âgé d’environ vingt-cinq ans en descend, bondit à l’intérieur et lui tend la main par-dessus le comptoir. Il s’écrie :  « Vous devez être Newel K. Whitney ! »

Newel lui serre la main. Il dit : « Vous avez un avantage sur moi. Je ne pourrais pas vous appeler par votre nom comme vous venez de le faire pour moi. »

L’homme s’exclame : « Je suis Joseph, le prophète. Vous avez prié pour que je vienne ici, maintenant dites-moi ce que vous attendez de moi. »


CHAPITRE 11 : Vous recevrez ma loi

Ann et Newel Whitney sont reconnaissants d’avoir Joseph et Emma à Kirtland. Bien qu’ayant trois jeunes enfants et hébergeant une tante, ils invitent les Smith à rester chez eux jusqu’à ce qu’ils se trouvent un logement. Du fait que la grossesse d’Emma est avancée, Ann et Newel emménagent dans une pièce à l’étage afin que Joseph et elle puissent avoir la chambre au rez-de-chaussée.

Après son installation chez les Whitney, Joseph commence à rendre visite aux nouveaux convertis. Kirtland se résume à un petit agglomérat de maisons et de boutiques sur une colline au sud du magasin des Whitney. Un petit ruisseau longe la ville, alimentant des moulins et se jetant au nord dans un cours d’eau plus important. Environ un millier de personnes habitent là.

En rendant visite aux membres de l’Église, Joseph voit leur engouement pour les dons spirituels et leur désir sincère de modeler leur vie sur celle des saints du Nouveau Testament. Joseph aime beaucoup les dons de l’Esprit et sait qu’ils ont un rôle à jouer dans l’Église rétablie mais il s’inquiète parce que certains saints à Kirtland les recherchent exagérément.

Il voit qu’il a fort à faire. Grâce aux saints de Kirtland, la population de l’Église a plus que doublé, mais il est clair que ceux-ci ont besoin de directives supplémentaires de la part du Seigneur.

À mille deux cents kilomètres à l’ouest, Oliver et les autres missionnaires arrivent dans la petite ville d’Independence, dans le comté de Jackson, au Missouri, à la frontière ouest des États-Unis. Ils trouvt un logement et du travail pour subvenir à leurs besoins et ensuite, dressèrent des plans pour rendre visite aux Indiens Delaware qui habitent à quelques kilomètres à l’ouest de la ville.

Les Delaware viennent de s’installer sur le territoire après avoir été chassés de leurs terres par les mesures de délocalisation gouvernementales américaines. Leur chef, Kikthawenund, est un homme âgé qui a lutté pendant plus de vingt-cinq ans afin de préserver la cohésion parmi son peuple pendant que les colons et l’armée américaine les repoussaient vers l’ouest.

Un matin froid de janvier 1831, Oliver et Parley entreprennent de rencontrer Kikthawenund. Ils le trouvent assis près d’un feu, au centre d’une grande hutte, dans le camp des Delaware. Le chef leur serre chaleureusement la main et les invite à prendre place sur des couvertures.Ses épouses placent devant les missionnaires une casserole en fer blanc fumante, remplie de haricots et de maïs, et ils mangent avec une cuillère de bois.

À l’aide d’un interprète, Oliver et Parley parlent à Kikthawenund du Livre de Mormon et demandent l’autorisation de faire part de son contenu à son conseil des gouverneurs. En règle générale, Kikthawenund ne permet pas aux missionnaires de parler à son peuple, mais il leur dit qu’il va y réfléchir et qu’il leur fera rapidement part de sa décision.

Le lendemain matin, les missionnaires reviennent à la hutte et après discussion, le chef réunit un conseil et invite les missionnaires à prendre la parole.

Les remerciant, Oliver scrute les visages de son auditoire. Il dit : « Nous avons voyagé dans le désert, traversé des fleuves profonds et larges, cheminé dans la neige épaisse pour vous communiquer une grande connaissance qui vient juste d’arriver à nos oreilles et à notre cœur. »

Il présente le Livre de Mormon comme étant une histoire des ancêtres des Amérindiens. Il explique : « Le livre a été écrit sur des plaques d’or et transmis de père en fils pendant de nombreux siècles. » Il raconte comment Dieu a aidé Joseph à trouver et à traduire les plaques afin que leur contenu puisse être publié et communiqué à tout le monde, y compris aux Indiens.

Après avoir fini de parler, Olivier tend à Kikthawenund un Livre de Mormon et attend que le conseil et lui l’examinent. Le vieil homme dit : « Nous sommes vraiment reconnaissants à nos amis blancs d’avoir fait un si long voyage et de s’être donné tant de mal pour nous apporter de bonnes nouvelles, et en particulier cette dernière nouvelle au sujet du livre de nos ancêtres. »

Il explique que les rigueurs de l’hiver ont été pénibles pour son peuple. Leurs abris sont médiocres et leurs animaux meurent. Ils doivent construire des maisons et des barrières, préparer des fermes pour le printemps. Pour l’instant, ils ne sont pas prêts à héberger des missionnaires.

Kikthawenund promet : « Nous construirons une maison pour le conseil et vous nous lirez le livre de nos ancêtres et nous instruirez à son sujet et au sujet de la volonté du grand Esprit. »

Quelques semaines plus tard, Oliver envoie un rapport à Joseph. Après avoir décrit la rencontre des missionnaires avec Kikthawenund, il admet qu’il n’est toujours pas sûr que les Delaware accepteront le Livre de Mormon. Il écrivit : « Je suis incertain quant au dénouement de l’affaire avec cette tribu. »

Joseph demeure optimiste au sujet de la mission chez les Indiens, tout en se consacrant à affermir l’Église à Kirtland. Peu après avoir rencontré les saints en ce lieu, il reçoit une révélation à leur attention. Le Seigneur promet de nouveau : « Vous recevrez ma loi, par la prière de votre foi, afin de savoir comment gouverner mon Église et avoir tout en ordre devant moi. »

D’après son étude de la Bible, Joseph sait que Dieu a donné à Moïse une loi pendant que ce dernier conduisait son peuple vers la terre promise. Il sait aussi que Jésus-Christ est venu sur la terre et a précisé le sens de sa loi tout au long de son ministère. Maintenant, il peut, une fois de plus, la divulguer au peuple de son alliance.

Dans la nouvelle révélation, le Seigneur félicite Edward Partridge de la pureté de son cœur et l’appelle à être le premier évêque de l’Église. Il ne décrit pas en détail les devoirs d’un évêque mais il dit qu’Edward doit consacrer tout son temps à l’Église et aider les saints à obéir à la loi que le Seigneur leur donnera.

Une semaine plus tard, le 9 février, Edward se réunit avec Joseph et d’autres anciens de l’Église pour prier afin de la recevoir. Les anciens posent à Joseph une série de questions au sujet de la loi et le Seigneur révèle les réponses par son intermédiaire. Certaines de ces réponses réitèrent des vérités familières, affirmant les principes relatifs aux dix commandements et aux enseignements de Jésus. D’autres donnent aux saints de nouvelles idées sur la manière de les respecter et d’aider les personnes qui les enfreignent.

Le Seigneur donne aussi des commandements pour aider les saints à devenir semblables au peuple d’Hénoc. Au lieu de mettre leurs biens en commun comme le font les gens installés chez les Morley, ils doivent considérer toutes leurs terres et leurs richesses comme une intendance sacrée confiée par Dieu pour prendre soin de leur famille, soulager les pauvres et édifier Sion.

Les saints qui décident d’obéir à la loi doivent consacrer leurs possessions à l’Église en en transférant la propriété à l’évêque. Ce dernier leur redonna ensuite des terres et des biens sous forme d’héritage en Sion, en fonction des besoins de leur famille. Les saints qui reçoivent un héritage doivent agir en qualité d’intendants de Dieu, utilisant les terres et les outils qu’ils ont reçus et remettant ce qu’ils n’utilisent pas pour aider les nécessiteux, édifier Sion et bâtir le temple.

Le Seigneur exhorte les saints à obéir à cette loi et à continuer de chercher la vérité. Il promet : « Si tu le demandes, tu recevras révélation sur révélation, connaissance sur connaissance, afin que tu connaisses les mystères et les choses paisibles, ce qui apporte la joie, ce qui apporte la vie éternelle. »

Joseph reçoit d’autres révélations qui mettent de l’ordre dans l’Église. Suite aux comportements extrêmes de certains saints, le Seigneur affirme que de faux esprits se sont répandus sur la terre, trompant les gens en leur faisant croire que le Saint-Esprit est responsable de leurs folles actions. Il dit que l’Esprit n’alarme pas et n’embrouille pas les gens mais les édifie et les instruit.

Il déclare : « Ce qui n’édifie pas n’est pas de Dieu. »

Peu de temps après que le Seigneur a révélé sa loi à Kirtland, les saints de New York font les derniers réparatifs pour se rassembler en Ohio. Ils vendent leurs terres et leurs possessions à perte, chargent leurs biens sur des chariots et disent au revoir à leur famille et à leurs amis.

Elizabeth et Thomas Marsh font partie des saints qui se préparent à déménager. Après avoir reçu les pages du Livre de Mormon et être rentré chez lui à Boston, Thomas a emménagé à New York avec sa famille afin de se rapprocher de Joseph et de l’Église. L’appel à se rassembler en Ohio arrive à peine quelques mois plus tard et Elizabeth et Thomas remballent leurs affaires, déterminés à se rassembler avec les saints et à édifier Sion où que le Seigneur le commande.

La détermination d’Elizabeth découlait de sa conversion. Bien que croyant que le Livre de Mormon est la parole de Dieu, elle ne se fait pas baptiser tout de suite. Cependant, après avoir accouché d’un fils à Palmyra, elle demande au Seigneur un témoignage de la véracité de l’Évangile. Peu de temps après, elle reçoit le témoignage qu’elle recherche et se join à l’Église, ne pouvant renier ce qu’elle sait et prête à apporter son aide à l’œuvre.

Peu avant de quitter l’Ohio, Elizabeth écrit à la sœur de Thomas : « Un grand changement s’est produit en moi, aussi bien dans mon corps que dans mon esprit. J’éprouve le désir d’être reconnaissante de ce que j’ai reçu et d’en rechercher encore davantage. »

Dans la même lettre, Thomas annonce la nouvelle du rassemblement. Il déclare : « Le Seigneur appelle tout le monde au repentir et à se rassembler rapidement en Ohio. » Il ne sait pas si les saints se rendent en Ohio pour édifier Sion ou s’ils se préparent à un déménagement plus ambitieux à l’avenir. Mais cela n’a aucune importance. Si le Seigneur leur commande de se rassembler au Missouri, ou même dans les montagnes Rocheuses à mille cinq cents kilomètres de la frontière occidentale du pays, il est prêt à partir.

Il explique à sa sœur : « Nous ne savons rien de ce que nous devons faire, à moins que cela ne nous soit révélé. Mais nous savons au moins ceci : une ville sera construite en terre promise. »

Une fois la loi du Seigneur révélée et les saints de New York en cours de rassemblement en Ohio, Joseph et Sidney se remettent à la traduction inspirée de la Bible. Ils passent du récit d’Hénoc à l’histoire du patriarche Abraham, à qui le Seigneur fait la promesse qu’il sera le père de nombreuses nations.

Le Seigneur ne révèle pas de changements considérables dans le texte mais, en lisant l’histoire d’Abraham, Joseph médite beaucoup sur la vie de ce dernier. Pourquoi le Seigneur n’a-t-il pas condamné Abraham et d’autres patriarches de l’Ancien Testament pour avoir épousé plusieurs femmes, une pratique que les lecteurs américains de la Bible exècrent ?

Le Livre de Mormon donnee une réponse. À l’époque de Jacob, frère cadet de Néphi, le Seigneur commande aux Néphites de n’avoir qu’une femme. Mais il déclare également qu’il peut altérer ce commandement, si la situation l’exige, afin d’élever des enfants justes.

Joseph prie à ce sujet et le Seigneur révèle que parfois, il commande à son peuple de pratiquer le mariage plural. Le moment de rétablir ce principe n’est pas encore arrivé mais le jour viendra où il demandera à certains saints d’y obéir.

Le sol est encore froid lorsque le premier groupe de saints quitte New York. Le deuxième groupe, comprenant Lucy Smith et environ quatre-vingts autres personnes, part peu après. Il embarque sur un chaland qui va le transporter jusqu’à un grand lac à l’ouest. Au lac, il va prendre un bateau à vapeur qui l’acheminera jusqu’à un port non loin de Kirtland. De là, il va voyager par voie de terre pour la dernière partie de son voyage de quelque cinq cents kilomètres.

Au début, le voyage se déroule sans incident, mais à mi-chemin vers le lac, une écluse cassée bloque le groupe de Lucy à quai. Comme elles ne s’attendent pas à être retardées, de nombreuses personnes n’ont pas emporté suffisamment de nourriture. La faim et l’inquiétude au sujet du rassemblement amènent certaines d’entre elles à se plaindre.

Lucy leur dit : « Soyez patients et cessez de murmurer. Je n’ai aucun doute que la main du Seigneur soit sur nous. »

Le lendemain matin, des ouvriers réparent le canal et les saints recommencent à avancer. Ils arrivent au lac quelques jours plus tard mais, à leur grand dam, une épaisse couche de glace bloque le port, les empêchant d’aller plus loin.

La compagnie espère louer une maison en ville pendant qu’elle attend, mais elle ne trouve qu’une seule grande pièce à se partager. Heureusement, Lucy rencontre un capitaine de bateau à vapeur qui connaî son frère et elle s’arrangea pour que son groupe emménage sur son bâtiment en attendant que la glace se rompe.

Sur le bateau, les saints paraissent découragés. Beaucoup ont faim et tout le monde est mouillé et a froid. Ils ne voient aucune solution pour avancer et commencent à se quereller. Les propos vifs attirent l’attention des badauds. Inquiète que les saints se donnent en spectacle, Lucy les réprimande.

Elle demande : « Où est votre foi ? Où est votre confiance en Dieu ? Si vous voulez tous exprimer vos désirs aux cieux, afin que la glace se rompe et que nous soyons libres, aussi sûr que le Seigneur vit, cela se fera. »

À cet instant, Lucy entend un bruit semblable à un coup de tonnerre et la glace du port s’ouvre suffisamment pour laisser passer le bateau à vapeur. Le capitaine ordonna à ses hommes de prendre leur poste et ils dirigent le navire à travers l’étroite ouverture passant dangereusement près de la glace de part et d’autre.

Stupéfaits et reconnaissants, les saints s’unissent en prière sur le pont.

Pendant que sa mère et les saints de New York voyagent en direction de l’ouest, Joseph s’installe avec Emma dans un petit chalet sur la propriété des Morley. Sa direction et la nouvelle loi révélée ont apporté davantage d’ordre, de compréhension et d’harmonie parmi les saints en Ohio. Maintenant, de nombreux anciens et leur famille font de grands sacrifices pour répandre l’Évangile dans les villes et villages voisins.

Au Missouri, l’œuvre missionnaire est moins fructueuse. Pendant un certain temps, Oliver a cru que ses collègues et lui faisaient des progrès avec Kikthawenund et son peuple. Il a rapporté à Joseph : « Le grand chef dit qu’il croit en chacune des paroles du livre, et de nombreuses personnes de la tribu croient. » Mais après l’intervention d’un agent du gouvernement qui menace d’arrêter les missionnaires pour avoir prêché l’Évangile aux Indiens sans autorisation, Oliver et ses compagnons doivent mettre un terme à leurs efforts.

Oliver envisage l’idée d’apporter le message à une autre tribu indienne, les Navajo, qui habitent à mille six cents kilomètres à l’ouest, mais il ne se sent pas autorisé à voyager aussi loin. Au lieu de cela, il renvoie Parley vers l’est afin d’obtenir du gouvernement un permis l’autorisant à prêcher pendant que les autres missionnaires et lui essaient de convertir des colons à Independence.

Sur ces entrefaites, Joseph et Emma affrontent une nouvelle tragédie. Le dernier jour du mois d’avril, Emma, aidée de femmes de la famille Morley, accouche de jumeaux, une fille et un garçon. Mais, comme leur frère avant eux, les bébés sont frêles et meurent quelques heures après leur naissance.

Le même jour, une convertie récente appelée Julia Murdock décède après avoir donné naissance à des jumeaux. Lorsque Joseph l’apprend, il envoie un message à son mari, John, l’informant que sa femme et lui sont disposés à les élever. Le cœur brisé par le deuil et incapable de prendre soin des nouveau-nés, John accepte l’offre.

Joseph et Emma sont fous de joie d’accueillir les bébés chez eux. Et lorsque la mère de Joseph arrive saine et sauve de New York, elle peut tenir tendrement ses nouveaux petits-enfants dans ses bras.


CHAPITRE 12 : Après beaucoup de tribulations

Au printemps de 1831, Emily Partridge, sept ans, habite une ville au nord-est de Kirtland avec ses parents, Edward et Lydia, et ses quatre sœurs. Ils possèdent une belle maison en bois de charpente avec une grande pièce et deux chambres à coucher au rez-de-chaussée. En haut, il y a une chambre, une autre grande pièce et un placard où ils rangeent leurs vêtements. Au sous-sol il y a une cuisine ainsi qu’une cave où l’on entrepose les légumes et qui est si sombre qu’Emily en a peur.

Dehors, le grand jardin lui offre un endroit pour jouer et explorer. Ils ont un jardin de fleurs, des arbres fruitiers, une grange et un terrain vague où son père a l’intention de bâtir un jour une maison encore plus belle. Sa chapellerie se situee aussi dans les environs. Sous le comptoir du magasin, elle trouve toujours des rubans colorés et d’autres trésors. Le bâtiment entier est rempli d’outils et de machines que son père utilise pour teindre les étoffes et les fourrures et en faire des chapeaux pour ses clients.

Il ne passe plus beaucoup de temps à confectionner des chapeaux maintenant qu’il est évêque de l’Église. Avec le rassemblement des saints de New York en Ohio, il doit les aider à s’installer dans des logements et à trouver du travail. Parmi les nouveaux arrivants, il y a la famille Knight et leur branche de l’Église de Colesville. Sachant qu’à une trentaine de kilomètres au nord-est de Kirtland, Leman Copley aune grande ferme qu’il a accepté de consacrer au Seigneur, le père d’Emily envoie les saints de Colesville s’y installer.

Certains saints de New York arrivèrent en Ohio avec la rougeole et comme ils séjournent souvent chez les Partridge, il ne faut pas longtemps pour qu’Emily et ses sœurs aient une forte fièvre et des boutons. Emily guérit au bout de quelque temps mais sa sœur de onze ans, Eliza, contracte une pneumonie. Bientôt, ses parents regardent impuissants sa respiration devenir de plus en plus laborieuse et sa fièvre monter en flèche.

Pendant que la famille s’occupe d’Eliza, son père assiste à une importante conférence de l’Église dans une école non loin de la ferme des Morley. Il est absent pendant plusieurs jours et lorsqu’il revient, il dit à la famille qu’il doit repartir. Joseph a reçu une révélation qui dit que la prochaine conférence aura lieu au Missouri. Plusieurs dirigeants de l’Église, dont son père, sont appelés à s’y rendre dès que possible.

De nombreuses personnes commencent à élaborer des plans pour le voyage. Dans la révélation, le Seigneur qualifie le Missouri de pays d’héritage des saints, faisant écho à des descriptions bibliques d’une terre promise « où coulent le lait et le miel ». C’est là que les saints doivent construire la ville de Sion.

Le père d’Emily n’est pas désireux de quitter sa famille. Eliza est encore malade et risque de mourir pendant son absence. Emily voit bien que sa mère aussi est inquiète. Aussi engagée que soit Lydia Partridge envers la cause de Sion, elle n’a pas l’habitude de s’occuper seule des enfants et de la maison. Elle semble se douter que ses épreuves ne font que commencer.

Polly Knight est malade lorsque les saints de Colesville et elle s’établissent sur les terres de Leman Copley. La propriété compte deux cent quatre-vingts hectares d’excellentes terres, offrant suffisamment d’espace pour permettre à de nombreuses familles de construire des maisons, des granges et des boutiques. Ici les Knight pourraient repartir à zéro et pratiquer leur nouvelle religion en paix, même si beaucoup craignent que Polly ne reste pas longtemps parmi eux.

Le mari et les fils de Polly se mettent rapidement au travail, construisant des clôtures et ensemençant les champs pour exploiter la terre. Joseph et l’évêque Partridge encouragent également les saints de Colesville à consacrer leurs possessions conformément à la loi du Seigneur.

Cependant, après que l’installation a commencé à prendre forme, Leman se retire de l’Église et dit aux saints de Colesville de s’en aller de ses terres. N’ayant nulle part où aller, les saints expulsés demandent à Joseph de s’enquérir de la volonté du Seigneur à leur égard.

Le Seigneur leur dit : « [Vous] entreprendr[ez] [votre] voyage vers les régions de l’Ouest, vers le pays de Missouri. »

Maintenant qu’ils savent que Sion sera au Missouri et non en Ohio, les saints de Colesville se rendent compte qu’ils seron parmi les premiers membres de l’Église à s’y installer. Ils commencent à se préparer pour le voyage et, environ deux semaines après la révélation, Polly et le reste de la branche quittent la région de Kirtland et montent à bord de bateaux qui les acheminent vers l’ouest.

Pendant que sa famille et elle descendent le fleuve, elle exprime son désir le plus grand, qui est d’atteindre Sion avant de mourir. Elle a cinquante-cinq ans et sa santé décline. Son fils, Newel, est déjà descendu à terre afin d’acheter du bois pour un cercueil au cas où elle mourrait avant d’arriver au Missouri.

Mais Polly est déterminée à être enterrée en Sion et nulle part ailleurs.

Peu après le départ des saints de Colesville, le Prophète, Sidney et Edward Partridge se mettent en route pour le Missouri avec plusieurs anciens de l’Église. Ils voyagent essentiellement par voie terrestre, prêchant l’Évangile en chemin et parlant des espoirs qu’ils fondent en Sion.

Joseph parle avec optimisme de l’Église à Independence. Il dit à certains des anciens qu’Oliver et les autres missionnaires sont sûrs d’y avoir établi une branche forte de l’Église, comme ils l’ont fait à Kirtland. Certains des anciens prennent ces propos pour une prophétie.

En approchant du comté de Jackson, les hommes admirent les prairies ondulantes qui les entourent. Le Missouri, avec toutes ces terres sur lesquelles les saints peuvent se disséminer, semble être l’endroit idéal pour Sion. Et Independence, ville située à proximité d’un grand fleuve et des territoires indiens, pourrait être le lieu parfait pour rassembler le peuple de l’alliance de Dieu.

Mais lorsqu’ils arrivent en ville, les frères ne sont pas impressionnés par ce qu’ils voient. Ezra Booth, ancien prédicateur qui s’est joint à l’Église après avoir vu Joseph guérir le bras paralysé d’une femme, trouve l’endroit lugubre et inexploité. Il y a un tribunal, quelques magasins, plusieurs maisons de rondins, et pas grand-chose de plus. Les missionnaires n’ont baptisé qu’une poignée de personnes dans la région donc la branche n’est pas aussi forte que ce à quoi Joseph s’attendait. Se sentant induits en erreur, Ezra et d’autres commencent à remettre en question les dons de prophète de Joseph.

Joseph aussi est déçu. Fayette et Kirtland sont de petits villages, mais Independence n’est rien de plus qu’un comptoir d’échange arriéré. La localité est le point de départ de pistes en direction de l’ouest et de ce fait elle attire des trappeurs et des transporteurs ainsi que des fermiers et de petits hommes d’affaires. Toute sa vie, Joseph a connu des gens exerçant ces métiers mais il trouve les hommes d’Independence particulièrement impies et brutaux. De plus, les agents du gouvernement de la ville se méfient des missionnaires et vont probablement rendre la prédication aux Indiens difficile, peut-être même impossible.

Découragé, Joseph présente ses inquiétudes au Seigneur. Il demande : « Quand le désert fleurira-t-il comme une rose ? Quand Sion sera-t-elle établie dans sa gloire, et où le temple se tiendra-t-il ? »

Le 20 juillet, six jours après son arrivée, les prières de Joseph sont exaucées. Le Seigneur lui dit : « Ce pays […] est le pays que j’ai désigné et consacré pour le rassemblement des saints. »

Ils n’ont aucune raison de regarder ailleurs. Le Seigneur déclare : « C’est pourquoi, c’est le pays de promission et le lieu pour la ville de Sion. » Les saints doivent acheter autant de terres disponibles qu’ils le peuvent, construire des maisons et ensemencer des champs. Et sur un promontoire à l’ouest du tribunal, ils doivent bâtir un temple.

Même après que le Seigneur a révélé sa volonté pour Sion, certains saints demeurent sceptiques au sujet d’Independence. Comme Ezra Booth, Edward s’est attendu à trouver une grande branche de l’Église dans la région. Au lieu de cela, les saints et lui doivent édifier Sion dans un lieu où les gens se méfient d’eux et ne s’intéressent pas du tout à l’Évangile rétabli.

Il comprend également qu’en qualité d’évêque de l’Église, la responsabilité de jeter les fondements de Sion repose en grande partie sur ses épaules. Afin de préparer la terre promise pour les saints, il doit en acheter autant que possible à distribuer en héritage aux personnes qui arrivent en Sion et respectent la loi de consécration. Cela signifie qu’il devra rester au Missouri et installer sa famille en Sion de façon permanente.

Edward veut participer à l’établissement de Sion, mais il se pose des questions sur la révélation, sur ses nouvelles responsabilités et sur la région. Un jour, pendant qu’il inspecte les terres d’Independence et des alentours, il fait remarquer à Joseph qu’elles ne sont pas aussi bonnes que d’autres dans les environs. Il perd patience avec le prophète et ne voit pas comment les saints pourraient établir Sion à cet endroit.

Joseph témoigne : « Moi je le vois, et il en sera ainsi. »

Quelques jours plus tard, le Seigneur révèle de nouveau sa parole à Joseph, à Edward et aux autres anciens de l’Église. Il déclare : « Pour le moment, vous ne pouvez pas voir de vos yeux naturels le dessein de votre Dieu concernant ces choses qui viendront plus tard et la gloire qui suivra beaucoup de tribulations. Car c’est après beaucoup de tribulations que viennent les bénédictions. »

Dans la révélation, le Seigneur réprimande également Edward pour son incrédulité. Il dit de l’évêque : « S’il ne se repent pas de ses péchés, […] qu’il prenne garde de peur de tomber. Voici, sa mission lui est donnée et elle ne sera pas donnée de nouveau. »

La mise en garde remplit Edward d’humilité. Il demandeau Seigneur de pardonner son aveuglement de cœur et dit à Joseph qu’il resteraià Independence et préparera les terres de Sion pour les saints. Il s’inquiète cependant encore de ne pas être à la hauteur de la tâche énorme qui l’attend.

Dans une lettre adressée à Lydia, il confesse : « Je crains que mon poste soit au-delà de ce que je suis capable d’accomplir à la satisfaction de mon Père céleste. Prie pour moi afin que je ne tombe pas. »

Au bout de trois semaines de voyage, Polly Knight arrive à Independence avec les saints de Colesville. Elle se tien faiblement sur ses jambes, reconnaissante d’avoir atteint le pays de Sion. Néanmoins, son corps s’affaiblit rapidement et deux convertis récents de la région l’hébergent afin qu’elle puisse se reposer dans un confort relatif.

En explorant la région en quête d’un endroit où s’installer, les Knight trouvent la campagne belle et agréable, avec une terre riche qu’ils pourraient exploiter et cultiver. Les gens aussi paraissent amicaux à leur égard, bien qu’ils soient des étrangers. Contrairement aux anciens de Kirtland, les membres de Colesville croient que les saints peuvent édifier Sion en ce lieu.

Le 2 août, les saints du Missouri se réunissent à plusieurs kilomètres à l’ouest d’Independence pour commencer à construire la première maison en Sion. Joseph et douze hommes de la branche de Colesville, qui représentent symboliquement les tribus d’Israël, posent le premier rondin du bâtiment. Sidney consacre ensuite le pays de Sion pour le rassemblement des saints.

Le lendemain, sur une parcelle à l’ouest du tribunal d’Independence, Joseph pose soigneusement une pierre unique pour marquer l’angle du futur temple. Quelqu’un ouvre alors une Bible et lit dans le quatre-vingt-septième psaume : « L’Éternel aime les portes de Sion plus que toutes les demeures de Jacob. Des choses glorieuses ont été dites sur toi, Ville de Dieu ! »

Quelques jours plus tard, Polly meurt, louant le Seigneur de l’avoir soutenue dans sa souffrance. Le prophète prononce l’éloge funèbre et son mari ensevelit le corps dans un bosquet non loin du site du temple. Elle est la première sainte à reposer en Sion.

Le même jour, Joseph reçoit une autre révélation : « Bénis, dit le Seigneur, sont ceux qui sont venus dans ce pays, ayant l’œil fixé uniquement sur ma gloire, conformément à mes commandements. Car ceux qui vivent hériteront la terre, et ceux qui meurent se reposeront de tous leurs labeurs. »

Peu après les obsèques, Ezra et d’autres anciens de l’Église reprennent la route de Kirtland avec Joseph, Oliver et Sidney. Ezra est soulagé de rentrer chez lui en Ohio. Contrairement à Edward, il n’a pas connu de changement de cœur au sujet de Joseph et de l’emplacement de Sion.

Les hommes mettent des canoës à l’eau sur le vaste Missouri, juste au nord d’Independence, et le descendent. À la fin de la première journée de voyage, ils sont de bonne humeur et savournt sur la berge un dindon sauvage en guise de dîner. Le lendemain, par contre, il fait chaud en ce mois d’août et le fleuve est agité et difficile à naviguer. Les hommes sont rapidement fatigués et commencent à se critiquer mutuellement.

Oliver finit par crier aux hommes : « Aussi vrai que l’Éternel est vivant, si vous ne vous conduisez pas mieux, vous allez avoir un accident. »

Joseph prend la direction de son canoë le lendemain après-midi, mais certains des anciens sont en colère contre lui et Oliver, et ils refusent de pagayer. Dans un méandre dangereux du fleuve, ils percutent un arbre immergé et manquent de chavirer. Craignant pour la vie de tous les membres de la compagnie, Joseph et Sidney ordonnent aux hommes de quitter le fleuve.

Après avoir installé le camp, Joseph, Oliver et Sidney essaient de parler au groupe et d’apaiser les tensions. Irrités, les hommes traitent Joseph et Sidney de lâches pour avoir quitté le fleuve, se moquent de la manière dont Oliver manœuvrait son canoë et accusent Joseph de se prendre pour un dictateur. La querelle dure jusque tard dans la soirée.

Au lieu de rester debout avec la compagnie, Ezra se couche tôt, critiquant sévèrement Joseph et les anciens. Pourquoi, se demandait-il, le Seigneur confierait-il les clés de son royaume à des hommes comme ceux-ci ?

Plus tard cet été-là, Lydia Partridge reçoit la lettre d’Edward provenant du Missouri. En plus de ses inquiétudes au sujet de son appel, il explique qu’il ne va pas rentrer à la maison comme prévu mais restera au comté de Jackson afin d’acheter des terres pour les saints. Il joint à la lettre un exemplaire de la révélation qui lui est adressée, commandant à sa famille de s’installer en Sion.

Lydia est surprise. Lorsqu’il est arti, il av dit à leurs amis qu’il reviendrait en Ohio dès que son travail au Missouri serait terminé. Maintenant, avec tant de responsabilités en Sion, il n’est as sûr de pouvoir rentrer pour aider Lydia et les enfants à faire le voyage. Cependant, il sait que d’autres familles en Ohio vont déménager au Missouri cet automne-là, notamment ses conseillers dans l’épiscopat. C’est aussi le cas pour Sidney Gilbert, un commerçant de Kirtland, et William Phelps, un imprimeur, qui vont tous deux créer des entreprises pour l’Église en Sion.

Edward écrit : « Il serait probablement préférable que tu fasses le voyage avec eux. »

Sachant qu’Independence offre peu de produits de luxe, iledonne à Lydia une longue liste d’articles à emporter et d’articles à abandonner. Il la met en garde : « Nous devons souffrir et subirons pendant quelque temps des privations auxquelles toi et moi n’avons pas été habitués. »

Lydia commence à préparer le déménagement. Les enfants sont maintenant en assez bonne santé pour voyager et elle s’arrange pour faire la route avec les familles Gilbert et Phelps. Lorsqu’elle met la propriété familiale en vente, ses voisins expriment leur incrédulité de voir qu’Edward et elle abandonnent leur maison et leur entreprise prospère pour suivre un jeune prophète dans le désert.

Lydia n’a pas le moindre désir de tourner le dos au commandement du Seigneur d’édifier Sion. Elle sait qu’abandonner leur belle maison sera une épreuve, mais elle croit qu’aider à jeter les fondations de la ville de Dieu sera un honneur.



CHAPITRE 13 : Le don est revenu

À la fin du mois d’août 1831, lorsque Joseph rentre à Kirtland, il reste quelques tensions entre lui et des anciens qui ont fait le voyage avec lui jusqu’à Independence. Après leur querelle sur les berges du Missouri, Joseph et la plupart des frères qui l’accompagnent se sont humiliés, ont confessé leurs péchés et demandé pardon. Le lendemain matin, le Seigneur le leur a accordé et a offert des propos rassurants et encourageants.

Il a dit : « Puisque vous vous êtes humiliés devant moi, les bénédictions du royaume sont à vous. »

D’autres anciens, dont Ezra Booth, ne fon aucun cas de la révélation et ne réglènt pas non plus leur différend avec Joseph. De retour à Kirtland, Ezra continue de critiquer ce dernier et de se plaindre de ses actions pendant la mission. Une conférence de saints a tôt fait de révoquer son permis l’autorisant à prêcher et il commence à écrire à ses amis des lettres critiquant sévèrement la personnalité de Joseph.

Début septembre, le Seigneur réprimande ce comportement agressif et appelle les anciens à cesser de condamner Joseph pour ses erreurs et de le critiquer sans raison. Le Seigneur reconnaît : « Il a péché, mais en vérité, je vous le dis, moi, le Seigneur, je pardonne les péchés à ceux qui les confessent devant moi et en demandent le pardon. »

Le Seigneure xhorte les saints à être cléments, eux aussi. Il déclare : « Moi, le Seigneur, je pardonne à qui je veux pardonner, mais de vous il est requis de pardonner à tous les hommes. »

Il les exhorte également à faire le bien et à édifier Sion au lieu de laisser leurs désaccords les désunir. Il leur rappelle : « Ne vous lassez pas de bien faire, car vous posez les fondements d’une grande œuvre. Le Seigneur exige le cœur, et un esprit bien disposé ; et celui qui est bien disposé et obéissant mangera l’abondance du pays de Sion en ces derniers jours. »

Avant de conclure, le Seigneur appelle quelques membres de l’Église à vendre leurs possessions et à se rendre au Missouri. La plupart des saints doivent cependant rester en Ohio et continuer d’y proclamer l’Évangile. Il est dit à Joseph : « Car moi, le Seigneur, je désire conserver une place forte dans la région de Kirtland pendant encore cinq ans. »

Elizabeth Marsh écoute attentivement les anciens décrire le pays de Sion à leur retour. Ils parlent de terres profondes et noires, de prairies ondulantes aussi vastes que l’océan et d’un fleuve tourbillonnant qui semble avoir une vie bien à lui. Bien qu’ayant peu de bien à dire des Missouriens, beaucoup des anciens reviennent animés d’optimisme quant à l’avenir de Sion.

Dans une lettre adressée à sa belle-sœur à Boston, Elizabeth relate tout ce qu’elle sait au sujet de la terre promise. Elle rapporte : « Ils ont érigé une pierre pour le temple et pour la ville et ont acheté des terres en aussi grande quantité que la situation le permettait comme héritage pour les fidèles. » Le site du temple proprement dit est dans une forêt à l’ouest du tribunal, accomplissant les prophéties bibliques selon lesquelles la forêt « se changera en verger » et « la solitude s’égaiera ».

Thomas, le mari d’Elizabeth, est encore au Missouri en train de prêcher l’Évangile et sa femme s’attend à le voir rentrer à la maison au bout d’un mois environ. D’après les anciens, la plupart des personnes au Missouri ne s’intéressent pas au message qu’il proclame mais des missionnaires baptisent des gens ailleurs et les envoient rejoindre Sion.

Sous peu, des centaines de saints se rassembleront à Independence.

À des centaines de kilomètres au sud-ouest de Kirtland, William McLellin, vingt-cinq ans, se recueille sur la tombe de sa femme, Cinthia Ann, et de leur bébé. Ils étaient mariés depuis moins de deux ans lorsque le bébé et elle sont morts. En qualité d’instituteur, William a l’esprit vif et un don pour écrire. Mais il ne trouve rien qui puisse le réconforter pendant les heures solitaires qui s’écoulent depuis qu’il a perdu sa famille.

Un jour, après la classe, il entend deux hommes parler du Livre de Mormon. L’un d’eux, David Whitmer, déclare qu’il a vu un ange témoigner que le Livre de Mormon est vrai. L’autre, Harvey Whitlock, étonne William tant sa prédication est puissante et claire.

William invite les hommes à lui en dire davantage et il est de nouveau frappé par les paroles d’Harvey. Il écrit dans son journal : « De toute ma vie, je n’ai jamais entendu une telle prédication. La gloire de Dieu semble entourer l’homme. »

Impatient de rencontrer Joseph Smith et d’examiner ses allégations, William suit David et Harvey jusqu’à Independence. Lorsqu’ils arrivent, Joseph est déjà reparti pour Kirtland mais William rencontre Edward Partridge, Martin Harris et Hyrum Smith et entend leur témoignage. Il parle également à d’autres hommes et femmes en Sion et s’émerveille de l’amour et de la paix qui règnent parmi eux.

Un jour, à l’occasion d’une longue marche dans les bois, il parle avec Hyrum du Livre de Mormon et des débuts de l’Église. William veut croire mais, en dépit de tout ce qu’il a entendu jusque là, il n’est toujours pas convaincu qu’il doit se joindre à l’Église. Il veut recevoir un témoignage de la part de Dieu qu’il a trouvé la vérité.

Tôt le lendemain matin, il prie pour être guidé. Réfléchissant à son étude du Livre de Mormon, il se rend compte qu’elle lui a ouvert l’esprit à une nouvelle lumière. Il reçoit alors la connaissance que le livre était vrai et se sent tenu à en témoigner, son honneur en dépend. Il est certain d’avoir trouvé l’Église vivante de Jésus-Christ.

Plus tard ce jour-là, Hyrum le baptise et le confirme, et les deux hommes prennent la route de Kirtland. Pendant qu’ils prêchent en chemin, William découvre qu’il a du talent pour tenir les auditoires en haleine et pour argumenter avec les hommes d’Église. Cependant, il se montrait parfois arrogant lorsqu’il prêche et se sent mal lorsque ses vantardises chassent l’Esprit.

Une fois arrivé à Kirtland, William est pressé de parler à Joseph. Il a plusieurs questions précises qu’il souhaite lui soumettre mais il les garde pour lui, priant pour que Joseph les discerne et lui en révèle la réponse. William est maintenant incertain de ce qu’il doit faire de sa vie et de l’endroit où il doit aller. Sans famille, il peut se consacrer pleinement à l’œuvre du Seigneur. Mais une partie de lui veut d’abord assurer son propre bien-être.

Ce soir-là, il rentre chez lui en compagnie de Joseph et lui demande une révélation de la part du Seigneur. Il sait que de nombreuses autres personnes l’ont fait. Joseph accepte et tandis qu’il reçoit la révélation, William entend le Seigneur répondre à chacune de ses questions. L’inquiétude cède la place à la joie. Il sait qu’il a trouvé un prophète de Dieu.

Quelques jours plus tard, le 1er  novembre 1831, Joseph réunit un conseil de dirigeants de l’Église. Ezra Booth a récemment publié une lettre dans un journal local accusant Joseph de faire de fausses prophéties et de cacher ses révélations au public. La lettre a été largement diffusée et de nombreuses personnes commencent à se méfier des saints et de leur message.

De nombreux membres de l’Église veulent également lire eux-mêmes la parole du Seigneur. Puisqu’il n’y a que des exemplaires manuscrits des révélations reçues par Joseph, la plupart d’entre eux ne les connaissent pas très bien. Les anciens qui veulent les utiliser dans l’œuvre missionnaire doivent les recopier à la main.

Sachant cela, Joseph propose que les révélations soient publiées dans un livre. Il est confiant qu’un tel livre aidera les missionnaires à diffuser plus facilement la parole du Seigneur et fournira aux voisins curieux des renseignements exacts au sujet de l’Église.

Le conseil en discute pendant des heures. David Whitmer et quelques autres s’opposent à la publication des révélations, craignant qu’une divulgation plus ouverte des plans du Seigneur pour Sion ne cause des problèmes aux saints dans le comté de Jackson. Joseph et Sidney ne sont pas du même avis, insistant sur le fait que le Seigneur veut que l’Église publie ses paroles.

Après délibération, le conseil se met d’accord pour publier dix mille exemplaires d’un recueil des révélations intitulé « Livre des commandements ». Ils confient à Sidney, Oliver et William McLellin la tâche de rédiger une préface pour le livre des révélations et de la leur présenter plus tard dans la journée.

Les trois hommes se mettent immédiatement au travail mais lorsqu’ils reviennent avec la préface, le conseil n’en est pas satisfait. Ils la relisent, la décortiquent ligne par ligne, et demandent à Joseph de demander la volonté du Seigneur à ce sujet. Joseph prie et le Seigneur révèle une nouvelle préface pour le livre. Sidney enregistre ses paroles au fur et à mesure que Joseph les prononce.

Dans la nouvelle préface, le Seigneur commande à tout le monde d’écouter sa voix. Il déclare qu’il a donné ces commandements à Joseph pour permettre à ses enfants de faire grandir leur foi et leur confiance en lui, et qu'ils doivent recevoir et proclamer la plénitude de son Évangile et son alliance éternelle. Il parle aussi des craintes des personnes telles que David qui s’inquiètent du contenu des révélations.

Il déclare : « Ce que moi, le Seigneur, ai dit, je l’ai dit, et je ne m’en excuse pas ; et même si les cieux et la terre passent, ma parole ne passera pas, mais s’accomplira entièrement, que ce soit par ma voix ou par la voix de mes serviteurs, c’est la même chose. »

Lorsque Joseph a prononcé les paroles de la préface, plusieurs membres du conseil disent qu’ils sont disposés à témoigner de la véracité des révélations. D’autres dans la pièce sont encore réticents à publier les révélations dans leur forme actuelle. Ils savent que Joseph est un prophète, et ils savent que les révélations sont vraies, mais ils sont gênés que la parole du Seigneur leur soit parvenue à travers le filtre du vocabulaire limité et de la grammaire déficiente de Joseph.

Le Seigneur ne partage pas leur inquiétude. Dans sa préface, il témoigne que les révélations viennent de lui, données à ses serviteurs « dans leur faiblesse, selon leur langage ». Afin de faire comprendre aux hommes que les révélations viennent de lui, il en fait une nouvelle qui lance au conseil le défi de choisir l’homme le plus sage dans la pièce pour écrire une révélation comme celles que Joseph a reçues.

Si l’homme est incapable de le faire, toutes les personnes présentes sauront et devront témoigner que les révélations du Seigneur à Joseph sont vraies, en dépit de leurs imperfections.

Prenant de quoi écrire, William essaie de rédiger une révélation, confiant en sa maîtrise de la langue. Lorsqu’il a terminé, il sait, et les autres hommes présents savent que ce qu’il a écrit ne vient pas du Seigneur. Ils admettent leur erreur et signent une déclaration attestant que les révélations ont été données au prophète sous l’inspiration de Dieu.

En conseil, ils décident que Joseph révisera les révélations et corrigera les erreurs qu’il pourra découvrir par le Saint-Esprit.

Vers cette époque, Elizabeth Marsh accueille chez elle, à Kirtland, une prédicatrice itinérante du nom de Nancy Towle. Nancy est une femme petite et maigre avec de grands yeux qui brillent sous l’intensité de ses convictions. À trente-cinq ans, elle s’est déjà fait une réputation en prêchant à de grandes assemblées de femmes et d’hommes dans des écoles, des églises et des réunions de camp dans tous les États-Unis. Après lui avoir parlé, Elizabeth voit bien qu’elle est instruite et ferme dans ses convictions.

Nancy est venue à Kirtland avec un objectif. Bien qu’elle garde habituellement un esprit ouvert vis-à-vis des autres Églises chrétiennes, même si elle n’est pas du même avis, Nancy est persuadée qu’on a berné les saints. Elle veut en savoir plus sur eux afin d’aider d’autres personnes à résister à leurs enseignements.

Elizabeth n’est pas favorable à une telle mission mais elle comprend que Nancy défende ce qu’elle pense être la vérité. Elle écoute leurs prédications et assista à quelques baptêmes dans une rivière voisine. Plus tard dans la journée, elle accompagne Elizabeth à une réunion de confirmation avec Joseph, Sidney et d’autres dirigeants de l’Église.

À la réunion, William Phelps attaque Nancy sur ses doutes au sujet de la véracité du Livre de Mormon. Il lui dit : « Vous ne serez pas sauvée si vous ne croyez pas en ce livre. »

Nancy lui lance des regards furieux. Elle dit : « Si j’avais ce livre, monsieur, je le brûlerais. » Nancy est choquée que tant de personnes talentueuses et intelligentes puissent suivre Joseph Smith et croire au Livre de Mormon.

S’adressant au prophète, elle dit : « M. Smith, pouvez-vous, en la présence du Dieu Tout-Puissant, donner votre parole par serment qu’un ange du ciel vous a montré l’endroit de ces plaques ? »

Joseph dit avec ironie : « Je ne jurerai pas du tout. » Au lieu de cela, il s’approche des personnes qui viennent juste de se faire baptiser, leur impose les mains et les confirme.

Se tournant vers Nancy, Elizabeth témoigne de sa propre confirmation. Elle dit : « À l’instant où il a placé ses mains sur ma tête, j’ai senti le Saint-Esprit déferler sur moi comme de l’eau chaude. »

Nancy est vexée, comme si Elizabeth l’avait accusée de ne pas connaître les sensations associées à l’Esprit du Seigneur. Elle regarde de nouveau Joseph et dit : « N’avez-vous pas honte d’avoir de telles prétentions ? Vous, qui n’êtes rien de plus qu’un laboureur ignorant de notre pays ! »

Joseph témoigne simplement : « Le don est revenu, comme autrefois, à des pêcheurs illettrés. »



CHAPITRE 14 : Visions et cauchemars

En janvier 1832, Joseph, Emma et les jumeaux logent chez Elsa et John Johnson à Hiram, en Ohio, à environ quarante-cinq kilomètres au sud de Kirtland. Les Johnson ont approximativement le même âge que les parents de Joseph, donc la plupart de leurs enfants sont mariés et ont quitté leur grande maison, laissant à Joseph beaucoup d’espace pour se réunir avec les dirigeants de l’Église et travailler à la traduction de la Bible

Avant leur baptême, Elsa et John faisaient partie des fidèles d’Ezra Booth. En fait, c’est la guérison miraculeuse d’Elsa opérée par Joseph qui a amené Ezra à se joindre à l’Église. Mais tandis que ce dernier aperdu sa foi, les Johnson continuent de soutenir le prophète, tout comme les Whitmer et les Knight l’ont fait à New York.

Cet hiver-là, Joseph et Sidney passent la plus grande partie de leur temps à traduire dans une pièce à l’étage de la maison des Johnson. À la mi-février, en lisant dans l’évangile de Jean un passage traitant de la résurrection des âmes justes et injustes, Joseph se demandes’il n’y av pas davantage de choses à savoir au sujet des cieux ou du salut du genre humain. Si Dieu récompense ses enfants en fonction de leurs actions sur la terre, les notions traditionnelles du ciel et de l’enfer sont-elles trop simplistes ?

Le 16 février, Joseph, Sidney et une douzaine d’hommes sont assis dans une pièce à l’étage de la maison des Johnson. L’Esprit repose sur Joseph et Sidney et ils s’immobilisent lorsqu’une vision s’ouvre à leurs yeux. Ils sont enveloppés par la gloire du Seigneur et voient Jésus-Christ à la droite de Dieu. Des anges adorent à son trône et une voix témoigne que Jésus est le Fils unique du Père.

« Que vois-je ? » demandeJoseph alors que Sidney et lui s’émerveillent des prodiges dont ils sont témoins. Il décri alors ce qu’il voit et Sidney dit : « Je vois la même chose. » Sidney pose ensuite la même question et décrit la scène devant lui. Lorsqu’il termine, Joseph dit : « Je vois la même chose. »

Ils parlent ainsi pendant une heure et leur vision révèle que le plan de salut de Dieu commence avant la vie sur la terre et que ses enfants ressusciteront après la mort par le pouvoir de Jésus-Christ. Ils décrivent également les cieux d’une manière qu’aucune des personnes présentes n’a jamais imaginée. Au lieu d’être un seul royaume, les cieux organisés en divers royaumes de gloire.

Joseph et Sidney voient chaque royaume et en donnent des détails précis. Le Seigneur prépare une gloire téleste pour les personnes qui ont été méchantes et impénitentes sur la terre. La gloire terrestre est réservée à celles qui ont mené une vie honorable mais n’ont pas pleinement obéi à l’Évangile de Jésus-Christ. La gloire céleste est réservée à celles qui acceptnt le Christ, contractent et respectent les alliances de l’Évangile et héritent de la plénitude de la gloire de Dieu.

Le Seigneur révèle à Joseph et Sidney davantage d’éléments au sujet des cieux et de la résurrection mais leur dit de ne pas les écrire. Il explique : « Ils ne peuvent être vus et compris que par le pouvoir de l’Esprit-Saint que Dieu confère à ceux qui l’aiment et se purifient devant lui. »

Lorsque la vision prend fin, Sidney est sans force et pâle, écrasé par ce qu’il a vu. Joseph sourit et dit : « Sidney n’y est pas aussi habitué que moi. »

Pendant que les saints de Kirtland sont mis au courant de la grande vision des cieux de Joseph, William Phelps installe l’imprimerie de l’Église à Independence. Il a été rédacteur d’un journal pendant la plus grande partie de sa vie d’adulte et en plus de travailler sur le Livre des commandements, il espère publier un mensuel pour les saints et leurs voisins au Missouri.

Usant d’un ton puissant et confiant, William annonce publiquement le journal qu’il a l’intention d’appeler : The Evening and the Morning Star (L’étoile du soir et du matin, ndt). Il déclare : « L’Étoile empruntera sa lumière à des sources sacrées et sera consacrée aux révélations de Dieu. » Il croit les derniers jours arrivés et veut que son journal avertisse les justes comme les méchants du rétablissement de l’Évangile et du retour imminent du Sauveur sur la terre.

Il veut également publier d’autres éléments intéressants, notamment des reportages et de la poésie. Mais bien qu’étant un homme aux convictions fermes qui laisse rarement passer l’occasion de donner son avis, William insiste sur le fait que le journal ne se mêlerani de la politique ni des disputes locales.

Il a été un rédacteur politiquement actif pour d’autres journaux et a parfois pimenté ses articles et ses éditoriaux d’opinions qui irritaient ses adversaires. Il sera difficile de rester au-dessus de la mêlée au Missouri. Néanmoins, il est enchanté à l’idée d’écrire des articles sur l’actualité et des éditoriaux.

William a sincèrement l’intention de se concentrer sur l’Évangile dans son journal et il comprend qu’en tant qu’imprimeur de l’Église, la priorité revient à la publication des révélations. Il promet à ses lecteurs : « Dès que la sagesse le dictera, on peut s’attendre à ce que sortent de cette presse de nombreux ouvrages sacrés. »

En Ohio, la vision de Joseph et Sidney fait sensation. De nombreux saints adoptent rapidement les nouvelles vérités révélées au sujet des cieux mais d’autres ont du mal à concilier la vision avec leurs croyances chrétiennes traditionnelles. Est-ce que ce nouveau concept du ciel sauve trop d’âmes ? Quelques saints rejettent la révélation et quittent l’Église.

La vision ajoute au trouble de certains de leurs voisins qui sont déjà perturbés par les lettres qu’Ezra Booth a publiées dans un journal local. Pendant que celles-ci colportent les critiques d’Ezra à l’encontre de Joseph, d’autres anciens membres de l’Église suscitent des questions dans l’esprit des personnes dont des membres de la famille ou des amis adorent avec les saints.

Au coucher du soleil, à la fin du mois de mars 1832, un groupe d’hommes se réunit dans une briqueterie à huit cents mètres de chez les Johnson. Ils allument un feu dans le four afin de chauffer du goudron de pin. Lorsque le ciel s’assombrit, ils se couvrent le visage de suie et se glissent dans la nuit.

Emma est au lit, éveillée, lorsqu’elle entend frapper légèrement à la fenêtre. Le bruit a été assez fort pour attirer son attention mais pas inhabituel. Elle n’y fait pas attention.

Joseph est allongé tout près sur un lit gigogne, sa respiration régulière prouvant qu’il était endormi. Les jumeaux ont la rougeole et plus tôt dans la soirée, Joseph s’est occupé du plus malade des deux afin qu’Emma puisse dormir. Au bout d’un moment, elle s'est réveillée, lui a pris le bébé et lui a dit de se reposer. Il doit prêcher le lendemain matin.

Elle est en train de s’assoupir lorsque la porte de la chambre s’ouvre à la volée et une douzaine d’hommes font irruption dans la pièce. Ils saisissent Joseph par les bras et les jambes et commencent à le traîner hors de la maison. Emma hurle.

Joseph se débat farouchement et les hommes resserrèrent leur prise. Quelqu’un l’attrappe par les cheveux et le tire violemment vers la porte. Libérant l’une de ses jambes, Joseph donne à l’un d’eux un coup de pied au visage. Ce dernier trébuche en arrière et tombe à la renverse sur le pas de la porte, se tenant le nez ensanglanté. Avec un rire rauque, il se remet sur pied et aplatit sa main ensanglantée sur le visage de Joseph.

Il hurle : « Je vais te faire la peau. »

Les hommes se débattent pour le sortir de la maison et l’emmener dans le jardin. Il lutte contre leur étreinte afin de libérer ses membres puissants mais quelqu’un lui saisit la gorge et la serre jusqu’à ce que son corps cesse de résister.

Il se réveille dans une prairie à quelque distance de la maison des Johnson. Les hommes le tiennent encore fermement, un peu au-dessus du sol, afin qu’il ne puisse pas leur échapper. À quelques pas, il voit la silhouette à demi-nue de Sidney Rigdon, étendue sur l’herbe. Il semble mort.

Joseph les implore : « Ayez pitié. Épargnez-moi la vie. »

Quelqu’un crie : « Appelle ton Dieu à l’aide. » Joseph regarde autour de lui et voit d’autres hommes rejoindre les émeutiers. Un individu sort d’un verger voisin avec une planche et les autres l’y allongent et le transportent plus loin dans la prairie.

Après s’être éloignés de la maison, ils déchirent ses vêtements et le maintiennent allongé pendant que l’un d’eux s’approche de lui avec un couteau affûté pour le mutiler. L’homme regarde Joseph et finalement refuse d’utiliser son couteau.

Un autre hurle : « Maudit sois-tu. » Il saute sur Joseph et lacère la peau du prophète avec ses ongles acérés, laissant la chair à vif. Il dit : « C’est comme cela que le Saint-Esprit tombe sur les gens. »

Joseph en entend d’autres un peu plus loin en train de se disputer au sujet de ce qu’ils vont faire de lui et de Sidney. Il n’entend pas tout ce qu’ils disent mais il lui semble entendre un nom familier ou deux.

Une fois la querelle terminée, quelqu’un dit : « Goudronnons-lui la bouche. » Des mains dégoûtantes lui ouvrent la bouche de force pendant que quelqu’un tente de lui verser une bouteille d’acide dans la gorge. La bouteille se brise sur ses dents, lui en ébréchant une.

Un autre tente de lui enfoncer une spatule de goudron collant dans la bouche mais Joseph secoue la tête. L’homme cria : « Maudit sois-tu. Arrête de bouger. » Il enfonça la spatule jusqu’à ce que le goudron déborde de ses lèvres.

D’autres hommes arrivent avec un bac entier de goudron et le renversèrent sur lui. Le goudron coule sur sa peau lacérée et dans ses cheveux. Ils le couvrent de plumes et le renversent sur le sol froid avant de s’enfuir.

Après leur départ, Joseph arrache le goudron de ses lèvres et prend une profonde inspiration. Il essaie de se remettre debout mais les forces lui manquent. Il tente de nouveau et réussit à tenir sur ses jambes. Des plumes volent autour de lui.

Lorsqu’elle le voit arriver en trébuchant à la porte des Johnson, Emma s’évanouit, certaine que les émeutiers l’ont mutilé au point de le rendre définitivement méconnaissable. En entendant le tumulte, plusieurs femmes du voisinage ont accouru à la maison. Joseph demande une couverture pour envelopper son corps meurtri.

Le reste de la nuit, des gens prennent soin de lui et de Sidney, qui est resté étendu longtemps dans la prairie, respirant à peine. Emma racle le goudron des membres, de la poitrine et du dos de Joseph. Pendant ce temps, Elsa Johnson utilise du lard de son cellier pour assouplir le goudron durci afin de le décoller de la peau et des cheveux de Joseph.

Le lendemain, Joseph s’habille et fait un sermon depuis le seuil de la porte des Johnson. Il reconnaît certains des émeutiers dans l’assemblée mais ne leur dit rien. L’après-midi, il baptise trois personnes.

L’agression a quand même causé de nombreux dommages. Il a le corps meurtri et endolori par les coups. Sidney est couché, en proie au délire, oscillant entre la vie et la mort. Les émeutiers l’ont sorti de chez lui en le traînant par les talons, laissant la tête sans protection rebondir sur les marches et le sol froid de mars.

Les bébés de Joseph et d’Emma souffrent également. Tandis que la santé de Julia s’améliore régulièrement, celle de son jumeau, le petit Joseph décline de plus en plus et il meurt plus tard cette semaine-là. Le prophète attribue la mort de son fils à l’air froid qui est entré dans la maison quand les émeutiers l’ont traîné dehors.

Quelques jours après l’enterrement du bébé, Joseph se remet au travail en dépit de son chagrin. Par obéissance au commandement du Seigneur, il prend la route du Missouri le 1er avril avec Newel Whitney et Sidney, qui est encore affaibli par l’agression mais a suffisamment récupéré pour faire le voyage. Le Seigneur vient d’appeler Newel à servir comme évêque en Ohio et lui a commandé de consacrer les excédents financiers de ses entreprises lucratives pour soutenir le magasin, l’imprimerie et les achats fonciers à Independence.

Le Seigneur veut que les trois hommes se rendent au Missouri et fassent alliance de coopérer économiquement avec les dirigeants en Sion pour le profit de l’Église et pour mieux s’occuper des pauvres. Il veut également qu’ils fortifient les saints afin qu’ils ne perdent pas de vue leur responsabilité sacrée d’édifier la ville de Sion.

Lorsqu’ils arrivent à Independence, Joseph convoque un conseil de dirigeants de l’Église et lit une révélation qui lui demande, à lui, à Edward Partridge, à Newel Whitney et à d’autres dirigeants de l’Église de faire alliance ensemble de gérer les soucis économiques de l’Église.

Le Seigneur déclare : « Je vous donne ce commandement de vous lier par cette alliance, […] chacun cherchant l’intérêt de son prochain et faisant tout, l’œil fixé uniquement sur la gloire de Dieu. » Ainsi liés, ils prennent le nom de Firme unie.

Pendant qu’il est au Missouri, Joseph rend également visite aux membres de l’ancienne branche de Colesville et à d’autres qui se sont installés dans la région. Les dirigeants de l’Église semblent travailler bien ensemble, la nouvelle imprimerie se prépare à publier le premier numéro de The Evening and the Morning Star et de nombreux membres de l’Église sont impatients de développer la ville.

Mais Joseph sent que certains saints, y compris certains de leurs dirigeants, ont de mauvais sentiments à son égard. Ils semblent lui en vouloir d’avoir choisi de rester à Kirtland au lieu de s’installer de façon permanente au Missouri. Et certains semblent encore contrariés au sujet de ce qui s’est passé lors de sa dernière visite dans la région, lorsque certains des anciens et lui ont été en désaccord concernant l’emplacement de Sion au Missouri.

Leur rancœur le surprend. Ne se rendent-ils pas compte qu’il a quitté sa famille endeuillée et parcouru mille trois cents kilomètres juste pour les aider ?

Pendant que Joseph rend visite aux saints à Independence, William McLellin faiblit spirituellement en Ohio. Après avoir été appelé comme missionnaire, il a passé l’hiver à prêcher l’Évangile, d’abord dans des villes et des villages à l’est de Kirtland et plus tard au sud. Bien qu’il ait eu un certain succès au début, des soucis de santé, le mauvais temps et des gens indifférents ont fini par avoir raison de son courage.

En tant qu’instituteur, il a l’habitude d’avoir des élèves obéissants qui écoutnt ses leçons et ne répondent pas. Par contre, en qualité de missionnaire, il est souvent en désaccord avec les personnes qui ne respectent pas son autorité. Un jour, pendant qu’il fait un long sermon, il est interrompu plusieurs fois et traité de menteur.

Après des mois de revers, il commence à se demander si c’est le Seigneur ou bien Joseph Smith qui l’a appelé en mission. Incapable de résoudre la question, il abandonne le champ de la mission et trouve un emploi de commis dans un magasin. Pendant son temps libre, il examine la Bible pour trouver des preuves du rétablissement de l’Évangile et argumente avec les sceptiques au sujet de la religion.

Au bout d’un certain temps, il décide de ne pas repartir en mission. Au lieu de cela, il épouse une membre de l’Église du nom d’Emeline Miller et décide de se joindre à un groupe d’une centaine de saints qui se rendent dans le comté de Jackson où des terres sont immédiatement disponibles. Dans une révélation à Joseph, Dieu réprimande William pour avoir abandonné sa mission mais ce dernier pense qu’il peut recommencer à zéro en Sion.

Cependant, il veut le faire à sa façon. L’été 1832, sa compagnie et lui partent pour le Missouri sans recommandation des dirigeants de l’Église, laquelle est exigée du Seigneur afin que Sion ne grandisse pas trop rapidement et que ses ressources ne s’épuisent pas. Lorsqu’il arrive, il ne se rend pas chez l’évêque Partridge pour consacrer ses possessions ou recevoir un héritage. Au lieu de cela, il achète au gouvernement deux parcelles à Independence.

L’évêque Partridge et ses conseillers sont submergés par l’arrivée de William et des autres. Parmi les nouveaux arrivants, beaucoup sont pauvres et ont peu de biens à consacrer. L’évêque fait de son mieux pour les accommoder mais il est difficile d’organiser des logements, des fermes et des emplois alors que l’économie de Sion est encore fragile.

William, cependant, croit que sa grande compagnie accomplit la prophétie d’Ésaïe selon laquelle de nombreuses personnes iront en Sion. Il trouve un emploi d’instituteur et écrit à sa famille au sujet de sa foi.

Il témoigne : « Nous croyons que Joseph Smith est un véritable prophète ou voyant du Seigneur et qu’il a du pouvoir et reçoit des révélations de Dieu et que ces révélations, lorsqu’elles sont reçues, sont d’autorité divine dans l’Église du Christ. »

Toutefois, de telles notions commencent à déranger ses voisins au Missouri, surtout lorsqu’ils entendent des membres de l’Église dire que Dieu a désigné Independence comme point central de leur terre promise. Avec l’arrivée de la compagnie de William, le nombre de saints en Sion approche des cinq cents. Les ressources commencent déjà à se faire rares, créant une hausse du prix des marchandises locales.

Tandis que d’autres saints s’installent autour d’elle, une femme fait cette réflexion : « Ils nous envahissent. Je pense vraiment qu’ils doivent être punis. »


CHAPITRE 15 : Des lieux saints

Nous sommes en août 1832. Phebe Peck regarde fièrement trois de ses enfants se faire baptiser près de chez eux au Missouri. Ils font partie des onze enfants baptisés en Sion ce jour-là. Avec ceux de Lydia et Edward Partridge et ceux de Sally et William Phelps, ils appartiennent à la première génération de jeunes saints à grandir dans un pays consacré par le Seigneur.

Phebe et ses enfants ont emménagé un an plus tôt en Sion avec les saints de Colesville. Benjamin, le défunt mari de Phebe, était le frère de Polly Knight. Elle a donc sa place dans la famille élargie des Knight. Mais sa propre famille lui manque encore, ainsi que ses amies de New York qui ne se sont pas jointes à l’Église.

Peu après le baptême de ses enfants, elle écrit à deux d’entre elles au sujet de Sion. Elle dit à son amie Anna : « Tu ne trouverais pas que c’est une épreuve de venir ici parce que le Seigneur révèle les mystères du royaume céleste à ses enfants. »

William Phelps vient juste de publier la vision des cieux de Joseph et Sidney dans The Evening and the Morning Star et Phebe relate à Anna sa promesse selon laquelle les personnes qui sont baptisées et restent vaillantes dans le témoignage du Christ recevront le plus haut degré de gloire et la plénitude des bénédictions de Dieu.

Avec une telle promesse à l’esprit, Phebe exhorte une autre amie, Patty, à écouter le message de l’Évangile. Elle écrit : « Si seulement tu pouvais voir et croire comme moi, les portes s’ouvriraient et tu viendrais dans ce pays, et on pourrait se revoir et se réjouir des choses de Dieu. »

Phebe témoigne de la vision du prophète récemment révélée et de la paix qu’elle lui procure, encourageant Patty à la lire si jamais l’occasion se présente.

Elle dit à son amie : « J’espère que tu liras d’un cœur attentif et adonné à la prière car ces choses valent la peine qu’on y prête attention et je désire que tu les examines. »

Cet automne-là, Joseph se rend à New York City en compagnie de Newel Whitney pour prêcher l’Évangile et faire des achats pour la Firme unie. Le Seigneur a appelé Newel à avertir les gens des grandes villes des calamités qui arriveront dans les derniers jours. Joseph l’accompagne pour l’aider à obéir au commandement du Seigneur.

Dernièrement, Joseph a senti le besoin de plus en plus urgent de prêcher l’Évangile et de fortifier les lieux de rassemblement des saints. Peu avant de quitter Kirtland, il a reçu une révélation selon laquelle les détenteurs de la prêtrise ont la responsabilité de prêcher l’Évangile et de conduire les fidèles vers la sécurité de Sion et du temple où le Seigneur promet de les visiter de sa gloire.

La prêtrise s’accompagne donc du devoir d’administrer les ordonnances en faveur des personnes qui acceptent le Christ et son Évangile. Le Seigneur enseigne que c’est uniquement grâce à ces ordonnances que ses enfants peuvent être prêts à recevoir son pouvoir et à retourner en sa présence.

Toutefois Joseph est parti en voyage avec des raisons de s’inquiéter au sujet du projet de bâtir Sion au Missouri. L’Église en Ohio est florissante en dépit de l’opposition d’anciens membres mais, au Missouri, elle a du mal à faire respecter l’ordre quand de plus en plus de personnes emménagent dans la région sans permission. Avec les tensions qui persistent entre lui et certains dirigeants de Sion, il faut faire quelque chose pour unir l’Église.

En arrivant à New York City, Joseph est sidéré par sa taille. Des édifices élevés surplombent des rues étroites qui s’étendent sur des kilomètres. De tous côtés, il voit des magasins proposant des marchandises chères, de grandes maisons et des immeubles de bureaux imposants, et des banques où des hommes riches font affaire. Des gens de toutes sortes d’origines ethniques, de métiers et de classes sociales variés passent près de lui avec hâte, apparemment indifférents aux personnes qui les entourent.

Newel et lui prennent une chambre dans un hôtel à trois étages près des entrepôts où Newel espère faire ses achats pour la Firme unie. Joseph trouve fastidieuse la recherche de marchandises et est découragé par l’orgueil et la méchanceté qu’il voit dans la ville. Il retourne donc souvent à l’hôtel pour lire, méditer et prier. Il est rapidement sujet au mal du pays. Emma est sur le point de terminer une nouvelle grossesse et il lui tarde d’être auprès d’elle et de leur fille.

Il écrit : « À force de penser à la maison, à Emma et à Julia, c’est comme si un raz-de-marée me submergeait au point de me faire souhaiter être un moment avec elles. »

Parfois, Joseph quitte l’hôtel et part explorer et prêcher. New York City compte plus de deux cent mille habitants et Joseph a le sentiment que le Seigneur est satisfait de l’architecture merveilleuse et des inventions extraordinaires de ces derniers. Pourtant, personne ne semble rendre gloire à Dieu pour les merveilles qui l’entourent ni s’intéresser à l’Évangile rétabli de Jésus-Christ.

Sans se laisser démonter, Joseph continue de parler de son message. Il écrit à Emma : « Je suis décidé à élever la voix et à en confier le dénouement à Dieu qui tient toutes choses entre ses mains. »

Un mois plus tard, après le retour de Joseph et de Newel en Ohio, Brigham Young, trente et un ans, arrive à Kirtland avec son frère aîné, Joseph, et son meilleur ami, Heber Kimball. Ce sont des convertis récents originaires du centre de l'État de New York, non loin de l’endroit où Joseph Smith a grandi. Dès qu’il a eu connaissance du Livre de Mormon, Brigham a voulu rencontrer le prophète. Maintenant qu’il est à Kirtland, il a l’intention de lui serrer la main, de le regarder dans les yeux et d’évaluer son cœur. Depuis son baptême, Brigham prêcheà partir du Livre de Mormon, mais il ne sait pas grand chose de l’homme qui l’a traduit.

Joseph et Emma logent maintenant dans l’appartement situé au-dessus du magasin des Whitney à Kirtland, mais lorsque les trois hommes s’y arrêtent, le prophète est à l'extérieur, parti abattre du bois pour le feu dans une forêt à plus d’un kilomètre de là. Ils partent immédiatement dans cette direction, se demandant ce qu’ils trouveront en arrivant.

Brigham et les autres marchent dans les bois et arrivent à une clairière où Joseph est en train de fendre des bûches. Il est plus grand que Brigham et porte des vêtements de travail simples. À voir la dextérité avec laquelle Joseph manœuvre la hache, Brigham voit bien que le travail manuel ne lui est pas étranger.

Il s’approche du prophète et se présente. Joseph pose sa hache et lui serre la main en disant : « Je suis content de vous voir. »

Pendant qu’ils parlent, Brigham propose de fendre le bois pendant que son frère et Heber chargeront une charrette. Le prophète semble enjoué, travailleur et amical. Comme Brigham, ses origines sont humbles mais il n’est pas grossier comme le sont d’autres ouvriers. Brigham est immédiatement convaincu qu’il a affaire à un prophète de Dieu.

Au bout d’un certain temps, Joseph invite les hommes à manger chez lui. Lorsqu’ils arrivent, il les présente à Emma qui est au lit et tient tendrement dans ses bras un petit garçon en bonne santé. Le bébé est né quelques jours plus tôt, quelques heures à peine avant le retour de Joseph et de Newel de New York. Emma et Joseph l’ont appelé Joseph Smith 3.

Après le repas, Joseph organise une petite réunion et invite Brigham à prier. Lorsqu’il incline la tête, ce dernier sent l’Esprit le pousser à parler dans une langue inconnue. Les personnes présentes sont surprises. Au cours de l’année écoulée, de nombreuses personnes ont simulé les dons de l’Esprit par des comportements insensés. Ce que fait Brigham est différent.

Sentant leur malaise, Joseph dit : « Frères, je ne me suis jamais opposé à quoi que ce soit qui vienne du Seigneur. Cette langue est de Dieu. »

Joseph parle ensuite dans la même langue, déclarant que c’est celle qu’Adam parlait dans le jardin d’Éden et encourageant les saints à rechercher le don des langues, comme Paul l’a fait dans le Nouveau Testament, pour le profit des enfants de Dieu.

Brigham quitte Kirtland une semaine plus tard alors qu’un hiver paisible s’installe sur le petit village. Cependant, quelques jours avant Noël, un journal local publie des rapports selon lesquels les autorités gouvernementales de l’État de Caroline du Sud s’opposent à des impôts sur les marchandises importées et menacent de se déclarer indépendant des États-Unis. Certaines personnes exigent la guerre.

Lorsque Joseph lit les commentaires sur la crise, il pense à la méchanceté et aux destructions que la Bible annonce avant la seconde venue du Sauveur. Le Seigneur vient de lui dire que le monde entier gémit sous la servitude du péché et que Dieu va bientôt intervenir avec colère contre les méchants, anéantissant les royaumes de la terre et faisant trembler les cieux.

Après avoir prié pour en savoir davantage sur ces calamités, Joseph reçoit une révélation le jour de Noël. Le Seigneur lui dit que le moment va venir où la Caroline du Sud et d’autres États du Sud se rebelleront contre le reste de la nation. Les États rebelles feront appel à d’autres pays et les esclaves se dresseront contre leurs maîtres. La guerre et les catastrophes naturelles se déverseront sur toutes les nations, répandant le malheur et la mort sur toute la terre.

La révélation est un rappel lugubre que les saints ne peuvent plus retarder l’édification de Sion et la construction du temple. Ils doivent se préparer maintenant s’ils espèrent échapper aux dévastations à venir.

Le Seigneur les exhorte : « Tenez-vous en des lieux saints et ne vous laissez pas ébranler jusqu’à ce que le jour du Seigneur vienne. »

Deux jours après avoir reçu la révélation au sujet de la guerre, Joseph se réunit avec les dirigeants de l’Église dans le magasin de Newel Whitney. Il croit que les saints du Missouri critiquent de plus en plus sa façon de diriger. S’ils ne se repentent pas et ne rétablissent pas l’harmonie dans l’Église, il craint qu’ils ne perdent leur héritage en Sion et leur chance de bâtir le temple.

Après avoir ouvert la réunion, Joseph demande aux dirigeants de l’Église de prier afin de connaître la volonté de Dieu quant à l’édification de Sion. Les hommes inclinent la tête et prient, chacun exprimant sa bonne volonté à respecter les commandements de Dieu. Joseph reçoit ensuite une révélation que son nouveau secrétaire, Frederick Williams, couche sur papier.

C’est un message de paix pour les saints, les exhortant à se sanctifier. Le Seigneur commande : « Sanctifiez-vous donc afin que votre esprit se fixe uniquement sur Dieu. » À leur grande surprise, il leur commande de construire un temple à Kirtland et de se préparer à recevoir sa gloire.

Le Seigneur dit : « Organisez-vous, préparez tout ce qui est nécessaire et établissez une maison qui sera une maison de prière, une maison de jeûne, une maison de foi, une maison de connaissance, une maison de gloire, une maison d’ordre, une maison de Dieu. »

Il leur conseilla également d’inaugurer une école. Il déclare : « Et comme tous n’ont pas la foi, cherchez diligemment et enseignez-vous les uns aux autres des paroles de sagesse ; oui, cherchez des paroles de sagesse dans les meilleurs livres ; cherchez la connaissance par l’étude et aussi par la foi. »

Joseph envoie un exemplaire de la révélation à William Phelps, au Missouri, la qualifiant de « feuille d’olivier » et de « message de paix du Seigneur » aux saints de Kirtland. Il avertit les saints en Sion que s’ils ne se sanctifiaient pas comme le Seigneur le leur commande, ce dernier choisira d’autres personnes pour construire son temple.

Joseph implore : « Prêtez l’oreille à la voix d’avertissement de Dieu, sans quoi Sion tombera. Les frères à Kirtland prient sans cesse pour vous car, connaissant les terreurs du Seigneur, ils ont de grandes craintes à votre sujet. »

Le 22 janvier 1833, Joseph et les saints de Kirtland organisent l’école des prophètes dans le magasin des Whitney. Orson Hyde, l’un des secrétaires de Joseph, est désigné pour enseigner. Comme Joseph et la plupart des autres étudiants, Orson a passé la majorité de son enfance à travailler au lieu d’aller à l’école. Il était orphelin et son tuteur n’avait autorisé sa scolarisation qu’en hiver, après les moissons et avant les nouvelles semailles. Néanmoins, Orson avait une bonne mémoire et apprenait vite et adulte, il est allé dans une école privée des environs.

À l’école des prophètes, il donne aux hommes des leçons spirituelles en plus de cours d’histoire, de grammaire et d’arithmétique, comme le Seigneur l’a commandé. Ceux qui assistent à ses cours ne sont pas simplement des élèves. Ils s’adressent les uns aux autres sous le titre de frères et son liés par une alliance de communion fraternelle. Ils étudient ensemble, discutent ensemble et prient ensemble.

Un jour, Joseph invite Orson et d’autres membres de la classe à se déchausser. Suivant l’exemple du Christ, il s’agenouilla devant chacun et lui lave les pieds.

Lorsqu’il a fini, il dit : « Comme j’ai fait, faites de même. » Il leur demande de se servir mutuellement et de se préserver des péchés du monde.

Pendant que les cours se donnent, Emma regarde les étudiants arriver et monter l’escalier jusqu’à la petite pièce pleine de monde où ils se réunissent. Certains hommes viennent propres et bien habillés, par respect pour la nature sacrée de l’école. Certains font aussi l’impasse sur le petit-déjeuner pour arriver à la réunion en jeûnant.

Une fois les cours terminés et les hommes partis pour la journée, Emma et certaines jeunes femmes embauchées pour aider nettoient la salle de classe. Du fait que les hommes fument la pipe et chiquent pendant les cours,
lorsqu’ils partent la pièce est enfumée et le sol est jonché de tabac à chiquer. Emma astique le plancher de toutes ses forces mais le tabac laisse des traces sur le sol.

Elle s’en plaint à Joseph. Habituellement, il n’utilise pas de tabac lui-même mais cela ne le gêne pas que les autres hommes le fassent. Cependant, les plaintes d’Emma l’amènent à se demander si l’usage du tabac est convenable aux yeux de Dieu.

Emma n’est pas la seule à s’en soucier. Des réformateurs aux États-Unis et dans d’autres pays du monde trouvent que fumer, chiquer et boire de l’alcool sont des habitudes répugnantes. Mais certains médecins croient que le tabac peut guérir une foule de maux. Des affirmations semblables sont faites au sujet de la consommation d’alcool et de boissons brûlantes telles que le café et le thé, à laquelle les gens s’adonnent généreusement.

Lorsque Joseph soumet le sujet au Seigneur, il reçoit une révélation, une « parole de sagesse pour le profit des saints en ces derniers jours ». Le Seigneur y met son peuple en garde contre la consommation d’alcool, déclarant que les liqueurs distillées servent à laver le corps et que le vin est réservé à des occasions comme la Sainte-Cène. Il les met également en garde contre le tabac et les boissons brûlantes.

Le Seigneur insiste sur un régime alimentaire sain, encourageant les saints à consommer des céréales, des légumes, des fruits et de la viande avec modération. Aux personnes qui choisiront d’obéir, il promet la santé, la connaissance et la force.

La révélation n’est pas un commandement mais un avertissement. De nombreuses personnes auront du mal à abandonner ces substances puissantes et Joseph n’insiste pas sur une obéissance stricte. Il continue de boire occasionnellement de l’alcool et Emma et lui boivent parfois du café et du thé.

Toutefois, lorsque Joseph lit la révélation à l’école des prophètes, les hommes dans la pièce jettent leur pipe et leur cartouche de tabac à chiquer dans le feu pour montrer qu’ils sont disposés à obéir aux recommandations du Seigneur.

La première session de l’école des prophètes s’achève en mars et ses membres se dispersent pour faire des missions ou s’acquitter d’autres responsabilités. Pendant ce temps, les dirigeants de l’Église à Kirtland travaillent pour acheter une briqueterie et lever des fonds pour construire le temple.

À peu près à cette époque-là, Joseph reçoit une lettre en provenance du Missouri. Après avoir lu la « feuille d’olivier », Edward et d’autres ont exhorté les saints à se repentir et à se réconcilier avec l’Église de Kirtland. Leurs efforts ont abouti et les concernés demandent maintenant à Joseph de leur accorder son pardon.

Prêt à mettre le conflit derrière lui, Joseph cherche comment respecter les commandements du Seigneur à l’égard de Sion. En juin, il prie avec Sidney Rigdon et Frederick Williams pour savoir comment construire un temple. Pendant qu’ils prient, ils ont une vision du temple et examinent son aspect extérieur, la structure de ses fenêtres, de son toit et de sa flèche. Le temple semble ensuite se déplacer au-dessus d’eux et ils se retrouvent à l’intérieur, observant ses vastes pièces.

Après leur vision, les hommes dessinent des plans pour les temples de Kirtland et d’Independence. De l’extérieur, les bâtiments ressemblent à de grandes églises, mais à l’intérieur, ils ont deux grandes salles de réunion, l’une au premier étage et l’autre au rez-de-chaussée, où les saints pourront se réunir et apprendre.

Joseph se concentre ensuite sur l’aide à apporter aux saints en Sion pour transformer leur colonie (dont la taille a plus que doublé depuis sa dernière visite) en ville. Avec l’aide de Frederick et de Sidney, il dessine les plans d’une ville de 2,5 kilomètres carrés. La carte est un croisillon de rues longues et droites avec des maisons de briques et de pierres bâties loin des routes sur des lots profonds comportant des bosquets à l’avant et de l’espace pour cultiver un potager à l’arrière.

Les terres doivent être divisées en lots de 0,2 hectares chacun, les mêmes pour les riches que pour les pauvres. Les agriculteurs habiteront en ville et iront travailler dans les champs en périphérie. Au centre se trouvera le temple et d’autres édifices sacrés destinés au culte, à l’éducation, à l’administration et au soin des pauvres. Les mots « Sainteté au Seigneur » devront être gravés sur chaque bâtiment public.

La ville pourra héberger quinze mille personnes ; en cela elle sera nettement plus petite que la ville de New York mais sera quand-même l’une des plus grandes villes du pays. Lorsqu’elle sera pleine, le plan pourra être reproduit jusqu’à ce que tous les saints aient un héritage en Sion. Joseph commande : « Disposez-en une autre de la même manière et remplissez ainsi le monde en ces derniers jours. »

En juin 1833, Joseph, Sidney et Frederick envoient le plan de la ville de Kirtland à Independence, ainsi que les instructions détaillées pour la construction du temple.

Dans une lettre qui accompagne les plans, ils rapportent : « Nous avons commencé à bâtir la maison du Seigneur en ce lieu et le projet avance rapidement. Nuit et jour nous prions pour le salut de Sion. »


CHAPITRE 16 : Seulement un prélude

Pendant que les plans pour Sion et pour le temple sont acheminés par courrier vers le Missouri, Emily Partridge, neuf ans, saute hors du lit et se précipite dehors en chemise de nuit. Dans la cour derrière chez elle, non loin du site du temple d’Independence, elle voit l’une des grandes meules de foin de sa famille dévorée par des flammes. Le feu monte très haut dans le ciel nocturne, son flamboiement jaune jetant de longues ombres derrière les personnes, debout à côté, qui regardent le brasier avec impuissance.

Les incendies accidentels sont courants dans la région mais celui-ci n’en est pas un. Tout au long de l’été 1833, de petits groupes d’émeutiers ont vandalisé les possessions des saints, espérant les décourager de s’installer dans le comté de Jackson. Pour l’instant, personne n’a subi de dommages corporels mais à chaque attaque, les émeutiers se montrent de plus en plus agressifs.

Emily ne comprend pas toutes les raisons pour lesquelles les habitants du comté de Jackson veulent que les saints partent. Elle sait que sa famille et ses amis sont différents de leurs voisins à bien des égards. Les Missouriens qu’elle entend parler dans les rues emploient un autre langage et les femmes portent des robes d’un autre genre. Certains circulent pieds nus l’été et lavent leurs vêtements avec de gros battoirs au lieu des planches à laver dont elle avait l’habitude en Ohio.

Ces différences sont anodines mais il y a aussi d’importants désaccords dont Emily est peu au courant. Les habitants d’Independence ne sont pas contents que les saints prêchent l’Évangile aux Indiens et désapprouvent l’esclavage. Dans les États du Nord, où la plupart des saints ont vécu, il est illégal de posséder des esclaves. Mais au Missouri, l’esclavage des noirs est légal et les colons de longue date défendent résolument cette loi.

Le fait que les saints restent habituellement entre eux éveille les soupçons. Lorsqu’il en arrive de nouveaux en Sion, ils travaillent ensemble pour construire et meubler les maisons, cultiver les fermes et élever les enfants. Ils sont impatients de poser les fondements d’une ville sainte qui résistera jusqu’au millénium.

La maison des Partridge, située au centre d’Independence, représente déjà un pas en avant vers la transformation de la ville en Sion. C’est une maison simple, d’un étage, dépourvue de l’élégance que possède l’ancienne demeure d’Emily en Ohio, mais elle indique que les saints sont à Independence avec l’intention d’y rester.

Comme le montre la meule en feu, cette maison les désigne aussi comme cible.

Voyant les tensions s’accroître entre les saints et leurs voisins dans le comté de Jackson, William Phelps décide d’utiliser les pages du journal de l’Église local pour apaiser les craintes. Dans le numéro de juillet 1833 de The Evening and the Morning Star, il publia une lettre adressée aux membres de l’Église qui immigrent, leur conseillant de solder leurs dettes avant d’arriver en Sion afin de ne pas être un fardeau pour la collectivité.

En écrivant cela et d’autres conseils, il espère que les habitants du comté de Jackson liront le journal eux aussi et verront que les saints sont des citoyens respectueux des lois et que leurs croyances ne représentent aucune menace, ni pour eux, ni pour l’économie locale.

Phelps parle aussi de l’attitude des membres de l’Église à l’égard des noirs. Bien qu’il sympathise avec les personnes qui souhaitent libérer les esclaves, il veut que ses lecteurs sachent que les saints obéiront aux lois du Missouri restreignant les droits des noirs libres. L’Église ne compte que quelques saints noirs et Phelps leur conseille, s’ils choisissent de s’installer en Sion, d’agir avec prudence et de placer leur confiance en Dieu.

Il écrit sans autre précision : « Tant que nous n’avons pas de règle particulière dans l’Église relative aux personnes de couleur, que la prudence soit notre guide. »

En lisant la lettre dans The Evening and the Morning Star, Samuel Lucas, juge et colonel dans la milice du comté de Jackson, se met en colère. D’après ce qu’il comprend, Phelps invite les noirs libres à devenir membres de l'Église et à s’installer au Missouri. Les déclarations de Phelps décourageant les saints noirs d’emménager au Missouri n’apaisent en rien les craintes de Lucas.

Avec les émeutiers qui harcèlent déjà les saints à Independence et dans les colonies environnantes, Samuel Lucas n’a aucun mal à trouver d’autres personnes de son avis. Pendant plus d’une année, les élus locaux ont dressé leurs administrés contre les saints. Certains ont distribué des prospectus et organisé des réunions pour inciter les gens à chasser les nouveaux arrivants de la région.

Au début, la plupart des autochtones pensaient que les saints étaient des fanatiques inoffensifs qui prétendaient recevoir des révélations, guérir par l’imposition des mains et opérer d’autres miracles. Mais au fur et à mesure que des membres de l’Église s’installent dans le comté, affirmant que Dieu leur a donné Independence comme terre promise, Samuel Lucas et les autres élus locaux commencent à les considérer, eux et leurs révélations, comme des menaces contre leurs possessions et leur pouvoir politique.

Et maintenant, la lettre de Phelps alimente l’une de leurs plus grandes craintes. À peine deux ans auparavant, dans un autre État, des dizaines d’esclaves se sont rebellés et ont tué plus de cinquante blancs, hommes et femmes, en moins de deux jours. Les propriétaires d’esclaves, au Missouri et dans tous les États du Sud, redoutent que quelque chose de semblable ne se produise dans leur localité. Certains craignent que si les saints invitent les noirs libres à s’installer dans le comté de Jackson, leur présence n’incite les esclaves à aspirer à la liberté et à se rebeller.

Samuel Lucas et les autres se rendent compte que, puisque les lois protégègent les libertés d’expression et de religion des saints, ils ne pourront pas mettre un terme à cette menace par des moyens légaux. Mais ils ne seront pas la première ville à user de violence pour chasser les indésirables du milieu d’eux. En agissant de concert, ils pourront expulser les saints du comté en toute impunité.

Les élus se réunissent rapidement pour prendre des mesures contre les nouveaux arrivants. Lucas et les autres dressent la liste de leurs doléances à l’encontre des saints et la présentent aux habitants d’Independence.

Le document déclare l’intention des élus de chasser les saints du comté de Jackson par tous les moyens nécessaires. Ils choisissent le 20 juillet pour organiser une réunion au tribunal afin de décider de ce qu’il faut faire d’eux. Des centaines de résidents du comté de Jackson apposent leur signature sur le document.

Lorsqu’il a vent de l’émeute, William Phelps tente désespérément de réparer toute offense imputable à l’article de son journal. Le Livre de Mormon déclare que le Christ invite tout le monde à lui, « noirs et blancs, esclaves et libres », mais le fait que tout le comté se retourne contre les saints l’inquiète.

Agissant rapidement, il imprime un tract d’une page abjurant ce qu’il a écrit au sujet de l’esclavage. Il insiste : « Nous nous opposons à l’admission de personnes de couleur libres dans l’État et nous disons qu’aucune ne sera admise dans l’Église. » Le tract donne une image inexacte de la position de l’Église sur le baptême des membres noirs, mais il espère empêcher ainsi d’autres manifestations de violence.

Le 20 juillet, William Phelps, Edward
Partridge et d’autres dirigeants de l’Église se rendent au tribunal du comté de Jackson pour rencontrer les élus du comté. Le temps est exceptionnellement doux pour un mois de juillet et des centaines de personnes quittent leurs maisons, leurs fermes et leurs entreprises pour assister à la réunion et se préparer à prendre des mesures contre les saints.

Décidant de donner aux dirigeants de l’Église un avertissement de dernière minute avant d’avoir recours à la violence, Samuel Lucas et douze autres hommes représentant la collectivité exigent que William Phelps cesse d’imprimer The Evening and the Morning Star et que les saints quittent immédiatement le comté.

En qualité d’évêque en Sion, Edward
Partridge sait quelle lourde perte ce serait pour les saints de céder aux exigences. La fermeture de l’imprimerie retarderait la publication du Livre des commandements, qui est presque achevée. Et quitter le comté signifierait non seulement perdre des biens de valeur mais également abandonner leur héritage en terre promise.

Edward
Partridge demande un délai de trois mois pour étudier la proposition et demander conseil à Joseph à Kirtland. Mais les dirigeants du comté de Jackson refusent d’accéder à sa demande. Il demande dix jours pour consulter les autres saints du Missouri. Les élus lui accordent quinze minutes.

Peu disposés à ce qu’on fasse pression sur eux pour prendre une décision, les saints mettent fin aux négociations. Lorsque la délégation du comté de Jackson sort, un homme se tourne vers Edward
Partridge et lui dit que l’œuvre de destruction va commencer immédiatement.

Plus loin sur la rue du tribunal, Sally Phelps est à la maison, au rez-de-chaussée de l’imprimerie de l’Église, en train de s’occuper de son bébé malade. Ses quatre autres enfants sont près d’elle. William est parti quatre heures plus tôt pour assister à la réunion au tribunal. Il n’est toujours pas rentré et Sally attend avec anxiété des nouvelles de la discussion.

Un bruit sourd secoue la porte d’entrée, les faisant sursauter, les enfants et elle. Dehors, des émeutiers tentent d’enfoncer la porte à l’aide d’un gros rondin de bois. Un attroupement d’hommes, de femmes et d’enfants se forme autour de l’imprimerie, certains encourageant les émeutiers, d’autres regardant en silence.

Une fois la porte enfoncée, des hommes armés se précipitent à l’intérieur de la maison et font sortir Sally et les enfants dans la rue. Ils jettent les meubles et les affaires de la famille par la porte et brisent les fenêtres. Certains des attaquants montnt au premier étage de l’imprimerie et renverset les caractères et l’encre sur le sol pendant que d’autres démolissent le bâtiment.

Debout avec ses enfants blottis autour d’elle, Sally regarde les hommes fracturer la fenêtre de l’étage de l’imprimerie et jeter le papier et les caractères. Ils soulèvent ensuite la presse et l’envoient par la fenêtre s’écraser au sol.

Dans le chaos, quelques hommes sortent du bâtiment les bras chargés de pages non reliées du Livre des commandements. L’un d’eux, les jetant dans la rue, cria à la foule : « Voilà le livre des révélations des damnés mormons. »

Accroupies ensemble près d’une barrière voisine, Mary Elizabeth Rollins, quinze ans, et sa sœur Caroline, treize ans, regardent les hommes éparpiller les pages du Livre des commandements. Mary en avait vu certaines auparavant.

Caroline et elle sont des nièces de Sidney Gilbert, le gérant du magasin des saints à Independence. Un soir, chez leur oncle, Mary a écouté les dirigeants de l’Église lire et commenter les révélations rapportées sur les pages nouvellement imprimées. Pendant que les hommes conversaient, l’Esprit s’était manifesté au cours de la réunion et certains avaient parlé en langues et Mary avait interprété leurs propos. Elle éprouve maintenant un profond respect pour les révélations et est mécontente de les voir joncher la rue.

Se tournant vers Caroline, elle dit qu’elle veut récupérer les pages avant qu’elles ne soient détériorées. Les hommes ont commencé à arracher le toit de l’imprimerie. Ils auront tôt fait d’abattre les murs et de ne laisser que des décombres.

Caroline veut sauver les pages mais elle a peur des émeutiers. Elle dit : « Ils vont nous tuer. »

Mary est consciente du danger mais elle dit à Caroline qu’elle est décidée à récupérer les pages. Peu disposée à se séparer de sa sœur, Caroline accepte de l’aider.

Les jeunes filles attendent que les hommes aient tourné le dos puis elles bondissent hors de leur cachette et attrapent autant de pages qu’elles peuvent en tenir dans leurs bras. Lorsqu’elles font demi-tour pour battre en retraite vers la barrière, certains émeutiers les aperçoivent et leur ordonnent de s’arrêter. Les sœurs serrent les pages encore plus fort contre elles et, poursuivies par deux d’entre des émeutiers, elles coururent aussi vite qu’elles le peuvent vers un champ de maïs voisin.

Le maïs mesure un mètre quatre-vingts et Mary et Caroline ne voient pas où elles se dirigent. Se jetant sur le sol, elles cachent les pages sous elles et écoutent en haletant les hommes aller et venir d’un pas lourd dans le champ. Les sœurs les entendent approcher de plus en plus mais, au bout d’un moment, ils abandonnent leurs recherches et sortent du champ.

Emily Partridge et sa sœur Harriet sont sorties chercher de l’eau à une source lorsqu’elles ont vu une cinquantaine d’hommes armés approcher de chez elles. Se cachant près du point d’eau, les fillettes les ont regardés avec terreur encercler la maison, en chasser leur père et l’emmener de force avec eux.

Ils l'ont conduit sur la place publique où une foule de plus de deux cents personnes entourent Charles Allen, un autre saint capturé. Russell Hicks, l’instigateur de la réunion qui a eu lieu plus tôt ce jour-là, s’approche d’Edward et lui dit de quitter le comté ou d’en assumer les conséquences.

Edward répond : « Si je dois souffrir pour ma religion, ce n’est rien de plus que ce que d’autres ont fait avant moi. » Il dit à Hicks qu’il n’a rien fait de mal et qu’il refuse de quitter la ville.

Quelqu'un crie : « Invoque ton Jésus ! » La foule fait tomber Edward et Charles, et Hicks commence à déshabiller l’évêque. Ce dernier résiste et quelqu’un dans la foule exige que Hicks laisse l’évêque garder sa chemise et son pantalon.

Il cède et arrache à Edward son chapeau, son manteau et sa veste qu’il remet à la foule. Deux hommes s’avancent et enduisent les prisonniers de la tête aux pieds de goudron et de plumes. Le goudron brûle, leur rongeant la peau comme un acide.

Non loin, une convertie du nom de Vienna Jaques ramasse les pages éparpillées du Livre des commandements dans la rue. Elle a consacré ses économies, une somme considérable, à l’édification de Sion et maintenant tout s’effondre.

Pendant qu’elle agrippe les pages non reliées, un homme s’approche d’elle et dit : « Ce n’est qu’un prélude à ce que vous devez endurer. » Il montre du doigt la silhouette défaite d’Edward. « Voilà votre évêque, couvert de goudron et de plumes. »

Vienna lève les yeux et voit l'évêque s’éloigner en boitant. Seuls son visage et les paumes de ses mains ont échappé au goudron. Elle s’exclame : « Dieu soit loué ! Il recevra une couronne de gloire pour le goudron et les plumes. »

Sally Phelps n’a plus de maison où s’abriter ce soir-là. Elle trouve refuge dans une étable en rondins abandonnée à côté d’un champ de maïs. Avec l’aide de ses enfants, elle rassemble des broussailles pour confectionner des lits.

Pendant qu’elle travaille avec les enfants, deux silhouettes sortent du champ de maïs. Dans la pénombre, Sally voit qu’il s’agit de Caroline et Mary Rollins. Les sœurs tiennent des piles de papier serrées dans leurs bras. Sally leur demande ce qu’elles ont et elles lui montrent les pages qu’elles ont ramassées du Livre des commandements.

Sally les leur prend et les met en sécurité sous la pile de broussailles qui doit lui servir de lit. La nuit tombe et elle ne sait pas ce que le lendemain réserve à Sion.


CHAPITRE 17 : Même si les émeutiers nous tuent

Lorsque la violence éclate dans les rues d’Independence, William McLellin s’enfuit de chez lui et se cache dans les bois, terrifié par les émeutiers. Après avoir détruit l’imprimerie de l’Église, les habitants du comté de Jackson ont saccagé le magasin de Sidney Gilbert et chassé de nombreux saints de chez eux. Certains hommes ont été capturés et fouettés jusqu’au sang.

Espérant échapper à leur sort, William reste caché dans les bois pendant des jours. Lorsqu’il apprend que les émeutiers offrent une récompense à quiconque le capturera lui ou d’autres membres éminents de l’Église, il s’éclipse jusqu’à la colonie de la famille Whitmer, le long de la Big Blue, à plusieurs kilomètres à l’ouest, et reste à couvert.

Seul et apeuré, il est assailli par des doutes. Il est arrivé à Independence convaincu que le Livre de Mormon est la parole de Dieu. Mais maintenant, sa tête est mise à prix. Que se passerait-il si des émeutiers le trouvaient ? Pourrait-il rester fidèle à son témoignage du Livre de Mormon à ce moment-là ? Pourrait-il affirmer sa foi en l’Évangile rétabli ? Est-il disposé à souffrir ou à mourir pour cela ?

Tandis qu’il ressasse ces questions, il rencontre David Whitmer et Oliver Cowdery dans les bois. Bien qu’il y ait aussi une récompense pour la capture d’Oliver, les hommes ont des raisons de croire que le pire est passé. Les habitants d’Independence sont toujours décidés à chasser les saints hors du comté mais les attaques ont cessé et certains membres de l’Église rentrent chez eux.

Cherchant à se rassurer, William se tourne vers ses amis. Il leur dit : « Je n’ai jamais eu de vision de ma vie mais vous, vous dites que vous en avez eu. » Il faut qu’il sache la vérité. Il demande : « Dites-moi, dans la crainte de Dieu, est-ce que le Livre de Mormon est vrai ? »

Oliver le regarde et dit : « Dieu nous a envoyé son saint ange pour nous déclarer l’authenticité de sa traduction et donc, nous savons. Et même si les émeutiers nous tuent, nous mourrons en déclarant sa véracité. »

David ajoute : « Oliver t’a dit la vérité solennelle. E
n toute sincérité, j’atteste  de sa véracité. »

William dit : « Je vous crois. »

Le 6 août 1833, avant d’être mis au courant de l’ampleur des actes de violence au Missouri, Joseph reçoit une révélation au sujet des persécutions en Sion. Le Seigneur dit aux saints de ne pas craindre. Il a entendu et enregistré leurs prières et promettait par alliance de les exaucer. Le Seigneur leur offre cette assurance : « Toutes les afflictions que vous avez subies concourront à votre bien. »

Trois jours plus tard, Oliver arrive à Kirtland avec un rapport complet des attaques perpétrées au Missouri. Afin d’apaiser les émeutiers, Edward Partridge et d’autres dirigeants de l’Église ont signé un engagement promettant aux habitants d’Independence que les saints quitteront le comté de Jackson dès le printemps. Aucun d’eux ne veut abandonner Sion mais le refus de signer l’engagement ne servirait qu’à mettre les saints en plus grand danger.

Horrifié par tant de violence, Joseph approuve la décision d’évacuation. Le lendemain, Oliver écrit aux dirigeants de l’Église du Missouri, leur commandant de chercher un autre endroit à coloniser. Il conseille : « Faites preuve de sagesse dans votre choix. Recommencer dans un autre lieu ne fera, en fin de compte, aucun mal à Sion. »

Joseph ajoute à la fin de la lettre : « Si j’étais avec vous, je prendrais activement part à vos souffrances. Mon esprit ne m’autoriserait pas à vous abandonner. »

Par la suite, Joseph est bouleversé pendant des jours. La terrible nouvelle est arrivée pendant qu’il faisait l’objet de critiques sévères à Kirtland. Cet été-là, un membre de l’Église du nom de Doctor Philastus Hurlbut a été excommunié pour conduite immorale en mission. Peu après, Hurlbut a commencé à critiquer Joseph dans des réunions rassemblant de nombreux participants et à réunir de l’argent des détracteurs. Avec cet argent, il a l’intention de se rendre à New York pour collecter des histoires qu’il pourrait utiliser pour mettre l’Église dans l’embarras.

Cependant, aussi urgents que sont les problèmes en Ohio, Joseph sait que la situation au Missouri exige toute son attention. Songeant aux actes de violence, Joseph se rend compte que le Seigneur n’a ni révoqué son commandement d’édifier Sion à Independence, ni autorisé les saints à abandonner leurs terres dans le comté de Jackson. S’ils renonçaient à leurs biens maintenant, ou les vendaient à leurs ennemis, il serait presque impossible de les récupérer.

Désirant de toutes ses forces recevoir des directives précises pour les saints du Missouri, Joseph invoque le Seigneur. Il demanda : « Qu’exiges-tu de plus de leur part avant de venir les sauver ? » Il attend une réponse mais le Seigneur ne lui donne aucune nouvelle instruction pour Sion.

Le 18 août, Joseph écrit personnellement à Edward et aux autres dirigeants au Missouri. Il admet : « Je ne sais pas quoi vous dire. » Il leur a envoyé un exemplaire de la révélation du 6 août et leur assure que Dieu les délivrera du danger. Il témoigne : « J’ai son alliance immuable qu’il en sera ainsi mais il plaît à Dieu de ne pas me dévoiler comment cela se fera. »

Joseph exhorte les saints à faire, en attendant, confiance aux promesses que le Seigneur leur a déjà faites. Il leur conseille d’être patients, de reconstruire l’imprimerie et le magasin et de trouver des moyens légaux de recouvrer leurs pertes. Il les implore également de ne pas abandonner la terre promise et leur envoie un plan plus détaillé de la ville.

Il écrit : « Il est contraire à la volonté du Seigneur qu’un seul arpent de terre acheté soit donné ou vendu aux ennemis de Dieu. »

La lettre de Joseph parvient à Edward début septembre et l’évêque convient que les saints ne doivent pas vendre leurs possessions dans le comté de Jackson. Bien que les chefs des émeutiers aient proféré des menaces contre eux s’ils cherchaient à être dédommagés de leurs pertes, Edward recueille les récits des mauvais traitements subis cet été-là et les envoie au gouverneur du Missouri, Daniel Dunklin.

Le gouverneur Dunklin éprouve personnellement du mépris pour les saints mais il les encourage à porter plainte. Il leur dit : « Notre gouvernement repose sur des lois. » Si les tribunaux du comté de Jackson ne les exécutent pas pacifiquement, ils peuvent l’en informer et il interviendra. Il leur recommande de faire entretemps confiance aux lois du pays.

La lettre du gouverneur redonneespoir à Edward et aux saints. Ils commencent à reconstruire leur communauté et Edward et d’autres dirigeants de l’Église en Sion embauchent des avocats d’un comté voisin pour plaider leur cause. Ils prennent la résolution de se défendre et de défendre leurs biens s’ils sont attaqués.

Les élus à Independence sont furieux. Le 26 octobre, un groupe de plus de cinquante habitants vote pour les expulser du comté de Jackson dès qu’ils le pourront.

Cinq jours plus tard, au coucher du soleil, les saints de la colonie Whitmer apprennent que des hommes armés d’Independence se dirigent vers eux. Lydia Whiting et son mari, William, s’enfuient de chez eux avec leur fils de deux ans et leurs jumelles qui viennent de naître vers une maison où d’autres membres de l’Église se rassemblent pour se défendre.

À vingt-deux heures, Lydia entend du vacarme dehors. Les hommes d’Independence sont arrivés et démolissent des cabanes. Ils s’éparpillent dans tout le campement, jetant des pierres à travers des fenêtres et enfonçant des portes. Ils grimpent sur des maisons et arrachent les toits. D’autres chassent des familles hors de chez elles avec des bâtons.

Lydia entend les émeutiers approcher. Non loin de là, ils enfoncent la porte de la maison de Peter et Mary Whitmer où de nombreux membres de l’Église se sont réfugiés. Des cris fusent lorsque les hommes armés de bâtons forcent l’entrée de la maison. Les femmes se ruent vers leurs enfants et implorent la miséricorde de leurs attaquants. Les émeutiers font sortir les hommes, les battent et les fouettent.

Dans la maison où se cache Lydia, les saints sont paralysés par la peur et la confusion. Munis de peu d’armes à feu et d’aucun plan de défense, certaines personnes paniquent et s’enfuient dans les bois avoisinants. Craignant pour sa famille, Lydia confie ses jumelles à deux filles blotties à côté d’elle et leur dit de courir se mettre à l’abri. Elle prendensuite son fils dans les bras et les suit.

Dehors, c’était le chaos. Des femmes et des enfants passent devant elle en courant pendant que les émeutiers démolissent d’autres maisons et renversent des cheminées. Des hommes gisent au sol, violemment battus et en sang. Lydia serre son fils contre sa poitrine et cout vers les bois, perdant de vue son mari et les filles qui portent ses bébés.

Lorsqu’elle atteint le couvert des arbres, Lydia ne retrouve que l’une de ses jumelles. Elle prend le bébé et s’assoit avec son petit garçon, frissonnant dans la fraîcheur automnale. Depuis leur cachette, ils peuvent entendre les émeutiers détruire leur maison. Elle passe une longue nuit sans avoir la moindre idée si son mari a réussi à s’échapper de la colonie.

Au matin, elle sort prudemment des bois et cherche,
parmi les saints hagards de la colonie, son mari et son bébé disparus. À son grand soulagement, le bébé est sain et sauf et William n’a pas été capturé par les émeutiers.

Ailleurs dans la colonie, d’autres familles se retrouvent. L’attaque n’a fait aucun mort mais près d’une douzaine de maisons ont été rasées. Le reste de la journée, les saints fouillent les décombres pour essayer de sauver ce qui reste de leurs biens et prennent soin des blessés.

Pendant les quatre jours suivants, les dirigeants de Sion disent aux saints de se rassembler en grands groupes pour se défendre des attaques. Des émeutiers d’Independence chevauchent dans toute la campagne, terrorisant les colonies isolées. Les dirigeants de l’Église supplient un juge local de les stopper mais il les ignore. Les habitants du comté de Jackson sont déterminés à chasser de chez eux tous les saints jusqu’au dernier.

Peu après, les émeutiers frappent de nouveau la colonie Whitmer, cette fois plus violemment. Lorsque Philo Dibble, vingt-sept ans, entend un coup de feu en direction de la colonie, lui et d’autres saints des environs se précipitent pour la défendre. Ils trouvent cinquante hommes armés à cheval, piétinant les champs de maïs et dispersant les saints effrayés dans les bois.

Apercevant Philo et sa compagnie, les hommes tirent, blessant mortellement un homme. Les saints ripostent, tuant deux de leurs attaquants et dispersant le reste. La fumée de leurs armes à poudre noire remplit l’air.

Tandis que les émeutiers se dispersent, Philo sent une douleur à l’abdomen. Baissant la tête, il voit que ses vêtements sont déchirés et ensanglantés. Une bille de plomb et de la chevrotine l’ont atteint.

Les mains encore crispées sur son fusil et sa poudre, il titube jusqu’à chez lui. En chemin, il voit des femmes et des enfants blottis dans des maisons dévastées, se cachant des émeutiers qui menacent de tuer quiconque se porte au secours des blessés. Faible et assoiffé, il continue de tituber jusqu’à la maison où sa famille se terre.

Cecelia, sa femme, voit sa blessure et part en courant dans les bois chercher de l’aide. Elle se perd et ne trouve personne. Lorsqu’elle revient à la maison, elle dit que la plupart des saints se sont enfuis en direction de la colonie où habitent les saints de Colesville, à cinq kilomètres de là.

D’autres sont dispersés dans la campagne, se cachent dans les champs de maïs ou errent dans la campagne.

Pendant que les saints luttent contre les émeutiers le long de la Big Blue, Sidney Gilbert se présente devant un juge dans le tribunal d’Independence en compagnie d’Isaac Morley, John Corrill, William McLellin et quelques autres saints. Ils ont été arrêtés après qu’un homme qu’ils ont pris en train de voler dans le magasin de Sidney les a accusés d’agression et de séquestration quand ils ont essayé de le faire arrêter.

La salle d’audience est pleine lorsque le juge entend leur cas. Avec la ville entière qui proteste contre la décision des saints de défendre leurs droits et leurs biens, Sidney et ses amis ont peu de raisons d’espérer une audience impartiale.

Le procès ressemble à une comédie. Pendant que le juge entend les témoignages, de fausses rumeurs parviennent à Independence selon lesquelles les saints ont massacré vingt Missouriens à la Big Blue. La colère et la confusion remplissent la salle d’audience lorsque les spectateurs crient qu’il faut lyncher les prisonniers. Refusant de les remettre à la foule, l’un des greffiers du tribunal ordonne que les hommes soient ramenés en prison pour être protégés avant que les émeutiers ne puissent les assassiner.

Ce soir-là, une fois le scandale apaisé, William reste en prison pendant que le shérif et deux adjoints escortent Sidney, Isaac et John à une réunion avec Edward Partridge. Les dirigeants de l’Église discutent des options qui s’offrnt à eux. Ils savent qu’ils doivent quitter rapidement le comté de Jackson mais l’idée de laisser leurs terres et leurs maisons entre les mains de leurs ennemis leur répugne. Ils décident finalement qu’il vaut mieux perdre leurs biens que leur vie. Ils doivent abandonner Sion.

Leur discussion prend fin à deux heures du matin et le shérif les ramèneen prison. Lorsqu’ils arrivent, une demi-douzaine d’hommes armés les attendent.

« Ne tirez pas ! Ne tirez pas ! » s’écrie le shérif en voyant les émeutiers.

Ces derniers mettent les prisonniers en joue et John et Isaac s’enfuient. Certains tirent sur eux et les manquent. Sidney tient bon lorsque deux hommes s’approchent de lui et pointent leur arme sur sa poitrine. Maintenant sa position, Sidney entend les chiens des fusils claquer et voit un éclair de poudre.

Surpris, il examine son corps pour voir où il est blessé mais ne trouve rien. L’un des pistolets s’est cassé et l’autre s’est enrayé. Le shérif et ses adjoints se dépêchent de le ramener dans la sécurité de la cellule.

Une grande partie du comté de Jackson se mobilise pour la bataille. Des messagers battent la campagne pour enrôler des hommes armés afin de chasser les saints de la région. Pendant ce temps, un membre de l’Église nommé Lyman Wight conduit une compagnie de cent saints, certains armés de pistolets et d’autres de bâtons, en direction d’Independence pour secourir les prisonniers.

Pour éviter d’autres effusions de sang, Edward commence à préparer les saints à quitter le comté. Le shérif libère les prisonniers et Lyman disperse sa compagnie. La milice du comté est sollicitée pour maintenir l’ordre pendant que les saints quittent leurs maisons mais comme la plupart des miliciens ont participé aux attaques des colonies, ils ne font pas grand-chose pour empêcher la violence.

Il ne reste pas d’autre solution aux saints que celle de s’enfuir.

Le 6 novembre, William Phelps écrit aux dirigeants de l’Église à Kirtland. Il leur dit : « C’est horrible. Les hommes, les femmes et les enfants sont en train de s’enfuir ou de se préparer à s’enfuir dans toutes les directions. »

La plupart des saints marchent péniblement en direction du nord, traversant en bateau le Missouri glacé, vers le comté voisin de Clay où les familles éparpillées se retrouvent. Le vent et la pluie font rage et bientôt la neige se met à tomber. Une fois que les saints ont traversé le fleuve, Edward et les autres dirigeants montent des tentes et construisent des abris sommaires pour les protéger des éléments.

Trop blessé pour fuir, Philo Dibble dépérit chez lui, près de la colonie Whitmer. Un médecin lui dit qu’il va mourir mais il s’accroche à la vie. Avant de partir en direction du nord, David Whitmer lui envoie un message disant qu’il lui promet qu’il vivra. Newel Knight vient ensuite, s’assoit à côté de son lit et place en silence sa main sur sa tête.

Philo sent l’Esprit du Seigneur reposer sur lui. Lorsque cette sensation s'est répandue dans tout son corps, il sait qu’il sera guéri. Il se lève et du sang et des bouts de tissu déchiquetés s’écoulent de ses blessures. Puis il s’habille et sort pour la première fois depuis la bataille. Il voit au-dessus de sa tête un nombre incalculable d’étoiles filantes dans le ciel nocturne.

Dans le camp le long du Missouri, les saints sortent de leurs tentes et de leurs masures pour voir la pluie de météores. Edward et sa fille Emily regardent avec délice les étoiles qui semblent tomber en cascade autour d’eux comme une grosse pluie d’été. Pour Emily, c’est comme si Dieu avait envoyé les lumières réjouir les saints dans leurs afflictions.

Son père croit qu’elles sont des signes de la présence de Dieu, une raison de se réjouir au milieu de tant de tribulations.

À Kirtland, un coup à la porte réveilla le prophète. Il entend une voix dire : « Frère Joseph, levez-vous et venez voir les signes dans le ciel. »

Joseph se lève, regarde dehors et voit les météores tomber du ciel comme de la grêle. « Combien tes œuvres sont merveilleuses, ô Seigneur ! » s’exclama-t-il en se souvenant des prophéties du Nouveau Testament au sujet d’étoiles tombant des cieux avant la Seconde Venue, lorsque le Seigneur reviendra et régnera pendant mille ans dans la paix.

Il fait ensuite cette prière : « Je te remercie pour ta miséricorde envers moi, ton serviteur. Ô Seigneur, sauve-moi dans ton royaume. »


CHAPITRE 18 : Le camp d’Israël

Pendant des jours après la pluie d’étoiles filantes, Joseph attend que quelque chose de miraculeux se produise. Mais la vie reprend son cours habituel et aucun autre signe ne se manifeste dans les cieux. Il confie dans son journal : « Mon cœur est quelque peu attristé. » Plus de trois mois se sont écoulés depuis la dernière révélation du Seigneur adressée aux saints en Sion et Joseph ne sait toujours pas comment les aider. Les cieux semblent fermés.

À son désarroi s’ajoute le retour
de Palmyra et Manchester de Philastus Hurlbut avec des histoires, certaines fausses, d’autres exagérées, au sujet des jeunes années de Joseph. Pendant que ces récits circulent à Kirtland, Hurlbut jure également qu’il se lavera les mains dans le sang du prophète. Celui-ci se met à avoir recours à des gardes du corps.

Le 25 novembre 1833, un peu plus d’une semaine après la pluie d’étoiles filantes, Orson Hyde arrive à Kirtland et rapporte l’expulsion des saints du comté de Jackson. La nouvelle est consternante. Joseph ne comprend pas pourquoi Dieu a laissé les saints souffrir et perdre la terre promise. Il n’arrive pas non plus à présager l’avenir de Sion. Il prie pour être guidé mais le Seigneur lui dit simplement de rester calme et de lui faire confiance.

Joseph écrit immédiatement à Edward Partridge. Il témoigne : « Je sais que Sion, au moment où le Seigneur le jugera opportun, sera rachetée, mais combien de jours durera sa purification, ses tribulations et ses afflictions, le Seigneur me le cache. »

N’ayant pas grand-chose d’autre à proposer, Joseph essaie de réconforter ses amis au Missouri, en dépit des mille trois cents kilomètres qui les séparent. Il écrit : « Lorsque nous avons appris vos souffrances, cela a éveillé toute la compassion de notre cœur. Que Dieu accorde qu’en dépit de vos grandes afflictions et tourments, rien ne nous sépare de l’amour du Christ. »

Joseph continue de prier et, en décembre, il reçoit enfin une révélation à l’attention des saints en Sion. Le Seigneur déclare qu’ils ont été affligés à cause de leurs péchés mais qu’il a compassion d’eux et promet qu’ils ne seront pas abandonnés. Il explique à Joseph : « Il faut qu’ils soient châtiés et mis à l’épreuve comme Abraham… car tous ceux qui ne supportent pas le châtiment, mais me renient, ne peuvent être sanctifiés. »

Comme il l’a fait précédemment, le Seigneur commande aux saints d’acheter des terres en Sion et de trouver des moyens légaux et pacifiques de récupérer ce qu’ils ont perdu. Il déclare : « Sion ne sera pas enlevée de sa place… Ceux qui restent et ont le cœur pur retourneront et viendront à leur héritage. »

Tout en incitant à des négociations pacifiques avec les habitants d’Independence, la révélation du Seigneur indique aussi que Sion peut être reconquise par le pouvoir. Il raconte une parabole au sujet d’une vigne qui a été prise à des serviteurs paresseux et détruite par un ennemi. Lorsque le seigneur de la vigne a vu la destruction, il a réprimandé les serviteurs pour leur négligence et les a poussés à agir.

Il a commandé à l’un d’eux : « Va rassembler le reste de mes serviteurs et prends toute la force de ma maison… et allez directement dans la terre de ma vigne et rachetez ma vigne. » Le Seigneur n’interpréte pas la parabole mais il dit aux saints qu’elle reflète sa volonté quant à la rédemption de Sion.

Deux mois plus tard, Parley P. Pratt et Lyman Wight arrivent à Kirtland avec d’autres nouvelles du Missouri. Des gens amicaux habitant de l’autre côté du fleuve, en face du comté de Jackson, ont donné de la nourriture et des vêtements aux saints en échange de travail mais ces derniers sont toujours dispersés et découragés. Ils veulent savoir quand et comment Sion sera sauvée de ses ennemis.

En entendant le compte-rendu, Joseph se lève de sa chaise et annonce qu’il y part. Pendant six mois, il a envoyé des paroles encourageantes et pleines d’espoir aux saints de là-bas pendant qu’il affrontait d’autres difficultés à Kirtland. Maintenant, il veut faire quelque chose pour eux ; et il veut savoir qui se joindra à lui.

En avril 1834, au cours d’une réunion dans une petite branche de New York, Wilford Woodruff, vingt-sept ans, entend Parley P. Pratt relater la toute dernière révélation du Seigneur à Joseph Smith. Elle appelle les saints à rassembler cinq cents hommes pour marcher avec le prophète jusqu’au Missouri. Le Seigneur déclare : « Il faut que la rédemption de Sion vienne par le pouvoir. Que nul ne craigne de donner sa vie à cause de moi. »

Parley invite les jeunes hommes et ceux d’âge moyen de la branche à se rendre en Sion. Il est attendu de tous ceux dont on peut se passer qu’ils y aillent.

À la fin de la réunion, Wilford se présente à Parley. Wilford et son frère aîné Azmon se sont joints à l’Église trois mois plus tôt et ils sont tous deux instructeurs dans la Prêtrise d’Aaron. Wilford dit qu’il est disposé à se rendre en Sion mais qu’il a des factures à régler et des sommes à percevoir avant de pouvoir partir. Parley lui dit qu’il est de son devoir de mettre de l’ordre dans ses finances et de se joindre à l’expédition.

Ensuite, Wilford en parle à Azmon. Bien que le Seigneur ait fait appel à tous les hommes valides de l’Église, Azmon décide de rester, réticent à l’idée de quitter son foyer, sa famille et sa ferme. Wilford par contre est célibataire et désireux d’aller en Sion avec le prophète.

Il arrive à Kirtland quelques semaines plus tard et rencontre Brigham Young et Heber C. Kimball qui ont récemment emménagé en Ohio avec leur famille. Heber exerce la profession de potier et sa femme, Vilate, et lui, ont deux enfants. Brigham est charpentier et a deux filles. Il vient juste d’épouser Mary Ann Angell, une convertie, après le décès de sa première femme, Miriam. Les deux hommes sont disposés à se joindre à l’expédition en dépit des sacrifices que leur famille aura à faire.

Les cousins de Mary Ann, Joseph et Chandler Holbrook sont aussi du voyage, avec leurs femmes, Nancy et Eunice, et leurs jeunes enfants. Nancy et Eunice ont l’intention d’aider les quelques autres femmes du camp à cuisiner, à laver le linge et à soigner les malades et les blessés le long du chemin vers le Missouri.

Les femmes qui restent à la maison trouvent d’autres manières de soutenir le projet. Juste avant de partir pour Sion, Joseph dit : « Je veux de l’argent pour aider à équiper Sion et je sais que je l’aurai. » Le lendemain, il reçoit cent cinquante dollars de la part de sœur Vose de Boston.

Wilford et une poignée de saints partent pour Sion le 1er mai. Joseph, Brigham, Heber et les Holbrook, ainsi qu’une centaine d’autres volontaires, quittent Kirtland quelques jours plus tard et rattrapent Wilford en chemin.

Une fois réunie, la force n’est qu’une petite fraction des cinq cents que le Seigneur a exigés. Mais ils partent de bonne humeur en direction de l’ouest, résolus à assurer l’accomplissement de la parole du Seigneur.

Joseph fond de grands espoirs sur sa petite troupe qu’il appelle le camp d’Israël. Bien qu’ils soient armés et disposés à se battre, comme l’ont été les Israélites d’autrefois pour le pays de Canaan, Joseph veut résoudre le conflit pacifiquement. Des représentants du gouvernement du Missouri ont dit aux dirigeants de l’Église de là-bas que le gouverneur Dunklin est prêt à envoyer la milice de l’État raccompagner les saints sur leurs terres perdues. Il ne peut cependant pas promettre d’empêcher des émeutiers de les chasser de nouveau.

Joseph a l’intention de solliciter l’aide du gouverneur une fois que le camp d’Israël sera arrivé au Missouri et de collaborer ensuite avec la milice pour ramener les saints dans le comté de Jackson. Le camp restera en Sion pendant une année pour les protéger contre leurs ennemis.

Afin de s’assurer que les besoins de chacun sont pourvus, les membres du camp réunissent leurs fonds. Sur le modèle de l’Ancien Testament, Joseph a organisé les hommes en compagnies, chacune élisant un capitaine.

Tandis que le camp d’Israël avance vers l’ouest, Joseph a des appréhensions à pénétrer en territoire ennemi avec sa petite troupe. Son frère Hyrum et Lyman Wight ont recruté d’autres hommes parmi les branches de l’Église au nord-ouest de Kirtland mais ils n’ont pas encore rejoint le camp d’Israël et Joseph ne sait pas où ils se trouvent. Ce qui l’inquiète aussi, c’est que des espions surveillent les mouvements du camp et en dénombrent les effectifs.

Le 4 juin, après avoir marché pendant un mois, ils atteignent le Mississippi. Joseph est fatigué et courbaturé par le voyage mais il se sent prêt à faire face aux difficultés qui l’attendent. Il apprend que des rapports et des rumeurs sur les mouvements du camp sont déjà arrivés au Missouri et que des centaines de colons se préparent à la bataille. Il se demande si les saints sont suffisamment forts pour les affronter.

Assis sur les berges du fleuve, il écrit à Emma : « Le camp est en aussi bon état qu’on pourrait s’y attendre mais notre nombre et nos moyens sont trop petits. »

Le lendemain, le camp d’Israël se prépare à traverser le fleuve pour atteindre le Missouri sous une chaleur humide et étouffante. Le Mississipi mesure près de deux kilomètres de large et le camp ne dispose que d’un seul bateau pour le traverser. Pendant qu’ils attendent, certains membres du camp chassent et pêchent tandis que d’autres s’ennuient et cherchent de l’ombre pour échapper au soleil estival.

Il faut deux journées pénibles pour que le camp traverse le fleuve. À la fin de la deuxième journée, les hommes sont fatigués et tendus. Maintenant qu’ils sont arrivés au Missouri, nombre d’entre eux craignent des attaques surprise. Ce soir-là, le chien de garde de Joseph surprend tout le monde en se mettant à aboyer après la dernière compagnie qui arrive au camp.

Sylvester Smith, leur capitaine, menace de le tuer s’il n’arrête pas. Joseph calme l’animal mais Sylvester et sa compagnie s’en plaignent encore le lendemain matin.

Entendant leurs lamentations, Joseph réunit les membres du camp. Il annonce : « Je vais m’abaisser au niveau de l’esprit qui est dans le camp car je veux l’en chasser. » Il commence à imiter le comportement que Sylvester a eu la veille, répétant les menaces qu’il a proférées contre le chien. Il dit : « Cet esprit entretient la division et les effusions de sang dans le monde entier. »

Cela ne fait pas rire Sylvester, qui n’a aucun lien de parenté avec Joseph. Il dit : « Si ce chien me mord, je le tue. »

Joseph répond : « Si tu tues ce chien, je te fouette. »

Sylvester dit : « Si tu le fais, je me défendrai ! »

Le camp regarde les deux hommes se dévisager. Jusque-là, aucune bagarre n’a éclaté entre eux mais ils sont tous à bout de nerfs après ces semaines de marche.

Joseph finit par se détourner de Sylvester et demande aux saints s’ils ont aussi honte que lui du sentiment qui habite le camp. Il dit qu’ils se conduisent comme des chiens et non comme des hommes. Il dit : « Les hommes ne devraient jamais se mettre au niveau des bêtes. Ils devraient être au-dessus. »

Après cet incident, l’humeur du camp s’apaise et la petite troupe s’enfonce dans le Missouri. Nancy et Eunice Holbrook demeurent occupées par leurs tâches quotidiennes mais elles se rendent compte que chaque pas en direction du comté de Jackson les met en plus grand danger.

Peu après la traversée du Mississipi, Hyrum Smith et Lyman Wight arrivent avec leurs recrues, ajoutant plus de deux cents volontaires au nombre des membres du camp. Leurs dirigeants craignent quand même une attaque et Joseph dit aux hommes qui sont accompagnés de leur famille de chercher un refuge pour leur femme et leurs enfants.

Plusieurs femmes du camp objectent à l’idée de rester en arrière et au moment où les hommes s’apprêtent à partir, Joseph réunit tout le monde. Il dit : « Si les sœurs sont disposées à subir un siège avec le camp, elles peuvent toutes continuer de l’accompagner. »

Nancy, Eunice et les autres femmes disent qu’elles y sont disposées, heureuses que Joseph leur permette de choisir de poursuivre le voyage.

Plusieurs jours plus tard, Parley P. Pratt et Orson Hyde arrivent au camp avec une fâcheuse nouvelle : le gouverneur Dunklin a refusé aux saints le soutien de la milice. Les hommes savent que sans l’aide du gouverneur, ils ne pourront pas aider les saints du Missouri à retourner pacifiquement sur leurs terres en Sion. Joseph et ses capitaines décident de poursuivre leur route. Ils espèrent rejoindre les saints exilés dans le comté de Clay, au nord du fleuve, et les aider à négocier un compromis avec les habitants du comté de Jackson.

Le camp d’Israël coupe à travers les prairies du centre du Missouri. À environ une journée de voyage de leur destination, une femme noire, sans doute une esclave, les interpelle nerveusement. Elle dit : « Il y a un groupe d’hommes ici qui compte vous tuer ce matin, lorsque vous traverserez. »

Le camp continue d’avancer prudemment. Ralentis par des problèmes de chariots, ils sont forcés de s’arrêter pour la nuit sur une colline qui surplombe une bifurcation de la Fishing River. Ils sont encore à une quinzaine de kilomètres des saints exilés. Pendant qu’ils plantent leurs tentes, ils entendent un martèlement de sabots et voient cinq hommes arriver à cheval dans le camp. Les étrangers brandissent leurs armes et fanfaronnent que plus de trois cents hommes sont en chemin pour décimer les saints.

L’inquiétude se propage dans le camp d’Israël. Sachant qu’ils sont moins nombreux, Joseph poste des gardes autour du secteur, certain qu’une attaque est imminente. Un homme le supplie de devancer l’attaque des émeutiers.

Joseph dit : « Non. Tenez-vous là et voyez le salut de Dieu. »

Au-dessus d’eux les nuages semblaient lourds et noirs. Vingt minutes plus tard, une pluie torrentielle déferle sur le camp, chassant les hommes qui se ruent hors de leurs tentes en quête d’un meilleur abri. Les berges de la Fishing River disparaissent sous la montée déferlante des eaux. Le vent fouette le camp, déracinant des arbres et arrachant des tentes. Des éclairs éblouissants zèbrent le ciel.

Wilford Woodruff et d’autres dans le camp trouvent une petite église dans les environs et se blottissent à l’intérieur pendant que la grêle martèle le toit. Au bout d’un moment, Joseph entre précipitamment dans l’église, épongeant l’eau de son chapeau et de ses vêtements. Il s’exclame : « Les gars, tout ceci n’est pas anodin. C’est Dieu qui est dans cet orage ! »

Incapables de trouver le sommeil, les saints s’allongent sur les bancs et chantent des cantiques pendant toute la nuit. Le matin, ils retrouvent leurs tentes et leurs affaires trempées et éparpillées dans tout le camp mais rien n’est irréparable et aucune attaque n’a eu lieu.

La rivière est encore en crue et empêche leurs ennemis de parvenir jusqu’à eux depuis l’autre berge.

Pendant les jours qui suivent, le camp d’Israël prend contact avec les saints au comté de Clay pendant que Joseph rencontre des élus des comtés voisins pour expliquer l’objectif de leur expédition et plaider en faveur des saints en Sion. Joseph leur dit : « Nous sommes désireux de résoudre les difficultés qui existent entre nous. Nous voulons vivre en paix avec tout le monde et tout ce que nous exigeons, ce sont des droits égaux. »

Les élus acceptent d’aider à apaiser la colère de leurs concitoyens mais avertissent le camp qu’il ne deva pas aller au comté de Jackson. Si les saints essaient d’entrer à Independence, une bataille sanglante éclatera.

Le lendemain, 22 juin, lors d’un conseil de dirigeants de l’Église, Joseph reçoit une révélation pour le camp d’Israël. Le Seigneur accepte les sacrifices consentis par ses membres mais réoriente leurs efforts vers l’obtention d’un pouvoir divin. Il déclare : « Sion ne peut être édifiée que sur les principes de la loi du royaume céleste. »

Le Seigneur dit aux saints qu’ils devront attendre pour racheter Sion de s’être préparés par l’étude et l’expérience à faire la volonté de Dieu. Il explique : « Et cela ne pourra se réaliser que lorsque mes anciens seront dotés de pouvoir d’en haut. » Cette dotation doit se faire dans la maison du Seigneur, le temple de Kirtland.

Le Seigneur est néanmoins satisfait des membres du Camp d’Israël. Il dit : « J’ai entendu leurs prières et j’accepterai leur offrande ; et il m’est opportun qu’ils soient amenés jusqu’ici pour que leur foi soit mise à l’épreuve. »

En entendant la révélation, certains membres du camp l’acceptent comme étant la parole du Seigneur. D’autres protestent, trouvant que cela les prive de l’occasion d’en faire plus pour les saints du Missouri. D’autres sont en colère et honteux de devoir rentrer chez eux sans s’être battus.

Le camp est démantelé peu après et le peu d’argent restant est redistribué entre ses membres. Certaines personnes du camp ont l’intention de rester au Missouri pour travailler et aider les saints à recommencer alors que Brigham, Heber et d’autres se préparent à retourner auprès de leurs familles, à achever le temple et à être dotés de pouvoir.

Bien que le camp n’ait pas racheté Sion, Wilford Woodruff est reconnaissant de la connaissance acquise au cours de l’expédition. Il a parcouru près de mille six cents kilomètres en compagnie du prophète et l’a vu révéler la parole de Dieu. L’expérience lui donne envie de prêcher l’Évangile.

Wilford ne sait pas encore si la prédication fait partie de son avenir mais il décide de rester au Missouri et de faire tout ce que le Seigneur exigera de lui.


CHAPITRE 19 : Intendants dans ce ministère

Au moment du démantèlement du camp d’Israël, une épidémie de choléra dévastatrice frappe ses rangs. Des saints qui sont en bonne santé quelques heures plus tôt s’effondrent, incapables de bouger. Ils ont des vomissements à répétition, et sont en proie à de violentes douleurs d’estomac. Les plaintes des malades emplissent le camp et de nombreux hommes sont trop faibles pour monter la garde.

Nancy Holbrook est l’une des premières personnes atteintes. Sa belle-sœur, Eunice, la rejoint rapidement, accablée d’atroces crampes musculaires. Wilford Woodruff passe la plus grande partie de la nuit et de la journée du lendemain à soigner un homme de sa compagnie. Joseph et les anciens du camp donnent des bénédictions mais peu après, ils sont nombreux à être frappés à leur tour. Au bout de quelques jours, Joseph tombe malade et dépérit dans sa tente, se demandant s’il survivra.

Lorsque des personnes commencent à mourir, Heber Kimball, Brigham Young et d’autres enveloppent les corps dans des couvertures et les enterrent le long d’un ruisseau voisin.

L’épidémie suit son cours pendant plusieurs jours et se dissipe début juillet. Entre-temps, plus de soixante saints sont tombés malades. Joseph se rétablit ; Nancy, Eunice et la plupart des membres du camp aussi, mais plus d’une douzaine de saints meurent, notamment Sidney Gilbert et Betsy Parrish, l’une des rares femmes du camp. Joseph pleure pour les victimes et leur famille. La dernière personne à s’éteindre est Jesse Smith, son cousin.

Ayant lui-même frôlé la mort, Joseph se souvient de la facilité avec laquelle sa vie peut lui être ôtée. À vingt-huit ans, il craint de plus en plus de ne pas venir à bout de sa mission divine. S’il mourait maintenant, qu’adviendrait-il de l’Église ? Est-elle assez forte pour lui survivre ?

Suivant les indications du Seigneur, Joseph a déjà apporté des changements dans la direction de l’Église afin de répartir le fardeau administratif. À cette époque-là, Sidney Rigdon et Frederick Williams servent à ses côtés dans la présidence de l’Église. Il a aussi désigné Kirtland comme pieu de Sion, ou lieu officiel de rassemblement des saints.

Plus récemment, après avoir eu une vision de la manière dont Pierre avait autrefois organisé l’Église du Seigneur, Joseph a institué un grand conseil composé de douze grands prêtres à Kirtland pour l’aider à gouverner le pieu et le diriger en son absence.

Peu après la fin de l’épidémie de choléra, Joseph poursuit l’organisation de l’Église. En juillet 1834, en réunion avec les dirigeants au comté de Clay, il forme un grand conseil au Missouri et nomme David Whitmer pour présider l’Église là-bas avec l’aide de deux conseillers, William Phelps et John Whitmer. Il prend ensuite la route pour Kirtland, impatient de terminer le temple et d’obtenir la dotation de pouvoir qui permettra aux saints de racheter Sion.

Il sait que d’importants problèmes l’attendent. Lorsqu’il a quitté Kirtland ce printemps-là, les murs de grès du temple avaient un mètre vingt de haut et l’arrivée de plusieurs ouvriers qualifiés lui avait permis d’espérer que les saints mèneraient à bien les plans du Seigneur pour sa maison. Mais les pertes dans et autour d’Independence (l’imprimerie, le magasin et de nombreux hectares de terres) les ont affaiblis financièrement. Joseph, Sidney et d’autres dirigeants de l’Église se sont lourdement endettés afin d’acheter le terrain du temple de Kirtland et de financer le camp d’Israël.

Avec les entreprises de l’Église peu ou pas opérationnelles et aucun moyen fiable de collecter les dons des saints, l’Église ne peut pas financer le temple. Si Joseph et les autres dirigeants prennent du retard dans leurs remboursements, l’édifice sacré risque de tomber entre les mains des créanciers. Et s’ils perdent le temple, comment pourront-ils recevoir la dotation de pouvoir et racheter Sion ?

De retour à Kirtland, Sidney Rigdon est aussi anxieux que Joseph de voir le temple achevé. Il dit aux saints : « Nous devons déployer tous les efforts nécessaires pour réaliser ce bâtiment dans le temps imparti. Le salut de l’Église en dépend, ainsi que celui du monde. »

Sidney a surveillé les progrès du chantier pendant que Joseph était au Missouri. À cours de jeunes hommes, Artemus Millet, le maître d’œuvre, a enrôlé des hommes plus âgés ainsi que des femmes et des enfants pour travailler sur le bâtiment. De nombreuses femmes font des travaux habituellement réservés aux hommes, aidant les maçons et conduisant les attelages entre la carrière et le chantier pour apporter des pierres pour le temple. Lorsque Joseph et le camp d’Israël rentrent à Kirtland, les murs mesurent un mètre de plus.

Le retour du camp stimule la construction pendant l’été et l’automne 1834. Jour après jour, les saints extraient des pierres, les apportent sur le chantier et élèvent les murs du temple. Joseph travaille côte à côte avec les ouvriers lorsqu’ils taillnt les blocs de pierre d’un ruisseau voisin. Certains besognent dans la scierie de l’Église pour préparer le bois pour les poutres, les plafonds et les planchers. D’autres aident à le hisser, ainsi que les pierres, en haut des échafaudages, là où on en a besoin.

Pendant ce temps, Emma et les autres femmes confectionnent des vêtements pour les ouvriers et les approvisionnent en nourriture. Vilate Kimball, la femme d’Heber, file quarante-cinq kilos de laine qu’elle tisse pour en faire de l’étoffe et confectionner des vêtements pour les travailleurs, ne se réservant pas même une paire de chaussettes pour son usage personnel.

L’enthousiasme des saints pour achever le temple encourage Sidney mais les dettes de l’Église augmentent quotidiennement et, ayant apposé sa signature sur la plupart des emprunts les plus lourds, il sait qu’il sera ruiné financièrement si l’Église ne parvient pas à les rembourser. En voyant la pauvreté des saints et les sacrifices qu’ils consentent pour achever le temple, il craint également qu’ils n’aient jamais les moyens ni la détermination nécessaires pour en venir à bout.

Accablé d’inquiétude, il grimpe parfois sur les murs du temple et supplie Dieu d’envoyer aux saints les fonds nécessaires pour terminer les travaux. Pendant qu’il prie, des larmes coulent de ses yeux sur les pierres à ses pieds.

À huit cents kilomètres au nord-est de Kirtland, Caroline Tippets, vingt et un ans, range soigneusement une grosse somme d’argent parmi les vêtements et autres affaires qu’elle emporte de New York au Missouri. Son frère cadet et elle déménagent dans l’ouest, espérant s’installer non loin du comté de Jackson. Ils ont entendu parler des persécutions que les saints subissent là-bas mais ils veulent obéir au commandement du Seigneur de se rassembler au Missouri et d’acheter des terres en Sion avant que les ennemis de l’Église ne s’en soient emparés.

Le commandement fait partie de la révélation que Joseph a reçue après avoir été informé de l’expulsion des saints de Sion. On y lit : « Achete… toutes les terres qui peuvent être achetées au comté de Jackson et dans les comtés alentour. » Les fonds doivent être issus de dons. Le Seigneur commande : « Que toutes les Églises rassemblent tout leur argent… et que des hommes honorables, oui, des hommes sages, soient désignés, et envoyez-les acheter ces terres. »

Lorsque les dirigeants de la branche de Caroline sont mis au courant de la révélation, ils demandent au petit groupe de saints de jeûner et de prier afin que le Seigneur les aide à réunir des fonds pour acheter des terres au Missouri. Certains membres de la branche font des dons importants en espèces et en biens. D’autres donnent quelques dollars.

Caroline dispose d’environ deux cent cinquante dollars qu’elle peut ajouter. C’est une somme supérieure à toutes celles que les autres membres de la branche ont offertes et probablement supérieure à ce que quiconque attend d’elle, mais elle sait que cela aidera les saints à racheter la terre promise. Lorsqu’elle ajoute sa contribution aux fonds, le total des dons est de huit cent cinquante dollars, une somme d’argent considérable.

Après la réunion, Harrison et son cousin John sont choisis pour se rendre au Missouri et acheter des terres. Caroline décide de les accompagner afin de veiller sur sa contribution. John met de l’ordre dans ses affaires et les membres de leur famille leur préparent un attelage et un chariot. Les trois jeunes gens sont alors prêts à prendre la route du Missouri.

Caroline est impatiente de commencer une nouvelle vie dans l’Ouest lorsqu’elle grimpe dans le chariot. Comme les Tippets ont prévu de s’arrêter à Kirtland en chemin, les dirigeants de leur branche leur remettent une lettre de recommandation adressée au prophète expliquant la provenance de l’argent et ce qu’ils ont l’intention d’en faire.

Tout au long de l’automne 1834, Joseph et les autres dirigeants de l’Église prennent de plus en plus de retard dans leurs remboursements du crédit pour le terrain du temple et les intérêts continuent de s’accumuler. Certains ouvriers offrent de travailler gratuitement, allégeant quelque peu le fardeau financier de l’Église. Lorsque des familles ont un surplus d’argent liquide ou de biens, elles l’offrent parfois à l’Église pour le projet du temple.

D’autres personnes, dans et hors de l’Église, consentent des crédits, prêtant de l’argent pour permettre l’avancée des travaux. Les dons et les emprunts financent les matériaux et donnent du travail à des personnes qui autrement seraient sans emploi.

Ces efforts permettent aux murs du temple de continuer de s’élever et, les derniers mois de l’année, ils sont suffisamment hauts pour permettre aux artisans de commencer à poser les poutres qui soutiendront l’étage supérieur. Mais l’argent est toujours rare et les dirigeants de l’Église prient sans cesse pour en recevoir.

Début décembre, la famille Tippets arrive à Kirtland et Harrison et John remettent la lettre de leur branche au grand conseil. L’hiver approchant, ils demandent au conseil s’ils doivent poursuivre leur route jusqu’au Missouri ou passer la saison à Kirtland. Après discussion, le grand conseil recommande à la famille de rester en Ohio jusqu’au printemps.

Ayant désespérément besoin d’argent, le conseil demande également aux jeunes gens d’en prêter à l’Église, promettant de rembourser la somme avant leur départ au printemps. Harrison et John acceptent de prêter à l’Église une partie des huit cent cinquante dollars provenant de leur branche. Comme une partie conséquente de la somme appartient à Caroline, le conseil la convoque à la réunion et explique les termes de l’accord, qu’elle accepte de bon cœur.

Le lendemain, Joseph et Oliver se réjouissent en remerciant le Seigneur du soulagement financier que les Tippets ont apporté.

Cet hiver-là, l’Église reçoit d’autres prêts et dons mais Joseph sait qu’ils ne suffiront pas pour couvrir le coût de plus en plus élevé du temple. Cependant, Caroline Tippets et sa famille ont prouvé que de nombreux saints dans les branches reculées de l’Église veulent faire leur part dans l’œuvre du Seigneur. À l’aube de la nouvelle année, Joseph se rend compte qu’il doit trouver un moyen d’affermir ces branches et de solliciter leur aide pour achever le temple afin que les saints puissent être dotés de pouvoir.

La solution se trouve dans une révélation que Joseph a reçue plusieurs années auparavant qui commande à Oliver Cowdery et à David Whitmer de rechercher douze apôtres pour prêcher l’Évangile au monde. Comme les apôtres du Nouveau Testament, ces hommes doivent être des témoins spéciaux du Christ, baptiser en son nom et rassembler les convertis en Sion et dans ses branches.

En tant que collège, les douze apôtres doivent former un grand conseil voyageur et servir dans les régions qui ne sont pas sous la juridiction des grands conseils d’Ohio et du Missouri. Dans ce rôle, ils peuvent diriger l’œuvre missionnaire, superviser des branches et collecter des fonds pour Sion et le temple.

Un dimanche du début du mois de février, Joseph invite Brigham et Joseph Young chez lui. Il dit aux frères : « Je désire que vous disiez à tous les frères qui habitent dans les branches, à une distance raisonnable de cet endroit, de se réunir pour une conférence générale, samedi prochain. » Lors de cette conférence, il explique que douze hommes seront désignés pour faire partie du nouveau collège.

Joseph dit à Brigham : « Et toi, tu seras l’un d’eux. »

La semaine suivante, le 14 février 1835, les saints de Kirtland se réunissent pour la conférence. Oliver, David et leur collègue et témoin du Livre de Mormon, Martin Harris,
sous la direction de Joseph, annoncent le nom des membres du Collège des douze apôtres. Chacun des hommes appelés a fait une mission de prosélytisme et huit d’entre eux ont participé à l’expédition du camp d’Israël.

Thomas Marsh et David Patten, tous deux dans la trentaine, sont les plus âgés des Douze. Thomas est l’un des plus anciens convertis, ayant acquis un témoignage du Livre de Mormon alors que les premiers exemplaires étaient encore en cours d’impression. David a fait une mission après l’autre pendant les trois années depuis sa conversion.

Comme Joseph l’a déclaré une semaine plus tôt, Brigham est aussi appelé au Collège. Heber Kimball, son meilleur ami, l'est également. Les deux hommes ont servi fidèlement en qualité de capitaines dans le camp d’Israël. Maintenant, Brigham va de nouveau abandonner son établi de menuisier et Heber son tour de potier afin de partir en mission pour le Seigneur.

Comme les apôtres du Nouveau Testament, Pierre et André, et Jacques et Jean, deux fratries sont appelées aux Douze : Parley et Orson Pratt ont propagé l’Évangile d’est en ouest et doivent maintenant se consacrer au service des branches de l’Église partout. Luke et Lyman Johnson ont prêché du sud au nord et doivent repartir, maintenant investis de l’autorité apostolique.

Le Seigneur choisit des personnes instruites et d’autres qui ne le sont pas. Orson Hyde et William McLellin ont enseigné à l’école des prophètes et apportent leur intelligence vive au Collège. Bien que n’ayant que vingt-trois ans, John Boynton a rencontré un grand succès en tant que missionnaire et est le seul des apôtres à être allé à l’université. William, le jeune frère de Joseph, n’a pas eu la même chance de faire des études mais c’est un orateur passionné, intrépide face à l’adversité et prompt à défendre les nécessiteux.

Après avoir appelé les apôtres, Oliver leur confie une responsabilité particulière. Il leur dit : « Ne vous relâchez jamais dans vos efforts tant que vous n’avez pas vu Dieu face à face. Affermissez votre foi, débarrassez-vous de vos doutes, de vos péchés et de votre incrédulité ; et rien ne pourra vous empêcher d’aller à Dieu. »

Il leur promet qu’ils prêcheront l’Évangile dans des pays éloignés et rassembleront de nombreux enfants de Dieu dans la sécurité de Sion.

Il témoigne : « Vous serez des intendants dans ce ministère. Nous avons une œuvre à accomplir que personne d’autre ne peut accomplir. Vous devez proclamer l’Évangile dans sa simplicité et dans sa pureté et nous vous recommandons à Dieu et à la parole de sa grâce. »

Deux semaines après l’organisation des Douze, Joseph forme un autre collège de la prêtrise qui se joindra aux apôtres pour propager l’Évangile, fortifier les branches et collecter les dons pour l’Église. Les membres de ce nouveau collège, appelé Collège des soixante-dix, sont tous des vétérans du camp d’Israël. Ils doivent voyager partout, sur le modèle des soixante-dix disciples du Nouveau Testament qui se rendaient deux par deux dans chaque ville pour y prêcher la parole de Jésus.

Le Seigneur choisit sept hommes pour présider le Collège, notamment Joseph Young et Sylvester Smith, le capitaine de compagnie qui s’est querellé avec le prophète pendant la marche du camp d’Israël. Avec l’aide du grand conseil de Kirtland, les deux hommes ont résolu leur différend cet été-là et ont fait la paix.

Peu après leur appel, le prophète s’adresse aux nouveaux collèges. Il dit : « Certains d’entre vous sont en colère contre moi parce qu’ils ne se sont pas battus au Missouri. Mais laissez-moi vous dire que Dieu ne voulait pas que vous vous battiez. » Il expliqua que Dieu les avait appelés au Missouri pour éprouver leur disposition à faire des sacrifices et à consacrer leur vie pour Sion et pour faire grandir la puissance de leur foi.

Il enseigne : « Il ne pouvait organiser son royaume avec douze hommes pour ouvrir la porte de l’Évangile aux nations de la terre, et soixante-dix autres sous leur direction pour suivre leurs pas, qu’en les choisissant parmi un groupe d’hommes qui avaient offert leur vie et qui avaient fait un sacrifice aussi grand que celui d’Abraham. »


CHAPITRE 20 : Ne me rejette pas

Pendant l’été 1835, alors que les apôtres partent en mission dans les États de l’est et au Canada, les saints travaillent ensemble pour finir le temple et se préparer à la dotation de pouvoir. Exemptée de la violence et des pertes essuyées par les saints du Missouri, Kirtland s'accroit et prospère spirituellement au fur et à mesure que les convertis se rassemblent dans la ville et prêtent main forte à l’œuvre du Seigneur.

En juillet, une affiche faisant de la publicité pour des « Antiquités égyptiennes » paraît en ville. Elle rapporte la découverte de centaines de momies dans un tombeau égyptien. Certaines d’entre elles, ainsi que plusieurs rouleaux de papyrus antiques, ont été exhibés dans tous les États-Unis, attirant des foules de spectateurs.

Michael Chandler, l’exposant, a entendu parler de Joseph et est venu à Kirtland voir s’il veut les acheter. Joseph examine les momies mais les rouleaux l’intéressent davantage. Ils sont recouverts d’une écriture et d’images étranges de personnes, de bateaux, d’oiseaux et de serpents.

Chandler autorise le prophète à les emporter chez lui et à les étudier dans la soirée. Joseph sait que l’Égypte joue un rôle important dans la vie de plusieurs prophètes de la Bible. Il sait également que Néphi, Mormon et d’autres auteurs du Livre de Mormon ont enregistré leurs paroles dans ce que Moroni appelle de « l’égyptien réformé ».

En examinant les écrits couchés sur les parchemins, il comprend qu’ils contiennent des enseignements vitaux d’Abraham, le patriarche de l’Ancien Testament. Le lendemain, il demande à Chandler combien il veut pour les rouleaux. Ce dernier dit qu’il ne les vendra qu’avec les momies pour un montant de deux mille quatre cents dollars.

Le prix est bien supérieur à ce que Joseph peut se permettre. Les saints ont du mal à achever le temple avec les fonds limités dont ils disposent et peu de personnes à Kirtland ont de l’argent à lui prêter. Néanmoins, il croit que la valeur des rouleaux justifie leur prix et lui et d’autres collectent rapidement suffisamment d’argent pour acheter les artéfacts.

L’enthousiasme se propage dans toute l’Église lorsque Joseph et ses secrétaires commencent à déchiffrer les symboles antiques, confiants que le Seigneur révèlera bientôt leur message aux saints.

Lorsque Joseph n’est pas en train d’examiner les parchemins, il les expose avec les momies. Emma est vivement intéressée par les artéfacts et elle écoute attentivement lorsque Joseph explique ce qu’il comprend des écrits d’Abraham. Lorsque des personnes curieuses demandent à voir les momies, c’est souvent elle qui les présente, répétant ce que Joseph lui a enseigné.

À cette époque, la vie à Kirtland est palpitante. Même si des détracteurs de l’Église harcèlent encore les saints et si les dettes continuent de préoccuper Joseph et Sidney, Emma voit les bénédictions du Seigneur tout autour d’elle. Les ouvriers du temple achèvent le toit en juillet et se lancent immédiatement dans la construction d’un clocher élevé. Joseph et Sidney commencent à tenir des réunions de sabbat dans l’édifice inachevé, y attirant parfois une foule pouvant aller jusqu’à mille personnes pour les entendre prêcher.

Emma et Joseph habitent maintenant dans une maison proche du temple et, de son jardin, elle peut voir Artemus Millet et Joseph Young recouvrir les murs extérieurs de stuc gris-bleu qu’ils rainent pour imiter des blocs de pierre taillée. Sous la direction d’Artemus, les enfants collectèrent des morceaux de verre ou de vaisselle brisés afin de les broyer en minuscules éclats et de les mélanger au stuc. Dans la lumière du soleil couchant, ces éclats font briller les murs du temple comme les facettes d’un joyau.

La maison d’Emma est toujours en effervescence. De nombreuses personnes logent chez les Smith, y compris certains des hommes qui travaillent dans la nouvelle imprimerie de l’Église. En plus d’imprimer un nouveau journal de l’Église, le Latter Day Saints’ Messenger and Advocate, ces hommes travaillent sur plusieurs autres projets, notamment le livre de cantiques qu’Emma a compilé avec l’aide de William Phelps.

Le livre d’Emma comprend de nouveaux chants composés par des saints ainsi que des œuvres plus anciennes venant d’autres Églises chrétiennes. William écrit certains des nouveaux morceaux ; Parley Pratt et Eliza Snow, une convertie récente, en écrivent également. Le dernier cantique est celui de William : « L’Esprit du Dieu saint brûle comme une flamme », un hymne de louanges à Dieu pour le rétablissement de l’Évangile.

Emma sait également que les imprimeurs publient un nouveau recueil de révélations appelé Doctrine et Alliances. Compilées sous la supervision de Joseph et d’Oliver, les Doctrine et Alliances sont une combinaison de révélations non publiées dans le Livre des commandements, de révélations plus récentes, ainsi qu’une série d’exposés sur la foi que les dirigeants de l’Église ont donnés aux anciens. Les saints considèrent les Doctrine et Alliances comme un ouvrage d’Écritures aussi important que la Bible et le Livre de Mormon.

Cet automne-là, pendant que ces projets touchent à leur fin, les dirigeants de l’Église du Missouri arrivent à Kirtland pour se préparer pour la consécration du temple et la dotation de pouvoir. Le 29 octobre, Emma et Joseph organisent un dîner en l’honneur d’Edward Partridge et d’autres personnes qui sont arrivées. Pendant qu’ils se réjouissent ensemble des sentiments qui les unissent, Newel Whitney dit à Edward qu’il espère dîner avec lui l’année suivante en Sion.

Regardant ses amis, Emma dit qu’elle espère que tous les convives pourront se joindre également à eux en terre promise.

Joseph dit : « Amen. Que Dieu nous l’accorde ! »

Après dîner, Joseph et Emma assistent à une réunion du grand conseil de Kirtland. William, le jeune frère de Joseph, a accusé une femme de l’Église de sévices physiques à l’encontre de sa belle-fille. Parmi les témoins qui doivent prendre la parole il y a Lucy Smith, mère de Joseph et William. Lorsqu’elle commence à parler de quelque chose que le conseil a déjà entendu et résolu, Joseph l’interrompt.

Se levant d’un bond, William l’accuse Joseph douter des paroles de leur mère. Joseph se tourne vers son frère et lui dit de s’asseoir. William l’ignore et reste debout.

Essayant de rester calme, Joseph répète : « Assieds-toi. »

William dit qu’il ne s’assoira pas à moins que Joseph ne le frappe.

Irrité, Joseph fait demi-tour pour quitter la pièce mais son père l’arrête et lui demanda de rester. Joseph déclare de nouveau la séance ouverte et achève l’audience. À la fin de la réunion, il est suffisamment apaisé pour dire cordialement au revoir à son frère mais ce dernier fulmine, toujours convaincu que Joseph a eu tort.

Vers cette époque-là, Hyrum Smith et sa femme, Jerusha, embauchent Lydia Bailey, une convertie âgée de vingt-deux ans, pour les aider à s’occuper de leur pension de famille. Joseph a baptisé Lydia deux ou trois ans plus tôt au cours d’une brève mission qu’il a faite avec Sidney au Canada. Lydia s’est installée à Kirtland peu de temps après et Hyrum et Jerusha lui ont promis de prendre soin d’elle comme si elle faisait partie de la famille.

Lydia est absorbée par son travail. Avec la présence des dirigeants de l’Église du Missouri en ville pour la consécration du temple, Jerusha et elle passent leur temps à cuisiner, à faire les lits et à nettoyer la maison. Elle a rarement le temps de parler aux pensionnaires quoique Newel Knight, un ami de longue date des Smith, ait attiré son attention.

Un jour, pendant qu’elles travaillaient, Jerusha lui dit : « Frère Knight est veuf. »

« Oh », dit Lydia, prétendant l’indifférence.

Jerusha dit : « Il a perdu sa femme l’automne dernier. Il a le cœur pratiquement brisé. »

En apprenant le deuil de Newel, Lydia se souvient du sien. À l’âge de seize ans, elle a épousé un jeune homme du nom de Calvin Bailey. Après leur mariage, Calvin s’était mis à boire beaucoup et parfois, il frappait sa femme et sa fille.

Avec le temps, ils ont perdu leur ferme à cause du penchant de Calvin pour la boisson, ce qui les a obligés à louer une maison plus petite. Lydia y a accouché d’un fils mais le bébé n'a vécut qu’un jour. Calvin l’a abandonnée peu après et elle est retournée s’installer chez ses parents avec sa fille.

Les choses semblaient aller mieux lorsque cette dernière tomba malade. Lorsqu’elle mourut, c’était comme si les derniers espoirs de bonheur de Lydia étaient morts avec elle. Afin de l’aider à surmonter son chagrin, ses parents l’envoyèrent chez des amis au Canada. Là-bas, elle entendit l’Évangile et se fit baptiser et depuis, sa vie est plus heureuse et l’espoir renaît. Cependant, elle se sent seule et aspire à la compagnie de quelqu’un.

Un jour, dans une pièce de l’étage chez les Smith, Newel s’approche d’elle. Lui prenant la main, il dit : « Je crois que, tout comme moi, vous êtes bien seule. Nous pourrions peut-être nous tenir compagnie. »

Lydia reste assise en silence puis dit tristement : « Je suppose que vous êtes au courant de ma situation. Je ne sais pas du tout où se trouve mon mari, ni s’il est mort ou vivant. » Sans être divorcée de Calvin, elle ne se sent pas en droit d’épouser Newel.

Avant de quitter la pièce, elle lui dit : « Je préférerais sacrifier tous mes sentiments, et même ma vie, plutôt que m’écarter du chemin de la vertu ou offenser mon Père céleste. »

Le lendemain de sa dispute avec son frère, Joseph reçoit une lettre de celui-ci. William est irrité parce que c’est lui que le grand conseil tient pour responsable de la dispute et non Joseph. Croyant qu’il a eu raison de réprimander son frère devant le grand conseil, William insiste pour qu’ils se rencontrent en tête à tête afin de pouvoir expliquer ses actes.

Joseph accepte de le rencontrer, proposant que chacun raconte sa version des faits, reconnaisse ses erreurs et présente des excuses pour ses torts. Comme Hyrum, leur frère aîné, a une influence apaisante sur la famille, Joseph l’invite à se joindre à eux afin de rendre un jugement impartial.

Le lendemain, William arrive chez Joseph et chacun à tour de rôle s'explique. Joseph dit qu’il en veut à William d’avoir fait des remarques déplacées devant le conseil et d’avoir manqué de respect à sa position de président de l’Église. William nie l’accusation et soutient que Joseph a eu tort.

Hyrum écoute attentivement ses frères. Lorsqu’ils ont terminé, il commence à donner son avis mais William lui coupe la parole, les accusant, Joseph et lui, de rejeter toute la faute sur lui. Ses frères tentent de le calmer mais il sort de la maison en claquant la porte. Plus tard ce jour-là, il renvoie à Joseph son permis l’autorisant à prêcher.

Très vite, tout Kirtland est au courant de la dispute. Elle divise la famille Smith, habituellement très unie, en montant les frères et sœurs de Joseph les uns contre les autres. Inquiet que ses détracteurs n’utilisent la querelle contre lui et l’Église, Joseph se tient à l’écart de William en espérant que la colère de son frère s’apaise.

Mais les premières semaines de novembre, ce dernier continue de vitupérer contre Joseph et rapidement certains saints prennent également parti. Les apôtres condamnent sa conduite et menacent de l’expulser du Collège des Douze. Cependant, Joseph reçoit une révélation l’exhortant à se montrer patient avec lui.

Le prophèteest attristé de voir des divisions parmi eux. Cet été-là, les saints ont travaillé ensemble avec détermination et bonne humeur et le Seigneur leur a accordé les annales égyptiennes et de grands progrès sur le temple mais, maintenant que la dotation de pouvoir est presque à leur portée, ils n’arrivent pas à être unis de cœur et d’esprit.

Tout au long de l’automne 1835, Newel Knight maintient sa détermination d’épouser Lydia Bailey. Croyant que la loi en Ohio permet aux femmes abandonnées par leur mari de se remarier, il l’incite à tirer un trait sur son passé. Mais, aussi grand que soit son désir de l’épouser, elle a besoin de savoir que cela est juste aux yeux de Dieu.

Newel jeûne et prie pendant trois jours. Le troisième jour, il demande à Hyrum de questionner Joseph pour savoir s’il est convenable qu’il épouse Lydia. Hyrum accepte de parler à son frère et Newel part travailler sur le temple l’estomac vide.

Il est toujours à la tâche lorsque Hyrum va le trouver plus tard ce jour-là. Il lui dit que Joseph a interrogé le Seigneur et reçu comme réponse que Lydia et Newel doivent se marier. Joseph a dit : « Le plus tôt sera le mieux. Dis-leur qu’aucune loi ne leur fera de tort. Nul besoin de craindre la loi de Dieu ni celle des hommes. »

Newel est enchanté. Il laisse tomber ses outils, court jusqu’à la pension de famille et rapporte à Lydia ce que Joseph a dit. Elle est folle de joie et ensemble ils remercient Dieu pour sa bonté. Newel demande à Lydia de l’épouser et elle accepte. Ensuite, il se précipite à la salle à manger pour rompre son jeûne.

Hyrum et Jerusha acceptent d’organiser les noces chez eux le lendemain. Lydia et Newel veulent que Joseph se charge de la cérémonie mais ils savent qu’il n’a encore jamais célébré de mariage et ne sont pas sûrs qu’il a l’autorité légale de le faire.

Cependant, le lendemain, pendant qu’Hyrum convie des invités à la cérémonie, il dit à Joseph qu’il cherche encore quelqu’un pour marier le couple. « Arrête ! » s’exclame Joseph. « Je vais les marier moi-même ! »

La loi en Ohio autorise les ecclésiastiques d’Églises organisées officiellement à marier les couples. Chose plus importante, Joseph croit que son office dans la Prêtrise de Melchisédek l’autorise à célébrer des mariages. Il déclare : « Le Seigneur Dieu d’Israël m’a donné l’autorité d’unir les gens dans les liens sacrés du mariage et dorénavant j’utiliserai ce droit. »

Par une soirée glaciale de novembre, Hyrum et Jerusha accueillent les convives chez eux. Les effluves du festin de noces emplissent la pièce tandis que les saints prient et chantent pour fêter l’occasion. Joseph se lève et demande à Lydia et à Newel de le rejoindre à l’avant de la pièce et de se prendre par la main. Il explique que le mariage a été institué par Dieu dans le jardin d’Éden et doit être célébré par la prêtrise éternelle.

Se tournant vers Lydia et Newel, il leur fait contracter l’alliance d’être des compagnons, mari et femme pour la vie. Il déclare qu’ils sont mariés et les encourage à avoir des enfants, invoquant sur eux les bénédictions de la longévité et de la prospérité.

Les noces de ce couple sont un point positif pendant un hiver par ailleurs difficile pour Joseph. Depuis sa querelle avec William, il n’a pas réussi à se concentrer sur les rouleaux égyptiens ni sur la préparation des saints à la dotation de pouvoir. Il essaie de diriger joyeusement, suivant l’Esprit du Seigneur. Mais le tumulte au sein de sa famille et la charge de diriger l’Église peuvent être pesants et parfois, il parle durement aux gens lorsqu’ils font des erreurs.

En décembre, William commence à organiser chez lui des débats sans caractère officiel. Espérant que ces derniers donnent des occasions d’apprendre et d’enseigner par l’Esprit, Joseph décide de participer. Les deux premières réunions se déroulent sans heurt mais au cours de la troisième, la tension monte lorsque William coupe la parole à un autre apôtre pendant un débat.

Son interruption amène certaines personnes à se demander si ces réunions doivent se poursuivre. Il se met en colère et une querelle éclate. Joseph intervient et l’instant d’après les deux hommes s’insultent. Joseph, père, tente de calmer ses fils mais ni l’un ni l’autre ne cède et William se jette sur son frère.

Dans sa précipitation pour se défendre, Joseph tente d’ôter sa veste mais il reste les bras coincés dans les manches. William frappe fort, encore et encore, aggravant une blessure que Joseph a reçue lorsqu’il a été enduit de goudron et de plumes. Avant que certains des hommes n’aient réussi à contenir William, Joseph est étendu au sol, pouvant à peine bouger.

Quelques jours plus tard, alors qu’il se remet de leur rixe, Joseph reçoit un message de son frère. William déclare : « Je sens qu’il est de mon devoir de faire une humble confession. » Craignant d’être indigne de son appel, il demande à Joseph de le retirer du Collège des Douze.

Il supplie : « Ne me rejette pas à cause de ce que j’ai fait mais efforce-toi de me sauver. Je me repens sincèrement de ce que je t’ai fait. »

Joseph répond à la lettre, exprimant son espoir qu’ils puissent se réconcilier. Il déclare : « Puisse Dieu ôter l’inimitié entre nous et puissent toutes les bénédictions être rétablies et le passé oublié à jamais. »

Le premier jour de la nouvelle année, les frères se réunissent avec leur père et leur frère Hyrum. Joseph, père, prie pour ses fils et les supplie de s’accorder un pardon mutuel. Pendant qu’il parle, Joseph voit à quel point sa querelle avec William a peiné leur père. L’Esprit de Dieu emplit la pièce et le cœur de Joseph fond. William aussi a l’air contrit. Il confesse sa faute et demande à nouveau à Joseph de lui pardonner.

Sachant que lui aussi a des torts, Joseph présente ses excuses à son frère. Ils font ensuite alliance de faire plus d’efforts pour se soutenir et résoudre humblement leurs différends.

Joseph invite Emma et sa mère dans la pièce et William et lui réitérèrent leur alliance. Des larmes de joie ruissellent sur leur visage. Ils inclinent la tête et Joseph prie, reconnaissant de ce que sa famille est de nouveau unie.


CHAPITRE 21 : L’Esprit du Dieu saint

Après s’être réconcilié avec son frère, Joseph se concentre de nouveau sur l’achèvement du temple. Bien que modeste comparé aux cathédrales élancées d’Europe, le temple est plus haut et plus imposant que la plupart des édifices d’Ohio. Les voyageurs en route pour Kirtland peuvent facilement repérer son clocher coloré et son toit rouge rutilant au-dessus des arbres. Les murs en stuc étincelant, les portes d’un vert vif et les fenêtres pointues de style gothique rendent le spectacle éblouissant.

Vers la fin janvier 1836, l’intérieur du temple est presque terminé et Joseph prépare les dirigeants de l’Église pour la dotation de pouvoir divin que le Seigneur a promis de leur donner. Personne ne sait avec certitude à quoi ressemblera la dotation mais Joseph a expliqué qu’elle viendrait après qu’il aura administré les ordonnances symboliques du lavement et de l’onction aux hommes ordonnés à la prêtrise, comme Moïse a lavé et oint les prêtres d’Aaron dans l’Ancien Testament.

Les saints ont également lu des passages du Nouveau Testament qui donnent une idée de la dotation. Après sa résurrection, Jésus a recommandé à ses apôtres de ne pas quitter Jérusalem pour prêcher l’Évangile avant d’être « revêtus de la puissance d’en haut ». Ensuite, le jour de la Pentecôte, ils ont reçu ce pouvoir lorsque l’Esprit est descendu sur eux comme un vent impétueux et qu’ils ont parlé en langues.

En se préparant pour leur dotation, les saints s’attendent à un déversement spirituel semblable.

L’après-midi du 21 janvier, Joseph, ses conseillers et son père empruntent l’escalier jusqu’aux combles de l’imprimerie, derrière le temple. Là, les hommes se lavent symboliquement avec de l’eau propre et se bénissnt mutuellement au nom du Seigneur. Une fois lavés, ils se rendent au temple, juste à côté, où ils sont rejoints par les épiscopats de Kirtland et de Sion et ils s’oignent avec de l’huile consacrée et se bénissent les uns les autres.

Lorsque vient le tour de Joseph, son père lui oint la tête et le bénit afin qu’il dirige l’Église comme un Moïse des derniers jours, et prononce sur sa tête les bénédictions d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Les conseillers de Joseph lui imposent ensuite les mains et lui donnent une bénédiction.

Lorsque les hommes ont terminé l’ordonnance, les cieux s’ouvrent et Joseph a une vision de l’avenir. Il voit le royaume céleste, son beau portail flamboyant devant lui comme un cercle de feu. Il voit Dieu le Père et Jésus-Christ assis sur de magnifiques trônes. Adam et Abraham, les prophètes de l’Ancien Testament, sont là aussi, ainsi que sa mère, son père et son frère aîné Alvin.

La vue de son frère l’étonne. Il est mort peu après la première visite de Moroni et n’a jamais eu l’occasion d’être baptisé par l’autorité appropriée. Comment peut-il hériter la gloire céleste ? Sa famille a refusé de croire qu’il est en enfer, comme un prédicateur l’a un jour suggéré, mais son destin éternel demeurait un mystère.

Tandis que Joseph s’étonne en voyant son frère, il entend la voix du Seigneur dire : « Tous ceux qui sont morts sans connaître l’Évangile, qui l’auraient reçu s’il leur avait été permis de demeurer, seront héritiers du royaume céleste de Dieu. »

Le Seigneur explique qu’il jugera chaque personne selon ses œuvres et les désirs de son cœur. Les gens dans la situation d’Alvin ne seront pas damnés parce que les occasions ne se sont jamais présentées à eux sur terre. Le Seigneur enseigne également que les petits enfants qui meurent avant d’atteindre l’âge de responsabilité, comme les quatre bébés que Joseph et Emma ont enterrés, seront sauvés dans le royaume céleste.

Lorsque la vision se referme, Joseph et ses conseillers oignent les membres des grands conseils de Kirtland et de Sion qui ont attendu en priant dans une autre pièce. Lorsque les hommes reçoivent l’ordonnance, d’autres visions célestes s’ouvrent à leurs yeux. Certains voient des anges et d’autres voient le visage du Christ.

Remplis de l’Esprit, les hommes prophétisent de choses à venir et glorifient Dieu jusque tard dans la nuit.

Deux mois plus tard, le matin du 27 mars 1836, Lydia Knight est assise côte à côte avec d’autres saints dans la salle inférieure du temple. Les gens, tout autour d’elle, se serrent les uns contre les autres tandis que les huissiers casent d’autres personnes sur les bancs. Environ un millier de saints sont déjà dans la salle et de nombreux autres encombrent les entrées, espérant que les portiers les laisseront entrer.

Lydia s'est rendue plusieurs fois au temple depuis son mariage avec Newel quatre mois plus tôt. De temps en temps, ils y sont allés pour entendre un sermon ou une conférence. Mais cette visite est différente. Aujourd’hui, les saints se sont réunis pour consacrer le temple au Seigneur.

Depuis sa place, Lydia peut regarder les dirigeants s’installer derrière trois rangées de chaires richement sculptées aux deux extrémités de la salle. Devant elle, sur l’aile ouest du bâtiment, se trouvent les chaires de la Première Présidence et d’autres dirigeants de la Prêtrise de Melchisédek. Derrière elle, le long du mur est, se trouvent celles des épiscopats et des dirigeants de la Prêtrise d’Aaron. En qualité de membre du grand conseil du Missouri, Newel est assis dans une rangée de loges, à côté de ces tribunes.

En attendant que la consécration commence, Lydia peut également admirer les boiseries le long des chaires et la rangée de colonnes élancées qui s’étendent sur toute la longueur de la salle. Il est encore tôt et la lumière du soleil se déverse dans la salle par les hautes fenêtres le long des murs. Au-dessus sont suspendus de grands rideaux de toile qui peuvent être déployés entre les bancs pour scinder momentanément l’espace en différentes pièces.

Lorsque les huissiers ne peuvent plus glisser qui que ce soit dans la pièce, Joseph se lève et s’excuse auprès des personnes qui n’ont pas pu trouver de place assise. Il leur propose de se réunir dans la salle de classe voisine, au premier étage de l’imprimerie.

Quelques minutes plus tard, lorsque l’assemblée est installée, Sidney ouvre la réunion et parle avec une grande puissance pendant plus de deux heures. Après un bref entracte pendant lequel presque tout le monde reste assis, Joseph se lève et fait la prière de consécration qu’il a préparée la veille avec l’aide d’Oliver et de Sidney.

Joseph dit : « Nous te demandons, ô Seigneur, d’accepter cette maison, l’œuvre de nos mains, à nous, tes serviteurs, maison que tu nous as commandé de bâtir. » Il demande au Seigneur d’armer les missionnaires de pouvoir lorsqu’ils sortiront propager l’Évangile jusqu’aux extrémités de la terre. Il demande une bénédiction sur les saints du Missouri, sur les dirigeants des nations du monde et sur Israël dispersé.

Il demande également au Seigneur de doter les saints de pouvoir. Il dit : « Que l’onction de tes ministres soit scellée sur eux avec du pouvoir d’en haut. Place sur tes serviteurs le témoignage de l’alliance, afin que lorsqu’ils iront proclamer ta parole, ils scellent la loi et préparent le cœur de tes saints. » Il demande au Seigneur de remplir le temple de sa gloire, comme le vent impétueux que les anciens apôtres ont connu.

Il supplie : « Ô entends, ô entends, ô entends-nous, ô Seigneur ! Exauce ces supplications et accepte que te soit dédiée cette maison. »

Dès que Joseph a prononcé son dernier « amen », le chœur interprète le nouveau cantique de William Phelps :

L’Esprit du Dieu saint brûle comme une flamme.
La gloire déjà revêt les derniers jours.
Les dons d’autrefois réjouissent notre âme.
Les anges reviennent à notre secours.

Lydia sent la gloire de Dieu remplir le temple. Elle se lève avec les autres saints dans la pièce et,  unit sa voix à la leur pour crier : « Hosanna ! Hosanna ! Hosanna à Dieu et à l’Agneau ! »

Après la consécration du temple, des manifestations de l’Esprit et de la puissance du Seigneur enveloppent Kirtland. Le soir de la consécration, Joseph se réunit avec les dirigeants de l’Église dans le temple et les hommes commencent à parler en langues, comme les apôtres du Sauveur l’ont fait lors de la Pentecôte. Certaines des personnes présentes à la réunion voient un feu céleste reposer sur celles qui parlent. D’autres voient des anges. À l’extérieur, les saints voient une nuée lumineuse et une colonne de feu reposer sur le temple.

Le 30 mars, Joseph et ses conseillers se réunirent au temple pour laver les pieds d’environ trois cents dirigeants de l’Église, notamment les Douze, les soixante-dix et d’autres hommes appelés en mission, tout comme le Sauveur l’a fait avec ses disciples avant sa crucifixion. Joseph déclare : « C’est une année de jubilé pour nous et un temps pour nous réjouir. » Les hommes sont venus au temple en jeûnant et il demande à quelques-uns d’entre eux d’acheter du pain et du vin pour plus tard. Il demande à d’autres d’apporter des baquets d’eau.

Joseph et ses conseillers lavent d’abord les pieds des membres du Collège des Douze, continuent en lavant les pieds des membres des autres collèges et les bénissent au nom du Seigneur. Au fil des heures, les hommes se bénissent les uns les autres, prophétisent et poussent des hosannas jusqu’à ce que le pain et le vin arrivent en début de soirée.

Joseph parle pendant que les Douze rompent le pain et versent le vin. Il leur dit que leur court séjour à Kirtland touche à sa fin. Le Seigneur est en train de les doter de pouvoir et il les enverra ensuite en mission. Il dit : « Allez en toute humilité et tempérance prêcher Jésus-Christ. » Il leur recommande d’éviter les querelles au sujet des convictions religieuses et les exhorte à rester fidèles aux leurs.

Il dit aux apôtres : « Apportez les clés du royaume à toutes les nations, ouvrez-les et faites appel aux soixante-dix afin qu’ils suivent. » Il dit que l’organisation de l’Église est dorénavant complète et que les hommes dans la pièce ont reçu toutes les ordonnances que le Seigneur a préparées pour eux à ce moment-là.

Il dit : « Partez édifier le royaume de Dieu. »

Joseph et ses conseillers rentrent chez eux, laissant aux Douze la responsabilité de la réunion. L’Esprit descend de nouveau sur les hommes dans le temple et ils commencent à prophétiser, à parler en langues et à s’exhorter mutuellement dans l’Évangile. Des anges apparaissent à certains et quelques autres ont des visions du Sauveur.

Le déversement de l’Esprit se poursuit jusqu’aux premières heures du matin. Lorsqu’ils quittent le temple, les saints s’extasient sur les merveilles et la gloire dont ils viennent juste d’être témoins. Ils se sentent dotés de pouvoir et prêts à apporter l’Évangile au monde.

Une semaine après la consécration, le dimanche après-midi de Pâques, un millier de saints vont de nouveau adorer au temple. Lorsque les Douze ont administré le repas du Seigneur à l’assemblée, Joseph et Oliver abaissent les rideaux de toile autour de la chaire la plus élevée sur le côté ouest de la salle inférieure et s’agenouillent derrière afin de prier en silence, hors de la vue des saints.

Après leurs prières, le Sauveur apparaît devant eux, le visage plus brillant que l’éclat du soleil. Ses yeux sont comme du feu et ses cheveux comme de la neige. Sous ses pieds, la balustrade de la chaire ressemble à de l’or pur.

De sa voix qui ressemble à un déferlement de grandes eaux, le Seigneur déclare : « Que le cœur de tout mon peuple se réjouisse, mon peuple qui a bâti de toutes ses forces cette maison à mon nom. Voici, j’ai accepté cette maison, et mon nom sera ici ; et je me manifesterai avec miséricorde à mon peuple dans cette maison. » Il exhorte les saints à préserver le caractère sacré de sa maison et confirme qu’ils ont reçu une dotation de pouvoir.

Il déclare : « Le cœur de milliers et de dizaines de milliers sera dans une grande allégresse à cause des bénédictions qui seront déversées et de la dotation que mes serviteurs ont reçue dans cette maison. »

Finalement, il promet : « La renommée de cette maison se répandra dans les pays étrangers, et c’est là le commencement de la bénédiction qui sera déversée sur la tête de mon peuple. »

La vision se referme sur Joseph et Oliver mais instantanément, les cieux s'ouvrent à nouveau. Ils voient debout devant eux
Moïse qui leur remet les clés du rassemblement d’Israël afin que les saints puissent apporter l’Évangile au monde et ramener les justes en Sion.

Élias apparaît ensuite et leur remet la dispensation de l’Évangile d’Abraham, disant que toutes les générations seront bénies à travers eux et tous ceux qui viendront après eux.

Après le départ d’Élias, Joseph et Oliver ont une autre vision extraordinaire. Ils voient Élie, le prophète de l’Ancien Testament qui est monté au ciel dans un char de feu.

Faisant allusion à la prophétie de l’Ancien Testament selon laquelle il tournera le cœur des pères vers les enfants et celui des enfants vers les pères, Élie déclare : « Le temps est pleinement arrivé, ce temps dont il a été parlé par la bouche de Malachie… Les clés de cette dispensation sont remises entre vos mains, et vous saurez, par là, que le jour du Seigneur, jour grand et redoutable, est proche, et même à la porte. »

La vision se referme, laissant Joseph et Oliver seuls. La lumière du soleil filtre à travers la fenêtre en ogive située derrière la chaire mais la balustrade devant eux ne brille plus comme de l’or. Les voix célestes qui les ont secoués comme le tonnerre cèdent la place au bourdonnement sourd des saints de l’autre côté du rideau.

Joseph sait que les messagers lui ont remis d’importantes clés de la prêtrise. Plus tard, il enseigne aux saints que les clés de la prêtrise rétablies par Élie scelleront les familles éternellement, liant dans les cieux ce qui est lié sur la terre, reliant les parents à leurs enfants et les enfants à leurs parents.

Les jours qui suivent la consécration, fortifiés par la dotation de pouvoir, les missionnaires partent prêcher l’Évangile dans toutes les directions. L’évêque Partridge et les autres saints qui sont venus du Missouri reprennent la route vers l’ouest avec une détermination renouvelée de bâtir Sion.

Lydia et Newel Knight veulent également se rendre dans l’Ouest mais ils ont besoin d’argent. Newel a passé le plus clair de son temps à Kirtland à travailler bénévolement à la construction du temple et Lydia a prêté presque tout son argent à Joseph et à l’Église lorsqu’elle est arrivée en ville. Ni l’un ni l’autre ne regrette son sacrifice mais Lydia ne peut s’empêcher de penser que la somme qu’elle a prêtée aura largement couvert les frais du voyage.

Pendant qu’ils réfléchissent à la manière de financer leur périple, Joseph leur rendit visite. Il dit : « Alors Newel, tu es sur le point de partir vers ton foyer dans l’Ouest. Disposes-tu de quoi couvrir amplement tes besoins ? »

Newel dit : « Pour l’instant, notre budget est assez restreint. »

Joseph dit à Lydia : « Je n’ai pas oublié avec quelle générosité tu m’as aidé lorsque j’étais en difficulté. » Il sort de la maison et revient peu de temps après avec une somme supérieure à celle qu’elle lui a prêtée.

Il leur dit d’acheter ce dont ils ont besoin pour faire confortablement le voyage jusqu’à leur nouveau foyer. Hyrum leur fournit aussi un attelage de chevaux pour les emmener jusqu’à l’Ohio où ils pourront prendre un bateau à vapeur jusqu’au Missouri.

Avant leur départ, ils rendent visite à Joseph Smith, père, afin que Lydia puisse recevoir une bénédiction. Plus d’un an plus tôt, le Seigneur a appelé Joseph à être le patriarche de l’Église, lui conférant l’autorité de donner aux saints des bénédictions patriarcales, comme Abraham et Jacob en ont donné à leurs enfants dans la Bible.

Il pose les mains sur la tête de Lydia et prononce les paroles de la bénédiction. Il lui dit : « Tu as été très affligée par le passé et ton cœur a souffert mais tu seras consolée. »

Il lui dit que le Seigneur l’aime et lui a donné Newel pour la réconforter. « Vos âmes seront unies et rien ne pourra les disjoindre. Ni la détresse ni la mort ne vous sépareront » promet-il. « Votre vie sera préservée et vous voyagerez rapidement et en toute sécurité jusqu’au pays de Sion. »

Peu après la bénédiction, Lydia et Newel partent pour le Missouri, optimistes quant à l’avenir de l’Église et de Sion. Le Seigneur a doté les saints de pouvoir et Kirtland s’épanouit sous la flèche élancée du temple. Les visions et dons de cette époque leur ont donné un avant-goût des cieux. Le voile entre la terre et le ciel semble prêt à s’ouvrir à leurs yeux.


TROISIÈME PARTIE : Jeté dans l’abîme (avril 1836 - avril 1839)

CHAPITRE 22 : Mets le Seigneur à l’épreuve

Après la consécration du temple, Joseph se délecta de l’espérance et de la bonne volonté qui reposaient sur Kirtland. Les saints furent témoins d’un déversement de dons spirituels tout au long du printemps 1836. Nombre d’entre eux virent des armées d’anges, vêtues d’un blanc étincelant, debout sur le toit du temple, et certains se demandèrent si le millénium avait commencé.

Joseph voyait partout des preuves des bénédictions du Seigneur. Lorsqu’il avait emménagé à Kirtland cinq ans plus tôt, l’Église était désorganisée et indisciplinée. Depuis, les saints avaient embrassé plus pleinement la parole du Seigneur et avaient transformé un simple village en un pieu de Sion solide. Le temple représentait un témoignage de ce qu’ils pouvaient accomplir en obéissant à Dieu et en travaillant ensemble.

Mais tout en se réjouissant du succès de Kirtland, Joseph ne pouvait oublier les saints du Missouri qui étaient toujours regroupés en petites communautés le long du fleuve, juste à côté du comté de Jackson. Ses conseillers et lui avaient confiance en la promesse du Seigneur de racheter Sion une fois que les anciens auraient reçu leur dotation de pouvoir. Pour l’instant, nul ne savait comment ni quand il le ferait.

Tournant leur attention vers Sion, les dirigeants de l’Église jeûnèrent et prièrent pour connaître la volonté du Seigneur. Joseph rappela ensuite la révélation dans laquelle le Seigneur avait demandé aux saints d’acheter toutes les terres du comté de Jackson et des alentours. Ils avaient déjà commencé à en acheter dans le comté de Clay mais, comme toujours, le problème était de trouver l’argent pour faire de nouvelles acquisitions.

Au début du mois d’avril, Joseph se réunit avec le personnel de l’imprimerie de l’Église pour discuter des finances de l’imprimerie. Les hommes croyaient qu’ils devaient donner tous leurs biens pour la rédemption de Sion et ils recommandèrent à Joseph et à Oliver d’organiser une collecte de fonds pour acheter d’autres terres au Missouri.

Malheureusement, les dettes de l’Église se comptaient en dizaines de milliers de dollars du fait de la construction du temple et de l’achat antérieur de terres, et l’argent était encore rare à Kirtland, malgré les dons que collectaient les missionnaires. La plupart des richesses des saints étaient foncières, ce qui signifiait que peu de personnes pouvaient faire des dons en espèces. Et sans liquidités, l’Église pouvait difficilement se sortir des dettes et acheter d’autres terres en Sion.

Une fois encore, Joseph devait trouver un moyen de financer l’œuvre du Seigneur.

À trois cents kilomètres au nord, Parley P. Pratt se trouvait aux abords d’une ville appelée Hamilton, au sud du Canada. Il était en route pour Toronto, l’une des plus grandes villes de la province, pour remplir sa première mission depuis sa dotation de pouvoir. Il n’avait pas d’argent, pas d’amis dans la région et pas la moindre idée de la manière d’accomplir ce que le Seigneur l’avait envoyé faire.

Quelques semaines plus tôt, lorsque les Douze et les soixante-dix avaient quitté Kirtland pour prêcher l’Évangile, Parley avait prévu de rester chez lui avec sa famille. Comme de nombreux saints de Kirtland, il s’était lourdement endetté pour l’achat d’un terrain et la construction d’une maison dans la région. Il s’inquiétait également pour sa femme, Thankful, qui était malade et avait besoin de ses soins. Aussi impatient qu’il ait pu être de prêcher, une mission semblait hors de question.

Par la suite, Heber C. Kimball lui a rendu visite et lui a donné une bénédiction en qualité d’ami et d’apôtre à apôtre. Il a dit à Parley : « Pars en mission, sans douter. Ne t’inquiète ni de tes dettes ni des nécessités de la vie, car le Seigneur te fournira amplement les moyens de faire face à tout. »

Parlant sous inspiration, Heber dit à Parley d’aller à Toronto, promettant qu’il y trouverait des personnes prêtes à recevoir la plénitude de l’Évangile. Il dit qu’il poserait les fondements d’une mission en Angleterre et trouverait de quoi alléger ses dettes. Il prophétisa : « Des richesses, de l’argent et de l’or t’attendent à tel point que tu répugneras à les dénombrer. »

Il parla également de Thankful. Il promit : « Ta femme guérira dès cet instant et elle t’enfantera un fils. »

La bénédiction était merveilleuse, mais ses promesses semblaient impossibles. Parley avait eu beaucoup de succès dans le champ de la mission, mais il ne connaissait pas Toronto. Il n’avait jamais gagné beaucoup d’argent et il était improbable qu’il en reçoive assez en mission pour liquider ses dettes.

Les promesses au sujet de Thankful étaient les plus improbables de toutes. Elle avait presque quarante ans et avait toujours été frêle et d’une petite santé. Au bout de dix années de mariage, ils n’avaient toujours pas d’enfants.

Mais, poussé par sa foi dans les promesses du Seigneur, Parley partit en direction du nord-est, circulant en diligence sur des routes boueuses. Lorsqu’il eut atteint les chutes du Niagara et traversé la frontière canadienne, il fit le chemin à pied jusqu’à Hamilton. En pensant à son foyer et à l’immensité de sa mission, il se sentit vite dépassé et désira ardemment savoir comment faire preuve de foi en une bénédiction dont les promesses paraissaient aussi inaccessibles.

L’Esprit lui chuchota soudain : « Mets le Seigneur à l’épreuve et vois s’il y a quoi que ce soit de trop difficile pour lui. »

Pendant ce temps, au Missouri, Emily Partridge, douze ans, était soulagée de voir le printemps revenir dans le comté de Clay. Avec son père à Kirtland pour la consécration du temple, elle et sa famille partageaient la seule pièce d’une cabane en rondins avec Margaret et John Corrill, le conseiller de son père dans l’épiscopat. Avant que les deux familles n’y emménagent, la cabane avait servi d’étable, mais son père et frère Corrill avaient débarrassé le fumier qui en recouvrait le sol et avaient rendu l’endroit habitable. Il y avait une grande cheminée et les familles avaient passé l’hiver glacial blotties autour de sa chaleur.

Ce printemps-là, le père d’Emily revint au Missouri reprendre ses fonctions d’évêque. D’autres dirigeants de l’Église et lui avaient reçu la dotation de pouvoir à Kirtland et ils semblaient optimistes quant à l’avenir de Sion.

Au fur et à mesure que le temps se réchauffait, Emily se préparait à retourner à l’école. Peu après leur arrivée dans le comté de Clay, les saints en avaient installé une dans une cabane près d’un verger. Emily aimait beaucoup jouer avec ses amis dans le verger et manger les fruits qui tombaient des branches. Lorsqu’ils n’étudiaient pas, ils se construisaient des cabanes avec des bâtons et se servaient de lianes pour sauter à la corde.

La plupart des camarades d’Emily étaient membres de l’Église, mais certains étaient des enfants de colons installés dans la région depuis longtemps. Ils étaient souvent mieux habillés qu’Emily et les autres enfants pauvres et certains se moquaient des jeunes saints et de leurs vêtements en lambeaux. Mais en règle générale, tout le monde s’entendait relativement bien, en dépit de leurs différences.

Il n’en allait pas de même de leurs parents. Plus le nombre de saints qui emménageaient et achetaient de grandes étendues de terres dans le comté de Clay grandissait, plus les colons de longue date étaient mal à l’aise et impatients. À l’origine, ils avaient accueilli les saints dans leur comté et ne leur avaient offert un refuge qu’en attendant qu’ils repartent chez eux, de l’autre côté du fleuve. Personne ne s’attendait à ce qu’ils s’installent définitivement dans le comté de Clay.

Au début, les tensions entre les saints et leurs voisins eurent peu d’influence sur la routine scolaire d’Emily. Mais tandis que le printemps s’écoulait lentement et que les voisins devenaient plus hostiles, Emily et sa famille eurent des raisons de croire que le cauchemar du comté de Jackson allait se répéter et qu’ils allaient de nouveau se retrouver sans abri.

Tandis que Parley poursuivait son voyage vers le nord, il demanda au Seigneur de l’aider à parvenir à destination. Peu après, il rencontra un homme qui lui donna dix dollars et une lettre d’introduction à l’attention d’une personne à Toronto du nom de John Taylor. Parley se servit de l’argent pour réserver une place à bord d’un bateau à vapeur en partance pour la ville et arriva peu après chez John Taylor.

John et Leonora Taylor étaient un jeune couple originaire d’Angleterre. En bavardant avec eux, Parley apprit qu’ils appartenaient à un groupe de chrétiens de la région qui rejetait toute doctrine non étayée par la Bible. Ils venaient récemment de prier et de jeûner pour que Dieu leur envoie un messager de sa véritable Église.

Parley leur parla de l’Évangile rétabli, mais ils ne manifestèrent que peu d’intérêt. Le lendemain matin, il laissa son sac chez eux et se présenta aux hommes d’Église de la ville espérant qu’ils le laissent prêcher à leurs assemblées. Il rencontra ensuite les autorités municipales pour voir si elles lui permettraient d’organiser une réunion dans le palais de justice ou un autre lieu public. Personne n’accéda à sa demande.

Découragé, Parley se rendit dans les bois avoisinants et fit une prière. Il retourna ensuite chez les Taylor récupérer son sac. Lorsqu’il fut sur le point de partir, John l’arrêta et lui parla de son amour pour la Bible. Il dit : « M. Pratt, si vous avez des principes à soumettre, quels qu’ils soient, j’aimerais, si vous le pouvez, que vous les étayiez avec ce livre. »

Parley dit : « Je pense pouvoir y arriver. » Il demanda à John s’il croyait aux apôtres et aux prophètes.

Ce dernier répondit : « Oui, parce que la Bible m’enseigne toutes ces choses. »

Parley dit : « Nous enseignons le baptême au nom de Jésus-Christ pour la rémission des péchés et l’imposition des mains pour le don du Saint-Esprit. »

« Qu’en est-il de Joseph Smith et du Livre de Mormon et de certaines de vos nouvelles révélations ? » demanda John.

Parley témoigna que Joseph Smith était un honnête homme et un prophète de Dieu. Il dit : « Quant au Livre de Mormon, je peux vous en témoigner avec autant de force que vous pouvez le faire de l’authenticité de la Bible. »

Pendant qu’ils discutaient, ils entendirent Leonora parler à une voisine, Isabella Walton, dans une autre pièce. Leonora dit à Isabella : « Il y a un monsieur ici des États-Unis qui dit que le Seigneur l’a envoyé en ville prêcher l’Évangile. Je suis désolée qu’il s’en aille. »

Isabella dit : « Dis à l’étranger qu’il est le bienvenu chez moi. J’ai une chambre d’ami et de la nourriture en abondance. » Elle avait aussi un endroit où il pourrait prêcher à ses amis et à ses parents ce soir-là. Elle dit : « Je ressens par l’Esprit que c’est un homme envoyé du Seigneur avec un message qui nous fera du bien. »

Après sa conversation avec Parley, John Taylor commença à lire le Livre de Mormon et à en comparer ses enseignements avec ceux de la Bible. Il avait étudié la doctrine d’autres églises avant, mais quelque chose l’attirait dans le Livre de Mormon et les principes que Parley enseignait. Tout était clair et en accord avec la parole de Dieu.

John présenta rapidement Parley à ses amis. Il annonça : « Voici un homme qui vient en réponse à nos prières et il dit que le Seigneur a établi la véritable Église. »

Quelqu’un demanda : « Vas-tu devenir mormon ? »

John répondit : « Je ne sais pas. Je vais étudier la question et prier le Seigneur de m’aider. S’il y a du vrai dans cette affaire, j’y adhérerai ; si elle est fausse, je ne veux en aucun cas y être mêlé. »

Peu après, Parley et lui se rendirent dans un village rural voisin où habitait la parenté d’Isabella Walton. L’ami de John, Joseph Fielding, y demeurait également avec ses sœurs Mercy et Mary. Eux aussi étaient originaires d’Angleterre et leurs opinions religieuses ressemblaient à celles des Taylor.

Lorsque John et Parley arrivèrent à cheval chez les Fielding, ils virent Mercy et Mary partir en courant chez des voisins. Leur frère sortit et les salua froidement. Il dit qu’il aurait préféré qu’ils ne viennent pas. Ses sœurs et de nombreuses autres personnes en ville ne voulaient pas les entendre prêcher.

« Pourquoi vous opposez-vous au mormonisme ? » demanda Parley.

Joseph dit : « Je ne sais pas. Le nom est d’une consonance tellement abjecte. » Il dit qu’ils ne cherchaient aucune nouvelle révélation ni doctrine qui contredise les enseignements de la Bible.

Parley dit : « Oh, si c’est uniquement cela, nous allons vous débarrasser de vos préjugés. » Il dit à Joseph de rappeler ses sœurs. Il savait qu’une réunion religieuse était organisée dans le village ce soir-là et il voulait prêcher à cette occasion.

Parley dit : « Je dînerai avec vous et nous irons tous ensemble à la réunion. Si vous et vos sœurs êtes d’accord, j’accepte de prêcher l’Évangile de la vieille Bible et d’omettre toutes les nouvelles révélations qui s’y opposent. »

Ce soir-là, Joseph, Mercy et Mary Fielding prirent place dans une pièce surpeuplée et furent captivés par le sermon de Parley. Rien de ce qu’il disait au sujet de l’Évangile rétabli et du Livre de Mormon ne contredisait les enseignements de la Bible.

Peu après, Parley baptisa les Taylor, les Fielding et suffisamment de monde dans la région pour organiser une branche. Les promesses que le Seigneur lui avait faites dans sa bénédiction commençaient à s’accomplir et il était impatient de retourner auprès de Thankful. Certaines de ses dettes arrivaient à échéance et il devait encore gagner l’argent pour les régler.

Lorsque Parley fut sur le départ, il serra la main de ses nouveaux amis. Un par un, ils lui glissèrent de l’argent, une somme s’élevant à plusieurs centaines de dollars. Le montant était suffisant pour liquider ses dettes les plus urgentes.

Lorsque Parley arriva à Kirtland, il trouva Thankful en bonne santé, l’accomplissement d’une autre promesse du Seigneur. Une fois certaines dettes réglées, il réunit des brochures et des exemplaires du Livre de Mormon et retourna au Canada pour poursuivre sa mission, cette fois accompagné de sa femme. Le voyage la fatigua et lorsque les saints canadiens virent sa fragilité, ils doutèrent qu’elle soit suffisamment forte pour porter le fils promis dans la bénédiction. Cependant, peu de temps après, Parley et Thankful attendaient leur premier enfant.

En l’absence des Pratt, leurs amis, Caroline et Jonathan Crosby louèrent leur maison à Kirtland. Les Crosby étaient un jeune couple qui s’était installé à Kirtland quelques mois avant la consécration du temple. Ils se réunissaient souvent avec des amis pour adorer, chanter des cantiques ou prendre un repas.

Une fois le temple achevé, davantage de saints s’installèrent à Kirtland. Il y avait beaucoup de terres dans la région, mais la plupart étaient inexploitées. Les saints se dépêchaient de construire d’autres maisons, souvent à crédit, car il n’y avait pas beaucoup de liquidités dans la collectivité. Mais ils n’arrivaient pas à construire suffisamment vite pour loger les nouveaux arrivants donc les familles établies ouvraient souvent leur porte à ces personnes ou louaient les pièces inoccupées.

Lorsque le logement en ville se fit rare, John Boynton, l’un des apôtres, demanda aux Crosby de lui louer la maison des Pratt. Il leur offrit plus que ce qu’ils payaient aux Pratt.

L’offre était généreuse et Caroline savait que Jonathan et elle avaient besoin d’argent pour payer la maison qu’ils construisaient. Mais ils aimaient vivre seuls et Caroline attendait maintenant leur premier enfant. S’ils quittaient la maison des Pratt, ce serait pour emménager avec une voisine âgée, Sabre Granger, dont la petite maison encombrée ne comptait qu’une chambre.

Jonathan demanda à Caroline de prendre la décision. Elle ne voulait pas quitter le confort et l’espace dont elle disposait chez les Pratt et était réticente à l’idée d’emménager avec sœur Granger. L’argent ne la préoccupait pas beaucoup, même si Jonathan et elle en avaient bien besoin.

Mais savoir qu’ils permettraient à la grande famille Boynton de se rassembler à Kirtland, cela valait le petit sacrifice qu’elle devait faire. Quelques jours plus tard, elle dit à son mari qu’elle était disposée à déménager.

Vers la fin du mois de juin, William Phelps et d’autres dirigeants de l’Église du comté de Clay écrivirent au prophète que des autorités locales avaient convoqué les dirigeants de l’Église au palais de justice pour discuter de l’avenir des saints dans leur comté. Les autorités avaient parlé calmement et poliment, mais leurs propos ne laissaient aucune place aux compromis.

Du fait que les saints ne pouvaient pas retourner dans le comté de Jackson, les autorités leur recommandèrent de chercher un nouvel endroit, un endroit où ils pourraient être seuls. Les dirigeants de l’Église du comté de Clay acceptèrent de partir pour ne pas risquer une autre expulsion violente.

La nouvelle anéantit l’espoir de Joseph de retourner au comté de Jackson cette année-là, mais il ne pouvait en vouloir aux saints du Missouri pour ce qui se passait. Il répondit : « Vous êtes plus au courant de votre situation que nous ne le sommes et avez bien sûr été dirigés en sagesse dans votre décision de quitter le comté. »

Les saints du Missouri ayant besoin d’un nouvel endroit où s’installer, Joseph sentit encore plus fortement l’obligation de lever des fonds pour acheter des terres. Il décida d’ouvrir un magasin de l’Église près de Kirtland et emprunta davantage d’argent pour acheter des marchandises à y vendre. Le magasin connut une certaine réussite, mais les saints profitèrent de la gentillesse et de la confiance de Joseph, sachant qu’il ne leur refuserait pas de faire leurs achats à crédit. Plusieurs insistèrent pour faire du troc pour ce dont ils avaient besoin, compliquant ainsi la tâche de faire du profit en espèces sur les marchandises.

Fin juillet, ni le magasin ni les autres tentatives des dirigeants de l’Église n’avaient allégé la dette de cette dernière. Désespéré, Joseph quitta Kirtland avec Sidney, Hyrum et Oliver et se rendit à Salem, une ville de la côte est, après avoir écouté un membre de l’Église qui pensait savoir où trouver un dépôt secret d’argent caché. Lorsqu’ils arrivèrent dans la ville, la piste n’amena aucun argent et Joseph se tourna vers le Seigneur pour être guidé.

« Moi, le Seigneur, votre Dieu, je ne suis pas mécontent, en dépit de vos folies, que vous ayez entrepris ce voyage, » fut la réponse. « Ne vous souciez pas de vos dettes, car je vous rendrai capables de les payer. Ne vous souciez pas de Sion, car je serai miséricordieux envers elle. »

Les hommes rentrèrent à Kirtland environ un mois plus tard, encore préoccupés par les finances de l’Église. Mais, cet automne-là, Joseph et ses conseillers proposèrent un nouveau projet qui pourrait bien fournir l’argent dont ils avaient besoin pour Sion.


CHAPITRE 23 : Tous les pièges

Tout au long de l’automne 1836, Jonathan Crosby travailla sur sa nouvelle maison à Kirtland. En novembre, il avait monté les murs et le toit, mais le sol n’était pas fini et la maison n’avait ni portes ni fenêtres. Avec l’arrivée imminente du bébé, Caroline le pressait de la terminer le plus rapidement possible. Tout se passait bien avec leur propriétaire, sœur Granger, mais elle était impatiente de quitter le logement exigu et de s’installer chez elle.

Pendant que Jonathan travaillait fiévreusement à rendre la maison habitable avant l’arrivée du bébé, les dirigeants de l’Église annoncèrent leur intention d’inaugurer la Kirtland Safety Society, une banque de village conçue pour relancer l’économie chancelante de Kirtland et lever des fonds pour l’Église. Comme d’autres petites banques aux États-Unis, elle offrirait des prêts aux emprunteurs afin qu’ils puissent acheter des propriétés et des biens, permettant ainsi à l’économie locale de prospérer. Lorsque les emprunteurs les rembourseraient avec un intérêt, la banque réaliserait un bénéfice.

Les prêts seraient consentis sous forme de billets de banque garantis par la réserve limitée de pièces d’argent et d’or de la Safety Society. Pour consolider cette réserve, la banque vendrait des actions aux investisseurs qui s’engageraient à les payer au fil du temps.

Début novembre, la Kirtland Safety Society avait plus de trente actionnaires, dont Joseph et Sidney, qui y investirent la plus grande partie de leur argent personnel. Les actionnaires élurent Sidney comme président de l’établissement et Joseph comme trésorier, le rendant responsable des comptes de la banque.

Une fois les plans élaborés, Oliver se rendit dans l’Est pour acheter le matériel nécessaire à l’impression des billets de banque et Orson Hyde partit demander au corps législatif de l’État une charte permettant à l’établissement de fonctionner légalement. Pendant ce temps, Joseph incita tous les saints à investir dans la Safety Society, citant des Écritures de l’Ancien Testament qui demandaient aux Israélites d’autrefois d’apporter leur or et leur argent au Seigneur.

Joseph sentait que Dieu approuvait leurs efforts et promit que tout se passerait bien s’ils obéissaient aux commandements du Seigneur. Faisant confiance à la parole du prophète, d’autres saints investirent dans la Safety Society, mais certains étaient méfiants quant à l’idée d’acheter des actions dans une banque qui n’avait pas fait ses preuves. Les Crosby envisagèrent l’idée d’en acquérir, mais le coût de la construction de leur maison était tellement élevé qu’ils ne disposaient pas d’argent dont ils pouvaient se passer.

Vers le début du mois de décembre, Jonathan avait enfin installé les fenêtres et les portes de leur maison et Caroline et lui emménagèrent. L’intérieur n’était pas encore achevé, mais ils avaient une bonne cuisinière pour se chauffer et se nourrir. Jonathan avait également creusé un puits à proximité d’où ils pouvaient facilement tirer de l’eau.

Caroline était heureuse d’avoir un foyer à elle et le 19 décembre, elle donna le jour à un petit garçon en pleine santé pendant qu’une tempête de neige aveuglante tourbillonnait à l’extérieur.

L’hiver enveloppa Kirtland et en janvier 1837, la Kirtland Safety Society ouvrit ses portes. Le premier jour, Joseph distribua des billets de banque tout neufs, fraîchement sortis de la planche à billets, avec le nom de l’établissement et sa signature sur le devant. Au fur et à mesure que les saints firent des emprunts, utilisant leurs terres comme caution, les billets commencèrent à circuler à Kirtland et ailleurs.

Phebe Carter, qui venait d’arriver du nord-est des États-Unis, n’investit pas dans la Safety Society et ne fit pas d’emprunt non plus. Mais elle comptait profiter de la prospérité que celle-ci promettait. Elle avait presque trente ans, était célibataire et n’avait aucune parenté à Kirtland sur laquelle elle pouvait compter pour la soutenir. Comme d’autres femmes dans sa situation, ses options professionnelles étaient limitées, mais elle pouvait gagner un revenu modeste en cousant et en enseignant à l’école, comme elle l’avait fait avant d’emménager en Ohio. Si l’économie de Kirtland s’améliorait, davantage de personnes auraient de l’argent à dépenser dans de nouveaux vêtements et des études.

Sa décision de venir là n’avait pas été économique mais spirituelle. Ses parents s’étaient opposés à son baptême et après avoir annoncé ses intentions de rejoindre les saints, sa mère avait protesté. Elle avait dit : « Phebe, me reviendras-tu si tu découvres que le mormonisme est faux ? »

Elle promit : « Oui, mère. »

Mais elle savait qu’elle avait trouvé l’Évangile rétabli de Jésus-Christ. Quelques mois après son arrivée à Kirtland, elle avait reçu une bénédiction patriarcale des mains de Joseph Smith, père, lui garantissant de grandes récompenses ici-bas et dans les cieux. Le Seigneur lui avait dit : « Sois consolée car tes ennuis sont finis. Tu auras une longue vie et tu connaîtras de beaux jours. »

La bénédiction confirmait les sentiments qui l’habitaient lorsqu’elle était partie de chez elle. Trop triste pour dire au revoir en personne, elle avait écrit une lettre et l’avait laissée sur la table familiale. Elle disait : « Ne vous inquiétez pas de votre enfant. Je crois que le Seigneur prendra soin de moi et me donnera ce qu’il y a de meilleur. »

Elle avait foi aux promesses de sa bénédiction patriarcale. Celle-ci disait qu’elle serait la mère de nombreux enfants et qu’elle épouserait un homme doté de sagesse, de connaissance et de compréhension. Mais pour l’instant, Phebe n’avait aucun projet de mariage et elle savait qu’elle était plus âgée que la plupart des femmes qui se mariaient et commençaient à avoir des enfants.

Un soir de janvier 1837, tandis qu’elle rendait visite à des amis, elle rencontra un homme brun aux yeux bleu clair. Il avait quelques jours de plus qu’elle et venait juste de revenir à Kirtland après avoir participé à la marche du camp d’Israël et avoir fait une mission dans le sud des États-Unis.

Elle apprit qu’il s’appelait Wilford Woodruff.

Tout au long de l’hiver, les saints continuèrent d’emprunter de grosses sommes d’argent pour acheter des propriétés et des biens. Parfois, les employeurs payaient les ouvriers en billets de banque qui pouvaient être utilisés comme monnaie d’échange ou convertis en monnaie physique au bureau de la Kirtland Safety Society.

Peu après l’ouverture de cette dernière, un homme appelé Grandison Newell avait commencé à thésauriser les billets. Résidant de longue date d’une ville voisine, il détestait Joseph et les saints. Il avait joui d’une certaine notoriété dans le comté avant leur arrivée et maintenant, il cherchait souvent des moyens, légaux ou autres, pour les harceler.

Si des membres de l’Église venaient lui demander du travail, il refusait de les embaucher. Si des missionnaires prêchaient près de chez lui, il réunissait un groupe d’hommes pour les bombarder d’œufs. Quand le docteur Philastus Hurlbut avait commencé à collecter des déclarations calomnieuses à l’encontre de Joseph, il avait financé son projet.

Néanmoins, en dépit de ses efforts, les saints continuaient de se rassembler dans la région.

L’ouverture de la Kirtland Safety Society offrait à Grandison un nouvel angle d’attaque. Inquiet du nombre croissant de banques en Ohio, le corps législatif avait refusé d’accorder une charte à Orson Hyde. Sans cette approbation, la Safety Society ne pouvait pas obtenir l’appellation de banque, mais elle pouvait tout de même accepter des dépôts et accorder des prêts. Sa réussite dépendait des paiements effectués par les actionnaires afin que l’établissement puisse conserver ses réserves. Cependant, peu d’entre eux avaient suffisamment d’argent pour le faire et Grandison se doutait que les réserves de l’établissement étaient trop faibles et ne dureraient pas longtemps.

Espérant que l’affaire fasse faillite si suffisamment de personnes échangeaient les billets contre des pièces d’or ou d’argent, Grandison parcourait la campagne pour acheter les billets de la Safety Society. Il en apportait ensuite des liasses au bureau de l’établissement et exigeait des espèces en retour. Si les employés ne les échangeaient pas, il menaçait de porter plainte.

Acculés, Joseph et les employés n’eurent pas d’autre choix que celui d’échanger les billets et de prier pour l’arrivée de nouveaux actionnaires.

Bien qu’il n’eût que peu d’argent, Wilford Woodruff acheta vingt actions dans la Kirtland Safety Society. Son ami Warren Parrish en était le secrétaire. Wilford avait fait route vers l’ouest avec Warren et sa femme Betsy dans le camp d’Israël. À la mort de Betsy lors de l’épidémie de choléra, Warren et Wilford avaient fait une mission ensemble puis Warren était rentré à Kirtland et était devenu le secrétaire de Joseph et un ami de confiance.

Depuis sa mission, Wilford avait déménagé de lieu en lieu, vivant souvent aux dépens de la gentillesse d’amis tels que Warren. Mais après avoir rencontré Phebe Carter, il commença à songer au mariage, et l’investissement dans la Safety Society était un moyen d’accéder à l’autonomie financière avant de fonder une famille.

Fin janvier toutefois, l’établissement affrontait une crise. Pendant que Grandison Newell essayait d’en épuiser les réserves, les journaux locaux publiaient des articles mettant en doute sa légitimité. Comme d’autres dans le pays, certains saints avaient également spéculé sur des terres et des biens, espérant s’enrichir facilement. D’autres avaient négligé les paiements exigés par leurs actions. Rapidement, de nombreux ouvriers et entreprises de Kirtland et des alentours refusèrent les billets de la Safety Society.

Craignant la faillite, Joseph et Sidney fermèrent temporairement l’établissement et se rendirent dans une autre ville pour tenter de s’associer à une banque bien établie. Mais le mauvais départ de la Safety Society avait ébranlé la foi de nombreux saints, les amenant à remettre en question la direction spirituelle du prophète qui les avait incités à investir.

Par le passé, le Seigneur avait révélé des Écritures par l’intermédiaire de Joseph, leur simplifiant la tâche d’exercer leur foi en sa qualité de prophète de Dieu. Mais lorsque ses déclarations au sujet de la Safety Society ne s’accomplirent pas et que leurs investissements commencèrent à perdre de leur valeur, de nombreux saints furent troublés et le critiquèrent.

Wilford continua de croire en la réussite de l’établissement. Après s’être associé à une autre banque, le prophète revint à Kirtland et répondit aux plaintes de ses détracteurs. Plus tard, lors de la conférence générale, il parla aux saints des raisons pour lesquelles l’Église empruntait de l’argent et fondait des établissements tels que la Safety Society.

Il leur rappela qu’ils avaient commencé l’œuvre des derniers jours dans le dénuement et le Seigneur leur avait pourtant demandé de sacrifier leur temps et leurs talents pour se rassembler en Sion et construire un temple. Ces efforts, bien que coûteux, étaient indispensables au salut des enfants de Dieu. Pour faire avancer l’œuvre du Seigneur, les dirigeants de l’Église devaient trouver une solution pour la financer.

Joseph regrettait tout de même tout ce qu’ils devaient à leurs créanciers. Il admit : « Il est certain que nous leur sommes redevables, mais il suffit que nos frères et sœurs à l’étranger arrivent avec leur argent. » Il croyait que si des saints se rassemblaient à Kirtland et consacraient leurs biens au Seigneur, cela allégerait grandement les dettes de l’Église.

Pendant que Joseph parlait, Wilford sentit la puissance de ses paroles. Il pensa : « Oh puissent-elles être gravées à jamais sur notre cœur à l’aide d’une pointe d’acier afin que nous puissions les mettre en pratique. » Il se demandait comment quiconque pouvait entendre le prophète parler et douter encore qu’il soit appelé de Dieu.

Pourtant, les doutes subsistèrent. Mi-avril, l’économie de Kirtland empira tandis qu’une crise financière submergeait la nation. Des années de prêts excessifs avaient affaibli les banques en Angleterre et aux États-Unis causant une crainte généralisée d’un effondrement économique. Les banques demandaient le remboursement des dettes et certaines arrêtèrent même de consentir des prêts. Telle une traînée de poudre, la panique se propagea de ville en ville, les banques fermaient, les entreprises faisaient faillite et le chômage montait en flèche.

Dans ce climat, un établissement en difficulté tel que la Kirtland Safety Society avait peu de chances de s’en sortir. Le prophète ne pouvait pas faire grand-chose pour régler le problème, mais certains trouvèrent quand même plus facile de l’accuser lui plutôt que la crise économique nationale.

Très vite, des créanciers se mirent à harceler constamment Joseph et Sidney. Un homme porta plainte contre eux pour une dette non acquittée et Grandison Newell engagea des poursuites pénales à l’encontre du prophète, affirmant que ce dernier conspirait contre lui. Les jours passants, le prophète craignait de plus en plus d’être arrêté ou assassiné.

Wilford et Phebe étaient maintenant fiancés et avaient demandé à Joseph de les marier. Mais le jour de leur mariage, on ne le trouva nulle part et c’est Frederick Williams qui accomplit la cérémonie.

Peu après sa disparition soudaine, Emma reçut une lettre de sa main lui assurant qu’il était en sécurité. Sidney et lui avaient fui Kirtland, mettant ainsi de la distance entre eux et les personnes qui leur voulaient du mal. Leur lieu de refuge était secret, mais Newel Whitney et Hyrum savaient comment les contacter et les tenaient ainsi informés de loin.

Emma comprenait les dangers que courait Joseph. Lorsque sa lettre arriva, des hommes (probablement des amis de Grandison Newell) examinèrent le cachet de la poste pour tenter de découvrir l’endroit où il se trouvait. D’autres espionnaient son magasin en difficulté.

Bien qu’elle restât optimiste, elle était inquiète pour les enfants. Frederick, leur fils d’un an, était trop jeune pour comprendre ce qui se passait, mais à quatre et six ans, Joseph et Julia furent troublés lorsqu’ils apprirent que leur père n’allait pas rentrer tout de suite à la maison.

Emma savait qu’elle devait faire confiance au Seigneur, surtout maintenant que de nombreuses personnes à Kirtland optaient pour le doute et l’incrédulité. À la fin du mois d’avril, elle écrivit à Joseph : « Si je n’avais pas plus confiance en Dieu que certaines personnes que je pourrais nommer, ce serait bien triste en effet. Mais je crois encore que si nous nous humilions et sommes aussi fidèles que nous le pouvons, nous serons délivrés de tous les pièges placés à nos pieds. »

Elle était tout de même inquiète que les créanciers de Joseph profitent de son absence pour saisir tous les biens ou l’argent qu’ils pouvaient. Elle déplora : « Il m’est impossible de faire quoi que ce soit tant que tout le monde a plus de droits que moi sur tout ce qui est censé t’appartenir. »

Elle était pressée qu’il rentre. Il y avait maintenant peu de personnes à qui elle faisait confiance et elle n’était pas disposée à donner quoi que ce soit à qui que ce soit sinon pour liquider les dettes de Joseph. Et pour aggraver les choses, elle craignait que ses enfants aient été exposés aux oreillons.

Elle écrivit : « J’aimerais que tu puisses être à la maison s’ils sont malades. Tu dois penser à eux, car ils pensent tous à toi. »

Au milieu de ce tumulte, Parley et Thankful revinrent à Kirtland pour la naissance de leur bébé. Comme Heber l’avait prophétisé, Thankful mit au monde un petit garçon à qui ils donnèrent le nom de Parley. Mais elle souffrit énormément pendant l’accouchement et mourut quelques heures plus tard. Incapable de prendre soin de son nouveau-né, il le confia à une femme qui pouvait l’allaiter et repartit au Canada. Là-bas, il commença à envisager une mission en Angleterre avec l’aide de saints tels que Joseph Fielding qui avait envoyé des lettres au sujet de l’Évangile rétabli à des amis et des parents de l’autre côté de l’océan.

Après avoir terminé sa mission au Canada, Parley retourna en Ohio et épousa une jeune veuve appelée Mary Ann Frost. Il reçut également une lettre de Thomas Marsh, le président du Collège des Douze, l’exhortant à reporter sa mission en Angleterre jusqu’à ce que les apôtres puissent se réunir en collège cet été-là à Kirtland.

Pendant qu’il attendait que les autres apôtres se rassemblent, Joseph et Sidney revinrent à Kirtland pour régler leurs dettes et apaiser les tensions parmi les saints.

Quelques jours plus tard, Sidney rendit visite à Parley et lui dit qu’il était venu chercher les arriérés d’une dette. Quelque temps plus tôt, Joseph lui avait prêté deux mille dollars pour acheter des terres à Kirtland. Pour alléger ses propres dettes, Joseph les avait vendues depuis à la Safety Society et Sidney venait maintenant réclamer l’argent.

Parley lui dit qu’il n’avait pas les deux mille dollars, mais proposa de restituer les terres. Sidney lui répondit qu’il faudrait qu’il abandonne sa maison aussi pour solder la dette.

Parley fut hors de lui. Lorsqu’il lui avait vendu les terres, Joseph lui avait dit qu’il ne serait pas lésé dans la transaction. Et qu’en était-il de la bénédiction d’Heber Kimball lui promettant des richesses incalculables et l’affranchissement de ses dettes ? Maintenant, Parley avait le sentiment que Joseph et Sidney lui enlevaient tout ce qu’il possédait. S’il perdait ses terres et sa maison, qu’est-ce que sa famille et lui allaient devenir ?

Le lendemain, il envoya une lettre cinglante à Joseph. « Je suis maintenant totalement convaincu que toute la scène de spéculation dans laquelle nous sommes engagés est du diable, ce qui a donné libre cours au mensonge, à la tromperie et à l’abus de son prochain. » Il dit à Joseph qu’il croyait toujours au Livre de Mormon et aux Doctrine et Alliances, mais qu’il était troublé par ses actes.

Il exigeait que Joseph se repente et accepte les terres pour solder la dette. Autrement, il devrait l’attaquer en justice.

Il l’avertit : « Je me verrai dans l’obligation douloureuse de porter plainte contre toi pour extorsion, convoitise et abus de ton prochain. »

Le 28 mai, quelques jours après que Parley eut envoyé sa lettre à Joseph, Wilford Woodruff se rendit au temple pour une réunion dominicale. Alors que les dissidences augmentaient à Kirtland, il demeurait l’un des alliés les plus loyaux du prophète. Même Warren Parrish, qui avait travaillé pendant des années aux côtes de Joseph, avait commencé à le critiquer pour son rôle dans la crise financière et était rapidement devenu un dirigeant parmi les dissidents.

Wilford priait pour que l’esprit de contention dans l’Église se dissipe. Mais il n’allait pas rester à Kirtland beaucoup plus longtemps pour aider. Ces derniers temps, il s’était senti poussé à apporter l’Évangile aux îles Fox, au large de la côte du Maine, un État du Nord-Est, non loin de chez les parents de Phebe. En route, il espérait avoir la chance d’enseigner l’Évangile à ses propres parents et à sa jeune sœur. Phebe l’accompagnerait pour faire la connaissance de sa famille et l’emmènerait plus au nord rencontrer la sienne.

Aussi impatient qu’il était d’être avec sa famille, Wilford ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter au sujet de Joseph et de la situation de l’Église à Kirtland. Prenant place dans le temple, il vit Joseph au pupitre. Devant tant d’adversité, le prophète semblait abattu. Il avait perdu des milliers de dollars dans la faillite de la Safety Society, bien plus que quiconque. Et, contrairement à beaucoup d’autres, il n’avait pas abandonné l’établissement quand il avait commencé à fléchir.

Les yeux balayant l’assemblée, Joseph se défendit contre ses détracteurs en parlant au nom du Seigneur.

Pendant qu’il écoutait, Wilford put voir que le pouvoir et l’Esprit de Dieu reposaient sur Joseph. Il le sentit également descendre sur Sidney et d’autres lorsqu’ils prirent la parole et témoignèrent de l’intégrité de Joseph. Mais, avant la fin de la réunion, Warren se leva et dénonça Joseph devant l’assemblée.

Le cœur de Wilford se serra pendant qu’il écoutait la tirade. Il déplora : « Oh, Warren, Warren. »


CHAPITRE 24 : La vérité triomphera

Vers la fin du printemps 1837, les apôtres Thomas Marsh, David Patten et William Smith quittèrent leur foyer au Missouri et prirent la route de Kirtland. De nombreux saints en Sion étaient maintenant installés le long d’une rivière appelée Shoal Creek, à environ quatre-vingts kilomètres au nord-est d’Independence. Là, ils avaient fondé une petite ville nommée Far West, utilisant comme modèle à leur installation le plan de Joseph pour la ville de Sion. Espérant trouver une solution pacifique aux problèmes continuels des saints avec leurs voisins, le corps législatif du Missouri avait créé le comté de Caldwell, qui englobait les terres autour de Far West et de Shoal Creek pour l’établissement des saints.

Thomas était impatient de retrouver le reste des Douze, surtout lorsqu’il fut informé du désir de Parley d’apporter l’Évangile en Angleterre. La prédication de l’Évangile outre-mer était une étape importante dans l’œuvre du Seigneur et, en qualité de président du collège, Thomas voulait réunir les apôtres et planifier ensemble la mission.

Il s’inquiétait également au sujet des rapports, qu’il recevait, relatifs aux désaccords à Kirtland. Trois des dissidents, Luke et Lyman Johnson et John Boynton, étaient membres de son collège. À moins que les Douze ne soient plus unis, Thomas craignait que la mission en Angleterre soit infructueuse.

En Ohio, Heber Kimball voyait bien à quel point le Collège des Douze était divisé depuis l’ouverture de la Kirtland Safety Society six mois plus tôt. Lorsque les efforts de Joseph pour sortir l’Église des dettes avaient échoué, Orson Hyde, William McLellin et Orson Pratt avaient aussi commencé à lui en vouloir. Et maintenant avec Parley Pratt qui s’élevait contre lui, Brigham Young et Heber étaient les seuls apôtres loyaux restant à Kirtland.

Un jour, pendant qu’Heber était assis à côté du prophète à la chaire du temple, Joseph se pencha vers lui et dit : « Frère Heber, l’Esprit du Seigneur m’a murmuré : ‘Que mon serviteur Heber aille en Angleterre proclamer mon Évangile et ouvrir la porte du salut à cette nation.’ »

Heber fut stupéfait. Il n’était qu’un potier très peu instruit. L’Angleterre était la nation la plus puissante du monde et ses habitants étaient réputés pour leur instruction et leur dévouement religieux. Il pria : « Ô, Seigneur, je suis un homme à la langue mal assurée et tout à fait impropre à une telle œuvre. Comment puis-je aller prêcher dans ce pays ? »

Et sa famille ? Heber supportait difficilement l’idée de quitter Vilate et leurs enfants pour aller prêcher outre-mer. Il était certain que d’autres apôtres étaient plus qualifiés pour diriger la mission. Thomas Marsh était le doyen des apôtres et faisait partie des premiers à avoir lu le Livre de Mormon et à s’être joint à l’Église. Pourquoi le Seigneur ne l’enverrait-il pas lui ?

Ou pourquoi pas Brigham ? Heber demanda à Joseph si Brigham pouvait au moins l’accompagner en Angleterre. Brigham était avant lui par ordre d’ancienneté dans le collège parce qu’il était plus âgé.

Joseph dit non. Il voulait que Brigham reste à Kirtland.

Heber accepta l’appel avec réticence et se prépara à partir. Il pria quotidiennement au temple, demandant au Seigneur protection et pouvoir. La nouvelle de son appel se répandit rapidement dans tout Kirtland et d’autres soutinrent avec empressement sa décision de partir. Ils lui dirent : « Fais comme le prophète t’a dit et que le pouvoir te soit accordé de faire une œuvre merveilleuse. »

John Boynton était moins encourageant. Il se moqua : « Si tu es assez idiot pour répondre à l’appel d’un prophète déchu, ne compte pas sur moi pour t’aider. » Lyman Johnson aussi s’y opposait, mais, en voyant la détermination d’Heber, il retira son manteau et le lui plaça sur les épaules.

Peu après, Joseph Fielding arriva à Kirtland avec un groupe de saints canadiens et lui et plusieurs autres furent affectés à la mission, accomplissant la prophétie d’Heber que le service de Parley au Canada poserait les fondements d’une mission en Angleterre. Orson Hyde se repentit de sa désaffection et se joignit également au groupe. Enfin, Heber invita le cousin de Brigham, Willard Richards, à les accompagner.

Le jour du départ, Heber s’agenouilla avec Vilate et leurs enfants. Il pria Dieu de lui accorder de traverser l’océan en toute sécurité, de le rendre utile dans le champ de la mission et de pourvoir aux besoins de sa famille en son absence. Ensuite, les larmes coulant le long de ses joues, il bénit chacun de ses enfants et partit pour les Îles Britanniques.

La crise économique nationale se poursuivit jusqu’à l’été 1837. Jonathan Crosby, n’ayant plus d’argent et plus beaucoup de nourriture, cessa de travailler sur sa maison et se joignit à une équipe qui en construisait une pour Joseph et Emma. Mais Joseph ne pouvait payer les ouvriers qu’avec des billets de la Safety Society que de moins en moins d’entreprises à Kirtland acceptaient comme moyen de paiement. Les billets n’auraient bientôt plus aucune valeur.

Petit à petit, les hommes de l’équipe partirent à la recherche d’emplois mieux rémunérés. Mais avec la crise financière, il en restait peu à Kirtland et dans les environs ainsi que dans le reste du pays. Par conséquent, le coût des marchandises augmenta et la valeur des terres chuta brutalement. Peu de personnes à Kirtland avaient les moyens de subvenir à leurs besoins ou d’embaucher. Pour payer les dettes de l’Église, Joseph dut hypothéquer le temple, au risque qu’il soit saisi.

Pendant que Jonathan travaillait sur la maison du prophète, sa femme, Caroline, était souvent couchée, se remettant d’un mauvais rhume. Une infection au sein l’empêchait d’allaiter son fils et voyant leur réserve de nourriture diminuer, elle se demandait d’où viendrait le prochain repas. Ils avaient un petit potager qui produisait quelques légumes, mais pas de vache, ce qui les obligeait à acheter du lait à des voisins pour nourrir leur fils.

Caroline savait que beaucoup de leurs amis étaient dans la même situation. De temps à autre, quelqu’un partageait sa nourriture avec eux, mais avec tant de saints ayant du mal à joindre les deux bouts, il semblait que personne n’avait de quoi partager.

Au fil du temps, Caroline vit Parley Pratt, les Boynton et d’autres amis proches imputer leurs difficultés à l’Église. Jonathan et elle n’avaient pas perdu d’argent avec la Safety Society, mais la crise ne les avait pas épargnés non plus. Comme de nombreuses autres personnes, ils s’en sortaient à peine pourtant, ni elle ni Jonathan n’avaient le désir de quitter l’Église ou d’abandonner le prophète.

En fait, Jonathan travailla sur la maison des Smith jusqu’à ce qu’il soit le dernier de l’équipe. Lorsqu’ils n’eurent plus de nourriture, il prit une journée de congé pour trouver des provisions pour sa famille, mais rentra bredouille à la maison.

Qu’allons-nous faire maintenant ? demanda Caroline.

Jonathan savait qu’en dépit de leurs difficultés financières, Joseph et Emma avaient parfois de la nourriture à donner aux personnes qui en avaient moins qu’eux. Il dit : « Demain matin, j’irai dire à Emma où nous en sommes. »

Le lendemain, Jonathan repartit travailler sur la maison des Smith, mais avant qu’il ait eu l’occasion de parler à Emma, elle vint vers lui. Elle dit : « Je ne sais pas où vous en êtes de vos provisions, mais vous êtes venu travailler alors que tous les autres étaient partis. » Elle tenait un gros jambon dans les mains. « J’avais envie de vous faire un cadeau. »

Surpris, Jonathan la remercia et mentionna son garde-manger vide et la maladie de Caroline. Lorsqu’elle entendit cela, elle lui dit d’aller chercher un sac et de prendre autant de farine qu’il pouvait en porter.

Plus tard ce jour-là, Jonathan rapporta la nourriture à la maison et lorsque Caroline prit son premier repas depuis des jours, elle trouva que rien n’avait jamais été aussi savoureux.

Fin juin, à Kirtland, les dissidents devinrent plus agressifs. Menés par Warren Parrish, ils perturbaient les réunions du dimanche dans le temple et accusaient Joseph de toutes sortes de péchés. Si des saints tentaient de défendre le prophète, les dissidents les faisaient taire en criant plus fort et en les menaçant d’attenter à leurs jours.

Mary Fielding, qui s’était installée à Kirtland avec son frère avant qu’il ne parte pour l’Angleterre, était consternée par l’agitation qui régnait en Ohio. Lors d’une réunion dans le temple un matin, Parley Pratt appela Joseph au repentir et déclara que presque toute l’Église s’était détournée de Dieu.

Ses propos firent de la peine à Mary. La même voix qui lui avait enseigné l’Évangile condamnait maintenant le prophète de Dieu et l’Église. La lettre cinglante de Parley à Joseph avait circulé dans tout Kirtland et Parley lui-même ne taisait pas ses griefs. Un jour que John Taylor était en ville, il l’avait pris à part et l’avait averti qu’il ne devait pas suivre Joseph.

John lui rappela : « Avant de quitter le Canada tu as témoigné puissamment que Joseph était un prophète de Dieu et tu as dit que tu le savais par révélation et par le don du Saint-Esprit. »

John a alors témoigné : « J’ai maintenant le même témoignage que celui dont tu te réjouissais alors. Si l’œuvre était vraie il y a six mois, elle est vraie aujourd’hui. Si Joseph Smith était un prophète alors, il en est un maintenant. »

Sur ces entrefaites, Joseph tomba malade et ne put quitter le lit. Il était torturé de douleurs intenses et devint trop faible pour soulever sa tête. Emma et son médecin restaient à son chevet tandis qu’il perdait régulièrement connaissance. Sidney dit qu’il croyait que Joseph ne tarderait pas à mourir.

Ses détracteurs se délectaient de ses souffrances, disant que Dieu le châtiait pour ses péchés. Beaucoup d’amis du prophète, cependant, allèrent au temple et prièrent toute la nuit pour sa guérison.

Avec le temps, il commença à récupérer et Mary lui rendit visite accompagnée de Vilate Kimball. Il dit que le Seigneur l’avait réconforté pendant sa maladie. Mary était contente de voir qu’il allait mieux et l’invita à rendre visite aux saints qui habitaient au Canada lorsqu’il serait rétabli.

Le dimanche suivant, elle assista à une autre réunion dans le temple. Joseph était encore trop faible pour participer donc Warren Parrish marcha à grandes enjambées vers la chaire et s’assit à la place du prophète. Hyrum, qui dirigeait la réunion, ne réagit pas à la provocation, mais prêcha un long sermon sur la situation de l’Église. Mary admira l’humilité avec laquelle il rappelait aux saints leurs alliances.

Il dit à l’assemblée : « J’ai le cœur doux, j’ai l’impression d’être un petit enfant. » La voix remplie d’émotion, il leur promit que l’Église allait à l’instant même commencer à se relever.

Quelques jours plus tard, Mary écrivit à sa sœur Mercy. Elle dit : « Je me sens vraiment poussée à espérer que sous peu l’ordre et la paix seront rétablis dans l’Église. Unissons-nous tous de tout cœur en prière pour cela. »

Un mois plus tard, Joseph Fielding, le frère de Mary, descendait d’une diligence dans les rues de Preston. La petite ville, nichée au cœur de prairies verdoyantes, était le centre industriel de l’Angleterre occidentale. De hautes cheminées s’élevant au-dessus des nombreuses usines et moulins de la ville crachaient des nuages de fumée grise qui dissimulaient les flèches de multiples églises dans un brouillard de suie. La Ribble fendait le centre de la ville, ondulant jusqu’à la mer.

Les missionnaires pour l’Angleterre étaient arrivés au port de Liverpool deux jours plus tôt. Suivant l’inspiration de l’Esprit, Heber avait commandé aux hommes de se rendre à Preston où le frère de Joseph Fielding, James, était prédicateur. Joseph et ses sœurs avaient correspondu avec lui, lui racontant leur conversion et témoignant de l’Évangile rétabli de Jésus-Christ. James avait paru s’intéresser à ce qu’ils avaient écrit et avait parlé à son assemblée de Joseph Smith et des saints des derniers jours.

Les missionnaires arrivèrent à Preston le jour d’une élection et, pendant qu’ils marchaient le long des rues, des ouvriers déployèrent une bannière par une fenêtre juste au-dessus de leurs têtes. Son message, écrit en lettres d’or, n’était pas à leur intention, mais il les encouragea tout de même : La vérité triomphera.

Ils s’écrièrent : « Amen ! Louange à Dieu, la vérité triomphera ! »

Joseph Fielding partit immédiatement à la recherche de son frère. Depuis son départ de Kirtland, il avait prié pour que le Seigneur prépare James à recevoir l’Évangile. Comme lui, il chérissait le Nouveau Testament et cherchait à vivre conformément à ses préceptes. S’il acceptait l’Évangile rétabli, il pourrait être d’une grande aide aux missionnaires et à l’œuvre du Seigneur.

Lorsque Joseph et les missionnaires le trouvèrent chez lui, il les invita à prêcher le lendemain matin depuis sa chaire dans la chapelle de Vauxhall. Joseph croyait que l’intérêt de son frère dans leur message était l’œuvre du Seigneur, mais il comprenait également tout ce qu’il pouvait perdre en leur ouvrant ses portes.

La prédication était son gagne-pain. S’il acceptait l’Évangile rétabli, il se retrouverait sans emploi.

Sur la route entre Far West et Kirtland, Thomas Marsh, David Patten et William Smith furent surpris de rencontrer Parley Pratt qui partait dans la direction opposée. Essayant de compenser ses pertes, Parley avait vendu des terres, encaissé ses actions dans la Safety Society et partait seul pour le Missouri.

Toujours décidé à rétablir l’unité au sein du Collège des Douze, Thomas l’exhorta à retourner à Kirtland avec eux. Ce dernier n’était pas pressé de retourner là où il avait subi tant de chagrins et de déceptions. Néanmoins, Thomas insista pour qu’il revienne sur sa décision, convaincu qu’il pouvait se réconcilier avec le prophète.

Parley y réfléchit. Lorsqu’il avait écrit la lettre à Joseph, il s’était dit que c’était pour le bien du prophète. Mais il savait qu’il se leurrait. Il n’avait pas appelé Joseph au repentir dans un esprit d’humilité. Il l’avait plutôt agressé verbalement en représailles.

Il se rendit également compte que son sentiment de trahison l’avait rendu aveugle aux épreuves du prophète. Il avait eu tort de le condamner et de l’accuser d’égoïsme et de cupidité.

Honteux, Parley décida de retourner à Kirtland avec Thomas et les autres apôtres. Une fois arrivés, ils se rendirent chez Joseph. Il était encore en convalescence, mais il reprenait des forces. Parley pleura lorsqu’il le vit et s’excusa pour tout ce qu’il avait dit et fait pour le blesser. Joseph lui pardonna, pria pour lui et lui donna une bénédiction.

Pendant ce temps, Thomas tentait de rétablir l’unité parmi les autres membres des Douze. Il réussit à réconcilier Orson Pratt et Joseph, mais William McLellin avait déménagé et les frères Johnson et John Boynton ne voulaient rien savoir.

Thomas lui-même commença à maugréer lorsqu’il apprit que Joseph avait envoyé Heber Kimball et Orson Hyde en Angleterre sans le consulter. En qualité de président des Douze, la direction de l’œuvre missionnaire et de la mission en Angleterre n’était-elle pas sa responsabilité ? N’était-il pas venu à Kirtland pour mobiliser les Douze et les envoyer outre-mer ?

Il pria pour Heber et Orson et l’œuvre qu’ils accomplissaient à l’étranger, mais il avait du mal à réprimer son ressentiment et son orgueil froissé.

Le 23 juillet, il en parla à Joseph. Ils résolurent leur différend pendant leur rencontre et Joseph reçut une révélation à son intention. Le Seigneur lui assura : « Tu es l’homme que j’ai choisi pour détenir les clefs de mon royaume, en ce qui concerne les Douze, au dehors, parmi toutes les nations. » Il lui pardonna ses péchés et l’exhorta à se réjouir.

Mais il affirma que les Douze agissaient sous l’autorité de Joseph et de ses conseillers dans la Première Présidence, même dans les affaires relatives à l’œuvre missionnaire. Le Seigneur dit : « Va en quelque lieu qu’ils t’envoient, et je serai avec toi. » Il dit à Thomas que l’obéissance aux recommandations de la Première Présidence ouvrirait la voie à un plus grand succès dans le champ de la mission.

Il promit : « En quelque lieu que tu proclames mon nom, une porte efficace te sera ouverte pour qu’ils reçoivent ma parole. »

Le Seigneur lui fit également savoir comment réparer son collège divisé. Il dit : « Sois humble, et le Seigneur, ton Dieu, te conduira par la main et te donnera la réponse à tes prières. »

Il exhorta Thomas et les Douze à mettre de côté leurs différends avec Joseph et à se concentrer sur leur mission. Il continua : « Veillez à ne pas vous faire de souci concernant les affaires de l’Église en ce lieu […] mais purifiez-vous le cœur devant moi et allez ensuite dans le monde entier prêcher mon Évangile à toutes les créatures. »

Il dit : « Voyez comme votre appel est grand. »


CHAPITRE 25 : Partez vous installer dans l’Ouest

Pendant le petit séjour de Jennetta Richards à Preston, en Angleterre, en août 1837, elle entendit ses amis Ann et Thomas Walmesley beaucoup parler d’un groupe de missionnaires venus d’Amérique.

Ann était malade depuis des années, dépérissant jusqu’à ce qu’il ne lui reste plus que la peau sur les os. Lorsque Heber Kimball l’avait instruite, il avait promis qu’elle serait guérie si elle faisait preuve de foi, se repentait et entrait dans les eaux du baptême. Ann s’était fait baptiser dans la nouvelle Église, ainsi que huit autres personnes, et sa santé s’améliorait constamment.

Parmi les personnes qui se faisaient baptiser, beaucoup avaient appartenu à l’assemblée de James Fielding. Bien qu’il ait autorisé les missionnaires à prêcher dans son église, le révérend Fielding refusa le baptême et fut mécontent de perdre ses paroissiens.

Jennetta était intriguée par le message des missionnaires américains. Elle habitait dans le petit village rural de Walkerfold, à plus de vingt kilomètres des cheminées et des rues encombrées de Preston. Son propre père était un pasteur chrétien du village et elle avait donc grandi avec la parole de Dieu dans son foyer.

Maintenant, à quelques semaines de son vingtième anniversaire, elle était curieuse d’en apprendre davantage sur la vérité de Dieu. Lorsqu’elle rendit visite aux Walmesley, elle rencontra Heber et fut frappée par ce qu’il dit au sujet d’anges, d’annales anciennes gravées sur des plaques d’or et d’un prophète vivant qui recevait des révélations de Dieu, comme les prophètes de jadis.

Heber invita Jennetta à l’écouter prêcher ce soir-là. Elle y alla, écouta et voulut en entendre davantage. Le lendemain, elle l’écouta de nouveau prêcher et sut que ses paroles étaient vraies.

Le matin suivant, elle demanda à Heber de la baptiser. Accompagné d’Orson Hyde, il la suivit sur les berges de la Ribble et il la plongea dans l’eau. Ensuite, les deux hommes la confirmèrent sur les berges du fleuve.

Après son baptême, Jennetta voulait rester à Preston avec les autres saints, mais elle devait retourner auprès de ses parents à Walkerfold. Elle était impatiente de leur parler de sa nouvelle religion, mais ne savait pas comment son père réagirait en apprenant sa décision de se joindre aux saints.

Heber lui dit : « Le Seigneur adoucira le cœur de ton père. J’aurai même la chance de prêcher dans son église. »

Espérant qu’il ait raison, Jennetta lui demanda de prier pour elle.

Cet été-là, Joseph se rendit au Canada pour rendre visite aux saints à Toronto. En son absence, lors de la réunion du dimanche dans le temple de Kirtland, Joseph, père, parla de la Safety Society chancelante. Il prit la défense de son fils et condamna les actions des dissidents qui étaient assis à l’autre bout de la pièce.

Pendant que le patriarche s’adressait aux saints, Warren Parrish se leva et exigea la parole. Joseph, père, lui dit de ne pas l’interrompre mais Warren traversa la pièce en courant et força le passage jusqu’à la chaire. Il saisit Joseph, père, et essaya de le déloger du pupitre. Le patriarche appela Oliver Cowdery au secours, lequel était juge de paix local, mais celui-ci ne fit rien pour venir en aide à son vieil ami.

Voyant son père en danger, William Smith bondit sur ses pieds, ceintura Warren et le traîna en bas de l’estrade. John Boynton se jeta sur William en dégainant une épée. Il pointa la lame sur sa poitrine et menaça son collègue apôtre de le transpercer s’il faisait un pas de plus. D’autres dissidents sortirent des couteaux et des pistolets de leurs poches et encerclèrent William.

Le temple fut plongé dans le chaos. Des gens se ruèrent vers les portes ou s’échappèrent par des fenêtres voisines. Des policiers firent irruption dans la pièce, se frayèrent un passage dans la foule en fuite et luttèrent contre les hommes armés.

Quelques semaines plus tard, lorsque Joseph revint à Kirtland et apprit ce qui s’était passé, il convoqua les saints en urgence à une conférence et demanda un vote de soutien pour chacun des dirigeants de l’Église. Les saints le soutinrent, lui et la Première Présidence, mais démirent John Boynton, Luke Johnson et Lyman Johnson de leur appel de membre du Collège des Douze.

Le vote de confiance était rassurant, mais Joseph savait que les problèmes de Kirtland étaient loin d’être terminés. Étant le seul pieu dans l’Église, Kirtland était censé offrir aux saints un lieu de rassemblement. Mais, économiquement et spirituellement, la ville était en difficulté, et les dissidents montaient les membres vulnérables contre lui. Pour de nombreuses personnes, Kirtland avait cessé d’être un lieu de paix et de force spirituelle.

Récemment, dans une vision, le Seigneur avait exhorté Joseph à créer de nouveaux pieux de Sion et à élargir les frontières de l’Église. Joseph et Sidney croyaient que le moment était maintenant venu d’aller au Missouri, d’inspecter la nouvelle colonie à Far West et de créer d’autres pieux comme lieux de rassemblement pour les saints.

Joseph devait aussi rendre visite au Missouri pour d’autres raisons. Il craignait que l’apostasie à Kirtland n’ait affecté les dirigeants de l’Église en Sion. Quand ils avaient fondé Far West, John Whitmer et William Phelps n’avaient pas consulté l’épiscopat ni le grand conseil, comme la révélation le commandait. Ils avaient également acheté des terres en leur nom avec l’argent des dons et les avaient vendues pour leur bénéfice personnel.

Bien que les deux hommes aient reconnu leur faute, Joseph et d’autres dirigeants de l’Église les soupçonnaient d’être encore malhonnêtes dans leur gestion des terres au Missouri.

Joseph s’inquiétait également de l’influence des membres de la Première Présidence qui s’apprêtaient à emménager à Far West. Frederick Williams et lui s’étaient affrontés au sujet de la gestion de la Kirtland Safety Society et leur amitié en avait souffert. Entre-temps, Oliver était troublé de voir Joseph prendre plus activement part à l’économie et à la politique locales. David Whitmer, le président de l’Église au Missouri, et lui, trouvaient que Joseph exerçait une trop grande influence sur les affaires temporelles dans son rôle de prophète.

Bien que ces hommes n’aient pas pactisé avec Warren Parrish et les autres dissidents, leur loyauté à l’égard du prophète avait faibli au cours des huit derniers mois et Joseph s’inquiétait qu’ils ne causent des problèmes en Sion.

Avant de quitter Kirtland, Joseph demanda à son frère Hyrum et à Thomas Marsh de le précéder à Far West pour avertir les saints fidèles du désaccord croissant qui existait entre lui et ces hommes. Pour Hyrum, cela signifiait laisser sa femme, Jerusha, alors qu’elle était à quelques semaines à peine d’accoucher de leur sixième enfant, mais il accepta la mission.

La dispute d’Oliver avec le prophète allait au-delà des désaccords quant à la manière de diriger l’Église. Depuis qu’il avait pris connaissance du mariage plural dans sa traduction inspirée de la Bible, Joseph avait su que parfois, Dieu commandait à son peuple de pratiquer ce principe. Joseph n’avait pas immédiatement agi, mais quelques années plus tard un ange du Seigneur lui avait commandé d’épouser une autre femme.

Après avoir reçu le commandement, Joseph avait eu du mal à vaincre son aversion naturelle pour l’idée. Il pouvait prévoir les épreuves qui découleraient du mariage plural et il voulait s’en détourner. Mais l’ange l’exhorta à agir et lui commanda de ne faire part de cette révélation qu’aux personnes dont l’intégrité était indéfectible. L’ange lui commanda aussi d’en préserver la confidentialité jusqu’à ce que le Seigneur juge bon de rendre la pratique publique par l’intermédiaire de ses serviteurs choisis.

Pendant les années où Joseph vécut à Kirtland, une jeune fille appelée Fanny Alger travaillait chez les Smith. Joseph connaissait bien sa famille et lui faisait confiance. Ses parents étaient des saints fidèles qui s’étaient joints à l’Église dans sa première année. Son oncle, Levi Hancock, avait participé à l’expédition du camp d’Israël.

Suivant le commandement du Seigneur, Joseph demanda Fanny en mariage avec l’aide de Levi et l’approbation des parents de la jeune fille. Fanny accepta les enseignements de Joseph et sa demande, et son oncle accomplit la cérémonie.

Puisque le moment n’était pas encore venu d’enseigner le mariage plural dans l’Église, le mariage de Joseph et Fanny resta confidentiel, comme l’ange l’avait commandé. Mais les rumeurs circulaient parmi certaines personnes à Kirtland. À l’automne 1836, Fanny avait déménagé.

Oliver critiquait sévèrement la relation de Joseph avec Fanny, mais rien de ce qu’il savait n’était très clair. Nous ne savons pas non plus exactement si Emma était au courant du mariage. Avec le temps, Fanny épousa un autre homme et vécut loin du groupe principal de saints. Plus tard, elle reçut une lettre de son frère l’interrogeant sur son mariage plural avec Joseph.

Elle répondit : « C’est une affaire qui ne regarde que nous et je n’ai rien à déclarer. »

À l’automne 1837, pendant que Joseph et Sidney partaient pour Far West, Wilford Woodruff était missionnaire parmi des pêcheurs et des baleiniers sur les îles Fox dans l’océan Atlantique Nord. Lui et son collègue, Jonathan Hale, étaient arrivés sur l’une de ces îles battues par les éléments les dernières semaines d’août. Aucun des deux ne savait grand-chose de l’endroit, qui était recouvert d’épaisses forêts de conifères, mais ils voulaient participer à l’accomplissement de la prophétie d’Ésaïe que le peuple du Seigneur se rassemblerait des îles de la mer.

Avant que les deux hommes ne partent, certains dissidents avaient tenté de décourager Jonathan d’aller sur les îles Fox, prédisant qu’il n’y baptiserait personne. Il ne voulait pas leur donner raison.

Wilford et Jonathan travaillaient ensemble depuis quelques mois déjà. Après avoir quitté Kirtland, ils avaient essayé de parler de l’Évangile à la famille de Wilford, dans le Connecticut, mais son oncle, sa tante et son cousin étaient les seuls à s’être fait baptiser. Phebe Woodruff les avait rejoints peu après et ils avaient longé la côte jusque chez ses parents dans le Maine où elle resta pendant qu’ils poursuivaient leur mission.

L’un des premiers contacts de Wilford et de Jonathan sur les îles fut un pasteur appelé Gideon Newton. Wilford et Jonathan avaient pris un repas avec sa famille et lui avaient donné un Livre de Mormon. Ensuite, les missionnaires étaient allés dans son église et Wilford avait prêché en s’appuyant sur le Nouveau Testament.

Les quelques jours qui suivirent, ils prêchèrent quotidiennement, souvent dans des écoles. Ils trouvèrent les habitants des îles intelligents, vaillants et aimables. Gideon et sa famille participaient à la plupart de leurs réunions. Le pasteur étudia le Livre de Mormon et sentit l’Esprit témoigner de sa véracité. Mais il ne savait pas s’il pouvait l’accepter, surtout si cela signifiait abandonner ses fidèles.

Un matin, après plus d’une semaine sur les îles, Wilford prêcha un sermon à une grande assemblée dans l’église de Gideon. L’accueil chaleureux que le sermon reçut inquiéta le pasteur qui fit front aux missionnaires plus tard ce jour-là. Il leur dit qu’il avait suffisamment lu le Livre de Mormon et qu’il ne pouvait pas y adhérer. Il avait l’intention d’user de toute son influence sur les îles pour mettre un terme à leur prédication.

Il partit à l’église prêcher son propre sermon, laissant Wilford et Jonathan dubitatifs quant à leur succès futur sur l’île. Mais quand Gideon arriva à son église, il la trouva déserte. Personne n’était venu l’entendre prêcher.

Ce soir-là, Wilford et Jonathan logèrent chez le capitaine Justus Eames et sa femme, Betsy. Les Eames s’intéressèrent au message des missionnaires et après une réunion du dimanche, Wilford les invita à se faire baptiser. À sa grande joie, ils acceptèrent.

Se tournant vers Jonathan, Wilford lui rappela que les dissidents de Kirtland avaient prédit leur échec sur les îles. Désignant Justus, il dit : « Va le baptiser et prouve-leur qu’ils sont de faux prophètes. »

Occupé à sa tâche à Far West, Hyrum attendit l’arrivée de son frère, espérant chaque jour que Joseph rapporterait des nouvelles de Jerusha. Hyrum et Thomas avaient trouvé la ville de Far West florissante. Les saints avaient tracé des rues larges et des lots spacieux pour les maisons et les jardins. Les enfants riaient et jouaient dans les rues, évitant les chevaux, les chariots et les charrettes qui passaient près d’eux. La ville comptait des maisons, des cabanes, un hôtel et plusieurs boutiques et magasins, notamment celui de l’évêque. Un site réservé au temple se trouvait en son centre.

Joseph et Sidney arrivèrent à Far West début novembre, mais ils n’avaient pas de nouvelles pour Hyrum. Quand ils avaient quitté Kirtland quelques semaines auparavant, Jerusha n’avait toujours pas accouché.

Joseph convoqua rapidement une conférence à Far West pour discuter des moyens d’aménager la ville en vue d’une expansion future. Sidney et lui voyaient que la région avait suffisamment d’espace pour permettre aux saints de se rassembler en plus grand nombre sans empiéter sur leurs voisins et risquer d’autres actes de violence. Lors de la conférence, Joseph annonça leurs plans d’expansion et reporta les travaux sur le nouveau temple jusqu’à ce que le Seigneur révèle sa volonté concernant le bâtiment.

Le prophète demanda aux saints de Far West un vote de soutien en faveur des dirigeants de l’Église. Cette fois-ci, Frederick Williams fut démis de son office dans la Première Présidence et Sidney Rigdon nomma Hyrum à sa place. Les saints approuvèrent la nomination.

Quelques jours plus tard, Hyrum reçut les nouvelles tant attendues dans une lettre provenant de Kirtland. Mais elle était écrite par son frère Samuel, et non par Jerusha. Elle commençait : « Cher frère Hyrum, ce soir, c’est par devoir que je m’assois pour t’écrire, sachant que tout homme raisonnable veut savoir exactement comment va sa famille. »

Les yeux d’Hyrum balayaient la page. Jerusha avait mis au monde une petite fille en bonne santé, mais l’accouchement l’avait affaiblie. La famille Smith avait essayé de la soigner, mais elle était décédée au bout de quelques jours.

Hyrum et Joseph commencèrent immédiatement à se préparer à retourner à Kirtland. Avant de partir, Joseph rencontra Thomas et Oliver en privé. Ils parlèrent des objections d’Oliver contre le mariage de Joseph à Fanny Alger, mais leur différend ne fut pas résolu. Finalement, Joseph tendit la main à Oliver et dit qu’il voulait abandonner tout désaccord entre eux. Oliver lui serra la main et ils se séparèrent.

Joseph, Sidney et Hyrum arrivèrent à Kirtland quelques semaines plus tard. Hyrum retrouva chez des parents ses cinq enfants pleurant encore la disparition soudaine de leur mère, qui était enterrée dans le cimetière à côté du temple. Il ne savait pas du tout comment il allait pouvoir s’occuper d’eux, seul, et avec ses nouvelles responsabilités dans la Première Présidence.

Joseph encouragea son frère à se remarier et lui recommanda Mary Fielding. Elle était aimable, cultivée et engagée envers l’Église. Elle ferait une compagne excellente pour Hyrum et une mère attentionnée pour ses enfants.

Hyrum demanda Mary en mariage peu de temps après. À trente-six ans, on lui avait fait plus d’une demande en mariage, mais elle avait toujours refusé. Une fois, sa mère l’avait mise en garde de ne jamais épouser un veuf avec des enfants. Si elle acceptait d’épouser Hyrum, elle devenait instantanément mère de six enfants.

Mary réfléchit à la demande et accepta. Elle admirait déjà la famille Smith, considérait Joseph comme un frère et respectait Hyrum pour son humilité. Ils se marièrent la veille de Noël.

Beaucoup de saints furent soulagés d’avoir Joseph de retour à Kirtland, mais tout espoir qu’il puisse rétablir la bonne entente au sein de l’Église s’évanouit très vite. Warren Parrish, Luke Johnson et John Boynton se réunissaient chaque semaine avec Grandison Newell et d’autres ennemis de l’Église pour condamner la Première Présidence. D’anciens piliers, tels que Martin Harris, se joignirent rapidement à eux et à la fin de l’année, les principaux dissidents avaient fondé leur propre église.

Peu après, Vilate Kimball écrivit à son mari en Angleterre à propos de la situation de l’Église en Ohio. Connaissant l’amour d’Heber pour Luke Johnson et John Boynton, qui avaient été membres du collège comme lui, Vilate hésitait à lui annoncer les terribles nouvelles.

Elle écrivit : « Je ne doute pas que cela te fasse mal au cœur. Ils prétendent croire au Livre de Mormon et aux Doctrine et Alliances, mais leurs œuvres prouvent le contraire. »

À la fin de la lettre, Marinda Hyde ajouta un mot pour son mari, Orson. Luke Johnson était son frère aîné et son apostasie lui brisait également le cœur. Elle écrivit : « Tu n’as jamais vu une situation à Kirtland comme celle dans laquelle nous sommes maintenant car il semble que toute confiance mutuelle ait disparu. » Elle devait veiller et prier pour savoir la marche à suivre dans ces temps périlleux.

Elle dit à son mari : « S’il y a un moment de ma vie où j’ai voulu te voir, c’est bien maintenant. »

Rien ne semblait modérer les sentiments des dissidents. Ils affirmaient que Joseph et Sidney avaient mal géré la Kirtland Safety Society et escroqué les saints.. Warren croyait qu’un prophète devait être plus pieux que les autres personnes et il se servit de la faillite de la Safety Society pour montrer à quel point Joseph en était loin.

Après avoir essayé pendant des mois de se réconcilier avec les chefs des dissidents, le grand conseil de Kirtland les excommunia. Ceux-ci s’emparèrent du temple pour leurs propres réunions et menacèrent de chasser de Kirtland toute personne qui se montrait loyale à l’égard de Joseph.

Vilate croyait qu’ils avaient tort de tourner le dos aux saints mais c’est plus du chagrin qu’elle éprouvait pour eux que de la colère. Elle écrivit à Heber : « Après tout ce que j’ai dit au sujet de ce groupe de dissidents, j’aime certains d’entre eux et je les plains sincèrement. » Elle savait que l’effondrement de la Safety Society les avait éprouvés spirituellement et matériellement. Elle aussi avait pensé que Joseph avait fait des erreurs dans sa gestion de l’établissement mais elle n’avait pas perdu confiance au prophète.

Elle dit à Heber : « J’ai toutes les raisons de croire que Joseph s’est humilié devant le Seigneur et s’est repenti. » Et elle était sûre que l’Église tiendrait le coup.

Elle écrivit : « Le Seigneur dit : celui qui ne supporte pas le châtiment mais me renie ne peut être sanctifié. » Cela voulait peut-être dire qu’elle serait seule face à l’hostilité à Kirtland mais les enfants et elle attendaient qu’Heber rentre de mission. Ou, si la situation empirait, cela pouvait signifier abandonner leur maison et partir s’installer au Missouri.

Elle dit à Heber : « Si nous devons fuir, je le ferai. »

À l’aube de la nouvelle année, les dissidents de Kirtland se firent plus amers et agressifs. Les menaces des émeutiers planaient sur l’Église et le prophète était harcelé par les dettes et les poursuites judiciaires sans fondement. Très vite, un shérif local armé d’un mandat d’arrêt commença à le rechercher. S’il était attrapé, Joseph risquait un procès coûteux et peut-être l’emprisonnement.

Le 12 janvier 1838, le prophète rechercha l’aide du Seigneur et reçut une révélation. Le Seigneur commanda : « Que la présidence de mon Église prenne chacun sa famille et déménage dans l’Ouest, aussi loin que le chemin est tracé. »

Le Seigneur exhorta les amis de Joseph et leur famille à se rassembler aussi au Missouri. Il déclara : « Soyez en paix les uns avec les autres, sinon vous ne serez pas en sécurité. »

Les Smith et les Rigdon organisèrent immédiatement leur fuite. Les deux hommes se glisseraient hors de Kirtland cette nuit-là et leur famille suivrait peu après en chariot.

Ce soir-là, bien après la tombée de la nuit, Joseph et Sidney grimpèrent sur leurs chevaux et quittèrent la ville. Ils voyagèrent en direction du sud jusqu’au matin, parcourant quelque cent kilomètres. Lorsque leurs chevaux furent épuisés, les hommes s’arrêtèrent et attendirent leur femme et leurs enfants.

Ni Joseph ni Sidney ne pensaient revoir Kirtland un jour. Lorsque leurs familles arrivèrent, les hommes montèrent avec elles dans les chariots et prirent la route de Far West.


CHAPITRE 26 : Une terre sainte et consacrée

L’hiver 1838 fut long et froid. Pendant que les familles de Joseph et de Sidney avançaient vers l’ouest, Oliver Cowdery parcourait péniblement le nord du Missouri, luttant contre la neige et la pluie pour chercher des lieux susceptibles d’accueillir de nouveaux pieux de Sion. Les terres faisaient partie des plus belles qu’il eût jamais vues et il prospecta des dizaines d’endroits où les saints pourraient bâtir des villes et des fabriques. Cependant, il trouva peu de nourriture dans ces contrées faiblement colonisées et la nuit, il n’avait que de la terre humide pour s’allonger.

Quand il revint à Far West trois semaines plus tard, il était épuisé. Lorsqu’il eut repris des forces, il apprit que Thomas Marsh, David Patten et le grand conseil enquêtaient sur lui et sur la présidence de l’Église du Missouri (David Whitmer, John Whitmer et William Phelps) pour cause de mauvaise conduite.

Les accusations portaient sur leur gestion des terres de la région. Quelque temps auparavant, John et William avaient vendu des propriétés de l’Église à Far West et s’étaient approprié les bénéfices ; l’affaire n’avait jamais été élucidée. De plus, Oliver, John et William avaient récemment vendu une partie de leurs terres dans le comté de Jackson. Même s’ils avaient légalement le droit de vendre ces terres, qui leur appartenaient, elles avaient été consacrées au Seigneur et une révélation leur interdisait de le faire. Non seulement les trois hommes avaient rompu l’alliance sacrée mais ils avaient fait preuve d’un manque de foi en Sion.

Lorsqu’il comparut devant le grand conseil du Missouri, Oliver insista sur le fait qu’ils pouvaient vendre selon leur bon plaisir puisque lui et les autres avaient payé les terres du comté de Jackson avec leur propre argent. En privé, il remit en question les motivations de certains membres du conseil. Il se méfiait des hommes comme Thomas Marsh et d’autres, qui semblaient briguer les postes et l’autorité. Oliver les soupçonnait d’avoir dressé Joseph contre lui, ajoutant une tension à son amitié déjà fragilisée avec le prophète.

Il confia à son frère : « Une telle course au pouvoir me rend malade. Je suis venu dans cette région pour être en paix. Si je n’y parviens pas, j’irai où je peux. »

Du fait qu’Oliver était membre de la Première Présidence, il était hors de la juridiction du grand conseil et conserva son appel. En revanche, David, John et William furent démis de leur poste.

Quatre jours plus tard, Oliver rencontra les trois hommes et plusieurs autres qui étaient impatients de se séparer de l’Église. Beaucoup d’entre eux étaient des partisans de Warren Parrish et de sa nouvelle église à Kirtland. Comme lui, ils étaient décidés à s’opposer au prophète.

Jour après jour, alors que les saints attendaient le retour de Joseph à Far West, le mépris d’Oliver pour les dirigeants de l’Église grandissait. Il doutait qu’ils comprennent pourquoi il agissait comme il le faisait. Il ricanait : « Nous ne nous attendons pas à être applaudis ou approuvés par les déraisonnables et les ignorants. »

Il avait toujours foi dans le Livre de Mormon et le rétablissement de l’Évangile, et il ne pouvait pas oublier ni nier les expériences sacrées qu’il avait vécues avec le prophète. Ils avaient été frères et meilleurs amis, compagnons de service de Jésus-Christ.

Mais à présent, ces jours n’étaient plus qu’un lointain souvenir.

Une fois que Jennetta Richards fut de retour chez elle à Walkerfold, en Angleterre, ses parents, John et Ellin Richards, manifestèrent de l’intérêt pour Heber Kimball et son baptême. Prenant de quoi écrire, son père rédigea une courte lettre à l’attention du missionnaire, l’invitant à prêcher dans son église.

Il écrivit : « Vous êtes attendu ici dimanche prochain. Bien que nous soyons étrangers l’un pour l’autre, j’espère que nous ne sommes pas étrangers à notre Rédempteur béni. »

Heber arriva le samedi suivant et le révérend l’accueillit chaleureusement. Il dit : « Si j’ai bien compris, vous êtes le pasteur arrivé récemment d’Amérique. Que Dieu vous bénisse ! » Il fit entrer Heber chez lui et lui offrit à manger.

La famille discuta avec lui jusque tard dans la soirée. En regardant les deux hommes faire connaissance, Jennetta remarqua leurs différences. Son père avait soixante-douze ans et avait prêché à la chaire de Walkerfold pendant plus de quarante ans. Il était petit, portait une perruque brune et lisait le grec et le latin. Heber, en revanche, était grand, large d’épaules et chauve. Il n’avait pas encore quarante ans, était peu instruit et manquait de raffinement.

Pourtant, ils devinrent de très bons amis. Le lendemain matin, les deux hommes marchèrent ensemble jusqu’à la chapelle de Walkerfold. Sachant qu’un missionnaire américain allait prêcher, il vint plus de gens que d’habitude à la réunion et la minuscule chapelle était bondée. Une fois que le révérend eut ouvert la réunion avec un chant et une prière, il invita Heber à prêcher.

Ce dernier prit la chaire et s’adressa à l’assemblée avec le vocabulaire d’un homme ordinaire. Il parla de l’importance de la foi en Jésus-Christ et du repentir sincère. Il dit qu’il fallait se faire baptiser par immersion et recevoir le don du Saint-Esprit par quelqu’un qui avait l’autorité appropriée de Dieu.

Comme les convertis au Canada un an plus tôt, les habitants de Walkerfold acceptèrent facilement le message, lequel était conforme à leur compréhension de la Bible. Cet après-midi-là, d’autres personnes vinrent écouter Heber prêcher de nouveau. Lorsqu’il eut terminé, l’assemblée était en larmes et le père de Jennetta l’invita à prêcher le lendemain.

Bientôt Jennetta ne fut plus la seule croyante de Walkerfold. Après le sermon du lundi, l’assemblée le supplia de prêcher de nouveau le mercredi. À la fin de la semaine, il avait baptisé six membres de l’assemblée et les habitants de Walkerfold étaient vivement désireux d’en entendre davantage.

Le 14 mars 1838, Joseph, Emma et leurs trois enfants arrivèrent à Far West après presque deux mois de voyage. Impatients d’accueillir le prophète en Sion, les saints reçurent la famille avec joie. Leurs paroles amicales et leurs étreintes chaleureuses furent un changement heureux après les dissidences et l’hostilité que Joseph avait laissées à Kirtland. Les saints qui se pressaient autour de lui étaient unis et l’amour abondait entre eux.

Joseph voulait prendre un nouveau départ au Missouri. Les saints de Kirtland et des branches de l’Église dans l’est des États-Unis et du Canada allaient bientôt arriver. Pour les recevoir, l’Église avait besoin d’établir des pieux de Sion où ils pourraient se rassembler dans la paix et avoir la chance de prospérer.

Oliver avait déjà exploré la région en quête de nouveaux lieux de rassemblement et son rapport était prometteur. Mais Joseph savait qu’il devait régler le problème de dissidence croissante à Far West avant que les saints ne puissent commencer à s’installer. Cela le peinait de voir des amis comme Oliver s’éloigner de l’Église mais il ne pouvait permettre à la discorde de prospérer au Missouri comme cela avait été le cas à Kirtland.

Joseph attribuait les mérites de la paix relative de Far West à la direction de Thomas Marsh et du grand conseil. Après avoir démis William Phelps et John Whitmer de leur office, le grand conseil les avait excommuniés et Joseph approuvait sa décision. Maintenant, il pensait qu’il était temps de s’occuper de l’apostasie d’Oliver.

Le 12 avril, Edward Partridge réunit un conseil d’évêque pour examiner le statut d’Oliver dans l’Église. L’opposition de ce dernier n’était plus un secret. Il avait cessé d’aller aux réunions de l’Église, ignorait les conseils des autres dirigeants et avait écrit des lettres insultantes à Thomas et au grand conseil. Il était aussi accusé d’avoir vendu ses terres dans le comté de Jackson contrairement à la révélation, d’avoir incriminé faussement Joseph d’adultère et d’avoir abandonné la cause de Dieu.

Oliver choisit de ne pas assister à l’audience mais envoya à l’évêque Partridge une lettre à lire pour sa défense. Dans cette dernière, il ne niait pas la vente de ses terres dans le comté de Jackson ni son opposition aux dirigeants de l’Église. Il insistait plutôt sur le fait qu’il avait légalement le droit de les vendre en dépit de toute révélation, alliance ou commandement. Il renonçait également à son appartenance à l’Église.

Pendant le reste de la journée, le conseil examina les preuves et entendit plusieurs saints témoigner des actions d’Oliver. Joseph se leva, parla de son ancienne confiance en ce dernier et, en réponse à ses accusations, expliqua sa relation avec Fanny Alger.

Après avoir entendu d’autres témoignages, le conseil discuta du cas d’Oliver. Comme lui, ils chérissaient les principes du libre arbitre et de la liberté. Néanmoins, depuis près d’une décennie, le Seigneur avait aussi exhorté les saints à être unis, à mettre de côté leurs désirs personnels pour consacrer ce qu’ils avaient à l’édification du royaume de Dieu.

Oliver s’était détourné de ces principes et se reposait plutôt sur son propre jugement, traitant l’Église, ses dirigeants et les commandements du Seigneur avec mépris. Après avoir examiné les accusations une fois de plus, l’évêque Partridge et son conseil prirent la décision douloureuse d’excommunier Oliver de l’Église.

Dans la vallée de la Ribble, en Angleterre, le printemps mit fin au grand froid de l’hiver. Voyageant à travers de verts pâturages près d’une ville voisine de Walkerfold, Willard Richards cueillit une petite fleur blanche d’une haie qui bordait la route. Il visitait les branches de l’Église de la région et comptait écouter Heber Kimball et Orson Hyde prêcher cet après-midi-là, lors d’une réunion à huit kilomètres de là.

Depuis son arrivée en Angleterre, huit mois auparavant, Willard et ses collègues avaient baptisé plus de mille personnes dans les villes et les villages de la vallée. Beaucoup de nouveaux membres étaient de jeunes ouvrières et ouvriers attirés par le message d’espoir et de paix de l’Évangile de Jésus-Christ. Les manières simples d’Heber les mettaient à l’aise et il gagnait rapidement leur confiance.

Mieux instruit qu’Heber et formé en médecine naturelle, il manquait à Willard l’attrait du parler direct de son collègue missionnaire, lequel devait lui rappeler parfois de simplifier son message et de se concentrer sur les premiers principes de l’Évangile. Mais Willard avait établi une branche forte de l’Église au sud de Preston, près de la ville de Manchester, en dépit de l’opposition. De nombreuses personnes qu’il avait baptisées travaillaient de longues heures dans des usines où l’air était vicié et le salaire déplorable. En entendant l’Évangile rétabli, elles ressentirent l’Esprit et se réjouirent de sa promesse que le jour de la venue du Seigneur était proche.

En arrivant chez un membre de l’Église, Willard entra dans la cuisine et suspendit la fleur blanche juste avant que deux jeunes filles n’entrent dans la pièce. Il apprit que l’une d’elles était Jennetta Richards.

Il avait entendu parler d’elle. Bien qu’ils aient le même nom de famille, ils n’étaient pas parents. Lorsqu’elle était devenue membre de l’Église, Heber avait écrit à Willard à son sujet. Il avait noté : « Aujourd’hui, j’ai baptisé ta femme. »

Avec ses trente-trois ans, Willard était nettement plus âgé que la plupart des hommes célibataires de l’Église. Il ne savait pas ce qu’Heber avait dit à Jennetta à son sujet (en admettant qu’il ait dit quelque chose).

Puisque les jeunes filles se rendaient à la même réunion que lui, il les accompagna à pied, ce qui leur donna amplement le temps de bavarder.

Pendant qu’ils marchaient, il dit : « Richards est un joli nom. Je ne veux jamais en changer. » Puis il ajouta audacieusement : « Et vous, Jennetta ? »

Elle répondit : « Moi non plus. Et je pense que je n’en changerai jamais. »

Après cela, Willard et Jennetta passèrent davantage de temps ensemble. Ils étaient tous les deux à Preston quelques semaines plus tard lorsque Heber et Orson annoncèrent qu’ils retournaient aux États-Unis.

Comme ils se préparaient à partir, les apôtres organisèrent une conférence pendant une journée entière dans un grand bâtiment où les saints de Preston se réunissaient souvent. Entre les sermons et les cantiques, les missionnaires confirmèrent quarante personnes, bénirent plus de cent enfants et ordonnèrent plusieurs hommes à la prêtrise.

Avant de dire au revoir aux saints, Heber et Orson mirent Joseph Fielding à part comme nouveau président de la mission et appelèrent Willard et un jeune commis d’usine du nom de William Clayton comme conseillers. Puis, en signe d’unité entre les saints d’Angleterre et d’Amérique, ils serrèrent la main de la nouvelle présidence

Ce printemps-là, à Far West, le prophète reçut une révélation. Le Seigneur dit aux saints : « Levez-vous, brillez, afin que votre lumière soit une bannière pour les nations. » Il proclama que le nom de l’Église serait l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jour et affirma que Far West était une terre sainte et consacrée.

Il déclara : « Ma volonté est que la ville de Far West soit construite rapidement par le rassemblement de mes saints ; et aussi que d’autres lieux soient désignés pour être des pieux dans les régions alentour. » Il commanda aux saints de construire un temple à Far West et d’en poser les fondations le 4 juillet 1838.

Peu de temps après, Joseph et plusieurs hommes se rendirent au comté de Daviess, au nord du comté de Caldwell, pour visiter une colonie de membres de l’Église dans un endroit appelé Spring Hill. Joseph espérait que la région serait un lieu de rassemblement convenable pour les saints arrivant au Missouri.

Bien que le comté de Caldwell eût été créé spécialement pour les saints des derniers jours, le gouvernement avait déjà arpenté la plupart des terres, ce qui les rendait trop chères pour les saints les plus pauvres. Dans le comté de Daviess, par contre, de vastes étendues de terres inhabitées n’avaient pas encore été arpentées. Les membres de l’Église pouvaient s’y installer gratuitement et d’ici à ce que le gouvernement arpente la région, ils auraient déjà travaillé les terres et obtenu suffisamment d’argent pour les acheter.

Déplacer les saints dans le comté voisin comportait toutefois des risques. Croyant qu’ils avaient promis de se cantonner au comté de Caldwell, certains hommes du comté de Daviess avaient averti les saints de la région qu’ils ne devaient pas s’y installer, mais comme aucune loi ne les en empêchait, les protestations cessèrent rapidement.

Tandis qu’il voyageait vers le nord, Joseph s’émerveillait de la beauté de la région qui l’entourait. D’après ce qu’il voyait, le comté de Daviess offrait une liberté sans limite ainsi que tout ce dont les saints avaient besoin pour établir de nouvelles colonies.

Bien que la plaine fût faiblement boisée, le gibier paraissait abondant. Joseph vit des dindes, des poules, des cerfs et des wapitis sauvages. Des ruisseaux et des rivières préservaient la richesse et la fertilité des terres. La Grand River, la plus grande rivière du comté, était suffisamment large et profonde pour permettre à un bateau à vapeur d’y circuler, ce qui faciliterait les voyages et le commerce pour les saints qui se rassemblaient.

Joseph et ses compagnons poussèrent leurs chevaux le long des berges du fleuve sur une quinzaine de kilomètres jusqu’à Spring Hill. La petite colonie était située à la base d’un promontoire surplombant une vallée verdoyante et spacieuse. Lyman Wight, le dirigeant de l’avant-poste, gagnait modestement sa vie en exploitant un bac sur la Grand River.

Les hommes escaladèrent le promontoire et installèrent leur campement, puis ils redescendirent jusqu’au bac. Joseph revendiqua la région pour les saints et dit qu’il voulait bâtir une ville près du fleuve. Le Seigneur lui révéla que cette vallée était celle d’Adam-ondi-Ahman, où Adam, le premier homme, avait béni ses enfants avant de mourir. Joseph expliqua que dans cette vallée, comme le prophète Daniel l’avait prophétisé, Adam viendrait rendre visite à son peuple lorsque le Sauveur reviendrait sur la terre.

La colonie était tout ce que Joseph avait espéré. Le 28 juin 1838, dans un bosquet près de chez Lyman, il organisa un nouveau pieu de Sion sur la terre sacrée et commanda aux saints de se rassembler.


CHAPITRE 27 : Nous revendiquons la liberté

Mi-juin 1838, Wilford Woodruff se tenait sur le seuil de la maison de ses parents, déterminé une fois de plus à leur parler de l’Évangile rétabli de Jésus-Christ. Après avoir organisé une branche sur les îles Fox, il était revenu sur le continent pour rendre visite à Phebe, qui allait bientôt donner naissance à leur premier enfant. Il avait ensuite passé du temps à prêcher à Boston, à New York et dans d’autres villes le long de la côte. La maison de ses parents était son dernier arrêt avant de retourner dans le Nord.

Wilford n’avait d’autre désir que celui de voir sa famille embrasser la vérité. Son père, Aphek, avait passé sa vie à la rechercher en vain. Sa sœur Eunice aspirait aussi à davantage de lumière dans sa vie. Mais en parlant pendant plusieurs jours avec eux au sujet de l’Église, il sentit que quelque chose les empêchait d’accepter ses enseignements.

Il nota : « Ce sont des jours de grande incertitude. » Son temps chez eux était compté. S’il y restait plus longtemps, il risquait de manquer la naissance du bébé.

Wilford pria plus intensément pour sa famille mais elle devint encore plus réticente à accepter le baptême. Il confia dans son journal : « Le diable est tombé sur toute la maisonnée avec une grande colère et de grandes tentations. »

Le 1er juillet, il instruisit encore une fois sa famille, annonçant les paroles du Christ avec autant de ferveur que possible. Enfin, ses propos atteignirent le cœur des siens et leurs inquiétudes se dissipèrent. Ils ressentirent l’Esprit de Dieu et surent que Wilford avait dit la vérité. Ils étaient prêts à agir.

Wilford les conduisit immédiatement vers un canal près de chez eux. Au bord de l’eau, ils chantèrent un cantique et il offrit une prière. Il entra ensuite dans l’eau et baptisa son père, sa belle-mère et sa sœur, ainsi qu’une tante, un cousin et un ami de la famille.

Lorsqu’il sortit la dernière personne de l’eau, Wilford remonta sur la rive du canal en se réjouissant. Il se dit : « N’oublie pas cela. Considère ce moment comme une grâce de ton Dieu. »

Les cheveux et les vêtements dégoulinants, ils rentrèrent à la maison. Wilford imposa les mains à chacun d’eux et les confirma membres de l’Église.

Deux jours plus tard, il dit au revoir à ses parents et se hâta de regagner le Maine, espérant arriver à temps pour accueillir son premier enfant dans le monde.

Ce printemps et cet été-là, les saints se rassemblèrent en masse au Missouri. John Page, un missionnaire qui avait connu un succès énorme au Canada, partit pour Sion à la tête d’une grande compagnie de convertis de la région de Toronto. À Kirtland, le collège des soixante-dix, œuvrait pour préparer les familles pauvres à voyager ensemble jusqu’au Missouri. En partageant leurs ressources et en s’entraidant le long du chemin, ils espéraient arriver sains et saufs en terre promise.

Les saints de Far West organisèrent un défilé le 4 juillet pour célébrer la fête nationale et poser les pierres angulaires du nouveau temple. En tête du défilé se trouvaient Joseph Smith, père, et une petite unité militaire. Derrière eux venaient la Première Présidence et d’autres dirigeants de l’Église, y compris l’architecte du temple. Une unité de cavalerie fermait fièrement la marche.

En défilant avec les saints, Sidney Rigdon voyait bien qu’ils étaient unis. Ces dernières semaines, l’Église avait pourtant pris des mesures disciplinaires à l’encontre d’autres dissidents. Peu après l’audience d’Oliver, le grand conseil avait excommunié David Whitmer et Lyman Johnson. Peu de temps après, le conseil de l’évêque avait réprimandé William McLellin pour sa perte de confiance en la Première Présidence et pour s’être livré à des désirs lascifs.

Depuis, ce dernier avait quitté l’Église et déménagé loin de Far West mais Oliver, David et d’autres dissidents étaient restés dans la région. En juin, Sidney avait condamné publiquement ces hommes. Faisant écho au langage du sermon sur la montagne, il les avait comparés à du sel qui avait perdu sa saveur, n’étant plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds. Ensuite, Joseph avait appuyé la réprimande tout en exhortant les saints à obéir à la loi lorsqu’ils avaient affaire à de la dissidence.

Le sermon de Sidney en avait enhardi certains qui s’étaient ligués une semaine plus tôt pour défendre l’Église contre les dissidents. Ces hommes portaient plusieurs noms mais ils étaient mieux connus sous celui de Danites, d’après la tribu de Dan dans l’Ancien Testament. Ce ne fut pas Joseph qui organisa le groupe mais il sanctionna probablement certaines de ses actions.

Dans leur ardeur à défendre l’Église, les Danites firent le vœu de protéger les saints contre ce qu’ils considéraient être des menaces venant de l’intérieur et de l’extérieur de l’Église. Beaucoup d’entre eux avaient vu comment la dissidence avait causé l’effondrement de la communauté à Kirtland, mis Joseph et d’autres personnes en danger d’attaques d’émeutiers et mis en péril les idéaux de Sion. Ensemble, ils s’engagèrent à protéger la collectivité de Far West contre toute menace similaire.

À peu près à l’époque de la condamnation publique des dissidents par Sidney, les Danites avaient averti Oliver, David et d’autres que s’ils ne quittaient pas le comté de Caldwell, ils en subiraient de graves conséquences. En l’espace de quelques jours à peine, les hommes avaient fui la région pour de bon.

Lorsque la parade du 4 juillet arriva sur la place de la ville, les saints hissèrent le drapeau américain au sommet d’une longue perche et firent le tour du site du temple. Depuis le bord de l’excavation faite pour les fondations, ils regardèrent les ouvriers mettre soigneusement en place les pierres angulaires. Sidney monta ensuite sur une estrade voisine pour s’adresser à l’assemblée.

Suivant la tradition américaine des discours enflammés et émotionnels de la fête nationale, Sidney parla avec véhémence aux saints de liberté, des persécutions qu’ils avaient endurées et du rôle important des temples dans leur éducation spirituelle. À la fin du discours, il avertit les ennemis de l’Église de laisser les saints tranquilles.

Il affirma : « Nos droits ne seront plus foulés aux pieds en toute impunité. L’homme ou le groupe d’hommes qui s’y essayera le fera aux dépens de sa vie. »

Il assura à son auditoire que les saints ne seraient pas les agresseurs mais qu’ils défendraient leurs droits. Il s’écria : « Si des émeutiers viennent nous attaquer, cela déclenchera une guerre d’extermination car nous les poursuivrons jusqu’à ce que la dernière goutte de leur sang soit versée ou qu’ils nous aient exterminés. »

Les saints n’abandonneraient plus leurs maisons et leurs récoltes. Pas plus qu’ils ne supporteraient passivement leurs persécutions. Sidney déclara : « Aujourd’hui nous revendiquons la liberté avec une détermination inébranlable ! Non, jamais nous ne céderons !! »

Les saints acclamèrent : « Hosanna ! Hosanna ! »

Tandis que les saints se rassemblaient à Far West, un missionnaire appelé Elijah Able prêchait dans l’est du Canada, à des centaines de kilomètres. Une nuit, il fit un rêve troublant. Il vit Eunice Franklin, une femme qu’il avait baptisée à New York, assaillie par des doutes au sujet du Livre de Mormon et de Joseph Smith. Son incertitude l’empêchait de dormir. Elle ne mangeait plus. Elle avait l’impression qu’on avait abusé d’elle.

Elijah partit immédiatement pour New York. Ce printemps-là, il avait rencontré Eunice et son mari, Charles, en prêchant dans leur ville. Son sermon avait été brusque et sans manières. En tant que noir né dans la pauvreté, il avait eu peu d’occasions de s’instruire.

Mais, comme d’autres missionnaires, il avait été ordonné à la Prêtrise de Melchisédek, avait participé aux ordonnances du temple de Kirtland et avait reçu la dotation de pouvoir. Ce qui lui manquait en instruction, il le compensait en foi et en puissance de l’Esprit.

Son sermon avait enthousiasmé Eunice mais Charles s’était ensuite levé et lui avait cherché querelle. Elijah s’était approché de lui, lui avait mis la main sur l’épaule et avait dit : « Demain, je viendrai vous voir et nous en discuterons. »

Le lendemain, Elijah avait rendu visite aux Franklin et leur avait parlé de Joseph Smith mais Charles était resté sceptique.

Elijah demanda : « C’est d’un signe dont vous avez besoin pour vous convaincre ? »

Charles répondit : « Oui. »

Elijah lui dit : « Vous aurez ce que vous avez demandé, mais cela vous fera de la peine. »

Lorsqu’Elijah revint peu de temps après, il apprit que Charles avait subi beaucoup de chagrins avant de finalement prier pour obtenir le pardon. Depuis, Eunice et lui étaient prêts à se joindre à l’Église et Elijah les baptisa.

Eunice était sûre de sa foi à l’époque. Que lui était-il arrivé depuis ?

Peu de temps plus tard, un dimanche matin, Eunice eut la surprise de trouver Elijah debout sur le seuil de sa porte. Elle avait préparé une liste de choses à lui dire quand elle le reverrait. Elle voulait lui dire que le Livre de Mormon était une invention et que Joseph Smith était un faux prophète. Mais au lieu de cela, quand elle le vit à sa porte, elle l’invita à l’intérieur.

Elijah lui dit, après quelques échanges : « Sœur, vous n’avez pas été tentée aussi longtemps que le Sauveur l’a été après son baptême. Il était tenté d’une manière et vous d’une autre. » Il dit à Eunice et Charles qu’il allait prêcher l’après-midi dans une école des environs. Il leur demanda de le dire à leurs voisins puis leur dit au revoir.

Eunice ne voulait pas aller à la réunion mais dans l’après-midi, elle se tourna vers son mari et dit : « J’irai pour voir ce qu’il en ressort. »

Lorsqu’elle prit place dans l’école, elle fut de nouveau touchée par les paroles d’Elijah. Il prêcha à partir d’un verset du Nouveau Testament. On y lisait : « Bien-aimés, ne soyez pas surpris, comme d’une chose étrange qui vous arrive, de la fournaise qui est au milieu de vous pour vous éprouver. » La voix d’Elijah et le message de l’Évangile rétabli ouvrirent le cœur d’Eunice à l’Esprit. La certitude qu’elle avait eue un jour l’inonda à nouveau. Elle sut que Joseph Smith était un prophète de Dieu et que le Livre de Mormon était vrai.

Elijah lui promit qu’il reviendrait dans deux semaines. Mais après son départ, elle vit des prospectus dans la ville accusant faussement Elijah du meurtre d’une femme et de cinq enfants. Une récompense était offerte pour sa capture.

Certains de ses voisins lui demandèrent : « Et maintenant, que penses-tu de ton missionnaire mormon ? » Ils juraient qu’Elijah serait arrêté avant d’avoir une autre occasion de prêcher dans leur ville.

Eunice ne croyait pas qu’il eût assassiné qui que ce soit. Elle dit : « Il viendra remplir sa mission et Dieu le protégera. »

Elle soupçonnait les ennemis de l’Église d’avoir inventé l’histoire. Il n’était pas rare pour des blancs de répandre des mensonges au sujet des noirs, même dans les endroits où l’esclavage était illégal. Des lois et des coutumes strictes limitaient les interactions entre les blancs et les noirs et parfois les gens trouvaient des moyens cruels de les appliquer.

Comme promis, Elijah revint au bout de deux semaines pour faire un autre sermon. L’école était bondée. Tout le monde, semblait-il, voulait le voir arrêté ou pire.

Il prit place. Après quelques instants, il se leva et dit : « Mes amis, on raconte que j’ai assassiné une femme et cinq enfants et une grande récompense est offerte pour ma capture. Maintenant me voilà. »

Eunice regarda autour d’elle. Personne ne bougea.

Elijah continua : « Si quelqu’un a quelque chose à voir avec moi, c’est le moment. Mais une fois que j’aurai commencé à prêcher, ne vous avisez pas de porter la main sur moi. »

Elijah se tut, attendant une réaction. L’assemblée le dévisagea dans un silence surpris. Au bout d’un moment il chanta un cantique, offrit une prière et fit un sermon puissant.

Avant de quitter la ville, il parla à Eunice et Charles. Il leur fit la recommandation suivante : « Vendez tous vos biens et allez plus loin vers l’ouest. » Les préjugés contre les saints augmentaient dans la région et il y avait une branche de l’Église soixante kilomètres plus loin. Le Seigneur ne voulait pas que son peuple vive sa religion seul.

Eunice et Charles suivirent ses conseils et rejoignirent peu après la branche.

Au Missouri, Joseph était optimiste quant à l’avenir de l’Église. Il publia le discours prononcé le 4 juillet par Sidney dans une brochure. Il voulait que tous les habitants du Missouri sachent que les saints ne se laisseraient plus intimider par des émeutiers et des dissidents.

Néanmoins de vieux problèmes le taraudaient. Une grande partie de la dette de l’Église n’était pas réglée et beaucoup de saints étaient démunis du fait des persécutions continuelles, des problèmes économiques nationaux, de la faillite financière de Kirtland et du déménagement coûteux au Missouri. En outre, le Seigneur avait interdit à la Première Présidence d’emprunter davantage d’argent. L’Église avait besoin de fonds mais n’avait toujours pas de système fiable pour les collecter.

Récemment, les évêques de l’Église, Edward Partridge et Newel Whitney, avaient proposé la dîme comme moyen d’obéir à la loi de consécration. Joseph savait que les saints devaient consacrer leurs biens mais il ne savait pas quelle portion le Seigneur exigeait en dîme.

Il s’inquiétait aussi du Collège des Douze. Deux jours plus tôt, une lettre d’Heber Kimball et Orson Hyde était parvenue à Far West, signalant que les deux apôtres étaient arrivés sains et saufs à Kirtland après leur mission en Angleterre. Heber avait retrouvé Vilate et leurs enfants et ils se préparaient maintenant à venir s’installer au Missouri. Six autres apôtres, Thomas Marsh, David Patten, Brigham Young, Parley et Orson Pratt et William Smith, étaient au Missouri ou en mission, toujours fermes dans la foi. Mais les quatre apôtres restants avaient quitté l’Église, laissant des postes vacants dans le Collège.

Le 8 juillet, Joseph et d’autres dirigeants prièrent au sujet de ces problèmes et reçurent un flot de révélations. Le Seigneur désigna un saint dénommé Oliver Granger pour représenter la Première Présidence dans la liquidation des dettes de l’Église. Les propriétés que les saints avaient abandonnées à Kirtland allaient être vendues et décomptées de la dette.

Le Seigneur répondit ensuite aux questions de Joseph sur la dîme. « Je requiers d’eux qu’ils remettent entre les mains de l’évêque de mon Église, en Sion, tout le surplus de leurs biens, pour la construction de ma maison, pour la pose des fondations de Sion. » Après avoir offert ce dont ils pouvaient se passer, continuait le Seigneur, les saints devaient payer un dixième de leurs revenus année après année.

« Si mon peuple n’observe pas cette loi pour la sanctifier […], il ne sera pas pour vous un pays de Sion. »

Concernant les Douze, le Seigneur commanda à Thomas Marsh de rester à Far West pour aider aux publications de l’Église et appela les autres apôtres à prêcher. Le Seigneur promit : « S’ils le font en toute humilité de cœur, avec douceur, modestie et longanimité, […] je pourvoirai aux besoins de leurs familles et dorénavant une porte efficace leur sera ouverte. »

Le Seigneur voulait que les Douze partent à l’étranger l’année suivante. Il commanda au Collège de se réunir sur le site du temple de Far West le 26 avril 1839, un peu moins d’un an plus tard, et de partir de là pour une autre mission en Angleterre.

Finalement, le Seigneur nomma quatre hommes pour remplir les postes vacants du Collège. Deux nouveaux apôtres, John Taylor et John Page, étaient au Canada. Un autre, Willard Richards, était dans la présidence de mission d’Angleterre. Le quatrième, Wilford Woodruff, était dans le Maine, à quelques jours seulement de devenir père.

Phebe Woodruff donna naissance à une fille, Sarah Emma, le 14 juillet. Wilford était fou de joie que le bébé soit en bonne santé et que sa femme ait supporté l’accouchement. Pendant qu’elle récupérait, Wilford tuait le temps en faisant des travaux pour Sarah, la sœur veuve de Phebe. Il rapporta dans son journal : « J’ai passé la journée à tondre la pelouse. C’était une tâche assez nouvelle et le soir j’étais fatigué. »

Quelques jours plus tard, un message de Joseph Ball, un missionnaire travaillant dans les îles Fox, rapportait que des dissidents de Kirtland avaient écrit aux convertis de Wilford pour tenter d’ébranler leur foi. La plupart d’entre eux avaient ignoré les lettres mais certains avaient quitté l’Église, notamment des personnes que Wilford voulait emmener au Missouri plus tard cette année-là.

Deux semaines après la naissance de Sarah Emma, Wilford se rendit précipitamment dans les îles Fox afin de fortifier les saints et de les aider à se préparer au voyage vers Sion. En quittant le chevet de Phebe, Wilford pria : « Ô mon Dieu, permets-moi de réussir. En mon absence, bénis ma femme et le bébé que tu nous as donné. »

Lorsqu’il arriva dans les îles un peu plus d’une semaine plus tard, une lettre de Thomas Marsh au Missouri l’attendait. Elle disait : « Le Seigneur a commandé que les Douze se rassemblent dès que possible en ce lieu. Sachez par la présente, frère Woodruff, que vous êtes appelé à remplir le poste de l’un des douze apôtres. » Le Seigneur exigeait que Wilford vienne à Far West dès que possible pour se préparer à partir en mission en Angleterre.

Wilford n’était pas entièrement surpris par la nouvelle. Quelques semaines auparavant, il avait reçu l’inspiration qu’il allait être appelé comme apôtre mais il ne l’avait dit à personne. Tout de même, il était resté éveillé cette nuit-là, un millier de pensées se bousculant dans son esprit.


CHAPITRE 28 : Nous avons essayé suffisamment longtemps

Le 6 août 1838 était le jour des élections au Missouri. Ce matin-là, John Butler se rendit à Gallatin, siège du gouvernement du comté de Daviess, pour voter.

Il était membre de l’Église depuis quelques années. Cet été-là, sa femme, Caroline, et lui avaient emménagé dans une petite colonie près d’Adam-ondi-Ahman. Il était capitaine dans la milice locale et Danite.

Fondée juste un an auparavant, Gallatin n’était guère plus qu’un regroupement de maisons et de bars. Lorsqu’il arriva sur la place du village, il la trouva grouillant d’habitants de tout le comté. Un bureau de vote avait été installé dans une petite maison en bordure de la place. Pendant que les hommes faisaient la queue pour voter, les candidats se mêlaient à la foule à l’extérieur.

John se joignit à un petit groupe de saints qui se tenaient à l’écart de l’attroupement principal. Dans le comté de Daviess, l’opinion générale n’avait jamais été en faveur des saints. Après que Joseph avait établi un pieu à Adam-ondi-Ahman, la colonie avait prospéré et plus de deux cents maisons avaient été construites. Les saints étaient maintenant en mesure d’influencer le vote du comté et cela contrariait de nombreux colons. Pour éviter les problèmes, John et ses amis avaient prévu de voter ensemble et de rentrer rapidement chez eux.

Lorsque John s’approcha du bureau de vote, William Peniston, candidat au poste de représentant de l’État, grimpa sur un baril de whisky pour faire un discours. Plus tôt cette année-là, il avait essayé de courtiser le vote des saints mais lorsqu’il avait appris que la plupart préféraient l’autre candidat, il s’était déchaîné contre eux.

Il hurla à l’attention des hommes assemblés : « Les dirigeants mormons sont un lot de voleurs de chevaux, de menteurs et de faussaires. » Cela mit John mal à l’aise. Il ne faudrait pas grand chose pour que William dresse la foule contre ses amis et lui. La plupart des hommes étaient déjà en colère contre eux et beaucoup buvaient du whisky depuis l’ouverture du scrutin.

William avertit les électeurs que les saints allaient leur voler leurs biens et provoquer un raz-de-marée électoral. Ils n’étaient pas les bienvenus dans le comté et, dit-il, n’avaient aucun droit de participer aux élections. Se tournant vers John et les autres saints, il fanfaronna : « J’ai dirigé un groupe d’émeutiers pour vous chasser du comté de Clay et je ne ferai rien pour empêcher qu’on vous attaque maintenant .»

Le whisky circulait parmi la foule. John entendit des hommes maudire les saints. Il commença à reculer. Il mesurait plus d’un mètre quatre-vingts et était solidement bâti mais il était venu à Gallatin pour voter et non pour se battre.

Soudain, un homme tenta de donner un coup de poing à l’un des saints des derniers jours. Un autre saint bondit pour le défendre mais la foule le renversa. Un troisième attrapa un morceau de bois sur une pile voisine et frappa l’attaquant sur la tête. L’homme tomba aux pieds de John. Des deux côtés, des hommes attrapèrent des gourdins et sortirent des couteaux et des fouets.

Les saints se retrouvaient à quatre contre un mais John était décidé à protéger ses amis et leurs dirigeants. Repérant une pile de traverses de clôture, il attrapa un solide morceau de chêne et se rua dans la mêlée. Il s’écria : « Ah oui, les Danites, voilà un travail pour nous ! »

Il frappa les hommes qui attaquaient les saints, mesurant chacun de ses gestes pour assommer et non tuer ses adversaires. Ses amis se défendirent également, improvisant des armes avec des bâtons et des pierres. Ils assommèrent tous ceux qui se jetaient sur eux, mettant fin à la bagarre en deux minutes.

Reprenant son souffle, John balaya la place du regard. Des hommes blessés étaient allongés sur le sol, immobiles. D’autres s’échappaient furtivement. William Peniston avait sauté de son baril de whisky et s’était enfui vers une colline voisine.

Un homme de la foule s’approcha de John et dit que les saints pouvaient maintenant voter. Il dit : « Posez votre bâton. Il ne sert plus à rien. »

John agrippa la traverse plus fermement. Il voulait voter mais il savait qu’on le piégerait s’il entrait désarmé dans la petite maison et essayait de le faire. Au lieu de cela, il se retourna et commença de s’éloigner.

Un autre homme cria : « Nous devons vous faire prisonnier. » Il dit que certains de ceux que John avait frappés allaient probablement mourir.

Ce dernier dit : « Je suis un homme respectueux des lois mais je n’ai pas l’intention d’être jugé par une bande d’émeutiers. » Il remonta en selle et quitta la ville.

Le lendemain, il se rendit à Far West et informa Joseph de la bagarre. Des bruits de décès à Gallatin circulèrent rapidement dans tout le nord du Missouri et des émeutiers se préparèrent à attaquer les saints. Craignant que John ne soit la cible de représailles, Joseph lui demanda s’il avait déjà évacué sa famille hors du comté de Daviess.

Il répondit que non.

Joseph lui dit : « Alors vas-y et évacue-la immédiatement. Ne dormez pas une nuit de plus là-bas. »

John répondit : « Mais je n’aime pas être un lâche. »

Joseph dit : « Va et fais ce que je te dis. »

John se rendit immédiatement chez lui et Joseph chevaucha rapidement avec un groupe de volontaires armés pour défendre les saints du comté de Daviess. Quand ils arrivèrent à Adam-ondi-Ahman, ils apprirent que la bagarre de Gallatin n’avait fait aucune victime ni d’un côté ni de l’autre. Soulagé, Joseph et son groupe passèrent la nuit chez Lyman Wight.

Le lendemain matin, Lyman et un groupe de saints armés se rendirent chez Adam Black, le juge de paix local. Des rumeurs affirmaient qu’il rassemblait des émeutiers pour attaquer les saints. Lyman voulait qu’il signe une déclaration disant qu’il garantirait un traitement équitable des saints dans le comté de Daviess mais il refusa.

Plus tard ce jour-là, Joseph et plus de cent saints retournèrent chez Black. Sampson Avard, un chef danite de Far West, entra avec trois de ses hommes dans la petite maison et tenta d’obliger le juge de paix à signer la déclaration. Black refusa de nouveau, exigeant de voir Joseph. À ce stade, le prophète se joignit aux négociations et régla la question pacifiquement, acceptant de laisser le juge rédiger et signer sa propre déclaration.

Mais la paix ne dura pas longtemps. Peu de temps après la réunion, Black exigea que Joseph et Lyman soient arrêtés pour avoir encerclé sa cabane avec des forces armées et l’avoir menacé. Joseph évita l’arrestation en demandant à être jugé dans le comté de Caldwell où il résidait et non dans celui de Daviess où tant de citoyens étaient révoltés contre les saints.

Entre-temps, dans tout le nord du Missouri, les gens organisaient des réunions pour discuter des bruits venus de Gallatin et du nombre croissant de saints qui s’installaient chez eux. De petits groupes d’émeutiers vandalisaient les maisons et les granges de membres de l’Église et prenaient leurs colonies avoisinantes pour cible.

Début septembre, pour apaiser les tensions, Joseph retourna au comté de Daviess pour répondre aux accusations portées contre lui. Pendant l’audience, Black admit que Joseph ne l’avait pas forcé à signer la déclaration. Malgré cela, le juge ordonna au prophète de revenir dans deux mois pour un procès.

Les saints avaient des alliés dans le gouvernement du Missouri et bientôt la milice de l’État fut rassemblée pour disperser les groupes d’autodéfense. Mais les habitants du comté de Daviess et des environs étaient toujours décidés à les chasser hors de leurs frontières.

Joseph écrivit à un ami : « Au Missouri, les oppresseurs des saints ne dorment pas. »

On était au dernier jour du mois d’août et Phebe et Wilford Woodruff chevauchaient le long d’une plage de sable blanc à proximité de la maison des parents de Phebe, dans le Maine. C’était marée basse. Les vagues de l’océan Atlantique roulaient et s’écrasaient sur le rivage. Non loin de l’horizon, des bateaux glissaient silencieusement, leurs lourdes voiles gonflées par la brise. Un vol d’oiseaux décrivit un cercle au-dessus d’eux et se posa sur l’eau.

Arrêtant son cheval, Phebe en descendit et ramassa des coquillages dispersés sur le sable. Elle voulait les emporter en souvenir lorsque Wilford et elle partiraient vers l’ouest s’installer en Sion. Phebe avait vécu près de l’océan la majeure partie de sa vie et les coquillages faisaient partie du paysage qui lui était familier.

Depuis son appel au Collège des Douze, Wilford était impatient d’arriver au Missouri. Sa visite récente dans les îles Fox n’avait duré que le temps d’exhorter le petit groupe de saints à accompagner sa femme et lui en Sion. Il était déçu en revenant sur le continent. Certains membres de la branche avaient accepté de les accompagner. D’autres, notamment Justus et Betsy Eames, les premières personnes baptisées sur les îles, ne suivraient pas.

Wilford dit : « Il sera trop tard lorsqu’ils se rendront compte de leur folie. »

Mais Phebe n’était pas non plus particulièrement pressée de partir. Elle avait beaucoup aimé vivre de nouveau avec ses parents. Leur maison était confortable, chaleureuse et familière. Si elle restait dans le Maine, elle ne serait jamais loin de sa famille et de ses amis. Le Missouri, en revanche, était à deux mille cinq cents kilomètres. Si elle partait, elle risquait de ne plus les revoir. Était-elle prête à faire ce sacrifice ?

Phebe se confia à Wilford. Il compatissait avec son chagrin de quitter sa famille mais il n’était pas aussi attaché qu’elle à son foyer. Il savait, comme elle, que Sion était un lieu de sécurité et de protection.

Il nota dans son journal : « J’irais au pays de Sion ou n’importe où ailleurs où Dieu m’enverrait même si je devais pour cela abandonner autant de pères, de mères, de frères et de sœurs qu’on pourrait en aligner entre le Maine et le Missouri ; et même si je devais n’avoir que des herbes bouillies pour me sustenter. »

Pendant le mois de septembre, Phebe et Wilford attendirent que les membres de la branche des îles Fox arrivent sur le continent pour commencer leur voyage vers l’ouest. Mais au fil des jours qui passaient, Wilford s’impatientait en ne les voyant pas venir. L’année était très avancée. Plus ils retardaient leur départ, plus ils risquaient de trouver du mauvais temps sur la route.

Phebe avait d’autres raisons d’hésiter. Leur fille, Sarah Emma, souffrait d’une vilaine toux et Phebe se demandait s’il était sage de lui faire faire un si long voyage dans le froid. Puis, un rapport exagéré de la bagarre du jour des élections dans le lointain comté de Daviess fut publié dans le journal local. La nouvelle surprit tout le monde.

Les voisins dirent à Phebe et à Wilford : « Il n’est pas prudent de partir. Vous allez être tués. »

Quelques jours plus tard, une cinquantaine de saints arrivèrent des îles Fox, prêts à entreprendre le voyage vers Sion. Phebe savait qu’il était temps de partir, que Wilford devait rejoindre les Douze au Missouri. Mais elle se sentait très attachée à son foyer et à sa famille. La route jusqu’au Missouri serait pénible et Sarah Emma n’était pas encore entièrement rétablie. Et il n’y avait aucune certitude qu’ils seraient en sécurité une fois qu’ils seraient arrivés dans leur nouvelle patrie.

Pourtant, elle croyait au rassemblement. Elle avait déjà quitté son foyer pour suivre le Seigneur et elle était disposée à recommencer. Lorsqu’elle dit au revoir à ses parents, elle eut l’impression d’être Ruth dans l’Ancien Testament, abandonnant son foyer et sa famille pour sa religion.

Aussi difficile que fût le départ, elle plaça sa confiance en Dieu et grimpa sur le chariot.

Fin septembre, Charles Hales, vingt et un ans, arriva avec un groupe de saints canadiens à De Witt (Missouri). Un parmi des milliers à répondre à l’appel à se rassembler en Sion, il avait quitté Toronto avec ses parents, ses frères et ses sœurs plus tôt cette année-là. De Witt était à plus de cent kilomètres au sud-est de Far West et offrait aux convois de chariots un endroit pour se reposer et se réapprovisionner avant de pousser jusqu’au comté de Caldwell.

Mais lorsque Charles arriva, la ville était assiégée. Environ quatre cents saints vivaient à De Witt et leurs voisins dans et autour de la colonie faisaient pression sur eux pour qu’ils quittent la région, insistant pour qu’ils s’en aillent avant le 1er octobre sous peine d’être expulsés. George Hinkle, le dirigeant des saints de De Witt, refusait de partir. Il disait que les saints resteraient et défendraient leur droit d’habiter là.

Des rumeurs que les Danites se préparaient à déclarer la guerre aux Missouriens nourrissaient les tensions à De Witt. Beaucoup de citoyens avaient commencé à se mobiliser et campaient maintenant autour de De Witt, prêts à attaquer la ville à tout moment. Les saints avaient fait appel à Lilburn Boggs, gouverneur du Missouri, pour avoir sa protection.

La plupart des saints canadiens, désireux d’éviter les conflits, continuèrent leur route jusqu’à Far West, mais George demanda à Charles de rester défendre De Witt contre les émeutiers. Fermier et musicien, Charles était plus habitué à manier la charrue ou le trombone que le fusil. Mais George avait besoin d’hommes pour édifier des fortifications autour de De Witt et préparer le combat.

Le 2 octobre, le lendemain de la date à laquelle les saints devaient quitter la colonie, les émeutiers commencèrent à tirer sur eux. Au début, ils ne ripostèrent pas. Mais au bout de deux jours, Charles et deux douzaines d’hommes prirent position le long de leurs fortifications et ripostèrent, faisant un blessé.

Les émeutiers chargèrent les fortifications, obligeant Charles et les autres à se ruer à l’abri dans les maisons de rondins voisines. Les émeutiers bloquèrent les routes menant à De Witt, privant ainsi les assiégés de nourriture et d’autres marchandises.

Deux soirs plus tard, le 6 octobre, Joseph et Hyrum Smith se glissèrent dans la ville avec Lyman Wight et un petit groupe d’hommes armés. Les saints n’avaient presque plus de vivres ni d’autres provisions. Si le siège ne prenait pas bientôt fin, la faim et la maladie les affaibliraient avant que les émeutiers n’aient à tirer un autre coup de feu.

Lyman était prêt à défendre De Witt jusqu’à la fin mais, après avoir vu combien la situation était désespérée, Joseph voulut négocier une solution pacifique. Il était certain que si des Missouriens étaient tués pendant le siège, les émeutiers fondraient sur la ville et en extermineraient les occupants.

Joseph demanda l’aide du gouverneur Boggs, faisant appel à un Missourien amical pour acheminer la demande. Le messager revint quatre jours plus tard avec la nouvelle que le gouverneur ne les défendrait pas contre les attaques. Boggs insistait que le conflit était entre eux et les émeutiers.

Il disait : « Ils doivent régler la question en se battant. »

Avec des ennemis s’assemblant de presque tous les comtés voisins et les saints ne recevant aucun soutien fiable de la milice de l’État, Joseph sut qu’il devait mettre un terme au siège. Il détestait céder aux émeutiers mais les saints de De Witt étaient épuisés et désespérément inférieurs en nombre. Défendre la colonie plus longtemps pourrait s’avérer être une erreur fatale. À contrecœur, il décida qu’il était temps d’abandonner De Witt et de battre en retraite à Far West.

Le matin du 11 octobre, les saints chargèrent le peu de biens qu’ils pouvaient transporter dans des chariots et se mirent en route à travers la prairie. Charles voulait les accompagner mais un saint canadien qui n’était pas encore prêt à partir lui demanda de l’attendre et de l’aider. Il accepta, pensant que son ami et lui auraient tôt fait de rattraper le reste du convoi.

Mais lorsqu’ils s’éclipsèrent finalement hors de la ville, son ami fit demi-tour quand son cheval montra des signes de faiblesse. Réticent à l’idée de rester plus longtemps en territoire ennemi, Charles partit à pied dans cette prairie qu’il ne connaissait pas. Il prit la direction du nord-ouest, celle du comté de Caldwell, n’ayant qu’une vague idée du chemin à suivre.

Le 15 octobre, quelques jours après l’arrivée des saints de De Witt à Far West, Joseph convoqua tous les hommes présents dans la ville. Des centaines de saints s’étaient repliés à Far West, fuyant les hostilités des émeutiers dans tout le nord du Missouri. Maintenant, beaucoup d’entre eux vivaient dans des chariots ou des tentes éparpillés dans toute la ville. Le temps s’était refroidi et ils étaient à l’étroit et malheureux.

Joseph vit que la situation empirait de façon incontrôlable. Il recevait des rapports selon lesquels leurs ennemis se rassemblaient de tous côtés. Quand les émeutiers les avaient attaqués dans les comtés de Jackson et de Clay, les saints avaient essayé de le supporter humblement, se retirant des conflits et comptant sur les hommes de loi et les juges pour rétablir leurs droits. Mais où est-ce que cela les avait menés ? Il était fatigué d’être harcelé et voulait durcir sa position contre leurs ennemis. Les saints n’avaient plus de choix.

Joseph cria aux hommes qui l’entouraient : « Nous avons essayé suffisamment longtemps. Qui est assez insensé pour crier : ‘La loi ! La loi !’ alors qu’elle est toujours appliquée à nos dépens, jamais en notre faveur ? »

Les années de terres volées et de crimes impunis à l’encontre des saints avaient sapé sa confiance aux politiciens et aux hommes de loi et le refus du gouverneur de les aider ne faisait que consolider cette opinion. Il dit : « Nous allons régler nos affaires nous-mêmes. Nous avons fait appel au gouverneur et il ne fera rien pour nous. Nous avons essayé la milice du comté et elle ne bougera pas. »

Il pensait que l’État lui-même ne valait guère mieux que les émeutiers. Il dit : « Nous avons capitulé devant les émeutiers à De Witt et maintenant, ils se préparent à frapper à Daviess. » Il refusait que quoi que ce soit d’autre soit volé aux saints.

Le prophète déclara qu’ils se défendraient ou qu’ils mourraient en essayant.


CHAPITRE 29 : Dieu et la liberté

Après la chute de De Witt, les assiégeants partirent en direction du nord jusqu’à Adam-ondi-Ahman. Dans les comtés voisins, d’autres émeutiers se rassemblaient pour attaquer Far West et les colonies situées le long de Shoal Creek, jurant de chasser les saints du comté de Daviess vers celui de Caldwell et de Caldwell vers l’enfer. Le général Alexander Doniphan, officier de la milice d’État qui avait offert une aide juridique à l’Église dans le passé, encouragea vivement la milice du comté de Caldwell, une unité composée principalement de saints des derniers jours, à défendre leurs communautés contre les forces ennemies.

Sachant que les saints du comté de Daviess étaient en grand danger, Joseph et Sidney commandèrent à la milice du comté de Caldwell et d’autres hommes armés de se rendre à Adam-ondi-Ahman. Hyrum et Joseph chevauchèrent avec le groupe en direction du nord.

Le 16 octobre 1838, pendant que les troupes installaient leur campement à l’extérieur d’Adam-ondi-Ahman, un épais manteau de neige recouvrit le comté. En aval de la rivière, Agnes Smith se préparait pour la nuit. Agnes était mariée au plus jeune frère de Joseph, Don Carlos, qui était absent. Elle était seule dans la maison avec ses deux petites filles.

Peu avant minuit, un groupe d’hommes fit irruption chez elle et l’encercla. Terrifiée, Agnes rassembla ses filles tandis que les émeutiers les chassaient dehors, dans la neige, à la pointe de leurs fusils.

Sans manteaux ni couvertures pour se réchauffer, Agnes et les filles se blottirent les unes contre les autres pendant que les hommes mettaient le feu à la maison. L’incendie se propagea rapidement, dégageant une lourde fumée noire dans le ciel nocturne. Tout ce qu’Agnes possédait eut tôt fait d’être englouti par les flammes.

Elle savait qu’elle devait s’enfuir. L’endroit le plus sûr était Adam-ondi-Ahman, à cinq kilomètres seulement, mais il faisait nuit, elle avait de la neige jusqu’aux chevilles et ses filles étaient trop petites pour marcher longtemps. Le trajet prendrait des heures mais quel autre choix avait-elle ? Elle ne pouvait pas rester chez elle.

Une fille sur chaque bras, Agnes marcha péniblement en direction de l’ouest pendant que les émeutiers chassaient d’autres saints dans la neige et mettaient le feu à leurs maisons. Elle avait les pieds mouillés et engourdis par le froid, et elle avait mal aux bras et au dos à force de porter ses enfants.

Bientôt, elle arriva devant une rivière gelée qui s’étirait sur des kilomètres de chaque côté. L’eau était profonde mais on pouvait quand même traverser à gué. Il était dangereux de se mouiller par un froid pareil mais à quelques kilomètres de là, elle trouverait de l’aide. Il ne restait plus que cette solution pour mettre ses filles en sécurité.

Les soulevant encore plus haut, elle entra dans l’eau jusqu’à ce que le courant se referme sur elle et qu’elle en ait jusqu’à la taille.

Très tôt le matin du 17 octobre, Agnes et ses filles arrivèrent en titubant à Adam-ondi-Ahman, désespérément glacées et fatiguées. D’autres victimes de l’attaque arrivèrent dans une détresse similaire. Beaucoup d’entre elles étaient des femmes et des enfants portant simplement des vêtements de nuit. Elles disaient que les émeutiers les avaient chassées de leurs terres, avaient incendié leurs maisons et dispersé leur bétail, leurs chevaux et leurs moutons.

Joseph fut horrifié à la vue des réfugiés. Dans son discours de la fête nationale, Sidney avait dit que les saints n’attaqueraient pas. Mais si on laissait le champ libre à leurs ennemis, ce qui était arrivé à De Witt pourrait se reproduire à Adam-ondi-Ahman.

Espérant affaiblir les émeutiers et mettre rapidement fin au conflit, les saints décidèrent de marcher sur des colonies voisines qui soutenaient et équipaient leurs ennemis. Répartissant leurs hommes en quatre unités, les dirigeants de l’Église et de la milice ordonnèrent un raid sur Gallatin et sur deux autres colonies. La quatrième unité patrouillerait la région alentour à pied.

La matinée du lendemain, 18 octobre, fut enveloppée de brouillard. David Patten partit à cheval d’Adam-ondi-Ahman avec une centaine d’hommes armés en direction de Gallatin. Lorsqu’ils arrivèrent au village, ils le trouvèrent désert à l’exception de quelques passants qui s’enfuirent à leur approche.

Une fois les rues dégagées, les hommes entrèrent par effraction dans le magasin général et repartirent les bras chargés de vivres et de fournitures dont les réfugiés avaient besoin à Adam-ondi-Ahman. Plusieurs hommes sortirent du magasin portant de lourdes caisses et des tonneaux qu’ils chargèrent sur des chariots qu’ils avaient apportés avec eux. Lorsque les étagères furent vides, les hommes entrèrent dans d’autres boutiques et dans des logements, emportant couvertures, literie, manteaux et vêtements.

Le raid dura plusieurs heures. Une fois qu’ils eurent entassé tout ce qu’ils pouvaient transporter, les hommes incendièrent le magasin et d’autres bâtiments et quittèrent le village.

Du haut de la colline surplombant Adam-ondi-Ahman, les saints virent un ruban de fumée au loin, ondulant dans le ciel au-dessus de Gallatin. Thomas Marsh, qui était arrivé à la colonie avec la milice, redoutait de tels signes de conflit, certain que les raids dresseraient le gouvernement contre l’Église et que des innocents en subiraient les conséquences. Il pensait que Joseph et Sidney avaient surfait les menaces d’attaques d’émeutiers dans leurs discours et sermons enflammés. Même lorsque les réfugiés malmenés avaient déferlé dans le camp, il avait refusé de croire que les attaques étaient autre chose que des cas isolés.

Depuis quelque temps, Thomas était rarement d’accord avec Joseph. L’année précédente, lorsqu’il s’était rendu à Kirtland pour préparer les apôtres à la mission en Angleterre, il avait été déçu d’apprendre qu’elle avait commencé sans lui. Le Seigneur lui avait conseillé de faire preuve d’humilité et de ne pas se rebeller contre le prophète. Il avait quand même continué de douter de la réussite de la mission britannique et il doutait qu’elle soit fructueuse sans lui pour la diriger.

Plus tard, après avoir emménagé au Missouri, sa femme, Elizabeth, s’était querellée avec une autre femme sur un accord passé entre elles relatif à un échange de lait pour fabriquer du fromage. L’évêque et le grand conseil avaient entendu l’affaire et s’étaient prononcés contre Elizabeth, et Thomas avait fait appel devant Joseph et la Première Présidence. Eux aussi s’étaient prononcés contre elle.

L’incident avait blessé son orgueil et il avait du mal à cacher sa rancœur. Il était en colère et il voulait que tout le monde le soit. Deux fois déjà Joseph lui avait demandé s’il allait apostasier. Il avait répondu : « Quand tu me verras quitter l’Église, tu verras un brave gars partir. »

Il ne lui fallut que peu de temps pour en arriver à ne voir que le pire chez le prophète. Il accusa Joseph de la crise au Missouri et critiqua sa réaction à la violence. Il connaissait également d’autres personnes qui partageaient ses sentiments, notamment Orson Hyde dont la foi avait recommencé à chanceler après son retour d’Angleterre.

Peu après le retour des bandes de pilleurs à Adam-ondi-Ahman, des rapports arrivèrent annonçant que des émeutiers se rapprochaient de Far West. Alarmées, les forces armées des saints se hâtèrent de regagner le comté de Caldwell pour protéger la ville et leurs familles.

Thomas revint avec eux mais pas pour défendre la ville. Au lieu de cela, il empaqueta ses effets personnels et quitta Far West sous le couvert de la nuit. Il croyait que le châtiment divin était sur le point de se déverser sur Joseph et sur les saints qui le suivaient. Il pensait que si les émeutiers ou le gouvernement rasaient Far West, c’était parce que Dieu voulait qu’il en soit ainsi.

Voyageant en direction du sud, il cherchait à s’éloigner du Missouri. Mais avant de quitter l’État, il dut rédiger un document.

Pendant que les raids et les combats faisaient rage dans le nord du Missouri, Charles Hales était perdu. Après être parti de De Witt, il avait erré dans la prairie, ne sachant si la route qu’il suivait conduisait à Far West. Cela faisait des semaines qu’il n’avait pas vu sa famille. Il n’avait aucun moyen de savoir si elle avait réussi à atteindre Far West ni si elle était à l’abri des émeutiers.

Ce qu’il avait de mieux à faire était de continuer d’avancer en évitant toute confrontation directe et d’espérer rencontrer quelqu’un qui pourrait lui indiquer le bon chemin.

Un soir, il vit un homme récoltant du maïs dans un champ. Il avait l’air d’être seul et sans armes. S’il était hostile aux saints, le pire qu’il puisse faire serait de le chasser de ses terres. Mais s’il s’avérait être amical, il pourrait lui offrir un abri pour la nuit et de quoi manger.

S’approchant du fermier, Charles demanda s’il pouvait le loger pour la nuit. Le fermier ne répondit pas à la question mais lui demanda s’il était mormon.

Sachant que cela pourrait lui coûter un repas et un endroit chaud où dormir, ce dernier confirma qu’il l’était. Le fermier dit que dans ce cas, il n’avait rien à lui offrir et lui dit qu’il était très loin de Far West.

Charles dit au fermier : « Je ne connais absolument rien dans le comté. » Il expliqua qu’il s’était perdu et qu’il ne pouvait plus continuer de marcher. Il avait des ampoules aux pieds et en souffrait. Le soleil était sur le point de se coucher et c’était une nuit froide de plus dans la prairie qui l’attendait.

Le fermier sembla le prendre en pitié. Il lui raconta que des hommes étaient restés chez lui pendant le siège de De Witt. C’étaient des émeutiers et ils lui avaient fait jurer de ne jamais héberger un mormon.

Mais il lui dit où il pourrait trouver refuge dans les environs et lui indiqua le chemin de Far West. Ce n’était pas grand-chose mais c’était tout ce qu’il avait à offrir.

Charles remercia l’homme et reprit la route dans la lumière déclinante du jour.

Le soir du 24 octobre, Drusilla Hendricks regardait avec crainte par la fenêtre de sa maison au comté de Caldwell. Dans les environs de Far West, les saints étaient sur le qui-vive. Leurs raids dans le comté de Daviess avaient retourné beaucoup de leurs alliés de la milice du Missouri contre eux et ceux-ci les tenaient pour responsables de tout le conflit. Maintenant, à quelques kilomètres au sud de chez Drusilla, des émeutiers avaient commencé d’allumer des feux, rendant la prairie noire de fumée.

Plongés dans l’incertitude, Drusilla et son mari, James, se préparaient à abandonner leur maison et à s’enfuir à Far West. Sachant que la nourriture pourrait venir à manquer dans les semaines à venir, ils ramassèrent les choux de leur jardin, les découpèrent en lanières et les recouvrirent de sel pour en faire de la choucroute.

Ils travaillèrent jusque tard dans la soirée. Vers vingt-deux heures, ils allèrent chercher une pierre dans la cour pour tasser les choux et les maintenir immergés dans la saumure. Marchant derrière James, Drusilla voyait sa haute silhouette se dessiner distinctement dans la faible lumière du clair de lune. Elle fut frappée par la hauteur de sa taille et sursauta quand la pensée lui vint qu’elle pourrait ne plus jamais le voir se tenir aussi droit.

Plus tard, une fois que le travail fut terminé et que Drusilla et James furent couchés, leur voisin, Charles Rich, frappa à la porte. Il rapporta que des émeutiers avaient attaqué des colonies au sud. Les familles de saints avaient été chassées de chez elles et deux ou trois hommes avaient été battus et faits prisonniers. David Patten et lui organisaient maintenant une équipe de secours pour les délivrer.

Drusilla se leva et alluma un feu pendant que James allait chercher son cheval. Ensuite, elle attrapa les pistolets de son mari et les lui plaça dans les poches de son manteau. Quand il revint, elle lui attacha soigneusement son épée autour de la taille. Enfilant son manteau, James dit au revoir et monta en selle. Drusilla lui tendit ensuite une autre arme.

Elle dit : « Ne te fais pas tirer dans le dos. »

À peine débarqué à Far West, Charles Hales fut invité à se joindre à l’équipe de secours. Bien qu’épuisé et les pieds meurtris, Charles emprunta un cheval et un fusil et se mit en route avec quarante autres hommes.

Ils chevauchèrent en direction du sud, rassemblant des volontaires des colonies voisines jusqu’à ce que leur force compte environ soixante-quinze hommes. Les prisonniers étaient détenus dans un camp au bord de la Crooked River, à une vingtaine de kilomètres de Far West. Parmi les hommes qui chevauchaient avec Charles se trouvait Parley Pratt, l’apôtre qui l’avait baptisé au Canada.

La nuit était sombre et solennelle. Les seuls bruits qu’ils entendaient étaient le grondement des sabots et le cliquetis des armes dans leurs fourreaux et leurs étuis. Au loin, ils voyaient la lueur des feux de prairie. De temps à autre, un météore étincelait au-dessus d’eux

Les hommes arrivèrent à la Crooked River avant l’aube. En approchant du camp ennemi, ils descendirent de cheval et se rangèrent par compagnies. Une fois qu’ils furent assemblés, David Patten dit : « Faites confiance au Seigneur pour la victoire. » Il leur commanda de le suivre jusqu’au gué.

Charles et les autres hommes gravirent en silence une petite colline jusqu’à ce qu’ils voient des feux de camp le long de la rivière. Au moment où ils atteignaient le sommet, ils entendirent la voix sévère de la sentinelle : « Qui va là ? »

David dit : « Des amis. »

— Êtes-vous armés ?

— Oui.

— Alors, posez vos armes à terre.

— Venez les chercher.

— Posez-les à terre ! »

Dans la confusion qui suivit, la sentinelle tira sur les saints et un jeune homme qui se tenait près de Charles s’écroula lorsque la balle l’atteignit au torse. La sentinelle battit instantanément en retraite, dévalant la colline.

David cria : « Battez-vous pour la liberté. Chargez, les gars ! »

Charles et les hommes dégringolèrent la colline et formèrent des rangs le long d’une route, derrière une rangée d’arbres et de touffes de noisetiers. Au-dessous d’eux, les hommes du camp se précipitaient hors de leurs tentes et se réfugiaient le long des berges de la rivière. Avant que l’équipe de secours n’ait pu tirer une salve, ils entendirent le capitaine ennemi crier : « Les gars, mettez-leur en plein la tête. »

Les tirs ennemis sifflèrent au-dessus de la tête de Charles sans lui faire de mal mais James Hendricks, qui avait pris position au bord de la route, prit une balle dans la nuque et s’affaissa à terre.

« Au feu ! » David Patten cria : « Tirez ! », et le matin éclata en coups de feu.

Pendant que les hommes des deux côtés rechargeaient leurs armes, un silence inquiétant reposa sur le champ de bataille. Charles Rich s’écria : « Dieu et la liberté ! » et les saints lui firent écho encore et encore jusqu’à ce que David Patten ordonne une autre salve.

Les saints dévalèrent la colline pendant que les Missouriens tiraient de nouveau avant de se replier de l’autre côté de la rivière. Pendant qu’il chargeait, David distingua un homme isolé et courut après lui. L’homme pivota, aperçut son manteau blanc et tira sur l’apôtre à bout portant. La balle lui déchira l’abdomen et il tomba.

Une fois les Missouriens dispersés, l’escarmouche prit fin. Un membre du camp et l’un des saints étaient morts. David Patten et un autre saint étaient mourants. James Hendricks était encore conscient mais il n’avait plus aucune sensation au-dessous de la nuque.

Charles Hales et la plupart des hommes étaient sains et saufs ou souffraient de blessures légères. Ils fouillèrent le camp ennemi et trouvèrent les saints prisonniers. Ils transportèrent ensuite James et David jusqu’à un chariot au sommet de la colline avec le reste des blessés.

Au lever du soleil, ils étaient à nouveau en selle, chevauchant vers Far West.

Des rapports exagérés de l’escarmouche de la Crooked River arrivèrent sur le bureau du gouverneur du Missouri, Lilburn Boggs, peu après la fin de l’affrontement. Certains affirmaient que les saints avaient massacré cinquante Missouriens dans le combat. D’autres disaient que le nombre de victimes était plus près de soixante. Avec tant de rumeurs au sujet de la bataille, Boggs n’avait aucun moyen de savoir ce qui s’était réellement passé.

Dans les moments de conflit sur la frontière ouest, les milices hâtivement organisées se conduisaient sans foi ni loi. Ce matin-là, les saints n’avaient pas attaqué des émeutiers, comme ils le supposaient, mais un groupe de la milice de l’État du Missouri. Et cela était considéré comme une insurrection contre l’État.

Résidant d’Independence de longue date, Boggs avait soutenu l’expulsion des saints du comté de Jackson et n’avait aucune envie de protéger leurs droits. Il était pourtant resté neutre jusque-là, en dépit du fait que les deux côtés l’aient supplié de les aider. Au fur et à mesure de la propagation des rapports sur l’agression des mormons, les citoyens de tout l’État lui écrivirent, l’incitant à prendre des mesures contre les saints.

Au milieu des lettres et des messages qui passèrent sur le bureau du gouverneur se trouvait une déclaration sous serment d’un apôtre de l’Église, Thomas Marsh, affirmant que Joseph avait l’intention d’envahir l’État, la nation et finalement le monde.

Thomas faisait cette mise en garde : « Chaque véritable mormon croit que les prophéties de Smith sont supérieures à la loi du pays. » Une déclaration d’Orson Hyde attestant de la véracité de ces propos y était attachée.

Ces documents donnèrent à Boggs tout ce dont il avait besoin pour justifier une action contre les saints. Peu après l’affrontement de la Crooked River, il commanda à plusieurs divisions de miliciens missouriens de mater les forces mormones et d’amener les saints à se soumettre. Il envoya aussi un décret au général de la première division du Missouri.

Le 27 octobre 1838, le gouverneur écrivit : « Des informations des plus alarmantes placent les mormons dans une situation de rébellion ouverte et armée contre les lois et de faits de guerre contre les habitants de cet État. Vous avez donc l’ordre d’opérer en toute hâte. Les mormons doivent être traités comme des ennemis et doivent être exterminés ou chassés de l’État. »


CHAPITRE 30 : Battez-vous comme des anges

L’après-midi du 30 octobre 1838 était frais et plaisant à Hawn’s Mill, une petite colonie du comté de Caldwell. Les enfants s’ébattaient sur les berges de Shoal Creek sous le ciel bleu. Les femmes lavaient le linge à la rivière et préparaient le repas. Certains hommes étaient dans les champs, moissonnant les récoltes pour l’hiver, tandis que d’autres travaillaient dans les moulins le long de la rivière.

Amanda Smith était assise sous une tente pendant que ses filles, Alvira et Ortencia, jouaient à proximité. Son mari, Warren, était chez le forgeron avec leurs trois jeunes fils, Willard, Sardius et Alma.

Les Smith étaient de passage à Hawn’s Mill. Ils faisaient partie de la compagnie de saints pauvres qui avait quitté Kirtland plus tôt cet été-là. Un problème après l’autre les avait retardés, les obligeant à se séparer du groupe. La plupart des membres de la compagnie étaient déjà arrivés à Far West et Amanda et Warren étaient pressés de reprendre la route.

Pendant qu’elle se reposait sous la tente, elle vit un mouvement furtif à l’extérieur et ne fit plus un geste. Un groupe d’hommes armés, le visage noirci, fondait sur la colonie.

Comme d’autres saints dans la région, Amanda avait craint des attaques d’émeutiers. Avant de faire halte à Hawn’s Mill, des hommes avaient accosté sa petite compagnie, pillant ses chariots, confisquant ses armes et la plaçant en garde à vue pendant trois jours avant de la libérer.

Lorsqu’elle était arrivée à Hawn’s Mill, les dirigeants locaux lui avait assuré qu’elle était en sécurité. David Evans, le dirigeant des saints à cet endroit-là, avait passé un accord de trêve avec leurs voisins qui disaient vouloir vivre en paix avec eux. Mais, par mesure de précaution, il avait posté des gardes autour de la colonie.

Maintenant, les saints étaient en danger à Hawn’s Mill. Empoignant rapidement ses petites filles, Amanda courut vers les bois qui jouxtaient la retenue d’eau du moulin. Elle entendit un coup de feu derrière elle et une volée de balles siffla près d’elle et d’autres personnes qui se précipitaient vers les arbres.

Près de la forge, David agita son chapeau et cria pour demander un cessez-le-feu. Les émeutiers l’ignorèrent et continuèrent d’avancer, tirant à nouveau sur les saints en fuite.

Se cramponnant à ses filles, Amanda dévala un ravin pendant que les balles sifflaient autour d’elle. Lorsqu’elles atteignirent le fond, les filles et elle se hâtèrent de franchir la retenue sur une planche servant de pont et commencèrent à gravir la colline de l’autre côté.

Mary Stedwell, une femme qui courait à côté d’elle, leva les mains vers les émeutiers et implora la paix. Ils tirèrent de nouveau et une balle lui déchira la main.

Amanda cria à Mary de se mettre à l’abri derrière un arbre couché. Ses filles et elle s’enfoncèrent en courant dans les bois et plongèrent derrière des buissons de l’autre côté de la colline.

Hors de vue des émeutiers, Amanda serra ses filles contre elle et écouta les coups de feu résonner dans toute la colonie.

Lorsque la fusillade avait commencé, Alma, le fils d’Amanda, âgé de six ans, et son frère aîné Sardius avaient suivi leur père dans la forge où les saints avaient stocké le peu d’armes qu’ils possédaient. À l’intérieur, des dizaines d’hommes essayaient désespérément de se défendre contre les attaquants, la forge faisant office de fort. Ceux qui avaient des fusils tiraient sur les émeutiers par les interstices entre les rondins.

Terrifiés, Alma et Sardius rampèrent sous les soufflets avec un autre jeune garçon. Les émeutiers encerclèrent la forge et se rapprochèrent des saints. Certains hommes sortirent précipitamment, criant à la paix, mais ils furent abattus par des tirs meurtriers.

Alma resta caché sous les soufflets tandis que les coups de feu devenaient de plus en plus bruyants et intenses. Les émeutiers entourèrent la forge, forcèrent leurs fusils dans les interstices des murs et tirèrent sur les hommes à bout portant. L’un après l’autre, les saints tombèrent à terre avec des impacts de balles dans la poitrine, les bras et les cuisses. De dessous les soufflets, Alma les entendait gémir de douleur.

Les émeutiers prirent l’entrée d’assaut, tirant sur d’autres hommes qui essayaient de s’échapper. Trois balles touchèrent le garçon qui se cachait à côté d’Alma et son corps devint inerte. Un homme aperçut Alma et tira sur lui, lui ouvrant une plaie béante dans la hanche. Un autre repéra Sardius et le traîna dehors. Il plaça sans ménagement le canon de son fusil contre la tête de l’enfant de dix ans et appuya sur la gâchette, le tuant instantanément.

L’un des émeutiers détourna la tête. Il dit : « C’est une honte de tuer ces petits garçons. »

Un autre répliqua : « Les lentes deviennent des poux. »

Ignorant l’ordre d’extermination du gouverneur, les saints de Far West gardaient espoir que Boggs enverrait de l’aide avant que les émeutiers n’assiègent leur ville. Le 30 octobre, lorsqu’ils virent au loin une armée d’environ deux cent cinquante hommes, une vague de joie déferla sur eux. Ils pensaient que le gouverneur avait enfin envoyé la milice de l’État pour les protéger.

Le général Alexander Doniphan, qui avait aidé les saints par le passé, commandait le régiment. Il positionna ses troupes en rang en face des forces des saints stationnées juste à l’extérieur de Far West et ces dernières hissèrent le drapeau blanc. Le général attendait encore des ordres écrits de la part du gouverneur mais ses troupes et lui n’étaient pas venus protéger Far West. Ils étaient là pour mater les saints.

Bien qu’il sût que leurs forces étaient supérieures en nombre à celles du Missouri, George Hinkle, le saint des derniers jours responsable du régiment du comté de Caldwell, se sentit mal à l’aise et commanda à ses troupes de se replier. Pendant que les hommes battaient en retraite, Joseph remonta les rangs à cheval, troublé par l’ordre de George.

Il s’exclama : « Vous vous repliez ? Et où donc, au nom de Dieu, allons-nous nous replier ? » Il dit aux hommes de retourner sur le champ de bataille et de reformer les rangs.

Des messagers de la milice du Missouri approchèrent ensuite les saints avec ordre d’assurer l’évacuation d’Adam Lightner et de sa famille en toute sécurité. Adam n’était pas membre de l’Église mais il était marié avec Mary Rollins, âgée de vingt ans, la jeune femme qui avait soustrait les pages du Livre des commandements des mains des émeutiers des années plus tôt à Independence.

On fit sortir Adam et Mary de Far West, ainsi que la sœur d’Adam, Lydia, et son mari, John Cleminson. Lorsqu’ils apprirent ce que voulaient les soldats, Mary se tourna vers Lydia et lui demanda ce qu’elles devaient faire, à son avis.

Lydia dit : « Nous ferons ce que tu diras. »

Mary demanda aux messagers si les femmes et les enfants de Far West pouvaient partir avant l’attaque.

Ils répondirent que non.

Elle demanda : « Laisserez-vous la famille de ma mère sortir ? »

Il lui fut répondu que selon les ordres du gouverneur, seules leurs deux familles pouvaient partir.

Mary dit : « Si tel est le cas, je refuse de m’en aller. Je mourrai là où ils mourront car je suis une mormone pur-sang et je n’ai pas honte de l’affirmer. »

Les messagers dirent : « Pensez à votre mari et à votre enfant. »

Elle répondit : « Il peut partir et prendre l’enfant avec lui s’il veut. Pour ma part, je souffrirai avec le reste. »

Pendant que les messagers se retiraient, Joseph avança vers eux et leur dit : « Dites à cette armée de battre en retraite d’ici cinq minutes ou nous allons leur flanquer une volée ! »

Les miliciens regagnèrent leurs rangs et les troupes se replièrent rapidement vers leur camp principal. Plus tard dans la journée, mille huit cents soldats supplémentaires arrivèrent sous le commandement du général Samuel Lucas qui, cinq ans plus tôt, avait été un meneur dans l’expulsion des saints du comté de Jackson.

Ils étaient tout au plus trois cents saints armés dans Far West mais ils étaient déterminés à défendre leurs familles et leurs foyers. Le prophète rassembla leurs forces sur la place de la ville et leur dit de se préparer à se battre.

Il leur dit : « Battez-vous comme des anges. » Il croyait que si la milice du Missouri attaquait, le Seigneur leur enverrait deux anges pour chaque homme qui leur manquait.

Mais le prophète ne voulait pas passer à l’offensive. Ce soir-là, les saints empilèrent tout ce qu’ils pouvaient, construisant une barricade qui s’étendait sur plus de deux kilomètres le long des limites est, sud et ouest de la ville. Pendant que les hommes calaient des traverses de clôture entre des rondins et des chariots, les femmes rassemblaient des vivres en prévision de l’attaque.

Des hommes montèrent la garde toute la nuit.

À Hawn’s Mill, Willard Smith, onze ans (le fils aîné d’Amanda) reparut de derrière un gros arbre près de la retenue et se glissa dans la forge. Lorsque l’attaque avait débuté, il avait essayé de rester avec son père et ses frères mais il n’avait pas réussi à se frayer un passage jusqu’à la forge et s’était réfugié derrière une pile de bois. Lorsque les émeutiers s’étaient déployés et l’avaient localisé, il avait couru de maison en maison, esquivant les balles, jusqu’à ce qu’ils quittent la colonie.

À la forge, il trouva le corps sans vie de son père affaissé à l’entrée. Il vit celui de son frère Sardius dont la tête avait été horriblement mutilée par le coup de feu. À l’intérieur, d’autres corps, plus d’une douzaine, étaient entassés sur le sol. Willard chercha parmi eux et retrouva son frère Alma. Le garçon était inerte dans la poussière mais il respirait encore. Son pantalon était couvert de sang à l’endroit où on lui avait tiré dessus.

Il le prit dans ses bras et le transporta à l’extérieur. Il vit sa mère sortir des bois et arriver vers eux. Quand elle les vit, Amanda s’écria : « Ils ont tué mon petit Alma ! »

Willard dit : « Non, maman, mais papa et Sardius sont morts. »

Il porta son frère jusqu’à leur campement et le déposa délicatement. Les émeutiers avaient saccagé la tente, éventré les matelas et éparpillé la paille. Amanda en lissa une certaine quantité et la couvrit de linge pour faire un lit pour Alma. Elle découpa ensuite son pantalon pour examiner les dégâts.

La chair était à vif et la blessure effrayante. L’articulation de la hanche avait entièrement disparu. Amanda n’avait pas la moindre idée de la manière de l’aider.

Elle pouvait peut-être envoyer Willard chercher du secours mais où irait-il ? À travers la toile fine de sa tente, elle entendait les plaintes des blessés et les pleurs des saints qui avaient perdu maris et pères, fils et frères. Toutes les personnes qui auraient pu lui venir en aide étaient déjà en train de s’occuper de quelqu’un d’autre ou de pleurer. Elle sut qu’elle devrait compter sur Dieu.

Lorsque Alma reprit connaissance, elle lui demanda s’il pensait que Dieu pouvait lui faire une nouvelle hanche. Alma dit que si c’était ce qu’elle pensait, lui aussi.

Elle réunit ses trois autres enfants autour de lui. Elle pria : « Oh, mon Père céleste, tu vois mon pauvre garçon blessé et tu connais mon manque d’expérience. Oh, Père céleste, indique-moi ce que je dois faire. »

Elle termina sa prière et entendit une voix diriger chacun de ses gestes. Le feu familial se consumait encore dehors et elle mélangea rapidement ses cendres avec de l’eau pour faire du savon. Elle trempa un linge propre dans la solution et lava doucement la plaie d’Alma, répétant maintes fois la procédure jusqu’à ce qu’elle soit propre.

Elle envoya ensuite Willard chercher des racines d’orme. Lorsqu’il revint, elle les broya pour en faire de la pâte qu’elle modela en un cataplasme. Elle le plaça sur la plaie d’Alma et l’enveloppa de tissu.

Elle dit à son fils : « Maintenant, reste allongé comme cela et ne bouge pas, et le Seigneur te fera une autre hanche. »

Une fois qu’elle sut qu’il était endormi et que les autres enfants étaient en sécurité dans la tente, elle sortit et pleura.

Le lendemain matin, 31 octobre, George Hinkle et d’autres dirigeants de la milice des saints rencontrèrent le général Doniphan sous le couvert d’un drapeau blanc. Doniphan n’avait toujours pas reçu les ordres du gouverneur mais il savait que ceux-ci autorisaient l’extermination des saints. Il expliqua que toute négociation pacifique devait attendre qu’il ait vu les ordres. Il dit aussi à George que le général Lucas, leur vieil ennemi, commandait maintenant la milice.

De retour à Far West, George rapporta à Joseph ce qu’il avait appris. À peu près à ce moment-là, des messagers arrivèrent de Hawn’s Mill et l’informèrent du massacre. Dix-sept personnes avaient été tuées et plus d’une douzaine blessées.

Les deux rapports écœurèrent Joseph. Le conflit avec les Missouriens avait dégénéré au-delà des raids et des escarmouches. Si les émeutiers et les miliciens ouvraient une brèche dans la barricade des saints, les habitants de Far West pourraient connaître le même sort que ceux de Haun’s Mill.

Joseph exhorta George : « Implore la paix à tout prix. » Le prophète dit qu’il préférait mourir ou aller en prison pendant vingt ans plutôt que voir les saints se faire massacrer.

Plus tard dans la journée, les ordres du gouverneur arrivèrent et George et les autres dirigeants de la milice donnèrent rendez-vous au général Lucas sur une colline près de Far West. Le général arriva dans l’après-midi et lut à voix haute l’ordre d’extermination. Les saints furent choqués. Ils savaient que leur ville était encerclée par près de trois mille miliciens du Missouri dont la plupart rêvaient de se battre. Tout ce que Lucas avait à faire était de sonner l’ordre et ses troupes envahiraient la ville.

Pourtant, le général dit qu’ils étaient disposés à faire preuve d’un peu de miséricorde si les saints livraient leurs dirigeants et leurs armes, et acceptaient de vendre leurs terres et de quitter l’État pour de bon. Il accorda une heure à George pour convenir des conditions. Sinon, rien n’empêcherait ses troupes d’annihiler les saints.

George rentra à Far West cet après-midi-là en se demandant si Joseph s’engagerait à respecter les conditions. En tant que commandant de la milice de Caldwell, il avait l’autorité de négocier avec l’ennemi. Néanmoins, Joseph voulait qu’il consulte la Première Présidence avant d’accepter une proposition quelconque des troupes de l’État.

Le temps étant compté et la milice prête à attaquer la ville, George dit à Joseph que le général Lucas voulait parler de la fin des hostilités avec lui et d’autres dirigeants de l’Église. Pressé de mettre les saints hors de danger, Joseph accepta de négocier sous le couvert d’un drapeau blanc. Bien que n’étant pas membre de la milice, il voulait faire tout ce qu’il pouvait pour résoudre le conflit.

George et lui quittèrent Far West peu avant le coucher du soleil avec Sidney Rigdon, Parley Pratt, Lyman Wight et George Robinson. À mi-chemin vers le camp du Missouri, ils virent le général Lucas venir à leur rencontre avec plusieurs soldats et un canon. Joseph supposa qu’ils venaient les escorter jusqu’au camp en assurant leur sécurité.

Le général arrêta son cheval devant les hommes et ordonna à ses troupes de les encercler. George Hinkle s’avança vers le général et dit : « Voici les prisonniers que j’ai accepté de livrer. »

Le général Lucas tira son épée. Il dit : « Messieurs, vous êtes mes prisonniers. » Les troupes explosèrent en cris de guerre stridents et se rapprochèrent des prisonniers.

Joseph était stupéfait. Qu’est-ce que George avait fait ? La confusion du prophète se mua en colère et il exigea de parler au général Lucas mais celui-ci l’ignora et s’éloigna à cheval.

Les troupes escortèrent Joseph et les autres hommes au camp du Missouri. Une foule de soldats les gratifia de menaces et d’insultes virulentes. Pendant que Joseph et ses amis passaient entre leurs rangs, les hommes hurlaient triomphalement et leur crachaient au visage et sur les vêtements.

Le général Lucas plaça Joseph et ses amis sous bonne garde et les força à dormir sur la terre froide. L’époque où ils étaient des hommes libres était révolue. Ils étaient maintenant prisonniers de guerre.


CHAPITRE 31 : Comment cela va-t-il se terminer ?

En entendant les hurlements sauvages provenant du camp du Missouri, Lydia Knight craignit le pire. Elle savait que le prophète y était allé pour négocier des accords de paix. Mais ce qu’elle entendait ressemblait à une meute de loups avides devant une proie.

Regardant anxieusement par la fenêtre, elle vit son mari arriver en courant vers la maison. Newel lui dit : « Prie comme tu n’as jamais prié de ta vie. » La milice avait capturé le prophète.

Lydia se sentit défaillir. La veille, deux vétérans de l’escarmouche de la Crooked River avaient frappé à sa porte en quête d’un lieu où se terrer. La milice du Missouri avait juré de punir les saints qui avaient participé à la bataille ; elle mettait donc sa famille en danger en abritant ces hommes. Mais elle ne pouvait pas les refouler et elle les avait cachés chez elle.

Maintenant, elle se demandait s’ils étaient bien en sécurité. Newel était de nouveau de garde ce soir-là. Si la milice entrait dans la ville en son absence et les trouvait chez elle, les soldats risquaient de les tuer. Et que leur feraient-ils à elle et à ses enfants ?

Lorsqu’il partit pour la nuit, Newel lui recommanda de se montrer prudente. Il dit : « Ne sors pas. Il y a des rôdeurs. »

Une fois qu’il fut parti, elle commença à prier. Lorsque son mari et elle étaient venus dans l’Ouest après la consécration du temple, ils avaient fait leur chez-eux et avaient maintenant deux enfants. La vie était belle avant que les attaques des émeutiers ne commencent. Elle ne voulait pas que tout s’effondre.

Elle entendait encore les cris perçants des Missouriens. Le son lui donnait la chair de poule mais la prière l’apaisait. Elle savait que Dieu gouvernait les cieux. Quoi qu’il se passe, rien ne pourrait changer cela.

Le lendemain matin, 1er novembre 1838, Newel passa brièvement à la maison. George Hinkle avait commandé aux forces des saints de se rassembler sur la place. La milice du Missouri était alignée à l’extérieur de leur camp et en position pour envahir Far West.

Lydia demanda : « Comment cela va-t-il se terminer ? J’ai le cœur déchiré par la crainte et pourtant l’Esprit me dit que tout finira bien. »

Ramassant son fusil, Newel dit : « Que Dieu nous l’accorde. Au revoir et que Dieu te protège. »

Pendant que les forces des saints se rassemblaient sur la place, le général Lucas fit avancer ses troupes jusqu’à une prairie au sud-est de Far West et leur ordonna de se tenir prêtes à abattre toute résistance. À dix heures ce matin-là, George Hinkle conduisit ses propres troupes hors de la place et les positionna près du rang ennemi. Il s’avança ensuite vers le général, retira l’épée et les pistolets de sa ceinture et les lui remit.

Les Missouriens apportèrent un bureau et le placèrent devant leur rang. George retourna auprès de ses hommes et leur ordonna d’aller, un par un, livrer leurs armes à deux agents de la milice du Missouri.

Encerclés et largement surpassés en nombre, Newel et les saints n’avaient guère d’autre choix que d’obtempérer. Lorsque vint son tour de livrer son arme, Newel avança vers le bureau lançant des regards furieux au général Lucas. Il dit : « Monsieur, ce fusil m’appartient en propre. Personne n’a le droit de me le prendre. »

Le général dit : « Pose ton arme ou je te fais fusiller. »

Furibond, Newel abandonna son fusil et rejoignit les rangs.

Lorsque tous les saints furent désarmés, la ville était sans défense. Le général Lucas escorta les forces des saints à Far West et les tint prisonnières sur la place.

Il ordonna ensuite à ses troupes de s’emparer de la ville.

Sans perdre un instant, la milice du Missouri s’introduisit dans les maisons et les tentes, fouilla les coffres et les tonneaux, cherchant des armes et des objets de valeur. Ils emportèrent de la literie, des vêtements, de la nourriture et de l’argent. Certains allumèrent des feux de joie avec des rondins et des traverses de clôture et incendièrent des granges. D’autres tirèrent sur le bétail, les moutons et les cochons et les laissèrent périr dans les rues.

Chez les Knight, Lydia se tenait prête lorsque trois miliciens arrivèrent à la porte. L’un d’eux demanda : « Avez-vous des hommes dans la maison ? »

Bloquant l’entrée, elle répondit : « C’est vous qui gardez nos hommes. » Si elle les laissait pénétrer à l’intérieur, ils trouveraient les hommes qu’elle cachait.

Il demanda : « Avez-vous des armes dans la maison ? »

Elle dit : « Mon mari a emporté son fusil. » Derrière elle, les enfants se mirent à pleurer, effrayés à la vue de l’étranger. Rassemblant son courage, Lydia se retourna vers l’homme. Elle cria : « Allez-vous-en ! Ne voyez-vous pas combien mes petits sont terrifiés ? »

L’homme dit : « Bien, vous n’avez ni hommes ni armes chez vous ? »

Lydia dit : « Je vous répète, mon mari est prisonnier sur la place et il a pris son fusil avec lui. »

L’homme maugréa et partit avec les autres, furieux.

Lydia rentra dans sa maison. Elle tremblait mais les miliciens étaient partis et tout le monde chez elle était en sécurité.

Sur la place, sous étroite surveillance avec le reste des troupes des saints, Heber Kimball entendit une voix familière l’interpeler. Levant les yeux, il vit William McLellin, l’ancien apôtre, venir vers lui. Il était vêtu d’un chapeau et d’une chemise ornée de motifs rouge criard.

Il dit : « Frère Heber, que penses-tu maintenant de Joseph Smith, le prophète déchu ? » William était accompagné d’un groupe de soldats. Ils étaient passés de maison en maison, pillant la ville à loisir.

Il continua : « Regarde et tu le vois toi-même. Pauvre, ta famille dépouillée et dépossédée et tes frères en sont au même point. Es-tu satisfait de Joseph ? »

Heber ne pouvait pas nier que l’avenir s’annonçait mal pour les saints. Joseph était prisonnier et ces derniers étaient désarmés et assaillis.

Mais il savait qu’il ne pouvait pas abandonner Joseph et les saints, comme l’avaient fait William, Thomas Marsh et Orson Hyde. Il était resté loyal à Joseph dans toutes les épreuves qu’ils avaient traversées ensemble et il était déterminé à le rester même si cela devait lui coûter tout ce qu’il possédait.

Où es-tu ? » Retournant la question à William, Heber demanda : « Où es-tu ? Qu’est-ce que tu fais ? » Son témoignage de l’Évangile rétabli de Jésus-Christ et son refus d’abandonner les saints répondirent à la question de William.

Heber continua : « Je suis cent fois plus satisfait de lui que jamais auparavant. Je te dis que le mormonisme est vrai et que Joseph est un véritable prophète du Dieu vivant. »

Lorsque la milice pilla la ville, le général Lucas ne fit rien pour empêcher ses troupes de terroriser les saints et de leur prendre leurs biens. Dans le camp, ils les chassaient de chez eux, les insultant pendant qu’ils s’enfuyaient dans les rues. Ils fouettèrent et battirent ceux qui leur résistaient. Certains soldats agressèrent et violèrent des femmes qu’ils trouvèrent cachées dans les maisons. Le général Lucas croyait les saints coupables d’insurrection et il voulait qu’ils paient pour leurs actions et tâtent de la puissance de son armée.

Tout au long de la journée, les officiers de Lucas rassemblèrent d’autres dirigeants de l’Église. Avec l’aide de George Hinkle, les troupes entrèrent par la force chez Mary et Hyrum Smith. Hyrum était malade mais ils le chassèrent hors de chez lui à la pointe d’une baïonnette et le mirent avec Joseph et les autres prisonniers.

Ce soir-là, pendant que le général Lucas se préparait à les juger en cour martiale, un officier de la milice appelé Moses Wilson prit Lyman Wight à part, espérant le convaincre de témoigner contre Joseph lors du procès.

Il lui dit : « Nous ne souhaitons pas te faire de mal ni te tuer. Si tu viens déposer contre lui, nous t’épargnerons la vie et te donnerons le grade que tu veux. »

Lyman dit avec véhémence : « Joseph Smith n’est pas un ennemi du genre humain. Si je n’écoutais pas ses conseils, je vous aurais déjà fait votre fête. »

Moses dit : « Tu es un homme étrange. Il y aura une cour martiale ce soir, y assisteras-tu ? »

« Non, à moins d’y être forcé. »

Moses repoussa Lyman avec les autres prisonniers et peu après, le général Lucas convoqua la cour. Plusieurs officiers de la milice y participaient, y compris George Hinkle. Le général Doniphan, le seul avocat présent, s’opposa au procès, soutenant que la milice n’avait aucune autorité pour juger des civils tels que Joseph.

Ne lui prêtant aucune attention, le général Lucas poursuivit, expédiant l’audience sans qu’aucun des prisonniers ne soit présent. George voulait que Lucas se montre magnanime envers les prisonniers mais au contraire, il les condamna à être fusillés pour trahison. Une majorité d’officiers présents soutinrent la sentence.

Après le procès, Moses annonça le verdict à Lyman. Il dit : « Ton compte est bon. »

Lyman le regarda avec mépris. Il dit : « Tirez et allez au diable. »

Plus tard ce soir-là, le général Lucas ordonna au général Doniphan d’escorter Joseph et les autres prisonniers sur la place à neuf heures le lendemain matin et de les exécuter devant les saints. Doniphan était outré.

Il dit en aparté aux prisonniers : « Il est hors de question que j’en retire le moindre honneur ou la moindre disgrâce. » Il dit qu’il avait l’intention de se retirer avec ses troupes avant le lever du soleil.

Il envoya ensuite un message au général Lucas. Il déclara : « C’est un meurtre de sang-froid. Je n’obéirai pas à votre ordre. Je vous jure devant Dieu que si vous exécutez ces hommes, je vous en tiendrai pour responsable devant un tribunal terrestre  ! »

Comme promis, le lendemain matin, les forces du général Doniphan avaient disparu. Au lieu d’exécuter Joseph et les autres prisonniers, le général Lucas ordonna à ses hommes de les escorter jusqu’à son quartier général au comté de Jackson.

Encadré par des gardes armés, Joseph fut conduit à travers les rues dévastées de Far West jusque chez lui pour prendre quelques effets personnels. Emma et les enfants étaient en larmes lorsqu’il arriva mais ils furent soulagés de constater qu’il était toujours vivant. Joseph supplia ses gardes de le laisser seul quelques instants avec les siens mais ils refusèrent.

Emma et les enfants étaient cramponnés à lui et ne voulaient pas le lâcher. Les gardes tirèrent leurs épées et les séparèrent. Joseph, cinq ans, serrait son père très fort dans ses bras. Il sanglotait : « Pourquoi tu ne peux pas rester avec nous ? »

Un garde menaça le garçonnet de son épée. « Éloigne-toi, sale gosse, ou je te transperce ! »

De retour dehors, les troupes escortèrent les prisonniers à travers une foule de saints et leur ordonnèrent de grimper dans un chariot bâché. La milice encercla ensuite le véhicule, formant un mur d’hommes armés entre les saints et leurs dirigeants.

Pendant qu’il attendait que le chariot se mette en branle, Joseph entendit une voix familière au-dessus des bruits de la foule. Lucy Smith criait : « Je suis la mère du prophète. N’y a-t-il pas un gentleman ici qui va m’aider à me frayer un passage à travers cet attroupement ? »

La bâche épaisse empêchait les prisonniers de voir à l’extérieur mais à l’avant du chariot, Hyrum glissa la main sous la toile et prit celle de sa mère. Les gardes lui ordonnèrent immédiatement de reculer, menaçant de la tuer. Hyrum sentit la main de sa mère lâcher prise et il semblait que le chariot allait se mettre en mouvement d’un moment à l’autre.

Juste à ce moment-là, Joseph, qui était assis à l’arrière, entendit une voix de l’autre côté de la bâche. « Monsieur Smith, votre mère et votre sœur sont ici. »

Joseph glissa la main sous la toile et sentit celle de sa mère. Il l’entendit dire : « Joseph, je ne peux pas supporter l’idée de m’en aller tant que je n’ai pas entendu ta voix. »

Juste avant avant le départ brusque du chariot, Joseph dit : « Que Dieu te bénisse, maman. »

Plusieurs nuits plus tard, les prisonniers étaient allongés sur le sol d’une maison de rondins à Richmond, Missouri. Après les avoir emmenés au comté de Jackson, le général Lucas les avait exhibés comme des animaux avant de recevoir l’ordre de les envoyer à Richmond pour comparaître devant un juge.

Maintenant, chacun essayait de dormir avec un fer enserrant sa cheville et une lourde chaîne le reliant aux autres prisonniers. Le sol était froid et dur et les hommes n’avaient pas de feu pour se réchauffer.

Allongé et éveillé, Parley Pratt était malade d’entendre les gardes raconter des histoires obscènes de viols et de meurtres perpétrés contre les saints. Il voulait se lever et réprimander les hommes (dire quelque chose qui les obligerait à se taire) mais il garda le silence.

Soudain, il entendit les chaînes cliqueter à côté de lui lorsque Joseph se mit debout. Le prophète tonna : « Silence, démons du gouffre infernal ! Au nom de Jésus-Christ, je vous réprimande et je vous commande de vous taire ! Je ne vivrai pas un instant de plus pour entendre un pareil langage ! »

Les gardes étonnés empoignèrent leurs armes et levèrent les yeux. Joseph, rayonnant de majesté, les regarda fixement. Il commanda : « Cessez ce genre de conversation ou bien vous ou moi mourrons à l’instant ! »

Le silence revint dans la pièce et les gardes baissèrent leurs fusils. Certains se tapirent dans les coins. D’autres s’accroupirent de peur à ses pieds. Le prophète resta debout immobile, calme et digne. Les gardes implorèrent son pardon et se turent jusqu’à l’arrivée de la relève.

Le 12 novembre 1838, Joseph et plus de soixante autres saints furent conduits jusqu’au tribunal de Richmond pour décider s’il y avait suffisamment de preuves pour les accuser de trahison, de meurtre, d’incendie criminel, de vol, de cambriolage et de larcin. Le juge, Austin King, déciderait si les prisonniers feraient l’objet d’un procès.

Le procès dura plus de deux semaines. Le témoin clé contre Joseph était Sampson Avard, qui avait été un dirigeant danite. Pendant le siège de Far West, Sampson avait tenté de fuir le Missouri mais la milice l’avait capturé et menacé de le poursuivre en justice s’il refusait de témoigner contre les prisonniers.

Anxieux de sauver sa peau, Sampson affirma que tout ce qu’il avait fait en tant que Danite, il l’avait fait sur ordre de Joseph. Il témoigna que ce dernier croyait que, selon la volonté de Dieu, les saints devaient se battre contre le gouvernement du Missouri et la nation pour préserver leurs droits.

Il dit aussi que Joseph croyait que l’Église était comme la pierre dont parle Daniel dans l’Ancien Testament qui remplirait toute la terre et consumerait ses royaumes.

Inquiet, le juge King questionna Joseph au sujet de la prophétie de Daniel et il témoigna qu’il y croyait.

Le juge dit à son greffier : « Notez cela. C’est une preuve solide de trahison. »

L’avocat de Joseph fit objection. Il dit : « Monsieur le juge, c’est plutôt la Bible que vous devriez qualifier de trahison. »

On fit appel à plus de quarante témoins pour témoigner contre les prisonniers, notamment plusieurs anciens dirigeants de l’Église. Craignant d’être eux-mêmes poursuivis en justice, John Corrill, William Phelps, John Whitmer et d’autres avaient conclu avec l’État du Missouri le marché de témoigner contre Joseph en échange de leur liberté. Sous serment, ils décrivirent les méfaits dont ils avaient été témoins pendant le conflit et tous accusèrent Joseph.

En revanche, la défense des saints se résumait à quelques témoins qui n’eurent pas une grande influence sur l’opinion du juge. D’autres auraient pu parler en faveur de Joseph mais ils furent harcelés ou chassés de la salle d’audience.

À la fin de la séance, cinq saints dont Parley Pratt furent emprisonnés à Richmond en attendant d’être jugés pour meurtre lors de la bataille de la Crooked River.

Les autres, Joseph et Hyrum Smith, Sidney Rigdon, Lyman Wight, Caleb Baldwin et Alexander McRae, furent transférés dans une prison de la ville appelée Liberty, en attendant d’être jugés pour trahison. S’ils étaient inculpés, ils seraient exécutés.

Un forgeron enchaîna les six hommes ensemble et les conduisit vers un grand chariot. Les prisonniers grimpèrent et s’assirent sur le bois brut, la tête dépassant à peine des montants du véhicule.

Le voyage dura toute la journée. Lorsqu’ils arrivèrent à Liberty, le chariot traversa le centre de la ville, passa devant le tribunal puis arriva à une petite prison de pierre au nord. La porte était ouverte, attendant les hommes dans le froid de cette journée de décembre.

Un par un, les prisonniers descendirent du chariot et gravirent les marches jusqu’à l’entrée de la prison. Une foule de curieux se pressa autour d’eux, espérant apercevoir les détenus.

Joseph fut le dernier homme à descendre. Lorsqu’il arriva à la porte, il regarda la foule et souleva son chapeau en guise de salut poli. Il fit ensuite volte-face et descendit dans la sombre prison.


CHAPITRE 32 : Quand même l’enfer tout entier se déchaînerait

Mi-novembre 1838, à Far West, les saints souffrirent de la faim et du froid. La milice du Missouri avait détruit des maisons et vidé la plupart des réserves de nourriture de la ville. Les quelques récoltes subsistant dans les champs étaient gelées.

Le général John Clark, qui remplaçait le général Lucas à la tête des forces du Missouri à Far West, n’avait pas plus de sympathie pour les saints que son prédécesseur. Il les accusait d’être les agresseurs et de s’opposer à la loi. Il leur dit : « Vous vous êtes attiré ces problèmes par votre hostilité et votre refus de respecter les lois. »

Comme l’hiver menaçait, il accepta qu’ils restent à Far West jusqu’au printemps mais leur conseilla de se disperser ensuite. Il les avertit : « Ne vous organisez jamais plus avec des évêques et des présidents sinon vous risquez d’attiser la jalousie des gens et de faire de nouveau l’objet des mêmes désastres que ceux qui vous sont arrivés. »

La situation à Hawn’s Mill était encore pire. Le lendemain du massacre, les émeutiers ordonnèrent aux saints de quitter l’État sous peine d’être tués. Amanda Smith et les autres survivants voulaient partir mais ils leur avaient volé les chevaux, les vêtements, la nourriture et les autres fournitures dont ils avaient besoin pour effectuer le long voyage. De nombreux blessés, dont Alma, le fils d’Amanda, n’étaient pas en état de faire un si long périple.

Les femmes du camp organisèrent des réunions de prière, demandant au Seigneur de guérir leurs blessés. Lorsque les émeutiers en furent informés, ils menacèrent de massacrer le camp si elles continuaient. Après cela, elles prièrent en silence, essayant désespérément de ne pas attirer l’attention sur elles tandis qu’elles se préparaient à partir.

Au bout de quelque temps, Amanda quitta sa tente et emménagea avec sa famille dans une cabane. Tout en continuant de pleurer son mari et son fils assassinés, elle devait s’occuper seule de ses quatre jeunes enfants. Elle craignait de devoir rester trop longtemps à Hawn’s Mill en attendant que son fils guérisse. Et même si elle pouvait s’en aller avec ses enfants, où iraient-ils ?

C’est une question que les saints dans tout le nord du Missouri se posaient. Ils craignaient que la milice n’exécute l’ordre d’extermination du gouverneur s’ils ne partaient pas au printemps. Cependant, sans dirigeants pour les guider, ils n’avaient pas la moindre idée de la manière de procéder pour quitter le Missouri ni de l’endroit où se rassembler ensuite.

Pendant que les saints abandonnaient Far West, Phebe Woodruff, souffrant de violentes migraines et de fièvre, était allongée dans une auberge en bord de route à l’ouest de l’Ohio. Depuis deux mois, Wilford et elle voyageaient vers l’ouest avec les saints des îles Fox, pataugeant dans la neige et la pluie pour atteindre Sion. De nombreux enfants étaient tombés malades, notamment sa fille, Sarah Emma. Deux familles s’étaient déjà retirées du convoi, convaincues qu’elles ne réussiraient pas à arriver en Sion cet hiver-là.

Avant de s’arrêter à l’auberge, Phebe avait souffert atrocement à chaque secousse du chariot sur la route cahoteuse. Un jour où elle avait presque cessé de respirer, Wilford avait arrêté le convoi afin qu’elle puisse se remettre.

Phebe était certaine qu’elle allait mourir. Il lui fit une bénédiction et fit tout son possible pour soulager sa souffrance mais la fièvre empira. Finalement, elle appela son mari à son chevet, témoigna de l’Évangile de Jésus-Christ et l’exhorta à avoir la foi malgré ses épreuves. Le lendemain, sa respiration cessa complètement et elle sentit son esprit la quitter.

Elle regarda Wilford fixer son corps sans vie. Elle vit deux anges entrer dans la chambre. L’un d’eux lui dit qu’elle devait faire un choix. Elle pouvait les accompagner pour se reposer dans le monde des esprits ou revenir à la vie et endurer les épreuves qui l’attendaient.

Phebe savait que si elle restait, le parcours ne serait pas facile. Voulait-elle retourner à sa vie accablée de soucis et à son avenir incertain ? Elle vit les visages de Wilford et de Sarah Emma et elle répondit rapidement :

« Oui, je vais y retourner ! »

Au moment où elle prit sa décision, la foi de Wilford fut renouvelée. Il l’oignit d’huile consacrée, lui imposa les mains et réprimanda le pouvoir de la mort. Quand il eut fini, elle recommença à respirer. Elle ouvrit les yeux et regarda les deux anges quitter la pièce.

Au Missouri, Joseph, Hyrum et les autres détenus de la prison de Liberty se serraient les uns contre les autres pour se tenir chaud. Le petit cachot humide aux murs de pierre et de bois épais de plus d’un mètre était en grande partie en sous-sol. Deux minuscules fenêtres près du plafond laissaient entrer un peu de clarté mais étaient insuffisantes pour évacuer la puanteur rance du lieu. Des piles de paille sale sur le sol de pierre servaient de lits aux prisonniers et quand les hommes étaient assez désespérés pour manger les repas immondes qu’on leur servait, la nourriture les faisait parfois vomir.

Début décembre, Emma rendit visite à Joseph, rapportant des nouvelles des saints à Far West. En écoutant le récit de leurs souffrances, il sentait son indignation envers ceux qui l’avaient trahi grandir. Il dicta une lettre aux saints, condamnant la perfidie de ces hommes et encourageant les saints à persévérer.

Il leur assura : « Sion vivra, bien qu’elle semble être morte. Le Dieu de paix vous accompagnera et ouvrira la voie pour que vous échappiez à l’adversaire de votre âme. »

En février 1839, Marie, la femme d’Hyrum, et sa sœur Mercy rendirent visite aux prisonniers avec le fils nouveau-né d’Hyrum, Joseph F. Smith. Mary n’avait pas revu Hyrum depuis novembre, avant la naissance. L’accouchement et un gros rhume l’avaient laissée presque trop faible pour se rendre à Liberty. Toutefois, Hyrum lui avait demandé de venir et elle ne savait pas si elle aurait une autre occasion de le voir.

Dans la prison, le geôlier ouvrit la trappe et les femmes descendirent dans le cachot pour passer la nuit avec les prisonniers. Il referma le battant derrière elles et le condamna avec un gros verrou.

Cette nuit-là, personne ne dormit beaucoup. La vue de Joseph, d’Hyrum et des autres prisonniers, émaciés et sales dans leur logement exigu, choqua les femmes. Hyrum tint son bébé et parla doucement avec Mary. Les autres prisonniers et lui étaient inquiets. Le geôlier et les gardes étaient toujours sur le qui-vive, certains que Joseph et Hyrum étaient en train de comploter une évasion.

Le lendemain matin, Mary et Mercy leur dirent au revoir et se hissèrent hors du cachot. Tandis que les gardes les escortaient vers la sortie, les charnières de la trappe grincèrent lorsqu’elle se referma brutalement.

Cet hiver-là, à Far West, Brigham Young et Heber Kimball reçurent une lettre de Joseph. Il déclarait : « La direction des affaires de l’Église repose sur vous, c’est-à-dire, les Douze. » Il les enjoignait de nommer le plus vieux des apôtres originels pour remplacer Thomas Marsh en tant que président du Collège. David Patten aurait été le plus âgé mais il avait succombé à ses blessures suite à la bataille de la Crooked River, ce qui signifiait que c’était Brigham, maintenant âgé de trente-sept ans, qui devait conduire les saints hors du Missouri.

Brigham avait déjà enrôlé l’aide du grand conseil du Missouri pour maintenir l’ordre dans l’Église et prendre les décisions en l’absence de Joseph. Mais il y avait encore d’autres choses à faire.

Le général Clark avait donné aux saints jusqu’au printemps pour quitter l’État mais des émeutiers armés circulaient à cheval dans toute la ville, promettant de tuer quiconque serait encore là fin février. Effrayés, beaucoup de ceux qui en avaient les moyens s’enfuirent dès que possible, laissant les pauvres se débrouiller.

Le 29 janvier, Brigham exhorta les saints de Far West à faire alliance de s’aider les uns les autres à évacuer l’État. Il leur dit : « Nous n’abandonnerons jamais les pauvres tant qu’ils ne sont pas hors de portée de l’ordre d’extermination. »

Pour s’assurer que tout le monde soit pris en charge, les autres dirigeants de Far West et lui nommèrent un comité de sept hommes pour organiser l’évacuation. Le comité réunit des dons et des vivres pour les pauvres et fit une évaluation minutieuse des besoins des saints. Plusieurs hommes explorèrent des pistes dans tout l’État, sans s’écarter des routes bien tracées et en évitant les endroits hostiles. Les routes choisies convergeaient toutes vers le Mississippi, la frontière est de l’État, à deux cent soixante kilomètres.

Ils décidèrent que l’exode hors du Missouri devait commencer immédiatement.

Début février, Emma quitta Far West avec ses quatre enfants : Julia, huit ans, Joseph III, six ans, Frederick, deux ans et Alexander, sept mois. Presque tout ce que Joseph et elle possédaient avait été volé ou abandonné à Far West. Elle voyagea donc avec des amis qui lui fournirent un chariot et des chevaux pour le voyage. Elle transporta également les papiers importants de Joseph.

La famille voyagea sur le sol gelé du Missouri pendant plus d’une semaine. En chemin, l’un de leurs chevaux mourut. Lorsqu’ils atteignirent le Mississippi, ils découvrirent qu’à cause du froid implacable de l’hiver, une couche de glace s’était formée sur toute la largeur du fleuve. Aucun bac ne pouvait fonctionner mais la glace était juste assez épaisse pour permettre au groupe de traverser à pied.

Avec Frederick et Alexander dans les bras, Emma s’avança sur le fleuve gelé. Le petit Joseph se cramponnait à un côté de sa jupe pendant que Julia tenait fermement l’autre. Ils marchèrent tous les trois prudemment sur le chemin glissant jusqu’à atteindre enfin la rive distante.

Saine et sauve hors du Missouri, Emma trouva les gens de la ville voisine (Quincy, en Illinois) plus aimables qu’elle ne s’y attendait. Ils aidèrent les saints à franchir le fleuve gelé, donnèrent de la nourriture et des vêtements, et offrirent un abri et un emploi aux plus démunis.

Peu après son arrivée, elle écrivit à son mari : « Je suis encore en vie et toujours disposée à souffrir davantage pour toi si telle est la volonté des cieux aimants. » Les enfants allaient bien aussi, à part Frederick, qui était malade.

Elle dit : « Seul Dieu connaît les pensées de mon esprit et les sentiments de mon cœur lorsque j’ai abandonné notre maison et notre foyer et tout ce que nous possédions si ce n’est nos petits enfants et que j’ai quitté l’État du Missouri en te laissant enfermé dans cette prison solitaire. »

Elle était quand même confiante en la justice divine et espérait des jours meilleurs. Elle écrivit : « Si Dieu ne prend pas note de nos souffrances et ne venge pas nos torts sur les coupables, je me trompe lourdement. »

Tandis que les saints fuyaient le Missouri, la blessure d’Alma Smith empêchait toujours sa famille de quitter Hawn’s Mill. Amanda prenait soin de son fils, toujours confiante que le Seigneur lui réparerait la hanche.

Un jour, il lui demanda : « Tu crois que le Seigneur peut le faire, maman ? »

Elle lui répondit : « Oui, mon fils. Il m’a tout montré en vision. »

Au bout d’un moment, les émeutiers voisins du camp se montrèrent davantage hostiles et fixèrent une date limite à laquelle les saints devaient partir. Lorsque le jour arriva, la hanche d’Alma était encore à vif et Amanda refusa de s’en aller. Apeurée et désirant ardemment prier à haute voix, elle se cacha dans un faisceau de tiges de maïs et demanda au Seigneur force et aide. Lorsqu’elle eut terminé sa prière, une voix s’adressa à elle, répétant un couplet d’un cantique connu :

L’âme qui s’appuie sur Jésus pour se reposer,

À ses ennemis, je ne l’abandonnerai ;

Cette âme, que l’enfer s’évertue à secouer,

Jamais, non jamais je ne l’abandonnerai !

Les paroles fortifièrent Amanda et elle eut l’impression qu’il ne pouvait rien lui arriver de mal. Peu après, pendant qu’elle puisait de l’eau dans un ruisseau, elle entendit ses enfants crier dans la maison. Terrifiée, elle se précipita à la porte et vit Alma courir autour de la pièce.

Il criait : « Je vais bien, maman, je vais bien ! » Un cartilage souple s’était formé à la place de sa hanche, lui permettant de marcher.

Alma étant en mesure de voyager, Amanda rassembla ses affaires, se rendit chez le Missourien qui lui avait volé son cheval et exigea qu’il le lui rende. Il lui dit qu’elle pouvait le reprendre si elle payait cinq dollars pour le dédommager de l’avoir nourri.

Ne faisant aucun cas de ses dires, Amanda alla dans la cour, prit son cheval et partit pour l’Illinois avec ses enfants.

Comme il y avait des saints qui quittaient Far West jour après jour, Drusilla Hendricks s’inquiétait d’être abandonnée avec sa famille. Isaac Leany, un autre saint qui avait reçu quatre balles à Hawn’s Mill, lui assura que ce ne serait pas le cas mais Drusilla ne voyait pas comment son mari pourrait faire le voyage.

Depuis sa blessure à la nuque à la bataille de la Crooked River, James était paralysé. Après le combat, elle l’avait trouvé chez des voisins, allongé parmi les blessés. Bien qu’accablée de chagrin, elle s’était ressaisie, l’avait ramené à la maison et avait essayé différents remèdes pour redonner de la sensation à ses membres. Rien ne semblait y faire.

Pendant les semaines qui suivirent la capitulation de Far West, elle avait vendu leurs terres et travaillé pour gagner de l’argent pour déménager. Elle en avait suffisamment pour acheter quelques provisions et un petit chariot mais pas d’attelage d’animaux pour le tirer.

Sans rien pour tracter son chariot, Drusilla savait qu’ils seraient bloqués au Missouri. James avait récupéré un peu de mobilité dans les épaules et les jambes après avoir reçu une bénédiction de la prêtrise mais il ne pouvait pas marcher très loin. Pour le conduire en sécurité hors de l’État, ils avaient besoin d’un attelage.

L’inquiétude de Drusilla augmentait à mesure que la date limite de l’évacuation approchait. Les émeutiers commencèrent à la menacer, l’avertissant qu’ils allaient venir tuer son mari.

Un soir, alors qu’elle allaitait son bébé sur le lit à côté de James, elle entendit un chien aboyer dehors. William, son fils aîné, cria : « Maman ! Les émeutiers arrivent ! » Un instant plus tard, elle entendit frapper à la porte.

Elle demanda qui c’était. Une voix venant de dehors lui dit que cela ne la regardait pas et menaça d’enfoncer la porte si elle ne l’ouvrait pas. Elle dit à l’un de ses enfants d’ouvrir et peu après, la pièce fut remplie d’hommes armés portant de fausses barbes pour dissimuler leur visage.

Ils ordonnèrent à Drusilla de se lever.

Craignant qu’ils ne tuent James si elle s’éloignait de lui, elle ne bougea pas. Un homme attrapa une bougie sur une table voisine et commença à fouiller la maison. Les hommes dirent qu’ils cherchaient un Danite dans la région.

Ils cherchèrent sous le lit et dans les pièces à l’arrière. Ensuite, ils retirèrent les couvertures de dessus James et tentèrent de l’interroger mais il était trop faible pour dire quoi que ce soit. Dans la pénombre, il avait l’air fragile et pâle.

Ils demandèrent de l’eau et Drusilla leur dit où en trouver. Pendant qu’ils buvaient, ils chargèrent leurs pistolets. L’un d’eux dit : « Tout est prêt. »

Elle regarda les hommes placer le doigt sur la gâchette de leur arme. Ils se levèrent et Drusilla se prépara à une volée de balles. Les hommes s’attardèrent dans la pièce pendant une minute puis sortirent et s’éloignèrent.

Un peu plus tard, un docteur prit James en pitié et donna à Drusilla des conseils sur la manière de l’aider. James reprit lentement des forces. Leur ami Isaac trouva également un attelage de bœufs pour la famille.

C’était tout ce dont ils avaient besoin pour quitter définitivement le Missouri.

Lorsque Wilford et Phebe Woodruff arrivèrent en Illinois avec la branche des îles Fox, ils furent informés de l’expulsion des saints du Missouri. Mi-mars, alors que davantage de membres de l’Église s’installaient à Quincy, les Woodruff prirent la route de la ville pleine d’animation pour retrouver les saints et les dirigeants de l’Église.

Edward Partridge, qui avait souffert pendant des semaines dans une prison du Missouri, aidait à diriger l’Église à Quincy en dépit de sa mauvaise santé. Pendant ce temps, Heber et d’autres dirigeants généraux continuaient de superviser l’évacuation du Missouri.

Wilford et Phebe trouvèrent Emma et ses enfants chez Sarah et John Cleveland, un juge local. Ils virent également les parents et les frères et sœurs du prophète qui habitaient maintenant à Quincy et dans les environs, tout comme Brigham et Mary Ann Young et John et Leonora Taylor.

Le lendemain, Brigham annonça que le comité d’évacuation à Far West avait besoin d’argent et d’attelages pour aider cinquante familles pauvres à quitter le Missouri. Bien que les saints de Quincy le fussent aussi, il leur demanda de faire preuve de charité envers ceux qui étaient encore plus démunis qu’eux. En retour, les saints donnèrent cinquante dollars et plusieurs attelages.

Wilford se rendit sur les berges du Mississipi le lendemain pour rendre visite à un camp de membres de l’Église nouvellement arrivés. Il faisait froid et il pleuvait et les réfugiés étaient en petits groupes dans la boue, fatigués et affamés. Aussi aimables que fussent les habitants de Quincy, Wilford savait que les saints auraient vite besoin d’un endroit à eux.

Heureusement, l’évêque Partridge et d’autres avaient parlé à un homme nommé Isaac Galland, qui voulait leur vendre des terres marécageuses le long d’un méandre du fleuve au nord de Quincy. Elles ressemblaient difficilement aux terres où coulent le lait et le miel qu’ils avaient imaginées pour Sion mais elles étaient disponibles immédiatement et pouvaient offrir aux saints un nouveau lieu de rassemblement.


CHAPITRE 33 : Ô Dieu, où es-tu ?

Pour les détenus de la prison de Liberty, les journées étaient interminables. Durant leurs premiers mois de prison, ils reçurent souvent des visites de leur famille et de leurs amis qui leur apportaient des paroles réconfortantes, des vêtements et de la nourriture. À la fin de l’hiver, le nombre de lettres et de visites amicales chuta brusquement lorsque les saints s’enfuirent en Illinois, laissant les prisonniers encore plus esseulés.

En janvier 1839, ils avaient essayé de plaider leur cause devant un juge de comté mais seul Sidney Rigdon, qui était gravement malade, avait été libéré sous caution. Les autres (Joseph, Hyrum, Lyman Wight, Alexander McRae et Caleb Baldwin) retournèrent dans leur cachot en attendant le procès prévu au printemps.

La vie en prison minait Joseph. Des chahuteurs essayaient de le voir à travers les barreaux des fenêtres pour le regarder comme une bête curieuse ou lui crier des obscénités. Les autres prisonniers et lui n’avaient souvent qu’un peu de pain de maïs à manger. La paille qu’ils utilisaient comme couchage depuis décembre était maintenant tassée et n’offrait aucun confort. Quand ils allumaient un feu pour se réchauffer, le cachot se remplissait d’une fumée irrespirable.

Le jour du procès arrivait rapidement et chaque homme savait qu’il avait de grandes chances d’être inculpé par un jury partial et d’être exécuté. Ils essayèrent plus d’une fois de s’évader mais leurs gardes les attrapaient systématiquement.

Depuis son appel divin, Joseph avait persévéré en dépit de l’opposition, s’efforçant d’obéir au Seigneur et de rassembler les saints. Bien que l’Église ait prospéré au fil des années, elle semblait maintenant être sur le point de s’effondrer.

Les émeutiers avaient chassé les saints hors de Sion dans le comté de Jackson. Des querelles intestines avaient divisé l’Église à Kirtland et laissé le temple entre les mains de créanciers. Maintenant, après une terrible guerre avec leurs voisins, les saints étaient dispersés le long de la rive est du Mississipi, découragés et sans abri.

Si seulement les habitants du Missouri les avaient laissés tranquilles, pensa Joseph, il n’y aurait eu que paix et calme dans l’État. Les saints étaient de bonnes personnes qui aimaient Dieu. Ils ne méritaient pas d’être chassés de chez eux, battus et abandonnés à leur sort.

L’injustice irritait Joseph. Dans l’Ancien Testament, le Seigneur avait souvent secouru son peuple du danger, vainquant ses ennemis avec la force de son bras.Maintenant que les saints étaient menacés d’extermination, il n’était pas intervenu.

Pourquoi ?

Pourquoi un Père céleste aimant laissait-il tant d’hommes, de femmes et d’enfants innocents souffrir alors que ceux qui les chassaient de chez eux, volaient leurs terres et commettaient des actes de violence indescriptibles envers eux étaient libres et impunis ? Comment pouvait-il laisser ses serviteurs fidèles moisir dans une prison épouvantable, loin de leurs proches ? Quelle utilité cela pouvait-il avoir d’abandonner les saints au moment même où ils avaient le plus besoin de lui ?

Joseph s’écria : « Ô Dieu, où es-tu ? Combien de temps retiendras-tu ta main ? »

Pendant que Joseph luttait avec le Seigneur, les apôtres à Quincy devaient prendre une décision importante, mettant potentiellement leur vie en jeu. L’année précédente, le Seigneur leur avait commandé de se retrouver le 26 avril 1839 sur le site du temple de Far West, où ils devaient continuer d’en poser les fondations avant de partir pour une nouvelle mission en Angleterre. À un peu plus d’un mois de la date fixée, Brigham Young insista pour que les apôtres retournent à Far West et accomplissent à la lettre le commandement du Seigneur.

Plusieurs dirigeants de l’Église à Quincy croyaient qu’il ne leur était plus nécessaire d’obéir à la révélation et pensaient qu’il était absurde de retourner là où les émeutiers avaient juré de tuer les saints. Certainement, raisonnaient-ils, le Seigneur n’attendait pas d’eux qu’ils risquent leur vie à faire des centaines de kilomètres aller-retour en territoire ennemi alors qu’on avait tant besoin d’eux en Illinois.

De plus, leur collège était en déroute. Thomas Marsh et Orson Hyde avaient apostasié, Parley Pratt était en prison et Heber Kimball et John Page étaient toujours au Missouri. Wilford Woodruff, Willard Richards et George A. Smith, le cousin de Joseph, apôtres récemment appelés, n’avaient pas encore été ordonnés et Willard prêchait l’Évangile en Angleterre.

Pourtant, Brigham estimait qu’ils étaient en mesure de se réunir à Far West comme le Seigneur l’avait commandé et qu’ils devaient essayer de le faire.

Il voulait que les apôtres de Quincy prennent la décision à l’unanimité. Pour faire le voyage, ils devaient laisser leur famille à un moment où l’avenir de l’Église était incertain. Si les apôtres étaient capturés ou tués, leurs femmes et leurs enfants seraient seuls pour affronter les épreuves à venir.

Mesurant l’enjeu, Orson Pratt, John Taylor, Wilford Woodruff et George A. Smith acceptèrent de faire tout ce qui était exigé pour suivre le commandement du Seigneur.

Après avoir pris leur décision, Brigham dit : « Le Seigneur Dieu a parlé. Il est de notre devoir d’obéir et de laisser le dénouement entre ses mains. »

Dans la prison de Liberty, Joseph était consumé par ses soucis pour les saints et les torts qu’ils avaient subis. Le soir du 19 mars, il reçut des lettres d’Emma, de son frère Don Carlos et de l’évêque Partridge. Elles le consolèrent un peu, ainsi que les autres détenus, mais il ne pouvait oublier qu’il était prisonnier dans un cachot dégoûtant pendant que les saints étaient dispersés et avaient besoin d’aide.

Le lendemain de l’arrivée des lettres, il commença à rédiger deux épîtres aux saints épanchant son âme comme il ne l’avait jamais fait par écrit. Dictant à un autre prisonnier qui lui servait de secrétaire, le prophète tenta de les réconforter dans leur désespoir.

Il leur assura : « Toute espèce de méchanceté ou de cruauté perpétrée contre nous ne fera que lier nos cœurs et les sceller ensemble dans l’amour. »

Il ne pouvait néanmoins pas ignorer les mois de persécutions qui les avaient conduits dans la situation désespérée où ils se trouvaient. Il vitupéra contre le gouverneur Boggs, la milice et ceux qui avaient fait du mal aux saints. Il fit appel au Seigneur en priant : « Que ta colère s’allume contre nos ennemis ; et dans la furie de ton cœur, venge-nous, par ton épée, des injustices que nous avons subies. »

Joseph savait néanmoins que leurs ennemis n’étaient pas les seuls fautifs. Certains saints, notamment des dirigeants de l’Église, avaient essayé de couvrir leurs péchés, d’assouvir leur orgueil et leur ambition et d’employer la force pour contraindre les saints à leur obéir. Ils avaient abusé de leur pouvoir et de leur position parmi eux.

Sous l’inspiration, Joseph dit : « Nous avons appris par triste expérience qu’il est de la nature et des dispositions de presque tous les hommes de commencer à exercer une domination injuste aussitôt qu’ils reçoivent un peu d’autorité ou qu’ils croient en avoir. »

Les saints justes devaient agir conformément à des principes plus élevés. Le Seigneur déclara : « Aucun pouvoir, aucune influence ne peuvent ou ne devraient être exercés en vertu de la prêtrise autrement que par la persuasion, par la longanimité, par la gentillesse et la douceur, et par l’amour sincère. Les personnes qui essayaient de faire autrement perdaient l’Esprit et l’autorité de faire du bien à leur prochain avec la prêtrise.

Joseph plaida quand même en faveur des innocents. Il demanda : « Ô Seigneur, combien de temps souffriront-ils ces injustices et ces oppressions illégales avant que ton cœur ne s’adoucisse envers eux et que tes entrailles ne soient émues de compassion envers eux ? »

Le Seigneur répondit : « Mon fils, que la paix soit en ton âme ! Ton adversité et tes afflictions ne seront que pour un peu de temps ; et alors, si tu les supportes bien, Dieu t’exaltera en haut ; tu triompheras de tous tes ennemis. »

Il lui assura qu’il ne l’oubliait pas. Il lui dit : « Si la gueule même de l’enfer ouvre ses mâchoires béantes pour t’engloutir, sache, mon fils, que toutes ces choses te donneront de l’expérience et seront pour ton bien. »

Le Sauveur lui rappela que les saints ne pouvaient pas souffrir plus que lui. Il les aimait et pouvait mettre un terme à leurs afflictions mais il avait plutôt choisi de les endurer avec eux, portant leur chagrin lors de son sacrifice expiatoire. Une telle souffrance l’avait rempli de miséricorde, lui donnant le pouvoir de secourir et de raffiner tous ceux qui se tournaient vers lui dans leurs épreuves. Il exhorta Joseph à persévérer et promit de ne jamais l’abandonner.

Il lui assura : « Tes jours sont connus et tes années ne seront pas diminuées ; c’est pourquoi, ne crains pas ce que l’homme peut faire, car Dieu sera avec toi pour toujours et à jamais. »

Pendant que le Seigneur apaisait Joseph en prison, Heber Kimball et d’autres saints au Missouri faisaient inlassablement pression sur la cour suprême de l’État pour obtenir la libération du prophète. Les juges semblaient favorables aux supplications d’Heber et certains doutaient même de la légalité de l’emprisonnement mais, au bout du compte, ils refusèrent d’intervenir.

Découragé, Heber retourna à Liberty pour faire rapport à Joseph. Les gardes refusèrent de le laisser entrer dans le cachot, alors il se tint à l’extérieur de la fenêtre de la prison et de là appela ses amis. Il leur dit qu’il avait fait de son mieux mais que cela n’avait rien changé.

Joseph répliqua : « Ne t’en fais pas et éloigne tous les saints le plus vite possible. »

Quelques jours plus tard, Heber entra subrepticement à Far West, se méfiant des dangers qui planaient encore dans la région. À part une poignée de dirigeants et quelques familles, la ville était déserte. Sa famille était partie deux mois plus tôt et depuis, il n’avait aucune nouvelle d’elle. En pensant à elle, aux prisonniers et à ceux qui avaient souffert et étaient morts à cause des émeutiers, il se sentit abattu et seul. Comme Joseph, il lui tardait que les tribulations cessent.

Tandis qu’il pensait à la situation désolante où ils se trouvaient et à ses échecs pour obtenir la libération de Joseph, il fut rempli de l’amour et de la reconnaissance du Seigneur. Appuyant un morceau de papier sur ses genoux, il nota les impressions qui lui venaient à l’esprit.

Il entendit le Seigneur dire : « Souviens-toi que je suis toujours avec toi, même jusqu’à la fin. Mon Esprit sera dans ton cœur pour t’enseigner les choses paisibles du royaume. »

Il lui dit de ne pas s’inquiéter pour sa famille. Il promit : « Je la nourrirai, la vêtirai et lui susciterai des amis. La paix reposera sur elle à jamais si tu es fidèle et pars prêcher mon Évangile aux nations de la terre. »

Lorsqu’il eut fini d’écrire, il eut le cœur et l’esprit en paix.

Après que le Seigneur lui eut parlé dans le cachot sombre et misérable, Joseph ne craignit plus que Dieu l’ait oublié ou ait oublié l’Église. Dans des lettres adressées à Edward Partridge et aux saints, il témoigna hardiment de l’œuvre des derniers jours. Il déclara : « L’enfer peut déverser sa rage pareille à la lave brûlante du Vésuve, le mormonisme y résistera. » Il en était certain.

Il s’exclama : « La vérité est le mormonisme. Dieu en est l’auteur. Il est notre bouclier. C’est par lui que nous avons reçu notre naissance. C’est par sa voix que nous avons été appelés à une dispensation de son Évangile au début de la plénitude des temps. »

Il exhorta les saints à dresser une liste officielle des torts subis au Missouri afin de pouvoir la porter à l’attention du président des États-Unis et d’autres dirigeants du gouvernement. Il croyait que les saints avaient le devoir de chercher par des moyens légaux réparation de leurs dommages.

Il conseilla : « Faisons de bon gré tout ce qui est en notre pouvoir ; alors nous pourrons nous tenir là avec la plus grande assurance pour voir le salut de Dieu, et voir son bras se révéler. »

Quelques jours après qu’il eut envoyé ses lettres, ses codétenus et lui quittèrent la prison pour comparaître devant un grand jury. Avant de partir, Joseph écrivit une lettre à Emma : « Je veux voir petit Frederick, Joseph, Julia et Alexander. Dis-leur que leur père a pour eux un amour parfait et qu’il fait tout ce qu’il peut pour échapper aux émeutiers afin de les rejoindre ».

Lorsque les prisonniers arrivèrent à Gallatin, certains des avocats qui étaient dans la salle étaient en train de boire pendant qu’une foule d’hommes musardait dehors, jetant des coups d’œil nonchalants par les fenêtres. Le juge qui siégeait avait été l’avocat qui avait plaidé contre les saints lors de leur audience de novembre.

Convaincus qu’ils ne pourraient pas obtenir de jugement équitable au comté de Daviess, Joseph et les autres prisonniers demandèrent une délocalisation. La requête fut accordée et ils prirent la route pour le tribunal d’un autre comté avec un shérif et quatre nouveaux gardes.

Ces derniers furent indulgents avec les prisonniers et ils furent bien traités pendant leur voyage jusqu’au nouveau lieu du procès. À Gallatin, Joseph avait gagné leur respect en battant le plus fort d’entre eux lors d’une lutte amicale. L’opinion publique au sujet des saints évoluait aussi. Certains habitants du Missouri étaient de plus en plus incommodés par l’ordre d’extermination du gouverneur et voulaient tout simplement laisser tomber l’affaire et être débarrassés des prisonniers.

Le lendemain de leur départ du comté de Daviess, les hommes s’arrêtèrent à un relais et les détenus achetèrent du whisky pour leurs gardes. Plus tard dans la soirée, le shérif s’approcha des prisonniers. Il leur dit : « Je vais boire un bon coup et aller me coucher et vous pouvez faire comme bon vous semble. »

Pendant que le shérif et trois des gardes s’enivraient, Joseph et ses amis sellèrent deux chevaux avec l’aide du garde restant et prirent dans la nuit la direction de l’est.

Deux jours plus tard, pendant que Joseph et les autres prisonniers s’enfuyaient pour se mettre en lieu sûr, cinq apôtres partaient dans la direction opposée, traversant le Mississippi en route pour Far West. Brigham Young, Wilford Woodruff et Orson Pratt voyageaient dans une calèche, pendant que John Taylor, George A. Smith et Alpheus Cutler, le maître d’œuvre du temple, voyageaient dans une autre.

Ils traversèrent rapidement la prairie, pressés d’arriver à Far West le jour désigné. En chemin, ils rencontrèrent fortuitement l’apôtre John Page qui partait avec sa famille s’installer hors du Missouri et ils le persuadèrent de se joindre à eux.

Au bout de sept jours de voyage, les apôtres s’introduisirent dans Far West le soir du 25 avril, au clair de lune. L’herbe avait déjà poussé sur ses rues désertées et le silence régnait. Heber Kimball, qui était retourné à Far West en apprenant la nouvelle de l’évasion de Joseph, sortit de sa cachette et leur souhaita la bienvenue en ville.

Les hommes passèrent quelques heures ensemble. Ensuite, lorsque la lumière du soleil parut à l’horizon, ils chevauchèrent silencieusement vers la place de la ville et marchèrent jusqu’au site du temple avec les quelques saints qui étaient restés là. Ils chantèrent un cantique et Alpheus roula une grosse pierre jusqu’à l’angle sud-est du site, accomplissant le commandement du Seigneur de recommencer à poser les fondations du temple.

Wilford s’assit sur la pierre et les apôtres formèrent un cercle autour de lui. Ils lui imposèrent les mains et Brigham l’ordonna à l’apostolat. Lorsqu’il eut fini, George prit la place de Wilford sur la pierre et fut ordonné à son tour.

Conscients d’avoir fait tout ce qu’ils pouvaient, les apôtres inclinèrent la tête et prièrent à tour de rôle dans la lumière de l’aube. Lorsqu’ils eurent fini, ils chantèrent « Adam-ondi-Ahman », un cantique célébrant la seconde venue de Jésus-Christ et le jour où la paix de Sion s’étendrait sur toute la prairie du Missouri déchirée par la guerre et remplirait le monde.

Alpheus fit de nouveau rouler la pierre jusqu’à l’endroit où il l’avait trouvée, laissant les fondements entre les mains du Seigneur jusqu’au jour où il préparerait la voie pour permettre aux saints de retourner en Sion.

Le lendemain, les apôtres parcoururent cinquante kilomètres pour rattraper les dernières familles qui s’efforçaient de quitter le Missouri. Ils pensaient partir prochainement pour la Grande-Bretagne mais ils voulaient d’abord retrouver leurs êtres chers en Illinois et les installer dans le nouveau lieu de rassemblement, où qu’il soit.

À peu près à cette époque-là, un bac accosta à Quincy et plusieurs passagers aux allures de voyous débarquèrent. L’un d’eux, un homme mince et pâle, portait un chapeau à larges bords et une veste bleue dont le col relevé dissimulait son visage barbu. Ses pantalons en loques étaient rentrés dans ses bottes usées.

Dimick Huntington, ancien shérif parmi les saints à Far West, regarda l’étranger hirsute grimper sur la berge. Quelque chose de familier dans son visage et dans sa façon de se tenir attira son attention. Il ne pouvait cependant pas dire ce qu’il en était avant d’y regarder de plus près.

Il s’exclama : « Est-ce vous, frère Joseph ? »

Joseph leva les mains pour faire taire son ami. Prudemment, il dit : « Chut. Où est ma famille ? »

Depuis leur évasion, Joseph et les autres prisonniers avaient été sur le qui-vive et en fuite, suivant les routes du Missouri jusqu’au Mississipi et à la liberté qui les attendait de l’autre côté du fleuve, hors de portée des autorités du Missouri.

Toujours sous le choc d’avoir vu le prophète, Dimick expliqua qu’Emma et les enfants habitaient à six kilomètres de là.

Joseph dit : « Conduis-moi à ma famille aussi vite que tu peux. »

Dimick et Joseph traversèrent la ville en empruntant de petites ruelles pour se rendre chez les Cleveland sans être vus. Lorsqu’ils arrivèrent, Joseph mit pied à terre et s’avança vers la maison.

Emma apparut à la porte et le reconnut immédiatement. Elle se mit à courir et le serra dans ses bras à mi-chemin de l’entrée.


QUATRIÈME PARTIE : La plénitude des temps (avril 1839 - février 1846)

CHAPITRE 34 : « Édifie une ville »

Vers la fin du mois d’avril 1839, quelques jours après avoir retrouvé les saints, Joseph chevaucha en direction du nord pour inspecter des terres que les dirigeants de l’Église voulaient acheter dans et autour de Commerce, ville située à quatre-vingts kilomètres de Quincy. Pour la première fois depuis plus de six mois, le prophète circulait sans escorte armée et aucune menace de violences ne planait au-dessus de lui. Il se retrouvait enfin parmi ses amis, dans un État où les habitants faisaient bon accueil aux saints et semblaient respecter leurs croyances.

En prison, il avait écrit à un homme qui vendait des terres aux alentours de Commerce, exprimant le souhait d’y installer l’Église. Il lui avait dit : « Si personne ne manifeste un intérêt particulier pour cette acquisition, nous la ferons. »

Toutefois, après la chute de Far West, de nombreux saints doutaient de la sagesse de se rassembler en un seul lieu. Edward Partridge se demandait si le meilleur moyen d’éviter les conflits et de pourvoir aux besoins des pauvres n’était pas de se rassembler en petites communautés dispersées dans tout le pays, mais Joseph savait que le Seigneur n’avait pas révoqué le commandement donné aux saints de se rassembler.

En arrivant à Commerce, il vit une plaine marécageuse qui s’élevait doucement jusqu’à un promontoire boisé surplombant une large courbe du Mississippi. La région était parsemée de quelques maisons. De l’autre côté du fleuve, sur le territoire de l’Iowa, près d’une ville du nom de Montrose, se trouvaient quelques casernes militaires abandonnées et d’autres terres à vendre.

Joseph croyait que les saints pouvaient bâtir des pieux de Sion florissants dans cette région. Les terres n’étaient pas les plus belles qu’il ait jamais vues mais le Mississippi était navigable jusqu’à l’océan, faisant de Commerce un bon endroit pour rassembler les saints arrivant de l’étranger et établir des entreprises commerciales. De plus, la région était peu colonisée.

Il était tout de même risqué de s’y rassembler. Si l’Église grandissait, comme Joseph l’espérait, leurs voisins s’alarmeraient et se retourneraient contre eux, comme ils l’avaient fait au Missouri.

Joseph pria : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? »

Le Seigneur répondit : « Édifie une ville et appelle mes saints à venir en ce lieu. »

Ce printemps-là, Wilford et Phebe Woodruff emménagèrent dans les casernes de Montrose. Brigham et Mary Ann Young et Orson et Sarah Pratt faisaient partie de leurs nouveaux voisins. Après avoir installé leurs familles, les trois apôtres avaient l’intention de partir en mission en Grande-Bretagne avec le reste du Collège.

Rapidement, des milliers de saints emménagèrent dans le nouveau lieu de rassemblement, montant des tentes ou vivant dans des chariots, le temps de construire des maisons, d’acheter de la nourriture et des vêtements et de défricher des terres cultivables de part et d’autre du fleuve.

Alors que la nouvelle colonie se développait, les Douze se réunissaient souvent avec Joseph qui prêchait avec une vigueur renouvelée pour les préparer à leur mission. Le prophète enseigna que Dieu ne lui révélerait rien qu’il ne révélerait également aux Douze. Il déclara : « Même le moindre des saints peut tout savoir aussi vite qu’il est capable de le supporter. »

Il les instruisit au sujet des premiers principes de l’Évangile, de la Résurrection, du jugement et de l’édification de Sion. Se souvenant de la trahison d’anciens apôtres, il les exhorta également à être fidèles. Il dit : « Veillez à ne pas trahir les cieux, à ne pas trahir Jésus-Christ, à ne pas trahir vos frères et à ne pas trahir les révélations de Dieu. »

Vers cette époque-là, Orson Hyde exprima le désir de revenir dans le Collège des Douze, honteux d’avoir dénoncé Joseph au Missouri et d’avoir abandonné les saints. Craignant qu’il ne les trahisse à nouveau à la prochaine difficulté, Sidney Rigdon répugnait à lui redonner son office d’apôtre mais Joseph l’accueillit et lui redonna sa place parmi les Douze. En juillet, Parley Pratt s’évada de prison au Missouri et retrouva les apôtres.

À ce moment-là, des nuages de moustiques s’élevèrent des marécages pour se régaler des nouveaux colons et de nombreux saints furent victimes de fièvres palustres mortelles et de violents frissons. La plupart des Douze furent bientôt trop malades pour partir en Grande-Bretagne.

Le matin du 22 juillet, Wilford entendit la voix de Joseph venant de l’extérieur : « Frère Woodruff, suivez-moi. »

Wilford sortit de chez lui et le vit accompagné d’un groupe d’hommes. Toute la matinée, ils étaient allés de maison en maison, de tente en tente, prenant les malades par la main et les guérissant. Après avoir béni les saints de Commerce, ils avaient pris le bac pour franchir le fleuve et guérir ceux de Montrose.

Wilford les accompagna jusqu’à chez son ami Elijah Fordham, de l’autre côté de la place du village. Il avait les yeux enfoncés et le teint grisâtre. Sa femme, Anna, préparait en pleurant des habits pour sa sépulture.

Joseph s’approcha de lui et lui prit la main. Il demanda : « Frère Fordham, n’avez-vous pas la foi pour être guéri ?

— Je crains qu’il ne soit trop tard.

— Ne croyez-vous pas que Jésus est le Christ ?

— Oui, je le crois, frère Joseph.

— Elijah, je vous commande, au nom de Jésus de Nazareth, de vous lever et d’être guéri ! »

Les mots semblèrent ébranler la maison. Le visage d’Elijah reprit des couleurs et il se leva. Il s’habilla, demanda quelque chose à manger et suivit Joseph dehors pour aller bénir de nombreuses autres personnes.

Plus tard ce soir-là, Phebe Woodruff fut stupéfaite lorsqu’elle leur rendit visite. À peine quelques heures plus tôt, Anna était quasiment sûre de perdre son mari. Maintenant, il disait qu’il se sentait suffisamment fort pour travailler dans son jardin. Phebe ne doutait pas que sa guérison était l’œuvre de Dieu.

Les efforts de Joseph pour bénir et guérir les malades ne mirent pas fin à l’épidémie à Commerce et à Montrose et quelques saints périrent. Lorsque d’autres personnes moururent, Zina Huntington, dix-huit ans, s’inquiéta que sa mère ne mourût aussi.

Elle la soignait quotidiennement, comptant sur le soutien de son père et de ses frères mais rapidement, toute la famille fut malade. Joseph passait de temps en temps voir ce qu’il pouvait faire pour eux ou pour soulager la mère de Zina.

Un jour, cette dernière appela sa fille. Elle dit d’une voix faible : « Mon heure est venue. Je n’ai pas peur. » Elle lui témoigna de la Résurrection. « Je me lèverai triomphante lorsque le Sauveur viendra avec les justes à la rencontre des saints sur la terre. »

Lorsque sa mère mourut, Zina fut submergée de chagrin. Connaissant les souffrances de la famille, Joseph continua de veiller sur elle.

Lors de l’une de ses visites, Zina lui demanda : « Est-ce que je saurai que ma mère était ma mère lorsque j’arriverai de l’autre côté ? »

Il dit : « Non seulement cela, mais tu rencontreras et feras la connaissance de ta Mère éternelle, la femme de ton Père céleste.

— « Alors j’ai une Mère céleste ? » demanda Zina.

— « Certainement. » lui répondit Joseph Il ajouta : « Comment un Père pourrait-il prétendre à son titre s’il n’y avait pas une Mère avec lui pour partager ce rôle de parent ? »

Début août, Wilford partit pour l’Angleterre avec John Taylor, le premier des apôtres à partir pour la nouvelle mission. À l’époque, Phebe attendait un autre enfant et Leonora, la femme de John, ainsi que leurs trois enfants, souffraient de fièvres.

Parley et Orson Pratt furent les prochains apôtres à partir, bien qu’Orson et Sarah fussent encore endeuillés par la perte de leur fille Lydia décédée onze jours plus tôt. Mary Ann Pratt, la femme de Parley, accompagnait les apôtres en mission et prit donc la route avec eux. En 1897, George A. Smith, le plus jeune des apôtres, était encore malade lorsqu’il entreprit sa mission, reportant son mariage avec sa fiancée, Bathsheba Bigler.

Mi-septembre, Mary Ann Young fit ses adieux à Brigham. Il était de nouveau malade mais déterminé à faire ce qui était exigé de lui. Elle-même était souffrante et disposait de peu d’argent pour subvenir aux besoins de leurs cinq enfants en l’absence de son mari mais elle voulait qu’il s’acquitte de son devoir.

Elle dit : « Va et remplis ta mission et le Seigneur te bénira. Je ferai de mon mieux pour moi-même et pour les enfants. »

Quelques jours après son départ, elle apprit qu’à peine arrivé chez les Kimball, de l’autre côté du Mississippi, il s’était effondré d’épuisement. Elle traversa immédiatement le fleuve pour prendre soin de lui jusqu’à ce qu’il fut suffisamment rétabli pour partir.

Chez les Kimball, elle trouva Vilate alitée avec deux de ses fils, ne laissant personne d’autre que leur petit garçon de quatre ans pour rapporter du puits les lourds brocs d’eau. Heber était trop malade pour tenir debout mais était résolu à partir avec Brigham le lendemain.

Mary Ann s’occupa de son mari jusqu’à l’arrivée d’un chariot le matin suivant. En se levant pour partir, Heber semblait désemparé. Il embrassa Vilate, alitée et tremblante de fièvre puis prit congé de ses enfants avant de grimper en vacillant dans le chariot.

Brigham tenta en vain d’avoir l’air en forme lorsqu’il fit ses adieux à Mary Ann et à sa sœur Fanny qui le pressaient d’attendre d’être guéri.

Il dit : « Je ne me suis jamais senti aussi bien de ma vie. »

Fanny répondit : « Tu mens. »

Il grimpa péniblement dans le véhicule et prit place à côté d’Heber. Lorsque le chariot descendit la colline, Heber se sentit très mal à l’idée de laisser sa famille alors qu’elle était si malade. Il se tourna vers le conducteur et lui dit d’arrêter. Il dit à Brigham : « C’est très dur. Levons-nous et encourageons-les. »

Un bruit venant de l’extérieur fit sortir Vilate du lit. Chancelant jusqu’à la porte, elle se joignit à Mary Ann et à Fanny qui regardaient quelque chose à une petite distance. Vilate regarda aussi et un sourire se dessina sur ses lèvres.

C’étaient Brigham et Heber, s’appuyant l’un sur l’autre pour tenir debout à l’arrière du chariot. Agitant leur chapeau, les hommes crièrent : « Hourra ! Hourra pour Israël ! »

Les femmes répliquèrent : « Au revoir ! Que Dieu vous bénisse ! »

Pendant que les apôtres partaient pour la Grande-Bretagne, les saints en Illinois et dans l’Iowa rédigeaient des déclarations détaillant les mauvais traitements subis au Missouri, comme Joseph leur avait demandé de le faire pendant qu’il était en prison. À l’automne, les dirigeants de l’Église avaient récolté des centaines de récits et préparé une pétition officielle. Au total, les saints réclamaient plus de deux millions de dollars de dédommagement pour les logements, les terres, les bestiaux et les autres biens qu’ils avaient perdus. Joseph avait l’intention de remettre personnellement ces réclamations au président des États-Unis et au Congrès.

Il considérait le président Martin Van Buren comme un homme d’État à l’âme noble, quelqu’un qui défendrait les droits des citoyens. Il espérait que le président et d’autres législateurs à Washington D.C. liraient le récit des souffrances des saints et accepteraient de les dédommager pour les terres et les biens qu’ils avaient perdus au Missouri.

Le 29 novembre 1839, après avoir parcouru mille six cents kilomètres depuis chez lui en Illinois, Joseph arriva à la porte du palais présidentiel à Washington. À ses côtés se trouvaient son ami et conseiller juridique, Elias Higbee, et John Reynolds, membre du Congrès d’Illinois.

Un portier les accueillit à la porte et les fit entrer. Le palais venait d’être redécoré, et Joseph et Elias furent émerveillés par l’élégance de ses pièces, qui contrastait nettement avec les logements délabrés des saints dans l’Ouest.

Leur guide les conduisit à l’étage où le président Van Buren recevait ses visiteurs. Pendant qu’ils attendaient devant l’entrée, la pétition et plusieurs lettres d’introduction en main, Joseph demanda à Reynolds de le présenter simplement en tant que « saint des derniers jours ». Le membre du Congrès sembla surpris et amusé par la requête mais il accepta de respecter le désir de Joseph. Bien que peu enclin à aider les saints, il savait que leur nombre important pouvait avoir une influence sur la politique de l’Illinois.

Joseph ne s’était pas attendu à rencontrer le président avec une si petite délégation. En octobre, lorsqu’il avait quitté l’Illinois, il avait prévu de laisser Sidney Rigdon prendre la direction de ces réunions mais ce dernier était trop malade pour voyager et s’était arrêté en chemin.

Enfin, les portes du petit salon s’ouvrirent et les trois hommes pénétrèrent dans la pièce. Comme Joseph, Martin Van Buren était le fils d’un fermier de l’État de New York mais il était beaucoup plus âgé. Petit et trapu, il avait le teint clair et sa chevelure blanche lui encadrait presque tout le visage.

Comme promis, John Reynolds présenta Joseph comme étant un saint des derniers jours. Le président sourit en entendant ce titre inhabituel et serra la main du prophète.

Après avoir salué le président, Joseph lui tendit les lettres d’introduction et attendit. Van Buren les lut et fronça les sourcils. Il dit dédaigneusement : « Vous aider ? Comment puis-je vous aider ? »

Joseph ne sut quoi dire. Il ne s’était pas attendu à ce que le président les congédie si rapidement. Elias et lui l’encouragèrent au moins à lire le récit des souffrances des saints avant de rejeter leur appel.

Le président insista : « Je ne peux rien faire pour vous, messieurs. Si je vous soutenais, il faudrait que je m’oppose à tout l’État du Missouri et cet État s’opposerait à moi à la prochaine élection. »

Déçus, Joseph et Elias quittèrent le palais et remirent leur pétition au Congrès sachant qu’il faudrait des semaines aux législateurs pour l’examiner et en débattre.

En attendant, Joseph décida de rendre visite aux branches de l’Église de l’est. Il prêcherait également à Washington et dans les villes et villages environnants.

Wilford Woodruff et John Taylor arrivèrent à Liverpool, en Angleterre, le 11 janvier 1840. C’était le premier voyage de Wilford en Angleterre mais John était de retour parmi des membres de sa famille et des amis. Après avoir récupéré leurs bagages, ils se rendirent chez le beau-frère de John, George Cannon. George et sa femme, Ann, furent surpris de les voir et les invitèrent à dîner.

Les Cannon avaient cinq enfants. Leur aîné, George, était un garçon brillant de treize ans qui aimait lire. Après le souper, Wilford et John donnèrent à la famille un Livre de Mormon et Une voix d’avertissement, une brochure missionnaire de la taille d’un livre que Parley Pratt avait publiée à New York quelques années auparavant. John enseigna à la famille les premiers principes de l’Évangile et l’invita à lire les livres.

Les Cannon acceptèrent d’entreposer les bagages des missionnaires pendant qu’ils prenaient le train pour aller retrouver Joseph Fielding et Willard Richards à Preston. Ces derniers avaient tous les deux épousé des saintes britanniques depuis que Heber Kimball et Orson Hyde avaient quitté la mission un an plus tôt. Comme Heber l’avait prédit, Willard avait épousé Jennetta Richards.

Après les retrouvailles à Preston, John repartit pour Liverpool pendant que Wilford fit route en direction du sud-est, vers la région de Staffordshire où il créa rapidement une branche. Un soir, pendant qu’il était en réunion avec les saints, il sentit l’Esprit reposer sur lui. Le Seigneur lui dit : « C’est ta dernière réunion avec ces personnes avant longtemps. »

Le message lui parut surprenant. Le travail dans le Staffordshire ne faisait que commencer et il avait de nombreux rendez-vous pour prêcher dans la région. Le lendemain matin, il pria pour être guidé et l’Esprit l’incita à aller plus au sud, où de nombreuses âmes attendaient la parole de Dieu.

Il partit le lendemain avec William Benbow, l’un des saints du Staffordshire et ils se rendirent chez John et Jane Benbow, le frère et la belle-sœur de William. John et Jane étaient les propriétaires d’une grande maison en briques blanches dressée sur une exploitation agricole de cent vingt hectares. Lorsque Wilford et William arrivèrent, ils parlèrent du Rétablissement avec les Benbow jusqu’à deux heures du matin.

Le couple était financièrement prospère mais spirituellement insatisfait. Récemment, ils s’étaient détachés de leur église avec d’autres personnes pour rechercher le véritable Évangile de Jésus-Christ. Se donnant le nom de Frères Unis, le groupe avait construit des églises à Gadfield Elm, à plusieurs kilomètres au sud de la ferme des Benbow, et dans d’autres endroits. Ils choisissaient des prédicateurs parmi eux et demandaient à Dieu de les éclairer.

Ce soir-là, en écoutant Wilford, ils crurent avoir enfin trouvé la plénitude de l’Évangile. Le lendemain, Wilford prêcha chez les Benbow un sermon à un groupe important de voisins et baptisa peu après John et Jane dans un étang proche.

Les semaines suivantes, Wilford baptisa plus de cent cinquante membres des Frères Unis, y compris quarante-six ministres laïques. Comme d’autres personnes demandaient à se faire baptiser, il écrivit à Willard Richards pour lui demander de l’aide.

Il s’exclama : « On m’appelle pour baptiser trois ou quatre fois par jour. Je ne peux pas faire ce travail seul ! »

Le 5 février, Matthew Davis, soixante-sept ans, apprit que Joseph Smith, le prophète mormon, prêchait ce soir-là à Washington. Matthew était un correspondant pour un journal à grand tirage de New York. Sachant que sa femme, Mary, était intriguée par les saints des derniers jours, il était impatient d’entendre le prophète parler et de lui relater ses enseignements.

Pendant son sermon, Matthew découvrit que Joseph était un fermier habillé simplement, solidement bâti, doté d’un beau visage et d’une allure digne. Sa prédication révélait qu’il n’avait pas suivi de cursus scolaire mais on voyait qu’il avait une forte personnalité et qu’il était instruit. Il semblait sincère, sans un soupçon de frivolité ou de fanatisme dans la voix.

Il commença son sermon ainsi : « Je vais vous énoncer nos croyances dans la mesure du temps dont je dispose. » Il témoigna de Dieu et de ses attributs. Il déclara : « Il règne sur tout dans les cieux et sur la terre. Il a préordonné la chute de l’homme mais, dans sa miséricorde infinie, il a préordonné simultanément un plan de rédemption pour toute l’humanité.

Je crois en la divinité de Jésus-Christ et qu’il est mort pour les péchés de tous les hommes qui, en Adam, sont tombés. » Il déclara que tous les hommes naissaient purs et que tous les enfants qui mouraient en bas âge allaient aux cieux parce qu’ils ne discernaient pas le bien du mal et étaient incapables de pécher.

Matthew écouta, impressionné par ce qu’il entendait. Joseph enseigna que Dieu est éternel, sans commencement ni fin, tout comme l’est l’esprit de chaque homme et chaque femme. Matthew remarqua que le prophète parla très peu des récompenses ou des châtiments dans la vie suivante si ce n’est qu’il croyait que les châtiments de Dieu avaient un commencement et une fin.

Au bout de deux heures, il termina son sermon en témoignant du Livre de Mormon. Il déclara qu’il n’était pas l’auteur du livre mais qu’il l’avait reçu de Dieu, directement des cieux.

En réfléchissant à son sermon, Matthew prit conscience qu’il n’avait rien entendu ce soir-là qui soit néfaste pour la société. Le lendemain, dans une lettre adressée à sa femme, il écrivit : « Il y a de nombreuses choses dans ses préceptes qui, s’ils étaient suivis, adouciraient les aspérités de l’homme à l’égard de l’homme et tendraient à faire de lui un être plus rationnel. »

Matthew n’avait aucunement l’intention d’accepter les enseignements du prophète mais il appréciait son message de paix. Il écrivit : « Il n’y a ni violence, ni furie, ni dénonciation. Sa religion semble être la religion de la douceur, de l’humilité et de la persuasion aimable.

J’ai changé d’avis au sujet des mormons. »

En attendant que le Congrès examine la pétition des saints, Joseph se lassait d’être séparé de sa famille. Cet hiver-là, il écrivit : « Ma chère Emma, mon cœur est enlacé autour de toi et des petits. Dis à tous les enfants que je les aime et que je rentrerai à la maison dès que je pourrai. »

Lorsque Joseph avait épousé Emma, il avait cru que leur union se terminerait à la mort, mais depuis, le Seigneur avait révélé que le mariage et la famille pouvaient perdurer au-delà du tombeau par le pouvoir de la prêtrise. Récemment, pendant qu’il visitait avec Parley Pratt des branches de l’Église dans les États de l’est, Joseph lui avait dit que les saints justes pouvaient cultiver des relations familiales éternelles, leur permettant de progresser en affection. Peu importe la distance qui séparait les familles fidèles sur terre, elles pouvaient faire confiance à la promesse selon laquelle un jour, elles seraient réunies dans le monde à venir.

Pendant qu’il attendait à Washington, Joseph en eut assez d’entendre les politiciens prononcer de grands discours emprunts d’un langage ampoulé et de promesses creuses. Il écrivit à son frère Hyrum : « Cela les démange tellement d’exhiber leurs talents oratoires dans les occasions les plus triviales et d’user de tant d’étiquette, de courbettes et de gesticulations pour afficher leurs traits d’esprit. Cela ressemble davantage à une manifestation de sottise que de substance ou de gravité. »

Suite à un entretien infructueux avec John C. Calhoun, l’un des sénateurs les plus influents de la nation, Joseph se rendit compte qu’il perdait son temps à Washington et décida de rentrer chez lui. Tout le monde parlait de liberté et de justice mais personne ne semblait disposé à tenir les habitants du Missouri pour responsables des mauvais traitements infligés aux saints.

Après le retour du prophète en Illinois, Elias Higbee continua de chercher des indemnisations pour les pertes essuyées. En mars, le Sénat examina la pétition et autorisa les délégués du Missouri à défendre les actions de leur État. Après avoir étudié le cas, les législateurs décidèrent de ne rien faire. Ils reconnaissaient la détresse des saints mais croyaient que le Congrès n’avait pas le pouvoir d’interférer avec les actions du gouvernement de l’État. Seul le Missouri pouvait dédommager les saints.

Déçu, Elias écrivit à Joseph : « Nos affaires s’arrêtent là. J’ai fait tout ce que j’ai pu. »


CHAPITRE 35 : Un bel endroit

À Commerce, l’épidémie de paludisme dura jusqu’en 1840 et Emily Partridge et sa sœur Harriet continuèrent de visiter les tentes, les chariots et les maisons inachevées des malades. Maintenant âgée de seize ans, Emily était habituée à la rudesse de ces conditions de vie. Pendant près d’une décennie, sa famille avait été chassée d’une modeste demeure à l’autre sans jamais jouir de la vie familiale stable qu’elle avait connue en Ohio.

Les sœurs soignèrent les malades jusqu’à ce qu’à leur tour, elles fussent prises de fièvres et de frissons. Conscients que la vie de leurs filles était en péril, Edward et Lydia Partridge les évacuèrent d’une tente et les installèrent dans une petite pièce louée dans un entrepôt abandonné, non loin du fleuve. Edward se mit ensuite à bâtir une maison pour sa famille sur une parcelle à un kilomètre et demi de là.

Mais les épreuves du Missouri avaient ruiné la santé de l’évêque et il n’était pas en état de travailler. Peu après, il fut à son tour victime de la fièvre qu’il soigna avec des médicaments jusqu’à ce qu’il se sente suffisamment fort pour travailler une semaine ou deux de plus à la construction de la maison. Lorsqu’il retomba malade, il reprit des médicaments et se remit au travail.

Entre-temps, le séjour dans la pièce encombrée et étouffante de l’entrepôt fut néfaste pour Emily, Harriet et leurs frères et sœurs qui tombèrent également malades. La fièvre d’Emily demeura constante pendant le printemps de 1840 mais celle d’Harriet empira. Elle mourut à la mi-mai, à l’âge de dix-huit ans.

Son décès anéantit les Partridge. Après les obsèques, Edward tenta d’installer la famille sur ses terres, dans une étable inachevée, espérant qu’elle offrirait un meilleur abri. L’effort l’épuisa et il s’évanouit. Pour leur venir en aide, d’autres saints, William et Jane Law, prirent Emily et ses frères et sœurs chez eux et les soignèrent.

Edward languit dans son lit pendant plusieurs jours avant de décéder, une semaine et demi après la mort d’Harriet. Emily fut accablée de chagrin. Elle avait été proche de sa sœur et elle savait que son père avait tout sacrifié pour pourvoir aux besoins de sa famille et de l’Église, même lorsque des saints grognons, des dissidents déloyaux et des voisins hostiles l’avaient mis à bout.

Avec le temps, elle émergea du brouillard de maladie et de chagrin qui l’avait terrassée mais sa vie était différente maintenant. Pour soutenir leur famille démunie, sa sœur Eliza, dix-neuf ans, et elle, devaient trouver du travail. Eliza avait les compétences nécessaires pour se faire embaucher comme couturière mais Emily n’avait pas de métier. Elle savait faire la vaisselle, balayer, récurer les sols et accomplir d’autres tâches ménagères bien sûr, mais presque tout le monde dans la colonie pouvait en faire autant.

Heureusement, les saints n’avaient pas oublié les nombreux sacrifices que son père avait consentis pour l’Église. Dans le Times and Seasons, le nouveau périodique des saints, la notice nécrologique disait : « Personne ne jouissait plus que lui de la confiance de l’Église. Sa religion était tout pour lui. Il lui a consacré sa vie et il la lui a donnée. »

Pour honorer sa mémoire et prendre soin de sa famille, les saints finirent la maison que l’évêque avait commencée, donnant à sa famille un lieu bien à elle.

Au printemps de 1840, la nouvelle ville sur le Mississippi connut des débuts prometteurs. Les saints creusèrent des fossés et des canaux pour drainer les marécages le long du fleuve et rendre le lieu plus habitable. Ils tracèrent des rues, posèrent des fondations, construisirent des maisons, plantèrent des jardins et cultivèrent des champs. En juin, quelque deux cent cinquante nouvelles maisons témoignaient de leur dur labeur.

Comme le nom de Commerce lui déplaisait, très peu de temps après son arrivée, Joseph renomma l’endroit Nauvoo. Dans une proclamation de la Première Présidence, il expliqua : « Le nom de notre ville est d’origine hébraïque et signifie bel endroit ; il comprend aussi une notion de repos. » Joseph espérait que Nauvoo porte bien son nom et offre aux saints un répit des conflits des dernières années.

Il savait pourtant que la paix et le repos ne s’obtiendraient pas facilement. Pour éviter les dissidences et les persécutions qu’ils avaient connues en Ohio et au Missouri, les saints devaient tisser des liens plus solides entre eux et nouer des liens d’amitié durables avec leurs voisins.

Vers cette époque-là, Joseph reçut une lettre de William Phelps, qui avait déménagé en Ohio après avoir abandonné l’Église et avoir témoigné contre Joseph dans un tribunal du Missouri. Il écrivait : « Je connais ma situation, vous la connaissez et Dieu la connaît, et je veux être sauvé si mes amis acceptent de m’aider. »

Sachant qu’en dépit de ses fautes, William était un homme sincère, Joseph répondit peu de temps après : « Il est vrai que nous avons beaucoup souffert des conséquences de votre comportement. Toutefois la coupe a été bue, la volonté de notre Père a été faite, et nous sommes toujours en vie. » Heureux de tourner le dos aux jours sombres du Missouri, Joseph lui accorda son pardon et le remit au travail dans l’Église.

Il écrivit : « Venez, cher frère, puisque la guerre est finie, car les amis du début sont enfin de nouveau amis. »

Joseph sentait également l’urgence de donner aux saints davantage de direction spirituelle. Dans la prison de Liberty, le Seigneur lui avait dit que ses jours étaient comptés et il avait confié à ses amis qu’il ne pensait pas atteindre la quarantaine. Avant qu’il ne soit trop tard, il devait enseigner aux saints plus de ce que Dieu lui avait révélé.

Toutefois, la construction d’une ville et la gestion des problèmes matériels de l’Église consommaient la majeure partie de son temps. Il avait toujours joué un rôle actif dans les affaires de l’Église et depuis longtemps, il comptait sur des hommes tels que l’évêque Partridge pour l’aider à supporter le fardeau. Maintenant qu’Edward était parti, Joseph commençait à s’appuyer davantage sur l’évêque Newel Whitney et sur les autres évêques appelés à Nauvoo. Cependant, il savait qu’il aurait besoin d’encore plus d’aide pour diriger l’aspect temporel de l’administration de l’Église s’il voulait se concentrer sur son ministère spirituel.

Peu de temps plus tard, il reçut une autre lettre, cette fois d’un étranger du nom de John Cook Bennett. Il disait qu’il avait l’intention de s’installer à Nauvoo, de devenir membre de l’Église et d’offrir ses services aux saints. Il était médecin et officier supérieur dans la milice de l’État de l’Illinois, et il avait aussi été pasteur et professeur. Il dit : « Je crois que je serai beaucoup plus heureux auprès de vous. Écrivez-moi immédiatement. »

Les jours suivants, Joseph reçut deux autres lettres de sa part. Il promettait : « Vous pouvez compter sur moi. J’espère que le jour viendra rapidement où votre peuple sera mon peuple et votre Dieu mon Dieu. » Il lui dit que sa rhétorique et son énergie débordante seraient un bienfait inestimable pour les saints.

Il insista : « Mon empressement à vous rejoindre augmente quotidiennement. Je vais immédiatement liquider mes affaires professionnelles et me rendre dans votre logis bienheureux si vous estimez que c’est la meilleure solution. »

Joseph examina les lettres, réconforté qu’une personne avec de telles qualifications veuille s’unir aux saints. Un homme doté de ses compétences pourrait certainement aider l’Église à s’établir en Illinois.

Il lui écrivit : « Si vous pouviez venir cette saison affronter l’adversité avec le peuple de Dieu, personne n’en serait plus heureux et ne vous souhaiterait la bienvenue plus cordialement que moi. »

Au fur et à mesure que Nauvoo prenait forme, l’esprit de Joseph s’attachait au rassemblement. En Angleterre, les apôtres avaient récemment envoyé une compagnie de quarante et un saints traverser l’océan en direction de Nauvoo. Joseph s’attendait à en recevoir encore plus dans les mois et années à venir.

Ce mois de juillet-là, il annonça dans un sermon : « Voici le lieu principal de rassemblement. Que tous ceux qui le veulent viennent et prennent part librement à la pauvreté de Nauvoo ! »

Il savait que l’expulsion du Missouri et l’échec de la pétition auprès du gouvernement avaient laissé de nombreuses personnes dans l’incertitude quant à l’avenir de Sion et au rassemblement. Il voulait leur faire comprendre que Sion n’était pas simplement une parcelle de terrain dans le comté de Jackson. Il déclara : « Sion se trouve là où les saints se rassemblent. »

Le Seigneur leur commandait maintenant d’établir des pieux à Nauvoo et dans les régions avoisinantes. Avec le temps, au fur et à mesure que les saints se rassembleraient en Sion, l’Église créerait d’autres pieux et le Seigneur bénirait le pays.

Avant de conclure son sermon, il annonça : « Je me dois de construire un temple aussi grand que celui de Salomon, si l’Église veut bien me soutenir. » Il tendit le bras et indiqua un endroit, vers le sommet du promontoire, où les saints bâtiraient l’édifice sacré. Il ajouta : « Si Dieu permettait que je vive suffisamment longtemps pour contempler ce temple achevé […], je dirais : ‘O Seigneur, cela suffit. Seigneur, laisse ton serviteur s’en aller en paix.’ »

Quelques semaines plus tard, alors que les températures élevées accablaient encore Nauvoo et que la maladie faisait de nouvelles victimes, Seymour Brunson, l’ami de Joseph, décéda. Lors des obsèques, il offrit des paroles de réconfort à Harriet, sa veuve, et aux milliers de saints réunis. Pendant qu’il parlait, il regarda Jane Neyman, dont le fils adolescent, Cyrus, était décédé avant de s’être fait baptiser.

Sachant qu’elle s’inquiétait pour le bien-être de l’âme de son fils, il décida de parler de ce que le Seigneur lui avait appris au sujet du salut des personnes qui, comme son frère Alvin, étaient mortes sans baptême.

Ouvrant la Bible, il lut les paroles de l’apôtre Paul aux Corinthiens : « Autrement que feraient ceux qui se font baptiser pour les morts ? Si les morts ne ressuscitent absolument pas, pourquoi se font-ils baptiser pour eux ? » Il fit remarquer que les paroles de Paul étaient la preuve qu’une personne vivante pouvait se faire baptiser par procuration pour une personne décédée, étendant les avantages du baptême à celles dont le corps était mort mais dont l’esprit continuait de vivre.

Il dit que le plan du salut de Dieu était conçu pour sauver tous ceux qui étaient disposés à obéir à la loi de Dieu, notamment le nombre incalculable de ceux qui étaient morts sans jamais connaître Jésus-Christ ni ses enseignements.

Peu après le sermon, Jane se dirigea vers le fleuve avec un ancien de l’Église et se fit baptiser en faveur de Cyrus. Plus tard ce soir-là, lorsque Joseph en entendit parler, il demanda quelles étaient les paroles que l’ancien avait prononcées pour l’ordonnance. Lorsqu’on les lui répéta, il confirma que ce dernier avait accompli correctement le baptême.

John Bennett arriva à Nauvoo en septembre 1840 et Joseph lui demanda avidement conseil au sujet de la gestion des problèmes légaux et politiques de Nauvoo et de l’Église. Il avait à peu près le même âge que lui mais il était plus instruit. Il était petit et ses cheveux noirs grisonnaient ; il avait les yeux foncés et un visage fin et beau. Il accepta volontiers le baptême.

Lucy Smith était trop préoccupée par la santé défaillante de son mari pour faire cas de la popularité du nouveau venu. Comme l’évêque Partridge, Joseph, père, avait quitté le Missouri en mauvais état et le climat estival malsain de Nauvoo n’avait fait que l’affaiblir. Elle espérait qu’il finisse par guérir mais lorsqu’un jour il vomit du sang, elle craignit que sa mort ne soit imminente.

Lorsque Joseph et Hyrum furent informés de l’aggravation de l’état de santé de leur père, ils se précipitèrent à son chevet.

Lucy fit part de la nouvelle au reste de la famille pendant que Joseph lui tenait compagnie. Il lui parla du baptême pour les morts et de la bénédiction qu’il offrait à tous les enfants de Dieu. Au comble de la joie, Joseph, père, le supplia d’accomplir l’ordonnance en faveur d’Alvin.

Peu après, Lucy s’assit avec la plupart de ses enfants autour du lit de leur père. Il voulait donner une bénédiction à chacun d’eux tant qu’il avait la force de parler. Lorsque ce fut le tour de Joseph, il plaça les mains sur la tête de son fils.

Il dit : « Persévère fidèlement et tu seras béni, et ta famille sera bénie et tes enfants après toi. Tu vivras pour achever ton œuvre.

— Oh, père, c’est vrai ?

— Oui, et tu exposeras le plan de toute l’œuvre que Dieu exige de toi. »

Lorsque Joseph, père, eut fini de bénir ses enfants, il se tourna vers Lucy. Il dit : « Mère, tu es l’une des femmes les plus exceptionnelles du monde. »

Lucy protesta mais son mari poursuivit : « Nous avons souvent souhaité mourir en même temps mais tu ne dois pas le désirer maintenant car tu dois rester réconforter les enfants lorsque je serai parti. »

Après une pause, il s’exclama : « Je vois Alvin. » Il joignit les mains et se mit à respirer lentement jusqu’à ce que son souffle devienne de plus en plus court puis il rendit l’âme paisiblement.

Quelques semaines après sa mort, les saints se rassemblèrent à Nauvoo pour la conférence générale d’octobre 1840. Joseph enseigna plus complètement le baptême pour les morts, expliquant que les morts devenus esprits attendaient que leur parenté reçoive l’ordonnance salvatrice en leur faveur.

Entre les sessions de la conférence, les saints se précipitèrent vers le Mississippi où plusieurs anciens se tinrent dans l’eau jusqu’à la taille et leur firent signe de venir se faire baptiser pour leurs grands-parents, pères, mères, frères, sœurs et enfants décédés. Peu après, Hyrum se fit baptiser pour son frère Alvin.

En regardant les anciens dans le fleuve, Vilate Kimball souhaita ardemment se faire baptiser pour sa mère qui était décédée plus de dix ans plus tôt. Elle aurait aimé qu’Heber revienne d’Angleterre pour accomplir l’ordonnance mais puisque Joseph avait exhorté les saints à racheter leurs morts aussi vite que possible, elle décida de se faire baptiser immédiatement pour sa mère.

Emma Smith pensait également à sa famille. Son père, Isaac Hale, était décédé en janvier 1839. Il ne s’était jamais réconcilié avec elle et Joseph. Quelques années avant sa mort, il avait même permis à des détracteurs de publier une lettre qu’il avait écrite condamnant Joseph et traitant le Livre de Mormon de « tissu idiot de mensonges et de méchanceté ».

Emma aimait quand même son père et se fit baptiser pour lui dans le fleuve. Dans cette vie, il n’avait pas accepté l’Évangile rétabli mais elle espérait qu’il n’en serait pas ainsi pour toujours.

Cet automne-là, Joseph et John Bennett ébauchèrent une charte de lois pour Nauvoo. Le document était conçu pour offrir aux saints autant de liberté que possible pour se gouverner et se protéger du genre d’injustices qui les avaient affligés au Missouri. Si le corps législatif de l’État approuvait la charte, les citoyens de Nauvoo pourraient voter leurs propres lois, gérer leurs tribunaux locaux, fonder une université et créer une milice.

Les projets de Joseph pour l’Église continuaient de se multiplier. Anticipant l’arrivée d’un nombre toujours croissant de saints, le prophète créa plusieurs pieux dans de nouvelles colonies près de Nauvoo. Il appela également Orson Hyde et John Page en mission en Palestine où ils consacreraient Jérusalem pour le rassemblement des enfants d’Abraham. Pour arriver jusque là-bas, les apôtres devraient traverser l’Europe, ce qui leur donnerait la possibilité de prêcher l’Évangile dans nombre de ses villes.

Joseph et la Première Présidence proclamèrent : « Nous pouvons nous attendre à voir bientôt affluer en ce lieu des gens de toute nation, de toute langue, de toute couleur qui adoreront avec nous le Seigneur des armées dans son saint temple. »

Début décembre, John Bennett réussit à faire pression sur le corps législatif de l’État d’Illinois afin qu’il approuve la charte de Nauvoo, accordant aux saints le pouvoir de mener à bien leurs ambitions pour la ville. Lorsqu’il revint triomphant à Nauvoo, Joseph saisit chaque occasion qui se présentait de le féliciter.

Environ un mois plus tard, le 19 janvier 1841, le Seigneur accorda une nouvelle révélation aux saints. Il leur assura qu’il avait accueilli Edward Partridge et Joseph Smith, père, en son sein, ainsi que David Patten, qui avait été tué lors de l’escarmouche de la Crooked River. Hyrum Smith fut appelé à prendre la place de son père en qualité de patriarche de l’Église et fut aussi appelé à servir aux côtés de Joseph comme prophète, voyant et révélateur, remplissant le rôle qu’avait tenu Oliver Cowdery.

De plus, le Seigneur commandait à John Bennett de soutenir Joseph et de continuer de parler de l’Église aux gens de l’extérieur en faveur des saints, lui promettant des bénédictions à condition qu’il produise des œuvres de justice. Le Seigneur déclara : « Sa récompense ne fera pas défaut, s’il accepte les conseils. J’ai vu le travail qu’il a fait, que j’accepte s’il continue. »

Le Seigneur acceptait également les efforts des saints pour édifier Sion dans le comté de Jackson mais leur commandait maintenant d’édifier Nauvoo, de créer de nouveaux pieux et de bâtir un hôtel appelé la maison de Nauvoo, qui offrirait aux visiteurs un endroit pour se reposer et songer à la parole de Dieu et à la gloire de Sion.

Plus important encore, le Seigneur leur commandait de construire le nouveau temple. Il déclara : « Que cette maison soit bâtie à mon nom, afin que je puisse y révéler mes ordonnances à mon peuple. »

Le baptême pour les morts en était une. Jusque-là, il avait permis aux saints de faire les baptêmes dans le Mississippi mais il leur commandait maintenant de cesser jusqu’à ce qu’ils aient consacré des fonts baptismaux spéciaux dans le temple. Il déclara : « Cette ordonnance appartient à ma maison. »

D’autres ordonnances du temple et d’autres nouvelles vérités suivraient. Il promit : « Je daigne révéler à mon Église des choses qui ont été cachées dès avant la fondation du monde, des choses qui ont trait à la dispensation de la plénitude des temps. Je montrerai à mon serviteur Joseph tout ce qui a trait à cette maison, à sa prêtrise. »

Promettant de récompenser leur diligence et leur obéissance, le Seigneur exhorta les saints à travailler de toutes leurs forces à la construction du temple. « Bâti[ssez] une maison à mon nom, en ce lieu, afin que vous fassiez la preuve devant moi que vous êtes fidèles dans toutes les choses que je vous commande de faire, afin que je vous bénisse et vous couronne d’honneur, d’immortalité et de vie éternelle. »

À l’aube de la nouvelle année, l’avenir semblait prometteur pour les saints. Le 1er février 1841, ils élurent John Bennett comme maire de Nauvoo, ce qui faisait également de lui le juge en chef du tribunal de la ville. Il devint également président de la nouvelle université, général de division de la milice et conseiller adjoint de la Première Présidence. Joseph et d’autres dirigeants de l’Église avaient confiance en sa capacité de diriger la ville et de la mettre en valeur.

Lorsque l’autorité et les responsabilités de John s’étendirent, Emma fut obligée d’avouer qu’il avait énormément aidé les saints. Néanmoins, elle ne partageait pas leur engouement pour lui. Elle trouvait qu’il paradait en ville comme un général pompeux et lorsqu’il n’était pas en train de tenter d’impressionner Joseph, il paraissait égocentrique et indélicat.

Malgré tous ses talents et son utilité, il y avait quelque chose chez John Bennett qui l’inquiétait.


CHAPITRE 36 : Incite-les à se rassembler

Au printemps de 1841, Mary Ann Davis contempla le visage de son mari pour la dernière fois avant que le couvercle de son cercueil ne soit refermé, puis ses amis portèrent sa dépouille jusqu’à un coin tranquille du cimetière de l’église à Tirley, en Angleterre. John Davis était mort dans la fleur de l’âge ; il n’avait que vingt-cinq ans. En regardant les hommes emporter son cercueil, Mary se sentit tout à coup très seule, debout dans sa robe noire, dans un village où elle était maintenant l’unique sainte des derniers jours.

John était mort à cause de ses convictions. Un an plus tôt, Mary et lui s’étaient rencontrés lors d’une réunion de saints, peu après que Wilford Woodruff eut baptisé des centaines de Frères Unis dans la région voisine du Herefordshire. Ni l’un ni l’autre n’avait fait partie des Frères Unis mais l’Évangile rétabli s’était répandu rapidement dans la région, attirant l’attention de nombreuses personnes.

Mary et John avaient ouvert leur porte aux missionnaires qui espéraient établir une assemblée dans la région. La mission britannique grandissait de plus en plus et en quatre ans à peine, l’Angleterre et l’Écosse comptaient plus de six mille saints. Même à Londres, où les prédicateurs de rue de nombreuses dénominations se disputaient les âmes avec acharnement, les missionnaires avaient créé une branche d’une quarantaine de membres, dirigée par un jeune frère américain nommé Lorenzo Snow.

Dans tout le pays, l’opposition restait néanmoins forte. Des brochures bon marché jonchaient les rues de la plupart des villes, proclamant toutes sortes d’idées religieuses. Certaines étaient des rééditions de tracts anti-mormons provenant des États-Unis et mettant les lecteurs en garde contre les saints des derniers jours.

Espérant rectifier les rapports falsifiés, Parley Pratt avait commencé à rédiger ses propres brochures et à éditer un journal mensuel, Latter-day Saints’ Millennial Star, qui donnait des nouvelles des saints de Nauvoo et de toute la Grande-Bretagne. Brigham Young s’arrangea également pour faire imprimer un livre de cantiques et le Livre de Mormon pour les saints britanniques.

À Tirley, Mary et John avaient fait face à l’hostilité dès que les missionnaires avaient commencé à prêcher chez eux. Des brutes interrompaient souvent les réunions et chassaient les missionnaires. Les choses n’avaient fait qu’empirer jusqu’au jour où ils avaient jeté John à terre et l’avaient impitoyablement roué de coups de pied. Il ne s’en était jamais remis. Peu de temps après, il fit une mauvaise chute et commença de cracher du sang. Les missionnaires essayèrent de rendre visite au couple mais des voisins hostiles les en empêchèrent. Cloué au lit, John s’affaiblit et finit par mourir.

Après l’enterrement, Mary décida de se joindre au rassemblement à Nauvoo. Plusieurs apôtres, dont Brigham Young et Heber Kimball, avaient récemment annoncé qu’ils rentraient chez eux au printemps, emmenant avec eux une grande compagnie de saints britanniques. Mary avait l’intention de partir pour l’Amérique du Nord peu après, avec une compagnie plus petite.

Étant la seule membre de l’Église de sa famille, elle rendit visite à ses parents et à ses frères et sœurs pour leur dire au revoir. Elle s’attendait à ce que son père proteste mais il lui demanda simplement quand et sur quel bateau elle partirait.

Le jour où elle prit la route pour la ville portuaire de Bristol, elle était malade de chagrin. En passant devant l’église où elle s’était mariée avec John quelques mois plus tôt, elle pensa à tout ce qui lui était arrivé depuis.

À vingt-quatre ans, elle était veuve et partait seule dans un nouveau pays se ranger avec le peuple de Dieu.

À Nauvoo, Thomas Sharp, rédacteur en chef d’un journal, s’installa à côté de Joseph Smith sur une estrade et balaya du regard une foule de plusieurs milliers de saints. C’était le 6 avril 1841, le onzième anniversaire de l’Église et le premier jour d’une conférence générale. Une fanfare couvrait les bavardages de l’assemblée. Dans quelques instants, les saints allaient commémorer ce jour important en posant les pierres angulaires d’un nouveau temple.

Thomas n’appartenait pas à leur Église mais John Bennett, le maire de Nauvoo, l’avait invité à passer la journée avec les saints. Il était facile de deviner pourquoi. En tant que rédacteur en chef, Thomas pouvait faire ou briser une réputation avec une poignée de mots et il avait été convié à Nauvoo comme allié potentiel.

Comme les saints, il était nouveau dans la région. À presque vingt-trois ans, il était arrivé dans l’Ouest l’année précédente pour travailler comme avocat et s’était installé dans la ville de Warsaw, à environ une journée de voyage au sud de Nauvoo. Quelques mois après son arrivée, il était devenu le rédacteur du seul journal non-mormon du comté et s’était fait une réputation pour son écriture percutante.

Il fut indifférent aux enseignements des saints et moyennement impressionné par leur dévouement envers leur religion mais il dut admettre que les événements du jour étaient frappants.

La journée avait commencé par une volée assourdissante de coups de canon suivie d’une parade de la milice municipale, appelée la légion de Nauvoo, constituée de six cent cinquante hommes. Joseph Smith et John Bennett, vêtus de l’uniforme bleu aux épaulettes dorées des officiers militaires, avaient fait défiler la légion à travers la ville jusqu’aux fondations fraîchement creusées du temple, sur le promontoire. Par respect, les saints avaient placé Thomas vers la tête du cortège, non loin de Joseph et de ses miliciens.

Sidney Rigdon ouvrit la cérémonie de la pierre angulaire avec un discours émouvant d’une heure au sujet des tribulations récentes des saints et de leurs efforts pour bâtir des temples. Après son discours, Joseph se leva et commanda aux ouvriers d’abaisser l’énorme pierre dans l’angle sud-est des fondations.

Il annonça : « La pierre principale de l’angle, qui représente la Première Présidence, est maintenant dûment posée en l’honneur du grand Dieu afin que les saints aient un lieu où l’adorer et que le Fils de l’homme ait un endroit où reposer sa tête. »

Après la cérémonie sacrée, Joseph convia Thomas et d’autres invités d’honneur chez lui pour dîner. Il voulait qu’ils sachent qu’ils étaient les bienvenus à Nauvoo. S’ils ne partageaient pas sa foi, il espérait qu’ils accepteraient au moins son hospitalité.

Il fut heureux d’apprendre que le lendemain, Thomas fit paraître dans son journal un article favorable à propos de la cérémonie de la pierre angulaire. Pour la première fois depuis l’organisation de l’Église, les saints semblaient avoir la sympathie de leurs voisins, le soutien du gouvernement et des amis haut placés.

Pour autant qu’il savourait ce moment de paix et de bonne volonté à Nauvoo, Joseph savait cependant que le Seigneur attendait de lui qu’il obéisse à tous ses commandements, même si cela devait mettre la foi des saints à l’épreuve. Et aucun commandement ne serait plus éprouvant que celui du mariage plural.

Grâce à la révélation, il comprenait que le mariage et la famille étaient au centre du plan de Dieu. Le Seigneur avait envoyé Élie le prophète au temple de Kirtland pour rétablir les clés de la prêtrise et sceller ensemble les générations, à l’image des maillons d’une chaîne. Sous la direction du Seigneur, Joseph avait enseigné à davantage de saints que mari et femme pouvaient être scellés pour le temps et pour l’éternité, devenir héritiers des bénédictions d’Abraham et accomplir le plan éternel de Dieu pour ses enfants.

Dans le Livre de Mormon, le prophète Jacob enseignait que les hommes ne devaient pas avoir « plus d’une épouse », sauf commandement contraire de Dieu. Comme le montrait l’histoire d’Abraham et de Sarah, Dieu commandait parfois à ses disciples fidèles de pratiquer le mariage plural de manière à étendre ses bénédictions à plus de personnes et à lui susciter un peuple d’alliance. En dépit des épreuves qu’il avait provoquées, le mariage plural d’Abraham et Agar avait suscité une grande nation. Il serait aussi une épreuve pour les saints qui le pratiqueraient mais le Seigneur promettait de les exalter pour leur obéissance et leur sacrifice.

Les années qui avaient suivi le départ de Joseph de Kirtland avaient été tumultueuses et il n’en avait pas parlé aux saints à cette époque-là mais la situation était différente à Nauvoo où ils avaient enfin trouvé une mesure de sécurité et de stabilité.

Joseph faisait confiance à la constitution des États-Unis qui protégeait le libre exercice de la religion. Plus tôt cette année-là, le conseil municipal de Nauvoo avait affirmé ce droit lorsqu’il avait adopté un arrêté stipulant que tous les groupes religieux pouvaient adorer librement à Nauvoo. La loi s’appliquait aussi bien aux chrétiens qu’aux non-chrétiens. Bien que personne ne fut musulman à Nauvoo, l’arrêté protégeait, en particulier, les musulmans, qui pratiquaient quelquefois la polygamie. Bien que les politiciens de la capitale l’aient déçu, Joseph croyait aux principes fondateurs de la république américaine et leur faisait confiance pour protéger son droit de vivre en accord avec la volonté de Dieu.

Il était tout de même conscient que la pratique du mariage plural choquerait les gens et il répugnait à l’enseigner ouvertement. Quand d’autres communautés religieuses et utopiques adoptaient souvent différentes formes de mariage, les saints avaient toujours prêché la monogamie. La plupart d’entre eux, comme la plupart des américains, associaient la polygamie aux sociétés qu’ils considéraient moins civilisées que la leur.

Joseph ne laissa aucune trace de son opinion sur le mariage plural ni sur ses difficultés à obéir à ce commandement. Emma ne dévoila pas non plus le moment où elle prit connaissance de cette pratique ni l’impact qu’elle eut sur son mariage. Cependant, les écrits de leurs proches montrent bien que ce fut source d’angoisse pour tous les deux.

Pourtant, Joseph sentait l’urgence de l’enseigner aux saints malgré les risques et ses propres réserves. S’il présentait ce principe en privé à des hommes et à des femmes fidèles, il pourrait obtenir leur soutien en vue du moment où il pourrait l’enseigner ouvertement. Pour l’accepter, les gens devaient vaincre leurs préjugés, reconsidérer les coutumes sociales et faire preuve d’une grande foi pour obéir à un commandement de Dieu aussi étranger à leurs traditions.

Vers l’automne 1840, Joseph avait commencé à en parler à Louisa Beaman, âgée de vingt-cinq ans. Sa famille faisait partie des premières à avoir cru au Livre de Mormon et à avoir accepté l’Évangile rétabli. À la mort de ses parents, elle avait emménagé avec sa sœur aînée Mary et son mari, Bates Noble, un vétéran du camp d’Israël.

Bates était présent lorsque Joseph discuta du mariage plural avec Louisa. Joseph lui dit : « En vous révélant ces choses, j’ai placé ma vie entre vos mains. Dans un mauvais moment, ne me dénoncez pas à mes ennemis. »

Quelque temps plus tard, Joseph demanda Louisa en mariage. Elle ne laissa pas de trace de sa réaction à la proposition, ni quand ou pourquoi elle l’accepta mais le soir du 5 avril 1841, la veille de la conférence générale, Joseph retrouva Louisa et Bates pour la cérémonie. Avec son autorisation, Bates les scella, répétant les mots de l’ordonnance que Joseph lui dictait.

Cet été-là, les saints se réjouirent lorsque John Bennett fut nommé à un poste important dans le système judiciaire du comté mais d’autres habitants furent outrés, redoutant le pouvoir politique croissant des saints. Ils considéraient la nomination de John comme une tentative de politiciens rivaux de gagner le vote des saints.

Thomas Sharp, qui était membre du parti adverse, remit ouvertement en question les qualifications de John pour le poste, sa réputation et la sincérité de son récent baptême. Dans un éditorial, il incita les citoyens à s’opposer à sa nomination.

Il exagéra aussi le mécontentement des centaines de saints britanniques rassemblés dans la région. Il rapporta : « On dit que beaucoup sont décidés à partir et qu’ils ont envoyé des lettres en Angleterre avertissant leurs amis qui avaient prévu d’émigrer du triste état des affaires dans la ville de l’Église. » Il affirmait qu’au cœur de leur mécontentement se trouvait un manque de foi en la mission du prophète.

Après avoir lu l’éditorial, Joseph, livide, dicta une lettre et l’envoya à Thomas, résiliant son abonnement :

Monsieur, veuillez annuler mon abonnement à votre journal. Son contenu est calculé pour me nuire, et être client de cet immonde torchon, ce tissu de mensonges, ce gouffre d’iniquité, est une disgrâce pour la probité de n’importe quel homme.

Avec mon mépris absolu,

Joseph Smith

P.S : P. S. Veuillez s’il vous plaît publier la note ci-dessus dans votre journal détestable.

Irrité par la lettre, Thomas l’imprima dans le numéro suivant accompagné d’un commentaire sarcastique au sujet de l’appel de prophète de Joseph. Certaines personnes l’avaient accusé d’utiliser son journal pour flatter les saints. Il voulait maintenant que ses lecteurs sachent qu’il les considérait comme une menace politique croissante pour les droits des autres citoyens du comté.

Comme preuve, il réimprima une proclamation que Joseph avait récemment publiée et qui appelait les saints de partout à se rassembler et à édifier Nauvoo. Il avertissait ses lecteurs : « Si sa volonté doit être leur loi, que peuvent, non, que vont devenir vos droits les plus chers et vos privilèges les plus précieux ? »

Comme il devenait de plus en plus critique, Joseph craignit qu’il n’incite d’autres habitants du comté à s’en prendre aux saints. L’enjeu était si grand maintenant que les pierres angulaires du temple étaient en place et que des bateaux entiers d’immigrants britanniques arrivaient. Ils ne pouvaient pas se permettre de perdre Nauvoo comme ils avaient perdu Independence et Far West.

Des voiliers grands et petits encombraient les quais animés du port de Bristol, au sud-ouest de l’Angleterre. Montant à bord du bateau qui l’emmènerait en Amérique du Nord, Mary Ann Davis trouva son lit propre et ne vit aucun signe de puces. Les autres passagers et elle n’avaient l’autorisation de garder qu’une malle à côté de leur lit et le reste de leurs affaires devait être entreposé dans la cale.

Mary resta à Bristol pendant une semaine le temps d’affréter le navire. Pour plus d’intimité, les autres passagers et elle pendirent des rideaux entre leurs lits, séparant la grande pièce en minuscules cabines. Ils explorèrent également les rues étroites de Bristol, s’imprégnant de la vue et des odeurs de la ville.

Mary s’attendait à ce que ses parents arrivent d’un jour à l’autre pour lui dire au revoir. Pour quelle autre raison son père aurait-il voulu connaître le nom du bateau et le lieu de départ ?

Mais ils ne vinrent jamais. Par contre, des avocats embauchés par son père pour l’obliger à débarquer commencèrent à inspecter quotidiennement le navire à la recherche d’une jeune veuve aux yeux foncés, portant une robe noire. Déçue mais déterminée à rejoindre Sion, Mary rangea ses habits de deuil et commença à s’habiller comme les autres jeunes femmes à bord.

Peu après, le bateau fit voile vers le Canada. Lorsqu’il accosta deux mois plus tard, Mary et sa compagnie voyagèrent vers le sud par bateau à vapeur, train et péniche jusqu’à un port non loin de Kirtland. Impatients de se retrouver parmi les saints, Mary et ses amis prirent le chemin de la ville où ils trouvèrent William Phelps qui dirigeait une petite branche de l’Église.

La ville de Kirtland n’était plus que l’ombre de ce qu’elle avait été autrefois. Le dimanche, William tenait des réunions dans le temple, s’asseyant souvent seul à la chaire. Depuis sa place dans l’assemblée, Mary trouva que le temple avait l’air abandonné.

Quelques semaines plus tard, une autre compagnie de saints britanniques arriva. L’un de ses membres, Peter Maughan, avait l’intention de continuer en prenant un bateau à vapeur pour traverser les grands lacs jusqu’à Chicago et en voyageant ensuite par voie de terre jusqu’à Nauvoo. Impatients de terminer leur voyage, Mary et plusieurs autres saints l’accompagnèrent, lui et ses six jeunes enfants.

En route, Mary et Peter firent plus ample connaissance. Il était veuf et avait travaillé dans les mines de plomb au nord-ouest de l’Angleterre. Sa femme, Ruth, était morte en couche peu de temps avant le moment où la famille avait prévu d’émigrer. Peter avait envisagé la possibilité de rester en Angleterre mais Brigham Young l’avait convaincu de se rendre à Nauvoo.

Lorsque Mary arriva à Nauvoo, elle fouilla la ville à la recherche d’amis d’Angleterre. Longeant les rues, elle vit un homme juché sur un baril, en train de prêcher, et elle s’arrêta pour écouter. Le prédicateur était enjoué et son sermon spontané captivait la petite audience. De temps à autre, il se penchait en avant et posait les mains sur les épaules d’un homme de haute taille, debout devant lui, comme s’il s’appuyait sur un bureau.

Mary sut immédiatement qu’il s’agissait de Joseph Smith. Après cinq mois de voyage, elle se tenait enfin parmi les saints, en présence du prophète de Dieu.

Entre-temps, de l’autre côté du monde, Orson Hyde fut submergé d’émotion lorsqu’il contempla Jérusalem pour la première fois. L’ancienne ville se dressait au sommet d’une colline bordée de vallées et entourée d’un épais mur d’enceinte. En approchant de la porte ouest, las de voyager, Orson aperçut ses murs et les tours qui se profilaient derrière.

Il avait espéré pénétrer dans Jérusalem avec John Page mais ce dernier était rentré chez lui avant même de quitter les États-Unis. Orson était parti seul, avait traversé l’Angleterre et l’Europe, passant par certaines des grandes villes du continent. Il avait ensuite pris la direction du sud-est jusqu’à Constantinople et avait pris un bateau à vapeur jusqu’à la ville côtière de Jaffa où il avait organisé son voyage jusqu’à Jérusalem en compagnie d’un gentilhomme anglais et de ses serviteurs lourdement armés.

Les quelques jours suivants, Orson avait déambulé dans les rues cahoteuses et poussiéreuses et avait rencontré les dirigeants religieux et municipaux. Environ dix mille personnes, la plupart parlant arabe, habitaient à Jérusalem. La ville était délabrée, avec des parties en ruine après des siècles de conflits et de négligence.

Malgré tout, en visitant les endroits mentionnés dans la Bible, Orson était émerveillé par la cité et son histoire sacrée. En regardant les gens se livrer aux tâches quotidiennes décrites dans les paraboles du Sauveur, il s’imagina ramené à l’époque de Jésus. À Gethsémané, il coupa une brindille d’un olivier et médita sur l’Expiation.

Le 24 octobre 1841, il se leva avant l’aube et descendit à pied une pente près de l’endroit où Jésus avait marché la veille de sa crucifixion. Gravissant le mont des Oliviers, il regarda Jérusalem, de l’autre côté de la vallée, et vit le spectaculaire dôme du Rocher, dressé près du site où se tenait le temple à l’époque du Sauveur.

Sachant que le Seigneur avait promis que certains descendants d’Abraham se rassembleraient à Jérusalem avant la Seconde Venue, l’apôtre s’assit et rédigea une prière, demandant à Dieu de guider les restes dispersés vers leur terre promise.

Il pria : « Incite-les à se rassembler dans ce pays selon ta parole. Qu’ils viennent comme des nuages et comme des colombes à leurs fenêtres. »

Lorsqu’il eut achevé sa prière, il éleva un monticule de pierres à cet endroit et traversa la vallée pour en empiler d’autres sur le mont de Sion en guise de monument simple attestant de la réussite de sa mission. Ensuite, il entreprit le long voyage qui le ramènerait chez lui.


CHAPITRE 37 : « Nous les mettrons à l’épreuve »

Le 5 janvier 1842, Joseph ouvrit un magasin à Nauvoo et accueillit joyeusement ses nombreux clients. Dans une lettre à un ami, il écrivit : « J’aime servir les saints et être le serviteur de tous, en espérant être exalté au moment où le Seigneur le jugera bon. »

La doctrine de l’exaltation pesait lourdement sur son esprit. En février, il reporta son attention sur les rouleaux égyptiens qu’il avait achetés à Kirtland et la traduction inachevée des écrits d’Abraham. Les nouvelles Écritures enseignaient que Dieu avait envoyé ses enfants sur terre pour tester leur fidélité et leur bonne volonté à obéir à ses commandements.

Avant la création de la terre, le Sauveur déclara : « Nous les mettrons ainsi à l’épreuve, pour voir s’ils feront tout ce que le Seigneur, leur Dieu, leur commandera. » Ceux qui obéissaient à ses commandements seraient exaltés vers une gloire supérieure. Ceux qui décidaient de ne pas obéir à Dieu perdraient ces bénédictions éternelles.

Joseph voulait faire comprendre ces vérités aux saints afin qu’ils puissent progresser vers l’exaltation et entrer en la présence de Dieu. À Kirtland, la dotation de pouvoir avait fortifié de nombreux hommes contre les rigueurs du champ de la mission mais Dieu avait promis de conférer une dotation spirituelle plus grande dans le temple de Nauvoo. En révélant des ordonnances et des connaissances supplémentaires aux hommes et aux femmes fidèles de l’Église, le Seigneur ferait d’eux des rois et des reines, des prêtres et des prêtresses, comme Jean le Révélateur l’avait prophétisé dans le Nouveau Testament.

Joseph exhorta les Douze et d’autres amis de confiance à être obéissants au Seigneur pendant qu’il les préparait à recevoir cette dotation de pouvoir divin. Il enseigna également le principe du mariage plural à d’autres saints et témoigna de son origine divine. L’été précédent, moins d’une semaine après le retour des apôtres d’Angleterre, il avait enseigné le principe à quelques-uns d’entre eux et leur avait commandé d’y obéir comme à un commandement du Seigneur. Bien que le mariage plural ne soit pas nécessaire à l’exaltation ou à la dotation supérieure de pouvoir, l’obéissance au Seigneur et la disposition à lui consacrer sa vie l’étaient.

Au début, comme Joseph, les apôtres s’opposèrent au nouveau principe. Brigham était si angoissé à l’idée d’épouser une autre femme qu’il languissait de mourir jeune. Heber Kimball, John Taylor et Wilford Woodruff voulaient retarder l’échéance le plus longtemps possible.

Suivant le commandement du Seigneur, Joseph avait aussi été scellé à d’autres épouses depuis son mariage avec Louisa Beaman. Lorsqu’il enseignait le mariage plural à une femme, il lui demandait de chercher de son côté la confirmation spirituelle qu’il était juste qu’elle soit scellée à lui. Toutes n’acceptèrent pas son invitation mais plusieurs le firent.

À Nauvoo, certains saints contractèrent des mariages pluraux pour le temps et pour l’éternité, ce qui signifiait que le scellement durerait pendant toute cette vie et pendant la suivante. Comme les mariages monogames, ces mariages impliquaient les relations sexuelles et la procréation d’enfants. D’autres mariages pluraux étaient uniquement pour l’éternité et les participants comprenaient que leur scellement n’entrerait en vigueur que dans la vie suivante.

Dans certains cas, une femme qui était mariée pour le temps à un saint apostat, à un homme qui n’était pas membre de l’Église ou même à un membre en règle pouvait être scellée pour l’éternité à un autre. Après la cérémonie de scellement, elle continuait de vivre avec son mari actuel en attendant les bénédictions du mariage éternel et de l’exaltation dans la vie à venir.

Au début de l’année 1842, Joseph proposa un scellement de ce genre à Mary Lightner, dont le mari, Adam, n’était pas membre de l’Église. Au cours de la conversation, Joseph dit à Mary que le Seigneur leur commandait d’être scellés l’un à l’autre pour la vie future.

Mary demanda : « Si Dieu vous l’a dit, pourquoi ne me le dit-il pas ? »

Joseph répliqua : « Priez avec ferveur car l’ange m’a dit que vous devriez en avoir le témoignage. »

Mary fut troublée par l’invitation de Joseph. En lui expliquant le mariage plural, il avait décrit les bénédictions éternelles de l’alliance du mariage éternel. Lorsqu’elle avait épousé Adam, ils s’étaient fait des promesses pour cette vie uniquement. Maintenant, elle comprenait qu’elle ne pouvait pas contracter d’alliances éternelles avec lui tant qu’il n’acceptait pas d’abord de se faire baptiser par l’autorité compétente.

Elle lui parla du baptême, le suppliant de se joindre à l’Église. Adam lui dit qu’il respectait Joseph mais ne croyait pas en l’Évangile rétabli et ne se ferait pas baptiser.

Désirant ardemment les bénédictions du mariage éternel mais sachant qu’elle ne pouvait pas les recevoir avec Adam, Mary se demanda ce qu’elle devait faire. Son esprit fut envahi par le doute. Finalement, elle pria pour que le Seigneur envoie un ange lui confirmer que l’invitation de Joseph était juste.

Une nuit, pendant qu’elle logeait chez sa tante, Mary vit une lumière apparaître dans sa chambre. Se redressant dans son lit, elle fut stupéfaite de voir un ange, vêtu de blanc, debout à côté d’elle. Son visage était lumineux et beau et ses yeux la transpercèrent comme des éclairs.

Effrayée, elle s’enfouit sous les couvertures et l’ange partit.

Le dimanche suivant, Joseph lui demanda si elle avait reçu une réponse.

Elle admit : « Je n’ai pas eu de témoignage mais j’ai vu quelque chose que je n’avais encore jamais vu. J’ai vu un ange et j’étais presque morte de peur. Je n’ai pas parlé. »

Joseph dit : « C’était un ange du Dieu vivant. Si vous êtes fidèle, vous verrez des choses encore plus grandes. »

Mary continua de prier. Elle avait vu un ange, ce qui avait renforcé sa foi aux paroles de Joseph. Elle reçut d’autres témoignages spirituels les jours suivants qu’elle ne put nier ni ignorer. Adam serait toujours son mari dans cette vie mais elle voulait s’assurer de recevoir toutes les bénédictions à sa portée dans la vie à venir.

Elle accepta peu après l’invitation de Joseph, et Brigham Young les scella pour la vie suivante.

Sous la direction de Joseph, John Taylor et Wilford Woodruff commencèrent à publier ses traductions du livre d’Abraham dans les numéros de Times and Seasons de mars 1842. En lisant les publications, les saints furent très heureux de découvrir de nouvelles vérités sur la création du monde, l’objectif de la vie et la destinée éternelle des enfants de Dieu. Ils apprirent qu’Abraham avait possédé un urim et thummim et avait parlé face à face avec le Seigneur. Ils lurent que la terre et tout ce qui s’y trouve avaient été organisés à partir de matériaux existants pour réaliser l’exaltation des enfants d’esprit du Père.

Au milieu de l’enthousiasme pour le livre d’Abraham et la doctrine enrichissante qu’il enseignait, les saints continuaient de faire des sacrifices afin d’édifier leur nouvelle ville et de construire le temple.

À cette époque, Nauvoo comptait plus de mille cabanes en rondins, de nombreuses maisons à ossature en bois et d’autres en briques solides achevées ou en travaux. Afin de mieux organiser la ville, Joseph l’avait divisée en quatre unités appelées paroisses et avait nommé un évêque pour présider chacune. Il était attendu de chacune qu’elle contribue aux travaux sur la maison du Seigneur en envoyant des ouvriers tous les dix jours.

Margaret Cook, une femme célibataire qui gagnait sa vie comme couturière à Nauvoo, regardait la construction progresser. Elle travaillait pour Sarah Kimball, l’une des premières converties à l’Église, qui avait épousé un commerçant prospère qui n’était pas membre.

Pendant que Margaret travaillait, Sarah et elle discutaient parfois de la construction du temple. Les murs n’étaient pas encore bien hauts mais déjà les artisans avaient aménagé temporairement un espace dans le sous-sol et installé de grands fonts pour les baptêmes pour les morts. Ils étaient faits de planches de sapin habilement découpées, de forme ovale, et reposaient sur le dos de douze bœufs sculptés à la main et dont les finitions étaient faites de belles moulures. Une fois les fonts consacrés, les saints recommencèrent à accomplir des baptêmes pour les morts.

Désireuse de faire sa part, Margaret remarqua que de nombreux ouvriers manquaient de chaussures, de pantalons et de chemises adaptés. Elle proposa une collaboration à Sarah pour offrir de nouvelles chemises aux ouvriers. Sarah dit qu’elle pouvait fournir le matériel pour les chemises si Margaret se chargeait de les coudre. Elles pourraient aussi enrôler d’autres femmes de Nauvoo et organiser une société pour diriger le projet.

Peu après, Sarah invita une douzaine de femmes chez elle pour discuter de la nouvelle société. Elles demandèrent à Eliza Snow, connue pour ses talents d’écrivain, d’ébaucher une constitution. Cette dernière se mit immédiatement au travail sur le document et le montra au prophète lorsqu’elle eut terminé.

Joseph dit que c’était la meilleure constitution dans son genre. Il ajouta : « Mais ce n’est pas ce que vous voulez. Dites aux sœurs que leur offrande est acceptée par le Seigneur et qu’il a quelque chose de mieux pour elles. » Il demanda à la société de se réunir avec lui quelques jours plus tard, au magasin.

Il dit : « Je vais organiser les femmes sous l’égide de la prêtrise, sur le modèle de la prêtrise. J’ai maintenant la clé pour le faire. »

Le jeudi suivant, le 17 mars 1842, Emma Smith gravit l’escalier jusqu’à la grande pièce au-dessus du magasin. Dix-neuf autres femmes, notamment Margaret Cook, Sarah Kimball et Eliza Snow, étaient venues organiser la nouvelle société. Joseph y assistait également avec Willard Richards, qui avait commencé de travailler comme secrétaire du prophète à son retour d’Angleterre, et John Taylor.

Sophia Marks, quinze ans, était la plus jeune personne présente. La plus âgée, Sarah Cleveland, avait cinquante-quatre ans. La plupart des femmes avaient à peu près le même âge qu’Emma. À part Leonora Taylor, qui était née en Angleterre, elles venaient toutes de l’Est des États-Unis et étaient arrivées dans l’Ouest avec les saints. Quelques-unes, telles que Sarah Kimball et Sarah Cleveland, étaient aisées alors que d’autres ne possédaient guère plus que la robe qu’elles portaient.

Elles se connaissaient bien. Philinda Merrick et Desdemona Fullmer avaient survécu au massacre de Hawn’s Mill. Athalia Robinson et Nancy Rigdon étaient sœurs. Emma Smith et Bathsheba Smith étaient cousines par alliance, tout comme Eliza Snow et Sophia Packard. Sarah Cleveland et Ann Whitney avaient aidé Emma dans des moments difficiles de sa vie, l’hébergeant avec sa famille lorsqu’elle n’avait pas d’autre choix. Elvira Cowles logeait chez Emma et s’occupait de ses enfants.

Emma aimait l’idée de mettre sur pied une société pour les femmes à Nauvoo. Récemment, Joseph et d’autres hommes étaient devenus membres d’une confrérie, vieille de plusieurs siècles, appelée la franc-maçonnerie, après que des francs-maçons de longue date tels qu’Hyrum Smith et John Bennett avaient créé une loge maçonnique dans la ville. Toutefois, les femmes de Nauvoo auraient une société d’une autre nature.

Tout le monde chanta « L’Esprit du Dieu saint » et John Taylor offrit une prière. Joseph se leva et expliqua que la nouvelle société devait encourager les femmes à chercher les nécessiteux et à s’en occuper, à corriger en justice les personnes dans l’erreur et à fortifier la collectivité. Il les invita ensuite à choisir une présidente qui, à son tour, choisirait deux conseillères, exactement comme dans les collèges de la prêtrise. Pour la première fois, les femmes auraient une autorité officielle et des responsabilités dans l’Église.

Ann Whitney, l’amie d’Emma, la nomma présidente et les femmes présentes approuvèrent à l’unanimité. Emma nomma ensuite Sarah Cleveland et Ann comme conseillères.

Joseph lut la révélation qu’il avait reçue pour Emma en 1830 et fit remarquer qu’elle avait été ordonnée et mise à part à l’époque pour expliquer les Écritures et instruire les femmes de l’Église. Il expliqua que le Seigneur l’avait qualifiée de « dame élue » parce qu’elle avait été choisie pour présider.

John Taylor ordonna ensuite Sarah et Ann comme conseillères d’Emma et confirma cette dernière dans son nouvel appel, la bénissant afin qu’elle ait la force dont elle aurait besoin. Après avoir offert quelques instructions supplémentaires, Joseph lui confia la direction de la réunion puis John leur proposa de décider du nom que porterait la société.

Les conseillères d’Emma recommandèrent le nom de Société de Secours des femmes de Nauvoo mais John proposa plutôt celui de Société de Bienveillance des femmes de Nauvoo, faisant ainsi écho à d’autres sociétés de femmes dans le pays.

Emma dit qu’elle préférait « secours » à « bienveillance » mais Eliza Snow dit que « secours » dénotait une réaction extraordinaire à une grande catastrophe. Leur société n’allait-elle pas se concentrer davantage sur les problèmes de la vie quotidienne ?

Emma insista : « Nous allons accomplir des choses merveilleuses. Quand un bateau est coincé dans les rapides avec de nombreux mormons à bord, nous considérons que c’est un appel au secours retentissant. Nous nous attendons à avoir des occasions extraordinaires et des appels pressants. »

Ses paroles résonnèrent dans la pièce. John dit : « Je dois vous le concéder. Vos arguments sont si puissants que je ne peux y résister. »

Toujours attentive à la poésie des mots, Eliza conseilla un léger changement de nom. Au lieu de la Société de Secours des femmes de Nauvoo, elle proposa, la « Société de Secours féminine de Nauvoo ». Toutes furent d’accord.

Emma leur dit : « Chaque membre devrait avoir l’ambition de faire le bien. » Par-dessus tout, leur société devrait être motivée par la charité. Comme Paul l’enseigne dans le Nouveau Testament, les bonnes œuvres ne leur serviraient à rien si la charité n’abondait pas dans leur cœur.

Ce printemps-là, Joseph se réunit souvent avec la Société de Secours. L’organisation grandit rapidement, incluant des membres de longue date et des immigrantes nouvellement baptisées. À la troisième réunion, le magasin de Joseph était à peine assez grand pour accueillir toutes les femmes qui désiraient y assister. Joseph voulait que la Société de Secours prépare ses membres à la dotation de pouvoir qu’elles recevraient dans le temple. Il enseigna aux femmes qu’elles devaient former une société de choix, se démarquant du mal et opérant sur le modèle de la prêtrise antique.

Entre-temps, Joseph fut troublé par des rapports selon lesquels quelques hommes de Nauvoo avaient des relations sexuelles en dehors du mariage et affirmaient que cela était autorisé dans la mesure où celles-ci restaient secrètes. Les séductions, qui pervertissaient les enseignements du Seigneur sur la chasteté, étaient perpétrées par des hommes qui n’avaient aucun égard pour les commandements. Si on ne les freinait pas, ils deviendraient une importante pierre d’achoppement pour les saints.

Le 31 mars, Joseph demanda à Emma de lire une lettre à la Société de Secours informant les sœurs que les autorités de l’Église n’avaient jamais approuvé de telles actions. La lettre déclarait : « Nous voulons y mettre un terme car nous souhaitons respecter les commandements de Dieu en toutes choses. »

Plus que tout, Joseph voulait que les saints soient dignes des bénédictions de l’exaltation. Ce printemps-là, il leur dit : « Si vous voulez aller là où est Dieu, vous devez être comme lui ou maîtriser les principes que Dieu maîtrise. Dans la mesure où nous nous éloignons de Dieu, nous descendons vers le diable et perdons la connaissance, et sans connaissance, nous ne pouvons pas être sauvés. »

Il faisait confiance à la présidence de la Société de Secours pour diriger les femmes de l’Église et pour les aider à nourrir en elle cette connaissance et cette droiture.

Il déclara : « Cette société doit recevoir de l’instruction selon l’ordre que Dieu a établi, par l’intermédiaire des personnes nommées pour la diriger, et je vous remets maintenant la clé, au nom de Dieu, et cette société se réjouira, et la connaissance et l’intelligence se déverseront sur elle à partir de maintenant. »

Le 4 mai 1842, Brigham Young, Heber Kimball et Willard Richards trouvèrent la pièce au-dessus du magasin de Joseph changée. Devant eux se trouvait une nouvelle fresque murale. De petits arbres et des plantes étaient posés à côté, laissant imaginer un jardin. Une autre partie de la pièce était cloisonnée par un tapis pendu en guise de rideau.

Joseph avait invité les trois apôtres à venir ce matin-là pour une réunion spéciale. Il avait convié son frère Hyrum et William Law, ainsi que les deux membres de la Première Présidence et deux de ses conseillers les plus proches. Étaient présents également les évêques Newel Whitney et George Miller, le président du pieu de Nauvoo, William Marks et un dirigeant de l’Église, James Adams.

Le reste de l’après-midi, le prophète présenta l’ordonnance aux hommes. Une partie comprenait les ablutions et les onctions, comme les ordonnances données dans le temple de Kirtland et l’ancien tabernacle hébreu. Il leur fut remis un sous-vêtement sacré qui leur couvrait le corps et leur rappelait leurs alliances.

La nouvelle ordonnance que Dieu avait révélée à Joseph enseignait des vérités exaltantes. Elle puisait dans les récits scripturaires de la Création, du jardin d’Éden, notamment dans celui de la nouvelle traduction d’Abraham, pour guider les hommes pas à pas à travers le plan du salut. Comme Abraham et d’autres prophètes d’autrefois, ils reçurent la connaissance qui leur permettrait de retourner dans la présence de Dieu. Au cours de la cérémonie, les hommes firent alliance de mener une vie juste et chaste et de se consacrer au service du Seigneur.

Joseph donna à l’ordonnance le nom de dotation et comptait sur les hommes pour ne pas révéler la connaissance spéciale qu’ils avaient reçue ce jour-là. Comme la dotation de pouvoir à Kirtland, l’ordonnance était sacrée et destinée aux personnes dont l’esprit était tourné vers le spirituel. Néanmoins, c’était plus qu’un déversement de dons spirituels et de pouvoir divin sur les anciens de l’Église. Dès que le temple serait achevé, les hommes et les femmes pourraient tous recevoir l’ordonnance, affermir leur relation d’alliance avec Dieu et trouver plus de puissance et de protection en consacrant leur vie au royaume de Dieu.

Lorsque la cérémonie fut terminée, Joseph donna quelques instructions à Brigham. Il dit à l’apôtre : « Cela n’a pas été fait correctement mais nous avons fait de notre mieux dans notre situation et je souhaite que tu prennes cette affaire en main et que tu organises et systématises toutes ces cérémonies. »

En quittant le magasin ce jour-là, les hommes étaient subjugués par les vérités qu’ils avaient apprises dans la dotation. Certains aspects de l’ordonnance rappelaient à Heber Kimball les cérémonies franc-maçonniques. Lors des réunions franc-maçonniques, les hommes mettaient en scène une histoire allégorique sur l’architecture du temple de Salomon. Les francs-maçons apprenaient des gestes et des mots qu’ils promettaient de garder secrets, le tout symbolisait qu’ils bâtissaient un fondement solide et y ajoutaient petit à petit lumière et connaissance.

En revanche, la dotation était une ordonnance de la prêtrise destinée aux hommes et aux femmes et elle enseignait des vérités sacrées qui n’existaient pas dans la franc-maçonnerie et qu’Heber était impatient que d’autres découvrent.

Il écrivit à Parley et Mary Ann Pratt en Angleterre : « Par l’intermédiaire du prophète, nous avons reçu des choses précieuses sur la prêtrise qui réjouiraient votre âme. Je ne peux pas vous les communiquer sur papier parce qu’elles ne sont pas écrites. Vous devrez donc venir personnellement les obtenir.


CHAPITRE 38 : Un traître ou un honnête homme

Le soir du 6 mai 1842, une pluie battante se déversait sur les rues d’Independence, au Missouri. Lilburn Boggs finit son dîner et s’installa dans un fauteuil pour lire le journal.

Bien que son mandat de gouverneur du Missouri eût pris fin plus d’un an auparavant, il participait encore activement à la vie politique et était maintenant candidat pour un poste à pourvoir au sénat de l’État. Au fil des années, il s’était fait de nombreux ennemis et son élection était peu probable. En plus de le critiquer pour son ordre d’extermination qui avait chassé des milliers de saints de l’État, certains habitants du Missouri étaient mécontents de sa gestion agressive d’un conflit frontalier avec l’Iowa. D’autres s’interrogeaient sur la manière dont il avait levé des fonds pour un nouveau capitole.

Assis dos à une fenêtre, Boggs survolait les gros titres. Dehors, il faisait frais et noir ce soir-là et il entendait le léger crépitement de la pluie.

À cet instant, à son insu, quelqu’un se faufila silencieusement dans son jardin boueux et pointa un gros calibre par la fenêtre. Un éclat de lumière jaillit du canon et Boggs s’affaissa sur son journal. Du sang coulait de sa tête et de son cou.

En entendant le coup de feu, son fils se rua dans la pièce et appela à l’aide. Entre-temps, le tireur avait jeté son arme à terre et s’était enfui incognito, ne laissant derrière lui que des traces de pas dans la boue.

Pendant que les enquêteurs tentaient de retrouver la trace de l’assassin de Boggs, Hyrum Smith enquêtait à Nauvoo sur des crimes d’une autre nature. Les premières semaines de mai, plusieurs femmes avaient accusé John Bennett, le maire, d’actions consternantes. En présence d’un conseiller municipal, elles racontèrent que John était venu les voir secrètement en insistant sur le fait que ce n’était pas un péché d’avoir des relations sexuelles avec lui tant qu’elles n’en parlaient à personne. Appelant cette pratique « l’adjonction de femmes spirituelles », il leur avait menti en leur assurant que Joseph approuvait ce comportement.

Au début, elles avaient refusé de le croire mais il avait insisté et avait demandé à ses amis de jurer aux femmes qu’il disait la vérité. S’il mentait, le péché retomberait directement sur lui. Et si elles tombaient enceinte, il promettait qu’en qualité de médecin, il les ferait avorter. Les femmes finirent par céder à ses avances, et à celles de quelques-uns de ses amis lorsqu’ils vinrent présenter des requêtes semblables.

Hyrum était horrifié. Il savait depuis quelque temps que John n’était pas l’homme intègre qu’il avait initialement affirmé être. Des rumeurs sur son passé avaient fait surface peu après son installation à Nauvoo et son élection en tant que maire. Joseph avait envoyé l’évêque George Miller enquêter sur les rumeurs et ce dernier avait bientôt appris que John était connu pour déménager de lieu en lieu, utilisant ses nombreux talents pour profiter des gens.

Il avait également découvert qu’il avait des enfants et était encore marié à une femme qu’il avait maltraitée et trompée pendant de nombreuses années.

Une fois que William Law et Hyrum eurent vérifié ces trouvailles, Joseph lui demanda des comptes et le réprimanda pour sa méchanceté passée. John promit de changer mais le prophète perdit confiance en lui et ne compta plus sur lui comme avant.

Maintenant, en écoutant le témoignage des femmes, Hyrum savait qu’il fallait prendre d’autres mesures. Ensemble, Hyrum, Joseph et William rédigèrent un document excommuniant John de l’Église et d’autres dirigeants le signèrent. Du fait qu’ils enquêtaient encore sur l’ampleur des péchés de John et espéraient régler l’affaire sans générer de scandale public, ils décidèrent de ne pas divulguer la notification d’excommunication.

Une chose était certaine, le maire était devenu un danger pour la ville et pour les saints et Hyrum se voyait dans l’obligation de le stopper.

John paniqua lorsqu’il fut informé de l’enquête menée par Hyrum. Le visage ruisselant de larmes, il se rendit dans le bureau de ce dernier et implora sa miséricorde. Il dit qu’il serait perdu à tout jamais si les gens apprenaient qu’il avait dupé tant de femmes. Il voulait parler à Joseph et faire amende honorable.

Les deux hommes sortirent et John vit le prophète traverser la cour en direction de son magasin. Se tournant vers lui, il cria : « Frère Joseph, je suis coupable. » Il avait les yeux rougis par les larmes. « Je le reconnais et je te supplie de ne pas me dévoiler au grand jour. »

Joseph demanda : « Pourquoi te sers-tu de mon nom pour te livrer à ta méchanceté infernale ? T’ai-je jamais enseigné quoi que ce soit qui ne soit pas vertueux ?

— Jamais !

— As-tu jamais eu connaissance de quoi que ce soit d’immoral ou d’injuste dans ma conduite ou mes actions à aucun moment, en public ou en privé ?

— Non.

— Es-tu prêt à en faire le serment devant un conseiller municipal ?

— Oui. »

John suivit Joseph dans son bureau et un secrétaire lui tendit un stylo et une feuille. Lorsque le conseiller municipal arriva, Joseph sortit de la pièce pendant que John, penché sur le bureau, rédigeait une confession déclarant que le prophète ne lui avait pas enseigné quoi que ce soit de contraire aux lois de Dieu. Il démissionna ensuite de ses fonctions de maire de Nauvoo.

Deux jours plus tard, le 19 mai, le conseil municipal accepta la démission de John et nomma Joseph à sa place. Avant de conclure la réunion, Joseph demanda à John s’il avait quelque chose à dire.

Il déclara : « Je n’ai aucun problème avec les chefs de l’Église, j’ai l’intention de rester avec vous et j’espère que le moment viendra où je retrouverai toute votre confiance et tous mes droits. Si un jour j’ai la possibilité de prouver ma foi, on saura alors si je suis un traître ou un honnête homme. »

Le samedi suivant, un journal de l’Illinois donnait des nouvelles des blessures de Lilburn Boggs. Il rapportait que l’ancien gouverneur s’accrochait toujours à la vie en dépit de graves lésions à la tête. Les enquêtes policières sur l’identité du tireur s’étaient avérées infructueuses. Certaines personnes accusaient les adversaires politiques de Boggs d’avoir appuyé sur la gâchette mais le journal soutenait que les saints en étaient responsables, affirmant que Joseph avait un jour prophétisé que Boggs connaîtrait une fin violente.

Il proclamait : « De ce fait, la rumeur est largement fondée. »

Joseph fut offensé par l’article. Il était fatigué d’être accusé de crimes qu’il n’avait pas commis. Il écrivit à l’éditeur du journal « Vous avez commis une injustice flagrante en m’accusant d’avoir prédit la mort de Lilburn W Boggs ». J’ai les mains nettes et le cœur pur du sang de tous les hommes. »

L’accusation arriva à un moment où il disposait de peu de temps pour se défendre publiquement. Il avait passé la semaine entière à enquêter sur les actions de John Bennett. Jour après jour, la Première Présidence, le Collège des Douze et le grand conseil de Nauvoo écoutaient les témoignages des victimes de John. En entendant leurs histoires, Joseph découvrit à quel point John avait déformé les lois de Dieu, se moquant des relations d’alliances éternelles que Joseph avait essayé d’inculquer aux saints.

Pendant les audiences, il entendit le témoignage de Catherine Warren, la veuve d’une victime du massacre de Haun’s Mill. Mère de cinq enfants, elle était désespérément pauvre et avait du mal à pourvoir aux besoins de sa famille.

Elle dit que John Bennett était le premier homme à avoir profité d’elle à Nauvoo. Elle dit au grand conseil : « Il disait qu’il voulait que ses désirs soient assouvis. Je lui ai dit que je ne me rendrais pas coupable d’une conduite pareille et que je pensais que l’Église serait déshonorée si je tombais enceinte. » Elle céda lorsqu’il lui mentit en disant que les dirigeants de l’Église approuvaient.

Peu après, des amis de John usèrent des mêmes mensonges pour profiter d’elle.

Elle dit au grand conseil : « L’hiver dernier, je me suis inquiétée de ma conduite. » Lorsqu’elle apprit que Joseph et les autres dirigeants de l’Église n’approuvaient pas ce que faisait John, elle décida de le dénoncer. Joseph et le grand conseil l’écoutèrent. Catherine garda son statut de membre de l’Église mais ils excommunièrent les hommes qui l’avaient dupée.

À la fin de l’enquête, John reçut aussi la notification officielle de son excommunication. Une fois de plus, il implora la miséricorde et poussa le conseil à traiter son châtiment dans la discrétion. Il dit que la nouvelle briserait le cœur de sa mère âgée et la tuerait sûrement de chagrin.

Comme Hyrum, Joseph était dégoûté par les péchés de John mais avec les accusations au sujet de Boggs planant sur la tête des saints et les éditeurs de journaux avides de scandale à Nauvoo, lui et les autres dirigeants de l’Église agirent prudemment pour éviter d’attirer l’attention sur l’affaire. Ils décidèrent de ne pas publier l’excommunication de John et d’attendre de voir s’il réformerait ses voies.

Joseph s’inquiétait tout de même des femmes que John avait dupées. Il n’était pas rare au sein des communautés d’ostraciser les femmes qu’elles pensaient coupables d’immoralité sexuelle, même si ces dernières étaient innocentes. Joseph exhorta les femmes de la Société de Secours à être charitables et lentes à condamner.

Il conseilla : « Repentez-vous, changez, mais faites-le de manière à ne pas détruire tout autour de vous. » Il ne voulait pas que les sœurs tolèrent l’iniquité mais il ne voulait pas non plus qu’elles fuient les gens. e cœur plus pur, être Il leur rappela : « Soyez pures de cœur. Jésus a l’intention de sauver les gens de leurs péchés. Il a dit : ‘Vous ferez les œuvres que vous me voyez faire.’ Voilà les grands mots clés selon lesquels la société doit agir. »

Emma était du même avis : « Toutes les rumeurs vaines et les discours oiseux doivent être abandonnés. » Néanmoins, elle se méfiait d’une discipline discrète. Elle dit aux femmes : « Les péchés ne doivent pas être couverts, surtout ceux qui vont à l’encontre de la loi de Dieu et des lois du pays. » Elle croyait qu’il valait mieux dévoiler les pécheurs au grand jour afin d’éviter que d’autres commettent les mêmes erreurs.

Toutefois, Joseph continua de gérer l’affaire en privé. La conduite passée de John montrait qu’il avait tendance à se retirer d’une communauté une fois qu’il était découvert et dépouillé d’autorité. Peut-être que s’ils attendaient patiemment, il quitterait simplement la ville de son plein gré.

Le 27 mai 1842, la Société de Secours se réunit pour la dixième fois près d’un bosquet où les saints se rendaient souvent pour leurs services de culte. Des centaines de sœurs appartenaient maintenant à l’organisation, notamment Phebe Woodruff, qui en était devenue membre un mois auparavant avec Amanda Smith, Lydia Knight, Emily Partridge et des dizaines d’autres.

Les réunions hebdomadaires étaient l’occasion pour Phebe d’oublier les soucis de sa vie trépidante, d’être informée des besoins des personnes qui l’entouraient et d’écouter des sermons préparés spécifiquement pour les femmes de l’Église.

Joseph et Emma prenaient souvent la parole lors de ces réunions mais ce jour-là, l’évêque Newel Whitney parla aux femmes des bénédictions que le Seigneur leur accorderait bientôt. Il venait juste de recevoir la dotation et les exhorta à rester concentrées sur l’œuvre du Seigneur et à se préparer à recevoir son pouvoir. Il déclara : « Sans les femmes, tout ne peut pas être rétabli sur terre. »

Il leur promit que Dieu avait de nombreuses choses précieuses à conférer aux saints fidèles. « Nous devons perdre de vue les choses vaines et nous souvenir que l’œil de Dieu est sur nous. Si nous nous efforçons de faire ce qui est juste, bien que nous commettions des erreurs de jugement de nombreuses fois, nous serons néanmoins justifiés aux yeux de Dieu si nous faisons de notre mieux. »

Deux jours après le sermon de Newel, Phebe et Wilford gravissaient le promontoire en direction du temple inachevé. Leur famille avait bravé l’adversité, notamment la mort de leur fille Sarah Emma pendant que Wilford était en Angleterre. Ils étaient maintenant mieux installés que jamais depuis leur mariage et ils avaient deux nouveaux enfants.

Wilford dirigeait le bureau du Times and Seasons, ce qui lui offrait un emploi stable lui permettant de subvenir aux besoins de leur famille. Les Woodruff habitaient un logis modeste en ville et faisaient construire une maison de briques sur une parcelle au sud du temple. Ils avaient de nombreux amis à qui rendre visite dans la région, dont John et Jane Benbow, qui avaient vendu leur grosse exploitation agricole en Angleterre pour se rassembler avec les saints.

De toute façon, comme l’évêque Whitney l’avait enseigné, les saints devaient continuer de s’efforcer de faire le bien, de s’engager dans l’œuvre du Seigneur et d’éviter les distractions qui risquaient de les égarer.

Le temple devenait de plus en plus indispensable pour fixer leur attention sur ces points. Le 29 mai, Phebe descendit au sous-sol, entra dans les fonts baptismaux et fut baptisée pour son grand-père, sa grand-mère et son grand-oncle. Pendant que Wilford l’immergeait, elle avait la foi que ses ancêtres décédés accepteraient l’Évangile rétabli, feraient alliance de suivre Jésus-Christ et se souviendraient de son sacrifice.

Deux semaines après avoir été informé de son excommunication, John Bennett était toujours à Nauvoo. Entre-temps, la Société de Secours avait mis en garde les femmes de la ville contre ses crimes et avaient ardemment condamné le genre de mensonges qu’il avait répandus sur les dirigeants de l’Église. D’autres renseignements crapuleux sur son passé avaient également fait surface et Joseph se rendit compte qu’il était temps d’annoncer l’excommunication de l’ancien maire et d’exposer publiquement ses dangereux péchés.

Le 15 juin, il publia une courte notification au sujet de son excommunication dans le Times and Seasons. Quelques jours plus tard, dans un sermon prononcé sur le site du temple, il parla ouvertement à plus d’un millier de saints des mensonges de John et de son exploitation des femmes.

Trois jours plus tard, furieux, ce dernier quitta Nauvoo, disant que les saints étaient indignes de sa présence et menaçant d’envoyer des émeutiers après la Société de Secours. Imperturbable, Emma proposa que la Société de Secours édite une brochure révélant la personnalité de John. Elle dit aux femmes : « Tout ce que nous avons à faire, c’est craindre Dieu et respecter ses commandements, ainsi nous prospérerons. »

Joseph publia une inculpation supplémentaire à l’encontre de John, détaillant la longue histoire de déviance de l’ancien maire. Il déclara : « Au lieu de faire preuve d’un esprit de repentir, il s’est montré indigne jusqu’au bout de la confiance ou des égards de toute personne honnête en mentant pour tromper l’innocent et commettant l’adultère d’une manière des plus abominables et dépravées. »

Pendant ce temps, John loua une chambre dans une ville voisine et envoya à un grand journal de l’Illinois des lettres cinglantes sur Joseph et les saints. Il accusait le prophète d’une foule de crimes, dont beaucoup de ceux qu’il avait lui-même commis et inventa des histoires grotesques et exagérées pour corroborer ses dires et couvrir ses péchés.

Dans une lettre, il l’accusa d’avoir ordonné l’assassinat de Lilburn Boggs au mois de mai, répétant l’histoire relatée dans le journal que le prophète avait prédit que Boggs connaîtrait une mort violente et ajoutant qu’il avait envoyé son ami et garde du corps Porter Rockwell au Missouri pour « accomplir la prophétie ».

Les saints voyaient bien que les écrits de John n’étaient qu’un tissu de mensonges mais les lettres nourrissaient un feu qui brûlait déjà parmi les détracteurs au Missouri. Après s’être remis de l’attaque, Boggs exigea que son présumé assassin soit amené devant la justice. Lorsqu’il apprit que Porter Rockwell rendait visite à sa famille à Independence à ce moment-là, il accusa Joseph d’être complice de la tentative de meurtre. Il pressa ensuite Thomas Reynolds, le nouveau gouverneur du Missouri, de demander aux dirigeants de l’Illinois d’arrêter Joseph et de le renvoyer au Missouri pour être jugé.

Le gouverneur accepta et exigea à son tour que Thomas Carlin, le gouverneur de l’Illinois, traite le prophète comme un fugitif recherché par la justice, ayant fui le Missouri après le crime.

Sachant qu’il n’était pas retourné au Missouri depuis qu’il s’en était échappé trois ans auparavant et qu’il n’y avait aucune preuve de son rôle dans l’affaire, les saints furent outrés. Le conseil municipal de Nauvoo et un groupe de citoyens de l’Illinois qui leur étaient favorables envoyèrent immédiatement une pétition au gouverneur afin qu’il n’arrête pas Joseph. Emma, Eliza Snow et Amanda Smith se rendirent à Quincy pour rencontrer le gouverneur et lui remettre personnellement une pétition de la Société de Secours en sa faveur. Le gouverneur Carlin écouta leurs instances mais finit malgré tout par émettre un mandat d’arrêt pour Joseph et Porter.

Le 8 août, un shérif adjoint et deux officiers arrivèrent à Nauvoo et arrêtèrent les deux hommes, accusant Porter d’avoir tiré sur Boggs et Joseph d’avoir été complice. Avant que le shérif n’ait pu les emmener, le conseil municipal de Nauvoo exigea le droit d’examiner le mandat. Joseph avait été accusé faussement auparavant, et la charte de Nauvoo accordait aux saints le pouvoir de se protéger des abus du système judiciaire.

Ne sachant pas si le conseil avait le droit de remettre le mandat en question, le shérif avait livré Joseph et Porter au capitaine de gendarmerie et avait quitté la ville pour demander au gouverneur ce qu’il devait faire. Deux jours plus tard, il était revenu chercher ses prisonniers mais ne les avait trouvés nulle part.


CHAPITRE 39 : La septième angoisse

Le 11 août 1842, un petit croissant de lune se reflétait dans le courant sombre du Mississippi pendant que Joseph et son ami Erastus Derby pagayaient silencieusement. Devant eux, ils distinguaient le contour de deux îles boisées dans le tronçon de fleuve séparant Nauvoo de Montrose. Manœuvrant entre elles, les hommes aperçurent une autre barque amarrée le long de la berge et ramèrent dans sa direction.

La veille, Joseph et Porter s’étaient glissés hors de Nauvoo pour ne pas être arrêtés, craignant de ne pouvoir faire l’objet d’un procès impartial. Porter était parti vers l’est pour quitter l’État et Joseph s’était dirigé vers l’ouest, traversant le fleuve jusqu’à chez son oncle John en Iowa, hors de la juridiction du shérif de l’Illinois et de ses hommes. Il s’y était caché toute la journée mais était pressé de voir sa famille et ses amis.

Quand Joseph et Erastus accostèrent sur l’île, Emma, Hyrum et quelques amis proches de Joseph les accueillirent. Tenant Emma par la main, Joseph écouta le groupe assis dans le bateau parler à voix basse de la situation à Nauvoo.

Le danger était plus grand qu’il ne l’avait pensé. Ses amis avaient entendu dire que le gouverneur de l’Iowa avait émis un mandat d’arrêt contre lui et Porter, ce qui signifiait qu’il n’était plus en sécurité chez son oncle. Ils s’attendaient maintenant à ce que les shérifs des deux cotés du fleuve se mettent à sa recherche.

Ses amis pensaient toujours que les tentatives d’arrestation étaient illégales, un complot éhonté de ses ennemis au Missouri pour le capturer. Pour le moment, la meilleure chose qu’il pouvait faire était de se cacher dans la ferme d’un de ses amis du côté Illinois du fleuve et d’attendre que les choses se calment.

Il quitta l’île le cœur débordant de gratitude. D’autres l’avaient abandonné et trahi maintes et maintes fois face à l’adversité mais ces amis-là étaient venus l’aider en pleine nuit, choisissant de se tenir à ses côtés et de défendre les vérités qu’il chérissait.

Il pensa : « Ce sont mes frères et je vivrai. »

Mais c’est pour Emma qu’il éprouvait le plus de reconnaissance. Il se dit : « À nouveau elle est là, même dans la septième angoisse, brave, ferme, immuable et affectueuse Emma ! »

Au fil des jours et des semaines qui suivirent, elle communiqua régulièrement avec lui. Lorsqu’ils ne pouvaient se rencontrer, ils correspondaient. Quand elle pouvait échapper aux hommes de loi qui surveillaient chacun de ses gestes, elle le rejoignait dans un abri sûr et ils planifiaient leur prochaine action. Elle transmettait souvent des messages entre lui et les saints à qui il faisait confiance, évitant ceux qui lui voulaient du mal.

Les shérifs menaçant de fouiller chaque maison de l’Illinois si nécessaire, Joseph savait que les saints craignaient qu’il ne soit rapidement capturé et ramené au Missouri. Certains amis l’incitaient à s’échapper vers les forêts de pins au nord de l’État, là où les saints coupaient du bois pour le temple.

Joseph détestait l’idée de fuir, préférant rester en Illinois et voir le bout de la crise. Néanmoins, il était disposé à partir si c’était ce qu’Emma voulait faire. Il écrivit : « Ma sécurité est avec toi. Si les enfants et toi ne venez pas avec moi, je n’irai pas. »

Une part de lui aspirait à emmener sa famille ailleurs, au moins pour un peu de temps. Il dit à Emma : « Je suis las de la méchanceté, de la bassesse et de la grossièreté de certaines parties de la société dans laquelle nous vivons et si je pouvais avoir un répit d’environ six mois avec ma famille, ce serait un véritable bonheur. »

Emma répondit à sa lettre plus tard dans la journée. Elle écrivit : « Je suis prête à t’accompagner si tu es obligé de partir mais je suis sûre que tu peux être protégé sans quitter ce pays. Il y a plusieurs manières de s’occuper de toi. »

Le soir suivant, elle écrivit au gouverneur Thomas Carlin l’assurant de l’innocence de Joseph. Ce dernier ne se trouvait pas au Missouri lorsque la tentative de meurtre avait eu lieu, raisonnait-elle, et il était innocent des accusations portées contre lui. Elle croyait qu’il ne ferait jamais l’objet d’un procès impartial au Missouri et qu’au contraire, il serait probablement assassiné.

Elle supplia : « Je vous supplie d’épargner à mes enfants innocents le chagrin de voir de nouveau leur père condamné injustement à la prison ou à mort. »

Le gouverneur lui répondit peu après. Sa lettre était polie et les mots soigneusement pesés. Il insistait sur le fait que les mesures qu’il prenait à l’encontre de Joseph étaient uniquement motivées par son sens du devoir. Il exprimait son espoir de voir Joseph se soumettre à la loi et ne donnait pas la moindre indication sur ses dispositions à changer d’avis sur le sujet.

Sans se démonter, Emma écrivit une deuxième lettre, cette fois expliquant pourquoi il était illégal d’arrêter son mari.

Elle demanda au gouverneur : « Quel bien peut rejaillir sur cet État ou sur les États-Unis, ou n’importe quelle partie de cet État ou des États-Unis, ou sur vous-même ou sur quiconque le fait de continuer de persécuter ce peuple ou M.Smith ? » Smith !

Elle envoya la lettre et attendit une réponse.

Pendant ce temps, la plupart des saints ne savaient pas que Joseph se cachait à quelques kilomètres à peine. Certains croyaient qu’il était retourné à Washington. D’autres pensaient qu’il était parti en Europe. En regardant le shérif et ses officiers rôder dans les rues de Nauvoo à la recherche d’indices sur le lieu où il se cachait, les saints commencèrent à craindre pour sa sécurité. Toutefois, ils comptaient sur le Seigneur pour protéger son prophète et continuèrent à vaquer à leurs occupations quotidiennes.

Comme d’autres immigrants britanniques, Mary Davis était encore en train de s’habituer à son nouveau foyer à Nauvoo. Depuis son arrivée, elle avait épousé Peter Maughan, le jeune veuf qu’elle avait rencontré à Kirtland, devenant la belle-mère de ses enfants. Ensemble, ils louaient la maison d’Orson Hyde, qui était encore en mission à Jérusalem, et avaient du mal à trouver un emploi adéquat pour subvenir aux besoins de leur famille.

Nauvoo offrait de nombreux emplois aux ouvriers agricoles et à ceux du bâtiment mais moins de possibilités pour les ouvriers qualifiés comme Peter, qui avait vécu et travaillé dans des centres d’exploitation minière bourdonnants en Angleterre. Des entrepreneurs locaux essayaient de créer des moulins, des usines et des fonderies à Nauvoo mais ces entreprises ne faisaient que démarrer et ne pouvaient embaucher tous les ouvriers qualifiés affluant d’Angleterre.

Sans emploi stable, Mary et Peter avaient survécu à leur premier hiver en vendant certains de leurs biens pour acheter de la nourriture et du bois de chauffage. Lorsque Joseph apprit que Peter était mineur en Angleterre, il l’embaucha pour extraire un filon de charbon découvert sur des terres qu’il possédait au sud de Nauvoo. Le charbon s’avéra être d’une excellente qualité et Peter en récupéra trois chariots pleins pour Joseph avant d’avoir épuisé le filon.

Certaines familles d’immigrants pauvres quittèrent Nauvoo pour trouver des emplois mieux rémunérés dans des villes voisines mais Mary et Peter décidèrent de rester et de se contenter de ce qu’ils avaient. Ils disposèrent des planches sur le sol inachevé de la maison des Hyde et confectionnèrent des matelas de plumes pour les lits. Un coffre leur servit de table et ils stockèrent leur vaisselle à l’air libre parce qu’ils n’avaient pas de placards.

L’été, à Nauvoo, la chaleur pouvait être étouffante mais lorsqu’en fin d’après-midi ou en soirée la température fléchissait, les familles comme les Maughan abandonnaient leurs corvées et se promenaient ensemble dans la ville. Les rues étaient souvent pleines de monde en train de discuter de politique, des nouvelles locales et de l’Évangile. Parfois, les saints organisaient des conférences, assistaient à des pièces de théâtre ou écoutaient la fanfare nouvellement organisée emplir l’air de la musique populaire de l’époque. Non loin se trouvaient toujours des groupes d’enfants en train de jouer aux billes, de sauter à la corde et de faire d’autres jeux de plein air jusqu’à ce que le soleil se couche derrière le Mississippi et que les étoiles scintillent dans le ciel nocturne.

Fin août, les lettres que John Bennett avait publiées plus tôt cet été-là furent réimprimées dans des journaux de tout le pays, nuisant à la réputation de l’Église et compliquant la tâche des missionnaires de faire connaître le message de l’Évangile rétabli. Pour lutter contre la mauvaise presse, les dirigeants de l’Église appelèrent des centaines d’anciens en mission.

Le 29 août, ils se réunirent dans un bosquet près du site du temple pour recevoir des instructions. Pendant le discours d’Hyrum, Joseph fit sensation dans l’assemblée lorsqu’il grimpa sur l’estrade et prit place. De nombreux frères ne l’avaient pas revu depuis qu’il était parti se cacher plus tôt ce mois-là.

Les autorités de l’Illinois le poursuivaient toujours mais ils avaient récemment quitté la région, lui permettant de relâcher quelque peu sa garde. Depuis un peu plus d’une semaine, il habitait tranquillement chez lui avec sa famille, se réunissant en privé avec les Douze et d’autres dirigeants de l’Église.

Deux jours après la conférence avec les anciens, il se sentit suffisamment en sécurité pour assister à une réunion de la Société de Secours. Il parla aux femmes de ses récentes épreuves et des accusations portées contre lui. Il dit : « Bien que j’aie des torts, je n’ai pas ceux dont on m’accuse. Mes torts viennent de la faiblesse de la nature humaine, comme les autres hommes. Personne ne mène une vie exempte d’erreurs. »

Il remercia Emma et les autres femmes de le défendre et d’avoir envoyé une pétition au gouverneur en sa faveur. Il dit : « La Société Féminine de Secours a pris la part la plus active contre mes ennemis. Si ces mesures n’avaient pas été prises, des conséquences plus graves auraient suivi. »

Ce week-end-là, Emma et lui reçurent John Boynton, l’ancien apôtre. Bien qu’il ait été un dissident, et ait même menacé le frère de Joseph avec une épée dans le temple de Kirtland, il avait mis ses différends avec Joseph de côté. Pendant que la famille déjeunait, un shérif de l’Illinois et deux officiers armés firent irruption dans la maison avec de nouveaux ordres d’arrêter le prophète. John fit diversion, donnant ainsi à Joseph le temps de s’esquiver par la porte arrière, de traverser la plantation de maïs de son jardin et d’aller se réfugier dans son magasin.

À la maison, Emma exigea que le shérif lui montre son mandat de perquisition. Il lui dit qu’il n’en avait pas et passa derrière elle avec ses hommes. Ils fouillèrent les pièces une à une, cherchant derrière chaque porte et chaque rideau mais ne trouvèrent rien.

Cette nuit-là, lorsque les hommes de loi eurent quitté la ville, Joseph s’installa chez ses amis, Edward et Ann Hunter. Quelques jours plus tard, il écrivit aux saints : « J’ai trouvé opportun et sage de quitter les lieux pendant un peu de temps, pour ma sécurité et celle de ce peuple. » Il ne désirait pas s’attarder sur ses épreuves et leur fit part d’une nouvelle révélation sur le baptême pour les morts.

Elle disait : « En vérité, ainsi dit le Seigneur : Que l’œuvre de mon temple et toutes les œuvres que je vous ai assignées soient poursuivies et ne cessent pas. » Le Seigneur commandait aux saints de tenir des annales des baptêmes par procuration qu’ils accomplissaient et de prévoir des témoins pour y assister afin que la rédemption des morts puisse être enregistrée sur terre et dans les cieux.

Quelques jours plus tard, il leur envoya d’autres instructions concernant l’ordonnance. Paraphrasant Malachie, il écrivit : « La terre sera frappée de malédiction à moins qu’il y ait un chaînon d’une sorte ou d’une autre qui rattache les pères et les enfants. » Il expliqua que les générations passées et présentes devaient collaborer pour racheter les morts et réaliser la plénitude des temps, lorsque le Seigneur révélerait toutes les clés, les pouvoirs et les gloires qu’il gardait en réserve pour les saints, notamment des choses qu’il n’avait encore jamais révélées.

Joseph ne se contenait plus de la joie qu’il éprouvait pour la miséricorde de Dieu envers les vivants et les morts. Même caché, pourchassé injustement par ses ennemis, il exultait dans l’Évangile rétabli de Jésus-Christ.

Il demanda aux saints : « Qu’entendons-nous dans l’Évangile ? Une voix d’allégresse ! Une voix de miséricorde venant du ciel et une voix de vérité sortant de la terre. » Jubilant, il écrivit au sujet du Livre de Mormon, des anges rétablissant la prêtrise et ses clés, et de Dieu révélant son plan ligne sur ligne et précepte sur précepte.

Il demanda : « Ne persévérerons-nous pas dans une si grande cause ? Que votre cœur se réjouisse et soit dans l’allégresse ! Que la terre éclate en chants. Que les morts chantent des hymnes de louanges éternelles au roi Emmanuel. » Toutes les créations témoignaient de Jésus-Christ, et sa victoire sur le péché et la mort était certaine.

Joseph se réjouit : « Qu’elle est merveilleuse la voix que nous entendons du ciel. »

À l’automne de 1842, le gouverneur Carlin répondit à la deuxième lettre d’Emma, exprimant son admiration pour son dévouement envers son mari mais refusant en fin de compte de l’aider. Vers la même époque, John Bennett publia un exposé de la longueur d’un livre sur Joseph et les saints. Il commença aussi à faire des conférences sur ce qu’il appelait « Le système des femmes secrètes à Nauvoo », captivant les auditoires par les rumeurs extravagantes qu’il avait entendues (dont beaucoup qu’il avait inventées lui-même) sur les mariages pluraux de Joseph.

La campagne agressive de John battant son plein et le gouverneur Carlin refusant d’intervenir, Joseph se sentait de plus en plus acculé. Il savait qu’il ne pouvait se rendre et faire l’objet d’un procès tant que ses ennemis au Missouri voulaient sa mort. Mais il ne pouvait pas non plus rester caché le reste de sa vie. Combien de temps pourrait-il échapper à une arrestation avant que l’État ne se retourne contre sa famille et contre les saints qui le protégeaient ?

En décembre, après que Joseph se fut caché pendant trois mois, le mandat du gouverneur Carlin prit fin. Bien que le nouveau gouverneur, Thomas Ford, refusât d’intervenir directement dans le cas de Joseph, il exprima de la sympathie pour la détresse du prophète et affirma que les tribunaux se prononceraient en sa faveur.

Joseph ne savait pas s’il pouvait lui faire confiance mais il n’avait pas de meilleure solution. Le lendemain de Noël 1842, il se livra à Wilson Law, général de la légion de Nauvoo et frère de William Law. Ils se rendirent ensuite à Springfield, capitale de l’État, pour une audience visant à déterminer si la demande d’arrestation de Joseph par le gouverneur du Missouri était légale et s’il serait renvoyé au Missouri pour être jugé.

L’arrivée de Joseph à Springfield causa un tumulte. Des spectateurs curieux s’entassèrent dans le tribunal situé en face du nouveau capitole, tendant le cou pour apercevoir l’homme qui se disait prophète de Dieu.

Quelqu’un demanda : « Lequel est Joe Smith ? Est-ce cet homme de haute taille ? »

Quelqu’un d’autre dit : « Quel nez pointu ! Il est trop souriant pour être un prophète ! »

Le juge Nathaniel Pope, l’un des hommes les plus respectés de l’Illinois, présidait la séance. Joseph s’assit avec son avocat, Justin Butterfield, à l’avant du tribunal. Non loin, Willard Richards, son secrétaire, était penché sur un carnet et prenait note du déroulement. Plusieurs autres saints se pressaient dans la pièce.

Dans l’esprit du juge Pope, la question n’était pas de savoir si Joseph était complice de la tentative d’assassinat de Boggs mais s’il était au Missouri lorsque le crime s’était produit et avait ensuite fui l’État. Josiah Lamborn, jeune procureur d’Illinois, mit dès ses premières remarques l’accent sur la prophétie présumée de Joseph sur la mort de Boggs. Il en déduisait que si Joseph avait prophétisé le meurtre de ce dernier, c’était donc qu’il devait en être tenu pour responsable et jugé au Missouri.

Lorsque M. Lamborn eut terminé, l’avocat de Joseph soutint que les accusations du gouverneur Boggs étaient erronées puisque Joseph n’était pas au Missouri lorsque le crime avait été commis. M.Butterfield insista : « Il n’y a pas une once de témoignage que Joseph s’est enfui du Missouri. Il ne peut être extradé tant qu’il n’est pas prouvé que c’est un fugitif. Ils doivent prouver qu’il s’est enfui ! »

Il présenta ensuite à la cour des témoins attestant de l’innocence de Joseph. Il termina : « Je ne pense pas que le prévenu doive en aucun cas être livré au Missouri. »

Le lendemain matin, le 5 janvier 1843, le tribunal bourdonnait d’impatience lorsque Joseph et ses avocats vinrent entendre le verdict du juge. Les saints attendaient avec anxiété sachant que si le juge Pope se prononçait contre Joseph, le prophète pourrait facilement se retrouver entre les mains de ses ennemis à la tombée de la nuit.

Le juge arriva peu après neuf heures. Prenant place, il remercia les avocats et commença à exposer sa décision. Il avait beaucoup à dire sur le cas et pendant qu’il parlait, Willard Richards s’empressa de noter chaque mot.

Comme l’avocat de la défense l’avait argumenté la veille, le juge conclut que Joseph avait été convoqué illégalement pour être jugé au Missouri. Ne voyant aucune raison de détenir Joseph plus longtemps, il déclara : « Smith doit être relâché. »

Joseph se leva et s’inclina devant la cour. Après avoir vécu caché pendant cinq mois, il était enfin libre.


CHAPITRE 40 : Uni dans une alliance éternelle

Le 10 avril 1843, lorsque Joseph revint à Nauvoo, des amis et des parents s’attroupèrent chez lui pour le féliciter. Peu après, Emma et lui organisèrent un dîner de fête pour célébrer sa victoire et leur seizième anniversaire de mariage. Wilson Law et Eliza Snow composèrent des chansons pour l’occasion et Joseph et Emma servirent le repas pendant que leurs convives riaient et racontaient des histoires.

Joseph était heureux de se retrouver parmi ses êtres chers. Peu après, il songea : « Si je n’avais aucun espoir de revoir ma mère, mes frères et sœurs et mes amis, j’en aurais le cœur instantanément brisé. » Cela le réconfortait de savoir que le baptême pour les vivants et les morts, la dotation et le mariage éternel offraient aux saints la possibilité de contracter des alliances sacrées qui les scellaient ensemble et assuraient que leurs relations familiales perdureraient au-delà du tombeau.

Pourtant, jusqu’à maintenant, aucune femme et uniquement une poignée d’hommes avaient reçu la dotation, et de nombreux saints ne connaissaient toujours pas l’alliance du mariage éternel. Joseph se raccrochait à la promesse qu’il vivrait assez longtemps pour achever sa mission et il désirait ardemment que le temple soit fini afin qu’il puisse faire découvrir ces ordonnances aux saints. Il lui semblait toujours que le temps lui était compté.

Il sprintait donc, exhortant les saints à suivre l’allure. Il croyait que des bénédictions extraordinaires attendaient les personnes qui recevaient les ordonnances sacrées et obéissaient aux lois de Dieu. Maintenant plus que jamais, son but était d’impartir la connaissance divine qu’il avait reçue à davantage de saints, afin de les aider à contracter et respecter des alliances qui les édifieraient et les exalteraient.

Cet hiver-là, le Mississippi fut recouvert d’une solide couche de glace, bloquant la circulation habituelle des canots et des bateaux. Il neigeait souvent et des vents glacials balayaient les plaines et le promontoire. Peu de saints restaient longtemps dehors car nombre d’entre eux n’avaient que des chaussures basses, des vestes légères et des châles élimés pour se protéger du froid et de la neige fondue.

Vers la fin de l’hiver, l’air était encore très frais tandis qu’Emily Partridge lavait le linge et s’occupait des enfants chez les Smith. Depuis plus de deux ans, sa sœur aînée, Eliza, et elle, vivaient et travaillaient chez eux, non loin de l’endroit où leur mère habitait avec son nouveau mari.

Emily appartenait à la Société de Secours et parlait souvent avec les femmes autour d’elle. Occasionnellement, elle entendait chuchoter au sujet du mariage plural. Plus d’une trentaine de saints avaient discrètement adopté la pratique, notamment deux de ses demi-sœurs et l’un de ses demi-frères. Elle-même n’en savait rien personnellement.

Un an plus tôt, Joseph avait pourtant mentionné qu’il avait quelque chose à lui dire. Il avait proposé de l’écrire dans une lettre mais elle lui avait demandé de ne pas le faire, craignant que cela ait un lien avec le mariage plural. Après coup, elle avait regretté sa décision et avait parlé à sa sœur de cette conversation, révélant le peu qu’elle savait au sujet de la pratique. Eliza semblait contrariée alors elle n’en parla plus.

Sans pouvoir se confier, elle avait l’impression de se débattre en eaux profondes. Elle se tourna vers le Seigneur et pria pour savoir quoi faire. Au bout de quelques mois, elle reçut la confirmation divine qu’elle devait écouter ce que Joseph avait à lui dire, même si cela avait à voir avec le mariage plural.

Le 4 mars, quelques jours après son dix-neuvième anniversaire, Joseph demanda à lui parler chez Heber Kimball. Elle s’y rendit dès qu’elle eut fini son travail, mentalement prête à accepter le principe du mariage plural. Comme elle s’y attendait, Joseph le lui enseigna et lui demanda si elle voulait être scellée à lui. Elle accepta et Heber accomplit l’ordonnance.

Quatre jours plus tard, sa sœur Eliza était elle aussi scellée à Joseph. Les sœurs pouvaient maintenant se parler de ce qu’elles comprenaient et ressentaient à propos des alliances qu’elles avaient contractées.

Les saints continuaient de défendre Joseph contre les accusations contenues dans l’exposé de John Bennett. Une grande partie de ce qu’il avait écrit était enjolivé ou catégoriquement erroné mais son affirmation que Joseph avait épousé plusieurs femmes était vraie. Ignorant ce fait, Hyrum Smith et William Law s’acharnèrent à nier toutes les déclarations de John et condamnèrent les actions des saints qui pratiquaient docilement le mariage plural.

Brigham Young en fut mal à l’aise. Il pensait que tant que les membres de la Première Présidence n’étaient pas au courant de la pratique, leur condamnation de la polygamie empêcherait Joseph et d’autres d’obéir au commandement du Seigneur.

Joseph avait déjà essayé en vain d’enseigner le mariage plural à son frère et à William. Un jour, lors d’un conseil, il avait à peine abordé le sujet quand William l’avait interrompu. Il avait dit : « Si un ange des cieux me révélait qu’un homme devait avoir plus d’une épouse, je le tuerais ! »

Brigham voyait bien que les réactions d’Hyrum et de William épuisaient Joseph. Un dimanche, alors que Brigham finissait ses tâches du soir, Joseph arriva à l’improviste à sa porte. Il dit : « Je veux que tu ailles chez moi et que tu prêches. »

Habituellement, Brigham aimait se réunir avec les saints mais il savait que Hyrum prêcherait aussi ce soir-là. Il dit : « Je préfèrerais ne pas y aller. »

Brigham et sa femme, Mary Ann, avaient tous les deux appris, par la prière et l’inspiration, qu’ils devaient pratiquer le mariage plural. Avec le consentement de Mary Ann, Brigham avait été scellé à une femme appelée Lucy Ann Decker en juin 1842, un an après que Joseph lui eut enseigné ce principe. Lucy était séparée de son premier mari et avait de jeunes enfants à charge.

Joseph insista : « Frère Brigham, si tu ne viens pas avec moi, je n’irai pas chez moi ce soir. »

À contrecœur, Brigham accepta de prêcher et il partit avec le prophète. Ils trouvèrent Hyrum près de la cheminée, s’adressant à une salle comble. Il avait la Bible, le Livre de Mormon et les Doctrine et Alliances à la main et déclarait que ces ouvrages étaient la loi que Dieu leur avait donnée pour édifier son royaume.

Il dit : « Quoi que ce soit de plus que cela vient de l’homme et n’est pas de Dieu. »

Brigham écouta le sermon d’Hyrum, les émotions à fleur de peau. À ses côtés, Joseph était assis, le visage enfoui dans les mains. Lorsqu’Hyrum eut terminé, Joseph donna un petit coup de coude à Brigham et dit : « Lève-toi. »

Il se mit debout et prit les Écritures qu’Hyrum avait posées. Il plaça un par un les livres devant lui afin que chaque personne dans la pièce puisse les voir. Il déclara : « Ces trois ouvrages n’ont pas la moindre valeur à mes yeux sans les oracles vivants de Dieu. » Il dit que sans un prophète vivant, les saints ne seraient pas en meilleure posture qu’avant que Dieu ne révèle l’Évangile par l’intermédiaire de Joseph Smith.

Quand il eut terminé, Brigham nota que son sermon avait touché Hyrum. Se levant, ce dernier demanda humblement aux saints de lui pardonner. Il affirma que Brigham avait raison. Aussi précieuses que soient les Écritures, elles ne remplaçaient pas un prophète vivant.

Ce printemps-là, Joseph quittait souvent Nauvoo pour rendre visite aux pieux plus petits de l’Église dans les environs. Partout où il allait, il était accompagné par son nouveau secrétaire, William Clayton, un jeune homme brillant venu d’Angleterre. En 1840, il avait rejoint Nauvoo avec sa femme Ruth et avait été embauché par le prophète peu après.

Le 1er avril, William avait voyagé une demi-journée avec Joseph et Orson Hyde, récemment rentré de Jérusalem, pour se rendre à une réunion dans une ville appelée Ramus. Le lendemain matin, William écouta Orson prêcher que le Père et le Fils demeureraient dans le cœur des saints jusqu’à la Seconde Venue et que c’était un privilège pour ces derniers.

Plus tard, alors qu’ils savouraient un repas chez Sophronia, la sœur de Joseph, ce dernier dit : « Frère Hyde, je vais me permettre quelques rectifications. »

Orson répondit : « Elles seront reçues avec reconnaissance. »

Joseph expliqua : « L’idée que le Père et le Fils demeurent dans le cœur de l’homme est une vieille notion sectaire et est fausse. Nous le verrons tel qu’il est. Nous verrons qu’il est un homme comme nous. »

Joseph avait d’autres choses à dire sur le sujet lorsque la conférence se poursuivit plus tard ce soir-là. Il enseigna : « Le Père a un corps de chair et d’os aussi tangible que celui de l’homme, le Fils aussi ; mais le Saint-Esprit est un personnage d’esprit. »

Tandis qu’il parlait, William notait tout ce qu’il pouvait dans son journal. Il était attiré par les vérités profondes que le prophète enseignait et était avide d’en apprendre davantage.

Il enregistra les enseignements de Joseph selon lesquels la connaissance et l’intelligence acquises dans cette vie se lèveraient avec soi dans la Résurrection. Le prophète expliqua : « Si, par sa diligence et son obéissance, une personne acquiert dans cette vie plus de connaissance et d’intelligence qu’une autre, elle en sera avantagée d’autant dans le monde à venir. »

Un mois plus tard, Joseph et William retournèrent à Ramus et furent hébergés chez Benjamin et Melissa Johnson. Joseph enseigna aux Johnson qu’une femme et un homme pouvaient être scellés pour l’éternité dans la nouvelle alliance éternelle du mariage. Il expliqua qu’ils ne pouvaient obtenir l’exaltation qu’en entrant dans cette alliance qui était un ordre de la prêtrise. Sinon, leur relation cesserait au-delà du tombeau, mettant fin à leur progression et à leur accroissement éternels.

William était émerveillé par la description que Joseph faisait du mariage éternel. Il écrivit dans son journal : « Je suis désireux d’être uni à ma femme dans une alliance éternelle et je prie qu’il en soit bientôt ainsi. »

Le retour de Jérusalem d’Orson Hyde signifiait que Peter et Mary Maughan devaient quitter son domicile à Nauvoo. N’ayant nul autre endroit où aller, ils campèrent sur une parcelle de la ville qu’ils achetèrent au comité du temple, étant entendu que Peter participerait aux travaux pour la payer. Pendant ce temps, Mary troquait des bobines de coton qu’elle avait rapportées d’Angleterre contre de la nourriture.

Peter commença bientôt comme tailleur de pierre, découpant et sculptant des blocs de calcaire pour le temple. Maintenant, les murs mesuraient près de quatre mètres par endroits et un plancher temporaire avait été posé pour permettre aux saints d’y tenir des réunions.

Le bâtiment allait être plus grand et imposant que celui que Peter et Mary avaient visité à Kirtland. Il disposerait également de salles de réunion au rez-de-chaussée et au premier étage mais l’extérieur serait orné de sculptures élaborées représentant des étoiles, des lunes et des soleils, évoquant les royaumes de gloire décrits dans la vision de Joseph de la Résurrection, ainsi que dans la description de Jean le Révélateur de l’Église comme étant « une femme enveloppée du soleil, la lune sous ses pieds et une couronne de douze étoiles sur sa tête ».

Semaine après semaine, les ouvriers utilisaient de la poudre à canon pour extraire les pierres des carrières au nord de la ville. Ensuite, ils les taillaient en forme de blocs et, à l’aide de chariots tirés par des bœufs, ils les transportaient jusqu’à l’atelier situé près du temple. Là, des hommes comme Peter les découpaient et les polissaient à la bonne taille pendant que des artisans qualifiés sculptaient les plus décoratives. Lorsqu’une pierre était prête, les ouvriers l’attachaient à une grue et la hissaient à sa place.

Avec un emploi stable et une parcelle à eux, Peter et Mary plantèrent un jardin potager, travaillèrent à la construction de leur maison et attendirent avec impatience des jours meilleurs.

Deux mois après son scellement avec Joseph, Emily Partridge continuait de travailler chaque jour chez les Smith, lavant et reprisant les vêtements et s’occupant des enfants. Julia Smith eut douze ans ce printemps-là et prenait des leçons de peinture. Les garçons aussi grandissaient. Le jeune Joseph avait dix ans, Frederick six et Alexander presque cinq. Les aînés allaient à l’école avec Lydia, la jeune sœur d’Emily. Le jeune Joseph jouait aussi avec Edward, fils, son jeune frère.

En acceptant d’être scellée à Joseph, Emily faisait confiance en son témoignage qu’elle obéissait au commandement du Seigneur. Sa sœur Eliza et elle continuaient de garder leur mariage secret. Elles et les autres personnes qui pratiquaient le mariage plural ne le qualifiaient jamais de polygamie, qu’elles considéraient comme un terme profane et non une ordonnance de la prêtrise. Lorsque Joseph ou quelqu’un d’autre condamnait « la polygamie » ou « l’adjonction de femmes spirituelles » en public, celles qui pratiquaient le mariage plural comprenaient qu’il ne faisait pas allusion à leurs relations d’alliance.

À part dans la Bible, Joseph n’avait pas de modèles ou de précédents à suivre et le Seigneur ne lui donnait pas toujours d’instructions précises sur la manière d’obéir à sa parole. Comme avec les autres commandements et révélations, il devait avancer en exerçant au mieux son jugement. Ce n’est que de nombreuses années plus tard qu’Emily et d’autres écrivirent leurs souvenirs de l’obéissance de Joseph au principe et leurs propres expériences avec le mariage plural à Nauvoo. Leurs récits sont souvent succincts et parcellaires.

Du fait que ni Joseph ni Emma ne mirent par écrit leurs sentiments au sujet du mariage plural, de nombreuses questions restent sans réponse. Dans ses écrits, Emily relata certaines de leurs difficultés. Par moments, Emma rejetait totalement la pratique alors qu’à d’autres elle l’acceptait avec réticence comme étant un commandement. Tiraillé entre la demande du Seigneur de pratiquer le mariage plural et l’opposition d’Emma, Joseph épousait parfois des femmes sans qu’elle le sache, mettant toutes les personnes concernées dans une situation éprouvante.

Début mai, Emma prit Emily et Eliza à part et leur expliqua le principe du mariage plural. Elle avait dit à Joseph qu’elle accepterait qu’il soit scellé à deux épouses supplémentaires si elle pouvait les choisir et elle avait choisi Emily et Eliza, ignorant apparemment qu’il était déjà scellé à elles.

Au lieu de mentionner son scellement précédent, Emily crut qu’il valait mieux garder le silence. Quelques jours plus tard, Eliza et elle furent de nouveau scellées à Joseph, cette fois avec Emma comme témoin.

Le 14 mai, pendant que Joseph assistait à une autre conférence, Hyrum prêcha dans le temple contre le principe selon lequel un homme pouvait avoir plus d’une femme. Faisant référence à la condamnation de Jacob dans le Livre de Mormon des mariages pluraux non autorisés, Hyrum traita la pratique d’abomination devant Dieu.

Après le sermon, il commença à douter de ce qu’il enseignait. Le sujet du mariage plural tourbillonnait dans Nauvoo et les rumeurs que Joseph avait plusieurs épouses circulaient librement.

Hyrum voulait croire que ce n’était pas le cas mais il se demandait si Joseph ne lui cachait pas quelque chose. Après tout, il y avait eu des moments où il avait fait allusion à la pratique, peut-être pour voir comment il réagirait. De plus, il sentait que Joseph disait aux Douze des choses qu’il ne lui avait pas enseignées.

Un jour, peu après le sermon, il vit Brigham près de chez lui et lui demanda s’il pouvait lui parler. Il dit : « Je sais qu’il y a quelque chose que je ne comprends pas et qui a été révélé aux Douze. N’est-ce pas ? »

Les hommes s’assirent sur une pile de traverses de clôture. Brigham répondit prudemment : « Je ne sais pas combien tu en sais mais je sais ce que je sais.

— Depuis longtemps j’ai des doutes à propos d’une révélation que Joseph a reçue selon laquelle un homme doit avoir plusieurs femmes.

— Je vais t’en parler si tu me jures devant Dieu, la main levée, que tu ne t’opposeras plus à Joseph, à ses actions et aux points de doctrine qu’il prêche. »

Hyrum se leva. Il dit : « Je le ferai de tout mon cœur. Je veux savoir la vérité. »

Pendant que Brigham l’instruisait au sujet de la révélation du Seigneur sur le mariage plural, Hyrum pleura, convaincu que Joseph avait agi selon le commandement.

Fin mai 1843, Emma et Joseph furent scellés pour l’éternité dans une pièce au-dessus du magasin de Joseph, officialisant enfin ce qu’ils désiraient depuis longtemps. Joseph invita ensuite Brigham et Mary Ann Young, Willard et Jennetta Richards, Hyrum et Mary Fielding Smith et la sœur veuve de Mary, Mercy Thompson, à le retrouver le lendemain matin pour recevoir la même ordonnance.

Avant la réunion, Hyrum s’inquiéta de sa situation familiale compliquée. Si les bénédictions du mariage éternel n’appartenaient qu’aux personnes qui avaient été scellées par la prêtrise, qu’adviendrait-il de sa première femme, Jerusha, qui était décédée six ans auparavant ?

Joseph dit : « Elle peut être scellée à toi selon le même principe qui te permet de te faire baptiser pour les morts. »

Hyrum demanda : « Que puis-je faire pour la deuxième épouse ? »

Il dit : « Tu peux aussi faire alliance avec elle pour l’éternité. »

Mary accepta de représenter Jerusha pour le scellement spécial. Elle dit à Hyrum : « Je serai moi aussi scellée à toi pour l’éternité. Je t’aime et je ne veux pas être séparée de toi. »

Le matin du 29 mai, Joseph et les autres se réunirent au-dessus de son magasin et chaque couple fut scellé, s’unissant pour l’éternité. Seule veuve dans la pièce, Mercy Thompson ne pouvait s’empêcher de se sentir différente des autres. Toutefois, en apprenant qu’elle pouvait quand même être scellée à son défunt mari, Robert, qui était mort du paludisme quelques années plus tôt, elle eut le sentiment que Dieu se souciait d’elle et de sa situation.

Lorsque ce fut son tour de recevoir l’ordonnance, Joseph dit qu’il ne trouvait personne de mieux placé que son beau-frère, Hyrum, pour représenter Robert. Il la scella à Robert et scella ensuite Hyrum à Jerusha, représentée par Mary.

Brigham termina la réunion par un cantique et une prière et les amis passèrent le reste de la matinée à parler des choses de Dieu. Une douce harmonie semblait apaiser tout ce qui avait troublé les saints ces quelques dernières années.


CHAPITRE 41 : « C’est à Dieu d’en juger »

Le 1er juin, Addison et Louisa Pratt se rendirent à pied avec leurs filles jusqu’à l’un des débarcadères de Nauvoo. Ce jour-là, Addison partait pour une mission de trois ans dans les îles hawaïennes. Il portait Anne, leur cadette, dans les bras, pendant que ses trois aînées, Ellen, Frances et Loïs suivaient tristement, redoutant le départ de leur père.

Récemment, en parlant avec Brigham Young, Addison avait évoqué avec attendrissement Hawaï et ses années de jeune baleinier sur l’océan Pacifique. Puisque l’Église n’y était pas représentée, Brigham lui demanda s’il serait disposé à ouvrir une mission là-bas. Il dit qu’il voulait bien si d’autres l’accompagnaient. Peu après, Joseph et les Douze l’appelèrent à conduire un groupe d’anciens jusqu’aux îles.

Louisa pleura pendant trois jours en apprenant l’affectation d’Addison. Hawaï était à des milliers de kilomètres, dans une partie du monde qui avait l’air étrange et dangereuse. Elle n’avait pas de logement à elle à Nauvoo, pas d’argent et peu de biens à troquer. Ses filles auraient besoin de vêtements et d’instruction et, sans son mari, ce serait à elle de pourvoir à tous leurs besoins.

En marchant avec sa famille jusqu’au bateau à vapeur, elle avait encore mal au cœur mais elle avait fini par se réjouir qu’Addison soit digne de son appel. Elle n’était pas l’unique femme de la ville qui serait seule pendant que son mari irait prêcher l’Évangile. Cet été-là, des missionnaires partaient dans toutes les directions et Louisa avait pris la résolution d’affronter ses épreuves et de faire confiance au Seigneur.

Addison avait du mal à contenir ses émotions. Arrivé sur le pont du bateau qui l’emporterait loin de sa famille, il sortit un mouchoir et s’essuya les yeux. À terre, ses filles se mirent également à pleurer. Frances dit qu’elle pensait ne jamais le revoir.

Connaissant la mer comme il la connaissait, Addison était conscient des dangers qui l’attendaient. Toutefois, lorsque les Douze l’avaient mis à part pour sa mission, ils l’avaient béni afin qu’il ait du pouvoir sur les éléments et du courage face aux tempêtes. Ils lui promirent par l’Esprit que s’il se montrait fidèle, il rentrerait sain et sauf auprès des siens.

Plusieurs jours plus tard, Emma, Joseph et leurs enfants quittèrent Nauvoo pour rendre visite à la sœur d’Emma, à Dixon, en Illinois, à plusieurs jours de voyage au nord. Avant de partir, elle recommanda à Ann Whitney d’encourager les femmes de la Société de Secours à continuer d’aider les pauvres ainsi que les hommes qui bâtissaient le temple.

Récemment, Joseph avait parlé aux saints des ordonnances du temple, leur enseignant qu’ils le construisaient afin que le Seigneur puisse leur donner la dotation. Emma avait dit à Ann que depuis lors, elle s’intéressait sincèrement au projet et voulait que la Société de Secours discute de ce qu’elle pouvait faire pour faire avancer les travaux plus rapidement.

Elle suggéra : « Nous pourrions parler au comité du temple et faire ce qu’il veut que nous fassions. »

Cette responsabilité à l’esprit, Ann ouvrit la première réunion de la Société de Secours de l’année et demanda aux femmes de proposer des idées pour faire avancer le projet du temple. Certaines dirent qu’elles voulaient bien demander des dons et récolter de la laine et d’autres matériaux pour faire de nouveaux vêtements. D’autres dirent qu’elles étaient disposées à tricoter, coudre ou réparer les vieux vêtements le cas échéant. L’une d’elle proposa de fournir de la laine à des femmes plus âgées afin qu’elles tricotent des chaussettes pour les ouvriers avant l’hiver.

Polly Stringham et Louisa Beaman dirent qu’elles pouvaient leur confectionner des vêtements. Mary Felshaw dit qu’elle pouvait donner du savon. Philinda Stanley proposa de donner du lin ainsi qu’un litre de lait par jour pour le projet. Esther Gheen offrit de donner du fil qu’elle filait elle-même.

Félicitant les femmes pour leur bonne volonté à participer à la construction de la maison du Seigneur, sœur Chase témoigna : « Les anges se réjouissent à votre sujet ! »

Avant de conclure la réunion, Ann exhorta les mères dans l’assemblée à préparer leurs filles à entrer dans le temple. Instruisez-les avec amour, conseilla-t-elle, et apprenez-leur à se conduire avec sérieux et bienséance à l’intérieur de ses murs sacrés.

Trois cents kilomètres plus loin, le 21 juin, la visite des Smith chez la sœur d’Emma fut interrompue par William Clayton et Stephen Markham qui apportaient des nouvelles alarmantes. Le gouverneur du Missouri exigeait de nouveau que Joseph y soit jugé, cette fois pour les vieilles accusations de trahison, et Ford, le gouverneur de l’Illinois, avait émis un autre mandat d’arrestation à l’encontre du prophète.

Joseph dit : « Je n’ai rien à craindre. Les habitants du Missouri ne peuvent me nuire. »

Deux jours plus tard, deux hommes affirmant être des saints des derniers jours frappèrent à la porte pendant que la famille dînait. Le beau-frère d’Emma leur dit que Joseph était dehors dans le jardin, près de la grange.

Quelques instants plus tard, Emma et la famille entendirent du vacarme dehors. Se précipitant à la porte, ils virent les hommes mettre la poitrine de Joseph en joue. Un autre le tenait par le col. Il grogna : « Si tu bouges d’un pouce, je tire ! »

Mettant sa poitrine en évidence, Joseph dit : « Allez-y. Je n’ai pas peur de vos pistolets. »

Stephen Markham fonça en courant sur les hommes. Surpris, ils tournèrent leurs armes dans sa direction mais les ramenèrent rapidement sur Joseph, lui enfonçant le canon dans les côtes. Ils crièrent à Stephen : « Arrête-toi. »

Ils chargèrent avec difficulté Joseph à l’arrière de leur chariot et le retinrent là. Joseph dit : « Messieurs, je désire obtenir une ordonnance d’habeas corpus ». Celle-ci permettrait à un juge local de décider si l’arrestation de Joseph était légale.

Le frappant de nouveau dans les côtes avec leurs pistolets, ils dirent : « Maudit sois-tu ! Tu n’en auras pas ! »

Stephen bondit vers le chariot et saisit les chevaux par le mors pendant qu’Emma se précipitait à l’intérieur et attrapait le manteau et le chapeau de Joseph. À cet instant, Joseph vit un homme passer devant la maison. Il cria : « On m’enlève ! » Lorsque l’homme continua de marcher, il se tourna vers Stephen et lui dit d’aller chercher de l’aide.

Il cria : « Vas-y ! »

Les ravisseurs de Joseph étaient des officiers de police d’Illinois et du Missouri. Cet après-midi-là, ils l’enfermèrent dans une taverne voisine et lui refusèrent le droit de s’entretenir avec un avocat. Agissant rapidement, Stephen rapporta les mauvais traitements subis par Joseph aux autorités locales qui eurent tôt fait d’arrêter les officiers pour enlèvement et mauvais traitements. Il réussit ensuite à obtenir une ordonnance d’habeas corpus d’un fonctionnaire du tribunal. Celle-ci exigeait que Joseph assiste à une audience à cent kilomètres de là.

Lorsqu’ils apprirent que le juge n’était pas en ville, Joseph, ses ravisseurs, et les officiers locaux se mirent en route pour trouver un autre tribunal qui pourrait remettre de l’ordre dans cette pagaille juridique.

À Nauvoo, Wilson Law et Hyrum furent informés de la capture de Joseph et enrôlèrent plus d’une centaine d’hommes pour le secourir. Ils en envoyèrent certains sur un bateau à vapeur qui remontait le fleuve et commandèrent à d’autres d’aller à cheval dans toutes les directions et de chercher le prophète.

Lorsque ses deux premiers sauveteurs furent en vue, Joseph fut soulagé. Il dit à ses ravisseurs : « Je ne vais pas au Missouri cette fois. Voilà mes garçons. » Rapidement, le nombre de sauveteurs passa de deux à vingt, puis davantage. Ils détournèrent le convoi vers Nauvoo où ils croyaient que la cour municipale pouvait décider de la légalité du mandat.

À midi, le prophète approcha de la ville, flanqué de quelques hommes de loi et de ses sauveteurs en selle. Emma, qui était déjà de retour à Nauvoo avec les enfants, arriva à cheval accompagnée d’Hyrum à la rencontre de Joseph pendant que la fanfare de Nauvoo jouait des chants patriotiques et que des gens célébraient son retour en tirant des coups de feu et de canon. Un défilé de chariots tirés par des chevaux décorés de fleurs des champs se joignit bientôt à eux.

Des foules étaient alignées des deux côtés de la rue pour acclamer le retour sain et sauf du prophète pendant que le cortège passait devant elles, se frayant lentement un chemin jusqu’au domicile de Joseph. Lorsqu’il arriva, Lucy Smith embrassa son fils, et ses enfants se ruèrent hors de la maison pour le voir.

Frederick, sept ans, dit : « Papa, les Missouriens ne vont pas te reprendre, n’est-ce pas ? »

Grimpant sur une clôture pour s’adresser aux centaines de saints qui s’étaient rassemblés autour de lui, Joseph dit : « Je suis de nouveau délivré des mains des Missouriens, Dieu merci. Je vous remercie à tous pour votre gentillesse et votre amour envers moi. Je vous bénis tous au nom de Jésus-Christ. »

Comme on s’y attendait, la cour de Nauvoo déclara que l’arrestation de Joseph était illégale. Hors d’eux, les deux officiers qui l’avaient arrêté exigèrent que le gouverneur conteste la décision mais Ford refusa d’interférer, mettant les détracteurs de tout l’État en colère. Ils commençaient à craindre que Joseph n’échappe de nouveau aux poursuites judiciaires.

Entre-temps, des centaines de saints continuaient de se rassembler à Nauvoo et dans les pieux avoisinants. Au Connecticut, un État de l’Est, une jeune femme appelée Jane Manning monta avec sa mère, plusieurs frères et sœurs et d’autres membres de sa branche à bord d’un bateau pour entreprendre le voyage jusqu’à Nauvoo. Charles Wandell, un missionnaire qui avait été leur président de branche, les conduisait.

Contrairement aux autres membres de leur branche, qui étaient tous blancs, Jane et sa famille étaient des saints noirs et libres. Jane était née et avait grandi dans le Connecticut, et elle avait travaillé la plus grande partie de sa vie pour un couple blanc aisé. Elle était devenue membre d’une église chrétienne mais en avait rapidement été mécontente.

Lorsqu’elle avait appris qu’un saint des derniers jours prêchait dans la région, elle avait voulu l’entendre. Son pasteur lui avait dit de ne pas assister au sermon mais elle y était allée quand même, convaincue d’avoir trouvé le véritable Évangile. La plus grande branche de la région n’était qu’à quelques kilomètres et elle se fit baptiser et fut confirmée le dimanche suivant.

Jane était une nouvelle convertie fervente. Trois semaines après son baptême, elle reçut le don des langues pendant qu’elle priait. Maintenant, un an plus tard, sa famille et elle se rassemblaient en Sion.

Sur le canal, ils traversèrent l’État de New York sans incident. De là, ils pensaient voyager avec leur branche en direction du sud à travers l’Ohio puis l’Illinois, mais les responsables du canal refusèrent de les laisser continuer tant qu’ils ne payaient pas leur titre de transport.

Jane fut troublée. Elle pensait que sa famille n’aurait rien à payer avant d’atteindre l’Ohio. Pourquoi fallait-il qu’elle paie maintenant ? Aucun des membres blancs de la branche n’était obligé de payer son voyage d’avance.

Les Manning comptèrent leur argent mais ils n’en avaient pas assez. Ils se tournèrent vers frère Wandell pour qu’il les aide mais il refusa.

Lorsque le bateau s’éloigna et disparut, Jane et sa famille n’avaient presque pas d’argent et plus de mille trois cents kilomètres les séparaient de Nauvoo. N’ayant rien d’autre que ses pieds pour la transporter vers l’ouest, Jane décida de conduire la petite compagnie jusqu’en Sion.

Le matin du 12 juillet, William Clayton était dans le bureau de Joseph lorsque le prophète et Hyrum entrèrent. Hyrum dit à Joseph : « Si tu rédiges la révélation, je l’apporterai et la lirai à Emma et je crois pouvoir la convaincre de son authenticité. Ensuite, tu auras la paix. »

Joseph dit : « Tu ne connais pas Emma aussi bien que moi. » Ce printemps et cet été-là, il avait été scellé à d’autres femmes, dont quelques-unes qu’Emma avait choisies personnellement. Néanmoins, le fait d’aider Joseph à choisir des épouses ne lui avait pas facilité la tâche d’obéir au principe.

Hyrum dit : « La doctrine est tellement évidente. Je peux convaincre n’importe quel homme ou femme raisonnable de sa véracité, de sa pureté et de son origine divine. »

Joseph dit : « Tu verras. » Il demanda à William de prendre une feuille et d’écrire sous sa dictée la parole du Seigneur.

Joseph connaissait déjà une grande partie de la révélation. Elle décrivait la nouvelle alliance éternelle du mariage ainsi que les bénédictions et promesses associées. Elle révélait également les termes gouvernant le mariage plural que Joseph avait appris pendant qu’il traduisait la Bible en 1831. Le reste contenait de nouveaux conseils pour lui et Emma traitant de leurs questions et de leurs difficultés actuelles avec le mariage plural.

Le Seigneur révélait que pour qu’un mariage perdure au-delà du tombeau, l’homme et la femme devaient être mariés par l’autorité de la prêtrise, leur alliance devait être scellée par le Saint-Esprit de promesse et ils devaient rester fidèles à leur alliance. Les personnes qui respectaient ces conditions hériteraient des bénédictions glorieuses de l’exaltation.

Le Seigneur déclara : « Alors ils seront dieux, parce qu’ils n’ont pas de fin ; alors, ils seront au-dessus de tout, parce que tout leur est soumis. »

Il continua de parler du mariage plural et de son alliance d’accorder une postérité innombrable à Abraham pour sa fidélité. Depuis le commencement, le mariage entre un homme et une femme était ordonné du Seigneur pour accomplir son plan. Cependant, parfois, il autorisait les mariages pluraux pour permettre d’élever des enfants dans des familles justes et réaliser leur exaltation.

Bien que la révélation s’adressât aux saints, elle se terminait par des conseils pour Emma au sujet des épouses plurales de Joseph. Le Seigneur commandait : « Que ma servante, Emma Smith, reçoive toutes celles qui ont été données à mon serviteur Joseph. » Il lui commandait également de pardonner à Joseph, de rester avec lui et de respecter ses alliances, promettant de la bénir, de la multiplier et de lui donner des raisons de se réjouir si elle le faisait. Il la mit également en garde contre les conséquences désastreuses que subiraient les personnes qui enfreignaient leurs alliances et désobéissaient à la loi du Seigneur.

Lorsque Joseph eut fini de dicter la révélation, William avait écrit dix pages. Il posa le stylo et la relut à Joseph. Le prophète dit qu’elle était correcte et Hyrum l’apporta à Emma.

Plus tard dans la journée, il retourna au bureau de Joseph et dit à son frère que de sa vie, personne ne lui avait jamais parlé aussi sévèrement. Lorsqu’il avait lu la révélation à Emma, elle s’était mise en colère et l’avait rejetée.

Joseph dit à voix basse : « Je t’avais dit que tu ne connaissais pas Emma aussi bien que moi. » Il plia la révélation et la mit dans sa poche.

Le lendemain, il eut une discussion déchirante avec sa femme qui dura des heures. Peu avant midi, il appela William Clayton pour qu’il vienne jouer le rôle de médiateur entre eux. Ils étaient dans un dilemme sans issue. Chacun aimait profondément l’autre et voulait honorer l’alliance éternelle qu’il avait contractée mais la lutte qu’ils menaient pour respecter le commandement du Seigneur les divisait.

Emma semblait particulièrement inquiète pour l’avenir. Que se passerait-il si les ennemis de Joseph étaient informés du mariage plural ? Irait-il de nouveau en prison ? Serait-il tué ? Les enfants et elle dépendaient de lui pour subvenir à leurs besoins mais leurs finances familiales étaient emmêlées avec celles de l’Église. Comment se débrouilleraient-ils s’il lui arrivait quelque chose ?

Joseph et Emma pleurèrent pendant qu’ils parlaient mais à la fin de la journée, ils avaient résolu leurs problèmes. Pour fournir à Emma et aux enfants une sécurité financière supplémentaire, Joseph leur transmit des propriétés par un acte notarié et, à partir de cet automne-là, il ne contracta plus de mariages pluraux.

À la fin du mois d’août 1843, les Smith emménagèrent dans une maison à étage près du fleuve. Appelée la Nauvoo Mansion, elle était suffisamment spacieuse pour loger leurs quatre enfants, la mère âgée de Joseph et les personnes qui travaillaient pour eux et qu’ils hébergeaient. Joseph avait l’intention d’utiliser une grande partie de la demeure comme hôtel.

Plusieurs semaines plus tard, lorsque l’été se changea en automne à Nauvoo, Jane Manning arriva avec sa famille à leur porte, cherchant le prophète et un endroit où loger. Entrez ! Emma dit au groupe fatigué : « Entrez ! » Joseph leur montra où ils pouvaient passer la nuit et trouva des sièges pour tout le monde.

Il dit à Jane : « Vous avez été le chef de ce petit groupe, n’est-ce pas ? J’aimerais que vous nous racontiez votre voyage. »

Jane relata à Joseph et Emma leur long périple depuis l’État de New York. Elle dit : « Nous avons marché jusqu’à ce que nos chaussures soient usées et que nous ayons les pieds meurtris, fendus et sanguinolents. Nous avons demandé à Dieu le Père éternel de les guérir et nos prières ont été exaucées. Nos pieds ont guéri. »

Ils avaient dormi à la belle étoile ou dans des granges en bordure de route. En chemin, des hommes avaient menacé de les jeter en prison parce qu’ils n’avaient pas de papiers justifiant qu’ils étaient « libres » et n’étaient pas des esclaves en fuite. À un autre moment, ils avaient franchi une rivière profonde sans pont. Ils avaient enduré des nuits sombres, des matins glacials et avaient aidé des gens quand ils avaient pu. Non loin de Nauvoo, ils avaient béni un enfant malade et leur foi l’avait guéri.

« Nous avons fait la route en nous réjouissant, en chantant des cantiques et en remerciant Dieu de son infinie bonté et de sa miséricorde à notre égard. »

Joseph dit : « Que Dieu vous bénisse. Vous êtes parmi des amis maintenant. »

Les Manning restèrent chez les Smith pendant une semaine. Pendant ce temps, Jane entreprit des recherches pour retrouver une malle qu’elle avait expédiée à Nauvoo mais pour autant qu’elle le sache, elle avait été perdue ou volée en route. Entre-temps, les membres de sa famille trouvèrent du travail et un logement et déménagèrent rapidement.

Un matin, Joseph remarqua que Jane pleurait et lui demanda pourquoi. Elle dit : « Tous les miens sont partis et se sont trouvé un logis mais pas moi. »

Joseph lui assura qu’elle avait un foyer ici-même si elle voulait. Il prit Jane pour aller voir Emma et expliqua la situation. Il dit : « Elle n’a pas de foyer. N’en as-tu pas un pour elle ? »

Emma dit : « Oui, si elle en veut un. »

Jane s’intégra rapidement dans la vie animée de la maisonnée et les autres membres de la famille et pensionnaires lui firent bon accueil. Sa malle ne réapparut jamais mais Joseph et Emma lui procurèrent de nouveaux vêtements dans le magasin.

Cet automne-là, alors que sa famille s’installait dans la nouvelle maison, Emma était de plus en plus perturbée par le mariage plural. Dans une révélation adressée à elle treize ans plus tôt, le Seigneur avait promis de la couronner de justice si elle honorait ses alliances et respectait continuellement les commandements. Il avait dit : « Si tu ne le fais pas, tu ne peux pas venir là où je suis. »

Elle voulait respecter les alliances qu’elle avait contractées avec Joseph et le Seigneur mais le mariage plural lui paraissait souvent trop lourd à supporter. Bien qu’elle ait autorisé certaines des femmes plurales de Joseph à vivre chez elle, elle n’appréciait pas leur présence et leur rendait parfois la vie difficile.

Finalement, elle exigea qu’Emily et Eliza Partridge quittent définitivement la maison. Avec Joseph à ses côtés, elle appela les deux sœurs dans sa chambre et leur dit qu’elles devaient mettre immédiatement un terme à leur relation avec lui.

Se sentant rejetée, Emily quitta la pièce, en colère contre Emma et Joseph. Elle se dit : « Lorsque le Seigneur commande, il ne faut pas prendre sa parole à la légère. » Elle avait l’intention de faire comme Emma le souhaitait mais refusait de rompre son alliance de mariage.

Joseph suivit les sœurs hors de la chambre et trouva Emily au rez-de-chaussée. Il demanda : « Comment te sens-tu Emily ? »

Elle lui jeta un coup d’œil et répondit : « Je suppose que je me sens comme n’importe qui se sentirait dans la même situation. » Il eut l’air de vouloir disparaître sous terre et Emily fut désolée pour lui. Elle aurait voulu ajouter quelque chose mais il quitta la pièce avant qu’elle ne puisse parler.

Des décennies plus tard, lorsqu’elle fut une vieille femme, elle repensa à ces jours douloureux. Avec le recul, elle comprenait mieux les sentiments compliqués d’Emma au sujet du mariage plural et la douleur qu’il lui causait.

Elle écrivit : « Je sais qu’à cette époque, ce fut dur pour Emma et toutes les femmes de contracter des mariages pluraux et je ne sais pas si quelqu’un aurait pu faire mieux que n’a fait Emma dans la situation. »

Elle conclut : « C’est à Dieu d’en juger, pas à moi. »


CHAPITRE 42 : Redressez les épaules

Au début du mois de novembre 1843, Phebe Woodruff retrouva Wilford qui rentrait d’une mission de quatre mois dans les États de l’Est. Il arrivait avec des cadeaux pour sa famille et un chariot rempli de fournitures pour le bureau du Times and Seasons où Phebe et les enfants avaient logé.

Phebe avait accouché d’une autre fille en juillet et attendait depuis environ un mois l’arrivée de son mari. Les Woodruff étaient très proches et détestaient être séparés pendant les missions de Wilford. Toutefois, contrairement à d’autres apôtres et leurs femmes, ils n’avaient pas encore été scellés pour le temps et pour l’éternité et ils étaient impatients de recevoir l’ordonnance.

Lors de l’une de ses absences, elle lui écrivit, lui demandant s’il pensait que leur amour serait un jour séparé dans l’éternité. Il répondit par un poème exprimant son espérance de le voir s’épanouir au-delà du tombeau.

Le 11 novembre, une semaine après le retour de Wilford, les Woodruff se rendirent chez John et Leonora Taylor. Là, Hyrum Smith enseigna la résurrection, la rédemption et l’exaltation grâce à la nouvelle alliance éternelle. Il scella ensuite Phebe et Wilford pour le temps et pour toute l’éternité et ils passèrent tous une agréable soirée ensemble. Les Woodruff se mirent rapidement à se préparer à recevoir la dotation.

Plus tôt cet automne-là, pour la première fois depuis plus d’un an, Joseph avait commencé de doter d’autres saints. Comme promis, les femmes pouvaient dorénavant recevoir la dotation et le 28 septembre, il administra l’ordonnance à Emma dans la « Nauvoo Mansion ». Peu après, cette dernière lava et oignit Jane Law, Rosannah Marks, Elizabeth Durfee et Mary Fielding Smith. C’était la première fois qu’une femme officiait dans les ordonnances du temple dans les derniers jours.

Au cours des semaines qui suivirent, elle accomplit l’ordonnance pour Lucy Smith, Ann Whitney, Mercy Thompson, Jennetta Richards, Leonora Taylor, Mary Ann Young et d’autres. Bientôt, d’autres femmes le firent sous sa supervision.

En décembre, Phebe et Wilford furent lavés, oints et dotés. Quarante-deux femmes et hommes reçurent la dotation avant la fin de l’année. Ils se réunissaient souvent dans la pièce au-dessus du magasin de Joseph pour prier et apprendre les choses relatives à l’éternité.

Cet automne-là, alors qu’il participait régulièrement aux réunions avec les saints dotés, William Law cacha à Joseph et Hyrum qu’il était coupable d’adultère. En commettant le péché, il avait eu l’impression de transgresser contre sa propre âme.

Vers cette époque-là, Hyrum lui donna un exemplaire de la révélation sur le mariage. Il lui commanda : « Emporte-la chez toi et lis-la, ensuite prends-en soin et rapporte-la. » William l’étudia et la montra à sa femme, Jane. Il doutait de son authenticité mais pas elle.

Il l’apporta à Joseph qui confirma qu’elle était vraie. William le supplia de renoncer à ses enseignements mais Joseph témoigna que le Seigneur lui avait commandé d’enseigner le mariage plural aux saints et qu’il serait condamné s’il désobéissait.

À ce moment donné, William tomba malade et finit par confesser son adultère à Hyrum, expliquant à son ami qu’il ne se sentait pas digne de vivre ni de mourir. Il voulait néanmoins être scellé pour l’éternité à Jane et demanda à Joseph si ce serait possible. Ce dernier présenta la question au Seigneur qui révéla qu’il ne pouvait recevoir l’ordonnance parce qu’il était coupable d’adultère.

Le cœur de William commença de se consumer de colère contre le prophète. Fin décembre, Jane et lui cessèrent de se réunir avec les saints dotés. Jane conseilla de vendre discrètement leur propriété et de partir simplement de Nauvoo mais William voulait briser Joseph. Il se mit à comploter en secret avec d’autres adversaires du prophète et peu de temps plus tard, perdit son poste dans la Première Présidence.

Il déclara qu’il était content d’être débarrassé de sa collaboration avec Joseph mais au lieu de quitter Nauvoo et de passer à autre chose, comme Jane l’avait suggéré, il fut plus déterminé à faire obstacle au prophète et à provoquer sa chute.

Son apostasie était contrariante mais n’était pas sans précédent. Par un dimanche matin froid du début de l’année 1844, Joseph dit à une assemblée : « Depuis un certain nombre d’années, j’essaie de préparer l’esprit des saints à recevoir les choses de Dieu mais, fréquemment, nous en voyons qui, après avoir beaucoup souffert pour l’œuvre de Dieu, se brisent comme du verre dès que survient quelque chose de contraire à leurs traditions. »

Depuis l’organisation de l’Église, Joseph avait vu des hommes et des femmes abandonner la foi lorsqu’ils étaient en désaccord avec les principes qu’il enseignait ou lorsque, selon eux, il ne se montrait pas à la hauteur de ce qu’un prophète devait être. Ceux qui se séparaient de l’Église la quittaient souvent paisiblement mais parfois, comme Ezra Booth, Warren Parrish et John Bennett l’avaient montré, il arrivait que des hommes qui apostasiaient luttent contre le prophète, l’Église et ses enseignements, provoquant souvent des actes de violence à l’encontre des saints. Il restait à voir la direction que William prendrait.

Entre-temps, Joseph continuait de préparer les saints à recevoir les ordonnances salvatrices du temple. S’adressant à une vaste assemblée d’hommes et de femmes, il dit : « Plût à Dieu que ce temple soit d’ores et déjà achevé afin que nous puissions y entrer. Je conseillerais à tous les saints de s’y rendre avec ardeur et d’y réunir toute leur parenté en vie afin d’être scellés ensemble et sauvés. »

Cependant, il savait qu’ils ne pourraient le faire que s’ils arrivaient à terminer le temple. Il s’inquiétait déjà de l’agitation croissante manifestée dans les communes voisines de Nauvoo. L’été précédent, après une élection au niveau de l’État, ses détracteurs s’étaient réunis pour protester, l’accusant d’influencer le vote des saints. Ils déclarèrent : « Une telle personne ne manquera pas de devenir extrêmement dangereuse, surtout si elle arrive à se positionner à la tête d’une horde nombreuse. »

Sachant à quelle vitesse les tensions pouvaient s’exacerber, Joseph espérait trouver des alliés dans le gouvernement national qui pourraient défendre les saints dans l’arène publique. Quelques mois plus tôt, il avait écrit à cinq candidats aux élections présidentielles suivantes, espérant découvrir s’ils soutiendraient les efforts des saints pour recouvrer leurs pertes au Missouri. Trois d’entre eux répondirent. Deux soutinrent que l’affaire était du ressort de l’État et non du président. Le troisième fut compatissant mais en fin de compte évasif.

Contrarié par la mauvaise volonté des candidats, il décida de présenter sa propre candidature aux élections présidentielles. Il était peu probable qu’il l’emporte mais il voulait profiter de l’occasion pour rendre les griefs des saints publics et défendre les droits d’autres personnes traitées injustement. Il s’attendait à ce que des centaines de saints fissent campagne pour lui dans tout le pays.

Le 29 janvier 1844, le Collège des Douze désigna officiellement Joseph comme candidat à la présidence et il accepta leur nomination. Il promit : « Si j’obtiens le poste de président, je protégerai les droits et les libertés du peuple. »

Pendant ce temps, sur un baleinier au large des côtes d’Afrique du Sud, Addison regardait ses compagnons de bord abaisser quatre petites barques sur l’océan et ramer de toutes leurs forces à la poursuite d’une grosse baleine. Approchant leurs embarcations des flancs de la bête, les hommes lui tirèrent des harpons dans le dos. En réaction, la bête plongea profondément et fit franchir à leurs barques la crête de vagues colossales.

Le mouvement rapide sectionna le câble de remorquage et la baleine refit surface, cette fois-ci non loin du bateau. Grimpant au sommet du mât pour mieux y voir, Addison vit l’imposante créature se débattre, mugir et cracher de l’eau tandis qu’elle essayait de se dégager des deux harpons accrochés dans sa chair puissante. Lorsque les barques se rapprochèrent, elle replongea pour esquiver un nouvel assaut, refaisant surface plus loin. Les hommes tentèrent de la poursuivre une fois de plus mais elle s’échappa.

En regardant la chasse, cela rappela à Addison la bénédiction patriarcale qu’il avait reçue peu après avoir emménagé à Nauvoo. Hyrum Smith lui avait promis qu’il « sortirait et rentrerait et irait sur la surface de la terre ». Après la bénédiction, Hyrum avait dit : « Je suppose que tu vas devoir aller pêcher la baleine. »

Addison et ses collègues missionnaires étaient maintenant en mer depuis plusieurs mois. Ils avaient traversé l’Atlantique, contourné le cap de Bonne-Espérance et voguaient en direction des îles au-delà de l’Australie. Comme ils n’avaient pas réussi à trouver de navire en partance pour Hawaï, ils avaient réservé des places sur un baleinier qui allait plus au sud, à Tahiti. Le voyage durerait pratiquement une année et Addison et les missionnaires avaient déjà essayé de discuter de l’Évangile rétabli avec leurs compagnons.

La plupart des journées à bord étaient plaisantes mais des rêves de mauvais augure troublaient parfois les nuits d’Addison. Une fois, il rêva que Joseph et les saints étaient à bord d’un bateau plongeant tout droit dans une tempête. L’embarcation rencontra un brisant et heurta le fond, déchiquetant la coque. Lorsque l’eau s’y engouffra, la proue commença de couler. Certains saints se noyèrent tandis que d’autres réussirent à fuir le navire en perdition mais se firent dévorer par des requins affamés.

Dans un autre rêve, quelques nuits plus tard, il vit sa famille et l’Église quitter Nauvoo. Il chercha longtemps avant de les trouver installés dans une vallée fertile. Dans le rêve, Louisa et les enfants vivaient à flanc de coteau, dans une petite cabane entourée de champs labourés. Elle salua Addison et l’invita à l’accompagner pour voir l’étable et le pré à l’extrémité supérieure du champ. Le jardin n’était pas clôturé et les cochons lui causaient des problèmes mais elle avait un bon chien pour surveiller la propriété.

Addison se réveilla de ces rêves, inquiet pour sa famille. Il craignait que des ennemis ne soient de nouveau en train d’affliger les saints.

Cet hiver-là, dans le cadre du projet de levée de fonds pour le temple, Mercy Fielding Thompson et Mary Fielding Smith firent une collecte de centimes auprès des femmes de Nauvoo. Vers la fin de l’année précédente, pendant qu’elle priait pour savoir quoi faire pour participer à l’édification de Sion, Mercy s’était sentie poussée à lancer cette collecte. L’Esprit lui avait murmuré : « Essaie de convaincre les sœurs de s’engager à verser un centime par semaine pour acheter du verre et des clous pour le temple. »

Mercy soumit l’idée à Joseph qui lui dit qu’il fallait le faire et que le Seigneur la bénirait. Les femmes réagirent avec enthousiasme au plan de Mercy. Chaque semaine, Mary et elle collectaient les centimes et notaient minutieusement le nom des femmes qui avaient promis leur soutien.

Hyrum les aida également et donna à la campagne la pleine approbation de la Première Présidence. Il déclara que chaque femme qui versait des centimes aurait son nom dans le Livre de loi du Seigneur, là où Joseph et ses secrétaires enregistraient la dîme, les révélations et d’autres écrits sacrés.

Une fois que la collecte de centimes fut opérationnelle à Nauvoo, les sœurs écrivirent au bureau du Millennial Star, en Angleterre, pour réclamer des centimes aux femmes de l’Église là-bas. Elles écrivirent : « Nous vous informons par la présente qu’ici nous avons pris un petit abonnement hebdomadaire pour le profit des fonds du temple. Un millier de personnes sont déjà inscrites mais nous attendons encore beaucoup plus de monde. Ainsi, nous sommes certaines de faire bien avancer la grande œuvre. »

Peu après, les femmes de la mission britannique envoyaient leurs centimes de l’autre côté de l’océan, jusqu’à Nauvoo.

Aidé par William Phelps, Joseph développa une plateforme présidentielle indépendante et ébaucha une brochure pour la promouvoir dans tout le pays. Il proposa d’accorder au président davantage de pouvoir pour maîtriser les émeutiers, de libérer les esclaves en dédommageant leurs propriétaires, de transformer les prisons en lieu d’apprentissage et de réforme et d’agrandir le pays vers l’ouest mais uniquement avec l’accord total des Amérindiens. Il voulait que les électeurs sachent qu’il était le défenseur de tous, pas uniquement celui des saints des derniers jours.

Il croyait qu’une démocratie théocratique, où les gens décidaient de vivre en accord avec les lois de Dieu, pourrait engendrer une société juste et paisible qui préparerait le monde à la Seconde Venue. Néanmoins, si sa campagne devait échouer et les opprimés rester sans protection, il voulait coloniser une contrée où les protéger dans les derniers jours, en dehors des États-Unis.

Les menaces constantes émanant du Missouri et de l’Illinois, ainsi que le nombre toujours croissant de saints, l’avaient récemment poussé à regarder vers l’ouest pour trouver un tel lieu. Il n’avait pas l’intention d’abandonner Nauvoo mais il s’attendait à ce que l’Église devienne si importante que la ville ne pourrait plus l’accueillir. Il voulait trouver un endroit où les saints pourraient établir le royaume de Dieu et instituer des lois justes qui gouverneraient le peuple du Seigneur jusqu’au millénium.

Avec cette idée en tête, il pensa à des régions telles que la Californie, l’Oregon et le Texas, qui étaient alors en dehors des frontières des États-Unis. Il commanda aux Douze : « Envoyez une délégation examiner ces emplacements. Trouvez une contrée accueillante où nous pourrons nous retirer lorsque le temple sera terminé, bâtir une ville en un jour et avoir un gouvernement à nous dans un climat sain. »

Les 10 et 11 mars, le prophète forma un conseil d’hommes qui superviseraient l’établissement du royaume du Seigneur sur terre. Le conseil prit le nom de conseil du royaume de Dieu ou conseil de cinquante. Joseph voulait des débats vigoureux au sein du conseil et encouragea ses membres à dire ce qu’ils pensaient et ce qu’ils avaient sur le cœur.

Avant la fin de leur première réunion, ils parlaient avec enthousiasme de la création d’un gouvernement à eux régi par une nouvelle constitution qui refléterait la volonté de Dieu. Ils croyaient qu’elle servirait de modèle pour les gens et serait l’accomplissement de la prophétie d’Ésaïe selon laquelle le Seigneur établirait un étendard pour les nations afin de rassembler ses enfants dans les derniers jours.

Pendant cette période, lors des réunions avec les dirigeants de l’Église, Joseph avait l’air déprimé. Il croyait que quelque chose d’important était sur le point de se produire. Il dit : « Peut-être mes ennemis vont-ils me tuer. Si c’est le cas et si les clés de l’autorité qui reposent en moi ne vous sont pas transmises, elles seront perdues sur la terre. » Il dit qu’il se sentait poussé à conférer aux douze apôtres toutes les clés de la prêtrise afin de pouvoir avoir l’assurance que l’œuvre du Seigneur se poursuivrait.

Il leur dit : « C’est donc sur les épaules des Douze que doit reposer la responsabilité de diriger l’Église jusqu’à ce que vous en nommiez d’autres pour vous succéder. C’est ainsi que ce pouvoir et ces clés peuvent être perpétués sur la terre. »

Joseph les avertit que le chemin qui les attendait ne serait pas facile. Il dit : « Si vous êtes appelés à donner votre vie, mourez comme des hommes. Une fois qu’ils vous ont tué, ils ne peuvent plus vous faire de mal. Si vous devez être en péril et entre les mâchoires de la mort, ne craignez pas le mal. Jésus-Christ est mort pour vous. »

Joseph scella sur leur tête toutes les clés de la prêtrise dont ils auraient besoin pour poursuivre l’œuvre du Seigneur sans lui, notamment les clés sacrées du pouvoir de scellement. Il dit : « Je transfère le fardeau et la responsabilité de la direction de cette Église de mes épaules aux vôtres. Maintenant, redressez les épaules et endossez-le comme des hommes ; car le Seigneur va me laisser me reposer un certain temps. »

Joseph n’avait plus l’air déprimé. Il avait le visage lumineux et plein de puissance. Il dit aux hommes : « Je me sens aussi léger qu’un bouchon de liège. Je me sens libre. Je remercie mon Dieu de cette délivrance. »


CHAPITRE 43 : Une nuisance publique

Après son renvoi de la Première Présidence, William Law évita Joseph. Fin mars 1844, Hyrum tenta de réconcilier les deux hommes mais William refusa de reconnaître ses torts tant que le prophète maintenait le mariage plural. Vers la même époque, ce dernier entendit dire que William et plusieurs autres personnes en ville complotaient de le tuer, ainsi que sa famille.

Il dénonça les conspirateurs avec confiance, disant aux saints : « Je ne vais pas signer de mandat contre eux parce que je ne crains aucun d’eux. Ils n’effraieraient même pas une vieille poule qui couve. » Néanmoins, la dissidence croissante à Nauvoo le préoccupait et les menaces de mort ne faisaient qu’exacerber le sentiment que le temps dont il disposait pour instruire les saints touchait à sa fin.

Ce printemps-là, un membre de l’Église appelé Emer Harris l’informa que les conspirateurs l’avaient invité, ainsi que son fils de dix-neuf ans, Denison, à assister à leurs réunions. Joseph dit : « Frère Harris, je vous conseille de ne pas y aller et de ne pas y prêter attention. » Il voulait par contre que Denison y assiste et découvre ce qu’il pouvait au sujet des conjurés.

Plus tard, Joseph s’entretint avec lui et son ami Robert Scott pour les préparer à leur tâche. Sachant que les conspirateurs étaient dangereux, il avertit les jeunes gens qu’ils devaient en dire le moins possible pendant qu’ils seraient là-bas et n’offenser personne.

Le 7 avril 1844, le deuxième jour de la conférence générale de l’Église, Joseph mit ses soucis de côté pour s’adresser aux saints. Lorsqu’il prit la parole, un vent fort soufflait dans l’assemblée. Le prophète éleva la voix pour couvrir le tumulte : « J’aurai du mal à me faire entendre de tous à moins que vous ne soyez très attentifs. » Il annonça qu’il allait parler de son ami, King Follett, qui était décédé récemment, et allait offrir des paroles réconfortantes à tous ceux qui avaient perdu des êtres chers.

Il désirait aussi donner à chaque saint un aperçu de ce qui l’attendait dans le monde à venir. Il voulait écarter le voile spirituel, ne serait-ce qu’un instant, et lui enseigner son potentiel divin et la véritable nature de Dieu.

Il demanda : « Quel genre de personnage est Dieu ? Est-ce qu’un homme ou une femme le sait ? Est-ce que quelqu’un parmi vous l’a vu, l’a entendu, a communié avec lui ? » Joseph laissa ses questions planer sur l’assemblée. Il dit : « Si le voile était déchiré aujourd’hui et si vous deviez voir le grand Dieu qui maintient notre monde dans son orbite et qui soutient toutes choses par son pouvoir, vous le verriez dans toute la personne, l’image et la forme mêmes d’un homme. »

Il expliqua que la recherche de la connaissance et le respect des alliances aideraient les saints à accomplir le plan suprême du Père pour eux. Il dit : « Il faut que vous appreniez comment être vous-mêmes des dieux en passant d’un petit degré à l’autre et d’une petite capacité à une plus grande ; de grâce en grâce, d’exaltation en exaltation, jusqu’à ce que vous soyez capables de demeurer dans les embrasements éternels et de siéger en gloire. »

Il leur rappela que ce plan l’emportait sur la mort. Il dit : « Quelle consolation pour une personne endeuillée de savoir que, bien que l’enveloppe terrestre se dissolve, nos êtres chers se relèveront en gloire immortelle pour ne plus être affligés, souffrir ou mourir, mais pour être héritiers de Dieu et cohéritiers de Jésus-Christ ! »

Le processus prendrait du temps et exigerait beaucoup de patience, de foi et d’apprentissage. Il assura aux saints : « On ne peut pas le comprendre entièrement ici-bas. Il faudra beaucoup de temps au-delà du tombeau pour tout saisir. »

Alors que son sermon touchait à sa fin, Joseph devint songeur. Il parla de membres de sa famille et d’amis décédés. Il dit : « Ils ne sont absents que pour un temps. Ils sont en esprit et lorsque nous partirons, nous saluerons nos mères, nos pères, nos amis et tous les êtres que nous aimons. » Il assura aux mères qui avaient perdu des enfants en bas âge qu’elles les retrouveraient. Dans les éternités, dit-il, les saints ne vivront plus dans la crainte des émeutiers mais demeureront dans la joie et le bonheur.

Debout devant l’assemblée, Joseph n’était plus le jeune fermier sans instruction ni raffinement qui avait cherché la sagesse dans un bosquet. Jour après jour, année après année, le Seigneur l’avait poli comme une pierre, le façonnant petit à petit afin qu’il devienne un meilleur instrument entre ses mains. Pourtant, les saints comprenaient si peu de sa vie et de sa mission.

Il dit : « Vous n’avez jamais connu mon cœur. Je ne vous en veux pas de ne pas croire à mon histoire. Si je ne l’avais pas vécue, je n’aurais pas pu y croire moi-même. » Il espérait qu’un jour, lorsque sa vie serait pesée dans la balance, les saints le connaîtraient mieux.

Lorsqu’il eut terminé, il prit place et le chœur chanta un cantique. Il venait de parler pendant presque deux heures et demie.

Son sermon fut une inspiration pour les saints et les remplit de l’Esprit. Une semaine après la conférence, Ellen Douglas écrivit à ses parents en Angleterre : « Les enseignements que nous avons entendus nous ont réjoui le cœur. » Ellen, son mari et leurs enfants faisaient partie des premiers convertis britanniques à s’être rendus en bateau à Nauvoo en 1842 et les vérités que Joseph avait enseignées dans son sermon leur rappelaient pourquoi ils avaient tant sacrifié pour se rassembler avec les saints.

Comme de nombreux convertis britanniques, les Douglas avaient dépensé la plus grande partie de leurs économies pour immigrer à Nauvoo, les laissant dans le dénuement. George, le mari d’Ellen, était mort peu après leur arrivée et une fièvre terrible l’avait mise dans l’incapacité de s’occuper de ses huit enfants. Une amie lui recommanda sans tarder de se faire aider par la Société de Secours à laquelle elle s’était jointe à son arrivée en ville.

Dans la lettre qu’elle envoya à ses parents après la conférence, elle raconta : « J’ai refusé mais elle a dit qu’il le fallait parce que j’étais malade depuis si longtemps et que si je ne le faisais pas, elle le ferait à ma place. » Ellen savait que ses enfants avaient besoin de nombreuses choses, surtout de vêtements ; elle finit donc par accepter de demander de l’aide à une membre de la Société de Secours.

Ellen expliqua : « Elle m’a demandé ce dont j’avais le plus besoin, a pris le chariot et est allée me chercher un présent comme je n’en avais jamais reçu avant, où que ce soit dans le monde. »

Ses enfants et elle possédaient maintenant une vache et élevaient des dizaines de poulets sur la parcelle qu’ils louaient, tout en économisant pour s’acheter des terres. Elle dit à ses parents : « Je ne me suis jamais sentie aussi bien que maintenant. Je me réjouis et je loue Dieu d’avoir envoyé les anciens d’Israël en Angleterre et de m’avoir donné un cœur disposé à les croire. »

Elle termina la lettre en rendant témoignage du prophète Joseph Smith. Elle dit à ses parents : « Le jour viendra où vous saurez que je vous ai dit la vérité. »

Ce printemps-là, Denison Harris et Robert Scott assistèrent aux réunions secrètes de William Law et rapportèrent à Joseph ce qu’ils avaient appris. William se considérait maintenant comme un réformateur. Il prétendait toujours croire au Livre de Mormon et aux Doctrine et Alliances mais le mariage plural et les récents enseignements de Joseph sur la nature de Dieu le rendaient furieux.

Parmi les conspirateurs, les jeunes gens reconnurent Jane, la femme de William, et le frère aîné de ce dernier, Wilson. Ils virent également Robert et Charles Foster, qui avaient été amis avec Joseph jusqu’à ce qu’ils se disputent avec lui à propos de l’aménagement des terres autour du temple. Les anciens alliés de John Bennett, Chauncey et Francis Higbee, étaient présents également, ainsi qu’une brute locale appelée Joseph Jackson.

Le prophète fut touché que Denison et Robert soient prêts à risquer leur vie pour lui. Après leur deuxième réunion avec les conspirateurs, il demanda aux jeunes gens d’y assister une fois de plus. Il conseilla : « Soyez parfaitement discrets et ne faites aucune promesse de comploter contre moi ou une partie quelconque de la communauté. » Il les avertit que les conjurés risquaient de tenter de les tuer.

Le dimanche suivant, Denison et Robert trouvèrent des hommes armés de mousquets et de baïonnettes qui montaient la garde devant le lieu habituel de réunion. Les deux jeunes entrèrent dans la maison et écoutèrent en silence les débats. Tout le monde était d’accord qu’il fallait que Joseph meure mais personne ne parvenait à convenir d’un plan.

Avant la fin de la réunion, Francis Higbee fit prêter un serment de solidarité à chaque conspirateur. Un par un, les hommes et les femmes dans la pièce levèrent une Bible dans la main droite et prêtèrent serment. Lorsque ce fut le tour de Denison et de Robert, ils refusèrent de s’avancer.

Les conjurés raisonnèrent : « N’avez-vous pas entendu le témoignage ferme de tous les participants contre Joseph Smith ? Nous jugeons qu’il est de notre devoir solennel de le détruire et de secourir le peuple de ce péril. »

Les jeunes gens dirent : « Nous sommes venus à vos réunions parce que nous croyions que vous étiez nos amis. Nous ne pensions pas à mal. »

Les dirigeants commandèrent à des gardes de se saisir d’eux et de les escorter jusqu’à la cave. Là, on leur donna une dernière chance de prêter serment. On leur dit : « Si vous vous entêtez à refuser, nous devrons verser votre sang. »

Les jeunes gens refusèrent de nouveau et se préparèrent à mourir.

Quelqu’un dans la cave cria : « Attendez un peu ! Discutons-en d’abord. »

L’instant d’après, les conspirateurs se disputaient de nouveau et les jeunes hommes entendirent quelqu’un dire qu’il serait trop dangereux de les tuer. Il avançait : « Les parents des garçons pourraient lancer une enquête qui serait très dangereuse pour nous. »

Denison et Robert furent emmenés au bord du fleuve par des gardes armés et relâchés. Ces derniers les avertirent : « Si vous ouvrez la bouche, nous vous tuerons, de nuit comme de jour, là où nous vous trouverons. »

Les jeunes gens partirent et firent immédiatement rapport à Joseph et à un garde du corps qui était avec lui. En écoutant leur histoire, il fut reconnaissant qu’ils soient sains et saufs et une expression grave passa sur son visage. Il dit : « Frères, je ne sais pas comment cela va se terminer. »

Le garde du corps demanda : « Tu penses qu’ils vont te tuer ? Vont-ils te tuer ? »

Joseph ne répondit pas directement à la question mais il assura aux jeunes hommes que William Law et les autres conjurés se trompaient à son égard. Il témoigna : « Je ne suis pas un faux prophète. Je n’ai pas reçu de révélations obscures. Je n’ai pas reçu de révélations du diable. »

Au milieu du tumulte du printemps, Joseph se réunissait régulièrement avec le conseil de cinquante pour discuter des caractéristiques idéales d’une démocratie théocratique et des lois et pratiques qui la gouvernaient. Lors d’une réunion, peu après la conférence d’avril, le conseil vota pour accepter Joseph en tant que prophète, prêtre et roi.

Les hommes n’ayant aucune autorité politique, la motion n’avait aucune conséquence temporelle mais elle entérinait les offices et responsabilités de Joseph dans la prêtrise en qualité de chef du royaume terrestre du Seigneur avant la Seconde Venue.. IElle faisait également allusion au témoignage de Jean le Révélateur que Christ avait fait des saints justes un royaume, des sacrificateurs pour Dieu, donnant une nouvelle dimension au titre de Roi des rois du Sauveur.

Plus tard cet après-midi-là, Joseph nota que quelques membres du conseil n’étaient pas membres de l’Église. Il proclama que dans le conseil de cinquante, on ne consultait pas les hommes sur leurs opinions religieuses, quelles qu’elles aient pu être. Il dit : « Nous agissons selon le principe large et libéral que tous les hommes ont des droits égaux et doivent être respectés. Chacun dans cette organisation a la chance de choisir délibérément son Dieu et ce qui lui plaît en matière de religion. »

Tout en parlant, Joseph attrapa une longue règle et fit de grands gestes, comme aurait pu le faire un maître d’école : « Lorsqu’un homme se sent un tant soit peu tenté par une telle intolérance, il doit s’y refuser. » Il dit que l’intolérance religieuse avait inondé la terre de sang. Il déclara : « Dans tout gouvernement ou toute transaction politique, les opinions religieuses ne devraient jamais être mises en cause. » On devrait être jugé selon la loi, sans préjudice religieux.

Lorsqu’il eut fini de parler, sans faire exprès, il cassa la règle en deux, à la grande surprise de toutes les personnes présentes.

Brigham Young lança malicieusement : « Comme la règle a été cassée dans les mains de notre président, puissent tous les gouvernements tyranniques se briser devant nous. »

Fin avril, les désaccords avec William et Jane Law s’ébruitant de plus en plus, un conseil de trente-deux dirigeants de l’Église fut amené à les excommunier, ainsi que Robert Foster, pour conduite non chrétienne. Du fait que personne ne les avait convoqués pour se défendre lors de l’audience, William fut scandalisé et rejeta la décision du conseil.

Après cela, les détracteurs de l’Église se firent de plus en plus entendre au fur et à mesure que plusieurs apôtres et des dizaines d’anciens quittaient Nauvoo pour des missions et pour la campagne présidentielle de Joseph. Robert Foster et Chauncey Higbee firent des recherches pour trouver des alibis qui permettraient de poursuivre le prophète en justice. Le 21 avril, William Law organisa une réunion publique au cours de laquelle il accusa Joseph d’être un prophète déchu et organisa une nouvelle Église.

Pendant la réunion, ses partisans l’intronisèrent en tant que président de la nouvelle Église. Après cela, ils se réunirent chaque dimanche et échafaudèrent des plans pour rallier d’autres saints mécontents à leur cause.

Pendant ce temps, Thomas Sharp, le jeune éditeur qui s’en était pris aux saints peu après leur arrivée en Illinois, remplissait son journal de critiques à l’encontre de Joseph et de l’Église.

Pour justifier ses attaques, il déclarait : « Vous ne savez rien des nombreuses insultes et blessures dont nos citoyens ont été victimes de la part des chefs de l’Église mormone. Vous n’en savez rien, sinon vous n’essaieriez pas de nous sermonner parce que nous tentons de démasquer cette bande de hors-la-loi, de tricheurs et de profiteurs. »

Puis, le 10 mai, William et ses partisans annoncèrent leur intention de publier un journal appelé le Nauvoo Expositor, qui, comme ils le formulaient, serait un « énoncé complet, franc et sommaire des faits, tels qu’ils existent vraiment dans la ville de Nauvoo ». Francis Higbee porta également plainte contre Joseph, l’accusant d’avoir diffamé sa réputation en public, pendant que William et Wilson utilisaient les mariages pluraux comme motifs pour l’accuser d’adultère.

Alors que les fausses accusations s’accumulaient contre lui, Joseph dit aux saints : « Le diable établit toujours son royaume exactement au même moment en opposition avec Dieu. » Plus tard, d’autres saints dotés et lui se réunirent au-dessus de son magasin et prièrent pour être délivrés de leurs ennemis. Joseph voulait éviter l’arrestation mais il ne voulait pas repartir se cacher. Emma était enceinte et très malade et il hésitait à quitter son chevet.

Finalement, fin mai, il décida qu’il valait mieux aller à Carthage, le siège du comté, et affronter une enquête légale sur les accusations dont il faisait l’objet. Plus d’une vingtaine d’amis l’accompagnèrent en ville. Lorsque le cas fut présenté à un juge, il manquait un témoin aux procureurs et ils ne purent poursuivre l’enquête. Les audiences furent reportées de plusieurs mois et le shérif permit à Joseph de rentrer chez lui.

Sa libération fit enrager Thomas Sharp. Il déclara dans un éditorial : « Nous en avons vu et entendu suffisamment pour nous convaincre que Joe Smith n’est pas en sécurité hors de Nauvoo et nous ne serions pas surpris d’apprendre sous peu qu’il a succombé à une mort violente. La tension dans ce pays a maintenant atteint une intensité extrême et elle se déversera dans sa furie à la moindre provocation. »

Tandis que l’opposition contre Joseph s’intensifiait, les saints continuaient d’édifier leur ville. Louisa Pratt avait du mal à abriter et nourrir ses quatre filles pendant que son mari était en mission dans le Pacifique Sud. Avant de partir, Addison avait acheté du bois mais pas assez pour permettre à Louisa de construire une maison sur leur terrain. Comme elle possédait des terres dans un État voisin, elle se rendit dans une scierie des environs et demanda à acheter du bois à crédit, avec ses terres en garantie.

Inquiète de voir son crédit refusé du fait de son sexe, elle dit : « Vous avez sans doute besoin d’une femme. En général, elles sont plus ponctuelles que les hommes. »

Le propriétaire de la scierie n’eut aucun scrupule à lui vendre du bois à crédit et Louisa en eut bientôt assez pour construire une petite maison. Malheureusement, elle était continuellement déçue par les hommes qu’elle employait pour faire le travail, l’obligeant à en embaucher d’autres jusqu’à ce qu’elle trouve des ouvriers fiables.

Pendant les travaux, elle travaillait comme couturière. Lorsque ses filles attrapèrent la rougeole, elle veilla sur elles nuit et jour, priant pour leur guérison jusqu’à ce qu’elles soient rétablies. En apparence, elle semblait bien se débrouiller dans la situation. Pourtant, elle se sentait souvent seule, incompétente et inapte à porter le fardeau qui pesait sur ses épaules.

Une fois que la maison fut terminée, Louisa y emménagea avec ses enfants. Elle installa un tapis qu’elle avait confectionné elle-même et meubla la maison d’articles achetés avec ses revenus.

Les mois passant, Louisa et les filles survécurent sur son petit salaire, troquant et achetant à crédit tout en payant leur dette au propriétaire de la scierie. Lorsque la nourriture manqua et que Louisa eut de nouvelles dettes à régler, les enfants demandèrent : « Qu’allons-nous faire, mère ? »

Elle répondit sèchement : « Nous plaindre au Seigneur. » Elle se demanda à quoi ressemblerait sa prière. Se plaindrait-elle des gens qui lui devaient de l’argent ? Pesterait-elle contre ceux qui ne l’avaient pas payée pour le travail qu’ils lui avaient confié ?

À ce moment-là, un homme arriva avec un gros chargement de bois qu’elle a pu vendre. Un autre arriva ensuite avec cinquante kilos de farine et une douzaine de kilos de porc.

Sa fille Frances dit : « Oh mère, que tu as de la chance ! »

Submergée de reconnaissance, Louisa décida de taire ses doléances.

Comme William Law l’avait promis, le Nauvoo Expositor apparut dans les rues de Nauvoo début juin. En avant-propos il déclarait : « Nous cherchons sincèrement à faire exploser les principes dangereux de Joseph Smith qui, nous le savons bien, ne sont pas en accord avec les principes de Jésus-Christ et des apôtres. »

Dans le journal, William et ses partisans affirmaient que Joseph avait dévié de l’Évangile rétabli en introduisant la dotation, la pratique du mariage plural et l’enseignement de nouveaux points de doctrine sur l’exaltation et la nature de Dieu.

Il avertissait aussi les citoyens du comté du pouvoir politique grandissant des saints. Ils reprochaient à Joseph de brouiller les rôles de l’Église et de l’état et condamnaient sa candidature à la présidence.

Ils menaçaient : « Levons-nous dans la majesté de notre force et balayons l’influence des tyrans et des mécréants de la surface du pays. »

Le lendemain de la parution du journal, Joseph réunit le conseil municipal de Nauvoo pour discuter de ce qu’il fallait faire de l’Expositor. Beaucoup de voisins des saints étaient déjà hostiles à l’Église et il s’inquiétait que l’Expositor ne les incite à la violence. Il dit : « Il n’est pas prudent que de telles choses existent du fait de l’esprit d’émeute qu’elles ont tendance à produire. »

Hyrum rappela au conseil municipal les émeutiers qui les avaient chassés du Missouri. Comme Joseph, il craignait que le journal ne monte les gens contre les saints, à moins qu’ils ne passent une loi pour y mettre un terme.

Il était tard le samedi soir et les hommes ajournèrent la réunion jusqu’au lundi. Ce jour-là, le conseil municipal se réunit du matin jusqu’au soir, discutant de nouveau de ce qu’ils pouvaient faire. Joseph proposa de déclarer le journal « nuisance publique » et de détruire la presse qui l’imprimait.

John Taylor approuva. En qualité d’éditeur du Times and Seasons, il reconnaissait la valeur de la liberté de presse et d’expression mais Joseph et lui croyaient qu’ils avaient constitutionnellement le droit de se protéger des écrits diffamatoires. La destruction de l’Expositor et sa presse serait controversée mais ils croyaient que les lois leur permettaient de le faire légalement.

Joseph lut à haute voix la constitution de l’État d’Illinois sur la liberté de la presse afin que toutes les personnes présentes comprennent la loi. Attrapant un livre de droit respecté, un autre conseiller lut la justification légale permettant de détruire une nuisance troublant la paix de la collectivité. Une fois le raisonnement légal avancé, Hyrum réitéra la proposition de Joseph de détruire la presse et d’éparpiller les caractères.

William Phelps dit au conseil qu’il avait examiné la constitution des États-Unis, la charte de la ville de Nauvoo et les lois du pays. Selon lui, la ville était totalement et légalement justifiée en déclarant que la presse était une nuisance et en la détruisant immédiatement.

Le conseil vota la destruction de la presse et Joseph envoya au marshal de la ville l’ordre d’exécuter la mesure.

Ce soir-là, ce dernier arriva au bureau de l’Expositor avec une centaine d’hommes. Ils entrèrent par effraction dans la boutique avec une masse, traînèrent la presse d’imprimerie dans la rue et la mirent en pièces. Ils vidèrent ensuite les tiroirs contenant les caractères et mirent le feu aux décombres. Tous les exemplaires du journal qu’ils trouvèrent furent ajoutés au brasier.

Le lendemain, Thomas Sharp rapporta la destruction de la presse dans une édition inédite de son journal. Il écrivit : « La guerre et l’extermination sont inévitables ! Citoyens levez-vous tous !!! » Nous n’avons pas le temps de faire de commentaires, chaque homme se fera sa propre opinion. Puisse-t-elle être faite de poudre et de balles !!! »


CHAPITRE 44 : Un agneau à l’abattoir

Après que Thomas Sharp eut fait retentir l’appel aux armes, la colère contre les saints de Nauvoo se propagea dans la région comme une traînée de poudre. Des citoyens se rallièrent à Warsaw et Carthage, deux villes voisines, pour protester contre la destruction de l’Expositor. Les dirigeants politiques mobilisèrent les hommes de la région pour se dresser contre les saints. En deux jours, trois cents émeutiers armés étaient réunis à Carthage, prêts à attaquer Nauvoo et à anéantir les saints.

À cent cinquante kilomètres au nord-est, Peter Maughan et Jacob Peart étaient attablés pour prendre un repas dans un hôtel. Sous la direction de Joseph, ils étaient venus dans la région acheter un gisement de charbon. Joseph croyait qu’il serait rentable d’extraire le charbon et de l’expédier par le bateau à vapeur de l’Église, la Maid of Iowa, via le Mississippi.

Pendant qu’il attendait sa nourriture, Peter ouvrit le journal et lut un article affirmant qu’une bataille importante avait fait des milliers de victimes à Nauvoo. Choqué et inquiet pour Mary et leurs enfants, il montra l’article à Jacob.

Les deux hommes prirent le bateau suivant pour rentrer chez eux. Arrivés à une quarantaine de kilomètres de leur destination, ils apprirent, à leur grand soulagement, qu’aucune bataille n’avait eu lieu mais il semblait que ce n’était plus qu’une question de temps avant que la violence n’éclate.

En dépit de la décision mûrement réfléchie de détruire la presse d’imprimerie, le conseil municipal avait sous-estimé le tollé qui s’ensuivrait. William Law avait fui la ville mais certains de ses partisans menaçaient maintenant de détruire le temple, de mettre le feu chez Joseph et de raser l’imprimerie de l’Église. Francis Higbee accusait le prophète et d’autres membres du conseil municipal d’avoir provoqué une émeute lors de la destruction de la presse. Il jurait que d’ici une dizaine de jours, il ne resterait plus un seul mormon à Nauvoo.

Le 12 juin, un policier de Carthage arrêta Joseph et d’autres membres du conseil municipal. Le tribunal de Nauvoo trouva les accusations sans fondement et relâcha les hommes, mettant les détracteurs de Joseph encore plus en colère. Le lendemain, le prophète apprit que trois cents hommes étaient rassemblés à Carthage, prêts à attaquer Nauvoo.

Espérant éviter une autre guerre ouverte avec leurs voisins, comme au Missouri, Joseph et d’autres écrivirent en urgence au gouverneur Ford pour expliquer les actions du conseil municipal et implorer son aide contre les attaques d’émeutiers. Joseph parla aux saints, les exhortant à rester calmes, à se préparer à défendre la ville et à ne faire aucune émeute. Ensuite, il regroupa la légion de Nauvoo et mit la ville sous loi martiale, suspendant le gouvernement habituel et mettant les militaires aux commandes.

L’après-midi du 18 juin, la légion se rassembla devant la Nauvoo Mansion. En qualité de chef de la milice, Joseph revêtit son uniforme complet et monta sur une estrade voisine, d’où il s’adressa aux hommes. Il dit : « Certains pensent que nos ennemis se satisferaient de ma destruction mais je vous dis que dès qu’ils auront versé mon sang, ils auront soif du sang de chaque personne dans le cœur de laquelle demeure la moindre étincelle de l’esprit de la plénitude de l’Évangile. »

Tirant son épée et la levant vers le ciel, Joseph exhorta les hommes à défendre les libertés dont on les avait privés dans le passé. Il demanda : « Resterez-vous à mes côtés jusqu’à la mort et soutiendrez-vous, au péril de votre vie, les lois de notre pays ? »

« Oui ! » rugit la foule.

Il dit : « Je vous aime de tout mon cœur. Vous êtes restés à mes côtés dans les heures sombres et je suis disposé à sacrifier ma vie pour épargner la vôtre. »

Après avoir entendu de la bouche de Joseph les raisons pour lesquelles le conseil municipal avait détruit la presse, le gouverneur Ford comprit que les saints avaient agi de bonne foi. Il y avait des raisons légales et des précédents pour déclarer et détruire des nuisances dans une communauté. Néanmoins, il n’était pas d’accord avec la décision du conseil et ne croyait pas que ses actions puissent être justifiées. La destruction légale d’un journal, après tout, était rare à une époque où les collectivités confiaient habituellement ce genre de tâche à des émeutiers, comme lorsqu’ils avaient détruit le journal des saints dans le comté de Jackson plus d’une décennie auparavant.

Le gouverneur avait attaché beaucoup d’importance à la protection de la liberté d’expression dans la constitution de l’État d’Illinois, indépendamment de ce que la loi aurait pu permettre. Il écrivit au prophète : « Votre conduite dans la destruction de la presse est un très gros affront aux lois et aux libertés du peuple. Le journal était peut-être rempli de calomnies mais cela ne vous autorisait pas à le détruire. »

Le gouverneur soutenait en outre que la charte de la ville de Nauvoo n’accordait pas aux tribunaux locaux autant de pouvoir que ce que le prophète pouvait penser. Il lui conseilla à lui et aux autres membres du conseil municipal qui avaient été accusés d’émeute de se livrer et de se soumettre aux tribunaux en dehors de Nauvoo. Il leur dit : « Je tiens à conserver la paix. Une petite indiscrétion pourrait déclencher la guerre. » Si les dirigeants de la ville se livraient et passaient en justice, il promettait de les protéger.

Sachant que Carthage grouillait d’hommes qui détestaient les saints, Joseph doutait que le gouverneur soit en mesure de tenir sa promesse. D’un autre côté, rester à Nauvoo ne ferait que faire enrager ses détracteurs et attirerait des émeutiers en ville, mettant les saints en danger. Il semblait de plus en plus évident que le meilleur moyen de les protéger était de quitter Nauvoo pour l’Ouest ou d’aller chercher de l’aide à Washington.

Écrivant au gouverneur, Joseph lui parla de son projet de quitter la ville. Il écrivit : « Au nom de tout ce qui est sacré, nous implorons Votre Excellence de s’assurer que nos femmes et nos enfants sans défense soient protégés de la violence des émeutiers. » Il insista sur le fait que si les saints avaient fait quoi que ce soit de répréhensible, ils feraient tout ce qui était en leur pouvoir pour réparer leur erreur.

Ce soir-là, après avoir dit au revoir à sa famille, Joseph grimpa avec Hyrum, Willard Richards et Porter Rockwell dans une barque et traversa le Mississippi. La barque prenait l’eau donc les deux frères et Willard écopaient avec leurs bottes pendant que Porter ramait. Des heures plus tard, le matin du 23 juin, ils arrivèrent en Iowa et Joseph demanda à Porter de retourner à Nauvoo et de leur ramener des chevaux.

Avant qu’il ne parte, il lui remit une lettre adressée à Emma, lui demandant de vendre leur propriété si nécessaire pour pourvoir à ses besoins et à ceux des enfants et de sa mère. Il lui dit : « Ne désespère pas. Si Dieu m’en donne la possibilité, je te reverrai. »

Plus tard ce matin-là, elle envoya Hiram Kimball et son neveu Lorenzo Wasson en Iowa pour convaincre son mari de rentrer à la maison et de se livrer. Ils dirent à Joseph que le gouverneur avait l’intention d’occuper Nauvoo avec des troupes jusqu’à ce que lui et son frère Hyrum se rendent. Porter revint peu après avec Reynolds Cahoon et une lettre d’Emma le suppliant à nouveau de revenir. Hiram Kimball, Lorenzo et Reynolds traitèrent tous Joseph de lâche pour avoir quitté Nauvoo et exposé les saints au danger.

Le prophète dit : « Plutôt mourir que d’être traité de lâche. Si ma vie n’a pas de valeur pour mes amis, elle n’en a pas pour moi. » Il savait maintenant que quitter Nauvoo ne protègerait pas les saints mais il ne savait pas s’il survivrait en allant à Carthage. Il demanda à Porter : « Que dois-je faire ? »

Porter dit : « Tu es l’aîné, c’est toi qui devrais savoir. »

Se tournant vers son frère, Joseph dit : « C’est toi l’aîné. Que devons-nous faire ? »

Hyrum répondit : « Retournons, livrons-nous et finissons-en. »

Joseph dit : « Si tu y retournes, j’irai avec toi mais nous allons être massacrés. »

Hyrum répondit : « Si nous vivons ou si nous devons mourir, nous accomplirons notre destin. »

Joseph y réfléchit un instant puis demanda à Reynolds d’aller chercher un bateau. Ils allaient se livrer.

Le cœur d’Emma se serra lorsque Joseph arriva à la maison en fin d’après-midi. Maintenant qu’elle le revoyait, elle craignait de l’avoir rappelé pour le faire mourir. Le prophète aspirait à prêcher une fois de plus aux saints mais il resta chez lui avec sa famille. Emma et lui réunirent leurs enfants et il leur donna une bénédiction.

Tôt le lendemain matin, Joseph, Emma et les enfants sortirent de la maison. Il embrassa chacun d’eux.

À travers ses larmes, Emma dit : « Tu vas revenir. »

Joseph enfourcha son cheval et partit pour Carthage avec Hyrum et les autres hommes. Il leur dit : « Je vais comme un agneau à l’abattoir mais je suis calme comme un matin d’été. J’ai la conscience libre de toute faute envers Dieu et envers tous les hommes. »

Les cavaliers gravirent la colline vers le temple tandis que le soleil se levait, teintant les murs inachevés du bâtiment d’une lumière dorée. Joseph arrêta son cheval et balaya la ville du regard. Il dit : « C’est le plus bel endroit et le meilleur peuple sous les cieux. Ils sont bien loin de se douter des épreuves qui les attendent. »

Il ne fut pas absent bien longtemps. Trois heures après avoir quitté Nauvoo, ses amis et lui rencontrèrent des troupes qui avaient ordre du gouverneur de confisquer les armes que l’État avait fournies à la légion de Nauvoo. Le prophète décida de faire demi-tour et de s’assurer que l’ordre était exécuté. Il savait que si les saints résistaient, cela donnerait aux émeutiers des raisons de les attaquer.

De retour à Nauvoo, il rentra chez lui pour revoir Emma et leurs enfants. Il leur dit encore au revoir et demanda à sa femme si elle l’accompagnerait mais elle savait qu’elle devait rester avec les petits. Joseph semblait solennel et pensif, tristement certain de son destin. Avant qu’il ne parte, Emma lui demanda une bénédiction. N’ayant plus le temps, il lui demanda d’écrire celle qu’elle désirait et promit de la signer à son retour.

Dans la bénédiction qu’elle rédigea, elle demanda à notre Père céleste la sagesse et le don de discernement. Elle écrivit : « Je désire l’Esprit de Dieu pour me connaître et me comprendre. Je désire un esprit fécond et actif, afin d’être capable de comprendre les desseins de Dieu. »

Elle demandait la sagesse pour élever ses enfants, notamment le bébé qu’elle devait mettre au monde en novembre et exprimait son espérance en son alliance éternelle du mariage. Elle écrivit : « Je désire de tout mon cœur honorer et respecter mon mari, jouir à jamais de sa confiance et, en agissant de concert avec lui, conserver la place que Dieu m’a donnée à ses côtés. »

Finalement, elle priait pour avoir l’humilité et espérait se réjouir des bénédictions que Dieu avait préparées pour ses enfants obéissants. Elle écrivit : « Je désire que quel que soit mon lot dans la vie, je sois à même de reconnaître la main de Dieu en toutes choses. »

Des hurlements et des jurons accueillirent les frères Smith lorsqu’ils arrivèrent à Carthage peu avant minuit le lundi 24 juin. L’unité de la milice qui avait récupéré les armes des saints à Nauvoo les escortait maintenant à travers l’agitation qui régnait dans les rues de Carthage. Une autre unité, appelée les Carthage Grey, était postée sur la place publique, près de l’hôtel où les frères avaient l’intention de passer la nuit.

Lorsque Joseph passa devant les Carthage Grey, les troupes se bousculèrent pour l’apercevoir. Un homme cria : « Où est le maudit prophète ? Poussez-vous et laissez-nous voir Joe Smith ! » Les soldats poussaient des cris et jetaient leurs armes en l’air.

Le lendemain matin, Joseph et ses amis se livrèrent à un agent de police. Peu après neuf heures, le gouverneur Ford invita Joseph et Hyrum à marcher avec lui au milieu des troupes assemblées. La milice et les émeutiers qui se pressaient autour d’eux furent silencieux jusqu’à ce qu’un groupe de Grey se remette à les huer, jetant leurs chapeaux dans les airs et tirant leurs épées. Comme la veille au soir, ils poussèrent des hurlements et insultèrent les frères.

Ce jour-là, au tribunal, Joseph et Hyrum furent relâchés en attendant d’être jugés pour avoir causé une émeute mais avant qu’ils n’aient pu quitter la ville, deux des associés de William Law déposèrent plainte contre eux pour avoir décrété la loi martiale à Nauvoo. Ils furent accusés de trahison contre le gouvernement et le peuple d’Illinois, une offense capitale qui empêchait les hommes d’être libérés sous caution.

Ils furent incarcérés dans une prison du comté, enfermés ensemble pour la nuit dans une cellule. Plusieurs de leurs amis décidèrent de rester avec eux pour les protéger et leur tenir compagnie. Cette nuit-là, Joseph écrivit à Emma une lettre contenant des nouvelles encourageantes. Il rapportait : « Le gouverneur vient juste d’accepter d’envoyer son armée à Nauvoo et je l’accompagnerai. »

Le lendemain, les prisonniers furent installés dans une pièce plus confortable au premier étage de la prison de Carthage. Elle comportait trois grandes fenêtres, un lit et une porte de bois munie d’un loquet cassé. Ce soir-là, Hyrum lut un passage du Livre de Mormon et Joseph rendit aux gardes en service un témoignage puissant de son authenticité divine. Il témoigna que l’Évangile de Jésus-Christ avait été rétabli, que des anges servaient encore l’humanité et que le royaume de Dieu était une fois de plus sur la terre.

Après le coucher du soleil, Willard Richards resta longtemps debout à écrire, jusqu’à ce que sa bougie fût consumée. Joseph et Hyrum étaient allongés sur le lit pendant que deux visiteurs, Stephen Markham et John Fullmer, étaient couchés sur un matelas posé au sol. À côté d’eux, à même le plancher, étaient couchés John Taylor et Dan Jones, un capitaine de bateau d’origine galloise qui était devenu membre de l’Église un peu plus d’un an auparavant.

Peu avant minuit, les hommes entendirent un coup de feu à l’extérieur de la fenêtre la plus proche de la tête de Joseph. Le prophète se leva et s’installa sur le sol, à côté de Dan. Joseph lui demanda doucement s’il avait peur de mourir.

Dan demanda avec son accent gallois prononcé : « Le moment est-il venu ? Engagé dans une telle cause, je ne pense pas que la mort soit bien effrayante. »

Le prophète chuchota : « Tu verras le pays de Galles et rempliras la mission qui t’échoit avant de mourir. »

Vers minuit, Dan fut réveillé par le bruit de troupes marchant à côté de la prison. Il se leva et regarda par la fenêtre. Il vit une foule d’hommes réunis dehors. Il entendit quelqu’un demander : « Combien vont entrer ? »

Très surpris, Dan réveilla rapidement les autres prisonniers. Ils entendirent des bruits de pas montant l’escalier et se jetèrent contre la porte. Quelqu’un prit une chaise en guise d’arme au cas où les hommes tenteraient d’entrer. Un silence de mort les entourait alors qu’ils attendaient d’être attaqués.

Joseph finit par crier : « Allez ! Nous sommes prêts à vous recevoir ! »

Dan et les autres prisonniers entendirent à travers la porte les hommes bouger, comme s’ils hésitaient entre attaquer ou se retirer. L’agitation perdura jusqu’à l’aube lorsqu’enfin ils entendirent les hommes redescendre l’escalier.

Le lendemain, 27 juin 1844, Emma reçut une lettre de Joseph, rédigée de la main de Willard Richards. Le gouverneur Ford et une unité de la milice étaient en route pour Nauvoo mais, en dépit de sa promesse, il n’avait pas pris Joseph avec lui. Au contraire, il avait démobilisé une unité de milice à Carthage et n’avait conservé qu’un petit groupe de Greys pour garder la prison, laissant les détenus plus vulnérables en cas d’attaque.

Joseph voulait quand même que les saints traitent le gouverneur cordialement et ne sonnent pas l’alarme. La lettre disait : « Nous ne risquons aucunement un ordre d’extermination mais prudence est mère de sureté. »

À la fin de la lettre, Joseph avait écrit de sa main un post-scriptum qui disait : « Je suis totalement réconcilié avec mon sort, sachant que je suis justifié et ai fait au mieux de ce qui pouvait être fait. » Il lui demandait de transmettre son amour aux enfants et à ses amis. Il ajoutait : « Pour la question de trahison, je n’en ai commis aucune et ils ne peuvent rien prouver de la sorte. » Il lui disait de ne pas s’inquiéter de ce qui pouvait leur arriver de fâcheux à lui et à Hyrum. Pour terminer, il avait écrit : « Que Dieu vous bénisse tous ! »

Le gouverneur Ford arriva à Nauvoo plus tard ce jour-là et s’adressa aux saints. Il leur reprocha la crise et menaça de les tenir pour responsables de ses répercussions. Il déclara : « La destruction de la presse de l’Expositor et le placement de la ville sous loi martiale sont un grand crime. Il s’ensuivra une expiation sévère, préparez-vous. »

Il avertit les saints que la ville de Nauvoo pouvait être réduite en cendres et ses habitants exterminés s’ils se rebellaient. Il dit : « Vous pouvez y compter. La moindre inconduite des citoyens et la torche qui est déjà allumée sera appliquée. »

Les saints furent offensés par le discours mais puisque Joseph leur avait demandé de préserver la paix, ils firent serment de tenir compte de l’avertissement du gouverneur et de soutenir les lois de l’État. Satisfait, ce dernier termina son discours et fit défiler ses troupes sur Main Street. En marchant, elles tiraient leurs épées et les faisaient tournoyer d’un air menaçant.

Le temps s’écoula lentement dans la prison de Carthage cet après-midi-là. Dans la chaleur estivale, les hommes abandonnèrent leurs vestes et ouvrirent les fenêtres pour laisser entrer la brise. À l’extérieur, huit hommes des Carthage Grey gardaient la prison pendant que le reste de la milice campait dans les environs. Un autre garde était assis juste de l’autre côté de la porte.

Stephen Markham, Dan Jones et d’autres faisaient des courses pour Joseph. Des hommes qui étaient restés là la nuit précédente, seuls Willard Richards et John Taylor étaient encore avec Joseph et Hyrum. Plus tôt dans la journée, des visiteurs avaient fait passer clandestinement deux pistolets aux prisonniers : un revolver à six coups et un pistolet à un coup, en cas d’attaque. Stephen avait aussi laissé une canne solide qu’il appelait le « correcteur de voyous ».

Pour remonter le moral et faire passer le temps, John chanta un cantique britannique qui était récemment devenu populaire parmi les saints. Ses paroles parlaient d’un humble étranger dans le besoin qui finit par s’avérer être le Sauveur.

Le vagabond, en un instant,

Se transforma devant mes yeux

Jésus se tenait souriant

Devant moi pour rentrer aux cieux.

Il dit en prononçant mon nom :

« Mon fils, au pauvre tu fus bon !

Et tes actions parlent pour toi ;

Un jour tu seras avec moi ! »

Lorsqu’il eut terminé, Hyrum lui demanda de le rechanter.

À quatre heures de l’après-midi eut lieu la relève de la garde. Joseph entama la conversation avec un garde à la porte pendant qu’Hyrum et Willard parlaient doucement ensemble. Au bout d’une heure, leur geôlier entra dans la pièce et demanda aux prisonniers s’ils voulaient être installés dans une cellule plus sûre en cas d’attaque.

Joseph dit : « Nous irons après souper. » Le geôlier partit et Joseph se tourna vers Willard. Il demanda : « Si nous allons dans la prison, iras-tu avec nous ?

— Penses-tu que je vous abandonnerais maintenant ? Si vous êtes condamnés à être pendus pour trahison, je serai pendu à votre place et vous serez libérés.

— Tu ne peux pas.

— Je le ferai. »

Quelques minutes plus tard, les prisonniers entendirent un bruissement à la porte et trois ou quatre coups de feu. Willard jeta un coup d’œil par la fenêtre ouverte et vit une centaine d’hommes, le visage noirci de boue et de poudre à canon, prendre l’entrée de la prison d’assaut. Joseph attrapa l’un des pistolets pendant qu’Hyrum saisissait l’autre. John et Willard prirent les cannes et les empoignèrent comme des massues. Les quatre hommes se pressèrent contre la porte pendant que les émeutiers se ruaient en haut des marches et tentaient de forcer le passage.

On entendit un coup de feu dans la cage d’escalier lorsque les émeutiers tirèrent sur la porte. Joseph, John et Willard bondirent de part et d’autre de celle-ci au moment où une balle faisait voler le bois en éclat. Elle frappa Hyrum au visage et il se retourna et s’éloigna en titubant de la porte. Une autre l’atteignit dans le bas du dos. Son pistolet se déchargea et il tomba sur le sol.

Joseph s’écria : « Ô mon frère Hyrum ! » Attrapant son six coups, il ouvrit la porte de quelques centimètres et tira. D’autres balles de mousquet volèrent dans la pièce et Joseph tira au hasard sur les émeutiers pendant que John se servait d’une canne pour abaisser les canons des pistolets et les baïonnettes qui pointaient par la porte entrebâillée.

Lorsque le pistolet de Joseph s’enraya deux ou trois fois, John courut à la fenêtre et essaya de grimper sur le large rebord. Une balle de mousquet traversa la pièce et l’atteignit à la jambe, lui faisant perdre l’équilibre. Son corps se paralysa, il s’écrasa contre le rebord de la fenêtre brisant sa montre à gousset à dix-sept heures seize.

Il cria : « Je suis touché ! »

Il se traîna sur le sol et roula sous le lit tandis que les émeutiers tiraient encore et encore. Une balle lui déchira la hanche, lui arrachant un morceau de chair. Deux autres balles l’atteignirent au poignet et à l’os juste au-dessus du genou.

De l’autre côté de la pièce, Joseph et Willard s’efforçaient d’appuyer de tout leur poids sur la porte pendant que Willard détournait les canons des mousquets et les baïonnettes devant lui. Soudain, Joseph laissa tomber son revolver sur le sol et se précipita vers la fenêtre. Au moment où il enjamba le rebord, deux balles l’atteignirent dans le dos. Une autre arriva par la fenêtre et le transperça au-dessous du cœur.

Il cria : « Oh Seigneur, mon Dieu ! » Son corps bascula vers l’avant et il plongea la tête la première par la fenêtre.

Willard se précipita de l’autre côté de la pièce et passa la tête à l’extérieur tandis que les balles sifflaient autour de lui. Il vit les émeutiers s’agglutiner autour du corps sanguinolent de Joseph. Le prophète était étendu sur son côté gauche, à côté d’un puits en pierres. Willard regarda, espérant voir un signe que son ami était encore en vie. Les secondes passèrent et il ne vit aucun mouvement.

Joseph Smith, le prophète et voyant du Seigneur était mort.


CHAPITRE 45 : Une fondation toute-puissante

Le 28 juin, avant le lever du soleil, Emma répondit à un coup pressant à la porte. Elle trouva son neveu, Lorenzo Wasson, debout sur le seuil, couvert de poussière. Ses paroles confirmèrent ses pires craintes.

Rapidement, la ville entière fut réveillée par Porter Rockwell qui parcourait les rues à cheval en criant la nouvelle de la mort de Joseph. Une foule se rassembla presque immédiatement devant chez les Smith mais Emma resta à l’intérieur avec ses enfants et uniquement une poignée d’amis et de pensionnaires. Sa belle-mère, Lucy Smith, faisait les cent pas dans sa chambre en regardant par la fenêtre d’un air absent. Les enfants étaient blottis les uns contre les autres dans une autre pièce.

Emma était assise, seule, pleurant en silence. Au bout d’un moment, elle s’enfouit le visage dans les mains et cria : « Pourquoi suis-je veuve et mes enfants orphelins ? »

En entendant ses sanglots, John Greene, le marshal de Nauvoo, entra dans la pièce. Essayant de la consoler, il dit que ses afflictions seraient pour elle une couronne de vie.

Elle répondit d’un ton sec : « Mon mari était ma couronne de vie. Pourquoi, Ô Dieu, suis-je ainsi abandonnée ? »

Plus tard ce jour-là, Willard Richards et Samuel Smith arrivèrent à Nauvoo avec les chariots transportant les corps de Joseph et d’Hyrum. Pour les protéger de la chaleur du soleil d’été, ils avaient été placés dans des cercueils de bois et recouverts de broussailles.

Willard et Samuel étaient profondément ébranlés par l’attaque de la veille. Samuel avait essayé de rendre visite à ses frères en prison mais avant de pouvoir atteindre Carthage, des émeutiers avaient tiré sur lui et l’avaient poursuivi à cheval pendant plus de deux heures. Pendant ce temps, Willard avait survécu à l’attaque avec uniquement une petite blessure au lobe de l’oreille, accomplissant une prophétie que Joseph avait faite un an plus tôt selon laquelle des balles siffleraient autour de lui, frappant ses amis à droite et à gauche mais sans faire le moindre trou à ses vêtements.

John Taylor, par contre, oscillait entre la vie et la mort dans un hôtel à Carthage, trop blessé pour quitter la ville. La veille au soir, Willard et John avaient écrit une courte lettre aux saints les implorant de ne pas se venger du meurtre de Joseph et d’Hyrum. Lorsque Willard avait terminé la lettre, John était tellement affaibli par tout le sang qu’il avait perdu qu’il put à peine la signer.

En approchant du temple, Willard et Samuel furent accueillis par un groupe de saints qui suivirent les chariots en ville. Presque tous les habitants de Nauvoo se joignirent au cortège alors que les chariots dépassaient lentement le site du temple et descendaient la colline jusqu’à la Nauvoo Mansion. Les saints traversaient la ville en pleurant ouvertement.

Lorsque le cortège arriva chez les Smith, Wilford monta sur l’estrade d’où Joseph s’était adressé pour la dernière fois à la légion de Nauvoo. Balayant du regard une foule de dix mille personnes, Willard vit que beaucoup étaient en colère contre le gouverneur et les émeutiers.

Il implora : « Faites confiance à la loi pour les réparations. Laissez la vengeance au Seigneur. »

Ce soir-là, Lucy Smith s’arma de courage pendant qu’elle attendait avec Emma, Mary et ses petits-enfants hors de la salle à manger de la Nauvoo Mansion. Plus tôt, plusieurs hommes y avaient apporté les corps de Joseph et d’Hyrum pour les laver et les habiller. Depuis, Lucy et sa famille avaient attendu de pouvoir les voir. Lucy arrivait à peine à se contenir et priait pour avoir la force de voir ses fils assassinés.

Lorsque les corps furent prêts, Emma entra la première mais s’affaissa rapidement sur le sol et dut être portée hors de la pièce. Mary la suivit, tremblante tandis qu’elle marchait. Avec ses deux plus jeunes enfants accrochés à elle, elle s’agenouilla à côté d’Hyrum, lui prit la tête dans les bras et sanglota. Lissant ses cheveux, elle dit : « Est-ce qu’ils t’ont tué mon cher Hyrum ? » Le chagrin la submergea.

Aidée d’amis, Emma revint bientôt dans la pièce et rejoignit Mary aux côtés d’Hyrum. Elle posa la main sur le front froid de son beau-frère et lui parla doucement. Ensuite, se tournant vers ses amis, elle dit : « Maintenant, je peux le voir. Je suis forte maintenant. »

Elle se leva et marcha sans aide vers le corps de Joseph. S’agenouillant près de lui, elle posa la main sur sa joue et dit : « Oh, Joseph, Joseph. Ont-ils fini par t’arracher à moi ! » Le jeune Joseph s’agenouilla et embrassa son père.

Lucy était tellement bouleversée par la tristesse autour d’elle qu’elle ne put parler. Elle pria en silence : « Mon Dieu. Pourquoi as-tu abandonné cette famille ? » Son esprit fut envahi par le souvenir des épreuves que sa famille avait traversées mais en regardant le visage sans vie de ses fils, ils semblaient être en paix. Elle savait que Joseph et Hyrum étaient maintenant hors de portée de leurs ennemis.

Elle entendit une voix dire : « Je les ai pris auprès de moi afin qu’ils se reposent. »

Le lendemain, des milliers de personnes firent la queue à l’extérieur de la Nauvoo Mansion pour rendre hommage aux deux frères. C’était une journée d’été chaude et sans nuage. Heure après heure, les saints entrèrent par une porte, passèrent à côté des cercueils et sortirent par une autre porte. Les frères avaient été installés dans de beaux cercueils habillés de tissu blanc et de velours noir et doux. Une plaque de verre permettait aux amis des défunts de les voir une dernière fois.

Après la visite, William Phelps prononça l’éloge funèbre du prophète devant des milliers de saints. Il demanda : « Que dirai-je de Joseph le voyant ? Il n’est pas arrivé dans le tourbillon de l’opinion publique mais simplement au nom de Jésus-Christ.

Il est venu donner les commandements et la loi du Seigneur, bâtir des temples et apprendre aux hommes à progresser en amour et en grâce. Il est venu établir notre Église ici-bas, sur les principes purs et éternels de la révélation, des prophètes et des apôtres. »

Après les obsèques, Mary Ann Young raconta la tragédie à Brigham qui était à des centaines de kilomètres à l’est en train de faire campagne pour Joseph avec plusieurs membres des Douze. Elle raconta : « Nous avons subi de grandes afflictions ici depuis que tu es parti. Notre cher frère Joseph Smith et Hyrum sont tombés, victimes d’émeutiers féroces. » Elle assura à son mari que leur famille était en bonne santé mais qu’elle ne savait pas à quel point elle était en sécurité. Les trois dernières semaines, le courrier avait pratiquement cessé d’arriver et les menaces d’attaques d’émeutiers étaient constantes.

Elle écrivit : « J’ai eu la bénédiction de ne pas céder à l’affolement pendant la tempête. J’espère que tu seras prudent lors du trajet de retour à la maison et que tu ne te montreras pas aux personnes qui pourraient mettre ta vie en danger.

Le même jour, Vilate Kimball écrivit à Heber. Elle lui dit : « Jusqu’à présent, je n’ai jamais pris la plume pour t’écrire en me trouvant dans une situation aussi éprouvante que celle que nous connaissons actuellement. Dieu me préserve d’être jamais témoin de quoi que ce soit de semblable. »

Vilate avait entendu dire que William Law et ses partisans cherchaient toujours à se venger des dirigeants de l’Église. Craignant pour la sécurité de son mari, elle envisageait son retour à la maison avec réticence. Elle écrivit : « Ma prière constante maintenant est que le Seigneur nous protège et nous permette de tous nous retrouver. Je ne doute pas qu’on cherche à attenter à ta vie mais puisse le Seigneur te donner la sagesse d’échapper à leurs mains. »

Peu de temps après, Phebe Woodruff écrivit à ses parents et décrivit l’attaque à Carthage. Elle témoigna : « Ces choses ne feront pas davantage cesser l’œuvre que ne l’a fait la mort du Christ mais elles la feront avancer avec encore plus de rapidité. Je crois que Joseph et Hyrum sont là où ils peuvent maintenant faire encore plus de bien à l’Église que lorsqu’ils étaient avec nous.

Je suis plus ferme que jamais dans ma foi. Je n’abandonnerai pas le vrai mormonisme même si cela devait me coûter la vie dans l’heure qui suit, car je sais avec certitude qu’il s’agit de l’œuvre de Dieu. »

Pendant que les lettres de Mary Ann, Vilate et Phebe voyageaient vers l’est, Brigham Young et Orson Pratt entendaient des rumeurs selon lesquelles Joseph et Hyrum avaient été tués mais personne ne pouvait le confirmer. Puis, le 16 juillet, un membre de l’Église de la branche de Nouvelle-Angleterre à qui ils rendaient visite reçut une lettre de Nauvoo détaillant les tragiques nouvelles. Lorsqu’il lut la lettre, Brigham eut l’impression que sa tête allait exploser. Il n’avait jamais connu un tel désespoir.

Ses pensées se tournèrent immédiatement vers la prêtrise. Joseph avait détenu toutes les clés nécessaires pour doter les saints et les sceller pour l’éternité. Sans ces clés, l’œuvre du Seigneur ne pouvait pas avancer. Pendant un instant, il craignit que le prophète ne les ait emportées au tombeau.

Puis, dans un éclair de révélation, il se souvint qu’il les avait conférées aux douze apôtres. Se frappant d’un coup sec sur les genoux, il dit : « Les clés du royaume sont ici-même avec l’Église. »

Brigham et Orson se rendirent à Boston pour se réunir avec les autres apôtres qui se trouvaient dans les États de l’Est. Ils décidèrent de rentrer immédiatement chez eux et conseillèrent à tous les missionnaires qui avaient une famille à Nauvoo de faire de même.

Brigham dit aux saints de la région : « Réjouissez-vous. Lorsque Dieu envoie un homme faire une œuvre, les démons de l’enfer ne peuvent le tuer avant qu’il n’ait terminé. » Il témoigna qu’avant sa mort, Joseph avait conféré aux Douze toutes les clés de la prêtrise, laissant aux saints tout ce dont ils avaient besoin pour continuer.

À Nauvoo, tout en pleurant son mari, Emma commença à se demander comment elle allait subvenir seule aux besoins de ses enfants et de sa belle-mère. Joseph avait fait de nombreuses démarches légales pour séparer les biens de sa famille de ceux de l’Église mais il laissait quand même derrière lui des dettes importantes et aucun testament. Elle craignait qu’à moins que l’Église ne nomme rapidement un administrateur pour remplacer Joseph en tant que gestionnaire des biens de celle-ci, sa famille ne soit laissée dans le dénuement.

L’opinion des dirigeants de l’Église à Nauvoo divergeait quant au choix de la ou des personnes ayant l’autorité de faire cette nomination. Certains croyaient que la responsabilité incombait à Samuel Smith, l’aîné des frères de Joseph en vie, mais ce dernier était tombé malade après que les émeutiers l’avaient chassé de Carthage et était mort subitement à la fin du mois de juillet. D’autres croyaient que les dirigeants de pieu locaux devaient choisir le nouvel administrateur. Willard Richards et William Phelps voulaient reporter la décision jusqu’à ce que les Douze soient rentrés de mission dans les États de l’Est afin qu’ils puissent participer au choix.

Cependant, Emma était impatiente qu’une décision soit prise et voulait que les dirigeants de l’Église désignent immédiatement un administrateur. Elle jeta son dévolu sur William Marks, le président du pieu de Nauvoo. L’évêque Whitney s’opposa fermement au choix car William avait rejeté le mariage plural et se souciait peu des ordonnances du temple.

En privé, il déclara : « Si Marks est nommé, nos bénédictions spirituelles seront détruites puisqu’il n’est pas en faveur des affaires les plus importantes. » Sachant que l’Église était bien plus qu’une société avec des participations financières et des obligations légales, il croyait que le nouvel administrateur devait être quelqu’un qui soutenait entièrement ce que le Seigneur avait révélé à Joseph.

Vers cette époque-là, John Taylor se remit suffisamment de ses blessures pour revenir à Nauvoo. Parley Pratt rentra aussi de mission et se joignit à John, Willard Richards et William Phelps pour exhorter Emma et William Marks à attendre le retour des autres apôtres. Ils croyaient qu’il était nettement plus important de choisir le nouvel administrateur par l’autorité compétente que de parvenir rapidement à une décision.

Ensuite, le 3 août, Sidney Rigdon revint à Nauvoo. En tant que colistier de Joseph dans la campagne présidentielle, Sidney s’était installé dans un autre État afin de satisfaire aux exigences de la loi relatives à sa candidature. En apprenant la mort du prophète, Sidney s’était précipité en Illinois, certain que son poste dans la Première Présidence lui donnait le droit de diriger l’Église.

Pour donner du poids à sa revendication, il annonça également qu’il avait reçu de Dieu une vision lui montrant que l’Église avait besoin d’un gardien, quelqu’un qui s’occuperait d’elle en l’absence de Joseph et continuerait de parler en son nom.

L’arrivée de Sidney inquiéta Parley et les autres apôtres à Nauvoo. La dispute au sujet de l’administrateur montrait clairement que l’Église avait besoin d’une autorité présidente pour prendre les décisions importantes. Néanmoins, ils savaient que Sidney, comme William Marks, avait rejeté de nombreux enseignements et pratiques que le Seigneur avait révélés à Joseph. Chose plus importante, ils savaient que ces dernières années, Joseph avait compté de moins en moins sur Sidney et ne lui avait pas conféré toutes les clés de la prêtrise.

Le lendemain de son arrivée, Sidney offrit publiquement de diriger l’Église. Il ne parla pas d’achever le temple ni de doter les saints de puissance spirituelle. Il les mit plutôt en garde contre des temps difficiles à venir et leur promit de les guider courageusement à travers les derniers jours.

Plus tard, lors d’une réunion des dirigeants de l’Église, il insista pour qu’on réunisse les saints deux jours plus tard afin de choisir un nouveau dirigeant et de nommer un administrateur. Alarmés, Willard et les autres apôtres exigèrent plus de temps afin d’examiner les affirmations de Sidney et d’attendre le retour du reste du collège.

William Marks trouva un compromis en programmant la réunion pour le 8 août, quatre jours plus tard.

Le soir du 6 août, la nouvelle se répandit rapidement que Brigham Young, Heber Kimball, Orson Pratt, Wilford Woodruff et Lyman Wight étaient arrivés à Nauvoo par bateau à vapeur. Bientôt, les saints saluaient les apôtres dans les rues tandis qu’ils rentraient chez eux.

Le lendemain après-midi, les apôtres nouvellement arrivés rejoignirent Willard Richards, John Taylor, Parley Pratt, et George A. Smith à une réunion avec Sidney et les autres conseils de l’Église. À ce moment-là, Sidney avait changé d’avis sur le choix du nouveau dirigeant le 8 août. Au lieu de cela, il dit qu’il voulait faire une réunion de prière avec les saints ce jour-là, reportant la décision jusqu’à ce que les dirigeants de l’Église puissent s’unir et « se réchauffer mutuellement le cœur ».

Il insistait quand même sur le fait qu’il était de son droit de diriger l’Église. Il dit aux conseils : « Il m’a été montré que cette Église doit être édifiée en hommage à Joseph et que toutes les bénédictions que nous recevons doivent venir par son intermédiaire. » Il dit que sa vision récente n’était que la continuité de la grande vision des cieux qu’il avait eue avec Joseph plus de dix ans auparavant.

Faisant allusion à une révélation que le prophète avait reçue en 1833, il poursuivit : « J’ai été ordonné comme porte-parole de Joseph et je dois venir à Nauvoo m’assurer que l’Église est gouvernée correctement. »

Les paroles de Sidney n’impressionnèrent pas Wilford. Il nota dans son journal : « C’était un genre de vision de deuxième classe. »

Lorsque Sidney eut fini de parler, Brigham se leva et témoigna que Joseph avait conféré toutes les clés et tous les pouvoirs de l’apostolat aux Douze. Il dit : « Peu m’importe qui dirige l’Église, mais il y a une chose que je dois savoir, c’est ce que Dieu en dit. »

Le 8 août, le jour de la réunion de prière de Sidney, Brigham manqua une réunion matinale avec son collège, chose qu’il n’avait jamais faite. En sortant de chez lui, il vit que des milliers de saints s’étaient rassemblés dans le bosquet près du temple. Il y avait du vent ce matin-là et Sidney, debout dans un chariot, lui tournait le dos. Au lieu d’une réunion de prière, il proposait de nouveau d’être le gardien de l’Église.

Il parla pendant plus d’une heure, témoignant que Joseph et Hyrum détiendraient leur autorité de la prêtrise tout au long de l’éternité et avaient suffisamment organisé les conseils de l’Église pour la diriger après leur mort. Il déclara : « Chaque homme se tiendra à sa place et assumera son appel devant Jéhovah. » Il proposa de nouveau que sa place et son appel soient celui de porte-parole de Joseph. Il ne souhaitait pas de vote de l’assemblée à ce sujet mais il voulait que les saints connaissent son opinion.

Lorsqu’il eut terminé, Brigham demanda à la foule de rester quelques instants de plus. Il dit qu’il aurait voulu avoir le temps de pleurer le décès de Joseph avant de régler les affaires de l’Église mais qu’il sentait l’urgence parmi les saints de choisir un nouveau dirigeant. Il craignait que certains d’entre eux ne s’emparent du pouvoir à l’encontre de la volonté de Dieu.

Pour résoudre la question, il leur demanda de revenir plus tard, dans l’après-midi, soutenir un nouveau dirigeant de l’Église. Ils voteraient par collège et en tant que corps de l’Église. Il dit : « Nous pouvons traiter l’affaire en cinq minutes. Nous n’allons pas agir au détriment les uns des autres et chaque homme et chaque femme dira amen. »

Cet après-midi-là, Emily Hoyt retourna au bosquet pour la réunion. Cousine du prophète, Emily approchait la quarantaine et était diplômée de l’académie des enseignants. Ces quelques dernières années, son mari, Samuel, et elle, s’étaient attachés à Joseph et Hyrum et la mort subite des frères les avait attristés. Bien qu’ils habitassent de l’autre côté du fleuve, en Iowa, Emily et Samuel étaient venus à Nauvoo ce jour-là pour assister à la réunion de prière de Sidney.

Vers quatorze heures, les collèges et conseils de la prêtrise prirent place ensemble sur l’estrade et autour. Brigham Young se leva ensuite pour s’adresser aux saints. « On a beaucoup parlé du président Rigdon devenant président de l’Église mais je vous dis que le Collège des Douze détient les clés du royaume de Dieu dans le monde entier. »

En écoutant Brigham parler, Emily se surprit à lever les yeux vers lui pour s’assurer que ce n’était pas Joseph qui était en train de parler. Il avait des expressions de ce dernier, sa méthode de raisonnement et même le son de sa voix.

« Frère Joseph, le prophète, a posé les fondements d’une grande œuvre et nous allons bâtir par-dessus. C’est un fondement tout-puissant qui a été posé et nous pouvons bâtir un royaume tel qu’il n’en a jamais existé dans le monde. Nous pouvons bâtir un royaume plus vite que Satan ne peut éliminer les saints. »

Mais ils doivent collaborer, déclara Brigham, en suivant la volonté du Seigneur et en vivant par la foi. Il dit : « Si vous voulez que Sidney Rigdon ou William Law vous dirige, ou n’importe qui d’autre, vous êtes libres de les avoir mais je vous dis au nom du Seigneur qu’aucun homme ne peut en placer un autre entre les Douze et le prophète Joseph. Pourquoi ? Il a remis entre nos mains les clés du royaume dans cette dernière dispensation, pour le monde entier. »

Sentant que l’Esprit et la puissance qui avaient reposé sur Joseph reposaient maintenant sur Brigham, Emily regarda l’apôtre demander aux saints de soutenir les Douze en qualité de dirigeants de l’Église. Il dit : « Chaque homme, chaque femme, chaque collège est maintenant en place. Que tous ceux qui sont en faveur de cela dans toute l’assemblée des saints le manifestent en levant la main droite. »

Emily et toute l’assemblée levèrent la main.

Brigham dit : « Il y a beaucoup à faire. Le fondement est posé par notre prophète et nous bâtirons dessus. Aucun autre fondement que celui-là ne peut être posé et si telle est la volonté de Dieu, nous aurons notre dotation. »

Sept ans plus tard, Emily enregistra le moment où elle vit Brigham parler aux saints sur l’estrade, témoignant à quel point ses traits et sa voix ressemblaient à ceux de Joseph. Dans les années qui suivirent, des dizaines de saints ajoutèrent leur témoignage au sien, décrivant comment ils virent le manteau de prophète de Joseph retomber sur Brigham ce jour-là.

Emily écrivit : « Si quelqu’un doute du droit qu’avait Brigham de gérer les affaires pour les saints, tout ce que j’ai à lui dire c’est d’obtenir l’Esprit de Dieu et de chercher à savoir par lui-même. Le Seigneur pourvoira aux besoins des siens. »

Le lendemain de la conférence, Wilford sentit que la tristesse planait toujours sur la ville. Il écrivit dans son journal : « Le prophète et le patriarche sont partis et il semble qu’il y ait peu d’ambition de faire quoi que ce soit. » Tout de même, Wilford et les Douze se mirent immédiatement au travail. Ils se réunirent cet après-midi-là et nommèrent les évêques Newel Whitney et George Miller pour servir d’administrateurs de l’Église et résoudre les problèmes relatifs aux finances de Joseph.

Trois jours plus tard, ils appelèrent Amasa Lyman au Collège des Douze et divisèrent l’Est des États-Unis et le Canada en districts présidés par des grands prêtres. Brigham, Heber et Willard appelleraient des hommes à ces postes et superviseraient l’Église en Amérique pendant que Wilford se rendrait avec Phebe en Angleterre pour présider la mission britannique et gérer son imprimerie.

Pendant que Wilford se préparait pour sa mission, les autres apôtres s’efforçaient de fortifier l’Église à Nauvoo. Lors de la réunion du 8 août, les saints avaient soutenu les Douze mais certains hommes tentaient déjà de diviser l’Église et de détourner des gens. L’un d’eux, James Strang, était un nouveau membre qui prétendait être en possession d’une lettre de Joseph le désignant comme véritable successeur. James avait un foyer dans le Wisconsin et il voulait que les saints s’y rassemblent.

Brigham les avertit de ne pas suivre les dissidents. Il les exhorta : « Ne vous éparpillez pas. Restez ici à Nauvoo, édifiez le temple et obtenez votre dotation. »

L’achèvement du temple restait l’objectif central de l’Église. Le 27 août, la veille de leur départ pour l’Angleterre, Wilford et Phebe visitèrent le temple avec des amis. Debout au pied de ses murs qui atteignaient presque le haut du premier étage, Wilford et Phebe admirèrent la manière dont le clair de lune faisait ressortir la grandeur et la sublimité de l’édifice.

Ils gravirent une échelle jusqu’au sommet des murs et s’agenouillèrent pour prier. Wilford exprima sa reconnaissance au Seigneur d’avoir donné aux saints le pouvoir de construire le temple et l’implora pour qu’ils soient en mesure de le terminer, de recevoir la dotation et de planter l’œuvre de Dieu dans le monde entier. Il lui demanda également de protéger Phebe et lui-même dans le champ de la mission.

Il pria : « Permets-nous d’accomplir notre mission en justice et de pouvoir revenir dans ce pays et fouler les cours de la maison du Seigneur en paix. »

Le lendemain, juste avant le départ des Woodruff, Brigham donna une bénédiction à Phebe pour l’œuvre qui l’attendait. Il promit : « Tu seras bénie pendant la mission que tu fais en commun avec ton mari et il se fera par toi beaucoup de bien. Si tu pars en toute humilité, tu seras protégée pour pouvoir revenir et retrouver les saints dans le temple du Seigneur et tu t’y réjouiras. »

Plus tard dans l’après-midi, Wilford et Phebe prirent la route de l’Angleterre. Parmi les missionnaires qui les accompagnaient se trouvaient Dan Jones et Jane, sa femme qui partaient pour le pays de Galles pour accomplir la prophétie de Joseph.


CHAPITRE 46 : Dotés de pouvoir

À l’automne 1844, le Collège des Douze envoya une épître à tous les saints de partout. Il annonça : « Le temple exige nécessairement notre plus grande attention. » Il les encouragea à envoyer de l’argent, des fournitures et des ouvriers pour accélérer les travaux. Une dotation de pouvoir les attendait. Tout ce dont ils avaient besoin, c’était d’un endroit où la recevoir.

Les saints en ressentaient également l’urgence. Fin septembre, Peter Maughan écrivit à Willard Richards au sujet de leur nouvelle mine de charbon, à cent soixante kilomètres en amont du Mississippi. Peter et Mary avaient récemment vendu leur maison à Nauvoo, utilisé l’argent pour acheter la mine pour l’Église et installé leur famille dans une cabane rustique près du lieu de travail. Néanmoins, Peter aspirait déjà à être de retour à Nauvoo à tailler la pierre pour la maison du Seigneur.

Il dit à Willard : « La seule chose qui me taraude est que les travaux du temple se poursuivent et que je suis privé de l’honneur d’y participer. »

Les murs du temple s’élevant, Brigham était déterminé à poursuivre l’œuvre que Joseph avait commencée. Suivant l’exemple du prophète, il priait souvent avec les saints dotés et demandait au Seigneur de protéger et d’unir l’Église. Les baptêmes pour les morts, qui avaient cessé au décès de Joseph, reprirent au sous-sol du temple. Des anciens et des soixante-dix repartirent en plus grand nombre dans le champ de la mission.

Mais les difficultés n’étaient jamais loin. En septembre, Brigham et les Douze apprirent que Sidney Rigdon complotait contre eux et dénonçait Joseph comme prophète déchu. Ils l’accusèrent d’apostasie et l’évêque Whitney et le grand conseil l’excommunièrent. Il quitta Nauvoo peu après, prédisant que les saints n’achèveraient jamais le temple.

Toujours soucieuse du bien-être de sa famille, Emma Smith refusa également d’accorder son plein appui aux apôtres. Elle coopéra avec les administrateurs qu’ils avaient nommés pour s’occuper de la succession de Joseph mais les disputes pour les papiers et autres possessions de son mari l’énervaient. Cela la dérangeait également que les apôtres continuent d’enseigner et de pratiquer le mariage plural en privé.

Les femmes scellées à Joseph en tant qu’épouses plurales ne prétendirent pas à sa succession. Après sa mort, certaines retournèrent auprès de leur famille. D’autres épousèrent des membres des Douze qui firent alliance de s’occuper d’elles et de pourvoir à leurs besoins en l’absence du prophète. Discrètement, les apôtres continuaient d’enseigner le mariage plural à d’autres saints, épousaient de nouvelles femmes plurales et fondaient des familles avec elles.

Au début de l’année 1845, les plus gros problèmes des saints venaient de l’extérieur de l’Église. Thomas Sharp et huit autres hommes avaient été accusés du meurtre de Joseph et d’Hyrum mais personne ne s’attendait à ce qu’ils soient condamnés. Pendant ce temps, les législateurs de l’État essayèrent d’affaiblir la puissance politique des membres de l’Église en révoquant la charte de la ville de Nauvoo. Le gouverneur Ford soutint leur démarche et, à la fin du mois de janvier 1845, le corps législatif dépouilla les saints de leur droit d’adopter et de faire respecter les lois et fit dissoudre la légion de Nauvoo ainsi que les forces de police locales.

Sans ces protections, Brigham craignait que les saints ne soient à la merci des attaques de leurs ennemis. Pourtant, le temple était loin d’être terminé et s’ils fuyaient la ville, ils pouvaient difficilement s’attendre à recevoir leur dotation. Ils avaient besoin de temps pour achever l’œuvre que le Seigneur leur avait confiée mais rester à Nauvoo ne serait-ce qu’une année risquait de mettre la vie de tout le monde en danger.

Brigham se mit à genoux et pria pour savoir ce que les saints devaient faire. Le Seigneur répondit simplement : « Rester et finir le temple. »

Le matin du 1er mars, Lewis Dana, trente-huit ans, fut le premier Amérindien à devenir membre du conseil de cinquante. À la mort de Joseph, les réunions de conseil avaient cessé mais, une fois que la charte de Nauvoo fut révoquée et que les saints eurent pris conscience que leurs jours à Nauvoo étaient comptés, les Douze convoquèrent le conseil pour aider à gouverner la ville et planifier son évacuation.

Membre de la nation Oneida, Lewis s’était fait baptiser avec sa famille en 1840. Il avait fait plusieurs missions, notamment une dans le territoire indien à l’ouest des États-Unis et s’était aventuré jusqu’aux montagnes Rocheuses. Sachant qu’il avait des amis et des parents parmi les nations indiennes de l’Ouest, Brigham l’invita à se joindre au conseil et à parler de ce qu’il savait des gens et des terres là-bas.

Lewis dit au conseil : « Au nom du Seigneur, je suis disposé à faire tout ce que je peux. »

Au fil des années, les saints étaient de plus en plus aigris contre le gouvernement de leur nation pour avoir refusé son aide. Les dirigeants de l’Église étaient maintenant déterminés à quitter le pays et à mettre en œuvre le plan de Joseph d’établir un nouveau lieu de rassemblement où ils pourraient élever une bannière pour les nations, comme le prophète Ésaïe l’avait prédit, et respecter les lois de Dieu en paix. Comme Joseph, Brigham voulait que le nouveau lieu de rassemblement se situe dans l’Ouest, parmi les Indiens, qu’il espérait rassembler comme une branche dispersée d’Israël.

S’adressant au conseil, il proposa d’envoyer Lewis et plusieurs autres membres en expédition vers l’ouest pour rencontrer les Indiens de plusieurs nations et expliquer l’objectif des saints en s’installant dans l’Ouest. Ils découvriraient aussi des lieux de rassemblement possibles.

Heber Kimball approuva le plan. Il dit : « Le temps que ces hommes cherchent cet endroit, le temple sera terminé et les saints auront reçu leur dotation. »

Le conseil approuva l’expédition et Lewis accepta de la diriger. En mars et avril, il assista aux réunions du conseil et suggéra à ses collègues des idées sur la meilleure façon de s’équiper pour l’expédition et d’atteindre son objectif. Fin avril, le conseil désigna quatre hommes pour accompagner Lewis dans son périple, notamment Phineas, le frère de Brigham, et un converti récent appelé Solomon Tindall, un Mohegan adopté par les Delaware.

Le convoi quitta Nauvoo peu après, traversant le Missouri en direction du territoire au sud-ouest.

Sur l’île de Tubuai, dans le Pacifique Sud, Addison Pratt calcula que cela faisait presque deux ans qu’il avait laissé sa femme et ses enfants à Nauvoo. Louisa lui avait certainement écrit, tout comme il l’avait fait à chaque occasion, mais il n’avait reçu aucun courrier de sa famille.

Malgré cela, il était reconnaissant envers le peuple de Tubuai qui lui avait permis de se sentir chez lui. La petite île comptait environ deux cents habitants et Addison avait travaillé dur, apprit leur langue et s’était fait de nombreux amis. Au bout d’une année sur l’île, il avait baptisé soixante personnes, dont Repa, la fille aînée du roi local. Il avait aussi baptisé un couple appelé Nabota et Telii, qui avaient partagé tout ce qu’ils avaient avec lui et l’avaient traité comme un membre de la famille. Pour Addison, c’était un festin spirituel que d’entendre Nabota et Telii prier pour les saints de Nauvoo et remercier le Seigneur de l’avoir envoyé en mission.

Même s’il avait le mal du pays en pensant à Louisa et à ses filles, cela lui donnait aussi l’occasion de réfléchir à la raison de leur sacrifice. Il était à Tubuai en raison de son amour pour Jésus-Christ et de son désir de sauver les enfants de Dieu. En sillonnant l’île pour rendre visite aux saints de Tubuai, il sentait souvent une chaleur et un amour qui émouvaient les personnes qui l’entouraient et lui-même jusqu’aux larmes.

Il écrivit dans son journal : « J’ai fait des amitiés ici que rien d’autre que les liens de l’Évangile éternel n’aurait pu créer. »

Trois mois plus tard, en juillet 1845, il apprit la mort de Joseph et d’Hyrum dans une lettre de Noah Rogers, son collègue missionnaire, qui servait alors plus loin à Tahiti. En lisant le récit des meurtres, son sang se glaça dans ses veines.

Environ une semaine plus tard, Noah lui écrivit de nouveau. L’œuvre missionnaire à Tahiti et sur les îles environnantes avait rencontré moins de succès qu’à Tubuai et les nouvelles de Nauvoo le perturbaient. Il avait une femme et neuf enfants à la maison et s’inquiétait pour leur sécurité. Ils avaient beaucoup souffert pendant le conflit du Missouri et il ne voulait pas qu’ils endurent d’autres épreuves sans lui. Il avait l’intention de prendre le prochain bateau de retour.

Addison avait toutes les raisons de le suivre. Avec la disparition de Joseph, il s’inquiétait lui aussi pour sa famille et pour l’Église. Il écrivit dans son journal : « Ce que seront les résultats, le Seigneur seul le sait. »

Noah partit quelques jours plus tard mais Addison décida de rester avec les saints de Tubuai. Le dimanche suivant, il prêcha trois sermons dans le dialecte local et un en anglais.

En Illinois, Louisa Pratt rendit visite à ses amis Erastus et Ruhamah Derby à Bear Creek, une petite colonie au sud de Nauvoo. Pendant qu’elle y était, des émeutiers incendièrent une colonie de saints voisine. Erastus partit immédiatement les défendre, laissant les deux femmes garder la maison au cas où des émeutiers attaqueraient aussi Bear Creek.

Cette nuit-là, Ruhamah fut trop effrayée pour dormir et insista pour monter la garde pendant que Louisa dormait. Lorsqu’elle se réveilla le matin, Louisa trouva son amie épuisée mais toujours sur le qui-vive. Une journée tendue se déroula sans incident et lorsque la nuit revint, Louisa essaya de convaincre Ruhamah de la laisser monter la garde. Au début, cette dernière semblait trop effrayée pour lui faire confiance mais elle finit par la persuader de dormir.

Lorsqu’Erastus revint quelques jours plus tard, les deux femmes étaient éreintées mais saines et sauves. Il leur dit que les membres de la colonie voisine vivaient sous des tentes et dans des chariots, exposés à la pluie et à la fraîcheur de la nuit. Lorsque Brigham eut vent de la nouvelle, il demanda aux saints qui habitaient hors de Nauvoo de se rassembler dans la sécurité de la ville. Espérant juguler la violence des émeutiers et gagner du temps pour accomplir le commandement du Seigneur de terminer le temple, il promit au gouverneur Ford qu’ils quitteraient la région d’ici le printemps.

Lorsque Louisa apprit cela, elle ne sut que faire. Avec Addison de l’autre côté du globe, elle avait l’impression de n’avoir ni les capacités ni les moyens de déplacer sa famille. Plus elle pensait à abandonner Nauvoo, plus elle était anxieuse.

Après une semaine de pluie, les cieux au-dessus de Nauvoo s’éclaircirent à temps pour la conférence de l’Église d’octobre 1845. La journée était inhabituellement chaude tandis que les saints de tous les coins de la ville gravissaient la colline jusqu’au temple et prenaient place dans la nouvelle salle de réunion du rez-de-chaussée. Bien que le reste de son intérieur fût largement inachevé, les murs extérieurs et le toit du bâtiment étaient terminés et le clocher étincelait au soleil.

En regardant les saints entrer en file dans la salle de réunion, Brigham se sentit déchiré. Il ne voulait pas abandonner le temple ni Nauvoo mais les attaques récentes des émeutiers n’étaient qu’un avant-goût de ce qui arriverait s’ils restaient en ville plus longtemps. Ce printemps-là, les hommes accusés du meurtre de Joseph et d’Hyrum avaient également été acquittés, prouvant une nouvelle fois aux saints que leurs droits et leurs libertés ne seraient pas respectés en Illinois.

Les comptes-rendus de Lewis Dana sur l’expédition chez les Indiens furent positifs et au fil des quelques dernières semaines, les apôtres et le conseil de cinquante avaient discuté de nouveaux lieux de rassemblement possibles. Les dirigeants de l’Église s’intéressaient à la vallée du Grand Lac Salé, de l’autre côté des montagnes Rocheuses. Les descriptions de la vallée du Lac Salé étaient prometteuses et Brigham croyait que les saints pourraient s’installer près de là puis se disperser et coloniser la côte Pacifique.

Malgré tout, la vallée se trouvait à deux mille deux cents kilomètres, de l’autre côté d’un désert vaste et inconnu avec peu de routes et presque aucun magasin où ils pourraient acheter de la nourriture et du matériel. Les saints savaient déjà qu’ils devaient quitter Nauvoo mais pouvaient-ils entreprendre un voyage aussi long et aussi potentiellement dangereux ?

Brigham était certain qu’ils pouvaient le faire avec l’aide du Seigneur et il avait l’intention de profiter de la conférence pour motiver et rassurer les membres de l’Église. Parley Pratt parla le premier lors de la session de l’après-midi, faisant allusion au projet de l’Église de s’installer dans l’Ouest. Il déclara : « Le Seigneur a l’intention de nous conduire vers un champ d’action plus étendu, où il y aura davantage de place pour permettre aux saints de se multiplier et où nous pourrons jouir des principes purs de la liberté et de droits égaux. »

En 1897, George Q. GeorgeA. Smith se tint ensuite à la chaire et parla des persécutions que les saints avaient subies au Missouri. Menacés par un ordre d’extermination, ils avaient évacué l’État ensemble, faisant alliance de n’abandonner personne. Il voulait qu’ils fassent la même chose maintenant, qu’ils donnent tout ce qu’ils avaient pour aider ceux qui ne pouvaient pas faire le voyage par leurs propres moyens.

Lorsqu’il eut terminé, Brigham proposa qu’ils fassent alliance les uns avec les autres et avec le Seigneur de n’abandonner aucune personne qui souhaitait aller dans l’Ouest. Heber Kimball demanda un vote de soutien et les saints levèrent la main en signe de leur bonne volonté de respecter leur serment.

Brigham promit : « Si vous êtes fidèles à votre alliance, je prophétise maintenant que le grand Dieu déversera sur ce peuple des moyens permettant d’accomplir cela à la lettre. »

Dans les mois qui suivirent la conférence, les saints firent usage de chaque scie, marteau, enclume et aiguille à coudre pour fabriquer et équiper les chariots pour le périple vers l’ouest. Les ouvriers redoublèrent aussi d’efforts sur le temple afin qu’il soit suffisamment achevé pour permettre aux saints de recevoir les ordonnances avant de quitter la ville.

Pendant qu’ils préparaient les combles pour la dotation et les scellements, les baptêmes pour les morts se poursuivaient au sous-sol. Sous la direction du Seigneur, Brigham demanda que les hommes ne soient plus baptisés en faveur de femmes ni les femmes en faveur d’hommes.

Plus tôt cette année-là, il avait enseigné aux saints : « Pendant sa vie, Joseph n’a pas reçu toute chose en relation avec la doctrine de la rédemption, mais il a laissé la clé à ceux qui comprennent comment obtenir et enseigner à ce grand peuple tout ce qui est nécessaire à son salut et son exaltation dans le royaume céleste de notre Dieu. »

La modification de l’ordonnance montrait que le Seigneur continuait de révéler sa volonté à son peuple. Brigham déclara : « Pendant tout ce temps, le Seigneur a dirigé ce peuple, de cette manière, en lui donnant un peu ici et un peu là. Il le fait ainsi progresser en sagesse et celui qui reçoit un peu et en est reconnaissant recevra davantage et davantage et davantage. »

En décembre, les combles du temple furent achevés et les apôtres les préparèrent pour la dotation. Avec l’aide d’autres saints, ils suspendirent de lourds rideaux pour diviser la grande salle en plusieurs pièces ornées de plantes et de peintures murales. À l’extrémité est, ils cloisonnèrent un grand espace réservé à la salle céleste, l’endroit le plus sacré du temple, et le décorèrent de miroirs, de tableaux, de cartes et d’une magnifique horloge en marbre.

Les apôtres invitèrent ensuite les saints à entrer dans le temple recevoir leurs bénédictions. Les hommes et les femmes qui avaient été précédemment dotés remplirent tour à tour les divers rôles de la cérémonie. Guidant les saints d’une pièce à l’autre, ils les instruisirent davantage sur le plan de Dieu pour ses enfants et leur firent contracter des alliances supplémentaires de vivre l’Évangile et de se consacrer à l’édification de son royaume.

Vilate Kimball et Ann Whitney administraient les ordonnances de l’ablution et de l’onction aux femmes. Eliza Snow, aidée par d’autres femmes précédemment dotées, les guidait ensuite à travers le reste des ordonnances. Brigham appela Mercy Thompson à s’installer à plein-temps dans le temple pour participer à l’œuvre qui s’y déroulait.

Au début de la nouvelle année, les apôtres commencèrent à sceller les couples pour le temps et l’éternité. Bientôt, plus d’un millier de couples reçurent la nouvelle alliance éternelle du mariage. Parmi eux se trouvaient Sally et William Phelps, Lucy et Isaac Morley, Ann et Philo Dibble, Caroline et Jonathan Crosby, Lydia et Newel Knight, Drusilla et James Hendricks et d’autres hommes et femmes qui avaient suivi l’Église de lieu en lieu et consacré leur vie à Sion.

Les apôtres scellèrent également des enfants à leurs parents et des hommes et des femmes à leur conjoint décédé. Joseph Knight, père, qui s’était réjoui avec Joseph le matin où il avait rapporté les plaques d’or à la maison, fut scellé par procuration à sa femme, Polly, la première membre enterrée dans le comté de Jackson, au Missouri. Certains participèrent à des scellements spéciaux d’adoption qui les unissaient à la famille éternelle d’amis proches.

Le plan du Seigneur de former une chaîne soudée de saints et leur famille, liés à lui et les uns aux autres par la prêtrise, devenait avec chaque ordonnance une réalité.

Cet hiver-là, les ennemis de l’Église étaient en effervescence, sceptiques que les saints tiennent leur promesse de partir au printemps. Brigham et d’autres apôtres furent accusés faussement de crimes, ce qui les obligea à rester hors de vue et même parfois à se cacher dans le temple. Des rumeurs circulaient selon lesquelles le gouvernement américain doutait de la loyauté des saints et voulait envoyer des troupes pour les empêcher de quitter le pays et de se liguer avec les puissances étrangères qui contrôlaient les terres occidentales.

La pression pour partir était si intense que les apôtres décidèrent que les dirigeants de l’Église, leurs familles et les autres personnes ciblées par les persécutions devaient s’en aller dès que possible. Ils croyaient qu’en traversant le Mississippi jusqu’en Iowa, cela retiendrait leurs ennemis un peu plus longtemps et éviterait d’autres actes de violence.

Début janvier 1846, les apôtres finalisèrent leurs plans pour l’exode avec le conseil de cinquante. Avant de partir, ils nommèrent des agents pour gérer les propriétés qu’ils abandonnaient et vendre ce qu’ils pouvaient pour aider les plus pauvres à faire le voyage. Ils voulaient également laisser quelques hommes sur place pour finir et consacrer le temple.

Brigham et les Douze étaient maintenant décidés à rassembler les saints dans les vallées derrières les montagnes Rocheuses. Après avoir jeûné et prié quotidiennement dans le temple, Brigham avait eu une vision de Joseph, l’index pointé vers le sommet d’une montagne où flottait une bannière. Il lui avait dit de bâtir une ville à l’ombre de cette montagne.

Brigham croyait que peu de gens convoiteraient la région qui était moins fertile que les plaines à l’est des montagnes. Il espérait aussi que ces dernières les protègeraient contre leurs ennemis et offriraient un climat tempéré. Il souhaitait également qu’une fois installés dans la vallée, ils établissent des ports sur la côte Pacifique pour recevoir les émigrants arrivant d’Angleterre et de l’Est des États-Unis.

Le conseil fut de nouveau convoqué deux jours plus tard et Brigham repensa au désir de Joseph d’accomplir la prophétie d’Ésaïe et de hisser une bannière pour les nations. Il dit au conseil : « La parole des prophètes ne se vérifiera jamais à moins qu’une maison du Seigneur ne soit élevée aux sommets des montagnes et que la fière bannière de la liberté ne flotte au-dessus des vallées encaissées dans les montagnes.

Je sais où se trouve l’endroit et je sais comment faire le drapeau. »

Le 2 février, après que des milliers de saints eurent reçu les ordonnances du temple, les apôtres annoncèrent qu’ils allaient cesser d’œuvrer dans le temple et préparer plutôt des bateaux pour transporter les chariots de l’autre côté du Mississippi gelé. Brigham envoya des messagers aux capitaines des compagnies leur commandant de se tenir prêts sous quatre heures. Il continua ensuite à administrer la dotation aux saints jusque tard dans la soirée, exigeant la présence des greffiers du temple jusqu’à ce que chaque ordonnance soit correctement enregistrée.

Lorsqu’il se leva le lendemain, une foule de saints vinrent à sa rencontre à l’extérieur du temple, impatients de recevoir leur dotation. Il leur dit qu’il n’était pas sage de retarder leur départ. S’ils restaient pour faire d’autres dotations, ils risquaient d’être gênés ou empêchés de sortir de la ville. Il promit qu’ils construiraient d’autres temples et auraient d’autres possibilités de recevoir leurs bénédictions dans l’Ouest.

Puis, il s’éloigna, s’attendant à ce que les saints se dispersent mais, au contraire, ils gravirent les marches du temple et remplirent les salles. Il fit demi-tour et les suivit à l’intérieur. En lisant l’inquiétude sur leurs visages, il changea d’avis. Ils savaient qu’ils avaient besoin de la dotation de pouvoir pour supporter les difficultés qui les attendaient, vaincre l’aiguillon de la mort et retourner dans la présence de Dieu.

Le reste de la journée, les servants du temple administrèrent les ordonnances à des centaines de saints. Le lendemain, 4 février 1846, cinq cents saints reçurent leur dotation pendant que les premiers chariots quittaient Nauvoo.

Enfin, le 8 février, Brigham et les apôtres se réunirent à l’étage supérieur du temple. Ils s’agenouillèrent autour de l’autel et prièrent, invoquant la bénédiction de Dieu sur le peuple en partance pour l’Ouest et sur ceux qui resteraient à Nauvoo pour achever le temple et le lui consacrer.

Les jours et les semaines suivantes, des compagnies de saints chargèrent leurs chariots et leurs bœufs sur des bacs et leur firent traverser le fleuve, rejoignant ceux qui avaient déjà fait la traversée. En grimpant sur le promontoire à quelques kilomètres à l’ouest du fleuve, de nombreux saints regardèrent Nauvoo et firent avec émotion leurs adieux au temple.

Jour après jour, Louisa Pratt regarda ses amis et ses voisins quitter la ville. Elle redoutait toujours l’idée de partir vers l’ouest sans l’aide ni la compagnie d’Addison. Tout le monde s’attendait à ce que le voyage soit rempli de dangers imprévus mais jusqu’à présent, personne ne lui avait demandé si elle était prête à le faire. Et aucun des hommes qui avait appelé Addison en mission n’avait offert de l’aider à déménager.

Le lendemain du jour où elle exprima ses sentiments, une amie dit : « Sœur Pratt, ils s’attendent à ce que tu sois assez maline pour y aller sans aide et même pour aider les autres. »

Louisa y réfléchit pendant un instant. Elle dit : « Bon, je vais leur montrer ce dont je suis capable. »

La neige tournoyant autour d’elle, Emily Partridge frissonnait tandis qu’elle était assise sur un arbre abattu le long de la berge occidentale du Mississippi. Sa mère et ses sœurs avaient franchi le fleuve six jours plus tôt et campaient dans les environs mais Emily ne savait pas où. Comme de nombreux saints qui avaient quitté Nauvoo, elle était fatiguée, affamée et appréhendait le voyage qui l’attendait. C’était la quatrième fois qu’elle était chassée de chez elle à cause de sa foi.

D’aussi loin que remontaient ses souvenirs, elle était sainte des derniers jours. Enfant, elle avait regardé son père et sa mère endurer persécution et pauvreté pour servir Jésus-Christ et établir Sion. À seize ans, lorsque des émeutiers avaient chassé sa famille du Missouri, Emily avait déjà passé une grande partie de sa vie à chercher un lieu de refuge et de paix.

À presque vingt-deux ans, elle avait entrepris un autre voyage. À la mort de Joseph, elle avait épousé Brigham Young en tant que femme plurale. En octobre dernier, ils avaient eu un fils, Edward Partridge Young, du nom du père d’Emily. Deux mois plus tard, elle entra dans le temple et reçut sa dotation.

Si son bébé survivait au périple, il grandirait dans les montagnes, à l’abri des émeutiers de la jeunesse de sa mère. Par contre, il ne saurait jamais, comme Emily le savait, ce que c’était de vivre dans le comté de Jackson ou à Nauvoo. Il ne rencontrerait jamais Joseph Smith ni ne l’entendrait prêcher aux saints un dimanche après-midi.

Avant de franchir le fleuve, Emily était passée à la Nauvoo Mansion pour voir le bébé de Joseph et Emma, David Hyrum, né cinq mois après la mort du prophète. Les mauvais sentiments qui avaient existé entre Emma et Emily avaient disparu et Emma l’invita à rentrer et la traita avec gentillesse.

Emma et les enfants ne partaient pas vers l’ouest. Sa lutte pour accepter le mariage plural et les disputes continuelles sur des biens continuaient de compliquer ses rapports avec l’Église et les Douze. Elle croyait toujours au Livre de Mormon et avait un puissant témoignage de l’appel de prophète de son mari mais au lieu de suivre les apôtres, elle avait choisi de rester à Nauvoo avec d’autres membres de la famille Smith.

Assise au bord du Mississippi, Emily avait de plus en plus froid tandis que de gros flocons s’accumulaient sur ses vêtements. Brigham était encore à Nauvoo, en train de superviser l’exode, donc elle se leva et porta son bébé d’un feu de camp à l’autre, à la recherche de chaleur et d’un visage familier. Sous peu, elle retrouva sa sœur Eliza et se joignit à elle dans un camp de saints installé dans un endroit appelé Sugar Creek. Là, elle vit des familles blotties dans des tentes et des chariots, se cramponnant les uns aux autres pour se tenir chaud et se consoler du froid et d’un avenir incertain.

Nul dans le camp ne savait ce que le matin leur réserverait. Néanmoins, ils ne s’élançaient pas aveuglément vers l’inconnu. Ils avaient fait alliance avec Dieu dans le temple, ce qui fortifiait leur foi en son pouvoir de les guider et de les soutenir pendant leur voyage. Chacun était confiant que, quelque part dans l’Ouest, au creux des montagnes Rocheuses, ils trouveraient un lieu où se rassembler, bâtir un autre temple et établir le royaume de Dieu sur terre.





TOME 2

AUCUNE MAIN IMPIE
1846-1893




PREMIÈRE PARTIE : Lève-toi et va (octobre 1845 - août 1852)
CHAPITRE 1 : Faites un convoi
CHAPITRE 2 : Une gloire suffisante
CHAPITRE 3 : La volonté du Seigneur
CHAPITRE 4 : Une bannière pour les nations
CHAPITRE 5 : Écrasé par le fardeau
CHAPITRE 6 : Comme sept tonnerres
CHAPITRE 7 : Gardons courage
CHAPITRE 8 : Époque de pénurie
CHAPITRE 9 : Selon ce que dicte l'Esprit
CHAPITRE 10 : La vérité et la justice

DEUXIÈME PARTIE : Préparez le chemin du Seigneur
CHAPITRE 11 : Un grand honneur
CHAPITRE 12 : Tournés vers Sion
CHAPITRE 13 : Par tous les moyens possibles
CHAPITRE 14 : Difficulté de la séparation
CHAPITRE 15 : Par tempête et par beau temps
CHAPITRE 16 : Sans douter
CHAPITRE 17 : Réforme de la famille
CHAPITRE 18 : Trop tard
CHAPITRE 19 : Dans les chambres du Seigneur
CHAPITRE 20 : L'Écriture vue sur le mur
CHAPITRE 21 : Une même oeuvre et un même esprit
CHAPITRE 22 : Comme des charbons ardents
CHAPITRE 23 : Un tout harmonieux

TROISIÈME PARTIE : L'heure de l'épreuve
CHAPITRE 24 : Une oeuvre immense
CHAPITRE 25 : La dignité de l'appel
CHAPITRE 26 : Pour le plus grand profit de Sion
CHAPITRE 27 : Comme un feu de prairie
CHAPITRE 28 : Jusqu'à la venue du Fils de l'Homme
CHAPITRE 29 : Mourir sous le harnais
CHAPITRE 30 : Une marche constante
CHAPITRE 31 : Les fragments de ma vie
CHAPITRE 32 : Relever notre col et subir la pluie
CHAPITRE 33 :Jusqu'à ce que l'orage soit passé
CHAPITRE 34 : Rien à craindre des méchants
CHAPITRE 35 : Un jour d'épreuve
CHAPITRE 36 : Les choses faibles du monde

QUATRIÈME PARTIE : Un temple au coeur des montagnes
CHAPITRE 37 : Vers le trône de la grâce
CHAPITRE 38 : Quand je le jugerai bon
CHAPITRE 39 : Entre les mains de Dieu
CHAPITRE 40 : C'était la chose à faire
CHAPITRE 41 : Si longtemps submergé
CHAPITRE 42 : À la fontaine divine
CHAPITRE 43 : Un plus grand besoin d'unité
CHAPITRE 44 : Une paix bienheureuse

À PROPOS DES SOURCES
SOURCES
REMERCIEMENTS





PREMIÈRE PARTIELève-toi et va (octobre 1845 - août 1852)


CHAPITRE 1  : Réunissez un convoi

Des milliers de saints des derniers jours font silence lorsque la voix de Lucy Mack Smith résonne dans la grande salle du premier étage du temple de Nauvoo presque achevé.

C’est le matin du 8 octobre 1845, le troisième et dernier jour de la conférence d’automne de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Sachant qu’elle n’aura plus beaucoup d’occasions de s’adresser aux saints (surtout maintenant qu’ils prévoient de quitter Nauvoo pour un nouveau foyer dans l’Ouest lointain), Lucy parle avec une puissance dépassant son frêle corps de soixante-dix ans.

Elle témoigne : « Le 22 septembre dernier, cela a fait dix-huit ans que Joseph a déterré les plaques, et lundi dernier, cela a fait dix-huit ans que Joseph Smith, le prophète de Dieu… »

Elle se tait en pensant à lui, son fils martyr. Les saints dans la salle savent comment un ange du Seigneur l’a conduit jusqu’à un jeu de plaques d’or enterré dans une colline appelée Cumorah. Ils savent qu’il a traduit les plaques par le don et le pouvoir de Dieu et publié les annales sous le titre de Livre de Mormon. Pourtant, combien d’entre eux l’ont véritablement connu ?

Lucy se souvient encore du moment où Joseph, alors âgé de vingt et un ans, lui a dit pour la première fois que Dieu lui avait confié les plaques. Elle s’était inquiétée toute la matinée, craignant qu’il ne revienne de la colline les mains vides, comme les quatre années précédentes. Mais en arrivant, il l’avait rapidement apaisée. Il avait dit : « Ne t’inquiète pas. Tout va bien. » Puis, en guise de preuve, il lui avait tendu un mouchoir dans lequel étaient enveloppés les interprètes que le Seigneur avait fournis pour la traduction des plaques.

Il n’y avait qu’une poignée de croyants à l’époque, dont la plupart étaient membres de la famille Smith. Maintenant, plus de onze mille saints venant d’Amérique du Nord et d’Europe vivent à Nauvoo, en Illinois, où l’Église se rassemble depuis six ans. Certains sont de nouveaux membres et n’ont pas eu l’occasion de faire la connaissance de Joseph ni de son frère Hyrum avant que les émeutiers ne tirent sur les deux hommes en juin 1844 et ne les assassinent. C’est la raison pour laquelle Lucy veut parler des défunts. Elle veut témoigner de l’appel prophétique de Joseph et du rôle de sa famille dans le rétablissement de l’Évangile avant que les saints ne déménagent.

Depuis plus d’un mois, des émeutiers incendiaient leurs maisons et leurs entreprises dans les colonies voisines. Craignant pour leur vie, de nombreuses familles s’étaient enfuies vers la sécurité relative de Nauvoo. Mais les émeutiers n’avaient fait que recevoir des renforts et s’organiser davantage au fil des semaines et assez vite, des escarmouches armées avaient éclaté entre les saints et eux. En attendant, les autorités de l’état et le gouvernement national ne faisaient rien pour protéger les droits des saints.

Croyant que ce n’était qu’une question de temps avant que les émeutiers n’attaquent Nauvoo, les dirigeants de l’Église avaient négocié un accord de paix fragile en acceptant d’évacuer les saints du comté pour le printemps.

Guidés par la révélation divine, Brigham Young et les autres membres du Collège des douze apôtres envisageaient de les installer à plus de mille six cents kilomètres à l’ouest, au-delà des montagnes Rocheuses, juste en dehors de la frontière des États-Unis. En qualité de collège président de l’Église, les Douze avaient annoncé cette décision aux saints le premier jour de la conférence d’automne.

L’apôtre Pratt (Parley) avait déclaré : « Le Seigneur envisage de nous guider vers un champ d’action plus large où nous pourrons jouir des principes purs de la liberté et de l’égalité des droits. »

Lucy savait que les saints l’aideraient à faire le voyage si elle décidait de partir. Des révélations leur commandaient de se réunir en un seul endroit et les Douze étaient déterminés à exécuter la volonté du Seigneur. Mais Lucy était âgée et croyait qu’elle n’en avait plus pour longtemps à vivre. À sa mort, elle souhaitait être enterrée à Nauvoo, près de Joseph, d’Hyrum et des autres membres de sa famille décédés, dont son mari, Joseph Smith, père.

De plus, la majorité des membres vivants de sa famille restaient à Nauvoo. William, le dernier de ses fils encore en vie, avait été membre du Collège des Douze, mais avait rejeté leur direction et refusait de se rendre dans l’Ouest. Ses trois filles, Sophronia, Katharine et Lucy, restaient aussi en arrière, tout comme sa belle-fille Emma, la veuve du prophète.

En parlant à l’assemblée, elle exhorta son auditoire à ne pas se faire du souci pour le voyage. Elle dit : « Ne vous découragez pas en disant que vous n’arrivez pas à avoir de chariots ni de matériel. » En dépit de la pauvreté et des persécutions, sa famille avait mené à bien le commandement du Seigneur de publier le Livre de Mormon. Elle les encouragea à obéir à leurs dirigeants et à se traiter mutuellement avec égards.

Elle dit : « Comme dit Brigham, vous devez être entièrement honnêtes ou vous n’arriverez pas à destination. Si vous vous fâchez, vous allez avoir des problèmes. »

Lucy reparla de sa famille, des persécutions terribles qu’ils avaient endurées au Missouri et en Illinois, et des épreuves qui attendaient les saints. Elle dit : « Je prie que le Seigneur bénisse les chefs de l’Église, Brigham Young et les autres. Lorsque j’irai dans un autre monde, je veux vous y retrouver tous. »

Un peu plus d’un mois plus tard, Wilford Woodruff, apôtre et président de la mission britannique de l’Église, trouva une lettre de Brigham Young qui l’attendait dans son bureau à Liverpool, en Angleterre. Brigham disait à son ami : « Nous avons eu pas mal de chagrin et d’ennuis ici cet automne. Il est donc souhaitable de notre part de nous retirer, ceci étant la seule condition pour avoir la paix. »

Wilford fut inquiet mais pas surpris. Il avait lu dans les journaux des rapports d’attaques d’émeutiers aux environs de Nauvoo. Toutefois, jusque-là, il ne mesurait pas la gravité de la situation. Après avoir lu la lettre, il se dit : « Nous vivons à une époque bien étrange. » Le gouvernement des États-Unis prétendait protéger les opprimés et offrir un refuge aux exilés, mais Wilford ne se souvenait pas d’une occasion où les saints en eussent bénéficié.

Il écrivit dans son journal : « L’État d’Illinois et l’ensemble des États-Unis ont rempli leur coupe d’iniquité et c’est une bonne chose que les saints s’en retirent. »

Heureusement, la plupart des membres de sa famille étaient hors de danger. Sa femme, Phebe, et leurs plus jeunes enfants, Susan et Joseph, étaient avec lui en Angleterre. Leur autre fille, Phebe Amelia, était chez des parents dans l’est des États-Unis, à plus de mille six cents kilomètres de la menace.

Par contre, Willy, leur fils aîné, était encore à Nauvoo, sous la garde d’amis proches. Dans sa lettre, Brigham mentionnait que le garçon était en sécurité, mais Wilford avait quand même hâte de réunir sa famille.

En qualité de président de collège, Brigham lui communiquait quelques instructions sur la suite à donner. Il conseillait : « Ne nous envoie plus d’émigrants, mais fais-les attendre en Angleterre jusqu’à ce qu’ils puissent faire la traversée de l’Océan Pacifique. » Quant aux missionnaires américains, il voulait que ceux qui n’avaient pas encore reçu leurs ordonnances du temple retournent immédiatement à Nauvoo pour les recevoir.

Les jours suivants, Wilford écrivit aux frères américains qui prêchaient en Angleterre, les informant des persécutions à Nauvoo. Bien que Phebe et lui eussent déjà reçu leurs ordonnances, ils décidèrent de rentrer également chez eux.

Dans un discours d’adieu aux saints britanniques, il expliqua : « Ma famille est dispersée sur trois mille kilomètres à travers les États-Unis. Il me paraît actuellement de mon devoir de repartir là-bas et de réunir mes enfants afin qu’ils puissent partir avec le camp des saints. »

Wilford appela Reuben Hedlock, le président de mission précédent, à présider de nouveau en Grande-Bretagne. Bien qu’il n’eût pas totalement confiance en lui à cause de sa mauvaise gestion des fonds de l’Église par le passé, personne d’autre en Angleterre n’avait plus d’expérience pour diriger une mission. En outre, Wilford disposait de peu de temps pour trouver un meilleur remplaçant. Après avoir rejoint le Collège des Douze, il recommanderait qu’on appelle un autre homme pour prendre la place de Reuben.

Pendant que sa femme et lui se préparaient à retourner à Nauvoo, Samuel Brannan, l’ancien présidant l’Église à New York City, entendit une rumeur selon laquelle le gouvernement des États-Unis préférait désarmer et exterminer les saints plutôt que de leur permettre de quitter le pays et de s’entendre avec le Mexique ou la Grande-Bretagne, deux nations qui revendiquaient de vastes régions dans l’Ouest. Inquiet, Sam écrivit immédiatement à Brigham Young pour l’avertir du danger.

Sa lettre arriva à Nauvoo au milieu de nouveaux périls. Brigham et les autres apôtres venaient d’être assignés en justice, étant faussement accusés de contrefaçons, et des hommes de loi cherchaient maintenant à les arrêter. Après avoir lu la lettre de Sam, les apôtres prièrent pour être protégés, demandant au Seigneur de guider les saints en sécurité hors de la ville.

Peu après, Thomas Ford, le gouverneur d’Illinois, sembla confirmer le rapport de Sam. Il avertit : « Il est très probable que le gouvernement à Washington DC. interfère pour empêcher les saints de se rendre à l’ouest des montagnes Rocheuses. De nombreuses personnes intelligentes croient sincèrement qu’ils se joindront aux Britanniques s’ils vont là-bas et causeront plus de tumulte que jamais. »

En janvier 1846, Brigham se réunit souvent avec le Collège des Douze et le conseil des cinquante, une organisation qui supervisait les préoccupations matérielles du royaume de Dieu ici-bas, pour planifier le meilleur moyen d’évacuer rapidement les saints de Nauvoo et d’établir un nouveau lieu de rassemblement. Heber Kimball, son collègue apôtre, recommanda de conduire dès que possible un petit convoi de saints vers l’ouest.

Il conseilla : « Réunissez un convoi qui a les moyens de s’équiper et qui sera prêt à partir à tout moment afin de préparer un endroit pour recevoir ses familles et les pauvres. »

L’apôtre Pratt (Orson) fit remarquer : « Si l’on veut qu’un convoi parte en avant-garde et fasse les semailles ce printemps, il faudra qu’il se mette en route dès le début février. » Il se demandait s’il ne serait pas plus sage de s’installer un peu plus près afin de planter plus tôt.

L’idée déplut à Brigham. Le Seigneur avait déjà commandé aux saints de s’installer près du Grand Lac Salé. Le lac faisait partie du Grand Bassin, une immense région en forme de bol bordée de montagnes. La terre de la plus grande partie du bassin était aride et difficile à cultiver, la rendant inintéressante pour de nombreux Américains en route vers l’ouest.

Brigham raisonna : « Si nous allons entre les montagnes, à l’endroit que nous envisageons, aucune nation ne nous jalousera. » Il savait que la région était déjà habitée par des peuples indigènes. Il espérait quand même que les saints pourraient s’installer paisiblement parmi eux.

Au fil des années, les saints avaient essayé de parler de l’Évangile aux Amérindiens aux États-Unis et ils comptaient faire de même avec les peuples indigènes de l’Ouest. Comme la plupart des blancs aux États-Unis, de nombreux saints considéraient que leur culture était supérieure à celle des Indiens et ne savaient pas grand-chose de leurs langues ni de leurs coutumes. Néanmoins, ils les considéraient aussi comme étant membres de la maison d’Israël et alliés potentiels, et ils espéraient tisser des liens d’amitié avec les Utes, les Shoshones et d’autres tribus occidentales.

Le 13 janvier, Brigham se réunit de nouveau avec les conseils afin de savoir combien de saints étaient prêts à quitter Nauvoo avec un préavis de six heures. Il était certain que la plupart d’entre eux seraient en sécurité dans la ville jusqu’à l’échéance du printemps. Pour s’assurer que le convoi d’avant-garde se déplace rapidement, il y voulait aussi peu de familles que possible.

Il dit : « Tous ces hommes qui sont en danger et risquent d’être poursuivis en justice, allez et prenez leurs familles. » Tous les autres devaient attendre le printemps pour partir dans l’Ouest, après que le convoi d’avant-garde aurait atteint les montagnes et fondé la nouvelle colonie.

L’après-midi du 4 février 1846, la lumière du soleil dansait sur le port de New York alors qu’une foule se pressait sur le quai pour dire au revoir au Brooklyn, un navire de quatre cent cinquante tonnes partant pour la baie de San Francisco, sur la côte californienne, une région faiblement colonisée du nord-ouest du Mexique. Sur le pont du navire, plus de deux cents saints, dont la plupart étaient trop pauvres pour faire le voyage vers l’ouest en chariot, faisaient des signes de la main à leurs parents et amis.

Sam Brannan, vingt-six ans, était à leur tête. Après la conférence d’octobre, les Douze avaient commandé à Sam d’affréter un navire et d’escorter un convoi de saints de l’Est jusqu’en Californie où ils attendraient le rendez-vous avec le groupe principal de l’Église quelque part dans l’Ouest.

Orson Pratt avait averti : « Fuyez hors de Babylone ! Nous ne voulons pas qu’un seul saint soit laissé aux États-Unis. »

Sam affréta rapidement le Brooklyn à un prix raisonnable et des ouvriers construisirent trente-deux petites cabines pour installer les passagers. Il demanda aux saints d’emporter des charrues, des pelles, des houes, des fourches et d’autres outils dont ils auraient besoin pour cultiver la terre et construire des maisons. Ne sachant ce qui les attendait, ils chargèrent une réserve ample de nourriture et de provisions, du bétail, trois moulins à grain, des meulières, des tours, des clous, une presse d’imprimerie et des armes à feu. Une société caritative avait donné suffisamment de livres pour constituer une bonne bibliothèque sur le navire.

Pendant que Sam se préparait au voyage, un politicien qu’il connaissait à Washington l’avertit que les États-Unis étaient toujours déterminés à empêcher les saints de quitter Nauvoo. Il lui dit également qu’un homme d’affaires et lui-même, ayant des intérêts en Californie, étaient disposés à faire pression sur le gouvernement en faveur de l’Église en échange de la moitié des terres acquises par les saints dans l’Ouest.

Sam savait que les termes du marché n’étaient pas bons, mais il croyait que ces hommes étaient ses amis et qu’ils pouvaient protéger les saints. Quelques jours avant de monter à bord du Brooklyn, Sam fit rédiger un contrat et l’envoya à Brigham en le pressant de le signer. Il promit : « Tout ira bien. »

Il l’informa également de son intention de fonder une ville dans la baie de San Francisco, peut-être comme nouveau lieu de rassemblement pour les saints. Il écrivit : « Je choisirai l’endroit le plus adapté. Avant que vous y arriviez, si telle est la volonté du Seigneur, j’aurai tout préparé pour vous. »

Lorsque le Brooklyn largua ses amarres, Sam était certain d’avoir assuré la sécurité des saints qui quittaient Nauvoo et d’avoir organisé un voyage sans encombre pour son convoi. La route du bateau suivrait les courants marins autour de la pointe méridionale tumultueuse de l’Amérique du Sud et jusqu’au cœur du Pacifique. En arrivant en Californie, ils fonderaient leur ville et commenceraient une nouvelle vie dans l’Ouest.

Pendant qu’un bateau à vapeur guidait le Brooklyn loin du quai, la foule des proches sur la jetée lança un triple hourra aux saints qui répondirent de la même façon. Le vaisseau fit ensuite route jusqu’à l’embouchure étroite du port, largua ses huniers et fut poussé par la brise vers l’océan Atlantique.

Le jour même où le Brooklyn mettait les voiles en direction de la Californie, les quinze chariots du convoi d’avant-garde traversaient le Mississippi jusqu’au Territoire de l’Iowa, juste à l’ouest de Nauvoo, et installaient le campement à Sugar Creek.

Quatre jours plus tard, Brigham Young se réunit une dernière fois avec les apôtres dans le temple de Nauvoo. Bien que le temple dans son ensemble n’eût pas été consacré, les combles l’étaient et ils y avaient administré la dotation à plus de cinq mille saints avides. Ils avaient également scellé environ mille trois cents couples pour le temps et pour l’éternité. Certains de ces scellements étaient des mariages pluraux que quelques saints fidèles avaient commencé de pratiquer en privé à Nauvoo, en accord avec un principe que le Seigneur avait révélé à Joseph Smith au début des années 1830.

Brigham avait prévu d’arrêter d’accomplir les ordonnances le 3 février, la veille du départ des premiers chariots, mais les saints avaient envahi le temple toute la journée, impatients de recevoir les ordonnances avant de partir. D’abord, il les avait congédiés. Il avait insisté : « Nous bâtirons d’autres temples et aurons d’autres occasions de recevoir les bénédictions du Seigneur. Nous avons été abondamment récompensés dans ce temple, si cela s’arrête là. »

S’attendant à ce que la foule se disperse, Brigham s’était mis en route pour rentrer chez lui. Mais il n’était pas allé loin avant de faire demi-tour et de trouver le temple regorgeant de personnes affamées et assoiffées de la parole du Seigneur. Ce jour-là, deux cent quatre-vingt-quinze saints supplémentaires reçurent leurs bénédictions du temple.

Une fois les ordonnances achevées, les apôtres s’agenouillèrent autour de l’autel et prièrent pour faire bon voyage vers l’Ouest. Nul n’aurait pu prédire les épreuves qui les attendraient dans les semaines et les mois à venir. Les guides et les cartes décrivaient des pistes non balisées sur une grande partie du chemin jusqu’aux montagnes. Les fleuves et les rivières étaient nombreux le long du chemin et beaucoup de bisons et de gibier vagabondaient dans les plaines. Les saints n’avaient encore jamais voyagé sur un terrain semblable.

Refusant de laisser qui que ce soit en danger, ils avaient fait alliance les uns avec les autres d’aider quiconque voulait partir pour l’Ouest, en particulier les pauvres, les malades ou les personnes veuves. Lors de la conférence d’octobre, dans le temple, Brigham leur avait promis : « Si vous êtes fidèles à votre alliance, je prophétise maintenant que le grand Dieu déversera sur ce peuple des moyens permettant d’accomplir cela à la lettre. »

Le 15 février, le fardeau de cette alliance pesait lourdement sur Brigham tandis qu’il franchissait le Mississippi. Cet après-midi-là, il poussa et tira des chariots jusqu’au sommet d’une colline enneigée et boueuse à six kilomètres à l’ouest du fleuve. Il ne restait que quelques heures avant que la tombée de la nuit n’assombrisse le chemin devant lui, mais Brigham restait déterminé à ne pas se reposer tant que chaque chariot de saints des derniers jours ne serait pas arrivé en sécurité à Sugar Creek.

Le projet d’envoyer un petit convoi d’avant-garde vers les montagnes cette année-là prenait déjà du retard. Brigham et les autres dirigeants de l’Église avaient quitté la ville plus tard que prévu et certains saints, ne tenant aucun compte du conseil de rester à Nauvoo, avaient franchi le fleuve et campaient avec le convoi d’avant-garde à Sugar Creek. Après s’être enfuies aussi rapidement de la ville, de nombreuses familles sur la piste étaient désorganisées, mal équipées et mal préparées.

Brigham ne savait pas encore quoi faire. Ces saints ralentiraient certainement les autres, mais il ne voulait pas les renvoyer à la ville maintenant qu’ils en étaient partis. Dans son esprit, Nauvoo était devenue une prison, un endroit indigne du peuple de Dieu. La route de l’Ouest était la liberté.

Les Douze et lui devraient simplement aller de l’avant, confiants que le Seigneur les aiderait à trouver une solution.


CHAPITRE 2  : Une gloire suffisante

Un vent froid soufflait lorsque Brigham Young arriva à Sugar Creek le soir du 15 février 1846. Dispersés dans un bosquet enneigé, non loin d’un ruisseau glacé, des centaines de saints, enveloppés de manteaux et de couvertures humides, frissonnaient. De nombreuses familles se rassemblaient autour de feux ou sous des tentes bricolées avec des draps ou des bâches de chariot. D’autres se blottissaient ensemble dans des charrettes ou des chariots pour se tenir chaud.

Brigham sut immédiatement qu’il devait organiser le camp. Avec l’aide d’autres dirigeants de l’Église, il répartit les saints en compagnies et nomma des capitaines pour les diriger. Il les avertit qu’ils ne devaient pas faire de trajets inutiles jusqu’à Nauvoo, être paresseux, ni emprunter sans permission. Les hommes devaient continuellement protéger le camp et en surveiller la propreté, et chaque famille devait prier matin et soir.

Un bon esprit s’installa rapidement parmi eux. Les saints sortis sains et saufs de la ville, s’inquiétaient moins des émeutiers ou des menaces du gouvernement d’empêcher l’exode. Le soir, une fanfare jouait de la musique entraînante pendant que les hommes et les femmes dansaient. Les saints qui pratiquaient le mariage plural devenaient aussi moins circonspects et commençaient à parler ouvertement du principe et de la manière dont leurs familles étaient liées.

Entre-temps, Brigham passait des heures à peaufiner les plans pour le déplacement vers l’Ouest. Peu avant de quitter Nauvoo, alors qu’il jeûnait et priait dans le temple, il avait eu une vision de Joseph montrant du doigt un drapeau flottant au sommet d’une montagne. Joseph lui avait commandé : « Construis en dessous de l’endroit où les couleurs se posent et vous prospérerez et aurez la paix. » Brigham savait que le Seigneur avait préparé un endroit pour l’Église, mais y guider des milliers de saints serait une tâche monumentale.

Pendant ce temps, des lettres de Sam Brannan, qui était maintenant en route pour la Californie sur le Brooklyn, arrivèrent au camp. Parmi elles se trouvait le contrat promettant aux saints un exode en toute sécurité en échange de terres dans l’Ouest. Brigham le lut attentivement avec les apôtres. S’ils ne le signaient pas, les lettres de Sam laissaient entendre que le président des États-Unis pouvait ordonner aux saints de rendre les armes et de cesser de se rassembler.

Brigham était sceptique. Malgré sa méfiance à l’égard du gouvernement, il avait déjà décidé de collaborer avec lui au lieu de s’opposer à lui. En fait, peu avant de quitter Nauvoo, il avait demandé à Jesse Little, le nouvel ancien présidant les États de l’Est, de faire pression pour l’Église et d’accepter n’importe quelle offre honorable du gouvernement fédéral de soutenir l’exode des saints. Les apôtres et lui comprirent vite que le contrat n’était rien d’autre qu’un stratagème sophistiqué conçu pour favoriser les hommes qui l’avaient élaboré. Au lieu de signer l’accord, les apôtres décidèrent de faire confiance à Dieu et de compter sur sa protection.

Au fil du mois, les températures devinrent négatives et la surface du Mississippi gela, facilitant sa traversée. Peu après, environ deux mille personnes campaient à Sugar Creek, bien que certaines retournassent à Nauvoo à de multiples reprises pour une affaire ou une autre.

Les allées et venues ennuyaient Brigham qui croyait que ces saints négligeaient leur famille et se préoccupaient trop de leurs biens en ville. La migration vers l’ouest étant déjà en retard sur le programme, il décida qu’il était temps que les saints quittent Sugar Creek, même si le matériel dont disposaient les convois était insuffisant.

Le 1er mars, cinq cents chariots prirent la direction de l’ouest à travers la prairie de l’Iowa. Brigham comptait toujours envoyer un convoi d’avant-garde au-delà des montagnes Rocheuses cette année-là, mais les saints avaient d’abord besoin de toutes les ressources disponibles pour éloigner le campement de Nauvoo.

Pendant que Brigham et les saints quittaient Sugar Creek, Louisa Pratt, quarante-trois ans, restait à Nauvoo et se préparait à quitter la ville avec ses quatre filles. Trois ans plus tôt, le Seigneur avait appelé son mari, Addison, en mission dans les îles du Pacifique. Depuis lors, il avait été difficile de rester en contact avec lui du fait du service postal peu fiable entre Nauvoo et Tubuai, l’île de Polynésie française où il servait. La plupart de ses lettres dataient de plusieurs mois lorsqu’elles arrivaient, et certaines de plus d’un an.

Sa dernière lettre disait clairement qu’il ne rentrerait pas à temps pour se rendre dans l’Ouest avec elle. Les Douze lui avaient commandé de rester dans les îles du Pacifique jusqu’à ce qu’ils le relèvent ou envoient des missionnaires pour le remplacer. À un moment donné, Brigham avait espéré en envoyer d’autres dans les îles, après que les saints avaient reçu la dotation, mais l’exode de Nauvoo avait différé ce projet.

Louisa était disposée à entreprendre le voyage sans son mari, mais quand elle y réfléchissait, elle était inquiète. Elle détestait quitter Nauvoo et le temple et l’idée de franchir les montagnes Rocheuses en chariot ne la séduisait pas. Elle voulait aussi voir ses parents âgés au Canada, probablement pour la dernière fois, avant de se rendre dans l’Ouest.

Si elle vendait son attelage de bœufs, elle aurait assez d’argent pour rendre visite à ses parents et réserver une place pour sa famille sur un navire en partance pour la côte californienne, échappant ainsi complètement à la traversée du continent.

Elle était presque résolue à aller au Canada, mais elle éprouvait comme un malaise. Elle décida d’évoquer ses inquiétudes sur la traversée du continent et son désir de voir ses parents dans une lettre adressée à Brigham Young.

Elle écrivit : « Si vous dites que l’expédition avec l’attelage de bœufs est la meilleure voie du salut, alors je m’y engagerai de tout mon cœur et de toutes mes forces, et je crois que je peux le supporter sans maugréer aussi longtemps que n’importe quelle autre femme. »

Peu de temps plus tard, un messager arriva avec la réponse de Brigham. Il lui dit : « Allez, le salut de l’attelage de bœufs est la voie la plus sûre. Frère Pratt nous rejoindra dans le désert à l’endroit où nous nous établirons et il sera amèrement déçu si sa famille n’est pas avec nous. »

Louisa prit le conseil en considération, rassembla son courage en vue du voyage difficile et décida de suivre le corps principal des saints, à la vie ou à la mort.

Ce printemps-là, les saints traversant l’Iowa commencèrent à se donner le nom de Camp d’Israël, d’après les Hébreux d’autrefois que le Seigneur avait conduits hors de captivité en Égypte. Jour après jour, ils luttaient contre les éléments alors que la neige et la pluie incessantes rendaient le sol de la prairie spongieux et boueux. L’eau des fleuves et des rivières était haute et impétueuse. Les chemins de terre se dissolvaient en bourbiers. Les saints avaient prévu de traverser la majeure partie du territoire en un mois, mais dans ce laps de temps, ils n’avaient couvert qu’un tiers de la distance.

Le 6 avril, seizième anniversaire de l’organisation de l’Église, il plut toute la journée. Brigham passa des heures avec de la boue jusqu’aux genoux à aider les saints le long de la piste à atteindre un endroit appelé Locust Creek. Là, il aida à disposer les chariots, à planter les tentes et à couper du bois jusqu’à ce que tous les saints soient installés dans le campement. Une femme qui le voyait dans la boue, poussant et tirant pour dégager un chariot embourbé, trouva qu’il avait l’air aussi heureux qu’un roi, en dépit des difficultés qui l’entouraient.

Ce soir-là, une pluie glacée et de la grêle bombardèrent le campement, le recouvrant de glace. Le matin, William Clayton, secrétaire de Brigham et chef de la fanfare, trouva tout sens dessus dessous. De nombreuses tentes s’étaient affaissées sur le sol gelé. Un arbre abattu avait écrasé un chariot. Certains hommes de la fanfare étaient aussi à court de provisions.

Il partagea ce qu’il avait avec sa fanfare, bien que sa propre famille disposât de peu. Étant l’un des premiers saints à avoir pratiqué le mariage plural, il voyageait avec trois femmes et quatre enfants. Une autre épouse, Diantha, était encore à Nauvoo, sous la garde de sa mère. Elle était enceinte de son premier enfant et sa santé fragile ajoutait à l’anxiété de William sur la piste.

Pendant que les Clayton se reposaient à Locust Creek avec le Camp d’Israël, Brigham proposa d’établir un relais à mi-chemin de l’Iowa où les saints pourraient patienter jusqu’à ce que le temps s’améliore, construire des cabanes et semer pour ceux qui viendraient plus tard. Certains s’occuperaient ensuite du relais pendant que d’autres retourneraient à Nauvoo pour guider des convois à travers l’Iowa. Le reste du camp avancerait avec lui jusqu’au Missouri.

Le 14 avril, William passa la nuit dehors à rassembler les chevaux et le bétail qui s’étaient échappés. Le matin, il avait besoin de sommeil, mais quelqu’un au camp avait reçu une lettre mentionnant Diantha et la naissance de son bébé. Ce soir-là, William célébra l’événement en chantant et en jouant de la musique avec la fanfare jusque tard dans la nuit.

Le lendemain matin, les cieux étaient dégagés et William entrevit des jours meilleurs pour le Camp d’Israël. Assis avec de l’encre et du papier, il écrivit un cantique d’encouragement pour les saints :

Venez, venez, sans craindre le devoir,
Travailler au progrès !
Si le chemin à vos yeux paraît noir,
Le secours est tout près.

Mieux vaut lutter de tout son cœur,
Pour acquérir le vrai bonheur
Venez, joyeux, ne craignez rien,
Tout est bien ! Tout est bien ! »

Cent cinquante kilomètres à l’est, debout sur le pont d’un bateau voguant sur le Mississippi, Wilford Woodruff contemplait le temple de Nauvoo à l’aide d’une longue-vue. La dernière fois qu’il l’avait vu, ses murs étaient encore inachevés. Maintenant, il avait un toit, des fenêtres étincelantes et une tour majestueuse surmontée d’une girouette en forme d’ange. Des parties du temple étaient déjà consacrées pour l’accomplissement des ordonnances et le bâtiment serait bientôt achevé et prêt à être consacré au Seigneur.

Son voyage de retour de Grande-Bretagne avait été semé d’embûches. Des vagues et des vents violents avaient ballotté le navire. Wilford avait eu le mal de mer et avait été malheureux, mais il avait tenu bon. Sur le moment, il avait maugréé : « Tout homme qui vend sa ferme et part en mer pour gagner sa vie a des goûts différents des miens. »

Phebe avait fait voile en premier, emmenant leurs enfants Susan et Joseph à bord d’un navire rempli de saints qui émigraient aux États-Unis. Wilford était resté un peu plus longtemps à Liverpool pour régler quelques questions financières, transférer la direction de l’Église au nouveau président de mission et solliciter des fonds pour terminer la construction du temple.

Il avait rappelé aux membres de l’Église : « La construction du temple de Dieu concerne tous les saints loyaux, où que le sort les ait placés. » Bien que le temple doive être abandonné peu après son achèvement, les saints des deux côtés de l’Atlantique étaient déterminés à le finir pour obéir au commandement du Seigneur donné en 1841.

Par l’intermédiaire de Joseph Smith, le Seigneur avait déclaré : « Je vous accorde suffisamment de temps pour me bâtir une maison […] et si vous ne faites pas cela à la fin du temps qui vous est désigné, vous serez, vous, l’Église, rejetés avec vos morts, dit le Seigneur, votre Dieu. »

Bien que de nombreux saints britanniques fussent appauvris, Wilford les avait encouragés à donner ce qu’ils pouvaient pour financer le temple, promettant des bénédictions pour leur sacrifice. Ils avaient été généreux et Wilford était reconnaissant de leur consécration.

En arrivant aux États-Unis, il récupéra sa fille Phebe Amelia dans le Maine et se rendit dans le sud pour rendre visite à ses parents, qu’il persuada de l’accompagner dans l’Ouest.

Après avoir débarqué à Nauvoo, il retrouva sa femme et rencontra Orson Hyde, l’apôtre président dans la ville, qui avait peu de bonnes nouvelles à lui annoncer. Parmi les saints restés à Nauvoo, certains étaient agités et se sentaient abandonnés. Certains doutaient même du droit que les Douze revendiquaient à la direction de l’Église. Parmi eux se trouvaient la sœur de Wilford, Eunice, et son mari Dwight Webster.

La nouvelle le chagrina pendant des jours. Il avait instruit et baptisé sa sœur et son beau-frère une décennie plus tôt. Récemment, ils avaient été attirés par un homme du nom de James Strang qui affirmait que Joseph Smith l’avait secrètement désigné comme successeur. Son affirmation était fausse, mais son charisme avait rallié certains saints de Nauvoo, notamment les anciens apôtres John Page et William Smith, le jeune frère du prophète Joseph, .

Le 18 avril, Wilford fut furieux quand il apprit que Dwight et Eunice essayaient de convaincre ses parents de suivre Strang au lieu de partir pour l’Ouest. Il réunit sa famille et dénonça le faux prophète. Il sortit ensuite charger ses chariots.

Il écrivit dans son journal : « J’ai beaucoup à faire et peu de temps pour le faire. »

Ce printemps-là, les ouvriers s’empressèrent de terminer le temple avant sa consécration publique le 1er mai. Ils installèrent un sol de brique autour des fonts baptismaux, posèrent des boiseries décoratives et peignirent les murs. Le travail se poursuivait toute la journée et souvent pendant la nuit. Du fait que l’Église disposait de peu d’argent pour rémunérer les ouvriers, beaucoup sacrifièrent une partie de leur salaire pour veiller à ce que le temple soit prêt à être consacré au Seigneur.

Deux jours avant la consécration, les ouvriers finirent de peindre la grande salle du premier étage. Le lendemain, ils balayèrent la poussière et les débris hors de la pièce et préparèrent la réunion. Ils ne purent mettre la touche finale à chaque pièce, mais ils savaient que cela n’empêcherait pas le Seigneur d’accepter le temple. Sûrs d’avoir exécuté son commandement, ils peignirent le long du mur est de la salle, au-dessus des chaires, les mots : « Le Seigneur a vu notre sacrifice. »

Conscients de la dette qu’ils avaient envers les ouvriers, les dirigeants de l’Église annoncèrent que la première session de consécration serait une démarche de bienfaisance. Une somme d’un dollar fut demandée aux participants pour aider à rémunérer les ouvriers appauvris.

Le matin du 1er mai, Elvira Stevens, quatorze ans, quitta le camp à l’ouest du Mississippi et traversa le fleuve pour assister à la consécration. Orpheline dont les parents étaient décédés peu après l’arrivée de la famille à Nauvoo, Elvira vivait maintenant chez sa sœur mariée. Puisque personne d’autre de son camp ne pouvait l’accompagner à la consécration, elle s’y rendit seule.

Sachant qu’il pourrait se passer des années avant qu’un autre temple ne soit construit dans l’Ouest, les apôtres avaient administré la dotation à certains jeunes célibataires, notamment Elvira. Trois mois plus tard, elle gravit de nouveau les marches jusqu’aux portes du temple, donna son dollar et trouva une place dans la grande salle.

La session commença par un chant interprété par le chœur. Orson Hyde offrit ensuite la prière de consécration. Il implora : « Fais que ton Esprit demeure ici et que tous puissent sentir par une influence sacrée dans leur cœur que sa main a participé à cette œuvre. »

Elvira perçut une puissance céleste dans la pièce. Après la session, elle retourna au campement mais revint deux jours plus tard pour la session suivante, espérant ressentir de nouveau la même puissance. Orson Hyde et Wilford Woodruff firent des discours sur l’œuvre du temple, la prêtrise et la résurrection. Avant de conclure la réunion, Wilford félicita les saints d’avoir achevé le temple bien qu’ils dussent l’abandonner.

Il dit : « Des milliers de saints y ont reçu leur dotation et la lumière ne s’éteindra pas. C’est une gloire suffisante pour justifier la construction du temple. »

Après la session, Elvira retourna à son campement, franchissant le fleuve une dernière fois. Entre-temps, les saints de Nauvoo passèrent le reste de la journée et de la nuit à emballer les affaires et à vider le temple des chaises, des tables et du reste du mobilier, puis ils le laissèrent entre les mains du Seigneur.

Quelques semaines après la consécration, Louisa Pratt et ses filles prirent la route de l’Ouest avec un convoi de saints. Ellen avait maintenant quatorze ans, Frances douze, Lois neuf et Ann cinq. Elles avaient deux attelages de bœufs, deux vaches et un chariot rempli de vêtements neufs et de provisions.

Avant de franchir le fleuve pour se rendre en Iowa, Louisa passa au bureau de poste et y trouva une longue lettre d’Addison datée du 6 janvier 1846, cinq mois plus tôt. Addison racontait qu’il était maintenant à Tahiti avec des amis de Tubuai (Nabota et Telii, le couple marié), en route pour aider un collègue missionnaire, Benjamin Grouard, dans l’œuvre missionnaire sur l’atoll voisin d’Anaa. Il avait envoyé soixante dollars à Louisa et des paroles aimantes à son attention et à celle des enfants.

Il s’attendait à servir parmi les saints de l’île pendant de nombreuses années à venir, mais pas sans sa famille. Il écrivit : « Si tu peux te procurer des livres et as un peu de temps libre, je pense que les enfants et toi devriez vous mettre à étudier le tahitien, car à mon avis, il se peut que tu en aies besoin d’ici quelques années. »

La lettre fit plaisir à Louisa et elle trouva son voyage vers l’Ouest étonnamment joyeux. Les pluies printanières avaient cessé et elle aimait monter à cheval sous un ciel dégagé pendant qu’un homme qu’elle avait engagé conduisait ses chariots. Elle se levait tôt chaque matin, rassemblait le bétail errant et aidait à le conduire pendant la journée. De temps en temps, elle s’inquiétait de la distance de plus en plus grande qui la séparait de ses parents et des autres membres de sa famille, mais sa croyance en Sion la réconfortait. Les révélations qualifiaient Sion de lieu de refuge, de lieu de paix. C’est ce qu’elle attendait de la vie.

Le 10 juin, elle écrivit dans son journal : « Parfois, je me sens joyeuse. Le Seigneur nous a appelés et nous a désigné un endroit où nous pouvons vivre en paix et être débarrassés de l’effroi de nos persécuteurs cruels ! »

Cinq jours plus tard, Louisa et sa compagnie arrivèrent au mont Pisgah, l’un des deux grands relais que les saints avaient établis le long de la piste de l’Iowa. Le camp enserrait le pied de collines basses couronnées d’un petit bois de chêne. Comme Brigham l’avait imaginé, les saints habitaient là dans des tentes ou des cabanes de rondins et cultivaient la terre pour nourrir les convois qui arriveraient plus tard. D’autres parties du campement offraient des pâturages pour le bétail.

Louisa choisit l’ombre de quelques chênes pour y installer sa famille. L’endroit était magnifique, mais le soleil tapait sur les saints dans le camp dont beaucoup étaient épuisés par leur lutte contre la pluie et la boue ce printemps-là.

Louisa pensa : « Que le Seigneur les récompense pour tous leurs sacrifices ! »

Plus loin sur la piste, Brigham et le Camp d’Israël firent halte à un endroit appelé Mosquito Creek, non loin du Missouri. Ils étaient affamés, avaient deux mois de retard et étaient désespérément pauvres. Brigham insistait encore pour envoyer le convoi d’avant-garde au-delà des montagnes Rocheuses. Il croyait qu’un groupe de saints devait terminer le voyage cette saison, car tant que l’Église errait sans foyer, ses ennemis essaieraient de la disperser ou de lui bloquer le passage.

Il savait pourtant qu’équiper un tel groupe grèverait les ressources des saints. Peu de personnes disposaient d’argent ou de provisions dont elles pouvaient se passer et les possibilités de trouver du travail rémunéré en Iowa étaient limitées. Pour survivre sur la prairie, de nombreux saints avaient vendu des biens précieux le long de la piste ou occupé divers emplois pour gagner de l’argent pour de la nourriture et du matériel. Au fur et à mesure que le camp avançait vers l’ouest et que les colonies étaient plus clairsemées, ces occasions se feraient de plus en plus rares.

Brigham avait aussi d’autres préoccupations. Les saints qui n’appartenaient pas au convoi d’avant-garde avaient besoin d’un endroit où passer l’hiver. Les Omaha et d’autres peuples indigènes qui habitaient à l’ouest du Missouri étaient disposés à laisser les saints camper là pendant l’hiver, mais les agents du gouvernement hésitaient à leur permettre de s’installer pendant un long moment sur des terres indiennes protégées.

Brigham savait aussi que les saints malades et appauvris de Nauvoo comptaient sur l’Église pour les emmener dans l’Ouest. Pendant un certain temps, il avait espéré les aider en vendant des propriétés de valeur à Nauvoo, dont le temple. Mais jusque-là, cet effort était sans résultat.

Le 29 juin, Brigham apprit que trois officiers de l’armée des États-Unis arrivaient à Mosquito Creek. Les États-Unis avaient déclaré la guerre au Mexique et James Polk, le président, avait autorisé les hommes à recruter un bataillon de cinq cents saints pour une campagne militaire sur la côte californienne.

Le lendemain, Brigham discuta de la nouvelle avec Heber Kimball et Willard Richards. Aucun conflit n’opposait Brigham au Mexique et l’idée d’aider les États-Unis l’exaspérait. Mais l’Ouest pourrait devenir un territoire américain si les États-Unis remportaient la guerre et aider l’armée pourrait améliorer les rapports des saints avec la nation. De plus, la solde des hommes enrôlés pourrait aider l’Église à financer sa migration vers l’ouest.

Brigham parla aux officiers dès qu’ils arrivèrent. Il apprit que les ordres étaient arrivés après que Thomas Kane, un jeune homme de la côte Est ayant de bonnes relations, avait entendu parler de la détresse des saints et avait présenté Jesse Little à des représentants importants à Washington DC. Après quelques pressions, Jesse avait rencontré le président Polk et l’avait persuadé d’aider les saints à s’installer dans l’Ouest en enrôlant certains d’entre eux au service militaire.

Voyant les avantages de l’arrangement, Brigham appuya les ordres de tout cœur. Il déclara : « C’est la toute première offre du gouvernement qui nous profite. Je propose que cinq cents volontaires soient rassemblés et je ferai de mon mieux pour m’assurer qu’on fasse avancer leurs familles, dans la mesure de mon influence, et qu’elles soient nourries tant que j’aurai quelque chose à manger moi-même. »

Drusilla Hendricks fut furieuse lorsqu’elle apprit la décision de Brigham de coopérer avec les États-Unis. Son mari, James, avait reçu une balle dans la nuque lors d’une escarmouche avec les Missouriens en 1838, le laissant partiellement paralysé. Comme d’autres personnes dans le camp, elle en voulait encore au gouvernement de ne pas avoir aidé les saints à cette époque. Bien que son fils William fût en âge de se porter volontaire pour le bataillon, elle ne voulait pas l’y autoriser. Avec la paralysie de son mari, elle comptait sur l’aide de ce dernier.

Des recruteurs passaient quotidiennement dans le camp, souvent avec Brigham ou d’autres apôtres. Brigham témoignait : « Si nous voulons le privilège d’adorer Dieu selon les inspirations de notre conscience, nous devons former le bataillon. » De nombreux saints ravalèrent leur ressentiment et soutinrent l’action, mais Drusilla ne supportait pas l’idée de se séparer de son fils.

Parfois l’Esprit lui murmurait : « As-tu peur de faire confiance au Dieu d’Israël ? N’a-t-il pas été à tes côtés dans toutes tes épreuves ? Ne t’a-t-il pas accordé ce que tu voulais ? » Elle reconnaissait la bonté de Dieu, mais ensuite, lorsqu’elle se remémorait la cruauté du gouvernement, la colère reprenait le dessus.

Le jour du départ du bataillon, William se leva tôt pour rentrer les vaches. Drusilla le regarda marcher dans l’herbe haute et mouillée et s’inquiéta que son manque de foi ne lui fasse plus de mal que de bien. Il pouvait être blessé en voyageant sur la piste avec sa famille tout aussi facilement qu’en marchant avec le bataillon. Et si cela se produisait, elle regretterait de l’avoir obligé à rester.

Elle commença à préparer le petit-déjeuner, ne sachant quoi faire au sujet de William. Grimpant sur le chariot pour chercher la farine, elle sentit de nouveau l’Esprit murmurer : Ne désires-tu pas les plus grandes bénédictions du Seigneur ?

« Oui », dit-elle à haute voix.

L’Esprit demanda : « Alors, comment peux-tu les obtenir sans faire le plus grand sacrifice ? Laisse ton fils partir avec le bataillon. »

« C’est trop tard », dit-elle. « Il devait partir ce matin. »

William revint et la famille se réunit pour le petit-déjeuner. Drusilla sursauta lorsqu’un homme interrompit le camp pendant que James bénissait la nourriture. Il cria : « Allez, les hommes ! Il nous en manque encore quelques-uns dans le bataillon. »

Elle ouvrit les yeux et vit William qui la regardait. Elle étudia son visage, mémorisant chaque trait. Elle sut alors qu’il allait se joindre au bataillon. Elle se dit : « Si je ne te revois plus avant le matin de la première résurrection, je te reconnaîtrai et saurai que tu es mon enfant. »

Après le petit-déjeuner, elle pria seule. Elle supplia : « Épargne-lui la vie et permet qu’il me revienne et revienne au sein de l’Église. »

L’Esprit chuchota : « Il te sera fait comme il fut fait à Abraham lorsqu’il offrit Isaac sur l’autel. »

Drusilla chercha William et le trouva assis dans le chariot, le visage enfoui dans les mains. Elle demanda : « Veux-tu partir avec le bataillon ? Si tu le veux, j’ai eu le témoignage qu’il est bien que tu y ailles. »

William répondit : « Le président Young dit que c’est pour le salut de ce peuple et j’aimerais autant en faire partie que quiconque. »

Elle dit : « Je t’en ai empêché, mais si tu veux y aller, je ne t’en empêcherai plus. »


CHAPITRE 3 : La parole et la volonté du Seigneur

Wilford et Phebe Woodruff arrivèrent au bord du Missouri avec leurs enfants au début du mois de juillet 1846. N’ayant pas réussi à persuader sa sœur et son beau-frère de suivre les apôtres et non James Strang, Wilford avait quitté Nauvoo peu après la consécration du temple avec ses parents et d’autres saints.

Leur arrivée au camp coïncida avec le départ de William Hendricks et d’autres recrues de l’armée. Le Bataillon mormon, comme on l’appelait, comptait plus de cinq cent hommes. Il employait vingt femmes à l’entretien du linge. D’autres accompagnaient leur mari pendant la marche et certaines avaient pris leurs enfants. Au total, plus d’une trentaine de femmes escortaient le bataillon.

Au premier abord, Wilford se méfia de l’effort du gouvernement de recruter des saints des derniers jours. Cependant, il changea rapidement d’avis, surtout après la visite de Thomas Kane au camp. Bien qu’il ne soit que modérément curieux de l’Évangile rétabli, il avait joué un rôle décisif pour persuader le gouvernement d’aider l’Église. La lutte contre l’injustice lui tenait très à cœur et il était sincèrement désireux d’aider les saints dans leur situation désespérée.

Thomas fit immédiatement bonne impression aux apôtres. Wilford nota dans son journal : « D’après les renseignements qu’il nous avait donnés, nous étions convaincus que Dieu avait commencé de toucher le cœur du président et d’autres personnes dans ce pays. »

Trois jours avant le départ du bataillon, Brigham Young parla à ses officiers. Il leur recommanda de veiller à leur hygiène, d’être chastes et de porter leurs sous-vêtements du temple s’ils étaient dotés. Il leur dit de se comporter honorablement à l’égard des Mexicains et de ne pas se disputer avec eux. Il dit : « Traitez les prisonniers avec les plus grands égards et ne prenez jamais une vie si vous pouvez faire autrement. »

Il assura cependant aux hommes qu’ils n’auraient pas à se battre. Il les exhorta à accomplir leurs devoirs sans murmurer, à prier tous les jours et à emporter leurs Écritures.

Une fois le bataillon parti, Brigham reporta son attention sur l’étape suivante du voyage des saints. La coopération avec les États-Unis lui avait permis de recevoir l’autorisation d’établir un camp d’hiver sur les terres indiennes à l’ouest du Missouri. Il avait maintenant l’intention de les installer dans un endroit appelé Grand Island, à trois cents kilomètres à l’ouest et, de là, d’envoyer le convoi d’avant-garde au-delà des montagnes Rocheuses.

Pendant que les apôtres tenaient conseil, Wilford parla d’autres affaires importantes de l’Église qui nécessitaient leur attention immédiate. Reuben Hedlock, l’homme qu’il avait désigné pour présider la mission britannique, avait éloigné de nombreux saints britanniques en dilapidant des fonds qu’ils avaient consacrés à l’émigration. Wilford prévoyait des problèmes au sein de la mission, notamment la perte de nombreux nouveaux convertis, si Reuben n’était pas relevé et remplacé par un dirigeant plus responsable.

Le collège savait également que des saints appauvris étaient encore à Nauvoo à la merci des émeutiers et des faux prophètes. Si les apôtres ne faisaient pas plus d’efforts pour les aider, comme ils avaient promis de le faire dans le temple lors de la conférence d’octobre, le collège briserait une alliance solennelle faite avec les saints et le Seigneur.

Agissant de manière décisive, le collège résolut d’envoyer trois des apôtres du camp : Parley Pratt, Orson Hyde et John Taylor, en Angleterre pour diriger la mission britannique. Ils envoyèrent ensuite des chariots, des attelages et des provisions à Nauvoo pour évacuer les pauvres.

Lorsque le collège renvoya des hommes et des provisions vers l’est, Brigham prit conscience que son projet d’avancer vers l’ouest cette année-là n’était plus réalisable, surtout depuis que le bataillon avait réduit le nombre d’hommes valides. Thomas Kane recommanda qu’ils installent leur camp d’hiver au bord du Missouri et Brigham finit par accepter.

Le 9 août 1846, les apôtres annoncèrent que les saints passeraient l’hiver dans un campement provisoire juste à l’ouest du fleuve. Brigham voulait franchir les montagnes Rocheuses et construire un temple dès que possible, mais avant cela, il rassemblerait les saints et s’occuperait des pauvres.

Environ à cette époque, le brouillard enveloppait le Brooklyn tandis qu’il entrait dans la baie de San Francisco, six longs mois après avoir quitté le port de New York. Debout sur le pont, Sam Brannan scruta la brume et aperçut une côte accidentée. Juste à l’intérieur de la baie, il vit un fort mexicain en ruines. Au sommet, poussé par la brise, flottait un drapeau américain.

Sam craignait que quelque chose comme cela n’arrive. Le drapeau était un signe certain que les États-Unis s’étaient emparés de San Francisco. Il avait été informé de la guerre avec le Mexique pendant que le Brooklyn était amarré dans les îles d’Hawaï. Là, le commandant d’un navire de guerre américain avait dit aux saints que l’on comptait sur eux pour aider l’armée à prendre la Californie aux Mexicains. La nouvelle les avait irrités, car ils n’avaient pas voyagé vers l’ouest pour se battre pour une nation qui les avait rejetés.

En s’enfonçant dans la baie, Sam vit des arbres le long du littoral sablonneux et quelques animaux errants. Au loin, bordée de collines, se trouvait Yerba Buena, une vieille ville espagnole.

Le Brooklyn mit à quai dans le port et les saints débarquèrent plus tard cet après-midi-là. Ils montèrent leurs tentes sur les collines à l’extérieur de Yerba Buena ou se réfugièrent dans des maisons abandonnées ou une vieille caserne militaire voisine. Avec le matériel qu’ils avaient apporté de New York, ils installèrent des moulins et une imprimerie. Quelques-uns trouvèrent du travail parmi les colons.

Bien que déçu que la côte californienne appartînt maintenant aux États-Unis, Sam était déterminé à y établir le royaume de Dieu. Il envoya un groupe d’hommes vers une vallée à plusieurs jours de voyage à l’est de la baie pour fonder une colonie appelée New Hope. Ils y construisirent une scierie et une cabane puis défrichèrent des terres et semèrent des hectares de blé et autres cultures.

Sam voulait aller avec quelques hommes vers l’est à la rencontre de Brigham et conduire le reste des saints en Californie dès que la neige aurait fondu des montagnes l’année suivante. Sous le charme du climat sain, du sol fertile et du bon port, il croyait que le peuple du Seigneur ne pouvait pas demander de meilleur endroit pour se rassembler.

Cet été-là, Louisa Pratt et ses filles campèrent au relais du mont Pisgah sur la piste de l’Iowa. L’endroit était magnifique, mais l’eau était tiède et nauséabonde. La maladie envahit rapidement le campement et de nombreux saints moururent. Début août, la famille de Louisa s’échappa en bonne santé, mais elle se sentait très mal de laisser derrière elle tant d’amis malades.

Peu après, sa compagnie campa près d’une crique infestée de moustiques et elle et d’autres furent rapidement victimes de fièvres. Le convoi s’arrêta pour se reposer puis continua jusqu’au Missouri où une longue file de chariots attendait d’être transportée de l’autre côté. Lorsque ce fut enfin le tour de Louisa, quelque chose effraya le bétail, provoquant beaucoup de tumulte sur le bac et aggravant son état de santé.

De l’autre côté du fleuve, sa fièvre monta en flèche, la privant de sommeil. Vers minuit, ses gémissements réveillèrent la femme du passeur qui la trouva en bien mauvais état. Elle demanda rapidement aux filles de Louisa de se faire un lit séparé afin que leur mère puisse se reposer. Elle lui donna ensuite du café chaud et un peu de nourriture pour la ranimer.

Le lendemain, le convoi arriva dans le nouveau campement de saints, Winter Quarters, la plus grande de plusieurs colonies de saints installées le long du Missouri. Environ deux mille cinq cents personnes habitaient à Winter Quarters sur des terres que les Omaha et d’autres tribus indigènes locales partageaient avec elles. La plupart des saints occupaient des cabanes faites de rondins et de terre, mais certains habitaient dans des tentes, des chariots ou des genres de caves appelées tranchées-abris.

Les femmes de Winter Quarters entourèrent immédiatement Louisa, impatientes de lui venir en aide. Elles lui donnèrent de l’eau-de-vie et du sucre en guise de médicaments et sur le moment, elle se sentit mieux, mais rapidement la fièvre empira et elle commença à trembler violemment. Craignant de mourir, elle implora la miséricorde du Seigneur.

Certaines des femmes qui s’occupaient d’elle l’oignirent et lui imposèrent les mains, la bénissant par le pouvoir de leur foi. À Nauvoo, Joseph Smith avait enseigné à la Société de secours que la guérison était un don de l’Esprit, un signe qui suivait tous les croyants en Christ. La bénédiction réconforta Louisa, lui donnant la force d’endurer sa maladie, et elle embaucha rapidement une infirmière pour prendre soin d’elle jusqu’à ce que la fièvre tombe.

Elle donna également cinq dollars à un homme pour qu’il lui construise une cabane de terre et de saule. La cabane n’avait qu’une couverture en guise de porte, mais elle était bien éclairée et suffisamment grande pour permettre à Louisa de s’asseoir sur un rocking-chair à côté de sa cheminée le temps de recouvrer ses forces.

À Winter Quarters, les saints labouraient et ensemençaient des champs, bâtissaient des moulins près d’un ruisseau voisin et fondaient des magasins et des boutiques. La colonie était organisée en lots semblables au modèle établi par le Seigneur pour la ville de Sion, tel qu’il avait été révélé à Joseph Smith en 1833. Au nord de la ville, Brigham, Heber Kimball et Willard Richards construisirent des maisons près d’un petit bâtiment municipal où le Collège des Douze et le grand conseil nouvellement appelé de Winter Quarters se réunissaient. Près du centre de la ville se trouvait une place où l’on pouvait prêcher et tenir d’autres réunions de la collectivité.

La traversée de l’Iowa avait épuisé de nombreux saints et nourrir, vêtir et abriter leur famille continuait de saper leurs forces. De plus, les mouches et les moustiques provenant de la berge boueuse grouillaient souvent dans la nouvelle colonie et la malaria et les fièvres harassaient les saints durant des jours et des semaines à la fois.

Pendant ces épreuves, la plupart des saints obéissaient aux commandements, mais certains volaient, trichaient et critiquaient la façon de diriger des apôtres et refusaient de payer la dîme. Brigham avait peu de patience pour ces comportements. Il déclara : « Les hommes s’égarent progressivement, jusqu’à ce que le diable prenne possession de leur tabernacle et qu’ils soient emmenés captifs selon sa volonté. »

Pour encourager la droiture, Brigham exhorta les saints à travailler ensemble, à respecter les alliances et à éviter le péché. Il dit : « Nous ne pouvons pas être sanctifiés tout d’un coup, mais nous devons être éprouvés et placés dans toutes sortes de situations, jusqu’aux plus extrêmes, pour voir si nous servirons le Seigneur jusqu’à la fin. »

Il les organisa aussi en petites paroisses, nomma des évêques et commanda au grand conseil de faire respecter un code de conduite strict. Certains saints se réunirent également par familles adoptives. À l’époque, les saints n’étaient pas scellés à leurs parents décédés s’ils ne s’étaient pas joints à l’Église de leur vivant. Avant de quitter Nauvoo, Brigham avait donc encouragé environ deux cents saints à être scellés, ou adoptés spirituellement, comme fils et filles dans les familles des dirigeants de l’Église qui étaient des amis ou des guides dans l’Évangile.

Ces scellements d’adoption étaient accomplis par une ordonnance dans le temple. Les parents adoptifs offraient souvent leur soutien matériel et émotionnel, et les fils et filles adoptifs, dont certains n’avaient pas d’autres membres de leur famille dans l’Église, réagissaient avec fidélité et dévotion.

Certains des problèmes à Winter Quarters et dans d’autres colonies temporaires étaient impossibles à éviter. Lorsque le froid s’installa, plus de neuf mille saints habitaient dans la région, dont trois mille cinq cents à Winter Quarters. Les accidents, la maladie et la mort tourmentaient chaque colonie. Environ une personne sur dix succombait à la malaria, à la tuberculose, au scorbut ou à d’autres maladies. La moitié des victimes étaient des nourrissons et des enfants.

La famille de Wilford Woodruff souffrit comme les autres. En octobre, pendant que ce dernier coupait du bois, un arbre le heurta en tombant et lui brisa des côtes. Peu après, son petit garçon, Joseph, prit sérieusement froid. Wilford et Phebe s’occupèrent continuellement de lui, mais rien de ce qu’ils faisaient n’aidait et peu après ils l’enterrèrent dans le cimetière nouvellement tracé de la colonie.

Quelques semaines après la mort de Joseph, Phebe accoucha prématurément d’un bébé qui mourut deux jours plus tard. Un soir, Wilford rentra à la maison et trouva sa femme, bouleversée, en train de regarder un portrait d’elle tenant Joseph. La perte de l’enfant leur fit de la peine à tous les deux et Wilford était impatient de voir arriver le jour où les saints trouveraient un foyer, vivraient en paix et profiteraient des bénédictions et de la sécurité de Sion.

Il écrivit dans son journal : « Je prie mon Père céleste de prolonger mes jours pour que je voie la maison de Dieu érigée au sommet des montagnes et l’étendard de la liberté dressé comme une bannière pour les nations. »

Au milieu des souffrances à Winter Quarters, Brigham fut informé qu’environ un millier d’émeutiers avaient attaqué une petite colonie de saints encore à Nauvoo. Environ deux cents d’entre eux avaient riposté, mais ils avaient été vaincus au bout de quelques jours. Les dirigeants de la ville négocièrent une évacuation paisible des saints dont beaucoup étaient pauvres et malades. Néanmoins, lorsqu’ils quittèrent la ville, les émeutiers les harcelèrent et pillèrent leurs maisons et leurs chariots. Ils s’emparèrent du temple, en profanèrent l’intérieur et les ridiculisèrent tandis qu’ils s’enfuyaient vers des campements de l’autre côté du fleuve.

Lorsque Brigham apprit le désespoir des réfugiés, il expédia des lettres aux dirigeants de l’Église, rappelant l’alliance qu’ils avaient contractée à Nauvoo d’aider les pauvres et de secourir tous les saints qui voulaient se rendre dans l’Ouest.

Il déclara : « Les frères et sœurs pauvres, veufs, orphelins, malades et démunis se trouvent maintenant sur la berge ouest du Mississippi. C’est maintenant qu’il faut travailler. Que le feu de l’alliance que vous avez contractée dans la maison du Seigneur brûle dans votre cœur comme une flamme inextinguible ! »

Bien qu’ils eussent déjà envoyé vingt chariots de secours à Nauvoo deux semaines plus tôt et bien qu’ils n’eussent que peu de nourriture et d’équipement dont ils pouvaient se passer, les saints de Winter Quarters et des colonies voisines renvoyèrent des chariots supplémentaires, des attelages de bœufs, de la nourriture et d’autres denrées à Nauvoo. Newel Whitney, l’évêque président de l’Église, acheta également de la farine pour les saints appauvris.

Lorsque les équipes de secours trouvèrent les réfugiés, ils étaient fébriles, mal équipés pour le froid et désespérément affamés. Le 9 octobre, pendant qu’ils se préparaient à faire le voyage jusqu’au Missouri, les saints virent une volée de cailles remplir le ciel et se poser sur leurs chariots ou autour. Les hommes et les garçons se ruèrent sur les volatiles, les attrapant à la main. Beaucoup se souvinrent comment Dieu avait aussi envoyé des cailles à Moïse et aux enfants d’Israël dans leur moment de détresse.

Thomas Bullock, secrétaire de l’Église, écrivit dans son journal : « Ce matin, nous avons eu une preuve directe de la miséricorde et de la bonté de Dieu. Les frères et les sœurs ont loué et glorifié son nom pour nous avoir manifesté dans notre persécution ce qu’il a déversé sur les enfants d’Israël dans le désert.

Chaque homme, femme et enfant a eu de la caille pour dîner. »

Pendant ce temps, à des milliers de kilomètres de là, sur l’atoll Anaa dans l’océan Pacifique, un détenteur de la prêtrise d’Aaron nommé Tamanehune s’adressait à une assemblée de plus de huit cents saints des derniers jours. Il proposait : « Une lettre devrait être expédiée à l’Église en Amérique lui demandant de nous envoyer immédiatement entre cinq et cent missionnaires. » Ariipaea, membre de l’Église et dirigeant local du village, appuya la proposition et les saints du Pacifique Sud levèrent la main pour manifester leur approbation.

Présidant la conférence, Addison Pratt était de tout cœur d’accord avec Tamanehune. Au cours des trois années passées, Benjamin Grouard et lui avaient baptisé plus de mille personnes. Dans ce laps de temps, ils n’avaient reçu qu’une lettre d’un des Douze et elle ne donnait aucune instruction quant à leur retour chez eux.

Au cours des six mois précédant l’arrivée de la lettre, les deux missionnaires n’avaient eu aucune nouvelle de leurs familles, de leurs amis, ni des dirigeants de l’Église. Chaque fois qu’un journal arrivait sur l’île, ils en scrutaient les pages à la recherche de nouvelles des saints. Ils en avaient lu un qui affirmait que la moitié des saints de Nauvoo avait été massacrée pendant que l’autre avait été forcée de s’enfuir en Californie.

Impatient de connaître le sort de Louisa et de ses filles, Addison décida de retourner aux États-Unis. Il se dit : « Même si la vérité n’est pas bonne à savoir, c’est mieux que de rester dans le doute et l’anxiété. »

Ses amis, Nabota et Telii, le mari et la femme qui avaient servi avec lui sur Anaa, décidèrent de retourner à Tubuai où Telii était une enseignante spirituelle bien-aimée de ses sœurs de l’Église. Benjamin comptait rester sur les îles pour diriger la mission.

Lorsque les saints du Pacifique furent informés du départ prochain d’Addison, ils l’exhortèrent à revenir bientôt et à ramener d’autres missionnaires avec lui. Comme il avait déjà prévu de retourner sur les îles avec Louisa et ses filles, dans la mesure où elles étaient encore en vie, il accepta sans réserve.

Un navire arriva sur l’île un mois plus tard et il partit avec Nabota et Telii pour Papeete (Tahiti) où il espérait prendre un bateau pour Hawaï puis la Californie. Lorsqu’ils arrivèrent à Tahiti, à son grand désarroi, il apprit qu’on lui avait fait suivre un paquet de lettres de Louisa, de Brigham Young et des saints du Brooklyn sur l’île d’Anaa.

Il se lamenta dans son journal : « Je pensais être devenu insensible aux déceptions, mais celle-ci m’a fait une impression que je n’avais encore jamais éprouvée. »

Pendant qu’un froid plus vif s’installait sur Winter Quarters, Brigham priait souvent pour savoir comment préparer l’Église pour le périple au-delà des montagnes Rocheuses. Après presque une année passée sur la piste, il avait appris qu’organiser et équiper les saints pour la route qui les attendait était indispensable à leur réussite. Néanmoins, l’enchaînement de contretemps lui avait montré combien il était important de s’appuyer sur le Seigneur et de suivre ses directives. Comme du temps de Joseph, lui seul pouvait diriger son Église.

Peu après le début d’une nouvelle année, Brigham sentit le Seigneur ouvrir son intelligence à une lumière et à une connaissance nouvelles. Le 14 janvier 1847, lors d’une réunion avec le grand conseil et les Douze, il commença à noter une révélation du Seigneur aux saints. Avant que Brigham ne se couche, le Seigneur lui donna d’autres instructions pour le voyage à venir. Sortant la révélation inachevée, il continua de noter les directives du Seigneur à l’attention des saints.

Le lendemain, il présenta la révélation aux Douze. Appelée « La parole et la volonté du Seigneur », elle soulignait la nécessité d’organiser les saints en convois sous la direction des apôtres. Dans la révélation, le Seigneur commandait aux saints de pourvoir à leurs propres besoins et d’unir leurs efforts pendant le voyage pour s’occuper des veuves, des orphelins et des familles des membres du Bataillon mormon.

La révélation commandait : « Que chacun use de toute son influence et de tous ses biens pour déplacer ce peuple vers le lieu où le Seigneur situera un pieu de Sion. Si vous faites cela d’un cœur pur, en toute humilité, vous serez bénis. »

Le Seigneur commandait aussi à son peuple de se repentir et de s’humilier, de faire preuve de gentillesse les uns envers les autres et de cesser de se livrer à l’ivrognerie et à la médisance. Ses paroles étaient présentées sous forme d’alliance, commandant aux saints de « marcher dans toutes les ordonnances du Seigneur », respectant les promesses faites dans le temple de Nauvoo.

Il déclara : « Je suis le Seigneur votre Dieu, oui, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Je suis celui qui a fait sortir les enfants d’Israël du pays d’Égypte, et mon bras est étendu dans les derniers jours. »

Comme les Israélites d’autrefois, les saints devaient louer le Seigneur et invoquer son nom dans les moments de détresse. Ils devaient chanter et danser avec une prière de reconnaissance dans le cœur. Ils ne devaient pas craindre l’avenir, mais faire confiance à Dieu et supporter leurs afflictions.

Le Seigneur déclara : « Mon peuple doit être mis à l’épreuve en tout, pour qu’il soit préparé à recevoir la gloire que j’ai pour lui, c’est-à-dire la gloire de Sion. »

Les apôtres présentèrent la nouvelle révélation aux saints à Winter Quarters quelques jours plus tard et nombre d’entre eux se réjouirent en l’entendant. Une femme écrivit à son mari en Angleterre : « Le Seigneur s’est une fois de plus souvenu de ses serviteurs et leur a accordé une révélation de sa volonté. » Elle s’exclama : « La paix et l’unité règnent parmi nous et l’Esprit de Dieu prévaut parmi nous ! »

Cependant, certains problèmes perduraient à Winter Quarters. Depuis leur départ de Nauvoo, les apôtres avaient continué d’accomplir des adoptions spirituelles parmi les saints. Brigham remarqua que quelques saints incitaient des amis à se faire adopter dans leur famille, croyant que leur gloire éternelle dépendait du nombre de personnes scellées à eux. La jalousie et les rivalités naquirent lorsqu’ils se mirent à se disputer pour savoir qui aurait la plus grande famille dans les cieux. Les querelles firent douter Brigham qu’aucun d’eux n’y parvienne.

En février, pendant qu’il parlait de la pratique de l’adoption spirituelle, il admit qu’il ne savait toujours pas grand-chose à ce sujet. Il aimait profondément les dizaines de saints qui avaient été adoptés dans sa famille grâce à l’ordonnance. Il se sentait néanmoins ignorant de cette pratique et de sa signification.

Il promit aux saints : « Je vais m’enquérir de ce sujet et par conséquent je serai plus en mesure de l’enseigner et de le pratiquer. »

Le lendemain, il tomba malade et resta couché. Pendant qu’il dormait, il rêva qu’il voyait Joseph Smith assis sur un fauteuil devant une grande fenêtre. Prenant la main droite de Joseph, il demanda à son ami pourquoi il ne pouvait pas être avec les saints.

Se levant de son fauteuil, Joseph dit : « Ce n’est pas grave. »

Brigham dit : « Les frères sont impatients de comprendre la loi d’adoption ou les principes de scellement. Si tu as un conseil à me donner, je serais heureux de le recevoir. »

Joseph répondit : « Dis au peuple d’être humble et fidèle et de veiller à garder l’Esprit du Seigneur. S’il le fait, il se retrouvera organisé exactement comme notre Père céleste l’avait organisé avant qu’il ne vienne au monde. »

Quand Brigham se réveilla, les paroles de Joseph résonnaient encore dans son esprit : « Dis au peuple de veiller à garder l’Esprit du Seigneur et de le suivre et il le guidera comme il se doit. » Le conseil ne répondait pas à sa question sur les scellements d’adoption, mais lui rappelait d’obéir à l’Esprit afin que les saints et lui puissent être amenés à une meilleure compréhension.

Pendant le reste de l’hiver, les apôtres continuèrent de rechercher la révélation pendant qu’ils se préparaient à envoyer des convois de chariots au-delà des montagnes Rocheuses. Sous leur direction, un petit convoi d’avant-garde quitterait Winter Quarters au printemps, franchirait les montagnes et établirait un nouveau lieu de rassemblement pour les saints. Pour obéir au commandement du Seigneur et accomplir une prophétie, il dresserait une bannière pour les nations et commencerait la construction d’un temple. Des convois plus grands, composés principalement de familles, le suivraient rapidement, obéissant à la parole et à la volonté du Seigneur pendant leur voyage.

Avant de quitter Nauvoo, le Collège des Douze et le conseil des cinquante avaient envisagé de s’installer dans la vallée du lac Salé ou au nord, dans la vallée de la Bear River. Les deux vallées étaient de l’autre côté des montagnes Rocheuses et les descriptions étaient prometteuses. Brigham avait eu une vision de l’endroit où les saints s’installeraient, mais il n’avait qu’une idée générale de son emplacement. Il priait quand même Dieu de le conduire lui et le convoi d’avant-garde au bon lieu de rassemblement pour l’Église.

Le convoi d’avant-garde était composé de cent quarante-trois hommes choisis par les apôtres. Harriet Young, la femme du frère de Brigham, Lorenzo, demanda si elle et ses deux jeunes fils pouvaient accompagner ce dernier. Brigham demanda ensuite à sa femme Clara qui était la fille d’un premier mariage d’Harriet de se joindre aussi à la compagnie. Ellen, une immigrante de Norvège et épouse plurale d’Heber Kimball, s’associa aussi au convoi.

Juste au moment où celui-ci se préparait à partir, Parley Pratt et John Taylor revinrent à Winter Quarters de leur mission en Angleterre. Avec Orson Hyde, qui supervisait encore l’Église en Grande-Bretagne, ils avaient nommé de nouveaux dirigeants de mission et rétabli l’ordre parmi les saints. Maintenant, croyant qu’ils avaient été séparés de leur famille depuis trop longtemps, Parley et John déclinèrent les instances de Brigham de se joindre au reste du collège dans la migration vers l’ouest. Brigham leur confia donc la responsabilité de Winter Quarters.

L’après-midi du 16 avril 1847, le convoi d’avant-garde commença son voyage sous un ciel froid et triste. Dans une lettre d’au revoir aux saints de Winter Quarters, les apôtres déclarèrent : « Nous avons l’intention d’ouvrir la voie du salut aux cœurs honnêtes de toutes les nations ou sacrifier tout ce qui est de notre intendance. Au nom du Dieu d’Israël nous avons l’intention de conquérir ou de mourir en essayant. »


CHAPITRE 4  : Une bannière pour les nations

En avril 1847, Sam Brannan et trois autres hommes quittèrent la baie de San Francisco et partirent à la recherche de Brigham Young et du corps principal des saints. Ils ne savaient pas exactement où les trouver, mais la plupart des émigrants suivaient la même piste vers l’ouest. Si Sam et son petit convoi la suivaient vers l’est, ils finiraient par se croiser.

Après une brève halte pour s’approvisionner à New Hope, les hommes prirent la direction des contreforts de la Sierra Nevada. Les gens qui connaissaient bien ces montagnes avaient averti Sam qu’il ne fallait pas les franchir si tôt dans l’année. Ils avaient dit que le col serait encore enfoui sous la neige, ce qui signifiait que le périple pouvait se transformer en un calvaire de deux mois.

Sam était pourtant sûr de pouvoir les franchir rapidement. Poussant leurs animaux de bât, ses hommes et lui grimpèrent pendant des heures. La neige était profonde, mais compacte, leur permettant de prendre appui plus facilement le long du chemin. Par contre, l’eau des ruisseaux était haute, ce qui les obligeait à courir des risques en les traversant à la nage ou en empruntant des détours.

De l’autre côté de la chaîne de montagnes, la piste les conduisit le long de rochers de granit escarpés et massifs jusqu’à une vue sur une belle vallée couverte de pins et ornée d’un lac aussi bleu que le ciel. Descendant dans la vallée, ils trouvèrent quelques cabanes abandonnées dans un camp jonché de dépouilles humaines. Des mois plus tôt, un convoi à destination de la Californie était resté bloqué dans la neige. Les émigrants avaient construit des cabanes pour attendre la fin d’une tempête hivernale, mais, démunis de tout, beaucoup moururent lentement de faim ou de froid tandis que d’autres eurent recours au cannibalisme.

Leur histoire était un sombre rappel des dangers de la traversée par voie terrestre, mais Sam refusa de se laisser effrayer par leur tragédie. Il était captivé par la contrée inapprivoisée. Il exulta : « Un homme ne peut se connaître tant qu’il n’a pas parcouru ces montagnes sauvages. »

Mi-mai, Brigham Young et le convoi d’avant-garde avaient couvert plus de quatre cent cinquante kilomètres. Chaque matin, le clairon réveillait le camp à cinq heures et ils se mettaient en route à sept heures. Parfois, la progression du convoi était retardée, mais la plupart du temps, ils arrivaient à parcourir entre vingt-cinq et trente kilomètres par jour. Le soir, ils disposaient les chariots en cercle, se réunissaient pour la prière et éteignaient les feux de camp.

Quelquefois, la vue de bisons rompait la monotonie. Ces animaux massifs au poil épais se déplaçaient en immenses troupeaux, martelant les collines et les plaines avec tant de fluidité qu’on aurait dit que la prairie elle-même se mouvait. Les hommes étaient impatients de chasser l’animal, mais Brigham leur recommanda de ne le faire qu’en cas de nécessité et de ne jamais en gaspiller la viande.

Le convoi voyagea le long d’une piste que d’autres colons partis pour l’Ouest avaient tracée quelques années plus tôt. Au fil des kilomètres, la plaine herbeuse céda lentement la place à une région vallonnée et désertique. Du haut d’un escarpement, le paysage avait l’air aussi accidenté qu’une mer démontée. La piste longeait la Platte River et traversait plusieurs criques offrant de l’eau pour boire et se laver. Le sol était pourtant sablonneux. De temps en temps, le convoi repérait un arbre ou un carré d’herbe verte le long du chemin, mais, à perte de vue, le terrain était désolé et menaçant.

Parfois, un membre du convoi demandait à Brigham où ils allaient. Il répondait : « Je vous montrerai quand on sera arrivés. J’ai vu l’endroit, je l’ai vu en vision, et lorsque mes yeux naturels le verront, je le saurai. »

Chaque jour, William Clayton estimait la distance parcourue par le convoi et corrigeait les cartes quelquefois imprécises qui les guidaient. Peu après le début du voyage, Orson Pratt et lui avaient fabriqué avec Appleton Harmon, un artisan habile, un « routomètre », dispositif de bois qui mesurait les distances avec exactitude grâce à un système de roues dentées fixées sur une roue de chariot.

En dépit des progrès du convoi, Brigham était souvent contrarié en voyant les actions de certains membres du convoi. La plupart étaient dans l’Église depuis des années, avaient fait des missions et avaient reçu les ordonnances du temple. Néanmoins, beaucoup ignoraient ses recommandations et chassaient ou gaspillaient leur temps libre en faisant des paris, de la lutte et en dansant jusque tard dans la nuit. Parfois Brigham était réveillé le matin par ceux qui se disputaient à propos de quelque chose qui s’était passé pendant la nuit. Il craignait que ces querelles ne dégénèrent en coups de poing ou pire.

Le matin du 29 mai, il demanda aux hommes : « Pensez-vous que nous allons chercher un foyer pour les saints, un lieu de repos, un lieu de paix où ils pourront bâtir le royaume et accueillir les nations avec un esprit méprisable, méchant, sale, insignifiant, envieux et inique ? » Il déclara que chacun d’eux devait être un homme de foi, réfléchi, adonné à la prière et à la méditation.

Il dit : « Voilà l’occasion pour chacun de faire ses preuves, de savoir s’il priera et se souviendra de son Dieu sans qu’on lui demande chaque jour de le faire. » Il les exhorta à servir le Seigneur, à se souvenir de leurs alliances du temple et à se repentir de leurs péchés.

Après cela, les hommes se regroupèrent par collèges de la prêtrise et firent alliance, à main levée, de faire le bien et de marcher humblement devant Dieu. Le lendemain, lorsqu’ils prirent la Sainte-Cène, un nouvel esprit prévalait.

Heber Kimball nota dans son journal : « Depuis le début du voyage, je n’ai jamais vu les frères aussi calmes et sérieux un dimanche. »

Pendant que le convoi d’avant-garde avançait vers l’ouest, environ la moitié des saints de Winter Quarters équipaient leurs chariots et emballaient des provisions pour le voyage. Le soir, après avoir terminé leurs préparatifs, ils se rassemblaient souvent pour chanter et danser au son du violon et le dimanche, ils se réunissaient pour entendre des sermons et parler de leur migration à venir.

Cependant, tout le monde n’était pas pressé de partir pour l’Ouest. James Strang et d’autres dissidents continuaient d’appâter les saints par des promesses de nourriture, d’abris et de paix. Strang et ses partisans avaient fondé une communauté dans le Wisconsin, un territoire faiblement colonisé à quelque quatre cent cinquante kilomètres au nord-est de Nauvoo, où certains saints mécontents se rassemblaient. Plusieurs familles à Winter Quarters avaient déjà chargé leurs chariots et étaient parties les rejoindre.

En tant qu’apôtre président à Winter Quarters, Parley Pratt les suppliait d’ignorer les apostats et de suivre les apôtres autorisés du Seigneur. Il leur rappelait : « Le Seigneur nous a appelés à nous rassembler et non à nous disperser tout le temps. » Il leur dit que John Taylor et lui voulaient envoyer des convois vers l’ouest à la fin du printemps.

Parley dut pourtant retarder le projet. Avant le départ du convoi d’avant-garde, les Douze avaient organisé plusieurs convois selon la révélation. Ceux-ci se composaient surtout de familles qui avaient été scellées par adoption à Brigham Young et à Heber Kimball. Les apôtres leur avaient commandé d’emporter suffisamment de provisions pour l’année à venir et d’emmener avec eux des saints pauvres et les familles des hommes du Bataillon mormon. Si ces personnes ne voulaient pas respecter l’alliance de pourvoir aux besoins des nécessiteux, leurs chariots pouvaient être confisqués et donnés à celles qui le feraient.

Mais Parley voyait des problèmes dans l’exécution du projet du collège. De nombreux saints dans ces convois, notamment des capitaines, n’étaient pas prêts à partir. Certains manquaient de moyens pour faire le voyage et sans provisions suffisantes, ils seraient un lourd fardeau pour les autres membres du convoi qui avaient à peine assez de provisions pour leur famille. D’autre part, il y avait d’autres saints qui n’avaient pas été organisés en convois, mais qui étaient prêts et impatients de partir, car ils craignaient que d’autres êtres chers ne succombent à la maladie s’ils passaient un autre hiver à Winter Quarters.

Parley et John décidèrent de réorganiser les convois, adaptant le projet original aux quelque mille cinq cents saints qui étaient prêts à se rendre dans l’Ouest. Quand certains saints objectèrent aux changements, remettant en question l’autorité de Parley de modifier le plan des Douze, les deux apôtres essayèrent de raisonner avec eux.

John expliqua qu’en l’absence de Brigham, l’apôtre ayant le plus d’ancienneté avait autorité pour diriger les membres de l’Église. Puisque Brigham n’était pas à Winter Quarters, John avait le sentiment que Parley avait la responsabilité et le droit de prendre des décisions pour la colonie.

Parley était d’accord. Il dit : « Je pense qu’il vaut mieux agir en fonction de notre situation. »

Pendant que Wilford Woodruff voyageait vers l’ouest avec le convoi d’avant-garde, il réfléchissait souvent à sa mission sacrée. Il écrivit dans son journal : « Il faut comprendre que nous essayons une route que la maison d’Israël empruntera pendant de nombreuses années à venir. »

Une nuit, il rêva que le convoi arrivait au nouveau lieu de rassemblement. Pendant qu’il contemplait le pays, un magnifique temple apparut devant lui. Il semblait fait de pierres blanches et bleues. Se tournant vers des hommes qui étaient debout près de lui dans le rêve, il leur demanda s’ils le voyaient. Ils dirent que non, mais cela ne diminua en rien la joie que Wilford ressentit en le regardant.

En juin, il se mit à faire chaud. L’herbe courte qui nourrissait leur bétail devint brune dans l’air sec et le bois se fit plus rare. Souvent, le seul combustible pour les feux était de la bouse de bison séchée. Le convoi resta néanmoins diligent à respecter les commandements comme Brigham avait demandé et Wilford vit des preuves des bénédictions de Dieu dans la préservation de leurs réserves de nourriture, de leurs animaux et de leurs chariots.

Il écrivit dans son journal : « La paix et l’unité règnent parmi nous. Cette mission produira beaucoup de bonnes choses si nous sommes fidèles à respecter les commandements de Dieu. »

Le 27 juin, le convoi d’avant-garde rencontra sur la piste un explorateur célèbre nommé Moses Harris. Harris dit aux saints qu’il n’était pas judicieux de s’installer dans la vallée de Bear River ni dans celle du lac Salé. Il leur recommanda un endroit appelé Cache Valley, au nord-est du Grand Lac Salé.

Le lendemain, le convoi rencontra un autre explorateur, Jim Bridger. Contrairement à Harris, Bridger dit beaucoup de bien des vallées de Bear River et du lac Salé, bien qu’il les avertît que les nuits froides de Bear River les empêcheraient probablement de cultiver du maïs. Il dit que la terre de la vallée du lac Salé était bonne, qu’il s’y trouvait plusieurs ruisseaux d’eau claire et qu’il y pleuvait tout au long de l’année. Il vanta également les mérites de la vallée d’Utah, au sud du Grand Lac Salé, mais les avertit de ne pas déranger les Utes qui vivaient dans cette région.

Les propos de Bridger sur la vallée du lac Salé étaient encourageants. Bien que Brigham ne fût pas disposé à identifier un point d’arrêt tant qu’il ne l’avait pas vu, lui et les autres membres du convoi étaient surtout intéressés par l’exploration de la vallée du lac Salé. Et si ce n’était pas l’endroit où le Seigneur voulait qu’ils s’installent, ils pourraient au moins s’y arrêter, ensemencer les terres et fonder une colonie provisoire jusqu’à ce qu’ils trouvent leur foyer permanent dans le bassin.

Deux jours plus tard, pendant que les hommes du convoi d’avant-garde construisaient des radeaux pour traverser des rapides, Sam Brannan et ses compagnons débarquèrent dans le camp juste avant le coucher du soleil, surprenant tout le monde. Le convoi écouta avidement pendant que Sam les amusait avec des histoires du Brooklyn, de la colonisation de New Hope et de son propre voyage périlleux à travers les montagnes et les plaines pour venir à leur rencontre. Il leur dit que les saints en Californie avaient planté des hectares de blé et de pommes de terre en vue de leur arrivée.

L’enthousiasme de Sam pour le climat et le sol californiens était contagieux. Il exhorta le convoi à revendiquer la région de la baie de San Francisco avant que d’autres colons n’arrivent. C’était le lieu idéal pour installer une colonie et des hommes éminents en Californie étaient favorables à la cause des saints et prêts à les accueillir.

Brigham écouta Sam, légèrement sceptique devant la proposition. Les attraits de la côte californienne étaient incontestables, mais il savait que le Seigneur voulait que les saints établissent leur nouveau lieu de rassemblement plus près des montagnes Rocheuses. Il déclara : « Notre destination est le Grand Bassin. »

À peine plus d’une semaine plus tard, le convoi quitta la piste bien marquée qu’il avait suivie pour en prendre une plus effacée en direction de la vallée du lac Salé.

Cet été-là, Louisa Pratt installa sa famille dans une cabane qu’elle avait achetée pour cinq dollars. C’était le troisième logement qu’elle occupait à Winter Quarters. Lorsque la cheminée avait cessé de fonctionner dans sa cabane de boue séchée, elle avait emménagé avec sa famille dans une tranchée-abri humide, laquelle n’était rien d’autre qu’un trou d’un mètre cinquante dans la terre avec des fuites au toit.

Dans la nouvelle maison, Louisa paya des hommes pour lui installer un plancher de bois. Elle fit ensuite construire une tonnelle devant chez elle où l’on pouvait asseoir vingt-cinq personnes, et avec sa fille Ellen elles ouvrirent une école. Pendant ce temps, sa fille Frances entretenait un potager et coupait du bois pour chauffer la maison et cuisiner.

Louisa était encore en mauvaise santé. Après s’être remise de la fièvre et des tremblements, elle se blessa au genou lors d’une mauvaise chute sur la neige et la glace. Pendant qu’elle habitait dans la tranchée-abri, elle avait contracté le scorbut et avait perdu ses incisives. Mais ses filles et elle avaient moins souffert que de nombreux saints. Tout le monde avait des voisins ou des amis qui avaient succombé aux maladies qui sévissaient dans le camp.

Après avoir acheté le logement et effectué les réparations, il ne lui restait que peu d’argent. Lorsque ses réserves de nourriture furent presque épuisées, elle rendit visite à ses voisins et leur demanda s’ils souhaitaient acheter son lit de plumes, mais ils n’avaient pas d’argent non plus. En parlant avec eux, elle mentionna le fait qu’il ne restait rien à manger chez elle.

L’un d’eux dit : « Tu n’as pas l’air inquiète. Que comptes-tu faire ? »

Elle répondit : « Oh, je ne m’inquiète pas. Je sais que la délivrance arrivera de manière inattendue. »

Sur le chemin de retour, elle s’arrêta chez une autre voisine. Dans la conversation, cette dernière mentionna la vieille crémaillère de Louisa qui servait à maintenir les marmites dans la cheminée. La voisine dit : « Si tu veux la vendre, je te donnerai deux boisseaux de semoule de maïs. » Louisa accepta le troc, reconnaissant que le Seigneur la bénissait une fois de plus.

Ce printemps-là, elle se sentit en meilleure forme et se risqua à adorer avec les saints. Les femmes de la colonie avaient commencé à se réunir pour se fortifier mutuellement en exerçant leurs dons spirituels. Lors d’une réunion, elles parlèrent en langues pendant qu’Elizabeth Ann Whitney qui, depuis de nombreuses années, était une dirigeante spirituelle parmi les saints, interprétait. Elizabeth Ann dit que Louisa se remettrait, traverserait les montagnes Rocheuses et aurait la joie d’y retrouver son mari.

Louisa fut surprise. Elle avait supposé qu’elle serait réunie à Addison à Winter Quarters et ferait ensuite la route vers l’ouest avec lui. Sans son aide, elle ne voyait aucun moyen, physiquement ou financièrement, de faire le voyage.

Au fur et à mesure que les membres du convoi d’avant-garde s’enfonçaient vers le cœur des montagnes Rocheuses, la piste devenait plus pentue et les hommes et les femmes se fatiguaient plus facilement. Devant eux, clairement visibles au-dessus des plaines ondulantes, se trouvaient des pics enneigés nettement plus hauts que toutes les montagnes qu’ils avaient vues dans l’Est des États-Unis.

Une nuit du début juillet, Clara la femme de Brigham, se réveilla avec de la fièvre, un mal de tête et des douleurs intenses dans les hanches et dans le dos. Rapidement, d’autres personnes se plaignirent des mêmes symptômes et elles eurent du mal à ne pas se laisser distancer par le reste du convoi. Chaque pas qu’elles faisaient sur le sol rocailleux était atrocement douloureux pour leurs membres affaiblis.

Au fil des jours, Clara se sentit mieux. L’étrange maladie semblait attaquer rapidement puis se dissiper peu après. Le 12 juillet, Brigham fut fiévreux. Pendant la nuit, il délira. Le lendemain, il se sentit un peu mieux, mais les apôtres et lui décidèrent que la majeure partie du convoi devait se reposer pendant qu’Orson Pratt continuait avec un groupe de quarante-deux hommes.

Environ une semaine plus tard, Brigham demanda à Willard Richards, George A. Smith, Erastus Snow et d’autres de continuer et de rattraper le convoi d’avant-garde d’Orson. Il commanda : « Après avoir atteint la vallée du lac Salé, arrêtez-vous au premier endroit convenable et mettez en terre nos semences de pommes de terre, de sarrasin et de navets sans tenir compte de notre destination finale. » Se souvenant du rapport de Jim Bridger sur la région, il les avertit de ne pas aller vers le sud, dans la vallée d’Utah, tant qu’ils n’auraient pas fait plus ample connaissance avec les Utes qui l’habitaient.

Clara, ses deux jeunes demi-frères et leur mère restèrent en arrière avec Brigham et les autres pionniers malades. Une fois que le convoi se sentit suffisamment fort pour continuer, il suivit une piste grossière sur un sol inégal obstrué de broussailles. À certains endroits, les parois du canyon étaient tellement hautes qu’une épaisse poussière restait suspendue dans l’air, bouchant la vue.

Le 23 juillet, Clara et le convoi malade gravirent une piste escarpée jusqu’au sommet d’une colline. De là, ils descendirent à travers un bosquet épais, serpentant le long d’un chemin plein de souches abandonnées par les personnes qui avaient tracé la piste. Dans la descente, un kilomètre plus bas, le chariot qui transportait les frères de Clara se renversa dans un ravin et s’écrasa contre un rocher. Les hommes découpèrent rapidement la toile et extirpèrent les garçons.

Pendant que le convoi se reposait au pied de la colline, deux cavaliers de celui d’Orson arrivèrent dans le camp annonçant que la vallée du lac Salé n’était plus très loin. Épuisées, Clara et sa mère continuèrent d’avancer avec le reste du convoi jusqu’en début de soirée. Au-dessus d’eux, un orage menaçait.

Le lendemain matin, 24 juillet 1847, Wilford conduisit son attelage sur plusieurs kilomètres dans un ravin. Brigham était allongé derrière lui, trop fiévreux et faible pour marcher. Peu après, ils roulèrent le long d’une crique à travers un autre canyon jusqu’à ce qu’ils arrivent sur un replat d’où l’on voyait la vallée du lac Salé.

Wilford contempla, émerveillé, le vaste pays qui s’étendait sous lui. Des prairies fertiles, vertes et épaisses, arrosées par des ruisseaux de montagne clairs se déployaient sur des kilomètres devant eux. Les ruisseaux se jetaient dans une longue rivière étroite qui traversait le fond de la vallée dans sa longueur. Une bordure de montagnes élevées, leurs pics irréguliers hauts dans les nuages, entourait la vallée telle une forteresse. À l’ouest, scintillant comme un miroir dans la lumière du soleil, se trouvait le Grand Lac Salé.

Après un voyage de plus de mille cinq cents kilomètres à travers la prairie, le désert et les canyons, la vue était époustouflante. Wilford imaginait les saints s’installant là et établissant un autre pieu de Sion. Ils pourraient construire des maisons, cultiver des vergers et des champs et rassembler le peuple de Dieu du monde entier. Et sous peu, la maison du Seigneur serait établie dans les montagnes et s’élèverait par-dessus les collines, tout comme Ésaïe l’avait prophétisé.

Comme Brigham n’arrivait pas à voir clairement la vallée, Wilford fit tourner le chariot pour permettre à son ami d’en avoir une meilleure vue. Balayant la vallée du regard, Brigham l’étudia pendant plusieurs minutes.

« Cela suffit. C’est le bon endroit », dit-il à Wilford. « Avance. »

Brigham reconnut l’endroit dès qu’il le vit. À l’extrémité nord de la vallée se trouvait le pic montagneux de sa vision. Il avait prié pour être conduit directement à cet endroit et le Seigneur avait exaucé ses prières. Il ne voyait aucune utilité à regarder ailleurs.

Au-dessous, le fond de la vallée frémissait déjà d’activité. Avant même que Brigham, Wilford et Heber Kimball ne descendent de la montagne, Orson Pratt, Erastus Snow et d’autres hommes avaient établi un camp de base et commencé à labourer, planter et irriguer. Wilford se joignit à eux dès son arrivée au camp, plantant un demi-boisseau de pommes de terre avant de prendre son repas du soir et de s’installer pour la nuit.

Le lendemain était le sabbat et les saints rendirent grâces au Seigneur. Le convoi se réunit pour entendre des sermons et prendre la Sainte-Cène. Bien que faible, Brigham prit brièvement la parole pour l’encourager à honorer le jour du sabbat, à s’occuper des terres et à respecter les biens les uns des autres.

Le lundi matin, 26 juillet, Brigham était encore en convalescence dans le chariot de Wilford lorsqu’il se tourna vers ce dernier et dit : « Frère Woodruff, je voudrais aller marcher. »

Wilford dit : « D’accord. »

Ils partirent ce matin-là avec huit autres hommes, en direction des montagnes au nord. Brigham fit une partie du chemin sur le chariot de Wilford, serrant autour de ses épaules une cape verte. Avant d’atteindre les contreforts, le terrain s’aplanit. Brigham descendit du chariot et marcha lentement sur la terre légère et riche.

Les hommes le suivaient, admirant le paysage, lorsqu’il s’arrêta brusquement et enfonça sa canne dans le sol. Il dit : « C’est ici que se tiendra le temple de notre Dieu. » Il le voyait déjà en vision devant lui, ses six flèches s’élevant au-dessus du fond de la vallée.

Les paroles de Brigham firent à Wilford l’effet d’un coup de foudre. Alors que les hommes étaient sur le point de passer leur chemin, il leur demanda d’attendre. Il cassa une branche d’une armoise voisine et la planta dans le sol pour marquer l’endroit.

Ensuite, ils continuèrent, imaginant la ville que les saints bâtiraient dans la vallée.

Plus tard ce jour-là, Brigham indiqua le pic montagneux situé au nord de la vallée. Il dit : « Je veux gravir ce pic, car je suis convaincu qu’il s’agit de celui que j’ai vu en vision. » Le pic rocheux arrondi était facile à gravir et clairement visible de tous les côtés de la vallée. C’était l’endroit idéal pour élever une bannière pour les nations, signaler au monde que le royaume de Dieu était de nouveau sur la terre.

Brigham se mit immédiatement en route vers le sommet avec Wilford, Heber Kimball, Willard Richards et d’autres. Wilford fut le premier à atteindre le sommet. Depuis le pic, il voyait la vallée s’étendre devant lui. Avec ses hautes montagnes et sa plaine spacieuse, elle pouvait protéger les saints de leurs ennemis pendant qu’ils essayaient de respecter les lois de Dieu, de rassembler Israël, de construire un autre temple et d’établir Sion. Dans ses réunions avec les Douze et le conseil de cinquante, Joseph Smith avait souvent exprimé le désir de trouver un tel endroit pour les saints.

Les amis de Wilford le rejoignirent rapidement. Ils appelèrent l’endroit Ensign Peak, évoquant la prophétie d’Ésaïe selon laquelle les exilés d’Israël et les dispersés de Juda s’assembleraient des quatre coins de la terre sous une bannière commune.

Un jour, ils voulaient faire flotter un énorme drapeau au-dessus du pic. Mais sur le moment, ils firent de leur mieux pour marquer l’occasion. Ce qui s’est passé est incertain, mais un homme se souvient qu’Heber Kimball a sorti un bandana jaune, l’a attaché à l’extrémité de la canne de Willard Richards et l’a agité dans l’air chaud de la montagne.


CHAPITRE 5  : Écrasé jusqu’au tombeau

L’été 1847, Jane Manning James fit la route vers l’Ouest avec son mari, Isaac, et deux fils, Sylvester et Silas, avec une grande caravane d’environ mille cinq cents saints. Les apôtres Parley Pratt et John Taylor la conduisaient avec l’aide de plusieurs capitaines qui supervisaient des compagnies de cent cinquante à deux cents personnes. Parley et John avaient organisé la caravane vers la fin du printemps, après avoir décidé de modifier le projet original de migration du Collège des Douze.

Elle quitta Winter Quarters à la mi-juin, environ deux mois après le départ du convoi d’avant-garde. Bien qu’elle n’eût qu’une vingtaine d’années, Jane était habituée aux longs périples à pieds. En 1843, après s’être vue refuser l’accès à bord d’un chaland du fait de la couleur de sa peau, un petit groupe de saints des derniers jours noirs et elle avaient parcouru à pied presque mille trois cents kilomètres depuis l’ouest de l’État de New York jusqu’à Nauvoo. Plus tard, Isaac et elle avaient traversé à pied les prairies boueuses de l’Iowa avec le camp d’Israël. Pendant la plus grande partie du voyage, Jane était enceinte de son fils, Silas, qui naquit pendant le voyage.

Le trajet par voie terrestre était rarement passionnant. Les journées étaient longues et fatigantes. Le paysage des plaines était monotone, à moins de voir une formation rocheuse inhabituelle ou un troupeau de bisons se profiler à l’horizon. Un jour, pendant qu’elle longeait la berge de la North Platte River, la compagnie de Jane fut surprise lorsqu’un troupeau de bisons la chargea. Elle rassembla ses chariots et son bétail pendant que des hommes criaient et faisaient claquer des fouets devant la cavalcade. Juste avant de piétiner le convoi, le troupeau se divisa par le milieu, certains bisons partant vers la droite pendant que d’autres déviaient vers la gauche. En fin de compte, personne ne fut blessé.

Jane, Isaac et leurs enfants étaient les seuls saints noirs de leur compagnie de près de cent quatre-vingt-dix personnes. Il y en avait pourtant d’autres dans des paroisses et branches dans toute l’Église. Elijah Able, un soixante-dix qui avait fait une mission à New York et au Canada, et sa femme Mary Ann faisaient partie d’une branche du Midwest. Un autre homme, Walker Lewis, que Brigham Young avait décrit comme « l’un des meilleurs anciens » de l’Église, faisait partie, avec sa famille, d’une branche de la côte Est.

De nombreux membres de l’Église s’opposaient à l’esclavage et Joseph Smith avait été candidat à la présidence des États-Unis avec un programme qui incluait le projet de mettre un terme à l’institution. Les efforts missionnaires de l’Église avaient néanmoins conduit au baptême de quelques propriétaires d’esclaves et de quelques esclaves. Trois membres du convoi d’avant-garde : Green Flake, Hark Lay et Oscar Crosby comptaient parmi ces derniers.

En 1833, le Seigneur avait déclaré : « Il n’est pas juste qu’un homme soit asservi à un autre. » Mais après que les saints avaient été chassés du comté de Jackson (Missouri), en partie parce que certains s’opposaient à l’esclavage et faisaient preuve de sympathie à l’égard des noirs libres, les dirigeants de l’Église avaient averti les missionnaires de ne pas semer le trouble entre les esclaves et les propriétaires. À l’époque, aux États-Unis, l’esclavage était l’un des problèmes les plus intensément débattus et, pendant de nombreuses années, il avait divisé les Églises ainsi que le pays.

Ayant passé toute sa vie dans le nord des États-Unis, où l’esclavage était illégal, Jane n’avait jamais été asservie. Elle avait travaillé chez Joseph Smith et Brigham Young et savait qu’en règle générale, les saints acceptaient les noirs dans le troupeau. Cependant, comme d’autres chrétiens de l’époque, de nombreux saints blancs les considéraient à tort comme inférieurs, croyant que la peau noire était le résultat de la malédiction de Dieu à l’encontre des personnages bibliques Caïn et Cham. Certains avaient même commencé à enseigner l’idée erronée que la peau noire était la preuve de la mauvaise conduite d’une personne dans la vie prémortelle.

Brigham Young partageait quelque peu ces avis, mais avant de quitter Winter Quarters, il avait aussi dit à un métis que tous les gens étaient pareils pour Dieu. Il avait dit : « D’un seul sang, Dieu a fait toute chair. Nous ne prêtons pas attention à la couleur. »

L’établissement de Sion au-delà des montagnes Rocheuses offrait aux saints la possibilité de fonder une nouvelle société où Jane, sa famille, et d’autres personnes comme elle seraient accueillies en tant que concitoyens et saints. Cependant, les préjugés étaient tenaces et le changement paraissait improbable dans un avenir proche.

Le 26 août, Wilford Woodruff chevaucha entre les rangées de maïs et de pommes de terre jusqu’aux contreforts surplombant la vallée du lac Salé. De là, il pouvait voir les prémices d’une grande colonie. En l’espace d’un mois, le convoi d’avant-garde et lui avaient commencé à construire un fort solide, à planter des hectares de cultures et à dessiner les plans du nouveau lieu de rassemblement. Au centre de la colonie, à l’endroit où Brigham avait enfoncé sa canne dans le sol, se trouvait un carré de terre qu’ils appelaient maintenant le « quartier du temple ».

Les premiers jours de Wilford dans la vallée avaient été remplis d’émerveillement. Un troupeau d’antilopes paissait sur le côté ouest du bassin. Des troupeaux de chèvres de montagne jouaient dans les collines. Wilford et les autres pionniers avaient trouvé des sources d’eau chaude sulfureuse près d’Ensign Peak. Dans le Grand Lac Salé, les hommes flottaient et roulaient comme des rondins sur l’eau saumâtre et chaude, essayant en vain de s’enfoncer sous sa surface.

Quatre jours après son arrivée dans la vallée, Wilford chevauchait seul à plusieurs kilomètres du camp quand il avait vu vingt Amérindiens sur une crête devant lui. En venant dans l’Ouest, les saints savaient qu’ils rencontreraient des peuples indigènes le long de la piste et dans le Grand Bassin. Ils s’attendaient pourtant à trouver la vallée du lac Salé essentiellement inoccupée. En réalité, les Shoshones, les Utes et quelques autres tribus y venaient souvent pour chasser et collecter de la nourriture.

Faisant faire prudemment volte-face à son cheval, Wilford reprit le chemin du camp au petit trot. L’un des Indiens galopa après lui et lorsqu’il fut à une centaine de mètres, Wilford arrêta sa monture, se tourna pour faire face au cavalier et essaya de communiquer dans un langage des signes improvisé. L’homme était amical et Wilford apprit qu’il était Ute, voulait la paix avec les saints et souhaitait faire du commerce avec eux. À partir de ce moment-là, les saints établirent d’autres contacts avec les Indiens, notamment avec les Shoshones du nord.

Maintenant que le mauvais temps n’était plus qu’à quelques semaines, Wilford, Brigham, Heber Kimball et d’autres membres du convoi d’avant-garde planifièrent de retourner auprès de leurs familles à Winter Quarters et de les ramener dans l’Ouest au printemps. Heber avait dit : « Plût à Dieu que nous n’ayons pas à repartir. C’est le paradis ici pour moi. C’est l’un des plus beaux endroits que je n’aie jamais vus. »

Tout le monde n’était pas de son avis. En dépit de ses ruisseaux et de ses prairies, la nouvelle colonie était plus sèche et plus désolée que tous les endroits où les saints s’étaient rassemblés jusque-là. Depuis son arrivée, Sam Brannan avait supplié Brigham de continuer jusqu’aux champs verdoyants et au sol fertile de la côte californienne.

Brigham lui avait dit : « Je vais m’arrêter ici même. Je vais construire une ville ici. Je vais bâtir un temple ici. » Il savait que le Seigneur voulait que les saints s’installent dans la vallée du lac Salé, loin des autres colonies de l’ouest des États-Unis, où il était sûr que d’autres émigrants ne tarderaient pas à s’établir. Brigham nomma Sam président de l’Église en Californie et le renvoya vers la baie de San Francisco avec une lettre adressée aux saints.

Il nota dans sa lettre : « Vous êtes libres de choisir de rester là où vous êtes. » Néanmoins, il les invitait à se joindre à eux dans les montagnes. Il leur dit : « Nous souhaitons faire de ce lieu une place forte, un point de ralliement, un lieu de rassemblement plus immédiat qu’aucun autre. » La Californie, en revanche, devait être un relais pour ceux qui se rendaient dans la vallée.

Pour sa part, Wilford n’avait jamais vu un meilleur endroit pour fonder une ville que la vallée du lac Salé et il était impatient que d’autres saints arrivent. Les Douze et lui avaient passé tout l’hiver à planifier une migration ordonnée, une migration qui offrirait à tous, indépendamment de leur position ou de leur fortune, un moyen d’arriver jusqu’à la vallée. Il était maintenant temps que le plan se déroule pour le bien de Sion.

Quand Addison Pratt quitta Tahiti en mars 1847, il avait espéré trouver sa famille en Californie avec le reste des saints. Néanmoins, n’ayant reçu aucune nouvelle d’elle (ni de quiconque dans l’Église) au cours de l’année écoulée, il ne savait pas si elle serait là. Il écrivit dans son journal : « Me dire que je suis en route pour la retrouver est une pensée agréable. Mais la pensée suivante est : Où est-elle ? Où dois-je la retrouver ? »

Addison arriva dans la baie de San Francisco en juin. Il y trouva les saints du Brooklyn attendant le retour de Sam Brannan et l’arrivée du corps principal de l’Église. Croyant que Louisa et leurs enfants étaient en route pour la côte, Addison se porta volontaire pour aller à la colonie des saints, New Hope, avec quatre autres hommes, moissonner le blé de l’Église.

Le groupe partit peu de temps après en bateau. New Hope se situait à cent cinquante kilomètres à l’intérieur des terres, sur un affluent de la San Joaquin River. Pendant des jours, les hommes voguèrent le long de terres basses marécageuses. De hauts joncs poussaient près des berges. Plus près de la colonie, le sol se durcit et ils firent le reste du chemin à pied le long de prairies verdoyantes.

La zone de New Hope était belle, mais une rivière voisine avait débordé peu de temps auparavant, emportant une partie du blé des saints et laissant derrière elle des flaques d’eau stagnante. Le soir, lorsqu’Addison se coucha, des nuées de moustiques assaillirent la colonie. Addison et les autres tentèrent de les chasser en les écrasant ou en les enfumant, mais sans succès. Et pour aggraver les choses, des coyotes et des chouettes hurlèrent et hululèrent jusqu’à l’aube, privant les colons fatigués de paix et de tranquillité.

La moisson du blé commença le lendemain matin. Mais la nuit blanche d’Addison le rattrapa à midi et il fit une sieste à l’ombre d’un arbre. Cela devint la routine quotidienne du fait des moustiques et du vacarme des animaux sauvages qui le tenaient éveillé nuit après nuit. Lorsque la moisson fut terminée, Addison était content de partir.

Il écrivit dans son journal : « Si ce n’était pas la question des moustiques, je me serais bien plu là-bas. »

De retour dans la baie de San Francisco, il commença à préparer un logement pour sa famille. Entre-temps, des membres du Bataillon mormon étaient arrivés en Californie et avaient reçu une relève honorable. Sam Brannan était aussi de retour dans la baie, toujours convaincu que Brigham était insensé de s’installer dans la vallée du lac Salé. Il dit à des vétérans du bataillon : « Lorsqu’il aura un peu essayé, il découvrira que j’avais raison et qu’il avait tort. »

Il remit quand même la lettre aux saints et nombre de ceux qui avaient voyagé sur le Brooklyn ou marché avec le Bataillon mormon décidèrent d’émigrer dans la vallée du lac Salé au printemps. Sam avait aussi une lettre de Louisa pour Addison. Elle était encore à Winter Quarters, mais elle aussi avait l’intention d’aller dans la vallée au printemps et de s’installer avec l’ensemble des saints.

Addison modifia immédiatement ses projets. Au printemps, il partirait en direction de l’est avec ceux qui s’y rendaient et retrouverait sa famille.

Brigham Young était encore malade à la fin du mois d’août lorsqu’il quitta la vallée du lac Salé avec la compagnie qui retournait à Winter Quarters. Pendant les trois jours suivants, le petit groupe voyagea rapidement à travers des canyons poussiéreux et les cols escarpés des montagnes Rocheuses. Lorsqu’ils arrivèrent de l’autre côté, Brigham fut content d’apprendre que la grande caravane de Parley Pratt et John Taylor n’était qu’à quelques centaines de kilomètres.

Sa joie se dissipa peu après lorsqu’il apprit qu’elle comprenait quatre cents chariots de plus que ce qu’il attendait. Les Douze avaient passé tout l’hiver à organiser les saints en compagnies, conformément à la volonté révélée du Seigneur. Il semblait maintenant que Parley et John n’avaient pas tenu compte de cette révélation et agi de leur propre chef.

Quelques jours plus tard, Brigham et son groupe rencontrèrent la caravane. Comme Parley était dans l’une des compagnies de tête, Brigham convoqua rapidement un conseil de dirigeants de l’Église pour lui demander pourquoi John et lui avaient désobéi aux instructions du collège.

Parley dit au conseil : « Si j’ai fait quelque chose de mal, je suis disposé à le réparer. » Il insistait quand même pour dire qu’ils avaient agi dans le cadre de leur autorité d’apôtres. Des centaines de saints étaient morts cette année-là à Winter Quarters et dans d’autres colonies le long du Missouri, et de nombreuses familles tenaient désespérément à quitter la région avant l’arrivée d’une autre saison meurtrière. Puisque certains saints dans les compagnies que les Douze avaient organisées n’étaient pas encore prêts à partir, John et lui avaient choisi d’en former de nouvelles pour tenir compte de ceux qui l’étaient.

Brigham rétorqua : « Nos compagnies étaient parfaitement organisées et si elles ne pouvaient pas y arriver, nous étions responsables d’elles. » La parole et la volonté du Seigneur commandaient clairement à chaque compagnie de « pren[dre] en charge, en proportion de sa part de biens », les pauvres et les familles des hommes servant dans le Bataillon mormon. Pourtant, Parley et John avaient délaissé beaucoup de ces personnes.

Brigham n’était pas non plus d’accord que deux apôtres annulent la décision du collège. Il dit : « Si le Collège des Douze fait une chose, deux d’entre eux n’ont pas le pouvoir de la mettre en pièces. Lorsque nous avons lancé la machine, vous n’aviez pas à mettre vos doigts dans les pignons pour arrêter la roue. »

Parley répondit : « J’ai fait de mon mieux. Tu dis que j’aurais pu mieux faire et si je dois être tenu pour responsable et si tu dis que j’ai mal agi, j’ai mal agi. Je suis coupable d’une erreur et j’en suis désolé. »

Brigham répliqua : « Je te pardonne. » Et il ajouta : « Et si je me conduis mal, je veux que tous les hommes me corrigent afin que je puisse vivre dans le bonheur de l’Évangile. Je me sens écrasé jusqu’au tombeau par le fardeau de ce grand peuple. »

Son visage et son corps décharné trahissaient chez lui une lassitude évidente. Il dit : « Je me considère comme un pauvre petit homme faible. C’est la providence de Dieu qui m’a appelé à présider. Je veux que tu ailles directement dans le royaume céleste avec moi. »

« Je veux savoir si les frères sont satisfaits de moi », répondit Parley.

« Que Dieu te bénisse pour toujours et à jamais, n’y pense même plus », lui répondit Brigham.

Drusilla Hendricks et sa famille campaient plus en arrière du convoi lorsque Brigham et son groupe arrivèrent. La plupart des familles des membres du Bataillon mormon étaient encore à Winter Quarters, mais les Hendricks et quelques autres avaient réuni suffisamment de moyens pour accompagner ceux qui partaient pour l’Ouest. Plus d’une année s’était écoulée depuis qu’elle avait regardé son fils William entamer sa marche avec le bataillon et elle était impatiente de le retrouver dans la vallée, ou avant.

Son convoi avait déjà rencontré le long de la piste des soldats qui rentraient. Le visage de nombreux saints, pressés de voir leurs êtres chers, s’illuminait d’espoir lorsqu’ils voyaient les troupes. Malheureusement, William n’était pas parmi elles.

Un mois plus tard, il en vint d’autres. Ces hommes captivèrent l’attention des saints lorsqu’ils décrivirent le Grand Bassin et leur firent goûter du sel qu’ils avaient rapporté du Grand Lac Salé. Mais William n’était pas non plus avec ce groupe.

Au fil des semaines suivantes, Drusilla et sa famille avancèrent péniblement sur des pistes montagneuses, traversèrent des rivières et des ruisseaux, gravirent des collines escarpées et se frayèrent un chemin à travers des canyons. Ils avaient les mains, les cheveux et le visage incrustés de poussière et de crasse. Leurs vêtements, déjà en lambeaux du fait du long voyage, les protégeaient peu du soleil, de la pluie et de la poussière. Lorsqu’ils atteignirent la vallée au début du mois d’octobre, certains membres du convoi étaient trop malades ou épuisés pour s’en réjouir.

Cela faisait plus d’une semaine que Drusilla et sa famille étaient arrivés dans la vallée et ils n’avaient toujours aucune nouvelle de William. Après l’arrivée du bataillon sur la côte californienne, certains vétérans étaient restés pour travailler et gagner de l’argent alors que d’autres avaient repris la route en direction de la vallée du lac Salé ou de Winter Quarters. Pour l’heure, William pouvait se trouver n’importe où entre l’océan Pacifique et le Missouri.

Avec l’arrivée de l’hiver, Drusilla et sa famille avaient très peu de vêtements chauds, peu de nourriture et aucun moyen de construire une maison. Leur situation s’annonçait mal, mais elle faisait confiance à Dieu que tout irait bien. Une nuit, elle rêva du temple que les saints construiraient dans la vallée, comme Wilford Woodruff en avait rêvé quelques mois plus tôt. Joseph Smith se tenait debout à son sommet et ressemblait exactement à celui qu’il était. Drusilla appela son mari et ses enfants à ses côtés et dit : « Voilà Joseph. » Le prophète leur parla et deux colombes descendirent en volant vers la famille.

En se réveillant, Drusilla pensa que les colombes représentaient l’Esprit du Seigneur, un signe que Dieu approuvait les décisions que sa famille et elle avaient prises. Elle pensa que leurs sacrifices n’étaient pas passés inaperçus.

Plus tard ce jour-là, un groupe de vétérans du bataillon aux pieds meurtris arriva dans la vallée. Cette fois-ci, William était parmi eux.

Pendant que les membres de la famille Hendricks se retrouvaient dans la vallée du lac Salé, les hommes de la compagnie de Brigham s’aventuraient vers l’est sur la piste. Ils s’étaient déplacés rapidement, si bien qu’ils étaient maintenant épuisés et n’avaient quasiment plus de nourriture. Leurs chevaux faiblissaient et commençaient à flancher. Le matin, certains avaient besoin d’aide pour se remettre sur pied.

Au milieu de ces difficultés, Brigham était toujours perturbé par sa rencontre avec Parley. Il avait accordé le pardon à son collègue apôtre et lui avait dit d’oublier l’affaire, mais leur désaccord révélait la nécessité de précisions et peut-être de changements dans la direction et l’organisation actuelles de l’Église.

Du temps de Joseph, la Première Présidence l’avait présidée. À la mort du prophète, cependant, la Première Présidence avait été dissoute laissant les Douze présider à sa place. D’après la révélation, les douze apôtres formaient un collège égal à la Première Présidence en termes d’autorité. Pourtant, ils avaient aussi le devoir sacré de servir en qualité de conseil voyageur et d’apporter l’Évangile au monde. En tant que collège, pouvaient-ils remplir correctement cette mission tout en assumant les devoirs de la Première Présidence ?

De temps en temps, Brigham avait envisagé de réorganiser la Première Présidence, mais il n’avait jamais pensé que le moment était opportun. Depuis qu’il avait quitté la vallée du lac Salé, des questions sur l’avenir de la direction de l’Église tournoyaient dans son esprit. Il y réfléchissait silencieusement sur la route de Winter Quarters et sentait de plus en plus l’Esprit l’exhorter à agir.

Un jour, pendant qu’il se reposait à côté d’une rivière, il se tourna vers Wilford Woodruff et demanda si l’Église devait appeler des membres des Douze pour former une nouvelle Première Présidence.

Wilford pesa la question. Modifier le Collège des Douze, un collège établi par révélation, était une décision grave.

Wilford fit la remarque suivante : « Il faudrait une révélation pour altérer l’ordre de ce collège. Peu importe ce que le Seigneur t’incite à faire à ce propos, je suis avec toi. »


CHAPITRE 6 : Sept tonnerres retentissants

À l’automne 1847, Oliver Cowdery habitait avec sa femme, Elizabeth Ann, et leur fille Marie Louise dans une petite ville du Territoire du Wisconsin, à près de huit cents kilomètres de Winter Quarters. Il avait quarante et un ans et pratiquait le droit avec son frère aîné. Presque vingt ans s’étaient écoulés depuis qu’il avait servi de secrétaire à Joseph Smith pour la traduction du Livre de Mormon. Il croyait toujours en l’Évangile rétabli, pourtant, il vivait à l’écart des saints depuis neuf ans.

Phineas Young, le frère aîné de Brigham, était marié à la jeune sœur d’Oliver, Lucy, et les deux hommes étaient proches et correspondaient souvent. Phineas disait fréquemment à Oliver qu’il avait toujours une place dans l’Église.

D’autres anciens amis lui tendaient aussi la main. Sam Brannan, son ancien apprenti à l’imprimerie de Kirtland, l’avait invité à prendre la mer avec les saints sur le Brooklyn. William Phelps, qui avait une fois brièvement quitté l’Église après une dispute avec Joseph Smith, l’avait également invité à se rendre dans l’Ouest. Il avait écrit : « Si tu crois que nous sommes Israël, viens avec nous et nous te ferons du bien. »

Mais la rancœur d’Oliver était profonde. Il pensait que Thomas Marsh, Sidney Rigdon et d’autres dirigeants de l’Église avaient tourné Joseph et le grand conseil contre lui au Missouri. Et il craignait que sa désaffection à l’égard de l’Église n’ait nui à sa réputation parmi les saints. Il voulait qu’ils se souviennent des bonnes choses qu’il avait faites, surtout de son rôle dans la traduction du Livre de Mormon et le rétablissement de la prêtrise.

Un jour, il écrivit à Phineas : « Je suis susceptible à ce sujet. Tu le serais, dans ces circonstances, si tu t’étais tenu en présence de Jean avec notre défunt frère Joseph pour recevoir la moindre prêtrise et en présence de Pierre pour recevoir la prêtrise supérieure. »

Oliver n’était pas sûr non plus que le Collège des Douze ait l’autorité de présider l’Église. Il respectait Brigham Young et les autres apôtres qu’il connaissait, mais il n’avait pas le témoignage qu’ils étaient appelés de Dieu pour diriger les saints. Pour le moment, il pensait que l’Église était dans un état de torpeur, en attendant un dirigeant.

En juillet, à peu près au moment où le convoi d’avant-garde entrait dans la vallée du lac Salé, William McLellin, ancien apôtre, lui avait rendu visite. Il voulait fonder une nouvelle Église au Missouri, basée sur l’Évangile rétabli, et il espérait qu’Oliver se joindrait à lui. La visite incita Oliver à écrire à David Whitmer, le frère de sa femme, autre témoin du Livre de Mormon. Il savait que William avait l’intention d’aller le voir et il voulait savoir ce qu’il pensait de lui et de son projet.

David lui répondit six semaines plus tard, l’informant que William lui avait en effet rendu visite. Il annonçait : « Nous avons établi, ou commencé à établir, de nouveau l’Église du Christ et la volonté de Dieu est que tu sois l’un de mes conseillers dans la présidence de l’Église. »

Oliver pesa la proposition. Former une nouvelle présidence de l’Église avec David et William au Missouri lui donnerait une autre chance de prêcher l’Évangile rétabli. Mais était-ce le même Évangile que celui qu’il avait embrassé en 1829 ? Et David et William avaient-ils l’autorité de Dieu d’établir une nouvelle Église ?

De bonne heure le matin du 19 octobre 1847, les apôtres Wilford Woodruff et Amasa Lyman aperçurent au loin sept hommes émergeant de derrière des bouquets d’arbres. Normalement, les étrangers sur la piste ne constituaient pas une menace, mais leur soudaine apparition inquiéta Wilford.

Les deux jours précédents, Amasa et lui avaient chassé le bison avec plusieurs autres hommes pour nourrir le convoi démuni de Brigham. Winter Quarters, leur destination, se trouvait encore à plus d’une semaine. Sans la viande de bison empilée dans les trois chariots des chasseurs, la compagnie serait bien en peine d’achever son périple. Nombre d’entre eux étaient déjà malades.

Les apôtres regardèrent attentivement les étrangers, se demandant au début s’ils étaient indiens. Lorsque les silhouettes approchèrent, ils virent qu’il s’agissait d’hommes blancs, peut-être de soldats, à cheval. Et ils fonçaient au grand galop sur eux.

Wilford et les chasseurs dégainèrent leurs armes pour se défendre, mais lorsque les cavaliers approchèrent, Wilford fut surpris et ravi de voir le visage de Hosea Stout, le chef de la police de Winter Quarters. Les saints avaient été informés de la situation désespérée de leur compagnie et Hosea et ses hommes avaient été envoyés approvisionner les voyageurs et leurs animaux.

L’aide les raviva et ils continuèrent d’avancer. Le 31 octobre, lorsqu’ils furent à un kilomètre de la colonie, Brigham leur fit signe de s’arrêter et de s’assembler. La dure journée de voyage était presque terminée et les hommes étaient impatients de revoir leurs familles, mais il voulait leur dire quelques mots avant de se séparer.

Il dit : « Merci de votre gentillesse et de votre bonne volonté à obéir aux ordres. » En un peu plus de six mois, ils avaient parcouru plus de trois mille kilomètres sans accident majeur ni mort. Il déclara : « Nous ne nous attendions pas à accomplir autant. Les bénédictions du Seigneur nous ont accompagnés. »

Il congédia les hommes et ils retournèrent à leurs chariots. Le convoi parcourut le dernier kilomètre jusqu’à Winter Quarters. Lorsque les voyageurs firent irruption dans le camp peu avant le coucher du soleil, les saints émergèrent de leurs cabanes et baraques pour les accueillir. Des foules se formèrent le long des rues pour leur serrer la main et se réjouir de tout ce qu’ils avaient accompli grâce à la main du Seigneur qui les avait guidés.

Wilford était fou de joie de revoir sa femme et ses enfants. Trois jours plus tôt, Phebe avait donné naissance à une petite fille en bonne santé. Maintenant, les Woodruff avaient quatre enfants en vie : Willy, Phebe Amelia, Susan et la petite Shuah. Il avait aussi un fils, James, avec son épouse plurale, Mary Ann Jackson, qu’il avait épousée peu après son retour d’Angleterre. Mary Ann et James étaient partis pour la vallée du lac Salé plus tôt cette année-là avec le père de Wilford.

Wilford écrivit à propos de son retour à la maison : « Tout était joyeux et heureux et nous avons estimé que c’était une bénédiction de nous retrouver. »

Cet hiver-là, les neuf apôtres à Winter Quarters et dans les colonies voisines tinrent souvent conseil. Au cours de ces réunions, Brigham songeait souvent à l’avenir du collège. Pendant le voyage de retour de la vallée du lac Salé, l’Esprit lui avait révélé que le Seigneur voulait que les Douze réorganisent la Première Présidence afin que les apôtres soient libres de proclamer l’Évangile de Jésus-Christ dans le monde entier.

Brigham répugnait depuis longtemps à parler de ce sujet au collège. Il comprenait que ses responsabilités de président des Douze le différenciaient des autres apôtres, lui donnant l’autorité de recevoir la révélation pour le collège et toutes les personnes sous son intendance.

Cependant, il comprenait également qu’il ne pouvait pas agir seul. En 1835, le Seigneur avait révélé que les Douze devaient prendre des décisions à l’unanimité ou pas du tout. Par décret divin, les apôtres étaient censés agir « en toute justice, en sainteté, avec humilité de cœur » lorsqu’ils prenaient des décisions. S’ils allaient faire quoi que ce soit en tant que collège, ils devaient le faire dans l’unité et l’harmonie.

Le 30 novembre, Brigham parla enfin au collège de la réorganisation de la Première Présidence, certain que la volonté de Dieu était qu’ils avancent. Orson Pratt mit immédiatement en doute la nécessité du changement. Il dit : « J’aimerais voir les Douze rester parfaitement unis. »

Il pensait que les Douze pouvaient diriger l’Église en l’absence d’une Première Présidence du fait qu’une révélation déclarait que les deux collèges étaient égaux en autorité. Joseph Smith, le prophète, avait aussi enseigné qu’une majorité des Douze pouvait prendre des décisions faisant autorité lorsque le collège entier n’était pas présent. Selon Orson, cela signifiait que sept apôtres pouvaient rester au siège de l’Église pour gouverner les saints pendant que les cinq autres apportaient l’Évangile aux nations.

Brigham l’écouta, mais désapprouva sa conclusion. Il demanda : « Qu’est-ce qui vaut mieux : délier les pieds des Douze et les laisser aller vers les nations ou en garder toujours sept à la maison ? »

Orson dit : « À mon sentiment, il ne doit pas y avoir une Première Présidence de trois membres ; les Douze constituent la Première Présidence. »

Pendant qu’Orson et Brigham parlaient, Wilford tournait et retournait la question dans son esprit. Il était disposé à soutenir une nouvelle Première Présidence si telle était la volonté révélée du Seigneur, mais il s’inquiétait également des conséquences d’un tel changement. Si trois des Douze formaient une Première Présidence, qui seraient les trois nouveaux apôtres appelés à prendre leur place dans le collège ? Et quelle influence la réorganisation de la présidence aurait-elle sur le rôle des Douze dans l’Église ?

Pour l’instant, il voulait que les Douze continuent comme ils étaient. Scinder le collège donnait l’impression de couper un corps en deux.

À l’automne 1847, les montagnes bordant la vallée du lac Salé semblèrent s’embraser lorsque leur feuillage prit de vives teintes rouges, jaunes et brunes. De là où sa famille campait parmi d’autres sur le quartier du temple, Jane Manning James voyait la plupart des montagnes et une grande partie de la nouvelle colonie que les saints avaient commencé d’appeler Great Salt Lake City, ou simplement Salt Lake City. À environ un kilomètre au sud-ouest de sa tente se trouvait un fort carré où certains saints construisaient des cabanes pour leur famille. Comme la vallée comptait peu d’arbres, ils érigeaient ces édifices avec du bois provenant de canyons voisins ou avec des briques dures en adobe.

Lorsque Jane était arrivée dans la vallée, les saints qui étaient venus avec le convoi d’avant-garde n’avaient presque plus de nourriture. Les nouveaux arrivants, comme Jane, avaient peu de provisions dont ils pouvaient se passer. Le lait de la plupart des vaches dans la vallée s’était tari et le bétail était fatigué et efflanqué. John Smith, le président nouvellement nommé du pieu de Salt Lake, dirigeait le grand conseil et les évêques pour subvenir aux besoins de tout le monde jusqu’à ce que les cultures soient prêtes à être moissonnées, mais peu de personnes allaient se coucher le ventre plein.

Pourtant, malgré le manque de nourriture, la colonie se développa rapidement. Les femmes et les hommes travaillaient ensemble pour construire des logements et améliorer le confort de leur environnement. Les hommes se risquaient en haut des canyons pour couper du bois puis le descendaient dans la vallée. N’ayant pas de scierie, chaque rondin devait être débité à la main. Les toits étaient faits de perches et d’herbe sèche. Les fenêtres étaient souvent faites de papier gras et non de verre.

À cette époque, les femmes de l’Église continuaient de se réunir officieusement. Elizabeth Ann Whitney et Eliza Snow, anciennes dirigeantes de la Société de secours de Nauvoo, organisaient souvent des réunions pour les mères, ainsi que pour les jeunes filles et les fillettes. De même qu’elles l’avaient fait à Winter Quarters, les femmes exerçaient des dons spirituels et se fortifiaient mutuellement.

Comme d’autres saints, Jane et son mari, Isaac, travaillaient ensemble pour bâtir un foyer dans la vallée. Le fils de Jane, Sylvester, était assez grand pour aider aux corvées. Et il y avait toujours quelque chose à faire. Les enfants pouvaient aider leur mère à ramasser des panais sauvages, des chardons et des racines de fleurs de sego pour pallier la diminution des provisions. Les saints pouvaient difficilement se permettre de gaspiller la nourriture. Lorsqu’une vache était tuée, ils mangeaient tout ce qu’ils pouvaient, de la tête aux sabots.

Au début de novembre, la neige commença à tomber, enveloppant la cime des montagnes d’un manteau de poudre blanche. Les températures chutèrent dans la vallée et les saints se préparèrent pour leur premier hiver.

Par une journée couverte de fin novembre, les apôtres à Winter Quarters se réunirent pour parler d’Oliver Cowdery. La plupart l’avaient connu à Kirtland et avaient entendu son témoignage puissant du Livre de Mormon. Avec David Whitmer et Martin Harris, il avait aidé Joseph Smith, le prophète, à appeler certains d’entre eux au Collège des Douze et leur avait enseigné leurs responsabilités. Phineas Young leur avait aussi assuré qu’il était dévoué à la cause de Sion et que son cœur s’était adouci à l’égard de l’Église.

Willard Richards jouant le rôle de secrétaire, les apôtres rédigèrent une lettre à l’attention d’Oliver. Ils écrivirent : « Viens, et retourne dans la demeure de notre Père, dont tu t’es éloigné. » Décrivant Oliver comme un fils prodigue bien-aimé, ils l’invitèrent à se refaire baptiser et à être de nouveau ordonné à la prêtrise.

Ils déclarèrent : « Si tu désires servir Dieu de tout ton cœur et prendre part aux bénédictions du royaume céleste, fais ces choses. Ton âme sera remplie de joie. »

Ils donnèrent la lettre à Phineas et lui demandèrent de la remettre en main propre.

Peu de temps plus tard, Brigham se réunit avec huit autres apôtres chez Orson Hyde, qui était rentré de mission en Angleterre. Il dit : « Je veux qu’on prenne une décision. Depuis mon arrivée à Great Salt Lake City jusqu’à présent, l’Esprit n’a cessé de me murmurer que l’Église devait maintenant être organisée. » Il témoigna que l’Église devait soutenir une Première Présidence pour la gouverner afin que les apôtres puissent diriger l’œuvre missionnaire à l’étranger.

Il conseilla : « Je veux que chaque homme acquière la conviction du Seigneur. Découvrez simplement dans quel sens va le Seigneur et suivez-le. Un ancien qui résiste à l’inspiration de l’Esprit se fait du tort à lui-même. »

Heber Kimball et Orson Hyde étaient aussi d’avis qu’il était temps de réorganiser la Première Présidence. Mais Orson Pratt exprima de nouveau ses inquiétudes. Il craignait que la Première Présidence ne consulte pas le Collège des Douze et que les Douze s’en remettent trop rapidement à l’autorité de la présidence, acceptant ses décisions avant d’avoir examiné les questions eux-mêmes. Il se disait que l’Église avait bien fonctionné sous leur direction. Pourquoi changer maintenant ?

Brigham demanda à entendre l’avis de chacun des membres du collège présents. Lorsque son tour vint, Wilford Woodruff fit part de ses hésitations à l’idée de créer une Première Présidence, mais il exprima son désir de conformer sa volonté à celle de Dieu. Il dit : « Notre président semble inspiré par l’Esprit. Il se tient entre Dieu et nous et, pour ma part, je ne veux pas qu’il ait les mains liées par moi. »

Ensuite, George A. Smith dit : « Je ne veux pas voir ce collège divisé. » Il souhaitait reporter la décision jusqu’à ce qu’il soit certain de la volonté de Dieu, mais il était ouvert à l’idée du changement. Il déclara : « Si c’est la volonté du Seigneur que nous prenions cette voie, je m’y résoudrai. »

Brigham dit : « J’ai exactement les mêmes sentiments que toi. Je ne veux pas plus que toi que nos avis divergent ni que nous soyons séparés. » Pourtant, il connaissait la volonté du Seigneur. Il déclara : « C’est en moi comme sept tonnerres retentissants. Dieu nous a conduits où nous en sommes et nous devons le faire. »

Amasa Lyman et Ezra Benson, les deux nouveaux apôtres, étaient d’accord avec lui. Ezra dit : « Je veux aider le Collège des Douze et j’ai l’intention de rester fidèle à frère Brigham. » Il se compara à une machine dans un moulin, toujours prête à remplir sa fonction. Il dit qu’il était parfaitement disposé à se laisser guider par la Première Présidence comme le Seigneur le jugeait bon.

« Amen ! » dirent plusieurs apôtres.

Orson Pratt se leva. Il dit : « Je ne pense pas que nous devions agir comme des machines. Si nous devons être gouvernés de cette manière en tout, nous n’aurons plus la moindre latitude pour examiner une chose de cette façon. »

Brigham dit à Orson : « Il est important maintenant que nous organisions l’Église. Ce que nous avons fait est à peine une ébauche de ce qu’il nous reste à faire. Si tu nous mets des bâtons dans les roues, nous ne pourrons rien faire. »

Les paroles de Brigham résonnèrent dans la pièce et le Saint-Esprit fut déversé sur les apôtres. Orson sut que ce que Brigham avait dit était vrai. Les apôtres soumirent la question de la réorganisation à un vote et chaque membre du collège leva la main pour soutenir Brigham Young comme président de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours.

Orson dit : « Je propose que frère Young désigne ses deux conseillers ce soir. »

Trois semaines plus tard, le 27 décembre 1847, environ un millier de saints venant de colonies installées le long du Missouri se réunirent pour une conférence spéciale. Pour l’occasion, ils avaient construit un tabernacle en rondins sur la berge orientale du fleuve, dans un endroit qui serait appelé plus tard Kanesville. Le bâtiment était plus grand que n’importe quelle cabane des environs, mais il ne pouvait pas contenir toutes les personnes qui voulaient assister à la conférence.

À l’intérieur, les saints étaient assis épaule contre épaule sur des bancs de bois durs. Bien que l’hiver eût été intensément froid jusque-là, lorsqu’ils arrivèrent au tabernacle, le temps était anormalement plaisant pour la saison. La veille, Heber Kimball leur avait promis que s’ils venaient à la réunion, ils passeraient l’une de leurs meilleures journées et un feu serait allumé qui ne s’éteindrait jamais.

Les apôtres étaient assis avec le grand conseil de Winter Quarters sur une estrade à l’avant de la pièce. La réunion commença par un chant et une prière, suivis de sermons prononcés par certains apôtres et autres dirigeants de l’Église. Orson Pratt parla de l’importance de la Première Présidence.

Convaincu maintenant de la volonté de Dieu, il dit : « Il est temps que les Douze aient les mains libres pour aller jusqu’aux extrémités de la terre. S’il n’y a pas de Première Présidence, cela confine trop les Douze en un seul endroit. » Il témoigna que la réorganisation de la présidence permettrait à l’Église de tourner son regard vers les parties lointaines de la terre où des milliers de personnes pouvaient attendre l’Évangile.

Après les sermons, il fut proposé de soutenir Brigham Young comme président de l’Église. Les saints levèrent alors la main à l’unisson pour le soutenir. Prenant la chaire, Brigham proposa qu’Heber Kimball et Willard Richards soient soutenus comme conseillers.

Il dit aux saints : « C’est l’un des plus beaux jours de ma vie. » Le chemin devant eux ne serait pas facile, mais en qualité de dirigeant des saints, il se consacrerait totalement à accomplir la volonté du Seigneur.

Il promit : « Je ferai ce qui est juste. Ce qu’il dictera, je l’accomplirai. »


CHAPITRE 7 : Gardons courage

Au printemps de 1848, la vallée du lac Salé vit l’arrivée de températures plus douces et de quelques pluies torrentielles. Des toits fuyaient et le sol devenait mou et boueux. Des serpents ondulaient à travers les cabanes, prenant les adultes au dépourvu et terrifiant les enfants. De minuscules souris, les dents aussi pointues que des aiguilles, détalaient sur les planchers et rongeaient au passage les sacs de nourriture, les malles et les manches des manteaux. Parfois, la nuit, les saints étaient réveillés en sursaut par des rongeurs qui couraient sur eux.

L’un des hommes les plus âgés de la vallée était John Smith et il avait soixante-six ans. C’était l’oncle de Joseph, le prophète, et le père de l’apôtre George A. Smith. Après s’être fait baptiser en 1832, il avait été membre du grand conseil de Kirtland et présidé des pieux au Missouri et en Illinois. Il était maintenant président du pieu de Salt Lake City et de ce fait responsable du bien-être de la colonie.

De petite santé, John assumait ses nouveaux devoirs avec l’aide de ses deux conseillers plus jeunes, Charles Rich et John Young, et d’un grand conseil nouvellement formé. En tant que président de pieu, il supervisait l’aménagement urbain, la répartition des terres et les projets de construction des bâtiments publics. La maladie l’empêchait parfois d’assister aux conseils, mais il était attentif à tout ce qui se passait dans la vallée et réagissait rapidement en cas de problèmes.

Dans ses lettres à Brigham, John ne disait que du bien des saints à Salt Lake City. Il notait : « Compte tenu de la situation, l’unité et l’harmonie règnent parmi nous. » Dans toute la colonie, les gens cultivaient la terre ou fabriquaient des tables, des chaises, des lits, des bassines, des barattes pour faire le beurre et d’autres articles ménagers. De nombreuses familles avaient maintenant une cabane dans ou autour du fort. Dans les champs, le long des ruisseaux ou des canaux d’irrigation, le blé d’hiver était sorti et des hectares de nouvelles récoltes avaient été ensemencés pour l’été.

Pourtant, dans ses lettres John parlait aussi ouvertement des difficultés dans la ville. Plusieurs saints, déjà mécontents de la vie dans la vallée, étaient partis pour la Californie. Cet hiver-là, un groupe d’Indiens qui avaient longtemps chassé pour se nourrir dans la vallée d’Utah avaient dispersé et tué quelques têtes de bétail appartenant aux saints. On en était presque venu aux mains, mais les partis avaient négocié un accord de paix.

Toutefois, ce qui le préoccupait le plus était le manque de nourriture. En novembre, John avait autorisé un groupe d’hommes à se rendre sur la côte californienne pour acheter du bétail, du grain et d’autres produits mais le groupe n’était pas encore revenu et les denrées alimentaires commençaient à manquer. Il y avait déjà mille sept cents saints à nourrir et des milliers d’autres étaient en route. Une mauvaise récolte mettrait la colonie au bord de la famine.

John avait foi aux desseins du Seigneur pour la vallée. Il était certain qu’il finirait par pourvoir aux besoins de son peuple. Mais la vie à Salt Lake City restait fragile. Si quelque chose venait à bouleverser sa paix et sa stabilité précaires, les saints auraient de gros ennuis.

« De l’or », criait Sam Brannan en courant à travers les rues de San Francisco. « De l’or de l’American River ! » Agitant frénétiquement son chapeau dans les airs, il brandissait une petite bouteille dont le contenu sablonneux étincelait au soleil. « De l’or », criait-il. « De l’or ! »

Pendant des semaines, Sam et les saints de Californie avaient entendu des rumeurs selon lesquelles on avait trouvé de l’or à un endroit appelé Sutter’s Mill, le long de l’American River, à plus de deux cents kilomètres au nord-est de San Francisco. Cependant, Sam ne sut que les rumeurs étaient fondées qu’après avoir parlé à un groupe de vétérans du Bataillon mormon qui étaient présents lorsqu’on avait découvert l’or. Il se rendit rapidement sur les lieux et trouva des hommes accroupis dans l’eau peu profonde, plongeant des paniers et des batées dans le lit limoneux de la rivière. En l’espace de cinq minutes, il vit quelqu’un sortir de l’eau de l’or d’une valeur de huit dollars.

La ville de San Francisco fut prise de frénésie devant la poussière d’or contenue dans la bouteille de Sam. Des hommes quittèrent leur emploi, vendirent leurs terres et se précipitèrent vers la rivière. Entre-temps, Sam faisait des manigances pour faire fortune. Il n’y avait qu’à se baisser pour trouver de l’or en Californie, mais il n’avait pas besoin de fournir ce travail dur et souvent infructueux pour devenir riche. Il lui suffisait de vendre des pelles, des batées et d’autres accessoires aux chercheurs d’or. La demande de ce matériel serait toujours élevée tant que durerait la ruée.

Comme de nombreux autres saints de Californie, Addison Pratt rechercha de l’or à un endroit appelé Mormon Island en attendant que fonde la neige sur la piste franchissant la Sierra Nevada. Pour gagner davantage d’argent, Sam convainquit les vétérans de lui donner trente pour cent de tout l’or découvert dans la région, soi-disant pour acheter du bétail pour les saints dans la vallée du lac Salé.

Addison doutait que l’argent de Mormon Island serve un jour à aider l’Église. Pendant les mois qu’il avait passés à San Francisco, il avait remarqué que Sam, en dépit de toutes ses professions de foi et de dévouement, s’intéressait de plus en plus à ses intérêts personnels et à son enrichissement et de moins en moins au royaume de Dieu.

Heureusement, Addison n’eut pas à attendre longtemps ; quatre jours plus tard, les cols étaient dégagés. Il se procura un chariot et un attelage pour le tirer et se mit rapidement en route pour la vallée en compagnie d’une cinquantaine de saints du Brooklyn et du Bataillon mormon.

Lorsque Harriet Young était arrivée dans la vallée du lac Salé avec le convoi d’avant-garde, elle avait balayé du regard le nouveau lieu de rassemblement avec consternation. Il avait l’air aride, stérile et désolé. Elle avait dit : « Aussi faible et lasse que je sois, je préférerais faire mille cinq cents kilomètres de plus que rester dans un endroit aussi perdu que celui-ci. » Son mari, Lorenzo, était du même avis. Il nota dans son journal : « Mes sentiments sont tels que je ne puis les décrire. Tout à l’air lugubre et je suis dégoûté. »

Harriet et Lorenzo construisirent un logement près de la parcelle du temple pendant l’hiver doux et déménagèrent du fort qui était exigu. Dès le mois de mars, ils plantèrent du blé de printemps, de l’avoine, du maïs, des pommes de terre, des haricots et des petits pois pour nourrir leur famille. Quelques semaines plus tard, une forte gelée sévit dans la vallée, endommageant les récoltes et compromettant la réussite de la moisson. Le gel persista jusqu’au mois de mai, mais, en travaillant ensemble, les Young réussirent à sauver la plus grande partie de leur récolte.

Lorenzo écrivit dans son journal : « Nous avons du courage et espérons que tout ira pour le mieux. » Comme c’était le cas pour tous les habitants de la vallée, leurs provisions étaient maigres et ils avaient besoin d’une moisson abondante pour renflouer leurs réserves de nourriture.

Malheureusement, le 27 mai 1848, des nuées de sauterelles venant des montagnes s’abattirent sur la vallée et ravagèrent le jardin des Young à une vitesse alarmante. Elles étaient grandes, noires et munies d’une carapace semblable à une armure ainsi que de longues antennes. Ce ne fut qu’une question de minutes pour qu’elles consomment le carré de haricots et de petits pois des Young. Harriet et Lorenzo tentèrent de les chasser à l’aide de poignées de broussailles, mais elles étaient trop nombreuses.

Les insectes se propagèrent de tous côtés, se nourrissant voracement des récoltes et ne laissant que des tiges sèches là où il y avait eu du maïs et du blé. Les saints utilisaient tous les moyens imaginables pour arrêter les sauterelles. Ils les écrasaient. Ils les brûlaient. Ils frappaient des marmites et des casseroles les unes contre les autres espérant que le bruit les ferait fuir. Ils creusaient de profondes tranchées et essayaient de les noyer ou de leur faire obstacle. Ils priaient pour recevoir de l’aide. Rien ne semblait fonctionner.

Alors que la destruction se poursuivait, le président John Smith mesura l’étendue des dégâts. Le gel et les sauterelles avaient anéanti des champs entiers de cultures et maintenant, d’autres saints envisageaient sérieusement de quitter la vallée. L’un de ses conseillers l’exhorta à écrire immédiatement à Brigham. « Dis-lui de ne pas faire venir d’autres personnes ici, car s’il le fait, elles mourront toutes de faim. »

John se tut pendant quelques instants, plongé dans ses réflexions. Il finit par dire : « Le Seigneur nous a conduits ici et il ne nous y a pas conduits pour mourir de faim. »

Entre-temps, à Winter Quarters, Louisa Pratt ne pensait pas pouvoir se permettre de faire le voyage jusqu’à la vallée du lac Salé ce printemps-là, mais Brigham Young lui dit qu’elle le devait. Les femmes à Winter Quarters lui avaient promis que le Seigneur la réunirait à son mari dans la vallée. En outre, l’automne précédent, Addison lui avait écrit, ainsi qu’à Brigham, pour les informer de son projet de partir pour Salt Lake City au printemps. Il serait déçu si sa famille n’y était pas.

Addison avait écrit : « J’espère que je verrai ma chère famille. La séparation a été longue et pénible pour moi, mais jusqu’à présent, le Seigneur m’a aidé à la supporter, et je vis toujours dans l’espoir de les revoir. »

Brigham demanda à Louisa de fournir tout ce qu’elle pouvait pour subvenir aux besoins de sa famille et il lui promit de l’aider avec le reste. Elle commença à vendre des articles dont elle n’avait plus besoin tout en priant pour avoir la force et le courage de faire le voyage. Après cinq années de séparation, elle était pressée de revoir Addison. Cinq ans, c’était une durée particulièrement longue pour une mission dans l’Église. La plupart des anciens ne partaient que pour un an ou deux à la fois. Louisa se demandait si son mari reconnaîtrait ses enfants. Ellen, Frances, Lois et Ann avaient tellement grandi en son absence ! Seule Ellen, l’aînée, se souvenait bien de son père. Ann, la benjamine, ne s’en souvenait pas du tout.

Il est certain que si les filles le croisaient dans la rue, elles ne le reconnaîtraient pas. Et Louisa, le reconnaîtrait-elle ?

Louisa réussit à vendre ses affaires à un prix raisonnable. Conscient de sa pauvreté et des grands sacrifices qu’Addison et elle avaient faits, Brigham fit équiper son chariot et lui fournit cinq cents kilos de farine et un autre attelage de bœufs. Il embaucha également un homme pour la conduire et lui fit cadeau d’articles de magasin d’une valeur de cinquante dollars, dont de nouveaux vêtements pour ses filles et elle.

Brigham était prêt à guider le convoi vers l’Ouest la première semaine de juin. La plupart de ses femmes et de ses enfants émigraient avec lui. Au même moment, Heber Kimball quittait Winter Quarters avec un convoi d’environ sept cents personnes, dont sa famille. Willard Richards suivrait un mois plus tard avec un convoi de presque six cents.

Quoique bien approvisionnée pour son voyage, Louisa redoutait quand même le long périple qui l’attendait. Elle s’efforça néanmoins de sourire, donna sa cabane à un voisin et prit la route de l’Ouest. Dans son convoi, les chariots avançaient à trois de front en une file qui s’étirait à perte de vue. Au début, Louisa ne trouvait rien de bien joyeux au voyage. Mais rapidement, elle prit plaisir à voir l’herbe verte des prairies, les fleurs sauvages colorées et les parcelles de terre chamarrées le long des berges.

Elle nota : « Petit à petit, ma morosité s’est dissipée et il n’y eut pas de femme plus joyeuse dans tout le convoi. »

Début juin, les sauterelles dévoraient encore les récoltes dans la vallée du lac Salé. De nombreux saints jeûnaient et priaient pour être délivrés, mais d’autres se demandaient s’ils devaient cesser leur travail, charger leurs chariots et abandonner la colonie. Un homme informa John Smith : « J’ai arrêté de construire mon moulin. Il n’y aura pas de grain à moudre. »

Fermement, John répondit : « Nous n’allons pas être vaincus. Continue ton moulin et si tu le fais, tu seras béni et il sera une source sans fin de joie et de profit pour toi. »

Cependant, les saints continuaient de parler de déménager en Californie. En chariot, il fallait deux mois pour arriver à la baie de San Francisco et, pour certains, l’idée d’entreprendre un autre long voyage était préférable à celle de mourir lentement de faim.

Charles Rich, l’un des conseillers de John, était d’accord avec ceux qui voulaient partir. Si les sauterelles continuaient de se nourrir de leurs récoltes, il ne resterait pas grand-chose à manger pour les saints. En l’état actuel des choses, ils survivaient en se nourrissant de racines, de tiges de chardon et de soupes de vieilles peaux de bœuf bouillies.

Le jour du sabbat, Charles convoqua les saints à une réunion. Le ciel était dégagé et bleu, mais la foule était d’humeur solennelle. Dans les champs voisins, les sauterelles se cramponnaient avec ténacité aux tiges de blé et de maïs et dévoraient les récoltes. Charles grimpa sur un chariot ouvert et éleva la voix. Il dit : « Nous ne voulons pas que vous vous sépariez de vos chariots et de vos attelages, car nous risquons d’en avoir besoin. »

Pendant qu’il parlait, la foule entendit un bruit strident venant du ciel. Levant les yeux, elle vit un petit vol de mouettes arrivant du Grand Lac Salé survoler la vallée. Quelques minutes plus tard, un vol plus important descendit et se posa dans les champs et les jardins des saints. Au début, les oiseaux semblaient s’attaquer au reste des récoltes, achevant la dévastation commencée par le gel et les sauterelles. Mais en regardant de plus près, les saints virent que les mouettes se faisaient un festin des sauterelles, régurgitant celles qu’elles ne pouvaient pas digérer et retournant en manger d’autres.

Le 9 juin, John Smith rapporta à Brigham : « Les mouettes sont venues en nombre du lac et enlèvent les sauterelles au passage. Il semble que la main du Seigneur soit en notre faveur. » Il y avait davantage de sauterelles que les mouettes ne pouvaient en manger, mais les oiseaux contenaient les insectes. Les saints les voyaient comme des anges envoyés par Dieu et ils remerciaient le Seigneur d’avoir exaucé leurs prières à temps pour sauver leurs champs endommagés et resemer.

Deux semaines plus tard, John nota : « Les sauterelles sont encore assez nombreuses et voraces, mais entre les mouettes, nos efforts et la croissance de nos récoltes, nous produirons beaucoup de grain malgré elles. » La moisson ne serait pas aussi abondante qu’ils l’avaient espéré, mais personne ne mourrait de faim dans la vallée. De plus, le convoi que John avait envoyé en Californie en novembre était de retour avec près de deux cents têtes de bétail, divers fruits et quelques semences.

John signala avec plaisir : « Nous acquérons une somme de connaissances et la grande majorité d’entre nous en est encouragée et satisfaite. »

Au bout de deux mois de voyage, Louisa et ses filles s’arrêtèrent à Independence Rock, un monolithe de granit massif qui se tenait comme une énorme carapace de tortue au bord de la Sweetwater River. Escaladant le rocher avec difficulté, elles virent le nom de voyageurs gravés ou peints sur la pierre. Le long de la piste, étant toujours entre eux, Louisa avait souvent pensé que les saints étaient seuls dans ce grand désert. Mais les noms, si nombreux et si étranges, lui rappelaient qu’ils n’étaient pas les premiers à passer par là, ni probablement les derniers.

Bien qu’elle et sa famille aient été chassées de Nauvoo, ce sentiment d’être un paria commençait à se dissiper. Des bénédictions avaient découlé de leur exil. Elle se rendit compte que si les saints ne s’étaient pas enfuis dans le désert, ils n’auraient pas vu à quel point la nature était belle.

De son promontoire, elle distinguait clairement les environs. Le convoi de Brigham campait au pied du rocher ; les chariots étaient installés en cercle, comme d’habitude. Plus loin, la Sweetwater River ondulait tel un serpent à travers les plaines, sa surface bleue argentée disparaissant derrière Devil’s Gate, une paire de falaises imposantes à huit kilomètres à l’ouest.

Cela lui rappelait que Dieu avait fait un monde magnifique pour le plaisir de ses enfants. L’une des révélations disait : « Toutes les choses qui viennent de la terre […] sont faites pour le profit et l’usage de l’homme, pour plaire à l’œil et pour réjouir le cœur »

Louisa et les autres membres de sa compagnie gravèrent leur nom sur Independence Rock puis suivirent une fissure dans un passage étroit qui les conduisit vers une source naturelle d’eau fraîche. Ils burent et burent, si reconnaissants que ce ne soit pas l’eau trouble des rivières dont ils dépendaient depuis qu’ils avaient quitté Winter Quarters. Satisfaits, ils quittèrent la source et rebroussèrent chemin jusqu’au campement.

Les semaines suivantes, Louisa et ses filles se frayèrent un chemin dans de hauts canyons, de la boue profonde et des broussailles. Ses filles tenaient le rythme, devenant chaque jour plus indépendantes et n’étant un fardeau pour personne. Un matin, Frances, treize ans, se réveilla et fut la première du camp à allumer un feu. Rapidement, des gens s’approchèrent pour la complimenter et emprunter une flamme pour allumer le leur.

Louisa écrivit dans son journal : « Nous avançons lentement, progressant un peu chaque jour. J’ai le sentiment que je pourrais faire encore un millier de kilomètres. »


CHAPITRE 8 : Cette époque de pénurie

Louisa Pratt et ses filles arrivèrent dans la vallée du lac Salé avec le convoi de chariots de Brigham Young l’après-midi du 20 septembre 1848. Toute la matinée, elles avaient rêvé de manger des légumes frais dans la terre promise et enfin, après que leurs anciens amis les eurent saluées et leur eurent serré la main, elles s’assirent pour savourer le maïs récolté dans la vallée.

Comme le convoi d’Addison n’était pas encore arrivé de Californie, Mary Rogers, la femme d’un homme qui avait aidé Louisa à Winter Quarters, invita la famille à loger chez elle. Louisa ne connaissait pas bien Mary, mais accepta l’invitation avec joie. Cette dernière était sur le point d’accoucher et loger chez elle en attendant Addison donnait à ses filles et elle l’occasion de l’aider et de la remercier de sa gentillesse à l’égard de leur famille.

Les jours passèrent sans nouvelles de lui. Mary accoucha et Louisa prit soin d’elle et de son bébé nuit et jour. Puis, le 27 septembre, des vétérans du Bataillon mormon arrivèrent en ville en annonçant qu’Addison était à une journée de là. Les filles étaient folles de joie. Ann, huit ans, avait dit à ses amis : « On me dit que j’ai un père, mais je ne le connais pas. N’est-ce pas étrange d’avoir un père et de ne pas le connaître ? »

Le lendemain matin, la journée s’annonçait belle et claire et Louisa alla dans son chariot s’habiller pour les retrouvailles. Pendant qu’Ellen, seize ans, récurait à quatre pattes le plancher des Rogers, un ami de la famille entra dans la cabane. « Ellen, dit-il, voici ton père. »

Ellen se leva d’un bond en voyant un homme hirsute et basané entrer dans la pièce. Lui prenant les mains, Ellen dit : « Alors papa, tu es arrivé ? » Après plus de cinq années, elle le reconnaissait à peine.

Frances et Lois firent irruption dans la pièce et furent surprises de l’allure négligée de leur père. Elles appelèrent Ann qui jouait dehors. Elle entra dans la cabane, dévisagea Addison avec méfiance, les mains dans le dos. L’une de ses sœurs dit : « C’est papa. » Elles l’encouragèrent à lui serrer la main, mais elle s’enfuit hors de la pièce

en criant : « Non, ce n’est pas lui. »

Louisa arriva bientôt et vit le visage buriné de son mari. Il avait presque l’air d’un étranger et elle ne savait pas quoi dire. La tristesse l’envahit en voyant combien sa famille avait changé en son absence. Elle pensa que seule l’édification du royaume de Dieu pouvait justifier une aussi longue séparation.

Addison fut bouleversé à son tour. Ses filles n’étaient plus les fillettes dont il se souvenait, surtout Ann, qui n’avait que trois ans quand il était parti. La voix de Louisa avait changé à cause des dents qu’elle avait perdues à Winter Quarters en attrapant le scorbut. Il avait l’impression d’être un étranger et il lui tardait de refaire connaissance avec sa famille.

Le lendemain matin, Ann n’avait toujours pas adressé la parole à son père ; alors il l’emmena jusqu’à son chariot, ouvrit le coffre et plaça plusieurs coquillages et autres curiosités en tas à côté d’elle. En posant chaque objet, il lui dit d’où il provenait et qu’il l’avait ramassé juste pour elle. Il déversa ensuite des prunes confites, des raisins secs et des bonbons à la cannelle sur la pile.

Il demanda : « Crois-tu maintenant que je suis ton père ? »

Ann contempla les cadeaux et le regarda de nouveau. « Oui ! » s’exclama-t-elle.

Le mois suivant, Oliver Cowdery monta sur une estrade pour s’adresser aux saints à l’occasion d’une conférence près de Kanesville, sur la berge orientale du Missouri. Parmi les personnes présentes, beaucoup lui étaient inconnues. L’Église avait grandi rapidement depuis qu’il l’avait quittée une décennie plus tôt. Son beau-frère, Phineas Young, était l’une des rares qu’il connaissait à la conférence.

C’était en partie la détermination de ce dernier qui avait amené Oliver à rencontrer les saints dans les colonies le long du Missouri. De son côté, Oliver était parvenu à la conclusion que la nouvelle église de David Whitmer ne détenait pas l’autorité compétente. La prêtrise était avec l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours.

Sur l’estrade, assis près de lui se trouvait Orson Hyde, l’apôtre président de Kanesville. Près de quatorze ans auparavant, Orson avait fait partie des premiers apôtres modernes qu’Oliver avait ordonnés. Comme ce dernier, Orson avait quitté l’Église au Missouri, mais il était revenu peu après et s’était réconcilié en tête-à-tête avec Joseph Smith.

Après avoir rassemblé ses idées, Oliver s’adressa aux saints. Il dit : « Je m’appelle Cowdery, Oliver Cowdery. À l’exception de quelques pages, j’ai écrit tout le Livre de Mormon de ma plume tel qu’il est sorti de la bouche du prophète, pendant qu’il le traduisait par le don et le pouvoir de Dieu. » Il témoigna que le Livre de Mormon était vrai et qu’il contenait les principes du salut. Il déclara : « Si vous marchez selon sa lumière et obéissez à ses préceptes, vous serez sauvés dans le royaume éternel de Dieu. »

Il parla ensuite du rétablissement de la prêtrise et de l’appel de prophète de Joseph Smith. Il témoigna : « Cette sainte prêtrise que nous avons conférée à de nombreuses personnes est tout aussi légitime que si Dieu l’avait conférée lui-même. »

Tout en parlant aux saints, Oliver désirait vivement avoir de nouveau les bénédictions de la prêtrise dans sa vie. Il comprenait qu’il n’occuperait pas le même poste d’autorité qu’il avait détenu autrefois dans l’Église, mais c’était sans importance. Il voulait être rebaptisé et accueilli de nouveau en humble membre de l’Église de Jésus-Christ.

Deux semaines après la conférence, il rencontra des dirigeants de l’Église dans le tabernacle en rondins de Kanesville. Il reconnut : « J’ai été séparé de vous pendant un certain nombre d’années. Je désire maintenant revenir. » Il savait que le baptême était la porte d’entrée du royaume de Dieu et il voulait y entrer. Il dit : « J’ai le sentiment de pouvoir revenir honorablement. »

Toutefois, quelques personnes doutaient de sa sincérité. À celles-ci, il répondit : « Mon retour et ma demande humble de devenir membre en passant par la porte efface toutes mes erreurs. Je reconnais cette autorité. »

Orson Hyde soumit la décision à un vote. Il dit : « Nous proposons que frère Oliver soit reçu par le baptême et que tout ce qui est passé soit oublié. »

Les hommes votèrent à l’unanimité en sa faveur. Une semaine plus tard, Orson le baptisa et lui souhaita de nouveau la bienvenue dans le troupeau de l’Évangile.

Pendant ce temps, les rumeurs d’or en Californie se répandaient comme une traînée de poudre dans les villes et les campagnes autour de la planète, incitant les gens à abandonner foyer, emploi et famille pour aller s’enrichir facilement. À l’automne 1848, des milliers de personnes, de jeunes hommes pour la plupart, fourmillaient sur la côte californienne, espérant faire fortune.

Sachant que l’or tenterait les saints appauvris, Brigham Young évoqua le sujet peu après son retour à Salt Lake City. Il leur dit : « Si nous devions aller à San Francisco et déterrer des pépites d’or, cela nous ruinerait. » Il les exhorta à rester sur les terres que le Seigneur leur avait données. Il dit : « Quand j’entends parler de quitter cette vallée pour une quelconque raison, cela me rend malade. »

Déterminé à rester dans la vallée quoi qu’il arrive, Brigham commença à mettre de l’ordre dans l’Église et dans la ville. Lors de la conférence d’octobre 1848, les saints le soutinrent une fois de plus, ainsi qu’Heber Kimball et Willard Richards, comme Première Présidence de l’Église. Peu après, il réunit de nouveau le Conseil des Cinquante pour gérer la ville pendant que les saints déposaient une requête auprès du Congrès des États-Unis pour établir un gouvernement territorial dans la région.

Dans le cadre du traité mettant fin à la guerre récente avec le Mexique, les États-Unis avaient acquis les territoires du nord du Mexique. Rapidement, les colons et les politiciens avaient projeté avidement de former de nouveaux territoires et États, sans grande considération pour la situation des peuples indigènes ni des anciens citoyens mexicains de la région.

Voulant que les saints aient la liberté de se gouverner, Brigham et les autres dirigeants de l’Église espéraient organiser un territoire dans le Grand Bassin. Cependant, la création d’un territoire comprenait des risques. Contrairement aux États qui garantissaient aux citoyens le droit d’élire leurs propres dirigeants, les territoires comptaient sur le président des États-Unis pour choisir certains des membres les plus importants du gouvernement. Si le président nommait des personnes hostiles à l’Église, les saints risquaient de nouvelles persécutions.

Le Conseil des Cinquante se réunit régulièrement cet hiver-là pour discuter des besoins des saints et rédiger une première version de leur pétition au Congrès. Le territoire qu’ils proposaient couvrait une grande partie du Grand Bassin et une partie du sud de la côte californienne, une vaste région qui offrait de grands espaces pour de nouvelles colonies et un port sur l’océan pour faciliter le rassemblement. Les saints appelèrent le territoire proposé « Déséret », mot du Livre de Mormon qui désigne l’abeille, symbole de dur labeur, de diligence et de coopération.

Le conseil acheva la rédaction de la pétition en janvier pendant que la vallée du lac Salé frissonnait sous l’étreinte d’un hiver très rigoureux. Dans certains endroits, les saints eurent à supporter un mètre de neige et un vent glacial. La neige encore plus profonde dans les montagnes compliquait la tâche de ramasser du bois. Les réserves de grain étaient de nouveau presque épuisées et le bétail succombait à la faim et au froid. Certains saints semblaient ne survivre que grâce à leur foi. D’autres se remirent à parler d’aller profiter du climat plus doux et des terres aurifères de la Californie, avec ou sans la bénédiction de la Première Présidence.

Le 25 février 1849, Brigham prophétisa que les saints qui restaient prospéreraient et fonderaient des colonies florissantes. Il témoigna : « Dieu m’a montré que c’est l’endroit où installer son peuple. Il tempérera les éléments pour le bien de ses saints. Il réprimandera le gel et la stérilité du sol et la terre deviendra fertile. »

Il dit aux saints que ce n’était pas le moment de chercher de l’or. Il dit : « Il est de notre devoir de prêcher l’Évangile, de rassembler Israël, de payer notre dîme et de construire des temples. » La richesse viendrait plus tard.

Il dit : « La pire crainte que j’aie en ce qui concerne ce peuple c’est qu’il devienne riche dans ce pays, oublie Dieu et son peuple, s’engraisse, et s’exclue de l’Église et aille en enfer. »

Peu après, dans un sermon, Heber Kimball abonda dans le même sens : « Je ne suis pas troublé par votre pauvreté. » Il prophétisa que les marchandises seraient bientôt moins chères dans la vallée que dans les grandes villes de l’Est des États-Unis. Il promit : « Si vous êtes fidèles, tous les désirs de votre cœur vous seront accordés. »

Cet hiver-là, Eliza Partridge Lyman, vingt-huit ans, habitait dans une petite pièce en rondins dans le fort avec son fils nouveau-né, sa mère veuve, Lydia, ses sœurs Emily, Caroline et Lydia, son frère Edward Partridge, fils, et quelquefois son mari, l’apôtre Amasa Lyman, qui répartissait son temps entre elle et ses autres épouses. Francis Lyman, neuf ans, fils aîné d’Amasa et de sa première femme, Louisa Tanner, habitait aussi dans la pièce afin de pouvoir aller à l’école dans le fort.

Environ quatre mille saints s’étaient installés dans la vallée et beaucoup habitaient encore dans des chariots et des tentes. La pièce d’Eliza les abritait quelque peu du vent glacial, même si le toit fuyait lorsqu’il pleuvait ou neigeait. Par contre, elle n’offrait aucune protection contre la maladie et la faim. Cet hiver-là, le fils et le frère d’Eliza contractèrent la coqueluche et les provisions de la famille s’amenuisaient de jour en jour.

La pénurie était présente partout et les saints devaient manger frugalement s’ils voulaient survivre à l’hiver. Les Timpanogos, leurs voisins utes de la vallée d’Utah, avaient faim, eux aussi. L’arrivée des saints avait grevé les ressources naturelles de la région, surtout les eaux poissonneuses sur lesquelles les Timpanogos comptaient pour se nourrir. Bien que les deux peuples aient essayé de maintenir des relations cordiales, quelques Timpanogos ne tardèrent pas à commencer à s’attaquer au bétail des saints pour soulager leur propre faim. Désireux de maintenir la paix, Brigham exhorta ces derniers à ne pas chercher à se venger, mais au contraire, à prêcher l’Évangile aux Indiens.

Oliver Huntington, demi-frère d’Eliza, servait parfois d’interprète et d’éclaireur parmi les Utes. Comme les attaques continuaient, Little Chief, un chef des Timpanogos, demanda à Oliver et à Brigham de punir les pillards avant que leurs actions ne retournent les saints contre son peuple. Brigham réagit en envoyant Oliver et une compagnie armée dans la vallée d’Utah pour faire cesser les attaques.

Avec l’aide de Little Chief, elle localisa la bande de pillards, l’encercla et lui ordonna de se rendre. Ceux-ci refusèrent d’abandonner et lancèrent une attaque contre la compagnie. Une escarmouche éclata et la compagnie tua quatre pillards.

Les attaques cessèrent avec l’escarmouche, mais la faim et la pénurie se poursuivirent. Le 8 avril, Eliza écrivit dans son journal : « Nous avons fait cuire notre dernière farine aujourd’hui et nous n’avons aucun espoir d’en avoir d’autre avant la prochaine moisson. » Vers cette époque, la Première Présidence appela son mari en mission à San Francisco pour superviser les branches de Californie et collecter la dîme. Il devait ensuite conduire un convoi de saints californiens jusqu’à la vallée à l’automne.

Amasa partit cinq jours plus tard, trop pauvre pour racheter de la farine à sa famille. Le 19 avril, Eliza et une partie des siens déménagèrent hors du fort et s’installèrent dans des tentes et des chariots sur une parcelle. Elle filait des mèches de bougie et les vendait pour acheter du maïs et de la farine qu’elle partageait entre les membres de la grande famille Lyman.

D’autres l’aidaient aussi. Sa sœur Emily, qui était l’une des épouses de Brigham Young, rapporta sept kilos de farine à la famille lorsque ce dernier apprit qu’elle était à court de pain. Le 25 avril, Jane Manning James, qui avait connu Eliza et Emily lorsque les deux sœurs habitaient la Nauvoo Mansion et étaient les épouses plurales de Joseph Smith, donna à Eliza un kilo de farine, la moitié de ce qu’elle possédait.

Eliza fila d’autres mèches de bougies, organisa un potager et fit planter des arbres fruitiers sur son lopin de terre. Le vent et les tempêtes de neige continuèrent de tourmenter la vallée jusque dans le courant du mois de mai et un jour, la tente d’Eliza fut réduite en cendres pendant qu’elle rendait visite à sa mère. Néanmoins, vers la fin du mois, les champs des saints en train de mûrir lui redonnèrent des raisons d’espérer.

Elle écrivit dans son journal : « J’ai vu un épi de blé, ce qui est encourageant en cette époque de pénurie. »

Au long du rigoureux hiver de 1848-1849, Louisa Pratt regarda son mari s’efforcer de s’adapter à la vie après sa mission. Beaucoup de choses avaient changé dans l’Église en son absence. Les saints avaient reçu la dotation du temple, embrassé la doctrine du mariage éternel et de l’exaltation, et avaient créé de nouvelles relations d’alliances avec Dieu et entre eux. Le mariage plural, pratiqué en privé parmi les saints, était aussi nouveau pour lui.

Il lui arrivait de ne pas être du même avis que Louisa sur les nouveaux principes révélés. Ce qui était familier à Louisa lui paraissait étrange. Cela l’ennuyait aussi que les saints dans la vallée ne respectent pas strictement les mises en garde de la Parole de sagesse contre les boissons brûlantes et le tabac. Louisa était quand même contente de l’avoir à la maison. Il assistait aux réunions du sabbat avec la famille et servait en qualité de président de son collège des soixante-dix.

Les Pratt passèrent l’hiver dans le fort. La sœur de Louisa, Caroline, et son beau-frère, Jonathan Crosby, logèrent chez eux jusqu’à ce qu’ils aient leur propre logement. Addison travaillait pour subvenir aux besoins de sa famille et enseignait le tahitien aux futurs missionnaires.

Lorsque le printemps arriva, la Première Présidence et le Collège des Douze appelèrent Addison et sa famille dans les Îles du Pacifique avec onze autres missionnaires, dont six familles. Les Pratt étaient contents d’y aller et ils se préparèrent à partir après la moisson d’automne. Le 21 juillet, Addison reçut la dotation au sommet d’Ensign Peak, que les dirigeants de l’Église avaient consacré à cette fin à défaut d’avoir un temple. La famille commença ensuite à se défaire des marchandises et des biens dont elle n’avait pas besoin.

Entre-temps, des milliers de chercheurs d’or venant des États de l’Est se ruèrent à travers les montagnes Rocheuses pour se rendre en Californie. Rapidement, Salt Lake City devint l’endroit privilégié pour se reposer et se réapprovisionner avant de continuer vers les terrains aurifères. La plupart des chercheurs d’or étaient de jeunes fermiers, ouvriers ou marchands. Nombre d’entre eux ne s’étaient jamais aventurés loin de chez eux et encore moins à l’autre bout d’un continent.

Leur venue accomplit la prophétie d’Heber Kimball bien plus tôt qu’on ne s’y attendait. Les chercheurs d’or avaient de la farine, du sucre, des denrées alimentaires en tout genre, des chaussures, des vêtements, du tissu et des outils. En quête désespérée de légumes frais, de chariots plus légers et d’animaux de bât, beaucoup s’arrêtaient au fort pour faire du troc. Souvent, ils vendaient aux saints des marchandises difficiles à trouver à des prix dérisoires. Parfois, ils jetaient ou donnaient des articles qu’ils étaient fatigués de transporter.

Les chercheurs d’or stimulèrent l’économie à Salt Lake City, mais en revanche, ils épuisèrent les pâturages entre Salt Lake et la Californie quand ils partirent, rendant les déplacements impossibles en fin de saison. En outre, des histoires circulaient selon lesquelles des hommes dangereux s’attaquaient aux voyageurs. La route n’était donc plus sûre pour les familles. Louisa n’avait pas peur des rumeurs, mais Brigham était inquiet pour la sécurité des familles qui partaient et bientôt, les dirigeants de l’Église décidèrent d’envoyer Addison sans sa femme ni ses enfants.

La famille eut le cœur brisé. Frances insistait : « Papa ne sera pas en sécurité. Les brigands sont plus susceptibles de piller un homme seul et de lui prendre son attelage que s’il a sa famille.

Sa mère répondit : « Ma pauvre enfant, tu connais mal les brigands. »

Louisa comprenait que l’Évangile exige des sacrifices et, quand on lui posait la question, elle disait qu’elle était tout à fait disposée à laisser Addison partir. Toutefois, elle pensait que sa famille n’était pas en état d’être séparée de nouveau une année seulement après leurs retrouvailles.

Brigham envisagea de reporter la mission jusqu’au printemps, lorsque les pâturages seraient meilleurs et les chercheurs d’or moins nombreux sur la route. Cependant, cet automne-là, un convoi passant à travers Salt Lake City embaucha le capitaine Jefferson Hunt, un vétéran du Bataillon mormon, pour le conduire sain et sauf en Californie par un chemin moins fréquenté au sud-ouest. Lorsque Brigham en fut informé, il demanda à Addison et à deux missionnaires de les accompagner pour aider le capitaine Hunt et ensuite de prendre un bateau pour les îles une fois qu’ils auraient atteint la Californie.

Louisa eut l’impression que les cieux et la terre se liguaient contre elle. Addison et elle se parlaient à peine. Lorsqu’elle était seule, elle priait et épanchait son chagrin et sa douleur à Dieu. Elle gémissait : « Mes souffrances ne finiront-elles jamais ? »

Le jour où Addison quitta la vallée, Louisa et Ellen chevauchèrent avec lui jusqu’à son campement et y passèrent la nuit. Le matin, il leur fit une bénédiction et leur dit au revoir. Bien qu’elle eût redouté les adieux pendant des semaines, Louisa se sentit réconfortée lorsqu’elle retourna au fort, le cœur plus léger qu’il ne l’avait été depuis quelque temps.


CHAPITRE 9 : Selon ce que dicte l’Esprit

Le 6 octobre 1849, premier jour de la conférence d’automne de l’Église, la Première Présidence et le Collège des Douze annoncèrent le projet missionnaire le plus ambitieux depuis la mort de Joseph Smith. Dans son discours d’ouverture, Heber Kimball déclara : « Le moment est venu. Nous voulons que, tout comme nous, ce peuple prenne à cœur d’apporter le royaume à toutes les nations de la terre. »

Depuis leur arrivée dans la vallée, les saints avaient consacré leur énergie à s’installer et à survivre. Cependant, la moisson abondante de cette année-là avait produit suffisamment de nourriture pour l’hiver. Après que les saints eurent entrepris de quitter le fort et de construire des logements dans la ville, les dirigeants de l’Église les répartirent en vingt-trois paroisses, chacune présidée par un évêque. De nouvelles colonies parsemaient la vallée du lac Salé et celles au nord et au sud, et de nombreux saints se mirent à construire des magasins, des moulins et des usines. Le lieu de rassemblement commençait à prospérer tandis que les saints le préparaient à accueillir le peuple de Dieu.

Les Douze allaient diriger le nouvel effort missionnaire. Plus tôt cette année-là, Brigham avait appelé Charles Rich, Lorenzo Snow, Erastus Snow et Franklin Richards à remplir les vacances dans le collège. La Première Présidence envoya Charles en Californie pour aider Amasa Lyman, Lorenzo en Italie avec Joseph Toronto, un saint italien, Erastus au Danemark avec Peter Hansen, un saint danois, Franklin en Grande-Bretagne et l’apôtre vétéran John Taylor en France.

À la conférence, Heber parla également du fonds perpétuel d’émigration, nouveau programme conçu pour permettre aux saints de respecter l’alliance qu’ils avaient contractée dans le temple de Nauvoo d’aider les pauvres. Il dit : « Nous sommes ici, en bonne santé, et nous avons largement de quoi manger, boire et faire. » En revanche, de nombreux saints appauvris étaient bloqués dans les colonies du Missouri, les relais de l’Iowa, à Nauvoo et en Grande-Bretagne. Parfois, ils se décourageaient et quittaient l’Église.

Il demanda : « Allons-nous respecter cette alliance ou pas ? »

Dans le cadre du nouveau programme, les saints donnaient de l’argent pour aider les pauvres à se rassembler en Sion. Les émigrants recevaient alors un prêt du montant du voyage, qu’ils devaient rembourser une fois qu’ils étaient installés en Sion. Néanmoins, pour que le programme fonctionne, il fallait un apport d’argent, ce que peu de saints pouvaient fournir dans une économie de troc. La Première Présidence fit appel à eux pour qu’ils donnent leur surplus au fonds, mais elle discuta également de la possibilité d’envoyer des missionnaires chercher de l’or en Californie.

Brigham se méfiait de cette option. Il pensait que la soif de l’or corrompait les braves gens et détournait leur attention de la cause de Sion. Pourtant, l’or remplirait un objectif sacré s’il permettait de financer l’Église et l’émigration. S’il appelait des missionnaires à aller sur les terrains aurifères de Californie, ils pourraient probablement collecter les fonds indispensables à l’œuvre de Dieu.

Mais de tels missionnaires devaient être des hommes bons et justes, qui n’attachaient pas plus de valeur à l’or qu’à la poussière sous leurs pieds.

À première vue, George Q. Cannon ressemblait à tous les chercheurs d’or qui martelaient le sol de la vallée du lac Salé en route pour la Californie. Il avait vingt-deux ans, était célibataire et plein d’ambition juvénile. Mais il n’avait pas le moindre désir de partir de chez lui. Il aimait les grandes montagnes et l’esprit paisible de la vallée. Et il n’était pas du genre à perdre son temps à chercher de l’or. Pour lui, chaque minute comptait. Il voulait lire des livres, construire une maison en adobe sur sa parcelle et, un jour, épouser une jeune femme du nom d’Elizabeth Hoagland.

Deux ans auparavant, George et Elizabeth avaient fait route vers l’Ouest dans le même convoi. Orphelin depuis son adolescence, il était venu avec sa tante et son oncle, Leonora et John Taylor, afin de préparer un logement pour le reste de sa famille. Ses jeunes frères et sœurs devaient arriver dans la vallée d’un jour à l’autre. Ils voyageaient avec sa sœur aînée et son beau-frère, Mary Alice et Charles Lambert, qui les avaient accueillis lorsque leurs parents étaient morts. George était impatient de les retrouver.

Cependant, avant leur arrivée, les dirigeants de l’Église l’appelèrent en mission en Californie pour chercher de l’or. L’appel lui causa un choc et Elizabeth n’était pas contente. Essayant de la consoler, George lui dit : « Je suis seulement appelé pour une année. Préférerais-tu que je parte peut-être trois ans en France ? »

Elizabeth répondit : « Je préférerais que tu partes sauver des âmes et non chercher de l’or, même si cela devait durer plus longtemps. »

George ne pouvait pas la contredire. Dans sa jeunesse en Angleterre, il avait admiré les missionnaires comme son oncle John et Wilford Woodruff, en attendant le jour où lui aussi ferait une mission. Mais un appel à chercher de l’or n’était pas du tout ce qu’il avait imaginé.

Après le premier jour de la conférence d’octobre, George se réunit avec les missionnaires nouvellement appelés et d’autres. Brigham leur parla longuement d’honorer les choses de Dieu. Il enseigna : « Un homme doit toujours vivre avec l’amour de la prêtrise dans le cœur et non l’amour des choses de ce monde. »

Les jours suivants, George s’affaira à se préparer pour sa mission. Le 8 octobre, John Taylor, Erastus Snow et Franklin Richards le bénirent pour qu’il prospère en mission et soit un bon exemple pour les autres missionnaires. Ils lui promirent que des anges veilleraient sur lui et qu’il rentrerait sain et sauf chez lui.

Trois jours plus tard, il partait en compagnie des autres missionnaires de l’or accablé par la tristesse et la crainte. Il avait déménagé plusieurs fois dans sa vie, mais n’avait jamais passé plus d’un jour ou deux loin d’un membre de sa famille. Il ne savait à quoi s’attendre.

Les missionnaires de l’or projetaient de rattraper Addison Pratt et Jefferson Hunt et de les suivre jusqu’en Californie. En sortant de la vallée, ils s’arrêtèrent à une fête organisée en l’honneur des frères qui partaient pour l’Europe. Une centaine de saints s’étaient réunis pour leur dire au revoir. Certains festoyaient à des tables garnies de toutes sortes de mets pendant que d’autres dansaient sous une grande tente faite de bâches de chariots. Alors qu’il s’approchait de la fête sur son cheval, George vit la calèche de Brigham Young se diriger vers lui.

Elle s’arrêta et George mit pied à terre pour serrer la main de Brigham. Celui-ci dit qu’il se souviendrait de lui et prierait pour lui en son absence. Reconnaissant des paroles gentilles du prophète, George profita, une soirée de plus, de la bonne humeur et de la camaraderie qui existaient entre les saints. Le matin, les missionnaires de l’or et lui montèrent en selle et partirent pour la Californie.

En mars 1850, Mary Ann, la femme de Brigham, rendit visite à Louisa Pratt pour voir si elle avait besoin d’une aide quelconque de l’Église. Louisa ne sut quoi répondre. Les amis comme Mary Ann offraient souvent leur aide ou l’invitaient à dîner, mais la vie sans Addison était plus solitaire que jamais et rien ne semblait y faire.

Mary Ann demanda : « Désires-tu rejoindre ton mari ? »

Louisa répondit qu’un ami avait déjà proposé d’emmener sa famille en Californie si l’Église décidait un jour de l’envoyer dans les îles du Pacifique. En confiant cela à Mary Ann, elle craignait de s’être montrée trop impatiente de partir. Si elle restait à Salt Lake City, elle serait probablement séparée d’Addison cinq ans de plus. Mais le rejoindre dans les îles n’était pas sans risques. Ellen et Frances seraient bientôt en âge de se marier. Était-ce le meilleur moment de les retirer de la vallée ?

Elle priait souvent pour connaître la volonté du Seigneur. D’un côté elle voulait simplement qu’Addison lui écrive et lui demande de venir. Ce serait plus facile pour elle de décider si elle savait qu’il le voulait. Mais d’un autre côté, elle se demandait s’il voulait même qu’elle le rejoigne. Avait-il accepté son dernier appel en mission simplement parce qu’il voulait de nouveau s’en aller ?

Un jour, elle dit à Willard Richards : « Si j’étais un ancien, je ne consentirais jamais à rester si longtemps séparé de ma famille. » Elle dit qu’elle remplirait sa mission aussi vite que possible et qu’elle rentrerait ensuite chez elle. Willard sourit et ne dit rien, mais elle pensa qu’il était d’accord avec elle.

Le matin du 7 avril, Louisa assista à la conférence. George A. Smith parla pendant près de deux heures. Lorsqu’il eut fini, Heber Kimball prit la chaire. Il dit : « Voici quelques affectations de frères aux nations. » Heber appela deux hommes à se rendre dans les Îles du Pacifique, mais ne mentionna ni Louisa ni ses filles. Il dit ensuite : « Nous proposons que Thomas Tompkins aille dans les îles où Addison Pratt a travaillé et qu’il lui amène sa famille. »

Un sentiment indescriptible envahit Louisa et elle n’entendit pas grand-chose d’autre de cette réunion. Après la session, elle chercha Mary Ann dans la foule et l’incita à demander à Brigham d’envisager d’appeler aussi sa sœur et son beau-frère Caroline et Jonathan Crosby, à la mission. Mary Ann accepta et les Crosby reçurent l’appel le lendemain.

Peu avant de partir, Louisa et ses filles rendirent visite à Brigham. Il lui dit qu’elle était appelée et mise à part pour aller dans les îles et aider Addison à instruire les gens. Il la bénit ensuite afin que tous ses désirs soient satisfaits, qu’elle ait du pouvoir sur l’adversaire, fasse du bon travail et rentre de mission en paix.

Pendant que les Pratt et les Crosby prenaient la route des îles, les missionnaires nouvellement appelés en Europe débarquaient en Angleterre et les apôtres faisaient rapidement le tour de la mission britannique, qui comprenait des branches au Pays de Galles et en Écosse. Entre-temps, Peter Hansen, missionnaire danois de trente et un ans, était impatient de poursuivre sa route jusqu’au Danemark, en dépit des instructions données par Erastus Snow de ne pas y aller avant que les autres missionnaires scandinaves et lui puissent l’accompagner.

Peter respectait son président de mission, mais cela faisait sept ans qu’il avait quitté sa terre natale et il désirait grandement être le premier missionnaire à y prêcher l’Évangile. Un bateau à vapeur à destination de Copenhague était amarré dans un port voisin et Peter décida qu’il ne pouvait pas attendre un instant de plus.

Il arriva dans la capitale danoise le 11 mai 1850. Marchant dans ses rues, il était heureux d’être de retour dans son pays d’origine. Cependant, il était troublé à la pensée qu’en ces lieux, personne ne jouissait de l’Évangile rétabli. Sept ans plus tôt, lorsqu’il avait quitté le Danemark, la nation n’avait aucune loi protégeant la liberté de culte et elle interdisait la prédication de toute doctrine autre que celle de l’église reconnue par l’État.

Ces restrictions avaient hérissé Peter dans sa jeunesse, si bien que lorsqu’il avait appris que son frère aux États-Unis avait embrassé une nouvelle religion, il avait tout fait pour le rejoindre. Une décision qui lui valut la colère de son père, un homme sévère aux convictions inflexibles. Le jour du départ de Peter, il avait fracassé sa valise et brûlé le contenu.

Peter était parti quand même, sans un regard en arrière. Il avait emménagé aux États-Unis et était devenu membre de l’Église. Il avait ensuite commencé à traduire le Livre de Mormon en danois et avait voyagé avec le convoi d’avant-garde jusqu’à la vallée du lac Salé. Entre-temps, au Danemark, les législateurs avaient accordé à toutes les églises le droit de diffuser leurs croyances.

Espérant que ses efforts bénéficieraient de ce nouveau climat de liberté religieuse, Peter se mit à la recherche de membres d’églises qui avaient des convictions communes avec les saints. En parlant avec un pasteur baptiste, il apprit que l’église d’État persécutait encore les gens pour leurs convictions religieuses, en dépit de la nouvelle loi. Peter compatit avec eux, ayant subi des persécutions pour ses croyances aux États-Unis. Il commença bientôt à parler de l’Évangile rétabli avec le pasteur et son assemblée.

Par devoir, il se mit également à la recherche de son père, qui avait été informé de son arrivée en tant que missionnaire. Un jour, Peter le remarqua dans la rue et le salua. L’homme lui lança un regard vide. Peter lui dit qui il était et son père leva la main pour le repousser.

Il dit : « Je n’ai pas d’enfants. Et toi, tu es venu troubler l’ordre public dans ce pays. »

Peter reprit son travail ni étonné ni perturbé par la colère de son père. Il écrivit à Erastus en Angleterre et l’informa de ses activités dans la mission et continua son travail de traduction du Livre de Mormon. Il rédigea et publia aussi une brochure en danois et traduisit plusieurs cantiques dans sa langue maternelle.

Erastus n’était pas heureux de la décision de Peter de désobéir à ses instructions, mais quand il arriva à Copenhague, le 14 juin, il fut content qu’il ait posé les fondations permettant à l’œuvre du Seigneur d’avancer.

Le 24 septembre 1850, l’apôtre Charles Rich pénétra à cheval dans un campement minier au centre de la Californie, à la recherche des missionnaires de l’or. C’était le soir, le moment où les chercheurs d’or retournaient à leurs tentes et leurs baraques, allumaient les lanternes et les poêles et retiraient leurs vêtements mouillés. Le long de la berge où ils travaillaient, le terrain avait été défoncé par des milliers de pelles et de pioches.

Cela faisait presque une année que les missionnaires de l’or avaient quitté Salt Lake City. Jusque-là, personne n’avait fait fortune. Certains en avaient trouvé suffisamment pour en renvoyer de petites quantités à Salt Lake City, dont une partie avait été fondue et battue en monnaie. Mais ils avaient utilisé la plus grande partie de ce qu’ils avaient trouvé pour couvrir le coût élevé de la nourriture et du matériel. En attendant, certains saints locaux qui s’étaient enrichis pendant la ruée vers l’or n’étaient pas d’une grande aide. Sam Brannan devint rapidement l’un des hommes les plus riches de Californie, mais il avait cessé de payer la dîme et reniait toute affiliation avec l’Église.

Charles trouva les missionnaires de l’or dans leur camp. La dernière fois qu’il avait visité le campement minier, plusieurs mois auparavant, les missionnaires et d’autres chercheurs d’or étaient en train de construire un barrage, espérant mettre l’or à nu sur le fond limoneux de la rivière. La plupart d’entre eux passaient encore leurs journées à travailler sur le barrage ou à chercher de l’or. George Q. Cannon s’occupait du magasin du camp.

Le matin, Charles parla aux hommes de l’avenir de la mission. Le meilleur de la saison minière était presque passé et l’absence de réussite avait donné raison aux réserves de Brigham concernant la recherche d’or. Au lieu de passer l’hiver en Californie où le coût de la vie était élevé, Charles proposa que certains d’entre eux terminent leur mission dans les îles Hawaï. Ils pourraient vivre là-bas à peu de frais tout en prêchant aux nombreux colons anglophones.

George dit à Charles qu’il était prêt à faire avec exactitude tout ce qui semblerait bon aux dirigeants de l’Église. S’ils voulaient qu’il aille à Hawaï, il irait. De plus, les terrains miniers étaient un endroit éprouvant pour un jeune saint des derniers jours. Il n’était pas rare d’entendre parler de vols et même de meurtres dans les camps. George lui-même s’était fait agresser par des mineurs qui lui avaient versé de force du whisky dans le gosier.

Avant de quitter le campement, Charles mit les missionnaires à part pour leur nouvelle mission. Il leur dit : « Quand vous arriverez dans les îles, agissez selon ce que dicte l’Esprit pour vous acquitter de vos devoirs. » Il dit que l’Esprit connaissait mieux que lui la marche à suivre en arrivant.

Les missionnaires retournèrent à la rivière pour terminer le barrage et continuer à chercher de l’or. Quelques semaines plus tard, ils en avaient trouvé suffisamment pour recevoir chacun plus de sept cents dollars. Après cela, ils n’en trouvèrent plus.

Peu après, ils quittèrent le camp minier et prirent la direction de la côte. Un soir, ils organisèrent une réunion pour les saints californiens et d’autres personnes qui s’intéressaient à l’Évangile. George était tendu. On comptait sur les missionnaires pour prendre la parole à l’occasion de tels rassemblements, mais il n’avait jamais prêché à des non-croyants. Il savait qu’il finirait par devoir parler, mais il ne voulait pas passer en premier.

Cependant, une fois que la réunion commença, le frère qui la dirigeait lui demanda de prêcher. George se leva avec réticence. Il se dit : « Je me suis engagé, il ne convient pas que je me dérobe. » Il ouvrit la bouche et les mots lui vinrent assez facilement. Il dit : « Combien le monde est prétendument impatient de se saisir de la vérité ! Combien nous devrions être reconnaissants de la détenir et reconnaissants du principe selon lequel nous pouvons progresser d’une vérité à l’autre ! »

Il parla cinq minutes de plus puis ses pensées s’embrouillèrent, il avait la tête vide et il bafouilla pendant le reste de son sermon. Honteux, il s’assit, certain que sa première expérience missionnaire de prédication n’aurait pas pu se dérouler plus mal.

Pourtant, il n’était pas complètement découragé. Il était en mission et il n’allait pas flancher ni faillir à ses responsabilités.

Vers cette même époque, Frances Pratt apercevait l’île de Tubuai depuis le pont du navire qui transportait plus d’une vingtaine de saints jusqu’à la mission d’Océanie. Elle, qui avait été mécontente et renfermée pendant presque tout le voyage, s’égaya instantanément. Elle explora l’île à l’aide d’une longue-vue, espérant entrevoir son père sur le rivage. Sa sœur aînée, Ellen, était certaine qu’il monterait à bord dès que le navire accosterait.

Louisa aussi était impatiente de retrouver Addison, mais elle avait eu le mal de mer pendant tout le voyage et ne pensait qu’à la terre ferme, un bon repas et un lit moelleux. Sa sœur Caroline souffrait à ses côtés, nauséeuse et à peine capable de marcher.

Après deux journées passées à lutter contre des vents contraires et à éviter des récifs dangereux, le navire jeta l’ancre près de l’île et deux hommes vinrent à la rame les accueillir. Lorsqu’ils montèrent à bord, Louisa demanda si Addison était sur l’île. Non, répondit l’un d’eux. Il était sur l’île de Tahiti, prisonnier du gouverneur français qui se méfiait de tous les missionnaires étrangers qui n’appartenaient pas à l’Église catholique.

Louisa s’était préparée à entendre de mauvaises nouvelles, mais pas ses filles. Ellen s’assit et croisa les mains sur les genoux, le visage de marbre. Les autres firent les cent pas sur le pont.

Peu après, un autre bateau arriva et deux Américains montèrent à bord. L’un d’eux était Benjamin Grouard. La dernière fois que Louisa l’avait vu à Nauvoo, c’était un jeune homme plein d’allant. Maintenant, après sept années de service missionnaire dans le Pacifique, il avait l’air solennel et digne. Les yeux écarquillés de joie et de surprise, il accueillit chaleureusement les nouveaux arrivants et les invita à débarquer.

Sur la plage, les saints de Tubuai accueillirent Louisa et les autres passagers. Louisa demanda si elle pouvait rencontrer Nabota et Telii, les amis d’Addison pendant sa première mission. Un homme la prit par la main.Il dit : « ‘O vau te arata‘i ia ‘oe. » Je vais vous y conduire.

Il partit vers l’intérieur de l’île et Louisa le suivit, essayant de son mieux de communiquer avec lui. Le reste de la foule les suivit de près en riant. Louisa s’émerveilla des grands palmiers au-dessus d’eux et de la végétation luxuriante qui recouvrait l’île. De loin en loin, elle vit des logements bas enduits de chaux blanche extraite des coraux.

Telii fut au comble de la joie de rencontrer les nouveaux missionnaires. Bien qu’elle fût en convalescence, elle se leva de son lit et commença à préparer un festin. Elle fit rôtir du porc dans une fosse, fit frire du poisson, fit du pain avec une farine extraite d’une racine de l’île et disposa un choix de fruits frais. Elle n’avait pas encore fini de cuisiner que tous les saints de l’île s’étaient rassemblés pour faire la connaissance des nouveaux arrivants.

La compagnie festoya pendant que la lune, qui était pleine, s’élevait dans le ciel. Ensuite, les saints de Tubuai se pressèrent les uns contre les autres dans la maison et s’assirent sur des nattes pendant que les saints américains chantaient des cantiques en anglais. À leur tour, ils chantèrent des cantiques dans leur propre langue, leurs voix puissantes et claires en parfaite harmonie.

Tout en savourant la musique, Louisa jeta un coup d’œil dehors et admira le superbe paysage. De grands arbres ombreux aux fleurs d’un jaune éclatant entouraient la maison. Les branches filtraient le clair de lune en dessinant un millier de formes différentes. Louisa pensa à la distance que sa famille avait parcourue et aux souffrances qu’elle avait endurées pour arriver dans ce si bel endroit et elle sut que la main de Dieu y était pour quelque chose.

Deux mois après l’arrivée de Louisa à Tubuai, les missionnaires de l’or gravirent un flanc de montagne surplombant Honolulu sur l’île d’Oahu et consacrèrent les îles hawaïennes à l’œuvre missionnaire. Le lendemain soir, le président de mission envoya George Q. Cannon travailler sur l’île de Maui, au sud-est d’Oahu, avec James Keeler et Henry Bigler.

L’île de Maui était légèrement plus grande que celle d’Oahu. Lahaina, la ville principale, s’étendait le long d’une plage et n’avait pas de port. Depuis l’océan, la majeure partie de l’agglomération était cachée par les palmiers et le feuillage dense. Une haute chaîne montagneuse se profilait au loin, derrière la ville.

Les missionnaires se mirent au travail et découvrirent rapidement qu’il y avait moins de colons blancs qu’ils ne le pensaient sur l’île. George se découragea. Les missionnaires de l’or étaient venus à Hawaï pensant instruire des colons anglophones, mais aucun d’eux ne semblait s’intéresser à l’Évangile rétabli. Ils se rendirent compte que s’ils ne prêchaient qu’à la population blanche, leur mission serait brève et infructueuse.

Un jour, ils discutèrent des possibilités qui s’offraient à eux. Ils se demandèrent : « Allons-nous limiter notre travail aux blancs ? » On ne leur avait jamais demandé de prêcher aux Hawaïens, mais on ne leur avait pas non plus dit de ne pas le faire. En Californie, Charles Rich leur avait simplement conseillé de s’en remettre aux directives de l’Esprit.

George pensait que son appel et son devoir étaient de faire connaître l’Évangile à tout le monde. Si les autres missionnaires et lui faisaient l’effort d’apprendre la langue du pays, comme Addison Pratt l’avait fait à Tubuai, ils pourraient magnifier leur appel et toucher le cœur et l’esprit de davantage de personnes. Henry et James étaient du même avis.

Les missionnaires découvrirent rapidement qu’ils avaient du mal à comprendre l’hawaïen. Chaque mot semblait se fondre dans le suivant. Cependant, de nombreux Hawaïens étaient désireux de les aider à apprendre. Du fait qu’il y avait peu de manuels sur Maui, les missionnaires en commandèrent quelques-uns à Honolulu. George avait un très grand désir de parler et il ne manquait jamais une occasion de s’y entraîner. Parfois il passait la journée entière avec les autres à la maison à lire et à étudier la langue.

Petit à petit, il commença à prendre confiance. Un soir, alors qu’il était assis chez lui avec ses collègues et leurs voisins, en train de parler hawaïen, il se rendit compte tout à coup qu’il comprenait la plupart de ce qu’ils disaient. Se levant d’un bond, il mit les mains sur les deux côtés de sa tête et s’exclama qu’il avait reçu le don d’interprétation des langues.

Il ne comprenait pas chaque mot qu’ils disaient, mais il saisissait le sens général. Rempli de reconnaissance, il sut que le Seigneur l’avait béni .


CHAPITRE 10 : La vérité et la justice

George Q. Cannon agrippa son sac de voyage lorsqu’il entra dans un ruisseau qui serpentait à travers la vallée verdoyante de ‘lao, à Maui (Hawaii). C’était le 8 mars 1851, la saison des pluies touchait presque à sa fin. Quatre jours plus tôt, il était parti de chez lui, à Lahaina, et s’était mis à marcher en direction du nord, le long du littoral. Il avait dit à ses collègues missionnaires : « Je dois m’avancer vers les indigènes et commencer à leur prêcher l’Évangile. » Il était impatient d’améliorer sa maîtrise de l’hawaïen et de rendre son témoignage. Le Seigneur lui avait révélé que des personnes à Maui étaient prêtes à recevoir la vérité. George ne savait pas de qui il s’agissait, mais il s’attendait à les reconnaître dès qu’il les trouverait.

Il avait maintenant parcouru une soixantaine de kilomètres sans succès. Les nuages noirs et les pluies diluviennes l’avaient amené à se demander s’il n’avait pas choisi le mauvais moment de l’année pour entreprendre son voyage.

En pataugeant plus loin dans le ruisseau, il glissa et tomba. Se relevant, il sortit de l’eau et grimpa sur une colline voisine jusqu’à Wailuku, petit village composé de quelques maisons, une école pour les femmes et une haute église en pierres volcaniques.

Plusieurs missionnaires protestants habitaient le village et George voulait leur rendre témoignage. Cependant, il était fatigué et ses vêtements mouillés et sales lui faisaient honte. Il se dit qu’il valait peut-être mieux rentrer à Lahaina qu’essayer de proclamer l’Évangile dans des conditions météorologiques aussi déplorables.

Il trouva la route pour sortir du village et entreprit de rentrer chez lui. Juste à l’extérieur de Wailuku, alors qu’il s’était arrêté pour changer de chemise et se raser, il se sentit tout à coup poussé à rebrousser chemin. Il fit rapidement demi-tour et, lorsqu’il passa devant le jardin de l’église, deux femmes sortirent d’une maison voisine. Elles crièrent en direction de quelqu’un dans leur maison : « E ka haole ! » Oh, l’homme blanc !

Trois hommes apparurent à la porte derrière elles et s’approchèrent de la barrière au moment où George passait. L’un d’eux lui demanda où il allait. Il expliqua qu’il envisageait de retourner à Lahaina à cause du mauvais temps. L’homme dit qu’il vaudrait mieux attendre quelques jours et l’invita à rester chez lui.

Il s’appelait Jonathan Napela. C’était un juge respecté dans la région et l’un des aliʻi, ou nobles de l’île. Les deux hommes, William Uaua et H. K. Kaleohano, et lui, avaient fréquenté les meilleures écoles de l’île. En leur parlant, George sut immédiatement qu’il avait trouvé les personnes que Dieu avait préparées.

Le lendemain, il parla à Napela du Livre de Mormon et de Joseph Smith, le prophète. Il expliqua : « Nous ne prenons pas le Livre de Mormon pour la Bible, mais nous prouvons l’un à l’aide de l’autre. » Le message de George intéressait Napela, mais il dit qu’il voulait savoir par lui-même si cela était vrai.

George dut bientôt retourner à Lahaina. Cependant, il promit de revenir à Wailuku pour instruire Napela et ses amis. Il témoigna qu’il leur avait dit la vérité et les invita à étudier l’Évangile rétabli.

Citant la Bible, il dit : « Examinez toutes choses ; retenez ce qui est bon. »

Pendant que George retournait à Lahaina, Brigham Young se préparait à des changements dans la vallée du lac Salé. Après que les saints eurent déposé une requête auprès du Congrès pour avoir un gouvernement territorial, Thomas Kane, qui s’était précédemment montré amical envers eux et les avait aidés à lever le Bataillon mormon, envoya une lettre à Brigham lui conseillant de demander plutôt le statut d’État. Contrairement aux territoires, qui comptaient sur le président des États-Unis pour désigner les principaux membres du gouvernement, les États permettaient aux électeurs de choisir leurs propres dirigeants, donnant au peuple un plus grand contrôle sur le gouvernement.

L’Assemblée législative rédigea rapidement une requête pour obtenir le statut d’État. Afin de s’assurer qu’elle parvienne à temps au Congrès, l’assemblée créa un rapport d’une convention constitutionnelle qui n’avait jamais eu lieu et l’envoya avec d’autres documents à leurs délégués à Washington D.C. La Première Présidence avait espéré envoyer Oliver Cowdery à Washington pour faire du lobbying en faveur du statut d’État, mais ce dernier était tombé malade pendant un séjour dans la famille de sa femme au Missouri et il était mort en mars 1850. Phineas Young était à ses côtés lorsqu’il était décédé.

Peu après, il avait écrit à Brigham : « Son dernier témoignage ne sera jamais oublié. Il a dit à son ami que le salut n’était que dans la vallée et grâce à la prêtrise qui s’y trouvait. »

Lorsque la requête arriva à Washington, le Congrès était empêtré dans un long débat litigieux sur l’esclavage et son extension dans les terres acquises dans l’ouest après la guerre avec le Mexique. Le débat éclipsa la requête et finalement le Congrès organisa un territoire dans le Grand Bassin dans le cadre d’un compromis plus vaste visant à pacifier les factions ennemies au sein du gouvernement.

Le Congrès rejeta le nom de Déséret et appela le nouveau territoire Utah, d’après les Utes. L’Utah était beaucoup plus petit que ce que les saints avaient proposé et il manquait un port sur l’océan, mais le territoire comprenait quand même de vastes étendues de terres. À la satisfaction des saints, le président confia à des membres de l’Église plus de la moitié des postes principaux dans le gouvernement, notamment celui de gouverneur, qui échut à Brigham Young. Les affectations restantes furent attribuées à des dignitaires qui n’habitaient pas dans le territoire et n’étaient pas membres de l’Église. Parmi eux, il y avait deux des trois membres de la nouvelle Cour suprême du territoire, limitant le pouvoir des saints de faire appliquer leurs propres lois.

À l’été 1851, Brigham et les saints les accueillirent prudemment en Utah. Ils venaient de l’Est et étaient ambitieux, mais néanmoins réticents à s’installer dans ce territoire perdu. Leurs premières réunions avec les saints furent tendues et délicates. Les persécutions passées avaient rendu ces derniers méfiants et ces dignitaires eurent le sentiment d’être ignorés et peu respectés lorsqu’ils arrivèrent. Ils ne savaient pas non plus grand chose des saints et de leurs croyances à part les rumeurs qu’ils avaient entendues au sujet du mariage plural dans l’Église.

À l’époque, les saints n’en avaient pas encore parlé publiquement. Lorsque le Seigneur commanda à Joseph Smith de le pratiquer, un ange l’avait chargé d’en préserver la confidentialité et de ne l’enseigner qu’aux saints dotés d’une intégrité indéfectible. Les premiers membres de l’Église considéraient la monogamie comme la seule forme légitime de mariage et toute alternative était choquante, mais le Seigneur avait promis d’exalter ces saints pour leur obéissance et leur sacrifice.

Au moment de son décès, Joseph avait épousé certaines femmes plurales pour le temps et pour l’éternité. Il avait été scellé à d’autres uniquement pour l’éternité, ce qui signifiait que leur relation conjugale ne commencerait qu’après cette vie. Il avait également enseigné le mariage plural à ses associés les plus proches et ils avaient continué d’en préserver la confidentialité après sa mort. Pour Joseph et les premiers saints, c’était un principe religieux solennel et non une manière de satisfaire les désirs charnels.

À l’été 1851, lorsque les dignitaires fédéraux arrivèrent dans le territoire le mariage plural était devenu plus courant dans l’Église, compliquant la tâche de le dissimuler aux visiteurs. En fait, à l’occasion de fêtes ou d’autres rencontres en société, ils firent la connaissance des femmes de Brigham Young et d’Heber Kimball, qui ne firent aucun effort pour cacher leurs relations.

Le 24 juillet 1851, les dignitaires se joignirent aux saints pour célébrer le quatrième anniversaire de l’arrivée des pionniers dans la vallée. La fête débuta par un coup de canon, de la musique patriotique et une parade. Le général Daniel Wells, membre éminent de l’Église et commandant de la milice territoriale, parla ensuite des épreuves passées et prédit qu’un jour les États-Unis seraient maudits pour leur mauvaise volonté à aider l’Église. Les saints aimèrent beaucoup le discours, mais les dignitaires en furent offensés.

Plusieurs semaines plus tard, un autre magistrat, le juge Perry Brocchus, arriva des États de l’Est. Brocchus avait accepté sa nomination en Utah dans l’espoir d’être élu par les saints pour les représenter au Congrès américain. Cependant, lorsqu’il arriva dans le territoire, il fut déçu d’apprendre qu’un membre de l’Église appelé John Bernhisel avait déjà été élu à cette fonction. Il fut aussi alarmé et écœuré par ce que les autres dignitaires rapportèrent du discours du 24 juillet de Daniel Wells.

En septembre, il demanda la permission de prendre la parole à l’occasion d’une conférence spéciale de l’Église. Il affirma qu’il voulait solliciter des fonds pour un monument en l’honneur de George Washington, le premier président des États-Unis. Brigham se méfiait de la requête, mais il accepta de laisser le juge parler.

Brocchus commença par louer la générosité des saints. Il cita le Livre de Mormon et parla de son désir de les servir et de se lier d’amitié avec eux. Il mit longtemps à en venir à ce qu’il voulait dire. Quand enfin il invita les saints à faire des dons pour le monument, il insinua que les épouses plurales devaient abandonner leur mariage avant de contribuer. Il dit : « Vous devez devenir vertueuses et enseigner à vos filles à le devenir. »

Insultée, l’assemblée exigea que Brocchus s’assoie. Cependant, le juge continua de parler. Il condamna le discours de Daniel Wells du 24 juillet et accusa les saints de déloyauté. Il dit : « Le gouvernement des États-Unis ne vous a pas fait de tort. C’est au Missouri qu’il faut demander réparation, et à l’Illinois aussi. »

Ses paroles firent bondir les saints. Que savait-il de leurs souffrances passées ? Des sifflements et des cris de colère éclatèrent parmi les saints et ils demandèrent à Brigham de répondre aux insultes.

Lorsque Brocchus eut terminé son discours, Brigham se leva et fit les cent pas sur l’estrade. Il rugit : « Le juge Brocchus est soit profondément ignorant soit vicieusement méchant. Nous aimons le gouvernement et la Constitution, mais nous n’aimons pas les maudits coquins qui administrent le gouvernement. »

Loin du tumulte régnant dans le territoire d’Utah, l’Église continuait de grandir dans le Pacifique Sud. Après avoir été détenus pendant des semaines, Addison Pratt et son collègue, James Brown, reçurent enfin l’autorisation du gouverneur français de Tahiti de rester sur l’île tant qu’ils obéissaient à certaines restrictions concernant la manière dont ils proclamaient l’Évangile et dirigeaient l’Église.

Selon celles-ci, les missionnaires ne pouvaient pas prêcher contre la religion d’État ni se mêler des affaires politiques ou civiles. Elles limitaient également la manière dont ils pouvaient subvenir à leurs besoins, corriger les membres de l’Église indociles, acheter des terrains pour l’Église et organiser les réunions. S’ils n’obtempéraient pas, ils pouvaient être expulsés du pays.

Addison confia à James une branche voisine tandis qu’il retournait à Tubuai retrouver sa famille et diriger la mission. Le voyage de retour dura sept jours. Lorsque son bateau arriva en vue de l’île, il sortit sa longue-vue et vit ses filles sur la plage en train de le guetter, elles aussi, à l’aide d’une longue-vue. Des rubans de fumée apparurent bientôt sur l’île lorsque les saints de Tubuai commencèrent à préparer un festin en l’honneur de son arrivée.

Quand le bateau approcha de la côte, un canoë vint à sa rencontre pour ramener Addison sur le rivage. Impatient de retrouver sa famille, il était prêt à sauter à bord, mais l’aumônier l’arrêta. Il dit : « Personne ne quitte l’embarcation tant que nous n’avons pas remercié le Seigneur. »

Addison s’agenouilla avec les autres passagers et l’aumônier fit une prière. Dès qu’il entendit « Amen », il sauta dans le canoë et fut rapidement ramené dans les bras de sa famille et de ses amis. Il fut de nouveau surpris de voir combien ses filles avaient grandi. Tout le monde avait l’air bien et prêt à célébrer son retour sain et sauf. Louisa était soulagée de le retrouver.

De façon détachée, elle lui dit : « J’ai eu le mal de mer pendant la traversée depuis la Californie, mais je suis maintenant en bonne santé et de bonne humeur. »

Addison emménagea dans la maison familiale entourée d’une barrière et d’un petit jardin. Benjamin Grouard et les autres anciens construisaient un bateau, le Ravaai, dans une ville voisine, afin de pouvoir visiter les îles reculées de la mission. Addison se mit rapidement à confectionner des voiles pour l’embarcation.

Pendant ce temps, Louisa et sa sœur Caroline faisaient l’école dans le lieu de réunion des saints, une pièce bien aérée, percée de six grandes fenêtres sur chaque mur. La classe commençait tôt le matin et Louisa initiait des garçons et des fillettes remuants à l’anglais en leur enseignant les nombres, les jours de la semaine et les mois de l’année. Les saints de Tubuai, à leur tour, passaient leurs soirées à enseigner le tahitien à Louisa et aux autres missionnaires.

Louisa était impressionnée par leur foi. Ils aimaient prier et lire leur Bible. Ils se levaient souvent avant l’aube, réunissant leur famille pour des dévotions matinales. Une cloche sonnait chaque dimanche matin à sept heures et une centaine de saints se réunissaient, la Bible sous le bras. Pour la Sainte-Cène, ils utilisaient parfois des fruits et du lait de coco.

De nombreux saints de Tubuai auraient aimé rejoindre ceux des États-Unis, mais aucun ne pouvait s’offrir le voyage. Lorsqu’une famille de missionnaires, les Tompkins, décida de rentrer au bout de huit mois de mission sur l’île, Addison leur demanda de lever des fonds pour rassembler les saints insulaires au sud de la Californie.

Lorsque le Ravaai fut achevé, les missionnaires se dispersèrent dans les îles. Ellen partit avec Addison pendant que Louisa restait sur place pour continuer l’école. Ils revinrent six semaines plus tard et Louisa accompagna souvent son mari pour œuvrer sur l’île, ce qui lui permit de pratiquer la langue et de méditer sur l’œuvre du Seigneur.

Parfois elle s’interrogeait sur l’utilité de ce qu’elle faisait. Elle écrivit : « J’espère qu’il sortira beaucoup de bien de ma venue ici bien que cela ne soit pas visible à présent. Je me suis efforcée de planter de bonnes semences ; on en récoltera peut-être le fruit dans de nombreux jours. »

Dans l’Est des États-Unis, la nouvelle que le juge Brocchus avait fait l’objet d’une réprimande cinglante de Brigham Young provoqua un tollé. Des journaux accusèrent l’Église de rébellion ouverte contre la nation. Un éditorialiste recommanda l’envoi de militaires pour occuper l’Utah et maintenir la paix.

C’était Brocchus lui-même qui était à la source de l’information. Bien que Brigham eût essayé de faire la paix avec lui après la conférence, il avait refusé de présenter ses excuses aux saints et avait rédigé un rapport cinglant sur la réaction de Brigham à son discours. Il avait écrit : « Le ferment créé par ses paroles fut véritablement effrayant. On aurait dit que la population (je veux dire une grande partie d’entre elle) était prête à se jeter sur moi comme des hyènes et à me détruire. »

Le Deseret News, le journal de l’Église, rejeta les accusations comme étant sans fondement. Néanmoins, consciente du tort que le récit de Brocchus pouvait faire à l’Église, la Première Présidence demanda l’aide de Thomas Kane, espérant que ses talents de lobbyiste et d’écrivain leur permettraient d’échapper au scandale. Entre-temps, Brocchus et deux dignitaires quittèrent l’Utah et commencèrent immédiatement à raconter leur histoire, dressant l’opinion publique contre les saints.

Thomas Kane accepta d’intervenir et travailla en étroite collaboration avec John Bernhisel, le représentant de l’Utah au Congrès, pour raconter la version des saints au président des États-Unis et à d’autres représentants du gouvernement. Brigham envoya également Jedediah Grant, le maire de Salt Lake City, qui n’avait pas sa langue en poche et qui était un saint des derniers jours de confiance, à Washington D.C. pour aider Thomas.

Jedediah arriva prêt à défendre l’Église. Le public étant résolument contre les saints, de nombreuses personnes exigeaient du président qu’il démette Brigham de sa charge de gouverneur. De plus, Brocchus et les autres dignitaires avaient adressé au président un rapport détaillé de leur mandat en Utah. Ce rapport affirmait que Brigham et l’Église dominaient la région, contrôlaient l’esprit et les biens des membres de l’Église et pratiquaient la polygamie.

Après la publication du rapport, Jedediah en apporta un exemplaire à Thomas et ils l’examinèrent ensemble. Thomas lut les affirmations sur la polygamie et les écarta purement et simplement. Selon lui, ce n’était rien d’autre que d’absurdes rumeurs.

Jedediah se sentit mal à l’aise. Il dit à Thomas qu’elles n’étaient pas toutes fausses. En fait, les saints pratiquaient le mariage plural depuis aussi longtemps que Thomas les connaissait.

Celui-ci fut stupéfait. Depuis cinq ans, il avait aimé et défendu les saints, mettant souvent sa réputation en danger pour eux. Pourquoi ne lui avaient-ils jamais dit qu’ils pratiquaient le mariage plural ? Il se sentit trahi et humilié.

Pendant des jours, il tourna et retourna cette information dans son esprit, hésitant à continuer d’aider les saints. Il supposait que la polygamie désavantageait les femmes et menaçait la cellule familiale. Il craignait qu’en défendant les saints, son nom soit à jamais associé à la pratique.

Pourtant, il admirait également les saints et chérissait leur amitié. Il voulait secourir les personnes opprimées et incomprises dans leurs moments de difficultés et il ne pouvait pas abandonner les saints maintenant.

Le 29 décembre, il envoya à John Bernhisel un plan pour contrer le rapport des dignitaires. Il déclara : « Étant donné le respect et l’amitié que j’ai encore pour vous, je me tiens prêt à vous aider si vous le souhaitez. »

Cependant, il exhorta les saints à faire deux choses : cesser de tenir le mariage plural secret et expliquer la pratique au public.

Au bout d’une année passée à Tubuai, Louisa Pratt et Caroline Crosby se sentirent suffisamment à l’aise avec le tahitien pour organiser régulièrement des réunions de prière avec les femmes de l’Église. À ces occasions, elles chantaient ensemble des cantiques et discutaient de l’Évangile. Louisa et Caroline s’attachèrent aux femmes de l’Église, surtout à la reine Pitomai, la femme du roi Tamatoa de Tubuai.

Du fait qu’Ellen Pratt avait rapidement maîtrisé la langue, sa mère et sa tante comptaient souvent sur elle pour interpréter leurs paroles lors des réunions de prière. Toutefois, à la réunion du 30 octobre, Caroline chanta le cantique d’ouverture en tahitien avec deux femmes de Tubuai et Louisa fit un sermon dans la langue.

Le sujet était le Livre de Mormon. Avant la réunion, elle avait rédigé son discours et Benjamin Grouard l’avait traduit en tahitien. Pendant qu’elle le lisait, les femmes dans la pièce semblaient la comprendre et lui demandèrent ensuite de leur parler davantage des Néphites d’autrefois.

En prenant confiance dans sa maîtrise de la langue, Louisa fut plus désireuse de parler de l’Évangile. Un jour, peu après son quarante-neuvième anniversaire, elle enseigna le baptême pour les morts à un groupe de femmes. Elle fut surprise d’avoir aussi bien réussi. Elle fit la réflexion suivante : « Nous n’avons aucune idée de ce que nous sommes capables de faire tant que nous n’avons pas sincèrement essayé. J’en suis à plus de la moitié de ma vie et je viens d’apprendre une nouvelle langue. »

Plusieurs semaines plus tard, le 29 novembre, le Ravaai s’arrêta à Tubuai, en route vers d’autres îles. L’un des missionnaires à bord était James Brown, qui était de nouveau prisonnier du gouvernement français de Tahiti. Il avait été arrêté sur l’atoll d’Anaa après que des prêtres français l’avaient surpris en train d’encourager les saints à se rassembler aux États-Unis. Estimant que ses paroles étaient de l’ordre de la politique, les autorités françaises l’avaient accusé d’insurrection et banni du pays.

James pensait qu’il allait devoir rester sur le Ravaai et vivre uniquement de pain et d’eau jusqu’à ce que l’équipage le dépose sur une île hors de la juridiction française, mais la reine Pitomai monta à bord du navire et l’invita à en descendre. Elle dit : « C’est mon île. J’assumerai tous les problèmes qui pourront se présenter. »

James resta sur Tubuai pendant dix jours puis partit œuvrer sur une île juste en dehors de la juridiction française. Son bannissement était la preuve que le gouvernement français devenait plus sévère, rendant le travail des missionnaires étrangers de nombreuses religions presque impossible à faire. Le découragement et la frustration, conjugués au mal du pays, assaillirent bientôt les saints des États-Unis et ils décidèrent qu’il était temps de rentrer au pays.

Louisa savait que de nombreux saints fidèles de Tubuai voulaient les accompagner aux États-Unis. Telii, l’amie la plus proche des Pratt, avait l’intention de faire le voyage, mais des responsabilités familiales sur l’île l’en empêchèrent. Louisa voulait aussi emmener certains de ses élèves à Salt Lake City, mais leurs parents s’y opposèrent. D’autres, qui souhaitaient partir, n’avaient pas l’argent pour se payer le voyage.

Lors de la réunion de prière du 11 mars, Louisa dit aux femmes : « Lorsque nous serons chez nous, nous intercéderons afin que vous soyez rassemblées avec l’Église. En attendant, vous devez prier pour vous-mêmes et pour nous. »

Trois semaines plus tard, les femmes se réunirent avec Louisa et Caroline pour leur dernière réunion de prière. Caroline fut profondément émue en pensant que c’était la dernière fois qu’elles se réunissaient. Elle voyait bien que certaines femmes étaient tristes de les voir partir. Néanmoins, la réunion fut remplie de l’Esprit et les femmes parlèrent et prièrent ensemble jusque tard le soir. Louisa dit au revoir à ses élèves et les confia à Telii. Caroline donna une couverture piquée qu’elle avait confectionnée à la reine Pitomai qui lui offrit une belle robe en retour.

Le 6 avril 1852, les missionnaires de Tubuai montèrent à bord du Ravaai. Les saints insulaires vinrent leur dire au revoir sur la plage, apportant de la nourriture pour le voyage. Louisa leur dit : « Consolez-vous. Je vais prier pour qu’un jour vous puissiez vous rassembler avec l’Église du Christ en Amérique, à savoir Sion dans la vallée des montagnes Rocheuses. » Tout le monde pleura et ils se serrèrent la main une dernière fois.

Le Ravaai fit voile vers quatre heures de l’après-midi. Les saints entrèrent dans l’eau et accompagnèrent le bateau dans l’océan aussi longtemps que possible, bénissant les missionnaires. Alors que le bateau glissait silencieusement sur les eaux calmes et que l’île disparaissait progressivement, les missionnaires continuaient de percevoir les au- revoir des saints sur le rivage.

« ‘Ia ora na ‘outou. » La paix soit avec vous.

Quelques mois plus tard, Brigham se réunit avec ses conseillers les plus proches à Salt Lake City. Grâce à Thomas Kane, John Bernhisel et Jedediah Grant, la controverse avec les dignitaires territoriaux était pour l’instant terminée. Brigham resta gouverneur et de nouveaux dignitaires fédéraux furent envoyés remplacer Brocchus et ceux qui avaient quitté l’Utah. Néanmoins, les dirigeants de l’Église n’avaient toujours pas fait de déclaration officielle sur le mariage plural comme Thomas leur avait vivement conseillé de le faire.

Brigham réfléchissait à la meilleure manière d’annoncer la pratique. Avec son siège en Utah solidement établi, l’Église n’avait jamais été aussi forte. De plus, le mariage plural jouait maintenant un rôle essentiel dans la vie de nombreux saints, influençant grandement la façon dont ils comprenaient leur relation et leur alliance avec Dieu et leur famille. Il semblait à la fois impossible et inutile d’en préserver la confidentialité plus longtemps. Le moment était venu de le rendre public et ils décidèrent de l’expliquer plus complètement aux saints et au reste du monde à l’occasion d’une prochaine conférence de deux jours sur l’œuvre missionnaire.

La conférence débuta le 28 août 1852. Ce jour-là, la Première Présidence appela cent sept hommes en mission en Inde, au Siam, en Chine, en Afrique du Sud, en Jamaïque, sur l’île de la Barbade et dans d’autres endroits du monde. George A. Smith lança par boutade : « Les appels en mission que nous allons annoncer lors de cette conférence seront généralement de courte durée. Les hommes ne seront probablement pas séparés de leur famille pendant plus de trois à sept ans. »

On attendait des missionnaires qu’ils apportent l’Évangile de Jésus-Christ aux peuples du monde. Heber Kimball conseilla : « Que la vérité et la justice soient votre devise. Partez dans le monde avec pour seuls objectifs de prêcher l’Évangile, d’édifier le royaume de Dieu et de rassembler les brebis dans le troupeau. »

Le lendemain, Orson Pratt se leva et fit un discours sur le mariage plural. Ses paroles furent publiées dans le Deseret News et d’autres journaux du monde réimprimèrent rapidement l’article. Dans son sermon, il expliquait aux missionnaires le fondement doctrinal du mariage plural afin qu’ils puissent enseigner et défendre la pratique dans le champ de la mission.

Il déclara en chaire : « Les saints des derniers jours ont embrassé la doctrine de la pluralité des épouses dans le cadre de leur religion. Nous allons nous efforcer de présenter à cette assemblée éclairée certaines des causes et le pourquoi de la chose. »

Il parla pendant deux heures, s’appuyant sur sa propre compréhension de la pratique. Les Écritures offraient peu de déclarations doctrinales sur le mariage plural. La Bible évoquait des hommes et des femmes justes, tels qu’Abraham et Sara, qui avaient obéi au principe, mais ne révélait pas grand-chose sur les raisons pour lesquelles ils l’avaient fait. Par contre, le Livre de Mormon expliquait que Dieu commandait parfois au peuple de pratiquer le mariage plural afin d’élever des enfants pour lui.

Orson enseigna à l’assemblée que le mariage plural n’était pas une question d’abandon aux pulsions sexuelles, comme beaucoup hors de l’Église le supposaient, mais plutôt de participation à l’accomplissement de l’œuvre éternelle de Dieu ici-bas. Il laissa entendre que le Seigneur demandait parfois à son peuple de pratiquer le mariage plural afin de multiplier et remplir la terre, diffuser les promesses et les bénédictions de l’alliance abrahamique et faire venir au monde davantage d’enfants d’esprit de notre Père céleste. Dans ces familles, les enfants apprenaient l’Évangile auprès de parents pratiquant la justice et grandissaient pour établir le royaume de Dieu.

Orson fit aussi observer que le Seigneur gouvernait la pratique avec des lois strictes. Seul le prophète détenait les clés de l’alliance du mariage et nul ne pouvait célébrer de mariage plural sans son consentement. De plus, il était attendu des personnes qui le pratiquaient qu’elles respectent leurs alliances et mènent une vie juste.

À la fin de son discours, il déclara : « Nous ne pouvons qu’ébaucher ce vaste sujet. » Il ajouta que les saints fidèles étaient héritiers de tout ce que Dieu possédait. En contractant et en respectant les alliances éternelles du mariage, ils pourraient élever une postérité aussi nombreuse que les grains de sable au bord de la mer.

Il dit : « J’ai envie de chanter alléluia à son saint nom, car il règne dans les cieux et il exaltera son peuple afin qu’il s’assoie avec lui sur des trônes de puissance pour régner pour toujours et à jamais. »

Plus tard ce jour-là, Brigham parla aux saints de la révélation. Il fit remarquer que certaines des révélations du Seigneur étaient difficiles à accepter au début. Il relata les difficultés qu’il avait eues, vingt ans plus tôt, à accepter la vision de Joseph Smith de la vie après la vie et des trois royaumes de gloire.

Il admit : « Quand j’en ai été informé, c’était exactement à l’opposé de mon éducation et de mes traditions. Je ne l’ai pas rejetée, mais je n’arrivais pas à la comprendre. » Sa foi en la révélation grandit lorsqu’il rechercha des précisions auprès du Seigneur. Il dit aux saints : « J’ai réfléchi et prié, j’ai lu et réfléchi, j’ai prié et médité jusqu’à ce que je sache et comprenne par moi-même, grâce aux visions de l’Esprit-Saint. »

Il témoigna ensuite de la révélation du Seigneur à Joseph Smith sur le mariage éternel, ajoutant que Dieu révélait encore ses paroles à l’Église. Il dit : « S’il fallait les écrire, nous écririons continuellement. Nous préférons que le peuple vive de façon à recevoir les révélations pour lui-même et fasse ensuite le travail que nous sommes appelés à faire. Cela nous suffit. »

Ensuite, son secrétaire, Thomas Bullock, lut la révélation du Seigneur sur le mariage plural à une immense assemblée. La plupart des saints, y compris certains de ceux qui le pratiquaient, n’avaient encore jamais lu la révélation. Certains se réjouirent de pouvoir enfin proclamer librement le principe au monde.

Immédiatement après la conférence, les missionnaires nouvellement appelés se réunirent pour recevoir des instructions afin de s’en aller prêcher sur tous les continents habités. L’enthousiasme remplit la pièce tandis que les hommes pensaient à cette nouvelle impulsion dans l’œuvre du Seigneur. L’été étant presque fini, ils avaient peu de temps à perdre.

Brigham leur dit : « Je veux que vous partiez dès que possible et franchissiez les plaines avant les premières chutes de neige. »


DEUXIÈME PARTIE : Préparez du Seigneur le chemin (septembre 1852 - mai 1869)

CHAPITRE 11 : Un grand honneur

Presque tous les matins, Ann Eliza Secrist entendait Moroni, son fils de deux ans, appeler son père. Elle devait accoucher dans les jours à venir et jusqu’à récemment, son mari, Jacob, s’occupait lui-même du garçon. Cependant, le 15 septembre 1852, ses trois jeunes enfants et elle s’étaient tenus à la porte de leur maison inachevée à Salt Lake City et avaient regardé Jacob gravir avec son attelage une colline située à l’est de la ville. Au sommet, il avait agité son chapeau dans leur direction, avait contemplé une fois de plus la ville et avait ensuite disparu derrière la colline.

Il faisait partie des dizaines de missionnaires appelés lors de la conférence d’août 1852. Ayant reçu la directive de partir dès que possible, il se joignit à un convoi de quatre-vingts anciens à destination principalement de la Grande-Bretagne et d’autres nations européennes. Il fut l’un des quatre missionnaires envoyés en Allemagne, où il fut appelé à œuvrer pendant trois ans.

Jusque-là, Ann Eliza avait fait face à l’absence de son mari du mieux qu’elle le pouvait. Jacob et elle avaient grandi ensemble dans une petite ville de l’est des États-Unis. Pendant qu’ils se fréquentaient, Jacob avait travaillé dans un autre État et durant leur séparation, ils avaient échangé de longues lettres d’amour. Ils s’étaient mariés en 1842, étaient devenus membres de l’Église peu après et avaient ensuite suivi les saints vers l’ouest. Ils avaient tous les deux un solide témoignage de l’Évangile rétabli et Ann Eliza ne voulait pas se plaindre de l’appel en mission de Jacob. Cependant, le temps passait lentement en son absence et elle était accablée de chagrin.

Treize jours après le départ de son mari, elle accoucha d’un petit garçon aux cheveux noirs. Le lendemain, elle écrivit à Jacob. Elle raconta : « Nous avons pesé le bébé et il fait quatre kilos et demi. Il n’a pas encore de nom. Si tu en as un pour lui, note-le dans ta lettre. »

Elle n’avait aucune idée du temps qu’il faudrait pour que son mari reçoive la nouvelle. Le courrier arrivait sporadiquement dans la vallée la plupart des mois de l’année, mais la distribution cessait totalement l’hiver lorsque la neige sur les plaines rendait les routes impraticables. Elle avait peu de raisons de s’attendre à une réponse avant le printemps.

Cependant, peu après la naissance du bébé, elle reçut une lettre que Jacob avait envoyée alors qu’il était encore sur la piste vers l’est. D’après le contenu, elle devinait qu’il n’avait pas encore reçu sa lettre. Il lui disait qu’il avait rêvé de leur famille. Les trois enfants jouaient ensemble sur le sol pendant qu’Ann Eliza était au lit avec un petit garçon nouveau-né.

Jacob avait écrit que si elle donnait naissance à un fils, il voulait qu’elle l’appelle Néphi.

Ann Eliza avait sa réponse. Elle appela le bébé Heber Néphi Secrist.

L’été de 1852, Johan Dorius, vingt-deux ans, arriva dans le district de Vendyssel, situé au nord du Danemark. Apprenti cordonnier originaire de Copenhague, il avait délaissé ses outils pour faire une mission dans son pays natal. Il était devenu membre de l’Église avec son père, Nicolai, et sa jeune sœur Augusta, peu après l’arrivée au Danemark des premiers missionnaires saints des derniers jours. Carl, son frère aîné, était devenu membre un peu plus d’un an plus tard.

L’Église avait grandi rapidement au Danemark depuis que Peter Hansen et Erastus Snow avaient ouvert la mission. En moins de deux ans, ils avaient publié le Livre de Mormon en danois (première édition du livre dans une langue autre que l’anglais) et avaient fondé un journal mensuel appelé le Skandinaviens Stjerne. Le Danemark comptait maintenant plus de cinq cents saints organisés en douze branches.

Par contre, la mère de Johan, Ane Sophie, méprisait la nouvelle Église impopulaire et se servit de l’appartenance de son mari comme motif de divorce. Au moment où Ane Sophie et Nicolai se séparaient, Johan fut appelé avec d’autres nouveaux convertis à faire une mission localement et Augusta quitta le Danemark avec le premier groupe de saints scandinaves pour se rassembler en Sion.

À Vendsyssel, Johan se rendit dans le sud pour rencontrer des saints dans un village appelé Bastholm. Ils se réunirent chez un membre local. Johan se sentait joyeux et inspiré lorsqu’il s’adressa à l’assemblée. Ayant déjà prêché dans la région, il connaissait presque toutes les personnes présentes.

Vers midi, juste avant la fin de la réunion, une foule d’ouvriers agricoles armés d’outils et de gourdins entra dans la maison et se posta autour de la porte. Plus tôt cette année-là, les saints danois avaient adressé à l’Assemblée législative une demande de protection contre les émeutiers, mais rien n’avait été fait. De nouveaux convertis dans la Suède voisine avaient affronté une adversité semblable, incitant certains à préférer se faire baptiser dans la cuve d’un tanneur plutôt que de prendre le risque d’être vus dans une rivière.

Une fois la réunion fut terminée, Johan se dirigea vers la porte pour partir. Les émeutiers se rapprochèrent et Johan sentit quelque chose lui piquer la jambe. Il ignora la douleur et sortit, mais presque immédiatement, les ouvriers agricoles l’attrapèrent par derrière et le frappèrent dans le dos à coups de gourdin. Une douleur fulgurante lui traversa le corps lorsque les hommes le piquèrent avec des bâtons et des outils pointus jusqu’à ce qu’il ait la chair à vif.

Tant bien que mal, il réussit à leur échapper et à s’enfuir chez un membre de l’Église du nom de Peter Jensen qui n’habitait pas loin. Là, ses amis lui ôtèrent ses vêtements déchirés, pansèrent ses blessures et le mirent au lit. Un homme l’oignit et le bénit et une femme âgée veilla sur lui dans sa chambre. Cependant, au bout d’une heure et demie, des hommes ivres tambourinèrent à la porte. La vieille femme tomba à genoux et pria pour avoir de l’aide. Elle dit à Johan : « Ils devront me battre avant de pouvoir te battre. »

Un instant plus tard, les hommes ivres faisaient irruption dans la pièce. La femme essaya de les arrêter, mais ils la poussèrent contre le mur. Ils encerclèrent le lit et rouèrent de coups le corps contusionné et lacéré de Johan. Voulant à tout prix rester conscient et calme, Johan pensa à Dieu, mais les émeutiers lui saisirent les bras, le traînèrent hors du lit et l’emportèrent dans la nuit.

Soren Thura passait près de chez les Jensen lorsqu’il vit la foule transportant Johan vers une rivière voisine. Certains des hommes criaient et juraient sauvagement. D’autres beuglaient des chansons. Soren s’approcha à grandes enjambées et joua des coudes pour se glisser entre eux. Leur haleine empestait l’alcool. Il jeta un coup d’œil à Johan. Le jeune homme avait l’air petit et frêle dans sa chemise de nuit.

Les hommes reconnurent immédiatement Soren. C’était un vétéran de la cavalerie danoise et à Bastholm, il avait la réputation d’être un athlète puissant. Supposant qu’il allait se joindre à eux, les hommes lui dirent qu’ils avaient attrapé un « prédicateur mormon » et qu’ils allaient le jeter à la rivière. Ils dirent : « Nous allons montrer à ce prêtre mormon comment baptiser. »

Soren dit : « Libérez-le. Je vais m’occuper de ce garçon et je vous défie de m’en empêcher, bande de lâches. » Il était bien plus grand et plus fort qu’aucun d’entre eux ; ils laissèrent donc tomber le missionnaire, lui assénèrent quelques coups supplémentaires et détalèrent.

Soren le ramena chez les Jensen et revint le lendemain prendre de ses nouvelles. Johan croyait que Dieu avait envoyé Soren à son secours. Il témoigna : « Ce n’est rien de plus que ce qui est arrivé au peuple de Dieu autrefois et de tels châtiments sont censés nous humilier devant le Seigneur. »

Soren fut ému par le message de Johan et revint, jour après jour, parler avec le jeune homme et lui poser des questions sur sa mission et l’Évangile rétabli.

Pendant que Johan se remettait de sa rossée, Augusta, sa sœur de quatorze ans, traversait les montagnes Rocheuses avec un convoi de chariots d’une centaine de saints émigrants. La piste qu’ils suivaient était sablonneuse et bien battue après cinq années de grandes migrations vers la vallée du lac Salé. Pourtant, bien qu’elle fût bien marquée, les saints étaient inquiets en pensant au chemin qui les attendait. L’automne était arrivé sur les plaines. Un vent glacial balayait la campagne et les températures étaient presque insupportables.

Pour ne rien arranger, les bœufs commençaient à fatiguer et les saints avaient utilisé tout ce qui leur restait de farine, ce qui les obligea à envoyer un cavalier en avant en quête de provisions. N’ayant aucun moyen de savoir combien de temps les secours mettraient pour arriver, les saints continuèrent d’avancer, le ventre vide. Ils étaient encore à plus de deux cents kilomètres de Salt Lake City et la partie la plus abrupte de leur voyage était encore devant eux.

Augusta et ses amies marchaient souvent loin devant le convoi puis attendaient qu’il les rattrape. En chemin, elles pensaient aux maisons qu’elles avaient abandonnées. Les vingt-huit Danois du convoi avaient fait la traversée jusqu’aux États-Unis avec Erastus Snow, qui était déjà parti en avant jusqu’à Salt Lake City, pendant qu’Augusta et le reste de la compagnie suivaient dans un autre convoi. La plupart des émigrants scandinaves, dont Augusta, ne connaissaient pas un mot d’anglais, mais tous les matins et tous les soirs, ils se joignaient aux saints anglophones pour prier et chanter des cantiques.

Le voyage jusqu’à Salt Lake City s’avérait être plus dur et plus long que ce qu’Augusta avait imaginé. En écoutant les Américains parler leur langue incompréhensible, elle réalisa combien elle savait peu de choses de son nouveau foyer. Elle eut aussi le mal du pays. En plus de ses frères Carl et Johan, elle avait trois sœurs plus jeunes appelées Caroline, Rebekke et Nicolena. Elle voulait que tous les membres de sa famille la rejoignent un jour en Sion, mais elle ne savait pas si cela arriverait un jour, surtout depuis le divorce de ses parents.

Sur la piste vers l’ouest, Augusta survécut grâce à de maigres rations tandis que le convoi gravissait des crêtes, s’enfonçait dans de profonds ravins et traversait d’étroits ruisseaux de montagne. À l’entrée d’Echo Canyon, à environ soixante kilomètres de Salt Lake City, des femmes du convoi aperçurent l’homme qui avait été envoyé en avant en quête de provisions. Peu après, un chariot chargé de pain, de farine et de biscuits salés arriva et les capitaines de la compagnie distribuèrent les victuailles aux saints soulagés.

Quelques jours plus tard, le convoi arriva à Salt Lake City. Erastus Snow salua les saints danois lorsqu’ils entrèrent dans la ville et les invita à manger chez lui du pain aux raisins et du riz. Après avoir passé des mois à ne manger que du pain fade et de la viande de bison, Augusta estima n’avoir jamais rien goûté de plus délicieux.

Le 8 novembre 1852, George Q. Cannon ouvrit son petit journal marron et écrivit : « Très occupé à écrire. » Il était resté penché toute la journée sur une table chez Jonathan et Kitty Napela à traduire le Livre de Mormon en hawaïen. En réfléchissant à son travail de la journée, il demanda au Seigneur de l’aider à terminer le projet.

Il nota, songeur, dans son journal : « J’estime que c’est un grand honneur. J’ai envie de me réjouir pendant que je le fais et mon cœur brûle et se gonfle lorsque je médite les principes merveilleux qui y sont contenus. »

En mars 1851, lorsque George rencontra Jonathan Napela, jamais il n’aurait imaginé l’importance de Napela dans l’œuvre du Seigneur à Hawaï. Pourtant, ce ne fut qu’en janvier 1852 (presque une année après leur première rencontre) que Napela accepta le baptême. Il savait que l’Évangile rétabli était vrai, mais l’opposition des membres de la collectivité et de l’Église protestante locale l’empêchait de devenir immédiatement membre de l’Église. Entre temps, George avait réussi à baptiser de nombreuses personnes et à organiser quatre branches à Maui.

Avec l’aide et les encouragements de Napela, il avait commencé à traduire le Livre de Mormon peu après le baptême de celui-ci. Heure après heure, George étudiait des passages du livre et s’efforçait de rédiger de son mieux une traduction hawaïenne sur une feuille de papier. Il lisait ensuite ce qu’il avait écrit à Napela qui l’aidait à parfaire la traduction. Avocat instruit, Napela était excellemment qualifié pour guider George à travers les complexités de sa langue maternelle. Il avait également étudié très attentivement les principes de l’Évangile et saisissait rapidement la vérité.

Le processus fut lent au début, mais leur désir de faire connaître le message du Livre de Mormon aux Hawaïens les incita à avancer. Ils sentirent bientôt l’Esprit reposer sur eux et ils se surprirent à progresser rapidement dans leur travail, même lorsqu’ils rencontraient des passages exprimant des points de doctrine et des idées complexes. L’hawaïen de George s’améliorait de jour en jour tandis que Napela lui enseignait de nouveaux mots et de nouvelles expressions.

Le 11 novembre, des collègues missionnaires qui travaillaient sur une autre île apportèrent à George trois lettres et sept numéros du Deseret News d’Utah. Avide de nouvelles de chez lui, George lut les lettres et les journaux dès qu’il en eut l’occasion. Dans une lettre, il apprit que l’apôtre Orson Pratt avait lu aux saints une révélation sur le mariage plural et l’avait prêché publiquement. La nouvelle ne le surprit pas.

Il nota dans son journal : « Je m’y attendais. Je crois que le moment est opportun. »

Une autre lettre rapportait que les dirigeants de l’Église avaient été informés de la traduction du Livre de Mormon et approuvaient le projet. La troisième lettre lui apprenait que l’apôtre John Taylor, son oncle, était récemment rentré de sa mission en France et qu’il voulait que George rentre aussi. Elizabeth Hoagland, la jeune fille qu’il avait courtisée avant de partir en mission, attendait également impatiemment son retour. Néanmoins, Willard Richards, de la Première Présidence, voulait qu’il envisage l’idée de terminer la traduction avant de rentrer.

George savait qu’il avait fait une mission honorable. Le jeune homme qui avait le mal du pays et des difficultés à s’exprimer était devenu un missionnaire et un prédicateur puissant. S’il décidait de rentrer maintenant, personne ne pourrait dire qu’il n’avait pas magnifié l’appel que le Seigneur lui avait donné.

Il croyait cependant que les ancêtres du peuple hawaïen avaient prié pour que leurs descendants aient la chance d’entendre l’Évangile et de profiter des bénédictions qui l’accompagnent. En outre, il aspirait à se réjouir avec ses frères et sœurs hawaïens dans le royaume céleste. Comment pouvait-il quitter Hawaï avant d’avoir terminé sa traduction ? Il allait rester et achever son œuvre.

Quelques jours plus tard, après avoir passé la matinée avec des saints sur Maui, George pensa à la bonté de Dieu et son cœur se remplit d’une joie et d’un bonheur ineffables.

Il s’exclama dans son journal : « Je n’ai pas les mots pour exprimer les sentiments que j’éprouve en réfléchissant à l’œuvre du Seigneur. Oh, que ma langue, mon temps, mes talents et tout ce que je possède puissent être employés pour l’honorer et le glorifier, pour glorifier son nom et propager la connaissance de ses attributs où que le sort m’envoie ! »

Cet automne-là, Johan Dorius et d’autres missionnaires danois furent envoyés en Norvège pour y prêcher l’Évangile. Comme le Danemark, la Norvège accordait une certaine liberté religieuse aux chrétiens qui n’appartenaient pas à l’église d’État, mais depuis plus de dix ans, des livres et des journaux mettaient les Norvégiens en garde contre les dangers que représentaient les saints des derniers jours, dressant l’opinion publique contre l’Église.

Un jour, Johan et son collègue organisèrent une réunion dans une petite maison non loin de la ville de Fredrikstad. L’assemblée chanta « L’Esprit du Dieu saint » puis Johan parla des origines de l’Église et déclara que Dieu s’était de nouveau révélé à l’humanité. Lorsqu’il eut fini, une jeune femme exigea qu’il prouve la véracité de ses paroles avec la Bible. Il le fit, et elle fut impressionnée par ce qu’il dit.

Deux jours plus tard, Johan et son collègue firent halte pour la nuit dans une auberge en dehors de Fredrikstad. L’aubergiste leur demanda de décliner leur identité et les jeunes gens se présentèrent sous le titre de missionnaires saints des derniers jours. L’aubergiste devint méfiant. Les autorités du comté lui avaient formellement interdit de loger des saints des derniers jours.

Pendant que les missionnaires parlaient à l’aubergiste, un agent de police sortit d’une pièce voisine et exigea de voir le passeport de Johan. Celui-ci expliqua qu’il était resté à Fredrikstad.

« Vous êtes en état d’arrestation », dit l’agent, qui se tourna ensuite vers le collègue de Johan et lui demanda son passeport. Comme le missionnaire ne pouvait le présenter, l’agent l’arrêta aussi et conduisit les deux hommes dans une pièce pour attendre l’interrogatoire. À leur grande surprise, Johan et son collègue trouvèrent la pièce remplie de saints norvégiens (femmes et hommes) qui avaient aussi été arrêtés. Parmi eux se trouvaient plusieurs missionnaires danois, notamment un qui était en garde à vue depuis deux semaines.

Dernièrement, les autorités régionales avaient commencé à rassembler et à interroger les missionnaires et les membres de l’Église. De nombreux Norvégiens se méfiaient fortement des saints et croyaient que leur foi au Livre de Mormon les disqualifiait de la protection accordée par les lois nationales relatives à la liberté religieuse.

La nouvelle que les membres de l’Église aux États-Unis pratiquaient le mariage plural avait aussi amené certains Norvégiens à voir les saints comme des fauteurs de troubles qui voulaient corrompre la foi et les valeurs traditionnelles du peuple norvégien. En interrogeant et en emprisonnant les saints des derniers jours, les autorités espéraient les dénoncer comme non chrétiens et mettre fin à la propagation de la nouvelle religion.

Johan fut bientôt transporté à Fredrikstad et emprisonné avec quatre autres missionnaires, dont Christian Larsen, dirigeant de l’Église en Norvège. Le geôlier et sa famille traitèrent les missionnaires avec civilité, leur permettant de prier, de lire et d’écrire, de chanter et de parler de l’Évangile. Néanmoins, personne n’était libre de s’en aller.

Au bout de plusieurs semaines, le juge du comté et d’autres autorités interrogèrent certains des missionnaires. Le juge traita les hommes comme des criminels, écouta à peine ce qu’ils disaient et refusa de leur accorder la parole lorsqu’ils essayèrent d’expliquer que leur message était en harmonie avec la chrétienté et la Bible.

Les autorités demandèrent à Christian : « Dans quel but êtes-vous venu dans ce pays ? »

Il répondit : « Pour enseigner aux gens le véritable Évangile de Jésus-Christ.

— Retournerez-vous au Danemark si vous êtes libéré de prison ?

— Pas tant que Dieu ne me le relève pas par l’intermédiaire de ses serviteurs qui m’ont envoyé ici.

— Vous abstiendrez-vous de prêcher et de baptiser ?

— Si vous ou n’importe lequel de vos prêtres pouvez me convaincre que notre doctrine et notre foi ne sont pas en accord avec la doctrine du Christ, car je désire obtenir le salut et faire la volonté de Dieu.

— Nous considérons qu’une discussion avec vous serait indigne de nos prêtres », dit l’interrogateur en chef. « Je vous interdis d’induire d’autres âmes en erreur avec vos fausses doctrines. »

En attendant leur procès, Johan et les missionnaires partagèrent la cellule de Johan Andreas Jensen. Capitaine de vaisseau, c’était un homme profondément religieux qui avait donné ses biens aux pauvres et avait commencé à prêcher dans les rues et à appeler les gens au repentir. Dans son enthousiasme pour la proclamation de la parole de Dieu, il avait essayé de faire connaître ses opinions religieuses à Oscar Ier, roi de Suède et Norvège, mais avait été refoulé chaque fois qu’il avait sollicité une audience. Contrarié, Jensen avait qualifié le roi de « pécheur exalté » et avait été promptement arrêté et emprisonné.

Les missionnaires lui parlèrent de l’Évangile rétabli. Au début, le capitaine ne s’intéressa pas au message, mais il priait pour eux et eux priaient pour lui. Un jour, pendant qu’ils lui rendaient témoignage, tous les occupants de la cellule furent remplis de joie. Jensen pleura intensément et son visage resplendit. Il déclara qu’il savait que l’Évangile rétabli était vrai.

Les missionnaires demandèrent à la cour de relâcher Jensen juste le temps de se faire baptiser, mais leur demande fut rejetée. Jensen assura aux missionnaires qu’il se ferait baptiser dès qu’il serait libéré de prison.

Johan nota dans son journal : « Cela nous amena tous à remercier humblement Dieu et ce fut véritablement une magnifique journée pour nous. Nous chantâmes et louâmes Dieu pour sa bonté ».


CHAPITRE 12 : Le visage tourné vers Sion

Le matin du 6 avril 1853, Brigham Young se tenait avec ses conseillers, Heber Kimball et Willard Richards, devant les fondations partiellement creusées du nouveau temple à Salt Lake City. Cela faisait des mois, voire des années qu’il attendait ce jour et il n’aurait pas pu souhaiter un ciel d’un bleu plus pur. L’Église fêtait son vingt-troisième anniversaire et c’était également le premier jour de sa conférence générale de printemps. Des milliers de saints étaient venus à l’emplacement du temple, comme ils le faisaient deux fois par an, pour entendre les paroles de leurs dirigeants. Cependant, aujourd’hui, c’était différent. Aujourd’hui ils étaient venus assister à la pose des pierres angulaires du temple.

Brigham se réjouissait. Il avait ouvert le chantier et Heber avait consacré l’emplacement deux mois et demi plus tôt. Depuis lors, les ouvriers n’avaient pas eu assez de temps pour creuser entièrement les imposantes fondations, mais ils avaient ouvert le long de ses murs des tranchées profondes et suffisamment larges pour y loger les énormes pierres angulaires en grès. Il faudrait encore deux mois de labeur pour terminer l’excavation.

Une fois les saints assemblés, Brigham et ses conseillers posèrent l’une des pierres à l’angle sud-est des fondations. Chacune d’elles pesait plus de deux tonnes. Le temple aurait six flèches et serait beaucoup plus haut que les temples de Kirtland et de Nauvoo, nécessitant des fondations solides pour supporter son poids. Lors d’une réunion avec Truman Angell, l’architecte, Brigham avait fait un croquis du temple sur une ardoise et expliqué que les trois flèches à l’est représenteraient la Prêtrise de Melchisédek tandis que les trois flèches à l’ouest représenteraient la Prêtrise d’Aaron.

Après la pose des pierres angulaires, Thomas Bullock, un greffier de l’Église, lut un sermon préparé par Brigham Young sur l’objectif des temples. De nombreux saints avaient reçu la dotation dans le temple de Nauvoo ou dans la Council House, un bâtiment à Salt Lake City où Brigham avait temporairement autorisé l’accomplissement de l’œuvre du temple, mais la plupart d’entre eux n’avaient accompli l’ordonnance qu’une seule fois et n’en avaient peut-être pas saisi toute la beauté et l’importance. D’autres, notamment de nombreux saints européens arrivés récemment, n’avaient pas eu l’occasion de recevoir la dotation. Afin de leur faire comprendre la nature sacrée de l’ordonnance et son importance, Brigham en fit une description.

Le sermon expliquait : « Votre dotation au temple consiste à recevoir dans la maison du Seigneur toutes les ordonnances qui vous seront nécessaires, lorsque vous aurez quitté cette vie, pour vous permettre de rentrer dans la présence du Père, en passant devant les anges qui se tiennent en sentinelles, étant capables de leur donner les mots-clefs, les signes et les symboles qui appartiennent à la sainte prêtrise et d’acquérir votre exaltation éternelle en dépit de la terre et de l’enfer. »

Avant même d’arriver dans la vallée, Brigham avait prévu de construire un autre temple dès que l’Église aurait trouvé un nouveau lieu de rassemblement. Une fois arrivé, il en avait eu une vision. Lors de la conférence, il témoigna aux saints : « Il y a cinq ans, en juillet dernier, j’ai vu ici la pierre angulaire du temple à moins de trois mètres de l’endroit où nous l’avons placée. Je ne peux jamais regarder cet emplacement sans que la vision soit devant mes yeux. »

Brigham promit que tant que les saints se consacreraient au projet et paieraient leur dîme, le temple s’élèverait en beauté et majesté, surpassant tout ce qu’ils avaient vu ou imaginé.

Peu après la cérémonie de la pose de la pierre angulaire, Ann Eliza Secrist reçut quatre lettres de son mari, Jacob. Chacune d’elle relatait une étape différente de son voyage jusqu’au champ de la mission. La plus récente, datait du 28 janvier 1853 et indiquait qu’il était enfin arrivé à Hambourg, une ville de la confédération allemande.

Huit mois après son départ, Ann Eliza se sentait en paix malgré son absence. Le Deseret News imprimait souvent des lettres de missionnaires du monde entier, informant ainsi les saints de l’œuvre missionnaire dans des endroits aussi éloignés que l’Australie, la Suède, l’Italie ou l’Inde. Parfois, ces rapports faisaient état de l’opposition féroce qu’ils rencontraient. En fait, deux jours avant l’arrivée des lettres de Jacob, Ann Eliza avait lu dans le Deseret News que le gouvernement s’employait à expulser un missionnaire d’Hambourg.

Au lieu de se faire du souci pour lui, elle lui écrivit une lettre encourageante. Elle témoigna : « Il est inutile d’essayer de stopper cette œuvre, car elle continuera d’avancer en dépit de tous les démons sur terre et en enfer et rien ne peut empêcher sa progression. »

Chaque fois qu’elle écrivait à son mari, elle parlait de la santé de leurs enfants. Cet hiver-là, ils avaient tous attrapé la scarlatine, mais avaient guéri avant le printemps. Ils avaient ensuite attrapé la varicelle, qui les avait tourmentés pendant un mois. Pendant cette période, les enfants mentionnaient souvent leur père, surtout lorsqu’ils mangeaient un plat qu’ils savaient qu’il aurait aimé.

Elle lui parlait aussi de la ferme familiale, située à environ trente kilomètres au nord de Salt Lake City. Jacob et Ann Eliza avaient embauché des hommes pour s’en occuper pendant que la famille habitait en ville et récemment, l’un des ouvriers agricoles avait demandé à Ann Eliza du verre, des clous et du bois de construction pour terminer une maison sur la propriété. Elle avait pris des matériaux de sa maison en ville bien qu’elle soit inachevée, elle aussi. Plus tard, ce même homme avait demandé à être rémunéré pour le travail qu’il avait au départ accepté de faire gratuitement. Sans argent ni blé sous la main, Ann Eliza avait vendu une vache pour le payer.

Toutefois, dans la lettre suivante, elle notait avec satisfaction qu’une bonne récolte s’annonçait, assurant la prospérité de la ferme. Elle ajouta également qu’elle avait la nette impression que les enfants et elle devraient retourner à la ferme, bâtir une petite maison sur la propriété et habiter là-bas. Elle ne voulait cependant pas prendre une décision aussi importante sans d’abord le consulter. Elle écrivit : « Je veux connaître ton avis sur le sujet et je veux que tu m’écrives le plus vite possible à ce propos. »

Elle accompagna la demande de propos aimants et rassurants. Elle écrivit : « Bien que nous soyons séparés par de grands océans, de vastes prairies et des montagnes aux cimes enneigées, je pense continuellement à toi et à ton bien-être. Ne t’inquiète de rien pour moi, car je crois que Dieu, au service duquel tu es, me protégera. »

Ce printemps-là, sur l’île de Maui, des articles de journaux sur le sermon d’Orson Pratt d’août 1852 au sujet du mariage plural déclenchèrent un tollé. Les Hawaïens avaient jadis pratiqué la polygamie, mais le gouvernement avait proscrit la pratique et poursuivait maintenant en justice ceux qui violaient la loi. Des missionnaires protestants s’étaient rapidement emparés des enseignements du sermon d’Orson et les avaient déformés pour ridiculiser les saints et mettre l’Église en doute.

Convaincu que la vérité et la franchise étaient le meilleur moyen de répondre aux mensonges et aux idées fausses sur l’Église, George Q. Cannon mit de côté la traduction du Livre de Mormon, traduisit la révélation sur le mariage plural et prêcha la pratique à une foule d’un millier de personnes. Son sermon mit fin à la confusion sur le mariage plural et précisa que seules les personnes à qui le Seigneur le commandait étaient censées le pratiquer.

Avant son discours, George avait montré sa traduction de la révélation à Jonathan Napela. Ce dernier en était satisfait. Avant son baptême en 1852, Napela s’était senti poussé par ses amis protestants à abandonner l’Église. Son étroite collaboration avec George dans l’Église avait affermi sa foi. Bien que la traduction du Livre de Mormon fût une tâche ardue, de temps à autre, George et lui s’arrêtaient et discutaient du livre. Napela sentait que sa vie était en train de changer. C’était comme le passage dans le livre d’Alma : une semence avait été plantée et maintenant elle poussait. L’Évangile rétabli de Jésus-Christ lui semblait juste et bon et il voulait le faire connaître aux autres.

Il commença à accompagner les missionnaires lors de leurs visites et prêchait l’Évangile avec puissance et éloquence. Un jour, il écrivit même à Brigham Young pour lui raconter l’histoire de sa conversion. Il témoigna : « Il est parfaitement évident pour nous qu’il s’agit de l’Église de Dieu et je me réjouis à l’idée d’aller chez vous quand le moment sera venu. »

Lorsque de nouveaux missionnaires arrivèrent sur les îles, leur maladresse avec la langue était presque comique. Napela offrit de leur donner des cours, une proposition qu’ils acceptèrent volontiers. Il mit à leur disposition des Bibles et des dictionnaires hawaïens, un endroit pour étudier et de la nourriture. Chaque matin et chaque soir, les frères récitaient des passages de la Bible en hawaïen et Napela les faisait travailler sur les rudiments de sa langue. À la fin de chaque journée, ses élèves étaient épuisés.

Un missionnaire dit : « J’ai toujours été travailleur, mais ceci est le travail le plus dur que j’aie jamais fait. »

Après quelques jours de cours avec Napela, les frères arrivaient à prononcer quelques mots, même s’ils ne comprenaient rien de ce qu’ils lisaient. Au bout d’un mois, ils emportaient leurs livres dans des endroits tranquilles dans les bois et pratiquaient la langue en traduisant des chapitres de la Bible anglaise en hawaïen simple.

Lorsqu’il eut fini de les instruire, ils se dispersèrent dans les îles, mieux équipés pour remplir leur mission. Peu après, Napela fut ordonné à l’office d’ancien, devenant l’un des premiers Hawaïens à détenir la Prêtrise de Melchisédek. L’Évangile avait pris racine en lui et en partie grâce à ses efforts, il commençait à prendre racine à Hawaï.

Le 18 avril 1853, William Walker aperçut Le Cap (Afrique du Sud) pour la première fois. La ville s’étendait à l’extrémité sud-ouest d’une baie, située au pied d’une montagne élevée et dont le sommet était plat. Un autre pic, presque aussi haut que l’autre, se dressait à l’ouest de la ville. Depuis le pont du navire sur lequel il se tenait, à plus d’un kilomètre de la côte, le pic ressemblait à un énorme lion étendu sur le ventre.

Huit mois plus tôt, William et ses collègues, Jesse Haven et Leonard Smith, avaient fait partie des cent huit hommes appelés en mission lors de la conférence spéciale d’août 1852. Lorsque son appel avait été annoncé, William coupait du bois dans les montagnes au sud-est de Salt Lake City pour construire une scierie. Quelques jours plus tard, il se rendait en ville afin d’embaucher des hommes pour travailler à la scierie et, en chemin, il avait été informé de sa nouvelle tâche.

Vétéran du bataillon mormon profondément dévoué à la cause de Sion, William avait immédiatement commencé à se préparer pour sa mission. À trente-deux ans, il laissait derrière lui deux femmes, deux jeunes enfants et une maison à étage en adobe en ville. Il vendit sa part de la scierie, acheta suffisamment de provisions pour subvenir aux besoins de sa famille pendant une année et quitta Salt Lake City quinze jours plus tard.

Une fois que leur navire eut jeté l’ancre au Cap, William et ses collègues débarquèrent et se trouvèrent dans un univers différent de l’Utah. Le Cap était une ancienne colonie hollandaise qui depuis était passée sous la domination britannique. Les colons britanniques blancs et les Afrikaners (descendants des premiers colons hollandais) formaient une partie des trente mille habitants de la ville, tandis que près de la moitié de sa population était métisse ou noire et comptait de nombreux musulmans et des anciens esclaves.

Le soir du 25 avril, les missionnaires organisèrent leur première réunion à l’hôtel de ville. Jesse ouvrit son Nouveau Testament et, s’appuyant sur Galates, prêcha à une assemblée approbatrice. Leonard continua avec un sermon sur Joseph Smith, le Livre de Mormon et la révélation. Certaines personnes commencèrent à faire du bruit et à interpeller les missionnaires. Une émeute éclata et la réunion se termina dans le chaos. Lorsque les missionnaires retournèrent à l’hôtel de ville le lendemain pour une autre réunion, les portes étaient verrouillées.

Ils jeûnèrent et prièrent pour que le Seigneur ouvre le cœur des personnes afin qu’elles reçoivent la vérité et fassent preuve d’un peu d’hospitalité à leur égard. La plupart du temps, les frères se couchaient le ventre vide. William nota dans son journal : « Nos amis semblent être très rares. Le diable est décidé à nous affamer pour nous faire partir. »

La race était un autre élément qui leur compliquait la tâche. Une année auparavant, la législature de l’Utah avait débattu du statut de l’esclavage des noirs. Ni Brigham Young ni les législateurs ne voulaient que l’esclavage se développe dans la région, mais plusieurs saints du sud des États-Unis avaient déjà emmené des esclaves sur le territoire. Brigham croyait que tous les peuples faisaient partie du genre humain et s’opposait à l’esclavage tel qu’il existait dans le Sud des États-Unis, où les hommes et les femmes étaient considérés comme de la marchandise et étaient privés des droits fondamentaux. Néanmoins, comme la plupart des gens du nord des États-Unis, il croyait que les noirs étaient faits pour l’asservissement.

Pendant les débats, Brigham déclara publiquement pour la première fois que les descendants des noirs africains ne pourraient plus être ordonnés à la prêtrise. Avant cela, quelques hommes noirs avaient été ordonnés et aucune restriction n’existait alors ni depuis pour les autres races ou appartenances ethniques. En expliquant la restriction, Brigham répéta l’idée répandue, mais erronée selon laquelle Dieu avait maudit les descendants des noirs africains. Cependant, il déclara aussi qu’à une époque future, les saints noirs « jouiraient de tous les privilèges » dont jouissaient les autres membres de l’Église.

L’apôtre Orson Pratt, qui faisait partie du gouvernement local, était contre l’esclavage dans le territoire et mit les autorités en garde contre un esclavage non autorisé par Dieu. Il demanda : « Alors, prendrons-nous l’Africain innocent qui n’a commis aucun péché et le condamnerons-nous à l’esclavage sans avoir reçu l’autorité des cieux pour le faire ? »

De même, Orson Spencer, ancien président de mission ayant fait partie du gouvernement local, avait soulevé la question de l’effet de cette restriction sur l’œuvre missionnaire. Il avait demandé : « Comment l’Évangile peut-il être apporté en Afrique ? Nous ne pouvons pas leur donner la prêtrise. Comment vont-ils l’avoir ? »

Ces questions sur les restrictions de la prêtrise restèrent sans réponse et les autorités finirent par voter la création d’un système d’asservissement des noirs dans le territoire.

Si le discours de Brigham influença directement les actions de William et de ses collègues missionnaires en Afrique du Sud, leurs écrits n’en laissent rien paraître. Le discours n’interdisait pas aux hommes et aux femmes noirs de devenir membres de l’Église. Toutefois, tandis que les autres Églises cherchaient à faire des convertis parmi les populations noires, William, Jesse et Leonard se concentraient principalement sur les habitants blancs de la ville.

Après un mois de prédication infructueuse, William s’éloigna un jour de plusieurs kilomètres de la ville en quête de nouveaux endroits pour prêcher. Il pleuvait à torrents, et son pantalon et ses chaussures furent rapidement trempés. Au bout d’un moment, il s’arrêta dans une auberge et se présenta comme missionnaire saint des derniers jours.

L’aubergiste le dévisagea d’un air ahuri. « Au diable qui vous êtes, dit-il, tant que vous payez ce que vous devez. »

William commença à expliquer : « Nous voyageons et prêchons l’Évangile sans bourse ni sac », mais l’aubergiste le refoula promptement.

Fatigué, William s’enfonça péniblement dans la nuit pluvieuse, les pieds endoloris et couverts d’ampoules. Peu après, le vent se mit à souffler et il mendia un toit à chaque maison devant laquelle il passait. Quand il arriva à Mowbray, une ville située à six kilomètres du Cap, il avait été rejeté seize fois.

À Mowbray, il s’arrêta devant une maison et deux hommes apparurent à la porte. William demanda au plus jeune des deux s’il avait une chambre ou un lit de libre. Le jeune homme voulait l’aider, mais n’avait pas de quoi le loger pour la nuit.

Déçu, William ressortit sous la pluie, mais l’homme plus âgé le rattrapa rapidement et lui offrit un endroit où dormir chez lui. Pendant qu’ils marchaient, il se présenta en disant qu’il s’appelait Nicholas Paul et qu’il était l’associé de l’autre homme, Charles Rawlinson. Ils venaient d’Angleterre et étaient entrepreneurs en bâtiment. Ils s’étaient installés en Afrique du Sud pour travailler.

William et Nicholas arrivèrent chez ce dernier un peu après vingt et une heures. Comme les vêtements de William étaient trempés, Harriet, la femme de Nicholas, alluma rapidement un feu. Elle servit ensuite un repas chaud et William chanta un cantique et pria. Ils parlèrent ensuite pendant deux heures jusqu’à ce que le sommeil les gagne et qu’ils aillent se coucher.

Quelques jours après avoir rencontré Nicholas et Harriet Paul, William prit des arrangements pour prêcher à des détenus dans une prison près de chez Paul. Nicholas assista au sermon avec Charles Rawlinson et les deux hommes furent impressionnés par le message de William. Harriet dit au missionnaire qu’il était le bienvenu chez eux à tout moment. Peu après, les Paul proposèrent d’organiser une réunion de l’Église chez eux.

Nicholas avait quarante à cinquante employés à Mowbray et il avait une bonne réputation. Pourtant, quand certaines personnes en ville furent informées de la réunion, elles menacèrent de briser les fenêtres et les portes et d’y mettre fin. Nicholas dit que tout le monde pouvait venir, mais il menaça de tirer sur quiconque tenterait d’insulter William ou qui que ce soit d’autre dans la maison. Lorsque le jour de la réunion arriva, William prêcha sans interruption devant une salle comble.

Avec l’aide de Nicholas, l’Église au Cap commença à grandir. Un soir, peu de temps après la première réunion chez les Paul, William dit à Nicholas de ne pas reporter son baptême s’il était convaincu de la vérité. Ce dernier dit qu’il était prêt à se faire baptiser, mais du fait qu’il faisait nuit et qu’il pleuvait, il ne pensait pas que William sortirait par un temps pareil.

William dit : « Bien sûr que si. Ni la pluie ni la nuit ne m’arrêtent jamais. »

Il baptisa immédiatement Nicholas et les jours suivants, il baptisa également Harriet, Charles, et sa femme, Hannah. Entre temps, Jesse Haven rédigea plusieurs brochures sur la doctrine de l’Église et le principe du mariage plural, et les missionnaires les distribuèrent dans toute la ville.

Aux premiers jours de septembre, les missionnaires saints des derniers jours avaient baptisé plus de quarante personnes et organisé deux branches au sud-est du Cap. Parmi elles se trouvaient deux femmes noires, Sarah Hariss et Raichel Hanable, et une Afrikaner appelée Johanna Provis.

Avec deux branches organisées, les missionnaires réunirent les saints sud-africains le 13 septembre et appelèrent cinq hommes et trois femmes à faire une mission au Cap ou à distribuer des brochures dans leur quartier. Cependant, Jesse Haven pensait que la région avait besoin de davantage de missionnaires.

Il écrivit à la Première Présidence : « Si nous avions six missionnaires de plus ici, ils auraient beaucoup de travail à faire. Les personnes qui ont été baptisées sont bien unies et décidées à bien faire. Elles se réjouissent d’avoir vécu pour voir ce jour arriver et ont le visage tourné vers Sion. »

À peu près à cette époque, George Q. Cannon et Jonathan Napela achevèrent la traduction du Livre de Mormon en hawaïen. George pouvait à peine contenir sa joie. Rien dans sa mission ne lui avait procuré plus de plaisir et de croissance spirituelle. Après avoir commencé le projet, il avait senti l’Esprit plus fortement lorsqu’il prêchait, plus de puissance lorsqu’il témoignait et plus de foi lorsqu’il administrait les ordonnances de la prêtrise. Son cœur débordait de reconnaissance.

Plusieurs jours plus tard, lors d’une conférence réunissant vingt missionnaires à Wailuku, George et les autres frères discutèrent de la meilleure manière de publier le livre. George avait travaillé comme apprenti dans l’imprimerie du Times and Seasons à Nauvoo et mesurait l’envergure du projet. Ils pouvaient soit embaucher un imprimeur sur les îles soit acheter une presse et du matériel et publier le livre eux-mêmes.

George dit : « Pour ma part, je ne peux pas considérer que ma mission est accomplie tant que je n’ai pas vu le Livre de Mormon imprimé. »

Les missionnaires se mirent d’accord et décidèrent d’imprimer eux-mêmes le livre. Ils chargèrent George et deux autres hommes de parcourir les îles et de lever des fonds pour la publication en collectant des dons auprès des saints et en vendant des exemplaires du livre avant sa parution.

Ensuite, les hommes discutèrent du rassemblement des saints. Depuis l’arrivée des missionnaires sur les îles trois ans plus tôt, plus de trois mille Hawaïens étaient devenus membres de l’Église, mais leur pauvreté et les lois strictes régissant l’émigration leur interdisaient de quitter définitivement le royaume. Lorsqu’il fut informé du problème, Brigham Young conseilla aux saints hawaïens de trouver une « île ou portion d’île adaptée » et de s’y rassembler en attendant que la voie s’ouvre pour qu’ils puissent venir en Utah.

Francis Hammond, l’un des missionnaires désignés pour trouver un lieu de rassemblement temporaire, recommanda le bassin de Palawai sur Lanai, une île juste à l’ouest de Maui. La première fois qu’il avait vu la région, il avait fait le commentaire suivant : « Je n’ai jamais vu un endroit mieux agencé que celui-ci pour la colonisation des saints sur ces îles. » Son seul défaut, croyait-il, était l’absence de pluies pendant une partie de l’année, mais si les saints construisaient des réservoirs, comme ils l’avaient fait à Salt Lake City, ils auraient suffisamment d’eau pendant la saison sèche.

Le lendemain, les saints hawaïens votèrent pour soutenir la décision de publier le Livre de Mormon et celle de trouver un lieu de rassemblement dans les îles. Deux semaines plus tard, George, Napela et plusieurs missionnaires se rendirent à Lanai pour explorer le bassin de Palawai. Ils partirent le 20 octobre, après le petit-déjeuner, et gravirent la pente escarpée d’une montagne jusqu’à un petit plateau surplombant le bassin. Celui-ci faisait environ trois kilomètres de large, avait une belle forme et était à l’écart de la vue de la mer.

George écrivit dans son journal : « C’est un coin de terre splendide et il semble être bien adapté pour un lieu de rassemblement. Il me fait penser à Deseret. »


CHAPITRE 13 : Par tous les moyens possibles

À l’automne 1853, cela faisait environ un an qu’Augusta Dorius habitait à Salt Lake City. La ville était loin d’être aussi grande que Copenhague. La plupart des bâtiments étaient des cabanes en rondins ou des structures en adobe d’un ou deux étages. Outre le grand bâtiment du Council House où se tenaient de nombreuses réunions du gouvernement et de l’Église, les saints avaient construit un bureau et un parc à bestiaux pour collecter la dîme, et une salle des fêtes pour les bals, les pièces de théâtre et les autres manifestations de la communauté. Non loin de là, dans le quartier du temple, se trouvaient divers ateliers pour la construction de ce dernier et un nouveau tabernacle en adobe où près de trois mille personnes pouvaient prendre place.

Comme d’autres jeunes immigrantes dans la vallée, Augusta avait été embauchée par une famille. Le fait de vivre et de travailler avec eux lui permit d’apprendre rapidement l’anglais. Tout de même, le Danemark et sa famille lui manquaient. Son frère Johan avait été libéré de prison en Norvège et maintenant, Carl et lui prêchaient l’Évangile au Danemark et en Norvège, faisant parfois équipe. Son père prêchait également l’Évangile dans tout le Danemark lorsqu’il n’était pas en train de s’occuper des trois jeunes sœurs d’Augusta. La mère d’Augusta habitait à Copenhague et ne s’intéressait toujours pas à l’Église.

Plus tard en septembre, Augusta eut la joie de voir arriver à Salt Lake City un convoi de plus de deux cents saints danois. Sa famille n’en faisait pas partie, mais l’arrivée de ses concitoyens lui permit de se sentir plus à sa place en Utah. Néanmoins, presque aussitôt, Brigham Young les appela à coloniser une autre partie du territoire.

Depuis leur arrivée dans les montagnes Rocheuses, les saints avaient fondé des colonies au-delà de la vallée du lac Salé, notamment Ogden au nord et Provo au sud. D’autres villes étaient apparues entre et au-delà de ces colonies. Brigham avait aussi envoyé des familles construire une fonderie au sud de l’Utah afin de fabriquer des produits en fer et favoriser l’autonomie du territoire.

Il envoya les Danois renforcer les colonies de la vallée de Sanpete, à environ cent cinquante kilomètres au sud-est de Salt Lake City. Les premiers colons s’y étaient installés à l’automne 1849, sur l’invitation de Walkara, un chef ute puissant qui fut baptisé au printemps suivant. Vers cette époque, cependant, des problèmes s’étaient posés lorsque trois colons de la vallée voisine d’Utah avaient tué un Ute appelé Old Bishop dans une querelle au sujet d’une chemise.

Lorsque les Utes avaient contre-attaqué, Brigham avait d’abord exhorté les colons à ne pas riposter. Sa politique générale était d’apprendre aux saints à vivre en paix avec leurs voisins indiens. Toutefois, après avoir tenu conseil avec le dirigeant de la colonie de Provo qui lui avait caché le meurtre d’Old Bishop, Brigham fini par commander à la milice de mener une campagne contre les attaquants utes. Au début de 1850, la milice attaqua un camp d’environ soixante-dix Utes le long de la Provo River. Après deux jours de combats, le camp se dispersa et la milice poursuivit la plus grande partie de la bande jusqu’à l’extrémité sud d’Utah Lake où elle encercla et tua les Utes restants.

La campagne rapide et sanglante avait mis un terme aux combats autour de Provo. Mais la tension créée se propagea rapidement dans la vallée de Sanpete où les colons avaient revendiqué des parcelles de choix, empêchant les Indiens d’accéder aux terrains de pêche et de chasse. Affamés et désespérés, certains commencèrent à rafler du bétail ou à réclamer de la nourriture aux colons.

Les dirigeants du territoire avaient aussi mis Walkara et son peuple en colère en réglementant le commerce dans la région, notamment la pratique ancienne de certains Indiens qui consistait à faire des prisonniers d’autres tribus et à les vendre comme esclaves. Bien que les lois d’Utah interdissent aux Indiens de vendre leurs prisonniers aux marchands d’esclaves espagnols et mexicains, Walkara et d’autres Indiens pouvaient encore les vendre aux saints en servitude sous contrat. Nombre de ces captifs étaient des femmes et des enfants et les saints les achetaient souvent en croyant les secourir de la torture, du manque de soins ou de la mort. Certains les employaient comme ouvriers et d’autres les traitaient comme des membres de leur famille.

La perte du marché avec les Espagnols et les Mexicains portait gravement atteinte aux moyens de subsistance des Utes, surtout depuis qu’ils s’étaient mis à compter davantage sur le commerce d’esclaves après l’annexion de leurs terres par les nouvelles colonies.

En juillet 1853, les tensions atteignirent un point de rupture lorsqu’un homme de la vallée d’Utah tua un Ute au cours d’une bagarre et que Walkara contre-attaqua. Les chefs de la milice à Salt Lake City commandèrent aux unités de réagir de façon défensive et de s’abstenir de tuer des Utes, mais certains colons agirent à l’encontre des ordres et les deux côtés s’attaquèrent brutalement.

Bien qu’en s’installant dans la vallée de Sanpete, elle allât se retrouver au milieu de ce conflit, Augusta décida de se joindre aux saints danois. En se rendant dans le Sud, ils virent que les colons, sur leurs gardes, avaient abandonné les petites fermes et les petits villages et avaient construit des forts.

Le convoi s’installa dans un endroit appelé Spring Town, dans la vallée de Sanpete. Les quinze familles de la ville avaient disposé leurs cabanes en un cercle serré. Comme aucune n’était disponible, Augusta et les autres nouveaux colons habitèrent dans leurs chariots. Chaque matin et chaque soir, un battement de tambour commandait aux habitants de la colonie de se réunir pour faire l’appel et à cette occasion l’évêque, Reuben Allred, désignait les gardes et distribuait d’autres tâches. Augusta ayant appris l’anglais pendant qu’elle travaillait pour la famille à Salt Lake City, l’évêque l’embaucha comme interprète pour les saints danois.

Avec le temps, les réserves de nourriture de la colonie s’épuisèrent et l’évêque envoya des cavaliers rapides demander de l’aide à la ville voisine de Manti. Lorsque le groupe revint, il annonça que Walkara avait déménagé vers le sud et ne constituait plus une menace. Dans d’autres parties du territoire, la guerre semblait toucher à sa fin.

Cependant, du fait d’importantes chutes de neige et de températures glaciales cet hiver-là, les colons et les Utes furent plus que jamais aux abois au fur et à mesure que leurs réserves s’épuisaient. Craignant une attaque imminente de leur ville, les dirigeants de Spring Town décidèrent que tout le monde devait aller se réfugier à Manti. En décembre, Augusta et les autres colons abandonnèrent la ville pendant qu’une tempête de neige tourbillonnait autour d’eux.

Pendant qu’Augusta s’installait à Manti et que le conflit avec le peuple de Walkara demeurait en suspens, Matilda Dudley, trente-cinq ans, se réunissait avec plusieurs amies à Salt Lake City pour discuter de ce qu’elles pouvaient faire pour aider les femmes et les enfants indiens.

Depuis le début du conflit avec Walkara, Brigham Young et d’autres dirigeants de l’Église avaient exhorté les saints à mettre fin aux hostilités envers les Utes et les autres peuples indigènes. Il implorait : « Cherchez par tous les moyens possibles à atteindre les Indiens avec un message de paix. »

Lors de la conférence générale d’octobre 1853, Brigham avait fait remarquer que les missionnaires parcouraient le globe pour rassembler Israël alors que des Indiens, restes de la maison d’Israël, vivaient déjà parmi eux. Il avait ensuite appelé plus de vingt missionnaires à passer l’hiver à apprendre les langues indiennes afin de pouvoir servir parmi eux au printemps.

De même, il avait conseillé aux saints de ne pas chercher à se venger si des Indiens leur prenaient des chevaux, du bétail ou d’autres biens. Il dit : « Honte à vous, si vous avez envie de les tuer. Au lieu de les assassiner, prêchez-leur l’Évangile. » Parley Pratt exhorta également les saints à nourrir et vêtir les femmes et les enfants indiens.

Ces paroles avaient motivé Matilda, mère seule ayant un fils. Lorsqu’elle était bébé, dans l’est des États-Unis, des Indiens avaient tué son père et les avaient ensuite kidnappées, sa mère et elle. Cependant, un Indien âgé avait fait preuve de compassion en intervenant pour leur sauver la vie. Depuis, elle chérissait les valeurs que sont l’unité, l’humilité et l’amour. Elle croyait donc qu’il était important que ses amies et elle organisent une société de femmes pour confectionner des vêtements pour les Indiens.

L’une de ses amies, Amanda Smith, accepta de l’aider. Amanda était une rescapée du massacre de Haun’s Mill et une ancienne membre de la Société de secours féminine de Nauvoo. Bien que Brigham Young eût suspendu les réunions de la Société de secours neuf mois après la mort de Joseph Smith, Amanda et d’autres femmes de l’Église avaient continué de servir leur collectivité et savaient le bien que les Sociétés de Secours pouvaient faire.

Le 9 février 1854, Matilda convoqua la première réunion officielle de sa nouvelle organisation de secours. Des femmes de différentes parties de la ville se réunirent chez elle et élurent des représentantes du groupe. Matilda devint leur présidente et trésorière et demanda à chaque femme de payer vingt-cinq cents pour devenir membre de la société. Elle leur proposa également de fabriquer un tapis avec des chiffons et de le vendre pour lever des fonds afin d’acheter du tissu pour confectionner des vêtements pour les femmes et les enfants indiens.

Les femmes commencèrent à se réunir hebdomadairement pendant le reste de l’hiver et le printemps, cousant des chiffons pour le tapis et profitant de la compagnie les unes des autres. Amanda Smith nota : « L’Esprit du Seigneur était avec nous et l’unité régnait. »

Lorsque le printemps arriva dans la vallée du lac Salé, les hommes appelés en mission auprès des Indiens partirent en direction du sud, accompagnés d’un groupe de vingt missionnaires affectés aux îles Hawaï. Vers la même époque, Brigham Young et plusieurs dirigeants de l’Église quittèrent également Salt Lake City pour aller visiter les colonies du Sud et rencontrer Walkara. Le chef ute avait récemment promis de mettre un terme au conflit en échange de cadeaux et de la promesse de lever l’opposition du territoire au commerce d’esclaves.

Sachant que le conflit se poursuivrait tant que les colons et les Utes n’honoreraient pas les lois territoriales et ne respecteraient pas leurs droits mutuels, Brigham organisa une rencontre avec Walkara en un lieu appelé Chicken Creek, non loin de la colonie de Salt Creek où des colons avaient tué neuf Utes l’automne précédent.

Le groupe de Brigham arriva à Chicken Creek le 11 mai. Dans le camp ute, une douzaine de personnes, dont la fille de Walkara, était malade. Plusieurs guerriers gardaient la tente de Walkara. Avec la permission des Utes, Brigham et les autres dirigeants de l’Église entrèrent dans la tente et trouvèrent Walkara enroulé dans une couverture et allongé sur le sol de terre battue. D’autres chefs utes venant de vallées voisines étaient assis non loin.

Walkara avait l’air malade et de mauvaise humeur. « Je ne veux pas parler. Je veux entendre le président Young parler », dit-il. « Je n’ai ni cœur ni esprit et j’ai peur. »

Brigham dit : « Je vous ai apporté du bétail. Je veux que vous tuiez un animal afin que nous fassions un festin pendant que nous sommes ici. » Il aida Walkara à s’asseoir puis s’assit à côté de lui.

Walkara dit : « Frère Brigham, imposez-moi les mains, car mon esprit s’en est allé et je veux qu’il revienne. » Brigham lui fit une bénédiction et Walkara sembla aller mieux, mais refusa quand même de parler.

Brigham dit aux autres hommes dans la tente : « Laissez-le dormir et se reposer un moment, ensuite, il parlera peut-être. » Il donna aux Utes du bétail, du tabac et de la farine et ce soir-là, tout le camp festoya.

Le lendemain matin, Brigham fit une bénédiction à la fille de Walkara et le médecin du convoi lui donna des médicaments ainsi qu’aux autres personnes malades du camp. Brigham promit ensuite de rester ami avec les Utes et offrit de leur fournir de la nourriture et des vêtements s’ils promettaient de ne pas se battre. Néanmoins, il refusa de lever l’interdiction sur le commerce d’esclaves.

Walkara accepta de ne plus attaquer les colons. Il dit : « Maintenant, nous nous comprenons. Tous peuvent dorénavant circuler sans crainte sur les routes. » Les deux hommes se serrèrent la main et fumèrent le calumet de la paix.

En route vers le sud, Brigham, accompagné de son groupe de dirigeants de l’Église et de missionnaires, parla des Indiens, une colonie après l’autre. Il dit à une assemblée : « Le Seigneur m’a dit qu’il est du devoir de ce peuple de sauver les restes de la maison d’Israël, qui sont nos frères. »

Il leur rappela, qu’avant de venir dans l’Ouest, de nombreux saints avaient prophétisé ou eu des visions dans lesquelles ils parlaient de l’Évangile aux Indiens et leur enseignaient des techniques telles que la couture et l’agriculture. Mais maintenant, ces mêmes personnes ne voulaient plus rien avoir à faire avec eux. Il déclara : « Le moment est venu de mener à bien ce que vous avez vu il y a de cela des années et des années. »

Après avoir visité Cedar City, la colonie la plus méridionale du territoire, Brigham se sépara des hommes qui partaient en mission auprès des Indiens et des Hawaïens. Il profita de son premier dimanche de retour au nord pour inviter les femmes de Salt Lake City à organiser dans chaque paroisse une société de secours comme celle de Matilda pour vêtir les femmes et les enfants indiens.

Les paroisses de la vallée du lac Salé eurent tôt fait d’organiser plus de vingt Sociétés de Secours indiennes. Les femmes passèrent dans les maisons et demandèrent des dons en tissu ou tapis, matériel de couture et articles qu’elles pouvaient revendre pour avoir de l’argent liquide.

Parmi les missionnaires qui partirent en direction du sud avec Brigham Young se trouvait Joseph F. Smith, âgé de quinze ans, le plus jeune fils d’Hyrum Smith, le patriarche martyr. Le soir du 20 mai 1854, après le départ de Brigham, Joseph étendit une couverture à Cedar City et s’allongea sur le sol dur. Il avait marché tout l’après-midi, traversant le territoire en direction de la côte californienne. Néanmoins, il n’arrivait pas à dormir. Il regarda le ciel, vit les innombrables étoiles de la Voie lactée et eut le mal du pays.

Joseph était le plus jeune des vingt missionnaires qui partaient à Hawaï. Bien que deux cousins de son père eussent été appelés avec lui, il se sentait coupé de toutes les personnes qu’il aimait et révérait. Les jeunes gens de son âge n’étaient habituellement pas appelés en mission. Joseph était un cas particulier.

Cela faisait presque dix ans, depuis le meurtre de son père et de son oncle, qu’il bouillait de colère. Et cela n’avait fait qu’empirer tandis qu’il grandissait parce qu’il s’était mis dans la tête que les gens n’avaient pas fait preuve du respect auquel sa mère, Mary Fielding Smith, avait droit. Il trouvait qu’elle avait souvent été oubliée après la mort de son mari, surtout pendant le voyage vers l’ouest.

Il se rappelait que le capitaine de leur compagnie s’était plaint que Mary et ses enfants ralentiraient son convoi. Elle avait juré que sa famille arriverait avant lui dans la vallée et Joseph avait voulu l’aider à tenir sa promesse. Bien que seulement âgé de neuf ans à l’époque, il avait conduit le chariot, veillé sur le bétail et fait tout ce que sa mère lui avait demandé de faire. Finalement, grâce à sa volonté et à sa foi, ils étaient arrivés dans la vallée avant le capitaine, comme elle l’avait dit.

La famille s’était installée au sud de Salt Lake City et Mary était décédée d’une infection pulmonaire à l’automne 1852. Joseph s’était évanoui en apprenant la nouvelle. Pendant un certain temps, sa jeune sœur, Martha Ann, et lui, avaient vécu dans une ferme avec une gentille femme, mais elle aussi était décédée. Leur tante, Mercy Thompson, s’était alors occupée de Martha Ann et l’apôtre George A. Smith, le cousin de leur père, avait pris Joseph sous son aile.

Ce dernier comptait aussi sur le soutien de ses frères et sœurs plus âgés. Bien que sa sœur aînée, Lovina, fût restée en Illinois avec son mari et ses enfants, son frère aîné, John, et ses sœurs plus âgées, Jerusha et Sarah habitaient dans les environs.

Comme de nombreux jeunes gens de son âge, Joseph travaillait comme gardien de troupeaux, veillant sur le bétail et les moutons de sa famille. Mais, même avec ce travail pour l’occuper, il devint rapidement violent et versatile. Lorsqu’il reçut son appel en mission, il aurait pu le rejeter, comme d’autres hommes le faisaient, et glisser sur la pente de sa colère dans une autre direction. Cependant, l’exemple de ses parents était trop précieux pour lui. Ce ne fut qu’une question de semaines pour qu’il soit ordonné à la Prêtrise de Melchisédek, doté et mis à part pour prêcher l’Évangile de Jésus-Christ.

Allongé sous les étoiles à Cedar City, il ne savait pas grand-chose de sa destination ni de ce à quoi s’attendre en y arrivant. Après tout, il n’avait que quinze ans. Par moments, il se sentait fort et important, mais à d’autres moments, il percevait ses faiblesses et son insignifiance.

Que savait-il du monde ou de la prédication de l’Évangile ?

Une paix ténue s’installa dans la vallée de Sanpete pendant l’été de 1854. À ce moment-là, Augusta Dorius s’était jointe à un convoi de quinze familles dirigé par l’évêque Reuben Allred, pour construire un fort à une dizaine de kilomètres au nord de Manti. La plupart des personnes étaient danoises et venaient de Spring Town, mais un saint canadien nommé Henry Stevens, sa femme, Mary Ann, et leurs quatre enfants étaient partis avec elles. Henry et Mary Ann étaient membres de l’Église depuis de nombreuses années et faisaient partie des derniers pionniers arrivés dans la vallée de Sanpete.

L’évêque Allred installa la compagnie le long d’un ruisseau près d’une crête montagneuse peu élevée. L’endroit paraissait idéal pour une colonie bien que la crainte d’être attaqués par les Indiens qui vivaient de ces terres eût tenu la plupart des gens à l’écart de la région.

Les saints commencèrent immédiatement à construire leur fort. Extrayant des roches calcaires des montagnes voisines, ils construisirent des murs de trois mètres de haut avec des meurtrières tous les sept mètres pour se défendre. Sur l’avant de l’édifice, qu’ils appelèrent fort Éphraïm, ils construisirent une tour et une porte massive d’où des gardes pouvaient guetter les dangers. À l’intérieur, le fort était suffisamment grand pour y rassembler les chevaux, le bétail et les moutons pendant la nuit. Le long des murs intérieurs se trouvaient des maisons faites de boue et de rondins pour les colons.

Augusta habitait avec l’évêque Allred et sa femme, Lucy Ann. Les Allred avaient sept enfants avec eux, en comptant Rachel, une jeune Indienne qu’ils avaient adoptée. Bien que les colons d’Éphraïm fussent pauvrement équipés, ils étaient confiants en l’avenir de leur nouvelle colonie. La journée, les enfants jouaient dans le fort pendant que les femmes et les hommes travaillaient.

Plus de deux années s’étaient écoulées depuis qu’Augusta avait quitté le Danemark. Plusieurs familles l’avaient hébergée et s’étaient occupées d’elle, mais elle voulait fonder sa propre famille. À seize ans, elle avait atteint l’âge auquel certaines femmes se mariaient dans la région. Elle avait même eu plusieurs demandes en mariage, mais elle s’était sentie trop jeune pour accepter.

Puis Henry Stevens lui fit sa demande et elle y réfléchit sérieusement. Certaines femmes s’épanouissaient au sein de mariages pluraux, mais d’autres trouvaient la pratique difficile et se sentaient parfois seules. Celles qui décidaient de vivre le principe le faisaient souvent davantage pour des raisons de foi que d’amour romantique. Depuis la chaire et en privé, les dirigeants de l’Église conseillaient fréquemment aux personnes qui pratiquaient le mariage plural de cultiver l’abnégation et l’amour pur du Christ dans leur foyer.

Dans la vallée de Sanpete, environ un quart des colons appartenaient à des familles qui le pratiquaient. En réfléchissant au principe, Augusta sentit qu’il était juste. Elle connaissait à peine Henry et Mary Ann, qui était frêle et souvent malade, mais elle croyait que c’étaient de bonnes personnes qui voulaient prendre soin d’elle et pourvoir à ses besoins. S’unir à leur famille serait quand même un acte de foi.

Augusta finit par accepter la demande d’Henry et ils se rendirent bientôt à Salt Lake City pour être scellés à la Council House. Lorsqu’ils retournèrent au fort Éphraïm, Augusta prit sa place au sein de la famille. Comme la plupart des femmes mariées, elle trayait les vaches, fabriquait des bougies, du beurre et du fromage, filait de la laine et tissait, et confectionnait des vêtements pour la famille, ornant parfois ceux des femmes de beaux ouvrages au crochet.

Ne possédant pas de cuisinière, Augusta et Mary Ann préparaient les repas dans la cheminée, qui servait également à chauffer et éclairer leur modeste logis. Le soir, la famille allait parfois à des bals ou d’autres activités avec ses voisins.

Le 26 septembre, la pluie empêchait Joseph F. Smith et les autres missionnaires en route pour le port de Honolulu d’apercevoir les îles Hawaï. En fin d’après-midi, elle cessa et le soleil fit son apparition, offrant une vue magnifique de l’île la plus proche. Depuis le pont du navire, les missionnaires virent les eaux de pluie ruisseler le long d’un étroit canyon jusqu’à l’océan Pacifique.

Ils arrivèrent à Honolulu le lendemain et Joseph fut envoyé chez Francis et Mary Jane Hammond, sur l’île de Maui. La plupart des premiers missionnaires à Hawaï, y compris George Q. Cannon, étaient déjà rentrés aux États-Unis. Sous la direction de Francis, l’œuvre continuait de prospérer sur l’île, bien que de nombreux saints fussent en train de se préparer pour partir vers le nouveau lieu de rassemblement sur Lanai, où ils avaient fondé une colonie dans la vallée de Palawai.

Presque immédiatement après son arrivée chez les Hammond, Joseph contracta ce que les missionnaires appelaient la « fièvre de Lahaina ». Mary Jane, qui dirigeait une école pour les Hawaïens pendant que son mari prêchait, commença à soigner Joseph et à le présenter aux membres de l’Église locaux.

Le 8 octobre 1854, le premier dimanche de Joseph sur Maui, elle l’emmena à une réunion dominicale avec six saints hawaïens. Ayant entendu dire qu’il était le neveu de Joseph Smith, le prophète, les saints étaient impatients de l’entendre prêcher. Ils s’attachèrent immédiatement à lui bien qu’il ne pût pas leur dire la moindre phrase dans leur langue.

Les jours suivants, son état de santé empira. Après avoir enseigné à l’école, Mary Jane donna à Joseph une infusion et lui baigna les pieds pour essayer de faire tomber la fièvre. Il transpira toute la nuit et le matin, il se sentit mieux.

Peu après, Francis lui fit visiter Lanai. Une centaine de saints seulement y avaient élu domicile, mais les missionnaires en attendaient plus d’un millier dans les mois à venir. Pour préparer leur arrivée, certains missionnaires avaient commencé à labourer, semer et tracer les plans d’une ville.

Après avoir visité Lanai, Joseph retourna à Maui où habitaient Jonathan et Kitty Napela. Voulant être un bon missionnaire, Joseph se consacra à l’œuvre, étudia la langue et se réunit souvent avec les saints hawaïens.

Il écrivit à George A. Smith : « Je suis heureux de dire que je suis prêt à tout pour cette cause dans laquelle je suis engagé, et j’espère sincèrement me montrer fidèle jusqu’à la fin ; je prie pour cela. »


CHAPITRE 14 : Difficile d’être séparés

Fin mars 1855, Ann Eliza Secrist était sans nouvelles de son mari, Jacob, depuis neuf mois. Du courrier avait été détruit pendant le récent conflit avec Walkara. De plus, la fermeture hivernale de l’acheminement postal était certainement en partie responsable de ce silence. Elle voulait lui écrire, mais elle ne savait pas où expédier ses lettres. Aux dernières nouvelles, il prêchait l’Évangile en Suisse. Toutefois, une lettre récente de Daniel Tyler, dirigeant de mission dans ce pays, indiquait qu’il ne savait pas où Jacob servait.

Plus d’une année auparavant, ce dernier avait écrit qu’il retournerait bientôt en Utah. Le troisième anniversaire de son appel en mission aurait lieu dans six mois et Ann Eliza pensait qu’il rentrerait aux environs de cette date. D’autres missionnaires qui avaient quitté le territoire avec lui étaient déjà de retour et les enfants commençaient à demander pourquoi leur père n’était pas encore rentré lui aussi.

Il s’était passé beaucoup de choses dernièrement dans la famille. Lorsque le conflit avait éclaté entre les colons et les Utes, Ann Eliza avait décidé de ne pas s’installer dans la ferme, mais de rester à Salt Lake City où elle était davantage en sécurité. Pendant quelque temps, elle avait loué une partie de leur maison en ville à une famille d’immigrants écossais nouvellement arrivée. Elle avait aussi élevé deux cochons gras qui avaient fourni une grande partie de la nourriture pour les siens pendant l’hiver. Les enfants allaient à l’école, apprenaient à lire et étudiaient l’Évangile. Tout au long de l’absence de Jacob, elle avait pris soin des ressources familiales et avait essayé d’éviter les dettes.

Le 25 mars 1855, trois saints suisses rendirent visite à Ann Eliza et aux enfants. L’un d’eux s’appelait Serge Louis Ballif et était l’un des premiers convertis du pays. Il était dirigeant dans la mission suisse lorsque Jacob était arrivé. Avant le départ de Serge et de sa famille pour Sion, Jacob lui avait remis un récit écrit de sa mission et des cadeaux pour Ann Eliza et les enfants.

À la fin de son histoire, il avait noté quelques réflexions sur son service missionnaire. Il avait écrit : « J’ai fait peu pour l’instant et combien de bien je ferai pendant que je suis en Suisse, seul le temps nous le dira. J’ai vu quelques personnes se réjouir de mes paroles et je suis sûr que je verrai, pendant que je suis encore dans ce pays, des saints se réjouir de mes enseignements, qui sont simples. »

Il avait envoyé à Louisa et Mary Elizabeth une paire de ciseaux chacune, en leur recommandant de les garder brillantes. À Moroni, il avait envoyé une petite boîte remplie de petits soldats et de billes à partager avec Néphi, son frère âgé de deux ans. Il promettait également aux garçons de leur rapporter d’Europe des épées.

Après avoir lu les expériences de Jacob, Ann Eliza lui expédia une lettre au bureau de la mission à Liverpool, en Angleterre. N’étant pas sûre que la missive lui parvienne, elle écrivit peu. Comme toujours, elle donnait des nouvelles des enfants et de la ferme.

Elle écrivit : « Depuis que tu es parti, j’ai toujours fait de mon mieux. Je prie Dieu de te bénir et de te protéger. C’est le désir sincère de ta femme aimante. »

Le 5 mai 1855, George Q. Cannon se réveilla par un matin frais de printemps dans la vallée du lac Salé. Il était rentré d’Hawaï fin novembre. Douze jours après son retour, il avait emprunté un costume peu seyant et avait épousé Elizabeth Hoagland dans la maison de ses parents ; un moment qu’Elizabeth et lui attendaient depuis avant son départ pour sa première mission.

Maintenant, cinq mois après leur mariage, le couple avait été invité à assister à la consécration de la maison des dotations, un nouveau bâtiment dans le quartier du temple où les saints pouvaient recevoir les ordonnances sacrées le temps de la construction du temple.

Après la consécration, Elizabeth recevrait sa dotation et serait scellée à George. Le couple partirait ensuite à San Francisco où George avait été appelé en mission pour publier la traduction du Livre de Mormon en hawaïen.

George et Elizabeth arrivèrent à la maison des dotations peu avant huit heures. C’était un édifice simple, sans fioritures, avec des murs solides en adobe, quatre cheminées et des fondations en grès. À l’intérieur, la maison était divisée en plusieurs pièces destinées aux dotations et aux ordonnances de scellement.

Brigham Young convoqua la cérémonie à l’étage et Heber Kimball offrit la prière de consécration. La prière terminée, Brigham déclara que l’édifice était pur et était la maison du Seigneur. Heber, Eliza Snow et d’autres administrèrent la dotation à cinq hommes et trois femmes, dont Elizabeth. Ensuite, Heber scella George et Elizabeth pour le temps et pour l’éternité.

Comme prévu, le couple dit au revoir à sa famille plus tard ce jour-là. George s’attendait à ce que la séparation soit difficile pour Elizabeth, une institutrice qui n’avait jamais quitté les siens, mais elle resta très calme. Abraham Hoagland, son père et l’un des évêques de Salt Lake City, les bénit et les encouragea à faire le bien. Il dit à George : « Prends soin d’Elizabeth et sois gentil avec elle. »

Le couple prit la route du sud, celle que George avait prise en 1849 pour aller en Californie. Le 19 mai, ils arrivèrent à Cedar City en même temps que la Première Présidence, qui était venue inspecter l’industrie sidérurgique naissante de la ville. George fut impressionné par les progrès accomplis par les saints de l’endroit. Outre l’établissement des fonderies, ils avaient construit des maisons confortables, une église et un mur d’enceinte autour de la ville.

Le lendemain, Brigham organisa un pieu et appela un homme du nom d’Isaac Haight à le présider.

Plus tard, chez les Haight, George et Elizabeth s’entretinrent avec Brigham Young et Jedediah Grant, qui avait été appelé à la Première Présidence à la mort de Willard Richards en 1854. Brigham et Jedediah bénirent George afin qu’il écrivît et publiât avec sagesse et inspiration, et parlât sans crainte. Ils bénirent également Elizabeth afin qu’elle fît du bon travail aux côtés de son mari et qu’elle fût un jour réunie à ses êtres chers dans la vallée.

Ensuite, Brigham encouragea George à cultiver le plus possible ses talents en rédaction. « Roah ! » ajouta Jedediah. « Montre-leur que tu es un Cannon. »

Au moment où les Cannon partaient pour la Californie, Martha Ann Smith recevait une lettre de son frère aîné, Joseph F. Smith, à Hawaï. Il écrivait avec entrain : « Je vais bien, je suis en pleine forme et j’ai bien grandi depuis la dernière fois que tu m’as vu. »

Il ne précisait pas s’il parlait de sa croissance physique ou spirituelle. Il semblait nettement plus enclin à donner des conseils fraternels à sa jeune sœur qu’à décrire sa nouvelle vie de missionnaire dans le Pacifique.

Il déclarait pompeusement : « Je pourrais te donner beaucoup de conseils, Marty, qui te seraient bénéfiques aussi longtemps que tu vivras sur cette terre. » Il l’encouragea à écouter ses frères et sœurs aînés et à ne pas se disputer avec ses sœurs. Il lui recommanda : « Sois sérieuse et adonnée à la prière et tu grandiras sur les pas de ta mère. »

Martha Ann était reconnaissante des conseils de son frère. Elle avait à peine onze ans au décès de sa mère et ses souvenirs étaient encore vifs. En grandissant, elle avait rarement vu sa mère veuve sourire. En fait, si Martha Ann ou ses frères ou sœurs parvenaient à faire rire leur mère, ils estimaient avoir accompli un exploit. Mary avait néanmoins été une mère aimante et le monde de Martha Ann paraissait maintenant vide sans elle.

Martha Ann se souvenait encore moins de son père, Hyrum Smith. Elle n’avait que trois ans lorsqu’il était mort, mais elle se souvenait encore d’une occasion où sa mère lui avait confectionné un pantalon. Après l’avoir enfilé, il avait arpenté fièrement la pièce, les mains dans les poches. Elle se souvenait qu’il était aimant, gentil et affectueux avec ses enfants.

Peu après leur arrivée dans la vallée du lac Salé, les Smith s’étaient installés à côté d’un ruisseau, non loin d’un canyon au sud-est de la ville, et ils avaient travaillé ensemble pour aménager une ferme. Quelques années plus tard, leurs voisins et eux faisaient partie de la paroisse de Sugar House, sous la direction de l’évêque Abraham Smoot, l’un des premiers convertis de Wilford Woodruff. La paroisse devait son nom à l’usine de la région qui appartenait à l’Église, était gérée par l’évêque Smoot et produisait de la mélasse à partir de betteraves.

Martha Ann et ses frères et sœurs se soutenaient mutuellement lorsqu’ils devaient affronter de nouvelles épreuves. L’hiver doux de 1854-1855 avait provoqué une sécheresse dans tout le territoire d’Utah, qui dépendait de la fonte des neiges abondantes de la montagne pour approvisionner ses ruisseaux et ses rivières. La famille de Martha Ann, comme toutes les autres, en souffrit. Au fil des semaines et des pluies peu abondantes, la terre de la vallée devint plus sèche et les cultures plantées plus tôt dans l’année furent anéanties. Les ruisseaux d’irrigation commencèrent à se tarir et à craquer.

Pour aggraver les choses, des hordes de sauterelles infestèrent les colonies, dévorant les maigres cultures et anéantissant la perspective d’une bonne récolte. Les saints de Sugar House et d’autres colonies tentèrent de planter d’autres semences, mais la sécheresse rendait le travail de la terre difficile et les sauterelles ne cessaient de venir.

Les épreuves s’accumulaient sur les Smith et nul ne mesurait les répercussions de la sécheresse et de l’infestation sur les saints. Étant la benjamine de sa famille, Martha Ann n’avait pas les mêmes responsabilités que ses aînés. Néanmoins, il était attendu de chaque saint qu’il collabore pour surmonter l’adversité et établir Sion. Que pouvait-elle faire ?

Joseph offrit de nouveaux conseils dans sa lettre suivante. Il écrivit : « Fais preuve de patience et de longanimité. Sois une mormone jusqu’au bout des ongles et tu seras bénie. »

Dans les plaines, à mille six cents kilomètres à l’est, dans une petite colonie d’émigrants appelée Mormon Grove, Nicolai Dorius, un converti danois, et un convoi de près de quatre cents saints originaires du Danemark, de la Norvège, de la Nouvelle-Écosse et de l’Angleterre, prenaient la route de la vallée du lac Salé. Les dirigeants de la compagnie estimaient que le périple durerait quatre mois, ce qui signifiait que Nicolai pouvait s’attendre à retrouver sa fille, Augusta, maintenant âgée de dix-sept ans, dès septembre.

Six mois auparavant, il avait quitté Copenhague avec ses trois jeunes filles, Caroline, Rebekke et Nicolena. Ses fils, Johan et Carl, étaient encore en mission en Norvège ; il n’avait donc pas pu leur dire au revoir en personne.

Les émigrants, tels que Nicolai, étaient impatients de se rendre en Sion, non seulement à cause de leur foi en l’Évangile rétabli de Jésus-Christ, mais également parce qu’ils voulaient échapper à la méchanceté du monde et se construire une vie meilleure dans la terre promise avec leur famille. Motivés par la description enthousiaste que les missionnaires américains faisaient de l’Utah, nombre d’entre eux s’imaginaient que la vallée du lac Salé était un jardin d’Éden et consentaient à tous les sacrifices pour y parvenir.

Il leur avait fallu environ six semaines pour traverser l’océan. Peter Hansen, le premier missionnaire au Danemark, avait pris la compagnie en main à bord du navire. Ses deux conseillers et lui avaient organisé les saints en sept districts et appelé des anciens pour maintenir l’ordre et la propreté dans chaque unité. Lorsque le navire avait accosté à La Nouvelle-Orléans, son capitaine les avait félicités pour leur bonne conduite.

Il avait dit : « À l’avenir, si cela ne tient qu’à moi, je ne transporterai plus que des saints des derniers jours. »

À La Nouvelle-Orléans, Nicolai et ses filles étaient montés à bord d’un bateau à vapeur et avaient remonté le Mississippi gelé avec leur compagnie. La tragédie avait frappé et Nicolena, six ans, était tombée malade et décédée peu après avoir quitté La Nouvelle-Orléans. D’autres personnes avaient péri les jours suivants. Lorsque Nicolai était arrivé à Mormon Grove, Caroline, quatorze ans, était décédée aussi, le laissant seul avec Rebekke, onze ans, pour retrouver Augusta lorsqu’ils arriveraient en Utah.

À Mormon Grove, les saints émigrants avaient trouvé des emplois temporaires leur permettant de gagner assez d’argent pour acheter des bœufs, des chariots et des provisions pour le voyage vers l’ouest. Ils furent aussi organisés par compagnies. Nicolai, Rebekke et les autres saints danois et norvégiens appartenaient à une compagnie dirigée par Jacob Secrist. Après avoir été séparé de sa femme et de ses quatre enfants pendant presque trois ans, Jacob était impatient de les retrouver en Utah. Du fait qu’il ne parlait pas danois, la langue la plus répandue dans la compagnie, il comptait sur Peter Hansen pour interpréter.

Le convoi quitta Mormon Grove le 13 juin 1855. Pendant les déplacements, Jacob perdait souvent patience avec les émigrants scandinaves. La plupart n’avaient jamais conduit un attelage de bœufs et il fallait parfois quatre hommes pour faire avancer deux bœufs en ligne droite. La santé des saints émigrants était plus inquiétante encore. Généralement, ils avaient peu ou pas de morts dans leurs compagnies, mais le premier jour de voyage de la compagnie Secrist, un homme mourut du choléra. Huit autres décès survinrent au fil des deux semaines suivantes.

Les anciens du camp jeûnaient et donnaient des bénédictions de santé et de réconfort aux malades, mais le choléra continuait de faire des victimes. Vers la fin du mois de juin, Jacob lui-même fut trop malade pour voyager au rythme du convoi. D’autres dirigeants de compagnies renvoyèrent un chariot le chercher et lorsqu’il rejoignit le camp, les anciens lui donnèrent une bénédiction. Sa santé continua néanmoins de décliner et il mourut l’après-midi du 2 juillet. Les émigrants voulaient rapporter sa dépouille à sa femme et à ses enfants dans la vallée, mais n’ayant aucun moyen de conserver le corps, ils l’enterrèrent le long de la piste.

Nicolai, Rebekke et le reste de la compagnie continuèrent d’avancer pendant tout le mois d’août et les premières semaines de septembre. Il n’y eut plus d’épidémie de choléra parmi eux. Le 6 septembre, ils gravirent le dernier col et campèrent près d’un ruisseau, non loin de leur destination.

Le lendemain matin, les émigrants se lavèrent et enfilèrent des vêtements propres en prévision de leur arrivée dans la vallée du lac Salé. Peter Hansen dit qu’ils auraient mieux fait de se laver après avoir rejoint la ville, car le reste de la route était poussiéreux, mais les émigrants préféraient risquer la poussière.

Ils parcoururent les quelques derniers kilomètres remplis d’espoir, impatients de voir l’endroit dont ils avaient tant entendu parler, mais en entrant dans la vallée, ils ne virent pas de jardin d’Éden. Ils trouvèrent un bassin frappé par la sécheresse, couvert d’armoises et de résidus de sel blanc, et des sauterelles à perte de vue.

La nouvelle de la mort de Jacob Secrist fut publiée dans le Deseret News le 8 août, environ un mois avant l’arrivée de sa compagnie dans la vallée. Sa mort était rapportée en même temps que celle de deux autres missionnaires, Albert Gregory et Andrew Lamoreaux, qui étaient morts pendant leur voyage de retour en Utah. L’article déclarait : « Nos frères étaient en train de rentrer à la maison, le cœur battant joyeusement, Mais suite aux décrets d’une Providence pleine de sagesse, comme de bons soldats, ils se sont inclinés humblement, encore revêtus de leur armure, et se reposent maintenant de leurs labeurs ; leurs œuvres les suivront. »

Aux environs de cette date, Ann Eliza reçut sa dernière lettre de Jacob. Elle venait de Saint-Louis et était datée du 21 mai. Elle disait, entre autres : « Je suis en bonne santé et sur le point de remonter le Missouri. Puisse le Dieu d’Israël t’accorder les bénédictions de son Esprit, de la santé, de la foi et d’une longue vie. »

À l’arrivée de sa compagnie début septembre, deux hommes remirent à Ann Eliza les effets personnels de Jacob et un cheval. Comme promis, Jacob avait rapporté une épée à chacun des garçons, ainsi que de l’étoffe pour confectionner de jolis costumes. Pour les filles, il avait rapporté des robes noires et du tissu. Son wagon contenait aussi ses lettres, d’autres documents et une année de réserves pour la famille.

Comme elle avait prévu de le faire quelques années plus tôt, Ann Eliza s’installa avec ses enfants dans la ferme située au nord de Salt Lake City. Les lettres qu’elle avait échangées avec Jacob furent rangées et conservées. Dans l’une d’elles, qu’Ann Eliza avait envoyée pendant la première année de la mission de Jacob, elle commentait le sacrifice qu’ils avaient été appelés à faire.

Elle avait écrit : « Être séparés des êtres qui nous sont le plus chers au monde semble difficile, mais quand je réfléchis à la cause dans laquelle ils sont engagés, à savoir l’avancement du royaume de Dieu, je n’ai aucune raison de me plaindre ou de murmurer.

Ni n’ai-je besoin de le faire, sachant que mon exaltation sera grande dans ce monde où les chagrins et les pleurs cesseront, et où toutes les larmes seront essuyées de nos yeux. »

À la conférence générale d’octobre 1855, Brigham Young savait que les saints du territoire d’Utah étaient en péril. Les sauterelles avaient ravagé la plupart des jardins et des champs et la sécheresse avait détruit ce qu’elles avaient épargné. Des nuages de poussière se soulevaient dans toute la vallée et des incendies consumaient le fourrage du bétail dans les canyons arides. N’ayant plus les moyens de nourrir les attelages de bœufs qui transportaient les pierres sur le site du temple, les travaux de la maison du Seigneur cessèrent.

Brigham et ses conseillers pensaient que la sécheresse et l’infestation étaient une « douce réprimande » de la part du Seigneur. Cet automne-là, ils firent aux saints les recommandations suivantes : « Prêtez l’oreille aux murmures de l’Esprit et ne tentez pas le Seigneur de nous infliger une correction plus pesante, afin que nous puissions plus totalement échapper à ces jugements du Roi des hauts cieux. »

Ce qui préoccupait davantage Brigham était l’effet de la dévastation sur le rassemblement. Si les missions en Inde, en Chine et au Siam avaient obtenu peu de convertis, celles en Europe et en Afrique du Sud avaient produit des branches de saints qui voulaient maintenant se rassembler en Sion. L’émigration était cependant coûteuse et la plupart des nouveaux convertis étaient pauvres et avaient besoin de prêts du fonds perpétuel d’émigration.

Malheureusement, la sécheresse avait ruiné l’économie en Utah, laquelle dépendait presque entièrement de bonnes récoltes. Privés de leurs moyens de subsistance, de nombreux saints ne pouvaient ni payer la dîme ni rembourser leur prêt. Très vite, l’Église s’enfonça dans les dettes pour aider à financer le déplacement de longs convois de chariots qui arrivaient cette année-là.

Dans son épître aux saints d’octobre 1855, la Première Présidence rappela aux membres de l’Église que les dons qu’ils faisaient au fonds d’émigration aidaient à emmener leurs frères et sœurs dans un endroit où ils pourraient profiter de leur industrie et de leur travail honnête. Elle déclarait : « Telle est la véritable charité, non seulement nourrir l’affamé et vêtir le nu, mais les placer dans une situation où ils pourront pourvoir eux-mêmes à leurs besoins grâce à leur travail. »

Brigham et ses conseillers exhortèrent les saints à donner ce qu’ils pouvaient au fonds perpétuel d’émigration. Conscients que la plupart ne pouvaient pas donner grand-chose, ils proposèrent également un moyen plus économique de se rassembler. Au lieu de se rendre en Sion avec des chariots et des bœufs onéreux, les futurs émigrants arriveraient en charrettes à bras.

La Première Présidence expliquait que la traversée des plaines en tirant des charrettes à bras serait plus rapide et économique qu’en chariots. Chaque charrette se composerait d’une caisse en bois reposant sur un axe et deux roues de chariot. Étant plus petites, les émigrants ne pourraient pas transporter autant de matériel et de provisions. Par contre, les chariots de la vallée pourraient aller à leur rencontre à mi-chemin et offrir leur aide le cas échéant.

La Première Présidence déclara : « Que tous les saints qui le peuvent se réunissent en Sion et viennent tant que la voie est ouverte devant eux. Qu’ils viennent à pied, avec des charrettes à bras ou des brouettes ; qu’ils se ceignent les reins et avancent, et rien ne leur fera obstacle ni ne les arrêtera. »

Brigham fit immédiatement part du plan à l’apôtre Franklin Richards, président de mission d’Europe. Il écrivit : « Je veux vraiment le voir essayé. Si on l’essaye une fois, il deviendra l’un des moyens de transport préférés à travers les plaines. »


CHAPITRE 15 : Dans les tempêtes et dans les accalmies

Le 26 janvier 1856, l’apôtre Franklin Richards publia l’épître de la Première Présidence dans le Latter-day Saints’ Millennial Star, le journal de l’Église en Angleterre. En qualité de rédacteur, il offrit son soutien enthousiaste au projet des charrettes à bras. Il se réjouit : « Les fidèles pauvres en terre étrangère ont la consolation de savoir qu’on ne les oublie pas. »

Depuis les premiers jours de l’Église, le Seigneur avait commandé aux saints de se rassembler pour se préparer aux tribulations précédant la seconde venue de Jésus-Christ. Franklin croyait que cette adversité était imminente et que les saints européens devaient agir rapidement pour y échapper.

Sachant qu’ils s’inquiétaient de la difficulté de se rassembler au moyen de charrettes à bras, il présenta le projet sous forme d’épreuve de foi. Il leur rappela également que les ordonnances de l’exaltation les attendaient dans la maison des dotations. Il déclara : « Venez, vous tous qui êtes fidèles, qui avez tenu bon dans les tempêtes et dans les accalmies. Nous sommes prêts à vous accueillir et à vous conférer ces bénédictions auxquelles vous aspirez depuis longtemps. »

Son mandat de président de mission presque échu, Franklin prévoyait lui aussi de retourner en Utah. Il conseilla à d’autres missionnaires sur le point de rentrer d’aider les émigrants en charrettes à bras jusqu’à ce que tous soient arrivés sains et saufs dans la vallée.

Il exhorta : « Pendant votre voyage, cherchez constamment comment les aider par votre expérience, les guider et les réconforter par vos conseils, les encourager par votre présence, affermir leur foi et maintenir un esprit d’unité et de paix parmi eux. »

Il écrivit : « Les saints ont de la considération pour vous et ils en ont le droit puisque vous êtes les anges libérateurs. Acquittez-vous de votre responsabilité, tels des hommes de Dieu, car elle vous incombe. »

Cet hiver-là, Jesse Haven se rendit à Londres après avoir servi pendant presque trois ans comme président de la mission d’Afrique du Sud. Ses collègues, William Walker et Leonard Smith, étaient déjà arrivés en Angleterre quelques mois auparavant avec quinze saints sud-africains en route pour Sion. Quelques jours plus tard, William et Leonard embarqueraient à Liverpool avec quelque cinq cents membres de l’Église émigrants.

Impatient de retrouver sa famille, il tardait à Jesse de rentrer à la maison. Malgré tout, les saints sud-africains lui manquaient déjà. Dans une région aussi vaste et diversifiée, il avait été constamment difficile de trouver des personnes à instruire, pourtant, ses collègues et lui avaient remporté un grand succès et avaient laissé de nombreux amis. Plus de cent soixante-dix personnes avaient été baptisées en Afrique du Sud et la plupart étaient toujours fidèles.

Jesse aurait aimé faire plus pendant sa mission, mais il croyait que l’Église en Afrique du Sud grandirait avec le temps et que bien plus de ses membres se rendraient en Sion.

Dans son rapport officiel à la Première Présidence, il écrivit : « Il n’est pas aussi facile qu’on peut le supposer dès l’abord d’établir l’Évangile dans un pays où les gens parlent trois ou quatre langues différentes, où ils sont de tout genre, tout niveau, toute caste et toute couleur et où deux ou trois cent mille habitants sont dispersés sur un territoire deux fois plus grand que l’Angleterre. »

Par une journée ensoleillée de mars, peu après l’arrivée de Jesse en Grande-Bretagne, un autre groupe d’environ cinq cents saints quitta Liverpool à destination de Sion. Ils venaient du Royaume-Uni, de Suisse, du Danemark, d’Inde de l’Est et d’Afrique du Sud. Avant leur départ, Jesse dit au revoir aux émigrants sud-africains, peiné de ne pouvoir les accompagner. Il était censé quitter l’Angleterre deux mois plus tard avec un groupe encore plus important d’émigrants.

Nombre d’entre eux comptaient se déplacer en charrettes à bras lorsqu’ils auraient atteint les grandes plaines. Depuis son arrivée en Angleterre, Jesse avait beaucoup entendu parler des charrettes à bras, mais il hésitait à les utiliser. Il confia dans son journal : « Elles feront peut-être très bien l’affaire, mais je ne leur fais pas grande confiance. Je suis tenté de penser que le projet s’avérera être un échec, néanmoins, étant donné que le président Young le recommande, je le soutiendrai et je le recommanderai aussi. »

Le 25 mai, Jesse quitta l’Angleterre à bord d’un navire transportant plus de huit cent cinquante membres de l’Église dont la plupart étaient des saints Britanniques membres de longue date qui avaient reçu une aide financière du fonds perpétuel d’émigration. Ils formaient à ce jour le plus grand groupe de saints à traverser l’océan Atlantique. Avant leur départ, l’apôtre Franklin Richards appela Edward Martin pour les diriger et nomma Jesse comme conseiller. Dirigeant compétent, Edward était l’un des premiers convertis britanniques, un vétéran du bataillon mormon et l’un des nombreux missionnaires envoyés dans le monde en 1852.

Franklin et d’autres dirigeants de mission dirent au revoir aux saints depuis les quais de Liverpool. Avant que le navire ne hisse les voiles, ils les acclamèrent à trois reprises. Ces derniers firent de même et Franklin et les autres dirigeants les saluèrent, les acclamant une dernière fois en guise de bénédiction.

Le navire arriva à Boston un peu plus d’un mois plus tard. Comme d’autres à bord, Elizabeth et Aaron Jackson étaient membres depuis des années. Ses parents à elle s’étaient joints à l’Église en 1840, peu après l’arrivée des premiers missionnaires en Angleterre, et elle s’était fait baptiser un an plus tard, à l’âge de quinze ans. Elle avait épousé Aaron, un ancien dans l’Église, en 1848. Tous deux avaient travaillé dans des filatures de soie britanniques.

Les Jackson étaient accompagnés de leurs trois enfants : Martha, sept ans, Mary, quatre ans et Aaron Jr, deux ans, ainsi que de la sœur d’Elizabeth, Mary Horrocks, âgée de dix-neuf ans.

À Boston, la famille monta dans un train avec la plupart de sa compagnie et se rendit à Iowa City, un point de départ des saints vers l’ouest. Elizabeth et Aaron s’attendaient à trouver en arrivant des charrettes à bras prêtes pour eux, mais le nombre de saints en partance pour l’Ouest cette saison-là avait dépassé les prévisions. Trois convois avaient déjà quitté Iowa City cet été-là et un quatrième, dirigé par un missionnaire de retour, James Willie, était sur le point de partir. Il n’y avait pas assez de charrettes prêtes pour tout le monde.

Sachant qu’ils devaient partir rapidement pour arriver dans la vallée du lac Salé avant l’hiver, les nouveaux émigrants aidèrent à en fabriquer. Ils se divisèrent en deux convois, l’un dirigé par Edward Martin et l’autre par Jesse Haven. D’autres se joignirent à deux convois de chariots dirigés aussi par des missionnaires de retour.

Les quatre compagnies quittèrent Iowa City fin juillet et début août. En moyenne cinq personnes étaient affectées à chaque charrette à bras et elle pouvait transporter sept kilos d’effets personnels par individu. Une fois chargée, elle pesait une centaine de kilos. Chaque convoi de charrettes à bras était escorté par des attelages de mules et de chariots remplis de tentes et de victuailles.

Vers la fin du mois d’août, les convois firent halte dans une ville appelée Florence, non loin de l’ancien site de Winter Quarters. Franklin Richards, qui voyageait avec une compagnie plus petite et rapide de missionnaires de retour, était déjà arrivé et se préparait à poursuivre sa route vers l’Utah pour la prochaine conférence générale. Lors d’une réunion, il discuta avec les dirigeants des compagnies pour décider si les émigrants devaient passer l’hiver à Florence ou continuer jusqu’en Sion, en dépit du risque de mauvais temps plus loin sur la piste.

Dans leurs épîtres aux saints du monde entier, la Première Présidence les avait mis en garde à maintes reprises contre les dangers de partir pour la vallée tard dans la saison. Les convois de chariots devaient quitter Florence au printemps ou au début de l’été au plus tard pour arriver à Salt Lake City en août ou septembre. Les dirigeants de l’Église croyaient que les convois de charrettes à bras pouvaient se déplacer plus rapidement que ceux de chariots, mais personne n’en était certain puisque le premier se trouvait encore sur la piste. Si la compagnie Martin quittait Florence fin août, elle serait encore sur la piste fin octobre ou début novembre, lorsqu’il commençait parfois à neiger.

Sachant cela, certains hommes incitèrent Franklin à conseiller à la compagnie de passer l’hiver à Florence. D’autres lui recommandèrent d’envoyer les émigrants jusqu’en Sion, en dépit du danger. Deux semaines auparavant, le convoi de charrettes à bras Willie s’était trouvé devant le même dilemme et la plupart des membres avaient décidé de poursuivre leur route, sur les conseils du capitaine Willie et d’autres dirigeants, qui avaient promis que Dieu les protégerait de tout mal. Franklin avait aussi la foi que Dieu préparerait la voie pour que les émigrants arrivent sains et saufs dans la vallée, mais il voulait qu’ils décident eux-mêmes de rester ou de partir.

Rassemblant les compagnies, il les avertit des dangers de voyager si tard dans la saison. Il dit que des nourrissons et des personnes âgées périraient certainement. D’autres membres de la compagnie seraient victimes de maladies ou d’épuisement. S’ils le voulaient, les émigrants pouvaient passer l’hiver à Florence et vivre des provisions déjà achetées pour leur voyage. Il proposa même d’en acheter d’autres pour leur séjour.

Plusieurs missionnaires de retour prirent la parole après lui. La plupart encouragèrent les saints à poursuivre leur route jusqu’à la vallée. Joseph Young, le fils de Brigham, les exhorta à ne pas continuer maintenant. Il dit : « Cela serait source de souffrances indicibles, de maladie et de perte de nombreuses vies humaines. Je ne veux rien de tout cela sur ma conscience et je souhaite que vous restiez tous ici pour passer l’hiver et repreniez la route au printemps. »

Lorsque les missionnaires eurent terminé, Franklin se leva de nouveau et demanda aux émigrants de voter. Il dit : « Si vous saviez que vous alliez être engloutis par des tempêtes, vous arrêteriez-vous ou feriez-vous demi-tour ? »

Avec des acclamations, la plupart des émigrants ôtèrent leur chapeau, levèrent la main et votèrent pour continuer vers Sion. Franklin réunit les deux convois de charrettes à bras sous la direction d’Edward Martin et confia à Jesse Haven la tâche de conduire un convoi de chariots avec le capitaine William Hodgetts. Les compagnies quittèrent Florence quelques jours plus tard avec un grand troupeau de bétail.

Bien qu’Elizabeth et Aaron Jackson fussent jeunes et en bonne santé, l’effort quotidien de tirer une lourde charrette sur une piste rocailleuse, et par endroits sur du sable profond et à travers des rivières, laissa vite ses marques sur leur corps. Certains émigrants avaient aussi du mal à suivre le convoi lorsque des charrettes mal fabriquées se brisaient. À la fin de chaque journée, les saints arrivaient au camp affamés et certains du travail éreintant qui les attendrait dès le lendemain matin.

En septembre 1856, pendant que les convois de charrettes à bras et de chariots voyageaient en direction de l’ouest, la Première Présidence et le Collège des Douze commencèrent à prêcher le repentir et la réforme morale dans tout le territoire d’Utah. De nombreux saints menaient une vie juste, mais les dirigeants de l’Église étaient inquiets, car trop d’entre eux ne s’efforçaient pas activement de devenir un peuple de Sion ni de se préparer pour la Seconde Venue. Ils s’inquiétaient aussi de l’influence des habitants du territoire qui n’appartenaient pas à l’Église, de la foi et de l’engagement faibles de certains émigrants et des personnes qui avaient quitté l’Église et luttaient maintenant contre elle.

Jedediah Grant, deuxième conseiller dans la Première Présidence, menait des campagnes de réforme sous la direction de Brigham Young. Début septembre, il exhorta les saints à renoncer au mal et à se refaire baptiser pour renouveler leurs alliances et obtenir le pardon de leurs péchés. Très vite, d’autres dirigeants de l’Église se joignirent à lui, diffusant le message partout jusqu’à ce qu’un esprit de réforme emplisse l’air.

Leurs sermons étaient souvent enflammés. Le 21 septembre, à Salt Lake City, Jedediah proclama : « Je vous parle au nom du Dieu d’Israël. Vous devez vous faire rebaptiser et être purifiés de vos péchés, de vos infidélités, de votre apostasie, de vos impuretés, de vos mensonges, de vos jurons, de vos convoitises et de tout ce qui est mal aux yeux du Dieu d’Israël. »

Dans la paroisse de Sugar House, Martha Ann Smith cherchait déjà à s’améliorer, en partie grâce aux conseils qu’elle recevait constamment de la part de son frère Joseph à Hawaï. Au début, elle pensa qu’il lui serait profitable d’aller à l’école. Comme le territoire ne disposait pas d’un système scolaire public, elle alla à une école dirigée par sa paroisse. Cependant, maintenant que l’année scolaire était terminée, elle cherchait d’autres moyens de s’améliorer.

Au printemps, elle avait emménagé avec son frère aîné John et sa famille, et son nouveau foyer lui donnait l’occasion de progresser. Pour autant qu’elle aimait John, elle n’aimait pas trop sa femme, Hellen, ni la famille de cette dernière. Elle confia dans une lettre à Joseph : « Ils disent des mensonges dans mon dos et se moquent de tes sœurs et les traitent de menteuses. » Sachant qu’il risquait de la réprimander pour avoir dit du mal de la famille, elle ajouta : « Si tu les connaissais aussi bien que moi, tu me comprendrais. »

Cet été-là, cependant, une lettre de l’Est détourna l’attention de Martha Ann des querelles familiales. Lovina, sa sœur aînée, écrivait qu’elle allait finalement venir s’installer dans la vallée avec son mari et leurs quatre enfants. Presque immédiatement, John prit la route de l’Est pour leur apporter des provisions et les aider sur la piste.

Martha Ann et ses sœurs pensaient qu’ils reviendraient avec l’un des convois de charrettes à bras ou de chariots attendus cet automne-là. Cependant, lorsque les premiers arrivèrent, John et Lovina ne s’y trouvaient pas. En fait, des nouvelles de leur localisation ne leur parvinrent que début octobre, avec le troisième convoi de charrettes à bras.

Martha Ann informa Joseph : « Le convoi de charrettes à bras est arrivé dans la vallée et ils disent que celui de John est à trois semaines derrière eux. »

Ils n’avaient aucune nouvelle de Lovina et de sa famille.

John Smith ne se trouvait pas trois semaines derrière eux. Il arriva dans la vallée deux jours plus tard avec Franklin Richards et la petite compagnie de missionnaires de retour. Pendant qu’il était en route vers l’est, John les avait croisés à Independence Rock, à environ cinq cent cinquante kilomètres de Salt Lake City. Il avait appris que la famille de Lovina avait atteint Florence tard dans la saison et avait décidé de ne pas aller plus loin cette année-là.

Déçu, John avait envisagé de poursuivre sa route. Il faisait encore bon sur les plaines. Il pouvait couvrir les mille cent kilomètres restants jusqu’à Florence, passer l’hiver avec Florina et sa famille et les aider à faire le voyage au printemps. S’il choisissait cette option, il laissait Hellen et leurs enfants se débrouiller en Utah. John demanda à Franklin ce qu’il devait faire et l’apôtre lui conseilla de retourner dans la vallée avec sa compagnie et lui.

Le 4 octobre, le soir où ils arrivèrent à Salt Lake City, Franklin dit à la Première Présidence que les compagnies Willie et Martin, ainsi que deux convois de chariots se trouvaient à huit ou neuf cents kilomètres de là. En tout, plus de mille saints étaient encore à l’est des montagnes Rocheuses et Franklin ne pensait pas que la compagnie Martin puisse arriver à destination avant la fin du mois de novembre.

Son rapport alarma la présidence. Sachant que certaines compagnies avaient quitté l’Angleterre tard dans la saison, elle avait supposé que Franklin et les agents de l’émigration leur recommanderaient d’attendre le printemps avant de partir pour l’Ouest. L’Église n’avait envoyé aucun ravitaillement vers l’est pour réapprovisionner les compagnies restantes, ce qui voulait dire que les émigrants n’auraient pas suffisamment de nourriture pour se sustenter pendant le voyage. S’ils ne périssaient pas dans le gel et la neige, ils mourraient de faim ; à moins que les saints de la vallée ne partent à leur rescousse.

Lors des réunions de l’Église du lendemain, Brigham parla avec insistance des émigrants en péril. Il déclara : « Ils doivent être ramenés ici ; nous devons leur porter secours. Voilà ma religion ; voilà ce que me dicte le Saint-Esprit que je possède. Il faut sauver ces gens. »

Brigham demanda aux évêques de rassembler immédiatement des attelages de mules et des provisions. Il demanda aux hommes d’être prêts à partir dès que possible et aux femmes de commencer à organiser des collectes de couvertures, de vêtements et de chaussures.

Il dit : « Votre foi, votre religion et votre profession de foi ne sauveront pas une seule de vos âmes dans le royaume céleste de notre Dieu si vous n’appliquez pas les principes que je vous enseigne maintenant. Allez maintenant chercher ces gens dans les plaines. »

Avant de quitter la réunion, des femmes ôtèrent leurs collants chauds, leurs jupons et tout ce dont elles pouvaient se passer et les empilèrent dans des chariots. D’autres femmes et hommes commencèrent à collecter de la nourriture et du matériel et à se préparer pour prendre soin des émigrants une fois qu’ils arriveraient.

Deux jours plus tard, plus de cinquante hommes et vingt chariots de secours quittèrent la vallée et commencèrent à gravir les montagnes. Au fil des semaines suivantes, d’autres suivirent. Parmi les premiers sauveteurs se trouvaient cinq des missionnaires qui étaient revenus avec la compagnie de Franklin Richards à peine trois jours plus tôt.


CHAPITRE 16 : Sans douter ni désespérer

Pendant que les premiers attelages de secours se précipitaient vers l’est, la compagnie d’Edward Martin campait non loin des convois de chariots de Jesse Haven et de Hodgetts à Fort Laramie, un relais militaire situé à mi-chemin entre Florence et Salt Lake City. Les réserves alimentaires des émigrants s’amenuisaient et aucun attelage de secours de la vallée n’était en vue.

Le responsable du fort ouvrit ses magasins aux saints qui vendirent leurs montres et autres possessions pour acheter un peu plus de farine, de bacon et de riz. Malgré tout, leurs provisions restaient insuffisantes pour satisfaire leurs besoins pendant les huit cents kilomètres qu’il leur restait à parcourir.

Jesse Haven était inquiet pour les saints des charrettes à bras. Une livre de farine par jour ne suffisait pas à nourrir une personne tirant une charrette sur des pistes sablonneuses et des sentiers escarpés, et cette ration devrait rapidement être réduite. L’effort était particulièrement pénible pour les saints âgés ; un nombre alarmant d’entre eux commençaient à succomber.

Dans une lettre à Brigham Young, Jesse rapporta : « Ce sont vraiment de pauvres gens affligés. Ils me brisent le cœur. »

Les émigrants continuaient d’avancer. Le convoi de chariots de Jesse voyageait à côté de la compagnie Martin, donnant un coup de main lorsque cela était possible. Les charrettes avançaient plus lentement. Peu après avoir quitté le fort, Aaron Jackson, l’ouvrier de la filature de soie britannique, eut de la fièvre. La maladie minait ses forces et il semblait perdre la volonté d’avancer.

Il voulait manger plus que sa ration, mais il n’y avait pas suffisamment de nourriture. Après avoir examiné les réserves alimentaires de la compagnie, le capitaine Martin avait réduit la ration quotidienne à trois cents grammes de farine par personne. La famille et les amis d’Aaron essayèrent de le maintenir en mouvement, mais l’effort l’épuisa encore davantage.

Le matin du 19 octobre, il s’assit pour se reposer à côté de la piste pendant que les autres continuaient vers la North Platte River. À midi, il se sentait encore trop faible pour bouger. La température avait considérablement chuté depuis quelques jours et la neige commençait à tomber. S’il ne se levait pas et ne rejoignait pas sa compagnie rapidement, il mourrait de froid.

Un peu plus tard, deux hommes de la compagnie le trouvèrent et le chargèrent dans un chariot avec d’autres saints malades pour l’amener jusqu’à la North Platte. Il trouva sa famille au bord de la rivière, se préparant à faire traverser sa charrette. Du fait que les bœufs du chariot étaient trop faibles pour tirer sans risque leur chargement dans le courant, Aaron dut descendre et traverser la rivière à pied.

Il avança faiblement dans l’eau glacée pendant que sa femme, Elizabeth, et sa belle-sœur, Mary, restaient auprès des enfants et de la charrette. Il réussit à couvrir une faible distance puis il marcha sur un banc de sable et s’effondra, épuisé. Mary pataugea jusqu’à lui et le remit sur pied pendant qu’un homme à cheval s’avançait. Il le souleva et le transporta jusqu’à l’autre rive.

Un vent du nord se mit à souffler sur la compagnie et la grêle commença à tomber. Mary retourna à la charrette et aidée d’Elizabeth, elles lui firent franchir le cours d’eau. Lorsque d’autres émigrants avaient du mal à traverser, des femmes et des hommes retournaient dans la rivière pour secourir leurs amis. Certains portaient ceux qui étaient trop âgés, trop jeunes ou trop malades pour traverser seuls. Sarah Ann Haight, dix-neuf ans, pataugea dans l’eau glacée encore et encore, aidant ainsi plusieurs personnes à traverser.

Incapable de faire un pas de plus, Aaron Jackson fut installé dans une charrette et transporté jusqu’au campement du soir, les pieds pendants à l’arrière du véhicule. Elizabeth et Mary arrivèrent peu après, prêtes à s’occuper de lui dès qu’elles auraient atteint le camp. Derrière elles, dans la lumière déclinante du jour, des saints avançaient en chancelant, leurs vêtements en lambeaux gelés plaqués au corps.

Ce soir-là, Elizabeth aida son mari à se coucher et s’endormit à côté de lui. Lorsqu’elle se réveilla quelques heures plus tard, elle tendit l’oreille pour écouter la respiration d’Aaron, mais n’entendit rien. Alarmée, elle posa la main sur lui et sentit son corps froid et raide.

Elle appela à l’aide, mais personne ne pouvait rien pour elle. Elle envisagea d’allumer un feu afin de pouvoir regarder Aaron, mais elle n’avait rien pour l’allumer.

Allongée à côté du corps sans vie de son mari, elle n’arrivait pas à dormir. Elle attendit et pria, pleurant tout en guettant les premiers signes de l’aube. Les heures s’écoulèrent lentement. Elle savait qu’elle devait encore s’occuper de ses enfants et qu’elle avait sa sœur Mary pour l’aider, mais même Mary commençait à être malade. La seule personne sur laquelle elle pouvait vraiment compter était le Seigneur. Cette nuit-là, elle lui demanda de l’aide, confiante qu’il la consolerait et aiderait ses enfants.

Lorsque le matin arriva, les émigrants trouvèrent plusieurs centimètres de neige sur le sol et en furent démoralisés. Un groupe d’hommes transporta Aaron ainsi que treize autres personnes qui étaient décédées pendant la nuit. Le sol étant trop dur pour pouvoir creuser, ils enveloppèrent les corps dans des couvertures et les recouvrirent de neige.

Le capitaine Martin commanda à la compagnie de continuer d’avancer, en dépit du mauvais temps. Les émigrants poussèrent et tirèrent leurs charrettes sur des kilomètres de neige de plus en plus profonde dans une bise glaciale. La neige mouillée collait aux roues, rendant les charrettes plus lourdes et plus difficiles à tirer.

Le jour suivant, la compagnie progressa péniblement dans une neige encore plus profonde. Beaucoup n’avaient pas de chaussures ou de bottes adéquates pour se protéger du froid. Ils avaient les pieds à vif à cause de gelures. Ils essayaient de garder le moral en chantant des cantiques. Quatre jours après avoir traversé la North Platte, ils n’avaient pourtant pas beaucoup avancé.

Faibles et émaciés, ils avaient du mal à continuer de bouger. La farine était maintenant presque épuisée. Le bétail mourait, mais était trop maigre pour fournir beaucoup de nourriture. Certaines personnes n’avaient plus assez de forces pour monter leurs tentes et dormaient dans la neige.

Le 23 octobre, le capitaine Martin décida de laisser la compagnie se reposer dans un endroit appelé Red Buttes. Au fil des jours, la situation ne fit qu’empirer. La température continuait de chuter et le nombre de morts dans la compagnie atteignit bientôt cinquante. La nuit, des loups se faufilaient dans le camp, creusaient les tombes et se nourrissaient des cadavres.

Chaque jour, le capitaine Martin et les saints se réunissaient pour prier afin d’être délivrés et pour demander une bénédiction sur les malades et les affligés du camp. Il avait l’air fatigué et triste, mais il assurait aux saints que de l’aide était en route.

Le soir du 27 octobre, Elizabeth s’assit sur un rocher en serrant ses enfants contre elle. À des milliers de kilomètres de l’Angleterre, démunie et bloquée par la neige dans une région montagneuse, elle était de plus en plus abattue. Elle se retrouvait maintenant veuve. Ses enfants étaient sans père. Ils n’avaient rien pour se protéger des tempêtes hivernales si ce n’est des vêtements élimés et quelques couvertures.

Parfois, la nuit, elle s’endormait et rêvait qu’Aaron était debout près d’elle. Il disait : « Réjouis-toi, Elizabeth, la délivrance est imminente. »

Le lendemain, après avoir mangé un petit-déjeuner sommaire, les émigrants aperçurent trois silhouettes descendant à cheval d’une colline voisine. Lorsqu’elles s’approchèrent, ils reconnurent Joseph Young, le fils de Brigham, âgé de vingt-deux ans, qui avait fait une mission de trois ans en Angleterre. Il était accompagné de Daniel Jones et d’Abel Garr, deux hommes de la vallée du lac Salé. Ils chevauchèrent jusqu’au camp, rassemblèrent tout le monde et distribuèrent la nourriture et le matériel qu’ils transportaient sur leurs animaux.

Joseph annonça : « Il y a plein de nourriture et de vêtements qui vous sont destinés sur la route, mais demain matin, vous devez partir d’ici. » D’autres sauveteurs étaient à soixante-dix kilomètres dans des wagons remplis de victuailles, d’habits et de couvertures. Si les saints avançaient, ils se retrouveraient dans quelques jours.

Les émigrants acclamèrent les hommes, les serrèrent dans leurs bras et les embrassèrent sur les joues. Les familles se mirent à rire et à s’étreindre, les yeux ruisselants de larmes. Ils s’écrièrent : « Amen ! »

Ils chantèrent un cantique et, le soir venu, chacun se retira dans sa tente. Ils reprendraient la route de l’Ouest dès le matin.

Trois jours plus tard, le 31 octobre, la compagnie Martin rencontra les autres sauveteurs sur la piste. George D. Grant, le dirigeant de la petite équipe, fut frappé par ce qu’il vit. Cinq ou six cents saints tiraient leurs charrettes à bras alignés irrégulièrement sur quelque cinq kilomètres. On voyait qu’ils étaient éreintés après avoir tiré leurs charrettes toute la journée dans la neige et dans la boue. Certaines personnes étaient allongées dans les charrettes, trop malades ou épuisées pour bouger. Certains enfants pleuraient tandis qu’ils avançaient péniblement dans la neige à côté de leurs parents. Tout le monde avait l’air d’avoir froid et les membres de certaines personnes étaient raides et saignaient à force d’être exposés à la neige.

Au fil des quelques jours suivants, les sauveteurs aidèrent la compagnie Martin à avancer vers l’ouest. Espérant la protéger du mauvais temps, l’équipe de secours voulait l’installer dans une crique non loin de deux hautes falaises appelées Devil’s Gate. Toutefois, pour y arriver, il fallait franchir les eaux glaciales de la Sweetwater. Se souvenant avec horreur de leur dernière traversée, de nombreux émigrants furent terrifiés à cette idée. Certains purent franchir la rivière dans des chariots. D’autres le firent à pied. Plusieurs sauveteurs et quelques émigrants portèrent des personnes de l’autre côté du courant glacial. Cinq jeunes sauveteurs, David P. Kimball, George W. Grant, Allen Huntington, Stephen Taylor et Ira Nebeker, passèrent des heures dans l’eau glacée, aidant héroïquement la compagnie à faire la traversée.

Une fois que les émigrants furent installés dans la crique, qu’ils nommèrent plus tard Martin’s Cove, il recommença à neiger. Il faisait un froid insupportable dans le camp et d’autres personnes moururent. Un émigrant qualifia la crique de « tombeau surpeuplé ».

Le 9 novembre, Jesse Haven et les autres saints des deux convois de chariots avaient rejoint la compagnie Martin dans la crique. Le ciel s’était éclairci et les sauveteurs décidèrent de continuer de faire avancer la compagnie vers l’ouest, en dépit du fait qu’ils n’avaient pas suffisamment de victuailles pour nourrir chaque émigrant pendant les cinq cents kilomètres restants. Ceux-ci se débarrassèrent de la plupart de leurs charrettes à bras et de presque toutes leurs possessions, ne conservant que ce qu’ils avaient pour lutter contre le froid. Environ un tiers des saints de la compagnie Martin pouvaient marcher. Les sauveteurs chargèrent les autres dans des chariots.

George D. Grant comprenait que les émigrants avaient besoin de davantage d’aide que celle que ses hommes pouvaient apporter. Dans une lettre à Brigham, il rapporta : « Nous continuons à faire notre possible, sans douter ni désespérer. Je n’ai jamais vu une telle énergie et une telle foi parmi les ‘garçons’, ni un aussi bon esprit parmi ceux qui sont venus avec moi.

Nous avons prié sans cesse, témoigna-t-il, et la bénédiction de Dieu nous a accompagnés. »

Ephraim Hanks, Arza Hinckley et d’autres sauveteurs trouvèrent le groupe à l’ouest de Martin’s Cove et fournirent de la nourriture et un soutien supplémentaires aux émigrants. Dix autres chariots de secours les rejoignirent à un endroit appelé Rocky Ridge, à encore quatre cents kilomètres de Salt Lake City. À ce moment-là, plus de trois cent cinquante hommes de la vallée s’étaient aventurés dans la neige profonde pour leur porter secours. Ils installaient des campements le long de la piste, dégageaient la neige, allumaient des feux et fournissaient des chariots afin que personne n’ait à marcher. Les sauveteurs préparaient aussi des repas pour les émigrants et dansaient et chantaient pour les distraire de leurs souffrances.

Le mauvais temps persista, mais les saints ressentirent le soutien de Dieu. Joseph Simmons, l’un des sauveteurs, écrivit à un ami dans la vallée : « Des tempêtes menaçantes surgissent presque quotidiennement et en les regardant on penserait qu’il va être impossible d’y résister. Sans l’aide des cieux, cela fait longtemps que nous serions bloqués par la neige dans les montagnes. »

Lorsque d’autres renseignements parvinrent à Brigham au sujet des saints qui étaient encore sur la piste, il eut du mal à se concentrer sur autre chose que leur souffrance. Le 12 novembre, il dit à une assemblée : « Mon esprit est là-bas, dans la neige. Je ne peux pas sortir ou entrer sans penser à eux toutes les deux minutes. »

Le 30 novembre, alors qu’il présidait une réunion dominicale à Salt Lake City, il apprit que des chariots de secours transportant des membres de la compagnie Martin arriveraient plus tard dans la journée. Il annula rapidement le reste des réunions du jour. Il dit : « Quand ces personnes arrivent, je veux qu’elles soient réparties dans la ville chez des familles qui ont de bonnes maisons confortables. »

Les émigrants arrivèrent en ville à midi. À ce stade, ils étaient totalement démunis. Plus de cent personnes de la compagnie étaient mortes. De nombreux survivants avaient les mains et les pieds gelés, certains devaient être amputés. Si les sauveteurs n’étaient pas arrivés au moment où ils sont arrivés, beaucoup d’autres personnes auraient péri.

Les saints du territoire accueillirent les nouveaux émigrants chez eux. Elizabeth Jackson et ses enfants s’installèrent chez son frère, Samuel, à Ogden, au nord de Salt Lake City, où ils se reposèrent et récupérèrent de leur cruel voyage.

Jesse Haven, qui arriva à Salt Lake City deux semaines après la compagnie Martin, pleura en voyant la vallée pour la première fois depuis quatre ans. Il alla directement voir ses femmes, Martha et Abigail, et son fils, Jesse, qui était né pendant qu’il était en Afrique du Sud. Il rendit ensuite visite à Brigham Young, reconnaissant que le prophète ait envoyé des équipes à la rescousse des saints.

Peu après être arrivé dans la vallée, il écrivit dans son journal : « Je me souviendrai longtemps de l’automne 1856. Je suis dans cette Église depuis dix-neuf ans. J’ai vu plus de souffrance l’automne dernier que jamais auparavant parmi les saints. »

Patience Loader, membre de la compagnie Martin, se souvint plus tard à quel point le Seigneur l’avait bénie en lui accordant la force de supporter le voyage. Elle témoigna : « Je peux dire que nous avons placé notre confiance en Dieu. Il a entendu et exaucé nos prières et nous a permis d’arriver jusqu’aux vallées. »


CHAPITRE 17 : La famille se réforme

Pendant que l’hiver 1856-1857 apportait la neige et le gel dans la vallée du lac Salé, Joseph F. Smith œuvrait sur la grande île d’Hawaï. Comme George Q. Cannon, il avait rapidement appris l’hawaïen et était devenu un dirigeant dans la mission. Maintenant, presque trois ans après avoir reçu son appel, il avait dix-huit ans et aspirait à continuer de servir le Seigneur.

Il écrivit à sa sœur Martha Ann : « Je n’ai pas encore le sentiment d’avoir accompli ma mission et je ne veux pas rentrer à la maison tant qu’il en est ainsi. »

Peu après, il reçut une lettre de son frère John, en Utah. John rapportait : « Noël est passé et le Nouvel An a suivi de près. Il n’y a pas eu d’amusements. » Alors que les saints organisaient habituellement de grands bals et de grandes réjouissances pendant les fêtes, les dirigeants de l’Église avaient découragé de telles manifestations cette année-là. La réforme morale que Jedediah Grant avait entamée l’automne précédent était toujours d’actualité et de telles festivités étaient jugées inconvenantes.

John expliqua : « Nous nous sommes laissés aller et endormis. Nous avons mis notre religion de côté et sommes partis nous amuser de choses matérielles. » Appelé récemment comme patriarche de l’Église, un office que son père et son grand-père avaient détenu, John, vingt-quatre ans, soutenait totalement la réforme, même si son extrême timidité l’empêchait de se joindre à d’autres dirigeants pour prêcher en public.

D’autres lettres de la maison décrivaient la réforme à Joseph. Depuis septembre, les dirigeants de l’Église rebaptisaient les saints pénitents dans n’importe quelle réserve d’eau, même s’ils devaient briser la glace à la surface pour ce faire. De plus, la Première Présidence avait demandé aux évêques de cesser d’administrer la Sainte-Cène dans leurs paroisses jusqu’à ce que davantage de saints soient rebaptisés et prouvent leur volonté de respecter leurs alliances.

Mercy Thompson, la tante de Joseph, croyait que la réforme avait un effet positif sur elle et sur les saints. Elle lui écrivit : « Je m’étonne de la façon d’agir du Seigneur avec moi. J’ai vraiment le sentiment qu’il a plus que tenu les promesses qu’il m’avait faites. »

Pour encourager la droiture, les dirigeants de l’Église exhortaient les saints à confesser publiquement leurs péchés lors des réunions de paroisse. Dans une lettre adressée à Joseph, Mercy parla d’Allen Huntington, l’un des jeunes hommes qui avaient aidé à porter les émigrants pour franchir la Sweetwater. Allen avait toujours été un jeune homme débridé, mais peu après le sauvetage des convois de charrettes à bras, il s’était levé dans la paroisse de Sugar House, avait reconnu ses péchés passés et avait parlé du changement de cœur que le sauvetage avait provoqué chez lui.

Elle rapporta : « Il a tellement vu le pouvoir de Dieu qu’il s’est réjoui de voyager à la rencontre des compagnies et de les ramener ici. Il a exhorté ses jeunes camarades à se détourner de leurs bêtises et à chercher à édifier le royaume de Dieu. Sa mère pleurait de joie. Son père s’est levé et a déclaré que c’était le plus beau moment de sa vie. »

Certains hommes étaient aussi appelés comme « missionnaires au foyer », pour rendre visite aux familles dans l’Église. Au cours de ces visites, ils posaient une série de questions formelles afin de savoir si la famille respectait bien les dix commandements, s’aimait et aimait ses voisins et si elle adorait bien Dieu avec les membres de sa paroisse.

Tout en encourageant une plus grande droiture, les dirigeants de l’Église appelaient davantage d’hommes et de femmes à pratiquer le mariage plural. Peu après le début de la réforme, Brigham Young incita John Smith à épouser une deuxième femme. La pensée de John épousant une autre femme troubla profondément la sienne, Hellen. Néanmoins, si le Seigneur voulait qu’elle et John obéissent au principe, alors elle préférait qu’on en finisse dès que possible avec la cérémonie de mariage. Le respect du principe serait peut-être plus facile après.

John épousa une femme appelée Melissa Lemmon. Hellen écrivit à Joseph à Hawaï : « C’était une épreuve pour moi, mais grâce au Seigneur, c’est terminé maintenant. Le Seigneur va éprouver son peuple en toutes choses et je pense que ceci est la plus grande épreuve. Je prie cependant notre Père céleste de me donner la sagesse et la force mentale de résister à chacune au fur et à mesure qu’elles se présenteront. »

Joseph eut aussi d’autres renseignements sur la réforme dans des lettres de sa sœur Martha Ann. En février, elle écrivit : « Je me suis fait baptiser et je commence à vivre selon ma religion. Je commence juste à voir mes fautes et à m’amender. » Après des mois de querelles avec Hellen, Martha Ann avait enfin fait la paix avec sa belle-sœur.

Elle dit à Joseph : « La famille se réforme et me traite bien maintenant. Nous sommes tous bons amis. »

Voyant de nombreux jeunes de sa paroisse se marier, Martha Ann se demandait si le moment était venu pour elle d’en faire autant. Elle était secrètement amoureuse de William Harris, le beau-fils de l’évêque Abraham Smoot. Elle confia à Joseph : « J’ai les mains qui tremblent quand je dis amour, mais c’est pourtant le cas, tellement le cas. C’est un bon jeune homme et il a toute mon affection. »

Elle supplia son frère de garder le secret. Elle écrivit : « N’en parle dans aucune de tes lettres, sauf dans celles qui me sont destinées, et dis-moi ce que tu en penses. »

Toutefois, William devait bientôt partir en mission en Europe, ce que Martha Ann considérait comme une épreuve douloureuse. Elle se lamenta dans la lettre : « Je m’en remets maintenant, c’est-à-dire j’essaie de m’en remettre. Je suppose que ce sera entièrement bénéfique. »

Au printemps 1857, Brigham Young et les autres dirigeants de l’Église étaient satisfaits de la réforme des saints et ils réinstituèrent la Sainte-Cène dans toute l’Église. Brigham dit et répéta que les saints formaient un « peuple béni de Dieu ».

Pourtant, des problèmes étaient survenus au cours de la réforme. Des dirigeants avaient parlé sévèrement des apostats et des résidents qui n’étaient pas membres de l’Église. Intimidés, certains avaient quitté le territoire. Les évêques, les missionnaires au foyer et des membres de l’Église s’affrontaient parfois lorsque les fréquentes visites au foyer et confessions publiques s’avéraient embarrassantes, perturbantes ou intimidantes. Avec le temps, les dirigeants de l’Église commencèrent à encourager les entretiens et les confessions en privé.

Ils employaient généralement un langage édifiant dans leurs sermons pour encourager les saints à faire mieux. Le Livre de Mormon donnait des exemples clairs des effets de la prédication énergique pour inciter les gens à se réformer et cet hiver-là, les dirigeants avaient souvent employé un langage excessif pour appeler les saints au repentir. Par moments, Brigham et d’autres s’étaient même appuyés sur des passages de l’Ancien Testament pour enseigner que certains péchés graves ne pouvaient être pardonnés que par l’effusion du sang du pécheur.

De tels enseignements évoquaient le langage des feux de l’enfer des prédicateurs du renouveau protestants qui essayaient d’effrayer les pécheurs pour les pousser à se réformer. Brigham comprenait que parfois ses sermons enflammés allaient trop loin et il n’était pas question de mettre des gens à mort pour leurs péchés.

Un jour, il reçut une lettre d’Isaac Haight, président de pieu à Cedar City, au sujet d’un homme qui avait confessé un péché sexuel commis avec sa fiancée après avoir reçu sa dotation. L’homme avait depuis épousé la femme et disait qu’il ferait n’importe quoi pour réparer son péché, même si cela signifiait verser son sang.

Isaac demanda : « Me direz-vous ce que je dois lui dire ? »

Brigham répondit : « Dites au jeune homme d’aller et de ne plus pécher, de se repentir de tous ses péchés et de se faire baptiser à cet effet. » Entre les admonestations dures, il conseillait souvent aux dirigeants d’aider les pécheurs à se repentir et à rechercher la miséricorde. Sa prédication énergique et ses conseils sur la miséricorde étaient censés aider les saints à se repentir et à se rapprocher du Seigneur.

Lorsque leur période de réforme prit fin, les saints furent de nouveau contrariés par leurs représentants du gouvernement territorial. Début 1857, la législature de l’Utah demanda à James Buchanan, le président des États-Unis nouvellement élu, de lui accorder une plus grande liberté de nommer ses propres représentants du gouvernement.

Elle avertit : « Nous nous opposerons à toute tentative des représentants du gouvernement de mépriser nos lois territoriales ou de nous imposer celles qui ne sont pas applicables et de ce fait, pas en vigueur dans ce territoire. »

De leur côté, les représentants locaux du gouvernement étaient tout aussi contrariés par le dédain des saints pour les étrangers, leurs manœuvres d’intimidation visant les dirigeants fédéraux désignés et le manque de séparation de l’Église et de l’État dans le gouvernement territorial. En mars, certains démissionnèrent et retournèrent dans l’Est avec des histoires sur le mariage plural des saints et sur le gouvernement en apparence peu démocratique, tout comme l’avaient fait Perry Brocchus et d’autres quelques années plus tôt.

Au début de cet été-là, lorsque les plaines enneigées dégelèrent et que l’acheminement du courrier reprit, les saints apprirent que le ton exigeant de leur pétition et de leurs rapports sur le traitement subi par d’anciens représentants du territoire avait profondément alarmé et irrité le président Buchanan et ses conseillers. Le président percevait leurs actions comme de la rébellion et il nomma de nouveaux hommes aux postes vacants en Utah. Au même moment, des journaux et des politiciens de l’Est exigeaient qu’il emploie la force militaire pour évincer Brigham du poste de gouverneur, réprimer la prétendue rébellion des saints et s’assurer que les nouveaux représentants fédéraux étaient en poste et protégés.

De l’avis de ses détracteurs, le projet semblait excessif et cher, mais des rumeurs selon lesquelles le président avait l’intention de l’exécuter circulèrent rapidement. Buchanan considérait qu’il était de son devoir d’établir une autorité fédérale en Utah. À l’époque, les États-Unis connaissaient des tensions importantes au sujet de l’esclavage et de nombreuses personnes craignaient que les propriétaires d’esclaves des États du Sud ne forment un jour leur propre pays. L’envoi d’une armée en Utah aurait pu dissuader d’autres régions de défier le gouvernement fédéral.

Son mandat de gouverneur étant terminé, Brigham s’attendait maintenant à ce que le président tente de nommer un étranger pour le remplacer. Cela ne changerait rien à sa position auprès des saints, mais cela réduirait sa capacité de les aider politiquement. Si le président le destituait de ses fonctions et envoyait une armée pour imposer le changement, les saints auraient peu d’espoir de se gouverner de façon autonome. Ils seraient de nouveau sujets aux caprices d’hommes qui méprisaient le royaume de Dieu.

Environ un mois après avoir entendu les rumeurs sur les intentions du président Buchanan, Brigham apprit que l’apôtre Parley Pratt avait été assassiné. Son meurtrier, Hector McLean, était le mari dont était séparée Eleanor McLean, l’une des femmes plurales de Parley. Eleanor était devenue membre de l’Église en Californie après des années de souffrances causées par les sévices et l’alcoolisme d’Hector. Ce dernier avait accusé Parley lorsqu’Eleanor l’avait quitté et il avait envoyé leurs enfants habiter chez des parents dans le sud des États-Unis. Eleanor avait tenté de retrouver ses enfants et Parley avait suivi peu après pour l’aider. En mai 1857, cependant, Hector avait pris Parley en chasse et l’avait sauvagement abattu.

Le meurtre de Parley bouleversa Brigham et les saints. Pendant plus de vingt-cinq ans, Parley avait été un écrivain et un missionnaire éminents. Sa brochure Une voix d’avertissement avait aidé un nombre incalculable de personnes à devenir membres de l’Église. La perte de son service infatigable et de sa voix incomparable peinait profondément les saints.

Pourtant, les rédacteurs de journaux de toute la nation se réjouissaient du meurtre de Parley. Selon eux, Hector McLean avait à juste titre éliminé l’homme qui avait brisé son foyer. Un journal recommandait même au président Buchanan de nommer Hector comme nouveau gouverneur d’Utah.

Comme les personnes qui avaient persécuté les saints au Missouri et en Illinois, le meurtrier de Parley ne fut jamais traduit en justice.

Alors que les tensions s’accentuaient entre les saints et le gouvernement des États-Unis, Martha Ann Smith se préparait à dire au revoir à William Harris, qui s’apprêtait à partir pour la mission européenne. Martha Ann comptait l’épouser à son retour. Le jour de l’entretien de William avec la Première Présidence pour être mis à part pour sa mission, elle aidait sa mère, Emily Smoot, à préparer ses affaires pour le voyage.

Pendant qu’elles travaillaient, William fit irruption dans la pièce. Il dit : « Attrape ton chapeau, Martha, et viens. » Pendant qu’il le mettait à part, Brigham Young lui avait proposé de faire venir Martha Ann en ville et de l’épouser avant de partir pour l’Europe.

Surprise, cette dernière s’était tournée vers Emily. « Que vais-je faire ? Que vais-je faire ? », demanda-t-elle.

Emily dit : « Ma chérie, enfile ta robe de calicot et vas-y. »

Elle se changea rapidement et grimpa dans le chariot à côté de William. Ils furent mariés dans la maison des dotations et Martha Ann emménagea chez la famille Smoot. Deux jours plus tard, William chargea ses affaires dans une charrette à bras et quitta la vallée en compagnie de soixante-dix autres missionnaires.

Lorsqu’ils arrivèrent à New York après plusieurs semaines de voyage, William fut surpris par l’hostilité des gens envers les saints. Il écrivit à Joseph F. Smith, son nouveau beau-frère : « Nous entendons toutes sortes d’insultes sur les mormons et les autorités de l’Église. Le sujet des conversations est l’Utah et l’Utah est dans tous les journaux. Ils disent qu’ils vont envoyer un gouverneur et des troupes en Utah et qu’il y imposera la loi des États-Unis, libérera les femmes et si le vieux Young résiste, ils le pendront par le cou. »

Le 24 juillet 1857, à l’occasion du dixième anniversaire de l’arrivée des saints dans la vallée, la famille Smoot se joignit à Brigham Young et à deux mille autres saints pour un pique-nique au bord d’un lac de montagne, à l’est de Salt Lake City. Des fanfares venant de diverses colonies jouèrent pendant que les saints passaient la matinée à pêcher, danser et bavarder ensemble. Des drapeaux américains flottaient au sommet de deux grands arbres. Tout au long de la matinée, les saints tirèrent des coups de canon, regardèrent les manœuvres de la milice territoriale et entendirent des discours.

Vers midi, cependant, Abraham Smoot et Porter Rockwell chevauchèrent jusqu’au camp, interrompant les festivités. Abraham rentrait juste d’un voyage d’affaires pour l’Église dans l’est des États-Unis. En chemin, il avait vu des chariots de marchandises roulant vers l’ouest pour ravitailler une troupe de mille cinq cents soldats que le président envoyait maintenant officiellement en Utah, avec un nouveau gouverneur. Le gouvernement avait également interrompu le service postal du territoire d’Utah, coupant efficacement la communication entre les saints et l’Est.

Le lendemain, Brigham et les saints retournèrent en ville pour se préparer à l’invasion. Le 1er août, Daniel Wells, le commandant de la milice territoriale, ordonna à ses officiers de préparer chaque colonie pour la guerre. Les saints devaient faire des réserves, ne rien gaspiller. Il leur interdit de vendre des céréales ou d’autres denrées aux convois de chariots en route pour la Californie. Si l’armée assiégeait les vallées, les saints auraient besoin de chaque gramme de leurs provisions pour survivre.

Brigham exigea aussi que les présidents de mission et les dirigeants de l’Église des branches et colonies périphériques renvoyassent les missionnaires et autres saints chez eux, en Utah.

Il demanda à George Q. Cannon, qui présidait maintenant la mission du Pacifique à San Francisco : « Relevez tous les anciens qui sont en mission depuis longtemps. Incitez autant de jeunes gens que possible à rentrer, car leurs parents sont extrêmement impatients de les voir. »

Brigham avait entendu des rumeurs selon lesquelles le général William Harney, réputé pour sa cruauté, conduisait l’armée en Utah. Il avait beau affirmer qu’il n’éprouvait aucune hostilité à l’égard de la plupart des saints, il était apparemment déterminé à punir Brigham et d’autres dirigeants de l’Église.

Brigham spéculait : « Reste à savoir si je serai pendu avec ou sans procès. »

Pendant que les saints dans et autour de Salt Lake City se préparaient pour une invasion, George A. Smith rendait visite aux colonies du sud du territoire pour les informer de l’arrivée de l’armée. Le 8 août, il arriva à Parowan, une ville qu’il avait aidé à fonder six ans auparavant. Les saints de là-bas l’aimaient et lui faisaient confiance.

La nouvelle de l’armée leur était déjà parvenue et tout le monde était sur les nerfs. Ils craignaient que des troupes supplémentaires de Californie n’envahissent le sud de l’Utah, attaquant les colonies plus faibles avant de remonter vers le nord. Les colonies appauvries comme Parowan, existant à la limite de la survie, n’auraient aucune chance contre l’armée.

George était inquiet pour la sécurité de sa famille et de ses amis dans la région. Il leur dit que l’armée avait l’intention de mener une guerre d’extermination contre l’Église. Pour assurer leur survie, il les exhorta à donner tout leur surplus de céréales à leur évêque afin qu’il le stocke en vue des temps d’incertitude à venir. Ils devaient aussi utiliser toute leur laine pour confectionner des vêtements.

Le lendemain, George parla plus énergiquement. Il affirma qu’à l’Est, on détestait l’Église. Si les saints ne faisaient pas confiance à Dieu, l’armée les diviserait en deux et les vaincrait aisément.

Il commanda : « Prenez soin de vos provisions, car nous en aurons besoin. » Il savait que les saints seraient tentés d’aider et de nourrir les soldats lorsqu’ils viendraient, que ce soit par générosité ou intérêt.

Il demanda : « Leur vendrez-vous des céréales ou du fourrage ? Je dis, maudit soit l’homme qui leur verse de l’huile et de l’eau sur la tête. »


CHAPITRE 18 : Trop tard, trop tard

Au cours de l’été 1857, Johan et Carl Dorius firent route vers Sion au sein d’un convoi de charrettes à bras d’environ trois cents saints scandinaves. La plupart étaient arrivés dans l’est des États-Unis en mai. Étant resté pour prêcher l’Évangile en Norvège et au Danemark longtemps après l’émigration de son père et de ses sœurs en Sion, Johan eut le cœur en fête lorsqu’il vit enfin les États-Unis. À terre, cependant, sa compagnie et lui apprirent bien vite que Parley Pratt avait été assassiné et qu’une armée de mille cinq cents soldats était en route pour soumettre les saints en Utah.

Ils apprirent également que des émigrants des convois de charrettes à bras avaient péri sur la piste l’année précédente. Comme Brigham l’avait prévu, ce mode de transport, en situation normale, s’avérait être plus rapide et économique que les traditionnels convois de chariots. Des cinq compagnies arrivées dans la vallée, les trois premières n’avaient pas eu d’incident majeur. Quant à l’issue tragique des deux autres, elle aurait pu être évitée si certains agents de l’émigration avaient élaboré de meilleurs plans et donné de meilleurs conseils. Pour éviter de nouvelles catastrophes, ces derniers s’assuraient maintenant que tous les convois de charrettes à bras disposaient de suffisamment de temps pour atteindre la vallée en toute sécurité.

Fin août, Johan, Carl et leur compagnie voyagèrent un certain temps près des soldats bien armés et équipés marchant vers l’Utah. De nombreuses personnes croyaient que la troupe voulait soumettre et opprimer les saints, mais les émigrants ne furent ni harcelés ni maltraités pendant qu’ils voyageaient côte à côte.

Un jour, à environ trois cents kilomètres de la vallée du lac Salé, les émigrants trouvèrent l’un des bœufs de l’armée sur la piste, blessé à la patte. Le chef des chariots de victuailles des soldats dit : « Vous pouvez avoir ce bœuf. Je suppose que vous avez besoin d’un peu de viande. »

Les saints acceptèrent l’animal avec joie. Les chariots de secours de la vallée étaient censés être en route, mais ils n’étaient pas encore arrivés. Presque à court d’autres sources de nourriture, les saints considérèrent le bœuf comme une bénédiction de Dieu.

Les charrettes à bras finirent par distancer l’armée. En approchant de l’Utah, Johan était impatient de commencer le travail important qui l’attendait. Pendant la traversée de l’Atlantique, il avait épousé une sainte norvégienne appelée Karen Frantzen. Au même moment, son frère Carl en avait épousé une autre appelée Elen Rolfsen. En Utah, les anciens missionnaires avaient l’intention de se poser pour la première fois depuis des années, probablement près du reste de la famille Dorius, et de profiter de leur nouvelle vie en Sion.

Certaines incertitudes se profilaient cependant à l’horizon. Sur la piste, les soldats avaient traité les saints avec égards. Feraient-ils de même en marchant sur le territoire ?

Le 25 août 1857, Jacob Hamblin, le président de la mission indienne au sud de l’Utah, raccompagna George A. Smith à Salt Lake City. Ils voyagèrent en direction du nord avec un groupe de chefs païutes. Sachant que les Païutes pouvaient s’allier aux saints si des violences éclataient avec l’armée, Brigham avait invité les chefs à un conseil en ville. Jacob servirait d’interprète au cours des réunions.

À mi-chemin de Salt Lake City, la petite compagnie campa près d’un ruisseau tandis qu’un convoi de chariots en provenance essentiellement de l’Arkansas, un État du sud des États-Unis, campait de l’autre. Après le coucher du soleil, quelques hommes approchèrent du camp et se présentèrent.

Leur compagnie se composait d’environ cent quarante personnes, la plupart jeunes et impatientes de débuter une nouvelle vie en Californie. Plusieurs étaient mariées et voyageaient avec de jeunes enfants. Leurs dirigeants s’appelaient Alexander Fancher et John Baker. Le capitaine Fancher, qui s’était déjà rendu en Californie, était un dirigeant né, connu pour son intégrité et son courage. Sa femme, Eliza et lui avaient neuf enfants, tous présents dans la compagnie. Le capitaine Baker voyageait avec trois de ses enfants adultes et un petit-fils en bas âge.

La compagnie disposait de mules, de chevaux et de bœufs pour tirer leurs chariots et leurs calèches. Elle était aussi accompagnée de centaines de têtes de bétail qu’elle pourrait vendre en dégageant un profit lorsqu’elle arriverait en Californie, dans la mesure où elle veillait à les nourrir et à en prendre soin sur la piste.

À l’époque où le capitaine Fancher avait fait son premier voyage en Californie, la route du sud qui traversait l’Utah était jalonnée de pâturages et de points d’eau. Depuis lors, de nouvelles colonies le long de la piste revendiquaient ces terres si bien que les grands convois de chariots avaient du mal à prendre soin de leur bétail sans la collaboration des saints. Maintenant que l’armée approchait, nombre d’entre eux traitaient les étrangers avec suspicion et hostilité. Beaucoup suivaient aussi le conseil de ne pas vendre de provisions aux étrangers.

L’indifférence des saints inquiétait le convoi d’Arkansas. La suite du chemin traversait l’une des régions les plus chaudes et arides des États-Unis. Le voyage serait difficile sans un lieu pour se ravitailler, nourrir et abreuver les animaux, et se reposer.

Jacob Hamblin leur indiqua de bons endroits pour camper le long de la piste. Le meilleur était une vallée luxuriante, juste au sud de son ranch, où ils trouveraient abondance d’eau et de fourrage pour le bétail. C’était un lieu paisible appelé Mountain Meadows.

Plusieurs jours plus tard, le convoi d’Arkansas fit halte à Cedar City, à quatre cents kilomètres au sud de Salt Lake City, pour s’approvisionner avant de continuer jusqu’à Mountain Meadows. Cedar City était la dernière colonie importante au sud de l’Utah et était le fief de l’industrie sidérurgique des saints, actuellement en difficulté. Ses habitants étaient pauvres et relativement isolés.

Le convoi trouva un homme hors de la ville disposé à lui vendre cinquante boisseaux de blé non moulu. Certains membres du convoi apportèrent le blé et du maïs qu’ils avaient achetés à des Indiens à un moulin exploité par Philip Klingensmith, l’évêque local, qui leur demanda un prix exceptionnellement élevé pour moudre le grain.

Entre-temps, d’autres essayèrent de faire quelques achats dans un magasin de la ville. Il est difficile de dire ce qui se passa ensuite. Des années plus tard, les colons de Cedar City se souvinrent que le commis n’avait pas les articles dont les émigrants avaient besoin, ou qu’il avait tout simplement refusé de les vendre. Certaines personnes se souvinrent de quelques membres du convoi se mettant en colère et menaçant d’aider les soldats à exterminer les saints une fois que l’armée serait arrivée. Un colon dit qu’un des membres du convoi affirmait posséder le fusil qui avait tué Joseph Smith, le prophète.

Le capitaine Fancher tenta de maîtriser les hommes irrités, mais certains trouvèrent apparemment la maison du maire, Isaac Haight, qui était aussi président de pieu et commandant dans la milice territoriale et proférèrent des menaces à son encontre. Isaac sortit de chez lui par la porte arrière, alla trouver John Higbee, le capitaine de gendarmerie, et l’exhorta à arrêter les hommes.

Higbee leur fit face et leur dit que les lois locales interdisaient de troubler la paix et d’employer un langage grossier. Les hommes le défièrent de les arrêter. Ensuite, ils quittèrent la ville.

Plus tard dans la journée, Isaac Haight et d’autres dirigeants de Cedar City envoyèrent un message à William Dame, commandant de la milice de district et président du pieu voisin de Parowan, demandant des conseils sur la marche à suivre avec les émigrants. La vaste majorité d’entre eux n’avait pas causé de tumulte et aucun des résidents n’avait été blessé physiquement, néanmoins, les habitants de la ville fulminaient lorsque les émigrants partirent. Certains avaient même commencé à comploter de se venger.

William lut le message d’Isaac à un conseil de dirigeants de l’Église et de la municipalité et ils décidèrent que le convoi d’Arkansas était probablement inoffensif. Dans une lettre, William donna à Isaac le conseil suivant : « Ne tenez pas compte de leurs menaces. Les mots ne sont que du vent, ils ne blessent personne. »

Mécontent, Isaac envoya chercher John D. Lee, un saint des derniers jours d’une ville voisine. John enseignait l’agriculture aux Païutes locaux et avait de bons rapports avec eux. C’était un travailleur acharné et il aspirait à faire ses preuves dans les colonies du Sud.

En attendant son arrivée, Isaac se réunit avec d’autres dirigeants de Cedar City pour exposer son projet de vengeance. Au sud de Mountain Meadows, le long de la route vers la Californie, se trouvait un canyon étroit d’où les Païutes pourraient attaquer le convoi de chariots, tuer certains hommes ou tous, et prendre leur bétail. Les Païutes étaient généralement paisibles et certains étaient devenus membres de l’Église, mais Isaac croyait que John pouvait les convaincre d’attaquer la compagnie.

Lorsque ce dernier arriva, Isaac lui parla des émigrants, répétant la rumeur selon laquelle l’un d’eux s’était vanté d’avoir le fusil qui avait tué le prophète Joseph. Il dit : « Si on n’agit pas pour les en empêcher, les émigrants mettront leurs menaces à exécution et détrousseront chacune des colonies à l’entour dans le sud. »

Il demanda à John de convaincre les Païutes d’attaquer le convoi. Il dit : « S’ils tuent une partie d’entre eux ou même tous, ce serait encore mieux. » Par contre, personne ne devait savoir que les colons blancs avaient ordonné l’assaut. Les Païutes devaient être tenus pour responsables.

L’après-midi du dimanche 6 septembre, les dirigeants de Cedar City se réunirent de nouveau pour discuter du convoi d’Arkansas, installé maintenant à Mountain Meadows. Convaincus qu’un membre de la compagnie était impliqué dans le meurtre de Joseph et d’Hyrum Smith ou que certains voulaient aider l’armée à tuer les saints, quelques conseillers municipaux soutinrent le projet de persuader les Païutes d’attaquer la compagnie.

D’autres membres du conseil recommandèrent la prudence et très vite, davantage d’hommes émirent des réserves au sujet du plan. Contrarié, Isaac bondit de son siège et sortit de la pièce en claquant la porte. Entre-temps, le conseil proposa d’envoyer un coursier demander l’avis de Brigham Young. Le lundi à midi, aucun cavalier n’avait encore été envoyé.

Ce même jour, le 7 septembre, Isaac reçut un message de John D. Lee. Ce matin-là, John et un groupe de Païutes avaient attaqué les émigrants à Mountain Meadows. Au début, les Païutes s’étaient montrés réticents, mais John et d’autres dirigeants locaux leur avaient promis une part du butin s’ils se joignaient à l’attaque.

En apprenant la nouvelle, Isaac fut abasourdi. D’après le plan, l’attaque devait avoir lieu après le départ de la compagnie de Mountain Meadows et non pas avant. John rapportait maintenant que sept émigrants avaient été tués et seize autres blessés. Ces derniers avaient positionné leurs chariots en cercles, s’étaient défendus et avaient tué au moins un Païute.

Avec un siège en cours à Mountain Meadows, Isaac écrivit à Brigham Young pour lui demander conseil. Il rapporta que les Païutes avaient attaqué un convoi de chariots. Il fit remarquer que les émigrants avaient menacé les saints à Cedar City, mais il omit de mentionner le rôle des colons dans la conspiration et l’exécution de l’attaque.

Isaac tendit la lettre à James Haslam, un jeune membre de la milice, et lui commanda de chevaucher jusqu’à Salt Lake City aussi rapidement que possible. Il écrivit ensuite à John : « Fais tout ton possible pour que les Indiens ne s’approchent pas des émigrants et pour les protéger jusqu’à nouvel ordre. »

Ce soir-là, Isaac apprit qu’après l’attaque de John et des Païutes, des saints des derniers jours armés avaient fouillé la région à la recherche de deux membres de la compagnie qui avaient quitté Mountain Meadows plus tôt pour rassembler du bétail errant. Les hommes avaient trouvé les émigrants et avaient tué l’un d’eux. L’autre s’était échappé et était retourné au camp, conscient que deux hommes blancs l’avaient attaqué.

Si jusque-là les émigrants n’avaient pas su que les saints des derniers jours étaient impliqués dans l’attaque de leur camp, maintenant, ils le savaient.

Deux jours plus tard, le 9 septembre, Isaac s’entretint avec le capitaine de gendarmerie, John Higbee, qui revenait juste du siège. Depuis les premiers meurtres, John D. Lee avait mené des assauts de moindre envergure. Higbee savait que les émigrants finiraient par manquer d’eau et de provisions. Cependant, d’autres convois passeraient par la région, peut-être dans les quelques jours à venir, et risqueraient de découvrir le rôle des saints.

Pour dissimuler la participation des colons, Isaac et Higbee décidèrent que la milice locale devait mettre fin au siège. Tous les membres de la compagnie pouvant compromettre les attaquants devaient être tués.

Après la réunion, Isaac alla à Parowan pour obtenir la permission de William Dame d’ordonner à la milice d’attaquer les émigrants. Croyant toujours que ces derniers étaient victimes d’une attaque d’Indiens, William et son conseil voulaient envoyer la milice à Mountain Meadows pour protéger la compagnie et l’aider à reprendre la route.

Cependant, lors d’un entretien privé avec William, Isaac avoua que les saints des derniers jours avaient été impliqués dans les attaques et que les émigrants le savaient. Il dit que la seule alternative était de tuer tout survivant suffisamment âgé pour témoigner contre les colons.

Pesant ces paroles, William écarta la décision de son conseil et autorisa une attaque.

Le lendemain, le 10 septembre, Brigham Young s’entretint avec Jacob Hamblin à Salt Lake City pour apprendre comment les Païutes conservaient la nourriture. Si les saints devaient fuir vers les montagnes à l’arrivée de l’armée, Brigham voulait savoir comment survivre en terrain difficile.

Toutefois, l’armée semblait déjà moins menaçante que ce que les saints avaient imaginé à l’abord. Un représentant était venu récemment en ville et avait déclaré que les soldats n’avaient pas l’intention de leur nuire. De plus, les probabilités que la majorité de l’armée arrive dans la région avant l’hiver étaient faibles.

Pendant que Brigham et Jacob discutaient, le messager de Cedar City, James Haslam, interrompit la réunion avec un message au sujet du siège de Mountain Meadows. Brigham lut la note et regarda ensuite le jeune homme. James avait parcouru quatre cents kilomètres à cheval en trois jours, quasiment sans dormir. Conscient qu’il n’y avait pas un instant à perdre, Brigham lui demanda s’il pouvait rapporter sa réponse à Cedar City. Il répondit qu’il le pouvait.

Brigham lui dit d’aller dormir et de revenir chercher sa missive. James partit et Brigham écrivit sa réponse. Il commanda : « Concernant les convois d’émigrants qui traversent nos colonies, nous ne devons pas agir contre eux avant de leur avoir demandé de se tenir à l’écart. Ne vous mêlez pas de leurs affaires. Les Indiens, nous pouvons nous y attendre, feront comme ils veulent, mais vous devez vous efforcer de conserver de bons sentiments envers eux. »

Il insista : « Laissez-les tranquillement passer. »

Une heure plus tard, Brigham tendit la lettre à James et l’accompagna au poteau d’attache à l’extérieur de son bureau. Il dit : « Frère Haslam, je veux que vous chevauchiez comme si votre vie en dépendait. »

Les saints de Salt Lake City ne s’attendaient plus à ce que les soldats envahissent leurs rues à cette époque, mais ceux du sud de l’Utah n’étaient pas au courant des déclarations de paix de l’armée, ni des instructions de Brigham selon lesquelles ils ne devaient rien avoir affaire avec les convois d’émigration. Les saints de Cedar City croyaient toujours que les soldats avaient l’intention de les détruire.

Pendant plus d’une semaine, les femmes de la ville avaient vu les hommes de leur famille de plus en plus agités à propos des émigrants d’Arkansas. Ils rentraient tard, tenaient conseil et ourdissaient des plans pour régler la situation. La milice était actuellement en train de marcher sur Mountain Meadows.

L’après-midi du 10 septembre, les femmes s’assemblèrent pour leur réunion mensuelle de Société de secours. Certaines s’étaient senties menacées lorsque les émigrants avaient traversé Cedar City. Quelques-unes, notamment Annabella Haight et Hannah Klingensmith, étaient mariées aux dirigeants qui avaient pris part aux événements de la semaine dernière.

Annabella dit aux femmes : « C’est une époque tempétueuse et nous devrions prier secrètement pour nos maris, nos fils, nos pères et nos frères. »

Lydia Hopkins, la présidente de la Société de secours, convint : « Priez spécialement pour les frères qui sont impliqués dans notre défense. » Ses conseillères et elle instruisirent ensuite les femmes et désignèrent plusieurs membres pour aller rendre visite à d’autres femmes dans toute la ville.

Avant de terminer la réunion, elles chantèrent un cantique.

Repentez-vous et soyez purifiés du péché,
Et vous gagnerez ensuite une couronne de vie ;
Car le jour que nous recherchons est proche, très proche.

Pendant ce temps, à Mountain Meadows, entre soixante et soixante-dix miliciens de Cedar City et des colonies avoisinantes avaient rejoint John D. Lee au ranch de Jacob Hamblin, lequel n’était pas encore revenu de Salt Lake City. Certains étaient adolescents, mais la plupart avaient une vingtaine ou une trentaine d’années. Quelques-uns pensaient qu’ils étaient venus enterrer les morts.

Dans la soirée, John Higbee, John D. Lee, Philip Klingensmith et d’autres dirigeants passèrent en revue le plan d’attaque avec les miliciens. Un par un, les hommes l’approuvèrent, convaincus que s’ils laissaient filer le convoi d’Arkansas, les ennemis de l’Église découvriraient la vérité sur le siège.

Le lendemain matin, le 11 septembre, Néphi Johnson, vingt-trois ans, était au sommet d’une colline surplombant Mountain Meadows. Du fait qu’il parlait couramment la langue des Païutes, on lui avait commandé de mener l’attaque des Indiens. Il voulait attendre d’avoir reçu la réponse de Brigham Young, mais la milice insistait pour qu’on frappe maintenant. Néphi croyait qu’il n’avait d’autre choix que celui de coopérer.

Il regarda un sergent de la milice, portant un drapeau blanc, s’entretenir avec l’un des émigrants à l’extérieur de la barricade du convoi et offrir son aide aux survivants. Une fois qu’ils eurent accepté l’offre, John D. Lee s’approcha de la barricade pour négocier les termes du sauvetage. Il commanda au convoi de cacher ses fusils dans les chariots et de laisser son bétail et ses biens en offrandes aux Païutes.

John ordonna aux émigrants de le suivre. Deux chariots transportant les malades, les blessés et les jeunes enfants ouvrirent la voie, suivis d’une file de femmes et d’enfants plus grands. Les garçons plus âgés et les hommes marchaient plus loin derrière, chacun escorté par un milicien. Certains hommes et femmes portaient de jeunes enfants dans les bras.

Néphi savait ce qui allait se passer ensuite. Les émigrants se dirigeraient vers le ranch Hamblin. Au signal d’Higbee, chaque milicien se tournerait vers celui qui marchait à son côté et le tuerait. Néphi ordonnerait ensuite aux Païutes d’attaquer.

Peu après, John D. Lee et les émigrants passèrent au-dessous de l’endroit où étaient cachés Néphi et les Païutes. Néphi attendit le signal d’Higbee, mais il ne vint pas. Troublés, les Indiens avaient du mal à rester cachés tout en se dépêchant de suivre le cortège. Enfin, Higbee retourna son cheval pour faire face à la milice.

Il cria : « Halte ! »

Lorsque les miliciens entendirent le signal, la plupart d’entre eux mirent les hommes et les garçons en joue et les tuèrent instantanément. Un seul grand coup de feu sembla résonner dans la prairie enveloppant les émigrants de fumée de canon. Néphi fit signe aux Païutes d’attaquer et ils bondirent hors de leurs cachettes et tirèrent sur les émigrants les plus proches.

Ceux qui avaient survécu à la première salve s’enfuirent pour sauver leur vie. Higbee et d’autres hommes à cheval leur coupèrent la route pendant que des attaquants au sol les pourchassaient et les massacraient, n’épargnant que les plus jeunes enfants. Dans le chariot des malades et des blessés, John D. Lee s’assura que personne ne survive pour témoigner.

Après cela, l’odeur nauséabonde du sang et de la poudre à canon flotta sur Mountain Meadows. Plus de cent vingt émigrants avaient été tués depuis la première attaque quatre jours plus tôt. Pendant que certains attaquants pillaient les corps, Philip Klingensmith rassembla dix-sept jeunes enfants et les charroya jusqu’au ranch Hamblin. Lorsque Rachel Hamblin, la femme de Jacob, vit les enfants, la plupart en pleurs et couverts de sang, elle eut le cœur brisé. L’une des plus jeunes, une petite fille d’un an, avait reçu un coup de fusil dans le bras.

John D. Lee voulait séparer la fillette blessée de ses deux sœurs, mais Rachel le persuada de ne pas le faire. Ce soir-là, pendant qu’elle s’occupait des enfants tourmentés, John se coucha hors de la maison et s’endormit.

Tôt le lendemain matin, Isaac Haight et William Dame arrivèrent au ranch. C’était la première fois qu’ils venaient à Mountain Meadows depuis le début du siège. En apprenant combien de personnes avaient été tuées, William fut choqué. Il dit : « Je dois faire rapport de cette affaire aux autorités. »

Isaac répondit : « Et être mêlé avec les autres. Tout a été fait sur vos ordres. »

Ensuite, John D. Lee conduisit les deux hommes sur les lieux du massacre. L’endroit était jonché de traces du carnage et certains hommes étaient en train d’enterrer les corps dans des tombes peu profondes.

Le visage pâle, William dit : « Je ne pensais pas qu’il y avait tant de femmes et d’enfants. »

Isaac dit à John, la voix remplie de colère : « Le colonel Dame m’a conseillé et ordonné de faire cela et maintenant il veut faire marche arrière et se retourner contre moi. Il faut qu’il assume ce qu’il a fait, comme un petit homme. »

William dit : « Isaac, je ne savais pas qu’ils étaient aussi nombreux. »

Isaac répondit : « Cela ne change rien. »

Plus tard, lorsque les morts furent enterrés, Philip Klingensmith et Isaac dirent aux miliciens de taire leur rôle dans le massacre. James Haslam, le messager envoyé à Salt Lake City, revint peu après avec les instructions de Brigham Young de laisser tranquillement passer le convoi.

Isaac commença à pleurer. « Trop tard », dit-il. « Trop tard. »


CHAPITRE 19 : Les chambres du Seigneur

Le 13 septembre 1857, Johan et Carl Dorius, côte à côte avec leurs femmes, Karen et Elen, tirèrent leurs charrettes à bras dans Salt Lake City. S’étant débarrassés de tout bagage superflu le long de la piste pour alléger leur chargement, ils entrèrent avec leur convoi dans la ville vêtus des mêmes haillons élimés qu’ils portaient depuis des semaines. Certaines femmes avaient remplacé leurs souliers usés par de la toile de jute grossière dont elles s’étaient enveloppé les pieds. Après des mois sur la piste, les émigrants étaient tout de même reconnaissants d’être en Sion et faisaient fièrement flotter le drapeau danois de leur charrette de tête.

Alors qu’ils pénétraient dans la ville, les saints apportèrent des gâteaux et du lait pour leur souhaiter la bienvenue. Les frères Dorius eurent tôt fait de repérer leur père dans la foule. Nicolai les salua joyeusement et leur présenta sa nouvelle femme, Hannah Rasmusen, qui était aussi originaire du Danemark. Les frères et leur famille tirèrent leurs charrettes jusqu’à un terrain de camping dans la ville, déchargèrent leurs maigres possessions et suivirent Nicolai et Hannah jusqu’à une petite maison confortable au sud de la ville.

Deux ans auparavant, le couple avait fait route vers l’ouest dans le même convoi de chariots. À l’époque, Hannah était mariée mais son époux l’avait abandonnée en route, elle et leur adolescent, Lewis. Connaissant la douleur d’un mariage raté, Nicolai compatit avec elle. Ils furent scellés dans la maison des dotations le 7 août 1857 et Lewis adopta vite le nom de Dorius.

Pendant que Johan, Carl et leurs femmes se reposaient de leur voyage, les saints de tout le territoire se préparaient pour la venue de l’armée. Ne voulant prendre aucun risque, Brigham Young imposa la loi martiale le 15 septembre et publia une proclamation interdisant à l’armée d’entrer sur le territoire. Les messagers de cette dernière insistaient sur le fait que les troupes venaient simplement introniser un nouveau gouverneur du territoire, mais des espions étaient passés dans leurs camps et avaient entendu des soldats se vanter de ce qu’ils feraient aux saints une fois qu’ils auraient atteint l’Utah.

Hanté par le souvenir des milices et des émeutiers pillant les maisons, brûlant les colonies et tuant les saints au Missouri et en Illinois, Brigham était prêt à évacuer la vallée et brûler Salt Lake City si l’armée envahissait la ville. Mi-septembre, il déclara : « Avant de subir ce que j’ai subi par le passé, je ne laisserai pas un bâtiment, un morceau de bois, un bâton, un arbre, un brin d’herbe ou de foin susceptible de brûler à la portée de nos ennemis. »

Il revint sur le sujet au fil des jours précédant la conférence d’octobre. Il dit aux saints : « Marchons selon les préceptes de notre Sauveur. Je sais que tout finira par s’arranger et qu’une providence pleine de sagesse et de suprématie nous donnera la victoire. »

Johan et Carl Dorius ne parlaient pas l’anglais, mais ils assistèrent à la conférence générale pour la première fois le 7 octobre. À la fin de la réunion, Brigham fit la prière. Il dit : « Bénis tes saints dans les vallées des montagnes. Cache-nous dans les chambres du Seigneur, où tu as rassemblé ton peuple, où nous nous sommes reposés en paix pendant de nombreuses années. »

Une semaine plus tard, Nicolai et Hannah emménagèrent à Fort Éphraïm, dans la vallée de Sanpete, où habitaient les filles de Nicolai : Augusta et Rebekke. Pendant ce temps, Johan et Karen restèrent en ville avec Carl et Elen. Comme la plupart des saints qui émigraient dans la vallée, ils se firent de nouveau baptiser pour renouveler leurs alliances. Ils se préparèrent également à recevoir les ordonnances du temple dans la maison des dotations.

Johan et Carl étaient aussi sur place pour défendre la ville.

À peu près à cette époque, John D. Lee rencontra Brigham Young et Wilford Woodruff à Salt Lake City pour faire rapport du massacre qui s’était produit à Mountain Meadows. La majeure partie de ce que John leur dit sur le convoi d’Arkansas était trompeuse. Il mentit : « Nombre d’entre eux faisaient partie des émeutiers du Missouri et de l’Illinois. Tout en voyageant le long de la piste sud, ils maudissaient Brigham Young, Heber C. Kimball et les chefs de l’Église. »

John répéta également une rumeur erronée selon laquelle les émigrants avaient empoisonné du bétail et provoqué les Païutes. Sans mentionner la participation des saints, il affirma : « Les Indiens les ont combattus pendant cinq jours jusqu’à ce qu’ils aient tué tous leurs hommes. Ils se sont ensuite précipités dans leur corral et ont égorgé leurs femmes et tous leurs enfants à part huit ou dix qu’ils ont rapportés et vendus aux blancs. »

Dissimulant son rôle dans l’attaque, il affirma qu’il était allé sur les lieux uniquement après le massacre pour aider à ensevelir les corps. Il rapporta : « C’était horrible. L’odeur était pestilentielle. »

Croyant le rapport, Brigham dit : « Cela me brise le cœur. » John rédigea sa version du massacre deux mois plus tard et l’envoya à Salt Lake City. Brigham inclut ensuite de longs extraits de la lettre dans son rapport officiel au commissaire des affaires indiennes à Washington D.C.

Entre-temps, les rumeurs se propagèrent jusqu’en Californie. Moins d’un mois plus tard, le premier récit détaillé de la tuerie fut publié dans un journal de Los Angeles. D’autres journaux reprirent rapidement l’histoire. La plupart de ces articles laissaient entendre que les saints avaient été impliqués dans l’attaque. Un éditorial demandait : « Qui est aveugle au point de ne pas voir que les mains des mormons sont tachées par ce sang ? »

Ignorant le rôle majeur des saints de Cedar City dans le massacre, George Q. Cannon traita ces rapports avec mépris. Rédacteur du Western Standard, le journal de l’Église à San Francisco, il accusa les reporters d’attiser la haine contre les saints. Il écrivit : « Nous sommes fatigués d’entendre des propos désobligeants et de fausses accusations. Nous savons que les mormons à Deseret sont un peuple industrieux et pacifique, qui craint Dieu et qui a été très lâchement maltraité et calomnié. »

Sur ces entrefaites, les missionnaires du monde entier commencèrent à rentrer pour répondre à l’appel de Brigham Young à aider leur famille et à protéger Sion contre l’armée. Le 22 octobre, Joseph F. Smith, dix-huit ans, et d’autres frères de la mission hawaïenne arrivèrent sans un sou au bureau du Western Standard. George donna à Joseph un manteau et une couverture chaude et les fit repartir.

Un peu plus d’un mois plus tard, le 1er décembre, les apôtres Orson Pratt et Ezra Benson arrivèrent à San Francisco avec des frères de la mission britannique. Sachant que le président des États-Unis avait déclaré les saints en état de rébellion ouverte contre le gouvernement, les apôtres avaient voyagé sous un nom d’emprunt pour éviter de se faire repérer en route. En ville, ils rendirent visite à George et le pressèrent de retourner avec eux en Sion.

Devant tant d’hostilité dirigée contre les saints en Californie, George n’eut pas besoin qu’on le pousse. Il avait déjà fini de publier le Livre de Mormon en hawaïen, l’un des principaux objectifs de sa mission. Il écrivit dans son journal : « Je quitte San Francisco sans le moindre regret. »

Entre-temps, de nombreux saints fuirent la Californie par petites compagnies en apprenant que des groupes d’hommes attaquaient les membres de l’Église pour se venger du massacre de Mountain Meadows. Joseph F. Smith se fit embaucher pour conduire un attelage de bœufs jusqu’en Utah. Un jour, alors qu’il ramassait du bois pour le feu, des hommes à cheval arrivèrent jusqu’au camp et menacèrent de tuer tout « mormon » qu’ils trouveraient.

Certains des hommes du camp se cachèrent dans les buissons bordant un ruisseau voisin. Joseph était sur le point de s’enfuir à son tour dans les bois, mais il se ressaisit. Un jour, il avait encouragé Martha Ann à « être une mormone jusqu’au bout des ongles ». Ne devrait-il pas en faire autant ?

Joseph s’approcha du camp les bras chargés de bois pour le feu. L’un des cavaliers s’approcha de lui au trot, un pistolet à la main. Il demanda : « Es-tu mormon ? »

Joseph le regarda dans les yeux, persuadé que l’homme allait tirer. Il dit : « Oui, monsieur, jusqu’au tréfonds de mon être, entièrement, des pieds à la tête. »

L’homme fixa Joseph, dérouté. Il baissa son pistolet et sembla être paralysé pendant un instant. Tendant la main, il dit ensuite : « Serre-moi la main, mon garçon, je suis content de voir un homme qui défend ses convictions. »

Les autres cavaliers et lui firent demi-tour et quittèrent le camp. Joseph et la compagnie remercièrent le Seigneur de les avoir délivrés du danger.

Tandis que de nombreux saints de Californie partaient immédiatement pour l’Utah, d’autres n’étaient pas préparés à partir. Plusieurs familles avaient également bâti des maisons et monté des entreprises fructueuses à San Bernardino, la plus grande colonie de saints de Californie. Elles étaient fières de leurs belles fermes et de leurs beaux vergers. Aucune n’était pressée de voir des années de travail se perdre.

Parmi elles se trouvaient Addison et Louisa Pratt, qui habitaient cette ville depuis leur retour des îles du Pacifique en 1852. Louisa était disposée à déménager de nouveau même si elle était très attachée à sa maison et à son verger en Californie. Addison par contre était plus hésitant. La crise en Utah pesait lourdement sur lui et il était devenu maussade.

Il avait essuyé de nombreuses déceptions au cours des cinq dernières années. Il avait essayé de faire une autre mission dans le Pacifique Sud, mais le Protectorat français à Tahiti lui avait ni plus ni moins interdit de prêcher. De plus, Benjamin Grouard, son ancien collègue, s’était éloigné de l’Église.

Il préférait aussi le climat chaud de la Californie à la météo souvent imprévisible de l’Utah. Et il était farouchement loyal envers les États-Unis. Si des soldats américains envahissaient l’Utah, il ne pensait pas pouvoir se battre contre eux en toute bonne conscience.

Sa réticence à déménager ennuyait Louisa. Leurs trois filles aînées étaient maintenant mariées. Deux d’entre elles, Ellen et Lois, avaient l’intention de partir s’installer en Utah avec leurs maris. Ann, leur benjamine, voulait aussi y aller. Seuls Frances et son mari restaient en Californie.

La nuit, pendant que tout San Bernardino dormait, Louisa sortait souvent arroser les arbres de son verger, qui commençaient juste à porter des fruits. Elle se demanda : « Dois-je partir et les laisser ? » Au nord, une route serpentait vers le col d’une montagne sombre. De l’autre côté s’étendaient des centaines de kilomètres de désert stérile. La décision de faire le rude voyage jusqu’en Utah serait plus facile à prendre si Addison était plus désireux de partir.

En réfléchissant au choix qui se présentait à elle, Louisa sentit son cœur se gonfler d’amour pour l’Église. À son baptême, elle avait promis de s’unir aux saints. Elle savait aussi que si les membres de l’Église commençaient à aller chacun de leur côté, ils deviendraient vite une communauté d’étrangers. La décision lui parut claire. Elle retournerait en Utah.

Louisa et Ann quittèrent la Californie au début du mois de janvier avec Ellen, Lois et leurs familles. Rien de ce que Louisa dit ne convainquit Addison de les accompagner. Il se contenta de dire qu’il les rejoindrait dans la vallée l’année suivante, en amenant peut-être Frances et son mari. Il fit ensuite la route avec sa famille jusqu’à l’autre côté de la montagne et s’assura qu’elle ait une place dans un convoi de chariots.

Pendant les jours qui suivirent, Louisa et ses filles pleurèrent pour les êtres chers qu’elles avaient quittés.

Fin mars 1858, les troupes des États-Unis, maintenant sous le commandement du général Albert Sidney Johnston, campaient en bordure du territoire d’Utah. Pour essayer de ralentir leurs progrès, la milice des saints avait passé une partie de l’automne à piller les réserves de l’armée et à brûler des chariots et des forts. Les raids avaient contrarié et humilié les soldats, qui avaient passé l’hiver tapis dans la neige à côté des vestiges carbonisés de leurs chariots, survivant sur de maigres rations et maudissant les saints.

Cet hiver-là, Thomas Kane, l’allié de confiance des saints à l’Est, était aussi venu à Salt Lake City, faisant la traversée risquée par l’isthme de Panama vers la Californie et ensuite par voie terrestre jusqu’en Utah. Avec le soutien non officiel du président James Buchanan, il rencontra Brigham et d’autres dirigeants de l’Église avant de se rendre dans les camps de l’armée pour essayer de négocier un accord de paix. Les chefs de l’armée, cependant, ricanèrent en entendant les propos de Thomas.

Lors d’une conférence spéciale à Salt Lake City, Brigham dit aux saints : « Nos ennemis sont décidés à nous supprimer s’ils le peuvent. » Pour sauver des vies et attirer peut-être la sympathie d’alliés potentiels dans les États de l’Est, il annonça le projet de déplacer les saints habitant Salt Lake City et les régions voisines vers Provo et d’autres colonies plus loin au sud. La décision audacieuse chamboulerait la vie de nombreux membres de l’Église et Brigham n’était pas entièrement sûr que ce soit le bon choix.

« ‘Un prophète ou un apôtre peut-il faire erreur ?’ Ne me posez pas une telle question, car je l’admets tout le temps », déclara-t-il. « Cependant je n’admets pas qu’on dise que je détourne délibérément ce peuple ne serait-ce que d’un cheveu de la vérité. De plus, je commets beaucoup d’erreurs, mais jamais sciemment. »

Brigham croyait qu’il était préférable d’agir fermement que de prendre le risque de laisser les saints subir les mêmes horreurs que celles qu’ils avaient connues au Missouri et en Illinois. En l’espace de quelques jours, il appela cinq cents familles à déménager immédiatement vers le sud et à ensemencer des cultures pour les milliers de saints qui suivraient. Il envoya également des hommes explorer la région pour trouver un nouvel endroit où s’installer et demanda aux saints des villes du sud de se préparer à recevoir les exilés. Peu après, les habitants de la vallée du lac Salé chargeaient des chariots et se préparaient à partir.

Quelques semaines plus tard, sur invitation de Thomas Kane, Alfred Cumming, le nouveau gouverneur du territoire d’Utah, arriva à Salt Lake City. En signe de paix, il vint sans être escorté par l’armée. Alfred avait cinquante-cinq ans et avait occupé divers postes dans le gouvernement au cours de sa carrière. Il semblait aussi être exempt des préjugés habituels à l’égard des saints.

En entrant dans Salt Lake City, il vit des gens charger des meubles et des provisions dans des chariots, rassembler du bétail et prendre la route du sud. Il leur cria : « Ne partez pas ! Aucun mal ne vous sera fait. Je ne serai pas gouverneur si vous ne voulez pas de moi ! » Ses paroles n’eurent aucun effet sur leur décision.

Pendant qu’ils étaient à Salt Lake City, Alfred et Thomas examinèrent certaines des accusations de rébellion portées à l’encontre des saints et se réunirent avec Brigham et d’autres dirigeants de l’Église. Au bout de quelques jours, Alfred fut convaincu que les accusations étaient exagérées.

Plus d’une semaine après son arrivée, il s’adressa à une assemblée à Salt Lake City. Il dit aux saints : « Si je fais erreur dans mon administration, je désire, mes amis, que vous veniez me voir et me conseilliez. » Il reconnut que l’image des saints avait été grossièrement faussée hors d’Utah et promit de s’acquitter de sa responsabilité en toute bonne foi.

Lorsqu’il eut fini, les saints étaient encore méfiants, mais Brigham se leva et verbalisa son soutien. L’accueil était tiède, mais Alfred avait des raisons d’espérer que les saints l’accepteraient comme nouveau gouverneur.

En dépit de ses propos rassurants, la route de Provo était encombrée sur une soixantaine de kilomètres de chariots, de calèches et de bétail. La famille de Brigham occupait plusieurs bâtiments à Provo. D’autres saints n’avaient aucune idée de l’endroit où ils vivraient une fois qu’ils seraient arrivés dans les colonies du sud. Il n’y avait pas assez de maisons pour tout le monde et certaines familles n’avaient que des chariots ou des tentes pour se loger. Et avec l’armée encore en marche, de nombreuses personnes se demandaient dans combien de temps elles verraient de la fumée s’élever au-dessus de la vallée du lac Salé.

Le 7 mai, Martha Ann Smith Harris emménagea avec sa belle-mère et le reste de la famille Smoot dans un endroit appelé Pond Town, à une vingtaine de kilomètres au sud de Provo. Avant de quitter Salt Lake City, frère Smoot disposa cinq fûts de poudre à canon dans les fondations de sa maison afin de faciliter sa destruction si l’armée s’emparait de la ville. D’autres membres de la paroisse de Sugar House suivirent les Smoot à Pond Town et frère Smoot et ses conseillers recommandèrent bientôt l’organisation d’une nouvelle paroisse en ce lieu.

Le déménagement interrompit la routine habituelle de Martha Ann qui consistait à filer et tisser, traire les vaches, fabriquer du beurre, faire l’école et aider sa belle-mère à apprendre à lire et à écrire. Il lui donna à elle et à tous les autres membres de la famille, de nouvelles tâches à accomplir. Les saints de Pond Town et des autres colonies se rassemblèrent près des points d’eau douce et construisirent des abris, ensemencèrent des champs et des potagers et établirent des boutiques et des moulins.

Au début, les vents printaniers étaient froids et les abris rudimentaires les protégeaient peu des éléments. Les eaux de mauvaise qualité et les maigres provisions tracassaient les colonies temporaires, mais la plupart des saints se satisfaisaient du fait d’être loin de l’armée. Avec le temps, ils s’adaptèrent à leur nouveau foyer.

La majorité de la famille de Martha Ann, du côté Smith, déménagea vers le sud, mais son frère Joseph, récemment rentré d’Hawaï, resta à Salt Lake City pour servir dans la milice avec d’autres jeunes hommes, notamment Johan et Carl Dorius. Joseph rapporta dans une lettre : « Maintenant, ici, je ne fais rien ou presque. La ville, les maisons et la campagne ont l’air désertées et solitaires. »

Martha Ann avait peu de nouvelles de son mari, William, qui était encore en mission en Angleterre. Sa dernière lettre datait de fin novembre 1857, peu après que Brigham Young avait rappelé les missionnaires. William avait écrit : « Ma chère Martha, les pensées se bousculent dans ma tête et je ne sais même pas par où commencer. Aux dernières nouvelles, je devrais traverser sous peu l’océan qui me sépare de mon foyer dans l’Ouest. »

Il avait ajouté : « Alors au revoir, mon amour, jusqu’à ce que nous nous retrouvions. »

Dans sa lettre, il avait indiqué qu’il rentrerait au printemps. Toutefois, le printemps était presque terminé et Martha Ann n’avait aucune nouvelle de lui.

Avant le déplacement vers le sud, environ huit mille personnes habitaient Salt Lake City. Mi-juin, il n’en restait que mille cinq cents environ. La plupart des maisons et des boutiques avaient été abandonnées et leurs portes et fenêtres barricadées. Les jardins des saints étaient verdoyants et les cultures poussaient bien malgré le manque de soins. Parfois, le seul bruit dans la ville était le faible gargouillis des canaux d’irrigation longeant les rues.

Une commission pour la paix avec le gouvernement arriva à cette époque-là et offrit à Brigham Young et aux saints une grâce totale de la part du président pour leurs crimes, quels qu’ils soient, en échange d’obéissance au gouvernement. Les saints ne croyaient pas avoir commis de crimes, mais ils acceptèrent néanmoins la grâce.

Dans l’est des États-Unis, la méfiance était toujours de mise à l’égard des saints ; ils étaient mal compris. Cependant, maintenant que les représentants du gouvernement avaient visité l’Utah et que Brigham avait cédé pacifiquement son poste de gouverneur à Alfred Cumming, de nombreux habitants de l’Est ne croyaient plus les saints en état de rébellion. Les rédacteurs de journaux qui avaient critiqué Brigham Young critiquaient maintenant le président Buchanan.

Un reporter écrivit : « La guerre mormone a incontestablement été un amoncellement d’impairs du début à la fin. Quel que soit l’angle sous lequel on l’examine, c’est un monceau de stupides bévues. »

Le 26 juin 1858, l’armée marcha sur Salt Lake City. L’endroit ressemblait à une ville fantôme. L’herbe poussait dans les rues et dans l’arrière-cour des maisons. Avant de partir, les saints avaient enterré les fondations du temple pour les protéger des pilleurs de l’armée. Lorsque les troupes longèrent le site du temple, ce qu’ils virent ressemblait à un champ labouré.

À la fin de la guerre d’Utah, qui est le nom qu’on donna à la crise, Brigham Young encouragea tout le monde à rentrer chez soi. De nombreux saints reprirent la route du nord début juillet. Dans un passage étroit où les montagnes divisaient les vallées d’Utah et de Salt Lake, ils regardèrent l’armée marcher vers eux. Les troupes se dirigeaient vers Camp Floyd, un nouveau relais dans une région reculée appelée Cedar Valley, à soixante kilomètres au sud-ouest de Salt Lake City.

Lorsque l’armée passa près des saints, certains soldats tourmentèrent les jeunes femmes ou les hommes qui voyageaient en calèche avec leurs épouses plurales. La route finit par être trop encombrée donc les saints attendirent pendant trois heures que l’armée fût passée. Lorsque la route fut dégagée, les saints reprirent leur chemin.

Le déplacement vers le sud avait éparpillé l’Église dans toutes les vallées du sud et il faudrait du temps et des moyens pour la rassembler de nouveau au nord. En rentrant chez eux, les saints trouvèrent leurs maisons, leurs fermes et leurs édifices publics en désordre. De nombreuses paroisses avaient cessé de fonctionner. La plupart des Sociétés de Secours et des Écoles du Dimanche étaient tout simplement dissoutes.

Lorsque la famille Smoot quitta Pond Town mi-juillet, Martha Ann conduisait un attelage de chevaux pour ses beaux-parents. Le 12 juillet, alors qu’elle faisait le tour de la montagne et se dirigeait vers la vallée du lac Salé, elle vit une silhouette au loin venir à sa rencontre à dos de mule blanche. Elles se rapprochèrent et à la grande surprise de Martha Ann, le cavalier était son mari, William, de retour de mission.


CHAPITRE 20 : L’Écriture sur le mur

L’été 1858, à peu près au moment où l’armée traversait Salt Lake City, un instituteur du nom de Karl Maeser reçut une offre alléchante de la part de John Tyler, ancien président des États-Unis. Cela faisait des mois qu’il donnait des leçons de musique aux enfants de John et Julia Tyler dans une vaste plantation du sud du pays. Immigrant allemand, Karl les avait impressionnés par son degré d’instruction, ses bonnes manières et son humour subtil. Ils voulaient maintenant lui verser un salaire pour habiter près d’eux et continuer d’instruire leurs enfants.

L’offre était presque trop généreuse pour être refusée. Une crise financière avait paralysé l’économie peu après l’arrivée d’Allemagne de Karl et de sa femme, Anna. Des dizaines de milliers de personnes avaient perdu leur emploi dans des villes des États-Unis, du Canada et d’Europe. Pendant un certain temps, Karl et Anna avaient eu du mal à trouver du travail et à faire vivre leur famille. Instruire les enfants Tyler donnait aux Maeser et à leur fils de trois ans, Reinhard, une stabilité financière.

Néanmoins, Karl n’avait pas l’intention d’accepter leur offre. Un jour, il avait dit à Julia Tyler que tout ce dont il avait besoin pour être heureux était d’une petite maison et d’un jardin pour sa famille. Ce qu’il ne lui avait pas dit, c’était qu’Anna et lui étaient des saints des derniers jours venus aux États-Unis pour faire partie du rassemblement en Sion. L’une des raisons pour lesquelles Karl avait cherché du travail dans le Sud, en plus de pourvoir aux besoins de sa famille, était de gagner assez d’argent pour pouvoir émigrer vers l’ouest.

Karl avait entendu parler de l’Église pour la première fois lorsqu’il habitait en Allemagne. Après avoir lu un livre hostile à l’Église et à son message, il avait contacté les dirigeants de la mission européenne. L’apôtre Franklin Richards et un missionnaire appelé William Budge s’étaient promptement rendus en Allemagne et avaient enseigné l’Évangile à sa famille. Karl et Anna l’avaient rapidement accepté.

Puisqu’il était illégal de devenir membre de l’Église en Allemagne, Franklin avait baptisé l’instituteur de nuit. Lorsque Karl était sorti de l’eau, il avait levé les mains vers les cieux et avait prié : « Père, si ce que je viens juste de faire est agréable à tes yeux, donne-moi un témoignage, et tout ce que tu exigeras de moi, je le ferai. »

Karl ne parlait pas l’anglais à l’époque donc Franklin et lui avaient communiqué par l’intermédiaire d’un interprète mais tout en cheminant en direction de la ville, ils commencèrent soudain à se comprendre, comme s’ils parlaient tous les deux la même langue. Cette manifestation du don des langues était le témoignage que Karl recherchait et il avait l’intention de tenir parole, quel qu’en soit le coût.

Maintenant, trois ans plus tard, il s’efforçait encore de tenir la promesse qu’il avait faite à son baptême. Décidé à se rendre en Sion, il refusa l’offre des Tyler et installa sa famille à Philadelphie, grande ville du nord-est des États-Unis, où il fut rapidement appelé à présider une petite branche de l’Église.

Avant la crise récente en Utah, de telles branches avaient joué un rôle crucial dans le soutien de l’œuvre missionnaire et de l’émigration, dans la défense de l’Église contre ses détracteurs et dans le travail d’influence du gouvernement en faveur de l’Église. Mais après que Brigham Young eut rappelé les missionnaires chez eux et incité les saints de l’Est à venir dans l’Ouest, de nombreuses branches n’eurent plus assez de membres ni de fonds pour poursuivre ces activités.

Il pouvait être éprouvant d’être un saint des derniers jours dans l’Est. Au cours des dix dernières années, la réputation de l’Église s’était effondrée. De nombreuses personnes continuaient de penser que les saints étaient rebelles et antipatriotiques. À New York, un dirigeant de l’Église avait reçu une menace de mort et certains saints avaient été couverts de goudron et de plumes à cause de leurs croyances. D’autres taisaient leur appartenance à l’Église pour éviter d’être persécutés.

À Philadelphie, Anna gagnait de l’argent en faisant de la couture et du ménage pendant que Karl s’occupait des membres de la branche, assistait aux conférences régionales de l’Église et aidait à la planification de la prochaine saison d’émigration. Ils faisaient leur possible pour fortifier leur petite branche. Toutefois, pour que l’Église prospère là et dans le monde entier, les saints devaient s’opposer aux nombreuses idées erronées et aux incompréhensions les concernant.

Et ils avaient besoin que davantage de missionnaires retournent dans le champ de la mission et continuent l’œuvre du salut.

Début septembre 1858, George Q. Cannon publiait le Deseret News dans une ville du centre de l’Utah appelée Fillmore. Le siège du journal était normalement à Salt Lake City, mais lorsque les saints avaient déménagé dans le Sud plus tôt cette année-là, George et sa famille avaient emballé le lourd matériel d’imprimerie et l’avaient transporté jusqu’à Fillmore, à environ deux cent cinquante kilomètres.

Maintenant qu’il était sans danger de retourner à Salt Lake City, George décida d’y rapporter l’imprimerie. Le 9 septembre, son jeune frère, David, et lui, chargèrent le matériel sur des chariots et reprirent la route de la ville avec la famille de George qui s’agrandissait. George et Elizabeth avaient maintenant un fils d’un an, John, et un autre bébé en route. George avait aussi épousé une deuxième femme, Sarah Jane Jenne, et elle aussi était enceinte.

Quatre jours après avoir quitté Fillmore, les Cannon s’arrêtèrent pour se reposer dans une ville à une centaine de kilomètres de Salt Lake City. Pendant que George dételait ses bêtes, un homme assis dans une calèche tirée par une mule s’approcha de lui. C’était un messager envoyé par Brigham Young et il cherchait George depuis la veille. Il dit que Brigham pensait qu’il serait déjà en ville. L’Église renvoyait de nouveau des frères en mission et une compagnie l’attendait pour partir dans l’Est des États-Unis.

George était perplexe. Quelle mission dans l’Est ? En moins d’une demi-heure, Elizabeth et lui avaient bouclé une petite valise et se précipitaient à Salt Lake City avec John pendant que David suivait de près avec Sarah Jane et le matériel d’imprimerie. George arriva en ville à cinq heures le lendemain matin et se rendit au bureau de Brigham immédiatement après le petit-déjeuner. Brigham le salua et demanda : « Es-tu prêt ? »

George dit : « Je le suis. »

Brigham se tourna vers l’un des hommes à côté de lui et dit : « Je te l’avais dit. » Un greffier tendit à George les instructions pour sa mission.

Une fois de plus la législature territoriale envoyait une pétition au Congrès des États-Unis pour devenir un État et avoir le droit d’élire ou de nommer tous les représentants locaux du gouvernement. Sachant que la pétition n’aboutirait pas si l’opinion publique sur l’Église restait médiocre, Brigham voulait que George aille en mission spéciale pour présider les saints de l’Est, publier des articles de journaux positifs sur l’Église et améliorer sa réputation dans tout le pays.

George ressentit immédiatement le poids de sa mission. Il devait partir le lendemain, ce qui lui laissait à peine le temps d’installer sa famille dans la vallée. Il croyait cependant que le Seigneur ouvrirait la voie pour lui permettre d’exécuter sa volonté. Les expériences de George à Hawaï et en Californie l’avaient préparé pour une mission de cette envergure. Il savait aussi que ses frères et sœurs et autres parents, dont sa tante et son oncle Leonora et John Taylor, seraient en mesure d’aider ses femmes et ses enfants.

Brigham le bénit et le mit à part comme missionnaire. George fit à son tour une bénédiction à Elizabeth et John et les remit aux bons soins du Seigneur, ainsi que Sarah Jane qui était encore sur la route. Le lendemain après-midi, il prit la direction de l’est à travers les montagnes Rocheuses avec un petit groupe de missionnaires.

Entre-temps, à Fort Éphraïm dans la vallée de Sanpete, Augusta Dorius Stevens avait enfin presque toute sa famille autour d’elle. Ses belles-sœurs, Elen et Karen, avaient suivi son père, Nicolai, jusqu’à Fort Éphraïm lorsque les saints s’étaient déplacés vers le sud. Ses frères aînés, Carl et Johan, étaient arrivés peu après, dès qu’ils avaient été relevés de leur tour de garde à Salt Lake City. Sa jeune sœur, Rebekke, habitait aussi en ville. Seule leur mère, Ane Sophie, était encore au Danemark et n’était pas membre de l’Église.

Depuis qu’elle avait épousé Henry Stevens quatre ans plus tôt, Augusta s’était occupée de la maison et avait pris soin de Mary Ann, la première femme souffrante d’Henry, qu’elle aimait tendrement. À dix-neuf ans, Augusta était aussi devenue la première présidente de la Société de secours de Fort Éphraïm. Outre le soin aux malades et aux affligés, ses sœurs de la Société de secours et elle tissaient, confectionnaient des couvertures piquées, offraient nourriture et abri aux nécessiteux et s’occupaient des orphelins. Lorsque quelqu’un en ville mourait, elles le lavaient et l’habillaient, confectionnaient des vêtements funéraires, réconfortaient les parents et amis du défunt et conservaient le corps avant les obsèques avec de la glace provenant de la San Pitch River.

Peu avant que la famille Dorius fût réunie, Augusta donna naissance à un garçon nommé Jason qui mourut lors d’une épidémie avant son premier anniversaire. En dépit de son chagrin, Augusta avait trouvé un foyer et un certain confort au sein de la grande colonie de saints scandinaves dans la vallée de Sanpete, colonie qui puisait dans des coutumes, des traditions et une langue communes la force de supporter les épreuves de son nouveau foyer. Pendant leur mission, ses frères avaient instruit et baptisé nombre de ces saints, ce qui renforçait sans nul doute ses liens avec eux.

Lorsque Carl et Johan arrivèrent à Fort Éphraïm en 1858, ils s’essayèrent au métier d’agriculteur, mais les sauterelles détruisirent leurs récoltes. D’autres colons plus expérimentés, comme Augusta et Henry, avaient rencontré les mêmes difficultés en cultivant la vallée de Sanpete. Les premiers saints arrivés dans la région avaient connu plusieurs années de gelées dévastatrices et d’invasions d’insectes. Pour survivre, ils avaient vécu ensemble dans deux forts, cultivé une parcelle commune et partagé l’eau d’irrigation. Lorsqu’ils avaient enfin eu une bonne récolte, ils avaient rempli leurs granges et stocké d’autres aliments.

L’été 1859, la vie d’Augusta changea lorsque Brigham Young appela plusieurs familles de Sanpete à s’installer près de l’ancienne colonie de Spring Town, où elle avait brièvement vécu peu après son arrivée dans la vallée. Augusta et Henry y emménagèrent peu de temps plus tard. Des hommes firent le relevé d’un site pour une ville et une surface cultivable de deux cent soixante hectares. Les terres furent ensuite divisées en lots de deux et de quatre hectares et réparties entre les familles. Peu après, des maisons, des cabanes et une église en rondins ornèrent la nouvelle colonie. Avec tous ces Danois dans la région, les habitants surnommèrent le lieu Petit Danemark.

Après s’être installé à Spring Town, Henry entreprit la construction d’un moulin à blé. Pendant qu’il coupait et transportait du bois dans les montagnes cet hiver-là, il attrapa un vilain rhume et fut pris d’une toux persistante. Lorsqu’elle se transforma en asthme, il lui devint difficile de travailler. Comme il n’y avait pas de médecin en ville, Augusta essaya tous les remèdes qu’elle trouvait pour aider Henry à respirer. Rien n’y faisait.

Environ un an après l’installation d’Augusta et d’Henry à Spring Town, la Première Présidence rappela Johan et Carl en mission en Scandinavie. Du fait qu’aucun des deux frères n’avait les moyens de faire le voyage, les saints de Fort Éphraïm et de Spring Town leur fournirent un chariot, un cheval et une mule.

L’été 1860, quelques mois après le départ en mission des frères Dorius, George Q. Cannon fut relevé de sa mission dans l’Est. Au cours des deux années écoulées, Thomas Kane, l’allié de longue date des saints, et lui, avaient publié dans les journaux plusieurs articles positifs au sujet de l’Église et avaient influencé l’opinion publique en sa faveur. Travaillant en étroite collaboration avec Karl Maeser et d’autres dirigeants de l’Église, George avait aussi fortifié les saints de New York, Boston, Philadelphie et d’autres branches de l’Est.

L’opinion publique restait pourtant résolument contre l’Église. Un nouveau parti politique, les Républicains, s’était récemment formé pour mettre un terme à l’esclavage et à la polygamie, qualifiant ces pratiques de « vestiges barbares jumeaux ». Les Républicains les associaient parce qu’ils supposaient à tort que les femmes étaient forcées de contracter un mariage plural et n’avaient aucun moyen d’y échapper. Des deux objets de litige, cependant, c’est l’esclavage qui causait le plus grand clivage dans la nation, amenant de nombreuses personnes, dont George, à prédire une catastrophe nationale.

Dans une lettre adressée à Brigham Young, il écrivit : « Aucun homme aimant la liberté et les institutions libérales ne peut être témoin de ces choses sans sentir que la gloire de notre nation est rapidement en train de s’estomper. La destruction du gouvernement des États-Unis est inévitable. C’est uniquement une question de temps. »

Pendant sa mission, George reçut aussi une lettre de Brigham au sujet d’une décision récente de la Première Présidence et du Collège des Douze. Lors d’une réunion en octobre 1859, Brigham avait proposé l’appel d’un nouvel apôtre pour remplacer Parley Pratt. Il demanda aux Douze de faire des recommandations. Il leur dit : « Tout homme qui sera fidèle aura l’intelligence suffisante pour magnifier son appel. »

Orson Pratt, le jeune frère de Parley, demanda : « J’aimerais connaître le principe selon lequel les hommes doivent être choisis. »

Brigham répondit : « Si l’on me suggère un homme plein de bon sens qui n’a d’autre qualification qu’une fidélité et une humilité suffisantes pour rechercher auprès du Seigneur toute la connaissance dont il a besoin et qui lui fait confiance pour avoir la force, je le préférerais à une personne instruite et talentueuse. »

Orson dit : « Si le Seigneur devait désigner un garçon de douze ans, c’est la personne que nous serions tous disposés à soutenir. Mais si c’était à moi de choisir, je prendrais un homme expérimenté, qui a été éprouvé en divers lieux, fidèle, diligent, talentueux et apte à défendre l’Église dans quelque position qu’il se trouve. »

Brigham écouta les apôtres recommander plusieurs hommes pour le poste. Ensuite, il dit : « Je nomme George Q. Cannon en tant que l’un des Douze. Il est modeste, mais je ne pense pas qu’il laissera la modestie réprimer son sens du devoir. »

L’appel de George fut annoncé lors de la conférence générale de printemps, pendant qu’il se préparait à rentrer chez lui. Il le reçut avec la conscience de sa propre faiblesse et indignité. Peu après en avoir été informé, cet homme de trente-trois ans écrivit à Brigham : « Je tremble d’épouvante et de joie en pensant à la bonté et la faveur du Seigneur et à l’amour et la confiance de mes frères. »

Pendant le voyage de retour chez lui, il devança rapidement plusieurs convois de chariots et deux convois de charrettes à bras qu’il avait organisés avec des saints des branches de l’Est, d’Europe et d’Afrique du Sud.

Conscient de la tragédie des charrettes à bras de 1856, il envoya judicieusement la dernière au-devant de plusieurs convois de chariots. Il informa Brigham : « Je me suis efforcé de prendre toutes les mesures possibles pour éviter tout incident et je suis sincèrement confiant qu’avec la bénédiction du Seigneur, tous atteindront leur destination sains et saufs. »

Parmi les saints faisant route vers l’ouest avec George cette année-là se trouvait le patriarche John Smith. Ce dernier était venu dans l’Est fin 1859 pour tenter une fois de plus d’aider sa sœur Lovina et sa famille à se rassembler en Utah. En attendant la période d’émigration, Lovina et lui avaient rendu visite à des membres de leur famille à Nauvoo, notamment leur tante Emma et ses enfants.

Emma menait une vie tranquille à Nauvoo. Elle habitait toujours dans la Nauvoo Mansion et était propriétaire d’anciens biens de l’Église que Joseph lui avait donnés avant sa mort en 1844. Il lui avait cédé les terres en toute bonne foi, mais certains de ses créanciers exigèrent plus tard que la propriété fût vendue pour les rembourser, croyant qu’il les avait escroqués. Ils ne réussirent pas à fournir de preuves pour soutenir leurs accusations. L’affaire fut réglée en 1852 lorsqu’un juge fédéral décréta que toutes les terres de plus de quatre hectares que Joseph avait possédées en qualité d’administrateur de l’Église pouvaient être vendues pour régler ses dettes. En tant que veuve, Emma reçut un sixième du produit de la vente, qu’elle utilisa pour racheter une partie des terres afin de pourvoir aux besoins de sa famille.

John et Lovina trouvèrent leur parenté en bonne santé, mais divisée en matière de religion. Leur cousine Julia avait épousé un catholique et s’était convertie à la religion de son mari. Les quatre fils de Joseph et Emma se considéraient toujours comme saints des derniers jours, mais rejetaient certains principes enseignés par leur père à Nauvoo, en particulier le mariage plural.

Cela ne surprit pas du tout John. Bien qu’Emma sût que son mari avait enseigné et pratiqué en privé le mariage plural, son fils Joseph Smith III croyait que Brigham Young avait exposé le principe aux saints après la mort du prophète Joseph. Lorsque la famille de John avait fui Nauvoo en 1848, ce dernier avait essayé de convaincre Joseph III de partir vers l’ouest avec lui et de poursuivre l’œuvre de leurs pères. Joseph III avait refusé catégoriquement.

Il avait répondu : « Si tu entends par là que je dois soutenir l’adjonction de femmes spirituelles et les autres institutions qui ont été établies depuis leur décès, assurément je serai ton adversaire le plus invétéré. »

Pendant de nombreuses années, Joseph III n’avait aucun désir de diriger une église. Cependant, le 6 avril 1860, après la visite de John et de Lovina, Joseph III et Emma avaient assisté à une conférence d’une « Nouvelle organisation » de saints qui avaient rejeté la direction de Brigham Young et étaient restés dans le Midwest. Au cours de cette réunion, Joseph III avait accepté la direction de la Nouvelle organisation et avait pris ses distances avec les saints en Utah en condamnant le mariage plural.

Quelques mois plus tard, John prit la route de l’ouest avec Lovina et sa famille. Karl et Anna Maeser voyageaient avec leur compagnie. N’étant pas habitué à la vie sur la piste accidentée, le jeune instituteur faisait de son mieux pour conduire un attelage de bœufs, mais il finit par embaucher un homme pour le faire à sa place. Une épidémie de coqueluche frappa les enfants de la compagnie pendant une partie du voyage, mais la plupart du temps, le périple se déroula sans incident.

Le 17 août, à environ deux cent cinquante kilomètres de Salt Lake City, Hyrum Walker, le fils de quatorze ans de Lovina, se tira accidentellement dans le bras. Espérant sauver la vie de son neveu, sinon son bras, John confia rapidement la responsabilité de la compagnie à un autre homme, plaça Hyrum dans une calèche tirée par une mule et accompagné de Lovina, se précipita vers la vallée.

La calèche arriva à Salt Lake City neuf jours plus tard et un médecin réussit à soigner le bras d’Hyrum. Son neveu en sécurité, John retourna auprès de son convoi et arriva avec lui dans la ville le 1er septembre.

Le 4 novembre 1860, Wilford Woodruff accueillit le retour d’un homme du nom de Walter Gibson. Walter était un globe-trotter et un aventurier. Jeune homme, il s’était rendu au Mexique et en Amérique du Sud, avait parcouru les océans et s’était évadé d’une prison hollandaise sur l’île de Java.

Selon lui, il avait entendu une voix en prison l’incitant à fonder un royaume puissant dans le Pacifique. Il cherchait depuis des années un peuple disposé à l’aider dans cette mission, mais il n’avait jamais réussi à trouver le bon groupe jusqu’à ce qu’il entende parler des saints des derniers jours. En mai 1859, il avait écrit à Brigham Young et avait proposé le projet de rassembler l’Église dans les îles du Pacifique. Il s’était rendu à Salt Lake City avec ses trois enfants et peu après, en janvier 1860, était devenu membre de l’Église.

Wilford s’était lié d’amitié avec lui cet hiver-là, assistant souvent aux exposés sur ses voyages ou le retrouvant à l’occasion de rencontres sociales. La proposition de Walter d’un nouveau lieu de rassemblement n’intéressait aucunement Brigham, mais il avait perçu du potentiel chez le nouveau converti. Il semblait bien renseigné, éloquent et désireux de servir dans l’Église. En avril 1860, la Première Présidence l’avait appelé à faire une mission brève dans l’Est, ce qu’il avait accepté avec enthousiasme.

Maintenant, six mois plus tard, il rentrait en Utah avec des nouvelles palpitantes. Pendant qu’il était à New York, il avait parlé des saints à un membre de l’ambassade du Japon et avait reçu une invitation à aller au Japon. Croyant pouvoir établir de bons rapports avec les Japonais, Walter voulait accepter l’invitation et préparer la voie de l’œuvre missionnaire dans ce pays. De là, il pensait que l’Évangile rétabli pourrait se propager au Siam et dans d’autres nations de la région.

Le 18 novembre, lors d’une réunion, il dit aux saints : « Je serai gouverné, comme cela m’a été commandé, entièrement par l’Esprit de Dieu. J’ai l’impression que je serai chez moi parmi toutes les nations des enfants de la famille humaine. »

Wilford se réjouissait de la perspective d’envoyer Walter en Asie. Il nota dans son journal : « Le Seigneur lui a ouvert une porte d’une manière merveilleuse. »

Brigham était d’accord. Lors de la réunion, il dit aux saints : « Frère Gibson va nous quitter maintenant pour partir en mission. Pour autant que je le sache, il est venu ici parce que le Seigneur l’y a conduit. »

Le lendemain, Heber Kimball et Brigham Young posèrent les mains sur la tête de Walter. Heber déclara : « Dans la mesure où ton œil sera fixé uniquement sur la gloire de Dieu et où tu invoqueras son nom, rechercheras sa sagesse, t’humilieras devant le Seigneur et te concentreras sur le bien des enfants des hommes, tu seras grandement béni, tu rassembleras la maison d’Israël et amèneras beaucoup d’âmes au repentir, au baptême et à la confirmation du Saint-Esprit. »

Deux jours plus tard, Walter et sa fille Talula prirent la direction du Pacifique.

Un mois après leur départ, la Caroline du Sud, un État du Sud, se retira de la nation, craignant que l’élection récente d’Abraham Lincoln à la présidence des États-Unis n’altère l’équilibre économique et politique du pouvoir dans le pays et ne mette fin à l’esclavage. Wilford Woodruff reconnut immédiatement que l’événement alarmant était l’accomplissement d’une révélation reçue par Joseph Smith vingt-huit ans plus tôt. Le jour de Noël 1832, le Seigneur avait averti le prophète qu’une rébellion commencerait bientôt en Caroline du Sud et se terminerait par la mort et le malheur de nombreuses personnes.

Le Seigneur avait déclaré : « À cause de l’épée et de l’effusion de sang, les habitants de la terre se lamenteront ; et la famine, la peste, les tremblements de terre, le tonnerre du ciel, ainsi que l’éclair foudroyant et fulgurant feront sentir aux habitants de la terre la colère, l’indignation et la main vengeresse d’un Dieu Tout-Puissant, jusqu’à ce que la destruction décrétée ait mis complètement fin à toutes les nations. »

Le 1er janvier 1861, Wilford écrivit dans son journal : « Nous pouvons nous préparer à un moment horrible aux États-Unis. L’écriture a été vue sur le mur et notre nation est condamnée à la destruction. »


CHAPITRE 21 : La même grande œuvre

Au printemps 1861, Orson Pratt et Erastus Snow écrivirent à Brigham Young : « L’excitation de la guerre rend les gens fous. Les armées engagent, font des manœuvres, défilent et se concentrent pour le terrible conflit. Et le temps risque bientôt d’arriver où aucun homme ne sera autorisé à rester dans le Nord ou dans le Sud sans se battre. »

La sortie spectaculaire de la Caroline du Sud des États-Unis avait déclenché une rébellion qui s’était propagée dans tout le Sud. Dans les mois qui suivirent, dix autres États du Sud quittèrent la nation et le gouvernement américain s’empressa de renforcer ses bases militaires. Les forces sudistes s’emparèrent rapidement de tous les forts les plus importants et le président Lincoln recruta soixante-quinze mille soldats pour mater la rébellion, mais cette force s’avéra vite trop petite pour maîtriser la crise.

Orson avait vu le conflit escalader depuis qu’Erastus et lui s’étaient rendus dans l’Est à l’automne pour superviser la mission. Dans les années 1830, lorsqu’il était jeune missionnaire, Orson avait gardé dans sa poche un exemplaire de la prophétie de Joseph Smith sur la guerre et l’avait parfois lue à des assemblées. À l’époque, la plupart des gens pensaient que c’étaient des absurdités, mais maintenant, elle faisait un effet différent. Orson lut la révélation en public et s’arrangea pour qu’elle soit publiée dans le New York Times. D’autres journaux s’en saisirent.

Un journal de Philadelphie, qui publia la révélation, demanda : « N’avons-nous pas un prophète parmi nous ? Au vu des événements actuels, cette prédiction semble être en voie d’accomplissement, que Joe Smith soit un charlatan ou pas. »

Lorsque les armées du Nord et du Sud se mobilisèrent pour une guerre civile, les missionnaires sous la supervision d’Orson et d’Erastus regroupèrent les saints de l’Est pour un rassemblement en Sion. Les dirigeants de l’Église ratissèrent les villes et les campagnes à la recherche de ceux qui s’étaient éloignés du troupeau et les exhortèrent à revenir.

La réaction fut impressionnante. En juin, environ un millier de saints de Philadelphie, New York et Boston montèrent à bord d’un train à destination de Florence. Orson rapporta à Brigham : « Le train était tellement long et lourd qu’il a fallu deux motrices pour le traîner. » Cinq cents membres de l’Église des États du Midwest prirent aussi la direction de l’Ouest à pied ou en chariot.

Mais la migration massive ne se limita pas aux Américains. Au printemps 1861, une foule de saints arrivèrent depuis l’autre côté de l’océan Atlantique. L’année précédente, la Première Présidence avait appelé George Q. Cannon à se joindre à Amasa Lyman et à Charles Rich pour présider la mission britannique et diriger l’émigration. Cette saison-là, ils envoyèrent en Sion deux mille saints d’Europe et d’Afrique du Sud.

Au lieu de fournir des charrettes à bras aux nombreux émigrants qui ne pouvaient pas financer leur voyage en Utah, l’Église envoya deux cents chariots et mille sept cents bœufs (la plupart offerts par les paroisses d’Utah) jusqu’au fleuve Missouri. Les saints nécessiteux furent alors répartis en quatre convois « aller-retour » de chariots qui les transportèrent en Utah pour la somme relativement faible de quatorze dollars par adulte et sept par enfant.

Pendant ce temps, tout le monde dans le pays se demandait si l’Utah resterait dans l’Union, se joindrait aux rebelles sudistes ou formerait une nation indépendante. De nombreux saints reprochaient encore au gouvernement des États-Unis de n’avoir accordé aucune réparation pour les pertes subies au Missouri et en Illinois. Ils n’acceptaient pas non plus les représentants désignés par le gouvernement, la présence de l’armée en Utah et le refus du Congrès de leur accorder le statut d’État.

Pourtant, Brigham Young croyait que la bonne voie était de rester dans la nation, en dépit de sa politique hostile envers les saints. Il assura aux législateurs de l’Est : « L’Utah n’a pas fait sécession, mais reste fermement en faveur de la Constitution et des lois de notre pays autrefois heureux. »

Lorsque la guerre de Sécession éclata dans l’Est, des rapports réguliers de batailles sanglantes arrivèrent dans l’Ouest avec le courrier. Les récits brutaux parlaient de centaines et parfois de milliers de victimes. Certaines personnes dans l’Église croyaient que Dieu punissait les États-Unis pour la façon dont ils avaient traité les saints.

Une poignée d’entre eux partirent dans l’Est pour prendre part à la guerre, mais la plupart des membres de l’Église se contentèrent de rester en Utah et d’édifier Sion. Cet été-là, Brigham Young proposa d’exhumer les fondations du temple restées enfouies depuis la retraite vers le sud et de commencer à monter les murs. Il annonça aussi le projet, déjà en cours, de construire un grand théâtre à quelques rues du site du temple.

Le Social Hall de la ville servait déjà de petite salle de spectacles, mais Brigham voulait un théâtre qui stimulerait l’esprit et l’imagination des saints. L’art dramatique avait une façon d’instruire et d’édifier les gens que les sermons n’avaient pas. La présence d’un théâtre magnifique à Salt Lake City montrerait également aux visiteurs que les saints étaient un peuple cultivé et raffiné, contrant ainsi l’image négative relayée par de nombreux journaux.

Cette idée lui était venue plus tôt cette année-là. Heber Kimball et lui avaient assisté à une pièce de théâtre chez les Bowring, qui avaient aménagé une petite scène au rez-de-chaussée de leur maison. Henry et Marian Bowring étaient membres de l’association Mechanic’s Dramatic, une troupe théâtrale composée essentiellement de saints britanniques, dont certains étaient des pionniers issus des convois de charrettes à bras. Marian elle-même était arrivée avec sa fille, Emily, dans le convoi Martin.

Brigham et Heber avaient beaucoup aimé la représentation au théâtre Bowring et le lendemain soir, ils étaient venus voir une autre pièce avec leurs familles. Rapidement, Brigham proposa de fusionner les associations Mechanics’ Dramatic et Deseret Dramatic et de construire un théâtre plus grand afin que davantage de saints puissent bénéficier des meilleurs divertissements du territoire.

Il croyait en la valeur du travail, mais il encourageait également les saints à se reposer et à profiter de la vie. Il déclara : « Les gens doivent s’amuser. » Il croyait que les loisirs et l’exercice physique étaient importants à la fois pour le corps et pour l’âme.

Pour financer le théâtre, il réaffecta des fonds réservés à un projet de construction en attente : la Maison de la Science des soixante-dix. Le projet du théâtre reçut des fonds supplémentaires cet été-là lorsque les troupes de l’armée américaine stationnées dans la Cedar Valley furent réaffectées dans l’Est pour prendre part à la guerre de Sécession. Avant le départ des soldats, Brigham envoya Hiram Clawson, son beau-fils et le directeur du nouveau théâtre, acheter à l’armée leur fer, leur bétail, leurs denrées non périssables et autres accessoires à prix réduit. Brigham revendit ensuite ces articles à un prix plus élevé pour financer la construction du théâtre.

Le 5 août, la Première Présidence et ses greffiers se rendirent sur le chantier du théâtre. Descendant de la calèche, Brigham inspecta les fondations en pierre avec Heber. Ce dernier dit : « La pierre semble être de nature très solide. »

Brigham fut du même avis. « J’ai toujours plaisir à voir des travaux de construction en cours. »

Au fil des semaines et des mois qui suivirent, le théâtre sortit rapidement de terre. Ignorantes de la planification minutieuse qui avait lieu en coulisse pour la structure plus grande et plus complexe du temple, certaines personnes déploraient que la construction de la maison du Seigneur avançât beaucoup plus lentement que celle du théâtre. Les ouvriers n’avaient commencé que récemment à exhumer les fondations enfouies et à tailler de larges blocs de granit dans une nouvelle carrière à trente kilomètres au sud. Pourquoi les saints consacraient-ils tant de temps et d’argent à un théâtre alors que la maison du Seigneur était encore à la traîne ?

Leurs objections ne dérangeaient pas Brigham. Il ne voulait pas précipiter les travaux du temple et ne s’inquiétait pas du coût de sa construction, tant qu’il était fait correctement. Avant l’ensevelissement des fondations en 1858, les ouvriers avaient mal disposé les blocs de pierre. De ce fait, une partie des fondations en grès risquait de se fissurer sous le poids énorme du temple. Une fois les fondations exhumées, il leur demanda de réparer les blocs de grès endommagés et de remplacer ceux qui étaient irréparables par du granit de la carrière.

Il dit au contremaître : « Faites du bon travail sur ce temple. » Il voulait que les ouvriers prennent le temps de le faire correctement. Il déclara : « Je veux le voir construit de telle sorte qu’il durera pendant le millénium. Ce n’est pas le seul temple que nous construirons. Nous en construirons et en consacrerons des centaines au Seigneur. »

Le théâtre de Salt Lake City ouvrit le 6 mars 1862 pour une réunion de consécration spéciale avec une prière et des discours des dirigeants de l’Église. Ensuite, la troupe joua une comédie intitulée L’orgueil du marché. Deux soirs plus tard, le théâtre ouvrait ses portes au public. Des centaines de personnes désireuses d’avoir une place s’attroupèrent à l’extérieur deux heures avant la représentation. Lorsque le rideau se leva, la salle était comble.

L’enthousiasme des saints pour le théâtre fit plaisir à Brigham. Pendant les festivités, il déclara : « L’enfer est loin de nous et nous ne pourrons jamais arriver là-bas à moins de modifier notre route, car la voie que nous poursuivons actuellement conduit au ciel et au bonheur. »

Le 5 mai, George Q. Cannon reçut un mystérieux télégramme de Salt Lake City. Il était au bureau de la mission britannique et européenne à Liverpool, dont il était président depuis un an et demi.

Le télégramme disait : « Rejoins le sénateur Hooper à Washington. Le vingt-cinq mai. »

Un frisson lui parcourut le corps et il dut prendre appui sur un bureau voisin pour se stabiliser. Il avait du mal à respirer. Une fois de plus, une tâche venant de Salt Lake City le prenait par surprise. Et le manque de précision la rendait encore plus troublante. Pourquoi avait-on besoin de lui à Washington D.C. ?

Il savait que la législature territoriale de l’Utah avait récemment esquissé une nouvelle pétition pour le Congrès des États-Unis. Cela voulait dire que deux sénateurs seraient élus pour aller au Congrès représenter l’État proposé et faire pression en faveur de la pétition. Le télégramme semblait suggérer que William Hooper, l’ancien délégué d’Utah au Congrès, était l’un des sénateurs. Avait-il été élu pour être l’autre ?

George avait un penchant pour la politique. Jeune garçon, il avait reçu une bénédiction lui promettant qu’un jour, il occuperait un poste important dans le gouvernement. Malgré son désir de représenter l’Utah au Congrès, il le mit de côté au cas où les dirigeants de l’Église auraient besoin de lui à Washington pour une autre raison.

Récemment, Justin Morrill, membre de la Chambre des représentants des États-Unis, avait présenté au Congrès une loi qui interdirait la bigamie, ou le mariage à plus d’une épouse en même temps, dans tous les territoires. Peut-être que les saints avaient besoin que George fasse pression pour qu’ils préservent leur droit de pratiquer le mariage plural. Si elle passait, la loi Morrill ferait de George et des autres saints qui pratiquaient le principe des criminels. Elle limiterait aussi l’influence de l’Église en Utah en restreignant la quantité de biens qu’elle pouvait posséder.

Le jour de son départ, George bénit sa femme Elizabeth et sa fille, Georgiana, qui était née pendant que le couple était en Angleterre. Ni Elizabeth ni le bébé n’étant en assez bonne santé pour l’accompagner, George les confia aux soins de leurs nouveaux amis en Angleterre pendant son absence.

Lorsqu’il arriva aux États-Unis deux semaines plus tard, il apprit qu’il avait en effet été élu au Sénat avec William Hooper, si la pétition pour le statut d’État était approuvée. La nomination ne leur donnait aucune autorité officielle, mais ils pouvaient essayer de persuader les législateurs de voter contre le projet de loi anti-bigamie de Morrill et en faveur de la demande de l’Utah de devenir un État.

Le 13 juin, George et William rendirent visite au président Lincoln, espérant obtenir son appui pour leur pétition. George s’attendait à le voir fatigué et soucieux après plus d’une année de guerre civile, mais Lincoln bavarda et plaisanta amicalement avec eux. Il était grand, barbu, assez quelconque et avait des gestes maladroits. Il écouta poliment George et William plaider leur cause, mais ne fit aucune promesse de soutien à leur pétition.

Ils quittèrent la Maison-Blanche déçus. La réunion s’était déroulée comme d’autres discussions qu’ils avaient eues avec des politiciens à Washington. La plupart des législateurs semblaient ouverts à l’idée du statut d’État, mais ils étaient peu enclins à promettre leur vote. Croyant qu’ils ne pouvaient pas soutenir cette idée après avoir voté en faveur de la loi anti-bigamie, quelques législateurs refusaient d’envisager d’accorder le statut d’État à l’Utah tant que sa constitution n’interdirait pas le mariage plural.

L’indignation au sujet du massacre de Mountain Meadows empêchait aussi certaines personnes de soutenir les saints et leur demande. Environ un an après le rapport du massacre fait par John D. Lee, des enquêteurs de l’Église avaient découvert que John et d’autres membres étaient impliqués dans l’attaque. Peu après, des représentants du gouvernement avaient mené leur propre enquête. John D. Lee, Isaac Haight, John Higbee et d’autres furent traduits en justice, mais aucun témoin ne s’avança pour déposer contre eux. Les enquêteurs localisèrent les onze fillettes et les six garçons qui avaient survécu à l’attaque et les remirent à des parents ou à des amis au cours de l’été 1859.

George et William espéraient que leur diligence à gagner du soutien pour la pétition ferait bonne impression sur les législateurs à Washington. Néanmoins, aucun des deux ne savait si leurs efforts seraient suffisants pour permettre aux habitants de l’Utah d’obtenir le statut d’État.

Pendant que la pétition était examinée à Washington, l’œuvre missionnaire au Danemark, en Norvège et en Suède prospérait. Plus de deux années s’étaient écoulées depuis que Johan et Carl Dorius avaient quitté la vallée de Sanpete pour leur deuxième mission en Scandinavie. La plupart de ce temps-là, Carl avait présidé les saints en Norvège avec Johan comme premier conseiller.

Lorsque les frères étaient arrivés en Scandinavie, Johan était parti immédiatement en Norvège. Carl, pour sa part, avait rendu visite à leur mère, Ane Sophie, à Copenhague, avec qui ils étaient brouillés. De prime abord, elle n’avait pas reconnu son fils. Cependant, une fois qu’il lui avait révélé son identité, elle l’avait embrassé encore et encore sur le front, folle de joie qu’il soit de retour d’Amérique. Comme Nicolai, son ex-mari et le père de Carl, elle s’était remariée. Son mari, Hans Birch, et elle avaient adopté une fillette appelée Julia, qui avait maintenant huit ans.

Tandis que Carl et Ane Sophie se parlaient pour la première fois depuis trois ans, il s’émerveilla des changements qui s’étaient opérés en elle. Avant leur départ pour Sion, elle avait honte de marcher à côté de ses fils en public. Depuis lors, la réputation de l’Église s’était bien améliorée au Danemark et le lendemain de l’arrivée de Carl, non seulement elle accepta de se montrer en public avec lui, mais également d’assister à une réunion de l’Église.

Lorsque mère et fils pénétrèrent dans la salle où les saints se réunissaient, elle était comble. Dans l’assemblée, Carl reconnut de nombreux visages qu’il avait connus lors de sa première mission et après qu’il se fut adressé au groupe, plusieurs personnes s’avancèrent pour lui serrer la main et lui souhaiter la bienvenue de retour au pays.

Les jours suivants, Ane Sophie s’éloigna rarement de son fils. Après avoir visité le siège de l’Église au Danemark, Carl eut un peu honte de mettre encore le même costume élimé qu’il portait lors de sa mission précédente. Sa mère l’emmena en acheter un nouveau et l’accompagna ensuite pour passer chez d’anciens amis en ville. Pendant qu’ils parlaient ensemble, il vit bien que sa mère s’intéressait davantage à l’Église que jamais auparavant.

Après sa visite, il rejoignit Johan en Norvège. Les frères découvrirent que les effectifs de nombreuses branches norvégiennes avaient diminué du fait de l’émigration, mais il restait environ six cents saints en Norvège, dont environ deux cent cinquante dans la capitale, Christiania. Le gouvernement norvégien n’ayant pas encore légalisé la liberté religieuse, les missionnaires étaient prudents lorsqu’ils enseignaient ou baptisaient en public.

Début 1862, pendant que Carl prêchait dans le sud de la Norvège, la police l’arrêta, ainsi que dix autres missionnaires, les questionna devant une foule moqueuse et les menaça d’amendes et d’emprisonnement. Ce genre de harcèlement n’eut aucun effet sur la progression de l’œuvre. Au printemps de cette année-là, 1 556 saints scandinaves se préparaient à émigrer en Sion, la plus grande émigration jusque-là.

Vers cette époque, Carl retourna à Copenhague rendre de nouveau visite à sa mère. Ane Sophie avait une bonne attitude. Elle semblait plus sérieuse et s’intéressait toujours à l’Église. De nouveau, elle assista aux réunions avec lui, de temps en temps accompagnée de Julia.

En juin 1862, il les emmena toutes les deux à Christiania pour un bref séjour. Les préjugés et l’hostilité qu’Ane Sophie avait autrefois entretenus à l’égard des saints avaient disparu et Julia et elle acceptèrent que Carl les baptisât et les confirmât membres de l’Église. Lorsque les ordonnances furent accomplies, les saints norvégiens la comblèrent d’attention, heureux de rencontrer enfin la mère de leur dirigeant de mission.

Le 20 juillet, Elizabeth Cannon reçut une lettre de George. Son travail à Washington était terminé et il était impatient de retourner à Liverpool sur l’un des deux prochains bateaux à vapeur en partance pour l’Angleterre. La lettre ne donnait pas beaucoup d’espoir à Elizabeth de voir George attraper le premier bateau, mais elle serait contente de le voir quand il arriverait.

Le lendemain, elle se rendit avec Georgiana jusqu’à une colline verdoyante surplombant Liverpool et la regarda jouer dans l’herbe. Ayant confié ses petits garçons, John et Abraham, à de la famille en Utah, elle était reconnaissante d’avoir sa fille avec elle. Le lendemain, elle nota dans son journal : « Elle est d’un grand réconfort pour moi en l’absence de mon cher mari. Si je ne l’avais pas, je n’aurais aucune paix. »

Elle n’aurait jamais imaginé, lorsque George était parti pour sa première mission en Californie et à Hawaï, combien les séparations seraient dures. Aider à rassembler le peuple de Dieu était une partie vitale de l’œuvre des derniers jours, mais pesait lourdement sur les femmes qui restaient derrière pour prendre soin des enfants, de la maison et des biens en l’absence de leurs maris. Elizabeth avait eu la chance d’accompagner George dans certaines de ses missions, ce dont peu de femmes de missionnaires pouvaient se vanter. Cela ne facilitait pas pour autant les longues séparations lorsqu’elles se produisaient.

Quelques jours après avoir reçu la lettre de George, Elizabeth rangeait la maison pendant que Georgiana jouait avec Rosina Mathews, une fillette britannique que les Cannon avaient prise chez eux. Pendant qu’elle jouait, celle-ci jeta un coup d’œil par la fenêtre. Elle s’écria : « Voilà papa. »

Elizabeth dit : « Tu dois te tromper. »

Elle insista : « Il est dans une calèche, à la porte. »

À cet instant, elle entendit le bruit familier des pas de son mari sur les marches. Lorsqu’elle le vit, son cœur bondit de joie et elle en eut le souffle coupé. Georgiana courut à sa rencontre et il la prit dans ses bras. Il avait bonne mine après son long voyage et était content de voir que sa femme était en meilleure forme que quand il était parti.

Cet après-midi-là, la famille fit une promenade. Elizabeth écrivit dans son journal : « Nous avons eu beaucoup de plaisir à nous retrouver tous après une si longue séparation. Le bonheur est de nouveau dans notre foyer. »

Malgré tous les efforts de George, son lobbying à Washington n’avait connu aucun succès. Le 8 juillet, le président Lincoln signa le projet de loi anti-bigamie. Peu après, les législateurs informèrent George et William que le Congrès avait des affaires plus pressantes que le statut d’État de l’Utah, notamment le fait que la guerre de Sécession ne faisait que s’envenimer.

Maintenant qu’il était de retour en Europe, George voulait faire le tour de la mission avec Elizabeth. Ils quittèrent Liverpool en septembre en compagnie de John Smith, le patriarche de l’Église, qui passait par l’Angleterre en route pour une mission en Scandinavie. En chemin, ils prirent le frère de John, Joseph F. Smith, et son cousin, Samuel Smith, qui faisaient des missions à Londres depuis 1860. Jesse Smith, un autre cousin, qui présidait la mission de Scandinavie avait invité ses cousins à lui rendre visite dès que John serait arrivé en Europe.

Le groupe quitta l’Angleterre le 3 septembre et passa par Hambourg, en Allemagne, pour se rendre au Danemark. Joseph et Samuel avaient l’air fatigués et amaigris par la surcharge de travail, mais ils semblaient récupérer au fil des jours. Au Danemark, Elizabeth se sentit parfois mal à l’aise de voyager dans un pays dont elle ne connaissait pas la langue. En revanche, lorsqu’elle assista à une conférence dans la ville d’Aalborg, elle eut plaisir à se mêler aux saints.

George et les autres missionnaires s’adressèrent à l’assemblée avec l’aide d’interprètes et ensuite ils se retrouvèrent sur une colline surplombant la ville pour parler et chanter ensemble. La plupart des chants étaient en anglais et en danois, mais George et Joseph amusèrent les saints en chantant aussi en hawaïen. La joie qu’ils éprouvèrent en tant que frères et sœurs, en dépit des différences de langue et de nationalité, formait un contraste frappant avec la discorde qui affligeait les États-Unis.

Ce jour-là, Elizabeth écrivit dans son journal : « Je me suis vraiment beaucoup amusée et les gens m’ont beaucoup plu. Je n’ai pas pu me faire comprendre, pourtant nous sommes dans la même grande œuvre et partageons le même esprit. »


CHAPITRE 22 : Comme des charbons de feu ardents

La journée du 5 juin 1863 touchait à sa fin lorsque T. B. H. Stenhouse rencontra le président Abraham Lincoln. T. B. H. Stenhouse, trente-neuf ans, directeur de journal, d’origine écossaise, était un saint des derniers jours hautement respecté des deux côtés de l’Atlantique.

Jeune homme, il avait fait des missions en Angleterre, en Italie et en Suisse. Plus tard, il avait été dirigeant de mission dans l’Est des États-Unis et avait écrit des articles pour le New York Herald, un journal à grand tirage, et pour le Deseret News. Sa femme, Fanny, et lui étaient très appréciés des saints à Salt Lake City et étaient souvent présentés lorsque des visiteurs éminents venaient dans la vallée.

En s’entretenant avec Lincoln, Stenhouse voulait jauger la disposition du président à laisser les saints se gouverner. Peu de personnes en Utah s’attendaient à ce qu’il fasse appliquer la nouvelle loi anti-bigamie. Pour qu’un membre de l’Église en soit reconnu coupable, les procureurs devaient prouver qu’un mariage plural avait eu lieu, une tâche presque impossible du fait que ceux-ci se faisaient en privé dans la maison des dotations et que les autorités civiles n’avaient pas accès à ses registres. De plus, les procureurs d’Utah auraient du mal à accuser quelqu’un de bigamie tant que les membres de l’Église feraient partie du jury.

Néanmoins, de nombreux saints étaient mécontents des hommes que Lincoln avait désignés pour les gouverner en Utah. Alfred Cumming, qui avait remplacé Brigham Young au poste de gouverneur en 1858, avait démissionné en 1861, en bons termes avec les saints. John Dawson, celui que Lincoln avait choisi pour le remplacer, avait vite perdu la faveur des saints lorsqu’il avait essayé de faire échouer la pétition de 1862 réclamant le statut d’État pour l’Utah. Stephen Harding, le candidat suivant de Lincoln, était originaire de Palmyra, dans l’État de New York, et avait connu Joseph Smith dans sa jeunesse. En dépit de ce lien, Harding offensa rapidement les saints lorsqu’il essaya de renforcer la loi anti-bigamie en proposant des lois pour empêcher les membres de l’Église de faire partie de jurys.

Le président écouta Stenhouse. Il plaisanta en disant qu’il ne se souvenait pas du nom du gouverneur Harding et exprima l’espoir que les représentants qu’il enverrait en Utah se conduiraient mieux.

Quoi qu’il en soit, la guerre de Sécession entrait dans sa troisième année sanglante et le visage de Lincoln était marqué et soucieux. Pour retourner la situation sur le plan militaire, il avait récemment publié une proclamation libérant les esclaves de tous les États du Sud et permettant aux noirs de se joindre à l’armée des États-Unis. Néanmoins les sudistes venaient de l’emporter sur les forces fédérales au cours d’une grande bataille coûteuse à cent kilomètres au sud-ouest de Washington, lui causant des problèmes plus importants que les disputes entre les saints et les représentants du gouvernement.

Il dit à Stenhouse : « Quand j’étais jeune, j’étais en train de labourer une parcelle récemment défrichée quand je suis arrivé devant un gros rondin. Je ne pouvais pas labourer par-dessus, car il était trop haut, je ne pouvais pas l’enlever, car il était trop lourd et je ne pouvais pas le brûler, car il était trop mouillé. Je me suis planté devant, l’ai examiné et ai fini par en conclure que je devais le contourner. »

Le président poursuivit : « Rentrez chez vous et dites à Brigham Young que s’il me laisse tranquille, je le laisserai tranquille. »

Peu après, Lincoln congédia le gouverneur Harding et nomma un politicien plus modéré pour le remplacer.

Au mois de janvier suivant, Alma Smith, trente-trois ans, reçut une lettre de l’île de Lanai. La missive, brève et urgente, était signée par six membres de l’Église hawaïens. Parmi eux se trouvait Solomona, un ancien qui avait été mis à part comme dirigeant de l’Église sur Lanai lorsqu’Alma et tous les autres missionnaires d’Utah avaient quitté Hawaï en 1858.

Alma lut la lettre, traduisant soigneusement les mots hawaïens en anglais. Elle disait : « L’affaire au sujet de laquelle nous souhaitons vous écrire concerne notre prophète qui habite ici, Walter M. Gibson. Est-il exact qu’il est notre dirigeant ? »

Il n’était pas surprenant d’apprendre que Walter Gibson était sur Lanai. Par contre, le mot « prophète » était alarmant. En 1861, la Première Présidence avait envoyé le célèbre aventurier faire une mission ambitieuse au Japon et dans d’autres nations d’Asie et de l’océan Pacifique. Peu après, il l’avait informée que sa fille, Talula, et lui s’étaient installés avec les saints sur Lanai.

Depuis lors, il avait tenu Brigham Young au courant de la croissance prometteuse de la mission et de la colonie de Lanai. Un article de journal hawaïen datant de 1862, repris par le Deseret News, ne tarissait pas d’éloges sur le travail de Walter parmi les saints hawaïens. Tout de même, pourquoi les saints de là-bas l’appelaient-ils leur prophète ? Walter n’était rien de plus qu’un missionnaire.

Alma continua de lire. La lettre rapportait que Walter rejetait l’autorité de Brigham Young et avait établi sur l’île sa propre forme de prêtrise. Solomona et les autres saints expliquaient : « Il a ordonné un collège de douze apôtres, ainsi qu’un collège de soixante-dix, un certain nombre d’évêques et de grands prêtres. Les certificats d’ordination ne s’obtiennent que contre paiement en argent et si l’argent n’est pas versé, le candidat n’est pas ordonné. »

Sa gestion des terres de l’Église était aussi inquiétante. Au moyen de dons faits par les saints hawaïens, il avait acheté des terres en son nom et les revendiquait maintenant pour lui-même. Les saints hawaïens rapportaient : « Gibson dit que ces terres ne sont pas pour l’Église et que les frères n’ont aucun droit sur elles. Elles lui appartiennent en exclusivité. »

Les saints demandaient à Alma de montrer leur lettre à Brigham Young. Ils expliquaient : « Nous sommes grandement surpris par cet étranger. Nous n’avons pas la moindre confiance en lui. »

Alma apporta la lettre à Brigham qui la lut au Collège des Douze le 17 janvier 1864. Les apôtres se mirent d’accord pour prendre immédiatement des mesures. Walter se faisait passer pour un prophète, avait escroqué des terres à l’Église et opprimait les saints hawaïens.

Brigham dit : « Je veux que deux des Douze prennent plusieurs jeunes frères qui sont déjà allés là-bas et aillent sur les îles remettre de l’ordre dans les églises. »

Il choisit les apôtres Ezra Benson et Lorenzo Snow pour diriger la mission. Il demanda ensuite à Alma Smith et deux autres anciens missionnaires d’Hawaï, Joseph F. Smith et William Cluff, de les accompagner et de les aider.

Il commanda : « Faites le nécessaire. »

Le matin du 31 mars 1864, une goélette transportant les deux apôtres et les trois missionnaires jeta l’ancre dans le port extérieur de Lahaina, à Maui, dans les îles Hawaï. Pendant que Joseph F. Smith restait à bord avec les bagages du groupe, une barque fut mise à l’eau et Ezra Benson, Lorenzo Snow, William Cluff, Alma Smith et le capitaine du navire grimpèrent à bord et commencèrent à voguer vers le rivage.

Au loin, plus près de la plage, de grosses vagues gonflaient dangereusement bien au-dessus des récifs. Ayant navigué dans et hors du port de nombreuses fois lorsqu’il était missionnaire, William craignit que l’eau ne soit trop agitée pour la barque. Le capitaine lui assura qu’ils n’avaient rien à craindre s’ils maintenaient leur trajectoire.

Peu après, une énorme vague heurta la barque, soulevant l’arrière hors de l’eau. La barque fonça vers les récifs où une autre vague souleva l’arrière tellement haut que les rames ne touchaient plus l’eau. Lorsqu’elle se brisa, la barque fit demi-tour et chavira, plongeant les hommes dans la houle agitée.

Pendant un instant, on ne vit aucun signe des passagers, puis William, Ezra et Alma refirent surface, haletants, et nagèrent en direction de la barque renversée. Les hommes cherchèrent des yeux Lorenzo et le capitaine, mais ne les virent nulle part.

Des Hawaïens, ayant vu l’accident depuis le rivage, vinrent immédiatement à la rescousse. Pendant que des sauveteurs repêchaient William, Ezra et Alma, d’autres plongeaient à la recherche des deux disparus. Ils trouvèrent rapidement le capitaine allongé au fond de l’océan, mais toujours aucun signe de Lorenzo.

Soudain, William repéra un Hawaïen qui nageait vers leur barque, tirant derrière lui le corps de l’apôtre. Ils retournèrent la barque et William et Alma sortirent Lorenzo de l’eau et l’allongèrent à plat ventre sur leurs genoux. Son corps était froid et raide. Il ne respirait pas.

Lorsqu’ils atteignirent le rivage, William et Alma le transportèrent sur la plage, l’étendirent en travers d’un tonneau et le firent rouler en avant et en arrière jusqu’à ce que l’eau sortît de sa bouche. Ils lui frottèrent ensuite les bras et la poitrine d’une huile à l’odeur forte et le firent de nouveau rouler sur le tonneau pour s’assurer que toute l’eau était sortie. Lorenzo ne montrait toujours aucun signe de vie.

Un homme du rivage qui les assistait dit : « Nous avons fait tout ce qui pouvait l’être. Il est impossible de sauver votre ami. »

Ni William ni Alma n’étaient disposés à croire que Dieu lui avait fait faire tout le chemin jusqu’à Hawaï pour le laisser périr. Petit garçon, Alma lui-même avait failli mourir lorsque des émeutiers avaient attaqué sa famille à Haun’s Mill, au Missouri. Ils avaient tué son père et son frère et lui avaient tiré dans la hanche, lui détruisant l’articulation. Il avait failli se vider de son sang dans la forge remplie de fumée où il avait été blessé, mais sa mère avait imploré l’aide de Dieu et l’Esprit lui avait montré comment soigner sa blessure.

Agissant avec foi, William et Alma tentèrent une fois de plus de ranimer Lorenzo. Une idée traversa l’esprit de William et il plaça sa bouche sur celle de l’apôtre et lui souffla de toutes ses forces dans les poumons. Il souffla encore et encore jusqu’à entendre un léger bruit dans la gorge de l’apôtre. Encouragé, il souffla encore jusqu’à ce que le bruit se muât en gémissement.

Lorenzo finit par murmurer : « Que se passe-t-il ? »

William dit : « Vous vous êtes noyé. » Il lui demanda s’il le reconnaissait.

Il dit : « Oui, frère William, je savais que vous ne m’abandonneriez pas. Est-ce que tous les frères sont sains et saufs ? »

William dit : « Frère Snow, nous le sommes tous. »

Le dimanche suivant, Joseph F. Smith accompagna ses collègues jusqu’à la colonie de l’Église à Lanai. Lorsqu’ils arrivèrent, certains saints Hawaïens reconnurent les anciens missionnaires et leur souhaitèrent chaleureusement la bienvenue.

Walter accueillit les apôtres et les missionnaires au portail de sa grande maison au toit de chaume. Il ne s’attendait pas à les voir et son regard était inquiet et inquisiteur. Il leur serra la main avec froideur et leur présenta sa fille, Talula, âgée d’une vingtaine d’années. Il les fit ensuite entrer chez lui et leur servit un petit-déjeuner copieux composé de patates douces, de chèvre bouillie et d’autres aliments. Il se conduisit de manière distante et formelle tout au long de leur entretien.

Après le petit-déjeuner, il emmena les hommes à sa réunion de sabbat avec les saints hawaïens. Un « évêque suprême » habillé de façon sophistiquée fit sonner une cloche pour réunir l’assemblée. Lorsque les gens entrèrent, une quinzaine ou une vingtaine d’hommes portant des colliers de fleurs et de feuilles vertes s’assirent sur un banc à l’avant de la salle. Dix-sept garçons et dix-sept filles, chacun revêtu d’un uniforme, prirent ensuite place près d’une table où l’évêque était assis avec des hommes que Walter avait mis à part comme apôtres.

Lorsque ce dernier entra dans la pièce, l’assemblée se leva et s’inclina respectueusement pendant qu’il passait et allait s’asseoir en tête de table. Après la prière d’ouverture, il se leva et salua la présence des cinq visiteurs venus d’Utah. Il dit : « Je ne sais pas ce qu’ils sont venus faire, mais ils vont peut-être nous le dire. Ce que je dirai, c’est que je suis venu ici parmi vous, vous ai acheté des terres et ici je resterai inébranlablement, et en cela je ne céderai pas ! »

Les deux jours suivants, les apôtres s’entretinrent en privé avec Walter. Ils apprirent que ses méfaits allaient bien au-delà de la vente des ordinations à la prêtrise. C’était presque trop étrange pour être crédible.

Lorsqu’il était arrivé à Lanai, il avait vu l’occasion d’inaugurer le vaste empire du Pacifique qu’il rêvait de fonder depuis longtemps. Il avait persuadé les saints hawaïens de lui faire don de leur bétail et de leurs biens personnels afin de s’acheter des terres sur l’île. Insufflant chez eux son rêve d’empire, il avait organisé une milice sur l’île et entraînait ses membres pour l’invasion des autres îles. Il avait également envoyé des missionnaires dans les Samoa et dans d’autres îles polynésiennes pour préparer ces terres à son règne.

Le peuple avait rapidement commencé à le traiter comme un roi. Nul n’entrait chez lui pour lui parler autrement qu’à quatre pattes. Pour susciter l’admiration, il avait marqué une roche creuse près de chez lui comme pierre angulaire d’un temple. Il y avait placé un Livre de Mormon et d’autres documents, l’avait recouverte de broussailles et avait averti les saints qu’ils seraient frappés s’ils s’en approchaient.

Lorsque les apôtres et les missionnaires eurent terminé leur enquête, Ezra Benson et Lorenzo Snow réunirent les saints pour parler de l’avenir de Walter en tant que dirigeant. Avec Joseph comme interprète, Ezra condamna la saisie des terres de l’Église et l’abus de l’autorité de la prêtrise dont il était coupable.

Ezra déclara : « Il est de notre devoir de le disqualifier et, s’il ne rectifie pas sa trajectoire et ne se repent pas, de le retrancher de l’Église. »

Walter murmura quelque chose à l’oreille de Talula et elle partit vite chercher une pile de papiers décorés de sceaux et de rubans. Montrant trois signatures au bas d’une page, il dit : « Messieurs, voici mon autorité. Vous ne manquerez pas de reconnaître le nom de Brigham Young et de ses deux conseillers ici. »

Lorenzo lut le document. C’était un simple permis missionnaire de prêcher l’Évangile aux îles de la mer. Lorenzo dit : « Ce document ne vous désigne pas comme président de la mission hawaïenne. Vous vous êtes approprié cette autorité. »

Walter répondit : « J’ai vu le président Young. Il m’a imposé les mains et m’a béni. Et le Dieu Tout-Puissant a abondamment déversé son Esprit sur moi, avant que je ne le voie, lorsque j’étais allongé dans cette prison, et m’a révélé que j’avais une grande œuvre à accomplir. »

Walter parlait rapidement, implorant avec ferveur les Hawaïens présents dans la pièce. Il disait : « Je suis votre patriarche. Ces hommes sont venus prendre vos terres et envoyer vos revenus au loin. Est-ce cela l’amour ? Qui vous aime ? N’est-ce pas moi ? Alors, qui sont mes enfants et mes amis ? Qu’ils se lèvent ! »

Joseph F. Smith regarda l’assemblée. Elle était émue par les paroles de Walter et presque tout le monde se leva. Joseph eut le cœur rempli de tristesse et ses espoirs pour la colonie furent compromis.

Walter se montra étrangement aimable envers les cinq hommes après la réunion. Lorsqu’ils décidèrent de quitter l’île le lendemain soir, il leur offrit des chevaux pour aller jusqu’à la plage ainsi que son bateau personnel et un équipage pour les ramener à Maui. Il fit même cadeau à Ezra Benson d’une jolie canne et de 9,75 dollars, tout l’argent qu’il avait dans la poche. Cependant, il refusa catégoriquement de remettre son permis de prêcher et de restituer les terres qu’il avait escroquées aux saints.

Après avoir quitté Lanai, Ezra Benson et Lorenzo Snow retournèrent en Utah et Joseph F. Smith resta pour présider la mission hawaïenne. Puisque les missionnaires ne pouvaient pas récupérer légalement les terres que Walter avait prises aux saints de Lanai, ils décidèrent de raviver la foi sur les autres îles. Joseph envoya Alma Smith travailler sur Maui et la grande île d’Hawaï pendant qu’il travaillait sur Oahu et William Cluff sur Kauai.

Certains saints regrettèrent d’avoir précédemment soutenu Walter. Jonathan Napela, qui avait aidé George Q. Cannon à traduire le Livre de Mormon, avait servi en qualité de président des douze apôtres de Walter pendant les deux années écoulées. Mais il se sentit trompé lorsqu’il prit conscience que ce dernier n’avait jamais eu l’autorité de l’ordonner à cet office.

Napela commença à se réunir avec les saints sur Maui. La plupart étaient déçus par Walter. Il avait revendu la majorité de leurs églises et leur interdisait d’adorer ensemble, de prêcher l’Évangile, de lire les Écritures et de prier en famille. Par conséquent, ils étaient faibles spirituellement et découragés à cause de tout ce qu’il leur avait pris.

Alma passa également la plus grande partie de son temps à sillonner les terres rocailleuses de Maui pour rendre visite aux saints éparpillés. Dès le début de l’été, il vit bien que l’influence de Walter déclinait. Davantage de saints quittaient Lanai, souvent pour venir à Maui avec pas grand-chose d’autre que les vêtements qu’ils avaient sur le dos. Le temps passé avec Walter avait néanmoins mis leur foi à l’épreuve et peu de membres de l’Église respectaient encore leurs alliances du baptême lorsqu’ils revinrent.

Joseph se plaignit à Brigham Young dans un rapport : « On ne voit même pas que l’Évangile leur a fait une once de bien, parce qu’aucun d’eux ne l’a respecté ! Avec notre exemple continuellement sous les yeux et notre enseignement résonnant dans leurs oreilles, on pourrait s’attendre à ce que quelques-uns fassent mieux, mais ce n’est pas le cas. »

Brigham recommanda à Joseph et aux autres missionnaires américains de rentrer à la maison si l’Esprit les y poussait. Il croyait qu’au bout du compte, les saints hawaïens étaient responsables de leur progression spirituelle. Il écrivit à Joseph et aux autres missionnaires : « Il me semble que vous pouvez laisser les affaires de la mission entre les mains des frères indigènes. » Les saints Hawaïens avaient reçu l’Évangile et la prêtrise de nombreuses années auparavant et avaient toutes les ressources nécessaires pour diriger seuls l’Église.

Au moment où le conseil de Brigham arriva à Hawaï, l’attitude de Joseph vis-à-vis des saints hawaïens s’était adoucie. Il écrivit à Brigham : « Nous n’avons pas envie de déserter la mission. » Par contre, il voulait bien réduire le nombre de missionnaires sur les îles et appeler des anciens Hawaïens à présider les diverses îles de la mission.

En octobre, à l’occasion d’une conférence de toute la mission à Honolulu, il annonça le changement et confia à des Hawaïens des postes de dirigeants. Après son discours, Kaloa, un ancien hawaïen, témoigna de sa détermination à servir dans l’Église. Il dit : « J’étais un jeune garçon lorsque ces frères sont venus pour la première fois sur les îles. Maintenant, je suis un homme. Ne soyons plus des enfants, mais des hommes de foi et de bonnes œuvres. »

Napela se leva à son tour et exhorta les saints à mener une vie juste. Il dit : « Nous avons été trompés et égarés par les fourberies de Gibson et, de ce fait, nous avons rompu les alliances sacrées que nous avions contractées. On nous a maintenant détrompés ; renouvelons donc nos alliances et soyons fidèles. »

Kanahunahupu, un autre ancien hawaïen, témoigna également : « Les paroles prononcées aujourd’hui sont comme des charbons de feu ardents. »

À la fin de la conférence, Joseph F. Smith et William Cluff annoncèrent qu’ils retourneraient bientôt en Utah. Quelques semaines plus tard, Brigham informa Joseph qu’il avait l’intention d’appeler Francis Hammond, l’ancien dirigeant de mission de Joseph à Hawaï, pour le remplacer.

Depuis qu’ils avaient perdu la colonie de Lanai, Joseph et les autres missionnaires cherchaient un nouveau lieu de rassemblement pour les saints. Pendant l’été, ils avaient trouvé, sur la Grande île d’Hawaï, un endroit qui semblait prometteur, mais les saints hawaïens n’avaient pas les moyens de se l’offrir.

En outre, depuis l’échec de la colonie de Lanai, nombre d’entre eux hésitaient à risquer encore de l’argent dans un autre lieu de rassemblement. Les familles voulaient la nouvelle colonie sur leur île et près de chez eux.

Toutefois, après la conférence d’octobre, Brigham Young autorisa les dirigeants de mission à acheter des terres avec l’argent de l’Église. Indécis au sujet de la parcelle sur la Grande île, Joseph et William continuèrent de chercher des lieux de rassemblement potentiels à recommander à Francis pendant qu’ils faisaient une dernière fois le tour des branches sur Kauai et Oahu.

Un jour, sur Oahu, pendant que Joseph et William visitaient une petite branche près d’une plantation appelée Laie, William partit marcher seul. La plantation couvrait deux mille cinq cents hectares au pied d’une haute montagne boisée, le long du rivage nord-est de l’île. Contrairement à la colonie de Lanai, Laie avait facilement accès à l’eau.

Se sentant déprimé et quelque peu esseulé, William s’agenouilla dans un fourré voisin pour prier. Il se leva, toujours aussi privé d’énergie, et trouva un sentier qui serpentait à travers des parcelles herbeuses et des broussailles denses. Il le suivit un moment puis, à sa grande surprise, il eut une vision de Brigham Young remontant le chemin.

William le salua comme s’il était réellement là et ils s’assirent dans l’herbe. Brigham parla de la beauté de la plantation, de la richesse du sol, des montagnes verdoyantes et du bruit des vagues s’écrasant doucement sur la plage. Il finit par dire : « C’est un endroit des plus agréables. Frère William, c’est ici que nous voulons nous assurer d’installer le siège de cette mission. »

William se retrouva alors seul, rempli d’étonnement et d’émerveillement, mais confiant d’avoir trouvé le bon lieu de rassemblement pour les saints hawaïens.


CHAPITRE 23 : Un tout harmonieux

Susie Young avait toujours eu une petite santé lorsqu’elle était enfant. Au printemps 1865, âgée d’à peine neuf ans, elle avait déjà survécu à une pneumonie, la coqueluche et à d’autres maladies graves. Lorsqu’elle courait trop vite ou jouait trop intensément, elle avait du mal à respirer. Parfois, son père, Brigham Young, la prenait gentiment dans ses bras, la serrait contre lui et disait doucement : « Attends un instant, ma fille. Ne sois pas si pressée. Prends le temps de respirer. »

Susie avait rarement un instant à perdre. Il se passait toujours quelque chose dans le logement qu’elle occupait avec nombre des femmes de son père et la plupart de ses jeunes enfants. La longue maison à deux niveaux s’appelait la Lion House, et elle jouxtait le bureau de son père, tout près du site du temple à Salt Lake City. L’étage supérieur comptait de nombreuses chambres et salons pour les membres de la famille. Au rez-de-chaussée se trouvaient d’autres chambres et un grand salon où l’on recevait les invités et faisait les prières en famille. Au sous-sol, il y avait des pièces d’entreposage, des caves, une buanderie, une cuisine et une salle à manger suffisamment spacieuse pour toute la famille.

Sur le balcon, à l’avant de la maison, veillant sur la rue, était tapie la statue majestueuse d’un lion.

À une certaine période, près de trente des cinquante-cinq frères et sœurs de Susie habitaient là. Parfois, la famille avait recueilli des orphelins, notamment Ina Maybert, une fillette originaire d’Inde. Un garçon du quartier appelé Heber Grant jouait souvent à la maison avec les frères de Susie et se joignait aux Young pour les prières en famille. Il était le fils unique de Rachel Ivins et de l’ancien conseiller de Brigham, Jedediah Grant. En hiver, Heber aimait s’agripper au traîneau de Brigham et se faire tirer sur la glace.

La famille Young essayait de maintenir l’ordre chez elle avec des horaires stricts pour les repas, les études et les prières. Cependant, cela n’empêchait pas Susie et ses frères et sœurs de monter les escaliers en courant, de glisser sur la rampe et de jouer à cache-cache. Petite fille, Susie pensait qu’il était parfaitement normal que sa famille fût aussi grande et que son père vécût avec plus d’une douzaine de femmes. En fait, sa famille était atypique même parmi les familles plurales, qui étaient habituellement bien plus petites en comparaison. Contrairement à son père, la plupart des hommes qui pratiquaient le mariage plural dans l’Église n’avaient que deux femmes.

Sa propre mère, Lucy Bigelow Young, lui était très dévouée et la comblait de soins et d’amour. Zina Huntington Young et Emily Partridge Young, deux des femmes de son père qui vécurent quelque temps à la Lion House, étaient aussi comme des mères pour elle. Il en allait de même de Clara Decker Young, qui veillait souvent tard pour discuter avec Susie et ses sœurs et leur faire des recommandations.

Une autre femme, Eliza Snow, était une poétesse qui étudiait les livres durant son temps libre et encourageait la créativité naissante de Susie. Eliza était intelligente, éloquente et extrêmement disciplinée. Sa chambre, son salon et sa table de travail étaient soigneusement rangés. Certaines personnes la trouvaient froide et distante mais Susie savait qu’elle était aimable et tendre, surtout lorsqu’elle soignait les malades.

La Lion House n’était pas toujours exempte de conflits, mais la famille essayait de s’adapter de son mieux à ce mode de vie. Brigham n’aimait pas comparer le mariage plural aux coutumes du monde. Il disait aux saints : « Cela vient des cieux. Le Seigneur l’a expressément institué dans le but d’élever une nation royale, un sacerdoce saint, un peuple acquis, un peuple qui pourrait lui appartenir et qu’il pourrait bénir. »

De plus, il témoigna : « Si ma foi a été mise à l’épreuve ici-bas, c’est bien lorsque Joseph Smith m’a révélé ce point de doctrine. J’ai dû prier continuellement et j’ai dû faire preuve de foi, ensuite le Seigneur m’en a révélé la véracité et cela m’a suffi. »

La joie qu’il a éprouvée en élevant ses nombreux enfants dans l’Évangile du Christ était l’un des fruits de cette foi. Le soir, il faisait sonner une cloche pour rassembler tout le monde pour la prière. Parlant au Seigneur avec douceur et amour, il disait souvent : « Nous te remercions pour ces vallées paisibles et ces montagnes isolées que tu as préservées afin qu’elles soient un lieu de rassemblement pour ton peuple. Bénis les pauvres, les nécessiteux, les malades et les affligés. Réconforte les cœurs attristés. Sois un soutien pour les personnes âgées et un guide pour les jeunes. »

Brigham réfléchissait souvent au bien-être des saints. Les temps changeaient et un chemin de fer qui traverserait l’Amérique du Nord était maintenant en cours de construction. Il avait investi de l’argent dans cette entreprise, certain que grâce à la voie ferrée, les déplacements des missionnaires et des émigrants vers et hors d’Utah seraient plus rapides, moins chers et moins fatigants. Il savait, par contre, qu’elle apporterait davantage de tentations dans le territoire et il voulait préparer les saints spirituellement et économiquement à son arrivée.

Il voulait aussi fortifier sa propre famille et, ce printemps-là, Susie et ses frères et sœurs apprirent qu’il avait embauché Karl Maeser comme instituteur privé. L’enseignement du professeur Maeser irrita certains frères de Susie et ils quittèrent l’école, mais Susie était captivée par ses cours.

Les livres, surtout les Écritures, prenaient vie en classe. Le professeur Maeser encourageait les enfants Young à poser des questions et à trouver des solutions aux problèmes. Bien que toujours avide d’apprendre quelque chose de nouveau, Susie était parfois contrariée lorsqu’elle commettait des erreurs dans son travail scolaire.

Le professeur Maeser était patient. Il lui disait : « Les personnes qui apprennent les leçons et les vérités qui en valent la peine sont uniquement celles qui ont le courage de commettre des erreurs. »

Ce printemps-là, Johan Dorius exerçait le métier de cordonnier à Fort Éphraïm. Son frère Carl et lui étaient rentrés depuis deux ans de leur mission en Scandinavie. Avant de quitter le Danemark, ils avaient espéré ramener leur mère avec eux, mais comme son nouveau mari n’était pas disposé à quitter Copenhague, elle y avait renoncé. Quelques jours plus tard, déçus, les deux frères avaient embarqué au Danemark avec une compagnie de trois cents saints.

Depuis son retour en Utah, Johan essayait de gagner de l’argent. En son absence, sa femme, Karen, avait construit un deux-pièces sur leur parcelle à Spring Town et avait cultivé la terre et gardé une cour pleine de bétail. Elle avait attendu avec impatience les jours heureux où son mari et leurs enfants seraient dans leur nouvelle maison, mais peu après le retour de Johan, il avait reçu la permission d’épouser une deuxième femme, une convertie norvégienne appelée Gunild Torgersen. Karen fut cruellement éprouvée par cette nouvelle situation, mais elle fut soutenue par sa foi au Seigneur. Puisque leur maison s’avérait maintenant trop petite, la famille s’installa au cours de l’année à Éphraïm, sur une grande parcelle de la ville.

Vers cette époque-là, dans la vallée de Sanpete, les tensions entre les saints et les Utes empiraient. Le nombre d’émigrants en Utah étant toujours croissant, les villes grandissaient rapidement et les nouvelles colonies privaient souvent les Utes de leurs réserves habituelles de nourriture et d’eau. Certains colons entretenaient aussi de grands troupeaux de bétail sur des hectares de prairies au centre de l’Utah, repoussant encore les Utes hors de la région.

Conscient de ces problèmes, Brigham Young exhorta les saints à nourrir les Indiens et à les traiter avec gentillesse. Il écrivit à un dirigeant de l’Église : « Nous sommes installés sur leurs terres, ce qui matériellement nuit à la réussite de leur chasse, de leur pêche, etc. Pour ces raisons, le devoir nous incombe de faire preuve de toute la gentillesse et de toute la patience possibles. »

En dépit de l’espoir de Brigham d’inspirer une plus grande compassion à l’égard des Indiens, la nourriture était déjà rare dans certaines colonies et peu de saints étaient désireux de partager leurs provisions. Lorsque les colons refusaient de le faire, les Utes avaient souvent recours au vol de bétail pour se nourrir.

Des violences finirent par éclater au printemps de 1865 dans la vallée de Sanpete, lorsque des négociations de paix entre les saints et les Utes se terminèrent mal. Quelques semaines plus tard, un groupe d’Utes dirigé par un homme du nom de Black Hawk commença à voler du bétail et à tuer des colons. Le conflit empira à l’approche de l’été. En juin, Brigham et le gouvernement des États-Unis tentèrent de persuader les chefs utes d’installer la tribu dans une réserve, mais les attaques sur les colonies continuèrent. Brigham commanda alors à la milice d’arrêter les voleurs, mais sans faire de mal aux femmes, aux enfants et aux Utes pacifiques. Malgré cela, les deux côtés attaquèrent plus férocement.

L’après-midi du 17 octobre, Johan Dorius regarda avec horreur Black Hawk et ses hommes attaquer un jeune couple de Danois et leur bébé, ainsi qu’une jeune Suédoise, alors qu’ils étaient dans les champs entourant Éphraïm. Johan et plusieurs saints s’y précipitèrent une fois que les Indiens furent partis voler le bétail de la colonie. Le couple était mort et la Suédoise mourante, mais curieusement, le petit garçon était sain et sauf. Johan le prit dans ses bras et le ramena en ville.

Avec la milice aux trousses de la bande de Black Hawk, les dirigeants de l’Église commandèrent aux saints de la vallée de Sanpete et des régions avoisinantes d’agir avec prudence et de rester sur la défensive. Cependant, envahis de peur et de méfiance, certains saints, au cœur du conflit, ne tinrent pas compte de leurs paroles.

Six mois après l’attaque de Fort Éphraïm, les membres de l’Église d’une petite colonie mal protégée appelée Circleville capturèrent une vingtaine de Païutes pacifiques qu’ils soupçonnaient d’être des espions de Black Hawk. Les colons lièrent les hommes et ils furent détenus dans l’église locale. Pendant ce temps, les femmes et les enfants furent placés dans une cave vide. Lorsque certains hommes tentèrent de s’évader, les colons leur tirèrent dessus et exécutèrent les prisonniers restant l’un après l’autre y compris les femmes et les enfants plus âgés.

Brigham condamna vigoureusement cet acte de violence. Il dit : « Lorsqu’un homme tire sur un Indien innocent, il est coupable de meurtre. » Il tint les saints, et non les Indiens, pour responsables du conflit. Il dit : « Si les anciens d’Israël avaient traité les Indiens comme ils auraient dû, je crois que nous n’aurions jamais eu le moindre problème avec eux. »

Pendant encore une année, la violence généralisée continua de faire rage entre les saints et les Indiens au centre de l’Utah. Les saints qui habitaient dans les petites colonies emménagèrent dans des localités plus grandes et postèrent des gardes pour protéger leur bétail. Après que les saints eurent mis un terme à un grand raid indien en juillet 1867, Black Hawk et deux chefs se livrèrent aux agents du gouvernement. Certains Utes continuèrent de voler du bétail aux saints, mais le conflit était quasiment terminé.

Le 6 octobre de cette année, la conférence générale eut lieu dans le nouveau tabernacle spacieux situé à l’ouest du site du temple. En 1863, la Première Présidence avait annoncé la construction d’un lieu de réunion plus grand dans le quartier du temple. Le bâtiment ovale était recouvert d’un dôme en forme de carapace de tortue. Henry Grow, constructeur de ponts à la retraite, l’avait fabriqué en formant un treillis de pièces de bois retenues solidement ensemble par des chevilles et des lamelles de cuir, le tout reposant sur quarante-quatre colonnes de grès. Puisque la conception innovante ne comprenait pas de colonnes intérieures pour soutenir le plafond massif, les saints, lors des conférences, avaient une vue dégagée des orateurs à la chaire.

Cet automne-là, Brigham continua de suivre les progrès du chemin de fer. La guerre de Sécession s’était terminée par la victoire du Nord au printemps de 1865, donnant au projet de la voie ferrée une nouvelle impulsion lorsque la nation s’était tournée vers l’ouest, en quête de possibilités nouvelles. Brigham faisait partie du conseil d’administration de l’une des compagnies de chemin de fer, mais son soutien à l’entreprise ne l’empêchait pas de s’inquiéter des changements qu’elle apporterait au territoire et à son économie.

Dans les Doctrine et Alliances, le Seigneur commandait à son peuple d’être « un », de partager les fardeaux économiques et de « reste[r] indépendant par-dessus toutes les autres créations en dessous du monde céleste ». Au fil des années, Brigham et d’autres dirigeants avaient employé divers moyens pour unir les saints et fortifier leurs liens. L’un d’eux était l’alphabet de Deseret, un système phonétique conçu pour régler un supposé problème d’orthographe en anglais, enseigner la lecture aux jeunes saints et aider les immigrants à apprendre rapidement la langue afin de se sentir chez eux en Utah.

De plus, pour obtenir l’indépendance économique en Sion, Brigham commença à promouvoir un mouvement coopératif parmi les saints. Dans ses sermons, il les encourageait fréquemment à cultiver leur nourriture, à confectionner leurs vêtements et à construire des moulins, des usines et des fonderies. Il critiquait également les marchands dans et hors de l’Église qui venaient dans le territoire vendre à profit des produits difficiles à trouver et qui s’enrichissaient eux-mêmes au lieu d’enrichir la cause de Sion.

Sachant que le chemin de fer amènerait encore plus de marchands et de produits pour faire concurrence aux entreprises locales, Brigham implora les membres de l’Église de soutenir ces dernières et de rester financièrement indépendants des marchés extérieurs. Pour lui, leur salut économique était aussi important que leur salut spirituel. Une attaque contre l’économie de Sion était une attaque contre Sion elle-même.

Il commença également à chercher comment affermir les membres grâce à des institutions au sein de l’Église. En 1849, Richard Ballantyne, un saint écossais, avait organisé la première École du dimanche de la vallée. Depuis lors, de nombreuses paroisses tenaient indépendamment les unes des autres une École du dimanche, utilisant souvent de la documentation et des manuels différents. De son côté, George Q. Cannon avait récemment créé le Juvenile Instructor, un magazine illustré proposant des leçons sur l’Évangile que les Écoles du Dimanche pouvaient utiliser à moindre coût pour les instructeurs et les élèves. En novembre 1867, Brigham et d’autres dirigeants de l’Église nommèrent George président d’une union de l’École du dimanche pour encourager les paroisses et les branches dans toute l’Église à organiser la leur.

Les classes élémentaires de l’École du dimanche étaient essentiellement destinées aux jeunes garçons et filles de l’Église. Pour les hommes adultes, Brigham décida d’organiser une École des prophètes dans chacune des villes principales du territoire. Environ trente-cinq ans plus tôt, le Seigneur avait commandé à Joseph Smith d’organiser de telles écoles à Kirtland et au Missouri afin de favoriser l’unité et la foi parmi les détenteurs de la prêtrise de la jeune Église et de préparer les hommes à la proclamation de l’Évangile.

Brigham espérait que la nouvelle École des prophètes permettrait une plus grande unité et une plus grande dévotion spirituelles chez les hommes de l’Église. Il croyait pouvoir ainsi leur faire comprendre l’importance de la coopération économique, du respect des alliances et de l’édification de Sion avant l’arrivée du chemin de fer.

Une École des prophètes ouvrit ses portes à Salt Lake City le 2 décembre 1867. Au fil des semaines qui suivirent, Brigham exhorta ses membres à gérer leurs affaires de façon à ce que les saints en profitent et non les marchands venus de l’extérieur. Il enseigna : « Nous devons être unis et nous comprendre. » Il condamna les membres de l’Église qui achetaient des marchandises à l’endroit et au moment qui leur plaisait, sans tenir compte des besoins de Sion.

Il déclara : « Ils n’ont rien à faire dans ce royaume. »

Six jours après l’organisation de l’École des prophètes à Salt Lake City, Brigham parla aux évêques de la réorganisation des Sociétés de Secours de paroisse, qui s’étaient en grande partie dissoutes lors des menaces de conflit avec l’armée des États-Unis dix ans auparavant. Il espérait qu’elles encourageraient une plus grande unité parmi les saints en aidant les membres les plus nécessiteux.

Du fait que les évêques ne savaient pas grand-chose de l’objectif des Sociétés de Secours, il demanda à Eliza Snow de les aider à en organiser une dans leur paroisse. Eliza en fut honorée. Peu de gens comprenaient l’objectif de la Société de secours aussi bien qu’elle. En qualité de secrétaire de la Société de secours des Femmes de Nauvoo, elle avait soigneusement rédigé le procès-verbal des réunions, enregistré les enseignements de Joseph Smith aux femmes et les avait conservés dans un registre.

Elle eut plaisir à collaborer avec les évêques et ils furent reconnaissants de son aide. Lorsqu’au printemps suivant Brigham lui dit qu’il avait une autre mission à lui confier, elle ne demanda pas de quoi il s’agissait. Elle dit simplement : « Je m’efforcerai de m’en acquitter. »

Il lui dit : « Je veux que tu instruises les sœurs. » Il pensait que les femmes de l’Église avaient besoin d’elle pour comprendre le rôle de la Société de secours dans l’édification de Sion.

Eliza sentit les battements de son cœur s’accélérer. Instruire les femmes de l’Église était une tâche énorme. Dans l’Église, les femmes ne prenaient habituellement pas la parole lors des réunions publiques, excepté lors des réunions de témoignage. Eliza devait maintenant rendre visite à chaque colonie du territoire, rencontrer chaque Société de secours de paroisse et de branche et parler en public.

Peu après son entretien avec Brigham, elle publia un article dans le Deseret News. Elle demanda à ses lecteurs : « Quel est l’objectif de la Société de secours des femmes ? Je répondrais : faire le bien, puiser dans toutes les capacités que nous possédons pour faire le bien, non seulement pour soulager les pauvres mais pour sauver les âmes. »

S’appuyant sur les annales de la Société de secours de Nauvoo, elle exhorta les femmes à s’avancer et à prendre leurs devoirs à cœur. Elle écrivit : « Au cas où des filles et des mères en Israël auraient le sentiment d’être quelque peu limitées dans leur sphère actuelle, elles trouveront maintenant de nombreuses possibilités d’utiliser tous les pouvoirs et toutes les capacités qu’elles ont de faire le bien. »

L’après-midi du 30 avril 1868, Eliza visita la Société de secours des femmes de la treizième paroisse de Salt Lake City. Quelque vingt-cinq sœurs étaient présentes dont Zina Huntington Young, Emily Partridge Young et Bathsheba Smith, qui avaient toutes appartenu à la Société de secours de Nauvoo. La nouvelle présidente de la Société de secours de paroisse, Rachel Grant, dirigeait la réunion avec ses deux conseillères, les sœurs jumelles Annie Godbe et Margaret Mitchell.

Rachel Grant, maintenant âgée de quarante-sept ans, avait vécu à Nauvoo au début des années 1840, mais elle n’avait pas appartenu à la Société de secours d’origine. Sa foi avait été sévèrement éprouvée lorsqu’elle avait pris connaissance du mariage plural et, à la mort de Joseph Smith, elle était retournée vivre avec sa famille dans les États de l’Est. Elle était cependant restée en contact avec les missionnaires et d’autres membres de l’Église et avait décidé de venir en Utah en 1853 après beaucoup de prières et un profond examen de conscience. Deux ans plus tard, elle épousa Jedediah Grant, en tant que femme plurale, et mit au monde son seul enfant, Heber, neuf jours avant le décès prématuré de son mari. Depuis lors, elle prenait soin d’Heber avec ses modestes revenus de couturière.

Après avoir ouvert la réunion de la Société de secours, Rachel demanda à Eliza d’instruire les femmes. Elle leur dit : « Joseph Smith, le prophète, attendait de grands résultats de la formation des Sociétés féminines de Secours ; il pensait que beaucoup de bien pourrait être fait par les sœurs lorsqu’elles rendraient visite aux malades et aux affligés. » Elle les encouragea à s’assurer du déroulement ordonné des réunions, à faire de bonnes œuvres et à prendre soin les unes des autres.

Elle expliqua : « La Société devrait être comme une mère avec son enfant. Elle ne le tient pas à distance, mais l’attire près d’elle et le serre contre sa poitrine, montrant le besoin d’unité et d’amour. »

Lorsqu’elle eut fini de parler, Rachel dit qu’elle était fière des femmes et qu’elle espérait qu’en se réunissant, elles deviendraient plus fortes. Eliza les encouragea ensuite à ouvrir la bouche. Elle témoigna qu’elles trouveraient de la force en se parlant les unes aux autres.

Elle dit : « L’ennemi est toujours satisfait lorsque nous ne surmontons pas notre timidité et nous retenons de prononcer des paroles d’encouragement et de détermination. Dès que cette réserve est vaincue, nous prenons rapidement confiance. »

Elle promit : « Le temps viendra où nous nous tiendrons à des postes de responsabilité importants. »

Pendant que les paroisses et les branches organisaient des Sociétés de Secours, Eliza s’entretenait avec Sarah Kimball, une autre membre fondatrice de la société de Nauvoo, pour exposer les devoirs des officiers de la Société de secours. Ensuite, elle commença à visiter les Sociétés de Secours de tout le territoire, puisant souvent dans les procès-verbaux de la Société de secours originale pour informer les femmes de leurs devoirs. Elle leur enseigna : « Cette organisation appartient à l’organisation de l’Église du Christ dans toutes les dispensations lorsque celle-ci est complète. » Quand elle ne pouvait pas visiter des Sociétés de Secours personnellement, elle leur écrivait des lettres.

Pendant ce temps, Brigham organisait d’autres annexes de l’École des prophètes et conseillait à leurs membres d’étudier toutes sortes de matières et de devenir d’un seul cœur et d’un seul esprit. En avril 1868, il alla à Provo fonder une école sous la direction d’Abraham Smoot, qu’il avait envoyé, accompagné de John Taylor, Wilford Woodruff, Joseph F. Smith et d’autres, réformer une ville indisciplinée. Pendant leur séjour en ville, Brigham et Abraham exhortèrent les membres de l’école de Provo à faire essentiellement affaire entre eux, conservant ainsi leurs ressources et leurs profits parmi les saints.

Abraham dit : « Chaque membre a une influence et nous devons l’utiliser dans la bonne direction. »

Quelques semaines plus tard, Heber Kimball, conseiller de Brigham, fut victime d’un accident de boquet à Provo. Il fut violemment projeté hors de la carriole et sa tête heurta le sol. Il resta allongé là pendant un certain temps, exposé au froid, jusqu’à ce qu’un ami le trouve. Brigham espérait qu’Heber, l’un de ses plus anciens amis, se remettrait de l’accident. Cependant, Heber eut un AVC début juin et mourut plus tard ce mois-là, entouré de membres de sa famille.

Son décès eut lieu huit mois jour pour jour après celui de sa femme Vilate. Au moment de sa disparition, il avait prophétisé : « Je la suivrai bientôt. » Lors de ses obsèques, Brigham décida de rendre un hommage simple à la droiture de son ami et conseiller.

Il déclara : « C’était un homme d’une intégrité inégalée. »

Au moment du décès d’Heber, les ouvriers du chemin de fer, parmi lesquels se trouvaient de nombreux immigrants chinois, d’anciens esclaves et d’anciens combattants de la guerre de Sécession, se dépêchaient d’achever la ligne transcontinentale. En août, Brigham encouragea les hommes de l’Église à participer à la construction. Une fois que les deux tronçons seraient réunis au nord du Grand Lac Salé, il espérait construire une voie passant par Salt Lake City et reliant d’autres villes au sud pour faciliter les déplacements entre les colonies et transporter les pierres pour le temple.

Un soir, après la prière en famille, il fit néanmoins part de son inquiétude au sujet du chemin de fer à certaines de ses femmes, à quelques amis et à ses enfants plus âgés. Il dit : « Nous avons quitté le monde, mais le monde vient à nous. » L’École du dimanche, l’École des prophètes et la Société de secours étaient en place pour soutenir et affermir les saints, mais est-ce que lui et sa génération avaient fait assez pour préparer les jeunes à ce qui arrivait ?

Il dit : « Ils n’auront pas le même genre d’épreuves que celles que leurs pères et mères ont traversées. Ils seront éprouvés par l’orgueil, la folie et les plaisirs d’un monde pécheur. » Si sa génération n’aidait pas les jeunes à cultiver la foi en Jésus-Christ, les tentations du monde les égareraient.

En fin de compte, Brigham était tout de même persuadé que l’Évangile de Jésus-Christ continuerait d’unir et de protéger le peuple de Dieu, y compris les jeunes.

Au début de l’année 1869, il se dit que l’Évangile rétabli avait « envoyé ses instructeurs jusqu’aux extrémités de la terre, avait rassemblé des gens de presque toutes les langues et religions du monde, de niveau d’études divers et de traditions des plus opposées et les avait soudés en un tout harmonieux. »

Il déclara : « Une religion qui peut prendre une foule hétérogène et la transformer en un peuple heureux, satisfait et uni a un pouvoir en son sein que les nations ignorent. Ce pouvoir est le pouvoir de Dieu. »

En mars 1869, les habitants d’Ogden s’amassèrent sur de hautes falaises pour regarder les ouvriers du rail poser la voie ferrée. Elle était enfin arrivée au cœur du territoire, une traverse et un rail à la fois. Les trains ne tarderaient pas à arriver, crachant de la fumée noire et de la vapeur grise dans le ciel.

Plus tard cette année-là, Brigham rendit visite aux saints dans les colonies du Sud. L’École du dimanche, l’École des prophètes et la Société de secours fonctionnaient dans nombre des villes qu’il visita. À sa demande, les saints ouvrirent également de nouveaux magasins appelés coopératives ou « coops » pour promouvoir la coopération économique et non la concurrence parmi eux. Brigham voulait que chaque ville ait une coop pour satisfaire aux besoins des saints à un prix équitable.

Début mai, il conseilla à ceux qui habitaient au centre de l’Utah de vivre selon toute parole de Dieu. Il dit : « Le fait de vivre dans ces vallées ne prouve pas que nous sommes les saints de Dieu. Si nous voulons prouver à Dieu ou aux hommes que nous sommes des saints, nous devons vivre pour Dieu et personne d’autre. »

Le 10 mai 1869, dans une vallée à l’ouest d’Ogden, les lignes de chemin de fer se rencontrèrent enfin. Les compagnies de chemin de fer connectèrent les câbles du télégraphe aux marteaux qui enfonçaient les dernières pointes dans les traverses. Chaque coup de marteau envoyait une impulsion électrique le long du câble jusqu’à Salt Lake City et d’autres villes de la nation, proclamant qu’un chemin de fer reliait maintenant les côtes Atlantique et Pacifique des États-Unis d’Amérique.

Les saints de Salt Lake City célébrèrent l’événement dans le nouveau tabernacle du quartier du temple. Ce soir-là, tous les bureaux et bâtiments publics laissèrent leurs lumières allumées bien après leur fermeture afin d’illuminer la ville. Sur une colline au nord de la cité, les saints allumèrent un feu de joie visible à des kilomètres.


TROISIÈME PARTIE : À l’heure de l’épreuve (mai 1869 - juillet 1887)


CHAPITRE 24 : Une œuvre immense

Le 19 mai 1869, dans un éditorial du Deseret Evening News, George Q. Cannon écrivit : « Des magasins coopératifs ont vu le jour dans presque tous les coins du territoire, partout où l’on avait besoin d’un magasin. Que toutes les femmes du territoire se servent dans ces magasins, le commerce y affluera tout naturellement ! »

Sarah Kimball, présidente de la Société de secours de la Quinzième paroisse de Salt Lake City, fut impressionnée par l’opinion exprimée dans l’éditorial sur les femmes et leur importance dans le mouvement coopératif. Pour devenir un peuple autonome, la coopération entre les saints était cruciale. Les femmes fabriquaient une grande partie des marchandises vendues dans les coopératives et achetaient souvent des actions dans les institutions.

Brigham Young enseignait que tous les efforts fournis pour édifier Sion, aussi bassement matériels fussent-ils, faisaient partie de l’œuvre sacrée du Seigneur. Récemment, il avait exhorté les saints à faire leurs achats uniquement dans les coopératives et autres entreprises où l’expression « Sainteté au Seigneur » figurait quelque part sur l’établissement. En soutenant ces magasins, les femmes œuvraient pour le bien des saints, et non pour celui des marchands extérieurs.

Sarah et sa Société de secours s’efforçaient déjà de promouvoir les idéaux de la coopération. L’année précédente, elles avaient commencé à construire un centre de Société de secours dans leur paroisse. Suivant le modèle du magasin de Joseph Smith à Nauvoo, où la première Société de secours avait été organisée, le nouveau centre s’étendait sur deux niveaux. À l’étage, les femmes disposeraient d’un atelier consacré au culte, aux arts et à la science. Au rez-de-chaussée, elles installeraient une coopérative qui vendrait et échangerait des lainages, des bobines de coton, des tapis, des fruits secs, des mocassins et d’autres marchandises fabriquées par des membres de la Société de secours. En tant que petite coopérative, elle servirait aussi de détaillant pour la plus grande coopérative de la ville, Zion’s Cooperative Mercantile Institution (Z.C.M.I.).

Lorsqu’il serait achevé, le centre de Société de secours serait le premier en son genre dans l’Église. Les Sociétés de Secours se réunissaient habituellement chez des particuliers ou dans des églises. Cependant Sarah, qui avait été l’une des fondatrices de la première Société de secours à Nauvoo, voulait un endroit où les femmes de la Quinzième paroisse pourraient cultiver et fortifier les pouvoirs et les capacités que Dieu leur avait donnés.

Tout au long de l’année, elle avait été le moteur derrière la construction du bâtiment. Bien qu’un homme eût proposé de faire don d’un terrain pour le projet, les autres femmes de la société et elle avaient insisté pour le payer cent dollars. Plus tard, après l’ouverture du chantier, Sarah avait utilisé un maillet et une truelle en argent pour aider un maçon à poser la pierre angulaire.

Debout sur la pierre, elle avait déclaré : « L’objectif du bâtiment est de permettre à la société de conjuguer plus efficacement ses travaux, ses moyens, ses goûts et ses talents pour progresser (physiquement, socialement, moralement, intellectuellement, spirituellement) et se rendre plus utile. »

Pendant les six mois écoulés, les femmes avaient embauché des ouvriers et supervisé les travaux qui touchaient maintenant à leur fin. Dans un esprit de coopération, elles avaient levé des fonds et réuni leurs ressources pour agrémenter le centre de volets et de moquettes. Lorsque certaines personnes demandèrent comment la Société de secours de la Quinzième paroisse avait si bien réussi, étant donné que la paroisse était loin d’être la plus riche de l’Église, Sarah avait simplement répondu : « C’est parce que nous avons agi d’un commun accord et avons immédiatement réinvesti ce que nous recevions. »

Le lendemain de la parution de l’éditorial du Deseret Evening News, Sarah en fit la lecture à sa Société de secours. Il était écrit : « Avec la participation de la femme à la grande cause de la réforme, que de changements merveilleux peuvent être effectués ! Donnez-lui des responsabilités et elle prouvera qu’elle est capable de grandes choses. »

Sarah pensait que les femmes étaient à l’aube d’un jour nouveau. Elle dit à sa Société de secours : « Nous n’avons jamais entendu parler des femmes et de leurs capacités et devoirs en public et en privé comme nous l’entendons actuellement. »

Pendant que la Société de secours de la Quinzième paroisse construisait son centre, de puissantes locomotives à vapeur acheminaient rapidement des passagers et des marchandises à travers le pays. Bien que se méfiant de l’arrivée des influences profanes dans le territoire, la Première Présidence pensait que le chemin de fer transcontinental permettrait d’envoyer les frères en mission et de rassembler les gens en Sion plus facilement et moins onéreusement. Donc, une semaine après la fin des travaux sur la ligne transcontinentale, Brigham Young ouvrit le chantier d’une voie ferrée reliant Salt Lake City à Ogden.

Pendant ce temps, Joseph F. Smith occupait le poste de secrétaire au bureau de l’historien de l’Église à Salt Lake City. Il avait trente ans et avait plus de responsabilités dans l’Église que jamais. Trois ans auparavant, peu après son retour d’Hawaï, il avait été appelé à l’apostolat et mis à part comme conseiller dans la Première Présidence.

Maintenant, à l’approche de l’été, il se préparait pour une nouvelle difficulté. Ses cousins, Alexander et David Smith, allaient bientôt arriver dans le territoire. Fils de Joseph Smith, le prophète, ils habitaient l’Illinois et appartenaient à l’Église réorganisée de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Alexander et David soutenaient leur frère aîné, Joseph Smith III, comme prophète et héritier légitime de l’œuvre de leur père.

Comme lui, ils croyaient que ce dernier n’avait jamais enseigné ni pratiqué le mariage plural. Ils affirmaient au contraire que Brigham Young avait introduit le principe après le décès de leur père.

Bien que Joseph F. correspondît parfois avec ses cousins, ils n’étaient pas très proches. La dernière fois qu’il avait vu Alexander, c’était trois ans plus tôt, en 1866, lorsque celui-ci s’était arrêté pour prêcher à Salt Lake City, tandis qu’il était en route pour une mission en Californie. Sachant que les saints contesteraient ses affirmations sur son père et le mariage plural, il était venu muni de déclarations que son père et Hyrum Smith avaient publiées dans le Times and Seasons, le journal de l’Église à Nauvoo, et qui semblaient condamner le mariage plural et nier l’existence de cette pratique parmi les saints.

En 1866, Joseph F. avait voulu contrer les affirmations de son cousin, mais en avait été incapable. À sa grande surprise, il ne trouvait que peu de preuves écrites de l’implication de Joseph Smith dans le mariage plural. Il savait qu’il avait enseigné le principe à plusieurs saints fidèles, dont Brigham Young et d’autres, qui habitaient maintenant sur le territoire d’Utah, mais il découvrit qu’ils n’avaient laissé presque aucune trace de l’expérience.

Il y avait également la révélation sur le mariage, enregistrée par Joseph Smith en 1843 et publiée pour la première fois en 1852. La révélation décrivait comment un homme et une femme pouvaient être scellés pour l’éternité par l’autorité de la prêtrise. Elle expliquait également que Dieu commandait parfois la pratique du mariage plural pour élever des enfants dans des familles justes et soutenir l’accomplissement de l’alliance d’accorder à Abraham une postérité innombrable.

La révélation était une preuve conséquente que Joseph Smith avait enseigné et pratiqué le mariage plural, mais Alexander avait refusé d’en accepter l’authenticité et Joseph F. avait été incapable de trouver d’autres preuves écrites des mariages pluraux du prophète. Il avait reconnu devant son cousin : « Pour ce qui est des livres, ils sont en ta faveur. »

En apprenant que ce dernier revenait en Utah accompagné de David, il s’était remis à chercher des preuves des mariages pluraux de Joseph Smith. Le mariage plural faisait partie intégrante de sa vie et il était résolu à le défendre. Quelques années plus tôt, sa première femme, Levira, avait demandé le divorce, en partie à cause de son mariage avec sa deuxième femme, Julina Lambson, qui avait accentué les tensions déjà existantes dans leur relation. Depuis, il avait épousé une troisième femme, Sarah Ellen Richards. Pour lui, en attaquant le principe, on menaçait les relations d’alliance qui formaient le fondement de sa famille.

Au cours des trois dernières années, il avait aussi mieux compris comment son oncle et son père avaient réagi aux graves dangers qui les menaçaient à Nauvoo. Pour se défendre, eux et l’Église, des détracteurs, ils avaient parfois détourné les rumeurs sur le mariage plural à Nauvoo en publiant des déclarations qui dénonçaient soigneusement les fausses pratiques sans condamner la pratique autorisée. Cette précaution expliquait pourquoi il n’existait presque aucune preuve permettant de faire le lien entre le prophète et Hyrum, et la pratique.

Pour remédier à cette lacune dans le récit historique, Joseph F. commença à collecter des déclarations signées de personnes impliquées dans les premiers mariages pluraux. Certaines des femmes à qui il parla avaient été scellées à Joseph Smith pour cette vie et la suivante. D’autres l’avaient été uniquement pour l’éternité. Joseph F. rassembla également des renseignements sur ce que sa tante Emma savait de la pratique. Sa sœur aînée, Lovina, avait vécu quelque temps avec elle après le départ de la plupart des saints pour l’Ouest. Elle témoigna qu’Emma lui avait dit un jour qu’elle avait consenti au scellement de son mari à certaines de ses femmes plurales et y avait assisté.

Pendant les premières semaines de l’été, Joseph F. continua de collecter les déclarations, attendant chaque jour l’arrivée de ses cousins.

Le 22 juillet 1869, Sarah Kimball ouvrit la première réunion dans le centre de la Société de secours de la Quinzième paroisse nouvellement achevé. Elle annonça aux femmes dans la pièce : « Le centre a été construit pour le bien de tous. »

Deux semaines plus tard, le 5 août, la Première Présidence consacra le bâtiment. Lors de la cérémonie, un chœur chanta un nouveau cantique, qu’Eliza Snow avait écrit, sur le rôle du centre de la Société de secours dans la protection de Sion :

Que l’unité demeure dans ce centre
Avec force et compétence à l’image de Dieu :
Et Père, que ta sagesse guide
Et remplisse chaque salle.

Nous te consacrons cette maison,
Un havre d’amour et de travail :
Que le bien-être de Sion soit toujours
La raison première de son existence.

La Première Présidence était contente que le bâtiment épouse les idéaux de la coopération économique et de la fabrication locale. Dans son discours à la société, Brigham souligna l’importance, pour le bien de Sion, de la collaboration entre les femmes et les hommes. Il dit : « Il faut révolutionner la terre. Il y a une œuvre immense à accomplir et tous les moyens, talents et aides que l’on peut se procurer seront nécessaires. »

Il ajouta : « Le soutien des femmes est aussi indispensable que celui des hommes. Nos Sociétés de Secours sont pour le bien des pauvres et pour le bien des riches. Elles sont pour le bien de chacun, quelle que soit sa situation, et pour le bien de toute la communauté des saints des derniers jours. »

Plus tard ce mois-là, lors d’une réunion, Sarah ajouta son témoignage sur la valeur de la coopération. Elle enseigna que cela faisait partie du modèle établi par le Seigneur pour Sion. Dans son esprit, la fabrication locale était essentielle au bien-être des saints.

Elle insista : « Nous ne devons pas perdre de vue le sujet, ne serait-ce que pendant une seule réunion. »

Alexander et David Smith arrivèrent à Salt Lake City cet été-là et passèrent la première nuit chez John, le frère aîné de Joseph F. et le patriarche de l’Église, et sa femme Hellen. Deux jours plus tard, ils se présentèrent au bureau de Brigham Young, espérant obtenir la permission de prêcher dans le tabernacle, qui était parfois mis à la disposition d’autres groupes religieux pour leurs réunions. Brigham examina la demande des frères, mais d’autres dirigeants de l’Église et lui se méfiaient de leurs intentions et ils n’accédèrent pas à leur demande.

Dans le bureau de l’historien de l’Église, Joseph F. Smith continuait de rassembler des preuves que Joseph Smith avait enseigné et pratiqué le mariage plural, augmentant considérablement les connaissances que l’Église et lui avaient du mariage plural à Nauvoo. Outre la collecte de déclarations, il passait au peigne fin les journaux de William Clayton, qui avait été le secrétaire, l’ami et le confident du prophète. Le journal de William était l’un des rares documents de Nauvoo qui donnait des détails sur les débuts du mariage plural et prouvait que le prophète y avait participé.

Lorsque Joseph F. n’était pas au bureau de l’historien ou avec sa famille, il officiait dans la maison des dotations. Début août, George Q. Cannon et lui avaient présenté la dotation à leur ami Jonathan Napela, qui était venu d’Hawaï jusqu’à Salt Lake City fin juillet pour recevoir l’ordonnance, visiter le siège de l’Église et rencontrer Brigham Young et d’autres saints.

Pendant ce temps-là, Alexander et David Smith étaient encore en ville et attiraient les foules dès qu’ils parlaient. Espérant affaiblir l’autorité de Brigham Young, de riches marchands opposés au mouvement coopératif de l’Église louèrent une grande église protestante où les frères purent donner des conférences et critiquer la façon de diriger de Brigham et l’Église. Comme Alexander l’avait fait trois ans plus tôt, ils s’appuyaient beaucoup sur des citations du Times and Seasons pour nier le fait que leur père avait été impliqué dans le mariage plural.

Simultanément, Joseph F. Smith et d’autres dirigeants de l’Église faisaient des sermons sur le mariage plural à Nauvoo dans tous les bâtiments de l’Église de la ville. Le 8 août, Joseph F. s’adressa à une assemblée à Salt Lake City. Il présenta certaines des preuves qu’il avait réunies sur les premiers mariages pluraux et parla des déclarations de son père et de son oncle dans le Times and Seasons.

Il dit à l’assemblée : « Je ne connais que ces faits. Tout le monde sait que les gens de l’époque n’étaient pas préparés pour ces choses et il fallait faire preuve de prudence. Ils étaient entourés d’ennemis et dans un État où cette doctrine les aurait envoyés en prison. »

Il croyait que son père et son oncle avaient fait ce qu’ils avaient fait pour se protéger, eux ainsi que les autres hommes et femmes qui pratiquaient le mariage plural. Il poursuivit : « Les frères n’étaient pas aussi libres qu’ils le sont ici. Le diable faisait rage à Nauvoo et les traîtres fourmillaient. »

En septembre, un directeur de journal membre de l’Église appelé Elias Harrison se moqua de la mission d’Alexander et de David Smith dans une colonne du Utah Magazine, un périodique qu’il publiait grâce au soutien financier de son ami William Godbe, l’un des plus riches marchands de l’Église. D’une plume implacable, Elias dénigra l’Église réorganisée et accusa les frères Smith d’être « singulièrement ignorants » du ministère de leur père.

Il écrivit : « Leur zèle particulier est employé à essayer de prouver que leur père n’a pas pratiqué la polygamie, fondant leurs arguments sur certaines affirmations tirées du Livre de Mormon, des Doctrine et Alliances et du Times and Seasons. Mais quel est le résultat ? David et Alexander peuvent prouver que Joseph Smith a nié la polygamie et nous pouvons prouver qu’il l’a pratiquée. »

Si Elias défendait souvent l’Église dans ses écrits, il le faisait pour dissimuler les véritables raisons de publier l’Utah Magazine. Depuis le début du mouvement coopératif, William Godbe et lui s’étaient discrètement opposés au conseil de la Première Présidence de soutenir les autres saints et d’éviter les marchands qui n’utilisaient pas leurs bénéfices pour renforcer l’économie locale. Pour William, s’opposer à la Première Présidence exigeait beaucoup de subtilité. Outre sa réussite dans les affaires, il était l’un des conseillers municipaux de Salt Lake City et membre de l’épiscopat de la Treizième paroisse. De plus, il était gendre et ami intime de Brigham Young.

Comme Elias, William pensait que le prophète était démodé et exerçait une trop grande influence sur la vie des saints. Avant que le mouvement coopératif ne commençât, les marchands tels que William avaient une plus grande emprise sur le commerce local, ce qui leur permettait de fixer des prix élevés et de s’enrichir. En revanche, avec le nouveau système, l’Église cherchait à modérer les prix afin d’avantager les saints pauvres et les coopératives locales.

Sentant son emprise sur le marché s’affaiblir, William était agacé d’entendre Brigham insister sur la nature sacrée de la coopération. Elias et lui utilisaient de plus en plus l’Utah Magazine pour préparer d’autres personnes du même avis qu’eux à échafauder une révolte au sein de l’Église.

Leur désir de révolte avait pris forme un an auparavant lors d’un voyage d’affaires à New York. À l’époque, les deux hommes avaient essayé de communiquer avec les morts par des séances spirites. Le spiritisme avait pris de l’essor à l’issue de la guerre de Sécession lorsque les gens avaient aspiré à communiquer avec leurs êtres chers morts au combat. Les dirigeants de l’Église avaient depuis longtemps condamné de telles pratiques, les qualifiant de révélations fausses de l’adversaire.

Ne tenant aucun compte de ces mises en garde, William et Elias s’étaient plongés dans des séances et avaient fini par croire qu’ils avaient parlé avec les esprits de Joseph Smith, d’Heber Kimball, des apôtres Pierre, Jacques et Jean, et même avec le Sauveur. Convaincus de l’authenticité de ces communications, ils se sentaient revêtus de la mission spéciale de débarrasser l’Église de tout ce qu’ils estimaient être faux. De retour en Utah, ils commencèrent à publier dans l’Utah Magazine des critiques nuancées sur les dirigeants et les règles de l’Église en parallèle avec des colonnes plus positives.

Peu après la publication de son article sur les frères Smith, Elias devint plus belliqueux dans ses attaques contre Brigham Young et les règles de l’Église. Il soutenait que le mouvement coopératif privait les saints de l’esprit de compétition nécessaire pour stimuler l’économie de l’Utah qui, selon lui, était trop faible pour vivre de fabrications locales. Il avançait que les saints étaient trop égoïstes pour sacrifier leurs propres intérêts au profit de la collectivité.

Puis, le 16 octobre, il publia un éditorial exhortant les saints à développer l’industrie minière de l’Utah. Au fil des ans, Brigham Young avait approuvé quelques projets d’extraction, mais il craignait que la découverte de minerais de valeur ne causât davantage de problèmes sociaux et de divisions de classes dans le territoire. Ce souci l’avait amené à prêcher de façon agressive contre les entreprises minières indépendantes.

Il devint rapidement évident qu’Elias et William conspiraient contre l’Église. Le 18 octobre, Orson Pratt, Wilford Woodruff et George Q. Cannon se réunirent avec les deux hommes et certains de leurs amis. Elias était rempli d’amertume et aucun des deux n’était disposé à soutenir la Première Présidence. Cinq jours plus tard, lors d’une réunion de l’école des prophètes de Salt Lake City, William déclara qu’il avait suivi, au mépris du bon sens, le conseil de Brigham en matière d’économie et qu’il ne pensait pas que le prophète eût le droit de guider les saints dans les affaires commerciales. Sur un ton de défi, il s’éleva contre la façon de diriger de Brigham. Il cria : « C’est faux ! C’est faux ! »

Quelques jours plus tard, le grand conseil de Salt Lake City convoqua Elias et William à la mairie. Elias accusa les dirigeants de l’Église d’agir comme si eux et leurs paroles étaient infaillibles. En rejetant leurs recommandations, William affirmait qu’Elias et lui ne faisaient que suivre une autorité spirituelle supérieure, allusion à leurs séances spirites.

Il insista : « Ce n’est pas du tout que nous ne tenons pas compte de la prêtrise, mais nous admettons qu’il existe un pouvoir derrière le voile d’où viennent et sont toujours venues des influences et des instructions grâce auxquelles la volonté peut être guidée dans son avancée. »

Après avoir entendu les deux hommes, Brigham s’adressa au conseil. Il dit : « Je n’ai jamais recherché autre chose dans ce royaume que d’obtenir des hommes et des femmes qu’ils obéissent en tout au Seigneur Jésus-Christ. »

Il affirma que chaque personne avait le droit de penser par elle-même, tout comme les dirigeants de l’Église avaient le droit de les conseiller par révélation. Il déclara : « Nous travaillons de concert avec notre Sauveur. Il travaille de concert avec son Père et nous collaborons avec le Fils pour notre salut et celui de la famille humaine. »

Il rejeta également l’idée selon laquelle les dirigeants de l’Église ne pouvaient pas commettre d’erreurs. Il déclara : « Les hommes qui détiennent la prêtrise ne sont pas infaillibles et je ne prétends pas l’être. » Mais sa faillibilité ne signifiait pas que Dieu ne pouvait pas agir par son intermédiaire en faveur des saints.

Si William et Elias voulaient continuer de critiquer l’Église dans l’Utah Magazine, Brigham estimait qu’ils étaient libres de le faire. Quoi qu’eux et les marchands extérieurs fassent ou disent, il continuerait de prêcher et de pratiquer la coopération. Il dit : « Je laisserai aux gens la prérogative de faire ce qu’ils veulent. J’ai le droit de leur donner des conseils et ils ont le droit de les suivre ou pas. »

À la fin de l’audience, le président de pieu proposa d’excommunier William et Elias de l’Église pour cause d’apostasie. Tous les membres du grand conseil, à l’exception de six personnes, toutes associées à Elias et William, soutinrent la décision.


CHAPITRE 25 : La dignité de notre appel

Le 30 octobre 1869, cinq jours après leur réunion avec le grand conseil, Elias Harrison et William Godbe publièrent des déclarations dans l’Utah Magazine niant les accusations d’apostasie qui pesaient contre eux. Ils accusèrent les dirigeants de l’Église de tyrannie et se plaignirent que les saints n’avaient pas la liberté de penser ni d’agir par eux-mêmes. Convaincus que des esprits leur avaient parlé au cours de séances spirites, les deux hommes se croyaient appelés à réformer l’Église. De plus, ils étaient résolus à continuer de publier leur magazine et de rallier les saints à leur cause.

Elias promit : « Il reste à faire flotter à partir des vallées de notre montagne une bannière frappée d’une croyance plus large, d’un christianisme plus noble, d’une foi plus pure que tout ce que la terre a jamais vu. »

Brigham Young mit les saints en garde contre la lecture de l’Utah Magazine, mais ne fit aucun effort pour le faire fermer. Au fil de ses quarante années d’appartenance à l’Église, il avait vu les mouvements d’opposition se former puis se dissoudre sans succès durable. Pendant qu’Elias et William vitupéraient contre lui, il quitta Salt Lake City pour rendre visite aux colonies situées dans les vallées d’Utah et de Sanpete.

Au cours de son voyage vers le sud, il vit de nouvelles villes florissantes là où autrefois il n’y avait que de petits forts et des cahutes en adobe. Certains saints exploitaient des ateliers et des usines pour fabriquer des biens. Bien qu’aucune ville ne se suffît entièrement à elle-même, quelques-unes avaient fondé des coopératives qui fonctionnaient.

Chaque fois qu’il visitait une colonie, les saints lui offraient ce qu’ils avaient de meilleur, organisant parfois de somptueux festins. Il acceptait poliment ces repas, mais préférait des mets plus simples qui donnaient moins de travail aux personnes qui les préparaient. Des années plus tôt, alors qu’il dînait avec des saints pendant sa mission en Angleterre, il avait mangé tout simplement avec une tasse, un couteau de poche et une tranche de pain en guise d’assiette. Il n’avait fallu que cinq minutes pour tout nettoyer après le repas, laissant aux saints plus de temps pour bavarder ensemble.

Pendant son voyage à travers l’Utah en direction du sud, il remarqua que de nombreuses femmes manquaient les réunions de l’Église parce qu’elles étaient occupées à préparer des repas élaborés ou à nettoyer ensuite. Il déplora aussi le fait que de nombreux hommes et femmes de l’Église avaient adopté un mode de vie extravagant, parfois au détriment de leur bien-être spirituel. Il voulait que tous les saints, lui inclus, se tempèrent ou simplifient leur mode de vie.

Il déclara : « Les habitudes paresseuses et l’extravagance dépensière des hommes sont ridicules dans notre communauté. »

À l’école des prophètes, Brigham conseilla aux hommes de ne pas suivre la mode du monde, mais de créer leur propre style avec du tissu fabriqué dans le territoire. À d’autres moments, il encouragea les femmes à s’abstenir de confectionner des robes sophistiquées dans des tissus chers provenant des États de l’Est au lieu du tissu produit localement. Selon lui, l’extravagance attisait la compétitivité parmi les saints et les détournait de leur progression spirituelle. Il trouvait que c’était un signe de matérialisme incompatible avec l’esprit coopératif de Sion.

Ces préoccupations lui occupaient encore l’esprit lorsque son groupe arriva à Gunnison, une ville située à l’extrémité sud de la vallée de Sanpete. Pendant qu’il était là, il s’entretint avec Mary Isabella Horne, une résidente de Salt Lake City en visite chez son fils. Mary Isabella avait la réputation d’être une dirigeante déterminée et fidèle des femmes de l’Église. Comme Brigham, elle était membre depuis les années 1830 et avait connu sa part de privations à cause de l’Évangile. Elle était maintenant présidente de la Société de secours de la Quatorzième paroisse de Salt Lake City.

Brigham dit : « Sœur Horne, je vais vous confier une mission, à commencer lorsque vous rentrerez chez vous, la mission d’enseigner la tempérance parmi les femmes et les filles d’Israël. Il n’est pas convenable qu’elles consacrent autant de temps à la préparation des repas et à l’ornementation de leur corps et négligent leur éducation spirituelle. »

Mary Isabella hésita à accepter la responsabilité. Enseigner la tempérance signifiait encourager les femmes à simplifier leur travail et leur mode de vie. Pourtant, la préparation de bons repas et la confection de beaux habits pour elles et leur famille étaient source de motivation, de satisfaction et d’estime personnelle. Leur demander de simplifier leur travail revenait à leur demander de changer la manière dont elles se percevaient et dont elles percevaient leur contribution à la vie de la collectivité.

Brigham l’exhorta pourtant à accepter la mission, pensant que cela donnerait aux femmes plus de possibilités de progresser spirituellement. Il dit : « Rassemblez les sœurs de la Société de secours et demandez-leur de réformer leur façon de cuisiner et d’entretenir leur foyer. Je voudrais parvenir à une société dont les membres accepteraient de prendre un petit-déjeuner léger le matin, eux et les enfants, sans cuisiner quarante plats différents. »

Toujours incertaine quant à la manière d’entreprendre une telle mission, Mary Isabella accepta l’appel.

Vers cette époque-là, James Crockett se rendit à Kirtland (Ohio, États-Unis) avec son cousin William Homer. James n’était pas saint des derniers jours, mais William venait d’achever une mission en Europe et avait l’intention de visiter l’ancien lieu de rassemblement des saints avant de rentrer chez lui en Utah. Kirtland était à moins de cent cinquante kilomètres de chez James et les cousins décidèrent d’entreprendre le voyage ensemble.

À Kirtland, William souhaita rendre visite à Martin Harris, l’un des trois témoins du Livre de Mormon, qui s’était autoproclamé gardien du temple de Kirtland. Le fils de Martin avait épousé la sœur de William et ce dernier espérait persuader le vieil homme de rejoindre sa famille en Utah.

Les rapports de Martin avec l’Église étaient toutefois tendus. Après la faillite de la Kirtland Safety Society plus de trente ans auparavant, Martin s’était dressé contre Joseph Smith et avait erré d’un groupe d’anciens saints des derniers jours à l’autre. Lorsque sa femme, Caroline, avait émigré avec leurs enfants en Utah dans les années 1850, il avait refusé de les accompagner.

Arrivés à Kirtland, James et William se présentèrent chez lui. Il était petit, mal habillé, avait le visage maigre et buriné, et le regard mécontent. William dit qu’il était un missionnaire d’Utah et le beau-frère du fils de Martin.

Celui-ci grogna : « Vous êtes l’un de ces mormons brighamites. »

William essaya de lui donner des nouvelles de sa famille en Utah, mais le vieil homme ne semblait pas l’entendre. Il dit : « Voulez-vous voir le temple ? »

William répondit : « Si vous le permettez. »

Martin alla chercher une clé et conduisit James et William au temple. L’extérieur du bâtiment était en assez bon état. Le crépi sur les murs extérieurs était toujours intact et le bâtiment avait un nouveau toit et quelques fenêtres neuves. À l’intérieur, par contre, James constata que des lambeaux de plâtre se détachaient du plafond et des murs et qu’une partie des boiseries était souillée et abîmée.

Passant d’une pièce à l’autre, Martin témoigna des événements sacrés qui s’étaient déroulés dans le temple. Toutefois, au bout d’un moment, il se sentit gagné par la fatigue et ils s’arrêtèrent pour se reposer.

William demanda à Martin : « Croyez-vous toujours que le Livre de Mormon est vrai et que Joseph Smith est un prophète ? »

Le vieil homme sembla renaître à la vie. Il déclara d’une voix vibrante de sincérité et de conviction : « J’ai vu les plaques. J’ai vu l’ange. J’ai entendu la voix de Dieu. Autant douter de ma propre existence que de douter de l’authenticité divine du Livre de Mormon ou de l’appel divin de Joseph Smith ! »

Le témoignage électrifia la pièce. Bien qu’étant incroyant lorsqu’il arriva à Kirtland, James fut touché par ce qu’il entendit. En un instant, le vieil homme aigri s’était transformé en un homme aux convictions nobles, inspiré de Dieu et doté de connaissance.

William demanda à Martin comment il pouvait rendre un témoignage aussi puissant après avoir quitté l’Église.

Il répondit : « Je n’ai jamais quitté l’Église. C’est l’Église qui m’a quitté. »

William demanda : « Aimeriez-vous revoir votre famille ? Le président Young serait très heureux de vous fournir le moyen de vous rendre en Utah. »

Martin ricana : « Il ne ferait rien de bien. »

William dit : « Adressez-lui un message, je le lui remettrai. »

Martin examina la proposition. Il dit : « Allez voir Brigham Young et dites-lui que j’aimerais visiter l’Utah et voir ma famille, mes enfants. J’accepterais volontiers l’aide de l’Église, mais je ne veux pas de faveur personnelle. »

William accepta de transmettre le message et Martin dit au revoir à ses visiteurs. Lorsque les cousins furent sortis, James posa les mains sur les épaules de William et le regarda droit dans les yeux.

Il dit : « Il y a quelque chose en moi qui me dit que le vieil homme dit la vérité. Je sais que le Livre de Mormon est vrai. »

Pendant que William Homer retournait en Utah avec le message de Martin, des législateurs à Washington DC. proposaient de nouvelles lois pour appuyer la loi anti-bigamie de Morrill datant de 1862. En décembre 1869, le sénateur Aaron Cragin proposa un projet de loi qui, entre autres, refuserait aux saints le droit à un procès devant un jury dans les cas de polygamie. Plus tard ce mois-là, le député Shelby Cullom présenta un autre projet de loi qui condamnerait les saints des derniers jours qui pratiquaient le mariage plural à une amende et permettrait de les emprisonner et de leur refuser la citoyenneté.

Le 6 janvier 1870, trois jours après l’arrivée d’un exemplaire du projet de loi Cullom en Utah, Sarah Kimball et les femmes de la Société de secours de la quinzième paroisse de Salt Lake City se réunirent au premier étage de leur bâtiment pour organiser une pétition contre ledit projet. Elles trouvaient que les lois contre la polygamie violaient la liberté religieuse, empiétaient sur leur sens moral et cherchaient à avilir les saints.

Sarah dit : « Nous serions indignes du nom que nous portons et du sang qui coule dans nos veines si nous restions silencieuses plus longtemps alors qu’un projet aussi infâme est à l’étude à la Maison-Blanche. »

Les femmes esquissèrent des résolutions pour utiliser leur influence morale afin de contrer les projets de loi. Elles exprimèrent leur indignation envers les hommes qui avaient proposé les lois au Congrès et décidèrent d’adresser une pétition au gouverneur de l’Utah demandant que les femmes du territoire aient le droit de voter. Elles prirent également la décision d’envoyer deux femmes à Washington DC. pour faire pression en faveur des saints.

Au bout d’une heure de réunion, Eliza Snow arriva auprès d’elles pour proposer son soutien. Elle croyait que les membres de la Société de secours avaient le devoir envers elles-mêmes et leurs enfants de défendre l’Église et leur mode de vie. Trop souvent, les détracteurs utilisaient les journaux populaires, les bandes dessinées politiques, les romans et les discours pour faire passer les femmes de l’Église pour des victimes opprimées par le mariage plural. Elle dit aux femmes : « Nous devons nous manifester dans la dignité de notre appel et parler par nous-mêmes. »

Il faisait froid et il neigeait la semaine suivante, mais le 13 janvier, plus de trois mille femmes bravèrent les éléments pour se rassembler dans l’ancien tabernacle en adobe de Salt Lake City pour une « grande réunion d’indignation » afin de protester contre les projets de loi Cragin et Cullom. Sarah Kimball présidait la réunion. À part une poignée de journalistes, aucun homme n’était présent.

Une fois la réunion ouverte, Sarah s’avança vers la chaire. Bien que dans tout le pays, des femmes eussent souvent pris la parole en public sur des problèmes politiques, en particulier le droit de vote des femmes et l’abolition de l’esclavage, cela restait une démarche controversée. Pourtant, Sarah était décidée à donner aux saintes des derniers jours la possibilité d’être entendues en public. Elle apostropha l’assemblée : « Avons-nous transgressé la moindre loi des États-Unis ? »

« Non ! », crièrent les femmes.

Elle demanda : « Alors pourquoi sommes-nous ici aujourd’hui ? Nous avons été chassées de lieu en lieu, et pourquoi ? Uniquement pour avoir cru aux recommandations de Dieu telles qu’elles sont contenues dans l’Évangile des cieux et pour les avoir mises en pratique. »

Un comité réunissant plusieurs présidentes de Société de secours, dont Isabella Horne, Rachel Grant et Margaret Smoot, présenta une déclaration officielle protestant contre les projets de loi anti-polygamie. Elles affirmaient : « Nous exerçons à l’unisson tous les pouvoirs moraux et tous les droits dont nous avons hérité en qualité de filles de citoyens américains pour empêcher l’adoption de tels projets de loi, sachant qu’ils apposeraient, de manière inévitable, une marque d’infamie sur notre gouvernement républicain en mettant en danger la liberté et la vie de ses citoyens les plus loyaux et les plus pacifiques. »

Au cours de la réunion, d’autres femmes parlèrent avec fermeté. Amanda Smith décrivit le meurtre de son mari et de son fils et les blessures subies par son autre fils lors du massacre de Haun’s Mill trente ans auparavant. Elle cria, tandis que les applaudissements retentissaient dans le tabernacle : « Défendons la vérité, même au péril de notre vie ! »

Phebe Woodruff en voulait aux États-Unis de refuser la liberté religieuse aux saints. Elle déclara : « Si les dirigeants de notre nation s’écartent de l’esprit et de la lettre de notre magnifique constitution au point de priver nos prophètes, apôtres et anciens de leur citoyenneté et de les emprisonner pour avoir obéi à cette loi, qu’ils nous accordent notre dernière demande, celle de faire des prisons suffisamment grandes pour recevoir leurs femmes parce que là où ils iront, nous irons aussi. »

Eliza Snow fut la dernière à prendre la parole. Elle dit : « Je désire qu’en tant que mères et sœurs en Israël, nous défendions la vérité et la justice et soutenions ceux qui la prêchent. Appliquons-nous avec plus d’énergie à nous instruire et à cultiver cette force de caractère moral qui n’a pas son égal sur toute la surface de la terre.

Les jours suivants, les journaux de tout le pays firent un compte-rendu complet de la « grande réunion d’indignation ». Peu après, le Deseret News rapporta des discours prononcés dans d’autres réunions d’indignation, dans des colonies de tout le territoire. Du fait que les projets de loi Cragin et Cullom faisaient passer le mariage plural pour une forme d’esclavage, les nombreuses femmes qui prirent la parole lors de ces réunions insistèrent sur leur droit d’épouser l’homme de leur choix.

Pendant ce temps, lors des réunions du corps législatif territorial, Joseph F. Smith et d’autres membres de la Chambre des représentants de l’Utah étudiaient la question du droit de vote des femmes dans le territoire. Les États-Unis étaient en train d’accorder ce droit à tous les citoyens masculins, y compris aux anciens esclaves. Cependant, de tout le pays, seul le territoire du Wyoming permettait aux femmes de voter, en dépit d’un mouvement national croissant visant à offrir ce droit à tous les citoyens de plus de vingt et un ans.

Plusieurs mois plus tôt, quelques législateurs américains avaient proposé de l’accorder aux femmes d’Utah, persuadés qu’elles voteraient la proscription du mariage plural. De nombreux saints du territoire, hommes et femmes, étaient en faveur du suffrage féminin, précisément parce qu’ils croyaient que de ce fait, les saints seraient plus en mesure de faire passer des lois préservant la liberté religieuse au sein de leur communauté.

Le 29 janvier 1870, Joseph assista à une réunion de l’école des prophètes de Salt Lake City où Orson Pratt, apôtre comme lui et haut dirigeant dans le corps législatif territorial, affirma son soutien pour le droit de vote des femmes. Quelques jours plus tard, le corps législatif vota à l’unanimité l’adoption de la loi. Joseph en envoya une copie officielle au gouverneur par intérim, qui la signa, lui donnant force de loi.

Bien que cette nouvelle loi fût source de réjouissance parmi les saints, elle n’apaisa guère leurs inquiétudes au sujet des projets de loi anti-polygamie à l’étude à Washington que le Congrès pouvait faire passer avec ou sans le soutien des électeurs d’Utah.

À cela s’ajoutait l’opposition croissante à l’Église à l’intérieur du territoire. Les cousins de Joseph, Alexander et David, avaient quitté l’Utah quelques mois plus tôt, leur mission moins fructueuse qu’ils ne l’avaient espéré. Par contre, William Godbe et Elias Harrison avaient récemment fondé avec leurs partisans « l’Église de Sion » et s’autoproclamaient précurseurs d’un « Nouveau mouvement » pour réformer l’Église et la prêtrise. Ils lancèrent également la publication d’un journal, le Mormon Tribune, et se rangèrent aux côtés de marchands de la ville pour former le « parti libéral » et combattre la domination politique des saints dans le territoire.

Face à cette opposition, Joseph et d’autres apôtres continuèrent de soutenir Brigham Young dans son rôle de dirigeant. Wilford Woodruff témoigna à l’école des prophètes : « Si Dieu a une révélation à communiquer à l’homme, il ne me la communiquera pas à moi ni à Billy Godbe, elle viendra par l’intermédiaire du président Young. Dieu parlera par l’intermédiaire de son porte-parole. »

Quelques hommes démissionnèrent de l’école pour se joindre au Nouveau mouvement. D’autres, notamment T. B. H. Stenhouse, un missionnaire autrefois vaillant, commencèrent à vaciller.

Le 23 mars, la Chambre des représentants des États-Unis adopta le projet de loi Cullom et l’envoya au sénat pour ratification. Trois jours plus tard, lorsque la nouvelle alarmante parvint à Salt Lake City, certains hommes de l’école des prophètes craignirent que le conflit avec les États-Unis ne fût imminent.

George Q. Cannon les exhorta à la prudence : « L’esprit de conflit est aisément avivé lorsque la situation s’y prête. Tenons notre langue en bride et ne nous compromettons pas par des propos insensés. »

Daniel Wells, conseiller dans la Première Présidence, pensait qu’il serait avisé de se préparer discrètement au combat Mais il se demandait tout haut si les saints ne s’étaient pas attiré cette opposition en négligeant de respecter les principes de la coopération. Il demanda : « Combien dans cette école même font aujourd’hui commerce et soutiennent nos ennemis jurés dans cette ville au lieu de soutenir les serviteurs de Dieu en suivant leurs recommandations ? Repentons-nous et tâchons de nous amender. »

Joseph F. Smith fit écho à ces paroles dans une lettre adressée à sa sœur Martha Ann. Il écrivit : « Cela ne me poserait aucun problème s’il n’y avait le fait que je ne crois pas que notre peuple ait vécu aussi proche de Dieu qu’il l’aurait dû. Il se peut que le Seigneur nous ait préparé un fléau à cause de cela. »

Lorsque Mary Isabella Horne retourna à Salt Lake City, elle recruta Eliza Snow et Margaret Smoot pour l’aider dans sa nouvelle mission de tempérance. Elle invita une douzaine de présidentes de Sociétés de Secours chez elle et demanda à Eliza et Margaret de travailler avec Sarah Kimball à la rédaction des principes directeurs de la société de tempérance et de coopération des dames. Selon les instructions reçues, elles allaient fonder une société pour aider les femmes de l’Église à simplifier les repas et la mode, ce qui leur permettrait de disposer de davantage de temps pour se concentrer sur leur progression spirituelle et intellectuelle.

Mary Isabella pensait que la tempérance placerait toutes les femmes de l’Église sur un pied d’égalité sociale. Certaines hésitaient à se lier d’amitié avec des voisins plus aisés parce qu’elles étaient gênées de ne pas servir des repas plus élaborés. Mary Isabella voulait qu’elles soient libres de se fréquenter et de s’instruire mutuellement. Elle croyait que toute table bien mise et proposant une nourriture saine était respectable, aussi simple fût-elle.

Tandis que la tempérance prenait racine parmi les femmes de l’Église, Susie Young, fille de Brigham Young, âgée de quatorze ans, remarqua que les femmes de son père s’habillaient plus simplement et préparaient des repas plus modestes. Cependant, ses sœurs et elle aimaient porter des robes ornées de dentelle, de rubans, de boutons et de nœuds élégants achetés au magasin.

Un soir de mai 1870, après la prière en famille, son père parla à certaines de ses filles à la Lion House de l’idée de créer une association de tempérance. Brigham dit : « J’aimerais que vous créiez votre propre mode. Abandonnez tout ce qui est mauvais et sans valeur et améliorez-vous dans tout ce qui est bon et beau. Ne soyez pas malheureuses, mais vivez de manière à être véritablement heureuses dans cette vie et dans la vie à venir. »

Les jours suivants, Eliza leur exposa les principes de la tempérance et leur demanda de retirer de leurs vêtements les ornements inutiles. Le résultat fut tout sauf élégant. À la place des rubans et des nœuds, on voyait des pans de tissu qui n’avaient pas décoloré. Si la tempérance était censée leur donner l’air d’être différentes du reste du monde, c’était un franc succès.

Néanmoins, Susie et ses sœurs comprirent que la tempérance, comme la coopération, était censée offrir aux saints un nouveau modèle de vie, les débarrassant des tendances et des modes du monde afin qu’elles soient libres de respecter les commandements de tout leur cœur.

Quelques jours après leur réunion avec leur père, certaines des sœurs de Susie organisèrent le premier auxiliaire des jeunes filles de l’association de coopération et de tempérance des femmes. Accueillant aussi bien les jeunes femmes mariées que celles qui étaient célibataires, elles prirent toutes la résolution de s’habiller avec modestie, de se soutenir dans les bonnes œuvres et d’être de bons exemples pour le monde. Ella Empey, l’une des sœurs mariées de Susie, fut choisie comme présidente et Susie fut présentée le lendemain comme rapporteuse générale de la société.

Elles décidèrent : « Puisque l’Église de Jésus-Christ est comparée à une ville située sur une montagne pour être une lumière pour les nations, il est de notre devoir de montrer l’exemple aux autres, et non de chercher à les imiter. »


CHAPITRE 26 : Pour le plus grand profit de Sion

Au cours du printemps et de l’été 1870, la tempérance se répandit de Salt Lake City vers toutes les Sociétés de Secours du territoire, même dans les collectivités rurales où les saints menaient déjà une vie simple. Désireuses d’imiter leurs sœurs de la ville, la présidente de la Société de secours de Santaquin et les sœurs de l’unité organisèrent un pique-nique dans leur école. Elles préparèrent un repas simple de pain brun et de soupe aux haricots, passèrent un agréable moment ensemble et filèrent vingt écheveaux de fil pour fabriquer du tissu.

Le besoin de tempérance devint encore plus pressant après qu’une nouvelle invasion de sauterelles eut ravagé les récoltes des saints dans de nombreuses colonies. Lors d’une réunion du mois de mai de l’école des prophètes de Salt Lake City, George A. Smith déplora le fait que peu de personnes avaient tenu compte du conseil répété de la Première Présidence de faire des réserves de grain. Il compara ensuite les sauterelles aux détracteurs de l’Église dans le gouvernement local et national.

Il dit : « Beaucoup s’attendent à s’engraisser de notre perte et à curer les os des mormons. Ils peuvent décider d’envoyer des armées pour nous détruire, nous disperser et dévaster nos habitations, mais cela ne prouvera en rien que notre religion est fausse. »

L’étude du projet de loi Cullom au sénat attira les regards des législateurs de la nation sur les saints. George pensait que les détracteurs présents à Salt Lake City essayaient de dresser l’opinion publique contre l’Église. Il conseilla aux hommes de l’école d’être patients et sages, et de n’offenser personne. Il les avertit également de ne pas compter sur des hommes méchants pour diriger les saints.

Il ne mentionna pas nominativement William Godbe ni Elias Harrison, mais ils faisaient probablement partie des hommes auxquels il pensait. Après avoir organisé leur Église de Sion, ces derniers avaient parlé d’un « homme à venir » qui dirigerait leur Nouveau mouvement. William avait contacté Joseph Smith III, peut-être pour le recruter comme dirigeant, mais ce dernier n’avait pas adhéré à leur cause.

Ce printemps-là, Amasa Lyman annonça sa décision de se joindre à l’Église de Sion. Des rumeurs selon lesquelles il la dirigerait se mirent immédiatement à circuler. Amasa avait été relevé du Collège des Douze en 1867 pour cause d’apostasie et peu de personnes furent surprises de le voir s’affilier au Nouveau mouvement. Néanmoins, Francis Lyman, son fils aîné, resta interdit en apprenant la décision de son père. Il essaya de le raisonner, mais fut vite trop peiné pour en discuter. Il quitta brusquement la pièce et pleura pendant des heures.

Brigham encouragea les membres de l’école des prophètes à laisser de tels dissidents tranquilles et à s’abstenir de les critiquer. Il fit également le serment de continuer d’édifier le royaume de Dieu. Il déclara : « J’ai l’intention d’utiliser mon influence pour affermir Israël jusqu’à ce que règne Jésus, à qui revient ce droit. »

En juillet, il demanda aux hommes de l’école des prophètes de faire part de leurs sentiments à l’égard de l’expiation de Jésus-Christ. Après les avoir écoutés, il témoigna du sacrifice du Sauveur et reconnut les dangers auxquels les saints faisaient face, notamment la défection d’anciens piliers. Il dit : « Nous avons l’Évangile, mais si nous espérons en recevoir les bienfaits, nous devons vivre en accord avec ses préceptes. »

Il exhorta les hommes à suivre les recommandations des serviteurs du Seigneur, promettant que Dieu les bénirait s’ils le faisaient.

Cet été-là, Martin Harris arriva en Utah par le chemin de fer transcontinental. Après avoir été informé du désir de ce dernier de venir dans l’Ouest, Brigham fut vivement désireux d’aider celui qui avait autrefois donné tant de temps et d’argent à l’Église. Il demanda à Edward Stevenson, un missionnaire expérimenté, de collecter des dons pour Martin et d’aider ensuite le vieil homme à faire le long voyage depuis Kirtland. Brigham lui dit : « Allez le chercher, même si cela doit me coûter jusqu’à mon dernier dollar. »

L’arrivée de Martin à Salt Lake City fit sensation, même s’il n’était pas le premier ancien membre de l’Église à venir dans le territoire. Thomas Marsh, le premier président du Collège des Douze, avait été rebaptisé et était venu dans l’Ouest treize ans plus tôt, le cœur rempli de regrets d’avoir quitté l’Église en 1838. Toutefois, le statut de témoin du Livre de Mormon faisait de Martin un homme à part. Âgé de quatre-vingt-sept ans, il était l’un des derniers protagonistes vivants de certains des premiers miracles de la nouvelle dispensation

Peu après son arrivée en ville, il rendit visite à Brigham Young et le prophète l’invita à prendre la parole dans le tabernacle le 4 septembre. Ce jour-là, il se tint à la chaire pendant une demi-heure et parla d’un ton calme de sa quête de la vérité pendant les réveils religieux de la fin des années 1810.

Il témoigna : « L’Esprit m’avait dit de ne me joindre à aucune des églises, car aucune ne détenait l’autorité du Seigneur. L’Esprit m’avait dit que je pouvais tout aussi bien me plonger moi-même dans l’eau que demander à l’une des sectes de me baptiser, donc j’attendis jusqu’à ce que l’Église fût organisée par Joseph Smith, le prophète. »

Les semaines suivantes, Martin fut réuni à sa femme, ses enfants et d’autres membres de sa famille dans le territoire. Emer, son frère aîné, était décédé l’année précédente dans la vallée de Cache, au nord de l’Utah, mais sa sœur veuve, Naomi Bent, vivait dans la vallée. Le 17 septembre, elle se rendit avec Martin à la maison des dotations où Edward Stevenson le rebaptisa, après quoi Orson Pratt, John Taylor, Wilford Woodruff et Joseph F. Smith le reconfirmèrent membre de l’Église. Martin et Naomi furent ensuite baptisés et confirmés en faveur de plusieurs de leurs ancêtres.

Le mois suivant, lors de la conférence générale d’octobre de l’Église, il rendit témoignage de la véracité et de l’origine divine du Livre de Mormon. Ensuite, George A. Smith s’avança vers la chaire et dit : « Il est remarquable d’avoir le témoignage de Martin Harris. Le Livre de Mormon contient cependant une promesse. Celle-ci s’est accomplie et les personnes qui ont fait la volonté de Dieu ont pu savoir que la doctrine est vraie.

Le Livre de Mormon a donc des milliers de témoins. »

Fin novembre 1870, Susie Young chantait et jouait de la guitare tandis qu’elle voyageait en calèche vers le sud de l’Utah pour se rendre dans une colonie de saints située à St. George. Sa mère, Lucy, et sa jeune sœur, Mabel, faisaient route avec elle. Après des années de vie débordante d’activité, dans la Lion House, elles déménageaient dans un logement à elles, à St. George. Brigham Young, le père de Susie, venait lui aussi, mais pas de façon permanente. Maintenant âgé de près de soixante-dix ans, il souffrait d’arthrite et préférait passer l’hiver dans le climat plus doux de St. George.

Susie chantait en partie pour ramener la bonne humeur dans la calèche. Le 3 octobre, quelques jours avant la conférence d’automne de l’Église, Dora, sa sœur de dix-huit ans, et elle s’étaient discrètement éclipsées de la fête d’anniversaire de leur mère pour retrouver le fiancé de Dora, Morley Dunford. Ensemble, les trois jeunes gens s’étaient rendus chez un pasteur protestant (il y en avait plusieurs dans la vallée) et il avait marié Dora et Morley pendant que Susie faisait le guet.

Pour Susie, cette fugue amoureuse semblait tout droit sortie d’un roman ou d’une pièce de théâtre palpitante, mais ses parents en avaient été consternés. Dora était fiancée à Morley depuis deux ans. Il était beau et venait d’une famille de marchands saints des derniers jours fidèle. Cependant, il avait un problème de boisson, et Brigham et Lucy pensaient qu’il n’était pas un bon parti pour leur fille. En fait, l’une des raisons pour lesquelles ils voulaient installer leurs filles à St. George était justement pour mettre cinq cents kilomètres entre Dora et Morley.

Mais leur mariage signifiait qu’elle n’irait pas s’installer dans le sud avec le reste de la famille. Susie voyait bien à quel point cela attristait leur mère. Elle avait beau chanter et plaisanter avec les autres passagers de la calèche, ses yeux trahissaient son chagrin. Susie fit de son mieux pour remonter le moral de sa mère, mais rien ne semblait y faire.

Sans chemin de fer entre Salt Lake City et St. George, le voyage dura quatorze jours, sur des routes cahoteuses. St. George se trouvait dans une vaste vallée fluviale entourée de falaises rouges escarpées. Lors d’un tour de la région une dizaine d’années plus tôt, Brigham avait balayé la vallée du regard et prophétisé qu’une ville en sortirait avec des maisons, des flèches et des clochers. Peu de temps plus tard, il envoya l’apôtre Erastus Snow et plus de trois cents familles en mission dans la région pour y cultiver du coton, une culture qui avait connu un certain succès dans d’autres colonies du sud de l’Utah.

Depuis lors, les saints de St. George avaient travaillé dur pour permettre à la prophétie de Brigham de se réaliser. La région était extrêmement chaude pendant une grande partie de l’année et la neige était rare. Grâce à la construction de barrages, les deux fleuves avoisinants fournissaient juste assez d’eau pour faire pousser des cultures et des arbres fruitiers au milieu des broussailles du désert. Lorsqu’il pleuvait, c’était parfois à torrents, emportant les barrages des colons. Le bois était également rare, les saints utilisaient donc la pierre et l’adobe comme matériaux de construction. Beaucoup de ceux qui étaient venus coloniser la vallée partirent peu après leur arrivée. Ceux qui restèrent se cramponnèrent à leur foi, confiants que Dieu les aiderait à fonder un foyer.

Depuis lors, ils avaient tracé de larges rues, bâti plusieurs belles maisons, un tribunal et une usine de coton. Au centre de la ville, ils étaient en train de construire un imposant tabernacle en grès où ils pourraient se rassembler et adorer ensemble.

Lorsque Susie et sa famille arrivèrent à St. George, elles s’installèrent dans une maison confortable en ville et firent la connaissance de leurs nouveaux voisins. Pendant ce temps, son père se mettait à réfléchir aux besoins de la colonie et des saints de partout. Le temple à Salt Lake City était encore à des années de son achèvement et la maison des dotations, qui ne proposait que certaines des ordonnances du temple, était une solution temporaire à un besoin à long terme. Les saints avaient besoin d’un temple en service où ils pourraient contracter des alliances avec notre Père céleste et accomplir toutes les ordonnances nécessaires pour les vivants et pour les morts.

En janvier 1871, juste avant son retour prévu à Salt Lake City, il assista à un conseil de dirigeants locaux chez Erastus Snow, qui présidait l’Église dans la région. Alors que la réunion touchait à sa fin, Brigham demanda aux hommes ce qu’ils pensaient de l’idée de construire un temple à St. George.

L’enthousiasme envahit la pièce. Erastus s’exclama : « Alléluia ! Merveilleux ! »

Une fois de retour à Salt Lake City, Brigham lui envoya ses plans pour le nouveau temple. Il serait plus petit et moins décoré que celui de Salt Lake City. Il serait fait de pierre et stuqué à l’intérieur et à l’extérieur. Comme le temple de Nauvoo, il aurait une seule tour s’élevant de l’une des extrémités du toit et des fonts baptismaux au sous-sol.

Il écrivit : « Nous souhaitons que les saints du sud unissent leurs efforts, d’un seul cœur et d’un seul esprit, pour l’exécution de cette œuvre. »

Il lui tardait de retourner à St. George à l’automne pour commencer la construction du temple, mais en attendant, l’Église dans d’autres parties du territoire avait besoin de son attention. Au fil de l’année écoulée, Amasa Lyman avait prêché pour l’Église de Sion et assisté à des séances spirites où des médiums avaient affirmé parler de la part de Joseph et d’Hyrum Smith, du chef Walkara et d’autres saints décédés. Des gens rapportèrent que pendant les réunions, ils avaient entendu des coups frappés ou vu une table léviter.

Ces séances attirèrent quelques saints vers le Nouveau mouvement, mais la plupart s’en méfiaient et l’Église de Sion fut rapidement en difficulté. Lorsque Brigham rentra à Salt Lake City en février 1871, le Nouveau mouvement ressemblait davantage à un groupe de personnes ayant l’objectif commun de mettre fin à l’influence de l’Église dans la région qu’à une organisation religieuse.

En avril, les dirigeants du Nouveau mouvement changèrent le nom de leur journal et le Mormon Tribune devint le Salt Lake Tribune. Puis, en juillet, ils consacrèrent l’Institut libéral, un lieu de réunion spacieux où ils pouvaient prononcer des discours, tenir des séances de spiritisme, des conférences et des réunions du parti politique libéral. Le Nouveau mouvement avait aussi réussi à éloigner les anciens amis de Brigham, T. B. H. et Fanny Stenhouse, qui depuis plusieurs mois étaient sur le point de quitter l’Église.

Cependant, le Nouveau mouvement ne représentait pas pour l’Église une menace aussi inquiétante que James McKean, le président de la Cour suprême de l’Utah nouvellement désigné. Le juge McKean était déterminé à éradiquer ce qu’il considérait être une théocratie en Utah. Vers l’époque de sa nomination, le projet de loi anti-polygamie Cullom n’avait pas obtenu la ratification du sénat et le président des États-Unis, Ulysses Grant, avait envoyé McKean en Utah précisément pour faire appliquer la loi anti-polygamie existante.

Peu après son arrivée, ce dernier déclara : « Dans ce pays, un homme peut adhérer à la religion qui lui plaît, mais nul ne doit violer nos lois et invoquer la religion comme excuse. »

À l’automne 1871, environ un mois avant son retour prévu à St. George, Brigham apprit que Robert Baskin, le procureur des États-Unis pour l’Utah et l’un des auteurs du projet de loi Cullom, avait l’intention de l’inculper, lui et d’autres dirigeants de l’Église, pour divers délits. Un ancien membre de l’Église appelé Bill Hickman avait même accepté d’essayer d’impliquer Brigham et d’autres dirigeants de l’Église dans un meurtre qu’il avait commis pendant la guerre d’Utah quatorze ans auparavant.

Bill Hickman était actuellement en état d’arrestation pour un autre meurtre et il avait conclu un marché avec la cour qui s’engageait à être clémente à son égard en échange de son témoignage. C’était un homme sans foi ni loi dont la parole ne tiendrait jamais devant un tribunal impartial, surtout du fait que plusieurs personnes réputées étaient au courant des faits relatifs au crime et niaient la participation de Brigham. John Taylor, qui avait été emprisonné à Carthage avec Joseph Smith, exhorta quand même Brigham à ne pas se livrer à la cour. Doutant de connaître le même sort que Joseph, Brigham dit : « Les choses sont bien différentes de ce qu’elles étaient à l’époque. »

Les premières inculpations eurent lieu le 2 octobre, lorsqu’un marshal des États-Unis arrêta Brigham parce qu’il vivait avec plus d’une épouse. Daniel Wells et George Q. Cannon furent également arrêtés sur la même inculpation.

Les arrestations déclenchèrent une tempête de rumeurs. Hors du territoire, les journaux prédirent qu’une guerre civile allait éclater à Salt Lake City et rapportèrent que les saints stockaient des fusils et avaient positionné un canon au pied des montagnes. En réalité, les rues de Salt Lake City étaient tranquilles. Les dirigeants de l’Église coopérèrent avec les hommes de loi et les avocats commencèrent à se préparer à répondre aux inculpations qui seraient lancées contre Brigham la semaine suivante.

Le jour venu, le tribunal était bondé. Des milliers de gens se tenaient debout dans la rue, à l’extérieur du bâtiment. Brigham arriva un quart d’heure avant le juge et s’assit patiemment, son calme désarmant ses détracteurs.

Lorsque le juge McKean arriva, les avocats de Brigham tentèrent de faire arrêter le procès sous prétexte que les agents n’avaient pas respecté la procédure appropriée lorsqu’ils avaient convoqué un grand jury sans un seul membre de l’Église. Lorsque McKean rejeta cette demande, les avocats essayèrent de montrer les failles dans les inculpations elles-mêmes dans l’espoir de faire abandonner les poursuites. Le juge rejeta de nouveau leur demande.

Pendant l’audience, McKean révéla qu’il ne considérait pas le cas comme un procès permettant de statuer sur l’innocence ou la culpabilité de Brigham, mais comme une bataille cruciale dans une guerre entre les révélations des saints et la loi fédérale. Il déclara : « Bien que l’affaire en cause soit appelée Le Peuple contre Brigham Young, son véritable titre est L’autorité fédérale contre la théocratie polygame. » Cela lui importait peu d’être un juge impartial. À ses yeux, le prophète était déjà coupable.

Supposant que le procès ne serait pas programmé avant le mois de mars, durant le mandat suivant de la cour, Brigham partit pour St. George environ deux semaines plus tard. Quelques jours après, un mandat d’arrêt fut émie contre lui et d’autres dirigeants de l’Église, cette fois-ci pour la fausse inculpation de meurtre.

Le 9 novembre 1871, après une période de temps froid et de pluie, le ciel au-dessus de St. George était dégagé et agréable. Juste au sud de la ville, Susie Young était assemblée avec une foule de personnes pour l’ouverture de chantier du temple, sur une parcelle dont on venait de faire le relevé.

Brigham ne s’était pas beaucoup montré en public depuis son arrivée à St. George cet automne-là. Avec la maladie et la perspective d’une comparution devant un tribunal, il devait se montrer prudent. Certaines personnes craignaient que des marshals ne tentent de le capturer et de le traîner jusqu’à Salt Lake City. La nuit, il restait chez Erastus Snow où des hommes armés montaient la garde pour le protéger.

Sur la parcelle du temple, Susie serrait contre elle un crayon et un cahier, prête à prendre des notes pendant la cérémonie. Avant d’emménager à St. George, elle avait été la meilleure élève de l’un des sténodactylos de son père, et elle était fière d’être rapporteuse. De l’endroit où elle se trouvait dans la foule, elle pourrait enregistrer tout ce qui se passerait. Elle pouvait facilement voir son père et sa mère debout l’un près de l’autre et sa sœur Mabel cramponnée à la main de sa mère.

Après le cantique d’ouverture interprété par le chœur, George A. Smith s’agenouilla et offrit la prière de consécration, demandant au Seigneur de protéger le prophète de ses ennemis et de prolonger ses jours. Susie vit ensuite son père et d’autres dirigeants de l’Église donner le premier coup de pelle à l’angle sud-est de la parcelle.

Les saints chantèrent « L’Esprit du Dieu saint » puis Brigham grimpa sur une chaise afin que tout le monde puisse l’entendre donner les instructions pour le « cri du Hosanna », un cri solennel poussé lors des cérémonies de consécration et d’événements publics depuis l’époque du temple de Kirtland.

Suivant son exemple, les saints levèrent la main droite et crièrent trois fois : « Hosanna, Hosanna, Hosanna à Dieu et à l’Agneau ! »

Quelques semaines plus tard, Brigham fut informé que le juge McKean avait fixé la date de son procès au 4 décembre alors qu’il savait que le prophète était loin de Salt Lake City. Brigham était cependant réticent à quitter St. George et le juge reporta la date à début janvier. Entre temps, Brigham tint conseil avec ses avocats et consultants sur la marche à suivre. Il savait qu’il serait arrêté dès qu’il retournerait à Salt Lake City et il était maintenant plus soucieux de sa sécurité qu’auparavant. Il voulait être certain qu’il ne serait pas tué au cours de sa garde à vue.

Pendant un certain temps, il envisagea de se cacher, comme Joseph l’avait fait à Nauvoo. Le meurtre était passible de peine capitale et si un jury partial le trouvait coupable, il pouvait être exécuté. Cependant, à la mi-décembre, ses avocats l’exhortèrent à retourner en ville, confiants qu’il serait en sécurité. Des membres du Collège des Douze et d’autres amis avaient un autre avis, mais ils étaient d’accord pour dire qu’il devait agir comme lui le jugeait bon.

Une nuit, Brigham rêva que deux hommes essayaient de prendre la direction d’une importante réunion de saints. Lorsqu’il se réveilla, il sut ce qu’il devait faire. Il dit à ses amis : « J’ai envie de rentrer à la maison et de diriger la réunion, avec l’aide de Dieu et de mes frères ! »

Sur le chemin de retour, il fit une halte pour la nuit dans une petite colonie. Les saints de l’endroit étaient très inquiets qu’il ait décidé d’aller au tribunal, sachant que le juge McKean l’avait pratiquement reconnu coupable. Un homme se mit même à sangloter en apprenant ce que Brigham avait l’intention de faire. Le prophète comprenait sa crainte, mais il savait ce qu’il devait faire.

Il dit : « Dieu l’emportera pour le plus grand bien de Sion. »


CHAPITRE 27 : Feu de prairie

Les rumeurs sur le retour de Brigham Young à Salt Lake City allèrent bon train pendant les semaines qui précédèrent son procès dont la date était fixée à janvier 1872. Les procureurs du territoire étaient certains qu’il préférerait fuir la justice plutôt que de comparaître devant un juge.

Cependant, fin décembre, Daniel Wells reçut un pli urgent du prophète. Il l’informait : « Nous serons présents au moment voulu pour comparaître au tribunal. » Le lendemain de Noël, il parcourut plus de cent kilomètres dans des tempêtes de neige pour retrouver Daniel à Draper, une ville située à une trentaine de kilomètres au sud de Salt Lake City. De là, ils prirent le train et Brigham arriva chez lui peu avant minuit.

Un marshal des États-Unis arrêta le prophète une semaine plus tard et l’escorta jusqu’à la salle d’audience du juge McKean. Brigham demeura calme et confiant tout au long de l’instruction. Faisant état de son âge avancé et de sa mauvaise santé, ses avocats demandèrent au juge de le libérer sous caution. McKean rejeta la demande et le plaça en détention.

Le procès était prévu peu de temps après et le Salt Lake Tribune prédisait que tous les journaux des États-Unis et de Grande-Bretagne en publieraient le déroulement. Le « Grand procès » fut cependant reporté et les jours devinrent des semaines. Brigham restait chez lui la plupart du temps, en général sous la surveillance de marshals. Toutefois, il assistait parfois à des activités. Il se rendit par exemple dans le bâtiment de la Quatorzième paroisse, accompagné d’un officier de police, et assista à une soirée surprise en l’honneur de l’anniversaire d’Eliza Snow.

George Q. Cannon lui envoyait régulièrement des rapports depuis Washington sur une affaire que les saints avaient soumise à la Cour suprême des États-Unis, le plus haut tribunal du pays. Ils soutenaient que la méthode du juge McKean consistant à exclure les saints des grands jurys dans le territoire d’Utah était illégale. Si la Cour suprême se prononçait contre la méthode du juge, toutes les accusations portées par un grand jury formé incorrectement, y compris les accusations contre le prophète, seraient immédiatement abandonnées.

La Cour suprême statua sur l’affaire en avril. Le juge McKean et George étaient tous deux présents pour entendre le verdict. Certains de ses associés étaient confiants que la décision de la Cour serait en faveur de Brigham, mais McKean avait l’air inquiet pendant que le président du tribunal lisait la décision de la Cour.

Il déclara : « Dans l’ensemble, nous sommes d’avis que le jury n’a pas été choisi ni convoqué conformément à la loi dans cette affaire. »

Le juge McKean quitta la pièce en maudissant le verdict et insista en disant que Brigham n’avait rien fait de mal. Les télégraphes eurent tôt fait de relayer la nouvelle jusqu’en Utah. Toutes les accusations pénales portées par de grands jurys formés illégalement dans le territoire étaient effacées. Brigham Young était libre.

Plus tard ce jour-là, dans une lettre adressée au prophète, George se réjouit : « La Cour suprême s’est élevée au-dessus des préjugés religieux et des influences politiques. » Il était pourtant inquiet que le verdict n’ait fait qu’aigrir encore davantage les ennemis des saints.

Il écrivit : « Je serais surpris qu’on ne redouble pas d’efforts pour s’assurer que la loi soit contre nous. »

Ce mois d’avril là, les saints de tout Hawaï allèrent à Oahu pour une conférence à Laie, leur lieu de rassemblement depuis sept ans. Environ quatre cents saints y habitaient à longueur d’année. Il s’y trouvait une petite église, une école et une grande exploitation agricole où les saints du lieu et les missionnaires d’Utah cultivaient la canne à sucre.

Pendant la conférence, treize missionnaires locaux témoignèrent de leurs expériences récentes. Sous la direction de Jonathan Napela, qui avait été appelé à superviser le prosélytisme sur les îles, les missionnaires avaient baptisé plus de six cents personnes. Le nombre de saints à Hawaï dépassait maintenant largement les deux mille.

Chaque frère témoigna des miracles qu’il avait vus dans le champ de la mission. Récemment, le Seigneur avait guéri un paralytique après que les missionnaires eurent exercé leur foi et prié pour lui. Un autre homme, qui s’était cassé le bras en tombant de sa mule, avait été totalement guéri après que deux missionnaires lui eurent donné une bénédiction. D’autres en avaient donné plusieurs à une petite fille qui ne pouvait pas marcher. Après chacune, son état s’était amélioré jusqu’à ce qu’elle puisse de nouveau courir et jouer.

Après la conférence, les missionnaires continuèrent de prêcher l’Évangile et de guérir les malades. Parmi les personnes qui vinrent demander de l’aide se trouvait Keʻelikōlani, le gouverneur de la Grande-Île d’Hawaï. Elle demanda aux saints de prier pour son demi-frère, le roi Kamehameha V, qui était sur le point de mourir. Napela connaissait bien le roi ; aussi, accompagné de H. K. Kaleohano, un membre de l’Église de longue date, il se rendit au palais et proposa de prier pour lui.

Ils dirent : « Nous avons été informés de votre grande adversité et nous désirons sincèrement votre rétablissement. » Le roi accepta leur offre et les missionnaires inclinèrent respectueusement la tête. Kaleohano offrit ensuite une prière fervente.

Lorsque les missionnaires eurent terminé, Kamehameha semblait aller bien mieux. Il dit aux frères que certains membres du gouvernement avaient fait pression sur lui pour qu’il empêchât les saints de prêcher sur les îles, mais il avait refusé de les écouter. La constitution d’Hawaï accordait la liberté religieuse aux gens et il comptait bien la faire respecter.

Le roi conversa amicalement avec Napela et Kaleohano pendant un long moment. Alors que les anciens étaient sur le point de partir, des hommes arrivèrent avec du poisson pour la maisonnée du roi. Lorsque Kamehameha les vit, il montra Napela et Kaleohano du doigt et dit : « N’oubliez pas ces rois. »

Il donna à chaque frère un panier de poissons et leur dit au revoir.

Vers l’époque de la conférence d’avril à Laie, les journaux de tous les États-Unis se repaissaient d’un exposé sur le mariage plural nouvellement publié par Fanny Stenhouse, qui était devenue la femme la plus éminente du Nouveau mouvement. Dans le livre, elle présentait les saintes des derniers jours comme des femmes opprimées et mécontentes.

Les femmes de l’Église furent atterrées par ce tableau. Croyant qu’il valait mieux que les saintes des derniers jours se décrivent elles-mêmes au lieu d’être présentées sous un faux jour par d’autres personnes, Lula Greene, vingt-trois ans, commença de publier un journal pour les femmes d’Utah. Elle l’appela le Woman’s Exponent.

Lula avait une belle plume, et était présidente de l’association de tempérance des Jeunes Filles dans une petite branche. Après avoir publié la poésie de la jeune femme, le rédacteur du Salt Lake Daily Herald lui avait demandé d’écrire pour son journal, mais comme son personnel avait rechigné à l’embaucher, il lui avait suggéré l’idée de lancer son propre journal.

Cela l’avait intriguée. Les récentes réunions de protestation avaient montré l’influence puissante que les saintes des derniers jours pouvaient avoir lorsqu’elles parlaient franchement des questions qui leur importaient. Cependant, les femmes dans et hors de l’Église avaient rarement l’occasion d’exprimer leur opinion aussi publiquement. De plus, beaucoup des bonnes choses dites et faites par la Société de secours et l’association de tempérance l’étaient à l’insu de tous, en particulier des personnes extérieures au territoire.

Lula fit tout d’abord part du projet à Eliza Snow, qui consulta ensuite Brigham Young, le grand-oncle de Lula. Tous les deux affirmèrent leur soutien. À sa demande, Brigham lui confia la mission spéciale de rédactrice du journal.

Le premier numéro du Woman’s Exponent fut publié en juin 1872. Le journal proposait des nouvelles locales, nationales et mondiales, ainsi que des éditoriaux, de la poésie et des comptes rendus de réunions de Société de secours et de tempérance. Lula publia également des lettres à la rédaction, offrant aux saintes des derniers jours un lieu où elles racontaient leurs histoires et exprimaient leurs opinions.

En juillet, elle publia la lettre d’une Anglaise nommée Mary, qui comparait la vie dure de servante qu’elle avait menée à Londres et à New York à sa vie en Utah. Elle déclarait : « Nous, les ‘femmes mormones’, devrions écrire et dire au monde (libre à lui de nous croire ou pas) que nous ne sommes pas les pauvres êtres opprimés que l’on décrit. Je n’ai pas été opprimée ici, mais j’ai été libre de venir, libre de partir, libre de travailler ou de ne rien faire. »

Elle ajouta : « Pour l’instant, j’aime beaucoup l’Exponent. Il parle de bon sens. »

Entre-temps, au nord de l’Utah, les tribus de la nation shoshone du nord-ouest étaient sur le point de mourir de faim. Près de dix mille colons blancs, la plupart saints des derniers jours, habitaient les terres indigènes des Shoshones dans la Cache Valley et les régions avoisinantes, épuisant les ressources naturelles de nourriture de la région.

À leur arrivée dans la Cache Valley au milieu des années 1850, un chef shoshone nommé Sagwitch avait établi de bons rapports avec les dirigeants locaux de l’Église, en particulier avec l’évêque Peter Maughan, qui parfois leur donnait un peu d’aide venant du bureau des dîmes. Les tensions entre les deux groupes s’étaient exacerbées vers la fin des années 1850 au fur et à mesure que d’autres saints s’installaient dans la vallée et que le gibier se faisait plus rare.

Pour se nourrir et nourrir leurs familles, certains Shoshones avaient commencé à voler le bétail des saints, considérant leurs actions comme un dédommagement pour les terres perdues et les ressources épuisées. Espérant sans doute faire cesser les raids, les saints avaient essayé à contrecœur de nourrir les Shoshones en leur offrant de la farine et du bœuf, mais ces cadeaux ne compensaient pas les privations que les colons leur faisaient subir en s’installant dans la vallée.

Au cours de cette période, les Shoshones avaient également eu plusieurs différends avec le gouvernement des États-Unis. Le colonel Patrick Connor, commandant des troupes armées américaines basées à Salt Lake City, se servit du conflit comme motif pour attaquer les Shoshones. Un matin de janvier 1863, pendant que Sagwitch et son peuple campaient près de la Bear River, ils trouvèrent à leur réveil les soldats marchant contre eux. Les Shoshones se replièrent vers leurs lieux de refuge et tentèrent de les repousser, mais l’armée les encercla et, de sa position, tira impitoyablement sur eux.

Environ quatre cents hommes, femmes et enfants moururent suite à l’assaut du camp. Sagwitch survécut, ainsi que sa fille qui était bébé, et trois fils, mais sa femme, Dadabaychee, et deux beaux-fils se trouvaient parmi les victimes.

Après le massacre, les saints des colonies voisines vinrent porter secours aux Shoshones blessés. Cependant, l’attaque avait rendu Sagwitch profondément méfiant à l’égard des saints. Porter Rockwell, un saint des derniers jours qui servait parfois d’éclaireur à l’armée, avait conduit les soldats jusqu’au camp shoshone. Certains saints de la Cache Valley avaient aussi assisté au déroulement du massacre depuis le sommet d’une colline proche, et d’autres avaient abrité et nourri les soldats après l’attaque. Même Peter Maughan, qui traita l’action des soldats « d’inhumaine », croyait que les Shoshones avaient provoqué l’affrontement. Certains saints allèrent jusqu’à qualifier l’assaut d’intervention divine.

Maintenant, dix ans après le massacre, Sagwitch et son peuple en voulaient encore aux colons blancs. La bonne volonté des saints d’utiliser les ressources de l’Église pour fournir de la nourriture et du matériel aux Shoshones leur valut de regagner un peu de leur confiance, mais la perte de vies innocentes, de terres et de ressources les mettait dans une situation désespérée.

Au printemps 1873, un chef shoshone respecté appelé Ech-up-wy eut une vision dans laquelle trois Indiens entraient dans sa hutte. Le plus grand, un bel homme, large d’épaules, lui dit que le Dieu des saints était le même que celui que les Shoshones adoraient. Avec l’aide des saints, ils construiraient des maisons, cultiveraient la terre et recevraient le baptême.

Dans la vision, il vit aussi les Shoshones cultiver de petites exploitations avec quelques hommes blancs à leurs côtés. L’un d’eux était George Hill, un saint des derniers jours qui avait fait une mission parmi eux quinze ans auparavant. Il parlait leur langue et leur distribuait parfois de la nourriture et d’autres marchandises.

Après avoir entendu parler de la vision d’Ech-up-wy, un groupe de Shoshones prit la route de la maison de George à Ogden.

Peu de temps après, George Hill apprit à son réveil qu’un groupe de Shoshones attendait devant chez lui de pouvoir lui parler. Lorsqu’il accueillit ses visiteurs, l’un de leurs chefs lui expliqua qu’ils avaient appris par inspiration que les saints étaient le peuple du Seigneur. Il dit : « Nous voulons que vous veniez à notre camp pour nous prêcher l’Évangile et nous baptiser. »

George estimait qu’il ne pouvait pas le faire sans la permission de Brigham Young. Déçus, les Shoshones rentrèrent chez eux, mais revinrent plus tard et redemandèrent le baptême. Une fois de plus, George leur dit qu’il devait attendre les instructions du prophète.

Peu après, il le rencontra à Salt Lake City. Brigham dit : « Voilà quelque temps qu’un fardeau pèse sur mes épaules. J’ai essayé de m’en débarrasser. Maintenant, je vais te le donner. Dorénavant, ce fardeau sera le tien. Je veux que tu prennes la responsabilité de la mission aux Indiens dans tout le nord de ce pays. »

Il lui conseilla d’établir un lieu de rassemblement pour les Shoshones et de leur enseigner l’agriculture. Il dit : « Je ne sais pas comment tu dois t’y prendre, mais tu trouveras un moyen. »

Le 5 mai 1873, George se rendit en train dans une localité située à une cinquantaine de kilomètres au nord d’Ogden. De là, il continua à pied jusqu’au camp de Sagwitch, vingt kilomètres plus loin. Il n’avait pas fait deux kilomètres qu’un vieux Shoshone appelé Tig-we-tick-er s’approcha de lui en riant. Il dit que ce matin-là, Sagwitch avait prophétisé que George leur rendrait visite au camp.

Tig-we-tick-er lui indiqua la route et promit de revenir promptement pour l’entendre prêcher. George continua de marcher et rencontra deux autres Shoshones qui répétèrent les paroles de Sagwitch. Étonné, il se demanda comment ce dernier avait fait pour connaître exactement le jour et l’heure de son arrivée. Ce fut pour lui un signe que l’œuvre du Seigneur avait véritablement commencé parmi les Shoshones.

Peu après, il vit Sagwitch approcher à cheval, conduisant un autre cheval derrière lui. Il dit : « Je pensais que tu serais fatigué alors je t’ai amené un cheval à monter. »

Ils chevauchèrent ensemble jusqu’au camp. Des dizaines de personnes attendaient d’être instruites. George prêcha pendant une heure ou deux et apprit que nombre d’entre elles voulaient se joindre à l’Église. Cet après-midi-là, il baptisa cent un Shoshones, dont Sagwitch, et les confirma sur la berge. Il quitta ensuite le camp juste à temps pour prendre le dernier train à destination d’Ogden.

Le lendemain, il envoya une lettre à Brigham Young. Il écrivit : « Jamais de ma vie, je ne me suis senti aussi bien ni n’ai passé une journée plus heureuse. » Il nota que les Shoshones aussi avaient l’air heureux et avaient l’intention d’organiser des réunions de prière chaque soir. Mentionnant leur besoin impérieux de provisions, il demanda des sacs de farine pour eux.

Dans une lettre, George parla ensuite des baptêmes à son ami Dimick Huntington qui connaissait aussi la langue des Shoshones. George déclara : « Mon seul désir est d’avoir l’aide de l’Esprit de Dieu afin d’être capable d’accomplir l’œuvre que l’on exige de moi. »

Il supplia : « Dimick, fais tout ton possible pour m’aider. L’œuvre se propage comme un feu de prairie. »

Au moment où les Shoshones du nord-ouest embrassaient l’Évangile rétabli, Jonathan Napela apprenait que sa femme, Kitty, avait reçu l’ordre de se rendre sur l’île de Molokai après avoir contracté la maladie d’Hansen, ou lèpre. Espérant endiguer la propagation de la maladie sur Hawaï, le roi Kamehameha V avait fondé une colonie sur la péninsule de Kalaupapa, à Molokai, pour mettre en quarantaine les personnes qui présentaient des signes d’infection. Du fait que l’on pensait que la lèpre était incurable, le bannissement à la colonie était habituellement une sentence à perpétuité.

Soucieux d’être séparé de Kitty, Napela prit le poste de superviseur adjoint de la colonie de Kalaupapa. Parmi ses nouvelles responsabilités, il devait distribuer les rations et faire des rapports réguliers au conseil de la santé. Ce travail le mettait en contact étroit avec les personnes contaminées, augmentant le risque de contracter lui aussi la maladie.

Lorsque Kitty et lui arrivèrent à la colonie au printemps de 1873, Napela commença à prêcher l’Évangile et à tenir des réunions chaque dimanche avec les saints lépreux. Il se lia également d’amitié avec le père Damien, prêtre catholique œuvrant à Kalaupapa, et Peter Kaeo, un membre de la famille royale hawaïenne qui était atteint de la maladie et était arrivé peu après Kitty et Napela.

Dans la colonie, Peter vivait dans un confort relatif, dans une petite maison qui surplombait la péninsule. Il avait des serviteurs, recevait des cadeaux de sa famille aisée et était peu en contact avec la souffrance de l’île. Lorsqu’il apprit qu’un homme était mort, il en fut apparemment choqué et en parla à Kitty.

Elle répondit : « Ce n’est pas une grande nouvelle. Il en meurt presque chaque jour. »

Le 30 août 1873, Peter se joignit à Napela pendant qu’il évaluait les besoins des habitants de la colonie. Le ciel matinal était couvert pendant qu’ils parcouraient la péninsule d’une hutte ou d’un abri à l’autre. Napela s’arrêta d’abord dans une grotte et parla de leurs rations à trois hommes, trois femmes et un petit garçon. Peter fut horrifié. La maladie avait complètement défiguré certains d’entre eux. Il manquait des doigts à d’autres.

Plus tard, Napela et Peter rencontrèrent une femme qui avait une jambe gravement enflée. Cela faisait trois ans qu’elle était sur Molokai et ses robes et sous-vêtements étaient en lambeaux. Napela lui dit de venir chercher de nouveaux vêtements au magasin de la colonie le lundi.

En octobre, le conseil de la santé apprit que Napela distribuait de la nourriture à des personnes nécessiteuses qui n’y avaient pas droit. Ils le renvoyèrent de son poste et lui ordonnèrent de quitter Kalaupapa. Napela en informa immédiatement Kitty. Plus tard, Peter trouva le couple qui pleurait. Ces derniers temps, Kitty ne se sentait pas bien et Napela ne voulait pas la laisser.

Napela demanda au conseil de la santé de lui permettre de rester en qualité de soignant de Kitty. Il écrivit : « Je fais le serment de prendre soin de ma femme dans la santé et dans la maladie, et ce jusqu’à ce que la mort nous sépare. J’ai soixante ans et je n’en ai plus pour longtemps. Durant le peu de temps qu’il me reste, je veux être avec ma femme. »

Le conseil approuva la demande.

En décembre 1873, après avoir fait pression pendant des années en faveur de l’Église et de l’Utah à Washington, George Q. Cannon fut assermenté comme délégué du territoire à la Chambre des représentants des États-Unis. Il s’était préparé spirituellement pour ce moment. La veille, il s’était senti faible et seul, mais après avoir prié pour obtenir de l’aide, il avait reçu de la joie, du réconfort et de la force.

Il nota la réflexion suivante dans son journal : « Je suis ici sans la moindre âme qui soit solidaire avec moi, mais j’ai un Ami qui est plus puissant qu’eux tous. En cela je me réjouis. »

Au début des années 1870, l’opinion publique de l’Église aux États-Unis était plus déplorable que jamais. Ulysses Grant, le président, était déterminé à mettre un terme au mariage plural en Utah, ayant déjà promis qu’il ferait obstacle à tout effort pour accéder au statut d’État tant que les mariages continueraient. Au printemps 1874, le sénateur Luke Poland présenta un autre projet de loi conçu pour renforcer la loi anti-bigamie de Morrill en exerçant une plus grande emprise sur les tribunaux d’Utah.

Entre-temps, Fanny et T. B. H. Stenhouse continuaient de critiquer l’Église par écrit et de s’élever contre le mariage plural devant des auditoires de tout le pays. De même, Ann Eliza Young, femme plurale séparée de Brigham Young qui avait intenté un procès contre lui pour divorce, avait commencé à faire des discours en public pour condamner l’Église. Après une présentation à Washington où elle censura l’élection de George Q. Cannon au Congrès, le président Grant parla avec elle et fut tout à fait de son avis.

Jeûnant et priant pour être guidé, George essaya d’user de son influence pour empêcher le projet de loi Poland. Il rechercha également l’aide d’alliés. Dernièrement, Thomas Kane et sa femme, Elizabeth, avaient passé l’hiver avec Brigham Young en Utah. Influencée par les livres et les articles de journaux hostiles, Elizabeth était arrivée dans le territoire, s’attendant à y trouver des femmes opprimées et désespérées. En réalité, elle les trouva aimables, sincères et dévouées à leur religion. Peu après le voyage, les impressions laissées par les saints sur Elizabeth furent publiées dans un livre. Elle les y décrivait impartialement, tout en continuant de s’opposer au mariage plural.

C’est en partie grâce à son livre que George persuada ses collègues législateurs d’adoucir certains aspects du projet de loi Poland. Mais aucun de ses efforts n’empêcha le président Grant de le ratifier mi-juin.

Cet été et cet automne-là, William Carey, le procureur des États-Unis en Utah, prit des mesures pour commencer à traduire en justice les saints éminents qui pratiquaient le mariage plural. George retourna en Utah à cette époque et, en octobre, il fut arrêté sur des accusations relatives à ses mariages pluraux. Devant la perspective d’autres arrestations parmi les saints, les dirigeants de l’Église décidèrent de monter une action en justice probatoire pour contester la légalité de la loi anti-polygamie Morrill.

Concluant un marché avec Carey, ils acceptèrent de le laisser condamner un homme pour polygamie afin de permettre aux avocats de l’Église de porter l’affaire devant un tribunal supérieur. En échange, le procureur général promit de ne traduire personne d’autre en justice jusqu’à la conclusion de la procédure d’appel. En faisant ce marché, les dirigeants de l’Église espéraient que le tribunal supérieur déciderait que la loi anti-polygamie violait les droits religieux des saints et annulerait la condamnation.

George Q. Cannon fut libéré sous caution peu après son arrestation. Ce soir-là, il rencontra George et Amelia Reynolds qui se promenaient le long de l’enceinte de la parcelle du temple. George Reynolds était un jeune saint britannique qui servait comme secrétaire de Brigham Young. Cet été-là, il avait épousé Amelia, sa première femme plurale. Le connaissant bien, George Cannon le recommanda comme candidat idéal pour contester la loi anti-polygamie.

Reynolds accepta. Puisque l’affaire probatoire ne pouvait avancer que s’il était condamné, Reynolds fournit rapidement une liste de personnes qui pouvaient témoigner contre lui devant les tribunaux. Il fut arrêté peu après pour bigamie. Le juge le relâcha sous caution et fixa la date de son procès.


CHAPITRE 28 : Jusqu’à la venue du Fils de l’Homme

Le 19 juin 1875, Brigham Young quitta Salt Lake City pour visiter des colonies implantées au centre de l’Utah. Il venait juste de fêter ses soixante-quatorze ans et les déplacements lui devenaient de plus en plus pénibles. Du fait de son arthrite, chaque mouvement le faisait souffrir. Pourtant, la visite des colonies le rapprochait des saints et mettait une distance bienvenue entre lui et les récentes difficultés juridiques de l’Église.

Après l’inculpation de George Reynolds pour bigamie, le procureur des États-Unis, William Carey, n’avait pas tenu la promesse qu’il avait faite aux dirigeants de l’Église et avait également inculpé George Q. Cannon pour la même chose. Le cas de George Cannon fut plus tard classé sans suite, mais Reynolds fut jugé, déclaré coupable et condamné à une amende de trois cents dollars et à une année de prison. Néanmoins, la cour suprême territoriale annula sa condamnation lorsque ses avocats firent valoir le fait qu’il avait été inculpé par un grand jury formé illégalement. Une fois que Reynolds fut libéré, les procureurs firent le serment de le poursuivre à nouveau en justice.

De plus, Ann Eliza Young, la femme dont Brigham était séparé, s’était récemment alliée à des détracteurs de l’Église pour intenter une action en justice contre le prophète. Lorsqu’elle exigea plus de deux cent mille dollars pour une pension alimentaire et autres réclamations, les avocats de Brigham rejetèrent son procès, l’estimant extravagant. Ils firent également valoir le fait qu’Ann Eliza ne pouvait pas divorcer devant un tribunal puisque le mariage plural n’était pas reconnu légalement aux États-Unis. Le juge James McKean donna pourtant raison à Ann Eliza et envoya Brigham passer une nuit en prison lorsque, sur les conseils de ses avocats, il refusa de payer tant qu’ils n’auraient pas fait appel auprès d’un tribunal supérieur.

Les journaux de tout le pays estimèrent que les actions du juge étaient une combine pour mettre Brigham dans l’embarras et ils condamnèrent et ridiculisèrent McKean pour cela. Quelques jours plus tard, le président des États-Unis le remplaça par un autre juge et Brigham dut payer les trois mille dollars de frais juridiques d’Ann Eliza.

Deux jours après avoir quitté Salt Lake City, Brigham et ceux qui l’accompagnaient se réunirent avec la Société de secours à Moroni, une petite ville de la vallée de Sanpete. Eliza Snow et Mary Isabella Horne, qui faisaient partie du groupe, encouragèrent les femmes à continuer de coopérer et à être matériellement autonomes. Mary Isabella les exhorta à donner la priorité dans leur vie au royaume de Dieu. Elle dit : « Ce que nous nous attendons à recevoir, nous devons travailler pour l’obtenir. »

Eliza parla ensuite d’éducation religieuse. Certaines familles de la vallée de Sanpete envoyaient leurs enfants dans une nouvelle école dirigée par un missionnaire d’une autre confession et les dirigeants de l’Église s’inquiétaient du fait que ses leçons ne contredisent ce que les enfants apprenaient auprès de leurs parents et de l’Église.

Eliza dit aux femmes : « Sion devrait être l’endroit où nous éduquons les enfants de Sion. Assurez-vous que les enfants comprennent que votre religion a la priorité absolue dans votre esprit. »

Dans d’autres colonies de Sanpete, Brigham encouragea les saints à adopter un système économique plus coopératif. Deux ans plus tôt, une dépression nationale avait nui à l’économie de l’Utah. Toutefois, plusieurs coopératives et industries du territoire avaient résisté à la crise financière, confortant Brigham dans ses convictions à cet égard.

Depuis lors, il avait appelé les saints à vivre comme l’ancien peuple d’Hénoc, qui était uni de cœur et d’esprit et parmi lequel il n’y avait pas de pauvres. Le système, portant le nom d’Ordre uni d’Hénoc, rappelait la révélation du Seigneur sur la loi de consécration. Les membres de l’ordre devaient pourvoir aux besoins les uns des autres comme une famille, offrant libéralement leur travail et leurs biens personnels pour promouvoir l’industrie et améliorer l’économie locales.

De nombreux saints avaient déjà organisé un ordre uni dans leur collectivité. Quoique la structure fût différente de l’un à l’autre, ils avaient en commun les valeurs que sont la coopération économique, l’autonomie et la simplicité.

Pendant qu’il était en réunion avec les saints de Sanpete, l’apôtre Erastus Snow parla des bienfaits de l’ordre uni dans les colonies du sud de l’Utah. Il fit remarquer : « Nous avons tendance à travailler de cette manière égoïste qui tend à exalter quelques personnes au détriment de nombreux pauvres. C’est malsain en soi. »

Plus tard ce jour-là, Brigham ajouta : « L’ordre uni nous sert à apprendre quoi faire des biens que nous possédons et à donner de nous-mêmes pour l’accomplissement des desseins de Dieu. »

Avant de terminer sa tournée à Sanpete, Brigham parla avec les dirigeants locaux de l’Église. Il leur dit : « Nous pouvons construire des temples ici pour un coût inférieur à celui de Salt Lake. Vous sentez-vous capables de prendre le projet en charge et d’en construire un ici ? »

Chaque homme présent dans la pièce leva la main pour manifester son soutien et ils convinrent que le prophète devrait choisir le site. Brigham avait visité plusieurs endroits possibles et il annonça sa décision le lendemain :

« Je dirais que mes pensées se tournent totalement vers l’éperon montagneux pointant vers Manti. »

Lorsque Brigham rentra de son voyage au centre de l’Utah, un homme appelé Meliton Trejo était à Salt Lake City en train de traduire le Livre de Mormon en espagnol. Vétéran originaire d’Espagne, Meliton était arrivé en ville depuis les Philippines vers la fin de l’été 1874. Revêtu de son uniforme militaire, il avait rapidement attiré le regard des passants.

À son arrivée dans le territoire, il ne connaissait pas grand-chose sur l’Église. Il avait entendu parler des saints dans les montagnes Rocheuses et voulait leur rendre visite un jour. Une nuit, aux Philippines, après avoir prié pour être guidé, il avait été poussé dans un rêve à entreprendre le voyage. Il démissionna de l’armée, cousit tout l’argent qu’il possédait à l’intérieur de sa veste et fit voile pour San Francisco.

Une fois arrivé à Salt Lake City, il rencontra un hispanophone qui lui présenta Brigham Young et d’autres dirigeants de l’Église. Brigham avait récemment demandé à deux hommes, Daniel Jones et Henry Brizzee, de se préparer à faire une mission au Mexique. Il croyait que certains des descendants des peuples du Livre de Mormon y habitaient et il aspirait à leur transmettre l’Évangile. Il croyait aussi que lorsque Parley Pratt avait essayé d’apporter l’Évangile en Amérique latine en 1851, son effort avait été infructueux en partie du fait que le Livre de Mormon n’était pas disponible en espagnol.

Dans le cadre de la préparation de Daniel et d’Henry, Brigham leur avait demandé d’étudier la langue et de traduire un jour le Livre de Mormon. Les deux hommes parlaient un peu l’espagnol, mais l’idée de traduire un livre d’Écritures était effrayante. Ni l’un ni l’autre ne le maîtrisait assez bien. Ils avaient besoin de l’aide de quelqu’un dont c’était la langue maternelle.

Daniel et Henry considérèrent l’arrivée de Meliton comme un don du ciel. Ils lui enseignèrent l’Évangile et il accepta le baptême de tout cœur. Daniel l’invita ensuite à passer l’hiver chez lui pour travailler à la traduction.

Meliton passa plusieurs mois à traduire le texte sacré. Lorsqu’il fut à court d’argent, Daniel reçut la permission de Brigham Young de demander des dons aux saints. Plus de quatre cents personnes contribuèrent pour subvenir aux besoins de Meliton et financer la publication.

Après avoir révisé la traduction, Daniel prit les dispositions nécessaires pour l’impression d’une centaine de pages sous le nom de Trozos selectos del Libro de Mormon (N.D.T. « Morceaux choisis du Livre de Mormon »). Brigham voulut cependant que Daniel s’assure que la traduction était correcte, alors celui-ci s’organisa pour relire la traduction avec Meliton. Pendant qu’ils lisaient, Daniel demandait à Dieu de l’aider à trouver les erreurs dans leur travail. Chaque fois qu’il trouvait un passage malheureux dans le texte, il demandait l’aide de Meliton. Meliton examinait alors la traduction attentivement et trouvait la correction à apporter. Daniel sentait que le Seigneur guidait leur travail.

Peu après la publication de Trozos selectos, Daniel et d’autres missionnaires furent appelés au Mexique. Meliton ne fut pas des leurs, mais il espérait voir les efforts des missionnaires porter des fruits.

Ceux-ci partirent à l’automne 1875. Juste avant, Daniel et les autres chargèrent méthodiquement mille cinq cents exemplaires de Trozos selectos sur le dos de mules de bât. Ils prirent ensuite un chemin de terre, impatients de présenter le Livre de Mormon aux Mexicains.

Vers cette époque-là, Salt Lake City était en effervescence, car une visite du président Grant était imminente. Aucun président des États-Unis n’avait jamais visité le territoire et une délégation de représentants du gouvernement territorial, de dignitaires de la ville et de simples citoyens se forma rapidement pour l’accueillir. Brigham Young fut invité à se joindre à la délégation, ainsi que John Taylor et Joseph F. Smith.

Grant arriva dans le territoire en octobre et Brigham le rencontra, ainsi que sa femme, Julia, dans un train à Ogden. Brigham salua brièvement le groupe puis le président s’excusa pour aller visiter le wagon d’observation du train.

Grant expliqua : « Je suis impatient de voir le pays. »

Lorsque le président fut parti, Julia dit : « Je n’ai pas la moindre idée de la manière dont je dois m’adresser à vous, M. Young. »

Brigham répondit : « On m’appelle parfois gouverneur, parfois président et également Général Young. » Il avait reçu ce dernier titre des années auparavant lorsqu’il était officier dans la Légion de Nauvoo.

Julia dit : « J’ai l’habitude du titre militaire, c’est celui que j’utiliserai. » Son mari, héros de la Guerre de Sécession, avait été officier dans l’armée pendant une grande partie de sa vie.

« Eh bien, Madame, dit Brigham, vous allez maintenant avoir l’occasion de voir ce pauvre peuple méprisé et haï.

— Oh non, Général Young. Au contraire, votre peuple ne peut qu’être respecté et admiré pour son endurance, sa persévérance et sa foi. » Elle ajouta : « Il n’y a qu’une chose à lui reprocher, à vous reprocher, Général. »

Julia n’eut pas besoin de verbaliser son objection ; son mari était un ardent opposant au mariage plural. Brigham répondit : « Eh bien, sans cela, nous n’aurions pas la population que nous avons.

— Cela est interdit par les lois du pays et aurait été éliminé depuis longtemps par le bras puissant du gouvernement s’il n’avait été retenu par sa charité envers les jeunes et innocents qui nécessairement en auraient souffert. »

Avant que Brigham ne pût répondre, un officier de l’état-major l’invita à se joindre au président dans le wagon d’observation et il prit congé de la première dame.

Plus tard, après être arrivé à Salt Lake City, Brigham se sépara des Grant en leur souhaitant une agréable visite. Après avoir quitté le dépôt de chemin de fer, le couple fit le tour de la ville en compagnie de George Emery, le gouverneur du territoire. En passant près de la parcelle du temple, ils virent des rangées d’enfants vêtus de blanc, alignés le long des rues et accompagnés de leurs instructeurs de l’École du dimanche. Lorsque la calèche des Grant passa, ils lancèrent des fleurs et chantèrent en l’honneur des visiteurs.

Impressionné, le président Grant demanda : « À qui sont ces enfants ? »

Le gouverneur répondit : « Ce sont des enfants mormons. »

Le président se tut pendant quelques secondes. Tout ce qu’il avait entendu au sujet des saints l’avait amené à croire qu’ils étaient un peuple dégénéré, mais la tenue et la conduite de ces enfants laissaient penser le contraire.

Il murmura : « On m’a trompé. »

Cet hiver-là, Samuel Chambers se leva pour témoigner lors d’une réunion du collège des diacres du pieu de Salt Lake City. Comme les hommes assis autour de lui, il était entre deux âges. Il leur dit : « Je suis venu ici pour ma religion. Je me suis défait de tout ce que je possédais pour venir ici et aider à édifier le royaume de Dieu. »

Samuel était membre de l’Église depuis plus de trente ans. Né en esclavage dans le sud des États-Unis, il s’était fait baptiser à l’âge de treize ans après qu’un missionnaire lui avait enseigné l’Évangile. Étant esclave, il n’avait pas pu se joindre au reste des saints à Nauvoo. Il avait eu peu de contact avec l’Église dans les années qui avaient suivi ; mais il avait gardé la foi grâce à l’influence du Saint-Esprit.

À la fin de la Guerre de Sécession, lorsque les esclaves aux États-Unis furent libérés, sa femme, Amanda, et lui n’avaient pas d’argent pour aller s’installer en Utah. Ils travaillèrent pendant cinq ans, économisant chaque centime pour pouvoir entreprendre le voyage. Ils arrivèrent en Utah en avril 1870, avec Peter, le fils de Samuel. Edward et Susan Leggroan, frère et belle-sœur d’Amanda, ainsi que leurs trois enfants, s’y installèrent aussi.

Les familles Chambers et Leggroan s’établirent côte à côte dans la Première paroisse de Salt Lake City. Richard et Johanna Provis, un couple interracial d’Afrique du Sud, vivaient aussi dans la paroisse. Les Leggroan devinrent membres de l’Église en 1873 et, peu après, déménagèrent avec les Chambers dans la Huitième paroisse où habitaient Jane Manning James, son mari, Frank Perkins, et quelques autres saints noirs.

Dans ces paroisses, les saints noirs et les saints blancs rendaient le culte côte à côte. À cette époque, l’Église ne conférait pas la prêtrise aux saints noirs, mais Samuel servait sans ordination comme assistant du collège des diacres et chaque semaine, il rendait son témoignage lors des réunions de collège. Amanda participait avec Jane à la Société de secours. Ils payaient leur dîme et leurs offrandes et assistaient régulièrement aux réunions de l’Église. Lorsque l’appel aux dons pour le temple de St George leur parvint, Samuel donna cinq dollars et Jane et Franck donnèrent cinquante cents chacun.

Récemment, Samuel et Amanda, ainsi que plusieurs autres saints noirs, avaient participé à des baptêmes pour les morts dans la maison des dotations. Ils avaient été baptisés en faveur de plus d’une vingtaine d’amis et de parents. Edward Leggroan fut baptisé en faveur du premier mari de sa femme. Jane Manning James le fut pour une amie d’enfance.

Samuel chérissait son appartenance à l’Église et l’occasion de rendre son témoignage au collège des diacres. Il dit : « Si je ne rends pas mon témoignage, comment vais-je savoir ce que je ressens ou ce que vous ressentez ? Mais si je me lève et si je parle, je sais que j’ai un ami, et si je vous entends parler comme je parle, je sais que nous sommes un. »

Tard dans l’après-midi du 5 avril 1873, un coup de tonnerre retentit dans l’air printanier au-dessus de Salt Lake City. Une boule de feu géante s’éleva de la colline située au nord, là où des bunkers de pierre abritaient de la poudre noire. Quelque chose avait mis le feu aux explosifs et détruit l’arsenal.

Dans l’école de la Vingtième paroisse où Karl Maeser faisait cours, des morceaux de plâtre se détachèrent du plafond suite à l’explosion. Comme une conférence était prévue dans l’établissement ce soir-là, Karl décida immédiatement de parler des dégâts à son évêque.

Il le trouva en réunion avec Brigham Young, dans le bureau de ce dernier. Il signala les dommages importants subis par l’établissement scolaire et leur dit que les cours ne pourraient pas continuer tant que les réparations ne seraient pas faites.

Brigham dit : « Vous avez entièrement raison, frère Maeser. J’ai une autre mission pour vous. »

Le cœur de Karl se serra dans sa poitrine. Quelques années à peine s’étaient écoulées depuis sa mission en Allemagne et en Suisse. Son emploi stable dans l’école de la Vingtième paroisse était une bénédiction pour sa famille. Ils étaient confortablement installés à Salt Lake City et s’y sentaient chez eux.

Mais Brigham ne voulait pas l’envoyer loin. Comme Eliza Snow, Brigham et d’autres dirigeants de l’Église s’inquiétaient de l’éducation de la génération montante dont la foi n’avait pas été éprouvée par les persécutions initiales contre l’Église ni consolidée par l’expérience de la conversion et de l’immigration.

Brigham n’avait rien contre la connaissance profane ni contre les études supérieures ; certains de ses fils étaient même allés à l’université dans l’est des États-Unis. Il s’inquiétait néanmoins de savoir que les jeunes saints en Utah étaient instruits par des personnes profondément critiques envers l’Évangile rétabli. L’université de Deseret, fondée en 1850, acceptait des élèves d’autres confessions et n’enseignait pas les croyances des saints des derniers jours dans le cadre de son programme d’étude. Brigham voulait que les jeunes de l’Église eussent la possibilité de recevoir une éducation qui renforcerait leur foi et les aiderait à créer une société de Sion.

À cette fin, il avait récemment fondé une école à Provo appelée l’académie Brigham Young. Le premier semestre touchait à sa fin et il invita Karl à en prendre la direction.

Karl ne répondit pas immédiatement à l’invitation de Brigham, mais deux semaines plus tard, après avoir accepté la nomination, il rendit visite au prophète. Il dit : « Je suis sur le point de partir pour Provo, frère Young, pour commencer mon travail à l’académie. Avez-vous des instructions à me donner ? »

Brigham dit : « Frère Maeser, je veux que vous vous souveniez que vous ne devez jamais enseigner ne serait-ce que l’alphabet ou les tables de multiplication sans l’Esprit de Dieu. »

Plus tard cette année-là, chaque paroisse de Salt Lake City organisa une fête pour lever des fonds afin d’achever le temple de St George. Sachant qu’Heber Grant, vingt-trois ans, était un jeune homme fiable et ayant beaucoup d’amis, Edwin Woolley, l’évêque de la Treizième paroisse, lui demanda d’organiser la leur. Il lui dit : « Je tiens à ce que cela soit une réussite. »

L’année précédente, Heber avait été appelé comme conseiller dans la présidence de la Société d’Amélioration Mutuelle (S.A.M.) pour les Jeunes Gens, une nouvelle organisation formée en 1875 après que Brigham Young eut demandé aux paroisses d’organiser leurs jeunes gens comme elles avaient organisé leurs jeunes filles. En tant que dirigeant de la S.A.M., Heber avait la responsabilité d’aider les jeunes gens à cultiver leurs talents et à affermir leur témoignage de l’Évangile.

La demande de l’évêque Woolley lui causait un peu d’appréhension. Il dit : « Je ferai de mon mieux, mais vous devez m’assurer que si l’argent ne rentre pas, vous comblerez la différence. »

Il expliqua que les jeunes gens voulaient assister à des bals où ils pourraient valser. Pour réaliser cette danse populaire, les partenaires se tenaient étroitement et tournaient sur eux-mêmes en décrivant de grands cercles. Certaines personnes trouvaient la valse plus inconvenante que les quadrilles traditionnels, mais Brigham Young avait la réputation d’autoriser trois valses par bal. L’évêque Woolley désapprouvait cette danse et l’avait interdite dans les bals de la Treizième paroisse.

« Bon, dit-il, vous pouvez avoir vos trois valses. »

Heber ajouta : « Il y a autre chose. » Sans un bon orchestre pour le bal, il aurait du mal à vendre les tickets. « Vous ne voulez pas que l’orchestre Olsen Quadrille joue dans votre paroisse parce qu’un jour, le flûtiste était saoul. Or, il n’y a qu’un seul orchestre à cordes de première classe et c’est l’orchestre Olsen. »

L’évêque accepta à contrecœur d’autoriser Heber à embaucher le groupe. En s’éloignant, il dit : « J’ai accordé à ce jeune homme tout ce qu’il a demandé. Je le ferai rôtir en public si la fête n’est pas un franc succès. »

Heber recruta Eddie, le fils de l’évêque, pour l’aider à vendre les tickets et à préparer le bâtiment de la paroisse pour la fête. Ils retirèrent les bureaux d’une grande pièce, disposèrent sur le sol des tapis qu’ils avaient empruntés et accrochèrent aux murs des photos de Brigham Young et d’autres dirigeants de l’Église. Ils recrutèrent ensuite plusieurs jeunes hommes pour faire de la publicité pour le bal sur leurs lieux de travail.

Le jour du bal, Heber s’assit à la porte avec la liste alphabétique de toutes les personnes qui avaient acheté des tickets. Personne ne fut autorisé à entrer sans avoir payé son dollar et demi. Puis Brigham Young se présenta… sans ticket.

Il dit : « Si je comprends bien, c’est au profit du temple de St George. » Il jeta dix dollars. « Est-ce assez pour mon ticket ? »

« Largement », dit Heber, se demandant s’il devait rendre la monnaie au prophète.

Ce soir-là, Heber compta l’argent pendant que Brigham comptait les valses. La paroisse collecta quatre-vingts dollars pour le temple, plus que n’importe quelle autre paroisse. Et les jeunes gens valsèrent à trois reprises.

Toutefois, avant la fin de la fête, Heber demanda à voix basse au chef d’orchestre de jouer un quadrille valsé, une valse contenant des éléments du quadrille traditionnel.

Lorsque le groupe se mit à jouer, Heber prit place à côté de Brigham pour entendre ce qu’il dirait en voyant une quatrième valse. En effet, dès que les jeunes gens commencèrent à danser, Brigham dit : « Ils valsent.

— Non, expliqua Heber, lorsqu’ils valsent, ils valsent tout autour de la pièce. C’est un quadrille. »

Brigham regarda Heber et rit. « Oh, vous les garçons, vous les garçons. »

Peu après le bal de la Treizième paroisse, Brigham prit la direction du sud avec Wilford Woodruff pour consacrer des parties du temple de St George. Il ne serait terminé qu’au printemps, mais certaines salles d’ordonnances étaient prêtes à être utilisées. Dans le temple de Nauvoo et dans la maison des dotations, les saints n’avaient accompli que des dotations pour les vivants. Lorsque le temple de St George serait consacré, ils accompliraient pour la première fois des dotations pour les morts.

En approchant de la colonie, Brigham aperçut le temple sans difficulté. De loin, il ressemblait à celui de Nauvoo, mais de près, son aspect extérieur était plus simple. Des rangées de hautes fenêtres et des contreforts sans ornements soutenaient ses hauts murs blancs. Une tour en forme de dôme s’élevait au-dessus des créneaux qui entouraient le toit.

Le jour de l’an 1877, plus de mille deux cents personnes se pressèrent les unes contre les autres dans le sous-sol du temple pour la consécration du baptistère. Après avoir grimpé jusqu’à la marche la plus élevée des fonts baptismaux, Wilford Woodruff attira l’attention des saints. Il dit : « Je comprends bien que cette assemblée ne peut pas s’agenouiller dans un espace aussi réduit, mais vous pouvez incliner la tête et le cœur devant Dieu. »

Après la prière de consécration, l’assistance monta à l’étage et se rendit dans une salle de réunion. Dernièrement, l’arthrite de Brigham lui rendait la marche quasiment impossible si bien que trois hommes le portèrent jusque dans la salle. Erastus Snow la consacra et les trois hommes portèrent ensuite Brigham jusqu’à une salle de scellement située à un autre étage.

Lorsqu’il revint dans la salle de réunion, il se tint péniblement debout à la chaire. Prenant appui sur sa canne en noyer, il dit : « Je ne peux pas me résoudre à quitter cet édifice sans exercer ma force, la force de mes poumons, celle de mon estomac et de mes muscles phonateurs. »

Il exhorta les saints à se consacrer à la rédemption des morts. Il déclara : « Quand je pense à ce thème, je voudrais que la langue de sept tonnerres éveille le peuple. Les pères peuvent-ils être sauvés sans nous ? Non. Pouvons-nous être sauvés sans eux ? Non. Et si nous ne nous réveillons pas et ne cessons pas d’aspirer aux choses de cette terre, nous nous découvrirons individuellement en route pour l’enfer. »

Il déplora le fait que de nombreux saints prisaient les choses matérielles. Il dit : « Si nous sommes conscients de l’importance de ce point de doctrine, à savoir le salut de la famille humaine, cette maison sera bondée, comme nous l’espérons, du lundi matin au samedi soir. »

À la fin de son sermon, il leva sa canne en l’air et déclara : « Je ne sais pas si les gens sont satisfaits des services de consécration du temple ou pas. Je ne le suis qu’à moitié et je ne m’attends pas à l’être tant que le diable n’est pas fouetté et chassé de la surface de la terre. »

Pendant qu’il parlait, il frappa la chaire avec tant de force qu’il laissa une entaille dans le bois.

Il dit : « Si j’abîme la chaire, certains de ces bons artisans peuvent la réparer. »

Le 9 janvier, Wilford Woodruff entra dans les fonts baptismaux du temple avec Susie, la fille de Brigham, qui avait maintenant dix-huit ans et était mariée à un jeune homme du nom d’Alma Dunford. Appuyé sur une béquille et une canne, Brigham se tint comme témoin pendant que Wilford baptisait Susie pour l’une de ses amies décédées, le premier baptême pour les morts dans le temple de St George. Ensuite, Wilford et Brigham lui imposèrent les mains et la confirmèrent en faveur de la défunte.

Deux jours plus tard, ils supervisèrent les premières dotations pour les morts accomplies dans un temple. Wilford passa ensuite presque chaque journée à œuvrer dans le temple. Il se mit à porter un costume blanc ; c’était la première fois que quelqu’un portait des vêtements blancs pour les cérémonies du temple. Lucy, la mère de Susie, qui se consacrait également à l’œuvre du temple, portait une robe blanche pour montrer l’exemple aux femmes.

Pendant que Wilford travaillait dans le temple, Brigham lui demanda, ainsi qu’à d’autres dirigeants de l’Église, de consigner la cérémonie de la dotation et les autres ordonnances du temple. Depuis l’époque de Joseph Smith, les paroles des ordonnances n’avaient été préservées qu’oralement. Maintenant qu’elles allaient être accomplies loin du siège de l’Église, Brigham voulait mettre les cérémonies par écrit afin de veiller à ce qu’elles fussent accomplies de la même façon dans chaque temple.

En uniformisant les ordonnances, Brigham s’acquittait d’une responsabilité que Joseph Smith lui avait confiée après les premières dotations à Nauvoo. À l’époque, il lui avait dit : « Ceci n’est pas organisé correctement, mais nous avons fait au mieux dans la situation actuelle. Je veux que tu te charges de cela et que tu systématises toutes ces cérémonies. »

Wilford et d’autres consacrèrent des semaines à cette tâche. Après avoir consigné les cérémonies, ils les lurent à Brigham qui les accepta ou les révisa selon les directives de l’Esprit. Lorsqu’ils eurent terminé, il dit à Wilford : « Tu as maintenant devant toi un exemple pour exécuter la dotation dans tous les temples jusqu’à la venue du Fils de l’Homme. »


CHAPITRE 29 : Mourir sous le harnais

Brigham Young quitta les falaises rouges du sud de l’Utah mi-avril 1877. Tandis qu’il retournait à Salt Lake City, il savait que ses jours étaient comptés. Avant de partir, il dit aux saints de St George : « Je me dis souvent que je ne pourrai pas vivre une heure de plus. Je ne sais pas si le messager va bientôt venir me rappeler, mais j’ai l’intention de mourir sous le harnais. »

Quelques jours plus tard, il fit halte à Cedar City pour parler de John D. Lee et du massacre de Mountain Meadows à un journaliste. Le gouvernement fédéral avait passé plus d’une décennie à enquêter sur les personnes qui avaient commis les meurtres. John et d’autres hommes, dont le président du pieu de Parowan, William Dame, avaient été arrêtés plusieurs années auparavant pour être jugés pour leur rôle dans le massacre, attirant de nouveau l’attention de la nation sur un crime commis vingt ans plus tôt. Les accusations contre William et d’autres avaient depuis été abandonnées, mais John était passé deux fois devant les tribunaux avant d’être reconnu coupable et exécuté par un peloton pour son rôle majeur dans l’attaque.

Pendant les procès, les procureurs et journalistes avaient espéré qu’il impliquerait le prophète. Cependant, bien qu’il fût en colère contre Brigham de ne pas l’avoir soustrait au châtiment, John avait refusé de le tenir pour responsable des meurtres.

L’exécution avait éveillé la fureur nationale parmi les personnes qui supposaient à tort que Brigham avait ordonné la tuerie. Dans certains endroits, du fait de la colère contre l’Église, les missionnaires avaient du mal à trouver des personnes à instruire et certains préférèrent rentrer chez eux. En général, Brigham ne répondait pas à ce genre d’attaque contre lui ou contre l’Église, mais il voulut faire une déclaration officielle au sujet du massacre et accepta de répondre aux questions du journaliste.

Ce dernier lui demanda si John avait reçu l’ordre du siège de l’Église de tuer les émigrants. Brigham répliqua : « Pour autant que je sache, non, et assurément pas de ma part. » Il dit que s’il avait été informé du plan, il aurait tenté de le faire avorter.

Il dit : « Je me serais rendu dans ce camp et je me serais battu contre les Indiens et les blancs qui ont pris part à ce massacre plutôt que de laisser commettre un tel acte. »

Quelques jours plus tard, Brigham fit halte dans la vallée de Sanpete pour consacrer le site du temple de Manti. Pendant qu’il était là-bas, l’Esprit lui chuchota qu’il devait réorganiser le fonctionnement de la prêtrise dans l’Église.

Il avait déjà commencé à opérer quelques changements dans l’organisation de l’Église. Deux ans plus tôt, il avait restructuré le Collège des Douze pour accorder l’ancienneté aux apôtres qui étaient restés fidèles à leur témoignage depuis le moment de leur appel. Cette mesure avait permis à John Taylor et à Wilford Woodruff de précéder Orson Hyde et Orson Pratt qui avaient tous deux brièvement quitté le Collège du vivant de Joseph Smith. Ce changement faisait de John Taylor le membre le plus ancien des Douze et le successeur potentiel de Brigham à la présidence de l’Église.

Mais sur la route et pendant les réunions avec les dirigeants locaux de l’Église, ce dernier entrevit d’autres changements nécessaires. Certains des treize pieux de l’Église étaient supervisés par des présidents de pieu tandis que d’autres étaient présidés par des membres des Douze, parfois aidés de conseillers ou de grands conseils. Certaines paroisses avaient des évêques et d’autres avaient des évêques présidents et personne ou presque ne savait en quoi les deux appels différaient. Quelques paroisses n’avaient pas du tout d’évêque.

Les collèges de la Prêtrise d’Aaron étaient également désorganisés. Les détenteurs de la Prêtrise d’Aaron prenaient soin des bâtiments de paroisse, rendaient visite aux familles et enseignaient l’Évangile. Cependant, de nombreuses paroisses n’avaient pas suffisamment de détenteurs de la Prêtrise d’Aaron pour former des collèges, souvent parce que seuls les hommes adultes recevaient la Prêtrise d’Aaron et qu’ils étaient en général ordonnés à la Prêtrise de Melchisédek peu après.

Pendant le printemps et l’été 1877, Brigham, ses conseillers et le Collège des Douze travaillèrent ensemble à la réorganisation des paroisses et des pieux et au renforcement des collèges de la Prêtrise d’Aaron et de Melchisédek. Ils décrétèrent que tous les membres de l’Église devaient appartenir à une paroisse où un évêque, avec l’aide de deux conseillers, veillerait sur eux. Edward Hunter fut le seul évêque président nommé dans l’Église.

La Première Présidence et les Douze demandèrent également aux dirigeants locaux de la prêtrise d’ordonner les jeunes gens à des offices dans la Prêtrise d’Aaron. Ils demandèrent expressément aux instructeurs et prêtres adultes d’emmener de jeunes hommes avec eux en visite chez les saints pour former ainsi les garçons à leurs devoirs dans la prêtrise. Il fut demandé à chaque colonie d’organiser une Société d’Amélioration Mutuelle (S.A.M.) pour les jeunes filles et les jeunes gens.

Voyageant dans tout le territoire semaine après semaine, la Première Présidence et les Douze relevèrent les apôtres des présidences de pieu et appelèrent de nouveaux présidents de pieu à leur place. Ils veillèrent à ce que chacun ait deux conseillers et qu’un grand conseil soit organisé dans chaque pieu. Ils demandèrent également à chaque pieu de tenir une conférence trimestrielle.

L’effort de voyager et de prêcher épuisa rapidement Brigham. Il était pâle et avait l’air fatigué. Il admit : « Dans mon impatience de voir la maison de Dieu mise en ordre, j’ai quelque peu présumé de mes forces. »

Le 20 juin, Francis Lyman reçut un télégramme de George Q. Cannon, qui était maintenant conseiller dans la Première Présidence. Il disait : « Le président demande si vous êtes disposé à servir comme président du pieu de Tooele ? Si oui, pouvez-vous être ici pour accompagner les Douze samedi matin ? »

Francis habitait à Fillmore, en Utah. Le pieu de Tooele était situé à cent cinquante kilomètres au nord. Il n’y avait jamais habité et connaissait peu de membres de ce pieu. À Fillmore, où il avait vécu pendant plus de dix ans, il avait occupé des postes élevés dans le gouvernement local. S’il acceptait d’œuvrer à Tooele, il devrait déraciner sa famille et déménager avec elle dans un nouvel endroit.

Et il ne restait plus que trois jours jusqu’au samedi matin.

À trente-sept ans, Francis était un saint des derniers jours engagé qui avait fait une mission dans les Îles Britanniques et avait participé activement dans son collège de la prêtrise. Il avait aussi fait la généalogie de sa famille, impatient de voir venir le moment où les ordonnances pourraient être accomplies dans la maison du Seigneur.

Un jour, il avait noté dans son journal : « Ma plus grande ambition est de mener la vie d’un saint des derniers jours et d’amener ma famille à faire de même. »

Il avait toutefois toujours du mal à accepter la décision de son père, Amasa Lyman, de se joindre au Nouveau mouvement de William Godbe. Il avait toujours espéré qu’il reviendrait à l’Église. Ils avaient travaillé ensemble à leur généalogie et avaient dernièrement passé des moments heureux. Néanmoins, Amasa était toujours séparé de l’Église lorsqu’il était décédé en février.

Vers la fin, Francis était allé au chevet de son père malade. Amasa avait dit : « Ne t’en va pas. Je veux que tu sois près de moi. »

Francis avait demandé : « Combien de temps ? »

Il avait murmuré : « Pour toujours. »

Après sa mort, Francis était impatient que l’appartenance à l’Église et la prêtrise de son père soient rétablies, ce qui permettrait à la famille de se sentir de nouveau complète. En avril, il avait demandé à Brigham Young ce qui pouvait être fait. « Rien pour l’instant », avait-il répondu. L’affaire était entre les mains du Seigneur.

Francis avait accepté la décision de Brigham et avait entrepris de bon cœur d’assumer la nouvelle tâche que le prophète lui avait confiée à Tooele. Il envoya à George Q. Cannon le télégramme suivant : « Je serai avec les Douze samedi matin. »

Le pieu de Tooele fut créé le 24 juin 1877 et Francis fut mis à part comme président ce jour-là. Avant cette date, les six colonies principales de la région de Tooele étaient organisées en branches de l’Église supervisées par un évêque président appelé John Rowberry. Au moment de la création du nouveau pieu, chacune des branches devint une paroisse dont la taille variait de vingt-sept à deux cents familles.

Conscient que certains saints de Tooele risquaient d’être mécontents de ce que leur nouveau président fût un jeune homme d’un autre pieu, Francis acheta rapidement une maison au centre de la ville et appela deux hommes de la région comme conseillers. Il invita ensuite l’évêque Rowberry à l’accompagner pour rendre visite aux diverses paroisses où ils organisèrent de nouveaux collèges de la prêtrise et de nouvelles présidences, et encouragèrent les saints à adorer le Seigneur.

Francis enseigna la chose suivante aux membres de son nouveau pieu : « Les intérêts matériels et spirituels du royaume sont inséparablement liés. Soyons humbles devant le Seigneur et possédons la lumière de son Saint-Esprit comme guide constant. »

Mi-juillet 1877, Jane Richards était assise sur l’estrade à côté de Brigham Young dans le tabernacle du pieu de Weber, à Ogden. C’était à l’occasion d’une conférence de la Société de secours et de la Société des Jeunes Filles. Jane, présidente de la Société de secours de la paroisse d’Ogden, avait organisé la manifestation et invité Brigham à y prendre la parole.

La direction d’un groupe de femmes aussi important n’avait pas toujours été chose facile pour elle. Elle était devenue membre de la Société de secours à Nauvoo alors qu’elle n’était encore qu’une jeune fille. Cependant, lorsqu’elle avait été appelée à diriger celle de la paroisse d’Odgen, elle avait hésité. Sa santé avait toujours été précaire, en dépit de la force qu’elle puisait dans les bénédictions de la prêtrise, et elle était particulièrement mauvaise au moment de son appel.

Un jour, son amie Eliza Snow lui avait rendu visite. Eliza l’avait exhortée à vivre, certaine que Jane avait encore des choses à accomplir. Tout en s’occupant d’elle, elle lui avait promis que si elle acceptait l’appel de diriger la Société de secours à Ogden, le Seigneur lui accorderait la santé et des bénédictions.

Jane avait guéri peu après par le pouvoir de Dieu, mais elle avait quand même passé des semaines à se demander si elle devait accepter l’appel. Finalement, son évêque et ses sœurs de la Société de secours la supplièrent de le faire. Elles dirent : « Le Seigneur t’a relevée de la maladie pour nous faire du bien et nous voulons que tu acceptes le poste. » Jane se rendit alors compte, aussi fatiguée et inquiète fût-elle, que son service contribuait au bien commun.

Maintenant, cinq ans plus tard, le tabernacle du pieu de Weber était bondé de femmes et d’hommes impatients d’entendre le prophète. Après le discours de Brigham, d’autres dirigeants de l’Église prirent la parole. Parmi eux se trouvait le mari de Jane, l’apôtre Franklin Richards, qui venait d’être relevé récemment de son appel de président du pieu de Weber, dans le cadre de la réorganisation de la prêtrise.

Pendant un discours, Brigham se tourna vers Jane et lui demanda en chuchotant ce qu’elle pensait de l’idée d’organiser des Sociétés de Secours de pieu et de leur demander de tenir des conférences trimestrielles. Il avait récemment envisagé de le faire pendant qu’il essayait de mieux organiser l’Église et il avait déjà consulté plusieurs personnes à ce titre, notamment Bathsheba Smith, une autre femme active dans la direction de la Société de secours.

La question prit Jane par surprise, mais pas parce que l’idée d’une Société de secours de pieu était difficile à imaginer. Les Sociétés de Secours ne fonctionnaient actuellement qu’au niveau des paroisses, mais ses conseillères et elle, de la paroisse d’Ogden, agissaient déjà comme une présidence de Société de secours de pieu non officielle lorsqu’elles conseillaient des Sociétés de Secours plus petites de la région. Ce qui la surprenait vraiment, c’était la notion de conférences régulières de la Société de secours.

Jane n’eut pas beaucoup de temps pour se faire à l’idée. Avant la fin de la conférence, Brigham l’appela comme présidente de la Société de secours du pieu de Weber et lui demanda de collecter les rapports des présidentes de Société de secours de paroisse, relatifs à la situation spirituelle et financière des femmes de leur assemblée. Si sa santé le lui permettait, il avait l’intention de se réunir avec elle lors de leur prochaine conférence et d’entendre leurs rapports.

Suite à la conférence, Brigham demanda à Jane de se joindre à son groupe pour visiter les colonies avoisinantes. En chemin, il lui enseigna les devoirs liés à son nouvel appel et l’importance de tenir des annales minutieuses de ce que la Société de secours et elle accomplissaient. La direction d’une Société de secours de pieu serait une tâche considérable. Avant la récente réorganisation de l’Église, Jane avait conseillé trois Sociétés de Secours à Ogden. Par contre, le pieu de Weber nouvellement formé comptait seize paroisses !

Lorsque Jane retourna à Ogden, elle se réunit avec sa Société de secours. Elle dit : « J’aimerais entendre toutes les sœurs et savoir ce qu’elles pensent de ce que le président Young nous a dit. »

Pendant le reste de la réunion, Jane écouta les femmes rendre témoignage et raconter ce qu’elles avaient vécu lors de la conférence. Beaucoup exprimèrent leur amour de l’Évangile. Elle dit aux sœurs : « Nous avons la lumière et la connaissance du Saint-Esprit, et lorsque nous les perdons, grandes sont les ténèbres. »

Quelques jours plus tard, lors de la réunion suivante, Jane ajouta son témoignage. Elle déclara : « J’ai le désir de vivre selon ma religion et de faire tout le bien que je peux. »

Cet été-là, pendant que l’Église subissait une réorganisation importante, Susie Young Dunford se demandait s’il n’était pas temps de prendre un tournant dans sa vie. Son mari, Alma, venait juste de partir en mission en Grande-Bretagne. Il ne lui manquait pas, elle était même reconnaissante qu’il soit parti.

Son mariage avait été malheureux presque depuis le début. Comme son cousin Morley, qui avait épousé Dora, la sœur de Susie, Alma buvait régulièrement. La Parole de sagesse avait été révélée en 1833, mais de nombreux saints n’avaient pas respecté attentivement ses recommandations. En 1867, Brigham Young, le père de Susie, avait commencé à exhorter les saints à y être plus obéissants en s’abstenant de café, de thé, de tabac et de liqueurs fortes.

Tout le monde n’avait pas accepté le conseil et Alma était souvent sur la défensive quand on en parlait. Parfois, il devenait même violent. Un soir, après avoir bu, il avait chassé sa femme et Leah, leur fille âgée de six mois, hors de la maison en leur criant de ne jamais revenir.

Susie était revenue en espérant que les choses changent. Ils avaient maintenant aussi un fils, Bailey, et elle voulait réussir son mariage. Mais rien ne changea. Lorsqu’Alma reçut son appel en mission, elle fut soulagée. Parfois, les jeunes hommes comme Alma étaient envoyés en mission pour leur permettre de progresser et de réformer leur conduite.

Susie savoura la nouvelle ère de paix et de calme dans son foyer. Plus elle passait de temps loin de son mari, moins elle avait envie de le revoir.

La famille d’Alma habitait à côté de Bear Lake, près de la frontière nord de l’Utah, et Susie avait l’intention de lui rendre visite cet été-là. Avant de s’y rendre, elle alla parler à son père d’un autre sujet qui la préoccupait.

Récemment, à New York City, des saints avaient publié un livre appelé The Women of Mormondom pour riposter au portrait des saintes des derniers jours dressé dans les livres et les exposés de Fanny Stenhouse, Ann Eliza Young et autres détracteurs de l’Église. The Women of Mormondom contenait le témoignage de plusieurs femmes éminentes dans l’Église et présentait leurs expériences sous un jour favorable.

Pour aider à promouvoir le livre, Susie voulait faire une tournée nationale de conférences avec deux des femmes de son père, Eliza Snow et Zina Young, et sa sœur, Zina Presendia Williams. Susie avait toujours aspiré à être une grande oratrice et un grand écrivain, et elle était vivement désireuse de parcourir le pays et de donner des conférences.

Brigham lui parla favorablement de la tournée, mais il voulait qu’elle l’entreprenne pour les bonnes raisons. Il la savait ambitieuse et il avait toujours essayé de l’aider à cultiver ses talents en la scolarisant auprès de certains des meilleurs enseignants du territoire. Mais il ne voulait pas qu’elle recherche les louanges du monde aux dépens de sa famille.

Il lui dit : « Si tu devais devenir la femme la plus prestigieuse du monde et négliger tes devoirs d’épouse et de mère, tu te réveillerais au matin de la première résurrection pour découvrir que tu as échoué à tous points de vue. »

Comme d’habitude, son père ne mâchait pas ses mots. Néanmoins, Susie ne se sentit pas réprimandée. Il était aimable et compréhensif dans ses manières et semblait lire dans son cœur. Il la rassura : « Tout ce que tu peux faire après avoir satisfait aux exigences légitimes de ton foyer et de ta famille rejaillira à ton avantage et sera à l’honneur et à la gloire de Dieu. »

Pendant qu’ils continuaient de parler, elle avoua : « J’aimerais tant savoir si l’Évangile est vrai. » Elle voulait le savoir au plus profond de son âme, comme ses parents le savaient.

Brigham se contenta de dire : « Il n’y a qu’une façon d’obtenir le témoignage de la vérité, et c’est de cette façon que j’ai obtenu le mien et ta mère le sien. À genoux devant le Seigneur, prie, il t’entendra et t’exaucera. »

Un frisson la parcourut et elle sut que ce que son père disait était vrai. Il lui dit ensuite : « Sans le mormonisme, je serais aujourd’hui charpentier dans un village de campagne. »

Brigham avait mis son métier de côté longtemps avant la naissance de Susie, mais il était toujours le même homme de foi qui avait quitté son foyer à New York pour serrer la main d’un prophète de Dieu à Kirtland. Avant qu’il ne décède, Susie voulait qu’il sache ce qu’il représentait à ses yeux.

Elle dit : « Combien je suis fière et reconnaissante qu’il m’ait été permis de venir ici-bas en étant ta fille ! »

Le soir du 23 août 1877, Brigham était assis avec Eliza Snow dans la pièce où sa famille avait l’habitude de prier. Ils parlaient du projet d’envoyer Eliza, Zina, Zina Presendia et Susie dans l’Est pour promouvoir The Women of Mormondom et offrir aux gens une meilleure compréhension de l’Église.

Brigham dit : « C’est un essai, mais un essai que j’aimerais tenter. »

Il se leva et prit sa bougie. Plus tôt dans la soirée, il avait parlé avec des évêques de Salt Lake City, leur demandant de veiller à ce que les prêtres et les instructeurs rencontrent mensuellement chaque membre de leur paroisse. Il avait ensuite nommé un comité chargé de superviser la construction d’une salle de conférence à côté du temple de Salt Lake City. À présent, il était fatigué.

Il dit à Eliza : « Maintenant, je pense que je vais aller me reposer. »

Pendant la nuit, il fut saisi de vives douleurs à l’abdomen. Le matin, son fils, Brigham Young, fils, se précipita à son chevet et lui prit la main. Il demanda : « Comment te sens-tu ? Penses-tu que tu vas t’en sortir ? »

Brigham dit : « Je ne sais pas. Demande au Seigneur. »

Il resta au lit pendant deux jours, endurant des douleurs atroces entrecoupées de courts sommes. En dépit de la souffrance, il racontait des blagues pour essayer d’atténuer l’inquiétude de sa famille et de ses amis qui s’étaient réunis autour de lui. Chaque fois que quelqu’un lui demandait s’il avait mal, il disait : « Non, je ne peux pas dire que j’ai mal. »

Des apôtres et d’autres dirigeants de l’Église lui donnèrent des bénédictions, qui l’aidèrent à reprendre ses esprits. Mais au bout de quatre jours, il commença à avoir des pertes de conscience. Les symptômes s’aggravèrent et le médecin tenta en vain de l’opérer de l’abdomen.

Le 29 août, il lui administra un médicament contre la douleur et rapprocha son lit de la fenêtre pour le faire profiter de l’air frais. Dehors, une foule de saints se tenait dans un silence respectueux dans le jardin de la Lion House. En attendant, la famille de Brigham priait à genoux autour de son lit.

Allongé près de la fenêtre, il reprit vie un instant. Il ouvrit les yeux et regarda le plafond. « Joseph, dit-il, Joseph, Joseph, Joseph. »

Sa respiration se fit de moins en moins profonde jusqu’à s’arrêter.


CHAPITRE 30 : Une marche en avant constante

Lorsque Wilford Woodruff arriva à Salt Lake City trois jours après le décès de Brigham, des milliers de personnes endeuillées défilaient dans le tabernacle devant la dépouille de celui-ci. Le cercueil du prophète était simple et le couvercle était muni d’un panneau de verre permettant de voir son visage une dernière fois.

Les saints en Utah pensaient que sous sa direction, le désert avait fleuri comme un narcisse, accomplissant ainsi la prophétie d’Ésaïe. Ils avaient irrigué les vallées des montagnes, acheminant l’eau vers les fermes, les jardins, les vergers et les prairies qui pourvoyaient aux besoins de plusieurs centaines de colonies de saints des derniers jours. La plupart d’entre elles avaient pris racine, donnant le jour à des communautés qui s’efforçaient de respecter les principes de l’unité et de la coopération. Quelques-unes, comme Salt Lake City, étaient rapidement en train de devenir des centres urbains de manufacture et de commerce.

Cependant, la réussite de Brigham dans son rôle d’organisateur et de pionnier ne surpassait pas son service en qualité de prophète de Dieu. Parmi les personnes qui l’honorèrent ce matin-là, beaucoup l’avaient entendu parler ou l’avaient vu au milieu des saints dans le territoire. Certaines l’avaient connu lorsqu’il était missionnaire dans l’Est des États-Unis et en Angleterre. D’autres se souvenaient de la prudence avec laquelle il avait guidé l’Église au milieu de l’incertitude qui avait suivi le décès de Joseph Smith. D’autres encore avaient traversé les Grandes Plaines et les montagnes Rocheuses à ses côtés. De nombreux saints, notamment les dizaines de milliers qui s’étaient rassemblés en Utah, venant d’Europe et d’autres parties du monde, n’avaient jamais connu l’Église sans lui.

En se penchant sur le cercueil, Wilford trouva que son vieil ami avait l’air naturel. Le lion du Seigneur était au repos.

Le lendemain, 2 septembre 1877, les saints emplirent le tabernacle à l’occasion des obsèques de Brigham pendant que des milliers d’autres étaient debout dehors. Des rangées de guirlandes pendaient à la voûte du tabernacle et l’orgue était drapé de tissu noir. Contrairement aux coutumes américaines, les saints n’étaient pas vêtus de noir. Brigham leur avait demandé de ne pas le faire.

La nouvelle Première Présidence n’avait pas encore été soutenue : c’est donc en tant que président du Collège des Douze que John Taylor dirigea la réunion. Plusieurs apôtres rendirent hommage au défunt prophète. Wilford parla du vif désir de ce dernier de bâtir des temples et de racheter les morts. Il dit : « Il sentait le poids de cette dispensation reposer sur lui. Je me réjouis qu’il ait vécu suffisamment longtemps pour entrer dans un temple, s’occuper de sa consécration et commencer l’œuvre des autres. »

John témoigna que Dieu continuerait de guider l’Église au milieu du tumulte des derniers jours. Le Salt Lake Tribune avait déjà prédit que la mort du prophète susciterait des disputes parmi les dirigeants de l’Église et des défections parmi les saints. D’autres détracteurs espéraient voir les tribunaux provoquer la ruine de l’Église. George Reynolds, qui avait été jugé de nouveau et inculpé pour bigamie, interjetait maintenant appel auprès de la Cour suprême des États-Unis. Si la Cour maintenait sa condamnation, les saints n’auraient quasiment plus aucun recours pour défendre leur mode de vie.

John n’avait pourtant pas peur de l’avenir. Il déclara : « L’œuvre dans laquelle nous sommes engagés n’est pas l’œuvre de l’homme. Joseph Smith n’en est pas l’instigateur, et Brigham Young non plus. Elle émane de Dieu. Il en est l’auteur.

C’est maintenant à nous, saints des derniers jours, de magnifier notre appel afin que, au fur et à mesure que les scènes changeantes auxquelles nous nous attendons passeront sur toutes les nations (une révolution après l’autre), nous puissions maintenir une marche en avant constante, guidée par le Seigneur. »

Après la mort de son père, Susie Young Dunford eut du mal à savoir quoi faire concernant son mariage en perdition. Lorsque son mari, Alma, était parti en mission, elle avait espéré le voir transformé par l’expérience, mais dans ses lettres, il continuait d’être en colère et sur la défensive.

Ne voulant pas agir imprudemment, Susie examina ses options, priant continuellement au sujet de son dilemme. Peu avant sa mort, son père lui avait rappelé que les rôles d’épouse et de mère étaient indispensables à sa réussite dans la vie. Susie voulait s’en acquitter avec justice. Mais cela signifiait-il qu’elle devait rester avec un mari violent ?

Une nuit, elle rêva qu’Alma et elle rendaient visite à son père à la Lion House. Brigham avait une tâche à leur confier, mais contrairement à son habitude lorsqu’il était vivant, il la confia à Susie et non à Alma. En partant pour s’en acquitter, Susie rencontra Eliza Snow dans le couloir. Elle lui demanda pourquoi son père lui avait donné la tâche à elle alors qu’auparavant, il l’avait toujours donnée à Alma ?

Dans le rêve, Eliza répondit : « À l’époque, il ne comprenait pas. Mais maintenant oui. »

À son réveil, Susie se souvint des paroles d’Eliza. Elle fut réconfortée de savoir que son père pouvait avoir un avis différent dans le monde des esprits de celui qu’il avait dans la vie.

Elle demanda le divorce peu après et en rentrant d’Angleterre, Alma commença à consulter des avocats. Souvent, les dirigeants de l’Église tentaient de réconcilier les couples qui voulaient divorcer, mais ils savaient également que n’importe quelle femme qui voulait mettre fin à un mariage malheureux devait pouvoir le faire. C’était tout aussi vrai des femmes qui avaient du mal à s’adapter aux difficultés du mariage plural. Ces mariages n’étant pas reconnus par le système judiciaire local, les dirigeants locaux de l’Église s’occupaient des cas de divorce des femmes plurales.

Du fait que Susie était la seule femme d’Alma, le sien était différent. En tant qu’épouse d’un mari violent, elle pouvait s’attendre à avoir gain de cause, mais Alma et elle devaient comparaître devant un tribunal. À cette époque, tous les tribunaux des États-Unis et d’Europe se rangeaient habituellement du côté des hommes dans les cas de divorce. Les dirigeants de l’Église conseillaient aux maris de pourvoir amplement aux besoins de leur ex-femme et de leurs enfants, mais Alma insista pour obtenir leur garde et pour conserver presque tous les biens de la famille.

L’audience dura deux jours. Finalement, il obtint la garde complète de Leah, leur fille de quatre ans. Du fait que leur fils, Bailey, n’avait que deux ans, le tribunal le confia aux soins de Susie tout en nommant Alma tuteur légal.

La perte de ses enfants lui déchira le cœur et elle quitta le tribunal bouleversée par le verdict. Du fait qu’elle était privée de ses biens et de tout soutien financier, elle eut peu de temps pour s’appesantir sur son chagrin. Elle avait sérieusement besoin d’un plan à adopter.

Peu après le divorce, elle parla au président Taylor de son avenir. Elle avait quitté l’école à l’âge de quatorze ans et maintenant, elle voulait y retourner. Frère Taylor se montra coopératif et offrit de l’aider à démarrer dans l’établissement d’enseignement secondaire local. En quittant son bureau, elle croisa l’apôtre Erastus Snow.

Il dit : « Si tu veux aller à l’école, je vais te dire où tu dois aller. C’est un endroit où tu peux te remplir l’âme de la lumière riche de l’inspiration tout en te remplissant l’esprit de la connaissance des anciens et des modernes. Cet endroit est l’académie Brigham Young à Provo. »

Le lendemain, Susie prit le train pour aller voir l’académie. Bien que son père en fût le fondateur, elle ne savait pas grand-chose de cet établissement ni de ses objectifs. Lorsqu’elle arriva, elle rencontra le directeur, son ancien instituteur, Karl Maeser. Il la salua chaleureusement et ajouta son nom à la liste des élèves.

Entre-temps, sur la péninsule de Kalaupapa de l’île Molokai, la santé de Jonathan Napela s’était dégradée. Lorsqu’il était venu vivre parmi les lépreux sur la péninsule, il n’était pas atteint de la maladie qui affligeait tant d’autres Hawaïens, dont sa femme, Kitty. Maintenant, près de cinq ans plus tard, lui aussi l’avait contractée. Il avait le visage enflé au point d’être méconnaissable et la plupart de ses dents étaient tombées. Ses mains, qui avaient béni un nombre incalculable de personnes pendant plus de vingt ans, étaient couvertes de plaies.

Le 26 janvier 1878, Napela et Kitty reçurent chez eux deux missionnaires, Henry Richards et Keau Kalawaia, ainsi que Nehemia Kahuelaau, l’autorité présidente de l’Église à Molokai. Keau et Nehemia étaient tous deux membres de longue date et avaient fait plusieurs missions. Henry était le plus jeune frère de l’apôtre Franklin Richards et avait fait sa première mission sur les îles dans les années 1850, quelques années après le baptême de Napela. La dernière fois qu’il l’avait vu, c’était à Salt Lake City, en 1869, mais maintenant, moins de dix ans plus tard, il était surpris de voir combien ce dernier avait changé.

Le lendemain était jour de sabbat et Napela avait l’intention d’emmener ses invités visiter les branches de la péninsule. En dépit de sa maladie, il continuait de diriger l’Église sur Kalaupapa, supervisant soixante-dix-huit saints répartis en deux branches. Toutefois, avant qu’Henry ne puisse voyager dans toutes les colonies, il devait présenter un permis de visiteur au père Damien, le prêtre catholique qui servait en tant que surintendant de la colonie. Du fait que le conseil hawaïen de la santé recommandait aux visiteurs de ne pas passer la nuit avec des personnes qui avaient la lèpre, Henry allait rester chez le père Damien jusqu’au matin.

En fait, celui-ci avait déjà contracté la maladie, mais elle était à un stade précoce et personne n’était au courant. Comme Napela, il avait consacré sa vie à se soucier du bien-être spirituel et physique des exilés sur Kalaupapa. Bien qu’ils ne fussent pas d’accord sur certaines questions de religion, les deux hommes étaient devenus de bons amis.

Le matin, Napela et Henry assistèrent à une réunion chez Lepo, le président de branche des saints vivant sur la côte est de la péninsule. Quarante à cinquante personnes, dont beaucoup n’étaient pas membres, étaient présentes. Certaines avaient l’air d’être en bonne santé. D’autres étaient couvertes de plaies de la tête aux pieds. La vue de leurs souffrances émut Henry aux larmes. Keau et lui parlèrent chacun pendant quarante-cinq minutes. Lorsqu’ils eurent terminé, Nehemia et Napela prirent brièvement la parole.

Après la réunion, Napela emmena Henry et Keau visiter l’autre branche de la péninsule. Henry, accompagné du père Damien, passa ensuite le reste de la soirée et la matinée suivante à rendre visite aux personnes les plus malades de la colonie.

Napela, Nehemia et Keau l’attendaient lorsqu’il rentra. Avant le départ de ses visiteurs, Napela leur demanda une bénédiction. Kitty et lui seraient alités sous peu et ils ne reverraient probablement jamais Henry.

Lui posant les mains sur la tête, il prononça les paroles de la bénédiction. Le cœur lourd, les vieux amis se dirent au revoir et Henry, Keau et Nehemia repartirent par le sentier montagneux escarpé.

Plus tard cet été-là, dans le village de Farmington (Utah), Aurelia Rogers dînait avec deux dirigeantes éminentes de la Société de secours de Salt Lake City : Eliza Snow et Emmeline Wells. Ces sœurs étaient venues à Farmington pour une conférence de la Société de secours et Aurelia, secrétaire locale de l’organisation, avait une idée dont elle était pressée de leur faire part.

Aurelia était parfaitement consciente des besoins des enfants. Elle avait douze ans lorsque sa mère était morte, lui laissant, avec sa sœur aînée, quatre jeunes frères et sœurs à charge pendant que leur père faisait une mission. Maintenant dans la quarantaine, elle avait sept enfants en vie, le plus jeune étant un petit garçon d’à peine trois ans. Ces derniers temps, elle s’inquiétait pour les jeunes garçons de la collectivité. Ils étaient indisciplinés et restaient souvent dehors tard le soir.

Au cours du dîner, Aurelia demanda : « Comment nos filles vont-elles trouver de bons maris ? Ne pourrait-il pas y avoir une organisation pour les petits garçons qui les forme pour en faire de meilleurs hommes ? »

Cela piqua l’intérêt d’Eliza. Elle convint que les jeunes garçons avaient besoin d’être davantage guidés qu’ils ne l’étaient à l’École du dimanche ou pendant leurs journées d’école.

Elle soumit l’idée à John Taylor, qui donna son approbation. Elle sollicita également le soutien de l’évêque d’Aurelia, John Hess. Eliza lui parla de l’organisation proposée et, très vite, il appela Aurelia comme présidente de la nouvelle Société d’Amélioration Mutuelle de la Primaire.

En réfléchissant à la manière de s’y prendre avec les garçons de la paroisse, elle se rendit compte que leurs réunions seraient incomplètes sans les filles. Elle écrivit à Eliza, lui demandant si elle devait aussi inviter les filles à prendre part à la Primaire.

Eliza répondit : « Nous devons avoir les filles aussi bien que les garçons. Ils doivent être formés ensemble. »

Un dimanche d’août 1878, Aurelia et l’évêque Hess se réunirent avec des parents à Farmington pour organiser la Primaire. L’évêque prit la parole en premier. Il dit : « Chers parents, j’espère que vous mesurez l’importance de cette initiative. Si quelque chose doit mobiliser l’attention des parents, c’est bien le soin à donner à leurs enfants. » Il mit Aurelia et ses conseillères à part et Aurelia insista sur la nécessité d’une organisation qui soutienne les parents dans l’éducation de leurs enfants.

Elle dit : « Je pense que cette mesure sera d’un grand profit. » Elle compara ensuite les enfants de Farmington à un verger de jeunes arbres. Elle dit : « Il faut s’occuper des racines, car si les racines sont saines, l’arbre sera sain, et les branches causeront peu de problèmes. »

Plus de deux cents enfants se rassemblèrent deux dimanches plus tard pour la première réunion de la Primaire. Aurelia fit de son mieux pour maintenir l’ordre. Elle forma des classes en fonction de l’âge des enfants et confia aux plus grands le rôle de surveillant dans chacune. À la réunion suivante, elle invita les enfants à lever la main pour la soutenir, ainsi que les autres dirigeantes.

Ses enseignements étaient simples et sincères : aucun enfant n’est meilleur qu’un autre. Évitez de vous disputer. Rendez le bien pour le mal.

En septembre 1878, environ un mois après l’organisation de la Primaire, le président Taylor envoya les apôtres Orson Pratt et Joseph F. Smith en mission pour réunir d’autres renseignements sur les débuts de l’histoire de l’Église. Orson était l’historien de l’Église et Joseph travaillait depuis longtemps au bureau de l’historien.

En route vers l’est, ils firent halte au Missouri pour rendre visite à David Whitmer, l’un des trois témoins du Livre de Mormon. Les apôtres voulaient l’interviewer et voir s’il leur vendrait le manuscrit utilisé par l’imprimeur pour composer la première édition du Livre de Mormon. Martin Harris était décédé en Utah en 1875 et David était le dernier des trois témoins encore en vie.

Il accepta de parler aux apôtres dans leur chambre d’hôtel. Depuis son excommunication en 1838, il n’était jamais revenu dans l’Église, mais dernièrement, il avait participé à la fondation d’une Église qui utilisait le Livre de Mormon comme Écriture. Maintenant âgé de plus de soixante-dix ans, David manifesta sa surprise lorsqu’Orson se présenta. En 1835, David avait assisté Joseph Smith, Oliver Cowdery et Martin Harris lors de l’appel d’Orson parmi les premiers apôtres de la dispensation. À l’époque, c’était un jeune homme timide et mince. Maintenant, il avait un tour de taille avantageux, les tempes dégarnies et une longue barbe blanche.

Peu après le début de l’entretien, Orson demanda à David s’il se souvenait du moment où il avait vu les plaques d’or que Joseph Smith avait utilisées pour traduire le Livre de Mormon.

David dit : « C’était en juin 1829. C’était juste comme si Joseph, Oliver et moi étions assis ici sur un rondin, lorsque nous fûmes enveloppés de lumière. » David raconta qu’un ange était alors apparu avec les anciennes annales, l’urim et le thummim et les autres artefacts néphites.

Frappant le lit à côté de lui de la main, il dit : « Je les ai vus aussi clairement que je vois ce lit. J’ai distinctement entendu la voix du Seigneur déclarer que les annales des plaques du Livre de Mormon avaient été traduites par le don et le pouvoir de Dieu. »

Orson et Joseph posèrent d’autres questions sur le passé de l’Église et David répondit en donnant autant de détails qu’il le put. Ils s’enquirent du manuscrit de l’imprimeur, du Livre de Mormon, qu’Oliver lui avait donné. Orson demanda : « Le céderiez-vous à un éventuel acquéreur ? »

David répondit : « Non. Oliver m’a confié la tâche de le garder. Je considère que ces choses sont sacrées et je ne veux ni m’en séparer ni les troquer contre de l’argent. »

Le lendemain, il montra le manuscrit aux apôtres. Ce faisant, il fit remarquer que le Seigneur avait commandé à ses serviteurs d’apporter le Livre de Mormon au monde entier.

Joseph répondit : « Oui, et nous avons envoyé ce livre aux Danois, aux Suédois, aux Espagnols, aux Italiens, aux Français, aux Allemands, aux Gallois et dans les îles de la mer.

Ainsi, père Whitmer, l’Église n’a pas chômé. »

Plus tard cet automne-là, Ane Sophie Dorius, soixante-sept ans, se rendit au temple de St George avec Carl, son fils aîné. Trente ans s’étaient écoulés depuis qu’elle avait divorcé du père de Carl, Nicolai, après qu’il était devenu saint des derniers jours. Depuis, elle avait mis de côté son amertume contre l’Église et accepté l’Évangile éternel, puis elle avait quitté son Danemark natal pour se rassembler en Sion. Elle était maintenant sur le point de participer à des ordonnances sacrées qui commenceraient à raccommoder sa famille brisée.

Ane Sophie avait émigré en Utah en 1874, deux ans après le décès de Nicolai. Avant de mourir, ce dernier avait exprimé l’espoir qu’elle et lui fussent scellés pour l’éternité.

En arrivant en Utah, elle s’était installée dans la vallée de Sanpete, auprès de ses trois enfants vivants : Carl, Johan et Augusta. Au cours des années passées, elle avait vu ses fils pendant leurs différentes missions en Scandinavie. Par contre, lorsqu’elle avait retrouvé Augusta, qui avait trente-six ans et sept enfants, c’était la première fois qu’elles se revoyaient depuis plus de vingt ans.

Emménageant à Ephraim, une nouvelle vie de mère et grand-mère commença pour elle. Lorsque Brigham Young et d’autres dirigeants de l’Église réorganisèrent les paroisses et les pieux en 1877, ils partagèrent la paroisse d’Ephraim en deux et appelèrent Carl comme évêque de la paroisse du sud. Depuis, chaque fois qu’Ane Sophie assistait à une pièce de théâtre ou à un spectacle musical en ville, elle entrait sans billet en proclamant simplement, le sourire aux lèvres : « Je suis la mère de l’évêque Dorius. »

Au Danemark, elle avait très bien réussi dans son métier de pâtissière et après son arrivée, sa famille en Utah profita de ses talents. Elle aimait être bien habillée à l’occasion des activités où l’on servait des pâtisseries danoises. Pour son anniversaire, elle portait une fleur de géranium rouge à la boutonnière, faisait un gros gâteau et invitait toute sa famille et ses amis à célébrer l’événement avec elle.

Ane Sophie et Carl entrèrent dans le temple de St George le 5 novembre et elle fut baptisée pour sa mère et sa sœur qui étaient décédées lorsqu’elle était jeune. Carl le fut pour son grand-père maternel. Ane Sophie reçut sa dotation le lendemain et accomplit ensuite l’ordonnance en faveur de sa mère et de sa sœur pendant que Carl le faisait en faveur de son grand-père. Les parents d’Ane Sophie furent également scellés, avec Carl et elle comme représentants.

Le jour où elle reçut sa dotation, elle fut scellée à Nicolai, représenté par Carl, rétablissant ainsi le lien qui avait été rompu dans la condition mortelle. Carl fut ensuite scellé à ses parents. L’apôtre Erastus Snow, l’un des premiers missionnaires au Danemark, représentait son père.

Début janvier 1879, Emmeline Wells et Zina Presendia Williams, l’une des filles de Brigham Young, quittèrent l’Utah pour assister à un congrès national des chefs de file des droits des femmes à Washington DC.. Depuis les réunions de protestation de 1870, les saintes des derniers jours continuaient de défendre publiquement ces droits en Utah et dans le reste du pays. Leur travail avait même attiré l’attention de certaines des militantes les plus éminentes de la nation, notamment Susan B. Anthony et Elizabeth Cady Stanton, qui vinrent ensemble à Salt Lake City et parlèrent avec des saintes des derniers jours durant l’été 1871.

Pendant qu’elles assistaient au colloque à Washington, Emmeline et Zina Presendia avaient l’intention de faire pression sur le congrès en faveur de l’Église et des femmes d’Utah. Dernièrement, certains législateurs s’efforçaient continuellement d’affaiblir politiquement les saints en proposant de retirer le droit de vote aux femmes d’Utah. Emmeline et Zina Presendia voulaient défendre leur droit de voter, dénoncer les efforts du gouvernement pour interférer avec l’Église et rechercher un soutien politique au moment où la condamnation de George Reynolds pour bigamie était examinée par la Cour suprême des États-Unis.

Ce n’était pas la première fois qu’Emmeline entreprenait une vaste démarche pour l’Église. En 1876, au plus fort d’une infestation de sauterelles, Brigham Young, Eliza Snow et des dirigeantes du mouvement de tempérance l’avaient appelée à diriger un programme de stockage de céréales dans le territoire. Sous sa direction, à la fin de l’année 1877, les Sociétés de Secours et les organisations des Jeunes Filles avaient collecté plus de dix mille boisseaux de grain (environ 350 tonnes N.D.T.) et bâti deux silos à Salt Lake City. Suivant ses directives, de nombreuses Sociétés de Secours du territoire avaient aussi stocké dans leurs centres de Société de secours ou leurs bâtiments de paroisse des céréales dans des coffres.

Emmeline, femme plurale de Daniel Wells, était aussi connue pour la ferveur avec laquelle elle défendait le mariage plural et les droits des saintes des derniers jours. En 1877, elle devint rédactrice du Woman’s Exponent et utilisa ses colonnes pour exprimer ses opinions sur divers sujets, aussi bien politiques que spirituels. Bien que submergée de travail depuis qu’elle avait pris la direction du journal, elle croyait que sa publication était indispensable à la cause des saints des derniers jours.

Peu après avoir repris le Woman’s Exponent, elle nota dans son journal : « Notre journal est un bienfait pour la société. Je désire faire tout ce qui est en mon pouvoir pour améliorer la vie de mon propre peuple, surtout celle des femmes. »

Lorsqu’Emmeline et Zina Presendia arrivèrent à Washington, George Q. Cannon, Susan B. Anthony et Elizabeth Cady Stanton leur souhaitèrent la bienvenue. Elles avaient également appris deux jours auparavant que la cour suprême maintenait à l’unanimité la condamnation de George Reynolds, jugeant que la Constitution des États-Unis protégeait les convictions religieuses, mais pas nécessairement les actes religieux. La décision de la cour, qui ne pouvait faire l’objet d’aucun recours, signifiait que le gouvernement fédéral était dorénavant libre d’adopter et de faire appliquer des lois interdisant le mariage plural.

Au cours des jours suivants, Emmeline et Zina Presendia assistèrent au congrès des femmes, défendant le mariage plural et leur droit de vote. Emmeline déclara : « Les femmes d’Utah n’ont jamais enfreint la moindre loi de ce territoire et il serait injuste ainsi que politiquement malavisé de les priver de ce droit. »

Zina Presendia ajouta : « Les femmes d’Utah ne proposent pas de renoncer à leurs droits, mais d’aider leurs sœurs dans tout le pays. »

Le 13 janvier, Emmeline, Zina Presendia et deux autres femmes du congrès se rendirent à la Maison-Blanche pour y rencontrer le président Rutheford Hayes. Ce dernier fit entrer le groupe dans sa bibliothèque et écouta poliment les femmes qui lisaient les résolutions prises lors de leur congrès, notamment certaines qui lui reprochaient de ne pas en faire davantage pour soutenir les droits des femmes.

Emmeline et Zina Presendia lui dirent de se garder de faire appliquer la loi anti-polygamie Morrill de 1862. Elles ajoutèrent : « Des milliers de femmes deviendraient ainsi des parias et leurs enfants des enfants illégitimes aux yeux du monde. »

Le président Hayes exprima sa sympathie, mais ne fit aucune promesse. Sa femme entra peu après dans la pièce, écouta poliment la requête d’Emmeline et de Zina Presendia et fit visiter la Maison-Blanche au groupe.

Les semaines suivantes, Emmeline et Zina Presendia témoignèrent devant un comité du Congrès et parlèrent à divers chefs politiques en faveur des saints. Elles présentèrent également une pétition au Congrès demandant la révocation de la loi Morrill. Dans la pétition, elles lui demandaient d’adopter des lois qui reconnaîtraient le statut légal des femmes et des enfants des mariages pluraux existants. Certaines personnes furent impressionnées par le courage dont elles firent preuve pour défendre les croyances des saints. D’autres les considérèrent comme des curiosités ou se plaignirent de ce que des femmes plurales étaient autorisées à prendre la parole lors du congrès national des droits des femmes.

Avant de quitter Washington, Emmeline et Zina Presendia assistèrent à deux fêtes organisées par Lucy Hayes. En dépit de leurs efforts, elles n’avaient pas réussi à modifier l’opinion que le président se faisait des saints et il demeurait déterminé à détruire le « pouvoir temporel » de l’Église en Utah. Toutefois, Emmeline fut reconnaissante de la gentillesse de Lucy et admira ses goûts simples, le charme de ses manières et la fermeté de son refus de servir de l’alcool à la Maison-Blanche.

Lors de la réception du 18 janvier, elle lui offrit un exemplaire de The Women of Mormondom et une lettre personnelle. À l’intérieur du livre, elle avait écrit un petit message :

« Veuillez accepter ce témoignage de l’estime d’une épouse mormone. »


CHAPITRE 31 : Les fragments brisés de ma vie

Par une journée froide de janvier 1879, Ovando Hollister prit place dans le bureau de John Taylor. Ovando était collecteur d’impôts dans le territoire d’Utah et il écrivait parfois des articles pour un journal de l’Est des États-Unis. Suite à la décision prise par la Cour suprême dans l’affaire George Reynolds, le journal voulait savoir ce que John, l’apôtre le plus ancien de l’Église, en pensait.

Habituellement ce dernier n’accordait pas d’interviews aux journalistes, mais puisque c’était un représentant du gouvernement qui le demandait, il se sentit obligé de faire connaître son opinion sur la liberté religieuse et la décision de la Cour suprême. Il dit à Ovando : « Une conviction religieuse n’a aucune valeur s’il ne nous est pas permis de la vivre. » Il expliqua que la décision de la cour était injuste du fait qu’elle limitait le droit des saints de mettre leurs croyances en pratique. Il dit : « Je ne pense pas que la Cour suprême ni le Congrès des États-Unis aient un droit quelconque d’interférer et de s’immiscer dans mes opinions religieuses. »

Ovando demanda s’il valait la peine de poursuivre la pratique du mariage plural si cela signifiait une opposition constante de la part du gouvernement.

John dit : « Je dirais, avec tout le respect qui se doit, que l’antagonisme ne vient pas de nous. » Il croyait que la Constitution des États-Unis protégeait le droit des saints de pratiquer le mariage plural. Il en avait conclu qu’en votant une loi anticonstitutionnelle, le Congrès avait créé les tensions qui existaient entre l’Église et la nation. Il dit : « Cela revient maintenant à décider si nous devons obéir à Dieu ou à l’homme. »

Ovando demanda : « Ne pourriez-vous pas tout simplement abandonner la polygamie du fait qu’il n’y a aucun espoir de changer l’opinion et la loi du pays à son encontre ? » Il pensait que l’Église ne pourrait pas survivre beaucoup plus longtemps si elle continuait de s’opposer à la loi anti-polygamie.

John dit : « Nous laissons cela entre les mains de Dieu. C’est son travail de prendre soin de ses saints. »

Ce printemps-là, à l’académie Brigham Young, les cours de Susie Young commençaient tous les matins à huit heures et demie. Les élèves se réunissaient dans un bâtiment de briques à deux niveaux, rue du centre, à Provo. Toutes les tranches d’âge y étaient représentées, depuis les jeunes enfants jusqu’aux jeunes femmes et hommes d’une vingtaine d’années. La plupart n’avaient pas l’habitude d’aller tous les jours à l’école ni de commencer à l’heure, mais Karl Maeser, le directeur, insistait sur la ponctualité.

Susie aimait beaucoup le temps qu’elle passait à l’académie. L’un de ses camarades de classe, James Talmage, était un immigrant récent venu d’Angleterre et était passionné de sciences. Un autre, Joseph Tanner, travaillait à la filature de laine de Provo et avait persuadé le directeur de mettre en place des cours du soir pour les ouvriers de l’usine. Abraham Smoot, le président de la filature, dirigeait le conseil d’administration de l’académie. Durant une partie de la journée, Anna Christina, sa fille, donnait des cours aux élèves les plus jeunes tout en poursuivant ses propres études. Reed, son frère cadet, était aussi inscrit et préparait une carrière dans les affaires.

Le directeur Maeser nourrissait l’amour de ses élèves pour l’Évangile et pour l’instruction. Brigham Young lui avait demandé de se servir de la Bible, du Livre de Mormon et des Doctrine et Alliances comme manuels scolaires. Outre les matières habituelles, les élèves suivaient des cours sur les principes de l’Évangile. Tous les mercredis après-midi, le directeur les rassemblait pour une réunion spirituelle. Après une prière, ils rendaient témoignage et parlaient de ce qu’ils avaient appris en classe.

Comme il l’avait fait des années auparavant lorsqu’il enseignait chez les Young à Salt Lake City, il incita Susie à développer son potentiel. Il l’encouragea à écrire et lui rappela qu’elle devait chercher à produire du travail de haute qualité. Il lui confia aussi la tâche de s’occuper des procès-verbaux officiels des réunions spirituelles.

Du fait que l’Utah disposait de peu d’enseignants qualifiés, le directeur Maeser en recrutait souvent parmi ses élèves les plus âgés. Un jour, pendant qu’il rentrait de l’école à pied en compagnie de Susie et de sa mère, Lucy, il s’arrêta brusquement au milieu de la route

et demanda : « Est-ce que mademoiselle Susie comprend suffisamment bien la musique pour donner des leçons ? »

Lucy répondit : « Bien sûr. Elle en donne depuis l’âge de quatorze ans. »

Le directeur dit : « Je dois y réfléchir. »

Quelques jours plus tard, Susie commença à organiser le département de musique de l’académie sous la direction de frère Maeser. Comme il n’y avait pas de piano, elle en acheta un que ses élèves et elle utiliseraient. Une fois qu’elle eut une salle de classe, James Talmage l’aida à programmer les heures d’enseignement, de répétition pour les concerts et les cours particuliers pour ses élèves. Elle passa alors la plupart de son temps à enseigner la musique.

Susie avait beau aimer l’académie, elle avait du mal à accepter son divorce. Bailey, son fils, était avec elle à Provo, mais son ex-mari avait envoyé leur fille, Leah, vivre avec sa famille à Bear Lake, à plus de deux cent cinquante kilomètres au nord. Susie craignait de s’être gâché la vie et se demandait si elle n’avait pas détruit toutes ses chances de connaître le bonheur.

Dernièrement, pourtant, elle avait commencé à correspondre avec Jacob Gates, un ami de St George en mission à Hawaï. Au début, leurs lettres n’étaient rien de plus que des échanges amicaux, mais au fur et à mesure, ils avaient commencé à se confier de plus en plus l’un à l’autre. Elle parlait de ses regrets au sujet de son premier mariage, de sa joie dans l’académie et de son aspiration à faire autre chose de sa vie que de donner des leçons de musique.

Elle lui dit dans une lettre : « Non, Jake, je ne serais pas maîtresse d’école. J’espère être écrivain un jour. Quand j’en saurai assez. »

Susie avait l’intention d’aller à Hawaï à la fin du semestre visiter des Sociétés de Secours avec Zina Young, l’une des veuves de son père qu’elle appelait son « autre mère ». Elle espérait voir Jacob pendant qu’elle serait là-bas. Elle craignait d’être passée à côté de sa vie, mais elle avait tout de même foi que les cieux se souciaient d’elle.

Elle écrivit à Jacob : « Dieu est bon et il m’aidera à ramasser les fragments brisés de ma vie et à les recoller pour en faire quelque chose d’utile. »

Après quatre jours de voyage en train, George Reynolds arriva à la prison d’État du Nebraska, à environ mille cinq cents kilomètres à l’est de Salt Lake City, pour purger sa peine de deux ans pour bigamie. À l’intérieur, les gardes lui confisquèrent tout ce qu’il avait, y compris ses vêtements et ses sous-vêtements du temple. Après un bain, ils lui coupèrent les cheveux courts et lui rasèrent la barbe.

On lui attribua une cellule et une chemise en tissu grossier, une paire de chaussures, une casquette et un uniforme de prisonnier rayé bleu et blanc. Trois fois par jour, il était escorté en silence avec les autres prisonniers jusqu’à une table où il récupérait son repas et retournait ensuite dans sa cellule le manger seul. Quelques jours plus tard, les agents pénitentiaires lui rendirent ses sous-vêtements du temple et il fut reconnaissant que ses convictions religieuses fussent respectées au moins à cet égard.

Dix heures par jour, six jours par semaine, Reynolds travaillait comme comptable à la mercerie de la prison. Le dimanche, il assistait à une courte cérémonie religieuse organisée pour les prisonniers. Tous les quinze jours, la réglementation de la prison l’autorisait à écrire à ses deux femmes, Mary Ann et Amelia. Il leur demanda de lui écrire aussi souvent qu’elles le pouvaient, mais de ne pas oublier que leurs lettres seraient ouvertes et lues avant de lui être remises.

Au bout d’un mois, il fut transféré à la prison territoriale en Utah, transfert pour lequel George Q. Cannon avait fait pression à Washington.

À Odgen, sa famille l’embrassa lorsqu’il changea de train pour prendre celui de Salt Lake City. Ses enfants les plus jeunes ne le reconnurent pas sans sa barbe.

Plus tard, il écrivit à sa famille : « Soyez assurés qu’il y a de nombreux endroits bien pires dans le monde que la prison pour motif de conscience. Cela ne peut dérober la paix qui règne dans mon cœur. »

Cet été-là, au sud des États-Unis, Rudger Clawson, vingt-deux ans, et Joseph Standing, son collègue missionnaire, prêchaient dans une région rurale de l’État de Géorgie. Rudger, ancien employé au bureau de Brigham Young, était missionnaire depuis peu. Par contre, Joseph, vingt-quatre ans, avait déjà fait une mission et présidait maintenant les branches de l’Église dans la région.

L’endroit où ils travaillaient avait été dévasté par la guerre de Sécession et de nombreuses personnes se méfiaient des étrangers. Depuis la décision prise dans l’affaire George Reynolds, la région était devenue plus hostile à l’égard des saints des derniers jours. Des prédicateurs et des journaux faisaient circuler des rumeurs au sujet des missionnaires « mormons » et des émeutiers pénétraient de force chez les gens qu’ils soupçonnaient de les accueillir.

Joseph était terrifié à l’idée d’être capturé par des émeutiers sachant que parfois, ils attachaient leurs victimes à un poteau et les fouettaient. Il dit à Rudger qu’il préférait mourir plutôt que d’être fouetté.

Le matin du 21 juillet 1879, Rudger et Joseph virent une douzaine d’hommes devant eux sur la route. Trois d’entre eux étaient à cheval et les autres à pied. Chacun portait une arme à feu ou une matraque. Les missionnaires s’arrêtèrent pendant que les hommes les regardaient en silence. Puis, d’un seul mouvement rapide, ces derniers se débarrassèrent de leurs chapeaux et foncèrent sur eux. L’un d’eux cria : « Vous êtes nos prisonniers. »

Joseph dit : « Si vous avez un mandat d’arrestation, nous aimerions le voir. » Sa voix était forte et claire, mais il était pâle.

Un homme dit : « Les États-Unis d’Amérique sont contre vous. Il n’y a aucune loi en Géorgie pour les mormons. »

L’arme au poing, les émeutiers conduisirent les missionnaires dans les profondeurs des bois environnants. Joseph essaya de parler à leurs chefs. Il dit : « Nous n’avons pas l’intention de rester dans cette partie de l’État. Nous prêchons ce que nous comprenons comme étant la vérité et nous laissons les gens l’embrasser ou pas. »

Ses paroles furent sans effet. Les émeutiers se séparèrent rapidement et certains hommes emmenèrent Rudger et Joseph dans un endroit proche d’une source d’eau limpide.

Un homme plus âgé dit : « Je veux que vous compreniez que je suis le capitaine de ce groupe. Si jamais je vous retrouve dans cette partie du pays, je vous pends par le cou comme des chiens. »

Pendant une vingtaine de minutes, les missionnaires écoutèrent les hommes les accuser de venir en Géorgie pour enlever leurs femmes et leurs filles et les emmener en Utah. Les bruits qui couraient dans le Sud au sujet des missionnaires étaient fondés sur une conception totalement fausse du mariage plural et certains hommes se sentaient tenus par l’honneur de protéger les femmes de leur famille par tous les moyens nécessaires.

La discussion s’acheva lorsque les trois cavaliers arrivèrent à la source. Un homme portant un fusil dit : « Suivez-nous. »

Joseph bondit sur ses pieds. Allaient-ils le fouetter ? L’un des émeutiers avait laissé un pistolet sur une souche et Joseph s’en empara.

Il cria aux émeutiers : « Rendez-vous ! »

Un homme à sa gauche se leva et lui tira au visage. Joseph resta un instant immobile, tituba et s’effondra sur le sol de la forêt. De la fumée et de la poussière s’élevèrent autour de lui.

Le capitaine montra Rudger du doigt et cria : « Abattez cet homme ! » Rudger regarda autour de lui. Tous les hommes armés le visaient à la tête.

Croisant les bras, Rudger dit : « Tirez. » Il avait les yeux ouverts, mais le monde semblait s’assombrir.

Changeant d’avis, le chef des émeutiers cria : « Ne tirez pas. » Les hommes baissèrent leurs armes et Rudger s’accroupit à côté de son collègue. Joseph avait roulé sur le dos. Il avait un large trou sur le front.

Un émeutier dit : « N’est-ce pas terrible qu’il se soit tiré une balle ? »

Rudger savait que ce qui venait de se passer n’était pas un suicide, mais un meurtre, néanmoins, il n’osa pas le contredire. Il répondit : « Oui, c’est terrible. Nous devons aller chercher de l’aide. » Personne ne bougea et Rudger s’impatienta. Il insista : « Vous devez y aller ou m’y envoyer. »

Un homme lui dit : « Vas-y, va chercher de l’aide. »

Le dimanche 3 août, John Taylor contempla dix mille visages solennels depuis la chaire du tabernacle à Salt Lake City. Derrière lui, les gradins étaient drapés de tissu noir et ornés de compositions florales. Des hommes ordonnés à la prêtrise étaient assis par collège tandis que d’autres saints occupaient les sièges vacants du parterre et des balcons. Près des gradins, bien à la vue de l’assemblée, se trouvait le cercueil de Joseph Standing, décoré de fleurs.

Après avoir été libéré par les émeutiers, Rudger Clawson avait trouvé de l’aide auprès d’un ami habitant dans les environs et avait envoyé un télégramme à Salt Lake City pour faire rapport du meurtre de Joseph. Il était ensuite retourné sur les lieux avec un médecin légiste pour récupérer le corps de son collègue qui, en son absence, avait été défiguré par des balles supplémentaires. Une semaine et demie plus tard, Rudger ramena la dépouille en train jusqu’en Utah dans une lourde boîte de métal. La nouvelle du meurtre s’était rapidement propagée dans tous les coins du territoire.

John était aussi scandalisé et peiné que les saints, mais il pensait qu’en plus d’être tristes, ils devaient être fiers. Joseph était mort dignement dans la cause de Sion. Son assassinat n’empêcherait pas l’œuvre de Dieu d’avancer. Les saints continueraient de bâtir des temples, d’envoyer des missionnaires dans le monde entier et d’élargir les frontières de Sion.

Sous la direction de Brigham Young, ils avaient fondé des centaines de colonies dans l’Ouest des États-Unis, se déployant hors d’Utah vers les États voisins du Nevada, du Wyoming, du Nouveau-Mexique et d’Idaho. Durant la dernière année de sa vie, Brigham avait envoyé deux cents colons s’installer le long de la rivière Little Colorado, au nord-est de l’Arizona.

Plus récemment, suivant l’appel de John Taylor, soixante-dix convertis du sud-est des États-Unis s’étaient unis à des saints scandinaves pour fonder une ville appelée Manassa dans l’État voisin du Colorado. Au sud-est de l’Utah, une grande compagnie de saints traversait les profondes gorges du pays pour aller s’installer le long de la rivière San Juan.

John savait que les principes de la vérité continueraient de remplir le monde en dépit des mains impies qui essayaient de les abattre. Il déclara : « Les hommes peuvent réclamer nos biens, ils peuvent réclamer notre sang tout comme d’autres l’ont fait d’autres fois, mais au nom du Dieu d’Israël, Sion perdurera et prospérera. »

Le vent soufflait à travers les champs de taro tandis que Zina et Susie Young franchissaient en calèche les hautes montagnes divisant l’île d’Oahu. Elles avaient quitté Honolulu et se rendaient à Laie, lieu de rassemblement des saints hawaïens. La route longeait un précipice si profond qu’une barre de fer avait été installée d’un côté du chemin pour empêcher les voyageurs de tomber. De plus, il fallut l’aide de deux hommes tirant sur une forte corde pour stabiliser la calèche le temps de la descente vers la vallée verdoyante.

L’Église était maintenant bien établie sur les îles hawaïennes ; environ un Hawaïen sur douze en était membre. Lorsque Zina et Susie arrivèrent à Laie, les saints les accueillirent avec un étendard, de la musique et des danses. Ils leur offrirent à un repas de bienvenue et chantèrent un chant qu’ils avaient écrit spécialement pour l’occasion.

Pendant qu’elle s’installait pour un séjour de deux mois, Zina rencontra des saints qui étaient, comme elle, des pionniers grisonnants. Parmi eux se trouvait Mary Kapo, présidente de la Société de secours, belle-sœur de Jonathan Napela, l’inébranlable missionnaire et dirigeant hawaïen de l’Église. Plus tôt cet été-là, il était décédé sur Molokai, ferme dans son témoignage, juste deux mois avant sa femme, Kitty.

Zina aima beaucoup le temps qu’elle passa avec les saints hawaïens. Susie et elle se réunissaient souvent avec la Société de secours et les Jeunes Filles. Lors de leur première réunion, les sœurs hawaïennes apportèrent un melon, un petit sac de patates douces, un concombre, des œufs, un poisson et un chou. Zina écrivit dans son journal : « Je croyais que c’était pour les pauvres, mais c’était un témoignage de leur amitié pour nous. »

Un soir, des saints se rassemblèrent dans une maison pour entendre Jacob Gates, l’ami missionnaire de Susie, jouer « Ô mon Père » sur un orgue que Zina avait acheté pour les saints à Laie. En écoutant les Hawaïens chanter, Zina pensa à son amie, Eliza Snow, qui avait écrit le cantique à Nauvoo tant d’années auparavant. Il parlait de parents célestes et d’autres vérités que Zina avait découvertes pour la première fois auprès de Joseph Smith, le prophète. Le chant était maintenant interprété dans un endroit du monde tout à fait différent.

Trois jours plus tard, Susie et Jacob firent ensemble une excursion vers le haut du canyon. Susie lui avait écrit une courte lettre d’amour deux semaines plus tôt, pendant qu’il passait la journée loin de Laie, occupé à l’œuvre missionnaire.

Elle avait écrit : « Je pense à toi maintenant, là-haut sur les collines. Souhaites-tu, comme moi, qu’il n’y ait pas de travail à faire aujourd’hui afin que nous puissions parler de l’avenir et exprimer de mille manières ce que nous avons à l’esprit ? »

Pendant que Susie et Jacob se faisaient la cour, Zina prévoyait de célébrer le deuxième anniversaire du décès de Brigham Young avec les saints hawaïens. Le 29 août, les membres de l’Église de tout Laie marquèrent l’événement avec Susie et elle. De jeunes garçons et filles décorèrent l’église pendant que des sœurs de la Société de secours achetaient du bœuf pour un festin et que d’autres saints creusaient une fosse pour y cuire la viande.

Zina était reconnaissante de leurs efforts. Non seulement ils honoraient son défunt mari, mais également les principes qu’il s’était efforcé d’établir parmi les saints.

Le dimanche suivant, Zina aida à organiser une nouvelle Société de secours avec trente membres. Susie et elle partirent le lendemain. Tandis qu’elles s’éloignaient de plus en plus de l’île, Zina demanda à Susie si elle était contente de rentrer à la maison. Susie était partagée. Elle était impatiente de revoir ses enfants, mais elle aspirait aussi à être avec l’homme qu’elle espérait maintenant épouser.

Pendant le voyage, elle écrivit à Jacob : « J’aimerais pouvoir me plier dans une enveloppe et t’être expédiée. Je ne peux pas te voir maintenant et tout ce que je peux faire c’est m’asseoir et rêver, rêver du bonheur passé et d’un avenir heureux. »

Meliton Trejo habitait le sud de l’Arizona lorsqu’il reçut l’appel du président Taylor à partir en mission à Mexico. Cela faisait plus de trois ans qu’il avait dit au revoir aux premiers missionnaires en route pour le Mexique. Pendant leur voyage, ceux-ci avaient distribué des centaines d’exemplaires de la traduction de passages du Livre de Mormon faite par Meliton. Rapidement, les dirigeants de l’Église avaient commencé à recevoir des lettres de lecteurs des Trozos Selectos (Morceaux choisis) demandant l’envoi d’autres missionnaires.

Meliton avait fait ses preuves grâce à son travail de traduction et il se préparait maintenant à accompagner James Stewart et Moses Thatcher, un apôtre nouvellement appelé, à Mexico, la capitale du pays.

Les trois missionnaires se retrouvèrent en novembre à La Nouvelle-Orléans où ils embarquèrent sur un bateau à vapeur à destination de Veracruz. De là, ils prirent le train jusqu’à Mexico. Le lendemain de leur arrivée, Plotino Rhodakanaty, un dirigeant d’une vingtaine de croyants à Mexico, vint les trouver à leur hôtel. Plotino, originaire de Grèce, leur souhaita une chaleureuse bienvenue. Ses lettres avaient joué un rôle déterminant dans la décision du président Taylor et des apôtres d’envoyer des missionnaires dans la ville. Pendant que Plotino les attendait, d’autres convertis non baptisés et lui avaient fondé un journal sur l’Évangile rétabli appelé La voz del desierto (La voix du désert).

Plus tard cette semaine-là, les missionnaires se rendirent dans une oliveraie paisible, juste à l’extérieur de la ville, et Moses baptisa Plotino et son ami Silviano Arteaga dans le bassin d’une source d’eau tiède. Moses écrivit dans son journal : « Toute la nature souriait autour de nous et je crois que les anges se réjouissaient. »

En quelques jours, Meliton baptisa six autres personnes. Les missionnaires organisèrent une branche et commencèrent à tenir des réunions chez Plotino. Ils s’enseignaient mutuellement l’Évangile et donnaient des bénédictions aux malades. Moses appela Plotino comme président de branche, avec Silviano et Jose Ybarola, un autre converti récent, comme conseillers.

Après avoir mûrement réfléchi et prié, les missionnaires décidèrent de traduire la Voix d’avertissement de Parley Pratt et d’autres brochures de l’Église. Devenir membre de l’Église pouvait être lourd de conséquences, Plotino l’apprit lorsqu’il perdit son emploi d’instituteur parce qu’il refusa de renier sa nouvelle religion. Néanmoins, la petite branche grandissait et les missionnaires, tout comme les convertis, avaient l’impression de prendre part à quelque chose de grandiose.

Meliton, James et Plotino achevèrent la traduction de la Voix d’avertissement le 8 janvier 1880. Quelques jours plus tard, Moses écrivit au président Taylor pour faire rapport des progrès de la mission.

Il lui assura : « Nous saisirons toutes les occasions d’acquérir des connaissances utiles et en même temps nous ferons tout notre possible pour faire connaître les vérités de l’Évangile. Nous croyons que le Seigneur nous a aidés et qu’il continuera à le faire. »


CHAPITRE 32 : Relever notre col et ramasser la douche

Au début de l’année 1880, George Q. Cannon et sa femme, Elizabeth, étaient à Washington. Une nouvelle session du Congrès allait commencer et George occupait toujours le poste de représentant du territoire d’Utah. Cette année-là, ils avaient emmené avec eux leurs deux fillettes. Ils espéraient améliorer l’opinion des politiciens et des rédacteurs de journaux de la nation concernant les familles de saints des derniers jours.

De nombreuses personnes savaient, bien sûr, que George et Elizabeth pratiquaient le mariage plural. En fait, George avait quatre femmes et vingt enfants vivants. Pourtant, comme le fit remarquer un journaliste, les Cannon ne correspondaient pas à la caricature populaire des saints. Un journaliste écrivit : « Si les vertus d’une institution devaient être mesurées par leurs résultats en matière de raffinement et d’intelligence, il n’y aurait aucun préjugé contre la polygamie. »

Pourtant, les préjugés concernant les saints n’avaient fait qu’empirer depuis la décision de la Cour suprême des États-Unis un an plus tôt dans l’affaire George Reynolds. En décembre 1879, dans son discours annuel à la nation, le président Hayes avait condamné la pratique et incité les forces de l’ordre à faire respecter la loi anti-polygamie Morrill.

Le discours du président donna à quelques membres du Congrès le courage de s’opposer plus agressivement au mariage plural. Un législateur présenta un projet de loi proposant un amendement à la Constitution proscrivant la polygamie. Un autre annonça son intention d’expulser George Q. Cannon du Congrès. Entre-temps, des citoyens de tout le pays commencèrent à faire pression sur leurs représentants pour qu’ils s’emploient davantage à éradiquer le mariage plural.

Le 13 janvier, George écrivit à John Taylor : « Le ciel s’assombrit autour de nous. Si le Seigneur ne nous fournit pas de paratonnerres pour détourner l’électricité vers une autre direction, ce que je suis sûr qu’il fera, je ne vois aucune autre issue pour nous que de relever notre col et ramasser la douche. »

Une nuit, vers cette époque-là, Desideria Quintanar de Yáñez eut un rêve où elle vit qu’un livre appelé Voz de amonestación (La voix d’avertissement) était en cours d’impression à Mexico. Lorsqu’elle se réveilla, elle sut qu’elle devait le trouver.

Desideria, descendante du chef aztèque Cuauhtémoc, était très respectée à Nopala, la ville où son fils, José, et elle vivaient. Ils appartenaient à une assemblée protestante locale bien que la plupart des Mexicains fussent catholiques.

Desideria eut l’impression qu’elle devait se rendre à Mexico pour y chercher le mystérieux livre, mais la ville était à près de cent vingt kilomètres. Elle pouvait faire une partie du voyage en train, mais la plus grande partie devait se faire à pied par des chemins de terre. Desideria avait la soixantaine et n’était pas en état d’entreprendre un tel périple.

Déterminée à trouver le livre, elle raconta le rêve à son fils. José la crut et peu après, il partit pour Mexico à la recherche du livre inconnu.

À son retour, il raconta son incroyable expérience à sa mère. Il avait trouvé la ville grouillante de centaines de milliers de personnes et sa recherche du livre semblait vouée à l’échec. Un jour, pendant qu’il marchait dans les rues encombrées, il avait rencontré Plotino Rhodakanaty qui lui avait parlé d’un ouvrage appelé Voz de amonestación.

Plotino l’avait envoyé à un hôtel pour s’entretenir avec le missionnaire James Stewart. Là, il avait appris que Voz de amonestación était la traduction d’un livre appelé Voice of Warning [Une voix d’avertissement] que des missionnaires saints des derniers jours utilisaient depuis des décennies pour présenter leur religion aux anglophones. Il témoignait du rétablissement de l’Évangile du Christ et de la parution du Livre de Mormon, des annales sacrées des habitants de l’Amérique ancienne.

Voz de amonestación n’était pas encore sorti de chez l’imprimeur, mais James donna à José des brochures religieuses à rapporter chez lui. Il les remit à sa mère qui les étudia attentivement. Elle demanda ensuite aux missionnaires de venir à Nopala la baptiser.

Meliton Trejo arriva en ville en avril et, à leur demande, baptisa Desideria, José et Carmen, fille de José. Quelques jours plus tard, José retourna à Mexico et reçut la Prêtrise de Melchisédek. Il revint chez lui les bras chargés de brochures et de livres, dont dix exemplaires de Voz de amonestación tout juste imprimés.

Le souvenir le plus lointain d’Ida Hunt était celui de son grand-père, Addison Pratt, la faisant sauter sur ses genoux. À l’époque, la famille d’Ida habitait une ferme non loin de San Bernardino (Californie). Ses parents, John et Lois Pratt Hunt, s’étaient installés là lorsqu’Ida avait environ un an. Quelques années plus tard, Louisa Pratt, grand-mère d’Ida, insista pour que sa famille s’installât à Beaver, petite ville du sud de l’Utah, où Louisa habitait depuis 1858.

Addison était décédé en Californie en 1872. Louisa et lui n’avaient jamais résolu leurs différends et ils avaient vécu séparés la plus grande partie des quinze dernières années de leur mariage, mais ils avaient toujours beaucoup d’affection pour leurs filles et leurs petits-enfants. Ida les aimait tendrement tous les deux.

Elle habitait à un pâté de maisons de chez Louisa et passait des après-midi sans nombre à apprendre aux côtés de sa grand-mère. En 1875, elle eut dix-sept ans et sa famille et elle quittèrent Beaver. Trois ans plus tard, les dirigeants de l’Église les appelèrent à déménager à nouveau. Cette fois-ci, ils devaient s’installer à Snowflake, une ville du territoire d’Arizona. Au lieu d’aller avec sa famille, Ida décida de retourner à Beaver vivre pendant quelque temps avec sa grand-mère.

De retour là-bas, elle fut indispensable à cette dernière et à ses deux tantes, Ellen et Ann, qui habitaient dans les environs. Elle participait aux corvées et prenait soin des membres de la famille lorsqu’ils étaient malades. Elle ne passait quand même pas tout son temps à la maison. Ses soirées étaient souvent occupées par des dîners, des fêtes et des concerts. Elle commença bientôt à fréquenter un jeune homme appelé Johnny.

Au printemps de 1880, ses amis et sa famille de Snowflake l’implorèrent de rentrer à la maison et Ida prit la décision difficile de quitter Beaver. Les mots manquèrent à Louisa lorsqu’elle dut dire au revoir à sa petite-fille et lui souhaiter bon voyage. Sa seule consolation était l’idée que sa relation avec Johnny la ramènerait peut-être à Beaver.

Ida fit le voyage jusqu’à Snowflake avec la famille de Jesse Smith, président du pieu de l’Est de l’Arizona. Il y avait, entre Emma et Augusta, deux de ses femmes, quelque chose de sacré et de désintéressé dans leurs rapports qui inspira de l’admiration chez Ida. Comme ses propres parents ne pratiquaient pas le mariage plural, elle n’avait guère d’expérience sur la façon dont cela se passait. Cependant, plus elle passait de temps avec les Smith, plus elle envisageait de le pratiquer.

En faisant cela, elle se distinguerait des saints de son âge. La plupart des membres de l’Église acceptaient et défendaient le mariage plural, mais le nombre de familles plurales déclinait. La pratique se limitait essentiellement aux saints vivant dans l’Ouest américain. Parmi ceux qui vivaient en Europe, à Hawaï ou ailleurs dans le monde, aucun mariage plural n’était célébré.

À la fin des années 1850, au moment où la pratique était la plus répandue, environ la moitié des personnes résidant en Utah pouvaient s’attendre à faire partie d’une famille plurale. Ce chiffre était depuis descendu à vingt ou trente pour cent et il continuait de baisser. Du fait que le mariage plural n’était pas exigé des membres de l’Église, les saints pouvaient rester en règle avec Dieu et avec l’Église s’ils choisissaient de ne pas y prendre part.

Plusieurs mois après son arrivée à Snowflake, Ida fut informée que sa grand-mère était décédée. Accablée de chagrin, elle regretta de l’avoir quittée. Si elle était restée à Beaver, se disait-elle, elle aurait pu la réconforter pendant les derniers moments de sa vie.

À peu près à cette époque-là, elle reçut également une lettre de Johnny. Il voulait venir en Arizona et l’épouser, mais elle espérait alors trouver un homme qui fût disposé à pratiquer le mariage plural. Johnny n’avait pas assez foi en l’Évangile et elle savait qu’il n’était pas un bon parti pour elle.

En 1880, l’Église fêta son cinquantième anniversaire. Se souvenant que l’Israël de jadis fêtait tous les cinquante ans un jubilé pour annuler les dettes et libérer les gens de la servitude, le président Taylor annula la dette de milliers de saints pauvres qui s’étaient rassemblés en Sion avec de l’argent emprunté au fonds perpétuel d’émigration. Il demanda aux saints qui possédaient des banques et des entreprises d’annuler une partie des dettes qu’on leur devait et exhorta les membres de l’Église à faire cadeau de têtes de bétail aux nécessiteux.

Il demanda également à Emmeline Wells, présidente du comité des céréales de la Société de secours, de prêter aux évêques autant de blé des silos de la Société de secours que nécessaire pour nourrir les pauvres de leur paroisse.

En juin, le président Taylor assista à une conférence de la Société de secours du pieu de Salt Lake.La réunion incluait des représentants de la Société de la Primaire et de la Société d’Amélioration Mutuelle des Jeunes Filles (S.A.M.J.F.), qui étaient considérées comme des auxiliaires de la Société de secours. Pendant la réunion, Eliza Snow chargea Louie Felt, une présidente de Primaire de paroisse, de superviser la Primaire dans toute l’Église. L’assemblée la soutint et donna également son accord pour le choix de ses deux conseillères.

Un peu plus tard au cours de la réunion, le président Taylor demanda à une secrétaire de lire le récit de l’organisation de la Société de secours de Nauvoo en 1842. Il avait assisté à cette première réunion où Emma Smith avait été élue présidente de la société. Il avait également donné à ses conseillères, Sarah Cleveland et Elizabeth Ann Whitney, l’autorité d’agir dans leur appel.

Lorsque la secrétaire eut achevé sa lecture, le président Taylor parla des pouvoirs et des devoirs que la Société de secours donnait aux femmes. Mary Isabella Horne proposa ensuite qu’il nomme Eliza Snow présidente de toutes les Sociétés de Secours de l’Église. Elle avait été secrétaire de la Société de secours originelle et elle donnait des conseils à toutes les Sociétés de Secours de paroisse depuis plus d’une décennie, mais il n’y avait plus eu de présidente générale de la Société de secours depuis qu’Emma Smith avait dirigé l’organisation dans les années 1840.

Le président Taylor nomma Eliza présidente générale de la Société de secours et l’assemblée la soutint. Elle choisit ensuite Zina Young et Elizabeth Ann Whitney comme conseillères, Sarah Kimball comme secrétaire et Mary Isabella Horne comme trésorière. Comme elle, elles avaient toutes été membres de la Société de secours de Nauvoo et avaient servi dans l’organisation depuis son rétablissement en Utah.

Plus tard cet après-midi-là, lors de la dernière réunion de la conférence, Eliza nomma Elmina Taylor, l’une des conseillères de Mary Isabella Horne à la présidence de Société de secours de pieu, comme présidente générale de la Société d’Amélioration Mutuelle des Jeunes Filles. Elmina fut soutenue avec ses conseillères, une secrétaire et une trésorière.

Les femmes de tout le territoire se réjouirent de ces nouvelles présidences générales.

Un mois plus tard, lors d’une réunion de la Société de secours, Phebe Woodruff déclara : « Je suis très heureuse de voir mes sœurs évoluer dans un tel ordre. » Belinda Pratt, une présidente de Société de secours de pieu, écrivit dans son journal : « Quelle époque ! Que les responsabilités des sœurs de l’Église sont grandes ! Quel travail elles accomplissent ! »

D’autres changements inspirés se produisirent dans l’Église cette année-là. Depuis la mort de Brigham Young trois ans plus tôt, le Collège des Douze dirigeait l’Église sans Première Présidence. Après avoir discuté du sujet et prié, le collège soutint à l’unanimité John Taylor comme président de l’Église, et George Q. Cannon et Joseph F. Smith comme conseillers. Plus tard, lors d’une session bondée de la conférence générale d’octobre, les saints levèrent la main pour soutenir la nouvelle présidence.

Suite au soutien, George Q. Cannon se leva et proposa que la Perle de grand prix, une collection de traductions et écrits inspirés de Joseph Smith, devînt un nouvel ouvrage canonique de l’Église. Les missionnaires avaient utilisé les éditions de la Perle de grand prix depuis sa publication en 1851, mais c’était la première fois qu’on demandait aux membres de l’Église de l’accepter comme livre d’Écritures.

Puis, le président Taylor dit : « Cela fait plaisir de voir l’unanimité de sentiment manifestée dans nos votes. Continuez maintenant d’être unis dans les autres choses, comme vous l’avez été dans celle-là, et Dieu se tiendra dorénavant à vos côtés. »

Six mois plus tard, dans la ville côtière trépidante de Trondheim (Norvège) Anna Widtsoe émergeait d’un fjord glacé. Elle venait de se faire baptiser dans l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Son corps était gelé, mais la flamme de l’Évangile brûlait en elle et elle était remplie d’amour pour les saints qui l’entouraient.

Son parcours vers le baptême n’avait pas été facile. Son mari était mort subitement trois ans auparavant, la laissant seule avec leurs deux jeunes fils, John et Osborne. Ils vivaient maintenant d’une petite indemnité et de l’argent qu’elle gagnait en confectionnant des robes. À la mort de son mari, elle s’était tournée vers Dieu et elle se demandait pourquoi il lui avait enlevé son mari.

Elle lisait la Bible depuis qu’elle était enfant et connaissait ses histoires. Maintenant, elle l’étudiait en quête de réponses. Ce faisant, elle avait senti qu’elle se rapprochait de Dieu. Cependant, quelque chose dans les points de doctrine de l’église qu’elle fréquentait lui paraissait incomplet et la laissait insatisfaite.

Un jour, un cordonnier du nom d’Olaus Johnsen lui rapporta une paire de souliers qu’elle lui avait demandé de réparer. À l’intérieur de chacun se trouvait une brochure religieuse. Elle les lut et souhaita en apprendre davantage. C’est ainsi que peu de temps après, par une chaude journée de printemps, elle apporta une autre paire de chaussures au cordonnier. Dans sa boutique, elle hésita toutefois à lui poser trop de questions. Au moment où elle ouvrait la porte pour s’en aller, il l’interpella :

« Je peux vous donner quelque chose qui a plus de valeur que des semelles pour les souliers de votre enfant. »

Elle demanda : « Qu’est-ce que vous, un cordonnier, pouvez bien me donner ? »

Il répondit : « Je peux vous apprendre comment trouver le bonheur dans cette vie et vous préparer pour la joie éternelle dans la vie à venir. »

Anna demanda : « Qui êtes-vous ? »

Olaus dit : « Je suis membre de l’Église du Christ. On nous appelle les mormons. Nous détenons la vérité de Dieu. »

Là-dessus, Anna s’enfuit de la boutique. En Norvège, les saints des derniers jours avaient la réputation d’être des fanatiques. Mais la brochure l’intriguait et elle ne tarda pas à assister à une réunion avec les saints de Trondheim chez Olaus et sa femme, Karen. La société norvégienne était caractérisée par des distinctions de classe rigides et Anna fut perturbée par l’humble maison des Johnsen et la pauvreté des personnes qui s’y réunissaient pour le culte. Du vivant de son mari, elle avait appartenu à une classe plus aisée et elle avait tendance à considérer les pauvres de haut.

Au fil des deux années suivantes, en dépit de ses réserves, elle rencontra régulièrement les missionnaires. Un jour qu’elle était chez elle, elle ressentit puissamment l’Esprit. Les distinctions de classes sociales ne signifiaient rien pour le Seigneur, mais elle avait des préjugés profondément ancrés à l’égard de cette Église impopulaire, de ses membres et de leur pauvreté. Elle se demanda : « Dois-je m’abaisser jusque-là ? »

Elle répondit ensuite à sa propre question : « Oui, si c’est la vérité, c’est ce que je dois faire. »

Entre-temps, aux États-Unis, James Garfield succédait à Rutherford Hayes comme président de la nation. Comme son prédécesseur, il condamna l’Église et chargea le Congrès de mettre fin au mariage plural une bonne fois pour toutes. Lorsqu’un homme mécontent tira sur lui quelques mois après le début de son mandat, certains prétendirent que le coupable était un saint des derniers jours. Mais l’accusation était fausse. John Taylor manifesta rapidement sa désapprobation, exprima sa sympathie pour le président souffrant et refusa de le blâmer pour la position politique qu’il avait prise contre l’Église.

Il dit aux saints : « Comme chacun d’entre nous, c’est un être faillible. Nous le sommes tous, et ce n’est pas tout le monde qui peut résister à la pression exercée sur lui. »

Le président Garfield mourut de sa blessure quelques mois plus tard. Son successeur, Chester Arthur, était tout aussi déterminé à mettre un terme au mariage plural. En tant que délégué d’Utah au Congrès, George Q. Cannon sentit immédiatement la pression. En décembre 1881, le sénateur George Edmunds présenta un projet de loi qui faciliterait les poursuites en justice des saints qui pratiquaient le mariage plural.

Si la loi était adoptée, ils pourraient être emprisonnés pour « cohabitation illégale », ce qui voulait dire que les tribunaux n’auraient plus besoin de prouver qu’un mariage plural avait eu lieu. Tout membre de l’Église qui semblait pratiquer le mariage plural pourrait être poursuivi en vertu de la loi. Les couples pluraux qui vivaient dans la même maison ou étaient vus ensemble en public risqueraient l’arrestation.

La loi priverait aussi ces hommes et ces femmes du droit de vote, et ils seraient soumis à des amendes et à des peines de prison. De plus, ils seraient empêchés de faire partie de jurys et d’être titulaires de charges politiques.

George subissait des tensions supplémentaires du fait que sa femme, Elizabeth, atteinte d’une pneumonie, était de retour en Utah. Il voulait être auprès d’elle, mais le 24 janvier 1882, il reçut un télégramme de sa part. Elle l’exhortait : « Reste à ton poste. Dieu peut me relever en réponse aux prières que tu fais là-bas aussi bien que si tu les faisais ici. »

Deux jours plus tard, il reçut un autre télégramme. Il lui annonçait qu’Elizabeth était décédée. George écrivit dans son journal : « La pensée que nous sommes séparés pour le reste de cette vie et que, dans la chair, je ne reverrai plus son visage ni n’aurai le plaisir de ses attentions affectueuses et de sa douce compagnie me paralyse presque. »

La loi Edmunds fut adoptée peu de temps après, le disqualifiant du poste de membre du Congrès. Le 19 avril, il s’adressa pour la dernière fois à la Chambre des représentants. Il était plus calme que d’habitude, mais était outré par la décision de ses collègues d’adopter la loi Edmunds. Il dit que les saints pratiquaient le mariage plural parce que Dieu le leur avait commandé. Ils n’avaient aucun désir d’imposer leur croyance à quiconque, mais souhaitaient simplement qu’on leur accorde le droit d’obéir à Dieu comme il leur semblait bon.

Il ajouta : « Pour ce qui est d’être condamnés par le monde, nous sommes disposés à l’être au même titre qu’Abraham. »

Lorsqu’il eut terminé, plusieurs membres du Congrès le complimentèrent pour son discours. D’autres confessèrent qu’on les avait incités à s’opposer à lui. La plupart semblaient satisfaits de le voir partir.

La loi Edmunds ne fit pas changer Ida Hunt d’avis sur le mariage plural. À l’automne 1881, cela faisait quelque temps qu’elle vivait avec Ella et David Udall dans la ville de St Johns, en Arizona, à environ soixante-dix kilomètres de Snowflake. Pendant cette période, elle avait travaillé à la coopérative locale avec David, qui était l’évêque de St Johns, et elle était devenue comme une sœur pour Ella.

Peu après que David était devenu évêque, Ella et lui en étaient arrivés à la conclusion qu’il était temps pour eux de pratiquer le mariage plural. Un peu plus tard, David demanda Ida en mariage avec le consentement d’Ella. Ida voulait accepter sa demande, mais elle voyait bien qu’Ella avait encore du mal à se faire à l’idée de partager son mari. Donc, au lieu de répondre à la demande de David, elle retourna à Snowflake, le cœur troublé.

Plus tard, elle écrivit à Ella pour connaître les véritables sentiments de cette dernière à l’égard de la demande en mariage. Elle dit à son amie : « Je ne peux pas laisser les choses aller plus loin sans d’abord être certaine que tu acceptes de bon gré cette demande. Tu as non seulement le droit, mais également le devoir impérieux de formuler toutes les objections que tu peux avoir.

Je te promets de ne pas en être offensée. »

Six semaines plus tard, Ella envoya une réponse brève. Elle écrivit : « Le sujet en question m’a causé énormément de douleur et de chagrin, plus peut-être que tu ne peux l’imaginer. Pourtant, j’ai le même sentiment qu’au début : si telle est la volonté du Seigneur, je suis parfaitement disposée à essayer de le supporter et je suis sûre que les choses s’arrangeront pour le plus grand bien de tous. »

Le 6 mai 1882, Ida quitta Snowflake pour un voyage de dix-huit jours jusqu’au temple de St George avec David, Ella et leur petite fille, Pearl. Pendant qu’ils roulaient lentement à travers le désert, Ida voyait qu’Ella était encore mécontente du mariage. Ida faisait attention à ses paroles et à ses actions pour ne pas dire ou faire quelque chose qui puisse peiner Ella encore davantage. Elles lurent ensemble des livres à haute voix et jouèrent avec Pearl pour meubler les silences gênants.

Un soir, elle parla en privé à David, inquiète de la tristesse d’Ella et craignant d’avoir fait le mauvais choix en acceptant sa demande en mariage. Ses paroles aimantes et encourageantes lui redonnèrent espoir. Cette nuit-là, elle alla se coucher, rassurée que Dieu les soutienne dans leurs épreuves s’ils essayaient d’être obéissants.

Ida et David furent scellés au temple de St George le 25 mai. Face à l’incertitude de l’avenir, Ida sentit qu’elle pouvait compter sur David pour prendre soin d’elle et elle pria pour que son amour pour lui ne cesse de grandir. Ella sembla aussi puiser du réconfort dans les propos et les conseils de l’homme qui accomplit la cérémonie.

Cette nuit-là, la famille resta chez l’une des sœurs d’Ella. Lorsque tout le monde fut couché, Ella, ne pouvant trouver le sommeil, se glissa dans la chambre d’Ida. Pour la première fois, les deux femmes parlèrent ouvertement de leur nouvelle relation, de leurs espoirs et de leurs désirs pour l’avenir.

Elles étaient persuadées que le mariage d’Ida à David était la volonté de Dieu. Néanmoins, maintenant que la loi Edmunds était en vigueur, les événements du jour avaient mis leur famille encore plus en porte-à-faux avec le gouvernement.

Ce soir-là, Ida écrivit dans son journal : « Le mariage dans les circonstances ordinaires est un acte sérieux et important, mais le mariage plural, dans ces temps périlleux, l’est doublement. »


CHAPITRE 33 : Jusqu’à ce que l’orage soit passé

La veille de Noël 1882, Hare Teimana, chef maori, se tenait au bord d’une falaise à côté de son village, près de Cambridge (Nouvelle-Zélande). Au-dessous, il voyait un homme escalader résolument la paroi. Mais pourquoi cet étranger grimpait-il vers le village alors qu’il lui aurait été plus facile d’emprunter la route ? Pourquoi était-il si pressé d’atteindre le sommet ? Avait-il quelque chose d’important à dire ?

Tout en regardant l’étranger escalader, Hare se rendit compte qu’il le connaissait. Une nuit, quelques mois plus tôt, l’apôtre Pierre, vêtu de blanc, lui était apparu dans sa chambre. Il lui avait dit qu’un homme allait venir auprès du peuple maori avec le même Évangile que celui que Jésus-Christ avait prêché pendant qu’il était sur la terre. Pierre avait dit que Hare reconnaîtrait cet homme quand il le verrait.

Avant les années 1850, la plupart des Maoris avaient été convertis au christianisme par des missionnaires protestants et catholiques. Hare connaissait donc le rôle de Pierre dans l’ancienne Église du Christ. Il croyait également à la réalité des visions et des révélations. Les Maoris comptaient sur leur matakite, ou voyant, pour être guidés directement par Dieu. Même après s’être convertis au christianisme, certains matakite, chefs de tribu et patriarches familiaux, avaient continué d’avoir des visions et de recevoir des directives de Dieu pour leur peuple.

En fait, l’année précédente, les dirigeants maoris avaient demandé à Pāora Te Pōtangaroa, un matakite respecté, à quelle église les Maoris devaient se joindre. Après avoir jeûné et prié pendant trois jours, Pāora avait dit que l’église à laquelle ils devaient se joindre n’était pas encore arrivée. Il dit qu’elle arriverait aux alentours de 1882 ou 1883.

Reconnaissant en l’homme sur la falaise la personne dont Pierre parlait dans sa vision, Hare fut impatient d’entendre ce qu’il avait à dire. Le grimpeur était épuisé lorsqu’il atteignit le village et Hare dut attendre qu’il reprenne son souffle. Lorsqu’enfin il parla, c’était en maori. Il dit qu’il s’appelait William McDonnel et qu’il était missionnaire de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Il donna quelques brochures religieuses à Hare et témoigna qu’elles contenaient le même Évangile que celui que le Christ avait enseigné durant son ministère. Il parla également du Christ chargeant Pierre de proclamer l’Évangile après son ascension.

La curiosité de Hare était éveillée, mais William était impatient de rejoindre ses deux collègues missionnaires qui avaient emprunté la route pour venir au village. Alors qu’il s’apprêtait à s’en aller, Hare l’attrapa par le col de son manteau. Il exigea : « Arrêtez-vous tout de suite et dites-moi tout sur l’Évangile. »

William commença à dire tout ce qu’il savait pendant que Hare continuait de le maintenir étroitement par le col. Quinze minutes passèrent et William repéra ses collègues, William Bromley, le président de mission, et Thomas Cox, qui étaient arrivés au village par la route principale. Il agita son chapeau bien haut dans les airs pour attirer leur attention et Hare le lâcha enfin. Ensuite, avec William servant d’interprète, les hommes parlèrent à Hare, exprimant leur désir de se réunir avec les Maoris de cette région.

Hare les invita à revenir plus tard ce jour-là. Il dit : « Nous pouvons organiser une réunion chez moi. »

Ce soir-là, William McDonnel s’assit avec le président Bromley et Thomas Cox chez Hare Teimana. Irlandais de naissance, William avait déménagé en Nouvelle-Zélande lorsqu’un capitaine de navire lui avait dit que c’était un bon pays. Plus tard, il s’était installé parmi des Maoris pendant plusieurs années et avait appris leur langue. Il avait ensuite déménagé à Auckland (Nouvelle-Zélande) où il s’était marié en 1874 et était devenu membre de l’Église quelques années plus tard.

Depuis le début des années 1850, des missionnaires avaient été appelés à prêcher en Nouvelle-Zélande et en Australie, mais l’Église restait petite là-bas. Au fil des trente années écoulées, au moins cent trente membres s’étaient rassemblés dans la vallée du lac Salé, appauvrissant les branches de Nouvelle-Zélande, comme cela avait été le cas dans d’autres pays.

La plupart des membres étaient des immigrants européens comme William. Mais, peu après le baptême de ce dernier, le président Bromley était allé en Nouvelle-Zélande avec la mission de porter l’Évangile au peuple maori, mission confiée par Joseph F. Smith, le nouveau deuxième conseiller dans la Première Présidence. Le président Bromley avait prié pour trouver les bonnes personnes à envoyer et il avait le sentiment que William était l’une d’elles. Six mois plus tard, ce dernier baptisa le premier Maori à recevoir l’ordonnance en Nouvelle-Zélande, un homme du nom de Ngataki.

Maintenant, assis au milieu d’hommes et de femmes maoris chez Hare, les missionnaires s’acquittaient de la mission confiée par Joseph F. Smith. Le président Bromley lisait un passage de la Bible en anglais et William prenait ce même passage dans la Bible maorie et le donnait à lire à quelqu’un. Le groupe écouta attentivement le message et William dit qu’il reviendrait le lendemain soir.

Avant le départ des missionnaires, Hare l’emmena voir sa fille Mary. Elle était malade depuis des semaines et les médecins disaient qu’elle n’en avait plus pour longtemps à vivre. William venait juste d’enseigner que les anciens détenant la prêtrise de Dieu pouvaient donner des bénédictions de santé et Hare demanda s’ils béniraient sa fille.

La fillette avait l’air d’être sur le point de mourir d’un moment à l’autre. William, le président Bromley et Thomas s’agenouillèrent à côté d’elle et lui imposèrent les mains. La pièce fut imprégnée d’un bon esprit et Thomas la bénit pour qu’elle vive.

Cette nuit-là, William fut incapable de trouver le sommeil. Il avait foi que Mary pouvait être guérie. Mais si jamais ce n’était pas la volonté de Dieu ? Quelle influence cela aurait-il sur la foi de Hare et des autres Maoris si elle mourait ?

Dès l’aube, il prit le chemin de la maison de Hare. Il vit au loin une femme du village venir à sa rencontre. Lorsqu’elle le rejoignit, elle le souleva de terre dans une étreinte, lui prit ensuite la main et le tira jusqu’à chez Hare.

Il demanda : « Comment va la fillette ? »

La femme répondit : « Très bien ! »

Lorsqu’il entra dans la maison, il trouva Mary assise sur son lit en train de regarder la pièce autour d’elle. Il lui serra la main et demanda à sa mère de lui donner quelques fraises à manger.

Ce soir-là, Hare et sa femme, Pare, acceptèrent le baptême ; une autre personne du village en fit autant. Le groupe se rendit à la rivière Waikato et William entra dans l’eau, leva le bras droit à angle droit et immergea chacun d’eux. Ensuite, il rentra chez lui à Auckland et Thomas Cox et sa femme, Hannah, continuèrent de servir le peuple maori à Cambridge.

Deux mois plus tard, le 25 février 1883, la première branche maorie de l’Église fut organisée.

Après son baptême, Anna Widtsoe était impatiente d’obéir à l’appel du Seigneur à se rassembler en Sion. Anthon Skanchy, l’un des missionnaires qui lui avaient enseigné l’Évangile, écrivait souvent pour l’encourager à les rejoindre, lui et les autres saints scandinaves, en Utah, avec ses jeunes fils. Ayant déjà immigré à Logan (Utah) où les saints achevaient un temple d’aspect et de taille similaires à celui de Manti, il comprenait son désir de quitter la Norvège.

Il lui assura dans une lettre : « Tout concourra à votre bien. Vous et vos petits ne serez pas oubliés. »

Aussi pressée qu’elle était de déménager en Utah, elle savait bien que son pays natal lui manquerait. Son défunt mari y était enterré et elle se souciait sincèrement des autres membres de l’Église de sa ville. Souvent, quand les saints européens quittaient leurs branches pour aller en Sion, ils laissaient des postes de direction vacants, ce qui gênait la progression des petites assemblées. Anna était conseillère à la Société de secours de sa branche et si elle décidait de s’installer en Utah, elle manquerait inévitablement à ce petit groupe de femmes.

Elle devait aussi tenir compte de ses deux fils. John, onze ans, et Osborne, cinq ans, étaient des garçons intelligents et bien élevés. En Utah, il leur faudrait apprendre une nouvelle langue et s’adapter à une nouvelle culture, ce qui les mettrait en retard par rapport aux autres enfants de leur âge. Et comment subviendrait-elle à leurs besoins ? Depuis son baptême, son entreprise de confection de robes avait prospéré. Si elle quittait la Norvège, elle perdrait la retraite de son mari et devrait réimplanter son entreprise dans un nouvel endroit.

Anna avait aussi retrouvé Hans, un ancien galant, qui semblait vouloir raviver leur idylle. Il n’était pas membre de l’Église, mais la soutenait dans sa foi. Elle n’avait cependant pas grand espoir qu’il s’unisse aux saints, car il semblait porter plus d’intérêt à la recherche du profane qu’à celle du royaume de Dieu.

En tournant et retournant ces questions dans son esprit, elle se rendit compte que si elle restait dans son pays, cela ne ferait que les freiner, elle et ses fils. L’Église n’était pas reconnue officiellement en Norvège et le gouvernement ne la considérait pas comme étant chrétienne. Les pasteurs la critiquaient fréquemment dans leurs sermons et leurs brochures et des émeutiers harcelaient les missionnaires. À part Petroline, sa jeune sœur, qui s’y intéressait, la famille d’Anna l’avait rejetée une fois qu’elle était devenue membre de l’Église.

À l’automne 1883, Anna décida de quitter la Norvège. En septembre, elle écrivit à Petroline : « Je vais me rendre chez moi, en Utah, dès que je le pourrai. Si nous ne pouvons pas tout abandonner, même notre vie si nécessaire, nous ne sommes pas des disciples. »

L’argent restait tout de même un obstacle. Sa famille ne l’aiderait en aucun cas à déménager et Anna ne savait pas comment elle financerait le coût de l’émigration. C’est alors que deux missionnaires récemment rentrés et un saint norvégien lui donnèrent de l’argent. Hans lui en donna aussi pour le voyage de sa famille et l’Église lui permit d’utiliser une partie de sa dîme pour payer la traversée de la famille.

Lors de sa dernière réunion avec la Société de secours, elle déclara combien elle était heureuse que le royaume de Dieu fût de nouveau sur la terre et d’avoir la possibilité de participer à son édification. En écoutant les témoignages de ses sœurs de la Société de secours, elle souhaita qu’elles toutes vivent toujours de manière à bénéficier de la compagnie et de la lumière de l’Esprit de Dieu.

En octobre 1883, Anna, John et Osborne embarquèrent à Oslo en direction de l’Angleterre. Sur le quai, leurs frères et sœurs norvégiens agitaient leurs mouchoirs en signe d’adieu. La côte majestueuse norvégienne ne lui avait jamais semblé aussi belle. Pour autant qu’elle le sache, elle ne la reverrait jamais.

Au début de l’été 1884, Ida Hunt Udall était présidente de la Société d’Amélioration Mutuelle des Jeunes Filles dans le pieu de l’Est de l’Arizona, un appel qui exigeait qu’elle veille sur les jeunes filles de Snowflake, de St John et d’autres colonies, et les instruise. Elle ne pouvait pas visiter chaque société du pieu très souvent, mais elle ressentait de la joie lorsqu’elles se retrouvaient pour des conférences trimestrielles.

Depuis son mariage à David Udall, elle s’était de nouveau installée à St John où les saints rencontraient beaucoup d’opposition. La ville était dirigée par des citoyens puissants qui ne voulaient pas que des saints s’installent dans le comté. Le groupe, qui se donnait le nom de Ring, harcelait les membres de l’Église et essayait de les empêcher de voter. Il publiait également un journal qui encourageait ses lecteurs à les terroriser.

Un article demandait : « Comment le Missouri et l’Illinois se sont-ils débarrassés des mormons ? En utilisant le fusil et la corde. »

Chez elle, en compagnie de David et d’Ella, Ida avait pourtant trouvé la paix. Pendant quelque temps, Ella avait eu du mal à s’habituer au nouveau statut d’Ida à la maison, mais les deux femmes s’étaient rapprochées en s’entraidant dans la maladie et les autres difficultés quotidiennes. Depuis qu’elle était devenue membre de la famille, Ida avait aidé Ella à accoucher de ses deux filles, Erma et Mary. Pour sa part, elle n’avait toujours pas d’enfant.

Le 10 juillet 1884, cinq jours après la naissance de Mary, Ida débarrassait la table après le dîner lorsque le beau-frère de David, Ammon Tenney, était apparu à la porte. Il avait été mis en examen pour polygamie et sa femme, Eliza, la sœur de David, avait été assignée à comparaître pour témoigner contre lui. Au lieu de se soumettre à la loi et d’être un témoin clé au procès de son mari, elle avait décidé de se cacher des policiers.

Ammon avertit Ida : « La prochaine fois, cela pourrait être toi. » En tant qu’évêque de St John et polygame notoire, son mari serait une cible de choix pour des poursuites. Si un policier muni d’une assignation à comparaître attrapait Ida, elle pouvait être forcée de témoigner contre David au tribunal. Selon la loi Edmunds, il pouvait se voir infliger une amende de trois cents dollars et une peine de six mois de prison pour cohabitation illégale. Le châtiment pour polygamie était encore plus sévère. Si David était reconnu coupable, l’amende pourrait s’élever à cinq cents dollars et la peine de prison à cinq ans.

Ida pensa d’abord à Ella qui se remettait de son accouchement. Elle avait encore besoin de son aide et elle ne voulait pas la laisser, mais si elle restait à la maison, cela ne ferait que mettre la famille en plus grand danger.

Ida jeta hâtivement un châle sur ses épaules et se glissa silencieusement dehors. Eliza et d’autres femmes se cachaient de la police chez un voisin et Ida les rejoignit. La plupart des femmes avaient laissé des enfants derrière elles sans autre choix que celui de confier leurs petits aux bons soins d’autres personnes.

Jour après jour, elles surveillaient attentivement la route, plongeant sous un lit ou derrière des rideaux chaque fois qu’un étranger approchait de la maison.

Ida était chez les voisins depuis six jours lorsqu’un ami proposa de les transporter secrètement, les autres femmes et elle, à Snowflake. Avant de quitter la ville, elle rentra chez elle et rassembla rapidement quelques effets personnels pour le voyage. En embrassant Ella et les enfants, elle eut l’impression que de nombreux jours s’écouleraient avant qu’elle ne les revoie.

Le souvenir de son épreuve à St John était encore frais lorsqu’elle parla à l’organisation des Jeunes Filles de la paroisse de Snowflake peu après son arrivée. Elle témoigna : « Les personnes qui sont persécutées pour l’amour de l’Évangile jouissent d’une paix et d’une satisfaction auxquelles elles n’auraient jamais pu s’attendre. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que notre vie dans cette Église soit un long fleuve tranquille sans épreuves. Notre vie sera sans nul doute mise en danger. »

À la fin de l’été, plusieurs saints du territoire d’Utah avaient été arrêtés en vertu de la loi Edmunds, mais personne n’avait été condamné ni emprisonné. Parmi les personnes arrêtées, il y avait Rudger Clawson, qui avait été témoin du meurtre de son collègue missionnaire, Joseph Standing, cinq ans plus tôt. Rudger était marié à deux femmes, Florence Dinwoody et Lydia Spencer. Après son arrestation, Lydia se cacha, privant l’accusation de témoin clé.

Le procès de Rudger débuta en octobre. Lors de l’audience, les témoins saints des derniers jours, dont le président Taylor, tentèrent d’être aussi inutiles à la cour que possible. Lorsque les procureurs demandèrent au prophète à quel endroit se trouvaient les registres de mariage de l’Église, ses réponses furent vagues.

Un avocat lui demanda : « Si vous vouliez le voir, y a-t-il un moyen quelconque de savoir où il est ?

— Je pourrais le savoir en cherchant, répondit le président Taylor.

— Auriez-vous la bonté de le faire ?

— Eh bien, je n’ai pas cette bonté-là », dit ironiquement le prophète. Un rire général fusa dans la salle d’audience.

Après une semaine passée à entendre des témoignages de ce genre, les douze hommes composant le jury ne parvinrent à aucune décision et le juge ajourna l’audience. Néanmoins, ce même soir, un agent de police localisa Lydia Clawson et l’assigna à comparaître pour témoigner contre Rudger devant le tribunal.

Bientôt un nouveau procès débuta. Après avoir entendu le témoignage de plusieurs témoins qui s’étaient présentés à l’audience précédente, le procureur appela Lydia à la barre. Elle était pâle, mais déterminée. Lorsque le greffier essaya de lui faire prêter serment, elle refusa.

Le juge lui demanda : « Ne savez-vous pas que c’est mal de ne pas prêter serment ?

— Peut-être.

— Vous risquez la prison.

— Cela dépend de vous.

— Vous prenez une effrayante responsabilité en entreprenant de défier le gouvernement. » Il la confia ensuite à la garde du marshal et ajourna l’audience.

Ce soir-là, après avoir été transférée au pénitencier d’État, elle reçut un message de Rudger. Il la suppliait de témoigner contre lui. Elle était enceinte et si elle refusait de coopérer avec le tribunal, elle risquait d’accoucher dans une prison fédérale à des centaines de kilomètres de son foyer et de sa famille.

Le lendemain matin, le policier l’accompagna à la salle d’audience bondée où des procureurs l’appelèrent de nouveau à la barre. Cette fois-ci, elle ne résista pas lorsque le greffier lui fit prêter serment. Ensuite, le procureur lui demanda si elle était mariée.

Lydia répondit presque dans un murmure que oui.

Il insista : « À qui ? »

Elle répondit : « Rudger Clawson. »

Les membres du jury mirent moins de vingt minutes pour prononcer un verdict de culpabilité, le premier en vertu de la loi Edmunds. Neuf jours plus tard, Rudger comparut devant le juge pour déterminer la peine. Avant de donner sa décision, ce dernier lui demanda s’il avait quelque chose à dire.

Rudger dit : « Je regrette énormément que les lois de mon pays entrent en conflit avec les lois de Dieu, mais à chaque fois que ce sera le cas, je choisirai invariablement ces dernières. »

Le juge se cala dans son fauteuil. Il avait eu l’intention d’être indulgent avec le jeune homme, mais sa bravade l’avait fait changer d’avis. Avec un regard solennel, il le condamna à quatre années de prison et une amende de cinq cents dollars pour polygamie et trois cents pour cohabitation illégale.

La salle d’audience garda le silence. Un marshal escorta Rudger hors de la pièce, lui permit de dire au revoir à ses amis et aux membres de sa famille et l’emmena ensuite au pénitencier. Il passa sa première nuit en prison incarcéré avec une cinquantaine des détenus endurcis du territoire.

Cet hiver-là, dans les colonies de tout le territoire d’Utah, des marshals continuèrent de harceler les saints chez eux, espérant prendre par surprise des familles plurales. Jour et nuit, des pères et des mères regardèrent avec horreur des hommes de loi mettre leur maison sens dessus dessous et sortir leurs enfants du lit. Certains marshals se glissaient furtivement par les fenêtres ou menaçaient d’enfoncer les portes. S’ils trouvaient une épouse plurale, ils pouvaient l’arrêter si elle refusait de témoigner contre son mari.

John Taylor voulait encourager les saints à continuer de vivre leur religion, mais il voyait bien que des familles étaient déchirées et il se sentait responsable de leur bien-être. Il ne tarda pas à commencer à parler avec les dirigeants de l’Église de l’idée de déplacer les saints hors des États-Unis pour éviter les arrestations et trouver une plus grande liberté.

En janvier 1885, Joseph F. Smith et lui quittèrent Salt Lake City avec quelques apôtres et amis de confiance pour rendre visite aux saints du territoire d’Arizona, juste au nord du Mexique. De nombreux saints vivaient là dans la crainte et certains s’étaient déjà enfuis au Mexique pour échapper aux marshals.

Impatients de voir par eux-mêmes si davantage de saints pouvaient trouver refuge dans ce pays, John, Joseph et leurs collègues franchirent la frontière. Ils localisèrent quelques endroits prometteurs et suffisamment près de points d’eau pour approvisionner des colonies. Lorsque le groupe revint en Arizona quelques jours plus tard, John et ses collègues tinrent conseil sur la suite à donner.

Ils décidèrent finalement d’acheter des terres et d’établir des colonies dans l’État mexicain de Chihuahua. John demanda à quelques hommes de commencer à lever des fonds. Lui et les autres continuèrent le voyage en train jusqu’à San Francisco. Une fois arrivé, John reçut un télégramme urgent de George Q. Cannon. Il l’avertissait que les ennemis étaient actifs chez eux et qu’un plan avait été élaboré pour l’arrestation de la Première Présidence.

Plusieurs hommes le pressèrent de rester en Californie jusqu’à ce que le danger fût passé. Ne sachant que faire, le prophète pria pour être guidé. Il annonça ensuite qu’il retournait à Salt Lake City et envoya Joseph F. Smith à Hawaï faire une autre mission. Quelques hommes protestèrent, certains que John et d’autres seraient arrêtés s’ils rentraient chez eux, mais dans l’esprit de John, il était clair que sa place était en Utah.

Il arriva chez lui quelques jours plus tard et réunit un conseil spécial avec des dirigeants de l’Église. Il leur parla de son projet d’acheter des terres au Mexique et annonça son intention d’éviter d’être capturé en se cachant. Il avait conseillé aux saints de faire tout ce qui était en leur pouvoir, hormis par la violence, pour éviter les poursuites judiciaires. Il allait maintenant en faire autant.

Ce dimanche-là, John s’adressa publiquement aux saints dans le tabernacle, en dépit des menaces d’arrestation. Il rappela à l’assemblée qu’ils avaient affronté l’oppression avant. Il lui conseilla : « Remontez le col de votre veste et boutonnez-la pour vous préserver du froid jusqu’à ce que l’orage soit passé. Cet orage passera, comme les précédents. »

Ayant encouragé les saints du mieux qu’il pouvait, il quitta le tabernacle, grimpa dans une calèche et s’enfonça dans la nuit.


CHAPITRE 34 : Rien à craindre des méchants

Le 8 mars 1885, il faisait un soleil magnifique lorsqu’Ida Udall se réveilla le jour de son vingt-septième anniversaire. Cependant, aussi heureuse fût-elle d’accueillir une journée tiède en cette fin d’hiver, Ida savait qu’elle devait prendre garde si elle sortait. La plupart du temps, elle devait rester à l’intérieur jusqu’au coucher du soleil, sinon elle risquait de se faire repérer par un marshal.

Cela faisait maintenant huit mois qu’elle avait quitté St Johns, en Arizona, pour passer dans la « clandestinité », un terme que les saints commençaient à utiliser pour décrire le fait de se cacher de la loi. C’est à cette époque que son mari, David, avait été mis en examen pour polygamie et avait comparu devant les tribunaux avec cinq autres saints. Près de quarante hommes avaient témoigné aux procès et plusieurs avaient porté de faux témoignages contre les saints. À l’époque, David avait écrit à Ida : « Il semble qu’il n’y ait ni loi ni justice pour les mormons en Arizona. »

À la fin du procès, cinq des six hommes avaient été reconnus coupables de polygamie. Trois d’entre eux avaient été condamnés à trois ans et demi de détention dans un pénitencier de Detroit (Michigan), à trois mille kilomètres de là. David était le seul à avoir échappé à la condamnation, mais uniquement parce que son procès avait été reporté de six mois, le temps de chercher d’autres témoins contre lui, dont Ida.

Après avoir quitté l’Arizona, elle s’était installée avec le père et la belle-mère de son mari à Néphi, une ville située à cent vingt kilomètres au sud de Salt Lake City. Sa famille et ses amis les plus proches étaient les seuls à savoir où elle se trouvait.

N’ayant jusque-là jamais passé de temps avec ses beaux-parents, elle eut au départ l’impression de vivre avec des étrangers. Depuis, elle avait appris à les aimer et s’était liée d’amitié avec ses nouveaux voisins, notamment d’autres femmes plurales qui se cachaient pour protéger leurs familles. Elle pouvait maintenant agrémenter ses longues journées solitaires en assistant aux réunions de l’Église et en passant du temps avec ses amis.

Le jour de son anniversaire, ceux-ci et sa famille organisèrent une fête en son honneur. Cependant, les personnes les plus chères à son cœur : ses parents, David et Ella, la première femme de David, se trouvaient à des centaines de kilomètres. Cela faisait presque six mois qu’elle n’avait pas vu son mari. Son absence était d’autant plus difficile à supporter que leur premier enfant devait naître dans les semaines à venir.

Peu après l’anniversaire, Ida reçut un exemplaire d’un journal d’Arizona. Lorsqu’elle l’ouvrit, elle eut la stupéfaction de voir un titre annonçant le décès de sa mère Lois Pratt Hunt. Celle-ci n’avait que quarante-huit ans et Ida n’était pas préparée à la perdre.

Ses amis lui prirent gentiment le journal des mains et restèrent assis près d’elle jusqu’au crépuscule. Quelques heures plus tard, les premières contractions se firent sentir et elle donna naissance à une petite fille aux yeux bleus, en bonne santé, qu’elle appela Pauline.

Les semaines qui suivirent furent un mélange de chagrin et de joie, mais Ida était reconnaissante d’avoir Pauline avec elle. Elle écrivit dans son journal : « Je suis bénie d’avoir une chère petite fille à moi. Je remercie Dieu d’avoir maintenant une raison de vivre et de travailler. »

Ce printemps-là, au nord de l’Utah, Sagwitch, sa femme Moyogah, et seize autres Shoshones gravirent la colline qui menait au temple de Logan. L’édifice avait été achevé et consacré une année auparavant, un témoignage de la foi et du dur labeur des saints du nord de l’Utah et du sud de l’Idaho. Sagwitch et d’autres saints shoshones comptaient parmi ceux qui avaient travaillé inlassablement à sa construction.

Les Shoshones avaient parcouru un long chemin pour arriver au temple. Douze années s’étaient écoulées depuis que Sagwitch et plus de deux cents autres Shoshones étaient devenus membres de l’Église. Ils adoraient dans leur propre paroisse et dans leur langue. Sagwitch et Moyogah avaient été scellés dans la maison des dotations et le fils de Sagwitch, Frank Timbimboo Warner, avait été appelé comme missionnaire parmi les Shoshones.

Cependant, l’attaque de leur camp par l’armée américaine le long de la Bear River hantait encore les survivants et d’autres épreuves continuaient de les tourmenter. Après être devenus membres de l’Église, Sagwitch et son peuple avaient reçu des terres au sud de l’Idaho pour s’y installer et les cultiver. Toutefois, quelques mois après leur arrivée, des gens d’une ville voisine, qui n’étaient pas membres de l’Église, avaient commencé à craindre que les saints blancs n’incitent les Indiens à les attaquer. Les habitants de la ville avaient menacé les Shoshones et les avaient forcés à abandonner leurs terres, juste au moment où ils commençaient la moisson. Ils y étaient retournés l’année suivante, mais des sauterelles et du bétail errant avaient envahi les champs et mangé leurs récoltes.

Agissant sous la direction du président Taylor, les dirigeants de l’Église leur avaient rapidement trouvé des terres le long de la frontière nord de l’Utah. Maintenant, leur petite ville, Washakie, regroupait plusieurs foyers, des corrals, une forge, une coopérative et une école.

Les exigences liées à leur nouvelle vie n’avaient pas empêché Sagwitch et son peuple de prendre part aux travaux du temple. Pendant le peu de temps libre qu’ils avaient, les hommes de la collectivité se rendaient à Logan avec des attelages ou en train et aidaient à transporter les pierres. À d’autres moments, ils préparaient le mortier qui maintenait les murs du temple ou le mélange d’enduits qui recouvrait les cloisons intérieures. Au moment de sa consécration, le nombre d’heures de travail que les Shoshones avaient passées à la construction de l’édifice sacré se comptait par milliers.

Sagwitch prenait de l’âge et ses mains portaient les cicatrices du massacre de la Bear River, mais lui aussi avait fait sa part. Le carnage n’était jamais bien loin des pensées de son peuple. De nombreux survivants calculaient maintenant leur âge en fonction du nombre d’années écoulées depuis le terrible événement. Ils ne pouvaient oublier les parents, frères et sœurs, maris, femmes, enfants et petits-enfants qu’ils avaient perdus.

Le jour du massacre, Sagwitch n’avait pas réussi à empêcher les soldats de tuer son peuple, mais au printemps 1885, d’autres Shoshones et lui passèrent quatre jours dans le temple à accomplir des ordonnances en faveur de leurs parents décédés, dont beaucoup avaient été tués à la Bear River.

En juin 1885, Joseph Smith III et son frère Alexander vinrent faire une autre mission en Utah pour l’Église réorganisée de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Comme les missionnaires précédents de leur église avaient essayé de le faire, les frères voulaient convaincre les saints en Utah et ailleurs que Joseph Smith, le prophète, n’avait jamais pratiqué le mariage plural.

Parmi ceux qui remarquèrent leur arrivée il y avait Helen Whitney, âgée de cinquante-six ans et fille de Heber et Vilate Kimball. Elle connaissait bien le message des frères Smith. En fait, un jour, elle avait publié une brochure intitulée Le mariage plural tel que Joseph Smith, le prophète, l’a enseigné pour riposter aux affirmations de Joseph III à propos de son père. Ayant été elle-même femme plurale de Joseph Smith, elle savait avec certitude que le prophète avait pratiqué le principe.

Elle avait quatorze ans lorsque son père le lui avait enseigné et lui avait demandé si elle voulait être scellée à Joseph. Elle avait initialement trouvé l’idée révoltante et avait répondu avec indignation, mais au fil de la journée, en pensant à ce qu’il y avait lieu de faire, elle en avait conclu que son père l’aimait trop pour lui enseigner quoi que ce soit de contraire à la volonté de Dieu. Elle avait accepté le scellement, croyant que l’union les exalterait, elle et sa famille, et les unirait à Joseph Smith dans les éternités.

À presque tous les points de vue, l’arrangement était peu conventionnel. Helen était jeune pour être mariée, même si, aux États-Unis, à cette époque, certaines femmes de son âge l’étaient déjà. Comme certaines autres épouses de Joseph, elle ne fut scellée au prophète que pour l’éternité. Joseph et elle interagissaient rarement en société et elle n’indiqua jamais qu’ils aient eu une quelconque intimité physique. Elle continuait d’habiter chez ses parents et, comme d’autres femmes plurales, tenait son scellement confidentiel. Cependant elle avait l’âge où certaines jeunes filles commençaient à fréquenter, et elle avait eu du mal à expliquer à ses amis pourquoi elle avait cessé de participer à certaines rencontres sociales.

À la mort du prophète, elle avait épousé Horace Whitney, un fils de Newel et Elizabeth Ann Whitney. Elle avait dix-sept ans et lui vingt-deux à l’époque, et ils étaient profondément amoureux. Le jour du mariage, ils promirent de rester attachés l’un à l’autre pendant le reste de leur vie et, si possible, dans les éternités. Cependant, à l’autel du temple de Nauvoo, ils furent mariés uniquement pour cette vie puisque Helen avait déjà été scellée à Joseph Smith pour l’éternité.

Plus tard, après leur installation en Utah, elle avait consenti aux mariages d’Horace avec Lucy Bloxham et Mary Cravath. Lucy était décédée peu après, mais Mary et Helen habitaient l’une à côté de l’autre et s’entendaient bien. Helen et Horace furent heureux en ménage pendant trente-huit ans et elle donna naissance à onze enfants. Il mourut le 22 novembre 1884 et Helen passa dès lors une partie de son temps à écrire pour le Deseret News et le Woman’s Exponent.

Le mariage plural n’avait jamais été facile pour elle, mais elle le défendait vigoureusement. Elle écrivit : « Si je n’avais pas reçu un témoignage puissant de la part du Seigneur, je ne crois pas que j’aurais pu m’y soumettre un seul instant. »

Quelques années après avoir écrit Le mariage plural tel qu’enseigné par Joseph Smith, le prophète, elle publia une deuxième brochure intitulée Pourquoi nous pratiquons le mariage plural, qui répondait aux critiques courantes à l’encontre du principe. Elle disait à ses lecteurs : « Il ne peut rien y avoir de mal dans quelque chose qui incite à la prière, chasse l’égoïsme du cœur, fait croître la capacité d’aimer, amenant la personne à faire davantage d’actes de gentillesse en dehors de son propre petit cercle. »

L’écriture l’épuisait parfois, mais le salaire payait son abonnement au journal et couvrait d’autres dépenses. Ses éditoriaux réprimandaient les persécuteurs de l’Église qui, d’un côté, défendaient la liberté, dont la liberté religieuse, et d’un autre, menaient une campagne impitoyable contre l’Église. Ses paroles étaient aussi source d’encouragement pour les saints.

En août 1885, elle rassura ses lecteurs : « Si ce peuple fait sa part, les pouvoirs du Tout-Puissant se manifesteront en sa faveur. Nous n’avons rien à craindre des méchants. »

Helen considérait les efforts de Joseph Smith III pour distancer son père du mariage plural comme une attaque contre la vérité. Un jour, pendant qu’elle traversait le centre de l’Utah en train, elle remarqua un homme qui était monté dans son wagon et s’était assis devant elle. Il ne ressemblait pas à un membre de l’Église et elle se demandait s’il s’agissait d’un représentant du gouvernement qui venait là pour faire appliquer les lois anti-polygamie. Lorsque l’étranger descendit du train, elle eut un choc en apprenant qu’il s’agissait de Joseph Smith III.

Elle écrivit dans son journal : « Si j’avais su que c’était lui, je l’aurais critiqué plus ouvertement et j’aurais tenté de me faire connaître. »

Helen avait passé la plus grande partie de sa vie mariée à Horace, mais elle savait qu’elle avait été scellée à Joseph Smith, le prophète. Elle ne comprenait pas toujours clairement ce qu’il adviendrait de ses relations dans l’au-delà, mais elle avait l’intention de revendiquer toutes les bénédictions éternelles que Dieu avait promises à sa famille. Il l’avait toujours aidée à traverser la fournaise de l’adversité et elle continuait de croire qu’il arrangerait tout à la fin.

Elle écrivit : « J’ai appris depuis longtemps à m’en remettre en tout à celui qui sait mieux que nous ce qui nous rendra heureux. »

Quelques mois après la naissance de sa fille, Ida Udall était de nouveau sur les chemins. Voyageant sous un nom d’emprunt, elle restait quelques semaines à la fois chez différents amis et parents en Utah. Le procès de David était prévu pour le mois d’août 1885. Du fait que les procureurs n’arrivaient pas à monter un procès convaincant contre lui pour polygamie, ils s’étaient rabattus sur de fausses accusations de parjure que ses ennemis de St Johns avaient formulées contre lui quelque temps plus tôt.

David et Ida s’étaient vus pour la dernière fois en mai 1885, deux mois après la naissance de Pauline. Depuis lors, elle avait reçu une lettre de lui où il exprimait son regret pour tout ce qu’elle avait enduré à cause de lui.

Il écrivit : « J’ai parfois eu le sentiment qu’il aurait mieux valu que je sois emprisonné que de t’obliger à porter un autre nom et courir d’un côté et de l’autre par crainte d’être reconnue. »

Ida espérait cependant que son sacrifice en vaudrait la peine, surtout du fait que de nombreuses personnes pensaient que David serait acquitté. En attendant des nouvelles du procès en Arizona, elle se consolait en s’occupant de Pauline. Satisfaire les besoins du bébé était parfois la seule chose qui la distrayait de l’attente épuisante.

Le 17 août, elle apprit que son mari avait été reconnu coupable des accusations de parjure et condamné à trois ans de prison. Elle était consternée, mais elle espérait au moins pouvoir retourner auprès de sa famille en Arizona. L’apôtre George Teasdale lui déconseilla cependant de sortir de la clandestinité. Si David était gracié lors de son procès peu convaincant de parjure, ses ennemis tenteraient de nouveau de l’attaquer pour polygamie.

Ida suivit le conseil de l’apôtre et ne retourna pas en Arizona, mais jour après jour, elle fut de plus en plus pressée d’avoir des nouvelles de son mari en prison. Il n’avait le droit d’écrire qu’une lettre par mois à sa famille, par conséquent elle dépendait d’Ella pour lui en envoyer une copie. Cette dernière avait ses propres difficultés, surtout lorsque sa cadette, Mary, décéda en octobre 1885.

Pendant trois mois, Ida ne reçut aucune lettre de David. Lorsqu’une liasse de ses lettres arriva enfin, elle découvrit qu’il avait commencé à utiliser un nom de code pour elle. Soucieux de ne pas s’incriminer, il l’appelait du nom de sa mère, Lois Pratt.

Cet automne-là, pendant qu’il se cachait des marshals au sud de Salt Lake City, le président Taylor appela Jacob Gates à faire une autre mission à Hawaï. Cela faisait six ans qu’il était rentré de sa première mission sur les îles. À ce moment-là, il avait épousé Susie Young, qui portait maintenant le surnom de Susa. Ils habitaient Provo, élevaient ensemble leurs trois enfants et en attendaient un autre. Bailey, le fils du premier mariage de Susa, vivait également avec eux. Par contre, sa fille, Leah, habitait toujours avec la famille de son père au nord de l’Utah.

L’appel inattendu en mission de son mari laissa Susa inquiète et interrogative. La lettre demandait à Jacob de partir pour Hawaï dans trois semaines à peine, lui laissant peu de temps pour mettre de l’ordre dans ses affaires professionnelles. Elle ne précisait pas non plus s’il pouvait emmener sa famille, comme cela était parfois permis aux missionnaires.

Susa voulait l’accompagner avec les enfants, mais elle avait peu d’espoir. Le lendemain, elle écrivit à sa mère : « D’après le ton de la lettre, il ne pense pas qu’on voudra que j’y aille. Je te laisse imaginer ce qui m’attend pendant les trois prochaines années. »

Jacob accepta promptement l’appel, mais il demanda au président Taylor si Susa et les enfants pouvaient l’accompagner. Il écrivit : « Je préférerais qu’ils viennent avec moi. » Il rappela au prophète que Susa était déjà allée à Hawaï et connaissait bien la région.

Aucune réponse n’arriva immédiatement et Susa se prépara à laisser son mari partir seul. Elle apprit que trois autres missionnaires avaient déjà reçu la permission d’emmener leur famille à Laie, où l’accès au logement était limité ; elle ne s’attendait donc pas à la même bénédiction. Puis, juste une semaine avant son départ d’Utah, Jacob reçut une lettre lui accordant la permission d’être accompagné de sa famille.

Susa et lui se dépêchèrent de se préparer. Entre autres choses, ils écrivirent à Alma Dunford, l’ex-mari de Susa, pour demander si Bailey, âgé de dix ans, pouvait aller avec eux à Hawaï. Au lieu de répondre, Alma attendit que la famille soit sur le point de partir. Il la confronta à la gare de Salt Lake City avec un agent de police et une ordonnance du tribunal invoquant son droit de garder Bailey avec lui en Utah.

Ce dernier avait toujours vécu avec elle, mais à cause de l’ordonnance, elle n’avait aucun moyen d’empêcher Alma de l’emmener. Tandis que, le cœur brisé, elle faisait ses adieux à son fils, le garçon cria et essaya de retourner auprès d’elle.

Susa et Jacob partirent peu après pour Hawaï avec leurs autres enfants. Accablée de chagrin, Susa fut malade pendant le voyage. Lorsque le navire jeta l’ancre à Honolulu, Joseph F. Smith, qui vivait en exil sur l’île pour ne pas être arrêté, leur souhaita la bienvenue. Le lendemain matin, ils se rendirent à Laie où une foule de saints les accueillirent avec un dîner et un concert.

Susa et Jacob s’établirent rapidement à Laie. Susa admirait les beaux paysages qui l’entouraient, mais elle avait du mal à s’adapter aux logements missionnaires qui étaient infestés de vermine. Dans un article humoristique pour le Woman’s Exponent, elle écrivit : « Si, pour quelque raison que ce soit, je me sens un peu seule, j’ai plein de compagnies : des souris, des rats, des scorpions, des mille-pattes, des cafards, des puces, des moustiques, des lézards et des millions de fourmis. »

C’était surtout l’Utah qui lui manquait. Toutefois, quelques mois après son arrivée, elle reçut une lettre de Bailey. Il écrivait : « J’aurais aimé que tu restes ici. Je pense à toi dans mes prières. »

Susa pouvait au moins trouver du réconfort dans ces prières.

Lorsque John Taylor alla se cacher au début de l’année 1885, il rejoignit George Q. Cannon qui était entré dans la clandestinité quelques semaines auparavant. Pour l’instant, ils avaient trouvé refuge chez quelques saints fidèles dans et autour de Salt Lake City, déménageant chaque fois que des voisins commençaient à se montrer méfiants ou que John se sentait mal à l’aise. Du fait d’une traque continuelle de la police, ils ne pouvaient jamais baisser leur garde.

N’étant pas en mesure de rencontrer les saints en personne, la Première Présidence essayait de gérer les affaires de l’Église par courrier. Lorsque certaines ne pouvaient être réglées de cette manière, elle se réunissait en secret avec d’autres dirigeants de l’Église à Salt Lake City. Chaque voyage en ville était dangereux. Aucun dirigeant de l’Église qui pratiquait le mariage plural n’était en sécurité.

En novembre, des agents fédéraux arrêtèrent l’apôtre Lorenzo Snow, qui avait soixante et onze ans et une santé fragile. Avant son arrestation, Lorenzo avait décidé de vivre avec uniquement l’une de ses familles pour éviter d’être accusé de cohabitation illégale, mais l’un des juges impliqués dans l’affaire avait dit qu’il devait cesser totalement d’être un mari pour ses femmes. Lorenzo avait déclaré : « Je préférerais mourir de mille fois plutôt que de renoncer à mes femmes et violer ces obligations sacrées. »

En janvier 1886, le juge condamna Lorenzo à dix-huit mois de prison pour trois inculpations de cohabitation illégale. Le mois suivant, le capitaine Elwin Ireland et plusieurs agents firent une descente dans la ferme de George Q. Cannon et signifièrent des citations à comparaître aux membres de la famille qui y habitaient. Ireland offrit ensuite une récompense de cinq cents dollars pour l’arrestation de George.

Lorsque ce dernier fut informé de la récompense, il sut qu’une meute de « limiers humains » allait le prendre en chasse. Désireux de ne pas mettre le prophète en danger, il décida de se séparer de lui pendant un temps. John accepta et lui conseilla d’aller au Mexique. Quelques jours plus tard, George se rasa la barbe et monta à bord d’un train, espérant se glisser hors d’Utah incognito.

Néanmoins, d’une manière ou d’une autre, le bruit courut qu’il avait quitté la ville et un shérif monta à bord du train et l’arrêta. Le marshal Ireland arriva ensuite pour l’escorter jusqu’à Salt Lake City.

Pendant que le train avançait dans un bruit de ferraille, un membre de l’Église s’approcha de George et lui chuchota qu’un groupe de saints avait l’intention de le secourir avant que le train n’atteigne la ville. George se leva et se dirigea vers la plate-forme extérieure d’un wagon. Il ne voulait pas que qui que ce soit fût arrêté ou tué à cause de lui.

En regardant le paysage hivernal, il envisagea l’idée de sauter du train. Mais le désert de l’ouest était un lieu désolé. S’il sautait au mauvais moment, il risquait de se retrouver à des kilomètres de la ville la plus proche. Parcourir ce pays désolé à pied pouvait s’avérer mortel, surtout pour quelqu’un qui approchait des soixante ans.

Soudain, le train fit une embardée, faisant basculer George par-dessus bord. Sa tête et son côté gauche heurtèrent violemment le sol tandis que le train avançait péniblement, disparaissant dans la grisaille lointaine et froide.

Allongé à demi conscient sur la terre gelée, George sentit la douleur lui vriller la tête et le corps. Il avait l’arête du nez fracturée et déplacée sur un côté. Son visage et ses vêtements étaient recouverts de sang à cause d’une entaille à l’arcade sourcilière ouverte jusqu’au crâne.

Se relevant, il commença à marcher lentement le long de la voie. Bientôt, il vit un adjoint venir à sa rencontre. Le marshal Ireland avait remarqué sa disparition et ordonné l’arrêt du train. George alla en boitant jusqu’au policier qui l’escorta jusqu’à une localité voisine.

De là, il envoya un télégramme demandant qu’aucun saint ne se mêle de son arrestation. Il était maintenant entre les mains du Seigneur.


CHAPITRE 35 : Un jour d’épreuve

Une grande foule attendait sur le quai de la gare de Salt Lake City lorsque George Q. Cannon et ses ravisseurs arrivèrent le 17 février 1886. Le capitaine Ireland escorta George hors du train jusqu’à un bureau en ville où une autre foule s’était rassemblée pour témoigner sa sympathie au prisonnier meurtri. À l’intérieur, le capitaine donna un matelas à George et le laissa se reposer en attendant l’arrivée de son avocat et d’autres visiteurs.

Son procès était prévu pour le 17 mars et un juge le libéra sous caution pour un montant de quarante-cinq mille dollars. Entre-temps, un grand jury commença à interroger ses femmes et ses enfants afin de rassembler des preuves qu’il avait enfreint la loi Edmunds.

Lorsqu’il fut informé de l’agressivité de l’interrogatoire, George déclara : « Ces hommes sont dénués de toute compassion humaine. Ils sont aussi impitoyables que les pirates les plus dépravés et les plus mauvais. »

Après sa libération, George retrouva en secret le président Taylor. Il avait presque déjà décidé d’aller en prison, mais il avait prié afin que le prophète puisse connaître la volonté du Seigneur à son sujet. Lors de leur rencontre, George expliqua sa situation et le président Taylor convint qu’il devait se soumettre à la loi. S’il ne comparaissait pas en justice, il perdrait la caution de quarante-cinq mille dollars que ses amis avaient généreusement accepté de payer pour lui.

Ce soir-là, cependant, le Seigneur révéla au président Taylor que son premier conseiller devait retourner se cacher. La révélation lui parvint comme un éclair et immédiatement après, le prophète s’agenouilla à côté de son lit pour offrir une prière de reconnaissance. Quelques années auparavant, le Seigneur l’avait inspiré à investir de l’argent de l’Église qui ne provenait pas de la dîme dans une compagnie minière afin de créer un fonds spécial pour l’Église. Le président Taylor pensait que la réserve devait être utilisée pour rembourser les hommes qui avaient payé la caution de George.

Ce dernier estima que la révélation était la réponse à ses prières. Le président Taylor et lui la soumirent aux quatre apôtres qui étaient en ville et ils approuvèrent l’exécution du projet.

George se demandait néanmoins si c’était convenable de sa part de retourner dans la clandestinité quand d’autres hommes étaient allés en prison pour leurs convictions. Il ne voulait pas être considéré comme un lâche par qui que ce soit dans ou hors de l’Église. Néanmoins, il connaissait maintenant la volonté du Seigneur à son égard et il décida de lui faire confiance.

Il écrivit dans son journal : « Si Dieu me dicte une marche à suivre, je désire la suivre et laisser le résultat entre ses mains. »

Aux alentours de l’époque où George Q. Cannon retourna se cacher, Emmeline Wells faisait de nouveau le voyage jusqu’à Washington pour traiter des affaires de l’Église. Sept années s’étaient écoulées depuis sa rencontre avec le président Rutherford Hayes et sa femme, Lucy. Depuis lors, l’opposition contre l’Église n’avait fait qu’augmenter, surtout maintenant que le Congrès essayait de réformer la loi Edmunds en y ajoutant une mesure législative encore plus dure, qui allait devenir la loi Edmunds-Tucker.

Celle-ci cherchait, entre autres, à déposséder les femmes d’Utah de leur droit de vote et Emmeline estimait qu’elle se devait de la dénoncer. Elle espérait pouvoir persuader des gens raisonnables (surtout ses alliés dans la lutte pour les droits des femmes) de voir l’injustice de la mesure.

À Washington, elle parla à des législateurs et à des militants favorables à sa cause. Certains s’indignèrent de ce que les femmes d’Utah puissent perdre leur droit de vote. D’autres désapprouvèrent la partie de la loi qui permettait au gouvernement de confisquer les biens privés des saints. En revanche, l’opposition au mariage plural refroidissait l’enthousiasme de tous, même de ceux qu’Emmeline appelait ses amis.

Après plusieurs semaines passées à Washington, elle prit un train pour l’Ouest, croyant avoir fait tout ce qu’elle pouvait pour les saints. Pendant le trajet, elle apprit que deux mille femmes s’étaient attroupées dans le théâtre de Salt Lake City pour protester contre la façon dont le gouvernement traitait les familles plurales. Lors de la réunion, Mary Isabella Horne avait demandé aux femmes de protester contre l’injustice. Elle demanda : « Devons-nous, femmes de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, nous soumettre encore aux insultes et aux mauvais traitements sans élever la voix ? »

Emmeline était enthousiaste devant la force de ses sœurs dans l’Évangile et il lui tardait de les retrouver, mais en route, elle reçut un télégramme du président Taylor lui demandant de retourner à Washington. Un comité de saintes des derniers jours avait rédigé des résolutions demandant aux dirigeants de la nation de cesser leur croisade à l’encontre des saints. Les résolutions imploraient également les épouses et mères de tous les États-Unis de venir en aide aux femmes d’Utah. Le prophète voulait qu’Emmeline présente les résolutions à Grover Cleveland, président des États-Unis. Ellen Ferguson, sainte des derniers jours, médecin et chirurgienne à Salt Lake City, allait se joindre à elle.

À peine quelques jours plus tard, Emmeline était de retour à Washington. Ellen et elle rencontrèrent le président Cleveland dans la bibliothèque de la Maison-Blanche. Il n’était pas aussi intimidant que ce à quoi elles s’attendaient, mais elles savaient qu’il serait difficile de le persuader de soutenir leur cause. Un an auparavant, il avait rencontré une délégation de saints des derniers jours d’Utah et leur avait dit : « Ne pourriez-vous pas, vous autres là-bas être comme tout le monde ? »

Le président écouta attentivement Emmeline et Ellen et promit d’examiner sérieusement leurs résolutions. Il avait beau sembler favorable à leur cause, il ne l’était pas assez pour prendre le risque d’offenser les législateurs opposés à la polygamie.

Peu de temps après, Emmeline écrivit dans le Woman’s Exponent : « Tout ce qui peut être fait ici pour présenter les faits et chercher à éliminer les préjugés n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de l’opinion publique. Nous ne devons cependant pas nous lasser de faire le bien, même si les possibilités semblent maigres et l’hostilité forte. »

Entre-temps, dans la vallée de Sanpete (Utah), les marshals avaient commencé à arrêter les saints polygames à Ephraim, à Manti et dans les villes avoisinantes. En tant que présidente de la Primaire de la paroisse d’Ephraim Sud, Augusta Dorius Stevens avait appris aux enfants comment réagir si des marshals essayaient de les interroger. Les enfants peu méfiants étaient souvent des sources de renseignements faciles. Il leur fallait donc apprendre comment reconnaître les marshals et créer la confusion pour égarer les enquêtes.

Plus de trente années s’étaient écoulées depuis qu’Augusta avait quitté sa famille à Copenhague (Danemark) pour venir en Utah. Elle avait quatorze ans à l’époque. Sa mère détestait l’Église à ce moment-là et venait juste de divorcer de son père. Si quelqu’un lui avait dit qu’un jour sa famille serait de nouveau réunie en Sion, avec ses parents scellés par procuration au temple, elle ne l’aurait probablement pas cru.

C’est pourtant exactement ce qui était arrivé et, dans la vallée de Sanpete, la famille Dorius comptait un nombre considérable de personnes. Le père d’Augusta et la plupart de ses frères et sœurs étaient décédés depuis longtemps, mais sa mère, Ane Sophie, était maintenant une septuagénaire très fière des enfants dont l’appartenance à l’Église lui avait fait honte autrefois. Carl et Johan, les frères d’Augusta, avaient chacun une grande famille plurale à laquelle année après année s’ajoutaient d’autres enfants et petits-enfants. Lewis, son demi-frère, le fils d’Hannah, seconde épouse de son père, avait aussi une grande famille plurale. Julia, sa demi-sœur, que sa mère avait adoptée au Danemark, était également mariée et élevait ses enfants dans la vallée.

Le mariage plural des frères Dorius leur faisait courir le risque d’être arrêtés ; par contre Henry, le mari d’Augusta, était en sécurité. Sa première épouse était décédée en 1864 et depuis, Augusta et lui ne le pratiquaient plus. Ils avaient eu huit enfants ensemble, dont cinq encore vivants. Aucun de leurs enfants mariés ne le pratiquaient non plus.

Du fait de son emploi de sage-femme et infirmière, Augusta restait quand même une personne intéressante pour les policiers. Conscients de la nécessité de fournir de meilleurs soins médicaux parmi les saints, Brigham Young et Eliza Snow avaient commencé, dans les années 1870, à inciter les saintes des derniers jours à faire des études de médecine. Augusta était devenue sage-femme en 1876, après avoir reçu une formation en Utah. Avec l’encouragement des dirigeants de l’Église et de la Société de secours, d’autres femmes avaient fréquenté des facultés de médecine dans l’Est des États-Unis. Certaines d’entre elles avaient également aidé la Société de secours à fonder le Deseret Hospital à Salt Lake City en 1882.

Aux yeux des policiers, les enfants étaient des preuves de cohabitation illégale, sinon de mariage plural, et les sages-femmes comme Augusta pouvaient servir de témoins au tribunal. Celle-ci continuait malgré tout d’aider les femmes à accoucher et de rendre visite aux malades, allant de porte en porte avec le sourire, et une sacoche noire à la main.

À la Primaire, elle rappelait souvent aux enfants combien ils étaient bénis de grandir en Sion en dépit des dangers actuels. Les réunions de la Primaire leur offraient un endroit sûr où apprendre l’Évangile. Augusta leur apprenait à être gentils avec les personnes âgées et les personnes handicapées. Elle les encourageait à être polis et à faire leur possible pour prendre part aux bénédictions du temple.

Comme d’autres dirigeants de l’Église, elle soulignait également l’importance de prendre chaque semaine la Sainte-Cène dignement, ce que les enfants faisaient à l’École du dimanche. Elle leur enseignait ce qui suit : « Nous ne devons pas prendre la Sainte-Cène si nous avons de mauvais sentiments dans le cœur à l’égard de nos compagnons de jeu ou de qui que ce soit. Nous devons être adonnés à la prière et avoir l’Esprit de Dieu afin de nous aimer les uns les autres. Si nous détestons notre camarade ou notre frère ou notre sœur, nous ne pouvons pas aimer Dieu. »

Elle rappelait aussi aux enfants de la Primaire de ne pas oublier les personnes qui étaient harcelées par les marshals. Elle dit : « C’est un jour d’épreuve et nous devons nous souvenir de prier humblement pour nos frères en prison et pour tous les saints. »

Cet hiver-là, alors qu’elle vivait dans la clandestinité en Utah, Ida Udall reçut un télégramme de son mari, David. Le président Cleveland l’avait gracié et il rentrait à la maison.

Elle fut au comble de la joie pour lui, mais peinée de ne pouvoir le retrouver à St Johns (Arizona). Elle se lamenta dans son journal : « Combien je me sens seule et nostalgique à la pensée de ne pouvoir me joindre à aucune des réjouissances qui doivent accueillir le retour de mon propre mari ! »

Elle continua de vivre à Néphi, luttant souvent contre la solitude et la frustration causées par son exil. En septembre 1886, alors que David avait dû retarder une visite attendue depuis longtemps, elle lui écrivit une lettre pleine de colère et la posta avant d’avoir le temps de changer d’avis.

Plus tard, elle fulmina dans son journal : « Je lui ai dit de ne pas se donner la peine de venir pour moi. Je trouve que cela fait suffisamment longtemps que je prends des risques pour quelqu’un qui n’en a rien à faire de moi. »

Peu après, allongée éveillée dans son lit, Ida pleurait, regrettant d’avoir envoyé la lettre. Puis, par un message de sa belle-sœur, elle apprit que David priait pour son bien-être et celui de Pauline. Elle fut touchée en pensant qu’il priait pour elle et leur fille et elle lui écrivit à nouveau, cette fois pour lui demander de l’excuser pour sa lettre pleine de colère.

Elle reçut rapidement une réponse de sa part lui assurant qu’il était son « mari aimant et dévoué » suivie d’une autre, plus longue, remplie de paroles d’espérance, d’amour et de contrition. Il implorait : « Pardonne tous mes gestes, mes paroles et mes pensées peu gentilles et ma négligence apparente. J’ai un témoignage que le jour de la délivrance est imminent et que nous aurons de la joie sur terre. »

En décembre, l’accusation de polygamie menaçant David fut rejetée, ce qui permit à Ida de revenir en Arizona. Il vint à Néphi en mars 1887 pour ramener Pauline et elle juste à temps pour le deuxième anniversaire de la fillette. Ne connaissant pas son père, elle réagissait violemment chaque fois qu’il tentait d’étreindre Ida. Elle mit sa mère en garde : « Ne le laisse pas te toucher ! »

Le voyage de la famille jusqu’en Arizona dura trois semaines. Ida n’avait jamais passé autant de temps seule avec son mari au cours des cinq années de leur union.

Un an après avoir accompagné son mari dans le champ de la mission, Susa Gates s’était habituée à son foyer à Hawaï. Jacob exerçait le métier de raffineur de sucre, transformant la récolte de cannes à sucre de la colonie en un produit que l’on pouvait vendre. Susa faisait de son mieux pour répondre aux exigences de la vie domestique. Elle était de nouveau enceinte et en plus de faire la lessive et de préparer les repas, elle confectionnait des chemises pour Jacob, des robes vichy pour Lucy, leur fille de six ans, des chemises et des pantalons pour Jay et Karl, respectivement âgés de quatre et trois ans, et de nouveaux bavoirs pour bébé Joseph. Elle était souvent fatiguée en fin de journée, mais trouvait toujours le temps d’écrire et de soumettre des articles à des journaux d’Utah et de Californie.

Un matin de février 1887, le petit Jay se réveilla avec de la fièvre et se mit à tousser. Au début, Susa et Jacob pensèrent qu’il avait pris froid, mais les symptômes s’aggravèrent au fil de la semaine suivante. Ils firent de leur mieux pour prendre soin de lui et appelèrent Joseph F. Smith et d’autres frères pour lui donner une bénédiction. Susa fut émerveillée par la foi exercée en faveur de son fils. Néanmoins, l’état de Jay ne s’améliora pas.

Le soir du 22 février, elle resta avec lui, lui massant le ventre avec de l’huile pour soulager sa souffrance. Il avait la respiration laborieuse et haletante. Il lui dit : « Ne me laisse pas ce soir, Maman. Reste ce soir. »

Elle promit de le faire, mais après minuit, Jacob l’incita à prendre du repos pendant qu’il veillait sur leur fils. Jay avait l’air profondément endormi. Elle partit donc se coucher, ne voulant pas croire que son petit garçon pouvait mourir. Il était en mission avec sa famille, se disait-elle, et les gens ne mouraient pas en mission.

Jay se réveilla plus tard et murmura « Maman » maintes et maintes fois tout au long de la nuit. Au matin, il avait l’air encore plus mal et la famille fit appeler Joseph F. et Julina Smith. Les Smith passèrent le reste de la journée avec la famille Gates. La santé de Jay continua de décliner et cet après-midi-là, il s’endormit paisiblement et décéda peu avant quatorze heures.

Le chagrin de Susa était inexprimable, mais son deuil avait à peine commencé que Karl contracta la même maladie. Quand son état empira, les saints des environs de Laie jeûnèrent et prièrent, mais rien n’y fit. La famille fut mise en quarantaine pour enrayer la contagion et Karl mourut peu après.

De nombreuses familles vinrent en aide à Susa et Jacob, mais Joseph F. et Julina Smith furent continuellement à leurs côtés. Ils avaient perdu leur fille aînée, Josephine, lorsqu’elle avait environ l’âge des garçons, et ils comprenaient l’angoisse de leurs amis. Lorsque les garçons moururent, Joseph était présent à leur chevet. Julina lava les corps, confectionna leurs vêtements funéraires et les habilla pour la dernière fois.

Les jours suivants, Jacob pleura ses fils, mais Susa était trop choquée pour pleurer. Elle craignait que ses autres enfants n’attrapent la maladie. Depuis le décès de Karl, elle n’avait senti aucun mouvement du bébé dans son ventre. Jay avait vu l’enfant en rêve juste avant de mourir, mais Susa se demandait s’il était encore en vie.

Puis, un jour, elle sentit une légère palpitation, un petit signe de vie. Elle écrivit à sa mère : « Un très faible mouvement me réconforte en me laissant espérer qu’il reste encore de la vie sous mon cœur attristé. » Elle ne comprenait pas pourquoi ses fils étaient morts, mais elle puisait de la force dans la connaissance que Dieu veillait sur elle.

Elle écrivit à sa mère : « Avec tout cela, nous savons que Dieu gouverne dans les cieux. Dieu m’a bénie et m’a aidée à porter mes fardeaux. Que son nom soit loué à jamais ! »

Début 1887, le Congrès vota la loi Edmunds-Tucker. Cette nouvelle loi donnait aux tribunaux encore plus de pouvoir pour poursuivre et punir les familles plurales. Les femmes du territoire perdirent leur droit de vote et les enfants nés de mariages pluraux furent dépouillés de leurs droits de succession. Il fut requis des futurs électeurs, jurés et représentants du gouvernement, de prêter un serment anti-polygamie. L’Église et le fonds perpétuel d’émigration cessèrent d’exister en tant qu’entités légales et le gouvernement reçut l’autorité de confisquer certains biens de l’Église estimés à une valeur supérieure à cinquante mille dollars.

John Taylor, George Q. Cannon et d’autres dirigeants de l’Église s’efforçaient de garder une longueur d’avance sur les policiers. De plus en plus de saints se réfugiaient dans de petites colonies de l’Église à Chihuahua, au Mexique, notamment la colonie Díaz et la colonie Juárez. D’autres saints avaient fondé une colonie au Canada appelée Cardston. Ces femmes et ces hommes étaient disposés à déménager à des centaines de kilomètres dans des endroits isolés hors des États-Unis pour protéger leurs familles, respecter les commandements de Dieu et honorer leurs alliances sacrées du temple.

Ce printemps-là, la santé de John Taylor déclina sensiblement et George commença à s’inquiéter du bien-être du prophète. Toujours cachés, les deux hommes avaient passé les six derniers mois avec une famille dans une ferme isolée de Kaysville, à environ trente kilomètres au nord de Salt Lake City. Dernièrement, John souffrait de douleurs thoraciques, d’essoufflement et d’insomnie. Sa mémoire commençait à défaillir et il avait du mal à se concentrer. George le poussa à consulter un médecin, mais à part quelques infusions, John ne voulait prendre aucun médicament.

Le 24 mars, il ne se sentit pas assez bien pour s’occuper des affaires de l’Église et il demanda à George de le faire. D’autres questions furent soulevées et John demanda à George de les résoudre. Lorsqu’un message arriva demandant conseil sur une importante question politique, John demanda à George de se rendre à Salt Lake City pour la traiter.

Les pensées de George se tournaient souvent vers Joseph F. Smith, qui était toujours en exil à Hawaï. L’automne précédent, il lui avait écrit pour lui parler des difficultés que John et lui rencontraient. Il avait dit : « Je ne peux pas te dire le nombre de fois où j’ai souhaité que tu sois là. J’ai l’impression que la Première Présidence ressemble à un oiseau à qui il manque une aile. »

Plus récemment, il l’avait informé de la mauvaise santé de John. Il avait noté dans une lettre : « Comme tu le sais, il est d’une volonté indomptable. » Cependant, le prophète n’était plus un jeune homme et son corps ralentissait. George avait promis à Joseph que si son état empirait, il le ferait venir.

Le moment était maintenant arrivé. Il savait que ce serait risqué de le faire rentrer au pays, mais il lui envoya tout de même un message, le priant de revenir en Utah.

Il écrivit : « J’ai pris cette décision sans en parler à personne de crainte d’inquiéter inutilement ou de te mettre en danger. Je ne peux que te recommander la plus grande prudence. »

George commença la matinée du 18 juillet en signant des recommandations pour entrer dans le temple, une tâche normalement réservée au président de l’Église. À présent, John Taylor quittait rarement sa chambre et avait à peine la force de parler. Le fardeau entier des responsabilités de la Première Présidence reposait sur George.

Plus tard cet après-midi-là, un chariot bâché approcha de la maison à Kaysville. Lorsqu’il s’arrêta, une silhouette familière en émergea et un immense soulagement et une joie débordante envahirent George lorsqu’il reconnut Joseph F. Smith. Il le conduisit à l’intérieur pour voir le prophète et ils le trouvèrent assis sur un fauteuil dans sa chambre, à peine conscient. Joseph prit la main de John et lui parla. Ce dernier sembla reconnaître son conseiller.

George lui dit : « C’est la première fois que la Première Présidence est réunie depuis deux ans et huit mois. Que ressens-tu ? »

John murmura : « Le désir de remercier le Seigneur. »

La semaine suivante, son état empira. Un soir, George et Joseph s’occupaient des affaires de l’Église lorsqu’ils furent soudain appelés dans la chambre de John. Il était allongé, immobile, et respirait faiblement. Quelques minutes plus tard, sa respiration cessa totalement. Cela se produisit tellement paisiblement que George pensa à un bébé en train de s’endormir.

Pour lui, perdre John était comme perdre son meilleur ami. Il avait été un père pour lui. Ils n’avaient pas toujours été du même avis, mais il le considérait comme l’un des hommes des plus nobles qu’il avait connus. Il pensa aux retrouvailles de la Première Présidence à peine une semaine auparavant et voilà qu’ils étaient de nouveau séparés.

George et Joseph commencèrent rapidement à prendre des dispositions pour informer les apôtres. George avait déjà parlé de la santé déclinante du prophète dans une lettre adressée à Wilford Woodruff, le président du Collège des Douze, et ce dernier faisait lentement route de St George à Salt Lake City, en prenant soin d’éviter les marshals. La plupart des autres apôtres étaient encore dans la clandestinité.

En leur absence, George savait qu’il se trouvait dans une position délicate. Le président de l’Église étant décédé, Joseph et lui ne pouvaient plus agir en qualité de membres de la Première Présidence. Pourtant, l’Église était toujours confrontée à de graves dangers et avait besoin d’être dirigée. S’il continuait de s’occuper des affaires de l’Église indépendamment des Douze, il risquait de leur déplaire. Mais quel choix lui restait-il ? Le Collège était dispersé et certaines affaires ne pouvaient tout simplement pas être reportées ni ignorées.

Il savait également que Joseph et lui devaient agir rapidement. Si la nouvelle de la mort de John s’ébruitait trop vite, les marshals risquaient d’apprendre où ils se trouvaient et de venir les chercher. Ils n’étaient plus en sécurité.

George annonça : « Nous devons lever le camp et partir d’ici dès que possible. »


QUATRIÈME PARTIE : Un temple de Dieu (juillet 1887 - mai 1893)


CHAPITRE 36 : Les choses faibles du monde

Le 29 juillet 1887, Wilford Woodruff était debout à la fenêtre du bureau du président de l’Église à Salt Lake City avec George Q Cannon et Joseph F. Smith. Ils regardaient ensemble le cortège funèbre de John Taylor traverser lentement la ville. Une multitude de personnes s’attroupaient le long des rues où passaient plus d’une centaine de calèches, carrioles et chariots. Emmeline Wells exprima ce que de nombreux saints ressentaient lorsqu’elle écrivit que le président Taylor « était un dirigeant sur lequel le peuple avait toujours pu compter et dont il pouvait à juste titre être fier ».

Seules les menaces d’arrestation empêchaient Wilford et les deux autres apôtres de sortir rendre hommage à leur ami et prophète. Comme la plupart des membres de son collège, Wilford se montrait rarement en public afin d’éviter d’être arrêté pour polygamie ou cohabitation illégale. En 1885, lorsque sa femme, Phebe, était décédée, il été allé à son chevet. Cependant, trois jours plus tard, il n’avait pas assisté à ses obsèques, craignant d’être capturé. Maintenant, étant le président du Collège des Douze et le dirigeant le plus ancien de l’Église, il constituait une cible de choix pour les marshals.

Wilford n’avait jamais aspiré à diriger l’Église. Lorsqu’il avait appris la nouvelle du décès de John, le poids des responsabilités avait pesé lourdement sur ses épaules. Il avait prié : « Merveilleuses sont tes voies, ô Seigneur Dieu Tout-Puissant, car tu as assurément choisi les choses faibles du monde pour accomplir ton œuvre ici-bas. »

Quelques jours après les funérailles, il réunit les Douze pour discuter de l’avenir de l’Église. Comme cela avait été le cas après la mort de Joseph Smith et de Brigham Young, le collège n’organisa pas immédiatement la nouvelle Première Présidence. Au contraire, dans une déclaration, Wilford réaffirma qu’en l’absence d’une Première Présidence, les douze apôtres avaient l’autorité de diriger l’Église.

Les quelques mois suivants, ceux-ci accomplirent bien des choses sous la direction de Wilford. Le temple de Manti était presque prêt à être consacré, mais celui de Salt Lake City, plus grand et plus ambitieux, était encore loin d’être terminé. Les plans originaux prévoyaient deux grandes salles de réunion aux étages supérieur et inférieur du bâtiment. Toutefois, pendant sa clandestinité, John Taylor avait réfléchi à une alternative qui éliminerait la salle de réunion du bas et libérerait beaucoup d’espace pour des salles de dotation. Maintenant, Wilford et les Douze consultaient des entrepreneurs sur la meilleure manière d’exécuter le projet. Ils approuvèrent également la proposition de terminer les six tours du temple en granit et non en bois comme cela était prévu à l’origine.

Wilford et d’autres dirigeants de l’Église se préparaient discrètement à faire une nouvelle tentative d’obtenir pour l’Utah le statut d’État. Puisque ces trois dernières années, les saints n’avaient pas eu de conférence générale à Salt Lake City du fait des efforts déployés pour arrêter les dirigeants de l’Église, les Douze négocièrent également avec les marshals locaux pour permettre à Wilford et aux apôtres, qui n’avaient pas été accusés de polygamie ni de cohabitation illégale, de sortir de la clandestinité et d’en organiser une dans la ville.

Lorsque les apôtres se réunirent, Wilford remarqua que des discordes commençaient à poindre. Plusieurs nouveaux apôtres avaient été appelés au collège depuis le décès de Brigham Young une décennie auparavant, notamment Moses Thatcher, Francis Lyman, Heber Grant et John W. Taylor. Chacun d’eux semblait maintenant avoir d’importantes réserves à l’égard de George Q Cannon. Ils trouvaient qu’il avait pris de piètres décisions en tant qu’homme d’affaires, politicien et dirigeant de l’Église.

Ils étaient préoccupés, entre autres, par la mesure disciplinaire récente qu’il avait prise à l’encontre de son fils, dirigeant éminent de l’Église, qui avait commis l’adultère. Ils n’aimaient pas non plus le fait qu’il ait pris seul des décisions pour l’Église pendant la fin de la maladie de John Taylor. Il leur déplaisait aussi de le voir donner des conseils à Wilford sur la gestion des affaires de l’Église alors que la Première Présidence était dissoute et qu’il avait repris sa place parmi les Douze. Dans l’esprit des jeunes apôtres, George pensait avant tout à lui-même et les excluait des décisions à prendre.

De son côté, George trouvait qu’on le jugeait mal. Il admettait avoir commis de petites erreurs de temps à autre, mais les accusations portées contre lui étaient fausses ou fondées sur des renseignements incomplets. Wilford comprenait la pression immense qui avait pesé sur lui ces quelques dernières années et il continuait de lui manifester sa confiance et de compter sur sa sagesse et son expérience.

Le 5 octobre, la veille de la conférence générale, Wilford réunit les apôtres dans un effort de réconciliation. Il dit : « De tous les hommes sous les cieux, c’est nous qui devrions être les plus unis. » Ensuite, il écouta pendant des heures les plus jeunes apôtres formuler leurs griefs. Lorsqu’ils eurent terminé, Wilford parla de Joseph Smith, Brigham Young et John Taylor qu’il avait bien connus et avec qui il avait étroitement collaboré. Aussi grands qu’aient été ces hommes, il avait vu chez eux des imperfections, mais ils n’avaient pas de comptes à lui rendre. C’est à Dieu, leur juge, qu’ils avaient des comptes à rendre.

Il dit : « Nous devons faire preuve de considération à l’égard de frère Cannon. Il a ses faiblesses. S’il n’en avait pas, il ne serait pas avec nous. »

George ajouta : « Si je vous ai blessés, je vous demande humblement pardon. »

La réunion prit fin après minuit, à quelques heures seulement de la prière d’ouverture de la conférence générale. Bien que George eût demandé pardon, Moses Thatcher et Heber Grant pensaient toujours qu’il n’avait pas assumé convenablement ses erreurs et ils dirent aux frères qu’ils ne se sentaient pas encore réconciliés.

Dans son journal, Wilford décrivit la soirée en trois mots : « Ce fut pénible. »

Vers cette époque-là, Samuela Manoa manœuvrait son canoë sur l’eau turquoise du port de Pago-Pago. Derrière lui, les monts escarpés de Tutuila, une île des Samoa, se dressaient vers le ciel. Droit devant, un grand voilier attendait à l’entrée du port qu’un marin de la région vienne guider le bateau à travers les récifs.

Habitant l’île voisine de Aunu‘u, Samuela connaissait bien le port. Lorsque son canoë atteignit enfin le voilier en attente, il offrit son aide au capitaine. Ce dernier jeta une échelle de corde par-dessus bord et lui souhaita la bienvenue.

Il suivit le capitaine jusqu’à son bureau sur le pont inférieur. Il était tôt et le capitaine se demandait si Samuela aimerait se faire cuire du jambon et des œufs avant de se frayer un chemin à travers le port. Celui-ci le remercia et on lui donna de vieux journaux pour allumer le feu pour cuisiner.

Samuela lisait un peu l’anglais et vit que l’un des journaux venait de Californie. Alors qu’il allait mettre le journal au feu, un titre se détacha dans la lumière vacillante. C’était l’annonce d’une conférence pour les membres de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Le cœur de Samuela fit un bond ; Samuela saisit le journal et éteignit les flammes.

La date de la conférence était passée depuis longtemps, mais Samuela était plus intéressé par le nom de l’Église que par l’événement lui-même. Cette Église était son Église et maintenant, pour la première fois depuis des années, il savait qu’elle prospérait encore aux États-Unis.

Dans les années 1850, alors qu’il était jeune homme, il avait été baptisé par des missionnaires saints des derniers jours à Hawaï. Cependant, en 1861, Walter Gibson avait pris le contrôle de la colonie des saints sur Lanai et avait dit à Samuela et aux autres que l’Église en Utah avait été détruite par l’armée des États-Unis. Ignorant qu’il s’agissait d’une supercherie de Walter, Samuela l’avait cru et l’avait soutenu comme dirigeant. Lorsque Walter l’avait envoyé en mission aux Samoa en 1862 avec un autre saint hawaïen, Kimo Belio, il avait accepté l’appel.

Samuela et Kimo étaient les premiers missionnaires saints des derniers jours aux Samoa et ils avaient baptisé une cinquantaine de personnes pendant les premières années qu’ils avaient passées là-bas. Le service postal étant peu fiable, ils avaient eu du mal à maintenir le contact avec les saints à Hawaï. Du fait que les dirigeants de l’Église en Utah n’avaient pas ouvert de mission aux Samoa, aucun nouveau missionnaire n’avait été envoyé soutenir Samuela et Kimo et l’assemblée de saints périclitait.

Depuis, Kimo était décédé, mais Samuela était resté sur les îles et s’y était établi. Il s’était marié et avait monté une entreprise. Ses voisins le considéraient toujours comme le missionnaire saint des derniers jours d’Hawaï, mais certains avaient commencé à douter de l’existence de l’Église qu’il prétendait représenter.

Samuela s’était longtemps demandé si Walter lui avait menti au sujet de la destruction de l’Église aux États-Unis. Maintenant, vingt-cinq ans après son arrivée aux Samoa, il avait enfin une raison d’espérer que s’il écrivait au siège de l’Église, quelqu’un répondrait.

Empoignant le journal, Samuela s’empressa de trouver le capitaine du bateau pour lui demander de l’aider à rédiger une lettre destinée aux dirigeants de l’Église en Utah. Il y demandait que des missionnaires soient envoyés dès que possible aux Samoa. Il écrivit qu’il attendait depuis plusieurs années et qu’il était impatient de voir l’Évangile prêché de nouveau parmi les Samoans.

À l’automne 1887, cela faisait presque quatre ans qu’Anna Widtsoe et ses deux fils, John et Osborne, habitaient Logan, une ville du nord de l’Utah. Petroline, sa sœur, était aussi devenue membre de l’Église en Norvège et était venue s’installer en Utah, à Salt Lake City, à cent trente kilomètres au sud.

Anna exerçait maintenant le métier de couturière, travaillant de longues heures afin de gagner suffisamment d’argent pour subvenir aux besoins de ses fils. Elle voulait qu’ils soient instituteurs, comme leur défunt père, et veillait à ce que les études soient une priorité dans leur vie. Depuis l’âge de quinze ans, John travaillait à la coopérative du coin pour contribuer aux revenus de la famille. Il ne pouvait donc pas aller à l’école la journée. Dans ses moments libres, il étudiait seul l’algèbre et prenait des cours particuliers d’anglais et de latin avec une sœur britannique. Osborne, neuf ans, allait à l’école du quartier et y excellait.

Peu d’années avant l’arrivée des Widtsoe, Brigham Young avait donné des terres pour une école dans la région qui serait semblable à celle qu’il avait fondée à Provo. Le Brigham Young College ouvrit ses portes à Logan en 1878 et Anna était déterminée à y envoyer ses fils dès qu’ils seraient prêts, même si cela voulait dire que John ne pourrait plus travailler à la coopérative. Certaines personnes pensaient qu’elle avait tort de donner la préséance aux études plutôt qu’au travail manuel, mais elle croyait que le développement de l’intellect était aussi important que celui du corps.

Elle s’assurait également que les garçons participent aux programmes et aux réunions de l’Église. Le dimanche, ils assistaient à la réunion de Sainte-Cène et à l’École du dimanche. Osborne allait à la Primaire de paroisse pendant la semaine et John aux réunions de la Prêtrise d’Aaron le lundi soir. En tant que diacre, il avait coupé du bois pour des veuves et aidé à l’entretien du tabernacle de pieu où se tenaient les réunions de la paroisse. Maintenant qu’il était prêtre, il se réunissait avec l’épiscopat et d’autres prêtres et rendait chaque mois visite à quelques familles en qualité « d’instructeur de paroisse ». Il appartenait aussi à la Société d’Amélioration Mutuelle des Jeunes Gens.

Anna allait aux réunions de la Société de secours le jeudi. Les saints de Logan venaient de tous les coins des États-Unis et d’Europe, mais leur foi en l’Évangile rétabli les unissait. Lors des réunions de la Société de secours, il n’était pas rare d’entendre des femmes parler ou témoigner dans leur langue maternelle pendant que d’autres interprétaient pour elles. Au bout d’une année passée à Logan, Anna parlait l’anglais, mais il y avait tant de saints scandinaves dans la région qu’elle avait de nombreuses occasions de parler le norvégien.

Grâce aux réunions de l’Église, elle apprit et comprit mieux l’Évangile rétabli. En Norvège, on ne lui avait pas enseigné la Parole de sagesse et elle continuait de boire du café et du thé en Utah, surtout lorsqu’elle devait travailler tard le soir. Pendant deux mois, elle s’efforça en vain de renoncer à ces boissons. Puis un jour, elle s’approcha brusquement de ses placards, sortit ses paquets de café et de thé et les jeta au feu en disant : « Plus jamais. »

Anna et ses fils participaient aussi à l’œuvre du temple. En 1884, John et elle avaient été témoins de la consécration de celui de Logan par le président Taylor. Quelques années plus tard, John avait été baptisé et confirmé au temple en faveur de son père, John Widtsoe. Le même jour, Osborne et lui avaient aussi été baptisés et confirmés en faveur d’autres parents décédés, notamment leurs grands-pères et arrière-grands-pères. Anna et sa sœur Petroline allèrent ensuite au temple recevoir leur dotation. Anna y retourna pour se faire baptiser et confirmer en faveur de sa mère et d’autres parents décédés.

Le temple de Logan était devenu précieux à ses yeux. Les cieux avaient semblé s’ouvrir le jour de sa consécration, la récompensant pour tous les sacrifices qu’elle avait consentis pour aller à Sion.

Toute l’année 1887 vit la santé d’Eliza Snow décliner. Maintenant âgée de quatre-vingt-trois ans, la poétesse bien-aimée et présidente générale de la Société de secours avait déjà survécu à de nombreux saints de sa génération et elle savait que sa mort approchait. Elle rappela à ses amis : « Le choix entre le fait de vivre ou celui de mourir ne me revient pas. Je suis parfaitement disposée à partir ou à rester, comme notre Père céleste le commandera. Je suis entre ses mains. »

Au fil de l’année, sa santé se détériora. Zina Young et d’autres amis proches veillaient continuellement sur elle. Le 4 décembre 1887, John Smith, le patriarche, se rendit à son chevet à la Lion House à Salt Lake City. Il lui demanda si elle le reconnaissait. Elle sourit et dit : « Bien sûr. » Il lui donna une bénédiction et elle le remercia. Tôt le lendemain matin, elle décéda paisiblement avec son frère Lorenzo à ses côtés.

En qualité de dirigeante des saints des derniers jours, elle avait organisé et œuvré dans les Sociétés de Secours, les Sociétés d’Amélioration Mutuelle des Jeunes Filles et les Primaires de presque toutes les colonies du territoire. Elle avait aussi présidé l’œuvre du temple pour les femmes dans la maison des dotations pendant plus de trente ans. Dans chacune de ces situations, elle les avait incitées à employer leurs talents à aider Dieu à sauver la famille humaine.

Un jour, elle leur avait enseigné la chose suivante : « Il est du devoir de chacune de nous d’être une sainte femme. Nous considérerons que nous sommes appelées à accomplir des devoirs importants. Personne n’en est exempté. Aucune sœur n’est à ce point isolée et n’a une sphère d’influence si limitée qu’elle ne puisse faire beaucoup pour l’établissement du royaume de Dieu sur la terre. »

Dans le numéro du 15 décembre du Woman’s Exponent, Emmeline Wells lui rendit hommage en la qualifiant de « dame élue » et de « poétesse de Sion ». Elle écrivit : « Sœur Eliza a toujours été courageuse, forte et indéfectible dans les postes qu’elle a occupés. Les filles de Sion devraient imiter son exemple de sagesse et marcher sur ses traces. »

Au mois d’avril suivant, les saints soutinrent Zina Young, amie d’Eliza, comme nouvelle présidente générale de la Société de secours. Comme elle, Zina avait été l’une des femmes plurales de Joseph Smith et de Brigham Young. En 1880, lorsqu’Eliza était devenue présidente générale de la Société de secours, elle l’avait choisie comme conseillère. Au fil des années, les deux femmes avaient travaillé, voyagé et vieilli ensemble.

Zina était connue pour son service aimant et individuel et pour ses dons spirituels puissants. Pendant des années, elle avait présidé la Deseret Silk Association, l’un des programmes coopératifs de la Société de secours. Elle était également une sage-femme accomplie et la vice-présidente du Deseret Hospital, établissement de Salt Lake City géré par la Société de secours. Elle accepta son nouvel appel avec appréhension, mais bien décidée à aider la Société de secours à prospérer, comme cela avait été le cas sous la direction d’Eliza.

Peu après, elle se rendit au Canada pour rendre visite à sa fille unique, Zina Presendia Card. Avant de mourir, John Taylor avait demandé à Charles, son mari, d’y fonder une colonie pour les saints polygames en exil. Jusque-là, la maladie et la saison hivernale avaient empêché Zina de rendre visite à sa fille, mais celle-ci attendait un bébé et sa mère voulait être à ses côtés.

Elle arriva à Cardston, la nouvelle colonie canadienne, juste au moment où les fleurs sauvages commençaient à fleurir. Entourée de champs d’herbes ondulantes, la ville semblait parfaitement située pour s’épanouir.

Zina vit que sa fille s’épanouissait aussi en dépit d’années d’adversité. Veuve à trente-quatre ans, elle avait élevé seule deux jeunes fils pendant plusieurs années jusqu’à ce que Tommy, son cadet, ne meure de la diphtérie à l’âge de sept ans. Trois ans plus tard, elle était devenue l’une des femmes plurales de Charles.

Bien qu’elle ne fût pas habituée à la vie à la frontière, elle avait confortablement aménagé sa petite cabane en rondins. Elle avait recouvert l’intérieur grossier de la cabane d’une douce flanelle qu’elle avait elle-même confectionnée, chaque pièce ayant une couleur différente. À l’arrivée du printemps, elle essayait aussi de maintenir un bouquet de fleurs fraîches sur la table de la salle à manger.

Zina Young passa environ trois mois à Cardston. Pendant son séjour, elle se réunit régulièrement avec la Société de secours. Le 11 juin, elle dit aux femmes que Cardston avait été tenu en réserve pour les saints de Dieu. Il y avait un esprit d’unité parmi les personnes, dit-elle, et le Seigneur avait de grandes bénédictions en réserve pour elles.

Le lendemain de la réunion, Zina Presendia ressentit les premières contractions. Zina était à ses côtés en tant que sage-femme et mère. Au bout d’à peine trois heures, elle accoucha d’une fillette en bonne santé et grassouillette, sa première fille.

La mère, la grand-mère et l’arrière-grand-mère du bébé s’appelaient toutes Zina. Il semblait logique de lui donner le même prénom.

Avant même que la lettre de Samuela Manoa n’arrive à Salt Lake City, l’Esprit avait inspiré les dirigeants de l’Église d’étendre l’œuvre missionnaire jusqu’aux Samoa. Au début de l’année 1887, l’apôtre Franklin Richards avait appelé Joseph Dean, trente et un ans, et sa femme, Florence, en mission à Hawaï. Lorsqu’il les avait mis à part, il leur avait donné pour instructions de porter aussi l’Évangile à d’autres îles du Pacifique, notamment aux Samoa.

Joseph avait été envoyé dans le Pacifique en partie pour le protéger, lui et sa famille, des marshals. Dix ans auparavant, il avait fait une mission à Hawaï avec Sally, sa première femme. De retour sur le continent, il en avait épousé une deuxième, Florence, et plus tard, avait séjourné en prison pour cohabitation illégale. Les autorités judiciaires continuèrent de le traquer jusqu’à son départ pour Hawaï avec Florence. Entre-temps, Sally resta à Salt Lake City avec les cinq enfants qu’elle avait de Joseph.

Ce dernier écrivit à Samuela plusieurs mois après être arrivé à Hawaï et il ne tarda pas à lui répondre, impatient de participer à l’œuvre. En mai 1888, quelques mois après la naissance d’un petit garçon qu’ils nommèrent Jasper, Joseph envoya une lettre à Samuela l’informant que sa famille et lui arriveraient aux Samoa le mois suivant. Peu de temps après, Susa et Jacob Gates organisèrent une fête pour les Dean, et Joseph, Florence et leur bébé partirent pour les Samoa peu après.

La première étape de leur voyage de trois mille kilomètres fut sans histoire, mais le capitaine de leur bateau à vapeur n’avait aucune intention d’aller sur l’île de Aunu‘u, où habitait Samuela. Il arrêta le navire près de Tutuila, à environ trente kilomètres à l’ouest de Aunu‘u.

Joseph ne connaissait personne à Tutuila. Inquiet, il chercha du regard un dirigeant parmi les personnes qui étaient venues à la rencontre du bateau. Repérant un homme qui semblait être un responsable, Joseph lui tendit la main et prononça l’un des quelques mots de samoan qu’il connaissait : « Talofa ! »

Surpris, l’homme lui rendit son salut. Joseph essaya ensuite de lui dire en hawaïen où il voulait aller avec sa famille, insistant sur les mots « Aunu‘u » et « Manoa ».

Soudain, le regard de l’homme s’éclaira. Il demanda en anglais : « Vous ami de Manoa ? »

« Oui », répondit Joseph, soulagé.

Il s’appelait Tanihiili. Samuela l’avait envoyé chercher Joseph et sa famille pour les transporter en toute sécurité jusqu’à Aunu‘u. Il les conduisit vers une barque avec un équipage de douze autres Samoans. Lorsque les Dean furent à bord, dix hommes commencèrent à ramer vers le large tandis que deux autres écopaient et que Tanihiili barrait. Luttant contre des vents contraires, les rameurs manœuvrèrent la barque par-dessus les vagues menaçantes jusqu’à la sécurité du port de Aunu‘u.

Samuela Manoa et sa femme, Fasopo, accueillirent Joseph, Florence et Jasper sur le rivage. Samuela était un homme mince, beaucoup plus âgé que Joseph, et assez chétif. Les larmes coulaient sur son visage buriné tandis qu’il leur souhaitait la bienvenue en hawaïen. Il dit : « Je suis grandement béni que Dieu nous ait réunis et m’ait permis de faire la connaissance de son bon serviteur ici, aux Samoa. »

Fasopo prit Florence par la main et la conduisit vers la maison de trois pièces où ils allaient tous loger. Le dimanche suivant, Joseph fit son premier sermon aux Samoa dans une maison remplie de voisins curieux. Il parlait en hawaïen et Samuela interprétait. Le lendemain, Joseph rebaptisa et reconfirma Samuela, comme les saints le faisaient parfois à cette époque pour renouveler leurs alliances.

Une femme appelée Malaea faisait partie des personnes rassemblées pour regarder l’ordonnance. Touchée par l’Esprit, elle demanda à Joseph de la baptiser. Il avait déjà retiré ses vêtements de baptême mouillés pour la confirmation, mais il les remit et entra dans l’eau.

Au cours des semaines qui suivirent, quatorze autres Samoans se firent baptiser. Rempli d’enthousiasme, Joseph écrivit à Wilford Woodruff le 7 juillet pour raconter l’expérience de sa famille. Il rapporta : « J’ai envie de prophétiser au nom du Seigneur que des milliers de personnes accepteront la vérité. C’est mon témoignage aujourd’hui et je crois que je vivrai pour le voir se réaliser. »


CHAPITRE 37 : Vers le trône de grâce

Wilford Woodruff et George Q Cannon arrivèrent au temple de Manti au milieu de la nuit du 15 mai 1888. Ils avaient quitté Salt Lake City quelques jours plus tôt, voyageant après le coucher du soleil pour échapper aux marshals. Pour la dernière partie de leur voyage, ils firent soixante kilomètres en calèche sur des routes escarpées et hostiles. Roulant dans le noir, le conducteur avait à deux reprises quitté la route et failli envoyer les apôtres s’écraser sur le flanc de la montagne.

Wilford était venu dans la vallée de Sanpete pour consacrer le troisième temple d’Utah. Du fait qu’il était dangereux pour George et les autres dirigeants de l’Église de se montrer en public, Wilford avait décidé de consacrer le temple au cours d’une petite cérémonie privée. Ensuite, les saints organiseraient sans lui une consécration publique avec ceux qui détenaient une recommandation spéciale de leur évêque ou de leur président de pieu.

Le temple était d’une beauté saisissante. Façonné dans le calcaire couleur crème des montagnes voisines, il se dressait au sommet d’une colline surplombant un océan de champs de blé. Des garnitures délicatement sculptées et des fresques colorées ornaient l’intérieur. Deux magnifiques escaliers en spirale, sans le soutien du moindre pilier, semblaient être suspendus dans les airs.

L’achèvement du temple était un moment radieux dans une période par ailleurs difficile pour Wilford. La désunion au sein du Collège des Douze nuisait à leur capacité de diriger efficacement l’Église. Huit mois s’étaient écoulés depuis la mort de John Taylor et certains des jeunes apôtres avaient encore des griefs contre George. Wilford était prêt à organiser la Première Présidence, mais il ne pouvait pas le faire tant que le collège était divisé.

Les apôtres avaient fait quelques progrès pour combler la brèche dans leur collège. En mars, Wilford les avait réunis plusieurs fois pour essayer de résoudre leurs différends. Au cours d’une réunion, il leur rappela qu’ils devaient se laisser guider par l’humilité et l’amour. Il confessa humblement ses propres méfaits lorsqu’il avait parfois parlé trop sévèrement et incita chaque apôtre à confesser ses péchés et à demander pardon aux autres. Malgré tout cela, quelques membres du collège étaient toujours réticents à soutenir la formation de la nouvelle Première Présidence.

De plus, la loi Edmunds-Tucker continuait de menacer l’Église. Avec le pouvoir de confisquer les biens de celle-ci évalués à plus de cinquante mille dollars, les officiers fédéraux avaient pris le contrôle du bureau des dîmes, du bureau du président de l’Église et du quartier du temple, qui comprenait le temple inachevé de Salt Lake City. Le gouvernement avait ensuite proposé de donner le quartier du temple en location pour un montant gracieux d’un dollar par mois. Wilford avait trouvé la proposition insultante, mais il l’avait acceptée pour permettre aux travaux de se poursuivre.

La nouvelle loi avait aussi remis la supervision des écoles publiques d’Utah entre les mains d’une commission fédérale et les apôtres craignaient que les enseignants saints des derniers jours ne soient écartés lorsqu’ils chercheraient du travail. Plus tôt cette année-là, George avait proposé de fonder d’autres académies de l’Église pour employer ces professeurs et enseigner les principes de l’Évangile aux étudiants. Wilford et les apôtres avaient unanimement approuvé le projet et le 8 avril, ils annoncèrent l’organisation d’une commission de l’éducation pour diriger le nouveau système.

Avec ces affaires pesant sur l’Église, Wilford consacra le temple de Manti le 17 mai 1888. Dans la salle céleste, il s’agenouilla à un autel et offrit une prière, remerciant Dieu pour la bénédiction extraordinaire d’un autre temple en Sion.

Il dit : « Tu as vu les labeurs de tes saints dans la construction de cette maison. Leurs motivations et leurs efforts te sont tous connus. Nous te la présentons aujourd’hui, ô Seigneur notre Dieu. Elle est le fruit des dîmes et offrandes volontaires de ton peuple. »

Ce jour-là, après la consécration, Wilford reçut un rapport selon lequel le marshal fédéral Frank Dyer exigeait que l’Église remît tous les biens qu’elle possédait à Logan, notamment la maison des dîmes, le tabernacle et le temple. Wilford nota une prière simple dans son journal, demandant à Dieu de défendre les temples contre les personnes qui souhaitaient les profaner.

La semaine suivante, l’apôtre Lorenzo Snow présida la consécration publique du temple de Manti. Avant le début de la première session, de nombreux saints assis dans la salle de réunion de l’édifice entendirent des voix d’anges chanter dans toute la pièce. À d’autres moments, certains virent des halos ou des manifestations de lumières éclatantes autour des orateurs. Des personnes dirent avoir vu Joseph Smith, Brigham Young, John Taylor et d’autres personnages. Pendant que Lorenzo lisait la prière de consécration, quelqu’un dans l’assemblée entendit une voix dire : « Alléluia, alléluia, le Seigneur soit loué. »

Pour les saints, ces manifestations spirituelles étaient des signes du soin vigilant de Dieu. Un témoin de ces déversements écrivit : « Ils réconfortent les gens, prouvant que même dans les périodes les plus troublées, le Seigneur est avec eux. »

Pendant qu’ils étaient encore en mission à Hawaï, Susa et Jacob Gates commencèrent à réfléchir à ce qu’ils feraient lorsqu’ils retourneraient en Utah. Un jour du début de l’année 1888, Jacob dit : « Su, j’aimerais que tu sois embauchée comme rédactrice adjointe de l’Exponent. » Susa avait déjà publié des articles dans le Woman’s Exponent sous le pseudonyme de « Homespun » (« Fait maison », ndt) et Jacob était convaincu de son talent pour l’écriture.

Susa voulait l’utiliser pour aider l’Église. Un jour, Eliza Snow l’avait encouragée ainsi : « N’écris jamais la moindre ligne ni le moindre mot qui ne soit pas calculé pour le profit de ce royaume. » Susa s’efforçait de suivre ce conseil. Dernièrement, elle avait petit à petit eu l’idée d’écrire des articles favorables à l’Église pour des magazines de l’est des États-Unis. Par contre, jusque-là, elle n’avait jamais envisagé de travailler comme rédactrice.

À dire vrai, elle avait du mal à trouver le temps d’écrire. La plupart du temps, elle était debout à six heures pour s’occuper des trois enfants et des tâches domestiques qui n’en finissaient jamais. Une année à peine s’était écoulée depuis le décès de ses petits garçons, Jay et Karl, et elle était encore affligée de les avoir perdus, souhaitant parfois quitter Laie juste pour empêcher ses pensées de divaguer vers les deux tombes situées sur la colline au-dessus de chez eux. Elle était anxieuse dès que l’un de ses enfants se mettait à tousser. Le moment était-il bien choisi pour assumer encore d’autres responsabilités ?

Mais une fois l’idée de travailler pour l’Exponent semée dans son esprit, elle prit rapidement racine. Elle écrivit à Zina Young et décrivit son désir de transformer le Woman’s Exponent en un mensuel imprimé sur du papier fin, comme les magazines populaires de l’époque destinés aux femmes.

Elle écrivit : « Mon âme tout entière aspire à l’édification de ce royaume. Je veux travailler de toutes mes forces pour aider mes sœurs. Le travail sera une œuvre d’amour parce que tu sais combien j’aime écrire. »

Simultanément, elle envoya une lettre à Emmeline Wells, la rédactrice du journal, et à d’autres personnes qu’elle estimait, leur demandant conseil. Romania Pratt, l’une des rares femmes médecins du territoire et auteure régulière d’articles pour le Woman’s Exponent, fut la première à répondre.

Elle écrivit : « Ma chère jeune et talentueuse amie, j’ai le sentiment que le rôle de membre ou de partenaire de l’Exponent ne serait pas à votre plus grand avantage. » Elle expliqua qu’Emmeline aimait gérer le journal à sa façon et verrait d’un mauvais œil la participation de Susa. Elle lui suggéra de lancer plutôt un nouveau magazine destiné aux jeunes filles de l’Église.

Susa fut emballée par l’idée et en parla à son ami Joseph F. Smith dans une lettre. Il répondit peu après, manifestant tout son soutien. Il imaginait un magazine écrit et produit entièrement par des saintes des derniers jours et il encouragea Susa à chercher des « conseillères bonnes et sages » pour l’aider.

Il écrivit : « Aucune personne compétente ne doit se voir refuser le privilège de faire de son mieux. Notre communauté est différente des autres. Notre prospérité repose sur notre unité, notre coopération et nos efforts communs. Nul n’est indépendant. »

Sur les conseils de Joseph, Susa écrivit à Wilford Woodruff et à la présidence de la Société d’Amélioration Mutuelle des Jeunes Filles pour obtenir leur soutien pour le magazine. Wilford donna son approbation quelques mois plus tard. La présidence de la S.A.M.J.F. offrit également son soutien.

Susa écrivit dans son journal : « Eh bien, c’est entre les mains du Seigneur. » Dès son retour aux États-Unis, elle essaierait de concrétiser son projet.

À l’automne 1888, George Q. Cannon décida qu’il était dans son intérêt et dans celui de l’Église d’aller en prison. Les mois précédant le décès de John Taylor, le Seigneur avait révélé que George devait retourner se cacher avec le prophète pour s’occuper des affaires de l’Église. Maintenant qu’il était décédé et que la direction de l’Église était entre les mains des Douze, George n’était plus tenu de rester caché.

Wilford Woodruff croyait aussi que les saints devaient se réconcilier avec le gouvernement des États-Unis afin d’obtenir le statut d’État pour l’Utah. Avec le statut d’état, les saints pourraient utiliser leur vote majoritaire pour élire des dirigeants qui protégeraient leurs libertés religieuses. Du fait que la loi Edmunds-Tucker ne s’appliquait qu’aux territoires, si l’Utah devenait un État, elle n’aurait plus le pouvoir de faire du mal à l’Église. Néanmoins, il était peu probable que le Congrès des États-Unis accorde ce statut à l’Utah tant qu’un apôtre éminent se soustrayait à la justice.

Lorsqu’il apprit que le procureur des États-Unis était disposé à recommander la clémence, George commença à se demander à quel point il serait profitable aux saints qu’il se rende. Sa reddition pourrait servir de rameau d’olivier aux législateurs de Washington. Il espérait également que ses actions aideraient d’autres hommes à se résoudre à affronter des accusations semblables.

Le 17 septembre, il plaida coupable de deux chefs d’accusation de cohabitation illégale, conscient qu’il risquait de passer presque une année en prison. Le juge en chef qui, disait-on, était plus modéré que les juges précédents, dans sa façon de traiter les saints, le condamna à une peine relativement courte de cent soixante-quinze jours derrière les barreaux.

George voulut commencer à purger sa peine dès que possible si bien que le jour même de la condamnation, il fut transporté au pénitencier territorial d’Utah. La prison, battue par les éléments, se dressait sur une colline à Salt Lake City. Normalement, quand de nouveaux prisonniers entraient dans la cour, les détenus aimaient les chahuter en criant : « Poisson frais ! » Mais lorsque George entra, personne ne cria. Au contraire, les hommes l’entourèrent, surpris et curieux de voir un apôtre en prison.

À l’intérieur, celui-ci trouva trois niveaux de petites cellules. Le geôlier lui en attribua une au dernier étage et lui dit qu’il pouvait rester à l’intérieur sans verrouiller les lourdes portes métalliques. George ne cherchait pourtant pas à obtenir de faveurs. Il portait le même uniforme rayé blanc et noir et respectait les mêmes règles que le reste des détenus.

Au bout de peu de temps, il organisa un cours sur la Bible. Plus de soixante hommes assistèrent à la première réunion du dimanche, notamment plusieurs qui n’étaient pas membres de l’Église. Les prisonniers lurent les cinq premiers chapitres de Matthieu et en discutèrent. George écrivit dans son journal : « Il régnait un esprit des plus plaisants. »

Les semaines s’enchaînèrent et George trouva son séjour en prison plus heureux qu’il ne s’y attendait. Les jours de visite, il s’occupait des affaires de l’Église et se réunissait avec les autres apôtres, notamment Heber Grant dont le cœur commençait à s’adoucir à son égard. Il recevait également la visite d’amis et de membres de sa famille et il passait beaucoup de temps à soutenir psychologiquement ses codétenus.

Il écrivit dans son journal : « Ma cellule m’a semblé être un lieu céleste. J’ai l’impression que des anges s’y sont tenus. »

Pendant que George Q. Cannon purgeait sa peine, Joseph F. Smith se rendait à Washington pour aider l’avocat de l’Église, Franklin S. Richards, à faire pression pour l’obtention du statut d’État. Toujours fugitif, Joseph se demandait parfois s’il ne devrait pas suivre l’exemple de George et se rendre aux autorités. Cependant, Wilford Woodruff l’avait chargé de superviser les activités politiques de l’Église à Washington et Joseph croyait que seuls le statut d’État ou l’intervention divine pourraient offrir une liberté religieuse durable aux saints.

À Washington, Joseph était libre de déambuler en ville, mais il veillait à éviter les couloirs du Congrès où quelqu’un risquait de le reconnaître. Il passa plusieurs jours à aider Franklin à préparer un discours à l’attention du comité qui en fin de compte recommanderait au Congrès de voter pour ou contre l’attribution du statut d’État pour l’Utah. Ensuite, quelques heures avant le discours, il fit une bénédiction à Franklin afin qu’un bon esprit l’accompagne.

Pendant le discours, Franklin présenta le mariage plural comme une pratique mourante. Il dit que souvent, les cas de polygamie que le gouvernement traitait en justice impliquaient des hommes âgés qui avaient contracté ces mariages des années auparavant. Il soutenait aussi que les habitants d’Utah, dont la grande majorité ne pratiquait pas le mariage plural, devraient avoir la liberté d’élire leurs propres représentants sous un gouvernement d’état.

Après des jours de délibérations, le comité décida de ne faire aucune recommandation au Congrès. Joseph fut déçu, mais apprécia tellement le discours de Franklin qu’il en envoya un exemplaire à plus de trois mille législateurs et personnes éminentes dans tout le pays.

Peu après, il reçut un télégramme l’informant que George Peters, le procureur des États-Unis pour l’Utah, avait l’intention de convoquer les membres de la famille de Joseph pour témoigner contre lui devant un grand jury.

Joseph considéra la démarche comme une trahison. Quelques mois plus tôt, Peters avait extorqué cinq mille dollars à l’Église en promettant d’être clément à l’avenir lors des poursuites judiciaires à l’encontre de saints des derniers jours. Bien qu’à cette époque, aux États-Unis, les faveurs politiques fussent achetées et vendues, Joseph était révulsé à la pensée de payer Peters. Après en avoir discuté avec Wilford, il avait décidé que céder au chantage pourrait protéger les saints.

Il répondit immédiatement au télégramme, indiquant où ses femmes et ses enfants pouvaient se cacher. Il fut cependant inquiet tout le reste de la journée. Il écrivit dans son journal : « Je prie Dieu de protéger ma famille des griffes de l’ennemi impitoyable et fanatique. »

Tout au long de l’hiver 1888-1889, le Collège des Douze fut incapable de se mettre d’accord sur la formation de la nouvelle Première Présidence. En attendant, les marshals fédéraux continuaient d’appréhender les dirigeants de l’Église. En décembre, l’apôtre Francis Lyman se rendit aux autorités et rejoignit George Q. Cannon en prison. En tant que président des Douze, Wilford Woodruff était obligé de diriger l’Église avec de moins en moins d’apôtres à ses côtés.

Il passait une partie de son temps à exploiter sa ferme, à écrire des lettres et à signer des recommandations pour les saints voulant se rendre aux temples de Logan, Manti ou St George. En février 1889, George Q. Cannon fut libéré de prison après y avoir passé cinq mois. Wilford l’invita, ainsi que plusieurs amis, à son bureau le lendemain pour fêter son retour. Des membres du Chœur du Tabernacle transportèrent un orgue et le chœur chanta des cantiques. Ensuite, des saints hawaïens qui avaient immigré en Utah interprétèrent trois chants, dont deux composés pour l’occasion. L’un des hommes, Kanaka, avait plus de quatre-vingt-dix ans. George l’avait baptisé pendant qu’il était en mission à Hawaï au début des années 1850.

Ce soir-là, Wilford se joignit à la famille Cannon pour manger de la dinde au dîner. Il dit à l’un des fils de George : « Ton père est le plus grand cerveau et le meilleur penseur de tous les hommes du royaume. » Maintenant que celui-ci était libéré de prison, Wilford espérait que tous les apôtres reconnaîtraient que c’était quelqu’un de bien et iraient ensemble de l’avant pour diriger l’Église.

Lorsque Zina Young rentra à Salt Lake City après sa visite à Cardston, elle ressentit tout le poids de ses nouvelles responsabilités de présidente générale de la Société de secours. Elle était maintenant à la tête de plus de vingt-deux mille femmes dispersées dans des centaines de paroisses et de branches du monde entier. Outre son rôle de dirigeante spirituelle, elle supervisait plusieurs institutions telles que le Deseret Hospital et de multiples actifs, notamment plus de huit cent soixante-dix tonnes de blé en réserve.

Elle avait choisi Jane Richards et Bathsheba Smith, deux dirigeantes expérimentées de la Société de secours, pour la soutenir comme conseillères, mais les exigences de son appel lui paraissaient malgré tout écrasantes. Sa fille, Zina Presendia, lui avait fait penser à une autre personne pour l’aider. Elle avait écrit : « Va voir tante Em. Elle a l’âme d’un général. »

Zina Presendia faisait allusion à Emmeline Wells, qui était secrétaire de la Société de secours. Dans ce rôle, elle était chargée de la communication, des transactions commerciales et de l’organisation des visites aux Sociétés de Secours de tout le territoire. Les tâches d’Emmeline, en tant que rédactrice du Woman’s Exponent, l’occupaient déjà extrêmement. Malgré tout, elle accepta de bon cœur de soutenir Zina dans ses nouvelles responsabilités.

Elle écrivit dans son journal : « Je vais évidemment avoir encore plus de travail à l’avenir. Les responsabilités pleuvent dru sur les femmes de Sion. »

Zina et Emmeline tenaient à ce que les femmes aient le droit de voter, un droit que la loi Edmunds-Tucker leur avait confisqué. L’hiver 1889, elles s’entretinrent avec Wilford Woodruff et d’autres dirigeants de l’Église au sujet de la formation d’une association pour le suffrage féminin en Utah. Wilford et les autres membres du Collège des Douze approuvèrent entièrement.

Bientôt, des réunions du suffrage féminin suivirent les réunions habituelles de la Société de secours dans les paroisses de tout l’Utah et de l’Idaho. Emmeline publiait souvent des comptes rendus de ces réunions dans le Woman’s Exponent. Entre-temps, Zina appelait le gouvernement des États-Unis à rendre aux femmes d’Utah le « droit de vote donné par Dieu ». Elle dit : « Grâce à lui, nous serons en mesure de faire beaucoup de bien dans le monde. » Elle déclara également qu’elle s’engageait à collaborer avec les femmes extérieures à l’Église. Elle dit : « Nous voulons nous ouvrir aux femmes d’Amérique et dire que nous sommes de tout cœur avec elles dans cette grande lutte. »

Comme la Société de secours grandissait, Zina s’inquiéta de l’éclatement des pieux par rapport aux dirigeantes générales de la Société de secours et les unes par rapport aux autres. La solution qu’elle proposa était d’inviter à une conférence les Sociétés de Secours des pieux extérieurs à Salt Lake City. La Société d’Amélioration Mutuelle des Jeunes Gens avait organisé avec succès des rencontres de ce genre.

La première conférence générale de la Société de secours fut programmée pour le 6 avril 1889, pour coïncider avec la conférence générale. Ce soir-là, Zina se leva dans l’Assembly Hall de Temple Square devant des femmes venues de nombreuses nations pour se rassembler en Sion. Pendant les quarante années écoulées, plus de quatre-vingt mille saints des derniers jours avaient traversé les mers pour émigrer en Amérique. La plupart arrivaient du Royaume-Uni, mais beaucoup d’autres venaient de Scandinavie et des régions germanophones d’Europe. D’autres encore étaient venus de Nouvelle-Zélande, d’Australie et d’autres îles du Pacifique.

Zina encouragea les diverses assemblées à aller aux réunions des unes des autres et à faire connaissance. Elle promit : « Cela favorisera l’unité et l’harmonie, encouragera la confiance et fortifiera les liens qui nous unissent, car il y a plus de différences dans notre manière de nous exprimer que dans les motivations de notre cœur. »

Elle dit : « Sœurs, restons soudées et défendons le bien. Ne doutez pas de la bonté de Dieu ni de la véracité de l’œuvre dans laquelle nous sommes engagées. »

Le premier vendredi d’avril 1889, Wilford Woodruff réunit les apôtres. Cela faisait presque deux ans que John Taylor était décédé et Wilford avait attendu patiemment que le collège trouve l’unité. Il avait dirigé, comme les révélations le commandaient, avec gentillesse et douceur, avec longanimité et amour sincère. Maintenant, à la veille de la conférence générale d’avril, il estimait que le moment était venu de réorganiser la Première Présidence.

Au cours des mois précédents, les apôtres étaient peu à peu convenus que la formation de la Première Présidence était dans l’intérêt de l’Église et que Wilford était le choix du Seigneur pour les diriger, quels que fussent les conseillers qu’il choisirait. Wilford avait même écrit à Francis Lyman en prison et reçu son soutien.

Les apôtres acceptèrent à l’unanimité de former une nouvelle Première Présidence. Wilford nomma George Q. Cannon et Joseph F. Smith comme premier et deuxième conseillers.

George dit : « Je ne peux accepter ce poste qu’en sachant qu’il m’est confié par la volonté du Seigneur et avec l’approbation pleine et entière de mes frères. »

Wilford assura : « J’ai prié à ce sujet et je sais que c’est la volonté du Seigneur. »

En dépit de questions sur George restées en suspens, Moses Thatcher vota favorablement. Il dit : « Lorsque je voterai pour lui, je le ferai librement et j’essaierai de le soutenir de toutes mes forces. » Heber Grant manifesta également son soutien pour le choix du président Woodruff en dépit de quelques réserves mineures.

Le reste des apôtres soutint la nouvelle présidence de tout cœur et Wilford fut heureux que le collège fût enfin uni. Il dit : « Je n’ai jamais vu un moment où l’Église avait autant besoin du service des Douze qu’aujourd’hui. »

Le dimanche, des milliers de saints entrèrent les uns après les autres dans le tabernacle pour la session du dimanche après-midi de la conférence générale. Lors de cette assemblée solennelle, les membres de l’Église eurent l’occasion de soutenir leur nouvelle Première Présidence. À la lecture du nom de Wilford et de ses conseillers, un océan de mains se leva pour les soutenir.

Plus tard dans la réunion, Wilford dit aux saints : « Je désire vivement qu’en tant que peuple nous soyons unis de cœur, que nous ayons foi aux révélations de Dieu et que nous attendions ces choses qui nous ont été promises. » Il rendit ensuite témoignage de Jésus-Christ.

Il dit : « Doux et humble de cœur, il œuvra fidèlement pendant qu’il demeurait dans la chair pour exécuter la volonté de son Père. Retracez l’histoire de Jésus-Christ, le Sauveur du monde, de la crèche à la croix, en passant par la souffrance mêlée de sang jusqu’au trône de grâce, et voilà un exemple pour les anciens d’Israël, un exemple pour toutes les personnes qui suivent le Seigneur Jésus-Christ. »


CHAPITRE 38  : Quand et comme je le jugerai bon

Début 1889, Joseph Dean avait du mal à trouver des personnes à instruire aux Samoa. Peu après que sa femme Florence et lui étaient arrivés sur l’île d’Aunu‘u l’été précédent, l’œuvre avait progressé rapidement et l’île avait compté suffisamment de saints pour former une branche avec une École du dimanche et une Société de secours. De nouveaux missionnaires avaient également été envoyés de Salt Lake City pour aider les Dean et les saints samoans.

Cependant, les Samoa étaient au cœur d’une guerre civile et de dangereuses batailles éclataient dans toutes les îles dont les factions se disputaient le contrôle. Pour ne rien arranger, le roi était contre l’Église. Le bruit courait qu’il avait rendu le baptême illégal et que quiconque se faisait baptiser serait jeté en prison. Maintenant, de moins en moins de personnes demandaient le baptême.

En dépit de ces difficultés, les saints samoans bâtirent une église, couvrant le toit de feuilles de cocotier et le sol de galets blancs et de coquillages. Chaque vendredi, Florence Dean et Louisa Lee, une autre femme en mission avec son mari, se réunissaient avec la Société de secours. Pendant ce temps, les frères achetèrent un petit voilier afin de pouvoir prêcher l’Évangile sur d’autres îles des Samoa. Ils nommèrent le nouveau bateau Faa‘aliga, ce qui veut dire « révélation » en samoan.

Fin 1888, Joseph, Florence, leur jeune fils et plusieurs missionnaires déménagèrent d’Aunu‘u pour Tutuila, une île voisine plus grande. L’île comptait cependant peu d’habitants et la plupart de ses hommes étaient partis à la guerre. Peu de gens s’intéressaient à l’Évangile et Joseph trouva vite que les autres missionnaires et lui ne faisaient plus de progrès. Il décida de se rendre sur l’île d’Upolu et de visiter Apia, une ville au cœur du gouvernement et du commerce samoans.

Sur Upolu, il avait l’intention de prendre contact avec le consulat américain et de discuter des prétendues menaces contre les saints. Il voulait aussi trouver un homme appelé Ifopo, qui avait été baptisé vingt-cinq ans auparavant par Kimo Belio, un missionnaire hawaïen. Ifopo avait déjà envoyé deux lettres à Joseph et il était impatient de rencontrer des missionnaires qui aideraient à établir l’Église sur son île.

Le soir du 11 mars, Joseph et ses deux collègues, Edward Wood et Adelbert Beesley, firent voile pour Upolu, un voyage de plus de cent kilomètres. Ils comprenaient le danger que représentaient trois marins inexpérimentés dans un petit bateau sur des eaux potentiellement agitées. Joseph avait pourtant le sentiment que le Seigneur voulait qu’ils entreprennent le voyage.

Après une nuit de navigation difficile, les missionnaires arrivèrent en vue d’Upolu, mais en s’approchant du rivage, ils furent surpris par un violent coup de vent. Le bateau chavira et se remplit immédiatement d’eau. Les hommes tentèrent de se tenir aux rames, aux caisses et aux malles qui dansaient à côté d’eux sur les vagues. Lorsqu’ils aperçurent une autre embarcation à quatre cents mètres, ils crièrent et sifflèrent jusqu’à ce qu’enfin elle fasse demi-tour.

Les Samoans qui arrivèrent à la rescousse des missionnaires passèrent plus d’une heure à redresser leur bateau, à plonger sous les vagues pour récupérer ses voiles et son ancre et à aider les missionnaires à rassembler leurs affaires. Joseph était désolé de ne pas avoir d’argent à donner aux hommes pour leur service, mais ils acceptèrent gentiment une poignée de main et il demanda au Seigneur de les bénir.

Lorsque ses collègues et lui arrivèrent à Apia, ils étaient épuisés. Ils offrirent une prière de reconnaissance à Dieu pour les avoir protégés durant leur voyage. Les jours suivants, ils partirent à la recherche du consulat américain et d’Ifopo.

En Utah, Lorena Larsen, vingt-neuf ans, attendait son quatrième enfant. Son mari, Bent, venait de finir de purger une peine de six mois de prison pour cohabitation illégale. Étant femme plurale, sa grossesse prouvait que Bent avait de nouveau enfreint la loi. Pour la sécurité de sa famille, elle décida de se cacher.

D’abord, elle trouva refuge dans le service au temple de Manti. Le temple se trouvait à une centaine de kilomètres de Monroe (Utah), sa ville natale, et on avait demandé à sa paroisse de fournir des servants des ordonnances du temple. Elle s’installa à Manti et travailla quelque temps dans le temple, mais cela lui coûtait d’être séparée de ses enfants qui avaient été confiés aux soins de Bent et d’autres membres de la famille. Après avoir frôlé la fausse couche, elle fut honorablement relevée par Daniel Wells, le président du temple.

Lorena et Bent décidèrent ensuite de louer un logement pour elle et ses enfants dans la ville de Redmond, à mi-chemin entre Monroe et Manti. Comme il y avait des dénonciateurs partout, elle ne devait pas dévoiler son identité. Elle dit à ses enfants qu’elle s’appelait maintenant Hannah Thompson et que si leur père leur rendait visite, ils devaient l’appeler « Tonton Thompson ». Elle insista encore et encore sur l’importance de ne pas révéler leurs vrais noms.

Lorsque la famille arriva à Redmond, Lorena évita les lieux publics et passa la plus grande partie de son temps chez elle. Un après-midi, cependant, elle rejoignit un groupe de sœurs amicales de la Société de secours et elles lui dirent que lorsqu’elles avaient demandé à sa fille comment elle s’appelait, elle avait répondu : « Tonton Thompson ».

Les gentils saints de Redmond furent prompts à servir la famille de Lorena. Le dimanche de Pâques, elle trouva un seau d’œufs frais et une livre de beurre sur son seuil. Pourtant, sa maison de Monroe lui manquait. Enceinte et seule, elle avait du mal à s’occuper chaque jour de trois enfants dans une ville étrangère.

Puis, une nuit, elle fit un rêve. Elle vit sa pelouse à Monroe couverte de broussailles et de plantes grimpantes. Peinée de voir sa maison à l’abandon, elle se mit immédiatement à arracher les mauvaises herbes de son jardin. En commençant à tirer sur des racines profondes, elle se trouva tout à coup près d’un bel arbre, chargé des plus beaux fruits qu’elle avait jamais vus. Elle entendit une voix dire : « L’arbre souterrain porte aussi d’excellents fruits. »

Dans le rêve, elle fut aussitôt entourée de ses êtres chers. Ses enfants, maintenant adultes, venaient vers elle portant des plats, des saladiers et de petits paniers. Ensemble, ils remplissaient les récipients de fruits délicieux et les distribuaient à la foule, Lorena constata que parmi la foule se trouvaient certains de ses descendants.

Elle se réveilla le cœur rempli de joie et de reconnaissance.

Peu après leur arrivée à Apia, Joseph Dean et ses collègues rencontrèrent le vice-consul américain aux Samoa, William Blacklock, et demandèrent si les rumeurs au sujet de l’emprisonnement des saints des derniers jours samoans étaient vraies. Le vice-consul leur assura que ce n’était rien d’autre qu’un boniment. Un traité entre les factions en guerre sur les îles permettait aux gens de pratiquer comme bon leur semblait.

La menace de conflit planait quand même toujours au-dessus des îles. Sept navires de guerre étaient ancrés dans le port d’Apia : trois venant d’Allemagne, trois des États-Unis et un de Grande-Bretagne. Chaque nation était déterminée à défendre ses intérêts dans le Pacifique.

Impatients de trouver Ifopo, les missionnaires avaient la ferme intention de se rendre en bateau jusqu’à son village, Salea‘aumua, à l’extrémité orientale de l’île, lorsqu’une tempête s’abattit sur Apia. Des vents hurlants et des déferlantes firent fuir Joseph et ses collègues vers un abri. S’étant réfugiés dans le fenil d’une grange appartenant à un commerçant local, les missionnaires sentirent le bâtiment branlant secoué par la tempête grandissante et ils craignirent qu’il ne s’écroule.

Les vents se renforcèrent et les missionnaires, debout à une fenêtre, regardèrent avec horreur le cyclone frapper les énormes navires de guerre dans le port. Des vagues colossales s’écrasèrent sur le pont de l’un d’eux, balayant des hommes à la mer. Certains marins sur un autre bateau se ruèrent en haut des mâts et du gréement, s’accrochant comme des araignées aux cordages pendant que d’autres sautaient dans l’océan bouillonnant pour essayer de nager vers la sécurité. Les navires avaient beau n’être qu’à cent mètres du rivage, on ne pouvait rien faire pour aider les hommes. Tout ce que Joseph pouvait faire était d’implorer la miséricorde de Dieu.

Suite à la tempête, des débris jonchaient la plage et environ deux cents personnes avaient péri. Les missionnaires étaient réticents à l’idée de reprendre la mer. Pendant la saison des cyclones, un autre pouvait arriver sans crier gare. Néanmoins, faisant taire leurs appréhensions, ils firent voile vers Salea‘aumua pour trouver Ifopo.

Lorsqu’ils arrivèrent, un groupe de Samoans vint les accueillir à la rame et l’un des hommes se présenta comme étant Ifopo. Pendant vingt ans, il était resté fidèle à son témoignage de l’Évangile rétabli sans savoir si de nouveaux missionnaires viendraient un jour sur son île. Joseph et ses collègues étaient maintenant arrivés et il était temps de célébrer l’événement. Ils firent la connaissance de Matalita, sa femme, et se régalèrent de porc rôti et de fruits.

Les jours suivants, ils rencontrèrent les amis et les voisins d’Ifopo. Lors d’une réunion, une centaine de personnes se rassembla pour entendre Joseph parler et l’Esprit fut puissant. Elles étaient sincères dans leur questionnement et étaient impatientes d’en apprendre davantage sur l’Évangile.

Un après-midi, Ifopo et les missionnaires allèrent à pied jusqu’à un cours d’eau voisin. Ifopo s’était déjà fait baptiser, mais de nombreuses années s’étaient écoulées depuis et il demanda à l’être de nouveau. Joseph entra dans l’eau avec son nouvel ami et l’immergea. Ifopo s’agenouilla ensuite sur la berge et les missionnaires le confirmèrent membre de l’Église.

Quelques jours plus tard, le vent changea de direction, permettant à Joseph et à ses collègues de rebrousser chemin jusqu’à Tutuila. Ifopo les raccompagna jusque derrière le récif pour leur indiquer le chemin. Lorsque le moment de dire au revoir arriva, il appuya son nez sur celui de chaque missionnaire tour à tour et les salua d’un baiser samoan.

Au printemps de 1889, Bent, le mari de Lorena Larsen, décida d’échapper aux marshals fédéraux en s’enfuyant vers la sécurité relative du Colorado, un état voisin où la loi Edmunds-Tucker ne s’appliquait pas. Sa première femme, Julia, resterait à Monroe avec le reste de sa famille, mais il voulait que Lorena et ses enfants restent en Utah avec son frère jusqu’à ce qu’il soit suffisamment bien installé au Colorado pour les faire venir.

Lorena n’aimait pas ce plan. Elle rappela à Bent que son frère était pauvre et que sa belle-sœur se remettait tout juste de la typhoïde. Ils n’étaient pas en mesure de les aider, ses enfants et elle. De plus, elle était dans les derniers mois de sa grossesse et voulait son mari à ses côtés.

Bent accepta et ses enfants et elle firent bientôt la route avec lui jusqu’au Colorado. Le périple de plus de huit cents kilomètres leur fit traverser des déserts et franchir des montagnes. C’étaient des terres sauvages et les hommes qu’ils rencontraient en chemin avaient souvent l’air dangereux. À un endroit de la piste, la seule eau disponible était contenue dans les creux du flanc rocailleux de la montagne. Bent partit en chercher pendant que Lorena conduisait lentement le chariot à travers le canyon, l’appelant régulièrement par son nom afin de s’assurer de ne pas le perdre dans l’obscurité.

Elle fut reconnaissante lorsque sa famille arriva enfin à Sanford, Colorado, et se joignit à une petite communauté de saints. Lorsque les premières contractions se firent sentir, elle était encore affaiblie par le voyage. Son accouchement fut tellement pénible que certaines personnes pensèrent qu’elle allait mourir. Enoch naquit le 22 août et la sage-femme déclara que c’était le plus gros bébé qu’elle avait mis au monde en vingt-six ans.

En attendant, les lois et les pratiques conçues pour faire du tort à l’Église continuaient de peser sur des familles telles que celle des Larsen. Même les saints qui ne pratiquaient pas le mariage plural étaient affectés.

En Idaho, la législation territoriale avait passé une loi exigeant que les futurs électeurs jurent qu’ils n’appartenaient pas à une église qui enseignait ou encourageait la polygamie. Que les électeurs pratiquent le principe ou pas n’avait aucune importance. Cette disposition empêchait efficacement tous les saints d’Idaho, soit presque un quart de la population, de voter ou de se faire élire. Les immigrants saints des derniers jours étaient également traités différemment des autres par les autorités gouvernementales et par les juges qui refusaient de leur permettre de devenir citoyens des États-Unis.

Des cas remettant en question la légalité de ces mesures circulaient dans le système judiciaire des États-Unis, mais l’opinion publique était contre l’Église et les jugements en sa faveur étaient rares. Les avocats de l’Église avaient contesté la légalité de la loi Edmunds-Tucker peu après qu’elle avait été votée par le Congrès et les saints espéraient voir la Cour suprême l’invalider. La Cour avait récemment commencé à entendre l’affaire, mais n’avait pas encore rendu sa décision, laissant les saints dans le suspense.

Même dans une ville aussi isolée que Sanford, Lorena savait que sa famille et l’Église seraient éparpillées et inquiétées tant que le gouvernement continuerait de priver les saints de leurs droits religieux.

Pendant que les Larsen et d’autres membres de l’Église se cachaient pour protéger leur famille et pratiquer leur religion, la Première Présidence cherchait de nouvelles manières de protéger la liberté religieuse des saints. Déterminé à gagner des alliés à Washington et à enfin obtenir le statut d’État pour l’Utah, Wilford Woodruff avait commencé à encourager les éditeurs de journaux saints des derniers jours à cesser d’attaquer le gouvernement dans leurs publications. Il exhorta les dirigeants de l’Église à ne plus parler du mariage plural en public pour ne pas provoquer les détracteurs de l’Église dans le gouvernement. Il avait aussi demandé au président du temple de Logan de ne plus célébrer de mariages pluraux dans la maison du Seigneur.

Avec ces nouvelles règles, de moins en moins de saints contractèrent de nouveaux mariages pluraux. Pourtant, certains espéraient encore suivre le principe tel qu’il avait été précédemment enseigné. Habituellement, on les encourageait à se rendre au Mexique ou au Canada où, hors de portée du gouvernement des États-Unis, les dirigeants de l’Église mariaient discrètement les couples. Néanmoins, occasionnellement, des mariages pluraux étaient encore célébrés sur le territoire de l’Utah.

En septembre 1889, pendant qu’ils rendaient visite les saints au nord de Salt Lake City, Wilford Woodruff et George Q. Cannon rencontrèrent un président de pieu qui demanda s’il devait donner une recommandation à l’usage du temple aux saints qui voulaient contracter un mariage plural.

Wilford ne répondit pas immédiatement à la question. Au lieu de cela, il lui rappela qu’un jour, on avait demandé aux saints de bâtir un temple dans le comté de Jackson (Missouri), mais qu’ils avaient été obligés d’abandonner le projet lorsque l’opposition était devenue trop forte. Le Seigneur avait malgré tout accepté leur offrande et les conséquences du fait que le temple n’ait pas été construit étaient retombées sur les personnes qui l’avaient empêchée.

Wilford dit : « Ainsi en est-il avec cette nation et les conséquences retomberont sur les personnes qui prennent ces mesures pour nous empêcher d’obéir à ce commandement. »

Il répondit ensuite directement à la question du président de pieu : « Il n’est pas convenable que de tels mariages soient contractés sur ce territoire [Utah] en ce moment. » Puis, indiquant George, il ajouta : « Voici le président Cannon. Il peut donner son avis. »

George fut abasourdi. Il n’avait jamais entendu Wilford parler aussi directement du sujet et il n’était pas sûr d’être d’accord avec lui. L’Église devrait-elle cesser de célébrer des mariages pluraux sur le territoire d’Utah ? Personnellement, il n’était pas aussi prêt que Wilford à répondre à cette question. Il ne répliqua donc rien et laissa la conversation dévier sur d’autres sujets.

Plus tard, pendant que George enregistrait la conversation dans son journal, il continua de s’interroger sur ce que Wilford avait dit. Il écrivit : « Selon moi, c’est une question extrêmement grave et, à ma connaissance, c’est la première fois que quelque chose de ce genre a été prononcé par quelqu’un détenant les clés. »

Au milieu des interrogations grandissantes sur l’avenir de l’Église, Susa Gates publia le premier numéro du Young Woman’s Journal en octobre 1889.

Jacob et elle étaient rentrés en Utah plus tôt cette année-là et elle avait commencé à faire la publicité du magazine. En juin, sa sœur, Maria Dougall, conseillère dans la présidence générale de la Société d’Amélioration Mutuelle des Jeunes Filles, avait encouragé les jeunes filles de Salt Lake City à soutenir le nouveau magazine et à y participer. Quelques mois plus tard, plusieurs journaux imprimaient l’annonce de sa publication imminente.

Susa avait aussi invité plusieurs auteurs saints des derniers jours à envoyer au journal leurs poèmes et leur prose. Pendant des années, les saints ayant des talents littéraires avaient parfait leurs compétences en rédaction dans des journaux et magazines parrainés par l’Église tels que le Woman’s Exponent, le Juvenile Instructor et le Contributor. En Europe, des saints avaient aussi fourni des articles au Millennial Star de la mission britannique, au Skandinaviens Stjerne et au Nordstjarnan de la mission scandinave, et à Der Stern de la mission suisse-allemande.

Les saints qualifiaient parfois ce genre de rédaction de « littérature domestique », un terme qui faisait penser à la notion de « fabrications domestiques » de Brigham Young ou de productions locales telles que le sucre, le fer et la soie. Dans un discours prononcé en 1888, l’évêque Orson Whitney avait encouragé les jeunes de l’Église à produire davantage de littérature domestique pour mettre en relief les plus grands talents littéraires des saints et témoigner de l’Évangile de Jésus-Christ.

Il les avait exhortés ainsi : « Écrivez pour les journaux, écrivez pour les magazines, surtout pour nos publications. Produisez des livres qui seront non seulement un honneur pour vous et pour le pays et le peuple d’où vous êtes sortis, mais aussi un bienfait pour l’humanité. »

Dans le premier numéro du Young Woman’s Journal, Susa publia les travaux de certains des auteurs les plus connus dans l’Église, notamment Josephine Spencer, Ruby Lamont, Lula Greene Richards, M. A. Y. Greenhalgh et les sœurs Lu Dalton et Ellen Jakeman. Elle y ajouta certains de ses écrits, une lettre de la présidence générale de la S.A.M.J.F. et une colonne sur la santé et l’hygiène rédigée par Romania Pratt.

Dans le premier éditorial du journal, elle exprima son souhait que le magazine propose bientôt des articles rédigés par des jeunes filles de toute l’Église. Elle écrivit : « Rappelez-vous, mesdemoiselles, que c’est votre magazine. Que son utilité s’étende du Canada au Mexique, de Londres aux îles Sandwich. »

Plus tard cet automne-là, un juge fédéral en Utah refusa la citoyenneté américaine à plusieurs immigrants européens parce qu’ils étaient saints des derniers jours et de ce fait, dans l’esprit du juge, déloyaux envers les États-Unis. Pendant les audiences, des membres apostats de l’Église affirmèrent que les saints prêtaient des serments hostiles au gouvernement dans leurs temples. Des procureurs de district citèrent également des discours d’une époque où les dirigeants de l’Église avaient parlé énergiquement contre les autorités corrompues du gouvernement et les gens qui avaient quitté l’Église. Ces sermons, ainsi que d’autres enseignements de l’Église sur les derniers jours et le royaume de Dieu, furent interprétés comme autant de preuves que les saints méprisaient l’autorité du gouvernement.

Wilford et les autres dirigeants de l’Église savaient qu’ils devaient répondre à ces affirmations, mais il était difficile de répondre à ce qui se disait à propos des ordonnances du temple dont les saints avaient fait la promesse solennelle de ne pas discuter.

Fin novembre, Wilford se réunit avec des avocats qui conseillèrent aux dirigeants de l’Église de fournir à la Cour davantage de renseignements sur le temple. Ils conseillèrent également de faire une annonce officielle disant que l’Église ne célébrerait plus de mariages pluraux. Wilford ne savait pas comment répondre à la demande des avocats. Ces actions étaient-elles véritablement nécessaires, juste pour apaiser les ennemis de l’Église ? Il avait besoin de temps pour rechercher la volonté de Dieu.

La nuit était tombée lorsque les avocats le laissèrent seul. Pendant des heures, il médita et pria pour être guidé. Les saints et lui étaient venus dans la vallée du lac Salé en 1847 en quête d’une nouvelle occasion d’établir Sion et de rassembler les enfants de Dieu dans la paix et la sécurité de ses frontières. Maintenant, plus de quarante ans plus tard, les adversaires de l’Église déchiraient les familles, dépouillaient les femmes et les hommes de leur droit de vote, créaient des obstacles à l’immigration et au rassemblement en privant les gens du droit de citoyenneté simplement parce qu’ils appartenaient à l’Église.

Sous peu, les saints risquaient de perdre encore plus, y compris les temples. Qu’adviendrait-il alors du salut et de l’exaltation des enfants de Dieu des deux côtés du voile ?

Pendant qu’il priait, le Seigneur lui répondit. Il dit : « Moi, Jésus-Christ, le Sauveur du monde, je suis au milieu de vous. Tout ce que j’ai révélé, promis et décrété concernant la génération dans laquelle vous vivez arrivera et aucun pouvoir n’arrêtera ma main. »

Le Sauveur ne dit pas exactement à Wilford quoi faire, mais il promit que tout irait bien si les saints suivaient l’Esprit.

Le Sauveur dit : « Ayez foi en Dieu. Il ne vous abandonnera pas. Moi, le Seigneur, je délivrerai mes saints de la domination des méchants en mon temps et à ma façon. »


CHAPITRE 39 : Entre les mains de Dieu

Le 14 décembre 1889, Anthon Lund, apôtre récemment appelé, reçut un télégramme de la Première Présidence chez lui à Ephraim (Utah). Troublée par les récents cas de saints nés à l’étranger à qui l’on refusait la citoyenneté américaine, la présidence voulait répondre à l’accusation selon laquelle il était impossible que les saints soient des citoyens loyaux. Les dirigeants de l’Église avaient esquissé une déclaration niant cela et d’autres fausses allégations et voulaient y apposer le nom d’Anthon en sa qualité de membre du Collège des Douze.

Anthon avait défendu l’Église contre les fausses informations depuis son enfance. Après qu’il fut devenu membre lorsqu’il était enfant dans son Danemark natal, ses camarades de classe l’avaient battu à cause de ses convictions. Au lieu de réagir avec colère, il avait fait preuve de patience et de gentillesse à leur égard et avait fini par gagner leur amitié et leur respect. À l’âge de dix-huit ans, il avait quitté le Danemark pour rejoindre les saints en Utah et au fil des décennies suivantes, sa femme, Sanie, leurs six enfants et lui avaient beaucoup sacrifié pour édifier le royaume de Dieu.

Anthon répondit immédiatement au télégramme de la Première Présidence, prêtant son nom à leur déclaration. Bien qu’il eût occupé de nombreux postes à responsabilités dans l’Église, notamment en faisant partie de la présidence du temple de Manti, c’était la première fois que son nom allait être présenté au monde entier en tant que celui d’apôtre de Jésus-Christ.

Contrairement aux autres membres du Collège des Douze, il n’avait jamais pratiqué le mariage plural. Il était aussi le premier apôtre moderne dont la langue maternelle n’était pas l’anglais. Wilford Woodruff était sûr que ces différences seraient des atouts dans le collège et il savait que l’appel d’Anthon représentait la volonté de Dieu. Sa douceur et sa connaissance de plusieurs langues pourraient aider à diriger l’Église dans le siècle à venir.

Lorsque Anthon fut appelé au sein des Douze, Wilford demanda à George Q. Cannon de lui confier une mission apostolique pour le préparer à ses nouvelles responsabilités. Il lui dit : « Il faudra le travail de toute ta vie pour remplir convenablement cet appel. Tu ressentiras, comme tu ne l’as probablement jamais ressenti, le besoin de vivre près de Dieu, d’invoquer son pouvoir et d’avoir sa protection par ses anges autour de toi. »

Grâce à cette mission, Anthon apprit qu’il avait le droit, en tant qu’apôtre, de découvrir la volonté de Dieu. Il devrait rester loyal envers les révélations qu’il recevrait, même lorsqu’elles semblaient contraires à son bon sens. George lui avait rappelé qu’il ne serait jamais trop humble. Il devrait exprimer librement son opinion tout en écoutant humblement le prophète du Seigneur. George avait dit : « Nous devons être disposés à regarder l’Esprit de Dieu agir sur cet homme que Dieu a choisi. »

Le jour où Anthon répondit au télégramme, la Première Présidence et le Collège des Douze publièrent leur déclaration dans le Deseret News. En termes clairs, ils proclamaient que l’Église détestait la violence et avait l’intention de vivre en paix avec le gouvernement des États-Unis en dépit des épreuves que ses membres avaient endurées sous les lois anti-polygamie de la nation.

La déclaration affirmait : « Nous ne réclamons aucune liberté religieuse que nous ne sommes pas disposés à accorder aux autres. Nous désirons être en accord avec le gouvernement et le peuple des États-Unis en tant que partie intégrante de la nation. »

Cet hiver-là, pendant que les dirigeants de l’Église cherchaient à faire comprendre leurs convictions à la nation, Jane Manning James écrivait à Joseph F. Smith pour demander des précisions la concernant. Elle avait maintenant plus de soixante ans et s’inquiétait de ce que la vie suivante lui réservait. La plupart des saints en Utah avaient reçu les ordonnances du temple qui les scellaient à leurs êtres chers dans cette vie et la suivante, mais Jane comprenait qu’elle, sainte des derniers jours noire, n’était pas autorisée à participer à ces ordonnances supérieures.

Tout de même, elle savait que Dieu avait promis de bénir toutes les nations de la terre par l’intermédiaire d’Abraham. Elle se disait que cette promesse devait certainement s’appliquer à elle.

Ce qui ajoutait à son inquiétude pour la vie future, c’était l’état actuel de sa famille. Au printemps 1870, son mari, Isaac et elle avaient divorcé. Vers 1874, elle avait épousé Frank Perkins, un autre saint des derniers jours noir, mais leur mariage n’avait pas duré. Au cours de ces années, la maladie avait emporté trois de ses enfants et plusieurs petits-enfants. Quatre de ses enfants étaient encore en vie, mais aucun n’était aussi dévoué qu’elle envers l’Église.

Seraient-ils avec elle dans la vie suivante ? Sinon, y avait-il un endroit et une famille pour elle là-bas ?

Jeune femme, elle avait vécu et travaillé chez Joseph et Emma Smith à Nauvoo. À cette époque-là, Emma avait proposé de l’adopter comme leur fille, mais Jane n’avait jamais donné de réponse directe avant le décès de Joseph. Elle comprenait maintenant que les saints pouvaient être adoptés dans des familles grâce à un scellement spécial au temple. Elle croyait qu’Emma l’avait de cette façon invitée à se joindre à la leur.

Début 1883, Jane avait rendu visite au président Taylor pour demander la permission de recevoir sa dotation. Ils en avaient parlé ensemble, mais il ne pensait pas que le moment fût déjà venu pour les saints noirs de recevoir les ordonnances supérieures du temple. Il avait examiné la question plusieurs années auparavant lorsqu’un autre saint noir, Elijah Able, avait demandé à recevoir ses ordonnances du temple. Les recherches du président Taylor confirmaient bien qu’Able avait reçu la Prêtrise de Melchisédek dans les années 1830 ; néanmoins, les autres dirigeants de l’Église et lui décidèrent de décliner la demande à cause de sa race.

Près de deux ans après avoir parlé au président Taylor, Jane l’avait de nouveau imploré par courrier. À l’époque, elle avait écrit : « Je suis consciente de ma race et de ma couleur et je ne peux m’attendre à recevoir ma dotation. » Elle avait fait remarquer que Dieu avait cependant promis de bénir toute la postérité d’Abraham. Elle demanda : « Puisque ceci est la plénitude de toutes les dispensations, n’y a-t-il aucune bénédiction pour moi ? Vous connaissez mon histoire. J’ai fait de mon mieux pour respecter toutes les lois de l’Évangile. » Elle rapporta alors l’invitation d’Emma et exprima son désir d’être adoptée dans la famille de Joseph Smith. Elle fit la remarque suivante : « Si je pouvais être adoptée en tant qu’enfant, mon âme serait satisfaite. »

Peu après que Jane avait envoyé sa lettre, le président Taylor avait quitté Salt Lake City pour visiter les colonies du Sud et du Mexique et il ne lui avait jamais répondu avant de décéder. Quatre ans plus tard, le président de pieu de Jane lui avait signé une recommandation pour accomplir des baptêmes pour les morts au temple. Il avait écrit : « Vous devez vous contenter de ce privilège en attendant de nouvelles instructions du Seigneur à ses serviteurs. » Peu après, elle s’était rendue au temple de Logan et s’était fait baptiser en faveur de sa mère, de sa grand-mère, de sa fille et d’autres parents décédés.

Maintenant, dans sa lettre à Joseph F. Smith, elle redemandait la possibilité de recevoir les ordonnances du temple, y compris l’adoption dans la famille Smith. Elle demanda : « Est-ce que cela peut se faire et quand ? »

Ne recevant aucune réponse à sa lettre, elle écrivit de nouveau en avril. Encore une fois, elle ne reçut aucune réponse. Jane continua d’avoir foi en l’Évangile rétabli et aux prophètes, priant pour recevoir le salut dans le royaume du Seigneur. Un jour, elle avait dit à sa Société de secours : « Je sais que c’est l’œuvre de Dieu. À aucun moment je n’ai eu envie de faire marche arrière. »

Elle faisait également confiance aux promesses qu’elle avait récemment reçues dans sa bénédiction patriarcale prononcée par John Smith, le frère aîné de Joseph F. Smith.

La bénédiction assurait : « Tiens tes alliances pour sacrées, car le Seigneur a entendu tes prières. Sa main a été au-dessus de toi pour le bien et, en vérité, tu recevras ta récompense.

Tu achèveras ta mission et recevras ton héritage parmi les saints. Ton nom passera à postérité et sera tenu honorablement en mémoire. »

Par un après-midi boueux de la fin du mois d’avril 1890, Emily Grant alla rendre visite à son amie Josephine Smith. Les deux femmes habitaient à Manassa, une petite ville du Colorado située à plusieurs kilomètres au sud de Sanford, où vivaient Lorena et Bent Larsen. Loin des grandes colonies de saints en Utah, Manassa était devenu un refuge pour les « veuves polygames » ou les femmes plurales clandestines. Emily s’y sentait seule, mais elle s’efforçait de s’établir dans cette ville balayée par le vent pour sa fille de quatre ans, Dessie, et pour son bébé Grace.

Pendant le court trajet en calèche jusque chez Josephine, Dessie s’était agitée et avait pleuré, attristée que son « Tonton Eli » bien-aimé ne puisse se joindre à elles. Emily aussi était triste. « Tonton Eli » était le nom de code d’Emily pour l’apôtre Heber Grant, son mari et le père de Dessie et Grace. En tant que troisième épouse, elle employait ce nom dans ses lettres et devant les enfants afin de protéger l’identité de son mari.

Plus tôt dans la journée, il était rentré chez lui, à Salt Lake City, après avoir passé deux jours avec Emily et les filles. Emily espérait qu’une visite à Josephine lui remonterait le moral, mais dès leur arrivée, elle fondit en larmes. Josephine comprenait les sentiments de son amie. Elle-même était une épouse plurale de John Henry Smith, qui venait juste d’arriver en ville pour une courte visite.

Emily trouvait que les visites d’Heber n’étaient jamais assez longues. Ils avaient grandi ensemble dans la treizième paroisse de Salt Lake City et ils s’étaient mariés au printemps de 1884 après de longues fiançailles. En tant que femme plurale, Emily ne pouvait pas rendre son mariage public et elle avait souvent déménagé pendant les six années suivantes, passant du temps au sud de l’Idaho, en Angleterre et dans un appartement dissimulé dans la maison de sa mère à Salt Lake City.

Elle résidait maintenant à Manassa et espérait que ces longues séparations se termineraient un jour. Habituée à vivre en ville, elle était encore en train de s’adapter à la vie dans un village et avait parfois l’impression d’être à des milliers de kilomètres de la civilisation. Heber avait essayé de l’aider en lui fournissant un logement meublé, un attelage de chevaux, quelques vaches et poules, un employé et un abonnement au Salt Lake Herald. Rachel Grant, sa belle-mère, était aussi venue la rejoindre dans le village isolé.

Dans une lettre envoyée depuis Manassa, elle avait écrit à son mari : « J’ai maintenant ici tout ce que je veux. Sauf toi. »

Environ deux semaines après la visite d’Heber, Emily lui écrivit et lui parla d’une réunion à Manassa où deux dirigeants de l’Église avaient dit que les « veuves » de la ville risquaient de ne jamais pouvoir retourner en Utah. Elle rapporta : « Ils ont dit que la prochaine initiative du Congrès serait de confisquer les biens des dirigeants de l’Église et qu’alors nous serions très contentes d’être venues nous installer ici. »

Emily n’était pas convaincue de pouvoir un jour être heureuse dans ce village. Quelques mois plus tard, elle lui écrivit : « Je continue de prier pour arriver à me contenter de mon sort, mais je suis encore découragée et déprimée. N’oublie pas de prier pour moi, très cher, car sans l’aide de mon Père céleste, je ne supporterai pas cela beaucoup plus longtemps sans perdre la raison. »

Le dimanche 17 août, Wilford Woodruff et ses conseillers rendirent visite à la colonie. Entre-temps, la Cour suprême des États-Unis avait rendu sa décision sur la légalité de la loi Edmunds-Tucker. La Cour était divisée dans l’affaire, mais une faible majorité de juges avait voté en faveur de la loi en dépit des affirmations des saints qu’elle violait leur liberté religieuse. La décision donnait aux autorités gouvernementales toute latitude pour appliquer les sanctions de la loi, offrant la possibilité de saisir encore d’autres biens de l’Église.

Au cours d’une réunion avec les saints de Manassa, George Q. Cannon recommanda aux familles de faire preuve de prudence. Certains hommes du village vivaient avec plus d’une femme et ils risquaient d’attirer les problèmes et les persécutions sur toute la collectivité. La remarque mit certains hommes en colère et ils se présentèrent devant George le lendemain pour lui dire combien il était dur pour leurs familles de vivre séparés.

Avant le départ de Wilford et de ses conseillers, Emily les reçut, ainsi que d’autres amis, pour le petit-déjeuner. Ensuite, les autres femmes et elle raccompagnèrent les visiteurs à la gare. Le train était en retard, ce qui donna l’occasion à Emily de discuter un peu plus longtemps avec la Première Présidence. Lorsque le train arriva enfin, elle serra la main de chacun d’eux. Ils se dirent les uns aux autres : « Que Dieu vous bénisse. La paix soit avec vous. »

Emily aussi aspirait à quitter Manassa. Elle écrivit à Heber : « Ils sont partis et nous sommes retournées dans cet endroit désolé. »

Fin août, la Première Présidence rentra à Salt Lake City juste à temps pour célébrer le premier anniversaire de Iosepa, la première colonie de saints hawaïens en Utah. Le nom Iosepa était leur version du prénom Joseph.

Lorsque les Hawaïens avaient commencé à se joindre à l’Église en 1850, le royaume d’Hawaï avait empêché son peuple de quitter les îles, incitant les dirigeants de l’Église à fonder pour eux un lieu de rassemblement à Laie. Cependant, petit à petit, les lois s’étaient adoucies et, dans les années 1880, certains, désireux de recevoir les bénédictions du temple, avaient commencé à se rassembler dans le territoire d’Utah.

En 1889, la Première Présidence avait organisé un comité, qui comprenait trois hommes hawaïens, pour trouver un lieu convenable en Utah où les saints hawaïens pourraient installer des logements et des fermes. Après avoir évalué différents endroits, le groupe avait proposé plusieurs possibilités, notamment un ranch de huit cents hectares au sud-ouest de Salt Lake City. La Première Présidence avait examiné les trouvailles du comité et décida d’acheter le ranch pour la nouvelle colonie.

Tout au long de l’année suivante, les saints de Iosepa avaient travaillé dur pour construire des maisons, ensemencer les terres et s’occuper du bétail. Le premier hiver avait été rude, surtout comparé au climat tropical d’Hawaï, mais les colons avaient persévéré, espérant que le sol riche de Iosepa et les réserves d’eau provenant des montagnes voisines produisent une moisson estivale abondante.

Le jour de la fête était chaud et lumineux. En approchant de la colonie, les membres de la Première Présidence, chacun accompagné de l’une de ses femmes, trouvèrent un oasis de verdure au milieu d’un paysage désertique. Les pieds de maïs des champs environnants étaient hauts, avec de gros épis qui faisaient éclater leur enveloppe de feuilles, et le foin des champs moissonnés était rassemblé en grands tas jaunes.

Les saints hawaïens s’attroupèrent autour de leurs visiteurs, impatients de saluer leur prophète et ses conseillers, George Q. Cannon et Joseph F. Smith qui, jeunes hommes, avaient tous deux fait une mission à Hawaï. La soirée fut remplie de musique joyeuse tandis que les saints de Iosepa chantaient et jouaient de la guitare, de la mandoline et du violon.

La fête se poursuivit le lendemain par une parade puis par un festin de viande rôtie à la broche au déjeuner. Lorsque George bénit les aliments, il le fit en hawaïen. C’était la première fois depuis trente-six ans qu’il priait dans cette langue.

Plus tard dans la journée, tout le monde se rassembla pour une réunion spéciale. Solomona, un nonagénaire que George avait baptisé des décennies auparavant, offrit une prière d’ouverture fervente. Un saint, Kaelakai Honua, parla de la miséricorde de Dieu manifestée par le rassemblement des habitants des îles de la mer en Sion. Un autre, Kauleinamoku, se désola que certaines personnes aient quitté Iosepa pour retourner dans le Pacifique. Il exhorta les saints à être fidèles et à ne pas céder à l’esprit de mécontentement.

Dans tout Iosepa, les gens se réjouissaient ensemble et Wilford, George et Joseph étaient heureux de leur bonheur. George ne savait plus parler en hawaïen, mais il s’émerveilla d’avoir compris presque tout ce qui s’était dit pendant les festivités.

Quelques jours après son retour de Iosepa, la Première Présidence apprit que Henry Lawrence, le nouveau représentant fédéral désigné pour saisir les biens de l’Église conformément à la loi Edmunds-Tucker, menaçait maintenant de confisquer les temples de Logan, Manti et St George.

Ancien membre de l’Église, il était un adversaire acharné des saints depuis plus de deux décennies. Il avait appartenu au Nouveau mouvement de William Godbe et Elias Harrison et avait témoigné contre l’Église lors du récent procès empêchant les saints immigrants d’accéder à la citoyenneté.

Il savait que la loi Edmunds-Tucker protégeait les bâtiments utilisés « exclusivement dans le but d’adorer Dieu », mais il avait l’intention de montrer que les temples étaient utilisés à d’autres fins et pouvaient donc être saisis avec les autres propriétés.

Le 2 septembre, la Première Présidence apprit qu’il avait réussi à obtenir une assignation à comparaître, ordonnant à Wilford de témoigner devant le tribunal au sujet des biens de l’Église. Cherchant à éviter la comparution, la présidence se rendit en Californie pour consulter plusieurs hommes influents sensibles à la détresse des saints. Ces hommes ne laissèrent que peu d’espoir de voir le gouvernement des États-Unis ou le peuple américain changer d’avis sur l’Église tant que les saints continueraient de pratiquer le mariage plural.

Quelques semaines plus tard, Wilford et ses conseillers retournèrent en Utah et apprirent que la Commission d’Utah, un groupe d’autorités fédérales qui gérait les élections d’Utah et s’assurait que les saints respectaient les lois anti-polygamie, venait juste d’envoyer son rapport annuel au gouvernement fédéral. Cette année, le rapport prétendait à tort que les dirigeants de l’Église encourageaient et permettaient encore officiellement le mariage plural. Il affirmait aussi sans preuve que quarante et un mariages pluraux avaient été célébrés en Utah au cours de l’année écoulée.

Pour éradiquer une bonne fois pour toutes le mariage plural, la commission recommandait que le Congrès vote des lois encore plus sévères contre l’Église.

Le rapport rendit Wilford furieux. Bien qu’il n’eût pas fait de déclaration publique sur le statut du mariage plural dans l’Église, il avait déjà décidé qu’on ne devait plus en célébrer en Utah ni ailleurs aux États-Unis. De plus, contrairement aux affirmations du rapport, il avait beaucoup fait durant l’année écoulée pour décourager les nouveaux mariages pluraux.

Le 22 septembre, il se réunit avec ses conseillers dans la Gardo House, la résidence officielle du président de l’Église à Salt Lake City, pour discuter de la suite à donner au rapport. George Q. Cannon proposa la publication d’un démenti. Il dit : « C’est peut-être la meilleure occasion qui nous soit donnée de publier officiellement, en tant que dirigeants de l’Église, notre opinion concernant la doctrine et la loi qui a été décrétée. »

Plus tard, après les réunions de la journée, Wilford pria pour être guidé. Si l’Église ne cessait pas de célébrer des mariages pluraux, le gouvernement continuerait de voter des lois contre les saints dont la majorité ne pratiquait même pas le principe. Le chaos et la confusion régneraient en Sion. Davantage d’hommes iraient en prison et le gouvernement confisquerait les temples. Les saints avaient accompli des centaines de milliers d’ordonnances pour les morts depuis la consécration des nouveaux temples. Si le gouvernement saisissait ces bâtiments, combien d’enfants de Dieu, vivants et morts, seraient privés des ordonnances sacrées de l’Évangile ?

Le lendemain, Wilford dit à George qu’il croyait qu’il était de son devoir en tant que président de l’Église de publier un manifeste, ou une déclaration publique, à la presse. Il fit ensuite venir son secrétaire personnel dans une pièce privée pendant que George attendait à l’extérieur.

Entre-temps, l’apôtre Franklin Richards arriva à la Gardo House à la recherche du prophète. George lui dit qu’il était occupé et qu’on ne pouvait pas le déranger. Peu après, Wilford sortit de la pièce avec une déclaration qu’il venait tout juste de dicter. L’agitation qu’avait provoquée le rapport de la commission d’Utah était dissipée. Il avait le visage lumineux et l’air satisfait.

Il fit lire le document à haute voix. La déclaration niait que de nouveaux mariages pluraux aient eu lieu pendant l’année écoulée et affirmait la volonté de l’Église de collaborer avec le gouvernement. Elle déclarait : « Dans la mesure où la nation a adopté une loi interdisant le mariage plural, nous nous sentons tenus d’obéir à cette loi et de laisser les événements entre les mains de Dieu. »

George dit : « J’ai le sentiment que cela va faire du bien. » Il ne pensait pas que la déclaration fût prête à être publiée, mais les idées qu’elle contenait étaient justes.

Le lendemain, la Première Présidence demanda à trois écrivains talentueux : le secrétaire George Reynolds, le rédacteur Charles Penrose et le conseiller dans l’Épiscopat président, John Winder, de peaufiner le langage de la déclaration et de la préparer à la publication. Wilford présenta le document révisé aux apôtres Franklin Richards, Moses Thatcher et Marriner Merrill, et ils recommandèrent quelques révisions supplémentaires.

Une fois révisé, le Manifeste, comme il fut appelé, annonçait la fin des futurs mariages pluraux et soulignait la détermination de Wilford d’obéir aux lois du pays et de persuader les saints d’en faire autant.

On y lisait entre autres : « Nous n’enseignons pas la polygamie ni le mariage plural, et nous ne permettons à personne de se livrer à sa pratique. Je déclare par la présente mon intention de me soumettre à ces lois et d’user de mon influence auprès des membres de l’Église que je préside pour qu’ils fassent de même. »

Les apôtres présents approuvèrent le document et l’envoyèrent par télégramme à la presse.

George Q. Cannon nota ce jour-là dans son journal : « Toute cette affaire est du ressort du président Woodruff. Il a affirmé que le Seigneur lui a bien fait comprendre que c’était son devoir, et il était parfaitement clair dans son esprit que c’était la chose à faire. »

Wilford fit aussi allusion au Manifeste dans son journal. Il écrivit : « Je suis arrivé à un point dans l’histoire de ma vie, en qualité de président de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, où je me trouve dans la nécessité d’agir pour le salut temporel de l’Église. »

Il savait que le gouvernement avait pris une position ferme à l’encontre du mariage plural. Il avait donc prié pour recevoir l’inspiration de l’Esprit et le Seigneur avait révélé sa volonté pour les saints.


CHAPITRE 40 : La chose à faire

En se réveillant le matin du 26 septembre 1890, B. H. Roberts, l’un des sept présidents du premier conseil des soixante-dix, s’attendait à être presque arrivé chez lui.

Le train qu’il avait pris pour se rendre vers le nord était censé arriver à Salt Lake City à dix heures ce matin-là. Cependant, au lieu d’avoir roulé pendant la nuit, il s’était arrêté quelque part dans le désert couvert de broussailles du centre de l’Utah. Un train en direction du sud avait déraillé à quelques kilomètres de là et les rails étaient tordus tout autour de lui. B. H. et ses compagnons de voyage, quatre membres du Collège des Douze, étaient bloqués.

N’ayant rien d’autre à faire qu’attendre, B. H. et l’apôtre John W. Taylor décidèrent de marcher jusqu’à l’endroit de l’accident. À leur arrivée, ils virent que seuls les wagons de marchandises du train étaient renversés. Les voitures de passagers étaient toujours intactes et B. H. et John W. commencèrent à bavarder avec les passagers bloqués.

Dans l’un des wagons, John W. fit signe à B. H. et lui tendit un journal. B. H. le prit et lut les gros titres avec étonnement. Le président Woodruff avait publié une déclaration officielle affirmant qu’il avait l’intention de se soumettre aux lois du pays et de ne plus autoriser de nouveaux mariages pluraux.

Pendant un instant, B. H. sentit un éclair de lumière lui traverser le corps. Les mots « c’est bien » lui traversèrent l’esprit et s’adressèrent directement à son âme. Un sentiment de paix et de compréhension subsista brièvement. Mais ensuite, en y réfléchissant, son esprit analytique commença à s’agiter et les questions se bousculèrent dans sa tête.

Il pensa au temps qu’il avait passé en prison pour le mariage plural et aux sacrifices consentis par ses femmes à cause du principe. Qu’en était-il de tout ce que les saints avaient souffert pour honorer et défendre la pratique ? Qu’en était-il des nombreux sermons prononcés au fil des décennies pour la soutenir ? B. H. croyait que Dieu soutiendrait les saints dans toutes les difficultés qu’ils rencontreraient à cause de la pratique. Étaient-ils en train de céder par lâcheté ?

B. H. et John W. furent bientôt rejoints par les autres apôtres qui voyageaient avec eux. Abraham Cannon, fils de George Q. Cannon, ne sembla pas surpris par la nouvelle. Francis Lyman aussi resta imperturbable, expliquant que le président Woodruff avait déjà découragé les nouveaux mariages pluraux aux États-Unis. À son avis, le Manifeste ne faisait que rendre publique la position de l’Église sur le sujet. B. H. voyait pourtant bien que l’apôtre John Henry Smith était troublé, exactement comme John W. Taylor et lui-même.

Après avoir parlé aux passagers du train en route vers le sud, B. H. et les apôtres parcoururent une petite distance vers le nord de l’accident et prirent un nouveau train en direction de Salt Lake City. Pendant que le train roulait, le Manifeste était le principal sujet de conversation. B. H. sentait le désarroi grandir en lui et il finit par s’éloigner complètement des apôtres.

Tandis qu’il était assis seul, les pensées se bousculaient dans sa tête. Pour chaque raison que ses collègues donnaient de soutenir le Manifeste, il lui en venait dix pour lesquelles les saints auraient dû persister dans le principe du mariage plural, même si cela aboutissait à l’annihilation même de l’Église.

Quelques jours plus tard, le 30 septembre, Heber Grant discuta du Manifeste avec d’autres membres du Collège des Douze lors d’une réunion à la Gardo House. Il croyait que la publication de la déclaration était la chose à faire de la part de l’Église, mais il n’était pas sûr que cela mette un terme aux épreuves des saints.

La déclaration disait clairement que l’Église n’enseignerait plus la polygamie ou mariage plural et ne permettrait à personne de la pratiquer, mais certaines questions restaient sans réponse, aussi bien pour les saints que pour le gouvernement.

Lors des conversations, Heber entendit plusieurs apôtres dire que le Manifeste était une mesure temporaire, suspendant le mariage plural jusqu’à ce que les saints puissent le pratiquer légalement. Lorenzo Snow, le président du collège, croyait que c’était une étape nécessaire pour gagner la bienveillance des autres. Il dit : « Le Manifeste fera naître dans le cœur des honnêtes gens un sentiment d’amitié et de respect pour nous. Je vois clairement le bien-fondé du Manifeste et je suis reconnaissant que nous l’ayons. »

Franklin Richards ajouta : « Je suis convaincu que Dieu était avec le président Woodruff lorsqu’il a préparé le Manifeste pour le publier. Lorsqu’il a été lu, j’ai senti que c’était la chose à faire et qu’il était donné au bon moment. »

Le Manifeste perturbait toujours John W. Taylor, qui avait été appelé au Collège des Douze peu de temps après Heber. À la mort de son père, le président Taylor, John W. avait trouvé parmi les papiers du prophète une prétendue révélation sur le mariage. Datée du 27 septembre 1886, elle semblait faire croire à John W. que le commandement de pratiquer le mariage plural ne serait jamais révoqué.

Bien qu’elle n’eût jamais été présentée au Collège des Douze ni acceptée comme Écriture par les saints, John W. croyait qu’elle représentait la parole de Dieu à son père. Pourtant, il savait que la révélation était continue, répondant aux nouvelles situations et aux nouveaux problèmes lorsqu’ils se présentaient, et il avait foi que Dieu avait parlé à Wilford aussi. Il dit : « Je sais que le Seigneur a donné ce manifeste au président Woodruff et il peut l’enlever lorsque le moment sera venu ou il peut le redonner. »

Le lendemain, d’autres apôtres exprimèrent leurs sentiments à l’égard du Manifeste. Comme John W. Taylor, John Henry Smith avait encore du mal à l’accepter. Il dit : « Je suis disposé à soutenir la décision du président de publier le Manifeste bien que je ne sois pas vraiment certain que ce soit sage de le faire. Je crains que cela ne fasse plus de mal que de bien à notre peuple. »

Anthon Lund, le seul monogame du collège, n’était pas d’accord. Il dit : « Je pense que le Manifeste produira de bons résultats. J’approuve ce qui a été fait. »

Heber dit aussi au collège qu’il était content de la déclaration. Il dit : « Il n’y a aucune raison qu’un tel document ne soit pas publié. Le président Woodruff a simplement dit au monde ce que nous faisons depuis quelque temps. »

Le lendemain, les apôtres se réunirent avec la Première Présidence et chaque homme soutint le Manifeste comme étant la volonté de Dieu. Ensuite, certains apôtres exprimèrent leur inquiétude que les détracteurs de l’Église restent insatisfaits et continuent de poursuivre en justice les hommes qui ne se séparaient pas ou ne divorçaient pas de leurs femmes plurales.

Wilford dit : « Il est impossible de savoir ce que nous devrons faire à l’avenir, mais pour l’instant, nous devons rester loyaux envers nos épouses. »

Pour Heber, la perspective d’être obligé d’abandonner ses femmes plurales, Augusta et Emily, était inconcevable. Ce jour-là, il écrivit dans son journal : « Je confesse que ce serait une grande épreuve pour moi. Je crois que je ne pourrais pas approuver une telle mesure. »

Le 6 octobre, George Q. Cannon arriva au tabernacle pour la troisième journée de la conférence générale d’automne de l’Église. Peu après le début de la réunion, il se leva et présenta Orson Whitney, évêque de la dix-huitième paroisse de Salt Lake City, à qui l’on avait demandé de lire le Manifeste aux milliers de saints présents.

Pendant qu’il écoutait la déclaration, George n’était pas sûr de ce qu’il dirait si Wilford lui demandait de prendre la parole. Le prophète avait précédemment émis l’idée que George pourrait parler, mais celui-ci n’avait pas le moindre désir d’être le premier à s’adresser aux saints au sujet du Manifeste. De toutes ses années de prise de parole en public, jamais on ne lui avait demandé de faire quelque chose d’aussi difficile.

La veille, il avait fait un discours sur la Première Présidence et la révélation, préparant les saints à cette réunion. Il avait dit : « La présidence de l’Église doit marcher tout comme vous marchez. Elle doit procéder par étapes, tout comme vous. Elle doit s’en remettre aux révélations de Dieu qui lui sont données. Elle ne peut pas voir la fin dès le début, comme le Seigneur la voit. »

Il ajouta : « Tout ce que nous pouvons faire, c’est chercher à connaître la volonté de Dieu, et quand cela nous est révélé, même si cela entre en conflit avec tous les sentiments que nous avions jusque-là, nous n’avons pas d’autre choix que de faire ce que Dieu nous montre et de lui faire confiance. »

Lorsque Orson eut fini de lire le Manifeste, Lorenzo Snow le présenta aux saints pour leur vote de soutien. Des mains se levèrent dans toute la salle, certaines résolument, d’autres avec plus de réticence. D’autres ne se levèrent pas du tout. Il n’y avait apparemment pas d’opposition directe, mais les yeux de beaucoup de saints étaient embués de larmes.

Wilford se tourna ensuite vers George et l’invita à prendre la parole. George s’avança vers la chaire avec une prière dans le cœur, mais l’esprit vide. Cependant, lorsqu’il se mit à parler, la crainte le quitta et les paroles et les idées affluèrent librement. Il ouvrit les Écritures à Doctrine et Alliances 124:49, le passage auquel Wilford avait fait allusion lorsqu’il l’avait entendu pour la première fois expliquer la nouvelle position de l’Église sur le mariage plural.

« Lorsque je donne le commandement à des fils des hommes de faire une œuvre pour mon nom, et que ces fils des hommes mettent toutes leurs forces et tout ce qu’ils ont à accomplir cette œuvre et ne cessent d’être diligents, si leurs ennemis tombent sur eux et les empêchent d’accomplir cette œuvre, voici, il me convient de ne plus la requérir de la part de ces fils des hommes, mais d’accepter leurs offrandes. »

Après avoir lu le verset à haute voix, il dit à l’assemblée que les saints avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir pour obéir au commandement de Dieu. Maintenant, par l’intermédiaire de son prophète, le Seigneur leur avait donné de nouvelles directives. Il dit : « Lorsque Dieu fait connaître sa volonté, j’espère que tous les saints des derniers jours, moi compris, s’inclineront et se soumettront. »

Sachant que certains saints doutaient de l’origine divine du Manifeste et se demandaient pourquoi le prophète ne l’avait pas publié plus tôt et évité ainsi les souffrances et les persécutions de ces dernières années, il leur conseilla de chercher à obtenir un témoignage personnel du document.

Il les exhorta : « Allez dans vos lieux secrets. Demandez à Dieu et implorez-le, au nom de Jésus, de vous donner un témoignage comme il nous en a donné un, et je vous promets que vous n’en ressortirez ni bredouilles ni mécontents. »

Lorsqu’il eut fini de parler, Wilford s’avança à la chaire. Il dit : « Le Seigneur prépare un peuple à recevoir son Royaume et son Église et à édifier son œuvre. Cela, frères et sœurs, est notre tâche. »

Afin de rassurer les saints qui doutaient de l’origine divine du Manifeste, il ajouta : « Le Seigneur ne me permettra jamais, ni à aucun autre homme qui détient le poste de président de l’Église, de vous égarer. Ce n’est pas dans le programme. Ce n’est pas la volonté de Dieu. Si je m’aventurais à faire une telle chose, le Seigneur m’ôterait de ma place. »

Il bénit ensuite les saints et retourna à sa place sur l’estrade.

Ce jour-là, de nombreuses personnes quittèrent le tabernacle, reconnaissantes pour le Manifeste et remplies de l’espoir qu’il atténuerait les persécutions dont l’Église était victime. Elles avaient ressenti de la force spirituelle et de la paix pendant la réunion. D’autres, par contre, se sentaient indécises, perturbées et même trahies.

En dépit des problèmes importants qui y étaient liés, dont certains étaient profondément douloureux, le mariage plural avait été une bénédiction pour de nombreux saints. Pendant deux générations, la pratique avait permis à presque toutes les personnes qui désiraient se marier de le faire. Elle avait permis à beaucoup de saints d’élever de nombreux enfants fidèles qui devinrent des parents, des membres de l’Église, des dirigeants et des missionnaires dévoués. Elle avait entraîné de nombreux mariages entre cultures, unissant la population diversifiée d’immigrants.

De plus, elle avait réuni les saints dans un combat commun contre la persécution et les avait aidés à se forger une identité de peuple acquis, de peuple de l’alliance de Dieu. Plus de deux mille saints avaient été accusés de polygamie, de cohabitation illégale ou d’autres comportements associés au mariage plural. Environ neuf cent trente étaient allés en prison pour leurs convictions. Belle Harris, une petite-nièce de Martin Harris qui avait refusé de témoigner contre son mari avait été envoyée en prison pendant qu’elle allaitait son bébé. Pour de nombreux saints, de tels outrages étaient des sacrifices qu’ils avaient été disposés à faire en tant que disciples du Christ.

B. H. Roberts vécut l’un des moments les plus difficiles de sa vie lorsqu’il écouta la lecture du Manifeste à la chaire. Bien qu’il n’eût aucun désir de s’opposer ouvertement à la déclaration, son assurance précédente que c’était bien n’était pas revenue et il ne put lever la main pour la soutenir.

Zina Young, la présidente générale de la Société de secours, soutint le Manifeste, mais il lui en coûta. Ce soir-là, elle écrivit dans son journal : « Nous nous confions en Dieu et nous nous soumettons. »

Joseph Dean, qui était rentré de sa mission aux Samoa un mois plus tôt, était également présent dans le tabernacle ce jour-là. Il pensait que le Manifeste était une action pénible, mais nécessaire. Il écrivit dans son journal : « De nombreux saints semblaient sidérés et troublés et avaient du mal à savoir comment voter. Un grand nombre de sœurs pleuraient en silence et semblaient souffrir davantage que les frères. »

Le jour suivant se leva froid et humide. Pendant que la pluie crépitait sur les toits, certains saints se demandaient comment le Manifeste allait affecter leur quotidien. La déclaration n’indiquait pas précisément comment les saints déjà impliqués dans un mariage plural devaient procéder. Certaines femmes plurales craignaient d’être abandonnées. D’autres étaient optimistes et espéraient que le Manifeste apaiserait le gouvernement et mettrait fin à la peur et à l’incertitude de la vie dans la clandestinité. D’autres saints décidèrent simplement de rester cachés jusqu’à ce que les dirigeants de l’Église expliquent plus en détail comment adapter le Manifeste au cas par cas.

Lorsque la nouvelle arriva à Cardston (Canada), Zina Presendia Card et ses voisins en furent abasourdis, mais se rendirent rapidement compte que le Manifeste était précisément ce dont l’Église avait besoin. Elle écrivit dans le Woman’s Exponent : « Nous avons le sentiment que notre véritable position est maintenant connue et comprise comme elle ne pouvait l’être avant la publication du Manifeste. L’ensemble des saints d’ici estime que nos dirigeants conduisent l’œuvre du Christ à la victoire et sont un avec les saints du pays de Sion. »

Plus tard, dans le Young Woman’s Journal, Susa Gates avertit les jeunes filles qu’elles ne devaient pas parler à la légère du Manifeste. Elle leur rappela que le mariage plural avait permis à des femmes qui ne l’auraient pas pu autrement de contracter l’alliance du mariage et d’avoir des enfants. Ces possibilités n’existeraient dorénavant plus.

« Vous, les jeunes filles de Sion, êtes aussi concernées par cette affaire que le sont vos mères et vos pères. » Elle conseilla : « Veillez à ce qu’aucune parole de réjouissance stupide ne franchisse vos lèvres au sujet de ce qui a été fait. Si vous en parlez, que ce soit dans l’esprit le plus solennel et le plus sacré. »

À Manassa, lorsque Emily Grant entendit parler pour la première fois du Manifeste, elle fut pleine de gravité, mais ses idées noires cédèrent la place à la joie lorsqu’elle reçut le témoignage que la déclaration était juste. Elle écrivit à son mari : « Il m’a semblé voir percer le premier rayon de lumière à travers nos difficultés. »

Vers cette époque-là, Lorena et Bent Larsen décidèrent de retourner en Utah après avoir essayé pendant des mois de gagner leur vie au Colorado. Les terres de Sanford n’avaient pas produit grand-chose et il avait été presque impossible à Bent de trouver un autre emploi. Il avait maintenant l’intention de vivre avec sa première femme, Julia, et leur famille élargie à Monroe (Utah), pendant que Lorena et ses enfants vivaient avec la famille de son frère dans une ville située à environ cent cinquante kilomètres.

Après les jours passés à voyager seuls à travers les canyons rocailleux, la beauté sauvage du désert de Moab (Utah) offrait un lieu de repos bienvenu.

Au cours de leur arrêt précédent, ils avaient appris que les dirigeants de l’Église avaient publié une déclaration au sujet du mariage plural, mais ils n’en savaient pas plus. Mais à Moab, ils rencontrèrent des gens qui avaient assisté à la conférence à Salt Lake City. Pendant que Lorena restait dans la tente familiale, Bent alla se renseigner au sujet du Manifeste.

Lorsqu’il revint, il dit à sa femme que la Première Présidence et le Collège des Douze avaient annoncé que l’Église avait cessé de célébrer des mariages pluraux et avait l’intention de se soumettre aux lois du pays.

Lorena n’arrivait pas à croire ce qu’elle entendait. Elle avait accepté le mariage plural parce qu’elle croyait que c’était la volonté de Dieu pour elle et pour les saints. Les sacrifices qu’elle avait faits pour pratiquer le principe lui avaient causé du chagrin et des épreuves, mais ils l’avaient poussée à vivre à un niveau supérieur, à surmonter ses faiblesses et à aimer son prochain. Pourquoi Dieu demanderait-il maintenant aux saints de se détourner de la pratique ?

Lorena chercha du réconfort auprès de Bent mais au lieu de la rassurer, il se retourna et quitta la tente. Elle pensa : « Oh, oui. C’est facile pour toi. Tu peux retourner auprès de ton autre famille et être heureux avec elle, et moi je dois être comme Agar, renvoyée. »

Des ténèbres obscurcirent l’esprit de Lorena. Elle pensa : « Si le Seigneur et les autorités de l’Église ont fait marche arrière sur ce principe, il peut en être de même au sujet de n’importe quel aspect de l’Évangile. » Elle avait cru que le mariage plural était une doctrine aussi immuable que Dieu lui-même. Si ce n’était pas le cas, pourquoi devait-elle avoir foi en quoi que ce soit d’autre ?

Elle pensa ensuite à sa famille. Que signifiait le Manifeste pour elle et pour ses enfants ? Et que signifiait-il pour les autres femmes et enfants dans le même cas ? Pouvaient-ils toujours compter sur leurs maris et pères pour les aimer et les soutenir ? Ou seraient-ils laissés à la dérive simplement parce qu’ils avaient essayé de servir le Seigneur et de respecter ses commandements ?

Lorena s’effondra sur sa couche. Les ténèbres autour d’elle semblaient impénétrables et elle souhaita que la terre s’ouvre et l’engouffre, elle et ses enfants. Puis, soudain, elle sentit une présence puissante dans la tente. Une voix lui dit : « Ce n’est pas plus déraisonnable que le commandement du Seigneur à Abraham d’offrir son fils Isaac. Lorsque le Seigneur voit que tu es disposée à obéir en tout, l’épreuve est retirée. »

Une lumière brillante enveloppa l’âme de Lorena et elle éprouva de la paix et du bonheur. Elle comprit que tout se passerait bien.

Peu de temps plus tard, Bent revint à la tente. Elle lui parla de la présence qui avait chassé son angoisse. Il confessa : « Je savais que je ne pouvais rien dire pour te réconforter alors je suis allé jusqu’à un bouquet de saules et j’ai demandé au Seigneur de t’envoyer un consolateur. »


CHAPITRE 41 : Si longtemps submergé

L’après-midi du 25 février 1891, Jane Richards, première conseillère dans la présidence générale de la Société de secours, se préparait à prendre la parole à Washington à l’occasion de la première conférence du Conseil national des femmes. Au cours des deux dernières journées et demie, elle avait eu plaisir à écouter des femmes de tous les États-Unis parler de leurs réussites dans les domaines de l’éducation, des œuvres caritatives, de la réforme et de la culture. L’heure était maintenant venue de faire son discours et des centaines de personnes étaient venues écouter ce que la sainte des derniers jours avait à dire.

Pendant la plus grande partie de son demi-siècle d’existence, la Société de secours s’était attachée à répondre aux besoins des saints. Cependant, Zina Young, la présidente générale de la Société de secours, était persuadée que les organisations de femmes dans l’Église devaient coopérer avec d’autres groupes pour soutenir des causes telles que le suffrage féminin. En participant au Conseil national des femmes, les dirigeantes de la Société de secours et de la Société d’Amélioration Mutuelle des Jeunes Filles auraient l’occasion de rencontrer des personnes ayant des valeurs et des objectifs communs et de collaborer avec elles.

Jane avait été choisie parce qu’Emmeline Wells voulait envoyer des femmes instruites et très au courant des problèmes des femmes en Utah. Elle voulait aussi envoyer quelqu’un de courageux, une qualité dont Jane, selon elle, était abondamment pourvue.

Emmeline, Sarah Kimball et d’autres dirigeantes de l’Église se joignirent à elle à Washington. Avant de partir, ces femmes avaient été bénies et mises à part par un apôtre ou un membre de la Première Présidence pour représenter leur organisation.

Contrairement aux visites précédentes d’éminentes saintes des derniers jours à Washington, elles n’allaient pas faire pression en faveur des saints. Elles s’y rendaient en qualité de dirigeantes d’organisations de femmes qui voulaient parler de leur travail, non seulement en Utah, mais également dans tous les autres lieux où les Sociétés de Secours et la S.A.M. étaient établies.

Avant que Jane et les autres déléguées d’Utah ne puissent rejoindre le conseil, un comité avait délibéré au sujet de leur admission. La plupart des femmes du comité avaient reconnu les efforts de la Société de secours pour promouvoir le suffrage féminin, organiser les femmes à l’échelle nationale et internationale et établir de bons rapports avec les dirigeantes éminentes du mouvement national des femmes. Cependant une femme s’était opposée à leur admission, croyant qu’elles étaient venues prêcher la polygamie.

D’autres membres du comité avaient pris la défense des saints, citant le Manifeste comme preuve que la délégation d’Utah était digne de confiance. Finalement, le comité avait voté à l’unanimité l’admission de la Société de secours et de la S.A.M. dans leur organisation.

Lorsque ce fut le tour de Jane de parler, elle fut brève. Elle dit à l’assemblée que la Société de secours croyait qu’il fallait offrir amour, bienveillance, paix et joie à tout le monde. Elle remercia également les femmes de partout qui croyaient en ces mêmes valeurs.

Elle dit : « Nos avis peuvent diverger sur certains points, mais notre objectif principal est de faire du bien à tous. »

Pendant qu’elle était à Washington, elle parla de la Société de secours et des saints à de nombreuses personnes. Elle fut en admiration devant les femmes qu’elle rencontra et devant le travail qu’elles accomplissaient. Elle aurait bien aimé avoir cinq cents exemplaires du Manifeste à distribuer aux personnes qui s’interrogeaient au sujet du mariage plural. Avant de rentrer, elle invita nombre de ses nouvelles amies à visiter l’Utah.

Si elles voulaient faire connaissance avec les saints des derniers jours, le mieux était de passer du temps parmi eux.

Cet hiver-là, Emily Grant eut de plus en plus de difficultés à supporter seule le vent violent et glacial du Colorado. Depuis la publication du Manifeste, les rapports de l’Église avec le gouvernement des États-Unis avaient commencé à s’améliorer. Priver les saints de leur droit de vote ou confisquer les temples n’intéressait plus les autorités de Washington, y compris le président. Et la Cour suprême américaine décréta que les enfants de mariages polygames pouvaient de nouveau hériter des biens.

Néanmoins, les lois fédérales anti-polygamie restaient en vigueur. Les marshals continuaient d’arrêter les gens pour polygamie et cohabitation illégale, mais le nombre d’arrestations ne cessait de diminuer. Si Emily quittait la sécurité relative de Manassa, son mariage plural à Heber Grant risquait de s’ébruiter et de mettre leur famille en péril.

Daniel Wells, le père d’Emily, décéda en mars 1891. Elle retourna à Salt Lake City avec ses filles, Dessie et Grace, pour les obsèques et Heber accepta qu’elle se réinstalle en ville. Il pensait que tant qu’ils gardaient leur mariage secret, habitaient dans des maisons séparées et ne se montraient pas ensemble en public, ils pouvaient vivre plus près les uns des autres.

La famille et les amis d’Emily voulaient organiser une fête pour célébrer son retour à Salt Lake City, mais elle préféra être discrète. Elle dit à Heber : « Je veux juste rendre visite à mes parents et amis sans attirer l’attention sur moi. » Elle emménagea chez sa mère, à quelques rues de chez Heber, et continua de communiquer avec lui essentiellement par courrier. Ce n’était pas exactement la vie dont elle rêvait, mais c’était bien mieux que d’habiter à des centaines de kilomètres.

Ce printemps-là, Dessie, leur fille, fêta ses cinq ans. En plus de se faire appeler « Mary Harris » et d’appeler Heber « Tonton Eli », Emily appelait Dessie « Pattie Harris » pour se protéger, sa famille et elle, des marshals. Maintenant que la situation s’améliorait, Emily et Heber avaient arrêté les faux-semblants et commencé à utiliser leurs vrais noms dans leur correspondance.

À l’anniversaire de Dessie, Emily lui mit une nouvelle robe, lui frisa les cheveux et les attacha avec un nouveau ruban bleu. Emily dit : « Maintenant que tu es une si grande fille, je vais te dire un secret. » Elle révéla à l’enfant qu’elle s’appelait Dessie et lui dit que tonton Eli était en réalité son père.

Peu après, Dessie apprit que deux de ses nouvelles amies, Rachel et Lutie, étaient ses sœurs, les filles de leur père et de sa femme, Lucy. Un jour, Lutie, âgée de dix ans, arriva chez Emily avec son poney jaune, Flaxy, attelé à une petite carriole. Elle voulait emmener ses sœurs en promenade. Emily n’était pas sûre qu’il soit prudent de laisser les fillettes partir, mais elle accepta. Dessie et Grace grimpèrent dans la minuscule carriole qui bringuebala en emportant les sœurs.

Emily était reconnaissante d’être enfin de retour chez elle à Salt Lake City. Il lui déplaisait de cacher son union avec Heber et elle aurait aimé que sa famille eût la liberté de déambuler en ville à sa guise, mais elle voyait la main de Dieu dans ses retrouvailles avec son mari et elle savait qu’ils étaient heureux dans leur amour mutuel.

Elle écrivit : « Le simple fait que j’aie pu tout supporter me paraît remarquable et je prie pour avoir la force de supporter ce que l’avenir me réserve. »

Ce printemps-là, John Widtsoe, dix-neuf ans, célébra la remise de son diplôme du Brigham Young College de Logan. Lors de la cérémonie, il reçut une récompense spéciale pour son excellence en rhétorique, allemand, chimie, algèbre et géométrie.

Pendant ses années universitaires, il s’était enthousiasmé chaque fois qu’il avait découvert une nouvelle bribe de connaissance. L’établissement était encore nouveau et disposait de peu d’ouvrages dans sa bibliothèque et d’équipement dans son laboratoire. Les professeurs n’avaient pas non plus fait d’études universitaires poussées bien qu’ils fussent d’excellents enseignants qui savaient simplifier un sujet pour l’enseigner à leurs élèves.

Le directeur, Joseph Tanner, était un ancien élève de Karl Maeser, le célèbre directeur de l’académie Brigham Young de Provo qui était maintenant surintendant de plus de trois douzaines d’écoles de l’Église. Ancien missionnaire en Europe et au Moyen-Orient, il donnait également les cours de religion, enseignant à John et à ses camarades le plan du salut et le rétablissement de l’Évangile. La théologie devint l’une des matières préférées de John. Elle façonna sa personnalité et son attitude à l’égard de la vie et le rendit plus sensible aux différences entre le bien et le mal.

Aux environs de la remise des diplômes, Joseph invita John à se joindre à lui et à un groupe de saints des derniers jours érudits pour s’inscrire cet été-là à Harvard, l’université la plus ancienne et la plus respectée des États-Unis. Joseph voulait que les érudits reçoivent un enseignement de premier choix qu’ils utiliseraient ensuite pour améliorer la qualité de l’enseignement donné dans les écoles d’Utah.

Harvard était exactement le genre d’endroit où Anna, la mère de John, avait toujours voulu qu’il aille et elle soutint sa décision de s’y rendre, confiante qu’il excellerait dans ses études. Pour payer ses frais de scolarité, il fit un emprunt auprès d’une banque locale. Cinq amis de la famille, dont Anthon Skanchy, le missionnaire qui avait baptisé Anna en Norvège, lui apportèrent également leur soutien financier.

John partit pour Harvard moins d’un mois après avoir reçu son diplôme. Peu après, Anna négocia un prêt sur sa maison, la mit en location et déménagea à Salt Lake City où son jeune fils, Osborne, et elle purent trouver davantage de travail pour subvenir aux besoins de la famille et payer les études de John.

Anna lui écrivit souvent. Dans une lettre, elle lui dit : « Tu rencontreras probablement de nombreuses petites difficultés et déceptions au début, mais elles te seront toutes très utiles à l’avenir. »

Elle promit : « Dieu est avec toi et il t’accordera le double de ce que tu oses imaginer ou demander en prière. Incline-toi devant le Seigneur au moment que tu as choisi et chaque fois que tu en as envie, le cœur reconnaissant et humble. »

À Salt Lake City, Joseph F. Smith continuait de vivre dans la clandestinité bien que les menaces d’arrestation et de poursuites eussent diminué. Contrairement aux mariages pluraux d’Heber Grant, les siens étaient de notoriété publique et son poste dans la Première Présidence faisait depuis longtemps de lui la cible des marshals fédéraux.

Les jours de semaine, il rendait visite à ses femmes et à ses enfants à la nuit tombée, puis retournait dormir dans son bureau à la Gardo House. En fin de semaine, il se risquait à des séjours plus longs et passait un week-end à tour de rôle chez chacune de ses cinq femmes. Vivre comme un fugitif était décourageant. Il écrivit à sa tante, Mercy Thompson : « À moins que le Seigneur ne me décharge d’une manière que je n’arrive pas à concevoir actuellement, je suis condamné à rester caché pour un bon bout de temps. »

En juin 1891, il écrivit une lettre au président des États-Unis, Benjamin Harrison, demandant une amnistie ou la suppression de toutes les accusations pénales portées contre lui. Les bons sentiments s’améliorant entre l’Église et le gouvernement des États-Unis, Joseph pensait pouvoir recevoir une grâce.

En recherchant l’amnistie, il ne promettait cependant pas d’abandonner ses femmes. Le Manifeste n’indiquait pas comment les saints impliqués dans les mariages pluraux existants devaient se comporter, mais Wilford Woodruff avait tenu conseil en privé avec des présidences de pieu et des Autorités générales sur la manière d’interpréter son message. Il dit : « Le Manifeste ne concerne que les futurs mariages et non les situations passées. Je n’ai pas promis, et je ne pouvais ni ne voulais promettre que vous abandonneriez vos femmes et vos enfants. Vous ne pouvez faire cela en tout honneur. »

Quelques personnes décidèrent quand même de mettre fin à leurs mariages pluraux, mais la plupart se conformèrent au Manifeste de manière moins radicale. Certains hommes s’efforcèrent de leur mieux de continuer de soutenir leurs familles plurales financièrement et émotionnellement, sans vivre avec elles. D’autres continuèrent de vivre avec leurs familles comme si rien n’avait changé, même si de ce fait ils risquaient les poursuites et l’emprisonnement.

Pour sa part, Joseph choisit de continuer de prendre soin de ses familles comme toujours, croyant qu’il respectait le Manifeste tout en obéissant à la loi interdisant la cohabitation.

Début septembre, il fut informé qu’un article de journal annonçait que le président Harrison lui avait accordé l’amnistie. Il ne voulait cependant ni fêter l’événement ni se montrer en public tant qu’il n’avait pas les documents en main. Dans une lettre adressée à un ami, il écrivit : « Il y a si longtemps que je suis noyé sous la déferlante des événements que si j’obtiens une libération quelconque, j’aurai l’impression de ressusciter ou de naître de nouveau, avec de nouvelles expériences à vivre et tout à réapprendre. »

La lettre d’amnistie arriva peu après. Rempli de reconnaissance, il espérait que son recours en grâce entraînerait l’amnistie générale pour tous les saints ayant contracté un mariage plural avant le Manifeste. Il savait cependant qu’une telle grâce n’empêcherait pas le gouvernement de porter de nouvelles accusations contre les hommes qui continuaient de vivre avec les femmes qu’ils avaient épousées longtemps auparavant. Par mesure de sécurité, il décida de passer ses nuits au bureau de la Première Présidence tout en instruisant ses enfants et en pourvoyant aux besoins de sa grande famille. Ses cinq femmes et lui continuèrent d’avoir des enfants.

Le dimanche suivant l’amnistie, Joseph assista à l’École du dimanche de la Seizième paroisse de Salt Lake City. Il parla aux enfants en classe et bavarda ensuite avec d’anciens amis et d’anciennes connaissances. Plus tard dans la journée, il assista à une réunion d’après-midi dans le tabernacle où il fut appelé à prendre la parole.

En balayant l’assemblée du regard, il fut presque submergé par l’émotion. Il dit : « Cela fait plus de sept ans que je n’ai pas eu le privilège de me tenir devant une assemblée dans ce tabernacle. » Tant de choses avaient changé en son absence qu’il avait l’impression d’être un enfant éloigné de chez lui depuis longtemps.

Il témoigna du Rétablissement affirmant que c’était l’œuvre du Seigneur. Il déclara : « Je remercie Dieu, le Père éternel, d’avoir mis ce témoignage dans mon cœur et dans mon âme, car il me donne une lumière, une joie, une espérance et une consolation qu’aucun homme ne peut donner ou ôter. »

Il pria aussi pour que Dieu aide les saints à faire ce qui est bien et honorable devant le Seigneur et devant la loi. Il dit : « Nous devons vivre au milieu du monde tels que nous sommes. Nous devons tirer le meilleur parti de la situation dans laquelle nous sommes placés. C’est ce que le Seigneur exige de la part des saints des derniers jours. »

Peu après l’amnistie de Joseph F. Smith, Wilford Woodruff déclara que Dieu voulait que les saints achèvent le temple. Deux ans auparavant, les ouvriers avaient couvert le bâtiment, permettant aux menuisiers et autres artisans de travailler à longueur d’année. Il restait quand même beaucoup à faire sur l’extérieur de l’édifice, notamment installer une grande statue d’un ange sur la flèche la plus élevée du temple. La statue serait sculptée par l’artiste renommé Cyrus Dallin, qui avait grandi en Utah et avait bénéficié d’une formation artistique poussée dans l’Est des États-Unis et à Paris.

Début octobre, des dizaines de responsables de l’Église se mirent d’accord pour lever cent mille dollars pour la construction, sachant qu’il en faudrait probablement davantage pour la terminer. Vers cette époque-là, la Première Présidence et plusieurs apôtres firent aussi appel pour que les biens de l’Église confisqués par le gouvernement en application de la loi Edmunds-Tucker et estimés à près de quatre cent mille dollars soient restitués.

Si les saints reprenaient possession de ces biens, cela soulagerait de manière importante leur fardeau financier, mais cela obligerait la Première Présidence et les Douze à se présenter pour une audience et à répondre à des questions d’avocats du gouvernement sur l’engagement de l’Église à obéir aux lois anti-polygamie.

Au cours des semaines précédant l’audience, les avocats de l’Église posèrent à la Première Présidence et aux membres des Douze les questions que ceux du gouvernement risquaient de leur poser. Plusieurs apôtres s’inquiétaient de la manière de répondre aux questions sur l’avenir du mariage plural dans l’Église. La pratique était-elle terminée pour de bon ou le Manifeste était-il une mesure temporaire ? Et si on leur demandait si les maris devaient continuer de vivre avec leurs femmes plurales et subvenir à leurs besoins, comment devaient-ils répondre ?

En fonction de la manière dont ils répondraient, les dirigeants de l’Église couraient le risque de perdre la bonne volonté du gouvernement et de troubler, ou même d’offenser, les saints.

Le jour de l’audience, le 19 octobre 1891, Charles Varian, avocat du gouvernement des États-Unis, interrogea Wilford pendant plusieurs heures. Ses questions étaient conçues pour l’obliger à préciser la position de l’Église à l’égard du mariage plural et l’objectif du Manifeste. Il chercha à répondre honnêtement sans parler de façon définitive du statut des unions existantes.

Lorsque l’interrogatoire débuta, Charles Varian lui demanda ce que signifiait le Manifeste pour les personnes déjà unies par un mariage plural. Étaient-elles censées cesser de se fréquenter en tant que mari et femme ?

Wilforfd ne répondit pas directement à la question. Il dit : « Mon intention était que la proclamation couvre tout le terrain, afin d’obéir entièrement aux lois du pays. » Il savait que les saints impliqués dans les mariages pluraux avaient contracté des alliances sacrées avec Dieu, et il ne leur demanderait jamais d’enfreindre leurs vœux de mariage. Cependant, chaque personne était personnellement responsable de son obéissance aux lois du pays, selon sa conscience.

« L’unique raison de cette déclaration était-elle ces lois ? », demanda Charles Varian, essayant de mesurer la sincérité des dirigeants de l’Église en proclamant le Manifeste.

Wilford répondit : « Lorsque j’ai été nommé président de l’Église, j’ai réfléchi à cette question et cela fait un bon moment que je pense que le mariage plural doit cesser dans cette Église. »

Il décrivit ensuite comment les lois anti-polygamie punissaient non seulement le petit pourcentage de saints qui le pratiquaient, mais également les dizaines de milliers qui ne le pratiquaient pas. Il expliqua : « C’est pour ces raisons que j’ai publié le Manifeste, je dirais par inspiration. »

Charles Varian demanda : « Pourquoi n’avez-vous pas qualifié ce Manifeste de révélation pour votre Église au lieu de le qualifier de recommandation personnelle ? »

Wilford répondit : « Selon moi, l’inspiration est révélation. Elle vient de la même source. Je pense qu’on n’est pas toujours obligé de dire : ‘Ainsi dit le Seigneur.’ »

Charles Varian lui demanda ensuite si le Manifeste était le résultat direct des privations subies par les saints à cause de la loi.

Wilford déclara : « Le Seigneur exige, et a exigé à maintes reprises que son peuple accomplisse une œuvre qu’il a été empêché d’accomplir à cause de la situation dans laquelle il se trouvait. C’est sur cette base, si vous me comprenez, que je considère la position où nous sommes aujourd’hui. »

Le lendemain de l’audience, le Deseret News et d’autres journaux locaux publièrent des transcriptions du témoignage de Wilford à la cour. Certaines personnes, ne saisissant pas la prudence avec laquelle le prophète avait précisé le sens du Manifeste, comprirent erronément qu’il attendait des maris qu’ils abandonnent leurs femmes plurales.

Un homme de St George écrivit : « Cette annonce du président de l’Église a provoqué un malaise parmi le peuple et certains pensent qu’il a renié la révélation sur le mariage plural avec ses alliances et ses obligations. » Certains hommes se servirent même du témoignage comme excuse pour abandonner leurs familles plurales.

Lors de réunions privées, Wilford reconnut que ses réponses avaient été vagues, mais il insista sur le fait qu’il n’aurait pas pu répondre autrement à l’avocat. Il répéta également aux Douze que tout homme qui déserterait ou négligerait ses femmes ou ses enfants à cause du Manifeste ne serait pas digne d’être membre de l’Église.

Il ne condamna pas ceux qui, tels Joseph F. Smith et George Q. Cannon, continuaient d’avoir des enfants avec leurs femmes plurales, mais il croyait également que les hommes pouvaient obéir à la loi et respecter leurs alliances en vivant séparément de leurs familles plurales tout en continuant d’assurer leur bien-être. Pour sa part, il continuait de vivre en public avec sa femme Emma, tout en pourvoyant aux besoins de ses autres femmes, Sarah et Delight, et de leurs enfants.

Lorsqu’il apprit que certaines personnes se demandaient s’il n’était pas en train d’égarer l’Église, il décida de reparler du sujet. Lors d’une conférence de pieu à Logan, il reconnut que de nombreux saints avaient du mal à accepter le changement. Il posa une question : aurait-il été plus sage de continuer de célébrer des mariages pluraux, quelles qu’en soient les conséquences ? Ou de respecter les lois du pays afin que les saints puissent jouir des bénédictions du temple et éviter la prison ?

Il dit : « Si nous n’avions pas mis un terme à la pratique, toutes les ordonnances auraient cessé dans tout le pays de Sion. La confusion aurait régné partout en Israël et beaucoup d’hommes auraient été faits prisonniers. Cette épreuve serait tombée sur l’Église tout entière et nous aurions été obligés de mettre fin à la pratique. »

Il ajouta : « Mais je tiens à dire ceci. J’aurais laissé tous les temples nous échapper, je serais allé moi-même en prison et aurais laissé tous les autres hommes y aller, si le Dieu du ciel ne m’avait pas commandé de faire ce que j’ai fait ; et lorsque l’heure est venue où il m’a été commandé de le faire, c’était tout à fait clair pour moi. Je suis allé devant le Seigneur et j’ai écrit ce que le Seigneur m’a dit d’écrire. »


CHAPITRE 42 : Inspiration à la fontaine divine

Début janvier 1892, Zina Young et Emmeline Wells se réunirent à Salt Lake City avec d’autres membres du bureau général de la Société de secours pour organiser un « jubilé » à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’organisation. Le bureau voulait inviter les saintes des derniers jours du monde entier à se joindre à la fête et envoya donc une lettre à toutes les Sociétés de Secours de l’Église, les encourageant à organiser leur propre jubilé.

Après avoir « salué de tout cœur » toutes les sœurs, la lettre demandait à la présidence de chaque Société de secours d’inviter ses membres et ses dirigeants de la prêtrise au jubilé et de nommer un comité pour organiser l’événement. La réunion devait commencer le 17 mars à dix heures, jour anniversaire de l’organisation de la Société de secours à Nauvoo, et se terminer deux heures plus tard par une « prière commune de louanges à Dieu ».

Zina comptait beaucoup sur Emmeline pour organiser celui de Salt Lake City à la satisfaction de toutes les personnes concernées. C’est ainsi que début mars Emmeline se retrouva en pleine activité d’organisation. Elle écrivit dans son journal : « J’essaie de faire tout ce que je peux pour préparer le jubilé. Je suis plus occupée que jamais. »

Le bureau de la Société de secours avait l’intention de célébrer le jubilé dans le tabernacle. Pour le décorer, il voulait suspendre de grands portraits de Joseph Smith, d’Emma Smith, d’Eliza R. Snow et de Zina Young derrière l’estrade.

Du fait qu’Emma Smith, première présidente de la Société de secours, était restée en Illinois et était devenue membre de l’Église réorganisée de Jésus-Christ des saints des derniers jours, certaines personnes pensaient que son portrait n’avait pas sa place dans le tabernacle. Quand la discussion s’envenima, Zina demanda son avis au président Woodruff. Il dit : « Quiconque s’y oppose doit vraiment être étroit d’esprit. »

Le jour du jubilé, les quatre portraits étaient suspendus aux tuyaux de l’orgue du tabernacle. À côté se trouvait un arrangement floral en forme de clé, symbolisant celle que Joseph Smith avait remise aux femmes en 1842. Zina et Emmeline étaient assises sur l’estrade avec Bathsheba Smith, Sarah Kimball, Mary Isabella Horne et d’autres femmes ayant pris part à l’accomplissement de la mission de la Société de secours au cours des cinquante années écoulées. Des milliers de sœurs de la Société de secours étaient présentes dans le tabernacle. De nombreux hommes aussi, notamment Joseph F. Smith et deux membres des Douze.

Zina ouvrit le jubilé avec une pensée pour les femmes de toute l’Église qui célébraient l’événement. Elle dit : « Que j’aimerais que mes paroles puissent être entendues par tout le monde, non seulement par vous mes frères et sœurs dans ce tabernacle, mais dans tout l’Utah et que j’aimerais qu’elles soient entendues et comprises par tous les peuples de ce continent, et non seulement ceux de ce continent, mais ceux d’Europe, d’Asie, d’Afrique, ainsi que des îles de la mer.

En tant que sœurs dans cette organisation, nous avons été mises à part dans le but de réconforter et de consoler les malades, les affligés et les pauvres. Si nous continuons à le faire dans cet esprit, le Seigneur, au moment où il rassemblera ses joyaux, nous approuvera. »

À la fin de la réunion, elle demanda à l’assemblée : « Que signifie ce jubilé des femmes ? Non seulement qu’il y a cinquante ans, cette organisation a été fondée par un prophète de Dieu, mais également que la femme se libère de l’erreur, de la superstition et de l’obscurité ; que la lumière est venue dans le monde et que l’Évangile l’a libérée, que la clé de la connaissance a été tournée et qu’elle a bu l’inspiration à la fontaine divine. »

Vers cette époque-là, Charles Eliot, le président de l’université d’Harvard, passa par Salt Lake City à l’occasion d’un voyage à travers l’Ouest des États-Unis. Il avait été impressionné par le petit groupe de saints des derniers jours qui était venu à Harvard l’année précédente et il avait accepté l’invitation à prendre la parole dans le tabernacle.

Sept mille personnes vinrent écouter son bref discours. Il défendit la liberté religieuse et loua les saints pour leur travail acharné et leur diligence, les comparant favorablement aux premiers colons anglais qui avaient fondé Harvard. Plus tard, après que le Salt Lake Tribune et d’autres journaux eurent critiqué son opinion favorable des saints, il continua de les défendre.

Il déclara : « Je crois qu’ils devraient maintenant être traités, en ce qui concerne leurs droits de propriété et leur liberté de pensée et de culte, exactement comme les catholiques romains, les juifs, les méthodistes ou n’importe quelle autre confession religieuse. »

Il y avait, dans l’assemblée, Anna Widtsoe, sa sœur Petroline et Osborne, le fils de quatorze ans d’Anna. Cela faisait presque une année que John, le fils aîné d’Anna, était à Harvard et elle était impressionnée par l’orateur distingué qui avait une si haute opinion des étudiants saints des derniers jours de Harvard.

Les Widtsoe habitaient maintenant avec Petroline dans la Treizième paroisse de Salt Lake City, laquelle comptait suffisamment de Scandinaves pour que la réunion de témoignage soit un événement multilingue. Osborne travaillait au magasin de la Zion’s Cooperative Mercantile Institution sur Main Street et Anna et Petroline étaient couturières. Osborne et sa mère assistaient aussi à des conférences hebdomadaires à l’académie de leur pieu.

Pendant le premier week-end d’avril, il neigea à Salt Lake City ; on se serait cru en plein cœur de l’hiver. Le mercredi 6 avril au matin, le temps était pourtant clair et lumineux tandis qu’Anna et Osborne rejoignaient plus de quarante mille personnes dans et autour de Temple Square pour voir installer la pierre de faîte du temple de Salt Lake City au sommet de la flèche centrale, côté est. La pierre en forme de dôme était conçue pour supporter le poids de la sculpture de trois mètres cinquante d’un ange, qui serait fixée dessus un peu plus tard dans la journée. Une fois la pierre de faîte et l’ange en place, l’extérieur du temple serait achevé ; il ne resterait plus que l’intérieur à terminer avant la consécration.

Les rues autour du temple étaient bondées de buggys. Certains spectateurs étaient debout sur des chariots, d’autres grimpaient sur des poteaux de télégraphe ou escaladaient des toitures afin d’avoir une meilleure vue. Les Widtsoe, debout au milieu de la foule grouillante, voyaient le président Woodruff et d’autres dirigeants de l’Église sur une estrade au pied du temple.

Après un morceau joué par la fanfare et un chant du Chœur du Tabernacle, Joseph F. Smith fit la prière d’ouverture. L’architecte de l’Église, Joseph Don Carlos Young, fils de Brigham Young et d’Emily Partridge, cria alors depuis l’échafaudage au sommet du temple : « La pierre de faîte est maintenant prête à être posée ! »

Le président Woodruff s’avança jusqu’au bord de l’estrade, balaya les saints du regard et leva haut les bras. Il dit : « Vous toutes, nations de la terre. Nous allons maintenant poser la pierre de faîte du temple de notre Dieu ! » Il appuya sur un bouton et un courant électrique libéra un loquet qui fit descendre la pierre de faîte à sa place.

Ensuite, les saints poussèrent le cri du Hosanna et chantèrent « L’Esprit du Dieu saint », puis l’apôtre Francis Lyman se leva pour s’adresser à la foule. Il dit : « Je propose que cette assemblée s’engage, collectivement et individuellement, à fournir aussi vite que possible tout l’argent dont on aura besoin pour achever le temple le plus rapidement possible, afin que la consécration ait lieu le 6 avril 1893. »

La date proposée coïncidait avec le quarantième anniversaire du jour où Brigham Young avait posé les pierres angulaires du temple. George Q. Cannon proposa aux saints un vote de soutien pour la proposition et ils levèrent la main droite en criant : « Oui ! »

Francis s’engagea à fournir une grosse somme de son argent personnel pour terminer le temple. Anna promit cinq dollars de sa part et dix de la part d’Osborne. Sachant que John voudrait participer aussi, elle ajouta dix dollars en son nom.

Ce printemps-là, Joseph F. Smith se rendit chez James Brown, soixante-trois ans. Lorsqu’il était beaucoup plus jeune, ce dernier avait marché avec le bataillon mormon, puis avait fait une mission à Tahiti et dans les îles voisines avec Addison et Louisa Pratt, Benjamin Grouard et d’autres. En 1851, pendant qu’il travaillait sur l’atoll d’Anaa, il avait été arrêté sur de fausses accusations de sédition et emmené à Tahiti où il avait été emprisonné et finalement banni des îles. Le gouvernement avait également obligé les autres missionnaires à partir et la mission était fermée depuis.

Maintenant, quelque quarante ans plus tard, les dirigeants de l’Église commençaient à élargir l’œuvre jusqu’au Pacifique Sud. En juillet 1891, la mission des Samoa avait envoyé deux jeunes missionnaires, Brigham Smoot et Alva Butler, prêcher aux Tonga. Six mois plus tard, deux autres, de la mission des Samoa, Joseph Damron et William Seegmiller, relancèrent l’œuvre en Polynésie française, servant les saints de Tahiti et des alentours isolés depuis longtemps.

Cependant, Joseph Damron ne se sentait pas bien et William et lui avaient découvert que presque tous les saints des derniers jours de la région étaient devenus membres de l’Église réorganisée de Jésus-Christ des saints des derniers jours, qui avait envoyé des missionnaires dans le Pacifique Sud plusieurs années plus tôt. Les deux hommes pensaient que la mission avait besoin de quelqu’un de plus expérimenté pour diriger l’œuvre.

Chez James, à Salt Lake City, Joseph F. sortit une lettre qu’il avait reçue de la part des missionnaires de Tahiti. Il lui demanda : « Cela te plairait-il de repartir en mission dans l’archipel de la Société ? »

James lui dit : « Je souhaite qu’aucun homme ne m’appelle en mission. » Il était maintenant âgé avec trois femmes et de nombreux enfants et petits-enfants. Il était en mauvaise santé et, des années auparavant, il avait perdu une jambe lors d’un accident avec une arme à feu. Aller dans le sud du Pacifique serait une entreprise de taille pour quelqu’un dans son état.

Joseph F. lui tendit la lettre et lui demanda de la lire. Il partit ensuite en promettant de revenir le lendemain pour savoir ce qu’il en pensait.

James lut la lettre. Il était clair que les jeunes missionnaires étaient en difficulté. Étant le dernier des premiers missionnaires encore en vie, il était quelque peu accoutumé aux gens et à leur langue, ce qui lui permettrait de faire beaucoup de bien. Si la Première Présidence lui demandait de se rendre dans le Pacifique, il irait. Il avait foi que Dieu ne lui demanderait pas de faire quelque chose sans lui donner le moyen d’être à la hauteur de la tâche.

Lorsque Joseph F. Smith revint le lendemain, James accepta l’appel en mission. Quelques semaines plus tard, il dit au revoir à sa famille et quitta la ville avec son fils, Elando, qui était appelé à servir avec lui.

James, Elando et un autre missionnaire arrivèrent à Tahiti le mois suivant. Les frères Damron et Seegmiller escortèrent les nouveaux missionnaires chez un Tahitien appelé Tiniarau, qui offrit un lit où James et son fils purent dormir. Après le voyage épuisant, James resta dans sa chambre pendant des jours.

Des visiteurs ne tardèrent cependant pas à arriver. L’un venait d’Anaa et dit qu’il reconnaissait James à sa voix. L’homme dit que d’autres le reconnaîtraient de la même manière, même s’ils ne le connaissaient pas de vue. Certains étaient nés après le départ de James, mais ils étaient tout de même heureux de faire sa connaissance. Une femme âgée le reconnut et lui serra la main avec tant d’insistance qu’il se demanda si elle allait jamais la lui lâcher. Il apprit qu’elle était sur Anaa lorsque les officiers français l’avaient arrêté, emmené de l’atoll et fait monter à bord de leur navire de guerre.

Un soir, il rencontra Pohemiti, un autre homme d’Anaa, qui se souvenait de lui. Pohemiti était devenu membre de l’Église réorganisée, mais il se réjouissait de revoir James et lui apporta de la nourriture. Il promit au missionnaire que s’il allait à Anaa, les insulaires là-bas l’écouteraient.

À l’université d’Harvard, John Widtsoe recevait une lettre après l’autre de sa mère et de son frère à Salt Lake City. Elles étaient toujours remplies de conseils et de paroles d’encouragement. Un jour, Osborne écrivit : « Maman dit que tu dois faire attention en chimie. Elle a lu qu’un professeur a perdu les deux yeux à cause d’une explosion ou quelque chose de ce genre. »

Anna écrivit de façon plus rassurante : « Tout ira bien pour toi. Attache-toi simplement à faire du bien à tous avec tout ce que tu as et tout ce que tu auras, afin de servir le Créateur de toutes bonnes choses et qui ne se lasse pas de rendre toutes choses meilleures et plus belles pour ses enfants. »

Un an plus tôt, lorsque John arriva à Harvard et descendit d’un tramway tiré par des chevaux, il avait été émerveillé par l’histoire et les traditions de l’école. La nuit, il rêvait d’acquérir toutes les connaissances du monde sans avoir à s’inquiéter du temps qu’il lui faudrait pour maîtriser chaque matière.

En commençant à étudier pour ses examens d’entrée à l’université qu’il devrait passer à l’automne, il se sentit écrasé par tout ce qu’il devait apprendre. Il emprunta des brassées de livres à la bibliothèque du campus et les sonda, mais il fut pris de découragement en se rendant compte à quel point il serait difficile de maîtriser ne serait-ce qu’un seul domaine. Est-ce que lui, pauvre immigrant norvégien, pourrait rivaliser avec ses camarades ? Beaucoup avaient reçu un enseignement de premier choix dans les meilleurs établissements préparatoires des États-Unis. Est-ce que ses études en Utah l’avaient préparé à ce qui l’attendait ?

Pendant ces premiers mois, le mal du pays ne fit qu’ajouter à son mal-être et il envisagea de rentrer chez lui, mais finalement, il décida de rester. Il réussit ses examens d’entrée, y compris son examen d’anglais alors que c’était sa deuxième langue.

Maintenant, avec une année d’études derrière lui, il était plus confiant. Il louait une maison avec d’autres jeunes saints des derniers jours qui étudiaient à Harvard et dans les écoles voisines. Après avoir beaucoup prié, il choisit de se consacrer essentiellement à la chimie. Quelques saints des derniers jours aspiraient à une carrière scientifique, d’autres étudiaient l’ingénierie, le droit, la médecine, la musique, l’architecture et le commerce. Comme beaucoup d’étudiants universitaires, ces jeunes gens se délectaient de débats bruyants entre eux sur des sujets savants.

En juillet 1892, James Talmage, collègue chimiste et savant respecté dans l’Église, se rendit à Boston pour chercher et rassembler des instruments de laboratoire pour une université de l’Église à Salt Lake City. Susa Gates, son amie et ancienne camarade de classe, se rendit aussi à Harvard pour suivre un cours d’anglais donné pendant l’été.

John fut impressionné de voir qu’elle était une bonne oratrice et un écrivain talentueux. De son côté, elle fut impressionnée par sa nature raffinée et artistique et ils se lièrent rapidement d’amitié. Dans une lettre à sa fille, Leah, qui avait environ l’âge de John, Susa écrivit : « Il y a un jeune homme ici, beau et calme, studieux et réservé. Il a une excellente personnalité et est vraiment le plus savant d’eux tous. Je crois qu’il te plairait. »

Susa déplora : « Je doute qu’il sache danser, mais il a un cerveau aussi développé que celui de James Talmage et, en prime, un beau visage à mes yeux. »

Après avoir passé plus de deux ans dans la clandestinité, Lorena Larsen et ses enfants avaient de nouveau une maison à eux à Monroe (Utah), non loin de l’endroit où son mari, Bent, vivait avec son autre femme, Julia. Bien que Monroe fût sa ville natale, elle ne s’y sentait pas toujours la bienvenue.

Dans toute l’Église, de nombreuses familles plurales continuaient de vivre comme elles avaient toujours vécu, assurées qu’elles accomplissaient la volonté de Dieu. Cependant, certains membres de l’Église de Monroe croyaient que c’était un péché de la part d’un homme de continuer d’avoir des enfants avec ses femmes plurales. Lorsqu’il parut évident que Lorena attendait un autre bébé, certains de ses voisins et des membres de sa famille commencèrent à la mépriser.

La mère de Bent craignait que son fils ne soit de nouveau jeté en prison à cause de Lorena. La sœur de cette dernière dit qu’une femme plurale enceinte ne valait pas mieux que quelqu’un qui avait commis l’adultère. Et un jour, sa propre mère, qui était aussi présidente de Société de secours de paroisse, vint la voir chez elle et la réprimanda de continuer d’avoir des enfants avec Bent.

Ce soir-là, après que son mari eut coupé du bois pour elle et les enfants, Lorena lui rapporta ce que sa mère avait dit. Au lieu de se montrer compréhensif, il lui dit qu’il était d’accord avec sa belle-mère. Il avait discuté du sujet avec des amis et ils en avaient conclu qu’un homme qui avait des femmes plurales n’avait d’autre choix que celui de rester avec sa première et de se séparer des autres. Lorena et lui resteraient scellés, mais ils devraient attendre jusqu’à la vie suivante pour être de nouveau ensemble.

Lorena en était restée bouche bée. Depuis le Manifeste, Bent lui avait dit et répété qu’il ne l’abandonnerait jamais. Et maintenant, il allait la laisser, elle et les enfants, se débrouiller, et ce, à quelques semaines à peine de son accouchement.

Le couple parla toute la nuit. Lorena pleura et Bent lui dit que les larmes ne changeraient pas la réalité de leur situation.

Elle lui dit : « Si je ne croyais pas que tu pensais obéir à Dieu, je ne pourrais jamais te pardonner. »

Après son départ, Lorena pria pour recevoir force et sagesse. Au moment où le soleil commençait à se lever au-dessus des montagnes, elle trouva Bent en train de travailler dans une étable à l’arrière de la maison de Julia et lui dit qu’il devait l’épauler au moins jusqu’à la naissance du bébé. Après cela, dit-elle, il pouvait aller où il voulait. Dieu était maintenant son seul ami et elle trouverait de l’aide auprès de lui.

Deux semaines plus tard, elle donna naissance à une fille. Le bébé avait cinq jours lorsque Lorena rêva qu’elle mourait et se réveilla paniquée. Si elle mourait, pouvait-elle compter sur Bent pour prendre soin des enfants ? Comme promis, il avait pourvu à ses besoins et à ceux des enfants tout au long de sa grossesse. Mais il jouait rarement avec eux et lorsqu’il le faisait, ses visites étaient tellement rapides et tendues que ceux-ci avaient plutôt l’impression qu’un étranger était venu passer la soirée chez eux.

Lorsque Lorena lui parla de sa prémonition, il n’en fit aucun cas. Il dit : « Ce n’est qu’un rêve. » Toujours inquiète, elle pria souvent pendant le mois suivant, promettant au Seigneur qu’elle supporterait ses épreuves avec patience et ferait son possible pour faire avancer son œuvre, notamment celle du temple.

Cinq semaines après le rêve, un marshal les arrêta, Bent et elle, pour cohabitation illégale. La cour les libéra sous caution, comptant sur elle pour témoigner contre son mari lorsque son procès aurait lieu plus tard cette année-là.

L’arrestation et le mépris que Lorena ressentit de la part de sa famille et de ses amis lui furent insupportables. Ne sachant que faire, elle se confia à l’apôtre Anthon Lund, président du temple de Manti. Anthon pleura en écoutant son histoire. Il lui conseilla : « Marche droit devant toi au milieu des ricanements et des railleries de tout le monde. Tu as entièrement raison. »

Suivant la recommandation de l’apôtre, Lorena prit sa vie en main. Son rêve alarmant et les prières qui s’ensuivirent l’aidèrent à devenir plus patiente, à mieux supporter ses épreuves et à être plus reconnaissante au Seigneur pour sa vie. Bent vit aussi que sa négligence l’avait fait souffrir intensément et ils finirent par décider de rester ensemble, sachant que ce ne serait jamais facile.

Ce mois de septembre, Bent plaida coupable à l’accusation de cohabitation illégale et le juge le condamna à un mois de prison. La sentence n’était pas aussi sévère qu’elle l’avait été des années auparavant, quand il avait purgé une peine de six mois sur une accusation semblable. En fait, depuis le Manifeste, les sentences pour cohabitation illégale étaient souvent plus courtes qu’avant. Mais c’était un rappel que si Lorena et Bent poursuivaient leur relation, les conséquences risquaient d’être pénibles.

C’était tout de même un risque que le couple était maintenant disposé à prendre.


CHAPITRE 43 : Un plus grand besoin d’unité

En septembre 1892, Francis Lyman et Anthon Lund arrivèrent à St George (Utah). Pendant plusieurs semaines, les deux apôtres avaient visité les paroisses et conseillé les saints du Centre et du Sud de l’Utah. Vers la fin de la construction du temple de Salt Lake City, la Première Présidence et les Douze commencèrent à encourager les membres de l’Église à faire preuve d’unité, mais Francis et Anthon trouvèrent des paroisses et des branches où régnait la discorde, et dépourvues d’harmonie et de bonne volonté. St George ne faisait pas exception.

Une grande partie des querelles était d’origine politique. Pendant des décennies, les saints d’Utah avaient voté pour les candidats locaux du Parti populiste, un parti politique composé majoritairement de membres de l’Église. Cependant, en 1891, les dirigeants de l’Église le démantelèrent et encouragèrent les membres à se joindre aux démocrates ou aux républicains, les deux partis qui dominaient le paysage politique des États-Unis. Ces dirigeants espéraient qu’une plus grande diversité politique parmi les saints accroîtrait leur influence dans les élections locales et à Washington. Ils croyaient aussi que la diversité aiderait l’Église à atteindre des buts tels que l’obtention du statut d’État et l’amnistie générale pour tous ceux qui avaient contracté un mariage plural avant le Manifeste.

Mais maintenant, pour la première fois, les saints luttaient âprement les uns contre les autres à cause d’opinions politiques divergentes. Le conflit troublait Wilford Woodruff et, lors de la conférence générale d’avril 1892, il les avait incités à cesser leurs querelles.

Il avait déclaré : « Chaque homme (prophète, apôtre, saint et pécheur) a le droit d’avoir ses opinions politiques et ses convictions religieuses. Ne jetez ni grossièretés ni bêtises à la figure des autres en raison de divergences politiques. »

Il avertit : « Cet esprit nous conduira à la ruine. »

À St George, comme ailleurs, la plupart des saints croyaient qu’ils devaient se joindre au parti démocrate, car le parti républicain avait très largement contribué à la campagne contre la polygamie. Dans beaucoup de collectivités, on pensait généralement qu’un bon saint des derniers jours ne pouvait pas être républicain.

Wilford Woodruff et d’autres dirigeants de l’Église voulaient contester cette idée, surtout parce qu’à l’époque les États-Unis étaient gouvernés par une administration républicaine. En découvrant la situation à St George, Anthon et Francis voulurent faire comprendre aux saints que les différences d’opinions politiques ne devaient pas engendrer d’agressivité ni de division au sein de l’Église.

Au cours d’une réunion de la prêtrise tenue l’après-midi, Francis rappela aux hommes que l’Église avait besoin de membres dans les deux partis. Il les rassura : « Nous ne disons pas que celui qui est démocrate doit changer de parti. » Cependant, il dit que les saints qui n’éprouvaient aucun intérêt pour le parti démocrate devraient envisager de se joindre aux républicains. Il fit remarquer : « Les différences entre les deux partis sont bien moins nombreuses qu’il n’y paraît. »

Il exprima ensuite son amour pour tous les saints, quelle que soit leur opinion politique. Il insista : « Nous ne pouvons pas nous permettre de nourrir des sentiments hostiles les uns envers les autres. »

Deux jours plus tard, Francis et Anthon se rendirent au temple de St George. Ils participèrent à des baptêmes, à des dotations et à d’autres ordonnances. Un esprit édifiant régnait dans le bâtiment.

C’était le genre d’esprit dont les saints avaient besoin alors qu’ils se préparaient à consacrer un autre temple au Seigneur.

À Salt Lake City, des charpentiers, des électriciens et d’autres ouvriers expérimentés travaillaient rapidement pour s’assurer que l’intérieur du temple de Salt Lake City soit prêt pour la consécration prévue en avril 1893. Le 8 septembre, la Première Présidence visita le bâtiment avec l’architecte Joseph Don Carlos Young et d’autres personnes. Tandis qu’ils allaient de salle en salle, inspectant les travaux en cours, les membres de la présidence étaient contents de ce qu’ils voyaient.

Dans son journal, George Q. Cannon fit la remarque suivante : « Tout est réalisé avec les plus belles finitions. »

Il était particulièrement impressionné par les caractéristiques modernes du temple. Il écrivit : « Je suis stupéfait de voir les changements apportés depuis l’ébauche du premier plan du temple, du fait des dernières inventions. » Truman Angell, l’architecte original du temple, avait prévu de le chauffer avec des poêles et de l’éclairer à la bougie. Grâce aux nouvelles technologies, les saints allaient équiper tout le bâtiment d’un éclairage électrique et d’un système de chauffage à vapeur. Les ouvriers étaient également en train d’installer deux ascenseurs pour aider les usagers à se déplacer facilement d’un étage à l’autre.

Cependant, les fonds pour la construction étaient épuisés et certaines personnes doutaient que l’Église ait les moyens de terminer les travaux dans les six mois. Au début de l’année 1890, la Première Présidence avait investi massivement dans une usine de betteraves sucrières au sud de Salt Lake City. Ce faisant, elle espérait créer une culture commerciale pour les fermiers locaux et de nouveaux emplois pour les personnes qui, en quête de meilleures possibilités professionnelles, pourraient être amenées à quitter l’Utah. Cet investissement et la perte des biens de l’Église confisqués par le gouvernement fédéral privaient ses dirigeants de ressources précieuses qu’ils auraient pu utiliser pour achever le temple.

Les Sociétés de Secours, les Sociétés d’Amélioration Mutuelle, les Primaires et les Écoles du Dimanche essayaient d’alléger le fardeau financier en collectant des dons pour le fonds du temple. Mais il fallait faire bien plus.

Le 10 octobre, au dernier étage du temple, dans la grande salle de réunion partiellement terminée, la Première Présidence et le Collège des Douze se réunirent avec d’autres dirigeants de l’Église, notamment des présidents de pieu et des évêques. Le but de la réunion était de recruter les dirigeants locaux pour aider à lever des fonds pour le temple.

Peu de temps après que George Q. Cannon eut ouvert la réunion, John Winder, conseiller dans l’Épiscopat Président, dit à l’assemblée qu’il faudrait au moins cent soixante-quinze mille dollars de plus pour terminer les travaux. La décoration de l’intérieur coûterait encore plus.

Wilford Woodruff parla de son désir sincère de voir le temple achevé à la date prévue. George incita ensuite les hommes présents à user de leur influence pour lever les fonds nécessaires. Chaque pieu était censé collecter un certain montant en fonction de sa taille et des moyens de chaque famille.

Les hommes dans la pièce ressentirent l’Esprit avec puissance et acceptèrent d’aider. L’un d’eux, John R. Murdock, recommanda que toutes les personnes présentes énoncent le montant qu’elles étaient disposées à donner. Un par un, les dirigeants de l’Église s’engagèrent généreusement, promettant une contribution totale de plus de cinquante mille dollars.

Avant la fin de la réunion, George dit : « À mon avis, il n’y a jamais eu, et ce depuis l’organisation de l’Église, de moment où nous ayons eu un plus grand besoin d’unité qu’aujourd’hui. » Il témoigna que la Première Présidence était unie et cherchait constamment à connaître la volonté du Seigneur quant à la manière de diriger l’Église.

Il déclara : « Le Seigneur nous a bénis et a tenu compte de nos efforts. Il nous a clairement indiqué, jour après jour, le chemin que nous devions suivre. »

Joseph Dean, l’ancien président de la mission des Samoa, était l’un des charpentiers qui travaillaient sur le temple. Il était revenu du Pacifique deux ans plus tôt. Pendant un certain temps, il avait eu du mal à trouver un travail stable pour subvenir aux besoins de ses femmes, Sally et Florence, et de leurs sept enfants. En février 1892, quand il fut embauché pour travailler au temple, ce fut une grande bénédiction, mais son salaire et celui que touchait Sally en cousant et en confectionnant des robes étaient à peine suffisants pour nourrir, loger et vêtir leur grande famille.

À l’automne de 1892, la Première Présidence accorda une augmentation de dix pour cent aux ouvriers du temple afin de s’aligner sur les salaires des autres ouvriers de l’industrie. Pour certains, c’était le salaire le plus élevé qui leur avait jamais été versé. Joseph et ses épouses étaient reconnaissants de l’augmentation, mais ils avaient toujours du mal à joindre les deux bouts.

Cependant, ils payaient leur dîme avec fidélité et donnèrent même vingt-cinq dollars au fonds du temple.

Le 1er décembre, Joseph toucha son salaire mensuel de quatre-vingt-dix-huit dollars et dix-sept cents. Après le travail, il se rendit au magasin voisin pour régler une dette de cinq dollars. Le propriétaire du magasin était son évêque et au lieu de se contenter d’accepter le paiement, il lui dit que leur président de pieu avait récemment demandé à chaque famille du pieu de donner une somme d’argent précise à l’Église pour la construction du temple. On demandait à Joseph et aux siens de verser cent dollars.

Joseph fut abasourdi. Sally venait tout juste d’accoucher et il devait payer le médecin. Il devait aussi de l’argent à cinq autres magasins et le loyer de la maison de Florence. Le règlement du cumul de toutes ses dettes dépassait son salaire mensuel, qui lui-même était inférieur au don demandé par le pieu. Comment pourrait-il verser autant, surtout après avoir fait don de vingt-cinq dollars au prix de grands sacrifices de la part de sa famille ?

Aussi difficile qu’il en serait de s’acquitter de son obligation, Joseph accepta de trouver un moyen de réunir l’argent. Ce soir-là, dans son journal, il écrivit : « Je ferai de mon mieux et je ferai confiance au Seigneur pour m’en sortir. »

Ce mois de janvier, Maihea, dirigeant âgé des saints sur les îles Tuamotu, organisa une conférence sur Faaite, un atoll à cinq cents kilomètres au nord-est de Tahiti. Les jours précédant la conférence, il plut abondamment, mais les saints étaient déterminés et ne laissèrent pas le mauvais temps les empêcher de venir.

Un matin peu avant la conférence, une brise vigoureuse amena quatre bateaux à Faaite depuis Takaroa, un atoll situé à deux jours au nord. Maihea apprit que parmi les saints nouvellement arrivés se trouvaient quatre hommes blancs qui affirmaient être des missionnaires de l’Église, ayant l’autorité d’enseigner l’Évangile rétabli.

Maihea était méfiant. Sept ans plus tôt, un missionnaire de l’Église réorganisée de Jésus-Christ des saints des derniers jours était venu dans son village sur l’atoll Anaa voisin. Il avait invité les saints d’Anaa à se joindre à lui pour le culte, prétendant que Brigham Young et les saints d’Utah s’étaient éloignés de la véritable Église du Christ. Beaucoup avaient accepté son invitation, mais Maihea et d’autres avaient refusé, se rappelant que c’était Brigham Young qui avait envoyé les missionnaires qui leur avaient enseigné l’Évangile.

Ne sachant pas si ces nouveaux venus étaient de véritables représentants de l’Église, Maihea et les saints de Tuamotu les accueillirent froidement, ne leur laissant qu’une noix de coco verte à manger. Cependant, peu de temps après, Maihea apprit que le missionnaire le plus âgé était un unijambiste du nom de James Brown, ou Iakabo, qui était le nom de l’un des missionnaires qui lui avaient enseigné l’Évangile. Même les saints qui étaient trop jeunes pour l’avoir connu personnellement avaient entendu la génération précédente mentionner son nom.

Étant aveugle, Maihea ne pouvait pas reconnaître le missionnaire, il lui posa donc des questions. Il dit : « Si vous êtes bien la personne qui était parmi nous avant, vous avez perdu une jambe, car le Iakabo que je connaissais en avait deux. »

Maihea lui demanda ensuite s’il enseignait la même doctrine que l’homme qui l’avait baptisé tant d’années auparavant.

James répondit que oui.

Les questions de Maihea se poursuivirent : Êtes-vous venu de Salt Lake City ? Qui est le président de l’Église maintenant que Brigham Young est mort ? Quelle main levez-vous quand vous baptisez ? Est-ce vrai que vous croyez au mariage plural ?

James répondit à chaque question, mais Maihea demeurait insatisfait. Il demanda : « Quel était le nom du village où les Français vous ont arrêté ? » Une fois de plus, James répondit correctement à la question.

Finalement, la peur de Maihea se dissipa et il serra la main de James avec joie. Désignant les missionnaires qui l’accompagnaient, il dit : « Si tu n’étais pas venu et n’avais pas prouvé que tu étais bel et bien le même homme que celui qui était là avant, il aurait été inutile d’envoyer ces jeunes gens ici, car nous ne les aurions pas reçus.

Mais maintenant, nous te souhaitons la bienvenue. Nous souhaitons également la bienvenue à ces jeunes gens. »

Ce même mois, à la demande de la Première Présidence, Anthon Lund, Francis Lyman et B. H. Roberts visitèrent Manassa (Colorado). Quatre mois s’étaient écoulés depuis qu’Anthon et Francis avaient demandé aux saints de St George de cesser de se quereller en raison des divergences politiques. Depuis lors, des conflits similaires continuaient de perturber Manassa et d’autres communautés de saints. À présent, à moins de deux mois de la consécration du temple de Salt Lake City, les dirigeants de l’Église craignaient que ces communautés ne soient pas préparées à la consécration si elles ne parvenaient pas à retrouver l’unité et l’amour.

À Manassa, divers saints rencontrèrent les trois dirigeants de l’Église pour exposer leurs griefs. Certains jours, Anthon passait jusqu’à dix heures à écouter accusations et ripostes en rapport avec des divergences politiques, professionnelles et personnelles. Il dénombra soixante-cinq conflits que les saints de Manassa espéraient voir résolus par les dirigeants de l’Église.

Après avoir examiné chaque cas, ses collègues et lui essayèrent de résoudre les plus graves. Certains saints réglèrent leurs différends en privé ou acceptèrent de présenter publiquement des excuses pour ce qu’ils avaient dit et fait. D’autres, bien que mécontents des solutions recommandées, promirent humblement de les adopter.

Au bout de deux semaines, Anthon, Francis et B. H. pensaient avoir fait tout ce qu’ils pouvaient pour aider les saints de Manassa. Ils savaient pourtant que de nombreux désaccords mineurs subsistaient. Ils donnèrent l’exhortation suivante à la présidence de pieu : « Nous vous demandons de faire tout votre possible pour résoudre tous les différends qui existent encore et pour unir le peuple dans l’esprit de l’Évangile. »

B. H. raccompagna Anthon et Francis jusqu’à leur train, mais il ne repartit pas avec eux. Sa deuxième femme, Celia, et leurs enfants vivaient à Manassa et il voulait passer quelques jours de plus avec eux.

De retour en Utah, B. H. se mit à son journal pour réfléchir à ses efforts pour surmonter les conflits et trouver la paix dans sa vie. Depuis plus d’un an, il était tourmenté par ses difficultés à soutenir le Manifeste. Petit à petit, son cœur s’était adouci en se souvenant de la confirmation spirituelle qu’il avait reçue comme un éclair de lumière quand il avait entendu parler du changement.

Il écrivit : « Peut-être ai-je péché en rejetant le premier témoignage que j’en avais reçu et en permettant à mes préjugés personnels, à mon manque de vision et à la raison humaine de s’opposer à l’inspiration de Dieu.

Je ne comprenais pas les objectifs de la publication du Manifeste. » Il continua : « À ce jour, je ne les comprends toujours pas, mais je suis sûr que tout est bien. Je suis certain que Dieu a un objectif et, qu’en temps voulu, il nous sera manifesté. »

Le 5 janvier 1893, Joseph Dean apprit que le président des États-Unis, Benjamin Harrison, avait signé une amnistie générale, graciant tous les saints qui avaient pratiqué le mariage plural et qui depuis le Manifeste avaient cessé de vivre sous le même toit.

Quelques mois plus tôt, le président avait prévenu les dirigeants de l’Église qu’il allait la signer. Dans la même dépêche, il avait demandé à la Première Présidence de prier pour sa femme, Caroline, qui était sur son lit de mort. Après des années de conflit entre les saints et le gouvernement, la Première Présidence fut surprise par la demande et honorée de la satisfaire.

Pour Joseph, l’amnistie eut peu d’effet puisqu’il n’avait pas abandonné sa famille plurale après le Manifeste. Le Deseret News et d’autres journaux d’Utah reconnurent l’importance symbolique du geste, et des articles incitèrent les saints à être reconnaissants envers le président Harrison de l’avoir proclamée en toute bonne foi.

Pendant ce temps, Joseph et d’autres ouvriers prolongeaient leurs journées de travail de deux heures afin de terminer le temple de Salt Lake City avant le 6 avril. La Première Présidence visitait régulièrement le site, vérifiant les détails et encourageant les artisans dans leurs efforts.

Joseph, pour sa part, était déterminé à faire de son mieux pour construire le temple et tenir sa promesse de donner cent dollars en vue de son achèvement. En février, l’apôtre John W. Taylor annula le paiement de cent dollars d’intérêt pour un prêt qu’il avait consenti à Joseph et ce dernier le vit immédiatement comme une bénédiction. Il écrivit dans son journal : « J’estime que le Seigneur m’a remboursé. »

Mi-mars, Joseph avait payé soixante-quinze dollars pour la construction du temple et espérait verser les vingt-cinq restants en avril, juste avant l’achèvement des travaux. Il emmena aussi deux de ses enfants voir l’intérieur du temple. Dans le baptistère, il leur montra une grande cuve reposant sur le dos de douze bœufs en fonte, un spectacle qui effraya Jasper, son fils de cinq ans, qui pensait que les animaux étaient réels.

Dans une salle de dotation du sous-sol, des artistes peignaient de magnifiques fresques représentant le jardin d’Éden, avec des cascades, des prairies herbeuses et des collines vallonnées. Une cage d’escalier partait de cette pièce et menait à une autre salle de dotation où d’autres fresques de déserts, de falaises escarpées, d’animaux sauvages et de nuages sombres illustraient la vie après la Chute. Avant de commencer les peintures murales, la plupart des artistes avaient été mis à part par la Première Présidence et reçu une formation de classe internationale auprès de professeurs à Paris.

Vers la fin du mois de mars 1893, l’évêque John Winder rassembla les ouvriers et les exhorta à régler les griefs ou les sentiments négatifs qui existaient parmi eux. Le temple devait être physiquement prêt pour la consécration, mais les ouvriers devaient l’être aussi spirituellement.

Pour aider tous les saints à se réconcilier avec Dieu et les uns avec les autres, la Première Présidence organisa un jeûne spécial douze jours avant la consécration.

Dans une lettre adressée à tous les membres de l’Église, elle écrivit : « Avant d’entrer dans le temple pour nous présenter devant le Seigneur en assemblée solennelle, nous nous débarrasserons de tout mauvais sentiment à l’égard d’autrui. »

Le jour du jeûne, un samedi, Sally et Florence Dean se rassemblèrent avec d’autres saints pour chanter, parler et prier, mais Joseph ne put se joindre à eux. Il y avait trop à faire dans le temple et ses collègues et lui travaillèrent toute la journée, tout en jeûnant.

Au cours des jours qui suivirent, il aida à installer des lattes de plancher tandis que les équipes chargées des moquettes, des tentures, des peintures, des dorures et de l’électricité s’empressaient d’accomplir les tâches de dernière minute. Un comité d’hommes et de femmes orna ensuite les pièces de meubles élégants et d’autres décorations. Parmi les articles à disposition, il y avait des napperons de soie pour recouvrir les autels et d’autres objets artisanaux donnés par les femmes des paroisses de la ville.

Il resterait encore du travail à faire après la consécration, mais Joseph était sûr que le temple serait prêt à ouvrir ses portes le jour convenu. Il écrivit : « En fin de compte, tout semble très bien s’articuler. »

Le jour du jeûne général, Susa Gates reçut une lettre de Leah, sa fille de dix-neuf ans, qui cherchait à se réconcilier avec elle. À cette époque, Susa vivait à Provo tandis que Leah faisait ses études à Salt Lake City. Leah écrivit : « Je n’avais pas imaginé que ce serait auprès de ma chère mère que je devrais implorer le pardon pour les sentiments et les fautes passés. »

Plus tôt dans la semaine, Susa s’était disputée avec elle au sujet d’Alma Dunford, le père de celle-ci. Des années auparavant, ils avaient divorcé quand elle n’avait plus pu supporter son penchant pour la boisson et ses mauvais traitements. Alma avait pourtant obtenu la garde de Leah, si bien qu’elle avait grandi avec la famille de son père, loin de Susa.

Depuis, il s’était remarié et avait eu d’autres enfants. Bien qu’il ait continué à avoir du mal à respecter la Parole de sagesse, il était devenu un mari et un père bienveillant qui avait bien subvenu aux besoins de sa famille et avait élevé ses enfants en tant que membres de l’Église. Leah l’aimait et le voyait différemment de sa mère. Elle dit à Susa : « Tu connais mes sentiments et je ne peux m’empêcher de les exprimer. J’aime ma mère plus que je ne saurais le dire, mais j’aime aussi mon père. »

Après la dispute, elle avait quand même senti qu’elle devait s’excuser. Elle écrivit : « Je me repens humblement et sincèrement et je te supplie de me pardonner et d’oublier. »

En lisant la lettre, Susa fut désolée que sa fille ait été accablée de remords. Son père, Brigham Young, lui avait conseillé de toujours placer sa famille en premier, promettant que tout ce qu’elle accomplirait ensuite ajouterait à sa gloire. Depuis, elle avait connu la réussite dans et hors de son foyer. À trente-sept ans, elle avait un mariage heureux, six enfants en vie et un autre en route, et était reconnue comme l’un des écrivains les plus talentueux et les plus prolifiques de l’Église.

Malgré ce succès, elle avait quand même parfois le sentiment de ne pas être à la hauteur de ses attentes élevées en matière de maternité. Sa relation avec Leah avait été particulièrement difficile. Pendant de nombreuses années après le divorce, elles n’avaient pas pu se fréquenter. Cependant, quand Leah eut quinze ans, Susa avait arrangé une rencontre à la Lion House où elles s’étaient embrassées et avaient pleuré de joie. Depuis, elles avaient des rapports aimants et affectueux et elles se considéraient parfois davantage comme des sœurs que comme mère et fille.

Le samedi 25 mars, Susa assista à la réunion de jeûne spéciale avec les autres saints de Provo. Leah n’était jamais loin de ses pensées. Elle se rendit compte que l’adversaire ferait tout ce qu’il pouvait pour briser les liens d’amour qui s’étaient développés si récemment entre elle et sa fille aînée, et elle ne le permettrait pas.

Dès qu’elle le put, elle répondit à sa lettre. Elle écrivit : « Ma fille chérie, sache que je t’aime davantage chaque jour. » À son tour, elle demanda pardon à Leah et promit de faire mieux. Elle admit : « Je sais que je suis loin d’être parfaite. Le plus blessant dans tes paroles est peut-être le fait que, dans une certaine mesure, je les méritais.

Grâce à la prière et à un petit effort de notre part, apprenons à laisser ces choses de côté. Embrasse-moi et enterre-les à jamais. »


CHAPITRE 44 : Une paix bienheureuse

L’animation et l’agitation régnaient pendant les jours précédant la consécration du temple de Salt Lake City. Les travaux étaient encore en cours la veille de l’ouverture des portes. D’autre part, les rues de la ville étaient bondées de visiteurs arrivant toutes les heures en train, en buggy et à cheval. Les dirigeants de l’Église avaient décidé d’organiser deux sessions de consécration par jour jusqu’à ce que tous les membres qui le souhaitaient aient pu y assister. Des dizaines de milliers de saints avaient l’intention de se rendre à Salt Lake City ce printemps-là pour voir la maison du Seigneur de leurs propres yeux.

La veille de la première session, les dirigeants de l’Église offrirent une visite guidée aux journalistes locaux et nationaux, ainsi qu’aux dignitaires qui n’étaient pas membres. Nombre d’entre eux firent l’éloge du travail superbe effectué sur le temple, de ses élégants escaliers en colimaçon jusqu’à son sol délicatement carrelé. Même les détracteurs les plus farouches de l’Église furent étonnés.

Un journaliste du Salt Lake Tribune écrivit : « L’intérieur est une telle révélation de beauté que les visiteurs s’arrêtent et demeurent involontairement immobiles, totalement captivés par ce qui les entoure. »

Le lendemain matin, le 6 avril 1893, le jour se leva, clair, mais froid. Plusieurs heures avant le début de la première session, plus de deux mille saints munis de recommandations commencèrent à faire la queue devant les portes du temple. Une fois qu’elles furent ouvertes et que certains furent entrés, le temps se refroidit et une forte bise se mit à souffler. Bientôt, une pluie glaciale se mit à tomber et la bise se transforma en un vent hurlant qui soufflait sur les saints rassemblés patiemment dans la queue.

Tout comme le temple de Kirtland qui n’avait pu accueillir toutes les personnes qui voulaient assister à sa consécration, la spacieuse salle de réunion de celui de Salt Lake City était trop petite pour contenir toutes celles qui avaient fait la queue. Même après la fermeture des portes, une foule de saints resta près du bâtiment. Vers dix heures, à l’heure prévue pour le début de la session, le vent reprit, faisant voler graviers et débris. Pour certains, le diable lui-même semblait faire rage contre les saints et le temple qu’ils avaient construit.

Pourtant, les personnes qui se tenaient à l’extérieur virent un signe qui leur rappela une manifestation antérieure des soins attentifs de Dieu. Levant les yeux, elles aperçurent un grand vol de mouettes virevoltant dans le ciel, encerclant les flèches du temple au milieu de la tempête.

À l’intérieur, Susa Gates prit place à la table des greffiers, à l’extrémité est de la salle de réunion. Étant l’une des journalistes officielles des sessions de consécration, elle allait faire le compte rendu de la réunion en sténographie. Bien qu’elle ne fût qu’à quelques semaines d’accoucher, elle avait l’intention d’assister à chacune des dizaines de sessions prévues et d’en faire le rapport.

Des centaines de lampes électriques disposées sur cinq lustres suspendus éclairaient la pièce d’un éclat éblouissant. La salle pouvait accueillir deux mille deux cents personnes et occupait tout l’étage. Parmi celles qui se trouvaient là, il y avait Jacob, le mari de Susa, et Lucy Young, sa mère. Des chaises en velours rouge remplissaient la majorité de l’espace et des rangées de hautes estrades destinées aux dirigeants de l’Église étaient situées à l’est et à l’ouest de la salle. Tous les sièges disponibles étaient occupés et certaines personnes étaient debout.

Bientôt, les trois cents membres du Chœur du Tabernacle se levèrent, les hommes vêtus de costumes noirs et les femmes de vêtements blancs. Leurs voix résonnèrent tandis qu’ils entonnaient « Let All Israel Join and Sing » [Que tout Israël s’unisse et chante], un cantique de Joseph Daynes, organiste du chœur.

Le président Woodruff se leva ensuite pour s’adresser aux saints. Il dit : « Cela fait cinquante ans que j’attends ce jour avec impatience. » Quand il était jeune, il avait eu une vision où il s’était vu en train de consacrer un magnifique temple dans les montagnes de l’Ouest. Plus récemment, il avait rêvé que Brigham Young lui donnait un jeu de clés pour le temple de Salt Lake City.

Brigham avait dit : « Va déverrouiller ce temple et laisse entrer le peuple, tous ceux qui veulent le salut. »

Après avoir raconté ces visions aux saints, il s’agenouilla sur un tabouret rembourré pour lire la prière de consécration. Parlant d’une voix forte et claire, il supplia Dieu d’appliquer le sang expiatoire du Sauveur et de pardonner aux saints leurs péchés. Il pria : « Permets que les bénédictions que nous recherchons nous soient accordées, oui, au centuple, étant donné que nous cherchons avec pureté de cœur et détermination totale à faire ta volonté et à glorifier ton nom. »

Pendant plus de trente minutes, il rendit grâces à Dieu et le loua. Il présenta le bâtiment au Seigneur, lui demandant de veiller sur lui et de le protéger. Il pria pour les collèges de la prêtrise, la Société de secours, les missionnaires, les jeunes et les enfants de l’Église. Il pria pour les dirigeants des nations et pour les pauvres, les affligés et les opprimés. Enfin, il demanda que tout le monde puisse avoir le cœur adouci et être libre d’accepter l’Évangile rétabli.

Avant de conclure, il demanda au Seigneur de fortifier la foi des saints. Il fit cette prière : « Fortifie-nous par le souvenir des glorieuses délivrances passées, par le souvenir des alliances sacrées que tu as faites avec nous, afin que, lorsque le mal nous enveloppe, lorsque les ennuis nous environnent, lorsque nous traversons la vallée de l’humilité, nous ne faiblissions ni ne doutions, mais qu’avec la force de ton saint nom, nous accomplissions tous tes justes desseins. »

Après la prière, Lorenzo Snow, le président du Collège des douze apôtres, dirigea l’assemblée dans un cri du Hosanna rempli de liesse. Le chœur et l’assemblée chantèrent ensuite « L’Esprit du Dieu Saint ».

Susa fut profondément émue par la consécration. Son père avait donné le premier coup de pioche quelques années avant sa naissance. Toute sa vie, elle avait donc vu des femmes et des hommes fidèles y consacrer leur argent, leurs moyens et leurs labeurs. Récemment, sa propre mère avait anonymement fait don de cinq cents dollars au fonds du temple.

Elle pensait qu’ils étaient tous sûrs de recevoir des bénédictions pour avoir placé leurs offrandes sur l’autel du sacrifice et de l’amour chrétien.

Joseph F. Smith parla plus tard au cours de la cérémonie, le visage baigné de larmes il dit : « Tous les habitants de la terre sont le peuple de Dieu et nous avons le devoir de leur apporter les paroles de vie et de salut et de racheter ceux qui sont morts sans connaître la vérité. Cette maison a été érigée au nom de Dieu dans ce but. »

Une lumière radieuse semblait émaner de lui et Susa pensa qu’un rayon de soleil avait filtré par la fenêtre pour lui illuminer le visage. Elle chuchota à l’homme qui se trouvait à côté d’elle : « Les rayons du soleil produisent un effet bien étrange. Regarde ! »

L’homme répondit sur le même ton : « Il n’y a pas de soleil dehors, rien que de la grisaille. »

Susa jeta un coup d’œil par la fenêtre et vit le ciel rempli de nuages noirs. Elle se rendit alors compte que la lumière qui se dégageait du visage de Joseph était le Saint-Esprit, qui était descendu sur lui.

Ce même jour, Rua et Tematagi, jeune couple de l’atoll d’Anaa, assistaient à une conférence avec d’autres saints des îles Tuamotu. La réunion, présidée par James Brown, président de mission, commença à sept heures du matin, au moment où la première session de consécration commençait à Salt Lake City.

Depuis plusieurs jours, des missionnaires et d’autres membres de l’Église se rassemblaient à Putuahara, ce même endroit d’Anaa où Addison Pratt avait réuni plus de huit cents saints près de cinquante ans plus tôt. Les vents violents avaient récemment mis l’océan en fureur, mais les bourrasques avaient cessé et un soleil tiède se levait maintenant sur le village.

Rua et Tematagi étaient devenus membres de l’Église quelques mois après la venue de James Brown dans les îles. À son arrivée, il avait trouvé l’atoll violemment divisé par la religion, mais son fils Elando et lui avaient baptisé quelques nouveaux saints. En acceptant le baptême, Rua et Tematagi unissaient leur foi à celle de la sœur cadette de Rua, Terai, et de son mari, Tefanau, qui étaient devenus membres de l’Église neuf ans plus tôt. Teraupua, le père de Rua, était aussi membre et avait récemment été ordonné à la Prêtrise de Melchisédek.

Au début de la conférence, James Brown parla de la consécration du temple et de son importance. Joseph Damron, l’un des anciens qui avaient rouvert la mission tahitienne, parla de la construction des temples dans les derniers jours. Bien que celui de Salt Lake City fût à des milliers de kilomètres, les saints de Tuamotu célébrèrent ce jour historique et en apprirent davantage sur le rôle des temples dans la rédemption des vivants et des morts.

À la fin de la réunion, ils empruntèrent un sentier menant à l’océan pour regarder Elando baptiser cinq nouveaux convertis dans l’eau chaude du Pacifique. Parmi les saints baptisés, il y avait Mahue, Rua et la fille de Tematagi, âgée de neuf ans. Après le baptême, elle fut confirmée par son oncle Tefanau. Rua fut ensuite ordonné ancien dans la Prêtrise de Melchisédek par Terogomaihite, dirigeant local de l’Église. Deux autres saints des îles furent ordonnés anciens et mis à part comme présidents de branche.

La conférence se termina deux jours plus tard et les saints convinrent de se réunir de nouveau trois mois plus tard. Joseph Damron et d’autres habitants des îles voisines dirent ensuite au revoir à leurs amis d’Anaa. Avant le départ de Joseph, Rua lui offrit un petit bijou.

Le 9 avril, la neige jonchait le sol de Temple Square lorsqu’une cinquantaine de saints hawaïens de la colonie de Iosepa se rassemblèrent aux portes du temple pour montrer leur recommandation.

Plus de deux ans s’étaient écoulés depuis que la Première Présidence avait visité la colonie pour en célébrer la fondation. Depuis, les saints avaient continué de travailler dur pour cultiver leurs terres. Bien qu’ils en eussent acheté plus de trois cents hectares supplémentaires et qu’ils eussent réussi à produire une grande variété de cultures, l’argent était encore rare. Malgré cela, quand la Première Présidence avait demandé des dons pour achever le temple, ils avaient réuni mille quatre cents dollars.

Lorsqu’ils apprirent qu’une date était prévue pour qu’ils assistent à la consécration, les habitants de Iosepa furent remplis d’un regain d’énergie. Ils travaillèrent sans relâche pour effectuer leurs semailles de printemps avant de faire les deux jours de voyage jusqu’à Salt Lake City. Toutes les charrues, les herses et les semoirs furent mis à contribution jusqu’à ce que les saints fussent prêts à partir.

Bien qu’une recommandation pour la consécration n’exigeât rien de plus que l’appartenance à l’Église et le désir d’y assister, les saints de Iosepa voulaient s’assurer qu’ils étaient spirituellement prêts à entrer dans le temple. Près de trente d’entre eux demandèrent à être rebaptisés et un service de baptême spécial eut lieu dans le réservoir de la ville.

Après avoir présenté leur recommandation aux portes du temple, les saints de Iosepa entrèrent dans le bâtiment et parcoururent ses nombreuses salles. Les saints de Laie avaient envoyé une petite table incrustée de feuillus hawaïens pour le temple et deux perches ornées de plumes d’oiseaux hawaïens étaient exposées dans un coin de la salle céleste. Les femmes de la Société de secours hawaïenne avaient fabriqué les perches, appelées kāhili, qui symbolisent la royauté et la protection spirituelle.

Bientôt, les saints de Iosepa et plus de deux mille autres prirent place dans la salle de réunion. Ensemble, ils chantèrent, écoutèrent la prière de consécration et poussèrent le cri de Hosanna. Après un autre cantique, Wilford Woodruff remercia les gens de leur contribution au temple et témoigna de Jésus-Christ.

Il demanda ensuite à George Q. Cannon de prendre la parole. George dit : « Notre mission est bien plus grande que celle des personnes qui nous ont précédés. Les saints sont en train de poser les fondements d’une œuvre dont ils ne peuvent saisir l’étendue. »

Avant de conclure, il s’adressa aux saints de Iosepa dans leur propre langue.

Il dit : « Il y a des millions d’esprits qui sont morts, mais qui ne sont pas en mesure d’aller auprès de Dieu parce qu’ils ne possèdent pas la clé. » Il faisait allusion aux Hawaïens de l’autre côté du voile qui accepteraient l’Évangile et témoigna que l’Église avait besoin que les saints hawaïens accomplissent les ordonnances du temple pour leurs ancêtres décédés.

Plus tard, lors d’une réunion de la branche de Iosepa, un homme nommé J. Mahoe parla de son expérience lors de la consécration et de la leçon importante qu’il avait apprise là-bas. Il dit : « Je me réjouis d’avoir pu aller au temple et d’avoir été témoin des événements qui s’y sont déroulés. Nous devons nous occuper de notre généalogie. »

Le 19 avril, à dix heures du matin, la Première Présidence organisa une réunion spéciale au temple pour toutes les Autorités générales et les présidences de pieu. Une fois que les hommes furent assemblés, elle leur demanda de faire part de leurs sentiments concernant la consécration du temple et l’œuvre de Dieu dans la vie des saints.

Toute la matinée, un homme après l’autre rendit un témoignage puissant. Quand ils eurent fini, Wilford se leva et ajouta le sien. Il dit : « J’ai davantage ressenti le Saint-Esprit dans cette consécration que jamais auparavant, à l’exception d’une occasion. » Il parla ensuite de l’époque où Joseph Smith avait confié pour la dernière fois leur mission aux apôtres à Nauvoo.

Il témoigna : « Il s’est tenu devant nous pendant trois heures environ. La pièce semblait remplie d’un feu dévorant et le visage de Joseph brillait comme de l’ambre. »

Il raconta également qu’il avait vu Brigham Young et Heber Kimball dans une vision après leur mort. Les deux hommes se rendaient à la conférence dans une calèche et ils l’avaient invité à se joindre à eux. Wilford était monté et avait demandé à Brigham de parler.

Brigham lui avait dit : « J’ai fini de prêcher sur la terre, mais je suis venu pour te faire comprendre ce que Joseph m’avait dit à Winter Quarters, à savoir : cherche toujours l’Esprit de Dieu et il te guidera dans la bonne direction. »

Le message de Wilford aux Autorités générales était le même. Il dit : « Assurez-vous que le Saint-Esprit vous guide. Enseignez au peuple à obtenir le Saint-Esprit et l’Esprit du Seigneur, et gardez-le avec vous et vous prospérerez. »

Lorsqu’elle était jeune fille, Zina Young, présidente générale de la Société de secours, avait entendu des anges chanter dans le temple de Kirtland. Des décennies plus tard, elle avait servi fidèlement dans la maison des dotations de Salt Lake City et dans les temples de St George, Logan et Manti. Dorénavant, elle allait superviser toutes les servantes des ordonnances dans le temple de Salt Lake City.

Le soir suivant la première session de consécration, elle rendit témoignage du temple lors d’une conférence de la Société de secours. Elle dit aux femmes : « Il n’y a jamais eu une telle journée en Israël. À partir d’aujourd’hui, l’œuvre du Seigneur va s’accélérer. »

Sa secrétaire, Emmeline Wells, témoigna de la même chose dans les pages du Woman’s Exponent. Elle écrivit : « Aucun événement moderne n’est aussi important que l’ouverture de ce saint édifice consacré à l’accomplissement des ordonnances pour les vivants et les morts, les dotations et les alliances unissant le passé et le présent, les familles et leurs ancêtres par des liens inséparables. »

Ce printemps-là, après la dernière session de consécration, Zina et Emmeline firent leurs derniers préparatifs avant de se rendre à Chicago pour assister à une conférence de femmes lors de l’exposition universelle de 1893, un salon monumental destiné à présenter les merveilles de la science et de la culture de nombreux pays. Comme la première conférence du Conseil national des femmes deux ans plus tôt, l’exposition allait donner aux dirigeantes de la Société de secours et de la Société d’Amélioration Mutuelle des Jeunes Filles l’occasion de représenter l’Église et de rencontrer les femmes influentes du monde entier.

Les deux amies partirent pour Chicago le 10 mai. Cinquante ans plus tôt, lorsque les premiers saints étaient arrivés dans la vallée du lac Salé, il leur avait fallu des semaines pour parcourir la distance que leur train couvrit en quelques jours à peine. Traversant le Mississippi, Emmeline fut submergée par l’émotion en pensant au passé. Bien que les saints eussent enduré de nombreuses épreuves au cours du demi-siècle qui venant de s’écouler, ils avaient également connu de nombreuses victoires.

Zina aussi se surprit à penser au passé. Plus tard, elle dit à Emmeline : « Le manteau du temps enveloppe rapidement beaucoup d’entre nous. Lorsqu’après nos sacrifices indescriptibles, nous irons dans l’au-delà vers notre repos, puisse cela ressembler aux plus beaux couchers de soleil de l’Utah et qu’à l’avenir, de nombreuses personnes aient des raisons de louer Dieu pour les nobles femmes de cette génération. »

À peu près à l’époque où Zina Young et Emmeline Wells se rendaient à l’exposition universelle, Anna Widtsoe reçut une lettre de son fils, John, qui étudiait à Harvard. Depuis près d’un mois, il attendait avec impatience du courrier de sa mère et de son frère cadet, Osborne, au sujet de la consécration du temple. Mais jusqu’à présent, rien n’était arrivé.

Il écrivit : « Je suis fatigué de lire les nouvelles de la consécration dans le journal. Je veux en entendre parler plus personnellement parce qu’il y a plus de vie dans une lettre que dans les journaux du monde entier. »

La famille lui avait bien entendu déjà écrit au sujet de la consécration, mais le service postal, aussi rapide qu’il fût devenu au fil des ans, ne l’était toujours pas assez pour lui.

Anna et Osborne avaient assisté ensemble à une session de consécration. Plus tard, Osborne avait assisté à une session spéciale pour les enfants et les jeunes de l’École du dimanche. Tandis qu’il parcourait le temple, il avait vu un tableau de trois pionnières, dont l’une était norvégienne. Le tableau était un hommage à la foi et au sacrifice de nombreuses immigrantes qui comme Anna avaient quitté leur pays natal pour se rassembler en Sion.

Près de dix ans s’étaient écoulés depuis que les Widtsoe avaient fait le voyage jusqu’en Utah. Maintenant, à Salt Lake City, ils avaient un petit logement confortable situé à quelques rues du magasin où Osborne travaillait. Anna avait un atelier de couture et assistait aux réunions de la Société de secours de sa paroisse. Elle se réunissait aussi régulièrement avec d’autres saints scandinaves dans l’ancienne salle polyvalente. Elle avait trouvé un foyer parmi les saints et elle chérissait sa foi en l’Évangile rétabli. Avant de l’embrasser, elle était comme une aveugle de naissance. Maintenant, elle voyait.

Mais elle s’inquiétait pour John. Il lui avait récemment parlé de ses difficultés à croire en certains aspects de l’Évangile. À Harvard, il avait appris beaucoup de choses auprès de ses professeurs. Mais leurs cours l’avaient aussi amené à remettre sa foi en question. Ses doutes le perturbaient grandement. Certains jours, il niait l’existence de Dieu. D’autres jours, il l’affirmait.

Anna priait quotidiennement pour son fils, profondément bouleversée par ses doutes, mais elle savait qu’il devait acquérir son propre témoignage de l’Évangile. Elle lui écrivit : « Si tu n’as pas encore ton propre témoignage, c’est le moment d’en obtenir un. Si tu cherches sincèrement et mènes une vie pure, tu le recevras. Mais tout ce que nous avons, nous devons le mériter. »

Pour Anna, le temple fortifiait sa foi aux promesses de Dieu à ses enfants. Avant même de partir de Nauvoo, les saints avaient fondé leurs espoirs en la prophétie d’Ésaïe selon laquelle toutes les nations se rassembleraient dans la maison du Seigneur sur le sommet des montagnes. Fin avril 1893, plus de quatre-vingt mille hommes, femmes et enfants, dont beaucoup d’immigrants d’Europe et des îles de la mer, vinrent assister à une session de consécration. Un esprit d’amour et d’unité régna sur chaque réunion et les saints eurent l’impression que la parole du Seigneur s’était accomplie.

Maintenant, aux portes d’un nouveau siècle, ils pouvaient s’attendre à un avenir plus radieux et plus audacieux. Les quatre temples de l’Utah, qui représentaient tant de sacrifices et de foi, n’étaient que le début. Brigham Young avait déclaré un jour : « Combien l’œuvre qui est devant nous est grande si nous sommes fidèles ! Nous serons en mesure de construire des temples, oui, des milliers, et d’en construire dans tous les pays du monde. »

En pénétrant dans celui de Salt Lake City, Anna avait ressenti le caractère sacré des lieux. Dans une lettre à John, elle écrivit : « J’ai essayé de rester dans la salle céleste aussi longtemps que possible. Je l’ai vue et j’ai eu l’impression que j’étais baignée dans la lumière et qu’aucun endroit sur la terre n’avait plus de valeur pour moi. »

Elle témoigna : « Tout est si magnifique ici, il y règne une paix bienheureuse qu’aucune langue ne peut expliquer. Seuls ceux qui y sont entrés et ont reçu la sainteté de la sainteté la comprenne. »




TOME 3


HARDIMENT, NOBLEMENT ET EN TOUTE INDÉPENDANCE

1893-1955




PREMIÈRE PARTIE : Un fondement ferme
CHAPITRE 1 : Des jours meilleurs et plus radieux
CHAPITRE 2 : Si nous nous montrons prêts
CHAPITRE 3 : Le chemin de la justice
CHAPITRE 4 : Beaucoup de bien
CHAPITRE 5 : Une condition essentielle
CHAPITRE 6 : Notre souhait et notre mission
CHAPITRE 7 : Sur la sellette
CHAPITRE 8 : Le rocher de la révélation
CHAPITRE 9 : Lutter et se battre

DEUXIÈME PARTIE : Sur toute la terre (1911-1930)
CHAPITRE 10 : Donne-moi la force
CHAPITRE 11 : Une responsabilité trop lourde
CHAPITRE 12 : Cette guerre terrible
CHAPITRE 13 : Héritiers du salut
CHAPITRE 14 : Des sources de lumière et d’espérance
CHAPITRE 15 : Pas de plus grande récompense
CHAPITRE 16 : Écrit dans les cieux
CHAPITRE 17 : Préservés l’un pour l’autre
CHAPITRE 18 : N’importe quel endroit sur la terre
CHAPITRE 19 : L’Évangile du Maître

TROISIÈME PARTIE : Au cœur de la bataille (1930-1945)
CHAPITRE 20 : Des temps difficiles
CHAPITRE 21 : Une meilleure compréhension
CHAPITRE 22 : Récompense éternelle
CHAPITRE 23 : Tout ce qu’il faut
CHAPITRE 24 : Le but de l’Église
CHAPITRE 25 : Pas de temps à perdre
CHAPITRE 26 : Les rejetons immondes de la guerre
CHAPITRE 27 : Dieu est à la barre
CHAPITRE 28 : Notre effort commun
CHAPITRE 29 : Reste avec nous, Seigneur
CHAPITRE 30 : Tant de souffrances

QUATRIÈME PARTIE : Couronnés de gloire (1945-1955)
CHAPITRE 31 : Sur la bonne voie
CHAPITRE 32 : Frères et sœurs
CHAPITRE 33 : La main de notre Père
CHAPITRE 34 : Va le voir
CHAPITRE 35 : Nous ne pouvons pas échouer
CHAPITRE 36 : Attentivement et à l’aide de la prière
CHAPITRE 37 : Avec une intention réelle
CHAPITRE 38 : Plus de force, plus de lumière
CHAPITRE 39 : Une ère nouvelle

À PROPOS DES SOURCES
SOURCES
REMERCIEMENTS





PREMIÈRE PARTIE :
Un fondement ferme (1893-1911)

Chapitre 1 : Des jours meilleurs et plus radieux

Evan Stephens et le Tabernacle Choir allaient avoir la chance de leur vie. On était au mois de mai 1893 et l’Exposition universelle venait de s’ouvrir à Chicago, métropole en pleine expansion du Midwest américain. Pendant les six mois suivants, des millions de personnes du monde entier viendraient visiter l’Exposition. Sur près de deux cent cinquante hectares s’étendaient des parcs verdoyants, des lagunes et des canaux chatoyants, et des palais étincelants couleur ivoire. À chaque détour, les visiteurs entendaient de magnifiques concerts, respiraient de nouveaux arômes alléchants et admiraient des expositions impressionnantes présentées par les quarante-six pays participants.

Evan savait que, pour attirer l’attention du monde, il n’y avait pas de scène plus grande que celle de l’Exposition universelle.

En tant que chef de chœur, il avait hâte de se produire à l’Eisteddfod international, concours prestigieux de chant gallois qui aurait lieu à l’automne dans le cadre de l’Exposition. Comme ses choristes et lui étaient gallois ou avaient des ancêtres gallois, ils étaient imprégnés des traditions musicales de leur terre natale. Mais ce concours ne leur donnait pas simplement l’occasion de faire honneur à leur héritage. Un concert à Chicago était l’occasion parfaite pour le Tabernacle Choir, ensemble choral principal de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, de montrer ses talents et de faire connaître l’Église à davantage de personnes.

À de nombreuses reprises, de fausses informations circulant sur les saints leur avaient causé du tort et avaient été à l’origine de conflits avec leurs voisins. Un demi-siècle plus tôt, ils s’étaient réfugiés dans la vallée du lac Salé, loin de leurs oppresseurs. Mais la paix avait été éphémère, surtout à partir du moment où les saints avaient commencé à pratiquer ouvertement le mariage plural. Au cours des décennies suivantes, le gouvernement des États-Unis avait mené une campagne implacable contre le mariage plural. Les détracteurs de l’Église s’étaient acharnés à détruire son image publique et à dépeindre les saints comme un peuple grossier et peu éclairé.

En 1890, Wilford Woodruff, président de l’Église, avait publié le Manifeste, une déclaration officielle qui avait mis fin à la pratique du mariage plural parmi les saints. Dès lors, l’opposition du gouvernement fédéral vis-à-vis de l’Église s’était atténuée. Cependant, le changement était lent et les incompréhensions persistaient. Maintenant, à la fin du siècle, les saints voulaient montrer au monde qui ils étaient et ce en quoi ils croyaient.

Malgré son désir fervent de voir le chœur représenter l’Église à l’Exposition, Evan faillit être obligé de laisser passer cette chance. Une crise financière venait de frapper les États-Unis, paralysant la situation économique de l’Utah. Beaucoup de membres du chœur étaient pauvres et Evan ne voulait pas qu’ils utilisent leurs revenus pour le voyage. Il craignait aussi qu’ils ne soient pas prêts pour le concours. Bien qu’ils aient chanté tels des anges lors de la récente consécration du temple de Salt Lake City, ils n’étaient qu’un chœur d’amateurs. S’ils n’étaient pas à la hauteur des autres chœurs, ils nuiraient à l’image de l’Église.

En fait, plus tôt dans l’année, Evan et la Première Présidence de l’Église avaient finalement renoncé à participer au concours. Mais l’Eisteddfod avait alors envoyé des représentants à Salt Lake City. Après avoir écouté le chœur, ils dirent à George Q. Cannon, premier conseiller dans la Première Présidence, que les saints pouvaient gagner la compétition.

Le président Cannon, se tournant vers Evan, lui demanda : « Pensez-vous que notre chœur a des chances de gagner ? »

Evan lui répondit : « Je ne le pense pas, mais nous pouvons faire une bonne impression. »

Cela suffit au président Cannon. D’autres saints désireux de représenter au mieux l’Église étaient déjà partis à Chicago. Les dirigeantes de la Société de Secours et de la Société d’Amélioration Mutuelle (SAM) des jeunes femmes s’adresseraient au congrès des organisations représentatives des femmes organisé dans le cadre de l’Exposition et qui allait être la plus grande assemblée de femmes dirigeantes jamais tenue. B. H. Roberts, l’un des sept présidents des soixante-dix, espérait parler de l’Église au parlement des religions qui se tiendrait aussi dans le cadre de l’Exposition.

À la demande de la Première Présidence, le chœur commença immédiatement à répéter et à réunir des fonds pour le voyage. Evan devait réaliser l’impossible et cela, en moins de trois mois.

Ce printemps-là, la crise économique qui posait des problèmes au Tabernacle Choir menaça également l’Église de ruine financière.

Six ans plus tôt, au plus fort de sa campagne contre la polygamie, le congrès des États-Unis avait adopté la loi Edmunds-Tucker autorisant la confiscation des biens de l’Église. Craignant que le gouvernement ne saisisse leurs dons, de nombreux saints avaient cessé de payer la dîme, réduisant considérablement la principale source de financement de l’Église. Pour couvrir ses pertes, l’Église avait emprunté de l’argent et investi dans des entreprises commerciales afin de disposer de suffisamment de fonds pour continuer à faire avancer l’œuvre du Seigneur. Elle avait également contracté des prêts afin de pouvoir terminer la construction du temple de Salt Lake City.

Le 10 mai 1893, la Première Présidence demanda à l’apôtre Heber J. Grant de partir immédiatement vers l’est pour négocier de nouveaux emprunts afin de soulager les fardeaux financiers de l’Église. En Utah, les banques faisaient faillite et les prix agricoles s’effondraient. Bientôt, l’Église ne serait plus en mesure de payer ses secrétaires, ses agents administratifs et ses autres employés. Puisque Heber était président d’une banque à Salt Lake City et avait de nombreux amis dans le secteur financier, les dirigeants de l’Église espéraient qu’il obtiendrait de l’argent.

Une fois que Heber eut accepté d’entreprendre ce voyage, frère Cannon lui donna une bénédiction, promettant que des anges le soutiendraient. Heber prit alors le train en direction de la côte est, le poids de l’Église reposant sur ses épaules. S’il échouait, l’Église ne pourrait pas rembourser ses prêts et perdrait la confiance de ses créanciers. Elle ne pourrait pas emprunter l’argent dont elle avait besoin pour continuer à fonctionner.

Peu après son arrivée à New York, Heber renouvela plusieurs prêts et emprunta vingt-cinq mille dollars supplémentaires. Il contracta ensuite un autre emprunt, obtenant finalement cinquante mille dollars supplémentaires Malheureusement, ses efforts ne suffisaient pas à maintenir les finances de l’Église à flot.

Les jours passaient et il ne parvenait pas à trouver d’autres prêteurs. La crise effrayait tout le monde. Personne ne voulait prêter de l’argent à une institution déjà lourdement endettée.

Heber n’arrivait plus à dormir. Il craignait que sa santé ne lui fît défaut avant la fin de sa mission. Il écrivit dans son journal : « Je mesure plus d’un mètre quatre-vingts et je ne pèse que soixante-trois kilos. Il n’y a donc pas beaucoup d’excédent dans lequel puiser. »

Le matin du 19 mai, Emmeline Wells était nerveuse. À dix heures, elle-même et d’autres dirigeantes de la Société de Secours présenteraient leur organisation au congrès mondial des organisations représentatives des femmes, à l’Exposition universelle de Chicago.

Elle espérait que leurs discours corrigeraient les stéréotypes néfastes concernant les femmes dans l’Église. Comme la majeure partie des deux cent mille membres de l’Église vivaient dans l’ouest américain, peu de gens avaient déjà rencontré une sainte des derniers jours. Ce qu’ils savaient d’elles provenait généralement de livres, de magazines et de brochures qui répandaient de fausses informations sur l’Église et les décrivaient comme étant sans éducation et opprimées.

À dix heures, les huit cents sièges de la salle n’étaient pas tous occupés. Le public avait été bien informé de la session de la Société de Secours, mais d’autres réunions importantes se tenaient en même temps, attirant des personnes qui, sinon, seraient peut-être venues écouter les femmes d’Utah. Emmeline reconnut quelques visages parmi le public, notamment des saints venus pour les soutenir. Toutefois, elle repéra dans l’assistance une personnalité importante, qui n’était pas membre de l’Église : la journaliste Etta Gilchrist.

Dix ans plus tôt, Etta avait écrit un roman condamnant le mariage plural et les saints. Mais depuis, Emmeline et elle avaient trouvé une cause commune dans la défense du droit de vote des femmes et Emmeline avait publié un article de la journaliste sur ce sujet dans le Woman’s Exponent, journal dont elle était la rédactrice en chef en Utah. Si Etta rédigeait un rapport positif, cela serait certainement favorable à la réputation des saints.

La session commença par l’interprétation du cantique « O mon Père » écrit par Eliza R. Snow. Zina Young, présidente générale de la Société de Secours, et d’autres dirigeantes prononcèrent ensuite de brefs discours sur l’œuvre de la Société de Secours et l’histoire de l’Église. Parmi les oratrices, certaines étaient des pionnières arrivées en Utah, d’autres y étaient nées. Lorsqu’Emmeline prit la parole, elle fit l’éloge du raffinement dont faisait preuve les femmes de lettres d’Utah et décrivit la longue expérience de la Société de Secours en matière de stockage des céréales.

S’adressant au public, elle dit : « Si jamais il y a une famine, venez à Sion. »

Avant la fin de la réunion, Emmeline appela Etta sur l’estrade. Elle se leva et vint s’asseoir à côté de Zina. Elle serra la main de chaque femme venant d’Utah, émue par leur bienveillance à son égard malgré le fait qu’elle les ait autrefois dénigrées.

Quelques jours plus tard, le rapport d’Etta concernant la réunion de la Société de Secours parut dans le journal. On y lisait : « Les mormons sont visiblement un peuple très fervent. Leur foi dans leurs croyances est merveilleuse. »

Décrivant l’accueil que lui avaient réservé les saints, elle avait ajouté : « Pour moi, cette seule réunion valait la peine de venir à Chicago. »

Emmeline fut reconnaissante de ce compliment.

Alors que les banques et les entreprises d’Utah faisaient faillite, Leah Dunford, dix-neuf ans, s’inquiétait pour les membres de sa famille. Ils n’étaient pas riches et sa mère, Susa Gates, fille de Brigham Young, avait vendu un terrain qui lui était cher afin que Leah puisse étudier la médecine et le sport lors de cours d’été organisés sur le campus de l’université de Harvard à Cambridge, dans le Massachusetts. Elle ne savait pas si elle devait s’y rendre. Elle se demandait s’il était juste de profiter du sacrifice de sa mère.

Susa voulait que Leah assiste aux cours d’été, quel que soit le prix à payer. À l’époque, de nombreux jeunes saints des derniers jours quittaient l’Utah pour étudier dans des universités prestigieuses de l’est des États-Unis. L’année passée, Susa avait suivi les cours d’été et elle espérait que sa fille vive une aussi bonne expérience qu’elle. Elle pensait également que l’un des étudiants qu’elle avait rencontrés là-bas, un jeune saint des derniers jours norvégien nommé John Widtsoe, serait un compagnon idéal pour Leah.

Abstraction faite de ses préoccupations financières, Leah était impatiente de poursuivre ses études. Sa mère croyait que les jeunes saintes des derniers jours devaient faire de bonnes études et avoir une formation professionnelle. Tant que le mariage plural était pratiqué, il permettait à quasiment toutes les saintes des derniers jours qui le souhaitaient de contracter cette alliance. Cependant, la génération de Leah, la première à atteindre l’âge adulte après le Manifeste, n’avait plus cette garantie ni celle du soutien financier que le mariage apportait alors aux femmes.

Même si, dans de nombreuses régions du monde, les femmes avaient maintenant davantage de possibilités d’études et de carrière professionnelle, dans l’Église, les parents craignaient souvent que cela n’amène leurs filles à épouser un non-membre et à se détourner de la foi. C’était pour cette raison que les dirigeantes de la Société d’Amélioration Mutuelle des jeunes femmes commencèrent à mettre l’accent sur l’importance d’obtenir un témoignage fort et de prendre les décisions importantes dans un esprit de prière.

Susa avait déjà incité Leah à jeûner et prier au sujet de sa relation avec John Widtsoe. Elle-même avait divorcé du père de Leah qui, à l’époque, buvait beaucoup. Elle souhaitait ardemment que sa fille ait un mariage heureux avec un jeune homme juste. Bien sûr, il fallait déjà que Leah rencontre John. Jusque là, ils n’avaient échangé que quelques lettres.

En juin 1893, Leah parcourut plus de trois mille kilomètres pour se rendre à Harvard en compagnie de quatre femmes venant d’Utah. Comme elles arrivèrent tard dans la maison où vivaient John et d’autres étudiants saints des derniers jours, elles n’eurent pas l’occasion de les rencontrer. Toutefois, le lendemain matin, Leah remarqua un jeune homme silencieux, assis seul dans un coin. Elle lui dit : « Je suppose que vous êtes frère Widtsoe. Ma mère m’a parlé de vous. »

Elle l’avait toujours imaginé comme étant un grand scandinave bien bâti. Au lieu de cela, il était petit et mince. Que voyait donc sa mère en lui ?

Peu impressionnée, Leah ne fit pas attention à lui jusqu’à l’heure du dîner. On demanda alors à John de découper la viande. La jeune femme pensa qu’au moins, il était utile. Puis, quand tout le monde s’agenouilla pour bénir la nourriture, John fit la prière Celle-ci toucha profondément le cœur de Leah.

Elle se dit : « C’est lui. »

À partir de ce moment-là, Leah et John ne se quittèrent presque plus. Un après-midi, alors qu’ils se promenaient ensemble dans un parc, ils s’arrêtèrent sur une petite colline surplombant un étang. Là, John raconta à Leah son enfance en Norvège et ses jeunes années à Logan, en Utah.

Comme il se mettait à pleuvoir, ils s’abritèrent dans une tour voisine où Leah parla à John de sa vie. Ils montèrent ensuite au sommet de la tour et parlèrent pendant une heure et demie de leurs espoirs pour l’avenir.

John Widtsoe était amoureux de Leah Dunford mais il ne voulait pas l’admettre. Dès son arrivée à l’école, il voulut l’ignorer. Il était très occupé et n’était pas intéressé par une idylle à cette période de sa vie. Il avait de grands projets pour l’avenir. Leah était une distraction.

Pourtant, il aimait le fait qu’elle sache jouer de plusieurs instruments et qu’elle parle avec légèreté ou gravité, en fonction de la situation. Il appréciait qu’elle aide la gouvernante tandis que les autres étudiants restaient assis sans rien faire. Plus que tout, il aimait son ambition.

Il écrivit à sa mère, Anna, à Salt Lake City : « Elle a le désir de faire quelque chose dans le monde. Elle sera une femme éminente dans l’éducation en Utah. »

D’après ses calculs, il devrait travailler au moins deux ou trois ans pour rembourser son emprunt souscrit pour payer ses études à Harvard. Il lui faudrait ensuite quatre ans pour obtenir un diplôme en Europe et quatre ans de plus pour rembourser cette dette-là. Puis il lui faudrait encore au moins trois ans pour gagner assez d’argent pour pouvoir envisager d’épouser Leah.

Par ailleurs, John n’était pas encore certain de ses croyances religieuses. Il avait foi en la pureté de Jésus et en sa bonté. À son arrivée à Harvard, il avait reçu un fort témoignage du fait que Dieu l’avait aidé à réussir ses examens d’entrée. Cependant, il n’était pas aussi confiant au sujet de l’Église. Plus tôt dans l’année, il avait écrit une lettre à sa mère mentionnant les questions qu’il se posait sur l’Église et ses dirigeants. La lettre avait tant inquiété Anna qu’elle lui avait répondu immédiatement, certaine qu’il avait perdu son témoignage.

Dans sa lettre suivante, John avait essayé de s’expliquer. Comme d’autres saints de son âge, il était en proie aux doutes. Les dirigeants de l’Église lui avaient toujours enseigné qu’il vivait dans les derniers jours, époque où le Seigneur délivrerait son peuple de ses ennemis. Cependant, au cours des trois dernières années, il avait vu les saints abandonner le mariage plural et se diviser avec amertume sur des sujets politiques. Maintenant, il se demandait si les saints réussiraient un jour à édifier Sion.

Il avait dit à sa mère : « Rien ne semble aller comme prévu. »

Dans ses lettres, John avait aussi essayé d’expliquer que le fait de croire en quelque chose ne lui suffisait pas. Il devait savoir pourquoi il y croyait. Il avait écrit : « Il ne sert à rien de dire ‘j’y crois’ et de ne plus y penser. » Il continuait néanmoins à prier pour obtenir une meilleure compréhension des choses relatives à l’Église.

Le 23 juillet, il vécut une expérience spirituelle puissante. Une femme méthodiste assistait à une réunion dominicale des étudiants saints des derniers jours, au cours de laquelle on demanda à John d’improviser un sermon. Surpris, il se leva, ne sachant pas ce qu’il dirait. Il choisit de parler de la personnalité de Dieu, espérant que ses paroles aideraient la visiteuse à comprendre les croyances des saints. Tandis qu’il parlait, il n’était pas confus et ne se répétait pas, comme il le faisait parfois lorsqu’il s’adressait à une assemblée. Au lieu de cela, il prêcha un sermon clair et intelligible pendant plus de trente minutes.

Il écrivit à sa mère : « J’ai ressenti l’Esprit de Dieu. Je n’ai jamais su autant de choses sur lui et sur sa personnalité. »

Après la réunion, John passa le reste de la journée avec Leah. Pendant leur conversation, il lui dit qu’il voulait qu’elle rencontre sa mère. Il avait déjà tellement parlé d’elle à Anna. Il voulait maintenant qu’elles se rencontrent en personne.

Le 1er septembre 1893, peu avant minuit, Heber J. Grant était allongé, éveillé, dans sa chambre d’hôtel à New York. Plus tôt dans la journée, il avait reçu un télégramme terrifiant. La banque d’épargne et société fiduciaire de Sion, l’institution financière la plus importante de l’Église, était au bord de la faillite. Il en était de même de la banque d’État de l’Utah, qu’il présidait. S’il ne parvenait pas à transférer de l’argent vers ces banques le lendemain, elles ne rouvriraient pas. Aux yeux des créanciers, la réputation de Heber et celle de l’Église seraient alors ternies, peut-être pour toujours.

Heber s’agitait dans son lit. Plus tôt dans l’année, George Q. Cannon avait promis que des anges l’aideraient. Plus récemment, Joseph F. Smith, deuxième conseiller dans la Première Présidence, lui avait promis un succès dépassant toutes ses attentes. À ce stade, il était impossible à Heber de croire que quelqu’un lui prêterait suffisamment d’argent pour sauver les banques.

Il pria pour obtenir de l’aide, suppliant Dieu tandis que les larmes lui coulaient sur le visage. Finalement, vers trois heures du matin, il s’endormit sans vraiment savoir comment résoudre ce dilemme.

Il se réveilla plus tard que d’habitude. C’était un samedi et les banques fermaient à midi ; il devait se dépêcher. S’agenouillant pour prier, il demanda au Seigneur de trouver quelqu’un qui soit disposé à lui prêter deux cent mille dollars. Il dit qu’il était prêt à faire n’importe quel sacrifice, y compris de donner au prêteur une commission importante.

À la fin de sa prière, Heber était soulagé, certain que le Seigneur l’aiderait. Il décida de rendre visite à John Claflin, chef d’une grande entreprise commerciale, mais il ne le trouva pas dans son bureau. À court de temps, Heber monta dans un train à destination du quartier financier de la ville, dans l’espoir de se rendre dans une autre banque. Pendant le trajet, il s’absorba dans la lecture du journal et manqua son arrêt. En descendant du train, il se mit en route sans trop savoir où aller. Il se retrouva devant le bureau d’une connaissance et y entra. Là, il tomba sur John Claflin, l’homme qu’il cherchait.

Connaissant la situation difficile de Heber, John accepta de prêter deux cent cinquante mille dollars à l’Église, à condition de recevoir vingt pour cent de commission. Malgré le coût élevé, Heber sut que le Seigneur avait répondu à ses prières. Il envoya immédiatement l’argent à Salt Lake City.

Les fonds arrivèrent juste à temps pour sauver les banques de la faillite.

Evan Stephens dit aux membres du Tabernacle Choir : « Ne prêtez pas attention à vos concurrents avant d’avoir chanté. Restez sereins. »

C’était l’après-midi du 8 septembre. Le chœur venait de finir sa répétition générale pour l’Eisteddfod. Dans quelques heures, les chanteurs prendraient place sur scène pour interpréter les trois morceaux qu’ils avaient répétés presque tous les jours cet été-là. Evan ne savait toujours pas s’ils étaient en mesure de gagner mais s’ils faisaient de leur mieux, cela lui suffirait.

Le chœur, accompagné de la Première Présidence, était arrivé à Chicago cinq jours plus tôt. Pour répondre aux exigences du concours, Evan avait réduit le chœur à deux cent cinquante chanteurs. Leur soprano vedette, Nellie Pugsley, avait accouché quelques semaines avant le concert et ne pensait pas pouvoir se produire à l’Exposition. Toutefois, des dispositions furent prises pour que sa sœur s’occupe du bébé pendant qu’elle chanterait.

Le financement du voyage pendant cette période de dépression économique s’avéra aussi compliqué que de préparer le chœur à chanter. Les dirigeants du chœur essayèrent, sans succès, de collecter des fonds auprès des hommes d’affaires de Salt Lake City. Après cet échec, ils décidèrent d’organiser plusieurs concerts en espérant que la vente des billets couvrirait les coûts. Ils donnèrent deux concerts en Utah et quatre dans des grandes villes situées entre Salt Lake City et Chicago.

Ce fut un véritable succès financier mais cela mit à rude épreuve la voix des chanteurs. Le chœur continua de se préparer à Chicago, attirant des centaines de spectateurs à ses répétitions dans le bâtiment de l’Utah, grand hall d’exposition où étaient présentés des objets venant du territoire.

À la fin de la répétition générale, Evan et les chanteurs se réunirent dans le sous-sol de la salle de concert. Pendant qu’ils attendaient leur tour pour monter sur scène, John Nuttall, le secrétaire du chœur, fit une prière, rappelant à chaque chanteur qu’il représentait l’Église et son peuple à l’Exposition.

Il implora : « Permets-nous au moins de faire honneur à ton œuvre et à ton peuple grâce à nos efforts pour les représenter ici devant le monde, ce monde qui nous considère souvent comme ignorants et incultes. »

Lorsque leur tour arriva, Evan prit place sur le podium du chef d’orchestre. Près de dix mille personnes remplissaient la salle et très peu d’entre elles étaient membres de l’Église. Par le passé, un saint des derniers jours aurait risqué de se faire insulter devant un tel public mais Evan ne sentit aucune inimitié de leur part.

Une fois que les chanteurs se furent installés sur la scène, le silence se fit dans la salle. Le chœur commença alors à chanter « Worthy Is the Lamb [L’agneau est digne] » de Haendel :

L’Agneau qui a été immolé

et nous a rachetés par son sang,

est digne de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force,

l’honneur, la gloire et la louange.

Leurs voix étaient puissantes ; Evan les trouvait splendides. Une fois le morceau terminé, le public applaudit à tout rompre. Le chœur chanta ensuite deux autres morceaux et, bien qu’Evan entendît la fatigue dans certaines voix, les chanteurs terminèrent leur prestation avec succès.

Evan déclara plus tard à la Première Présidence : « Nous avons fait de notre mieux. Je suis satisfait. »

Lorsque les résultats furent annoncés, le Tabernacle Choir prit la deuxième place, à un demi-point seulement du vainqueur. L’un des juges déclara que les saints auraient dû gagner la compétition. Mais frère Cannon pensait que le chœur avait accompli quelque chose de plus grandiose encore. Il fit remarquer : « En tant qu’entreprise missionnaire, cette performance a toutes les chances d’être une réussite car elle donnera à des milliers de personnes l’occasion de connaître un peu de vérité à notre sujet. »

Evan était lui aussi satisfait de tout ce que ses chanteurs avaient accompli. La nouvelle que le « chœur mormon » avait remporté un prix à l’Exposition universelle parut dans les journaux du monde entier. Il n’aurait pas pu souhaiter de plus grande récompense.

Le lendemain du concert, le président Woodruff parla des saints lors d’un banquet officiel à l’Exposition. Il dit d’une voix forte : « Venez nous voir. Si vous n’avez jamais visité Salt Lake City, vous êtes tous les bienvenus. » Il invita aussi des dirigeants d’autres confessions religieuses à venir faire des discours dans leur ville. Il déclara : « S’il n’y a pas de place dans les églises, nous vous donnerons notre tabernacle. »

Le prophète retourna en Utah dix jours plus tard, ressourcé par la bienveillance manifestée envers les saints à Chicago. Le seul incident ayant entaché l’expérience de l’Église à l’Exposition se produisit lorsque les organisateurs du parlement des religions empêchèrent B. H. Roberts de parler de l’Église à leur assemblée. Leurs actions furent un triste rappel que les préjugés contre l’Église existaient toujours. Toutefois, les dirigeants croyaient que les gens de tout le pays commençaient à voir les saints sous un jour nouveau. L’accueil chaleureux reçu par la Société de Secours et le Tabernacle Choir lors de l’Exposition faisait naître l’espoir que les persécutions des soixante dernières années touchaient à leur fin.

Le 5 octobre, la veille de la conférence générale de l’Église, lors d’une petite réunion au temple de Salt Lake City, la Première Présidence et le Collège des douze apôtres prirent ensemble la Sainte-Cène.

George Q. Cannon déclara : « J’ai l’impression profonde que des jours meilleurs et plus radieux nous attendent. »


Chapitre 2 : Si nous nous montrons prêts

Tandis qu’aux États-Unis les saints bénéficiaient d’une période de paix, un missionnaire du nom de John James affrontait des agitateurs dans le sud-ouest de l’Angleterre. Au cours d’une réunion, un homme déclara que les saints d’Utah étaient des meurtriers. Une autre fois, quelqu’un affirma que les missionnaires étaient venus en Angleterre pour séduire des jeunes femmes et les emmener afin d’avoir plusieurs femmes. Un peu plus tard, quelqu’un d’autre essaya de convaincre la foule que John et ses compagnons ne croyaient pas en la Bible alors même qu’ils l’avaient utilisée pour prêcher pendant la réunion.

Lors d’un rassemblement, un homme interrompit les missionnaires pour dire qu’il était allé à Salt Lake City et avait vu deux cents femmes rassemblées dans un hangar où Brigham Young lui-même était venu choisir autant d’épouses qu’il voulait. John, qui était né et avait grandi en Utah, savait que cette histoire était absurde. Pourtant, la foule refusa d’écouter ses paroles.

John pensait que la plupart de ce que ces critiques prétendaient connaître de l’Église venait de William Jarman. À la fin des années 1860, William et sa femme, Maria, étaient devenus membres de l’Église en Angleterre. Peu de temps après, ils émigrèrent à New York avec leurs enfants et Emily Richards, l’apprentie de Maria dans son activité de couturière. À l’insu de cette dernière, Emily attendait un enfant de William. La famille finit par s’installer en Utah, où William épousa Emily dans le cadre du mariage plural et se lança dans le commerce de produits alimentaires secs, produits qu’il avait apparemment volés à son employeur à New York.

La vie à Sion ne transforma pas l’homme. Il s’avéra être un mari violent et Maria divorça, ainsi qu’Emily. Il fut également accusé de vol qualifié, pour lequel il fut emprisonné jusqu’à ce que le tribunal classe l’affaire. Déçu par l’Église, il commença à donner des conférences contre elle pour gagner sa vie puis il retourna en Angleterre. Souvent, il émouvait le public jusqu’aux larmes avec une histoire déchirante, accusant les saints d’avoir assassiné son fils aîné, Albert.

Quand John James arriva en Grande-Bretagne, cela faisait des années que William tenait des conférences. Il avait publié un livre critiquant l’Église, et ses partisans agressaient parfois les missionnaires. Dans une ville, ils avaient lancé des pierres sur des missionnaires, blessant l’un d’eux à l’œil.

Malgré le danger, John était déterminé à proclamer l’Évangile en Grande-Bretagne. Dans son rapport aux dirigeants de la mission, il dit : « Nous avons rencontré beaucoup d’opposition de la part des hommes qui ont écouté Jarman. Je pense que nous leur avons bien répondu jusqu’à maintenant et nous avons l’intention de continuer à organiser des réunions. »

L’apôtre Anthon Lund écrivit à sa femme, Sanie, restée en Utah : « Jarman tient toujours des conférences contre nous et il utilise un langage des plus odieux. » Appelé peu avant président de la mission européenne, dont le siège était à Liverpool, en Angleterre, Anthon était bien conscient de la menace que William Jarman représentait pour l’œuvre du Seigneur. De nombreux missionnaires considéraient qu’il était fou, mais lui le percevait comme un critique rusé dont les tromperies ne devaient pas être sous-estimées.

Étant devenu membre de l’Église au Danemark lorsqu’il était enfant, Anthon savait combien il était difficile d’être un saint des derniers jours en Europe. Lorsqu’ils rencontraient de l’opposition, les saints d’Utah trouvaient du réconfort et de la force dans leurs grandes localités peuplées de membres de l’Église. De ce côté de l’Atlantique, huit mille saints des derniers jours étaient dispersés dans toute l’Europe occidentale et la Turquie. Nombre d’entre eux étaient des convertis récents qui fréquentaient de minuscules branches souvent dirigées et soutenues par des missionnaires. Ces branches étaient particulièrement vulnérables face aux attaques contre l’Église menées par des hommes tels que Jarman.

Au cours de l’été et de l’automne 1893, Anthon avait été témoin des difficultés rencontrées par les branches dans lesquelles il s’était rendu en Grande-Bretagne, en Scandinavie et aux Pays-Bas. Même en Angleterre, où l’Église était plus forte, les saints avaient du mal à se soutenir mutuellement parce qu’ils vivaient éloignés les uns des autres. Parfois, les missionnaires rencontraient des saints qui avaient perdu le contact avec l’Église depuis vingt ou trente ans.

Ailleurs en Europe, Anthon constata des problèmes semblables. Il apprit qu’un pasteur célèbre tenait des conférences contre l’Église au Danemark. En Norvège et en Suède, il rencontra des missionnaires et des membres de l’Église en proie à l’opposition provenant de gouvernements locaux ou d’autres Églises. Aux Pays-Bas, les saints étaient en difficulté car, en dehors du Livre de Mormon, ils n’avaient pratiquement aucune documentation de l’Église dans leur langue.

Sur tout le continent, les saints étaient dévoués à la cause de l’Évangile. Malheureusement, peu de branches étaient vraiment florissantes et le nombre de membres diminuait dans certaines régions.

Pendant des décennies, les saints européens s’étaient rassemblés en Utah, où l’Église était mieux établie. Mais, à la fin des années 1880, le gouvernement américain, espérant mettre un terme à la pratique du mariage plural, avait mis fin au fonds perpétuel d’émigration, empêchant ainsi l’Église de prêter de l’argent aux saints démunis qui voulaient s’installer en Utah. Plus récemment, la crise économique mondiale avait plongé de nombreux Européens dans une extrême pauvreté. Certains saints qui avaient économisé de l’argent pour émigrer furent contraints d’abandonner leur projet.

L’entrée aux États-Unis était attentivement contrôlée par les responsables de l’immigration. Comme il y avait encore des gens qui craignaient que les saints européens ne viennent en Utah pour pratiquer le mariage plural, les dirigeants de l’Église demandèrent aux émigrants de traverser l’Atlantique en petits groupes afin de ne pas attirer l’attention. En effet, peu après l’arrivée d’Anthon en Europe, les membres de la Première Présidence lui avaient reproché d’avoir envoyé un groupe de cent trente-huit saints en Utah. Ils lui conseillèrent de ne pas envoyer plus de cinquante émigrants à la fois.

Ne disposant pas des ressources ni de l’autorité nécessaires pour diriger une émigration massive, Anthon parlait rarement en public du rassemblement. En privé, par contre, il incitait les saints à émigrer s’ils en avaient les moyens. À la fin du mois de novembre, de retour en Angleterre, il rencontra une femme âgée qui avait économisé suffisamment d’argent pour se rendre en Utah. Il lui conseilla de s’installer à Manti, non loin de l’endroit où vivait sa propre famille.

Il pensa : « Elle pourrait travailler dans le temple et profiter de ses vieux jours. »

Pendant ce temps, Leah Dunford était rentrée à Salt Lake City. Elle écrivait de longues lettres à John Widtsoe, à l’université de Harvard. Comme promis, elle alla rendre visite à sa mère, Anna, une veuve de quarante-quatre ans qui vivait au sud du temple de Salt Lake City. Lors de cette visite, Anna lui montra une étagère fabriquée par John. Surprise par les compétences en menuiserie de l’étudiant, Leah dit : « Parfait, je vais pouvoir taquiner John à ce sujet. »

Anna s’exclama alors : « Oh, vous lui écrivez ? »

Leah acquiesça, tout en s’inquiétant soudain que la veuve ne désapprouve. Mais Anna affirma qu’elle était heureuse que John et elle soient amis.

Ayant terminé sa formation sur la santé et la forme physique, Leah envisageait de poursuivre ses études dans une université du Midwest des États-Unis. Mais sa mère en avait discuté avec Joseph F. Smith et George Q. Cannon et elle jugea préférable de ne pas l’envoyer seule dans un endroit où l’Église n’était pas établie.

Déçue, Leah s’inscrivit dans une école gérée par l’Église à Salt Lake City, où elle suivit des cours de sciences naturelles et de chimie donnés par James E. Talmage, le président de l’école et l’érudit le plus respecté de l’Église. Leah appréciait ses leçons et apprenait beaucoup de choses grâce à ses professeurs, mais elle enviait les possibilités offertes à John à Harvard.

Elle lui dit : « Comme j’aimerais être un homme ! Les hommes peuvent tout faire sur terre, mais si les femmes pensent à autre chose qu’à les servir ou à préparer leurs repas, ‘elles outrepassent leurs droits’. »

Elle trouva un immense soutien auprès du professeur Talmage, qui lui confia qu’il souhaitait que davantage de jeunes femmes aspirent à enseigner dans les établissements scolaires de l’Église. John lui apporta aussi son soutien. Il écrivit : « Je ne saurais trop louer votre détermination à vous dévouer au bien-être d’autrui. Je vous apporterai toute l’aide possible par la foi et la prière. »

En décembre 1893, un dimanche, Anna se rendit chez Leah. Elle lui parla de sa conversion en Norvège et de ses premières expériences au sein de l’Église. Leah en parla à John : « Cette visite a été très agréable. Je me sens tellement égoïste et indigne quand j’entends parler des sacrifices que d’autres personnes ont faits pour leur religion. »

Leah se désolait du fait que les saints de son âge semblaient généralement plus intéressés par l’argent que par leur progression spirituelle. Dans les années 1870, l’Église avait mis en place les Sociétés d’Amélioration Mutuelle (SAM) des jeunes gens et des jeunes femmes pour fortifier la génération montante. Les jeunes de ces organisations se réunissaient régulièrement un soir par semaine pour étudier l’Évangile, cultiver leurs talents et les bonnes manières, et savourer le plaisir d’être ensemble. Ces organisations publiaient également deux magazines : le Young Woman’s Journal et le Contributor, ainsi que des manuels pour aider les dirigeants des jeunes à préparer des leçons sur les Écritures, l’histoire de l’Église, la santé, la science et la littérature.

Les jeunes hommes pouvaient également envisager de faire une mission afin de progresser spirituellement. Mais cette possibilité n’était pas officiellement offerte aux femmes. Elles pouvaient rendre service à leur prochain en devenant membres de la Société de Secours, mais les jeunes femmes de la génération de Leah percevaient cette organisation comme démodée et réservée à leurs mères. Pour obtenir plus de force spirituelle, Leah participait au culte avec son assemblée locale, jeûnait régulièrement et cherchait des occasions d’étudier l’Évangile.

Le soir du nouvel an, Leah assista à une réunion spéciale à Provo avec les membres de la classe de l’École du Dimanche que sa mère instruisait. Zina Young et Mary Isabella Horne, qui avaient toutes deux fait partie de la Société de Secours de Nauvoo, étaient présentes à la réunion. Elles parlèrent des débuts de l’Église et de l’appel de Joseph Smith en tant que prophète.

Leah écrivit à John : « Nous avons fait un festin spirituel. » L’une après l’autre, toutes les femmes présentes dans la salle rendirent leur témoignage. Leah écrivit : « C’était la première fois de ma vie que je rendais témoignage ou même que je parlais à une assemblée d’un sujet religieux. Nous avons toutes beaucoup apprécié cette soirée. »

Le premier jour de l’année 1894, George Q. Cannon se réveilla rempli de reconnaissance envers le Seigneur pour le bien-être de sa famille. Il nota dans son journal : « Nous avons de la nourriture, des vêtements et un toit. Notre maison est confortable et nous n’avons besoin de rien de plus pour notre confort physique. »

L’année passée avait été favorable à l’Église. Les saints avaient consacré le temple de Salt Lake City, la Société de Secours et le Tabernacle Choir avaient obtenu du succès à l’Exposition universelle de Chicago. De plus, l’Église avait évité de justesse la ruine financière. Fin décembre, la chambre des représentants des États-Unis avait autorisé le territoire de l’Utah à demander le statut d’État, rapprochant ainsi les saints d’un objectif qu’ils poursuivaient depuis 1849.

« Qui aurait pu oser imaginer qu’une telle chose se produirait en faveur de l’Utah ? écrivit George dans son journal. Seule la puissance du Tout-Puissant aurait pu causer cela. »

Au début de cette nouvelle année, George et d’autres dirigeants de l’Église affrontaient de nouveaux problèmes. Le 12 janvier, le gouvernement américain restitua environ quatre cent trente-huit mille dollars qui avaient été confisqués à l’Église en vertu de la loi Edmunds-Tucker. Malheureusement, les fonds récupérés ne suffisaient pas à rembourser les emprunts. Les dirigeants de l’Église étaient reconnaissants pour l’argent restitué, mais ils étaient convaincus que le gouvernement avait rendu moins de la moitié de ce qu’il avait pris aux saints.

Les fonds manquant toujours, la Première Présidence continua de contracter des prêts pour financer le fonctionnement de l’Église. Dans l’espoir de créer des emplois stables et d’engendrer des revenus pour le territoire, l’Église investit également dans plusieurs entreprises locales. Certains de ces investissements permirent aux saints de trouver du travail. D’autres furent un échec, alourdissant encore la dette de l’Église.

Au début du mois de mars, Lorenzo Snow, le président du Collège des douze apôtres, demanda l’avis de la Première Présidence sur la manière d’accomplir l’œuvre du temple pour ses ancêtres proches. Il s’intéressait tout particulièrement au scellement des enfants à leurs parents n’ayant pas accepté l’Évangile au cours de leur vie.

Le premier scellement d’enfants aux parents avait été accompli à Nauvoo. À l’époque, plusieurs saints dont les parents n’étaient pas membres de l’Église avaient préféré être scellés par adoption à des dirigeants de l’Église. Ils croyaient qu’en agissant ainsi, ils s’assureraient une place dans une famille éternelle et s’uniraient à la communauté des saints dans la prochaine vie.

Ce n’est qu’en 1877, après la consécration du temple de Saint George, que des scellements d’adoption et des scellements d’enfants à leurs parents furent accomplis en Utah. Par la suite, de nombreux saints avaient aussi choisi d’être scellés par adoption à la famille d’un apôtre ou d’un autre dirigeant de l’Église. Habituellement, on ne scellait pas une femme à un homme qui n’avait pas accepté l’Évangile de son vivant. De ce fait, une veuve sainte des derniers jours ne pouvait pas être scellée à son mari décédé s’il n’était jamais devenu membre de l’Église. Cette pratique était parfois douloureuse à accepter.

Depuis de nombreuses années, George était mal à l’aise avec les scellements d’adoption. Jeune homme, à Nauvoo, il avait été scellé par adoption à la famille de son oncle, John Taylor, alors que ses parents étaient des membres fidèles de l’Église. D’autres membres avaient également choisi d’être scellés à des apôtres plutôt qu’à leurs parents, fidèles saints des derniers jours. Maintenant, George pensait que cette pratique avait favorisé une forme de sectarisme parmi les saints. En 1890, ses frères et sœurs et lui demandèrent l’annulation de leur scellement à la famille Taylor pour être scellés dans le temple de Saint-George à leurs parents décédés, confirmant les liens d’affection naturelle au sein de leur famille.

Tandis que la Première Présidence discutait du cas de la famille de Lorenzo, George proposa une solution : « Pourquoi ne pas sceller son père et ses frères à son grand-père puis sceller son grand-père et ses frères et sœurs à leurs parents, et ainsi de suite en remontant aussi loin que possible ? »

Cette proposition sembla convenir à Wilford Woodruff et à Joseph F. Smith. Les deux hommes nourrissaient leurs propres réserves au sujet des scellements d’adoption. Toutefois, le président Woodruff n’était pas prêt à approuver un changement dans cette pratique. George gardait espoir que le Seigneur révélerait bientôt sa volonté à ce sujet.

Il écrivit dans son journal : « Le fait est que nous ne savons pas grand-chose sur cette doctrine de l’adoption. Nous avons le privilège de savoir ces choses, et j’espère que le Seigneur sera bon avec nous et nous donnera la connaissance. »

Albert Jarman, le fils du critique le plus virulent de l’Église en Angleterre, n’avait pas été victime d’un horrible assassinat. Au printemps 1894, il faisait une mission en Grande-Bretagne et sa seule présence était la preuve des mensonges de son père.

En arrivant dans le champ de la mission, il avait voulu s’opposer immédiatement à son père. Toutefois, Anthon Lund, le président de mission, voyait bien qu’il n’était pas prêt à affronter quelqu’un d’aussi rusé et sournois. Il préféra envoyer le jeune homme à Londres, l’incitant à étudier l’Évangile et à se préparer aux attaques de son père. Il lui conseilla aussi de lui adresser une lettre bienveillante.

Dès qu’il fut installé à Londres, Albert écrivit à son père : « Mon cher père, j’espère sincèrement que vous vous rendrez bientôt compte de l’erreur que vous avez commise en disant aux gens que les mormons ont assassiné votre fils. Je prie pour cela.

Vous avancez maintenant en âge et je suis très peiné quand je lis ce que vous avez dit et entends les gens le répéter. Je serais heureux de serrer la main d’un père repentant, et fier de vous respecter et d’être vôtre à nouveau. »

En attendant la réponse de son père, Albert prêcha à Londres. Il fit savoir à sa mère, Maria Barnes, qu’il étudiait au mieux de ses capacités : « Je ne suis pas encore un grand prédicateur mais j’espère en devenir un avant de rentrer à la maison. »

Albert reçut bientôt une réponse brève de son père : « Tu ferais bien de venir. Je serai ravi de te voir. »

Sachant à quel point William pouvait être violent, Maria s’inquiétait pour son fils. Ce dernier la rassura, lui disant que son père ne lui ferait aucun mal. « Il n’en aura pas le pouvoir », lui affirma-t-il. Il était surtout désireux de parler avec William ou avec tout autre parent qu’il avait en Angleterre.

Il écrivit : « Je veux avoir la possibilité de leur rendre mon témoignage, si c’est la volonté de Dieu. »

À Salt Lake City, Wilford Woodruff annonça à ses conseillers et au Collège des douze apôtres qu’il avait reçu une révélation sur la loi de l’adoption. La veille de la conférence générale d’avril 1894, il déclara : « J’ai l’impression que nous sommes trop stricts en ce qui concerne certaines de nos ordonnances du temple, notamment concernant les maris et les parents décédés. »

Il ajouta : « Le Seigneur m’a dit qu’il était bon que les enfants soient scellés à leurs parents, et ceux-ci à leurs parents, aussi loin que nous puissions obtenir les archives. Il est également juste que les femmes soient scellées à leur mari, même s’il n’a jamais entendu l’Évangile. »

Le président Woodruff estimait qu’il y avait encore beaucoup à apprendre au sujet des ordonnances du temple. Il affirma : « Dieu nous donnera de la connaissance si nous nous montrons prêts à la recevoir. »

Le dimanche suivant, lors de la conférence générale, le président Woodruff demanda à George Q. Cannon de lire à l’assemblée un extrait de la section 128 des Doctrine et Alliances. Dans cette section, Joseph Smith parlait d’Élie qui ramènerait le cœur des pères à leurs enfants et le cœur des enfants à leurs pères dans les derniers jours. Joseph, le prophète, avait alors déclaré : « La terre sera frappée de malédiction à moins qu’il y ait un chaînon d’une sorte ou d’une autre qui rattache les pères et les enfants. »

Le président Woodruff reprit ensuite la parole. Il déclara : « Nous n’avons pas fini de recevoir des révélations. Nous n’avons pas terminé l’œuvre de Dieu. » Il parla de la façon dont Brigham Young avait poursuivi l’œuvre de Joseph Smith en construisant des temples et en mettant en place les ordonnances du temple. Il rappela à l’assemblée : « Cependant, il n’a pas reçu toutes les révélations se rapportant à cette œuvre, pas plus que le président Taylor, ni Wilford Woodruff. Cette œuvre ne prendra pas fin tant qu’elle ne sera pas rendue parfaite. »

Après avoir indiqué que les saints avaient agi selon toute la lumière et la connaissance qu’ils avaient reçues, le président Woodruff expliqua que lui-même et d’autres dirigeants de l’Église croyaient depuis longtemps que le Seigneur avait encore des choses à révéler sur l’œuvre du temple. Il déclara : « Nous voulons qu’à partir de maintenant, les saints des derniers jours fassent leur généalogie en remontant aussi loin que possible et qu’ils soient scellés à leurs ancêtres. Faites sceller les enfants à leurs parents et prolongez cette chaîne aussi loin que vous le pouvez. »

Il annonça également la fin de la règle qui empêchait une femme d’être scellée à son mari s’il était décédé sans avoir reçu l’Évangile. Il dit : « Le cœur de nombreuses femmes a été meurtri par cette pratique. Pourquoi priver une femme d’être scellée à son mari parce qu’il n’a jamais entendu l’Évangile ? Que savons-nous à son sujet ? N’entendra-t-il pas l’Évangile dans le monde des esprits, et ne l’acceptera-t-il pas ? »

Il rappela aux saints la vision que Joseph Smith avait eue de son frère Alvin, dans le temple de Kirtland. Le Seigneur avait enseigné : « Tous ceux qui sont morts sans connaître l’Évangile, qui l’auraient reçu s’il leur avait été permis de demeurer, seront héritiers du royaume céleste de Dieu. »

« Ainsi en sera-t-il de vos pères, affirma le président Woodruff en parlant des personnes dans le monde des esprits. Il y en aura très peu, s’il y en a, qui n’accepteront pas l’Évangile. »

Avant de terminer son sermon, il exhorta les saints à méditer sur ses paroles et à rechercher leurs morts. Il dit : « Frères et sœurs, continuons avec nos registres, remplissons-les de manière juste devant Dieu et mettons en application ce principe. Alors les bénédictions de Dieu nous seront accordées et les personnes rachetées nous béniront dans les temps à venir. »


Chapitre 3 : Le chemin de la justice

Anthon Lund visitait des branches de l’Église en Allemagne lorsque la mission européenne reçut la nouvelle de la révélation de Wilford Woodruff sur les scellements. Quand il l’apprit, il s’exclama : « Cette révélation donnera de la joie à de nombreux cœurs ! »

Cette nouvelle pratique avait une signification particulière pour plusieurs frères de sa mission. Depuis le jour où le Seigneur avait révélé à Joseph Smith que les saints pouvaient accomplir des ordonnances essentielles pour les morts, ils avaient commencé à rechercher leurs ancêtres et à œuvrer en leur faveur. Certains missionnaires, fils de saints immigrés, étaient venus en Europe dans l’espoir de recueillir davantage de renseignements sur leurs ancêtres auprès de leurs proches et dans les archives.

La révélation du président Woodruff donnait un sens supplémentaire à leurs recherches. En fait, de nombreux saints étaient de plus en plus désireux de retrouver leurs lignées familiales afin de sceller les générations dans une chaîne ininterrompue. Franklin Richards, apôtre et historien de l’Église, avait même prévu d’organiser une bibliothèque généalogique parrainée par l’Église.

Néanmoins, en raison des difficultés économiques qui frappaient l’Europe et les États-Unis, de nombreux saints européens avaient peu d’espoir d’émigrer en Utah, le seul endroit où il y avait des temples et où l’on pouvait accomplir les ordonnances pour les ancêtres. À cause de la crise financière aux États-Unis, il était pratiquement impossible pour les saints arrivant en Utah de trouver du travail. Les dirigeants de l’Église craignaient que les immigrants ne fuient le territoire à la recherche d’un emploi. Les difficultés financières en avaient déjà conduits à quitter le bercail.

En juillet 1894, Anthon apprit la gravité de la situation en Utah. Dans une lettre urgente adressée à la mission européenne, la Première Présidence expliquait que les charges financières de l’Église étaient devenues presque impossibles à gérer tandis que de plus en plus de paroisses et de pieux se tournaient vers l’Église pour obtenir une aide financière.

Elle écrivait : « Au regard de notre situation actuelle, nous jugeons sage de vous demander de suspendre l’émigration pour le moment. »

Cette demande ne mettait pas un terme au rassemblement d’Israël. Pendant plus de quarante ans, les saints avaient sincèrement cherché à obéir aux révélations leur commandant de se rassembler. Les missionnaires avaient exhorté les nouveaux convertis du monde entier à s’installer en Utah, à proximité de la maison du Seigneur. Mais cette pratique ne pouvait pas se poursuivre tant que la situation économique ne s’améliorait pas.

Dans sa lettre, la Première Présidence déclarait : « Nous prions constamment pour le rassemblement d’Israël et nous nous réjouissons de voir les saints venir à Sion mais nous devons faire preuve d’une grande sagesse afin de préserver au mieux les intérêts d’Israël rassemblé et non rassemblé. »

La Première Présidence demandait à Anthon de renforcer l’Église en Europe jusqu’à ce que la situation s’améliore en Utah. Elle soulignait : « Que les saints considèrent comme leur devoir moral et religieux de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour aider les missionnaires à créer des branches et à les maintenir. »

Anthon envoya immédiatement des exemplaires de la lettre aux dirigeants de la mission, les chargeant de suivre les conseils qu’elle contenait.

Le 16 juillet 1894, le congrès américain et le président des États-Unis, Grover Cleveland, autorisèrent les citoyens de l’Utah à rédiger une constitution d’État. Ce jour-là, la Première Présidence se réjouit lorsqu’elle reçut un télégramme des alliés de l’Église à Washington ; il disait : « Statut d’État autorisé par la loi. Votre peuple est libre ; notre travail est terminé. »

En 1849, quand les saints avaient demandé pour la première fois un gouvernement d’État, le gouvernement fédéral leur avait accordé à la place un gouvernement territorial. En tant que citoyens d’un territoire, les habitants de l’Utah n’étaient pas autorisés à choisir un gouverneur ni de hauts fonctionnaires du gouvernement. Ils devaient compter sur le président des États-Unis pour leur désigner des fonctionnaires. Au fil des ans, ce système avait conduit à de nombreux conflits entre les saints, les autres habitants de l’Utah et le gouvernement américain. Il empêchait également les saints d’occuper certains postes gouvernementaux. Sous un gouvernement d’État, les habitants de l’Utah seraient enfin en mesure de se gouverner eux-mêmes.

Mais le travail ne faisait que commencer. Alors que les délégués se réunissaient à Salt Lake City pour rédiger la constitution, Emmeline Wells et d’autres femmes dirigeantes rédigèrent une pétition demandant que la nouvelle constitution rétablisse le droit de vote des femmes en Utah. La plupart des États et des territoires des États-Unis interdisaient aux femmes de voter mais, en 1870, l’Utah avait accordé le suffrage à ses citoyennes. Puis, dix-sept ans plus tard, la loi Edmunds-Tucker avait révoqué ce droit afin d’affaiblir le pouvoir politique des saints sur le territoire.

Cette loi avait indigné Emmeline et d’autres femmes de l’Utah. Elles avaient alors organisé dans tout le territoire des associations défendant le suffrage des femmes. Elles avaient aussi travaillé avec des organisations de suffrage nationales et internationales pour militer en faveur du droit de vote pour toutes les femmes. Emmeline considérait que le droit de vote, comme d’autres droits, avait un objectif sacré. Pour elle, la liberté était un principe de l’Évangile de Jésus-Christ. La Société de Secours incitait vivement ses membres à être autonomes et à développer leurs compétences. Dans le cadre des réunions de l’Église, les femmes votaient également pour les questions ecclésiastiques. Pourquoi ne bénéficieraient-elles pas du même privilège dans la sphère publique ?

La question du droit de vote des femmes était largement débattue. Elle opposait même les dirigeants de l’Église. Les opposants au suffrage des femmes affirmaient généralement que ces dernières étaient trop émotives pour prendre des décisions d’ordre politique. Selon eux, elles n’avaient pas besoin de voter puisque leur mari, leur père et leurs frères les représentaient devant les urnes. C’était aussi l’avis de B. H. Roberts, qui était délégué à la convention. Il s’opposait également à l’inclusion du suffrage féminin dans la constitution car il pensait que cela rendrait le document trop controversé pour être approuvé par les électeurs de l’Utah.

Au printemps 1895, une convention constitutionnelle débuta à Salt Lake City. Les personnes ne pouvant pas voter n’avaient pas non plus le droit de participer officiellement aux débats. Les femmes chargèrent le mari d’une des suffragettes de présenter leur pétition aux délégués.

Le 28 mars, B. H. Roberts aborda ce sujet lors de la convention. Il déclara : « Je concède qu’une majorité de la population de ce territoire est favorable au suffrage des femmes. Néanmoins, nombre de personnes n’y sont pas favorables, y sont même fermement opposées et voteront contre cette constitution si elle contient une clause l’accordant. »

Deux jours plus tard, Orson Whitney, depuis longtemps évêque à Salt Lake City, s’adressa à la convention au nom des suffragettes. Il déclara que le destin des femmes était de participer au gouvernement et il exhorta les délégués à soutenir leur droit de vote. Il dit : « Je considère leur implication comme l’un des grands leviers par lesquels le Tout-Puissant élève ce monde déchu, le rapprochant du trône de son Créateur. »

Dans un éditorial pour le Woman’s Exponent, Emmeline manifesta elle aussi son désaccord avec les opposants au suffrage des femmes. Elle écrivit : « Il est pitoyable de voir que les hommes opposés au suffrage des femmes essaient de leur faire croire que c’est en raison de la grande admiration qu’ils leur vouent et parce qu’ils ont une trop haute opinion d’elles. Les femmes de l’Utah n’ont jamais échoué dans les épreuves, quelles qu’elles aient été ; leur intégrité est incontestée. »

Le 4 avril, lors de la réunion de la Société de Secours à l’occasion de la conférence générale, Emmeline parla de nouveau du suffrage des femmes, confiante que les délégués à la convention l’incluraient dans la nouvelle constitution de l’État. L’oratrice suivante, Jane Richards, invita les femmes de l’assemblée qui étaient favorables au suffrage à se lever. Toutes se levèrent.

À la demande d’Emmeline, Zina Young, présidente de la Société de Secours, fit la prière en demandant au Seigneur de bénir leur cause.

Tandis qu’en Utah les femmes réclamaient le droit de vote, Albert Jarman quittait Londres pour le sud-ouest de l’Angleterre afin de rendre témoignage à son père. Il espérait le faire changer d’avis sur l’Église et mettre fin à ses conférences malveillantes. Il pensait que ses paroles, présentées de manière claire et compréhensible, lui seraient bénéfiques, à condition qu’il veuille bien l’écouter.

Albert trouva William confortablement installé dans la ville d’Exeter. Il était en bonne santé, même si ses cheveux blancs et sa barbe hirsute le faisaient paraître plus âgé. Plus de dix ans s’étaient écoulés depuis qu’ils s’étaient vus et William sembla d’abord douter de l’identité d’Albert. Il affirma qu’après son retour en Angleterre, il avait entendu dire qu’Albert avait été assassiné ; il avait écrit à la Première Présidence à ce sujet. N’ayant pas reçu de réponse, il avait cru au pire.

Cependant, après leur rencontre, Albert le convainquit de son erreur. Il avait été sage de la part du président Lund de conseiller au jeune homme d’étudier l’Évangile avant d’aller discuter avec William. En rencontrant son père, Albert constata que c’était un homme intelligent.

William ne se montra ni désobligeant ni violent à son égard. L’hiver 1894-1895 fut rude en Angleterre, et les problèmes respiratoires qu’Albert avait développés s’aggravèrent. William lui permit de rester chez lui avec sa famille pour se rétablir en attendant que le temps soit plus clément. Sa femme, Ann, fit aussi tout ce qu’elle put pour aider le jeune homme à se rétablir.

Pendant son séjour, il tenta de rendre témoignage à son père, sans succès. Dans ces moments, il ne savait pas si ce dernier mentait délibérément au sujet de l’Église ou s’il était tellement habitué à dire des absurdités qu’il avait fini par les croire.

Un jour, William dit à Albert qu’il était prêt à mettre fin à ses attaques contre les saints, à condition que l’Église lui verse mille livres. Il affirma qu’en échange de cette petite somme, il admettrait publiquement qu’il s’était trompé concernant les saints et qu’il n’entrerait plus jamais dans une salle de conférence pour critiquer l’Église. Albert transmit la proposition au président Lund mais la Première Présidence la rejeta.

Quelques semaines plus tard, incapable de faire changer son père d’avis sur l’Église, Albert quitta Exeter. Avant de se séparer, William et lui se rendirent dans le studio d’un photographe pour se faire prendre en photo ensemble. Sur l’une des photos, William était assis à une table, désignant de sa main droite la page d’un livre ouvert, tandis qu’Albert se tenait derrière lui. Sur une autre, les deux hommes se tenaient côte à côte. On percevait l’ombre d’un sourire derrière les moustaches de William.

La convention constitutionnelle de Salt Lake City s’acheva en mai. À la grande joie d’Emmeline Wells et d’innombrables autres habitants de l’Utah, les délégués votèrent pour l’adoption du suffrage des femmes dans la constitution.

Après la convention, B. H. Roberts resta engagé sur la scène politique malgré ses responsabilités à plein temps dans l’Église. Ses discours opposés au droit de vote des femmes avaient été impopulaires dans tout l’État. Toutefois, il garda une bonne réputation de prédicateur et d’orateur tant dans l’Église qu’en dehors. En septembre, deux mois avant les élections, les démocrates de l’Utah le choisirent comme candidat à la Chambre des représentants des États-Unis.

Pendant des décennies, les dirigeants de l’Église avaient souvent occupé des postes importants au sein du gouvernement de l’Utah. En outre, les saints votaient en bloc, sacrifiant parfois leurs convictions politiques individuelles pour protéger l’influence de l’Église sur le territoire. Cependant, au début des années 1890, après que les saints eurent rejoint différents partis politiques, les dirigeants de l’Église devinrent plus sensibles à la séparation de l’Église et de l’État, reconnaissant que tout le monde en Utah n’avait pas les mêmes opinions politiques. À cette époque, la Première Présidence et le Collège des douze apôtres s’accordèrent sur le fait que les Autorités générales ne devaient pas influencer les électeurs en parlant publiquement de politique.

Pendant la convention constitutionnelle, la Première Présidence avait toutefois temporairement levé cette consigne, permettant à B. H. Roberts et à d’autres Autorités générales d’occuper le poste de délégués. Par la suite, lorsque B. H. Roberts reçut l’investiture du parti démocrate, il ne pensa pas avoir tort de l’accepter. Il ne perçut pas non plus d’objections de la part de la Première Présidence. L’apôtre Moses Thatcher eut les mêmes impressions lorsque les démocrates le désignèrent pour se présenter au Sénat des États-Unis.

Cependant, lors de la réunion générale de la prêtrise d’octobre 1895, Joseph F. Smith réprimanda publiquement les deux hommes pour avoir accepté les nominations sans avoir préalablement consulté les membres de leurs collèges. Il rappela à l’assemblée : « Au sein de l’Église, nous disposons d’oracles vivants, et nous devons leur demander conseil. Dès qu’un homme revêtu d’autorité décide d’agir comme il l’entend, il s’engage sur un terrain dangereux. »

Dans ses remarques, le président Smith ne critiqua pas les convictions politiques de B. H. Roberts. Il réaffirma plutôt la neutralité politique de l’Église ainsi que ses règles selon lesquelles les dirigeants ecclésiastiques à plein temps devaient consacrer leur temps et leurs efforts à leur ministère. Cependant, après la réunion, les membres du parti républicain profitèrent de l’occasion pour attaquer la campagne de B. H. Roberts. Joseph F. Smith étant républicain, de nombreux démocrates l’accusèrent d’utiliser son rôle dans l’Église pour nuire à leur parti.

Peu de temps après, dans une interview accordée à un journal, B. H. Roberts parla de son respect pour l’autorité de l’Église et coupa court aux accusations qui affirmaient que la Première Présidence avait essayé de nuire à sa campagne. Toutefois, il insista sur son droit de briguer un poste politique malgré les objections de la Première Présidence, car il estimait n’avoir enfreint aucune règle de l’Église. Plus tard, il s’exprima plus ouvertement. Lors d’un rassemblement politique, il condamna les hommes qui utilisaient leur position dans l’Église pour influencer les électeurs.

Le jour du scrutin, les républicains de tout le pays remportèrent des victoires écrasantes contre les démocrates, parmi lesquels B. H. Roberts et Moses Thatcher. Les électeurs de l’Utah approuvèrent la nouvelle constitution avec sa clause accordant le droit de vote aux femmes.

B. H. Roberts essaya de garder le sourire en public. Il savait, ainsi que les membres de son parti, qu’il y aurait un perdant. Il dit : « Il semble qu’il échoit à notre parti de perdre cette fois-ci. »

Mais sa défaite le rongeait à l’intérieur.

Le 4 janvier 1896, l’Utah devint le quarante-cinquième État des États-Unis d’Amérique. À Salt Lake City, les gens tirèrent des salves de fusil et donnèrent des coups de sifflets. Les cloches résonnaient dans le ciel bleu et vif et la foule se pressait dans les rues, brandissant drapeaux et bannières.

Heber J. Grant continuait cependant de s’inquiéter pour ses amis B. H. Roberts et Moses Thatcher. Les deux hommes avaient refusé de s’excuser de ne pas avoir consulté leurs dirigeants de la prêtrise avant de se présenter à des fonctions publiques. La Première Présidence et les Douze en avaient conclu qu’ils faisaient passer leur carrière politique avant leur service dans l’Église. Les membres de la Première Présidence considéraient également que B. H. Roberts les avait injustement critiqués, eux et l’Église, dans certains discours politiques et certaines interviews.

Le 13 février, la Première Présidence et une majorité des Douze se réunirent au temple de Salt Lake City avec B. H. Roberts et d’autres présidents des soixante-dix. Au cours de la réunion, les apôtres l’interrogèrent sur ses déclarations contre la Première Présidence. B. H. Roberts confirma tout ce qu’il avait dit et fait, sans rien retirer.

Le cœur de Heber s’alourdissait à mesure que la réunion avançait. L’un après l’autre, les dirigeants le supplièrent de s’humilier, mais leurs paroles furent sans effet. Lorsque Heber J. Grant se leva pour s’adresser à son ami, l’émotion le submergea, étouffant ses paroles.

Une fois que chaque apôtre et chaque soixante-dix eut parlé, B. H. Roberts se leva et dit qu’il préférait perdre sa place dans la présidence des soixante-dix que de s’excuser pour ce qu’il avait fait. Il demanda ensuite aux hommes présents de prier pour qu’il ne perde pas sa foi.

L’apôtre Brigham Young, fils, s’enquit : « Allez-vous prier pour vous-même ?

– À vrai dire, lui répondit frère Roberts, je n’en ai pas très envie maintenant. »

À la fin de la réunion, Heber fit la prière de clôture. B. H. Roberts essaya alors de quitter la pièce, mais Heber le rattrapa et le prit dans ses bras. L’homme se dégagea de l’étreinte et s’éloigna rapidement, le visage fermé.

Quelques semaines plus tard, le 5 mars, la Première Présidence et le Collège des Douze apôtres tinrent une nouvelle réunion avec B. H. Roberts, qui resta sur ses positions. Le président Woodruff lui accorda trois semaines pour réfléchir. S’il restait impénitent, il serait relevé de son poste au sein des soixante-dix et il n’aurait plus le droit d’utiliser la prêtrise.

La semaine suivante, Heber J. Grant et Francis Lyman, son collègue apôtre, se réunirent en privé avec B. H. Roberts. Au cours de leur conversation, il leur dit qu’il ne changerait pas d’avis. Il déclara que, si la Première Présidence avait besoin de le remplacer au sein de la présidence des soixante-dix, elle était libre de le faire.

Il enfila son manteau, sur le point de partir. Il dit : « Je veux que vous sachiez que les mesures qui seront prises à mon encontre me causent beaucoup de chagrin. Ne pensez pas que je n’ai pas conscience de tout ce que je vais perdre. »

Heber remarqua des larmes dans les yeux de son ami et lui demanda de s’asseoir. B. H. Roberts évoqua alors les fois où les dirigeants de l’Église l’avaient offensé en public et avaient prêché en faveur du parti républicain. Pendant deux heures, Heber et Francis répondirent à ses inquiétudes et le supplièrent de changer de cap. Heber sentit que Francis et lui étaient bénis car ils trouvaient les mots justes.

Lorsqu’ils finirent de parler, B. H. Roberts dit à ses amis qu’il voulait réfléchir à sa situation ce soir-là et qu’il leur ferait part de sa décision le lendemain matin. Heber prit alors congé de son ami en priant le Seigneur de le bénir.

Le lendemain matin, B. H. Roberts envoya un bref courrier à Heber J Grant et Francis Lyman. On y lisait : « Je me soumets à l’autorité de Dieu manifestée par l’intermédiaire des frères. Puisqu’ils pensent que j’ai tort, je vais m’incliner devant eux et me remettre entre leurs mains de serviteurs de Dieu. »

Heber fit immédiatement une copie de la lettre et courut l’apporter au bureau du président Woodruff, de l’autre côté de la rue.

Deux semaines plus tard, dans le temple de Salt Lake City, B. H. Roberts présenta ses excuses à la Première Présidence, reconnaissant son erreur de ne pas avoir demandé la permission de se présenter à un poste politique. Il était désolé que les paroles qu’il avait prononcées en public aient causé des dissensions parmi les saints et il promit de faire amende honorable pour toutes ses offenses.

Il déclara également que lors de sa conversation avec Heber J. Grant et Francis Lyman, des pensées ayant trait à ses ancêtres lui avaient adouci le cœur.

Il expliqua : « Je suis le seul représentant masculin dans l’Église du côté de mon père, et aussi du côté de ma mère. L’idée de perdre la prêtrise et de laisser mes ancêtres reposer sans représentant a grandement influencé mes sentiments. »

Il ajouta : « Je me suis tourné vers le Seigneur et j’ai reçu la lumière. Par son Esprit, j’ai reçu le commandement de me soumettre à l’autorité de Dieu. Je vous exprime mon désir et ma prière de pouvoir vous apporter satisfaction, et de passer par toute l’humiliation que vous jugerez bon de me faire subir, dans l’espoir de conserver au moins la prêtrise de Dieu et d’avoir le privilège de faire le travail de mes pères dans cette sainte maison. »

La Première Présidence accepta ses excuses. Dix jours plus tard, sous la direction du président Woodruff, George Q. Cannon rédigea une déclaration clarifiant la position de l’Église sur l’implication de ses dirigeants dans la politique. Il la présenta ensuite à la Première Présidence et aux Autorités générales de l’Église pour qu’elles l’approuvent.

Le lendemain, lors de la conférence générale d’avril 1896, Heber J. Grant lut la déclaration aux saints. Toutes les Autorités générales de l’Église l’avaient signée, à l’exception d’Anthon Lund, qui était encore en Europe, et de Moses Thatcher, qui avait refusé de se réconcilier avec la Première Présidence et avec ses collègues apôtres.

Appelée le « Manifeste politique », cette déclaration affirmait que l’Église croyait au principe de séparation entre l’Église et l’État. Elle exigeait également que toutes les Autorités générales qui s’engageaient à servir à plein temps dans l’œuvre du Seigneur obtiennent l’approbation des dirigeants de leur collège avant de rechercher ou d’accepter un poste politique.

Lors de la conférence, B. H. Roberts exhorta les saints à soutenir leurs dirigeants ecclésiastiques et témoigna de l’œuvre continue du Seigneur. Il déclara : « Dans cette dispensation, la parole indéfectible de Dieu est la garantie de la stabilité de l’œuvre, malgré les imperfections des personnes.

Même si certains ont trébuché dans les ténèbres, ils peuvent toujours revenir sur le chemin de la justice, en profitant de sa direction infaillible vers le bien qui mène au salut. »


Chapitre 4 : Beaucoup de bien

Le 31 mai 1896, Susa Gates prit la parole à Salt Lake City lors de la première conférence réunissant les Sociétés générales d’Amélioration Mutuelle (SAM) des jeunes femmes et des jeunes gens. Les deux organisations tenaient depuis longtemps leurs propres conférences annuelles et trimestrielles. Mais, au cours des dernières années, de nombreux jeunes hommes avaient cessé de participer régulièrement à leurs réunions. Des dirigeants de la SAM des jeunes gens proposèrent alors de donner un nouveau souffle à leur organisation en fusionnant avec la SAM des jeunes femmes.

Cette idée ne plaisait pas à Elmina Taylor, présidente générale de la SAM des jeunes femmes, ni à ses conseillères. Certaines SAM avaient déjà fusionné avec succès au niveau des paroisses. Toutefois, la Société générale d’Amélioration Mutuelle des jeunes femmes était en plein essor et ses dirigeantes se demandaient si un regroupement serait bénéfique pour les jeunes femmes. Finalement, la décision fut prise de ne pas fusionner tout en reconnaissant qu’il serait profitable d’avoir plus d’activités mixtes, notamment cette conférence annuelle.

Pour la première conférence, les dirigeants des SAM répartirent équitablement le programme entre les orateurs de chacune des organisations. Susa, l’avant-dernière oratrice, incita ses auditeurs à avoir bon caractère et à mener une vie juste. C’était pour elle une expérience assez nouvelle car, à l’époque, les femmes de l’Église n’avaient pas l’habitude de s’adresser à un public mixte, sauf pour témoigner. Avec d’autres dirigeantes, elle avait désormais l’occasion de prêcher à la fois aux hommes et aux femmes.

Après la conférence, Susa discuta avec son ami et ancien camarade de classe Joseph Tanner, qui était le président de l’université d’agriculture (Agricultural College) de Logan. Pendant la conversation, il lui demanda si Leah, récemment diplômée de l’université d’Utah, était toujours amoureuse de John Widtsoe. Ce dernier avait obtenu son diplôme de chimie à Harvard et travaillait maintenant au sein de la faculté de Joseph.

Susa ne sut que répondre. Depuis qu’il était rentré chez lui, John évitait Leah. Récemment, lorsqu’elle lui avait écrit pour lui demander si, à son avis, elle devait retourner dans l’Est pour étudier l’économie domestique à l’Institut Pratt, université réputée de New York, John avait répondu par une lettre brève et au ton indifférent.

Il lui avait dit : « Faites ce qui sera dans votre intérêt à long terme. » Il exprima ensuite son regret qu’ils soient tombés amoureux si jeunes. Il voulait épouser Leah mais il ne voulait pas qu’elle soit la femme d’un homme démuni. Il avait une dette d’environ deux mille dollars à cause de ses études et la majeure partie de son petit salaire d’enseignant était destinée à sa mère et son jeune frère.

Leah avait répondu immédiatement. Elle avait écrit : « On ne peut pas vivre sans argent, j’en suis bien consciente, mais pour l’amour du ciel, ne le laissez pas altérer votre amour. Si je vous aime, que vous ayez un capital ou une dette de milliers de dollars, je vous aime. »

John ne changea pas d’avis et, en septembre 1896, Leah partit pour l’Institut Pratt. Elle voyagea en compagnie de son amie Donnette Smith, qui étudiait à Pratt pour devenir enseignante en maternelle. Avant le départ des jeunes femmes, le père de Donnette, Joseph F. Smith, bénit Leah pour qu’elle s’accroche à sa foi face à la tentation et lui promit que son témoignage deviendrait plus fort que jamais.

À New York, Leah et Donnette vécurent des expériences que la génération de leurs mères aurait difficilement pu imaginer. En règle générale, les saintes des derniers jours de la génération précédente, comme les autres femmes américaines de l’époque, n’avaient reçu qu’une éducation de niveau primaire. Certaines étaient allées dans l’Est pour étudier la médecine et le métier de sage-femme, mais la plupart s’étaient mariées jeunes, avaient eu des enfants et avaient aidé à établir des foyers et des entreprises familiales dans leurs villages. Beaucoup n’avaient jamais quitté l’Utah.

Leah et Donnette, en revanche, étaient des jeunes femmes célibataires vivant dans une grande pension de famille, dans une ville animée, à plus de trois mille kilomètres de chez elles. En semaine, elles assistaient aux cours de l’Institut Pratt et rencontraient des personnes de religions et de milieux différents. Le dimanche, elles allaient à l’église dans une petite branche d’une douzaine de saints.

Leah et Donnette résolurent de vivre leur religion fidèlement. Elles priaient ensemble le dimanche et lisaient le Livre de Mormon chaque soir, avant de se coucher. Leah écrivit à sa mère : « Mon témoignage de la vérité de notre Évangile se renforce chaque jour. Je vois la force de la bénédiction de frère Smith. »

Contrairement à la vie en Utah, elles avaient l’occasion de parler de leurs croyances avec des personnes qui connaissaient peu les saints des derniers jours. Elles se lièrent d’amitié avec deux étudiantes en art, Cora Stebbins et Catherine Couch, qui se montrèrent plutôt intéressées par l’Église. Un jour, Leah et Donnette eurent la chance de parler avec elles du temple et du Livre de Mormon. Leah expliqua comment Joseph Smith avait trouvé et traduit les plaques d’or. Elle parla aussi des témoins du Livre de Mormon, de la révélation continue et de l’organisation de l’Église.

Elle raconta à sa mère : « Tu aurais dû voir à quel point elles étaient captivées. Elles sont restées assises pendant deux bonnes heures avant que nous ne nous rendions compte du temps qui s’était écoulé. »

Le 13 octobre 1896, Mere Whaanga, sainte des derniers jours maorie, se rendit au temple de Salt Lake City pour accomplir les baptêmes de dix amis décédés de Nouvelle-Zélande, son pays d’origine. Depuis leur installation à Salt Lake City plus tôt dans l’année, son mari, Hirini, et elle étaient connus pour leur assiduité au temple. Comme de nombreux saints vivant en dehors des États-Unis, la famille Whaanga avait immigré en Utah pour se rapprocher du temple et de ses ordonnances. Étant les seuls maoris dotés, ils étaient le lien entre leur peuple et la maison du Seigneur.

Comme il n’y avait que quatre temples dans le monde, les saints qui vivaient en dehors des États-Unis envoyaient le nom de leurs proches décédés à des parents en Utah afin qu’ils effectuent les ordonnances du temple à leur place. Cependant, au moment de leur baptême en 1884, Mere et Hirini n’avaient aucun parent en Utah. Ils avaient rapidement éprouvé un profond désir de venir à Sion et de se rendre au temple.

Dès le début, leurs enfants et petits-enfants s’étaient opposés à leur projet de déménagement. L’Utah était à onze mille kilomètres de Nuhaka, leur village d’origine, situé sur la côte est de l’île du Nord de la Nouvelle-Zélande. Hirini avait des responsabilités importantes en tant que président de branche et dirigeant de la tribu maorie Ngāti Kahungunu. Quant à Mere, elle était la seule fille en vie de ses parents. Pourtant, le désir de la famille Whaanga de se rendre à Sion grandissait de jour en jour.

Au cours des décennies précédentes, les saints des îles du Pacifique n’avaient pas été fortement incités à se rendre en Sion. Au moment où Mere et Hirini envisageaient de déménager, les dirigeants de l’Église avaient déjà commencé à décourager tous les saints en dehors des États-Unis de se rassembler en Utah, car les emplois se faisaient rares et les immigrants risquaient d’être déçus. La Première Présidence autorisa cependant un petit nombre de Maoris à venir, après que le président de la mission de Nouvelle-Zélande se fut porté garant de leur capacité à travailler et de leurs compétences.

Mere et Hirini arrivèrent en Utah en juillet 1894 avec quelques membres de leur famille élargie. Ils s’installèrent à Kanab, ville isolée du sud de l’Utah, où le jeune neveu de Hirini, Pirika Whaanga, s’était installé quelques années après leur baptême. Ils pensaient qu’ils s’adapteraient facilement au climat chaud du sud de l’Utah mais, lorsque Mere vit le paysage sec et austère, elle fondit en larmes. Peu de temps après, elle apprit le décès de sa mère.

Le temps passait mais la situation de la famille ne s’améliorait pas. Un missionnaire qu’ils avaient connu en Nouvelle-Zélande persuada Hirini d’investir de l’argent dans une entreprise commerciale médiocre. Après avoir entendu des rumeurs concernant ce procédé malhonnête, la Première Présidence envoya William Paxman, qui avait été président de mission en Nouvelle-Zélande, aider Mere et Hirini à déménager dans une région où leurs voisins ne profiteraient pas d’eux.

La famille Whaanga vivait désormais à Salt Lake City. Elle participait aux réunions de l’association maorie de Sion, qui regroupait d’anciens missionnaires de Nouvelle-Zélande, et se réunissait tous les vendredis soirs avec quelques membres du groupe. La Première Présidence autorisa également la famille Whaanga à accomplir les ordonnances du temple en faveur des parents décédés de tous les saints maoris de Nouvelle-Zélande.

Bien qu’analphabète à son arrivée en Utah, Mere apprit seule à lire et à écrire pour pouvoir étudier les Écritures et envoyer des lettres à sa famille. Hirini écrivait également des lettres d’encouragement à des parents et à des amis, faisant de son mieux pour fortifier les saints de son pays. En Nouvelle-Zélande, l’Église se développait parmi les habitants européens et les Maoris. Le pays comptait des dizaines de branches, avec des collèges de prêtrise, des Sociétés de Secours, des Écoles du Dimanche et des Sociétés d’Amélioration Mutuelle.

De nombreux Néo-zélandais étaient des convertis récents. Après avoir entendu les rumeurs sur les malveillances commises à l’encontre de la famille Whaanga à Kanab, les missionnaires craignirent que cela n’ébranle la foi des saints maoris. Des récits exagérés se répandaient déjà en Nouvelle-Zélande. Si on ne mettait pas fin à de telles histoires, la mission risquait d’être face à une crise.

L’année suivante, Elizabeth McCune, riche sainte des derniers jours de Salt Lake City, entreprit un voyage en Europe avec sa famille. Au cours de leur visite du Royaume-Uni, où son fils Raymond était en mission, elle aida souvent les missionnaires à prêcher l’Évangile rétabli, en compagnie de Fay, sa fille.

Un jour, à la fin du mois de juin 1897, toutes deux se rendirent à Hyde Park, à Londres, pour chanter avec un chœur de missionnaires. La reine Victoria fêtait le soixantième anniversaire de son accession au trône. Des prédicateurs de toute la Grande-Bretagne étaient venus dans le parc pour tenir des réunions en plein air et se disputer l’âme des personnes qui faisaient la fête dans la ville.

Elizabeth, accompagnée de sa fille, prit place parmi les missionnaires. Elle se félicitait, et félicitait silencieusement le chœur, tandis que de plus en plus de gens se rassemblaient autour d’eux. Soudain, un homme bien habillé et portant monocle s’approcha et les observa.

Il s’exclama : « Oh non ! Oh là là ! Ils font vraiment un vacarme horrible dans notre parc ! »

À ces mots, la fierté qu’Elizabeth ressentait pour la prestation du chœur en prit un coup. Cependant, cela ne refréna pas son désir de faire connaître l’Évangile. Avant de quitter l’Utah, Elizabeth avait reçu une bénédiction de Lorenzo Snow lui promettant qu’elle serait un instrument entre les mains du Seigneur pendant son périple.

Il l’avait bénie ainsi : « Ton esprit sera aussi clair que celui d’un ange lorsque tu expliqueras les principes de l’Évangile. »

Elle voulait faire de son mieux pour soutenir le travail des missionnaires. Son fils avait commencé sa mission en organisant des réunions dans des parcs et des rues du centre de l’Angleterre. À cette période, William Jarman avait recommencé à tenir des conférences contre les saints. Il ne disait plus aux foules que son fils Albert avait été assassiné, mais il continuait à provoquer des attaques contre les missionnaires, les obligeant à faire appel à la police pour être protégés. Des émeutiers avaient blessé des missionnaires dans la région où se trouvait Raymond.

Elizabeth accompagnait souvent les missionnaires à Londres, tenant leurs chapeaux et leurs livres pendant les réunions. Elle éprouvait le désir ardent de prêcher. Bien qu’elle ne puisse pas être appelée à faire une mission, elle s’imaginait appelée par Dieu et tenant des conversations religieuses paisibles avec les gens chez eux. En fait, elle pensait que les femmes missionnaires attireraient davantage l’attention que les jeunes hommes et que cela ferait avancer l’œuvre.

Quelques mois après avoir chanté à Hyde Park, Elizabeth assista à la conférence semestrielle de l’Église à Londres. Au cours de la session du matin, Joseph McMurrin, conseiller dans la présidence de la mission, dénonça les critiques de William Jarman à l’égard des saints. Il insista particulièrement sur l’habitude de William de faire des déclarations peu flatteuses sur les saintes des derniers jours.

Il annonça : « Nous avons justement parmi nous une dame d’Utah. Nous allons demander à sœur McCune de prendre la parole ce soir et de vous parler de son expérience en Utah. » Il incita ensuite tous les participants à inviter leurs amis pour venir l’écouter.

L’annonce prit Elizabeth de court. Elle avait le désir de prêcher mais elle s’inquiétait de son inexpérience. Elle pensa : « Si seulement nous avions une de nos bonnes oratrices de l’Utah, quel bien elle pourrait faire ! » Les missionnaires promirent de prier pour elle et elle décida de solliciter l’aide de son Père céleste.

La nouvelle qu’Elizabeth allait prendre la parole ce soir-là se répandit rapidement. Les missionnaires installèrent des sièges supplémentaires dans la salle et ouvrirent l’étage supérieur, s’attendant à accueillir une grande foule. L’heure de la réunion approchant, la salle était comble.

Elizabeth fit une prière silencieuse avant de s’avancer à la chaire. Elle parla de sa famille à l’assemblée. Elle était née en Angleterre en 1852 et avait émigré en Utah quand ses parents étaient devenus membres de l’Église. Elle avait voyagé aux États-Unis et en Europe. Elle témoigna : « Je n’ai trouvé nulle part des femmes tenues en aussi haute estime que chez les mormons d’Utah. »

Elle poursuivit : « Les maris sont fiers de leurs femmes et de leurs filles. Ils leur donnent toutes les occasions d’assister à des réunions et à des conférences, de s’intéresser à tout ce qui les éduquera et les instruira. Notre religion nous enseigne que le mari et la femme se tiennent côte à côte. »

À la fin de la réunion, des inconnus serrèrent la main d’Elizabeth. L’un d’entre eux déclara : « Si davantage de vos femmes venaient ici, cela ferait beaucoup de bien. »

Un autre lui dit : « Madame, vous portez la vérité dans votre voix et vos paroles. »

Le 7 septembre 1897, John Widtsoe attendait qu’une réunion du corps enseignant de l’académie Brigham Young à Provo se termine. Plus tôt dans la journée, Leah Dunford avait accepté à contrecœur de le voir après la réunion. Elle était maintenant instructrice en sciences domestiques à l’académie, enseignant ce qu’elle avait appris pendant l’année passée à l’Institut Pratt. John rentrait d’un déplacement professionnel dans les déserts du sud de l’Utah et il s’était arrêté à Provo pour se réconcilier avec Leah.

John s’inquiétait toujours de ses dettes, mais il aimait Leah et voulait l’épouser. Toutefois, ils avaient pratiquement cessé de s’écrire. En fait, un jeune président de mission célibataire que Leah avait rencontré à New York était sur le point de la demander en mariage.

La réunion des professeurs devait se terminer à 20 h 30 ce soir-là, mais elle dura une heure de plus. Leah fit ensuite attendre John encore une heure afin d’assister à une réunion du comité qui préparait une activité étudiante. Quand la réunion se termina enfin, John raccompagna Leah chez elle.

Sur le chemin, il lui demanda s’il pouvait la revoir le lendemain. Elle répondit : « Vous ne pourrez pas me voir du tout. Je serai occupée jusqu’à cinq heures.

– Eh bien, je pourrais tout aussi bien rentrer chez moi demain matin alors, répliqua-t-il.

– Certainement.

– Je pense que je vais rester, si je peux vous voir le soir. »

Le lendemain soir, John passa prendre Leah à l’académie dans une voiture à cheval. Il la conduisit au nord de la ville. Il lui dit qu’il était prêt pour une relation sérieuse mais elle n’était pas aussi prête que lui. Elle lui dit qu’il avait un an pour lui prouver son amour. Peu lui importait comment il le ferait mais elle ne se réconcilierait pas avec lui avant.

La nuit était claire et John avait arrêté la carriole à un endroit surplombant la vallée. En contemplant la lune resplendissante, ils parlèrent franchement des nombreuses fois où ils s’étaient blessés mutuellement au cours des quatre dernières années. Ils essayèrent de comprendre pourquoi leur relation avait pris une telle tournure. Sans s’en rendre compte, ils avaient cessé de contempler la lune ; ils se regardaient l’un l’autre.

Finalement, John passa son bras autour de Leah et lui demanda de l’épouser. Sa détermination à lui faire prouver son amour s’envola et elle promit de l’épouser à la fin du trimestre scolaire, à condition que ses parents soient d’accord.

Comme la mère de Leah était en Idaho pour s’occuper de la SAM des jeunes femmes, c’est à son père que John parla en premier. Dentiste à Salt Lake City, Alma Dunford pensa d’abord que John était venu le voir pour un problème dentaire. Une fois que le jeune homme eut expliqué la raison de sa présence, les yeux d’Alma se remplirent de larmes et il parla de son amour et de son admiration pour Leah. Il consentit au mariage, exprimant sa confiance dans la décision de sa fille.

De son côté, Leah écrivit à sa mère au sujet des fiançailles et reçut une réponse peu favorable. Elle disait : « L’homme que tu as choisi a beaucoup d’ambition, non pas pour faire le bien et édifier Sion mais pour devenir célèbre, ajouter de nouveaux lauriers à son propre front et te traîner dans son sillage, réduisant ton utilité future à lui-même et à ses désirs égoïstes. »

Contrarié, John écrivit à son tour à Susa. Elle lui répondit un mois plus tard, donnant son consentement au mariage mais réitérant ses critiques sur son manque apparent d’engagement dans l’Église.

La lettre blessa John. En tant que scientifique, il aspirait à être reconnu dans son domaine. Il avait effectivement consacré une grande partie de son temps et de ses talents à l’avancement de sa carrière. Pourtant, même à l’époque où il se débattait avec ses croyances à Harvard, il n’avait jamais fui ses responsabilités dans l’Église. Il savait qu’il avait le devoir d’utiliser ses connaissances et sa formation au profit de Sion.

Susa semblait en attendre davantage de lui. Sa génération de saints, comme celle de ses parents, croyait que l’ambition personnelle était incompatible avec l’édification du royaume. Jusqu’à présent, John avait réussi à garder l’équilibre entre sa carrière scientifique et son appel de conseiller et d’instructeur au collège des anciens. Mais son dévouement à l’Église n’était pas connu en dehors de son assemblée locale, à Logan.

Il reconnut devant Leah : « Je n’ai pas été appelé à être évêque, ni président de pieu, ni officier de pieu, ni président de soixante-dix, ni apôtre, ni à occuper aucun des offices importants de l’Église qui prennent tout le temps d’un homme. »

Il déclara : « Je peux dire honnêtement que je suis aujourd’hui prêt à faire tout ce que l’Église me demandera. Aussi humble que soit le travail qui me sera confié, je l’accomplirai avec joie. »

Leah n’avait pas besoin d’être convaincue. C’était la simple prière de John, prononcée ce premier matin à Harvard, qui l’avait attirée vers lui. Susa, elle, avait besoin de passer plus de temps avec le jeune homme pour connaître son cœur et sa foi.

En décembre, les Gates invitèrent John à passer Noël avec eux. Pendant cette période, les paroles et les actions quotidiennes de John impressionnèrent Susa, lui rappelant pourquoi, au début, elle avait voulu que Leah et lui se connaissent. Après le séjour, elle dit à John : « J’ai toujours pensé que vous étiez étroit d’esprit et égoïste mais certaines de vos expressions pendant que vous étiez avec nous ont dissipé cette impression. »

Elle ne redoutait plus le mariage. Elle écrivit : « Je sens dans mon esprit le témoignage que tout est bien. »


Chapitre 5 : Une condition essentielle

Alors que son navire entrait dans le port de Liverpool, en Angleterre, Inez Knight, âgée de vingt et un ans, aperçut William, son frère aîné, en train d’attendre au milieu d’un groupe de missionnaires sur le quai. C’était le 22 avril 1898. Inez et sa collègue, Jennie Brimhall, arrivaient dans la mission britannique. Elles étaient les premières à être mises à part en tant que « femmes missionnaires » pour l’Église. Comme Will et les autres missionnaires, elles prêcheraient aux gens dans la rue et feraient du porte-à-porte pour faire connaître l’Évangile rétabli de Jésus-Christ.

La décision d’appeler des femmes en tant que missionnaires était en partie la conséquence de la prédication d’Elizabeth McCune l’année précédente. Après avoir constaté l’effet qu’elle avait eu sur le public, Joseph McMurrin, dirigeant de la mission, avait écrit au président Woodruff. « Si quelques femmes brillantes et intelligentes étaient appelées en mission en Angleterre, les résultats seraient excellents. »

La Première Présidence accepta. Louisa Pratt, Susa Gates et d’autres femmes mariées avaient œuvré avec succès en mission aux côtés de leur mari, sans avoir été officiellement appelées à servir. Les dirigeantes de la Société de Secours et de la SAM des jeunes femmes avaient également été de bonnes ambassadrices de l’Église lors de manifestations telles que l’Exposition universelle de 1893. De nombreuses jeunes femmes célibataires avaient acquis de l’expérience dans l’enseignement et l’art de diriger lors des réunions de la SAM des jeunes femmes, les préparant ainsi à prêcher la parole de Dieu.

Après avoir retrouvé Will, Inez se rendit avec lui et Jennie au siège de la mission, bâtiment de quatre étages que les saints occupaient depuis les années 1850. Ils y rencontrèrent le président McMurrin. Celui-ci déclara : « Je veux que chacune de vous comprenne que vous avez été appelées ici par le Seigneur. » Pendant qu’il parlait, Inez prit conscience pour la première fois de la grande responsabilité qui pesait sur ses épaules.

Le lendemain, les deux jeunes femmes accompagnèrent le président McMurrin et d’autres missionnaires à Oldham, ville industrielle située à l’est de Liverpool. Dans la soirée, ils formèrent un cercle à l’angle d’une rue animée, offrirent une prière et chantèrent des cantiques jusqu’à ce qu’une foule s’attroupe autour d’eux. Le président McMurrin annonça alors qu’une réunion spéciale se tiendrait le lendemain. Il invita tout le monde à venir écouter les prédications de « femmes mormones en chair et en os ».

En l’entendant, Inez commença à se sentir mal à l’aise. Elle était inquiète à l’idée de s’adresser à une grande assemblée. Toutefois, au milieu des missionnaires en costumes noirs et chapeaux de soie, elle n’avait jamais été aussi fière d’être une sainte des derniers jours.

Le lendemain soir, Inez tremblait en attendant de prendre la parole. Ayant entendu les mensonges terribles de William Jarman et d’autres détracteurs de l’Église sur les saintes des derniers jours, les gens étaient curieux d’écouter les femmes qui s’exprimeraient lors de la réunion. Sarah Noall et Caroline Smith, respectivement épouse et belle-sœur d’un des missionnaires, s’adressèrent les premières à l’assemblée. Inez prit ensuite la parole malgré sa peur et fut surprise de réussir aussi bien.

Elle fut bientôt affectée avec Jennie à la ville de Cheltenham. Elles firent du porte à porte et témoignèrent souvent lors de rassemblements dans la rue. Elles acceptèrent aussi de rencontrer les gens chez eux. Elles étaient généralement bien traitées même si parfois on se moquait d’elles ou les accusait de mentir.

Les efforts visant à corriger les fausses informations furent largement soutenus par James E. Talmage, érudit saint des derniers jours né en Angleterre, qui parcourut le Royaume-Uni pour donner des conférences publiques sur l’Utah, l’Ouest américain et les saints. Elles se tenaient dans des salles bien connues et attiraient des centaines de personnes. Pendant qu’il parlait, James utilisait un projecteur « stereopticon », appareil projetant des images de haute qualité sur un grand écran. Il montra l’Utah, donnant au public une image claire des personnes et des lieux. Après une présentation, un homme repartit en disant : « C’était totalement différent de la conférence de Jarman. »

Inez et Jennie, quant à elles, espéraient voir davantage de femmes faire une mission. Elles expliquèrent à leurs dirigeants : « Nous avons le sentiment que le Seigneur nous bénit dans nos efforts pour dissiper les préjugés et répandre la vérité. Nous espérons que de nombreuses jeunes femmes de Sion dignes seront autorisées à bénéficier du même privilège car nous pensons qu’elles feront beaucoup de bien. »

Au moment où Inez Knight et Jennie Brimhall partaient pour l’Angleterre, Hirini Whaanga arrivait à Wellington, en Nouvelle-Zélande, en tant que missionnaire à plein temps. La Première Présidence lui avait proposé cet appel au début de l’année 1898 et Hirini avait immédiatement accepté. Il affirma : « Je ferai tous les préparatifs nécessaires et je m’efforcerai d’être à la hauteur de mon appel en tant que missionnaire de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. »

L’appel en mission de Hirini, comme celui des femmes célibataires, marquait une étape importante dans l’histoire de l’Église. Bien que des « missionnaires locaux » maoris aient parfois aidé les missionnaires en Nouvelle-Zélande, Hirini était le premier maori appelé à servir à plein temps. L’appel lui fut proposé après que Benjamin Goddard et Ezra Stevenson, qui avaient été missionnaires en Nouvelle-Zélande, eurent conseillé au président Woodruff de l’envoyer en mission. Comme il était l’un des Maoris les plus aimés et respectés de l’Église, Hirini pourrait accomplir une grande œuvre parmi ses compatriotes, notamment en rassemblant leur généalogie et en témoignant de l’œuvre sacrée que sa femme, Mere, et lui accomplissaient dans le temple de Salt Lake City. Les histoires exagérées des difficultés de sa famille à Kanab avaient perturbé certains saints maoris. Il pourrait donc aussi donner le vrai récit de sa vie en Utah.

Conscients des difficultés financières de la famille Whaanga, les membres de l’association maorie de Sion promirent de financer la mission de Hirini. La onzième paroisse de Salt Lake City organisa également un concert de bienfaisance afin de récolter des fonds pour lui.

Quittant sa famille en Utah, Hirini se rendit en Nouvelle-Zélande avec d’autres missionnaires. Alors âgé de soixante-dix ans, il avait des dizaines d’années de plus que tous ses collègues. Ezra Stevenson, qui venait de perdre sa femme et son seul enfant, dirigeait le groupe en qualité de nouveau président de mission. Peu de temps avant son appel, il avait été secrétaire de l’association maorie de Sion et parlait bien la langue, contrairement aux nouveaux missionnaires américains.

Le lendemain de leur arrivée en Nouvelle-Zélande, Hirini et ses collègues participèrent à une conférence à environ quatre-vingts kilomètres au nord-est de Wellington. Sachant que frère Whaanga serait là, de nombreux saints maoris redoublèrent d’efforts pour s’y rendre. En compagnie des saints néozélandais, ils accueillirent les missionnaires avec une fanfare et les accompagnèrent dans la rue jusqu’au lieu de la conférence. Là, les nouveaux arrivants furent salués par un haka, une danse cérémonielle maorie.

Pendant le reste de la journée, les larmes coulèrent abondamment. Les saints partagèrent un repas et les proches de Hirini lui serrèrent la main et pressèrent leur front et leur nez contre les siens, selon la tradition. Le président de mission conduisit ensuite les saints à une terrasse couverte, où ils se rassemblèrent autour de Hirini et lui adressèrent des discours de bienvenue pour son retour dans l’île du Nord. Ils ne se retirèrent qu’après deux heures du matin.

Le lendemain, Hirini parla aux saints de Joseph Smith, de l’autorité de la prêtrise et du travail de l’association maorie de Sion. Il leur demanda également de rassembler leurs renseignements généalogiques et de faire en sorte que les ordonnances du temple soient accomplies en faveur de leurs morts.

Après la conférence, les saints rentrèrent chez eux, et Hirini et Ezra commencèrent la visite de la mission.

Au printemps 1898, l’explosion d’un cuirassé américain au large de la Havane, à Cuba, fit naître des tensions entre les États-Unis et l’Espagne. Les journaux accusaient l’Espagne d’être responsable de l’explosion et publiaient des récits déchirants sur la lutte des Cubains pour leur indépendance vis-à-vis de la domination espagnole. Dans tous les États-Unis, les citoyens indignés demandèrent au Congrès d’intervenir en faveur de Cuba.

En Utah, les dirigeants de l’Église étaient divisés concernant l’entrée en guerre contre l’Espagne. À l’exception du bataillon mormon lors de la guerre mexico-américaine de 1846-1848, l’Église n’avait jamais incité les saints à s’engager dans l’armée lors de conflits. George Q. Cannon était favorable à une action contre l’Espagne tandis que Joseph F. Smith déplorait la frénésie guerrière qui gagnait la nation. Dans le Woman’s Exponent, Emmeline Wells publia des articles de soutien et d’opposition à la guerre.

Aucun dirigeant de l’Église ne fut plus virulent dans son opposition à la guerre que l’apôtre Brigham Young, fils. Lors d’une réunion dans le tabernacle de Salt Lake, il déclara : « La mission de l’Évangile est la paix et les saints des derniers jours doivent s’efforcer de la créer et de la maintenir. » Qualifiant le conflit naissant de « gouffre creusé par des hommes en mal d’inspiration », il exhorta les jeunes saints à ne pas s’engager dans les forces armées.

Généralement, quand des controverses surgissaient dans l’Église, Wilford Woodruff se tournait vers ses conseillers, George Q. Cannon et Joseph F. Smith, et leur demandait : « Eh bien, mes frères, que pensez-vous de cela ? » Cependant, après avoir été informé des paroles de Brigham, fils, le prophète le réprimanda promptement. Depuis peu, l’Église était en bons termes avec les États-Unis. Le président Woodruff ne voulait pas que des dirigeants éminents de l’Église paraissent déloyaux envers la nation.

Il déclara : « De telles remarques étaient très imprudentes et n’auraient pas dû être faites. Nous faisons maintenant partie de la nation et nous sommes dans l’obligation de faire notre part, comme les autres citoyens du gouvernement. »

Le 25 avril 1898, le lendemain du discours de Brigham, fils, les États-Unis déclarèrent la guerre à l’Espagne. Le journal Deseret Evening News publia un éditorial affirmant la loyauté des saints envers les États-Unis. On y lisait : « Même si les saints n’aiment pas la guerre et ne sont pas assoiffés de sang, ils sont néanmoins fermement et résolument avec et pour notre pays dans toute cause juste. » Peu après, plus de six cents citoyens d’Utah s’enrôlèrent dans les forces armées américaines pour participer à la guerre. Celle-ci ne dura que quelques mois.

À cette époque, la santé de Wilford Woodruff commença à décliner. Début juin, George Q. Cannon souffrit d’une attaque cérébrale légère. À l’invitation d’amis membres de l’Église en Californie, les deux hommes se rendirent à San Francisco, espérant que la douceur du climat les aiderait à se reposer et à récupérer. Là-bas, ils consultèrent des médecins, rendirent visite à des amis et se réunirent avec la branche locale de l’Église.

Le 29 août, Wilford et George firent une promenade en calèche dans un parc au bord de l’océan Pacifique. Alors qu’ils regardaient les vagues se briser contre le rivage, Wilford parla du temps où il était missionnaire, peu après l’organisation de l’Église. Il avait parlé de l’Évangile à son père et à sa belle-mère, et ceux-ci s’étaient fait baptiser juste avant la naissance de son premier enfant.

Un an et demi plus tard, il avait fait la connaissance de George. Wilford était un jeune apôtre et faisait sa première mission en Angleterre. George était un garçon de treize ans qui aimait lire.

À présent, assis côte à côte près de soixante ans plus tard, ils parlaient de l’Évangile et du bonheur qu’il leur avait apporté. Ils s’accordèrent à dire que rendre témoignage de l’œuvre de Dieu avait été un travail très agréable.

Trois jours plus tard, le 2 septembre, George envoya un télégramme de San Francisco à Joseph F. Smith, à Salt Lake City :

Le président Woodruff est décédé. Il nous a quitté ce matin à 6 h 40. Faites-le savoir à sa famille. Il a dormi paisiblement toute la nuit et est décédé sans bouger.

Lorenzo Snow se trouvait chez lui, dans le nord de l’Utah, lorsqu’il apprit le décès du prophète. Il prit immédiatement un train en direction de Salt Lake City, inquiet pour l’avenir. En tant que doyen des apôtres, il savait qu’il devait s’attendre à être le prochain président de l’Église. De fait, six ans plus tôt, le président Woodruff lui avait fait connaître la volonté du Seigneur à son égard, en tant que prochain prophète.

Il lui avait dit : « Quand je partirai, je veux, frère Snow, que vous organisiez la Première Présidence sans tarder. Prenez George Q. Cannon et Joseph F. Smith comme conseillers. Ce sont des hommes bons, sages et expérimentés. »

Lorenzo était néanmoins inquiet à l’idée d’assumer cet appel, surtout lorsqu’il pensait à l’état des finances de l’Église. Malgré les efforts de Heber J. Grant et d’autres personnes, l’Église était toujours enlisée dans les dettes. Certains supposaient qu’elle devait au moins un million de dollars à ses créanciers. Lorenzo, lui, craignait que la dette ne s’élève à trois millions de dollars.

Dans les jours qui suivirent la mort du président Woodruff, Lorenzo dirigea les affaires de l’Église en tant que président du Collège des douze apôtres. Pourtant, il se sentait profondément incompétent. Le 9 septembre, le lendemain des funérailles, Lorenzo se réunit avec les Douze. Ne se sentant toujours pas à la hauteur de l’appel, il proposa de quitter la présidence du collège. Mais les apôtres votèrent pour continuer de le soutenir comme leur dirigeant.

Un soir, Lorenzo chercha à connaître la volonté du Seigneur dans le temple de Salt Lake City. Il était déprimé et découragé par ses nouvelles responsabilités. Après avoir revêtu ses vêtements du temple, il supplia le Seigneur d’éclairer son esprit. Le Seigneur répondit à sa prière, lui indiquant clairement de suivre le conseil du président Woodruff et de réorganiser immédiatement la Première Présidence. George Q. Cannon et Joseph F. Smith seraient ses conseillers.

Lorenzo ne parla pas de sa révélation aux autres apôtres. Il préféra attendre, espérant qu’ils recevraient le même témoignage spirituel.

Le collège se réunit à nouveau le 13 septembre pour discuter des finances de l’Église. Sans le président Woodruff, l’Église n’avait plus de fiduciaire pour s’occuper de ses affaires temporelles. Les apôtres savaient que cette responsabilité incomberait au prochain président de l’Église. Or, ils avaient toujours attendu plus d’un an avant de réorganiser la Première Présidence. Pour l’instant, ils devaient désigner quelqu’un pour s’occuper des affaires de l’Église jusqu’à ce que les saints soutiennent un nouveau président.

Tandis que les apôtres cherchaient des solutions, Heber J. Grant et Francis Lyman suggérèrent de simplement organiser une nouvelle Première Présidence. Francis déclara : « Si le Seigneur devait vous faire savoir, président Snow, que c’est ce que nous devons faire maintenant, je suis prêt à voter non seulement pour un fiduciaire mais aussi pour le président de l’Église. »

Les autres apôtres se rallièrent immédiatement à cette idée. Joseph F. Smith proposa de désigner Lorenzo comme nouveau président. Tous manifestèrent leur soutien.

Lorenzo affirma : « C’est à moi de faire de mon mieux et de compter sur le Seigneur. » Il raconta ensuite aux apôtres la révélation qu’il avait reçue dans le temple. Il dit : « Je n’en ai parlé à personne, ni homme ni femme. Je voulais voir si le même esprit que le Seigneur m’a manifesté était en vous. »

Maintenant que les apôtres avaient reçu ce témoignage, Lorenzo était prêt à accepter l’appel du Seigneur à servir comme président de l’Église.

Un mois plus tard, lors de la conférence générale d’octobre 1898, les saints soutinrent la nouvelle Première Présidence, composée de Lorenzo Snow, George Q. Cannon et Joseph F. Smith.

Le président Snow fit du redressement de la situation financière de l’Église sa priorité absolue. Il mit à exécution un plan approuvé par Wilford Woodruff avant sa mort, qui consistait à vendre des obligations à long terme et à faible taux d’intérêt pour couvrir les dépenses immédiates de l’Église. Il organisa un comité d’apurement pour évaluer les finances de l’Église et institua un nouveau système de comptabilité. Il chercha également à produire de nouveaux revenus : il fit en sorte que l’Église devienne propriétaire à part entière du Deseret News, auparavant géré par des particuliers.

Ces efforts améliorèrent la situation financière de l’Église mais ne suffirent pas. Lors de la conférence générale d’avril 1899, le président Snow et d’autres dirigeants de l’Église parlèrent de la dîme, une loi que les saints avaient négligée depuis que le gouvernement avait saisi de nombreux biens de l’Église, plus de dix ans auparavant. Le prophète conseilla également aux saints de ne pas s’endetter.

Il déclara : « Portez vos vieux chapeaux jusqu’à ce que vous puissiez vous en acheter un nouveau. Votre voisin a peut-être les moyens d’acheter un piano pour sa famille, mais attendez de pouvoir le payer avant de vous en procurer un. »

Il demanda également aux dirigeants locaux d’utiliser les fonds de l’Église avec sagesse. Il affirma : « Il peut y avoir des circonstances qui justifieraient que nous nous endettions, mais elles sont relativement peu nombreuses. En règle générale, c’est mal. »

Tôt un matin du mois de mai, le président Snow était assis dans son lit lorsque son fils, LeRoi, entra dans sa chambre. Il venait de terminer sa mission en Allemagne et travaillait comme secrétaire personnel de son père. Le prophète le salua et lui annonça : « Je vais à Saint George. »

LeRoi fut surpris. Saint George était au sud-ouest de l’État, à près de cinq cents kilomètres. Pour s’y rendre, il fallait prendre le train aussi loin que possible vers le sud puis faire le reste du chemin en calèche. Ce serait un voyage long et éprouvant pour un homme de quatre-vingt-cinq ans.

Ils partirent un peu plus tard dans le mois, en compagnie de plusieurs amis et dirigeants de l’Église. Lorsqu’ils arrivèrent à Saint George, couverts de poussière et fatigués par le voyage, ils se rendirent chez le président de pieu, Daniel McArthur, où ils passèrent la nuit. Intrigué, il leur demanda la raison de leur visite.

Le président Snow répondit : « En réalité, je ne sais pas ce que nous sommes venus faire à Saint George, je sais seulement que l’Esprit nous a dit de venir. »

Le lendemain, le 17 mai, le prophète assista à une réunion avec les saints dans le tabernacle de Saint George, un bâtiment en grès rouge situé à plusieurs pâtés de maisons au nord-ouest du temple. Il avait eu une nuit agitée mais il semblait alerte en attendant le début de la réunion. Il était le premier orateur. Lorsqu’il se leva pour s’adresser aux saints, sa voix était claire.

Il déclara : « Nous pouvons difficilement exprimer la raison de notre venue, mais je suppose que le Seigneur aura quelque chose à nous dire. » Il n’était pas venu dans cette ville depuis treize ans et il exprima combien il était heureux de voir les saints accorder plus d’importance au royaume de Dieu qu’à la recherche de la richesse. Il les exhorta à écouter la voix de l’Esprit et à prêter bien attention à ses paroles.

Il leur dit : « Pour aller aux cieux, nous devons d’abord apprendre à obéir aux lois des cieux. Nous nous approcherons du royaume de Dieu aussi vite que nous apprendrons à obéir à ses lois. »

Pendant le sermon, le président Snow s’interrompit et la salle entière resta silencieuse. Ses yeux s’illuminèrent et son visage brilla. Quand il ouvrit la bouche, sa voix était plus puissante. L’inspiration de Dieu semblait remplir la salle.

Il parla alors de la dîme. La plupart des saints de Saint George obéissaient complètement à cette loi et le prophète reconnut leur fidélité. Il fit aussi remarquer que les pauvres étaient les plus généreux. Il déplora le fait que de nombreux saints hésitaient à payer une dîme complète malgré la fin de la récente crise financière et la reprise de l’économie. Il voulait que tous les saints observent strictement ce principe. Il déclara : « C’est une condition essentielle pour établir Sion. »

Le lendemain après-midi, le président Snow prit de nouveau la parole au tabernacle. Il annonça à l’assemblée : « Le temps est maintenant venu pour chaque saint des derniers jours qui cherche à être prêt pour l’avenir et à s’établir sur un fondement ferme, de faire la volonté du Seigneur et de payer entièrement la dîme. C’est la parole que le Seigneur vous adresse et ce sera la parole du Seigneur pour chaque assemblée dans tout le pays de Sion. »

Sur le chemin de retour vers Salt Lake City, le président Snow s’arrêta dans des villages et des villes pour témoigner de la volonté révélée du Seigneur. Dans une ville, il dit aux saints : « Nous connaissons la loi de la dîme depuis soixante et un ans mais nous n’avons pas encore appris à y obéir. Nous sommes dans une situation grave. À cause de cela, l’Église est en servitude. Le soulagement ne viendra que si les saints observent cette loi. » Il les incita à obéir pleinement à la loi et promit que le Seigneur récompenserait leurs efforts. Il annonça aussi que le paiement de la dîme serait désormais une condition requise pour entrer dans le temple.

Lorsqu’il arriva à Salt Lake City, il continua d’exhorter les saints à payer la dîme, promettant que le Seigneur pardonnerait leur désobéissance passée à cette loi, sanctifierait leur terre et les protégerait du mal. Le 2 juillet, dans le temple de Salt Lake City, il parla de cette loi lors d’une réunion avec les Autorités générales, les officiers généraux de l’Église, les présidences de pieu et les évêques.

Il expliqua : « Le Seigneur nous a pardonné notre négligence à payer la dîme par le passé, mais il ne nous pardonnera plus. Si nous n’obéissons pas à cette loi, nous serons dispersés comme l’ont été les saints du comté de Jackson. »

Avant de clore la réunion, le prophète demanda à chacun de se lever, de lever la main droite et de s’engager à accepter et à respecter la loi de la dîme comme étant la parole du Seigneur. S’adressant aux saints, il dit : « Nous voulons que vous obéissiez à cette loi avec diligence et que vous veilliez à ce que ces instructions soient transmises à toute l’Église. »


Chapitre 6 : Notre souhait et notre mission

Le visage de Hirini Whaanga s’illumina lorsqu’un groupe de saints maoris l’accueillit, avec ses collègues missionnaires, à Te Horo, village situé sur l’île du Nord, en Nouvelle-Zélande. Les saints locaux l’aimaient comme on aime un grand-père et étaient fiers de son travail en tant que missionnaire à plein temps. Chaque fois qu’il se rendait dans leurs villages, ils l’accueillaient, ainsi que ses collègues, de la même salutation familière : « Haere mai ! » Entrez !

À Te Horo, certaines personnes avaient cru aux histoires parlant des mauvais traitements subis par la famille Whaanga en Utah. Certains avaient même entendu dire que Hirini était décédé. Balayant ces rumeurs, il demanda : « Ai-je l’air mort ? Ai-je l’air maltraité1 ? »

Les missionnaires tinrent une conférence de deux jours avec les saints des dix branches de la région. Lorsque ce fut le tour de Hirini de s’adresser à l’assemblée, il se sentit poussé à parler du salut des morts. Par la suite, la plupart des saints présents lui donnèrent les noms de leurs ancêtres décédés afin qu’il accomplisse, avec les membres de sa famille, l’œuvre du temple pour eux.

Peu après la conférence, Hirini se rendit dans un village isolé appelé Mangamuka en compagnie d’Ezra Stevenson, le président de mission, et de deux missionnaires. Quelques années auparavant, les missionnaires avaient été sommés de quitter le village et de ne jamais revenir. Mais comme Hirini avait un parent du nom de Tipene qui vivait là, ils décidèrent de le solliciter.

Les missionnaires s’approchèrent prudemment de Mangamuka. Lorsqu’ils demandèrent à parler à Tipene, on les fit attendre à l’extérieur du village. Hirini était découragé ; ils étaient accueillis ici bien moins chaleureusement qu’ils ne l’avaient été ailleurs au cours de leur voyage.

Tipene finit par sortir du village et, les yeux pleins de larmes, étreignit Hirini. Ils mangèrent ensemble puis le villageois conduisit les missionnaires dans une habitation confortable. Dans le village, l’atmosphère devenait plus amicale et les frères furent invités à parler aux personnes qui s’étaient assemblées.

Avant de prendre la parole, Ezra leur assura qu’il ne cherchait pas à les condamner mais plutôt à leur proposer de découvrir la vérité apportée par son message. L’assemblée écouta avec attention et plusieurs hommes reçurent ses paroles avec joie. Hirini prit également la parole, prêchant avec hardiesse jusqu’à minuit, heure à laquelle ses collègues se retirèrent pour aller dormir. Il ne s’arrêta de parler qu’aux premières heures du matin.

Le lendemain matin, Ezra et l’un des missionnaires durent partir mais les villageois demandèrent à Hirini et à l’autre missionnaire, George Judd, de continuer à les instruire. Ils restèrent quatre jours, tinrent cinq réunions et baptisèrent deux jeunes hommes. Hirini et George prêchèrent ensuite dans d’autres villages. Quand ils rejoignirent Ezra, quelques semaines plus tard, ils avaient baptisé dix-huit personnes de plus.

Frère Whaanga continua de voyager avec le président de mission, instruisant les saints et rassemblant leurs généalogies. Souvent, lorsqu’Ezra l’écoutait prêcher, il s’émerveillait de la capacité de son ami à toucher le cœur des Maoris. Il nota dans son journal : « Il rend un témoignage puissant et fait une grande impression sur les gens. Il sait exactement comment toucher le cœur des Maoris, et ce, beaucoup mieux que nous.

En avril 1899, Hirini fut relevé avec honneur de sa mission. Un article de journal annonçant son retour à Salt Lake City faisait l’éloge de son service en Nouvelle-Zélande. On y lisait : « Un grand élan a été donné à l’œuvre dans ce pays lointain. Dans chaque district, des renseignements généalogiques ont été recueillis et la foi et le zèle des saints maoris ont été fortifiés et accrus. »

Ce printemps-là, John Widtsoe étudiait la chimie à l’université de Göttingen, dans le centre de l’Allemagne. Suite à son travail à l’université d’agriculture de Logan, il avait commencé à faire des recherches sur les glucides. À Göttingen, il avait eu l’occasion d’étudier sous la direction du plus grand scientifique dans ce domaine. Il n’était plus qu’à quelques mois de l’obtention de son doctorat.

John avait épousé Leah Dunford au temple de Salt Lake City le 1er juin 1898, deux mois avant que le couple déménage en Europe. Avant de partir, John avait été mis à part en tant que missionnaire en Europe par l’oncle de Leah, Brigham Young, fils, qui lui avait conféré l’autorité de prêcher l’Évangile lorsqu’il n’était pas occupé par ses études. L’Allemagne étant réputée pour ses conservatoires, la sœur de Leah, Emma Lucy Gates, âgée de dix-sept ans, les avait accompagnés pour étudier la musique. Depuis le 2 avril 1899, John et Leah étaient également les heureux parents d’une petite fille, Anna Gaarden Widtsoe, ainsi nommée en l’honneur de la mère de John.

Bien qu’il subvienne toujours aux besoins de sa mère et de son frère cadet, Osborne, qui faisait une mission à Tahiti, John avait les moyens de vivre en Europe avec Leah, grâce notamment à une généreuse bourse de Harvard. Göttingen était une ancienne ville universitaire entourée de collines boisées et de terres agricoles. Étant les seuls saints des derniers jours de la ville, John, Leah et Lucy organisaient leurs propres réunions de Sainte-Cène et étudiaient l’Évangile ensemble. De temps en temps, des missionnaires de la mission d’Allemagne leur rendaient visite.

Dans ce pays, l’Église comptait environ un millier de membres. Les ouvrages canoniques étaient disponibles en allemand et l’Église publiait un magazine bimensuel : Der Stern. Toutefois, seuls cinq saints allemands détenaient la Prêtrise de Melchisédek et la croissance de l’Église était lente. En Allemagne, de nombreuses personnes étaient sceptiques vis-à-vis des églises étrangères et les missionnaires étaient souvent bannis des villes. Les saints devaient parfois se réunir en secret ou sous la surveillance de la police.

À la fin du printemps, Lucy partit étudier au conservatoire de musique de Berlin. Sa grand-mère, Lucy Bigelow Young, vint d’Utah pour vivre avec elle. Lorsque John eut terminé sa thèse, il les rejoignit à Berlin avec Leah et la petite Anna. Il commença alors à étudier pour passer son examen de doctorat, dernière étape avant l’obtention de son diplôme. Il fit également un voyage de six semaines en Norvège et au Danemark pour prêcher l’Évangile, rendre visite à des parents et faire des recherches généalogiques.

N’étant pas revenu en Norvège depuis l’âge de onze ans, John était ravi de se retrouver en famille. En septembre, il écrivit à Leah : « J’ai passé un excellent moment avec la famille de ma mère. J’ai été reçu comme un roi et traité comme quelqu’un d’important. »

Lorsque John rentra en Allemagne, il retourna à Göttingen pour passer son examen tandis que Leah et le bébé restaient à Berlin. Ses professeurs semblaient optimistes quant à sa réussite mais le jeune homme craignait de les décevoir.

Dans une lettre du 20 novembre, jour de l’examen, il expliqua à sa femme : « Cet examen est entre les mains du Seigneur. Si je ne l’obtiens pas – à Dieu ne plaise ! – je n’aurai aucun reproche à me faire. Le jeûne et les prières de vous tous m’encouragent plus que je ne saurais le dire. »

Lorsque le moment de son examen arriva, John se présenta devant un jury composé de plus d’une dizaine de professeurs, tous prêts à l’interroger sur ses recherches. John fit de son mieux pour leur donner des réponses satisfaisantes. Deux ou trois heures plus tard, quand ils eurent terminé, ils le firent sortir de la pièce, le temps de délibérer.

Plus tard dans la soirée, après avoir terminé son jeûne, Leah reçut un télégramme de John. On y lisait : « Magna, grâce à Dieu. » Elle sut exactement ce que cela voulait dire : John avait réussi son examen et obtenu son doctorat avec mention, « magna cum laude ».

Quelques semaines plus tard, le 4 décembre 1899, B. H. Roberts attendait nerveusement à Washington, D.C., afin de prêter serment en tant que représentant nouvellement élu de l’Utah au Congrès des États-Unis. Vingt-huit rouleaux de papier, chacun d’environ soixante centimètres de diamètre, étaient empilés à l’entrée de la Chambre des représentants. B. H. Roberts savait que les noms de sept millions de ses opposants y étaient inscrits.

Trois ans après avoir perdu les élections de 1895, B. H. Roberts s’était à nouveau présenté au Congrès, cette fois avec le consentement de la Première Présidence. Sa campagne avait été une réussite mais les détracteurs de l’Église s’étaient immédiatement emparés de cette victoire pour saper l’image émergente des saints en tant que peuple respectueux des lois, patriotique et monogame. Les pasteurs protestants et les organisations féminines avaient mené l’assaut, déclarant à qui voulait l’entendre que B. H. Roberts, dirigeant polygame de l’Église, avait eu des enfants dans le cadre du mariage plural après le Manifeste et venait à Washington pour défendre la polygamie, corrompre les mœurs publiques et étendre le pouvoir politique de l’Église.

Alors que l’indignation suscitée par l’élection grandissait, le rédacteur en chef William Randolph Hearst se joignit à la bataille. Désireux de se servir de la polémique pour augmenter les ventes de son journal new-yorkais, il publia des articles cinglants sur B. H. Roberts et sur l’Église, les dépeignant tous deux comme des menaces pour les mœurs américaines. En fait, c’était William Hearst qui était à l’origine de la pétition se trouvant à l’entrée de la Chambre et signée par sept millions de personnes. Son objectif était de faire pression sur les législateurs afin qu’ils refusent à B. H. Roberts son siège au Congrès.

Peu après midi, B. H. Roberts fut convoqué pour prêter serment. Tandis qu’il se dirigeait vers l’avant de la Chambre, un membre du Congrès se leva et proposa calmement de l’exclure en raison de ses mariages multiples. Un autre membre du Congrès appuya la motion. Il déclara : « C’est un polygame. Son élection est une attaque contre le foyer américain. »

Le lendemain, B. H. Roberts essaya de rassurer les législateurs en expliquant qu’il n’avait aucun désir d’utiliser sa nouvelle fonction pour défendre le mariage plural. Il dit : « Je ne suis pas ici pour soutenir le mariage plural. Il n’y a aucune raison de défendre cette cause. Cette question est réglée. »

Peu convaincue, la Chambre chargea un comité de membres du Congrès d’étudier la situation de B. H. Roberts et la nature de ses mariages pluraux. Ils étaient particulièrement troublés par le fait qu’il ait continué à vivre avec ses femmes et à avoir des enfants avec elles. Lorsque le comité apporta la preuve de ces relations, B. H. Roberts insista sur le fait qu’il n’avait pas ouvertement défié la loi. De nombreux saints des derniers jours avaient continué à vivre discrètement avec les femmes qu’ils avaient épousées avant le Manifeste. Ils ne considéraient pas que cela violait leur accord d’obéir aux lois des États-Unis à partir de ce moment-là. Néanmoins, le comité ne fut pas de cet avis et, le 25 janvier 1900, une majorité écrasante de la Chambre des représentants vota en faveur de l’exclusion de B. H. Roberts.

Son renvoi de la Chambre des représentants fit la une des journaux dans tout le pays. En Utah, la Première Présidence salua l’audace avec laquelle frère Roberts avait défendu ses principes à Washington mais elle regretta le contrecoup que son élection avait sur les saints des derniers jours. La presse américaine portait à nouveau un regard critique sur l’Église.

Une partie de ce que les journaux rapportaient était inexacte, mais la critique essentielle était fondée : le mariage plural existait toujours dans l’Église. Non seulement les hommes et les femmes étaient restés fidèles à leur mariage plural après le Manifeste, mais de nombreux saints ne pouvaient pas imaginer vivre sans, l’ayant vécu, enseigné et ayant souffert pour cette cause pendant plus d’un demi-siècle. En fait, certains membres des Douze, ayant reçu l’approbation de George Q. Cannon, de Joseph F. Smith ou de leurs intermédiaires, avaient discrètement officié lors de nouveaux mariages pluraux au cours des huit années qui avaient suivi le Manifeste. Pendant cette période, quatre apôtres avaient eux-mêmes épousé d’autres femmes.

Les saints qui s’étaient mariés après le Manifeste croyaient que le Seigneur n’avait pas complètement renoncé au mariage plural. Ils pensaient qu’il ne commandait simplement plus aux saints de le défendre comme étant une pratique de l’Église. En outre, dans le Manifeste, Wilford Woodruff avait préconisé aux saints de se soumettre aux lois américaines contre la polygamie. Par contre, il n’avait rien dit concernant les lois du Mexique et du Canada. La plupart des nouveaux mariages pluraux avaient été célébrés dans ces pays et seulement un petit nombre l’avait été aux États-Unis.

Au vu des retombées de l’élection de B. H. Roberts, les dirigeants de l’Église commençaient à voir le mal qu’il y avait à consentir à ce qu’un saint polygame se présente à un poste fédéral. Ils n’avaient pas l’intention de commettre cette erreur à nouveau.

En avril 1900, Zina Presendia Card, fille de Zina Young, présidente générale de la Société de Secours, rentrait chez elle à Cardston, au Canada, après avoir passé plusieurs semaines à Salt Lake City auprès de sa mère âgée de soixante-dix-neuf ans. Au cours de cette visite, elles s’étaient rendues dans le pieu d’Oneida, dans le sud de l’Idaho, pour prendre la parole lors d’une conférence de la Société de Secours.

Elle rapporta à sa petite sœur, Susa Gates : « Elle a bien supporté le voyage et s’est adressé aux sœurs comme un ange. Je suis très fière d’elle. »

Pourtant, Zina Presendia s’inquiétait de l’âge avancé de sa mère. Mille cents kilomètres séparaient Cardston de Salt Lake City. Si la santé de sa mère se détériorait soudainement, Zina Presendia risquait de ne pas pouvoir la revoir avant son décès.

De retour à Cardston, Zina Presendia retrouva ses responsabilités de présidente de la SAM des jeunes femmes du pieu d’Alberta. Quatorze ans s’étaient écoulés depuis le jour où John Taylor, président de l’Église, avait demandé à son mari, Charles Card, de conduire un groupe de saints polygames au Canada. Depuis lors, les saints avaient établi une douzaine de colonies dans le sud de l’Alberta. Le pieu de Cardston avait été fondé en 1895, Charles en étant le président. L’ère de la colonisation par les saints des derniers jours avait pris fin, mais de nouvelles familles et entreprises continuaient de s’installer dans la région, contribuant ainsi à l’édification de l’Église. Il y avait maintenant beaucoup de jeunes saints qui atteignaient l’âge adulte dans la région ; Zina Presendia se faisait beaucoup de souci pour eux.

Cardston était une ville relativement isolée mais les jeunes n’étaient pas à l’abri de maux tels que les jeux d’argent et l’abus d’alcool. Elle savait que certains adultes en ville étaient de mauvais exemples pour la jeune génération.

De plus, il était évident que les jeunes de Cardston et d’autres localités avaient besoin d’être plus instruits au sujet de la chasteté. Avant le Manifeste, les jeunes femmes avaient davantage d’occasions de se marier, ce qu’elles faisaient souvent à un âge plus précoce. Cependant, la génération montante avait maintenant tendance à se marier plus tard. D’ailleurs, certains, en particulier les femmes, ne se mariaient pas du tout. Cela signifiait qu’ils devaient rester chastes pendant plus longtemps.

Au début du mois de mai, Zina Presendia aborda ces sujets lors d’une réunion commune des SAM des jeunes gens et des jeunes femmes de la paroisse de Cardston. Elle avertit les jeunes : « Les plaisirs d’un instant apportent souvent le chagrin de toute une vie. Recherchons l’humilité et la charité ; essayons de faire aux autres ce que nous voudrions qu’ils nous fassent. »

Ce printemps et cet été-là, elle assista également à plusieurs réunions de la SAM des jeunes femmes de la paroisse de Cardston. Elles avaient lieu tous les mercredis après-midi. Mamie Ibey, présidente de la SAM de la paroisse, âgée de vingt-trois ans, dirigeait souvent les réunions tandis que d’autres présentaient des leçons. Tous les deux mois, les jeunes femmes organisaient une réunion de témoignage, donnant à chaque membre du groupe l’occasion de témoigner.

Tout au long de l’année 1900, le Young Woman’s Journal publia une série de leçons en douze parties intitulée « Éthique pour les jeunes filles [Ethics for Young Girls] ». Chaque mois, une nouvelle leçon était proposée, chacune étant conçue pour aider les jeunes femmes à distinguer le bien du mal. L’honnêteté, la maîtrise de soi, le courage, la chasteté et le recueillement faisaient partie des sujets abordés. Plusieurs questions étaient posées après chaque leçon, incitant les jeunes femmes à la revoir et à en discuter.

Zina Presendia pensait que la participation régulière à la SAM renforcerait les jeunes et aurait un effet bénéfique sur leur comportement. Lors de ces réunions, les jeunes femmes étaient incitées à se détourner des voies du monde et de l’erreur. Zina Presendia leur expliqua : « Nous ne devrions jamais avoir honte de la vérité ni d’avouer que nous sommes mormones. »

Elle exhorta également leurs parents à être des guides sur le chemin de la droiture. Plus tôt cette année-là, alors qu’elle visitait un pieu en Idaho, elle avait entendu sa mère répéter une chose que Joseph Smith avait enseignée à la Société de Secours de Nauvoo : « Plantez de bonnes idées dans l’esprit des enfants. Ils remarquent notre exemple. » Zina Presendia estimait que cette vérité s’appliquait de la même manière à Cardston.

En juillet, elle rappela à d’autres dirigeants : « Nous devons montrer le bon exemple à nos enfants, les prendre dans nos bras, les porter dans notre cœur et leur apprendre à fuir tout mal. »

Dans l’après-midi du 10 décembre 1900, George Q. Cannon vit l’archipel d’Hawaï pour la première fois depuis qu’il y avait fait sa mission dans les années 1850. Alors âgé de vingt-trois ans, il était le plus jeune des dix premiers missionnaires saints des derniers jours à y être envoyé. Maintenant, en qualité de conseiller dans la Première Présidence, il revenait pour commémorer le cinquantième anniversaire de leur arrivée et le début de l’organisation de l’Église à Hawaï.

Quelques heures après avoir repéré les îles, George et ses compagnons de voyage accostèrent à Honolulu, sur l’île d’Oahu. Il passa la nuit chez Abraham et Minerva Fernandez, saints des derniers jours hawaïens. Le lendemain, il participa à une réception comptant environ mille saints rassemblés dans une église. Parmi les personnes présentes, certaines avaient été baptisées par George pendant sa mission. D’autres étaient les enfants et petits-enfants de personnes qu’il avait instruites.

George se réveilla le lendemain matin, le 12 décembre, mal à l’aise à l’idée de prendre la parole lors de la commémoration. En tant que jeune missionnaire, il avait été admiré pour sa capacité à parler le hawaïen et à l’écrire. Ayant rarement pratiqué cette langue depuis son retour chez lui, il redoutait que sa maladresse ne soit une déception pour les saints.

La fête eut lieu dans le tout nouveau théâtre d’Honolulu. Les dirigeants locaux de l’Église avaient recruté un excellent orchestre, deux chœurs d’Honolulu et de Laie ainsi que d’autres ensembles musicaux. Dans un bâtiment gouvernemental voisin, les saints avaient également préparé un énorme festin composé de plats hawaïens, auquel ils avaient convié toute la collectivité. Il semblait à George que la ville entière se joignait à la célébration.

Lorsque ce fut son tour de prendre la parole, il commença son discours en anglais, se remémorant les premiers jours de sa mission, lorsque plusieurs de ses compagnons de service avaient abandonné l’œuvre et que les habitants anglophones des îles n’avaient montré aucun intérêt pour l’Évangile. Il raconta : « C’est alors que j’ai protesté et que je me suis déclaré déterminé à rester dans ces îles et à travailler parmi leurs habitants. »

Tandis qu’il parlait, George sentit la puissance de l’Esprit reposer sur lui. Soudain, des mots lui revinrent en mémoire ; son sentiment de malaise se dissipa et il commença à parler en hawaïen. Les saints étaient à la fois étonnés et ravis. Quelqu’un déclara : « Comme c’est merveilleux qu’après toutes ces années, il se souvienne de notre langue ! »

La commémoration se poursuivit le lendemain ; George, confiant, s’adressa à nouveau aux saints dans leur langue. Il déclara : « Aujourd’hui plus que jamais, je ressens les liens qui unissent le peuple de Dieu. Là où les gens croient en l’Évangile et descendent dans les eaux du baptême, ils apprennent à s’aimer les uns les autres. »

George passa un peu plus de trois semaines avec les saints à Hawaii. Pendant son séjour sur l’île de Maui, il se rendit dans la ville de Wailuku, où il avait connu son premier succès en tant que missionnaire. La ville était méconnaissable mais il trouva facilement la maison de ses amis Jonathan et Kitty Napela, tous deux décédés des décennies plus tôt. Ils avaient été comme une famille pour George, et Jonathan avait traduit avec lui le Livre de Mormon en hawaïen.

En visitant les îles, George se fit de nombreux nouveaux amis, dont Tomizo Katsunuma, un Japonais devenu membre de l’Église pendant qu’il étudiait à l’université d’agriculture de l’Utah. Il rencontra aussi des saints de longue date qui, malgré leur fidélité, n’avaient jamais reçu les ordonnances du temple. Ému par leur situation, il les exhorta à vivre de manière à être dignes d’entrer dans le temple et à avoir la foi que le Seigneur inspirerait son prophète pour leur apporter les bénédictions du temple.

Le jour du départ de George, des centaines de saints et une fanfare locale accueillirent sa carriole à l’embarcadère d’Honolulu. Dans un dernier geste d’amour, une vingtaine d’enfants et de saints âgés se précipitèrent vers lui et le couvrirent de leis de fleurs colorés. Il monta ensuite à bord de son navire et la fanfare entonna un air d’adieu.

En regardant les saints rassemblés sur le quai, George savait qu’il ne les oublierait jamais. Ils lui crièrent : « Aloha nui », en signe d’amour et d’adieu. « Aloha nui. »

« Aujourd’hui, un nouveau siècle se lève sur le monde. »

La voix de LeRoi Snow résonna dans le tabernacle de Salt Lake tandis qu’il lisait les premiers mots d’un message que son père, Lorenzo Snow, avait écrit aux peuples de toute la terre.

C’était le 1er janvier 1901, le premier jour du vingtième siècle. Ce matin-là, il faisait un froid glacial mais plus de quatre mille personnes avaient quitté la chaleur de leur foyer pour assister à une réunion spéciale avec le prophète, des Autorités générales et le Tabernacle Choir. Le tabernacle lui-même était décoré pour l’occasion et un faisceau de lumières électriques épelant le mot « Bienvenue » était suspendu aux tuyaux de l’orgue.

Assis sur l’estrade, non loin de LeRoi, se trouvait le président Snow, aphone en raison d’un gros rhume. Comme les autres saints, il écoutait attentivement son fils lire le message. Intitulé simplement « Salutations au monde », le discours évoquait les découvertes scientifiques stupéfiantes et les progrès technologiques des cent dernières années et exprimait l’optimisme du président Snow à l’égard du siècle à venir.

Dans ce message, il appelait les dirigeants mondiaux à renoncer à la guerre et à rechercher le « bien-être de l’humanité » plutôt que « l’enrichissement d’une race ou l’extension d’un empire ». Il déclara : « Vous avez entre vos mains le pouvoir d’ouvrir la voie au Roi des rois, qui arrive, dont la domination s’étendra sur toute la terre. » Il les exhortait à promouvoir la paix, à mettre fin à l’oppression, à lutter ensemble contre la pauvreté et à édifier les foules.

Il appelait en outre les riches comme les pauvres à rechercher des modes de vie meilleurs et plus charitables. S’adressant aux pauvres, il déclara : « Le jour de votre rédemption approche. Soyez prévoyants dans les périodes de prospérité. » Il conseillait aux riches d’être généreux : « Ouvrez vos coffres et vos bourses ; lancez-vous dans des entreprises qui donneront du travail aux chômeurs et soulageront la misère qui conduit au vice et au crime, qui affligent vos grandes villes et qui empoisonnent l’atmosphère morale qui vous entoure. »

Il témoigna du Seigneur et de son Évangile rétabli. Il affirma : « Il accomplira assurément son œuvre et le vingtième siècle marquera son avancement. »

Finalement, le président Snow bénit les peuples du monde, où qu’ils soient. Il dit : « Puissent les rayons du soleil vous être favorables. Puisse la lumière de la vérité chasser de votre âme les ténèbres. Puisse la justice croître et l’iniquité diminuer au fil des années de ce siècle. Puisse la justice triompher et la corruption être éliminée. »

Il ajouta : « Que ces sentiments parviennent au monde entier comme étant la voix des ‘mormons’ dans les montagnes de l’Utah, et que tous les peuples sachent que notre souhait et notre mission sont de bénir et de sauver tout le genre humain. »


Chapitre 7 : Sur la sellette

Au début de l’année 1901, comme la santé de George Q. Cannon se dégradait, Joseph F. Smith commença à assumer davantage de responsabilités au sein de la Première Présidence. En mars, George se rendit sur la côte californienne avec sa famille, dans l’espoir que l’air marin le revigorerait. Pendant ce temps, Joseph soutenait son ami de loin.

Il lui écrivit : « Notre collaboration de toujours dans l’œuvre du ministère a lié mon cœur, mon âme, mon amour et mes sympathies à vous d’une affection aussi forte que l’amour de la vie, que rien ne peut briser1».

Cependant, la santé de George continua à décliner. Ses fils envoyaient régulièrement à Salt Lake City des rapports sur la santé défaillante de leur père. Joseph ne fut donc pas surpris lorsque, le 12 avril, un télégramme arriva, annonçant la mort de George. Cette perte le peina néanmoins profondément. Ce jour-là, Joseph nota dans son journal : « Il était à la fois un homme humble et grand, un dirigeant puissant dans les conseils de ses frères. Tout Israël pleurera sa mort. »

Malgré son chagrin, Joseph se concentra sur son rôle élargi au sein de la Première Présidence. Cette année-là, le président Snow et lui chargèrent trois apôtres de diriger les efforts missionnaires dans certaines régions du monde. Ils appelèrent Francis Lyman à présider la mission européenne, John Henry Smith à donner un nouvel élan à la mission du Mexique et Heber J. Grant à diriger la première mission au Japon. Désireux d’étendre l’œuvre du Seigneur à d’autres régions du monde, les dirigeants de l’Église envisageaient également d’envoyer des missionnaires en Amérique du Sud et de construire un petit temple pour les colonies des saints d’Arizona et du nord du Mexique. Cependant, l’Église étant encore endettée, ces projets ne furent pas suivis d’effet à ce moment-là.

La même année, les saints pleurèrent deux autres personnes. En août, la présidente générale de la Société de Secours, Zina Young, eut un malaise tandis qu’elle rendait visite à sa fille, Zina Presendia Card, au Canada. Celle-ci la ramena d’urgence à Salt Lake City, où elle mourut paisiblement chez elle. Tout au long de sa vie, Zina avait été exemplaire dans sa manière de placer le royaume de Dieu avant toute autre chose.

Deux semaines avant sa mort, s’adressant à la Société de Secours de Cardston, elle avait affirmé : « Chaque jour, je me réjouis davantage de la grandeur des principes auxquels nous croyons. Nous recevons bien plus de bénédictions que nous ne pouvons l’exprimer. Rien n’est comparable aux bénédictions dont nous jouissons en nous en remettant à Dieu. »

Deux mois plus tard, le président Snow tomba soudainement malade. Plusieurs apôtres prirent fidèlement soin de lui et, à la demande de Joseph F. Smith, s’agenouillèrent autour de son lit pour prier en sa faveur. Il décéda peu de temps après.

Lors des funérailles du président Snow, Joseph rendit hommage à l’homme et à son témoignage inébranlable de la vérité. Il déclara : « À l’exception du prophète Joseph, je ne crois pas qu’il y ait jamais eu un homme sur cette terre qui ait rendu un témoignage plus fort et plus clair de Jésus-Christ. »

Quelques jours plus tard, le 17 octobre 1901, le Collège des douze apôtres soutint Joseph F. Smith en tant que sixième président de l’Église. Celui-ci appela John Winder, membre de l’épiscopat président, et Anthon Lund pour être ses conseillers. Les apôtres posèrent ensuite les mains sur Joseph et John Smith, son frère aîné et patriarche de l’Église, le mit à part.

Le 10 novembre 1901, lors d’une réunion exceptionnelle tenue dans le tabernacle de Salt Lake City, les saints soutinrent la nouvelle Première Présidence. Le président Smith déclara à l’assemblée : « Il est de notre devoir de nous emparer de l’œuvre avec énergie, le cœur pleinement résolu à la faire avancer, avec l’aide du Seigneur et selon l’inspiration de son Esprit. » À l’aube d’un nouveau siècle, il voulait insuffler aux membres de l’Église de l’espoir en l’avenir.

Il dit : « Nous avons été chassés de nos maisons, calomniés et dénigrés partout. Le Seigneur a l’intention de changer cette situation et de nous faire connaître au monde sous notre vrai jour : en tant que véritables adorateurs de Dieu. »

Lors de cette réunion, le président Smith demanda aux saints de soutenir Bathsheba Smith en tant que quatrième présidente générale de la Société de Secours. C’était la première fois que l’on demandait aux collèges de la prêtrise de manifester leur soutien à une nouvelle présidence générale de la Société de Secours.

Emmeline Wells remarqua : « Les femmes intéressées par la mise en avant des sœurs ont été très satisfaites de voir les mains des frères de tous les différents collèges de la sainte prêtrise se lever pour soutenir ces sœurs. »

Âgée de soixante-dix-neuf ans, Bathsheba Smith était l’une des rares fondatrices de la Société de Secours de Nauvoo encore vivantes. Après être devenue membre de l’Église à l’âge de quinze ans, elle s’était jointe au rassemblement des saints au Missouri puis à Nauvoo. En 1841, elle avait épousé l’apôtre George A. Smith puis était devenue servante des ordonnances du temple de Nauvoo. Elle avait travaillé activement au sein de la Société de Secours, plus récemment en tant que deuxième conseillère de Zina Young dans la présidence générale.

Deux mois après avoir été soutenue par les saints, Bathsheba adressa un message d’amour et de bonne volonté à toutes les sœurs de la Société de Secours. Elle déclara : « Chères sœurs, cherchez à créer des liens entre les membres de votre société grâce à l’amour et l’unité. Allons dès maintenant de l’avant avec des résolutions renouvelées pour entreprendre l’œuvre de soulagement et d’amélioration. »

Avec ses conseillères, Annie Hyde et Ida Dusenberry, elle prônait le service en faveur des pauvres et des nécessiteux, et encourageait le stockage des céréales et la production de soie. Afin de récolter des fonds pour l’aide humanitaire, elle incita les membres de la société à collecter des dons en organisant des ventes de charité, des concerts et des danses. Elle envoya des déléguées aux organisations nationales de femmes et aida les femmes à se former pour devenir infirmières et sages-femmes. Elle commença également à rassembler des fonds et à faire des plans pour un « Woman’s Building (bâtiment de la femme) » en face du temple de Salt Lake City, sur un terrain que Lorenzo Snow avait consacré au profit de la Société de Secours avant sa mort.

Comme les dirigeantes qui les avaient précédées, Bathsheba et ses conseillères estimaient qu’il était important de se rendre dans chaque Société de Secours. Elles comptaient souvent sur les épouses des présidents de mission pour visiter ces organisations en Europe et en Océanie. Toutefois, elles-mêmes ou des membres du bureau général de la Société de Secours essayaient de rendre visite aux saintes des derniers jours dans l’ouest des États-Unis, au Mexique et au Canada au moins deux fois par an. Comme l’Église comptait des dizaines de pieux dans cette région, il était plus difficile de visiter tout le monde. Elles appelèrent donc six femmes supplémentaires pour les aider dans ce travail.

Lors de leurs visites dans les pieux, les dirigeantes de la Société de Secours remarquèrent un manque d’intérêt de la part des jeunes femmes. Comme beaucoup d’entre elles étaient de jeunes mères, la présidence générale incita les Sociétés de Secours de pieu à rendre leurs réunions plus attrayantes pour la jeune génération. Comme il n’y avait pas de programme d’enseignement défini à cette époque, Bathsheba sollicita les pieux pour qu’ils conçoivent des cours d’éducation pour les mères. Elle demanda que chaque Société de Secours s’appuie sur les expériences personnelles de ses membres plus âgés et sur l’étude des ouvrages scientifiques sur l’éducation des enfants, sujet qui intéressait la nouvelle génération. Bientôt, le Woman’s Exponent publia des plans de cours pour aider les pieux à mettre en place leur programme d’enseignement.

En août 1903, Bathsheba envoya Ida Dusenberry, âgée de trente ans, à Cardston pour aider Zina Presendia Card et les présidences locales de la Société de Secours à préparer les cours pour les mères. Ida leur demanda de s’impliquer dans le programme et d’utiliser les magazines et d’autres publications de l’Église dans leurs leçons.

« Jusqu’à quel point devons-nous nous appuyer sur l’aspect scientifique dans les cours pour les mères ? » demanda Zina Presendia.

Ayant suivi une formation universitaire pour être institutrice à la maternelle et administratrice scolaire, Ida était impatiente de faire connaître les idées novatrices concernant l’éducation des enfants. Elle comprit cependant qu’il y avait beaucoup à apprendre de l’expérience des sœurs plus âgées de la Société de Secours.

Elle expliqua : « Nous voulons que vous abordiez les besoins d’une mère et son devoir envers ses enfants de manière générale. Pour l’aspect pratique, nous apprendrons beaucoup les unes des autres. »

Pendant qu’Ida Dusenberry visitait Cardston, son frère aîné, Reed Smoot, se préparait à une bataille politique au Sénat des États-Unis. Récemment appelé au Collège des douze apôtres, Reed avait été élu au Sénat plus tôt cette année-là, après avoir obtenu l’aval de la Première Présidence. Sa femme, Allie, soutenait également son désir de travailler au Sénat, certaine qu’il pouvait faire beaucoup pour les habitants de l’Utah. Elle lui dit: « Je souhaite profondément que tu réussisses. Je sens que Dieu nous bénira tous les deux et nous aidera. »

Comme on pouvait s’y attendre, la victoire de Reed suscita de l’indignation et des protestations. L’Église s’était efforcée d’améliorer son image publique après l’élection de B. H. Roberts à la Chambre des représentants en 1898, qui avait suscité de vives réactions à l’échelle nationale. Depuis, l’Église avait ouvert un bureau d’information (Bureau of Information) à Temple Square pour aider les gens à mieux connaître les saints. Il était tenu par des bénévoles, dont beaucoup venaient des SAM des jeunes gens et des jeunes femmes, qui distribuaient de la documentation et répondaient aux questions sur l’Église et ses croyances. Jusqu’à présent, ils avaient accueilli des milliers de visiteurs à Salt Lake City, leur donnant des renseignements exacts. Pourtant, leur travail ne fit pas changer d’avis les opposants les plus farouches de l’Église, en Utah et ailleurs.

Les critiques les plus virulents de Reed étaient les membres de l’association ministérielle de Salt Lake (Salt Lake Ministerial Association), regroupant des hommes d’affaires, des avocats et des pasteurs protestants d’Utah. Peu après l’élection, ils déposèrent une requête officielle, demandant au Sénat de refuser à Reed son siège. Ils affirmaient que la Première Présidence et le Collège des douze apôtres exerçaient une autorité politique et économique suprême sur les saints et exigeaient d’eux une obéissance absolue. Ils prétendaient que les dirigeants de l’Église continuaient de prêcher, de pratiquer et de soutenir le mariage plural, malgré le Manifeste. Ils concluaient en déclarant que ces facteurs rendaient les saints antidémocratiques et déloyaux envers la nation.

Les membres de l’association ministérielle craignaient que Reed se serve de son appel d’apôtre de l’Église pour promouvoir le mariage plural et protéger les personnes qui le pratiquaient. L’un d’eux accusa même Reed, qui était monogame, de pratiquer le mariage plural en secret. Il insista sur le fait qu’il serait un pion entièrement soumis aux directives de la Première Présidence.

Les dirigeants du Sénat examinèrent les demandes et désignèrent un comité de treize sénateurs pour tenir une audience sur les revendications de l’association ministérielle. Ils autorisèrent néanmoins Reed à prêter serment, lui permettant d’occuper le poste de sénateur au moins jusqu’à la fin des audiences.

Malgré la menace d’une enquête qui planait sur l’Église, Joseph F. Smith estimait que Reed devait conserver son apostolat et son siège au Sénat, convaincu qu’il pouvait faire plus de bien à Washington que nulle part ailleurs. Pour le président Smith, cette enquête était l’occasion de montrer aux gens le vrai visage des saints et leurs croyances.

Comme Reed n’avait jamais pratiqué le mariage plural, il ne s’inquiétait pas de l’enquête du comité sur sa vie personnelle. Par contre, il redoutait la manière dont l’Église serait montrée pendant l’audience. Les rumeurs de nouveaux mariages pluraux abondaient en Utah ; depuis l’élection de B. H. Roberts, des doutes subsistaient dans l’esprit des gens quant à l’engagement de l’Église à délaisser cette pratique. En tant que dirigeant dans l’Église, Reed devait répondre des règles établies par celle-ci. Il savait que le comité enquêterait de manière approfondie sur les mariages pluraux accomplis après le Manifeste. Il supposait également que les sénateurs l’interrogeraient, lui et d’autres témoins, sur l’implication de l’Église dans la politique et sur la loyauté des saints envers les États-Unis.

Si le comité démontrait que l’Église incitait au non-respect de la loi, Reed perdrait son poste et la réputation des saints en souffrirait.

Le 4 janvier 1904, il déposa une réfutation auprès du comité, niant formellement les accusations de l’association ministérielle. Il espérait concentrer l’attention des membres du comité sur lui et sa conduite. Cependant, lorsqu’il les rencontra une semaine plus tard, il était clair que les sénateurs étaient déterminés à enquêter sur l’Église. Ils étaient particulièrement désireux d’interroger Joseph F. Smith et d’autres Autorités générales concernant leur influence politique sur les saints et la pratique du mariage plural après le Manifeste.

Le président du comité lui déclara : « Monsieur Smoot, ce n’est pas vous qui êtes sur la sellette. C’est l’église mormone sur laquelle nous avons l’intention d’enquêter, et nous allons veiller à ce que ces hommes respectent la loi. »

Le 25 février 1904, Joseph F. Smith fut cité à comparaître devant le comité du Sénat afin de témoigner aux audiences de Reed Smoot. Deux jours plus tard, il partit pour Washington, DC, confiant dans le fait que l’Église parviendrait à faire face à l’examen minutieux qui s’annonçait. Reed l’avait prévenu que les sénateurs lui poseraient des questions sur tous les aspects de sa vie familiale et exigeraient des détails sur ses mariages multiples. En tant que président de l’Église, il serait également interrogé sur son rôle de prophète, voyant et révélateur. Le comité voudrait savoir quelle influence lui-même et ses révélations auraient sur Reed et ses actions au Sénat.

Le 2 mars, premier jour des interrogatoires, la salle du comité était bondée de sénateurs, d’avocats et de témoins. Des membres d’organisations de femmes opposées à l’élection de Reed Smoot étaient également présentes. Le président du comité fit asseoir Joseph F. Smith à une longue table face à lui. Ses cheveux gris et sa longue barbe étaient soigneusement peignés, il portait un modeste manteau noir et des lunettes à monture dorée. Il avait épinglé à son revers un petit portrait de Hyrum Smith, son père mort en martyr.

Robert Tayler, l’avocat représentant l’association ministérielle, commença par poser des questions sur la vie du président Smith. Portant ensuite son attention sur la révélation et son influence sur les décisions individuelles des membres de l’Église, l’avocat demanda au prophète d’expliquer à partir de quel moment les membres étaient obligés d’obéir à la révélation du président de l’Église. S’il parvenait à faire dire au prophète que tous les membres étaient tenus d’obéir à ses révélations, il démontrerait que Reed Smoot n’était pas vraiment libre de prendre des décisions au sein du Sénat.

Le président Smith lui répondit : « Aucune révélation donnée par l’intermédiaire du chef de l’Église ne devient contraignante ni ne fait autorité tant qu’elle n’a pas été présentée à l’Église et acceptée par elle.

– Voulez-vous dire que l’Église en conférence peut vous dire, à vous, Joseph F. Smith, président de l’Église, ‘Nous nions le fait que Dieu vous ait dit de nous dire ceci’ ? demanda Robert Tayler.

– Ils peuvent dire cela s’ils le veulent, répliqua le prophète. Tout homme a le droit d’avoir sa propre opinion, son point de vue et sa conception du bien et du mal, tant qu’ils n’entrent pas en conflit avec les principes de base de l’Église. »

À titre d’exemple, il fit remarquer que seule une partie des saints avait pratiqué le mariage plural. Il ajouta : « Tous les autres membres de l’Église se sont abstenus de cette pratique et n’y ont pas pris part. Plusieurs milliers d’entre eux ne l’ont jamais reçue ni crue. Ils n’ont pas, pour autant, été rejetés de l’Église.

– Vous avez des révélations, n’est-ce pas ? » s’enquit le président du comité. Il voulait savoir à partir de quel moment une révélation du prophète du Seigneur serait considérée comme une doctrine fondamentale de l’Église, à laquelle un saint des derniers jours fidèle comme Reed Smoot se sentirait obligé d’obéir.

Le président Smith choisit soigneusement ses mots. Il recevait fréquemment des révélations personnelles par l’intermédiaire du Saint-Esprit. En qualité de prophète, il recevait aussi des directives inspirées destinées aux saints. Cependant, il n’avait jamais reçu de révélation pour l’Église entière de la voix du Seigneur, comme celles que l’on trouve dans les Doctrine et Alliances.

Il répondit : « Je n’ai jamais dit que j’avais reçu une révélation, si ce n’est que Dieu m’a montré que le ‘mormonisme’ est sa vérité divine. C’est tout. »

Le président Smith continua de répondre aux questions jusqu’à ce que la commission soit ajournée, en fin d’après-midi. Lorsque l’audience reprit le lendemain, le comité concentra ses questions sur le mariage plural et le Manifeste. Tout en cherchant à répondre avec précision à ses questions, le président Smith évita de mentionner ce que lui-même et d’autres dirigeants de l’Église savaient au sujet des nouveaux mariages pluraux. Il savait que le Congrès les condamnerait, lui et l’Église, si cette information était révélée lors de l’enquête.

En outre, ses réponses prudentes aux questions du comité étaient fondées sur sa compréhension du fait que les saints ayant pratiqué le mariage plural après le Manifeste l’avaient fait à leurs dépens. Pour cette raison, il ne pensait pas que le Manifeste lui avait interdit, à lui, à ses épouses, ou à tout autre couple plural, de continuer discrètement à honorer leurs engagements sacrés de mariage contractés au temple.

Lorsque Robert Tayler lui demanda s’il pensait que c’était mal de continuer à vivre avec plusieurs femmes, le président Smith répondit : « C’est contraire à la règle de l’Église et à la loi du pays. » Cependant, il parla ensuite ouvertement de son refus d’abandonner sa grande famille. Il dit : « Je vis avec mes femmes. Elles m’ont donné des enfants depuis 1890. »

– Puisque c’était une violation de la loi, rétorqua Tayler, pourquoi l’avez-vous fait ?

– J’ai préféré encourir les sanctions de la loi plutôt qu’abandonner ma famille. »

Essayant de trouver le nom des hommes qui avaient épousé des femmes dans le cadre du mariage plural après le Manifeste, les sénateurs l’interrogèrent sur les mariages des apôtres et de plusieurs autres membres de l’Église. Le président du comité lui demanda également s’il avait lui-même officié pour des mariages pluraux après le Manifeste.

Il répondit : « Non monsieur, jamais. » Il ajouta ensuite une déclaration soigneusement formulée, destinée à éviter tout examen approfondi. « Il n’y a pas eu de mariages pluraux célébrés par l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, avec son consentement ou à sa connaissance.

– Depuis le Manifeste ? s’enquit un sénateur.

– C’est ce que je voulais dire, oui. » En faisant cette déclaration, il ne niait pas l’existence de mariages pluraux ayant été contractés après le Manifeste. Il établissait plutôt une distinction subtile entre les pratiques approuvées par l’Église et ses conseils, et celles que les membres choisissaient de suivre selon leur conscience. Les saints avaient en effet soutenu le Manifeste en 1890, de sorte que les mariages pluraux célébrés par les dirigeants de l’Église avaient eu lieu sans le consentement de l’Église dans son ensemble.

Un autre sénateur demanda : « Si un apôtre de l’Église avait officié lors d’une telle cérémonie, considéreriez-vous que ce soit avec l’autorité de votre Église ?

– Si un apôtre ou tout autre homme faisait une telle chose, revendiquant en avoir l’autorité, il serait non seulement passible de poursuites, de lourdes amendes et d’emprisonnement dans l’État en vertu de la loi mais il serait également soumis à une action disciplinaire au sein de l’Église et à l’excommunication, » affirma le président Smith.

Après son audition, qui dura cinq jours, le président Smith sentit qu’il avait suivi l’inspiration divine dans son rôle de témoin. Il déclara : « Je crois fermement que le Seigneur a fait du mieux qu’il pouvait avec l’instrument dont il devait se servir. »

Pourtant, son témoignage provoqua un tollé lorsqu’il fut publié dans les journaux. Dans tous les États-Unis, les gens étaient stupéfaits d’apprendre que le président Smith vivait toujours avec ses cinq épouses. Ils doutaient également de sa crédibilité et de sa sincérité en tant que témoin et affirmaient que les dirigeants de l’Église étaient des menteurs et des hors-la-loi.

Le secrétaire de la Première Présidence confia à l’un de ses amis : « Une avalanche de critiques publiques défavorables est en train de balayer notre communauté. La seule chose que nous avons envie de faire en ce moment est de boutonner le col de notre manteau, de tourner le dos à la tempête et d’attendre patiemment. »

Alors que l’audition au Sénat se poursuivait à Washington, DC, le prophète rentra à Salt Lake City, résolu à prendre les mesures nécessaires pour restaurer la confiance en lui et en l’Église. Il avait assuré au comité que les responsables de l’Église engageraient des actions disciplinaires contre les saints qui officieraient dans de nouveaux mariages pluraux, allant à l’encontre du Manifeste. Il était désormais tenu de donner au Sénat une preuve plus sérieuse que lui-même et les saints étaient réellement opposés à de nouveaux mariages pluraux.

Le 6 avril 1904, dernier jour de la conférence générale, il se tint à la chaire du tabernacle et lut une nouvelle déclaration officielle sur le mariage plural dans l’Église. Il déclara : « Puisque de nombreux rapports circulent selon lesquels des mariages pluraux ont été contractés, contrairement à la déclaration officielle du président Woodruff, j’annonce que ces mariages sont interdits. »

Cette déclaration ne condamnait pas les quelque deux cents couples qui avaient contracté un mariage plural après le Manifeste ni ne censurait ceux qui avaient continué à vivre avec leur famille plurale depuis lors. Elle confirmait cependant que les nouveaux mariages pluraux étaient interdits, même en dehors des frontières des États-Unis. Il dit : « Si un officier ou un membre de l’Église, quel qu’il soit, décide de célébrer ou de contracter un mariage de ce genre, il sera considéré comme transgresseur à l’encontre de l’Église. Il sera jugé conformément aux règles et aux lois de celle-ci et en sera excommunié. »

Après avoir lu la déclaration, qui devint connue sous le nom de « Second Manifeste », le président Smith exhorta les saints à soutenir cette nouvelle déclaration et à regagner la confiance du gouvernement à leur égard. Le Manifeste avait révélé que le mariage plural n’était plus un commandement auquel l’Église était soumise ; cette nouvelle déclaration était destinée à empêcher la célébration de nouveaux mariages pluraux à partir de ce moment-là. Il espérait que cela mettrait fin aux allégations selon lesquelles les membres de l’Église n’étaient pas des citoyens respectueux de la loi.

Il déclara : « Aujourd’hui, je veux voir si les saints des derniers jours représentant l’Église dans cette assemblée solennelle ne scelleront pas par leur vote ces accusations comme étant fausses. »

Comme un seul homme, les saints présents dans le tabernacle levèrent la main pour soutenir ses paroles.


Chapitre 8 : Le rocher de la révélation

Au printemps de l’année 1904, John Widtsoe suivait de loin les audiences de Reed Smoot. Joseph Tanner, son ami et mentor, aujourd’hui responsable des établissements scolaires de l’Église et conseiller dans la présidence générale de l’École du Dimanche, faisait partie des saints appelés à témoigner devant le comité du Sénat. Ayant épousé plusieurs femmes après le Manifeste, il refusa de se soumettre à l’enquête et se réfugia au Canada.

Fin avril, il écrivit à John sous un pseudonyme : « Je ne suis pas du tout inquiet. Quand l’affaire Smoot sera terminée, nous aurons du repos, peut-être pour un moment. »

Comme d’autres saints, John pensait que les audiences de Smoot n’étaient qu’une nouvelle épreuve de foi pour l’Église. Il était de retour à Logan avec sa femme, Leah, et leurs enfants. En plus de leur fille, Anna, ils avaient maintenant un fils, Marsel, et Leah était enceinte. En février 1902, un autre de leurs enfants, John fils, était décédé quelques mois avant son premier anniversaire.

Les autres membres de la famille Widtsoe vivaient loin. En 1903, la mère de John, Anna, et sa tante, Petroline Gaarden, avaient quitté l’Utah pour faire une mission en Norvège, leur pays natal. Dans une lettre à Leah, Anna décrivit leur travail : « Nous avons retrouvé nombre de vieux amis et leur avons parlé de l’Évangile ; beaucoup d’entre eux n’avaient jamais eu de conversation avec un saint des derniers jours auparavant. Nous frappons à la porte de la ‘tradition’ mais elle n’est pas facile à ouvrir. »

Osborne, le frère cadet de John, venait de terminer une mission à Tahiti. Il étudiait désormais la littérature anglaise à Harvard.

Leah travaillait à la maison avec les enfants et œuvrait au sein du bureau de la Société d’Amélioration Mutuelle des jeunes femmes de son pieu. Elle écrivait également des leçons mensuelles sur l’économie domestique pour le Young Woman’s Journal. Chaque leçon faisait partie d’un programme annuel que les jeunes femmes de l’Église étudiaient et dont elles discutaient lors de leurs réunions de la SAM des jeunes femmes. Leah abordait chaque thème de manière scientifique, s’appuyant sur sa formation universitaire pour enseigner à ses lectrices la cuisine, l’aménagement de la maison, les premiers secours et les soins médicaux de base.

John enseignait la chimie à l’université d’agriculture, dirigeait la station d’expérimentation de l’école et faisait des recherches sur les moyens d’améliorer l’agriculture malgré le climat sec de l’Utah. Son travail le conduisait dans les villes rurales de tout l’État, où il enseignait aux agriculteurs comment obtenir de meilleures récoltes grâce à la science. De plus, il était président de la SAM des jeunes gens de sa paroisse et membre du bureau de l’École du Dimanche de pieu. Comme Leah, il écrivait régulièrement des articles pour les magazines de l’Église.

John éprouvait de la compassion à l’égard des jeunes saints qui avaient du mal, comme lui autrefois, à concilier la connaissance de l’Évangile et l’apprentissage profane. De plus en plus de personnes adhéraient à l’idée que la science et la religion étaient incompatibles. Pourtant, il croyait qu’elles étaient toutes deux sources de principes divins et éternels et qu’elles pouvaient s’accorder.

Depuis peu, il avait commencé à publier une série d’articles intitulée « Joseph Smith, homme de science [Joseph Smith as Scientist] » dans le magazine officiel de la SAM des jeunes gens, l’Improvement Era. Chaque article expliquait comment l’Évangile rétabli laissait présager certaines découvertes scientifiques modernes majeures. Dans son article « Le temps géologique [Geological Time] », John expliquait, par exemple, comment des passages du livre d’Abraham confirmaient le point de vue scientifique selon lequel la terre avait bien plus de six mille ans, contrairement aux estimations de certains biblistes. Dans un autre article, il soulignait les points communs entre des aspects de la théorie controversée de l’évolution et la doctrine de la progression éternelle.

Ses articles furent très appréciés. Joseph F. Smith, rédacteur en chef de l’Improvement Era, en fit l’éloge dans une lettre qu’il lui envoya. Son seul regret était de ne pas pouvoir le rémunérer pour ce travail. Il expliqua : « Comme certains d’entre nous, vous devrez, pour le moment du moins, considérer que votre salaire est la certitude que vous avez fait du bon travail qui profitera aux garçons et aux filles de Sion. »

L’apôtre Francis Lyman nota dans son journal : « Nous sommes désormais dans une situation très critique. » Le témoignage de Joseph F. Smith lors de l’audience de Reed Smoot n’avait pas rassuré le comité du Sénat concernant les mariages pluraux contractés dans l’Église après le Manifeste. À cela s’ajoutait le départ à l’étranger des apôtres John W. Taylor et Matthias Cowley, qui, sur les conseils des dirigeants de l’Église, étaient partis peu après avoir été convoqués par le comité pour témoigner lors des auditions. Comme Joseph Tanner et d’autres membres de l’Église, les deux hommes avaient épousé plusieurs femmes après le Manifeste. Ils avaient également officié lors de nombreux mariages pluraux et avaient incité les saints à continuer de vivre cette pratique.

En tant que président des Douze, Francis Lyman avait décidé que tous les membres du collège devaient se conformer au Second Manifeste qui venait d’être publié. Il envoya des lettres à plusieurs apôtres, les informant de la détermination de la Première Présidence à mettre en application la déclaration. Il écrivit : « Il est bon que nous comprenions tous de la même manière cette question importante et que nous nous comportions en conséquence afin qu’il n’y ait ni dissensions ni conflits parmi nous. »

Plus tard, le président Smith chargea Francis Lyman de veiller à ce qu’il n’y ait plus de mariages pluraux célébrés au sein de l’Église. Depuis la fin des années 1880, certains apôtres avaient été autorisés à officier lors de scellements en dehors des temples dans les régions éloignés. En septembre 1904, le président Smith déclara que tous les scellements devaient désormais avoir lieu dans le temple, empêchant ainsi les saints de contracter des mariages pluraux légitimes au Mexique, au Canada ou ailleurs. Francis informa rapidement les apôtres de cette décision.

En décembre, le président Smith l’envoya auprès de John W. Taylor pour le persuader de témoigner aux audiences de Reed Smoot. Francis Lyman trouva frère Taylor au Canada et l’incita à suivre le conseil du prophète. Finalement, John W. Taylor accepta de témoigner et se prépara à partir pour Washington.

Ce soir-là, Francis se coucha, satisfait d’avoir rempli sa mission. À trois heures du matin, il se réveilla en tremblant. La pensée de John W. Taylor témoignant à l’audience le perturbait. Cet apôtre était profondément attaché au mariage plural. S’il admettait qu’il avait officié lors de mariages pluraux après la publication du Manifeste, il mettrait l’Église dans l’embarras et anéantirait les chances de Reed Smoot de siéger au Sénat.

Un sentiment de calme et de paix remplit l’esprit de Francis quand il envisagea de conseiller à John W. Taylor de ne pas aller à Washington. Il demanda au Seigneur de lui confirmer que c’était la chose à faire. Un doux sommeil l’enveloppa et il rêva qu’il voyait le président Woodruff. Surpris et plein d’émotion, il l’appela et le prit dans ses bras. Puis il se réveilla, confiant dans sa nouvelle décision. Il alla immédiatement voir John W. Taylor et lui raconta son rêve. Ce dernier s’apprêtait à partir pour Washington mais il fut soulagé lorsque son ami lui conseilla de ne pas y aller.

Peu de temps après, Francis Lyman rentra à Salt Lake City. Joseph F. Smith approuva le déroulement de sa mission au Canada mais le problème des deux apôtres n’était pas réglé. Le président Smith savait qu’il devait prouver que l’Église était fermement décidée à mettre fin au mariage plural. Pour satisfaire le comité du Sénat, il devait officiellement écarter John W. Taylor et Matthias Cowley de la direction de l’Église, soit en engageant une procédure disciplinaire, soit en leur demandant de démissionner. Aucune des deux options ne lui plaisait.

Les dirigeants de l’Église étaient divisés quant à la manière de gérer la crise. En octobre 1905, les conseillers de Reed Smoot les avertirent du fait que l’Église devait agir rapidement. Plus tôt dans l’année, le sénateur avait fait la promesse au comité que les autorités de l’Église prendraient en considération les accusations portées contre John W. Taylor et Matthias Cowley. Six mois plus tard, aucune mesure n’avait été prise et l’honnêteté de Reed était maintenant remise en question par certains sénateurs. Si les dirigeants de l’Église repoussaient encore le moment de s’attaquer au problème, cela reviendrait à dire au monde entier qu’ils avaient fait preuve de mauvaise foi lorsqu’ils avaient affirmé qu’ils s’opposaient activement à la polygamie.

Les deux apôtres furent convoqués au siège de l’Église et, au cours de la semaine, les Douze se réunirent chaque jour pour discuter de ce qu’il fallait faire. Au début, John W. Taylor et Matthias Cowley justifièrent leurs actions, établissant une distinction entre le refus de l’Église de soutenir dorénavant le mariage plural et leur choix personnel de continuer à contracter de nouveaux mariages. Cependant, aucun des deux hommes n’acceptait pleinement le Second Manifeste, ce qui les mettait en porte-à-faux avec l’Église.

Finalement, les membres du collège demandèrent aux deux apôtres de signer une lettre de démission. John W. Taylor refusa d’abord de le faire. Il les accusa de céder à la pression politique. Matthias Cowley répondit de manière plus modérée, mais il était tout aussi réticent. Finalement, les deux hommes souhaitèrent faire ce qui était le mieux pour l’Église. Ils signèrent donc les lettres, prêts à sacrifier leur place au sein des Douze pour le bien de tous.

Ce jour-là, Francis Lyman écrivit dans son journal : « Ce fut une épreuve très douloureuse et très difficile. Nous étions tous profondément affligés par la situation. » John W. Taylor et Matthias Cowley quittèrent la réunion avec la bénédiction de leurs frères, qui les traitèrent avec bienveillance. Même si les Douze leur permirent de rester membres de l’Église et de conserver leur statut d’apôtre, ils n’étaient plus membres du collège.

Deux mois plus tard, le matin du 23 décembre 1905, Susa Gates monta dans une voiture dans le Vermont, dans le nord-est des États-Unis. Joseph Smith, le prophète, était né exactement cent ans plus tôt dans une ferme située à environ cinq kilomètres à l’est, dans le petit village de Sharon. Susa et une cinquantaine de saints s’y rendaient pour consacrer un monument à sa mémoire.

Joseph F. Smith menait le groupe. Les audiences de Reed Smoot étant toujours en cours, il était constamment surveillé par des représentants du gouvernement et des journalistes. Plus tôt cette année-là, le Salt Lake Tribune avait publié les paroles qu’il avait prononcées lors de son audition, ainsi que d’autres articles qui semaient le doute sur son appel de prophète et sur son intégrité personnelle.

On y lisait : « Joseph F. Smith a affirmé publiquement qu’il ne reçoit pas de révélations venant de Dieu pour guider l’église mormone et qu’il n’en a jamais reçues. Jusqu’où les mormons suivront-ils ce genre de dirigeant ? » En lisant ces éditoriaux, certains saints furent troublés et se posèrent de nombreuses questions.

Comme Joseph F. Smith était le neveu de Joseph Smith, il avait des raisons très personnelles de se rendre dans le Vermont. De surcroît, la consécration lui donnerait une nouvelle occasion de parler publiquement de l’Église et de témoigner de l’œuvre divine du Rétablissement.

Une fois Susa et le groupe installés dans leurs voitures, ils se mirent en route pour le lieu de la cérémonie de consécration. La ferme se trouvait au sommet d’une colline voisine, et les routes de campagne escarpées étaient boueuses à cause de la neige fondante. Des ouvriers locaux avaient transporté le monument de cent tonnes sur les mêmes routes, morceau par morceau. À l’origine, ils avaient prévu de faire simplement tirer le chargement par des animaux de trait. Cependant, un attelage de vingt chevaux puissants ne parvint pas à faire bouger l’ouvrage en pierre. Les ouvriers passèrent alors près de deux mois exténuants à traîner le monument en haut de la colline à l’aide d’un système de cordes et de poulies actionné par des chevaux.

En approchant de la ferme, après le dernier virage, le groupe ne put contenir sa surprise. Devant eux s’élevait un obélisque en granit poli de trente-huit pieds et demi de haut (onze mètres cinquante), un pied pour chaque année de la vie de Joseph Smith. Le monument se tenait sur un grand piédestal sur lequel se trouvait une inscription témoignant de la mission sacrée du prophète. Les paroles de Jacques 1:5, le verset qui l’avait poussé à rechercher la révélation de Dieu, ornaient le sommet du piédestal.

Junius Wells, qui avait conçu le monument, retrouva le groupe dans une maisonnette construite sur les fondations de l’endroit où était né Joseph Smith. En entrant dans la maison, Susa contempla la pierre grise et plate de l’âtre, que les constructeurs avaient conservée de la maison d’origine. La plupart des saints qui avaient connu personnellement le prophète étaient maintenant décédés. Mais cet âtre était un témoin durable de sa vie. Susa l’imaginait en train de jouer devant quand il était enfant.

La cérémonie commença à onze heures. En consacrant le monument, le président Smith rendit grâce pour le rétablissement de l’Évangile et demanda une bénédiction particulière sur les habitants du Vermont qui avaient participé à la construction du monument. Il consacra le site afin qu’il soit un endroit où les gens pourraient venir méditer, en apprendre davantage sur la mission de Joseph Smith, le prophète, et se réjouir du Rétablissement. Il compara les fondations du monument aux fondations de l’Église représentées par les prophètes et les apôtres, Jésus-Christ étant la pierre angulaire. Il fit également le parallèle entre sa base et le rocher de la révélation sur lequel l’Église était édifiée.

Au cours des jours suivants, Susa, Joseph F. Smith et d’autres saints visitèrent quelques sites de l’Église dans l’est des États-Unis. Sous la direction du président Smith, l’Église avait commencé à acheter plusieurs sites sacrés de son histoire, notamment la prison de Carthage où le père et l’oncle de Joseph F. Smith avaient été tués. D’autres sites historiques dans les États de l’Est ne leur appartenaient pas. Toutefois les propriétaires autorisaient généralement les saints à les visiter.

À Manchester, dans l’État de New York, le groupe traversa avec recueillement les bois où Joseph Smith avait vu le Père et le Fils pour la première fois. Pendant sa vie, le prophète et d’autres saints avaient occasionnellement témoigné publiquement de sa vision. Mais dans les décennies qui avaient suivi la mort de Joseph, Orson Pratt et d’autres dirigeants de l’Église avaient souligné le rôle essentiel qu’elle avait joué dans le rétablissement de l’Évangile. Un compte-rendu de cet événement faisait maintenant partie des Écritures, étant publié dans la Perle de grand prix. Les missionnaires le citaient fréquemment dans leurs discussions avec les non-membres.

Un profond sentiment d’émerveillement mêlé d’admiration enveloppait Susa et les personnes qui l’accompagnaient tandis qu’elles méditaient sur cet événement sacré. « Ici, le garçon s’est agenouillé avec une foi absolue », pensa-t-elle. « Ici, enfin, les fontaines de la terre ont débordé, et la vérité, somme de l’existence, a déferlé par les rayons de la révélation directe. »

Plus tard, sur le chemin de retour vers l’Utah, le président Smith dirigea une petite réunion de témoignage à bord du train. Il déclara : « Ce n’est pas moi, ni aucun homme, pas même Joseph Smith, le prophète, qui est à la tête de cette œuvre, qui la dirige. C’est Dieu, par l’intermédiaire de son Fils, Jésus-Christ. »

Le message émut Susa. Elle était émerveillée par l’amour du Sauveur pour les enfants de Dieu. Elle constata : « Les hommes ne sont que des hommes, donc faibles ! Mais Jésus-Christ est le Seigneur du monde entier. »

Pendant que les saints participaient à la consécration du mémorial de Joseph Smith, Anna Widtsoe et Petroline Gaarden étaient toujours en Norvège, où elles prêchaient l’Évangile. Plus de deux ans s’étaient écoulés depuis qu’elles avaient quitté l’Utah. Leur appel en mission avait été inattendu mais bienvenu. Elles étaient toutes deux enthousiastes à l’idée de retourner sur leur terre natale pour faire connaître leur foi en l’Évangile rétabli à leur famille et leurs amis.

En 1903, quand elles arrivèrent en Norvège, Anthon Skanchy, l’un des missionnaires qui avaient enseigné l’Évangile à Anna dans les années 1880, était le président de la mission scandinave. Il les affecta à la région de Trondheim, en Norvège, où Anna vivait lorsqu’elle était devenue membre de l’Église. De là, les sœurs prirent un bateau pour se rendre dans leur village natal, Titran, situé sur une grande île au large de la côte ouest de la Norvège. En arrivant sur l’île, Anna était inquiète. Vingt ans plus tôt, les habitants l’avaient rejetée quand elle était devenue membre de l’Église. Les accepteraient-ils, elle et sa religion, cette fois-ci ?

La nouvelle s’était répandue rapidement que les sœurs étaient revenues en tant que missionnaires saintes des derniers jours. Au début, ni amis ni parents ne voulaient les héberger. Anna et Petroline persistèrent et finalement, quelques personnes leur ouvrirent leur porte.

Un jour, les sœurs se rendirent chez leur oncle, Jonas Haavig, et sa famille. Tout le monde semblait sur ses gardes, prêt à débattre des croyances des sœurs. Anna et Petroline évitèrent le sujet de la religion et la première soirée s’acheva sans conflit. Mais le lendemain matin, après le petit-déjeuner, leur cousine, Marie, commença à leur poser des questions épineuses sur l’Évangile, essayant de créer une dispute.

Anna répondit : « Marie, j’étais déterminée à ne pas te parler de religion, mais maintenant, tu vas écouter ce que j’ai à dire. » Elle rendit un témoignage puissant que sa cousine écouta en silence. Pourtant, Anna sentit que ses paroles n’avaient aucun effet. Plus tard dans la journée, elle quitta la maison avec Petroline, le cœur brisé par ce qui s’était passé.

Un peu plus tard, elles repartirent à Trondheim, mais elles se rendirent plusieurs fois à Titran au cours des deux années suivantes. Avec le temps, les habitants devinrent plus accueillants et Anna et Petroline finirent par être invitées dans toutes les maisons du village. Leur travail dans les autres régions de Norvège était tout aussi éprouvant mais les sœurs étaient reconnaissantes d’avoir déjà eu l’occasion de servir au sein de l’Église avant de partir en mission.

Elles étaient également reconnaissantes de parler norvégien avant leur arrivée. Dans une lettre adressée à John, Anna expliquait : « En toute occasion, nous sommes plus promptes à parler que les jeunes missionnaires qui ne connaissent pas la langue, ni quand ils arrivent ni quand ils rentrent chez eux. »

Même si le travail de missionnaire rendait Anna heureuse, sa famille en Utah lui manquait. John, Osborne et Leah lui écrivaient régulièrement. Au cours de l’été 1905, John l’informa qu’il avait perdu son emploi à l’université d’agriculture : l’administration de l’école l’avait congédié, lui et deux autres membres fidèles de l’Église. L’université Brigham Young, précédemment appelée académie Brigham Young, à Provo, l’embaucha immédiatement pour diriger son département de chimie. Depuis sa fondation en 1875, l’établissement était devenu l’institution d’enseignement supérieur principale de l’Église ; John accepta le poste avec joie.

De son côté, Osborne reçut son diplôme de Harvard et obtint un poste de directeur du département d’anglais de l’université des saints des derniers jours à Salt Lake City.

« Dieu a été bon avec nous, écrivit Anna à John dans une lettre. Je crois qu’avec l’aide du Seigneur, nous avons réussi à faire du bien. Notre travail a porté beaucoup de fruits ici, et j’espère que Dieu nous soutiendra pendant la nouvelle année comme il l’a fait l’année passée. Je prie pour cela. »

En janvier 1906, les dirigeants de la mission chargèrent Anna et Petroline de rester à Trondheim pour terminer leur mission auprès des membres de leur famille et pour faire des recherches généalogiques. Leurs proches n’étaient toujours pas intéressés par l’Évangile. Cependant, les sœurs ne ressentaient plus d’hostilité ni de méfiance de leur part. Ce changement les réconforta. Elles avaient fait leur part pour servir le Seigneur en Norvège.

Cet été-là, les saints européens apprirent que le président Smith effectuait une brève visite sur leur continent. La nouvelle enthousiasma Jan Roothoff, âgé de onze ans, surtout lorsqu’il apprit que le prophète viendrait d’abord aux Pays-Bas, où vivait le jeune garçon. Il était tellement heureux qu’il ne parlait plus que de cela.

Plusieurs années auparavant, il avait eu une maladie des yeux qui l’avait rendu sensible à la lumière. Sa mère, Hendriksje, l’élevait seule. Elle ne l’envoya pas à l’école et veilla à son confort en accrochant des rideaux pour qu’il puisse jouer dans le noir. Il finit par devenir aveugle et les médecins dirent à sa mère qu’il ne retrouverait jamais la vue.

Jan portait désormais des bandages sur les yeux afin de les protéger de la lumière. Néanmoins, il savait que si quelqu’un pouvait le guérir, c’était bien un prophète de Dieu. Il dit : « Mère, c’est le missionnaire le plus puissant. Il suffit qu’il me regarde dans les yeux et je serai guéri. »

La mère du garçon croyait que le Seigneur pouvait le guérir, mais elle hésitait à l’encourager à solliciter l’aide du président Smith. Elle expliqua : « Le président est très occupé en ce moment. Il y a des centaines de personnes qui veulent le voir. Tu n’es qu’un jeune garçon, mon fils, nous ne devons pas le déranger. »

Le 9 août 1906, Jan et sa mère assistèrent à une réunion exceptionnelle à Rotterdam, où le président Smith s’adressa à environ quatre cents saints. En l’écoutant parler, Jan essaya de l’imaginer. Avant de perdre la vue, il avait vu une photo du prophète et il se souvenait de son visage bienveillant. Maintenant, il pouvait aussi entendre la bonté dans sa voix, même s’il devait attendre qu’un missionnaire traduise ses paroles en néerlandais pour pouvoir le comprendre.

Le président Smith parla du pouvoir des missionnaires. Il déclara : « Leur travail consiste à venir à vous et à vous montrer la plus grande lumière, afin que vos yeux voient, que vos oreilles s’ouvrent, que votre cœur soit touché par l’amour de la vérité. »

La foi de Jan ne faiblissait pas. Après la réunion, sa mère le conduisit vers une porte où le président Smith et sa femme, Edna, saluaient les saints. Hendriksje dit : « C’est le président, mon petit Jan. Il veut te serrer la main. »

En le prenant par la main, le président Smith retira les bandages de Jan. Il toucha ensuite la tête du garçon et regarda ses yeux enflammés. Il dit : « Que le Seigneur te bénisse, mon garçon. Il exaucera les désirs de ton cœur. »

Jan ne comprit pas les paroles que le président Smith prononça en anglais, mais il sentait déjà que ses yeux allaient mieux. De retour à la maison, il ne pouvait contenir sa joie. Il retira ses bandages et regarda vers la lumière. Il s’exclama : « Tu vois, maman ; ils sont guéris ! Je vois ! »

Sa mère se précipita vers lui et testa sa vision de toutes les manières possibles et imaginables. Jan voyait en effet tout aussi bien qu’avant sa maladie.

Il demanda : « Maman, le nom du président est Joseph F. Smith, n’est-ce pas ? »

– Oui, répondit-elle. C’est le neveu de Joseph Smith, le prophète.

– Je prierai toujours pour lui. Je sais qu’il est un véritable prophète. »

Après avoir quitté Rotterdam, Joseph F. Smith et les personnes qui l’accompagnaient se rendirent en Allemagne, où vivaient environ trois mille saints. De toutes les missions de l’Église, la mission suisse-allemande était celle qui connaissait la croissance la plus rapide. Pourtant, les lois allemandes sur la liberté religieuse ne reconnaissaient pas l’Église et ne la protégeaient pas des persécutions, qui augmentèrent quand des rapports scandaleux sur les audiences de Reed Smoot atteignirent l’Europe. Certains prédicateurs allemands, piqués au vif par la perte de membres de leurs congrégations, s’unirent à la presse pour monter l’opinion publique contre les saints. La police chassait les missionnaires des villes et empêchait les membres de l’Église de se réunir, d’administrer la Sainte-Cène et d’utiliser le Livre de Mormon ou d’autres Écritures modernes.

Après un arrêt à Berlin pour rencontrer des membres locaux de l’Église, des missionnaires et quelques saints des derniers jours américains venus étudier la musique, le président Smith et les personnes qui l’accompagnaient partirent vers le sud jusqu’en Suisse. Lors d’une conférence à Berne, le prophète conseilla aux saints de se soumettre à leur gouvernement local et de respecter les croyances religieuses des autres personnes. Il déclara : « Nous ne souhaitons pas imposer nos idées aux gens mais plutôt expliquer la vérité telle que nous la comprenons. Nous laissons les personnes libres de l’accepter ou de la refuser. » Il expliqua que le message de l’Évangile rétabli était la paix et la liberté.

Il ajouta : « L’un de ses effets les plus glorieux sur les gens est qu’il les libère des chaînes de leurs péchés, les purifie, les met en harmonie avec le ciel, en fait des frères et sœurs au sein de l’alliance de l’Évangile et leur apprend à aimer leurs semblables ».

Le président Smith conclut son sermon par une prophétie : « Le temps viendra, peut-être pas de mon vivant ni même dans la prochaine génération, où les temples de Dieu qui sont consacrés aux saintes ordonnances de l’Évangile seront établis dans divers pays de la terre.

Car cet Évangile doit se répandre dans le monde entier, jusqu’à ce que la connaissance de Dieu couvre la terre comme les eaux couvrent le grand abîme. »


Chapitre 9 : Lutter et se battre

En septembre 1906, tandis que Joseph F. Smith revenait de son voyage en Europe, l’avenir du sénateur Reed Smoot restait incertain. Cinq mois auparavant, lors de la conférence générale, Francis Lyman avait annoncé publiquement la démission des apôtres John W. Taylor et Matthias Cowley. Joseph Tanner avait également été relevé de ses appels de dirigeant.

Ces démissions, ainsi que le décès récent de l’apôtre Marriner Merrill, avaient laissé trois places vacantes au sein du Collège des douze apôtres. George F. Richards, Orson F. Whitney et David O. McKay furent appelés à les remplir.

L’annonce des démissions semblait avoir eu un effet positif sur de nombreux collègues de Reed Smoot au Sénat. Il avait fait ce rapport aux dirigeants de l’Église : « D’après ce que j’ai entendu, les sénateurs estiment généralement que les mesures prises lors de la dernière conférence sont une preuve de la bonne foi de l’Église et particulièrement du président Smith. »

Ce n’était pas le cas des membres du comité du Sénat chargés de l’enquête qui, pour la plupart, restaient méfiants. Après avoir terminé leur enquête, ils votèrent en faveur de la recommandation de démettre Reed de ses fonctions.

En février 1907, le Sénat au complet se pencha finalement sur la question, quatre ans après le début de l’affaire. Le comité avait constitué un dossier de plus de trois mille pages de témoignages provenant de plus d’une centaine de témoins, hostiles et amicaux. En examinant ce dossier, les sénateurs tinrent également compte de leurs interactions personnelles avec Reed, qui avait gagné le respect de beaucoup à Washington, DC. Le président des États-Unis, Theodore Roosevelt, le soutenait ardemment et incita fortement le Sénat à voter en sa faveur. Lorsque les sénateurs se prononcèrent finalement sur la question, leur vote ne tint pas compte de la recommandation du comité et ils permirent à Reed Smoot de conserver son poste de sénateur.

Quelques jours plus tard, Joseph F. Smith écrivit une lettre pour féliciter Reed Smoot et remercier les sénateurs d’avoir pris une décision juste. Il souhaitait que les gens apprennent à mieux connaître les saints. Il écrivit : « Si c’était le cas, l’incompréhension actuelle et l’image fausse et tant répandue de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours disparaîtraient à jamais. »

Quelques semaines plus tard, dans son discours d’ouverture de la conférence générale d’avril 1907, le président Smith annonça d’autres bonnes nouvelles. Il déclara : « La dîme de l’année 1906 a dépassé celle de toutes les autres années. Aujourd’hui, l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ne doit pas un dollar qu’elle ne peut payer immédiatement. Nous sommes enfin en mesure de payer comptant. »

Il loua la fidélité des saints et expliqua : « Nous n’avons plus besoin d’emprunter, et nous n’aurons plus à le faire si les saints des derniers jours continuent à vivre leur religion et à obéir à cette loi de la dîme. »

Après son sermon, le président Smith demanda à Orson F. Whitney de lire la déclaration publique que la Première Présidence et les Douze avaient préparée concernant les croyances et les valeurs des saints des derniers jours. Elle répondait à de nombreuses accusations portées contre l’Église et ses membres au cours des audiences de Reed Smoot. Elle fournissait également aux saints un résumé officiel des pratiques et des principes fondamentaux de l’Évangile. On y lisait : « Notre religion est fondée sur les révélations de Dieu. L’Évangile rétabli sur la terre que nous proclamons est celui du Christ. »

La déclaration décrivait les saints comme un peuple honnête, ouvert d’esprit, intelligent et pieux. Elle témoignait également de leur attachement au foyer et à la famille, y compris au mariage monogame. Elle déclarait : « Le foyer ‘mormon’ typique est le temple de la famille. Le peuple ‘mormon’ s’est soumis respectueusement aux lois promulguées contre le mariage plural. »

La déclaration expliquait en outre les principes relatifs au libre arbitre, à la dîme et au rôle directeur de la prêtrise. Elle attestait du patriotisme des saints, de leur allégeance aux gouvernements de la terre et de leur engagement en faveur de la séparation de l’Église et de l’État. Elle affirmait aussi : « Nous souhaitons vivre en paix avec nos concitoyens de tous les partis politiques et de toutes les religions et entretenir des relations de confiance. »

La déclaration expliquait que l’objectif de l’Évangile rétabli était d’édifier la société et non de la détruire. On y lisait encore : « Notre religion est intimement liée à notre vie, elle a formé notre caractère et la véracité de ses principes est gravée dans notre âme. »

Quand frère Whitney eut terminé de lire la déclaration, Francis Lyman expliqua qu’elle avait été soutenue par le Collège des douze apôtres. Sur invitation du président Smith, l’assemblée vota à l’unanimité pour adopter et soutenir son message.

Le 16 avril 1908, Jane Manning James, l’une des premières saintes des derniers jours noires, décéda dans sa maison de Salt Lake City. En septembre 1847, elle était arrivée dans la vallée du lac Salé avec son mari et ses enfants. Ils faisaient partie de la première compagnie de saints à suivre celle de Brigham Young vers l’ouest. Depuis, elle était bien connue dans toute la ville. Elle était fière de ses dix-huit petits-enfants et de ses sept arrière-petits-enfants. Avec son frère Isaac, elle assistait aux réunions de l’Église dans le tabernacle de Salt Lake City et tous les deux participaient souvent aux réunions des « plus âgés » et des pionniers de l’Église.

Ses funérailles eurent lieu dans la huitième paroisse de Salt Lake City. La salle de culte était bondée d’amis de Jane, noirs et blancs, venus évoquer sa vie. La salle était remplie de fleurs pour honorer la foi et la bonté de cœur de la défunte.

Elizabeth Roundy, l’une de ses amies, lut une ébauche autobiographique que Jane lui avait dictée quelques années auparavant. Elle était née libre à une époque où l’esclavage était encore légal et où les noirs du monde entier étaient souvent considérés comme socialement inférieurs. Son autobiographie racontait l’histoire de sa conversion dans l’est des États-Unis, la marche de sa famille pour parcourir près de mille deux cents kilomètres jusqu’à Nauvoo, et sa vie et son travail auprès de la famille de Joseph Smith, le prophète. Elle mentionnait également le fait qu’à deux reprises, Emma Smith avait invité Jane à être adoptée dans sa famille et celle de Joseph.

Vers la fin de son autobiographie, Jane avait rendu un témoignage fervent. À ce moment-là, elle était veuve, avait enterré tous ses descendants, sauf deux de ses enfants et dix de ses petits-enfants ; elle était alors presque aveugle mais affirmait : « Le Seigneur me protège et prend bien soin de moi dans mon impuissance ; j’affirme que ma foi en l’Évangile de Jésus-Christ tel qu’il est enseigné au sein de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours est aussi forte aujourd’hui, non, elle est même plus forte que le jour où je me suis fait baptiser. »

Joseph F. Smith prit la parole lors des obsèques. Au fil des ans, Jane l’avait sollicité afin de recevoir les ordonnances du temple pour elle-même et pour les membres de sa famille décédés. Elle désirait ardemment recevoir sa dotation et être scellée à une famille. Mais, depuis le début des années 1850, l’Église avait interdit aux saints d’ascendance africaine de détenir la prêtrise ou de recevoir les ordonnances du temple, à l’exception du baptême pour les morts. Les explications concernant ces restrictions variaient, mais ce n’étaient que des spéculations, et non la parole de Dieu. Brigham Young avait promis que tous les saints, quelle que soit leur race, recevraient un jour toutes les ordonnances et les bénédictions de l’Évangile.

Comme d’autres saints noirs, Jane avait accompli des baptêmes pour les morts de sa famille. Elle avait également demandé à être dotée puis scellée par procuration à Walker Lewis, l’un des rares saints noirs à détenir la prêtrise avant l’entrée en vigueur de la restriction. À plusieurs reprises, elle avait demandé à être scellée par adoption à la famille de Joseph Smith. Néanmoins, à chaque fois qu’elle demandait à être dotée ou scellée, Joseph F. Smith ou un autre dirigeant de l’Église confirmait la restriction de l’Église à ce sujet.

Avec l’aide de Zina Young, présidente générale de la Société de Secours, Jane reçut l’autorisation des dirigeants de l’Église d’être unie pour l’éternité à la famille de Joseph Smith. En réponse à sa demande, ils préparèrent une cérémonie par procuration qui unissait Jane à la famille en tant que servante. Zina Young représentait Jane tandis que Joseph F. Smith représentait Joseph Smith, le prophète.

La cérémonie n’avait pas satisfait Jane mais elle était restée fidèle. Elle déclara : « Je paye ma dîme et mes offrandes, je respecte la Parole de Sagesse. Je me couche tôt et me lève de bonne heure. Je m’efforce, à ma petite échelle, de montrer un bon exemple à tous. »

En 1902, Jane demanda au patriarche, John Smith, le frère aîné de Joseph F. Smith, quand elle serait autorisée à recevoir sa dotation. Il lui répondit : « Soyez patiente et attendez encore un peu. » Il lui certifia que le Seigneur veillait sur elle. Il promit que le Seigneur « serait extrêmement bon avec elle, bien plus qu’elle ne pouvait l’imaginer ». Jusqu’à la fin de sa vie, Jane garda l’espoir de recevoir un jour toutes les bénédictions du temple.

Après ses funérailles, Jane fut inhumée dans le cimetière de Salt Lake City. Le magazine Deseret News fit son éloge en ces termes : « Peu de personnes se sont distinguées par leur foi et leur fidélité comme l’a fait Jane Manning James. Bien qu’issue des humbles de la terre, elle avait des centaines d’amis et de connaissances. »

En juillet 1909, le Salt Lake Tribune commença à publier les noms d’hommes qui avaient prétendument contracté de nouveaux mariages pluraux depuis le Manifeste. Cette démarche inquiéta la Première Présidence et le Collège des douze apôtres. Joseph F. Smith chargea immédiatement les apôtres Francis Lyman, John Henry Smith et Heber J. Grant d’enquêter sur cette affaire et d’engager des procédures disciplinaires à l’encontre des saints qui avaient enfreint les règles de l’Église sur le mariage plural depuis le Second Manifeste.

L’enquête dura plus d’un an et deux hommes ayant récemment contracté de nouveaux mariages pluraux ou en ayant célébrés furent excommuniés. Par ailleurs, la Première Présidence envoya une lettre à toutes les présidences de pieu leur demandant d’ordonner aux évêques de sanctionner les contrevenants au Second Manifeste. On y lisait : « Nous considérons que toute personne qui enfreint cette règle importante non seulement commet une transgression mais déshonore aussi l’Église. »

À cette époque, Pearson’s, magazine populaire aux États-Unis, publia une série d’articles critiquant l’Église. S’appuyant sur la liste des nouveaux mariages pluraux du Salt Lake Tribune, les articles accusaient l’Église de malhonnêteté et de corruption. Joseph F. Smith apprit également qu’un autre magazine populaire, Everybody’s, prévoyait de publier des listes semblables écrites par Frank Cannon, fils de George Q. Cannon.

Frank Cannon, ancien sénateur de l’Utah, avait autrefois été consultant pour la Première Présidence. Cependant, son alcoolisme, ses liaisons extra-conjugales et d’autres actes répréhensibles avaient creusé un fossé entre les dirigeants de l’Église et lui. Après la mort de son père, il devint un critique acerbe de l’Église et de Joseph F. Smith. Or, son ancienne place parmi les saints donnait à ses propos un semblant de crédibilité.

Lorsqu’ils apprirent les projets de Frank Cannon, Joseph F. Smith et Anthon Lund écrivirent immédiatement au rédacteur en chef de Everybody’s, l’avertissant que ses écrits étaient faux et ne méritaient pas qu’on y fasse attention. Toutefois, les rédacteurs des magazines de l’époque étaient souvent avides de publier des histoires scandaleuses et ils commencèrent à publier les articles de Franck Cannon. Les abonnements au magazine se multiplièrent dans tout le pays.

Ce n’était pas la première fois qu’un ancien saint des derniers jours attaquait publiquement l’Église. Ezra Booth, John C. Bennett, Thomas Brown Holmes et Fanny Stenhouse, ainsi que William Jarman avaient tous essayé de nuire à l’Église par leurs écrits. Pourtant, la popularité croissante des articles de Frank Cannon était décourageante.

Une fois de plus, l’Église était malmenée par l’opinion publique.

Une poignée d’étudiants saints des derniers jours et de missionnaires de la mission suisse-allemande applaudirent Emma Lucy Gates tandis qu’elle entrait sur la scène de l’Opéra royal de Berlin pour son deuxième rappel. Depuis qu’elle était arrivée en Allemagne avec John et Leah Widtsoe dix ans plus tôt, Lucy était devenue une étoile montante de l’opéra européen. Or, c’était la première fois qu’elle chantait dans cette salle célèbre. Elle ne déçut pas son public.

Depuis la scène, Lucy ressentait la foi et le soutien de ses amis saints, installés dans la galerie supérieure. Ils l’appelaient leur « rossignol d’Utah ». Beaucoup d’entre eux avaient prié pour que la représentation se passe bien ce soir-là ; certains avaient même jeûné pour elle.

Les journaux saluèrent sa prestation. Un critique écrivit : « La qualité de sa voix ne laisse rien à désirer et sa technique fine et précise met en valeur le véritable art musical. »

Même si certaines critiques faisaient remarquer le manque de maîtrise de l’allemand de la jeune femme, aucune ne mentionnait son État d’origine ni sa religion. Comme l’opposition à l’Église continuait toujours d’augmenter en Allemagne et dans d’autres régions d’Europe, Lucy n’avait pas fait connaître son appartenance à l’Église à l’Opéra royal. La plupart des saints allemands étaient harcelés dans leurs localités et les missionnaires recevaient fréquemment des amendes ou bien étaient bannis, arrêtés et emprisonnés.

La professeur de chant de Lucy, Blanche Corelli, l’avait suppliée de garder le secret sur sa religion afin de protéger sa carrière. En écrivant à sa famille, Lucy raconta à sa mère, Susa Gates, qu’elle s’était présentée à contrecœur comme protestante à l’Opéra royal. Elle ne souhaitait pas cacher sa foi mais elle ne voulait pas laisser les préjugés influencer son avenir.

Sa mère soutenait son choix et l’informa qu’elle en avait parlé au président Smith, qui pensait que le fait qu’elle garde le secret sur sa religion n’était pas gênant. Son père, Jacob Gates, la soutenait également. Il écrivit : « Tu le fais dans un but juste, et non parce que tu as honte de ce que tu sais être vrai. »

Au cours de l’été 1910, l’opposition allemande contre l’Église empira, ce qui amena Lucy à redouter de s’afficher publiquement avec les saints de Berlin pendant le culte. La police de la ville avait récemment arrêté vingt et un missionnaires, touristes et étudiants saints des derniers jours. Les autorités les libérèrent dix-huit heures plus tard et les prisonniers furent bannis de la ville, au motif qu’ils étaient des « étrangers indésirables ». Seuls quelques étudiants furent autorisés à rester, à condition de ne pas fréquenter l’Église et de ne pas parler de l’Évangile.

En septembre, après avoir manqué trois semaines de réunions à l’église, Lucy souhaitait ardemment participer au culte avec d’autres saints et prendre la Sainte-Cène. Elle proposa d’organiser des petites réunions de Sainte-Cène pour les saints américains vivant à Berlin, comme elle l’avait fait avec Leah et John à Göttingen. Mais comme toutes les réunions religieuses devaient être enregistrées officiellement par la ville, le petit groupe se réunit en secret.

Pendant ces réunions, les saints américains prenaient la Sainte-Cène, chantaient des cantiques et rendaient témoignage. En déménageant à Berlin, Lucy avait apporté plusieurs livres de l’Église, dont les Écritures. Ainsi, au cours de leur deuxième réunion, ils étudièrent les Doctrine et Alliances et parlèrent de la doctrine de la résurrection pendant une heure.

Dans une lettre adressée à sa mère, Lucy lui décrivit ces réunions et l’avertit : « S’il vous plaît, ne parlez pas de ceci autour de vous. » Le gouvernement allemand surveillait les nouvelles provenant de Salt Lake City. Si un article mentionnant leurs réunions secrètes paraissait dans un journal en Utah et que la police de Berlin l’apprenait, Lucy et ses amis courraient un grand danger.

Elle poursuivit : « Nous pourrions être emprisonnés. Alors soyez prudents s’il vous plaît, vous tous qui lisez ceci. »

En janvier et février 1911, le magazine McClure’s de New York publia un article en deux parties intitulé « La résurgence de la polygamie chez les Mormons (The Mormon Revival of Polygamy) » qui traitait du mariage plural après le Manifeste. Avec la parution de ces articles, trois des magazines ayant le plus grand tirage aux États-Unis attaquaient désormais l’Église. Des millions de personnes les lisaient.

L’article de McClure’s estimait que mille cinq cents voire deux mille mariages pluraux avaient été célébrés au cours des vingt et une années qui avaient suivi la publication du Manifeste. En réalité, il y en avait eu environ deux cent soixante, mais cette inexactitude ne tempérait pas l’ardeur de l’auteur. Il déclara : « Il semble improbable dans l’immédiat que cette pratique disparaisse. » En fait, il pensait qu’il y avait suffisamment de jeunes personnes qui contractaient de nouveaux mariages pluraux pour que la pratique reste florissante pendant encore au moins cinquante ans.

L’article attira l’attention d’Ike Russell, journaliste de New York, qui avait grandi dans une famille membre de l’Église en Utah. Il était le petit-fils de l’apôtre Parley P. Pratt et l’oncle de sa femme était le président de la mission de New York. Ike s’était détourné de la religion à l’adolescence mais il se tenait au courant de ce qu’il se passait en Utah et avait de l’affection pour les saints.

Il était irrité par toutes les informations fausses et trompeuses publiées dans l’article de McClure’s. On voyait sur une page la photo de sept apôtres qui avaient épousé d’autres femmes après le Manifeste. La légende disait : « L’Église n’a excommunié aucun d’entre eux bien qu’ils aient enfreint la révélation. » En fait, cinq de ces hommes étaient déjà décédés, et les deux autres, John W. Taylor et Matthias Cowley, n’étaient plus membres du collège. L’article ne précisait pas non plus que tous les apôtres présentés, sauf un, avaient été remplacés depuis par des frères monogames.

Ike écrivit au rédacteur en chef de McClure’s pour lui signaler les nombreuses erreurs contenues dans l’article. Il fit de même pour d’autres magazines, mais les rédacteurs l’ignorèrent.

Il se sentit alors poussé à essayer autre chose. L’un des articles de Pearson’s affirmait que l’ancien président américain, Theodore Roosevelt, avait conclu un accord avec les dirigeants de l’Église pour obtenir des votes lors d’une récente élection. Si Ike pouvait obtenir du président Roosevelt une lettre niant cette allégation, il pourrait alors discréditer l’article.

Il s’installa à sa machine à écrire et commença à taper. « Je vous écris dans l’espoir que vous aurez la gentillesse de m’aider à rétablir la vérité. »

Pendant ce temps, en Angleterre, Rudger Clawson, apôtre et président de la mission européenne, apprenait que le gouvernement britannique ouvrait une enquête sur le travail missionnaire des saints des derniers jours. Connaissant les efforts déployés par les Allemands pour bannir les missionnaires de leurs villes, certains législateurs se demandaient si on ne devait pas faire la même chose au Royaume-Uni. Quelques journalistes avaient plaidé pour la tolérance religieuse vis-à-vis des saints, mais de nombreux Britanniques continuaient de considérer les missionnaires comme les représentants d’une église étrangère qui enseignait des idées curieuses et cherchait à attirer les femmes britanniques vers le mariage plural.

Les détracteurs de l’Église alimentaient ces craintes, réduisant à néant les efforts que les saintes des derniers jours avaient faits quand elles étaient missionnaires pour rectifier les idées fausses. Suivant l’exemple de William Jarman, qui donnait encore quelques conférences, un autre ancien membre de l’Église originaire des États-Unis parcourait le pays, faisant un compte-rendu méprisant de ses expériences dans l’Église. D’autres détracteurs publiaient des écrits hostiles et menaient l’opposition contre les saints.

Au début de l’année 1911, Rudger Clawson écrivit au ministre britannique de l’Intérieur, Winston Churchill, lui promettant de coopérer avec le gouvernement. Il souligna : « Si une enquête est menée, nous sommes prêts et disposés à vous apporter toute l’aide possible. » Peu après, Winston Churchill ouvrit une enquête sur l’Église et son travail missionnaire. Il déclara au Parlement : « Je m’en occupe avec grand sérieux. »

En Grande-Bretagne, l’opposition à l’Église resta constante jusqu’au printemps. Un dimanche d’avril, un groupe appelé « la croisade anti-mormone de Liverpool (Liverpool Anti-Mormon Crusade) » déclencha une émeute dans la ville de Birkenhead, où une trentaine de saints s’étaient réunis dans une salle. Poussés par la foule, des émeutiers se ruèrent sur un groupe de policiers rassemblés à l’extérieur de la salle. D’autres jetèrent des pierres sur les fenêtres.

La violence s’intensifiant, les officiers tentèrent d’arrêter les fauteurs de troubles, mais les émeutiers se défendirent. Certains remirent aux missionnaires une lettre exigeant qu’ils quittent Birkenhead dans les sept jours.

Richard Young, le missionnaire qui présidait la conférence, déclara : « Je n’en tiendrai aucun compte.

– Êtes-vous prêt à en assumer les conséquences ? lui demanda un émeutier.

– Oui. »

Les journaux locaux publièrent des articles sur l’émeute et l’ultimatum. Nombre de curieux étaient impatients de voir ce qui allait se passer. Rudger Clawson craignait que les missionnaires ne se fassent agresser s’ils restaient en ville. Cependant, après avoir tenu conseil avec Richard Young et les autres missionnaires, il accepta qu’ils restent. Si les missionnaires abandonnaient Birkenhead, qu’est-ce qui empêcherait les émeutiers d’essayer de chasser les missionnaires d’autres villes et villages ?

Rudger Clawson décida que le dimanche suivant serait un jour de prière et de jeûne pour les missionnaires. Ce jour-là, les missionnaires de Birkenhead tinrent leur première réunion publique depuis l’émeute. La police arriva et forma un cordon devant la salle. Une foule d’environ cinq mille personnes se rassembla et des émeutiers défilèrent devant les policiers avec une fanfare. La foule les acclama mais aucune violence n’éclata.

L’audace des missionnaires impressionna quelques passants. Rudger Clawson fit ce rapport à la Première Présidence : « On dirait que le ton a changé dans les articles de journaux nous concernant. Pour l’instant du moins, l’atmosphère semble débarrassée de l’esprit de violence et de malveillance envers les saints des derniers jours. »

Durant cette période, Winston Churchill poursuivait son enquête sur l’Église. Dans tout le pays, la police interrogea les familles des jeunes femmes qui étaient devenues membres de l’Église et avaient émigré en Utah. Des représentants du gouvernement assistèrent aux services religieux. Personne ne put prouver que l’Église ou ses missionnaires causaient du tort. Satisfait, Winston Churchill conclut qu’il n’y avait aucune raison d’expulser les missionnaires et il ne recommanda aucune action en justice contre les saints.

En Utah, Joseph F. Smith reçut une copie d’une longue lettre que Theodore Roosevelt avait écrite à Ike Russell, réfutant les affirmations selon lesquelles il aurait conclu un accord avec les saints pour obtenir le vote de l’Utah. Il avait écrit : « L’accusation est non seulement fausse mais tellement ridicule qu’il est difficile d’en parler sérieusement. »

Joseph savait qu’Ike voulait publier la lettre dans Collier’s, un magazine lu par près d’un million de personnes. Reed Smoot avait également exhorté Joseph à réagir à ces attaques. Il l’avait prévenu que si personne ne faisait rien, il doutait qu’ils puissent éviter une nouvelle enquête. Mais, jusqu’à présent, le président de l’Église n’avait pas fait grand chose pour répondre aux articles des magazines.

Au début du mois d’avril 1911, il envoya un télégramme à Reed Smoot pour demander si un journal de l’est des États-unis accepterait de publier une réponse officielle de l’Église. Immédiatement, ce dernier prit contact avec les journaux mais ne reçut aucune promesse. Pendant ce temps, Ike Russell faisait en sorte que la lettre de Theodore Roosevelt paraisse dans Collier’s. Satisfait, Joseph fit publier une brochure contenant la lettre et la réponse de l’Église aux articles des magazines et la distribua à des citoyens éminents aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

Toutefois, d’autres articles concernant l’Église continuaient d’être publiés. En mars, un quatrième magazine, Cosmopolitan, publia une série de trois articles comparant l’Église à une vipère prête à attaquer le foyer et la famille. Comme les autres magazines, il affirmait que l’Église encourageait toujours le mariage plural.

Presque au même moment, on rapporta à Francis Lyman que John W. Taylor et Matthias Cowley avaient récemment contracté et célébré d’autres mariages pluraux. Avec son comité, il rencontra chacun des deux hommes. Pendant ces réunions, John W. Taylor se montra buté. Il avait effectivement épousé une autre femme en 1909 mais il refusa de l’admettre ou de le nier. De son côté, Matthias Cowley reconnut son erreur. Finalement, les Douze excommunièrent John W. Taylor et interdirent à Matthias Cowley d’utiliser l’autorité de la prêtrise.

Une fois ces mesures disciplinaires prises à l’encontre des anciens apôtres, Joseph F. Smith se rendit à Washington D. C. Là, il s’entretint avec un journaliste au domicile de Reed et Allie Smoot. Le journaliste posa des questions sur la politique, les finances de l’Église et d’autres sujets habituellement soulevés dans les articles négatifs sur l’Église. Mais la plupart de ses questions portaient sur le mariage plural. Joseph répondit franchement, désireux de corriger les fausses informations qui circulaient dans les magazines.

Il déclara : « La polygamie chez les mormons est maintenant totalement désapprouvée et interdite par l’Église.

– Comment pourrait-on démontrer que la polygamie est désormais absolument interdite par l’Église mormone ? s’enquit son interlocuteur.

– La meilleure preuve que nous combattons sérieusement et consciencieusement la polygamie est illustrée par le fait que M. Taylor, autrefois apôtre de l’Église et membre du conseil directeur, a été excommunié. »

L’interview parut dans le journal quelques jours plus tard et elle fut rapidement suivie par d’autres articles positifs sur les saints. Reed Smoot dit à Joseph : « Je n’ai entendu que de bons échos de votre visite ici. Elle a eu des effets très positifs. »

Les magazines commencèrent à perdre tout intérêt à publier des articles critiques sur l’Église. Au cours de l’été, Joseph écrivit à Ike Russell, commentant l’agitation récente. Il fit cette remarque : « Nous sommes convaincus que l’opinion publique changera. Depuis le début, nous avons dû lutter et nous battre et nous n’attendons rien d’autre que de l’opposition jusqu’à ce que nous remportions la victoire. »


DEUXIÈME PARTIE : Sur toute la terre (1911-1930)

Chapitre 10 : Donne-moi la force

À l’automne 1911, Alma Richards retourna à l’université Brigham Young avec pour objectif de participer aux Jeux olympiques de 1912 à Stockholm, en Suède. Âgé de vingt et un ans, il pratiquait le saut en hauteur à Parowan, petite ville du sud de l’Utah. Quand il était arrivé à l’université Brigham Young l’année précédente, il ne savait pratiquement rien des Jeux olympiques. Un jour, son entraîneur lui avait dit qu’il avait peut-être une chance d’être sélectionné.

Il lui avait promis : « Si tu t’entraînes constamment pendant un an et demi, tu pourras faire partie de l’équipe. »

Au début, Alma pensa qu’il plaisantait. Il avait un corps naturellement athlétique mais il était plus grand et plus lourd que la plupart des sauteurs en hauteur. De plus, il n’avait pas beaucoup d’expérience dans cette pratique sportive. Au lieu de sauter en ciseaux ou en glissant son corps horizontalement au-dessus de la barre, comme le font la plupart des sauteurs, il s’élançait maladroitement dans les airs et se roulait en boule.

Toutefois, il mit à l’épreuve la promesse de son entraîneur. Il s’exerça régulièrement et commença à exceller dans les compétitions sportives locales. Il devint bientôt un champion dans tout l’Utah.

Les manifestations sportives étaient de plus en plus populaires parmi les jeunes du monde entier et de nombreux établissements secondaires et universités d’Utah parrainaient des équipes d’athlétisme masculines et féminines. Pourtant, pendant de nombreuses années, le sport n’avait pas été inclus dans les activités des Sociétés d’Amélioration Mutuelle. En réalité, au grand désespoir de nombreux jeunes hommes, la SAM des jeunes gens centrait généralement ses réunions sur l’étude de sujets religieux ou académiques à partir d’un manuel.

De leur côté, les groupes protestants de Salt Lake City avaient commencé à utiliser un gymnase géré par l’Union chrétienne de jeunes gens (UCJG [YMCA]) afin d’attirer les jeunes saints des derniers jours pour qu’ils assistent à leur école du dimanche. Inquiets, les dirigeants de l’Église avaient décidé de proposer des activités semblables. Ils organisèrent des rencontres sportives pendant les conférences annuelles mixtes des SAM et incitèrent les dirigeants de pieu et de paroisse à mettre à disposition des jeunes la salle culturelle des lieux de culte pour des « exercices légers de gymnastique ». En 1910, l’année où Alma Richards était arrivé à l’université Brigham Young, l’Église avait ouvert le gymnase Deseret (Deseret Gymnasium), un bâtiment récréatif de trois étages implanté à l’est de Temple Square.

Comme les jeunes femmes fréquentaient davantage les réunions de la SAM que les jeunes hommes, les dirigeants de l’Église conclurent que le programme alors en vigueur n’intéressait pas les garçons. Cette prise de conscience se fit alors que des efforts étaient déployés pour définir et clarifier les devoirs des organisations auxiliaires de l’Église et des collèges de la Prêtrise. En 1906, un « comité de corrélation » composé de représentants des organisations auxiliaires de l’Église décida que les réunions de la Prêtrise d’Aaron devaient inclure une instruction doctrinale pour les jeunes hommes. Les réunions de la SAM des jeunes gens, quant à elles, seraient désormais centrées sur le développement de leur esprit et de leur corps. Cela signifiait qu’elles allaient proposer à nombre de jeunes hommes de pratiquer l’athlétisme et des activités en plein air.

Eugene Roberts, entraîneur d’Alma Richards et directeur de l’entraînement physique à l’université Brigham Young, était un défenseur respecté du sport au sein de l’Église. Comme beaucoup de ses contemporains, il pensait que la technologie et la vie urbaine avaient progressé trop rapidement au XIXe siècle, empêchant les jeunes hommes de ressentir l’influence bénéfique de l’activité physique et de la nature. Idéalisant la vie des pionniers saints des derniers jours, il incita les jeunes hommes à s’inspirer de leur dévouement au travail et de leur ferveur religieuse.

En 1911, dans un numéro de l’Improvement Era, il écrivit : « Personne ne peut lire le récit de leurs difficultés physiques et de leurs épreuves religieuses sans éprouver de l’admiration. Le garçon pâle, issu de la ville, qui n’a jamais campé dans le désert ni vu la nature, qui n’a jamais parcouru les collines ‘à la dure’, ne peut pas réellement compatir aux difficultés de son père. »

Eugene Roberts et les dirigeants de la SAM des jeunes gens conseillèrent vivement à l’Église d’adopter un programme calqué sur le mouvement scout qui venait d’être créé. Celui-ci enseignait aux jeunes hommes à développer des principes moraux élevés et les renforçaient physiquement et spirituellement par le biais du camping, de la randonnée et d’autres activités en plein air. Un autre défenseur du scoutisme, Lyman Martineau, membre du conseil d’administration de la SAM des jeunes gens, incita les dirigeants des jeunes à les initier aux activités physiques. Il déclara : « Si ces activités sont bien organisées et encadrées, elles offriront des loisirs sains et favoriseront la détermination, le courage, l’enthousiasme, la capacité à se fixer des objectifs spirituels et moraux, et la modération. »

Alma Richards était l’illustration même de ces paroles. Son désir d’exceller dans son sport le conduisit à respecter la Parole de Sagesse à une époque où l’Église recommandait de respecter ce principe sans l’exiger. En s’abstenant de consommer de l’alcool et du tabac, il faisait confiance à la promesse du Seigneur affirmant que les personnes qui obéissent à la Parole de Sagesse « courront et ne se fatigueront pas » et « marcheront et ne faibliront pas ».

Au printemps 1912, Eugene Roberts annonça à Alma qu’il était prêt pour se présenter aux sélections pour les Jeux olympiques. Il lui dit : « Tu es l’un des quinze meilleurs sauteurs en hauteur du monde et l’un des sept meilleurs des États-Unis. » Pour financer le voyage d’Alma pour participer aux sélections, il convainquit l’université Brigham Young d’accorder une bourse généreuse au jeune athlète. Il voulait l’accompagner mais n’avait pas les moyens de financer son voyage.

Avant de quitter l’Utah, Alma était inquiet et se sentait seul. Lorsqu’il vint lui dire au revoir, Eugene Roberts lui prodigua des paroles d’encouragement et de soutien. Avant que le jeune homme monte dans le train, son entraîneur lui remit un poème inspirant pour lui donner de la force et de la foi dans les moments difficiles.

Quelques semaines plus tard, la nouvelle arriva en Utah : Alma faisait partie de l’équipe olympique. Il était en route pour la Suède.

Au milieu de l’année 1912, plus de quatre mille colons saints des derniers jours vivant dans le nord du Mexique se retrouvèrent au milieu d’une révolution. L’année précédente, des rebelles avaient chassé Porfirio Díaz, qui était président du Mexique depuis des années. Mais un autre soulèvement avait éclaté contre les vainqueurs.

Junius Romney, trente-quatre ans, président de pieu dans le nord du Mexique, déclara que les saints n’abandonneraient pas leurs maisons, malgré le conflit. Depuis qu’ils s’étaient réfugiés au Mexique dans les années 1880 pour échapper aux raids contre la polygamie, les saints s’étaient généralement tenus à l’écart de la politique du pays. Mais de nombreux rebelles les considéraient maintenant comme des envahisseurs étrangers et attaquaient fréquemment leurs ranchs prospères.

Dans l’espoir d’affaiblir les rebelles, les États-Unis interdirent la vente d’armes et de munitions au Mexique. Le sénateur Reed Smoot persuada cependant le président américain, William Howard Taft, d’envoyer des armes supplémentaires aux saints du nord du Mexique pour les aider à protéger leurs colonies. Mais les chefs rebelles eurent rapidement connaissance de ladite cargaison et exigèrent que les saints livrent leurs armes à feu.

Sachant que la Première Présidence voulait qu’il n’arrive aucun mal aux saints, Junius Romney et d’autres dirigeants de l’Église de la région négocièrent avec les rebelles pour que les saints puissent conserver leurs armes à feu pour se défendre. Les chefs rebelles promirent également de ne pas s’attaquer aux colonies.

Mais le 27 juillet, un général rebelle nommé José Inés Salazar convoqua à son quartier général Junius Romney et Henry Bowman, dirigeant local de l’Église et homme d’affaires. Il leur dit qu’il ne pouvait plus empêcher les forces rebelles d’attaquer les saints. Alarmé, frère Romney rappela au général qu’il avait donné l’assurance verbale et écrite que les rebelles ne s’en prendraient pas aux colonies.

Il répondit : « Ce ne sont que des paroles que le vent emporte. » Il déclara ensuite que les colonies devaient rendre leurs armes.

Junius Romney répondit : « Cette demande de vous donner nos armes ne nous paraît pas justifiée. » Il y avait environ deux mille rebelles dans la région. Ils disposaient de cinq ou six canons qu’ils pouvaient utiliser contre les colonies. Si les saints donnaient leurs armes, ils seraient sans défense.

Comme le général restait insensible, Junius lui expliqua qu’il n’avait pas l’autorité d’exiger des saints qu’ils renoncent à leur propriété privée. En entendant cela, le général Salazar sortit de la pièce pour discuter avec l’un de ses officiers, le colonel Demetrio Ponce.

Une fois qu’ils furent seuls, Henry dit à Junius : « Frère Romney, je pense qu’il n’est pas sage de mettre le général en colère. » Il voyait que Junius fulminait et il ne voulait pas que le conflit dégénère.

Junius répondit : « C’est décidé ; quand Salazar reviendra, je lui dirai ce que je pense de lui, même si cela doit me coûter la vie ! »

Le général revint dans la salle, accompagné du colonel Ponce. Ce dernier déclara en se frottant les mains : « De toute évidence, le général n’a pas réussi à se faire comprendre. Ce qu’il souhaite, c’est simplement que vous leur suggériez une telle action et ils s’exécuteront !

– Je ne ferai aucune suggestion de la sorte », répondit Junius. Il savait que les saints se sentiraient trahis s’il leur demandait de renoncer à leur seul moyen de défense.

Le général les avertit : « Si vos armes et vos munitions ne me sont pas remises ici demain matin à 10 heures, nous marcherons contre vous.

– Est-ce votre dernier mot ? demanda Junius.

– C’est mon dernier mot ! s’exclama le général Je viendrai chercher vos fusils, où qu’ils soient. »

Junius Romney était choqué de la disposition implacable du général à attaquer les colonies. Il demanda : « Vous allez envahir nos maisons et prendre nos armes par la force ?

– Nous vous considérerons comme nos ennemis et nous vous déclarerons la guerre immédiatement », rétorqua le général Salazar.

Ce soir-là, à Colonia Juárez, l’une des plus grandes colonies de saints des derniers jours du nord du Mexique, Camilla Eyring, âgée de dix-sept ans, écoutait son père décrire le danger qui menaçait leur famille.

Il expliqua que les rebelles allaient s’emparer des armes des saints et les laisser sans défense. Les dirigeants de l’Église avaient donc décidé d’évacuer les femmes, les enfants et les personnes âgées des colonies. Ils parcourraient deux cent quarante kilomètres pour se rendre à El Paso, au Texas, au nord de la frontière américaine. Les hommes resteraient pour protéger les maisons et le bétail.

Il n’y avait qu’à Colonia Juárez que Camilla se sentait chez elle ; elle ne connaissait pas d’autre endroit. Depuis trois générations, sa famille vivait dans les colonies du Mexique ; ses grand-pères s’y étaient établis afin d’échapper aux poursuites judiciaires liées à la pratique du mariage plural. Depuis lors, Colonia Juárez était devenue une localité composée de dizaines de familles de saints des derniers jours qui possédaient de magnifiques vergers de pommiers et de beaux bâtiments en briques.

Camilla était l’aînée de onze enfants. Son père, mari de deux épouses, gérait un grand ranch où Camilla aidait parfois à faire du fromage. Il employait des Mexicains, dont elle en était venue à aimer les familles. Ses amis et elle fréquentaient la grande école de Juárez, où elle apprenait l’anglais et l’espagnol. Quand il faisait chaud, elle enfilait l’une de ses vieilles robes et se rendait avec ses amis à la rivière Piedras Verdes où un point de baignade avait été aménagé. En se préparant à quitter son foyer, elle ne savait pas si elle reviendrait, ni quand.

Chaque membre de la famille n’emporta que ce qui pouvait être transporté dans une seule malle commune. Ils cachèrent le reste de leurs possessions pour qu’elles ne tombent pas entre les mains des rebelles. Camilla rangea ses documents scolaires et ses autres souvenirs dans des endroits peu accessibles de la maison. Pendant ce temps, son père souleva des planches à l’entrée de la maison et y dissimula une centaine de kilos de mûres, que Camilla et ses frères et sœurs avaient mises en bocaux avec leur mère plus tôt dans la journée. Les biens précieux de la famille (argenterie, linge et vaisselle) furent cachés dans le grenier.

Le lendemain matin, le 28 juillet, la famille chargea sa malle sur une carriole et parcourut seize kilomètres jusqu’au dépôt de train le plus proche. Des dizaines d’autres familles attendaient devant la gare, les bras chargés de paquets et de valises. Non loin, un groupe de rebelles à cheval se mit en formation, leurs fusils et baïonnettes à la main.

Quand le train arriva, les saints s’entassèrent dans les wagons. Une compagnie ferroviaire leur avait envoyé tous les wagons disponibles pour les aider à évacuer. Certains étaient sans fenêtre, d’autres étaient des wagons bétaillers minables. Camilla, sa mère, ses frères et ses sœurs furent placés dans un wagon pour les passagers de troisième classe. Agrippés à leurs ballots et leur literie, ils étaient serrés les uns contre les autres sur des bancs durs. C’était une chaude journée d’été ; les mouches volaient autour d’eux. Camilla avait l’impression d’être une sardine dans une boîte.

Le train quitta le dépôt et se dirigea vers le nord, vers Colonia Dublán, la plus grande colonie de saints de la région, pour prendre d’autres passagers. Une fois les saints de Dublán montés à bord du train, le nombre de passagers s’éleva à environ un millier. Les bagages étaient empilés dans les voitures.

Toute la journée et toute la nuit, le train se dirigea vers le nord-est. Certains passages de la voie ferrée avaient été endommagés pendant la révolution, obligeant le train à avancer au ralenti. Camilla était terrifiée à l’idée que des rebelles attaquent le train et pillent les passagers.

Le soleil se levait quand le convoi arriva sans encombre à El Paso. Au dépôt ferroviaire, les habitants de la ville accueillirent les saints avec des voitures et des camions. Ils leur firent traverser la ville jusqu’à une scierie inoccupée destinée aux réfugiés. Avec sa famille, Camilla fut conduite dans un grand corral poussiéreux avec plusieurs stalles où les familles pouvaient installer leur camp. Ils s’entassèrent dans une stalle et suspendirent des couvertures pour plus d’intimité. Une odeur nauséabonde planait. Les essaims de mouches abondaient.

Toute la journée, les habitants des colonies arrivèrent à la scierie. Des journalistes et des photographes vinrent les interroger et prendre des photos. Des habitants de la ville vinrent aussi. Certains proposèrent leur aide, d’autres scrutaient les campements pour apercevoir les saints.

Camilla était mal à l’aise. Elle pensa : « Nous sommes comme des singes en cage. »

Alma Richards avait mal aux yeux tandis qu’il regardait la barre de saut en hauteur. C’était le troisième jour des Jeux olympiques de 1912. La lumière du soleil qui brillait sur le nouveau stade en briques brunes de Stockholm était insupportable. Depuis des semaines, il souffrait d’une infection oculaire qui lui irritait les yeux. Quand il ne sautait pas, il portait un vieux chapeau tombant pour se protéger les yeux. C’était maintenant à son tour. Il s’avança sur le côté du terrain et jeta son chapeau dans l’herbe.

La compétition de saut en hauteur avait commencé avec environ soixante athlètes originaires de dizaines de pays. Seuls un athlète allemand, Hans Liesche, et lui étaient encore en lice. Hans était le meilleur sauteur qu’Alma eût jamais vu. Sans effort, il réussissait chacun des sauts du premier coup. Alma, en revanche, avait eu toute la journée du mal à franchir la barre. Elle était maintenant placée à 1,93 mètre. En compétition olympique, personne n’avait jamais sauté aussi haut. Personne ne s’attendait à ce qu’Alma franchisse la barre, pas même ses coéquipiers.

Tandis qu’il se préparait à sauter, son esprit s’emballa. Il était là, représentant son pays dans la plus grande compétition d’athlétisme du monde. Pourtant, il se sentait faible, comme si le monde entier reposait sur ses épaules. Il pensa à l’Utah, à sa famille et à sa ville natale. Il pensa à l’université Brigham Young et aux saints. Inclinant la tête, il demanda silencieusement à Dieu de lui donner de la force. Il pria : « S’il est juste que je gagne, je ferai de mon mieux pour être un bon exemple tous les jours de ma vie. »

En relevant la tête, il sentit sa faiblesse se dissiper. Il rejeta ses épaules en arrière, s’avança jusqu’à la ligne de départ et se mit en position. Il s’élança alors avec un regain d’énergie et bondit, repliant ses genoux sous son menton. Il franchit la barre, la dépassant même de quelques centimètres.

Sur le côté, Hans Liesche s’échauffait pour son saut. Il semblait soudainement nerveux. Alma courait en cercle pour que ses jambes restent souples. Il était certain que son adversaire franchirait la barre. Elle serait alors placée encore plus haut et il devrait sauter à nouveau.

Hans s’élança pour son premier saut, tomba sur la barre et l’envoya s’écraser au sol. Frustré, il retourna sur le terrain pour son deuxième essai. Une fois de plus, il fit tomber la barre.

Alma voyait que son adversaire perdait son sang-froid. Au moment où Hans se préparait pour sa dernière tentative, un coup de pistolet retentit à proximité, signalant le début d’une course. Il attendit que les coureurs franchissent la ligne d’arrivée puis se prépara à sauter. Alors, une fanfare commença à jouer et il refusa de démarrer. Finalement, au bout de neuf minutes, un responsable de la compétition lui demanda de se dépêcher. Obligé de sauter, Hans bondit en avant et se jeta dans les airs.

À nouveau, il ne parvint pas à franchir la barre.

Un sentiment de joie envahit Alma. La compétition était terminée. Il avait gagné la médaille d’or et établi un record olympique. Hans vint le féliciter chaleureusement. Il fut ensuite acclamé par d’autres personnes. Un homme lui dit : « Vous avez faire connaître l’Utah. ».

James Sullivan, un responsable de l’équipe olympique américaine, fut particulièrement impressionné par le calme d’Alma malgré la pression, et par son mode de vie sain. Il déclara : « J’aimerais avoir une centaine de gars propres comme vous dans notre équipe. »

Au bout de quelques jours, les journaux américains saluèrent la victoire d’Alma, attribuant en partie son succès à sa religion. Un journaliste écrivit : « On appelle le vainqueur du grand saut ‘le géant mormon’ et il mérite ce titre. C’est un athlète autodidacte et sa conquête de la renommée mondiale vient après des années d’efforts et une détermination héritée des hommes qui ont établi la religion mormone et fait fleurir le désert. »

Un de ses amis le taquina parce qu’il avait prié avant son dernier saut. Alma répondit calmement : « J’aimerais que tu n’en ries pas. J’ai prié le Seigneur de me donner la force de franchir la barre et je l’ai franchie. »

Le 15 août 1912, deux sœurs, Jovita et Lupe Monroy, tenaient le magasin familial à San Marcos, dans l’État d’Hidalgo au Mexique. La petite ville était nichée au cœur du pays, loin des violences révolutionnaires du Nord. Ce jour-là, deux jeunes américains bien habillés entrèrent dans le magasin, commandèrent un soda et demandèrent poliment aux deux sœurs si elles savaient où vivait Señor Jesús Sánchez.

Elles connaissaient bien le vieil homme et expliquèrent aux visiteurs comment se rendre chez lui. Comme Señor Sánchez n’était pas catholique, certains habitants de la ville se méfiaient de lui. Néanmoins, c’était un ami de Rafael, le frère aîné de Jovita et Lupe.

Plus tard, les sœurs eurent l’occasion de discuter avec Señor Sánchez et de lui demander qui étaient ces jeunes hommes.

Il répondit : « Ce sont des missionnaires. » Une trentaine d’années auparavant, il était devenu membre de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Mais, malgré des débuts prometteurs, la mission de l’Église au centre du Mexique n’avait pas perduré ; elle avait fermé moins de dix ans après son baptême. Elle avait ensuite rouvert et plus de mille six cents saints mexicains vivaient désormais dans la région. Les missionnaires parcouraient la campagne à la recherche de membres de l’Église de longue date comme lui.

Les sœurs dirent à Señor Sánchez : « Quand les missionnaires reviendront, amenez-les chez nous pour que nous puissions leur poser des questions. »

Quelques mois plus tard, Señor Sánchez vint au magasin et présenta Jovita et Lupe à deux missionnaires, Walter Ernest Young et Seth Sirrine. Les sœurs étaient catholiques et posèrent de nombreuses questions sur les différences entre les croyances des missionnaires et les leurs. Elles voulaient surtout savoir pourquoi ils ne croyaient pas au baptême des petits enfants. Señor Sánchez prêta sa Bible aux sœurs pour qu’elles puissent en apprendre davantage sur les principes enseignés par les missionnaires. Dès que Jovita et Lupe avaient une minute de libre, elles l’étudiaient.

En mars 1913, Señor Sánchez tomba malade. Les deux sœurs aidèrent sa famille à prendre soin de lui. Comme son état s’aggravait, Jovita et Lupe envoyèrent quelqu’un chercher les missionnaires pour lui donner une bénédiction, mais ils se trouvaient dans une autre ville et ne pouvaient pas venir immédiatement. Quand ils arrivèrent, Señor Sánchez était décédé. Les missionnaires organisèrent un service funèbre et prêchèrent un sermon sur la résurrection. Une douzaine de personnes assistèrent au service, dont Jesusita Mera de Monroy, la mère de Jovita et Lupe, qui était veuve. Elle invita les missionnaires à dîner avec la famille le soir même.

Jesusita n’était pas très contente que ses filles aient continué de parler avec les missionnaires, surtout depuis qu’elles n’allaient plus à la messe. Le soir, elle demandait à Dieu d’empêcher les missionnaires de venir à San Marcos afin qu’ils n’égarent pas ses filles. Cependant, au dîner, elle traita les missionnaires avec gentillesse. Avant de manger, l’un d’eux demanda s’il pouvait faire la prière. Jesusita accepta et elle fut touchée par ses paroles. Après le repas, les missionnaires chantèrent le cantique « O mon Père », ce qui l’émut encore davantage.

Deux mois plus tard, Lupe invita son frère et sa sœur aînés, Rafael et Natalia, à assister à une conférence des saints près de Mexico, où l’Église était mieux établie. Une centaine de personnes s’étaient réunies pour l’occasion.

Rafael et Natalia entendirent des discours sur la paix et la fraternité, le Saint-Esprit, l’apostasie et le Rétablissement. Ils rencontrèrent également Rey L. Pratt, le président de mission, qui avait grandi dans les colonies des saints des derniers jours du nord du Mexique. Lors de cette conférence, les membres de la famille Monroy furent touchés. Avant de retourner à San Marcos, Rafael rêva qu’il prêchait tout ce qu’il avait appris à la réunion.

Quelques semaines après la conférence, le président Pratt et frère Young rendirent visite à la famille Monroy, à San Marcos. Ils passèrent une journée avec la famille, se détendant chez eux et écoutant les sœurs jouer de la musique. Dans la soirée, frère Young prêcha au sujet du baptême et le président Pratt parla des premiers principes et ordonnances de l’Évangile.

Le lendemain, le 11 juin 1913, Jovita, Lupe et Rafael acceptèrent de se faire baptiser. Pour éviter d’attirer l’attention des voisins suspicieux, ils conduisirent le président Pratt et frère Young dans un bosquet isolé le long d’une rivière voisine. Là, ils trouvèrent un endroit de la rivière suffisamment profond pour accomplir l’ordonnance.

Après les baptêmes, le président Pratt et frère Young les confirmèrent au bord de l’eau. Le président Pratt prit des photos du groupe avec frère Young et tout le monde retourna en ville pour dîner.

Ce fut une belle journée.


Chapitre 11 : Une responsabilité trop lourde

Le soir du 6 août 1914, Arthur Horbach, jeune saint des derniers jours de dix-sept ans résidant à Liège, en Belgique, s’abrita tandis que les tirs de l’artillerie allemande s’abattaient sur la ville. Plus tôt cet été-là, un nationaliste serbe avait assassiné l’héritier de l’empire austro-hongrois, provoquant la guerre entre l’Autriche-Hongrie et le royaume de Serbie. Les deux camps furent rapidement rejoints par leurs alliés respectifs. Début août, la Serbie, la Russie, la France, la Belgique et la Grande-Bretagne étaient en guerre contre l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne.

La Belgique, neutre à l’origine, s’engagea dans le conflit lorsque les troupes allemandes envahirent la France en passant par la frontière est de la Belgique. La ville de Liège était le premier obstacle important des envahisseurs. Les douze forts qui entouraient la ville avaient d’abord maintenu les Allemands à distance, mais leurs assauts étaient incessants. Des milliers de soldats attaquaient les forts et les défenses belges commençaient à céder.

Les troupes allemandes finirent par franchir la ligne ennemie et envahirent Liège. Les assaillants se répandirent dans la ville, pillant les maisons, brûlant les bâtiments et tirant sur les civils. Arthur et sa mère, Mathilde, réussirent à leur échapper. Les saints de Liège, qui étaient une cinquantaine, connaissaient le même danger qu’Arthur mais ce dernier ne cessait de penser aux missionnaires qui servaient dans la ville. Il avait passé beaucoup de temps avec eux et les connaissait bien. Avaient-ils été blessés dans cette attaque ?

Les jours passaient. Arthur et sa mère vivaient dans la terreur des troupes allemandes et de l’artillerie lourde qui bombardait les forts qui n’étaient pas tombés. Les membres de la branche étaient dispersés dans toute la ville et certains s’étaient rassemblés dans une cave. Un groupe de soldats s’était installé dans la salle que la branche louait et où elle se réunissait habituellement. Par chance, Tonia Deguée, une membre de l’Église âgée qui parlait couramment l’allemand gagna rapidement la confiance de ces soldats et les persuada de ne pas endommager la salle ni le mobilier.

Arthur finit par apprendre que les missionnaires étaient en sécurité. Le consulat américain de Liège leur avait ordonné d’évacuer la ville le premier jour du bombardement, mais ils n’avaient pas pu informer Arthur ni personne d’autre de leur départ à cause des barrages routiers.

En fait, les missionnaires de toute l’Europe continentale quittaient le champ de leur mission. Joseph F. Smith avait envoyé un télégramme aux dirigeants de la mission européenne : « Relevez tous les missionnaires allemands et français et faites preuve de discernement quant au transfert de tous les missionnaires des pays neutres ou belligérants dans les missions américaines. »

Arthur ressentit immédiatement le vide causé par le départ des missionnaires. Depuis que Mathilde et lui-même étaient devenus membres de l’Église, six ans plus tôt, leur branche dépendait des missionnaires, qui étaient les principaux dirigeants de la prêtrise. Dorénavant, les seuls détenteurs de la prêtrise de la branche étaient un instructeur et deux diacres, dont Arthur. Il avait reçu la Prêtrise d’Aaron moins d’un an plus tôt.

Quand la ville de Liège tomba entre les mains des Allemands, les membres de la branche cessèrent presque de se réunir. Les soldats qui occupaient leur salle de réunion s’étaient installés ailleurs mais le propriétaire refusa que les saints s’y réunissent à nouveau. Chaque jour était une lutte pour la survie. La nourriture et les produits du quotidien se faisaient rares. La faim et la misère pesaient sur la ville.

Arthur savait que tous les membres de la branche souhaitaient se réunir pour prier et trouver du réconfort. Mais sans un endroit pour se réunir ni personne autorisé à bénir la Sainte-Cène, comment pourraient-ils reprendre leurs réunions de branche ?

Tandis que la guerre se répandait en Europe, Ida Smith se demandait comment aider les soldats britanniques qui partaient pour le champ de bataille. Un an plus tôt, elle avait emménagé à Liverpool avec son mari, Hyrum M. Smith, et leurs quatre enfants. Hyrum, le fils aîné de Joseph F. Smith, était le président de la mission européenne. Ida soutenait l’œuvre mais elle avait décidé que tant qu’elle aurait des jeunes enfants à la maison, elle ne s’impliquerait pas activement dans le travail missionnaire et n’entreprendrait pas de service en dehors de leur petite branche.

Cependant, un après-midi, Ida vit une annonce écrite par la mairesse de Liverpool, Winifred Rathbone. Elle appelait les organisations de femmes de la ville à se joindre aux autres femmes bénévoles de Grande-Bretagne pour tricoter des vêtements chauds pour les soldats. Ida savait que des centaines de milliers de soldats britanniques, y compris des saints des derniers jours, auraient désespérément besoin de ces vêtements pour survivre à l’hiver prochain. Mais elle se sentait impuissante.

Elle se demandait : « Comment soutenir cette femme ? Je n’ai pas tricoté une seule maille de ma vie. »

Il lui sembla alors qu’une voix lui disait : « Le moment est venu pour les Sociétés de Secours de la mission européenne de se montrer et de proposer leurs services. » Ces mots l’impressionnèrent profondément. La Société de Secours de Liverpool ne comptait que huit membres actives mais elles pouvaient participer.

Avec l’aide du secrétaire de la mission, Ida Smith prit rendez-vous avec Winifred Rathbone le lendemain. Avant l’entrevue, son cœur battait très fort. Elle se reprochait intérieurement : « Pourquoi vas-tu voir la mairesse pour lui proposer les services d’une poignée de femmes ? Pourquoi ne retournes-tu pas chez toi t’occuper de tes affaires ? »

Mais elle repoussa cette pensée. Le Seigneur était avec elle. Elle tenait une petite carte imprimée avec des renseignements sur la Société de Secours et son objectif. Elle se disait : « Même si ce n’est que pour lui remettre cette carte, j’irai. »

Le bureau de la mairesse se trouvait dans un grand bâtiment, qui lui servait aussi de quartier général pour ses activités caritatives. Elle reçut poliment Ida, dont la nervosité s’estompa quand elle commença à parler de la Société de Secours, de l’Église et de la petite branche de Liverpool. Elle lui expliqua : « Je suis venue proposer nos services pour aider à coudre ou à tricoter pour les soldats. »

Une fois son message remis, Ida était sur le point de partir, mais Winifred l’arrêta. Elle lui dit : « J’aimerais que vous visitiez notre bâtiment et que vous voyiez comment se déroule notre travail. » Elle traversa avec Ida dix-sept grandes pièces, chacune remplie d’une dizaine de femmes au travail. Elle l’amena ensuite dans son bureau privé. Elle lui montra un livre de compte : « C’est là que nous tenons nos archives. Tout ce que vous ferez pour nous y sera noté comme du travail fait par la Société de Secours de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. »

Ida la remercia. Elle lui dit : « Nous ferons de notre mieux. »

Cet automne-là, les sœurs de la Société de Secours de Liverpool tricotèrent. Elles invitèrent aussi leurs amies et leurs voisines à participer. Au bout d’une semaine, elles étaient une quarantaine. Ida apprit à tricoter et commença à travailler sur plusieurs grands cache-nez. À la demande de la présidence générale de la Société de Secours, à Salt Lake City, le mari d’Ida la mit à part en tant que présidente des Sociétés de Secours de la mission européenne. Comme les voyages à travers l’Europe étaient devenus dangereux, Ida Smith commença par parcourir la Grande-Bretagne pour organiser de nouvelles Sociétés de Secours, former leurs membres et les inciter à tricoter pour les soldats. Finalement, les femmes fabriquèrent et distribuèrent deux mille trois cents articles vestimentaires.

Ida et d’autres membres de la Société de Secours reçurent des lettres et des éloges de hauts fonctionnaires de toute la Grande-Bretagne. Une femme écrivit : « Si toutes les organisations de femmes de Grande-Bretagne travaillaient comme le font les saintes des derniers jours, nos soldats ne manqueraient de rien. »

Le 7 novembre 1914, le président Joseph F. Smith écrivit à Hyrum M. Smith : « Les rapports sur le carnage et la destruction qui ont lieu en ce moment en Europe sont écœurants et déplorables. » Deux mois plus tôt, les troupes françaises et britanniques avaient arrêté la progression des forces allemandes lors d’une bataille sanglante sur la Marne, dans le nord-est de la France. D’autres batailles avaient suivi, mais aucun des deux camps n’avait réussi à porter un coup décisif. Les armées s’étaient alors tapies dans un dédale de tranchées défensives à travers la campagne française.

La guerre se propageait en Europe de l’Est, en Afrique, au Moyen-Orient et jusqu’aux îles de l’océan Pacifique. Dans les journaux, les comptes-rendus du conflit rappelèrent au président Smith la révélation du Seigneur reçue en 1832 au sujet de la guerre. Elle prédisait : « Et alors la guerre se déversera sur toutes les nations. Et ainsi, à cause de l’épée et de l’effusion de sang, les habitants de la terre se lamenteront. »

Le dimanche 24 janvier 1915, le prophète appela les membres de l’Église aux États-Unis et au Canada à contribuer au fonds de secours destiné aux saints européens dans le besoin. Il déclara : « C’est la manière la plus efficace de venir en aide aux membres de l’Église dans le besoin. » En réponse à l’appel du prophète, plus de sept cents paroisses et branches collectèrent de l’argent et envoyèrent des dons au bureau de l’épiscopat président de l’Église. L’argent fut ensuite envoyé au bureau de la mission à Liverpool pour que Hyrum M. Smith le distribue aux saints européens, quel que soit leur camp.

Quelques mois plus tard, le président Smith, accompagné de Charles W. Nibley, l’évêque président, alla inspecter un coin plus paisible du monde : la ferme d’environ deux mille quatre cents hectares de l’Église à Laie, à Hawaï. À Honolulu, les deux hommes retrouvèrent l’apôtre et sénateur américain Reed Smoot, qui était venu dans les îles avec sa femme, Allie, pour visiter l’assemblée législative hawaïenne. Il espérait également que l’air de l’île améliorerait la mauvaise santé de son épouse. En compagnie d’Abraham et Minerva Fernandez, qui avaient accueilli George Q. Cannon lors de sa dernière visite dans les îles, ils se rendirent à Laie et partagèrent un festin avec quatre cents saints.

Pendant les jours qui suivirent, tandis qu’il rencontrait les membres de l’Église et visitait la ferme, le président Smith était heureux de voir que les saints hawaïens prospéraient spirituellement et temporellement. Les îles comptaient désormais près de dix mille saints. Depuis peu, les Doctrine et Alliances et la Perle de Grand Prix étaient publiées en hawaïen. Plus de cinquante lieux de culte de l’Église parsemaient les îles. À Laie, il y avait même une école appartenant à l’Église. Dans cette ville, les saints avaient également embelli leurs jardins et leurs rues avec des fleurs et des arbres robustes.

L’Église grandissait aussi dans d’autres régions d’Océanie. Le Livre de Mormon et d’autres documentations de l’Église étaient disponibles en maori, samoan et tahitien. La mission de Tahiti disposait d’une imprimerie et publiait son propre magazine de l’Église en tahitien, Te Heheuraa Api. À Tonga, après plus de dix années d’interruption du travail missionnaire, l’Église prenait à nouveau racine. Les saints d’Australie, de Samoa et de Nouvelle-Zélande participaient au culte au sein de branches fortes comprenant des Sociétés de Secours, des Écoles du Dimanche et des chœurs. En 1913, l’Église avait également ouvert l’université maorie d’agriculture [Māori Agricultural College] à Hastings, en Nouvelle-Zélande. Là, les jeunes hommes se formaient, entre autres, aux métiers de l’agriculture.

Lors de leur dernière soirée à Laie, le 1er juin, le président Smith se rendit dans une église située au sommet d’une colline surplombant la ville en compagnie de frère Nibley et de frère Smoot. Le bâtiment se dressait là depuis 1883. Son nom, I Hemolele, signifiait « Sainteté au Seigneur », la même expression biblique qui figurait sur les murs du temple de Salt Lake City.

Devant le bâtiment, le président Smith informa frère Smoot d’une discussion qu’il avait eue avec frère Nibley, au cours de laquelle ils avaient envisagé de construire une maison des dotations ou un petit temple à Laie puisque l’Église y était fermement établie. Il proposa de déplacer I Hemolele afin de construire un temple à sa place.

Frère Smoot approuva. Plus tôt dans la semaine, après avoir assisté aux funérailles d’un membre âgé qui avait reçu sa dotation en Utah des années auparavant, il avait eu une pensée semblable. Tout au long de son histoire, l’Église avait construit des temples là où les saints étaient nombreux. Cependant, en 1913, le président Smith avait consacré un site pour un temple à Cardston, en Alberta (Canada), où il y avait maintenant deux pieux. C’était la première fois qu’on projetait de construire un temple pour des saints vivant loin du groupe principal de membres de l’Église.

Le président Smith dit à ses compagnons de service : « Frères, je me sens inspiré à consacrer ce terrain pour la construction d’un temple à Dieu. Que ce terrain devienne le lieu où les habitants des îles du Pacifique viendront accomplir l’œuvre du temple. » Il admit qu’il n’avait pas demandé l’avis du Collège des douze apôtres ni des autres membres de la Première Présidence. Il ajouta : « Cependant, si vous pensez qu’il n’y a pas d’objections, j’estime que c’est le moment de consacrer ce terrain. »

L’idée enthousiasmait frère Smoot et frère Nibley. Le prophète fit donc une prière de consécration.

Quand arriva l’été 1915, la révolution mexicaine n’étaient plus vraiment une menace pour les colonies de l’Église du nord du Mexique. De nombreuses familles avaient retrouvé leur foyer et vivaient dans une paix relative. D’autres colons, dont la famille de Camilla Eyring, avaient choisi de rester aux États-Unis.

À San Marcos, la situation était différente. Rafael Monroy était désormais le président d’une branche d’une quarantaine de saints. Le 17 juillet, un groupe de rebelles envahit le village, installa son quartier général dans une grande maison au centre de la ville et exigea de Rafael, éleveur prospère, qu’il leur fournisse de la viande.

Dans l’espoir d’apaiser les troupes, il leur offrit une vache à abattre. Les rebelles étaient des zapatistes, des partisans d’Emiliano Zapata, l’un des chefs rebelles qui se battaient pour contrôler le gouvernement mexicain. Pendant des mois, ils avaient affronté les forces de Venustiano Carranza (les carrancistes) dans la région de San Marcos. Obéissant aux conseils du président de mission, Rey L. Pratt, Rafael et les autres saints avaient essayé de rester en dehors du conflit, espérant que les armées les laisseraient en paix. Avant l’arrivée des rebelles, San Marcos avait été un refuge pour les saints qui avaient fui la violence du centre du Mexique.

Parmi les saints de San Marcos, on comptait Jesusita, la mère de Rafael, et Guadalupe, sa femme. Elles s’étaient fait baptiser toutes les deux en juillet 1913. Frère Pratt, qui était parti aux États-Unis, continuait de soutenir la branche de loin.

Après que Rafael eut remis la vache aux rebelles, certains de ses voisins commencèrent à leur parler. L’un d’eux, Andres Reyes, était mécontent du nombre croissant de saints dans la région. De nombreux Mexicains s’opposaient aux influences étrangères dans leur pays ; Andres et d’autres habitants de la ville reprochaient à la famille Monroy de s’être éloignée du catholicisme et d’être devenue membre d’une Église très liée aux États-Unis. De plus, l’aînée des sœurs, Natalia, avait épousé un Américain, ce qui ne faisait qu’accroître la méfiance des habitants à l’égard de la famille.

En entendant cela, les soldats suivirent Rafael jusque chez lui et l’arrêtèrent au moment où il s’asseyait pour prendre son petit-déjeuner. Ils lui ordonnèrent d’ouvrir le magasin familial, l’accusant, lui et son beau-frère américain, d’être des colonels de l’armée carranciste et de cacher des armes pour les utiliser contre les zapatistes.

Au magasin, Rafael et les rebelles rencontrèrent Vicente Morales, un autre membre de l’Église, occupé à divers travaux. Le prenant également pour un carranciste, les troupes l’arrêtèrent et saccagèrent le magasin à la recherche d’armes. Rafael et Vicente plaidèrent leur innocence, assurant aux troupes qu’ils n’étaient pas leurs ennemis.

Les soldats ne les crurent pas. Ils déclarèrent : « Si vous ne nous donnez pas vos armes, nous vous pendrons à l’arbre le plus haut. »

Lorsque les zapatistes forcèrent Rafael à sortir de chez lui, ses sœurs, Jovita et Lupe, coururent après eux. Jovita rattrapa les soldats en premier mais ils ignorèrent ses supplications. Quand Lupe les rejoignit, elle vit les rebelles saisir sa sœur. Cette dernière s’écria : « Lupe, ils m’arrêtent ! »

Une foule s’était formée autour de Rafael et Vicente. Des gens brandissaient des cordes en criant : « Pendez-les ! »

Lupe s’écria : « Qu’allez-vous faire ? Mon frère est innocent ! Démolissez la maison si nécessaire mais vous n’y trouverez pas d’armes. »

Quelqu’un parmi la foule demanda qu’on l’arrête, elle aussi. Lupe se précipita vers un arbre et s’y accrocha aussi fort qu’elle put mais les rebelles l’attrapèrent et l’en arrachèrent facilement. Ils retournèrent ensuite chez la famille Monroy et arrêtèrent Natalia.

Les rebelles emmenèrent les trois sœurs dans leur quartier général et les enfermèrent dans des pièces séparées. Dehors, des gens dirent aux soldats que Rafael et Vicente étaient des « mormons » qui corrompaient la ville avec leur religion étrange. Les soldats n’avaient jamais entendu ce mot auparavant mais ils le comprirent dans un sens négatif. Ils conduisirent les deux hommes à un grand arbre et firent glisser des cordes sur ses branches solides. Ils leur passèrent ensuite la corde autour du cou. Les soldats leur dirent que s’ils abandonnaient leur religion et se joignaient aux zapatistes, ils seraient libérés.

Rafael répondit : « Ma religion m’est plus chère que ma vie ; je ne peux l’abandonner. »

Les soldats tirèrent alors sur les cordes jusqu’à ce que Rafael et Vicente soient pendus par le cou et s’évanouissent. Ils relâchèrent ensuite les cordes, ranimèrent les deux hommes et continuèrent à les torturer.

Au magasin, les rebelles cherchaient toujours des armes. Jesusita et Guadalupe s’évertuaient à leur dire qu’il n’y en avait pas. La mère insistait : « Mon fils est un homme pacifique ! Si ce n’était pas le cas, pensez-vous que vous l’auriez trouvé chez lui ? » Quand les soldats demandèrent encore à voir les armes de la famille, elles leur présentèrent des exemplaires du Livre de Mormon et de la Bible.

« Ce ne sont pas des armes, répliquèrent les rebelles. Nous voulons les armes. »

Dans l’après-midi, au quartier général zapatiste, les rebelles réunirent la fratrie de la famille Monroy dans la même pièce. Quand Lupe vit Rafael, elle fut choquée. Elle lui dit : « Rafa, tu as du sang sur le cou. » Il s’avança vers l’évier dans la pièce et se lava le visage. Il avait l’air calme et ne semblait pas en colère, malgré tout ce qui s’était passé.

Plus tard, Jesusita apporta de la nourriture à ses enfants. Avant qu’elle parte, Rafael lui remit une lettre qu’il avait écrite à un capitaine zapatiste de sa connaissance, lui demandant son aide pour prouver son innocence. Sa mère prit la lettre et s’en alla à la recherche du capitaine. La famille Monroy et Vicente bénirent ensuite leur repas, mais avant qu’ils puissent manger, ils entendirent des bruits de pas et d’armes derrière la porte. Les soldats appelèrent Rafael et Vicente. Les deux hommes sortirent de la pièce. Sur le seuil, Rafael demanda à Natalia de l’accompagner dehors mais les gardes la repoussèrent à l’intérieur.

Les sœurs se regardèrent, le cœur battant. Le silence s’installa. Puis des coups de feu déchirèrent la nuit.

Tandis qu’il observait la situation en Europe, Hyrum M. Smith ressentait un poids énorme sur ses épaules. En tant que président de la mission européenne, il avait immédiatement obéi aux directives de la Première Présidence et avait fait sortir les missionnaires d’Allemagne et de France peu après le début de la guerre. Cependant, il n’était pas sûr de ce qu’il fallait faire des missionnaires qui œuvraient dans les pays neutres ou dans les zones où il n’y avait pas de combats violents, comme la Grande-Bretagne. Les membres de la Première Présidence n’avaient pas donné d’instructions sur la manière de procéder. Leur lettre disait : « Nous vous laissons le soin de prendre une décision. »

Hyrum et les missionnaires du bureau de la mission s’étaient réunis deux fois afin de discuter de la marche à suivre. À la suite de ces discussions, ils étaient convenus de ne relever que les missionnaires d’Europe continentale, laissant les missionnaires de Grande-Bretagne terminer leur mission comme prévu. Le président Smith avait ensuite écrit aux présidents de mission du continent, leur demandant de rester à leur poste, ainsi que leurs assistants afin de maintenir l’Église dans leur région. Les autres missionnaires devaient être évacués.

Une année s’était écoulée et les journaux ne cessaient de publier des histoires d’attaques des Allemands contre les navires de guerre et les navires transportant des passagers britanniques. En mai 1915, un sous-marin allemand torpilla le paquebot britannique Lusitania tuant près de mille deux cents personnes, civils et membres d’équipage. Trois mois plus tard, les Allemands coulèrent un autre paquebot britannique, l’Arabic, au large de l’Irlande. À son bord se trouvait un missionnaire rentrant chez lui, qui échappa de peu à la mort.

Hyrum M. Smith était responsable de l’organisation de la traversée de l’Atlantique pour les missionnaires et les saints qui émigraient, et il ne savait pas comment gérer au mieux cette crise. De nombreux missionnaires américains en Grande-Bretagne étaient si impatients de rentrer chez eux qu’ils étaient prêts à braver tous les dangers. De même, les saints qui émigraient faisaient souvent passer leur désir de se rassembler en Utah avant leur sécurité personnelle.

L’Église avait signé un contrat avec une compagnie maritime britannique afin qu’elle gère toutes les traversées de l’Atlantique par des membres de l’Église, ce qui compliquait davantage la situation. Ne parvenant pas à trouver un moyen honnête d’annuler le contrat, le président Smith estimait que le bureau de la mission ne pouvait pas légalement réserver des places pour des saints sur des navires américains, même si ces derniers étaient considérés comme plus sûrs parce que les États-Unis n’étaient pas en guerre contre l’Allemagne.

Le 20 août 1915, il écrivit à la Première Présidence à ce sujet. Il avait déjà réservé des places pour plusieurs missionnaires et saints émigrants sur le Scandinavian, un navire canado-britannique quittant Liverpool le 17 septembre. Il se demandait maintenant s’il devait les laisser partir.

Il écrivit : « Cette responsabilité est presque trop lourde à porter seul. Je vous prie très humblement de me conseiller, afin que d’avoir le sentiment d’agir en parfaite harmonie avec vos souhaits. »

Une semaine avant le départ du Scandinavian, Hyrum reçut un télégramme de la Première Présidence : « Les émigrants voyageant sur des navires de pays belligérants doivent en assumer personnellement la responsabilité. » Si les saints choisissaient de voyager sous pavillon britannique, ils le faisaient à leurs risques et périls.

Hyrum réfléchit soigneusement aux possibilités qui s’offraient à lui. Il était clair que la Première Présidence ne voulait pas inciter les saints à voyager sur des navires susceptibles d’être attaqués. Cependant, les places sur les navires américains, plus sûrs, ne pouvaient être réservées par les saints qu’à titre personnel. Et même s’ils faisaient ce choix, le prix élevé de la traversée pourrait les empêcher de faire le voyage.

Il écrivit dans son journal : « Je répugne à risquer la vie de nos saints sur l’océan. » Néanmoins, il savait qu’il devait faire quelque chose. Il nota : « Dans la mesure où nous n’avons pas reçu l’ordre de ne pas le faire, nous irons de l’avant et ferons confiance au Seigneur. »

Le 17 septembre 1915, Hyrum M. Smith fit ses adieux à quatre missionnaires et trente-sept émigrants sur le Scandinavian46. Il ne lui restait plus qu’à attendre d’être informé de leur arrivée à bon port.


Chapitre 12 : Cette guerre terrible

À la fin du mois de septembre 1915, le navire Scandinavian et ses passagers accostèrent sains et saufs à Montréal. À partir de ce moment-là, Hyrum M. Smith ne proposa plus aux membres de l’Église de traverser l’Atlantique le temps de déterminer, avec la Première Présidence, le moyen le plus sûr de les faire voyager. Quand le gouvernement allemand accepta de ne plus attaquer les paquebots britanniques, Hyrum recommença à envoyer les saints sur des navires britanniques jusqu’au printemps 1916. Ensuite, il se sentit poussé à ne faire voyager les saints que sur des navires appartenant à des pays neutres.

Il écrivit dans son journal : « Il y a trop de danger à voyager sur des navires de pays belligérants et je ne peux pas porter plus longtemps la responsabilité de prendre de tels risques. »

Pendant ce temps, à Liège, en Belgique, Arthur Horbach et les autres saints s’efforçaient de faire en sorte que les membres de leur petite branche restent unis. Depuis que les troupes allemandes avaient pris d’assaut la Belgique, le chaos régnait. Les Allemands avaient tué des civils, fait souffrir des prisonniers, pillé et brûlé des maisons et des villes, et puni toute forme de résistance. Jour et nuit, des soldats ivres terrorisaient les villes. Personne n’était à l’abri des violences.

Pendant les dix premiers mois de l’occupation allemande, la branche de Liège osa rarement se réunir pour le culte. Cependant, au printemps 1915, après s’être fait discrets pendant des mois, Arthur et les deux autres détenteurs de la prêtrise de la branche, Hubert Huysecom et Charles Devignez, décidèrent de tenir à nouveau des réunions régulières.

Marie Momont, une femme âgée de la branche, proposa aux saints de se réunir chez elle. Au bout de quelques semaines, on décida de se réunir plutôt chez Hubert et sa femme, Augustine. Leur maison était plus grande et se trouvait à mi-chemin entre Liège et Seraing, ce qui en faisait un lieu de rassemblement idéal pour les saints des deux villes. En tant qu’instructeur dans la Prêtrise d’Aaron, Hubert Huysecom détenait l’office le plus élevé de la prêtrise dans la ville, il devint donc responsable de la branche. Il servait aussi en qualité de président de l’École du dimanche.

Arthur Horbach fut désigné comme secrétaire et trésorier de la branche, responsable de la tenue des registres et des comptes. Avec un autre membre de l’Église de Seraing, il aidait Charles Devignez à instruire les classes d’École du Dimanche. Juliette Jeuris-Belleflamme, Jeanne Roubinet et Guillemine Collard supervisaient la Primaire. La branche ouvrit aussi une petite bibliothèque.

Peu de temps après, les membres de Liège prirent contact avec deux saints des derniers jours, l’un ancien et l’autre prêtre, vivant à Villers-le-Bouillet, petite ville située à une trentaine de kilomètres. Les deux hommes venaient dans la branche une fois par mois, ce qui permettait aux saints de Liège de prendre la Sainte-Cène et de recevoir des bénédictions de la prêtrise.

Souffrant de la faim, de la misère et des privations, certains saints de Liège se découragèrent et s’en prirent à d’autres membres de la branche. Cet été-là, le bureau de la mission européenne commença à envoyer des fonds pour soulager les pauvres et les nécessiteux. Malgré les difficultés, la plupart des saints de la branche payaient leur dîme et, tandis que les jours sombres s’éternisaient, ils se reposaient sur l’Évangile rétabli et l’Esprit du Seigneur, et se soutenaient mutuellement.

Ils poursuivaient également leurs efforts pour faire connaître l’Évangile à leurs voisins et il y eut quelques baptêmes pendant cette période de bouleversement. Cependant, les membres de la branche regrettaient la stabilité qu’ils avaient connue avant l’invasion.

Arthur raconta : « Pendant cette guerre terrible, nous avons vu le pouvoir du Tout-Puissant se manifester à de nombreuses occasions. Les branches se portent bien mais nous aspirons au retour des missionnaires. »

Le 6 avril 1916, le premier jour de la conférence générale annuelle de l’Église à Salt Lake City, Charles W. Penrose parla de la divinité. Avec les autres membres de la Première Présidence, il recevait souvent des lettres faisant état de désaccords entre les membres de l’Église concernant des points de doctrine. La plupart de ces différends étaient facilement résolus. Mais plus récemment, la présidence avait été troublée par des questions sur l’identité de Dieu le Père.

Dans son discours, frère Penrose expliqua : « Certaines personnes pensent encore qu’Adam était et est le Dieu Tout-Puissant et éternel. »

Cette croyance trouvait son origine dans des déclarations faites par Brigham Young au cours du XIXe siècle. Des détracteurs de l’Église les avaient utilisées pour affirmer que les saints des derniers jours adoraient Adam.

Les membres de la Première Présidence avaient tenté de clarifier la doctrine concernant la Divinité, Adam et les origines de l’humanité. En 1909, ils avaient publié une déclaration rédigée par l’apôtre Orson F. Whitney sur « L’origine de l’homme [The Origin of Man] », qui témoignait des vérités sur la relation entre Dieu et ses enfants. Ils déclaraient : « Tous les hommes et toutes les femmes sont à la ressemblance d’un Père et d’une Mère universels et sont littéralement les fils et les filles de la Divinité. » On y lisait aussi qu’avant de recevoir un corps mortel et de devenir le premier homme, le « grand ancêtre » de la famille humaine, Adam était un « esprit dans la préexistence ».

La Première Présidence avait également chargé les dirigeants et les érudits de l’Église de publier de nouveaux livres de doctrine qui serviraient lors des leçons de l’École du Dimanche et des réunions des collèges de la Prêtrise. Les ouvrages Théologie rationnelle [Rational Theology] de John Widtsoe et Jésus le Christ de l’apôtre James E. Talmage présentaient les enseignements officiels de l’Église sur Dieu le Père, Jésus-Christ et Adam. Ces deux livres faisaient clairement la distinction entre Dieu le Père et Adam, et soulignaient la manière dont l’expiation de Jésus-Christ avait permis de vaincre les effets négatifs de la Chute.

Lors de la conférence générale, lorsque le président Penrose s’adressa aux saints, il cita plusieurs versets des Écritures anciennes et modernes pour montrer que Dieu le Père et Adam n’étaient pas le même être. Il conclut en disant : « Que Dieu nous aide à voir et à comprendre la vérité et à éviter l’erreur ! Et n’ayons pas des sentiments trop forts en ce qui concerne nos opinions. Essayons d’être justes. »

Peu après la conférence, la Première Présidence et le Collège des douze apôtres s’accordèrent sur le fait que les saints avaient besoin d’une déclaration faisant autorité concernant la Divinité. Pendant l’été, frère Talmage rédigea « Le Père et le Fils [The Father and the Son] », une présentation doctrinale de la nature et de la mission de Dieu le Père, ainsi que de sa relation avec Jésus-Christ.

Dans cette déclaration, il affirmait que Dieu le Père était Élohim, le père des esprits de toute l’humanité. On y lisait aussi que Jésus-Christ était Jéhovah, le premier-né du Père et le frère aîné de tous les hommes et femmes. Comme il avait mis en œuvre le plan de son Père au moment de la Création, Jésus était aussi le Père du ciel et de la terre. Pour cette raison, les Écritures le désignaient souvent comme « Père » pour décrire sa relation particulière avec le monde et ses habitants.

Les membres de la Première Présidence expliquaient également que Jésus était le père spirituel des personnes qui étaient nées de nouveau grâce à son Évangile. Ils affirmaient : « Si l’on peut dire que ceux qui acceptent et respectent l’Évangile sont des fils et des filles du Christ, alors il est logique de dire que Jésus-Christ est le Père des justes. »

Enfin, ils décrivaient la manière dont Jésus-Christ avait agi au nom du Père en tant que représentant d’Élohim. Ils déclaraient : « En ce qui concerne le pouvoir, l’autorité et la divinité, ses paroles et ses actes étaient et sont ceux du Père. »

Le 1er juillet, la déclaration « Le Père et le Fils » fut publiée dans le journal Deseret Evening News. Le même jour, Joseph F. Smith écrivit à son fils Hyrum M. Smith, qui vivait à Liverpool, pour lui demander instamment de faire connaître cette nouvelle déclaration aux saints de l’étranger. Il expliqua : « C’est la première fois que cette tâche est entreprise. J’espère que tu l’approuveras et que tu imprimeras cette déclaration avec grand soin. »

Cet été-là, dans le nord-est de la France, les armées allemande et française s’affrontaient dans une nouvelle impasse sanglante, cette fois devant la ville fortifiée de Verdun. Espérant briser la détermination des Français, l’armée allemande avait bombardé les défenses de la ville et avait mené l’assaut avec des centaines de milliers de soldats. Les Français leur opposèrent une résistance farouche et des mois d’une vaine guerre de tranchées s’ensuivirent.

Parmi les fantassins allemands combattant à Verdun se trouvait Paul Schwarz, âgé de quarante ans. Agent de recouvrement et vendeur de machines à coudre originaire d’Allemagne occidentale, il avait été appelé sous les drapeaux l’année précédente. À l’époque, il était le président d’une petite branche de l’Église dans une ville appelée Barmen, où il vivait avec sa femme, Helene, et leurs cinq jeunes enfants. Paul était un homme calme et pacifique mais il estimait qu’il était de son devoir de servir son pays. Un autre détenteur de la Prêtrise de Melchisédek avait été appelé à prendre sa place dans la branche et, peu de temps après, Paul se retrouva au front.

À Verdun, la terreur était omniprésente. Au début de la bataille, les Allemands avaient attaqué les lignes françaises avec de l’artillerie avant d’envoyer des troupes équipées de lance-flammes pour dégager la voie pour la colonne d’infanterie en marche. Cependant, les Français étaient plus forts que ce à quoi les Allemands s’attendaient et, des deux côtés, les pertes se comptaient par centaines de milliers. En mars 1916, peu après l’arrivée du régiment de Paul à Verdun, leur commandant fut tué au combat. Paul eut la vie sauve. Plus tard, tandis qu’il transportait des grenades, du fil barbelé et d’autre matériel de guerre vers le front, il se sentit poussé à se diriger vers l’avant de sa compagnie. Il se dépêcha de remonter la colonne, juste avant qu’un avion ne largue des bombes à l’endroit même où il venait de passer.

D’autres soldats saints des derniers jours qu’il connaissait n’eurent pas autant de chance, ce qui lui rappela que Dieu n’épargnait pas toujours les fidèles. L’année précédente, le magazine de l’Église allemand Der Stern avait rapporté que Hermann Seydel, âgé de dix-huit ans, avait été tué sur le front Est de la guerre. Il venait de la branche de Paul. Dans sa notice nécrologique, on lisait : « C’était un jeune homme exemplaire et un membre enthousiaste de l’Église de Jésus-Christ dont se souviendront toutes les personnes qui l’ont connu. »

Avant la guerre, Paul Schwarz avait toujours cherché à faire connaître l’Évangile. Sa femme et lui avaient tous les deux obtenu le témoignage du Rétablissement après avoir lu des brochures missionnaires. À présent, Helene lui envoyait au front des imprimés sur les saints des derniers jours, qu’il distribuait aux hommes de son unité. Les soldats les lisaient souvent pour passer le temps avant la prochaine attaque. Certains se sentirent même poussés à prier.

La bataille de Verdun et les nombreuses batailles sur les autres fronts de la guerre se poursuivirent pendant toute l’année 1916. Les soldats se blottissaient dans les tranchées sombres et crasseuses, livrant d’innombrables batailles cauchemardesques dans la boue et les barbelés du « No Man’s Land », la zone désolée située entre les armées. Paul et d’autres soldats saints des derniers jours des deux camps se raccrochaient à leur foi, trouvant l’espoir dans l’Évangile rétabli tout en priant pour que le conflit se termine.

Tandis que la guerre faisait rage en Europe, au Mexique la révolution était toujours aussi intense. À San Marcos, les troupes zapatistes qui avaient occupé la ville un an plus tôt étaient parties. Cependant, le souvenir de la violence pesait toujours sur la famille Monroy et sur sa branche.

La nuit où les zapatistes avaient envahi San Marcos, Jesusita de Monroy était partie à la recherche d’un chef rebelle, espérant qu’il pourrait faire libérer ses enfants, lorsqu’elle entendit les coups de feu fatidiques. Se précipitant vers la prison, elle trouva son fils Rafael et son ami Vicente Morales morts, victimes des balles des rebelles.

Sa détresse fut immense. Ses hurlements déchirèrent la nuit et se firent entendre jusque dans la pièce où ses filles étaient retenues.

Non loin, quelqu’un dit : « Quel homme courageux ! »

Un autre demanda : « Qu’ont-ils donc trouvé dans sa maison ? »

Jesusita aurait pu répondre. Les zapatistes avaient cherché des armes chez son fils et ils n’avaient rien trouvé. Rafael et Vicente étaient innocents.

Le lendemain matin, Jesusita et Guadalupe, la femme de Rafael, persuadèrent le commandant rebelle de libérer Natalia, Jovita et Lupe. Elles allèrent ensuite récupérer les dépouilles de Rafael et Vicente. Les zapatistes avaient abandonné les corps dehors et une foule de citadins s’était assemblée autour d’eux. Comme personne ne semblait disposé à les aider à porter les corps jusque chez elles, Jesusita et ses filles sollicitèrent l’aide des quelques hommes qui travaillaient dans le ranch de Rafael.

Casimiro Gutierrez, que Rafael avait ordonné à la prêtrise de Melchisédek, dirigea le service funèbre au foyer des Monroy. Plus tard, quelques habitantes de la ville, dont certaines s’étaient exprimées contre les saints, arrivèrent à la porte avec un air coupable et présentèrent leurs condoléances. Leurs paroles n’apportèrent aucun réconfort à la famille Monroy.

Jesusita ne savait plus que faire. Elle envisagea pendant un temps de quitter San Marcos. Des proches invitèrent la famille à venir vivre avec eux mais elle déclina leur offre. Dans une lettre au président de la mission, Rey L. Pratt, elle déclara : « Je ne peux m’y résoudre. Nous ne serions pas bien vus pour le moment car dans ces petites villes, il n’y a ni tolérance ni liberté religieuse. »

Jesusita voulait déménager aux États-Unis, peut-être dans l’État frontalier du Texas. Cependant, frère Pratt, qui supervisait la mission mexicaine depuis son domicile à Manassa, dans le Colorado, lui conseilla de ne pas aller habiter dans un endroit où l’Église n’était pas bien établie. Si elle jugeait nécessaire de déménager, il lui recommandait de choisir un endroit entouré de saints, où le climat serait agréable et où elle pourrait gagner sa vie.

Frère Pratt l’incita également à rester forte. Il écrivit : « Votre foi est l’une des plus grandes sources d’inspiration de ma vie. »

Un an après la mort de son fils, Jesusita vivait toujours à San Marcos. Casimiro Gutierrez était le président de branche. C’était un homme sincère qui cherchait à faire ce qui était le mieux pour la branche mais il avait parfois du mal à mettre en pratique l’Évangile et n’avait pas le talent de Rafael pour diriger. Heureusement, d’autres saints de la branche et des environs firent en sorte que l’Église reste forte à San Marcos.

Le premier dimanche du mois de juillet 1916, les saints tinrent une réunion de témoignage. Chaque membre de la branche témoigna de l’Évangile et de l’espoir qu’il lui donnait. Puis, le 17 juillet, un an après les tueries, les saints se réunirent de nouveau pour se souvenir des martyrs. Ils chantèrent un cantique sur la seconde venue de Jésus-Christ et Casimiro lut un chapitre du Nouveau Testament. Un membre de la branche compara Rafael et Vicente au martyr, Étienne, mort pour son témoignage du Christ.

Guadalupe Monroy prit aussi la parole. Quand les zapatistes eurent été chassés de la région, un de leurs rivaux, un capitaine carranciste, lui avait promis de se venger de l’homme responsable de l’exécution de son mari. Elle lui avait répondu : « Non ! Je ne veux pas qu’une autre femme malheureuse pleure dans la solitude comme je le fais. » Elle croyait que Dieu rendrait justice en son temps.

À présent, un an après la mort de son mari, elle témoigna que le Seigneur lui avait donné la force de persévérer malgré sa douleur. Elle déclara : « Mon cœur est rempli de joie et d’espoir grâce aux magnifiques promesses de l’Évangile destinées aux personnes qui meurent après avoir été fidèles à garder ses lois et ses commandements. »

Jesusita aussi resta un pilier de foi pour sa famille. Elle déclara à frère Pratt : « Notre chagrin a été douloureux mais notre foi est forte et nous n’abandonnerons jamais cette religion. »

Pendant ce temps, en Europe, l’apôtre George F. Richards fut désigné à la place de Hyrum M. Smith pour présider la mission européenne. Avant de rentrer aux États-Unis avec son mari, Ida Smith écrivit une lettre d’adieu remplie de reconnaissance pour ses sœurs de la Société de Secours en Europe.

Elle écrivit : « Au cours des deux dernières années, nous avons assisté à un regain d’intérêt pour la cause de la Société de Secours. Nous avons toutes les raisons d’espérer que l’œuvre continuera de progresser et deviendra une puissance de plus en plus grande en faveur du bien. »

La Société de secours comptait désormais plus de deux mille femmes dans toute l’Europe. De nombreuses unités locales avaient prospéré comme jamais auparavant, associant leurs efforts à ceux de la Croix-Rouge et d’autres organisations afin de réduire la pauvreté et soulager la souffrance pendant la guerre. Ida Smith avait organisé soixante-neuf nouvelles Sociétés de secours pendant sa mission.

Elle espérait maintenant que leur influence s’étendrait encore davantage. Elle écrivit : « Le champ d’action est vaste. J’espère que toutes les sœurs profiteront de chaque occasion pour se faire connaître et exercer leur influence dans un cercle aussi large que possible. » Comme la guerre avait privé les branches de missionnaires et de dirigeants de la prêtrise, Ida Smith avait incité les femmes à trouver du temps pour distribuer des brochures missionnaires.

Elle écrivit : « Dans certains cas, les résultats ont été magnifiques. Beaucoup de portes ont été ouvertes à la prédication grâce à cela. »

À l’automne 1916, le président Richards soutint les efforts des femmes de la région pour être missionnaires dans les villes et les localités où elles vivaient. Il demanda aux dirigeants de mission d’appeler des « femmes missionnaires », de les soutenir lors de conférences, de les mettre à part et de leur remettre un certificat de missionnaire. Il souhaitait aussi que l’on confie aux femmes des responsabilités dans les branches, telles que prier et prendre la parole pendant la réunion de Sainte-Cène, ce qui, avant la guerre, était fait par les hommes.

À Glasgow, en Écosse, plus d’une dizaine de femmes, dont Isabella Blake, la présidente de la Société de Secours de la branche, furent appelées à remplir une mission locale. Isabella éprouvait un grand respect pour Ida Smith. En suivant son exemple, les sœurs de sa Société de Secours et elle avaient œuvré avec d’autres églises pour fournir des vêtements aux soldats et aux marins. Lorsqu’elles envoyaient des paquets au front, elles y joignaient des messages d’encouragement et de reconnaissance pour les soldats. Elles réconfortaient également les nombreuses femmes de Glasgow accablées par la perte d’êtres chers, priant pour que ce terrible conflit se termine.

Un jour, Ida Smith avait conseillé à Isabella Blake : « Quoi que vous fassiez, gardez toujours votre spiritualité bien vivante. » Isabella tâchait de garder ce conseil à l’esprit tandis qu’elle s’acquittait de ses responsabilités. Toutes les nouvelles missionnaires travaillaient la journée et certaines étaient épouses et mères. Elle-même était enceinte de son sixième enfant. Elles consacraient le temps libre dont elles disposaient (leur demi-journée de congé hebdomadaire ou le dimanche) pour distribuer des brochures, enseigner l’Évangile, assister aux réunions de la Société de Secours ou rendre service, par exemple en allant voir les soldats blessés dans les hôpitaux.

Comme d’autres sœurs missionnaires avant elles, les femmes de Glasgow touchèrent le cœur de personnes qui se méfiaient des frères missionnaires américains. Les quartiers ouvriers de leur ville étaient réceptifs au message de l’Évangile. Elle-même convertie locale, Isabella Blake témoignait de sa propre expérience de l’Évangile. En parlant avec les habitants de sa ville, elle se rendit compte de leur gentillesse et de leur désir de trouver la vérité.

Elle témoigna : « Nous sommes une petite poignée de personnes dans ce monde densément peuplé à avoir cette connaissance révélée que les relations familiales continuent de l’autre côté. Nous savons que le Seigneur nous a ouvert la voie et qu’en se conformant à ses exigences, la femme sera rendue à son mari et le mari à sa femme, et ils seront de nouveau unis en Christ Jésus. »

Le bon esprit qui régnait parmi les saints de Glasgow contribua à leur réussite. En travaillant avec les quelques hommes restants dans leur branche, Isabella Blake et les autres sœurs missionnaires ramenèrent à l’Église de nombreuses personnes qui s’étaient éloignées. La Société de Secours ne se réunissait plus deux fois par mois mais quatre fois. Isabella appréciait particulièrement les réunions de témoignages. Elle raconta : « Certains soirs, nous n’avions pas envie de conclure. »

En voyant le succès de la branche de Glasgow et de ses nouvelles missionnaires, Isabella désirait que l’Église soit mieux établie dans la ville. Dans une lettre adressée au bureau de la mission, elle écrivit : « Si nous avions ici une petite église à nous, édifiée dans le seul but d’adorer Dieu et d’accomplir des baptêmes, je crois que cette branche serait la meilleure de la mission britannique. »


Chapitre 13 : Héritiers du salut

En janvier 1917, Susa Gates alla à New York pour rendre visite à une amie malade, Elizabeth McCune, avec qui elle avait servi au sein du bureau général de la Société de Secours. Cet hiver-là, Elizabeth et son mari, Alfred, avaient déménagé à New York pour qu’Alfred puisse y traiter des affaires. Lorsque Susa apprit que son amie était malade, elle accourut pour l’aider à se rétablir. Mais quand elle arriva, Elizabeth se sentait déjà mieux. Elle insista néanmoins pour que son amie reste avec elle et lui tienne compagnie. Pendant son séjour, Susa se rendit dans les bibliothèques de la ville pour effectuer des recherches généalogiques, auxquelles elle consacrait désormais l’essentiel de son temps de service dans l’Église.

Au Danemark, quinze ans plus tôt, elle était tombée gravement malade pendant une réunion du Conseil international des femmes. Elle avait demandé une bénédiction à l’apôtre Francis Lyman, alors président de la mission européenne. Il l’avait bénie afin qu’elle ne craigne pas la mort et lui avait promis qu’elle avait un travail à accomplir dans le monde des esprits. Mais au milieu de la bénédiction, il s’était arrêté pendant quelques minutes. Lorsqu’il avait repris, il avait dit à Susa : « Un conseil a été tenu dans les cieux. Il a été décidé que tu vivrais afin d’accomplir l’œuvre du temple et que tu accomplirais un travail plus important que jamais auparavant. »

Après sa guérison, Susa s’était consacrée à la généalogie et à l’œuvre du temple. Elle avait pris une part active au sein de la société généalogique d’Utah, organisation gérée par l’Église et fondée en 1894 suite à la révélation que Wilford Woodruff avait reçue concernant les scellements du temple. Elle avait commencé à travailler au temple de Salt Lake City, à enseigner la généalogie et à écrire une chronique hebdomadaire sur l’histoire familiale pour le Deseret Evening News.

En 1911, lorsque Susa Gates et Elizabeth McCune étaient devenues membres du bureau général de la Société de Secours, elles s’étaient attachées à faire de la généalogie et de l’œuvre du temple une priorité pour les femmes de l’Église. Elles s’étaient rendues dans des paroisses et des branches des États-Unis et du Canada où elles avaient expliqué aux saints comment rechercher leurs ancêtres. Susa avait également rédigé des leçons de généalogie pour le magazine de la Société de Secours [Relief Society Magazine]. À la demande du bureau général, elle écrivait actuellement un ouvrage de référence pour aider les saints à compiler leur histoire familiale.

Tandis qu’elle était à New York, elle en profita pour chercher aussi des noms de la famille McCune à la bibliothèque. Elle fit également tout son possible pour accorder à Elizabeth l’amour et l’attention dont elle avait besoin.

La veille du départ de Susa, Elizabeth se sentait suffisamment bien pour assister à une réunion de la Société de Secours en ville, au siège de la mission des États de l’Est. Susa parla aux femmes des recherches généalogiques. Il y avait peu de saintes des derniers jours à New York, mais elle ressentit avec puissance l’Esprit parmi elles.

Sur le chemin du retour, Susa s’arrêta dans deux autres villes pour rendre visite aux saints. Après une réunion, un président de branche vint lui parler. Il lui dit : « J’ai toujours apprécié le témoignage des personnes âgées et j’aime les entendre parler de leurs expériences. »

Susa rit intérieurement. « Tu es une personne âgée, Susa, tu entends ? » se dit-elle. Elle avait soixante ans, mais elle avait encore des années devant elle et tellement de travail à accomplir.

Au début de la conférence générale de l’Église d’avril 1917, Joseph F. Smith déclara : « Nous vivons à une époque cruciale. » En Utah, les journaux ne cessaient de publier des articles alarmants relatant les agressions allemandes contre les États-Unis. Pendant deux ans et demi, les États-Unis étaient restés neutres. Cependant, l’Allemagne avait récemment opté pour une politique de guerre sous-marine à outrance et les navires américains étaient désormais susceptibles d’être attaqués. Les représentants du gouvernement allemand avaient également cherché à conclure une alliance avec le Mexique, afin de pouvoir attaquer les États-Unis par le sud. Le Congrès des États-Unis avait réagi en autorisant le président Woodrow Wilson à déclarer la guerre à l’Allemagne.

À la chaire du tabernacle de Salt Lake City, le président Smith comprenait l’angoisse et la crainte de nombreux saints de l’assemblée. Il les incita à chercher la paix, le bonheur et le bien-être de la famille humaine. Il déclara : « Si, aujourd’hui, nous faisons notre devoir de membres de l’Église et de citoyens de notre État, nous n’avons pas à craindre ce que l’avenir nous réserve. »

Plus tard dans la journée, le président Wilson déclara officiellement la guerre. Près de cinq mille jeunes hommes d’Utah s’enrôlèrent, dont la plupart étaient des saints des derniers jours. Beaucoup de femmes de l’Église se joignirent à la Croix-Rouge en tant qu’infirmières de guerre. Les saints américains qui ne pouvaient pas s’engager dans les forces armées trouvèrent d’autres moyens de soutenir leur pays. Ils achetaient notamment des « obligations pour la liberté [Liberty Bonds] » émises par le gouvernement pour financer la guerre. Betty McCune, la fille d’Elizabeth, apprit à conduire et à entretenir une automobile, et devint ambulancière. B. H. Roberts, des soixante-dix, se porta volontaire pour être l’un des trois aumôniers saints des derniers jours de l’armée.

Peu après la conférence générale, Joseph F. Smith se rendit à Hawaï pour suivre l’avancement des travaux du temple de Laie. Sous la direction des contremaîtres, Hamana Kalili et David Haili, les ouvriers avaient déjà terminé l’extérieur du temple et s’affairaient à finir l’intérieur. Construit en béton armé et en roches de lave extraites des montagnes voisines, le temple de Hawaï était en forme de croix et n’avait pas de clocher. Des sculptures en ciment représentant des scènes scripturaires, réalisées par Leo et Avard Fairbanks, artistes venus d’Utah, ornaient l’extérieur du bâtiment.

En octobre, un mois avant son soixante-dix-neuvième anniversaire, le prophète déclara aux saints qu’il commençait à se sentir vieux. Il dit : « Je pense que je suis à peu près aussi jeune d’esprit que je l’ai jamais été mais mon corps fatigue. Permettez-moi de vous dire que, parfois, mon pauvre vieux cœur tremble considérablement. »

Sa santé continua de se dégrader jusqu’à la fin de l’année. Au début de l’année 1918, il commença à consulter un médecin régulièrement. À la même époque, son fils Hyrum tomba lui aussi malade. Seize mois s’étaient écoulés depuis qu’il avait été relevé de son appel de président de la mission européenne. Pendant cette période, il avait été en bonne santé et fort. Néanmoins, Joseph s’inquiétait. Hyrum avait toujours tenu une place particulière dans son cœur. Son dévouement et son service au Seigneur le comblaient de joie. Il lui faisait penser à son propre père, le patriarche Hyrum Smith.

La santé de Hyrum se dégradait de jour en jour. Il ressentait une grande douleur au niveau de l’abdomen, symptôme d’une appendicite. Ses amis le suppliaient d’aller à l’hôpital pour se faire opérer mais il refusait. Il disait : « J’ai obéi à la Parole de Sagesse ; le Seigneur prendra soin de moi. »

Le 19 janvier, la douleur devint presque insupportable. Ida, la femme de Hyrum, prévint immédiatement Joseph qui pria avec ferveur pour la guérison de son fils. Pendant ce temps, les apôtres Orson F. Whitney et James E. Talmage vinrent au chevet de Hyrum et veillèrent sur lui pendant la nuit. Un groupe de médecins et de spécialistes, dont Ralph T. Richards, le neveu de Joseph, s’occupèrent également de lui.

Après l’avoir examiné, le docteur Richards craignit que Hyrum n’ait attendu trop longtemps avant de se tourner vers la médecine et il le supplia d’aller à l’hôpital. Il l’avertit : « Si tu y vas maintenant, il n’y a qu’une chance sur mille que tu t’en sortes. Vas-tu la saisir ?

– Oui, » répondit Hyrum.

À l’hôpital, les médecins firent deux radios et décidèrent de retirer l’appendice de Hyrum. Pendant l’opération, le docteur Richards découvrit que l’organe s’était rompu, répandant des bactéries toxiques dans tout l’abdomen du malade.

Hyrum survécut mais Joseph resta affaibli par l’angoisse et passa l’après-midi allongé, incapable de manger. Le soir, son fils semblant reprendre des forces, il fut réconforté. Soulagé et plein de reconnaissance, il se consacra de nouveau à ses responsabilités de président de l’Église.

Trois jours après l’opération de Hyrum, Joseph reçut un appel téléphonique de l’hôpital. Malgré de nombreuses prières et le travail consciencieux des médecins, Hyrum était décédé. Joseph était abasourdi. Il avait besoin de Hyrum. L’Église avait besoin de Hyrum. Pourquoi sa vie n’avait-elle pas été épargnée ?

Accablé par le chagrin, Joseph épancha son angoisse dans son journal. Il écrivit : « Mon âme est déchirée. Et maintenant, que puis-je faire ! Oh ! Que puis-je faire ? Mon âme est déchirée et mon cœur brisé ! Oh ! Que Dieu me vienne en aide ! »

Les jours suivant la mort de Hyrum, le chagrin pesait sur la famille Smith. Des saints remettaient en cause sa décision de ne pas se rendre immédiatement à l’hôpital. Certains disaient : « Il aurait pu vivre s’il s’y était rendu dès qu’on le lui a dit. » Charles Nibley, évêque président et ami proche de la famille, était du même avis. Il fit remarquer que la foi de Hyrum dans la Parole de Sagesse était louable mais que le Seigneur avait également mis à leur disposition des femmes et des hommes compétents, formés scientifiquement pour prendre soin du corps.

Cherchant du réconfort pendant ce deuil, les membres de la famille Smith se réunirent à la Beehive House(La Ruche), l’ancienne demeure de Brigham Young, où vivait Joseph F. Smith. Le fait de se réunir atténua un peu leur tristesse et leur donna l’occasion de se réjouir de la vie honorable et fidèle de Hyrum. Cependant, tous restaient sous le choc de sa mort.

Ida, sa veuve, ne disait rien tant elle était submergée de chagrin. Ils avaient été mariés pendant vingt-deux ans. Hyrum lui disait parfois : « Écoute, si je meurs le premier, je ne vais pas te laisser ici très longtemps. » C’était une façon enjouée de lui montrer son amour et sa tendresse. Ni lui ni Ida n’avaient imaginé qu’il mourrait si jeune et de manière si inattendue.

Le 21 mars 1918, jour du quarante-sixième anniversaire de Hyrum, Ida invita les amis les plus proches de son mari chez elle pour une petite fête en souvenir de lui. Alors qu’ils évoquaient son souvenir, racontant parfois des histoires amusantes, la conversation devint plus profonde. Orson F. Whitney, ami de longue date du couple, récita un poème sur le plan parfait de Dieu pour ses enfants.

Un jour, quand toutes les leçons de la vie auront été apprises,

Et quand le soleil et les étoiles pour toujours se seront couchés,

Les choses que, dans notre faible jugement, nous n’avions pas comprises,

Les choses sur lesquelles, à chaudes larmes, nous avions tant pleuré,

Hors de la nuit sombre paraîtront devant nous, devenues claires enfin,

Pareilles aux étoiles qui, dans un ciel profond, brillent encore plus belles.

Alors nous verrons que tous les plans de Dieu étaient pour notre bien,

Et que les reproches apparents cachaient l’amour le plus fidèle !

Ida fut touchée par le poème. Elle confia à Orson qu’elle aspirait à entendre un tel message depuis la mort de Hyrum. Cependant, la soirée mit ses émotions à rude épreuve. Lorsque les invités se réunirent autour de la table pour manger, elle ne put s’empêcher de pleurer en voyant la chaise vide qu’occupait habituellement Hyrum.

Elle trouvait un peu de consolation dans le fait qu’elle allait avoir un autre bébé. Peu après la mort de son mari, elle avait découvert qu’elle était enceinte. Elle demanda immédiatement à sa sœur aînée, Margaret, d’emménager avec elle pour l’aider à s’occuper des quatre autres enfants, âgés de dix-neuf à six ans. Margaret accepta.

Tout l’été, Ida était en bonne santé mais elle agissait comme si elle se préparait à mourir. Margaret lui disait : « Tu vas très bien. Tu ne vas pas mourir. »

Pourtant, vers la fin de sa grossesse, elle semblait convaincue qu’elle ne vivrait pas longtemps après la naissance de son enfant. Lors d’une visite chez sa belle-mère, Edna Smith, Ida s’exprima comme si elle était impatiente d’être avec Hyrum dans le monde des esprits. Elle disait qu’ils pourraient accomplir une œuvre importante ensemble de l’autre côté du voile.

Le mercredi 18 septembre, Ida accoucha d’un petit garçon en bonne santé. Plus tard, elle dit à sa mère que Margaret l’élèverait. Elle expliqua : « Je sais que je vais retourner chez moi, auprès de Hyrum, et que je vais devoir laisser mes enfants. S’il vous plaît, priez pour mon bébé et mes chers enfants. Je sais que le Seigneur les bénira. »

Le dimanche suivant, Ida eut l’impression toute la journée que Hyrum était à ses côtés. Elle affirma à sa famille : « J’ai entendu sa voix. J’ai senti sa présence. »

Quelques jours plus tard, son neveu entra précipitamment chez lui et dit à sa mère : « Je viens de voir oncle Hyrum entrer chez tante Ida.

– C’est ridicule, répondit sa mère. Il est mort.

– Je l’ai vu, insista le garçon. Je l’ai vu de mes propres yeux. »

Ils se rendirent tous les deux chez la famille Smith, qui habitait tout près. Là, ils découvrirent le corps sans vie d’Ida. Plus tôt dans la soirée, elle était décédée d’une insuffisance cardiaque.

La famille de Joseph F. Smith ne lui annonça pas immédiatement qu’Ida était décédée, de peur de l’anéantir. La mort de Hyrum l’avait fragilisé et il s’était rarement montré en public au cours des cinq derniers mois. Cependant, le lendemain de la mort d’Ida, des membres de sa famille lui amenèrent le nouveau-né et il pleura en bénissant le bébé et en lui donnant le nom de Hyrum. Ils l’informèrent alors du décès d’Ida.

À la surprise générale, Joseph reçut la nouvelle avec calme. Tant de souffrance et de douleur s’étaient abattues sur le monde ces derniers temps ! Les journaux quotidiens publiaient des rapports effroyables sur la guerre. Des millions de soldats et de civils avaient déjà été tués, et des millions d’autres étaient mutilés et blessés. Plus tôt cet été-là, les soldats de l’Utah étaient arrivés en Europe et avaient été témoins de la brutalité implacable de la guerre. D’autres jeunes saints des derniers jours se préparaient à rejoindre le combat, y compris certains des fils de Joseph. Son fils Calvin était déjà sur le front en France, servant aux côtés de B. H. Roberts en tant qu’aumônier militaire.

Une souche mortelle de grippe commençait également à faire des victimes dans le monde entier, ajoutant à la douleur et au chagrin de la guerre. Le virus se propageait à une vitesse alarmante. L’Utah était sur le point de fermer ses théâtres, ses églises et ses lieux publics dans l’espoir de stopper la vague de maladie et de mort.

Le 3 octobre 1918, Joseph F. Smith était assis dans sa chambre, méditant sur l’expiation de Jésus-Christ et la rédemption du monde. Il ouvrit le Nouveau Testament au premier livre de Pierre, qui décrivait le Sauveur prêchant aux esprits dans le monde des esprits. Il lut : « Car l’Évangile a été aussi annoncé aux morts, afin que, après avoir été jugés comme les hommes quant à la chair, ils vivent selon Dieu quant à l’Esprit. »

Tandis qu’il méditait sur ces Écritures, le prophète sentit l’Esprit descendre sur lui, ouvrant les yeux de son intelligence. Il vit une foule rassemblée dans le monde des esprits. Des femmes et des hommes justes, morts avant le ministère terrestre du Sauveur, attendaient avec joie son avènement pour qu’il déclare leur libération des liens de la mort.

Le Sauveur apparut à la multitude et les esprits des justes se réjouirent de leur rédemption. Ils s’agenouillèrent devant lui, le reconnaissant comme leur Sauveur, celui qui les avait délivrés de la mort et des chaînes de l’enfer. Leur visage brillait et la lumière qui se dégageait de la présence du Seigneur rayonnait autour d’eux. Ils chantèrent des louanges en son nom.

Émerveillé par sa vision, Joseph repensa aux paroles de Pierre. Les esprits désobéissants était bien plus nombreux que les justes. Comment le Sauveur avait-il pu, au cours de sa brève visite dans le monde des esprits, prêcher son Évangile à tous ces gens ?

Les yeux de Joseph furent à nouveau ouverts et il comprit que le Sauveur n’avait pas visité en personne les esprits désobéissants. Il avait organisé les esprits des justes, désigné des messagers et les avait chargés de porter le message de l’Évangile aux esprits dans les ténèbres. Ainsi, toutes les personnes décédées en transgression ou sans avoir connu la vérité recevraient des enseignements sur la foi en Dieu, le repentir, le baptême par procuration pour la rémission des péchés, le don du Saint-Esprit et tous les autres principes fondamentaux de l’Évangile.

En promenant son regard sur la vaste assemblée des esprits des justes, Joseph vit Adam et ses fils Abel et Seth. Il vit Ève avec ses filles fidèles qui avaient adoré Dieu à travers les âges. Noé, Abraham, Isaac, Jacob et Moïse étaient également présents, ainsi qu’Ésaïe, Ézéchiel, Daniel et d’autres prophètes de l’Ancien Testament et du Livre de Mormon. Il y avait aussi Malachie, le prophète qui avait prédit qu’Élie viendrait implanter dans le cœur des enfants les promesses faites aux pères, préparant ainsi la voie à l’œuvre du temple et à la rédemption des morts dans les derniers jours.

Joseph F. Smith vit également Joseph Smith, Brigham Young, John Taylor, Wilford Woodruff et d’autres personnes qui avaient posé les fondements du Rétablissement. Parmi eux se trouvait son père martyr, Hyrum Smith, qu’il n’avait pas vu depuis soixante-quatorze ans. Ces hommes faisaient partie des esprits nobles et grands, choisis avant de venir sur la terre afin d’œuvrer dans les derniers jours pour le salut de tous les enfants de Dieu.

Le prophète comprit que les frères fidèles de cette dispensation poursuivraient leur travail après cette vie en prêchant l’Évangile aux esprits qui se trouvaient dans les ténèbres et sous l’emprise du péché.

Il observa : « Les morts qui se repentent seront rachetés en obéissant aux ordonnances de la maison de Dieu. Et, lorsqu’ils auront payé le prix de leurs transgressions et auront été purifiés, ils recevront une récompense selon leurs œuvres, car ils sont héritiers du salut. »

Lorsque la vision prit fin, Joseph médita sur toutes les choses qu’il avait vues. Le lendemain matin, les saints furent surpris de le voir participer à la première session de la conférence générale d’octobre, malgré sa santé fragile. Déterminé à prendre la parole devant l’assemblée, il se tint tant bien que mal à la chaire, l’effort le faisant trembler de tout son corps. Il dit : « Pendant plus de soixante-dix ans, j’ai travaillé à cette cause avec vos pères et vos ancêtres. Mon cœur est tout aussi fermement attaché à vous aujourd’hui qu’il l’a jamais été. »

N’ayant pas la force de parler de sa vision sans être submergé par l’émotion, il se contenta d’y faire allusion. Il déclara devant l’assemblée : « Je n’ai pas vécu seul pendant ces cinq derniers mois. J’ai vécu dans un esprit de prière, de supplication, de foi et de détermination et j’ai sans cesse communiqué avec l’Esprit du Seigneur. »

Il poursuivit : « Pour moi, la réunion de ce matin est source de joie. Que Dieu Tout-Puissant vous bénisse. »

Environ un mois après la conférence générale d’octobre, Susa et Jacob Gates se rendirent à la Beehive House pour récupérer une caisse de pommes chez la famille Smith. À leur arrivée, Joseph F. Smith demanda à Susa de le rejoindre dans a chambre où il était alité, malade depuis des semaines.

Susa s’efforça de le réconforter, tout comme il l’avait fait par le passé pour sa famille. Cependant, son service dans l’Église était source de découragement. À l’exception d’Elizabeth McCune, qui avait fait don d’un million de dollars à la société généalogique d’Utah l’année précédente, peu de femmes du bureau général de la Société de Secours semblaient enthousiasmées par l’histoire familiale et l’œuvre du temple. Certains membres du bureau avaient même proposé d’arrêter les leçons mensuelles de généalogie de la Société de Secours ; les dirigeantes de la Société de Secours de pieu estimaient qu’elles étaient trop complexes et manquaient de spiritualité.

En parlant à Susa, Joseph la rassura : « Susa, vous faites un travail excellent. »

Embarrassée, elle répondit : « Il est vrai que je suis bien occupée. »

Il insista : « Vous faites un travail excellent, plus grandiose que vous ne le pensez. » Il lui dit qu’il l’aimait pour sa foi et son dévouement à la vérité. Il demanda ensuite à Julina, sa femme, de lui apporter un document. Pendant qu’elle le faisait, Jacob et quelques autres personnes les rejoignirent dans la chambre.

Tandis qu’ils étaient ainsi rassemblés, Joseph demanda à Susa de lire le document. Elle le prit et fut étonnée par ce qu’elle lisait. En tant que prophète, Joseph s’était toujours montré prudent lorsqu’il parlait de la révélation et d’autres sujets spirituels. Mais ici, entre ses mains, se trouvait le récit de la vision qu’il avait eue du monde des esprits. Dix jours après la conférence générale, il avait dicté la révélation à l’un de ses fils, l’apôtre Joseph Fielding Smith. Puis, le 31 octobre, la Première Présidence et le Collège des Douze avaient lu la vision et approuvé pleinement son contenu.

En lisant la révélation, Susa fut émue par le fait qu’elle mentionnait Ève et d’autres femmes servant aux côtés des prophètes dans la même grande œuvre. C’était la première fois, à sa connaissance, qu’une révélation parlait de femmes travaillant avec leur mari et leur père pour le Seigneur.

Plus tard, après avoir dit au revoir à Joseph et sa famille, Susa se sentit bénie d’avoir lu la révélation avant qu’elle soit rendue publique. Elle écrivit dans son journal : « Oh, quel réconfort ce fut pour moi ! Savoir que les cieux sont toujours ouverts, qu’Ève et ses filles ne sont pas oubliées, et par dessus tout, recevoir ceci au moment où il est tellement nécessaire de promouvoir l’œuvre du temple, d’encourager les servants du temple et de donner un nouvel élan aux recherches généalogiques. »

Elle avait hâte qu’Elizabeth McCune en ait connaissance. Dans une lettre, elle lui expliqua : « C’est une vue ou une vision de tous ces grands personnages qui œuvrent de l’autre côté pour le salut des esprits en prison. Imaginez l’impulsion que cette révélation donnera à l’œuvre du temple dans toute l’Église ! »

En Europe, le 11 novembre 1918, les armées signèrent l’armistice, mettant fin à quatre années de guerre. Cependant, la pandémie de grippe continuait à se propager, laissant dans son sillage des millions de victimes. Dans de nombreux endroits, le rythme de la vie quotidienne avait été interrompu. Les gens commençaient à porter des masques de tissu, se couvrant le nez et la bouche afin de se protéger et de limiter la propagation du virus. Les journaux publiaient régulièrement le nom des défunts.

Une semaine après le cessez-le-feu, Heber J. Grant rendit visite à Joseph F. Smith, à la Beehive House. Heber était maintenant président du Collège des douze apôtres, ce qui faisait de lui le prochain homme à diriger l’Église. Il n’était pas impatient d’endosser les responsabilités du président de l’Église. Il avait espéré et prié pour que Joseph vive douze ans de plus, assez longtemps pour célébrer le centième anniversaire de l’Église. Et il ne pensait toujours pas que Joseph mourrait.

À la Beehive House, David, le fils de Joseph, lui ouvrit la porte et le pria d’aller parler avec son père. Heber hésita, ne voulant pas déranger le prophète.

David insista : « Vous feriez mieux d’aller le voir. C’est peut-être votre dernière chance. »

Heber trouva Joseph allongé dans son lit, éveillé et respirant péniblement. Joseph lui prit la main et la serra fermement. Heber le regarda dans les yeux et perçut l’amour que le prophète éprouvait à son égard.

Joseph dit : « Que le Seigneur vous bénisse, mon garçon. Vous avez une grande responsabilité. N’oubliez jamais que c’est l’œuvre du Seigneur et non celle de l’homme. Le Seigneur est plus grand que tout homme. Il sait qui il veut voir diriger son Église et ne se trompe jamais. »

Joseph lui relâcha la main. Heber se retira dans un bureau voisin et pleura. Il rentra chez lui, prit son repas du soir puis retourna voir Joseph une dernière fois. Anthon Lund, conseiller de Joseph dans la Première Présidence, était présent, avec les épouses de Joseph et plusieurs de ses fils. Joseph ressentait des douleurs intenses et il demanda à Heber et Anthon de lui donner une bénédiction.

Il dit : « Frères, priez pour que je sois libéré. »

Les deux hommes et les fils de Joseph lui placèrent leurs mains sur la tête. Ils parlèrent de la joie et du bonheur qu’ils avaient connus en travaillant avec lui. Ensuite, ils demandèrent au Seigneur de le rappeler à lui.


Chapitre 14 : Des sources de lumière et d’espérance

Après avoir quitté le chevet de Joseph F. Smith, Heber J. Grant rentra chez lui. Ne parvenant pas à dormir, il lut et relut le dernier discours de conférence du président Smith, en pleurant à la pensée du prophète mourant. Enfant, il était transporté lorsqu’il écoutait Joseph F. Smith, alors apôtre, s’adresser à sa paroisse. Encore aujourd’hui, Heber était impressionné par ses enseignements. Il trouvait ses propres discours insipides en comparaison.

Heber s’endormit peu après six heures et demie du matin. À son réveil, il apprit que le président Smith avait été emporté par une pneumonie.

Quelques jours plus tard, la famille et les amis du prophète se réunirent au cimetière. Comme la grippe s’était propagée dans tout l’Utah, le conseil de santé de l’État avait interdit tout rassemblement public. Les proches du défunt avaient donc organisé des funérailles privées. Heber rendit un bref hommage à son ami. Il déclara : « Il était le genre d’homme que j’aimerais être. Jamais personne n’a eu un témoignage plus puissant du Dieu vivant et de notre Rédempteur. »

Le 23 novembre 1918, le lendemain des funérailles, les apôtres et le patriarche de l’Église mirent à part Heber J. Grant en tant que président de l’Église, et Anthon Lund et Charles Penrose en tant que conseillers. Ses amis affirmaient avoir confiance en son rôle de dirigeant mais Heber doutait de sa capacité à suivre les pas du président Smith. Il était membre du Collège des douze apôtres depuis l’âge de vingt-cinq ans mais il n’avait jamais fait partie de la Première Présidence. En revanche, le président Smith avait occupé le poste de conseiller pendant des décennies avant d’être président de l’Église.

La présidence de Joseph F. Smith avait été marquée par de grandes réussites. Le nombre de membres de l’Église avait presque doublé et avoisinait maintenant les cinq cent mille. Le président Smith avait entrepris une réforme générale des collèges de la prêtrise, clarifiant les devoirs des offices de la Prêtrise d’Aaron et normalisant les réunions et les leçons des collèges et des organisations de l’Église. Il avait également montré l’Église sous un meilleur jour en donnant des interviews à la presse et en abordant des sujets controversés sur d’anciennes pratiques et sur des enseignements qui avaient été donnés par le passé dans l’Église. En 1915, il avait instauré la « soirée familiale », en demandant aux familles de consacrer une soirée par mois à la prière, au chant, à l’enseignement de l’Évangile et aux jeux.

Submergé par tous ces accomplissements, Heber J Grant perdait petit à petit le sommeil. Pour alléger le fardeau que représentait son nouvel appel, la Première Présidence délégua certaines des nombreuses responsabilités qu’assumait le président Smith. Comme ce dernier, Heber J Grant était le président du bureau général d’éducation de l’Église, mais il appela l’apôtre David O. McKay au poste de directeur général de l’École du Dimanche. Il désigna l’apôtre Anthony Ivins pour diriger la Société d’Amélioration Mutuelle des jeunes gens. En revanche, du fait de son expérience d’homme d’affaires dans le domaine des banques et des assurances, Heber décida de superviser lui-même les entreprises gérées par l’Église.

Cependant, l’anxiété ne l’avait pas quitté. Ses amis et d’autres dirigeants de l’Église insistèrent pour qu’il prenne des vacances avec sa femme, Augusta, sur la côte californienne. Là, pour la première fois depuis la mort du président Smith, Heber réussit à bien dormir. Quelques semaines plus tard, de retour à Salt Lake City, il était reposé et prêt à se remettre à l’ouvrage.

Pendant les premiers mois de l’année 1919, le président Grant ne put s’adresser aux saints aussi souvent qu’il l’aurait souhaité, à cause de la pandémie de grippe. Plus de mille membres de l’Église avaient déjà succombé à la maladie. Par précaution, Heber et ses conseillers décidèrent de reporter la conférence générale à la première semaine de juin. Avant sa mort, le président Smith avait instauré des pratiques inspirées qui protégeraient les saints lorsqu’ils recommenceraient à tenir régulièrement des réunions de Sainte-Cène.

Par le passé, ils buvaient dans la même coupe quand ils prenaient la Sainte-Cène. Cependant, au début des années 1910, les microbes étant mieux connus, le président Smith avait recommandé l’utilisation de gobelets de Sainte-Cène individuels, en verre ou en métal. Heber J. Grant comprenait bien l’intérêt d’une telle mesure pour lutter contre les maladies infectieuses.

En novembre, lorsque la pandémie se fut calmée, Heber se rendit à Hawaï pour consacrer le temple de Laie. Une fois de plus, il ne put s’empêcher de se comparer au président Smith, qui s’était adressé à ce peuple dans sa langue et comprenait ses coutumes.

Le temple était plein à craquer à l’occasion de la consécration. Pour de nombreuses personnes, cette journée était l’aboutissement d’années de prières sincères et de service fidèle. Les saints qui s’étaient installés dans la colonie hawaïenne d’Iosepa, en Utah, pour se rapprocher du temple de Salt Lake City, étaient revenus dans leur terre natale afin d’adorer Dieu et de le servir dans le nouveau temple.

Comme ses prédécesseurs, le président Grant avait préparé la prière de consécration. Il avait ressenti l’inspiration de l’Esprit en dictant la prière à son secrétaire. Il dit à Augusta : « Elle est tellement plus grandiose que mes prières habituelles ! Je remercie le Seigneur de tout mon cœur de m’avoir aidé à la préparer. »

Debout dans la salle céleste, il mentionna avec reconnaissance Joseph F. Smith, George Q. Cannon, Jonathan Napela et les autres personnes qui avaient établi l’Église à Hawaï. Il demanda au Seigneur de bénir les membres de l’Église dans les îles du Pacifique en leur donnant le pouvoir de trouver leur généalogie et d’accomplir les ordonnances salvatrices pour leurs morts.

Plus tard, Heber J. Grant écrivit à ses filles pour leur raconter son expérience. Il avoua : « J’étais très inquiet et je craignais que lors de ces réunions, nous ressentions moins d’inspiration qu’en la présence du président Smith. Cependant, je comprends maintenant que mon angoisse n’était pas justifiée. »

Pendant que Heber J. Grant était à Hawaï, Amy Brown Lyman, secrétaire générale de la Société de Secours, revenait d’une conférence de travailleurs sociaux professionnels où elle avait pris la parole. Depuis trois ans, elle assistait à des conférences de ce genre afin de se tenir au courant des dernières méthodes pour venir en aide aux pauvres et aux nécessiteux. Elle pensait que celles-ci seraient bénéfiques aux actions caritatives de la Société de Secours qui, depuis peu, se reposait de plus en plus sur des organisations extérieures, comme la Croix-Rouge, pour aider les saints en difficulté.

Amy avait commencé à s’intéresser au travail social des années plus tôt quand son mari, Richard Lyman, faisait des études d’ingénierie à Chicago. À l’époque, de nombreux citoyens américains en faveur d’une réforme faisaient la promotion de remèdes scientifiques pour lutter contre la pauvreté, l’immoralité, la corruption politique et d’autres problèmes sociaux. Amy avait œuvré avec plusieurs associations caritatives à Chicago, ce qui l’avait incitée à effectuer le même travail en Utah.

Depuis, Amy avait été désignée par le bureau général de la Société de Secours pour diriger le nouveau département des services sociaux de l’Église afin de superviser l’aide apportée aux saints dans le besoin, former les membres de la Société de Secours aux méthodes d’aide modernes et coordonner les activités avec d’autres organisations caritatives. Cette tâche coïncidait avec son service au sein du comité consultatif social de l’Église, composé de membres des Douze et de représentants de chaque organisation de l’Église. Il avait pour but de développer la moralité et le bien-être temporel des membres de l’Église.

À l’issue de la conférence sur le travail social, Amy essaya de mettre en pratique ce qu’elle avait appris. Cependant, toutes les femmes membres du bureau général de la Société de Secours n’étaient pas aussi enthousiastes. Comme certaines travailleuses sociales étaient rémunérées, Susa Gates estimait que l’on transformait en activité lucrative un travail qui devait être bénévole. Elle craignait également que le travail social ne remplace le modèle révélé de service caritatif de l’Église, les évêques étant désignés pour collecter et distribuer l’aide aux nécessiteux. Elle craignait surtout que le travail social ne se concentre davantage sur le bien-être temporel que sur le développement spirituel des enfants de Dieu, pierre angulaire du message de la Société de Secours.

Le bureau étudia les points de vue de Susa Gates et d’Amy Lyman avant de parvenir à un compromis. Il fut décidé que les organisations telles que la Croix-Rouge ne devaient pas être les premiers responsables des soins accordés aux saints car c’était le devoir sacré de la Société de Secours. Cependant, on accepta de former les Sociétés de Secours de paroisse aux méthodes modernes de travail social, d’employer un petit nombre de travailleuses sociales rémunérées et d’étudier chaque demande d’assistance pour s’assurer que l’aide était correctement distribuée. Les évêques restaient responsables en dernier ressort de la distribution des offrandes de jeûne mais ils coordonneraient leurs efforts avec les présidentes des Sociétés de Secours et les travailleurs sociaux.

À partir de 1920, les membres de la Société de Secours suivirent un cours mensuel sur le travail social. Le comité consultatif social organisa également un cours d’institut d’été de six semaines à l’université Brigham Young pour former de nouveaux travailleurs sociaux. Près de soixante-dix représentantes venant de soixante-cinq Sociétés de Secours de pieu y participèrent. Elles apprirent à évaluer les besoins d’une personne ou d’une famille et à déterminer la meilleure façon de lui venir en aide. Amy Lyman supervisait les cours d’institut sur la santé, le bien-être de la famille et d’autres sujets connexes. L’institut recruta un spécialiste du travail social originaire de la ville de New York pour qu’il donne des conférences.

En juillet 1920, lorsque le cours prit fin, les femmes qui l’avaient suivi reçurent six heures de crédit universitaire. Amy était satisfaite car elles pouvaient maintenant retourner dans leurs Sociétés de Secours locales et transmettre ce qu’elles avaient appris. Leur œuvre auprès des saints n’en serait que plus efficace.

Trois mois plus tard, le président Grant annonça que l’apôtre David O. McKay se rendrait en Asie et dans le Pacifique pour s’informer des besoins des saints dans ces régions. Il déclara au journal Deseret News : « Il fera une enquête générale sur les missions, étudiera les conditions de vie et recueillera des données et et des renseignements d’ordre général. » Hugh Cannon, président de pieu de Salt Lake City, voyagerait avec lui.

Le 4 décembre 1920, les deux hommes quittèrent Salt Lake City et firent un premier arrêt au Japon, où vivaient environ cent trente saints. Ils visitèrent ensuite la péninsule coréenne et se rendirent en Chine, où frère McKay consacra le pays pour l’œuvre missionnaire qui s’accomplirait à l’avenir. De là, ils se rendirent à Hawaï, où ils assistèrent à une cérémonie de lever du drapeau effectuée par des enfants hawaïens, américains, japonais, chinois et philippins de l’école de la mission de Laie, l’une des dizaines de petites écoles appartenant à l’Église que frère McKay avait l’intention d’étudier au cours de ses voyages.

Cette cérémonie inspira l’apôtre, qui portait un intérêt tout particulier aux écoles de l’Église. Depuis peu, le président Grant l’avait appelé en tant que commissaire à l’éducation de l’Église, un nouveau poste qui complétait ses responsabilités de président général de l’École du Dimanche. En tant que tel, frère McKay gérait le département d’éducation de l’Église, qui faisait l’objet de nombreux changements.

Pendant plus de trente ans, l’Église avait dirigé des établissements scolaires gérés par des pieux au Mexique, au Canada et aux États-Unis, ainsi que des écoles gérées par des missions dans le Pacifique. Cependant, au cours de la dernière décennie, un grand nombre de jeunes saints d’Utah et des environs avaient commencé à fréquenter les établissements d’enseignement secondaire publics gratuits. Ces écoles ne dispensant pas d’instruction religieuse, de nombreux pieux avaient mis en place un « séminaire » à proximité des établissements pour permettre aux étudiants saints des derniers jours de continuer d’en recevoir une.

Le succès du programme du séminaire poussa frère McKay à commencer à fermer les établissements scolaires de pieu. Il n’en resta pas moins convaincu que l’école de Laie et d’autres écoles internationales gérées par les missions, notamment l’établissement scolaire du pieu de Juárez, au Mexique, faisaient un travail essentiel et devaient conserver le soutien de l’Église.

Ils quittèrent Hawaï pour se rendre à Tahiti, puis en Nouvelle-Zélande, sur l’île du Nord, Te Ika-a-Māui. Là, ils montèrent dans un train en direction de Huntly, ville située près d’une grande prairie où les saints maoris tenaient leur conférence de l’Église et festival annuels. Aucun apôtre ne s’était rendu en Nouvelle-Zélande auparavant et des centaines de saints se réunirent pour entendre le discours de frère McKay. Deux grandes tentes et plusieurs plus petites avaient été montées dans la prairie.

Quand frère McKay et le président Cannon arrivèrent à la conférence, Sid Christy, petit-fils de Hirini et Mere Whaanga, courut à leur rencontre. Il avait grandi en Utah et vivait depuis peu en Nouvelle-Zélande. Il emmena les deux hommes vers les tentes. Des cris de bienvenue retentissaient sur leur passage : « Haere Mai ! Haere Mai !

Le lendemain, frère McKay prit la parole devant les saints dans l’une des grandes tentes. Nombre d’entre eux parlaient anglais, cependant il craignait que certains ne le comprennent pas. Il s’excusa de ne pas pouvoir leur parler dans leur langue. Il déclara : « Je vais prier pour que, tandis que je parle dans ma propre langue, vous ayez le don de l’interprétation et du discernement. L’Esprit du Seigneur vous témoignera de mes paroles, prononcées sous l’inspiration du Seigneur. »

Tandis qu’il parlait de l’unité au sein de l’Église, il remarqua que beaucoup de saints l’écoutaient attentivement. Il vit des larmes dans leurs yeux et il sut que certains d’entre eux avaient reçu l’inspiration afin de le comprendre. À la fin de son sermon, Stuart Meha, son interprète maori, répéta aux saints qui ne l’avaient pas compris les principaux points qu’il avait évoqués.

Quelques jours plus tard, frère McKay prit de nouveau la parole. Il prêcha au sujet de l’œuvre par procuration pour les morts. Depuis qu’un temple avait été édifié à Hawaï, les saints néo-zélandais avaient un meilleur accès aux ordonnances du temple. Il se situait tout de même à des milliers de kilomètres et s’y rendre se faisait au prix d’immenses sacrifices.

Il leur dit : « Je n’ai pas le moindre doute que vous aurez un temple. » Il voulait que les saints se préparent pour ce jour. « Vous devez être prêts. »

Au début de l’année 1921, John Widtsoe, âgé de quarante-neuf ans, arrivait au terme de sa cinquième année de service en tant que président de l’université d’Utah. Après avoir été renvoyé de l’université d’agriculture de l’Utah en 1905, il avait enseigné pendant une courte période à l’université Brigham Young puis était retourné à l’université d’agriculture en tant que nouveau président. Il avait ensuite été désigné président de l’université d’Utah en 1916. Leah et lui s’étaient donc installés à Salt Lake City avec leurs trois enfants.

À leur arrivée, la mère de John, Anna, sa tante Petroline et son frère, Osborne, vivaient non loin les uns des autres. Osborne, marié et père de deux enfants, dirigeait le département d’anglais de l’université.

Mais le temps passé ensemble fut de courte durée. Au printemps 1919, Anna tomba malade. L’été, son état s’aggravant, elle appela John et Osborne à son chevet. Elle leur dit : « L’Évangile rétabli a été une source de grande joie dans ma vie. S’il vous plaît, faites connaître ce témoignage pour moi à toutes les personnes qui l’écouteront. »

Quelques semaines plus tard, elle décéda, entourée de sa sœur, de ses enfants et de ses petits-enfants. Heber J. Grant, qui avait été le président de la mission européenne pendant qu’Anna était missionnaire en Norvège, prit la parole à ses funérailles. En pensant à la vie de sa mère, John éprouvait une profonde gratitude.

Il écrivit dans son journal : « L’abnégation dont elle faisait preuve, tant pour les siens que pour les personnes qui avaient besoin d’aide, était sans borne. Son dévouement à la cause de la vérité était presque à son comble. »

Huit mois plus tard, Osborne fut soudainement victime d’une hémorragie cérébrale. Il mourut le lendemain. « Mon seul frère est mort, se lamenta John. Je me retrouve vraiment seul. »

Le 17 mars 1921, exactement un an après les funérailles d’Osborne, John apprit que l’apôtre Richard Lyman avait essayé de le joindre toute la matinée. John lui téléphona immédiatement. Richard dit avec empressement : « Venez à mon bureau sans tarder. »

John partit immédiatement et rencontra Richard dans le nouveau bâtiment administratif de l’Église. Ils traversèrent la rue jusqu’au temple de Salt Lake City où la Première Présidence et le Collège des douze apôtres étaient rassemblés. John s’assit parmi eux, ne comprenant pas ce qu’il faisait là. En tant que membre du bureau général de la SAM des jeunes gens, il se réunissait souvent avec les membres des plus hauts conseils de l’Église. Mais il s’agissait là de la réunion hebdomadaire que la Première Présidence et les Douze tenaient tous les jeudis et à laquelle il n’était normalement pas convié.

Le président Grant, qui dirigeait la réunion, mentionna quelques affaires de l’Église. Il se tourna ensuite vers John et l’appela à faire partie des Douze, afin d’occuper le siège laissé vacant depuis peu par la mort d’Anthon Lund. « Êtes-vous disposé à accepter l’appel ? » demanda le président Grant.

Dans l’esprit de John, le temps sembla se figer soudainement. Des pensées concernant l’avenir traversèrent son esprit. S’il acceptait l’appel, il offrait sa vie au Seigneur. Sa carrière académique serait mise de côté, malgré les années qu’il y avait consacrées. Et que dire de ses faiblesses ? Était-il digne de l’appel ?

Toutefois, l’Évangile était la priorité de sa vie. Sans plus d’hésitation, il répondit : « Oui. »

Le président Grant l’ordonna immédiatement, lui promettant plus de force et de puissance divine. Il le bénit pour avoir écouté les conseils de sa mère et pour avoir toujours été humble et capable de discerner la sagesse du monde des vérités de l’Évangile. Il parla ensuite du travail que John effectuerait en qualité d’apôtre. Le prophète promit : « Lorsque vous voyagerez dans les différents pieux ou dans les nations du monde, vous aurez l’amour et la confiance des saints des derniers jours et le respect des personnes qui ne sont pas de notre religion et que vous rencontrerez. »

John sortit du temple, prêt à commencer cette nouvelle période de sa vie. Ce ne serait pas facile. Leah et lui étaient encore endettés. Les plus âgés de ses enfants étaient prêts à partir en mission et il allait échanger son salaire universitaire contre la modeste allocation que les Autorités générales recevaient pour leur service à plein temps. Cependant, il était déterminé à tout sacrifier pour le Seigneur.

Leah aussi y était disposée. Un peu plus tard, elle dit au président Grant : « Ma vie sera très différente, je m’en rends compte, et je pourrais, si je me le permettais, redouter les nombreuses séparations qui seront nécessaires. Toutefois, je me fais un délice de la chance de travailler non seulement pour mon peuple comme je l’ai fait dans le passé, mais plus directement avec lui. »

Elle ajouta : « Je n’éprouve aucun regret par rapport aux changements concernant les finances, la vie publique ou les tâches quotidiennes que je connaîtrai en tant qu’épouse d’un homme appelé à ce magnifique service. »

Lorsque Susa Gates apprit que son gendre avait été appelé au Collège des douze apôtres, elle était aux anges. Depuis longtemps, elle ne craignait plus que John fasse passer sa carrière avant sa famille et l’Église. Ses appréhensions avaient été remplacées par un amour profond et constant pour lui et pour son dévouement à Leah, à leurs enfants et à l’Évangile rétabli.

Elle lui écrivit une longue lettre regorgeant de conseils, exprimant ses espoirs pour son nouveau ministère. Elle était encore préoccupée par les changements qui se produisaient au sein de la Société de Secours et des autres organisations de l’Église. Elle lui dit : « Aujourd’hui, le monde est dans un état de famine spirituelle. » Elle pensait que de plus en plus de membres de l’Église considéraient que le salut était lié au développement intellectuel et moral, et non à la progression spirituelle.

Elle exhorta son gendre à réveiller les hommes et les femmes spirituellement endormis, déjà porteurs de la « graine de la vie éternelle ». Elle écrivit : « C’est à toi de la cultiver comme le grand agriculteur que tu es. Car après tout, il y a dans chacune de ces âmes un petit bassin profond de vérité et d’amour de Dieu qui a juste besoin d’être débroussaillé de l’inactivité mentale afin que des sources de lumière et d’espérance en jaillissent. »

Au moment où John avait été appelé, Susa sentait sa propre influence dans l’Église s’effriter, d’autant plus qu’Amy Lyman et d’autres sœurs dirigeaient la Société de Secours dans de nouvelles voies. Dans l’espoir de donner un nouveau souffle de vie à l’organisation, certaines femmes membres du bureau de la Société de Secours avaient même discrètement demandé à Heber J. Grant de relever Emmeline Wells de son appel de présidente générale de la Société de Secours.

Alors âgée de quatre-vingt-treize ans, Emmeline était la seule dirigeante de l’Église encore en vie qui avait connu le prophète Joseph Smith. Frêle et en mauvaise santé, elle était souvent alitée et laissait alors Clarissa Williams, sa première conseillère, s’occuper des affaires de la Société de Secours lors des réunions du bureau.

Les conseillers du président Grant et les membres du Collège des Douze pensaient aussi qu’il était nécessaire d’apporter des changements à la direction de la Société de Secours. Pourtant, Heber J. Grant était réticent à cette idée et prôna la patience. Depuis Eliza R. Snow, toutes les présidentes générales de la Société de Secours étaient restées à leur poste jusqu’à leur mort. De plus, il aimait et admirait Emmeline. Pendant les trente ans où sa mère avait été présidente de la Société de Secours de la treizième paroisse de Salt Lake City, Emmeline avait été sa secrétaire. La femme d’Heber J. Grant, Emily, décédée plus de dix ans auparavant, faisait partie de la famille Wells et Heber était profondément attaché à celle-ci. Comment pouvait-il songer à relever Emmeline ?

Cependant, après avoir tenu conseil avec les membres du bureau général, la Première Présidence et les Douze décidèrent qu’il valait mieux pour la Société de Secours qu’Emmeline soit remerciée. Heber se rendit chez elle pour lui annoncer personnellement sa relève. Elle reçut calmement la nouvelle mais elle en fut profondément blessée. Le lendemain, lors de la conférence du printemps 1921 de la Société de Secours, Clarissa Williams fut soutenue comme présidente générale de la Société de Secours. La plupart des membres du bureau général furent relevées et d’autres femmes appelées à leur place.

Susa Gates faisait toujours partie du bureau général après sa réorganisation. Elle pensait que la relève d’Emmeline était une bonne chose mais elle redoutait la suite des événements. Le 14 avril 1921, lors de la première réunion du nouveau bureau, Clarissa annonça plusieurs changements dans l’organisation. Elle désigna notamment Amy Lyman au poste de directrice générale des activités de la Société de Secours, lui confiant la responsabilité de toutes les activités de ses départements, y compris du magazine de la Société de Secours. Susa conserva son poste de rédactrice en chef du périodique mais, par décision de Clarissa, ce rôle serait désormais attribué annuellement. Susa n’était donc pas certaine de faire partie de l’avenir du magazine.

Troublée par ces changements, elle se demanda s’ils étaient dus à son incapacité à s’accorder avec Amy sur les services sociaux.

Six jours plus tard, Susa rendit visite à Emmeline, qui passait désormais plus de temps au lit et pleurait souvent au sujet de sa relève. Ses filles Annie et Belle restaient constamment à ses côtés, essayant de la consoler. Susa fit de son mieux pour réconforter son amie. Elle dit : « Tante Em, tout le monde t’aime.

– J’espère, répondit Emmeline. S’ils ne m’aiment pas, je n’y peux rien. »

Elle mourut paisiblement le 25 avril et Susa lui rendit un bel hommage dans l’Improvement Era. Elle loua les nombreuses années où Emmeline avait été poète, rédactrice du Woman’s Exponent et fervente défenseuse du droit de vote des femmes, qui était inscrit depuis peu dans la constitution des États-Unis. Le plus grand éloge que lui fit Susa portait sur son travail en matière de stockage des céréales, tâche que Brigham Young lui avait confiée en 1876. Susa nota que les céréales de la Société de Secours avaient été utiles à des personnes souffrantes dans le monde entier.

Elle écrivit : « Le trait de caractère dominant de la vie de Mme Wells était sa ferme détermination. Ses ambitions étaient grandes, ses buts élevés ; mais tout cela était tissé sur le fil de la fidélité à son témoignage, qui l’a préservée et qui a fait d’elle une lumière située sur une montagne. »


Chapitre 15 : Pas de plus grande récompense

Tout au long de l’année 1921, David O. McKay et Hugh Cannon envoyèrent des rapports de leur voyage à Heber J. Grant. Après avoir rendu visite aux saints à Samoa en mai, les deux hommes allèrent aux Fidji puis retournèrent en Nouvelle-Zélande et se rendirent en Australie. Ils firent escale en Asie du Sud-Est avant de poursuivre leur route vers l’Inde, l’Égypte, la Palestine, la Syrie et la Turquie.

En Turquie, dans la ville d’Aintab dévastée par la guerre, ils rencontrèrent une trentaine de saints des derniers jours arméniens qui se préparaient à fuir leur foyer. Au cours de la décennie écoulée, de nombreux Arméniens avaient été tués dans des localités comme Aintab, où la présidence de la branche locale et d’autres saints des derniers jours avaient perdu la vie. En Utah, les saints avaient jeûné pour eux et la Première Présidence avait envoyé de l’argent pour le soutien des saints. Toutefois, la violence n’avait fait que s’intensifier. En restant dans le pays, les saints couraient un grand danger.

Après beaucoup d’efforts et de prières, Joseph Booth, le président de mission, et Moses Hindoian, un dirigeant local, obtinrent des passeports pour cinquante-trois personnes. Les saints entreprirent alors leur voyage vers Alep, en Syrie, où se réunissait une autre branche de l’Église, à plus de cent dix kilomètres au sud. Leur voyage dura quatre jours, mais les réfugiés persévérèrent malgré la pluie incessante et arrivèrent sains et saufs.

Une fois de retour aux États-Unis, frère McKay fit un dernier rapport à la Première Présidence, louant les saints du monde entier. Il était satisfait des écoles de l’Église. Il recommanda d’y affecter des enseignants plus qualifiés et de fournir des manuels et des équipements de meilleure qualité. Il exprima ses inquiétudes concernant les présidents de mission car ils affrontaient souvent des problèmes complexes. Il proposa de ne confier cette tâche qu’à des dirigeants forts. Il recommanda également que les Autorités générales voyagent plus fréquemment afin de montrer leur soutien aux saints des autres pays.

Le prophète était du même avis que frère McKay. Par le passé, les membres de l’Église se rassemblaient en Utah afin d’y trouver de la force. Cependant, l’époque où les dirigeants incitaient les saints à rejoindre Sion était révolue. Depuis la fin de la guerre, de nombreux saints avaient quitté les petites villes d’Utah à la recherche de meilleurs emplois dans les grandes villes des États-Unis. Dans le monde entier, ils se tournaient de plus en plus vers les branches et les missions locales à la recherche du même soutien que les premiers saints recevaient dans les paroisses et les pieux de l’Ouest américain.

Au début de l’année 1922, lors d’un voyage en Californie du Sud, Heber J. Grant fut impressionné par la taille des branches de l’Église à Los Angeles et dans ses environs. Pendant la conférence générale d’avril 1922, il déclara : « La mission de Californie grandit à toute vitesse. » Bientôt, les saints de cette région seraient assez nombreux pour former un pieu.

Toutefois, le président Grant savait qu’il fallait plus qu’une assemblée importante pour que les membres restent fidèles à leur religion. Les temps changeaient et, comme d’autres personnes de sa génération, il constatait avec inquiétude que la société devenait plus matérialiste et permissive. Il se méfiait des influences néfastes et exhortait les jeunes saints à participer au programme d’amélioration mutuelle de l’Église. La SAM mettait l’accent sur la foi en Jésus-Christ, le respect du jour du sabbat, l’importance d’aller à l’église, le développement spirituel, l’économie et le civisme. Il était aussi recommandé aux jeunes de respecter la Parole de Sagesse ; c’était un principe sur lequel Heber J. Grant avait souvent insisté depuis qu’il était devenu président de l’Église.

Il affirma : « Si nous pouvons faire des garçons et des filles qui assistent à nos réunions de la SAM des saints des derniers jours, alors ces organisations n’auront pas été vaines et nos efforts seront récompensés par les bénédictions du Dieu Tout-Puissant. »

Le président Grant ne redoutait pas tous les aspects de la vie moderne. Le soir du 6 mai 1922, il participa, avec sa femme Augusta, au premier programme du soir de la station de radio KZN appartenant à l’Église et située à Salt Lake City. Cette technologie était nouvelle et la station n’était guère plus qu’une cabane branlante de tôle et de bois. Néanmoins les messages étaient instantanément diffusés sur des centaines de kilomètres dans toutes les directions.

Portant le grand émetteur d’ondes radioélectriques à ses lèvres, Heber J. Grant lut un passage des Doctrine et Alliances qui parlait du Sauveur ressuscité. Il rendit ensuite un témoignage simple de Joseph Smith. C’était la première fois qu’un prophète proclamait l’Évangile rétabli sur les ondes.

Plus tard dans le mois, lors d’une réunion sur l’avenir du magazine de la Société de Secours, Susa Gates sentit que d’autres changements se dessinaient. Elle éditait le magazine depuis 1914, quand il avait remplacé le Woman’s Exponent. Depuis le début, elle voulait qu’il soit « un phare lumineux d’espoir, de beauté et de charité ». Pourtant, elle savait que le sort du magazine n’était pas entre ses mains.

Au fil des mois, la présidente générale de la Société de Secours, Clarissa Williams, et sa secrétaire, Amy Brown Lyman, avaient joué un rôle plus important dans la production du magazine, y insérant des articles sur le travail social et la collaboration entre la Société de Secours et les organisations caritatives extérieures à l’Église. Susa ne doutait pas de l’intérêt sincère qu’Amy portait au service social. Cependant, elle craignait qu’elle ne permette à l’Église de se mêler trop au monde.

Susa pria avec ferveur pour voir la situation sous un autre angle, mais son désaccord avec la nouvelle manière d’aborder l’œuvre de la Société de Secours l’empêchait de voir les bonnes choses qu’Amy accomplissait. La Croix-Rouge et d’autres organisations caritatives transmettaient désormais tous les cas concernant des saints des derniers jours à la Société de Secours. Nombre d’entre eux se rapportaient à des membres dans le besoin qui avaient perdu le contact avec l’Église après avoir quitté leur paroisse à la campagne pour trouver du travail en ville. Pour prendre soin d’eux, la Société de Secours s’associait souvent avec des organismes publics et privés œuvrant dans le domaine de la santé, de l’éducation et de l’emploi.

De plus, Clarissa Williams avait récemment tenu conseil avec Amy Brown Lyman et le bureau général afin de trouver des manières de réduire le nombre de femmes et de nourrissons saints des derniers jours qui décédaient au moment de la naissance. Depuis longtemps, la Société de Secours se souciait de la santé des femmes. À cette époque, l’accouchement était une préoccupation essentielle. Aux États-Unis, le taux élevé de mortalité des mères et des bébés conduisit le Congrès à fournir des fonds aux organisations qui s’occupaient des femmes enceintes.

Avant même que ces fonds soient disponibles, le bureau général de la Société de Secours collabora avec la Première Présidence pour construire une maternité à Salt Lake City et fournir du matériel médical aux femmes enceintes dans les régions plus reculées. Pour financer le programme, la Société de Secours utilisa l’argent qu’elle avait gagné pendant la guerre en vendant des céréales au gouvernement américain.

Incapable d’accepter les nouvelles méthodes et les changements administratifs de la Société de Secours, Susa Gates démissionna du bureau général et du magazine de la Société de Secours, Devant le bureau, elle affirma : « Je quitte mon travail avec beaucoup d’amour pour mes collègues et j’espère qu’elles me témoigneront le même amour. »

N’aimant pas l’inactivité, elle se trouva bientôt d’autres occupations. Plus tôt dans l’année, elle avait critiqué Edward Anderson, rédacteur en chef de l’Improvement Era pour ses récits de l’histoire de l’Église dans lesquels il avait à peine mentionné les femmes. Il lui avait alors demandé d’écrire l’histoire des saintes des derniers jours. Ce projet plut à Susa, qui avait déjà écrit l’histoire de la SAM des jeunes filles. La Première Présidence étant également favorable à cette entreprise, Susa commença bientôt à écrire.

Joseph Fielding Smith, fils du président Joseph F. Smith, était apôtre et historien de l’Église. Il invita Susa Gates à occuper une table dans le « bureau de l’historien » pour travailler sur son récit. Peu de temps après, il l’escorta dans le bureau de B. H. Roberts. On y trouvait un bureau, une machine à écrire, un lavabo, deux chaises et des étagères remplies de livres et de documents.

Frère Roberts étant à New York où il présidait la mission des États de l’Est, frère Smith proposa à Susa Gates d’utiliser ce bureau et lui dit que B. H. Roberts n’avait pas besoin d’être au courant.

Susa s’exclama dans son journal : « Merci, ô mon Père divin ! Aide-moi à suivre les instructions qui me sont données ! »

Le 17 novembre 1922, Armenia Lee acheva sa dixième année de service en tant que présidente de la SAM des jeunes filles du pieu d’Alberta, au Canada. Pendant sa présidence, elle avait fait face à de nombreux défis. Par tous les temps, elle avait entrepris des voyages en carriole pour rendre visite aux jeunes filles et à leurs dirigeantes. En Alberta, les hivers étaient extrêmement froids et il fallait beaucoup d’énergie et de courage pour s’aventurer à l’extérieur. Néanmoins, elle enfilait ses vêtements les plus chauds et s’emmitouflait dans des habits de laine et des couvertures, puis sortait affronter la neige et la glace.

C’était une tâche qui comportait des risques mais elle y tenait beaucoup.

Originaire d’Utah, Armenia avait dix-neuf ans lorsqu’elle avait épousé William Lee, qui était alors veuf et avait cinq jeunes enfants. Ils s’étaient installés au Canada car il avait trouvé du travail dans un magasin à Cardston. Le déménagement fut difficile pour la jeune femme mais le couple commença sa nouvelle vie dans la petite ville. Ils eurent cinq autres enfants, créèrent une entreprise de pompes funèbres et emménagèrent dans une maison de quatre pièces. En 1911, à quelques mois de leur dixième anniversaire de mariage, William eut une attaque et mourut. Armenia devint veuve avec dix enfants à sa charge avant même d’avoir trente ans.

La mort de William avait été soudaine et bouleversante, mais Armenia avait senti l’Esprit du Seigneur la réconforter au point qu’elle puisse dire : « Que ta volonté soit faite. » C’était une expérience sacrée qu’elle ne pouvait nier. Elle témoigna : « Je sais sans aucun doute qu’il y a une vie après la mort et que les liens familiaux subsistent dans l’éternité. »

Moins de deux ans après la mort de William, Armenia Lee fut appelée à diriger la SAM des jeunes filles du pieu. À cette époque, l’organisation destinée aux jeunes filles âgées de quatorze ans et plus connaissait de nombreux changements. Quelques mois avant l’appel d’Armenia, un pieu de Salt Lake City avait organisé le premier camp d’été pour les jeunes filles de l’Église. Comme la SAM des jeunes gens, celle des jeunes filles avait commencé à voir qu’il était possible de se développer grâce aux loisirs. Au début, les dirigeantes des jeunes filles avaient envisagé de s’associer à une organisation extérieure, tout comme la SAM des jeunes gens l’avait fait avec le programme des scouts. Mais Martha Tingey, présidente générale de la SAM des jeunes filles, et son bureau général avaient décidé de créer leur propre programme.

La conseillère de Martha, Ruth May Fox, avait trouvé un nom au programme : les Abeilles. La ruche avait toujours été le symbole du travail et de la coopération pour les saints d’Utah. Lorsqu’Elen Wallace, membre du bureau général, lut un livre intitulé La vie des abeilles (Life of the Bee) expliquant la façon dont les abeilles travaillaient ensemble pour construire des ruches, les dirigeantes comprirent que le symbole représentait tout à fait leur organisation.

Les jeunes filles de l’Église furent alors organisées en « essaims » sous la direction d’une « apicultrice ». Pour progresser dans le programme, elles devaient accomplir certaines tâches en lien avec la religion, le foyer, la santé, les arts ménagers, les activités en plein air, la vente et le service rendu à la collectivité. Elles devenaient alors « Bâtisseuses de la ruche » puis « Récolteuses de miel » et enfin « Gardiennes des abeilles ».

Au cours de l’été 1915, Armenia Lee et ses conseillères se mirent à promouvoir le programme des « Abeilles » et les paroisses de Cardston commencèrent à compter des essaims de huit à douze jeunes filles. Un an plus tard, Armenia parla aux Abeillles et aux jeunes gens du pieu de l’importance de l’œuvre du temple. Le temple de Cardston était en construction et lorsqu’il serait terminé, chacun d’eux aurait l’occasion d’y entrer. Elle leur avait expliqué qu’une telle œuvre était un privilège.

Six ans plus tard, le temple était presque prêt à être consacré. Implanté au sommet d’une colline au cœur de la ville, l’édifice en granit blanc était couvert d’un toit en forme de pyramide et entouré de rangées de colonnes carrées. À l’instar du temple de Hawaï, il n’avait pas de flèches s’élevant vers le ciel. Il était majestueusement implanté sur ses fondations, solide et inébranlable comme une montagne.

John Widtsoe serra sa sacoche en descendant du train à la gare de Waterloo à Londres. C’était le 11 juillet 1923, vers midi. La gare était bondée et la chaleur insupportable.

Il était venu en Europe accompagné d’un autre apôtre, Reed Smoot. Depuis la guerre, les nations scandinaves mettaient du temps à autoriser le retour des missionnaires. Le président Grant avait donc demandé à Reed Smoot d’user de son influence de sénateur américain pour parler aux gouvernements du Danemark, de la Suède et de la Norvège au nom de l’Église. Comme John Widtsoe était norvégien et parlait plusieurs langues européennes, il lui fut demandé de l’accompagner.

Tandis qu’il posait le pied sur le quai, il entendit une voix familière s’écrier : « Le voilà ! » Pendant un instant, il eut le souffle coupé tandis que son fils de vingt ans, Marsel, l’étreignait avec force.

Cela faisait un an que Marsel servait dans la mission britannique. Il accompagna son père et le sénateur Smoot à l’hôtel. Plus jeune, Marsel était un étudiant sérieux et un bon athlète. Il sembla à John que la mission l’avait encore rendu meilleur. Il écrivit à Leah, sa femme : « Il aime profondément son service. Je trouve qu’il est de bonne compagnie. C’est un garçon positif, réfléchi, intelligent, affectueux et ambitieux, qui a l’intention de mener sa vie au mieux. »

Après avoir passé quelques jours en Angleterre, John Widtsoe et Reed Smoot se rendirent en Scandinavie avec David O. McKay, qui avait été appelé président de la mission européenne environ un an après son tour du monde. Comme d’habitude, des renseignements erronés sur l’Église étaient à la source des restrictions gouvernementales.

Leur première étape fut le Danemark. Là, Reed Smoot accorda une interview sur l’Église à un grand journal. Les réunions qu’ils eurent dans les autres pays, notamment avec l’archevêque luthérien de Suède et le roi de Norvège, furent également bénéfiques. John Widtsoe attribua leur succès à la réputation de Reed Smoot. Vingt ans après son élection controversée, il était devenu un législateur influent qui entretenait d’étroites relations avec le président des États-Unis.

Une fois leur tâche terminée, John Widtsoe rapporta à la Première Présidence que Reed Smoot et lui avaient fait bonne impression pour l’Église et qu’ils avaient convaincu de nombreux dirigeants européens que leur politique d’opposition à l’œuvre missionnaire était dépassée. Cependant, cette expérience le laissa songeur. Après une réunion fatigante, il tomba par hasard sur une statue en bronze de Jöns Jacob Berzelius, chimiste suédois renommé qu’il admirait.

Assis près de la statue, il se demanda ce que serait sa vie s’il s’était, lui aussi, consacré entièrement à la science au lieu de retourner en Utah pour instruire les saints et servir dans l’Église. Plus tard dans la soirée, il écrivit à Leah : « Comme je me serais délecté de la vie d’un Berzelius car je sais qu’avec l’aide de Dieu, j’aurais connu de grands succès. »

Au lieu de cela, John avait renoncé à sa profession et délaissé une grande partie de ses recherches scientifiques pour servir en qualité d’apôtre de Jésus-Christ. Pourtant, il ne regrettait pas cette voie, en dépit de la tristesse qu’il éprouvait à renoncer à ses vieux rêves.

Il dit à Leah : « Je ne peux pas parler ici des choses qui passent dans mon âme. Il y a des choses que seule la promesse d’une vie dans l’au-delà justifie. »

Le 25 août 1923, peu de temps après le retour des deux apôtres de leur mission en Scandinavie, un train transportant Heber J. Grant, neuf apôtres et des centaines de saints de Salt Lake City et d’autres régions arriva au Canada pour la consécration du temple de Cardston, en Alberta. Les visiteurs envahirent la ville, qui avait à peine assez de place pour héberger tout ce monde. Cependant, les saints canadiens s’appliquèrent avec joie à loger leurs invités.

Pendant cette journée agitée, Armenia Lee eut un entretien avec Edward J. Wood, son président de pieu de longue date qui avait été appelé comme président du nouveau temple, et l’apôtre George F. Richards. Armenia et Edward étaient amis depuis de nombreuses années. Depuis la mort de son mari, elle lui avait souvent demandé conseil. Ils avaient œuvré ensemble en tant que dirigeants de pieu et il était devenu comme un frère pour elle.

Pendant la réunion, frère Richards demanda à Armenia Lee si elle était disposée à servir en tant qu’intendante du nouveau temple. Si elle acceptait, elle serait chargée de choisir les servantes du temple et de les superviser, de s’occuper des femmes qui recevraient leurs ordonnances pour la première fois et de s’acquitter d’une myriade d’autres tâches.

Elle était à la fois abasourdie et honorée. Elle répondit : « J’accepte cet appel en toute humilité et je ferai de mon mieux. »

Le lendemain, Anthony Ivins, de la Première Présidence, la mit à part à l’intérieur du temple. Puis, à dix heures du matin, elle assista à la première session de consécration. Agenouillé devant un autel dans la salle céleste, le président Grant prononça la prière de consécration, demandant à Dieu de sanctifier le temple et de bénir les personnes qui ressentiraient son influence. Il demanda également une bénédiction particulière pour les jeunes de l’Église, si chers au cœur d’Armenia.

Il pria : « Ô Père, garde les jeunes de ton peuple sur le chemin étroit et resserré qui conduit à toi. Donne-leur un témoignage de la divinité de cette œuvre comme tu nous l’as donné et préserve-les dans la pureté et dans la vérité. »

Peu de temps après, le bâtiment fut ouvert pour les ordonnances. Au cours des années précédentes, le président Grant avait cherché des moyens de susciter davantage de participation à l’œuvre du temple. En 1922, il avait demandé à un comité d’apôtres de raccourcir les sessions de dotation, qui duraient alors jusqu’à quatre heures et demie. Les temples organisaient désormais plusieurs sessions quotidiennes et commençaient à proposer des sessions en soirée pour les saints qui ne pouvaient pas venir plus tôt. Les dirigeants de l’Église mirent également un terme à la pratique consistant à faire venir les saints au temple pour recevoir un baptême de guérison ou une bénédiction car cela risquait d’interférer avec l’accomplissement régulier des ordonnances.

Des changements furent également apportés aux sous-vêtements du temple. Jusqu’alors, ils allaient jusqu’aux chevilles et aux poignets et comportaient des cordons de serrage et un col mais ils n’étaient pas adaptés aux vêtements portés dans les années 1920. Le symbolisme du vêtement étant plus important que le style, la Première Présidence demanda que des sous-vêtements plus courts et plus simples soient proposés.

Comme Armenia passait beaucoup de temps à remplir son appel d’intendante, elle fut relevée de la présidence de la SAM des jeunes filles de pieu. Elle conservait précieusement les souvenirs des moments passés avec les jeunes filles. Cela lui manquait de travailler avec elles. Pourtant, elle découvrit une joie nouvelle à accueillir au temple les jeunes femmes qu’elle avait connues à la SAM et qui venaient afin d’être dotées et scellées pour le temps et pour l’éternité à leur mari.

Les rédacteurs du Young Woman’s Journal lui demandèrent d’exprimer ses sentiments sur sa relève après des années de service. Elle écrivit : « Comme j’aime la jeunesse de Sion ! Je ne demande pas de plus grande récompense que celle que j’ai reçue en voyant nos filles grandir et devenir des femmes fidèles à leur héritage. »


Chapitre 16 : Écrit dans les cieux

Ernst Biebersdorf piqua la curiosité de sa sœur, Anna Kullick, en lui parlant de ses amis et collègues saints des derniers jours. Leurs croyances lui rappelaient un rêve que leur mère avait eu quand ils habitaient en Allemagne avant de venir s’installer à Buenos Aires, en Argentine, au début des années 1920.

Louise Biebersdorf, qui était une femme profondément croyante, avait vu en rêve un endroit magnifique. Elle n’avait pas été autorisée à y entrer mais on lui avait dit que ce serait possible un jour grâce à deux de ses enfants. Dans ce même rêve, elle avait découvert que la véritable Église viendrait d’Amérique.

Anna commença à assister aux réunions des saints des derniers jours à Buenos Aires avec Ernst et ses amis, Wilhelm Friedrichs et Emil Hoppe. Depuis le bref séjour de Parley Pratt au Chili en 1851, l’Église avait envoyé très peu de missionnaires en Amérique du Sud et n’était pas présente officiellement sur le continent. Wilhelm, Emil et les membres de leur famille étaient devenus membres de l’Église en Allemagne. Ils avaient emporté avec eux ses enseignements à Buenos Aires lorsqu’ils avaient émigré en Argentine, comme le firent des milliers de personnes, notamment les familles d’Anna Kullick et Ernst Biebersdorf, afin d’échapper aux difficultés économiques engendrées par la guerre mondiale.

Le dimanche, les saints se réunissaient dans une petite pièce chez Wilhelm. Ni Emil ni lui ne détenaient l’autorité de la prêtrise pour bénir la Sainte-Cène. Leurs réunions consistaient donc à étudier les Écritures et à prier. Comme il n’y avait pas d’orgue, le fils de Wilhem les accompagnait à la mandoline tandis qu’ils chantaient des cantiques. Ils se réunissaient également à sept heures le jeudi soir pour étudier la Bible chez Emil. Comme l’assemblée comptait de plus en plus de participants, ils organisèrent une École du Dimanche, où ils étudièrent l’édition allemande des Articles de Foi de James E. Talmage. Anna commença à payer sa dîme, que Wilhelm envoyait au siège de l’Église à Salt Lake City.

Désireux de faire connaître l’Évangile rétabli, Wilhelm écrivait et distribuait des brochures, et annonçait la tenue des réunions de l’Église dans les journaux allemands locaux. Il écrivait aussi des articles et donnait des conférences sur divers sujets de l’Évangile. Il ne parlait pas l’espagnol, la langue officielle de l’Argentine, ce qui limitait son champ d’action. Toutefois, il arrivait que des germanophones se présentent chez lui, leur curiosité piquée par ce qu’ils avaient lu sur les saints.

Au printemps de l’année 1925, Anna était prête à se faire baptiser. Au début, son mari, Jacob, ne voulait pas qu’elle assiste aux réunions de l’Église mais il avait fini par y aller aussi. Leurs trois adolescents s’intéressaient eux aussi à l’Évangile. Ernst, le frère d’Anna, et sa femme, Marie, souhaitaient ardemment devenir membres de l’Église mais, en Argentine, personne n’avait l’autorité d’administrer l’ordonnance du baptême.

L’intérêt pour l’Église augmentant, les fidèles commencèrent à se réunir dans trois endroits différents de la ville. Wilhelm était inspiré par leur foi. Il rapporta aux dirigeants de l’Église à Salt Lake City : « Ils ont un témoignage de l’authenticité de cette œuvre et désirent se faire baptiser dès que l’occasion se présentera. »

Il reçut rapidement une réponse de Sylvester Q. Cannon, évêque président de l’Église. Elle disait : « Nous avons discuté avec la Première Présidence de l’idée d’envoyer des missionnaires en Argentine, mais jusqu’à présent, rien de précis n’a été décidé. Cependant, nous recherchons des hommes sachant parler l’allemand et l’espagnol. »

Ces nouvelles donnèrent de l’espoir à Anna, Ernst et aux membres de leur famille. Tout le monde voulait savoir quand des missionnaires arriveraient dans leur pays.

À cette époque, de nombreux Américains blancs étaient de plus en plus perturbés par les changements qui se produisaient aux États-Unis. Des millions d’Afro-Américains et d’immigrants s’installaient dans les villes du nord des États-Unis pour échapper à la discrimination et trouver un meilleur emploi. Leur présence inquiétait de nombreux Blancs de la classe ouvrière, qui craignaient de perdre leur emploi au profit des nouveaux arrivants. À mesure que le ressentiment grandissait, dans tout le pays des personnes se joignirent à des groupes haineux tels que le Ku Klux Klan, qui agissait en secret et avec violence pour brutaliser les Noirs et d’autres minorités.

Heber J. Grant observait avec consternation la propagation des groupes haineux. Des décennies plus tôt, des membres du Ku Klux Klan avaient agressé des missionnaires dans le Sud américain. Ils ne s’en prenaient plus aux saints mais les rapports récents sur les actions du Ku Klux Klan n’en étaient pas moins troublants.

En 1924, le président de la mission des États du Sud écrivit au président Grant : « Le nombre de coups de fouet, de meurtres et de violences collectives imputables à cette organisation constituent une triste page de l’histoire du Sud. Ces crimes n’ont jamais été condamnés. L’esprit d’anarchie et de violence qui envahit le Sud est exactement le même que celui qui a inspiré les brigands de Gadianton. »

Tout au long des années 1920, les groupes haineux se nourrirent du racisme généralisé qui régnait dans tous les États-Unis et dans d’autres régions du monde. En 1896, la Cour suprême des États-Unis avait statué que les lois des États autorisant la séparation des Américains blancs et noirs dans les églises, les toilettes, les wagons des trains, les écoles et les autres établissements publics étaient légales. En outre, les romans et les films populaires dévalorisaient les Noirs et d’autres groupes raciaux, ethniques et religieux à coups de stéréotypes destructeurs. Aux États-Unis, comme ailleurs, peu de gens estimaient que les Noirs et les Blancs devaient se mélanger socialement.

Dans l’Église, les paroisses et les branches étaient officiellement ouvertes à tous, sans distinction de race. Cependant, toutes les assemblées n’étaient pas de cet avis. En 1920, Marie et William Graves, des saints noirs, furent bien accueillis et pleinement intégrés par les membres de leur branche en Californie. Toutefois, lorsque Marie se rendit dans une branche du sud des États-Unis, on lui demanda de partir à cause de sa couleur de peau. Dans une lettre au président Grant, elle écrivit : « De toute ma vie, rien ne m’a jamais autant blessée. »

Les dirigeants de l’Église savaient que pour préparer la terre pour le retour du Seigneur, l’Évangile rétabli devait être enseigné à toutes les nations, tribus, langues et peuples. Pendant des décennies, les saints avaient prêché activement parmi les personnes de couleur, notamment les Amérindiens, les habitants des îles du Pacifique et les Latino-Américains. Malheureusement, des obstacles séculaires, dont le racisme, empêchaient de porter l’Évangile au monde entier.

Dans le cas de Marie Graves, la Première Présidence ne demanda pas à l’assemblée d’intégrer les Noirs, de peur que la remise en cause des codes raciaux qui posaient problème, tels que ceux du Sud, ne mette en danger les saints, tant noirs que blancs. Les dirigeants de l’Église n’encouragèrent pas non plus le prosélytisme actif au sein des communautés noires puisque, de toute façon, les personnes d’origine africaine ne pouvaient pas recevoir la prêtrise ni les bénédictions du temple.

Au sein de l’Église, certaines personnes cherchèrent à déroger à la règle. Au cours de sa visite dans les îles du Pacifique, David O. McKay avait écrit au président Grant pour lui demander s’il était possible de faire une exception pour un saint des derniers jours noir marié à une Polynésienne avec qui il avait fondé une grande famille dans l’Église.

Le président Grant lui avait répondu : « David, je suis aussi compatissant que vous mais jusqu’à ce que le Seigneur nous donne une révélation à ce sujet, nous devons continuer à respecter la politique de l’Église. »

Au début des années 1900, les dirigeants de l’Église avaient commencé à enseigner que tout saint d’ascendance africaine, aussi lointaine soit-elle, devait se soumettre aux restrictions. Il arrivait cependant que l’identité raciale de certains saints ne soit pas certaine ; cette règle n’était donc pas toujours appliquée avec cohérence. Nelson Ritchie était fils d’une femme noire et d’un homme blanc. Il ne connaissait pas l’histoire de ses parents quand il devint membre de l’Église en Utah avec Annie, son épouse blanche. Il avait la peau claire et beaucoup de leurs enfants semblaient blancs. Lorsque deux de ses filles furent prêtes à se marier, elles entrèrent dans le temple et reçurent leur dotation et l’ordonnance du scellement.

Cependant, plus tard, quand Nelson et Annie souhaitèrent être scellés au temple, leur évêque interrogea Nelson sur ses ancêtres. Celui-ci lui exposa ce qu’il savait de ses parents et l’évêque fit remonter la question à la Première Présidence et au Collège des douze apôtres. La question fut retournée à l’évêque, à charge pour lui de décider. Finalement, l’évêque affirma que Nelson et Annie était de bons membres de l’Église mais refusa que Nelson obtienne une recommandation pour le temple à cause de son ascendance.

De nombreux saints partageaient les préjugés raciaux de l’époque, mais la plupart désapprouvait les organisations qui agissaient dans le secret, l’anarchie et la violence pour opprimer autrui. Au début des années 1920, quand le Ku Klux Klan se répandit en Utah, le président Grant et d’autres dirigeants de l’Église le dénoncèrent lors de la conférence générale et usèrent de leur influence pour l’arrêter. Peu de membres se joignirent à ce groupe. Lorsqu’un chef du Ku Klux Klan demanda à rencontrer les dirigeants de l’Église, le président Grant refusa.

En avril 1925, il nota dans son journal : « Cela dépasse mon entendement que des personnes détenant la prêtrise puissent vouloir s’associer au Ku Klux Klan. »

Au milieu de l’année 1925, Heber J. Grant, comme d’autres personnes dans le monde, fut captivé par le cas de John Scopes, professeur de sciences du secondaire qui avait été traduit en justice dans le sud des États-Unis car il avait enseigné que les humains et les singes avaient évolué à partir d’un ancêtre commun.

Son procès provoqua une grande division au sein des Églises chrétiennes. Certains croyants « modernistes » estimaient que la Bible ne devait pas être considérée comme faisant autorité sur les questions scientifiques. Ils pensaient que la science était un guide plus fiable pour comprendre le monde naturel et que les professeurs tels que John Scopes devaient pouvoir enseigner l’évolution dans les écoles sans craindre de sanctions. En revanche, les chrétiens « fondamentalistes » considéraient la Bible comme la vérité ultime et absolue de Dieu. Pour eux, le fait de prétendre que le genre humain, la plus grande création de Dieu, avait évolué à partir de formes de vie moins sophistiquées était un blasphème.

Heber J. Grant éprouvait un grand respect pour la science moderne et pour les scientifiques comme les apôtres James E. Talmage et John Widtsoe, qui avaient brillé dans leur domaine tout en gardant la foi en l’Évangile rétabli. Comme eux, il était ouvert à la découverte de nouvelles vérités en dehors des Écritures et il croyait que la science et la religion pourraient un jour être réconciliées.

Cependant, il se faisait du souci pour les jeunes saints des derniers jours qui avaient mis de côté leur foi pendant qu’ils étudiaient les sciences à l’université. Dans sa jeunesse, un scientifique s’était moqué de lui parce qu’il croyait au Livre de Mormon. L’homme avait cité le passage de 3 Néphi dans lequel la voix de Dieu était entendue par toutes les personnes qui avaient survécu aux destructions à l’époque de la crucifixion du Christ. Le scientifique avait alors affirmé qu’il était impossible qu’une voix se fasse entendre aussi loin et que quiconque croyait le contraire était dépourvu d’intelligence. Des années plus tard, lorsque l’invention de la radio eut prouvé que les voix pouvaient parcourir de grandes distances, Heber vit que la science lui avait donné raison.

Pendant le procès de John Scopes, le président Grant et ses conseillers décidèrent de publier une version résumée de « L’origine de l’homme », un essai rédigé par la Première Présidence en 1909. Au lieu de condamner l’enseignement de la théorie de l’évolution, comme le faisaient les fondamentalistes, l’essai confirmait l’enseignement biblique selon lequel Dieu avait créé l’homme et la femme à son image. On y lisait également la doctrine rétablie selon laquelle, avant de naître sur terre, tous les êtres humains avaient vécu en tant qu’enfants d’esprit de Dieu et qu’ils avaient grandi et s’étaient développés au fil du temps.

La Première Présidence témoigna : « L’homme, en tant qu’esprit, a été conçu par des parents célestes, desquels il est né ; il a été élevé jusqu’à sa maturité dans les demeures éternelles du Père. »

En conclusion, elle mentionnait un autre type de changement dans le temps, changement qui concernait un avenir lointain. Elle déclarait : « De même qu’un nourrisson né d’un père et d’une mère terrestres est capable au moment voulu de devenir un homme, de même un descendant non développé de parents célestes est capable de devenir un Dieu, grâce à l’expérience acquise au cours du temps et des éternités. »

Trois jours après la publication de la déclaration de la Première Présidence, le jury du procès de John Scopes rendit son verdict. Le professeur fut reconnu coupable et condamné à payer une amende de cent dollars. Quand des personnes écrivaient au président Grant pour l’interroger sur la position de l’Église vis-à-vis de l’évolution, il leur envoyait un exemplaire de la déclaration de la Première Présidence. Il n’avait pas à dire aux gens ce qu’ils devaient croire. Il expliquait que, comme l’avait dit Jésus dans son sermon sur la montagne, on reconnaissait la vérité à ses fruits.

Len Hope était âgé de dix-sept ans lorsqu’il assista pendant deux semaines à un réveil spirituel baptiste près de chez lui, en Alabama, dans le sud des États-Unis. Le soir, après avoir écouté les prédications, le jeune Noir rentrait chez lui, s’allongeait dans un champ de coton et regardait le ciel. Il suppliait Dieu de le guider vers une religion mais, au matin, le seul résultat de ses efforts était des vêtements mouillés par la rosée.

Un an plus tard, Len prit la décision de se faire baptiser dans une Église locale. Cependant, peu après, il rêva qu’il devait se refaire baptiser. Désorienté, il commença à lire la Bible avec tant d’ardeur que ses amis se faisaient du souci pour lui. Ils lui disaient : « Si tu n’arrêtes pas de lire comme ça, tu deviendras fou. L’asile est déjà plein de prédicateurs. »

Len continua de lire. Un jour, il apprit que le Saint-Esprit pouvait le guider vers la vérité. Sur les conseils d’un prédicateur, il se rendit dans une vieille maison vide, cachée dans les bois au milieu des buissons. Là, il pleura pendant des heures, suppliant Dieu de lui accorder le Saint-Esprit. Le matin, il était prêt à s’abstenir de boire et de manger jusqu’à ce qu’il reçoive ce don. Mais l’Esprit l’incita à ne pas le faire. Seul quelqu’un ayant l’autorité de Dieu pouvait lui conférer le Saint-Esprit.

Quelques temps après, tandis que Len attendait une réponse à ses nombreuses prières, un missionnaire saint des derniers jours remit à sa sœur une brochure qui présentait le plan divin du salut. Len la lut et crut en son message. Il découvrit également que les missionnaires saints des derniers jours avaient l’autorité de conférer le don du Saint-Esprit aux personnes ayant accepté d’entrer dans les eaux du baptême.

Len alla trouver les missionnaires et leur demanda s’ils pouvaient le baptiser.

L’un d’eux répondit : « Oui, volontiers, mais à votre place, j’en lirais un peu plus. »

Len reçut un exemplaire du Livre de Mormon, des Doctrine et Alliances, de la Perle de Grand Prix et d’autres ouvrages de l’Église, qu’il ne tarda pas à tous lire. Cependant, il fut enrôlé pour prendre part aux combats de la guerre mondiale avant d’avoir eu la possibilité de se faire baptiser. L’armée l’envoya outre-mer où il servit courageusement sur le front. De retour chez lui, en Alabama, il fut baptisé par un membre de l’Église locale le 22 juin 1919 et reçut enfin le don du Saint-Esprit.

Quelques jours après son baptême, des émeutiers blancs se présentèrent de nuit devant la maison où il vivait et l’appelèrent. Ils dirent : « On veut simplement te parler. » Ils tenaient des fusils et des carabines.

Len sortit. Dans le Sud américain où il vivait, des groupes armés imposaient parfois la ségrégation raciale aux Noirs par la violence. Ces hommes pouvaient le blesser ou le tuer là, maintenant, et n’auraient peut-être jamais à répondre de leur crime.

Un des émeutiers lui demanda pourquoi il s’était joint aux saints des derniers jours. En Alabama, les Noirs et les Blancs avaient le droit de pratiquer leur culte ensemble mais l’État avait aussi des lois ségrégationnistes strictes et des codes sociaux implicites visant à séparer les races dans les lieux publics. Comme presque tous les saints des derniers jours en Alabama étaient blancs, les émeutiers perçurent le baptême de Len comme un affront à la séparation des races profondément ancrée dans la région.

Faisant allusion au service de Len dans l’armée, l’homme poursuivit : « Tu as traversé les eaux et appris certaines choses. Et maintenant, tu veux t’associer aux Blancs ?

– Je m’intéressais à l’Église bien avant de partir pour la guerre, répondit finalement Len. J’ai découvert que c’était la seule vraie Église sur la terre. Voilà pourquoi j’en suis devenu membre.

– On veut que tu fasses rayer ton nom du registre. Sinon, on te pendra à une branche et on te transformera en charpie. »

Le lendemain matin, Len assista à une conférence avec les saints de la région et leur parla de la menace du groupe armé. Il connaissait les risques qu’il encourait en venant à la réunion mais il était prêt à mourir pour sa nouvelle religion.

Les membres de l’Église le rassurèrent : « Frère Hope, nous ne pourrions pas rayer votre nom même si nous essayions. Il est écrit à Salt Lake City et il est écrit dans les cieux. » Beaucoup d’entre eux lui proposèrent leur aide si les émeutiers s’en prenaient encore à lui.

Mais ceux-ci ne revinrent jamais. Peu après, en 1920, Len épousa Mary Pugh et ils déménagèrent à Birmingham, grande ville du centre de l’Alabama. L’oncle de Mary, un pasteur baptiste, prédit qu’elle deviendrait membre de l’Église avant la fin de l’année.

Elle lut le Livre de Mormon et obtint un témoignage de sa véracité. Cela prit un peu plus de temps que prédit et, au bout de cinq années de mariage, elle décida de se faire baptiser. Le 15 septembre 1925, la famille Hopes se rendit à une source isolée près de Birmingham, accompagnée de deux missionnaires. Mary fut baptisée sans incident, devenant enfin membre de l’Église, comme son mari.

Elle raconta à son oncle : « Je ne pourrais pas aller mieux et je ne vois pas de meilleure Église. »

Pendant ce temps, à Buenos Aires, Anna Kullick et sa famille accueillirent l’apôtre Melvin J. Ballard accompagné de Rey L. Pratt et Rulon S. Wells, des soixante-dix. La Première Présidence les avait envoyés en Argentine pour consacrer l’Amérique du Sud au travail missionnaire, établir une branche de l’Église et prêcher l’Évangile en allemand et en espagnol aux habitants de la ville. La famille Kullick les attendait depuis des mois. Les missionnaires étaient les seules personnes en Amérique du Sud à avoir l’autorité de les baptiser dans l’Église de Jésus-Christ.

Frère Wells parlait bien l’allemand et frère Pratt maîtrisait l’espagnol. Par contre, frère Ballard ne parlait aucune des deux langues et semblait dépassé par son nouvel environnement. Tout à Buenos Aires était nouveau pour lui : la langue du pays, l’air chaud de décembre et les étoiles dans le ciel du Sud.

Les missionnaires consacrèrent leurs premiers jours en Argentine à rencontrer les saints allemands de la ville. Ils tinrent des réunions chez Wilhelm Friedrichs et assistèrent à une leçon sur le Livre de Mormon chez Emil Hoppe. Puis, le 12 décembre 1925, ils baptisèrent Anna, Jacob et leur fille, Herta, âgée de seize ans. Ernst, le frère d’Anna, et sa femme, Marie, se firent également baptiser, ainsi que la fille adoptive de Wilhelm Friedrichs, Elisa Plassmann. Le lendemain, les missionnaires ordonnèrent Wilhelm et Emil à l’office de prêtre et Jacob et Ernst à celui de diacre.

Deux semaines plus tard, le matin de Noël, les trois missionnaires se rendirent au Parque Tres de Febrero, parc municipal bien connu composé de vastes pelouses vertes, de lacs bleus et de bosquets apaisants de saules pleureurs. Tandis qu’ils étaient seuls, les hommes chantèrent des cantiques puis inclinèrent la tête pendant que frère Ballard consacrait le continent à l’œuvre du Seigneur.

Dans sa prière, il dit : « Je tourne la clé ; je déverrouille et j’ouvre la porte à la prédication de l’Évangile dans toutes ces nations d’Amérique du Sud. J’ordonne à toutes les puissances qui s’y opposeraient de rester sans effet. »

La mission de l’Amérique du Sud fut officiellement ouverte ; les missionnaires et les membres travaillèrent main dans la main pour faire connaître l’Évangile autour d’eux. Herta Kullick, qui connaissait l’espagnol, parlait parfois de l’Évangile à ses amis à l’école. Frère Ballard et frère Pratt, quant à eux, faisaient du porte-à-porte pour distribuer des brochures et inviter les gens aux réunions de l’Église. Le travail était épuisant. Par tous les temps, les missionnaires devaient souvent parcourir de longues distances à travers champs ou sur des routes boueuses.

En janvier 1926, frère Wells rentra chez lui pour des raisons de santé. Herta fut chargée d’aider frère Ballard et frère Pratt à communiquer avec les saints allemands. Frère Ballard préparait un message pour les saints en anglais, frère Pratt le traduisait en espagnol et Herta utilisait la version espagnole pour le traduire en allemand. C’était un processus compliqué mais parfois très amusant, et les missionnaires étaient reconnaissants de l’aide de Herta.

Pendant leurs réunions, les deux hommes présentaient souvent des diaporamas grâce à un projecteur qu’ils avaient apporté des États-Unis. Herta invita ses amis à assister à ces projections, pensant que cela les intéresserait. En peu de temps, près d’une centaine de jeunes, essentiellement hispanophones, commencèrent à fréquenter la salle de réunion louée par les saints. Les frères organisèrent alors une école du dimanche pour les instruire.

Les parents des jeunes, se demandant ce que leurs enfants apprenaient, commencèrent également à venir aux réunions. Un jour, plus de deux cents personnes se réunirent dans la salle pour voir des diapositives sur le Rétablissement et entendre frère Pratt enseigner dans leur langue maternelle.

Six mois après l’arrivée des trois missionnaires à Buenos Aires, un président de mission et deux jeunes missionnaires vinrent prendre le relais sur le long terme. Ce nouveau président, Reinhold Stoof, et sa femme, Ella, étaient devenus membres de l’Église en Allemagne quelques années plus tôt. L’un des missionnaires, J. Vernon Sharp, parlait l’espagnol, ce qui allait permettre aux Sud-Américains germanophones et hispanophones d’entendre l’Évangile dans leur propre langue. Peu après leur arrivée, la mission eut sa première convertie hispanophone, Eladia Sifuentes.

Le 4 juillet 1926, juste avant de rentrer aux États-Unis, frère Ballard rendit témoignage à une petite assemblée de saints argentins. Il déclara : « L’œuvre va commencer par progresser lentement, comme le chêne qui pousse lentement à partir du gland. Elle ne va pas fleurir en un jour comme le font les tournesols qui poussent rapidement puis meurent. »

Il prophétisa : « Des milliers de gens se joindront à vous ici. Ce pays sera divisé en plusieurs missions et sera l’un des plus solides de l’Église. »


Chapitre 17 : Préservés l’un pour l’autre

Tandis que la croissance de l’Église se poursuivait dans le monde entier, Heber J. Grant ne savait pas quoi décider concernant l’avenir des établissements scolaires de l’Église. Au cours des vingt-cinq dernières années, leur coût de fonctionnement avait été multiplié par dix. Certains changements permirent d’économiser de l’argent, notamment le remplacement du coûteux système académique de pieu par le programme du séminaire. Cependant, l’université Brigham Young, l’université des saints des derniers jours, et d’autres établissements de l’Église étaient en pleine expansion. Si ces institutions voulaient offrir la même qualité d’éducation que l’université d’Utah et d’autres établissements locaux parrainés par l’État, il leur faudrait plus d’argent que celui fourni par les fonds de la dîme.

Cette dépense troublait constamment le prophète. En février 1926, lors d’une réunion du bureau général de l’éducation de l’Église, il déclara : « Rien ne m’a davantage préoccupé depuis que je suis président. » L’université Brigham Young, à elle seule, demandait plus d’un million de dollars pour agrandir son campus. Le président Grant dit : « C’est tout simplement impossible. »

Certains membres du bureau, aussi inquiets que le prophète, souhaitaient que l’Église ferme toutes ses universités, y compris BYU. Cependant, les apôtres David O. McKay et John Widtsoe, qui avaient tous deux fréquenté les établissements d’enseignement de l’Église et avaient été commissaires à l’éducation de l’Église, rétorquèrent que les jeunes adultes avaient besoin de ces écoles car elles dispensaient une éducation religieuse importante.

En mars, lors d’une réunion du bureau, frère McKay affirma : « Les établissements scolaires ont été fondés pour avoir une influence sur nos enfants. » Pour lui, les universités de l’Église jouaient un rôle essentiel car elles façonnaient les jeunes en saints des derniers jours fidèles.

Frère Widtsoe partageait cet avis. Il dit : « Je connais la valeur des écoles de l’Église. Elles aident les jeunes à devenir matures. Je pense que l’Église commettrait une grande erreur si elle ne gardait pas une institution d’enseignement supérieur. »

À peu près à la même époque, Charles W. Nibley, conseiller du président Grant, rencontra William Geddes, membre de l’Église originaire d’Idaho, au nord de l’Utah. Ses filles, Norma et Zola, faisaient partie des quelques saints des derniers jours qui fréquentaient l’université d’Idaho. Leur petite branche louait pour ses réunions une salle miteuse dans laquelle des soirées dansantes étaient parfois organisées le samedi soir. Le lendemain matin, lorsque Norma et Zola arrivaient pour les réunions de l’Église, l’endroit empestait la fumée de cigarette et le sol était jonché de déchets et de bouteilles d’alcool vides.

William souhaitait que ses filles puissent se réunir dans un lieu de culte plus approprié près de leur université. Il expliqua à frère Nibley : « À moins de disposer de meilleurs locaux, l’université n’attirera jamais d’étudiants saints des derniers jours. »

Le président Grant et le bureau d’éducation réfléchirent à la situation en Idaho tandis qu’ils discutaient de l’avenir de l’éducation de l’Église. Ils décidèrent de continuer de financer l’université Brigham Young tout en retirant progressivement leur soutien à la plupart des autres universités de l’Église. Une éducation religieuse allait aussi être proposée aux étudiants en étendant le séminaire à l’université. Le bureau envisagea alors de faire de l’université d’Idaho un terrain d’expérimentation pour le nouveau programme. Il ne restait plus qu’à trouver quelqu’un qui s’installe à Moscow, la petite ville où se trouvait l’université.

En octobre, les membres de la Première Présidence rencontrèrent Wyley Sessions, ancien agent agricole de l’université d’Idaho, qui venait tout juste de rentrer chez lui après avoir présidé la mission sud-africaine. Ils l’avaient recommandé pour un poste dans une entreprise sucrière locale, mais tandis qu’ils lui parlaient du travail, frère Nibley s’interrompit et se tourna vers le prophète.

Il dit : « Nous sommes en train de faire une erreur.

– Je crains que oui, acquiesça le président Grant. Je n’ai pas vraiment l’impression que nous devons affecter frère Sessions à cette entreprise sucrière. »

Le silence régna dans la salle pendant un instant. Frère Nibley reprit : « Frère Sessions, vous êtes l’homme qu’il nous faut à l’université d’Idaho. Nous avons besoin que vous preniez soin de nos garçons et de nos filles qui iront à l’université là-bas, que vous examiniez la situation et nous disiez ce que doit faire l’Église pour les étudiants saints des derniers jours qui fréquentent les universités d’État.

– Oh non ! répondit Wyley. Frères, m’appelez-vous à faire une autre mission ? » Son affectation en Afrique du Sud avait duré sept ans et les avait laissés, lui et sa femme Magdalen, presque sans le sou.

« Non, frère, nous ne vous appelons pas pour une autre mission, s’amusa le prophète. Nous vous donnons une occasion splendide de rendre service à l’Église. » Il ajouta qu’il s’agirait d’une opportunité professionnelle, d’un emploi rémunéré.

Wyley Sessions se leva tristement. Frère Nibley se dirigea vers lui et le prit par le bras.

Il lui dit : « Ne soyez pas déçu. C’est ce que le Seigneur veut que vous fassiez. »

Le jour de l’An 1927, la neige recouvrait Salt Lake City mais un soleil radieux inondait la maison de la famille Widtsoe, tenant le froid à distance. Eudora, âgée de quatorze ans, était la seule enfant qui vivait encore là, mais toute la famille s’était réunie pour les vacances. Leah était ravie d’être entourée de ses enfants.

Marsel avait maintenant vingt-quatre ans. Il était fiancé et allait être diplômé de l’université d’Utah dans quelques mois. Il espérait pouvoir entrer à l’université de Harvard, comme son père, et y étudier l’administration des affaires. Sa sœur aînée, Ann, quant à elle, avait épousé Lewis Wallace, jeune avocat saint des derniers jours, et avait déménagé avec lui à Washington, DC. Toutefois, elle était revenue en Utah parce qu’elle avait le mal du pays. Sa mère s’inquiétait pour elle. Leah et John étaient reconnaissants de la bonté et de la miséricorde du Seigneur à l’égard de leur famille.

Au début de la nouvelle année, John reprit ses fonctions au sein des Douze et Leah consacra son temps libre à aider sa mère dans un nouveau projet d’écriture. Pendant des années, elle l’avait vue rassembler des renseignements et noter des histoires sur son père, Brigham Young, afin de publier un jour sa biographie. Cependant, depuis quelque temps, Leah avait remarqué que sa mère avançait sur d’autres projets d’écriture, comme l’histoire des saintes des derniers jours, mais qu’elle ne travaillait plus sur la biographie.

« Mère, qu’en est-il du livre sur ton père ? lui demanda-t-elle un jour. Ne l’écris-tu plus ?

– Non, il est trop grand pour moi, répondit Susa. Si tu te tiens à côté d’une montagne, tu ne peux pas vraiment la décrire parce que tu es trop près pour bien la voir.

– Tout de même, tu dois le faire, insista sa fille. Un jour, tu devras écrire ce livre sur ton père et je serai heureuse de t’y aider. »

Depuis, Susa avait rédigé deux manuscrits volumineux sur Brigham Young. Elle sollicita Leah pour l’aider à en faire une seule biographie cohérente. Leah trouvait le travail difficile, parfois long et fastidieux, mais elle savait que sa mère avait besoin d’aide. Susa était une écrivaine née, dotée d’un esprit fort et de beaucoup de détermination. Sa fille peaufinait le texte et structurait l’écriture. Elles travaillaient ensemble chez Susa et formaient une bonne équipe.

Le matin du 23 mai 1927, le quotidien de Leah fut brutalement interrompu par une lettre arrivant de Preston, en Idaho, où Marsel enseignait le séminaire. Après avoir porté secours à un automobiliste en panne sur le bord de la route, Marsel avait attrapé un méchant rhume. Ses amis pensaient qu’il allait mieux mais sa température restait élevée. Il risquait une pneumonie qui mettrait sa vie en danger.

Leah prit immédiatement le train pour Preston et arriva au chevet de Marsel. Le lendemain, sa température baissa de quelques degrés et Leah pensa qu’il allait se rétablir. Mais son état ne s’améliora pas, et Leah recommença à s’inquiéter. John vint aussi à Preston, implorant le Seigneur d’épargner la vie de son fils. Il appela l’un de ses amis, médecin, pour qu’il s’occupe du jeune homme. Des amis donnèrent à Marsel des bénédictions de la prêtrise. D’autres le veillèrent pendant la nuit.

Épuisée, Leah s’effondra le 27 mai. Cette nuit-là, l’état de Marsel sembla s’améliorer. Marion Hill, sa fiancée, arriva le lendemain matin. Les poumons de Marsel semblaient se dégager et sa température chuta à nouveau. Mais, plus tard dans la journée, sa respiration devint plus difficile et son corps enfla. Tout l’après-midi, Leah resta à ses côtés avec John et Marion. Les heures passaient lentement mais il n’allait pas mieux. Il mourut dans la soirée.

Leah était inconsolable. Elle avait déjà perdu quatre de ses enfants. Son dernier fils, dont l’avenir semblait si prometteur et bien tracé au début de la nouvelle année, n’était plus là.

Ce printemps-là, à quelque deux mille cinq cents kilomètres à l’est de Salt Lake City, Paul Bang, âgé de huit ans, se préparait pour le baptême. Il était le sixième d’une famille de dix enfants, quatre filles et six garçons. Ils vivaient dans une pièce en forme de L, derrière l’épicerie que tenaient leurs parents à Cincinnati, ville dynamique de plus de quatre cent mille habitants de l’Ohio, dans le Midwest des États-Unis. Pour créer un semblant d’intimité, la famille avait divisé la pièce à l’aide de rideaux. Malgré tout, personne n’avait vraiment d’intimité. La nuit, les membres de la famille dormaient sur des lits pliants qui prenaient tellement de place qu’on pouvait à peine se déplacer dans la pièce.

Le père de Paul, Christian Bang, père, était originaire d’Allemagne. Quand il était enfant, sa famille avait déménagé à Cincinnati, comme de nombreux immigrants allemands au XIXe siècle. En 1908, Christian avait épousé Rosa Kiefer, dont les parents étaient également des immigrants allemands. Trois ans plus tard, une amie de Rosa, Elise Harbrecht, lui avait donné un Livre de Mormon. Le couple l’avait lu avec intérêt. Ils avaient eu des réunions avec les missionnaires pendant une année puis s’étaient fait baptiser dans un bain juif car l’Ohio était gelée.

La branche de Cincinnati ressemblait à beaucoup de branches de l’Église de l’est des États-Unis. La ville avait abrité une assemblée prospère de saints, mais celle-ci avait diminué au fil des ans tandis que de plus en plus de membres de l’Église se rassemblaient en Utah. À l’époque où les parents de Paul étaient devenus membres de l’Église, les saints des derniers jours étaient devenus un objet de curiosité dans la région. En 1912, lorsque les missionnaires baptisèrent un garçon, des centaines de personnes vinrent les observer. Le lendemain du baptême, un article dans le journal informa les lecteurs de la présence des missionnaires dans la région.

On y lisait : « De grands efforts seront faits ouvertement pour convertir de nombreuses autres personnes. »

Après leur baptême, les parents de Paul assistèrent aux réunions de l’Église avec les missionnaires et quelques autres membres dans une petite salle louée. Puis un membre de l’Église déménagea en Utah, un autre décéda et deux cessèrent de venir. Christian et Rosa envisagèrent de rejoindre aussi l’Utah mais ils décidèrent finalement de rester en Ohio où se trouvaient leurs familles et leur travail.

Comme d’autres branches éloignées de Salt Lake City, la branche de Cincinnati eut le plaisir d’accueillir des membres de l’Église plus expérimentés. Charles et Christine Anderson, couple de saints des derniers jours venant d’Utah, s’installèrent à Cincinnati et commencèrent à aller à l’église avec les membres de la famille Bang, qui venait de se convertir.

La famille Anderson avait été dotée et scellée dans le temple et avait œuvré dans des paroisses et des pieux de l’Ouest américain pendant de nombreuses années. Comme beaucoup de saints, les Anderson avaient quitté l’Utah en quête de nouvelles possibilités. Né en Suède, Charles avait inventé un nouveau type de serpillière et était venu dans l’Est pour la fabriquer. Il ne connaissait rien de Cincinnati, à part le fait que c’était une grande ville et un centre d’affaires prospère. Néanmoins, le président de mission des États du Sud l’appela immédiatement pour réorganiser et diriger la branche. Il choisit le père de Paul pour être son premier conseiller.

Il n’était pas facile d’être un saint des derniers jours à Cincinnati. Depuis des années, des articles de presse et des manifestants s’attaquaient à l’Église. Un jour, Frank Cannon, fils apostat de George Q. Cannon, organisa un rassemblement dans la ville. Le journal local qualifia alors Cincinnati de « champ de bataille de la guerre contre la propagation du mormonisme en Amérique ».

Pourtant, malgré l’opposition, les parents de Paul s’appliquèrent à élever leurs enfants dans l’Évangile. Ils assistaient aux réunions hebdomadaires de l’Église et servaient fidèlement dans leur petite branche. Chaque matin, le père de Paul réunissait toute sa famille pour prier et réciter le « Notre Père », une pratique courante chez les chrétiens allemands. Le lundi, sa mère invitait souvent les missionnaires à dîner. Ils prenaient place autour d’une grande table dans la cuisine reliée à l’arrière-boutique. La mère de Paul ne jetait jamais rien d’utilisable ; elle cuisinait les aliments abîmés du magasin en prenant soin de retirer les parties pourries des fruits, des légumes ou de la viande avant de les servir. Son père insistait pour que les missionnaires mangent à satiété.

Le couple veillait également à ce que ses enfants se fassent baptiser à l’âge de huit ans. Le 5 juin 1927, Paul fut baptisé dans l’Ohio en compagnie de quatre autres personnes à Anderson’s Ferry, quartier de la ville au bord de la rivière. Ses parents et frère Anderson étaient présents pour l’occasion, ainsi que certains de ses amis.

Il n’y avait pas de curieux pour assister à l’événement et aucun article de journal ne fut publié. Un compte rendu du baptême fut fait dans le Liahona, le journal des missionnaires [Liahona, the Elders’ Journal], qui était le magazine officiel des missions de l’Église en Amérique du Nord. On y lisait même le nom de Paul.

L’accueil réservé à Wyley et Magdalen Sessions à l’université d’Idaho ne fut pas chaleureux. La ville de Moscow se trouvait au nord de l’État, dans un endroit ou peu de membres de l’Église vivaient. De nombreuses personnes étaient venues dans la région pour cultiver le sol riche ou chercher fortune dans les industries minières et forestières. Les habitants se méfiaient de l’Église et ils étaient irrités par la présence de Wyley.

« Qui est ce type, ce Sessions ? demandaient-ils. Que vient-il faire ici ? Que cherche-t-il à faire ? »

Si on lui avait posé directement les deux dernières questions, Wyley n’aurait pas su quoi répondre. Il avait été chargé par la Première Présidence d’aider les étudiants saints des derniers jours et c’était à lui de décider comment s’y prendre. Il savait que les étudiants avaient besoin d’une instruction religieuse donnée de manière régulière et d’un nouvel endroit pour se réunir. Toutefois, Wyley n’avait aucune expérience dans l’instruction religieuse en dehors de son service en tant que président de mission. Il avait étudié l’agriculture à l’université. Si les étudiants l’interrogeaient sur les engrais, il était capable de les instruire. Par contre, il n’était pas un érudit de la Bible.

Peu après leur arrivée à Moscow, Wyley et Magdalen s’inscrivirent à l’école supérieure de l’université afin de poursuivre leurs études et de se familiariser avec l’établissement et son corps enseignant. Wyley étudia la philosophie et l’éducation, suivit quelques cours sur la religion et la Bible, et commença à rédiger une thèse sur la religion dans les universités d’État aux États-Unis. De son côté, Magdalen étudia le travail social et l’anglais.

C. W. Chenoweth, le directeur du département de philosophie, s’avéra être un allié. Comme eux, il s’inquiétait du manque d’instruction religieuse dans les universités d’État. Il avait été aumônier pendant la guerre et était désormais pasteur dans une église près de Moscow. Il leur dit : « Vous devriez vous préparer à la rivalité de l’université si vous proposez à ce campus un programme religieux. »

Avec les encouragements de C. W. Chenoweth, Wyley et Magdalen Sessions élaborèrent un programme semblable au séminaire destiné aux étudiants saints des derniers jours fréquentant les universités publiques. Ils basèrent leur programme d’éducation religieuse sur ceux des autres universités et veillèrent à respecter la séparation entre l’Église et l’État. Les cours de religion devaient répondre aux normes de l’État concernant l’enseignement universitaire, mais ils devaient également être totalement indépendants de l’établissement lui-même. Si l’Église construisait un bâtiment pour les cours, il devrait être situé en dehors du campus.

Sachant que l’université ne soutiendrait pas le nouveau programme tant que les dirigeants locaux se méfieraient de lui et de l’Église, Wyley Sessions devint membre de la chambre de commerce et d’un groupe civique, afin de rencontrer des membres influents de la collectivité. Il découvrit que des chefs d’entreprise, des pasteurs et des professeurs avaient formé un comité pour le surveiller et veiller à ce qu’il n’essaye pas d’asseoir l’influence de l’Église sur l’université. Fred Fulton, agent d’assurance, dirigeait ce comité. Chaque fois que Wyley Sessions assistait à des manifestations de la chambre de commerce, il s’asseyait à côté de lui et essayait de se lier d’amitié avec lui.

Un jour, Fred Fulton lui dit : « Sacré Wyley, tu es le plus étonnant des hommes. » Il lui avoua son rôle dans le comité. Il expliqua : « À chaque fois que je te vois, tu es tellement sympathique que je t’apprécie de plus en plus. »

Toute la ville finit par s’adoucir à l’égard de la famille Sessions. Avec l’aide de Wyley, l’Église trouva un terrain près du campus et l’acheta afin d’en faire un centre d’étude pour les saints. Wyley et un architecte de l’Église travaillèrent avec l’université et la chambre de commerce pour concevoir le bâtiment, l’approuver et superviser sa construction. À l’automne 1927, Wyley commença à donner des cours de religion et l’université accepta d’accorder des crédits universitaires aux étudiants qui les suivaient. Magdalen, quant à elle, organisa une série d’activités sociales pour les étudiants saints des derniers jours tels que Norma et Zola Geddes.

Un jour, alors que Wyley se promenait avec Jay Eldridge, le doyen de la faculté, ils passèrent devant le terrain du nouveau centre étudiant de l’Église. Le doyen dit : « C’était intelligent de votre part de vous procurer ce terrain. » Il demanda ensuite comment l’Église allait appeler ce nouveau programme. Il ajouta : « Vous ne pouvez pas l’appeler ‘séminaire’. Vous utilisez déjà ce terme pour vos séminaires d’enseignement secondaire.

– Je ne sais pas, répondit Wyley. Je n’y ai pas vraiment réfléchi. »

Jay Eldridge s’arrêta. « Je vais vous dire comme vous allez l’appeler. Vous avez devant vous l’institut de religion des saints des derniers jours. »

Le nom plut à Wyley Sessions ainsi qu’au bureau général d’éducation de l’Église.

En septembre 1927, Leah Widtsoe se sentait épuisée spirituellement, mentalement et physiquement. La mort soudaine de son fils, Marsel, l’avait plongée dans une profonde dépression. Elle dit un jour à John : « Je me demande vraiment si cela vaut la peine de vivre. Sans ton amour, je sais que cela ne vaudrait pas la peine. »

Le 31 mai, Marsel avait été enterré au cimetière de Salt Lake City. Le lendemain, c’était le vingt-neuvième anniversaire de mariage de Leah et John. Ils passèrent la journée à ranger après les funérailles. Dans les semaines et les mois suivants, leurs amis et les membres de leur famille leur rendirent souvent visite mais, malgré leur soutien et leur amour, la guérison était lente. Ils avaient néanmoins une raison de se réjouir : leur fille, Ann, était enceinte. Cependant, cette dernière était malheureuse dans son mariage et elle décida de rester en Utah avec ses parents au lieu de retourner auprès de son mari à Washington, DC.

La dépression de Leah faisait de chaque jour un combat. Les tâches ecclésiastiques de John l’obligeaient à être souvent en déplacement mais, lorsqu’il était à la maison, il était auprès d’elle, lui rendant la vie supportable. Cet été-là, elle lui confia : « Je prie pour que nous soyons préservés l’un pour l’autre. Si tu es à mes côtés, je peux mener toutes les batailles ! »

Le 8 août 1927, Ann donna naissance à John Widtsoe Wallace, et Leah et John devinrent grands-parents. Un mois plus tard, Harold Shepstone, journaliste anglais en visite à Salt Lake City, rencontra la mère de Leah. Susa Gates lui parla de la biographie de Brigham Young qu’elle était en train d’écrire avec Leah et il demanda à la voir. Elle lui remit une copie du manuscrit et il accepta de l’aider à trouver un éditeur.

Il déclara : « Cet ouvrage constituera une lecture des plus intéressantes mais, bien sûr, il devra être fortement condensé. »

Toutes ces bonnes nouvelles ne suffirent pas à consoler Leah. Susa lui proposa de l’accompagner en Californie, espérant qu’un séjour sur la côte lui remonterait le moral. Cependant, juste après avoir acheté les billets, le président Grant appela John à être le nouveau président de la mission européenne. Pendant le reste de la journée, John était abasourdi. Il ne dormit presque pas la nuit suivante. La mission européenne était l’une des plus anciennes et des plus vastes missions de l’Église. Son président était responsable de neuf autres présidents de mission, établis dans des pays s’étendant sur des milliers de kilomètres, de la Norvège à l’Afrique du Sud. L’apôtre appelé à diriger cette mission avait normalement beaucoup d’expérience.

Leah accepta ce nouvel appel, même s’il l’éloignait de sa maison et de ses proches. L’année précédente avait été cauchemardesque et ce changement était le bienvenu. Ici, tout lui rappelait Marsel. En Europe, elle aurait la possibilité de faire son deuil. De son côté, John était convaincu que le président Grant avait été inspiré de les appeler en mission pour les aider à faire face à la perte de leur fils.

Les deux mois suivants furent consacrés à leurs préparatifs. En préparant ses affaires, Leah pensa à Harold Shepston et à la biographie de Brigham Young. Elle ajouta le manuscrit à ses bagages, déterminée à faire tenir au journaliste sa promesse de trouver un éditeur.

Le 21 novembre, Leah et John Widtsoe furent mis à part pour leur mission. Ils retournèrent ensuite chez eux pour dire au revoir à la tante de John, Petroline, alors âgée de soixante-quatorze ans. Ils lui avaient proposé de les accompagner en Europe mais elle ne pensait pas en avoir la force. Cependant, elle était heureuse que John ait la possibilité de retourner en Europe et d’enseigner l’Évangile, comme elle l’avait fait vingt ans auparavant avec sa mère.

Plus tard dans la journée, une foule vint dire au revoir à Leah, John et leur fille Eudora à la gare. Susa Gates leur remit une lettre à ouvrir dans le train. On y lisait : « Je vous suivrai dans votre voyage et dans la grande œuvre que vous accomplirez tous les deux. Votre tante et moi vous attendrons sur le quai quand vous rentrerez, sereines, souriantes, heureuses du retour de nos enfants tendrement aimés. »

Elle exhorta également Leah à se préparer aux nombreuses difficultés qu’elle ne manquerait pas de rencontrer pendant la mission. Elle ajouta : « Notre Père doit lui-même être impitoyable parfois, lorsque ses enfants doivent acquérir de l’expérience par la douleur, la pauvreté et les combats. »


Chapitre 18 : N’importe quel endroit sur la terre

En décembre 1927, Reinhold Stoof, le président de la mission sud-américaine, était prêt à quitter l’Argentine, ne serait-ce que temporairement.

Dix-huit mois plus tôt, en arrivant à Buenos Aires, il s’était attendu à travailler principalement auprès des immigrants germanophones. Cependant, ces derniers étaient dispersés dans la ville et n’étaient pas faciles à trouver, ce qui compliquait l’œuvre missionnaire. Pour que l’Église se développe en Amérique du Sud tel un chêne, comme l’avait prophétisé Melvin J. Ballard, Reinhold Stoof et ses quelques missionnaires devaient porter l’Évangile aux hispanophones.

D’origine allemande, Reinhold Stoof ne connaissait pas un mot d’espagnol. Il commença à étudier la langue presque immédiatement. Toutefois, il se sentait responsable des Allemands vivant sur ce continent. Il savait qu’il y avait de grandes localités d’immigrés germanophones non loin de là, au Brésil. En fait, avant de rentrer aux États-Unis, frère Ballard avait recommandé d’y envoyer des missionnaires afin d’évaluer l’intérêt que ces personnes pourraient porter à l’Évangile.

Reinhold Stoof connaissait quelques saints allemands vivant déjà au Brésil et il pensait qu’avec leur aide, ils pourraient établir des branches de l’Église dans leurs villes. Comme le travail auprès des immigrés allemands ralentissait à Buenos Aires, le moment semblait venu de visiter le Brésil.

Le 14 décembre, Reinhold Stoof délégua la responsabilité du travail en Argentine à un missionnaire et se rendit au Brésil accompagné d’un frère du nom de Waldo Stoddard. Ils firent un premier arrêt à São Paulo, l’une des plus grandes villes du Brésil, où ils espéraient retrouver un membre de l’Église qui y vivait depuis qu’il était rentré de sa mission en Suisse allemande. Leurs recherches furent vaines et le travail missionnaire dans cette ville présentait trop de difficultés. São Paulo comptait de nombreux immigrants allemands, mais comme à Buenos Aires, ils étaient dispersés dans toute la ville.

Une semaine plus tard, Reinhold Stoof et Waldo Stoddard se rendirent dans une petite ville appelée Joinville, dans le sud du Brésil. Elle avait été fondée par des immigrants d’Europe du Nord dans les années 1850 et de nombreux habitants parlaient encore l’allemand. Les gens étaient aimables et semblaient intéressés par l’Évangile. Reinhold et Waldo y distribuèrent des brochures et organisèrent deux réunions. À chaque fois, plus d’une centaine de personnes vinrent y assister. Les missionnaires rencontrèrent le même intérêt lorsqu’ils prêchèrent dans d’autres villes de la région. La veille de leur départ de Joinville, on leur demanda de bénir deux femmes malades.

Après avoir passé trois semaines à Joinville et dans les environs, Reinhold retourna en Argentine, ravi de ce qu’il avait découvert au Brésil. Il expliqua à la Première Présidence : « Le travail auprès des Allemands de Buenos Aires sera toujours une bonne chose, mais ce n’est rien comparé au travail parmi les Allemands du Brésil. »

Il voulait que des missionnaires soient immédiatement envoyés à Joinville. Il reconnut : « J’ai toujours été optimiste, mais jamais trop enthousiaste pour ne pas voir les ombres et les obstacles. Et pourtant je le répète : le sud du Brésil est le bon endroit ! »

Tandis que Reinhold Stoof revenait du Brésil, John et Leah Widtsoe arrivaient à Liverpool, en Angleterre, pour commencer leur mission. Sans tarder, ils inscrivirent Eudora dans un établissement d’enseignement secondaire et commencèrent leur nouvelle vie. Leah accueillit ce changement avec joie. Elle n’avait jamais fait de mission ni consacré autant de temps à travailler en dehors de son foyer. Chaque jour apportait son lot de nouveautés. Elle apprit très vite à faire l’œuvre missionnaire. De plus, elle aimait servir aux côtés de John, car la carrière et les tâches ecclésiastiques de son mari l’avaient souvent tenue éloignée de lui.

Près de trente ans s’étaient écoulés depuis leur séjour en Europe pour les études de John. Pendant cette période, l’Église avait connu des changements remarquables sur tout le continent. La fin de l’émigration massive vers l’Utah signifiait que quelque vingt-huit mille saints vivaient désormais en Europe. Près de la moitié d’entre eux étaient germanophones. Les détracteurs hostiles, tels que William Jarman, avaient disparu et de nombreux journaux publiaient des rapports honnêtes sur les conférences de l’Église ou des commentaires favorables sur les bonnes actions des saints.

Pourtant, en visitant les branches sur tout le continent, Leah et John perçurent de l’indifférence et de la frustration parmi les saints. En Europe, on ne pouvait pas recevoir sa bénédiction patriarcale ni participer au culte du temple. Puisque l’Église n’encourageait plus l’émigration, peu de saints européens pouvaient espérer prendre part un jour à ces ordonnances.

D’autres facteurs entravaient la progression de l’Église. Les nouveaux missionnaires américains étaient plus jeunes et moins expérimentés que leurs prédécesseurs. En général, ils parlaient à peine la langue de la mission. Malgré cela, ils dirigeaient les assemblées, même celles où il y avait des membres de longue date, fidèles et compétents. Ces branches louaient habituellement des salles de réunion avec les maigres revenus de la dîme et elles se retrouvaient dans des quartiers délabrés et peu attirants pour d’éventuels nouveaux membres. Comme il n’y avait pas de Sociétés de Secours, de Primaires, de Sociétés d’amélioration mutuelle ni d’Écoles du Dimanche, l’Église n’était pas vraiment attrayante pour les saints des derniers jours et les amis de l’Église.

Comme John, Leah était impatiente de servir les saints européens. Elle était principalement responsable de diriger l’œuvre de la Société de Secours en Europe. Peu après son arrivée en Angleterre, elle commença à rédiger des leçons sur le Livre de Mormon destinées à la Société de Secours pour l’année à venir. Dans son premier message adressé à cette organisation dans les Îles Britanniques et publié dans le Millennial Star, elle reconnut que les saints étaient loin du siège de l’Église mais elle expliqua que Sion n’était pas un seul endroit.

Elle demanda : « Après tout, où est Sion ? Sion, ce sont ‘ceux qui ont le cœur pur’ et cela peut être n’importe quel endroit sur la terre où les hommes choisissent de servir Dieu dans la plénitude et la vérité. »

Tandis que Leah et John parcouraient le secteur de la mission, apprenant comment aider les Européens, leurs pensées se tournaient sans cesse vers leur fils Marsel. Il était difficile pour John de se rendre dans les endroits où son fils avait servi fidèlement. Toutefois, peu après la mort de celui-ci, il avait été réconforté lorsque l’esprit du jeune homme était venu lui assurer qu’il était heureux et occupé à l’œuvre missionnaire de l’autre côté du voile. John avait alors trouvé le courage d’affronter le quotidien sans son fils.

Leah était également fortifiée par cette assurance. Auparavant, le fait de savoir que Marsel éprouvait de la joie en travaillant dans le monde des esprits n’avait pas suffi à la sortir de sa dépression. La mission lui donna une nouvelle vision. Elle écrivit à une amie en Utah : « Le fait de savoir que notre fils est occupé à la même grande cause là-bas que nous ici m’incite à être plus active et plus zélée. » La mort de Marsel était toujours un souvenir douloureux mais elle trouvait l’espérance et la guérison en Jésus-Christ.

Elle témoigna : « Rien d’autre que l’Évangile ne pourrait rendre une telle expérience supportable. » À présent, sa foi dans le pouvoir guérisseur du Seigneur était inébranlable. Elle écrivit : « Ma foi a supporté cette épreuve. Ce pouvoir est bien réel. »

À la fin du mois de mars 1929, la pluie et le vent s’abattaient sur la maison de Bertha et Ferdinand Sell à Joinville, au Brésil. Pour Bertha, cette tempête arrivait vraiment au mauvais moment. Ferdinand et elle, tous deux immigrants allemands de la deuxième génération, subvenaient aux besoins de leurs sept enfants en vendant du lait en ville. Suite à un accident, Ferdinand ne pouvait plus livrer le lait à leurs clients. C’était donc Bertha qui se chargeait des livraisons, qu’il pleuve ou qu’il vente. Tant pis pour son asthme.

Ce jour-là, Bertha passa des heures debout, effectuant de nombreuses livraisons malgré le mauvais temps. En rentrant chez elle, fatiguée, elle aperçut un journal sur la table. Elle le prit et demanda : « D’où vient ce journal ? » Personne ne le savait.

Il y avait une publicité pour une réunion des saints des derniers jours ce soir-là à Joinville. « Comme c’est intéressant ! Je n’ai jamais entendu parler de cette Église, dit-elle à son mari. Nous sommes tous invités à y aller. »

Ferdinand n’était pas intéressé. Il demanda : « Qu’allons-nous faire à une réunion avec des étrangers ?

– Allons-y, insista sa femme.

– Tu es fatiguée. Tu as déjà beaucoup marché aujourd’hui. Tu ne devrais pas y aller. » Il fallait penser à sa santé. Elle risquait de se surmener en se rendant à la réunion.

« Mais je veux y aller, dit-elle. Quelque chose me murmure que je dois y aller. »

Ferdinand finit par céder et il accompagna Bertha et quelques-uns de leurs enfants en ville. Il avait plu dans la journée et les rues étaient boueuses mais la famille arriva à la réunion à temps pour entendre deux missionnaires germanophones, Emil Schindler et William Heinz, parler de l’Évangile rétabli de Jésus-Christ. Six mois plus tôt, ils étaient arrivés à Joinville avec le président Stoof, qui était revenu au Brésil pour ouvrir une branche dans la ville.

Certains pasteurs de la ville avaient essayé de monter la population contre eux, mais les missionnaires avaient été prompts à défendre leurs croyances. Ils avaient distribué des brochures et présenté des diaporamas sur l’Église à un large auditoire. Désormais, ils tenaient des réunions régulières le soir et une École du Dimanche pour une quarantaine de participants. Pourtant, personne n’était encore devenu membre de l’Église à Joinville.

À la fin de la réunion, tout le monde dit « Amen » et quitta la salle. En sortant, Bertha fut soudainement prise d’une crise d’asthme. Ferdinand se précipita à l’intérieur du bâtiment et demanda de l’aide aux missionnaires. Les deux hommes accoururent et portèrent Bertha à l’intérieur. Ils lui posèrent leurs mains sur la tête et lui donnèrent une bénédiction de la prêtrise. Elle reprit rapidement des forces et ressortit, souriante.

Elle expliqua à sa famille : « Ils ont prié pour moi et maintenant je vais mieux. »

Les missionnaires raccompagnèrent la famille jusqu’à son foyer et Bertha raconta immédiatement à ses voisins ce qui s’était passé. Elle affirma à ses amis : « J’en suis certaine. L’Église est vraie. » Elle était si heureuse ! Elle ressentait la véracité de l’Évangile.

Le lendemain, Bertha alla trouver les missionnaires et leur dit qu’elle voulait qu’ils la baptisent, ainsi que ses enfants.

Au cours des deux semaines suivantes, les frères rendirent des visites successives aux membres de la famille afin de leur enseigner des leçons sur l’Évangile rétabli. Ferdinand et l’aînée des filles, Anita, ne voulurent pas devenir membres de l’Église à ce moment-là. Le 14 avril , Emil et William baptisèrent Bertha et quatre de ses enfants, Theodor, Alice, Siegfried et Adele, dans la rivière Cachoeira à proximité. Ils furent les premiers saints des derniers jours baptisés au Brésil.

Il fallut peu de temps pour que les amis et les voisins de Bertha assistent aux réunions avec elle et qu’une branche de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours soit établie à Joinville.

À la même époque, au début de l’année 1929, l’Église presbytérienne mettait en vente une petite chapelle en briques à Cincinnati, en Ohio. Le bâtiment avait environ soixante-dix ans et se trouvait dans une petite rue à l’extrémité nord du centre-ville. Il n’était pas aussi grandiose que d’autres églises ou synagogues de la ville mais il se composait d’une belle entrée en arc, d’une tour ornée et de plusieurs grandes fenêtres donnant sur la rue.

Il attira immédiatement l’attention de Charles Anderson, le président de la branche de Cincinnati, et de ses conseillers, Christian Bang et Alvin Gilliam. Comme de nombreux présidents de branche de l’Église, Charles souhaitait depuis longtemps trouver un lieu de réunion permanent pour son assemblée. À cette époque, les dirigeants de paroisse et de branche de l’Église désiraient vivement construire ou acheter des salles de réunion équipées de chauffage moderne, de plomberie intérieure et d’éclairage électrique. Charles Anderson avaient de bons souvenirs des vieux magasins et autres salles louées dans lesquels la branche de Cincinnati s’était réunie au fil des ans, mais il savait que ces endroits n’étaient que des lieux de réunion temporaires pour les saints. L’assemblée finissait toujours par devenir trop nombreuse ou le bail prenait fin et les saints devaient se réunir ailleurs.

Ce cycle était ennuyeux. Charles avait toujours été à la recherche de la salle la plus convenable et la plus agréable. Pendant plusieurs années, l’Église avait eu mauvaise réputation dans la ville et certaines personnes refusaient catégoriquement de louer leurs biens à des saints des derniers jours. Charles et les membres de la branche avaient conjugué leurs efforts afin de changer la perception que les gens avaient de l’Église, en organisant des réunions dans la rue, des concerts et des pièces de théâtre gratuits, et en invitant les gens à se joindre à eux le dimanche. Petit à petit, il était devenu plus facile de trouver de nouvelles salles de réunion. Mais les déménagements fréquents empêchaient les saints d’attirer de futurs convertis.

Conscient du problème, le président de la mission locale avait conseillé à Charles de chercher un lieu de culte permanent pour les saints de Cincinnati. La branche comptait désormais environ soixante-dix personnes, essentiellement des jeunes femmes et hommes de la classe ouvrière qui avaient grandi dans la région. Ils étaient devenus membres de l’Église depuis peu et nombre d’entre eux étaient les seuls convertis de leur famille. Ils progressaient dans l’Évangile au sein des collèges de la prêtrise, de la Société de Secours, de l’École du Dimanche, de la Primaire et de la SAM de branche. Il ne leur manquait plus qu’un lieu de culte.

Une fois que Charles et ses conseillers eurent fait une offre d’achat pour la chapelle presbytérienne, le président de la mission vint à Cincinnati pour la visiter. Il approuva l’achat et, avec Charles, s’assura d’obtenir des fonds du siège de l’Église afin d’acquérir et de rénover le bâtiment.

Quand certains pasteurs presbytériens apprirent que les saints des derniers jours achetaient la chapelle, ils furent outrés. Par le passé, les presbytériens de Cincinnati faisaient partie des détracteurs qui critiquaient et discréditaient l’Église. Comment leur assemblée pouvait-elle envisager de vendre leur chapelle aux saints ?

Quelques presbytériens influents de Cincinnati soutinrent la vente, heureux de savoir que le bâtiment resterait un lieu de culte. Toutefois, les pasteurs firent tout ce qui était en leur pouvoir pour que les saints n’achètent pas la propriété. Leurs efforts ayant échoué, ils demandèrent à Charles Anderson de conclure la transaction par le biais d’un intermédiaire afin que les registres publics ne montrent pas que les presbytériens avaient vendu leur chapelle aux saints des derniers jours. Blessé par cette demande, Charles fit finalement en sorte que le lieu de culte soit d’abord transmis à un avocat, puis à l’Église.

Le printemps laissa place à l’été et les membres de la branche comptaient les jours avant la fin des rénovations du bâtiment. La consécration du lieu de culte promettait d’être un bel événement. Ce n’était plus qu’une question de mois avant que les saints de Cincinnati aient enfin un endroit à eux.

Pendant ce temps, à Tilsit, dans le nord-est de l’Allemagne, Otto Schulzke, âgé de quarante-cinq ans, était l’un des rares membres locaux du continent européen à avoir été appelé président de branche.

C’était un homme de petite taille qui travaillait dans une prison et avait la réputation d’être sévère. Plus tôt cette année-là, environ un mois avant son appel, il avait offensé la moitié de la branche en s’exprimant de manière trop brusque lors d’une leçon de la SAM. Certaines personnes avaient quitté la salle en pleurant. D’autres lui avaient répondu d’un ton sarcastique. Les missionnaires qui dirigeaient alors la branche semblaient simplement contrariés par son attitude.

Avant leur transfert dans une autre ville, ils s’étaient inquiétés du fait qu’Otto devienne président de branche. Ils s’étaient dit : « Personne ne le soutiendra. »

Mais ils sous-estimaient cet homme plus âgé et plus expérimenté qu’eux. Le dévouement de sa famille à l’Église était connu dans la région. Des années auparavant, son père, Friedrich Schulzke, avait entendu des histoires terrifiantes sur les missionnaires « mormons ». Il avait alors prié avec ferveur pour qu’ils n’approchent pas de sa maison ni de sa famille. Quand ils se présentèrent à sa porte, il les chassa avec un balai.

Plus tard, Friedrich rencontra deux jeunes hommes qui se présentèrent comme des missionnaires de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Ils l’invitèrent à une réunion pendant laquelle il fut si touché par ce qu’il entendit qu’il demanda aux frères de l’instruire chez lui. Lorsqu’ils arrivèrent, il fut surpris de voir que l’un d’eux tenait un Livre de Mormon et il sut immédiatement qu’ils appartenaient à l’Église même qu’il cherchait à éviter. À contrecœur, il les laissa parler et il comprit très vite qu’ils étaient des messagers de Dieu.

Un an plus tard, il devint membre de l’Église avec sa femme, Anna. Otto et certains de ses frères et sœurs suivirent leur exemple.

En 1914, au début de la guerre, les missionnaires quittèrent la région et Friedrich Schulzke devint le nouveau président de branche. Bien que ne détenant pas la Prêtrise de Melchizédek, il œuvra efficacement. Les membres de la branche se réunissaient chez lui ; ensemble, ils étudiaient l’Évangile et découvraient les merveilles que le Seigneur leur réservait. Quand il se sentait dépassé par ses responsabilités, il s’agenouillait et demandait l’aide du Seigneur.

Peu après la guerre, Otto avait aussi été président de branche. À l’époque, la branche de Tilsit se remettait de la dévastation et de nombreux membres s’étaient éloignés de l’Église. Otto, cet homme bourru, ne semblait certainement pas être la personne la mieux placée pour donner un nouveau souffle à la branche. Toutefois, il se montra à la hauteur de la tâche. Au cours de sa première année en tant que président, vingt-trois habitants de Tilsit devinrent membres de l’Église.

La première expérience d’Otto en tant que président ne dura que quelques années et prit fin lorsque les missionnaires revinrent dans la région et reprirent la direction de la plupart des branches. Maintenant, frère Widtsoe souhaitait rendre les branches d’Europe plus autonomes. Otto Schulzke et d’autres saints locaux furent de nouveau appelés à diriger.

La question se posait toujours : les saints de Tilsit l’accepteraient-ils en tant que dirigeant, comme ils l’avaient fait dans le passé ? Refuseraient-ils de le soutenir, comme les missionnaires le pensaient ?

La branche comptait de nombreux saints fidèles ; une soixantaine de membres assistaient aux réunions chaque semaine et ils étaient désireux de servir le Seigneur. Cependant, après avoir été dirigés par de jeunes missionnaires, ils risquaient de mal réagir face à un homme plus âgé et strict, qui ne tolérait pas les inepties.

En qualité de président de branche, Otto Schulzke attendait des saints qu’ils mettent en pratique l’Évangile, et il n’avait pas peur de le leur dire.


Chapitre 19 : L’Évangile du Maître

Le lundi 9 septembre 1929, une violente tempête s’abattit sur Cincinnati, en Ohio. Un éclair brisa un poteau électrique. L’impact provoqua un pic de surtension électrique le long du câble jusque dans le lieu de culte des saints des derniers jours, récemment rénové, au nord de la ville. L’isolation du câblage s’enflamma, remplissant le bâtiment de fumée. Les pompiers arrivèrent rapidement mais le mal était fait.

Les membres de la branche craignirent d’abord que le câblage du bâtiment ait été détruit par l’incendie. À moins d’une semaine de la consécration du lieu de culte, les saints n’auraient ni le temps ni les fonds nécessaires pour effectuer d’importantes réparations. Cependant, après une inspection minutieuse, ils s’aperçurent que le câblage était récupérable. Ils se mirent immédiatement au travail pour réparer et remplacer les fils. Bientôt, le bâtiment fut à nouveau fonctionnel.

Le jour de la consécration approchait ; de plus en plus de personnes semblaient remarquer l’Église. Le 12 septembre, Christian Bang, le premier conseiller de la branche, quitta son épicerie à l’avance afin d’accorder une interview à un journal local. Le journaliste savait que les saints avaient autrefois été un sujet de controverses et Christian était déterminé à corriger les idées erronées que les gens avaient au sujet de l’Église.

Il expliqua au journaliste : « Au cours de la dernière décennie, l’Église a vaincu de nombreux préjugés. Les gens commencent à mettre de côté les vieilles idées et à reconnaître les idéaux que nous défendons.

– Quelle est votre position actuelle sur la polygamie ? demanda le journaliste.

– Le sujet n’est plus d’actualité, répondit Christian. Nous suivons strictement les normes sociales établies. Nous croyons au paiement de la dîme et la payons, bien que nos anciens et nos conseillers ne reçoivent pas de salaire pour leur service. »

Trois jours plus tard, des journalistes se présentèrent à nouveau pour la consécration du lieu de culte. La joie des saints était évidente. Environ quatre cents personnes, dont des missionnaires des environs, se pressaient dans le bâtiment pour la réunion. L’apôtre Orson F. Whitney, dont les grands-parents, Newel et Elizabeth Ann Whitney, étaient devenus membres de l’Église en Ohio près d’un siècle plus tôt, était venu de Salt Lake City pour offrir la prière de consécration.

Ce jour-là, personne n’était plus enthousiaste que le président de branche, Charles Anderson. Il avait travaillé dur avec sa femme, Christine, la famille Bang et d’autres membres pour faire grandir la branche de Cincinnati. Quand vint son tour de prendre la parole, il exposa les nombreuses difficultés qu’ils avaient rencontrées lors de l’achat et de la rénovation du bâtiment.

Il déclara : « Nous avons travaillé nuit et jour pour le préparer à la consécration. Personne ne pourrait être plus fier que nous le sommes aujourd’hui. »

Dans son sermon, frère Whitney fit le récit de la vision du Sauveur qu’avaient eue Joseph Smith et Oliver Cowdery en 1836 dans le temple de Kirtland. C’était un rappel puissant de l’histoire sacrée de l’Ohio. Tandis qu’il parlait, l’Esprit de Dieu reposa sur lui et, lorsqu’il eut terminé le récit, il commença à prier.

Il dit : « Dieu Tout-Puissant, notre Père céleste, que quiconque entre dans cette maison ressente l’influence de l’Esprit de Dieu. Récompense toutes les personnes qui ont consacré leurs moyens à sa réalisation. Montre le pouvoir de Dieu dans ce lieu de culte. »

Il demanda une bénédiction particulière sur les membres de la branche de Cincinnati, les missionnaires et les dirigeants de mission qui les servaient, et sur toutes les personnes qui vivaient à proximité. Il continua : « Répands ton Esprit sur les personnes qui sont rassemblées ici et accepte notre offrande. »

Un esprit de paix et de quiétude régnait dans le bâtiment. Avant de regagner son siège, frère Whitney déclara : « J’ai l’impression que le mormonisme sera dorénavant mieux compris par les habitants de l’Ohio et qu’il sera accueilli avec davantage de bienveillance. »

Le 1er novembre 1929, Heber J. Grant nota dans son journal son souvenir du jour où il avait remplacé l’apôtre Francis Lyman en tant que président du pieu de Tooele, en Utah. C’était en 1880. Heber était à quelques semaines de son vingt-quatrième anniversaire. Le président John Taylor et ses conseillers, George Q. Cannon et Joseph F. Smith, étaient en ville pour la conférence de pieu. Frère Lyman les accueillit chez lui avec Heber.

Pendant leur rencontre, quelqu’un (Heber ne se rappelait plus qui) pria pour « le président Taylor, le serviteur âgé de Dieu ». Être qualifié de personne âgée déplut au prophète, qui allait avoir soixante-douze ans. À la fin de la prière, il demanda : « Pourquoi n’avez-vous pas prié pour mes jeunes conseillers ? » Heber se souvenait encore de l’agacement qu’il avait perçu dans sa voix.

Aujourd’hui, près d’un demi-siècle plus tard, Heber allait avoir soixante-treize ans. Il écrivit dans son journal : « Je pense que je serais un peu choqué si quelqu’un priait pour ‘le président Grant, le serviteur âgé de Dieu’. » Il se sentait aussi jeune que lorsqu’il avait quarante ans et même en meilleure santé.

Il remarqua : « Le fait que nous ne semblions pas vieillir en esprit est pour moi l’une des preuves de l’immortalité de l’âme. »

Habituellement, Heber réunissait ses enfants et leur famille pour son anniversaire. Mais sa fille, Emily, était morte quelques mois plus tôt suite aux complications d’un accouchement et il n’avait pas encore le cœur à faire une fête de famille. Il préférait se préparer à visiter les pieux d’Arizona, au sud de l’Utah. Peu avant sa mort, Brigham Young avait demandé à deux cents volontaires de s’y installer. Depuis, les saints avaient établi des dizaines de colonies dans tout l’État et les membres de l’Église occupaient désormais des fonctions civiques élevées. En 1927, Heber J. Grant y avait consacré un temple qui desservait les habitants d’Arizona ainsi que les saints des régions voisines, dont le nord du Mexique.

Le président Grant avait également hâte de participer à une commémoration de bien plus grande envergure. Les saints fêteraient bientôt le centième anniversaire de l’organisation de l’Église. Avec près de sept cent mille membres de l’Église répartis dans presque mille huit cents paroisses et branches à travers le monde, cette célébration serait mondiale. Pendant plus d’un an, un petit comité dirigé par l’apôtre George Albert Smith avait planifié un spectacle grandiose qui coïnciderait avec la conférence générale d’avril 1930. Le président Grant avait suivi les préparatifs du comité et fait quelques commentaires.

Le 15 novembre, il partit pour l’Arizona et passa les dix jours suivants à rendre visite aux saints et à savourer l’amour qu’ils lui portaient. Au cours des onze dernières années, son sentiment d’insuffisance s’était dissipé. Contrairement à ce qu’il redoutait, il n’avait pas déçu l’Église et il avait été à la hauteur des présidents de l’Église qui l’avaient précédé. À mesure que l’Église entrait dans son deuxième siècle, elle grandissait et s’épanouissait.

En tant que président de l’Église, Heber J. Grant avait été témoin d’une révolution technologique qui avait permis de diffuser la conférence générale et d’autres messages de l’Évangile sur les ondes. Désormais, tous les dimanches soirs, les personnes vivant à des centaines de kilomètres de Salt Lake City pouvaient écouter KSL, la station de radio de l’Église, pour entendre les dirigeants et les instructeurs parler des sujets de l’Évangile. En juillet 1929, le Tabernacle Choir avait également commencé à diffuser une émission de radio hebdomadaire sur un réseau de la ville de New York. Dans tout le pays, l’émission avait immédiatement été un succès et des millions d’auditeurs apprirent à mieux connaître l’Église grâce au chœur.

Heber J. Grant avait également usé de son influence de président de l’Église pour inciter les saints à s’instruire et à se servir mutuellement au sein de leurs paroisses et branches. Quand il était jeune, les saints écoutaient des hommes au rôle important prêcher et enseigner pendant les réunions du dimanche. Mais, sous sa présidence, les paroisses et les branches étaient devenues le cœur de l’activité de l’Église. Tout le monde devait désormais servir. Des hommes, des femmes et des jeunes donnaient des leçons, faisaient partie des présidences de collège et de classe et prenaient la parole lors des réunions de Sainte-Cène. De nombreux saints étaient également appelés comme missionnaires de pieu afin d’aller à la recherche des membres de l’Église qui ne venaient plus. Pour la première fois, les paroisses et les pieux envoyaient des groupes de jeunes au temple afin d’accomplir des baptêmes pour les morts.

Croyant que l’Église serait connue par ses fruits, le président Grant exhortait les saints à vivre avec droiture. À plusieurs reprises, il les incita à respecter la Parole de Sagesse avec exactitude en s’abstenant d’alcool, de café, de thé, de tabac et d’autres substances nocives, que les générations précédentes de saints avaient parfois consommés. Il avait rendu l’obéissance à la Parole de Sagesse obligatoire pour pouvoir entrer dans le temple et faire une mission, et il avait exhorté les saints à payer une dîme complète et à faire des offrandes.

Le matin de son soixante-treizième anniversaire, Heber J. Grant divertit les élèves de l’établissement secondaire de Snowflake, en Arizona, en leur contant ses efforts pour exceller dans les jeux de billes, la pratique du baseball, l’art de la calligraphie et le chant. Il avait souvent raconté ces histoires au fil des ans pour inciter à la persévérance et à l’excellence et son public ne semblait jamais s’en lasser.

Au fil de la journée, les yeux brillants, la voix forte et le pas assuré d’Heber J. Grant témoignaient de son excellente santé et de son énergie. Personne n’aurait pu deviner qu’il avait traversé une bonne partie de l’État la veille, s’arrêtant huit fois en chemin pour s’adresser à des assemblées.

Ce même automne, au nord-est de l’Allemagne, les saints de la branche de Tilsit se réunissaient tous les dimanches matins pour l’École du Dimanche. Otto Schulzke, le président de branche, veillait au bon déroulement de la réunion, faisant tout ce qu’il pouvait pour aider le responsable de l’École du Dimanche. S’il fallait diriger la musique, la réunion ou faire quoique ce soit d’autre, Otto s’en chargeait. De plus en plus de personnes venaient désormais assister aux leçons chaque dimanche, y compris des non-membres.

L’une des nombreux enfants qui assistaient à l’École du Dimanche, Helga Meiszus, âgée de neuf ans, aimait bien le président Schulzke, malgré sa sévérité. Sa famille et lui faisaient partie de sa vie depuis toujours. Après sa naissance, c’était lui qui l’avait bénie à l’église.

La famille de Helga était l’un des piliers de la branche de Tilsit. Bien des années auparavant, sa grand-mère maternelle, Johanne Wachsmuth, avait rencontré les missionnaires pour la première fois. Mais ce ne fut que lorsque la famille s’installa à Tilsit et fit la connaissance des saints locaux qu’elle commença à assister aux réunions de la SAM et aux autres réunions de l’Église. Au début, le grand-père de Helga se méfiait des saints, mais il avait fini par devenir membre de l’Église, comme la mère, la grand-mère, les tantes et l’oncle d’Helga. Son père s’était aussi fait baptiser, juste avant sa naissance, mais, comme son grand-père, il n’allait pas souvent à l’Église.

Helga aimait assister à l’École du Dimanche. Quelqu’un jouait de l’orgue cinq minutes avant le début de la réunion. C’était sa tante Gretel qui jouait jusqu’à ce qu’elle émigre au Canada, en 1928, dans l’espoir de rejoindre un jour l’Utah. Sœur Jonigkeit, une autre femme de la branche, l’avait remplacée pour jouer le prélude.

L’École du Dimanche de Tilsit se déroulait comme toutes les autres Écoles du Dimanche de l’Église. Les réunions commençaient par un cantique, suivi d’une prière d’ouverture et d’un autre cantique. Ensuite, les détenteurs de la prêtrise bénissaient et distribuaient la Sainte-Cène, en particulier pour les enfants qui n’assistaient pas à la réunion de Sainte-Cène plus tard dans la soirée. Puis tout le monde récitait en même temps un passage d’Écritures et apprenait un chant.

Heinrich, l’oncle de Helga, dirigeait les leçons de chant jusqu’à ce qu’il émigre à son tour au Canada, quelques mois après Gretel. À présent, c’était souvent le président Schulzke qui dirigeait les leçons de chant. Helga connaissait bien le cantique « Demeure auprès de moi, Seigneur ! ». Elle le chantait lorsque les sirènes retentissaient, non loin, dans l’usine de papier où travaillait son père. Chaque fois qu’elle les entendait, elle savait que quelque chose de grave s’était produit et elle s’inquiétait pour son père.

À la fin de l’exercice de chant, on suspendait des rideaux pour séparer la salle en classes pour les adultes, les jeunes et les enfants. Dans les paroisses, l’École du Dimanche pour les enfants était séparée en deux classes, une pour les plus petits et une pour les plus grands. Toutefois, dans les petites branches comme celle de Tilsit, les enfants étaient dans la même classe.

Une quinzaine d’enfants assistaient à la leçon avec Helga. Chaque semaine, ils en apprenaient plus sur Dieu et ses œuvres, la foi en Jésus-Christ, la Seconde Venue, la mission de Joseph Smith et sur d’autres sujets de l’Évangile. Il arrivait souvent que des enfants qui n’étaient pas membres de l’Église soient présents. Entre les réunions de l’Église, Helga assistait parfois à des réunions de l’Église luthérienne avec ses amis d’école et chantait des vieux chants luthériens. Mais son cœur était toujours avec les saints des derniers jours.

À la fin de la leçon d’École du Dimanche, Helga et les autres enfants retrouvaient les autres membres pour la conclusion de la réunion. Ils chantaient un cantique et priaient, puis c’était la fin de la réunion. Les membres se réunissaient à nouveau le soir pour prendre la Sainte-Cène. Erika Stephani, la secrétaire de l’École du Dimanche, notait chaque réunion dans son livre de comptes-rendus.

En décembre 1929, Leah Widtsoe raconta à une amie : « L’année passée m’a apporté une quantité de travail réellement inattendue. J’ai eu peu de temps pour faire autre chose que parcourir toute l’Europe avec mon mari, rendre visite à notre peuple et l’instruire, et veiller au bien-être de nos sept cent cinquante jeunes missionnaires dispersés dans ces pays. »

Elle ne se plaignait pas. Elle aimait cette œuvre. Jusque là, John et elle avaient été témoins de nombreux changements importants au sein de l’Église en Europe. De plus en plus de détenteurs de la Prêtrise de Melchisédek locaux étaient présidents de branche, ce qui laissait plus de temps aux missionnaires pour faire connaître l’Évangile. De surcroît, les lieux de réunion des branches étaient bien meilleurs. En juillet 1929, les membres de l’Église de la ville de Selbongen, dans l’est de l’Allemagne, avaient terminé la construction de la première église des saints des derniers jours en Allemagne. Les saints de Liège et de Seraing en Belgique, ainsi que ceux de Copenhague au Danemark, construisaient également leur église. Cet été-là, John Widtsoe s’était rendu à Prague, en Tchécoslovaquie, où vivait un petit groupe de saints, pour consacrer le pays à l’œuvre missionnaire.

La vie en mission était enrichissante mais également éprouvante. Le travail demandait beaucoup d’énergie et Leah et John perdaient tous les deux du poids. Soucieuse de leur santé, Leah avait commencé à surveiller attentivement leur régime alimentaire, mettant à profit sa formation universitaire en nutrition pour veiller à ce qu’ils mangent sainement. Elle s’intéressait également à la santé des saints européens.

Au cours de sa première année dans la mission, elle avait remarqué que de nombreuses personnes mangeaient des aliments importés bon marché, peu nutritifs, causant des problèmes de santé graves. En janvier 1929, elle commença à publier dans le Millennial Star une série de leçons pour la Société de Secours au sujet de la Parole de Sagesse. À cette époque, quand on parlait de la Parole de Sagesse, on mettait souvent l’accent sur ce qu’il fallait éviter. Dans ses leçons, Leah s’appuyait sur sa connaissance des Écritures et de la nutrition pour insister sur le fait que la consommation de céréales complètes, de fruits et de légumes et d’autres aliments sains recommandés par la Parole de Sagesse rendrait une personne plus forte physiquement, mentalement et spirituellement.

Dans sa première leçon, elle paraphrasa Doctrine et Alliances 88:15, rappelant aux lecteurs que la santé spirituelle et la santé physique étaient intimement liées. Elle écrivit : « L’esprit et le corps sont l’âme de l’homme. Le véritable Évangile doit vraiment inclure la santé et la vigueur corporelles puisque le corps est le tabernacle de l’esprit qui habite le corps et qui est la progéniture directe de nos parents célestes. »

John et elle incitaient également les saints européens à faire l’œuvre généalogique. Dans un article paru le 19 septembre 1929 dans le Millennial Star, John expliqua : « Actuellement, il n’y a aucun temple en Europe dans lequel les saints accompliraient les véritables ordonnances de l’Évangile. Par conséquent, dans ces pays, l’activité principale doit être la généalogie. »

Leah commença à rédiger des leçons de généalogie pour les saints européens et son mari conçut un programme d’échange pour les aider à accomplir l’œuvre du temple. Il demanda à chaque branche d’initier un cours de généalogie pour aider les saints à rechercher l’histoire de leur famille, à préparer des tableaux d’ascendance et à relever des noms pour les ordonnances par procuration. Ces noms seraient ensuite envoyés aux saints des États-Unis, qui accompliraient l’œuvre du temple pour eux. En échange, les saints d’Europe effectueraient des recherches généalogiques pour les saints américains qui n’avaient pas les moyens de traverser l’Atlantique.

Pendant la même période, Leah et John, avec l’aide de Harold Shepstone, le journaliste anglais, cherchaient un éditeur pour la biographie de Brigham Young écrite par Susa Gates. Elle avait fait confiance au couple pour qu’il retire certaines parties de l’ouvrage, si nécessaire, afin qu’il soit prêt à être publié. Elle avait dit à Leah : « Le mieux serait de l’utiliser afin d’édifier le royaume de Dieu. »

Elle avait également insisté pour que sa fille soit reconnue co-autrice avec elle. Elle avait écrit : « Je ne serai pas satisfaite si mon nom seul apparaissait sur l’histoire de mon père. Je ne trouve pas les mots pour exprimer à quel point tu m’as aidée pour ce manuscrit et pour tous mes écrits de ces dernières années. »

En décembre, Harold Shepstone informa John et Leah qu’une grande maison d’édition britannique avait accepté de publier la biographie. Cette nouvelle était la réponse aux prières de la famille et arriva à la fin d’une année bien chargée mais gratifiante.

Leah ne pouvait pas être plus heureuse de son travail de missionnaire aux côtés de John. Elle écrivit dans une lettre : « Nous ne sommes pas impatients de rentrer à la maison, sauf pour voir nos proches et nos amis. Je crois que je voudrais finir mes jours en mission, en essayant activement de répandre les vérités glorieuses de l’Évangile du Maître. »

Le matin du dimanche 6 avril 1930, Heber J. Grant se réveilla à cinq heures, prêt pour la journée historique qui l’attendait. Dehors, les rues de Temple Square, à Salt Lake City, resplendissaient de banderoles colorées en l’honneur du centième anniversaire de l’organisation de l’Église.

Pendant la semaine précédente, des dizaines de milliers de Saints avaient afflué dans la ville pour prendre part aux festivités. Les hôtels étaient pleins à craquer et de nombreux habitants de Salt Lake City avaient accueilli des visiteurs. À l’exception de la consécration du temple de Salt Lake City, aucun événement de cette envergure ne s’était produit dans la ville.

Dans le monde entier, des grands journaux et des magazines parlaient déjà du centenaire. En outre, quiconque se promenait dans South Temple Street tombait sur la vitrine de Deseret Book, la librairie de l’Église, qui présentait l’histoire des cent premières années de l’Église en six volumes que venait d’écrire B. H. Roberts. Lorsqu’elle avait été organisée, dans le nord de l’État de New York, l’Église n’avait guère attiré l’attention. Le Deseret News estimait qu’un siècle plus tard, rien qu’aux États-Unis, environ soixante-quinze millions de personnes savaient que l’Église fêtait ses cent ans. Cette semaine-là, le portrait du président Grant faisait la couverture du Time, l’un des magazines d’actualités les plus populaires des États-Unis. L’article mentionnait avec respect l’œuvre de l’Église et lui rendait même hommage.

La session d’ouverture de la conférence générale, l’événement principal de la commémoration du centenaire, commença à dix heures. Comme les places étaient limitées dans le tabernacle, les dirigeants de l’Église avaient émis des billets spéciaux pour la session et prolongé la conférence d’un jour afin que davantage de personnes puissent y assister. Ils avaient aussi organisé des réunions non loin dans l’Assembly Hall et dans plusieurs autres bâtiments de la ville, pour les personnes que l’on ne pouvait pas accueillir dans le tabernacle faute de place.

La radio KSL diffusait la conférence dans tout l’Utah et les États voisins, ce qui permettait aux saints habitant à des centaines de kilomètres de suivre les réunions. Dans les régions plus éloignées du monde, on demanda aux membres de l’Église de se rassembler au même moment pour commémorer le centenaire en plus petit comité selon le modèle de Salt Lake City.

Le cœur du président Grant débordait de reconnaissance lorsqu’il ouvrit la conférence en lisant un discours préparé par la Première Présidence. Des semaines plus tôt, ses conseillers et lui l’avaient envoyé aux pieux et aux missions de l’Église, en leur demandant de le traduire, si nécessaire. Il annonça : « Maintenant, dans le monde entier, ce message va être lu aux membres. »

Dans le discours, le président Grant et ses conseillers témoignaient avec force du rétablissement de l’Évangile, du ministère terrestre du Sauveur et de son sacrifice rédempteur. Ils évoquaient les persécutions infligées aux premiers chrétiens et les siècles de confusion religieuse qui suivirent. Ils témoignaient ensuite du Livre de Mormon, du rétablissement de la prêtrise, de l’organisation de l’Église, du rassemblement d’Israël, du début de l’œuvre du temple pour les vivants et les morts et de la seconde venue de Jésus-Christ.

Ils déclaraient : « Nous exhortons nos frères et sœurs à mettre de l’ordre chez eux afin d’être préparés pour ce qui est à venir. Abstenez-vous de faire le mal, faites ce qui est bien. Rendez visite aux malades, consolez les personnes qui ont du chagrin, vêtez les nus, nourrissez les affamés, prenez soin de la veuve et de l’orphelin. »

Les saints soutinrent ensuite les Autorités générales de l’Église. Le président Grant agita alors un mouchoir en l’air et dirigea l’assemblée dans le cri du Hosanna. Dans le monde entier, pendant leur propre commémoration du centenaire, des centaines de milliers de saints accomplirent également le rite sacré, glorifiant Dieu et l’Agneau dans leur langue maternelle.

La foule se réunit de nouveau au tabernacle ce soir-là pour la première représentation du Message des âges (The Message of the Ages), un spectacle somptueux retraçant l’histoire sacrée du monde. La production avait fait appel à un millier d’acteurs pour recréer des événements tirés des Écritures et de l’histoire de l’Église ; des chanteurs et des musiciens interprétèrent des cantiques et certaines des plus grandes compositions musicales de tous les temps. Les costumes colorés avaient été confectionnés avec soin et avec un souci d’exactitude historique. L’acteur jouant le rôle de Joseph Smith portait un col qui avait appartenu au prophète lui-même.

Quand le soleil se coucha ce soir-là, les sept temples de l’Église furent illuminés par des projecteurs puissants qui venaient d’être installés. Les bâtiments brillaient en majesté dans l’obscurité de la nuit, mettant en valeur leur beauté et leur solennité à des kilomètres à la ronde. À Salt Lake City, la statue étincelante de l’ange Moroni, avec sa trompette d’or élevée au-dessus de la foule, semblait appeler les saints de toutes les extrémités de la terre à se réjouir de ce centenaire grandiose.


TROISIÈME PARTIE : Au cœur de la bataille (1930-1945)

Chapitre 20 : Des temps difficiles

Peu après avoir obtenu son diplôme à l’université d’agriculture d’Utah, Evelyn Hodges, âgée de vingt-deux ans, refusa un poste rémunéré d’institutrice afin de travailler bénévolement en tant qu’assistante sociale pour le département des services sociaux de la Société de Secours à Salt Lake City.

Cela déplut à ses parents. Sa mère était très active au sein de la Société de Secours mais elle ne pensait pas que le travail social était le genre d’activité qui convenait à sa fille. Son père préférait simplement qu’elle reste dans la ferme familiale à Logan.

Il dit : « Je n’ai qu’une fille en vie, je dois être en mesure de l’entretenir. Reste à la maison. Obtiens une maîtrise, un doctorat, ce que tu veux. Mais reste à la maison. »

Evelyn trouva finalement un compromis avec ses parents. Elle travaillerait bénévolement comme assistante sociale pendant neuf semaines. Si la Société de Secours ne lui proposait pas d’emploi rémunéré d’ici-là, elle reviendrait à la maison.

Le samedi de son arrivée à Salt Lake City, Evelyn se présenta chez Amy Brown Lyman, première conseillère dans la présidence générale de la Société de Secours et directrice des services sociaux de la Société de Secours. Cette dernière ne l’accueillit pas à la porte. Evelyn la trouva au deuxième étage de la maison, assise en tailleur au milieu d’un lit, plongée dans un travail de couture. Elle portait une robe froissée et son matériel de couture était éparpillé autour d’elle.

Son apparence et son attitude distante déstabilisèrent Evelyn. Elle se demanda si elle avait bien fait de venir à Salt Lake City. Voulait-elle vraiment travailler pour cette femme ?

Au cours des neuf semaines suivantes, Evelyn se rendit compte que la réponse était oui. Elle travaillait en tant qu’assistante sociale auprès d’environ quatre-vingts familles. Elle parcourait toute la ville dont elle finit par connaître les rues et les ruelles. Au début, elle hésitait à parler aux inconnus mais elle trouva bien vite de la joie et de la satisfaction à aider les personnes dans le besoin. Neuf semaines plus tard, quand ses parents arrivèrent pour la ramener chez elle, elle était désespérée. La Société de Secours ne lui avait toujours pas proposé de travail rémunéré.

Trois jours après son retour à Logan, Evelyn reçut un appel téléphonique d’Amy. Une assistante sociale de la Société de Secours venait d’accepter un poste dans un hôpital voisin et Amy voulait savoir si Evelyn pouvait la remplacer.

Elle répondit : « Bien sûr ! » Elle ne demanda même pas combien elle serait payée.

À ce moment-là, le père d’Evelyn était sorti. Quand il apprit qu’elle avait accepté un travail en son absence, il fut déçu. Elle ne voulait pas lui faire de peine mais elle était très attachée à sa nouvelle profession.

De retour à Salt Lake City, Evelyn travailla directement avec les évêques locaux qui orientaient vers la Société de Secours les veuves, les personnes ayant un handicap, les familles au chômage et d’autres personnes en situation désespérée. Sous la supervision de l’évêque, la jeune femme contribuait à l’élaboration d’un plan de secours pour chaque situation. Elle travaillait également avec les paroisses et le gouvernement local pour donner de l’argent aux nécessiteux grâce aux offrandes de jeûne, aux fonds de la Société de Secours et aux organisations caritatives du comté.

Comme les directives de l’Église incitaient les gens à demander l’aide du gouvernement avant de se tourner vers l’Église, de nombreuses familles avec lesquelles Evelyn travaillait recevaient de l’aide provenant des deux sources. Toutefois, l’aide reçue était généralement maigre ; la jeune femme demandait toujours à ses clients quelle aide supplémentaire leurs parents, amis ou voisins pouvaient leur apporter.

En octobre 1929, quelques mois après le retour d’Evelyn à Salt Lake City, le marché boursier des États-Unis s’effondra. Au début, la chute des cours de la bourse dans la lointaine ville de New York ne semblait pas changer le nombre de dossiers qu’Evelyn devait gérer. Au printemps 1930, la situation économique semblait même se redresser.

Mais cette amélioration fut de courte durée. Les particuliers et les entreprises ayant des dettes importantes ne pouvaient pas les rembourser. Les gens commençaient à dépenser moins, réduisant ainsi la demande de biens et de services. L’Utah fut particulièrement touché. Son économie, qui dépendait fortement des exportations minières et agricoles, était en difficulté avant même l’effondrement du marché boursier. Les prix de tous les produits de base chutaient, de sorte que les producteurs ne faisaient plus de bénéfice et ne pouvaient plus payer les ouvriers. De nombreuses personnes se retrouvèrent sans emploi. De moins en moins de gens avaient de l’argent à donner aux organisations caritatives afin d’aider les nécessiteux, ce qui n’arrangeait pas les choses. Les revenus de la dîme et des autres offrandes de l’Église diminuèrent également.

Peu après la célébration du centenaire de l’Église, Evelyn commença à voir plus de familles qui n’arrivaient pas à joindre les deux bouts. La peur s’enracinait dans leur cœur.

Le soir du 19 mai 1930, William et Clara Daniels accueillaient chez eux, au Cap, Don Dalton, président de la mission sud-africaine. Le couple tenait une réunion à domicile pour parler d’un chapitre de Jésus le Christ, l’ouvrage de James E. Talmage. Leur fille adulte, Alice, était aussi présente.

La famille Daniels tenait des réunions chez elle le lundi soir depuis 1921. C’était l’occasion de trouver refuge contre les tensions raciales qu’elle voyait tout autour d’elle. Au Cap, les églises et les écoles étaient soumises à la ségrégation : les Noirs et les « personnes de couleur », ou métis, fréquentaient un endroit et les Blancs un autre. Cependant, la couleur de peau n’empêchait pas les fidèles de participer aux réunions de la famille Daniels. William et Clara, qui avaient des ancêtres originaires d’Afrique et d’Asie du Sud-Est, accueillaient toutes les personnes qui voulaient venir. Le président Dalton et les missionnaires qui assistaient souvent à ces réunions étaient blancs.

William Daniels avait découvert l’Évangile rétabli grâce à sa sœur, Phyllis, qui était devenue membre de l’Église avec son mari et s’était installée en Utah au début des années 1900. Quelques années plus tard, en 1915, William avait rencontré un missionnaire saint des derniers jours qui avait attiré son attention par sa sincérité et son dévouement à l’Évangile.

Peu de temps après s’être intéressé à l’Église, William s’était rendu en Utah pour en savoir plus sur les saints des derniers jours. Il avait été impressionné par ce qu’il avait vu. Il était resté admiratif de la foi des membres de l’Église et avait remarqué leur dévouement à Jésus-Christ et aux principes enseignés dans le Nouveau Testament. Il avait également rencontré à deux reprises le président de l’Église, Joseph F. Smith, qui lui avait dit que le temps n’était pas encore venu pour que les hommes d’origine africaine reçoivent la prêtrise.

Ces paroles avaient perturbé William. L’église protestante qu’il fréquentait en Afrique du Sud pratiquait la ségrégation, mais cela ne l’empêchait pas de servir en tant qu’ancien dans son assemblée. S’il se joignait aux saints des derniers jours, il ne pourrait pas détenir un office similaire. Toutefois, le président Smith lui avait donné une bénédiction en lui promettant qu’il détiendrait un jour la prêtrise, même si c’était dans la prochaine vie. Ces mots avaient touché le cœur de William et lui avaient donné de l’espérance. Il s’était fait baptiser en Utah et était ensuite retourné chez lui, en Afrique du Sud.

Depuis, William se réunissait avec les saints blancs de la branche de Mowbray, au Cap. À l’église, il rendait témoignage et offrait des prières. Il participa également à la collecte des fonds pour l’achat d’un nouvel orgue pour l’église. Avec Clara, qui était devenue membre de l’Église quelques années après lui, il accordait une attention particulière aux missionnaires. Le couple organisait souvent des repas pour accueillir les nouveaux missionnaires, dire au revoir à ceux qui partaient et fêter les anniversaires. Pour que les jeunes hommes se sentent comme chez eux, William jouait parfois l’hymne national des États-Unis sur son tourne-disque ou organisait des parties de baseball.

Cependant, les membres de la branche n’étaient pas tous accueillants. William avait appris récemment que certains d’entre eux ne voulaient pas accepter sa famille comme membres de plein droit. Le président Dalton avait été informé que des visiteurs avaient cessé de s’intéresser à l’Église lorsqu’ils avaient remarqué la congrégation mixte de Mowbray.

Un jour, William dit à Clara qu’il envisageait de quitter l’Église. Elle répondit : « Écoute, tu es allé jusqu’à Salt Lake City et tu t’es fait baptiser. Pourquoi abandonner maintenant ? »

Les paroles de sa femme, ainsi que les réunions du lundi soir, lui donnèrent la force de garder la foi, malgré ses préoccupations. En cette soirée de printemps 1930, après avoir lu à tour de rôle un extrait de Jésus le Christ, la famille Daniels et ses invités parlèrent du Sauveur apaisant la mer agitée par la tempête.

Cet épisode leur rappela de se tourner vers le Christ dans les moments d’épreuve. Les capacités humaines étaient souvent limitées. Le Christ pouvait tout arranger avec un ordre simple : « Silence, tais-toi ! »

Dans l’après-midi du 24 juin 1930, des grêlons gros comme des œufs de pigeon s’abattaient sur la maison de la mission suisse-allemande, à Bâle, en Suisse. Depuis une semaine, John et Leah Widtsoe y logeaient, formant les présidents de mission et leurs épouses aux besoins et aux responsabilités des missionnaires. Chaque journée était rythmée de longues réunions et de discussions passionnantes sur l’Église en Europe. Le lourd fracas de la grêle était une intrusion rare dans la conférence.

Leah n’avait jamais été tant occupée pendant sa mission. Elle était chargée de former les épouses des présidents de mission à aider les saints européens à mettre en place la Société de Secours, la Société d’Amélioration Mutuelle des jeunes filles et la Primaire dans leurs districts et leurs branches. Comme les dirigeants de l’Église conseillaient aux saints de rester dans leur pays afin que Sion soit édifiée dans le monde entier, Leah estimait que les saints locaux devaient jouer un rôle prépondérant dans ces organisations. Dans certaines branches, les missionnaires servaient en qualité de présidents des Sociétés d’Amélioration Mutuelle mixtes. Cependant, Leah demanda à ce que chaque branche dispose d’une Société d’Amélioration Mutuelle pour les jeunes filles, avec une présidente, deux conseillères, une secrétaire et autant d’assistantes que nécessaire.

Il n’était pas attendu de l’épouse du président de mission qu’elle supervise personnellement chaque organisation. Elle ne pouvait pas, à elle seule, endosser efficacement cette responsabilité. En fait, si elle ne déléguait pas les responsabilités aux dirigeants locaux, elle entraverait considérablement les organisations. Leah voulait que les dirigeants de mission inspirent et forment les saints européens à devenir des dirigeants à part entière.

Le 27 juin, elle parla aux femmes de la nécessité de renforcer les SAM des jeunes filles en Europe. L’organisation était composée de deux programmes distincts : les Abeilles et les Glaneuses (Gleaner Girls). Le programme des Abeilles durait désormais trois ans et était destiné à toutes les jeunes filles de quatorze ans et plus. Une fois le programme terminé, les jeunes filles rejoignaient les Glaneuses, un programme moins structuré destiné à les préparer à l’âge adulte. En Europe, deux mille jeunes filles faisaient déjà partie des Abeilles. Leah exhorta les femmes à promouvoir le programme dans toutes les missions.

Elle annonça également que la présidente générale de la SAM des jeunes filles, Ruth May Fox, l’avait récemment autorisée à concevoir une édition européenne du manuel des Abeilles. Le manuel d’origine était conçu pour fortifier les jeunes filles grâce à diverses activités d’intérieur et de plein air. Toutefois, une partie de son contenu était spécifiquement destiné aux jeunes Américaines et il n’était pas adapté aux jeunes filles des autres parties du monde. Leah présenta ses idées pour le nouveau manuel aux épouses des présidents de mission qui, à leur tour, donnèrent leur avis afin d’adapter le manuel aux besoins des jeunes Européennes.

Après la conférence, Leah fit rapport de son travail à la Première Présidence. Elle écrivit : « Je pense pouvoir légitimement faire rapport d’une certaine réussite. Dans chaque mission, les femmes prennent de plus en plus conscience de leur besoin de progresser et de leur responsabilité de porter une partie de l’activité de l’Église. »

Elle savait qu’il y avait encore des progrès à faire. Elle expliqua : « Les gens n’ont pas encore appris à se soutenir mutuellement dans leurs appels. Ils doivent apprendre cela ici comme chez nous. » Pour l’année à venir, elle envisageait de souligner l’importance de soutenir les officiers et les dirigeants locaux de l’Église.

Elle ajouta : « Chaque jour de l’année écoulée, j’ai travaillé toute la journée, avec à peine une heure de répit. » Pourtant, elle ne s’était jamais sentie aussi bien. Elle expliqua : « Je me sens bien plus jeune et je suis une femme beaucoup plus heureuse que quand je suis arrivée. Pour cela, je remercie d’abord mon Père céleste, puis vous, nos dirigeants et amis. »

Cet automne-là, à Tilsit, en Allemagne, Helga Meiszus, âgée de dix ans, fut baptisée dans la rivière Memel. Il faisait froid mais le ciel était magnifique, tout illuminé d’étoiles. En sortant de l’eau, la fillette parvenait difficilement à contenir sa joie d’être membre de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours.

Cette époque de sa vie était mouvementée. Elle avait décidé de changer d’école et cela l’avait d’abord rendue très heureuse. L’établissement était proche de chez elle et beaucoup de ses amis et voisins s’y rendaient. Cependant, elle regretta bientôt sa décision. Son enseignante, Mlle Maul, semblait ne pas l’aimer.

Un jour, on demanda à Helga de remplir pour l’école un formulaire de renseignements personnels. En lisant son formulaire, Mlle Maul ricana quand elle vit qu’Helga était sainte des derniers jours. Même si, à l’exception des États-Unis, l’Allemagne était le pays qui comptait le plus de membres de l’Église, ils n’étaient pas très connus ni très aimés.

Mlle Maul dit à Helga : « Ce n’est pas une religion. C’est une secte, et une mauvaise ! »

Le mot « secte » blessa la fillette. Elle n’avait pas l’habitude d’être mal traitée à cause de sa religion. Elle rentra chez elle et raconta à sa mère ce que Mlle Maul avait dit. Sa mère prit simplement une feuille et écrivit une lettre à l’enseignante, lui rappelant que la religion d’Helga et sa famille ne la concernaient pas.

Peu de temps après, Mlle Maul entra en classe suivie du directeur. Toutes les filles se levèrent. La professeur se dirigea vers Helga, à l’avant de la classe.

Elle la pointa du doigt en disant : « La voilà. Elle fait partie de cette secte affreuse. »

Le directeur resta là un moment, dévisageant Helga comme si elle était un monstre. La fillette garda la tête haute. Elle aimait sa religion et n’en avait pas honte.

Suite à cet événement, nombre des amis d’Helga cessèrent de jouer avec elle. Parfois, lorsqu’elle se rendait à l’école ou en revenait, des élèves lui jetaient des pierres ou lui crachaient dessus. Un jour, sur le chemin du retour, Helga se rendit compte qu’elle avait oublié son manteau. Elle s’empressa de rebrousser chemin et trouva son manteau là où elle l’avait laissé. Cependant, en le décrochant, elle remarqua que quelqu’un s’était mouché dedans.

Les camarades d’Helga continuaient de la malmener, mais à chaque fois, elle chantait dans sa tête un cantique qu’elle avait appris à l’église et cela lui donnait de la force. En anglais, le chant s’intitulait « Je suis un mormon » (I Am a Mormon Boy), mais dans la traduction allemande, il s’appliquait à tous les enfants saints des derniers jours :

Un enfant mormon, un enfant mormon,

Je suis un enfant mormon !

Les rois m’envient,

Car je suis un enfant mormon.

Le 30 janvier 1931, Evelyn Hodges et d’autres travailleuses sociales de la Société de Secours de Salt Lake City se trouvaient au deuxième étage du bâtiment de l’évêque président, dans les bureaux des services sociaux de l’organisation, et regardaient par les fenêtres. Dans la rue en contrebas, près de mille cinq cents manifestants marchaient en direction du capitole de l’Utah pour demander au législateur de venir en aide au nombre croissant de chômeurs de l’État.

En regardant les manifestants, Evelyn fut surprise de constater qu’ils ne semblaient pas en colère. Ils portaient deux drapeaux américains ainsi que des pancartes et des banderoles invitant les autres travailleurs à se joindre à eux. Nombre d’entre eux traînaient les pieds et baissaient la tête, résignés. Ils avaient simplement l’air triste.

Avant ces moments difficiles, Evelyn travaillait essentiellement avec des personnes sans emploi en raison de problèmes de santé ou d’un handicap. Désormais, elle rencontrait de plus en plus de personnes disposées à travailler qui ne trouvaient pas d’emploi. Il y avait des ouvriers qualifiés. D’autres étaient étudiants ou diplômés. Nombre d’entre eux avaient perdu leur estime d’eux-mêmes et ne voulaient pas demander de l’aide.

Un homme avec qui elle s’était entretenue avait subvenu aux besoins de sa femme et de ses enfants pendant des années. Ils habitaient dans une maison confortable située dans un quartier agréable. Il ne parvenait plus à trouver de travail et sa famille commençait à désespérer. En larmes, il avait avoué à Evelyn que la seule nourriture qu’il leur restait était de la farine et du sel. Il était évident que cela lui coûtait de demander de l’argent pour subvenir aux besoins de sa famille mais avait-il le choix ?

Evelyn rencontrait régulièrement ce genre de situation. La situation économique se détériorant, la Société de Secours n’avait pas les moyens d’employer plus de cinq travailleuses sociales en même temps. Evelyn était donc submergée de travail. Souvent, elle ne pouvait faire guère plus qu’une évaluation rapide de la situation de la personne avant de remplir un formulaire pour lui fournir des produits alimentaires de base, une aide financière pour un mois de loyer ou un peu de charbon en hiver.

Louise Y. Robison, la présidente générale de la Société de Secours, et ses conseillères s’entretenaient régulièrement avec l’évêque président pour organiser les actions d’entraide parmi les saints. De même, les évêques et les dirigeantes de la Société de Secours œuvraient ensemble pour identifier les personnes en difficulté dans leur paroisse et répondre à leurs besoins de base. Les gouvernements locaux et certaines entreprises s’attachaient également à trouver des moyens créatifs pour que les travailleurs soient nourris et employés. Un entrepôt géré par le comté distribuait gratuitement de la nourriture à Salt Lake City. Le conseil municipal créa des emplois temporaires, tels que déblayer la neige ou couper du bois, faisant ainsi travailler plus de dix mille chômeurs.

Toutefois, les dirigeants de l’Église et de la collectivité se rendirent vite compte que leurs efforts et leurs moyens combinés étaient insuffisants pour faire face à la crise économique.

Evelyn se retrouva à faire encore plus d’heures de travail aux côtés d’Amy Brown Lyman et des autres travailleuses sociales de la Société de Secours. Parfois, les journées paraissaient interminables. Elle ne faisait plus la distinction entre les jours de la semaine et le week-end. Les dossiers sociaux étant confidentiels, Evelyn essayait d’étudier les situations uniquement au bureau. Cependant, sa charge de travail devenant plus importante, elle emporta des documents chez elle dans une mallette pour pouvoir travailler le samedi après-midi ou le dimanche.

Les exigences de la profession d’Evelyn étaient épuisantes et se répercutaient sur sa santé. Toutefois, elle ne parvenait pas à oublier le visage triste des hommes et des femmes meurtris qui marchaient vers le capitole de l’État. Le législateur avait ignoré leur plaidoyer et refusé d’offrir des prestations sociales aux chômeurs. Leur désespoir était désormais gravé dans l’esprit de la jeune femme. À chaque fois qu’elle y pensait, elle avait envie de pleurer.


Chapitre 21 : Une meilleure compréhension

Au printemps 1931, John et Leah Widtsoe quittèrent l’Europe pour quelques mois afin de rendre visite à leur famille, s’entretenir avec les dirigeants de l’Église et assister à la conférence générale. Leur fille, Ann, les attendait à la gare en Utah. En leur absence, elle s’était réconciliée avec son mari et attendait son troisième enfant. La mère de Leah, Susa Gates, était également présente, prête à les accueillir, comme elle le leur avait promis trois ans plus tôt au moment de leur départ. Dans deux jours, elle fêterait son soixante-quinzième anniversaire. John et Leah étaient arrivés juste à temps pour la réception chez Emma Lucy, la sœur de Leah, et son mari, Albert Bowen.

Malheureusement, Petronile, la tante de John, était décédée deux ans plus tôt après une longue maladie. Ann et Rose, la veuve d’Osborne, le frère de John, étaient à son chevet quand elle avait quitté ce monde.

Pendant son séjour en Utah, John avait un emploi du temps bien rempli car il avait de nombreuses réunions prévues avec les dirigeants de l’Église. La Première Présidence et le Collège des douze apôtres débattaient d’une divergence d’opinion entre l’apôtre Joseph Fielding Smith et B. H. Roberts, qui était désormais le membre le plus ancien du premier conseil des soixante-dix. B. H. Roberts avait écrit « La vérité, le chemin, la vie [The Truth, The Way, The Life] », un manuscrit de huit cents pages détaillant le plan du salut. Il voulait que l’Église l’adopte comme programme d’étude pour les collèges de la Prêtrise de Melchizédek. Joseph Fielding Smith avait exprimé de sérieuses réserves sur certaines idées contenues dans l’ouvrage.

Il était surtout gêné par la tentative de B. H. Roberts de faire concorder le récit scripturaire de la Création avec les théories scientifiques sur l’origine de la vie. D’après celui-ci, les fossiles prouvaient que des espèces semblables à l’homme avaient vécu sur la terre pendant des millions d’années avant que Dieu ne place Adam et Ève dans le jardin d’Éden. Joseph Fielding Smith rétorquait que de telles croyances étaient incompatibles avec les Écritures et la doctrine de l’Église. Il pensait que ces espèces ne pouvaient pas avoir existé avant que la chute d’Adam n’introduise la mort dans le monde.

Dans un discours prononcé devant la Société généalogique d’Utah, Joseph Fielding Smith avait vigoureusement condamné les idées de B. H. Roberts, sans toutefois le citer directement. De son côté, ce dernier avait écrit à la Première Présidence, cherchant à savoir si le discours de Joseph Fielding Smith représentait la position officielle de l’Église sur le sujet ou s’il s’agissait simplement d’une opinion personnelle.

Les Douze invitèrent les deux hommes à présenter leur point de vue au conseil. Les apôtres envoyèrent ensuite un rapport à la Première Présidence, qui étudia attentivement les deux parties du différend et pria pour savoir comment le résoudre.

John Widtsoe avait récemment publié un livre sur la réconciliation de la science et de la religion, et il avait beaucoup réfléchi à la question. Il croyait que les dirigeants de l’Église devaient aider les jeunes saints à faire grandir leur foi en Jésus-Christ au milieu des tendances modernes. Il se disait que de nombreux croyants se méfiaient de la science parce qu’ils confondaient les faits et les interprétations. Il préférait ne pas s’appuyer uniquement sur la science pour résoudre les controverses. En effet, la compréhension scientifique était sujette à des changements et négligeait souvent les concepts religieux tels que la prière et la révélation. Il faisait tout aussi attention à ne pas se reposer sur une interprétation des Écritures qui ne tiendrait pas compte de la manière dont les révélations et les écrits sacrés avaient vu le jour.

Il confia en privé à Melvin J. Ballard, qui était apôtre : « Je pense que le plus sage serait de faire ce que nous avons fait pendant toutes ces années. Accepter tous les faits bien établis et vérifiés, et refuser de fonder notre foi sur des théories, qu’elles soient scientifiques ou théologiques. »

Le 7 avril, le lendemain de la conférence générale, la Première Présidence convia les Douze et d’autres autorités générales à se réunir pour régler le conflit. John Widtsoe écouta les membres de la présidence exprimer leur opinion que Joseph Fielding Smith et B. H. Roberts devaient abandonner leur querelle. Ils déclarèrent : « La base du désaccord repose, pour les deux partis, sur les Écritures et des déclarations d’hommes qui ont joué un rôle important dans les affaires de l’Église. Ni l’un ni l’autre n’a produit de preuve définitive pour étayer ses opinions. »

La Première Présidence rappela aux collèges l’enseignement de Joseph Smith : « Déclarez les premiers principes et laissez de côté les mystères, sinon vous serez vaincus. » Elle les mit en garde contre le fait de présenter un avis personnel comme étant la doctrine de l’Église, ce qui risquait de provoquer des malentendus, de la confusion et des divisions parmi les saints : « Quand une autorité générale de l’Église fait une déclaration formelle portant sur un quelconque point de doctrine, elle est considérée comme parlant au nom de l’Église, qu’elle exprime une opinion personnelle ou non. Ses déclarations sont reçues et acceptées comme étant la doctrine approuvée de l’Église. »

Les membres de la Première Présidence exhortèrent les hommes à prêcher la doctrine fondamentale de l’Évangile rétabli. Ils dirent : « Tandis que nous magnifions notre appel dans la sphère de l’Église, laissons à la recherche scientifique la géologie, la biologie, l’archéologie et l’anthropologie. Aucun de ces domaines n’a de rapport avec le salut de l’âme des hommes. » Pour ce qui était des origines de la vie, ils n’avaient rien de plus à dire que ce que la Première Présidence avait déjà affirmé dans sa déclaration de 1909 intitulée « L’origine de l’homme ».

Pour John Widtsoe, la Première Présidence avait réglé la question. Les dirigeants de l’Église présents, y compris B. H. Roberts et Joseph Fielding Smith, soutinrent la décision et acceptèrent de ne plus aborder en public la question de la vie humaine avant Adam. Cependant, B. H. Roberts ne supportait pas l’idée de retirer le sujet de son ouvrage « La vérité, le chemin, la vie ». Finalement, il laissa son ouvrage de côté, sans le publier.

Plus tard cette année-là, au Cap, en Afrique du Sud, William et Clara Daniels et une dizaine d’autres saints des derniers jours chantaient un cantique ensemble comme ils le faisaient chaque lundi, pendant la réunion qu’ils tenaient chez eux pour parler de l’Évangile. Mais cette fois, ce n’était pas une réunion comme les autres. Le président de mission, Don Dalton, les avait convoqués pour une conférence spéciale.

Clara offrit la prière d’ouverture et William raconta l’histoire de sa conversion et de leurs premières petites réunions. Il dit : « Nous avons commencé par étudier les références du Livre de Mormon (Book of Mormon Ready References) et maintenant nous étudions Jésus le Christ. J’ai reçu de nombreuses connaissances et je peux dire beaucoup de choses sur l’Évangile à beaucoup de gens. »

Clara rendit aussi témoignage, exprimant sa reconnaissance pour son appartenance à l’Église. Elle dit : « Je prie pour que le Seigneur nous aide à rester constants. »

Plusieurs autres personnes témoignèrent, puis le président Dalton prit la parole. Il déclara : « J’ai la certitude que le Seigneur est à la tête de cette œuvre. Si nous mettons en pratique les commandements, il ne nous refusera rien. » Il parla du frère de Jared, personnage du Livre de Mormon, qui était si proche du Seigneur que rien ne lui fut caché. Il témoigna : « Il en sera de même pour nous. Je sais que, si je suis fidèle, je verrai des choses extraordinaires. »

Le président Dalton se souciait toujours de la façon dont certains membres de la branche de Mowbray traitaient les membres « de couleur », comme la famille Daniels. La Première Présidence lui avait conseillé de tenir compte des sentiments de tous les saints en gérant ce genre de situation. Elle avait écrit : « Les tensions raciales sont un problème qu’il faut traiter avec beaucoup de précaution pour éviter d’offenser les membres de l’Église, Noirs ou Blancs. »

Le président Dalton connaissait et admirait la fidélité de William. Il voulait reconnaître officiellement ses efforts. Il annonça : « Je pense qu’une branche doit être formée ici. Frère Daniels doit avoir le privilège d’accomplir une œuvre particulière. Je sais que, grâce à sa diligence, la barrière sera levée et qu’il sera un dirigeant en Israël. »

William fut alors appelé à servir en qualité de président de branche et Clara en tant que présidente de la Société de Secours. Leur fille Alice fut appelée secrétaire de la Société de Secours et greffière de la branche, et leur amie, Emma Beehre, fut appelée conseillère de Clara. Frère Dalton posa les mains sur la tête de William et le mit à part pour son nouvel appel. Il ne conféra pas la prêtrise à William, qui ne pouvait donc pas bénir et distribuer la Sainte-Cène ni mettre à part les membres de la branche dans leurs appels. Cependant, ses nouvelles responsabilités allaient lui donner de nouvelles occasions de servir et de progresser dans l’Église.

Le président de mission ajouta : « J’ai réfléchi à un nom pour cette branche. Je suppose que ce devrait être ‘la branche de l’amour’. »

Lors de leur réunion du lundi suivant, William demanda à Clara et aux autres dirigeants de la branche nouvellement appelés de s’exprimer au sujet de leurs nouvelles responsabilités. Clara avoua : « Je trouve cela un peu difficile mais je sais que le Seigneur m’aidera dans mon œuvre, lui qui a aidé la sœur qui a mis en place la première Société de secours. »

En tant que dirigeants de branche, William et Clara continuèrent de s’occuper des missionnaires qui assistaient aux réunions de la branche avec des visiteurs blancs de la branche de Mowbray. William veilla à ce qu’Alice fasse des comptes rendus précis afin d’en envoyer un exemplaire à Salt Lake City. Il ne voulait pas qu’on oublie la branche de l’amour.

Aux États-Unis, le 14 février 1932, Paul Bang, âgé de treize ans, fut ordonné diacre dans la branche de Cincinnati. Depuis la fin des années 1800, les garçons de son âge recevaient la Prêtrise d’Aaron. À cette époque, ils coupaient du bois pour les pauvres, alimentaient des feux pour chauffer les lieux de réunion et accomplissaient d’autres actes de service dans leurs paroisses et leurs branches. Toutefois, ce n’est qu’au début du vingtième siècle que Joseph F. Smith, alors président de l’Église, avait présenté les réformes de la Prêtrise d’Aaron rendant systématique l’ordination des jeunes gens aux offices de la prêtrise. Depuis, les jeunes diacres avaient commencé à jouer un rôle plus important au sein de la branche et pendant les réunions.

Désormais, en plus de s’occuper de l’église et du terrain, Paul pouvait distribuer la Sainte-Cène, collecter les offrandes de jeûne, être le messager du président de branche et aider les veuves et les autres saints dans le besoin. Comme les autres diacres de l’Église, il devait également comprendre et savoir expliquer chacun des Articles de Foi, obéir à la Parole de Sagesse, faire des prières d’ouverture et de clôture, payer la dîme et connaître l’histoire du rétablissement de la Prêtrise d’Aaron.

Paul n’eut pas l’occasion de s’acquitter tout de suite de toutes ces nouvelles responsabilités. Depuis des décennies, les hommes adultes distribuaient la Sainte-Cène et de nombreuses personnes étaient mal à l’aise à l’idée de laisser cette responsabilité à de jeunes garçons. À Cincinnati, la Sainte-Cène était toujours bénie et distribuée par deux adultes. Il s’agissait la plupart du temps de Chris et Henry, les frères aînés de Paul.

Néanmoins, même si les nouvelles responsabilités de Paul en lien avec la prêtrise ne l’occupaient pas totalement, de nombreuses tâches lui incombaient à l’épicerie de ses parents. Il aimait travailler au magasin. Le commerce ouvrait tous les matins à six heures et ne fermait pas avant onze heures du soir. Le garçon s’occupait des clients au comptoir, remplissait et rangeait les étagères, balayait et huilait le plancher en bois. Lorsque son frère Chris coupait la viande, Paul éparpillait de la sciure sur le sol pour absorber les salissures. Une fois la découpe terminée, il frottait les blocs de coupe avec une brosse en fer. Après l’école, Paul chargeait des boîtes et des paniers contenant les commandes et faisait les livraisons dans le voisinage.

À Cincinnati, au moment de la dépression économique, le domaine de la construction était en pleine expansion. Les travaux de construction d’un gratte-ciel de près de cent quatre-vingts mètres ainsi que d’un nouveau terminal ferroviaire imposant commençaient à peine. Ces projets, ainsi qu’une économie locale diversifiée, permirent à la ville de surmonter les pires moments de la crise. Toutefois, les salaires baissaient et le chômage était de plus en plus important.

La famille Bang vivait dans un quartier pauvre peuplé d’immigrants blancs qui, comme eux, travaillaient, jouaient et étudiaient aux côtés d’Afro-Américains, de Juifs et d’autres groupes ethniques. Lorsque les difficultés touchèrent la ville, nombre des clients habituels de l’épicerie ne pouvaient plus payer leurs factures. Au lieu de les renvoyer, le père de Paul leur faisait souvent cadeau de ses produits ou leur permettait d’acheter à crédit. Malheureusement, sa gentillesse et sa générosité ne protégèrent pas l’entreprise familiale de la Dépression et, en avril 1932, il déposa le bilan. Même après cela, il refusa de fermer le magasin et continua d’aider ses voisins.

Les saints de Cincinnati persévéraient malgré le déclin économique. Depuis peu, l’Épiscopat président avait demandé aux paroisses et aux branches de l’Église de commémorer chaque année le rétablissement de la Prêtrise d’Aaron, espérant ainsi favoriser la participation des jeunes détenteurs de la prêtrise. Le 15 mai 1932, quatre prêtres récemment ordonnés de la branche de Cincinnati, tous âgés de dix-neuf ans ou plus, parlèrent pendant la réunion de Sainte-Cène de l’histoire et de l’expansion de la Prêtrise d’Aaron. Charles Anderson, le président de branche, prit également la parole, comme il le faisait habituellement à la fin de la réunion de Sainte-Cène.

Paul n’avait pas encore de responsabilités dans le programme mais les occasions viendraient. Les réunions de la branche comptaient rarement plus de cinquante personnes. Souvent, les parents de Paul ou ses frères et sœurs plus âgés faisaient un discours, chantaient dans le chœur, offraient une prière ou participaient d’une quelconque autre manière aux réunions. En l’espace de quatre semaines, son frère, Henry, avait offert la prière de clôture lors de trois réunions de Sainte-Cène. Le jour où il n’avait pas prié, il avait fait un discours.

Étant membre de la famille Bang, Paul s’attendait à ce que la branche lui confie des tâches à tout moment.

Pendant ce temps, en Utah, Evelyn Hodges, assistante sociale au sein de la Société de Secours, avait matière à s’inquiéter tandis que le monde s’enfonçait de plus en plus dans la Dépression. Son père, qui l’avait un jour suppliée de rester à la maison pour qu’elle n’ait pas à travailler, traversait une période difficile du fait que les produits de sa ferme de Logan ne se vendaient plus. Evelyn savait comment faire pour solliciter l’aide de l’Église et de l’État, mais il refusait.

Au début de la Dépression, il lui avait affirmé : « Je peux trouver un travail. Je sais que j’en suis capable. »

Sa fille en doutait. À Salt Lake City, elle parlait tous les jours à des gens qui disaient la même chose. Ils répétaient : « Si je peux aller à Los Angeles, je trouverai du travail. » En Utah, un travailleur sur trois était au chômage et personne n’embauchait. Evelyn savait cependant que la situation n’était guère meilleure en Californie, ni nulle part ailleurs aux États-Unis. Elle essayait d’expliquer que les emplois se faisaient rares partout, mais certaines familles avec lesquelles elle travaillait ne la croyaient pas.

À l’approche de l’été 1932, elle avait de bonnes raisons d’espérer qu’un changement était imminent. À la suite du lancement par le gouvernement américain d’un programme d’aide financière aux États et aux entreprises, les fonctionnaires de l’Utah firent appel aux services sociaux de la Société de Secours pour aider l’État à demander un prêt fédéral. Evelyn et Amy Brown Lyman passèrent des heures à rassembler les statistiques et les dossiers individuels pour mettre en lumière les manques au sein de l’État. Elles présentèrent ensuite les résultats de leur recherche au capitole de l’État où les législateurs les utilisèrent et obtinrent une aide fédérale pour l’Utah.

Evelyn apprit beaucoup grâce à son travail acharné auprès d’Amy. Cette dernière était franche et souvent brusque lorsqu’elle s’adressait aux travailleuses sociales. Evelyn appréciait le franc-parler d’Amy, mais elle devait admettre que cela l’irritait parfois. Amy ne se privait pas de la critiquer quand elle faisait une erreur. Cependant, Evelyn ne prenait pas cela pour une réprimande. Amy pensait tout simplement qu’elle n’avait pas le temps d’être délicate ou diplomate. Elle attendait de tous les membres du bureau des services sociaux, y compris d’elle-même, qu’ils se consacrent entièrement à leur travail. C’est pour cette raison qu’Evelyn avait appris à l’aimer et qu’elle l’admirait.

En août 1932, les fonds de secours fédéraux arrivèrent en Utah, redonnant espoir à de nombreux saints affligés. Une fois de plus, l’État fit appel à la Société de Secours, et Amy et ses travailleuses sociales jouèrent un rôle essentiel dans la distribution de l’aide.

La plupart des fonds de secours locaux de l’Église et du gouvernement étant épuisés, de nombreux évêques aux côtés desquels Evelyn œuvrait souhaitaient vivement que les membres de leur paroisse dans le besoin reçoivent l’aide du gouvernement fédéral. Certains membres de l’Église craignaient cependant que les saints en deviennent dépendants. Des gens refusaient de demander l’aide de l’Église parce qu’ils ne voulaient pas que leur évêque, qui était souvent un voisin et ami, soit au courant de leur situation. D’autres ne voulaient pas se sentir stigmatisés en raison de leur situation de dépendance lorsqu’ils allaient à l’église.

Cette dépendance continuait néanmoins de s’étendre. Les dirigeants du gouvernement des États-Unis avaient sous-estimé les dégâts économiques, et les fonds proposés ne suffirent pas à soulager durablement le peuple américain. L’économie continuait de s’effondrer, entraînant l’espoir avec elle. Chaque jour, des gens perdaient leur emploi et leur logement. Evelyn voyait régulièrement deux ou trois familles vivant ensemble dans une petite maison.

Sa propre famille était en difficulté. Après avoir en vain essayé de subvenir aux besoins de sa famille, son père avait cherché à vendre une partie de sa propriété mais il ne trouva pas d’acquéreur. Finalement, il permit à sa fille de lui envoyer trente dollars par mois de ses propres revenus. Il lui en était reconnaissant.

La Dépression s’aggravait et Evelyn était témoin de la misère grandissante à Salt Lake City. Elle y perçut néanmoins l’occasion de faire preuve d’une plus grande compassion et de progresser au sein de la collectivité. Elle pensait : « Si nous sortons de cette lutte avec une meilleure compréhension des besoins des êtres humains, alors la société aura progressé grâce à cette épreuve. »

À l’autre bout de la ville, Harold B. Lee, président du pieu de Pioneer à Salt Lake City, savait qu’il devait lui aussi faire quelque chose pour aider les gens à traverser la Dépression. À trente-trois ans, il était l’un des plus jeunes présidents de pieu de l’Église ; il n’avait pas autant d’expérience que d’autres hommes ayant le même appel. Cependant, il savait qu’environ deux tiers des sept mille trois cents saints de son pieu dépendaient, totalement ou partiellement, d’une aide financière. Lorsque les gens étaient affamés physiquement, il n’était pas facile de les nourrir spirituellement.

Harold B. Lee réunit ses conseillers pour discuter de la manière d’aider les saints sous leur responsabilité. D’après leur étude des Doctrine et Alliances, ils savaient que le Seigneur avait ordonné aux premiers saints d’établir un magasin pour prendre soin des pauvres et des nécessiteux. Depuis des décennies, les paroisses de l’Église géraient des petits « magasins de l’évêque » en collectant et redistribuant les dons de nourriture et d’autres articles pour aider les pauvres. Depuis les années 1910, l’Église recevait uniquement la dîme sous forme d’argent, mais il restait des magasins dans quelques paroisses et pieux. De même, la présidence générale de la Société de Secours, qui avait géré des magasins et des greniers pour aider les saints dans le besoin, s’occupait d’un entrepôt qui fournissait des vêtements et d’autres articles ménagers pour les pauvres. Et si le pieu de Pioneer faisait la même chose ?

Bientôt, un programme de secours prit forme, qui avait aussi pour but de rendre les saints plus autonomes. Avec l’aide des évêques, le pieu d’Harold B. Lee mettrait en place un magasin financé par la dîme et les dons. Au lieu de distribuer des articles gratuitement, le programme permettrait aux saints du pieu sans emploi de travailler à l’entrepôt ou à d’autres projets de service en échange de nourriture, de vêtements, de combustible ou d’autres produits de première nécessité.

Après en avoir parlé avec ses conseillers, Harold B. Lee soumit le projet à la Première Présidence, qui l’approuva. Il convia ensuite les évêques de son pieu à une réunion afin de leur présenter le plan pour qu’ils en discutent. Un évêque posa immédiatement une question qui était sans doute dans l’esprit de nombreux membres de l’Église : puisque le Seigneur avait promis de subvenir aux besoins de son peuple, pourquoi tant de saints fidèles, qui payaient la dîme, étaient-ils démunis ?

Harold fit de son mieux pour répondre, rappelant aux évêques que le Seigneur comptait sur eux pour accomplir son œuvre. Il déclara : « Les promesses faites par le Seigneur sont entre vos mains. La manière et les moyens par lesquels elles s’accompliront dépendent de vous. » Il exhorta ensuite les évêques à faire tout ce qui était en leur pouvoir pour que ces magasins fonctionnent. Il témoigna que les bénédictions promises par le Seigneur se réaliseraient.

Dans le cadre de ce projet, Harold B. Lee et ses conseillers choisirent Jesse Drury, l’un des évêques, pour gérer le magasin. Dans sa paroisse, de nombreux saints avaient été durement touchés par la Dépression. Jesse lui-même avait perdu son emploi et sa famille subvenait à peine à ses besoins grâce aux aides gouvernementales.

Cependant, plus tôt cette année-là, cet évêque et ses conseillers avaient décidé d’agir afin d’obtenir de la nourriture et du travail pour les membres de leur paroisse. Au sud de la limite de leur paroisse se trouvait une parcelle de terre fertile et inutilisée. L’épiscopat consulta les propriétaires qui permirent aux membres de la paroisse de cultiver la terre en échange du paiement des impôts sur la propriété. Deux paroisses voisines du pieu de Pioneer se joignirent à l’effort. Tous ensemble, ils trouvèrent des agriculteurs et des dirigeants du comté disposés à faire don de semences et à prendre en charge l’irrigation. Les membres achetèrent des plants de légumes à prix réduit et se procurèrent des équipements agricoles et des chevaux auprès des personnes qui soutenaient leur projet.

À présent, sous la direction d’Harold B. Lee, Jesse Drury dirigeait un groupe de membres de l’Église au chômage afin de transformer un vieil entrepôt en magasin de pieu. Ils installèrent une conserverie et ouvrirent une épicerie. Il y avait également des espaces de stockage à d’autres niveaux du bâtiment et un espace dédié à la gestion des dons de vêtements.

À l’été 1932, le magasin était prêt à ouvrir. Le jour de l’inauguration du bâtiment, Harold B. Lee, Jesse Drury et le reste du pieu de Pioneer jeûnèrent pour commémorer l’événement, apportant leurs offrandes de jeûne à la cérémonie. Des hommes et des femmes du pieu se mirent au travail dans le magasin tandis que d’autres parcouraient la vallée pour travailler dans les fermes et les vergers.

Un flot de produits déferla bientôt. Il y avait des centaines de boisseaux de pêches, des milliers de sacs de pommes de terre et d’oignons, des tonnes de cerises et bien plus encore. En échange de leur travail, les membres du pieu bénéficiaient d’une partie de la récolte. Il en resta suffisamment pour que la Société de Secours prépare des conserves en prévision de l’hiver. Les femmes échangeaient également leur travail contre des produits de première nécessité non périssables en raccommodant de vieux vêtements et en collectant des chaussures usées.

Dès la fin de l’année, Harold B. Lee vit que le Seigneur bénissait les saints de son pieu. Même si nombre d’entre eux avaient fait face à l’adversité pendant l’année écoulée, ils étaient restés fermes dans la conviction que Dieu les aiderait dans leurs difficultés. De plus, ils étaient prêts et disposés à travailler ensemble au profit des nécessiteux, malgré les ravages de la Dépression.


Chapitre 22 : Récompense éternelle

Le matin du 17 mai 1933, John et Leah Widtsoe s’éveillèrent en regardant pour la première fois la Terre Sainte. De la fenêtre de leur train, ils voyaient une plaine aride, jonchée de rochers, jalonnée de champs cultivés et de vergers. John, qui avait passé des années à étudier l’agriculture du désert, était fasciné par le paysage. Dans son journal, il qualifia cette vision d’« extrêmement intéressante ».

Dès leur retour à Londres à l’automne 1931, John et Leah Widtsoe avaient repris leurs responsabilités au sein de la mission européenne. Ils étaient maintenant en route pour Haïfa, ville située sur la côte est de la Méditerranée, pour mettre à part Badwagan Piranian et sa femme, Bertha, en tant que dirigeants de la mission de Palestine-Syrie de l’Église. Cette mission, qui allait superviser quatre branches dans la région, était l’une des plus petites de l’Église. Badwagan était arménien, comme la plupart des saints du Moyen-Orient, et Bertha était suisse. Ils étaient tous les deux devenus membres de l’Église au cours des dix années précédentes.

À l’origine, Leah n’avait pas prévu d’accompagner John en Palestine. La crise économique s’était propagée dans le monde entier, dévastant les collectivités qui se remettaient à peine de la guerre. John et Leah avaient peu d’argent et un tel voyage à travers le continent n’était pas bon marché. Cependant, John insista pour que sa femme vienne avec lui.

Il lui dit : « Nous avons tout fait ensemble, ce voyage ne doit pas faire exception. Nous sortirons de ce ‘gouffre financier’, d’une manière ou d’une autre. »

À leur arrivée à Haïfa, ils rencontrèrent Badwagan et Bertha Piranian, et leur fille de seize ans, Ausdrig. Le nouveau président fit très bonne impression à John. Badwagan parlait couramment l’arménien et l’allemand ; il connaissait également le turc, le russe et l’anglais. John rapporta : « Frère Piranian est un homme intelligent, travailleur et sincère. »

Bertha fit également très bonne impression à Leah. Elle avait un témoignage ferme de l’Évangile et était désireuse d’apprendre comment inciter les femmes de la mission à s’investir davantage à la Société de Secours et la SAM des jeunes filles. Leah pensait que ces organisations étaient indispensables pour édifier l’Église dans la région. Elle se disait : « Si ces femmes deviennent pratiquantes et trouvent de la joie grâce au programme de la Société de Secours ou celui des Abeilles et des Glaneuses, elles deviendront des prosélytes encore plus capables de défendre la vérité. »

Il lui semblait parfois qu’elle devait déplacer des montagnes pour persuader les épouses des présidents de mission de laisser les femmes locales gérer leurs organisations. En travaillant avec Leah, Bertha montra qu’elle était remplie du désir de bien agir et d’être une bonne dirigeante. Au moment de quitter Haïfa, Leah savait que Bertha ferait de l’excellent travail.

Le couple Widtsoe se rendit ensuite à Tel Aviv, puis à Jérusalem. Ils avaient prévu de se rendre à pied jusqu’au Mur des Lamentations, dernier vestige de l’ancien temple de Jérusalem. Mais, en arrivant à leur logement, John reçut une pile de courrier et commença à lire silencieusement deux télégrammes. Il fut profondément bouleversé par leur contenu mais sa femme était de bonne humeur, aussi mit-il le courrier de côté. Puis ils sortirent de l’hôtel.

Leur visite les conduisit le long de vieilles rues tortueuses et dans des bazars colorés, bondés de monde. Arrivés au Mur des Lamentations, ils observèrent des femmes et des hommes juifs en train de prier et de se lamenter sur la destruction du temple, des siècles plus tôt. Leah remarqua que certains visiteurs glissaient entre les pierres du mur des prières écrites sur des morceaux de papier.

Ce soir-là, ils regardèrent le soleil se coucher depuis le Mont des Oliviers, non loin du jardin dans lequel le Sauveur avait souffert pour les péchés de toute l’humanité. Toujours préoccupé par les télégrammes, John ne profitait pas de ce moment mais Leah était ravie d’être dans la ville sainte.

Plus tard, de retour dans leur chambre, John dit finalement à Leah ce qui le troublait. C’était Heber J. Grant, le président de l’Église, qui lui avait adressé les télégrammes pour leur annoncer que la mère de Leah était décédée le 27 mai, le lendemain de leur départ de Haïfa. John avait retardé le moment de le dire à sa femme car elle était très joyeuse lors de leur arrivée à Jérusalem et il ne voulait pas lui gâcher sa joie.

La nouvelle fut un choc pour Leah. Elle savait que Susa n’allait pas très bien mais elle ne s’était pas doutée de la gravité de sa maladie. Son esprit devint soudainement sombre et révolté. Pourquoi fallait-il qu’elle soit si loin de sa mère au moment de sa mort ? Elle attendait avec impatience le moment de la revoir et de lui raconter ses expériences de mission. Maintenant, tout était différent. Sa joie s’était envolée.

Rongée par le chagrin, elle passa une nuit difficile, et la journée du lendemain ne fut pas meilleure. Son seul réconfort était d’imaginer sa mère, qui avait consacré tant de temps à l’œuvre du temple, retrouvant avec joie ses proches décédés. Elle se souvint d’un poème joyeux que Susa avait écrit quelque temps auparavant :

Quand j’aurai quitté ce rivage mortel

et que je ne flânerai plus sur cette terre

Ne soyez pas en deuil, ne pleurez pas, ne soupirez pas, ne sanglotez pas

J’ai probablement trouvé un meilleur emploi.

Le 5 juin, Leah envoya une lettre au président Grant, le remerciant de la gentillesse dont il avait toujours fait preuve à l’égard de Susa. Elle écrivit : « La vie de ma mère a été bien remplie et riche d’accomplissements. Je prie pour que ses enfants, chacun d’entre nous, puissent aimer la vérité et vivre pour elle, comme elle l’a fait. »

Plus tard cette année-là, en Afrique du Sud, William Daniels s’acquittait fidèlement de ses tâches de président de la branche de l’amour, au Cap. Il ne pouvait pas accomplir les ordonnances de la prêtrise mais il présidait les réunions du lundi soir, gérait les affaires de la branche, conseillait les saints dont il avait la charge et assistait aux conférences des dirigeants de mission avec d’autres présidents de branche d’Afrique du Sud.

Un jour, il tomba gravement malade. Certain que la maladie passerait rapidement, il ne demanda pas immédiatement une bénédiction aux missionnaires. Cependant, sa santé se détériora, provoquant l’inquiétude de ses médecins. Il était âgé de près de soixante-dix ans et son cœur était faible.

Il attendit encore six semaines avant de prendre enfin contact avec le foyer de la mission pour demander une bénédiction. En l’absence du président Dalton, un autre missionnaire vint le bénir. Après la bénédiction, William se sentit mieux pendant un moment, puis la maladie réapparut. Cette fois-ci, le président de mission put venir lui donner une bénédiction.

Inquiet pour la vie de William, le président Dalton fit venir sa femme, Geneve, et leurs enfants pour le réconforter. En voyant l’état de William, le président Dalton pleura. La famille s’agenouilla autour du lit, et George Dalton, âgé de cinq ans, offrit la prière. Ensuite, le président de mission oignit William et lui donna une bénédiction. Il lui promit qu’il pourrait recommencer à adorer Dieu auprès des saints du Cap.

Quelques semaines plus tard, le président Dalton revint en ville et vit que William était suffisamment en bonne santé pour voyager. Ils se rendirent ensemble à l’École du Dimanche de la branche de Mowbray. Là, les saints demandèrent à William de s’adresser à eux. On l’aida à monter les marches de l’estrade et il rendit témoignage du pouvoir guérisseur de la foi. Après la réunion, toutes les personnes de la salle, jeunes et moins jeunes, lui serrèrent la main. Il put bientôt reprendre pleinement ses fonctions dans la branche de l’amour.

William était reconnaissant pour les missionnaires et les bénédictions de guérison qu’il avait reçues d’eux. Un jour, il déclara aux membres de la branche : « Je me sens plus béni qu’un roi avec toutes ses richesses. Je remercie le Seigneur du privilège de recevoir ces bonnes personnes chez moi et pour ma foi dans l’onction faite par les missionnaires. »

Lorsque sa santé se fut améliorée, William écrivit son témoignage pour le journal de la mission, le Messager du Sud de Cumorah (Cumorah’s Southern Messenger). En réfléchissant à ses expériences dans l’Église, il raconta sa conversion, sa visite à Salt Lake City qui avait changé sa vie et son expérience récente du pouvoir de la prêtrise.

Il écrivit : « Mon témoignage est que je sais que Joseph Smith était un prophète de Dieu dans les derniers jours et que l’Évangile rétabli ne contient rien d’autre que les enseignements du Christ lui-même. »

Il ajouta : « Je sais que Dieu vit, qu’il entend les prières et y répond. Jésus est le Rédempteur ressuscité et réellement le Fils de notre Père céleste, personnel, vrai et vivant. »

Peu de temps après la mort de sa belle-mère, John Widtsoe reçut une lettre du président Grant. Elle disait : « Concernant votre retour, je souhaite que vous m’écriviez avec une franchise absolue. N’hésitez pas à me dire si vous préférez rentrer chez vous pour être auprès de vos proches. Vous avez accompli une mission exceptionnelle. »

John ne sut quoi répondre. D’un côté, Leah et lui avaient déjà servi pendant six ans. C’était deux fois plus longtemps que les présidents de la mission européenne précédents. John savait aussi que sa femme et lui manquaient à leur famille en Utah. Elle avait besoin d’eux, surtout maintenant que Susa n’était plus là.

D’un autre côté, Leah et lui se sentaient chez eux en Europe et aimaient le service missionnaire. Le travail manquerait certainement à Leah. Son empreinte sur l’Église en Europe était visible partout. Elle avait renforcé les organisations féminines locales, encouragé les personnes à suivre plus fidèlement la Parole de sagesse et adapté les leçons de la Société de secours aux sœurs d’Europe. Elle venait d’achever l’édition européenne du manuel des Abeilles, ce qui avait considérablement simplifié et adapté le programme de la SAM pour répondre aux besoins des jeunes femmes de tout le continent.

La mission rencontrait également de nouvelles difficultés. La récession économique s’étant propagée dans le monde entier, les revenus de la dîme en Europe avaient chuté. Certaines branches n’avaient plus de salles de réunion car elles ne pouvaient plus payer le loyer. À cause de la Dépression, beaucoup de missionnaires ne pouvaient plus partir et de nombreuses familles avaient besoin de leurs fils à la maison pour les aider à subvenir à leurs besoins. En 1932, seulement trois cent quatre-vingt-dix-neuf hommes avaient pu accepter un appel en mission alors que dans les années vingt, on avait connu un pic de mille trois cents missionnaires par an. Avec une force missionnaire considérablement réduite, était-il préférable pour l’Église que John et Leah, qui avaient acquis tant d’expérience en Europe, continuent à diriger la mission européenne ?

John répondit au président Grant que Leah et lui préféraient laisser cette décision entre les mains du prophète. Il écrivit : « J’ai toujours constaté que la voie du Seigneur est meilleure que la mienne. »

Le 18 juillet, John reçut un télégramme indiquant que l’apôtre Joseph F. Merrill avait été appelé à le remplacer en tant que président de la mission européenne. Cela allait être difficile de partir mais John et Leah étaient satisfaits de cette décision. En septembre, ils préparaient activement leur départ. Leah gérait les affaires au foyer de la mission à Londres tandis que John parcourait le continent européen pour évaluer une dernière fois la situation.

Pour sa dernière étape, John s’arrêta au bureau de la mission à Berlin, en Allemagne. Plus tôt dans l’année, Adolf Hitler avait été nommé chancelier d’Allemagne et son parti nazi resserrait son emprise sur le pays. La Première Présidence, préoccupée par ces événements, avait demandé à John de faire un rapport de la situation du pays et d’évaluer si les missionnaires en Allemagne étaient en sécurité.

John lui-même suivait de près l’ascension d’Hitler au pouvoir et son influence sur l’Allemagne. De nombreux Allemands étaient encore irrités d’avoir perdu la guerre quinze ans plus tôt et ils en voulaient profondément aux vainqueurs pour les sanctions sévères qui leur avaient été infligées. John rapporta à la Première Présidence : « Les nerfs politiques du peuple allemand sont à vif. J’espère que lorsque l’abcès sera prêt à éclater, le poison pourra être évacué au lieu de se diffuser dans toute la structure sociale. »

En arrivant à Berlin, John fut frappé par l’ampleur des changements qui s’étaient produits au cours des décennies qui s’étaient écoulées depuis qu’il y était étudiant. La ville ressemblait à un camp militaire, avec des symboles d’Hitler et du parti nazi partout, y compris dans le bureau de la mission. John expliqua à la Première Présidence : « Le drapeau nazi est accroché au mur, non pas en signe que nous acceptons tout ce que le gouvernement actuel fait en Allemagne, mais pour montrer que nous soutenons le gouvernement légitime du pays dans lequel nous vivons. »

En parlant avec les présidents des deux missions en Allemagne, John fut rassuré sur le fait que l’Église n’était pas en danger immédiat dans le pays. La Gestapo (police secrète nazie) avait examiné les dossiers du bureau de la mission à Berlin, ainsi que les registres de plusieurs branches, mais, jusqu’à présent, elle semblait satisfaite du fait que l’Église n’essayait pas de saper son gouvernement.

John craignait toutefois qu’Hitler entraîne le peuple allemand dans une autre guerre. Les saints locaux se préparaient déjà à prendre en charge les branches et à veiller sur les membres de l’Église en cas de problème. John conseilla aux présidents de mission de se préparer à faire partir les missionnaires d’Allemagne en deux ou trois heures si nécessaire. Il pensait qu’il valait mieux que la Première Présidence limite à l’avenir le nombre de missionnaires affectés en Allemagne.

Après deux jours de réunions, John quitta le bureau de la mission à Berlin pour retourner à Londres. Il emprunta un chemin familier le long de Unter den Linden, une rue au cœur de Berlin nommée d’après les tilleuls qui bordaient les allées. En se dirigeant vers la gare, il vit une grande troupe de soldats traversant la ville au pas de l’oie pour remplacer les soldats de garde.

Tout autour d’eux, des milliers de partisans d’Hitler se pressaient dans les rues, animés d’un enthousiasme effréné.

Au printemps 1934, Len et Mary Hope, des saints afro-américains qui étaient devenus membres de l’Église en Alabama, vivaient dans la banlieue de Cincinnati, en Ohio. Au cours de l’été 1928, ils avaient déménagé dans la région avec leurs enfants à la recherche de travail. Len avait trouvé un emploi stable dans une usine. Ils avaient cinq enfants et en attendaient un sixième.

Cincinnati était une ville du nord qui bordait un État du sud. Dans la plupart des quartiers de la ville, la ségrégation était aussi marquée que dans n’importe quel endroit du sud. À cause de sa couleur de peau, la famille Hope n’était pas autorisée à vivre dans certains quartiers, à séjourner dans certains hôtels ou à manger dans certains restaurants. Il y avait des sièges réservés aux spectateurs noirs dans les théâtres. Certaines écoles et certains établissements d’enseignement supérieur et universités de la ville excluaient les étudiants noirs ou limitaient considérablement leurs possibilités d’études. Plusieurs dénominations religieuses avaient des assemblées séparées pour les Blancs et pour les Noirs.

À leur arrivée en ville, la famille Hope assista aux réunions avec la branche de Cincinnati. Au sein de l’Église, il n’y avait pas de règles concernant la ségrégation raciale ; les paroisses et les branches avaient leurs propres règles en fonction de la situation locale. Au début, il semblait possible que la branche de Cincinnati fasse un bon accueil à la nouvelle famille. Mais ensuite des membres déclarèrent au président de branche, Charles Anderson, qu’ils cesseraient d’assister aux réunions si la famille Hope continuait de venir.

Charles appréciait Len et Mary et il savait que ce ne serait pas une bonne chose de leur demander de ne plus venir à l’église. Il s’était installé à Cincinnati après avoir quitté Salt Lake City, où un petit nombre de saints noirs fréquentait l’église aux côtés de leurs voisins blancs. Il savait cependant que le racisme était profondément ancré dans la région de Cincinnati et il pensait ne pas réussir à changer les sentiments des gens.

Les frontières de la branche avaient récemment été redéfinies et de nombreux saints du sud étaient maintenant sous la responsabilité de Charles Anderson. Les saints du sud n’étaient pas les seuls à s’opposer à la présence de la famille Hope à l’église. Des membres de longue date, que Charles connaissait depuis des années, avaient également exprimé leur crainte que cette intégration ne donne aux détracteurs locaux de l’Église une nouvelle raison de se moquer des saints.

Le cœur lourd, Charles Anderson se rendit chez la famille Hope et lui fit part des objections des membres de la branche. Il reconnut : « C’est la visite la plus pénible que j’aie jamais faite à quelqu’un au cours de ma vie. » Il promit d’aider la famille à rester liée à l’Église. Il affirma : « Nous ferons tout ce que nous pourrons. Chaque mois, nous viendrons ici spécialement pour vous apporter la Sainte-Cène et tenir un service religieux chez vous. »

Le cœur brisé par la décision de Charles, Len et Mary cessèrent de se rendre à l’église, sauf pour les conférences de district et d’autres événements spéciaux. Le premier dimanche de chaque mois, ils tenaient une réunion de témoignage chez eux pour les missionnaires et tous les membres de la branche qui souhaitaient venir adorer avec eux. La famille se réjouissait également des visites informelles des saints locaux. Len et Mary vivaient dans une maison confortable de quatre pièces avec un grand perron à l’entrée et une clôture blanche. Elle était située dans un quartier majoritairement afro-américain, à une quinzaine de kilomètres au nord du lieu de réunion de la branche, et le tramway de Cincinnati amenait les visiteurs à moins de deux kilomètres de marche de la maison.

Lors de leurs réunions dominicales mensuelles, les membres de la famille Hope prenaient la Sainte-Cène et rendaient témoignage, du plus âgé au plus jeune. Parfois, les filles talentueuses de la famille chantaient ou jouaient du piano. Après chaque réunion, un délicieux repas était servi proposant de la dinde rôtie, du pain de maïs, de la salade de pommes de terre ou d’autres plats faits maison.

Parmi les saints qui rendaient visite à la famille Hope, on trouvait Charles Anderson et ses conseillers, Christian Bang et Alvin Gilliam. Parfois, Christine Anderson et Rosa Bang accompagnaient leur mari respectif. Vernon Cahall, greffier de la branche, son épouse, Edith, et d’autres membres tels que Robert Meier et Raymond Chapin venaient également, souvent accompagnés de leur famille. Les sœurs missionnaires, qui instruisaient les classes de la Primaire chez plusieurs membres de la branche, instruisaient aussi les enfants de la famille Hope. Elizabeth, l’aînée de la famille Bang, apportait parfois son aide. De temps en temps, la famille Hope retrouvait les missionnaires ou des membres de la branche dans d’autres endroits, par exemple au zoo de Cincinnati.

Le 8 avril 1934, Mary Hope donna naissance à un garçon. Dans le passé, le couple s’était toujours assuré que ses bébés soient bénis et ce fut encore le cas cette fois. Deux mois après la naissance de Vernon, Charles Anderson et le greffier de la branche se rendirent chez la famille Hope pour une autre réunion de Sainte-Cène. Ensuite, Charles donna une bénédiction au bébé.

Len racontait souvent l’histoire de sa conversion à l’Évangile rétabli quand il rendait témoignage. Il savait que sa femme et lui avaient été extrêmement bénis depuis leur arrivée à Cincinnati. La Dépression avait mis beaucoup de ses voisins au chômage mais lui n’avait pas perdu un seul jour de travail. Il ne gagnait pas beaucoup d’argent mais il payait toujours une dîme complète.

Il exprima aussi sa foi en l’avenir. Un jour, il déclara : « Je sais que je ne peux pas recevoir la prêtrise mais je sens que, grâce à la justice de Dieu, elle me sera accordée un jour et qu’il me sera permis d’aller vers ma récompense éternelle avec les fidèles qui la détiennent. »

Mary et lui étaient disposés à attendre ce jour. Le Seigneur connaissait leur cœur.

Pendant ce temps à Tilsit, en Allemagne, Helga Meiszus, âgée de quatorze ans, ne pouvait s’empêcher de remarquer les changements qui s’étaient produits dans sa ville depuis que les nazis avaient pris le pouvoir. Avant, elle avait peur de rentrer de l’église à pied le soir parce que beaucoup de gens traînaient dans la rue. La situation économique était mauvaise et beaucoup de gens étaient sans emploi et désœuvrés. Ils n’étaient probablement pas dangereux, mais Helga craignait toujours qu’ils cherchent à lui faire du mal.

Puis Hitler arriva et la situation économique s’améliora. Les emplois n’étaient plus rares et les rues semblaient plus sûres. De plus, les gens recommençaient à être fiers d’être allemands. Hitler était un orateur enflammé dont le message passionné laissait croire à de nombreuses personnes que l’Allemagne pouvait redevenir une nation puissante qui perdurerait pendant mille ans. Quand il proférait ses mensonges, parlait de conspiration et accusait les Juifs d’être responsables des problèmes de l’Allemagne, beaucoup de personnes le croyaient.

Comme leurs compatriotes, les saints des derniers jours allemands avaient des avis partagés sur Hitler. Certains le soutenaient tandis que d’autres se méfiaient de son ascension au pouvoir et de sa haine envers les Juifs. La famille Meiszus ne s’intéressait pas vraiment à la politique et ne s’opposait pas ouvertement au parti nazi. Toutefois, d’après les parents d’Helga, Hitler était le mauvais dirigeant pour l’Allemagne. Son père, en particulier, n’aimait pas être obligé de dire « Heil Hitler » pour saluer. Il tenait à utiliser les expressions traditionnelles « bonjour » ou « bonne journée » même si d’autres personnes s’y opposaient.

Helga, quant à elle, craignait de ne pas dire « Heil Hitler » ou lever la main pour faire le salut nazi. Que se passerait-il si quelqu’un voyait qu’elle ne le faisait pas ? Elle risquait d’avoir des ennuis. En fait, elle avait tellement peur de se faire remarquer qu’elle s’efforçait parfois de ne pas penser du tout à Hitler, craignant que les nazis puissent lire dans ses pensées et la punir.

Elle appréciait toutefois l’apparat du parti nazi. Il y avait des danses nazies et des troupes en uniforme qui défilaient dans la rue. Les nazis cherchaient à inculquer le nationalisme et la loyauté aux jeunes du pays. Pour cela, ils se servaient souvent des divertissements, de la musique entraînante et d’autres formes de propagande pour les attirer.

À cette époque, Helga était devenue une Abeille dans le programme que l’Église venait de renommer la Société d’Amélioration Mutuelle des Jeunes Filles. Sous la supervision d’une adulte, les membres de sa classe se fixaient des objectifs et gagnaient des sceaux colorés à placer dans leur édition allemande du manuel des Abeilles. Helga chérissait son manuel. Elle le personnalisait en coloriant les illustrations en noir et blanc et en marquant au crayon ou au stylo un X à côté des objectifs atteints.

Helga avait coché des dizaines d’objectifs en travaillant avec le manuel. Elle connaissait les œuvres de cinq grands musiciens, se couchait tôt et se levait tôt, avait témoigné lors de trois réunions de jeûne et de témoignage et avait reconnu les principales différences entre les enseignements de l’Église et les autres religions chrétiennes. Elle s’était également donné un nom d’abeille et un emblème. Le nom qu’elle avait choisi était Edelmut, qui signifie « noblesse » en allemand. Son emblème était l’edelweiss, une petite fleur rare qui poussait dans les hauteurs des Alpes.

Un jour, Helga rentra chez elle toute contente. Les représentants du mouvement du parti nazi pour les jeunes femmes (la Bund Deutscher Mädel, ou Ligue des jeunes filles allemandes) recrutaient dans le quartier. Beaucoup de ses amies en étaient devenues membres.

Helga dit à sa mère : « Oh, Mutti ! J’aimerais faire partie de ce groupe. » La ligue proposait toutes sortes de leçons et d’activités et publiait son propre magazine. Il était même question de sorties de ski subventionnées par le gouvernement. Les filles portaient de beaux chemisiers blancs et des jupes sombres.

Sa mère répondit : « Helgalein, tu es une Abeille. Tu n’as pas besoin d’appartenir à ce groupe. »

Helga savait que sa mère avait raison. En ne devenant pas membre de la Ligue des jeunes filles allemandes, elle se distinguerait une fois de plus de ses camarades. Toutefois, le programme des Abeilles l’aidait à atteindre des buts justes et à être une meilleure sainte des derniers jours. Ni Hitler ni sa ligue ne pouvaient faire cela.


Chapitre 23 : Tout ce qu’il faut

Le 6 février 1935, Connie Taylor, âgée de quinze ans, et d’autres membres de la branche de Cincinnati étaient à l’église, attendant que James H. Wallis leur donne leur bénédiction patriarcale.

Pendant une grande partie du siècle précédent, les bénédictions patriarcales n’étaient accordées qu’aux membres adultes. Il n’était pas rare qu’ils reçoivent une bénédiction de plusieurs patriarches au cours de leur vie. Cependant, plus récemment, les dirigeants de l’Église avaient commencé à inciter les adolescents tels que Connie à recevoir leur bénédiction patriarcale afin de renforcer leur foi et d’être guidés. Ils avaient également précisé que les saints ne devaient recevoir qu’une seule bénédiction patriarcale.

Frère Wallis, converti originaire de Grande-Bretagne, avait été appelé par la Première Présidence pour donner leur bénédiction patriarcale aux saints des branches éloignées de l’Église. Il venait de terminer une mission de deux ans en Europe, où il avait donné plus de mille quatre cents bénédictions. Il était désormais chargé de bénir les saints de l’est des États-Unis et du Canada. Comme les habitants de Cincinnati n’avaient pas beaucoup d’occasions de recevoir leur bénédiction patriarcale, frère Wallis travailla de longues heures pour s’assurer que chaque membre éligible de la branche en ait la possibilité.

Lorsque le tour de Connie arriva, elle s’installa dans la salle de la Société de Secours. Frère Wallis lui plaça ses mains sur la tête et l’appela par son nom complet : Cornelia Belle Taylor. Pendant la bénédiction, il lui assura que le Seigneur la connaissait et veillait sur elle. Il lui promit qu’elle serait guidée à condition de chercher le Seigneur par la prière, d’éviter le mal et d’obéir à la Parole de Sagesse. Il l’exhorta à s’intéresser davantage aux activités de l’Église, en mettant à profit ses talents et son intelligence pour devenir une travailleuse bien disposée dans le royaume de Dieu. Il lui promit enfin qu’elle irait un jour au temple pour être scellée à ses parents.

Le patriarche lui dit : « Ne doute pas de cette promesse. Au moment voulu par le Seigneur, son Esprit Saint touchera le cœur de ton père, et par son influence, il verra la lumière de la vérité et prendra part aux mêmes bénédictions que les tiennes. »

Aussi réconfortantes que fussent ces paroles, elles exigeaient une grande foi. Le père de Connie, un fabricant de cigares du nom de George Taylor, était un homme aimant et bon mais la famille dans laquelle il avait grandi détestait les saints des derniers jours. Lorsqu’Adeline, la mère de Connie, avait exprimé pour la première fois son intérêt pour l’Église, il avait refusé qu’elle en devienne membre.

Mais un jour, alors que Connie avait environ six ans, une voiture avait heurté son père tandis qu’il traversait la rue. Pendant qu’il était à l’hôpital pour se remettre de sa jambe cassée, Adeline lui avait demandé une fois de plus de la laisser devenir membre de l’Église. Cette fois, il avait accepté. Il avait continué de s’adoucir à ce sujet et, récemment, il avait autorisé Connie et ses frères à se faire baptiser. Il n’avait pas manifesté le moindre désir de devenir membre de l’Église ni d’assister aux réunions avec sa famille.

Peu après avoir reçu sa bénédiction patriarcale, Connie commença à prendre régulièrement part aux efforts des membres de la branche pour faire connaître l’Évangile à leurs voisins. Pour compenser la diminution du nombre de missionnaires pendant la Dépression, les saints du monde entier étaient souvent appelés à servir à temps partiel près de chez eux. En 1932, le président de la branche de Cincinnati, Charles Anderson, avait organisé un groupe qui distribuait des affichettes afin de faire avancer l’œuvre dans la ville. Comme l’École du Dimanche avait lieu le matin et la réunion de Sainte-Cène le soir, Connie et les autres jeunes passaient généralement une heure dans l’après-midi à frapper aux portes et à parler aux gens de l’Évangile rétabli.

Judy Bang distribuait les affichettes avec elle. Depuis peu, Judy avait commencé à sortir avec le frère aîné de Connie, Milton. Judy et Milton n’avaient pas grand-chose en commun, à part leur appartenance à l’Église, mais ils passaient de bons moments ensemble. De son côté, Connie avait récemment eu son premier rendez-vous avec Henry, le frère aîné de Judy. Toutefois, elle n’aimait pas Henry autant que son petit frère Paul, un charmant garçon de son âge.

En mars, Judy dit à Connie que Paul voulait lui demander de l’accompagner à une activité de patins à roulettes de la SAM. Connie attendit toute la soirée que Paul l’invite, mais il ne le fit pas. Le lendemain, quelques heures avant l’activité, Henry demanda à Milton de demander à Connie si elle voulait aller faire du patin à roulette avec Paul. C’était une façon très détournée de lui proposer un rendez-vous, mais elle accepta.

Connie et Paul passèrent un bon moment ensemble. Ensuite, plusieurs jeunes s’entassèrent dans la voiture d’Henry et se rendirent dans un restaurant proche pour manger une assiette de chili à la mode de Cincinnati. Ce soir-là, Connie rapporta dans son journal : « J’ai passé un moment merveilleux avec Paul. Mieux que je ne l’avais espéré. »

Plus tard au printemps, Connie reçut une copie écrite de sa bénédiction patriarcale, lui rappelant une fois de plus les promesses qu’elle avait reçues. On y lisait : « Chère sœur, cette bénédiction sera un guide sur ton chemin. Elle te montrera la voie à suivre afin que tu ne trébuches pas dans l’obscurité, mais que tu puisses fixer ton regard sur la vie éternelle. »

Il se passait tellement de choses dans sa vie que Connie avait besoin d’être guidée par le Seigneur. Quand elle était devenue membre de l’Église, elle avait décidé de toujours faire le bien. Pour elle, l’Évangile était un bouclier. Si elle allait vers Dieu et lui demandait son aide, il la bénirait et la protégerait tout au long de sa vie.

Pendant ce temps, à Salt Lake City, Harold B. Lee, président de pieu, était assis dans le bureau de la Première Présidence. Il se considérait comme un garçon de ferme inexpérimenté issu d’une petite ville d’Idaho. Pourtant, il était là, face à Heber J. Grant qui lui demandait son avis sur la façon de subvenir aux besoins des pauvres.

Le prophète annonça : « Je veux prendre exemple sur le pieu de Pioneer. »

Avec ses conseillers, J. Reuben Clark et David O. McKay, il avait suivi de près le travail d’Harold B. Lee. Près de trois ans s’étaient écoulés depuis le lancement du programme de secours ambitieux du pieu de Pioneer. Pendant cette période, le pieu avait créé de nombreux emplois pour les chômeurs. Les saints avaient cueilli des petits pois, fabriqué et raccommodé des vêtements, mis en conserve des fruits et des légumes et construit un nouveau gymnase pour le pieu. Le magasin du pieu était le centre de l’activité et Jesse Drury en gérait la complexité.

Dans le même temps, la Première Présidence s’inquiétait du nombre de membres de l’Église dépendants des fonds publics. Elle n’était pas opposée à ce que les saints acceptent l’aide du gouvernement lorsqu’ils n’avaient pas d’argent pour leur nourriture ou leur loyer. Elle ne s’opposait pas non plus au fait qu’ils reçoivent de l’aide par le biais de projets de travaux publics fédéraux. Mais comme l’Utah était devenu l’un des États les plus dépendants de l’aide gouvernementale, la présidence craignait que des membres de l’Église acceptent des fonds dont ils n’avaient pas besoin. Elle se demandait également combien de temps le gouvernement continuerait de financer ses programmes de secours.

J. Reuben Clark exhorta le président Grant à offrir aux saints une alternative à l’aide fédérale. D’après lui, certains programmes de secours gouvernementaux entraînaient les gens vers l’oisiveté et le découragement ; c’est pourquoi il appela les membres de l’Église à assumer la responsabilité de veiller les uns sur les autres, comme enseigné dans les Doctrine et Alliances, et à travailler pour l’aide qu’ils recevaient lorsque c’était possible.

Le président Grant avait d’autres préoccupations. Depuis le début de la Dépression, il avait reçu une foule de lettres de saints des derniers jours, bons et travailleurs, qui avaient perdu leur emploi et leur ferme. Il se sentait souvent impuissant. Ayant lui-même grandi dans la pauvreté, il connaissait la privation. Il avait également été très endetté pendant des dizaines d’années ; il éprouvait donc de la compassion pour les personnes dans la même situation. En fait, il dépensait son propre argent pour aider des veuves, des membres de sa famille et même des inconnus à rembourser leur hypothèque, à rester en mission ou à remplir d’autres obligations.

Cependant, il savait que ses efforts, ainsi que ceux des programmes gouvernementaux pleins de bonnes intentions, n’étaient pas suffisants. Il pensait qu’il était du devoir de l’Église de prendre soin de ses pauvres et de ses chômeurs. Il souhaitait qu’Harold B. Lee s’inspire de son expérience dans le pieu de Pioneer pour concevoir un programme qui permettrait aux saints de travailler ensemble afin de soulager les personnes dans le besoin.

Le président Grant déclara : « Il n’y a rien de plus important à faire pour l’Église que de prendre soin de son peuple dans le besoin. »

Harold était stupéfait. L’idée de concevoir et de mettre en place un programme pour l’Église tout entière était accablante. Après la réunion, il partit en voiture dans un canyon voisin. Son esprit était abasourdi tandis qu’il parcourait les collines surplombant Salt Lake City.

Il se demandait : « Comment vais-je y arriver ? »

La route le mena à la limite d’un parc. Là, il coupa le moteur et erra entre les arbres jusque dans un endroit retiré. Il s’agenouilla et pria pour être guidé. Il dit au Seigneur : « Pour que ton peuple soit béni et en sécurité, j’ai besoin de tes directives. »

Dans le silence, une impression puissante s’imposa à lui. Harold comprit : « Il n’est pas nécessaire de créer une nouvelle organisation pour subvenir aux besoins de ce peuple. Tout ce qu’il faut, c’est mettre à l’œuvre la prêtrise de Dieu. »

Au cours des jours suivants, Harold demanda conseil à de nombreuses personnes expérimentées et bien informées, notamment l’apôtre et ancien sénateur Reed Smoot. Ensuite, il consacra plusieurs semaines à l’élaboration d’une première proposition, accompagnée de rapports et de tableaux détaillés, dans laquelle il décrivait sa vision d’un programme de secours pour l’Église.

Lorsqu’Harold présenta son plan à la Première Présidence, David O. McKay pensa qu’il était réalisable. Pourtant, le président Grant hésita, ne sachant pas si les saints étaient prêts à mener à bien un programme d’une telle ampleur. Après la réunion, il pria le Seigneur pour être guidé mais ne reçut aucune instruction.

Il dit à son secrétaire : « Je ne vais rien faire tant que je ne suis pas certain de la volonté du Seigneur. »

En attendant d’être guidé, le président Grant se rendit à Hawaï pour organiser un pieu sur l’île d’Oahu. Cela faisait quinze ans qu’il y avait consacré un temple, et beaucoup de choses avaient changé. Autrefois, les jardins du temple étaient arides et broussailleux. Ils étaient désormais magnifiques avec les bougainvilliers en fleurs et les bassins en cascade bordés de palmiers doucement agités par le vent.

L’Église à Hawaï était tout aussi florissante. Quatre-vingt-cinq années s’étaient écoulées depuis que les premiers missionnaires saints des derniers jours avaient accosté à Honolulu. On comptait maintenant plus de treize mille membres de l’Église à Hawaï, dont la moitié vivaient sur l’île d’Oahu. L’assistance aux réunions de l’Église n’avait jamais été aussi élevée et les saints avaient hâte de faire partie d’un pieu. Le pieu d’Oahu allait être le cent treizième pieu de l’Église et le premier organisé en dehors de l’Amérique du Nord. Pour la première fois, les saints hawaïens auraient des évêques, des dirigeants de pieu et un patriarche.

Après avoir parlé avec les saints, Heber J. Grant appela Ralph Woolley président de pieu. C’était lui qui avait supervisé la construction du temple d’Hawaï. Arthur Kapewaokeao Waipa Parker, originaire d’Hawaï, allait être l’un de ses conseillers. Des hommes et des femmes d’ascendance polynésienne et asiatique furent également appelés au sein du grand conseil de pieu, de la présidence de la Société de Secours et à d’autres postes de dirigeants.

La diversité des membres de l’Église à Hawaï impressionna le prophète. Par le passé, les efforts missionnaires se concentraient sur les autochtones d’Hawaï mais le filet de l’Évangile s’élargissait. Dans les années trente, les personnes d’origine japonaise représentaient plus d’un tiers de la population d’Hawaï. La population se composait aussi de personnes dont les ancêtres étaient samoans, māoris, philippins et chinois.

Le 30 juin 1935, le prophète établit le nouveau pieu. Quelques jours plus tard, il fut invité à dîner avec des membres de l’Église japonais. Le petit groupe se réunissait chaque semaine pour faire une leçon d’École du Dimanche en japonais. Pendant le repas, Heber écouta les saints jouer de la musique avec des instruments traditionnels. Il écouta les témoignages de Tomizo Katsunuma, qui était devenu membre de l’Église pendant qu’il étudiait à l’université agricole d’Utah, et de Tsune Nachie, une membre âgée de soixante-dix-neuf ans qui s’était fait baptiser au Japon avant d’émigrer à Hawaï dans les années vingt pour œuvrer dans le temple.

La nourriture, la musique et les témoignages transportèrent le président Grant trois décennies en arrière, à l’époque où il avait été le premier président de la mission japonaise. Son œuvre au Japon restait source de déception. Malgré ses efforts sincères, il n’était pas parvenu à maîtriser la langue et il n’y avait eu que peu de convertis au sein de la mission. Les présidents de mission suivants avaient également connu des difficultés. Quelques années après être devenu président de l’Église, Heber J. Grant avait fermé la mission, se demandant ce qu’il aurait pu faire de plus pour qu’elle soit une réussite.

Un jour, il avait fait cette remarque : « Jusqu’à la fin de ma vie, j’aurai certainement le sentiment de ne pas avoir fait ce que le Seigneur attendait de moi et ce qu’il m’a envoyé faire là-bas. »

En rencontrant les saints japonais et en découvrant leur École du Dimanche, Heber comprit qu’Hawaï avait probablement un rôle à jouer dans l’ouverture d’une nouvelle mission au Japon. Pendant son séjour à Honolulu, il avait eu l’occasion de confirmer deux membres japonais nouvellement baptisés. L’un d’eux, Kichitaro Ikegami, avait enseigné l’École du Dimanche pendant deux ans avant son baptême. Ce jeune homme impressionnant était un père dévoué et un homme d’affaires respecté à Oahu.

Le président Grant fut frappé par le fait qu’il avait désormais confirmé plus de saints japonais à Hawaï que pendant toute sa mission au Japon. Peut-être que le moment venu, ces saints pourraient être appelés en mission au Japon et permettre à l’Église de prendre racine dans ce pays.

La vie quotidienne d’Helga Meiszus continuait de changer. Au début de l’année 1935, Adolf Hitler avait annoncé publiquement que l’Allemagne renforçait sa puissance militaire, violant ainsi le traité signé à la fin de la guerre. Les pays d’Europe ne firent pas grand-chose pour l’en empêcher. Avec l’aide de son ministre de la propagande, Hitler soumettait l’Allemagne à sa volonté. D’énormes rassemblements mettant en valeur la force des Nazis attiraient des centaines de milliers de personnes. Les émissions radiophoniques en faveur d’Hitler, la musique nationaliste et le svastika nazi étaient omniprésents.

Au sein de l’Église, on remarquait aussi des changements. Les Abeilles se réunissaient toujours. Cependant, le gouvernement avait dissous le programme de scoutisme de l’Église afin d’encourager davantage de jeunes hommes à rejoindre les groupes de jeunesse du parti nazi. La haine des nazis envers les Juifs avait également conduit le gouvernement à interdire aux églises d’utiliser des termes associés au judaïsme. Les Articles de Foi furent interdits car ils contenaient les mots « Israël » et « Sion ». D’autres publications de l’Église, dont une brochure intitulée Autorité divine (Divine Authority), furent interdites parce qu’elles semblaient défier l’autorité nazie.

Les dirigeants de l’Église en Allemagne s’étaient d’abord opposés à certains de ces changements mais ils finirent par inciter les saints à s’adapter au nouveau gouvernement et à s’abstenir de dire ou de faire quoi que ce soit qui puisse mettre l’Église et ses membres en danger. La Gestapo étant apparemment omniprésente, les saints de Tilsit savaient qu’elle risquait d’être au courant du moindre signe de rébellion ou de résistance. La plupart des saints allemands restaient à l’écart de la politique mais on craignait toujours que quelqu’un dans la branche soit associé aux nazis.

De nombreux membres de la branche pensaient donc que la chose la plus sûre à faire était de jouer le rôle d’Allemands loyaux et obéissants. Un seul signe de déloyauté de la part de l’un d’entre eux faisait courir à tous le risque de représailles nazies.

Malgré tout, Helga trouvait du réconfort, de la sécurité et des amis auprès des jeunes de l’Église, dont son frère Siegfried et son cousin Kurt Brahtz. La branche organisait souvent des activités avec du théâtre et de la musique, ou des fêtes animées avec des buffets copieux de salades de pommes de terre, de saucisses allemandes et de streuselkuchen, un savoureux crumble. En général, les jeunes passaient toute la journée du sabbat ensemble. Après avoir assisté à l’École du Dimanche le matin, ils se rendaient chez un membre de l’Église, parfois chez la tante ou la grand-mère d’Helga. S’il y avait un piano, quelqu’un s’y installait et jouait pendant qu’on chantait les cantiques de l’Église en allemand.

Plus tard, après la réunion de Sainte-Cène, ils se rendaient chez Heinz Schulzke, le fils adolescent du président de branche, Otto Schulzke. Là, ils parlaient, riaient et passaient des bons moments ensemble. Le président Schulzke était devenu comme un deuxième père pour Helga et les autres jeunes. Il attendait beaucoup d’eux et les exhortait souvent à se repentir et à respecter les commandements. Il racontait aussi de nombreuses histoires et avait un sens aigu de l’humour. Lorsque quelqu’un arrivait en retard à l’église et que tout le monde se retournait pour voir le nouvel arrivant, il disait : « Je vous préviendrai quand un lion entrera ; vous n’avez pas besoin de vous retourner. »

Helga recevait aussi du réconfort et des conseils de sa grand-mère. Comme Otto Schulzke, Johanne Wachsmuth se montrait parfois sévère et n’était pas du genre à gâter ses petits-enfants. C’était une femme profondément croyante qui savait parler avec son Père céleste. Chaque fois qu’Helga séjournait chez ses grands-parents, Johanne s’attendait à ce qu’elle prie à genoux avec elle.

Un soir, Helga était en colère contre sa grand-mère et refusa de prier. Au lieu de la laisser tranquille, Johanne insista pour qu’elles prient ensemble.

Helga céda et, au moment où elle s’agenouilla sur le sol dur, son amertume se dissipa. Sa grand-mère était son amie, qui lui avait appris à parler avec Dieu. Finalement, Helga fut reconnaissante de cette expérience. C’était bon de savoir qu’elle n’avait pas laissé la colère prendre le contrôle de son cœur.

En février 1936, dix mois après sa première rencontre avec les membres de la Première Présidence, Harold B. Lee se retrouva à nouveau dans leur bureau. Le président Grant était prêt à mettre en place un plan de secours pour les saints dans le besoin. Une enquête récente menée par l’Épiscopat président auprès des paroisses et des pieux avait révélé que près d’un membre sur cinq recevait une aide financière, sous une forme ou une autre. Cependant, peu d’entre eux se tournaient vers l’Église pour obtenir de l’aide, notamment parce que, ces dernières années, le gouvernement fédéral avait considérablement augmenté le montant de l’aide accordée aux États. D’après l’Épiscopat président, l’Église pouvait aider tous les membres dans le besoin si chaque saint des derniers jours faisait sa part pour prendre soin des pauvres.

Le président Grant et ses conseillers demandèrent à Harold B. Lee de revoir sa proposition précédente. Pour le seconder, ils recrutèrent Campbell Brown fils, directeur du programme d’aide sociale dans une mine de cuivre locale.

Pendant les semaines suivantes, Harold B. Lee travailla nuit et jour, analysant les statistiques, tenant conseil avec Campbell et remaniant le plan précédent. Le 18 mars, ils présentèrent la proposition mise à jour à David O. McKay et la lui expliquèrent en détail. D’après le nouveau plan, les pieux de l’Église seraient organisés en régions géographiques. Chaque région disposerait de son propre magasin approvisionné en nourriture et en vêtements. Ces articles seraient achetés avec les fonds des offrandes de jeûne ou de la dîme, ou produits par des projets de travail, ou encore par des dons en nature pour la dîme. Si une région disposait d’un article en excédent, elle pouvait l’échanger avec une autre région contre ce dont elle avait besoin.

Les conseils régionaux des présidents de pieu géreraient le programme mais la responsabilité de son fonctionnement incomberait essentiellement aux épiscopats, aux présidences de la Société de Secours de paroisse et aux nouveaux comités d’emploi de paroisse. Les membres de ce comité tiendraient un registre de la situation professionnelle de tous les membres de la paroisse, qui serait mis à jour chaque semaine. Ils organiseraient également des projets de travail et secourraient les membres de diverses manières.

Le plan prévoyait que les saints reçoivent une aide en échange de leur travail, comme cela avait été fait dans le pieu de Pioneer. Les participants auraient un entretien avec leur évêque pour discuter de leurs besoins en nourriture, vêtements, combustible et autres produits de première nécessité. Ensuite, une représentante de la Société de Secours se rendrait chez eux, évaluerait la situation de la famille et remplirait un bon de commande à présenter au magasin du pieu. Les saints recevraient une aide en fonction de leur situation individuelle. Ainsi, deux personnes pourraient travailler le même nombre d’heures dans une journée mais recevoir une quantité différente de nourriture ou d’autres articles, en fonction de la taille de leur famille ou d’autres critères.

Après avoir terminé leur présentation, Harold B. Lee et Campbell Brown Jr virent que David O. McKay était satisfait.

En tapant sur la table, il s’exclama : « Frères, nous avons maintenant un programme à présenter à l’Église. Le Seigneur vous a inspirés dans votre travail. »


Chapitre 24 : Le but de l’Église

Heber J. Grant et ses conseillers s’appliquèrent rapidement à mettre en œuvre le programme de secours de Harold B. Lee. Le 6 avril 1936, lors d’une réunion exceptionnelle pour les présidences de pieu et les épiscopats, ils présentèrent le plan. Quelques jours plus tard, le président Grant nomma Harold B. Lee directeur général du programme et lui demanda d’œuvrer aux côtés de l’apôtre Melvin J. Ballard et d’un comité central de supervision.

L’objectif principal de l’Église pour les mois à venir était de s’assurer qu’au 1er octobre, toutes les familles nécessiteuses des pieux aient suffisamment de nourriture, de vêtements et de combustible pour l’hiver. Le président Grant souhaitait également remettre au travail les saints sans emploi pour leur remonter le moral, leur faire retrouver leur dignité perdue et leur permettre d’être stables financièrement.

Pour accomplir ces objectifs, le président Grant et ses conseillers demandèrent aux saints de payer une dîme complète et d’être plus généreux dans leurs offrandes de jeûne. Ils sollicitèrent les dirigeants locaux de la prêtrise et de la Société de Secours afin d’évaluer les besoins et de créer des projets de travail pour venir en aide aux membres de leur paroisse. Dans la mesure du possible, l’Église elle-même proposerait du travail, comme des réparations et d’autres travaux sur ses propriétés.

La Première Présidence déclara : « Nous devons faire tous les efforts possibles pour effacer tout sentiment de gêne, d’embarras ou de honte de la part des personnes qui reçoivent de l’aide. La paroisse doit être une grande famille où tout le monde est sur un pied d’égalité. »

Au cours de la première semaine du mois de mai, le président Grant se rendit en Californie pour organiser un nouveau pieu et présenter aux saints le nouveau programme de secours. Depuis l’organisation du pieu de Los Angeles en 1923, des milliers de saints s’étaient installés en Californie à la recherche d’un climat plus chaud et d’un meilleur travail. Il y avait également plusieurs universités de qualité au sein de l’État où de nombreux membres de l’Église avaient excellé. En 1927, les dirigeants de l’Église organisèrent un pieu à San Francisco puis, quelques années plus tard, un autre à Oakland. L’Église comptait désormais plus de soixante mille membres répartis dans neuf pieux à travers l’État.

Le président Grant consacra sa première soirée à Los Angeles à parler avec le président du nouveau pieu et à rencontrer les saints locaux pour leur présenter le programme de secours. Cependant, lorsqu’il se réveilla le lendemain matin, c’étaient les temples qu’il avait à l’esprit, et non le programme de secours. Depuis longtemps, les dirigeants de l’Église avaient envisagé de construire des temples en dehors de l’Utah, dans des régions où les saints étaient nombreux. Ils avaient récemment décidé d’en construire un à Idaho Falls, petite ville du sud-est de l’Idaho. Le président Grant avait maintenant le sentiment que l’Église devait construire un temple à Los Angeles.

Les effets de la Dépression s’atténuaient et l’Église avait les ressources financières nécessaires pour bâtir deux temples tout en menant à bien le programme de secours. Elle était libre de toute dette et fonctionnait selon des pratiques financières saines. Les investissements importants que l’Église avait faits dans le sucre à partir des années 1900 rapportaient également des bénéfices. Pour le président Grant, il n’était pas nécessaire que les nouveaux temples soient aussi élaborés et coûteux que celui de Salt Lake City. Il envisageait plutôt des temples de taille modeste adaptés aux besoins des saints locaux.

Cependant, pour le moment, la mise en place du nouveau plan de secours était la priorité de l’Église. Le programme faisait déjà naître des objections. Certains saints étaient irrités par la lourde charge de travail supplémentaire que cela imposait aux paroisses et aux pieux. Le paiement complet de la dîme et des offrandes de jeûne n’était-il pas suffisant pour prendre soin des membres de l’Église dans le besoin ? Ils pensaient également au fait que le paiement de la dîme « en nature » (en apportant des biens aux entrepôts locaux) créait des coûts supplémentaires de manutention et de stockage. D’autres estimaient qu’en tant que contribuables, ils avaient le droit de profiter de l’aide gouvernementale s’ils remplissaient les conditions, même s’ils n’en avaient pas besoin.

Le président Grant savait que le programme aurait ses détracteurs, mais il exhorta Harold B. Lee à aller de l’avant. Les six prochains mois seraient décisifs. Pour que le plan de secours soit mené à bien, les saints allaient devoir travailler ensemble.

Pendant ce temps, au Mexique, Isaías Juárez, âgé de cinquante et un ans, se battait pour que l’Église ne se divise pas dans son pays. Depuis 1926, il était président de district dans le centre du Mexique, dans une période où les conflits religieux et politiques avaient conduit le gouvernement mexicain à expulser du pays tout le clergé né à l’étranger, y compris les missionnaires américains saints des derniers jours. Sur les conseils de Rey L. Pratt, président de mission en exil et autorité générale de l’Église, Isaías et d’autres saints mexicains remplirent les postes vacants des dirigeants de l’Église afin d’empêcher les branches locales de s’effondrer.

Dix ans plus tard, l’Église rencontrait de nouvelles difficultés dans le pays. Après la mort soudaine de Rey L. Pratt en 1931, la Première Présidence appela Antoine Ivins, du premier conseil des Soixante-dix, à le remplacer en tant que président de mission. Même s’il avait grandi dans les colonies de saints des derniers jours du nord du Mexique et avait étudié le droit à Mexico, il n’était pas citoyen du pays et ne pouvait pas y œuvrer légalement. De ce fait, il travailla principalement auprès des Mexicains-Américains qui vivaient dans le sud-ouest des États-Unis.

L’absence du président de mission posait problème aux saints du centre du Mexique, notamment lorsque les préoccupations locales exigeaient une réponse immédiate. Il fallait, par exemple, construire davantage de lieux de culte car la loi mexicaine interdisait les services religieux chez les gens ou dans des bâtiments non religieux. Malheureusement, les dirigeants locaux de l’Église n’avaient ni l’autorité ni les moyens nécessaires pour résoudre eux-mêmes ce problème.

En 1932, se sentant abandonnés, Isaías Juárez et ses conseillers, Abel Páez et Bernabé Parra, organisèrent des réunions avec d’autres saints inquiets pour discuter d’un plan d’action. Lors de ces réunions, que l’on appela plus tard Première Convention et Deuxième Convention, les saints décidèrent qu’il était préférable qu’un citoyen mexicain soit leur président de mission. Pendant la révolution mexicaine, nombre d’entre eux s’étaient rangés du côté des dirigeants qui luttaient contre les puissances étrangères pour défendre les droits des autochtones et ils étaient agacés par les dirigeants politiques étrangers qui gouvernaient à distance et semblaient ne faire aucun cas de leurs besoins.

Les artisans des conventions rédigèrent des lettres qu’ils envoyèrent au siège de l’Église pour faire pression afin que des changements voient le jour. En réponse, la Première Présidence envoya Antoine Ivins et Melvin J. Ballard à Mexico pour parler avec Isaías Juárez et les autres pétitionnaires. Les deux hommes leur assurèrent que la Première Présidence trouverait une solution inspirée pour les sortir de ce dilemme. Mais Antoine Ivins les réprimanda également pour avoir adressé leur requête directement à la Première Présidence sans l’avoir d’abord consulté.

Lorsqu’il fut relevé au terme de son appel de président de mission, la Première Présidence appela Harold Pratt, le frère cadet de Rey Pratt, pour le remplacer. Né dans les colonies mexicaines, Harold pouvait servir librement dans le pays et il transféra le siège de la mission à Mexico. Pourtant, certains membres de l’Église furent hostiles au fait qu’il supervise les choses de près. D’autres étaient profondément déçus de ce qu’il n’était pas mexicain, d’un point de vue culturel et ethnique. Ils voulaient un président de mission qui puisse comprendre leur quotidien et les besoins des personnes qu’il servait.

Au début de l’année 1936, la Première Présidence décida de diviser la mission mexicaine au niveau de la frontière nationale, ce qui lui enlevait la partie du sud-ouest des États-Unis. Cette nouvelle donna à certains saints l’espoir qu’un Mexicain de souche serait leur nouveau président de mission. Mais en voyant que Harold Pratt conservait son appel, un groupe de saints déçus décidèrent de tenir une troisième convention.

Abel Páez et son oncle Margarito Bautista étaient à leur tête. Margarito était très fier de son héritage mexicain et de l’idée qu’il était descendant des peuples du Livre de Mormon. Il estimait que les saints mexicains pouvaient se gouverner eux-mêmes et il n’appréciait pas l’ingérence des dirigeants originaires des États-Unis.

Isaías Juárez comprenait la position d’Abel et de Margarito mais il leur conseilla vivement de ne pas tenir la convention. Il rappela à Abel : « L’organisation de l’Église ne repose pas sur les réclamations de la majorité. » Lorsque la Troisième Convention commença malgré tout à être organisée, Isaías Juárez envoya une lettre dans toute la mission, demandant aux membres de l’Église de ne pas y participer.

Il écrivit : « C’est une cause noble mais la façon de procéder est irrecevable car elle enfreint le principe d’autorité. »

Le 26 avril 1936, cent vingt saints se réunirent à Tecalco pour la Troisième Convention. Pendant la réunion, ils votèrent à l’unanimité pour soutenir la Première Présidence. Pensant que les dirigeants de l’Église à Salt Lake City avaient mal compris leur première lettre, ils décidèrent d’envoyer une nouvelle requête dans laquelle ils demandaient clairement un président de mission de leur propre race et sang (« raza y sangre »). Les participants de la convention votèrent ensuite à l’unanimité la décision de présenter Abel Páez comme président autochtone et expérimenté de la mission mexicaine.

Après la réunion, Isaías Juárez et Harold Pratt essayèrent de trouver un terrain d’entente avec Abel Páez et les « conventionnistes », mais leurs efforts furent vains. En juin, les conventionnistes rédigèrent une pétition de dix-huit pages adressée à la Première Présidence. On y lisait : « C’est avec un grand respect que nous vous demandons de nous accorder deux choses. Premièrement, que notre Église nous accorde un président de mission qui soit mexicain, et deuxièmement, que notre Église accepte et autorise le candidat que nous choisissons. »

Isaías Juárez ne pouvait rien faire de plus pour empêcher les conventionnistes d’envoyer leur pétition. À la fin du mois, elle fut envoyée à Salt Lake City, paraphée par deux cent cinquante et un signataires.

Le 2 octobre 1936, au début de la conférence générale, Heber J. Grant fit rapport de l’évolution du plan de secours, désormais appelé « programme de sécurité de l’Église ». Il rappela aux saints que le but de l’Église était qu’au premier du mois, tous les saints fidèles et nécessiteux de ses pieux aient suffisamment de nourriture, de combustible et de vêtements pour passer l’hiver.

Bien que seulement trois quarts des pieux aient atteint ce but, il était satisfait de la rapidité et de l’efficacité dont les saints avaient fait preuve au cours des six derniers mois. Il déclara : « Plus de quinze mille personnes ont travaillé sur divers projets de pieu et de paroisse. Des centaines de milliers d’heures de travail ont été consacrées à cet objectif indispensable et louable. » Ils avaient récolté des céréales et d’autres produits, récupéré des vêtements et confectionné des édredons et de la literie en abondance. Les comités pour l’emploi avaient aidé jusqu’à sept cents personnes à trouver un emploi.

Devant l’assemblée de saints, le président Grant dit : « Le but de l’Église est d’aider les membres à se prendre en charge. Nous ne devons pas envisager de cesser nos efforts remarquables tant qu’il y aura des besoins et de la souffrance parmi nous. »

Deux mois après la conférence, une équipe de tournage vint à Salt Lake City pour réaliser un court documentaire sur le programme de sécurité pour The March of Time, série populaire de reportages diffusée dans les salles de cinéma de tout le pays. Les réalisateurs filmèrent les monuments de Salt Lake City et les saints des derniers jours travaillant la terre et faisant fonctionner les entrepôts et les ateliers de l’Église. Avec la collaboration du président Grant et d’autres dirigeants de l’Église, l’équipe filma aussi des conversations et des réunions traitant du plan de sécurité.

Maintenant que les saints étaient prêts pour la saison froide, l’attention du prophète se tourna à nouveau vers les temples. Cet hiver-là, l’Église avait obtenu un terrain pour bâtir un temple à Idaho Falls, le long de la rivière Snake, où vivait une solide communauté de saints dévoués. Le président Grant retourna ensuite à Los Angeles pour y visiter les pieux et suivre son inspiration de bâtir un temple dans la ville.

En Californie, il rencontra des membres de l’Église travaillant dur pour mettre en œuvre le programme de sécurité. Comme Los Angeles était un centre urbain, cela posait des difficultés à la mise en œuvre du plan qui dépendait de l’agriculture et d’autres activités rurales pour fournir du travail aux saints sans emploi. Les pieux de Californie l’avaient donc adapté à leur région. Ils mettaient en conserve les fruits abondants des vergers de l’État et, tandis que l’Église continuait de progresser dans la région, les saints qui avaient besoin d’aide travaillaient à la construction des lieux de culte.

Néanmoins, les saints de Californie ne parvenaient pas à atteindre le but fixé d’augmenter leurs offrandes de jeûne. S’adressant aux membres du pieu de Pasadena, au nord-est de Los Angeles, le président Grant mit l’accent sur l’importance de ce sacrifice. Il promit à l’assemblée : « Si, une fois par mois, tous les saints des derniers jours s’abstenaient de prendre deux repas et remettaient la somme ainsi économisée entre les mains de l’évêque pour qu’elle soit distribuée aux nécessiteux, il n’y aurait pas de pénurie parmi les membres de notre Église. »

Quand il ne se réunissait pas avec les saints, le prophète visitait des terrains potentiels pour le temple. Il trouva de nombreux emplacements satisfaisants mais, chaque fois qu’il se montrait intéressé par l’achat, les propriétaires demandaient beaucoup plus d’argent que ce qu’il estimait être la valeur du terrain. Le meilleur endroit qu’il trouva était un terrain d’environ dix hectares bordant l’avenue principale entre Los Angeles et Hollywood. Il fit une offre sur la propriété mais n’obtint pas de réponse avant son retour à Salt Lake City.

Le lendemain, il reçut un télégramme d’un évêque de Los Angeles. Le propriétaire du terrain avait accepté l’offre de l’Église. Le prophète débordait de joie. Il déclara à J. Reuben Clark : « Nous possédons le meilleur terrain du pays tout entier. »

Cette nouvelle tomba en même temps que la sortie dans les cinémas de The March of Time, ce qui projeta une lumière favorable sur les efforts des saints à prendre soin des nécessiteux. Quelques semaines avant la sortie du film, un cinéma à Salt Lake City l’avait diffusé en privé pour les dirigeants de l’Église et de la ville. À ce moment-là, le président Grant était encore en Californie et il n’y avait donc pas assisté. Mais David O. McKay était présent et avait été très satisfait.

Il s’était exclamé : « C’était un film magnifique. Il donne une image excellente et si bien présentée que chaque homme, femme et enfant de l’Église devrait en être reconnaissant. »

Vers cette époque, le fossé continuait de se creuser entre la Troisième Convention de Mexico et l’Église. Après avoir reçu la pétition des conventionnistes, la Première Présidence répondit par une longue lettre, réitérant l’importance de suivre les procédures habituelles du gouvernement de l’Église dans toutes les régions du monde.

Elle déclara : « S’il n’en était pas ainsi, des pratiques différentes se répandraient dans l’Église, qui mèneraient à des doctrines différentes, et au bout du compte, il n’y aurait plus d’ordre au sein de l’Église. »

Elle exhorta les conventionnistes à se repentir. La Première Présidence ajouta : « Le temps viendra peut-être où un président de mission de votre propre race sera appelé mais ce ne sera que lorsque le président de l’Église, agissant sous l’inspiration du Seigneur, le décidera. »

En novembre 1936, Santiago Mora Gonzáles, président d’une branche du centre du Mexique, se réunit avec d’autres partisans de la Troisième Convention pour discuter de la meilleure façon de répondre à la lettre de la Première Présidence. Certains d’entre eux, dont Santiago, étaient déçus de la lettre mais souhaitaient se conformer à la décision de la Première Présidence. D’autres étaient outrés.

Margarito Bautista, qui était assis près de Santiago lors de la réunion, se leva d’un bond. Il s’écria : « C’est une injustice ! » Il voulait que les conventionnistes rejettent une fois pour toutes l’autorité de Harold Pratt. Margarito déclara : « Il n’est plus notre président. Notre président est notre cher Abel ! »

Santiago était alarmé. Plus tôt dans l’année, il avait demandé à Margarito ce qui se passerait si les dirigeants de l’Église n’acceptaient pas leur pétition. Margarito lui avait assuré que, s’ils n’obtenaient pas la réponse qu’ils désiraient, ils continueraient de soutenir Harold Pratt en tant que président de mission, en espérant qu’il prendrait en considération les problèmes soulevés. Or, il semblait désormais que les conventionnistes lançaient un appel pur et simple à la rébellion.

Santiago dit à son ami : « Ce n’est pas ce dont nous étions convenu.

– Oui, mais c’est une injustice, répondit Margarito.

– Nous ne tenons pas notre parole, » rétorqua Santiago.

Cette nuit-là, il rentra chez lui et parla avec Dolores, sa femme. Il demanda : « Que devons-nous faire ? – Je ne veux pas être un élément d’opposition pour l’œuvre de l’Église.

– Réfléchis-y bien », dit Dolores.

Peu de temps après, Santiago se réunit avec plus de deux cents conventionnistes afin de parler de la marche à suivre. Beaucoup d’entre eux étaient tout aussi furieux que Margarito de la réponse de la Première Présidence. Mais ils étaient également troublés par les rumeurs selon lesquelles ce dernier courtisait plusieurs femmes en même temps, une pratique dont il avait été témoin en tant que jeune converti dans les colonies mexicaines. Lorsque les conventionnistes eurent confirmation de la validité de ces rumeurs, ils s’accordèrent sur le fait que ce comportement était inacceptable et ils expulsèrent Margarito de l’organisation.

Santiago était troublé par le fait que Margarito, l’un des piliers de la convention, se soit égaré. Après avoir assisté à quelques autres réunions, Santiago commença à dire à sa femme et à d’autres personnes du groupe qu’il ne voulait plus participer. Avec d’autres conventionnistes désabusés, il alla trouver Harold Pratt. Ils lui firent part de leur souhait de faire de nouveau partie du corps de l’Église et lui demandèrent ce qu’ils devaient faire.

Harold Pratt répondit : « Il n’y a aucune condition pour vous, mes frères. Vous êtes toujours membres. Vous êtes membres de l’Église. »

Santiago continua à servir fidèlement en qualité de président de sa branche. La Troisième Convention fut un mouvement de faible ampleur parmi les saints au Mexique, mais elle attira néanmoins dans ses rangs des centaines de membres de l’Église. Des efforts furent entrepris pour arriver à une réconciliation entre les deux partis, mais en vain. Les dirigeants de la convention envoyèrent une autre lettre à la Première Présidence, exprimant leur intention de rejeter totalement la direction du président de mission.

Les dirigeants de l’Église au Mexique réagirent peu de temps après et en mai 1937, Abel Páez, Margarito Bautista et d’autres dirigeants de la convention furent excommuniés pour rébellion, insubordination et apostasie.

Ce printemps-là, dans l’est des États-Unis, Paul Bang, âgé de dix-huit ans, servait activement dans la branche de Cincinnati. En plus d’être prêtre de la Prêtrise d’Aaron, il était greffier de branche, secrétaire de la SAM et missionnaire local.

Chaque dimanche, il faisait du porte-à-porte dans la ville avec d’autres missionnaires locaux pour faire connaître l’Évangile. L’un de ses compagnons, Gus Mason, avait l’âge d’être son père et il le surveillait de près. Lors de leur premier jour de travail ensemble, Paul avait frappé seul à une porte et avait été invité à entrer pour donner un message sur l’Évangile. Pendant ce temps, Gus avait parcouru frénétiquement les rues à sa recherche. Depuis, ils restaient ensemble pour frapper aux portes.

Paul aimait parler de l’Église aux gens. Contrairement aux jeunes gens de l’Utah, il était entouré de personnes aux croyances différentes des siennes. Il aimait étudier l’Évangile rétabli et prendre des notes sur ce qu’il apprenait. Pendant son temps libre, il lisait les Écritures et d’autres livres de l’Église, notamment Histoire de l’Église vue par un jeune homme (A Young Folk’s History of the Church) de Nephi Anderson, Jésus le Christ et les Articles de Foi de James E. Talmage. Il étudiait généralement ces livres quand il tenait le magasin le dimanche après-midi, moment où peu de gens faisaient leurs achats.

Paul et sa petite amie, Connie Taylor, étaient pratiquement inséparables lors des réunions de l’Église et des activités de la SAM. Alvin Gilliam, qui avait remplacé Charles Anderson en tant que président de branche au début de l’année 1936, les incitait à continuer de se fréquenter. Au cours des dix dernières années, le nombre de membres de la branche avait plus que doublé, notamment grâce aux jeunes saints qui se mariaient, restaient dans la branche et fondaient des familles.

La Dépression avait déraciné de nombreuses personnes, physiquement et spirituellement, ce qui avait augmenté l’effectif de la branche grâce aux convertis locaux et aux saints qui venaient de régions économiquement défavorisées, comme l’Utah ou le sud des États-Unis, pour s’installer à Cincinnati. D’autres venaient de plus loin encore, notamment une famille de saints allemands venus de Buenos Aires, en Argentine. Récemment, Judy, la sœur de Paul, avait épousé Stanley Fish, un jeune homme originaire d’Arizona qui était revenu à Cincinnati après y avoir fait sa mission.

Le 6 juin 1937, Paul, Connie et d’autres membres de la branche parcoururent plus de cents kilomètres pour écouter David O. McKay parler lors d’une conférence de la mission dans un État voisin. Paul et Connie écoutèrent attentivement David O. McKay parler à l’assemblée du caractère sacré des fréquentations et du mariage. Ce soir-là, avant que Paul dépose Connie à l’appartement de sa famille, elle lui dit pour la première fois qu’elle l’aimait.

Peu de temps après, le président Gilliam parla à Paul du fait de partir en mission à plein temps. À l’époque, il n’était pas attendu de tous les jeunes hommes qu’ils fassent une mission et, si Paul y allait, il serait le premier missionnaire à plein temps originaire de la branche de Cincinnati. Paul ne savait pas s’il devait partir. Il est vrai que l’Église avait besoin de son aide, étant donné la pénurie de missionnaires pendant la Dépression. Mais il devait aussi penser à sa famille et au magasin. Ses frères aînés avaient déjà quitté la maison, et il savait que ses parents dépendaient de lui.

Finalement, Paul décida de ne pas partir en mission à plein temps. Il resta missionnaire de branche, et le 1er août, deux jours après avoir prêché lors d’une réunion de rue, il baptisa six personnes dans une piscine. À l’automne, le président Gilliam et le président de la mission des États du Nord, Bryant Hinckley, appelèrent Connie en tant que missionnaire de branche, elle aussi.

Paul et Connie parcouraient les rues ensemble, distribuant de la documentation sur l’Église et prêchant à qui voulait bien écouter. En mai 1938, pour le dix-neuvième anniversaire de Connie, Paul lui offrit une Bible et un exemplaire de Jésus le Christ, deux livres qu’elle pourrait utiliser dans son nouvel appel.

Pendant un moment, il parla aussi en plaisantant de lui trouver une bague de fiançailles. Cependant, il leur restait à tous deux une année d’études secondaires et ils n’étaient pas vraiment prêts à se marier.


Chapitre 25 : Pas de temps à perdre

Le soir du 11 mars 1938, Hermine Cziep réunit ses trois enfants autour du poste de radio dans leur petit studio situé en périphérie de Vienne, en Autriche. Kurt Schuschnigg, le chancelier autrichien, s’adressait en direct à tout le pays. Des troupes allemandes s’étaient regroupées le long de la frontière entre les deux pays. À moins que le gouvernement autrichien n’accepte l’Anschluss (le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne sous la direction nazie), l’armée allemande prendrait le pays par la force. Le chancelier n’avait pas d’autre choix que de démissionner et demander au peuple de se soumettre à l’invasion allemande.

Il déclara : « Je prends donc congé du peuple autrichien. Que Dieu protège l’Autriche ! »

Hermine se mit à pleurer. Elle dit à ses enfants : « Nous ne sommes plus l’Autriche. Tout ceci est l’œuvre de Satan. La force entraîne la force et les nazis n’apportent rien de bon. »

Pendant les deux jours suivants, peu de personnes résistèrent ouvertement à l’armée d’Adolf Hitler tandis que les Allemands pénétraient dans le pays et prenaient le contrôle des forces de police. Hitler était né en Autriche et de nombreux Autrichiens soutenaient son désir de rassembler tous les germanophones dans un nouvel empire puissant, le « Troisième Reich », même si cela signifiait perdre leur indépendance nationale.

Alois, le mari d’Hermine, se méfiait aussi des nazis. Depuis plus de quatre ans, il était le président de la branche de Vienne et Hermine servait à ses côtés en qualité de présidente de la Société de Secours. C’était une petite branche de seulement quatre-vingts membres dont certains étaient de fervents partisans d’Hitler et de l’Anschluss. D’autres, notamment ceux ayant des ancêtres juifs, considéraient la montée au pouvoir d’Hitler avec crainte et appréhension. Mais les saints de Vienne étaient toujours comme les membres d’une même famille et le couple Cziep ne voulait pas que les nazis sèment la dissension parmi eux.

Quand Hermine et Alois étaient devenus membres de l’Église lorsqu’ils étaient jeunes adultes, un fossé s’était creusé entre leurs parents et eux. Le père d’Alois, un catholique dévôt, avait déshérité son fils, lui demandant dans une lettre de renoncer à s’associer aux saints des derniers jours. Il avait ajouté : « Si tu décides de ne pas écouter mes paroles, je ne te parlerai plus dans cette vie et ce que tu m’écriras finira au feu. » Depuis, son père était décédé et, même si Alois s’entendait bien avec ses frères et sœurs, il connaissait la douleur d’une famille brisée.

D’autres membres de l’Église à Vienne avaient vécu ce genre d’expérience et nombre de jeunes couples de la branche considéraient frère et sœur Cziep comme leurs parents. Comme Hermine n’avait pas d’argent pour prendre le tramway, elle parcourait la ville à pied plusieurs fois par semaine pour rendre visite aux femmes de la branche. Quand un bébé naissait dans une famille, Hermine apportait de la nourriture, aidait à faire le ménage et prenait soin des enfants plus âgés. De son côté, Alois se déplaçait à vélo. Il travaillait jusqu’à sept heures du soir et, souvent, il allait ensuite s’occuper des affaires de la branche.

Trois jours après le discours du chancelier Schuschnigg, les bannières nazies blanches et rouges portant la croix gammée noire flottaient dans les rues de Vienne. Comme Alois travaillait pour une grande entreprise allemande, on exigea que ses collègues et lui sortent du magasin pour former une garde d’honneur tandis qu’Hitler et ses troupes paradaient dans la ville. Alois discernait à peine dans la foule le cabriolet gris d’Hitler qui descendait la rue, entouré de voitures de police et de soldats armés en uniforme impeccable. Partout les gens lançaient des acclamations, levant le bras droit pour faire le salut nazi.

Le lendemain, Alois se retrouva parmi des milliers de citoyens sur la Heldenplatz, la « Place du héros », tout près du palais de la Hofburg. Hitler marcha à grands pas jusqu’au balcon du palais et déclara : « J’annonce devant l’histoire l’entrée de mon pays natal dans le Reich allemand. »

La foule agitée fit retentir des « Heil Hitler » dans toute la place. Alois prit conscience qu’il était témoin d’un moment charnière de l’histoire. On n’avait encore aucune idée de la manière dont ces événements affecteraient les saints à Vienne.

À l’autre bout du monde, Chiye Terazawa, vingt-trois ans, était découragée. Depuis près d’un mois, elle servait à Honolulu (Hawaï) en tant que missionnaire parlant le japonais. Ses parents étaient originaires du Japon mais elle était née et avait grandi aux États-Unis et ne parlait pas le japonais. Tandis qu’elle étudiait la langue avec d’autres missionnaires, elle s’en voulait souvent de ne pas apprendre plus vite. Chaque journée était une épreuve ; elle suppliait Dieu de lui délier la langue.

Cela faisait près de trois ans que Heber J. Grant s’était senti poussé à ouvrir une mission parmi la vaste population japonaise de Hawaï. Bien que ses conseillers et lui aient hâte de reprendre l’œuvre missionnaire parmi les personnes parlant le japonais, un ancien président de mission ayant servi au Japon le leur avait déconseillé. Selon lui, trop de barrières culturelles se dressaient sur le chemin de la réussite.

Toutefois, le président Grant poursuivit le projet, convaincu qu’une mission japonaise à Hawaï était le meilleur moyen d’établir des branches fortes composées de membres parlant le japonais, qui pourraient ensuite faire connaître l’Évangile à leurs amis et à leur famille au Japon. En novembre 1936, il appela Hilton Robertson, qui avait aussi été président de mission au Japon, à ouvrir la mission. Frère Robertson et son épouse, Hazel, s’installèrent à Honolulu et furent bientôt rejoints par trois missionnaires originaires des États-Unis. Chiye arriva ensuite, au début du mois de février 1938.

Malgré ses difficultés avec la langue, Chiye était une missionnaire enthousiaste. Elle était la première missionnaire américaine d’origine japonaise à servir à plein temps et elle chérissait profondément l’Évangile. Ses parents n’étaient pas membres de l’Église, mais ils avaient vécu pendant de nombreuses années parmi les saints dans le sud-est de l’Idaho. Avant son décès causé par la pandémie de grippe de 1918, sa mère avait demandé à son mari d’emmener Chiye et ses cinq frères et sœurs aux réunions de l’Église.

Elle lui avait dit : « Tu ne peux pas les élever seul. L’Église sera leur mère, ainsi tu pourras remplir ton rôle de père. »

L’Église avait été à la hauteur, tant en Idaho qu’en Californie après le déménagement de la famille. Avant le départ de Chiye en mission, les saints de son pieu avaient organisé une fête d’adieu comprenant des discours des dirigeants locaux, un numéro de claquettes, un quatuor à cordes et un orchestre de musique de danse.

Étant la seule sœur missionnaire célibataire de la mission, Chiye travaillait habituellement avec sœur Robertson. Comme ni l’une ni l’autre ne parlait bien le japonais, elles instruisaient des anglophones. Le président Robertson appela également Chiye à organiser une Société d’Amélioration Mutuelle des jeunes filles au sein de la mission et à la présider. La tâche était intimidante mais la jeune femme reçut des conseils sur la façon de s’y prendre lorsque Helen Williams, première conseillère dans la présidence générale de la SAM des jeunes filles, vint rendre visite aux saints dans les îles.

Chiye choisit ses conseillères et des dirigeantes des Abeilles et des Glaneuses. Elle travailla aussi en étroite collaboration avec Marion Lee, le missionnaire chargé de s’occuper des jeunes gens, afin de planifier la première réunion de la SAM de la mission. Même si l’organisation était destinée aux jeunes de l’Église, les personnes de tout âge pouvaient assister aux réunions de la SAM. Ils décidèrent d’organiser une soirée où des saints locaux et des amis de la branche présenteraient des chants, des danses et des récits traditionnels japonais. Marion parlerait de l’objectif de la SAM et Chiye de l’évolution du programme de la SAM des jeunes filles depuis sa création.

Ils choisirent la date du 22 mars pour cette réunion. Chiye craignait que personne ne vienne. Marion s’inquiétait que le programme soit trop court. Son collègue affirmait qu’il n’y avait pas de quoi se faire du souci. Il promit : « Le Seigneur pourvoira. »

Lorsqu’il fut temps de commencer la réunion, tout le monde n’était pas encore arrivé. Chiye et Marion décidèrent malgré tout de commencer. Les missionnaires firent l’ouverture avec un chant et une prière. Kay Ikegami, le surintendant de l’École du Dimanche, arriva ensuite avec sa famille. Peu de temps après, une autre famille arriva. À la fin de la réunion, on compta plus de quarante personnes assemblées, notamment toutes celles qui œuvraient aux côtés de Chiye dans la SAM. Un homme chanta même trois chants, complétant ainsi le programme et dissipant toute crainte concernant la brièveté de la réunion.

Chiye et Marion étaient soulagés. La SAM de la mission avait pris un départ prometteur. Chiye rapporta dans son journal : « Dieu a ouvert la voie. J’espère simplement que nous parviendrons à mener à bien le projet. »

Cet été-là, J. Reuben Clark, de la Première Présidence, se préparait à prendre la parole lors de la réunion annuelle des instructeurs de religion des séminaires, des instituts et des universités des saints des derniers jours.

Ancien avocat et diplomate, c’était un fervent partisan de l’instruction. Comme de nombreux fidèles de sa génération, il s’inquiétait de voir les tendances séculaires remplacer les croyances religieuses dans les salles de classe. Il était particulièrement gêné par les biblistes qui mettaient l’accent sur les enseignements moraux de Jésus au lieu de s’intéresser à ses miracles, son expiation et sa résurrection. Tout au long de sa vie d’adulte, il avait vu des amis, des collègues de travail et même des saints des derniers jours devenir tellement absorbés par des idées profanes qu’ils avaient délaissé leur foi.

Le président Clark ne voulait pas que la nouvelle génération de saints emprunte le même chemin. Les trois universités, treize instituts et quatre-vingt-dix-huit séminaires de l’Église avaient été fondés afin de « faire des saints des derniers jours ». Cependant, il craignait que certains professeurs de ces écoles n’alimentent pas la foi en l’Évangile rétabli de Jésus-Christ car ils s’abstenaient de témoigner, pensant que cela fausserait la recherche de la vérité de leurs élèves. Il estimait que la jeunesse de l’Église avait besoin d’une instruction religieuse fondée sur les événements fondateurs et la doctrine du Rétablissement.

Le matin du 8 août 1938, le président Clark eut une réunion avec les enseignants à Aspen Grove, magnifique lieu de villégiature dans un canyon niché dans les montagnes près de Provo, en Utah. Alors qu’il s’apprêtait à prendre la parole, un orage s’abattit sur la région, la pluie battante résonnant dans le pavillon où se tenait la réunion. Imperturbable, il déclara à l’assemblée son intention de parler franchement au nom de la Première Présidence.

Il annonça : « Nous devons exprimer clairement ce que nous voulons dire parce que l’avenir de nos jeunes tant ici-bas que dans l’au-delà, ainsi que le bien-être de l’Église tout entière, sont en jeu. »

Il souligna la doctrine fondamentale de l’Évangile rétabli. Il déclara : « Il y a, pour l’Église et pour chacun de ses membres, deux choses primordiales à ne pas négliger, oublier, dissimuler, ni mettre de côté : Tout d’abord, Jésus est le Fils de Dieu, le Fils unique du Père dans la chair.

Ensuite, le Père et le Fils sont bel et bien apparus au prophète Joseph en vision dans les bois.

Il poursuivit : Sans ces deux grandes croyances, l’Église cesserait d’être l’Église. »

Il parla ensuite de l’importance d’enseigner ces principes aux élèves. « Les jeunes de l’Église ont faim des choses de l’Esprit. Ils veulent acquérir le témoignage de leur véracité. »

Il estimait qu’un témoignage personnel de l’Évangile devait être la condition essentielle pour enseigner l’Évangile. Il ajouta : « Ni la quantité de connaissances, ni le nombre d’heures d’étude, ni le nombre de diplômes ne remplaceront ce témoignage. Vous n’avez pas à aborder furtivement ces jeunes spirituellement expérimentés et à leur présenter la religion dans un murmure. Avancez sans cérémonie, en face, et parlez avec eux franchement. Vous n’avez pas besoin de déguiser les vérités religieuses en choses profanes. »

Tandis que la pluie battait les fenêtres de la salle, J. Reuben Clark exhorta les enseignants à aider la Première Présidence à améliorer l’instruction religieuse dans l’Église.

Il témoigna : « Vous, les instructeurs, avez une grande mission. Votre préoccupation principale, votre devoir quasiment unique et essentiel, consiste à enseigner l’Évangile du Seigneur Jésus-Christ tel qu’il a été révélé dans ces derniers jours. »

Après son discours, certains des participants émirent des objections quant à la ligne de conduite que la Première Présidence avait adoptée pour l’instruction dans l’Église, estimant qu’elle limitait leur liberté d’enseigner comme bon leur semblait. D’autres reçurent avec joie ces conseils sur l’enseignement des vérités fondamentales et du témoignage personnel. Franklin West, commissaire de l’éducation de l’Église, déclara à J. Reuben Clark : « Je suis impatient de faire avancer l’œuvre. Je vous promets que vous verrez une amélioration rapide et pertinente. »

Quelques mois plus tard, le programme du séminaire produisit un nouveau cours : « La doctrine de l’Église ».

En février 1939, Chiye Terazawa apprit que le président de mission prévoyait de transférer deux sœurs missionnaires dans un autre secteur de Hawaï. Cette nouvelle la perturba. La SAM des jeunes filles se développait si bien à Honolulu qu’elle ne voulait pas partir. Quelles sœurs seraient transférées, se demandait-elle, et où iraient-elles ?

Il y avait désormais dans la mission quatre sœurs missionnaires qui vivaient et œuvraient ensemble à Honolulu. Cependant, le président Robertson avait récemment organisé des branches de saints japonais à Maui, Kauai et sur la Grande île d’Hawaï. Les sœurs choisies pour le transfert seraient chargées de travailler avec les frères missionnaires pour affermir les fondations de l’une de ces branches.

Le 3 mars 1939, le président Robertson convoqua Chiye et sa collègue, Inez Beckstead, dans son bureau. Il leur dit qu’il les envoyait à Hilo, une ville de la Grande île. Chiye fut submergée d’émotions et ne put s’empêcher de pleurer. Elle était heureuse et soulagée de ne plus avoir à se demander si elle allait rester ou partir. Cependant, le couple Robertson et les saints japonais d’Oahu allaient lui manquer.

Quelques jours plus tard, Chiye et Inez dirent au revoir à une foule de missionnaires et de saints japonais au port d’Honolulu. Plusieurs femmes couvrirent les deux sœurs de colliers de perles et de leis. Kay Ikegami leur donna un peu d’argent pour le voyage. Tomizo Katsunuma, un membre japonais de longue date, leur offrit des timbres-poste.

Une personne n’était pas présente sur le port : Tsune Nachie, servante des ordonnances du temple originaire du Japon, qui était décédée quelques mois auparavant. Elle était connue comme la « mère de la mission » et était devenue l’amie et le mentor de Chiye au cours de l’année passée. Quelques heures après sa mort, le couple Robertson avait demandé à Chiye d’aider à préparer son corps pour l’enterrement. Tsune Nachie aurait été heureuse de savoir que deux sœurs missionnaires se rendaient à Hilo. Quelques années plus tôt, elle y avait elle-même fait une mission.

Au matin du 8 mars, Chiye et Inez arrivèrent à Hilo. Malgré le mal de mer, elles étaient prêtes à travailler. La ville était bien plus petite qu’Honolulu. Chiye et Inez n’y virent aucun hôtel ni restaurant, à l’exception d’un café sur le front de mer. La branche de Hilo avait été créée cinq mois plus tôt et environ trente-cinq personnes, majoritairement des amis de l’Église, assistaient aux réunions du dimanche. Les frères missionnaires avaient déjà mis en place une École du Dimanche et un programme de la SAM pour les jeunes gens mais il n’y avait pas de SAM pour les jeunes filles ni de Primaire. Chiye accepta de diriger les jeunes filles tandis qu’Inez servirait en tant que présidente de la Primaire.

Les deux missionnaires emménagèrent au sous-sol d’une pension de famille pour femmes et eurent ainsi de nombreuses occasions d’améliorer leur japonais. L’une des premières choses qu’elles firent fut de demander à la direction et au corps enseignant d’une école primaire japonaise locale si elles pouvaient parler de la Primaire aux enfants. À cette époque, les missionnaires se servaient de la Primaire pour faire connaître l’Église aux enfants et à leur famille. Les activités proposées étant amusantes et porteuses de valeurs chrétiennes simples, elles attiraient les enfants de nombreuses confessions. Chiye et Inez firent bonne impression au personnel de l’école. Bientôt, des dizaines d’enfants participaient à la Primaire le mercredi après-midi.

Ce printemps-là, les sœurs missionnaires firent préparer aux enfants une pièce musicale que le bureau général de la Primaire avait choisie pour les fêtes de la Primaire de toute l’Église. Elle s’appelait « Les cœurs joyeux ». Dans cette pièce, le roi et la reine d’un pays imaginaire expliquaient aux enfants que des choses désagréables telles que la pluie, les légumes et l’heure du coucher étaient en réalité bénéfiques.

Lorsque Chiye et Inez ne frappaient pas aux portes, n’étaient pas en train d’étudier ou de parler avec des amis de l’Église, elles répétaient des chants, cousaient des costumes, concevaient des accessoires ou insistaient auprès des parents pour qu’ils permettent à leurs enfants de venir aux répétitions. Les saints de Hilo et les frères missionnaires apportèrent leur soutien en allant chercher les enfants absents, en fabriquant des décors et en participant aux répétitions.

Neuf jours avant le spectacle, la répétition fut un désastre. Chiye écrivit dans son journal : « Quel désordre ! Je pense toutefois que tout ira bien. Du moins, il faut l’espérer. »

Les répétitions suivantes se déroulèrent mieux et, le jour de la représentation approchant, tout commençait à rentrer dans l’ordre. Les missionnaires firent l’annonce du spectacle dans le journal et terminèrent leurs travaux de confection et de raccommodage des costumes. Tamotsu Aoki, homme d’affaires local qui s’intéressait à l’Église avec sa famille, accepta d’être le maître de cérémonie.

Le matin de la représentation, Chiye se leva tôt et participa à la cueillette de fleurs, de fougères et d’autres plantes pour décorer la scène du bâtiment de l’Église. Puis, tandis que les membres et les frères missionnaires installaient les chaises et disposaient les décors, elle se hâta d’aller costumer les enfants et de les maquiller.

À sept heures du soir, environ cinq cents personnes s’étaient rassemblées pour le spectacle. Au grand soulagement de Chiye, les enfants jouèrent bien leur rôle. Inez et Chiye étaient ravies qu’autant de personnes soient venues soutenir la Primaire. À la fin du spectacle, le public écouta le chœur des enfants chanter à l’unisson :

Où est la terre des cœurs joyeux ?

Ici et partout !

Il y a des routes larges et brillantes,

Ou un petit chemin, ou un sentier,

Pour vous y conduire sans détours.

Au cours de l’été 1939, Emmy Cziep, onze ans, sa sœur Mimi, quinze ans, et son frère Josef, douze ans, profitaient de vacances en Tchécoslovaquie, pays voisin au nord de leur pays, l’Autriche.

Les enfants et leurs parents, Hermine et Alois, y passaient les étés depuis la mort du père d’Alois. Ils séjournaient chez deux des frères d’Alois, Heinrich et Leopold, et leur famille en Moravie, région du centre du pays.

Comme l’Autriche, la Tchécoslovaquie était occupée par les nazis. Peu après l’Anschluss, l’armée d’Hitler avait envahi la région des Sudètes, à la frontière tchécoslovaque, où vivaient un grand nombre d’Allemands. De nombreux tchécoslovaques souhaitaient défendre leur pays mais les dirigeants de l’Italie, de la France et de la Grande-Bretagne espéraient éviter une autre grande guerre à l’échelle de l’Europe ; ils avaient donc accepté l’annexion. En échange, Hitler s’engagea à s’abstenir de toute nouvelle invasion. Mais, au bout de quelques mois, il révoqua son engagement et prit possession du reste du pays.

Pour Emmy, le conflit semblait lointain. Elle aimait passer du temps avec sa famille élargie. Elle aimait jouer aux gendarmes et aux voleurs avec ses cousins, et jouer avec eux à s’éclabousser dans un ruisseau voisin. Lorsque ses parents durent retourner en Autriche au milieu de l’été, Emmy resta en Tchécoslovaquie avec son frère et sa sœur quelques semaines supplémentaires.

Le 31 août 1939, les enfants Cziep étaient en train de déjeuner lorsque leur oncle Heinrich fit irruption dans la pièce, le visage écarlate. Il s’écria : « Vous devez partir, tout de suite ! Il n’y a pas de temps à perdre ! »

Emmy était désorientée et effrayée. Leur oncle leur dit qu’Hitler semblait préparer quelque chose. Il avait donné l’ordre de fermer les frontières ; le train de treize heures qui traversait leur ville était probablement leur dernière chance de rentrer à Vienne. Il expliqua qu’il était peut-être impossible de monter dans ce train-là mais que, s’ils voulaient retourner auprès de leurs parents, ils devaient essayer.

Plus tôt ce matin-là, Emmy, Mimi et Josef avaient mis tous leurs vêtements dans une bassine d’eau savonneuse pour les laver. Leur oncle et leur tante les aidèrent à les essorer avant de les jeter, encore mouillés, dans une valise. Puis ils coururent vers la gare.

Le bâtiment était bondé de gens affolés, se bousculant pour quitter le pays. Emmy, son frère et sa sœur s’entassèrent dans un wagon et se retrouvèrent immédiatement entourés de dizaines de passagers agités et en sueur. La fillette avait du mal à respirer. Tandis que le train s’arrêtait dans des villages sur le trajet, les gens se jetaient sur les fenêtres en criant et en essayant de monter, mais il n’y avait pas de place.

Il faisait nuit quand le train arriva enfin à Vienne. En larmes, les membres de la famille Cziep se réjouirent d’être à nouveau réunis.

Au lieu de retourner dans le minuscule appartement où Emmy avait grandi, ils allèrent dans un nouvel appartement dans la Taborstrasse, une belle rue du centre de la ville. Pendant des années, Alois et Hermine avaient souhaité trouver un meilleur logement pour leur famille qui s’agrandissait, mais leurs faibles revenus, la pénurie de logements et les contrôles politiques sur l’attribution des appartements avaient rendu la tâche impossible. Depuis l’Anschluss, l’économie se portait mieux et l’activité de l’entreprise où travaillait Alois s’était multipliée par cinq.

Avec l’aide d’un membre de l’Église qui travaillait pour un fonctionnaire nazi, Alois et Hermine demandèrent un nouvel appartement et en obtinrent un avec trois chambres, une cuisine, une salle de bains et un salon. Il se situait beaucoup plus près du lieu de réunion de la branche (à quarante-cinq minutes à pied, au lieu des deux heures auxquelles ils étaient habitués).

Malheureusement, cette occasion inespérée se présenta au détriment des Juifs qui étaient autrefois les principaux occupants de la Taborstrasse. Peu de temps après l’Anschluss, les nazis et leurs partisans avaient vandalisé des commerces juifs, brûlé des synagogues et arrêté et déporté des milliers de citoyens juifs. Ceux qui avaient les moyens de fuir le pays avaient abandonné leur maison, laissant des appartements libres pour des familles telles que les Cziep. D’autres étaient restés dans la ville, notamment certains membres d’origine juive de la branche de Vienne. Ils craignaient de plus en plus pour leur vie.

Le 1er septembre, Emmy et sa famille passèrent leur première nuit ensemble dans leur nouvel appartement. Pendant qu’ils dormaient, un million et demi de soldats allemands envahirent la Pologne.


Chapitre 26 : Les rejetons immondes de la guerre

Le 24 août 1939, huit jours avant l’invasion de la Pologne, la Première Présidence avait ordonné à trois cent vingt missionnaires nord-américains répartis dans les missions britannique, française, ouest-allemande, est-allemande et tchécoslovaque de partir vers le Danemark, la Suède, la Norvège ou les Pays-Bas, c’est-à-dire vers le pays neutre le plus proche. Cet été-là, l’apôtre Joseph Fielding Smith, qui rendait visite aux saints d’Europe accompagné de sa femme, Jessie, resta au Danemark pour coordonner l’évacuation depuis Copenhague.

Norman Seibold était un missionnaire originaire d’Idaho âgé de vingt-trois ans qui servait dans la mission d’Allemagne de l’Ouest. Après avoir reçu l’ordre d’évacuer le pays, il veilla à ce que tous les missionnaires nord-américains de son district quittent immédiatement le pays. Puis, au lieu de partir directement aux Pays-Bas, il se rendit au foyer de la mission, à Francfort.

À son arrivée, il trouva son président de mission, Douglas Wood, malade d’inquiétude. Ce dernier avait envoyé des télégrammes demandant à tous les missionnaires d’évacuer mais les lignes de communication du pays étaient saturées. Seuls Norman et quelques autres missionnaires avaient accusé réception du message. Et pour noircir encore le tableau, les autorités néerlandaises avaient interdit à toute personne étrangère d’entrer dans le pays, excepté les voyageurs en transit. Des dizaines de missionnaires étaient donc probablement bloqués en Allemagne de l’Ouest avec des billets de train inutilisables à destination des Pays-Bas et sans argent pour s’en procurer de nouveaux.

Le président Wood et sa femme, Evelyn, devaient partir pour superviser l’évacuation d’un groupe de missionnaires qui étaient déjà arrivés au foyer de la mission et ils avaient besoin que quelqu’un reste en Allemagne afin de localiser les missionnaires restants.

Le président de mission dit à Norman : « Votre tâche est de les trouver et de faire en sorte qu’ils quittent le pays. Fiez-vous totalement à vos impressions. Nous ne savons pas du tout dans quelles villes se trouvent ces trente et un missionnaires. »

Tard ce soir-là, Norman partit de Francfort à bord d’un train bondé longeant le Rhin en direction du nord. Il avait des billets pour le Danemark et de l’argent à remettre à tous les missionnaires qu’il rencontrerait. Mais comment savoir où les trouver ? Le temps pressait. Le gouvernement allemand venait d’annoncer que l’armée avait besoin des chemins de fer pour transporter les soldats. Les places se feraient bientôt rares pour les civils.

Quand son train s’arrêta à Cologne, Norman sentit qu’il devait sortir. Il joua des coudes pour descendre du wagon. La gare grouillait de monde. Il grimpa sur un chariot à bagages pour voir au-dessus de la foule. Toutefois, il n’identifia aucun missionnaire. Il se souvint alors du « signal des missionnaires » : c’était la mélodie sifflée de « Fais ton devoir, voici la lumière » que toute la mission connaissait. Norman n’était pas très doué pour la musique, mais il siffla les quelques premières notes du mieux qu’il put.

Cela attira immédiatement l’attention. Bientôt, Norman vit un missionnaire et un membre allemand se diriger vers lui. Il continua de siffler et d’autres missionnaires, ainsi qu’un couple missionnaire d’âge mûr vinrent le trouver. Après leur avoir donné les moyens de se mettre en sécurité, il monta dans un train en direction d’une autre ville.

Quelques heures plus tard, à Emmerich, Norman rencontra d’autres missionnaires. Tandis qu’il leur remettait l’argent provenant du président de mission, il attira l’attention d’un policier qui crut que les missionnaires avaient l’intention de faire sortir clandestinement de l’argent d’Allemagne. Le policier exigea qu’ils lui donnent leur argent et lui expliquent ce qu’ils étaient en train de faire. Comme Norman refusait de coopérer, l’agent l’empoigna et le menaça de le conduire aux autorités de la ville.

D’habitude, Norman obéissait aux forces de l’ordre mais il ne voulait pas suivre l’homme dans la ville. Il dit : « Vous feriez mieux de me lâcher ou il va y avoir une bagarre. »

Un attroupement avait commencé à se former et le policier parcourait nerveusement les gens du regard. Il relâcha Norman et l’amena à un responsable militaire à la gare pour qu’il explique qui il était et ce qu’il faisait. Le fonctionnaire écouta l’histoire de Norman et ne vit aucune raison de le retenir ; il lui rédigea même une lettre explicative à remettre à toute personne susceptible de l’arrêter au cours de ses déplacements.

Norman poursuivit sa route, s’arrêtant pour chercher des missionnaires selon les directives de l’Esprit. Dans une ville isolée, il n’y avait presque personne sur le quai de la gare et il semblait absurde de chercher des missionnaires à cet endroit. Néanmoins, Norman sentit qu’il devait descendre du train, alors il décida d’aller en ville. Il arriva bientôt à un petit restaurant et trouva deux missionnaires qui buvaient du jus de pomme acheté avec leurs dernières pièces.

Après des jours de recherche, il avait retrouvé dix-sept missionnaires. Pour se rendre au Danemark, Norman et ses collègues durent monter dans des trains réquisitionnés pour le transport des troupes, donnant le change aux conducteurs et évitant les policiers tout au long du trajet. Lorsque Norman arriva à Copenhague, le lendemain de l’invasion de la Pologne, tous les missionnaires nord-américains des missions allemandes étaient en sécurité.

Le jour suivant, le 3 septembre, la France et la Grande-Bretagne déclaraient la guerre à l’Allemagne.

Lors de la conférence générale d’octobre 1939, Heber J. Grant annonça : « La guerre depuis longtemps menaçante et redoutée a finalement éclaté. » Depuis des années, il observait avec inquiétude et appréhension Hitler qui conduisait l’Allemagne sur une voie violente et dangereuse, répandant la misère et le sang. Les forces de l’Axe, conduites par l’Allemagne nazie, étaient désormais engagées dans un combat contre les Alliés, dirigés par le Royaume-Uni et la France.

Le président Grant déclara aux saints : « Dieu est attristé par la guerre. Les personnes qui la mènent de manière injuste seront sujettes aux punitions éternelles imposées par sa volonté. » Le prophète exhorta les dirigeants du monde et tous les peuples à chercher des solutions pacifiques à leurs différends.

Il ajouta : « Nous condamnons tous les rejetons immondes de la guerre : l’avarice, la cupidité, la misère, le manque, la maladie, la cruauté, la haine, l’inhumanité, la sauvagerie, la mort. » Le prophète était peiné de savoir que des millions de gens souffraient et étaient endeuillés à cause du conflit. Plusieurs milliers d’entre eux étaient des saints des derniers jours et, parmi eux, certains étaient déjà en danger. Il dit : « Nous implorons instamment tous les membres de l’Église d’aimer leurs frères et sœurs. Nous demandons à tous les peuples, quels qu’ils soient et où qu’ils soient, de bannir la haine de leur vie, de remplir leur cœur de charité, de patience, de longanimité et de pardon. »

Pendant les semaines et les mois qui suivirent la conférence générale, l’esprit du prophète fut accablé par des pensées relatives à la guerre. En décembre, il écrivit à sa fille, Rachel, au sujet de la perte inutile de vies humaines. Il expliqua : « Cela me fait mal au cœur. Il semble bien que le Seigneur devrait ôter de la surface de la terre les personnes qui créent et déclenchent des guerres, comme Hitler. »

Au cours de l’hiver 1940, le président Grant se rendit à Inglewood, un quartier de Los Angeles, où les saints étaient impatients de l’entendre parler au cours de leur conférence de pieu. En arrivant à l’église, il fut pris de vertige et eut du mal à parler. En descendant de la voiture, ses jambes tremblaient et il atteignit difficilement la porte du lieu de culte. Son étourdissement sembla se dissiper peu après qu’il se fut assis sur l’estrade. Il demanda cependant d’être dispensé de son discours.

Plus tard, après une sieste, il se sentit suffisamment bien pour prendre la parole lors de la session de l’après-midi de la conférence. Debout sur l’estrade, il s’adressa aux membres de l’Église pendant près de quarante minutes. Pendant la nuit, il essaya plusieurs fois de se lever mais faillit tomber. Le lendemain matin, son côté gauche était engourdi et il ne pouvait pas lever le bras ni bouger les doigts de ce côté. Lorsqu’il tenta de se lever, il remarqua qu’il n’avait aucune force dans sa jambe gauche. Sa langue était pâteuse et il avait du mal à s’exprimer.

Avec l’aide de sa famille et de ses amis, il se rendit dans un hôpital voisin, où les médecins constatèrent qu’il avait eu une attaque cérébrale. Il passa les mois qui suivirent en Californie, reprenant peu à peu des forces et de la mobilité. Son médecin lui conseilla de se reposer davantage, de manger mieux et d’éviter toute activité intense. Au mois d’avril, le prophète allait suffisamment bien pour retourner à Salt Lake City.

Peu après son retour, il dit à sa fille, Grace : « J’ai été sage et paresseux, selon les instructions du médecin. Je ne sais pas combien de temps je pourrai continuer comme cela. »

Le 28 juin 1940, la guerre en Europe était bien loin des pensées des saints à Cincinnati, en Ohio. Ce soir-là, Connie Taylor, âgée de vingt et un ans, entendit les premières notes de la « marche nuptiale » de Wagner. C’était le signal pour qu’elle commence à traverser la salle de culte de la branche de Cincinnati. Le bâtiment était rempli de membres de la famille et d’amis, tous réunis pour son mariage avec Paul Bang.

Connie et Paul étaient fiancés depuis un peu plus d’un an. Ils voulaient être scellés mais, comme de nombreux couples vivant loin du temple, ils avaient décidé de se marier d’abord civilement à l’église.

En se dirigeant vers l’avant de la salle, Connie vit son père assis parmi les invités. Aux États-Unis, lors des mariages, la tradition voulait que le père donne le bras à sa fille pour l’accompagner à travers la salle. Mais, comme son père avait du mal à marcher, c’était son frère, Milton, qui lui donnait le bras. La jeune femme était simplement heureuse que son père soit présent. Sa bénédiction patriarcale lui promettait qu’il profiterait un jour les bénédictions de l’Évangile avec elle. Ce jour n’était pas encore arrivé, mais il avait assisté une fois à une réunion de Sainte-Cène, un dimanche de Pâques, et c’était bon signe.

Une fois Connie et Paul réunis à l’avant de la salle de culte, le président de branche, Alvin Gilliam, officia. Pour beaucoup des personnes présentes, cette soirée marquait la fin d’une époque. Mis à part les réunions du dimanche suivant, ce mariage était la dernière réunion de la branche de Cincinnati dans ce petit bâtiment qu’elle possédait depuis onze ans. Comme il tombait en ruine, la branche florissante l’avait vendu depuis peu et avait acheté un terrain au nord de la ville pour y bâtir une nouvelle église.

Les jeunes mariés partirent le lendemain après-midi pour les chutes du Niagara, dans l’État de New York, à bord du camion du père de Paul. Ils avaient emporté trois paniers de nourriture prise dans l’épicerie familiale, des vêtements et une soixantaine de dollars en liquide.

Sur le chemin, Connie et Paul visitèrent le temple de Kirtland. Le bâtiment servait désormais de lieu de culte à l’Église réorganisée de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. À leur arrivée, la porte du temple était fermée à clé mais un homme leur ouvrit le bâtiment et les laissa seuls pour visiter pendant une heure. Ils explorèrent chaque recoin du temple, y compris le clocher, d’où ils purent admirer le petit village où des centaines de saints fidèles avaient vécu plus d’un siècle auparavant.

Ils partirent de Kirtland pour se rendre aux chutes du Niagara. La station balnéaire, à la frontière des États-Unis et du Canada, était une destination très prisée pour les voyages de noces, mais la guerre en Europe avait mis tout le monde en état d’alerte. Les États-Unis n’étaient pas entrés dans le conflit, mais le Canada faisait partie du Commonwealth britannique et avait déclaré la guerre à l’Allemagne après l’invasion de la Pologne. Avant de laisser Connie et Paul entrer au Canada, les douaniers les contrôlèrent soigneusement afin de s’assurer qu’ils n’étaient pas des espions.

Après avoir visité les chutes du Niagara, le couple parcourut cent soixante kilomètres vers l’est jusqu’à Palmyra et Manchester, dans l’État de New York. Au fil des années, l’Église avait acheté plusieurs sites historiques dans la région, notamment la colline Cumorah, le Bosquet sacré et la maison de Lucy et Joseph Smith, père. Conscients du rôle que pouvaient jouer ces sites dans l’œuvre missionnaire, les dirigeants de l’Église avaient commencé à les rendre accessibles aux visiteurs, signalant leur importance historique et spirituelle sur des panneaux routiers. Au début des années 1920, sous la direction de B. H. Roberts, des conférences à l’échelle de la mission avaient été organisées sur la colline de Cumorah et elles avaient donné le jour à un spectacle annuel ouvert au public.

Pendant leur séjour à Manchester, Connie et Paul passèrent la nuit dans la maison de la famille Smith pour une somme modique. Ils grimpèrent sur la colline de Cumorah en pensant aux plaques d’or enterrées là pendant si longtemps. Au sommet de la colline se trouvait un nouveau monument représentant l’ange Moroni. Ils s’y arrêtèrent pour le photographier et apprécier la vue magnifique sur les environs. Plus tard, ils se promenèrent dans le Bosquet sacré, profitant de la sainteté et de la beauté du lieu. Avant de partir, ils s’agenouillèrent ensemble pour prier.

Les jeunes mariés passèrent par Washington, DC, où ils assistèrent à une réunion dans un vaste lieu de culte en marbre que l’Église avait inauguré en 1933. L’Église avait connu une croissance importante dans la ville depuis que l’apôtre Reed Smoot et un petit groupe de saints y avaient organisé une branche, en 1920. En fait, peu de temps avant le passage de Paul et Connie, l’apôtre Rudger Clawson y avait organisé un pieu dont Ezra Taft Benson, âgé de quarante ans, avait été appelé président.

Après avoir passé quelques jours à Washington, Connie et Paul retournèrent à Cincinnati, où ils s’installèrent dans un appartement plein de courants d’air, non loin de l’épicerie de la famille Bang. Ils avaient dépensé tout leur argent, sauf un penny, pour leur lune de miel, mais Paul avait toujours un travail chez son père. Dans quelques années, après avoir économisé un peu d’argent, ils pourraient faire un voyage encore plus long, cette fois vers Salt Lake City et le temple.

Par une froide nuit de décembre 1940, le bourdonnement menaçant des bombardiers nazis résonnait dans le ciel de Cheltenham, ville du sud-ouest de l’Angleterre. Depuis six mois, des raids de l’armée de l’air allemande, la Luftwaffe, bombardaient de manière incessante la Grande-Bretagne. Les attaques avaient d’abord été dirigées sur les bases aériennes et les ports, puis les bombardiers s’étaient mis à survoler les zones civiles de Londres et au-delà. Autrefois, Cheltenham était un endroit paisible, avec de beaux parcs et de magnifiques jardins. Désormais, c’était une cible.

Nellie Middleton, sainte des derniers jours de cinquante-cinq ans, vivait dans cette ville avec Jennifer, sa fille de six ans. Afin de préparer son foyer contre les attaques aériennes, elle avait meublé, grâce à son salaire modeste de couturière, un espace dans le sous-sol de sa maison. Elle avait équipé cet abri de nourriture, d’eau, de lampes à huile et d’un petit lit en fer pour Jennifer. Suivant les instructions du gouvernement, Nellie avait également recouvert ses fenêtres de filets pour contenir les éclats de verre en cas d’attaque.

Dans toute la ville, on entendait les bombes siffler dans les airs et s’écraser au sol dans un grondement de tonnerre. Le bruit terrifiant se rapprochait constamment de la maison de Nellie, jusqu’au jour où une explosion terrible dans une rue voisine fit trembler ses murs, faisant voler les fenêtres en éclats et remplissant les filets de protection de morceaux de verre tranchants comme un rasoir.

Au matin, les rues de la ville étaient remplies de décombres. Les bombardements avaient fait vingt-trois morts et laissé plus de six cents personnes sans abri.

Après l’attaque, Nellie et d’autres membres de l’Église firent de leur mieux pour aller de l’avant. Lorsqu’un an plus tôt, Hugh B. Brown, président de la mission britannique, et d’autres missionnaires nord-américains avaient quitté le pays, il était devenu difficile pour la petite branche de Cheltenham et les autres unités de remplir les appels et de faire fonctionner les programmes de l’Église. Les hommes de la région étaient ensuite partis faire la guerre, ne laissant aucun détenteur de la prêtrise pour bénir la Sainte-Cène ou conduire les affaires de la branche de manière officielle. La dissolution de la branche fut finalement inévitable.

Arthur Fletcher, détenteur de la prêtrise de Melchisédek d’âge mur vivant à plus de trente kilomètres, se déplaçait sur sa bicyclette rouillée pour rendre visite aux membres de Cheltenham chaque fois qu’il le pouvait. Cependant, la plupart du temps, c’était Nellie, l’ancienne présidente de la Société de Secours de la branche de Cheltenham, qui s’assurait du bien-être spirituel et temporel des membres de la région. La branche étant fermée, les membres de l’Église ne pouvaient plus se réunir dans la salle qu’ils louaient le dimanche. Le salon de Nellie devint l’endroit où les sœurs de la Société de secours priaient, chantaient et étudiaient Jésus le Christ et les Articles de foi.

Nellie veilla également à ce que sa fille connaisse l’Évangile. Célibataire, elle était âgée de presque cinquante ans quand elle avait adopté Jennifer. La fillette participait désormais à l’étude avec les sœurs, qui veillaient à parler de l’Évangile de manière à ce qu’elle comprenne. Nellie et les autres sœurs de la Société de Secours emmenaient également Jennifer lorsqu’elles rendaient visite aux malades ou aux personnes âgées. Dans la branche, personne ne disposait de téléphone ou de voiture. Les sœurs faisaient donc leurs visites à pied, apportant un pot de confiture ou un morceau de gâteau avec un message.

Dès que le soleil se couchait, toutes les sorties cessaient. Pour que les bombardiers allemands aient plus de mal à voir leurs cibles, les villes du Royaume-Uni éteignaient tous les lampadaires et tous les panneaux lumineux. Les gens drapaient leurs fenêtres d’un tissu sombre et dévissaient les ampoules dans l’entrée.

À Cheltenham, les saints se réfugiaient dans leur foyer. La moindre lueur représentait un danger pour les familles et leurs voisins.

L’année suivante, Alois Cziep, le président de la branche de Vienne, trouvait son appel de plus en plus difficile. À cause de la guerre, les canaux de communication habituels entre le siège de l’Église et les branches situées dans les zones occupées par l’Axe étaient coupés. Der Stern, le magazine en allemand de la mission, ne paraissait plus. Le président de mission suppléant, un membre allemand du nom de Christian Heck, s’efforçait de faire fonctionner l’Église au milieu du chaos. Alois faisait de même pour sa branche.

Les destructions et les ravages de la guerre n’avaient pas encore atteint les frontières de l’Autriche mais Alois savait que les forces aériennes britanniques avaient attaqué des villes allemandes. L’Union soviétique était désormais aussi en guerre contre le troisième Reich. Comme en Grande-Bretagne, en Autriche les lumières étaient éteintes la nuit pour protéger les habitants des avions ennemis qui pouvaient rôder au-dessus de leur tête.

Au début de la guerre, la plupart des hommes de la branche de Vienne avaient été enrôlés dans l’armée allemande. Comme Alois avait perdu un œil quelques années auparavant à cause d’une maladie, il était dispensé du service militaire. Malgré les difficultés croissantes, il avait la chance d’être soutenu par deux conseillers, plusieurs jeunes détenteurs de la Prêtrise d’Aaron, et sa femme, Hermine. En tant que présidente de la Société de Secours, Hermine portait une grande partie du fardeau émotionnel des femmes de la branche, qui étaient souvent accablées, seules et effrayées, surtout quand elles recevaient des mauvaises nouvelles de leurs proches, faits prisonniers ou tués au combat.

Hermine les incitait à faire confiance à Dieu et à aller de l’avant, et elle s’efforçait de faire de même.

Même si, depuis le début de la guerre, l’effectif de la branche avait diminué, les membres continuaient d’être divisés malgré les efforts d’Alois pour qu’on ne parle pas de sujets politiques pendant les réunions. Un jour, au début d’une réunion de l’Église, un visiteur originaire d’Allemagne avait prié pour Adolf Hitler. Quand il eut terminé, Alois lui dit : « Frère, ici, on ne prie pas pour Hitler. »

Il y avait dans la branche des membres et des sympathisants du parti nazi. Alois devait souvent faire attention à ce qu’il disait. Il pouvait y avoir des informateurs et des espions n’importe où, prêts à les dénoncer au gouvernement, lui et sa famille. Hermine et lui croyaient qu’il fallait honorer la loi du pays mais ce n’était pas toujours facile.

Deux membres de la branche, Olga Weiss et son fils adulte, Egon, étaient des Juifs convertis qui faisaient profiter la branche de leurs talents musicaux chaque semaine. Quand les nazis avaient envahi l’Autriche, la famille Weiss avait compris qu’elle devait quitter le pays sous peine de devenir la proie de l’antisémitisme violent du régime. Même si la famille ne pratiquait plus le judaïsme, elle était considérée comme « racialement juive » en raison de son ascendance.

Quelques mois après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne, Olga et Egon adressèrent des lettres urgentes à la Première Présidence et à d’anciens missionnaires qu’ils connaissaient, espérant trouver quelqu’un qui pourrait les aider, eux et quelques-uns de leurs proches, à émigrer aux États-Unis. Dans une lettre, Egon écrivit : « Pour nous, les Juifs, les conditions de vie ici sont terribles. Nous devons absolument partir. »

Comme de nombreuses personnes dans le monde, le président Grant avait reçu des rapports contradictoires sur l’hostilité d’Hitler envers les Juifs et l’étendue du danger auquel ils étaient exposés en Allemagne. Le prophète avait dénoncé cet antisémitisme en public et en privé. Pourtant, les dirigeants de l’Église n’étaient pas en mesure d’aider la famille Weiss ni tout autre Européen qui espérait émigrer. Ils expliquaient que la loi américaine ne permettait plus aux organisations religieuses de parrainer des immigrants et que, depuis de nombreuses années, l’Église avait refusé toutes les demandes d’aide de ce type. Alors que la guerre en Europe s’intensifiait, la Première Présidence exprimait fréquemment sa consternation devant le fait que le gouvernement américain ne lui permettait pas d’aider les réfugiés. Lorsque le président Grant et ses conseillers recevaient des lettres comme celle d’Egon, ils ne pouvaient guère faire plus que de répondre avec sympathie, leur conseillant parfois de s’adresser à des organisations qui, ils l’espéraient, pourraient leur venir en aide.

En septembre 1941, Egon et Olga étaient toujours à Vienne. À l’époque, les nazis exigeaient que tous les Juifs autrichiens s’identifient en portant une étoile de David jaune sur leurs vêtements. Lorsque des responsables nazis découvrirent que des Juifs venaient aux réunions de la branche de Vienne, ils ordonnèrent à Alois de le leur interdire. S’il refusait, les saints seraient expulsés de leur lieu de réunion.

Alois comprit qu’il devait se soumettre à leur demande. Confus et attristé, il alla trouver la famille Weiss et lui dit qu’elle ne pouvait plus assister aux réunions. Toutefois, comme d’autres membres de la branche, il continua fidèlement de leur rendre visite. Jusqu’au jour où Olga et Egon furent introuvables.


Chapitre 27 : Dieu est à la barre

« Viens chez moi ce soir ; je veux te faire écouter quelque chose » murmura Helmuth Hübener, jeune homme de seize ans, à son ami Karl-Heinz Schnibbe. C’était un dimanche soir de l’été 1941 et les jeunes gens étaient en train d’assister à la réunion de Sainte-Cène de leur branche de Hambourg, en Allemagne.

Karl-Heinz, âgé de dix-sept ans, avait de nombreux amis au sein de la branche mais il appréciait tout particulièrement la compagnie de Helmuth. Il était intelligent et sûr de lui, tellement intelligent que Karl-Heinz le surnommait « le professeur ». Son témoignage et son engagement vis-à-vis de l’Église étaient fermes, et il répondait aisément aux questions sur l’Évangile. Comme la mère de Helmuth avait de longues journées de travail, le jeune homme vivait chez ses grands-parents. Son beau-père était un nazi zélé et Helmuth n’aimait pas être avec lui.

Ce soir-là, Karl-Heinz pénétra silencieusement chez son ami et le retrouva penché sur une radio. « Elle capte les ondes courtes », dit Helmuth. La plupart des familles allemandes disposaient de radios bon marché fournies par le gouvernement nazi. Elles avaient peu de canaux et leur réception était limitée. Le frère aîné de Helmuth, qui était soldat dans l’armée allemande, avait ramené de France cette radio de bonne qualité après la conquête du pays par les forces nazies au cours de la première année de la guerre.

« Qu’est-ce que tu parviens à entendre ? demanda Karl-Heinz. La France ?

– Oui, dit Helmuth, et l’Angleterre aussi.

– Tu es fou ? » répondit Karl-Heinz. Il savait que Helmuth s’intéressait à l’actualité et à la politique, mais écouter les émissions de radio de l’ennemi en temps de guerre était passible de prison ou même de mort.

Helmuth tendit à Karl-Heinz un document qu’il avait rédigé, donnant des informations sur les succès militaires de la Grande-Bretagne et de l’Union soviétique.

« Comment as-tu eu ces renseignements ? demanda Karl-Heinz après avoir lu la feuille. Comment cela peut-il être possible ? C’est exactement le contraire de ce que disent nos émissions militaires. »

Helmuth répondit en éteignant la lumière et en allumant la radio, le volume bas. L’armée allemande s’efforçait constamment de brouiller les signaux alliés mais Helmuth avait installé une antenne permettant aux garçons de capter les émissions interdites diffusées depuis la Grande-Bretagne.

À dix heures, une voix grésilla dans l’obscurité : « La BBC de Londres présente l’actualité en allemand. » L’émission parlait d’une offensive allemande en Union soviétique. Les journaux nazis avaient présenté la campagne comme un triomphe, sans reconnaître les pertes allemandes. Les Britanniques abordèrent franchement les pertes alliées et celles de l’Axe.

Helmuth dit : « J’ai la certitude qu’ils disent la vérité et que nous mentons. Il y a beaucoup de vantardise et de propagande dans nos actualités. »

Karl-Heinz était stupéfait. Helmuth disait souvent qu’on ne pouvait pas faire confiance aux nazis. À l’église, il avait même eu des discussions politiques sur le sujet avec des adultes. Karl-Heinz avait hésité à croire son jeune ami plutôt que les représentants du gouvernement.

Maintenant, il lui semblait que c’était Helmuth qui avait raison.

Le 7 décembre 1941, Kay Ikegami et sa famille attendaient que l’École du dimanche japonaise commence dans une petite église sur King Street à Honolulu (Hawaï). Au début, lorsque Kay avait commencé à suivre le cours avec d’autres saints nippo-américains, le groupe était petit. Mais depuis la création de la mission japonaise à Hawaï quatre ans plus tôt, on comptait désormais cinq Écoles du Dimanche japonaises à Honolulu. Kay était le surintendant de l’École du Dimanche qui se réunissait à King Street.

Il y avait moins de monde que d’habitude en classe ce matin-là. Alors qu’ils attendaient le début de la réunion, Jay C. Jensen, qui avait remplacé Hilton Robertson en tant que président de la mission japonaise, franchit la porte en trombe. Il s’exclama : « Le Japon est en train d’attaquer Pearl Harbor ! »

Kay devint blême. Il dit : « Non ! Ce n’est pas possible. »

Bien que né au Japon, Kay avait vécu aux États-Unis depuis son enfance et y avait vu naître ses enfants. L’idée que son pays natal attaque le pays que sa famille et lui considéraient comme leur foyer était profondément troublante.

Ce matin-là, à huit heures, le président Jensen avait assisté à une autre École du Dimanche japonaise près de Pearl Harbor, qui était une grande base navale américaine située à proximité de la ville. Dehors, des avions faisaient des allers et retours en formation, et certains lâchaient des bombes. Il avait supposé que l’armée américaine effectuait des manœuvres d’entraînement ; il n’avait donc pas été perturbé par le tumulte. Alors qu’il rentrait chez lui, sa femme, Eva, s’était précipitée à sa rencontre et lui avait annoncé que Pearl Harbor était attaqué.

Dubitatif, il avait allumé la radio, qui avait confirmé les dires de sa femme. « Ne restez pas dans la rue ! » avait lancé un animateur de radio. Les avions japonais étaient toujours dans le ciel et larguaient des bombes. Cependant, le couple Jensen se faisait du souci pour Kay et sa réunion d’École du Dimanche ; ils s’étaient donc précipités à King Street.

Le président Jensen dit à Kay : « Rentrez vite et mettez-vous à l’abri. » L’assemblée se dispersa rapidement et chacun évacua le bâtiment. Peu de temps après, une bombe atterrit à une centaine de mètres de là, mettant le feu à plusieurs édifices.

Dans les jours qui suivirent, les États-Unis déclarèrent la guerre au Japon et à son alliée, l’Allemagne, mettant fin à la neutralité américaine. Le gouvernement plaça Hawaï sous une loi martiale stricte : les écoles publiques furent fermées, les journaux censurés et le courrier sortant contrôlé. Tous les habitants des îles étaient soumis à un couvre-feu et les Japonais qui n’étaient pas citoyens américains devaient être chez eux à vingt heures, une heure plus tôt que tous les autres résidents. Le gouvernement interdit également de parler japonais en public.

Pendant ce temps, le fils de Kay, David, âgé de quinze ans, était perturbé par le changement soudain dans la vie de sa famille. Il rapporta dans son journal : « Les journées sont mornes. J’aimerais pouvoir retourner à l’école. » Il essaya de se rendre dans le bâtiment de son école afin de récupérer un livre de bibliothèque rangé dans son casier, mais des soldats bloquaient la route.

Redoutant d’autres attaques du Japon, les habitants de l’île commencèrent à construire de petits abris souterrains pour se protéger des bombes ennemies. Kay et sa femme, Matsuye, demandèrent à David de les aider à en construire un dans leur jardin. Un peu plus d’une semaine avant Noël, ils commencèrent à creuser une tranchée pour l’abri. Le travail était difficile et les progrès lents, notamment lorsqu’ils durent retirer des pierres du sol. Après avoir reçu de l’aide, la famille réussit à terminer la construction de l’abri le matin de Noël.

David était reconnaissant que ce travail fatigant soit achevé, pourtant il eut du mal à profiter du reste des vacances. « À cause de la guerre, on ne peut pas avoir l’esprit de Noël », se lamentait-t-il.

Quelques semaines s’étaient écoulées depuis le bombardement, sans qu’il y ait eu d’autres attaques. Toutefois, il était difficile de ne pas scruter le ciel, à la recherche d’avions portant l’emblème japonais du soleil levant.

En Allemagne, un dimanche soir, Karl-Heinz Schnibbe et Rudi Wobbe attendaient l’arrivée de Helmuth Hübener à la réunion de Sainte-Cène de la branche de Hambourg. Depuis quelques mois, Karl-Heinz et Rudi, un garçon de quinze ans, aidaient Helmuth à distribuer des tracts antinazis dans la ville. En tant que greffier de branche, Helmuth gardait la machine à écrire de la branche chez lui afin de pouvoir écrire des lettres aux soldats saints des derniers jours. Il s’en servait souvent pour rédiger des prospectus, qui portaient des titres en gras tels que « Ils ne vous disent pas tout » ou « Hitler, le meurtrier ! »

La distribution de ces tracts relevait de la haute trahison, crime passible de peine de mort, mais les jeunes garçons avaient jusqu’à présent échappé aux autorités. Cependant, l’absence de Helmuth à l’église était troublante. Karl-Heinz se demandait si son ami était malade. La réunion se déroula comme à l’accoutumée jusqu’à ce que le président de branche, Arthur Zander, membre du parti nazi, demande à l’assemblée de rester assise après la prière de clôture.

Il déclara : « Un membre de notre branche, Helmuth Hübener, a été arrêté par la Gestapo. Je n’ai pas beaucoup d’informations mais je sais que c’est pour des raisons politiques. C’est tout. »

Karl-Heinz et Rudi échangèrent un regard. Les saints assis près d’eux murmuraient, pleins de stupéfaction. Qu’ils soient partisans d’Hitler ou non, beaucoup estimaient qu’il était de leur devoir de respecter le gouvernement et ses lois. De plus, ils savaient que, si un membre de la branche s’opposait ouvertement aux nazis, même si c’était héroïque ou bien intentionné, cela les mettrait tous en danger.

Sur le chemin du retour, les parents de Karl-Heinz se demandaient à haute voix ce que Helmuth avait bien pu faire. Karl-Heinz ne dit mot. Rudi, Helmuth et lui avaient fait un pacte : si l’un d’entre eux venait à être arrêté, il prendrait toute la responsabilité sur lui et ne divulguerait pas l’identité des autres. Karl-Heinz était sûr que Helmuth respecterait leur pacte mais il avait peur. La Gestapo avait la réputation de torturer les prisonniers afin d’obtenir les renseignements qu’elle voulait.

Deux jours plus tard, Karl-Heinz était au travail lorsque quelqu’un frappa à la porte. Deux agents de la Gestapo en longs manteaux de cuir lui montrèrent leur badge.

L’un d’eux demanda : « C’est toi, Karl-Heinz Schnibbe ? »

Il acquiesça.

« Suis-nous », dirent-ils en le guidant vers une Mercedes noire. Karl-Heinz se retrouva coincé sur la banquette arrière entre deux agents tandis qu’ils se dirigeaient vers son appartement. Il essaya de ne rien dire de compromettant pendant qu’on l’interrogeait.

Quand ils arrivèrent enfin chez lui, le jeune homme était reconnaissant que son père soit au travail et sa mère chez le dentiste. Pendant une heure, les agents fouillèrent l’appartement, feuilletant les livres et regardant sous les lits, mais Karl-Heinz avait pris soin de ne pas rapporter de preuves chez lui. Ils ne trouvèrent rien.

Néanmoins, ils ne voulurent pas le laisser partir. Ils le firent entrer de nouveau dans la voiture. Un agent dit : « Si tu mens, nous te réduirons en bouillie. »

Ce soir-là, Karl-Heinz fut emmené dans une prison de la banlieue de Hambourg. On le conduisit à sa cellule puis un officier armé d’une matraque et d’un pistolet ouvrit la porte.

Il lui demanda : « Que fais-tu ici ? »

Karl-Heinz répondit qu’il ne savait pas.

L’homme le frappa au visage avec son trousseau de clés. Il hurla : « Tu le sais maintenant ?

– Non monsieur, répondit Karl-Heinz, terrifié. Je veux dire, oui monsieur ! »

L’officier le frappa à nouveau et, cette fois, Karl-Heinz céda à la douleur. Il dit : « On prétend que j’ai écouté une diffusion de la radio ennemie. »

Cette nuit-là, Karl-Heinz espérait trouver la paix et le calme, mais les officiers n’eurent de cesse d’ouvrir la porte à la volée, d’allumer les lumières et de le forcer à courir vers le mur et à dire son nom. Quand ils le laissèrent finalement dans l’obscurité, ses yeux brûlaient de fatigue. Pourtant, il ne parvenait pas à dormir. Il pensait à ses parents et à quel point ils devaient se faire du souci. Se doutaient-ils qu’il avait été arrêté ?

Fatigué de corps et d’esprit, Karl-Heinz enfouit son visage dans son oreiller et pleura.

En février 1942, Amy Brown Lyman était assise face à un microphone dans le tabernacle de Salt Lake City à peine éclairé. Elle se préparait à enregistrer un message pour le centième anniversaire de la Société de secours. Seules quelques personnes étaient présentes pour assister à son enregistrement. Au cours de ses trente années de service en tant que dirigeante de la Société de secours, elle avait eu de nombreuses occasions de parler en public. Mais cette expérience était nouvelle et cela la rendait nerveuse.

Amy avait été mise à part comme présidente générale de la Société de secours le 1er janvier 1940, quelques semaines seulement avant l’attaque cérébrale dont fut victime Heber J. Grant. Depuis, la santé du président Grant continuait de s’améliorer. Pourtant, la sécurité et le bien-être des habitants du monde entier n’avaient jamais été aussi précaires. La guerre s’était étendue à pratiquement toutes les régions du globe, le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Union soviétique, la Chine et leurs alliés luttant contre les forces de l’Allemagne, de l’Italie, du Japon et de leurs alliés.

Tandis que les soldats américains se préparaient à partir se battre à l’étranger, le gouvernement demandait aux citoyens de faire des sacrifices pour soutenir l’effort de guerre. En janvier, la Première Présidence annonça que les organisations de l’Église, comme la Société de Secours, devaient annuler toutes les conférences de pieu au Canada, au Mexique et aux États-Unis afin d’économiser de l’argent et du carburant.

C’était la raison pour laquelle Amy devait enregistrer son message au lieu de le présenter de vive voix. À l’origine, les dirigeantes de la Société de Secours avaient prévu d’organiser une grande fête en mars 1942 afin de célébrer le centenaire de la première Société de Secours de Nauvoo. La Société de Secours avait également prévu de tenir une conférence de trois jours en avril, de parrainer neuf représentations d’un spectacle intitulé Un siècle de lumière pour les femmes (Woman’s Century of Light) et d’organiser un concert de mille cinq cents « mères chanteuses » dans le tabernacle.

Comme ces événements étaient annulés, le bureau général de la Société de Secours incita les paroisses et les branches à organiser leurs propres rassemblements à une échelle plus réduite et à planter un « arbre du centenaire » pour commémorer l’événement.

Le conseil décida également d’envoyer à toutes les Sociétés de Secours des États-Unis, du Mexique et du Canada un disque phonographique de trente centimètres contenant les paroles d’Amy ainsi qu’un bref message du président Grant. Comme la guerre rendait difficile l’envoi des enregistrements aux femmes des autres pays, la Société de Secours envisagea de les transmettre quand la situation s’améliorerait.

Au moment de prononcer son discours, Amy parla clairement dans le microphone. Elle dit : « Bien que les ombres de la guerre pèsent lourdement sur de nombreux pays, ce centième anniversaire n’est pas oublié. » Elle mentionna ensuite l’œuvre énorme accomplie par la Société de Secours, son histoire de service et de foi et les difficultés actuelles.

Elle ajouta : « En 1942, alors que nous entamons un nouveau siècle de la Société de Secours, nous vivons dans un monde rempli de tumulte et de problèmes. Il est évident que partout les gens devront faire des sacrifices, des sacrifices dont beaucoup n’auraient jamais imaginé la nature et l’ampleur.

Dans ces moments difficile, les femmes de la Société de Secours ne seront pas prises au dépourvu. Elles ne douteront jamais que la connaissance et la paix finiront par triompher de l’ignorance et de la guerre. »

Après avoir terminé son discours, Amy était reconnaissante de s’être adressée à des femmes qui vivaient à des milliers de kilomètres et qui n’auraient pas pu assister aux conférences à Salt Lake City, même en temps de paix.

Amy avait espéré que 1942 soit une année de réjouissances à l’échelle de l’Église pour la Société de Secours. Au lieu de cela, il était certain que ce serait une année de sacrifice, de souffrance et de nouvelles responsabilités. Pourtant, elle exhorta les femmes à faire confiance au Seigneur et à œuvrer pour sa cause.

Elle déclara : « En ce jour, consacrons-nous à nouveau à notre œuvre et à notre mission particulières et à la propagation de l’Évangile de notre Seigneur et Maître, Jésus-Christ. »

Pendant ce temps à Tilsit, en Allemagne, Helga Meiszus, âgée de vingt et un ans, soutenait l’effort de guerre en apportant des streusels aux soldats et en rendant visite aux blessés le dimanche entre ses réunions à l’église. Un jour, alors qu’elle faisait des visites dans un hôpital voisin, elle rencontra un soldat saint des derniers jours blessé, Gerhard Birth. Peu de temps après, il commença à lui envoyer de nombreuses lettres.

Même s’ils ne s’étaient vus qu’une seule fois, le jeune homme l’invita à venir dans sa ville natale pour fêter Noël avec sa famille. Au début, elle pensait qu’elle ne devait pas accepter l’invitation. Puis son frère Siegfried, qui travaillait avec elle dans un magasin de lunettes local, la fit changer d’avis. Il dit : « Ils sont membres de l’Église et ils t’ont invitée. Pourquoi n’irais-tu pas ? »

Alors Helga y alla et se réjouit de faire la connaissance de Gerhard et de sa grande famille. Il était clair que le jeune homme était amoureux d’elle, mais elle n’imaginait pas que leur relation pouvait évoluer vers quelque chose de plus. Face à la guerre et à un avenir incertain, les jeunes avaient tendance à se précipiter pour se marier. Si Helga faisait de même, Gerhard et elle auraient probablement peu de temps à passer ensemble avant qu’il soit renvoyé au front. De plus, la guerre ne tournait pas à l’avantage de l’Allemagne. En juin 1941, Hitler avait envahi l’Union soviétique mais, quelques semaines avant Noël, l’armée soviétique et un rude hiver russe avaient repoussé les nazis à Moscou.

Peu après son retour à Tilsit, Helga reçut une lettre de Gerhard, la demandant en mariage. Elle répondit en prenant sa proposition à la légère. Dans sa lettre suivante, il lui assura qu’il était sincère. Il écrivit : « Fiançons-nous. »

D’abord hésitante, Helga finit par accepter. Elle appréciait Gerhard et l’admirait. Il était l’aîné de onze enfants et était dévoué à ses parents et à l’Église. Il avait également reçu une bonne éducation, avait beaucoup d’ambition et chantait très bien. Elle pouvait s’imaginer vivre une belle vie avec lui.

Peu de temps après, Helga rentra chez elle un dimanche après une réunion de l’Église et trouva dans sa boîte aux lettres un télégramme de Gerhard. Il avait été rappelé au front et, par le plus grand des hasards, son train allait passer par Tilsit en route vers l’Union soviétique. Gerhard voulait la retrouver à la gare puis l’épouser en ville.

L’idée de se rendre seule à la gare pour rencontrer un soldat mettait Helga mal à l’aise, alors elle demanda à une amie du nom de Waltraut de l’accompagner. Le jour convenu, elles retrouvèrent Gerhard à la gare au milieu d’un groupe de soldats. Il avait l’air heureux de la voir mais elle le salua d’une simple poignée de main. Helga se tourna alors vers Waltraut, comptant sur elle pour dissiper l’embarras du moment mais son amie avait disparu, les laissant seuls.

Gerhard reçut la permission de rester à Tilsit quelques jours tandis que son unité partait pour le front. Le 11 février 1942, Helga et Gerhard se rendirent au palais de justice pour se marier. Il faisait froid mais le temps était magnifique. Tandis qu’ils marchaient, ils entendaient la neige crisser sous leurs pieds. Au palais de justice, des membres de la famille et de la branche étaient présents pour la cérémonie.

Le dimanche suivant, Gerhard chanta un solo à l’église. L’effectif de la branche de Tilsit avait beaucoup diminué depuis que de nombreux hommes avaient été appelés sous les drapeaux. Le père d’Helga avait été enrôlé peu après l’invasion de la Pologne mais il était de retour chez lui. Son frère, Siegfried, était maintenant suffisamment âgé pour partir à la guerre, et bientôt, son frère Henry le serait aussi.

En écoutant Gerhard chanter, Helga fut émue. Les paroles de son chant rappelaient : « Les plaisirs de la vie passent rapidement. Ses joies, au mieux, sont peu nombreuses. »

Après la réunion, Helga accompagna son mari à la gare, où ils se dirent au revoir. Pendant un mois et demi, Gerhard lui écrivit presque tous les jours. Puis, après quelques semaines de silence, elle reçut la nouvelle qu’il avait été tué au combat.

Au mois d’avril de cette année-là, J. Reuben Clark se tenait devant une petite assemblée pour la conférence générale, dans l’Assembly Hall à Temple Square. En raison des restrictions de déplacement, seules les Autorités générales et les présidences de pieu assistaient en personne à la réunion. Les saints qui vivaient en Utah et dans les environs pouvaient écouter la diffusion à la radio, tandis que ceux qui vivaient plus loin devaient attendre de recevoir les discours publiés dans le rapport de conférence de l’Église. Les saints qui vivaient dans les pays déchirés par la guerre n’auraient pas du tout accès aux messages. Pourtant, J. Reuben Clark estimait que son message, transmis au nom de la Première Présidence, devait s’adresser à tous les saints des derniers jours, où qu’ils vivent.

Il déclara : « Dans la guerre actuelle, des membres justes de l’Église sont morts dans les deux camps, certains faisant preuve d’un grand héroïsme, pour le bien de leur propre pays. » Quatre mois plus tôt, son gendre, Mervyn Bennion, avait perdu la vie lors de l’attaque japonaise de Pearl Harbor. Le président Clark aimait Mervyn comme son propre fils ; sa mort l’avait profondément affecté. Aussi pénible qu’ait été la mort de son gendre, le président Clark avait été consolé par l’Esprit. Il savait qu’il ne pouvait pas succomber à des sentiments de colère, de rancune ou de vengeance.

Il ajouta : « Malheur à ceux qui sèment la haine dans le cœur des jeunes et du peuple. La haine vient de Satan, l’amour vient de Dieu. Chacun d’entre nous doit chasser la haine de son cœur et ne plus lui permettre d’y entrer. »

Il cita ensuite un passage de la section 98 des Doctrine et Alliances : « C’est pourquoi, renoncez à la guerre, proclamez la paix. » Il poursuivit : « Les conflits entre les pays doivent être réglés pacifiquement. L’Église est contre la guerre et doit le rester. »

Le conflit était la cause de chagrin et de souffrance parmi les membres de l’Église du monde entier et avait entravé la croissance de celle-ci. Depuis la dernière guerre, les saints et les missionnaires en Europe avaient passé deux décennies à faire connaître l’Évangile et à édifier l’Église. Désormais, de nombreuses branches luttaient pour que leurs membres restent unis.

Aux États-Unis, les saints étaient également éprouvés, quoiqu’à un moindre degré. Le rationnement de l’essence et du caoutchouc par le gouvernement empêchait les saints de se réunir aussi souvent que d’habitude. Tous les hommes âgés de dix-huit à soixante-quatre ans devaient s’inscrire au service militaire. Bientôt, il resta très peu de jeunes disponibles pour le service missionnaire et les dirigeants de l’Église limitèrent l’œuvre missionnaire à plein temps à l’Amérique du Nord et du Sud, et aux îles Hawaï.

En dépit du fait que la Première Présidence était contre la guerre, elle comprenait que les saints des derniers jours avaient le devoir de défendre le pays où ils vivaient. Malgré la perte douloureuse de son gendre à cause d’une attaque ennemie soudaine, le président Clark affirma que les saints des deux côtés du conflit étaient justifiés de répondre à l’appel de leur nation respective.

Il déclara : « Cette Église est une Église mondiale. Ses membres dévoués se trouvent dans les deux camps. De chaque côté, ils estiment qu’ils se battent pour leur foyer, leur pays et leur liberté. Des deux côtés, nos frères prient le même Dieu, en s’adressant à lui de la même façon, pour être victorieux. Les deux parties ne peuvent avoir entièrement raison ; peut-être qu’aucune n’est dépourvue de tort. »

Il ajouta : « En son temps et à sa manière souveraine, Dieu établira ce qui est juste et droit dans ce conflit. Dieu est à la barre. »


Chapitre 28 : Notre effort commun

Au printemps 1942, les industries américaines s’engageaient dans l’effort de guerre. À Cincinnati, les usines produisaient des pièces de machines et des moteurs. D’autres entreprises de la ville fabriquaient des rideaux occultants, des parachutes et des émetteurs radio. Dans les épiceries, comme celle de la famille Bang, les articles étaient soigneusement rationnés car de plus en plus de marchandises étaient destinées à nourrir et équiper les soldats.

Les matériaux courants se faisant rares, Paul et Connie Bang se demandaient si la branche de Cincinnati serait en mesure de construire son nouveau lieu de culte. Depuis qu’ils avaient vendu l’ancien bâtiment, les saints se réunissaient dans une salle louée dans un centre voisin de l’Union chrétienne de jeunes gens (YMCA). Paul et Connie étaient membres du comité de construction de la branche. Avant même le début de la guerre, ils avaient collecté des fonds pour le nouveau lieu de culte. Désormais, avec tant de pénuries, le comité avait peu d’espoir de réaliser son projet avant la fin des combats.

À cette époque, Paul et son beau-frère, Milton Taylor, envisageaient d’emmener leur famille au temple. Partout autour d’eux, la guerre divisait les familles. Maris et femmes, fils et filles quittaient leur foyer pour servir leur pays. Comme ils avaient une vingtaine d’années, Paul et Milton s’étaient inscrits pour le service militaire et pouvaient être mobilisés à tout moment. Au milieu d’un tel tumulte, le mariage éternel et les alliances du temple étaient une source d’assurance pour eux et pour leur jeune famille.

Un jour, Paul et Milton apprirent que leur ami, Vaughn Ball, membre de la branche de Cincinnati originaire de Salt Lake City, prévoyait de se rendre en Utah. Si la famille Bang et la famille Taylor l’accompagnaient, ils pourraient réaliser leur rêve d’être dotés et scellés dans le temple. De plus, en voyageant ensemble, les frais seraient réduits.

Le seul problème était de trouver un moyen de transport. Près de deux ans s’étaient écoulés depuis le mariage de Paul et Connie Bang et ils étaient maintenant parents d’une fille de dix mois, Sandra. Milton et sa femme, Esther, avaient également une petite fille, Janet, âgée de deux ans.

Milton connaissait un homme qui possédait une bonne voiture avec suffisamment de places assises. Ce dernier accepta de la leur louer. Alors que les générations précédentes de saints étaient parties vers l’ouest en chariot, en charrette à bras ou en train, la famille Bang, la famille Taylor et Vaughn Ball allaient le faire dans une DeSoto Touring Sedan de 1939.

La dernière semaine du mois d’avril, le groupe prit la route pour l’Utah. En cette période de guerre, l’essence n’était pas aussi rare que le caoutchouc. Le groupe pouvait donc entreprendre son voyage à travers le pays en toute bonne conscience, à condition de rouler lentement pour éviter une usure prématurée des pneus.

Tandis que la DeSoto traversait les États-Unis, les voyageurs profitaient des nombreuses routes goudronnées et stations-service qui avaient vu le jour au cours des trente dernières années. La nuit, ils dormaient dans des motels et ils parvenaient toujours à convaincre les propriétaires de leur louer des chambres pour quelques dollars de moins que le prix annoncé.

À part Vaughn, aucun des voyageurs ne s’était aventuré aussi loin vers l’ouest auparavant. Le paysage changeant était une nouveauté pour eux. Ils profitèrent du spectacle jusqu’à ce que les Montagnes Rocheuses se dessinent et que les routes deviennent plus escarpées et plus dangereuses. Vaughn aimait plus que tout franchir les cols magnifiques mais tous les autres semblaient terrifiés à l’idée que les pentes escarpées cèdent et les enterrent vivants. C’est avec soulagement qu’ils arrivèrent sains et saufs dans la vallée du lac Salé.

En ville, Paul, Connie et Sandra furent hébergés chez la mère de Marion Hanks, un missionnaire qui servait à Cincinnati. La famille Taylor fut logée chez la mère de Vaughn Ball. Les deux familles visitèrent Temple Square à plusieurs reprises, prenant en photo les bâtiments et les monuments. Ils rendirent également visite à Charles et Christine Anderson, qui avaient dirigé la branche de Cincinnati pendant plus de deux décennies. Ceux-ci aimaient profondément les deux couples et espéraient depuis longtemps les voir scellés.

Le 1er mai, Paul et Connie entrèrent dans le temple de Salt Lake City avec Milton et Esther. Après avoir reçu leur dotation, les couples furent conduits dans l’une des cinq salles de scellement du temple. Charles A. Callis, apôtre qui avait autrefois été président de la mission comprenant la branche de Cincinnati, fit entrer tour à tour chaque couple et les scella pendant que frère Anderson servait de témoin. Janet et Sandra furent ensuite amenées dans la pièce, vêtues de blanc, et scellées à leurs parents respectifs.

Quelques jours après leur scellement, Paul, Connie, Milton et Esther se rendirent de nouveau au temple pour faire une autre session de dotation. Paul et Connie s’émerveillèrent de la taille et de la beauté du bâtiment tandis qu’ils en parcouraient les salles et les couloirs. Ils étaient ravis d’être là et avaient l’assurance qu’ils étaient scellés ensemble et à leur fille pour le temps et l’éternité.

Ce printemps-là, près de la Haye, aux Pays-Bas, Hanna Vlam, âgée de trente-sept ans, disait au revoir à son mari, Pieter, alors qu’il s’apprêtait à partir à la gare. Depuis deux ans, l’Allemagne nazie occupait les Pays-Bas. En tant qu’ancien officier de la marine néerlandaise, Pieter était tenu de se faire enregistrer régulièrement auprès des autorités nazies et il se rendait dans une ville proche de la frontière allemande pour le faire.

Avant son départ, il dit à Hanna : « On se voit demain. »

L’invasion allemande avait pris Hanna et Pieter au dépourvu. Hitler avait promis de ne pas envahir les Pays-Bas, qui étaient neutres, et Pieter l’avait cru. Puis, une nuit de mai 1940, le bruit d’avions de guerre larguant des bombes les avait brusquement tirés du lit. Pieter avait rapidement revêtu son uniforme et était parti pour aider à défendre son pays. Cependant, après cinq jours de combat, l’armée néerlandaise avait capitulé devant la puissance écrasante de l’Allemagne.

Il était difficile de vivre sous le régime nazi. Pieter avait perdu sa solde de militaire mais il avait trouvé un emploi civil pour subvenir aux besoins de sa famille. Sous l’occupation, les saints néerlandais avaient reçu l’autorisation de continuer à se réunir tant que des responsables nazis pouvaient entendre ce qu’ils disaient. Les membres devaient se réunir pendant la journée pour se conformer aux interdictions de sortie. En tant que deuxième conseiller dans la présidence de mission des Pays-Bas, Pieter passait presque tous les week-ends à voyager en compagnie du président de mission, Jacob Schipaanboord, et du premier conseiller, Arie Jongkees, tous deux néerlandais comme lui, afin de visiter des branches dans tout le pays.

En mars 1941, Pieter et Hanna Vlam avaient fait face à une tragédie : un train avait heurté et tué leur fille de quatre ans, Vera. Leur seule consolation était de savoir qu’elle était à eux pour l’éternité. Alors que Vera n’était qu’un bébé, le couple et ses trois enfants avaient été scellés dans le temple de Salt Lake City, en rentrant d’une mission militaire en Indonésie. Cette certitude les aida à s’accrocher à leurs alliances et à trouver du réconfort malgré les jours sombres qui suivirent.

Le matin où Pieter était parti se faire enregistrer auprès des autorités nazies, Hanna n’imaginait pas que leur séparation pourrait durer plus longtemps que ses déplacements les weekends avec la présidence de la mission. Mais, plus tard ce jour là, leur fille aînée, Grace, âgée de onze ans, fit irruption dans la pièce.

Elle s’exclama : « Est-ce que c’est vrai ? » Elle rapporta à sa mère que, selon des rumeurs, les nazis avaient arrêté les anciens militaires qui s’étaient présentés à l’enregistrement. Ils avaient été entassés dans des wagons à bestiaux et transportés vers un camp de prisonniers.

Hanna était trop choquée pour parler. Le lendemain, elle reçut par courrier la confirmation que Pieter avait été emmené en Allemagne. Il était désormais prisonnier de guerre.

Les semaines passaient lentement ; Hanna priait pour recevoir de la paix et de la force. Elle demandait au Seigneur de veiller sur son mari et de le protéger. Après presque six semaines sans nouvelles, elle reçut finalement une petite carte de Pieter. Son écriture était serrée pour remplir tout l’espace.

On y lisait : « Je suis en bonne santé, de corps et d’esprit. » Les nazis le détenaient dans une prison du nom de Langwasser, dans la ville de Nuremberg. Malgré les mauvais traitements qu’infligeaient les gardiens à ses compagnons et lui-même, il s’en sortait. Il avait écrit : « Je pense constamment à vous tous. Dans mon esprit, je te serre fort dans mes bras, ma chère Hanny. »

Il demandait à sa femme de lui envoyer un peu de nourriture et ses Écritures. Hanna n’était pas sûre que les livres passent la censure nazie, mais elle décida qu’elle allait au moins essayer.

Pieter l’exhorta : « Sois courageuse. Dieu nous réunira à nouveau. »

Le 5 juillet 1942, David Ikegami assistait à une conférence de la mission japonaise dans le tabernacle du pieu d’Oahu, à Hawaï. Pour lui, cette réunion du dimanche était particulière. Non seulement il allait être ordonné à l’office d’instructeur dans la Prêtrise d’Aaron, mais en plus, on lui avait demandé de prendre la parole lors de la première session de la conférence. Plus de deux cents personnes étaient présentes, ce qui était bien plus que l’assistance aux réunions de l’École du Dimanche auxquelles il était habitué.

Pour son discours, David s’appuya sur les paroles tirées de Doctrine et Alliances 38:30 : « Si vous êtes préparés, vous ne craindrez pas ». Près de sept mois après l’attaque de Pearl Harbor, la crainte et l’incertitude continuaient de peser sur Hawaï. L’armée américaine avait investi les hôtels et clôturé les plages avec des barbelés. Les soldats faisaient respecter un couvre-feu strict et les personnes qui ne le respectaient pas risquaient d’être abattues. Les cours avaient repris dans l’établissement scolaire de David. Il devait toutefois avoir avec lui un masque à gaz et les élèves faisaient souvent des exercices en prévision des raids aériens et des attaques au gaz.

En tant que nippo-américains, David et sa famille devaient également supporter la méfiance croissante de leurs voisins non japonais. Certaines personnes, y compris de nombreux responsables gouvernementaux et militaires, supposaient, sans aucune preuve, que les américains d’origine japonaise tenteraient de saper l’effort de guerre américain par loyauté ancestrale envers le Japon. Au début de l’année, le gouvernement américain avait même commencé à déplacer plus de cent mille hommes, femmes et enfants nippo-américains de leurs foyers en Californie et dans d’autres États de la côte ouest vers des camps d’internement dans des États à l’intérieur des terres, comme l’Utah.

Le gouvernement ne procéda pas à des internements aussi massifs à Hawaï, où près de quarante pour cent de la population était d’origine japonaise. Toutefois, les autorités avaient placé en détention environ mille cinq cents personnes de la communauté japonaise qui occupaient des postes importants ou qui étaient considérées comme suspectes. La plupart de ces détenus étaient emprisonnés dans des camps sur les îles.

Pour montrer sa loyauté envers les États-Unis et participer à l’effort de guerre, David avait rejoint un groupe de bénévoles appelé le Kiawe Corps pour construire des sentiers et enlever les bosquets de kiawe, arbustes à épines, pour installer les camps militaires. Pendant ce temps, son père avait commencé à travailler avec ses assistants de l’École du Dimanche pour organiser une collecte de fonds pour les militaires américains, qui comptaient dans leurs rangs des membres de leur assemblée.

Lorsque David prit la parole pendant la conférence de mission, il cita le dernier discours de conférence générale de John A. Widtsoe. L’apôtre avait enseigné aux saints que « la peur est une arme majeure de Satan pour rendre l’humanité malheureuse », leur rappelant que les personnes qui vivaient dans la droiture et l’unité n’avaient pas à avoir peur. Il avait déclaré : « Où que soit le peuple du Seigneur, si ceux qui le composent vivent si dignement qu’ils puissent revendiquer le titre sacré de citoyens de la Sion de notre Seigneur, ils sont en sécurité. »

Au cours des semaines qui suivirent la conférence, le père de David continua de collecter des fonds au profit des soldats américains. La collecte, intitulée « Nous sommes unis pour la victoire », permit à un comité de cinquante Japonais de l’île d’imprimer des milliers d’invitations et d’enveloppes de dons à distribuer à leurs amis et voisins. En quelques mois, ils avaient collecté onze mille dollars. Les chefs militaires en poste sur les îles exprimèrent leur reconnaissance pour l’argent. Il serait utilisé pour acheter des livres, des cours de langue sur phonographe et deux projecteurs et écrans de cinéma pour remonter le moral des soldats.

Les saints de la mission japonaise étaient heureux d’aider. Leur patriotisme et leur loyauté transparaissaient sur les invitations distribuées dans toute la collectivité. On y lisait : « Nous désirons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour préserver la liberté que nous aimons. Notre effort commun rendra les militaires heureux. »

Quelques mois plus tard, dans une prison de Hambourg, en Allemagne, Karl-Heinz Schnibbe attendait d’être jugé pour trahison. Peu après son arrestation, il avait vu son ami, Helmuth Hübener, dans une grande salle de détention blanche avec des dizaines d’autres prisonniers. Tous avaient reçu l’ordre de garder le nez contre le mur mais, lorsque Karl-Heinz passa près d’eux, son ami inclina la tête, sourit et fit un petit clin d’œil. Visiblement, Helmuth ne l’avait pas incriminé. Le visage meurtri et tuméfié du jeune homme montrait qu’il avait été violemment battu pour avoir résisté.

Peu de temps après, Karl-Heinz vit également son ami, Rudi Wobbe, dans la salle de détention. Ils avaient été arrêtés tous les trois.

Au cours des premiers mois de son emprisonnement, Karl-Heinz avait subi des interrogatoires, des menaces et des actes de violence de la part de la Gestapo. Les enquêteurs ne parvenaient pas à accepter l’idée qu’un garçon de dix-sept ans comme Helmut Hübener puisse être à l’origine d’une telle conspiration et ils avaient exigé de connaître le nom des adultes impliqués. Bien sûr, il n’y avait pas de noms d’adultes à donner.

Le matin du 11 août 1942, Karl-Heinz quitta sa tenue de prisonnier pour revêtir un costume et une cravate envoyés par sa famille. Le costume pendait sur son corps amaigri comme s’il était sur un cintre dans un placard. Karl-Heinz fut ensuite conduit devant le Tribunal du peuple, tristement célèbre en Allemagne nazie pour juger les prisonniers politiques et leur infliger des punitions terribles. Ce jour-là, Karl-Heinz, Helmuth et Rudi allaient être jugés pour conspiration, trahison et complicité avec l’ennemi.

Dans la salle d’audience, les accusés étaient assis sur une estrade surélevée face aux juges vêtus de robes rouges ornées d’un aigle d’or. Pendant des heures, Karl-Heinz écouta les témoins et les agents de la Gestapo détailler les preuves de la conspiration des garçons. Les tracts de Helmuth, qui dénonçaient Hitler et exposaient les mensonges des nazis, furent lus à haute voix. Les juges étaient furieux.

La cour concentra d’abord son attention sur Karl-Heinz, Rudi et un autre jeune homme, un ancien collègue de travail de Helmuth. Puis elle s’intéressa à Helmuth, qui ne semblait pas intimidé par les juges.

L’un d’eux demanda : « Pourquoi avez-vous fait ce que vous avez fait ?

– Parce que je voulais que les gens sachent la vérité », répondit Helmuth. Il dit aux juges qu’il ne pensait pas que l’Allemagne pouvait gagner la guerre. Des exclamations de colère et d’incrédulité remplirent la salle d’audience.

Quand les juges revinrent à leur banc afin d’annoncer le verdict, Karl-Heinz tremblait. Le juge en chef les qualifia de « traîtres » et d’« ordures ». Il déclara : « La vermine dans votre genre doit être exterminée. »

Puis il se tourna vers Helmuth et le condamna à mort pour haute trahison et complicité avec l’ennemi. Le silence s’abattit sur la salle. Un visiteur dans la salle murmura : « Oh non ! La peine de mort pour ce garçon ? »

Karl-Heinz fut condamné à cinq ans de prison et Rudi à dix ans. Les garçons étaient abasourdis. Les juges demandèrent s’ils avaient quelque chose à dire.

Helmuth prit la parole : « Vous me tuez sans aucune raison. Je n’ai commis aucun crime. J’ai simplement dit la vérité. Aujourd’hui c’est mon tour mais le vôtre viendra. »

Cet après-midi-là, Karl-Heinz vit Helmuth pour la dernière fois. Ils se serrèrent d’abord la main, puis Karl-Heinz prit son ami dans ses bras. Les yeux de Helmuth s’emplirent de larmes.

« Au revoir », dit-il.

Le lendemain de l’exécution de Helmuth Hübener par les nazis, Marie Sommerfeld apprit la nouvelle dans le journal. Elle était membre de la branche du jeune homme. Son fils, Arthur, et lui étaient amis. Pour Helmuth, elle était comme une seconde mère. Elle n’arrivait pas à croire qu’il n’était plus de ce monde.

Elle se souvenait encore de lui, enfant, brillant et doté d’un grand potentiel. En une occasion, il lui avait dit : « Un jour, tu entendras quelque chose de grandiose me concernant. » Selon elle, Helmuth n’avait pas dit cela pour se vanter. Il voulait simplement mettre à profit son intelligence pour faire quelque chose d’important dans le monde.

Huit mois plus tôt, Marie avait appris l’arrestation de Helmuth avant même que le président de la branche ne l’annonce à la chaire. C’était un vendredi, le jour où, habituellement, elle nettoyait l’église avec Wilhelmina Sudrow, la grand-mère de Helmuth. En entrant dans le bâtiment, Marie avait trouvé Wilhelmina à genoux devant la chaire, les bras tendus, implorant Dieu.

« Que se passe-t-il ? » avait-elle demandé.

Wilhelmina avait répondu : « Quelque chose de terrible est arrivé. » Elle avait alors expliqué que les agents de la Gestapo s’étaient présentés à sa porte accompagnés de Helmuth, avaient fouillé l’appartement et emporté certains de ses papiers, sa radio et la machine à écrire de la branche.

Horrifiée par ce récit, Marie avait immédiatement pensé à son fils Arthur, qui avait récemment été enrôlé dans le service du travail du Reich à Berlin. Avait-il été impliqué dans le plan de Helmuth avant son départ ?

Dès qu’elle put, elle se rendit à Berlin pour demander à Arthur s’il avait participé d’une quelconque manière. Elle fut soulagée d’apprendre que, bien qu’il ait occasionnellement écouté la radio de Helmuth, il ne savait pas que ce dernier et les autres garçons distribuaient des documents antinazis.

Tout au long de l’emprisonnement de Helmuth, des membres de la branche prièrent pour lui. D’autres en voulaient aux jeunes garçons de les avoir mis en danger, eux et d’autres saints allemands, et d’avoir compromis la possibilité de continuer de tenir des réunions de l’Église à Hambourg. Même les membres de l’Église qui n’étaient pas sympathisants des nazis craignaient que Helmuth ne leur ait fait courir le risque d’être emprisonnés, ou pire, notamment du fait que la Gestapo était convaincue que le jeune garçon avait été aidé par des adultes.

Le président de branche, Arthur Zander, estima qu’il devait agir rapidement pour protéger les membres de sa branche et prouver que les saints des derniers jours ne conspiraient pas contre le gouvernement. Peu de temps après l’arrestation des garçons, Arthur Zander et le président de mission suppléant, Anthon Huck, excommunièrent Helmuth. Cette décision mit en colère certains membres de la branche ainsi que le président de district. Les grands-parents de Helmuth étaient effondrés.

Quelques jours après l’exécution de Helmuth, Marie reçut une lettre qu’il lui avait écrite quelques heures avant sa mort. « Mon Père céleste sait que je n’ai rien fait de mal, disait-il. Je sais que Dieu vit. Il sera le véritable juge de cette affaire. »

Il avait ajouté : « Je reste votre ami et votre frère dans l’Évangile jusqu’au jour de nos heureuses retrouvailles dans un monde meilleur. »

Pendant des mois, Pieter Vlam se demandait pourquoi le Seigneur avait permis aux nazis de l’enfermer dans un camp de prisonniers, loin de sa famille.

Les baraques délabrées du camp étaient infestées de poux, de puces et de punaises de lit. Pieter et les autres prisonniers s’aventuraient parfois à l’extérieur pour se reposer sur une petite parcelle herbeuse. Un jour, alors qu’ils étaient allongés et regardaient le ciel, un homme demanda à Pieter s’ils pouvaient parler de sujets spirituels. Il savait que ce dernier était saint des derniers jours et il se posait des questions sur ce qu’il y avait après cette vie. Pieter commença à lui enseigner l’Évangile.

Bientôt, d’autres prisonniers vinrent chercher des conseils spirituels auprès de lui. Comme les gardes ne permettaient pas aux hommes de se réunir en grand groupe, Pieter partait marcher autour du camp avec deux hommes à la fois, un de chaque côté. Parmi ses compagnons de détention, tous ne croyaient pas aux enseignements de Pieter, mais ils aimaient sa foi et apprirent à mieux connaître l’Église.

Après avoir passé quelques mois dans le camp allemand, les officiers néerlandais furent transférés au Stalag 371, camp de prisonniers situé en Ukraine, alors occupée par les nazis. Leurs nouveaux quartiers se trouvaient dans un bâtiment de pierre glacial mais les conditions de vie y étaient un peu meilleures que ce qu’ils avaient enduré en Allemagne. Se sentant plus fort de corps et d’esprit, Pieter continua de faire des promenades avec quiconque était intéressé par ce qu’il enseignait. Il marchait tellement qu’il écrivit à sa femme, Hanna, pour lui demander de lui envoyer de nouvelles chaussures en bois pour remplacer ses chaussures usées.

Bientôt, un groupe d’une dizaine d’hommes sollicita Pieter afin qu’il organise une École du Dimanche, ce qu’il accepta. Comme les nazis interdisaient de telles réunions, les prisonniers se retrouvèrent en secret dans un bâtiment désert situé dans un coin reculé du camp. Ils couvrirent la fenêtre d’une vieille couverture et trouvèrent de quoi faire une chaire improvisée. Par miracle, les Écritures et le recueil de cantiques qu’Hanna avait envoyés à son mari après son arrestation n’avaient pas été confisqués. Pieter enseignait en s’appuyant sur la Bible et le Livre de Mormon mais le groupe n’osait pas chanter. Au lieu de cela, Pieter lisait les paroles des cantiques à haute voix. À la fin de leurs réunions, les hommes s’éclipsaient, un à un, pour éviter d’être repérés.

Un pasteur protestant du Stalag 371 finit par remarquer que des hommes marchaient et parlaient avec Pieter. Il les prit à part, un par un, et leur montra une brochure pleine de mensonges sur l’Église. Il leur dit que Pieter se berçait d’illusions. Cependant, les efforts du pasteur n’eurent pas le résultat escompté : au lieu de persuader les hommes de mettre de côté Pieter et ses enseignements, ils éveillèrent leur curiosité au sujet de l’Évangile rétabli.

Après avoir lu la brochure, un certain M. Callenbach décida de rejoindre le groupe. Il dit à Pieter : « Je ne souhaite pas être converti. Je veux simplement connaître votre version de l’histoire. »

Un dimanche, Pieter décida de parler du principe du jeûne. Il recommanda aux hommes de donner à quelqu’un la petite tasse de haricots qu’ils avaient reçue ce jour-là.

Il ajouta : « Si vous n’arrivez pas à dormir la nuit, priez Dieu et demandez-lui si les choses que je vous ai dites sont vraies. »

Le dimanche suivant, les hommes se levèrent pour rendre témoignage. M. Callenbach fut le dernier à prendre la parole. Les larmes aux yeux, il raconta son expérience concernant le jeûne.

Il dit : « Cette nuit-là, j’étais affamé. Je me suis alors souvenu de ce que M. Vlam avait dit concernant la prière. » Il expliqua qu’il avait prié avec ferveur pour savoir si les enseignements de Pieter étaient vrais. Il ajouta : « Un sentiment indescriptible de paix m’a envahi et j’ai su que j’avais entendu la vérité. »


Chapitre 29 : Reste avec nous, Seigneur

Par une nuit calme de 1943, quelqu’un sonna à la porte de Nellie Middleton. Il faisait nuit dehors mais elle savait qu’il ne fallait pas allumer les lumières au moment d’ouvrir la porte. Près de trois ans s’étaient écoulés depuis que les bombes allemandes avaient commencé à tomber près de chez elle, rue de Saint-Paul à Cheltenham en Angleterre. Nellie continuait d’occulter ses fenêtres la nuit pour protéger sa fille et elle-même des raids aériens.

Les lumières éteintes, elle ouvrit la porte. Un jeune homme se tenait sur le seuil, le visage dans la pénombre. Il tendit la main et, à voix basse, se présenta comme étant Ray Hermansen, un frère de l’Église. Son accent américain était facilement reconnaissable.

Nellie sentit sa gorge se nouer. Depuis la dissolution de la branche de Cheltenham, Nellie et les autres femmes avaient rarement eu l’occasion de prendre la Sainte-Cène. Les États-Unis avaient récemment envoyé des troupes en Angleterre pour préparer une offensive des Alliés contre l’Allemagne nazie. Quand Nellie avait pris conscience que certains soldats américains basés dans sa ville pourraient être des membres de l’Église pouvant bénir la Sainte-Cène, elle avait demandé à Margaret, sa belle-sœur, de peindre une représentation du temple de Salt Lake City et de l’afficher en ville. Sous l’image, on lisait le message suivant : « Tout soldat intéressé par ceci sera accueilli chaleureusement au 13, rue St. Paul. »

Cet américain avait-il vu son affiche ? Avait-il l’autorité de bénir la Sainte-Cène ? Nellie lui serra la main et le fit entrer.

Ray était un saint des derniers jours de vingt ans, originaire d’Utah, et il détenait l’office de prêtre dans la prêtrise d’Aaron. Bien que son régiment soit stationné à seize kilomètres de là, un autre membre de l’Église lui avait parlé de la peinture du temple de Salt Lake City et il avait obtenu la permission de se rendre à l’adresse indiquée sur l’affiche. Il avait parcouru la distance à pied et c’était pour cela qu’il n’était arrivé qu’à la nuit tombée. Quand Nellie lui fit part de son souhait de prendre la Sainte-Cène, il lui demanda à quel moment il pouvait revenir afin d’accomplir cette ordonnance pour elle.

Le 21 novembre, Nellie, sa fille et trois autres femmes accueillirent Ray à leur réunion dominicale. Nellie commença la réunion par une prière et la petite assemblée chanta le cantique « Oh, quel amour ». Ensuite, Ray bénit et distribua la Sainte-Cène. Puis les quatre femmes présentes rendirent témoignage de l’Évangile.

Bientôt, d’autres soldats saints des derniers jours entendirent parler des réunions de la rue St. Paul. Certains dimanches, il y avait tellement de monde dans le salon de Nellie que les gens devaient s’asseoir dans les escaliers. Comme les canaux de communication entre les nations alliées étaient toujours ouverts, les saints de Cheltenham n’étaient pas isolés du siège de l’Église en Utah. La mission britannique continuait de publier le Millennial Star, ce qui fournissait aux saints de la documentation pour leurs leçons et des articles d’actualité dont ils discutaient lors de leurs réunions.

À cette époque, l’une des nouvelles les plus importantes du Millennial Star était l’appel de Spencer W. Kimball et d’Ezra Taft Benson au Collège des douze apôtres. Quand le président Grant leur présenta cet appel, tous deux étaient présidents de pieu en dehors de l’Utah et avaient des liens avec la mission britannique. Heber C. Kimball, le grand-père de frère Kimball, avait ouvert la mission en 1837. Frère Benson avait servi dans cette mission au début des années 1920.

Lors des réunions avec les soldats, Nellie constatait à quel point leur famille leur manquait. Comme l’armée censurait le courrier qu’écrivaient les militaires, leurs proches n’avaient souvent aucune idée de l’endroit où ils se trouvaient. Nellie commença à écrire des lettres aux familles des soldats, décrivant combien il était merveilleux d’avoir leur frère, leur fils, leur mari ou leur fiancé chez elle. Elle indiquait son adresse sur l’enveloppe, ce qui donnait une idée de l’endroit où étaient déployés les soldats.

Dans une lettre adressée à la femme d’un soldat, Nellie écrivit : « Je sais à quel point votre mari doit vous manquer et avec quelle impatience vous attendez de ses nouvelles. Sachez que vous auriez été très fière de la manière dont il a parlé de vous et de l’Église. »

Elle ajouta : « Je pense que tant que nous faisons de notre mieux, le Seigneur continuera de nous bénir. Il a pris soin de nous et nous a protégés avec tant de bonté. Même au milieu de toute cette misère et cette destruction, nous sommes profondément reconnaissants de toutes nos bénédictions. »

Vers cette époque, Mary dos Santos, âgée de trente ans, rendait visite à sa tante, Sally, qui vivait dans une ferme près de la ville de Santa Bárbara d’Oeste, dans l’État de São Paulo, au Brésil. Sally avait rencontré des missionnaires saints des derniers jours originaires des États-Unis et elle avait proposé à Mary de les rencontrer également. Cette dernière n’était pas très croyante et ne s’intéressait pas du tout à une nouvelle Église. Cependant, elle avait accepté de rencontrer les jeunes hommes avec son mari, Claudio, à condition qu’ils promettent de ne pas parler de religion.

Plus tard, lorsque les missionnaires arrivèrent à São Paulo chez Mary et Claudio, ceux-ci les trouvèrent à la fois intéressants et amusants. Ils restèrent quatre heures et ne parlèrent de l’Église que pour mentionner un cours d’anglais qu’ils proposaient tous les jeudis. Le grand-père de Mary était né aux États-Unis et avait émigré au Brésil après la guerre de Sécession, si bien que la jeune femme avait grandi en parlant anglais à la maison. Mais le cours intéressait Claudio, qui était brésilien lusophone et ne connaissait que peu d’anglais. Il pensait qu’une meilleure maîtrise de cette langue l’aiderait à progresser professionnellement.

Avant que Claudio assiste à son premier cours, Mary le mit en garde. Elle lui dit : « Tu vas au cours d’anglais, rien de plus. Ne fais pas attention à tout ce qui se passe avant ou après ! »

Claudio ne tint pas compte de son conseil. Après le cours, il resta pour assister à une activité où les membres de l’Église et leurs amis faisaient des sketches et jouaient de la musique. Claudio aimait la musique mais il était surtout attiré par le bon esprit de la réunion et des participants.

Quand il rentra chez lui, sa femme l’interrogea sur le cours : « Comment ça s’est passé ?

– C’était merveilleux ! » Il lui parla de l’activité. Il avait déjà hâte d’y retourner.

Mary n’aimait pas le fait qu’il reste après le cours mais elle le soutint, semaine après semaine. Un jour, il la convainquit de l’accompagner et elle passa également un bon moment. Tous deux finirent par s’intéresser à l’Évangile rétabli de Jésus-Christ.

Au Brésil, l’Église n’en était qu’à ses débuts. Comme l’avait recommandé le président de la mission sud-américaine, Reinhold Stoof, la mission brésilienne créée en 1935 était germanophone. Cependant, trois ans plus tard, le président de la République avait instauré des lois visant à affaiblir l’influence des gouvernements étrangers et à promouvoir l’unité nationale. L’une de ces lois interdisait qu’une autre langue que le portugais, langue officielle du pays, soit parlée dans les réunions publiques, y compris les services religieux.

Les saints avaient obtenu l’autorisation de la police de tenir certaines réunions en allemand. Toutefois, les missionnaires commencèrent à concentrer leurs efforts sur les lusophones, dont beaucoup semblaient désireux de les rencontrer. En 1940, l’Église publia une édition portugaise du Livre de Mormon.

En même temps, les restrictions linguistiques continuaient de susciter de la frustration chez les saints germanophones. Leurs sentiments ne firent que s’intensifier au cours de l’été 1942, lorsque des sous-marins allemands attaquèrent des navires brésiliens. Le Brésil déclara la guerre à l’Allemagne et le travail missionnaire en allemand fut interrompu. Certains saints germanophones se retournèrent contre l’Église et ses dirigeants majoritairement américains, mais beaucoup restèrent des saints des derniers jours engagés.

Dans la branche de São Paulo, où Mary et Claudio assistaient aux réunions et aux activités, une poignée de saints lusophones et germanophones participaient au culte ensemble. Mais il y avait un problème pour trouver des dirigeants. Habituellement, c’étaient les missionnaires qui dirigeaient les branches au Brésil mais, à cause de la guerre, il étaient moins nombreux. Le gouvernement brésilien avait également interdit l’entrée de nouveaux missionnaires étrangers dans le pays. Lorsque le président de mission, William Seegmiller, était arrivé en 1942, plus de soixante missionnaires d’Amérique du Nord œuvraient au Brésil. Au début de l’année 1944, les derniers missionnaires étaient sur le point de rentrer chez eux et il y avait très peu de détenteurs de la prêtrise parlant le portugais au Brésil pour remplir les appels vacants de dirigeants.

Les cours d’anglais suivis par Claudio prirent fin après le retour des missionnaires aux États-Unis. Peu de temps après la fin des cours, Ada, la femme du président Seegmiller, rendit visite au couple. Après avoir discuté un moment, elle dit : « Vous savez, ces missionnaires seraient très heureux si vous vous faisiez baptiser. »

Ce soir-là, Claudio et Mary n’acceptèrent pas le baptême, mais ils décidèrent de commencer à assister aux réunions du dimanche. Leur intérêt pour l’Évangile augmenta et, au début de la nouvelle année, ils décidèrent de devenir membres de l’Église. Le 16 janvier 1944, Mary et Claudio furent baptisés par Wan, le fils de William et Ada Seegmiller, quelques jours seulement avant que celui-ci ne quitte le pays pour servir dans l’armée américaine.

Quelques semaines après le début de la nouvelle année, Helga Meiszus Birth apprit la mort de son cousin Kurt Brahtz, soldat de l’armée allemande qui avait récemment été blessé en Union soviétique. Elle avait grandi avec le jeune homme et le considérait comme son frère. Elle pleura sa mort comme elle avait pleuré celle de son mari, Gerhard, autre jeune victime de la guerre. Elle resta inconsolable pendant quelques temps. Puis elle se força à se reprendre. Elle dit : « Je pleure pour moi-même. »

Un peu plus tard, alors qu’elle assistait à une conférence de district près de chez elle, Helga rencontra Paul Langheinrich, deuxième conseiller dans la présidence de mission. Pendant qu’ils parlaient, Paul lui demanda : « Sœur Birth, que diriez-vous de partir en mission ? » Helga réfléchit. La plupart des jeunes hommes étant partis à la guerre, on avait désespérément besoin de sœurs missionnaires. Ce ne serait pas facile de faire une mission en période de guerre et elle devrait obtenir une permission spéciale pour déménager à Berlin. Néanmoins, elle voulait faire avancer l’œuvre du Seigneur. Elle répondit à Paul qu’elle était prête à servir.

Les mois passèrent et elle ne reçut pas d’appel en mission. Pendant cette période, elle se faisait de plus en plus de souci pour son jeune frère Siegfried, qui avait été enrôlé dans l’armée. Elle était sûre qu’il lui était arrivé quelque chose. Lorsqu’elle reçut enfin une lettre de lui, il était dans un hôpital militaire en Roumanie. Une bombe lui avait déchiqueté le corps, lui mutilant le genou et la hanche. Il écrivit : « Helga, la guerre est finie pour moi. » Il décéda quelques jours plus tard.

Le mois suivant, la branche organisa une cérémonie en souvenir de Siegfried. La tante de Helga, Nita, de Hambourg, vint à Tilsit pour le service. Elle y retrouva Helga, ses grands-parents et sa tante Lusche. À la fin de la cérémonie, Lusche attrapa Helga par le bras et lui demanda : « Pourquoi ne viens-tu pas dormir chez moi ?

– Je ne peux pas », répondit-elle. Elle avait déjà promis à Nita et à ses grands-parents de rester avec eux cette nuit-là.

« Viens chez moi, la supplia Lusche. J’ai préparé trop de soupe aux pois ! »

Helga sentit que quelque chose la poussait à suivre Lusche. Elle accepta.

Cette nuit-là, chez sa tante, après s’être couchée, Helga vit un flash lumineux aveuglant. Elle sut immédiatement qu’il s’agissait d’une fusée éclairante d’un bombardier allié, illuminant une cible. Les deux femmes se précipitèrent à la cave tandis que les sirènes d’alerte aérienne retentissaient.

Helga connaissait bien les raids. L’année précédente, les éclats d’une bombe ennemie l’avaient touchée à la tête et au ventre. Elle avait senti tout son corps s’engourdir et avait cru qu’elle allait mourir. Elle s’était dit : « Je vais retrouver Gerhard. »

Cette nuit-là, pendant que les nombreuses explosions faisaient trembler les murs, Helga pensait qu’elle ne sortirait pas vivante de la cave. Blotties l’une contre l’autre, les deux femmes chantèrent un cantique qui les réconfortait dans leurs moments d’angoisse :

Seigneur, reste avec moi ce soir !

Voici déjà la nuit.

Le calme et la paix revinrent enfin dans la maison. Le lendemain matin, un homme qu’Helga connaissait par le travail, frappa à la porte de Lusche et dit : « Dépêchez-vous ! Dépêchez-vous ! Dépêchez-vous ! »

Helga suivit l’homme dans la rue où ses grands-parents vivaient. Leur immeuble avait été complètement rasé par les bombes des alliés. Horrifiée, Helga regarda des volontaires fouiller les décombres à la recherche de survivants. Non loin, les corps des défunts reposaient sous des couvertures. Helga chercha parmi ceux-ci mais ne trouva ni ses grands-parents, ni sa tante.

Les ouvriers continuèrent de fouiller les décombres. Au bout de quelques semaines, ils retrouvèrent les corps manquants.

Helga n’arrivait pas à comprendre pourquoi Dieu avait permis une telle chose. Sa grand-mère avait été une membre fidèle de l’Église et son témoignage avait été une ancre pour celui de Helga. Elle se demanda : « Fallait-il vraiment qu’ils meurent ainsi ? »

Puis, une nuit, elle rêva de ses grands-parents et de sa tante. Dans son rêve, elle comprit que leur mort avait été rapide et sans souffrance. Helga fut également réconfortée par le fait qu’ils étaient morts ensemble.

Un peu plus tard, elle reçut un appel à servir dans le bureau de la mission de Berlin. Elle était heureuse de quitter Tilsit. Il ne lui vint pas à l’esprit qu’elle pourrait ne jamais revenir.

Peu après le baptême de Claudio et Mary dos Santos à São Paulo, au Brésil, William Seegmiller, le président de mission, demanda à Claudio s’il voulait être un ancien [« elder » en anglais]. Quoique surpris, Claudio répondit « oui ». Il allait à l’église depuis quelques mois seulement ; il ne savait pas exactement ce que signifiait être un ancien. Il savait qu’on appelait les missionnaires « Elder » et qu’ils étaient des jeunes hommes remarquables qui consacraient leur vie à Dieu. Si c’était ça, être un ancien, alors c’était bien ce qu’il désirait.

Le dimanche matin suivant, juste avant l’École du Dimanche, le président Seegmiller ordonna Claudio à l’office d’ancien dans la Prêtrise de Melchisédek. Ensuite, il lui dit : « Maintenant, nous allons préparer la Sainte-Cène et l’École du dimanche. »

Claudio était un peu perplexe. Tout se passait si vite et il ne savait pas vraiment ce qu’il faisait. Cependant, il suivit les instructions du président et remplit sa première responsabilité dans la prêtrise.

Ce soir-là, pendant la réunion de Sainte-Cène de la branche, le président Seegmiller sollicita à nouveau Claudio, lui demandant cette fois d’être son interprète tandis qu’il s’adressait aux saints en anglais. Claudio ne maîtrisait pas encore bien l’anglais et n’avait jamais interprété auparavant, mais il accepta.

Au début de la réunion, le président de mission demanda aux saints de soutenir l’ordination de Claudio. À sa grande surprise, Claudio comprit clairement le président Seegmiller et n’eut aucun mal à traduire ses paroles en portugais.

Le président de mission parla ensuite à l’assemblée d’une lettre qu’il avait écrite à la Première Présidence un an auparavant. Il avait exprimé sa crainte qu’au Brésil, il n’y ait pas suffisamment d’hommes dignes parlant le portugais dans l’Église pour être ordonnés à la prêtrise et soutenir les branches. Il avait désormais honte d’avoir tenu ces propos.

Il déclara : « Aujourd’hui, notre frère Claudio a été ordonné à l’office d’ancien. Voulez-vous le soutenir en tant que premier président de branche brésilien de São Paulo ? »

Abasourdi, Claudio interpréta ses paroles. Il pensa à son manque d’expérience. Il se demanda : « Qu’est-ce que j’y connais ? » Il connaissait l’histoire de Joseph Smith mais n’avait jamais lu le Livre de Mormon. La seule chose qu’il avait à offrir était son enthousiasme pour l’Évangile rétabli. C’était peut-être tout ce que le Seigneur attendait de lui.

Il regarda l’assemblée et vit que les membres levaient la main pour le soutenir dans son appel. Il était honoré. Il ne savait peut-être pas grand-chose mais il était disposé à œuvrer.

Ses responsabilités prirent effet immédiatement. Il dirigea les réunions du dimanche et bénit la Sainte-Cène. Un missionnaire lui avait appris à lire la musique et il compila un répertoire d’une vingtaine de cantiques qu’il jouait à l’orgue pour accompagner les saints de São Paulo. Au début, il n’avait qu’un conseiller pour le soutenir mais les deux hommes firent de leur mieux pour concilier leur travail et leurs responsabilités familiales tout en prenant soin des saints dispersés dans l’immense ville.

Malgré son inexpérience, Claudio était convaincu que Dieu avait en vue un objectif en l’appelant à diriger la branche. Il se disait : « Si l’Église est vraie, s’il y a un Dieu qui la dirige, il fallait qu’il choisisse quelqu’un. Il fallait qu’il choisisse quelqu’un d’enthousiaste, qui puisse recevoir l’autorité et accomplir l’œuvre. »

De l’autre côté de l’Atlantique, Nellie Middleton et sa fille, Jennifer, continuaient d’accueillir les soldats et les saints locaux chez elles à Cheltenham, en Angleterre, pour les réunions de Sainte-Cène. Cela faisait près de cinq ans que la guerre faisait partie du quotidien de Jennifer, presque aussi loin que pouvait remonter sa mémoire. Âgée de dix ans, elle était habituée au rationnement alimentaire, aux sirènes des raids aériens et à son masque à gaz, qu’elle emportait partout dans un étui que sa mère avait confectionné.

Elle avait aussi l’habitude d’être la seule enfant lors des réunions de l’Église. Elle aimait les saints des derniers jours adultes de Cheltenham et s’était liée d’amitié avec de nombreux soldats qui venaient chez elle pour le culte. Cependant, elle désirait être totalement unie à eux : elle souhaitait se faire baptiser pour devenir membre de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours.

C’était son désir depuis qu’elle avait atteint l’âge requis mais il n’y avait pas de fonts baptismaux à Cheltenham et, en période de guerre, sa mère n’avait jamais eu l’occasion de se rendre avec elle dans une autre ville. Cependant, au cours de l’été 1944, Hugh B. Brown, qui avait dirigé la mission britannique jusqu’à ce que la guerre l’oblige à partir, fut appelé à retourner en Angleterre pour superviser les missionnaires locaux, les membres et les soixante-dix-huit branches du pays. Quand il rendit visite aux sœurs à Cheltenham, il collecta leur dîme, que Nellie avait soigneusement gardée dans une boîte en fer.

Jennifer fut impressionnée par ce grand homme qui se tenait dans son salon. Il se pencha pour lui serrer la main.

Nellie dit : « Frère, je ne sais pas quoi faire pour cette enfant. Elle désire se faire baptiser mais nous ne pouvons pas voyager. »

Le président Brown affirma qu’il pouvait s’arranger pour qu’elles prennent un train militaire jusqu’à la ville de Birmingham, à quatre-vingts kilomètres au nord. Là, elles auraient accès à des fonts baptismaux.

Jennifer demanda à Arthur Fletcher, un homme âgé d’une branche voisine, d’accomplir le baptême, et à Harold Watkins, un soldat américain qu’elle connaissait, de la confirmer. La date de baptême fut fixée au 11 août 1944. Ils feraient le voyage jusqu’à Birmingham ensemble.

Le jour venu, Jennifer se tenait sur le quai de la gare, vêtue d’une nouvelle tenue de voyage vert émeraude que sa mère avait confectionnée pour l’occasion. Comme, depuis peu, l’Église demandait aux personnes se faisant baptiser d’être habillées en blanc, Nellie avait cousu une autre robe pour l’ordonnance en utilisant un magnifique tissu de coton blanc brodé.

Le train crachait des nuages de vapeur en approchant du quai. Le chef de gare donna l’ordre d’embarquer mais Harold Watkins n’était pas encore arrivé. Jennifer se glissa dans le train bondé de soldats tout en scrutant la foule à la recherche de son ami. Elle ne voulait pas partir sans lui.

Soudain, un soldat monté sur un vélo rouillé arriva sur le quai. Sa casquette était glissée dans une poche et sa cravate dans l’autre. C’était Harold ! Il jeta la bicyclette et sauta dans le train au moment où celui-ci commençait à rouler. Jennifer laissa échapper des exclamations de joie.

À bout de souffle, Harold leur raconta ce qui lui était arrivé. Ce matin-là, le commandant du camp avait ordonné que tous les hommes soient confinés dans leurs baraquements. Harold avait promis de confirmer Jennifer et il devait partir, quel que soit le risque. À la dernière minute, il se faufila hors du camp, trouva une vieille bicyclette posée contre un mur et parcourut les dix kilomètres jusqu’à la gare aussi vite que possible.

Jennifer et les personnes qui l’accompagnaient arrivèrent sans problème à Birmingham. Deux jeunes filles de la région assistèrent au service de baptême pour soutenir Jennifer. L’une d’elle exprima l’idée qu’une personne qui se faisait baptiser était comme un navire qui partait enfin pour le voyage de la vie. Reconnaissante d’avoir enfin la possibilité de se déclarer membre de l’Église, Jennifer était prête à entreprendre son propre voyage.

Cet été-là, à Salt Lake City, Neal Maxwell, âgé de dix-sept ans, entra dans un bureau de recrutement de l’armée et se porta volontaire pour partir à la guerre. Depuis le début du conflit, il attendait de pouvoir s’enrôler. Bien qu’il n’ait pas l’âge requis pour être admis au service militaire, il ne voulait pas attendre plus longtemps.

Il se passait tellement de choses. Le 6 juin 1944, plus de cent soixante mille soldats des forces alliées avaient pris d’assaut les plages du nord de la France, événement qu’on appela « le Débarquement ». Suite à cette bataille acharnée contre les défenses nazies, les Alliés s’implantèrent en Europe continentale et commencèrent à se frayer un chemin vers l’Allemagne. Neal espérait que cette invasion signifiait que les Alliés prenaient le dessus. Il voulait aider à mener le conflit à son terme aussi vite que possible.

Il commença son service en septembre. Ses parents, Clarence et Emma, ne comprenaient pas pourquoi il était si pressé de faire la guerre. En apprenant qu’il ferait partie de l’infanterie, leur inquiétude ne fit que croître. Du fait de son affectation, il serait certainement envoyé au front.

Neal se présenta pour la formation militaire. Il avait pris avec lui un livre intitulé Les principes de l’Évangile. Ce livre, préparé spécialement par les dirigeants de l’Église pour les militaires saints des derniers jours, contenait la doctrine de l’Église, des instructions pour administrer les ordonnances de la prêtrise, des cantiques et des conseils généraux pour le service militaire. En introduction, la Première Présidence avait écrit : « Nous prions pour que le Seigneur vous accorde le courage et la force d’âme nécessaires pour accomplir pleinement votre devoir et pour être honorable en toutes circonstances. »

Une fois que la formation commença, Neal se rendit compte qu’il avait beaucoup à apprendre. Les autres recrues semblaient plus âgées et expérimentées que lui. En grandissant, il avait souvent été complexé par son apparence. Comme il était trop petit pour jouer dans l’équipe de basket de son lycée, il s’était orienté vers l’élevage des porcs dans le club agricole. Il avait des cicatrices sur le visage à cause d’une acné sévère, ce qui ajoutait à son manque de confiance. Il avait pris un peu d’assurance quand il avait été coéditeur du journal de l’école.

Neal écrivit souvent à sa famille pendant l’entraînement et ses lettres étaient pleines de bravade juvénile. Depuis l’attaque de Pearl Harbor, les cinéastes d’Hollywood soutenaient l’armée américaine en produisant des films d’action qui idéalisaient la guerre et les Américains qui combattaient. Neal pensait que l’armée faisait de lui un soldat résistant et fort. Il racontait dans ses lettres qu’il tirait au fusil et faisait des randonnées de trente kilomètres. Il expliquait : « Nos sergents sont des vétérans d’outre-mer et ils ne sont pas avares de coups de poing. » Il ajouta qu’une fois l’entraînement terminé, il serait « un vrai homme ».

Il lui arrivait cependant d’être choqué par le comportement de certains des soldats qui l’entouraient et il exprimait une reconnaissance particulière pour avoir grandi dans un foyer humble, centré sur l’Évangile. Il écrivit à sa mère : « Notre maison était le paradis. Maintenant, je me rends compte à quel point vous avez été géniaux et formidables, papa et toi. »

L’entraînement de Neal se termina en janvier 1945. Il fut envoyé sur le front du Pacifique, dans les combats violents contre les Japonais. Quelques jours avant son départ, il eut une conversation avec sa mère au téléphone. Elle lui parla d’un officier qu’elle connaissait qui pourrait lui trouver le moyen d’accomplir son devoir militaire sans avoir à se battre.

Elle ajouta : « Peut-être que tu n’as pas besoin de partir à l’étranger. »

« Maman, répondit-il, je veux y aller. » Il savait que c’était difficile pour elle de lui dire au revoir, mais il avait un devoir à remplir.


Chapitre 30 : Tant de souffrances

En Europe, l’hiver 1944-1945 fut extrêmement froid. Les forces alliées progressaient vers l’Allemagne, livrant bataille après bataille dans la neige glaciale. Hitler tenta de lancer une dernière offensive contre les forces américaines et britanniques sur le front de l’Ouest, mais l’assaut ne fit qu’épuiser son armée déjà affaiblie. De leur côté, les troupes soviétiques dominaient le front de l’Est, envahissant progressivement les territoires nazis.

À Berlin, Helga Birth luttait contre le froid dans le bureau de la mission d’Allemagne de l’Est. Un an plus tôt, l’ancien bureau avait pris feu lors d’un bombardement et le siège de la mission se situait désormais dans l’appartement du deuxième conseiller, Paul Langheinrich, et de sa femme, Elsa. Comme les bombes avaient détruit les fenêtres du logement, Helga et les autres missionnaires y avaient suspendu des couvertures pour empêcher le froid d’entrer. Il n’y avait pas de chauffage ni d’eau chaude. La nourriture était rare et il était difficile de trouver le sommeil lorsque les sirènes de raid aérien retentissaient la nuit.

La ville étant pratiquement en état de siège, les missionnaires ne pouvaient pas sortir et prêcher en toute sécurité. Toutefois, la présidence suppléante de la mission d’Allemagne de l’Est, composée de membres de l’Église locaux, était responsable de tous les saints de la mission. Le président de la mission, Herbert Klopfer, et la plupart du personnel du bureau avaient été appelés sous les drapeaux. Helga et d’autres femmes tenaient donc les rapports de la mission et gardaient le contact avec des milliers de saints allemands dont la vie avait été bouleversée par la guerre.

La majorité des membres de la famille de Helga ainsi que ses amis avaient fui Tilsit tandis que l’armée soviétique progressait vers les villes de l’est de l’Allemagne. Son père et son plus jeune frère, Henry, avaient été incorporés dans l’armée, et sa mère avait trouvé refuge chez un cousin qui habitait une ferme. Les autres saints de Tilsit s’étaient entraidés aussi longtemps qu’ils l’avaient pu en se partageant le peu de nourriture et de vêtements qu’ils avaient. Le président de branche, Otto Schulzke, avait perdu sa maison dans un bombardement. Sa famille avait eu la vie sauve mais avait perdu tous ses biens. Lorsque la branche se réunit pour la dernière fois, les membres partagèrent un repas et écoutèrent une fois de plus frère Schulzke.

Étant donné tout ce qu’elle avait perdu, Helga était reconnaissante d’avoir trouvé une place parmi les saints à Berlin. À la mi-avril 1945, l’armée soviétique avait traversé l’Allemagne de l’Est et encerclait désormais la ville. Par un dimanche matin pluvieux, Helga se réunit avec un petit groupe de saints pour le culte. Les bombes et les combats de rue avaient résonné dans les quartiers toute la nuit et peu de membres de l’Église étaient venus à la réunion. Paul Langheinrich parla de la foi. Helga était lasse mais l’Esprit la fortifia. Elle pensa aux paroles du Sauveur rapportées dans le livre de Matthieu : « Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux. »

Après la réunion, Paul invita Helga à l’accompagner ainsi que le président de branche, Bertold Patermann, pour visiter une autre assemblée de la ville. Suite aux attaques de la nuit, Paul voulait s’assurer que les membres étaient en sécurité.

Ils marchèrent tous les trois pendant une heure jusqu’au lieu de culte de la branche. En approchant du bâtiment, ils virent du sang dans les rues et une bataille aérienne faisait rage au-dessus de leur tête. Ils pressèrent le pas, se dirigeant tout droit dans le bâtiment de l’Église pour se mettre à l’abri. Soudain, des explosions d’obus d’artillerie éclatèrent derrière eux. Ils restèrent calmes et continuèrent d’avancer dans la rue. Ils trouvèrent le bâtiment de l’Église vide. L’un de ses murs avait été frappé de plein fouet, réduisant un côté de l’église à un tas de gravats. On aurait dit que quelqu’un avait essayé de balayer les débris mais s’était arrêté au milieu de la tâche.

Helga et les deux hommes qui l’accompagnaient rendirent visite à quelques membres de l’Église vivant non loin, puis ils décidèrent de retourner au foyer de la mission. De retour dans les rues, ils se sentirent totalement vulnérables. Le ciel était toujours en effervescence, et les obus continuaient de siffler et d’exploser autour d’eux. Des avions de chasse survolaient les rues à basse altitude et des coups de feu brisaient de vieux bâtiments et des ponts, projetant des éclats de pierre et de brique.

Cherchant à rester à couvert, Helga, Paul et Bertold se glissaient dans des bâtiments et dans l’embrasure de portes. À un moment, ils ne trouvèrent rien de mieux pour se protéger qu’un arbre nu, aux branches sombres et étiolées. Finalement, ils arrivèrent devant un pont presque entièrement détruit ; seule une bande étroite était intacte. Helga n’était pas sûre de pouvoir traverser.

Les deux hommes lui dirent : « N’ayez pas peur, sœur Birth. » Elle savait qu’ils étaient en train d’œuvrer pour Dieu et cela lui donna de l’assurance. Grâce à leurs encouragements, elle saisit la rampe et traversa le pont. Son âme était remplie d’une assurance tranquille tandis qu’ils rentraient chez eux.

Au cours des jours suivants, Helga et les autres missionnaires demeurant dans l’appartement de la famille Langheinrich évitèrent de s’aventurer dehors. On racontait que les soldats soviétiques avaient déjà pris possession de parties de la ville et Bertold avait mis en garde les missionnaires contre les choses terribles qui se passaient à l’extérieur. Ils devaient faire tout leur possible pour rester en sécurité.

Tandis que le chaos se répandait dans les rues, des saints vinrent trouver refuge au foyer de la mission. Une femme arriva en état de choc : on avait tiré une balle dans le ventre de son mari et il était mort. Avec l’aide de Paul, Helga et d’autres personnes préparèrent des chambres abandonnées pour accueillir quiconque leur demandait de l’aide.

Le samedi 28 avril, le petit groupe de saints se réunit pour jeûner et prier. Alors qu’ils s’agenouillaient et priaient pour obtenir force et protection, Helga fut submergée de reconnaissance d’être entourée de saints fidèles au milieu de tant de terreur.

Vers la fin du jeûne, les soldats soviétiques envahissaient les rues autour du bureau de la mission. À Berlin, les combats faisaient toujours rage mais l’armée soviétique s’employait à rétablir l’ordre et les services essentiels dans les parties occupées de la ville. De nombreux soldats ne dérangeaient pas les civils allemands mais certains pillaient les bâtiments et agressaient les femmes. Helga et les autres missionnaires craignaient pour leur sécurité, et les hommes du bureau de la mission montèrent attentivement la garde.

Puis, le 2 mai, Helga se réveilla dans un silence étrange. Cette nuit-là, il n’y avait pas eu de bombardements et elle avait dormi d’une traite jusqu’au matin. Adolf Hitler s’était suicidé deux jours plus tôt et l’armée soviétique avait hissé dans la ville le drapeau portant la faucille et le marteau. Berlin était désormais entre les mains des Soviétiques, et les autres forces alliées occupaient chaque jour un peu plus de territoire allemand. La guerre en Europe touchait à sa fin.

Helga essaya d’exprimer ses pensées dans son journal de mission. Elle écrivit : « LA PAIX ! Tout le monde a ce mot à la bouche. Je n’ai pas de sentiment particulier dans mon cœur. En pensant au mot ‘paix’, nous avions imaginé quelque chose de tout à fait différent, comme de la joie et des festivités, mais rien de tel ne transparaît. »

Elle ajouta : « Je suis assise là, loin de mes proches, ne sachant pas ce qu’il est advenu d’eux. » Tant de ses êtres chers étaient décédés : Gerhard, son frère Siegfried et son cousin Kurt, ses grands-parents et sa tante Nita. Elle ne savait pas comment entrer en contact avec ses parents et cela faisait tellement longtemps que l’on n’avait pas eu de nouvelles de son autre frère, Henry, qu’elle ne pouvait s’attendre qu’au pire.

Ce dimanche-là, les saints se réunirent à nouveau pour une réunion de prière. Renate Berger, la collègue missionnaire de Helga, lut un verset des Doctrine et Alliances. Il était question de reconnaissance pendant les tribulations de la condition mortelle :

Et celui qui reçoit tout avec gratitude sera rendu glorieux, et les choses de cette terre lui seront ajoutées, et ce, au centuple, oui, davantage.

Le 8 mai 1945, les Alliés célébrèrent le « Jour de la Victoire en Europe ». Neal Maxwell accueillit joyeusement la nouvelle, tout comme les autres soldats américains qui se battaient pour prendre l’île japonaise d’Okinawa. Cependant, les réjouissances étaient assombries par la réalité de leur situation. Avec les pilotes kamikazes qui attaquaient le port d’Okinawa et les tirs d’artillerie qui retentissaient sur les collines de l’île, les soldats américains savaient que leur combat était loin d’être terminé.

Neal pensa : « Voilà la vraie guerre. » Le front était bien moins attrayant de près que ce que les journaux et les films lui avaient laissé entendre. Le jeune homme était rempli d’un sentiment de tristesse et de malaise.

La bataille d’Okinawa devenait l’une des batailles les plus féroces du Pacifique. Les commandants japonais considéraient cette île comme le dernier rempart contre une invasion américaine du Japon et ils avaient décidé de mobiliser toutes leurs forces militaires pour la défendre.

Neal et les soldats qui l’accompagnaient avaient été affectés à une division pour remplacer des soldats. Le 13 mai, il écrivit une lettre à ses proches en Utah. Il n’était pas autorisé à donner les détails de son affectation à ses parents, toutefois il leur assura qu’il allait bien. Il écrivit : « En ce qui concerne les compagnons spirituels, je n’en ai aucun sauf un. Je sais que le Sauveur est toujours avec moi. »

Neal faisait partie d’une escouade de mortiers dont la tâche était de tirer des obus sur les positions ennemies en retrait dans les terres. Tandis que sa troupe marchait en file indienne vers une colline appelée Flat Top, les Japonais ouvrirent le feu dans leur direction. Tous se jetèrent au sol et y restèrent, immobiles, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de danger. Au bout d’un moment, ils se relevèrent, à l’exception de Partridge, un homme imposant qui marchait juste devant Neal.

Ce dernier lui dit : « Allez, debout. On y va. » Comme l’homme ne bougeait toujours pas, Neal comprit qu’il avait été tué par un éclat d’obus.

Choqué et horrifié, Neal mit des heures à reprendre ses esprits. Plus il s’approchait du champ de bataille, plus le paysage ravagé paraissait morne et sans vie. Les cadavres des soldats japonais jonchaient le sol. Neal avait été prévenu qu’il était possible que la zone soit truffée de mines. Même si le sol n’explosait pas sous ses pieds, les tirs de fusils fendaient l’air au-dessus de sa tête.

Neal prit position dans une tranchée et, après des jours de combats dans tous les sens, de fortes pluies transformèrent le paysage brûlé en bourbier. L’abri de Neal était rempli de boue. Il essayait de dormir debout mais ne trouvait pas le repos. Les maigres rations militaires ne le rassasiaient pas. L’eau qu’on lui donnait était transportée dans des réservoirs d’une vingtaine de litres et avait toujours le goût du gasoil. Beaucoup d’hommes buvaient du café pour en couvrir le goût infect mais Neal s’y refusait, voulant obéir à la Parole de Sagesse. Il fit de son mieux pour recueillir l’eau de pluie et, le dimanche, il l’utilisait avec un biscuit de ses rations pour prendre la Sainte-Cène.

Une nuit, à la fin du mois de mai, trois obus ennemis explosèrent près de l’emplacement du mortier de Neal. Jusqu’alors, les Japonais n’avaient pas réussi à localiser son escouade. Il semblait désormais que les artilleurs avaient triangulé sa position et se rapprochaient. Quand un autre obus explosa à quelques mètres de lui, Neal craignit que le suivant n’atteigne sa cible.

Bondissant hors de son trou, il se mit à l’abri contre un monticule. Puis, se rendant compte qu’il était toujours en danger, il se précipita de nouveau dans le trou, attendant de voir ce qui allait se passer.

Dans la boue et la pénombre, Neal s’agenouilla et commença à prier. Il savait qu’il ne méritait aucun traitement de faveur et que de nombreux hommes justes étaient morts au combat après avoir offert des prières ferventes. Il supplia tout de même le Seigneur de l’épargner, promettant de se consacrer à son service s’il survivait. Il avait dans sa poche une copie tachée de sa bénédiction patriarcale et il pensa à une promesse qu’elle contenait.

Elle disait : « Je vous scelle contre la puissance du destructeur afin que votre vie ne soit pas écourtée et que vous puissiez accomplir toutes les missions qui vous ont été assignées dans la vie prémortelle. »

Neal termina sa prière et leva les yeux vers le ciel nocturne. Le fracas des explosions avait cessé et tout était calme. Les bombardements ne reprirent pas et il sut alors que le Seigneur l’avait préservé.

Peu de temps après, Neal écrivit quelques lettres à sa famille. Il disait : « Je me sens tellement seul sans vous que j’ai parfois envie de pleurer. Tout ce que j’ai à faire, c’est d’être digne de ma bénédiction patriarcale, de vos prières et de ma religion. Mais le temps et tant de tumulte pèsent lourd sur l’âme d’un homme. »

Il ajouta : « Je peux dire que si je suis vivant, c’est parce que Dieu m’a épargné à plusieurs occasions. J’ai un témoignage que personne ne peut détruire. »

En Europe, la guerre était terminée pour Hanna Vlam et les autres saints néerlandais. Le jour où l’Allemagne capitula, Hanna se rendit avec ses enfants sur la place principale de la ville afin de se joindre à leurs amis et leurs voisins pour chanter et danser. Ils firent un énorme feu de joie avec ce dont ils s’étaient servi pour couvrir leurs fenêtres et se réjouirent de voir ces mauvais souvenirs partir en fumée.

Hanna pensa : « Merci, merci, Ô Seigneur. Tu as été bon avec nous. »

Maintenant que les combats avaient cessé, de nombreux détenus des camps de concentration et des prisons étaient libérés. Hanna avait correspondu avec son mari pendant son emprisonnement et elle avait des raisons de croire qu’il allait bien. Elle savait toutefois qu’elle ne célébrerait pas véritablement la fin de la guerre tant que Pieter n’était pas de retour à la maison.

Au début du mois de juin, un dimanche soir, Hanna jeta un coup d’œil par la fenêtre et vit un camion militaire s’arrêter devant chez elle. La porte du camion s’ouvrit et Pieter en sortit. Les voisins de Hanna avaient dû guetter aussi car ils accoururent à sa porte. Elle ne voulait pas ouvrir à tout ce monde, alors elle attendit que Pieter entre de lui-même. Quand il franchit la porte, elle l’accueillit joyeusement.

Les voisins de la famille Vlam accrochèrent des drapeaux dans toute la rue pour célébrer le retour de Pieter, sain et sauf. Heber, son fils de douze ans, vit les drapeaux et se précipita à la maison. Il s’écria : « Mon père est de retour ! »

À la tombée de la nuit, Hanna alluma une bougie qu’elle avait mise de côté pour le soir du retour de son mari. La famille se réunit près de la lumière vacillante et écouta Pieter raconter sa libération.

Quelques mois plus tôt, lorsque les forces soviétiques avaient chassé les Allemands d’Ukraine, Pieter et les autres prisonniers du Stalag 371 avaient été transférés dans une nouvelle prison, au nord de Berlin. L’endroit était sale, froid et infesté de vermine. Le bourdonnement des avions alliés emplissait l’air et le ciel était rouge sang à cause des incendies qui brûlaient dans toute la ville.

Un jour d’avril, un prisonnier héla des soldats soviétiques qui passaient devant la prison à bord d’un immense char de combat. Les soldats s’arrêtèrent, firent demi-tour et écrasèrent la clôture de barbelés, libérant Pieter et ses compagnons. Avant qu’ils ne se séparent, Pieter donna une bénédiction de la prêtrise à tous ceux qui le souhaitaient. Certains des prisonniers qui avaient étudié l’Évangile avec lui devinrent membres de l’Église après être rentrés chez eux.

Désormais réuni à sa famille, Pieter avait l’impression d’avoir un avant-goût du paradis. C’était comme s’il retrouvait des êtres chers de l’autre côté du voile et il se réjouissait des liens sacrés qui les unissaient pour l’éternité.

La première semaine d’août 1945, Neal Maxwell était aux Philippines, où il s’entraînait en vue d’une invasion du Japon prévue pour l’automne. En juin, les États-Unis avaient pris possession d’Okinawa et plus de sept mille soldats américains étaient morts, mais du côté japonais les pertes étaient vraiment stupéfiantes. Plus de cent mille soldats et des dizaines de milliers de civils perdirent la vie pendant la bataille.

Dans une lettre adressée à sa famille, Neal écrivit sobrement. Sa bravade d’antan avait disparu. Il ne souhaitait rien d’autre que la fin des combats. En parlant de la guerre, il dit : « J’ai le profond désir de détruire cette chose qui cause tant de souffrances. » Il était convaincu que le message de Jésus-Christ pouvait apporter une paix durable et il désirait ardemment le faire connaître aux gens. Il écrivit : « Je souhaite plus que tout avoir une telle occasion. »

Après avoir quitté le front, Neal commença à participer à des rassemblements de militaires saints des derniers jours provenant de diverses unités. Alors qu’il était encore à Okinawa, il s’était réjoui à l’idée de recommencer à adorer Dieu avec d’autres membres de l’Église. Mais quand il eut enfin l’occasion d’assister à une réunion, il vit que les hommes qu’il espérait retrouver n’étaient pas là. L’aumônier, un saint des derniers jours nommé Lyman Berrett, fit un discours réconfortant, mais pendant tout ce temps, Neal gardait un œil sur la porte, attendant de voir des amis la franchir. Certains n’arrivèrent jamais.

Pendant cette période, Neal apprit que le président Heber J. Grant était décédé. Au cours des cinq années qui avaient suivi son attaque cérébrale, le président Grant s’était régulièrement réuni avec ses conseillers et avait pris la parole à plusieurs reprises lors de conférences générales. Cependant, il ne s’était jamais complètement rétabli et, le 14 mai 1945, à l’âge de quatre-vingt-huit ans, il succomba à une insuffisance cardiaque. George Albert Smith était désormais le président de l’Église.

Début août, Neal et le reste des soldats en poste aux Philippines apprirent qu’un avion américain, agissant sur ordre direct du président des États-Unis, avait largué une bombe atomique sur la ville japonaise d’Hiroshima. Trois jours plus tard, un autre avion largua le même genre de bombe sur la ville de Nagasaki.

Lorsque Neal entendit parler des bombardements, il fut rempli de l’espoir joyeux que ses compagnons d’armes et lui n’auraient pas besoin d’envahir le Japon. Il se rendit compte plus tard à quel point sa réaction avait été égocentrique. Plus de cent mille personnes, essentiellement des civils japonais, avaient péri dans les explosions.

Le 2 septembre 1945, le Japon capitula et la guerre prit officiellement fin. Neal fut quand même envoyé au Japon, en tant que membre des troupes d’occupation alliées. Entre-temps, ses supérieurs avaient remarqué ses talents de rédacteur et lui avaient confié la tâche d’écrire des lettres de réconfort et de condoléances aux familles des soldats tombés au combat.

Neal écrivit à sa famille : « Le souvenir des jours sombres reste très présent, surtout quand on doit écrire des lettres de condoléances aux êtres chers endeuillés de ses camarades. » Il était honoré par cette responsabilité mais n’y prenait aucun plaisir.

Neal et près d’un million de saints des derniers jours dans le monde entier étaient désormais confrontés à un nouvel avenir tandis qu’ils s’efforçaient de reconstruire après avoir connu tant de souffrances, de privations et de pertes accablantes. Le dernier discours public du président Grant, lu à haute voix par son secrétaire lors de la conférence générale d’avril 1945, offrait aux saints des paroles de réconfort donnant une autre vision des choses.

Il disait : « Le chagrin est entré dans beaucoup de nos foyers. Puissions-nous être affermis par la compréhension que le fait d’être bénis ne signifie pas que toutes les déceptions et les difficultés de la vie nous seront épargnées. »

Il ajouta : « Le Seigneur entendra les prières que nous lui adressons et y répondra. Il nous donnera ce que nous lui demandons si c’est pour notre bien. Il n’abandonnera jamais et n’a jamais abandonné ceux qui le servent de tout cœur, mais nous devons toujours être prêts à dire : ‘Père, que ta volonté soit faite’. »


QUATRIÈME PARTIE : Couronnés de gloire (1945-1955)

Chapitre 31 : Sur la bonne voie

L’après-midi du 7 octobre 1945, le tabernacle de Salt Lake City était silencieux tandis que George Albert Smith se levait pour prendre la parole à l’occasion de la conférence générale. Au cours de ses quarante années d’apostolat, il s’était adressé aux saints de nombreuses fois mais c’était la première qu’il s’adressait à l’Église tout entière en qualité de prophète du Seigneur.

Il venait tout juste de consacrer le temple d’Idaho Falls, dans le sud-est de l’Idaho, rappel que l’œuvre du Seigneur dans les derniers jours continuait d’avancer. Il savait toutefois que, dans le monde entier, les saints souffraient après des années de privations et de guerre. Ils se tournaient maintenant vers lui pour être guidés et rassurés.

Le président Smith déclara à l’assemblée : « Ce monde aurait pu être libéré de sa détresse depuis longtemps si les enfants des hommes avaient accepté les conseils de celui qui a tout donné. » Il rappela aux saints l’invitation du Sauveur d’aimer leur prochain et de pardonner à leurs ennemis. Il ajouta : « C’est l’esprit du Rédempteur, et c’est l’esprit que tous les saints des derniers jours doivent chercher à avoir s’ils espèrent un jour pouvoir se tenir en sa présence et recevoir de lui un accueil glorieux au foyer divin. »

Parmi les membres de l’Église, le président Smith était connu pour être un dirigeant bienveillant et épris de paix. Dans sa jeunesse, il avait créé sa propre devise pour diriger sa vie. Il avait écrit : « Je ne veux pas forcer les gens à être à la hauteur de mes idéaux mais plutôt les amener par l’amour à faire ce qui est juste. Je ne veux pas blesser volontairement les sentiments de qui que ce soit, pas même de quelqu’un qui m’a fait du mal, mais je chercherai à lui faire du bien et à devenir son ami. »

Le regard tourné vers l’avenir, le président Smith était particulièrement désireux de venir en aide aux saints dont la vie avait été brisée par la guerre. Plus tôt dans l’année, il avait demandé au comité d’entraide de l’Église d’élaborer un plan pour envoyer de la nourriture et des vêtements en Europe. Peu après la conférence d’octobre, il tint une réunion avec plusieurs apôtres pour discuter de l’expédition des biens en Europe dès que possible.

Ce projet n’était pas une tâche facile. L’Église avait besoin de l’aide du gouvernement américain pour coordonner ses efforts de secours avec tant de pays. Le président Smith se rendit à Washington, DC, accompagné d’un petit groupe de dirigeants de l’Église pour établir la manière de procéder.

Ils arrivèrent à la capitale par un matin nuageux de début novembre. En plus des nombreuses réunions prévues avec des représentants du gouvernement et des ambassadeurs européens, ils avaient rendez-vous avec Harry S. Truman, président des États-Unis. Le président les accueillit gracieusement mais il les avertit qu’il n’était pas judicieux, d’un point de vue financier, d’expédier de la nourriture et des vêtements en Europe, dont l’économie était mauvaise et les devises peu fiables. Il dit au président Smith : « Leur argent ne vaut rien. »

Le prophète expliqua que l’Église ne cherchait pas à être payée. Il dit : « Notre peuple là-bas a besoin de nourriture et de fournitures. Nous voulons les aider avant que l’hiver ne s’installe. »

« Combien de temps vous faudra-t-il pour préparer ce projet ? demanda le président Truman.

– Nous sommes prêts », répondit le prophète. Il parla des réserves de nourriture et d’autres fournitures que les saints avaient rassemblées, ainsi que des plus de deux mille couvertures piquées que les Sociétés de Secours avaient confectionnées pendant la guerre. L’Église avait simplement besoin d’aide pour transporter ces biens vers l’Europe.

Très étonné par le niveau de préparation des saints, le président Truman déclara : « Vous êtes sur la bonne voie. Nous serons heureux de vous aider de toutes les manières possibles. »

Avant de prendre congé, George Albert Smith dit au président américain que les saints des derniers jours priaient pour lui. Il lui remit un exemplaire relié en cuir de Une voix d’avertissement (A Voice of Warning), brochure missionnaire écrite par l’apôtre Parley P. Pratt en 1837.

Le président Smith était frappé par le fait qu’à l’époque de frère Pratt, les saints survivaient à peine. Ils n’auraient jamais pu traverser l’océan pour secourir des milliers de personnes en difficulté. Mais, au cours du siècle passé, le Seigneur avait enseigné aux saints comment se préparer pour les périodes de détresse, et le prophète était heureux de voir qu’ils pouvaient désormais agir rapidement.

Pendant que l’Église se préparait à expédier du matériel de secours en Europe, Helga Birth poursuivait son service en tant que missionnaire à Berlin. Des mois après la guerre, l’Allemagne était encore dans la confusion. La ville de Berlin et le pays tout entier avaient été divisés en quatre zones, chacune occupée par une nation différente. Comme la plupart des saints allemands avaient perdu leur foyer en raison de la guerre, ils demandaient souvent de l’aide à Helga et aux autres missionnaires du foyer de la mission. Herbert Klopfer, président suppléant de la mission d’Allemagne de l’Est, était décédé dans un camp de prisonniers soviétique. C’étaient donc ses conseillers, Paul Langheinrich et Richard Ranglack, qui dirigeaient les efforts déployés pour venir en aide aux réfugiés.

Ayant besoin de plus d’espace pour héberger ces saints, les deux hommes reçurent la permission des autorités militaires de déplacer le foyer de la mission dans une demeure abandonnée dans la zone ouest de Berlin, contrôlée par les Américains. Tilsit, la ville natale de Helga, se trouvait sous contrôle soviétique. La jeune femme n’avait aucune idée de la façon de retrouver ses parents ni son frère Henry, qui était porté disparu. Il lui était aussi difficile de savoir où se trouvaient ses amis et les anciens membres de la branche.

À l’automne 1945, Helga reçut une lettre de sa tante Lusche. Plus d’un an s’était écoulé depuis le raid aérien qui avait tué les grands-parents de Helga et sa tante Nita. La jeune femme apprit que l’armée soviétique retenait Lusche et d’autres réfugiés allemands dans un château désert près de la frontière germano-polonaise. Les autorités soviétiques avaient décidé de les libérer, mais seulement s’ils avaient de la famille pour les accueillir. Helga répondit rapidement, invitant sa tante à venir vivre au foyer de la mission.

Peu de temps après, Lusche arriva à Berlin avec une femme nommée Eva, une membre de la famille éloignée qui avait été emprisonnée avec elle. Les deux femmes étaient émaciées et avaient le visage creusé. Helga avait connu la faim et avait beaucoup souffert pendant la guerre, mais les récits de torture et de privation de sa tante l’ébranlèrent. La petite fille d’Eva était morte de froid et de faim, et Lusche avait envisagé de se suicider.

D’autres réfugiés saints des derniers jours se rendirent au foyer de la mission et Paul Langheinrich leur trouva un endroit où loger. Plus de cent personnes étaient hébergées et nourries sous un même toit. Le père, la mère et le frère de Helga restaient encore introuvables.

Les soldats américains qui avaient été missionnaires en Allemagne rendaient souvent visite au foyer de la mission. L’un d’eux apporta des sandwichs à partager, préparés avec du pain blanc moelleux des États-Unis. Helga en dévora un mais cela ne soulagea guère la faim incessante qui la tenaillait, ainsi que ses colocataires. Ils passaient parfois des jours sans manger. Lorsque Helga parvenait à acheter ou à récupérer un repas, les vieilles pommes de terre et le lait dilué étaient peu nourrissants. Parfois, elle était si faible qu’elle ne pouvait pas sortir de son lit.

En janvier 1946, elle reçut une lettre porteuse de bonnes nouvelles de son père, Martin Meiszus. Vers la fin de la guerre, il avait perdu son œil gauche lors d’un raid aérien et avait passé quelque temps dans un camp de réfugiés au Danemark. Il était maintenant de retour en Allemagne et vivait dans la ville de Schwerin, à environ deux cents kilomètres de Berlin. Pendant plusieurs mois, Paul et d’autres dirigeants de mission avaient parcouru l’Allemagne à la recherche de saints déplacés, les aidant à se regrouper pour survivre. Comme ils avaient prévu de se rendre à Schwerin, ils proposèrent à Helga de les accompagner.

Dans le train bondé, Helga avait du mal à se réchauffer car l’air glacial de l’hiver s’engouffrait par les fenêtres brisées. Elle serrait dans ses mains une petite boîte contenant quelques morceaux de chocolat américain. Les friandises étant rares, elle avait décidé de les conserver pour son père. Elle portait néanmoins le chocolat à son nez de temps en temps, afin d’en respirer le délicieux arôme.

À Schwerin, Helga fut transportée de joie d’avoir retrouvé son père. Il fut surpris quand elle lui donna le chocolat et il voulut le partager avec elle. « Kindchen » dit-il. Chère enfant.

« Non papa, dit Helga. J’ai déjà été tellement nourrie. » Et c’était vrai ; elle n’avait plus faim. Elle était rassasiée de joie.

De l’autre côté du globe, la division de Neal Maxwell dans l’armée américaine faisait partie des forces d’occupation du Japon. Pendant la guerre, le pays avait été dévasté par des milliers de raids aériens et par les bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki. Neal s’attendait à ce que les Japonais l’accueillent comme un héros victorieux. Mais plus de trois cent mille civils japonais étaient morts et son âme était déchirée en voyant ce que la guerre avait coûté au peuple.

Neal était désormais sergent-chef d’une compagnie d’environ trois cents hommes indisciplinés et démoralisés, dont beaucoup ne demandaient qu’à rentrer chez eux. Il n’avait que dix-neuf ans mais ses supérieurs avaient estimé qu’il était l’homme idéal pour ramener l’ordre au sein du groupe. Neal n’en était pas si sûr.

Dans une lettre à ses parents, il écrivit . « Je fais beaucoup de choses ici qui exigent un jugement mûr ; je tremble quand je pense à cette responsabilité. Au fond de moi, je ne suis qu’un enfant, si jeune et dépaysé qu’il ne sait pas quoi faire. »

Il réussit néanmoins dans son rôle de dirigeant et gagna le respect de certains de ses hommes. Il se tournait fréquemment vers son Père céleste pour obtenir de l’aide. La nuit, il se promenait souvent seul dehors pour prier. Il se sentait en communion plus étroite avec Dieu sous le ciel étoilé.

Il trouva également de la force parmi les autres soldats saints des derniers jours. Tout au long de la guerre, les dirigeants de l’Église avaient incité les saints servant sous les drapeaux à se réunir, à prendre la Sainte-Cène et à se soutenir spirituellement les uns les autres. Dans le Japon de l’après-guerre, ainsi qu’à Guam, aux Philippines et dans d’autres endroits du monde, des centaines de militaires saints des derniers jours se réunissaient.

Ces groupes vivaient souvent des expériences missionnaires inattendues. Peu après la fin de la guerre, des militaires saints des derniers jours en poste en Italie avaient obtenu une audience avec le pape Pie XII au siège de l’Église catholique. Ils lui parlèrent de la visite du Sauveur sur le continent américain et lui remirent un exemplaire du Livre de Mormon.

Pendant ce temps, au Japon, les saints locaux qui n’étaient pas allés à l’Église depuis des années recherchaient les assemblées de militaires et assistaient à leurs réunions. Sous le nouveau gouvernement d’occupation, les Japonais étaient libres d’approfondir leurs croyances spirituelles, et certains soldats saints des derniers jours invitaient leurs amis japonais à découvrir l’Église. Les soldats américains comme Neal étaient assis à côté de leurs anciens adversaires, prenant la Sainte-Cène et apprenant ensemble l’Évangile de Jésus-Christ.

Il restait au jeune homme de nombreux mois de service militaire à effectuer avant de pouvoir rentrer chez lui. Ses expériences à Okinawa, et maintenant au Japon même, renforcèrent son désir de faire une mission dès que possible.

Il écrivit à sa famille : « Il y a un champ d’hommes mûrs pour l’Évangile qui sont tout aussi chrétiens que nous mais qui ont besoin de l’Évangile pour être guidés ».

En Allemagne, Paul Langheinrich prit contact avec le chef des forces soviétiques à Berlin. Des milliers de réfugiés saints des derniers jours vivaient désormais dans des zones occupées par les Soviétiques, et Paul se faisait du souci pour eux. Il écrivit : « À cause des actions inconcevables d’Hitler, beaucoup de nos membres sont maintenant sur les routes, sans maison ni patrie, bannis et chassés. »

Paul demanda au commandant la permission d’acheter de la nourriture et de l’apporter à ces saints. En tant qu’ancien généalogiste pour le gouvernement allemand, il se sentit également poussé à demander s’il pouvait rechercher des caches de documents importants que les nazis avaient dissimulés dans des régions reculées du pays pour les protéger de la destruction et des vols. Sachant qu’un jour les saints allemands auraient besoin de ces documents pour faire l’œuvre du temple pour leurs ancêtres, Paul voulait les conserver.

Il écrivit au commandant : « Ces archives n’ont aucune valeur pour vous. Pour nous, elles sont inestimables. »

Une semaine plus tard, Paul reçut la permission d’acheter toute la nourriture dont les membres de l’Église avaient besoin. Concernant les registres généalogiques, si les saints parvenaient à les trouver, ils pouvaient les garder.

Par la suite, Paul entendit parler d’une collection de documents conservés dans le château de Rothenburg, au sud-ouest de Berlin. Par un jour glacial de février 1946, il marcha avec seize missionnaires locaux sur une route gelée jusqu’au vieux château situé au sommet d’une colline escarpée. Une fois à l’intérieur, ils trouvèrent des piles de registres paroissiaux, des microfilms et des livres contenant des généalogies allemandes.

Un certain nombre de registres dataient de plusieurs siècles et contenaient des milliers de noms et de dates, dont certains étaient écrits d’une magnifique écriture. De longs parchemins présentaient des arbres généalogiques illustrés aux couleurs vives. L’endroit où ils avaient été cachés était globalement en bon état, même si certains documents étaient recouverts de glace et de neige et ne semblaient pas récupérables.

Une fois que Paul et les missionnaires eurent mis les documents en sécurité, il ne restait plus qu’à les transporter en bas de la colline. Paul avait fait louer un camion et une remorque pour récupérer les archives et les transporter jusque dans un wagon en partance pour Berlin. Mais le temps passait et le camion n’arrivait pas.

Finalement, un missionnaire apparut, grimpant difficilement la colline. Le camion était resté bloqué au milieu de la pente car ses pneus patinaient sur les routes verglacées.

Paul pensa qu’il était temps de prier. Il demanda à trois missionnaires de l’accompagner dans les bois, où ils supplièrent le Seigneur de les aider. Quand ils dirent « Amen », ils entendirent le bruit d’un moteur et virent le camion prendre le virage.

Le conducteur expliqua à Paul qu’il avait détaché la remorque pour arriver jusqu’au château. Il avait l’intention de faire demi-tour et de repartir, mais Paul le persuada de rester et de les aider à transporter autant d’archives que possible sur la route glissante. Mais, sans la remorque, il n’était pas possible de transporter tous les documents. Pour que tous les registres puissent être apportés jusqu’au wagon de marchandises le jour suivant, il fallait que le verglas sur la route fonde. Une fois de plus, Paul et les missionnaires se tournèrent vers Dieu en prière.

Une pluie chaude tomba cette nuit-là. Quand Paul se réveilla, les routes étaient dégivrées. Il apprit également que le wagon de marchandises avait été retardé de quelques jours, ce qui laissait suffisamment de temps aux missionnaires pour charger tous les documents récupérables. Paul ne pouvait pas nier l’intervention de Dieu dans ce dénouement merveilleux et il était reconnaissant d’avoir été un instrument entre ses mains.

Quand la dernière cargaison arriva à la gare, Paul et ses compagnons firent une dernière prière. Ils dirent : « Nous avons fait notre part. Maintenant, Ô Dieu, nous avons besoin de toi pour que ce wagon de marchandises arrive à Berlin. »

Le 22 mai 1946, Arwell Pierce, président de la mission du Mexique, se tenait avec George Albert Smith au sommet de la pyramide du Soleil, site historique populaire situé au nord-est de Mexico. La pyramide de pierre, autrefois centre d’une cité connue sous le nom de Teotihuacán, s’élevait à une hauteur de plus de soixante mètres et offrait une vue spectaculaire sur le paysage environnant. Bien qu’âgé de près de quatre-vingts ans, le président Smith avait gravi avec une certaine aisance les nombreuses marches de la pyramide, plaisantant en chemin avec Arwell et les missionnaires qui les accompagnaient.

Arwell était heureux que le prophète soit venu au Mexique. C’était la première fois qu’un président de l’Église visitait cette mission et cela signifiait énormément pour les membres locaux. Depuis dix ans, l’Église au Mexique était divisée entre, d’un côté, le corps principal des saints et, de l’autre, les mille deux cents personnes qui s’étaient ralliées à la Troisième Convention. La visite du président Smith offrait une véritable chance de réconciliation, ce qu’Arwell avait diligemment recherché au cours des quatre dernières années.

En 1942, quand il était devenu président de la mission mexicaine, le fossé entre les conventionnistes et les autres saints du Mexique était profond. Quand Arwell avait été mis à part par la Première Présidence, J. Reuben Clark lui avait confié la responsabilité d’essayer de combler ce fossé.

Au début, les conventionnistes se méfiaient du nouveau président de mission. Comme ses prédécesseurs, il était citoyen américain et les conventionnistes l’accueillirent avec froideur. Au lieu de chercher à leur montrer leur erreur par la force, Arwell décida de gagner leur confiance et de tisser des liens d’amitié.

Il commença à assister aux réunions de la Troisième Convention et se lia d’amitié avec Abel Páez, le dirigeant de l’organisation, ainsi qu’avec d’autres conventionnistes. Plus il passait du temps avec eux, plus il lui semblait possible de réunir les deux parties. Les conventionnistes avaient gardé leur foi dans la doctrine fondamentale de l’Évangile rétabli. Ils continuaient de suivre les programmes de l’Église et croyaient au Livre de Mormon. Le président de mission pensait que, s’il arrivait à leur faire voir tout ce qu’il leur manquait à cause de leur dissidence, ils reviendraient. Cependant, il savait qu’il fallait avancer avec précaution.

Il dit à la Première Présidence : « Par le passé, nous n’avons pas obtenu beaucoup de résultats avec des méthodes dures. Espérons que la gentillesse et le raisonnement sain et patient porteront des fruits. »

Sous la direction de la Première Présidence, Arwell dirigea les efforts pour construire ou rénover plusieurs églises au Mexique, remédiant ainsi au manque de locaux qui troublait les conventionnistes quand ils s’étaient séparés du corps de l’Église. De plus, il discutait souvent avec Abel pour l’inciter à chercher une réconciliation. Il dit à Abel et aux conventionnistes : « Ce dont vous avez vraiment besoin ici au Mexique, c’est de l’organisation d’un pieu. Et nous n’en aurons pas un si nous ne sommes pas plus unis. »

Il rappela à Abel que son assemblée renonçait aux bénédictions du temple. En 1945, les premières dotations en langue espagnole avaient eu lieu dans le temple de Mesa, en Arizona. Même si de nombreux saints mexicains n’avaient pas les moyens de se rendre à Mesa, Arwell déclara qu’il croyait qu’un jour, il y aurait au Mexique des temples dans lesquels Abel et tant d’autres conventionnistes pourraient entrer.

Un jour, Abel téléphona au président de mission. Avec d’autres dirigeants de la Troisième Convention, il était désireux de parler avec lui d’une réconciliation. Les hommes parlèrent pendant près de six heures. Finalement, après avoir reconnu leurs erreurs, Abel et les autres conventionnistes décidèrent de solliciter la Première Présidence pour être réadmis en tant que membres de l’Église. Après avoir examiné leur demande, le président Smith et ses conseillers déclarèrent que, si les conventionnistes étaient prêts à se séparer de leur groupe et à soutenir le président de la mission mexicaine, ils pourraient à nouveau être membres de l’Église de Jésus-Christ.

À présent, en faisant le tour de la mission, Arwell Pierce et le président Smith s’adressaient aux conventionnistes qui avaient le désir de revenir. Le président de l’Église fit remarquer : « Il n’y a pas eu de rébellion ici, seulement un malentendu. »

Le 25 mai 1946, Arwell Pierce conduisit George Albert Smith dans la branche d’Ermita, à Mexico. Plus d’un millier de personnes, dont de nombreux membres de la Troisième Convention, emplissaient la petite église ainsi qu’un pavillon, pour entendre le prophète parler. Certains conventionnistes craignaient que le président Smith ne les condamne, mais ce dernier parla plutôt d’harmonie et de retrouvailles. Après cela, la majorité des conventionnistes s’engagèrent à réintégrer pleinement l’Église.

Quelques jours plus tard, lors d’une réunion de près de cinq cents saints dans la ville de Tecalco, Abel Páez remercia le président Smith d’être venu au Mexique. Il déclara devant l’assemblée : « Notre but est de suivre la direction et les instructions des Autorités générales de notre Église et du président de la mission mexicaine. Nous suivons un prophète du Seigneur. »


Chapitre 32 : Frères et sœurs

Par une soirée fraîche d’un dimanche du mois d’août 1946, Ezra Taft Benson, accompagné de deux hommes, parcourait les rues sinistrement calmes de Zełwągi, en Pologne, à bord d’une jeep militaire. Toute la journée, les voyageurs avaient subi les désagréments causés par les routes défoncées et la pluie battante mais le ciel avait fini par s’éclaircir tandis qu’ils approchaient de leur destination.

Zełwągi faisait autrefois partie de l’Allemagne et s’appelait Selbongen. Mais, après la guerre, les frontières nationales avaient été modifiées, et une grande partie de l’Europe centrale et orientale était passée sous l’influence de l’Union soviétique. En 1929, le premier lieu de culte de l’Église en Allemagne avait été construit pour la branche florissante de Selbongen. Toutefois, après six années de guerre, les saints du village survivaient à peine.

Ezra Taft Benson était venu des États-Unis plus tôt cette année-là pour superviser l’aide humanitaire apportée par l’Église dans toute la mission européenne. Il était membre du Collège des douze apôtres depuis moins de trois ans mais avait beaucoup d’expérience en qualité de dirigeant au sein de l’Église et du gouvernement. À quarante-sept ans, il était suffisamment jeune et en bonne santé pour supporter ces voyages éreintants à travers plusieurs pays européens.

Mais rien ne l’avait préparé aux horreurs qu’il voyait tout autour de lui. Depuis son arrivée en Europe, il avait vu les ruines laissées par la guerre, de Londres à Francfort et de Vienne à Stockholm. En même temps, il voyait que les saints européens s’unissaient pour s’entraider et reconstruire l’Église dans leurs pays respectifs. En visitant le foyer de la mission de Berlin, il fut impressionné par les montagnes de documents généalogiques que Paul Langheinrich et ses collègues avaient récupérés, alors même qu’ils s’efforçaient de fournir de la nourriture, des vêtements, du combustible et un abri à plus de mille saints sous leur responsabilité.

Il avait également observé que l’aide offerte par l’Église était vraiment utile dans toute l’Europe occidentale. Sous la direction de Belle Spafford, la nouvelle présidente générale de la Société de Secours, les femmes des paroisses et des pieux des États-Unis, du Canada et du Mexique avaient coordonné des efforts d’une grande envergure pour rassembler des vêtements, du linge de lit et du savon à donner aux saints européens. À Hamilton, en Ontario, une Société de Secours avait fait don de pulls, de grenouillères et de sous-vêtements pour enfants confectionnés à partir des chutes de tissu d’une usine de vêtements. À Los Angeles, les membres d’une autre Société de Secours avaient fabriqué plus de mille deux cents vêtements et fait près de quatre mille heures de bénévolat à la Croix-Rouge.

Dans une grande partie de l’Allemagne et dans des pays d’Europe de l’Est comme la Pologne, dont les gouvernements sous influence soviétique refusaient l’aide occidentale, les saints n’avaient toujours pas accès aux produits de première nécessité. La présence même d’Ezra Taft Benson en Pologne relevait du miracle. Comme les lignes téléphoniques ne fonctionnaient pas, ses collègues et lui avaient eu du mal à prendre contact avec les fonctionnaires qui pouvaient les aider à obtenir les papiers nécessaires pour entrer dans le pays. L’apôtre parvint finalement à obtenir les visas après nombre de prières et de demandes insistantes auprès du gouvernement polonais.

Alors que la jeep s’approchait du lieu de culte historique de Zełwągi, la plupart des gens dans les rues se dispersèrent et se cachèrent. Ezra Taft Benson et ses collègues arrêtèrent le véhicule devant le bâtiment et en sortirent. Ils se présentèrent à une femme qui se trouvait non loin et lui demandèrent s’ils étaient bien devant l’église des saints des derniers jours. Les yeux de la femme se remplirent de larmes de soulagement. Elle s’écria en allemand : « Les frères sont là ! »

En un instant, les gens sortirent de leurs retraites, pleurant de joie et riant. Cela faisait trois ans que les saints de Zełwągi n’avaient plus de contact avec les dirigeants généraux de l’Église et, ce matin-là, beaucoup d’entre eux avaient jeûné et prié pour recevoir la visite d’un missionnaire ou d’un dirigeant. En quelques heures, une centaine de saints se réunirent pour entendre l’apôtre parler.

Beaucoup des hommes de la branche avaient été tués ou déportés en tant que prisonniers de guerre, et les saints qui étaient restés étaient découragés. Depuis la fin de la guerre, des soldats soviétiques et polonais terrorisaient la ville, pillant les maisons et agressant les résidents. La nourriture était rationnée et les gens payaient souvent des prix exorbitants pour les aliments qu’ils parvenaient à se procurer au marché noir.

Ce soir-là, tandis qu’Ezra Taft Benson s’adressait aux saints, deux soldats polonais armés entrèrent dans l’église. Les membres de l’assemblée se raidirent de frayeur mais l’apôtre fit signe aux soldats de prendre place à l’avant de la salle. Pendant son discours, il mit l’accent sur l’importance de la liberté. Les soldats écoutèrent attentivement, restèrent à leur place jusqu’au cantique de clôture et s’en allèrent sans incident. Après la réunion, Ezra Taft Benson eut un entretien avec le président de branche et laissa de la nourriture et de l’argent aux saints, leur assurant que de l’aide supplémentaire arrivait.

Peu de temps après, il écrivit à la Première Présidence. Il était heureux de voir que l’aide de l’Église parvenait aux membres d’Europe mais il s’inquiétait des difficultés auxquelles ces derniers étaient encore confrontés.

Il écrivit : « Peut-être que les multiples avantages du grand programme d’entraide de l’Église pour ces saints et les autres saints d’Europe ne seront jamais publiquement connus, mais il ne fait aucun doute que de nombreuses vies ont été épargnées, et que la foi et le courage de beaucoup de nos membres dévoués ont été grandement renforcés. »

À peu près à la même époque, en Autriche, Emmy Cziep, âgée de dix-huit ans, se réveilla à cinq heures et demie du matin, mangea un seul morceau de pain pour le petit-déjeuner et entreprit sa marche habituelle d’une heure pour se rendre à l’hôpital général de Vienne. Sept années s’étaient écoulées depuis son pénible voyage en train hors de Tchécoslovaquie et maintenant, elle étudiait pour devenir technicienne en radiologie. Vienne étant une ville occupée, comme Berlin, Emmy croisait souvent des soldats soviétiques sur le chemin de l’hôpital. Cependant, on respectait les professionnels de santé et Emmy pensait que son brassard de la Croix-Rouge la protégeait du harcèlement.

Vienne avait été le théâtre de violences et de terreur pendant la guerre, mais les parents d’Emmy, Alois et Hermine, avaient continué de diriger les réunions de la branche et de la Société de Secours. Son père était maintenant président du district regroupant les cinq branches de l’Église en Autriche. Avec sa femme, il travaillait dur pour soutenir les saints. La plupart des habitants de Vienne, dont Emmy, étaient sortis de la guerre traumatisés et affamés. Son frère, Josef, avait servi pendant un certain temps dans l’armée allemande. Après la guerre, il avait été capturé et torturé par des soldats soviétiques mais il avait survécu.

La formation d’Emmy à l’hôpital était l’une des rares choses qui lui donnaient de l’espoir. Une autre était la visite récente d’Ezra Taft Benson, qui avait prodigué aux saints d’Autriche les encouragements dont ils avaient tant besoin. La famille d’Emmy s’était sentie honorée de l’accueillir chez elle. Le soir, l’apôtre avait demandé à Emmy de lui jouer des cantiques au piano et elle s’était sentie édifiée par sa présence.

Quelques mois après sa venue, les cargaisons d’aide humanitaire envoyée par l’Église arrivèrent en Autriche. En 1947, Alois supervisa la distribution de centaines de caisses de vêtements, de blé concassé, de haricots, de pois, de sucre, d’huile, de vitamines et d’autres produits essentiels. Emmy reçut de nombreux articles magnifiques, notamment de belles robes sur lesquelles étaient épinglés des petits mots écrits par les personnes qui en avait fait don.

Dans les autres parties d’Europe, les saints des derniers jours s’entraidaient également. La Finlande, pays nordique qu’Ezra Taft Benson avait récemment consacré à l’œuvre missionnaire, comptait trois branches de l’Église. En Suède, pays voisin, les membres de l’Église découvrirent que les membres de ces branches étaient dans le besoin et ils envoyèrent des caisses de nourriture, de vêtements et de linge de lit.

À Vienne, quelques jours avant les examens de fin d’étude d’Emmy, son père sollicita son aide. Nombre d’enfants autrichiens étaient sous-alimentés et avaient besoin de traitements médicaux qu’ils ne pouvaient pas recevoir à Vienne. Comme la Suisse était restée neutre pendant la guerre, les membres de l’Église de ce pays avaient plus de moyens. Ils proposèrent d’accueillir chez eux pendant trois mois des enfants saints des derniers jours originaires d’Autriche, le temps qu’ils reprennent des forces.

Alois supervisait un groupe de vingt et un enfants qui avaient besoin d’être pris en charge et il demanda à sa fille de l’aider à les conduire en Suisse. Emmy accepta, sachant qu’elle serait de retour à Vienne quelques jours plus tard pour passer ses examens finaux.

Le train pour la Suisse était tellement bondé que certains enfants durent s’asseoir sur le sol ou dans l’espace réservé aux bagages au-dessus des sièges. Quand la pluie commença à tomber, l’eau s’infiltrait à l’intérieur malgré les cartons qui recouvraient les fenêtres. Beaucoup d’enfants étaient mal installés et leurs parents leur manquaient. Emmy fit de son mieux pour les apaiser.

Après une longue nuit peu reposante, Emmy, son père et les enfants arrivèrent à Bâle. Ils furent accueillis par le président de mission et son épouse, Scott et Nida Taggart, ainsi que par des membres de la Société de Secours locale qui offrirent aux enfants des oranges et des bananes.

Le lendemain, des familles suisses les accueillirent dans leur foyer et Emmy leur fit ses adieux. Cependant, avant qu’elle reparte à Vienne, frère Taggart lui proposa de rester à Bâle pour servir en qualité de missionnaire. Il dit : « Le Seigneur a besoin de vous. »

Emmy était stupéfaite. Elle n’avait jamais envisagé de faire une mission auparavant. Qu’allait-il advenir de ses examens à l’institut de radiologie ? Si elle restait, elle ne pourrait pas terminer sa formation et n’aurait pas l’occasion de dire au revoir à ses proches en Autriche. En Suisse, elle serait entourée d’étrangers qui n’avaient pas connu les bombardements, la famine, le chagrin et la mort. Pourraient-ils la comprendre ?

Malgré ces préoccupations, Emmy sentit la réponse à la question du président Taggart s’installer dans son cœur. Elle répondit : « Si le Seigneur veut que je reste, je resterai. »

Ce soir-là, à un mois de son dix-neuvième anniversaire, Emmy Cziep fut mise à part pour œuvrer dans la mission suisse-autrichienne.

Au printemps 1947, un an et demi après avoir retrouvé son père, Helga Birth n’était plus missionnaire à Berlin. D’ailleurs, elle portait un nouveau nom de famille. Elle s’appelait désormais Helga Meyer. Elle avait épousé un saint des derniers jours allemand du nom de Kurt Meyer. Ils vivaient à Cammin, ville rurale à environ cent trente kilomètres au nord de Berlin, et avaient un petit garçon, Siegfried, qui portait le nom du frère de Helga mort à la guerre.

Helga avait rencontré Kurt au début de l’année 1946, alors qu’il rendait visite au foyer de la mission est-allemande. Soldat dans l’armée allemande, il était rentré chez lui à la fin de la guerre et avait appris que, lorsque l’armée soviétique avait envahi sa ville natale, ses parents s’étaient noyés pour ne pas être faits prisonniers ou tués.

Quand il était arrivé au foyer de la mission, il n’était pas pratiquant, mais il souhaitait revenir à l’église. Peu de temps après avoir rencontré Helga, il la demanda en mariage.

La jeune femme ne savait que répondre. Depuis la mort de son premier mari, Gerhard, les gens lui conseillaient de se remarier. Cependant, elle n’avait pas envie de se précipiter dans un autre mariage. Elle n’était pas amoureuse de Kurt et ne voulait pas déménager à Cammin, la ville natale de celui-ci, d’où il fallait prendre le train pour se rendre dans la branche de l’Église la plus proche. Elle avait parfois le désir d’émigrer en Utah, mais elle n’était pas encore prête à quitter l’Allemagne, du moins pas avant d’avoir retrouvé sa mère. Si elle se mariait avec Kurt, elle pourrait rester en Allemagne et bénéficierait d’une certaine stabilité. Le jeune homme avait déjà une maison à Cammin, non loin d’un lac regorgeant de poissons. Si elle l’épousait, ni elle ni son père ne se retrouveraient sans logement ni sans nourriture.

N’ayant pas vraiment d’autre choix, Helga décida d’accepter la demande de Kurt et la sécurité qu’elle lui offrait. Ils se marièrent en avril 1946 et, environ un an plus tard, ils eurent un fils.

À la fin du printemps 1947, Helga apprit que sa mère était vivante. Après avoir été chassée de Tilsit, Bertha Meiszus avait échappé aux forces soviétiques. Elle avait marché pendant des jours, à moitié gelée, jusqu’à un bateau qui l’avait emmenée dans un camp de réfugiés au Danemark. Elle y avait passé deux ans avant d’entrer enfin en contact avec sa famille. Bientôt, elle vint vivre avec eux à Cammin.

Un jour, vers cette époque, des soldats soviétiques se présentèrent à la porte de Helga. Comme elle vivait à proximité d’un lac, les soldats s’arrêtaient chez elle une ou deux fois par semaine pour lui réclamer du poisson. Ils étaient réputés pour être brutaux et la jeune femme avait entendu des récits de viols et d’autres actes de violence commis à Cammin. Le bruit de la voiture des soldats approchant de sa maison l’effrayait toujours.

Comme d’habitude, Helga laissa les soldats entrer. Ils avaient bu de la vodka et le commandant était manifestement ivre. Il s’assit à sa table et dit : « Frau, viens, assieds-toi. » Les soldats ordonnèrent également à Kurt de se joindre à eux, puis ils l’ignorèrent complètement.

Helga s’assit à côté du commandant, qui lui demanda de prendre un verre.

Elle répondit : « Je ne bois pas. »

Le chauffeur des soldats, un Allemand à l’air cruel, s’exclama : « Donne-le lui, donne-le lui. »

Helga avait peur. Les hommes ivres étaient imprévisibles. Mais elle insista : « Non, je ne bois pas. »

Le commandant s’écria : « Si tu ne bois pas, je te tire dessus ! »

Elle répondit en ouvrant les bras : « Eh bien, dans ce cas, vous devrez tirer. »

Au bout d’un moment, le commandant demanda : « Appartiens-tu à une religion ? »

Elle déclara : « Je suis mormone. »

Dès lors, le commandant et ses soldats cessèrent leurs menaces. Quand il revint chez elle la fois suivante, le commandant lui tapota l’épaule et l’appela « bonne Frau » mais il ne lui demanda plus de s’asseoir avec lui. Il semblait admirer sa force et respecter sa détermination à défendre ses croyances.

Il ne se passa pas beaucoup de temps avant que les soldats et Helga deviennent amis.

Quelques mois plus tard, en juillet 1947, des saints de toute l’Autriche se réunirent à Haag am Hausruck, ville située à environ deux cent vingt kilomètres à l’ouest de Vienne. Comme le mois de juillet marquait le centième anniversaire de l’arrivée des pionniers dans la vallée du lac Salé, Alois Cziep, le président de district, souhaitait que les saints autrichiens se réunissent pour fêter l’événement, comme le faisaient de nombreux membres de l’Église dans le monde. Haag am Hausruck était l’endroit idéal. La ville était proche du lieu où la première branche de l’Église avait été organisée en Autriche en 1902.

Plus de cent quatre-vingts saints firent le déplacement. Comme ils étaient trop nombreux pour pouvoir tous entrer dans le lieu de culte de la branche locale, les dirigeants de l’Église louèrent une grande salle dans un hôtel situé à proximité et construisirent une scène provisoire. Pendant les trois jours que dura la commémoration, il y eut des discours, des spectacles musicaux et une pièce de théâtre représentant des scènes du début de l’histoire de l’Église et de l’arrivée des pionniers dans la vallée du lac Salé.

Le dimanche, les saints se réunirent dans une carrière, où ils avaient installé une estrade pour les orateurs et un orgue pour accompagner les chants. Juchée sur une saillie rocheuse derrière l’estrade se dressait une réplique de plus de deux mètres de haut du temple de Salt Lake City. Kurt Hirschmann, membre de la branche de Frankenburg, avait passé plusieurs mois à la fabriquer, en utilisant les cartons qui avaient précédemment servi à emballer les articles humanitaires envoyés par l’Église.

Comme la plupart des saints présents, Alois n’était jamais allé au temple. Avec la confusion qui régnait en Europe et le temple le plus proche se trouvant à des milliers de kilomètres, ils ne pouvaient qu’imaginer ce que ce serait d’être dotés et scellés à leur famille. Mais cela n’empêchait pas Alois de reconnaître l’importance des alliances du temple ni de ressentir l’Esprit lorsque les saints parlèrent, chantèrent et témoignèrent.

À la tombée de la nuit, le groupe alluma un feu de joie dont la lumière chaude et scintillante illumina le temple en carton. Alois prit la parole à la fin de la réunion et parla de la foi des premiers missionnaires en Autriche, les comparant aux pionniers de 1847. Il déclara : « Combien nous devrions être reconnaissants pour l’Évangile, la prêtrise et toutes les possibilités merveilleuses qui sont à notre portée dans cette Église pour réaliser notre salut et même notre exaltation ! »

À la fin de la réunion, la lumière du feu de camp ayant faibli, un soldat américain saint des derniers jours sauta dans sa jeep pour en allumer les phares et illuminer de nouveau le temple dans le ciel nocturne.

Les saints autrichiens élevèrent la voix jusqu’au ciel en faisant résonner en chœur le cantique pionnier « Venez, venez, sans craindre le devoir » :

Recouvrons-nous du bouclier ;

Allons partout nous écrier

Que Dieu sera notre soutien.

Tout est bien ! Tout est bien !

Entouré de ses frères et sœurs dans l’Évangile, Alois était certain que ce cantique n’avait jamais été interprété avec tant de conviction.

Tandis que les saints du monde entier célébraient le centenaire de l’arrivée des pionniers, Pieter Vlam, ancien prisonnier de guerre, était missionnaire à plein temps aux Pays-Bas. Dans le cadre de son nouvel appel, il avait déménagé à une cinquantaine de kilomètres de chez lui pour diriger la branche d’Amsterdam. Sa femme, Hanna, et leurs trois enfants étaient restés chez eux.

La branche d’Amsterdam avait terriblement souffert sous l’occupation nazie. Avant sa libération, toute la ville était au bord de la famine. Si Ruurd Hut, le prédécesseur de Pieter, n’avait pas été là, de nombreux membres de la branche seraient morts de faim. Il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour que les saints sous sa responsabilité ne souffrent pas de la faim. Il avait collecté de l’argent auprès des membres de la branche et acheté de la nourriture que la Société de Secours avait cuisinée et distribuée aux saints en détresse.

Après cinq ans d’occupation, la situation des Pays-Bas était déplorable. Plus de deux cent mille Néerlandais étaient morts pendant la guerre et des centaines de milliers de maisons avaient été endommagées ou détruites. De nombreux saints d’Amsterdam et d’autres villes des Pays-Bas éprouvaient de la rancune à l’égard des Allemands et des saints qui avaient collaboré avec les occupants.

Pour favoriser l’unité, le président de mission, Cornelius Zappey, incita les branches à accroître leurs réserves alimentaires en lançant des projets de culture de pommes de terre grâce à des plants fournis par le gouvernement néerlandais. Pieter Vlam et sa branche louèrent un terrain à Amsterdam et hommes, femmes et enfants travaillèrent ensemble pour planter des pommes de terre et d’autres légumes. Les membres d’autres branches néerlandaises plantèrent également des pommes de terre partout où ils pouvaient : dans les arrière-cours, les jardins, les terrains vagues et les terre-pleins centraux des routes.

Le moment de la récolte approchant, Cornelius Zappey tint une conférence de mission dans la ville de Rotterdam. Il avait rencontré Walter Stover, président de la mission d’Allemagne de l’Est et il savait que de nombreux saints allemands souffraient de graves pénuries de nourriture. Il voulait faire quelque chose pour les aider. Il demanda donc aux dirigeants locaux s’ils étaient disposés à donner une partie de leur récolte de pommes de terre aux saints d’Allemagne.

Il reconnut : « À cause de cette guerre, le peuple allemand fait partie de vos pires ennemis. Néanmoins, ces gens sont désormais dans une situation beaucoup plus difficile que la vôtre. »

Au début, certains saints néerlandais s’opposèrent à ce projet. Pourquoi devraient-ils partager leurs pommes de terre avec les Allemands ? Ils pensaient que Cornelius Zappey ne se rendait pas compte des atrocités que leurs voisins leur avaient fait subir pendant la guerre. Bien qu’il soit né aux Pays-Bas, le président de mission avait passé la majeure partie de sa vie aux États-Unis. Il ne savait pas ce que c’était que de voir sa maison détruite par les bombes allemandes ou ses proches mourir de faim parce que les occupants allemands avaient pris leur nourriture.

Cornelius Zappey restait convaincu que le Seigneur voulait que les saints néerlandais aident leurs voisins. Il demanda donc à Pieter Vlam de se rendre dans les branches des Pays-Bas et de les rallier à ce projet. Pieter était un dirigeant de l’Église expérimenté dont l’emprisonnement injuste dans un camp allemand était connu de tous. S’il y avait bien quelqu’un dans la mission que les saints aimaient et à qui ils faisaient confiance, c’était Pieter Vlam.

Il accepta d’aider le président de mission et, tandis qu’il visitait les branches, il évoqua ses souffrances en prison. Il dit : « Vous savez ce que j’ai traversé. » Il exhorta les membres à pardonner au peuple allemand. Il ajouta : « Je sais à quel point il est difficile de les aimer. Toutefois, s’ils sont nos frères et nos sœurs, nous devons les traiter en tant que tels. »

Ses paroles et celles des autres présidents de branche émurent les saints. La colère de beaucoup d’entre eux se dissipa tandis qu’ils récoltaient des pommes de terre pour les saints allemands. Les désaccords au sein des branches ne disparurent pas mais au moins les saints savaient qu’ils étaient capables de travailler ensemble et d’aller de l’avant.

De son côté, Cornelius Zappey s’efforçait d’obtenir les autorisations nécessaires pour transporter les pommes de terre en Allemagne. Au début, le gouvernement néerlandais refusa que l’on exporte des denrées alimentaires. Les demandes insistantes du président de mission le firent céder. Quand des fonctionnaires essayèrent de bloquer les projets d’expédition, Cornelius leur dit : « Ces pommes de terre appartiennent au Seigneur. Si c’est sa volonté, il veillera à ce qu’elles arrivent en Allemagne. »

Finalement, en novembre 1947, des saints et des missionnaires néerlandais se réunirent à La Haye pour charger plus de soixante-dix tonnes de pommes de terre dans dix camions. Peu de temps après, les pommes de terre arrivèrent en Allemagne afin d’être distribuées parmi les saints. Walter Stover, le président de la mission d’Allemagne de l’Est, avait acheté des cargaisons supplémentaires de pommes de terre pour compléter l’approvisionnement.

La Première Présidence entendit parler du projet des pommes de terre. Abasourdi, David O. McKay, deuxième conseiller, dit : « C’est l’un des actes les plus grandioses de véritable attitude chrétienne que l’on m’ait jamais rapportés. »


Chapitre 33 : La main de notre Père

Parfois, lorsque Martha Toronto, âgée de trente-six ans, allait en ville pour faire des achats pour sa famille et les quelques missionnaires qui vivaient au foyer de la mission tchécoslovaque, elle se sentait observée. Au printemps de l’année 1948, cela faisait un an qu’elle vivait à Prague avec son mari, Wallace Toronto, qui était le président de mission. Pendant ses six premiers mois dans la ville, Martha avait travaillé dur pour aider les saints tchécoslovaques à reconstruire l’Église dans un pays encore traumatisé par sept années d’occupation nazie. Puis, en février 1948, les communistes du gouvernement, soutenus par les Soviétiques, avaient organisé un coup d’État, forçant tous les dirigeants non communistes à quitter leurs fonctions.

Ce coup d’État s’inscrivait dans le cadre d’une « guerre froide » qui était en train de naître entre l’Union soviétique et ses anciens alliés. En Tchécoslovaquie, le gouvernement communiste se méfiait généralement des groupes religieux et l’Église faisait l’objet d’une surveillance particulière en raison de ses liens avec les États-Unis. Des espions du gouvernement et des informateurs surveillaient les membres de l’Église et les missionnaires. De plus, la famille Toronto et les autres Américains semblaient susciter la méfiance de nombreux Tchécoslovaques. De temps en temps, Martha voyait le rideau d’une maison voisine s’entrouvrir discrètement à son passage. Un jour, un homme avait suivi sa fille de treize ans, Marion, depuis l’école jusque chez eux. Quand elle s’était retournée pour le regarder, il s’était caché derrière un arbre.

Martha savait ce que c’était de vivre sous un régime soupçonneux et soucieux de tout contrôler. Wallace et elle avaient déjà dirigé la mission tchécoslovaque auparavant, à partir de 1936, quelques années après leur mariage. Au début, le couple pouvait prêcher l’Évangile avec une certaine liberté. Mais, au début de l’année 1939, le régime nazi avait pris le contrôle du pays, harcelant les membres de l’Église et emprisonnant des missionnaires. Quelque temps plus tard, quand la guerre éclata, Martha, Wallace et les missionnaires nord-américains furent contraints d’évacuer le pays, laissant derrière eux plus d’une centaine de saints tchécoslovaques.

Wallace laissa la mission entre les mains de Josef Roubíček, un jeune homme de vingt et un ans, qui était devenu membre de l’Église seulement trois ans plus tôt. En tant que président de mission suppléant, Josef organisa des réunions et des conférences. Il écrivit aux saints de la mission et fit de son mieux pour leur donner du courage et fortifier leur foi. De temps en temps, il faisait rapport de l’état de la mission à Wallace.

Peu après la fin de la guerre, la Première Présidence appela Wallace et Martha Toronto à reprendre leurs fonctions en Tchécoslovaquie. Étant donné les conditions de vie difficiles dans une Europe déchirée par la guerre, Wallace partit seul pour Prague en juin 1946, promettant à sa famille de la faire venir dès que la situation serait plus stable. Martha s’était parfois demandé si elle aurait mieux fait de rester en Utah avec ses enfants, mais elle ne voulait pas qu’ils passent des années sans voir leur père. Après une année de séparation, les membres de la famille Toronto s’étaient enfin retrouvés.

En tant que dirigeante de mission, Martha supervisait l’œuvre de la Société de Secours, s’occupait des missionnaires et se réjouissait de voir de nouveaux convertis venir chaque semaine au foyer de la mission pour les activités de la Société d’Amélioration Mutuelle. Depuis que sa famille et l’Église étaient sous la surveillance étroite du gouvernement communiste, Martha avait toutes les raisons de penser que la vie en Tchécoslovaquie allait devenir plus difficile.

Avant que Martha ne quitte les États-Unis, J. Reuben Clark, de la Première Présidence, l’avait mise à part pour sa mission. Il avait dit : « Les problèmes qui se présenteront à vous seront nombreux et inhabituels. » Il lui avait promis qu’elle aurait la force de les affronter et l’avait bénie pour qu’elle soit patiente, charitable et longanime.

Martha se raccrochait à ces paroles tandis que sa famille et elle accomplissaient l’œuvre du Seigneur.

Pendant ce temps, loin de l’agitation européenne, John O’Donnal, âgé de trente et un ans, s’agenouillait près d’un arbre situé à l’écart dans un jardin botanique près de Tela, au Honduras. Depuis six ans, il dirigeait une usine de caoutchouc au Guatemala, pays voisin, et il se réjouissait chaque fois que son travail le conduisait dans ce jardin magnifique. Pour quelqu’un qui avait grandi au sein des colonies de saints des derniers jours dans les régions désertiques du nord du Mexique, cet endroit paisible, avec sa diversité impressionnante de flore et de faune, était un paradis tropical.

Pourtant, John avait l’esprit troublé. Sa femme, Carmen, et lui étaient tombés amoureux peu après qu’il eut commencé à travailler en Amérique centrale. Carmen étant catholique, ils avaient été mariés par un prêtre de son église. Toutefois, à l’époque, John avait eu le sentiment qu’elle partagerait un jour sa foi dans l’Évangile rétabli. Il souhaitait ardemment être scellé à elle dans le temple et lui parlait souvent de l’Église, qui n’avait pas de présence officielle au Guatemala. Mais Carmen ne semblait pas désireuse de changer de religion et John ne voulait pas se montrer trop insistant.

Il lui dit : « Je ne veux pas que tu deviennes membre de mon Église pour me faire plaisir. Tu dois faire des efforts pour obtenir ton propre témoignage. »

Carmen aimait beaucoup ce que John lui avait enseigné concernant l’Église, mais elle voulait être sûre que l’Évangile rétabli était fait pour elle. Enfant, elle n’avait pas été autorisée à lire la Bible et, au début, elle ne saisissait pas l’importance du Livre de Mormon. Elle demandait à son mari : « Pourquoi devrais-je lire ce livre ? Il ne signifie rien pour moi. »

John n’abandonna pas. Lors d’un voyage aux États-Unis, il lui parla du mariage éternel tandis qu’ils se trouvaient à Mesa, en Arizona, non loin du temple. Malgré tous ses efforts pour lui parler de l’Évangile rétabli, elle ne semblait pas en recevoir de témoignage.

John savait qu’une partie du problème se trouvait dans l’opposition manifestée par la famille et les amis de sa femme, dont certains disaient du mal de l’Église. Même si Carmen n’était pas une catholique fervente, elle chérissait les traditions avec lesquelles elle avait grandi. Son mari regrettait d’être lui-même parfois négligent dans la pratique de sa religion, notamment quand il était en présence d’amis et de collègues qui n’étaient pas membres de l’Église. C’était parfois difficile d’habiter si loin d’une branche organisée de l’Église. Il était reconnaissant pour ses jeunes années dans le nord du Mexique, où il avait été sous l’influence du bon exemple de ses parents et d’autres membres de l’Église.

Vers la fin de l’année 1946, John s’était entretenu avec le président de l’Église, George Albert Smith, à Salt Lake City. Il l’avait supplié d’envoyer des missionnaires au Guatemala. Le président Smith l’avait écouté avec intérêt parler de l’état de préparation du pays à la proclamation de l’Évangile. Le prophète et ses conseillers tenaient déjà conseil avec Frederick S. Williams, ancien président de la mission d’Argentine, sur l’expansion de l’œuvre missionnaire en Amérique latine.

Peu de temps après l’entretien, la Première Présidence avait annoncé sa décision d’envoyer des missionnaires au Guatemala. Les frères dirent à John : « Nous ne sommes pas sûrs de la date à laquelle cela pourra se faire mais nous pensons que ce sera dans un avenir raisonnablement proche. »

Plusieurs mois plus tard, quatre missionnaires arrivèrent chez la famille O’Donnal à Guatemala, juste après l’agrandissement de la mission mexicaine qui comprenait dorénavant le Guatemala, le Costa Rica, le Salvador, le Honduras, le Nicaragua et le Panama. Deux missionnaires poursuivirent leur route jusqu’au Costa Rica mais les deux autres commencèrent à organiser des réunions avec John, Carmen et leurs deux petites filles.

Ils mirent également en place une École du Dimanche et une Primaire. Ils demandèrent même à Teresa, la sœur de Carmen, d’être instructrice à la Primaire. Même si Carmen assistait aux réunions de l’Église avec son mari, elle était toujours réticente à l’idée de se faire baptiser. En fait, au moment où John s’agenouillait dans le jardin botanique, cela faisait presque un an que les missionnaires œuvraient au Guatemala et personne dans le pays n’était devenu membre de l’Église.

En priant, John ouvrit son cœur, suppliant notre Père céleste qu’il lui pardonne ses péchés et ses faiblesses. Il pria ensuite pour Carmen qui avait des difficultés à recevoir un témoignage. Il semblait qu’au cours des cinq dernières années, l’adversaire avait fait tout ce qu’il pouvait pour la tenir à l’écart de l’Église. Quand recevrait-elle sa réponse du Seigneur ?

Tandis que John O’Donnal priait au Honduras, Emmy Cziep travaillait dur en tant que missionnaire en Suisse. En plus des tâches habituelles des missionnaires, elle aidait Scott Taggart, le président de mission, dans ses correspondances en allemand. Elle traduisait aussi en allemand les manuels de leçons qui étaient en anglais. Avant sa mission, elle ne parlait pas l’anglais mais elle s’était améliorée en étudiant attentivement d’anciens numéros du magazine Improvement Era et en emportant un dictionnaire partout où elle allait.

Au cours de l’été 1948, un fonctionnaire du gouvernement informa Emmy que son visa ne pouvait plus être renouvelé et qu’elle devrait retourner à Vienne dans trois mois. Sa famille lui manquait mais elle n’avait guère envie de vivre en Autriche sous l’influence de l’Union soviétique, qui occupait encore certaines parties de sa ville et de son pays. Elle allait peut-être pouvoir trouver un emploi temporaire en tant qu’employée de maison en Grande-Bretagne, mais rien n’était certain. Elle pensait souvent au proverbe : « Confie-toi en l’Éternel de tout ton cœur, et ne t’appuie pas sur ta sagesse. »

Un jour, Emmy fit la connaissance de deux sœurs missionnaires de la mission britannique qui visitaient la Suisse avant de rentrer chez elles. Elles étaient toutes deux originaires du Canada et ne parlaient pas l’allemand ; Emmy leur servit donc d’interprète. Dans la conversation, elle leur parla de sa réticence à retourner à Vienne. Marion Allen, l’une des missionnaires, lui demanda si elle ne préférait pas plutôt émigrer au Canada au lieu d’aller en Grande-Bretagne. Au Canada, la plupart des membres de l’Église vivaient près du temple de Cardston, en Alberta, mais on trouvait des branches de l’Église dans tout le pays, de la Nouvelle-Écosse à l’est jusqu’à la Colombie-Britannique à l’ouest.

Emmy pensait qu’elle avait peu de chance de réussir à émigrer en Amérique du Nord. L’Autriche n’avait pas encore signé de traité de neutralité et ses citoyens étaient considérés comme des ennemis par les nations alliées. De plus, Emmy n’avait pas de famille ni d’amis au Canada ou aux États-Unis qui pouvaient la parrainer ou lui garantir un emploi.

Quelques semaines plus tard, le président Taggart reçut un télégramme du père de Marion, Heber Allen, lui demandant si Emmy désirait s’installer au Canada. Marion lui avait parlé de la situation difficile dans laquelle se trouvait la jeune femme et il avait pris contact avec une connaissance au sein du gouvernement canadien pour obtenir une autorisation d’immigration. Heber était disposé à offrir à Emmy un emploi et un logement dans leur maison à Raymond, petite ville près de Cardston.

Emmy accepta immédiatement. Tandis qu’elle se préparait à partir, ses parents, Alois et Hermine, obtinrent un laissez-passer d’une journée à la frontière suisse pour lui dire au revoir. Emmy savait que ses parents faisaient preuve de foi en acceptant de laisser leur fille de vingt ans partir vivre parmi des étrangers dans un pays inconnu, sans savoir s’ils la reverraient.

Ils lui dirent : « Où que tu ailles, tu ne seras jamais seule. Ton Père céleste est là, il veille sur toi. » Ils l’exhortèrent à être une bonne citoyenne et à rester proche de l’Église.

Pendant la traversée de l’océan Atlantique, Emmy avait le cœur lourd en pensant à sa famille très soudée, aux membres de la branche de Vienne et à son Autriche bien-aimée. Elle se mit à pleurer, se disant que si elle avait le pouvoir de faire faire demi-tour au bateau, elle le ferait sans doute.

Deux missionnaires qui rentraient de Tchécoslovaquie naviguaient avec Emmy. Grâce à eux, le voyage fut moins pénible. Entre deux crises de mal de mer, chacun d’eux demanda Emmy en mariage, mais elle n’accepta aucune des deux offres. Elle leur dit : « Cela fait deux ans que vous n’avez pas fréquenté de jeunes filles. Dès que vous rentrerez chez vous, vous trouverez une femme très gentille avec laquelle vous vous marierez. »

Lorsque le navire accosta en Nouvelle-Écosse, les deux missionnaires furent autorisés à entrer immédiatement dans le pays mais Emmy fut conduite dans une zone d’attente clôturée avec des dizaines d’autres émigrants. Elle apprit que certains d’entre eux étaient des orphelins des camps de concentration allemands.

Dans les années trente, les nazis emprisonnaient dans ces camps les dissidents politiques et toute autre personne qu’ils jugeaient inférieure ou dangereuse pour leur régime. Après le début de la guerre, ils avaient continué d’arrêter ces personnes pour finalement en assassiner des centaines de milliers. L’antisémitisme nazi était devenu génocidaire tandis que le régime emprisonnait et assassinait systématiquement des millions de Juifs dans les camps de concentration. Deux tiers des Juifs d’Europe étaient morts pendant l’Holocauste, y compris Olga Weiss et son fils, Egon, d’origine juive, qui étaient devenus membres de l’Église et pratiquaient le culte avec la famille d’Emmy au sein de la branche de Vienne.

Au Canada, Emmy attendit une journée entière pendant que les fonctionnaires du gouvernement répartissaient les émigrants par langue, puis les interrogeaient, un par un. La jeune femme pria pour passer l’inspection sans difficulté. Elle savait que des émigrants étaient renvoyés en Europe parce que leurs papiers n’étaient pas en règle, qu’ils n’avaient pas assez d’argent, ou simplement parce qu’ils étaient malades. Quand le fonctionnaire prit son passeport pour le tamponner, sa joie était telle que son cœur sembla bondir hors de sa poitrine.

Elle pensa : « Je suis libre, dans un pays libre. »

À la même époque, à Guatemala, Carmen O’Donnal avait matière à réflexion. Elle venait de recevoir une lettre de son mari, John, qui se trouvait au Honduras pour affaires. En son absence, il voulait qu’elle demande à Dieu si l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours était vraie, si Joseph Smith était un prophète et si le Livre de Mormon était la parole de Dieu. Il la supplia de prier à ce sujet. Il ajouta : « Je veux que ma femme et mes enfants soient scellés à moi pour les éternités. »

Carmen avait déjà prié à ce sujet de nombreuses fois auparavant. Il lui était particulièrement difficile, et même pénible, de prier quand son mari n’était pas à la maison. Un esprit terrible l’entourait et elle était témoin des démonstrations alarmantes de la puissance de Satan. L’idée de retenter l’expérience sans son mari à ses côtés l’effrayait.

Pourtant, un soir, elle décida d’essayer à nouveau. Elle mit ses deux filles au lit puis s’agenouilla dans sa chambre pour prier. Les pouvoirs des ténèbres l’enserrèrent immédiatement. Elle avait l’impression que des milliers de visages moqueurs emplissaient la pièce et voulaient la détruire. Elle s’enfuit et grimpa les escaliers jusqu’au deuxième étage, où vivaient les missionnaires. Elle leur raconta ce qu’il s’était passé et ils lui donnèrent une bénédiction.

Quand Carmen ouvrit les yeux, elle se sentait plus calme. Elle se rendit compte que, pour une raison inconnue, Satan essayait de la détruire. Il était clair qu’il ne voulait pas qu’elle obtienne un témoignage de l’Évangile rétabli. Sinon, pourquoi s’efforcerait-il à ce point de perturber ses prières ? Elle comprit soudain qu’elle devait se faire baptiser.

La famille O’Donnal fut bien occupée au cours des mois suivants. Depuis le retour de John du Honduras, sa femme et lui priaient toujours ensemble. Carmen continuait d’assister aux réunions de Sainte-Cène et à d’autres réunions de l’Église, acquérant une meilleure compréhension de l’Évangile. Lors d’une réunion de témoignage avec Arwell Pierce, le président de la mission du Mexique, elle se leva et prononça quelques mots. D’autres personnes témoignèrent à leur tour. Ils pleurèrent ensemble, touchés et inspirés par le Saint-Esprit.

Le 13 novembre 1948, les missionnaires organisèrent un service de baptême pour Carmen, sa sœur Teresa et deux autres personnes, Manuela Cáceres et Luis Gonzalez Batres. Comme il n’y avait pas de fonts baptismaux dans la salle qu’ils louaient pour les réunions de l’Église, des amis acceptèrent de laisser John et les missionnaires accomplir les baptêmes dans une petite piscine au sud de la ville.

Une semaine plus tard, Mary White et Arlene Bean, deux missionnaires de la mission mexicaine, arrivèrent pour organiser une Société de Secours dans la capitale, Guatemala. Carmen en fut appelée présidente. Elle tenait des réunions le jeudi après-midi avec les missionnaires. La plupart des femmes qui y assistaient n’étaient pas membres de l’Église. L’une d’elles, une professeure d’université d’âge moyen, fut d’abord embarrassée par le fait qu’une personne aussi jeune que Carmen dirige l’organisation.

Elle dit aux missionnaires : « Je n’ai pas la moindre idée de la raison pour laquelle vous avez appelé cette jeune femme à être présidente. »

Carmen se sentait mal. Elle ne pouvait pas s’empêcher de penser que cette femme avait raison. Pourquoi n’avait-on pas appelé une professeure ou une autre femme plus âgée pour être présidente ?

Les sœurs missionnaires la rassurèrent : « Vous n’avez pas à éprouver ces sentiments puisque vous n’avez pas demandé cette tâche. Vous êtes la personne qui a été appelée à la remplir. »

La Société de Secours ne disposant pas de manuels, Carmen improvisait les leçons et les activités. En février 1949, deux femmes, Antonia Morales et Alicia Cáceres, devinrent membres de l’Église. Quelques semaines plus tard, Carmen les appela, ainsi que Gracie de Urquizú, une femme qui s’intéressait à l’Église, à faire partie de sa présidence. Elles furent présentées lors d’une réunion à laquelle vingt et une femmes assistèrent. C’était la première fois qu’une de leurs réunions attirait autant de monde.

Toutes étaient heureuses et disposées à apprendre.

Pendant le printemps 1949, George Albert Smith se réveillait souvent au bruit des grognements des phoques et du mouvement régulier des vagues de l’océan Pacifique. Le prophète était arrivé en Californie en janvier pour inspecter le site du temple de Los Angeles. Le projet avait été retardé par la guerre et les opérations de secours en faveur de l’Europe et les dirigeants de l’Église voulaient maintenant relancer le projet de construction. Au bout de quelques jours de réunions, le président Smith se sentit mal. Son état s’aggrava et les médecins lui diagnostiquèrent un caillot de sang dans la tempe droite.

Sa vie n’était pas en danger mais il avait du mal à reprendre des forces. Lorsque les médecins le laissèrent finalement sortir de l’hôpital, il resta en Californie pour se rétablir au bord de la mer. La conférence générale d’avril 1949 arrivant à grand pas, il espérait pouvoir retourner à Salt Lake City. Néanmoins, à chaque fois qu’il s’asseyait dans son lit, il était pris d’un vertige terrible qui semblait faire tourner la pièce et l’obligeait à se recoucher.

Mis à part le caillot, les médecins ne trouvaient aucune explication à la fatigue du prophète. Celui-ci tira la conclusion suivante dans son journal : « Mes plus gros problèmes, ce sont des nerfs fatigués et le surmenage. »

Pendant une grande partie de sa vie d’adulte, le président Smith avait eu divers problèmes de santé dont une mauvaise vue, des problèmes digestifs et une fatigue terrible. Lorsqu’il avait été appelé apôtre à l’âge de trente-trois ans, il savait déjà ce qu’il risquait s’il repoussait trop les limites de son corps. Mais son sens du devoir et son désir d’œuvrer l’empêchaient parfois de ralentir le rythme.

En 1909, six ans après son appel à l’apostolat, il était anxieux et déprimé. Il n’avait plus d’énergie et resta alité pendant des mois, incapable de faire quoi que ce soit. Sa mauvaise vue l’empêchait de lire sur une longue durée. Il se sentait inutile et désespéré, et il y avait des moments où il souhaitait mourir. Pendant trois ans, il dut se retirer de ses fonctions habituelles au sein du Collège des douze apôtres.

Le président Smith constata que la prière, l’air frais, un régime alimentaire nutritif et de l’exercice physique régulier l’aidaient à retrouver son énergie. Même s’il n’était pas encore complètement guéri de ses problèmes de santé, ces premières années difficiles en tant qu’apôtre l’avaient convaincu que le Seigneur avait un plan pour sa vie. Il trouva du réconfort dans une lettre de son père, John Henry Smith, alors apôtre. Il avait écrit : « L’expérience amère que tu traverses n’est conçue que pour ta purification, ton élévation et ta qualification pour une longue vie de travail. »

Depuis lors, le président Smith consacrait son énergie à soulager la souffrance, l’injustice et les difficultés. Il fit imprimer les premiers exemplaires du Livre de Mormon en braille et organisa la première branche de l’Église pour les sourds. Après avoir appris que Helmuth Hübener, le jeune saint allemand exécuté par les nazis, avait été excommunié à tort, le président Smith et ses conseillers annulèrent l’action et demandèrent aux autorités locales de le noter sur le certificat de membre de Helmuth. Le prophète accorda une attention nouvelle aux Amérindiens vivant aux États-Unis, cherchant à améliorer leurs conditions de vie et leur instruction.

Toutefois, le cœur compatissant du prophète ajoutait souvent à son fardeau émotionnel. Un jour, il confia à un ami : « Quand tout va bien, mes nerfs ne sont pas très solides, et lorsque je vois des personnes tristes ou déprimées, cela m’atteint facilement. »

À l’époque, les médecins ne comprenaient pas bien les maladies physiques et mentales de longue durée. Ils utilisaient souvent des termes tels que « épuisement nerveux » pour décrire un état de fatigue chronique ou de dépression. Le président Smith faisait de son mieux pour rester en bonne santé, profitant de ses périodes de regain d’énergie et d’endurance, et se reposant lorsque c’était nécessaire. Il n’éprouvait plus le genre d’épuisement qu’il avait connu des décennies plus tôt, mais la vieillesse et ses responsabilités immenses l’accablaient.

Le 20 mars, le prophète envoya un courrier par avion à ses conseillers dans lequel il leur recommandait de tenir la conférence générale sans lui. Le lendemain, J. Reuben Clark lui téléphona, espérant qu’il serait rétabli avant la conférence. Il dit : « Attendons de voir comment vous vous sentirez dimanche prochain. »

La semaine suivante, le prophète souffrait toujours de vertiges mais il sentait ses forces lui revenir peu à peu. Le 27 mars, ses médecins confirmèrent qu’il était en suffisamment bonne santé pour voyager. Il monta alors à bord d’un train à destination de Salt Lake City. Il profita du trajet pour bien se reposer et, le week-end de la conférence, il sut que le Seigneur l’avait béni en lui donnant de la force.

Le deuxième jour de la conférence, le président Smith se tint devant les saints, le cœur rempli d’amour et de reconnaissance. Il dit : « Bien souvent, alors que j’étais apparemment prêt à passer de l’autre côté, on m’a retenu ici pour une autre tâche à accomplir. »

Ensuite, il prononça des paroles qu’il n’avait pas prévu de dire. Il déclara : « J’ai connu beaucoup de joie dans ma vie. Je prie pour que nous fassions des ajustements au fur et à mesure des expériences de la vie afin de pouvoir tendre la main et sentir celle de notre Père. »

À Prague, le président de mission, Wallace Toronto, attendait de savoir si les sept nouveaux missionnaires américains appelés à servir dans la mission tchécoslovaque allaient être autorisés à entrer dans le pays. Au cours de l’année précédente, le nombre de missionnaires en Tchécoslovaquie était passé à trente-neuf. C’était le deuxième plus grand groupe de citoyens américains dans le pays, juste après le personnel de l’ambassade américaine. Cependant, dix missionnaires devaient rentrer chez eux et il fallait les remplacer pour que la mission puisse continuer sur sa lancée.

Le groupe de nouveaux missionnaires était arrivé en Europe en février 1949. Comme le gouvernement tchécoslovaque ne leur accorda pas immédiatement de visa, les missionnaires attendirent au foyer de la mission suisse-autrichienne, à Bâle, pendant que Wallace Toronto sollicitait un haut fonctionnaire du gouvernement pour que les missionnaires entrent dans le pays. Après des semaines d’attente, Wallace apprit que sa requête avait été refusée.

La réponse officielle indiquait : « Pour l’instant, plus aucun citoyen américain ne sera admis en Tchécoslovaquie dans le but d’y résider. »

Les missionnaires furent réaffectés à la mission suisse-autrichienne, laissant Wallace en manque de missionnaires, au moment même où le gouvernement communiste s’immisçait de plus en plus dans les affaires de l’Église. Le régime exigeait désormais que toutes les leçons et tous les discours publics soient approuvés six semaines à l’avance. De plus, les fonctionnaires communistes assistaient souvent aux réunions de l’Église pour surveiller les saints, guettant un discours non approuvé. Le gouvernement n’autorisa plus l’impression du magazine de la mission, Novy Hlas et menaça les saints de réduire leurs rations ou de les faire licencier de leur emploi s’ils continuaient d’aller à l’église. Certains membres se sentaient incités à espionner les autres membres de leur assemblée.

Des saints désemparés demandèrent conseil à Wallace Toronto, qui leur dit qu’ils ne devaient jamais se sentir obligés de se mettre en danger. S’ils étaient contraints par des agents gouvernementaux de faire un rapport sur une réunion de l’Église, ils devraient donner juste assez de renseignements pour satisfaire les enquêteurs.

Malgré toutes ces difficultés, certains Tchécoslovaques étaient désireux d’entendre le message de l’Évangile. Au lieu de limiter le nombre de réunions publiques, Wallace étendit l’influence de la mission en organisant des dizaines de conférences dans tout le pays. Ces rassemblements attiraient de plus en plus de monde, et de nombreux exemplaires du Livre de Mormon furent vendus. Un soir, dans la ville de Pilsen, près de neuf cents personnes se réunirent pour écouter.

Cependant, un tel succès entraîna un contrôle accru du gouvernement. Dans certaines régions, notamment à Prague, les fonctionnaires refusèrent les demandes d’organisation de conférences. Peu de temps après la réunion à Pilsen, le gouvernement refusa de renouveler le permis de résidence de quatre missionnaires américains dans le pays, alléguant qu’ils représentaient « une menace pour la paix publique, l’ordre et la sécurité de l’État ».

Wallace Toronto réitéra la demande de permis auprès des responsables du régime, insistant sur le fait que les missionnaires n’avaient rien fait qui puisse mettre en danger la population. Il présenta plusieurs articles positifs sur la Tchécoslovaquie tirés du Deseret News pour prouver que les saints n’étaient pas des ennemis du gouvernement. Il indiqua également que, après la guerre, l’Église avait distribué dans tout le pays de la nourriture et des vêtements. Il souligna le fait que les missionnaires contribuaient à l’économie tchèque.

Mais cela n’eut aucun effet. Le gouvernement exigea que les quatre missionnaires quittent le pays avant le 15 mai 1949. Dans son rapport de mission, Wallace fit part de sa crainte que tous les mouvements religieux en Tchécoslovaquie ne soient bientôt soumis à un contrôle étatique strict.

Il refusa néanmoins de se laisser abattre. Il écrivit : « Nous prions avec l’espoir que le Seigneur continuera de bénir son œuvre dans ce pays, quels que soient les bouleversements politiques à venir. »


Chapitre 34 : Va le voir

Emmy Cziep n’avait pas l’habitude de vivre dans une petite ville. Elle avait grandi dans une ville européenne animée et, au début, sa nouvelle résidence canadienne à Raymond, en Alberta, ne lui fit pas grande impression. La ville comprenait quelques magasins et une sucrerie. Les routes étaient en terre et il n’y avait aucun trottoir. En découvrant son nouveau cadre de vie, elle pensa : « Ai-je quitté tout ce qui m’était cher pour ça ? »

Ses hôtes, Heber et Valeria Allen, firent de leur mieux pour qu’elle se sente bien. Elle disposait d’une chambre à l’étage supérieur de leur maison spacieuse et Heber lui avait donné un emploi dans son magasin, le « Raymond Mercantile ». Emmy savait qu’il n’avait pas besoin de son aide, mais cela lui permettait de rembourser l’argent que sa femme et lui avaient dépensé pour son émigration. Le couple faisait partie des nombreuses familles de saints des derniers jours au Canada qui aidaient les membres de l’Église européens. Récemment, leur pieu avait envoyé quinze mille sacs de blé concassé aux saints allemands.

Quelques semaines après s’être installée à Raymond, Emmy reçut une lettre de Glenn Collette, un ancien missionnaire de la mission suisse-autrichienne. Elle avait fait sa connaissance pendant qu’ils étaient tous les deux en mission en Suisse et ils avaient rapidement commencé à éprouver des sentiments l’un pour l’autre, mais ils étaient restés concentrés sur leur mission. Glenn vivait désormais à Idaho Falls, aux États-Unis, à plus de huit cents kilomètres au sud de Raymond, mais il voulait savoir s’il pouvait venir voir Emmy à Noël.

La famille Allen n’aimait pas l’idée que le jeune homme fasse tout ce chemin pour rendre visite à Emmy, mais ils acceptèrent et il passa les vacances avec la famille. La jeune femme était heureuse de revoir son ami et, lorsqu’il fut rentré en Idaho, ils s’écrivirent presque tous les jours et se téléphonaient tous les samedis soirs.

Le jour de la Saint-Valentin, Glenn demanda Emmy en mariage au téléphone. Elle accepta. Quelques jours plus tard, elle commença à douter, pensant qu’ils devaient prendre davantage de temps pour faire connaissance. Elle savait que c’était un homme bon, qui avait été un missionnaire diligent. De plus, il avait beaucoup d’amis et semblait aimer les enfants. Toutefois, était-il sage d’épouser un homme qu’elle avait fréquenté essentiellement au téléphone ?

Les lettres de Glenn étaient rassurantes et elles lui permirent de mieux le connaître. Un jour, il écrivit : « Je t’aime de tout mon être. Quoi que l’avenir me réserve, si tu es avec moi, je ne connaîtrai que le bonheur et la joie. »

Le 24 mai 1949, six mois après son arrivée au Canada, Emmy priait avec Glenn avant de se rendre au temple de Cardston. Le jeune homme était nerveux et il oublia leur certificat de mariage, ce qui les retarda un peu. Quant à Emmy, ses parents restés en Autriche lui manquaient. Toutefois, elle savait qu’ils pensaient à elle et comprenaient l’importance des alliances qu’elle contractait ce jour-là.

Plus tard, tandis que le jeune couple était agenouillé de part et d’autre de l’autel dans la salle de scellement, Emmy était remplie de reconnaissance. Son déménagement au Canada lui avait donné la possibilité de vivre près d’un temple et de s’y rendre avec quelqu’un qu’elle aimait. Sans l’Évangile rétabli et son engagement et celui de Glenn à s’y conformer, ils ne se seraient jamais trouvés.

Après une lune de miel passée non loin dans un parc national, Glenn retourna à Idaho Falls tandis qu’Emmy resta à Raymond en attendant de pouvoir émigrer aux États-Unis. Un soir, environ un mois après son mariage, elle eut l’occasion de se rendre au temple avec un groupe de missionnaires.

Elle écrivit à Glenn : « Quand j’entrerai dans le temple ce soir, je penserai à toi constamment. » Elle attendait avec impatience le jour où ils retourneraient ensemble dans la maison du Seigneur. Elle ajouta dans sa lettre : « En attendant, sache que je te remercie et que je t’aime. »

À peu près à cette époque, à Nagoya, au Japon, Toshiko Yanagida, âgée de vingt-neuf ans, craignait pour sa vie. Elle venait de faire une fausse couche, à la suite de quoi son médecin lui avait trouvé une tumeur qu’il fallait opérer. Comme le matériel médical se faisait encore rare au Japon, suite à la Seconde Guerre mondiale, l’opération était dangereuse. Ne sachant pas si elle y survivrait, Toshiko se faisait du souci pour ses fils, Takao, trois ans, et Masashi, cinq ans. Elle voulait qu’ils aient foi en Dieu mais ni elle ni son mari, Tokichi, ne leur avaient enseigné les choses spirituelles.

Même si la jeune femme n’était pas particulièrement attirée par la religion, elle était convaincue qu’une force supérieure veillait sur elle. En grandissant, elle était allée à l’école dans un établissement protestant et avait étudié le shintoïsme et le bouddhisme, les deux religions les plus répandues au Japon. Elle se souvenait aussi d’avoir assisté à une réunion de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours avec son père, Tomigoro Takagi, qui en était devenu membre en 1915. Son père ne parlait pas souvent de sa religion, car les grands-parents de Toshiko, qui vivaient alors avec la famille, s’opposaient à l’Église. De plus, depuis la fermeture de la mission japonaise en 1924, quand Toshiko avait cinq ans, Tomigoro avait rarement eu l’occasion de se réunir avec d’autres saints.

L’opération de Toshiko se déroula avec succès et, lorsqu’elle eut repris suffisamment de forces pour voyager, elle se rendit chez ses parents, près de Tokyo, et parla de religion avec son père. Elle lui dit : « Je veux assister aux offices d’une église. »

Tomigoro l’incita à assister à un service de culte des saints des derniers jours. Lui-même retournait depuis peu à l’Église. Après la guerre, les dirigeants de l’Église à Salt Lake City étaient venus en aide aux saints japonais, leur envoyant des cargaisons de nourriture et de vêtements dont ils avaient tant besoin. Les groupes de militaires offraient toujours la possibilité aux membres de l’Église japonais de se réunir avec des soldats saints des derniers jours américains. Ces réunions connaissaient un tel succès qu’en 1948, la Première Présidence se sentit poussée à envoyer à nouveau des missionnaires au Japon.

Tomigoro connaissait un missionnaire du nom de Ted Price qui servait à Narumi, à deux heures de chez Toshiko. Il dit à sa fille : « Va le voir. Si tu lui dis que tu es la fille de Tomigoro Takagi, cela lui fera très plaisir. »

Toshiko était quelque peu sceptique concernant l’Église de son père. Elle ne connaissait rien de ses enseignements et n’aimait pas le terme « mormon ». Néanmoins, un dimanche, quelques mois après son opération, elle se rendit dans un petit lieu de culte sur le versant d’une colline à Narumi. Elle arriva en retard, au moment où Ted Price parlait du Livre de Mormon à une grande assemblée. En écoutant leur discussion, elle commença à changer d’avis concernant l’Église. Elle croyait ce qu’elle entendait et cela lui donnait de l’espérance.

À la fin de la réunion, elle alla voir Ted Price et son collègue, Danny Nelson. Les deux jeunes hommes lui avaient fait bonne impression et elle avait hâte de les entendre à nouveau parler. Pourtant, il serait difficile de se rendre à l’église à Narumi : le trajet prenait beaucoup de temps. De plus, son mari ne l’accompagnerait probablement pas. Le dimanche était son seul jour de congé et il refusait de prendre part à une religion quelle qu’elle soit.

Cependant, ce que Toshiko avait entendu ce jour-là avait fait naître en elle la foi en l’Évangile rétabli Elle se dit : « Si je veux donner à mes garçons la même flamme, mon mari doit changer. Comment faire pour que cela arrive ? »

Tandis que Toshiko Yanagida pensait à l’avenir de sa famille, Adele Cannon Howells, présidente générale de la Primaire, cherchait un moyen d’aider les petits enfants à découvrir le Livre de Mormon. Pendant de nombreuses années, les conférences générales et les manuels pédagogiques de l’Église n’y faisaient référence qu’occasionnellement. Les leçons de la Primaire mettaient plutôt l’accent sur les histoires de la Bible et sur les valeurs que les saints avaient en commun avec les autres religions chrétiennes. Cependant, depuis peu, les dirigeants et les instructeurs de l’Église avaient commencé à s’appuyer de plus en plus sur le Livre de Mormon. Des membres de l’Église souhaitaient que la Primaire revoie ses leçons afin de faire meilleur usage de cet ouvrage canonique et des autres enseignements propres aux saints des derniers jours.

Comme Adele savait que les images étaient un outil efficace pour faire comprendre l’Évangile, elle écrivit à Spencer W. Kimball, qui était apôtre, et à plusieurs organisations de l’Église pour leur proposer de produire un livre d’histoires illustrées du Livre de Mormon pour les enfants.

Spencer W. Kimball répondit : « Votre proposition est très intéressante. » Toutefois, il craignait que le projet ne soit trop onéreux.

Adele n’était pas prête à y renoncer. Depuis qu’elle avait été appelée présidente générale de la Primaire en 1943, elle avait mené à bien plusieurs projets ambitieux, dont deux programmes novateurs destinés aux enfants. Le premier était une émission radiophonique de quinze minutes : L’ami des enfants sur les ondes (Children’s Friend of the Air), qui racontait des histoires tirées du magazine officiel de la Primaire. Le second était un programme télévisé hebdomadaire intitulé Le conseil des cadets (Junior Council), lancé en 1948, année où l’Église avait diffusé la conférence générale à la télévision pour la première fois. Dans ce programme, des enfants répondaient aux questions envoyées par des lecteurs du magazine L’Ami des enfants ou posées par le public présent dans le studio.

Par ailleurs, pendant plusieurs années, Adele avait travaillé à un projet de construction d’un nouvel hôpital pour enfants à Salt Lake City. Depuis 1922, la Primaire gérait un hôpital dans la ville mais il fallait désormais des locaux plus grands et plus modernes. En avril 1949, les dirigeants de l’Église posèrent la première pierre du nouvel hôpital situé au sommet d’une colline surplombant la vallée du lac Salé. Afin de récolter les fonds nécessaires et de permettre aux enfants de la Primaire de prendre une part active à la construction du bâtiment, Adele créa le programme « achète une brique ». Chaque fois qu’un enfant donnait dix cents, il devenait propriétaire d’une brique de l’hôpital.

En réfléchissant à son projet d’illustration du Livre de Mormon, Adele envisagea de commander une série de peintures magnifiques à l’occasion du cinquantième anniversaire de L’Ami des enfants. Cet événement se produirait en 1952, dans seulement trois ans. Elle devait donc trouver sans délai l’artiste qui pourrait réaliser les tableaux à temps.

Plusieurs artistes de l’Église avaient déjà illustré des scènes du Livre de Mormon. Quelques décennies plus tôt, George Reynolds, secrétaire de la Première Présidence, avait publié un livre d’histoires du Livre de Mormon avec des illustrations de grande qualité réalisées par des artistes locaux. Peu de temps après, il avait publié des articles sur la vie de Néphi, illustrés par l’artiste danois C. C. A. Christensen.

Plus récemment, l’illustrateur Phil Dalby avait commencé à produire des bandes dessinées remarquables sur le Livre de Mormon pour le Deseret News. Minerva Teichert, qui avait étudié dans les meilleures écoles d’art des États-Unis, avait entrepris une série ambitieuse de peintures du Livre de Mormon peu après avoir achevé les peintures murales d’une salle d’ordonnance dans le temple de Manti. Elle voulait que ses tableaux donnent vie au Livre de Mormon, et nombre d’entre eux se composaient de scènes aux couleurs vives représentant des femmes oubliées ou anonymes dans le récit scripturaire.

En cherchant un artiste, Adele découvrit le travail d’Arnold Friberg, un illustrateur saint des derniers jours de trente-six ans qui s’était installé en Utah depuis peu. Un de ses tableaux à thème religieux lui fit grande impression. On y voyait Richard Ballantyne, le fondateur de l’École du Dimanche, assis devant un feu crépitant, penché en avant tandis qu’il instruisait un groupe d’enfants très attentifs. Son travail était très minutieux, depuis le grain du bois du plancher jusqu’à la lumière du feu qui se reflétait sur le visage des enfants.

Après des recherches approfondies, Adele décida qu’Arnold était le choix idéal. Il était incontestablement talentueux et manifestement passionné par la création de tableaux traitant de thèmes religieux. Même si la commande était coûteuse, Adele avait les moyens de contribuer à payer les tableaux elle-même, si nécessaire.

Convaincue de l’utilité du projet, elle rapporta dans son journal les efforts du bureau de la Primaire, espérant que leur rêve deviendrait réalité. Elle écrivit : « Que le Seigneur nous aide. »

Pendant ce temps, au Japon, Toshiko Yanagida assistait à autant de réunions de l’Église qu’elle pouvait. Le dimanche matin, elle se rendait à Narumi pour assister à l’École du Dimanche. La leçon était donnée par Tatsui Sato, autrefois protestant, qui s’était fait baptiser en même temps que sa femme, Chiyo, environ un an après la fin de la guerre. Ensuite, l’après-midi, Toshiko assistait à la réunion de Sainte-Cène dans un autre endroit de la ville. Le lundi, la branche organisait des réunions de la SAM ouvertes à toutes les personnes qui souhaitaient étudier les Écritures et jouer à des jeux. Toshiko y participa aussi. Après son opération, la jeune femme s’était sentie vidée physiquement, émotionnellement et financièrement. La compagnie des saints lui apportait de la joie et donnait un nouveau sens à sa vie.

Son mari, Tokichi, n’était pas content de ses longues absences. Quand elle commença à quitter la maison plus souvent, parfois en le prévenant au dernier moment, il exigea qu’elle choisisse entre son foyer et sa religion. Il lui dit : « Si tu veux tant aller à l’église, répartissons-nous les enfants. Je prendrai notre fils aîné et tu pourras prendre le cadet, et tu n’as qu’à partir de cette maison. »

Toshiko avait commencé à aller à l’église pour le bien de ses fils, elle n’allait pas permettre que cela brise sa famille. Mais elle ne voulait pas non plus retourner à son ancienne vie. Elle décida de travailler plus dur à la maison pour montrer à son mari qu’elle pouvait se consacrer à l’Église sans nuire à leur famille. Elle le supplia : « S’il te plaît, laisse-moi continuer un peu plus longtemps. » Jour et nuit, elle priait pour que lui aussi vienne à l’église et qu’ils pratiquent la même religion.

Un jour, Toshiko invita Ted Price et Danny Nelson à la fête d’anniversaire de son fils, Takao. Malgré la distance, les missionnaires furent heureux de venir. Ils apportèrent des bonbons pour le jeune garçon.

Lors de la fête, Danny Nelson s’assit à côté de Tokichi et lui parla de l’Église et de l’œuvre missionnaire. Il expliqua que son collègue et lui avaient payé eux-mêmes leur mission et qu’ils n’avaient pas reçu d’argent de l’Église. Les missionnaires témoignèrent aussi de l’Évangile rétabli et de l’importance qu’il pouvait avoir pour la famille de leurs hôtes. Après le repas, ils jouèrent tous ensemble à des jeux. Avant de retourner à Narumi, les jeunes hommes prièrent avec la famille Yanagida.

Plus tard, Tokichi dit à sa femme : « Ces missionnaires sont différents. » Il n’aimait pas les prêtres qui faisaient payer leur service. Il était impressionné par tout ce que les missionnaires étaient disposés à sacrifier pour servir Dieu. Il déclara : « Ce sont des hommes merveilleux. »

Deux mois plus tard, en août 1949, Toshiko décida de se faire baptiser. Elle entreprit un voyage de huit heures jusqu’à Tokyo afin que son père puisse être présent. Ted Price accomplit le baptême et le président de mission, Edward Clissold, confirma Toshiko. Elle était ravie d’être enfin membre de l’Église et il était évident que son père était heureux aussi.

Peu de temps après, Tokichi dut se rendre à Tokyo pour raisons professionnelles. Sa femme lui proposa alors d’aller au bureau de la mission pour saluer Danny Nelson, qui s’y trouvait depuis peu. Il répondit simplement : « Si j’ai le temps. »

Comme il n’y avait pas de téléphone chez eux, Toshiko dut attendre trois jours que son mari rentre de son voyage et lui donne des nouvelles. Elle était impatiente de savoir s’il était passé au foyer de la mission. Elle demanda : « As-tu vu Nelson ? »

« Oui, répondit-il. C’est lui qui m’a baptisé et frère Goya m’a imposé les mains. » Toshiko ne connaissait pas Koojin Goya, l’un des nombreux missionnaires nippo-américains de Hawaï appelés à servir au Japon.

Elle était stupéfaite. Son mari ne l’avait jamais accompagnée à l’Église à Narumi, mais le Seigneur l’avait quand même conduit jusqu’au baptême.

« Banzai ! » pensa-t-elle. Génial !

Après le baptême de Tokichi, le couple décida d’aller à l’église avec la famille Sato dans une assemblée de militaires américains qui se réunissaient dans une base de l’armée près de chez eux, à Nagoya. Toshiko se réjouissait que les membres de sa famille aillent désormais à l’église ensemble mais les réunions étaient en anglais. Même si Tatsui maîtrisait bien cette langue et traduisait pour eux, la jeune femme souhaitait que sa famille étudie l’Évangile dans sa propre langue.

Elle écrivit une lettre au nouveau président de mission, Vinal Mauss, demandant si des réunions en japonais pouvaient être organisées à Nagoya.

Le 6 novembre 1949, Paul Bang baptisa Sandra, sa fille de huit ans. Cela faisait vingt-deux ans qu’il s’était fait baptiser dans la rivière Ohio. Depuis, il avait vu la branche de Cincinnati grandir jusqu’à devenir l’une des assemblées de saints des derniers jours les plus importantes de cette région des États-Unis. Sa femme, Connie, et lui transmettaient maintenant le patrimoine de foi qu’ils avaient eux-mêmes reçu à Sandra et à leurs autres enfants plus jeunes.

Chaque semaine, une centaine de membres se réunissaient pour la réunion de Sainte-Cène. Puisqu’il avait été impossible de construire un nouveau lieu de culte pendant la guerre, la branche avait acheté une ancienne synagogue juive. Avec l’aide de l’entreprise de construction du président de branche, Alvin Gilliam, ils l’avaient rénovée à l’intérieur comme à l’extérieur. Ils avaient également embauché un étudiant en art pour peindre une fresque représentant le Sauveur sur le mur derrière la chaire.

Dans la nouvelle église, la branche disposait de beaucoup d’espace pour s’agrandir. Après la guerre, de nombreux jeunes membres de la branche, notamment ceux qui avaient de la famille proche dans la région, avaient choisi de s’installer à Cincinnati, d’y fonder une famille et de servir dans l’Église. Pendant un temps, Paul avait été conseiller dans la présidence de branche. Il faisait maintenant partie du grand conseil de district avec son père, Christian Bang. Connie était la dirigeante des Glaneuses au sein de la SAM des jeunes filles de la branche.

Du fait de sa taille et de l’expérience de ses membres, la branche de Cincinnati pouvait aider les plus petites branches de la région. Chaque dimanche, des familles de Cincinnati se rendaient à Georgetown, un village situé à soixante-cinq kilomètres à l’est, pour apporter leur soutien à un petit groupe de saints.

Néanmoins, malgré la force de la branche, ses membres restaient divisés au sujet de la ségrégation raciale. Len et Mary Hope, le seul couple afro-américain de la branche, tenaient encore des réunions mensuelles chez eux car des membres de la branche ne voulaient toujours pas qu’ils participent aux services réguliers de l’Église. Ces rassemblements comptaient désormais jusqu’à trente personnes, dont la famille Bang et des membres de leur famille élargie. Mary ne savait jamais à l’avance combien de personnes viendraient mais il semblait qu’elle préparait toujours assez de nourriture pour tout le monde. Len dirigeait les réunions et choisissait les cantiques. L’un de ses préférés était : « Seigneur, merci pour le prophète. »

Parfois, les amis de Len lui reprochaient d’appartenir à une église qui ne l’autorisait pas à détenir la prêtrise ni à assister aux services. Pourtant, Mary et Len restèrent fidèles à leur foi. Leurs amis au sein de la branche veillaient sur eux, donnant des bénédictions de la prêtrise aux membres de leur famille et les aidant à effectuer toutes sortes de travaux dans leur maison. Lorsque Mary Louise Cates, l’une des amies afro-américaines de la famille Hope, accepta l’Évangile, Paul la baptisa. Quelques années plus tard, un membre de la branche donna une bénédiction de nouveau-né à une petite-fille du couple Hope.

En 1947, après environ un quart de siècle de foi inébranlable, Len et Mary entreprirent un voyage en Utah. Ils séjournèrent chez un ancien missionnaire de Cincinnati, Marion Hanks, qui leur fit visiter Salt Lake City et les emmena à la conférence générale. Ils furent également accueillis par Abner et Martha Howell, un autre couple noir de l’Église. Le voyage et l’accueil chaleureux qui leur fut réservé ravirent Mary et Len. À présent, deux ans plus tard, la santé de Len déclinant, il voulait déménager en Utah pour y être enterré un jour.

Peu après le baptême de Sandra Bang, la présidence de district appela Paul à être le président de la petite branche de Hamilton, ville située au nord de Cincinnati. Peu de temps après, Connie fut appelée secrétaire de la Société de Secours de la branche de Cincinnati. Sa bénédiction patriarcale l’exhortait à être disposée à servir dans le royaume de Dieu, ce qu’elle s’efforçait de faire, ainsi que son mari. Tout au long de leur vie, ils avaient été témoins des bénédictions du Seigneur.

Par l’intermédiaire du patriarche, le Seigneur avait aussi promis à Connie que son père, George Taylor, prendrait part avec elle à la joie de l’Évangile. Pendant de nombreuses années, Connie n’avait eu aucune raison de penser que son père accepterait un jour de devenir membre de l’Église. Cependant, après la guerre, un cancer attaqua le corps déjà fragile de George. Il commença à aller à l’église avec Adeline, la mère de Connie, participant au culte avec les saints jusqu’à sa mort en 1947.

Plus tard, il apparut en rêve à sa femme. Il avait l’air malade et abattu, et il boitait toujours, comme depuis des années. Adeline fut perturbée par ce rêve et elle demanda à un dirigeant de l’Église ce qu’il signifiait. Celui-ci lui répondit que George voulait que l’on fasse le travail pour lui au temple.

Son épouse se rendit alors en Utah pour recevoir les bénédictions du temple pour elle-même et faire en sorte que George reçoive les siennes. Le 28 septembre 1949, elle fut scellée à lui par procuration dans le temple de Salt Lake City. Peu de temps après, il lui apparut de nouveau en rêve. Cette fois-ci, il était heureux et en bonne santé, libéré des maux qui l’avaient accablé de son vivant.

Il la prit dans ses bras et ils dansèrent.


Chapitre 35 : Nous ne pouvons pas échouer

Au début des années cinquante, la guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique s’intensifiait. Sous l’influence soviétique, les nouveaux gouvernements communistes d’Europe de l’Est fermaient leurs frontières et modifiaient leurs modes de vie sociaux et économiques. Simultanément, plusieurs pays d’Europe de l’Ouest s’alignaient sur les États-Unis et le Canada pour se défendre contre d’éventuelles attaques des pays communistes. Une course à la fabrication et au stockage d’armes avait commencé depuis que l’Union soviétique avait effectué son premier essai réussi d’armes nucléaires, surprenant le monde en faisant exploser une bombe semblable à celles que les États-Unis avaient utilisées contre le Japon pendant la guerre.

En Tchécoslovaquie, les dirigeants de mission, Wallace et Martha Toronto, se préparaient à une éventuelle expulsion. Le gouvernement communiste du pays, qui continuait à les surveiller de près, eux et leurs missionnaires, avait récemment adopté une loi restreignant la liberté religieuse et interdisant aux étrangers d’occuper le poste de dirigeants religieux dans le pays. Douze missionnaires saints des derniers jours avaient déjà été contraints de quitter le pays. Ce n’était plus qu’une question de temps avant que le régime expulse les autres.

Wallace fit rapport de la crise à la Première Présidence, qui lui conseilla de faire sortir sa famille et la plupart des missionnaires de Tchécoslovaquie. George Albert Smith et ses conseillers espéraient néanmoins que Wallace et un ou deux de ses assistants missionnaires auraient l’autorisation de rester.

Les membres de la Première Présidence lui dirent : « Vous avez été loyal et intrépide. Nous continuerons à prier le Seigneur pour que vous soyez guidé, et à compter sur son pouvoir suprême pour protéger son Église et la faire prospérer dans cette terre de choix. »

Le lundi 30 janvier, des membres de la branche de Prostějov informèrent Wallace que, la veille, deux missionnaires de leur ville, Stanley Abbott et Aldon Johnson, n’étaient pas venus à l’École du Dimanche. Les saints avaient d’abord cru que les missionnaires avaient raté leur train ou avaient été retardés à cause de l’abondance de neige. Ils avaient appris plus tard que l’appartement des frères avait été fouillé et que la police secrète avait interrogé un membre du quartier. Désormais, tout le monde redoutait le pire.

Wallace prit contact avec l’ambassade américaine et partit immédiatement pour Prostějov. Grâce à des relations diplomatiques, il apprit que les missionnaires avaient été emprisonnés pour avoir tenté de rendre visite à un membre de l’Église dans un camp de travail.

Les jours se transformèrent en semaines. Le gouvernement tchécoslovaque refusait toujours de communiquer directement avec Wallace. La police locale de Prostějov interdit aux membres de tenir des réunions en ville et certains furent interrogés et harcelés. Avant le 20 février, Wallace avait supervisé l’évacuation de onze autres missionnaires, mais personne, dans toute la mission, n’avait été autorisé à rendre visite ou à parler avec frère Abbott ou frère Johnson.

Les missionnaires emprisonnés étaient séparés et frère Abbott avait été placé en isolement. Ils recevaient comme nourriture un morceau de pain noir le matin et un bol de soupe le soir. Ils ne pouvaient pas se laver ni changer de vêtements. Lors des interrogatoires, la police secrète les menaçait de les frapper avec des barres de fer et de les emprisonner pendant des années s’ils n’avouaient pas être des espions.

Le 24 février, Martha répondit à un appel téléphonique de l’ambassade américaine. Le gouvernement tchécoslovaque avait fait ramener à Prague les missionnaires emprisonnés et était prêt à les libérer s’ils promettaient de quitter le pays dans les deux heures. Martha réserva immédiatement deux billets d’avion à destination de la Suisse. Elle en informa alors son mari, et ils convinrent de se retrouver à l’aéroport où les missionnaires seraient amenés.

Là, Wallace eut tout juste le temps de leur donner leurs billets et quelques instructions. Pendant ce temps, sa femme observait d’un peu plus loin. Lorsqu’elle vit la police escorter les deux jeunes hommes vers l’avion, elle leur fit signe. Ils étaient amaigris et débraillés. Elle les appela pour leur demander s’ils allaient bien.

Ils répondirent oui en la saluant de la main. Ils montèrent ensuite à bord de l’avion et Martha le regarda disparaître dans les nuages sombres qui pesaient sur la ville.

Pendant les jours suivants, Martha se hâta de préparer le départ de sa famille. Elle envisageait de partir seule avec les six enfants, dont un bébé, tandis que Wallace restait en Tchécoslovaquie aussi longtemps que le gouvernement le permettrait.

La veille de leur départ, la famille était en train de déjeuner quand des hommes portant des vestes en cuir se présentèrent au foyer de la mission. Ils exigèrent de parler à Wallace. Martha sut tout de suite qu’il s’agissait de la police secrète. Elle était malade et épuisée émotionnellement ; leur présence ne faisait qu’aggraver son état. Après ce qui était arrivé aux missionnaires et à de nombreux citoyens tchécoslovaques, elle n’avait aucune idée du traitement que la police réservait à son mari.

Wallace dit : « Martha, je dois suivre ces hommes. » Il était certain qu’ils voulaient l’interroger au sujet des missionnaires qui avaient été expulsés récemment. Il ajouta : « Si je ne reviens pas, emmène les enfants demain matin, comme prévu, et ramène-les à la maison. »

Les heures passaient et elle n’avait aucune nouvelle de Wallace. Il semblait qu’elle allait devoir partir sans savoir ce qui lui était arrivé. Puis, sept heures après avoir été emmené par la police, son mari rentra à temps pour accompagner sa famille au train.

À la gare, de nombreux membres de l’Église s’étaient rassemblés, portant des paquets remplis de fruits, de pâtisseries et de sandwichs pour Martha et les enfants. Certains firent passer la nourriture par les fenêtres du train alors qu’il commençait à s’éloigner. D’autres coururent le long du quai, envoyant des baisers. Martha les regardait, les yeux remplis de larmes, jusqu’à ce que le train prenne un virage et qu’ils disparaissent de sa vue.

« Le président Mauss vient à Nagoya. Voulez-vous le rencontrer ? »

La question des missionnaires surprit Toshiko Yanagida. Elle attendait des nouvelles du nouveau président de la mission japonaise depuis qu’elle lui avait écrit pour lui demander de créer une branche en langue japonaise à Nagoya, sa ville natale. Sans réponse de sa part, elle n’était pas certaine qu’il ait reçu la lettre.

Toshiko accepta de le rencontrer et peu de temps après, accompagnée des missionnaires, elle retrouva le président Mauss à la gare. Dès qu’il arriva, elle lui demanda s’il avait lu sa lettre. Il dit : « Oui.  C’est pour cela que je suis venu. » Il voulait qu’elle l’aide à trouver un endroit où tenir les réunions de l’Église en ville. Toshiko était aux anges.

Ils commencèrent immédiatement leurs recherches. À Nagoya, ville de six cent mille habitants, les saints étaient peu nombreux. Il y avait seulement les missionnaires, la famille de Toshiko et une femme nommée Yoshie Adachi. Ils n’avaient donc pas besoin d’un grand lieu de culte. Toutefois, le président Mauss décida de louer une salle de conférence dans un grand établissement scolaire de la ville.

Les saints de Nagoya eurent leur première réunion d’École du Dimanche en janvier 1950. Pour attirer plus de gens, Toshiko et les missionnaires mirent des brochures dans un quotidien local. Le dimanche suivant, cent cinquante personnes se présentèrent dans l’amphithéâtre. Dans le Japon de l’après-guerre, les réunions de l’Église attiraient souvent les foules car de nombreuses personnes étaient en quête d’espoir et de sens après le traumatisme qu’elles avaient vécu. Mais pour la plupart des gens, leur intérêt pour l’Église diminua à mesure que le pays devenait plus stable économiquement. Comme de moins en moins de gens ressentaient le besoin de se tourner vers la religion, l’assistance aux réunions diminua.

De leur côté, Toshiko et son mari, Tokichi, rencontraient des difficultés concernant certains aspects de leur appartenance à l’Église, notamment le paiement de la dîme. Tokichi ne gagnait pas beaucoup d’argent et parfois, le couple se demandait s’ils auraient assez d’argent pour payer la cantine de l’école de leur fils. Ils espéraient également acheter une maison.

Un jour, après une réunion de l’Église, Toshiko interrogea un missionnaire au sujet de la dîme. Elle dit : « Depuis la fin de la guerre, les Japonais sont très pauvres. Pour nous, il est difficile de payer la dîme. Devons-nous le faire ? »

Le missionnaire répondit que Dieu avait commandé à tout le monde de payer la dîme et il parla des bénédictions liées au respect de ce principe. Toshiko était sceptique et un peu en colère. Elle se disait : « C’est un raisonnement d’Américain. »

D’autres missionnaires l’exhortèrent à faire preuve de foi. Une sœur missionnaire promit à Toshiko que le fait de payer la dîme aiderait sa famille à devenir propriétaire de sa propre maison. Désireux être obéissants, Toshiko et Tokichi choisirent de payer leur dîme et de croire aux bénédictions promises.

À la même époque, les sœurs missionnaires commencèrent à organiser chez elles des réunions informelles de la Société de Secours pour Toshiko et d’autres femmes de la région. Elles parlaient de l’Évangile, discutaient d’aspects pratiques de la tenue d’un foyer et apprenaient ensemble à cuisiner des plats bon marché. Comme d’autres Sociétés de Secours dans le monde, elles organisèrent des kermesses où elles vendaient du chocolat et d’autres articles afin de lever des fonds pour leurs activités. Environ un an plus tard, une Société de Secours fut organisée officiellement et Toshiko fut appelée présidente.

Son mari et elle commencèrent à remarquer les bénédictions du paiement de la dîme. Ils achetèrent un terrain pas trop cher en ville et dessinèrent les plans d’une maison. Ils demandèrent ensuite un prêt immobilier dans le cadre d’un nouveau programme du gouvernement et après avoir obtenu le permis de construire, ils commencèrent à poser les fondations.

Tout se passait bien jusqu’à ce qu’un inspecteur remarque que leur parcelle n’était pas accessible aux pompiers. Il déclara : « Ce terrain n’est pas adapté à la construction d’une maison. Vous ne pouvez pas poursuivre les travaux. »

Toshiko et Tokichi en parlèrent aux missionnaires, ne sachant que faire. L’un d’eux leur dit : « Nous allons prier et jeûner pour vous. Faites la même chose de votre côté. »

Pendant les deux jours suivants, la famille Yanagida et les missionnaires jeûnèrent et prièrent. Un autre inspecteur vint examiner à nouveau leur parcelle. Il était réputé pour être strict et au début, il laissa entendre au couple qu’il y avait peu d’espoir qu’il valide l’inspection. Pourtant, pendant son étude, il remarqua une solution. En cas d’urgence, les pompiers pourraient accéder à la propriété en retirant simplement une clôture. Finalement, la famille Yanagida pourrait bâtir sa maison.

L’inspecteur déclara : « Je pense que vous devez avoir fait quelque chose d’exceptionnellement bien dans le passé. Dans toute ma vie professionnelle, je n’ai jamais été aussi arrangeant. »

Toshiko et Tokichi étaient ravis. Ils avaient jeûné, prié et payé leur dîme. Comme la sœur missionnaire l’avait promis, ils allaient avoir leur maison.

Au début de l’année 1951, David O. McKay se débattait avec les difficultés rencontrées par le programme missionnaire de l’Église. Au cours des six derniers mois, il avait assisté de loin à l’éclatement d’un autre conflit mondial, cette fois en Asie orientale. Soutenue par la Chine et l’Union soviétique, la Corée du Nord, communiste, était en guerre contre la Corée du Sud. Craignant la propagation du communisme, les États-Unis et d’autres alliés avaient envoyé des troupes pour soutenir les Sud-Coréens dans leur combat.

À l’époque, l’Église comptait environ cinq mille missionnaires à plein temps, presque tous originaires des États-Unis. Des centaines d’autres étaient appelés chaque mois. Malheureusement, le gouvernement américain enrôlait à nouveau des jeunes de dix-neuf à vingt-six ans pour la guerre de Corée. C’était la même tranche d’âge dont étaient issus les missionnaires de l’Église. Après mûre réflexion, la Première Présidence baissa temporairement l’âge de départ en mission de vingt à dix-neuf ans, donnant ainsi aux jeunes hommes une chance de faire une mission avant d’être confrontés aux tentations de la vie militaire, s’ils venaient à être enrôlés dans l’armée.

En tant que conseiller de la Première Présidence responsable de l’œuvre missionnaire, David O. McKay fut bientôt sollicité de toutes parts. Il recevait des lettres de membres de l’Église qui accusaient les dirigeants de faire preuve de favoritisme en recommandant certains jeunes hommes pour une mission, leur permettant ainsi de différer leur service militaire, pendant que d’autres étaient appelés sous les drapeaux. Les citoyens locaux et les commissions de recrutement, quant à eux, accusaient l’Église de négliger son devoir patriotique en continuant d’appeler des jeunes hommes en mission.

Les dirigeants de l’Église ne voyaient pas la situation du même œil. Depuis longtemps, ils incitaient les saints à répondre à tout moment à l’appel de leur pays. Pourtant, après avoir consulté les fonctionnaires chargés du recrutement militaire en Utah, la Première Présidence apporta de nouveaux changements à la politique existante. Elle décida que, tant que la guerre durerait, les jeunes hommes éligibles au service militaire ne seraient plus appelés en mission à plein temps. Seuls les femmes non mariées, les hommes âgés, les couples mariés, les anciens combattants et les jeunes hommes réformés pourraient partir en mission. L’Église appela également davantage de couples âgés à faire une mission.

Cet hiver-là, pendant que David O. McKay négociait avec les fonctionnaires chargés du recrutement militaire, la santé de George Albert Smith déclinait. Le 4 avril, David O. McKay rendit visite au prophète le jour de son anniversaire. Il le trouva au seuil de la mort, entouré de sa famille. Extrêmement ému, il le bénit quelques heures seulement avant son décès.

Deux jours plus tard, le président McKay prit la parole au début de la première session de la conférence générale d’avril 1951. Sur l’estrade du tabernacle, il parla de la vie exemplaire menée par George Albert Smith. Il déclara devant l’assemblée : « C’était une âme noble. Le fait de rendre les gens heureux faisait de lui le plus heureux des hommes. »

Au cours de cette conférence, les saints soutinrent David O. McKay en tant que président de l’Église, avec pour conseillers Stephen L. Richards et J. Reuben Clark. À la fin de la conférence, il dit : « Nul ne peut présider l’Église sans être d’abord en harmonie avec celui qui est à la tête de l’Église, notre Seigneur et Sauveur, Jésus-Christ. Sans ses conseils divins et son inspiration constante, nous ne pouvons pas réussir. Avec ses conseils et son inspiration, nous ne pouvons pas échouer. »

Tandis que le nouveau prophète se tournait vers l’avenir, il était porté par des décennies d’expérience. Beaucoup de gens pensaient que sa haute stature, son port digne, ses yeux perçants et ses cheveux blancs lui donnaient l’apparence d’un prophète. Les hommes et les femmes membres ou non membres de l’Église l’aimaient en raison de son sens de l’humour, son amour pour les gens et sa proximité avec l’Esprit. Sa personnalité laissait encore voir l’ancien enseignant et directeur d’école. Il était calme et savait prendre des décisions rapides. C’était un orateur captivant qui citait souvent des poèmes dans ses discours. Lorsqu’il n’effectuait pas de tâches pour l’Église, il travaillait dans sa ferme familiale à Huntsville, en Utah.

Dès le début de sa présidence, de nombreux sujets pesaient sur son esprit. Pendant son apostolat, il avait souvent parlé du caractère sacré du mariage, de la famille et de l’instruction. L’attention qu’il donna à ces priorités l’aida à guider l’Église sur le bon chemin. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y eut un « baby boom » aux États-Unis. Les soldats étaient rentrés chez eux, s’étaient mariés et avaient fondé une famille. Grâce à l’aide de l’État, nombre d’entre eux s’étaient inscrits dans des universités afin de faire des études et suivre une formation professionnelle indispensable. Le président McKay était désireux de leur offrir son soutien.

Il était également préoccupé par les horreurs de la guerre de Corée et l’expansion du communisme dans certains endroits du monde. De nombreux dirigeants gouvernementaux et religieux s’exprimaient contre le communisme. Comme eux, le président McKay pensait que les régimes communistes supprimaient la religion et restreignaient la liberté.

Peu après la conférence générale, il déclara : « L’Église du Christ représente l’influence de l’amour qui est, en fin de compte, la seule puissance qui apportera à l’humanité la rédemption et la paix. »

Ce printemps-là, à Salt Lake City, la présidente générale de la Primaire, Adele Cannon Howells, savait que sa santé se détériorait. Elle n’avait que soixante-cinq ans, mais dans son enfance, un rhumatisme articulaire aigu lui avait endommagé le cœur. Malgré son état, elle refusait de cesser de travailler.

Son projet de commander une série de peintures du Livre de Mormon pour le cinquantième anniversaire de L’Ami des enfants se concrétisait enfin. Certains craignaient qu’embaucher un artiste professionnel comme Arnold Friberg était une perte de temps ou d’argent mais Adele pensait que les œuvres éveilleraient l’intérêt des enfants pour le Livre de Mormon et qu’elles valaient bien la dépense.

Au cours des deux dernières années, elle avait obtenu l’appui de l’École du Dimanche et avait convaincu les membres du Collège des douze apôtres que les peintures seraient utiles. Adele et les dirigeants de l’École du Dimanche avaient constitué un comité pour superviser le projet et avaient transmis des esquisses d’Arnold Friberg au président McKay et à ses conseillers.

En janvier 1951, un représentant de l’École du Dimanche et Adele avaient participé à une réunion avec la Première Présidence pour discuter de la proposition. Arnold Friberg et Adele souhaitaient représenter les histoires du Livre de Mormon qui débordaient de puissance spirituelle et d’actions captivantes, comme les guerriers d’Hélaman partant au combat et Samuel le Lamanite prophétisant la naissance du Sauveur. Le peintre ne voulait pas que ses œuvres soient réalisées dans un style enfantin. Pour lui, les enfants avaient besoin de voir la parole de Dieu comme étant puissante et majestueuse. Il voulait que les héros du Livre de Mormon semblent puissants physiquement, presque plus vrais que nature. Plus tard, il expliqua : « La musculature de mes tableaux n’est que l’expression de l’esprit qui est à l’intérieur. »

La Première Présidence était d’accord avec Adele : Arnold Friberg était l’artiste idéal pour ce travail. L’École du dimanche et l’entreprise Deseret Book, appartenant à l’Église, s’engagèrent à payer deux tiers du coût initial, Adele s’acquittant du reste avec ses fonds personnels. Au cours des mois suivants, tandis que sa santé continuait de se détériorer, Adele fit avec Arnold Friberg des plans pour la production des peintures. Bientôt, elle dut rester alitée.

Dans la nuit du 13 avril, Adele prit des dispositions pour vendre certains de ses biens afin de financer les tableaux. Elle appela également Marion G. Romney, assistant du Collège des douze apôtres, pour parler du Livre de Mormon et des enfants de l’Église. Elle exprima son désir que les peintures soient terminées l’année suivante. Elle parla de son souhait que tous les enfants au sein de l’Église commencent à lire de Livre de Mormon dès leur plus jeune âge.

L’après-midi suivant, Adele mourut. Lors de ses funérailles, frère Romney rendit hommage à cette femme créative et énergique qui avait tant donné, et sans retour, à l’organisation de la Primaire. Il déclara : « Elle aimait profondément l’œuvre de la Primaire. Toutes les personnes qu’elle a touchées ont ressenti la profondeur de l’amour qu’elle portait à chaque enfant personnellement. »

Un peu plus tard, Arnold Friberg commença sa première peinture sur le Livre de Mormon : Le frère de Jared voit le doigt du Seigneur.

Près de Valence, dans le sud-est de la France, Jeanne Charrier se promenait avec sa cousine. Située sur les rives du Rhône, Valence était une ville magnifique où l’on trouvait une cathédrale catholique construite plusieurs siècles auparavant. La plupart des habitants étaient catholiques mais les membres de la famille de Jeanne faisaient partie des quelques protestants de la ville. Depuis des générations, ils avaient risqué leur réputation et même leur vie pour leurs convictions.

Jeanne avait grandi en pratiquant avec dévotion la religion chrétienne, mais récemment, pendant ses études universitaires en mathématiques et en philosophie, elle avait été confrontée à des idées qui l’avaient amenée à douter de sa foi. Elle avait réfléchi aux célèbres paroles du philosophe français, René Descartes : « Je pense, donc je suis. » Cela avait fait naître encore davantage de questions. Elle s’était demandée : « Où suis-je, comment et pourquoi ? »

Quelque temps avant la promenade de la jeune femme sur la colline, ses questions l’avaient amenée à s’agenouiller et à rechercher le Seigneur. Elle avait prié : « Dieu, si tu existes, j’attends une réponse. »

Jeanne et sa cousine n’avaient pas emporté d’eau et elles eurent soif pendant leur marche. Elles remarquèrent un petit groupe de personnes et allèrent leur demander à boire. Un homme et une femme plus âgés furent heureux de répondre à leur besoin. Ils se présentèrent comme étant Léon et Claire Fargier. Ils étaient membres de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours et étaient accompagnés par deux jeunes missionnaires. Le groupe remit à Jeanne et à sa cousine une brochure sur l’Église. Ensuite, Léon les invita à une conférence missionnaire et à un concert d’un quatuor à cordes de l’université Brigham Young.

Par curiosité, Jeanne décida d’y aller. Pendant la conférence, on lui donna un Livre de Mormon. Une fois de retour chez elle, elle commença à le lire et ne put s’arrêter. Elle pensa : « C’est vraiment quelque chose ! »

Dès lors, Jeanne passa davantage de temps avec le couple Fargier. Léon et Claire s’étaient mariés treize ans plus tôt, en 1932, quand ils étaient devenus membres de l’Église. Avant la Seconde Guerre mondiale, Léon avait été missionnaire et dirigeait les réunions dominicales de la petite assemblée de saints venant de Valence et de Grenoble, ville située à plus de soixante kilomètres. Quand la guerre éclata et que les missionnaires américains furent évacués, Léon se mit à superviser une zone beaucoup plus vaste. Il parcourait toute la France, bénissant les malades et administrant la Sainte-Cène. Parfois, il réussissait à monter à bord d’un train pour se rendre dans une autre ville, mais le plus souvent, il marchait ou était à vélo pendant des heures chaque jour.

Léon et Claire étaient des missionnaires locaux quand ils firent la connaissance de Jeanne. La petite branche de Valence, s’efforçant de se réorganiser après les ravages de la guerre, se réunissait dans une pension de famille. Malgré le cadre modeste, Jeanne était attirée par les réunions et désireuse d’en savoir plus sur l’Évangile. Elle demanda davantage de livres et reçut un exemplaire des Doctrine et Alliances. En lisant l’ouvrage, elle ne put nier la puissance de ses paroles.

Elle conclut : « C’est la vérité. Il en est impossible autrement. »

Très vite, Jeanne voulut se faire baptiser mais elle s’inquiétait de la réaction des membres de sa famille. Ils s’opposaient farouchement à l’Église et elle savait qu’ils n’approuveraient jamais sa décision. Pendant un certain temps, elle se sentit déchirée entre sa foi et sa famille. Elle repoussa l’idée de se faire baptiser. Elle se souvint alors de ce que Pierre et les autres apôtres du Nouveau Testament avaient dit pendant la Pentecôte : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. »

Leurs paroles résonnaient dans sa tête ; elle savait ce qu’elle devait faire. Par une belle journée de mai 1951, elle entra dans une source chaude des Cévennes et fut baptisée par Léon Fargier. Elle voulait que ses parents soient là avec elle mais ils étaient trop hostiles à l’égard de l’Évangile rétabli. Elle décida donc de ne pas leur parler de son baptême.

Cependant, sa famille le découvrit rapidement et ne voulut plus rien avoir à faire avec elle. Jeanne était blessée par leur rejet. Âgée de seulement vingt-cinq ans, elle se demanda si elle ne ferait pas mieux de déménager aux États-Unis et de rejoindre les saints là-bas. Cependant, la famille Fargier la supplia de rester. Il n’y avait que neuf cents saints en France, en Belgique et en Suisse francophone et la famille Fargier avait besoin d’elle pour fortifier l’Église à Valence.

À près de mille quatre cents kilomètres de là, à Brno, en Tchécoslovaquie, Terezie Vojkůvková ouvrit un paquet envoyé par son amie Martha Toronto, arrivée sans problème aux États-Unis. À l’intérieur, elle y trouva des vêtements pour sa famille et elle en fut extrêmement reconnaissante. Sa famille avait du mal à joindre les deux bouts depuis que son mari, Otakar Vojkůvka, avait perdu son entreprise de reliure deux ans auparavant. Des fonctionnaires communistes avaient saisi la société et arrêté Otakar, qui était alors un homme d’affaires prospère et le président de la branche de Brno. Après avoir passé six mois dans un camp de travail, il gagnait désormais un salaire de misère en tant qu’ouvrier dans une usine.

Terezie écrivit à Martha pour la remercier du colis. Elle rapporta à son amie : « Le loyer est élevé et l’entretien de notre maison coûte très cher. La maladie a pris sa part dans nos revenus et il ne reste pas grand-chose pour nous vêtir. »

Dans la lettre, Terezie parlait des nouvelles restrictions que les saints tchécoslovaques subissaient sous le gouvernement communiste. Quelques semaines après le départ de Martha, son mari, Wallace, fut forcé de partir aussi. Peu après, le gouvernement communiste ordonna au président suppléant de la mission, un saint tchécoslovaque nommé Rudolf Kubiska, de dissoudre la mission. Dans tout le pays, les membres de l’Église reçurent l’ordre de ne plus tenir de réunions publiques.

Ne sachant pas comment réagir aux actions du gouvernement, certains se demandèrent s’il fallait permettre au gouvernement de choisir les dirigeants de l’Église afin qu’ils puissent continuer à tenir des réunions, comme cela se faisait au sein d’autres confessions. Cependant, la présidence de la mission ne pouvait pas envisager une telle solution.

Les réunions hebdomadaires de l’Église manquaient beaucoup à Terezie. Elle écrivit à Martha : « Les dimanches sont longs et moins empreints de spiritualité lorsque nous ne pouvons pas parler de nos sentiments et rendre témoignage à d’autres personnes. »

Pourtant, elle ne se sentait pas délaissée. Le président Kubiska était membre du parti communiste et il avait des relations politiques. Cela protégeait les saints tchécoslovaques du harcèlement et des persécutions extrêmes dont souffraient d’autres groupes religieux. Avant de partir, le président Toronto avait laissé quelques instructions. Avec ses conseillers, il avait discrètement établi un plan simple pour poursuivre les services de culte.

Ils avaient expliqué aux membres comment faire le culte chez eux. Chaque personne et chaque famille devait prier, étudier les Écritures, mettre de côté l’argent de la dîme et des offrandes, et apprendre l’Évangile en utilisant toute la documentation de l’Église dont ils disposaient, notamment les derniers numéros de l’Improvement Era que le couple Toronto avait soigneusement vérifié afin d’éliminer toute critique éventuelle du communisme. Une fois par mois, les saints pourraient se réunir en petits groupes chez l’un d’eux pour prendre la Sainte-Cène. Dans la mesure du possible, les collèges de la prêtrise se réuniraient en privé, et les dirigeants de branche et de mission s’efforceraient de rendre visite aux saints.

Par précaution, la présidence de mission n’écrivit pas ces instructions. Elle préféra les communiquer par le bouche à oreille. Sans réunions publiques, de nombreux saints tchécoslovaques se rendirent compte à quel point ils chérissaient leur appartenance à l’Église. Ils grandissaient spirituellement et, malgré le risque encouru, certains continuèrent de parler de l’Évangile à leurs amis. Au cœur de l’oppression, quelques personnes se firent même baptiser.

Avec l’aide des saints des États-Unis, Terezie fit en sorte que l’œuvre du temple soit accomplie pour ses parents. Elle souhaitait se rendre avec sa famille au temple afin d’y être scellés. Elle écrivit à Martha : « Si je puis me permettre, les membres de l’Église à Sion ne mesurent pas le grand privilège qu’ils ont de vivre si près du temple du Seigneur. »

Elle ajouta : « La paix tant désirée parmi les hommes existera-t-elle un jour sur la surface de la terre ? Si seulement il était possible de nous aimer les uns les autres, nous tous, et si seulement la guerre et la haine pouvaient cesser ! »


Chapitre 36 : Attentivement et à l’aide de la prière

Clemencia Pivaral jeta un coup d’œil à l’horloge tandis que son train quittait la gare centrale de Guatemala. Il était huit heures du matin, le 10 octobre 1951. Au loin, des nuages gris annonçant la pluie assombrissaient le ciel. Au-dessus de la gare, le ciel était clair et ensoleillé. Clemencia se disait que la journée s’annonçait bien. Elle entamait un voyage de trois mille kilomètres avec son fils de douze ans, Rodrigo, et deux autres saints guatémaltèques. Ils se rendaient à une grande conférence de saints hispanophones au temple de Mesa, en Arizona.

Chaque année depuis sept ans, des centaines de saints du Mexique, d’Amérique centrale et de l’ouest des États-Unis se réunissaient à Mesa pour assister à une conférence et accomplir l’œuvre du temple. La plupart des membres qui venaient avaient économisé pendant des années pour pouvoir entreprendre le voyage. À leur arrivée, ils étaient accueillis par les membres locaux de trois pieux de l’Arizona qui les logeaient et préparaient les repas afin qu’ils puissent passer plus de temps dans le temple. Pour aider à financer la conférence, les saints hispanophones faisaient payer l’entrée de deux représentations d’une soirée de talents et d’une pièce de théâtre, Le moment est venu (The Time Is Come), sur le thème de la généalogie, écrite par Ivie Jones, l’épouse du président de la mission hispano-américaine.

C’était la première fois que Clemencia assistait à la conférence. Elle avait rencontré les missionnaires au début de l’année 1950, peu après que John O’Donnal, le président du district, eut envoyé deux missionnaires dans sa ville natale, Quetzaltenango, la deuxième plus grande ville du Guatemala. Âgée de vingt-neuf ans, elle était veuve. Au grand bonheur des frères et sœurs missionnaires qui l’avaient instruite, elle accepta rapidement les enseignements sur le baptême pour les morts, les temples et d’autres principes de l’Évangile. Quelques mois plus tard, elle trouva un emploi d’enseignante auprès d’élèves aveugles, sourds et de personnes employant la communication non verbale dans la ville de Guatemala. Elle s’y installa donc avec son fils et commença à aller à l’église avec la famille O’Donnal et d’autres membres de la branche.

Un jour, tandis que Clemencia étudiait les Doctrine et Alliances dans la salle de culte de la branche, Lucian Mecham, le président de la mission du Mexique, lui demanda si elle était membre de l’Église. « Non, avait-elle répondu. Les missionnaires ne m’ont pas encore demandé si je voulais me faire baptiser. »

Frère Mecham eut immédiatement un entretien avec elle, lui demandant si elle croyait à tout ce que les missionnaires lui avaient enseigné. Elle répondit par l’affirmative.

Il demanda alors : « Si vous êtes prête à vous faire baptiser, que diriez-vous de le faire demain ?

– Oui ! » s’était-elle exclamée.

Plus d’un an après, elle se rendait au temple pour recevoir sa dotation. L’Église au Guatemala était peu importante. Elle comptait moins de soixante-dix membres. Seuls quelques Guatémaltèques avaient reçu les bénédictions du temple, dont Carmen O’Donnal qui avait été dotée et scellée dans le temple de Salt Lake City l’année suivant son baptême. Clemencia était heureuse de faire ce voyage. Dans le train, la chaleur étouffante lui donnait sommeil mais en contemplant par la fenêtre le paysage luxuriant de la côte guatémaltèque, elle ressentait un profond enthousiasme.

Dans le train, les saints lisaient les Écritures et parlaient de l’Évangile pour faire passer le temps. Clemencia rencontra également une femme qui semblait désireuse de discuter de religion. Après avoir parlé avec elle de leurs croyances respectives, Clemencia lui remit un exemplaire de La vérité rétablie (La verdad restaurada), une brochure missionnaire rédigée par John A. Widtsoe. Elle l’invita également à venir à l’église la prochaine fois qu’elle serait à Guatemala.

En arrivant à Mexico, Clemencia et les autres saints guatémaltèques se joignirent à un groupe de membres de l’Église mexicains qui partaient pour la conférence. Pendant trois jours, ils voyagèrent vers le nord à bord d’une camionnette, en chantant pendant la route. Le 20 octobre, ils arrivèrent enfin à Mesa. Là, les membres guatémaltèques retrouvèrent John et Carmen O’Donnal qui s’étaient rendus aux États-Unis au début du mois pour passer des vacances.

Pendant les premiers jours de la conférence, il y eut beaucoup de réunions et de périodes de préparation pour le temple. Le troisième jour de la conférence, le 23 octobre, on commença à accomplir des ordonnances dans le temple. Une foule immense assista à la première séance de dotation de la journée, qui dura six heures. Clemencia reçut sa dotation puis, le lendemain, elle en effectua une autre en faveur de sa grand-mère maternelle, qui était décédée lorsque la jeune femme était encore enfant. Plus tard ce jour-là, elle accomplit, avec Ralph Brown, le missionnaire qui l’avait baptisée, le scellement par procuration de ses grands-parents.

Après la conférence, Clemencia et son fils accompagnèrent le couple O’Donnal à Salt Lake City. Ils visitèrent Temple Square puis la jeune femme et le couple assistèrent à d’autres sessions de dotation. John O’Donnal eut également des réunions avec des dirigeants de l’Église concernant la construction d’une église et d’un foyer de mission dans la ville de Guatemala.

L’œuvre du Seigneur progressait en Amérique centrale, et bientôt le Guatemala et les pays voisins auraient leur propre mission.

Le 15 janvier 1952, John Widtsoe présenta à la Première Présidence un rapport sur l’émigration européenne des membres de l’Église. Depuis la fin de la guerre, des milliers de saints avaient fui leur pays. On avait demandé à John de faire le suivi de leurs déplacements et d’évaluer leur bien-être. Certains étaient partis en Amérique du Sud, en Afrique ou en Australie mais la majorité s’était installée aux États-Unis ou au Canada, souvent encouragés et aidés par des missionnaires et d’autres saints.

Le fait que les membres de l’Église émigrés soient en lieu sûr était une bonne nouvelle, néanmoins, John Widtsoe et d’autres dirigeants redoutaient la façon dont l’absence de ces saints affecterait les branches européennes en difficulté. Pour que l’Église se développe sur le continent, il fallait que les saints restent dans leur pays. Mais pourquoi le feraient-ils, alors que tant de difficultés les entouraient ?

Dix-huit mois plus tôt, John avait soulevé cette question lors d’une conférence des dirigeants de mission de l’Europe à Copenhague, au Danemark. À cette occasion, plusieurs présidents de mission s’accordèrent à dire que les saints européens émigraient parce qu’ils étaient terrifiés à l’idée qu’une autre guerre éclate. Ils aspiraient à la stabilité qu’ils trouveraient et au soutien qu’ils recevraient dans l’Église en Amérique du Nord.

Un président de mission dit : « Rien qu’à Hambourg, nous avons perdu vingt-huit membres pendant les raids aériens. Les gens n’oublient pas. Je ne sais pas comment nous pourrions les décourager de vouloir s’installer en Amérique.

– C’est impossible, répondit un autre. Ils traverseraient l’océan à la nage s’il le fallait. »

John était étonné du fait que les membres quittent même le Danemark. C’était l’un des pays européens qui avait le moins souffert pendant la guerre. Il demanda des suggestions aux frères.

L’un d’eux avança : « Je pense que si nous avions un temple en Europe, nous aurions moins de départs. »

C’était une idée inspirée. Avec l’aval de John, les présidents de mission proposèrent à la Première Présidence le projet de construire un temple en Europe. John dit aux frères : « Une chose est sûre : Nous ne pouvons pas convertir le monde entier et l’amener en Amérique. » L’Église devait plutôt amener les temples au monde.

Quand John présenta son rapport sur l’émigration, les membres de la Première Présidence n’avaient encore fait aucune annonce concernant la construction d’un temple en Europe. Cependant, ils avaient déjà donné l’autorisation à John de superviser un comité de traduction de la dotation du temple en plusieurs langues européennes. L’ordonnance n’étant disponible qu’en anglais et en espagnol, les saints qui parlaient une autre langue participaient sans vraiment comprendre la cérémonie.

Le comité avait recruté plusieurs saints européens, dont Pieter Vlam des Pays-Bas, pour faire les traductions, qui seraient utilisées lors de sessions exceptionnelles tenues dans les temples existants. Toutefois, si l’Église venait à construire un temple en Europe, elle pourrait proposer aux saints de nombreuses nations les ordonnances en plusieurs langues.

Quelques mois après avoir reçu le rapport de John, le président McKay parla de l’émigration au Collège des douze apôtres. Après avoir reconnu la nécessité de renforcer les branches européennes, le prophète reprit les paroles du président de la mission britannique qui l’avait récemment exhorté à construire un temple en Grande-Bretagne.

Il déclara devant le Collège : « Les frères de la Première Présidence ont étudié la question attentivement et à l’aide de la prière. Nous sommes maintenant arrivés à la conclusion que si nous construisons un temple en Grande-Bretagne, nous devrions en même temps en bâtir un en Suisse. » Pendant les deux guerres mondiales, la Suisse était restée neutre, ce qui la rendait stable politiquement. En plus, elle était près du centre de l’Europe de l’Ouest.

Quand le président McKay eut fini de parler, John déclara : « Les habitants de la Grande-Bretagne et des missions de langue étrangère rêvent du jour où un temple sera érigé en Europe. » Il exprima son soutien absolu au projet de la Première Présidence. Toutes les personnes présentes dans la salle s’accordèrent sur le fait que l’Église devait commencer la construction de ces temples.

Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, la ville de Berlin était au cœur de la guerre froide. En 1949, l’Allemagne avait été divisée en deux pays. La région orientale occupée par les Soviétiques était devenue un État communiste : la République démocratique allemande (RDA) ou Allemagne de l’Est. Le reste du pays était devenu la République fédérale d’Allemagne (RFA), ou Allemagne de l’Ouest. Bien que Berlin fasse partie de la RDA, la partie ouest de la ville était sous le contrôle de la France, de la Grande-Bretagne et des États-Unis lors de la division du pays. Désormais, la ville elle-même était divisée, entre l’est et l’ouest, entre les pouvoirs communistes et démocratiques.

En général, il était possible de se déplacer sans difficulté entre Berlin-Est et Berlin-Ouest. Pourtant, ce printemps-là, des douaniers arrêtèrent Henry Burkhardt, âgé de vingt et un ans, tandis qu’il se rendait au siège de la mission est-allemande dans la zone alliée. Henry était missionnaire en RDA et président du district de Thuringe, État situé au sud-ouest de Berlin. Il s’était rendu maintes fois à Berlin-Ouest mais, ce jour-là, les fonctionnaires découvrirent qu’il transportait les rapports annuels de son district, notamment les listes de dîme. Ils furent alarmés à la vue des rapports financiers. En Allemagne de l’Est, l’économie était mauvaise. Les dirigeants du pays avaient interdit aux citoyens d’envoyer ou de transporter de l’argent en Allemagne de l’Ouest.

En tant que dirigeant de mission en RDA, Henry savait qu’il devait respecter scrupuleusement les nouvelles restrictions. Il s’appliquait donc toujours à déposer l’argent de la dîme dans une banque est-allemande. Toutefois, le fait qu’il veuille faire sortir les rapports du pays suffirent à éveiller les soupçons des douaniers, qui l’arrêtèrent sur le champ.

Après l’avoir détenu trois jours, les agents reconnurent qu’il n’avait rien fait de mal. Ils le libérèrent après lui avoir interdit de remettre les rapports au bureau de la mission.

Un mois plus tard, Henry retourna à Berlin-Ouest pour assister à une conférence de l’Église. En principe, les citoyens est-allemands étaient libres de pratiquer leur culte comme bon leur semblait. Pourtant, le gouvernement se méfiait des influences étrangères, notamment au niveau des religions. Comme les dirigeants religieux non allemands avaient été expulsés de la RDA, les missionnaires nord-américains de la mission d’Allemagne de l’Est étaient obligés de rester à Berlin-Ouest. L’œuvre missionnaire dans le pays reposait sur des Allemands de l’Est tels qu’Henry.

Après la fin de la conférence, le président de mission, Arthur Glaus, demanda au jeune homme d’être le greffier officiel de l’Église en RDA et de servir de liaison entre le siège de la mission et les branches est-allemandes. Henry comprit qu’il serait relevé de son appel de président du district de Thuringe peu après la conférence afin de pouvoir se consacrer à ces nouvelles tâches. Au bureau de la mission, il apprit également qu’il serait peut-être appelé président du district de Berlin ou conseiller dans la présidence de mission.

Il pensa : « Quoiqu’il arrive, ce sera la volonté du Seigneur. »

Deux mois plus tard, Henry était toujours président du district de Thuringe quand David O. McKay vint en Europe pour sa première tournée internationale depuis son appel de président de l’Église. Le prophète et sa femme, Emma Ray McKay, passèrent six semaines en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, au Danemark, en Suède, en Norvège, en Finlande, en Suisse, en France et en Allemagne. Un ancien président de mission lui avait déconseillé de venir à Berlin, craignant qu’il soit dangereux de traverser la RDA, mais il s’y rendit quand même. La ville était le lieu où les saints venant des deux côtés de l’Allemagne pouvaient se retrouver.

Le 27 juin 1952, le président McKay arriva à Berlin et, au cours de sa visite, le président Glaus et lui-même demandèrent à voir Henry. Le prophète commença l’entretien en lui posant quelques questions personnelles. Ensuite, il lui demanda : « Êtes-vous disposé à servir en tant que conseiller dans la présidence de mission ? »

Henry s’attendait à recevoir de nouvelles responsabilités ; toutefois, il fut frappé comme par la foudre. Il serait le seul conseiller d’Allemagne de l’Est au sein de la présidence de mission. Il ne serait pas simplement un lien entre le président de mission et les saints de la RDA. Comme le gouvernement refusait de reconnaître la légitimité des chefs religieux étrangers, il serait, de fait, l’autorité ecclésiastique présidente de plus de soixante branches dans le pays. Si les responsables gouvernementaux de l’Allemagne de l’Est avaient des problèmes avec l’Église, ils se tourneraient vers lui.

L’appel remplit Henry d’inquiétudes. Bien que membre de l’Église depuis sa naissance, il était encore jeune et inexpérimenté. De plus, il était timide. Toutefois, il n’exprima pas ses doutes. Le prophète du Seigneur venait de lui proposer un appel ; il l’accepta donc.

Moins de deux semaines plus tard, Henry emménagea dans la ville de Leipzig pour ouvrir un petit bureau de la mission. Il était bien occupé et s’efforçait de tisser des liens avec le gouvernement local et les dirigeants de la prêtrise. Ses nouvelles responsabilités étaient néanmoins éprouvantes, au point de l’empêcher de dormir.

Il se demandait : « Pourquoi suis-je la personne appelée à cette œuvre ? »

Après avoir passé une semaine avec les saints et les missionnaires en Allemagne, le président McKay et sa femme se rendirent en Suisse pour la deuxième fois de leur voyage. À l’insu de la plupart des saints, le prophète était venu en Europe pour choisir le site des temples britannique et suisse. En Angleterre, il avait choisi un terrain à Newchapel dans le Surrey, au sud de Londres. Il s’était aussi rendu à Berne, capitale de la Suisse, et avait choisi un endroit. En route pour les Pays-Bas, il avait appris que le site qu’il avait choisi pour le temple de Suisse avait été acheté par quelqu’un d’autre. Il devait donc recommencer les recherches.

Le 3 juillet, Samuel et Lenora Bringhurst, les dirigeants de la mission suisse-autrichienne, retrouvèrent le couple McKay à l’aéroport de Zurich. Ensemble, ils se rendirent à Berne pour visiter plusieurs propriétés à vendre. En périphérie de la ville, dans un village appelé Zollikofen, ils s’arrêtèrent près d’une gare. Le président McKay regarda à sa gauche et montra la crête d’une colline près d’une forêt. Il demanda si l’on pouvait acheter ce terrain. Samuel répondit qu’il n’était pas à vendre.

Le lendemain matin, le prophète continua les recherches. Il trouva un grand terrain non loin du lieu de culte de la branche de Berne. C’était un bon emplacement pour un temple et il autorisa Samuel à l’acheter immédiatement. Sa tâche accomplie, le président de l’Église quitta la ville le lendemain, entamant la dernière étape de son périple. Il s’adressa à de grandes assemblées à Bâle et à Paris avant de rentrer chez lui, à Salt Lake City, fin juillet.

Peu après son retour, la Première Présidence annonça le projet de construction d’un temple en Suisse. Les saints français et suisses étaient aux anges. Dans un article du magazine français L’Étoile, on lisait : « Cela donne la preuve tangible et convaincante du désir de l’Église de rester en Europe et de continuer de développer les branches des missions européennes. »

Il y avait toutefois des problèmes à Berne. Samuel n’avait pas pu obtenir le terrain choisi pour le temple. La propriété faisait partie d’une succession comprenant trente héritiers, dont certains s’étaient opposés à la vente. À la mi-novembre, Samuel écrivit au président McKay pour lui dire que la propriété n’était plus disponible.

Le prophète lui téléphona le lendemain. Il dit : « Frère Bringhurst, une force maléfique s’oppose-t-elle à nous ? »

Samuel ne savait que répondre. Il expliqua : « Ils nous ont simplement dit qu’ils avaient changé d’avis. »

Il décrivit alors deux autres terrains. L’un d’eux se situait près de Zollikofen : c’était l’endroit que le président McKay avait indiqué lors de sa visite. Samuel affirma qu’il s’agissait d’un emplacement idéal, en retrait du bruit et de la circulation, et pourtant à seulement quatre minutes à pied de l’arrêt de tramway. Le terrain avait été récemment mis en vente.

Au cours de la conversation, Samuel ne parla pas de ses propres impressions spirituelles. Lenora et lui avaient prié pour savoir laquelle des deux propriétés recommander au président McKay. Plus tôt dans la semaine, ils avaient visité une dernière fois la propriété près de Zollikofen. En la parcourant, ils avaient eu le sentiment paisible que le Seigneur voulait un temple à cet endroit.

Samuel avait dit à sa femme : « Il ne fait aucun doute que c’est le bon terrain.

– C’est aussi mon avis », avait-elle répondu.

Après avoir consulté Samuel, le président McKay discuta avec ses conseillers, qui recommandèrent l’achat de la propriété. Il rappela alors Samuel et l’autorisa à faire l’acquisition du terrain.

Une semaine plus tard, une fois la transaction terminée, le président McKay écrivit au président de mission pour le remercier de ses efforts.

Il s’émerveilla : « Après cinq mois de négociations pour l’ancien terrain, tous les efforts ont été vains, et lorsque cette propriété est arrivée sur le marché, l’affaire a été conclue en une semaine ! On ne peut nier la main du Seigneur dans ce qui s’est passé. »

À peu près à la même époque, John Widtsoe publia Dans un pays ensoleillé (In a Sunlit Land) qui faisait le récit de sa naissance en Norvège jusqu’à son service au sein du Collège des douze apôtres. Il avait écrit ce livre pour sa famille, mais à la demande insistante de ses amis, il avait accepté à contrecœur de le publier. Il avait dédicacé l’ouvrage à sa postérité et à « la jeunesse courageuse » de l’Église.

John, maintenant âgé de quatre-vingts ans, commençait à sentir le poids des années. Quelques années auparavant, il avait eu une petite hémorragie à l’œil qui avait été préjudiciable pour sa vue. Il était désormais obligé de lire à l’aide d’une loupe. Il continuait à suivre un emploi du temps bien chargé jusqu’à ce qu’il souffre de maux de dos violents. Il commença à voir régulièrement un médecin, qui lui avait diagnostiqué un cancer.

Les médecins ne voulaient pas l’opérer du fait de son âge. John savait qu’il était en train de mourir mais cela ne l’empêcha pas de continuer à travailler. Il commença à s’appuyer de plus en plus sur Leah, sa femme. Il dit à G. Homer Durham, le mari de sa fille Eudora : « J’ai profité d’une vie riche et je suis disposé à vivre et à servir aussi longtemps que le Seigneur le permettra. »

John avait vécu déjà vécu dix ans de plus que sa mère, Anna. S’il avait accompli quoique ce soit au cours de sa longue vie, c’était grâce au choix de sa mère de devenir membre de l’Église en Norvège. Elle avait incité son fils à faire des études et avait alimenté sa foi. Elle aussi n’avait ralenti que rarement. Dans les années qui avaient précédé sa mort, elle avait souvent conseillé les immigrants qui s’installaient à Sion.

John se souvenait encore d’un nouveau converti qui était venu la voir en se plaignant amèrement de l’Église et des saints en Utah. Anna lui avait rapidement rappelé : « Nous sommes venus ici pour bâtir Sion, pas pour la détruire. » Le converti avait pris ces paroles à cœur ; elles avaient changé le cours de sa vie.

De son côté, John avait consacré une grande partie de son existence à édifier l’Église aux côtés de sa femme. Leurs efforts pour renforcer l’Église en Europe et former les dirigeants avaient aidé les saints européens à surmonter la Seconde Guerre mondiale et à s’y retrouver dans le tumulte de l’après-guerre. La foi et la diligence de ces saints allaient être récompensées par la construction de deux temples.

Ces derniers ancreraient l’Église en Europe et feraient avancer une œuvre chère au cœur de John : la généalogie. Après la guerre, l’Église avait lancé un programme ambitieux de photographie des actes de naissance et de décès des archives et paroisses européennes. Des millions de noms étaient désormais accessibles pour l’œuvre du temple.

Depuis leur retour de mission, John et Leah avaient également fortifié l’Église par l’écriture. Ensemble, ils avaient publié un ouvrage, La Parole de Sagesse : Interprétation moderne (The Word of Wisdom: A Modern Interpretation), qui reposait sur leur foi en la révélation et leur compréhension scientifique de la nutrition. Leur but était d’inciter les lecteurs à prendre mieux soin de leur santé. À partir de 1935, John était devenu rédacteur en chef de l’Improvement Era. Il avait rédigé une chronique régulière intitulée « Preuves et réconciliations (Evidences and Reconciliations) » dans laquelle il répondait aux questions des lecteurs au sujet de l’Évangile. Il avait fini par compiler ces chroniques et en faire plusieurs livres populaires.

Au fil de l’année, sa santé se détériora. Leah faisait face à cette maladie avec dignité, même s’il lui était difficile de penser que l’homme auquel elle était mariée depuis plus de cinquante ans allait bientôt s’en aller. Tous deux étaient des compagnons aimants et les meilleurs des amis. Tandis qu’elle voyait la santé de John décliner, son témoignage de l’Évangile rétabli lui donnait de la force, comme cela avait été le cas lors du décès de leur fils Marsel.

Elle écrivit à une amie : « Je ne sais pas ce que font les gens qui n’ont pas notre connaissance de la vie dans l’au-delà, des relations familiales et des joies qui perdurent. »

Le 19 novembre, John eut l’occasion de tenir dans ses bras sa première arrière-petite-fille, Kari Widtsoe Koplin, quelques jours après sa naissance. Il devait alors resté alité mais il était reconnaissant de voir une nouvelle génération de la famille Widtsoe venir au monde. Quelques jours plus tard, son médecin lui signala une insuffisance rénale.

John déclara : « C’est ainsi que cela va finir. » Dehors, le soleil brillait sur une belle journée d’automne.

Le 29 novembre 1952, il mourut chez lui. Sa famille et son médecin était auprès de lui. Lors des funérailles, le président McKay déclara : « L’homme qui apporte la plus grande contribution à l’humanité est celui qui aime et suit la vérité à tout prix. » Il cita ensuite les derniers mots de John dans son livre Dans un pays ensoleillé : « J’espère que l’on dira de moi que j’ai essayé de vivre de manière désintéressée, de servir Dieu et d’aider mes semblables, et que j’ai utilisé mon temps et mes talents avec assiduité pour le bien de l’humanité. »

Plus tard, alors que Leah se rendait au cimetière pour l’enterrement de John, elle aperçut des flocons de neige par sa fenêtre. Elle s’en réjouit. Elle pensa : « John est né pendant une violente tempête. Maintenant, l’inhumation de son corps est bénie par une belle couverture blanche de neige. »


Chapitre 37 : Avec une intention réelle

En mars 1953, Inge Lehmann, âgée de vingt et un ans, sortit de sa maison dans l’air frais de Bernburg, en RDA. Elle savait que ses parents n’approuvaient pas l’endroit où elle allait. Le fait de devenir membre d’une nouvelle église était déjà mauvais. Mais en plus, entrer dans les eaux glacées de la Saale ? Inge n’était pas encore bien rétablie de sa tuberculose et ses parents s’inquiétaient pour elle.

Pourtant, on ne la ferait pas renoncer. Cela faisait des années qu’elle assistait aux réunions de la branche de Bernburg . Le temps était enfin venu de se faire baptiser.

Le jour faisait place à la nuit quand Inge retrouva une petite assemblée venue assister au service de baptême. Elle reconnut Henry Burkhardt, un missionnaire qui avait servi dans la branche de Bernburg quelques années plus tôt. Il avait marqué les esprits de presque toutes les personnes qu’il avait rencontrées mais elle n’avait pas encore appris à le connaître.

Depuis son nouvel appel au sein de la présidence de mission, la Stasi, la police secrète de la RDA, portait une attention particulière au jeune homme. Bien que le gouvernement est-allemand ait officiellement reconnu l’Église, il insista pour qu’Henry cesse d’employer le nom de « mission est-allemande » ainsi que toute activité de prosélytisme. Henry accepta ces demandes mais comme il faisait fréquemment des allers-retours entre l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest pour communiquer avec les dirigeants de l’Église, le gouvernement le surveillait toujours. La Stasi le soupçonnait déjà d’espionnage et l’avait qualifié d’« ennemi de l’État ».

Une amie d’Inge, une jeune femme du nom d’Erika Just, se faisait également baptiser ce soir-là. Les deux femmes étaient voisines. Au cours des années difficiles qui avaient suivi la Seconde Guerre mondiale, plusieurs personnes de leur quartier avaient manifesté de l’intérêt pour l’Église. Mais au fil du temps, les gens n’avaient plus besoin de la nourriture et des fournitures offertes par l’Église et beaucoup avaient cessé de venir. Inge et Erika faisaient partie d’un petit groupe de jeunes qui étaient restés, tissant des liens lors des activités de la SAM en semaine et de la réunion de Sainte-Cène le dimanche soir.

La lumière du soleil disparut complètement quand le groupe arriva sur les berges de la Saale. Les nuages masquaient la lune et, ici et là, des amas de glace étaient éparpillés à la surface sombre de la rivière. Wolfgang Süss, un missionnaire allemand, s’avança dans l’eau. Dès que le premier des cinq candidats au baptême le rejoignit, la lune sortit de derrière les nuages. Son reflet scintillait à la surface de la rivière tel un signe de l’approbation divine. Sur la rive, quelques personnes attendaient, prêtes à envelopper chaque nouveau membre dans une couverture.

Inge entra dans la rivière. Quand frère Süss la sortit de l’eau, elle était une nouvelle personne.

Après les baptêmes, le petit groupe retourna dans son lieu de culte, un ancien magasin de chapeaux réaménagé pour tenir des réunions de Sainte-Cène et des classes d’École du Dimanche. Quand vint le tour d’Inge d’être confirmée membre de l’Église et de recevoir le Saint-Esprit, Henry Burkhardt lui posa ses mains sur la tête et offrit la bénédiction.

Il n’avait pas vraiment remarqué la jeune femme pendant qu’il œuvrait dans sa branche. Pourtant, quelques jours plus tard, il la mentionna dans son journal.

Il fit allusion aux cinq personnes qui avaient fait alliance avec leur Père céleste ce soir-là. Il écrivit : « Je les connaissais tous, dans une certaine mesure, grâce au temps passé à Bernburg. J’ai une confiance particulière en Inge Lehmann. »

Plus tard cette année-là, à l’automne 1953, Nan Hunter, âgée de trente-six ans, commençait chaque jour de la même manière. Le matin, à six heures, elle se rendait dans la salle de culte de sa paroisse à San Diego, en Californie, pour enseigner le séminaire à environ vingt-cinq adolescents. En apparence, Nan était bavarde et sûre d’elle. Pourtant, au fond, elle se sentait mal assurée. Elle donnait un cours sur le Livre de Mormon et n’était pas sûre de sa véracité.

Nan, mère de famille dont les enfants fréquentaient le lycée, avait été enchantée quand le programme du séminaire matinal avait été lancé pour la première fois. Dans l’ouest des États-Unis, l’Église s’était épanouie depuis la fin de la guerre. Le conflit avait donné aux Américains une nouvelle vision de la valeur de la famille et de la foi. Les saints de Californie, dont beaucoup étaient originaires d’Utah, voulaient que leurs enfants bénéficient de tous les programmes de l’Église. En avril 1950, dix pieux de Californie du Sud avaient demandé au département d’éducation de l’Église de les aider à lancer un programme de séminaire pour les lycéens de leur région. Ray Jones, instructeur du séminaire à Logan en Utah, avait accepté de déménager à Los Angeles pour effectuer cette tâche.

En Utah, ses élèves assistaient au séminaire pendant la journée dans un bâtiment situé près de leur école. En Californie, il y avait moins de saints vivant à proximité les uns des autres. Cette manière de procéder n’était donc pas envisageable. Après avoir interrogé les parents et les dirigeants de l’Église, Ray en avait déduit que les jeunes étaient seulement disponibles pour le séminaire avant le début des cours. Les saints locaux devraient enseigner la plupart des leçons car l’Église ne pouvait pas employer beaucoup d’instructeurs de séminaire à plein temps dans cet État.

Des parents avaient dit : « Cela ne fonctionnera jamais ! ». Ils pensaient que leurs enfants ne se lèveraient pas avant le soleil pour assister à un cours de religion à l’église. Pourtant, au sud de la Californie, le séminaire matinal prospérait. En seulement trois ans, plus de mille cinq cents élèves étaient inscrits dans cinquante-sept cours.

Nan était enthousiaste concernant le programme du séminaire matinal mais elle avait été contrariée quand David Milne, conseiller de l’épiscopat, lui avait demandé de prendre une classe en charge.

Elle avait répondu : « J’en suis simplement incapable. » Elle avait aimé assister au séminaire quand elle était adolescente, en Utah, mais elle n’avait pas suivi de formation ni fait d’études supérieures.

David lui avait dit de parler à Ray Jones, qui lui avait conseillé de s’adresser à William Berrett, vice-président du département d’éducation de l’Église. Ce dernier l’avait rassurée, disant qu’elle était effectivement dévouée et qualifiée. Elle était précisément la personne qu’ils recherchaient pour enseigner un cours sur le Livre de Mormon.

« Ce livre ennuyeux ? avait demandé Nan, abasourdie. Je ne pourrai jamais enseigner cela. Je ne l’ai jamais lu en entier car je reste toujours bloquée aux passages d’Ésaïe. »

William l’avait regardée droit dans les yeux. « Sœur Hunter, je voudrais vous faire une promesse. Si vous lisez ce livre avec une intention réelle et priez à son sujet pendant votre lecture, je vous assure que vous en obtiendrez un témoignage. » Il lui avait promis qu’un jour, ce serait l’ouvrage canonique qu’elle préférerait enseigner. Elle avait finalement accepté d’essayer.

Nan donnait ses cours dans la salle de la Société de Secours où elle pouvait utiliser un piano et un tableau. Les jeunes commencèrent à inviter leurs amis non membres de l’Église. Elle aimait l’enthousiasme et le témoignage de ses élèves mais était accablée par le poids de l’incertitude, ne sachant pas si le Livre de Mormon était une écriture sainte. Comment témoigner de vérités qu’elle ne connaissait pas par elle-même ?

Chaque soir, elle priait au sujet du livre, comme William Berrett l’avait suggéré. Pourtant, elle ne recevait aucune réponse. Un soir, elle décida que cela ne pouvait plus durer. Elle devait savoir. Elle sauta des chapitres pour lire le troisième livre de Néphi puis elle s’agenouilla devant son lit. Elle demanda : « Père, ce livre est-il vrai ? Veux-tu vraiment que j’instruise ces enfants ? »

Un sentiment glorieux et céleste l’envahit, comme si quelqu’un la serrait dans ses bras. Une petite voix douce murmura : « Oui, c’est vrai. »

Dès lors, Nan devint une toute autre personne. Au début de l’année scolaire, elle avait passé un examen sur le Livre de Mormon et obtenu la note de 25 %. À la fin de l’année, elle refit l’examen et obtint la note de 98 %. À cette période, six non-membres qui avaient assisté à son cours étaient devenus membres de l’Église.

Pendant ce temps, à Salt Lake City, Gordon B. Hinckley, âgé de quarante-trois ans, avait rarement un instant à lui. Pendant la majorité de sa vie professionnelle, il avait été employé de l’Église. Il avait commencé sa carrière en tant que secrétaire exécutif du comité de l’Église en charge de la radio, de la publicité et de la documentation missionnaire. Depuis deux ans, il était secrétaire exécutif du comité missionnaire de l’Église. Il était maintenant impliqué dans presque tous les aspects des efforts de l’Église pour répandre l’Évangile, à commencer par la formation des missionnaires en passant par les relations publiques. Il avait du mal à laisser son travail au bureau.

Marjorie, sa femme, attendait leur cinquième enfant. Pourtant, lorsque Gordon rentrait chez lui, il avait à peine le temps de voir sa famille que le téléphone sonnait déjà. Parfois, l’appel concernait un missionnaire qui souffrait du mal du pays, à l’autre bout du monde. D’autres fois, il s’agissait d’une personne contrariée par les règles de l’Église concernant les appels en mission et le service militaire.

Bien qu’un armistice ait récemment mis fin à la guerre entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, les États-Unis continuaient de recruter des jeunes hommes en âge d’être missionnaire. L’Église avait adapté les règles qu’elle appliquait pendant la guerre afin que certains jeunes hommes puissent bénéficier d’un sursis et partir en mission. Toutefois, cette possibilité n’était pas garantie et créait parfois des déceptions. Malgré tout, les jeunes hommes appelés sous les drapeaux avaient souvent l’occasion de faire connaître l’Évangile dans les pays où ils étaient envoyés. Par exemple, à Séoul, en Corée du Sud, des soldats saints des derniers jours se réunissaient régulièrement avec un petit groupe de saints coréens. Beaucoup d’entre eux étaient des réfugiés qui avaient découvert l’Évangile rétabli après la guerre, grâce à des militaires américains.

En octobre 1953, David O. McKay s’entretint avec Gordon B. Hinckley afin de lui confier une nouvelle responsabilité. Il lui dit : « Comme vous le savez, nous allons bâtir un temple en Suisse. Je voudrais que vous trouviez un moyen de proposer l’enseignement du temple dans plusieurs langues européennes en utilisant un minimum de servants des ordonnances du temple. »

En Europe, les temples seraient différents de tous les autres. Dans chacun des huit temples de l’Église en activité, plusieurs servants des ordonnances guidaient les usagers à travers différentes salles dont les décorations murales représentaient différentes étapes du plan de salut. Il serait difficile de trouver des servants des ordonnances parmi les saints européens dispersés sur le continent. La Première Présidence voulait donc utiliser la technologie moderne pour réduire le nombre de servants du temple et l’espace nécessaire à la dotation.

Le président McKay dit à Gordon : « Vous avez beaucoup d’expérience dans la préparation de films et supports de ce genre. Je laisse sur vos épaules la responsabilité de trouver une manière d’y parvenir. » Gordon devait se mettre au travail immédiatement. Le temple de Suisse serait opérationnel dans moins de deux ans.

Il répondit : « Eh bien, président, nous ferons ce que nous pourrons. »

Au début de l’année suivante, le président McKay quitta à nouveau les États-Unis en compagnie d’Emma Ray pour rendre visite aux saints en Europe, en Afrique du Sud et en Amérique du Sud. La première fois qu’il avait visité les missions de l’Église dans le monde, en 1920-1921, accompagné de Hugh Cannon, il s’était rendu compte des besoins et des préoccupations des membres de partout. Cette fois-ci, dans le cadre de son périple, il était particulièrement préoccupé par la mission d’Afrique du Sud. L’Église était implantée dans le pays depuis plus de cent ans. Toutefois, elle était confrontée à une pénurie de dirigeants en raison des restrictions qui empêchaient les personnes d’origine africaine de détenir la prêtrise ou de recevoir les ordonnances du temple.

Ces restrictions avaient toujours présenté des défis particuliers en Afrique du Sud. Les missionnaires rencontraient souvent des hommes qui ne savaient pas s’ils avaient des ascendances mixtes africaines et européennes. On se demandait alors s’ils pourraient être ordonnés à la prêtrise. Finalement, la Première Présidence décida que tous les futurs détenteurs de la prêtrise du pays devaient confirmer leur éligibilité en prouvant que leurs plus anciens ancêtres sud-africains s’étaient installés en Afrique et n’y étaient pas nés.

Cette méthode prenait beaucoup de temps et était souvent source de frustration. Certains dirigeants potentiels de branche ou de district étaient issus de familles qui vivaient en Afrique du Sud depuis bien avant la tenue de registres généalogiques. D’autres avaient dépensé des sommes considérables pour rechercher leur lignée familiale mais s’étaient retrouvés bloqués. En conséquence, le président de mission, Leroy Duncan, décida d’appeler des missionnaires pour diriger les assemblées dans lesquelles les hommes dignes ne pouvaient pas prouver leur ascendance.

Il informa la Première Présidence : « Il n’y a eu que cinq hommes ordonnés à la Prêtrise de Melchisédek au cours des cinq dernières années. L’œuvre progresserait plus rapidement si un plus grand nombre de nos frères bons et fidèles détenaient la prêtrise. »

Le président McKay espérait s’attaquer au problème dès son arrivée en Afrique du Sud. Pourtant, il restait conscient des tensions dans le pays dues aux divisions raciales. L’Afrique du Sud était gouvernée par une minorité blanche qui avait récemment commencé à adopter des lois oppressives visant à traiter les Noirs et les personnes « de couleur » (ou métis) comme des citoyens de seconde zone, totalement séparés des Blancs.

Ce système de lois, connu sous le nom d’apartheid, faisait de la ségrégation raciale stricte un élément central de la société sud-africaine. En réfléchissant à ce problème, le président McKay devait prendre en compte la pratique de l’Église consistant à agir conformément aux lois du pays. Il comprenait également que même un changement inspiré des restrictions concernant la prêtrise et le temple pourrait susciter la colère de membres de l’Église blancs et des personnes étrangères à leur religion.

En janvier 1954, le couple McKay arriva en Afrique du Sud. Ils passèrent plusieurs jours avec les saints du pays. Le président McKay prit le temps de parler avec autant de personnes qu’il le pouvait, en particulier celles qui semblaient réservées ou en marge de la foule. Au Cap, il serra la main de Clara Daniels et de sa fille, Alice, qui avaient été, des années auparavant, les membres fondateurs de la branche de l’amour. William Daniels, mari de Clara et président de la branche, était décédé en 1936. Depuis, les deux femmes, qui faisaient partie des rares saints métis d’Afrique du Sud, étaient restées fidèles.

Pendant ses voyages, le président McKay pria sincèrement pour savoir ce qu’il fallait faire concernant les restrictions relatives à la prêtrise dans le pays. Il observa attentivement les membres de l’Église et réfléchit aux difficultés qu’ils rencontraient. Il comprenait que si l’Église continuait d’exiger des détenteurs potentiels de la prêtrise en Afrique du Sud qu’ils trouvent leurs origines en dehors du continent, les branches risquaient de ne pas avoir suffisamment de dirigeants locaux pour faire avancer l’œuvre de l’Église.

Le dimanche 17 janvier, il parla des restrictions concernant la prêtrise et le temple lors d’une réunion avec les missionnaires au Cap. Sans faire de déclaration ferme sur l’origine de cette pratique, il reconnut que plusieurs hommes noirs avaient détenu la prêtrise sous les présidences de Joseph Smith et de Brigham Young. Il parla également de ses difficultés à accepter ces restrictions lors de son tour du monde en 1921 et il raconta qu’il avait sollicité le président Grant en faveur d’un saint noir d’Hawaï qui souhaitait recevoir la prêtrise.

Face à l’assemblée de missionnaires, il dit : « Je me suis assis et j’ai parlé à ce frère. Je lui ai assuré qu’un jour il recevrait toutes les bénédictions auxquelles il avait droit, car le Seigneur est juste et ne fait pas acception de personne. »

Le président McKay ne savait pas quand ce jour viendrait, et il affirma que la restriction resterait en vigueur jusqu’à ce que le Seigneur révèle le contraire. Toutefois, il ressentait que quelque chose devait changer.

Il déclara : « Dans la mission d’Afrique du Sud, il y a des hommes dignes qui sont privés de la prêtrise simplement parce qu’ils ne peuvent pas retrouver leur généalogie hors de ce pays. J’ai le sentiment que c’est une injustice qui est commise à leur égard. » Il ajouta qu’à partir de ce moment-là, les membres dont l’ascendance n’était pas sûre n’auraient plus à la prouver pour recevoir la prêtrise.

Avant de quitter l’Afrique du Sud, le président McKay répéta que le jour viendrait où les personnes d’origine africaine recevraient toutes les bénédictions de la prêtrise. Des Noirs d’autres pays manifestaient déjà un intérêt accru pour l’Évangile rétabli. Quelques années plus tôt, plusieurs Nigériens avaient écrit au siège de l’Église pour obtenir des renseignements. D’autres demandes avaient suivi.

À cette période, de nombreux Noirs du monde entier cherchaient l’égalité, souvent en contestant la légalité de la ségrégation. Tandis que leurs actions marquaient la société, de plus en plus de personnes interrogeaient sincèrement les dirigeants de l’Église concernant les restrictions.

Plus tard cette année-là, en République démocratique allemande, un petit bateau remontait paresseusement l’Elbe, un panache de fumée blanche s’élevant de l’unique cheminée du navire. Sur le flanc du navire, on lisait un seul mot : Einheit. Unité.

À bord du navire, Henry Burkhardt saluait les saints de toute la RDA qui s’étaient réunis pour une conférence des sociétés d’amélioration mutuelle. Henry avait à peu près le même âge que beaucoup de jeunes adultes du groupe, cependant, en tant que dirigeant de l’Église en RDA, il était aussi chargé de superviser l’activité.

La promenade en bateau n’était que l’une des nombreuses activités prévues pour les quelque cinq cents jeunes adultes réunis pour la conférence. Depuis les années trente, les missions du monde entier organisaient des conférences de SAM pour aider à fortifier la foi des jeunes adultes et encourager les amitiés et le mariage au sein de l’Église. Malheureusement, depuis peu, la police de l’Allemagne de l’Est avait commencé à interdire aux groupes religieux d’organiser des activités récréatives, comme des jeux de ballon ou des randonnées. À cause de ces restrictions, il n’était pas facile d’être membre de l’Église en RDA. De nombreux saints est-allemands avaient déjà fui vers l’Allemagne de l’Ouest ou les États-Unis. Henry connaissait de nombreux jeunes qui désiraient émigrer mais il espérait que des activités comme celles-ci les inciteraient à rester, assurant ainsi la présence de l’Église au sein du pays.

Le bateau à vapeur continuait de glisser sur le fleuve, passant devant des collines boisées et de hautes colonnes de grès gris. Dans la foule, Henry aperçut Inge Lehmann, la jeune femme qu’il avait confirmée à Bernburg l’année précédente. Il l’avait croisée à plusieurs reprises depuis ce jour-là. À Pâques, lors d’une activité de la SAM, ils avaient discuté.

Henry était souvent mal à l’aise et ne trouvait pas ses mots en présence de jeunes femmes. Lorsqu’il était missionnaire, à dix-neuf ans, il fallait qu’il se concentre sur son travail. Maintenant qu’il avait endossé de nouvelles responsabilités dans l’Église, on lui demandait quand et avec qui il allait se marier.

En parlant avec Inge, Henry avait éprouvé quelque chose de très différent de la gêne qu’il connaissait bien. Il était déterminé à la revoir.

Au cours des mois suivants, Henry fit son possible pour rendre visite à Inge. Il se déplaçait au sein de la mission dans une vieille Opel Olympia et comme les voitures étaient rares en RDA, les saints savaient quand il passait dans le quartier de la jeune femme. L’appel d’Henry dans la mission lui prenait du temps et il avait peu d’occasions de la voir. Pourtant, cela ne prit pas longtemps pour que leur relation s’épanouisse.

Quand l’hiver arriva, Henry et Inge décidèrent de se marier. Pendant les vacances de Noël, les parents d’Inge invitèrent Henry et ses parents chez eux, à Bernburg, pour annoncer les fiançailles. Ils avaient été contre la décision de leur fille de devenir membre de l’Église mais leur attitude commençait à s’adoucir. Ils avaient même tissé des liens d’amitié avec Henry.

Henry et Inge étaient heureux de fêter leurs fiançailles mais leur avenir restait incertain. L’appel d’Henry dans l’Église ne lui permettait pas de gagner facilement sa vie et il se demandait comment il pourrait subvenir aux besoins d’une famille. Henry et Inge voulaient tous les deux se marier au temple, mais comment faire ?

À moins d’un an de l’achèvement du temple de Suisse, leur rêve n’était pas totalement hors d’atteinte. Pourtant, il ne suffirait pas d’économiser de l’argent pour entreprendre le voyage. Les règles concernant les personnes autorisées à quitter la RDA devenaient plus strictes. Henry et Inge savaient qu’il y avait peu de chances que le gouvernement les autorise à sortir ensemble du pays.


Chapitre 38 : Plus de force, plus de lumière

Un jour, au milieu de l’année 1954, Jeanne Charrier emprunta la route qui menait au village de Privas, en France, implanté à flanc de colline. Depuis son baptême, trois ans auparavant, elle se rendait fréquemment chez Eugénie Vivier. C’était une veuve dont les enfants étaient partis depuis longtemps. Cela faisait près de dix ans qu’elle s’intéressait à l’Église sans jamais s’engager dans la voie du baptême. Toutefois, Jeanne aimait lui rendre visite. Le fait de passer du temps avec la veuve était plus un plaisir qu’un devoir.

Quand Jeanne arriva chez Madame Vivier, celle-ci l’accueillit avec un grand sourire. Elle fit entrer Jeanne et prit place près d’une fenêtre ouverte.

Comme d’habitude, la jeune femme venait avec une leçon. Son esprit érudit et son amour des idées l’avaient amenée à étudier l’Évangile en profondeur. Quelques mois plus tôt, elle avait rédigé un article pour le magazine L’Étoile sur le thème de l’année de la SAM : « Demeurez dans la liberté par laquelle vous êtes rendus libres ; ne vous empêtrez pas dans le péché, mais que vos mains soient pures jusqu’à ce que le Seigneur vienne » (Doctrine et Alliances 88:86).

Elle avait écrit : « En obéissant aux lois, on obtient plus de force, plus de lumière. » Elle avait cité le Nouveau Testament et plusieurs philosophes anciens et modernes pour étayer ses propos. Elle avait conclu : « Être libre, c’est se débarrasser du péché, de l’ignorance et de l’erreur et demeurer dans la liberté de l’Évangile de Jésus-Christ. »

En plus d’être présidente de la SAM dans sa petite branche à Valence, Jeanne enseignait l’École du Dimanche et les leçons de la Société de Secours. Elle prenait très au sérieux ses responsabilités d’instructrice. Elle avait un témoignage ardent de l’Évangile rétabli et désirait le faire connaître.

Malheureusement, elle n’avait que peu d’amis qui y étaient réceptifs. De plus, aucun membre de sa famille ne voulait entendre parler de l’Église. Jeanne vivait toujours avec ses parents, mais leurs relations s’étaient dégradées depuis son baptême. Ils lui adressaient rarement la parole, et seulement pour exprimer leur désapprobation ou l’accuser de trahir l’héritage protestant de leur famille.

La plupart de ses amis et de ses professeurs à l’université méprisaient toute religion. Si elle essayait de leur parler de Joseph Smith, ils se moquaient de l’idée que quelqu’un puisse avoir une vision.

Jeanne avait trouvé en Madame Vivier un esprit analogue au sien. Si elle avait repoussé le baptême pendant si longtemps, c’était notamment parce que sa famille s’y opposait. Pourtant, comme Jeanne, elle aimait étudier les Écritures. Madame Vivier était également l’exemple même d’une personne qui vivait une vie simple et heureuse. Elle n’avait pas beaucoup de biens en dehors de sa petite maison, quelques arbres fruitiers et quelques poules, mais à chaque fois que Jeanne venait, la femme âgée sortait des œufs frais des poches de son tablier et exhortait son amie à les prendre.

La jeune femme savait que, comme Madame Vivier, elle devrait peut-être apprendre à se contenter d’une vie plus solitaire. Il y avait peu de jeunes hommes saints des derniers jours en France et Jeanne avait décidé de ne pas se marier avec un non-membre. Elle n’était pas non plus disposée à épouser un membre de l’Église qu’elle n’aimait pas ou qui ne l’aimait pas. Elle avait décidé que l’Évangile rétabli valait la peine d’être vécu, même si elle devait rester célibataire. Les vérités qu’elle apprenait, comme le plan du salut, le rétablissement de la prêtrise et l’existence d’un prophète vivant, remplissaient son âme de joie.

Après avoir présenté sa leçon sur l’Évangile et rappelé à Madame Vivier de lire le Livre de Mormon, Jeanne termina la visite en évoquant le baptême, dont elles avaient déjà parlé de nombreuses fois. Cette fois-ci, son amie n’évita pas le sujet et accepta de se faire baptiser.

Le cœur de Jeanne se remplit instantanément de joie. Après avoir passé dix ans à étudier, cette femme fidèle était prête à devenir membre de l’Église.

Peu de temps après avoir reçu la tâche de modifier la présentation de la dotation, Gordon B. Hinckley réunit une équipe de professionnels pour produire un film destiné aux temples européens. Au printemps 1955, le film était loin d’être achevé et le temple de Suisse allait être consacré dans seulement quelques mois.

Conscient de la nature sacrée de la dotation, le président McKay autorisa Gordon à tourner le film dans la grande salle de réunion du temple de Salt Lake City, à l’endroit même où, plus de soixante ans auparavant, Wilford Woodruff avait consacré le bâtiment.

Les servants des ordonnances du temple effectuaient habituellement la dotation en costumes et robes de couleur blanche, mais Gordon reçut l’autorisation de filmer la cérémonie avec des acteurs déguisés. Le comité avait accroché une énorme toile de fond grise dans la salle de réunion et placé des lumières pour éclairer le décor. Des rochers artificiels parsemaient le sol au milieu de grands arbres qui avaient été hissés par les fenêtres du temple à l’aide de poulies. Afin d’illustrer la création du monde, Gordon avait obtenu la permission de la société Walt Disney d’insérer un court extrait du film Fantasia dans la production.

Toutes les personnes impliquées dans le tournage du film du temple, depuis les acteurs et l’équipe jusqu’au monteur et à Gordon lui-même, travaillaient à cette tâche en plus de leur emploi du temps complet habituel. Ils y consacraient des nuits et des week-ends. À la fin du mois de mai 1955, Gordon et l’équipe de production avaient réalisé un premier montage du film. Pourtant, Gordon n’était pas satisfait du résultat. Le film manquait de fluidité et les tenues de certains acteurs devaient être retravaillés.

Il prit contact avec Winnifred Bowers, la costumière qui avait travaillé sur le film, afin d’obtenir des conseils pour améliorer la production. Elle proposa des moyens de lisser les transitions et de modifier légèrement les costumes. De plus, elle était sûre que le réalisateur, Harold Hansen, pourrait aider les acteurs à corriger leurs prestations après avoir vu le résultat à l’écran. Winnifred ajouta : « En tout cas, frère Hinckley, je pense que vous êtes plus proche du but que vous ne le pensez. »

Gordon et son équipe travaillèrent encore pendant plusieurs semaines pour peaufiner le projet. Le 23 juin, ils le montrèrent aux Autorités générales. Le président McKay était satisfait. Il dit à Gordon et à son équipe : « Vous avez fait du bon travail. Je pense que vous êtes sur la bonne voie. »

En effet, leur tâche n’était pas encore terminée. L’Église ne disposant pas de l’équipement nécessaire pour doubler les films dans d’autres langues, Gordon et son équipe décidèrent de tourner à nouveau le film en allemand, français, danois, néerlandais, norvégien et suédois. Heureusement, les traductions avaient déjà été faites mais la création de six autres versions du film prendrait des mois, même pour un réalisateur chevronné.

Gordon ne disposait pas de beaucoup de temps. Le président McKay et tous les saints qui attendaient de recevoir les bénédictions du temple en Suisse comptaient sur lui. Il ne pourrait pas trouver le repos avant que chaque film soit terminé et arrivé sans encombre en Europe.

Pendant ce temps, en RDA, Helga Meyer jouait des cantiques sur un petit orgue dans son salon pour accueillir sa famille et ses amis à l’École du Dimanche. Neuf ans s’étaient écoulés depuis qu’elle avait quitté Berlin pour vivre avec son mari, Kurt, dans le petit village de Cammin. Malgré les difficultés de la vie en RDA, le couple Meyer avait fondé un foyer accueillant pour leurs trois jeunes enfants. Leur porte était toujours ouverte à quiconque voulait les voir.

Nombre de voisins d’Helga avaient assisté avec enthousiasme aux réunions de l’École du Dimanche. Après un cantique d’ouverture et une prière, Kurt emmenait les adultes à l’écart pour une leçon tandis qu’Helga chantait des cantiques et racontait des histoires de la Bible à des dizaines d’enfants enthousiastes.

Cependant, ces grands rassemblements n’avaient pas duré. Un pasteur luthérien avait entendu parler de l’École du Dimanche de la famille Meyer et avait interdit à ses fidèles d’y assister. Désormais, seule une poignée de saints résidant à Cammin et aux alentours venaient le dimanche matin. La classe était bien plus petite que celle qu’Helga avait eu l’habitude de fréquenter enfant, lors des classes de l’École du Dimanche de la branche de Tilsit. Helga pouvait toujours compter sur la présence d’Elise Kuhn, une veuve d’un village voisin, qui faisait une longue marche jusqu’à la maison de la famille Meyer, qu’il pleuve ou qu’il neige. La famille d’Edith Tietz, une fidèle amie d’Helga qui était devenue membre de l’Église quelques années auparavant, y assistait aussi assidûment.

Habituellement, pendant la leçon, Helga et Kurt enseignaient directement à partir des Écritures car ils avaient peu d’autres documentations de leçons à utiliser. Pour les régions anglophones du monde, le magazine de l’Église Instructeur (Instructor), destiné aux instructeurs de l’École du Dimanche, proposait de nombreuses aides, notamment des articles sur l’utilisation efficace des panneaux de flanelle, des cartes, des tableaux et des illustrations. Dans un numéro récent, on retrouvait des reproductions en couleur des dernières peintures du Livre de Mormon d’Arnold Friberg : Abinadi devant le roi Noé et Alma baptise dans les eaux de Mormon.

En revanche, les supports de cours en allemand se faisaient rares après la guerre. En RDA, la censure stricte les rendait pratiquement inaccessibles. Pour les saints d’Allemagne de l’Est, le siège de l’Église semblait plus lointain que jamais. Helga désirait toujours émigrer aux États-Unis, comme sa tante Lusche et certains de ses proches l’avaient fait à la fin de la guerre. Toutefois, elle savait combien il était dangereux pour une famille entière de tenter de quitter la RDA. De plus, elle ne pouvait envisager de partir sans ses parents. La santé fragile de sa mère n’avait fait qu’empirer pendant toutes ces années à attendre qu’Henry, le frère d’Helga, revienne de la guerre.

Dans les moments difficiles, Helga et sa famille avaient trouvé de la force et du réconfort au sein de l’Église. Après l’École du Dimanche, ils prenaient le train avec les quelques membres de Cammin pour se rendre à la branche de Neubrandenburg, à une quinzaine de kilomètres de là, afin d’assister à la réunion de Sainte-Cène. Parfois, des étrangers venaient à la réunion. Helga craignait qu’il s’agisse d’espions venus écouter leurs discours et leurs témoignages.

Les saints de Neubrandenburg faisaient de leur mieux pour ignorer ces menaces. Ils continuaient à s’instruire mutuellement grâce aux Écritures et à chanter les cantiques de Sion.

Au début du mois de septembre de l’année 1955, soit une semaine avant la consécration du temple de Suisse, Gordon B. Hinckley remit soigneusement deux valises entre les mains d’employés d’une compagnie aérienne à l’aéroport de Salt Lake City. À l’intérieur se trouvait le film du temple en sept langues. Cela ne lui plaisait guère de ne pas avoir ces plus de neuf mille mètres de film sous les yeux mais les valises étaient trop encombrantes pour être transportées en cabine dans l’avion que sa femme, Marjorie, et lui allaient prendre pour la première étape de leur voyage vers la Suisse. Il se consolait avec le fait que les pistes audio étaient stockées séparément dans deux boîtes compactes suffisamment petites pour qu’il puisse les transporter lui-même.

Gordon avait tenu à protéger le contenu sacré du film depuis le moment où il l’avait envoyé en laboratoire en Californie pour le traitement final. Il avait demandé à un ami proche qui travaillait à Hollywood d’apporter le film au laboratoire et d’y rester afin de veiller au respect de la confidentialité du film pendant son traitement. Gordon devait maintenant transporter le film en toute sécurité via les aéroports de New York et de Londres afin de le déposer en main propre au temple de Suisse.

William Perschon, le nouveau président de la mission suisse-autrichienne, accueillit le couple Hinckley à Bâle à sa descente de l’avion. Ils récupérèrent le film et Gordon remplit un formulaire de déclaration de douane, indiquant que le film faisait partie de ses biens. Un douanier consulta le formulaire et dit : « Je ne peux pas laisser entrer ce film. En Suisse, nous n’autorisons pas l’entrée d’un film sans qu’il soit validé par l’office fédéral du film. »

Gordon répondit : « Je dois le faire rentrer d’une manière ou d’une autre. Je ne doute pas que vous autorisez les films à entrer en Suisse.

– Avec la bonne autorisation, oui. » Le douanier expliqua alors que l’office suisse du film devait examiner et approuver la projection avant de la remettre à Gordon. Pour cela, il allait d’abord l’envoyer au bureau de la douane à Berne. Comme on était samedi, Gordon ne pourrait pas récupérer le film à la douane avant lundi matin à l’ouverture du bureau.

Il envisagea de persuader le fonctionnaire de le laisser apporter lui-même le film à Berne mais il craignit qu’un conflit ne fasse empirer la situation. Il partit donc avec Marjorie et le président Perschon au foyer de la mission, extrêmement inquiet pour le film du temple. Le lendemain, ils jeûnèrent et prièrent pour que la pellicule ne tombe pas entre de mauvaises mains.

Le lundi, tôt, Gordon et le président Perschon récupérèrent les bobines au bureau des douanes et les amenèrent directement à l’office du film. Là, un homme fit entrer Gordon dans une pièce. Il demanda : « Quel est le titre du film ?

– Il n’a pas de titre, répondit Gordon. Il contient simplement de la musique et des instructions à utiliser dans le temple. » Il proposa à l’homme d’écouter la bande son. Par précaution, il avait placé un long enregistrement de musique d’orgue au début du film pour décourager toute personne non autorisée d’accéder à son contenu sacré.

L’homme écouta la mélodie pendant un moment. Il demanda finalement: « Eh bien, qu’est-ce que c’est ?

– Ce sont simplement des instructions ecclésiastiques, répéta Gordon. C’est de la musique d’église, de la musique d’orgue sans intérêt. »

Un élan de compréhension amicale passa dans le regard de l’homme. Il dit : « Très bien. » Il ne demanda pas à en entendre ou en voir plus, il sortit simplement un tampon et approuva le film.


Chapitre 39 : Une ère nouvelle

Le mardi 6 septembre 1955, Helga Meyer monta dans un train pour Berlin-Ouest. Les membres de la branche de Neubrandenburg avaient récemment appris que le chœur de l’Église, le « Tabernacle Choir » venait donner un concert dans la ville. Le chœur était en tournée en Europe depuis la mi-août, se produisant de Glasgow à Copenhague avant la consécration du temple de Suisse. C’était l’entreprise la plus audacieuse de la chorale depuis sa représentation à l’exposition universelle de Chicago, six décennies plus tôt. Pour beaucoup de spectateurs, ce fut un moment inoubliable.

Pendant longtemps, il aurait semblé irréalisable de faire traverser l’océan à trois cent cinquante choristes mais David O. McKay estimait qu’il était temps pour le chœur de s’aventurer en-dehors de l’Amérique du Nord. Quand la tournée avait été annoncée, il avait déclaré : « Il n’existe pas de force plus puissante pour l’œuvre missionnaire que le Tabernacle Choir. »

L’organisation de la tournée était le fruit de beaucoup de travail, de préparation et de prières. De plus, la présence du chœur à Berlin-Ouest était particulièrement remarquable. Des négociations dans les hautes sphères gouvernementales avaient eu lieu entre les États-Unis et l’Union soviétique afin de permettre à tant d’Américains de traverser la République démocratique allemande et de se rendre dans le secteur ouest de la ville.

Quand Helga et les autres saints est-allemands avaient appris que le chœur viendrait, ils avaient demandé la permission de se rendre à Berlin-Ouest et l’avaient obtenue. Même si la chorale se produisait le soir pour un concert payant, elle proposait aux résidents de la RDA et aux réfugiés est-allemands qui vivaient en Allemagne de l’Ouest d’assister gratuitement dans la journée à la répétition générale. La famille Meyer n’avait pas beaucoup de moyens financiers mais grâce au métier de pêcheur de Kurt et à l’emploi d’Helga en tant qu’institutrice à la maternelle, ils avaient juste assez d’argent pour que la jeune femme puisse se rendre seule à Berlin-Ouest et acheter un billet pour le concert du soir.

Lorsque le train d’Helga arriva à Berlin-Ouest, elle sortit de la gare et se dirigea vers le grand gymnase de Schöneberg pour le concert gratuit de l’après-midi. L’auditorium était bondé mais elle parvint à trouver un siège près de la scène.

Helga, Kurt et leurs enfants avaient passé de nombreuses soirées réunis autour de la radio, à écouter les émissions du Tabernacle Choir. Comme le programme provenait des États-Unis, la famille veillait à ce que le volume soit bas afin que personne ne les entende et ne les dénonce. Aujourd’hui, elle pouvait écouter sans crainte et laisser les paroles et la musique l’envelopper.

Le chœur commença par interpréter des œuvres de célèbres compositeurs allemands tels que Bach, Handel et Beethoven. Puis, les cantiques favoris des saints des derniers jours, comme « O mon Père » et « Venez, venez, sans craindre le devoir », retentirent. Helga ne comprenait pas les paroles des cantiques mais lorsque les voix des chanteurs remplirent l’espace d’un son joyeux, son cœur s’emballa.

Elle prit conscience que c’était son peuple, qui venait de loin.

Quelques heures plus tard, elle revint dans la salle pour le concert du soir. Cette fois, les saints d’Allemagne de l’Ouest, les militaires américains et les représentants du gouvernement occupaient la plupart des sièges de la salle comble. Le concert était enregistré afin que Radio Free Europe, une station parrainée par les États-Unis en Allemagne de l’Ouest, puisse le diffuser aux habitants de la RDA, de la Tchécoslovaquie, de la Pologne et d’autres pays communistes d’Europe centrale et orientale.

Une fois de plus, Helga se sentait transportée par la musique. L’Esprit du Seigneur l’enveloppa. Comme les personnes assises près d’elle, elle ne pouvait retenir ses larmes. Il semblait que le paradis touchait terre.

Après le concert, le chœur quitta la salle afin de monter dans les bus. Helga et un groupe de saints allemands les suivirent dehors et chantèrent : « Dieu soit avec toi jusqu’au revoir ». Ils agitèrent leur mouchoir en l’air jusqu’à ce que le dernier bus s’éloigne.

Quelques jours plus tard, le dimanche 11 septembre 1955, le président McKay s’arrêta sur un parking bondé dans la banlieue de Berne, en Suisse. Depuis plusieurs années, il suivait de loin l’avancement des deux temples européens. Récemment, il avait posé la première pierre du temple de Londres. Aujourd’hui, il venait consacrer le temple de Suisse, terminé depuis peu.

Le président McKay sentait que c’était un moment de triomphe. Depuis des générations, l’Europe avait été une source de force pour l’Église. Les deux parents du prophète étaient nés sur le sol européen. Sa famille était devenue membre de l’Église en Écosse. La famille de sa mère faisait partie des premiers convertis du Pays de Galles. Désormais, les saints européens n’auraient plus besoin de traverser l’océan pour bénéficier des bénédictions du temple, comme l’avaient fait ses parents et grands-parents.

Depuis des jours, la pluie tombait sur Berne. Pourtant, ce matin-là, un ciel bleu et un soleil radieux accueillirent le président McKay. L’extérieur simple et moderne du temple se détachait sur un fond de conifères. Le bâtiment était de couleur crème, avec des rangées de pilastres blancs. De hautes fenêtres ornaient ses côtés. Une seule flèche dorée, soutenue par une base blanche étincelante, s’élevait au-dessus des portes d’entrée en laiton. Au loin, bien visibles depuis les jardins du temple, s’élevaient les montagnes du Jura et les majestueuses Alpes suisses.

En entrant dans le temple, David O. McKay passa sous une inscription en lettres majuscules au-dessus de la porte. On y lisait : Das Haus des Herrn. La Maison du Seigneur. Pour la première fois, les mots inscrits sur un temple de l’Église n’étaient pas en anglais.

Quelques minutes plus tard, quand dix heures sonna, le prophète se tenait à la chaire de la salle de réunion du troisième étage. Environ six cents personnes, dont plus de la moitié étant des membres du Tabernacle Choir, lui faisaient face. Neuf cents autres personnes étaient assises dans d’autres salles du temple et écoutaient la réunion grâce à des haut-parleurs.

Après un chant interprété par le chœur et une prière, le président McKay souhaita la bienvenue à tous les participants. Il fit remarquer que les anciens présidents de l’Église étaient présents en esprit. Il ajouta que, parmi eux, se trouvait Joseph F. Smith, qui avait prophétisé à Berne, un demi-siècle auparavant, que des temples seraient un jour construits dans les pays du monde entier.

Samuel Bringhurst, appelé depuis peu président du temple de Suisse, prit ensuite la parole. Il raconta les difficultés rencontrées pour obtenir un terrain et témoigna que le Seigneur les avait guidés pour trouver cet endroit.

L’apôtre Ezra Taft Benson fut l’orateur suivant. Il parla à l’assemblée de sa grand-mère paternelle, Louisa Ballif, dont les parents étaient devenus membres de l’Église en Suisse dans les années 1850 et avaient ensuite émigré en Utah. Lorsqu’il était jeune homme et qu’il grandissait dans l’Idaho, Ezra écoutait sa grand-mère raconter la conversion de sa famille et son affection pour son pays d’origine.

L’apôtre déclara : « Je vous assure que j’aimais la Suisse bien avant d’y poser le pied. »

Frère Benson parla ensuite de sa mission auprès des saints européens après la Seconde Guerre mondiale. Il mentionna son passage à Vienne et Zełwągi. Avec émotion, il évoqua la gentillesse des fonctionnaires du gouvernement suisse qui avaient aidé l’Église à distribuer l’aide de l’Église.

Quand Ezra Taft Benson reprit sa place, le président McKay se leva à nouveau afin de consacrer la maison du Seigneur. Il pria : « O Dieu, notre Père éternel. En cette occasion sacrée, l’achèvement et la consécration du premier temple érigé par l’Église en Europe, nous déversons notre cœur et élevons notre voix vers toi pour te louer et de remercier. » Il remercia le Seigneur pour l’Évangile rétabli, pour la révélation moderne et pour le peuple suisse qui, pendant des siècles, avait respecté le droit de chacun d’adorer selon les inspirations de sa conscience.

Au cours de sa prière, le prophète sembla accablé par l’incrédulité des gens dans les pays où l’Évangile de Jésus-Christ ne pouvait pas encore être prêché. Il supplia : « Bénis les dirigeants des nations afin que leur cœur soit débarrassé des préjugés, de la suspicion et de l’avarice, et rempli d’un désir de paix et de droiture. »

Le président McKay clôtura la session de consécration du matin en menant l’assemblée dans le cri du Hosanna. Pendant la réunion, il demanda à Ewan Harbrecht, jeune soprano du Tabernacle Choir dont la grand-mère allemande avait été l’une des premières converties de la branche de Cincinnati, de se lever et de chanter.

Partout où il s’était produit en Europe, le chœur avait été accueilli par des applaudissements tonitruants. Toutefois, dans la Haus des Herrn, un silence paisible, digne de l’occasion, s’installa dans la salle. Elle chanta : « Bénissez cette maison. »

Bénissez les personnes qui s’y rendront.

Gardez-les pures et libres de tout péché.

Bénissez-nous tous afin que nous

soyons en mesure de demeurer auprès de vous, ô Seigneur.

Le jeudi suivant, Jeanne Charrier entra dans le temple de Suisse pour assister à la dernière des neuf sessions de consécration. Elle était honorée de se trouver dans la maison du Seigneur, entourée des saints européens qui allaient bientôt contracter des alliances éternelles. Auprès d’elle se trouvaient des membres de la mission française, notamment Léon et Claire Fargier.

Le président McKay prit la parole, comme il l’avait fait dans chacune des sessions précédentes. Jeanne ressentit un lien particulier avec le prophète qu’elle avait eut l’occasion de rencontrer pendant sa tournée européenne en 1952, lors d’une conférence à Paris. À l’époque, elle n’était membre de l’Église que depuis un an et elle souffrait du rejet récent de ses parents. Le président McKay s’était arrêté pour lui poser des questions sur son baptême et l’avait interrogée sur sa vie. Il l’avait serrée chaleureusement dans ses bras, comme un grand-père, au lieu de simplement lui serrer la main, ce qui avait contribué à dissiper son trouble intérieur.

Tandis que le prophète accueillait les saints de la mission française au temple, Robert Simond, un membre suisse de l’Église de longue date qui avait servi dans la présidence de la mission, interprétait ses paroles. Le président McKay déclara devant l’assemblée : « Cette consécration marque une époque de l’histoire de l’Église. À plusieurs égards, c’est le début d’une ère nouvelle. »

Il s’adressa ensuite aux membres qui allaient bientôt recevoir leurs ordonnances préparatoires et leur dotation. Il voulait qu’ils soient prêts à comprendre les grands principes de vie contenus dans l’expérience du temple.

Il expliqua : « Visualiser la gloire de l’œuvre du temple, c’est un peu comme obtenir un témoignage de la divinité de l’œuvre du Christ. Certains perçoivent immédiatement la gloire de la réalité de l’Évangile rétabli. Pour d’autres, cela vient plus lentement, mais sûrement. »

Les premières sessions de dotation au sein du temple de Suisse étaient prévues la semaine suivante. Toutefois, quand le président McKay sut que nombre de saints devaient rentrer dans leur pays avant cette date, il demanda à Gordon B. Hinckley si son équipe pouvait travailler toute la nuit pour préparer le temple en vue de la dotation dès vendredi matin.

Vendredi après-midi, Jeanne retourna au temple accompagnée d’autres saints francophones. Les deux premières sessions de dotation de la journée s’étaient déroulées en allemand et comme cette ordonnance était une nouvelle expérience pour la plupart des participants, cela prenait plus de temps que prévu. Quand la session en français commença, le soleil était couché. Des sessions dans d’autres langues étaient prévues ensuite.

Après avoir écouté l’apôtre Spencer W. Kimball parler lors d’une réunion spéciale dans la chapelle du temple, Jeanne et d’autres saints français participèrent aux ordonnances préparatoires et à la dotation. Rassemblés dans une salle, ils regardèrent le nouveau film du temple en français et en reçurent des enseignements sur la création de la terre, la chute d’Adam et Ève et l’expiation de Jésus-Christ. Ils contractèrent des alliances avec Dieu et reçurent la promesse de grandes bénédictions dans cette vie et dans la suivante.

Quand la session où se trouvait Jeanne prit fin, la nuit était déjà avancée. Des saints de Suède, de Finlande, des Pays-Bas, du Danemark et de Norvège reçurent leur dotation pendant les sessions suivantes, qui s’enchaînèrent sans arrêt jusque tard dans la nuit du samedi.

Comme elle avait reçu les ordonnances du temple, Jeanne comprenait que c’était un endroit de foi et d’espérance, qui la préparerait à entrer un jour en présence de Dieu. Bien que sa famille terrestre ne soit pas encore prête à entendre le message de l’Évangile, elle était impatiente d’œuvrer pour ses ancêtres décédés qui attendaient de recevoir les bénédictions du temple.

Elle pensa : « Personne ne sera oublié. »

Pour Gordon B. Hinckley, la semaine avait été intense. Une fois les formalités de la douane terminées, il avait supervisé l’installation au temple des équipements de projection et de sonorisation, synchronisé le son et le film dans chaque langue pour s’assurer que tout fonctionnait correctement. Il avait aussi formé le nouvel ingénieur du temple, Hans Lutscher, qui allait assumer cette responsabilité à plein temps après avoir été lui-même doté.

Gordon et son équipe avaient bénéficié d’un bref répit pendant les cinq jours de consécration mais dès que le président McKay avait annoncé qu’il souhaitait que les ordonnances du temple commencent immédiatement, ils s’étaient remis au travail.

Ainsi, pendant près de deux jours, depuis le vendredi matin tôt, Gordon avait fait fonctionner le projecteur et le système de sonorisation. Il n’était pas question de se reposer. De surcroît, la grippe qu’il avait attrapée ne faisait qu’empirer à cause du climat automnal humide de Berne. Ses yeux et son nez ne cessaient de couler, sa tête était lourde et son corps douloureux.

Pourtant, pendant que les sessions se succédaient heure après heure, il était étonné par le bon déroulement de la session de dotation en film. Les servants des ordonnances du temple rencontraient peu de problèmes avec la nouvelle méthode, malgré le défi que représentait l’accueil de personnes originaires de tant de pays différents. En observant le déroulement de la session, Gordon prit conscience qu’il aurait été extrêmement difficile de présenter l’ordonnance comme on le faisait habituellement en sept langues.

Le samedi soir, à la fin de la dernière session, Gordon était épuisé. Malgré ses yeux rouges et sa gorge endolorie, il se sentait rempli d’un élan de quelque chose de bien plus grand. Depuis son arrivée à Berne, il avait vu des centaines de saints européens entrer dans le temple. Beaucoup d’entre eux avaient fait de grands sacrifices pour assister à la consécration. Il avait remarqué que certains étaient très pauvres. D’autres avaient perdu des membres de leur famille et des êtres chers pendant les deux guerres mondiales. Les larmes aux yeux, ils avaient reçu leur dotation et été témoin du scellement de leur famille pour l’éternité.

Plus que jamais, Gordon savait avec certitude que le Seigneur avait inspiré le président McKay pour que les bénédictions du temple soient apportées aux européens. Leur joie valait toutes les longues nuits et les journées éprouvantes que Gordon avait vécues ces deux dernières années.

Comme la plupart des saints vivant en RDA, Henry Burkhardt n’avait pas pu se rendre à Berne pour la consécration du temple ni pour les premières sessions de dotation. Il était plutôt occupé à aménager dans un grenier de la maison de ses parents une chambre où lui et Inge vivraient après leur mariage. Il avait fait une demande pour avoir son propre appartement, mais il ne savait pas si le gouvernement lui en accorderait un, ni quand. Il pensa qu’en attendant, ils pourraient se contenter de ce petit espace non chauffé. Il espérait qu’Inge trouverait l’endroit plus accueillant quand il aurait posé le nouveau papier peint.

Henry et Inge ne s’étaient vus que quelques fois au cours des neuf mois qui avaient suivi leurs fiançailles, généralement lorsque le jeune homme se rendait dans la région de Bernburg pour une conférence de district. Ils prévoyaient de se marier civilement le 29 octobre et étaient déterminés à être scellés au temple aussi vite que possible.

Même si le gouvernement est-allemand autorisait les citoyens à se rendre en Allemagne de l’Ouest, Henry et Inge ne pouvaient dire à personne qu’ils quittaient le pays ensemble car les autorités risquaient de penser qu’ils partaient définitivement. Ils obtinrent chacun leur visa pour l’Allemagne de l’Ouest dans des villes différentes et s’arrangèrent avec le bureau de la mission à Berlin-Ouest pour faire une demande de visas pour la Suisse. Si tout se déroulait bien, les documents arriveraient au bureau de la mission ouest-allemande à Francfort. Dans le cas contraire, le couple devrait retourner en RDA sans pouvoir être scellé.

Le lendemain de leur mariage à Bernburg, Henry et Inge se rendirent sans difficulté en Allemagne de l’Ouest. Là, ils récupérèrent leurs visas pour la Suisse. Ils achetèrent des billets aller-retour pour Berne et passèrent du temps avec des amis en Allemagne de l’Ouest. Partout où ils allaient, les gens étaient polis et amicaux. Ils se réjouissaient de la sensation merveilleuse de pouvoir se déplacer sans restriction.

Henry et Inge arrivèrent à Berne le soir du 4 novembre. Ils dépensèrent ce qui leur restait de la somme qu’ils avaient économisée pour le voyage afin de louer une petite chambre près de la gare. Le lendemain matin, le couple monta les marches menant aux portes de la maison du Seigneur et y entra. Il prit place dans la salle de dotation du temple et accomplit l’ordonnance tandis que le film en allemand défilait sur un écran devant eux.

Après la session, ils entrèrent dans une salle de scellement et s’agenouillèrent face à face devant l’autel. Ils découvrirent les promesses glorieuses faites aux personnes qui contractent l’alliance du scellement. Ensuite, ils furent unis ensemble à tout jamais.

Henry pensa : « Comme c’est beau de s’appartenir maintenant l’un à l’autre pour l’éternité. Une grande responsabilité nous a été donnée, accompagnée de nombreuses bénédictions. »

Le lendemain soir, Henry et Inge se rendirent à la gare pour faire le voyage de retour dans leur chambre mansardée en RDA. Ils savaient qu’ils n’étaient pas obligés de rentrer s’ils ne le voulaient pas. Ils avaient des amis qui pouvaient les aider à s’installer en Allemagne de l’Ouest. Ils pouvaient même essayer d’émigrer aux États-Unis, comme nombre d’autres saints européens.

Pourtant, ils ne souhaitaient pas quitter leur terre natale. La vie en RDA n’était pas toujours facile mais leur famille était là et Dieu avait une œuvre à leur faire accomplir.

Le train arriva et le couple monta à bord. En quittant la Suisse, ni Henry, ni Inge ne savait s’ils pourraient un jour retourner au temple, ni quand ils pourraient le faire. Toutefois, ils croyaient fermement que Dieu les guiderait. Unis pour le temps et pour l’éternité, ils étaient plus engagés que jamais à le servir. Ils savaient qu’il ne les abandonnerait pas.


À PROPOS DES SOURCES

Cet ouvrage est un récit non fictif fondé sur des centaines de sources historiques. Nous avons pris le plus grand soin à veiller à son exactitude. L’histoire de l’Église entre 1846 et 1893 est remarquablement bien documentée grâce à des sources allant de la correspondance personnelle au journal intime, du rapport de presse aux archives institutionnelles telles que les comptes rendus de réunions. Néanmoins, le lecteur ne doit pas penser que l’histoire présentée ici est parfaite ou complète. Les récits du passé et notre aptitude à les interpréter dans le présent sont limités.

Toutes les sources de connaissance historique présentent des lacunes, des ambiguïtés et des partis pris. Souvent, elles n’évoquent que le point de vue de leur auteur. Par conséquent, les témoins d’un même événement ont un vécu et un souvenir différents et leurs divers points de vue donnent lieu à des manières diverses d’interpréter l’histoire. La difficulté pour l’historien consiste à réunir les points de vue connus et à parvenir à une compréhension correcte du passé par une analyse et une interprétation minutieuses.

Les saints est un récit véridique de l’histoire de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, fondé sur ce que nous savons et comprenons aujourd’hui d’après les documents historiques existants. Ce n’est pas le seul récit possible de l’histoire sacrée de l’Église mais les érudits qui ont fait les recherches, écrit et édité cet ouvrage connaissent bien les sources historiques, les ont utilisées avec soin et les ont documentées dans les notes de fin de document et dans la liste des sources citées. Le lecteur est invité à évaluer lui-même les sources dont beaucoup ont été numérisées et reliées aux notes de fin de document. Il est probable que la découverte d’autres sources ou de nouvelles lectures de sources existantes donneront lieu, avec le temps, à d’autres significations, interprétations ou points de vue possibles.

La narration dans Les saints est fondée sur des sources primaires et secondaires. Les sources primaires contiennent des renseignements sur les événements rapportés par les personnes qui en ont été les témoins. Certaines sources primaires, comme les lettres, les journaux personnels et les comptes rendus de discours, ont été écrites au moment des événements qu’elles décrivent. Ces sources contemporaines reflètent ce que les personnes pensaient, éprouvaient et faisaient à ce moment-là, révélant la manière dont le passé était interprété lorsqu’il était du présent. D’autres sources primaires, comme les autobiographies, ont été écrites après les faits. Ces sources évocatrices révèlent le sens qu’a fini par lui donner l’auteur, les rendant souvent meilleures que les sources contemporaines pour reconnaître l’importance des événements passés. Cependant, du fait qu’elles sont fondées sur le souvenir, les sources évocatrices peuvent contenir des erreurs et peuvent être influencées par la compréhension et les croyances ultérieures de l’auteur.

Les sources historiques secondaires contiennent des renseignements fournis par des personnes qui n’ont pas été témoins des événements. Parmi ces sources, on peut mentionner les histoires familiales et les ouvrages académiques ultérieurs. De nombreuses sources de ce genre se sont révélées précieuses pour le contexte et l’interprétation plus larges qu’elles ont fournis, et cet ouvrage en est bénéficiaire.

Chaque source de Les saints a été évaluée pour sa crédibilité et chaque phrase a été vérifiée plusieurs fois pour en assurer la cohérence avec les sources. Les répliques dans les dialogues et les autres citations sont directement issues de sources historiques. Dans l’édition anglaise, l’orthographe, les majuscules et la ponctuation ont été quelque peu modernisées par souci de clarté. Dans certains cas, des modifications importantes, comme le passage de l’emploi du temps passé au temps présent ou la normalisation de la grammaire, ont été apportées aux citations pour en faciliter la lecture . Le choix des sources et de la manière d’en faire usage a été fait par une équipe d’historiens, d’écrivains et de réviseurs qui ont pris leurs décisions par rapport à l’intégrité historique et la qualité littéraire.

Certaines sources antagonistes ont été utilisées pour rédiger ce livre et sont citées dans les notes. Elles servent principalement à décrire l’opposition à l’Église pendant le dix-neuvième siècle. Bien qu’essentiellement hostiles à l’Église, ces documents contiennent parfois des détails qui ne figurent nulle part ailleurs. Certains de ces détails ont été utilisés lorsque d’autres documents en confirmaient l’exactitude générale. Les faits contenus dans ces documents antagonistes ont été utilisés sans adopter leur interprétation hostile.

Récit historique rédigé pour le grand public, cet ouvrage présente l’histoire de l’Église dans un format cohérent et accessible. Tout en s’inspirant des techniques narratives populaires, il ne va pas au-delà des renseignements trouvés dans les sources historiques. Lorsque le texte inclut des détails mineurs tels qu’une expression du visage ou un renseignement météorologique, c’est parce que ces détails se trouvent dans le récit historique ou peuvent en être raisonnablement déduits.

Pour que le récit reste lisible, l’ouvrage traite rarement dans le texte lui-même des problèmes d’historicité. On trouvera ces débats sur les sources dans les traitements par sujet sur le site saints.ChurchofJesusChrist.org. Le lecteur est invité à les consulter pendant qu’il étudie l’histoire de l’Église.


SOURCES

Cette liste sert de répertoire complet de toutes les sources du premier tome de Les saints : Histoire de l’Église de Jésus-Christ dans les derniers jours. Dans les rubriques traitant des sources manuscrites, les dates indiquent le moment où celles-ci ont été créées et non la période qu’elles couvrent. Les tomes des écrits de Joseph Smith, The Joseph Smith Papers, sont désignés par l’abréviation « JSP ». De nombreuses sources sont disponibles numériquement et des liens se trouvent dans la version électronique du livre sur le site saints.lds.org et dans la bibliothèque de l’Évangile.

Lorsqu’une source est citée, cela ne signifie pas qu’elle a l’aval de l’Église. On trouvera de plus amples renseignements sur les types de sources utilisés dans Les saints dans « Note au sujet des sources ».

L’abréviation suivante est utilisée dans cette liste de sources citées :

BYU : L. Tom Perry Special Collections, Harold B. Lee Library, Brigham Young University, Provo, Utah

Bibliothèque d’histoire de l’Église, Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours (CHL)

Bibliothèque d’histoire familiale, Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours (FHL)

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Yorgason, Blaine M., Richard A. Schmutz et Douglas D. Alder. All That Was Promised: The St. George Temple and the Unfolding of the Restoration. Salt Lake City: Deseret Book, 2013.

Young, Ann Eliza. Wife n° 19; or, The Story of a Life in Bondage, Being a Complete Exposé of Mormonism, and Revealing the Sorrows, Sacrifices and Sufferings of Women in Polygamy. Hartford, CT: Dustin, Gilman, 1876.

Young, Brigham. Journals, 1832-1877. Brigham Young Office Files, 1832-1878 (bulk 1844-1877). Bibliothèque d’histoire de l’Église.

———. Letter to George Q. Cannon, 3 novembre 1859. Photocopy. Bibliothèque d’histoire de l’Église.

———. Office Journal, mai-septembre 1857. Bibliothèque d’histoire de l’Église.

———. Proclamation by the Governor. Salt Lake City: Éditeur inconnu, 15 septembre 1857. Copie à la Bibliothèque d’histoire de l’Église.

Young, Brigham, Jr. Journals, 1862-1900. Bibliothèque d’histoire de l’Église.

Young, Clara Decker. « A Woman’s Experiences with the Pioneer Band », 1884. Dans Hubert H. Bancroft, Utah and the Mormons Collection, before 1889. Microfilm. Bibliothèque d’histoire de l’Église. Également disponible dans Clara Decker Young, « A Woman’s Experiences with the Pioneer Band », Utah Historical Quarterly 14 (1946) : p. 173-176.

Young, John R. Memoirs of John R. Young, Utah Pioneer, 1847. Salt Lake City: Deseret News, 1920.

Young, Joseph Don Carlos. Autobiographical Notes, 1935-1936. Dans George C. Young Collection, 1857-1963. Bibliothèque d’histoire de l’Église.

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Young, Richard W. Diary, 1877-1878, 1882-1883. Bibliothèque d’histoire de l’Église.

Young, Willard. « Some Unpublished Letters of President Brigham Young ». Utah Genealogical and Historical Magazine 17 (janvier 1926) : p. 10-18.

Young, Zina Diantha Huntington. Diaries and Notebooks, 1848-1897. Zina Card Brown Family Collection, 1806-1972. Bibliothèque d’histoire de l’Église.

Zambŭcka, Kristin. The High Chiefess Ruth Keelikolani. Honolulu: Mana, 1977.

Zina Card Brown Family Collection, 1806-1972. Bibliothèque d’histoire de l’Église.


REMERCIEMENTS
 
Des centaines de personnes ont participé à la réalisation de cette nouvelle histoire de l’Église et nous remercions chacune d’entre elles. Nous sommes redevables envers les générations d’historiens employés par l’Église qui ont méticuleusement collecté et préservé les documents sur lesquels ce livre se base. Nous remercions particulièrement James Goldberg, David Golding, Elizabeth Mott, Jennifer Reeder et Ryan Saltzgiver pour la création de la documentation supplémentaire disponible en ligne. La numérisation des sources a été dirigée par Audrey Spainhower Dunshee et réalisée par le personnel de la préservation du département d’histoire de l’Église et l’équipe du traitement amélioré.

Tous les membres du personnel, les missionnaires et les bénévoles du département d’histoire de l’Église ont contribué directement ou indirectement à ce livre. Nous remercions particulièrement les personnes suivantes pour leurs commentaires sur les versions préliminaires : Matthew Godfrey, LaJean Purcell Carruth, Chad Foulger, David Grua, Kate Holbrook, Jennifer Reeder et Brent Rogers, du département des publications ; Jenny Lund, Jacob Olmstead, Chad Orton, Benjamin Pykles, Emily Utt et Aaron West, du département des sites historiques ; Clint Christensen, Scott Christensen et Matthew Geilman, du département de l’assistance et des acquisitions mondiales et Christine Cox, Emily Marie Crumpton, Keith Erekson, Brandon Metcalf et Tyson Thorpe, du département de la bibliothèque. Nous remercions également James Goldberg et Angela Hallstrom d’avoir aidé à façonner la structure littéraire du livre et Catherine Reese Newton, Alex Hugie, Lorin Groesbeck et Petra Javadi-Evans pour leurs contributions éditoriales. Les membres du comité de rédaction de Church Historian’s Press ont offert un soutien constant.

De nombreux lecteurs experts ont examiné les chapitres. Mentionnons Allen Andersen, Jill Andersen, Ian Barber, Laurel Barlow, Richard Bennett, M. Joseph Brough, Claudia Bushman, Richard Lyman Bushman, Néstor Curbelo, Kathryn Daynes, Jill Mulvay Derr, Devin G. Durrant, Sharon Eubank, Christian Euvrard, J. Spencer Fluhman, Jennefer Free, Fiona Givens, Terryl Givens, Melissa Wei-Tsing Inouye, Khumbulani Mdletshe, Dmitry Mikulin, Marjorie Newton, Andrew Olsen, Bonnie L. Oscarson, Darren Parry, W. Paul Reeve, Carlos F. Rivas, Cristina Sanches, Jorge L. Saldivar, Russell Stevenson, Laurel Thatcher Ulrich, Marissa A. Widdison et Jared Yang. Nous remercions également Dean Hughes, Jay A. Parry et Larry E. Morris d’avoir participé aux recherches et à la rédaction des versions préliminaires de ce tome. Sarah Clement Reed, Michael Knudson, Emily Brignone, Savannah Woolsey Larson, Heather Olsen, Kristlynn Roth et Annie Smith ont apporté une aide précieuse en traduisant les lettres d’Anna et de John Widtsoe.

Greg Newbold a réalisé les belles œuvres d’art. John Heath, Debra Abercrombie et Miryelle Resek ont participé à l’effort de sensibilisation. Deborah Gates, Kiersten Olson, Jo Lyn Curtis, Cindy Pond et Debi Robins ont offert leur assistance administrative. Nick Olvera a géré le projet.

Des membres de plusieurs départements de l’Église ont également participé, notamment une équipe interdépartementale composée de Irene Caso, Drew Conrad, Irinna Danielson, David Dickson, Norm Gardner, Paul Murphy, Alan Paulsen et Jen Ward. Eliza Nevin du département des services de publication a supervisé le processus final de publication et Patric Gerber, Katrina Cannon, Heather Claridge, Hillary Olsen Errante, Stacie Heaps, Christopher Kugler, Lindsey Maughan, Benson Y. Parkinson, Heather Randall, Greg Scoggin et Kat Tilby ont participé à la publication. Parmi les autres intervenants, on peut citer Nic A. Benner, Alan Blake, Christopher Blake Clark, Matt Evans, Brooke Frandsen, Jeff Hatch, Jim McKenna, Jared Moon, Casey Olson, Benjamin Peterson, Paul VanDerHoeven, Gary Walton et Scott Welty. Des traducteurs ont soigneusement préparé l’intégralité du texte en treize langues.

Nous sommes reconnaissants de l’aide de Steven C. Harper, qui a servi comme rédacteur en chef de Les saints, et de celle des anciens dirigeants du département d’histoire de l’Église, Elder J. Devn Cornish, Reid L. Neilson et Richard E. Turley Jr., qui ont guidé le projet pendant de nombreuses années. Nous remercions particulièrement Steven E. Snow, soixante-dix Autorité générale émérite, qui a rempli pendant sept ans les fonctions d’historien et de greffier de l’Église et de directeur exécutif du département d’histoire de l’Église, et sans qui ce livre n’aurait pas pu être publié.